LE PÈRE : ENTRE LA PAROLE DE LA MÈRE ET LA RÉALITÉ DU LIEN

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LE PÈRE : ENTRE LA PAROLE DE LA MÈRE ET LA RÉALITÉ DU LIEN À L'ENFANT Raphaële Noël et Francine Cyr P.U.F. | La psychiatrie de l'enfant 2009/2 - Vol. 52 pages 535 à 591 ISSN 0079-726X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2009-2-page-535.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Noël Raphaële et Cyr Francine , « Le père : entre la parole de la mère et la réalité du lien à l'enfant » , La psychiatrie de l'enfant, 2009/2 Vol. 52, p. 535-591. DOI : 10.3917/psye.522.0535 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - uqam - - 132.208.223.60 - 11/11/2011 21h18. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - uqam - - 132.208.223.60 - 11/11/2011 21h18. © P.U.F.

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LE PÈRE : ENTRE LA PAROLE DE LA MÈRE ET LA RÉALITÉ DU LIENÀ L'ENFANT Raphaële Noël et Francine Cyr P.U.F. | La psychiatrie de l'enfant 2009/2 - Vol. 52pages 535 à 591

ISSN 0079-726X

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Noël Raphaële et Cyr Francine , « Le père : entre la parole de la mère et la réalité du lien à l'enfant » ,

La psychiatrie de l'enfant, 2009/2 Vol. 52, p. 535-591. DOI : 10.3917/psye.522.0535

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REVUE CRITIQUEDES PROBLÈMES

D’ACTUALITÉ

Fonction du pèreRelation père/enfantConjugalité

LE PÈRE :ENTRE LA PAROLE DE LA MÈRE

ET LA RÉALITÉ DU LIEN À L’ENFANT1

Raphaële NOËL2

Francine CYR3

LE PÈRE : ENTRE LA PAROLE DE LA MÈREET LA RÉALITÉ DU LIEN À L’ENFANT

Nous présentons une revue critique des principales théories psy-chanalytiques et développementales sur le père, en cherchant à les fairedialoguer afin de définir le père tant dans sa dimension de fonctionpsychique que dans sa dimension d’objet réel. Comment être un pèreau quotidien et à la fois représenter la nécessaire symbolique du tiers ?Qu’est-ce qu’un tiers au quotidien ? Voilà les questions qui guidentcette réflexion qui va nous conduire du côté de la conjugalité desparents comme mécanisme d’action de la fonction de triangulationreprésentée par le père. Triangulation soutenue et préparée par la mul-

Psychiatrie de l’enfant, LII, 2, 2009, p. 535 à 591

1. Cet article est tiré de la thèse de doctorat (Ph.D. recherche/intervention enpsychologie clinique) rédigée par Raphaële Noël, Du père psychanalytique au pèredéveloppemental : vision systémique de la fonction de triangulation. Application à l’éva-luation de la parentalité psychique, Université de Montréal, dirigée par le Pr FrancineCyr et soutenue le 30 janvier 2009.

2. Psychologue, Ph.D., hôpital Rivière-des-Prairies, clinique spécialisée depédopsychiatrie, Montréal (Québec).

3. Psychologue, Ph.D. et psychanalyste, professeure agrégée, Département depsychologie, Université de Montréal.

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titude de différences sexuées existant entre les apports maternels et lesapports paternels à l’enfant, dans les différentes sphères de son déve-loppement.

THE FATHER : BETWEEN THE MOTHER’S WORDAND THE REALITY OF THE BOND WITH THE CHILD

We present a critical review of main psychoanalytic and develop-mental theories about the father, trying to intricate them in order todefine the father’s psychic function and his function in reality. Howcan he be an everyday life father and at the same time a necessary sym-bolic third party ? What is a daily third party ? These are questionswhich lead us to think of the parents as a couple and how their maritalrelationship is the mechanism of action for the function of triangula-tion, represented by the father. The triangulation is further reinforcedby the many sexual differences existing between maternal contributionsand paternal contributions to the different aspects of child development.

Keywords : Paternal function – Father/child relationship – Mari-tal relationship.

EL PADRE : ENTRE LA PALABRA DE LA MADREY LA REALIDAD DEL VÍNCULO CON EL NIÑO

Presentamos una revista clínica de las principales teorías psicoa-nalíticas y del desarrollo relacionadas con el padre, tratando de instau-rar un diálogo entre ellas para definir al padre no solo en la dimensiónde función psíquica, sino también en la dimensión de objeto real.¿ Cómo ser padre en la vida cotidiana y representar simultáneamente elnecesario símbolo del tercero ? Estas son las preguntas que han dirigidouna reflexión que nos ha llevado a considerar a ambos cónyuges comorepresentantes del mecanismo de acción de la función de triangulacióndel padre. Triangulación sostenida y preparada por la multitud dediferencias sexuadas que existen entre los aportes maternos y los aportespaternos en las distintas esferas del desarrollo del niño.

Palabras clave : Función del padre – Relación padre/hijo –Cónyuges.

INTRODUCTION

La question du père : une conflictualité à maintenir ouverte ?

La question du père est un casse-tête difficile et les ingré-dients de cette complexité ne se laissent pas saisir d’emblée :

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les efforts de clarification permis par leur compréhension pro-gressive ne viennent pas à bout d’un flou résiduel. Il semble-rait qu’il faille renoncer à plus de clarté et accepter d’écriresur le père en tolérant ce fond de confusion (B. Golse, 2006).Freud, en son temps déjà, posait la question du père commeénigmatique parce que relative à la question du désir de lafemme : « Qu’est-ce qu’un père ? Que veut la femme ? »(M. Moulay, 1990). Nous y reviendrons.

Tout d’abord, penser le père et écrire sur le père c’est faireface à une multiplicité de discours faisant référence à la mul-tiplicité des théories qui existent sur le père selon que l’ons’adresse au père comme fonction psychique, au rôle du pèredans une dimension familiale et pédagogique ou encore aupère comme personne réelle (I. Krymko-Bleton, 1990). Lepère est un objet psychique, un objet réel, mais aussi unconcept fondamental de la psychanalyse en raison de l’usagemétapsychologique qu’elle en fait (P.-L. Assoun, 1989). Laconfusion peut naître de la multiplicité de ces facettes maiselle apparaît surtout quand on parle d’un aspect du père enfaisant référence à un autre aspect : « Le brouillage com-mence là où, sous la référence à la fonction du père, on entendle père en chair et en os, le fait paternel » (P.-L. Assoun,1989).

B. Golse (2006) nous a permis de comprendre que ladimension insaisissable du père avait à voir avec la naturemême de sa fonction, ce qui rend cet insaisissable irréductibleet la confusion en partie légitime : « Il y a tout d’abordquelque chose qui se dérobe sans cesse quand on pense aupère, ou quand on parle du père, dans la mesure où le père– ou plutôt la fonction paternelle – c’est justement ce quinous permet, fondamentalement, de penser et de parler...Parler de ce qui nous permet de parler, penser à ce qui nouspermet de penser : il y a ainsi dans la question du père, inévi-tablement, une fonction » méta « qui nous semble à la sourcede cet insaisissable du père, un peu à la manière du rêve quel’on oublie parce que, justement, le rêve vient servir lesdesseins du refoulement ».

Dans ces conditions, il devient alors possible d’acceptercette part de flou résiduel en renonçant à plus de clarté, et serisquer à écrire sur le père. Nous souhaitons dans cet article

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rendre compte du cheminement que fût le nôtre sur la ques-tion du père, des théories psychanalytiques aux théories de lapsychologie du développement, avec comme point de départl’illusion de pouvoir accéder à la construction d’une théorieunifiée. Ce long parcours a réservé son lot de surprises, dequestions en forme de découvertes et pourrait alors se redéfi-nir, dans le deuil de l’illusion initiale, comme un travail d’ar-ticulation entre ces deux univers peu habitués à dialoguerensemble, celui de la psychanalyse et celui de la psychologiedu développement.

Au cours de la traversée de ces champs théoriques, nousnous sommes heurtés à plusieurs obstacles dans ce travail deliaison que nous essayons de faire. Nous avons découvertqu’une théorie – qui n’est, rappelons-le, qu’une constructionde la réalité – peut être passablement chargée de la part sub-jective relative aux enjeux de l’auteur ou d’une époque, aupoint qu’elle en façonne profondément les fondements. Ildevient important de ne pas l’oublier dans ce travaild’analyse critique.

En voici quelques exemples touchant soit la forme (lecontenant), soit le fond (le contenu) de la théorie. Ainsi, dansla façon d’exposer un point de vue théorique, nous avons com-pris que des positions d’affirmation telles qu’elles excluenttoute autre façon de penser, renvoient à des positions dogma-tiques qu’il faut considérer avec un certain recul. On enretrouve dans ce que J. Le Camus (2001) nomme « le prêt-à-penser » de la paternité : succession de convictions se posantcomme des vérités. Il faut alors faire le tri de ce qui appartientà une certaine inflation subjective pour accéder à la contribu-tion de telles positions théoriques.

Au plan des contenus, il y a la dimension des enjeux psy-chiques à l’égard de ce que représente le père individuelle-ment mais aussi collectivement. Ainsi, tel que F. Hurstel(2001) a pu le montrer à propos de ce que J. Lacan (1938)qualifiait de « déclin social de l’image du père » : il y a eu,dans cette accusation généralisée de faiblesse et d’impuis-sance à l’égard des hommes (essentiellement durant les décen-nies 1980-1990), une confusion entre un phénomène social(perte de l’autorité paternelle au profit d’une égalité entrepère et mère) et un registre personnel renvoyant au père

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comme individu. On peut même se demander s’il n’y a pas euune utilisation du phénomène social pour mettre en forme unenjeu psychique universel à l’égard du père : celui du deuildifficile du père idéal (P. Julien, 2000).

Dans le même ordre de déplacement, Jean Forest (2001)comprend les critiques et les reproches qui sont adressés auxpères comme des attaques de ce que le père représente. C’est-à-dire des attaques de la Loi, celle de l’interdit de l’inceste quirégule les rapports sociaux et familiaux, donc qui impose deslimites, en particulier aux possibilités de plaisir et de jouis-sance. Ces limites, contraignantes comme le sont toutes leslimites, sont cependant ce qui permet à l’homme de s’huma-niser. « À quoi sert un père ? À fabriquer de l’humanité »écrit-il.

Avec ces exemples, il faut comprendre que nous avons àrester vigilants face au risque de glissement d’un registresocial à un registre individuel lorsqu’il s’agit du père, afin dene pas rendre le père comme personne responsable ni deseffets d’une mutation sociale, ni des angoisses psychiquesconscientes ou inconscientes relatives à ce qu’il représente.

Enfin, comme il n’y a pas de père sans mère, il arrive aussique la façon de théoriser le père hérite également des enjeuxliés à la mère. Ainsi, M. Schneider (1989) souligne combien,concernant les fonctions du père, l’idéalisation des théories dela coupure peut cacher des angoisses à l’égard de la mère :vouloir à tout prix théoriser sur la coupure d’avec le mater-nel, c’est se défendre d’un en-trop de mère renvoyant soit àune mère engloutissante, soit à une mère absente dans saprésence.

Dans le même ordre d’idée, dire que le travail de défini-tion du père paraît beaucoup plus ardu que celui de définitionde la mère, c’est aller du côté d’une dérive classique quiconsiste à croire en une maternité instinctuelle justifiantl’économie d’un travail de définition du maternel qui, parnature, irait de soi. C’est une dérive qui trahit un deuilincomplet de la toute-puissance maternelle (I. Krymko-Ble-ton, 1990).

Enfin, nous avons également redécouvert que le faitqu’une théorie soit basée sur des recherches empiriques nesemble pas plus prémunir de cet écueil bien humain qui est

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celui de l’influence du filtre perceptif de l’auteur sur l’inter-prétation des résultats. Et ceci, quelle que soit la rigueur de laméthodologie et du recueil des données (nous le verrons dansla partie de la psychologie du développement).

Ces obstacles maintenant révélés (au sens photogra-phique du terme), nous voulons rappeler que le regard cri-tique que nous allons porter sur différentes théories sur lepère est au service d’un travail d’articulation dont l’objectifest une tentative de dialogue entre psychanalyse et psycho-logie du développement, en dépit des épistémologies diffé-rentes. C’est un point de vue que nous partageons avecJ. Le Camus (2001) : il y aurait des « passerelles épistémolo-giques » possibles à établir, une fois « les limites du rappro-chement des disciplines » tracées. Il s’agirait en somme detenter de dépasser le clivage classique qui existe entre lechamp psychanalytique et le champ de la psychologie dudéveloppement. « Ce n’est pas le syncrétisme mou ou l’éclec-tisme faussement réunificateur mais plutôt la franche recon-naissance des similitudes et des oppositions qui permettentde progresser dans le respect réciproque et l’affirmation desidentités » (J. Le Camus, 2001).

De son côté, B. Golse (2001) nous rappelle qu’il est pos-sible de maintenir la tension, l’ambiguïté et le paradoxe quiexistent entre différentes théories en raison de leur divergencede points de vue. Cela serait même souhaitable puisque c’est,semble-t-il, à ce prix que les théories restent ouvertes etvivantes. Autrement dit, il ne s’agirait pas de rallier lespoints de vue dans un désir d’intégration illusoire, mais biende maintenir ouverte une conflictualité créatrice.

La nécessaire prise en compte du contexte social

Nous voulons rapidement aborder ici l’impact des repré-sentations sociales du père sur la question du père et plus spé-cifiquement sur la façon dont on théorise ses fonctions. Eneffet, si la psychanalyse et la psychologie mettent en lumièreles multiples facettes du père, il faut aussi se rappeler que lepère est également une institution sociale et politique, et danscette perspective la façon de concevoir le père et ses fonctionss’avère tributaire des mutations sociales.

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Celles-ci sont allées bon train ces dernières décennies : lesmodifications du rapport homme/femme dans le sens d’unerevendication d’égalité, la notion d’autorité parentale plutôtque celle de puissance paternelle, l’avènement des droits del’enfant (A. Thévenot, 2000) sont autant d’ondes de choc quibousculent les repères traditionnels de la famille et poussent àune redéfinition des places et des fonctions parentales. Lapaternité traditionnelle est remise en question (C. Castelain-Meunier, 2001) et elle n’est plus soutenue comme avant parl’institution sociale (F. Hurstel, 1996, 2001) : elle doit sedéfinir autrement.

