Le « mythe » du Barbare. Déchéance d’un concept : époque contemporaine et Antiquité.

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ACFAS Le mythe du « Barbare ». Réflexions sur la déchéance d'un concept: époque contemporaine et Antiquité.

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Le mythe du « Barbare ». Réflexions sur la déchéance d'un concept: époque contemporaine et Antiquité.

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Le Barbare cruel est une notion moderne, postérieure en tout cas aux vagues germaniques dont la Furor Barbaricus entraîna la chute de l’Empire romain.

M.-F. Baslez L’étranger dans la Grèce antique, 1984, p. 201.

Rien de plus compliqué qu’un Barbare.

G. Flaubert Lettre à Sainte-Beuve, décembre 1862 (cité dans R.-P. Droit, 2007)

Époque contemporaine:

a) Introduction

Je dirai d’abord que l’inspiration pour ce texte m’est venue après avoir lu le livre de

Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Il s’agit d’un livre qui se veut une étude des

conflits contemporains dans lequel l’auteur utilise le concept du « Barbare » pour y

montrer celui qui est dépourvu d’humanité. Il en donne d’ailleurs une définition: « [...]

sont barbares ceux qui ne reconnaissent pas la pleine humanité des autres. »1 L’auteur s’est

approprié un vieux terme, a limité sa signification et s’en sert comme outil. J’ai cru

déceler dans cet usage un problème important et de là est née cette théorie qui n’est encore

qu’un ébauche et que j’ai décidé de tester ici.

C’est pour mon champ d’expertise que j’ai une inquiétude quant à l’utilisation de

ce concept d’une façon aussi univoque et catégorique chez les experts d’aujourd’hui.

Todorov ici fait porter tout le blâme aux « Barbares » puisque ce sont eux qui sont les

fautifs en ne reconnaissant pas que les autres aussi sont des hommes. Ce « Barbare

contemporain » n’est pas le même que le « Barbare antique », bien qu’on retrouve une idée

similaire chez bien des auteurs qui se veulent les héritiers de Gibbon ou de Montesquieu2.

Pour ne donner qu’un exemple dans la masse, Peter Heather a publié un livre en 2010 qui

s’intitulait Empire and Barbarians: the Fall of Rome and the Birth of Europe. Ce livre est

son 2e avec un titre semblable depuis les années 2000.

1 Todorov 2009: 38-39. 2 Voir Lloyd (1990: 250) qui fait une remarque similaire. 2 Voir Lloyd (1990: 250) qui fait une remarque similaire.

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Je suis plutôt d’avis que c’est notre modernité, notre monde d’aujourd’hui nous

présente le « Barbare » comme un être forcément mauvais. De là, je crois, et c’est mon

hypothèse, on a fait du « Barbare » le destructeur des « civilisations »3 antiques.

Le « Barbare » d’aujourd’hui doit détruire, en d’autres mots; il n’y a de place que

pour une lecture unilatérale du « Barbare » comme étant celui dont il faut se protéger au

risque de disparaître soi-même4. Cette image est bien moderne5. On peut se référer au

Oxford Classical Dictionnary (2003: 233) pour y lire que les Grecs et les Romains n’ont

jamais vraiment perçu les « Barbares » que comme des êtres mauvais. Sûrement pas, en

tout cas, comme des hommes d’une grande cruauté, tels que le définissent en première

place le Petit Larousse illustré (2005: 143) et le Multi-dictionnaire de la langue française

(4e éd. 2003: 165). Le Nouveau Petit Robert (2000: 217), nous donne le sens de cruel,

féroce, dur, etc. On n’y cite pas les gréco-romains en référence, mais bien Voltaire!

Je dirais donc que l’emploi du concept du « Barbare » est fait de façon tout à fait

artificielle6. Montaigne disait déjà que « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son

usage »7. J’irais même plus loin: le « Barbare » aujourd’hui est réduit à deux images ou

3 Je suis conscient de l’anachronisme ici : le mot « civilisation » est assez jeune (datant de 1757 selon Todorov 2008: 49). Nadine William (2008: 330) en donne une définition assez simple : « ... le concept de Zivilisation – au sens d’une organisation de la vie élaborée et techniquement perfectionnée – s’oppose à celui de Kultur, conçu comme l’ensemble des formes d’expressions intellectuelles et artistiques d’un peuple. » Bien sûr, elle n’est pas la seule à en donner le sens, mais la liste serait trop longue pour les répertorier tous. Enfin, tout cela pour dire que je suis conscient que les Grecs et les Romains ne possédaient peut-être pas une « culture » au sens où on l’entend aujourd’hui et cela va aussi pour « civilisation ». Pourtant, Todorov (2008: 47) donne la définition de la culture, selon Lévi-Strauss, comme étant : « toutes les attitudes ou aptitudes apprises par l’homme en tant que membre d’une société »; les Grecs et les Romains en avaient donc forcément une selon cette définition. Enfin, voir Simon Gunn (2006: 54-81) pour une bonne discussion de ce concept. 4 Rattansi 1999: 36-37. Rattansi ne traite pas des « Barbares » comme tels, mais il mentionne que l’identité européenne fut forgée au long des conflits coloniaux et poussée par ses désires impérialistes en détruisant « l’autre », ce qui revient à parler du « Barbare » selon moi (si l’on est prêt à admettre que c’était les Européens dans ce cas-ci qui se comportaient alors comme des « Barbares »). À titre informatif, Marie Françoise Baslez (1984: 183) nous indique que l’image du « Barbare » brutal n’a pas été la première interprétation qu’en ont faite les Grecs. Ils étaient avant tout intéressés par le « Barbare » pour son étrangeté. Baslez (1984: 184) remarque aussi que nous utilisons ce vocable pour désigner des gens que nous rejetons, alors que les Grecs s’en servaient pour décrire des groupes avec qui ils avaient une relation. Chez les Romains, ont y voit un être inférieur, mais pas nécessairement brutal. Assez souvent, je dirais, le « Barbare » ne désigne que l’ennemi dans la bataille, sans autre forme péjorative qui lui est attachée (infra : 9-13). 5 R.-P. Droit en fait un survol admirable dans son livre Généalogie des Barbares (2007). Il termine ce livre en examinant l’œuvre des grands penseurs comme Nietzsche, Freud, etc. en soulignant le caractère brutal du « Barbare » qui semble ressortir chez la majorité (cf. pp. 245-260). 6 Shongedza 2005: 137. 7 Droit 2007: 272.

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deux idées bien définies: l’une est celle de l’ancienne brute sanguinaire (Viking, Germain,

Goth, etc.)8, l’autre est celle de l’homme dépourvu d’humanité (le tueur, le violeur, etc.),

popularisée par les régimes totalitaires des derniers siècles9. Le point important sera donc

de prendre conscience de notre biaisement moderne. En effet, il y eut bel et bien, quelque

part durant le cours de l’histoire, un renversement des caps en ce qui à trait à notre vision

du « Barbare » de sorte que l’on perdit la pluralité de sens du terme qui ne se voulaient pas

tous aussi péjoratifs qu’on l’entend aujourd’hui.

