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LE NOIR EST MIS. LES PUYS D'AMIENS, OU LE PARAÎTRE VESTIMENTAIRE DES ÉLITES URBAINES À LA RENAISSANCE Isabelle Paresys Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2009/3 - n° 56-3 pages 66 à 91 ISSN 0048-8003 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2009-3-page-66.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Paresys Isabelle, « Le noir est mis. Les puys d'Amiens, ou le paraître vestimentaire des élites urbaines à la Renaissance », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2009/3 n° 56-3, p. 66-91. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.54.115.199 - 04/09/2014 19h28. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.54.115.199 - 04/09/2014 19h28. © Belin

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LE NOIR EST MIS. LES PUYS D'AMIENS, OU LE PARAÎTREVESTIMENTAIRE DES ÉLITES URBAINES À LA RENAISSANCE Isabelle Paresys Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2009/3 - n° 56-3pages 66 à 91

ISSN 0048-8003

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--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Paresys Isabelle, « Le noir est mis. Les puys d'Amiens, ou le paraître vestimentaire des élites urbaines à la

Renaissance »,

Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2009/3 n° 56-3, p. 66-91.

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La vie urbaine

Le noir est mis. Les puys d’Amiens,ou le paraître vestimentaire

des élites urbaines à la Renaissance

Isabelle PARESYS

La fin de l’époque dite moderne a donné lieu, depuis les années 1980, à denombreuses publications sur les apparences vestimentaires des Français,venant de chercheurs nationaux et surtout anglo-américains1. En revanche, laRenaissance reste dans l’ombre. Paradoxalement, la culture vestimentaire fran-çaise des hommes et des femmes du Moyen Âge a suscité plus d’attention.Encore celle-ci s’est-elle surtout portée vers les cours, qui offrent des sourcesplus abondantes que les villes et les campagnes pour cette période2. Malgrél’importance de la Renaissance dans l’histoire culturelle occidentale, leXVIe siècle français reste le parent pauvre des recherches sur le paraître vesti-mentaire, même si le travail mené par Jacqueline Boucher sur Henri III et sacour a permis une première approche des apparences aristocratiques3.

Pour des raisons d’accessibilité à la documentation (moins abondante etmoins riche que celle concernant les siècles postérieurs ; écritures réputéesdifficiles), mais aussi parce que les seiziémistes sont plus attirés par lesaffrontements religieux et politiques du royaume, ou par la production litté-raire et artistique, que par la culture matérielle de ce siècle, les apparencesvestimentaires des Français de la Renaissance restent un champ encore lar-gement méconnu, y compris pour la société de cour. Les enquêtes sontactuellement bien plus avancées en Italie ou en Angleterre par exemple oùla culture matérielle de la Renaissance suscite depuis quelques années un vif

1. Cf. Daniel ROCHE, La culture des apparences. Une histoire du vêtement, Paris, Fayard, 1989, et lestravaux de Nicole Pellegrin. Parmi les publications récentes en langue anglaise : Jennifer M. JONES, Sexingla Mode. Gender, Fashion and Commercial Culture in Old Regime France, Oxford-New York, Berg, 2004. Jeremercie les rédacteurs de la revue pour leur lecture attentive et leurs conseils.

2. Voir par exemple les travaux de Françoise Piponnier et, plus récemment, la thèse de SophieJOLIVET, « Pour soi vêtir honnêtement […]. Costume et dispositif vestimentaire à la cour de Philippe leBon de 1430 à 1455 », thèse de doctorat, université de Bourgogne, 2003.

3. Jacqueline BOUCHER, Société et mentalités autour de Henri III,Villeneuve d’Ascq, Atelier nationalde reproduction des thèses, 1981.

REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE56-3, juillet-septembre 2009.

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intérêt, porté par une documentation abondante sur les milieux urbains etcuriaux4.

Cet article a pour but de contribuer à une meilleure connaissance des appa-rences vestimentaires des Français à la Renaissance : non pas celles desParisiens ou des courtisans, généralement privilégiés par les études sur la cul-ture matérielle à l’époque moderne, mais celles d’une capitale provincialecomptant alors 20 000 habitants, Amiens, place clé de la frontière septentrio-nale du royaume avec les anciens Pays-Bas. La capitale picarde n’est pas uneville de séjour de la Cour, mais elle est peu éloignée de Paris devenue la rési-dence principale des souverains. La vêture des Amiénois sera essentiellementabordée au prisme de l’image, source capitale pour l’appréhension des appa-rences vestimentaires anciennes. Les histoires classiques du costume, deQuicherat à François Boucher, y ont largement puisé leurs références.Cependant les historiens de la culture matérielle les sous-exploitent, leur pré-férant les sources écrites et notamment les inventaires après décès dont l’ap-proche est plus familière, puisqu’elle repose sur les nombreuses publicationsissues de l’analyse de cette abondante documentation et consacrées principale-ment au XVIIIe siècle5. Or Amiens a la chance d’avoir conservé, grâce à la sériede tableaux des puys d’Amiens, des représentations iconographiques excep-tionnelles de ses habitants à la Renaissance. Ces portraits collectifs accompa-gnant les représentations de la Vierge, à laquelle était vouée la confrérie du PuyNotre-Dame, sont un précieux reflet des apparences de ces citadins du XVIe etdu tout début du XVIIe siècle, de ces corps vêtus que le peintre a représentés. Cen’est qu’en contrepoint du témoignage de l’image que seront convoqués, dansune approche qualitative, les inventaires après décès de leurs contemporains.Car Amiens dispose également d’une remarquable série de ces documents surl’ensemble du XVIe siècle quand beaucoup de villes pâtissent d’énormes lacunespour la même période : 10000 sont conservés entre 1503 et 1622, dont 8000pour le seul XVIe siècle6. Les inventaires font cependant abstraction du corps dechair pour décrire un « corps textile » éclaté dont les pièces sont rangées dansdifférents espaces de la maison, sans référence à leur assemblage dans

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4.Voir par exemple pour l’Italie, Stella M. NEWTON, The Dress of the Venetians, 1495-1525,Vermont,Scolar Press, 1987 et parmi les publications les plus récentes, Roberta ORSI LANDINI et Bruna NICCOLI,Moda a Firenze 1540-1580 :lo stile di Eleonora di Toledo e la sua influenza, Florence, Pagliai Polistampa, 2005.Pour l’Angleterre, voir les travaux de Janet Arnold, et plus récemment, Maria HAYWARD, Dress at the Courtof King Henry VIII, Leeds, Maney Publishing, 2007.

5. Par exemple, outre D. ROCHE, La culture…, op. cit., Annick PARDAILHÉ-GALABRUN, La Naissancede l’intime : 3 000 foyers parisiens, XVIIe-XVIIIe s., Paris, PUF, 1988.

6. À Marseille par exemple, les premiers actes conservés datent de 1556 (Céline RIGOULEAU,«Accoustrements à Marseille d’après les inventaires après décès 1556-1578», Rives Nord-Méditerranéennes,18, 2004, p. 125-133, notamment p. 126). Ils sont aussi très rares en Brie avant 1590 (Micheline BAULANT,« Jalons pour une histoire du costume commun. L’exemple de Meaux (1590-1670) », Histoire et Mesure,XVI-1 / 2, 2001, p. 3-56, p. 2). Le minutier central des notaires parisiens, relevant du Châtelet (prévôté deParis) ne concerne plus que vingt des cent études existant au XVIe siècle : Florence GREFFE et ValérieBROUSSELLE, Documents du Minutier Central des Notaires de Paris. Inventaires après décès, tome II (1547-1560), Paris, Archives Nationales, 1997, p. 8.

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l’habillement. La perspective d’une possible comparaison des vêtures entre ledébut du XVIe siècle et celui du XVIIe siècle, entre l’image et une documentationd’archives bien répertoriée et, surtout, la conservation d’une douzaine de puysde la Renaissance plaident en faveur de la capitale picarde par rapport à Paris7.Pour qui souhaite avoir une idée de l’histoire culturelle d’une cité qui ne soit nila capitale ni une très grande ville,Amiens offre donc un terrain de choix.AlbertLabarre l’avait bien compris en y étudiant le livre8.

La base de l’étude iconographique des apparences vestimentaires amié-noises est la série des puys d’Amiens, conservés actuellement au musée dePicardie. Ce corpus témoigne des apparences vestimentaires d’un groupe socialparticulier, celui des élites amiénoises. À travers les puys, nous examineronscomment s’expriment les identités de ces élites urbaines et comment l’évolu-tion de leurs silhouettes vestimentaires contribue à l’expression de celles-ci.

PUYS AMIÉNOIS ET IDENTITÉS DES ÉLITES URBAINES

La représentation des apparences vestimentaires urbaines est conditionnéepar la nature même du corpus iconographique amiénois. C’est en tant que catho-liques, dévots de Notre-Dame, que des Amiénois sont figurés dans leurs atours aupremier plan d’un tableau qui place en son centre la Vierge, elle-même située aucœur d’une scène allégorique. Celle-ci illustre le vers palinodial de dix syllabes duchant royal qui résume une allégorie mystique en son honneur et qui a remporté,cette année-là, le concours auquel se livrent les membres de la confrérie du PuyNotre-Dame de la ville. On retrouve ce vers inscrit dans un phylactère situé au-dessus des mains ou de la tête du donateur du tableau, maître de la confrérie. Laconfrérie du Puy est une des innombrables confréries dédiées à la Vierge qui fleu-rirent à la fin du Moyen Âge (elle aurait été fondée à la fin du XIVe siècle). LaRéforme catholique encourage ce culte face à la montée du protestantisme. Laconfrérie amiénoise a la particularité d’être vouée à l’exaltation de la Vierge par lapoésie et se rapproche des sociétés rhétoriciennes des Pays-Bas voisins9. Maisoutre sa longévité – elle perdure jusqu’à la fin du XVIIesiècle – la confrérie amié-noise se distingue de ses consœurs par la commande annuelle de tableaux que lesmaîtres de la confrérie font peindre, depuis le milieu du XVesiècle, pour illustrer lerefrain palinodial vainqueur du concours annuel, et qu’ils exposent à partir de

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7. Albert LABARRE, Archives municipales d’Amiens, série FF, répertoire des inventaires après décèsXVIe siècle,Amiens, s. d., ms. Il couvre la période 1503-1575. David Rosenberg l’a complété pour la période1591-1595. Entre 1576 et 1590, puis après 1595, il faut se contenter de l’inventaire sommaire de la sérieFF. Le Minutier central parisien ne dispose pas, pour le moment, d’outils de recherche sur un si long terme(répertoire des inventaires entre 1483 et 1560 seulement).

