Les restes carpologiques carbonisés du site mésolithique des Baraquettes IV (Velzic, Cantal

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Laurent Bouby Fréderic Surmely Les restes carpologiques carbonisés du site mésolithique des Baraquettes IV (Velzic, Cantal) In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2004, tome 101, N. 3. pp. 457-462. Résumé Malgré les bonnes conditions de conservation inhérentes à l'abri mésolithique des Baraquettes IV, seulement quatre taxons ont pu être identifiés à la suite des analyses carpologiques de restes carbonisés de fruits et de graines. Au moins deux fruits, prunelles (Prunus spinosa) et noisettes (Corylus avellana), ont dû être consommés. Nous supposons qu'en raison de l'abondance du noisetier dans l'environnement, ses fruits ont été privilégiés par les occupants du Mésolithique et ont constitué une source importante d'énergie d'origine végétale. Un nombre élevé de fragments de coquilles a été recueilli et leur densité dans l'abri semble augmenter avec l'expansion régionale de l'arbre démontrée par la palynologie. Abstract In spite of the good preservation conditions of the Mesolithic site of Baraquettes IV, archaeobotanical analysis of carbonized fruits and seeds only allowed the identification of four taxa. At least sloe (Prunus spinosa) and hazelnut (Corylus avellana) were probably eaten. It is supposed that, due to the abundance of Corylus in the environment, hazel nuts were favoured by Mesolithic inhabitants and constituted an important source of plant energy. A high number of hazelnut shell fragments have been recovered. Their density on the site seems to increase with the regional expansion of the hazel tree as documented by palynological studies. Citer ce document / Cite this document : Bouby Laurent, Surmely Fréderic. Les restes carpologiques carbonisés du site mésolithique des Baraquettes IV (Velzic, Cantal). In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2004, tome 101, N. 3. pp. 457-462. doi : 10.3406/bspf.2004.13027 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2004_num_101_3_13027

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Laurent BoubyFréderic Surmely

Les restes carpologiques carbonisés du site mésolithique desBaraquettes IV (Velzic, Cantal)In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2004, tome 101, N. 3. pp. 457-462.

RésuméMalgré les bonnes conditions de conservation inhérentes à l'abri mésolithique des Baraquettes IV, seulement quatre taxons ontpu être identifiés à la suite des analyses carpologiques de restes carbonisés de fruits et de graines. Au moins deux fruits,prunelles (Prunus spinosa) et noisettes (Corylus avellana), ont dû être consommés. Nous supposons qu'en raison del'abondance du noisetier dans l'environnement, ses fruits ont été privilégiés par les occupants du Mésolithique et ont constituéune source importante d'énergie d'origine végétale. Un nombre élevé de fragments de coquilles a été recueilli et leur densitédans l'abri semble augmenter avec l'expansion régionale de l'arbre démontrée par la palynologie.

AbstractIn spite of the good preservation conditions of the Mesolithic site of Baraquettes IV, archaeobotanical analysis of carbonized fruitsand seeds only allowed the identification of four taxa. At least sloe (Prunus spinosa) and hazelnut (Corylus avellana) wereprobably eaten. It is supposed that, due to the abundance of Corylus in the environment, hazel nuts were favoured by Mesolithicinhabitants and constituted an important source of plant energy. A high number of hazelnut shell fragments have been recovered.Their density on the site seems to increase with the regional expansion of the hazel tree as documented by palynological studies.

