Le savant et le poète : Hooke lecteur d'Ovide

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L’HOMME AU RISQUE DE L’INFINI Mélanges d’histoire et de philosophie des sciences offerts à Michel Blay édités par Michela Malpangotto Vincent Jullien Efthymios Nicolaidis DE DIVERSIS ARTIBUS COLLECTION DE TRAVAUX DE L’ACADÉMIE INTERNATIONALE D’HISTOIRE DES SCIENCES COLLECTION OF STUDIES FROM THE INTERNATIONAL ACADEMY OF THE HISTORY OF SCIENCE

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DE DIVERSIS ARTIBUSCOLLECTION DE TRAVAUX

DE L’ACADÉMIE INTERNATIONALED’HISTOIRE DES SCIENCES

COLLECTION OF STUDIES FROM THE INTERNATIONAL ACADEMY

OF THE HISTORY OF SCIENCE

Historien et philosophe de la science classique, homme d’action et gestionnaire de la recherche, Michel Blay célèbre en 2013

son soixante cinquième anniversaire. Sous l’égide de l’Académie Internationale d’Histoire des Sciences, ses confrères, ses collègues, ses amis ont décidé de lui offrir un recueil d’études qui s’inscrivent dans les différents champs de sa polymathie : science classique ; science, littérature et art ; science, philosophie et politique. On trouvera ici des contributions de :

Frédérique Aït-Touati, Anastasios Brenner, Pierre Caye, Philippe Büttgen, Maurice Clavelin, Pierre Crépel, Suzanne Débarbat, Claude Debru, Jean Eisenstaedt, Danielle Fauque, Robert Fox, Francesco Furlan, Michèle Gally, Chantal Grell, Niccolò Guicciardini, Denis Guthleben, Robert Halleux, Giorgio Israel, Bernard Joly, Vincent Jullien, Eberhard Knobloch, Charles Larmore, Véronique Le Ru, Jean-Marc Lévy-Leblond, Michela Malpangotto, Simone Mazauric, Sébastien Maronne, Efthymios Nicolaidis, Marco Panza, Pascal Pirot, Sabine Rommevaux, François Roudaut, Claire Salomon-Bayet, Jean Seidengart.

L’HOMME AU RISQUE DE L’INFINI

Mélanges d’histoire et de philosophie des sciencesofferts à Michel Blay

édités par

Michela Malpangotto Vincent Jullien

Efthymios Nicolaidis

DE DIVERSIS ARTIBUSCOLLECTION DE TRAVAUX

DE L’ACADÉMIE INTERNATIONALED’HISTOIRE DES SCIENCES

COLLECTION OF STUDIES FROM THE INTERNATIONAL ACADEMY

OF THE HISTORY OF SCIENCE

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LE SAVANT ET LE POÈTE : HOOKE LECTEUR D’OVIDE

Frédérique Aït-Touati

Dans son Discourse of Earthquakes1, publié posthume en 1705, RobertHooke consacre une large part de la discussion à un commentaire des Méta-morphoses d’Ovide. Ornement d’érudit ? Aucunement. Ce commentaire joueun rôle crucial dans sa démonstration, faisant un usage surprenant pour nous– mais tout à fait classique – de la fable poétique au cœur même du discoursscientifique. Les tremblements de terre sont au cœur de la théorie cosmogoni-que et géologique de Hooke, selon laquelle le relief actuel du globe est lerésultat des profonds bouleversements ayant eu lieu pendant les premiers âgesde la Terre. Qui mieux que les Anciens, dès lors, pourrait témoigner de cesantiques catastrophes ? Chez Hooke la poésie occupe, grâce à un usage évhé-mériste de la fable mythologique, la place vide de l’observation impossible.

