Ph. CLANCIER & J. MONERIE - Les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique : évolution...

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Volume 19/1 2014 ORIENT - OCCIDENT

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Volume 19/1 2014

ORIENT - OCCIDENT

Comité d’honneur (au 01.01.2015) :Jean Andreau, Alexandre Farnoux, Ian Morris, Georges Rougemont, Catherine Virlouvet

Comité de Rédaction (au 01.01.2015) :Marie-Françoise Boussac, Roland Étienne, Jean-François Salles, Laurianne martinez-sève, Jean-Baptiste Yon

Responsable de la Rédaction : Marie-Françoise Boussac

Adjoint : Jean-Baptiste Yon

Maison de l’Orient et de la Méditerranée — Jean Pouilloux7 rue Raulin, F-69365 LYon

[email protected]

www.topoi.mom.frwww.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/topoi

Diffusion : De Boccard Édition-Diffusion, 11 rue de Médicis, 75006 Paris

Topoi. Orient-Occident 19, Lyon (2014)ISSN : 1161-9473

Illustration de couverture : Tête masculine, Hatra (photo © Henri Stierlin).Illustration du dos : Temple de Maran, Hatra (photo © Henri Stierlin).

Ouvrage publié avec le concours

de la Société des Amis de la Bibliothèque Salomon Reinach

Topoi 19 (2014)p. 5-7

SOMMAIRE

Fascicule 1

Sommaire 5-7

Index des auteurs 9-10

Les sanctuaires autochtones et le roi dans l’Orient hellénistiquePh. ClanCier et J. Monerie, « Avant-propos » 11-15D. agut-labordère et G. gorre, « De l’autonomie à l’intégration. Les temples égyptiens face à la couronne des Saïtes aux Ptolémées » 17-55L. graslin-thoMé, « De Jérusalem à Babylone. Les relations entre le temple de Jérusalem et les souverains achéménides et hellénistiques » 57-100C. apiCella, « Du roi phénicien au roi hellénistique » 101-121G. tolini, « Les sanctuaires de Babylonie à l’époque achéménide. Entre légitimation, soumission et révoltes » 123-180Ph. ClanCier et J. Monerie, « Les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique. Évolution d’un relais de pouvoir » 181-237L. Martinez-sève, « Les sanctuaires autochtones dans le monde iranien d’époque hellénistique » 239-277

Les CycladesR. étienne, « Les Cyclades : une expression géographique ? » 279-290Cl. hasenohr, « Le bas quartier du théâtre à Délos à l’époque impériale » 291-308H. WurMser, « L’habitat dans les Cyclades à l’époque impériale » 309-323Ch. papageorgiadou-banis, « Monnayage et société dans les Cyclades pendant la période impériale » 325-333M.-Th. le dinahet, « Les nécropoles cycladiques du ier au iiie s. apr. J.-C. » 335-399C. bouras, « Les ports des Cyclades à l’époque impériale » 401-415A. peignard-giros, « La céramique d’époque impériale dans les Cyclades : l’exemple de Délos » 417-433M. galli, « Les réalités associatives dans les Cyclades à l’époque impériale. Le bâtiment à l’intérieur de l’Agora des Déliens et le “Portique des Mystae” de Mélos » 435-455E. le Quéré, « Fortunes et “stratégies” sociales dans l’espace cycladique : le rôle des évergètes sous l’Empire » 457-476

6 sommaire

SOMMAIRE

Fascicule 2

Sommaire 481-482

De la Grèce à RomeR. Bouchon, « Démophilos de Doliché, Paul-Émile et les conséquences de la troisième guerre de Macédoine à Gonnoi » 484-513É. Prioux et E. santin, « Des écrits sur l’art aux signatures d’artiste : l’école de Pasitélès, uncasd’étudesurlanotiondefiliationartistique» 515-546

Méditerranée hellénistiqueP. schneider, « Savoirs lettrés et savoirs pratiques. Denys d’Alexandrie etlesmarchandsalexandrins» 547-563S. Élaigne et S. lemaître, « De la vaisselle et du vin chypriote au Létôon deXanthosàl’époqueromaine» 565-593

Proche-OrientJ. seigne, « Des portiques du naos de Zeus Olympien aux entrées des thermes de l’évêquePlaccus.Empruntsetrecyclagesd’élémentsarchitecturauxàGérasa» 595-627C. saliou,«Àproposdequelqueséglisesd’Antiochesurl’Oronte» 629-661

Comptes rendusS. Fachard, St. Elden, The Birth of Territory(2013) 663-670J. ZurBach, D.W. Jones, Economic Theory and the Ancient Mediterranean(2014) 671-673J. ZurBach, F. de Angelis, Regionalism and Globalism in Antiquity(2013) 675-678H. Broise, S.K. Lucore, M. Trümper (éds), Greek Baths and Bathing Culture(2013) 679-686J.-Cl. david, N. Ergin (éd.), Bathing Culture of Anatolian Civilizations(2011) 687-703r. nouet, Fl. Gherchanoc et V. Huet (dir.), Vêtements antiques. S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens (2012) 705-708P. Pomey, J.-M. Kowalski, Navigation et géographie dans l’Antiquité gréco- romaine (2012) ; J. Beresford, The Ancient Sailing Season(2013) 709-713S. amigues, A. Giesecke, The Mythology of Plants (2014) 715-717Chr. Feyel, J. Marcillet-Jaubert, A.-M. Vérilhac et Cl. Vial, Index du Bulletin épigraphique 1978-1984(2007) 719-733Orient ancien, époques archaïque et classiqueS. gondet, J. Álvarez-Mon & M.B. Garrison (éds), Elam and Persia (2011) 735-740

sommaire 7

H. Le meaux, M.C. Belarte, R. Plana-Mallart (éds), Le paysage périurbain en Méditerranée occidentale (2012) ; P. Darcque et al. (éds), Proasteion (2014) 741-746A. sartre-Fauriat, A.-M. Guimier-Sorbets et Y. Morizot (éds), L’enfant et la mort dans l’Antiquité I (2010) 747-748B. HoLtzmann, a. Papanikolaou, Η αποκατάσταση του Ερεχθείου (2012) 749-759Époque hellénistique et romaineG. Frija, M. Horster et A. Klöckner (éds), Cities and Priests. Cult Personnel in Asia Minor and the Aegean Islands (2013) 761-763Fr. Prost, V. Platt, Facing the Gods (2011) 765-768P. scHneider, S. Guédon, Le voyage dans l’Afrique romaine (2010) 769-773P. scHneider, St. Guédon (dir.), Entre Afrique et Égypte : relations et échanges entre les espaces au sud de la Méditerranée à l’époque romaine (2012) 775-779V. dasen, J. Mander, Portraits of Children on Roman Funerary Monuments (2012) 781-784J.-B. Yon, M. Blömer, E. Winter (éds), Iuppiter Dolichenus. Vom Lokalkult zur Reichsreligion (2012) 785-791R. raja, N. Andrade, Syrian Identity in the Greco-Roman World (2013) 793-796A. Vokaer, A. Schmidt-Colinet et W. al-As‘ad, Palmyras Reichtum durch weltweiten Handel, 2 vol. (2013) 797-800L. tHoLbecq, J.S. McKenzie et al., The Nabataean Temple at Khirbet et-Tannur, 2 vol. (2013) 801-811P.-L. Gatier, « Princes clients du Proche-Orient hellénisé » ; à propos de T. Kaizer et M. Facella (éds), Kingdoms and Principalities (2010) ; A.J.M. Kropp, Images and Monuments of Near Eastern Dynasts (2013) ; G. Vörös, Machaerus I. History, Archaeology and Architecture (2013) » 813-827Égypte et Orient de l’époque hellénistique à l’islamTh. FaucHer, R. et D. Klemm, Gold and Gold Mining in Ancient Egypt and Nubia (2013) 829-836L. martinez-sèVe, r. Boucharlat, e. Haerinck, Tombes d’époque parthe (2011) 837-840L. martinez-sèVe, G.M. Cohen, The Hellenistic Settlements in the East from Armenia and Mesopotamia to Bactria and India (2013) 841-849Fr. de caLLataÿ, F. Sinisi, Sylloge Nummorum Parthicorum VII, Vologases I – Pacorus II (2012) 851-855Ch. LerouGe-coHen, L. Dirven (éd.), Hatra (2013) 857-865Arabie, Inde, océan IndienA. aVanzini, M. Mouton et J. Schiettecatte, In the desert margins. The Settlement Process in Ancient South and East Arabia (2014) 867-874O. boPearacHcHi, I. Strauch (éd.), Foreign Sailors on Socotra (2012) 875-879J. Pons, G. Ducœur (éd.), Autour de Bāmiyān, De la Bactriane hellénisée à l’Inde Bouddhique (2012) 881-892

Topoi 19 (2014)p. 11-15

AvAnt-PROPOS

Les sanctuaires autochtones et le roi dans l’Orient hellénistique :

entre autonomie et soumission

La table ronde intitulée « Les sanctuaires autochtones et le roi dans l’Orient hellénistique : entre autonomie et soumission » s’est tenue le 2 décembre 2011 à la Maison René-Ginouvès de Nanterre, grâce au soutien de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du thème transversal III de la Maison René-Ginouvès, et de l’équipederecherchesHAROC,affiliéeaulaboratoireArScAn (UMR 7041). Elle trouve son origine dans les interrogations assyriologiques de ses organisateurs concernant le statut des villes de culture suméro-akkadienne durant la période de domination macédonienne, interrogations qu’il nous a paru légitime d’insérer dans un contexte plus large, en confrontant nos sources à celles des autres régions de l’Orient hellénistique.

Cet élargissementgéographique se justifieànotre senspar le fait que lesconquérants ont été partout confrontés à la présence de cultures traditionnelles suffisamment vivaces pour influer sur les conditions de la dominationmacédonienne. En témoignent notamment, pour ne citer que quelques exemples célèbres, la décision d’Alexandre de reconstruire la ziggurat de l’Etemenanki à Babylone, le maintien sur le trône du roi Philoclès de Sidon, le sacre memphite de Ptolémée II, la mort d’Antiochos III en Élymaïde ou encore la révolte des Maccabées.Cette situationn’estdu restepasune spécificitéhellénistique, et ilnous a paru utile d’inviter les participants à élargir le cadre chronologique de leurs études, en y intégrant ponctuellement les autres grands empires de la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C., c’est-à-dire les empires achéménide et parthe. Les intervenants ont également été invités, lorsque cela était possible, à intégrer la périodedesmonarchiesautochtonesprécédantlaconquêteperse,afind’insérernosréflexionsdansuntempslongduIer millénaire av. J.-C., préalable indispensable à uneanalysefinedesphénomèneshistoriques.

12 p. clancier, j. monerie

La question du rôle joué par les sanctuaires autochtones dans le jeu des relations entre les populations locales et le pouvoir royal étranger nous a donc semblé constituer une piste fertile, susceptible d’apporter des réponses neuves à nos questionnements. En effet, si l’étude des sanctuaires comme lieux de culte constitue un terrain désormais bien connu des historiens et des archéologues 1, le champ institutionnel, concevant ces sanctuaires comme des acteurs politiques à part entière, semble en revanche avoir été beaucoup plus diversement défriché : très étudiée dans le cas judéen pour des raisons documentaires évidentes 2, la question a au contraire été très peu abordée dans le domaine des études phéniciennes ou iraniennes. Dans ces conditions, il nous a paru bienvenu de dresser un bilan du rôle politique joué par les sanctuaires autochtones dans l’Orient hellénistique et, plus généralement, au sein des empires de la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C. Cette entreprise impliquait néanmoins de réunir des spécialistes de domaines extrêmement variés, et notre volonté initiale de couvrir l’ensemble des territoires concernés s’est malheureusement révélée difficile à réaliser. Ces difficultésexpliquent l’absence d’une étude concernant les états sacerdotaux d’Anatolie dans ce volume, absence qui n’est pas à porter au compte d’un oubli regrettable des organisateurs mais bien à celui des conditions matérielles de sa réalisation.

Qu’entendons-nous du reste par « sanctuaires autochtones » ? La notion d’autochtonie suppose l’existence d’un regard extérieur considérant son objet (un individu, un bâtiment, une institution, un rite etc.) comme appartenant à une culture étrangère, dans laquelle il ne se reconnaît pas, et qu’il juge représentative du lieu où il l’a rencontrée. Elle suppose donc l’existence d’un « autre » (l’autochtone) et d’un « avant », ayant précédé le premier contact. La notion est surtout relative, relevant fondamentalement d’une « question de point de vue », qui peut varier selon les groupes ou les individus. Ainsi les sanctuaires d’Asie Mineure occidentale, considérés comme autochtones par les conquérants achéménides, perdirent ce caractère d’autochtonie avec la conquête d’Alexandre, entreprise (dumoins officiellement) dans le but de «libérer» lesGrecs d’Asiede la domination perse. De la même manière, L. Martinez-Sève a pu mettre en doute le caractère opératoire de la notion d’autochtonie dans le cas des sanctuaires élyméens et bactriens, majoritairement fondés après la conquête macédonienne, et parfois avec l’aide des souverains 3.Ilestvraiquecettedéfinitionrecouvredessituations extrêmement variées en fonction de la région et de l’époque considérée, delatailledecessanctuairesoudeleurinfluencepolitique,socialeouculturelleàl’échelle locale. L’étendue de la période considérée dans un espace aussi vaste et bigarré n’invitait d’ailleurs pas à tenter de dresser un portrait-type du sanctuaire autochtone dans l’Orient de la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C.

1. Voir ainsi récemment vauchez et de la genière 2010.

2. Pour une synthèse bibliographique récente sur cette question, voir ma 2012.

3. Voir la contribution de L. Martinez-Sève dans ce volume (p. 239-277).

avant-propos : les sanctuaires dans l’orient hellénistiQue 13

Ce qui nous a semblé en revanche caractériser les sanctuaires de ces régions à partir des conquêtes achéménide puis macédonienne, c’est justement le fait qu’ilssoientintégrésauseind’édificesimpériauxsouventcosmopolites,dirigéspar des souverains qui n’avaient bien souvent pas une connaissance intime de l’ensemble de leurs territoires. De cette méconnaissance découlait un besoin logique de trouver des interlocuteurs, de se ménager des relais d’autorité, dans un contexte où (si l’on excepte le cas particulier des royaumes phéniciens) les structures politiques antérieures avaient été de fait mises à bas par la conquête.

Il nous a donc paru intéressant d’étudier le rôle joué par les sanctuaires autochtones dans la mise en œuvre de cet impératif et, plus généralement, d’analyser l’évolution des relations entre le pouvoir royal et les sanctuaires au moment où ces derniers devinrent autochtones, c’est-à-dire au moment où ils passèrent sous domination étrangère, que cette domination ait été perse, macédonienne ou parthe.

Il s’agissait donc in fine pour les participants de cette table ronde d’interroger l’articulation des pouvoirs aux échelles locale et impériale dans la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C. Ce domaine d’études connaît un regain d’intérêt depuis le début des années 2000, comme en témoignent les travaux de J. Ma concernant les rapports entre Antiochos III et les cités d’Asie Mineure occidentale 4, de L. Capdetrey, dont l’étude sur l’administration séleucide constitue désormais un ouvrage de référence 5, ou encore les colloques consacrés à l’économie royale séleucide organisés à Lille en 2003 et Orléans en 2004, dont les actes rassemblent une série d’études très précises sur les modalités concrètes de la domination macédonienne 6. Plus récemment, certains travaux se sont intéressés au point de vue des communautés locales, à l’image de l’article que V. Gabrielsen a consacré en 2008 à l’Asie Mineure « provinciale » aux époques achéménide et macédonienne 7, de l’ouvrage publié en 2011 par B. Dreyer et P.-F. Mittag, qui rassemble les contributions de divers spécialistes concernant les élites locales hellénistiques 8, ou encore du colloque consacré aux communautés locales aux époques hellénistique et romaine organisé en 2010 à Nancy 9.

Cette question des rapports entre sanctuaires autochtones et pouvoir royal rassemble logiquement deux approches complémentaires et, à notre sens, inséparables :

4. ma 2004.

5. capdetreY 2007.

6. chankoWski et duYrat 2004.

7. gabrielsen 2008.

8. dreYer et mittag 2011.

9. FeYel et al. 2012.

14 p. clancier, j. monerie

– Tout d’abord, la question des modalités de la dévolution d’une partie de l’administration locale au profit des sanctuaires: quels facteurs déterminaientl’étendue de cette dévolution à tel ou tel sanctuaire, qui semble avoir été parfois importante, comme à Jérusalem, et parfois nulle, comme dans le cas des sanctuaires phéniciens ? Quels domaines concernait-elle ? Sur quelles communautés s’exerçait cetteautorité?Dequeldegréd’autonomiebénéficiaientlessanctuairesdanssonexercice, autonomie qui paraît avoir été relativement importante en Judée, alors qu’elle semble avoir été pratiquement nulle en Babylonie achéménide ?

– D’autre part, il nous a paru important d’envisager la question des stratégies politiquesadoptéesparlaCouronneàl’égarddecessanctuaires.Quelsbénéficeslesouverain pouvait-il par exemple attendre d’un investissement dans la restauration d’un temple autochtone, comme à Aï Khanoum ou à Borsippa ? Quelles logiques poussaient le pouvoir royal à choisir des relais de contrôle internes au sanctuaire, tantôt au sein de l’élite dirigeante locale, tantôt au contraire dans les rangs subalternes du clergé ? Quelles furent les évolutions de cette délégation d’autorité faceauconstatd’uneplusoumoinsgrandeefficacitédecesinstitutionslocalesàservir les intérêts du pouvoir royal ? Le iie s. av. J.-C. par exemple, semble avoir été caractérisé par un transfert du relais de pouvoir depuis les sanctuaires vers les poleis en Babylonie, par une « digestion » de ces sanctuaires par l’administration royaleenÉgypte,etparuneattitudefluctuantaugrédescirconstancespolitiquesen Judée. Quel fut, justement, le rôle joué par ces sanctuaires dans les révoltes, depuis le soutien des temples babyloniens aux révoltes contre Xerxès jusqu’à la scission du personnel du Temple de Jérusalem face à la révolte des Maccabées ?

Ce sont ces questionnements, très divers mais néanmoins complémentaires, quiontguidénosréflexionscollectivesaucoursdecettejournée,etàlaquellenousespérons avoir apporté, à travers les contributions qui suivent, quelques éléments de réponse.

Julien monerie Philippe clancier

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ArScAn – UMR 7041

Bibliographie

capdetreY l. 2007, Le pouvoir séleucide. Territoire, administration, finances d’un royaume hellénistique (312-129 avant J.-C.), Rennes.

chankoWski v. et Fr. duYrat (éds) 2004, Le roi et l’économie. Autonomies locales et structures royales dans l’économie de l’empire séleucide, Topoi Suppl. 6, Lyon.

dreYer B. et P.F. mittag (éds) 2011, Lokale Eliten und hellenistische Könige. Zwischen Kooperation und Konfrontation, Oikumene 8, Berlin.

FeYel Chr. et al. (éds) 2012, Communautés locales et pouvoir central dans l’Orient hellénistique et romain, Études Anciennes 47, Nancy.

avant-propos : les sanctuaires dans l’orient hellénistiQue 15

gabrielsen V. 2008, « Provincial Challenges to the Imperial Centre in Achaemenid and Seleucid Asie Minor », in B. Forsén et G. Salmeri (éds), The Province Strikes Back : Imperial Dynamics in the Eastern Mediterranean, Papers and Monographs of the Finnish Institute at Athens 13, Helsinki, p. 15-44.

ma J. 2004, Antiochos III et les cités de l’Asie Mineure occidentale, Paris (trad. française par S. Bardet de Antiochos III and the cities of Western Asia Minor, Oxford [2000]).

ma J. 2012, « Relire les Institutions des Séleucides de Bikerman », in S. benoist (éd.), Rome, une cité impériale en jeu. L’impact du monde romain selon Fergus Millar, Impact of Empire 16, Leyde – Boston, p. 59-84.

vauchez A. et J. de la genière (éds) 2010, Les sanctuaires et leur rayonnement dans le monde méditerranéen, de l’Antiquité à l’époque moderne, Cahiers de la Villa « Kérylos » 21, Paris.

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Les sanctuaires babyLoniens à L’époque heLLénistique

évoLution d’un reLais de pouvoir

introduction

La chute de l’empire néo-babylonien en 539 av. J.-C. est parfois présentée comme le début d’une ère de déclin de la culture mésopotamienne ancienne. Bien que ce point de vue nécessite d’être fortement nuancé 1, il n’en demeure pas moins vrai que la Mésopotamie fut alors intégrée pour la première fois de son histoire à un empire qui lui était politiquement et culturellement étranger. Les souverains achéménides n’étaient certes pas les premiers conquérants à prendre possession de la plaine alluviale du Tigre et de l’Euphrate, mais à la différence de leurs lointains prédécesseurs amorrites et kassites du IIe millénaire av. J.-C., Cyrus et ses successeurs n’adoptèrent pas telles quelles la culture et l’idéologie royale suméro-akkadiennes. Les quelques concessions que firent les rois perses aux sanctuaires babyloniens, représentants de cette culture désormais « autochtone », n’avaient en effet qu’une portée politique locale, à l’image du fameux Cylindre de Cyrus, dont les auteurs (les scribes du sanctuaire de l’Esagil, à Babylone) étaient aussi, non sans quelque paradoxe, les principaux destinataires 2.