8. Albert LABARRE, Le livre dans la vie amiénoise du seizième siècle : l’enseignement des inventaires aprèsdécès, 1503-1576, Louvain, Nauwelaerts, 1971.

9. Des Puys mariaux existent aussi alors aux anciens Pays-Bas, non loin d’Amiens, à Arras, Douai etLille, par exemple. On en trouve également en Normandie à Rouen, Caen ou Dieppe. Perrine GALLAND-HALLYN, Fernand HALLYN et Terence CAVE, Poétiques de la Renaissance : le modèle italien, le modèle franco-bourguignon et leur héritage en France au XVIe siècle, Genève, Droz, 2001.

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Noël sur l’autel du Rouge Pilier, dans le transept sud de la cathédrale10. La confré-rie du Puy d’Abbeville ne le fait que de manière ponctuelle, celle de Rouen est limi-tée à la création poétique et la confrérie des orfèvres de Paris ne commandera sesmays de Notre-Dame qu’un peu plus tard, au XVIIesiècle11. Le premier puy amié-nois connu remonte à 1438 et le dernier à 1678, mais la série connaît de grandeslacunes de conservation, car le chapitre de la cathédrale les fit presque tous détruireou disperser en 172312. Quatorze puys complets ont néanmoins pu être conser-vés pour la période de la Renaissance qui nous intéresse et sont détenus par lemusée de Picardie (doc.1). Ils datent essentiellement des années 1520 (1518,1519, 1520, 1521, 1525), puis du tout début du XVIIe siècle (1600, 1601, 1603,1605, 1617, 1618). Deux puys complets seulement remontent au milieu duXVIe siècle (1548, 1567)13. Le plus ancien puy conservé remonte à 1499 (frag-ment). Ces tableaux, de nature et de qualité esthétique inégales, dus à des maîtreset ateliers le plus souvent non identifiés en dehors de l’Amiénois Mathieu Prieur(vers 1522-après 1618), auteur de ceux du début du XVIIe siècle, n’ont guère sus-cité d’étude d’ensemble. Georges Durand consacra en 1911 un ouvrage aux puysd’avant 151714. Les puys du XVe siècle et ceux de 1518 et de 1520 sont ceux quiont attiré le plus d’études sur leur facture et leur symbolique15. Un article plusrécent a été consacré par Olivier Christin aux puys de l’époque d’Henri IV16. Lacomposition des tableaux reste dans l’ensemble traditionnelle, plaçant au premierplan le maître de la confrérie et donateur, au second une scène allégorique et autroisième plan la Vierge, dans une scène illustrant le vers palinodial de l’année. La

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10. Maurice DUVANEL, Pierre LEROY et Matthieu PINETTE, La confrérie Notre-Dame du Puyd’Amiens, Amiens, Pierre Mabire, 1997, p. 3 ; Charles STERLING, « La peinture sur panneau picarde et sonrayonnement dans le nord de la France au XVe siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français,année 1979, p. 7-49 ; Anne-Marie LECOQ, « Le reflet terrestre du roi des cieux », chap. IX de François Ier

imaginaire, symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987, p. 325.11. Olivier CHRISTIN, « Le May des orfèvres. Contribution à l’histoire de la genèse du sentiment

esthétique », Actes de la recherche en sciences sociales, 105, décembre 1994, p. 75-90.12. A.-M. LECOQ, François Ier imaginaire…, op. cit., p. 326. On jugea fort encombrante, au début du

XVIIIe siècle, l’accumulation des puys laissés par les maîtres dans la cathédrale depuis 1493 :Antoine-Pierre-Marie GILBERT, Description historique de l’église cathédrale d’Amiens, Amiens, Caron-Vitet, 1833, p. 203.

13. Parmi les puys conservés au Musée de Picardie, seul celui de 1567 ne reprend pas le principe desportraits collectifs au premier plan du tableau et n’est donc pas intéressant pour notre étude.

14. Georges DURAND, Tableaux et chants royaux de la confrérie du Puy Notre-Dame d’Amiens repro-duits en 1517 pour Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, Amiens, Picard, 1911. On ne relève pas d’étuded’ensemble de la série des puys conservés mais simplement quelques études pointues sur l’un d’entre eux.Voir la note 15. Un site internet dédié à la cathédrale d’Amiens consacre néanmoins aux puys quelquespages, rédigées par Mathieu Pinette, ex-conservateur du Musée de Picardie : www.u-picardie.fr / ~patrick /Cathedrale/visite.html

15. Marie-Christine DELACROIX, «Les Puys d’Amiens, un fleuron original de la peinture gothique»,L’Estampille, 105, janvier 1979, p. 32-39;Yona PINSON, «Les “Puys d’Amiens” 1518-1525. Problèmes d’attri-bution et d’évolution de la loi du genre», Gazette des Beaux-Arts, février 1987, p. 47-61. Sur le puy de 1518,voir Anne-Marie LECOQ, «Le puy d’Amiens de 1518, la loi du genre et l’art du peintre», La Revue de l’Art, 38,1977, p. 64-74; Marie LECŒUR, «Le puy d’Amiens de 1518 “Au juste pois véritable balance”. Étude histo-rique, iconographique et stylistique», Université de Picardie, mémoire de maîtrise, 2001; sur la symbolique dece même puy, A.-M.LECOQ, FrançoisIer imaginaire…, op. cit. ; sur le puy de 1520, Auguste JANVIER, La Viergeau Palmier, tableau de 1520 de la Confrérie du Puy d’Amiens, Amiens, Piteux frère, 1896.

16. Olivier CHRISTIN, Le roi-providence : trois études sur l’iconographie gallicane, Lyon, LARHRA-RESEA, « Chrétiens et Sociétés. Documents et mémoires », 2006, p. 7-44 : « Dévotion mariale, identitéurbaine et providentialisme politique : les Puys amiénois de l’époque d’Henri IV ».

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ligne de celui-ci est d’ailleurs souvent en rapport avec les fonctions du maître («Aujuste pois veritable balance» pour Antoine Picquet, homme de la justice royale, en1518) ou avec son patronyme («Pré ministrant pasture salutaire» pour AndrieuDesprez, en 1519). Il faut dire que le maître lui-même lançait par cette devise leconcours palinodial de l’année17. Un recueil manuscrit fut remis en 1518 par lesédiles amiénois à Louise de Savoie, mère de François Ier, après que celle-ci eutmanifesté son intérêt pour les puys qu’elle admira en 1517. Il reprend à traitsrapides les 48 puys antérieurs à cette date, concentrant son intérêt sur l’illustrationde la devise et sur les donateurs mais négligeant la représentation des autresAmiénois18. Encore peu étudiés dans leur ensemble par les historiens de l’art, lespuys ont en outre été complètement négligés au regard de l’apport qu’ils offrent àla connaissance des apparences vestimentaires.

Pourtant, malgré les lacunes dans leur conservation, les puys, à l’origineannuels, présentent l’intérêt de garder une trace visuelle d’un siècle d’apparencesvestimentaires urbaines. Leur témoignage est d’autant plus précieux qu’il estexceptionnel, dans les collections françaises, et qu’il concerne un milieu social qui,contrairement à la noblesse où les portraits gardent la mémoire de la lignée, alaissé en France peu de représentations de ses apparences. Les puys font figureren effet au premier plan du tableau non seulement le donateur – maître de laconfrérie – et son épouse, lorsqu’il s’agit d’un laïc, mais aussi les membres de safamille, des proches et sans doute d’autres membres de la confrérie (doc. 2, 3, 4,5 et 6). Le nombre de ces personnages s’échelonne entre la vingtaine et la tren-taine, aussi bien hommes que femmes. Quelques enfants, dont on peut supposerqu’il s’agit de ceux du donateur ou de sa parenté, figurent au premier plan dugroupe. Certes ces Amiénois ne brillent pas des ors de la Cour, mais ils se parentd’habits cossus reflétant l’aisance matérielle de leur milieu social, celui de l’éliteurbaine. Bien que les sources manquent pour reconstituer avec précision la socio-logie de la confrérie, la lecture de la liste des maîtres des puys conservés au muséede Picardie en donne un aperçu (doc.1). En premier viennent les marchands,puis les membres du clergé de la cathédrale, les membres de la «cour spirituelle »(officialité) ou les curés de paroisses, et enfin les gens du roi, officiers de financesou du bailliage, qui peuvent porter le titre d’une ou de plusieurs seigneuries,assorti parfois à celui d’écuyer. Quelques gentilshommes s’ajoutent à ces servi-teurs du roi en voie d’anoblissement. La fierté et l’identité de cette élite urbaines’affichent sur les puys dans les blasons, non timbrés, qui ornent le tapis posé surle prie-Dieu du maître de l’année ou dans celui que porte un enfant en 1519. Ilsemble que le prestige social de la confrérie n’ait jamais été aussi grand qu’entre

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17. Sur les devises et chants palinodiaux amiénois, souvent décrits comme des vers ridicules, signesde la décadence de la confrérie, par les historiens des puys, voir l’analyse d’O. Christin qui y voit aucontraire les marques de la vitalité de celle-ci, ibidem, p. 10-13.

18. Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), manuscrit français 145, Chants royaux du PuyNotre-Dame d’Amiens, 1518, par Jean PINCHORE, enlumineur parisien. L’ouvrage de G. DURAND,Tableaux…, op. cit. et celui de M. DUVANEL et alii, La confrérie Notre-Dame…, op. cit., reproduisent la qua-rantaine de miniatures des puys offertes par la ville à Louise de Savoie en 1518 et conservées à la BnF.

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la fin du XVe siècle et 1525, attirant alors, d’après les estimations d’OlivierChristin, 47 % d’hommes de loi, officiers du roi et détenteurs de seigneuries.Ensuite les marchands et artisans dominent19.

Les puys d’Amiens témoignent à leur manière du profond sens de l’identitédes élites urbaines du nord du royaume. Il ne s’agit pas seulement d’honorer laVierge dont les vertus sont célébrées par le palinod annuel. Il s’agit aussi pour lemaître de la confrérie et ses familiers d’être exposés au regard de leurs conci-toyens, dans leurs apparences corporelles et vestimentaires, au cœur même de lacité, dans son édifice religieux le plus prestigieux, et de se placer sous la protec-tion spirituelle de la mère du Christ20. Les puys sont donc le lieu où s’articulentla présentation de soi, l’identité sociale, la participation à une communauté deprière et l’invitation à celle-ci, ainsi que le patriotisme urbain affiché par la pré-sence, en arrière-plan de plusieurs puys, de la cathédrale Notre-Dame (1520,1605 par exemple)21. D’une manière plus ou moins habile, les peintres repré-sentent en outre assez distinctement le visage de tous les sujets. Il est vraisem-blable que chacun pouvait se reconnaître et être reconnu par ses concitoyens lorsde l’exposition du tableau. Le dit «maître d’Amiens», amateur, dans les années1520, de représentations maniéristes pour les scènes religieuses du second plan,abandonne par exemple celles-ci pour peindre les personnages sur un mode plusfigé mais plus figuratif, comme on le fait alors pour les portraits du donateur etde sa famille sur les retables des églises des Pays-Bas voisins22.

