Le nouveau partenariat ACP-Union européenne: mythe ou réalité?

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10 Le nouveau partenariat ACP-Union européenne : mythe ou réalité ? Léonard Matala-Tala Deux grandes raisons ont conduit l’Union européenne (UE) à développer ses relations extérieures (Commission européenne, 2007a, 5) : d’une part, après la création de l’union douanière, les six pays fondateurs ont dû assumer collectivement la responsabilité de leurs relations commerciales avec les pays tiers en instaurant une politique commerciale commune. D’autre part, ces mêmes États ont convenu de partager le financement d’une fraction de l’assistance qu’ils fournissaient à leurs anciennes colonies, plus spécialement en Afrique, à mesure que celles-ci accédaient à l’indépendance. C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit cette contribution qui porte sur les relations extérieures de l’Union, plus particulièrement les relations ACP-UE (Afrique Caraïbe Pacifique – Union européenne). La philosophie communautaire à l’égard des pays en développement s’est dotée d’une base juridique spécifique dans le traité, aux articles 208- 211 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : quatre articles qui consacrent des objectifs que l’Union européenne pourra réaliser dans le cadre de cette compétence subsidiaire et ipso facto complémentaire de la politique des États membres. Ces actions sont appelées à s’agencer afin d’optimiser cette politique qui vise aussi à assurer sa présence sur l’échiquier international. Aujourd’hui, la coopération au développement, notamment envers les États ACP, est une politique communautaire autonome fondée sur les spécificités et l’expérience acquise depuis la première convention de Yaoundé en 1963. Cette compétence « n’est pas exclusive. Les États membres sont donc en droit de souscrire eux-mêmes des engagements à l’égard des États tiers collectivement ou individuellement, voire conjointement avec la

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Le nouveau partenariat ACP-Union

européenne : mythe ou réalité ?

Léonard Matala-Tala

Deux grandes raisons ont conduit l’Union européenne (UE) à

développer ses relations extérieures (Commission européenne, 2007a, 5) :

d’une part, après la création de l’union douanière, les six pays fondateurs

ont dû assumer collectivement la responsabilité de leurs relations

commerciales avec les pays tiers en instaurant une politique commerciale commune. D’autre part, ces mêmes États ont convenu de partager le

financement d’une fraction de l’assistance qu’ils fournissaient à leurs

anciennes colonies, plus spécialement en Afrique, à mesure que celles-ci accédaient à l’indépendance. C’est dans cette dernière perspective que

s’inscrit cette contribution qui porte sur les relations extérieures de

l’Union, plus particulièrement les relations ACP-UE (Afrique Caraïbe

Pacifique – Union européenne). La philosophie communautaire à l’égard des pays en développement

s’est dotée d’une base juridique spécifique dans le traité, aux articles 208-

211 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : quatre articles qui consacrent des objectifs que l’Union européenne

pourra réaliser dans le cadre de cette compétence subsidiaire et ipso facto

complémentaire de la politique des États membres. Ces actions sont appelées à s’agencer afin d’optimiser cette politique qui vise aussi à

assurer sa présence sur l’échiquier international. Aujourd’hui, la

coopération au développement, notamment envers les États ACP, est une

politique communautaire autonome fondée sur les spécificités et l’expérience acquise depuis la première convention de Yaoundé en 1963.

Cette compétence « n’est pas exclusive. Les États membres sont donc en

droit de souscrire eux-mêmes des engagements à l’égard des États tiers collectivement ou individuellement, voire conjointement avec la

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

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Communauté » (CJCE, 1994, 661). Du reste, les États membres et

l’Union européenne sont appelés à coordonner leurs politiques et à se

concerter dans la mise en œuvre de cette politique, ainsi que des autres

politiques (art. 210 TFUE). Avant le traité de Lisbonne (2009), la coopération au développement

avait deux grands objectifs relatifs à la dimension sociale et économique,

et à la dimension politique. Pour la première catégorie, l’ex-article 177.1 TCE (version de Maastricht - 1992, Amsterdam - 1997 et Nice - 2001)

énonçait trois objectifs socio-économiques : « le développement

économique et social durable des pays en voie de développement (PVD),

plus particulièrement des plus défavorisés d’entre eux ; l’insertion harmonieuse des PVD dans l’économie mondiale ; la lutte contre la

pauvreté dans les PVD ». De cette coopération au développement, il se

dégage implicitement un souci majeur de concilier les préoccupations économiques et sociales : « le développement économique ne peut être

envisagé intrinsèquement, comme le font trop souvent les institutions de

Bretton Woods : celui-ci doit s’accompagner d’un développement social » (Flaesch-Mougin, 1993, 361). Quant à la seconde catégorie

d’objectifs, elle a trait à la dimension politique. L’article 177 alinéa 2 du

traité d’Amsterdam disposait que « la politique de la Communauté dans

ce domaine contribue à l’objectif général de développement et de consolidation de la démocratie et de l’État de droit, ainsi qu’à l’objectif

du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Il

convient de relever que le traité sur le fonctionnement de l’Union ne fait plus directement allusion aux objectifs socio-économiques précités. Son

article 208 précise que « l’objectif principal de la politique de l’Union [en

matière de développement] est la réduction et, à terme, l’éradication de la

pauvreté ». Les accords de Yaoundé, de Lomé, puis de Cotonou rentrent dans le

cadre de l’ancien article 136 du traité de Rome relatif à l’association des

pays et territoires d’outre-mer (PTOM) aux Communautés. Toutefois, ces États associés par les accords de Lomé, une fois indépendants, « ont

entendu prendre leurs distances par rapport aux anciennes puissances

coloniales et ont écarté toute référence à la notion d’association » (Raux, 1990, 2). Cinquante-deux ans plus tard, on peut dire avec la Commission

européenne que « la période coloniale et postcoloniale est révolue, un

environnement international politiquement plus ouvert permet désormais

d’établir de manière moins ambiguë les responsabilités de chaque partenaire » (Commission européenne, 1996, IV). De plus, la conjoncture

internationale dans laquelle s’inscrit l’action internationale de l’Union

européenne a connu, dès 2009, de profonds changements (Mackie et al., 2009, 1), qui affectent inévitablement les relations ACP-UE : élections

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

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européennes, administration Obama, crise internationale avec un accent

particulier en 2011 dans la zone euro, montée de la Chine, imprévisible

printemps arabe, etc. Le partenariat ACP-CE n’a pas donné tous les

résultats escomptés. Le principe même de cette coopération a quelque peu perdu de sa substance et ne s’est que partiellement concrétisé. Dans

son livre vert de 1996, la Commission européenne (1996, V) observait

déjà que « la dépendance à l’égard de l’aide, les exigences du court terme et la gestion des situations de crise ont progressivement dominé la

relation entre les deux partenaires… Le partenariat s’est avéré difficile à

réaliser avec des pays présentant de faibles capacités institutionnelles et

des systèmes de gestion publique souvent peu efficaces », d’autant plus qu’un nouveau dialogue au niveau continental entre l’Union européenne

et l’Afrique a été lancé en avril 2000 au Caire, lors du premier sommet

UE-Afrique. Ce dialogue veut bâtir un partenariat stratégique avec le continent africain, basé sur des objectifs partagés et des valeurs

communes (Commission européenne, 2007-2). Celles-ci se retrouvent

dans le traité instituant l’UE, dans l’Accord de Cotonou et le processus de Barcelone, dans le manifeste du nouveau partenariat pour le

développement de l’Afrique (NEPADA) lancé en 2001, ainsi que dans

l’Acte constitutif de l’Union africaine (UA) créée en 2002.

En 2009, la fondation Robert Schuman constate « le basculement du monde sur son axe, au détriment de l’Occident et au profit de l’Asie ; on

mesure la contestation nouvelle des pays du Sud envers un Nord riche et

égoïste qui se dépeuple ; on sonne la fin de l’heure de l’Amérique et de sa grande alliée européenne ; le réchauffement climatique diffuse un vent

d’inquiétude sur les situations les plus acquises. Il souffle sur les

Européens un parfum de doute et d’angoisse à l’aube du nouveau siècle »

(Chopin et Foucher, 2009, 17). À l’échelle mondiale1, sur les quarante-

neuf pays les moins avancés, trente-neuf sont dans la zone ACP (au 1er

janvier 2013). Le dialogue à distance entre deux économistes2, Easterly

(2009) et Sen (2009), fait apparaître un bilan que l’on sait déjà mitigé3.