La date de 539 av. J.‑C. marque donc, d’une certaine façon, la fin de la centralité politique et symbolique dont avait joui jusqu’alors la plaine mésopotamienne. La Babylonie, qui constituait la partie basse de cette plaine, se trouvait ainsi reléguée au rang de province d’un empire étranger – une province de premier ordre, certes, qui fournissait d’importantes ressources en hommes et en produits agricoles à

1. Clancier 2009, p. 297-318.

2. Sur ce document, voir la contribution de G. Tolini.

182 p. clancier, j. monerie

l’empire achéménide, et dont la capitale Babylone abritait une résidence royale, mais une province tout de même.

Lorsque la Babylonie fut conquise par Alexandre en 331 av. J.‑C., la région se trouva à nouveau intégrée à un empire dont les dirigeants connaissaient mal les structures locales, et la question de son intégration se posa alors en des termes relativement similaires à ceux qui avaient prévalu deux siècles auparavant, au moment de la conquête perse. Dans ces conditions, les assemblées des grands sanctuaires urbains, éléments incontournables du paysage institutionnel babylonien, cherchèrent à se présenter auprès des conquérants comme des interlocuteurs indispensables à la bonne marche de l’administration de la province du fait de leur connaissance intime de la situation politique locale. Nous verrons que le pouvoir royal semble avoir tenu compte de cette situation, s’appuyant sur ces organismes pour administrer la région.

En 141 av. J.‑C., après deux siècles de domination macédonienne, la Babylonie fut à nouveau conquise et absorbée par un empire étranger : l’empire arsacide. Pourtant, à la différence de ses prédécesseurs, Mithridate Ier ne semble pas avoir délégué d’autorité aux assemblées des sanctuaires autochtones, choisissant de s’appuyer pour l’administration locale sur un autre relais de pouvoir, la polis. Cette nouvelle configuration politique ne laissait aux sanctuaires qu’un rôle religieux et symbolique, dont témoignent les mentions fréquentes de sacrifices effectués dans l’Esagil par les hauts fonctionnaires arsacides à l’occasion de leur entrée en charge ou de leur passage à Babylone 3.

Il apparaît donc que les assemblées des grands sanctuaires de Babylonie sont passées, entre la fin du ive s. et le milieu du iie s. av. J.-C., d’une fonction de relais local du pouvoir royal à une position marginale, dénuée d’influence politique et sans autonomie réelle. C’est précisément cette évolution que nous nous proposons d’étudier ici, afin d’en cerner les causes, les modalités, les rythmes et les conséquences, depuis la conquête de la région par Alexandre jusqu’au début de l’époque parthe.

Il convient toutefois, avant d’entamer cette étude, de formuler quelques remarques méthodologiques concernant les sources à disposition. L’essentiel des informations relatives à la Babylonie provient en effet des textes akkadiens inscrits en caractères cunéiformes, parvenus jusqu’à nous grâce à la pérennité de leur support d’argile. Ce corpus, qui compte plusieurs milliers de documents pour l’époque hellénistique, ne saurait toutefois être étudié comme un échantillon représentatif de la documentation produite en Babylonie durant cette période. En effet, l’immense majorité des archives officielles et privées était alors rédigée en langue araméenne ou grecque sur des supports d’écriture périssables comme la peau ou le papyrus 4. L’araméen avait supplanté l’akkadien comme langue de

3. Voir par exemple AD 3, -132 B, f. 27-29 ; -126 B, r. 1’-8’ ; -107 C, r. 15’-18’.

4. Sur ces questions, voir déjà clancier 2012, p. 297-299, et monerie 2012, p. 327-329.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 183

communication en Babylonie depuis le viie s. av. J.-C. au moins, et à l’époque achéménide (539-331), l’akkadien cunéiforme sur argile n’était presque plus utilisé en dehors du milieu des sanctuaires traditionnels. La conquête macédonienne, qui marqua l’essor de la langue grecque dans la région, ne changea pas fondamentalement la situation de la langue akkadienne : à l’époque hellénistique, même les archives des sanctuaires comportaient une part non négligeable de documents inscrits en araméen ou en grec, la langue akkadienne n’étant plus utilisée que pour des usages bien spécifiques 5. Le corpus cunéiforme n’en demeure pas moins abondant, et bien que les textes ne permettent pas de traiter en détail tous les aspects de l’histoire de la région, ils apportent tout de même, à travers le filtre très spécifique du point de vue de la notabilité des sanctuaires suméro‑akkadiens, des renseignements d’une grande précision sur l’organisation politique, économique et sociale des grandes villes de Babylonie à l’époque hellénistique.

Cette documentation peut se diviser en deux catégories générales : la première rassemble les textes littéraires et savants, parmi lesquels on trouve notamment les journaux astronomiques de Babylone, qui présentent des notices événementielles enregistrant les événements dont les astrologues de l’Esagil avaient vent ou étaient témoins 6, ainsi que les chroniques, elles aussi rédigées par les astrologues de l’Esagil et qui concernent généralement des sujets plus spécifiques 7. L’autre grande catégorie de sources réunit les documents de la pratique, de contenu essentiellement administratif et juridique, émanant du personnel des grands sanctuaires autochtones de Babylonie, et qui permettent d’étudier en détail l’évolution institutionnelle des villes anciennes de la région 8.

5. Les fouilles des sanctuaires de la ville d’Uruk ont ainsi livré moins de documents de la pratique sur tablette cunéiforme (ca. 700) que de bullae et cretulae d’argile (ca. 1 100) qui scellaient à l’origine des documents sur peau ou papyrus, inscrits selon toute vraisemblance en araméen ou en grec et aujourd’hui disparus. Sur ces questions, voir notamment oelsner 1996, lindström 2003 et clancier 2005.

6. Les journaux astronomiques ont fait l’objet d’une publication en trois volumes par A. Sachs et H. Hunger (sachs et hunger 1988, 1989 et 1996). G. Del Monte a rassemblé les notices événementielles de ces journaux dans un ouvrage qui fait aujourd’hui référence (del monte 1997). Sur ces textes, voir aussi dernièrement pirngruber 2013.

7. Le corpus des chroniques d’époque hellénistique et parthe, qui compte à ce jour une vingtaine de documents, est en cours d’édition ou de réédition par I. Finkel et R. van der Spek. Leurs travaux sont accessibles sous une forme préliminaire mais déjà très étoffée sur le site www.livius.org. Pour une première approche de ces documents, voir van der spek 2006, p. 284-303.

8. Il n’existe pas d’ouvrage synthétique permettant d’accéder facilement à l’ensemble de cette documentation. Nous renverrons à la bibliographie nécessaire pour chaque tablette étudiée. Il est toutefois possible d’aborder la richesse de ces écrits grâce à oelsner 1986 et 2003.

184 ph. clancier, j. monerie

Les études portant sur cette documentation se sont considérablement renouvelées depuis un demi-siècle. Les spécialistes ont en effet entamé depuis les années 1960 un véritable travail historique sur ces sources, qui avaient jusqu’alors surtout fait l’objet d’études portant sur le formulaire juridique 9. Les travaux d’A. Kuhrt et S. Sherwin-White ont constitué un tournant historiographique majeur dans cette évolution 10, ouvrant la voie à un développement considérable des études sur la Babylonie hellénistique, parmi lesquelles il faut citer les nombreuses publications de R. van der Spek 11. Ces études fournissent à l’historien un accès rapide aux informations essentielles concernant la région.

Le croisement des différents types de sources et la mise en chronologie des données institutionnelles telles que les mentions d’institutions, de titres de fonction ou encore de messages royaux envoyés aux communautés locales permettent aujourd’hui de proposer une chronologie fine de l’histoire politique de la Babylonie durant le dernier tiers du Ier millénaire av. J.-C. C’est précisément dans cette optique que nous aimerions aborder notre sujet, en envisageant successivement la période d’installation des pouvoirs macédoniens, le renforcement des relais de pouvoir locaux au iiie s. av. J.‑C. et enfin les évolutions majeures qui marquèrent le iie s. av. J.-C. en Babylonie.

i. d’alexandre aux premiers séleucides : le positionnement des notabilités suméro-akkadiennes comme relais de pouvoir

331-323 av. J.-C. : les sanctuaires interlocuteurs obligés du pouvoir royal

Alexandre entra dans Babylone à la fin du mois d’octobre 331, trois semaines après la bataille de Gaugamèles. Les historiens antiques ont conservé deux versions de la reddition de la ville, sous la plume de Quinte-Curce et d’Arrien. Le premier relate la façon dont Mazaios se présenta à Alexandre pour lui livrer la Babylonie :

« Alexandre arrivait à Babylone quand Mazaios, qui s’était réfugié dans cette ville après la bataille, vint à sa rencontre dans l’attitude du suppliant avec ses

9. Voir par exemple sarkisian 1969, doty 1977, mcewan 1981. Les toutes premières études historiques prenant en compte l’apport des sources cunéiformes avaient été menées dans les années 1930-1940 par des hellénistes comme A. Aymard (aymard 1938), W. Tarn (tarn 1938, p. 55-60) ou M. Rostovtzeff (rostovtzeff 1989, p. 304-305, 347, 362-364).

10. Voir notamment kuhrt et serwin-white 1987, 1991, 1993, 1994.

11. Voir entre autres van der spek 1986, 1987, 1993, 1995, 1998, 2001, 2005, 2006, 2009, ainsi que stolper 1993, joannès 2000b, 2006 et 2012, sommer 2000, boiy 2004, clancier 2005, 2007 et 2012, corò 2005 et 2012, jursa 2006, boiy et mittag 2011, monerie 2012 et 2013, sciandra 2012 ou encore strootman 2013.

les sanctuaires babyloniens 185

enfants déjà grands ; il livra sa personne et la ville. Le roi qui voyait la difficulté d’assiéger une ville si bien fortifiée se réjouit de son initiative. » 12.

Babylone possédait en effet une citadelle imposante et bien défendue. En se rendant à Alexandre, Mazaios neutralisa donc le danger que pouvait représenter l’assaut de la ville pour l’armée macédonienne, et fut récompensé par l’octroi de la satrapie de Babylonie. Arrien, qui mentionne également la nomination de Mazaios, livre pour sa part une version différente de la reddition de la ville, insistant surtout sur le rôle des desservants du sanctuaire de l’Esagil, qui auraient obtenu, en échange de leur coopération, le droit de faire relever les temples abattus par Xerxès 13 :

« Au départ d’Arbèles, Alexandre prit tout de suite la route pour Babylone. Il était déjà près de Babylone et faisait avancer son armée en formation de combat quand la population tout entière de Babylone vint à sa rencontre, avec ses prêtres et ses magistrats, chaque groupe apportant ses cadeaux : ils livraient à Alexandre la ville, la citadelle, le trésor. À son entrée dans Babylone, Alexandre invita les Babyloniens à reconstruire les temples que Xerxès avait fait abattre, en particulier le temple de Bēl, celui des dieux que les Babyloniens révèrent le plus. Il nomma Mazaios satrape de Babylone. » 14

Ces deux versions sont en réalité moins incompatibles qu’il n’y paraît : la plupart des spécialistes s’accordent en effet aujourd’hui à penser que la reddition de la Babylonie, que les historiens d’Alexandre présentent comme spontanée, avait été en réalité méticuleusement planifiée dans le cadre de négociations diplomatiques entre les deux camps 15. Si cette hypothèse est exacte, les pourparlers furent vraisemblablement menés du côté babylonien par Mazaios, qui était le principal représentant de l’autorité achéménide dans la région. Le clergé de l’Esagil, quant à lui, n’était certainement pas en position de négocier seul le destin de la région, et il n’est même pas assuré qu’il ait pris part aux échanges diplomatiques. Il n’en demeure pas moins clair que les prêtres du sanctuaire jouaient le rôle d’instances représentantes de la ville de Babylone dans la cérémonie de reddition formelle. Aux yeux des conquérants macédoniens, le clergé du sanctuaire de Bēl‑Marduk représentait donc l’autorité principale de la ville, alors que Mazaios représentait

12. Quinte‑Curce, V, 1, 17 (traduction A. Flobert, légèrement modifiée).

13. Les recherches les plus récentes semblent confirmer la réalité des destructions opérées par Xerxès dans Babylone (george 2010, p. 474-477). Voir toutefois contre cette hypothèse kuhrt 2010, ainsi que les remarques de heinsch, kuntner et rollinger 2011. Sur les révoltes babyloniennes du début du règne de Xerxès, voir waerzeggers 2003-2004.

14. Arrien, Anab., III, 16, 3‑4 (traduction P. Savinel, légèrement modifiée).

15. Sur ces questions, voir kuhrt 1990 et briant 2009, p. 49-53.

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le pouvoir satrapique 16. L’épisode est également documenté par la notice d’un journal astronomique rédigé en 331 par un astrologue de l’Esagil :

Ce mois (tašrītu = oct.-nov.), du 1er (= 8 oct. 331) au […. Le xème jour, des messagers] arrivèrent à Babylone disant : « L’Esagil, […] et les Babyloniens […] au Trésor de l’Esagil […] ».

Le 11 (= 18 oct.), à Sippar, un message d’Alexandre, [roi du monde, fut envoyé aux habitants ?] disant : « Je n’entrerai pas dans vos maisons. ».

Le 13 (= 20 oct.), [les Grecs se présentèrent ? à] la Porte Pure (Kasikilla), la porte extérieure de l’Esagil et […].

Le 14, ces Grecs [sacrifièrent ?] un bœuf […] (…)[Le xème jour], Alexandre, roi du monde, entra dans Babylone 17.

Malgré son mauvais état de conservation, le texte documente sans doute possible l’existence de contacts entre les deux camps tout au long du mois d’octobre, ainsi que l’envoi d’une avant-garde macédonienne, qui se présenta le 20 aux portes du sanctuaire de l’Esagil. Bien que l’on soit a priori en droit d’attendre de ce document de première main des informations plus fiables que le récit que nous ont conservé les auteurs classiques, G. Tolini a récemment insisté sur le caractère très similaire de la composition de cette notice avec celle de la Chronique de Nabonide, qui décrit la conquête de la région par Cyrus en 539 18. La structure du texte semble ainsi avoir répondu tout autant à une volonté de description objective des événements qu’à des préoccupations littéraires. Ce document confirme néanmoins le rôle prééminent joué par la notabilité de culture suméro-akkadienne au sein de la ville de Babylone.

Pour comprendre l’importance de la notabilité des sanctuaires autochtones dans la politique locale, il convient de s’interroger sur les contours du peuplement des villes de Babylonie dans la seconde moitié du ive s. av. J.-C. Ces agglomérations étaient en effet très cosmopolites : plusieurs siècles d’invasions, de déportations et de migrations avaient conduit à l’installation de nombreuses communautés araméennes, juives, iraniennes, arabes ou grecques, dont certaines avaient fait souche dans la région. À la fin de l’époque achéménide, la culture traditionnelle suméro-akkadienne n’était ainsi plus représentée que par une minorité d’individus rassemblés au sein des grands sanctuaires autochtones, véritables conservatoires de cette culture millénaire 19. Malgré leur caractère minoritaire, les notables de cette

16. Quinte-Curce (V, 1, 22) cite d’ailleurs lui aussi les prêtres « chaldéens » en bonne place dans le cortège triomphal qui accueillit Alexandre aux portes de la ville.

17. AD 1, -330, r. 3’-11’ (cf. van der spek 2003, p. 297-299).

18. tolini 2012, p. 277-288. La chronique en question s’inscrit elle-même dans une tradition plus ancienne.

19. Pour les différentes communautés résidant à Babylone, voir van der spek 2005 et 2009. Concernant la notabilité de culture suméro-akkadienne à l’époque

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 187

communauté composaient généralement le cœur des assemblées représentatives locales, chapeautées dans chaque ville par les instances de direction du sanctuaire poliade.

Cette situation héritée du temps des monarchies assyro-babyloniennes avait l’avantage de simplifier commodément les choses pour le nouveau pouvoir argéade qui se trouvait confronté à des entités urbaines dont la taille et la complexité socioculturelle étaient sans commune mesure avec celles des cités du bassin égéen 20. Pour les Macédoniens, les assemblées chapeautées par les sanctuaires traditionnels constituaient un interlocuteur commode, au fait des enjeux politiques, économiques et culturels locaux.

La richesse de ces sanctuaires, qui sembleraient avoir joui d’importantes ressources foncières et de larges troupeaux, constituait d’ailleurs peut‑être un atout supplémentaire aux yeux du pouvoir macédonien. L’emploi du conditionnel s’impose toutefois, dans la mesure où cette puissance économique est surtout visible dans les sources du vie s. av. J.-C. 21. Elle reste encore à cerner pour les siècles suivants, car la documentation cunéiforme ne permet pas d’estimer l’emprise foncière des sanctuaires à la fin du ive s. 22. Ces ressources furent du reste mises à mal après la mort d’Alexandre, lorsque les guerres des Diadoques déstabilisèrent les structures économiques de la région.

323-309 av. J.-C. : les sanctuaires dans la tourmenteLes guerres des Diadoques

La Babylonie se trouva en effet rapidement au cœur des affrontements qui éclatèrent entre les Diadoques après le décès d’Alexandre, le 11 juin 323 23. Au blocus organisé par Perdiccas autour de Babylone au début de l’été 323 succédèrent ainsi les affrontements entre les satrapes concurrents Dokimos et Archôn en 321.

hellénistique, voir récemment boiy et mittag 2011.

20. On trouve un écho de cette image de démesure des villes babyloniennes chez Aristote, qui prétend que la taille de Babylone était telle que la nouvelle de sa chute avait mis trois jours pour atteindre les quartiers périphériques de la ville (Pol. 1276a ; cf. Hérodote, I, 191).

21. jursa 2010, p. 316-468.

22. Notons toutefois l’existence d’un texte inédit du British Museum (*BM 16560), datable du ive s. av. J.-C., qui mentionne les revenus d’une partie des domaines de l’Esagil s’élevant à plus de 22 000 kurru de dattes (i.e. près de quatre millions de litres) et plus de 6 000 kurru d’orge (i.e. plus d’un million de litres) (cf. jursa 2010, p. 398, n. 2288).

23. La date exacte de la mort du roi est avérée par un journal astronomique de Babylone, qui note laconiquement « le roi est mort » à la date du 29 ayyāru de l’an 14 d’Alexandre (= 11 juin 323) (AD 1, -322 B, f. 8’).

188 p. clancier, j. monerie

Mais c’est surtout la « guerre de Babylonie » (311-309), au cours de laquelle les troupes d’Antigone le Borgne s’opposèrent aux forces du satrape Séleucos pour le contrôle de la région, qui eut les conséquences les plus dramatiques pour la Babylonie, jusqu’à ce que la victoire finale de Séleucos sur les forces antigonides à l’été 309 permette enfin le rétablissement d’une paix durable 24.

Durant cette période d’une quinzaine d’années, les Diadoques, qui devaient entretenir d’importants corps de troupes et s’assurer la fidélité de leurs partisans, n’hésitèrent pas à puiser dans les caisses des sanctuaires pour subvenir à leurs besoins. Une tablette de l’Esagil de Babylone datée de 314/313 enregistre ainsi la livraison de la somme conséquente de trois mines d’argent (i.e. 1,5 kg) sur ordre d’un fonctionnaire antigonide placé à la tête du Trésor du sanctuaire, afin de financer les « frais de bouche » d’un Grec :

Trois mines [d’argent], en statères d’Alexandre, au taux (de Babylone ?), sur ordre de Kallinikos, le Grec, le héraut (azdakarri) (qui est) en charge du Trésor, pour la nourriture de Drakontidès ?, le Grec, ont été déboursés du Trésor de Bēl. Cet argent, trois mines, pour la nourriture, Drakontidès ?, le Grec, l’a reçu du Trésor de Bēl 25.

Quant à la Chronique des Diadoques, qui décrit en détail les événements survenus en Babylonie septentrionale durant cette période, elle fait mention de destructions et de pillages au début de l’année 309, alors que les troupes antigonides tentaient de reprendre pied à Babylone, alors tenue par les forces de Séleucos :

[… Antigone ?] sortit de Babylone (et) pilla ville et campagne. Les biens […]. Le 2 [addaru] (= 2 mars 309), il gagna Kutha et [mit] (la ville) à sac. La population se retira. [Il mit] le feu au Trésor du dieu Nergal 26.