Les sujets sont debout, hormis le donateur et son épouse, agenouillés en posi-tion d’orants devant un prie-Dieu sur lequel est posé un livre d’heures, recueil debase pour la pratique des prières et ouvrage le plus fréquemment possédé par lesdétenteurs de livres amiénois à la Renaissance23. Eux seuls ont les mains jointes.La disposition des personnes, au premier plan du tableau,hésite entre deux modesde répartition des sexes. Un premier type mêle indistinctement les hommes auxfemmes, toujours moins nombreuses cependant (1518 par exemple, doc.2). Ill’emporte, peut-être dès la première partie du XVIe siècle (puys de 1525 et de1548, doc.5) et en tout cas sûrement au début du XVIIe siècle, sur un deuxièmetype, jusqu’alors plus apprécié, distinguant les hommes d’un côté, derrière ledonateur, et les femmes, derrière l’épouse de celui-ci24. C’est cette disposition très

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19. Sociologie des maîtres de la confrérie d’après les individus identifiés sur les listes conservéesdepuis le XVe siècle, dans O. CHRISTIN, « Dévotion mariale… », art. cit., p. 24-25.

20. Accroché durant un an au-dessus de l’autel du Rouge Pilier, le puy est ensuite exposé à demeuresur l’un des piliers de la cathédrale. Il reste donc visible par les Amiénois. M. DUVANEL et alii, La confrérieNotre-Dame…, op. cit., p. 4.

21. O. CHRISTIN, « Dévotion mariale… », art. cit., p. 14 et 35.22. Le « maître d’Amiens » ne serait pas amiénois d’origine mais un artiste anonyme que les histo-

riens de l’art font appartenir au groupe des maniéristes gothiques tardifs des Pays-Bas. Principalementactif à Anvers dans le premier quart du XVIe siècle, il travaillerait alors en France.A.-M. LECOQ, François Ier

imaginaire…, op. cit., p. 326.23.Voir A. LABARRE, Le livre dans la vie amiénoise…, op. cit.24. Au milieu du XVIIe siècle, les puys rompent avec le schéma habituel des œuvres offertes par la

confrérie et suppriment les portraits collectifs, comme le montre le dernier puy conservé peint par ClaudeFrançois, Croix admirable à Jésus quoiqu’ignominieuse, 1666, Amiens, musée de Picardie.

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72 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

DOCUMENT 1

Origine sociale des donateurs des Puys d’Amiens conservés au musée de Picardie

Année

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1513

1518

1519

1520

1521

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1548

1567

1600

1601

1603

1605

1617

1618

1666

Vers palinodal

Arbre portant fruitd’éternelle vie (fragment)

Clovigère du royaumecéleste (fragment)

Au juste pois veritablebalance

Pré ministrant pasturesalutaire

Palme elsute du saulveurpour victoire, dit Viergeau palmier

Le vray support de toutecreature

Pour notre foy militantecomtesse

Reine régnant en liesseéternelle (fragment)

Triomphe exquis duchevalier fidèle

Chassis où luit le soleil dejustice

Du jubilé belle ville airrésonne

Temple d’où prit la vériténaissance

Arc triomphal peintd’histoires nouvelles

Temple illustré de lumièreéternelle

Le feu sacré que le saintpuits conserve

Vierge qui vint la mortlier au monde

Croix aimable à Jésusquoiqu’ignominieuse

Auteur

École d’Amiens

Anonyme

Anonyme dit« Maître d’Amiens »

Anonyme dit« Maître d’Amiens »

Anonyme dit« Maître d’Amiens »

Anonyme dit« Maître d’Amiens »

Anonyme

Anonyme

Anonyme

Anonyme

Mathieu Prieur

Mathieu Prieur

Mathieu Prieur

Mathieu Prieur

Mathieu Prieur

Mathieu Prieur

Claude François ditFrère Luc

Donateur

Antoine deCocquerel

Pierre Cousin

Antoine Picquet

Andrieu Desprez

Nicolas le Caron

Laurent Boulengier,dit Georges

Philippe de Conty

Jean Ponée

Augustin Cousin

Robert de Sachy

Louis de Villers

Jean de Sachy

Jean Boullet

Jacques Destrées

Firmin Pestel

Adrien de la Morlière

François Quignon

Situation sociale

Conseiller au bailliage d’Amienset bailli de Moreuil

Procureur en cour spirituelle

Conseiller au parlementprocureur du roi

Prêtre, avocat en la courspirituelle de l’évêché d’Amiens

Greffier au bailliage d’Amiens

Bourgeois et marchand

Seigneur de Forestel, duQuesnoy et de Damery,capitaine des arbalétriersd’Amiens

Bourgeois d’Amiens

Prêtre et chapelain

Marchand drapier

Sieur de Rousseville

Marchand, sieur d’Hautvillers ;quatre fois premier échevin de la ville

Marchand

Marchand tanneur

Prieur de St Martin-aux-Jumeaux, prieur curé duBosquel

Chanoine de la cathédraled’Amiens, auteur des Antiquitésde la ville d’Amiens

Chirurgien

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LE PARAÎTRE VESTIMENTAIRE À LA RENAISSANCE 73

DOCUMENT 2

Maître d’Amiens, Au juste pois veritable balance, 1518. Amiens, Musée de Picardie. Donateur :Antoine Picquet, Conseiller au parlement, procureur du roi. Cliché de l’auteure.

DOCUMENT 3 DOCUMENT 4

Maître d’Amiens,Palme eslute du Saulveur pour Victoire, ditPuy de la Vierge au palmier, 1520.Amiens, musée de Picardie.

Donateur : Nicolas Le Caron, greffier au bailliage (détail).

Anonyme, Pour notre foy militante comtesse, 1525.Amiens,musée de Picardie. Donateur : Seigneur de Forestel, du

Quesnoy et de Damery, capitaine des arbalétriers d’Amiens.

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74 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

DOCUMENT 5

Triomphe exquis au chevalier fidèle, 1548. Musée de Picardie,Amiens. Donateur :Augustin Cousin, prêtre et chapelain. Cliché Philippe Arnaud.

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LE PARAÎTRE VESTIMENTAIRE À LA RENAISSANCE 75

DOCUMENT 6

Mathieu PRIEUR, Terre d’où prit la vérité naissance, 1601.Amiens, Musée de Picardie. Donateur :Jean de Sachy, sieur d’Hautvillers, 4 fois premier échevin de la ville. Cl. Philippe Arnaud.

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traditionnelle que reprend strictement l’auteur du puy de 1521 pour le marchandet bourgeois Laurent Boulangier. D’autres tendent à regrouper les femmesensemble (par exemple le puy de 1520 pour le greffier du bailliage, Nicolas leCaron, doc.3). À ce relatif assouplissement des règles de représentation des sexesobservées au cours du XVIe siècle s’ajoute une modification de la composition despuys. La place du portrait collectif se trouve renforcée au début du XVIIe siècle. Iloccupe désormais la moitié, voire les trois quarts de l’espace pictural alors que, jus-qu’au milieu du XVIe siècle, un puy était divisé en deux ou trois plans horizontaux,les second et troisième, occupant généralement les deux tiers du tableau, étantconsacrés à l’illustration du vers palinodial par une allégorie et la représentation dela Vierge (doc.5)25. La représentation de l’identité collective urbaine tend donc às’accroître dans les puys de l’époque moderne.

Autre nouveauté sur les puys conservés du XVIIe siècle : la présence du sou-verain devient systématique au centre du portrait collectif, entre le coupleformé par le donateur et son épouse, s’il est marié (1601, 1603, 1605, 1618).On sait que quelques puys (1499, 1518) et « copies » de panneaux antérieursdont le recueil offert à Louise de Savoie en 1518 garde la trace, faisaient par-fois figurer le roi de France (Louis XII sur le puy de 1499 et François Ier surcelui de 1518, conservés au musée de Picardie), l’empereur (le futur CharlesQuint sur celui de 1518) ou le pape autour de la Vierge26. Les autres puys duXVIe siècle conservés s’abstiennent de ces représentations jusqu’à celui, disparu,de 1594, la conversion et le sacre d’Henri IV ouvrant le cycle de la présencevisible du roi dans une ville qui fut ligueuse27. Au début du XVIIe siècle, le por-trait royal est constamment là : celui d’Henri IV et de Marie de Médicis (1601)– qui vient de donner un dauphin, Louis, couché dans un berceau à ses pieds –,puis celui d’Henri seul avec ses enfants (1603, 1605) et celui du jeuneLouis XIII (1618). Mais la présence du roi prend désormais un tout autre sensdans les puys henriciens. Elle ne relève plus seulement de la tradition médié-vale qui place sous la protection de la Vierge les souverains et représentants desétats laïc et religieux. Elle situe cette fois le roi au premier plan, au sein de sessujets, et donne aux puys un caractère plus politique. Faisant corps derrière lesouverain, dans une masse sombre uniforme soudée et un alignement bienordonné, les confrères occupent désormais un espace jusqu’alors inédit dansles puys mariaux. C’est pourquoi cette disposition et l’apparence vestimentairedes Amiénois ne prêtent pas à une interprétation de ces puys comme repré-sentations, au service de la propagande royale, de la soumission d’une cité

76 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

25. Une certaine influence de la Renaissance italienne peut s’observer dans le caractère antiquisantde certains bâtiments, dans les puys des années 1520, et dans le char antique menant la Vierge s’apprêtantà écraser l’hydre apocalyptique du puy de 1548 (doc. 5). Néanmoins les perspectives des paysages, sefondant dans un dégradé bleuté, restent sous l’influence des peintres des Pays-Bas voisins.

26. A.-M. LECOQ, François Ier imaginaire…, op. cit., p. 330-331. Le donateur du puy de 1519, hommedu roi à Amiens, rend ainsi hommage à son maître, représenté avec sa suite, après qu’il a rendu visite à laville en 1517.