L’objet de cette contribution est de discuter la « nouvelle » orientation de

la coopération au développement de l’Union européenne en direction des

pays ACP. Dans l’optique d’une intégration internationale de l’Afrique, jadis un

des objectifs de Lomé (ex-art.177 l’insertion harmonieuse des PVD dans

1 http://www.unohrlls.org/en/ldc/25/ 2 Pour une vision globale de la réflexion, voir Corre (2009). 3 Globalement, il faut constater que le financement du développement des ACP n’a

jusqu’ici servi qu’à les endetter davantage : voir Rocard (2001, 17) qui estime que « le bilan global de l’aide occidentale sur quarante ans est au fond un vaste échec » et Ékoué Amaïzo (2002, 21).

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

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l’économie mondiale) discutée dans cet ouvrage, l’idée principale est

d’appeler les partenaires de cette extraordinaire relation (ACP-UE) à une

refondation totale de ses bases. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser

les fondements actuels de cette coopération européenne au développement pour le XXI

e siècle. Ceux-ci sont donnés par l’article 2 de

l’Accord de partenariat entre les États ACP d’une part, et l’Union

européenne et ses États membres d’autre part, signé à Cotonou au Bénin, le 23 juin 2000, pour une durée de vingt ans, avec une clause de révision

et un protocole financier de cinq ans (JOCE, 2000, 3 et ss.). Cet article

dispose que « la coopération ACP-CE, fondée sur un régime de droit et

l’existence d’institutions conjointes [...] s’exerce sur base des principes fondamentaux suivants : l’égalité des partenaires (I), la participation (II),

le rôle central du dialogue et le respect des engagements mutuels et la

responsabilité (III), et la différenciation et la régionalisation (IV). Rappelons que, dès l’origine, les relations ACP-CE, ont pour objectifs

« de promouvoir et d’accélérer le développement économique, culturel et

social des États ACP et de contribuer à la paix et à la sécurité et de promouvoir un environnement politique stable et démocratique ». Par

ailleurs, « le partenariat est centré sur l’objectif de réduction et, à terme,

d’éradication de la pauvreté, en cohérence avec les objectifs du

développement durable et d’une intégration progressive des pays ACP dans l’économie mondiale » (art. 1

er Accord de Cotonou).

1. L’égalité des partenaires

Après l’accord Lomé, celui de Cotonou a repris les mêmes objectifs

de promotion et d’accélération du développement économique, culturel et

social des États ACP, d’une part, de contribution à la paix et à la sécurité, de promotion d’un environnement politique stable et démocratique (art.

1), d’autre part. Partant de cet ambitieux objectif, cette coopération veut

se fonder sur « l’égalité des partenaires et l’appropriation des stratégies de développement » (art.2 §2, Accord de Cotonou). « L’égalité des

partenaires », telle que prônée par l’accord, semble d’une effectivité très

douteuse et très difficile à mettre en œuvre. D’abord, parce que plus

globalement, la dissymétrie « des rapports de force entre les humains génère l’injustice » (Ékoué Amaïzo, 2002, 21). Ensuite, parce que, dans

un environnement où la faiblesse institutionnelle des ACP, leur

dépendance vis-à-vis de l’aide, la multiplication des conditionnalités (Delaplace, 2000) de la part des bailleurs des fonds et de l’Union

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

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européenne, ne peuvent pas permettre une construction solide de l’État

ACP.

Mis à part leur nature juridique, sur quelle base repose cette égalité

entre États ACP et ceux de l’Union européenne ? D’autant que nous avons d’un côté des États industrialisés, riches, et pour certains,

anciennes métropoles, et de l’autre, des pays non industrialisés, pauvres

et anciennes colonies. De quelle égalité est-il question ? Certes, d’un point de vue du droit international, les États européens coopèrent

effectivement avec les États ACP sur une base d’égalité, parce qu’ils sont

tous sujets de droit international. Mais, au-delà du droit, la politique et

l’économie sont des réalités autrement plus solides. Par conséquent, en termes d’effectivité, d’égalité, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura pas

tant que les pays ACP seront dans cet état de déliquescence et de fragilité

institutionnelle dont beaucoup s’accommodent depuis le début de cette coopération !

Les deux partenaires y ont leur part de responsabilité (GEMDEV,

1998 ; voir aussi Commission européenne, 1997) : aux pays ACP, il appartient d’avoir la volonté de mettre en place des structures et un

environnement favorables au développement, sans attendre l’aide

extérieure (de qui que se soit). De ce point de vue, on peut estimer que la

« nouvelle initiative africaine », présentée en octobre 2001 à Bruxelles et nommée NOPADA, nouveau partenariat pour le développement de

l’Afrique4, était une bonne initiative.

Aux pays européens et à l’Union, il revient de bien mesurer les options d’aides et de bien adapter les différentes approches. Saluons donc

les initiatives prises par l’Union européenne : en 2007, la Commission

s’est engagée à augmenter l’efficacité de son aide, grâce à l’adoption du

« consensus européen pour le développement » (décembre 2005), du « consensus européen sur l’aide humanitaire » (décembre 2007) et à la

restructuration des instruments des programmes d’aide extérieure

(Commission européenne, Office de coopération EuropeAid, 2008, 10). « Le consensus européen pour le développement

5 » oblige l’UE à

« veiller au suivi de ses engagements en faveur de l’efficacité de l’aide,

notamment par la fixation d’objectifs concrets. L’appropriation nationale,

4 C’est une synthèse du programme de renaissance de l’Afrique pour le Millénaire

conçu par les présidents sud-africain Thabo Mbeki, nigérian Oluségun Obasanjo et algérien Abdelaziz Bouteflika, d’un côté et, de l’autre, le plan Oméga du président sénégalais Abdoulaye Wade pour la relance des économies africaines par de grands travaux.

5 Déclaration conjointe du Conseil et des représentants des gouvernements des États

membres réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la Commission sur la politique de développement de l’Union européenne intitulée « Le consensus européen », JOCE n° C 46 du 24 février 2006.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

7

la coordination et l’harmonisation des donateurs, qui commence sur le

terrain, l’alignement sur les systèmes des pays bénéficiaires et

l’orientation vers les résultats sont les principes de base à cet égard ».

Cette démarche de l’Union s’inscrit dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les Nations unies en septembre

20006.

Le changement est acté. Par conséquent, au lieu d’imposer une attitude trop générale, l’Accord de Cotonou (art. 2 et 4) appelle à prendre en

compte les politiques de développement des pays et des populations

concernées en exigeant que « les États ACP déterminent, en toute

souveraineté, les principes et stratégies de développement, et les modèles de leurs économies et de leurs sociétés ». Cette liberté doit s’exercer

« dans le respect des éléments essentiels et fondamentaux visés à l’article

9 » (art. 2) selon lesquels, la coopération ACP-CE aspire à un « développement durable centré sur la personne humaine, acteur et

bénéficiaire principal, et postule le respect et la promotion de l’ensemble

des droits de l’Homme ». Pour assurer le respect de ces droits, les parties font référence à leurs obligations et à leurs engagements internationaux

en matière de respect des droits de l’Homme7. Cette disposition, qui

existait déjà dans la précédente convention, a pour ambition la volonté de

mettre en exergue la promotion et la protection des droits de l’Homme qui « sont universels, indivisibles et interdépendants » (art.9.2 Accord de

Cotonou). Au point 4, ce même article 9 précise que « le partenariat

soutient activement la promotion des droits de l’Homme, les processus de démocratisation, la consolidation de l’État de droit et la bonne gestion des

affaires publiques ». La dernière révision de cet accord (JOUE, L287/13,

4 nov. 2010, art. 9) intègre un aspect positif : « les principes qui sous-

tendent les éléments essentiels et fondamentaux définis dans le présent article s’appliquent de façon égale aux États ACP, d’une part, et à

l’Union européenne et ses États membres, d’autre part.»

