Le volet répressif de la législation anti-blanchiment et le lien avec le droit fiscal

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LARCIER 89 Le volet répressif de la législation blanchiment et le lien avec le droit fiscal Michaël FERNANDEZ-BERTIER Assistant en droit pénal et procédure pénale Université catholique de Louvain CRID&P I. Introduction La lutte contre le blanchiment d’argent, initiée il y a une vingtaine d’années tant au niveau supranational que national, se décline en deux aspects que sont les volets préventif et répressif : Les mesures préventives : insérées dans le système législatif belge par la loi du 11 janvier 1993 1 , elles ont pour but d’empêcher les crimi- nels d’utiliser les circuits financiers à des fins de blanchiment d’argent et donc à leur « couper l’herbe sous le pied ». Ce sont principalement les instruments de contrôle et dénonciation 2 qui ont été mis en œuvre. Il arrive néanmoins que les outils préventifs ne suffisent pas à enrayer la machine criminelle, les comportements répréhensifs ayant souvent une longueur d’avance sur les mesures permettant de les contrecarrer, telle l’avance qu’une pandémie détiendrait sur son antidote. 1 Relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 9 février 1993, pp. 2828 et s. Cette loi, qui met notamment à charge des professionnels du secteur financier les obligations d’identification de leur clientèle, de contrôle des transactions, et de déclaration d’opérations suspectées d’être liées au blanchiment à la Cellule de traitement des informations financière, fit l’objet de diverses modifications, dont la plus récente est la loi du 18 janvier 2010 procé- dant, notamment, à la refonte des articles de la loi originelle. Pour plus de développements, voy. A. LECOCQ et S. SCARNà, « Transposition de la troisième directive anti-blanchiment en droit belge », Dr. pén. entr., 2010, Liv. 3, pp. 183-203. 2 Et donc une coopération active à charge des intermédiaires financiers, soit notamment l’identification précise de leur clientèle ainsi que la dénonciation à la Cellule de traitement des informations financières (C.T.I.F.) des opérations soupçonnées être en lien avec le blan- chiment d’argent.

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Le volet répressif de la législation blanchiment et le lien avec le droit fiscal

Michaël FernanDez-Bertier

Assistant en droit pénal et procédure pénale Université catholique de Louvain

CRID&P

I. Introduction

La lutte contre le blanchiment d’argent, initiée il y a une vingtaine d’années tant au niveau supranational que national, se décline en deux aspects que sont les volets préventif et répressif :

– Les mesures préventives : insérées dans le système législatif belge par la loi du 11 janvier 1993 1, elles ont pour but d’empêcher les crimi-nels d’utiliser les circuits financiers à des fins de blanchiment d’argent et donc à leur « couper l’herbe sous le pied ». Ce sont principalement les instruments de contrôle et dénonciation 2 qui ont été mis en œuvre.

Il arrive néanmoins que les outils préventifs ne suffisent pas à enrayer la machine criminelle, les comportements répréhensifs ayant souvent une longueur d’avance sur les mesures permettant de les contrecarrer, telle l’avance qu’une pandémie détiendrait sur son antidote.

1 Relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 9  février 1993, pp.  2828 et  s. Cette loi, qui met notamment à charge des professionnels du secteur financier les obligations d’identification de leur clientèle, de contrôle des transactions, et de déclaration d’opérations suspectées d’être liées au blanchiment à la Cellule de traitement des informations financière, fit l’objet de diverses modifications, dont la plus récente est la loi du 18 janvier 2010 procé-dant, notamment, à la refonte des articles de la loi originelle. pour plus de développements, voy.  A.  Lecocq et S.  scARnà, « transposition de la troisième directive anti-blanchiment en droit belge », Dr. pén. entr., 2010, Liv. 3, pp. 183-203.

2 Et donc une coopération active à charge des intermédiaires financiers, soit notamment l’identification précise de leur clientèle ainsi que la dénonciation à la Cellule de traitement des informations financières (C.t.I.f.) des opérations soupçonnées être en lien avec le blan-chiment d’argent.

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– Les mesures répressives : ainsi, dans l’hypothèse où les agents infrac-teurs auraient échappé aux premiers moyens, l’article  505 du Code pénal incrimine, depuis la loi du 17 juillet 1990 3, l’infraction de blan-chiment d’argent. L’objectif est donc de punir pénalement, a posteriori, les auteurs d’un tel comportement.

Si les deux volets s’accordent sur la description du comportement de blanchiment lui-même, à savoir la dissimulation de l’origine illicite des avantages patrimoniaux tirés d’une infraction par leur réinsertion dans le circuit économique sous une forme légale, ils divergent néanmoins sur le type d’activités criminelles – dont les profits font l’objet de blanchiment – à prendre en considération.

Par conséquent, selon que l’on se trouve dans le volet préventif ou répressif de la lutte anti-blanchiment, le champ d’application de la matière diffère. Cela aboutit ainsi à l’existence de deux définitions légales pour un même terme juridique : si le dispositif pénal (1990) préexiste au préventif (1993), ce dernier couvre un champ d’infractions plus restreint (que nous serions tenté de décrire comme la criminalité grave et organisée 4) que son prédécesseur qui se veut, quant à lui, le plus large possible (à savoir un champ d’application illimité, infra).

C’est précisément à l’analyse du volet répressif de la lutte que nous allons nous consacrer dans la présente contribution. Cependant, préala-blement à un tel examen, il nous apparaît opportun d’émettre l’une ou l’autre réflexion quant à l’évolution récente des politiques criminelles afin de contextualiser l’émergence et le développement de la répression du blanchiment.

L’on peut constater, depuis une vingtaine d’années, une modification progressive des politiques criminelles à une échelle non seulement natio-nale, mais aussi supranationale, une « évolution législative où l’action

3 modifiant les art. 42, 43, et 505 du C. pén. et insérant un art. 43bis dans ce même Code, M.B., 15 août 1990, et, ultérieurement, les lois du 7 avril 1995 et du 10 mai 2007 venues compléter le prescrit de l’art. 505, infra.

4 Le volet préventif ne s’attache qu’à traiter des activités qui requièrent, en raison de leur complexité et gravité, le déploiement de « moyens de recherche exceptionnels ». Doc. parl., Sén., sess. ord. 1991-1992, no 468/1, p. 8. Ce champ d’application restreint découle de la volonté du législateur de préserver autant que possible la relation de confiance nécessaire entre la C.t.I.f. et les assujettis, ceux-ci ne pouvant se voir imposer un fardeau déraisonnablement lourd, des obligations exorbitantes. Doc. parl., Sén., sess. ord. 1994-1995, no  1323/1, pp.  8-9. par ailleurs, cela contribue à préserver le climat de confiance existant entre les établissements et leurs clients, les intermédiaires financiers ne pouvant, pour exemple, dénoncer à la Cellule les opérations qu’ils soupçonneraient en lien avec une fraude fiscale simple.

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pénale axée sur le profit criminel [prend] une place de plus en plus cen-trale » 5.

En effet, dès le début des années 90 (et l’incrimination du blanchi-ment d’argent dans notre ordre juridique), le discours politique témoigne de cette évolution, les mesures répressives et incriminations adoptées à l’époque étant considérées comme des moyens complémentaires en vue de lutter contre « toutes les formes de criminalité, organisée ou non, qui ont pour objectif la réalisation d’un profit » 6.

Selon le législateur belge, « la lutte contre la criminalité grave, qui est de plus en plus un problème international, exige l’emploi de méthodes modernes et efficaces au niveau international », l’une de ces méthodes consistant précisément « à priver les délinquants des produits du crime et des instruments » 7, soit leur principale motivation 8.

En d’autres termes, « [o]n évolue de plus en plus d’un modèle de lutte contre la criminalité vers un modèle de contrôle de la criminalité et d’une approche orientée sur l’auteur vers une approche orientée sur le butin » 9 : le but avoué du législateur serait donc « moins de punir que de nuire au dévelop-pement de l’économie criminelle en l’empêchant d’utiliser les capitaux qui en sont le produit » 10.

Comment expliquer une telle évolution des politiques criminelles ? Les propos du ministère de la Justice, exprimés en 1997 11, répondent, à tout le moins partiellement, à cette question, celui-ci estimant à l’époque que « [l]a Belgique dispose, dans le domaine de la législation relative au blan-chiment d’argent et des règles en matière de confiscation spéciale, d’un large éventail de possibilités permettant une lutte efficace. Cependant, dans la pratique, l’application de ces mesures est entravée, notamment

5 A.-m.  bAudewyns et f.  desteRbeck, La saisie et la confiscation en matière pénale en Belgique, Waterloo, Kluwer, 2008, p. 1.

6 Exposé des motifs de la loi du 17  juillet 1990, Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/1, p. 1.

7 préambule de la Convention du Conseil de l’Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au finan-cement du terrorisme, S.t.C.E. no 141, http://conventions.coe.int/.

8 C. ScohieR, « La Cellule de traitement des informations financières et la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme », La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : la C.T.I.F. et le réviseur, Bruxelles, La Charte, 2005, p. 35.

9 Doc. parl., Ch., sess. ord. 2001-2002, nos 50-1601/001, pp. 5-6.10 g. BRAyeR, « défi de l’économie criminelle et terrorisme », in x., La lutte internationale

contre le blanchiment et le financement du terrorisme – Colloque du 1er décembre 2006, SLC, paris, 2007, p. 13.

11 Doc. parl., Ch., sess. ord.2001-2002, nos 50-1601/001, pp. 6-7, faisant référence au ministère de la justice, « Rapport annuel 1997 sur la criminalité organisée en 1996 », 1997, non publié, p. 62.

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par les règles légales en matière de la charge de la preuve. En raison du caractère souvent international du crime organisé, la police et la justice sont souvent confrontées à la tâche presque impossible de démontrer l’origine criminelle (le délit de base) de l’enrichissement patrimonial illé-gal » : la menace que représente cette criminalité « économique » de plus en plus organisée, sophistiquée, usant de procédés de plus en plus auda-cieux 12 légitimerait l’adoption de nouvelles politiques criminelles telles que décrites précédemment.

Ainsi, ces nouveaux « comportements » criminels organisés, transnatio-naux, auraient poussé les États, et la Communauté internationale dans son ensemble, à adopter de nouvelles mesures, dérogatoires au droit com-mun, visant à lutter contre la réalisation du profit, et donc à s’attaquer plus spécifiquement au patrimoine des contrevenants, défini comme « l’élément vital de la criminalité transnationale organisée » 13.

In concreto, ce mouvement de fond s’est matérialisé dans notre législa-tion par l’adoption d’une série de textes qui dépassent la seule matière du blanchiment d’argent. Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, nous pou-vons recenser quelques adoptions législatives nationales témoignant de cette tendance, avant de nous focaliser sur le développement de la législa-tion répressive anti-blanchiment :

– loi du 17 juillet 1990 modifiant les articles 42, 43, et 505 du Code pénal et insérant un article 43bis dans ce même Code, M.B., 15 août 1990 ;

– loi du 11  janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du sys-tème financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 12 janvier 1994 ;

– loi du 7 avril 1995 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la pré-vention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, M.B., 10 mai 1995 ;

– loi du 19 décembre 2002 portant extension des possibilités de saisie et de confiscation en matière pénale, M.B., 14 février 2003 ;

– loi du 10 mai 2007 portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie, M.B., 22 août 2007.

12 Comme en témoignent notamment les propos de l’ancien Secrétaire général des nations unies, Koffi Atta Annan : « [l]es moyens technologiques qui sous-tendent la mondiali-sation et l’expansion transnationale de la société civile constituent également l’infrastructure sur laquelle repose la progression des réseaux mondiaux de la ‘‘ société incivile”, celle de la criminalité organisée, du trafic des drogues, du blanchiment de l’argent et du terrorisme », Rapport du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation, Assemblée générale, 1997, Supplément no 1 (A/52/1), http://www.un.org/.

13 Contrôle des produits du crime : rapport du Secrétaire général, un doc. E/Cn.15/1993/4, 25 janvier 1993, p. 6.

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II.L’incrimination du blanchiment d’argent en droit belge

II.1. L’influence du droit supranational

Il est incontestable que les divers instruments adoptés à l’échelle supra-nationale dès la fin des années 1980 sont à l’origine de l’incrimination du blanchiment d’argent en droit belge. C’est en effet à cette époque que les premiers textes relatifs à la lutte contre le blanchiment furent signés et ratifiés, dans un contexte de croissance exponentielle de la produc-tion, du trafic et de la consommation de stupéfiants. Les narcotrafiquants agglomérant des milliards de dollars difficilement manipulables et dissi-mulables, ceux-ci durent mettre en œuvre divers procédés afin de recycler cet argent sale et, incidemment, pouvoir jouir des profits tirés de leurs activités criminelles.

C’est ainsi que furent adoptés successivement deux instruments fonda-mentaux dans le cadre du volet répressif de la lutte contre le blanchiment d’argent, que sont :

– la Convention des Nations Unies du 19 décembre 1988 contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes 14, soit le premier instrument juridique à incriminer le blanchiment de capitaux. Néan-moins, il était seul constitutif d’infraction le blanchiment des produits criminels issus du marché de la drogue ; et

– la Convention de Strasbourg du Conseil de l’Europe du 8  novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confisca-tion des produits du crime 15. Celle-ci vint combler la lacune du Traité des Nations Unies (qui se limitait aux capitaux issus du trafic de stu-péfiants) par l’extension du champ d’application des infractions sous-jacentes de blanchiment à toute infraction pénale dont seraient issus des avantages patrimoniaux illicites 16.

14 http://www.unodc.org/.15 StCE no 141, http://conventions.coe.int/.16 notons néanmoins que la Convention, en son art. 6, § 4, permet aux états signataires

d’émettre une réserve et de décider de n’incriminer dans l’ordre interne que le blanchiment issu des infractions principales ou catégories d’infractions principales qu’ils auraient préci-sées.

