Le baromaître

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DIGNITÉ, EUTHANASIE, LIBERTÉ RELIGIEUSE, GPA RETOUR SUR L'ACTUALITÉ DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ANALYSE DE LA RÉFORME CHRONIQUES DROIT PUBLIC DES AFFAIRES DROIT DES SOCIÉTÉS DÉTENTE CULTURE GASTRONOMIE LE BAROMAÎTRE PROMOTION BADINTER – PROMOTION LE BORGNE AOûT 2014 – #3 NUMÉRO SPÉCIAL DIGNITÉ HUMAINE

Transcript of Le baromaître

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LE baromaîtrEpromotion badinter – promotion le borgne – août 2014 – #3

numéro spécial

dignité humaine

#3 édito

Qu’est-ce que le Baromaître ? Un journal étudiant ? Une revue juridique mi-profes-sionnelle, mi- étudiante ? Il sera ce que les élèves-avocats décideront. Ce que tous les élèves de chaque promotion entendront faire de lui.

Ils seront guidés par une responsabilité particulière, celle qui les conduira, dans quelques mois, vers le métier d’avocat. L’essentiel est là.

Le deuxième numéro de l’année 2014 est le fruit d'une collaboration entre les équipes des promotions Badinter et Le Borgne du Baromaître.

Reprenant les piliers définis par l’équipe Badinter, l’équipe Le Borgne a fait le choix de renforcer la partie juridique, « Le Baropôle », sans toutefois négliger « Le Maîtropôle » et ses chroniques culturelles.

Me Jean-Yves le Borgne, parrain de la promotion 2014-2015, nous a fait le plaisir de nous accorder une interview, qu'il en soit ici remercié.

La dignité. Pour ce numéro, le Baromaître a choisi ce thème afin de rendre hommage à nos deux parrains.

Révolutionnant à jamais le droit pénal en France, Robert Badinter s'est insurgé et mobilisé toute sa vie pour faire respecter la dignité ; tandis que Jean-Yves Le Borgne, avocat pénaliste de renom, poursuit chaque jour ce noble combat.

Élèves avocats, puisse toute votre vie professionnelle être imprégnée par le parcours de ces deux hommes.

Notion au contenu ô combien polysémique, la dignité est un principe essentiel de la profes-sion d’avocats, un principe à valeur constitutionnelle, et également un principe que tente de faire respecter la Cour européenne des Droits de l'homme. Bien souvent avec les difficultés que l'on connait...

Comment une même notion peut-elle, de manière concomitante, justifier ou empêcher l’eu-thanasie, justifier l’interdiction d’un spectacle d’un « humoriste » ou encore tenter d'imprégner la vie carcérale ?

Le droit français n’a pas décidé que faire du principe de dignité. L’exploitation juridique et politique de ce principe semble aujourd’hui sans limite.

Et pourtant, sans doute, faudrait-il revenir à l’essence de la notion : un principe intangible de l’espèce humaine. La caractéristique première de l’homme.

Nous vous souhaitons un excellent été, de révisions du CAPA pour certains, de stage ou d'apprentissage pour d'autres !

Aurore Lott, Directrice de la publication de la promotion Badinter Yohann Smadja, Directeur de publication de la promotion Le Borgne

éditoLe Baromaître

1, rue berryer

92130 issy-les-moulineaux

Directrice De publication proMo baDinter

aurore lott

Directeur De publication proMo leborGne

Yohann Smadja

coMité De réDaction

Rédacteurs en chef Promo Badinter Sandra auffray

maxime aunos

Rédactrice en chef Promo Leborgne Clémence moulonguet

Secrétaires de rédaction alexis bouvet, mélanie Cinbas, aurore

Vigreux

Equipe rédactionnelle Khaled aguemon, maxime aunos, Sonia

ben mansour, pierre-Henri brieau, Cyrielle Cazelles, Cindy Cloquette, daniel Cruz, Joël deumier, laurene

deville, enzo Faedda, benjamin gourvez, aurore lott, Clémence moulonguet,

albertine munoz, benjamin pichto, boris rosenthal, pauline rousseau, Yohann

Smadja, aurélie thuegaz

Ont également contribué à ce numéro mme le président anne-marie Sauteraud,

m. le bâtonnier pierre-olivier Sur, m. le directeur Jean louis Scaringella,

me Jean-Yves le borgne, me dominique de leusse de Syon, me Xavier

neumager, me Christophe théron, me gabriel Sonier, m. Christophe barbier,

mme Sylvie Jan, mme laurence brunet, enzo Faedda

Fabrication

Infographiste boris lassauge

Relecture Sandra auffray, alexis bouvet, boris

lassauge, aurore lott, Clémence moulonguet, Yohann Smadja

Crédits photographiques nicolas bertrand, laurence brunet,

Facelly/Sipa, enzo Faedda, Fotopedia, benjamin gourvez, d. guillaudin/

marvelpix, islametinfo.fr, iStockphoto, Sylvie Jan, antoine laurent, Christophe lebedenski, dominique de leusse de