Ce partenariat encourage l’appropriation des stratégies de développement par les pays et populations ACP. Cela suppose que les

mauvaises pratiques et le système qui se sont installés au fil du temps

soient abandonnés : que les uns et les autres cessent d’adopter des

6 Huit objectifs à atteindre en 2015 : éradiquer la pauvreté extrême et la faim, assurer

l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité homme/femme, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/sida, le paludisme et les autres maladies, assurer un environnement durable, mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Voir http://www.un.org/french/milleniumgoals

7 La déclaration du Caire (3-4 avril 2000), adoptée lors du premier Sommet Afrique-Europe sous l’égide de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine, remplacée par l’Union africaine depuis le 9 juillet 2002) et de l’UE, va dans ce sens, en son point IV.

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

8

politiques ou de brandir des justificatifs de complaisance. Puisque l’on a

replacé l’individu, le citoyen ACP, au centre du projet, qu’on lui donne

les moyens de concevoir et de mettre en œuvre son développement.

Jusqu’à présent, les Européens ont été moins regardant sur la corruption, le détournement des aides publiques, voire les nombreuses et multiples

violations des droits de l’Homme, perpétrés par leurs partenaires ACP8.

Quel crédit le citoyen ACP, que l’on met au cœur du projet, peut-il encore accorder aux partenaires UE et ACP qui le brimaient encore hier,

et qui lui promettent aujourd’hui de l’écouter, et de l’aider à prendre en

main sa propre destinée, pendant que sa réalité quotidienne ne fait que

s’assombrir au fil des années ? Un signal fort et clair, de la part des pays donateurs d’aide, bailleurs de fonds et autres groupes de pression

européens, doit être donné afin d’amener les dirigeants ACP à

s’imprégner de l’universalité des droits de l’Homme. Car, comme le constate Rocard (2001, 59), il y a quelquefois « une multiplicité de poids

et de mesures » dans le comportement des partenaires européens vis-à-vis

des violations de droits de l’Homme. Et la fameuse universalité s’en trouve soit réduite à une dimension régionale, lorsque ces violations

concernent les droits de l’Homme « européen », fut-il Kosovar ou

Albanais, soit tout simplement ignorée, lorsqu’il est question de

commercer avec l’Asie. La réaction européenne n’est donc pas identique à celle qui concerne la violation des droits de l’Homme « africain »

(Libériens, Guinéens ou Congolais), à moins que ce ne soit un génocide.

Sans une volonté politique ferme, déterminée et commune, de la part de deux partenaires, l’égalité entre partenaires restera une égalité de

façade, diplomatique, entre dirigeants politiques. La volonté politique

d’instaurer une vraie égalité des partenaires commande aussi de la rigueur

de la part des gestionnaires des fonds. Il faut assurer une gestion transparente et responsable des ressources financières. Si l’Union

européenne demeure, il faut s’en féliciter, le premier donateur d’aides aux

pays ACP, on ne peut s’empêcher de déplorer qu’au moment de la signature de l’accord de Cotonou il y avait 9,9 milliards d’euros au titre

des FED9 antérieurs (6

ème, 7

ème et 8

ème) non engagés. Lorsqu’on y ajoute

8 Voir en ce sens le point de vue de Jean-Paul Ngoupande, L’Afrique suicidaire, Le

Monde, 18 mai 2002, pp. 1 et 17. 9 Un FED (Fonds européen de développement) distinct est attaché à l’exécution de

chacune des Conventions : le 6ème FED pour Lomé III, 7ème FED pour Lomé IV, 8ème FED pour Lomé IV bis, et donc 9ème FED pour l’Accord de Cotonou, entré en vigueur en 2002. Voir Le Courrier ACP-UE, septembre 2000, Edition spéciale Accord de Cotonou, protocole financier, Annexe I, p. 4 ; voir aussi le Rapport annuel sur la mise en œuvre de

l’aide extérieure de la Commission européenne, partie IV - ACP, p.88 ; Cour des comptes, Rapport sur les activités relevant des sixième, septième et huitième Fonds européens de développement (FED), JOCE, 15 décembre 2001, pp. 417-455.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

9

les ressources au titre du 9ème

FED (13,5 milliards d’euros pour la période

2000-2007) et les ressources propres de la BEI (Banque européenne

d’investissement, soit 1,7 milliard d’euros), la somme globale10

atteint le

montant de 25 milliards d’euros, pour la période 2000-2007. Cette somme aurait dû être engagée avant l’entrée en vigueur du nouveau

protocole financier, c’est-à-dire en 2005. Fin 2007, les crédits engagés au

titre du 9ème

FED s’élevaient à 17,9 milliards d’euros. Actuellement le 10

ème FED

11 est en cours pour la période 2008-2013, avec une enveloppe

budgétaire de 22,682 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 2 milliards au

titre de la BEI. Il est souhaitable que cette enveloppe soit engagée, et

surtout payée dans les délais prescrits, grâce à une participation effective de tous les acteurs. Si l’on en croit le rapport annuel

12 de la Cour des

comptes européenne (2012), pour l’exercice 2011, le montant total des

engagements globaux pour les 8ème

, 9ème

et 10ème

FED, s’élève à 3,049 milliards d’euros tandis que les paiements s’élèvent à 2,874 milliards

d’euros.

2. La participation

Le nouveau partenariat ACP-UE dispose d’un second principe

fondamental : la participation. L’article 2 paragraphe 3 de l’Accord de Cotonou dispose que « outre l’État en tant que partenaire principal, le

partenariat est ouvert aux parlements ACP, aux autorités locales des États

ACP et à différents types d’autres acteurs, en vue de favoriser la

participation de toutes les couches de la société, du secteur privé et des organisations de la société civile à la vie politique, économique et

sociale ». Il faut remarquer d’emblée la nouveauté, dans ce sens que

depuis la convention de Yaoundé, la coopération ACP-CE a toujours concerné un seul partenaire du côté ACP, l’État. C’est lui seul qui devait

souverainement déterminer les principes et les modèles de

développement de son économie et de sa société (article 3 Lomé IV bis). L’accord de Cotonou, adoptant une approche globale et intégrée reprend

cette disposition mais va plus loin. Il précise, toutefois, que « les parties

10 Le Courrier ACP-UE, édition spéciale, Accord de Cotonou, septembre 2000, p. 7. 11http://europa.eu/legislation_summaries/development/overseas_countries_territories/r

12102_fr.htm

12 Cour des comptes de l’Union européenne, Rapport annuel sur les activités relevant des huitième, neuvième et dixième Fonds européens de développement (FED), (2012/C 344/02), JOUE, C344 du 12 novembre 2012, p.246.

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

10

reconnaissent le rôle complémentaire et la contribution potentielle des

acteurs non étatiques et des autorités locales décentralisées au processus

de développement» (art.4). Cet article indique aussi que ces acteurs non

étatiques peuvent éventuellement : — être informés et impliqués dans la consultation sur les politiques,

stratégies et priorités de la coopération, ainsi que sur le dialogue

politique ; — recevoir des ressources financières afin d’appuyer le processus de

développement local ;

— être impliqués dans la mise en œuvre des projets et programmes de

coopération ; — recevoir un appui pour le renforcement de leurs capacités dans des

domaines critiques en vue d’accroître leurs compétences.

Ce principe de participation est d’une importance capitale et rejoint en cela l’article 9 de l’Accord qui replace la personne humaine au centre de

la coopération en tant qu’acteur et principal bénéficiaire. Comme pour le

premier principe (l’égalité), sa mise en œuvre rencontrera quelques difficultés.