Ces déprédations n’ont en réalité rien de surprenant : les ressources gérées par les sanctuaires faisaient en effet de ces institutions des cibles de choix pour les Diadoques, dont les besoins en argent et en nourriture étaient constants.

Le retour à la paix et l’installation du pouvoir séleucideRedevenu maître de sa satrapie à l’été 309, Séleucos avait tout intérêt à

assurer aux sanctuaires traditionnels un retour rapide à une situation de viabilité économique. Le texte cunéiforme communément désigné sous le nom de Texte Bellino (du nom de son premier copiste) apporte à cet égard un éclairage unique. Il s’agit d’un compte-rendu de procès, vraisemblablement rédigé à Babylone et daté

24. Sur le détail des événements de la période des Diadoques en Babylonie, voir boiy 2004, p. 117-123. Sur la guerre de Babylonie, wheatley 2002.

25. stolper 1993 texte A 2‑7 (BM 79001), ll. 1‑12. La restitution du nom de Drakontidès est hypothétique (sur cette lecture, voir monerie 2014, s.v. « Drakontidès »).

26. Chronique des Diadoques (BCHP 03), r. 24’-27’.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 189

de l’année 308/307 : le sanctuaire de l’Ebabbar de Larsa 27 y accuse le responsable du basilikon de Babylone, qui gérait les terres royales de la région, d’avoir usurpé l’un de ses domaines pour le mettre en fermage 28. Le verdict du procès paraît équitable pour les deux parties : le sanctuaire récupère la totalité de ses terres, tout en laissant la redevance du fermage au basilikon :

[…] … qui conformément à […] … […] établis […] le Trésor de Šamaš, roi de l’Univers […] Iltalimatu’, le gouverneur du bīt šarri de Babylone, serviteur d’Intaphernès, le gouverneur de […]…

Par la suite, en l’an 9 du roi Alexandre (IV) fils de ditto (= 308/307), il (i.e. Iltalimatu’ ?) a mis cette terre en tenure, puis il a entamé une procédure judiciaire sur ordre de Partarihlisu, le […] du bīt šarri. La moitié de cette orge relevant des terres du Trésor de Šamaš a été emportée pour le bīt šarri. Lesdites terres, Iltalimatu’ en a laissé la propriété au Trésor de Šamaš, et l’orge du fermage (sūtu) de ces terres a été laissée par le Trésor de Šamaš à Iltalimatu’.

Il n’y aura plus de contestation, de procès ou de revendication de la part de l’Assemblée de l’Ebabbar au sujet de l’orge du fermage de ces terres arables à l’encontre d’Iltalimatu’, pour toujours, et il n’y aura plus de contestation, de procès ou de revendication de la part d’Iltalimatu’, gouverneur du bīt šarri de Babylone, au sujet de ces terres-là, à l’encontre du Trésor de Šamaš et de l’Assemblée de l’Ebabbar, pour toujours 29.

Les circonstances exactes qui menèrent un administrateur des domaines royaux à mettre en culture une terre qui n’appartenait pas à la Couronne demeurent obscures. Dans la mesure où Séleucos venait alors tout juste de reconquérir la région, on ne peut exclure l’éventualité selon laquelle les nouveaux responsables du basilikon se soient contentés de reprendre tel quel le cadastre des terres

27. L’identification du sanctuaire fait débat. Il pourrait également s’agir du sanctuaire homonyme situé à Sippar, en Babylonie septentrionale (cf. van der spek 1992, p. 241‑242). Cette dernière identification paraît cependant moins probable, dans la mesure où l’activité du sanctuaire de Sippar n’est plus attestée après les révoltes babyloniennes contre Xerxès, au début du ve s. av. J.-C.

28. L’institution du basilikon est désignée dans la documentation cunéiforme par l’expression bīt šarri (litt. « maison du roi »). Fr. Joannès (2006, p. 114) et M. Jursa (2006, p. 148 n. 32) ont proposé d’identifier la mention « é lugal tin.tirki » du Texte Bellino (l. 19) comme le domaine foncier du Bīt‑šar‑Bābili, bien attesté par les textes du vie s. av. J.-C. et situé dans la région de Babylone (cf. zadok 1985, p. 106). Il semble toutefois peu probable qu’une petite institution comme le sanctuaire de l’Ebabbar ait possédé des terres dans une zone si éloignée de Larsa. Nous préférons donc suivre la lecture proposée par R. van der Spek (1995, p. 240), qui interprète cette mention comme une désignation du bīt šarri de Babylone. Sur cet organisme, cf. infra.

29. Texte Bellino (BM 68610), ll. 1‑21. Sur ce texte, voir notamment van der spek 1986, p. 202-211, et 1995, p. 238-241, ainsi que joannès 2006, p. 113-114, et monerie 2013, p. 166-168.

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royales laissé sur place par l’administration antigonide. Dans cette hypothèse, la confiscation du domaine en question pourrait dater en réalité de la période de domination antigonide (315-309). Le sanctuaire aurait ainsi cherché à récupérer son bien dès la fin des hostilités, avant d’obtenir gain de cause en 308/307. Une telle reconstruction demeure néanmoins sujette à caution en l’état actuel de la documentation. Par ailleurs, l’absence de documents attestant des cas similaires soulève la question de la représentativité d’un tel verdict. Le fait que l’Ebabbar ait pu récupérer ses terres sans encombre semble toutefois aller dans le sens d’une volonté de ne pas susciter l’hostilité des notabilités traditionnelles en les privant de leurs moyens de subsistance.

La période de troubles ouverte par la mort d’Alexandre semble donc avoir été difficile pour les sanctuaires suméro‑akkadiens, qui apparaissaient davantage comme des réservoirs de ressources que comme des relais de pouvoir aux yeux des Diadoques poussés par le besoin de financer leurs armées. Cette parenthèse de la fin du ive s. fut toutefois suivie d’un retour à une politique bienveillante à l’égard des sanctuaires, qui semble avoir prévalu dans le contexte d’installation d’un pouvoir séleucide en quête de relais efficaces.

La collaboration du pouvoir séleucide et de la notabilité des grands sanctuaires de Babylonie

Contrairement à la fin du ive s. et au iie s. av. J.-C., la première moitié du iiie s. av. J.-C. apparaît comme une période de relative pauvreté documentaire à l’échelle de la période hellénistique. Les quelques textes cunéiformes de cette période ayant trait aux rapports entre le pouvoir séleucide et les sanctuaires autochtones semblent toutefois indiquer l’existence d’une politique de collaboration active avec les notabilités traditionnelles des villes de la région.

La notabilité suméro-akkadienne comme relais du pouvoir royalLe Cylindre de Nikarchos constitue sans nul doute l’un des documents

les plus célèbres attestant cette collaboration. Il s’agit d’un texte de fondation enregistrant la rénovation du sanctuaire urukéen du Bīt Rēš au printemps 244, sous l’égide d’un personnage nommé Anu‑uballiṭ, qui appartenait à une famille de notables locaux rattachée au clan Ah’utu. Ce dernier y met en avant les liens qui l’unissaient au défunt Antiochos II, liens qui lui avaient valu l’honneur de recevoir du roi le nom grec de Nikarchos 30 :

Au mois de nisānu de l’an 68 (= avr.-mai 244), Séleucos (II étant) roi, Anu-uballiṭ, fils d’Anu‑ikṣur, descendant d’Ah’utu, gouverneur d’Uruk (šaknu ša Uruk), dont le roi des pays Antiochos (II) a établi l’autre nom, Nikarchos, a bâti et parachevé le Bīt Rēš…31.

30. Sur l’onomastique grecque en Babylonie hellénistique et parthe, cf. monerie 2014.

31. Cylindre de Nikarchos (YOS 1 52), ll. 1-4.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 191

L’exceptionnalité du titre de « gouverneur d’Uruk » (šaknu ša Uruk), qui n’est plus attesté par la suite, complique l’interprétation de la situation documentée par ce texte. Il paraît néanmoins raisonnable de supposer que cette fonction recouvrait en partie la gestion civile de la ville et de son territoire. L’attribution de cette position à un membre de la notabilité urukéenne comme Anu‑uballiṭ~Nikarchos, qui était lié à la fois à la Couronne et au milieu des sanctuaires suméro-akkadiens de la ville, semble ainsi témoigner d’une volonté séleucide de collaboration politique avec les élites locales traditionnelles 32.

Un document fragmentaire récemment publié pourrait d’ailleurs laisser penser que cette collaboration avait été inaugurée dès le règne de Séleucos Ier. Le texte, qui date vraisemblablement du règne personnel d’Antiochos Ier (281-261), dresse en effet la liste de plusieurs décrets royaux (ṭēmu) concernant les sanctuaires d’Uruk. L’un de ces décrets présente un intérêt tout particulier :

Qu’ils transfèrent […] de la responsabilité du représentant du Palais à […] Kidin-Anu et les Urukéens […] au sujet de ce décret […] le 28 simānu de l’an 22 (= 4 juill. 290) […] 33

Si l’interprétation de ce passage est correcte, la notabilité locale traditionnelle, dont l’organe principal était alors l’« Assemblée des notables » (kiništi mār banê, ici désignée par le nom générique d’« Urukéens ») 34, pourrait avoir bénéficié en 290 d’une dévolution de nouvelles compétences, détachées de la juridiction d’un « représentant du palais » (qīpu ša ēkalli), dont nous ne savons rien. Ce décret pourrait ainsi attester l’existence d’une politique de dévolution de compétences administratives au profit de la notabilité suméro‑akkadienne dès le début du iiie s. av. J.-C., au moment où le futur Antiochos Ier séjournait en Babylonie.

Le soutien du roi à ses relais de pouvoir : le cas des donations foncièresCette politique semble par ailleurs s’être accompagnée tout au long du iiie s.

de donations de terres royales aux communautés locales de Babylonie. Plusieurs

32. Nous ignorons la nature exacte des rapports entre Anu‑uballiṭ~Nikarchos et Antiochos II. La présence de membres de la notabilité traditionnelle babylonienne à la cour séleucide est toutefois attestée par l’exemple célèbre de Bérose (en akkadien, Bel-re’ušunu), membre du clergé de l’Esagil, qui séjourna à la cour d’Antiochos Ier et lui dédia ses Babyloniaka. Sur Bérose et son œuvre, voir dernièrement de breucker 2013.

33. […] […] ⌈x⌉-’u la-pa-ni lúqí-pu-ú-tú šá é.gal a-⌈x⌉ / [… I]⌈ki⌉-din-d60 ⌈ù⌉ lúunugki-a-a li-bu-ku-ú […] / […]-⌈x-’u⌉ a-na muh-hi ṭè-e-mu a-⌈ga⌉-[a …] / […] ⌈igi⌉sig4 u4 28-kám mu 22-kám […] (YOS 20 87, ll. 9-12). Nous préparons actuellement une étude complète de ce texte, en collaboration avec Fr. Joannès.

34. Cette assemblée apparaît notamment dans un compte-rendu de procès daté de 303, qui porte sur un esclave dédié en oblation au sanctuaire d’Anu (YOS 20 01). Elle doit être distinguée de l’« Assemblée d’Uruk » (kiništu ša Uruk), attestée à partir du règne de Séleucos IV (187-175) (cf. infra).

192 p. clancier, j. monerie

documents cunéiformes attestent en effet l’existence d’importantes donations foncières aux villes de Babylone, Borsippa et Kutha sous les règnes d’Antiochos Ier (281-261), d’Antiochos II (261-246) et, probablement, d’Antiochos III (222-187) 35. Le document le plus célèbre à cet égard est sans aucun doute la Tablette Lehmann, ainsi baptisée du nom de son premier éditeur. Ce texte daté de 173/172 s’ouvre en effet sur un discours prononcé en 236 par l’administrateur (šatammu) du sanctuaire de l’Esagil :

(C’est) le 8 addaru de l’an 75 (= 21 mars 236), Séleucos (II étant) roi, que Nergal-(ina)‑teši‑eṭir, šatammu de [l’Esagil], fils de Bel‑ibni, a parlé aux Babyloniens de l’Esagil en ces termes :

« Le roi Antiochos (II) nous ? a gracieusement fait don [de] tout ce que son père Antiochos (Ier) et son grand-père Séleucos (Ier), les rois, avaient […], les terres arables de son propre domaine qui (se trouvent) dans les environs de Babylone et de Borsippa, à droite et à gauche de l’Euphrate, et les terres arables qui (sont) en échange des terres prises par le bīt šarri et tout ce que […], il les a données à Laodice, son épouse, (et) Séleucos et Antiochos, ses fils.

Laodice, son épouse, (et) Séleucos et Antiochos, ses fils (les) ont (ensuite) données aux Babyloniens, Borsippéens et Kuthéens et inscrit qu’un dixième des récoltes qui proviennent de ces terres arables, ils le donneraient pour l’entretien de l’Esagil, l’Ezida et l’Emeslam. » 36.

Plusieurs domaines ont donc été offerts par Antiochos II à son épouse Laodice et ses enfants Séleucos (II) et Antiochos (Hiérax), qui les ont à leur tour attachés aux territoires des villes de Babylone, Borsippa et Kutha au début des années 240 av. J.-C. 37. Bien que les implications concrètes de ces rattachements fassent l’objet de débats 38, il semble hors de doute que les villes concernées en tiraient un bénéfice économique non négligeable : on comprendrait en effet mal, dans le cas contraire, la raison pour laquelle le šatammu de l’Esagil aurait rappelé l’existence de cette donation à ses concitoyens une dizaine d’années après les faits, dans un discours qui était encore recopié par les scribes de l’Esagil à la fin des années 170 av. J.-C.

La concession de ces nouvelles ressources foncières aux villes anciennes de la région accompagnait ainsi la politique royale de dévolution de nouvelles prérogatives à la notabilité suméro-akkadienne qui gérait ces villes au iiie s. av. J.-C.

35. Pour une étude plus complète de ces donations, voir monerie 2013, p. 219-233.

36. CTMMA 4 148, ll. 1-11 (cf. wallenfels et van der spek 2014).

37. Sur la datation de ce rattachement, voir monerie 2013, p. 224-225.

38. Voir notamment sarkisian 1969, p. 323-325, van der spek 1993, p. 74-75, et monerie 2013, p. 223-228.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 193

Une politique limitée d’évergétisme au profit des sanctuairesLes indices d’une politique d’appui direct aux sanctuaires suméro‑akkadiens

s’avèrent en revanche plus rares 39. Le cas le plus marquant à cet égard concerne la restauration des sanctuaires. L’une des tâches essentielles dévolues au souverain dans la tradition mésopotamienne consistait en effet à veiller à l’entretien des temples construits en briques d’argile, qui nécessitaient des travaux réguliers de rénovation. La décision d’Alexandre de faire relever les temples de Babylone (et en particulier la ziggurat du complexe religieux de l’Esagil, l’Etemenanki 40) avait renoué avec cette tradition quelque peu délaissée par les Perses, et il semble qu’Antiochos Ier, qui passa une partie de sa jeunesse en Babylonie, ait à son tour endossé ce rôle après la période troublée des Diadoques 41. La Chronique des ruines de l’Esagil, probablement datée de la fin des années 290 ou du début des années 280 av. J.-C., documente en effet l’achèvement sur son ordre du déblaiement du site de l’Etemenanki par les troupes royales séleucides, aidées des éléphants rapportés d’Inde par Séleucos 42. Par ailleurs, le célèbre document de fondation connu sous le nom de Cylindre d’Antiochos, mis au jour sur le site de Borsippa et daté de 268, enregistre la reconstruction des sanctuaires de l’Ezida de Borsippa et de l’Esagil de Babylone sous l’égide d’Antiochos Ier :

39. Le cas du Texte Bellino, évoqué plus haut, vient certes à l’esprit, mais il s’agit d’un litige judiciaire spécifique, tranché à la demande du sanctuaire de l’Ebabbar, et dont la représentativité demeure sujette à caution (cf. supra).

40. Il n’est en fin de compte pas impossible que Xerxès ait été plus dur avec Babylone que les assyriologues ne l’ont longtemps pensé, ce qui expliquerait l’état de l’Etemenanki (et peut-être de l’Esagil lui-même) à l’arrivée des Macédoniens (george 2010). Sur les travaux de déblaiement du site de la ziggurat la fin du ive s, voir notamment van der spek 2006, p. 266-275, et monerie 2013, p. 115-122. Une partie des déblais de l’Etemenanki semble avoir été déplacée vers le quartier d’Ālu eššu, au nord-est du rempart intérieur de Babylone. G. Bergamini (2011, p. 25-30) estime qu’ils furent utilisés pour endiguer la montée de la nappe phréatique qui, combinée au creusement d’un canal depuis l’Euphrate, permit d’entourer d’eau le versant méridional du palais royal. C’est sur ces déblais que le théâtre de Babylone fut plus tard édifié (cf. van der spek 2001 et potts 2011).

41. L’activité d’Antiochos en Babylonie septentrionale est bien illustrée par la Chronique d’Antiochos et Sîn (BCHP 05), qui met en scène le « prince héritier » dans le cadre de diverses activités cultuelles suméro‑akkadiennes à Babylone : « [Ce mois, le x] e [jour], le prince héritier, sur les instructions d’un certain Babylonien [procéda aux offrandes] régulières pour Sîn de l’Egišnugal et Sîn de l’Enit[enna]. [Antiocho]s, le fils du roi, dans le temple de Sîn de l’Egišnugal et le temple de [Sîn de l’Enitenna est entré ?. Le fi]ls du roi en question s’est prosterné. Le fils du roi [a donné ?] un mouton pour l’offran[de. …… s’est proster]né. [Il …..] dans le temple de Sîn de l’Egišnugal et le temple de Sîn de l’Enit[enna. Ce mois, le fils du roi] est sortie [d]e Babylone pour Bīt‑Gurâ. (…) ».

42. BCHP 06, ll. 5’-9’.

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Lorsque mon cœur m’a poussé à restaurer l’Esagil et l’Ezida, j’ai moulé les briques de l’Esagil et de l’Ezida dans le pays de Hatti, de mes propres mains purifiées avec de l’huile de première qualité, et je les ai apportées pour (re)mettre en place les fondations de l’Esagil et de l’Ezida 43.

Ce document célèbre, souvent cité pour illustrer l’ampleur de l’investissement séleucide à l’égard de la Babylonie et de la culture suméro-akkadienne 44, appelle plusieurs remarques. La première concerne son impact sur la population locale. En effet, si la reprise de titulatures traditionnelles telles que « pourvoyeur de l’Esagil et de l’Ezida » et l’appel à la protection du dieu Bēl‑Marduk et de son fils Nabû, détenteur de la Tablette des Destins 45, visent indiscutablement à présenter le roi séleucide sous les traits d’un monarque babylonien 46, il convient de ne pas perdre de vue le fait que ce document demeurait confidentiel du fait de son statut de dépôt de fondation, quand bien même une copie aurait été conservée dans le sanctuaire de l’Ezida à Borsippa. Aucun autre exemplaire du document n’a été mis au jour, et nous n’avons aucun indice de la diffusion du texte du cylindre à la population locale. Dans ces conditions, l’emploi du terme de « propagande » pour qualifier ce document nous semble devoir être utilisé avec la plus grande prudence 47. Si propagande royale il y a eu, elle visait avant tout les membres du clergé de l’Ezida, qui furent autorisés à produire au nom du roi un document conforme aux canons suméro‑akkadiens, selon une forme considérée comme recevable pour les dieux dont ils assuraient le culte.

Cette mise en forme du document dans le but de faire correspondre les événements aux exigences de la tradition mésopotamienne a par ailleurs des conséquences importantes sur son interprétation. Le texte du cylindre précise en effet que la cérémonie de moulage des briques de fondation des deux sanctuaires, qui dans la tradition mésopotamienne devait impérativement être effectuée personnellement par le souverain, a eu lieu dans le « pays de Hatti », expression archaïsante désignant la Syrie. En d’autres termes, les prêtres de l’Esagil et de l’Ezida se sont rendus à la cour d’Antiochos pour demander au roi d’effectuer cette cérémonie conformément aux exigences rituelles suméro‑akkadiennes. Cette délégation des prêtres babyloniens en Syrie nous semble jeter un doute

43. Cylindre d’Antiochos (BM 36277), ll. 6-13.

44. Voir notamment kuhrt et sherwin-white 1991, erickson 2011 et strootman 2013.

45. Il est probable que la force des syncrétismes identifiant Bēl‑Marduk à Zeus et Nabû à Apollon ne soit pas absente du fonds théologique de ce document (cf. erickson 2011).

46. L’apparition du prince corégent Séleucos et de la reine Stratonice (sous le nom Aštartanikku) est en revanche plus originale pour une inscription royale mésopotamienne (cf. kuhrt et sherwin-white 1991, p. 83-84).

