Les gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie

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37 Résumé Cette synthèse régionale s’appuie sur l’analyse de 73 occupations funéraires réparties dans le quart nord-ouest du Bassin parisien, du littoral normand et picard aux confins de l’Aisne champenoise, du V e au I er siècle av. J.-C. Les données sont envisagées depuis les choix d’implantation jusqu’à la clôture de la tombe. L’approche méthodologique cherche à caractériser les espaces funéraires laténiens ainsi que leur évolution, et à mettre en évidence la hiérarchie interne des tombes monumentales. La population et les traitements des individus sont également abordés. Enfin, une grille de lecture constituée à partir des 4300 objets inventoriés autorise une présentation hiérarchisée des données et des différentes catégories fonctionnelles figurées dans les tombes. Abstract This regional synthesis of mortuary behavior relies on analysis of 73 funeral sites located across the northwest quarter of the Parisian basin, and dated between the 5th and 1st century B.C. Mortuary treatments were considered ranging in time from the choice of burial location and continuing until the close of the grave. Our methodological approach seeks to characterize the evolving use of funeral space during the La Tene period, and the internal hierarchy of monumental tombs. Mortuary characteristics will be discussed at both the population and individual levels. Finally, a grid including 4300 objects inventoried from funereal contexts allows a hierarchical presentation of data and permits the identification of functional categories of mortuary goods. LES GESTUELLES FUNÉRAIRES AU SECOND ÂGE DU FER EN PICARDIE Estelle Pinard, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel, [email protected]. Sophie Desenne, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected]. Stéphane Gaudefroy, Inrap Nord-Picardie, Inrap, Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel, [email protected]. Frédéric Gransar, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected]. Ginette Auxiette, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected]. Geertrui Blancquaert, SRA Champagne-Ardenne, 3 rue du Faubourg Saint-Antoine, 51037 Châlons-en-Champagne, [email protected]. Valérie Delattre, Inrap Centre-Ile-de-France, UMR 5594, Centre archéologique de Croissy-Beaubourg, 56 boulevard de Courcerin. Espace Multi-services, lot 34, 77183 Croissy-Beaubourg, [email protected]. Jean-Paul Demoule, Université de Paris I, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », UFR d’Art et d’Archéologie, 3 rue Michelet, 75006 Paris, MAE, 21 allée de l’Université, 92023 Nanterre cedex, [email protected]. Marc Gransar, Inrap Centre-Ile-de-France, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Tours, 148 avenue André Maginot, 37100 Tours, [email protected]. Bénédicte Hénon, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected]. François Malrain, Inrap Nord-Picardie ; UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel, [email protected]. Nathalie Soupart, Inrap Nord-Picardie, UMR 8164, Direction inter-régionale, 518 rue Saint Fuscien, 80090 Amiens, [email protected]. Sylvain Thouvenot, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected]. ESTELLE PINARD, SOPHIE DESENNE, STÉPHANE GAUDEFROY, FRÉDÉRIC GRANSAR AVEC LES COLLABORATIONS DE GINETTE AUXIETTE, GEERTRUI BLANCQUAERT, V ALÉRIE DELATTRE, JEAN-P AUL DEMOULE, MARC GRANSAR, BÉNÉDICTE HÉNON, FRANÇOIS MALRAIN, NATHALIE SOUPART, SYLVAIN THOUVENOT Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer. Actes du XXXIII e colloque international de l’AFEAF ; Caen, 20-24 mai 2009. Barral (P.), Dedet (B.), Delrieu (F.), Giraud (P.), Le Goff (I.), Marion (S.), Villard-Le Tiec (A.) dir.- Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, 360 p. (Annales littéraires, n° 883 ; Série « Environnement, sociétés et archéologie », n° 14)

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Résumé

Cette synthèse régionale s’appuie sur l’analyse de 73 occupations funéraires réparties dans le quart nord-ouest du Bassin parisien, du littoral normand et picard aux confins de l’Aisne champenoise, du Ve au Ier siècle av. J.-C. Les données sont envisagées depuis les choix d’implantation jusqu’à la clôture de la tombe. L’approche méthodologique cherche à caractériser les espaces funéraires laténiens ainsi que leur évolution, et à mettre en évidence la hiérarchie interne des tombes monumentales. La population et les traitements des individus sont également abordés. Enfin, une grille de lecture constituée à partir des 4300 objets inventoriés autorise une présentation hiérarchisée des données et des différentes catégories fonctionnelles figurées dans les tombes.

Abstract

This regional synthesis of mortuary behavior relies on analysis of 73 funeral sites located across the northwest quarter of the Parisian basin, and dated between the 5th and 1st century B.C. Mortuary treatments were considered ranging in time from the choice of burial location and continuing until the close of the grave. Our methodological approach seeks to characterize the evolving use of funeral space during the La Tene period, and the internal hierarchy of monumental tombs. Mortuary characteristics will be discussed at both the population and individual levels. Finally, a grid including 4300 objects inventoried from funereal contexts allows a hierarchical presentation of data and permits the identification of functional categories of mortuary goods.

Les gestueLLes funéraires au second Âge du fer en Picardie

Estelle Pinard, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel, [email protected].

Sophie Desenne, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected].

Stéphane Gaudefroy, Inrap Nord-Picardie, Inrap, Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel, [email protected].

Frédéric Gransar, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected].

Ginette Auxiette, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200 Soissons, [email protected].