Je risque une autre hypothèse: l’image que l’on se fait du « Barbare » depuis la

révolution industrielle (au plus tard) influence directement, quoiqu’inconsciemment,

l’interprétation historique10. Comme on retient partout, et seulement, le côté destructeur du

« Barbare », l’interprétation qui reste à faire de l’évènement les impliquant, peu importe

l’époque, est déjà à moitié compromise qu’on le veuille ou non.

b) Quelques définitions d’entrée de jeu

Le « Civilisé », encore selon Todorov (2008: 40), sera « [...] en tout temps et en tous lieux,

celui qui sait reconnaitre pleinement l’humanité des autres. » Définition assez générale,

vous en conviendrez. Il poursuit en disant que cette reconnaissance se fait en deux temps :

reconnaître que les « autres » ne vivent pas comme nous, puis accepter que cette façon de

faire est aussi valable que la nôtre.

Sans vouloir nécessairement croire à un monde utopique, je crois qu’il ne serait

pas faux de dire que la mondialisation à fait en sorte que de tracer une frontière entre les

« cultures » devient de plus en plus difficile, considérant l’immixtion constante de tout un

chacun. C’est peut-être de là que vient cette définition si catégorique du « Barbare »

comme l’ennemi cruel.

Enfin, je viens de donner quelques définitions du « Barbare » selon les dictionnaires

modernes, mais voyons l’opinion d’un historien contemporain, Konrad Harrer, sur ce

concept; il le définit ainsi: 8 Schillinger 2008: 3. Il ne suffit que de faire une recherche dans Google sut le thème du « Barbare » pour s’apercevoir du nombre hallucinant d’images populaires que l’on rattache à ce concept. Arnold Schwarzenegger y apparaît d’ailleurs à plusieurs reprises sous les traits du fameux Cimmérien, Conan le Barbare, justement. 9 Claval 2005: 55-56, 58. 10 Idée tirée de Claval (2005: 51-52).

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À l’origine, le barbare est, comme on le sait, celui qui ne fait pas partie de l’espace ethnique et culturel des Grecs, puis des Romains. L’acception de ce terme s’est ensuite étendue pour désigner – et ce, dès l’Antiquité – un être manifestant un archaïsme de mœurs et une vulgarité propres à celui qui n’a pas été éduqué; éduqué, cela s’entend, suivant les normes en vigueur dans la société qui le qualifie de barbare. Le terme est utilisé surtout lorsque le comportement des barbares, de par son caractère brutal, violent, provoque la peur, lorsque l’existence même de ces êtres fait planer une menace sur la société dite civilisée.11

On voit donc l’élément violent qui ressort, encore et toujours. L’exercice pourrait être

tenté pour la plupart des érudits qui utilisent pareillement ce mot dans leurs articles et leurs

livres. À chaque fois, on y trouve l’image du « Barbare » violent, de celui qui menace

l’humanité (et certains seraient certainement portés à dire: ceux qui menacent l’Europe).

c) Discussion

Cela dit, quelle forme prend le « Barbare » d’aujourd’hui en partant de ces définitions qui

mettent à l’avant-scène cette violence? A-t-il un visage? En fait, le « Barbare »

contemporain a une quantité presque infinie de visages. C’est qu’il faut voir ici plus loin

que notre « eurocentrisme ». Entendons-nous donc aussi sur ce point: on n’échappera pas

à la généralisation dans cette étude. Il vaut la peine d’insister: le travail, bien fait,

demanderait de questionner chaque habitant du monde pour voir ce qu’il pense du

« Barbare » et surtout qui il est pour lui aujourd’hui ou même s’il croit en avoir un en tout.

« À chacun son barbare », donc12.

Malgré tout, on admet aujourd’hui que chaque groupe ou chaque société se

définissent par rapport à « l’autre », par rapport à celui que l’on considère comme

extérieur à notre monde13. Dans ce monde actuel, lorsque cet « autre » menace notre

existence il se transforme alors en « Barbare », pour reprendre une idée de Lévi-Strauss14.

11 Harrer 2008: 202. Aussi R.-P. Droit (2007: 298) : « Est barbare, toujours, ce qui ne correspond pas aux bonnes formes – de la langue, de l’éthique, de l’esthétique, de la politique, ou de la politesse, des relations humaines, de la civilisation. Barbare: ce qui contrevient aux formes que l’on juge convenables. » 12 Formule reprise de R.-P. Droit (2007), qu’il n’endosse pas. 13 Rattansi 1999: 36-37. 14 Lévi-Strauss dit que la civilisation occidentale utilisa le terme de sauvage dans le même sens que les gréco-romaines utilisaient le « Barbare », soit pour exclure de notre culture celui qui nous semble différent. (Vanderheyde 2007: 72, note 225)

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Pour dire une banalité qui n’en est pas vraiment une : comme le monde

aujourd’hui est à la fois plus multiculturel et interculturel, « l’autre » n’aura pas qu’un

visage. Ziauddin Sardar, dans son livre Orientalism (1999: 70, 107-118) donne de bons

exemples, et actuels, de l’action de démoniser « l’autre » dès qu’il semble s’opposer à la

norme (ici, bien sûr, aux Américains). Japonais, musulmans, Chinois, Arabes, etc. Tous

ceux qui sont perçus comme représentant un risque militaire, économique, culturel ou

autre se verront « orientaliser », c’est-à-dire attribuer un nombre de qualificatifs dénigrants

de façon tout à fait artificielle.

De cette façon, « l’autre » pouvant être n’importe qui en fonction du point de vue,

le « Barbare » le sera aussi. Il le sera d’autant plus qu’il n’aura pas toujours la même

allure à travers le regard d’une « nation », en ce sens que lorsqu’on dit que « les »

Espagnoles voyaient Napoléon comme un « barbare », il faut comprendre « certains »

Espagnols (et certains Français aussi!). D’autres Espagnols pouvaient très bien approuver

son entreprise, aussi improbable que cela puisse paraître (les nobles, peut-être?).

Lorsqu’on dit qu’Hitler fait parfaite figure de « Barbare contemporain » pour nous, il l’est

aussi pour un bon nombre d’Allemands (ajoutons: d’aujourd’hui, du moins). Le

« Barbare » contemporain transcende donc aussi les frontières culturelles: « Barbare »

chez les autres, et « Barbare » chez soi, parfois.

Il faut encore se conscientiser: le « Barbare » s’il est un ennemi, l’est aussi sur une

base individuelle; ce n’est pas toujours un ennemi « national » (encore faut-il s’entendre

sur ce qu’est une « nation »!). L’idée que l’on doit retenir et qui vaudra pour l’ensemble

du texte, est qu’il serait vain d’essayer de tracer un portrait-robot DU « Barbare

contemporain » par excellence. Le « Barbare » d’aujourd’hui change d’une « culture » à

une autre, d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre. On a tendance à le voir comme

l’ennemi d’un macrocosme, mais il faut plutôt le voir en terme de microcosmes (au

pluriel), je crois. Pour certains, les Hutu ne sont pas assurément des « Barbares », mais

bien des gens ne seraient pas d'accord.