Comme tout texte, le livre de la nature demande à être lu et interprété.L’analogie entre les Écritures et le livre de la nature est topique depuis Galilée.Comme l’a montré Eileen Reeves2, Galilée, nourri des commentaires jésuitesdu Livre de Daniel, a présenté sa propre entreprise comme celle d’un commen-

1. Robert Hooke, Posthumous Works, Discourses of Earthquakes, their Causes and Effects, andHistories of several ; to which are annext, Physical Explications of several of the Fables in Ovid’sMetamorphoses, very different from other Mythologick Interpreters, Londres, 1705, p. 396. Laseule étude entièrement consacrée à ce passage est, à ma connaissance, celle de Kirsten Birkett etDavid Oldroyd « Robert Hooke, Physico-Mythology, Knowledge of the World of the Ancients andKnowledge of the Ancient World », dans The Uses of Antiquity, ed. Stephen Gaukroger, p. 145-70,Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, 1991. Par ailleurs, plusieurs études sur le Discourse ofEarthquakes évoquent utilement le passage consacré aux Métamorphoses d’Ovide, notamment, D.R. Oldroyd « Robert Hooke’s Methodology of Science as Exemplified in His Discourse ofEarthquakes », dans The British Journal for the History of Science 6, n° 2, 1972, p. 109-30 ;Rhoda Rappaport, « Hooke on Earthquakes : Lectures, Strategy and Audience », dans The BritishJournal for the History of Science, 19, n° 2, 1986, 129-46 ; et Michael Hunter, « Robert Hooke :The Natural Philosopher » dans London’s Leonardo - The Life and Work of Robert Hooke, ed. JimBennett et al., Oxford University Press, 2003, p. 145. Récemment, William Poole a consacré unouvrage important à cette question : Poole, William. The World Makers : Scientists of the Restora-tion and the Search for the Origins of the Earth, Oxford, Peter Lang, 2010.

2. Eileen Reeves, « Daniel 5 and the Assayer : Galileo Reads the Handwriting on the Wall »,dans Journal of Medieval and Renaissance Studies, 21, 1991, p. 1-27 ; « Augustine and Galileo onReading the Heavens », dans Journal of the History of Ideas, 52, 1991, p. 563-79 ; voir aussiAnthony Grafton, « Kepler as a reader », dans Journal of the History of Ideas, 53, n° 4, 1992, 561-72, p. 562 et Serguei Zakin, Inside Books of the Worlds : Issues of Textual Interpretation in Mid-17th-Century Discourse on Knowledge, PhD Thesis, University of Cambridge, 1997.

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tateur érudit. On connaît la fameuse phrase dans laquelle il compare la natureà un livre écrit en langue mathématique, langue, souligne-t-il, que seuls quel-ques experts peuvent déchiffrer. Chez Galilée, la nature n’est pas un livreouvert et accessible à tous, mais bien plutôt un texte crypté. De même, les Fel-lows de la Royal Society mettent en place de nouvelles techniques d’exégèsedu livre de la nature, son déchiffrement nécessitant une compétence et desoutils particuliers. Déplacé des textes anciens à la nature, le travail herméneu-tique ne disparaît pas. Dans le contexte du renouveau de l’évhémérisme à lafin du XVIIe siècle3, Hooke propose, lorsque les preuves de la nature manquent,d’aller les chercher jusque dans la fable4 :

« Les Métamorphoses d’Ovide contenaient beaucoup d’histoires des grandschangements et catastrophes qui ont affecté bien avant notre temps les partiesde la Terre, et qui, même si elles sont enveloppées dans la mythologie et la mas-carade, une fois ces voiles enlevés, devraient laisser voir, je pense, les vraieshistoires, qui sont désormais méconnaissables »5.

C’est notamment sur les questions géologiques que les preuves font cruelle-ment défaut. Afin de construire une théorie de la formation de la Terre, Hookea recours à des textes classiques qu’il interprète comme récits fictionnalisésd’événements historiques. Les « true histories » ont été transformées en« romantick fables »6, explique-t-il, et demandent à être déchiffrées. Autrementdit, les anciennes vérités ont été transformées en fables, et doivent à nouveauêtre transformées en vérités. C’est tout l’objet d’un passage étonnant du fameuxDiscourse of Earthquakes dans lequel Hooke propose une singulière interpréta-tion des Métamorphoses d’Ovide. Ovide « nous a laissé », explique-t-il, « unetrès vaste Histoire des changements qui ont autrefois affecté le Monde, toutesses Métamorphoses étant, selon mon interprétation, écrites dans ce but »7. LesGuerres des Titans deviennent ainsi, sous l’œil de Hooke, le compte rendudétaillé de cataclysmes expliquant la formation de la Terre. Ce sont les quatrepremiers vers des Métamorphoses qui autorisent une telle lecture, affirme-t-il :