Pour s’en convaincre, il suffit de noter, premièrement, la liste de ces

acteurs non étatiques donnée par l’article 6 (§1 point b) : le secteur privé,

les partenaires économiques et sociaux y compris les organisations syndicales et la société civile sous toutes ses formes, « selon les

caractéristiques nationales ». On imagine bien, un État ACP définir des

critères propres pour caractériser les acteurs non étatiques, de sorte qu’il ne retienne que ceux qui lui font allégeance. Car jusqu’à présent, et la

Commission européenne (1996, 15) l’a reconnu, « le principe du

partenariat inscrit dans la convention de Lomé a perdu de sa substance et

ne s’est que partiellement concrétisé. Il a eu tendance à se limiter aux aspects institutionnels de l’accord de coopération, et à une gestion

commune des ressources d’aide ». Trop souvent, dans un souci

d’efficacité de ses actions, la Communauté s’est substituée au partenaire ACP défaillant, adoptant ainsi une approche plus interventionniste, par

ailleurs difficilement compatible avec l’objectif principal de la

coopération, à savoir, l’appropriation par l’État ACP de son processus de développement.

Deuxièmement, il faut relever, et l’article 4 de Cotonou l’annonce,

que si les États ACP et européens reconnaissent que ces acteurs ont un

rôle complémentaire à jouer, ils prennent néanmoins soin de préciser qu’il ne s’agit là que d’une contribution potentielle de ces acteurs, c’est-

à-dire, hypothétique, virtuelle, voire conditionnelle.

Et troisièmement enfin, il est précisé à l’alinéa 2 de l’article 6 que « la reconnaissance par les parties des acteurs non étatiques dépend de la

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

11

manière dont ils répondent aux besoins de la population, de leurs

compétences spécifiques et du caractère démocratique et transparent de

leur mode d’organisation et de gestion ». Ceci implique que l’État lui-

même soit déjà démocratique, suffisamment démocratique pour permettre, ou faciliter, l’existence ou l’émergence de ces acteurs. Car,

peut-on imaginer qu’un État non démocratique (dictatorial) soit en

mesure de promouvoir des acteurs démocratiques sur son sol ? Peut-être aurait-il été également démocratique d’associer l’octroi des aides, non pas

simplement au respect par l’État des conditionnalités politiques et

juridiques, mais aussi à la capacité de ce même État à répondre aux

besoins de sa population. Comme cela relève de la politique intérieure de chacun, il serait donc souhaitable que cette capacité étatique puisse être

évaluée par les acteurs non étatiques.

Si le partenaire européen doit mettre fin à sa politique interventionniste et rompre avec des attitudes qualifiées par certains de

« néo-colonialistes », il revient à l’État ACP de s’engager réellement dans

un processus de réforme. Il y a toutefois des conditions préalables pour sa réalisation : se doter d’une bonne politique et créer des conditions

(sociales, économiques et politiques) favorables à la mise en œuvre de

cette politique. Il appartient à chaque État ACP de mettre en place des

structures capables de concilier les responsabilités étatiques avec la reconnaissance d’un rôle croissant aux acteurs non-étatiques. « L’objectif

est de les faire participer dans la définition des stratégies et des priorités

qui, jusqu’à présent, relève de la compétence exclusive des gouvernements » (Goulongana, 2000, 4).

Il faut cependant reconnaître quelques avancées, notamment le dialogue

qui s’est instauré entre l’Union européenne et un acteur nouveau, voué à

prendre de plus en plus de place, l’Union africaine. L’Accord innove ici en faisant des organisations régionales et sous-régionales ACP et de

l’Union africaine des acteurs du nouveau partenariat. Dans cette même

optique, une stratégie conjointe Afrique-UE est mise en place afin de permettre à ces deux instances des trouver des solutions communes aux

défis mondiaux. Dans ce contexte, des groupes d’experts conjoints (GEC)

issus des institutions de l’UA et de l’UE, des États membres et de la société civile ont été créés pour chacun des partenariats. Si l’on doit se

féliciter de l’association des organisations de la société civile (OSC) au

titre d’experts dans les GEC, il faut déplorer (Mackie et al., 2009, 4) le

fait que les OSC africaines et européennes n’aient pas été invitées aux réunions inaugurales des GEC, alors que leurs implications étaient à

l’ordre du jour de la 11ème

Troïka ministérielle Afrique–UE (Addis-

Abeba, 20-21 novembre 2008), ni lors de la 12ème

Troïka ministérielle Afrique–UE (Luxembourg, 28 avril 2009, voir Silvestre, 2009, 2). Lors

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

12

de la 13ème

Troïka tenue à Addis-Abeba, le 14 octobre 2009, un appel13

a

été lancé en faveur d’une plus grande implication de la société civile dans

la stratégie commune Afrique-UE, en particulier par le biais d’une

participation aux groupes d’experts conjoints et de l’organisation d’un Forum de la société civile Afrique-UE. Le premier Forum de dialogue

intercontinental14

de société civile Afrique-UE s’est tenu au Caire

(Égypte) du 8 au 10 novembre 2010. Une participation efficace et effective de ces acteurs non-étatiques

passe impérativement par leur formation, par la réponse à donner face à

leur besoin d’information, ainsi qu’à l’appui et au renforcement de leur

capacité (art. 7 Cotonou). Cette formation leur permettra d’acquérir les aptitudes nécessaires à la conception, à la réalisation et à la mise en

œuvre des actions concrètes pour le développement de leurs sociétés. Elle

doit également s’accompagner de la vulgarisation et de la sensibilisation des populations concernées aux techniques et aux méthodes susceptibles

de les conduire vers un développement harmonieux. Tout ceci commande

une mise en réseau et un renforcement des liens entre tous les acteurs non-étatiques européens et ACP.

Dans cette perspective, il faut saluer la mise en place de

PLATFORMA15

: « une plate-forme de dialogue entre des autorités

locales travaillant dans le domaine de la coopération au développement, et les services de la Commission européenne. PLATFORMA a organisé

deux séminaires régionaux pour ces autorités locales en 2010 autour des

questions clés relatives à la valeur ajoutée et à l’impact des autorités locales et régionales sur le développement et la manière la plus optimale

de faire ressortir cela au niveau des politiques européennes.

3. Le dialogue et le respect des engagements mutuels

Le nouvel accord adopte une approche intégrée qui prend

simultanément en compte les composantes politique, économique, sociale, culturelle et environnementale du développement. Le dialogue et

le respect des engagements mutuels, cités à l’article 2, sont développés au

second titre de l’Accord de Cotonou relatif à la dimension politique du

13 http://www.africa-eu-partnership.org/fr/node/205

14 Http://www.africa-eu-partnership.org/sites/default/files/civil_society_declaration_fr_0.pdf

15 Http://www.platforma-dev.eu/fr/homepage.htm : En avril 2012, un forum a eu lieu sur le thème de « Gouvernance des territoires et partenariats multi-acteurs : enjeux en Europe et dans les pays partenaires ».

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

13

partenariat. Son article 8 dispose que « les parties mènent, de façon

régulière, un dialogue politique global, équilibré et approfondi conduisant

à des engagements mutuels ». Global, le dialogue ambitionne de l’être

dans ce sens qu’il porte sur l’ensemble des objectifs et des finalités définis par l’Accord. En réalité, c’est en 1995 que ce dialogue a été

reconnu comme élément essentiel de la coopération au développement.

L’élargissement de l’Union européenne à quelques États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) (Autriche, Finlande et

Suède) a coïncidé avec la révision à mi-parcours de la convention de

Lomé IV. Les partenaires de cette coopération ACP-CE ont vu leur

nombre croître de 12 à 15 du côté européen, et de 68 à 70 du côté ACP. Aujourd’hui, avec l’accord de Cotonou, le partenariat rassemble l’UE,

avec ses 27 États membres, et 79 États ACP.