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Bouby Laurent, Surmely Fréderic. Les restes carpologiques carbonisés du site mésolithique des Baraquettes IV (Velzic, Cantal).In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2004, tome 101, N. 3. pp. 457-462.

doi : 10.3406/bspf.2004.13027

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2004_num_101_3_13027

Laurent BOUBY et Frédéric SURMELY

Les restes carpologiques

carbonisés du site mésolithique

des Baraquettes IV

(Velzic, Cantal)

Résumé Malgré les bonnes conditions de conservation inhérentes à l'abri mésolithique des Baraquettes IV, seulement quatre taxons ont pu être identifiés à la suite des analyses carpologiques de restes carbonisés de fruits et de graines. Au moins deux fruits, prunelles (Prunus spinosa) et noisettes (Cory lus avellana), ont dû être consommés. Nous supposons qu'en raison de l'abondance du noisetier dans l'environnement, ses fruits ont été privilégiés par les occupants du Mésolithique et ont constitué une source importante d'énergie d'origine végétale. Un nombre élevé de fragments de coquilles a été recueilli et leur densité dans l'abri semble augmenter avec l'expansion régionale de l'arbre démontrée par la palynologie.

Abstract In spite of the good preservation conditions of the Mesolithic site of Baraquettes IV, archaeobotanical analysis of carbonized fruits and seeds only allowed the identification of four taxa. At least sloe (Prunus spinosa) and hazelnut (Corylus avellana) were probably eaten. It is supposed that, due to the abundance of Corylus in the environment, hazel nuts were favoured by Mesolithic inhabitants and constituted an important source of plant energy. A high number of hazelnut shell fragments have been recovered. Their density on the site seems to increase with the regional expansion of the hazel tree as documented by palynological studies.

La présente note constitue un rectificatif au mémoire XXXII de la Société préhistorique française, consacré au site mésolithique des Baraquettes, dans lequel un résumé sur les restes carpologiques a été substitué par erreur au texte complet. Des recherches carpologiques ont été entreprises sur le site mésolithique des Baraquettes IV dans le but principal de recueillir des informations sur les plantes utilisées par les occupants du site, en particulier sur les plantes alimentaires. La paléoethnobotanique représente un domaine d'étude privilégié pour le carpo- logue, avant tout en raison de la nature des restes étudiés qui, étant principalement constitués de graines et de fruits, constituent bien souvent des produits directement consommables. La convergence thématique

est par ailleurs favorisée par le biais taphonomique existant sur les sites de milieu sec où, sauf cas exceptionnels, seuls les restes végétaux carbonisés sont conservés. La carbonisation étant généralement liée aux activités humaines, les éléments conservés témoignent fréquemment de produits végétaux manipulés par l'homme. Rappelons toutefois que la conservation par carbonisation entraîne une sélection des éléments végétaux les plus résistants (bois, semences en particulier) ; les organes ou tissus les plus fragiles (racines, feuilles, tiges par exemple) sont rarement documentés. Il est en outre bien évident que les éléments qui n'ont pas subi l'action du feu sont irrémédiablement détruits par les agents responsables de la dégradation de la matière organique dans le sol.

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En région Auvergne, les informations disponibles sur les ressources végétales consommées durant le Mésolithique sont extrêmement réduites. La présente étude constitue la première véritable analyse carpologique portant sur un site d'âge antérieur au Néolithique. À Longetraye (Haute-Loire) (Philibert, 1982), des noisettes et des glands ont été repérés au sein de la couche d'occupation sauveterrienne (Daugas et Raynal, 1987), mais les sédiments de ce site n'ont pas fait l'objet d'observations plus précises.

LE SITE mSBARAQUETTESIV

Le site archéologique des Baraquettes est localisé dans la commune de Velzic (Cantal), sur les versants occidentaux du massif cantalien, à 780 m d'altitude (Surmely, 2000 et 2003). Il se constitue d'une série de petites cavités ouvertes vers le sud au pied d'un relief de brèche volcanique, à 80 m au-dessus du cours de la Jordanne. Des traces d'occupations mésolithiques ont pu être décelées dans quatre de ces abris. L'abri des Baraquettes IV est le seul ayant livré des témoins d'occupations pour deux phases du Mésolithique : le Sauveterrien ancien et moyen. Le Sauveterrien ancien (couches 8-10 et 6b) a fait l'objet de deux datations au radiocarbone (Surmely, 2003) qui donnent un intervalle compris entre 10400 et 9250 av. J.-C. (avec 95,4 % de probabilités; Stuiver et al, 1998). Sept datations ont été pratiquées sur les couches du Sauveterrien moyen (couches 5c, 5 indivise et 5a). Si l'on excepte deux datations récentes (intervalle 7550-6400 av. J.-C), la fourchette calculée avec 95,4 % de probabilités s'établit de façon homogène à 8550-7550 av. J.-C. Les données archéozoologiques obtenues aux Baraquettes I (Sauveterrien moyen) montrent que les occupants pratiquaient une chasse diversifiée (bouquetin, chamois, sanglier, loutre, cerf et chevreuil). Ces résultats suggèrent en outre une occupation du site au printemps et surtout en été (Fontána, 2000).