Geertrui Blancquaert, SRA Champagne-Ardenne, 3 rue du Faubourg Saint-Antoine, 51037 Châlons-en-Champagne, [email protected]érie Delattre, Inrap Centre-Ile-de-France, UMR 5594, Centre archéologique de Croissy-Beaubourg, 56 boulevard de Courcerin. Espace Multi-services, lot 34, 77183

Croissy-Beaubourg, [email protected] Demoule, Université de Paris I, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », UFR d’Art et d’Archéologie, 3 rue Michelet, 75006 Paris, MAE,

21 allée de l’Université, 92023 Nanterre cedex, [email protected] Gransar, Inrap Centre-Ile-de-France, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Tours, 148 avenue André Maginot, 37100

Tours, [email protected]énédicte Hénon, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200

Soissons, [email protected]çois Malrain, Inrap Nord-Picardie ; UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Passel, Avenue du Parc, 60400 Passel,

[email protected] Soupart, Inrap Nord-Picardie, UMR 8164, Direction inter-régionale, 518 rue Saint Fuscien, 80090 Amiens, [email protected] Thouvenot, Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScan équipe « Protohistoire Européenne », Centre archéologique de Soissons, abbaye Saint-Jean-des-Vignes, 02200

Soissons, [email protected].

esteLLe Pinard, soPhie desenne, stéPhane gaudefroy, frédéric gransaravec Les coLLaborations de ginette auxiette, geertrui bLancquaert, vaLérie deLattre, Jean-PauL demouLe, marc gransar, bénédicte hénon, françois maLrain, nathaLie souPart, syLvain thouvenot

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer.Actes du XXXIIIe colloque international de l’AFEAF ; Caen, 20-24 mai 2009.Barral (P.), Dedet (B.), Delrieu (F.), Giraud (P.), Le Goff (I.), Marion (S.), Villard-Le Tiec (A.) dir.-Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, 360 p.(Annales littéraires, n° 883 ; Série « Environnement, sociétés et archéologie », n° 14)

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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introduction

Un projet d’action scientifique Inrap a été initié en 2006 pour une durée de trois ans. Il a consisté à recenser et à caractériser l’évolution des pratiques funéraires au Second Âge du fer en Picardie et sur ses marges, depuis le choix de l’implantation des espaces funéraires jusqu’à la clôture des sépultures. Ce tra-vail collectif, organisé autour de quatre grandes thématiques, a permis de mettre en évidence d’importantes variations chrono-logiques, de nature micro-régionale, sociale et culturelle. Le projet a débouché sur une table-ronde organisée à Soissons en novembre 2008 (Pinard, Desenne, dir. 2009). Compte tenu de l’espace imparti à cette synthèse, nous ne pourrons présenter ici l’intégralité des résultats mais nous caractériserons l’évolu-tion des éléments les plus significatifs des chaînes opératoires identifiées.L’étude a été menée sur 73 ensembles funéraires rassemblant 683 sépultures. L’importance des effectifs nous assure ainsi d’une représentativité statistique satisfaisante.

1. Les ritueLs funéraires

Les rituels funéraires concernent à la fois l’inhumation et l’inci-nération, à l’échelle chronologique du Second Âge du fer. On constate cependant des disparités régionales, avec une zone occidentale qui privilégie l’incinération et une zone orientale de la Picardie davantage marquée par le rituel de l’inhumation (fig. 1). Si dans notre zone d’étude la pratique de l’inhumation est quasi-exclusive à La Tène ancienne, le passage à l’incinération

est beaucoup plus précoce en Picardie occidentale (à La Tène B2) qu’en Picardie orientale (à La Tène C2). À La Tène finale, le rituel de l’incinération devient quasiment exclusif pour l’en-semble de la Picardie (fig. 2).C’est à La Tène C1, dans le courant du IIIe siècle avant notre ère, que les disparités de rituel sont les plus frappantes, avec le sec-teur occidental de la Picardie qui ne pratique que l’incinération et le secteur oriental qui ne pratique que l’inhumation (fig. 3). La vallée de l’Oise semble marquer une limite culturelle stricte entre la Somme et la majeure partie de l’Oise, d’affinité atlanti-que, et l’Aisne et le sud-est de l’Oise, d’affinité continentale nord-alpine. Ce dernier secteur de la Picardie actuelle se rattache culturellement aux domaines champenois et francilien.

2. Les imPLantations funéraires

La majorité des ensembles funéraires du corpus se situe sur les plateaux (67 %), près de 25% en fond de vallée et 8% le long du littoral (Desenne et al. 2009a). Plusieurs sites sont aujourd’hui localisés dans les terres, en raison du déplacement du rivage et de l’évolution marquée du paysage, alors qu’ils étaient en bord de mer à l’Âge du fer (Somme 1979).Les versants, rebords et replats sont les positions les plus fré-quentes, avec chacun 20 % des effectifs, au détriment des ter-rasses et des buttes. Une dichotomie entre La Tène ancienne (sites de fond de vallée) et La Tène moyenne/finale (sites de plateau) est remarquable. Toutefois, les conditions de la recherche, fortement conditionnée par les impératifs économi-ques d’aménagement du territoire, conduisent à pondérer ce constat.

Fig. 1 : corpus et rituel au Second Âge du fer en Picardie. La base de données comprend 73 ensembles funéraires fouillés récemment, soit 683 tombes, 2086 vases et 4300 « objets ».

Paris

Amiens

Beauvais

Laon

inhumationincinération

SOMME

AISNE

OISE

Estelle Pinard et al. Les gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie

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Glisy "Terres de Ville" (Somme)Cl. S. Gaudefroy, Inrap NP

Amiens

Beauvais

Laon

inhumationincinération

Bucy-le-Long "le Fond du Petit Marais"