In noua fert animus mutatas dicere formas corpora ; di, coeptis (nam uos mutastis et illas)

3. Hooke connaissait notamment l’œuvre de Kircher. C’est un évhémérisme fidéiste qui étaitmis en oeuvre par Kircher dans son historicisation de l’Arche de Noé et de la Tour de Babel. Maisson but était d’établir les vérités de la foi, alors que le but de Hooke est d’établir sa théorie géo-logique. Sur le renouveau de l’évhémérisme et les usages de la fable à la fin du XVIIe siècle, voirpar exemple Peter Dronke, Fabula : Explorations into the Uses of Myth in Medieval Platonism,Brill, Leiden, 1974, et Julie Boch, Les dieux désenchantés. La fable dans la pensée française deHuet à Voltaire (1680-1760), Champion, Paris, 2002.

4. Nous utiliserons le terme dans son sens classique renvoyant au corpus des fables mytholo-giques.

5. Hooke, op. cit., p. 406.6. Hooke, op. cit., p. 396.7. Hooke, op. cit., p. 377.

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LE SAVANT ET LE POÈTE : HOOKE LECTEUR D’OVIDE 279

adspirate meis primaque ab origine mundi ad mea perpetuum deducite tempora carmen !

I sing of Beings in new shapes array’d,Assist ye Gods (for you the Changes made,)That from the Worlds Beginning to these TimesI may comprize their Series in my Rimes.

« J’entreprends de chanter les métamorphoses qui ont revêtu les corps de for-mes nouvelles. Dieux, qui les avez transformés, favorisez mon dessein et conduisez mes chants d’âge en âge, depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours »8.

Interprétée par Hooke, la fameuse Invocation des Métamorphoses doit selire ainsi : « mon dessein dans ce livre est de parler des diverses altérations ettransformation que les corps ou parties superficielles de la Terre ont subies parl’intervention des puissances divines »9. Hooke affirme pouvoir retrouver lesfaits derrière les fables en s’en faisant l’interprète, ou plutôt le « désinter-prète », selon son propre terme. L’expression dit bien qu’il s’agit de défaire labelle construction poétique, versifiée et fictionnelle afin de revenir à l’informa-tion géologique brute censée se trouver à l’origine du mythe10.

Aussi, dans la logique de Hooke, le Chaos des premières strophes des Méta-morphoses, correctement interprété, est-il assignable à un événement précis.S’ensuit une glose mot à mot des premières strophes expliquant la formationde la Terre. Cette glose vaut d’être citée dans son entier, car elle engage la défi-nition même de ce qu’est une hypothèse, une fable, ainsi que leur rôle dans laconstruction d’une théorie – selon Robert Hooke :

« L’hypothèse dans Ovide (car je la considère seulement comme une hypothèsechez lui) est que la matière pré-existante du monde était, premièrement, unequantité de matière sans aucune forme particulière, Rudis indigestaque moles,une masse brute désorganisée, et que pourtant elle avait en elle la propriété dupoids (quand elle est ensuite dirigée vers quelque centre), qu’il appelle alorsPondus iners poids inactif. Deuxièmement, qu’elle avait en elle les principesséminaux qui allaient ensuite composer les productions, principes qu’il nommediscordia semina rerum, les graines discordantes des choses, car elles étaient

8. Ovide, Métamorphoses, Invocation (I, 1).9. Hooke, op. cit., p. 377.10. À ce titre, il est intéressant de confronter l’usage des différentes « preuves » chez Hooke :

alors que les fossiles, affirme-t-il contre nombre de ses contemporains, ne sont pas des lusus natu-rae, des « jeux » ou monstres de la nature, les fables sont en revanche des créations de la fantaisiehumaine qui réclament un travail interprétatif supplémentaire. C’est là bien entendu un typed’évhémérisme particulier, héritier de Kircher plutôt que de l’évhémérisme classique.

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alors non bene junctarum, mal jointes, pas encore capables de former le Soleil,la Lune, la Terre, les planètes primaires ou secondaires »11.