Il faut aussi se rendre à l’évidence que les pires « Barbares » aux yeux de certains

seront le modèle à suivre des autres; le régime hitlérien inspire toujours certains groupes

marginaux, racistes et tout à fait inhumains, démontrant ainsi que le « Barbare absolu » et

universel à l’ensemble du monde n’a jamais existé. Il semble qu’on trouvera toujours

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quelqu’un, quelque part, pour cacher le « Barbare » sous le manteau de la « civilisation ».

De là, on passe à la « barbarie intérieure » avancée dans la plupart des études consultées

sur le sujet, tant historiennes que philosophiques15.

Bon, je crois que c’est une évidence à ce point-ci: si jamais j’avais à me choisir un

« Barbare contemporain », celui qui fait irruption dans mon esprit lorsque l’on parle de

violence extrême et gratuite, ce serait Adolf Hitler. Mais ça, c’est pour moi. Chez d’autres,

ce sera Staline, Mussolini, Ben Laden, Abdul Amid II ou les jeunes-turcs16, les Khmers

rouges, Napoléon Bonaparte17, etc. (et peut-être même toutes ces figures à la fois). Je

pourrais énumérer comme ça encore d’autres noms, mais à quoi bon? L’idée est assez

claire. Il est inutile aussi, je crois, de se pencher sur chaque cas pour voir ce que ces

hommes ou ces groupes d’hommes ont fait pour mériter le qualificatif de « Barbare »: ils

ont tué gratuitement, à nos yeux, bon nombre de civils.

L’excellent recueil de Jean Schillinger et Philippe Alexandre, Le barbare, se

penche en détail sur cette question de « barbarie contemporaine ». L’article le plus

intéressant, à mon avis et qui touche ma propre conception contemporaine de la barbarie,

est celui de Eberhard Demm: L’image de l’ennemi dans la propagande allemande et alliée

pendant la Première Guerre mondiale (pp. 249-265).

L’auteur y montre plusieurs images qu’avaient ces ennemis (Français et

Allemands, surtout) de l’un et l’autre durant la Première Guerre. On y voit les Allemands

comparés aux cannibales sur l’escalier de l’évolution civilisé, aux hommes des cavernes

ailleurs, etc. L’auteur dit aussi qu’on n’hésitait pas à comparer le Kaiser à Attila, le roi

des « Huns », pour démontrer sa « barbarie ». Il parle des soldats allemands comparés à

des « barbares » en raison des crimes inhumains qu’ils commettaient (viol, meurtres de

15 On se reportera à R.-P. Droit (2007: 245-260) qui en offre une discussion détaillée. 16 Strapélias 2007: 423. Sans mentionner directement le « Barbare », l’auteur y parle bien de xénophobie (p. 428). 17 Aymes 2005: 9-40. La « barbarie » de Napoléon est démontrée de nombreuse façon dans la propagande espagnole de l’époque. On le compare à Kengis Khan (p. 15), à un cannibale (p. 13), aux nomades des steppes (p. 15), à Sardanaple et Nabuchondosor (p. 16), à Attila et aux Vandales (p. 17), etc. Il faut noter toutefois que les Espagnols pouvaient laisser paraître une compréhension plus subtile du terme « Barbare », comme lorsqu’ils l’appliquaient aux Africains dans un sens près de « état sauvage » qui « ... va de pair avec l’innocence et l’ignorance d’une prétendue civilisation ... » (Aymes 2005: 19 et 27). On peut facilement faire le lien entre ces représentations de Napoléon et celles d’Hitler, plus de 100 ans plus tard! Les similitudes sont en effet frappantes bien que les actions soient, d’un point de vue relatif, plus condamnables chez l’un que l’autre.

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femmes et d’enfants, de prêtres, etc.). Même les femmes allemandes n’échappaient pas à la

caricature. En réponse, l’auteur nous dit que les Allemands se défendaient en maintenant

qu’ils n’étaient pas des « barbares »; ils se disaient, au contraire, plus instruits que leurs

ennemis, plus innovateurs, plus avancés technologiquement, etc. Enfin, le but des alliés en

comparant ainsi Allemands et « Barbares » n’aurait été autre que de mobiliser la

population contre l’ennemi commun:

L’image du barbare s’y prête admirablement, car le barbare n’est pas seulement dégoûtant et répugnant, il effraye et menace aussi, et les desseins représentant des barbares qui pillent, violent et assassinent ont pour but de renforcer la résistance ... contre une possible invasion par ces barbares et les conséquences qui en résulteraient.18

Ainsi, les nazis font figures parfaites de « Barbares » pour, je dirais, la grande majorité des

érudits. Mais, faut-il rappeler encore que ces « Barbares contemporains » avaient aussi

leurs propres « Barbares » qui étaient, contre toute vraisemblance, ceux qu’ils

pourchassaient? C’est difficile de voir ce que les Juifs19 (ou, pour d’autres périodes, les

Tutsi, les Arméniens et les autres victimes de tels massacres) avaient de tellement

« Barbare » qu’il devait être réduits ou, pire encore, exterminés. Ils ne qualifiaient pas

dans la « bonne » définition du « Civilisé », cela au moins est certain.

Nous en arrivons alors à une situation curieuse : ce « Barbare » du

« Barbare contemporain » est donc bien loin de notre conception actuelle de la « barbarie »

puisqu’il place, en quelque sorte, le monde « civilisé » tel qu’on le perçoit au rang de

« barbarie ». C’est un renversement complet des axes, sans pour autant que ceux qui y

sont perçus comme « Barbares » n’y sachent quelque chose. C’est pourquoi, il me semble,

l’on doit réaliser que le « Barbare contemporain » en est un, mais inconsciemment. Il

semble inutile de dire que les nazis n’étaient pas des « barbares » à leurs propres yeux20.

On est « Barbare » selon, d’après, pour ou à travers quelqu’un et non de son propre chef, à

moins de s’appeler Lucien de Samosate21.

18 Demm 2008: 261. 19 Bien qu’Hitler ne fut pas le seul à les persécuter. On n’a certes pas besoin de rappeler la longue et triste histoire des persécutions juives. 20 Todorov (2008: 64) mentionne par exemple que la plupart des officiers allemands de la Einsatzgruppen avaient fait des études supérieures. On est donc loin du « Barbare » nigaud qui a de la misère à prononcer un mot... et pourtant! 21 Hodot et Jouin 2008: 36-44.

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Si l’on s’en remet à Droit (2007: 278), certains érudits islamistes ont représenté les

occidentalisés comme des « Barbares » à l’ancienne: « On aurait donc tort de croire

disparue l’ancienne représentation des barbares: elle existe, aujourd’hui encore, dans la

tête des islamistes, et elle s’applique à nous. » Surprenant, en effet, de savoir que l’on est

classé parmi les « Barbares » dans l’esprit de certains. Bien que je ne me considère

aucunement « Barbare » et bien je le suis, malgré moi, pour quelqu’un d’autre. Encore

une fois, tout est relatif et dépend du point de vue adopté. C’est pourquoi je crois que

l’action de qualifier quelqu’un de « Barbare » me semble dépendre beaucoup moins d’une

différence culturelle, biologique, physionomique ou quoi que ce soit qu’un simple exercice

artificiel.

