LE SIGNE P’E ET LA MÈRE ÉLUE

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LE SIGNE P’E ET LA MÈRE ÉLUE Europe C. Mercier et Renato Cottini Giroldo Centre d’Investigations et Études du Sud-est Mésoaméricain 6 février 2015 Corrélation chronologique 584,285 ANTÉCÉDENTS Nous avions commenté dans le rapport L’EFFET DOMINO (sur www.academia.edu) que la recherche des syllabes éjectives manquantes (ch’u, p’a, t’i et p’e) n’allait pas s’interrompre. Dans le rapport LE LOGOGRAMME P’EN ET LA NAISSANCE DU PÉCHÉ nous nous sommes rapprochés de la découverte de la syllabe p’e mais sans succès. Néanmoins, la recherche nous a mené à de surprenantes découvertes. Ce rapport est le résumé de notre « voyage » non planifié et les résultats auxquels il nous a conduit. ANALYSE La recherche a continué et nous a emporté sur d’autres chemins à cause de la jupe caractéristique que la dame porte en neuf occasions. C’est une jupe rayée (vous rappelez-vous les rayures de P’EL ?) très similaire dans son aspect à une feuille d’arbre. Voyons cette jupe : Nous rappelons quelques unes des définitions qui se trouvent dans les dictionnaires mayas : {P’eél/P’el} Ppeel/Ppel : rayer, régler, tracer, émonder en sortant les pépins ou le grain. (Pío Pérez)

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LE SIGNE P’E ET LA MÈRE ÉLUE Europe C. Mercier et Renato Cottini Giroldo Centre d’Investigations et Études du Sud-est Mésoaméricain 6 février 2015 Corrélation chronologique 584,285

ANTÉCÉDENTS

Nous avions commenté dans le rapport L’EFFET DOMINO (sur www.academia.edu) que la recherche des syllabes éjectives manquantes (ch’u, p’a, t’i et p’e) n’allait pas s’interrompre. Dans le rapport LE LOGOGRAMME P’EN ET LA NAISSANCE DU PÉCHÉ nous nous sommes rapprochés de la découverte de la syllabe p’e mais sans succès. Néanmoins, la recherche nous a mené à de surprenantes découvertes.

Ce rapport est le résumé de notre « voyage » non planifié et les résultats auxquels il nous a conduit.

ANALYSE

La recherche a continué et nous a emporté sur d’autres chemins à cause de la jupe caractéristique que la dame porte en neuf occasions. C’est une jupe rayée (vous rappelez-vous les rayures de P’EL ?) très similaire dans son aspect à une feuille d’arbre. Voyons cette jupe :

Nous rappelons quelques unes des définitions qui se trouvent dans les dictionnaires mayas : {P’eél/P’el} Ppeel/Ppel : rayer, régler, tracer, émonder en sortant les pépins ou le grain. (Pío

Pérez)

{P’eél} Ppeel : chose ainsi rayée ou signalée droite et égale. (Calepino Maya de Motul) {P’eel-áj} Ppeel.ah : le rayer, le régler, le tracer, l’émonder en sortant les pépins. (Arte, Beltrán)

Dans le catalogue de Thompson, le signe de la feuille d’arbre porte différents numéros : T56a/b

(seulement utilisé dans les inscriptions de Chichén Itzá, Yucatán, Mexique), T188, T612 et possiblement T613, le signe T188 étant le plus utilisé.

T188 (période du Classique) T612 (codex)

Cependant, la jupe de la « Dame Serpent » montre un dessin différent des signes habituellement

utilisés pour la syllabe le ou le mot LE’. Ce dessin nous fit penser à un texte très connu et en partie inconnu en même temps.

Pour qui travaille dans la recherche sur l’épigraphie maya la réaction est immédiate parce qu’une feuille similaire est gravée sur le couvercle du sarcophage du Temple des Inscriptions de Palenque, Chiapas, Mexique, dans un contexte encore jamais éclaircit complètement et en relation avec la mort du gouverneur local. De plus, la feuille a les « cercles chauds » des syllabes éjectives.