Par ce dialogue, les parties contractantes se sont engagées à favoriser la paix, la sécurité et la stabilité, ainsi qu’à promouvoir un environnement

politique stable et démocratique. Le traité de Maastricht a apporté une

approche globale de la politique de développement, incluant tous les secteurs d’activité. Ainsi, plutôt qu’un amalgame de relations

conventionnelles unilatérales ou bilatérales, la politique de coopération

au développement nécessite la participation de l’Union européenne et de

ses États membres à la vie internationale car elle « permet d’attester de la présence communautaire sur les cinq continents et de révéler les

[contours] d’une politique extérieure propre à la Communauté » (Mestre,

1995, 491). Il est important que les deux partenaires respectent les engagements

pris, car la réalité montre que « trop de responsables gouvernementaux se

mettent d’accord sur des promesses merveilleuses lors des réunions

internationales (par exemple la Déclaration du Millénaire) puis prennent l’avion pour rentrer chez eux et reviennent à la routine, sans mener à bien

leurs engagements. L’exemple le plus flagrant est l’objectif de 0,7%

d’APD/RNB convenu aux Nations unies il y a plus de trois décennies et réitéré depuis tous les ans » (Herfkens, 2009, 8). À titre d’exemple, en

2007, parmi les 27 États membres, la Commission européenne (2007a,

13) indiquait que seuls quatre d’entre eux avaient atteint et surtout dépassé ce seuil : Danemark, Luxembourg, Pays-Bas et Suède. Afin de

modifier cette lenteur, l’Union européenne s’est alors fixée comme

objectif d’atteindre ce seuil de 0,7% en 2015 avec une étape intermédiaire

à 0,56% pour 2010. Dans un bilan qu’elle dresse, la Commission européenne (2011, 11) constate que « l’objectif intermédiaire collectif

pour 2010 de 0,56% n’a pu être atteint : l’UE et ses États membres n’ont

pas dépassé les 0,43% ».

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

14

Cette lourdeur préoccupe la Commission européenne (2010, 9) qui en

appelait en 2010 à « l’adoption par l’UE d’une approche globale

permettant d’accélérer les progrès vers la réalisation des OMD fixée à

2015 et de consolider les avancées réalisées de façon à en assurer la pérennité». Si le contexte de crise actuelle peut expliquer ce

ralentissement, il faut convenir avec la Commission européenne (2011,

12) que, « dans ces conditions, il faudrait environ 25 ans pour atteindre l’objectif de 0,7% de l’APD/RNB. Pour respecter les 0,7% prévus pour

2015, il faut considérablement intensifier les efforts, ce qui n’est peut-être

pas réaliste compte tenu de la conjoncture économique actuelle ».

Le dialogue et le respect des engagements mutuels pourra amener les partenaires à se souvenir d’une disposition que contenait déjà Lomé IV

(article 5) et que reprend l’article 9.1 de l’Accord de Cotonou, selon

laquelle le développement doit être « durable, centré sur la personne humaine, qui en est l’acteur et le bénéficiaire principal, et postule le

respect et la promotion de l’ensemble des droits de l’Homme ». De ce

fait, l’imbrication de cet engagement, et donc de la coopération au développement dans les autres politiques de l’Union européenne, va de

soi, surtout si l’on se souvient que certaines de ces autres politiques

(santé publique, environnement, etc.) exigent déjà, de par leur propre

fonctionnement, d’être prises en compte lors des mises en œuvre respectives des autres.

L’enjeu de la coopération entre l’Union européenne et le tiers-monde

ne peut se limiter au seul développement économique, elle doit aussi exprimer la capacité de l’Union européenne à favoriser la paix à

l’intérieur et entre les pays du Sud. Par conséquent, petit à petit est

apparue et s’est imposée, quelquefois d’ailleurs à la demande des États

tiers eux-mêmes16

, la notion de conditionnalité de l’aide communautaire au développement, dans l’optique du respect de l’Homme qui en est

l’acteur et le bénéficiaire. De ce fait, l’Union européenne a la possibilité

de réduire, ou de suspendre, son aide, en cas de violations caractérisées des droits de l’Homme. Pour elle, « il ne saurait y avoir de

développement sans démocratie ! Démocratie politique et démocratie

économique ou «démocratie de marché» » (Lebullenger, 1994, 644). Un lien permanent relie donc le développement et la démocratie dans la mise

en œuvre de la politique de coopération au développement.

À propos de conditionnalité (Delaplace, 2001 et Lebullenger, 1994,

645), les mesures de conditionnalité punitive exigent, quant à elles, beaucoup de précautions dans leur utilisation. Elles permettent à l’Union

de réduire, ou de suspendre, son aide à destination du pays ayant procédé

16 Ceux d’Amérique latine ont exigé l’insertion d’une clause démocratique.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

15

à des violations caractérisées17

des droits de l’Homme, encore que ces

termes semblent relatifs parce que rien n’indique dans quelles

circonstances et à quel moment on sera en présence de telles violations !

D’une manière générale, en cas de refus de collaboration, ou si les consultations n’aboutissent pas à une solution acceptable, des « mesures

appropriées » doivent être prises. Il est précisé (art. 96 alinéa 2 point b)

que par mesures appropriées, il faut entendre celles qui sont « arrêtées en conformité avec le droit international » et qui doivent être

« proportionnelles à la violation ». Une préférence sera accordée aux

mesures qui perturberont le moins l’application de l’accord, sachant que

la solution ultime est la suspension de l’accord fautif18

. Fin 2008, le Fidji et la Mauritanie ont été concernés par la procédure de l’article 96 de

Cotonou préalable à la suspension de l’aide. Encore que, comme le dit

Rocard (2001, 59 et 61), la mise en œuvre de cette conditionnalité fait apparaître que « les sanctions ne sont que pour les plus petits [États] » et

qu’elles « punissent davantage les peuples que les dirigeants coupables ».

Et même lorsque l’Union européenne et ses États évoquent la compétence universelle pour poursuivre les dirigeants africains auteurs

d’actes criminels, « les États africains estiment qu’ils ont singulièrement

été la cible de procédures consistant à mettre en accusation et à arrêter

leurs responsables et que l’exercice de la compétence universelle par les États européens est politiquement sélective à leur détriment » (Conseil de

l’Union européenne, 2009, 35). À cela, les experts européens répondent

que « les poursuites pénales engagées à l’encontre de responsables d’États africains sur la base de la compétence universelle ne représentent

qu’une fraction du nombre total de procédures dans lesquelles les États

membres de l’UE exercent cette compétence. Des poursuites ont été

engagées ou des plaintes déposées à l’encontre de ressortissants, qu’il s’agisse de personnalités publiques ou non, d’États de la plupart des

autres régions du monde » (Ibid., point 40, 37).

17 Un des inconvénients de la réduction de l’aide en cas de « violations

caractérisées », c’est que dans l’hypothèse où l’État récalcitrant est un des pays dits les moins avancés, ce sont les citoyens les plus démunis de cet État qui seront frappés par

cette mesure. Cela relativise sensiblement la prise en compte du facteur social dans cette coopération. On pourrait aussi se demander ce que deviendrait la conditionnalité dès lors que des grands intérêts économiques seraient en jeu, dans cette conjoncture où la mondialisation exige toujours plus de compétitivité ? Ne faudrait-il pas, dans ce contexte, faire appel à l’éthique de responsabilité, notion chère à Weber (1993, 172), de part et d’autre des partenaires de cette politique ? Le but étant d’éviter que ce même homme que l’on a bien voulu mettre au centre, ne s’y trouve malgré lui que pour subir les conséquences d’une politique dont il ne connaît, pour la majeure partie, ni les tenants ni

les aboutissants. 18 Une procédure analogue existait déjà sous Lomé IV Bis (art 366bis). Voir à ce

sujet, Parlement européen (1995, 25).

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

16

Aujourd’hui, on fait de moins en moins référence à la conditionnalité

de l’aide, même si elle n’a pas disparu. Les Objectifs du Millénaire pour

le développement appellent à la recherche de l’efficacité. Des solutions

sont proposées, telle que l’aide ou l’appui budgétaire : « il permet de fournir des volumes d’aide plus importants d’une manière plus

prévisible ; en outre, comme il sert à financer la stratégie nationale de

développement du pays partenaire, il tend à renforcer l’appropriation de l’instrument d’aide par ce dernier. Octroyé par le canal du budget

national, il est susceptible de favoriser l’amélioration de la gestion des

finances publiques (GFP) par le pays partenaire et de renforcer

l’obligation de rendre compte sur le plan national » (Cour des comptes européenne, 2010, 6).