47. Cf. strootman 2013, p. 73.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 195

sur la présence effective du souverain en Babylonie en 268. On comprend en effet mal la raison pour laquelle les prêtres auraient dû se déplacer en Syrie pour demander au roi de mouler les briques de fondation des sanctuaires si Antiochos avait ensuite pris la peine de les accompagner en personne jusqu’en Babylonie pour poser ces briques. Dans ces conditions, il nous semble imprudent d’écarter trop rapidement l’hypothèse selon laquelle l’indication de la présence du roi aux cérémonies d’inauguration des sanctuaires aurait été un « embellissement » de la réalité, destiné à faire correspondre les événements décrits aux exigences de la tradition mésopotamienne.

Enfin, et quelle que soit la validité de cette dernière hypothèse, ce soutien d’Antiochos Ier à la restauration des temples suméro-akkadiens ne saurait être considéré comme représentatif d’une politique générale d’évergétisme séleucide à l’égard des sanctuaires de Babylonie. Le Cylindre d’Antiochos est en effet la dernière inscription royale de tradition mésopotamienne attestée à ce jour. Dans ces conditions, la restauration des sanctuaires de l’Ezida et de l’Esagil semble avant tout liée à la personne d’Antiochos, qui avait passé une partie de sa jeunesse en Babylonie et était apparemment plus attaché que ses successeurs à la région.

La première moitié du iiie s. av. J.-C. semble ainsi avoir été essentiellement marquée par la dévolution de compétences locales au profit de la notabilité traditionnelle des villes de Babylonie, associée à une politique de donations foncières au bénéfice de ces villes. Cette influence politique locale semble s’être accrue au cours de la seconde moitié du siècle, période pour laquelle nous disposons d’une documentation plus abondante.

II. L’accaparement de l’influence politique locale par le milieu des sanctuaires

Des institutions traditionnelles autonomes

Le sanctuaire comme lieu de pouvoirLe sanctuaire constituait à la fois un milieu social, un horizon politique et un

lieu de pouvoir pour les grandes familles de la notabilité traditionnelle. L’emprise exercée par ces grands complexes religieux dans le tissu urbain matérialisait cette centralité politique au sein de la ville. L’exemple du complexe de l’Esagil à Babylone, qui couvrait l’ensemble du quartier d’Eridu et le nord du quartier de Šuanna, est à ce titre éclairant (cf. Fig. 1 en annexe) 48. À l’époque hellénistique, les

48. La question de l’état matériel du temple de l’Esagil à l’époque séleucide ne va pas sans poser problème. En effet, bien que les fouilles entreprises par la Deutsche Orient-Gesellschaft au début du xxe s. n’aient pas été en mesure de dégager complètement le bâtiment principal de l’Esagil, enseveli sous plus de vingt mètres de remblais (dont la majeure partie n’était pas stratifiée), les sondages effectués dans la zone n’ont pas permis de mettre au jour un niveau de sol d’époque hellénistique, ce qui semble contredire l’hypothèse d’une restauration complète du sanctuaire par Antiochos Ier : les niveaux les plus récents dataient en effet des règnes d’Aššurbanipal (669‑627)

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principales instances du sanctuaire étaient rassemblées dans une zone que les textes désignent sous le nom de Parc des Genévriers 49. Ce secteur rassemblait en effet :

– des temples tels que l’Eturkalamma dédié à la déesse Ištar 50. On pouvait d’ailleurs aussi accomplir des rituels dans le parc lui‑même comme, par exemple, celui du lilissu 51.

– La (ou les) bibliothèque(s) et archives de l’Esagil 52.– Plusieurs édifices à vocation économique, dont le trésor du sanctuaire (bīt bušê) 53.– Un espace administratif appelé « maison des délibérations » (bīt milki),

mais qui n’est documenté qu’une fois, très tardivement (en 94 av. J.-C.), et dont l’usage reste difficile à cerner précisément54.

et Nabuchodonosor II (604-562) (cf. koldewey 1900-1901, p. 15, et wetzel et schmidt et mallwitz 1957, p. 29-30, ainsi que pedersén 2005, p. 284, lot N20). On est donc en droit de se demander si cette partie du sanctuaire était encore en service à l’arrivée d’Alexandre. L’aspect général du complexe de l’Esagil pourrait alors avoir été sensiblement différent de ce qu’il était à l’époque néo-babylonienne…

49. Un journal astronomique daté de 329 pourrait faire référence à l’organisation de cet espace situé au sud du temple de l’Esagil (AD 1, -328, r. 23’-27’). Bien que le secteur ait été largement exploré par les fouilleurs clandestins et après eux par H. Rassam, aucune fouille archéologique « scientifique » n’y a été menée : R. Koldewey, premier fouilleur de Babylone, trouva en effet le terrain à ce point bouleversé qu’il en était devenu incompréhensible. C’est donc en se fondant sur la documentation cunéiforme de l’Esagil (qui était conservée dans ce secteur, mais pour laquelle nous ne disposons d’aucun contexte archéologique clair) que l’on peut reconstituer la topographie du cœur décisionnel du sanctuaire. Pour la reconstitution des archives et bibliothèque de l’Esagil, cf. jursa 2005, p. 73-76, et clancier 2009, p. 107-213. L’image du Parc des Genévriers que nous présentons ici repose sur le croisement de documents d’époque hellénistique et parthe. Les données utilisées sont celles collectées par R. van der Spek, consultables dans le commentaire de la publication préliminaire de la chronique BCHP 08 (finkel et van der spek à paraître).

50. Ce temple est dit « entouré » par le parc dans le texte CT 49 150, ll. 23-24 (cf. van der spek 1998, p. 222-226).

51. AD 1, -270 B, r. 13’-15’.

52. L’espace de conservation des documents appartenant au sanctuaire (archives et bibliothèques) nous est complètement inconnu. Il est possible que plusieurs espaces de stockage aient été disséminés sur l’ensemble du parc.

53. AD 2, -168 A, r. 19’.

54. AD 3, -93 A, r. 25. R. van der Spek a proposé que des missives royales aient été lues dans le bīt milki, mais cette interprétation nous semble quelque peu abusive (cf. le commentaire de la publication préliminaire de la chronique BCHP 08 dans finkel et van der spek à paraître, et infra pour une autre interprétation).

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 197

– Enfin, peut‑être, la « maison des juges du sanctuaire » (bīt dayyāni ša bīt ilāni) 55, sur laquelle nous reviendrons.

Remarquons enfin que les portes du sanctuaire tenaient une place importante dans la mise en scène du pouvoir des notables babyloniens. Des restrictions rituelles pesaient en effet sur l’accès des profanes aux espaces sacrés. Dans ces conditions, ce sont les portes qui servaient d’interface avec les autorités royales, à l’exception du souverain lui‑même, qui était autorisé à pénétrer dans le sanctuaire 56. Le cas le mieux attesté est celui de la porte principale de l’Esagil, appelée « Porte Pure » (Kasikilla) ou « Porte Dudê », devant laquelle se présenta l’avant‑garde macédonienne envoyée par Alexandre en octobre 331.

Les sanctuaires étaient donc le lieu de pouvoir essentiel des notabilités traditionnelles de la région. L’obtention de nouvelles prérogatives par ces notabilités semble avoir renforcé l’amalgame entre le relais politique civil qu’elles représentaient et les intérêts des sanctuaires auxquels elles appartenaient.

La captation de nouvelles compétences par les notabilités suméro-akkadiennesLes sources cunéiformes hellénistiques attestent essentiellement l’action des

instances dirigeantes des temples dans un cadre interne à l’institution, comme la gestion des biens du sanctuaire ou l’organisation du service cultuel 57. Il nous semble toutefois imprudent d’en déduire trop rapidement que l’autorité des notabilités suméro‑akkadiennes ne s’exerçait pas en dehors de l’enceinte des sanctuaires. Nous avons en effet pu voir qu’une proportion non négligeable des archives des temples, rédigée sur supports d’écriture souples, avait aujourd’hui disparu 58. Si, comme nous le pensons, le pouvoir royal a effectivement délégué des prérogatives administratives aux notabilités des sanctuaires, les archives correspondantes furent très probablement produites sur de tels supports, en grec ou en araméen, de façon à pouvoir être contrôlées par l’administration royale. Dans ces conditions,

55. La maison des juges du sanctuaire apparaît dans la Chronique judiciaire (joannès 2000). I. Finkel et R. van der Spek ont proposé de situer ce bâtiment, qui comprenait une prison, en dehors de la ville car il est dit à la l. 10 de la chronique qu’elle était « derrière la Po[rte…] » (finkel et van der spek à paraître, commentaire des ll. 9-10 de BCHP 17). Il convient toutefois de remarquer que le Parc des Genévriers comporte lui‑même plusieurs portes. L’emplacement exact de ce bâtiment est donc incertain. La maison des juges est également attestée par les journaux astronomiques comme le journal AD 2, ‑168 A, qui relate le procès et l’exécution de plusieurs voleurs ayant cherché à s’emparer de biens précieux appartenant au dieu Nergal : l’interrogatoire des suspects est mené « dans la maison des juges du sanctuaire, devant celui qui (officie) à la place du šatammu de l’Esagil et devant les juges du sanctuaire » (AD 2, -168 A, r. 16’-18’).

56. Pour un développement plus complet de cette question, voir clancier 2012, p. 313-314.

57. Sur ces questions, voir notamment monerie 2012, p. 333-338.

58. Cf. supra.

198 p. clancier, j. monerie

les sources cunéiformes disponibles introduisent un biais documentaire important pour juger de l’étendue de la juridiction dévolue aux notables des sanctuaires.

La question des prérogatives judiciaires de ces institutions est un bon exemple des problèmes méthodologiques que l’on peut rencontrer à cet égard. Cette question nous semble en effet constituer un point essentiel à l’appréhension de l’autonomie des villes babyloniennes et de l’importance du rôle joué par les sanctuaires. Les tribunaux ecclésiastiques étaient inconnus en Mésopotamie ancienne, où les juridictions de jugement étaient laïques 59. Or, à l’époque séleucide, le sanctuaire semble toutefois avoir pu, nous l’avons déjà évoqué, s’ériger en cour de justice 60. S’agit-il ici d’une véritable innovation ou simplement d’événements s’inscrivant dans la continuité des périodes précédentes, durant lesquelles les autorités locales ou royales dirigeaient les procès ?

Avant la conquête macédonienne, les autorités des temples intervenaient déjà dans les affaires judiciaires et il n’était pas rare qu’un šatammu ou son équivalent présidât une cour de justice. Toutefois, si l’on considère par exemple le cas bien documenté de l’Ebabbar de Sippar à l’époque néo-babylonienne, on constate que les affaires pouvant entraîner des peines lourdes, comme la mort ou l’asservissement, ou plus légères, comme des amendes, étaient traitées par des juges laïcs venus généralement de Babylone, qui complétaient la cour de justice locale 61. La justice relevait ainsi des prérogatives royales et les sentences étaient rendues dans ce cadre 62.

La nouveauté essentielle, au iiie s. av. J.-C., est l’apparition dans les sanctuaires d’un personnel judiciaire spécialisé, désigné sous le nom de « juges du sanctuaire » (dayyānu ša bīt ilāni). La documentation cunéiforme de Babylone montre en effet que les autorités de l’Esagil avaient la possibilité de s’ériger en cour de justice pour des faits graves. La Chronique judiciaire, publiée par Fr. Joannès, illustre bien cette nouvelle pratique :

59. démare-lafont 2000, p. 20.

60. Les textes faisant référence à des actions en justice à Babylone pour l’époque hellénistique sont les suivants : la Chronique du vol d’or (BCHP 15) et la Chronique Judiciaire (BCHP 17, éditée par joannès 2000), ainsi que les journaux astronomiques AD 1, -277 ; AD 2, -254 ; -240 ; -175 B ; AD 3, -168 A ; -161 A.

61. bongenaar 1997, p. 22-23. Notons que, en dehors de la simple gestion administrative des biens et du personnel du sanctuaire de l’Ebabbar de Sippar, tout élément ressortant du domaine judiciaire (contestation portant sur le statut d’une personne ou la propriété d’un esclave par exemple) devait être envisagé par les autorités du sanctuaire en présence d’autorités laïques locales. Voir en particulier le cas étudié par bongenaar 1997, p. 23, où la situation d’un certain Mušezib-Marduk, esclave, est traitée par les autorités du sanctuaire en présence des Anciens de la ville. Pour les pratiques judiciaires à l’époque néo-babylonienne, voir joannès 2000c.

62. Cf. kleber 2012, p. 218-219.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 199

An 90, mois d’ulūlu, ce mois, le 17 (= 19 sept. 222), en présence de Nergal-(ina)‑teši‑eṭir, le šatammu de l’Esagil, des Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil et […], des juges des sanctuaires, [… NP] et l’un de ses frères, à propos [d’un forfait ? qu’ils] avaient commis, furent [hissés sur le] chevalet d’interrogatoire et subirent la question à l’arrière de la Porte […]. Ils furent convaincus (de vol) et furent brûlés par le feu ce jour‑là 63.

Ce passage montre que dans le cas de sacrilèges (ici de vol de biens appartenant aux dieux), l’administrateur (šatammu), l’assemblée (kiništu) et les juges du sanctuaire pouvaient s’ériger en cour de justice 64. La composition de cette cour semble avoir été mouvante et il est difficile de savoir si l’on a ici affaire au tribunal dans son ensemble ou aux seuls témoins des interrogatoires. Dans l’exemple suivant, tiré de la même chronique, une cassure empêche de connaître la totalité de la composition de la cour :

(…) des [juges] du sanctuaire, du šatammu de l’Esagil, et des Babyloniens (de) l’Assemblée de l’Esagil, des gens du Pays […] 65.

Quant au journal astronomique AD 2, -168 A, il ne fait mention que du remplaçant du šatammu et des juges des sanctuaires :

Ce mois, le 8 (= 22 nov. 169), une image d’urigallu qui [n’appartenait pas normalement au temple, que] les gens de l’Est (ou : les gens des montagnes) avaient fabriquée, et à laquelle on donne le nom d’anšammi’tâ, fut arrachée par vol.

Le 10 (= 24 nov.), les voleurs qui avaient arraché cet urigallu, furent arrêtés, maîtrisés (et) incarcérés dans la maison des juges du sanctuaire.

Le 13 (= 27 nov.), [ces] voleurs [subirent la question] sur le chevalet d’interrogation dans la maison des juges du sanctuaire, en présence du remplaçant du šatammu et des juges du sanctuaire, (et) furent condamnés. Ce jour, ils furent brûlés 66.

La notabilité suméro-akkadienne semble donc avoir mis la main sur un droit fondamentalement régalien. Il ne semble toutefois pas que nous soyons ici en présence d’une captation complète de prérogatives judiciaires par le sanctuaire. Le šatammu, les Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil et les juges du sanctuaire n’agissaient en effet vraisemblablement pas comme autorité religieuse mais plutôt comme des responsables politiques et administratifs civils locaux. Cette situation n’est pas sans rappeler l’exemple de la justice à Sippar évoqué plus haut, qui

63. Chronique Judiciaire (joannès 2000) = BCHP 17.

64. Voir, à titre de comparaison, les mentions de « peine du dieu » à Hatra (Kaizer 2006).

65. Chronique Judiciaire (joannès 2000) = BCHP 17, r. 6-8 (cf. joannès 2000, p. 197).

66. Pour ce texte, cf. joannès 2000, p. 201-203. Nous en proposons ici une traduction légèrement modifiée. Sur la peine du feu dans la tradition mésopotamienne, voir demare-lafont 2005.

200 p. clancier, j. monerie

impliquait l’intervention des autorités de l’Ebabbar. La différence essentielle repose ici sur le fait que le šatammu et l’Assemblée du sanctuaire pourraient avoir été, à l’époque hellénistique, à la fois autorités laïques et religieuses. La mention « des gens du Pays » dans la Chronique judiciaire introduit d’ailleurs des personnes extérieures au temple dans les procédures judiciaires, sans que l’on puisse préciser leurs fonctions : cela tendrait à faire penser que les autorités de l’Esagil n’agissaient pas comme représentantes de leur seul sanctuaire mais bien comme autorités de la ville.

Une question demeure toutefois ouverte, qui concerne la limite des domaines et de la zone d’extension de cette autorité juridique. Cette question se heurte une fois encore à celle de la représentativité de nos sources et à leur interprétation. Une première lecture des textes pourrait en effet laisser penser que, dans la mesure où nous ne possédons que des actions judiciaires liées à des affaires internes au sanctuaire, les notabilités n’avaient juridiction que sur ce type de cas. Dans cette optique, cette capacité aurait tout de même été très étendue en matière d’administration de la preuve (en particulier par le recours à la question) et aurait rogné sur certaines prérogatives royales essentielles, comme le droit de mort, dont l’application était d’ailleurs une nouveauté dans ce cadre 67.

Il est toutefois nécessaire de considérer, comme nous l’avons vu plus haut, que les sanctuaires produisaient également (et sans doute majoritairement) des archives sur support d’écriture souple, aujourd’hui disparues. Le sanctuaire du Bīt Rēš, à Uruk, possédait ainsi un personnel permanent de scribes spécialisés dans la production de ces documents, les sepīrū 68. L’intervention de ces sepīrū est bien documentée dans le cadre de recours judiciaires internes aux affaires du temple, comme dans le cas du texte OECT 9 42. Ce document daté du règne de Séleucos IV (187-175) fait en effet référence à l’intervention des responsables du sanctuaire en 209/208 pour annuler la vente d’une part de prébende, probablement à cause d’un mauvais acquittement du service cultuel qui y était attaché :

(Cette prébende) qui est à présent revenue, par effet de graphè, au {père du vendeur actuel}, en l’an 103 (= 209/208), en présence de Képhalôn, le rab ša rēš āli d’Uruk, d’Anu-belšunu, le paqdu d’Uruk, de Timokratès, leur frère, le fils d’Anu‑balassu‑iqbi, d’Anu‑ab‑uṣur, le ganzabarru du sanctuaire, de Labaši, fils d’Ina‑qibit‑Anu, d’Anu‑ahhe‑iddin, fils de Kidin‑Anu et de Nidintu‑Ištar, fils d’Anu‑mar‑ittannu, les sepīrū du Trésor d’Anu 69.

Le texte BRM 1 88, rédigé en 187 à Kutha, va également dans le même sens. Il s’agit d’un document concernant la réattribution par les autorités du sanctuaire de l’Emeslam d’un lot de terres concédée par la Couronne séleucide.

67. Cf. kleber 2012, p. 224-226.

68. Sur ces scribes, voir clancier 2005.

69. OECT 9 42, ll. 5-9.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 201

Cette réattribution est désignée par le terme de paradeixis, qui s’accompagnait à n’en pas douter de la production de documents idoines, rédigés en grec sur support souple :

Le 11 du mois de duzû de l’an 125 (= 19 juill. 187), Séleucos (IV étant) roi. Contenu du message du collège (kiništu) des exorcistes de l’Emeslam, qu’ils ont envoyé à Bel-bullissu, šatammu de l’Emeslam, fils de Nergal‑apla‑uṣur, et à l’Assemblée (kiništu) de l’Emeslam concernant la part de terre arable en palmeraie et en terre à céréales, don royal, sur les rives de l’Euphrate, sur le lot royal (attribué à) Bel‑apla‑uṣur, l’exorciste, fils de Bel‑balassu‑iqbi, leur camarade, qui est décédé et qui n’a ni fils ni fille.

Maintenant, Nabu‑uṣuršu, l’exorciste, fils de Nergal‑uballiṭ, la voudrait pour Labaši, l’exorciste, son fils, leur camarade pour toujours, car il est né après la prise de possession du champ. Et ils nous ont écrit « Vous devriez faire une paradeixis pour lui sur la part de ce champ avec nous pour toujours. »

Nous avons donné cette part du champ et en avons fait une paradeixis pour Labaši, l’exorciste, fils de Nabu‑uṣuršu, leur camarade, avec eux, pour toujours 70.Ces textes montrent ainsi que les sanctuaires suméro‑akkadiens pouvaient

produire des documents en différentes langues et différents droits, selon des formes recevables par les autorités royales. Ce faisceau d’indices invite à penser que les responsabilités judiciaires dévolues par la Couronne à la notabilité des sanctuaires dépassaient le spectre documenté par les sources cunéiformes.

Cette délégation conséquente de compétences judiciaires ne doit toutefois pas laisser penser que les notables ne devaient rendre aucun compte de leurs agissements auprès du pouvoir royal. La tradition mésopotamienne consistant à distinguer « justice retenue » et « justice déléguée »71, qui a l’avantage de laisser le roi seul dépositaire du devoir de justice, nous paraît à cet égard opératoire. En cas de friction entre les responsables locaux et les autorités royales, ce sont des juges royaux qui traitaient des problèmes, cette fois non plus à Babylone mais à Séleucie-du-Tigre. L’interprétation proposée en ce sens par les derniers éditeurs de la Chronique de Séleucos III nous semble toutefois devoir être nuancée :

L’année 88, Séleucos (III étant) roi, au mois de nisānu, ce mois, le 8 (= 7 avr. 224), un Babylonien, le šatammu de l’Esagil, […..] …. de l’Esagil, a instauré, sur ordre du roi, selon le message sur peau du roi qu’il avait auparavant envoyé, au moyen de l’argent du bīt šarri (et) de sa propre maison, onze bœufs gras, cent moutons gras, onze canards gras, en offrandes à l’intérieur de l’Esagil pour Bēl, Bēltiya et les grands dieux et pour le rituel de Séleucos, le roi et de ses fils.