Syon, Xavier neumager, thibaud poirier, anne-Christine poujolat, Franck prevel/

getty images europe, Yann revol, Saphirnews, anne-marie Sauteraud,

gabriel Sonier, Jean-louis Scaringella, sfnej, Christophe théron, Wikimedia

Commons

Impression le baromaître est imprimé par

BNP Paribas 16 boulevard des italiens, 75 009 paris

le baromaître est édité par AEA PARIS

Siège social : 1, rue berryer, 92130 issy-les-moulineaux

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intégrales ou partielles, quels qu'en soient le procédé, le support ou le

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les opinions exprimées dans ce magazine n'engagent que leurs auteurs respectifs et ne reflètent en aucun cas

le point de vue de l'association des élèves avocats.

Dépôt légal à parution.© AEA - 2014 - Tous droits réservés.

le Baropôle

édito

le maîtropôle

maître mot

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sommaire #3

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#3 maître mot #3 maître mot© Christophe Lebedinsky courtesy Jean-Louis Scaringella

Pierre-Olivier Sur

Jean-Louis ScaringellaQuand on vient d'être élu bâtonnier, on trouve dans la corbeille de la mariée, la présidence de l'EFB... Et

on en est très fier !

Mais pour la formation des futurs avocats, le devoir de bien faire relève d'une exigence quasi exclusive, qui me semblait incompa-tible avec les autres missions qui me sont dévolues. C'est pourquoi ai-je délégué cette présidence — l'une des plus belles qui soit — à Laurent Martinet, vice-bâtonnier de l'Ordre, tandis qu'ensemble nous nous sommes enga-gés à donner des cours de déontologie.

En outre, nous avons voulu professionna-liser l’École : confier la direction générale à Jean-Louis Scaringella, un avocat qui fut directeur d'HEC et de l’ESCP Europe ; mettre en place une Fondation du droit présidée par Janine Franceschi-Bariani et un comité scientifique très éclectique (où siègent : Christopher Baker, avocat à la cour ; David Capitant, professeur à Paris I ; Christophe Jamin, professeur et directeur de l'école de droit de Sciences-Po ; Anne-Sophie Le Lay, directeur juridique du groupe Renault ; Jean-Claude Magendie, Premier président hono-raire de la cour d’appel de Paris ; Bernard Ramanantsoa, président du groupe HEC ; Louis Vogel, professeur et ancien président de l’université Paris II ; Jean-Louis Scaringella, directeur de l’EFB). Il s'agit d'inscrire l'EFB

dans une globalisation où « la place de Paris dans le monde » est incontournable pour le conseil, le contentieux et l'arbitrage, en déve-loppant des partenariats avec des Universités étrangères (l'Inde, la Chine, le Brésil 1). Car il faudra qu'un quart de la promotion Jean-Yves Le Borgne parte six mois à l'étranger, comme cela se fait obligatoirement pour tous les élèves des grandes écoles.

Pourtant l'EFB n'est ni une grande école, ni une université. Elle est mieux que cela. Elle est une école d'application, unique en son genre, qui doit être identifiée dans le monde à la croisée des chemins entre le droit d'ori-gine romano-germanique et le droit d'origine anglo-américain.

Ainsi souhaitons-nous — votre président, votre directeur, votre bâtonnier, avec tout le corps enseignant principalement constitué d'avocats qui ne sont pas rémunérés, mais dont la seule raison d'enseigner est le devoir de transmettre leur passion du métier — faire de vous les meilleurs jeunes avocats du monde ! Ce n'est pas une formule de style, tant nous estimons que les jeunes avocats du barreau de Paris sont les mieux positionnés pour promouvoir le droit continental dans un contexte concurrentiel de mondialisation du droit.

Pierre-Olivier Sur Bâtonnier du Barreau de Paris

le mot du bâtonnier apprendre à exercer le plus beau métier du monde

1 Accords de partenariats signés avec les universités :

Bond University, Queensland, Australia

Northwestern University, Chicago, USA

Berkeley Law, California, USA

International Business Law, Paris II – Singapour

Queen Mary University of London

Accords de partenariats en cours :

Fudan University Law School, Shanghai - PRC

Shanghai Jiao Tong University Koguan Law School – PRC

The National Law School of India University Bangalore - India

The National Law University Dehli - India

Pontificia Universidade Católica – Rio de Janeiro - Brazil

« L’apprentissage, loin d’être une accumulation de connaissances, doit être un processus de progrès global de la personne ». Le ton donné par le nouveau directeur de l’École de formation des barreaux de la cour d'appel de Paris (EFB), dans son discours de rentrée du 9 janvier 2014, laissait entrevoir ses aspirations pour notre école. Bien au-delà de la dispense de cours, l’école accentue le soutien au développement des projets professionnels des élèves avocats, et diversifie son panel d’offres de stages et de diplômes à l’international.