Nous avons essayé la substitutions avec la syllabe p’e :

Glyphes 10, 11 et 12, côté sud du couvercle du sarcophage (Dessin de M. Green Robertson)

TRANSCRIPTION …-u.ts’ak.bu:ji-u:KAB:ji:y(a).u:ma:m(a)-ts’a:p’(e).na:KAN TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE … uts’akbuji’ ukabjíy umáam Ts’aap’nakáaŋ TRADUCTION LIBRE « … le changement survint sous le commandement de Ts’aap’nakáaŋ, l’ancêtre ». TRADUCTION LITTÉRALE « … la transformation fut dans (la besogne) sous le commandement de l’ancêtre Astucieux Premier

Serpent ».

Puis nous avons vérifié dans les dictionnaires : {Ts’ap’} Dzapp u uich : Astucieux -Astucieux son visage-. (San Francisco) La traduction a été satisfaisante parce que « l’astucieux » ancêtre reflète très bien les scènes peintes

sur les vases en plus de présenter l’idée de l’ancêtre créateur, aussi créateur des divinités.

Nous avions besoin de le vérifier dans d’autres exemples qui semblaient être malheureusement peu nombreux. Nous nous sommes donc souvenus que la présence de « feuilles » était visible dans le nom d’un personnage aussi de Palenque, un glyphe nominal une fois encore peu compris :

je:m(e):NAL.NA’-#:MAT[MUWAN].n(i) = Jemnalna’, # Muwáaŋ Mat = La Mère de la Vallée, Épervier Cormoran #

Étape 1 (Transcription, translittération et traduction à titre de tentative jusqu’aujourd’hui avec des variantes entre chercheurs) C’est un nom important, c’est celui de la divinité féminine qui a donné vie aux autres divinités, mais

aussi le nom royal de la mère du gouverneur le plus fameux du site. Elle fut gouverneur jusqu’à son abdication à faveur de son fils.

Il aurait été très audacieux d’essayer la substitution dans ce cas : il se traitait de nier les syllabes je (dont le numéro de catalogue est T69) et me (T610), pour faire l’essai avec p’e et P’EL, respectivement.

T69 (de je à p’e) T610 (de me à P’EL)

Nous l’avons fait :

p’e:P’EL:NAL.NA’-#:MAT[MUWAN].n(i) = P’elnalna’, # Muwáaŋ Mat = Unique mère, Épervier Cormoran #

Étape 2 (notre transcription, translittération et traduction, version incomplète) Bien, le nom était très satisfaisant étant celui de la Lune mais il restait le problème des substitutions

dans les autres cas où apparaissent les ex-syllabes. Les signes en cours de recherche se répètent dans une inscription récente, un double texte taillé sur

une « trompette annonciatrice » de la période du Classique Récent, appelée Caracola Pearlman (les dessins sont de L. Schele).

Dans l’inscription, les signes et les glyphes résultants ne se réfèrent pas à une femme (sans importer si divine) et il était donc important d’analyser comment ils appliquaient.

Jusqu’à la date, les tentatives de translittération et traduction ont été partielles, avec le résultat de proposer que le texte fit le récit d’un personnage humain qui personnifie une divinité au cours de quelque rituel dans lequel une vision-serpent fut conjurée.

Caracola Pearlman, texte 1 (Notre version, complète)

TRANSCRIPTION u.pa:AL-JUCH-u.K’ABA[K’UH]-yu:k’e-s(a)-ta:p’e:P’EL- VII.SIP-WINIK-k’a-yo:m(a).HUN-p’e:P’EL:n(a)-MAM TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Upa’aljúch uk’uhulk’aba’ yuk’eés ta’ p’el Úuk Siíp, wínik k’aayoomhuun, p’eleenmáam TRADUCTION LIBRE « Escargot de Fleuve est le divin nom de la conque de Úuk Siíp, personne chargée d’annoncer, élu ancêtre ». TRADUCTION LITTÉRALE « Escargot de Fleuve est le loué nom de la conque de Péché de la

Dimension Obscure, personne chargée d’annoncer, ancêtre élu ».

