Mondes et diagrammes : l’intrigue politique et spatiale des mondes de l’art

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1 Mondes et diagrammes : l’intrigue politique et spatiale des mondes de l’art Mischa Piraud & Luca Pattaroni Ces dernières décennies ont été marquées par une métamorphose des processus de production de la ville, induite à la fois par les transformations du capitalisme et des formes de gouvernement. En particulier, la financiarisation du capitalisme (Halpern et Pollard 2013) associée à un "gouvernement par l'objectif" (Thévenot 2012) ont contribué à l'avènement d'une « ville garantie » caractérisée par la multiplication des expertises et des indicateurs censés assurer les qualités qui la rendront internationalement attractive et compétitive (Breviglieri 2013). Un des domaines où se joue cette métamorphose est celui de la culture et plus largement des activités dites créatives. Comme en atteste la pugnacité de l'idéologie de la ville créative (Keil and Boudreau 2010), ces activités sont passées en quelques décennies des marges (externalités) du système économique – où elles figuraient comme « exception culturelle » – au cœur des modèles de développement urbain. En nous appuyant sur une enquête en cours à Genève et Lisbonne, nous défendons ici l'idée que ce renversement s'accompagne d'une transformation en profondeur des rapports entre l'art, la ville et le capitalisme qui demande pour être décrit et analysé une confrontation et une fertilisation mutuelle entre les outils de la théorie de l'art et de la sociolgie urbaine. En effet, l'enquête montre que les mondes de l'art dépendent de manière beaucoup plus systématique qu'envisagé jusqu'à présent des conditions plus larges de production contemporaine de l'espace. Ainsi, les concepts forgés jusqu'à présent pour décrire l'intrication de l'art et de la société ne semblent pas en mesure de rendre compte des métamorphoses des modes de production de la ville et de l’impact réciproque sur l'évolution de la place et du sens des activités artistiques dans l'ordre urbain et, plus largement, du caractère fondamentalement politique de l’art. Pour avancer dans la compréhension de ces phénomènes, nous proposons ici une discussion des outils d'analyse de la relation politique et spatiale de l'art à l'ordre urbain, s'élevant sur une nécessaire description empirique des conditions contemporaines de production de l'art – entendue ici comme création et diffusion. Il ne s'agit toutefois pas de faire table rase du travail analytique antérieur. En particulier, nous prolongeons théoriquement l'idée de monde, dont le

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Mondes  et  diagrammes  :  l’intrigue  politique  et  spatiale  des  

mondes  de  l’art  

Mischa Piraud & Luca Pattaroni

Ces dernières décennies ont été marquées par une métamorphose des processus de production

de la ville, induite à la fois par les transformations du capitalisme et des formes de

gouvernement. En particulier, la financiarisation du capitalisme (Halpern et Pollard 2013)

associée à un "gouvernement par l'objectif" (Thévenot 2012) ont contribué à l'avènement

d'une « ville garantie » caractérisée par la multiplication des expertises et des indicateurs

censés assurer les qualités qui la rendront internationalement attractive et compétitive

(Breviglieri 2013). Un des domaines où se joue cette métamorphose est celui de la culture et

plus largement des activités dites créatives. Comme en atteste la pugnacité de l'idéologie de la

ville créative (Keil and Boudreau 2010), ces activités sont passées en quelques décennies des

marges (externalités) du système économique – où elles figuraient comme « exception

culturelle » – au cœur des modèles de développement urbain.

En nous appuyant sur une enquête en cours à Genève et Lisbonne, nous défendons ici l'idée

que ce renversement s'accompagne d'une transformation en profondeur des rapports entre

l'art, la ville et le capitalisme qui demande pour être décrit et analysé une confrontation et une

fertilisation mutuelle entre les outils de la théorie de l'art et de la sociolgie urbaine. En effet,

l'enquête montre que les mondes de l'art dépendent de manière beaucoup plus systématique

qu'envisagé jusqu'à présent des conditions plus larges de production contemporaine de

l'espace. Ainsi, les concepts forgés jusqu'à présent pour décrire l'intrication de l'art et de la

société ne semblent pas en mesure de rendre compte des métamorphoses des modes de

production de la ville et de l’impact réciproque sur l'évolution de la place et du sens des

activités artistiques dans l'ordre urbain et, plus largement, du caractère fondamentalement

politique de l’art.

Pour avancer dans la compréhension de ces phénomènes, nous proposons ici une discussion

des outils d'analyse de la relation politique et spatiale de l'art à l'ordre urbain, s'élevant sur une

nécessaire description empirique des conditions contemporaines de production de l'art –

entendue ici comme création et diffusion. Il ne s'agit toutefois pas de faire table rase du travail

analytique antérieur. En particulier, nous prolongeons théoriquement l'idée de monde, dont le

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pivot conventionnaliste retravaillé par Howard-S. Becker est autant la force que la limite, afin

de saisir l'ampleur des modifications contemporaines de la place de l'art dans la société en

général et dans la ville en particulier. Ces modifications ne concernent en effet pas seulement

un système de significations propre au champs artistique mais bel et bien la manière dont les

mondes de l'art s'inscrivent dans la matière sociale, écononomique et politique de l'ordre

urbain et, surtout, comment cette matière travaille l’art de l’intérieur dans son contenu, son

mode de production et son caractère diagrammatique. En d'autres termes, il faut se donner les

moyens conceptuels pour rendre compte de l'interpénétration des différents mondes qui

composent le commun de la ville.

Capitalisme, mondes de l’art et conventions L'émergence d'un capitalisme

cognitif (Moulier-Boutang 2007) s'est opéré entre autres en intégrant l'art dans les processus

même de production de l’espace. Ceci a eu pour effet une recomposition en profondeur de la

notion d’exception culturelle. En effet, l'art n'est plus ce qui est à la marge de l'économique et

qui demande protection mais au contraire le « super creative core » de l’économie créative

(Florida 2012a), à la fois modèle de production et source de plus-value en termes d'attractivité

des villes. Cette idée de ville créative où les politiques culturelles doivent servir au

développement économique urbain s’étend, lors de l’adoption du terme par l’UNESCO en

2004, à l'intégration des populations vulnérables (UNESCO S.d.). L’effet cumulé de la « ville

créative » comme mode d’intervention politique, agissant de concert avec les vestiges des

politiques culturelles patrimoniales (du type démocratisation de la culture) marquent dès lors

d’une ambiguïté nouvelle le piédestal de l’art dont parlait J. Dewey (Dewey 2005). Ainsi,

l'exception subsiste en partie mais se recompose, les politiques culturelles oscillant entre la

promotion de clusters dits d'économie créative, le financement de projets culturels phare, le

subventionnement des pratiques artistiques les plus expérimentales ou encore l'aide au

développement d'un tissu d'associations culturelles.