On oppose habituellement l’aide budgétaire, le plus souvent octroyée

au fonctionnement, à l’aide projet, « productive », s’inscrivant dans des programmes, se traduisant par la création d’emplois, la valorisation de

productions nationales…. L’aide budgétaire serait le remède miracle pour

financer le développement, car des résultats positifs ont été enregistrés dans certains pays « disposant de stratégies de lutte contre la pauvreté tels

que le Burkina Faso, le Ghana, le Mozambique, l’Ouganda et le

Rwanda » (Commission européenne, Europaid, 2008, 5) du côté ACP. En

dépit de ses avantages, l’appui budgétaire, ou du moins l’efficacité de sa gestion par la Commission européenne, « comporte encore des

faiblesses » (Cour des comptes européenne, 2010, 7)19

qui réduisent

sensiblement son efficacité. Le respect des engagements passe aussi par le déliement de l’aide de

l’Union aux ACP. Jusqu’à présent, cette aide était liée, c’est-à-dire

« accordée sous réserve que le bénéficiaire l’utilise pour acheter des biens

et services à des fournisseurs situés dans le pays donateur ». Par conséquent, comme l’indique la Commission européenne (2002), le fait

de délier l’aide revient à ouvrir les marchés concernés à des fournisseurs

non exclusivement situés dans le pays donateur ». On évoque aussi les fonds régionaux (Braun-Munzinger, 2009,8) comme solution réaliste

pour améliorer la distribution de l’aide pour le commerce dans les ACP.

4. Différenciation et régionalisation

19 Pour les détails sur les recommandations de la Cour des comptes, voir ses

conclusions, pp. 73 et ss.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

17

Les effets de la mondialisation et de la globalisation de l’économie

croisés avec les objectifs futurs de l’intégration européenne et les

difficultés auxquelles l’Union et ses États membres font face

actuellement, ont conduit les partenaires européens des ACP à opter pour une nouvelle politique de coopération. Sans évoquer ouvertement un

désengagement de l’Union et de ses États, le nouvel accord de partenariat

apporte des indications qui mettent fin aux « privilèges » du système de Lomé. Aux termes de l’article 2 §1 premier alinéa, il est dit que « les

modalités et priorités de la coopération varient en fonction du niveau de

développement du partenaire, de ses besoins, de ses performances et de

sa stratégie de développement à long terme. Une importance particulière est accordée à la dimension régionale ».

La différenciation et la régionalisation indiquent assez clairement la

nouvelle philosophie de la politique européenne de développement pour le 21

ème siècle. À ce sujet, la Commission européenne

20 souligne

d’ailleurs que « l’approche régionale et l’existence de partenariats

multiples avec des groupes de pays doit devenir un atout et non une entrave à l’harmonisation des activités d’appui au développement ». Il

sera accordé plus d’aide à ceux qui en ont besoin et qui sont dotés d’une

infrastructure capable de favoriser leur développement et leur intégration

dans l’économie mondiale. Cela ne se fera, comme l’indique la Commission, qu’en prenant en compte certains indicateurs socio-

économiques et de pauvreté. Ces indicateurs ou ces critères ont été

négociés21

entre les partenaires en vue d’une évaluation conjointe. On y retrouve, par exemple, ceux qui permettent de mesurer la performance du

partenaire ACP bénéficiaire de l’aide, tels que : l’état d’avancement des

réformes institutionnelles ; l’utilisation des ressources ; la mise en œuvre

effective des opérations en cours ; l’atténuation ou la réduction de la pauvreté ; les mesures de développement durable, et la performance des

politiques macro-économiques et sectorielles grâce aux appréciations du

FMI. Ces critères favorisent une responsabilisation des États ACP qui

doivent, désormais, prendre leur destin en main s’ils veulent bénéficier

d’une aide de leurs partenaires européens. Dans son Livre vert sur les relations UE-ACP à l’aube du 21

ème siècle, la Commission européenne

(1996, 51) constate que « la diversité des situations des pays ACP impose

de moduler la politique de coopération. Tous ne peuvent s’engager dans

un partenariat politique et économique standardisé avec l’UE… La

20 Commission européenne, DG Développement, La politique de développement de la

Communauté européenne, 24 novembre 2000, p. 22. 21 Voir à ce sujet, Commission européenne, DG Développement, 2000 Le nouvel

accord de partenariat ACP-UE. Aperçu général, Information et communication, p.12.

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

18

différenciation des politiques et des modalités de coopération est devenue

indispensable pour des raisons d’efficacité ». Il faut rappeler que le

groupe ACP n’est, à proprement parler, ni un groupe politique, ni un

groupement économique des États ACP. C’est un rassemblement des États avec lesquels les pays européens ont eu des relations historiques

(colonisation). À une époque, il a paru intéressant, sans doute pour les

deux parties, de faire évoluer ces relations dans un cadre unique. Toutefois, l’hétérogénéité des situations respectives des ACP a fait que

l’on a abandonné cette option, notamment en matière économique et

commerciale, au profit d’une différenciation et d’une régionalisation.

Celles-ci peuvent aider à mieux considérer et à évaluer les besoins des populations intéressées et ainsi à adapter l’offre à la demande.

Par ailleurs, la logique commerciale et les règles de l’Organisation

mondiale du commerce, sous-tendues par le profit, commandent de mettre fin au système de préférence généralisée accordée par l’Union

européenne et ses États membres aux États ACP. Les seuls bénéficiaires

potentiels dans le futur seraient les États ACP qualifiés de pays pauvres très endettés (PPTE) ou de pays les moins avancés (PMA), selon les

critères des Nations unies. La tendance actuelle de la coopération au

développement, confirmée par la déclaration du Caire22

, est que l’aide

européenne favorise les initiatives africaines en matière « d’intégration et de coopération régionales »

23.

Si l’objectif reste louable en soi, on ne peut s’empêcher de constater

que, cinquante ans plus tard, il apparaît que tout ce qui a été fait n’a pas donné les résultats escomptés. Parmi les explications, on peut citer les

trois causes structurelles relevées, en 2001, par un rapport de la Cour des

Comptes européenne (2000, 423) sur les 6, 7 et 8ème

FED : la

programmation et la conception déficientes des projets, les procédures lourdes et les faiblesses institutionnelles des administrations nationales

ACP. L’autre explication demeure la double démarche de l’Union et de

ses États membres. C’est ainsi que surgissent, de temps en temps, des frictions entre les objectifs poursuivis par l’Union européenne et les

intérêts politico-stratégiques d’un de ses États membres dans le pays

ACP. Cela conduit soit à une paralysie des mécanismes de l’aide, soit à un laisser-faire, se traduisant pratiquement par le soutien des régimes

corrompus et non respectueux des droits de l’Homme. Cette

« concurrence » entre l’Union et ses États, profite au régime en place qui,

en dépit des discours et des intentions de bonne volonté pour déployer

22 Déclaration du Caire, Sommet Afrique-Europe, sous l’égide de l’OUA et de l’UE,

Le Caire, 3-4 avril 2000, point II. 23 Déclaration du Conseil et de la Commission sur la politique de développement de la

Communauté européenne, réf. 13458/00 du 16 novembre 2000.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

19

des efforts dans le sens souhaité (développement), n’entreprend aucune

action susceptible de faciliter la vie de l’Homme, du citoyen ACP,

destinataire de l’aide. Il paraît nécessaire que la volonté politique des

États membres24

se conjugue avec les efforts des institutions telles que la Commission, la Cour de justice et le Parlement européen.

L’Union européenne et ses partenaires ACP ont lancé le 27 septembre

2002 un cycle de négociations25

qui devait se terminer en décembre 2007 en vue de conclure les nouveaux accords de partenariat économique

(APE). Ces futurs accords commerciaux devraient être compatibles avec

les règles de l’Organisation mondiale de commerce26

(OMC) sur la libre

circulation des marchandises car la dérogation couvrant les préférences de Cotonou devait expirer le 31 décembre 2007. Mais, compte tenu des

difficultés des Etats ACP à mettre en œuvre la libéralisation exigée par

l’OMC, l’échéance de 2007 n’a pas été tenue. Néanmoins, des négociations ont été entamées pour six APE : quatre en Afrique (Afrique

de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique orientale et australe, et SADC

(Communauté de développement de l’Afrique australe)), ainsi qu’un APE pour le groupe Caraïbe et un pour les pays du Pacifique.