(Aisne), Cl. ERA 12

Pour certains sites, l’existence de points marquants, naturels ou artificiels (point haut, tertre funéraire de l'Âge du bronze, etc.), a pu jouer un rôle attractif dans l’implantation. L’observa-tion de l’environnement humain, dans lequel l’espace funéraire s’intègre, indique que près de la moitié des sites mis en place à La Tène C1 sont liés à un habitat.Différents critères s’appuyant sur le type d’implantation, l’or-ganisation générale et la présence ou non d’éléments structu-rants, ont permis de définir la morphologie des espaces funé-raires. Ainsi, trois grands groupes ont été définis : les espaces funéraires ouverts avec trois sous-groupes (tombe isolée, tom-bes groupées, tombes en noyaux), les espaces funéraires enclos avec deux sous-groupes (enclos isolé, enclos accolé ou adossé à une enceinte d’habitat) et les espaces funéraires « en bordure » avec deux sous-groupes (en bordure d’un chemin ou en bor-dure du fossé d’habitat).À La Tène ancienne, les espaces funéraires ouverts à sépultures groupées ou en noyaux sont les seules occupations reconnues. Les espaces funéraires implantés à La Tène B2 sont ouverts, groupés, de faible effectif, au sein desquels de riches sépultures se distinguent par la présence d’un char ou de mobilier métal-lique exceptionnel. La Tène C1 se différencie par le développe-ment de nouveaux espaces funéraires et la multiplication des formes d’occupations, de l’espace ouvert à l’espace enclos ou implanté en bordure d’habitat. Les sites ouverts aux tombes groupées ou en noyaux, se rencontrent dans toute la région. À La Tène finale, les espaces funéraires ouverts, groupés, sont présents sur l’ensemble de la zone étudiée. Ainsi, La Tène C1 semble une période charnière où les sites funéraires montrent une plus grande variabilité et des spécificités micro-régionales marquées.

Fig. 2 : évolution des pratiques de l'inhumation et de l'incinération de La Tène A1 à La Tène D2. Le passage à l’incinération en Picardie occidentale a lieu à La Tène B2, en Picardie orientale, à La Tène C2.

Fig. 3 : répartition des pratiques de l'inhumation et de l'incinération à La Tène C1. Le secteur occidental de la Picardie ne pratique que l’incinération et le secteur oriental ne pratique que l’inhumation.

0%

20%

40%

60%

80%

100%

LT A1-A2 LT B1-B2 LT B2-C1 LT C1-C2-D1

LT D1-D2

incinération inhumation

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3. Les monuments funéraires

Au sein du corpus retenu pour l’étude, on constate que 16 % des cimetières sont dotés d’au moins un monument funéraire (Gransar et Malrain 2009). Cependant, les sépultures monu-mentales restent relativement rares et ne représentent que 5 % des tombes. En outre, ces monuments ne sont pas répartis uni-formément dans l’espace et dans le temps (fig. 4). On enregistre en effet une surreprésentation des tombes monumentales dans le département de l’Aisne, ainsi qu’un accroissement des effec-tifs à partir de La Tène C1, dans la seconde moitié du Second Âge du fer.Les monuments funéraires appartiennent à deux grandes caté-gories : la catégorie dite « simple », qui regroupe les édifices à trous de poteau et les enclos fossoyés, et la catégorie dite « com-plexe », qui associe plusieurs éléments (fig. 5). Il est évident que l’utilisation de plusieurs types d’éléments, faisant appel à des techniques variées, implique un temps de travail et un investis-sement supérieurs, ainsi qu’une monumentalité accentuée.

Les monuments n’apparaissent, dans ce corpus, qu’à la transi-tion entre La Tène A2 et B1. On enregistre également le passage de la morphologie circulaire à la morphologie quadrangulaire à la transition entre La Tène B1 et B2, avec un remarquable monument hybride en forme de bouchon de champagne pro-venant de la nécropole de Bucy-le-Long « la Héronnière », dans l’Aisne. On estime que la morphologie quadrangulaire s’im-pose dans le courant de La Tène B2 et c’est à La Tène C1 que l’on voit apparaître les édifices à trous de poteau, ainsi que les types complexes associant enclos fossoyé et bâtiment interne. C’est toujours à La Tène C1 que l’on enregistre pour la pre-mière fois, dans notre corpus, des monuments dans la partie occidentale de la Picardie, les monuments des étapes antérieu-res étant issus exclusivement du département de l’Aisne.L’évaluation de la gradation hiérarchique des monuments passe par l’appréciation empirique du degré d’effort, de temps et de matériaux consenti pour leur édification. La variable dimensionnelle ne semble pas complètement pertinente à elle seule, même si elle a sans doute joué un rôle non négligeable.

Fig. 4 : les monuments funéraires en Picardie. Les sépultures monumentales sont très peu représentées.

Nécropoles avec monument funéraire16 %

Nécropoles sans monument funéraire84 %

n = 74

Sépultures avec monument funéraire5 %

Sépultures sans monument funéraire95 %

n = 687

Paris

Amiens

Beauvais

Laon

Ensemble funéraire avec monument

Estelle Pinard et al. Les gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie

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Le degré hiérarchique le plus élevé semble être celui des tom-bes à char à monument complexe, mais il est difficile de préci-ser si les tombes à char à monument simple leur étaient subor-données, ou si c’est la variable chronologique qui joue ici, les effectifs étant très réduits. Il semblerait que le niveau immédia-tement inférieur soit celui des tombes à monuments comple-xes, qui concernent l’intégralité de la séquence laténienne, de La Tène A2 à La Tène D2. À La Tène A2 et B1, il n’existe pas d’autres types de monuments que les trois catégories évoquées plus haut. À partir de La Tène B2, jusqu’à la fin de la séquence laténienne, on voit apparaître d’autres types de monuments simples : les sépultures à enclos et celles à bâtiments simples. Concernant ces monuments simples, le degré hiérarchique le plus élevé semble être celui des très grands enclos et des grands bâtiments, probablement de statut à peu près équivalent. Vien-nent ensuite les sépultures à grands enclos et à petits bâtiments, enfin probablement les sépultures à petits enclos fossoyés. Il est remarquable de constater que le degré de richesse des dépôts n’est pas strictement corrélé à la gradation hiérarchique des

monuments, ce qui correspond vraisemblablement à une sorte de « mesure compensatoire ». Le statut de la personne implique un type de monument particulier, visible de la communauté, mais la richesse et l’abondance des dépôts pourraient relever de la sphère familiale, plutôt que de la sphère sociétale.

