Sanctuaires de Pétra : Chapelle d’Obodas. Le triclinium BD 290 (2013)

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Rapport des campagnes archéologiques 2013 103 2.3. Sanctuaires de Pétra. « Chapelle d’Obodas ». Le triclinium BD 290. Nicolas Paridaens (ULB, CReA-Patrimoine) & Laurent olbecq (ULB / Équipe APOHR – ArScAn UMR 7041) Introduction Le programme de fouille de la Chapelle d’Obodas, débuté par Laila Nehmé en 2001 et poursuivi ensuite sous la direction de L. olbecq a connu son point d’orgue durant l’automne 2013, avec la fouille du triclinium BD290 (Fig. 1). C’est volontairement que la fouille de ce qui constitue le point focal de l’ensemble du complexe avait été limitée à sa moitié antérieure ; il s’agissait en effet de ne s’y attaquer qu’en connaissance de cause, une fois les composantes essentielles du sanctuaire explorées et ses phases d’occupation éclaircies. Il s’agissait aussi de s’assurer la compétence d’un excellent stratigraphe, capable de déceler les minces traces d’occupations identifiables sous des accumulations résiduelles datant des XIX e et XX e siècles. La fouille du triclinium BD290 a été réalisée du 15 au 30 octobre 2013 par Nicolas Paridaens avec l’aide de 5 ouvriers. Elle marque la fin d’une série de campagnes de fouilles menées sur le sanctuaire depuis 2001. Au sein du triclinium proprement dit, deux sondages furent d’abord réalisés en 2001 par L. Nehmé, le premier couvrant la partie nord de la pièce et le second à l’aplomb de la paroi sud de la pièce 1 . La partie septentrionale fut dégagée de manière exhaustive l’année suivante, en 2002, par L. olbecq 2 . Les objectifs de la campagne 2013 visaient le dégagement complet de la pièce rupestre, la partie centrale étant encore inexplorée, ainsi qu’une lecture globale de la stratigraphie de la structure, en confrontant les nouvelles données et les fouilles antérieures (Fig. 2). Une coupe est-ouest laissée en l’état depuis 2001 fut re-nettoyée et dessinée. Au niveau méthodologique, il fut décidé de fouiller la pièce en deux parties, inégales, afin de ménager un profil nord-sud, contigu à celui relevé en 2003. Les niveaux archéologiques anciens non perturbés étaient particulièrement réduits en raison, d’une part, des sondages de 2001, pour lesquels nous ne possédons aucun relevé stratigraphique approprié, de la présence de hautes banquettes rupestres au sein de la structure-même d’autre part, et enfin suite à la perturbation liée à une tranchée de pillage moderne ayant traversé la structure jusqu’au sol (voir infra). Le triclinium aux I er et II e siècles de notre ère La structure a déjà fait l’objet de plusieurs descriptions sur base des fouilles et sondages antérieurs. Les recherches 2013 ont confirmé ce qui en a déjà été dit 3 . La « Chapelle d’Obodas » (i.e. la chambre 1 Nehmé, 2002. 2 Tholbecq & Durand, 2005. 3 Tholbecq, 2011 ; Tholbecq & Durand, 2005.

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Rapport des campagnes archéologiques 2013

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2.3. Sanctuaires de Pétra. « Chapelle d’Obodas ». Le triclinium BD 290.

Nicolas Paridaens (ULB, CReA-Patrimoine) & Laurent Tholbecq (ULB / Équipe APOHR – ArScAn UMR 7041)

Introduction

Le programme de fouille de la Chapelle d’Obodas, débuté par Laila Nehmé en 2001 et poursuivi ensuite sous la direction de L. Tholbecq a connu son point d’orgue durant l’automne 2013, avec la fouille du triclinium BD290 (Fig. 1). C’est volontairement que la fouille de ce qui constitue le point focal de l’ensemble du complexe avait été limitée à sa moitié antérieure ; il s’agissait en effet de ne s’y attaquer qu’en connaissance de cause, une fois les composantes essentielles du sanctuaire explorées et ses phases d’occupation éclaircies. Il s’agissait aussi de s’assurer la compétence d’un excellent stratigraphe, capable de déceler les minces traces d’occupations identifiables sous des accumulations résiduelles datant des XIXe et XXe siècles.