Ces APE rentrent dans le cadre de la Déclaration de Lisbonne27

qui a

jeté « les bases du nouveau partenariat stratégique d’égal à égal entre

l’Afrique et l’UE ». Ces partenariats28

couvrent les domaines tels que la paix et la sécurité, la gouvernance démocratique et les droits de

l’Homme, le commerce et l’intégration régionale, la réalisation des

OMD, l’énergie, ainsi que la science, la société de l’information et l’espace. « Les pays ACP sont encouragés à l’intégration économique

avec leurs voisins, premier pas dans le sens de leur intégration mondiale,

tandis qu’un plus fort pourcentage de l’aide sera consacré à l’édification

d’institutions et à la bonne gouvernance » (Commission européenne, 2007a, 10). Dans ce contexte, il est urgent de clarifier les rapports entre

les institutions créées par l’Accord de Cotonou, celles de l’UA et enfin

celles des APE et de préciser les liens entre l’Accord de Cotonou et les

24 En fait de volonté politique, il est intéressant de noter, par exemple, que chaque État

membre (ex-métropole des colonies) essaie de défendre l’intérêt de ses anciennes colonies : « C’est toujours le pays le plus concerné par la négociation en cours qui oriente

le choix communautaire », Ayberk, cité par Joly (1991, 228). 25 La Documentation française : Dossier sur les accords de partenariat économique,

disponible en ligne sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/developpement-pays-

acp-index.shtml/developpement-pays-acp-accord-partenariat-economique.shtml 26 En ce sens, voir Hagueneau-Moizard et Montalieu (2004, 69). 27 Cette déclaration a été adoptée à la clôture du deuxième sommet UE-Afrique des 8

et 9 décembre 2007 par les chefs d’État ou de gouvernement de 53 pays africains et des 27 États membres de l’UE.

28 http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/r13009.htm

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

20

APE. Les Caraïbes sont pour l’instant la seule région ACP à avoir signé

(signant) un APE régional avec l’UE. Si les APE peuvent présenter des

avantages en termes d’efficacité, il faudrait que leur signature

n’intervienne que dans des pays qui disposent des infrastructures appropriées capables de supporter la concurrence des produits européens,

ce qui n’est pas le cas de la majorité des États ACP. La difficulté est que

ces APE font considérablement évoluer la nature des relations entre l’UE et les ACP. Il semble que l’objectif ultime est de remplacer l’Accord de

Cotonou par les APE, afin de favoriser le libre-échange, conformément

aux exigences de l’OMC qui a demandé la suppression des préférences

généralisées accordées par l’UE aux produits ACP. Cette suppression risque de déstabiliser les économies africaines déjà bien malmenées

29.

C’est ainsi que le ministre nigérian du commerce et de l’industrie,

Chief Achike Udenwa, s’adressant à la commission sénatoriale du commerce

30, a indiqué que le Nigéria « ne signerait pas d’APE avec l’UE

car son impact serait négatif pour son pays ». Dans le même ordre d’idée,

un journal sénégalais « Walf Fadjri » du 6 mai 2009, indiquait qu’au fur et à mesure que la date (butoir pour la signature d’un APE UE-Afrique de

l’Ouest) du 30 juin 2009 s’approchait, « l’Afrique craignait pour son

intégration régionale ». À ce jour, les négociations de cet APE sont

toujours en cours31

.

L’Union africaine a également souligné que les Accords de partenariat

économique avec l’Union européenne ne doivent pas compromettre les efforts destinés à l’intégration du continent africain. Et le vice-président

29 Des candidats communistes, écologistes, MODEM et socialistes français aux

élections européennes de 2009, ainsi que des ONG, ont dénoncé les APE de l’UE avec les ACP ; voir http://www.latribune.fr/actualites/economie/union- europeenne/20090519trib000377862/des-candidats-aux-europeennes-denoncent-les-accords-de-partenariats-entre-lue-et-les-pays-en-developpement.html.

30 « The minister said any free trade agreement between Africa and EU is bound to have negative impact on the economy of the latter because "What do we export to

Europe ? If you look at it, we can only export primary products which cannot even compete favourably. What will happen is that they will flood our market with manufactured products and our industries will not be able to compete with them. This will lead to creation of employment in Europe and unemployment in Africa. Chief Udenwa said Nigeria must be cautious in signing such agreement adding that, "We are ill prepared to compete with EU in a free trade environment. We have to be very careful because what amount of export can we make to Europe ? That is why we fear to sign the agreement." » http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=15004&lang=fr.

31 En Afrique de l’Ouest, seuls le Ghana et la Côte-d’Ivoire, ont paraphé l’accord provisoire en 2007. Voir, http://ec.europa.eu/trade/creating-opportunities/bilateral-relations/regions/west-africa/

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

21

de l’UA, Erastus Mwencha, convenait32

que l’intégration régionale était

importante pour les pays africains afin de créer un marché plus grand :

« quoi que nous fassions, que ce soit dans le cadre de l’OMC ou des

APE, il ne faut pas compromettre notre propre intégration. C’est un souci que nous avons à propos des APE. S’ils rendent difficile l’intégration de

l’Afrique, nous devons y réfléchir à deux fois ». Il y a, par ailleurs, lieu

de s’interroger avec Jean-Loïc Baudet33

, « sur l’opportunité des accords de libre-échange entre les deux partenaires alors que, dans le cadre de

Doha, les certitudes néo-libérales sont ébranlées et remise en question ».

Lors de la 22e session de l’Assemblée parlementaire ACP-UE tenue à

Lomé au Togo du 21 au 23 novembre 2011, le secrétaire général du groupe ACP, Dr Mohamed Ibn Chambas

34, et l’Assemblée parlementaire

ACP réunie en plénière, ont appelé l’Union européenne à plus de

« flexibilité » dans les négociations des APE. Au niveau de l’Union européenne, c’est le règlement 1528/2007 du Conseil

35 du 15 décembre

2007 qui applique aux produits ACP les régimes prévus dans les accords

établissant, ou conduisant à établir, des accords de partenariats économiques, conformément aux exigences de l’OMC afin de favoriser

l’intégration régionale et l’intégration progressive des économies des

ACP dans le système commercial mondial.

« Quelques députés ont interrogé la Commission sur sa proposition de révision de ce règlement qui exclurait de son champ d’application les

pays ACP n’ayant pas pris les mesures nécessaires à la ratification et à la

mise en œuvre de leur accord à compter du 1er janvier 2014 ». Dans sa

réponse, la Commission36

a souligné que les modifications proposées ne

« visaient absolument pas à forcer la main de nos partenaires [ACP] pour qu’ils signent des APE». Selon la Commission, cette modification a deux

objectifs : établir l’équité entre les pays ACP qui auront respecté leurs

engagements au titre des APE et les autres, d’une part ; et améliorer la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. Quant à la critique

sur la flexibilité, la Commission a répondu que « en plus des concessions

déjà faites sur les dispositions relatives aux taxes à l’exportation et aux

mesures de sauvegarde, elle continuerait à faire preuve de souplesse dans le cadre des discussions qui ont été engagées, mais qu’elle devait veiller à

32 Interview à Zambia Daily Mail, Lusaka, 13 mai 2009. 33 http://www.afrique-demain.org/europe-afrique-104-accords-de-partenariat-

economique 34 Communiqué de presse du secrétariat des pays ACP du 19 novembre 2011,

http://www.acp.int/fr/content/news-acp-parliamentarians-urge-flexibility-epas-protection-development-funds.

35 Journal officiel de l’Union européenne, L348 du 31 décembre 2007, pp.1-154. 36 Melissa DALLEAU, « Le point sur les APE », in Eclairage sur les négociations,

numéro 9, Volume 10, décembre 2011, p.14.