4. Les défunts inhumés

L'inhumation est pratiquée en proportions très variables, de La Tène A à la Tène D. Elle connaît une décroissance brutale à partir de La Tène B2 jusqu'à La Tène C1. À partir de cette étape, le déclin de cette pratique se poursuit mais beaucoup plus len-tement et sans rupture profonde (Pinard et al. 2009).La pratique de la sépulture individuelle est quasi-exclusive et concerne plus de 95 % du corpus. De très rares exemples de sépultures doubles (associant deux sujets adultes) sont pré-sents, comme à Bucy-le-Long « La Héronnière », « La Fosse Tounise » (Desenne et al. 2009).

La Tène A1

La Tène B1

La Tène B2

La Tène C1

La Tène C2

La Tène D1

La Tène D2

La Tène A2

Bâtiments sur poteaux Enclos fossoyés

Monuments "simples" Monuments "complexes"

Inhumation

Incinération

Fig. 5 : typo-chronologie des monuments et leur relation aux pratiques de l'inhumation et de l'incinération.

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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Les « enfants/sujets immatures » ne représentent qu'un peu moins de 25 % du corpus, ce qui est particulièrement peu conséquent. Cette sous-représentation est renforcée par la quasi-absence d'enfants de moins d'un an (dix-huit individus dans le corpus).La répartition « adultes » et « enfants/sujets immatures » par grandes phases chronologiques montre que les « enfants/sujets immatures » ne représentent jamais plus de 45 % des défunts inhumés. C'est seulement à partir de La Tène C1, que les « enfants/sujets immatures » sont moins sous-représentés. Les estimations du sexe des individus, possibles presque exclu-sivement dans le cas des sujets inhumés, concernent un peu plus de 64 % du corpus. Elles montrent une très légère surmor-talité féminine (sex ratio = 0,904), qui n'est pas révélatrice de phénomènes démographiques spécifi ques.L’utilisation d’enveloppe textile ayant ceint les corps est sou-vent mise en évidence. Des effets de compression latérale, le maintien en équilibre instable de certaines pièces osseuses, l’or-ganisation des os libérés par la décomposition des chairs, sont observés sur les squelettes. Certaines observations taphonomi-ques permettent d'identifi er que le défunt a été inhumé habillé, d’autres mettent en évidence l'existence d'une enveloppe tex-tile souple enveloppant tout ou partie du corps (fi g. 6). Les ana-lyses ont montré que la présence de linceul décroît durant La Tène ancienne, pour semble-t-il, ne plus être en usage à partir de La Tène B2.Outre ces indices taphonomiques, la présence de fi bules ou d’anneaux et leur répartition sur le corps refl ètent des inhuma-tions habillées ou en linceul. Si nombre de défunts ont été dépo-sés habillés, souvent parés, seulement une cinquantaine d'entre eux présentent des fi bules portées, principalement disposées sur les épaules, le thorax ou le cou. Ces fi bules peuvent être en exemplaire unique ou en situation bilatérale. Il apparaît que peu d’entre-elles ont été utilisées pour fermer des linceuls plus ou moins contraignants. En règle générale, la fi bule, unique ou doublée, mise au jour au niveau du crâne ou des membres, per-met d’envisager que le corps a été enveloppé dans un textile. Outre ces fi bules, il faut noter la présence de quelques anneaux dont la fonction semble être d'accentuer le maintien du linceul.La parure, essentiellement féminine, est abondante au début de la séquence, de La Tène A1 à La Tène B1. Elle se caractérise par la présence de torques et de parure annulaire simple de type bracelets, perles et pendeloques. À La Tène B2 et C1, l’abandon du torque et la diminution de cette catégorie de mobilier au profi t des accessoires vestimentaires marque un changement radical dans l’ornementation et l’habillement des défunts (fi g. 7). Ainsi, les ceintures, et plus encore les fi bules au rôle polyva-lent, deviennent l’élément de « parure » métallique utilisé de façon quasi-exclusive.Jusqu’à La Tène B1, le bronze, le verre et l’ambre sont majoritai-rement utilisés (fi g. 8). On remarque parallèlement à cette pra-tique une grande diversité de matériaux dits « rares » comme l’or, le corail, l’os, le lithique, la céramique ou le coquillage, dans des sépultures féminines très riches ou des tombes à char (Pommepuy et al. 1998). Inversement, à partir de La Tène B2, le fer devient le matériau le plus utilisé auquel s’ajoute ponctuel-lement le lignite. L'emploi de l’ambre et du verre perdure, mais on remarque une utilisation de l’ambre surtout à La Tène C1, puis du verre à La Tène C2 et D1, qui révèlent une évolution de la mode, voire des réseaux d’échanges.Les modalités de dépôt des corps sont caractérisées par une très nette surreprésentation du dépôt en « espace vide » (95 %

Fig. 7 : distribution proportionnelle de la parure et des accessoires vestimentaires.

0%

20%

40%

60%

80%

100%

LT A1 LT A2 LT B1 LT B2

indice de linceul indice de vêtement

% d

'inhu

més

0%

20%

40%

60%

80%

100%

LT A1 LT A2 LT B1 LT B2

Vasseny "Dessus des Groins" (Aisne)Cl. S. Thouvenot, Inrap NP.