27. O. CHRISTIN, « Dévotion mariale… », art. cit., p. 28.

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rebelle durant la Ligue, déchue de ses anciennes libertés et privilèges après laprise d’Amiens par les Espagnols en 159728. Elles confortent plutôt l’idée,développée par Olivier Christin à partir des devises palinodiales et des scènesreligieuses, que les puys formulent les aspirations des élites locales catholiquesfavorables au roi depuis sa conversion, ou en tout cas lassées des excès de laLigue29. Honorant la Vierge et exprimant leur fidélité au roi, ces Amiénois indi-quent, dans cet « espace de négociation symbolique » qu’est le puy, leur aspira-tion à « la restauration d’un ordre de paix voulu par Dieu, dans lequel le roichrétien et la ville d’Amiens joueraient un rôle central », conjuguant ainsi« catholicisme, fierté communale et fidélité au roi »30.

Parallèlement à la croissance du portrait collectif dans les puys s’opère unemutation des modes vestimentaires qui témoigne, elle aussi, des évolutions quiaffectent la perception que les élites amiénoises de la Renaissance se font deleur propre identité.

PESANTEUR DES SILHOUETTES AMIÉNOISES

Les puys s’avèrent irremplaçables pour analyser l’évolution des silhouettesvestimentaires des élites amiénoises à l’époque de la Renaissance. En effet, si pré-cieux que soient, du fait de l’absence de vêtements conservés pour cette période,les milliers d’inventaires après décès consignés par l’échevinage amiénois, qui enavait la juridiction jusqu’aux années 1620, ceux-ci privent l’historien de la per-ception visuelle et tactile des matériaux. Cumulant des informations disparates quisuivent leur propre logique (comptable), les inventaires font aussi abstraction ducorps de chair sous la vêture,pour décrire un corps textile, éclaté en diverses piècesnommées, comptées et prisées selon les cheminements des priseurs. Bien sûr, lespuys représentent un corps social plus restreint que celui des inventaires qui comp-tabilisent aussi les biens des plus modestes31. La représentation des plus démunisen est exclue. Conscients de l’importance de leur apparence vestimentaire commesigne de leur appartenance à l’élite urbaine, les personnages des puys d’Amiens sefont représenter dans leurs plus beaux atours non seulement en l’honneur de la

LE PARAÎTRE VESTIMENTAIRE À LA RENAISSANCE 77

28. Amiens est une des dernières villes ligueuses à se soumettre à Henri IV, en août 1594.Ville fron-tière capitale pour la défense du royaume, elle est prise par surprise par les Espagnols en mars 1597.VoirOlivia CARPI, Une république imaginaire. Amiens pendant les troubles de religion, 1559-1597, Paris, Belin,2005, p. 140-145 et p. 217-225.

29. O. CHRISTIN, « Dévotion mariale… », art. cit., p. 36-43. Donnant de nombreuses clés d’analysedes puys henriciens, l’article d’O. Christin néglige cependant l’impact visuel des apparences vestimentaireset de la disposition des confrères, qui renforcerait son propos.

30. Ibidem, p. 40 et 43.31. Dans les inventaires, les écarts de fortune sont très importants, allant d’une dizaine de livres, pour

les moins pourvus, à 8 769 livres en 1520-21 ou même à 22 739 livres en 1570-71, ce qui reste encore éloi-gné des grandes fortunes de marchands internationaux ou de cour. En bas de l’échelle sociale, on trouveles saieteurs et les petits artisans, de nombreuses veuves, voire même quelques prêtres. Au sommet, c’estle monde des affaires : divers marchands (drapiers, merciers), riches artisans (orfèvres). Les nobles sontplus rares et n’atteignent pas obligatoirement la fortune des riches marchands.Tous leurs biens ne sont eneffet pas nécessairement assis à Amiens mais sont répartis entre différentes localités.

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Vierge, mais aussi pour des raisons de paraître social. Peu importe que les vête-ments représentés aient été réellement possédés et revêtus par ces personnagesou qu’ils aient été laissés à la discrétion des peintres. Ces derniers se doivent deles faire suffisamment vraisemblables dans leurs formes, leurs couleurs et leursmatériaux pour que le donateur et les siens soient reconnus dans leur aisancematérielle ou dans leur fonction, facilement identifiable dans le cas des ecclé-siastiques : surplis plissés des chapelains (1518, 1525, 1548, 1618) ; cape dedrap d’or, mitre et crosse de l’évêque (1519, 1521) remplacées au XVIIe siècle,« siècle des saints », par un vêtement moins pompeux (calotte, col droit, camailou courte pèlerine arrivant à mi-bras porté sur le rochet) ; tonsure et robe brune(1521) ou blanche (1605) des moines. En revanche, les simples prêtres sontdifficilement repérables. La robe longue et sombre d’Andrieu Desprez, prêtreet maître du Puy en 1519, le distingue peu par exemple des autres maîtres desa décennie, hommes de loi ou marchands.

Les inventaires confirment l’importance du paraître vestimentaire pour lesélites amiénoises. Chez les marchands et bourgeois possédant les plus grandesfortunes de la ville (plus de 20 000 livres en général), la valeur du vestiairedépasse rarement 10 % des biens inventoriés, contrairement aux personnes lesplus modestes (moins de 100 livres de biens) chez lesquelles elle peut dépasserle quart de la valeur d’ensemble des biens. Néanmoins, les garde-robes de lariche bourgeoisie les surpassent en valeur totale, du fait de la présence de tex-tiles plus coûteux et d’une quantité plus importante de pièces vestimentaires.Ces deux critères distinctifs sont plus accentués encore dans les garde-robesnobiliaires que les lois somptuaires du royaume visent à distinguer des autres.Une douzaine d’édits sont émis par le roi au XVIe siècle, afin d’éviter la confu-sion des apparences entre nobles et bourgeois sans que cette législation par-vienne à mobiliser la justice échevinale32. Objets d’un investissement financieret social, les vêtements sont donc des valeurs que les élites de la région pren-nent soin de mettre à l’abri des pillages, dans le contexte troublé de la frontièrepicarde. C’est pourquoi, en janvier 1545, on retrouve chez un chapelain de lacathédrale d’Amiens, curé de paroisse à Doullens, les biens qu’y fit déposerJehan de le Porte, le maieur de cette ville, située à quelques kilomètres de là, « enraison de la guerre qui a eu et encoires a cours en ce pays de Picardye pour evi-ter que iceulx biens ne fussent pillez et robbez »33. Habituellement convoitésdans les pillages – comme nous le montre un célèbre tableau représentant la

78 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

32. Isabelle PARESYS, «The dressed body: the moulding of identities in 16thcentury France», in HermanROODENBURG (éd.), Forging European Identities,1400-1700 (vol. IV de Robert MUCHEMBLED (éd.), CulturalExchange in Early Modern Europe), Cambridge, Cambridge University Press-European Science Foundation,2007, p. 252-254. Les échevins sévissent seulement en 1579 par de lourdes amendes infligées à des couplesde bourgeois amiénois contrevenant à l’édit de janvier 1576 du roi Henri III. Bibliothèque municipaled’Amiens (ensuite BMA), BB44, délibérations de l’échevinage du 22 janv. 1579, n. p.

33. BMA, FF 244 / 17 : biens trouvés en la maison de Martin Viguier, chapelain de la cathédrale etcuré de la paroisse de Saint-Pierre de Doullens ; biens de défunt Jehan de le Porte, maieur de Doullens,décédé à Doullens ; 28 janv. 1545 ns. Il s’agit de la guerre entre François Ier et Charles Quint qui s’achèveen septembre 1544 ; mais la guerre se poursuit contre le roi d’Angleterre Henri VIII jusqu’en juin 1546.

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Saint-Barthélemy parisienne34 – les vêtements du notable picard et de sonépouse représentent un peu plus de la moitié de la valeur de leurs biens meubles(literie, linge de maison, vaisselle d’argent), titres et papiers mis à l’abri àAmiens. Ce sont en outre leurs habits les plus précieux : robes de drap noirfourrées ou doublées de satin ou de damas, collets de velours ou de satin, pour-point et manches de velours. Avec une maigre garde-robe de deux ou troispièces différentes seulement, les plus modestes saieteurs de la ville ne bénéfi-cient pas de la même protection corporelle.

Les portraits collectifs des puys permettent d’appréhender dans leurensemble les silhouettes vestimentaires grâce au principe du portrait en pied,maintenu pendant toute la période étudiée. Ce mode de représentation est peucommun dans le portrait français à la Renaissance, qui pratique plutôt le por-trait en buste, tels ceux dessinés ou peints par les Clouet ou par Corneille deLyon, forts appréciés de la cour35. Le portrait individuel en pied est alors plu-tôt réservé aux souverains. À observer les puys des années 1520 (1518 à 1525 ;doc. 2 et 3), on relève combien la vêture repose sur les principes suivants36 :superposition des pièces vestimentaires et chef couvert pour tous, y comprisjusqu’en 1548 (doc. 5), à l’exception du donateur, agenouillé en positiond’orant, tête nue devant la Vierge, comme à l’église, et pesanteur des silhouettes.Le corps vêtu des Amiénois apparaît en effet alourdi par la masse des textileset des fourrures qui l’enrobent, au sens littéral du terme : superposition de lachemise, du pourpoint ou de la robe longue puis du manteau, pour leshommes ; chemise, cotteron et robe pour les femmes. Jusqu’aux années 1520,leur silhouette est aussi marquée par une longueur vestimentaire commune auxdeux sexes : longueur – encore très médiévale – des robes féminines traînantesqui gênent la marche et que certaines retroussent d’une main, les inventairestémoignant parfois de l’existence de troussoires, sortes de crochet permettantde retenir la queue de robe ; longues manches de fourrure aussi pour lesfemmes ; longueur des robes et manteaux masculins ; longueur encore descoiffes féminines tombant sur les joues ou / et à l’arrière de la tête (doc. 2).Celles-ci, associées à la largeur des grands bonnets portés par les hommes,accentuent l’effet de masse pesant sur des corps pourtant minces dans

LE PARAÎTRE VESTIMENTAIRE À LA RENAISSANCE 79

34. François DUBOIS, La Saint-Barthélemy, années 1570, musée de Lausanne. Un homme sort de lamaison de l’amiral Coligny emportant un sac de vêtements sur l’épaule, dont dépasse une paire de hautset bas de chausse.

35.Alexandra ZVEREVA, Les Clouet de Catherine de Médicis :Chefs-d’œuvre graphiques du musée Condé,Paris, Somogy, 2002 ; Anna DUBOIS DE GROËR, Corneille de La Haye,dit Corneille de Lyon, Paris, Arthena,1996.