70. BRM 1 88, ll. 1‑13. Sur ce texte, voir van der spek 1995, p. 241-245.

71. Nous suivons ici les propos de démare-lafont 2000, p. 15.

202 p. clancier, j. monerie

Il a ordonné des parts de ces bœufs et de ces animaux sacrificiels pour les prêtres-lamentateurs (kalû) et le šatammu. Il (en) a envoyé aux juges du roi et aux notables, à Séleucie. (…) 72.

En effet, pour I. Finkel et R. van der Spek, le šatammu de l’Esagil aurait été accusé de détournement pour avoir capté une partie des offrandes données par le roi au sanctuaire. Non content de s’en tenir à ce premier délit, il aurait ensuite tenté d’amadouer le tribunal dont il dépendait à Séleucie-du-Tigre en lui faisant parvenir ces parts volées. On aurait donc là un beau cas de détournement alourdi de corruption. Il ne nous semble pas possible d’aller aussi loin en l’absence d’éléments supplémentaires. Il est en effet plus prudent de s’en tenir à une explication plus simple et en adéquation avec les pratiques mésopotamiennes qui veulent que les offrandes, une fois « consommées » par les divinités, soient redistribuées entre les membres du clergé et la table du roi. La mention des juges royaux établis à Séleucie‑du‑Tigre n’en est pas moins intéressante, dans la mesure où elle atteste l’encadrement probable de l’autonomie judiciaire de la notabilité de Babylone 73. Il est ainsi possible qu’en cas d’affaire débordant ses compétences locales, le verdict soit revenu aux juges royaux de Séleucie, où les notables de Babylone devaient régulièrement aller pour rendre compte de leurs agissements 74.

L’extension géographique des compétences des communautés locales et ses conséquences

La question de l’extension géographique de la juridiction des notabilités locales mérite par ailleurs d’être posée. Il a en effet souvent été avancé que les notables de l’Esagil de Babylone avaient autorité sur les agglomérations voisines de Borsippa et de Kutha 75. Cette hypothèse, fondée sur le fait que les donations foncières séleucides mentionnées par la documentation cunéiforme de Babylone étaient souvent effectuées conjointement à ces trois villes 76, nous semble aujourd’hui devoir être abandonnée. L’association des villes de Babylone, Borsippa et Kutha (et/ou de leurs divinités poliades Marduk, Nabû et Nergal) dans les donations royales est en effet un héritage de l’époque néo-babylonienne, durant laquelle les inscriptions attestent fréquemment des donations conjointes à ces trois

72. Chronique de Séleucos III (BCHP 12) (cf. glassner 1993, p. 212-213).

73. Il est à noter que van der spek 1987, p. 63, pense que les juges royaux mentionnés par la chronique résidaient à Babylone ; le texte dit pourtant clairement que ceux‑ci se trouvent à Séleucie-du-Tigre.

74. clancier 2012, p. 319-320.

75. Y compris par nous-mêmes (clancier 2012, p. 308-309, et monerie 2012, p. 327-328). Voir également sarkisian 1969, p. 325, et van der spek 1987, p. 62.

76. Voir notamment AD 1, - 273 B, r. 36’-38’, et Tablette Lehmann, ll. 1-10.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 203

communautés 77. L’existence de donations associant ces mêmes villes à l’époque séleucide ne saurait donc constituer une preuve de l’existence d’une autorité des Babyloniens sur ses voisines : l’attestation d’un šatammu dans le sanctuaire de l’Ezida à Borsippa 78 et dans celui de l’Emeslam de Kutha 79, de même que la capacité de l’Assemblée de ce dernier sanctuaire à produire des paradeixeis 80 nous paraisse même rendre cette hypothèse hautement improbable.

Mieux vaut donc considérer que la juridiction de chaque « lieu saint » (māhāzu) revenait, à l’époque séleucide comme à l’époque néo-babylonienne 81, à la notabilité attachée au sanctuaire des divinités poliades, qui avait autorité sur la ville et ses environs immédiats 82. L’une des conséquences de ce morcellement administratif fut sans doute l’effacement relatif de la prédominance culturelle de Babylone 83. En effet, la ville n’étant plus capitale régionale depuis la fondation de Séleucie-du-Tigre, les autres grandes agglomérations comme Nippur ou Uruk ont eu tendance à s’éloigner du modèle centralisateur imposé depuis des siècles par Babylone. En la matière, la ville d’Uruk, métropole du Sud, offre un exemple tout à fait intéressant avec une affirmation originale de la place du dieu Anu dont l’image tend à remplacer celle du dieu Bēl‑Marduk, divinité poliade de Babylone 84. Cependant, et malgré ce mouvement, Babylone resta de fait une métropole culturelle majeure de la région à l’époque hellénistique, comme

77. À tel point que R. Da Riva n’hésite pas à parler de « dynastic gods » pour désigner la place des dieux Marduk, Nabû et Nergal sous l’empire néo‑babylonien (da riva 2010, p. 46‑48). Il n’est pas à exclure que la reprise de cette association à l’époque hellénistique ait participé d’une volonté d’identification symbolique des Séleucides à leurs prédécesseurs néo-babyloniens.

78. Chronique de Bagayaša (BCHP 18) A, f. 22’.

79. Chronique des Diadoques (BCHP 03, r. 5’) et BRM 1 88 (t.g. 1).

80. BRM 1 88, ll. 1-13.

81. Pour l’époque néo‑babylonienne, voir par exemple, pour l’Ebabbar de Sippar, bongenaar 1997, p. 229-243.

82. Le fait est confirmé pour l’époque séleucide par un billet d’ordre daté de 266 (CT 49 115), dans lequel les autorités de l’Esagil de Babylone font état d’un conflit survenu entre l’un des entrepreneurs gérant les finances du sanctuaire et les habitants de la ville de Kutha au sujet du fermage d’un village. Sur ce texte, voir jursa 2006, p. 140-143.

83. Pour l’impact de la fondation de Séleucie-du-Tigre, voir notamment les commentaires à la publication provisoire de la Chronique d’Antiochos et Sîn (BCHP 05) dans finkel et van der spek à paraître.

84. joannès 2000b.

204 p. clancier, j. monerie

l’attestent les déplacements réguliers des érudits urukéens, en quête de tablettes littéraires et savantes absentes de leur ville 85.

Il apparaît ainsi que la notabilité des sanctuaires autochtones de Babylonie jouissait d’une autonomie relative dans la gestion des communautés locales à l’époque séleucide. Cette autonomie n’allait toutefois pas sans l’exercice d’un strict contrôle royal.

Une autonomie bien délimitée

La présence royale dans le sanctuaireLa gestion interne des sanctuaires était en effet tout d’abord surveillée par des

« inspecteurs » royaux, qui semblent avoir été le plus souvent issus de la notabilité du sanctuaire lui-même, et qui portaient le titre de paqdu à Babylone et à Uruk et celui d’épiskopos à Nippur 86. Cette présence d’un fonctionnaire royal au sein de l’administration des sanctuaires n’était d’ailleurs pas une innovation séleucide : dès le milieu du vie s. av. J.-C., le roi Nabonide (556-539) avait en effet créé les ša rēš šarri bēl piqitti, qui étaient eux aussi nommés par l’administration royale dans les sanctuaires 87.

Dans le cas séleucide comme dans le cas néo-babylonien, ces inspecteurs rendaient des comptes à la Couronne. La fonction de paqdu de l’Esagil, qui était occupée sous le règne d’Antiochos II (261-246) par un certain Belšunu, est ainsi désignée dans la documentation cunéiforme par l’appellation de « paqdu de Nikanôr » 88. Bien que nous ne connaissions ce Nikanôr que par le titre de son subordonné, il est possible de proposer, à titre d’hypothèse, que ce personnage ait exercé la fonction d’épi tôn hiérôn, qui avait en charge de contrôler les finances des sanctuaires de la satrapie 89. En ce cas, tous les paqdū/épiskopoi des grands sanctuaires babyloniens auraient été placés sous sa responsabilité.

Quelles étaient les attributions de ces inspecteurs royaux dans les sanctuaires à l’époque séleucide ? Leur intervention est essentiellement attestée dans le cadre

85. clancier 2009, p. 255-268.

86. Le terme paqdu, fort général, désigne en akkadien un délégué, une personne de confiance, et il est très probable que les deux mots aient été en réalité équivalents. Sur le paqdu de l’Esagil, voir boiy 2004, p. 209-210 et clancier 2012, p. 315-316. Sur celui du Bīt Rēš, voir monerie 2012. Sur l’épiskopos, voir van der spek 1992, p. 253.

87. Sur ces questions, voir kleber 2008, p. 12-17.

88. Ce paqdu apparaît dans les textes CT 49 117, CT 49 118 et CT 49 122 // 123 // 182.

89. Sur la charge d’épi tôn hiérôn, voir capdetrey 2007, p. 324-326. Si cette hypothèse est exacte, il est probable que Nikanôr ait siégé à Séleucie‑du‑Tigre.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 205

de la gestion financière du temple 90. Le document NCTU 01, rédigé à Uruk en mai 221, apporte toutefois quelques informations supplémentaires concernant leurs prérogatives. L’acte documente en effet l’attribution de deux parcelles de terre arable par le paqdu du Bīt Rēš à un berger du sanctuaire :

Ledit {bénéficiaire}, berger du Trésor d’Anu, a dit ceci à Anu‑balassu‑iqbi, [le paqdu du sanctuaire] (…) : « Il y a [une autre terre arable] à cet endroit, qui est propriété d’Anu (…). Donne‑la‑moi pour toujours, afin que j’y plante des palmiers, conformément à ce qui est écrit dans le diagramma, selon l’ordre établi par le roi. J’en aurai l’usufruit, et [je planterai] des palmiers sur cette terre pour toujours. » 91.

Le texte ne précise malheureusement pas le contenu exact de ce diagramma. Il apparaît toutefois vraisemblable, à la lecture du texte, que l’attribution de cette terre ait été prise en charge par le paqdu du fait de son inscription dans le cadre de ce décret 92. Dans cette hypothèse, l’inspecteur, qui rendait compte à la Couronne de la gestion financière de l’institution, aurait également été chargé de veiller à l’application des décisions royales au sein du sanctuaire. Sans être véritablement « intégrée » à l’administration séleucide, la gestion interne des sanctuaires était donc minutieusement surveillée par le biais d’agents locaux, choisis au sein de la notabilité locale.

Le bīt šarriCe contrôle des activités du sanctuaire semble également avoir figuré parmi

les prérogatives du basilikon, attesté dans les sources cunéiformes sous le nom de bīt šarri (litt. « maison du roi ») 93. Nous avons pu voir plus haut que cette institution était chargée de la gestion des terres de la Couronne 94. La documentation d’Uruk, où était installé un bureau du basilikon, montre toutefois que celle-ci avait également

90. Voir les textes CT 49 118 et CT 49 122//123//182 pour Babylone, OECT 9 42 et peut-être BaM Beih. 2 118, et BiMes 24 54 pour Uruk, ainsi que van der spek 1992 txt. 1 pour Nippur.

91. NCTU 01, ll. 27-36. La restitution du titre de paqdu du sanctuaire est assurée (cf. ll. 22, 38 et 50). Sur ce texte, voir notamment van der spek 1995, p. 227-234.

92. Les textes comparables documentant l’attribution de biens du sanctuaire à des dépendants en dehors de l’application de décrets royaux font généralement intervenir un agent du rab ša rēš āli d’Uruk. Sur ces attributions, voir désormais corò 2012.

93. Sur cette institution dans les sources cunéiformes, voir notamment mcewan 1981, p. 139, van der spek 1986, p. 205, et monerie 2012, p. 344-345. Pour les sources grecques, voir capdetrey 2004 et 2007, p. 422-425.

94. Cf. supra pour le cas documenté par le Texte Bellino. Voir également en ce sens AD 1, -273 B, r. 38’ ; BCHP 12, f. 5’ ; BCHP 16, f. 7’ ? ; Tablette Lehmann, l. 6.

206 p. clancier, j. monerie

une mission de contrôle de l’activité des sanctuaires 95. La première attestation du bīt šarri d’Uruk, qui figure dans un contrat de vente de prébende datable du milieu du iiie s. av. J.-C., précise ainsi :

Le jour où une plainte surviendrait à Uruk concernant cette demi-(part d’) agneau (distribuée) le troisième jour de chaque mois, (de la part) du sanctuaire (bīt ilāni), des Urukéens, du bīt šarri ou de quiconque, {le vendeur} clarifiera la plainte et donnera le dodécuple (du prix d’achat) à {l’acheteur}, pour toujours 96.Le basilikon exerçait donc un droit de regard sur l’attribution des rations

alimentaires au sein du personnel du Bīt Rēš. Le sanctuaire gardait bien entendu trace de ces informations pour son propre usage, mais l’original de référence semble avoir été le registre du bīt šarri 97. Notons pour finir que cet enregistrement des rations auprès du basilikon semble avoir disparu à la faveur des réformes administratives mises en place par Séleucos IV (187-175), pour être remplacé par un enregistrement auprès du « satrape » local. L’impératif de contrôle de la gestion financière des sanctuaires a donc perduré par‑delà les réformes de l’administration séleucide 98.

L’évolution des formes de la bienveillance royale

La seconde moitié du iiie s. av. J.-C. marqua également une évolution des rapports entre la personne du souverain et les sanctuaires traditionnels.

95. Il demeure difficile de déterminer si le bureau du chréophylax, fonctionnaire fiscal bien attesté à Uruk par de nombreux scellements d’argile portant l’empreinte de son sceau, était lui‑même intégré aux bureaux du basilikon. Sur ces empreintes voir notamment rostovtzeff 1932 et doty 1977, p. 308-329. Sur les rapports entre l’administration fiscale urukéenne et celle de Séleucie‑du‑Tigre, voir messina 2005.

96. corò 2005 texte BM 105194, ll. 10‑14 (cf. corò 2005, p. 403-405). Remarquons au passage que le scribe distingue clairement le sanctuaire de l’Assemblée des notables d’Uruk, qui constituaient donc bien deux institutions séparées.

97. La tablette BRM 2 31, qui concerne un transfert de rations entre deux membres du Bīt Rēš en 194, confirme cette hypothèse : le transfert conduit en effet d’abord à la rédaction d’un « message sur peau » (kušši-pi-iš-tu4) au dirigeant du bīt šarri d’Uruk, le diœcète (cf. capdetrey 2007, p. 312‑314), accompagnée d’une modification des registres de rations du sanctuaire (BRM 2 31 ll. 7-9). Il est possible que ce « message sur peau » ait été en réalité une graphè, analogue à celle documentée quelques années plus tôt dans le cadre d’un transfert de prébendes par les autorités du même sanctuaire (OECT 9 42, cf. supra). On voit par ces exemples que l’existence de documents à usage interne conservés par le temple ne l’exonérait pas du devoir de rendre compte de tout ce qui concernait ses activités économiques auprès du pouvoir royal. Sur ces questions, voir dernièrement joannès 2012.

98. Sur ces réformes, voir monerie 2012, p. 346-347.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 207

Un désengagement royal dans l’entretien des sanctuairesNous avons pu voir plus haut qu’Antiochos Ier avait été le dernier souverain

à participer personnellement à la rénovation de temples suméro-akkadiens. Les cas postérieurs de restauration indiquent en effet que cette tâche fut ensuite prise en charge par les membres de la notabilité traditionnelle locale. En témoigne notamment le Cylindre de Nikarchos, déjà mentionné, qui commémore l’achèvement en 244 des travaux entrepris dans le sanctuaire du Bīt Rēš par le gouverneur (šaknu) d’Uruk, Anu‑uballiṭ~Nikarchos :

Au mois de nisānu de l’an 68 (= avr.-mai 244), Séleucos (II étant) roi, Anu-uballiṭ, fils d’Anu‑ikṣur, descendant d’Aḫ’utu, gouverneur d’Uruk, dont le roi des pays Antiochos (II) a établi l’autre nom, Nikarchos, a bâti et parachevé le Bīt Rēš : la Porte Sublime, la grand’porte, station du dieu Papsukkal, l’Entrée du Bīt Rēš, la grand’porte, station du dieu Nusku, la porte d’entrée, (soit) deux portes qui ouvrent vers l’est, (et) la Porte d’Abondance, porte par où entrent les revenus du pays ; au total trois portes qui ouvrent vers l’extérieur ; sept cours jouxtant la cour du Trône des Destinées qui se trouve placée au centre, les fondations du Bīt Rēš, le bâtiment des services, les cellae des grands dieux et leurs cours… 99.De nouveaux travaux de rénovation furent entrepris une quarantaine d’années

plus tard par le rab ša rēš āli d’Uruk, Anu‑uballiṭ~Képhalôn, comme en témoigne cette inscription cunéiforme estampillée pour l’occasion sur les briques d’argile de la cella d’Anu et Antu, dans le sanctuaire du Bīt Rēš :

Anu‑uballiṭ, dont l’autre nom est Képhalôn, fils d’Anu‑balassu‑iqbi, rab ša rēš āli d’Uruk : l’Enamenna, la cella du dieu Anu, et l’Egašananna, le temple d’Antu du Bīt Rēš, que par le passé Oannès [le sage ?] avait fondé, était tombé en ruines et je l’ai déblayé. Au mois de nisānu, le 2, an 110 (= 30 mars 202), pour la vie de mon seigneur Antiochos (III), le roi des pays, j’ai élargi ses anciennes fondations, j’y ai appliqué du gypse, et j’ai terminé les temples. J’ai fait apporter du cèdre du Mahdaru ?, la montagne puissante (et) je les ai couvertes. J’ai fixé de puissantes portes de cèdre sur le seuil de leurs cellae 100.

Quant à l’inscription araméenne sur briques émaillées qui ornait le fond de la cella d’Ištar dans le sanctuaire de l’Irigal, elle ne laisse aucun doute sur l’identité du commanditaire des travaux :

Anu‑uballiṭ, dont l’autre nom est Képhalôn 101.

99. Cylindre de Nikarchos (YOS 1 52), ll. 1‑11. Ces travaux sont bien attestés par l’archéologie (cf. kose 1998, p. 188-190, et baker 2013, p. 21-25).

100. WVDOG 51 pl. 108. Sur ces travaux, voir kose 1998, p. 190-191.

101. bowman 1939.

208 p. clancier, j. monerie

Bien que quelques autres cas de rénovations de sanctuaires sous l’égide de hauts fonctionnaires locaux soient attestés en Babylonie au Ier millénaire av. J.-C., le fait demeure exceptionnel dans l’histoire mésopotamienne 102.

Le déplacement de la tâche de rénovation des sanctuaires de la figure du souverain vers celle des représentants des communautés locales se dégage ainsi clairement au cours du iiie s. av. J.-C. 103. Il nous semble toutefois imprudent de conclure trop rapidement à une usurpation délibérée de prérogatives traditionnellement réservées au souverain. Rien ne permet en effet d’établir si ces notables ont activement recherché l’occasion d’accroître leur prestige par ces travaux, ou s’ils ne se sont déterminés à endosser cette charge que parce qu’ils étaient confrontés à la nécessité d’entretenir les infrastructures des temples. Par ailleurs, il demeure difficile d’évaluer précisément la part de la population locale susceptible d’estimer le prestige proprement royal attaché à ces restaurations en cette fin du iiie s. av. J.-C.

Culte royal et sanctuaires traditionnelsSi les souverains séleucides semblent avoir délaissé les travaux de restauration,

ils n’en ont pas moins continué à effectuer des donations aux sanctuaires suméro‑akkadiens. Le cas déjà évoqué de la Chronique de Séleucos III, qui fait référence à des offrandes en bétail (bovins et ovins) destinées aux sacrifices rendus dans l’Esagil à l’occasion de la fête du Nouvel An (l’Akītu) de l’année séleucide 88, au printemps 224 av. J.‑C., en est un bon exemple 104. En échange de ce soutien matériel, la mise en scène du roi séleucide comme successeur direct et légitime des grands monarques mésopotamiens pourrait avoir eu un certain écho lors de grandes cérémonies (en partie publiques), à l’image d’Antiochos III qui, de retour de sa guerre contre Rome, se fit présenter les habits de Nabuchodonosor II (604‑562) à l’occasion de la fête du Nouvel An de l’année séleucide 125, au printemps 187 av. J.-C.105. Il convient néanmoins de se poser la question de l’impact réel de

102. L’exemple le plus célèbre est celui du gouverneur d’Ur, Sin‑balassu‑iqbi, qui fit produire vers 665-650 av. J.-C. plusieurs inscriptions monumentales commémorant les rénovations qu’il avait effectuées dans le temple de Sîn (brinkman 1984, p. 116-117). Pour une liste complète des exemples connus, voir schaudig 2010, p. 142-143.