Chambly "la Remise Ronde" (Oise)Cl. E. Pinard, Inrap NP.

a b

indice de linceul indice de vêtement

% d

'inhu

més

0 %

20 %

40 %

60 %

80 %

100 %

A1 A2 B1 B2 C1 C2 D1 D2

fibule/ceinture parure annulaire simple torque

Accessoiresvestimentaires

Parure

La Tène

0 %

20 %

Parure

Cl. H.-P. Paitier, Inrap GOet S. Oboukhov, MAE-CNRS

Fig. 6 : Évolution des indices de linceul et de vêtement de La Tène A1 à La Tène B2. a : contrainte sur l'ensemble du corps, indice de linceul, b : effet de contention sur la cage thoracique indépendamment de celui exercé sur les humérus, indice de vêtement à "manches". Toutes les inhumations présentent soit des indices de la présence de linceul, soit des indices de vêtement, et dans de rares cas les deux à la fois.

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des défunts se sont décomposés alors que la fosse n'était pas comblée) et un agencement des corps en décubitus (94 % des individus). La décomposition des corps en « espace vide » cou-vre l'ensemble de la séquence. Quelques rares cas de décompo-sition en espace colmaté ont été répertoriés entre la fin de La Tène A2 et le début de La Tène B, à Limé « Les Sables Nord », dans l’Aisne (Soupart et al. 2005). Les dépôts en position latérale, qui sont très minoritaires dans le cadre des nécropoles (1,5 %), augmentent considérablement si l’on prend en compte les cas picards de dépôts en structure d’ensilage, où les individus sont souvent déposés dans cette position, les membres repliés. Dans la nécropole, une telle position revêt-elle un caractère discrimi-nant par rapport au groupe, en lien avec le statut particulier de l’individu ou sa position sociale ?

5. Les défunts incinérés

Comme pour l’inhumation, la pratique de l'incinération des corps concerne l'ensemble de la séquence. Pour le Ve siècle avant notre ère, elle reste toutefois anecdotique et pourrait s’être appliquée à des individus particuliers. À partir de La Tène B2, elle est de plus en plus présente. Les « enfants/sujets immatures » ne représentent pas plus de 21,6 % des individus dont l'âge au décès est connu. Ils ne sont d'ailleurs attestés dans les incinérations qu'à partir de La Tène C1. La pratique de l'incinération, avant cette période, ne concerne que les adultes. Ce constat témoigne de particularités dans la pratique de l'incinération liées à l'âge et s'appliquant aux plus jeunes membres de la communauté.Les diagnoses sexuelles, pour les individus incinérés, sont rare-ment envisageables puisque la crémation a détruit les critères ostéologiques permettant l'estimation.Contrairement aux inhumations, où l’observation des proces-sus taphonomiques nous renseigne sur la présence de vête-ments ou d'enveloppes textiles souples, les sépultures à inciné-ration ne livrent que des fibules dispersées ou agencées dans un amas osseux (fig. 9). Il est souvent difficile de préciser si ces fibules doivent être interprétées comme un moyen de ferme-ture ultime d’un contenant pour les os ou si elles impliquent que les individus ont été incinérés habillés.Les poids des restes osseux des dépôts individuels sont très variables. Très peu représentent l'intégralité d'un corps adulte incinéré. Les dépôts sont généralement faibles à très faibles, voire symboliques. Dans ce corpus, on note que les dépôts

exhaustifs ne sont présents qu'à partir de La Tène C2, alors que les dépôts partiels couvrent l'ensemble de la chronologie.Les modes de dépôt des restes incinérés correspondent à des dépôts en urne, en contenant périssable (enveloppe souple ou rigide), ou les deux à la fois. Le dépôt en contenant périssable est en usage pendant toute la séquence chronologique, la prati-que s'accroissant jusqu’à La Tène C1 (fig. 10). La pratique du dépôt en urne progresse également, mais de façon plus irrégu-lière, jusqu’à La Tène C2. À partir de cette étape, les dépôts en urne se substituent aux dépôts en contenant périssable.

6. Les offrandes funéraires

Dans les tombes, le « service funéraire » montre souvent une « préférence », avec une vaisselle privilégiant tantôt les réci-pients destinés à la préparation, tantôt les récipients destinés aux libations (Desenne et al. 2009b).

0%

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100%

A1 A2 B1 B2 C1 C2 D1 D2

lignite

fer

ambre

verre

divers

bronze

La Tène

Fig. 8 : distribution proportionnelle de la parure et des accessoires vestimentaires par grandes catégories de matériaux.

dans amas hors amas indéterminé

25

34

172

Fig. 9 : distribution proportionnelle de la parure et des accessoires vestimentaires par grandes catégories de matériaux.

Urne de Glisy "Site E" (Somme)Cl. E. Pinard, Inrap NP.Contenant en matériaux périssables

quadrangulaire de Laon "Zac du Griffon" (Aisne)Cl. E. Pinard, Inrap NP.

0

5

10

15

20

25

30

35

LT A1 LT A2 LT B1 LT B2 LT C1 LT C2 LT D1 LT D2 Aug.nb. urne

nb. contenant périssablenb. urne et contenant périssable

Fig. 10 : évolution des contenants des restes incinérés (basée sur 150 sépultures). Bien que l'utilisation de ces contenants soit concomitante, le contenant en matière périssable prédomine de La Tène A à La Tène C2, puis l'urne de La Tène C2 à La Tène D.

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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La Tène

A2

A1

B1

B2

C1

C2

D1

D2

La Tène

A2

A1

B1

B2

C1

C2

D1

D2

gobelet

fermé moyen

jatte

bouteille, cratère

écuelle

fermé bas

PREPARATIONLIBATIONCONSOMMATION

ouvert haut

assiette

Fig. 11: évolution de la fréquence des récipients.

Fig. 12 : proportion des espèces à La Tène ancienne (A1, A2, B1, B2), La Tène moyenne (B2, C1) et La Tène finale (C2, D1, D2).