Il est intéressant dès lors de revenir à la notion de monde qui permet d’entrevoir

conjointement la spécificité de l’art et son caractère d’homologie avec les autres pratiques

humaines, dans la mesure où l’art fonctionne dans des cadres conventionnels (ce qui est

homologue à toute pratique humaine) et que ces cadres sont spécifiques à l’art (exception

culturelle). Ce sont précisément ces cadres conventionnels qui permettent l’expérience

artistique et l'ancrent en même temps dans les modes de production de l'espace.

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Historiquement, l'idée conventionnelle de monde de l'art est étroitement liée à l'apparition des

ready made qui ont mis à nu, en les outrepassant, le système de conventions nécessaire à la

requalification d'un objet – plus ou moins élaboré – en œuvre d'art1. C'est en particulier Arthur

Danto, frappé par A. Warhol, qui, le premier, rend attentif au fait que l’art fonctionne grâce à

certaines conventions théoriques. Pour reprendre sa formule : « ce qui fait la différence entre

une boîte de lessive Brillo et une œuvre d’art consistant en une boîte de lessive Brillo, c’est

une certaine théorie de l’art » (Danto 1964 : 580; voir aussi Michaud 2003 : 150). Pour Danto

il y a un monde de l’art qui s’agrandit de provinces ou de régions nouvelles » : à l’art s’ajoute

dès lors une dimension conceptuelle et réflexive (Michaud 2003b). Le monde de l’art de

Danto se compose d’une dimension sociologique mais surtout intellectuelle c’est-à-dire un

« riche réseau de significations culturelles » (Idem), ce qui implique que l’œuvre déborde de

son contenu substantiel et suive l’évolution des pratiques artistiques vers leur nouvelle posture

« procédurale » : les conventions sont instituées par les pratiques des acteurs et non plus

essentiellement liées à l’oeuvre2.

Cette idée de mondes de l’art a permis ensuite les développements d’une sociologie de l’art

comme travail et comme institution. Autrement dit, et très schématiquement, Danto pose le

monde de l’art, Dickie (Dickie 1971) développe une esthétique institutionnelle dont Becker,

sociologue du travail, s’empare pour traiter l’art en travail. Donc un monde non seulement

conceptuel mais surtout un monde de production : commissaires, agents, médiateurs,

collectionneurs, concours, ouvriers et artisans, dispositifs muséaux participent de la création

artistique autant que les conventions elles-même. Becker trouve dans ce monde de production

le moyen de décrire le triple caractère collectif, comparatif et processuel de l’art (Becker

2013).3. L'autre apport crucial de Becker est ce renvoi vers l'institution de l'art dans des

processus littéralement mondains (c'est-à-dire des agencements qui prennent corps dans le

temps et l'espace), bien plus qu'a un seul système de signification fonctionnant de manière

abstraite. Comme on le verra plus loin, ce caractère mondain de l’art vient entre autres 1 Ce qui implique des processus conventionnels, nécessaires au fonctionnement d'un marché de l'art, qui entrainent la requalification successive d'un objet en "truc", "pièce" et "œuvre", (Boltanski 2011). 2 L’esthétique institutionnelle que développera G. Dickie (Dickie 1969) reprend cette idée et insiste de surcroît sur le double aspect artefactuel et conventionnel de l’art. L’art doit être « candidat à l’appréciation », à l’évaluation par un groupe social. La dimension « esthétique » n’est conservée que dans la mesure où l’artefact est assigné à un dispositif qui prévoit une évaluation esthétique de l’œuvre. Le monde opère donc comme une système normatif qui permet l’évaluation des œuvres par les acteurs. Dans sa relecture, Yves Michaud ajoute que les contraintes des dispositifs du monde de l’art constituent des rituels forts, « très forts même » qui font en sorte que « l’on sache tout simplement qu’il y a expérience » (Michaud 2003b). 3 Autrement dit, l’art s’enrichit de cette dimension philosophique. En effet, l’ancienne esthétique et les « Beaux-Arts » continuent de fonctionner mais perdent leur caractère exclusif.

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complexifier la question de la portée politique de l’art. Or, à Genève, l’enquête révèle un lien

très fort entre « culture alternative » (Williams 2009) et mondes de l’art (RAAC 2009). Par

conséquent, saisir la caractère politique de l’art implique une restitution préalable de quelques

éléments qui caractérisent cette culture alternative – en particulier le « mouvement squat » et

ses transformations.

Mondes de l’art et mouvement squat à Genève Notre besoin de revenir sur la

conceptualisation des mondes de l'art tient en effet à la transformation profonde qui s'est jouée

durant la dernière décennie dans l'organisation et la distribution spatiale des activités

artistiques à Genève. Cette transformation n'est pas due à une modification interne de ces

mondes de l’art, sous l'influence par exemple d'une évolution des théories esthétiques ou

même des techniques de production. De fait, les acteurs des mondes de l’art sont restés pour

la plupart les mêmes et leur valeurs n'ont guère évolué mais l'impulsion de ces

transformations a été donnée par l'évolution plus large de la situation foncière et politique de

la ville et en particulier l’évacuation d’une majorité des squats de Genève.

En effet, jusqu'au début des années 2000 Genève était le terrain de l’un des mouvements

squats proportionnellement les plus étendus d'Europe. A son apogée, au milieu des années 90,

il comptait plus d'une centaine de lieux occupés (maisons, immeubles entiers, appartements

isolés, etc.). Cette présence massive de lieux hors marché dans la ville a eu un impact très fort

sur la structuration des mondes de l'art. Cela d'autant plus qu'au contraire d'autres villes où

l'on constate de forts clivages entre les squats dits « politiques » et ceux dits « artistiques »

(Péchu 2010), les squats genevois étaient en général plutôt mixtes. Voire plus, en s’inspirant

de travaux situationnistes, certains de ces squats se voulaient des lieux « unitaires » où se

mêlaient activités artistiques expérimentales, vie quotidienne, lieux de restauration, espaces

intellectuels, etc. (à l'instar par exemple du squat Rhino, un grand immeuble abritant, durant

près de 20 ans, une trentaine d’habitants, une salle de concert, un café-restaurant).