36. La série des miniatures livrées à Louise de Savoie en 1518 (voir ci-dessus) s’avère malheureuse-ment peu utilisable pour la connaissance des apparences vestimentaires des confrères. Sans doute presséspar l’échevinage de se hâter pour satisfaire en un an seulement la commande royale, les enlumineurs sesont livrés à une reproduction rapide et assez grossière des puys, s’abstenant de reprendre l’ensemble despersonnages du modèle d’origine dans le groupe des personnages entourant le donateur, changeant lescouleurs des vêtements, comme on peut le voir par comparaison entre le fragment du plus ancien puyconservé au musée de Picardie, celui de 1499 (École d’Amiens, Arbre portant fruit d’éternelle vie, 1499), etsa reproduction en miniature.

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l’ensemble. Bien qu’évoluant vers un raccourcissement, comme on commenceà le voir sur le puy de 1520 (doc. 3) et surtout sur celui de 1525 (doc. 4), lamode renforce cependant l’imposante carrure masculine par le port de courtesmanches fort bouffantes sur le manteau.

Les textiles employés sont lourds et contribuent, eux aussi, à l’effet de pesan-teur des silhouettes : draps de laine, très fréquents dans les inventaires, et veloursunis pour la plupart, mais aussi quelques velours ciselés et damas à ornementvégétal («damas figuré » dans les inventaires) et brocarts tramés d’or. Ces der-niers donnent un reflet chatoyant aux vêtements de ceux auxquels ces tissus deluxe, souvent importés d’Italie dans cette partie du siècle, sont en principe réser-vés. On peut ainsi penser que leurs porteurs, dans les puys de 1518 (homme augrand bonnet rouge, au centre, doc.2), de 1519 (idem et trois femmes à gauche)et de 1520 (couple à la droite du donateur, homme à la droite de son épouse,doc.3) s’identifient ainsi comme nobles par ces signes distinctifs que leur réser-vent les lois somptuaires. Chez l’Amiénois ordinaire, les inventaires après décèstémoignent en effet d’un usage exceptionnel de ces tissus et à titre parcimonieuxseulement : drap d’or bandant une coiffe de fillette et couvrant ses templettesrelevé par exemple chez Jeanne Laudée en 151437. Enfin, les silhouettes amié-noises des années 1520 sont aussi alourdies par les doublures des vêtements.Invisible à l’œil nu dans les puys, la présence des doublures textiles est pourtantbien attestée par les inventaires amiénois car elles contribuent certainement à lavaleur du vêtement prisé. Leur présence est très importante dans les vêtementsde dessus38. D’une texture plus légère pour les pourpoints, les chausses ou col-lets (blanchet, parfois futaine ou toile de lin), les doublures sont souvent de drappour les vêtements tombants (robe, cotteron, saie) ou d’un textile simplementappelé «doublure », blanc, rouge, vert, voire bleu et surtout noir. La présenced’une doublure de satin de soie, de velours ou de taffetas relève des garde-robesles mieux pourvues et rend le vêtement plus chaud et plus confortable. Maisc’est surtout l’usage intense des fourrures pour doubler ou orner le vêtement,on le verra, qui contribue à alourdir les silhouettes vêtues des puys d’Amiens.Associées à la longueur des vêtements, celles-ci identifient en effet particulière-ment les modes de se vêtir des élites amiénoises du premier quart du XVIe siècle.

VÊTEMENTS LONGS ET FOURRÉS

Dans le premier quart du XVIe siècle, les notables amiénois n’ont pas encoreadopté de manière affirmée une distinction des sexes reposant sur le port du vête-ment court pour les hommes. Cette distinction, qui serait apparue au XIVe siècle

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37. BMA, FF 158 / 3, Jeanne Laudée, femme de Me Robert de Fontaines, rue du Marché aux fro-mages, mai-juin 1514.

38. La précision de la présence de doublures ne figure plus à partir de la fin du XVIe siècle dans lesinventaires amiénois. Les priseurs les négligent désormais, ce qui ne signifie pas que les doublures dispa-raissent des usages vestimentaires.

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avec l’adoption, par les jeunes gens à la mode, du pourpoint comme vêtement dedessus, peine à s’imposer à Amiens où elle se manifeste plutôt par la différencede coiffe, d’encolure et d’emmanchure entre hommes et femmes. Sur le puy de1518, par exemple (doc.2), la vêture masculine est remarquable par sa longueur,tombant jusqu’aux chevilles ou aux pieds de toute la lourdeur que lui confèrentle métrage de tissu et sa doublure textile ou fourrée, pour les personnages visiblesdans leur entier. Il en est certainement de même pour ceux des deuxième ou troi-sième rangs. On peut penser que ceux-ci portent pour la plupart la robe par des-sus la chemise (le plus souvent de chanvre ou d’étoupe, selon les inventaires) etle pourpoint dont on aperçoit à peine l’encolure, blanche pour la première, le plussouvent noir et parfois rouge, pour le second. Les inventaires confirment la forteprésence de la robe dans la vêture masculine, jusqu’au milieu du siècle. Ses colo-ris sombres, qu’attestent les inventaires (noir, brun, violet, gris parfois), contri-buent à l’étouffement visuel du corps masculin39.

La robe est la pièce de base du vestiaire masculin comme féminin, du moinsjusqu’au milieu du siècle pour le premier. Elle est aussi la plus coûteuse et elleest faite généralement de drap de laine. Présente dans toutes les catégoriessociales, elle reste toutefois plus abondante chez les plus aisés. On trouve parexemple, dans le premier tiers du siècle, douze robes de femme et huit robesd’homme chez Jeanne Laudée, veuve en premières noces du lieutenant généraldu roi en Ponthieu et remariée à un licencié ès lois, contre trois (dont deuxd’hommes) chez Marguerite Henry, femme de saieteur40. Cependant les inven-taires, pas plus que les histoires du costume, ne décrivent la forme de la robemasculine afin de la distinguer de la robe féminine ou du manteau dont la pré-sence est beaucoup moins fréquente dans le vestiaire masculin des inventaires.On peut penser que, sur les puys, les manteaux se distinguent des robes parleurs manches fendues, laissant apercevoir franchement celles du pourpoint,alors que les robes les portent longues, aux poignets plus ou moins larges. Larobe se porte ouverte sur l’avant et on la voit portée par le maître du puy de1518 (doc. 2), homme de loi, quand le manteau est revêtu par celui de 1525(doc. 4), gentilhomme. Dans les puys, on ne peut cependant guère déduire aveccertitude du port de la robe l’identité socio-professionnelle d’un individu(homme de loi par exemple), dans la mesure où la robe est présente dans tousles milieux qui l’apprécient pour son confort et sa chaleur, surtout lorsqu’ellese double de fourrure. Celle-ci, grise ou brune, s’aperçoit très fréquemment surles robes masculines, à la lisière de leurs pans et de leur encolure, ou encore endiscret revers de manche. Les inventaires confirment l’usage important du four-rage des robes des deux sexes. Il se fait essentiellement en agneau, noir ou blanc,

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39. La robe d’écarlate, étoffe de laine fine teinte en rouge, se rencontre exceptionnellement dans lesinventaires.

40. BMA, FF 158 / 3, Jeanne Laudée, femme de Me Robert de Fontaines, rue du Marché aux fro-mages, mai-juin 1514 (garde-robe de 402 livres) et FF 165 / 12, Marguerite Henry, femme de JehanCousin, saieteur, 11 déc. 1520 (garde-robe de 27 livres).

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parfois de dos de gris, de lièvre ou de putois, voire de chat sauvage, mais les four-rures de martre, de vair, de félin rouge, de loup-cervier et surtout de rogereuxou de létiche, sortes d’hermines, accroissent la valeur de la robe. Pour le confortdes plus aisés, la fourrure double aussi les collets ou des cornettes. Elle permetde pallier les conditions de chauffage précaires – le feu ne chauffe guère plus quele foyer de cheminée – mais les plus humbles peinent à en détenir une, mêmemitée. Doublant les vêtements ou à la bordure de ceux-ci, la fourrure signe l’ai-sance matérielle et l’appartenance de ses porteurs à l’élite urbaine.

Pourtant quelques changements modifient l’apparence plutôt classique desAmiénois, caractérisée par leurs vêtements longs et fourrés. Ils sont perceptiblessur quelques individus des puys de 1520 (doc.3), 1521 et 1525 (doc.4). Le portdu vêtement court se diffuse avec l’adoption d’un manteau court qui laisse per-cevoir le pourpoint, comme on le voit sur le personnage noblement vêtu, à ladroite du donateur de 1520, portant un pourpoint de damas argenté bandé d’or,marquant la taille mais descendant en jupe jusqu’aux genoux. La mode de cetype de pourpoint existe depuis la fin du XVe siècle. En 1525, au centre dugroupe, un élégant porte un manteau jaune doublé de fourrure, allant jusqu’auxgenoux, mais cette fois laissant passer les avant-bras de son pourpoint bleu à tra-vers des manches à gros bouffants.Trois autres hommes portent aussi cette cha-marre mais en noir. Un autre, à gauche (doc.4), retient d’une main les manches,ornées d’une large bande jaune tailladée et relevées sur son épaule, d’une doga-line blanche qui rappelle celle portée par François Ier sur le portrait réalisé vers1530 par Jean Clouet (Paris, Louvre)41. Chamarre et dogaline élargissent la car-rure masculine vers le haut du corps42. Ouverts, ces manteaux courts laissentvoir, sur les puys de 1521 et 1525 un pourpoint très court s’arrêtant à la taille,le haut des chausses et une proéminente braguette qui caractérise virilementl’apparence masculine jusqu’au dernier tiers du siècle. Elle est ici l’apanage dela jeunesse et du gentilhomme, semble-t-il. Elle est coquettement assortie à lachamarre bleue bandée de noir de l’élégant jeune homme, au pourpoint et aubonnet rouge, qui se tient derrière le donateur en 1521. Le principe est le mêmepour le gentilhomme en blanc, la main posée sur la garde d’une dague à l’étuiouvragé, figurant derrière le donateur en 1525 (doc.4), devant un élégant tour-noi se tenant aux pieds de la Vierge, «militante comtesse » de la foi.

Véritable dandy à la mode de la cour, ce personnage porte un pourpointrouge, un long haut de chausses blanc et une braguette assortie, le tout entiè-rement percé de taillades courtes ou à ellipses, laissant surgir la chemise ou unedoublure jaune, dans ce jeu de dessus-dessous dont le corps de mode raffole au

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41. Sur le puy de 1521, un homme revêt une dogaline rouge sur une robe noire à col bateau, maisles manches dépliées cette fois.