0%

10%

20%

30%

40%

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60%

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80%

90%

100%

La Tène ancienne

La Tène moyenne

La Tène finale

indéterminéautresporc-pouletporc-mouton-bœufmouton-bœufporc-bœufporc-moutonpouletbœufmoutonporc

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Les proportions des récipients déposés le plus fréquemment dans les tombes montrent deux évolutions majeures dans la composition des services (fig. 11). La première apparaît à La Tène B1 avec la présence plus fréquente de vases destinés aux libations, essentiellement les bouteilles, au détriment des assiet-tes servant à la consommation. Cette tendance s’accentue encore à La Tène B2. La seconde évolution se produit à l’étape suivante, à La Tène C1, avec cette fois la raréfaction des bouteilles qui s’oppose à l’accroissement très significatif des écuelles, et dans une moindre mesure, des jattes. Au cours de La Tène C2, cette tendance est à son apogée, avec cette fois la très nette augmen-tation des jattes, qui connaissent alors leur maximum. A La Tène D1, les bouteilles supplantent les jattes. À La Tène D2, la tendance semble nettement accentuée, mais la faiblesse de l’échantillon nous incite toutefois à une certaine réserve.La raréfaction de l’assiette peu profonde au profit d’une écuelle plus creuse, à La Tène B2, est probablement en relation avec un changement des habitudes alimentaires. Elle correspond d’ailleurs à l’augmentation des jattes de préparation, qui mon-trent sans doute un goût accru pour les plats semi-liquides.Les vases de préparation constituent toujours plus du tiers des vases du service funéraire tout au long de la période, ce qui montre peut-être l’importance de la confection des mets en rela-tion avec le repas funéraire.L’accroissement du nombre de jattes, au détriment des pots fer-més et des vases ouverts hauts, connaît son paroxysme à La Tène C2. Cette évolution remarquable peut être mise, encore une fois, sur le compte du changement des modes alimentaires.

L’alimentation est aussi illustrée par les pièces de viande dépo-sées dans les tombes, dans les récipients, mais le plus souvent à l’extérieur. Ces dépôts sont avérés dans 60 % des inhumations attribuées à La Tène A et B1, et chutent très nettement à partir

de La Tène B2. Les offrandes animales se présentent sous la forme d'os frais, puis la pratique de l'offrande incinérée à partir de La Tène C1 s'ajoute aux offrandes fraîches, ou s'y substitue dans de rares cas. Le porc est l’espèce la mieux représentée. Ce sont dans la plupart des cas des sujets juvéniles. Le mouton occupe la deuxième place et devient de plus en plus discret au cours du temps. On voit alors s'affirmer le binôme « porc-pou-let ». Le bœuf, discret, disparaît des offrandes funéraires à partir de La Tène C1 (fig. 12).Les rites de boissons sont illustrés par certaines formes cérami-ques, comme les gobelets, bouteilles, cratères, passoires, et amphores à la fin de la séquence. Les seaux en bois à cerclage métallique et les bassins en bronze participent également à cette représentation : on dénombre seize seaux (dans sept nécropoles) et trois bassins (dans une nécropole).La notion de « service à boire » est très nette dans les tombes de La Tène ancienne dans l’Aisne et l’Oise, où la bouteille et le gobelet ont souvent la même forme, et portent parfois le même décor. Les cratères de La Tène B1 montrent les plus grandes capacités de contenance, jusqu’à 150 litres (fig. 13). On y puisait au moyen d’un petit récipient, un gobelet parfois retrouvé à l’in-térieur du cratère.À partir de La Tène B2, et surtout à La Tène C1, on dépose en grand nombre ces vases destinés à la boisson dans les tombes de la Somme. Mais les bouteilles sont d’une contenance plus réduite, une dizaine de litres au maximum. L’évolution des for-mes suggère que le déroulement du rituel évolue : changement des boissons consommées ou offertes, modification des façons de consommer, peut-être passage d’une manière collective à une manière individuelle ?Les seaux n'existent pas à La Tène A. On en compte un pour La Tène B, trois pour La Tène C et douze pour La Tène D. Pour cette dernière étape, neuf d'entre eux proviennent d'une seule

Fig. 13 : récipients utilisés dans le cadre des libations (cratère, gobelet, ciste) et de la consommation (écuelle et jatte). Bucy-le-Long "la Héronnière" (Aisne). Cl. UMR 7041, ArScAnBucy-le-Long "la Héronnière" (Aisne)Cl. UMR 7041, ArScAn

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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Fig. 15 : Distribution proportionnelle des différents éléments du trousseau.

Amiens

Beauvais

Laon

landierschaudroncrémaillèregrilfourchette

Marcelcave "Le Chemin d'Ignaucourt" (Somme) Cl. L. Blondiau, Inrap NP.

Poulainville "Les Mottelettes"(Somme)Cl. S. Gaudefroy, Inrap NP.

0

5

10

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20

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35

40

45

A1 A2 B1 B2 C1 C2 D1 D2

Nombre d'objets

scalptorium pince à épiler rasoir forces

La Tène

nombre d’objets

Cl. H.-P. Paitier, Inrap GO Cl. S. Gaudefroy, Inrap NP

Fig. 14 : Ustensiles représentant le foyer et la cuisson (landiers, chaudron, crémaillère, gril et fourchette).

Estelle Pinard et al. Les gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie

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nécropole, ainsi que les trois bassins. Il n’y a pas de correspon-dance stricte entre présence de seaux ou bassins et présence de céramiques liées à la boisson : seaux et bassins peuvent être associés ou non à des gobelets et des bouteilles.En plus de la céramique, certaines tombes renferment des mobiliers que l'on associe à la préparation et à la cuisson du repas, sans doute dans un contexte de banquet (Leman-Delerive 2007). Ce sont les chaudrons, landiers, crémaillères, grils, four-chettes et cuillères (fig. 14). Ces ustensiles restent exceptionnels car, sur l'ensemble du corpus, on dénombre seulement dix-sept objets de ce type, issus de sept nécropoles : deux dans l'Aisne et cinq dans la Somme.Le contexte de découverte le plus ancien remonte à La Tène B : il s’agit d’une fourchette, déposée dans une tombe à char de l'Aisne. Les chaudrons, crémaillères et landiers (qui évoquent le feu et le foyer) sont exclusivement représentés à La Tène C, et dans la Somme, dans des tombes moyennement ou richement dotées. Ils sont toujours en association avec d'autres éléments du ban-quet (céramiques et offrandes animales), et dans la tombe ces dépôts sont mis en scène, avec les landiers en position centrale et les autres objets alignés le long d’une paroi.Les trois grils connus datent de La Tène D1, uniquement dans des tombes richement dotées.