Aujourd’hui, on devine encore l’indice de cette co-existence autour de la multifonctionnalité

et la multitude politique dans des lieux comme l’Usine (Raffin 2005).

Pour résumer, à Genève, mondes de l’art et mouvement squat étaient étroitement intriqués.

Des étudiants en art participaient de ce mouvement et/ou trouvaient notamment de quoi se

loger dans les nombreux immeubles occupés autour des Ecoles d’art sises au « centre » de

Genève – l’Ecole Supérieure d’Art Visuel de Genève (ESAV) et l’Ecole des Arts Décoratifs

et la Haute Ecole d’Art et de Design (HEAD) après la fusion des deux premières.

5

C'est probablement l'évacuation d'Artamis, une vaste friche industrielle, en 2008 – faisant

suite à la disparition des derniers grands squats (Rhino, La Tour) l'année précédente – qui

entraine le basculement vers un nouveau régime des mondes de l'art à Genève. Avec la fin

d'Artamis plus d'une centaine d'artistes, plusieurs salles de spectacle et lieux nocturnes se

retrouvent « à la rue ». La légitimité des activités artistiques dans la ville, et en particulier leur

rôle dans le développement urbain, s'étant paradoxalement renforcé durant la même décennie,

il apparaissait évident non seulement pour les autorités mais aussi, on va le voir, des mécènes

inédits, qu'il fallait trouver des solutions de remplacement. Par ailleurs, ces nombreuses

évacuations motivent la création de l’Union des Espaces Autogérés (UECA) qui se donne

pour but de défendre l’existence de lieux échappant pour partie aux contraintes du marché et

du strict contrôle étatique.

Au regard de cette histoire, on voit bien que penser l’art – par exemple la production à

Genève d'artistes issus du milieu des squats comme le Teatro Malandro d’Omar Porras, les

œuvres du collectif KLAT ou encore le hip hop de Ferocious 41 – c’est tomber d’emblée sur

des questions politique et spatiale qui n’apparaissent qu’en filigrane dans le travail de Becker.

Les travaux récents sur la ville créative,mettent en évidence ces relations, souvent ambiguë,

entre les dynamiques urbaines se réclamant de l’économie créative et les mondes de l’art, en

particulier la scène dite off (Vivant 2009). Mais il faut aller plus loin encore dans l'analyse de

cet enchâssement des mondes de l'art dans la production de l'espace.

De la fin des squats aux partenariats privé-public En suivant pas à pas

l'évacuation des squats – les mobilisations et négociations qui s’ensuivent - on découvre les

coulisses de la machinerie des mondes de l’art genevois et l'intrication nouvelle entre culture,

milieux économiques et politiques. En effet, au moment où la friche d’Artamis – qui abritait

plus d’une centaine d’artiste et différents lieux d’exposition et de représentations (théâtre,

salles de concert) – est évacuée en 2008, on assiste à l’émergence d’une vraie « arène

publique » (Cefaï, 2002) où se recompose pour partie la question culturelle, c’est-à-dire la

place octroyée aux activités artistiques dans l’ordre de la ville. Comme on va le voir, en

revenant sur le détail des relogements d’artiste, les questions financières et réglementaires

deviennent alors prégnantes.

Suite à différentes manifestations et d'intenses négociations avec les autorités municipales et

cantonales, une partie des acteurs d’Artamis est relogée dans des locaux d’artisanat

appartenant à la Ville de Genève à la rue du Vélodrome, à quelques rues de l’ancien site, dans

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le quartier de la Jonction. Le complexe compte environ 3500 m2 d’ateliers (une centaine

d’artistes et d’artisans) et est mis à disposition de l’association par un contrat de bail

subventionné de la Ville de Genève qui fixe le montant du loyer à un montant négocié

d'environ 50.- chf (40 €) le m2 par année (www.levelodrome.org). Le nombre d’atelier étant

insuffisant, le Canton de Genève propose alors le logement du restant des membres de

l'association Artamis – et en particulier de celles et ceux impliqués dans des pratiques moins

gourmandes en espace (designer, graphistes, photographes) dans un de ses bâtiments situé à la

rue Ernest-Pictet (Picto). Le problème se pose alors de l'asymétrie du montant des loyers dans

ces deux lieux car les autorités cantonales, contrairement à ce qui est pratiqué au niveau de la

municipalité de Genève, sont administrativement tenues de demander un loyer équivalent au

prix du marché (et de l'état du bien à louer). Après expertise des lieux, le loyer demandé

s'avère être le triple de celui demandé dans le bâtiment de la ville (160.- le m2/an vs 50.- le

m2/an). Pour pallier à cette asymétrie et baisser ces loyers trop élevés pour les artistes, l'élu en

charge du dicastère de l'urbanisme – Marc Müller, affilié à un parti de droite (PLR) et issu lui-

même des milieux de l'immobilier – « active ses réseaux » et met sur pied un partenariat

public-privé avec la Fondation Wilsdorf (i.e. propriétaire des montres Rolex). Ainsi, lors des

négociations entre la Ville, le Canton et Picto (monté en association pour l’occasion), l'élu

peut « fièrement » annoncer le soutien de Wilsdorf « qui s’engageait à mettre à disposition 6

millions afin de compenser le manque à gagner de l’Etat » si l’immeuble était mis à

disposition des artistes pour un prix inférieur à celui expertisé (Massard 2011). En d’autres

termes, l’argent « privé » a servi à subventionner les loyers versés à l’Etat des artistes évacués

de Artamis.