ACQUISITION DES DONNÉES CARPOLOGIQUES

L'échantillonnage des carporestes sur le gisement fut réalisé selon la méthode de la flottation manuelle, tout particulièrement adaptée à la récupération des semences carbonisées. Les prélèvements de sédiment sont baignés dans un bac d'eau, puis la fraction flottante est versée sur une colonne de deux tamis (2 et 0,5 mm d'ouverture). Cette opération doit être renouvelée plusieurs fois. En éliminant du contenu des refus l'essentiel de la fraction minérale, l'utilisation de la flottation manuelle permet de limiter considérablement les temps de tri, qui peuvent s'avérer très longs pour la fraction fine. Un volume relativement important de sédiment (plus de 236 litres) a pu être traité, provenant de 8 unités stratigraphiques et de multiples carrés de fouilles. Les fractions fines de tamisages furent soumises à une seconde flottation en laboratoire afin d'en réduire encore la part minérale. L'ensemble des refus fut ensuite trié sous loupe binoculaire à divers grossissements.

Tous les restes végétaux archéologiques sont carbonisés. Compte tenu des conditions de conservation propres au site, les fragments de racines, feuilles et rares semences non carbonisés présents dans les échantillons doivent nécessairement être considérés comme du matériel subactuel ayant pu migrer dans les couches à la suite de perturbations ou être apportés par le vent lors des tamisages ou du séchage.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS Un lot de 10 échantillons s'est avéré totalement stérile. Les résultats obtenus sur les échantillons positifs sont consignés dans le tableau 1. Tous les prélèvements stériles proviennent de l'ensemble stratigraphique 6 : couche 6a et surtout couche 6b et 6 indifférenciée (Sauveterrien ancien). On remarque également que la plupart des échantillons positifs de ces couches n'ont livré qu'un faible nombre de restes (81,25 en moyenne contre 525,9 pour les niveaux postérieurs). Il semble donc que la couche 6 soit moins riche en carporestes que les niveaux du Sauveterrien moyen, en particulier que l'ensemble 5. Tous les échantillons issus de cette couche sont positifs. Ils ont fréquemment fourni un nombre important de vestiges (633,75 par échantillon en moyenne), notamment en C5c, et possèdent en outre la plus grande diversité taxinomique. Au minimum cinq taxons sont présents sur le site mais leur nombre se limite à deux pour les niveaux du Sauveterrien ancien alors que tous sont présents dans les niveaux Sauveterrien moyen. Un fragment de noyau de prunellier (Prunus spinosa), auquel adhèrent encore des morceaux de pulpe, un fruit de laîche type de paira (Carex muricata type) et deux graines de légumineuses proviennent de C5a. Les graines de légumineuses (dimensions = 1,8 x 1,6 x 1,4 et 1,6 x 1,4 x 1,3) sont bien conservées mais l'absence de hiles handicape fortement leur identification (Vicia type). Un seul fruit de gaillet, trouvé dans la couche 5c, permet de reconnaître le gaillet grateron. Cependant, l'impossibilité d'observer les cellules de surface interdit une détermination certaine (Galium cf. aparine). Les autres restes de gaillet sont trop fragmentaires pour atteindre cette précision dans l'identification. L'essentiel des restes collecté correspond à des fragments de coquilles de noisettes (Cory lus ave Папа). L'aspect des surfaces des coquilles de noisettes et des quelques semences réunies montre de très faibles traces d'érosion. Les conditions de conservation du gisement peuvent donc être jugées très bonnes, certainement grâce au caractère peu abrasif du sédiment cendreux. Le faible nombre de taxons mis en évidence ne doit donc pas être imputé aux conditions de conservation. Le noisetier apparaît dans tous les échantillons positifs avec un total de plus de 5 900 fragments, de tailles très diverses, représentant un volume de 73 ml et une masse de 36,3 g. Un calcul de la densité du noisetier à l'intérieur du sédiment (masse de coquilles/litres de sédiment) laisse apparaître une brusque augmentation de cette dernière dans la couche 5, en particulier C5c, pour diminuer ensuite et rejoindre son niveau du Sauveterrien ancien (fig. 1).