Effectivement, le père n’est plus ce pater familias solide-ment reconnu et défini par la société qui lui conféraitd’emblée un pouvoir politique et familial : nous sommes pas-sés à l’ère du père privatisé (Y. Knibiehler, 2001) où l’hommese définit comme père, non en référence au social, mais dansson rapport à la femme, devenant mère, et dans son lien àl’enfant. Ce sont les liens et non plus la société qui définissentle père, c’est pourquoi l’on parle de paternité relationnelle(C. Castelin-Meunier, 2001, 2004) et c’est alors un contrat deparole qui unit les deux parents (F. Hurstel, 2001). Véritablerévolution copernicienne qui laisse les hommes face à l’an-goisse d’avoir à définir individuellement leurs propres repè-res : « être père aujourd’hui, c’est se chercher un modèle »(D. Cupa, 2000). Mais aussi parce qu’il s’agit là d’un gain deliberté sans précédent : cette mutation de la paternité résulted’un progrès de la pensée vers les notions de vie privée et dedémocratie (F. Hurstel, 2001).

C’est dans ce même ordre d’idée que G. Neyrand (2005)parle de l’émergence d’un nouvel ordre social au sein duquelles principes même de la démocratie sont appliquées à lasphère privée : on parle de démocratisation des relations pri-vées lorsque l’on évoque les valeurs d’égalité, d’autonomie etd’expressivité personnelle. Ainsi, le mariage est remis encause et ne définit plus pour le couple un cadre pour la sexua-lité, la procréation et la parentalité. Ces dimensions ne sontplus liées de façon définitive comme autrefois : les revendica-tions d’égalité et d’autonomie font de l’union conjugale uncontrat révocable si l’union n’apporte pas satisfaction, et cequel que soit l’âge des enfants. On assiste alors à une multi-

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plication des séparations conjugales conduisant vers une plu-ralité d’exercice de la parentalité, d’où une diversification desstructures familiales. Les familles monoparentales et lesfamilles recomposées ne peuvent plus être considérées commedes déviations des familles dites intactes compte tenu de leurfréquence. Par ailleurs, le statut même de l’enfant a fonda-mentalement changé : le développement des droits de l’en-fant amène l’ère de l’enfant sujet, son bien-être devient aucentre des préoccupations. Et, en même temps qu’il y a undéplacement du caractère indissoluble et inconditionnel dulien sur la relation à l’enfant, ce même enfant devient aussiun moyen d’accomplissement personnel pour le parent.

Face à de telles mutations sociales et familiales, on com-prend alors que des transformations majeures ont lieu auniveau de la représentation sociale du père. Et l’on constate aufil du temps, que les grandes questions qui animent lesréflexions et les recherches cliniques et empiriques sur le pères’avèrent être le reflet de la représentation sociale du père dumoment.

Ainsi à l’époque du pater familias où le père est institué etpossède un pouvoir politique, on théorise sur le père œdipienporteur d’une loi, l’interdit de l’inceste. Ensuite, à l’époque dupère privatisé (F. Hurstel, 2001) défini dans son rapport à lafemme et dans son lien à l’enfant, on souligne l’implicationprogressive du père dans le développement de son jeuneenfant. On découvre alors que le père peut avoir un rôle bienavant l’Œdipe et ce sont les fonctions paternelles préœdipien-nes qui sont théorisées. Dans une première étape, elles restentencore relativement médiatisées par la mère, puis avec les« nouveaux pères » c’est la découverte d’un père capable d’in-teraction directe avec son enfant : on théorise alors sur unattachement spécifique au père et sur la capacité de celui-cid’exercer des fonctions dites plus maternelles tout en gardantun style masculin, différencié de la mère. Enfin, que dire denotre décennie ? Elle est caractérisée par une présence impor-tante des femmes au travail, ce qui suppose un partage impor-tant des tâches : on parle de co-parentage, de parentalisationréciproque (J. Le Camus, 2001). La fragilité accrue de laconjugalité conduit à d’autres configurations familiales : lessituations de parents seuls (familles monoparentales) et de

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parents multiples (familles recomposées) soulèvent d’autrestypes de questions concernant le père. En voici quelques-unes : qui fait fonction de père, de tiers dans les familles mono-parentales ? Face à une multiplicité d’hommes, qui est le« vrai » père ? Comment s’aménage le complexe d’Œdipequand l’enfant est élevé par deux pères et deux mères ?(A. Fréjaville, 2002), etc.

Les parties qui suivent vont faire état de différentes théo-ries du père, à la fois issues de la psychanalyse et de la psycho-logie du développement, sans prétendre à une recensionexhaustive, là n’est pas l’objectif. Ce qui motive notre désir deregarder du côté de ces deux champs, c’est la question de savoircomment définir le père tant dans sa dimension de fonctionpsychique que dans sa dimension d’objet réel ? Mais aussi com-ment éviter les dogmatismes qui prônent des positions extrê-mes et exclusives : avec du côté de la psychanalyse une dérived’abstraction (la fonction paternelle devient un principe abs-trait désincarné, se suffisant de la parole de la mère) et du côtéde la psychologie du développement une dérive de concrétude(le père devenant une somme de chiffres ou de comportementsqu’il est difficile de réunir en un tout signifiant). Porter unregard croisé, ce serait chercher du côté de la psychologie déve-loppementale pour mettre un peu de chair autour des conceptspsychanalytiques, mieux les incarner, chercher à comprendrecomment cette symbolique du tiers peut s’exprimer, se tra-duire au quotidien. Ce qui en final conduit aux questions sui-vantes : comment être un père au quotidien et représenter à lafois la nécessaire symbolique du tiers ? Qu’est-ce qu’un tiers auquotidien ? Comment être un tiers au quotidien ?

LES DIFFÉRENTES FIGURES DU PÈREÀ TRAVERS LES THÉORIES PSYCHANALYTIQUES :DU PÈRE SACRALISÉ DANS SA DIMENSION SYMBOLIQUEAU PÈRE MÉDIATISÉ PAR LA MÈRE

Sigmund Freud et le père : la fonction psychique du pèreC’est avec Freud, par le biais du complexe d’Œdipe, que

la psychanalyse nous offre une première représentation du

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père. De sa première évocation dans une lettre à Fliess (1897)à son élaboration définitive en 1923, après une reformulationdes bases de la théorie psychanalytique (seconde théorie despulsions et deuxième topique, 1921-1923), il se passe desannées durant lesquelles Freud élabore progressivement cequ’il définit comme le complexe d’Œdipe. Comment cecomplexe d’Œdipe se développe et s’organise, et que peut-onen dégager concernant la figure du père ?

D’une façon générale, Freud appuie sa description sur lecas du garçon considéré comme plus simple et possédant moinsde zones grises que celui de la fille. Le complexe d’Œdiperenvoie à la phase phallique de la sexualité infantile, contexteexpliquant l’intensité du conflit œdipien. Dans une premièreétape, il y a confluence de deux sentiments au départ indépen-dants : un attachement désirant pour la mère prise commeobjet sexuel et un attachement pour le père pris commemodèle à imiter (S. Freud, 1917, 1940). Dans un second temps,lors de cette rencontre, le père apparaît comme un obstacle aumouvement désirant de l’enfant et cette identification pri-maire au père pris comme idéal se transforme en une attitudehostile contre le père, puis va plus tard évoluer en une identifi-cation secondaire au père en tant qu’homme de la mère. L’obs-tacle est en fait double puisque l’immaturité et l’impuissancede l’enfant entrent également en ligne de compte, par-delàl’existence du père comme personne. L’Œdipe négatif, conco-mitant à l’Œdipe positif que nous venons de décrire, renvoie àl’attachement tendre envers le parent du même sexe.

On voit donc que, contrairement aux idées reçues quiinsistent pour l’enfant garçon sur l’attachement à la mère etla haine envers le père, celui-ci, le père, est le personnageprincipal de l’Œdipe masculin. En effet, l’Œdipe s’élaboreau gré des fluctuations du rapport du garçon à son père(J..D. Nasio, 1994) : mélange de tendresse (pour l’idéal),d’hostilité (pour l’intrus) et d’envie (pour l’homme qui pos-sède les attributs). Les enjeux s’intensifient et finissent par sedénouer autour d’un affect spécifique : l’angoisse de castra-tion. Pour le garçon, la crainte d’une rétorsion de la part dupère l’amène à renoncer à sa mère comme objet sexuel.

Du côté de la fille, par-delà l’envie du pénis qui se cons-truit à partir de sa déception de n’avoir pas été pourvue de

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phallus, on retrouve aussi un affect d’angoisse (Freud rajouteplus tard ce complément à sa théorie de la castration) : « cellede perdre (non le pénis/phallus qu’elle n’a jamais eu) cet autre“phallus” inestimable qui est l’amour venant de l’objetaimé » (J.-D. Nasio, 1994). L’envie du pénis et l’angoisse deperdre l’amour détermineront chez la fille la résolution del’Œdipe.

Freud s’est donc beaucoup attardé au détail du processusœdipien, faisant de l’Œdipe un moment développementalmais aussi un processus ayant une valeur organisatrice puis-qu’il participe à la structuration du psychisme : l’Œdipe nedisparaît pas, il se résout. Ce qui signifie que les conflitss’apaisent, en particulier par le biais des identifications œdi-piennes et de la formation du Surmoi. Pour Freud, le pèren’est donc pas seulement un personnage d’un scénario réelet fantasmatique mais exerce aussi une fonction psychique :il constitue l’élément essentiel organisateur du psychisme(R. Perron et M. Perron-Borelli, 1994). La présence structu-rante d’un complexe d’Œdipe devient l’indice que la person-nalité de l’enfant a atteint un certain degré d’organisation(V. J. Mächtlinger, 1981).

On ne retrouve rien chez Freud qui renvoie au pèrecomme personne ou comme objet réel, conformément à l’ob-jet de la psychanalyse concernant la dimension des représen-tations et du fantasme. Le père se limite pour Freud à unefigure œdipienne et avant cette phase phallique-œdipienne iln’y a pas de père pour l’enfant en tant qu’agent spécifique etdifférencié de la mère. Le registre préœdipien de l’enfantappartient à la mère, l’accent étant mis sur une phase fusion-nelle puis une dualité mère/enfant, le père restant extérieur àce duo. Les psychanalystes contemporains de Freud et ceuxde la génération suivante ont peu remis en question cettefaçon là de voir le père, d’autant plus qu’elle s’articulait par-faitement à la représentation sociale et familiale du père del’époque. On peut dire que cette vision d’un père patriarcheet extérieur au duo mère/enfant de la petite enfance a été cen-trale pendant les deux tiers du XXe siècle.

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Jacques Lacan et la mère :la contribution de la mère à la fonction du père

Lacan propose une réflexion « inédite » sur la structuredes fonctions du père et leur intervention dans le psychismehumain (J.-D. Nasio, 1994). Dans le souci de définir au plusprès ce qu’il en est de la fonction œdipienne sans la réduire auconflit œdipien imaginaire, il met de côté la représentationtriangulaire (père/mère/enfant) au profit du concept de« métaphore paternelle » (R. Chemama, 1993). Il s’agit làd’une conception de la fonction du père dans le complexed’Œdipe destinée à éviter certains écueils théoriques rencon-trés par Freud et ses successeurs, comme par exemple celui desavoir comment le père devient porteur de la loi (C. Conté,1993). Lacan en fait une loi symbolique portée par le discoursvia le Nom-du-Père, signifiant dont l’effet symboliquerenvoie à la fonction paternelle.

Sans vouloir entrer dans les détails de cette façon deconcevoir la fonction symbolique du père comme une struc-ture de langage permettant la structuration du sujet, noustenterons cependant de souligner certains éléments.

Pour comprendre, il faut revenir à ce qui se joue au planfantasmatique pour l’enfant dans sa relation à la mère. Lamère satisfait ses besoins mais pas toujours, elle est présentemais pas toujours... il y a une alternance de présence et d’ab-sence, un écart par rapport au besoin, qui questionne l’enfant.Il se demande : « que suis-je pour elle ? » mais aussi : « queveut-elle ? », il repère qu’elle désire autre chose que ce qu’ilreprésente. Comme l’écrit P. Julien (1992), la réponse vient dela mère : elle va signifier quelque chose du manque en elle etque « l’objet de ce manque est hors d’elle ». Et il ne s’agit pasnon plus de désigner ce qui pourrait venir combler ce manquemais bien de transmettre une représentation d’elle-mêmecomme manquante. C’est en transmettant l’idée que pour ellele manque existe et qu’il est reconnu comme tel, que la mèreaménage une place tierce entre elle et son enfant. Le phallus,c’est la signification de son manque à elle, il renvoie à uneplace dans une structure symbolique, celle du Nom-du-Père(P. Julien, 1992). Ainsi le père comme Nom vient de la mère.

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Le père réel, c’est celui qui vient occuper cette place, à lamanière d’un fauteuil libre pour reprendre la métaphore deP. Julien (1992) : « Il faut un fauteuil avant de s’y asseoir ! ».Il peut l’occuper à sa manière, et non en exécutant des tâchesdictées par la mère. Mais c’est aussi l’existence d’une conju-galité entre ce père réel et la mère qui garantit le symboliquede la fonction paternelle. Le désir de la mère tourné vers lepère a une fonction séparatrice entre la mère et l’enfant. Laquestion : « Que veut la mère ? » et « Qu’est-ce qui manque àla mère pour qu’elle soit satisfaite ? » amène l’enfant du côtédu père : « Qu’est-ce que le père a ou est pour ainsi satisfairela mère ? » On voit comment les deux questions énigmati-ques de la psychanalyse sont reliées : « Qu’est-ce qu’unpère ? » et « Que veut la femme ? ». Très tôt, l’enfant est prispar ces questions dont le mûrissement l’amène au symboliquede la fonction du père, vers une issue structurante de l’Œdipe.

A. Fréjaville (1990) résume bien la double origine de lafonction du père, du point de vue lacanien, en deux condi-tions pour qu’elle soit opérante pour l’enfant :— une condition nécessaire mais non suffisante consiste en

ce que la mère investisse psychiquement la place du tierspour son enfant, qu’il y ait un écart, une place tierce entreelle et l’enfant. En d’autres termes, qu’elle exerce sa fonc-tion parentale de façon croisée en référence à un autre etnon de façon duelle (J.-P. Durif-Varembont, 1992) ;

— La fonction paternelle doit être incarnée : un homme (engénéral désigné par la mère : le père biologique, un autreconjoint ou un substitut paternel) accepte et désire jouerun rôle de père pour l’enfant, investissant l’enfant d’unamour à la fois narcissique et objectal (désir de paternitéchez cet homme).

Quant au père imaginaire, c’est cette image forte et puis-sante que l’enfant se donne du père pour faire le poids face audésir de la mère (P. Julien, 1992). C’est une façon pour lui dese protéger narcissiquement face à l’insatisfaction de lamère ; il dote le père de ce phallus qui manque à la mère etainsi se dégage de cette mission de la combler. Cependant, ilva falloir à un moment faire le deuil de ce père idéal, et lesmanques du père réel permettront ce deuil.