Ce partenariat public-privé va prendre la forme d'une Fondation de droit privé – La Fondation

Pour La Culture Emergente (FPLCE) – ayant pour but annoncé de « contribuer à promouvoir

la culture émergente sur le territoire du Canton de Genève, en facilitant l’accès à des lieux

appropriés à ses activités »). Elle va permettre de formaliser le plan de relogement en mettant

en présence les différents acteurs concernés, représentés dans le Conseil de Fondation : l’Etat

de Genève (Département des constructions et des techniques de l’information et département

de l’instruction publique, de la culture et du sport), la Ville de Genève (Département de la

culture), l’Association des communes genevoises (ACG) et l’association Picto (futurs usagers

des lieux). Le Conseil de Fondation comprend en plus un représentant de la Fondation Hans

Wilsdorf qui est le principal bailleur de fond. Même si elle a été mise sur pied avant tout pour

régler le problème du relogement des artistes à Picto, la Fondation a la vocation plus large de

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soutenir la "culture émergente". Elle a ainsi soutenu une vingtaine d'autres projets. A cet

égard, sauf quelques exceptions, la FPLCE n’entre en matière que pour des soutiens à des

« professionnels intégrés » (Becker 2010) 4 . Le glissement lexical de « autogéré » vers

« émergent » est significatif de ce déplacement vers un modèle unique d’intégration des

artistes, réduisant la différence non pas à une alternative politique, mais à un manque de

reconnaissance, voire de maturité, associé à une position moins avancée dans le parcours

institutionnel.

Pour comprendre toute la portée de l'institutionnalisation impliquée par le dispositif

Fondation/relocation dans un cadre légal, il faut revenir à la situation qui a été défaite. En

effet, le site d'Artamis ne constituait pas seulement une exception au régime marchand de

l'immobilier mais aussi au régime normatif régissant les conditions d'occupation légale des

bâtiments en fonction du système de zonage. La signature de contrats de bail à Picto et au

Vélodrome va dès lors soumettre les activités dans ces lieux au régime d'occupation des

bâtiments industriels. Ceci va avoir pour conséquence en particulier une réduction de

l'éventail des activités possible et par conséquent le démantèlement de ce que l'on peut

nommer la dimension « unitaire » du mouvement. En particulier, l’accès des publics est limité

voire interdit (excluant théoriquement les expositions, les vernissages, les soirées festives) ;

les normes de sécurité sont strictes et imposent aux espaces un script très fort, les activités

sont segmentées (art/artisanat) par le zoning. De plus, dans les lieux comme Motel Campo

prévus pour accueillir un public (soirées dansantes, performances, etc.), la dimension festive

est amenée, pour des raisons légales, à se découpler de la dimension culturelle. En effet, la loi

sur les débits de boisson notamment prévoit qu’après 2h du matin, toute activité est activité de

loisirs et non pas culturelle, ce qui fait peser notamment une taxation plus forte sur les

boissons. Une telle séparation n'avait bien entendu pas dans sens dans les lieux unitaires5

Ainsi, la matérialité des lieux et les contraintes normatives transforment en profondeur les

mondes de l’art au quotidien. L’interdiction d’accès au public segmente la création et la

diffusion de l’art, segmente les pratiques artistiques de la vie quotidienne et évacue la

dimension festive de l’art. Plus largement, l’atelier séparé de l’habitat et séparé des lieux de

diffusion fonctionne en re-segmentant très fortement le travail et le non-travail. Le recadrage

des activités artistiques – leur saisie par le réseau conventionnel qui encadre les formes 4 On reviendra ailleurs plus longuement sur ce glissement sémantique de l’alternatif vers l’émergent… 5 On pense à l'exemple fort du collectif d'artiste Klat qui géra durant deux ans, dans la continuité de ses activités artistiques, le SHARK, un débit de boisson à Artamis conçu comme « situation » (Massard 2014).

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dominantes de production de l’espace urbain – implique non seulement une transformation de

leur spatialité mais aussi, plus fondamentalement, une réduction anthropologique des formes

d’expérience possibles6

Ces quelques brèves remarques nous invitent à développer une compréhension plus ample de

ce qui se joue dans un événement comme le relogement des artistes suite à l'évacuation

d'Artamis. Ces relogements débordent en effet de la stricte scène de leur effectuation et nous

obligent à redessiner les liens entre les mondes de l’art et les processus de production et

d’expérimentation de l'ordre urbain. Plus fondamentalement, il s’agit de considérer de

manière élargie les relations entre art et politique.

Art & politique

Dans les ateliers d’artistes du Vélodrome et de Picto est présent d’emblée un entrelacs de

dispositifs, ouvrant à une multiplicité de mondes et d'échelles qui rend caduque la lecture en

micro et macro-sociale. La notion de monde donne à voir comment le caractère proprement

artistique d’un processus d’art dépend de ses conditions de production et de diffusion, c’est-à-

dire, tout à la fois des conventions plus larges qui informent l’ordre en société mais aussi de la

variété des expériences humaines. Par conséquent, le monde pointe vers la nécessité d’inscrire

un objet dans un processus de production et d’expérimentation plus large. Autrement dit, un

processus artistique, inscrit dans son monde, déborde des catégories micro / macro. F.

Guattari et G. Deleuze amorcent un dépassement de ces échelles du social avec les notions de

molaire et de moléculaire7 qui permettent de penser l’inscription d’institutions stabilisée dans

des éléments infimes et la prégnance de l’infra-individuel dans des groupes sociaux. Or, ce

double horizon, même s’il est présent dans ses travaux, est rapidement réduit chez Becker à

quelques entités bien stabilisées telles que l’Etat – du côté de la production normative – ou

encore l’individu – du côté de l’expérience.

6 Sans pouvoir le développer ici, nous nous appuyons sur l’idée que la performativité des conventions est étroitement lié à tout un travail d’apprêtement des personnes et des choses, susceptible d’induire certaines formes d’oppression et de réduction (Thévenot, 2006, 2012). 7 Les « grandes machines molaires » sont des ensembles stabilisés, institués qui « supposent des liaisons préétablies que leur fonctionnement n'explique pas, puisqu'il en découle » (Deleuze et Guattari 1972) : l’économique, le politique, l’historique. « la direction molaire (…) va vers les grands nombres et les phénomènes de foule », tandis que « la direction moléculaire (…) s'enfonce au contraire dans les singularités, leurs interactions et leurs liaisons à distance ou de différents ordres» (Ibid.: 332).