42. Les inventaires parlent quant à eux de « manteau », sans en préciser le type. Ils citent aussi, plusrarement encore, des « calbardine » ou « gawardine » ainsi que des paletots, sortes de manteaux aux formesdiverses qu’il est bien difficile d’identifier. Les ouvrages d’histoire du costume sont loin de mentionnertoutes les appellations rencontrées dans les textes du XVIe siècle. Ils ont aussi tendance à embrouiller leschoses, décrivant parfois sous un même nom, selon les auteurs, des pièces de formes différentes.

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XVIe siècle43. D’autres confrères les arborent, plus discrètement, autour du coldu pourpoint. Les taillades ornent aussi les manches des fillettes du même puy.Vraisemblablement inspirées par les lansquenets germaniques, elles confèrentconfort et souplesse à un vêtement qui se colle de plus en plus au corps44. Leurvogue pénètre tous les milieux urbains puisqu’on trouve, la même année, deschausses de drap violet « chiquetées » chez un fripier. Plus tard, l’échevinageinterdira même aux artisans, sous peine de confiscation de leurs accoutrementset de cent sols d’amende, de porter « aucunes chausses dechicquetees », consi-dérant ces ornements comme « superfluité et undescens à leurs estatz »45. Pourcouvrir leur tête, les Amiénois revêtent des bonnets à bords relevés à quatrepointes ou de larges toques, noires ou rouges, que les inventaires qualifient par-fois «de Florence » et disent ornées d’une enseigne pieuse, tête de saint ou Vierged’argent. Des presses à vérins, rencontrées dans quelques inventaires, permet-tent de remettre en forme le bonnet et les coiffes féminines.

Visuellement, l’Amiénoise des années 1520 se distingue de l’homme par leport d’une robe qui ne comporte pas d’ouverture verticale sur l’avant. Celle-cipeut bien sûr être fourrée, comme en témoignent les inventaires. La fourrured’agneau est la plus fréquemment mentionnée dans ces documents, la blancheétant celle qui renchérit le plus ce vêtement. Le vair apparaît un peu plus sou-vent chez les femmes, mais c’est la martre qui est la plus coûteuse. Les puyslaissent apparaître ce fourrage de robe lorsque la longue queue est remontée etattachée à la ceinture, à l’arrière, comme le font les épouses des maîtres de 1520et de 1525, respectivement greffier au bailliage et seigneur de Forestel. Cesfourrures de félin moucheté (1520, doc. 3 : donatrice) et de martre sont assor-ties à celles qui ornent les manches imposantes, montant jusqu’aux aisselles ettrès ouvertes aux poignets, dont se parent toutes les dames des années 1520,mode dont les Amiénoises les plus âgées peinent à se défaire au milieu du siècle(puy de 1548, doc. 5). Cette silhouette particulière, identifiée par la présencede la fourrure dans la vêture, est celle qui caractérise les Françaises, selon levoyageur italien Antonio de Beatis qui rapporte cette pratique au climat froiddu pays, par comparaison avec son pays natal : « Partout les femmes ont desfourrures à leurs robes, généralement d’agneau à cause des grands froids qu’ilfait »46. Mais l’engouement pour les larges manches fourrées et encombrantes,le poil tourné vers l’extérieur, relève autant de l’ostentation de fourrures par-fois fort coûteuses, que de la protection du corps47.

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43. Sur ce jeu du dessus-dessous du corps de mode depuis la fin du Moyen Âge, voir Odile BLANC,Parades et parures. L’invention du corps de mode à la fin du Moyen Age, Paris, Gallimard, 1997.

44. Christine ARIBAUD, « Les taillades dans le vêtement de la Renaissance : l’art des nobles déchi-rures », in Marie VIALLON (éd.), Paraître et se vêtir au XVIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’univer-sité de Saint-Étienne, 2006, p. 145-158.

45. BMA, FF 165 / 21,Vincent Bachelier, viesier (fripier), rue du Beffroi, 29 janv. 1521 ns et BB 33,échevinage du 11 juillet 1560, f. 127 r°.

46. Antonio DE BEATIS, Voyage du cardinal d’Aragon (1517), Paris, Perrin, 1913, p. 256.47. Les inventaires ne prisent pourtant pas séparément les manches des robes fourrées, même chez

les plus fortunés.

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La longue robe féminine des années 1520 suit donc pesamment la lignedu corps, alourdie par ces grandes manches en entonnoir qui masquent le creuxde la taille ornée d’une ceinture de tissu ou d’orfèvrerie, précieusement consi-gnée dans les inventaires, à laquelle peut pendre un lourd et long patenôtre(doc. 2 et 3) faisant fonction d’objet de dévotion et de parure, comme dans lecas de l’enseigne du bonnet masculin48. La robe est dotée d’un large décolletécarré, pudiquement couvert par la chemise et par de larges bandes noires bor-dant le corsage. Un gorgias (sorte de guimpe) de velours ou de satin noir – aucol en V (1518, doc. 2) – ou un collet de velours à col rond (1520, donatrice,doc. 3) ou montant (1525, donatrice) peut voiler pudiquement la gorge ou laprotéger du froid. Rares sont celles à suivre, en 1518 et 1520, la mode de la courlaissant davantage à nu ce décolleté qui prend une légère inflexion en arceau.Mais en 1525 la plupart l’adoptent et ceignent leur poitrine de deux lourds col-liers d’or (doc. 4). Retenue retroussée par la main ou fendue à l’avant de la jupedans une légère échancrure (doc. 3) – autre changement de la mode fémininedu temps – la robe laisse apercevoir un vêtement de dessous qui peut être decouleur et de tissu différents. Il s’agit vraisemblablement du cotteron, aussi fré-quemment rencontré que les robes dans les inventaires, quels que soient lesgroupes sociaux. Toujours doublé de tissu, il est, dans les inventaires, majori-tairement de couleur noire, coloris suivi de près par le rouge (doc. 3) puisd’autres (tanné, violé, pers, gris, brun). On relève parfois la mention d’un « cor-set » de drap, de blanchet ou de satin qui n’est alors qu’une simple pièce vesti-mentaire de dessous couvrant le tronc.Associé à cette mention, le cotteron peutavoir le sens de jupe49, sinon il s’agit vraisemblablement d’une robe de dessousdont les manches peuvent d’ailleurs être amovibles. Chez les défunts plutôtaisés, celles-ci sont prisées séparément et leurs couleurs (rouge, noir, bleu)contrastent avec celle de la robe (voir les manches rouges des femmes à robenoire du puy de 1525, par exemple, doc. 4).

La femme se distingue aussi visuellement des hommes par sa longue coiffede lingerie blanche, tombant sur les épaules et sur le dos. Les inventaires utili-sent le terme de « cœuvrechief » en toile de lin, présent en plusieurs exemplaireschez un même défunt, ce qui permet la superposition de deux d’entre eux.Apprêtés, ils s’accrochent au petit bonnet de dessous par une épingle piquée aumilieu du front et au niveau des joues (doc. 2). Est également présent dans lesinventaires le « chaperon », de drap noir le plus souvent, parfois de velours. Cebonnet-chaperon est formé d’un escoffion de tissu en arc de cercle, soit dansune large bande de tissu noir (1520, donatrice, doc. 3 ; doc. 5), soit bicolore(noir / blanc, rouge / blanc ; doc. 3). On y fixe une cornette noire ou rouge,

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48. Les patenôtres sont des objets de dévotion très présents dans les inventaires amiénois. BarbaraWEENS, « Les dévotions à Amiens de 1540 à 1590 d’après les inventaires après décès », mémoire de maî-trise, université de Picardie, 2002.

49. La prisée ensemble d’un « cotteron de drap brun gris avec un viel corsset de pareil drap » (10 sols)fait dans ce cas pencher en faveur du cotteron-jupe. BMA, FF 166 / 30 : Périgne Grenyn, veuve de Jehanle Carron, charpentier, rue de Noyon à l’enseigne de Ste-Barbe, 29 nov. 1521, 2 r°.

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parfois blanche (doc. 3), pièce de taffetas ou de satin tombant vers l’arrière. Ilpeut être orné de passementerie, de perles ou d’orfèvrerie. Contrairement auxgrandes coiffes blanches de lingerie qu’il supplante progressivement dans lespuys – arboré par une seule en 1518, il l’est par toutes en 1525 – il laisse voirdeux bandeaux de cheveux sur le front.

DES CITADINS VÊTUS DE NOIR

Les apparences des Amiénois des puys des années 1600, et dans unemoindre mesure celles du puy de 1548, contrastent de manière saisissante aveccelles de leurs prédécesseurs du premier quart du XVIe siècle. Elles témoignentbien sûr de l’évolution de la mode mais aussi vraisemblablement d’unemodification de l’expression des identités de l’élite urbaine au cours de laRenaissance. Celle-ci est notifiée à la fois dans la construction des portraits col-lectifs, différente de celle adoptée jusqu’alors, et dans les nouvelles modes ves-timentaires figurées.

La place du portrait collectif se trouve renforcée dans les puys du débutdu XVIIe siècle, on l’a vu, puisque celui-ci occupe désormais plus de la moitiédu tableau (doc. 6). Une impression d’ordre émane de ces figures d’Amiénoisbien rangés derrière leur souverain. L’apparente spontanéité, toute relativepourtant, des premiers puys du début du XVIe siècle a disparu. Les enfants dudonateur ou de sa famille ne s’ébattent plus à l’avant du tableau, debout, assisou agenouillés, tendant parfois la main vers leur père (1518, 1525) ou vers leurfrère ou sœur dans des gestes familiers (remettre une pomme, 1518, doc. 2),ou encore tournant le visage vers leur mère (1520, doc. 3). Les animaux fami-liers, chiens ou oiseaux (faisan, cygne, héron), ou plus exotiques (petit singeenchaîné en 1519), de même que les délicats végétaux sur le sol ne sont pasrepris dans les puys de Mathieu Prieur. Lorsqu’enfant il y a, celui-ci pose der-rière son père, s’il s’agit d’un garçon, et derrière sa mère s’il s’agit d’une fille,la place centrale étant réservée désormais aux enfants royaux. Sur les puys desannées 1600, les figurants posent tels des mannequins immobiles dont onaperçoit exceptionnellement les mains (doc. 6). Or jusqu’au puy de 1548,celles-ci restaient bien visibles, croisées sur le ventre, dans le cas des jeunesfilles à gauche de celui-ci, ou tenant une paire de gants. Dans les puys du débutdu XVIe siècle, ce sont les nombreux gestes effectués par les personnages quiles animent, malgré leurs visages impassibles. Ils tiennent les plis d’une robeou d’un manteau, égrènent les boules d’une patenôtre (doc. 2), arborent desbrins de muguet, des œillets rouges ou autres fleurs blanches et bleues (puy de1519), tiennent un rouleau de papier, se prennent parfois la main, font desgestes de parole ou de bénédiction (évêques), désignent la Vierge ou se tien-nent les mains sagement croisées sur le ventre (femmes, 1525 et 1548). Cesmouvements relèvent d’une gestuelle de la mesure qui, parfois, témoigne deliens que l’on peut supposer familiaux entre certains personnages. En 1518,

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au centre du groupe, un vieil homme en bleu tend la main vers l’épaule d’unjeune garçon, en bleu lui aussi, qui tend de son côté la main vers le donateur.Peut-être est-ce le fils de ce dernier, aux pieds de son grand-père, associé parle peintre dans une gestuelle filiale (doc. 2). En 1520, au second rang derrièrel’épouse du donateur, un petit enfant à robe et bonnet blancs tient d’une mainson hochet et montre du doigt une dame blonde joliment parée, sa mère sansdoute, qui tend elle-même la main vers la tête de l’enfant, dans un geste deprotection (doc. 3). Sur le même puy, un homme richement vêtu et l’épée à lataille prend par la main une jeune fille en robe rouge à sa droite, sa futureépouse vraisemblablement.