Hooke interprète Ovide en même temps qu’il le traduit. Le début des Méta-morphoses s’apparente ainsi non seulement à une « True History » mais à une« Natural History » de la formation de la Terre : c’est ce passage d’un évhémé-risme historique à un évhémérisme naturaliste et physique qui fait la spécificitéde Hooke. Non content de lire chez Ovide une cosmogonie à laquelle il sous-crit, Hooke y trouve déjà la préfiguration de la théorie de la gravitation univer-selle, occasion d’une petite pique contre Newton (puisque Hooke affirme avoirformulé la fameuse hypothèse avant que Newton ne l’« imprime ») :

« Ces vers semblent bien évoquer une hypothèse que j’ai autrefois présentéedevant cette Société, et dont M. Newton a imprimé une partie. Tellus, Pontus &Aer, la Terre, l’Eau et l’Air étaient alors totalement mêlés l’un à l’autre, commele mortier à la boue. Instabilis Tellus innabilis unda. La Terre instable, qu’elleallait atteindre ensuite et conserver pour quelque temps jusqu’à la perdre pardegrees à nouveau quand Astrae l’a quittée, ce qui est advenu juste avant lesGygantomachia (…). Pendant un temps il y eu une grand confusion, Corpore inuno, frigida pugnabant Calidis, humentia siccis, mollia cum duris, les corpsFroids et Chauds ; Humides et Secs luttèrent ; les corps Mous et Durs, semêlaient, Sine pondere habentia pondus, pesants et pourtant sans poids, c’est-à-dire que ces corps avaient tous la faculté d’être pesants, mais un centre de gra-vitation ou d’attraction n’existant pas encore, ils n’avaient aucune réellegravité ; mais bientôt hanc Deus & melior litem Natura diremit, Dieu et lameilleure Nature mettent un terme à cette guerre ; c’est-à-dire que Dieu et laNature ont créé le centre de gravitation, et désormais les plus lourds corps tom-bent vers lui et les plus légers s’en éloignent »12.

Sont ici résumés en quelques phrases le chaos originel (sous la forme dumélange des éléments), puis la séparation de l’air, de la terre et de l’eau. Laséparation des éléments est un épisode topique des cosmographies mythologi-ques. Mais Hooke l’interprète, non sans quelque témérité, comme le momentde mise en place, par Dieu et la Nature, du « gravitating Center ». La divisionmythique des éléments selon leur « lieu » respectif devient ainsi l’acte de nais-sance, et le premier effet physique, du principe de la gravitation universelle.C’est ce même principe que Hooke désigne par l’expression : « une Hypothèseque j’ai autrefois présentée à cette Académie, et dont M. Newton a impriméune partie »13. Par cette allusion cavalière à la publication des Principia en

11. Hooke, op. cit., p. 377.12. Hooke, op. cit., p. 377.13. Hooke fait ici probablement référence à son « Hypothèse sur la gravitation », présentée

dans ses œuvres posthumes en deuxième partie de son Discours des Comètes. Son éditeur Wallerdate la présentation de ces textes devant la Royal Society (les « Lectures ») à la fin de l’année1682 ou au début de l’année 1683 (« soon after Michaelmas 1682 »). Voir Posthumous Works, op.cit., p. 191-202.

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LE SAVANT ET LE POÈTE : HOOKE LECTEUR D’OVIDE 281

168714, cette déclaration de Hooke sur l’« hypothèse » de la gravitation a bienpu précipiter la fameuse mise au point dans le General Scholium de la secondeédition. La théorie de la gravitation générale n’est pas une hypothèse rappellefermement Newton en 1713 : « Hypotheses non fingo »15.

Hooke résume et conclut cette glose à la page suivante :

« À cela s’accordent la théorie de Descartes et celle de l’ingénieux Dr. Burnettdans sa Theoria Sacra. À ce stade, je suppose qu’on accordera aisément que lepoète nous donne une brève histoire de la formation de la Terre »16.