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Il relève ainsi que « chaque monde de l’art recourt à des conventions connues de tous ou

presque tous », par exemple, « dans le ballet classique, notre conception conventionnelle du

rôle respectif des hommes et des femmes et de leurs liens sentimentaux fournit la trame sur

laquelle élaborer une série de figures chorégraphiques » (Becker 2010). Ce qui revient à dire

que les grands ensembles stabilisés (ici les genres) sont présents dans les œuvres singulières

et que ce sont ces variations d’échelles que l’on doit décrire. On repère aussi dans son

exemple sur la production du papier photo de la firme Agfa l'inscription de l’art dans un

processus de production. Cette inscription de l’art dans des conventions matériellement

stabilisées indique en effet clairement que l’art n’est pas d’emblée hors du marché et a fortiori

du capitalisme, bien au contraire « les fabricants, fournisseurs et réparateurs constituent

toujours un segment stable et passablement conservateur d’un monde de l’art » (Ibid. : 81).

Mais c’est sans doute dans son chapitre (6) sur l’art et l’Etat que Becker opère le plus

clairement un jeu sur les échelles. Il y insiste sur les formes « institutionnelles » (i.e. dans les

relations entre Etat et mondes de l’art) du politique dans ses modalités canoniques :

« réglementation de la propriété artistique », limitation des « marges de manœuvres des

artistes » dans sa gestion des conflits (normes anti-bruits, gestion des nuisances) ; « soutien

officiel à certaines formes d’art » (subventions, mécennat) ; interdiction de certaines « œuvres

susceptibles d’entrainer des citoyens dans des activités désaprouvées ou de le détourner des

bonnes causes » (censure) (Ibid. : 206).

Il apparaît toutefois très clairement que l’on doit pousser plus loin cette étude des

ramifications des mondes de l’art. Dans le cas d’Artamis, une série de normes (dispositifs

anti-bruits ; lieux réservés aux musiques acoustiques ; zoning – i.e. activités artistiques

uniquement) relèvent du même jeu d’échelle que celui de Becker ; mais ce que l’on pourrait

appeler politique ne se limite pas à ces seules modalités stabilisées de relation entre l’Etat et

les personnes. Cette réduction de la matière riche du monde à des ensembles stabilisés se

remarque aussi dans les personnes que Becker met en scène. En effet, les acteurs qui peuplent

ses mondes apparaissent, somme toute, très stables, sans fêlures ni replis. Autrement dit, ses

mondes sont sous-tendus par une anthropologie philosophique libérale présupposant un

« Moi » fort et toujours déjà subjectivé – sous les traits d'un individu autonome (Pattaroni

2007). Il faudrait toutefois saisir l'effet de la dispersion et la réduction des expérience et des

états possibles des personnes. Cette réduction est précisément là où se joue la transformation

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des formes de composition du "commun au pluriel", une question au cœur du politique

(Thévenot, 2014).

Une étude fine du lien art/politique, en deça de l’institution et des ensembles stabilisés (i.e. en

deça du molaire), apparaît aujourd’hui comme le chapitre manquant des Mondes de l’art –

dans la mesure où sa théorie donnerait des outils précieux pour une microphysique du

pouvoir8. C’est le cas, par exemple, dans les exemples de transgressions microscopiques qu’il

décrit et qui relèvent de petits troubles (manipuler « avec les mains » de la glaise ; se rouler

par terre, se déshabiller : « bref faire des choses que l’homme de la rue n’oserait jamais faire

en public » (Becker 2010)). Or, M. Breviglieri et D. Trom ont depuis developpé cette question

du basculement du trouble vers la tension morale et le conflit politique, relevant ainsi le

potentiel politique de la gêne (Breviglieri et Trom 2003). Ce à quoi on doit ajouter la source

déjà politique de ce trouble, la production politique du trouble. En effet, la question du

pouvoir est de fait d’emblée cruciale dans la structuration de ces mondes. Ce que fait Becker

quand il reprend à Danto cette notion de mondes de l’art, c’est en fait dés-exceptionnaliser

l’art (autrement dit, traiter les pratiques artistiques commes les autres pratiques humaines),

mais ce sans pour autant le réintégrer dans un réseau de savoirs et de pouvoirs.

Les trois plans d’intrication de l’art et du politique On en vient donc à

affirmer qu’art et politique entretiennent d’étroites relations dont on ignore trop souvent le

feuilletage. Notre enquête révèle – de manière encore trop sommaire – trois niveaux, trois

plans d’enchevêtrements – qui ne s’excluent pas mutuellement – entre art et politique, dont on

doit penser le chaînage : (P1) les systèmes de signification, (P2) les diagrammes de

l'expérience et (P3) les processus de production :

P1 : On a tendance à parfois limiter la dimension politique de l’art à son « message

manifeste ». Pour prendre un exemple, un collectif d’artiste expose en 2014 à la Plataforma

Revolver à Lisbonne. Le visiteur entre dans la première salle, la pièce exposée qu’il aperçoit

en entrant consiste en un cocktail molotov, un pavé et un casque peints à la laque dorée et

exposés dans des vitrines. Les espaces adjacents reconstituent quant à eux des ateliers de

8 On retient la conception foucaldienne d’un pouvoir qui n’est pas attribut mais toujours effectuation, un pouvoir dont on ne peut étudier que les points d’applications. Mais on retient surtout de ce pouvoir foucaldien son double aspect de capacité et imposition.

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création de fanzines, des banderoles de manifestations, etc9. La dimension politique de l’art

dans cet exemple consiste en un renvoi sur un mode signifiant aux mobilisations politiques.

L’art fonctionne comme message manifeste10 (obvious), mais aussi comme message latent. :

le politique passe par la signification (contenu et forme). Autrement dit, ce plan de la

signification inclut des formes d’expressions plus ou moins manifestes, comme les

expressions métaphoriques et cratyliques (borborigmes et autres onomathopées signifiantes),

mais aussi les conventions symboliques stabilisées ou, autrement dit, d’équipements collectifs

de régime signifiant du discours artistique.