103. On pourrait certes objecter que les deux inscriptions du Bīt Rēš mentionnent encore le roi. Il convient toutefois de remarquer que celui-ci n’apparaît plus, à la différence du Cylindre d’Antiochos, comme l’instigateur de ces restaurations. Ajoutons que ce désengagement de la personne du souverain ne signifie pas nécessairement qu’Anu‑uballiṭ~Nikarchos et Anu‑uballiṭ~Képhalôn ne bénéficièrent d’aucun subside de la Couronne pour mener à bien leurs travaux (cf. boiy 2010, p. 218, et monerie 2013, p. 421-429).

104. BCHP 12, cf. supra.

105. AD 2, -187 A, r. 4’-18’, cf. del monte 1997, p. 66-67. Il est à noter de fortes différences régionales dans l’interprétation des événements passés et du prestige lié

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 209

telles pratiques, fort rares au demeurant, dans des villes extrêmement cosmopolites où la culture suméro-akkadienne n’était plus, et sans doute depuis bien longtemps, la culture majoritaire. Il demeure toutefois intéressant de voir combien, tant par cette gestuelle que par leur capacité à faire des sacrifices dans les temples, les rois séleucides étaient considérés comme les souverains légitimes par la notabilité urbaine issue des sanctuaires traditionnels.

La question de l’existence d’un culte rendu aux Séleucides dans les temples babyloniens, qui fait encore aujourd’hui l’objet de débats, semble maintenant quasiment tranchée. Le dossier s’est en effet étoffé depuis que M. Linssen en a dressé le bilan106. Les documents faisant allusion à ce culte sont maintenant assez nombreux et proviennent de contextes suffisamment différents pour s’en faire une certaine idée. Le texte le plus ancien documentant un rituel lié au culte royal est une fois encore la Chronique de Séleucos III :

(…) offrandes à l’intérieur de l’Esagil pour Bēl, Bēltiya et les grands dieux et pour le rituel de Séleucos, le roi et de ses fils107.

Le rituel en question est rendu par le terme dullu et sa traduction, dans ce contexte, ne fait pas de doute : il s’agit bien d’un culte. Par ailleurs, deux actes urukéens de vente de prébendes datables du règne d’Antiochos III ou de ses successeurs font référence à une « table d’offrande devant la statue des rois »108. Notons enfin que ce culte trouve également une attestation tardive à la période parthe dans la Chronique de Bagayaša. Le texte, datable de ca. 135-132 av. J.-C., fait en effet référence à la statue du roi dans le sanctuaire de l’Esagil, dans un contexte d’offrandes religieuses109. Il ne fait donc guère de doute que le culte royal revêtait la même forme à Uruk et à Babylone.

La fin du iiie s. av. J.-C. semble donc avoir vu l’apparition d’une forme de culte royal séleucide dans les sanctuaires suméro-akkadiens 110. Le roi mésopotamien a

à telle ou telle période. À Uruk, en particulier, l’empire néo-babylonien (626-539) est souvent gommé et le passé prestigieux est avant tout celui de la période sargonide (722‑610). Les traditions savantes du Sud étaient d’ailleurs encore très influencées par celles de l’Assyrie à l’époque hellénistique (beaulieu 2010). À Babylone, en revanche, la tradition historique passait par la rédaction et la copie de chroniques où était conservé le souvenir de la gloire des souverains néo-babyloniens.

106. linssen 2004, p. 127. Voir également clancier 2007, p. 38-41, et dernièrement pirngruber 2010.

107. Voir supra pour le passage complet de cette chronique.

108. Il s’agit des textes VS 15 16, l. 7 (postérieur à 212 av. J.-C.) et BRM 2 36, ll. 4-5 (daté de 181 av. J.-C.).

109. « […] … devant la statue du roi (alam lugal) de/que … […] » (BCHP 18 A 15’).

110. Il faut en réalité plutôt parler ici de réapparition : des offrandes à une statue de Darius Ier sont en effet déjà attestées dans le sanctuaire de l’Ebabbar de Sippar sous le

210 p. clancier, j. monerie

toujours été considéré comme une personne très à part et de statut sacré ; il n’est donc pas surprenant qu’un tel culte ait pu facilement se mettre en place, d’autant plus qu’il était assorti des bénéfices nécessaires à son bon fonctionnement et profitait largement aux intérêts économiques du clergé.

Le premier siècle de domination séleucide semble donc avoir été en Babylonie une période favorable à l’épanouissement politique, économique et culturel des élites traditionnelles, qui évoluaient et puisaient leur force dans le milieu des grands sanctuaires suméro-akkadiens. Il serait toutefois abusif d’envisager ces communautés comme de véritables cités-temples. La documentation montre en effet clairement que l’administration séleucide contrôlait minutieusement les activités de ces sanctuaires et qu’elle prenait directement en charge une partie de la gestion locale, notamment en matière fiscale. Il nous semble donc plus approprié de parler de collaboration politique entre la Couronne et la notabilité liée aux sanctuaires autochtones. Ce système fut toutefois profondément remis en cause au début du iie s.

III. La remise en cause du statut politique de la notabilité des sanctuaires suméro-akkadiens

Le premier tiers du iie s. av. J.-C. fut en effet marqué par la transformation de plusieurs villes de Babylonie en poleis 111. Les nouvelles institutions de type grec fondées à cette occasion se substituèrent rapidement aux anciennes assemblées de ville régies par les instances dirigeantes des sanctuaires, entraînant ainsi un amoindrissement significatif des responsabilités dévolues aux notabilités traditionnelles 112. Ce changement de relais de l’autorité séleucide est particulièrement bien documenté par les sources cunéiformes de Babylone et, dans une moindre mesure, d’Uruk.

règne de Xerxès (BM 72747 ; cf. waerzeggers 2014). Ces pratiques ne constituaient donc pas stricto sensu une innovation séleucide.

111. Pour les modalités des poliadisations et leur impact sur les instances politiques locales, voir capdetrey 2007, p. 221-223. Nous souscrivons ici à l’avis de L. Capdetrey, qui pense qu’à « rebours de l’opinion développée par R. J. van der Spek, il est certain qu’en Babylonie le pouvoir royal et l’administration séleucide distinguaient les cités organisées selon une politeia ou un politeuma, sur le mode des cités grecques, des villes indigènes dont les populations continuaient à être régies par les institutions locales et notamment la bureaucratie attachée aux temples » (capdetrey 2007, p. 221).

112. R. van der Spek pense pour sa part que les institutions de la polis avaient uniquement autorité sur la communauté des politai, le reste de la population continuant à être régi par les assemblées de villes traditionnelles (van der spek 1987, p. 66-67, 2005, p. 400, 2009, p. 112-113). Cette opinion nous semble devoir être abandonnée (cf. capdetrey 2007, p. 221, n. 176, et sciandra 2012, p. 240-241).

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 211

A. Le cas de Babylone

La poliadisation de Babylone et le changement de relais politique : première étapeChroniques et journaux astronomiques témoignent de changements dans

l’organisation politique et administrative de Babylone à partir du premier quart du iie s. av. J.-C. La Chronique de la Communauté grecque, datée de l’automne 163, rappelle en effet l’introduction d’une nouvelle catégorie d’habitants dans la ville sous le règne d’un Antiochos :

Les Grecs, leur nom (étant) les pu[liṭei], qui, auparavant, sur ordre d’An(tiochos), le roi, [sont entrés ?] dans Babylone et (qui) se couvrent d’huile comme les puli[ṭei] qui (vivent) à Séleucie, ville royale, qui (se trouve) sur le Tigre et le Canal-du-Roi (…) 113.

La documentation cunéiforme indique clairement que ces nouveaux citoyens (politai en grec, puliṭei/puliṭānu en akkadien 114), placés sous la direction du responsable de la polis, l’épistatès de Babylone (pāhāt Bābili), se substituèrent aux autorités de l’Esagil comme interlocuteurs politiques des autorités macédoniennes 115.

Avant de préciser notre propos, il convient de se poser la question de la date de la poliadisation de Babylone car elle fait débat. En effet, T. Boiy a très justement fait remarquer qu’il existait un texte antérieur au règne d’Antiochos IV (auquel on attribue généralement la poliadisation 116) qui pourrait documenter l’existence d’une polis à Babylone dès 187 av. J.-C. 117. Il s’agit du journal astronomique AD 2, -187 A, dans lequel il est dit :

Le šatammu de l’Esagil et les Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil ont présenté à Antiochos (III), le roi, […] en-dessous (et) une couronne d’or de mille sicles. Ce même jour, le pāhāt Bābili [et …] ont présenté […] d’or à Antiochos, le roi. (…) 118.

113. BCHP 14, f. 2-6.

114. Sur les puliṭei cf. boiy 2004, p. 206-209.

115. Pour l’identification du titre de pāhāt Bābili cf. sherwin-white 1983, p. 268. Sur cette fonction à Babylone, cf. boiy 2004, p. 204-209.

116. La première mention explicite de ces politai dans la documentation cunéiforme se trouve en effet dans un journal astronomique de l’été 169, qui mentionne l’organisation d’une procession solennelle à Babylone pour fêter le succès de la première campagne d’Antiochos IV en Égypte (AD 2, -168 A f. 14-15).

117. boiy 2004, p. 208.

118. AD 2, -187 A, ll. r.8’-10’ : (…) lúšà.tam é.sag.gíl u eki-meš lúukkin šá é.sag.gíl [….] / […] ⌈šu ? ⌉-pal-šú ki-li-⌈li⌉ šá 1 lim gín kù.gi ana Ian lugal il-tak-nu-u’ u4 bi lúpa-⌈hat⌉

212 p. clancier, j. monerie

T. Boiy s’est appuyé sur ce texte pour proposer d’attribuer la fondation de la polis de Babylone au règne d’Antiochos III car le document met en parallèle le šatammu et les Babyloniens d’un côté et de l’autre le pāhāt Bābili et des personnes qui étaient mentionnés dans une cassure 119. Or les textes babyloniens postérieurs montrent qu’à côté du pāhāt Bābili se tenaient les puliṭei. Si le document avait été contemporain du règne d’Antiochos IV ou de ses successeurs, il aurait donc été naturel de rétablir le terme puliṭei dans la cassure de la fin de la l. 9’ du revers de la tablette 120. Selon cette logique, nous aurions tendance à suivre T. Boiy, qui pense que le journal astronomique AD 2, ‑187 A évoque deux corps issus des élites locales, l’un provenant de l’Esagil, l’autre de la nouvelle fondation.

Évolution du contrôle et des compétences du sanctuaire de l’EsagilNous voudrions proposer, comme hypothèse de travail, une nouvelle

périodisation de l’histoire de la polis de Babylone. En effet, si T. Boiy a raison d’envisager que la ville fut poliadisée sous Antiochos III, la mise en place effective du nouveau système politique semble s’être effectuée en deux temps : la fondation de la polis avant 187 tout d’abord, puis, dans un second temps, un appesantissement du contrôle royal sur l’Esagil dans les années 160 av. J.‑C., essentiellement sous le règne d’Antiochos IV (175-164). C’est à cette occasion que l’Esagil semble avoir perdu tout ou partie de ses compétences judiciaires.

Si le suivi de la gestion des sanctuaires n’était pas chose nouvelle, elle pourrait en effet s’être renforcée dans la décennie 170‑160, avec l’apparition (ou plutôt la réapparition) du titre de zazakku, nouveau venu pour la période hellénistique 121. Le zazakku semble en effet avoir bénéficié d’une relation plus directe au pouvoir royal et d’une capacité d’ingérence plus importante. Il est ainsi attesté plusieurs fois dans les années 160 av. J.-C. 122, agissant toujours à la place du šatammu et tirant apparemment une part de sa légitimité de sa nomination directe par le roi :

eki […] / […] ⌈kù.gi⌉ ana Ian lugal gar-meš (…). del monte 1997, p. 66-68, propose une réédition du passage, mais pour son commentaire, voir boiy 2004, p. 208.

119. Le verbe gar-meš de la ligne r. 10’ d’AD 2, -187 A, est en effet au pluriel, ce qui signifie que le pāhāt Bābili n’agissait pas seul ici.

120. C’est par exemple ce que font, à juste titre, finkel et van der spek à paraître (BCHP 18) dans l’édition provisoire de la Chronique de Bagayaša l. B 26’. [lúš]à.tam é.sag.gíl 5 lúa-meš eki lúpa-hat eki 5-ta l[ú pu-li-te-e], « le šatammu de l’Esagil (et) cinq Babyloniens, l’épistatès de Babylone (et) cinq [citoyens…] ».

121. Sur ce titre aux périodes précédentes, cf. joannès 1994 et mcginnis 1996.

122. AD 2, -168 A, r. 12’-20’ ; AD 3, -163 C2, r. 17-18 ; BCHP 15, f. 7-11.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 213

Ce mois, le 6 (= 20 nov. 169), un Babylonien, un joaillier, un frère du šatammu de l’Esagil qui, à sa place, re[mplissait] l’office de šatammu, fut nommé à la charge de zazakku selon le message sur peau du roi 123.

La suite de ce texte précise qu’une partie des biens précieux du sanctuaire fut alors déplacée à l’intérieur du Parc des Genévriers sous l’autorité du zazakku et des Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil. Une telle mesure pourrait impliquer l’exercice d’un contrôle des ressources du sanctuaire de la part du zazakku, mais il demeure difficile de comprendre la portée de tels agissements. Le zazakku intervient également, toujours dans ce document, dans une affaire d’administration de la preuve et de jugement de sacrilège 124.

Il n’était apparemment pas dans les habitudes antérieures des Séleucides d’interférer dans la nomination du šatammu de l’Esagil ou de leurs remplaçants, et ce n’est peut-être pas ce qui se passa ici, car si le zazakku agissait à la place de son frère, rien ne dit qu’il l’ait supplanté. Plus généralement, si les journaux astronomiques font ponctuellement référence à la nomination d’épistatai par le roi, ils ne donnent pas de renseignement précis sur le mode de désignation des šatammū, qui semblent avoir relevé des usages internes du sanctuaire 125. Il n’en reste pas moins que le journal astronomique AD 2, -168 A atteste une intervention directe du roi dans le fonctionnement des institutions de l’Esagil.

La poliadisation semble avoir entraîné à terme une évolution des responsabilités judiciaires déléguées par le roi au niveau local. Nous avons en effet pu voir plus haut que les autorités de l’Esagil agissaient de manière assez autonome en matière de justice (tout au moins dans les affaires concernant des vols sacrilèges), par le biais d’un personnel spécialisé, les juges du sanctuaire. Or, si à Babylone le journal astronomique AD 2, -168 A fait encore référence à ces magistrats, cela ne semble plus être le cas dans la Chronique du vol d’or qui lui est

123. AD 2, -168 A, r. 12’-13’. (…) iti bi u4 6-kám 1-en lúdumu eki lúkab.sar lúšeš šá lúšà.tam / ⌈é.sag⌉.gíl šá ana ku-um-mi-šú lúšà.tam-ú-tú ⌈ú ? ⌉-[še-piš] ⌈ina⌉ kušši-piš-tú šá lugal ina lúza-zak-ú-tú pe-eq-du (…). Cf. del monte 1997, p. 78-79.

124. Par ailleurs, le zazakku avait également un représentant, attesté dans la Chronique du vol d’or, qui mentionne un « député du zazakku » (bēl piqitti zazakku, BCHP 15, f. 9).

125. Sur les šatammū de l’Esagil aux périodes hellénistique et parthe, van der spek 2000. R. Sciandra (2012, p. 233-234) s’est par ailleurs penché sur la question de l’intervention royale dans les différentes nominations des épistatai et šatammū attestés par la documentation cunéiforme, sans toutefois pouvoir éclairer le cas des administrateurs de l’Esagil. Cf. en particulier la n. 36, p. 234, où l’auteur avance l’hypothèse de la nomination à la fonction de šatammu d’un individu qui n’aurait pas fait partie des familles desservant traditionnellement le sanctuaire de Bēl‑Marduk. Tout comme le fait l’auteur, il convient cependant de rester prudent face à cette interprétation du fait même du mauvais état de conservation du passage.

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postérieure 126 : il est possible que les juges du sanctuaire aient alors été remplacés par des juges royaux 127. Par ailleurs, le journal astronomique AD 3, -161, montre que les interrogatoires se faisaient alors non seulement devant les autorités de l’Esagil, mais aussi en présence des instances de la polis (épistatès de Babylone et politai), du stratège séleucide de Babylonie et de juges dont la qualification exacte se trouve dans une cassure 128. Bien que le passage soit fortement endommagé, il s’agit là encore très vraisemblablement d’une action en justice concernant de près ou de loin le sanctuaire 129. Pourtant, tout comme dans la Chronique du vol d’or, les autorités du sanctuaire ne semblent plus être à la tête de la procédure 130.

Ainsi, alors que les actions en justice étaient régulièrement rapportées dans les journaux astronomiques, leur disparition à partir de la fin des années 160 av. J.‑C.,

126. BCHP 15. La chronique n’est pas datée, mais puisque l’on y voit agir un zazakku nommé en 168 et déjà en fonction, elle est logiquement plus tardive. I. Finkel et R. van der Spek (à paraître) ont proposé la date de 162/161.

127. Nous suivons la restitution proposée par I. Finkel et R. van der Spek de la chronique BCHP 15, r. 2-3. Ils estiment qu’il faut lire « […… juges] du roi » (BCHP 15 r. 2-3). Cette restitution est certes hypothétique, mais elle répond à la logique du dossier des actions judiciaires menées par les autorités de l’Esagil.

128. AD 3, -161, f. 21’-29’ : (…) […] … lúpa-hat eki u lúpu-li-ṭa-an šá ina eki ki Idnà-dib-ud.[da] / […] lúšà.tam é.sag.gíl lúšeš-meš-⌈šú⌉ […] lúpu-li-ṭa-an-nu id-di-nu-u’ ana tar-ṣa lúgal.erín-meš u lúdi.ku5-⌈meš⌉ […] / ù 2-ta ? x x šá ina igi-ma ta […] é.sag.gíl u é.gal lugal gur-ru ù in-da-šal ina igi lúpa ? -[hat …] / ù 2 lúšeš ? -meš-šú šá 1-en ? x […]-nu-tú gaz-meš ù níg.ka9-šú-nu ana é lugal è-ú ù ⌈lú ? ⌉[…] / ù lúun-meš kur ? ina ? sim-mil-⌈ṭu4⌉ [šá maš-a-a-al-tú ša-a-lu-u’ …] ⌈NI⌉ IS ina a-hu qal-la ù é igi.du8 ša ina ki-tì […] / šá-nu-tú šá ina hi-ṭu tùm ? -meš ⌈ana ?⌉ x […] x x lúúš-meš-šú-nu ana qé-bé-ri ana lúx […] / ta eki è (…) ; « (…) […] l’épistatès de Babylone et les citoyens qui (sont) dans Babylone avec Nabu‑mušetiq‑uddi, [fils de NP] le šatammu de l’Esagil (et) ses frères ont donné […] citoyens. Devant le stratège et les juges […] et deux … qui auparavant sont revenus depuis […] l’Esagil et le palais royal et il a été interrogé ?

devant l’épistatès ? […] et ses deux frères … […] … ont été tués et leurs biens ont été confisqués par le bīt šarri et … […] et les gens du Pays ?, [furent interrogés] sur le chevalet [d’interrogatoire …] … sur le petit côté et le théâtre qui (se trouve) dans le quartier de […] les autres qui étaient impliqués ? dans le crime vers ? … […] … et pour inhumer leurs corps pour … […] est sorti de Babylone ». Pour la transcription et la traduction de ce passage, voir sachs et hunger 1996, p. 30-31, del monte 1997, p. 84-87, et van der spek 2001, p. 448-449.

129. Cf. l’interprétation de del monte 1997, p. 84‑85. Les journaux astronomiques de la période parthe ne font que confirmer cette situation. Cf. par exemple AD 3, -140 C, r. 38’, où, dans un contexte une fois de plus très lacunaire, apparaissent les citoyens et, très probablement, si la restitution est correcte, le chevalet d’interrogatoire (del monte 1997, p. 107-108).

130. Ce journal astronomique, AD 3, -161, est peut-être le document princeps à partir duquel a été rédigée la chronique BCHP 15 citée plus haut.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 215

au moment-même où la documentation devient plus abondante, semble indiquer que les autorités du sanctuaire n’étaient plus maîtresses des procédures judiciaires.