Après la fable ovidienne, ce sont les théories géo-cosmogoniques de Des-cartes et de Burnett qui interviennent ici pour corroborer la théorie géologiqueproposée. Comme on le voit, Hooke recrute volontiers toutes les « preuves » etthéories disponibles au secours de sa démonstration, en un effet de confirma-tion réciproque et d’accumulation des preuves qu’il nomme « Cloud ofWitnesses »17. La fable est enrôlée dans le processus démonstratif au prix d’undéchiffrement qui la vide de toute fictionnalité. Alors que Descartes inventaitune fable de toute pièce dans le Monde, Hooke relit le corpus des fables anti-ques pour y chercher des vérités enfouies. Son usage de la fiction n’a riend’heuristique, ni de prudent, mais s’inscrit dans une logique d’interprétation.Les fables qui intéressent Hooke ne sont pas des fictions mais des histoiresayant été transformées et « romanticisées » par l’imagination des hommes.D’où la cruciale distinction suivante :

« Je pense qu’il y a autant de sortes de Fables qu’il y a de sortes d’Histoires.Certaines sont des Fables que l’on répète et que l’on croit et qui sont des His-toires véritables, d’autres sont considérée comme vraies mais sont en réalité desFables ; d’autres sont prises pour des Fables et sont telles, et d’autres sontconsidérées comme vraies et le sont vraiment »18.

On reconnaît ici la distinction classique entre fabula et historia, entre lesfables fictionnelles et les fables qui recouvrent une réalité historique19. En

14. Comme l’a montré Rhoda Rappaport, ce que l’on désigne sous le nom de Discourse of Ear-thquakes rassemble trois séries de « Lectures » données entre 1667 et 1700. Les conférences surOvide qui nous intéressent (p. 377-384 et 394-402) ont été prononcées devant la Royal Society fin1687-début 1688, c’est-à-dire juste après la publication des Principia. Voir la chronologie deRhoda Rappaport en appendice de son article, p. 144.

15. Cet épisode s’inscrit, bien entendu, dans la polémique qui a opposé Hooke et Newton surla question de l’attribution de la découverte du principe de la gravitation universelle.

16. Hooke, op. cit., p. 378.17. « I shall produce a Cloud of Witnesses to this effect, which I conceive, will put it past

Dispute ». Hooke, op. cit., p. 374.18. Hooke, op. cit., p. 396.19. Distinction classique que l’on trouve par exemple chez Macrobe dans son Commentaire du

Songe de Scipion, où il distingue entre les fables conçues pour le plaisir et le divertissement(fabula) et les fables écrites dans un but sérieux et moral (narratio fabulosa).

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282 FRÉDÉRIQUE AÏT-TOUATI

multipliant à l’envi les subdivisions et les croisements entre fables et histoires,Hooke s’autorise finalement à interpréter à sa guise celles qui lui conviennent.Car il ne signale pas le critère qui permettrait de reconnaître les histoires,qu’elles soient prises ou non pour des fables. Requalifier les fables anciennesen récits historiques, c’est les faire passer du statut de fabula au statut d’histo-ria. Avec Hooke, le discours scientifique annexe une partie du domaine de lafable en lui attribuant un sens non fictionnel.

Une fois le voile retiré, l’épisode ainsi restitué constitue un fait tout à faitrecevable. Mythes et textes anciens ne sont donc pas ici convoqués à titred’autorités, mais bien plutôt comme preuves additionnelles. S’il est rare à lafin du XVIIe siècle, un tel usage des fables n’est cependant aucunement hétéro-doxe ni surprenant, car il s’inscrit dans une longue tradition20. Ce qui surprendici c’est moins le procédé, somme toute conventionnel, de l’interprétation her-méneutique, que son usage dans un discours à visée démonstrative. ChezHooke, la fable, à condition d’être correctement interprétée, fait preuve. Ellepermet de produire non seulement un discours historique, mais un discoursgéologique et physique. Cette naturalisation radicale de la fable n’est pas, ons’en doute, pratique courante à la Royal Society. Il s’agit d’une spécificité deHooke plutôt qu’une caractéristique du discours scientifique anglais de la findu siècle21. La fable, cette « Sagesse des Anciens » dont Bacon reconnaissaitencore la valeur, se voit par exemple dénier tout poids épistémique par ThomasSprat. L’historien de la Royal Society, loin d’y déceler des épisodes histori-ques, en dénonce le statut d’emblée fictif : « L’esprit des Fables et des Reli-gions de l’Ancien Monde est bien fini (…) désormais il est temps de lesécarter, d’autant plus qu’elles avaient le grand défaut d’être d’abord seulementdes fictions »22. Sprat inaugure ici une condamnation de l’usage des fables àlaquelle Fontenelle fera écho dans De l’Origine des Fables et qui se développetout au long du XVIIIe siècle23. Hooke, sans doute, était conscient de contreve-nir à cette tendance :