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Chronologie Couche Datation

Volume tamisé par couche, en 1 Carré TAXONS ATTESTÉS Corylus avellana L.

Prunus spinosa L. Carex muricata L. type Vicia type Galium cf. aparine L. Galium sp. cf. Galium

Noisetier

Prunellier Laîche de Paira type Vescerype Gaillet cf. grateron Gaillet cf. Gaillet

Unité fgmt vol., ml masse, g fgmt sem. ent. sem. ent. sem. ent. fgmt. fgmt.

Total, en nombre de restes

Sauveterrien ancien 8-10

10170 ± 60 BP 4 N02

33 0,2

- - 33

6b 9950

±50BP 32,5

01 02

44 1

0,5

- - 44

2

- - 2

6 indifférenciée

54 PI P2 P3 P4 04

545 9 4

2 547

12

12

8

-

8

3

-

3

1

-

1

Sauveterrien moyen 5c

9065 ± 75 BF

77 Dl PI P2 PO

518 7

3,4

1

519

290 3,5 1,8

290

325 3,5 1,9

-

325

2465 32,5 16,4

1 -

2466

5a 9040±80BP 8750 ± 80 BP

PI P2

8

- -

8

1038 11 5,3

1 1 2 - -

1042

5 8760

+ 150BP 35

P3 P4

200 2

0,9 - -

-

200

220 1,5 0,5

- - - - -

220

4

PI

69 0,5 0,3

- - - - -

69

3

33,7 P3

120 2 1,1

- - - - -

120

Total

236,2

5901 73,5 36,3

1 1 2 1 1 2

5909 Tabl. 1 - Les Baraquettes TV (Velzic, Cantal), résultats des analyses carpologiques (sem. ent. = semence entière ; fgmt. = fragment).

La richesse en noisettes semble importante aux Baraquettes, même si l'estimation du nombre total de fruits représentés invite à une certaine prudence. Une expérience de carbonisation conduite à partir de noisettes de haies actuelles permet d'évaluer le nombre de fruits correspondant aux fragments recueillis aux Baraquettes. Un ensemble de 73 noisettes possède une masse fraîche de 140 g. Après avoir brisé les nucules et carbonisé les fragments de péricarpes, la masse obtenue n'est que de 28 g (soit 0,383 g de coquilles carbonisées par noisette fraîche). Une expérience similaire conduite en Grande-Bretagne a donné un résultat de 0,42 g (Mithen et al., 2001). Selon ces résultats, l'ensemble des fragments de péricarpes recueillis dans les prélèvements des Baraquettes correspondrait donc à peine à une centaine de fruits. Ce calcul permet de relativiser le nombre important de fragments recueilli. Il ne faut cependant pas considérer que ces chiffres représentent l'ensemble des fruits apportés sur le site par les occupants : les restes récupérés ne représentent qu'un échantillonnage de la petite partie des fragments

1 iment

sedi

g/1 de

0,35

0,30

0,25

0,20

0,15

0,10

0,05

0,00 C08-10 C6b C6ind C5c C5ind C3 couches archéologiques

Fig. 1 - Concentration des fragments de coquilles de noisettes (Corylus avellana) dans les couches des Baraquettes ГУ.