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Dans la théorie lacanienne, le phallus est le signifiant dumanque, c’est donc ce vers quoi, s’oriente le désir de lamère dégageant ainsi l’enfant d’une captation narcissique,mais le laissant souffrant de réaliser qu’il n’est pas lephallus de sa mère. La reconnaissance et le dépassementde cette souffrance amène à la symbolisation de la castra-tion définie comme la perte de l’objet parfaitement satisfai-sant et adapté (J.-D. Nasio, 1994). Ainsi, dans sa façon dethéoriser l’Œdipe, Lacan va plus loin que Freud sur laquestion de la castration : l’Œdipe n’est pas seulement unconflit imaginaire mais il permet la symbolisation de lacastration, qui à son tour permet l’entrée dans le mondesymbolique.

Pour en revenir au signifiant phallique, c’est le signifiantdu Nom-du-Père qui vient s’y substituer dans la parole de lamère. Le Nom-du-Père c’est la fonction symbolique pater-nelle, le principe efficace de l’Œdipe (R. Chemama, 1993).Ainsi, si l’on reprend les différents personnages du complexed’Œdipe, le père vient trianguler la relation mère/enfant et ille fait avec une portée symbolique dans la mesure où cetriangle vient représenter un autre triangle qui est le sui-vant : phallus/mère/enfant. La contribution de la mère ausymbolique de la fonction paternelle a été soulignée plushaut.

Ainsi, on peut constater combien Lacan met l’accent surla dimension symbolique du père, même s’il théorise égale-ment un père imaginaire et un père réel qui, soulignons-le,restent au service de ce père symbolique.

En résumé, l’apport de Lacan concernant la figure dupère pourrait se résumer aux points suivants :

— avec l’élaboration du concept de père symbolique, il abien dégagé l’idée du père comme fonction psychique, quidépasse la dimension de père comme personne réelle ;

— le fait que cette fonction psychique ait un effet structu-rant (vision structuraliste de la psychanalyse) fait decette figure du père un organisateur psychique (J. Dor,1998) et pas seulement un personnage fantasmatique ;

— la mise en évidence d’une contribution de la mère à lafonction symbolique du père.

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Maintenant, que dire de la théorie du père d’après Lacan :L’accent mis sur la dimension symbolique de la fonction

du père peut faire oublier que le père est aussi un objet pul-sionnellement investi (B. Brusset, 1992), pas seulement unepure abstraction signifiante. Dit autrement, c’est toute l’ex-périence individuelle qui est mise de côté par la conceptionstructuraliste du père (P. Malrieu, 2001).

Cet accent mis sur le symbolique dérive par moments versune sacralisation du père symbolique et de la parole de lamère : la place et le rôle du père deviennent subordonnés aumode d’introduction du père auprès de l’enfant par la mère(C. Castelain-Meunier, 2001). En considérant que la parole dela mère peut suffire, comme cela a pu être écrit à une certaineépoque (A. Naouri, 1995), ne revient-on pas subtilement àune exclusion du père et à la croyance en une mère toute-puissante ?

Lacan conçoit la fonction du père comme immédiate,dont la structure est donnée d’emblée. N’y a-t-il pas lieu depenser, avec B. Golse (2006), qu’il pourrait y avoir une « co-construction de la place du tiers par la mère et le bébé » ren-voyant à une vision de la structure comme s’établissant pro-gressivement et par le biais des relations, vision s’opposant àcelle d’une structure « toujours-déjà-là et immédiatementefficiente ».

Enfin, la fonction du père doit-elle se résumer à l’interdic-tion à la mère de faire de son enfant un substitut phallique ?« Dire que le père » castre « la mère de son enfant ne signifiepas ipso facto qu’il n’assume que cette fonction, des fonctionsde liaisons étant également possible dans le même temps »(B. Golse, 2006).

Il faut cependant reconnaître que les théorisations deLacan ont permis, d’une part, d’organiser les différents dis-cours sur le père et constituent, d’autre part, une étape versune compréhension plus nuancée de la fonction du père. Eneffet, cette conceptualisation de la question du père à l’aide desdifférents registres de la topographie psychique Réel- Symbo-lique-Imaginaire (R-S-I) permet de mettre un peu d’ordre dansles différents discours sur le père. La majorité des réactionspassionnelles qu’il y a pu avoir résultait souvent de malenten-dus issus d’une confusion entre ces différents registres.

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Enfin, ces trois registres permettent de mettre en évidencecombien la fonction symbolique du père n’est pas unique-ment assumée par le père comme personne (le père réel et saconjugalité assumée), mais aussi par la mère (le Nom-du-Pèrevéhiculé par son discours et permettant l’instauration d’uneplace tierce) et par l’enfant (dans sa façon de faire le deuild’un père idéal, père imaginaire).

Melanie Klein, les postkleiniens et l’enfant

— L’Œdipe précoce et le fantasme des parents combinés

Avec Melanie Klein (1928), on aborde le complexed’Œdipe à des stades précoces du développement de l’enfantpar rapport à ce que Freud en a dit. Et surtout, l’angle qui estpris pour aborder cette étape, ce processus puisqu’il s’inscritdans le temps, est celui de l’enfant face aux parents commecouple. Avec une insistance sur ce que l’enfant vit intérieure-ment, consciemment et inconsciemment, face à ce couple : lefantasme des parents combinés.

Effectivement, le fantasme de parents combinés repré-sente la version précoce du complexe d’Œdipe : fantasmemettant en scène la relation entre les parents dans un scéna-rio de scène primitive, père et mère renvoyant aux objetsinternes de l’enfant (imago parentaux intériorisés) et non auxparents de la réalité. Rappelons combien Melanie Klein(1921-1945) fait fi des objets réels, ses constructions théori-ques ne renvoyant qu’à la scène interne.

Mais c’est avec beaucoup de nuance qu’elle nous permetde comprendre un aspect fondamental de l’Œdipe : les senti-ments d’envie et d’exclusion que l’enfant vit face au coupleparental. La situation œdipienne renvoie pour M. Klein àl’expérience de la relation parentale intériorisée. Pour la pre-mière fois, il est question de la relation de l’enfant à la rela-tion existant entre ses parents, avec une importance toutaussi grande que la relation que l’enfant élabore avec chacunde ses parents, père et mère. L’enfant réalise que ses parentsont entre eux une relation indépendante de lui. Il élabore desfantasmes concernant ce qu’ils font ensemble, avec commetoile de fond tout le bon qu’ils peuvent s’échanger entre eux,

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en dehors de lui (quels que soient les registres, prégénitaux etgénitaux). Sur cette toile de fond, M. Klein met en évidencechez l’enfant des sentiments potentiellement douloureuxd’envie et d’exclusion (L. J. Brown, 2002) mais aussi des sen-timents de perte et de privation dont la maturation carac-térise la position dépressive.

Ainsi, les perspectives kleiniennes lient de près les situa-tions triangulaires précoces à des expériences de pertes chez lepetit enfant. Dans les étapes d’Œdipe précoce, le vécu deperte est coloré d’une exclusion douloureuse d’un coupleparental perçu comme nourrissant l’un pour l’autre (gratifi-cations orales) et plus tard, avec la maturation des conflitsphalliques (complexe d’Œdipe classique), perçu comme uncouple sexuel et romantique. Le fantasme des parents combi-nés semble correspondre à une tentative chez l’enfant demettre en forme toute l’angoisse vécue face au couple paren-tal et à la relation qui unit ce couple tout en l’excluant. Unerelation qu’il veut à la fois détruire et maintenir.

M. Klein introduit plusieurs idées nouvelles par rapport àFreud : d’une part la mise en évidence d’une fonction psy-chique de la conjugalité des parents, et non plus seulementd’une fonction psychique du père (S. Freud) ou d’une fonctionde la mère comme contribution à celle du père (J. Lacan). Etd’autre part, idée qui va être développée par d’autres auteursensuite (dans le sillon de la psychologie développementale) :une remise en question de la coupure entre les temps archaï-ques de la mère et les temps œdipiens du père (J. Le Camus,2001), avec l’idée que le triangle père/mère/enfant est présenttrès précocement comme objet interne pour l’enfant dans sondéveloppement. Ce serait dans la deuxième partie de la pre-mière année que l’enfant entrerait dans un univers trianguléet que ces expériences de triangulation seraient intériorisées(L. J. Brown, 2002), de là le terme d’Œdipe précoce. Prémicesdes théories qui seront élaborées plus tard sur les triangula-tions précoces.

— L’utilisation psychique du père par l’enfantLes auteurs postkleiniens comme D. Meltzer (I. Krymko-

Bleton, 1990), en précisant l’utilisation que l’enfant fait deson père au plan psychique pour construire son appareil psy-

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chique, mettent en évidence combien l’enfant n’est pas seule-ment en position de subir une situation triangulée avec soncortège de sentiments de perte, de privation et d’exclusion. Ilest en partie actif dans ce triangle par la possibilité qu’il ad’être acteur dans la construction de son fonctionnementmental.

En effet, dans le contexte de la relation à la mère, l’enfantprojette sur le père les aspects angoissants de la relationmère/enfant, ce qui les protège tous deux d’un torrent d’iden-tification projective réciproque. En prenant sur lui la haine etl’angoisse de l’enfant, le père est le protecteur de la relationmère/enfant : on retrouve ici la fonction de liaison et de répa-ration décrite par B. Golse (2006) et qui s’exercerait par lepère dans le même temps qu’une fonction de différenciation.

Enfin, l’acceptation par l’enfant de la réalité du père et ducouple œdipien au moment du déploiement de la positiondépressive lui permet la création d’un espace mental (ens’étayant sur un troisième espace) dans lequel la pensée et lasymbolisation peuvent se développer. Le couple intériorisépeut avoir une valence positive ou négative : aimant et créa-tif ou bien hostile ou rejetant (R. Britton, 1989), ce qui nedonnera pas les mêmes capacités réfléchissantes au sein del’appareil psychique.

Dans le même ordre d’idée, L. J. Brown (2002) souligne ceque l’on peut considérer comme les prémices d’une vision sys-témique de l’espace tiers : lorsque la relation dyadique à lamère est bonne, elle produit un tiers bienveillant ; lorsqu’elleest mauvaise, elle produit un tiers perturbateur voire persé-cuteur. Le fait que le tiers construit soit bon ou mauvais nedépend donc pas seulement du père, objet réel ou objetinterne : la qualité de la relation mère/enfant joue un rôlesignificatif. On ne peut manquer de relever, chez les postklei-niens, la place centrale de la relation mère/enfant dans laconstruction du tiers, ce qui pourrait se rapprocher de l’idéedéveloppée par Lacan d’une contribution maternelle essen-tielle à l’instauration de cet espace tiers.

C’est sur cette dernière idée que l’on peut se permettre debrièvement citer D. W. Winnicott (1957) puisqu’il va dans lesens de cette conception du tiers émergeant du lien à la mèretout en introduisant l’idée d’un père présent dans la pensée de

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la mère : « [...] et il faut également prendre en considérationbien des choses qui ont affaire avec l’image du père et sondestin dans la réalité intérieure de la mère ». Cependant,même si D. W. Winnicott est l’un des premiers à parler de laspécificité du père dans ses fonctions auprès de l’enfant, il lemaintient dans une position satellite par rapport à celle de lamère : dans la relation père/enfant, la médiatisation par lamère reste centrale.

Les psychanalystes contemporainset les triangulations précoces :le père dans la pensée de la mère

Les théories kleiniennes et postkleiniennes nous ont per-mis de tourner notre regard du côté du point de vue de l’en-fant concernant la question du père. Et l’on voit comment larelation mère/enfant reste toujours présente en filigrane : ellesert de contexte à la relation père/enfant.

Sur ce chemin vers le point de vue de l’enfant, nous trou-vons important d’évoquer les différents auteurs qui ont parléde triangulations précoces parce que, comme l’écrit B. Golse(2001), avant d’avoir accès à son père comme objet global, lebébé « va être confronté à une tiercéité beaucoup plus par-tielle ». Les théories sur les triangulations précoces renvoientà ces « tiercéités précoces » (B. Golse, 2001) en rappelant quela rencontre père/enfant se prépare d’abord dans la tête de lamère.

Ainsi, avec la « censure de l’amante », D. Braunschweiget M. Fain (1975) soulignent le mouvement de la mère quiréinvestit libidinalement le père après l’avènement du bébé :ce faisant, elle situe un ailleurs pour l’enfant, qui jouera unrôle essentiel pour l’Œdipe de celui-ci. Du côté de la mère, lepère comme amant protège l’enfant d’une captation exclu-sive et instaure un processus de distanciation. Du côté del’enfant, c’est le moment crucial dont parle R. Diatkine(1994) : « quand, à propos de sa mère absente, le bébé devientcapable de penser que si elle n’est pas là, c’est qu’elle estailleurs » (B. Golse, 2006).

On retrouve cette idée chez A. Green (1990), mais defaçon plus générale, avec le concept de « l’autre de l’objet »

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(dans sa théorie de la triangulation généralisée à tiers substi-tuable) : il y a dans l’objet autre chose que lui-même commesujet. De ce fait, être en lien avec l’objet c’est aussi être enlien avec d’autres objets liés à cet objet, qui se retrouventdonc en position de tiers.

Enfin, R. Perron et M. Perron-Borelli (1994) évoquent laréinterprétation de l’angoisse de l’étranger par C. Leguencomme un autre exemple de triangulation précoce. L’étran-ger est ce non mère qui cause l’absence et la perte de la mère :« L’étranger devient la cause de l’insatisfaction et de la frus-tration et de ce fait même désigne la mère comme objet dudésir ».

Soulignons à propos de ces triangulations précoces que letiers n’est pas constamment dans un rôle de séparateur : il aune oscillation entre des aspects de tiers séparateur et de tiersréparateur. Classiquement décrit dans ses fonctions de diffé-rentiateur face à la dyade mère/enfant, le père a également etde façon concomitante des fonctions de protection, de liaisonet de réparation face à cette même dyade (B. Golse, 2006). Latriangulation, présente très précocement, est conceptualiséepar cet auteur comme la co-construction de la dyademère/enfant d’ « un espace tiers à vocation paternelle ». Unespace tiers ouvrant la porte à toute sorte de tiers, dont lepère qui aura la tâche de se signifier comme tiers spécifique.