Sur ce plan de la signification politique, déjà, le monde de l’art s’ouvre sur d’autres échelles,

d’autre niveau de généralité. Prenons un autre exemple genevois qui lui ne relève pas d’un art

« institué » mais d’un usage ad hoc des codes artistiques. Lors de la menace de destruction du

quartier des Grottes l’APAG (Action Populaires Aux Grottes) en 1976, un théâtre urbain met

en scène la destruction d’une maquette du quartier des Grottes, singeant la suffisance des

promoteurs immobiliers11. L’effectuation tangible relève d’un monde de l’art très clairement

identifiable : les costumes, la mise en scène, l’outillage, l’iconographie relèvent des

conventions du théâtre de rue. Or, il faut pour comprendre cette scène d’emblée tirer les

lignes au-delà des mondes de l’art, dessiner précisément le réseau de co-effectuation qui fait

9 10 On pense ici le message manifeste de manière homologue aux contenus manifestes et latents dont parle Freud (Freud 2012)

11

DE LA DIFFÉRENCE URBAINE

vont être mis sur pied, l’un des laboratoires où s’est forgée la culture alternative genevoise, mêlant espoir d’insurrection et expérimentation de nouvelles formes du vivre ensemble. Comme dans l’expérience communautaire lausannoise relatée dans Maocosmique, les marginaux et les gauchistes vont être amenés à vivre ensemble au fil des occupations, forgeant petit à petit – et non sans tensions – une culture politique commune. Nous avons déjà évoqué dans la Partie III [III.1] l’émergence de la «grammaire militante du vivre ensemble» qui se forge autour de quelques principes clés tels que l’hospitalité, le partage ou encore la créati-vité. Il faut insister ici sur le fait qu’au cœur de cette grammaire critique, on trouve un idéal d’autonomie, compris à la fois comme autogestion du cadre de vie et projet d’émancipation individuelle et collective. À cet égard, l’histoire de la recom-position de l’ordre de la ville sous l’emprise des luttes urbaines – qui fera l’objet de la dernière partie de cet essai – peut entre autre être lue comme celle de la transformation des institutions par l’idéal d’autogestion et sa forme limitée: la participation. Si l’on revient maintenant à la question de l’expression démocratique, cette émer-gence d’une culture alternative se caractérise en particulier par l’apparition d’un nouveau répertoire militant – qui n’est ni celui de la manifestation austère et disci-plinée des mouvements ouvriers, ni celui des tentatives d’insurrections armées – constitué d’actions dotées d’une dimension ludique et conviviale (GUYE-BERNAS-CONI et VALIQUER 1986: 500). Ici, des militants déguisés organisent un charivari dans une séance d’information des Grottes [II.3]. Là, une manifestation devient l’occasion d’un happening théâtral. De fait, ce nouveau répertoire d’actions trouve son inspiration et ses sources dans le renouvellement des formes artistiques des années 1960 et 1970, et en particulier dans la volonté, au cœur de mouvements

MANIFESTATION DE L’APAG, DÉCEMBRE 1976.

À GAUCHE, RÉMY PAGANI.(CIG)

12

que l’action déborde de la scène elle-même mais déborde aussi et surtout du monde de l’art de

rue. Le théâtre n’est pas un simple instrument politique et le politique n’est pas un simple

contenu de la pièce : l’ensemble fonctionne conjointement dans un système de renvois, de

liens et d’effectuation. Autrement dit, il serait vain de chercher à dire si l’art est politique ou

si le politique fait de l’art. Cette scène se produit justement dans une période où – dans le

sillage plus large des années 60 et de Mai 68 – geste politique et geste artistique se rejoignent

dans un déplacement de l'effort critique et insurrectionnel vers l'"ici et le maintenant", c'est-à-

dire l'ébranlement de l'ordre à la fois dans son système de représentation politique et son

inscription dans le quotidien (Cogato Lanza et al. 2013). Le travail artistique, dans sa capacité

à ouvrir des brèches dans la signification – à dessiner d'autres possibles – devient à ce

moment une des composantes essentielles du répertoire d'action militante. Ce déplacement est

toutefois plus profond comme le suggèrent le deuxième plan d'intrication de l'art et du

politique.

P2 : On voit poindre ici un deuxième plan d’intrication qui ne fonctionne pas dans une relation

de signification. L’art en effet peut performer politiquement, produire une fêlure dans ce que

l’on peut appeler « logiques de l’identité », la logique identitaire d’un monde oppressant pour

ses acteurs. En cela, certes le premier plan compte, mais l’œuvre elle-même peut agir de

manière que l’on peut dire « diagrammatique ».(Alliez 2013; Alliez 1993; Alliez et Osborne

2013),

Ce mode diagrammatique cesse de signifier, les « machines de signes travaillent, pour une

part, “à même“ les flux matériels et, cela, quelque soit le régime “idéologique“ de la part

restante qui fonctionne dans le registre de la représentation » (Guattari 2012)12. Autrement dit,

ce mode diagrammatique permet de penser « la façon dont les machines de signes,

considérées au niveau de leur travail sur le réel et non plus seulement au niveau de leurs

fonctions de représentation subjective, déjoue effectivement les valeurs de pouvoir relatives

aux territorialités individuelles, familiales, étatiques », c’est-à-dire hors des grands ensembles

stabilisés, institués (Guattari 2011). A ce niveau diagrammatique, le caractère politique de

l’art consiste en des brisures, des ouvertures dans une logique de l’identité qui sont proches du

« non-identique » cher à Adorno. Il faut le mettre au regard probablement d'une pensée du

12 Inspiré par les travaux respectifs de Foucault et de Peirce, la notion de diagramme permet à Deleuze et

Guattari de penser l’action conjointe du visible et de l‘énonçable.

13

politique comme processus qui se joue dans la matière même du monde, proche aussi sans

doute de ce que Rancière nomme le « partage du sensible » où s'affirme l'évidence du rôle et

de la place à laquelle chacun est assigné. L'art devient alors politique dans sa capacité même à

ébranler le partage du sensible, à devenir ce « sujet dissensuel » capable de rompre le

consensus et de manifester « la différence de la société à elle-même » (Rancière 1998). La

notion de diagramme nous semble permettre de penser ce régime d’entrecroisement de l’art et

du politique. L’expérience diagrammatique dans ce contexte permet de joindre le sensible et

le pensable dans une relation a-signifiante qui construit une réalité nouvelle (Alliez 1993).