La fouille du triclinium BD290 a été réalisée du 15 au 30 octobre 2013 par Nicolas Paridaens avec l’aide de 5 ouvriers. Elle marque la fin d’une série de campagnes de fouilles menées sur le sanctuaire depuis 2001. Au sein du triclinium proprement dit, deux sondages furent d’abord réalisés en 2001 par L. Nehmé, le premier couvrant la partie nord de la pièce et le second à l’aplomb de la paroi sud de la pièce1. La partie septentrionale fut dégagée de manière exhaustive l’année suivante, en 2002, par L. Tholbecq2. Les objectifs de la campagne 2013 visaient le dégagement complet de la pièce rupestre, la partie centrale étant encore inexplorée, ainsi qu’une lecture globale de la stratigraphie de la structure, en confrontant les nouvelles données et les fouilles antérieures (Fig. 2).

Une coupe est-ouest laissée en l’état depuis 2001 fut re-nettoyée et dessinée. Au niveau méthodologique, il fut décidé de fouiller la pièce en deux parties, inégales, afin de ménager un profil nord-sud, contigu à celui relevé en 2003. Les niveaux archéologiques anciens non perturbés étaient particulièrement réduits en raison, d’une part, des sondages de 2001, pour lesquels nous ne possédons aucun relevé stratigraphique approprié, de la présence de hautes banquettes rupestres au sein de la structure-même d’autre part, et enfin suite à la perturbation liée à une tranchée de pillage moderne ayant traversé la structure jusqu’au sol (voir infra).

Le triclinium aux Ier et IIe siècles de notre ère

La structure a déjà fait l’objet de plusieurs descriptions sur base des fouilles et sondages antérieurs. Les recherches 2013 ont confirmé ce qui en a déjà été dit3. La « Chapelle d’Obodas » (i.e. la chambre

1 Nehmé, 2002.2 Tholbecq & Durand, 2005.3 Tholbecq, 2011 ; Tholbecq & Durand, 2005.

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Fig. 1 Plan d’ensemble du triclinium d’Obodas BD 290 avec l’emplacement de la fouille 2013 et des coupes stratigraphiques (© Mission Archéologique Française de Pétra, MAE-ULB, S. Delcros).

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rupestre sur un ressaut du plafond de laquelle est gravée la dédicace CIS II 354) est un long triclinium essentiellement rupestre de ca 12,60 m de profondeur, ca 6 m de large et ca 5,40 m de haut (Fig. 3). Il est clôturé côté nord par une façade construite de ca 7,60 m de large ouverte par une porte centrée. Une niche creusée au centre de sa paroi sud, dans l’axe de la porte, accueillait un buste d’Obodas le dieu découvert en 2001, objet de la dédicace CIS II 354. Trois banquettes de ca 2,60 m de large et auxquelles on accédait par deux petits emmarchements disposés de part et d’autre de la porte d’entrée courent le long des parois. Les banquettes sont rupestres, à l’exception de la partie nord de la banquette orientale, qui est construite. Le plafond de la partie antérieure du monument était donc non pas rupestre mais construit et supporté par deux grands arcs, apparemment surmontés d’un premier étage dont le mode de couverture reste inconnu. Articulée à angle droit sur la façade du triclinium, une porte permettait d’accéder côté est à une petite pièce carrée de ca 3,60 m de côté pourvue de deux étals, laquelle communiquait plus au sud avec une annexe de dimensions similaires. Les étals, probables tables de découpe, et le matériel archéologique associé (artéfacts et écofacts) suggèrent d’y voir un espace destiné à la préparation des repas distribués dans le triclinium. Si la dédicace, datée de l’an 20 de notre ère, ne nous livre qu’un terminus ante quem, le matériel céramique associé aux fondations de ce petit bâtiment connexe est daté de la fin du Ier siècle av. J.-C. Il nous livre donc une fourchette chronologique cohérente qui permet de situer la construction de l’ensemble (triclinium rupestre d’Obodas et pièces connexes) au début du Ier siècle de notre ère.

Fig. 2. Vue générale du triclinium avant la fouille 2013 (© Mission Archéologique Française de Pétra, MAE-ULB, N. Paridaens).