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Quant à la mise en place du volet préventif de la lutte anti-blanchi-ment, notons que celle-ci fut notamment influencée par :

– le Conseil de l’Europe, lors de l’adoption le 27 juin 1980 de sa Recom-mandation relative aux mesures contre le transfert et la mise à l’abri des capitaux d’origine criminelle 17 ;

– le « Comité de Bâle » 18, par la Déclaration de principe du 12 décembre 1988 pour la prévention de l’utilisation du système bancaire pour le blanchiment de fonds d’origine criminelle, à la suite de la crainte du Comité de voir faiblir la confiance du public dans les établissements financiers susceptibles d’être les victimes des pratiques criminelles ; et

– la création, en 1989, du GAFI 19, l’organe international le plus influant en ce qui concerne l’élaboration des mesures préventives anti-blan-chiment et, un an plus tard, la rédaction de ses 40 recommandations phares 20 à destination des législateurs nationaux en vue de lutter effi-cacement contre ce comportement.

II.2. L’incrimination du blanchiment d’argent dans le Code pénal

En droit belge, c’est au sein de l’article  505 du Code pénal que se concentre le volet répressif de la lutte contre le blanchiment d’argent, une disposition qui suscite régulièrement les critiques et interrogations de la doctrine et des praticiens – tant les amendements successifs qu’elle a subis ont rendu son prescrit complexe et empreint de zones d’ombres – et qui gagnerait selon nous à être entièrement réécrite.

D’ailleurs, si ladite disposition instaure dans notre législation l’incri-mination de blanchiment d’argent, cela n’apparaît, a priori, pas aussi évi-dent, et ce, pour deux raisons :

– première des nombreuses singularités dont est empreint l’article  505 du Code pénal, la notion de « blanchiment » d’argent n’est nullement inscrite dans le corps du Code pénal belge, peu importe qu’il soit usuel-lement recouru à cette terminologie, tant dans le langage courant que

17 Qui fait référence au désormais célèbre adage know your customer et à l’obligation d’analyse des données du client. R (80)10, 27 juin 1980, http://conventions.coe.int/.

18 Le Comité sur les règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires.19 par les états membres du g7, lors du « Sommet de l’Arche ».20 publiées pour la première fois en 1990, elles furent par la suite révisées en 1996

et 2003. Il est, en outre, à noter qu’en octobre 2004, 9 recommandations spéciales furent publiées par le gAfI afin de renforcer les standards internationaux de lutte contre le blanchi-ment de capitaux et le financement du terrorisme. Il faut donc, aujourd’hui, faire référence aux 40+9 recommandations.

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juridique 21. Cela résulte-t-il d’un oubli (ou d’une éventuelle « erreur ») du législateur ? Nullement. Au contraire, il est question d’un choix déli-béré de ce dernier, le ministre de la Justice n’estimant, à l’époque de l’adoption de l’incrimination, pas nécessaire de suivre la « terminologie internationale », et ce, malgré la suggestion du Conseil d’État, puisque « l’intention de blanchir les choses provenant de l’infraction n’a pas été retenue comme élément constitutif de l’infraction » 22. La qualification de « blanchiment » n’existe donc pas formellement dans notre Code répressif ;

– en outre, l’article 505 était originellement dédié à réprimer l’infraction de « recel », à savoir le fait de posséder ou de détenir « les choses enle-vées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit » 23. En d’autres termes, le texte visait l’unique hypothèse de la conservation de biens d’origine illicite, par un individu n’ayant participé d’aucune façon à la perpétration de l’infraction de base et ne pouvant donc être qualifié ni d’auteur, ni de co-auteur ou de complice de cette « infraction primaire » 24.

Exemple : à la suite d’un cambriolage dans une bijouterie, les effets de valeur dérobés seraient entreposés, en connaissance de cause, dans l’ap-partement d’un tiers chargé de leur conservation.

Pourquoi alors insérer la prévention de blanchiment de capitaux dans une disposition déjà consacrée à une infraction déterminée, plutôt que de l’incriminer de manière autonome ? Le législateur estima qu’en rai-son du parallélisme existant entre cette nouvelle infraction et celle de recel, « la formule la plus adéquate consisterait à insérer cette infrac-tion dans l’article 505 actuel du Code pénal » 25. En effet, tout comme le recel, l’infraction de blanchiment requiert l’existence d’une infrac-tion primaire ayant généré des avantages patrimoniaux, profits dont le caractère illicite, in casu, tente d’être dissimulé par la réintégration dans le système économique sous une apparence légale. Cette infraction de blanchiment est d’ailleurs fréquemment qualifiée de « recel élargi ».

21 En effet, a contrario, l’on peut citer la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, op. cit., ou encore la terminologie des institutions supranationales qui ont quant à elles expressément recours à la notion de blanchiment de capitaux.

22 Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/001, p. 12.23 Aujourd’hui al. 1er, 1°, de l’art. 505, C. pén.24 En témoigne la position de la Cour de cassation, qui estime que « le recel requiert

comme éléments constitutifs la possession ou la détention d’un objet obtenu à l’aide d’un crime ou d’un délit commis par un tiers et la connaissance, préexistante ou concomitante à la prise de possession, de l’origine illicite de l’objet ». Cass., 17 août 1982, Pas., 1982, I, p. 1322 ; Cass., 18 novembre 1991, R.D.P., 1992, p. 443.

25 Doc. parl., Ch., sess. ord.1989-1990, no 987/001, p. 6.

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II.3. La naissance et l’évolution de l’incrimination en droit belge

Avant d’analyser le régime que met en œuvre la disposition précitée, il nous paraît essentiel d’effectuer un bref rappel historique de la naissance et de l’évolution de l’infraction dans notre ordre interne.

L’évolution de l’article 505 du Code pénal se traduit par trois dates :

(a) 17 juillet 1990 : incrimination du blanchiment d’argent (art. 505, al. 1er, 2°) ;

(b) 7  avril 1995 : incrimination de nouveaux comportements (art.  505, al. 1er, 3° et 4°) ;

(c) 10  mai 2007 : « dépénalisation » 26 du blanchiment en lien avec la fraude fiscale simple.

(a) Le 17 juillet 1990, par l’adoption de la loi modifiant les articles 42, 43, et 505 du Code pénal et insérant un article 43bis dans ce même Code 27, le législateur, soucieux de réprimer le délit de blanchiment d’argent, assortit l’article 505 du Code pénal d’un alinéa 1er, 2°, incriminant ledit compor-tement et libellé de la façon suivante :

« [s]eront punis d’un emprisonnement de quinze jours à cinq ans et d’une amende de vingt-six francs à cent mille francs ou d’une de ces peines seulement :

[…] 2° ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, pos-sédé, gardé ou géré des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connais-saient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opé-rations ».

(b) S’apercevant rapidement que le seul ajout apporté par la loi du 17 juil-let 1990 ne suffit pas à couvrir toutes les hypothèses d’opérations de blan-chiment, le législateur décide alors de renforcer, par l’adoption de la loi du 7 avril 1995 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux 28, la répression du « blanchiment » en incriminant de nouveaux comporte-ments visés par les 3° et 4° de l’alinéa 1er de l’article 505 du Code pénal :

« 3° ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l’article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où

26 une dépénalisation dont la portée est néanmoins fort restreinte, comme développé ultérieurement.

27 M.B., 15 août 1990.28 M.B., 10 mai 1995.

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proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;

4° ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’empla-cement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations ».

D’ores et déjà, nous pouvons mettre en exergue le parallèle existant entre la définition répressive du comportement de blanchiment et celle prévue par le volet préventif de la lutte, la loi du 11 janvier 1993 énonçant, en son article 5 29, que « par blanchiment de capitaux il faut entendre :

– la conversion ou le transfert de capitaux ou d’autres biens dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute per-sonne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où pro-viennent ces capitaux ou ces biens, à échapper aux conséquences juri-diques de ses actes ;

– la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’em-placement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété des capitaux ou des biens dont on connaît l’origine illicite ;

– l’acquisition, la détention ou l’utilisation de capitaux ou de biens dont on connaît l’origine illicite ».

En conclusion, trois comportements identiques sont constitutifs de blanchiment au sens des textes légaux (tant préventif que répressif) :

– le fait d’acheter ou de recevoir (recyclage) (art. 505, al. 1er, 2°, C. pén.) ; – le fait de convertir ou de transférer (prélavage) (art. 505, al. 1er, 3°, C.

pén.) ; – le fait de dissimuler ou de déguiser (lavage) (art. 505, al. 1er, 4°, C. pén.).

(c) Enfin, par la loi du 10  mai 2007, le législateur pénal décide, en outre 30, de dépénaliser (à tout le moins partiellement, infra) le blanchi-ment d’argent qui serait en lien avec la fraude fiscale simple, à la demande du secteur financier et à l’approche de l’obligation de dématérialisation des titres au porteur. Nous vous renvoyons, pour de plus amples déve-loppements, au Chapitre  4, b) de la présente contribution : « La loi du

29 A la suite de la refonte de la loi, par l’adoption de la loi du 18 janvier 2010 destinée à transposer la troisième directive anti-blanchiment en droit interne.

30 La loi du 10 mai 2007 apportant également des modifications à l’article en termes de régime de confiscation ou de possibilités de poursuites de l’auteur du blanchiment dans l’hypothèse où ce dernier serait aussi l’auteur, le co-auteur ou le complice de l’infraction primaire.

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10 mai 2007 et la dépénalisation partielle du blanchiment d’argent issu de la fraude fiscale simple ».

III. Le régime prévu par l’article 505, alinéa 1er, 2° à 4°, du Code pénal

III.1. Les comportements constitutifs de blanchiment au sens de l’article 505

C’est l’alinéa 1er de l’article 505 du Code pénal, aux 2° et 4°, qui incri-mine les comportements constitutifs de blanchiment d’argent, indépen-damment de la qualité de l’auteur des faits : qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel du secteur financier ; que les faits aient été commis tant par une personne physique que par une personne morale 31.

Notons par ailleurs que l’infraction de blanchiment étant une infrac-tion intentionnelle, commise « sciemment et volontairement » 32, en cas de poursuites intentées à l’encontre d’une personne morale et d’une per-sonne physique identifiée, le cumul des responsabilités pourra être pro-noncé.

Exemple : l’agent d’un bureau de change qui, en connaissance de cause, procéderait à des opérations de change visant à dissimuler l’origine illicite des capitaux, suivant par là une directive de l’établissement (et donc un « usage » véhiculé par la personne morale) dictée par ses supérieurs hiérar-chiques.

Nous tenons à préciser que ne seront commentés, ci-après, que les élé-ments estimés pertinents dans le cadre de la présente contribution, et ne prétendons pas à l’exhaustivité quant au développement des comporte-ments de blanchiment incriminés par l’article 505 du Code pénal.

III.1.1. Article 505, alinéa 1er, 2°

« [C]eux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations ».

31 Et ce, depuis la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, M.B., 22 juin 1999, responsabilité insérée à l’art. 5, C. pén.

32 Au sens de l’art. 5, al. 2, C. pén.

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III.1.1.1. L’élément matériel

Comme le précise l’alinéa 2 dudit article, l’auteur, le co-auteur ou com-plice de l’infraction primaire ne peut être condamné du chef de blanchi-ment sur base de l’alinéa  1er, 2°, à moins que l’infraction sous-jacente ait été commise à l’étranger et qu’elle ne soit pas passible de poursuites pénales en Belgique. Ainsi, sauf l’exception ci-mentionnée, l’auteur de l’infraction primaire ne peut être condamné pour le blanchiment des pro-fits qu’il aurait lui-même acquis de façon illicite 33.

III.1.1.2. L’élément moral

Le comportement décrit revêt manifestement un caractère intention-nel. Il n’est nullement fait allusion à un délit de négligence 34. La préven-tion visée à l’alinéa 1er, 2°, requiert donc, dans le chef de son auteur, un dol général, soit la connaissance et la volonté ou l’acceptation de poser l’acte interdit ou de s’abstenir d’agir. Rappelons d’ailleurs que le législa-teur estima, lors de l’incrimination dudit comportement, que n’était pas requise « l’intention de blanchir les choses provenant de l’infraction » 35.

Lorsque le prescrit énonce que l’auteur des faits « connaissait ou devait connaître » l’origine illicite des biens, il faut entendre par là qu’au vu des circonstances de l’espèce, celui-ci « ne pouvait que conclure que les sommes remises avaient une origine illicite » 36, peu importe qu’il eût connu de manière précise l’infraction dont dérivaient les fonds délic-tueux 37.

Néanmoins, preuve doit être apportée que l’auteur des faits avait « connaissance » de l’origine des fonds au plus tard au début des opéra-tions. À l’instar de l’infraction de recel donc, celui qui aurait pris connais-sance de la provenance illicite des avantages patrimoniaux a posteriori ne peut être condamné du chef de blanchiment de capitaux, à condition bien entendu qu’il n’effectue plus d’opération de blanchiment par la suite (gestion, transfert…) et en avise les autorités compétentes, puisque le fait

33 J. SpReutels, f. Roggen et e. RogeR fRAnce, Droit pénal des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 473.

34 C.t.I.f., 5e rapport d’activités 1997/1998, p. 29, http://www.ctif-cfi.be/.35 Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/001, p. 12.36 m.-L.  Cesoni et d.  vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, Bruxelles, Larcier,

2008, p. 497, renvoyant à Bruxelles, 8 novembre 2005, J.T., 2006, p. 111.37 Bruxelles, 30 juin 2003, J.L.M.B., 2004, p. 584, note V.-A. de bRAuweRe, « Confiscation

spéciale et blanchiment : champ d’application ».

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de se « débarrasser » desdites valeurs ne ferait que permettre la perpétua-tion de l’infraction de blanchiment 38.

III.1.2. Article 505, alinéa 1er, 3°

« [C]eux qui auront converti ou transféré des choses visées à l’article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes »

III.1.2.1. L’élément matériel

Notons que par conversion et transfert, il faut entendre respectivement :

– la conversion d’avantages patrimoniaux illicites en d’autres valeurs ou espèces ; et

– l’aliénation à titre gratuit ou le fait de confier, temporairement, à la garde ou à la gestion de tiers les profits du crime 39.

Exemple : se rend coupable de l’infraction de blanchiment visée à l’ar-ticle 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal le prévenu qui reçoit de sa mère, en connaissance de cause, des montants découlant d’un vol commis au préjudice d’une succession « avec instruction de mettre cet argent à l’abri » sur son compte au Luxembourg 40.