C’est par exemple à ce niveau diagrammatique qu’actionnent l’art d’un Duchamp ou d’un

Matta-Clark, ou à Genève d’un groupe comme Ferocious 41. L’Open House de Gordon

Matta-Clark (Matta-Clark 1972), un container aménagé et muni de porte dans lequel le

visiteur est invité à pénétrer, nous semble illustrer de manière exemplaire cette dimension

diagrammatique et la manière dont elle fait bouger les lignes des conventions implicites qui

régissent l’expérience artistique, en particulier ici celles qui régissent l’espace muséal. Ces

conventions implicites qui dorment au creux des évidences du monde – marcher à un certain

rythme, parler à un certain volume, ne pas toucher ou se tenir à une certaine distance des

œuvres – sont ici subverties par l’expérience même que le visiteur en fait. Un instant

d’hésitation précède l’entrée dans cette Open House : le premier claquement de porte gène ;

non seulement on touche, mais on pénètre dans l’œuvre ; dès le passage de la porte suivante,

quelle qu’elle soit, le claquement est plus fort, on abandonne petit à petit l’idée de contrôle

des sons produits par son propre passage, on renonce, on abandonne le souci de se plier aux

« usages ». Dès lors, le sujet – l’individu à distance saisissant l’œuvre du regard – que

produisent les conventions artistiques et muséales s’effrite et la déliquescence de ce dernier

emporte avec lui les futurs vestiges du monde… Il ne s’agit là que des conventions muséales,

mais pourtant le monde a déjà changé sous l’effet de la rouille, du bois, des concepts, de

l’anarchitecture : l’individu à distance disparaît peu à peu au profit d’un sujet manipulant et

un monde autre – que l’expérience artistique préfigure – apparaît déjà. Sensible et énonçable

se joignent pour fonctionner conjointement et agir, à même la matière, sans nécessiter de

relation de signification et tout en produisant une réalité nouvelle par leur effectuation même.

Mais les régimes d’interpénétration ne s’excluent pas mutuellement et fonctionnent

fréquemment de concert. Revenons à cette Plataforma Revolver. Le dispositif laisse entrevoir

14

une volonté de produire un « lieu alternatif »13 dans la mesure où la vétusté de l’immeuble

(éclairage, odeur, humidité) ne répond pas aux codes hégémoniques des galeries d’art ou

pousse alors très loin le trouble produit par la muséographie site specific. Autrement dit, on a

l’habitude de visiter des lieux dont la vétusté serait l’indice des modalités d’occupation de

l’espace, le signe d’une volonté de vivre autrement, de faire autrement l’expérience de l’art.

Cette vétusté indique que l’immeuble n’est pas rénové selon les standards, n’est pas entretenu

par une entreprise de nettoyage, ne répond pas aux normes de salubrité auxquelles sont

soumis les espaces institutionnalisés et habilités à recevoir un public. On n’entre pas dans un

immeuble de la ville garantie. On imagine que le loyer doit être bon marché ou l’immeuble

squatté14… Ce qui produit aussi un effet sur le visiteur qui est renvoyé de manière plus ou

moins consciente au processus de production de l’art.

P3 : Ce processus de production constitue alors un troisième plan d’intrication de l'art

et du politique. On entend ici processus de production dans un sens marxien comme

regroupant les deux faces beckeriennes de production et de diffusion. En occupant des espaces

bons marchés ou par des modes d’occupations plus ou moins formels ou « alternatifs » (squat,

baux associatifs, contrats de confiance ou encore autoconstruction), et plus largement en

intervenant sur ses conditions de possibilité, l’art politise son processus de production et a

fortiori son processus de production spatiale.

Ce processus de production inclut les modalités d’organisation du travail artistique, c'est-à-

dire de coordination des différentes entités participant au monde de l'art : autogestion,

horizontalité des relations ; assemblées générales ; instrumentalisation du statut associatif.

L'adoption de modalités d’organisation en rupture avec les formats dominants d'organisation

du système politique et marchand (responsabilité individuelle, chaine hierarchique, contrat)

disent déjà la volonté de politiser la production artistique et l'on peut alors se demander si cela

induit un impact sur les autres plans, en particulier celui de l'« esthétique ». C’est sans doute

aussi sur ce plan d’intrication que s’agencent les relations entre Etat et les artistes que décrit

Becker. Il montre bien en effet comment l’Etat peut encourager certaines formes et en freiner

d’autres selon les trois modes du « soutien officiel » ; « censure » ou « répression » (Op. Cit. :

192). A Genève, l’intervention de l’Etat dans le monde de l’art par le « soutien officiel » est

certes abondante : le « soutien à la création » représente une très large part du budget culturel 13 Voir Raymond Williams (Williams 2009), qui développe les oppositions gramsciennes entre hégémonie et cultures alternative/oppositionnelle. 14 Ce qui n’est en fait pas le cas...

15

de la municipalité. Le budget « culture » (c’est-à—dire comprenant aussi les politiques de

démocratisation de la culture/démocratie culturelle) de la municipalité se monte à 299’196 chf

(sur un budget total de 130 mio) ; dont 484'932 chf dépensés en subventions privées (Budget

2014 : 98). Ces subventions (directes ou en nature) opèrent une sélection dans l’art. Plus

profondément, il faut s'interroger sur l'impact de ces subventions – et de tout l'appareil

administratif qui les accompagne – sur l'organisation des mondes de l'art. Comme le suggère

Laurent Thévenot, le développement d'un « gouvernement par l'objectif » – associant

délimitation d'objectif "réaliste", procédures d'évaluation et batteries d'indicateurs –

s'accompagne d'exigences en termes d'apprêtement des sujets de ce gouvernement qui fait

peser de nouvelles formes d'oppression et de réduction (Thévenot 2012), Le travail de censure

par la sélection des bénéficiaires vient se doubler alors d'un travail de réduction des marges de

manœuvre. C'est le cas par exemple quand les exigences administrative accompagnant le

conventionnements des subventions vient peser lourdement sur les bénéficiaires (en amont

dans les exigences de formalisation du projet déposé ; et en aval dans les procédures

d'évaluation et de "reporting") et nécessite l'acquisition de compétences administratives très

pointue (montage de dossiers, valorisation de son biocapital, planification par objectifs, etc).

Au point même où certaines structures associatives sont incitées à devenir Fondation, perdant

alors en portée démocratique – disparition de l'assemblée générale – ce qu'elle gagne en

professionalisation. Les partenariats public-privé contribuent largement à la diffusion des

pratiques organisationnelles issues du monde de l'entreprise dans les activités artistiques15.