À la posture figée des Amiénois du début du XVIIe siècle se conjuguent denouvelles modes vestimentaires qui accentuent l’effet de raideur qui se dégagedes puys (doc. 6). Les modifications et les grands principes de la vêture arbo-rée par les élites amiénoises sont perceptibles en réalité dès le milieu duXVIe siècle. Le puy de 1548 frappe déjà par le caractère sombre des vêtures oùle noir domine désormais (doc. 5). En 1548, quelques rares éclats de couleurrouge donnés par des manches, ceintures ou cornettes féminines émaillentencore les apparences. La blancheur des surplis ecclésiastiques, de quelquescoiffes, des cols de chemise et des gorgerettes brodées de noir couvrant le décol-leté des jeunes filles du premier plan, tranche avec les sombres robes, manteaux,pourpoints, chaperons et bérets de drap ou de velours. Les hommes, barbusdésormais, ont le cou serré par le col du pourpoint porté sous un manteau ouune robe sur lesquels la fourrure se laisse encore percevoir. Contrairement auxjeunes filles, les femmes arborent toujours les larges manches de fourrure déjàappréciées au début du siècle, mais leurs bustes sont cintrés par un corsage derobe au décolleté désormais à peine entrouvert pour laisser dépasser un col delingerie légèrement rabattu, parfois un peu tuyauté, que les inventaires nom-ment « blanchissures de collet », toile qui peut aussi orner les poignets. Celles-cin’apparaissent d’ailleurs dans les inventaires du milieu de siècle que chez lesnotables, en nombre limité toutefois. Il en est de même pour la fameuse fraise(« fraze », collet ou collerette « à fraze ») qui identifie si bien le XVIe siècle sur lesplanches des histoires du costume. Celle-ci ne sera véritablement présente dansles inventaires amiénois qu’à partir des années 1570, chez les marchands etbourgeois et bien sûr dans la noblesse, et ceci jusqu’à la fin du règne d’Henri IV.La robe tombe encore droit sur les hanches, même chez les jeunes filles à lamode du premier plan avec escoffion, épaulettes et manches gonflantes enmaheutre (très gonflées aux épaules mais cintrées au niveau des bras), et granddécolleté en arceau. Les jupes ont pourtant perdu l’ampleur et les lourds plisdes années 1518-1521, mais il est difficile de savoir si elles couvrent une ver-tugade, ou vertugadin, jupon cerclé d’origine espagnole arboré à la cour à la findu règne de François Ier, donnant alors une forme conique au bas du corps. Unsondage dans les inventaires de 1550 ne permet pas d’en trouver chez lesAmiénoises décédées cette année-là. Seul l’inventaire de la noble Marie deSaisseval atteste un peu plus tard, en 1554, la présence de cet accessoire, réservé

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certainement aux femmes de son milieu. Elle en possède même deux, l’une debougran, l’autre de camelot, ainsi qu’une « basquyne [jupe] descarlatte bendéde velour, doublé de bougren noyr »50. Le bougran est une grosse toile forte etgommée, de chanvre ou de coton, qui sert de soutien à cette jupe ample qui seporte sur la vertugade. Dans les inventaires de la bonne société amiénoise de lafin du siècle, on trouvera des basquines d’un tissu plus coûteux à l’avant – quise voit à travers la fente de la robe – qu’à l’arrière.

La silhouette des Amiénois du début du XVIIe siècle est le prolongement desmutations amorcées précédemment. Chez l’homme, robes et manteaux recu-lent au profit du port de la cape, simplement posée sur les épaules. La robe n’estplus portée désormais que par les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions,usage que rappelle à ses membres l’échevinage en les incitant dès 1577, « pourl’honneur de la justice de la ville », à porter sous peine d’amende « robbes hon-nestes en tous lieux » et non à « entrer à l’hostel de ville ny en l’eschevinage avecmanteaulx » comme ils le font chaque jour, signe que la mode de la vêturecourte séduit les édiles dans l’exercice même de leur office51. Le gouverneur dePicardie rappelle en 1598 que, lors des cérémonies publiques, ceux-ci doiventrevêtir une robe de drap noir garnie de velours, avec un bonnet de velours ras,« et pour disserner le premier eschevin [autrefois maieur] d’entre les autres » cedernier doit en porter une de velours plein52. À l’exception du couple royal,Henri IV et Marie de Médicis, en riches atours de cour, les Amiénois du puy de1601 (doc. 6) ne se distinguent plus les uns des autres, dans la masse sombrede leurs habits, que par leurs visages posés sur leurs cols blancs. Leurs regardssont tous tournés vers le spectateur, d’une manière disciplinée qui contrasteavec ceux des confrères du début du XVIe siècle, tournés chacun vers desendroits différents. Les hommes sont dorénavant tous tête nue devant la Viergeet les femmes suivent la mode des cheveux relevés en raquette autour du visage.Un chaperon à bavolet, large et plat, couvre leur tête sous un pan carré alorsfort répandu chez les citadines53. On le retrouve encore sur le puy de 1618. En1601, ces Amiénoises n’arborent pas de fraise, mais une grande colleretteblanche tuyautée. Sur le puy de 1605, quelques points de dentelle, ornementapparu au milieu du XVIe siècle, ourlent les bordures de cols des femmes et desjeunes gens54. Un vertugadin étoffe aussi désormais les hanches de l’épouse dudonateur. La sobriété blanche et noire de ces très catholiques Amiénois n’em-pêche pas par ailleurs le port d’accessoires à la mode, retrouvés dans quelquesinventaires de cette période : par exemple «douze collerettes tant a frase qu’à

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50. BMA, FF 290 / 25, Marie de Saisseval, femme de noble homme Pierre Louvel, seigneur de Flerset de la Warde-Mauger, lieutenant du capitaine d’Amiens, élu pour le roi en lad. ville, 21-22-23 oct 1554.

51. BMA, BB 43, fol. 99, 11 juil. 1577 in G. DURAND, Tableaux…, op. cit., p. 59.52. Augustin THIERRY, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers-État.Tome 2 : pièces relatives

à l’histoire de la ville d’Amiens…, Paris, Firmin-Didot, 1853, p. 1102.53. Une Amiénoise en arbore déjà un sur le Puy de 1548 : doc. 5, dernière rangée.54. Mathieu PRIEUR (attribué à), Temple illustré de lumière éternelle, 1605, huile sur bois, Amiens,

musée de Picardie. Donateur : Jacques Destrées.

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bander », « vingt-quatre corps picquez » (pièce couvrant le tronc des femmes etrenforcée pour plus de raideur) chez un fripier en 1605, un «porte fraize », deux« hausse-cols », une « feuille servant à empezer » et deux « vertugadins de bou-gren », un « esventail » et trois masques de velours, protégeant le visage du soleilet des regards, chez l’épouse du sieur de Pissy en 160855. Ces accessoires demode contribuent au raidissement des corps.

Les puys de 1601 à 1618, peints par Mathieu Prieur, confirment l’apparencestricte et austère adoptée par les élites amiénoises (doc. 6). Leur vêtementdélaisse les couleurs bleues ou violettes, rouges, jaunes ou grises perceptibles surles puys du début du XVIe siècle. Il abandonne aussi définitivement la fourrureapparente aux manches, voire même en doublure, ce que confirment les inven-taires. La perte calorifique ainsi engendrée ne peut être que faiblement compen-sée par les doublures textiles. On ne voit guère que l’accumulation de vêtementssur le corps – lorsqu’on en a ! Les autres s’en passent – pour compenser cetteperte, alors que s’est ouvert un mini âge glaciaire et que les performances desmoyens de chauffage ne progressent pas. Sur les puys du début du XVIIe siècle,les élites urbaines s’affichent délibérément en noir, déjà apprécié dans l’aristo-cratique puy de 1525 et dans celui de 1548. Le noir n’a ici rien d’espagnol, mêmesi l’on inculque cette mode à la cour d’Espagne, ni de calviniste (il serait, chez lesprotestants, un signe de sobriété). Le noir domine alors les garde-robes de l’en-semble des groupes sociaux, de la cour – moins colorée sous Henri IV que sousle règne du dernier Valois – aux plus humbles saieteurs picards56. Les inventairesdes habitants de Meaux, entre 1590 et 1600, confirment la prédominance du noirchez les citadins, sur tous les vêtements de dessus des femmes, de la robe au cha-peron, et plus des trois-quarts des manteaux et chapeaux d’hommes ainsi queplus de la moitié de leurs pourpoints, hauts-de-chausse et bas57.Autour de 1600,les inventaires amiénois s’inscrivent dans cette tendance. Pourtant les inventairesde bourgeois et de nobles de cette époque attestent la présence de quelques vête-ments colorés (vert, gris, « rose seche », violet, bleu). Les habits noirs des trèscatholiques marchands et gentilshommes amiénois relèvent donc vraisemblable-ment d’un choix délibéré de représentation de leurs apparences pour ces puysexposés dans la cathédrale. Ils témoignent d’une éloquence visuelle identifica-trice de leur position sociale qui s’affiche dans la sobriété des coloris comme dansla raideur de leur posture qu’accentue le type de vêtement désormais porté dufait de l’évolution de la mode.