En vertu du deuxième alinéa de la présente disposition, l’auteur du comportement décrit à l’alinéa 1er, 3°, pourra être condamné sur base de ladite incrimination quand bien même il serait également l’auteur, le co-auteur ou le complice de l’infraction primaire.

III.1.2.2. L’élément moral

L’alinéa 1er, 3°, requiert, de la part de l’agent infracteur, un « dol spé-cial », soit une intention caractérisée qui consiste, in casu, dans « le but de dissimuler ou de déguiser » l’origine illicite des biens, via la conversion ou le transfert des choses visées à l’article 42, 3°, du Code pénal. Afin de

38 m.-L. Cesoni et d. vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op. cit., pp. 495-496.39 pour de plus amples développements, voy.  m.-L.  Cesoni et d.  vAndeRmeeRsch, Les

infractions contre les biens, op. cit., pp. 489-490, renvoyant à R. veRstRAeten et d. dewAndeleeR, « witwasen na de Wet van 7 april 1995 : kan het nog witter ? », R.W., 1995-1996, p. 697, et leur réf. à Corr. Bruges, 28 juin 2005, réf. 1657/05, inédit.

40 mons, 1er juin 2006, no AC 401/06, inédit, cité par m.-L. Cesoni et d. vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op. cit., p. 490.

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voir le prévenu condamné sur base de cette incrimination, il appartiendra donc au ministère public de prouver l’intention caractérisée du premier de dissimuler l’origine illicite des biens blanchis, outre son intention de poser l’acte matériel de conversion ou de transfert.

III.1.3. Article 505, alinéa 1er, 4°

« [C]eux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’empla-cement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations »

III.1.3.1. Élément matériel

« La description des actes incriminés est conçue de façon très large : il s’agit de tout acte ou omission qui a pour objet de dissimuler ou déguiser la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des avantages patrimoniaux d’origine illicite ou des biens de substitution. En fait, cette notion englobe pratiquement la plupart des autres comportements visés à l’article 505 » 41.

De nouveau, en vertu du deuxième alinéa de l’article  505 du Code, l’auteur du comportement décrit à l’alinéa  1er, 4°, pourra être reconnu coupable de blanchiment d’argent quand bien même il serait également l’auteur, le co-auteur ou le complice de l’infraction primaire.

III.1.3.2. Élément moral

Lorsque le prescrit énonce que l’auteur des faits « connaissait ou devait connaître » l’origine illicite des biens, il faut entendre par là qu’au vu des circonstances de l’espèce, celui-ci « ne pouvait que conclure que les sommes remises avaient une origine illicite » 42, peu importe qu’il eût connu de manière précise l’infraction dont dérivaient les fonds délic-tueux 43.

Néanmoins, preuve doit être apportée que l’auteur des faits avait « connaissance » de l’origine des fonds au plus tard au début des opéra-

41 m.-L.  Cesoni et d.  vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op.  cit., p.  491, renvoyant à R. veRstRAeten et d. dewAndeleeR, « witwasen na de Wet van 7 april 1995 : kan het nog witter ? », op. cit., p. 700.

42 m.-L.  Cesoni et d.  vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op.  cit., p.  497, renvoyant à Bruxelles, 8 novembre 2005, J.T., 2006, p. 111.

43 Bruxelles, 30 juin 2003, J.L.M.B., 2004, p. 584, note V.-A. de bRAuweRe, « Confiscation spéciale et blanchiment : champ d’application ».

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tions. À l’instar de l’infraction de recel donc, celui qui aurait pris connais-sance de la provenance illicite des avantages patrimoniaux a posteriori ne peut être condamné du chef de blanchiment de capitaux, à condition bien entendu qu’il n’effectue plus d’opération de blanchiment par la suite (gestion, transfert…) et en avise les autorités compétentes, puisque le fait de se débarrasser desdites valeurs ne ferait que permettre la perpétuation de l’infraction de blanchiment 44.

Relevons également que, contrairement à l’alinéa 1er, 3°, la dissimula-tion ou le déguisement des avantages patrimoniaux tirés de l’infraction primaire représente l’élément matériel requis afin de condamner l’auteur des faits sur base du 4°, le ministère public devant apporter la seule preuve d’un dol simple (voy.  la description de l’al.  1er, 2°, supra) et non d’une intention « spéciale », caractérisée (al.  1er, 3°, supra), de poser les actes matériels incriminés.

III.2. L’objet de l’infraction de blanchiment

Les 2° à 4° de l’alinéa 1er de l’article 505 du Code font chacun référence aux « choses visées à l’article 42, 3° » du Code pénal comme constitutives de l’objet de l’infraction de blanchiment, et dont l’origine illicite tentera d’être dissimulée. Ledit article vise respectivement :

– les  avantages patrimoniaux tirés directement de l’infraction primaire (p. ex. : l’argent provenant de la vente de stupéfiants) ;

– les biens et valeurs qui leur ont été substitués (p. ex. : l’achat d’un immeuble par le réinvestissement des sommes illicites précitées) ; et

– les revenus de ces avantages investis (p. ex. : la perception de revenus à la suite de la mise en location de l’immeuble acquis),

et cela, que l’infraction sous-jacente soit qualifiée de crime, de délit ou de contravention ; que les biens acquis soient corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers.

En d’autres termes, par la loi du 17  juillet 1990 incriminant en droit belge le blanchiment d’argent, le législateur choisit d’établir un champ d’application répressif se voulant le plus large possible, puisque les avan-tages patrimoniaux tirés de toute infraction sous-jacente 45 peuvent don-ner lieu à blanchiment.

44 m.-L. Cesoni et d. vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op. cit., pp. 495-496.45 Hormis ceux retirés, dans certains cas, d’une fraude fiscale simple, comme explicité

infra, 4. b) : la loi du 10 mai 2007 et la dépénalisation partielle de la fraude fiscale simple.

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Exemple : la dissimulation d’une somme d’argent (aussi dérisoire soit-elle) retirée de la revente d’un objet volé peut, si l’on suit le prescrit de l’article 42, 3°, du Code pénal, tomber sous le coup de l’article 505.

N’existe-t-il pas là une disproportion manifeste entre le but premier de la lutte anti-blanchiment (à savoir, tenter de contrecarrer la criminalité grave et organisée) et l’usage potentiellement illimité que l’on pourrait faire, en pratique, de ladite incrimination ?

Le fossé entre les champs d’application du volet préventif et du volet répressif de la lutte anti-blanchiment est important, et ne manque pas de susciter des interrogations, particulièrement au regard des peines dont est passible le condamné du chef de cette prévention. Pour notre part, nous plaidons en faveur d’une redéfinition du champ d’application des infractions sous-jacentes de blanchiment qui serait soit, parallèlement au volet préventif de la lutte, limité aux infractions en lien avec la crimina-lité grave et organisée, soit, comme appliqué dans certains États (infra), défini en fonction d’une échelle minimale de peines 46.

III.3. Les peines prévues par l’article 505 du Code pénal

III.3.1. La peine d’emprisonnement et d’amende

L’article 505 prévoit, en son alinéa 1er, que les comportements constitu-tifs de blanchiment de capitaux pourront être punis de l’emprisonnement de 15 jours à 5 ans et/ou d’une amende de 26 à 100 000 euros.

Concrètement, cela signifie qu’outre la peine de prison à laquelle sera, le cas échéant, condamné le prévenu (pouvant néanmoins bénéficier de modalités telles que la suspension ou le sursis ou le remplacement de la peine d’emprisonnement par une peine de travail), celui-ci pourra se voir condamner à une peine d’amende atteignant 100 000 euros. Néanmoins, il est à signaler que toutes les peines d’amende prévues par le Code pénal doivent être multipliées par les décimes additionnels (x 5,5).

46 pour exemple, la troisième directive anti-blanchiment (dédiée au volet préventif de la lutte), entend notamment, par « infraction grave », « toutes les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale supérieure à un an, ou, dans les états dont le système juridique prévoit un seuil minimal pour les infractions, toutes les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée minimale supérieure à six mois ». Art. 3, 5), f), dir. 2005/60/CE du parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, J.O.U.E., no L 309 du 25 novembre 2005.

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En conclusion, le condamné, sur base de l’article 505 du Code pénal, pourra se voir infliger :

– une peine d’emprisonnement (principale) de 15 jours à 5 ans ; et/ou – une peine d’amende (accessoire) de 143 (26 x 5,5) à 550 000 (100 000

x 5,5) euros ; et, d’office – la confiscation spéciale des profits retirés de la commission de l’infrac-

tion (infra),

soit une peine relativement élevée en termes financiers.Notons que, si le condamné est une personne morale, la peine d’empri-

sonnement est substituée en amende, tel que prescrit par l’article 41bis, § 1er, du Code pénal, soit une amende supplémentaire de 2 750 (500 x 5,5) à 1 100 000 (200 000 x 5,5) euros :

« [l]es amendes applicables aux infractions commises par les personnes morales sont : en matière […] correctionnelle :

[…] – lorsque la loi prévoit pour le fait une peine privative de liberté et une

amende, ou l’une de ces peines seulement : une amende minimale de cinq  cents  euros multipliés par le nombre de mois correspondant au minimum de la peine privative de liberté, et sans pouvoir être infé-rieure au minimum de l’amende prévue pour le fait ; le maximum s’élève à deux mille euros multipliés par le nombre de mois correspon-dant au maximum de la peine privative de liberté, et sans pouvoir être inférieure au double du maximum de l’amende prévue pour le fait ».

Enfin, signalons que le condamné pourra, en outre, être condamné à la privation, en tout ou en partie, de l’exercice des droits énumérés à l’ar-ticle 31 du Code pénal pour un terme de 5 à 10 ans 47.

III.3.2. La confiscation des choses visées à l’alinéa 1er, 2° à 4°

III.3.2.1. Article 505 du Code pénal : la confiscation des avantages patrimoniaux blanchis

La saisie et la confiscation sont des mesures destinées à soustraire des biens à la libre disposition de leur propriétaire ou possesseur, la première à titre conservatoire et provisoire (dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure), la seconde à titre de sanction pénale et définitive. Dans

47 En vertu du dernier al. de l’art. 505, à savoir notamment remplir des fonctions, emplois ou offices publics ; être éligible ; porter une décoration ou un titre de noblesse ; être juré, expert, témoin ; être appelé aux fonctions de tuteur ; détenir ou porter une arme…

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le cadre d’un renforcement des sanctions patrimoniales 48, les autorités nationales ont considérablement étendu les pouvoirs de saisie ou de confiscation revenant aux institutions judiciaires étatiques.

La confiscation spéciale constitue donc en Belgique une peine (et non une mesure de sûreté) accessoire, qui sera obligatoire ou facultative selon le cas : – obligatoire :

• article 42, 1°, du Code pénal : seront confisquées les choses formant l’objet de l’infraction, celles qui ont servi ou ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné ;

• article 42, 2°, du Code pénal : seront confisquées les choses produites par l’infraction ;

– facultative : • article 42, 3°, du Code pénal : pourront être confisqués les avantages

patrimoniaux tirés directement de l’infraction, les biens et valeurs qui leur ont été substitués et les revenus de ces avantages investis.

C’est ainsi que le prévenu condamné sur base de l’infraction primaire (trafic de stupéfiants, par exemple) pourra se voir confisquer les choses visées à l’article 42, 3°, (cf. supra), telles que l’argent qu’il aura retiré de ladite infraction.

Par contre, dans l’hypothèse où il se verrait condamné sur base de l’in-fraction de blanchiment (des revenus tirés du trafic de stupéfiants, par exemple), l’article 505 du Code pénal. prévoit, en ses alinéas 6 et 7, que les choses visées à l’article 42, 3° (cf. al. 1er, 2° à 4°), constituent l’objet de l’infraction de blanchiment au sens de l’article 42, 1° 49, et seront 50 donc confisquées, « dans le chef de chacun des auteurs, coauteurs ou complices de ces infractions, même si la propriété n’en appartient pas au condamné 51, sans que cette peine puisse cependant porter préjudice aux droits des tiers sur les biens susceptibles de faire l’objet de la confiscation ».

48 Souvent dicté ou, à tout le moins, influencé par les institutions supranationales.49 À savoir les « choses formant l’objet de l’infraction et à celles qui ont servi ou qui ont

été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné ».50 Induisant tacitement que la confiscation est réputée en ce cas obligatoire, le juge

devant la prononcer d’office, et ce, conformément au droit commun. notons que la confis-cation spéciale des choses visées à l’art. 42, 1°, C. pén., sera également prononcée lorsque le prévenu bénéficie, en raison du dépassement du délai raisonnable, d’une simple déclaration de culpabilité, le tout en application de l’art. 21ter, al. 2, tit. prélim. C. proc. pén. Cass., 14 octobre 2009, concl. vAndeRmeeRsch, D, R.g. no p.08.1095.f, http://www.cass.be.

51 dérogeant par là au droit commun, l’art. 42, 1°, du Code précisant que la confisca-tion des choses formant l’objet de l’infraction sera prononcée quand la propriété en appar-tiendra au condamné.

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En d’autres termes, la condamnation du chef de blanchiment d’ar-gent 52 se verra, d’office, assortie de la confiscation spéciale, peine certes accessoire au rang du Code pénal, mais obligatoire lorsque la personne condamnée l’est sur base de son article  505. Cette modalité met claire-ment en évidence, à notre sens, le dessein principal que poursuit le légis-lateur (et, incidemment, le juge) dans l’hypothèse de poursuites initiées du chef de blanchiment : empêcher que l’auteur de l’infraction primaire ne puisse continuer à jouir des biens et valeurs retirés de ladite infrac-tion 53, outre la condamnation de celui-ci à une peine d’emprisonnement et/ou d’amende.