« Or, bien que je confesse que mon affirmation pourrait sembler très extrava-gante et hétérodoxe par rapport aux conceptions générales de la plupart de ceux

20. Il s’agissait déjà d’une stratégie essentielle du discours démonologique au tournant du XVIe

et du XVIIe siècle, dans la mesure où l’accumulation de preuves, qu’elle qu’en soit la source, et lareconstitution d’une histoire longue constituaient un enjeu essentiel pour un savoir en manque delégitimation. Voir Françoise Lavocat, Pierre Kapitaniak et Marianne Closson (eds.), Fictions dudiable. Démonologie et littérature de saint Augustin à Léo Taxil, Droz, Genève, 2007.

21. C’est aussi la conclusion de Rhoda Rappaport, art. cit., p. 143 : « Hooke‘s contemporariesclearly had a different notion of what constituted proof ». Voir son analyse, très éclairante, de laréception de la théorie géologique de Hooke.

22. « The Wit of the Fables and Religions of the Ancient World is well nigh consum’d : (…)and it is now high time to dismiss them ; especially seeing they have this peculiar Imperfection,that there were only Fictions at first », dans Thomas Sprat, The History of the Royal Society ofLondon, London , 1667, p. 414.

23. Voir Julie Boch, op. cit.

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LE SAVANT ET LE POÈTE : HOOKE LECTEUR D’OVIDE 283

qui ont eu l’occasion de mentionner cette Fable ; et que si elle avait été moinsimprobable, je n’aurais pas eu à craindre d’objection ; pourtant, il est possibleque lorsque la question aura été examinée plus sereinement et sans préjugé, ellepuisse, comme certaines de mes extravagances passées, recevoir du moins unecensure plus amène, ne fût-elle pas du goût de chaque juge. Sur ces questions,la rectitude géométrique n’a pas encore été appliquée ; et là où elle fait défaut,l’opinion, toujours variable et instable, prévaut. Cependant, je pourrais uneautre fois montrer qu’on peut trouver en physique, comme en géométrie, despreuves indiscutables »24.

Dans cette transformation des anciennes vérités en fables puis des fables envérités, on retrouve l’un des motifs caractéristiques de l’entreprise hookienne :le mouvement de régénération et de reconversion après le péché originel. Lephilosophe naturel est non seulement capable de voir l’invisible et l’inaccessi-ble, il est aussi capable de retrouver, derrière les apparentes affabulations desanciens, la vérité d’avant la Chute. Haussée au statut d’hypothèse, cette cos-mogonie fabuleuse permet de retrouver la trace d’une histoire naturelle perdueaprès la Chute. Quelle était donc l’apparence de la Terre auparavant ? C’estencore Ovide qui permet de la concevoir comme une surface vierge, lisse etparfaite :

« Car Astraea, comme je vais amplement le montrer, est la surface et la stabilitévirginale et première des parties superficielles de la Terre (…) ; car commetoute substance boueuse, une fois que le liquide et l’aérien se sont évaporés pardegrés, elle s’est figée en une substance lisse, tendre et uniforme, comme unvisage vierge et jeune, mais une nouvelle séparation des parties fluides a produitl’apparence sèche, Terreuse, inégale, heurtée, produisant l’apparence et laconstitution de l’âge, et faisant disparaître la beauté virginale »25.