Droit (2007: 136), donne encore la formule suivante pour « produire » un

« Barbare »: Barbare1 = en dehors de x22. J’y vais donc de ma propre formule pour

trouver le « Barbare » du « Barbare contemporain » dans une tentative d’éclaircir ce que

l’on vient de voir: Barbare2 = en dehors de y (‘y’ étant le « Barbare contemporain » et

donc, « Barbare2 » étant bien souvent notre monde « civilisé »). Cela, bien sûr, est

toujours en théorie, puisqu’en réalité les choses sont beaucoup moins nettes. C’est donc

une évidence que le « Barbare contemporain » n’est pas un concept figé23.

« À chacun son barbare », et à chacun d’être le « Barbare » d’un autre. Comme le

dit encore Todorov (2008: 41): « Ce sont les actes et les attitudes qui sont barbares ou

civilisés, non les individus ou les peuples. » D’où, je crois, l’utilité de faire une parenthèse

sur la notion de « racisme ».

Le « racisme », il vaut la peine de le noter, était absent dans l’Antiquité24. Il faut

comprendre que le « racisme » se fonde sur une définition assez étroite, soit qu’il s’agit de

définir l’infériorité d’un groupe sur la base de caractères biologiques et physionomiques25.

22 J’ai rajouté l’indice dans la définition. 23 Shongedza 2005: 137. Lévi-Strauss disait aussi « qu’il est barbare de penser qu’existent des barbares » (cité dans R.-P. Droit [2007: 273]). 24 Voir B. Isaac (2004) pour une opinion carrément opposée à laquelle la grande majorité des antiquistes n’adhère pas, dont moi-même. 25 Ousman et Hassan-Yari 2008: 350. On note toutefois que ces auteurs (p. 351) parlent aussi du racisme postmoderne comme d’un nouveau concept ne prenant pas en compte le caractère biologique, mais plutôt celui de la culture comme point de différence. Il s’agit d’un curieux commentaire, si je puis dire, qui m’a toutes les allures d’un retour à une vision antiquisante de « l’Autre ». Selon cette définition du racisme, force est d’admettre que B. Isaac, cité à la note 22, ne fait peut-être pas fausse route avec sa thèse peu

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C’est ici qu’entrent en jeux les discours sur l’intelligence inférieure, l’aspect hideux, la

couleur de la peau, etc., que l’on oppose toujours à l’idéal type de telle ou telle société26.

On définit « l’autre » d’après ce que l’on perçoit de physiquement différent de la

norme. C’est une façon de se créer un « Barbare ». Bien entendu, les anciens esclaves

noirs d’Amérique ne cadrent pas du tout avec l’image de l’homme dépourvue d’humanité

tel qu’on l’a défini plus haut27. Les autochtones non plus. Le « racisme », ou l’invention de

la « race », fut un outil mis d’avant par l’élite d’une société pour justifier l’exploitation de

« l’autre ». C’est, je dirais, une invention tout à fait inhumaine provenant de gens qui se

disaient « civilisés ». Une invention qui a la vie longue, vous en conviendrez. La « race »

est une catégorie artificielle et dangereuse. Le régime nazi l’exploita à l’extrême avec les

malheureux résultats que l’on connait. Il faut donc réaliser que ce concept de « race »

transforma l’attribution du « Barbare », qui était déjà artificielle, en quelque chose

d’encore plus artificiel.

Antiquité:

a) Romains

Répétons l’exercice des dictionnaires pour cerner le sens du mot « Barbare », mais cette

fois pour les langues anciennes, en l’occurence βαρβάρος et barbarus.

En premier lieu, le Grand Bailly donne comme définition de βαρβάρος celui

d’étranger ou de non-civilisé. La notion de sauvagerie n’y figure pas, terme que les

« Grecs » rendaient habituellement par ἂγριος ou βαρβαρικῶς (surtout à l’époque

romaine). Quant au Grand Gaffiot, il donne a barbaria et barbaricus le sens d’inculte et

de sauvage, puis à barbarus celui d’inculte, de païen et de sauvage également. Il faut dire

populaire. On remarque encore qu’Ousman et Hassan-Yari (2008: 360) citent à plusieurs reprises Leo Strauss et sa vision justement antiquisante du racisme, reprenant presque mot pour mot le vieil adage aristotélicien (bien que ces auteurs ne le mentionnent pas!) en avançant que ce ne sont pas toutes les sociétés qui sont capables de « liberté authentique »: certaines sont faites pour obéir... Ils ciblent aussi les néo-conservateurs et leur amour des classiques où ils vont puiser leur inspiration (Ousman et Hassan-Yari 2008: 352). Il semble donc, assez incroyablement, que certains hommes d’aujourd’hui (et ici, il est surtout question de l’administration de George Bush) croient toujours qu’Aristote disait vrai en avançant que certains sont esclaves par nature (cf. Arist. Pol. 1.2.1252b 6-9)! 26 On se reportera avec intérêt à l’article de N. Chabani Manganyi, Making Strange: Race, Science and Ethnopsychiatric Discourse (1984: 152-169) qui dresse un bilan de la question en se penchant sur des figures incontournables comme Marx, Hegel, Freud, Eysenck et Jensen et sur les notions de « colonial discourse », « race science », « scientific racism », « African psychology », etc. 27 Il semble que les « civilisés » du 19e et du 20e siècle croyaient que les noirs avaient une génétique et une intelligence inférieures aux blancs (Chabani Manganyi 2005: 156, 158, 160).

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ici qu’on ne précise pas s’il s’agit d’une sauvagerie « violente » ou « près de la nature »;

les deux options sont probablement envisageables, dépendant du contexte.

Donc, si on commence par les Romains, sans compter les guerres civiles qui les

opposèrent dès l’époque de Marius et Sylla, toutes les guerres menées sur divers front et à

diverses périodes peuvent s’expliquer en terme de « Romains » contre « Barbares ». Mais

qu’est-ce donc qu’un « Barbare » pour les Romains? On devine, à ce point-ci du texte,

que la réponse à cette question ne sera pas simple.

Nous devons avant tout garder à l’esprit que le terme barbarus dans l’Antiquité

possédait plusieurs connotations28. Il était souvent synonyme d’hostilité ou d’ennemi29,

mais il renvoyait le plus souvent à une idéologie plutôt qu’à un groupe particulier. Le

« Barbare » servait principalement à définir le Romain par son comportement; il agissait

souvent comme l’antithèse du citoyen idéal et cette idée alla jusqu’à transformer le

Romain lui-même en « Barbare » dans certains cas30.

Non seulement cela, mais cette longue tradition écrite qu’était celle des Romains

poussa certains auteurs anciens à peindre une image du « Barbare » comme une bête, un

être sans raison, féroce et non-civilisé31 de sorte que, si un Romain s’était mis à la

recherche d’un « barbare » selon ces critères, il n’en aurait probablement jamais trouvé un

ailleurs que sur les monuments publics. Qui plus est, l’archéologie nous montre

aujourd’hui que l’interaction de longue date entre Romains et « Barbares » près du limes32

les rendit pratiquement indissociables l’un de l’autre33. La propagande romaine devait donc

avoir une limite dans l’esprit des habitants de cet empire immense.