Par ailleurs, les alinéas 6 et 7 de la disposition précisent que « [s]i ces choses ne peuvent être trouvées dans le patrimoine du condamné, le juge procédera à leur évaluation monétaire et la confiscation portera sur une somme d’argent », soit :

– proportionnelle à la participation du condamné à l’infraction de blanchi-ment, lorsque la condamnation est fondée sur le 2° de l’alinéa 1er de l’article 505 (al. 7) ;

soit

– équivalente, lorsqu’il y a condamnation du chef de l’article  505, ali-néa 1er, 3° ou 4° (al.  6). Dans ce cas, le juge pourra toutefois réduire cette somme en vue de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde 54.

Exemple : l’utilisation d’un homme de paille dont le rôle serait d’effec-tuer une série d’opérations financières déterminées, dont se présenter dans un bureau de change et effectuer la conversion de la somme à blanchir (prenons, pour exemple, un montant de 100 000 €) dans une autre devise, dans le but exprès d’en dissimuler l’origine illicite. En vertu du 6e alinéa de l’article 505 du Code pénal, la confiscation par équivalent pourrait donc porter sur la totalité du montant converti, alors qu’il n’aurait, quant à lui, bénéficié que d’une fraction de la somme représentant la commission retirée de l’opération de conversion (p.ex. : 10 000 €). En ce sens, le législateur instaure un tempérament, à

52 par opposition à la condamnation qui serait prononcée sur base de l’infraction sous-jacente.

53 Bruxelles, 20 juin 2003, réf. 109/03, www.juridat.be54 Cf. l’exemple développé par les travaux parlementaires « d’un revendeur de drogue

qui a vendu une quantité de stupéfiants d’un montant de 10 millions d’euros. Si l’intéressé n’a gagné lui-même qu’une partie de cette somme, il est parfois excessif de condamner le revendeur au paiement de l’intégralité de la somme ». Doc. parl., Ch., sess. ord. 2005-2006, no 1603/002, p. 5.

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savoir la possibilité pour le juge de diminuer la somme confisquée, son maxima représentant l’avantage patrimonial de départ.

III.3.2.2. La saisie et la confiscation élargies

Au-delà des règles prévues par l’article  505 du Code pénal, le régime propre de la saisie et de la confiscation s’est vu lui aussi progressivement élargi. La peine de confiscation revêtant un caractère prépondérant dans le cadre de la répression du blanchiment de capitaux, il nous apparaît opportun de l’analyser.

A. La saisie/confiscation « par équivalent »

L’article  43bis du Code pénal, inséré par la loi du 17  juillet 1990 et modifié par la loi du 19  décembre 2002, prescrit que, si les avantages patrimoniaux tirés directement de l’infraction, les biens et valeurs qui leur ont été substitués et les revenus de ces avantages investis ne peuvent être trouvés dans le patrimoine du condamné, le juge procédera à une évalua-tion monétaire et la confiscation portera sur une somme d’argent qui leur sera équivalente. Soit l’hypothèse de la confiscation (facultative, en ce cas) d’un avantage patrimonial tiré de l’infraction de blanchiment : c’est l’exemple de la commission qui serait perçue par l’individu ayant procédé à l’une ou l’autre opération de blanchiment 55.

Cette mesure d’évaluation monétaire, déjà évoquée par la Convention du Conseil de l’Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment d’ar-gent, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime constitue, selon ledit Conseil, une réelle « créance » de l’État à l’encontre de l’agent infracteur : « [l]a Partie requise […] demandera le paiement de la somme due et, si le paiement n’est pas obtenu, fera couvrir la créance par tout bien disponible […,] acquis légalement ou illégalement ».

Par ailleurs, l’article 35ter du Code d’instruction criminelle, inséré en 2002 par la loi portant extension des possibilités de saisie et de confisca-tion en matière pénale 56, prévoit qu’est autorisée (et donc facultative) la saisie de biens n’ayant aucun lien (à tout le moins établi) avec l’infraction commise 57, pour autant qu’il existe « des indices sérieux et concrets que

55 pour plus de développements, voy. m.-L. Cesoni et d. vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op. cit., p. 505, renvoyant à Cass., 4 avril 2006, R.g. no p.06.0042.n, http://www.cass.be.

56 M.B., 14 février 2003.57 f. deRuyck, « de wet van 19 december 2002 tot uitbreiding van de mogenlijkeheden

tot inbeslagneming en verbeurdverklaring in strafzaken », in Strafrecht « Van nu en straks », Bruxelles, La Charte, 2003, p. 92.

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la personne soupçonnée a obtenu un avantage patrimonial au sens des articles  42, 3°, 43bis ou  43quater, du Code pénal et que les choses qui matérialisent cet avantage patrimonial ne peuvent pas ou ne peuvent plus être retrouvées en tant que telles dans le patrimoine de la personne soup-çonnée » 58.

B. La saisie/confiscation « élargie » à des avantages patrimoniaux supplémentaires

En outre, les articles 35ter du Code d’instruction criminelle et 43qua-ter du Code pénal, eux aussi insérés par la loi du 19  décembre 2002, consacrent le mécanisme de la saisie et confiscation « des avantages patri-moniaux supplémentaires » découlant de l’infraction pour laquelle le prévenu/accusé s’est vu condamné de faits identiques, des biens et des valeurs qui leur ont été substitués et des revenus de ces avantages investis. En d’autres termes, si les autorités disposent d’indices sérieux et concrets que des avantages patrimoniaux dérivent de faits supposés provenir d’in-fractions identiques 59 à celle qui a entraîné la condamnation, et que la personne soupçonnée n’a pas pu rendre plausible le contraire, ces biens pourront faire l’objet d’une confiscation : il a été jugé que la condamna-tion d’un prévenu sur base du fait qu’il n’a pu apporter la moindre preuve que les capitaux étaient issus d’une activité légale « décide uniquement que sa défense manque de crédibilité » sans pour autant lui imputer la charge de la preuve 60.

Cette mesure rend donc possible la condamnation sur base d’un simple faisceau d’indices, en l’absence de preuve directe. « Il suffit que le juge soit convaincu que l’accroissement significatif du patrimoine du prévenu est vraisemblablement d’origine criminelle » 61. C’est l’hypothèse classique du trafiquant de stupéfiants qui, bénéficiant d’un cadre de vie  luxueux, n’est pas à même de justifier l’origine de son patrimoine.

Notons néanmoins dans l’hypothèse qui nous concerne (soit une condamnation sur base de l’art. 505, C. pén.), cette mesure ne sera appli-cable que relativement aux avantages patrimoniaux qu’aurait retirés

58 moyennant le respect des principes de subsidiarité (que l’on ne puisse retrouver les avantages patrimoniaux résultant de l’infraction dans le patrimoine du suspect) et de proportionnalité (soit que la valeur des biens saisis ne dépasse celle du produit présumé de l’infraction).

59 pour une période pouvant remonter jusqu’à 5 ans avant le prononcé de la condam-nation.

60 Cass., 25  septembre 2001, Pas., 2001, II, p.  1480, jurisprudence confirmée par plusieurs arrêts en 2006.

61 J. SpReutels, f. Roggen et e. RogeR fRAnce, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 144.

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l’auteur du blanchiment de cette infraction, pour autant que le blanchi-ment d’argent ait été commis dans le cadre d’une organisation criminelle, comme le précise l’article 43quater, § 1er, b), du Code pénal.

En conclusion, le législateur belge a progressivement instauré un méca-nisme de saisie et de confiscation « élargies », à savoir une amorce de ren-versement du fardeau de la preuve à charge du condamné ainsi que la possibilité de confiscation de biens n’entretenant pas de liens directs avec l’infraction pour laquelle ce dernier a été reconnu coupable. De quoi ali-menter le débat quant à une éventuelle transformation des moyens et des buts de la répression pénale, du moins en matière de criminalité grave et organisée.

III.4. Quelques pistes de réflexion

III.4.1. Vers une imprescribilité des infractions ?

L’on pourrait imaginer qu’établir un champ d’application répressif illi-mité en matière de blanchiment témoigne de la volonté du législateur d’aménager des facilités procédurales en vue de réprimer les comporte-ments délictueux.

Prenons, pour exemple, l’hypothèse d’une fraude fiscale opérée par un certain M.  X au début des années 2000, infraction dont le parquet ne prendrait connaissance que courant de l’année 2011.

Se pose dès lors la question de la recevabilité de poursuites pénales éventuelles. Il existe en effet, en droit pénal (et plus précisément en droit de la procédure pénale), un principe fondamental qu’est celui de la « pres-cription » des infractions.

La prescription des infractions est un des modes de l’extinction de l’action publique et s’opère par l’écoulement du temps. Au terme d’un délai déterminé par la loi, qui court à dater du jour de la commission des faits (à savoir de 5  ans, en principe, pour les infractions fiscales de par leur nature délictuelle 62), si aucune décision définitive n’a été rendue, l’action publique est définitivement éteinte et plus aucune condamnation ne pourra être prononcée contre les faits visés, cela dans un souci de sécu-rité juridique et de tranquillité publique. In casu, le ministère public ne

62 En vertu des art. 449 et 450 du C.I.R., sauf contraventionnalisation des faits, hypothèse dans laquelle la prescription est acquise au terme d’un an comme le prescrit l’art.21 du tit. prélim. C. proc. pén. nous pouvons également imaginer que la fraude fiscale soit accom-pagnée d’un faux en écriture (au sens des art.  196 et 197, C.pén.), infraction autonome punie de la réclusion de 5 à 10 ans et se prescrivant par 10 ans (art. 21, tit. prélim. C. proc. pén.) : en pratique, ce type d’infraction fera toujours l’objet d’une correctionnalisation et se prescrira donc par 5 ans, de la même manière que l’infraction pénale fiscale.

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pourrait plus, a priori, intenter en 2011 de poursuites sur base de la fraude fiscale opérée.

Néanmoins, qu’en est-il de la possibilité du parquet d’exercer l’ac-tion publique sur base d’une autre incrimination que la fraude fiscale, à savoir du chef de blanchiment d’argent, afin de récupérer les profits de la fraude ? Au-delà de l’infraction fiscale, l’on peut en effet imaginer que l’auteur de cette dernière soit inculpé du chef un blanchiment sur base du 3° de l’article 505, alinéa 1er, du Code pénal, du fait du placement des fonds à l’étranger moyennant la présence d’un élément moral caractérisé qu’est celui de « mettre à l’abri » 63 ces montants, et donc d’en dissimu-ler l’origine. Rappelons qu’en effet, comme le précise le deuxième alinéa de l’article précité, l’auteur de l’infraction primaire peut également être l’auteur de l’infraction de blanchiment.

Si les poursuites semblaient éteintes du chef de fraude fiscale par le biais de l’écoulement du temps, l’on perçoit mal comment elles pour-raient encore être possibles en se basant sur l’article 505 du Code pénal. Il apparaît pourtant que l’identification de la date de la commission des faits aura une influence prépondérante, puisqu’elle déterminera le point de départ de la prescription.

En effet, si l’infraction est qualifiée « d’instantanée » (et se consomme en un instant, dès la réunion de tous les éléments constitutifs, telle la fraude fiscale), la prescription commencera à courir « au jour » de l’infrac-tion. Par contre, si l’infraction est qualifiée de « continue » (à savoir une situation délictueuse se perpétuant dans le temps, tel un immeuble affecté à une activité illégale, situation qui se maintiendrait jusqu’à la cessation de ladite activité), la prescription commencera à courir lorsque la situa-tion délictueuse prendra fin, ce qui revient à postposer plus ou moins largement le délai de prescription de l’action publique. In casu, cela cor-respondrait à la fin des actes de gestion permettant le blanchiment des avoirs tirés de l’infraction primaire.

La question réside donc dans la qualification de l’infraction de blanchi-ment : les travaux parlementaires de la loi du 10 mai 2007, venant modi-fier l’article 505 du Code pénal, estiment que « [l]e blanchiment au sens strict est visé par l’article 505, 3º et 4º. Cela constitue un délit continu, puisque tant que l’on fait circuler les biens dans le but de les éloigner du

63 Il a en effet été jugé que « [l]e prévenu qui, en connaissance de cause, reçoit de sa mère des sommes provenant d’un vol commis au préjudice d’une succession « avec instruc-tion de mettre cet argent à l’abri » sur son compte au Luxembourg, se rend coupable de l’infraction visée à l’article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal ». m.-L. Cesoni et d. vAndeRmee‑Rsch, Les infractions contre les biens, op. cit., p. 490, renvoyant à mons, 1er juin 2006, no AC 401/06, inédit.

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délit de base, il y a persistance de la situation illégale et la prescription ne court pas » 64.

En d’autres termes, le délai de prescription ne commencera à courir, tant pour l’infraction de blanchiment que de fraude fiscale (en raison de la théorie de l’infraction collective 65), que lorsque la situation délic-tueuse prendra fin : lorsque l’auteur des infractions se sera débarrassé, sans contrepartie, de l’avantage patrimonial illicite, ou lorsque les autorités auront été avisées de la situation infractionnelle. Pour peu que la situa-tion délictueuse ait été maintenue dans le temps (actes de gestion, par exemple), celle-ci sera toujours punissable, en 2011, sur base des préven-tions de fraude fiscale et de blanchiment de capitaux, ce qui conduit, in concreto, à « l’imprescriptibilité des infractions » 66.

Voyez, par ailleurs, l’avis concordant du Conseil d’État dans le cadre des travaux préparatoires de la loi du 10 mai 2007, relative cette fois au comportement visé par le 2° de l’alinéa 1er : « [s]’il faut, en outre, admettre qu’à la suite de la modification apportée à l’article  505, alinéa  1er, 2°, du Code pénal, l’infraction de blanchiment doit être considérée comme continue, il en résultera qu’en cas de vol, dès lors qu’il y a unité d’inten-tion entre le vol et le recel ‘‘élargi” 67, le délai de prescription de l’action publique ne pourra commencer à courir aussi longtemps que le voleur ne se sera pas débarrassé sans contrepartie de la chose volée » 68.

III.4.2. Quelle opportunité d’instaurer un champ d’application répressif illimité ?

Comme nous le précisions, la lutte contre le blanchiment d’argent comprend deux volets, l’un préventif l’autre répressif, ce qui induit logique-ment l’existence, dans la législation belge, de deux champs d’application distincts en la matière, que sont :

– le volet préventif : la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme vise les revenus issus d’infractions

64 Doc. parl., Sén., sess. ord. 2006-2007, nos 3-1610/007, p. 17.65 plusieurs infractions n’en constituant qu’une seule en raison de l’unité d’intention qui

les lie, et pour autant que les faits ne soient pas séparés par un délai supérieur au délai de prescription.