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Fait qui n’avait pas été remarqué jusqu’à présent, quelques poches de mortier à base de chaux et de cendre (us 2013.011) ont été retrouvées in situ sur le fond du triclinium, correspondant soit à un mortier de pose (d’un dallage ?), soit à un béton de circulation. Cet aménagement devait compléter les décors muraux supposés, dont les éléments de fixation ont été repérés4.

Une réoccupation tardo-romaine

Les premiers niveaux archéologiques rencontrés en 2013 sur le sol du triclinium correspondent à une phase de ré-occupation de ce dernier, après effondrement de la façade nord  : l’extrémité méridionale (us 2013.007, équival.=2002.1016) de cet effondrement, dégagé en grande majorité en 2001 et 2002, a d’ailleurs été retrouvée ; plusieurs blocs de parement ainsi qu’un voussoir y ont été reconnus. Dans l’Antiquité, cette couche de destruction, qui présentait un fort pendage nord-sud, a été nettoyée dans la partie sud de la pièce, là où elle était moins épaisse, et repoussée (us 2013.009) contre la paroi de la banquette méridionale (Fig. 4). Le triclinium semble donc avoir été réoccupé, dans la partie nord directement sur le cône de destruction de sa façade et sur une partie plane du sol d’origine dans la partie sud, sur 2,75 m de longueur. Ailleurs dans la salle, le niveau de circulation s’effectuait au niveau des banquettes. Deux strates sont à mettre en relation avec cette phase : un

4 Nehmé, 2002, p. 245.

Fig. 3. Vue générale du triclinium après fouille (© Mission Archéologique Française de Pétra, MAE-ULB, N. Paridaens).

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A A’

B B’

972.00m

973.00m

974.00m

975.00m

976.00m

977.00m

978.00m

971.00m

0 1 2,00 m

2013.001

2013.002

2013.0052013.013

2013.013

2013.013

2013.004(b)2013.004(a) 2013.006

2013.010

2013.001

2013.003

2013.0022013.009

2013.005

2013.004

2013.006

2013.0102013.0082013.007

[2013.012]

2013.008

2013.008

2013.008a2013.008a

2013.011

2013.007

2013.003

2013.005

2001.1006

2001.1007

2001.1008

2001.1009

2001.1004

2001.1005

972.00m

973.00m

974.00m

975.00m

976.00m

977.00m

978.00m

971.00m

972.00m

973.00m

974.00m

975.00m

976.00m

977.00m

978.00m

971.00m

0 1 2,00 m

Fig. 4. Coupes stratigraphiques et topographiques A-A’ et B-B’ à travers le triclinium d’Obodas BD 290 (© Mission Archéologique Française de Pétra, MAE-ULB ; relevés : S. Delcros, N. Paridaens, L. Tholbecq ; DAO S. Delcros et N. Bloch).

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horizon argileux rouge (us 2013.008) posé sur le sol d’origine du triclinium (us 2013.012) et un horizon sablonneux jaune pâle (us 2013.010) recouvrant ce premier niveau ainsi que la couche de destruction septentrionale (us 2013.007). Cette phase a été datée de l’époque tardo-romaine suite à la présence de sigillée africaine, de céramique culinaire caractéristique et d’une lampe en terre cuite datée du IVe s. Cette occupation peut être mise en relation avec plusieurs autres niveaux, assez ténus, repérés dans différents secteurs de fouille du complexe d’Obodas, notamment dans la « Pièce annexe sud » et la citerne D2975.

Posé sur ces différentes couches, un important niveau d’abandon, de 0,50 m d’épaisseur, fut dégagé, formé par l’accumulation de sable rose très meuble et de particules de pierres calcaires et de grès (us 2013.006, équival. = 2002.2015).

Des niveaux médiévaux (?)

Postérieures à cet horizon, diverses couches noires et grises bien marquées, formées de matière organique, de paille et de cendres (us 2013.004), constituent une phase d’occupation, présentant un pendage nord-sud bien marqué. Ces couches comblent de manière uniforme l’espace central du triclinium ainsi que les banquettes, aménageant de la sorte une vaste pièce, dont le sol fut en partie aménagé à l’aide de pierres de remploi (notamment deux fragments de tambours de colonnes et des fragments de marbre taillés).