qui ont été carbonisés sans être totalement détruits par le feu. La densité de Corylus s'élève à 25 fragments par litre de sédiment pour l'ensemble des couches et à 45 fragments/litre pour la seule couche 5c. Il serait intéressant de comparer cette densité aux autres sites épipaléo- ou mésolithiques qui ont livré des coquilles de noisettes dans le Sud de la France, mais les données relatives aux volumes de sédiment tamisés ne sont habituellement pas publiées. Les mentions de noisettes sont très fréquentes pour ces périodes, mais dans les rares cas où les nombres de fragments collectés sont mentionnés, ils sont nettement inférieurs aux chiffres des Baraquettes : Balma Margineda (Andorre : Marinval, 1995) et Al Poux (Fontanes, Lot : Bouby, 2002).

DISCUSSION Deux des espèces identifiées possédaient certainement un rôle alimentaire : le noisetier et le prunellier. Nous avons eu l'occasion de citer la fréquence des mentions de noisettes sur les gisements du Mésolithique. Le prunellier est pour sa part attesté en grand nombre à la Balma Margineda (Marinval, 1995). L'usage alimentaire des autres plantes est également possible mais leurs semences ont pu être introduites sur le gisement et carbonisées par accident. Les fruits du gaillet, notamment, peuvent facilement s'accrocher à la fourrure des animaux ou aux vêtements humains. On en retrouve un exemplaire sur le site d'Al Poux (Bouby, 2002). Ces taxons représentent des plantes peuplant souvent les bois et les lisières forestières de l'étage collinéen et de la base de l'étage montagnard. Ils participent de la flore qui se développe progressivement après la dernière phase glaciaire. Les noisettes constituent des ressources alimentaires d'un grand intérêt. Elles possèdent un rendement calorique très élevé et contiennent une forte proportion de protéines et plus particulièrement de lipides (Couplan, 1989). A ceci s'ajoute l'avantage de pouvoir

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les conserver très facilement. L'évaluation du rôle alimentaire réellement joué par ces fruits aux Bara- quettes présente cependant beaucoup de difficultés. L'estimation expérimentale du nombre de fruits représentés indique un chiffre relativement bas. Une telle estimation peut néanmoins s'avérer trompeuse, les restes de coquilles retrouvés ne constituant qu'un échantillonnage des fragments produits par les occupants. À l'inverse, il faut considérer que divers paramètres ont pu conduire à une certaine surreprésentation des noisettes à l'intérieur du spectre de restes végétaux carbonisés. Le premier élément tient à la nature lignifiée des coquilles qui induit une bonne résistance à la carbonisation, les autres paramètres sont inhérents aux pratiques humaines. Il n'est tout d'abord pas exclu que les noisettes aient servi de combustible. Leur carbonisation a pu également être favorisée par la pratique du grillage des fruits. Le grillage des noisettes permet de tuer les insectes qui peuvent les parasiter, de prolonger leur conservation lors d'un stockage éventuel, de faciliter leur traitement, plus particulièrement leur mouture, d'améliorer leur saveur ou leur digestibilité, le grillage entraînant notamment une diminution du taux d'acides gras libres et affectant la composition en acides aminés (Mithen et al, 2001 ; Ôzdemir et al, 2001). Le grillage des noisettes au Mésolithique a été envisagé sur le site écossais de Staosnaig (Mithen et al, 2001). Compte tenu du nombre de fragments de noisettes paraissant nettement supérieur à ceux observés sur les autres sites mésolithiques du Sud de la France, de leur présence dans la plupart des carrés de fouilles des Baraquettes, considérons malgré les réserves émises que les noisettes jouaient un rôle alimentaire plus qu'occasionnel pour les occupants du site. Une telle hypothèse s'accorde d'ailleurs parfaitement avec les observations ethnographiques réalisées sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs dans le monde contemporain (Cordain et al, 2000). Même lorsqu'ils utilisent un nombre très élevé d'espèces végétales, les chasseurs- cueilleurs ne consomment habituellement qu'un faible pourcentage de ces dernières, généralement celles qui procurent le meilleur rapport entre énergie investie pour se les procurer et énergie obtenue. Dans toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs connues au monde, ces quelques produits fournissent alors la plupart de l'énergie quotidienne d'origine végétale. Or, les fruits à coque sont parmi les aliments végétaux sauvages possédant la plus forte densité énergétique. Les noisettes, dont le rendement calorique est tout particulièrement élevé, se présentent donc comme un candidat idéal pour avoir constitué chez les Mésolithiques des Baraquettes une de ces ressources privilégiées à fort rapport énergie investie/énergie obtenue. Bien sûr, le rendement énergétique propre au produit cueilli n'est pas le seul paramètre à prendre en considération, la disponibilité dans l'environnement est essentielle, l'abondance et la facilité de collecte réduisant l'énergie nécessaire pour l'accumuler en quantité. Comment ne pas évoquer ici l'explosion du noisetier détectée par la palynologie dans la majeure partie de l'Europe au début de l'Holocène ? Le début de ce phénomène peut être daté autour de 9400 BP dans les