66 Si cette manœuvre procédurale pourrait en interpeller plus d’un, il est à préciser que le principe de la prescription n’est pas consacré formellement par la Convention européenne des droits de l’homme et que, pour le surplus, nombre d’états n’appliquent cette règle que pour des catégories particulières d’infractions.

67 À entendre, pour rappel, comme l’infraction de blanchiment de capitaux.68 Doc. parl., Sén., sess. ord.2005-2006, nos 3-1610/002, p. 10.

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liées à la criminalité grave et organisée, comme le prescrit son article 5, § 3 ; et

– le volet répressif : comme mentionné ci-avant, les revenus retirés de « toute infraction » sont susceptibles de faire l’objet de blanchiment au sens de l’article 505 du Code pénal.

Cette divergence entre les champs d’application préventif et répressif, que d’aucuns voudraient gommer, ne manque pas d’attirer notre atten-tion, estimant qu’il serait plus qu’heureux d’analyser les motivations ayant conduit le législateur à établir des champs d’application distincts pour un même comportement criminel.

En effet, alors qu’un certain nombre d’États à travers le monde ont choisi de définir comme constitutive de blanchiment d’argent la dissi-mulation de l’origine des avantages patrimoniaux tirés d’infractions liées à la criminalité grave et organisée 69 (comme le prévoit le volet préventif de la lutte en Belgique), notre législateur a précisément choisi de viser les revenus issus de « toute » infraction pénale. À titre d’exemples, évoquons les législations :

– espagnole : l’article 301 du Code pénal espagnol fait référence aux biens tirant leur origine d’un « délit grave » 70 ;

– française : le Code pénal français vise, quant à lui, en son article 324-1, les biens ou revenus de l’auteur « d’un crime ou d’un délit » 71 ; et enfin

– américaine : le Code fédéral américain définit ce champ comme les pro-duits 72 d’une specified unlawful activity 73 (Tit.  18, Ire  Part., Chap.  95, § 1956).

69 Rappelons que les états (européens à tout le moins) ont, au cours des années, eu tendance à compléter de façon importante la liste des infractions primaires. une tendance qui ne semble pas prête de régresser, au sentiment de Claire Scohier, qui prévoit une extension progressive des infractions sous-jacentes visées par le régime anti-blanchiment. C. scohieR « La définition du blanchiment de capitaux : aspects préventifs et répressifs », La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, Bruxelles, La Charte, 2005, p. 65.

70 L’art. 13.1 du C. pén. esp. définit le « délit grave » comme toute infraction que la loi punit d’une peine grave, la « peine grave » étant définie en l’art. 33.2 de ce même Code par une liste exhaustive de sanctions, dont l’emprisonnement d’une durée de plus de 5 ans, la privation de certains droits à titre absolu ou pour 5 ans au moins.

71 néanmoins, la conception de délit diffère en france de la Belgique, puisque le C. proc. pén. fr. établit en son art. 381 que « [s]ont des délits les infractions que la loi punit d’une peine d’emprisonnement ou d’une peine d’amende supérieure ou égale à 3 750 euros ».

72 Compris comme « profits » par la jurisprudence de la Cour Suprême fédérale, U.S. vs. Santos, 2 juin 2008.

73 notion regroupant une liste exhaustive d’infractions délimitée par la législation fédé-rale, à savoir toute infraction en lien avec une racketeering activity. Ce terme reprend une série d’activités criminelles économiques d’une certaine gravité. tit. 18, Ire part., Chap. 96, § 1961 (1).

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En conclusion, définir de manière illimitée le champ d’application répressif des infractions sous-jacentes de blanchiment est-il proportionné à l’objectif poursuivi par la mise en œuvre de ladite incrimination ? Au vu du régime choisi par notre législateur et de la divergence existant entre les deux volets de la lutte anti-blanchiment, l’on peut se demander si ce choix n’est pas guidé par une volonté de faciliter (ou de trouver une alternative à) la répression des agissements criminels, des infractions pri-maires. Car, comme nous allons le voir, la charge de la preuve en matière de blanchiment a, elle aussi, fait l’objet d’aménagements de nature à faci-liter sa répression.

III.4.3. Des modalités probatoires mises en œuvre dans le but de faciliter la lutte contre le blanchiment d’argent ?

La condamnation, en droit belge, sur base de l’incrimination de blan-chiment d’argent implique la double preuve :

1) de l’existence d’une infraction sous-jacente, dite primaire ; et2) de l’origine illicite des avantages patrimoniaux perçus.

Or, les poursuites du chef de cette prévention semblent facilitées, du moins encouragées par la jurisprudence en matière de preuve de l’infrac-tion primaire : pour qu’il y ait condamnation au titre de blanchiment d’argent, il n’est pas requis que soit précisément identifié le crime ou le délit sous-jacent duquel sont retirés les avantages patrimoniaux illicites.

Il s’agit d’un assouplissement de la charge de la preuve lié à l’élé-ment moral requis en matière de blanchiment, à savoir que l’auteur « connaissai[t] ou devai[t] connaître » 74 l’origine illégale des avantages perçus : comme nous précisions supra, au vu des circonstances de l’espèce, le prévenu « ne pouvait que conclure que les sommes remises avaient une origine illicite » 75, et ce, peu importe qu’il eût connu de manière précise l’infraction dont dérivaient les fonds délictueux 76. En d’autres termes, pour prouver l’existence d’une infraction sous-jacente, il suffit que le juge puisse exclure, sur base des éléments de faits, toute origine légale des avantages patrimoniaux obtenus 77.

74 Art. 505, al. 1er, 2° et 4°.75 m.-L.  Cesoni et d.  vAndeRmeeRsch, Les infractions contre les biens, op.  cit., p.  497,

renvoyant à Bruxelles, 8 novembre 2005, J.T., 2006, p. 111.76 Bruxelles, 30 juin 2003, J.L.M.B., 2004, p. 584, note V.-A. de bRAuweRe, « Confiscation

spéciale et blanchiment : champ d’application ».77 Cass., 21  juin 2000, Pas., 2000, I, p. 387, confirmé par Cass., 25  septembre 2001,

Pas., 2001, II, p. 1480, et Cass. 16 décembre 2009, www.cass.be (22 mars 2011).

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Si la Cour Suprême espagnole se rallie à notre jurisprudence 78, la Cour de cassation française estime pour sa part que le délit de blanchiment de capitaux nécessite, au contraire, « que soient relevés précisément les élé-ments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect » 79.

Dès lors, le succès de l’article 505 du Code pénal s’explique-t-il par la mise en œuvre de modalités procédurales telles que précitées ? Cette mise en œuvre est-elle propre à la Belgique ou dérive-t-elle d’instruments supra-nationaux influençant l’ensemble des législations nationales à travers le monde ? Si l’on en croit les propos de G.  Brayer 80, la question semble en effet, a priori, dépasser notre seul droit national : le « droit pénal mon-dialisé fait de l’infraction de blanchiment un ‘‘délit exorbitant de droit commun” en assouplissant de manière variée selon les pays les exigences de preuve ; en admettant ici de simples présomptions et là en renversant la charge de la preuve ».

La répression des agissements criminels sur base de l’incrimination de blanchiment d’argent invite donc à la réflexion, notamment au regard de la modalisation dont elle fait l’objet. Outre la question de la charge de la preuve, et comme commenté ci-avant, le régime de la saisie et de la confiscation se sont vus progressivement élargis au fil des modifications législatives (tant de l’art. 505, C. pén., que des règles de droit commun), ce qui ne manque pas de susciter notre attention.

En effet, les possibilités de saisie et de confiscation ne cessent de s’ac-croître au fil des années, tout comme les prérogatives reconnues aux auto-rités en vue de la privation des produits du crime, diverses évolutions législatives qui témoignent manifestement de la tendance à l’extension des pouvoirs des autorités dans le cadre d’une répression de plus en plus axée sur la privation du patrimoine.

En conclusion, ces modalités semblent donc assouplir l’apport de la preuve incombant aux autorités et favoriser la confiscation des profits cri-minels tirés de l’infraction, ce que d’aucuns pourraient considérer comme une modalisation progressive de la répression liée à la volonté de faciliter les poursuites, particulièrement en matière de criminalité grave et orga-nisée.

78 Corte Suprema de Justicia de la nación, 13 janvier 2006, sentencia 31/2006.79 Cass. fr., 25 juin 2003, Dr. pén., pp. 142 et s.80 « défi de l’économie criminelle et terrorisme », in x., La lutte internationale contre le

blanchiment et le financement du terrorisme – Colloque du 1er décembre 2006, SLC, paris, 2007, p. 26, citant le Rapport 2003 du Service central de la prévention de la corruption (fr.), éd. Jour-naux officiels, pp. 35 et s.

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IV. La répression du blanchiment en lien avec le droit fiscal

Après avoir explicité quelques points particuliers du régime prévu par l’article 505 du Code pénal, abordons dès à présent le lien existant entre le volet répressif du blanchiment d’argent et le droit fiscal, relation ambi-guë empreinte d’incertitudes, les précisions apportées par le législateur ou la jurisprudence laissant bien souvent le lecteur et/ou praticien perplexe.

IV.1. La fraude fiscale crée-t-elle un avantage patrimonial confiscable ?

Lorsque l’on met en relation droit fiscal et infraction de blanchiment, une première interrogation jaillit, question qui fit à son époque couler beaucoup d’encre et divisa assez rapidement la doctrine : « éviter le paie-ment de l’impôt constitue-t-il un avantage patrimonial » ?

IV.1.1. Les trois thèses proposées par la doctrine

Certains auteurs 81 estimaient que le fait d’éluder l’impôt, et donc d’évi-ter le paiement d’une charge à l’égard de l’État, ne pouvait pas constituer un « avantage patrimonial ». Même en admettant une interprétation large de la notion, à savoir « tout bien ou valeur » 82, Thierry Afschrift 83 soutenait que l’on ne pourrait alléguer que « le fait d’éviter une charge constitue un bien ou une valeur », s’appuyant notamment sur le fait que (la majorité) des infractions fiscales ne procurent pas à leurs auteurs d’enrichissement consistant en une acquisition de biens ou de montants numéraires : éviter de payer un impôt n’équivaudrait pas à s’enrichir.

Cette conception nous paraît très, voire trop restrictive, puisqu’évidem-ment le fait d’éluder l’impôt procure à son auteur un « avantage » patri-monial ou matériel, à savoir la conservation d’un montant déterminé,

81 Voy., not., t.  AfschRift, « Blanchiment et fraude fiscale », J.D.F., 1997, pp.  193-224 ; Manuel de droit pénal financier, Bruxelles, Kluwer, 2001, pp. 334-335 ; m. moRis, « Impôts, argent noir et blanchiment », R.G.F., 1998, pp. 427-428 ; t. delAhAye, « Actualités de droit pénal fiscal », Comptabilité et fiscalité pratiques, novembre 1999, pp.  48-49, ou encore L. HuybRechts, « de fiscalist tussen cliënt en wet », in Fundamentele rechten van de belastings-plichtige. Capita selecta, diegem, Ced. Samson, 1999, p. 51.

82 Comme l’entend l’exposé des motifs de la loi du 17  juillet 1990, peu importe la nature des biens : mobiliers/immobiliers ; corporels/incorporels. Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/001, pp. 3 et 4.

83 t. AfschRift, « Blanchiment et fraude fiscale », op. cit. ; Manuel de droit pénal financier, op. cit.

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soit une « valeur » qui aurait dû être déférée au Trésor public. En d’autres termes, il s’agit, selon nous, d’une sorte « d’approvisionnement » du por-tefeuille du délinquant résultant d’une abstention délibérée et fautive en son chef.

Selon une deuxième thèse, moins stricte que la première, quand bien même l’on estimerait que les montants équivalant à l’évitement de l’im-pôt représenteraient des avantages patrimoniaux au sens de la loi, ceux-ci ne pourraient faire l’objet d’une confiscation dès lors qu’ils ne seraient pas localisables dans le patrimoine du prévenu. Une dette fiscale (en l’absence de fraude) grevant non pas un élément particulier du patrimoine de l’inté-ressé, mais l’obligeant sur tous ses biens 84, il serait impossible de détermi-ner les fonds avec lesquels le débiteur éteindrait sa dette, qu’il s’agisse des revenus qui font l’objet de l’impôt ou d’autres biens en sa possession 85. D’où l’impossibilité d’identifier précisément les biens visés.

Pourquoi ne pas faire application, alors, du mécanisme de la confisca-tion par équivalent prévu à l’article 43bis du Code pénal ? Le problème, selon Marie-Aude Beernaert, est que ce régime ne peut être appliqué que « lorsque les avantages patrimoniaux tirés de l’infraction ne peuvent être trouvés dans le patrimoine du condamné, mais non lorsque, comme dans l’hypothèse qui nous occupe, les avantages en question se trouvent bien dans le patrimoine de l’intéressé et ne peuvent simplement pas être distingués des autres éléments qui la composent » 86, l’identification de l’avantage généré par l’infraction fiscale dans le patrimoine de l’intéressé étant impossible à effectuer.

Par opposition, Guy Stessens 87 estimait que le mécanisme de la confis-cation par équivalent doit pouvoir être appliqué à l’économie effectuée, en tant qu’avantage patrimonial. Si, à son sens, le législateur songeait bel et bien à l’hypothèse des biens sortis du patrimoine de l’agent lorsqu’il établit que cette confiscation ne peut être prononcée que lorsque les avantages patrimoniaux « ne peuvent être trouvés dans le patrimoine du condamné », il plébiscitait néanmoins une interprétation plus souple du dispositif, appuyant sa position sur la jurisprudence traditionnelle, à

84 Conformément à l’art. 7 de la loi hypothécaire.85 m.-A. beeRnAeRt, « fraude fiscale, confiscation et blanchiment : le point sur des ques-

tions très controversées », note sous Cass. 22 octobre 2003, R.C.J.B., 2005, p. 102,  citant t. AfschRift, « Blanchiment et fraude fiscale », op. cit., pp. 212.