Ainsi, le barbarus était quelqu’un que l’on considérait en marge de la société de

par son comportement contraire à la norme romaine. Cette norme romaine se définissait,

croit-on, par ses lois et sa langue latine. Or, cette définition plaçait sans aucun doute la

28 Chauvot 1998: 8-12. Voir aussi l’étude détaillée d’Y. A. Dauge (1981) sur le barbare durant l’Antiquité. 29 Chauvot 2008: 159. Chauvot (1998: 23) semble croire que la notion « d’opposition » à l’Empire comptait plus que celle d’extériorité pour être comptée parmi les « Barbares ». Donc, tous les gens de l’Empire, et orbitant autour, pouvaient y être comptés, tôt ou tard. 30 Ceci vient rejoindre la définition de Chauvot; il semble en effet que la « barbarie » était omniprésente dans l’Empire: n’importe qui pouvait se voir transformer en « barbare » selon son comportement (Chauvot 1998: 51, 88; Greatrex 2000: 273). Ce fut le cas de Magnence par exemple, voir Barlow (1996: 142). 31 Chauvot 2008: 158; Dauge 1981: 315, 329. 32 Terme désignant les frontières romaines. 33 Drinkwater (2007: 5-6).

11

majorité du petit peuple romain dans la catégorie de « Barbare potentiel »34. En effet, selon

des auteurs comme Apollinaire, Eunape et Orose, un Romain était avant tout celui qui

s’exprimait en latin35 et qui était soumis à des lois36.

En plus d’être très exclusifs comme définitions de la « romanité » (ou du

« Civilisé »), ces propos nous poussent à croire que les « Barbares » ne disposaient

d'aucuns de ces attributs. Or, pour prendre un exemple parmi d’autres, il serait bon de

rappeler que certains officiers « barbares » entretenaient une correspondance37 avec

quelques Romains « cultivés » et que la langue du commandement militaire était le latin38.

Ces « Barbares » enrôlés dans l’armée romaine étaient également soumis à une stricte

discipline, ce qui pourrait s’apparenter à une forme de loi romaine en quelque sorte, en ce

sens qu’ils n’y faisaient pas ce qu’ils voulaient. De ce fait, ces « Barbares » n’entreraient

plus dans la catégorie « Barbare », justement, et il faudrait alors les nommer autrement

puisqu’ils présentaient des qualités proprement romaines39. C’est aussi l’impression qu’en

donne Ammien Marcellin, lui qui ne qualifia pratiquement jamais de barbari ceux qui

étaient au service de Rome40.

Il serait bon aussi de se souvenir qu’une confiance aveugle dans les auteurs

romains pourrait mener le chercheur à des résultats discutables, ce que semble avoir fait P.

Richardot (2005: 335) en avançant que le nom de « Barbare » aurait remplacé celui de

« soldat » au courant du IVe siècle41. À ce titre, nous pouvons donner quelques exemples

du vaste éventail d’utilisations que faisaient ces auteurs grecs et romains du « Barbare » au

temps de l’Empire.

34 Whitby (2007: 151) remarque que les écrivains romains (c.-à-d. l’élite) auraient aussi considéré les paysans comme n’étant pas tout à fait Romains à cause de leur manque d’éducation. 35 Maas 2000: 306. Eunape aurait aussi été de cet avis (Rohrbacher 2002: 232). Cette nécessité à parler le latin pour être considéré Romain remontait au temps de Cicéron au plus tard (Adams 2003: 186). Voir aussi Dauge (1981: 323) qui cite Libanios pour démontrer que l’éloquence et la culture était ce qui différenciait le Romain du « Barbare ». 36 Oros. Adv. Pag. 7.43.5. 37 Elton 1996: 142; Geary 1988: 23. 38 Nicasie 1998: 114; Adams 2003: 199-200. 39 C’est ce que semble croire également Barlow (1996: 226): « From the Roman perspective, once part of the Roman army, Franks join the multitude of common soldiers and are counted as Romani. » Voir aussi Chauvot (2008: 159) et Greatrex (2000: 284, n. 64). 40 Chauvot 1998 : 387. 41 Richardot se serait trompé d’environ 200 ans dans cette interprétation du terme qui fut employé à cette fin par Grégoire de Tours. Voir, entre autres, Dauge (1981: 312) pour une opinion similaire à Richardot.

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Par exemple, Ammien Marcellin42 employa très souvent le mot barbarus pour

englober toute la multitude des gentes étrangères à l’Empire43. Eunape44 et Zosime45 ne se

gênèrent pas pour émettre de cuisants jugements « antibarbares » et à leurs yeux, la plupart

de ces hommes étaient des êtres sauvages, à peine sortis du règne animal; voici donc

l’image traditionnelle du « barbare », mais exprimée avec plus de hargne que ce qu’on

retrouve habituellement ailleurs46. Thémistios, à l’opposé, prône la philanthropie et la

patience dans les relations « romano-barbares » et considère les « Scythes » nouvellement

admis dans l’Empire comme des citoyens à en devenir47. Le Code Théodosien (3.14;

14.10.1-4) mentionne le port du costume « barbare » par les Romains, les « mariages

mixtes », etc., donnant l’impression d’échanges réciproques48. Quant à Augustin, il alla

même jusqu’à faire l’éloge des « Goths » qui mirent Rome à sac parce qu’ils étaient ariens

(branche du christianisme débutant)49. Et à ce titre, le christianisme changea l’adonne. On

n’a qu’à penser à Saint Paul qui annonçait déjà au 1er siècle apr. J.-C. que « Romains » et

« Barbares » n’existaient plus: désormais tout le monde n’était que chrétien50.

Enfin, ces quelques exemples ne sont nullement exhaustifs, mais il est quand

même assez facile d’y apprécier la diversité du « Barbare » et les différentes opinions

qu’avaient les auteurs sur ces « étrangers ». À dire vrai, tout n’est pas que noir ou blanc, il 42 Ammien aurait défini tout « barbare » par l’irrationalité, l’absence de lois, l’amoralité et la violence (Chauvot 1998: 389, 393); nous en conviendrons que ces attributs allaient tout aussi bien aux Romains. 43 Amm. Marc. 31.4.9. 44 Eunap. fr. 59. 45 Blockley 1981, vol. I: 2. Notons que Zosime (4.33.2) surprend en louangeant certains « étrangers » au service de Rome, comme Baudo et Arbogast. De ce fait, Zosime avait une opinion d’Arbogast qui divergeait de celle d’Eunape (sa source principale), ce qui démontre l’apparente liberté qu’avaient les auteurs en manipulant leurs sources. 46 Blockley (1981, vol. II: 19-20) souligne le paradoxe présent chez Eunape puisque ce dernier accepte Fravitta qui aurait adopté les coutumes romaines (marié une Romaine!). Nous voyons encore ici que même un ennemi des « barbares » était plutôt facile à calmer dès qu’un semblant de « culture romaine » se pointait. 47 Them. Or. 16.211c. 48 Bien sûr, ce qu’il faut dire est que ces lois visaient à interdire ces pratiques chez certains Romains; les lois n’étaient que rarement destinées à l’ensemble de l’Empire: c’était souvent une réponse ponctuelle à un problème immédiat. Qui plus est, la seule existence de ces lois montre que le port de l’habit « barbare » et que les « mariages mixtes » se produisaient. Stilichon (souvent représenté avec le pantalon « barbare ») est sans doute le meilleur exemple de ces deux pratiques. Il était le général des armées romaines sous Théodose 1er, donc à la fin du 4e siècle apr. J.-C. Il était de par sa naissance à la fois Romain et Vandale, mais cela ne l’empêcha pas de se voir marier à Séréna, la fille de Théodose 1er! Les enfants de cet empereur, les futurs empereurs Arcadius et Honorius, firent de même eux aussi, l’un épousant Eudoxie et l’autre la fille de Stilichon. L’union d’Arcadius et d’Eudoxie produisit même un empereur, Théodose II: un « semi-barbare », rien de moins! 49 Aug. De Civit. Dei 1.2; 1.7; 2.2.2-3. 50 Saint Paul (Épître aux Colossiens 3.9-1; Épître aux Galates 3.27-28) cité dans R.-P. Droit (2007: 163).