Or, ce processus de production participe des deux autres plans. Il nous semble quand Omar

Porras met en scène ses premières pièces dans le squat Le Garage16 dans les années 90,

l’action recoupe des plans divers et le lieu compte lui-même dans le dispositif scénographique

/scénographico-politique/ : « Lieu illégitime, matériaux récupérés dans la rue, le Teatro

Malandro transforme sa précarité en profusion d'imagination grâce à une ingéniosité

détonante, grâce à une poésie de la nécessité dont Omar Porras est coutumier depuis son

enfance, dans son quartier à Bogota » (Teatro Malandro 2014). Dans ce cas-là, les modalités

d’occupation (squat) du Garage ne sont pas anodines et participent de la poétique du

processus. On pourrait dire qu’elles performent elles aussi dans la mesure où la fréquentation

même d’un squat rebute certaines personnes, en enthousiasme d’autres et permet de pratiquer 15 On observe là un mouvement qui prend à rebours les descriptions de la diffusion du modèle artistique vers le « monde de l’entreprise » (Chiapello 1998; Menger 2003), ce qui nécessiterait aussi de considérer la relation entre travail et capital. 16 « Dans les chiottes » du Garage, disent certains informateurs…

16

des prix libres, de casser des murs si l’envie s’en fait sentir (ce qui d’ailleurs résonne avec

cette anecdote, dans Les mondes de l’art, à propos de la sculpture trop volumineuse pour être

exposée dans le musée pour lequel elle est prévue). Le lieu, la spatialité physique, joue donc

sur les deux plans b & c dans la mesure où il participe du mode de production de l’art, mais

comme tel il participe aussi de l’inclusion du politique dans l’art et nous oblige à y être

attentif... Ces questions spatiales nous semblent devenues un des nœuds essentiels du rapport

entre art et politique dans la ville contemporaine.

Espace comme moyen de production et production de l’espace On peut revenir à

Becker et l'attention qu'il porte aux circuits de distribution des œuvres d’art pour avancer dans

notre compréhension des enjeux spatiaux des mondes de l’art. Un des liens majeurs est celui

de l'accès même aux espaces qui permettent aux artistes de vivre et produire. A cet égard, les

conditions d'accessibilité aux lieux de vie et de travail dans les villes contemporaines –

marquées par de forts investissement immobiliers 17 se traduisant dans des hausses

spectaculaires des prix du foncier et a fortiori des loyers – permettent de moins en moins un

travail de « franc-tireur » et oblige au travail d’ « artiste intégré ». On sait que Becker identifie

l' « autofinancement », le « mécenat », la « subvention » et la « commercialisation » comme

moyens pécuniaires de produire des œuvres. Or, le ratio revenu/loyer dans les villes

contemporaines exclut de plus en plus la première possibilité. Ou, plus exactement, il la

réserve aux seuls héritiers ou encore à celles et ceux qui bénéficient d'une « rente spatiale »

sous une forme ou une autre (comme les artistes vivant ou travaillant dans des squats ou des

lieux subventionnés). Subsistent en contexte urbain les possibilités de financement par la

subvention, le mécenat et la commercialisation qui enjoignent à répondre des exigences

conventionnelles spécifiques à ces mondes largement informés par les mécanismes du

capitalisme cognitif et ses modes de production de l'espace18 .

La production de l’espace urbain travaille les mondes de l’art de l’intérieur, tandis que ceux-ci

participent de la production de la ville contemporaine. C’est précisément cette double

intrication entre art, politique et espace qu’ont révélé les évacuations des squats, conduisant à

17 On parle de « capitalisme patrimonial » pour souligner l'importance actuelle de l'immobilier dans la structuration du capitalisme (Halbert 2013). 18 Cette dimension spatiale de l’art est notamment rendue visible par l’idée de scène culturelle popularisée par Will Straw à la suite de Barry Schank (Shank 1994). Cette scène, à qui S. Girel attribue une inspiration goffmanienne (Girel 2003), permet de penser ce « groupe d’activités sociale et culturelle sans spécifier la nature des frontières qui les circonscrit » (Straw 2004). Sylvia Girel en vient notamment à l’idée de scène par sa lecture d’Anne Cauquelin (Cauquelin 1996).

17

des nouvelles formes de productions spatiales et à une recomposition des réseaux de

proximité.

Enquêter par le milieu L’idée de monde, par la dés-exceptionnalisation qu’elle

induit, implique de penser les perpetuels échanges entre production de l’art et production de

l’espace, ce qui permet de saisir le caractère éminemment politique de l’art. L’enquête à

propos de ce caractère mondain – et donc politique – de l’art impliquait d’ajouter ce

diagramme, ce plan diagrammatique, aux processus de production et aux processus

signifiants des mondes de l’art. Or, c’est précisément ce diagramme qui permet de saisir ce

qui auparavant était laissé à l’esthétique – et que sans doute les travaux de Becker ont

contribué à re-politiser – c’est-à-dire le caractère expérientiel des liens entre art et politique.

Saisir ces liens immanents nécessitait une enquête croisée sur les mondes de l’art et les

dynamiques urbaines afin de dépasser certaines limites des notions dessinées par les clivages

de la sociologie classique. Plutôt que de se tenir aux frontières dessinées par les manuels qui

tendent à biaiser les débats de philosophie des sciences comme les oppositions entre induction

et déduction déplacées vers les assignations méthodologiques – un monde inductif et un

champ déductif ? De fait, on constate que le terrain déborde toujours de la place qu’on tente

de lui assigner. S’il prenait au chercheur l’envie de ne pas commencer son enquête par le

milieu, de ne pas folâtrer sur son terrain et dans la littérature avant de penser à son

opérationnalisation, autrement dit s’il vient au chercheur l’idée de nier la précompréhension

qu’il a de son objet ou alors de faire théoriquement tabula rasa avant son enquête, il serait

rattrapé par le terrain et l’enquête ferait bien vite craquer ses appareillages théoriques et

méthodologiques.

Commencer l’enquête par le milieu, c’est admettre les positivités de notre terrain autant que la

puissance de nos appareillages théoriques préexistants. Commencer l’enquête par le milieu,

c’est penser se confronter à des ensembles en train de se faire autant qu’à des groupes

constitués et donc se donner les moyens d’une microphysique et d’une topographie du

pouvoir. Commencer l’enquête par le milieu impose au chercheur d’accepter autant

l’expérience qui fait le champ que les forces qui font le monde. C’est se donner les moyens de

penser l'articulation entre les métamorphoses des modes de production de la ville et celles des

mondes de l'art.

18

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