86 m.-A. beeRnAeRt, « fraude fiscale, confiscation et blanchiment : le point sur des ques-tions très controversées »,op. cit., p. 103.

87 g. stessens, « nogmaals over de verbeurdverklaring van vermogensvoordelen uit een misdrijf en aanverwante aspecten, zoals de strafbaarstelling van witwassen », R.W., 1999-2000, pp. 1077-10778, dont la position est précisée par m.-A. BeeRnAeRt, « fraude fiscale, confiscation et blanchiment : le point sur des questions très controversées »,op. cit., p. 107.

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savoir que les magistrats ne prennent, en pratique, pas la peine de consta-ter que lesdits avantages ne peuvent être trouvés dans le patrimoine.

Enfin, une troisième position défendue par certains auteurs 88 était de considérer purement et simplement que les revenus « générés » par une infraction fiscale (ou plutôt conservés via l’évitement d’impôt) étaient des avantages patrimoniaux confiscables en vertu des déclarations concor-dantes du législateur. Pour rappel, ce dernier précisa que la notion d’avan-tages patrimoniaux devait être entendue de manière large, à savoir « tout bien ou valeur », peu importe leur nature : mobilière ou immobilière, cor-porelle ou incorporelle 89. Le législateur estima par ailleurs plus opportun de retenir dans le texte les termes d’avantages patrimoniaux, les consi-dérant plus larges que l’expression de « biens et valeurs » 90. En outre 91, le ministre de la Justice de l’époque répondit par l’affirmative lorsqu’un membre de la Chambre des représentants lui demanda si le régime de l’article 505 s’appliquerait à l’argent blanchi provenant d’une fraude fis-cale 92.

IV.1.2. La position de la Cour de cassation

Face à la controverse doctrinale faisant rage, la Cour de cassation choi-sit de se rallier à la dernière opinion et de se positionner en faveur d’une interprétation large de la notion d’avantage patrimonial, puisqu’elle déci-dait, le 22 octobre 2003 93, que « [l]orsqu’en application des articles 42, 3°, et  43bis du Code pénal, le juge évalue les avantages patrimoniaux tirés d’une infraction, il peut considérer que l’évitement d’un impôt constitue un tel avantage ; celui-ci ne disparaît pas du seul fait de l’enrôlement ». En d’autres termes, le juge peut, selon la Haute Cour, décider que l’évitement

88 Voy.  not. m.  Rozie, « de bijzondere verbeurdverklaring van vermogensvoordelen toegepast op fiscale delicten », in Fiscaal strafrecht en strafprocesrecht, gand, mys & Breesch, 1996, pp.  211-213 ; R. veRstRAeten et d.  dewAndeleeR, « witwasen na de Wet van 7  april 1995 : kan het nog witter ? », op. cit., pp. 690-691 ; ou encore J.-fr. godbille, « Les aspects répressifs : l’infraction de blanchiment dans le secteur financier », in Blanchiment : la situation des entreprises, des organismes financiers et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 85.

89 Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/001, pp. 3 et 4.90 Rapport de la Commission de la Justice de la Chambre, Doc. parl., Ch., sess. ord.

1989-1990, no 987/4, p. 4.91 notre but n’étant pas de développer chacun des arguments en faveur (ou non) de

la présente thèse. pour cela, nous vous renvoyons à m.-A. BeeRnAeRt, « fraude fiscale, confis-cation et blanchiment : le point sur des questions très controversées », op. cit., pp. 103-105.

92 malgré le fait que l’hypothèse de l’évitement d’un impôt n’ait été expressément mentionnée, l’exemple donné étant celui d’une fraude à la t.V.A. (générant donc bel et bien un avantage patrimonial), Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/004, p. 6.

93 R.g. no p.03.0084.f, http://www.cass.be.

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d’un impôt, et donc l’économie réalisée, constitue un avantage patrimo-nial confiscable.

Cette position fut confirmée par la Cour en son arrêt du 8 novembre 2005 94, décision par laquelle elle précisa, de surcroît, que « les avantages patrimoniaux directement tirés de l’infraction englobent tant les biens et valeurs que tout avantage économique provenant d’une infraction, fût-ce une infraction en matière fiscale, même s’ils ne peuvent faire l’objet d’une identification dans le patrimoine », et ce, malgré l’avis critique de nombreux auteurs 95.

Enfin, et pour convaincre les plus réticents à la thèse de la confiscabi-lité des avantages patrimoniaux issus de la fraude fiscale, la loi du 10 mai 2007 vient, à notre sens, mettre définitivement un terme à la controverse : à l’article 505 du Code pénal est ajouté un alinéa 3 précisément dédié à la répression du blanchiment résultant d’une fraude fiscale (et donc, inci-demment, à la confiscation des avantages patrimoniaux issus d’une telle infraction qui auraient été, par la suite, blanchis), ci-après commenté 96.

L’infraction fiscale produit donc bel et bien un avantage patrimonial confiscable.

IV.2. La loi du 10 mai 2007 97 et la dépénalisation partielle du blanchiment d’argent issu de la fraude fiscale simple 98

À la lecture de l’article  505 du Code pénal, il apparaît que la fraude fiscale dite ordinaire ne tombe pas (ou plus) automatiquement sous le champ d’application répressif de la lutte anti-blanchiment. Il n’en a bien sûr pas toujours été ainsi, car ce n’est que par la loi du 10 mai 2007 99 que le gouvernement fédéral a pris la décision d’accorder formellement une certaine « immunité » (fort limitée) à la « fraude fiscale ordinaire » 100.

94 R.g. no p.05.0996.n, http://www.cass.be.95 Op. cit., supra.96 plus précisément, il est question de la dépénalisation partielle du blanchiment

d’argent issu de la fraude fiscale simple : comment aurait-il été, en cas contraire, possible de dépénaliser ce qui n’aurait pas été pénalement punissable (à savoir, le blanchiment d’avan-tages patrimoniaux issus de ladite infraction fiscale) ?

97 portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie, M.B., 22 août 2007, entrée en vigueur le 1er septembre 2007.

98 Veuillez prendre en considération que la loi n’a pas pour unique objet l’adaptation du champ d’application répressif du blanchiment en matière fiscale. pour de plus amples développements, voy. not. d. vAndeRmeeRsch, « Les nouveautés en matière de répression du blanchiment », J.T., 2008, pp. 265 et s.

99 Qui correspond au troisième amendement de l’article, à la suite des modifications déjà apportées par les lois du 17 juillet 1990 et du 7 avril 1995 (supra).

100 Infra.

LE VoLEt RépRESSIf dE LA LégISLAtIon BLAnCHImEnt Et LE LIEn AVEC LE dRoIt fISCAL

LARCIER 119

L’article 505, en son nouvel alinéa 3, prévoit désormais que « [s]auf à l’égard de l’auteur, du coauteur ou du complice de l’infraction d’où pro-viennent les choses visées à l’article 42, 3°, les infractions visées à l’ali-néa  1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de la fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ».

L’alinéa 4 énonce quant à lui que « [l]es organismes et les personnes visés aux articles [2, § 1er, 3 et 4 101] de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchi-ment de capitaux et du financement du terrorisme, peuvent se prévaloir de l’alinéa précédent dans la mesure où, à l’égard des faits y visés, ils se sont conformés à l’obligation prévue à l’article [28 102] de la loi du 11 jan-vier 1993 qui règle les modalités de la communication d’informations à la Cellule de traitement des informations financières ». Force est de consta-ter, à la lecture des nouveaux alinéas, que le législateur n’a pas eu peur de complexifier d’avantage un prescrit déjà des plus difficiles à interpréter.

La modification de l’article vise, in concreto, à établir une distinction 103 entre fraude fiscale simple et fraude fiscale grave et organisée, le légis-lateur introduisant une dépénalisation partielle du blanchiment en lien avec la fraude fiscale simple relativement aux comportements visés aux 2° (achat ou réception) et 4° (dissimulation ou déguisement) de l’article 505, alinéa 1er, du Code pénal, et ce, pour autant que l’auteur de l’infraction de blanchiment soit tiers à l’infraction primaire (soit la fraude fiscale simple).

En somme, par loi du 10 mai 2007, le législateur a décidé d’accorder une certaine « immunité » à la fraude fiscale simple – soit l’un des desseins essentiels du « lobbying » 104 visant à voir l’article 505 amendé.

101 L’ar. 505 fait encore erronément référence aux art. 2, 2bis et 2ter de loi, devenus les art. 2, § 1er, 3 et 4 nouveaux à la suite de la refonte de la loi du 11 janvier 1993 par la loi du 18 janvier 2010 transposant en droit interne la troisième directive anti-blanchiment.

102 Le présent alinéa fait encore erronément référence à l’art.  14quinquies de la loi préventive, abrogé et devenu l’art. 28, nouveau, de la loi à la suite de la refonte de cette dernière (supra). de nouveau, il semblerait que le législateur n’ait pas prêté attention à ce détail lors de la modification législative en cause.

103 nous pouvons d’ores et déjà préciser que cette distinction est loin d’être clairement définie, comme développé infra.

104 Selon les propres termes de f. LefèvRe, « le printemps du blanchiment », Droit bancaire et financier, Liv. 3, 2008, p. 150.

LES dIALoguES dE LA fISCALIté 2011

120 LARCIER

IV.2.1. La ratio legis de la loi

Avant toute chose, il faut souligner que la loi du 10 mai 2007 trouve son inspiration dans la proposition de loi du 11  février 2005 105 dont l’objet était de « renforcer le dispositif législatif préventif du blanchiment d’argent et revoir l’article 505 du Code pénal, en préciser la portée, dans un souci d’efficacité et de sécurité juridique ». On le voit donc, des liens se tissent progressivement entre prévention et répression en la matière 106.

Si d’aucuns pourraient y voir un premier pas dans le sens d’un rap-prochement des champs d’application préventif et répressif de la lutte (rappelons que le volet préventif vise uniquement, comme infraction fis-cale sous-jacente de blanchiment, la fraude fiscale grave et organisée), la réalité est néanmoins plus nuancée.

En effet, outre la volonté du législateur de gommer la différence 107 de champ d’application entre le volet répressif et le volet préventif de la législation anti-blanchiment 108, l’Association belge des banques voulait se prémunir de la situation difficile (résultant précisément de la discordance entre régimes préventif et répressif) à laquelle elle allait devoir faire face au 1er  janvier 2008 en raison de la dématérialisation des titres au por-teur 109, se rappelant de la situation délicate que les banquiers avaient déjà vécue lors de l’instauration de la déclaration libératoire unique.

Ces derniers craignant le dépôt ou la mise en garde de titres au porteur représentant le produit d’une fraude fiscale simple, il était donc logique que les acteurs du secteur bancaire se voient protégés d’une éventuelle sanction du chef de blanchiment de capitaux dans la mesure où ils consti-tuaient les intervenants principaux dans le cadre de l’application de la législation relative à la dématérialisation : en raison de l’obligation de dépôt de ces titres en vue de leur conversion, les institutions financières

105 Doc. parl., Ch., sess. ord. 2004-2005, no 1603/001.106 Il a fallu attendre plus de 15 ans après l’insertion de l’infraction de blanchiment dans

le C. pén. pour que sa répression en soit limitée, comme le souligne g. Stessens, « Répression du blanchiment en matière fiscale : plus limitée mais… plus large », Fiscologue, août 2007, Liv. 1080, p. 1.

107 Doc. parl., Sén., sess. ord. 2006-2007, no  1610/007, p.  27 ; Doc. parl., Ch., sess. ord.2004-2005, no 1603/001, p. 5. Cette discordance implique une insécurité juridique qui ne peut être maintenue, « conduit à des conséquences disproportionnées et ne tient pas suffisamment compte du caractère subsidiaire du droit pénal ». propos de p. mAhoux en justi-fication de sa proposition d’amender le projet de loi, Doc. parl., Sén., sess. ord.2006-2007, no 1610/006, p. 2, amendement no 5.

108 L’on ne peut donc y voir la seule volonté du législateur de se focaliser sur la fraude à grande échelle, et d’ainsi mettre « de côté » la fraude ordinaire.

109 Loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur, M.B., 23 décembre 2005, pp. 55.488 et s.

LE VoLEt RépRESSIf dE LA LégISLAtIon BLAnCHImEnt Et LE LIEn AVEC LE dRoIt fISCAL

LARCIER 121

n’auraient pas le pouvoir de refuser les titres en question, quand bien même ils seraient le produit d’une fraude fiscale du client déposant 110.

Donc, si les opérateurs bancaires ne pouvaient déclarer des opérations douteuses liées à une fraude fiscale simple à la Cellule de traitement des informations financières 111 (le volet préventif ne visant que et unique-ment la fraude fiscale grave et organisée, déclaration ne peut être faite dans l’hypothèse d’une fraude fiscale simple), ils étaient néanmoins, potentiel-lement, passibles de sanctions sur base de la législation répressive.

Prenons un exemple afin de clarifier la crainte soulevée par le secteur bancaire : l’organisme financier « X » reçoit des valeurs patrimoniales dont il connaît ou du moins soupçonne l’origine (fiscalement) douteuse, comme pourrait en juger, le cas échéant, le juge répressif au vu des élé-ments de fait. Par l’acceptation (obligatoire) de ces fonds, l’agent de l’éta-blissement financier se rendrait donc coupable du délit visé à l’article 505 du Code pénal, alors que le volet préventif de la loi anti-blanchiment ne lui permet en aucun cas (voire lui interdit) d’informer la C.T.I.F. des soup-çons relatifs à la nature des valeurs mobilières, puisqu’il serait question, in casu, d’une fraude fiscale simple et non d’une fraude fiscale grave et organisée.

Cette inconfortable situation, véritable épée de Damoclès pendant au-dessus de la tête des acteurs des institutions financières, ne pouvait demeurer sans solution : ces derniers tombant d’office sous le coup de la répression pénale en raison de la combinaison des législations préventive et répressive 112, une intervention législative était inéluctable.