Pyrénées, 9800-8600 BP au nord des Alpes, 9600- 8600 BP au Royaume-Uni et en Europe du Nord (Tallantire, 2002). Bien sûr, dans le Sud-Ouest de la France et dans le Massif central, le pic de Corylus ne semble pas atteindre des taux aussi élevés que dans les régions plus septentrionales. Cette atténuation serait due au départ encore plus précoce de la courbe du chêne caducifolié et à la concurrence pour la lumière induite par celui-ci (Tallantire, 2002). Le pic du noisetier n'en demeure pas moins parfaitement évident dans les diagrammes. Son expansion brutale semble se produire dans tout le Massif central vers la fin du Xe millénaire BP, pour aboutir à une phase de suprématie couvrant plus d'un millénaire (de Beaulieu et al, 1988). La présence du noisetier est également perçue par l'anthracologie aux Baraquettes, en association avec des composants de la chênaie caducifoliée et de la ripisylve, mais aucune dynamique nette de la végétation n'est enregistrée au cours de la séquence (Heinz, in Surmely, 2003). Pour autant que l'on puisse en juger à partir des datations disponibles et des données carpologiques recueillies aux Baraquettes, il semble exister une corrélation entre la progression de l'espèce dans l'environnement, dont témoigne la palynologie, et l'accroissement du nombre de restes de coquilles entre les couches du Sauveterrien ancien (vers 10400-9250 av. J.-C.) et moyen (vers 8550-7550 av. J.-C). Ceci confirme que le noisetier constituait bien une ressource abondante dans l'environnement, dont ont usé les occupants du site, et suggère qu'il ait bien existé une relation entre abondance dans l'environnement et im

portance de la consommation. Reste à savoir dans quel sens a fonctionné cette relation : les hommes se sont-ils tournés vers une ressource naturellement disponible, ou l'extension du noisetier dans l'environnement ré- sulte-t-elle de pratiques humaines destinées à favoriser un arbre économiquement important? L'hypothèse d'une agriculture existant de façon sporadique au Mésolithique final, intégrant dans certains cas des pratiques d'arboriculture, a plusieurs fois été formulée (par ex. Visset et al, 2002 ; Haas, 1996 ; Richard, 1994). La question mérite donc d'être posée aux Baraquettes. D'autant que les raisons de la brusque montée en puissance du noisetier au début de l'Holocène en Europe donnent lieu à un débat toujours vivant. Les hypothèses fréquemment évoquées font appel à des causes climatiques, mais également anthropiques, via la propagation des graines et des pratiques d'entretien des arbres pouvant faire appel au feu (Huntley, 1993 ; Tallantire, 2002 ; Tinner et Lotter, 2001). Les arguments en faveur de la thèse climatique semblent toutefois les plus convaincants. Des données palynologiques obtenues en Suisse et en Allemagne montrent par exemple un parallèle frappant entre le refroidissement climatique détecté dans les enregistrements isotopiques des carottes de glace du Groenland à 8200 BP et la réponse de la végétation, incluant un déclin rapide du noisetier (Tinner et Lotter, 2001). La phase de domination du noisetier serait due à l'existence d'un climat incluant de forts contrastes saisonniers, avec des hivers froids et des étés chauds et secs. Le stress hydrique, en