Si le registre des triangulations précoces nous situe endeçà de l’Œdipe avec la question de ses origines et de ses fon-dements, il faut cependant faire un pas de côté par rapport àune conception séquentielle dans le temps faisant succéderaux relations dyadiques, les relations triangulées. En effet,chacune de ces théories amène l’idée que, dans le même tempsoù la relation à deux se construit, le tiers est déjà présent.Alors, face à cette question dont la formulation apparaîtmaintenant démodée : « comment vient-on à être deux pourensuite être trois ? » (R. Perron et M. Perron-Borelli, 1994), ilfaut probablement sortir d’une logique linéaire, à la fois dansle temps mais aussi par rapport aux personnages impliqués(père, mère et bébé).

Pour finir ce chapitre qui propose qu’il faut d’abord sepencher sur la psyché maternelle pour y découvrir les pré-curseurs du père (idée qu’il faudra confronter à celle des

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recherches empiriques prônant l’existence de précurseursinteractionnels chez le bébé, même âgé de 1 mois), nous sou-haiterions ouvrir sur deux points :

— « Que la mère ait le père en tête c’est une chose, reste àsavoir comment » (B. Golse, 2001). Il faut alors, dans undeuxième temps, se demander de quelle façon s’aménagentreprésentations du père et place pour le père chez la mère(par-delà la question de la présence/absence de précurseurschez la mère, il y a la question de la nature et de la qualité deces précurseurs).

— Par ailleurs, n’y a-t-il pas aussi du côté de l’enfant desprécurseurs permettant au père de venir progressivements’inscrire dans l’univers de son enfant ? Compte tenu de l’im-maturité du psychisme du bébé, ces précurseurs ne sont pasdu côté des représentations qui viendront plus tard dans ledéveloppement, mais du côté du comportement et plus préci-sément du côté de l’interaction. Ainsi, et nous le verrons plusen détail dans la dernière partie de cet article (recherchesempiriques sur les triangulations interactionnelles), les capa-cités précoces du bébé (dès les premiers mois de vie) à établirdes interactions triadiques sont à comprendre comme desprécurseurs du tiers puis plus spécifiquement du père.

Chacun ayant alors une partition à jouer pour s’achemi-ner vers le scénario de l’Œdipe.

La psychanalyse développementaleet l’élaboration des fonctions préœdipiennes du père

— Le débat concernant l’observation directe— et la psychanalyse

Nous voulons aborder ici tout un ensemble de théories quise sont essentiellement développées dans le monde anglo-saxon (États-Unis et Angleterre) et qui apportent une contri-bution significative en ce qui concerne les fonctions du père,en particulier à la période préœdipienne. Il s’agit de la psy-chanalyse développementale qui se définit comme un courantpsychanalytique (et non psychologique) qui, avec les donnéesissues de consultations cliniques avec les enfants et le maté-riel issu de cures d’adultes permettant une reconstruction de

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l’enfant (bébé reconstruit), a intégré des données provenantde l’observation directe d’enfants préverbaux (bébé réel).

Nous n’entrerons pas en détail dans le débat qui a faitrage et qui a connu des épisodes successifs concernant lavaleur et la rigueur des données issues de l’observation versusla valeur et la rigueur des données issues de la clinique psy-chanalytique adulte. Il reprend celui qui a eu lieu en sontemps sur la psychanalyse d’enfants et qui questionnait si lesproductions non verbales de l’enfant telles que les jeux et lesdessins pouvaient être considérées comme du matériel inter-prétable (B. Cramer, 1979).

Quelques points d’argumentation apportés par A. Green(P. Chaussecourte, 2006) dans ce débat méritent tout demême d’être rapportés afin d’enrichir notre réflexion sur ledialogue que nous cherchons à installer entre ces différentschamps théoriques. Ces points peuvent nous servir de balisesdans l’idée d’un cadre à installer pour se permettre des« ponts interdisciplinaires », des « passerelles épistémologi-ques » (J. Le Camus, 2001). Ainsi peut-être faut-il effective-ment garder en mémoire que l’observateur avec son universpsychique (conscient et inconscient) a un impact sur l’obser-vation elle-même. C’est ce que l’observation psychanalytiqueavec la méthode d’Esther Bick (1964) tente d’encadrer touten l’utilisant, à la différence de l’observation expérimentalese situant plus dans une démarche de recherche de preuves.Cette logique de recherche de preuves constitue une formed’impasse car effectivement, comment faire la différenceentre les observations et les spéculations sur les processusinternes (V. J. Mächtilinger, 1981), entre l’observation et laconstruction fantasmatique du chercheur face aux interac-tions mère/bébé par exemple (A. Green, 1992) ? Enfin, Greennous met en garde contre le pouvoir de séduction du modèlede l’enfant comme voie d’information (en opposition avec lemodèle du rêve, de la psychanalyse) véhiculant l’illusion deremonter le temps en deçà de la remémoration et de saisirl’inconscient à l’état brut, « le plus infantile étant identifié auplus inconscient » (P. Chaussecourte, 2006).

Toujours est-il que, quels que soient le saut épistémolo-gique que cela suppose et l’hétérogénéité des données àlaquelle il faut faire face, nous pensons comme Y. Gauthier

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(1991) que, non seulement on ne peut pas ignorer les travauxde nature interactionnelle et expérimentale mais qu’en plus,ils ne s’opposent pas aux hypothèses psychanalytiques baséessur la reconstruction : « (Les observations) viennent confir-mer certaines intuitions et hypothèses devenues essentielles àla théorie psychanalytique. »

Enfin, R. Prat (P. Chaussecourte, 2006) nous rappellecomment Freud lui-même cherchait une validation directepar l’observation de ses hypothèses sur la sexualité infantile(il demandait à ses disciples d’observer les enfants de leurentourage) : « On est aujourd’hui obligatoirement plus mo-deste et, plus que de démonstration, il me semble que l’on peutparler d’illustration. Mais l’étayage sur des observationsdirectes semble toujours une nécessité. Ainsi on peut dire quela psychanalyse se forge dans une dialectique permanenteentre ses propositions théoriques et ses données observables,qu’elles soient directes ou indirectes dans l’abord thérapeu-tique. » Pour R. Prat, « même s’ils (les comportements) n’ontpas pour l’enfant une valeur symbolique, dans le sens cognitifdu terme, ils sont néanmoins considérés comme porteur desens, signes apparents de mouvements pulsionnels incons-cients et d’angoisses primitives et, en ce sens, interprétablesconformément à la méthode psychanalytique ». Ce qui rejointla question de B. Cramer (1979) : « Quelle ouverture vers l’in-conscient peut amener la lecture du comportement ? »

À l’image du débat bébé réel/bébé reconstruit, nous avonsl’équivalent du côté du père : père réel/père reconstruit(B. Golse, 2006). C’est-à-dire un père observé dans ses inte-ractions avec son enfant et un père reconstruit à partir dumatériel de cure analytique d’adulte (reconstruction du pèreà partir des représentations que l’enfant que nous avons étés’est forgé).

— Les fonctions préœdipiennes du père— dans la conception d’un père médiatisé par la mèreLes psychanalystes qui travaillent avec les enfants, du

fait qu’ils aient accès dans leur pratique à la fois au père réelet au père fantasmatique, sont moins enclins à soutenir cettevision unifocale d’un père punitif, effrayant et castrateur cor-respondant aux aspects fantasmatiques du père œdipien

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(V. J. Mächtilinger, 1981). C’est d’ailleurs par des psychana-lystes d’enfants que la voie de l’enrichissement mutuel de lapsychanalyse et de l’observation directe de jeunes enfants aété initiée : A. Freud, R. Spitz et J. Bowlby (Y. Gauthier,1991).

Ainsi, des analystes comme M. Mahler et E. Abelin(S. J. Liebman et S. C. Abell, 2000) attirent l’attention surl’importance de la relation précoce père/enfant. Le père estalors conceptualisé comme un facilitateur du processus deséparation-individuation qui se déroule au sein de la relationmère/enfant. La position d’extériorité du père (par rapport àla dyade mère/enfant) permettrait à l’enfant de vivre la rela-tion à son père comme non-ambivalente mais aussi soute-nante car s’offrant comme une alternative face au mondesymbiotique de la mère, présentant plus de risque d’englou-tissement et de régression. Le père constituerait la preuvevivante qu’il est possible d’avoir une relation d’intimité avecla mère tout en préservant sa propre autonomie. Représen-tant du monde extérieur (M. Mahler, 1955), représentant nonmère (E. L. Abelin, 1975), chevalier à l’armure miroitante(« a knight in shining miror », M. Mahler, 1971), c’est un pèreprotecteur et facilitateur qui nous est décrit là, loin du pèrefreudien interdicteur et castrateur. Un père qui est décritcomme prenant également soin de l’enfant en répondant auxbesoins pulsionnels de la mère et en réduisant l’anxiétématernelle (S. J. Liebman et S. C. Abell, 2000). On retrouveici le père théorisé par D. W. Winnicott (1974), servant decontenant à la dyade mère/enfant en se proposant commecontenant, support et objet de gratification pour la mère. Onretrouve aussi ce que B. Golse (2006) décrit de la fonctionpaternelle de liaison et de protection du lien mère/enfant.

Mais, il y a plus que servir la construction et la bonne évo-lution du lien mère/enfant dans le mandat préœdipien dupère. La psychanalyse développementale souligne pour lapremière fois les apports spécifiques du père : c’est là sacontribution.

D’une part, d’autres auteurs de ce même courant ontdécrit de façon plus intrapsychique cette fonction soutenantedu père pour l’enfant et ont ainsi mis en évidence son rôlefondamental dans la construction et l’organisation du Moi de

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l’enfant. Ainsi pour H. Loewald (1951), le père joue un rôleimportant dans le développement du Moi en représentant leprincipe de réalité : il soutient un travail d’organisation, dedifférenciation et d’intégration pour que l’enfant puisse selibérer de la mère. S. I. Greenspan (1982) décrit le pèrecomme celui qui facilite la formation précoce de la personna-lité : stabilisation du Moi (par l’épreuve de réalité), stabilisa-tion de l’humeur, différenciation soi/objet, régulation del’impulsivité et développement de la concentration.

D’autre part, le père est également décrit comme celui quicontribue à l’établissement de l’identité de genre de l’enfantet au contrôle des pulsions dans le sens d’une autorégulationémotionnelle. Du côté du père : approuver et renforcer lesdémonstrations de comportement masculin de son garçon,avoir fierté et plaisir à les constater (P. Blos, 1984) permet àl’enfant de se construire comme garçon, en même temps quedu côté de l’enfant il y a un travail d’identification au désirdu père pour la mère (E. L. Abelin, 1975 : « There must be anI, like him, wanting her », intériorisation d’une situationtriangulaire).

J. M. Herzog (1982, 1985) fait parti des auteurs qui sesont employés à faire la démonstration du rôle du père dansla modulation de l’agressivité au sens d’une capacité du Moi àgérer et contrôler les pulsions et affects agressifs. Le père estmême décrit par d’autres auteurs comme une zone tampon(buffer zone, emotionnal buffer) où l’agressivité primaire pour-rait être réexpérimentée plus librement, dans la mesure où lepère offre à l’enfant un espace neutre dans lequel la rageexplosive peut-être montrée avec moins de crainte de repré-sailles que dans le cadre de la relation à la mère, par natureplus symbiotique (S. J. Liebman et S. C. Abell, 2000). Enfin,le lien conjugal des parents fonctionnerait comme un « bou-clier protecteur » (J. M. Herzog, 1982) à l’égard de l’enfant,ainsi protégé des affects du monde adulte normalementdestinés au partenaire.

Au terme de ce chapitre, nous comprenons deux chosesqui semblent contradictoires mais qui probablement consti-tuent un paradoxe, à entendre comme paradoxe créatif.D’une part, aussi progressiste soit-il, le courant de penséepsychanalytique conçoit un père qui reste très médiatisé par

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la mère dans son rapport à l’enfant. Et d’autre part, nouscomprenons que c’est cette position d’extériorité du père quiconfère à celui-ci des fonctions importantes pour l’enfant dupoint de vue de son développement et différentes de cellesqu’offre la mère. Cette périphérie ne doit donc pas se calculeren termes de perte mais comme permettant une différence etune complémentarité qui ne seraient pas possibles autre-ment : c’est bien parce que le père est extérieur qu’il peutoffrir à l’enfant un champ relationnel différent par natureque celui de la mère, et dans lequel il peut y exercer des fonc-tions complémentaires à celles de la mère mais aussi des fonc-tions paternelles spécifiques (on retrouve ces idées dans lesdécouvertes de la psychologie du développement).

— Du risque a-pulsionnel au risque sur-pulsionnel,— ou comment concilier les deux visions ?Avant de passer à la psychologie expérimentale, à la suite

de tout ce que nous venons d’exposer concernant la psychana-lyse développementale essentiellement anglo-saxonne, nousaimerions faire une place à la psychanalyse américaine (États-Unis), non pas dans l’idée d’en faire un exposé de ses différentscourants, mais afin d’en souligner ce qu’elle a de différent et despécifique sur la question de l’Œdipe et des triangulations, parrapport à la psychanalyse européenne française.

En premier lieu, L. J. Brown (2002) évoque combien lapsychanalyse américaine peut être extrêmement conserva-trice dans sa façon de concevoir le complexe d’Œdipe, c’est-à-dire très attachée à la vision de Freud. En particulier en cequi concerne la conceptualisation séquentielle du développe-ment des relations triadiques survenant dans le temps et defaçon bien démarquée, à la suite des relations dyadiques. Cequi a des conséquences sur la façon de concevoir la psychopa-thologie et sur la façon de la traiter. Ainsi, les pathologies lesplus lourdes seraient du ressort du monde des relations dyadi-ques et les considérations triangulées n’auraient pas lieud’être évoquées, tant dans la compréhension de ces patholo-gies que dans le traitement de celles-ci. Ce qui est discutable(L. J. Brown, 2002 ; J. Cournut, 1997). L’accent privilégiésur la relation primaire à la mère est alors justifié par le faitque la situation œdipienne et son cortège d’enjeux ne survien-

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nent que tardivement dans le développement de l’enfant etne seraient donc que des avatars de la relation première à lamère. J. Cournut (1997) met en garde contre cette dérive,qu’il évoque comme classique chez les anglo-saxons : danscette mise à l’écart des conflits œdipiens [et il rappelle qu’ilpeut y avoir entre l’analyste et l’analysant une complicitépour « l’esquive de l’Œdipe et de la castration », « un déniinconscient partagé »], « c’est de la sexualité dont on sedébarrasse conceptuellement pour montrer que le meilleurdes mondes, c’est celui qui est sans pulsion ». Il dénonce éga-lement la fascination qu’il y a chez tous les thérapeutes par cequi est du ressort du primaire et de l’originaire.