Il pourrait s’agir d’une occupation médiévale, si le lien stratigraphique a été correctement réalisé avec les vestiges dégagés en 2001 et 2002 à l’intérieur et l’extérieur de la Chapelle. Parmi ceux-ci, on mentionnera des niveaux organiques ayant livré du matériel ayyoubide-mamelouke (us 2001.1002 et us 2002.1011), associés, selon les fouilleurs, à un mur dégagé en 20016 ; ce mur « grossier » (sic)7 est bien visible sur le plan et les clichés de fouilles de L. Nehmé8 ainsi que dans la coupe relevée en 2003 par L. Tholbecq. Il n’a cependant jamais fait l’objet d’une description et il reste quelque peu délicat de l’associer au niveau découvert en 2013, en raison du fort pendage qui caractérise la sédimentation de la pièce et d’une stratigraphie interrompue entre les différents secteurs de fouilles. Si tel est le cas, il s’agirait d’un mur de façade, fermant la salle rupestre, alors probablement occupée comme grange ou habitation à cette époque. Recouvrant cette occupation, une couche d’une trentaine de centimètres de sable rose mêlé à de gros blocs de grès (us 2013.013) correspond vraisemblablement à une nouvelle période d’abandon de la pièce.

5 Tholbecq & Durand, 2005, p. 310 ; Tholbecq, Durand, Bouchaud, 2008, p. 241.6 Ibidem7 Tholbecq L. (inédit). Chapelle d’Obodas. Campagne 2002. Rapport préliminaire, dans Augé C., Mission archéologique « De Pétra à Wadi Ramm. Le sud jordanien nabatéen et arabe ». Rapport de mission inédit.8   Nehmé, 2002, p. 246 fig. 3 et p. 248 fig. 7.

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Une tranchée de pillage ?

Recoupant partiellement toutes les occupations précédentes, une tranchée de 0,66  m de large (us 2013.002) et profonde d’1,20 m, a été repérée le long de la banquette occidentale du triclinium. Plus loin elle marquait un coude vers l’est au niveau de la banquette nord et avait partiellement été recoupée par le sondage de 2001. Ce creusement, démarrant à hauteur de la façade de la salle rupestre, sur base des informations récoltées en 2001 et 2002, a été opéré jusqu’à la roche mère. En coupe, ce creusement montre un profil en U, aux parois verticales, s’évasant dans la partie supérieure, en raison de l’effondrement progressif des parois. Au moment du creusement, les déblais ont été reportés au-dessus des strates ainsi recoupées, et forment une couche grise non homogène d’une dizaine de centimètres (us 2013.005) (Fig. 4). Lors du post-fouille, du recollement a pu ainsi être opéré entre ces déblais et les couches en place. La tranchée fut ensuite comblée par l’accumulation des couches archéologiques voisines retombées (us 2013.003). Ce creusement pourrait correspondre à une tranchée de pillage, les pilleurs pensant sans doute être en présence d’une tombe.

Les niveaux modernes

Un important niveau de 0,55 m d’épaisseur, formé d’une dizaine de strates de matière organique et de cendres (us 2013.001), constituait la dernière phase de cette partie de la chapelle. La faible décomposition de la matière organique ainsi que quelques tessons de céramique grossière non tournée non décorée permettent de dater cette couche de l’époque contemporaine (XIXe-XXe s.).

Conclusions

La fouille 2013 a permis de rendre au triclinium BD 290 son volume d’origine. Reconnue comme un des plus grands triclinia de Pétra, « la Chapelle d’Obodas » est maintenant accessible dans son intégralité. Outre les phases des ier et iie siècles déjà identifiées au préalable, une phase tardo-romaine a également été reconnue dans la partie sud de la pièce ; cette occupation doit être mise en relation avec plusieurs autres niveaux, assez ténus, repérés dans différents secteurs de fouille du complexe d’Obodas. Les recherches ont également permis d’identifier un niveau d’occupation, peut-être médiéval. La longue tranchée qui recoupait la partie sud de la salle, également repérée dès 2001, a été interprétée comme une tranchée de pillage, probablement récente et, en tout cas, antérieure à une importante ré-occupation bédouine qui clôturait la stratigraphie générale du secteur.