Caracola Pearlman, texte 2 (Notre version, complète)

TRANSCRIPTION u.CHOK-ta:AL-ya.p’e:P’EL:n(a)-MAM-ITSAM:AK[K’AN]- NIK-II.sa.SI:IL:w(a)-yu:[UCH]KAN-TSAK-#-BALAM[AJ]-u.U TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Uchooktaál ya-p’eleenmáam Itsaamk’aanaák ; niksaasiilíw yuchkáaŋ Tsáak ; # baalamáj U’ TRADUCTION LIBRE « Beaucoup d’encens fut versé pour l’élu ancêtre Itsaamk’aanaák ; l’offrande fleurit lumineuse, le boa de la conjuration ; fut offert à la

Nouvelle Lune ». TRADUCTION LITTÉRALE « Fut versé beaucoup d’encens pour l’ancêtre élu Tortue

Précieuse Ancêtre Créateur ; fleurit lumineuse l’offrande, le boa de la conjuration ; fut offert à la Lune Cachée ».

L’inscription prenait apparemment un autre sens, plus complet et descriptif des scènes qui

accompagnent le texte où l’on apprécie l’image du « serpent » produit par la combustion d’encens « embrassé » par Úuk Siíp, divinité chargée d’annoncer le résultat d’un événement futur et la divinité lunaire assise sur le trône (mieux dit, un coussin).

Après l’inscription de la conque, nous sommes allés essayer la substitution dans les textes du Codex de

Dresde, avec un changement de huit siècles environ. Le produit fut aussi réussi et intéressant dans ce cas :

Codex de Dresde, page 33-3B

TRANSCRIPTION u.AYAN:UB-CHAHK.k(i).i-ti.chi:ka.j(a)-P’EL:AJAW.EL TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Uayanúb Chahk i’ ti’ chikáj ; p’elajawél TRADUCTION LIBRE « Chahk-épervier est dans le châtiment ; c’est le royaume solitaire ». TRADUCTION LITTÉRALE « Orage-épervier est dans le châtiment ; c’est royaume solitaire ».

Codex de Dresde, page 37-3C

TRANSCRIPTION u.AYAN:w(a)-CHAHK.k(i)-ti.p’e:P’EL-KEL.K’U TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Uayanáw Chahk ti’ p’el ; kel[eem]k’u’ TRADUCTION LIBRE « Chahk est l’unique ; est vigoureuse divinité ». TRADUCTION LITTÉRALE « Orage est dans l’unicité ; est divinité vigoureuse ».

Codex de Dresde, page 40-1B

TRANSCRIPTION a.AYAN:y(a)-ta.p’e:P’EL-ta.p’e:P’EL-CHAHK.k(i) TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Uayaníy ta’ p’el ta’ p’el Chahk TRADUCTION LIBRE « Chahk fut absolument l’unique ». TRADUCTION LITTÉRALE « Orage fut dans l’unicité, dans l’unicité ».

Codex de Dresde, page 23-3B

TRANSCRIPTION u.U:AL-ya.ta:l(i)-JUN.AK:P’EL-ma.tsi:IL

TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE Uuál yatál Juunakp’eél ; ma’ tsil TRADUCTION LIBRE « L’offrande de l’Unique éternelle est le péché ; aucune bonté ». TRADUCTION LITTÉRALE

« Le paiement de l’Unique éternelle est le péché ; aucune bonne chose ».

Ce dernier texte permet de compléter la première proposition de notre analyse :

p’e:P’EL:NAL.NA’-I.AK:MAT[MUWAN].n(i) = P’eelnaalna’, Juunakmaatmuwáŋ

« Essence de l’Unique mère, Augure à l’éternelle grâce » Étape 3 (notre Transcription, translittération et traduction, version complète)

p’e:P’EL.NAL.NA’ = P’eelnaalna’

« Essence de l’Unique mère »

Il a aussi permis de donner une valeur logographique aux signes T31, T267 et T348, tous des variantes de la séquence I-AK = juunák = eternel.

En même temps, il est devenu définitivement clair que les inscriptions de Palenque (et en général de toute la région maya) reflètent la langue yukatekan, « l’ancêtre » de la langue yucatèque moderne. Le fait est prouvé au-delà des inutiles régionalismes modernes.