Le fonctionnement de la nouvelle organisation politique de BabyloneLa question qui se pose alors est celle du rapport existant entre les deux

corps politiques babyloniens incarnés, d’un côté, par le šatammu de l’Esagil (ou son représentant) et l’Assemblée des Babyloniens et, de l’autre, par l’épistatès et les politai. L’historiographie récente les oppose parfois durement 131 ou les fond complètement 132. La première position repose sur l’idée que les rois séleucides ne transformèrent jamais Babylone en polis, la ville continuant à être dirigée par les Babyloniens de l’Esagil. Dans cette optique, Antiochos III se serait contenté d’introduire à Babylone une communauté grecque, dirigée par un épistatès, qui aurait quasiment vécu en autarcie dans la ville 133. Ce point de vue, comme l’a démontré L. Capdetrey et comme le confirme la documentation cunéiforme, n’est guère tenable 134. Quant à la seconde position, celle d’une fusion complète entre les deux corps politiques, elle a été avancée par R. Strootman 135.

Une position médiane, dans laquelle nous nous inscrivons, s’est par ailleurs récemment dégagée 136. Selon cette approche, les structures de la nouvelle polis auraient remplacé le šatammu et l’Assemblée des Babyloniens de l’Esagil dans leurs fonctions politiques et administratives 137. Ce changement de relais

131. Voir par exemple van der spek 2005 et 2009. L’auteur n’hésite pas à parler d’apartheid. S’il a raison d’insister sur le fait qu’il pouvait exister de fortes tensions à l’intérieur des cités grecques (van der spek 2009, p. 111-112), il nous semble toutefois nécessaire de prendre garde à ne pas restituer trop lourdement les passages manquants des quelques tablettes qui pourraient éclairer ces situations. R. van der Spek rétablit ainsi par exemple la mention des « Babyloniens » dans une cassure du journal astronomique AD 3, ‑77 B (r. 15’‑16’), afin d’appuyer son hypothèse selon laquelle il aurait existé des tensions ethniques entre les politai et la communauté « autochtone » de Babylone (van der spek 2005, p. 400, et 2009, p. 111). De telles extrapolations nous semblent pour le moins spéculatives.

132. strootman 2013.

133. van der spek 1987, p. 66-67.

134. capdetrey 2007, p. 221-223.

135. strootman 2013.

136. Voir notamment sciandra 2012 et en particulier ses conclusions p. 240-241, qui rejoignent celles de clancier 2012, p. 319-325.

137. « The Greek community of Babylon becomes the only political and administrative interlocutor, the Babylonians of Esagila being relegated to a somewhat marginal role » (sciandra 2012, p. 240). Le terme de marginalisation se retrouve dans un article publié exactement en même temps par clancier 2012, p. 297, sans qu’il y ait eu communication entre les auteurs.

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politique n’implique cependant pas qu’il y ait eu deux communautés strictement séparées, et il nous semble tout à fait possible, sinon probable, qu’une partie des anciennes notabilités de la ville aient intégré le nouveau corps des politai. La nouveauté essentielle concernerait alors essentiellement l’organe de direction de la ville, puisque le šatammu et la kiništu n’apparaîtraient plus comme les entités décisionnelles à Babylone.

L’un des éléments les plus importants étayant cette hypothèse concerne le changement de destinataires des messages envoyés par le roi aux institutions représentantes de la ville de Babylone. R. Sciandra a étudié cette correspondance pour l’époque hellénistique et parthe, mais n’a pas tranché cette question. Or, si l’on reprend les données qu’il a rassemblées, sur approximativement trente‑quatre attestations de correspondance entre une autorité politique extérieure à Babylone et les responsables locaux 138, plus de vingt auraient été adressées à l’épistatès et aux citoyens de la polis, seules trois semblant destinées aux membres de l’Esagil 139. Un examen minutieux de ces trois mentions confirme toutefois que le šatammu et l’Assemblée de l’Esagil n’étaient plus des interlocuteurs directs de la monarchie. Le premier cas considéré est celui du journal astronomique AD 2, -168 A, déjà mentionné :

Ce mois, le 6 (= 20 nov. 169), un Babylonien, un joaillier, un frère du šatammu de l’Esagil qui, à sa place, re[mplissait] l’office de šatammu, fut nommé à la charge de zazakku selon le message sur peau du roi.Il convient d’emblée de remarquer que ce document ne précise pas l’identité

du destinataire originel du message royal. Rien n’empêche par conséquent de supposer que la lettre ait été reçue par les autorités de la polis, puis transmise à la kiništu de l’Esagil, voire que l’ordre ait été simplement répété oralement aux instances du sanctuaire par les autorités de la polis 140. Si nous retenons toutefois l’hypothèse selon laquelle le message serait bel et bien parvenu directement à l’Assemblée des Babyloniens de l’Esagil, cet exemple ne nous semble pas contredire l’idée d’un changement politique à la tête de la ville. Il paraîtrait en effet logique, dans la mesure où le message concerne l’organisation interne du

138. sciandra 2012, p. 241-244. Précisons que sur ce chiffre de trente-quatre, neuf destinataires sont inconnus du fait du mauvais état de conservation des tablettes ou de l’imprécision du texte (AD 3, -144 ; -140 A ; -137 B ; -132 D ; -105 D ; -79 ; BCHP 19). Certaines de ces trente-quatre tablettes contenant des références à plusieurs messages, il est difficile de les dénombrer avec exactitude. Ces chiffres invitent donc simplement à une réflexion sur les proportions.

139. AD 2, -168 A ; AD 3, -129 A et -93 A.

140. R. Sciandra (2012, p. 234 et 243) suggère d’ailleurs que la nomination d’un autre remplaçant du šatammu en 125 ne serait pas directement arrivée aux autorités du sanctuaire, mais peut-être à celles de la cité (AD 3, -124 A, r. 21’). L’auteur reste cependant prudent car les cassures du texte ne permettent pas d’en comprendre pleinement la structure.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 217

sanctuaire, que le message soit directement parvenu aux instances de direction de l’Esagil, indépendamment de l’identité des institutions responsables de la gestion administrative de la ville.

Le deuxième cas documenté de rapport direct entre le roi et l’Esagil date de l’époque parthe. Il s’agit du journal astronomique AD 3, -129 A, qui mentionne la réception de plusieurs messages, essentiellement destinés aux puliṭei. Dans un passage très cassé, il est possible que le šatammu et les Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil aient été aussi les destinataires d’une missive. Comme le souligne R. Sciandra, le contexte reste cependant très incertain et il est impossible d’affirmer que le document atteste bien l’envoi d’un message aux autorités du sanctuaire 141.

Finalement, un seul envoi direct à l’Esagil pourrait être véritablement documenté : celui rapporté par le journal astronomique AD 3, -93 A. Il s’agit d’un document très tardif au regard de la période qui nous intéresse ici puisqu’il date de 94 av. J.-C. Il ne faut pas d’ailleurs, nous semble-t-il, ériger l’Esagil comme un interlocuteur politique de la monarchie arsacide en s’appuyant sur ce seul document car son interprétation est, là encore, très difficile du fait de son état de conservation :

[…] ont creusé, comme précédemment, le canal qui (se trouve) au-dessus de Séleucie-de-l’Euphrate. Une lourde corvée […] ont été écrits [a]u šatammu de l’Esagil et des Babyloniens. Ils ont été lus dans la « maison des délibérations » (bīt milki) dans le Parc des Genévriers. Ils informent […] les Babyloniens dont les noms sont inscrits sur ces documents… 142.

R. van der Spek a proposé de rétablir la mention de lettres du roi dans la deuxième cassure de l’extrait 143. Cette hypothèse nous paraît quelque peu

141. sciandra 2012, p. 240 et 243. Le passage en question se trouve à la ligne f. 23’ d’AD 3, -129 A., « […] … les Babyloniens de l’Assemblée de l’Esagil, elle est écrite, qui ?

… un […] » ([…] ⌈x⌉ lúeki-meš lúukkin šá é.sag.gíl šaṭ-rat šá x x šá 1-en […]). Comme on le voit, ce passage est trop endommagé pour en proposer une compréhension satisfaisante.

142. […] ⌈íd šá⌉ an.ta uruse-lu-ki-⌈’a⌉-a šá ana ugu ídburanun gim igi-ú bal-ú il-ki dan-nu / [… ana] ⌈muh⌉-hi lúšà.tam é.⌈sag⌉.gíl u lúeki-meš sar-meš ina é mil-ki šá i-na giškiri6 šimli šá-su-ú / [… lú]⌈e⌉ki-meš šá mu-meš-šú-nu ina ⌈kuš⌉sar-meš mu-a-tì sar-meš šá il-x-[x]-x-nu ú-lam-⌈ma⌉-du-ú ki-šú. Ce document a été publié par sachs et hunger 1996, p. 430-431, puis par del monte 1997, p. 167-168, et van der spek 2001, p. 454-455. Remarquons que, dans la mesure où le début de la ligne 27 est cassé, il est possible que les signes ki-šú (ittišu) situés à la fin de la ligne 26 se rapportent à ce qui suit et non à ce qui précède comme ce fut le choix des éditeurs précédents. C’est pour cette raison que, par prudence, nous ne les traduisons pas ici.

143. van der spek 2001, p. 454 : « [(…). Les lettres du roi qui] furent écrites au šatammu et aux Babyloniens ». Cette proposition, non étayée nous semble‑t‑il, a été suivie par R. Sciandra (2012, p. 240 et n. 59, ainsi que p. 243).

218 p. clancier, j. monerie

aventureuse, et n’explique pas de manière satisfaisante les informations fournies par le journal astronomique. Il paraîtrait en effet surprenant que le roi ait envoyé aux autorités de l’Esagil la liste précise des noms de personnes mobilisées pour une corvée. Ce type d’information relève, en effet, davantage d’une gestion à un niveau local que royal. Il est peut-être possible d’interpréter ces quelques lignes de manière différente et de considérer qu’il y eut bien lecture d’un document devant le šatammu et les Babyloniens, mais un document administratif interne faisant le point sur la liste des personnes déjà engagées dans les travaux 144.

En conclusion, et en ayant relativisé la portée des trois documents présentés ci-dessus, nous suivrons pleinement la position de R. Sciandra lorsqu’il estime que les autorités de l’Esagil ont perdu leurs prérogatives politiques avec la poliadisation de Babylone 145. Ainsi, les missives royales ou de hauts dignitaires arrivaient désormais entre les mains des citoyens, dans le bīt tamarti, c’est-à-dire le théâtre 146, qui pourrait avoir été construit à l’occasion de cette poliadisation 147. De très nombreux exemples tirés des journaux astronomiques confirment cette évolution :

Ce mois, [une lettre sur peau qui] a été écrite [à l’épistatès et] aux politai qui sont dans Babylone a été lue dans le théâtre : « (…) » 148.

Hommes et lieux de pouvoir ont donc changé. Il faut désormais aller chercher au théâtre les informations et ordres du roi et de ses dignitaires. De plus, le dossier judiciaire précédemment envisagé montre que les anciennes autorités locales ont été évincées par les nouvelles, elles‑mêmes fortement encadrées par les officiers royaux (stratèges et satrapes), mais aussi par l’épistatès, directement nommé par la Couronne 149.

144. L’emploi des idéogrammes kušsar (« document sur peau ») au lieu du terme plus explicite de šipištu (« message »), bien qu’usuel, invite à demeurer prudent quant à la nature exacte de l’écrit mentionné dans ce journal astronomique.

145. sciandra 2012, p. 240, contra van der spek 2009, p. 109.

146. Pour cette identification, sur une suggestion de John Ma, cf. van der spek 2001, en particulier p. 447.

147. R. Koldewey date la construction du théâtre de la fin du ive s. ou au début du iiie s. av. J.‑C. G. Bergamini a pour sa part proposé de rejeter l’idée que cet édifice aurait été érigé sous Alexandre (phase I) puis reconstruit au iie s. av. J.-C. (phase II). Pour lui, la phase I attribuant l’édification initiale du bâtiment au conquérant macédonien ne repose en effet sur aucune donnée archéologique, épigraphique ou littéraire solide (bergamini 2011, p. 28-29, avec la bibliographie afférente). Il propose donc d’envisager que le théâtre soit plutôt une construction du iie s. av. J.-C.

148. AD 3, -132 D2, r. 15’, cf. van der spek 2001, p. 450-451.

149. AD 3, -129 A, bien que daté du début de la domination parthe, illustre bien cette pratique à la ligne 17’ de la face : « […] un (homme) parmi les citoyens qui (sont)

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 219

Les raisons de la poliadisation de Babylone ne sont pas connues. On peut tout de même avancer que même si la Chronique de la Communauté grecque mentionne l’intervention directe du monarque et l’apport de populations gréco-macédoniennes 150, cela ne signifie pas que cette réforme ait été obligatoirement imposée d’en haut 151. Il convient en effet de remarquer que la Babylonie du début du iie s. av. J.-C. comptait déjà de nombreuses poleis et il est possible que ce mode d’administration locale ait séduit les habitants de la région 152. Par ailleurs, cette structure était à même d’intégrer les différentes élites des anciennes villes de Babylonie, élites qui ne devaient certainement pas se résumer aux seuls membres des assemblées des desservants des sanctuaires suméro-akkadiens. Les plus grands avantages à poliadiser les anciennes villes de Babylonie n’apparaissaient en fin de compte peut‑être pas tant aux yeux des rois séleucides qu’à ceux des élites de ces agglomérations, dont un grand nombre devait être, auparavant, exclus de toute forme de responsabilité politique locale 153. Les monarques y trouvaient certainement aussi quelque intérêt car la nomination des épistatès leur permettait d’intervenir directement dans les affaires de la cité.

La situation administrative à l’intérieur du sanctuaire avait, elle aussi, évolué depuis le début du iiie s. av. J.-C. : la fonction de šatammu semblait dorénavant davantage contrôlée par les autorités royales qu’auparavant. Le contrôle exercé par le zazakku dans les années 160 av. J.-C. pourrait avoir eu pour but de favoriser l’inventaire des biens de l’Esagil, avec peut-être des intentions de redistribution d’une partie des terres lui ayant appartenu lors d’une éventuelle refondation

dans Babylone, (et) qui selon le parchemin du roi a été nommé à la charge d’épistatès, [est entré] à Babylone (en arrivant) du camp du roi » ([…] ⌈1-en⌉ ta lúpu-li-ṭa-an šá ina eki šá ina ⌈kuš⌉[ší]-⌈piš⌉-tú šá lugal ina lú[pa-hat]-ú-tu eki mun-nu-ú ta ma-dak-tú lugal ana ? e ? ⌈ki⌉ ku4

-ub). Pour ce passage, cf. del monte 1997, p. 131-132.

150. BCHP 14, cf. supra.

151. Cf. par exemple la poliadisation de Jérusalem (voir la contribution de L. Graslin dans ce volume).

152. Cf. la carte de la Babylonie à l’époque hellénistique, Fig. 2 en annexe. Pour les poleis en Babylonie et autour, voir en dernier lieu cohen 2013, p. 109-177. Pour chaque agglomération, l’auteur développe une bibliographie commentée très utile.

153. Nous ne voulons pas signifier ici que tous les habitants de Babylone purent ainsi participer à la vie politique de la cité, mais il paraît probable que la nouvelle structure politique, en créant un véritable corps civique, a dû accroître sensiblement le nombre d’intéressés directs à la gestion de la ville. Il n’est d’ailleurs pas exclu que certains notables de culture suméro‑akkadienne y aient eux‑mêmes trouvé leur intérêt. La documentation ne permet pas de se faire une idée précise de la structure des différentes notabilités à l’intérieur de Babylone.

220 p. clancier, j. monerie

de Babylone sous Antiochos IV 154. Il a été proposé qu’un document comme la Tablette Lehmann, rappelant la donation de Laodice et de ses fils au iiie s. av. J.-C., ainsi que la répartition des terres afférentes par l’ancienne notabilité des Babyloniens, ait pu être recopiée sous Antiochos IV dans le but d’affirmer les droits des Babyloniens 155. L’idée aurait alors été de réunir tous les documents attestant de la propriété de terres pour éviter d’avoir à subir leur redistribution aux nouveaux citoyens. Bien qu’un tel argument ne puisse pas vraiment convaincre lorsqu’il s’agit de copier un texte en akkadien cunéiforme compris par les seuls notables liés à l’Esagil, il n’en demeure pas moins vrai que la poliadisation a entraîné des changements massifs mettant un terme aux responsabilités politiques et administratives des sanctuaires au niveau local. Il semble donc raisonnable de penser qu’elle eut aussi des répercussions économiques importantes.

B. Le cas d’Uruk

La documentation urukéenne est moins explicite que celle de Babylone concernant les évolutions politiques du début du iie s. av. J.‑C. Un examen minutieux des sources nous semble toutefois indiquer une évolution similaire à celle de la capitale historique de la Babylonie.

L’épineux problème de la poliadisation d’UrukIl a souvent été avancé que la ville d’Uruk n’avait jamais été poliadisée,

car aucune inscription permettant de prouver positivement l’existence d’une polis n’avait été mise au jour sur le site 156. Il convient toutefois de remarquer que les fouilles menées à partir de la seconde moitié du xixe s. et jusque dans les années 1980 se sont concentrées autour du secteur des temples, laissant presque intact le reste du site, qui couvre pourtant un espace très étendu. Dans ces conditions l’argument archéologique nous semble devoir être manié avec prudence. Plusieurs indices indirects invitent en effet justement à conclure à l’existence d’une polis à Uruk :

– à partir du règne de Séleucos IV (187-175), une « Assemblée d’Uruk » (kiništu ša Uruk), qui n’était pas attestée auparavant, vient remplacer la traditionnelle « Assemblée des notables » (kiništu ša mār banê). Elle intervient, à

154. Les phénomènes de refondations de poleis ou de complément de leur corps civique ne sont pas rares à la période hellénistique. Voir, par exemple, le cas d’Antioche‑de‑Perside (cf. en dernier lieu, avec la bibliographie afférente, cohen 2013, p. 185-187).

155. van der spek 1987, p. 62.

156. Voir notamment kuhrt et sherwin-white 1993, p. 149. Pour un point historio-graphique de la question, voir en dernier lieu cohen 2013, p. 174-177.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 221

partir de cette date, en collaboration avec les instances dirigeantes du sanctuaire dans des affaires internes au temple 157.

– Par ailleurs, et dans le même temps, les titres portés par les membres des instances de direction du Bīt Rēš évoluent : le « paqdu d’Uruk » devient ainsi paqdu du sanctuaire (paqdu ša bīt ilāni) à partir du règne de Séleucos IV 158, et le rab ša rēš āli d’Uruk, encore attesté en 168 159, est devenu « rab ša rēš āli du sanctuaire » (rab ša rēš āli ša bīt ilāni) treize ans plus tard 160.

– Enfin, dans ces mêmes années, l’« Assemblée du sanctuaire d’Uruk » (kiništu ša bīt ilāni ša Uruk) et l’« Assemblée du Bīt Rēš » (kiništu ša Bīt Rēš) font leur apparition dans les sources, où elles n’étaient pas attestées auparavant 161.

– Bien que ce faisceau d’indices parfois peu clairs 162 ne permette pas de reconstituer avec précision la séquence des événements, il nous semble toutefois permettre d’avancer l’hypothèse d’une poliadisation de la ville d’Uruk dès le règne de Séleucos IV163.

Un changement à la tête des sanctuaires urukéensSi cette hypothèse est exacte, la création de cette polis semble avoir été

suivie, comme à Babylone, d’un changement de personnel au sein des instances de direction des sanctuaires de la ville. La famille d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn, dont les membres occupaient les fonctions les plus éminentes depuis le début du règne d’Antiochos III, semble en effet avoir considérablement perdu de son influence sous

157. La première attestation certaine de l’Assemblée d’Uruk date de 185, dans un texte fragmentaire (BaM Beih. 2 118). Le texte BiMes 24 54, lui aussi fragmentaire, semble dater de la même période.

158. BaM Beih. 2 118 ; corò 2005 txt. BM 116692 ; VDI 1955/4 txt. 8.

159. *BM 114415.

160. OECT 9 62. Les attestations suivantes sont BRM 2 47 et OECT 9 63.

161. La première est attestée pour la première fois en 158/157 (BRM 2 45), et la seconde en 160/159 (BiMes 24 35 // BRM 2 31).

162. Le titre de paqdu du sanctuaire est ainsi déjà porté par Anu-balassu-iqbi en 221 (NCTU 01), alors que son fils Anu‑belšunu porte pour sa part celui de paqdu d’Uruk en 209/208 av. J.-C. (OECT 9 42). De la même manière, l’absence d’attestation d’une Assemblée du sanctuaire à Uruk avant le milieu du iie s. av. J.-C. pose problème.