Par ailleurs, nous remarquons que s’il y a chez les anglo-saxons une tendance générale à mettre l’accent sur la relationdyadique et à penser la clinique préférentiellement en termesde déficit et d’enjeux narcissiques, il y a semble-t-il chez lespsychanalystes français une grille de lecture systématique-ment œdipienne et conflictuelle : J. Cournut (1997) parled’ « oreilles franco-œdipiennes ». On aurait envie de croire àun impact de la culture sociale et familiale sur la pensée : leseuropéens se montrant très axés sur les structures familiales ethiérarchiques avec leurs série de règles et de conventions (l’ac-cent sur les interdits appartenant à une logique œdipienne) etles américains relevant d’une société prônant plus librementl’autonomie et la réalisation de l’individu (l’accent sur le soiappartenant à une logique plus narcissique). Hypothèse.

Nous ne pensons pas qu’il faille opposer les deux tendan-ces mais, bien saisir qu’il peut s’agir de visions différentesdont la complémentarité pourrait être envisagée ; l’écueilrésidant alors probablement dans l’éviction d’une vision auprofit de l’autre.

Nous pouvons alors terminer sur ces idées que nous allonsretrouver plus loin : la triangulation c’est aussi la construc-tion et l’inclusion à côté de l’exclusion (T. Vaughn Heine-man, 2004), et un père a aussi des fonctions de réparation etde liaison à côté de ses fonctions de séparation. B. Golse(2006), comme nous l’avons vu précédemment, l’exprimebien : « Que le père ait des fonctions de séparation et d’inter-diction ne l’empêche pas d’avoir, dans le même temps (nousqui soulignons), des fonctions de liaison. »

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Retenons que, de Freud aux théories psychanalytiquescontemporaines, la psychanalyse a proposé au fil du tempsdes théories en évolution concernant le père et ses fonctions,et ceci en lien avec l’évolution des configurations et des prati-ques familiales et en lien avec l’évolution de la représentationsociale du père. Ainsi le père n’a plus seulement une fonctionde séparation et de différenciation face à la dyade mère/enfant mais il a aussi des fonctions de liaison et de réparation.Par ailleurs, ces fonctions ne sont plus conceptualiséescomme séquentielles dans le temps mais sont vues commeagissant simultanément.

Cependant, on peut dire que la psychanalyse, même laplus contemporaine, nous propose une représentation du pèrequi garde une position d’extériorité par rapport à la dyademère/enfant. Ce qui nous paraît cohérent avec l’importanceaccordée à cette relation primaire et première qui est celle del’enfant avec sa mère, et avec l’idée que le tiers se construitd’abord psychiquement et relationnellement au sein de cettedyade. Ceci étant dit, il nous paraît nécessaire de soulignerque cette façon d’attribuer au père une position d’extérioritén’empêche pas de reconnaître la part du père dans le dévelop-pement psychique et relationnel de l’enfant et surtout quec’est cette position d’extériorité qui semble permettre au pèred’avoir, pour son enfant, des fonctions différentes et com-plémentaires à celles de la mère.

Nous allons voir toutefois que, pour la psychologie dudéveloppement, la spécificité des fonctions du père ainsi quela dimension de complémentarité par rapport aux fonctionsde la mère ne sont pas du tout expliquées de la mêmefaçon. Puisant son matériel de réflexion, non pas dans la cli-nique mais dans l’expérimentation scientifique, elle nousamène du côté d’un père moins périphérique, moins défini enfonction de la dyade mère/enfant : un père qui est décritdans sa relation directe à l’enfant et dans sa présence directeà l’enfant.

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LE PÈRE DU QUOTIDIEN DE LA PSYCHOLOGIEDU DÉVELOPPEMENT :LE PÈRE ET SA RÉALITÉ

Naissance et évolution du champ de recherche sur le père

— Question de différence de cadre entre la psychanalyse— et la psychologie du développementLa vision globale et historique de J. Le Camus (1997) sur

l’ensemble des recherches expérimentales qui ont été faitessur le père, des années 1950 jusqu’à ce jour, nous permet decomprendre, tel que nous l’avons souligné au début de cetarticle, combien celles-ci sont tributaires de la représentationsociale du père à un moment donné de l’histoire, notammentdans la façon même de concevoir la méthodologie. L’évolu-tion dans le temps des représentations du père amenant destransformations au niveau des pratiques des chercheurs.

Cette façon de retracer l’évolution des paradigmes et desméthodes de recherche nous est apparue comme très pré-cieuse dans ce qu’elle permet de comprendre et d’organiser lamultiplicité des discours et des théories qui existent à proposdu père. Ce qui, dans un deuxième temps, permet d’envisagerque par-delà la différence des univers conceptuels, par-delàles différences épistémologiques, il y aurait des « passerellesépistémologiques » (J. Le Camus, 2001) possibles à établir,une fois tracées « les limites du rapprochement des discipli-nes ». Il s’agirait en somme de dépasser le clivage entre lechamp psychanalytique et le champ de la psychologie dudéveloppement.

Et dans ce paradoxe qui consiste à faire dialoguer deuxdisciplines, psychanalyse et psychologie du développement,en commençant par tracer leurs différences radicales, nouspourrions souligner les différences qui existent dans leurfaçon de se poser des questions à propos du père.

En effet, alors que la psychanalyse se pencherait sur :« Qu’est-ce qu’un père ? », J. Le Camus (2001) définit la posi-tion de la psychologie du développement comme s’interro-

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geant sur le père de la façon suivante : « À quoi sert un père,ici et maintenant ? » Il ne s’agit pas de s’intéresser à la pater-nité comme principe universel ou transculturel, ou dans sonaspect symbolique, mais de se pencher sur « le père événe-mentiel, témoin et acteur de la vie quotidienne, partenairehabituel de l’enfant au sein de la famille ».

Un autre point important est souligné par cet auteur : cesétudes expérimentales se situent en dehors d’un contexte cli-nique qui par définition suppose de comprendre, prévenir ouréparer. Là il s’agit d’observer des pères et des relationspère/enfant dans un contexte normatif et de rechercher leseffets positifs de la présence du père plutôt que de chercher àcomprendre les effets négatifs de son absence et d’en déduireses fonctions. On est au cœur du débat père-réel / père-reconstruit.

Enfin, C. Zaouche-Gaudron (2001) propose une façon dedépasser le débat rôle/fonction qui oppose psychanalyse etpsychologie du développement, en considérant plus leur fina-lité que leur définition. Ainsi, le rôle serait modifiable et ducôté du conjoncturel car socialement défini et soumis auxchangements sociaux et culturels. Il renverrait à ce que fontpère et mère au quotidien, et ce qu’ils se représentent qu’ilsfont : le rôle est donc du côté de l’adulte. « La fonction, quantà elle, est à concevoir du côté de l’enfant, dans ce qu’elle luiapporte pour le soutenir et l’aider à se structurer [...] C’estalors du point de vue de la construction psychologique del’enfant que sont envisagées les fonctions du père et de lamère ».

— Le fil rouge de l’histoire comme principe organisateur :— du père à effet différé au père différencié, questions— et dispositifs de recherche

La première période (des années 1950 au début desannées 1970) renvoie à ce que J. Le Camus (1997) appelle « lepère à effet différé » : le père est envisagé comme intervenanttardivement et ceci dans une fonction d’autorité, dans undeuxième temps par rapport à la mère présente d’emblée(dans une fonction de sollicitude). Cette dichotomie des fonc-tions renvoie à une dichotomie des phases dans le développe-

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ment de l’enfant : l’âge de la mère puis l’âge du père(J. Le Camus, 1997).

Dans cette perspective, les fonctions du père concernentla structuration de la personnalité de l’enfant et de l’adoles-cent, domaine des capacités à émergence tardive. Ces fonc-tions sont considérées comme aussi importantes que celles dela mère et non interchangeables. Les études sur le père met-tent l’accent sur les effets de la carence et de la déficienced’autorité : la métaphore alimentaire appliquée à l’absencedes soins maternels (carence affective, Spitz et Bowlby) estalors déplacée vers l’absence d’apport paternel. « L’alimentpsychologique qu’apporte le père, c’est donc l’autorité »(J. Le Camus, 1997). Par ailleurs, l’action du père est envi-sagée comme une action de type indirect puisqu’elle passe parla médiation de la mère : non seulement l’enfant est décritdans une symbiose affective avec la mère « peu perméable àl’influence directe du père », mais le rôle du père serait desoutenir la mère.

Les périodes qui vont suivre vont se démarquer de cespoints de vue maintenant dépassés : les effets directs du pèresur l’enfant sont clairement envisagés et ceci sur l’ensemblede son développement (pas seulement sur sa structurationpsycho-affective).

La deuxième période (deuxième partie des années 1970jusqu’aux années 1985) est marquée par de grands change-ments sociaux et familiaux amenant une implication accruedes pères : le père impliqué. Il s’occupe de son bébé, partageles soins de base, reconnaît sa fibre « maternelle » sanscraindre pour sa virilité. C’est un père physiquement etaffectivement présent mais aussi largement semblable à lamère. Sa spécificité est pressentie mais « on ne dit pas surquoi porte sa spécificité, ni surtout comment elle agit »(J. Le Camus, 1997).

Dans un premier temps, les recherches ont pour stratégiesde comparer les effets de la présence/absence du père sur ledéveloppement cognitif et socio-émotionnel de l’enfant dansla mesure où les préoccupations sont centrées sur le constatdes manques liés à l’absence de père (paradigme 1 : schémaexpérimental = opposition foyers biparentaux / foyers mono-parentaux).

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Puis, par la suite, il y a une remise en question de cesdémarches de recherche de preuve par défaut pour aller versdes recherches tentant de mettre en évidence ce qu’apporte lepère lorsqu’il est présent : « déplacement de la problématiqueet de la méthode sur la contribution du père acteur... »(J. Le Camus, 1997). Le paradigme 2 renvoie à des étudescomparatives sur les relations parents/enfants : on compareles effets de la présence de la mère et de la présence du père.Le père impliqué est considéré comme une figure d’attache-ment fiable mais secondaire (hypothèse de la hiérarchie desfigures d’attachement, M. Ainsworth, 1982). On remarquequ’il est un partenaire de jeu bien différent de la mère pourl’enfant, mais sa place et son rôle sont encore mal définis.

Enfin, la troisième période (1985-1995) est celle du père dif-férencié, au sens ou il n’est pas une mère-bis, il est autre que lamère, mais aussi au sens où il n’est pas réductible à un typeuniforme : « Il y a plusieurs sortes de pères à l’intérieur de lacatégorie des pères », double progrès conceptuel (J. Le Camus,1997). On passe alors au paradigme 3 : on compare les pèresentre eux, en fonction de leurs modalités de présence. Et lescontributions des pères sont elles aussi plus différenciées (ausens de moins amalgamées), renvoyant aux multiples facettesdu développement de l’enfant : langage et intelligence, sociali-sation, identité sexuée.

De l’importance de la relation père/enfantà l’importance de la parentalité de qualité :les recherches de M. E. Lamb, en Angleterre

Michael E. Lamb est très certainement l’un des cher-cheurs les plus actifs en ce qui concerne l’étude de la relationpère/enfant, tant au plan des recherches empiriques qu’ilmène qu’au plan des efforts réguliers qu’il fait pour rassem-bler l’ensemble des recherches faites dans le monde sur le rôledu père dans le développement de l’enfant. En témoignent lesquatre éditions de The Role of the Father in Child Develope-ment entre 1976 et 2004 (1976, 1986, 1997, 2004) qui font lepoint sur le sujet.

Dès le début des années 1970, M. E. Lamb fait le constatde la pauvreté des études sur la relation père/enfant et déclare

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le père : agent « oublié » du développement de l’enfant(« Forgotten contributor to child development », 1975). La rela-tion mère/enfant constituait jusque-là l’environnement deréférence pour étudier et définir les conditions optimales dedéveloppement de l’enfant. Dans ce contexte social où est entrain de se prendre le virage vers le « père impliqué »(J. Le Camus, 1997), la relation père/enfant apparaît commeimportante en soi : les recherches s’emploient alors à en fairela démonstration, tout en cherchant à préciser ses caractéris-tiques et ses spécificités pour mieux cerner l’influence du pèresur le développement de son enfant.

Pour ce faire, on extrait la relation père/enfant de soncontexte pour l’étudier à la loupe et définir des caractéristi-ques destinées à en montrer l’importance ; on procède enrecherchant ses similitudes et ses différences d’avec la rela-tion mère/enfant. C’est un point de départ, dont on ne mesureque récemment les limites et les biais que cela a introduitdans les résultats.

Ceci dit, ces études ont bien démontré (M. E. Lamb 1997)que les bébés s’attachent spécifiquement à leur père et lesinfluences du père sur le développement de l’enfant sontdétaillées domaine par domaine : au plan de l’identité sexuée,au plan cognitif et motivationnel (le père est un facteur destimulation et d’encouragement), au plan linguistique (lespères imposent l’attention et s’expriment de façon plus auto-ritaire), au plan des aptitudes sociales, etc.

Au plan de l’attachement, après avoir démontré(M. E. Lamb, 1997) que les bébés s’attachent à la fois à leurmère et à leur père, ainsi qu’à tous ceux qui interagissentrégulièrement avec eux (quelle que soit l’implication dans lessoins, M. E. Lamb, 2004), les résultats s’avèrent répétitive-ment contradictoires en ce qui concerne la question de la hié-rarchie des attachements (question chère à Bowlby). Eneffet, les bébés préfèrent leur mère, mais si le père est la pre-mière figure de soin ils préfèrent le père : en fait, ils s’atta-cheraient préférentiellement à la première figure de soin quelque soit le parent. Mais d’autres études indiquent qu’il n’yaurait pas de différence marquée pour un parent ou pour unautre, cependant on relève que dans le courant de ladeuxième année de vie l’intérêt pour le père augmente signi-

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ficativement, surtout chez les garçons. Enfin, on découvreque le vecteur d’attachement chez le père semble être lesjeux physiques et non les soins de bases (D. Paquette, 2004).Et dès le premier trimestre de vie, les pères se montrent dif-férents des mères avec leur bébé : ils sont plus stimulants etplus ludiques, alors que les mères cherchent à calmer etapaiser leur bébé. Malgré ces constats cruciaux, on continued’évaluer la relation père/enfant à l’aune de la relationmère/enfant : tant dans ses références théoriques (l’attache-ment en termes de pôle de sécurité) que méthodologiques(utilisation de la Situation Étrange d’Ainsworth, 1978, pourmesurer l’attachement).