En somme, les substitutions fonctionnent et ont donné des résultats qui sont allés au-delà de nos attentes. Il y a d’autres exemples mais nous nous limiterons à indiquer deux des plus importants : le nom du jeune P’esóts’ (« Petite Chauve-souris ») avant de devenir Chaksóts’ (« Grande Chauve-souris »), chef de file militaire palenquais et aussi le nom de P’eyóŋ (« Petit de la famille ») avant de devenir le gouverneur de La Corona, Petén, Guatemala.

La syllabe me alors éliminée, fallait-il aussi oublier la syllabe je ? Nous sommes allés contrôler les autres preuves :

Panneau 12, Piedras Negras, Petén, Guatemala, détail de la deuxième phrase

TRANSCRIPTION …-XIII:AJAW-I.PAT:ji:y(a)-LAKAM.TUN:n(i)-III.a.je:l(a)-XVIII:YAX.SIH:m(a)-... TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE … ooxlajuúŋ Ajáw i’ patjíy laakantúŋ ooxajeél waxaklajuúŋ Yaaxsihoóm... TRADUCTION LIBRE « … puis, le 18 octobre 514 ap. J.-C., fut faite la stèle de la fertilité… » TRADUCTION LITTÉRALE « … treize Ajáw, puis fut faite la grande pierre des nombreux réveils, dix-huit Yaaxsihoóm... »

Escalier Glyphique 4, Dos Pilas, Petén, Guatemala, détail de la Marche 1

TRANSCRIPTION …-u.III:TAL:AL-u.K’ATUN-I.AK’:TAJ.j(a)-ti.III.a-je.n(e)-LOM:NAL-... TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE … uooxtaál uk’atúŋ, i’ ak’táj ti’ Ooxajéŋ lomnáal... TRADUCTION LIBRE « … fut son troisième « katún » (au pouvoir), puis il dansa avec le sceptre de la Grande Fertilité… » TRADUCTION LITTÉRALE « … ce fut sa troisième pierre consacrée, puis il dansa avec le bâton pastoral-essence des Nombreux

Réveils… »

Monument 6, El Tortuguero, Tabasco, Mexique, détail

TRANSCRIPTION …-xa.a:je:s(e)-yo.OL:l(a)-... TRANSLITTÉRATION PHONÉTIQUE … xa’ ajés yoól... TRADUCTION LIBRE « … alors se réveillèrent les viscères… » TRADUCTION LITTÉRALE « … alors se réveillèrent les viscères… »

Il n’y avait donc plus de problèmes ultérieurs avec la syllabe je (T69), toujours étant qu’elle se situe

dans la partie inférieure du glyphe et non dans la supérieure. Dans le cas où elle se trouve dans la supérieure (par distribution du traceur maya), son son est signalé par d’autres signes qui terminent en -j. Analysons deux exemples du nom du gouverneur de Palenque qui souffrit la destruction de son centre cérémoniel :

AJ.je.n(e):OL:l(a) = Ajéŋ [Y]Oól [Máat] = Celui qui Réveille le Cœur [du Cormoran]

(Cas de signe que précède avec terminaison en -j)

a:je.n(e):OL-ma:t(a) = Ajéŋ [Y]Oól Máat = Celui qui Réveille le Cœur du Cormoran

(Cas commun)

CONCLUSIONS

Arrivés au terme de la recherche, nous pouvons la résumer de cette manière, ayant maintenant compris que la jupe de la dame « procréatrice de divinités » l’indique comme « l’élue » :

1. Le signe T69 indique la syllabe p’e lorsqu’il se trouve en position de superfixe et la syllabe je lorsqu’il occupe la position de suffixe ou est précédé par un autre signe qui termine en -j. Pour l’antérieur nous avons décidé de faire référence au premier cas en lui donnant le numéro T69e, et au deuxième T69. S’il y a des doutes, il est suffisant de vérifier si les « rayures » se trouvent en haut ou en bas.

T69e = p’e

T69 = je

T69cpl = je

2. Les signes T610 et T613 indiquent sans aucun doute le logogramme P’EL. Le premier était utilisé

dans la période du Classique et le deuxième dans les codex mayas.

T610 = P’EL

T613 = P’EL

3. Les signes T31, T267 et T348 indiquent la séquence I-AK, c’est-à-dire, juunák. 4. Le signe pour la syllabe me, que de nombreux chercheurs ont mis en doute, a définitivement disparu

du syllabaire. Il faudra le chercher.

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