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y a beaucoup de zones grises dans la définition du « barbare antique ». Et ce qui est

encore plus important de se rappeler est que la grande majorité des ces auteurs ne savaient

presque rien des peuples dont ils rapportaient les faits et gestes51.

En effet, Chauvot (1998: 318) mentionne que Végèce aurait placé les anciens

peuples romanisés (Gaulois et Celtibères) au même rang que les autres « Barbares »52. Il

est aussi juste de mentionner que Cracco Ruggini (2008: 212) avance un argument

similaire dans le cas de l’empereur Julien et de Synésios de Cyrène, le premier voyant les

chrétiens comme des « Barbarians in doctrine »53, et le second considérant comme

« barbares » les moines de sa province. Enfin, les auteurs romains firent rarement la

différence entre « barbarie » extérieure et intérieure54 et il semblerait que la majorité

d’entre eux mélangeait aussi les « barbares » aux brigands sans distinction55. Cela serait

dû, en partie du moins, à la stagnation dans l’ethnographie et la géographie romaine, déjà

perceptible chez Strabon au 1er siècle apr. J.-C., où les auteurs reprenaient les vieux topois

grecs sans reconnaître que les « Barbares » aussi pouvaient changer au fil du temps. Les

« Scythes » refont surfaces ici et là (voir Thémistios, ci-haut), tout comme les Perses

d’ailleurs.

b) Grecs

Pour terminer, ce que l’on voit au début chez les Grecs, c’est un sentiment d’infériorité

devant leurs barbares. À cette époque, le « Barbare » par excellence était le Perse. Or, les

Perses étaient bien loin d’être des ennemis de la civilisation.

Si l’on prend Hérodote, on s’aperçoit assez tôt que ce qu’il reproche le plus à ces

Perses est de se perdre dans le luxe, dans l’abondance, dans une sexualité désordonnée,

d’être de ce fait efféminés, etc. On n’hésite pas à comparer la pauvreté des Grecs à la

51 Browning 1969: 382. 52 Libanios (Discours 59.93), un rhéteur, semble avoir adopté une approche similaire où il se surprend que des « Goths » et des « Perses » s’affrontent puisqu’il les dit unis sous la même dénomination, soit celle de « barbare »! De plus, il dépeint souvent les « barbares » sous des traits peu avantageux sans soucis de réalité (Libanios Discours 59.89). Pareillement, Claudien (Ruf. 1.310; 2.75-85, 105-110), un poète, ne se gêna pas pour puiser dans la tradition écrite au sujet des « Barbares ». 53 Eusèbe aurait perçu comme « barbares » ceux qui n’étaient pas Grecs de même que ceux qui étaient « païens » et « étrangers » à l’Empire (Chauvot 1998: 92). 54 Rebuffat 1993: 5. 55 Kulikowski 2007: 159. Voir surtout Van Dam (1992: 27; 36) qui discute, entre autres, du cas des « Bagaudes ». Ce dernier remarque que, souvent, ceux que nous voyons dans nos sources comme étant des « Barbares » n’étant en fait que des Romains en quête de liberté.

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richesse des Perses et d’une façon tout à fait surprenante : on s’en glorifie. Mieux vaut être

pauvres que débauchés comme les Perses. Mieux vaut être libre que soumis à un despote.

Mieux vaut rester debout que de se prosterner devant un roi. Il faut battre les Perses coûte

que coûte, non parce qu’ils détruisent tout sur leur passage, mais bien parce qu’ils veulent

mettre la Grèce sous le joug. C’est le nomos, soit les lois et la façon de vivre des Grecs qui

leur dicte cette vision du « Perse ».

Il faut donc se rendre à l’évidence que le « Barbare » fut d’abord « inventé »56 par

les « Grecs » pour désigner « l’autre » qui semblait ignorer le nomos grec tel que le définit

Hérodote au livre 8 (144.2) : même langue, mêmes cultes, mêmes ancêtres, mêmes

coutumes. Il est primordial, et je le répète, primordial, de comprendre que le terme

βαρβαρός n’a jamais eu qu’une seule définition.

De ce fait, la première fois que l’on rencontre un dérivé de ce mot, c’est dans

l’Illiade (2.867)57 où il est question de barbarophônoi: soit ceux qui parlent mal le grec.

Plusieurs ont cru qu’il s’agissait déjà d’une référence précoce au concept du « Barbare »

comme ennemi, mais ce n’est pas forcément vrai. On a cette fâcheuse tendance

aujourd’hui à accabler les anciens d’une homogénéité de pensée et de langage, alors que ce

n’était absolument pas le cas à l’époque. Les « Grecs », placés entre guillemets, étaient bel

et bien plusieurs, avec toutes les variations que cela implique.

La Grèce étant un territoire montagneux, compartimenté, l’homogénéité des

« Grecs » ne fut jamais qu’un fantasme, même à l’époque d’Alexandre le Grand qui maria

une Perse et qui encouragea, dit-on, ses soldats à marier les indigènes des territoires

conquis58. Non seulement cela, mais il existait une foule de dialectes grecs (dorien, ionien,

éolien et attique, entre autres) et quelqu’un n’avait certainement pas besoin d’être un Perse

ou un Scythe pour se voir qualifié de barbarophônos59. Encore une fois, c’était une

question de point de vue. Les « Grecs » dans leur ensemble se faisaient aussi classer au

nombre des « Barbares » par les Égyptiens sur le compte de la langue parlée60; ces mêmes

56 Du moins, c’est ce que veut bien nous faire croire Edith Hall (1989). 57 Texte crédité à Homère, un chantre du 8e-7e siècle av. J.-C. 58 Rotroff 1997: 221; Schmidt 1999: 295; Nippel 2002: 294. 59 Lloyd 1990: 217; Baslez (1984: 184). 60 Hérodote 2.158.

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Grecs voyaient aussi les Romains comme des « Barbares »61. En somme, personne n’y

échappait.

Autre point notable, les premiers passages grecs qui ont été conservés au sujet des

« Barbares » se trouvent chez Hécatée de Milet et chez Hérodote. Dans les deux cas, on

ne trouve pas cette image péjorative d’un « Barbare » en quête de destruction et de

meurtre62. Bien au contraire, Hérodote (et d’autres auteurs grecs) ne se gêne pas pour louer

souvent des « Barbares » comme les Égyptiens et même les Perses63. Il fait aussi preuve

d’une sensibilité particulière devant les coutumes des autres groupes, comme les Scythes64.