7. Les obJets PersonneLs et Les armes

Des objets personnels, souvent rassemblés en trousseau au sein d’un même dépôt, ou parfois isolés, évoquent les ustensiles uti-lisés pour la toilette ou un outillage ayant appartenu au défunt (Desenne et al. 2009b). Ces « trousseaux » se retrouvent dans 14 % des sépultures de La Tène ancienne, dans l’Aisne et l’Oise, mais d’importantes variations chronologiques sont enregistrées (fig. 15). Dans les riches tombes féminines de la seconde moitié du Ve siècle, on rencontre des éléments de bouclerie associés à des fusaïoles, des aiguilles à chas et surtout des petites trousses de toilette avec pince à épiler et scalptorium en fer. Dans les tombes masculines contemporaines, ces trousses de toilette s’accompa-gnent d’un rasoir. À la fin du Ve siècle, 44 % des sépultures possèdent ce genre de trousseaux, puis, jusqu’au milieu du IIIe siècle, cette proportion ne cesse de diminuer. À La Tène C1, quatre faits sont mar-quants : les scalptoriums disparaissent au profit des forces, les petites pinces à épiler sont supplantées par de grandes pinces, les rasoirs se diversifient et les premiers outils à vocation arti-sanale apparaissent.À La Tène C2 et surtout à La Tène D1, l’association des rasoirs et des forces, plus rarement des pinces à épiler, constitue le dépôt ordinaire, particulièrement dans les incinérations de la Somme. Comme ces dépôts se généralisent en même temps qu’apparaissent les trousses à outils, on peut douter qu’il ne s’agisse là que d’ustensiles de toilette. L’hypothèse d’une utili-sation artisanale, par exemple liée au travail de la laine ou des peaux, semble aussi envisageable.Les couteaux, présents pendant toute la séquence, sont plus fréquents à La Tène B1 où ils se rencontrent dans plus de 20 % des sépultures. Trouvés préférentiellement associés au dépôt de viandes, ils sont, dans 10 % des cas, considérés comme un effet personnel, mis dans un étui et associé voire porté à une ceinture. Ces objets spécifiques sont des attributs masculins contemporains des poignards portés à La Tène A.

0

2

4

6

8

10

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14

16

A1 A2 B1 B2 C1 C2 D1 D2

bouclieremboutpointe de lanceépéepoignardfourreau

nombre d’objets

La Tène

Bucy-le-Long "la Héronnière" (Aisne)Cl. UMR 741 ArScAn "Protohistoireeuropéenne".

Vasseny "Dessus des Groins" (Aisne)Cl. S. Thouvenot, Inrap NP.

Fig. 16 : distribution proportionnelle des différents éléments de l’armement et évolution dans le choix des armes.

Char

Servicecéramique

Défunte parée

Trousseau

Vases de stockagePièce de viande

avec couteau

Bucy-le-Long "la Héronnière" (Aisne)Cl. UMR 741 ArScAn "Protohistoire européenne".

Fig. 17 : mise en scène des dépôts dans une tombe à char de La Tène A2. Bucy-le-Long "la Héronnière" (Aisne). Cl. UMR 741 ArScAn "Protohistoire européenne".

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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Au début de la séquence, l’arme de poing des hommes adultes est constituée par le poignard, porté dans son fourreau à la ceinture (fig. 16). De une à quatre pointes de lances placées le long du corps complètent la panoplie militaire. À partir de La Tène B1, l’épée supplante le poignard, mais elle n’est plus por-tée. Le nombre de pointes de lances par individu tend alors à diminuer. Le bouclier apparaît lors de cette étape chronologi-que. À partir de La Tène C1, les armes deviennent rares, et le passage à l’incinération marque ensuite une modification sen-sible des gestuelles. Qu’il s’agisse d’épées, de pointes de lance isolées ou d’éléments de bouclier, ils sont brisés, pliés ou sim-plement représentés par un fragment. On note également la présence de fourreaux sans leurs lames, qui symbolisent peut-être la panoplie militaire.Les effets déposés dans les tombes présentent des stigmates récur-rents d’utilisation qui révèlent un prélèvement direct sur les biens du défunt ou de ses proches. Pendant toute la séquence chronolo-gique, on retrouve en effet des traces d’usure sur la parure, les récipients en céramique et parfois même des traces de réparation ou de modification sur les armes et sur les pièces de char.

8. La mise en scène funéraire

La mise en scène des dépôts, au travers des objets présents dans les tombes, est identifiable dès le début de la séquence. À Bucy-le-Long « La Fosse Tounise », dans l’Aisne, un char a ainsi été déposé en position fonctionnelle, les roues encastrées dans de profondes fosses, le timon et le harnachement prenant place dans un appendice à l’avant de la tombe (fig. 17). La défunte, ornée d’une riche parure de bronze, était allongée sur la caisse du char, les pieds sans doute attachés au timon. À l’ar-rière du char, se trouvait le service céramique regroupant vais-selle de présentation et de consommation, tandis qu’à ses genoux était déposé un trousseau composé d’une aiguille à chas, d’un scalptorium et d’une pince à épiler. Autour, des vases

de stockage étaient calés dans de petites fosses, et des pièces de viande étaient accompagnées d’un couteau. Ces éléments affi-chent une partition de l’espace, les objets personnels de la défunte placés à ses côtés (trousseau, vaisselle de consomma-tion individuelle ou de présentation) et les objets d’usage plus collectif, légèrement éloignés (vases de stockage et offrandes alimentaires).