163. Notons que R. van der Spek (1987, p. 73) a supposé qu’une polis nommée Antioche-sur-le-canal-d’Ištar avait déjà été fondée sur le site d’Uruk au début du iiie s. av. J.-C., considérant (comme il le fait pour le cas de Babylone) qu’il s’agissait simplement d’une communauté grecque autonome installée dans la ville. Le texte sur lequel s’appuie l’auteur pour fonder cette hypothèse (YOS 20 20, rédigé à Antioche-sur-le-canal‑d’Ištar) ne nous semble toutefois pas suffisant pour identifier cette polis à la ville d’Uruk. Nous nous rangeons donc plutôt à l’avis de L. Doty, qui considère que cette Antioche était une fondation séleucide proche d’Uruk (doty 1977, p. 195-196).

222 p. clancier, j. monerie

le règne d’Antiochos IV 164. Le fils d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn, Diophantos~Anu‑balassu-iqbi, qui avait hérité de la charge paternelle de rab ša rēš āli d’Uruk, fut ainsi évincé de son poste 165, pour être remplacé par un certain Anu-mukin-apli, qui appartenait à un autre clan urukéen (Hunzu) et qui semble être resté en poste jusqu’à la fin de période de domination séleucide 166.

Ce changement des instances de direction du sanctuaire d’Uruk nous semble trop soudain pour ne pas avoir été le fruit d’une volonté royale. Si ses raisons précises demeurent difficiles à déterminer, il convient toutefois de remarquer que la famille d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn s’était illustrée par un certain népotisme et, peut‑être, par une tendance à profiter des opportunités financières que lui offrait sa position à la tête du sanctuaire 167. Il est par conséquent possible que les Séleucides aient ressenti le besoin de « rectifier » une position dans laquelle le sanctuaire, et avec lui l’administration locale, échappait peu à peu au contrôle royal. Cette mise en perspective ne manque d’ailleurs pas de rappeler le destin de la famille des Oniades à Jérusalem, qui profitèrent eux aussi d’un appui séleucide sous Antiochos III, avant de voir leur influence au sein du Temple limitée sous Séleucos IV, puis réduite à néant sous Antiochos IV 168.

Le système après la poliadisationComme à Babylone, la poliadisation urukéenne, si elle a bel et bien eu lieu,

semble avoir fortement limité les prérogatives des administrateurs du sanctuaire. À partir du milieu des années 160 av. J.-C., les sources cunéiformes ne documentent en effet plus l’action des instances de direction du sanctuaire que dans un seul cadre : celui des amendes infligées aux personnes qui ne se seraient pas correctement acquittées du service cultuel aux divinités. Une clause supplémentaire, qui apparaît à cette époque dans les contrats prébendaires, multiplie en effet les mesures de rétorsion à l’encontre des responsables en cas de non-respect de leurs devoirs. Les instances du Bīt Rēš, représentées tantôt par le paqdu du sanctuaire 169, tantôt par

164. Sur ces questions, notamment scholz 1998 et monerie 2012, p. 333-343.

165. Cette éviction survint à une date inconnue entre 173, date de la dernière attestation de Diophantos dans l’exercice de ses charges (BM 114408, publié par corò 2012) et 168, date de la première attestation de son successeur (*BM 114415, texte inédit du British Museum).

166. Il est encore attesté avec son titre en 149 (OECT 9 63). Un autre individu appartenant à ce même clan Hunzu est par ailleurs attesté en 155, avec le titre de « membre des ganzabarrū (i.e. trésoriers) du sanctuaire d’Uruk » (OECT 9 62).

167. Sur ces questions et sur la famille d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn en général, monerie 2012, p. 333-343.

168. Voir la contribution de L. Graslin au présent ouvrage.

169. corò 2005 txt. BM 116692, daté de 166, et VDI 1955/4 txt. 8, daté de 147.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 223

le rab ša rēš āli du sanctuaire 170, y sont toujours associées aux nouvelles instances de l’Assemblée d’Uruk, comme dans ce contrat d’engagement d’un substitut pour une prébende de boucher, daté de 147 :

(…) si {le substitut} cause une interruption (du service rituel) ou s’il retarde (les rituels), il versera tout ce que l’Assemblée d’Uruk et le paqdu du sanctuaire désireront lui imposer (…) 171.

En définitive, si l’on accepte l’hypothèse de la poliadisation d’Uruk, le cas de la métropole du Sud babylonien présente des analogies frappantes avec celui de Babylone, avec la création d’institutions de type grec dans la première moitié des années 180 av. J.-C. et un changement à la tête des sanctuaires au début du règne d’Antiochos IV, autour de 170. Cette analogie ne doit toutefois pas inviter à établir un schéma trop rigide du devenir des anciennes agglomérations de Basse-Mésopotamie aux époques hellénistique et parthe : la documentation ne nous permet en effet pas de préciser si les autres grandes villes anciennes de la région, comme Borsippa, Kutha ou Nippur, connurent une évolution analogue. Les cas de Babylone et d’Uruk pourraient inviter à le supposer pour certaines d’entre elles, mais on ne peut, en toute rigueur, l’affirmer en l’état actuel de la documentation.

C. D’autres formes d’organisation : le cas de Larsa

Le cas de la petite ville de Larsa, située à une vingtaine de kilomètres à l’est d’Uruk, porte justement à penser qu’il existait d’autres formes d’organisation administrative des anciennes agglomérations. La ville abritait en effet un sanctuaire suméro-akkadien, l’Ebabbar, qui semble avoir été abandonné autour de 300 av. J.-C. 172 avant d’être réoccupé dans la deuxième moitié du iiie s. av. J.-C. 173.

Le document OECT 9 26, rédigé vers 225, apporte quelques lumières concernant l’organisation de la ville après la réoccupation du sanctuaire. Le texte, très endommagé, concerne en effet une prébende liée au culte de la déesse Aya, dans l’Ebabbar. Il fait intervenir des membres de l’« Assemblée des Larséens » (kiništu ša Larsāya), ainsi que les membres d’un « collège de tous les officiers des Larséens » (kiništu ša rēš āli gabbi ša Larsāya), là où l’on s’attendrait à rencontrer le comité des dirigeants du sanctuaire, sur la base de parallèles urukéens du iiie s.

170. OECT 9 62 et BRM 2 47, tous deux datés de 155/154.

171. VDI 1955/4 txt. 8, ll. 20‑22.

172. La dernière attestation de l’activité du sanctuaire se trouve dans le Texte Bellino (308/307 av. J.-C.).

173. Les strates archéologiques intermédiaires laissent ainsi apparaître une couche de débris de 50 à 70 cm, signe d’une longue période d’abandon : lecomte 1987.

224 p. clancier, j. monerie

av. J.-C. 174. Mais surtout, la liste des témoins de l’acte débute par une série de noms grecs en proportion anormalement élevée pour cette époque, et qui n’est peut-être pas étrangère à ce « collège de tous les officiers des Larséens » qui semble avoir eu juridiction sur les affaires internes du sanctuaire 175.

Il est dès lors possible d’avancer l’hypothèse selon laquelle la notabilité suméro-akkadienne de la ville aurait partiellement délaissé le sanctuaire local, autour de 300, avant que le site ne soit réoccupé dans la seconde moitié du iiie s. av. J.-C., sous l’égide de l’administration séleucide. Les membres de la notabilité locale, désormais trop peu nombreux176, auraient ainsi été mis sous tutelle de colons gréco-macédoniens, qui semblent avoir dirigé la ville au iiie s. av. J.-C.

Sans aller jusqu’à poser l’hypothèse d’une poliadisation de Larsa, cette mise sous tutelle du sanctuaire de l’Ebabbar montre bien que les Séleucides n’ont pas hésité à contrôler directement la gestion des affaires internes des sanctuaires lorsque les circonstances l’exigeaient. Cette mise sous tutelle n’était d’ailleurs pas nécessairement à cette époque le fruit d’une politique raisonnée de mise au pas des sanctuaires. L’activité économique apparemment restreinte de l’Ebabbar au iiie s. av. J.-C. inviterait au contraire à penser qu’il s’agissait justement d’une volonté de maintenir le sanctuaire dans un état de fonctionnement qui, sans une gestion municipale raisonnée, se serait rapidement dégradé.

conclusion

Nous arrivons donc ici à la fin d’un cycle de l’histoire des villes suméro‑akkadiennes de Babylonie. Babylone, encore capitale royale sous Alexandre, avait été déclassée par Séleucos Ier au profit de la nouvelle polis de Séleucie-du-Tigre. Toutefois, la notabilité des grandes villes traditionnelles, identifiée par le pouvoir macédonien aux desservants des sanctuaires, avait réussi à conserver une fonction de relais de pouvoir malgré le caractère désormais minoritaire de la culture suméro-akkadienne en Babylonie. Cette fonction politique avait permis à ces notabilités traditionnelles de conserver durant plus d’un siècle un degré d’autonomie qui nous semble non négligeable, malgré une forte présence du pouvoir royal séleucide à l’échelle locale. Les importantes réformes des décennies 180 et 160 av. J.-C. semblent avoir eu pour effet principal de gommer ce relais de pouvoir incarné

174. OECT 9 26 ll. 3, 13 et 18‑19. L’interprétation de l’expression ša rēš āli, ici traduite par le terme neutre d’« officiers », est problématique. Sur ce point, voir joannès 1988.

175. OECT 9 26 ll. 21-23.

176. L’intervention de membres de la notabilité suméro-akkadienne d’Uruk dans le système prébendaire de l’Ebabbar, à l’image du scribe et d’une partie des contractants de la tablette OECT 9 26, qui portent des noms typiquement urukéens, pourrait accréditer une telle hypothèse.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 225

par ces notabilités des sanctuaires, du moins à Babylone et Uruk. Ces réformes ne faisaient en somme que transcrire sur le plan politique une situation culturelle effective depuis plusieurs siècles, rendant à la culture suméro-akkadienne son statut de minorité. La notabilité des sanctuaires avait réussi le formidable « coup de bluff » politique de s’imposer aux yeux des conquérants macédoniens comme un relais indispensable à la gestion d’une région que les Grecs connaissaient mal. Écartés de l’échiquier politique par la mise en place des poleis dans le deuxième quart du iie s. av. J.-C., les notables suméro-akkadiens n’ont pas été en mesure de réitérer cet exploit au moment de la conquête parthe.

Les Séleucides n’eurent en effet pas le loisir de profiter bien longtemps de ce nouveau relais de pouvoir : la région fut bientôt conquise par les Parthes, une première fois en 141, puis définitivement à partir de 127. Il ne s’agit évidemment pas ici d’étudier en détail cette époque arsacide, durant laquelle la Babylonie n’appartenait plus stricto sensu au monde hellénistique 177. Il nous semble tout de même important de souligner le fait que les conquérants parthes ne semblent pas avoir remis en cause le système qu’ils trouvèrent à leur arrivée en Babylonie. C’est même durant cette période que les sources documentent le mieux le fonctionnement de ce nouveau système à trois acteurs, entre le pouvoir royal, la polis et la notabilité suméro-akkadienne désormais réduite au seul monde des sanctuaires. En effet, si les sources cunéiformes urukéennes deviennent relativement rares à partir du milieu du iie s. av. J.-C. 178, celles de Babylone demeurent en revanche abondantes jusqu’au début du ier s. av. J.-C. La notabilité traditionnelle n’apparaît alors plus, on l’a vu, comme le relais de pouvoir local, ces fonctions ayant été réattribuées à la polis. Les allées et venues des šatammū de l’Esagil durant les guerres entre prétendants au trône parthe, à la fin du iie s. et au début du ier s. av. J.-C., pourraient porter à penser que ces dignitaires ont tenté de retrouver à cette époque une place déjà perdue depuis longtemps.

Toutefois, si le sanctuaire de l’Esagil n’est plus un acteur de la politique locale, il demeure un point de référence religieux, culturel et social de la ville : chaque épistatès nouvellement nommé, chaque nouveau dignitaire royal arrivant à Babylone avait en effet soin de venir faire des sacrifices aux portes de l’Esagil. Le sanctuaire joue donc encore un rôle symbolique important 179, mais son rôle politique a été réduit à néant : le relais essentiel du pouvoir royal était désormais

177. Sur la ville de Babylone au début de l’époque parthe, hauser 1999 et boiy 2004, p. 166-192.

178. Voir toutefois le texte édité par kessler 1984, daté de 108 av. J.-C., qui pourrait attester le maintien de la mise sous tutelle par l’administration royale des activités internes aux sanctuaires. Sur l’absence d’archives d’époque arsacide dans le Bīt Rēš, les remarques de beaulieu 1989, p. 54-55.

179. Sur cette question, van der spek 2009, p. 110-111.

226 p. clancier, j. monerie

la polis, qui devait conserver cette fonction jusqu’à la disparition finale des sanctuaires traditionnels au début de notre ère…

Philippe clancier Julien monerie

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ArScAn – UMR 7041

Abréviations usuelles

AD 1 sachs et hunger 1988AD 2 sachs et hunger 1989AD 3 sachs et hunger 1996BaM Beih. 2 van dijk et mayer 1980BCHP finkel et van der spek à paraître (cf. www.livius.org)BiMes 24 weisberg 1991BRM 1 clay 1912BRM 2 clay 1913CT 49 kennedy 1968NCTU sarkisian 1974OECT 9 mcewan 1982VDI 1955/4 sarkisian 1955VS 15 schroeder 1916WVDOG 51 jordan 1928YOS 1 clay 1915YOS 20 doty et wallenfels

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Fig. 1 – Le centre-ville de Bayblone (d’après Clancier 2012, p. 327).

234 p. clancier, j. monerie

Annexe : chronologie simplifiée de la Babylonie à l’époque hellénistique

babylonie babylone uruk331 : bataille de Gaugamèles (1er oct.). Entrée d’Alexandre à Babylone (fin oct.).323 : mort d’Alexandre à Babylone (11 juin). Accords de Babylone entre les Diadoques (été).

331 : Alexandre ordonne la reconstruction de la ziggurat de l’Etemenanki.

Fig. 2 – La Babylonie séleucide (d’après Monerie 2013, p. 235, fig. 27).

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 235

315-311 : domination d’Antigone le Borgne sur la Babylonie.311-309 : Guerre de Babylonie entre Séleucos et Antigone. Victoire de Séleucos.305 : prise du titre royal par Séleucos. Instauration de l’ère séleucide (an 1 = 311/310).

246/245 : Invasion de la Babylonie par les Lagides

141 : Conquête de la région par Mithridate Ier (printemps)

ca 295-285 : achèvement du déblaiement des débris de la ziggurat de l’Etemenanki par Antiochos corégent.

ca 268 : restauration du sanctuaire de l’Esagil par Antiochos Ier

ca 187? : poliadisation de Babylone.

169 : remplacement, sur ordre du roi, du šatammu de l’Esagil par son frère, qui porte le titre de zazakku.

244 : rénovation du sanctuaire du Bīt Rēš par le gouverneur (šaknu) d’Uruk Anu-uballiṭ~Nikarchos.

221 : première attestation de la famille d’Anu-uballiṭ~Képhalôn à la tête du Bīt Rēš : Anu‑balassu‑iqbi, père de Képhalôn, est rab ša rēš āli d’Uruk et paqdu du sanctuaire.ca 202 : rénovation des sanctuaires de l’Irigal et du Bīt Rēš par le rab ša rēš āli Anu‑uballiṭ~Képhalôn

ca 191-185 : poliadisation d’Uruk (?)

ca 173-169 : éviction des membres de la famille d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn de la direction des sanctuaires d’Uruk.

236 p. clancier, j. monerie

Annexe : Tablette AO 6498

La tablette AO 6498 a été transcrite et traduite par Fr. Joannès dans sa thèse de doctorat de Troisième cycle restée inédite 180. Cette tablette conservée au Musée du Louvre est aujourd’hui inaccessible, aussi nous contentons-nous de proposer ci-dessous sa transcription et sa traduction, sans pouvoir en présenter de copie. Nous tenons à remercier Fr. Joannès pour nous avoir très aimablement fourni tous les éléments nécessaires à la publication de ce document.

Transcription

1’. [Iqé-ep]-lu-ú-nu lúgal lúsag uru šá unugki u Iṭi-mu-ku4-ra-te-e lúpaq!-du šá unugki

2’. […] a-na tar-ṣi šá Iqé-ep-lu-ú-nu lúšà.tam šá é-meš dingir-meš šá unugki

3’. […] muš-te-e’-u áš-ri dingir-meš gal-meš za-nin é.iri10.gal4’. […] KI šá dingir-meš ze-nu-tú ina ⌈é?‑meš x x⌉

Traduction

1’. [Képha]lôn, le rab ša rēš āli d’Uruk et Timokratès, paqdu d’Uruk2’. […] au temps de Képhalôn, le šatammu des sanctuaires d’Uruk3’. […] celui qui recherche les lieux des grands dieux, le pourvoyeur de l’Irigal,4’. […] … des dieux en colère dans les temples? …

CommentaireCette inscription fragmentaire, qui semble commémorer quelque action

d’Anu‑uballiṭ~Kephalôn, demeure d’interprétation difficile 181. Elle pourrait s’inscrire dans le cadre des travaux de rénovation entrepris par le rab ša rēš āli dans le Bīt Rēš et l’Irigal au cours des années 200 av. J.‑C. 182, mais il convient de demeurer prudent en considération de l’état matériel de la tablette.

l. 1’ : la fonction de rab ša rēš āli ša Uruk, que l’on pourrait traduire par « chef des officiers de la ville d’Uruk », fut occupée par Anu‑uballiṭ~Kephalôn entre ca 209 et le règne de Séleucos IV (187-175) 183, avant de passer à son fils Diophantos~Anu‑balassu-iqbi 184. Quant à Timokratès, dont nous savons par OECT 9 42 qu’il était

180. Joannès 1980, 1, p. 11 pour la transcription, t. 1 p. 74, et t. 2, p. 364-368 pour la traduction et le commentaire.

181. joannès 1980, 3 p. 368.

182. Sur ces travaux, cf. supra.

183. Les autres attestations d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn à ce poste sont : OECT 9 42 (209/208 av. J.-C.), WVDOG 51 pl. 108 (202 av. J.-C.), YOS 20 54 (197/196 av. J.-C.), BiMes 24 06 (191 av. J.-C.), BiMes 24 54 (ca. 187-175 av. J.-C.).

184. Diophantos~Anu‑balassu‑iqbi est désormais attesté comme rab ša rēš āli d’Uruk par le texte BM 114408 (publié dans Corò 2012), daté de 173 av. J.-C.

les sanctuaires babyloniens à l’époque hellénistique 237

le frère d’Anu‑uballiṭ~Képhalôn, il porte ici le titre de paqdu d’Uruk (litt. « député d’Uruk »), qu’un autre de ses frères, Anubelšunu, avait porté avant lui 185. Ce même titre est également attribué à Timokratès dans le texte BiMes 24 54, datable de ca 178-175 av. J.-C. 186. Ces données permettent de dater approximativement notre document entre le début des années 200 et le milieu des années 170 av. J.-C.

l. 2’ : Anu‑uballiṭ~Képhalôn apparaît ici une seconde fois avec le titre inédit de šatammu ša bītāti ilāni ša Uruk, « administrateur des sanctuaires d’Uruk », qui n’est pas attesté par ailleurs. La coexistence des titres de rab ša rēš āli ša Uruk et de šatammu ša bītāti ilāni ša Uruk invite à penser que le rab ša rēš āli avait des responsabilités débordant du cadre des sanctuaires, dont la gestion revenait au šatammu. Le fait qu’Anu‑uballiṭ~Képhalôn ait endossé les deux responsabilités en même temps semblerait confirmer l’hypothèse selon laquelle les notables liés aux sanctuaires suméro‑akkadiens avaient en charge une partie de la gestion de la ville d’Uruk.

l. 3’ : Anu‑uballiṭ~Képhalôn se place ici dans la tradition des rois babyloniens, dont l’un des devoirs consistait à veiller à l’entretien des sanctuaires.

l. 4’ : Cette dernière ligne reste très difficile à comprendre du fait de la conservation de la tablette. Fr. Joannès avait proposé de rétablir en fin de ligne : (…) ina ⌈é-meš udu nitá ? ⌉. Nous laissons de côté cette proposition de lecture en nous fondant sur le commentaire qu’en fait Fr. Joannès : « La restitution finale est hypothétique, d’après les traces mais convenant peu au contexte » 187.

185. OECT 9 42 documente en effet l’intervention conjointe, en 209/208, du rab ša rēš āli Anu‑uballiṭ~Képhalôn, du paqdu d’Uruk Anu-belšunu et de leur frère Timokratès, qui apparaît dans ce texte sans titre officiel (ibid., f. 6-7).

186. [... I]⌈ṭi*⌉-mu*‑uq*‑ra-te-e lú!paq*‑du* ša unugki ina un-qa-šú (BiMes 24 54, r. 5). Collation effectuée à partir de la photographie disponible sur le site de la Cuneiform Digital Library Initiative : http://www.cdli.ucla.edu/dl/photo/P342260.jpg.

187. joannès 1980, 1 p. 74.