L’intervention du législateur fut néanmoins conditionnée, puisque, en échange de cette dépénalisation partielle, les institutions financières durent s’engager à durcir les contrôles d’identification des clients poten-tiels, ce qui ne constitue ni plus ni moins, à notre sens, qu’un logique renforcement de la procédure de due diligence 113 développée et appliquée par la majorité des membres de la Communauté internationale ou euro-

110 f. LefèvRe, « le printemps du blanchiment », op. cit., pp. 146-147.111 Ci-après « C.t.I.f. ».112 En effet, l’agent de l’institution financière pourrait se voir condamner pénalement

en raison de son obligation d’accepter des fonds qu’il ne peut dénoncer, malgré la connais-sance qu’il aurait de l’origine fiscalement douteuse de ces derniers.

113 ou devoir de vigilance (des professionnels et organismes du monde financier) relatif à leur clientèle.

LES dIALoguES dE LA fISCALIté 2011

122 LARCIER

péenne, conformément aux recommandations du GAFI 114 et à la troi-sième directive anti-blanchiment 115.

IV.2.2. La dépénalisation partielle de la fraude fiscale simple comme infraction sous-jacente de blanchiment

Si la loi du 10 mai 2007 semblait, à première vue, imprégnée de louables intentions 116, les nouveaux alinéas  3 et  4 n’ont fait que complexifier davantage un arsenal législatif déjà empreint de nombreuses interroga-tions. L’idée que le législateur a voulu faire passer lors de l’adoption de cette loi est bien trop limitée, celui-ci s’étant uniquement intéressé à la situation des organismes financiers 117, ce qui eut pour conséquence d’en-traîner une dépénalisation du blanchiment d’argent issu de la fraude fis-cale simple (très) partielle et, à notre sens, bien trop restreinte 118.

Ainsi, le prévenu qui a « blanchi » des montants issus d’une fraude fis-cale simple ne peut plus être condamné sur base de l’article 505 du Code pénal, pour autant qu’il remplisse les conditions suivantes :

– exclusion de l’auteur, du co-auteur ou du complice de l’infraction (fiscale) de base : seul le « tiers » à l’infraction sous-jacente peut bénéficier de l’immunité consacrée par la loi précitée. En l’occurrence, il ne fait nul doute que le législateur a souhaité par là viser les professionnels du sec-teur financier, tiers à la réalisation de l’infraction primaire ;

– exclusion de l’alinéa 1er, 3° (conversion ou transfert) : le législateur s’est volontairement abstenu d’exonérer ce comportement en raison du dol spécial qui caractérise ledit acte. En effet, la présence d’une intention caractérisée de dissimulation de l’origine illicite des fonds exclut, à notre sens logiquement, toute légitimité et possibilité d’atténuation de la responsabilité de l’auteur du comportement incriminé.

L’objectif présumé du législateur par l’adoption de cette loi étant d’as-surer une sécurité juridique aux établissements financiers dans le cadre

114 Et notamment l’actualisation de celles-ci en 2003 en vue du renforcement du devoir de vigilance des institutions financières. gAfI, « publication de nouvelles normes anti-blan-chiment », 23 juin 2003, http://www.fatf-gafi.org/.

115 transposée le 18 janvier 2010 dans notre ordre interne. pour de plus amples dévelop-pements sur cette transposition, voy. A. Lecocq et S. scARnà, « transposition de la troisième directive anti-blanchiment en droit belge », op. cit.

116 Elle ne se limite en effet pas à la seule modification du champ d’application répressif en matière fiscale (supra).

117 Voy., en ce sens, g. Stessens, xxx, op. cit., p. 2.118 En effet, nous prônons une dépénalisation totale de la fraude fiscale simple comme

infraction sous-jacente de blanchiment, étant partisans d’une modification du champ d’application répressif des infractions primaires de blanchiment en vue de le limiter à la criminalité grave et organisée, comme le prescrit le volet préventif de la lutte.

LE VoLEt RépRESSIf dE LA LégISLAtIon BLAnCHImEnt Et LE LIEn AVEC LE dRoIt fISCAL

LARCIER 123

d’opérations liées à la fraude fiscale simple, il n’aurait point été logique d’accorder à ceux-ci une immunité pénale lorsqu’ils auraient converti ou transféré des avantages patrimoniaux dans le but exprès de les blan-chir 119 et, incidemment, de dissimuler leur origine illicite. En défini-tive, seuls pourront faire l’objet d’une exonération les comportements fondés sur les 2° et 4° de l’alinéa 1er de l’article 505 du Code (qui ne requièrent, dans le chef de l’agent infracteur, qu’un dol simple) ;

– subordination de la dépénalisation au respect de l’(ancien) article 14quin-quies de la loi préventive (art.  28, nouveau, de la loi du 11  janvier 1993 120) (art. 505, al. 4, C. pén.) : cette troisième limite établie par le législateur – et la plus critiquée 121 tant elle fait preuve d’illogisme – lie donc le bénéfice de l’immunité au respect, par l’agent, de la loi préven-tive anti-blanchiment.

Plus concrètement, l’(ancien) article 14quinquies (et art. 28, nouveau) de la loi du 11 janvier 1993 fut inséré par la loi-programme du 27 avril 2007 122 dans le but de renforcer le dispositif anti-blanchiment : il charge les assujettis visés aux anciens articles 2, 2bis et 2ter (et art. 2, § 1er, 3 et 4, nouveaux) de la loi préventive anti-blanchiment d’informer la Cellule financière lorsqu’ils soupçonnent l’existence d’un fait ou d’une opération lié à la « fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des méca-nismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale […], y compris dès qu’ils détectent au moins un des indicateurs que le Roi déterminera, par arrêté royal 123 délibéré en conseil des ministres ».

C’est à cette condition seulement que les assujettis à l’obligation d’in-formation peuvent se prévaloir des « bonnes grâces » que leur octroie la loi du 10 mai 2007, puisque le 4e alinéa de l’article 505 du Code pénal stipule que « [l]es organismes et les personnes visés aux articles [2, § 1er, 3 et 4] 124 de la loi du 11  janvier 1993 […] peuvent se prévaloir de l’alinéa précé-

119 Rappelons que le législateur n’a pas érigé comme élément constitutif de l’infraction « l’intention de blanchir ». Doc. parl., Ch., sess. ord. 1989-1990, no 987/001, p. 12.

120 À la suite de la refonte de la loi du 11 janvier 1993, lors de sa dernière modification du 18 janvier 2010 (supra).

121 Voy. not. g. Stessens, xxx, op. cit, pp. 3 et s. ; f. LefèvRe, « le printemps du blanchi-ment », op. cit., pp. 150-151.

122 M.B., 8 mai 2007, pp. 25.153 et s.123 En l’occurrence, l’A.R. du 3  juin 2007 portant exécution de l’art. 28 de la loi du

11  janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment et du financement du terrorisme, M.B., 13 juin 2007, p. 31896 (à la suite de la modification de la loi préventive, l’intitulé du présent A.R. a été modifié par l’A.R. du 28 septembre 2010 qui remplace les termes article « 14quinquies » par « 28 »).

124 Rappelons que la disposition fait encore erronément référence aux art. 2, 2bis et 2ter de la loi.

LES dIALoguES dE LA fISCALIté 2011

124 LARCIER

dent 125 dans la mesure où, à l’égard des faits y visés, ils se sont conformés à l’obligation prévue à l’article [28] 126 de la loi du 11  janvier 1993 qui règle les modalités de la communication d’informations à la Cellule de traitement des Informations financières ».

Cet alinéa représente, à notre sens, le « prix à payer » par le secteur bancaire en échange des mesures prises par le pouvoir législatif afin de répondre à leurs craintes. Néanmoins, nous ne pouvons que nous éton-ner du lien établi par le législateur entre les deux dispositions, à savoir une « conditionnalisation » de la dépénalisation précitée à l’utilisation des 13 indicateurs de fraude fiscale grave et organisée dont la présence incite-rait 127 une déclaration à la C.T.I.F. : ces derniers ne concernent nullement le cas de la fraude fiscale simple, alors que l’immunité octroyée par la réforme de l’article 505 en faveur des assujettis mentionnés vise quant à elle l’unique hypothèse de ladite fraude fiscale simple.

« Comment l’exclusion d’un blanchiment d’avantages patrimoniaux tirés d’une fraude fiscale ‘‘ordinaire” peut-elle dépendre d’une information qui se rapporte par définition à la fraude fiscale grave et organisée ? Com-prenne qui pourra », s’étonnait Guy Stessens 128. Ou, comme s’interrogeait Françoise Lefèvre 129, comment peut-on « être exonéré de poursuites pour fraude fiscale simple si, par hypothèse, on a découvert une fraude fiscale

125 À savoir, l’al. 3, qui prévoit expressément la dépénalisation (partielle) du blanchiment d’argent tiré d’une fraude fiscale simple.

126 mentionnons de nouveau que le prescrit de l’art. 505 n’a pas été modifié en accord avec la loi préventive anti-blanchiment et fait référence à l’art. 14quinquies (abrogé) de cette dernière.

127 Et n’entraîne donc pas de déclaration automatique, malgré le prescrit de la loi et l’opi-nion contraire de la ministre de la Justice de l’époque, madame Laurette onkelinx. En effet, la C. const., 10 juillet 2008, no 102/2008, B.8 et 9, http://www.cass.be, accrédite l’interpré-tation « auxiliaire » des indicateurs, ceux-ci devant être considérés comme de simples outils à la détection d’une fraude fiscale grave et organisée.

128 g. Stessens, xxx, op. cit., p. 3.129 f.  LefèvRe, « le printemps du blanchiment », op.  cit., p.  151. En quête d’une justifi-

cation « cohérente » de l’œuvre du législateur, françoise Lefèvre émettait l’hypothèse (à tort, selon nous) selon laquelle l’exonération ne serait accordée que dans l’hypothèse où la déclaration de fraude fiscale grave et organisée émanant de la détection de l’indicateur se serait révélée non fondée, car il s’agirait, en fait, d’une fraude fiscale simple. pour sa part, Jan Van dyck imaginait que le prescrit du nouvel al. 4 de l’art. 505 aurait un sens, en acceptant l’interprétation autonome des indicateurs, si l’on se situait dans une hypothèse où il n’y aurait aucun soupçon de fraude fiscale grave et organisée, mais bien l’existence d’un des indicateurs pouvant signaler une telle fraude, malgré qu’il ne suffise pas à étayer un réel soupçon de fraude fiscale grave et organisée. L’interprétation autonomie des indicateurs ayant été « balayée » par la Cour constitutionnelle, nous ne pouvons être convaincus par cette interprétation de la disposition. J. VAn dyck « Indicatorenlijst : autonome of bijvoeglijke interpretatie ? », Fiscoloog, octobre 2007, Liv. 1088, p. 3.

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LARCIER 125

grave et organisée »  ? Pour notre part, partageant l’opinion des auteurs précités, nous ne voyons en cette conditionnalisation qu’une manière du législateur « d’encourager » les assujettis, organismes et professionnels du secteur financier, à avoir automatiquement recours aux indicateurs de la manière prescrite par la loi 130, même si la logique de réciprocité fait mani-festement défaut entre les deux dispositions.

La distinction entre fraude fiscale simple et fraude fiscale grave et orga-nisée, qu’a tenté d’établir le législateur pénal, soulève déjà nombre de réflexions à la lecture de la loi du 10 mai 2007. Mais c’est sans compter sur la définition même de la notion de « fraude fiscale grave et organisée », qui à elle seule alimente de façon récurrente les revues juridiques.

IV.3. La notion de fraude fiscale grave et organisée

IV.3.1. Absence de définition de la notion

La différence entre fraude ordinaire et fraude fiscale grave et organisée n’est, en pratique, pas aisée à faire, opacité intensifiée par l’absence de définition légale de la notion dans notre droit interne.

Néanmoins, si l’on se réfère – en l’attente d’un acte législatif – à l’exposé des motifs de la loi-programme du 27 avril 2007 131, la fraude fiscale grave et organisée « est celle qui consiste en un évitement ou un rembourse-ment illicite d’impôts, réalisé à l’appui d’un faux en écriture, commise en exécution d’un montage initié à cette fin, comportant une succession de transactions et/ou l’intervention d’un ou plusieurs intermédiaires, ainsi que le recours, au plan national ou international, à des mécanismes de simulation ou de dissimulation, notamment des structures sociétaires ou des constructions » 132.

Qu’entendre dès lors par les termes « grave » et « organisée » ?Selon les travaux parlementaires 133, la gravité de la fraude se manifeste par :

– « la confection et/ou l’usage de faux documents ; – le montant élevé de la transaction et le caractère anormal de ce mon-

tant eu égard aux activités ou à l’état de fortune du client » 134.

130 Voy., à ce titre, la note no 127 de la présente contribution qui précise le rejet, par la Cour constitutionnelle, de cette interprétation « autonome » des indicateurs.

131 M.B., 8 mai 2007.132 Doc. parl., Ch., sess. ord. 2006-2007, nos 51-3058/001, p. 51.133 Idem, p. 52.134 tout faux en écriture en vue d’éluder l’impôt ne remplissant pas les critères de fraude

fiscale grave et organisée. Si le faux « rend, en effet, la fraude fiscale particulièrement grave, il n’implique pas pour autant qu’il s’agit de fraude organisée ou pouvant être assimilée à un mécanisme complexe ou à un procédé à dimension internationale », comme l’a précisé

LES dIALoguES dE LA fISCALIté 2011

126 LARCIER

Le caractère organisé de la fraude fiscale se déduit, quant à lui, de « l’uti-lisation d’un montage qui prévoit des transactions successives et/ou l’in-tervention d’un ou plusieurs intermédiaires, dans lequel sont utilisés soit des mécanismes complexes, soit des procédés à dimension internationale (même s’ils sont utilisés au niveau national) » 135.

En somme, l’illustration du carrousel T.V.A. a rapidement été utilisée comme exemple type de l’hypothèse d’une fraude fiscale grave et organi-sée. Le Conseil d’État précisait en effet, dans son avis au Sénat, que depuis l’introduction de la notion dans la loi préventive, celle-ci faisait l’objet de discussions doctrinales, et que « le consensus s’est uniquement réalisé sur le fait que les fraudes de type carrousel à la T.V.A. entrent incontestable-ment dans cette notion » 136.