Ce qui non seulement ne permet pas de cerner les spécifici-tés de l’attachement père/enfant, mais ne lui rend pas jus-tice : on sous-estime les influences paternelles parce que l’onne se donne pas les moyens de les mettre en évidence. Lesrecherches échouent à faire la démonstration de ce qui appa-raît évident tant dans les observations de la vie quotidienneque dans la clinique : à savoir les différences significatives quiexistent entre la relation mère/enfant et la relation père/enfant, sans remettre en question la qualité de l’attachement.Certains chercheurs concluent alors qu’il n’y a pas de diffé-rence, ou pas tant que cela... et invoquent d’autres paramè-tres tels que les caractéristiques de l’adulte et le tempéramentde l’enfant pour expliquer les différences (M. E. Lamb, 1997),ce qui n’est pas faux non plus mais qui réduit toute laquestion de la différence.

Dans son article de 2004, M. E. Lamb est plus clair sur lanécessité d’établir des thèmes de recherche plus patricentri-ques (le jeu plutôt que la sécurité d’attachement, parexemple) et de sortir de la référence constante à la sécuritéd’attachement pour étudier l’influence des hommes sur leurenfant. Il faut remettre en question les méthodologies et lesmesures utilisées mais aussi certaines idées sur l’attachementcomme celle de penser que les pleurs de protestation consti-tuent de bons indices d’attachement.

Puis, M. E. Lamb (2004) souligne une autre erreur fon-damentale qui fut d’extraire la relation père/enfant de soncontexte familial. Après s’être penchées sur les effets directsdu père sur le développement de l’enfant et devant la

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complexité et les contradictions des résultats obtenus, lesrecherches ont dû concevoir qu’il y avait également deseffets indirects qui jouent sur l’implication paternelle, dontdes facteurs familiaux par exemple, et qu’ils sont au moinsaussi importants que les effets directs (soulignons ici le mou-vement inverse de celui des théories psychanalytiques quisont passées de la conception d’un père à effet indirect à unpère à effet direct). Pour ne nommer qu’eux, soulignons leseffets de la qualité des rapports conjugaux sur l’implica-tion du père. M. E. Lamb (2004) parle alors de progrèsconceptuel important, il s’agit de l’émergence de la notiond’inter-influences : le développement de l’enfant est affectépar des comportements appartenant à l’ensemble du sys-tème familial.

Allons plus loin et réintroduisons l’idée d’une circularitédans les liens et de ce fait dans les influences : le pèreinfluence la mère qui influence l’enfant qui influence le père,la relation mère/père influence le père, donc l’enfant, etc. Ilfaut donc avoir une vision systémique dans la prise encompte des paramètres à étudier et à mesurer : pour la pre-mière fois, M. E. Lamb (2004) parle de triade, de caractéristi-ques des interactions père/mère/enfant à définir, de nécessitéd’étudier la famille en action, etc. Dans ce cadre-là, unedécouverte importante s’est faite au plan empirique : le com-portement du père (au sens d’implication auprès de sonenfant) n’est pas un déterminant des différences interindivi-duelles du comportement de l’enfant mais il en est une consé-quence. Ainsi, l’enfant façonne son père de la même façon quetous les membres de la triade se modèlent et s’adaptent lesuns aux autres au fil du temps. Les recherches empiriquesvont alors se mettre à étudier plus systématiquement la rela-tion père/enfant dans sa dimension de processus : ses nuanceset son développement dans le temps en fonction des étapes dedéveloppement de l’enfant.

En effet, les habiletés cognitives et sociales de l’enfantsont extrêmement différentes de la petite enfance à l’enfancepuis à l’adolescence : la relation et l’implication du père face àcelui-ci va donc varier, avoir des caractéristiques différentesd’une étape à l’autre. Nous n’entrerons pas dans le détail decette dimension mais soulignons un résultat important pour

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ce qui est de la reconnaissance de la place de la relationpère/enfant dans la vie d’un individu : cette relation auraitune valeur particulièrement prédictive concernant l’ajuste-ment psychosocial futur et en particulier concernant le bien-être émotionnel et la satisfaction maritale dans la vie adulte(M. E. Lamb, 2004). Ce qui fait d’une bonne relationpère/enfant un facteur de protection dans le développementd’un individu...

Concernant les différences entre les pères et les mères, lesrecherches récentes (M. E. Lamb, 2004) ne se font plus dansle contexte d’un jugement de valeur de la qualité de l’atta-chement avec l’idée d’une hiérarchie à trouver. La démons-tration de l’importance du lien père/enfant n’est plus à faire,on s’emploie à nuancer et à préciser ces différences, à tenterde se pencher sur les mécanismes d’action spécifiques de cha-cun de ces liens, notamment au plan de la nature des jeuxavec l’enfant, l’utilisation de ceux-ci et la place qu’ils ontdans la relation. Comme le souligne J. Le Camus (1997), lepère n’est plus une mère-bis mais un père différencié. Des dif-férences dans la sensibilité paternelle par rapport à la sensibi-lité maternelle sont maintenant relevées et étudiées : ondécouvre que l’un des déterminants importants de la sensibi-lité paternelle serait l’histoire et le souvenir que le père a deses relations précoces. On est donc loin des conclusions quel’on a pu tenir sur la faible transmission transgénérationnellede l’attachement père/enfant (D. Paquette, 2004).

Cependant, M. E. Lamb (2007) tient à nous rappeler quepar-delà les différences de style paternel et maternel ce quicompte c’est « une parentalité de qualité ». L’enfant a besoinque ses parents lui offrent une « vraie relation, qu’ils soientresponsables et se dévouent pour lui » (M. E. Lamb, 2007). Ilva jusqu’à remettre en question le fait que ces différencesjouent un rôle clé dans le développement de l’enfant, au nomde l’authenticité du lien et de l’unicité de chaque parentcomme individu, qu’il soit père ou mère. Il se sert du fait queces différences aient largement évolué depuis trente ans (lespères et les mères partagent et s’interchangent toutes sortesde comportements parentaux avec beaucoup plus de flexibi-lité qu’avant) pour alimenter son propos sur le nivellementdes différences père/mère. Cependant, il nous rappelle aussi

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que ces différences ne sont pas universelles, bien que l’on sesoit parfois laissé aller à croire le contraire : non seulementelles ne sont pas inscrites dans les gènes mais elles sont large-ment culturelles ; c’est d’ailleurs dans le monde occidentalqu’elles sont le plus marquées. Alors, au nom de l’importancepremière de cette parentalité de qualité et au nom de la com-plexité des inter-influences dans la triade père/mère/enfant,Lamb renvoie au second plan la question des différences entrepère et mère sur le développement de l’enfant. Ce qui nousparaît discutable.

En effet, n’y a-t-il pas moyen de conserver cette idée dedifférence à côté des notions de qualité de la parentalité et decomplexité des inter-influences dans la réalité des relationsparents/enfant ? La spécificité des implications maternelleset paternelles peut-elle coexister avec l’idée d’une certaineflexibilité dans la répartition des rôles, avec une certaineinterchangeabilité ? Quant à la question d’une hiérarchieentre l’influence du père et celle de la mère sur le développe-ment de l’enfant, on comprendra que le débat est en partiedépassé : reconnaître une différence ne hiérarchise pas néces-sairement les contributions. Allons donc vers l’égalité dans ladifférence, vers une spécificité possible avec un certain degréd’interchangeabilité, avec une certaine flexibilité dans ladistribution des rôles.

Pour une spécificité paternelle et maternelledans l’égalité et la complémentarité :les recherches de Daniel Paquette, au Québec

Les contributions de D. Paquette (2004 a, 2004 b, 2007)vont nous aider à réfléchir à ces questions difficiles pourdépasser le débat de la hiérarchisation des influences pater-nelles et maternelles tout en reconnaissant l’importance desdifférences père/mère dans leur impact sur le développementde l’enfant.

D’une part, il abonde dans le sens de M. E. Lamb, recher-ches et revues de littérature à l’appui, concernant les biaisthéoriques et méthodologiques des recherches sur le père dansles dernières décennies : il faut sortir d’une psychologie del’enfant essentiellement centrée sur l’importance détermi-

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nante de la mère. Celle-ci nous a conduit à étudier la relationpère/enfant avec les mêmes références théoriques et lesmêmes méthodologies que celles employées pour l’étude de larelation mère/enfant, ce qui ne nous a pas permis de mettreen évidence ses spécificités, d’où une large sous-estimation del’influence de la relation père/enfant sur le développement del’enfant. De la même façon, conclure à une faible différenceentre les apports de la mère et du père c’est se tromper degrille de lecture (D. Paquette, 2007). Alors, comment à la foisprendre en compte toute la richesse des connaissances sur lelien mère/enfant et faire un pas de côté pour pouvoir innoverdans la façon de penser la relation père/enfant (D. Paquette,2004) ?

Ses travaux sur les jeux physiques père/enfant, et en par-ticulier les jeux de bataille ou jeux de lutte (rough-and-tumble play), l’ont amené d’une part à les comprendrecomme le mécanisme d’attachement père/enfant et d’autrepart à considérer cet attachement via un contexte de jeuxphysiques comme un mécanisme différent d’un attachementvia un contexte de soins (D. Paquette, 2004). En effet, dèsles premiers mois de vie du bébé, les pères se comportent dif-féremment avec eux que les mères : ils les stimulent et cher-chent à les exciter, elles les calment et les apaisent. Ainsi, aufil du temps, les enfants perçoivent leur mère comme sourcede bien-être et de sécurité et préfèrent leur père comme com-pagnon de jeu. Ceux-ci sont plus directifs et proposent desjeux présentant plus de défis et de surprises, ce qui apparaîtplus stimulant pour l’enfant. Enfin, les jeux physiquesconstituent le seul domaine où l’implication des pères estsupérieure à celle des mères et les jeux de lutte constituentune spécificité du lien père/enfant. Des recherches indiquentqu’ils sont corrélés à une relation père/enfant sécurisante etils semblent également avoir plusieurs fonctions : l’établisse-ment d’une relation de dominance entre père et fils favori-sant la discipline, la régulation des comportements agressifset le développement d’habiletés de compétition complémen-taires aux habiletés de coopération (D. Paquette, 2004). Lesirrégularités et les imprévus s’avèrent être aussi importantspour le développement de l’enfant que les régularités et laconstance.

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Ainsi, en revenant sur la question des bases adaptativesde l’attachement, D. Paquette (2004) différencie clairementun pôle de sécurité préférentiellement assuré par la mère etun pôle d’exploration ou « activation » (terme plus large tra-duisant toute la stimulation possible de l’enfant dans l’ouver-ture au monde extérieur) préférentiellement assuré par lepère. C’est dans le souci de ne pas constamment associer atta-chement et confiance envers le parent prodiguant des soins,que la nécessité de qualifier différemment la relation affectivepère/enfant s’est imposée : D. Paquette (2004) se propose del’appeler « relation d’activation ». Il va alors développer lapremière théorie spécifiquement fondée sur la relation père/enfant.

Le rôle d’activation du père permet de répondre au besoinde l’enfant d’être activé (recherche de stimulations de forteintensité), au besoin de dépassement et à celui d’apprendre àprendre des risques. Bref, il permet à l’enfant d’oser aller plusloin dans son exploration et développer ainsi son autonomie.Quant à la qualité de cette relation d’activation, elle est d’au-tant plus grande qu’elle est offerte dans un climat deconfiance et de sécurité, le père assurant une protection faceaux dangers potentiels tout en favorisant l’élan vers la nou-veauté. D. Paquette (2004) nuance encore cette fonctiond’activation : elle peut aussi être entendue comme « ledéclenchement des mécanismes de régulation des émotionssuscités par la confrontation à la nouveauté », permettantainsi à l’enfant d’aller vers la nouveauté. Le père, via la rela-tion d’activation reposant sur les jeux de lutte, transmet àl’enfant une confiance en soi qui lui permet de développer descompétences sociales de type habiletés de compétition (àentendre comme comportements et attitudes psychologi-ques), celles-ci étant complémentaires aux compétencessociales, de types habiletés de coopération et de partage, per-mises par le sentiment de sécurité transmis par la relationd’attachement mère/enfant.

D’une part, on perçoit toute l’importance de l’acquisitiond’un large spectre de compétences sociales dans le travail d’a-daptation à l’environnement social complexe qu’est le mondeactuel, pour les filles comme pour les garçons d’ailleurs.D’autre part, on saisit toute la notion de complémentarité

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possible entre les apports maternels et les apports paternels,ce qui a amené D. Paquette (2008) à développer l’idée d’unmodèle global de complémentarité parentale. Modèle danslequel il y aurait place à la spécificité de chacun, père et mère,mais en termes de prédominance de certains rôles parentauxet non en terme d’exclusivité, dans la mesure où l’on constateun chevauchement important des comportements parentauxentre le père et la mère (D. Paquette, 2007). Cela permet unerépartition des différents comportements parentaux variabled’un couple à l’autre et malléable dans le temps au sein d’unmême couple en fonction des habiletés, intérêts et disponibili-tés de chacun. Concrètement, cela signifie qu’un père peutchoisir de fournir des soins de base à l’enfant et une relationd’activation dans des proportions qui lui conviennent et quiseront fort probablement complémentaires à celles que pro-posera la mère. Mais par-delà le large spectre de comporte-ments parentaux que chacun est capable d’avoir, un père gar-dera son style paternel stimulant et vigoureux même s’il estle principal pourvoyeur de soins de base et une mère jouera engardant un style maternel c’est-à-dire un jeu plus visuel, plusprévisible et favorisant plus la coopération que la compéti-tion. C’est ainsi, que D. Paquette nous invite à constaterqu’une relation d’activation offerte par un père est probable-ment plus intéressante en termes de stimulation pour l’en-fant, tout comme une relation de sécurité offerte par la mèreest probablement plus efficace en termes de réconfort. Donc,par-delà l’interchangeabilité possible des rôles parentaux, il ya le maintien d’une spécificité du fait d’une qualité d’acti-vation différente et d’une qualité de sécurité différente, chezle père et chez la mère. Chacun de ces deux élémentsconstituant des composantes de l’attachement parent/enfant.

Il nous apparaît donc pertinent de souligner qu’il ne s’agitpas de niveler les différences entre les pères et les mères aunom de la complexité des autres paramètres en jeu, mais biende leur redonner toute leur importance. Nous sommes face àune notion de différence basée sur un principe de prédomi-nance et non sur un principe d’exclusivité qui hiérarchise etpeut faire de la différence un facteur d’inégalité homme/femme. Soulignons que ces différences hommes/femmes bienadmises au plan hormonal et physiologique le sont beaucoup

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moins au plan comportemental, le comportement étantconsidéré comme uniquement culturel. Or, il s’agit d’unmélange d’inné et d’acquis et c’est ce qui fait que les différen-ces père/mère puissent être à la fois culturelles et stables dansle temps (D. Paquette, 2007).