Sur leurs corps raidis par les pourpoints, vertugadins, corps de robe baleinéset grandes collerettes tuyautées, le noir participe à une hexis corporelle distinctive

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55. BMA, FF 573 / 7, Jean Boullefroy, viésier, 28 déc. 1605 ; FF 588 / 4 : Françoise Desplanques,femme de Jacques de Louvencourt, écuyer et sieur de Pissy, rue au Lin, 19 nov. 1608.

56. Les comptes de l’hôtel d’Henri IV (1595) et l’inventaire après décès de Gabrielle d’Estrées(1599), alors quasi reine, témoignent de la forte présence du noir dans les garde-robes curiales (noird’abord pour Henri IV, puis gris, gris-blanc et coloris bruns ; noir d’abord pour Gabrielle, puis blanc, decoloris bruns, gris, vert) : Archives nationales, KK 148, année 1595 et FF 157, 29 avril 1599.

57. M. BAULANT, « Jalons pour une histoire… », art. cit.

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des élites sociales : signe d’autorité, mais aussi de tempérance et de sobriété,valeurs chères aux protestants comme aux catholiques ; signe d’élégancemodeste aussi, témoignant des valeurs morales de l’être et de celles de son âmequi s’expriment par le paraître58. Cette tempérance vestimentaire affichéeainsi que l’immobilité des corps contrastent avec l’hexis corporelle des élitesamiénoises du début du XVIe siècle. Celles-ci partagent bien sûr avec leurs suc-cesseurs le souci de la distinction. Mais celui-ci s’exprime dans une visibilitéplus ostentatoire et somptuaire au plan des matériaux et des couleurs, dansune silhouette pesante que compense à peine une ébauche de gestuelle. Ladémonstration de l’honneur rendu à la Vierge et de l’affirmation de soi desélites urbaines passe, au début du XVIe siècle, par l’exhibition de l’aisancematérielle et d’une certaine individualisation des apparences, de nombreuxpersonnages se distinguant des autres par les vêtements arborés.Au tout débutdu XVIIe siècle, ces valeurs reculent au profit de la sobriété des apparences.Sans doute peut-on mesurer ici, sur l’oligarchie amiénoise, l’impact desmorales vestimentaires chrétiennes, attisées au XVIe siècle par les temps d’af-frontements religieux, de violences et de détérioration économique, qui blâ-ment la « superfluité d’habits » accusée de mener au chaos, et qui appellent àla mesure59. La sobre uniformité vestimentaire, la disparition des corps der-rière la masse sombre des vêtures parmi lesquelles un individu donné ne sedistingue plus du groupe que par sa tête que met en valeur une blanche colle-rette, sont également l’expression de l’humilité de ces catholiques devant laVierge dont ils sont dévots. L’uniformité des apparences renforce aussi l’idéed’un groupe à l’unisson, tant dans une communauté de prière que derrière lesouverain, dans l’aspiration à la paix dans laquelle le souverain et la ville jouentun rôle central. Néanmoins, si l’hexis corporelle des élites du début duXVIe siècle reposait sur des valeurs plus somptuaires, celle des élites amiénoisesdu siècle suivant n’en reste pas moins ostentation par la place importante quecelles-ci occupent désormais dans les puys henriciens comme par l’impactvisuel de l’uniformité de leur apparence qu’accentue le contraste avec lesvêtures royales.

* * *

Loin des très aristocratiques portraits Renaissance et des dessins en couleursde la collection Gaignières (BnF, estampes), qui reproduisent ces portraits et quialimentent les traditionnelles histoires du costume français, la collection des puysd’Amiens du musée de Picardie fournit un corpus documentaire inédit pour une

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58. Voir I. PARESYS, « The dressed body… », art. cit., p. 236-240 ; EAD., « Paraître et se vêtir auXVIe siècle : morales vestimentaires », in M. VIALLON (éd.), Paraître et se vêtir…, op. cit., p. 11-36. Sur l’ha-bit noir dans l’histoire du costume sur le long terme, voir John HARVEY, Men in Black, London, ReaktionBooks, 1995 ;Valerie STEELE, The Black Dress, New York, Harper Collins, 2007. Sur la place du noir dansla culture occidentale : Michel PASTOUREAU, Noir. Histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2008.

59. I. PARESYS, « Paraître et se vêtir… », art. cit.

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meilleure connaissance des apparences vestimentaires entre le début duXVIe siècle et celui du XVIIe siècle. Croisés avec la documentation manuscrite desinventaires après décès, les puys permettent d’appréhender la vêture de la popu-lation urbaine, du moins de ses élites marchandes, juridiques et nobiliaires, quis’exposent dans ces tableaux de dévotion religieuse. Inaccessible aux plusmodestes des Amiénois pour lesquels une seule robe possédée par les marchandsles plus fortunés représente plusieurs mois de salaire60, celle-ci suit l’évolutionde la mode entre haute et basse Renaissance.Valeur et nombre des pièces vesti-mentaires prisées dans les inventaires confirment que le paraître est l’objet d’uninvestissement plus important dans les élites urbaines marchandes et surtoutnobles. Leurs silhouettes évoluent cependant vers un allégement grâce à desformes plus près du corps, plus courtes, s’affranchissant des plis et de l’ampleurdes vêtements et longues coiffes ainsi que des pesantes fourrures. Plus raide dansses habits, le corps vêtu des Amiénois adopte définitivement le noir et l’évolu-tion stylistique des puys accompagne l’impression d’austérité donnée par leursportraits collectifs au début du XVIIe siècle.

L’éloquence corporelle des élites urbaines s’affiche désormais dans le sensde la tempérance et de la sobriété vestimentaire. Elle ne peut manquer de rap-peler celle des portraits collectifs de régents et marchands hollandais, peintsdans un tout autre contexte économique et religieux pourtant, signe quel’« homme en noir » n’est pas l’apanage des pays calvinistes, ou de l’aristocratieespagnole, mais le signe d’un ethos commun, celui de la sobriété distinctive ducorps vêtu. Sur les puys, cette sobriété confère aux Amiénois une unité bienordonnée, participative de leur identité urbaine, qu’exprime le très symboliquetableau commandé en 1605 par un marchand tanneur. Le puy les figure devantla cathédrale, auréolée d’un halo lumineux, emblème de leur bonne ville, trèscatholique et fidèle sujette du roi Bourbon. Il s’agit du chant du cygne pourcette forme d’expression des identités urbaines, car les puys des années 1627 à1637 conservés aujourd’hui dans la cathédrale n’exposent plus, pour le « siècledes saints », que des scènes de vie de la Vierge (assomption, pamoison…), ausens directement perceptible par la population61. La représentation des appa-rences des élites urbaines laisse définitivement place à la dévotion mariale.Parallèlement, la confrérie du Puy Notre-Dame périclite. Les notables amié-nois ne se pressent plus pour se faire élire maîtres au XVIIe siècle. Les « rébuspicards » des chants royaux locaux sont moqués dans les cercles littéraires et laconfrérie y renonce après 1694. Le dernier maître est élu en 1729, mais dès1723 le chapitre a retiré à la confrérie ses privilèges de communauté et a détruitles puys ou les a dispersés vers d’autres paroisses.

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60. En 1555 et en 1570, par exemple, la plus coûteuse des robes des femmes des plus grandes for-tunes marchandes amiénoises inventoriées dans l’année ne vaut pas plus de vingt livres mais cette sommereprésente environ huit mois de salaire d’un manouvrier.

61. Le puy de 1628, par exemple, répondant au refrain « Vierge ès accords de loix d’amour parfait »,actuellement visible dans la cathédrale d’Amiens, représente une Pamoison de la Vierge.

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Croisé avec la documentation écrite, et non utilisé comme simple illustra-tion de celle-ci, le corpus iconographique permet ainsi de mieux appréhenderla culture visuelle d’une époque. Celle-ci se construit, non seulement par l’as-semblage et l’évolution des formes vestimentaires sur les corps, mais aussi parla représentation (iconographique et littéraire) que les individus, les groupessociaux ou les artistes veulent en donner. Mais ce chantier est encore en grandepartie à défricher.

Isabelle PARESYS

Institut de Recherches Historiques du Septentrion(IRHiS, UMR 8529 CNRS)

Université Charles-de-Gaulle Lille 3BP 60149

59643 Villeneuve d’Ascq [email protected]

Résumé / Abstract

Isabelle PARESYSLe noir est mis. Les puys d’Amiens, ou le paraître vestimentaire des élites urbaines à la Renaissance

La série des puys d’Amiens, tableaux de dévotion à la Vierge conservés au musée de Picardie,constitue un corpus documentaire remarquable et inédit sur la culture visuelle vestimentaire desélites urbaines à la Renaissance. On peut croiser leur étude avec celle des inventaires après décès dela ville. Entre 1518 et 1618, le vestiaire amiénois évolue vers un allègement des formes grâce au reculde la fourrure et à des vêtements plus proches du corps et plus courts. Les corps vêtus s’assom-brissent aussi, car le noir l’emporte définitivement dans les apparences affichées au début duXVIIe siècle. L’effet de raideur, donné alors par la mode, et l’austérité affichée par les Amiénois sontaccompagnés par l’évolution stylistique des puys. Ceux-ci privent les corps de tout mouvement etles alignent derrière le souverain, désormais présent parmi ses sujets. L’éloquence distinctive desélites urbaines s’affiche dans le sens de la sobriété qui confère à celles-ci, sur les puys, une unité bienordonnée, participant de leur identité de très catholiques et fidèles sujets du roi Bourbon.

MOTS-CLÉS : France, Amiens, Renaissance, cultures visuelles vestimentaires, élites urbaines,identités �

The puys of Amiens series preserved at the Picardy Museum are a group of paintings devoted to theVirgin.When considered in combination with probates inventories, they are a remarkable and originalsource about the “clothing visual culture” of the urban elites. Between 1518 and 1618 the garments wornby the citizens of Amiens become shorter and more fitted and furs are less common,so the dressed body looksslighter.The dressed bodies also become significantly darker at the beginning of the 17th century.The stiff-ness and austerity of fashion displayed by the citizens are in keeping with the stylistic evolution of the puys.These paintings also deprive the bodies of their gestures and place them behind the king who is now pre-sent among his subjects.The clothing of the urban elites of the puys reveals a distinctive eloquence and showsa sobriety that gives them a well ordered unity asserting their identity of very catholic and loyal subjects ofthe Bourbon king.

KEYWORDS : France,Amiens, Renaissance, clothing visual cultures, urban elites, identities.

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