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inhibant l'expansion des grands arbres, aurait favorisé le noisetier. Le refroidissement intervenant à 8200 BP aurait éliminé ce stress et entraîné le développement des grands arbres thermophiles, ces derniers supplantant le noisetier pour l'accès à la lumière et induisant son rapide recul (Tinner et Lotter, 2001). Par ailleurs, la généralisation rapide de l'extension du noisetier en Europe ne peut s'accommoder de la seule hypothèse d'un déterminisme anthropique, celle-ci impliquerait l'adoption de pratiques identiques et sensiblement contemporaines sur un territoire très vaste. Les données palynologiques écossaises ne montrent d'ailleurs aucune corrélation entre la présence de microcharbons ou de sites mésolithiques et le pic de Corylus (Edwards, 1999). Il paraît donc plus vraisemblable de considérer que les Mésolithiques des Baraquettes ont profité d'une ressource devenue abondante en raison de la dynamique propre à l'évolution de la forêt au début de l'Holocène, sans doute sous contrôle climatique, plutôt que d'imaginer le développement de pratiques humaines d'entretien des arbres responsables de l'extension du noisetier, sans nier toutefois que de telles pratiques aient pu occasionnellement exister. La maturité des noisettes est atteinte de septembre à novembre. Si l'on considère que les fruits ont été cueillis localement, il faut alors envisager que l'abri a pu être occupé en automne, en complément des informations archéozoologiques de la cavité voisine de Baraquettes I qui révèlent une occupation au printemps et surtout en été. Rappelons cependant que les noisettes peuvent aisément être stockées et conservées pendant un an, surtout si elles sont préalablement grillées : les

fruits ont donc pu être transportés et introduits dans l'abri en dehors de la saison de fructification.

CONCLUSION Le gisement des Baraquettes IV confirme que des semences carbonisées, même de petite taille et fragiles, peuvent se conserver dans des sédiments mésolithiques. La bonne qualité de leur conservation dans ce cas précis doit être imputée aux conditions particulières du gisement liées à la nature du sédiment. Malgré ces conditions favorables et la collecte d'un nombre important de restes, la diversité spécifique obtenue est réduite. La préservation des carporestes par carbonisation est tributaire d'événements accidentels comme du comportement humain. La faible diversité taxinomique des plantes attestées aux Baraquettes ne doit donc probablement pas être interprétée comme reflétant la totalité du spectre des végétaux exploités par les occupants. Même si l'abondance des fragments de péricarpes peut s'avérer trompeuse, nous formulons l'hypothèse que les noisettes ont représenté une ressource alimentaire importante sur le site. Il semble exister une relation avec le développement du noisetier dans l'environnement à cette époque, mis en évidence par la palynologie dans le Massif central comme dans la majeure partie de l'Europe. Il ne nous semble cependant pas possible de considérer que cette extension de l'essence résulte de pratiques humaines visant à favoriser un arbre précieux pour leur économie ; les hommes ont plus vraisemblablement adapté leurs pratiques alimentaires aux ressources offertes par l'environnement. ■

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Laurent BOUBY CEPAM - CNRS, Sophia- Antipolis

250, rue Albert-Einstein, 06560 Valbonne Frédéric SURMELY

Service régional de l'archéologie DRAC Auvergne

4, rue Biaise-Pascal, 63000 Clermont-Ferrand

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