Relief tourmenté de la Terre ayant perdu sa beauté virginale, faiblesse dessens requérant l’usage d’instruments prothétiques, voiles de la fable nécessi-tant une exégèse pour retrouver la vérité : la pensée de Hooke se structure net-tement autour du motif binaire de la Chute et de la rédemption. Motif on levoit qui est indissociable d’une poétique de l’interprétation :

24. Hooke, op. cit., p. 391.25. Hooke, op. cit., p. 377. Notons que pour expliquer l’irrégularité de la surface de la Terre

(similaire en cela à l’irrégularité de la surface lunaire telle que révélée par Galilée), Hooke utiliseexactement la même théorie que celle qu’il avait exposée à la fin de Micrographia pour expliquerles cratères de la Lune : des éruptions internes. En ce sens, Hooke illustre parfaitement la théologienaturelle de son temps : la Genèse et le Déluge sont expliqués en termes physiques et géologiqueset marquent un seuil. Retrouver des traces de l’époque qui a précédé ces bouleversements géolo-giques, c’est retrouver l’état parfait de la Terre avant la Chute. Hooke transpose dans le domaineterrestre le choc esthétique et philosophique de la découverte de la surface rugueuse de la Lunepar Galilée (voir Eileen Reeves, Painting the Heavens, op. cit.), et en donne une interprétationthéologique.

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284 FRÉDÉRIQUE AÏT-TOUATI

« Lorsque les témoignages sont clairs, certains et évidents, ils ne doivent pasêtre rejetés pour leur taille, fussent-ils si petits qu’aucun œil ou sens ne peut lesatteindre à moins d’être assisté par des machines, par exemple la vue pas unmicroscope, un télescope, et ce genre d’instruments. L’Histoire du Monde avantle Déluge de Noé n’est-elle pas écrite en de très rares lettres, mots etcaractères ? Faut-il pour autant refuser de la croire sous prétexte que nousn’avons pas autant de volumes de son Histoire que de mots désormaislisibles ? »26

L’analogie est ici explicite : l’interprétation des textes requiert, commel’observation de la nature, un appareillage. La rareté et la difficulté d’accès aux« témoignages » documentant l’histoire du monde avant le Déluge ne doit pasempêcher de les chercher, affirme le Curator. Il répond ainsi aux objectionsformulées notamment par Wallis, qui soulignait l’absence de témoignage his-torique de ces bouleversements chez les historiens de l’Antiquité27. L’histoirevraie de ces événements contemporains ou antérieurs au Déluge peut être trou-vée, affirme Hooke, dans le Livre :

« Nous n’avons d’autre moyen d’être informés de son Histoire véritable qued’aller chercher ce qui en a été enregistré dans les écrits sacrés de Moïse ; c’estpourquoi il faut les consulter, et tâcher d’obtenir, autant que possible, leur sensvéritable »28.

Le déchiffrement herméneutique des petites lettres de la Nature et l’inter-prétation évhémériste de la Fable et du Livre sont ainsi parfaitement symétri-ques, et relèvent d’une même logique interprétative : l’existence d’une véritésecrète, révélée aux seuls initiés dans une image chiffrée. S’il y a bien un livrede la nature à interpréter, quoi de plus efficace que les techniques philologi-ques pour le lire ? Au moment où il naturalise la fable, Hooke n’en réaffirmepas moins la validité du projet herméneutique dans le contexte de la théologienaturelle de la Royal Society. Il ajoute aux techniques textuelles disponiblesdes techniques picturales et instrumentales, mais réitère le cadre général danslequel les premières s’inscrivent. Que Hooke ait pu enrôler Ovide29 aux côtésdes autres preuves qu’il déploie (démonstration expérimentale et ad oculum)dit assez que tout est bon pour l’accumulation de données d’histoire naturelle.Mais cet usage de la fable témoigne surtout de l’essentielle commensurabilitédes différents domaines. C’est parce que les domaines de la religion, de la

26. Hooke, op. cit., p. 412.27. Rhoda Rappaport, art. cit., p. 136.28. Hooke, op. cit., p. 412.29. Hooke interprète de la même façon mais beaucoup plus brièvement le Timée de Platon, la

« Circumnavigation of Hanno the Carthaginian », les Météores d’Aristote et la Bible. Mais, à n’enpas douter, Ovide remporte ses faveurs. Les Métamorphoses sont nommées the Epitome of theTheories of the most antient and most approv’d Philosophers. Hooke, op. cit., p. 381.