Néanmoins, il est manifeste que cette « définition » du législateur ne consiste qu’en un descriptif du mécanisme, et ne correspond en aucun cas à une définition au sens premier du terme. En témoigne l’arrêté royal du 3 juin 2007 et ses 13 indicateurs de fraude fiscale grave et organisée 137, dont le but exprès est de préciser 138 une notion de fraude fiscale grave et organisée obscure et imprécise.

En d’autres termes, depuis maintenant quatre ans, nous nous canton-nons à une description du mécanisme reposant sur la combinaison d’une « définition » 139 assortie de treize indicateurs contestés quant à leur portée autonome, et qui ont valu un revers à madame la ministre de la Justice de l’époque, Laurette Onkelinx, désapprouvée par la Cour constitutionnelle qui décida de privilégier une interprétation auxiliaire de ceux-ci.

C.E., Avis, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2005-2006, nos 3-1610/002. En effet, le législateur avait initialement retenu l’existence du faux en écriture comme critère de distinction entre fraude fiscale simple et autres fraudes, distinction basée sur la « gravité » de la fraude en raison de la présence d’un faux (Doc. parl, Ch., sess. ord. 2004-2005, no 1603/001, p. 5).

135 Les mécanismes complexes se traduisant par « l’usage de mécanismes de simulation ou de dissimulation faisant appel notamment à des structures sociétaires ou des construc-tions ». Doc. parl., Ch., sess. ord. 2006-2007, nos 51-3058/001, p. 52.

136 Doc. parl., Sén., sess. ord. 2005-2006, nos 3-1610/002, p. 15.137 portant exécution de l’art. 28 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de

l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, M.B., 13 juin 2007.

138 puisqu’est admise l’interprétation « auxiliaires » de ces indicateurs.139 Inscrite dans l’exposé des motifs de la loi-programme précitée.

LE VoLEt RépRESSIf dE LA LégISLAtIon BLAnCHImEnt Et LE LIEn AVEC LE dRoIt fISCAL

LARCIER 127

IV.3.2. Absence d’incrimination de la notion

Comme critiqué 140 ci-avant, le législateur n’a à ce jour assorti la notion de fraude fiscale grave et organisée d’aucune définition légale. Il nous semble donc inéluctable de pallier ce vide juridique, opinion notamment partagée par le Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale, qui estimait déjà en 2008 qu’il serait opportun de :

– « définir l’infraction spécifique de fraude fiscale grave et organisée ; – renforcer l’effet dissuasif des peines [la] sanctionnant […] par exemple,

en prévoyant des circonstances aggravantes […] : • en cas de fraude fiscale grave et organisée • en cas de fraude fiscale qui met en œuvre des mécanismes complexes • en cas de fraude qui use de procédés à dimension internationale • en cas de fraude fiscale mise en œuvre par une organisation crimi-

nelle ou une association de malfaiteurs » 141.

En effet, outre le problème de sa définition, il n’existe pas d’incrimi-nation spécifique de la notion de « fraude fiscale grave et organisée ». Le législateur, qui exprime pourtant explicitement sa volonté de distinguer fraude fiscale simple de fraude fiscale à grande échelle, n’a jamais opéré de distinction entre ces deux types de fraude par leur incrimination propre dans la législation pénale fiscale. Une constatation d’autant plus trou-blante qu’il a, par la loi du 10  mai 2007, précisément inséré la notion de fraude fiscale grave et organisée au sein l’article 505 du Code pénal. Comprenne qui pourra.

IV.3.3. Quel avenir pour la fraude fiscale grave et organisée ?

En conclusion, deux mesures nous paraissent essentielles afin de cla-rifier les incertitudes des praticiens et de pallier le vide juridique actuel :

– définir la notion de fraude fiscale grave et organisée ; et – incriminer de manière autonome ledit comportement.

Néanmoins, il nous semble qu’en 2011, soit seize ans après l’adoption de la notion de fraude fiscale grave et organisée dans la loi préventive 142 et quatre ans après la première tentative de définition de celle-ci, il apparaî-trait plus opportun de « repenser » la matière de la fraude fiscale à grande

140 À tout le moins pour une notion d’une telle complexité.141 « plan d’action 2008-2009 », 2 juillet 2008, p. 65, http://www.socialsecurity.fgov.be/.142 par l’art. 1er de la loi du 7 avril 1995 qui insère, au sein de la loi du 11 janvier 1993,

une liste exhaustive des infractions sous-jacentes de blanchiment.

LES dIALoguES dE LA fISCALIté 2011

128 LARCIER

échelle. En effet, comment incriminer une notion à laquelle le législateur ne parvient pas même à apporter de définition 143 ?

Appuyant la proposition de Jean-François Godbille et Arnaud Lecocq 144, nous plébiscitons l’adoption, en droit pénal belge, d’une incrimination autonome de l’escroquerie fiscale qui viendrait se substituer à cette notion de fraude fiscale grave et organisée.

Quel intérêt d’une « nouvelle » incrimination ? Si nous nous trouvons aujourd’hui en pleine impasse, un simple coup d’œil chez nos voisins luxembourgeois nous apporte une alternative au régime en vigueur en droit interne.

En effet, par la loi du 22 décembre 1993 145, le droit luxembourgeois érige en infraction la fraude fiscale complexe sous l’incrimination d’escroquerie fiscale, au paragraphe 396, alinéa 5, de la loi générale des impôts : « [s]i la fraude porte sur un montant significatif d’impôt soit en montant absolu soit en rapport avec l’impôt annuel dû et a été commise par l’emploi systématique de manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler des faits pertinents à l’autorité ou à lui persuader des faits inexacts, elle sera punie comme escroquerie fiscale d’un emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de cinquante mille francs à un montant représentant le décuple des impôts éludés ».

Selon la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 14  février 2002 146, l’élément matériel de la présente incrimination requiert :

– une fraude fiscale 147 ; – qui porte sur un montant significatif, soit en montant absolu, soit en

rapport avec l’impôt annuel dû 148 ;

143 Car si l’on en suit le principe de légalité prescrit par le droit pénal général (associé à l’adage latin nullum crimen, nulla poena sine lege et basé sur les art. 12 et 14, Const.), le comportement infractionnel doit être incriminé avec clarté et précision et ne laisser aucun doute quant à sa portée, l’objectif poursuivi par le législateur étant que l’auteur potentiel d’une infraction puisse connaître les conséquences de ses actes. En ce sens, comment incriminer de manière « claire et précise » un comportement que l’on n’arrive pas même à définir ?

144 J.-f. godbille et A. lecocq, Lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment : précis à l’usage des praticiens et des étudiants, Waterloo, Kluwer, 2008, pp. 96-97.

145 Relative à l’escroquerie en matière d’impôts, Mémorial A no 99, 24 décembre 1993.146 dite affaire Braun, jugement no 353/2002. précisons néanmoins, à titre de tempéra-

ment peut-être, que la seule condamnation connue à ce jour par les juridictions répressives du grand-duché du chef d’escroquerie fiscale concerne le présent cas.

147 « [C]aractérisée au sens du § 396 Ao ou de l’article 29 de la loi du 28 janvier 1948 sur la juste et exacte perception des droits d’enregistrement et de succession », dossier parle-mentaire de la loi, J-1990-O-0097, no 3478, p. 4, www.chd.lu.

148 « [A] apprécier en premier lieu par les organes de poursuite et en dernière analyse par les tribunaux ». dossier parlementaire de la loi, J-1990-O-0097, no 3478, p. 3, www.chd.lu.

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– qui est commise par l’emploi systématique de manœuvres frauduleuses 149 ; – qui a pour objectif de dissimuler des faits pertinents à l’autorité ou à la

persuader des faits inexacts.

Quant à l’élément moral requis par la loi, il suppose non seulement la conscience et la volonté de commettre le fait répréhensible, mais « la jurisprudence exige en outre que ce fait soit frauduleux, c’est-à-dire com-mis dans l’intention de tromper l’administration et d’éluder l’impôt » 150, soit ce que l’on pourrait qualifier, en droit interne, de dol spécial (et donc d’intention caractérisée).

Une telle incrimination en droit belge permettrait 151 tant :

– un rapprochement des législations pénales ; que – une facilitation de la coopération judiciaire internationale, par le res-

pect du principe fondamental de la double incrimination, en vue de poursuivre, en Belgique, des infractions commises sur le sol étranger 152,

soit deux outils essentiels dans un contexte d’harmonisation des règles européennes et de l’entraide judiciaire.

Enfin, il est à signaler que la loi luxembourgeoise (qui nous a précédés de près d’une quinzaine d’années) a, par la même occasion, procédé à la dépénalisation des toutes les infractions fiscales autres que l’escroquerie fis-cale 153, ce qui ne manque pas de nous rappeler le travail qu’a entrepris le législateur, par la loi du 10 mai 2007, et qui demeure, à notre sens, inachevé.

149 « Ainsi la déclaration inexacte est l’élément matériel de la fraude ; mais si elle s’appuie sur une comptabilité inexacte pour plus de vraisemblance, alors il y a manœuvre. par ailleurs, ces manœuvres doivent avoir été employées de façon systématique ce qui renvoie à une combinaison d’éléments qui se coordonnent pour concourir au résultat ou de manière à former un ensemble », énonce le dossier parlementaire de la loi, J-1990-O-0097, no 3478, p. 3, www.chd.lu.

150 « Il ne suffirait pas d’invoquer un avantage fiscal que l’administration pourrait refuser en droit : p. ex., une qualification erronée proposée de bonne foi par le contribuable […]. Inversement une négligence même grave ne saurait constituer une fraude », comme le précisent les travaux parlementaires de la loi, J-1990-O-0097, no 3478, p. 3, www.chd.lu.

151 outre une tentative de « maigre » rapprochement des volets préventif et répressif.152 En effet, nous cantonnant à l’exemple luxembourgeois, le grand-duché n’admettra

d’entraide que sous la double condition que les faits constituent une escroquerie fiscale au sens de la loi générale des impôts et qu’ils soient réprimés de façon similaire dans les textes de loi de l’état requérant.

153 « En vue de ne pas devoir fournir d’entraide (notamment de saisie ou de perquisition dans des établissements bancaires) en rapport avec de simples infractions fiscales… Il faut savoir que la validité d’une commission rogatoire suppose notamment que le délit sous enquête relève également du domaine pénal au grand-duché (principe de double incrimination) ». A. BAilleux, « Le secret bancaire belge en matière fiscale : un anachronisme ? », in Dossier : Fiscalité bancaire, Forum Financier – Droit bancaire et financier, Bruxelles, Larcier, 2008/V, pp. 275 et s.

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V. Conclusion

Au terme de cette analyse (qui ne prétend certes pas à l’exhaustivité) du volet répressif de la lutte contre le blanchiment d’argent et du lien qu’il entretient avec le droit fiscal, l’on ne peut que constater la complexité et le flou qui entourent la matière, des qualificatifs résultant d’interventions législatives successives plus décevantes les unes que les autres.

En effet, le législateur n’a, au fil des années, fait que complexifier un article 505 du Code pénal déjà emprunt d’incertitudes, d’incohérences, et fort aujourd’hui de pas moins de 10 alinéas. « [C]e qui est assez conster-nant, c’est la façon dont on a ‘‘remodelé” des textes légaux déjà fort com-plexes et souvent critiqués, en y ajoutant des imprécisions, des déséqui-libres ou des contradictions internes », déclarait André Risopoulos 154 à la suite de l’adoption de la loi du 10 mai 2007, largement commentée. Nous ne pouvons que nous rallier à ses propos.

Il serait donc plus qu’opportun, à notre sens, de réécrire l’article 505 du Code pénal, celui-ci s’enlisant dans ses trop nombreux amendements, (im)précisions, et la longueur de son prescrit : le régime mis en place par la présente disposition gagnerait indubitablement à être simplifié.

En outre, nous plaidons en faveur d’une redéfinition du champ d’appli-cation du volet répressif anti-blanchiment, soit des infractions (primaires) dont la dissimulation de l’origine illicite des avantages patrimoniaux retirés est constitutive de blanchiment d’argent. En effet, il nous paraî-trait plus adéquat de limiter le champ d’application des infractions sous-jacentes de blanchiment, soit aux infractions liées à la criminalité grave et organisée (ce qui permettrait de gommer les différences entre champs d’application répressif et préventif) soit, à tout le moins, aux comporte-ments punis d’un seuil minimal de peines.

Quant au lien qu’entretient le droit fiscal avec l’incrimination de blan-chiment, il a lui aussi connu son lot de controverses et de critiques : au-delà de la question de la confiscabilité des avantages patrimoniaux issus de la fraude fiscale, le législateur a tenté un vague rapprochement des champs d’application préventif et répressif en dépénalisant partiellement la fraude fiscale simple, à la suite du lobbying du secteur bancaire. Mal-heureusement, ce qui ressort de ce texte est un sentiment d’inachevé et le manque d’audace d’un législateur ayant travaillé dans la précipitation.

Pour le surplus, alors que le législateur fait référence à la « fraude fiscale grave et organisée » comme infraction sous-jacente de blanchiment – et

154 A. Risopoulos « Blanchiment et fraude fiscale : on change les règles ? – Analyse de la loi du 10 mai 2007 », R.G.C.F., 2007, Liv. 4, p. 251.

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ce, tant dans la législation préventive que répressive –, il n’a pas même pris la peine de définir la notion (désormais célèbre tant elle fait couler d’encre), ni de l’incriminer, et ce, malgré l’urgence d’y procéder. De nou-veau, au vu de la situation « d’impasse » à laquelle nous faisons face, nous pensons qu’il serait opportun de reconsidérer la matière de la fraude fis-cale à grande échelle.

En définitive, les trop nombreuses adoptions législatives, (im)préci-sions, incohérences et controverses qui ternissent le volet répressif de la lutte contre le blanchiment commandent du législateur qu’il fasse preuve pour l’avenir d’une plus grande hardiesse et circonspection en vue de donner un nouveau souffle à la matière. À bon entendeur !