La fonction symbolique de la différence père/mère :les recherches de Jean Le Camus, en France

J. Le Camus (2001), tout en étant psychogénéticien deterrain et engagé dans des travaux de recherche empiriques,travaille à établir activement des « passerelles épistémologi-ques » avec l’univers clinique psychanalytique sur la ques-tion du père.

Ce qui rend précieux et unique son apport, ce sont toutd’abord ses efforts de théorisation à partir de résultats derecherches expérimentales : il conceptualise des axes organi-sateurs pour penser la question du père, nous les avons déjàévoqués plus haut. Rappelons, entre autres, le fait d’identi-fier que psychanalyse et psychologie du développement ne seposent pas les mêmes questions : l’une se demandant :« Qu’est-ce qu’un père ? » et l’autre : « À quoi sert unpère ? ». Ou encore le fait de dégager les différentes représen-tations sociales du père au fil du temps (du père à effet différéau père différencié) en montrant combien elles « formatent »les paradigmes de recherches successifs. Ceci dépasse large-ment l’objectif classique des empiristes qui est de dégager, àpartir des résultats, un modèle explicatif des statistiques desdifférents paramètres en jeu sur une question donnée. Faisantun pas de côté par rapport au souci du détail et à l’allégeanceà la rigueur, J. Le Camus se permet les simplificationsnécessaires à la théorisation.

D’autre part, lorsqu’il définit son champ de réflexioncomme appartenant à la pensée développementaliste, il nemanque pas d’évoquer en même temps la pensée psychanaly-tique, ce qui a non seulement l’avantage de la faire existerdans ses réflexions d’empiriste mais permet un travail de lienqui commence à déconstruire le classique clivage entre cesdeux mondes. Ainsi, tout en respectant ce que la psychana-lyse a pu développer sur le rôle indirect du père (dans sa façon

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de soutenir et nourrir affectivement la mère et de ce faitcontenir la dyade mère/enfant) et sur sa place d’agent tiers enpériode œdipienne, J. Le Camus (2001) se charge de mettre enévidence une implication du père précoce, directe, diffé-renciée et multidimentionnelle. Ce qui, par-delà sa fonctionsymbolique de tiers, en fait un partenaire de l’enfant dèsl’aube de la vie.

Nous sommes en effet bien loin du père à effet différé :très précocement, dès la période prénatale, le fœtus (dès5 mois in utero) sensible aux stimulations sonores et tactilesdonne des signes qu’il perçoit de façon différentielle celles quiviennent de son père de celles qui viennent de sa mère. Lesmessages vocaux, tactiles et kinesthésiques adressés au bébéont une qualité « psycho-sensorielle » (J. Le Camus, 2001)différente suivant qu’ils proviennent du père ou de la mère.Le bébé perçoit très précocement cette différence de grain depeau, de consistance musculaire, de tonalité de voix, de por-tage qu’il y a entre son père et sa mère : ces deux enveloppesaffectives renvoient à deux « patterns de stimulation nonredondants » que le bébé perçoit sans les confondre.

De cette façon, l’enfant est dès le début exposé à deuxtypes de « rapport affectivo-corporel », deux modes decommunication non verbale, deux schémas de langage :J. Le Camus (2001) parle de la possibilité de différencier deuxmodèles d’altérité pour l’enfant et ceci dans de nombreuxdomaines. C’est ce qu’il appelle les champs d’application de lafonction du père : le développement du langage, le développe-ment de l’intelligence et le développement sociopersonnel ;c’est là l’implication multidimentionnelle du père.

Nous n’entrerons pas dans les détails des apports spécifi-ques du père dans le développement de son enfant, bien quecela soit passionnant. Cependant, nous voulons soulignercombien cet auteur traite la question de la différencepère/mère. Il ne s’agit pas d’une simple question de diversitéde modalités auxquelles il faut exposer l’enfant, mais bien dedeux modes d’altérité renvoyant l’un à l’univers masculin etl’autre à l’univers féminin. C’est parce que le père est unhomme qu’il porte l’enfant de cette façon, qu’il s’adresse ver-balement à lui de façon plus complexe et en lui demandantd’être plus clair et plus précis dans ses phrases que ne lui

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demande la mère, qu’il le met au défi et tolère de le laissersans solution face à un problème à résoudre afin qu’il trouvesa solution, etc. Ainsi, cette différence père/mère est sexuée etelle a une fonction : celle de proposer deux modèles d’altérité,qui réfèrent à des univers sexués différents : le masculin et leféminin.

La force du modèle de J. Le Camus (2001) est qu’il par-vient à dégager des principes généraux à partir de toutes lesspécificités qu’il relève dans les apports du père aux différen-tes sphères du développement de l’enfant. Ainsi il dégage cequ’il nomme les modes d’action, ou mécanisme d’action de lafonction du père : la propension des pères à anticiper sur l’on-togenèse (les pères considèrent les bébés comme des personnesplus précocement que les mères), la propension des pères àencourager l’enfant dans ses entreprises et à le mettre au défiet enfin la propension des pères à ouvrir l’enfant à l’expé-rience des relations interindividuelles et de la culture.

L’étude de la place du père dans la petite enfance a permisde découvrir et de théoriser ce qui fait la spécificité de l’ap-port du père dans le développement de l’enfant. Comme c’estun autre angle de vue que celui des théories psychanalytiquesde la fonction du père, il est difficile de les articuler ensemble.Non seulement peut-on dire que ces deux facettes de « la réa-lité père » ne se contredisent pas, mais elles se mettent enlumière l’une l’autre.

Toute cette question des différences père/mère envisagéescomme une altérité sexuée rejoint ce que C. Chiland (2001)rappelle : l’enfant a besoin d’un père et d’une mère pour seconstruire une identité. La fille et le garçon explorent à tra-vers les relations à son père et à sa mère ce que représente lefait d’être garçon et le fait d’être fille. En cas d’absence del’un ou de l’autre, il y a certes des « suppléances » possibles(familiales, culturelles, sociales) mais « l’intimité n’est jamaisaussi grande qu’avec les parents ». Par ailleurs, quels quesoient les différents types de mère ou de père, quelles quesoient les différences individuelles, les pères partagent l’expé-rience d’être père et les mères l’expérience d’être mère : ce quiprévaut c’est la différence homme/femme (C. Chiland, 2001).

Autrement dit, un parent est unique et il est sexué. La dif-férence père/mère est une différence sexuée, ce qui fait de

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cette différence plus qu’une possibilité de diversité : de parl’altérité sexuée qu’elle propose à l’enfant, cette différencepère/mère a une fonction symbolique. Et cette altérité estporteuse d’un père définit comme un tiers pré-symbolique ouproto-symbolique (J. Le Camus, 2001). C’est là que nousentrevoyons des « passerelles épistémologiques ».

Nous comprenons alors que le tiers de la psychologie dudéveloppement est un tiers tiré de la reconnaissance d’unealtérité. C’est déjà un grand progrès conceptuel de rappelerque cette altérité est sexuée, c’est ce qui lui confère une fonc-tion symbolique : celle d’introduire l’enfant à l’universmasculin et à l’univers féminin, dont les modes de fonctionne-ment lui apportent des influences différentes et complémen-taires dans toutes les sphères de son développement. Mais ilne s’agit pas d’un tiers issu de la conjugalité des parents,c’est-à-dire relatif au lien sexualisé qui unit les parents : iln’est pas question de tiercéité, de triangulation. La prise encompte de l’impact sur l’enfant de la relation conjugale quiexiste entre le père et la mère est un point par lequel la psy-chanalyse signe la singularité de son apport à la question dupère. Ici aussi, nous sommes à même d’entrevoir une « passe-relle épistémologique ».

Nous voulons terminer sur deux autres idées soulignées etdéveloppés par J. Le Camus (2001), permettant d’aller verstoujours plus de nuances concernant la question du père. Toutd’abord, au sujet du mécanisme d’action de la fonctiondu père : on ne parle plus d’un rôle du père de type indirect(c’est-à-dire passant par la mère) mais bien d’un processus deparentalisation réciproque dans leque,l les deux parents sefont parent mutuellement. Les notions de coparentalité et debiparentalité sont issues de ces nouvelles théories émergentesconcernant la paternité, entre autre celle selon laquelle lespères ont une place auprès de leur enfant dès le début(J. Le Camus, 2001). Allons plus loin avec P. Malrieu (2001) :« L’enfant ne peut être exclu d’un rapport d’influencemutuelle. » L’enfant, dans ce qu’il est et comment il répondaux demandes du père, « oriente nécessairement la façon dontle père se sent père ». Ainsi, c’est aussi « avec et par la relationavec son enfant » (C. Zaouche-Gaudron, 2001) que le pèredevient père : mouvement de va-et-vient entre ses représenta-

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tions et son expérience de la relation à l’enfant mais aussi à lamère comme parent le faisant parent. Et nous rajoutons qu’ilne faut pas non plus oublier toute la conjugalité dans ce qu’elleapporte à la parentalité ; la question de cette articulation de laparentalité et de la conjugalité est un autre chapitre, sur lequelnous revenons dans un autre article (R. Noël et F. Cyr, 2009).

Enfin, lorsque J. Le Camus (2001) évoque ce qu’il appellele champ de la paternité primaire, c’est-à-dire la place dupère dans la petite enfance, il introduit l’idée d’un rôle à jouerpar la société, par les professionnels de la petite enfance pourpartager, promouvoir, soutenir la présence du père auprès dutout petit enfant. Ce qui rejoint le concept de paternitécitoyenne de Y. Knibiehler (2001) dans lequel la responsabi-lité paternelle ne se joue pas seulement en privé entre unenfant et son père mais aussi dans une dimension politique.Un peu comme si cette question du tiers était l’affaire de touset pas seulement du père. C’est dans un autre article que nousdévelopperons cette idée d’une fonction paternelle portée àplusieurs (R. Noël et F. Cyr, 2009).

Les recherches empiriquessur les triangulations interactionnelles

Dans tout ce parcours que nous faisons au sujet du pèrecomme tiers intrapsychique dans le champs de la psychana-lyse, au père comme tiers interpersonnel dans le champ de lapsychologie du développement, nous allons nous arrêter surles travaux de deux équipes dont les recherches peuvent nousaider à penser les connections qui existent entre ces deuxmondes. Afin d’aller au plus près de la complexité de la trian-gulation. Ces recherches apportent une série de remises enquestion d’opinions traditionnelles concernant les relationsdyadiques et les relations triangulées. Elles nous ont semblébien intéressantes pour ouvrir la réflexion sur le père commetiers et sur l’Œdipe comme scénario de triangulation.

— L’interface représentation/interaction :— K. Von Klitzing et al. (1995, 1999)Cette équipe s’intéresse à la mise en évidence du rôle fon-

damental de la triade dans le développement précoce, au

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moyen d’ « une recherche longitudinale des processus detriadification – processus interpersonnel qui forme unetriade – et de triangulation – processus intrapsychique parlequel la triade est vécue – qui incluent des dimensions inte-ractionnelles, représentationnelles et transgénérationnelles »(K. Von Klitzing, et al., 1999). C’est une recherche qui se défi-nit comme prospective longitudinale par opposition auxvisions reconstructives de la petite enfance via le processusthérapeutique individuel (méthodologie de recherche de lapsychanalyse traditionnelle). On est donc à la frontière dupère réel / père reconstruit.

La formulation de leurs objectifs de recherche quelquesannées auparavant (K. Von Klitzing et al., 1995) permet decerner l’évolution des conceptions qu’il y a eu concernantl’aménagement des relations dyadiques et des relations tria-diques. Ainsi, il s’agissait d’étudier l’évolution plus ou moinsparallèle de la transition de « la relation à deux » à « la rela-tion à trois » au plan intrapsychique imaginaire (triangula-tion) et de la transition de la relation dyadique interperson-nelle à la triade dans le monde externe (triadification). Avecl’idée que la triade interpersonnelle aurait des précurseursdans le monde interne des parents. On perçoit dans cette for-mulation la théorie séquentielle implicite issue de Freudd’une période dyadique faisant place à une période triadiquedans le développement.

Dans cette perspective, K. Von Klitzing (1999) soulignecombien la psychanalyse a résisté pendant longtemps à l’idéedu rôle du tiers dans la petite enfance, dans la lignée de Freudqui a parlé de la relation mère/enfant et de la relationpère/enfant comme se développant côte à côte ( « these tworelationships proceed side by side » ). C’est intéressant de com-prendre avec K. Von Klitzing que ce serait pour résoudre latension créée d’une part par l’allégeance à Freud et d’autrepart par la nécessité de reconnaître les relations trianguléesque se seraient conceptualisées deux phases développemen-tales séparées : la phase préœdipienne, univers fondamenta-lement dyadique et la phase œdipienne dans laquelle l’enfanta à gérer des conflits triadiques.

Cependant, les résultats de la recherche développementalesont venus remettre en question la théorie d’une étape pré-

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coce uniquement dyadique dans le développement. Le bébé,dès ses premiers mois, semble avoir des compétences précocespour les relations triadiques : des processus de triadification(processus interpersonnel qui forme une triade) sont mis enévidence dans les observations d’interactions parent/enfantaussi tôt qu’à 4 mois (E. Fivaz-Depeursinge et A. Corboz-Warnery, 2001). Ce qui semble faire écho aux élaborations decertains cliniciens comme S. Lebovici (2001) pour lequel il n’ya pas de dyade mère/enfant vraie : il y a toujours une contex-tualisation par le père, ce qu’il nomme la tiercéisation. Etallant plus loin, on peut citer F. Frascarolo (2001) qui rejettel’idée même d’une dyade mère/bébé de base, sur laquelle segrefferaient ensuite d’autres relations : « Le temps de ladyade primaire est dépassé [...] l’enfant naît dans unepolyade de base » incluant le père, la mère, l’enfant et lafratrie. Cela alimente les nombreuses controverses qui concer-nent le développement précoce : faut-il le concevoir à partird’une dimension dyadique ou triangulée ?

Par ailleurs les recherches de l’équipe de K. Von Klitzing(1999) mettent en évidence des corrélations entre le mondeintrapsychique des parents (en particulier le niveau de trian-gulation de leurs relations d’objet et la présence d’une flexibi-lité au plan des représentations) et la qualité des interactionsde la triade père/mère/bébé à 4 mois. Il semble qu’il y ait, dèsles étapes précoces du développement, une influence sur l’en-fant des expériences d’être à trois (D. Stern, 1995) et de lareprésentation de ces expériences (triangulation). Faut-ilalors comprendre les relations principalement comme desévénements interpersonnels et/ou interactionnels ou princi-palement comme des processus intrapsychiques, des fantas-mes ? Toujours est-il que l’interface, entre le monde intrapsy-chique des protagonistes de la triade parents/bébé et leursinteractions interpersonnelles observables, ne peut plus êtreignorée. K. Von Klitzing (1999) propose de penser cette inter-face comme un espace transitionnel, ce qui est une idée trèsséduisante et riche de réflexions à poursuivre.