Dans la Somme, dans l’une des sépultures à incinération de Poulainville, attribuée à La Tène C2, les observations taphono-miques ont permis de mettre en évidence la présence d’une litière organique sur le sol, d’un centimètre d’épaisseur, et d'un système de fermeture du plafond. En revanche, la position de certains vases au contact de la paroi de la fosse indique l’ab-sence de coffrage. La fosse est partagée en deux moitiés, de part et d’autre de la paire de landiers qui occupe la position centrale : la moitié nord-ouest reçoit l’ensemble du mobilier céramique, les restes du défunt et des outils, alors que la moitié sud-est est aujourd’hui vide de tout vestige (fig. 18). Un des landiers est en position fonctionnelle sur le sol de la tombe, tandis que le second, couché à plat sur une dizaine de centimètres de sédi-ment, semble avoir été perturbé par des processus taphonomi-ques postérieurs au dépôt. Dans les autres exemples régionaux, les landiers occupent toujours le centre de la fosse.Les espaces vides, toujours importants dans ces tombes, corres-pondent peut-être à la présence d’objets en matériau périssa-ble. Toutefois, une autre hypothèse est envisageable. La dispo-sition des objets dans ce type de tombe est à confronter aux descriptions du repas chez les Celtes, rapportés par certains auteurs antiques, parmi lesquels Posidonios (Histoires, Livre XIII) et Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, livre V), qui parlent de litières de paille, de litières couvertes de peaux et de tables basses, disposées près des foyers garnis de chaudrons et de broches où cuisent les quartiers de viande.Les espaces aujourd’hui vides de la tombe accueillaient ainsi peut-être symboliquement les convives au repas funéraire.

Fig. 18 : mise en scène des dépôts dans une sépulture aristocratique de La Tène C2. Tombe 641 de Poulainville “les Mottelettes” (Somme), Cl. N. Buchez, Inrap NP.

Ossements humainsOssements animaux

Landiers

Service céramique

Tombe 641 de Poulainville “les Mottelettes” (Somme), Cl. N. Buchez, Inrap NP.

Estelle Pinard et al. Les gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie

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Paris

Amiens

Beauvais

Laon

Fig. 19 : principales orientations des gestuelles funéraires au Second Âge du fer en Picardie. Dichotomie entre la partie orientale et la partie occidentale, la rivière Oise apparaît comme une frontière.

9. concLusion

Au premier regard, nous sommes frappés par l’homogénéité des pratiques funéraires concernant le costume, les panoplies et les dépôts alimentaires. Une analyse plus poussée met en évidence des différences dans l’évolution des pratiques et l’adoption de nouveaux gestes, qui révèlent des rythmes évolu-tifs différents selon les secteurs géographiques.Les choix de certaines pratiques funéraires ou leur adoption à des moments différents, accréditent la distinction de deux enti-tés au sein de la région picarde, séparées par le cours de la rivière Oise (fi g.19). Dans la zone occidentale (Somme et nord du département de l’Oise), on adopte le rituel de l’incinération dès La Tène B2, alors que ce même rituel ne s’impose qu’au début de La Tène C2 dans la zone orientale (Aisne et sud-est de l’Oise). À La Tène A et B1, les défunts sont regroupés dans des espaces funéraires ouverts qui rassemblent les populations de diffé-rents habitats pendant plus d’un siècle. À La Tène B2, les ensembles sont de plus petite taille, liés à un unique habitat sur une ou deux générations. À La Tène C1, cette organisation en espace ouvert semble perdurer dans tout le secteur oriental, à l’inverse, dans le secteur occidental on observe une plus grande variabilité, avec l’apparition d’espaces funéraires enclos ou en bord de chemin, associés à l’habitat.Les monuments funéraires n’apparaissent qu’à La Tène C1 à l’Ouest, alors qu’ils existent dès La Tène A2 à l’Est. Le trait commun aux deux zones culturelles demeure la rareté de ces monuments.

L’évolution des mobiliers se fait de manière relativement syn-chrone. On enregistre par exemple un remplacement de la parure annulaire en bronze par des accessoires vestimentaires en fer à partir de La Tène B2 dans les deux zones picardes. On note aussi une évolution commune des trousseaux, avec la généralisation du dépôt « rasoir-forces » à partir de La Tène C1. Les deux zones partagent également l’évolution de la composi-tion des services céramiques, et, en corollaire, celle des prati-ques alimentaires. Certains phénomènes apparaissent en revanche exclusifs. Dans les nécropoles de la vallée de la Somme, la représentation cen-trale du foyer dans les tombes à partir de La Tène C1, constitue une mise en scène très particulière, qui n’existe absolument pas dans la zone orientale de la Picardie. Celle-ci se caractérise plu-tôt par une présence signifi cative des panoplies d’armement au début de la séquence, qui diminuent nettement à partir de La Tène C1. Reposant sur un socle laténien commun, la dichotomie est-ouest de la Picardie est donc parfaitement perçue sur le plan des gestuelles funéraires. On sait dorénavant que cette parti-tion culturelle existe à bien d’autres niveaux, que ce soit dans la morphologie, le statut ou la fonction des habitats ruraux, dans la présence ou l’absence des sanctuaires, ou encore dans la répartition et la fréquentation des oppida. La limite naturelle que constitue le cours de l’Oise devient d’ailleurs, à la fi n de la séquence laténienne, une véritable frontière entre les peuples des Bellovaques, Ambiens et Viromanduens à l’Ouest, des Suessionnes et des Rèmes à l’Est.

Gestes funéraires en Gaule au Second Âge du fer

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bibLiograPhie

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