Toutefois, il est vrai que le « Barbare » des Grecs est souvent désorganisé, tant dans ses

pensés, dans son parler que dans l’armée. Il accepte de se soumettre à un despote,

contrairement aux Grecs qui clament à qui veut bien l’entendre qu’ils sont libres : c’est là,

en fait, dans le régime politique, que la différence est la plus marquée entre le Grec et le

« Barbare »65.

Cette « infériorité » politique se retrouve dépeinte dans l’art de l’époque. Puisque

le « Barbare » est soumis par nature, on le montre vaincu sur les vases et les reliefs,

suppliants. Son armement est défaillant comparée à l’hoplite paré de bronze. On oppose

lance et arc, bataille rangée contre confusion, courage raisonné contre courage insensé66.

La phalange hoplitique reflète la supériorité de la polis aux dépends de la confusion qui

règne chez le « Barbare » et qui est synonyme de son régime royal67.

Le « Barbare » dans l’esprit des Grecs n’est donc pas vraiment une menace à leur

survie (suite aux guerres médiques d’où le Grec sortit vainqueur, il est vrai)68; il est un

61 Browning 2002: 262. 62 « In the overwhelming majority of cases where the word [βαρβάρος] occurs we cannot detect any trace of our concept of barbarians as peoples who are uncouth or uncivilized, though contempt for ‘barbaroi’ political systems is recorded on more than one occasion... » (Lloyd 1990: 218). 63 Her. 1.137; 2.77; 4.46.2. Aussi, Lloyd 1990: 230; De Romilly 1993: 290; Shubert 2000: 94. 64 Hérodte, livre 4 (1-142); Grousset 2009: 456. 65 Baslez 1984: 189; Hall, E. 1989: 98; Nippel 2002: 289. 66 « De ce point de vue, l’affrontement du Grec et du Barbare est exemplaire : le Barbare est l’homme du courage aveugle, le Grec, celui du raisonnement et de la tactique, du logos. » (Baslez 1984: 190). 67 Baslez 1984: 189; Hall, E. 1996: 137; Schmidt 1999: 158. 68 On peut lire, à ce titre, les Perses d’Eschyle pour se rendre compte que les « Grecs », en surface du moins, ne craignaient plus les Perses à ce moment (5e siècle av. J.-C.). On peut aussi mentionner que la peur des Grecs devant les Perses était surtout du point de vue culturel et politique, comme on l’a déjà vu. Ce n’était pas vraiment la peur d’une mort certaine et de la dévastation qu’auraient amenées ces « Barbares ». Au contraire, certains Grecs de l’Est vivaient déjà sous la domination perse (ou l’influence, certainement), et sans problèmes majeurs à ce qu’il parait (cf. Thomas 2000: 117, au sujet des Ioniens qui conservèrent leur démocratie).

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homme de démesure qui peut aspirer à atteindre le même niveau qu’eux69. Antiphon, un

sophiste, disait déjà que tous les hommes étaient égaux, Grecs comme « Barbares »70. De

plus, on remarque qu’ils sont vaillants ces hommes et les Grecs ne tarissent pas déloge à

leur endroit71. Les « Barbares » ne sont donc bien souvent que les victimes de l’hubris de

leur roi. Si on devine un ton péjoratif, il est dirigé vers le régime politique, non vers les

individus qui y sont soumis. Hérodote reconnait même la sagesse « barbare » lorsqu’il

nous parle des Égyptiens, des Scythes et des Perses (Momigliano 1975)72.

Il ne faut pas non plus croire à la répulsion des Grecs pour tout ce qui était perse:

ils ont été nombreux, en fait, à se rendre en Perse pour y travailler leur métier (surtout

mercenaires73, mais aussi charpentiers, sculpteurs, poètes, médecins, devins, etc.) ou

simplement comme touriste, pour s’émerveiller devant Babylone et les autres grandes cités

orientales74. Hérodote est sans aucun doute l’exemple le plus évident de l’un de ces

touristes.

Aussi, durant la guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte à Athènes, on en est

mesure d’apprécier la valeur des Perses qui offrirent de l’aide à qui voulait bien leur

demander. Les Grecs se rendaient donc directement à la cour du roi pour y demander son

assistance où des interprètes faisaient la traduction du grec au perse et vice-versa75. Cela

faisait en sorte que ces « Barbares » se voyaient inclure dans le cercle d’amitié et

d’hospitalité des Grecs76. Les « Perses » transmutèrent donc, en théorie, du βαρβάρος au

ξένος, soit un « étranger » (littéralement) avec qui les Grecs entretenaient une relation

d’amitié et de services réciproques. 69 Baslez 1984: 191. Plus loin, Baslez (1984: 197) va même jusqu’à dire que les Grecs avaient deux mentalités face au « Barbare », dont celle des sophistes qui voyait les Grecs et les « Barbares » comme « ... deux fractions identiques et égales d’une même humanité. » À noter aussi que Thucydide (GP 1.5) dit clairement que les inégalités entre Grecs et « Barbares » viennent d’un développement inégal. 70 Saïd 2002: 99. 71 « ... la décoration des vases perpétue après les guerres médiques le type du Barbare en fuite, mais qui se retourne encore pour combattre. Jamais en effet l’intention des poètes et des peintres n’est péjorative. Jamais le Barbare n’est montré humilié. Au contraire, pour les Athéniens du Ve siècle, l’affrontement des Grecs et des Perses était un duel héroïque ... » (Baslez 1984: 190). 72 Aussi Vanderheyde (2007: 71). 73 On pense bien sûr aux 10 000 de Xénophon. 74 Baslez 1984: 192; Claval 2005: 43. Et l’inverse est aussi vrai: on retrouvait une quantité de marchands, d’artisans et de mercenaires « barbares » en Grèce à l’époque (Coleman 1997: 179, 181 et 183). Cela est aussi sans compter les échanges qui se produisirent entre Grecs et non-Grecs lors de la colonisation, tant de la Grèce menée par d’autres, que des endroits éloignés menée par les Grecs. 75 Baslez 1984: 193; Hartog 2001: 367; Hall, J. M. 2002: 113. 76 Baslez 1984: 194. Voir Diaries (2009: 98) et (Karageorghis 2004: 5) sur la notion du ξένος et de ses relations avec les Grecs.

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Enfin, il faut souligner que l’esclavage fit en sorte que les Grecs ont eu des

rapports fréquents avec différents groupes. Il s’agissait toutefois de « Barbares » isolés de

leur monde. Cet aspect, selon Baslez (1984: 195), permit d’accentuer les différences entre

le Grec et le « Barbare ». On peut croire aussi que c’est de cette relation inégale que leur

est venue l’idée qu’ils étaient supérieurs aux « Barbares ». Aristote (Pol. 1.2.1252b 6-9)

donne certainement cette impression.