Nous retenons deux idées qui nous paraissent fondamen-talement nouvelles suite à ces recherches qui mettent enlumière la notion d’une triade qui pourrait être la forme origi-nale d’interaction dans laquelle naît l’enfant : d’une part, la

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remise en question, dans les débuts, du développement d’unephase dyadique à saveur symbiotique ; ce qui entraînerait,d’autre part, l’abandon de la vision classique séquentielled’une dyade qui influence le développement de l’enfant puisde l’arrivée d’une triade qui prend son importance quandl’enfant grandit (K. Von Klitzing, 1999).

Petit clin d’œil aux considérations méthodologiques deD. Paquette (2004) détaillées plus haut : il semblerait que cene soit pas tant l’âge de l’enfant qui permette d’observer desinteractions dyadiques ou triadiques que le contexte relation-nel (de séparation ou de jeu, K. Von Klitzing, 1999).

Enfin, M. Dornes (2002) nous apporte des considérationscliniques qui nuancent cette idée de la remise en question dela symbiose et rendent justice à la complexité de la réalité. Ilsouligne la différence qui peut exister entre le comportementinteractionnel et l’expérience interactionnelle pour expliquerqu’un nourrisson puisse présenter une compétence interac-tionnelle particulièrement triangulée et en rester à une expé-rience plus symbiotique que ce que donne à voir ses compor-tements. Ce qui s’observe, en termes de comportement oud’interaction, ne correspond pas forcément à ce qui se vitintérieurement.

Nous pourrions, en conclusion, terminer sur l’une desimplications cliniques soulignées par cette équipe suite à cesdifférentes recherches : le complexe d’Œdipe pourrait êtrecompris comme un moment culminant sur un continuumd’expériences triangulées (K. Von Klitzing, 1999). Et peut-être pouvons-nous nous permettre de rajouter dans cette idéedu moment culminant celle d’une dimension d’intégrationpsychique qui, dans le meilleur des cas, donne une valeurstructurante à ce moment dans le développement de l’enfant.

— Le triangle père/mère/enfant en action :— le jeu trilogique de Lausanne (Lausanne Triadic Play)— de E. Fivaz-Depeursinge et A. Corboz-Warnery— (1999, 2001)Toujours dans cette idée de penser les passerelles épisté-

mologiques entre psychanalyse et psychologie du développe-ment en pensant l’interface représentation/comportement,notamment concernant la triangulation, nous voulons rap-

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porter quelques idées issues des recherches de l’équipe deLausanne sur le triangle primaire (père/mère/enfant). Enabordant la triangulation sous un angle radicalement diffé-rent, elles semblent nous permettre une ouverture dans lafaçon de penser la triangulation.

Précisons rapidement et sans entrer dans les détailsméthodologiques que cette équipe a créé « une méthode d’ob-servation dans laquelle on peut examiner de façon standar-disée les éléments comportementaux et relationnels de la rela-tion triadique dans les premiers mois de la vie » : le jeutrilogique de Lausanne ou Lausanne Triadic Play (LTP).Celui-ci peut également être une méthode d’intervention.

La famille et plus précisément le triangle père/mère/enfantest étudié en action, ce qui est un point de vue bien différent decelui de la famille, ou du triangle, représenté(e). Et leur pré-supposé de base est le suivant : les schémas interactionnelssont les passages obligés des représentations.

Il y a aussi cette façon de concevoir les différents niveaux,individuel, dyadique et familial, comme fonctionnant commedes entités systémiques avec des voies de développement dis-tinctes mais interconnectées. Le triangle primaire est doncconsidéré comme une unité de recherche spécifique dont ilfaut définir le fonctionnement et son évolution.

L’étude du triangle en action leur a permis d’observer descompétences triangulaires chez le bébé, aussi précocementqu’à 3 mois de vie, interactions qui se développeraient enparallèle avec les interactions dyadiques. Jusque-là, la ques-tion de cette compétence n’était pas posée dans la mesure oùl’on concevait que le bébé était pré-adapté aux interactionsdyadiques. Celles-ci constitueraient peut-être une réponse àdes cadres dyadiques d’observation, plutôt que de renvoyer àune limitation du bébé, d’après ces auteurs. Nous retrouvonscette idée de l’influence du cadre d’observation sur la naturede ce qui est observé.

Remonter aux origines de la triangulation, s’intéresser à« la petite enfance du processus triangulaire » (E. Fivaz-Depeursinge et A. Corboz-Warnery, 2001) dans l’objectif deconstruire une théorie de la triangulation prenant ses sourcesdans des processus normatifs, voilà un objectif particulière-ment novateur. De même pour cet intérêt à développer une

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théorie pertinente tant au plan clinique qu’au plan développe-mental.

Volonté d’intégration qui permet de dépasser la simplevision de la clinique, prédominant jusque-là et réduisant latriangulation à la gestion d’un sentiment subjectif d’exclu-sion et à ses aléas. Ainsi, il y a peut-être moyen de penser lestriangles dans un cadre élargi, incluant le processus triangu-laire normatif à côté des triangles de la psychopathologie quirenvoient à des variations sur le thème de l’exclusion et sesdérèglements. Avec cette équipe, on pourrait alors penser quela triangulation c’est effectivement apprendre à aménager lesentiment subjectif d’exclusion, préparé par les expériencesde triangles, de différentes sortes dont ceux renvoyant à uneexpérience subjective d’inclusion. La triangulation, c’estaussi avoir à développer une capacité d’être à trois et celle-cisemble pouvoir se développer tôt dans l’existence.

CONCLUSION : LA CONJUGALITÉ DU PÈRE ET DE LA MÈRE,FONDEMENT DE LA TRIANGULATION AU QUOTIDIEN ?

Comment conclure après l’ampleur d’une telle visionpanoramique de l’univers paternel ? Qu’avons-nous appris dece parcours, en termes de contenu et en termes de processus ?Comment pouvons-nous nous raconter cette histoire dupère ?

Tout d’abord, la psychanalyse nous apprend qu’un pèrec’est une fonction psychique (S. Freud) qui, au fil des épo-ques, semble pouvoir être conceptualisée comme portée à plu-sieurs : par le père bien sûr, dans ce qu’il est comme personne,comme homme (mais aussi comme idéal et comme person-nage d’un scénario fantasmatique), mais aussi par la mèredans sa parole au sens large, sa parole de mère et sa parole defemme (J. Lacan). Et puis par l’enfant, capable de l’utiliseractivement pour la construction de son psychisme (postklei-niens). Comme nous l’avons dit : chacun ayant une partitionà jouer pour s’acheminer vers le scénario de l’Œdipe. Unenfant qui a aussi une relation avec la relation qui existe

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entre ses parents, assortie de la nécessité dans laquelle il setrouve d’élaborer un sentiment cuisant d’exclusion. C’estlà, la fonction psychique de la conjugalité des parents(M. Klein). La psychanalyse anglo-saxonne et les recherchesempiriques sur les triangulations psychiques et interaction-nelles nous enseignent qu’il y a aussi des enjeux d’inclusion àvivre et une capacité d’être à trois à développer dans lestriangles. Ceux-ci seraient présents dès le début et même bienavant la naissance de l’enfant : en période prénatale, dans lesrêveries conscientes et inconscientes de la mère. Un tiers quiviendrait de l’intérieur (de la psyché) mais aussi de l’extérieur(des relations) : le père tirant la spécificité de ses fonctions, decette position d’extériorité face à la dyade mère/enfant (lapsychanalyse développementale). Il ne s’agirait pas seule-ment de fonctions de séparation et de différenciation, maisaussi et dans le même temps (non pas séquentiellement) defonctions de liaison et de réparation du lien mère/enfant(B. Golse).

Si la rencontre père/enfant se prépare dans la tête de lamère, elle a aussi lieu dans la réalité, dès l’aube de la vie del’enfant : le père présente des fonctions spécifiques en soi depar les différences sexuées qu’il présente par rapport à lamère. Son implication est précoce, directe, différenciée etmultidimensionnelle (J. Le Camus). La relation père/enfantest importante en soi et il y a un attachement spécifiquepère/enfant renvoyant à des mécanismes d’action fondamen-talement différents de ceux sous-tendant l’attachementmère/enfant : ils sont basés sur les jeux de lutte physique. Ils’agit d’une relation d’activation (D. Paquette) dont la spéci-ficité consiste en l’ouverture au monde et en la stimulationpar l’apprentissage du risque et de la découverte de ce qui estextérieur et nouveau. Les apports du père sont conçus dansun modèle de complémentarité parentale par rapport auxapports de la mère (D. Paquette), tout en ayant en tête la cir-cularité des influences père/mère/enfant et l’importance d’uneparentalité de qualité (M. E. Lamb). On parle aussi deprocessus de parentalisation réciproque (J. Le Camus).

C’est là qu’il faut souligner la boucle de notre parcours : leretour vers l’univers psychanalytique de l’intrapsychiquepour y ramener les acquis de la psychologie développemen-

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tale et les penser dans l’articulation des fonctions psychiquesdu père. Notamment en ce qui concerne la fonction de trian-gulation, puisque rappelons-nous notre question de départ :qu’est-ce qu’un tiers au quotidien ?

Par delà la diversité bien documentée des différentes fonc-tions spécifiques du père décrites par la psychologie dudéveloppement, on ne peut réduire la relation père/enfant àune relation de tendresse mutuelle. Il y a une dimension sym-bolique liée à la triangulation, et en fonction des univers danslesquels on se trouve, elle n’est pas décrite de la mêmefaçon. La psychologie du développement souligne les diffé-rences père/mère, formulées de façon la plus aboutie parJ. Le Camus (2001) sous forme d’une altérité dont on recon-naît la valence sexuée : père et mère ont des spécificitéssexuées dans ce qu’ils apportent à l’enfant dans les différentessphères de son développement. Pour la psychologie du déve-loppement, le tiers semble donc s’originer d’un effet d’altéritésexuée : on parle de tiers présymbolique ou proto-symbolique(J. Le Camus, 2001). Quant aux recherches empiriques anglo-saxonnes, elles n’évoquent pas directement la question dutiers : celle-ci reste sous-jacente aux mentions de l’impact dela relation maritale sur l’implication paternelle, de contex-tualisation par la relation maritale (M. E. Lamb), sanspousser plus loin l’analyse.

La psychanalyse est la seule à rappeler clairement l’exis-tence d’une conjugalité entre les parents jouant une fonctionpsychique pour l’enfant : celle d’avoir à aménager une oscil-lation entre des enjeux d’exclusion et des enjeux d’inclusion,qu’il va falloir psychiquement élaborer. Et c’est là l’essencemême de la triangulation au quotidien : c’est l’exercice répétéde ces enjeux d’exclusion et d’inclusion face à un couple deparents qui possèdent entre eux un lien sexué qui exclut l’en-fant mais dont il a été issu à un moment de leur histoire. C’estce qui fait du père un tiers spécifique.

Mais, à la manière d’un tiers spécifique préparé par destiers précurseurs, un tiers objet total préparé par des tiercéi-tés partielles (B. Golse, 2006), cette triangulation assurée parla fonction psychique de la conjugalité des parents est égale-ment soutenue et préparée par la multitude de différencessexuées existant entre les apports maternels et les apports

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paternels à l’enfant, dans les différentes sphères de sondéveloppement.

Au terme de ce parcours, sur quelles questions restons-nous ? Concernant l’origine du tiers, ce que nous venons dedire du tiers par effet d’altérité sexuée versus par tiercéité enlien avec la conjugalité des parents renvoie aux questions sui-vantes : faut-il concevoir les relations triangulées commeappartenant à une ligne de développement différente de celledes relations dyadiques (K. Von Klitzing, 1999), rendantainsi caduque le modèle séquentiel de S. Freud ? Le tiers est-ilà comprendre comme une structure « toujours-déjà-là » oucomme un processus (B. Golse, 2006) ? Comment imaginer larencontre du tiers qui vient de l’extérieur et du tiers qui vientde l’intérieur ? Nous avons plongé dans la métapsychologiede la triangulation dans un autre article (R. Noël et F. Cyr,2009).

Suite au développement des conceptions de la relationpère/enfant et des recherches sur les triangles père/mère/enfant, faut-il penser moderniser les représentations del’Œdipe ? Le père comme tiers spécifique préparé par destiers précurseurs, le père séparateur et différenciateur maisaussi réparateur et protecteur de la relation mère/enfant(B. Golse, 2006), l’Œdipe comme moment culminant sur uncontinuum d’expériences triangulées (K. Von Klitzing, 1999,H. R. Brickman, 1993), les triangulations normatives versuspathologiques, etc.

Enfin, comment penser les familles dans leurs nouvellesstructures en mutation ? Quels sont les ingrédients familiauxnécessaires au bon développement émotionnel de l’enfant ?Comment les définir ? Comment la question du tiers peut-ellenous aider à mettre de l’ordre dans cette question ? Un autrede nos articles tente de développer le paradigme du tierscomme moyen d’évaluer ces familles à géométrie variable(R. Noël, 2008).

Enfin, nous pourrions terminer sur l’idée du paradoxecréatif pour décrire l’oscillation entre l’inclusion et l’exclu-sion dans l’expérience quotidienne de la triangulation. Ettoujours en référence à la pensée de D. W. Winnicott (1975),nous pourrions évoquer une transitionnalité de la triangula-tion : espace intermédiaire dans lequel la question de l’origine

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du tiers serait suspendue (d’où vient le tiers ? de l’extérieurou de l’intérieur ?), afin d’en favoriser l’expérience. Expéri-menter le tiers, vivre les liens à trois sans se demander d’oùvient le tiers, un peu comme s’il était à la fois dedans etdehors, pour chacun des membres du triangle.

Concluons alors avec cette idée d’une transitionnalité dela triangulation à vivre dans la relation à l’autre, nouant à lafois le registre du fantasme (univers intrapsychique) et leregistre de la réalité (univers interpersonnel). Ainsi, pourfaire suite au titre de cet article : « le père, entre la parole dela mère et la réalité du lien à l’enfant », nous dirions mainte-nant : le père, vers la réalité du lien à l’enfant et vers la réalitédu lien à la mère, parent le faisant parent et femme aveclaquelle, comme homme, il vit une conjugalité.

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