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

22

ce que sa position contribue, dans les faits, à parvenir à un accord »

(Ibid.).

Par ailleurs, et plus généralement, il est également nécessaire de

rendre plus efficace la pratique de bureaux d’études : l’ancien premier ministre belge, alors député européen, Léo Tindemans

37 voyait « un autre

danger dans la procédure employée par les ACP pour présenter leur

dossier en utilisant les bureaux d’études installés à Bruxelles. Finalement, disait-il, Lomé sert à financer les bureaux d’études européens ! ». On ne

peut pas dire que cette pratique soit exclusivement réservée aux ACP :

tout État tiers qui veut faire aboutir son dossier auprès de l’Union

européenne doit passer par un bureau d’études installé à Bruxelles. Une mise en œuvre concrète du souci de cohérence et d’articulation

affiché est nécessaire afin de permettre à la politique de coopération de

l’Union européenne de demeurer le modèle dans ce monde en mutation. Cette coopération au développement doit aspirer à « l’intérêt global des

peuples partenaires, d’autant que [l’Union] constitue de plus en plus un

pôle d’attraction non seulement par l’aide qu’elle est capable de fournir aux pays du tiers-monde, mais aussi par l’espoir qu’elle offre d’une union

équilibrée et librement consentie entre pays » (Benoit, 1989, 23).

Implicitement, il appartient à l’Union de montrer que cette coopération

n’est pas seulement économique. La Commission européenne saura, en vertu du traité (art.210§2 traité de Lisbonne ex-180§2 TCE) prendre toute

initiative appropriée en ce sens.

Du côté africain, il y a une avancée significative en matière de régionalisation, avec l’engagement pris à Kampala en octobre 2008 par

trois communautés économiques régionales (CER, voir Mackie et al.

2009, 8), la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC), la

Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et le Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA) de fusionner dans

deux ans pour créer une zone de libre-échange38

. Et plus globalement,

depuis 2003 l’Union africaine prend de plus en plus place sur la scène internationale. Il est donc souhaitable que les partenaires africains

puissent enfin définir concrètement le rôle de cette institution dans les

rapports avec l’UE. Ils pourraient doter l’UA de tous les outils nécessaires afin d’en faire un partenaire en mesure de traiter d’égal à égal

avec l’UE. D’autant plus que parmi ses objectifs l’UA doit,

conformément à l’article 3 de son Acte constitutif, « promouvoir et

37 Dans un entretien qu’il nous avait accordé le 17 mai 1995 au Parlement européen, à

Strasbourg. 38 Un groupe de travail a été mise en place sous la direction de Sindiso Ngwenga,

secrétaire général du COMESA. La dernière réunion en date du forum tripartite de

négociation s’est tenue à Livingstone, en Zambie, en février 2013.

LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

23

défendre les postions africaines communes sur les questions d’intérêt

pour le continent et ses peuples ; favoriser la coopération internationale,

en tenant dûment compte de la Charte des Nations unies et de la

Déclaration universelle des droits de l’Homme ».

Conclusion

Depuis quelques temps, les relations ACP-UE font face à de nouveaux

enjeux internes et externes tels que l’intégration régionale, les

négociations des APE, l’émergence de l’Union africaine et d’autres

processus globaux (OMC) : « Le groupe ACP va devoir trouver un équilibre entre, d’une part, la montée en puissance de ses organisations

collectives (UA et CER), et d’autre part la nécessité stratégique de rester

une force de négociation face à l’UE. Certaines régions, notamment le Pacifique et les Caraïbes, s’inquiètent de la place qui pourrait être

accordée à l’UA dans le texte résultant de la dernière révision de

l’Accord de Cotonou »39

intervenue en 2010. Le nouvel article 6 de l’Accord précise que les acteurs de la coopération comprennent les

autorités publiques (locales, régionales et nationales), ainsi que les

parlements40

des États ACP, les organisations régionales ACP et l’Union

africaine et les acteurs non étatiques. On constate que l’Union européenne semble privilégier un recentrage

de ses rapports avec ses homologues continentaux et régionaux (Union

africaine, Amérique latine et Caraïbes, Union pour la Méditerranée). Il faudra alors clarifier l’avenir de l’Accord de Cotonou, dans une période

caractérisée par des changements internes de part et d’autres de la

Méditerranée (crise de la zone euro, printemps arabe). En effet, « ces

bouleversements font craindre le déclin du groupe ACP, voire sa disparition après 2020 » ECDPM, 2008,18). Par ailleurs, la clarification

est aussi nécessaire depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne

(2009) qui prévoit un nouveau dispositif en matière de relations extérieures (nomination d’un Président de l’Union, instauration d’un

service européen d’action extérieure, inaudible durant les crises

tunisienne et égyptienne, voire plus généralement sur le printemps arabe, etc.).

39 Mackie et al., 2009, 13. 40 On peut s’interroger sur les motivations qui ont conduit les partenaires à

préciser, dans cet article, que les parlements nationaux des ACP faisaient aussi

parties des autorités publiques, comme s’ils en étaient exclus. Une recherche de

parité aurait nécessité la réciproque au niveau des États membres de l’UE. Cette

annexion semble inutile car il y a déjà une instance qui permet la participation

des parlementaires de deux camps : l’Assemblée parlementaire paritaire.

L’INTÉGRATION INTERNATIONALE DE L’AFRIQUE

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En définitive, c’est de la capacité de ses partenaires à développer un

véritable dialogue politique, fondé sur des principes et des valeurs à

dimension universelle, que dépendra le succès de cette nouvelle formule

de coopération au développement, qui demeure, à n’en point douter, un modèle original de relations Nord-Sud. Pour atteindre leurs objectifs, ces

relations, doivent dépasser la phase d’annonce de bonnes intentions, car

« le fait de ne pas donner à un individu le droit à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, au travail, [est] aussi une violation des droits de

l’Homme qui peut ralentir le processus »41

. Il appartient donc à ce

nouveau partenariat de faire ses preuves, en commençant par là où la

convention de Lomé a échoué, c’est-à-dire, favoriser l’émergence et promouvoir les facteurs endogènes du développement dans les pays ACP.

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LE NOUVEAU PARTENARIAT ACP-UNION EUROPÉENNE

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Résumé

Depuis la fin de l’Union soviétique, le monde est dans une période

transitoire dont l’issue reste imprévisible. Tout porte à croire qu’il y a un

basculement du monde sur son axe, au détriment de l’Occident et au profit de l’Asie. Cinquante deux ans après les indépendances des Etats

africains, et au moment où le monde entier est soumis aux affres de la

crise économique et financière, on observe que sur les quarante huit pays les moins avancés au monde, trente neuf sont dans la zone ACP. Sans

chercher les liens de causalité, il est question d’examiner la « nouvelle »

orientation de la coopération au développement de l’Union européenne

en direction des pays ACP. Dans le but de favoriser l’intégration internationale de l’Afrique, un

appel est lancé aux partenaires de cette extraordinaire relation (ACP-UE)

pour une refondation totale de ce partenariat. Pour ce faire, une analyse des fondements actuels de cette coopération européenne au

développement pour le XXIe siècle est proposée. Ces fondements sont

donnés par l’article 2 de l’Accord de partenariat ACP-UE, signé à

Cotonou au Bénin, le 23 juin 2000, pour une durée de vingt ans, avec une clause de révision et un protocole financier de cinq ans.

Dès l’origine, en effet, les relations ACP-CE, ont pour objectifs de

« promouvoir et d’accélérer le développement économique, culturel et social des États ACP et de contribuer à la paix et à la sécurité et de

promouvoir un environnement politique stable et démocratique ». Par

ailleurs « le partenariat est centré sur l’objectif de réduction et, à terme, d’éradication de la pauvreté, en cohérence avec les objectifs du

développement durable et d’une intégration progressive des pays ACP

dans l’économie mondiale » (art. 1er Accord de Cotonou).

CV

Léonard MATALA-TALA, Maître de conférences de Droit public,

Université de Lorraine. Membre de l’IRENEE (Institut de recherches sur l’évolution de la Nation et de l’Etat) : [email protected]

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