Quoi qu’il en soit, la réalité est que les Thraces et les Scythes étaient ceux que l’on

retrouvait en nombre plus considérable dans les cités, dont Athènes, et où ils occupaient

même le rôle de police77. On les nommait par des noms reflétant leurs origines ou bien qui

vocalisait une particularité physique chez eux, comme les cheveux ou la couleur de la

peau78. En somme, les Grecs n’auraient cherché rien de moins qu’à intégrer ces

« Barbares »: « Toute l’action civilisatrice des cités, surtout d’Athènes, va donc dans le

sens d’une intégration des Barbares. On leur ouvre les écoles philosophiques – qui sont

privées à l’époque... »79

Réflexion:

Ce qui ressort de l’étude, c’est qu’on a une pauvre image du « Barbare » aujourd’hui,

pauvre en ce sens qu’on a perdu cette plurivocité rattachée au terme dans l’Antiquité; c’est

une dévolution, je crois, non une évolution du concept. Pauvre aussi puisque même les

antiquistes font parfois l’erreur de voir les « Barbares » comme on le fait aujourd’hui. Ils

sont nombreux à revendiquer l’héritage gréco-romain et à nous dire qu’il passa jusqu’à

nous sans grandes modifications! De ce fait, je retiens aussi qu’on valorise trop les gréco-

romains. Il faut, encore une fois, remettre les choses en perspectives.

On parle de « Barbares » violents aujourd’hui, d’hommes sanguinaires qui ne

respectent pas « l’autre », etc. Or, les Romains n’étaient pas des saints. Pour n’énumérer

que quelques faits, on peut mentionner les guerres menées par César qui firent

d’innombrables victimes, tant chez les « Barbares » que chez les Romains: il passa

néanmoins à l’histoire comme un génie tacticien, un visionnaire, et on le glorifie toujours

dans les cours d’histoire romaine.

77 Hall, J. M. 2007: 395; Wheeler 2009: 749. 78 Baslez 1984: 195-196. 79 Baslez 1984: 199. On remarque que pour Baslez, les Grecs rendaient vraiment service aux « Barbares »!

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Pompé « le Grand » crucifia tout le long de la voie Appienne (jusqu’à Rome!) les

esclaves révoltés de Spartacus (environs 6000 hommes, dit-on). Caligula et Néron sont

parmi les empereurs les plus fous et les plus sanguinaires de l’histoire romaine et

n’auraient pas à rougir devant ce qu’on nous rapporte d’Attila ou de Gengis Khan. Marc-

Aurèle non plus d’ailleurs, ce bon empereur philosophe, qui n’hésita pas à massacrer des

foules de Marcomans et qui alla commémorer ces atrocités sur une colonne honorifique80.

Il y eut les persécutions des chrétiens sous Dioclétien, celles des païens sous Théodose 1er,

le massacre des « Goths » après la défaite subite à Andrinople en 378. Tout cela est sans

parler des guerres civiles qui opposèrent les Romains entre eux dès le 1er siècle av. J.-C. et

qui se poursuivirent jusqu’au Bas-Empire. Enfin, on n’a pas besoin d’aller chercher bien

loin les atrocités commises par les Romains au nom de la « Romanité » (ou de la

« civilisation » dirait-on aujourd’hui, tout « civilisé » qu’ils étaient.)

C’est une piste attirante pour les antiquistes, je crois: les Romains perdraient une

bonne part de leur gloire en procédant à leur examen de cette façon, et plus souvent.

Malheureusement, ce n’est pas ce qui se produit chez la majorité des experts et on ne peut

que s’attrister de n’avoir plus de sources « barbares » de l’Antiquité; parions que l’image

des Romains y aurait paru beaucoup moins « civilisée ». Aujourd’hui encore, on légitimera

plutôt la brutalité romaine comme une action justifiée qui ne fit que répondre à la

sauvagerie des « Barbares ». Œil pour œil, en d’autres mots.

Cette approche est un non-sens. Pour ceux et celles qui veulent tenter l’expérience

du désillusionnement de la gloire gréco-romaine, Nas. E. Boutammina (2009) a écrit un

petit récit, La « société » gréco-romaine: une barbarie sophistiquée? (bien pauvre en

documentation, mais ses idées de bases mériteraient d’être approfondies), où il lapide sans

retenue la « civilisation » gréco-romaine au profit de celle qu’il nomme « musulmane »:

vraiment rafraîchissant!

On pourra tenter l’expérience aussi pour se désabuser de la supériorité européenne

en lisant les livres sur « l’orientalisme » popularisés par Edward Saïd ou ceux examinant

de près l’opposition Islam/Occident et Asie/Europe. Je pense, entre autres, à l’article de

Pieterse, Unpacking the West: How European is Europe? (1999: 129-149), qui retrace

l’influence multiculturelle qu’à subit l’Europe et le mirage qu’on se créa, durant la

80 Coulston 2002: 410, 424.

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Renaissance, d’héritier des Grecs et des Romains. Il retrace les influences étrangères

durant l’histoire de l’Europe et les traite séparément : ‘Islam and turquerie’,

‘Ethniopianisme’, ‘Chinoiserie’, ‘Egyptianism’, ‘India’, etc.

Bilan:

Il est évident que le « Barbare antique » n’est pas du tout le même que le

« Barbare contemporain ». On l’a vu au fil du texte: aujourd’hui c’est la violence qui le

définit alors qu’autrefois, il renvoyait à plusieurs images différentes selon le groupe qui le

percevait.

Cela dit, à toutes les époques, « Barbare » et « Civilisé » ont eu une forte tendance

à se mêler l’un à l’autre, à se transformer l’un en l’autre, de sorte qu’il est parfois

extrêmement difficile d’évaluer ce que l’on rapporte sur eux. Non seulement cela, mais il

est tout aussi difficile de croire ceux qui nous rapportent quelques faits impliquant les

« Barbares ». Je pense ici aux Grecs et aux Romains, surtout, mais aux auteurs des autres

époques aussi. Les discours sont souvent biaisés et il faut être prudent. Le « Barbare » se

trouve à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud, à l’extérieur et à l’intérieure, en périphérie et

au centre. Bien peu y échappent, et c’est ce qu’il faut réaliser dans un premier temps;

l’Occident n’est pas toujours le bon joueur, ni l’Orient le mauvais.

Donc, malgré le fait que cette étude ne se voulait qu’un survol plus que bref de la

situation, je crois avoir démontré malgré tout que les concepts du « Barbare » et du

« Civilisé » sont fortement imprégnés de modernité de sorte qu’ils deviennent dangereux à

utiliser pour nous, antiquisites de profession. Les concepts ont évolué, on nous passe et

repasse les stéréotypes à leur sujet dans les médias et un peu partout. On nous enseigne

que le « Barbare » est un être mauvais, qu’il menace la « civilisation », que sans cette

« civilisation » c’est le chaos qui règnerait, etc. Je crois qu’il faut dissocier ces idées, dont

l’emploi dans le domaine de l’Antiquité remonte à Montesquieu et à Edward Gibbon.

En somme, le « Barbare » menaçant, destructeur de la « civilisation » est un

concept moderne, dont la réalité est contemporaine et qui ne saurait être appliqué aux

« Barbares antiques » sans risque de faire un anachronisme malheureux dans bien des cas.

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Bibliographie

Sources

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