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LE SAVANT ET LE POÈTE : HOOKE LECTEUR D’OVIDE 285

nature et de l’invention humaine sont totalement commensurables chez Hookequ’il peut appliquer à chacun d’eux ses outils herméneutiques, sur le modèlede l’exégèse biblique. Les petites lettres de la nature, marques du Créateur, sedéchiffrent. De même, les fables des Anciens sont porteuses d’un savoir quel’on peut retrouver au prix d’un effort d’interprétation. C’est la commensura-bilité entre les trois domaines qui autorise emprunts et transferts des outils her-méneutiques d’un domaine à l’autre, de la théologie à la philosophie naturelle,de la philosophie naturelle au texte de fiction.

La recherche d’une information empirique dans la fable pose cependant desproblèmes spécifiques. Elle suppose non seulement une conception toute tradi-tionnelle de la fable comme voile – ou integumentum30 – mais surtout un senscaché univoque, accessible par l’intermédiaire d’un travail interprétatif fiable.Hooke n’exclut certes pas la possibilité d’autres interprétations. Mais il conçoitce qu’il nomme sa « Physical Cabala » (son interprétation physique) comme lameilleure, fort différente, il est vrai, de l’herméneutique canonique31 :

« Il serait trop long de poursuivre l’interprétation, ce que je pourrais faire aisé-ment afin de montrer simplement le sens de la cabale physique. Mais j’avaisl’intention présentement de mentionner seulement ceci afin de donner un exem-ple pertinent à notre époque, quand résonne encore le bruit du tremblement deTerre en Sicile, et ailleurs (…). Quant à la cabale morale, beaucoup s’en sontchargés ; et pour la cabale historique, j’en parlerai une autre fois afin de faireconnaître mes conjectures »32.

Aux différents niveaux d’interprétation de l’herméneutique canonique,Hooke ajoute la « Cabale Physique » dont il défend la pertinence et se trouvel’un des seuls exégètes. Le terme de cabale est ici utilisé dans un sens méta-phorique. Il est important de le souligner car Hooke l’utilise ailleurs, pour lecritiquer, dans le sens strict de cryptographie33. Au XVIe siècle, le concept estrepris à la tradition ésotérique et mystique juive par certains néoplatoniciens,tels Bruno, et christianisé34. Dans son sens le plus général, le cabalisme impli-que la possibilité d’une révélation mathématique mystique et d’un accès, parl’interprétation, à un savoir caché. Chez Hooke, en revanche, la « cabale

30. La « couverture » d’un sens caché. Voir Dronke, op. cit.31. Le protocole herméneutique de l’exégèse biblique se construit à partir de quatre sens : lit-

téral, allégorique, tropologique (moral) et anagogique. Mais la tradition médiévale est beaucoupplus instable et variée. Voir l’étude classique de Henri de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatresens de l’écriture, Aubier-Montaigne, Paris, 1959-1964.

32. Hooke, op. cit., p. 403.33. Par exemple dans l’étonnant texte que Hooke consacre à John Dee : « Of Dr. Dee’s Book

of Spirits », dans Posthumous Works, op. cit., p. 203-209.34. Voir Frances Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, University of Chicago

Press, 1964.

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286 FRÉDÉRIQUE AÏT-TOUATI

physique » n’est qu’une autre façon de désigner l’interprétation de la nature.Le glissement est encore plus clair dans Micrographia :

« Pourquoi devrait-on entreprendre de découvrir des mystères là où il n’y a riende tel ? Comme les Rabbins découvrent des Cabalismes et des énigmes dans laforme et le placement des lettres, alors qu’il n’y a là rien à chercher. En revan-che, dans les formes naturelles, il y a des mystères si minuscules, et si curieux,et dont le fonctionnement est si inaccessible à notre vue, que plus nous grossis-sons l’objet, plus il apparaît empli de perfections et de mystères. Et plus nousdécouvrons les imperfections de nos sens, plus nous connaissons l’omnipotenceet les perfections infinies du grand Créateur »35.

En déniant au cabalisme religieux toute légitimité, Hooke le détourne auprofit de la philosophie naturelle. La découverte des mystères, des énigmes etdes « petites lettres » de la nature relève désormais de l’investigation micros-copique. La comparaison entre les deux pratiques de déchiffrement sert un élo-ge de l’entreprise expérimentale, opposant la recherche vaine des secretsmystiques du Livre à la découverte des véritables « mystères » de la Nature,fussent-ils dissimulés dans des textes.

35. Hooke, Micrographia, op. cit., p. 8.