Le Baromaître : Vous êtes directeur de notre école depuis le début de l'année 2014, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours et vos ambitions pour notre école ?

Jean-Louis Scaringella : Avocat de formation, j'ai été professeur de finances d'entreprises, avant de diriger HEC et l'ESCP.

M'étant inscrit au Barreau de Paris il y a un an, l'opportunité qui m'a été donnée de diriger l'EFB me permettra de moderniser cette école, et de m'inspirer de mes précé-dentes expériences en tant que directeur de grandes écoles afin de donner à l'EFB une belle envolée.

Il m'importe prioritairement de rendre cette école plus professionnalisante. Mais

pour ce faire, il sera nécessaire de remédier à l'une des difficultés majeures à laquelle est confrontée l’école : parvenir à mobiliser suffisamment d'avocats permettant l'orga-nisation d'enseignements par petits groupes d'élèves.

BM : En tant qu'avocat, quelle est votre vision de cette profession ?

JLS : Il s'agit du plus beau métier du monde! Il suffit de constater la situation des personnes dans les pays sans avocat pour s'en rendre compte...

Assistant des gens confrontés à la com-plexité de l'univers juridique — qu'il s'agisse d'un dirigeant de société confronté à des pro-blèmes pénaux ou financiers, ou d'un père de famille devant faire face à la délinquance de

renContre aVeC Jean-louiS SCaringella, direCteur de l’eFb

1 cf. rapport de l'Agence frAnçAise pour les investissements internAtionAux, Bilan 2013 des investissements étrangers créateurs d’emplois en France

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#3 maître mot #3 maître mot

son enfant — notre rôle est de les assister et de les guider au mieux.

Ces gens de différents milieux sociaux, confrontés à des problèmes juridiques très différents ont tous en commun un besoin d'écoute et de soutien.

Moralement, il s'agit d'une profession extrêmement gratifiante et il faut être fier d'exercer ce métier. Mais les élèves-avocats doivent être préparés à un parcours semé d'embûches. Outre qu'il s'agit d'un métier où l'on s'imprègne facilement des problèmes de ses clients, le contexte actuel est extrême-ment concurrentiel et l'insécurité juridique de plus en plus grande.

La première collaboration est détermi-nante  : il est important de bien choisir les gens avec lesquels on sera amené à travailler, l'idéal étant, je pense, d'avoir la chance d'être guidé par un mentor.

Aussi, est-il important de ne pas être passif dans la gestion de sa carrière profession-nelle  : se montrer volontariste, prendre des risques et, dès le début de sa carrière, bien choisir son positionnement concurrentiel (la manière de se présenter sur le marché, la clientèle que l'on souhaite avoir, les moyens nous permettant de nous démarquer).

BM : L'une des priorités donnée par le nouveau bâtonnier du Barreau de Paris, Me Pierre Olivier Sur, et son vice-bâtonnier, Me Laurent Martinez, est une plus grande ouverture des avocats sur l'étranger.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cet ob-jectif défini par Mes Sur et Martinez, auquel vous avez été invité à collaborer activement dans le cadre de la direction de l'EFB ?

JLS :  Nous sommes partis du constat que l'international pénètre déjà toutes les activités des clients des avocats et que cela s'intensifiera dans les années à venir. Prenez les entreprises du CAC 40 par exemple, en-viron 60 % de leur actionnariat est étranger et nombreuses sont celles qui réalisent la majorité de leur chiffre d'affaires à l'étranger et investissent dans le monde entier.

Force est également de constater qu'au-jourd'hui la croissance ne se fait plus en France — où le PIB stagne depuis 2008  — mais dans les pays «  émergés  » tels que la

Chine, l'Inde, ou encore à moindre mesure le Brésil, le Mexique et l'Argentine.

Même les PME ont ainsi aujourd'hui ten-dance à se tourner d'avantage vers l'étranger.

Aussi, bien que les étrangers soient encore frileux à investir en France, 685 projets d’in-vestissements étrangers ont été recensés en 2013 (soit autant qu’en 2012)1 et il est certain que ces investisseurs ont besoin d'avocats en France pour défendre leurs intérêts au niveau local.

On notera que l'international imbibe également le droit de la famille (succession, filiation) et cela s'intensifiera nécessairement avec les nouveaux problèmes juridiques en-gendrés par la réforme du droit de la famille (on pense notamment aux conséquences de la PMA et de la situation des mères porteuses à l'étranger).

Il semble ainsi aujourd'hui primordial que les avocats de demain soient préparés à ces changements majeurs et soient sensibilisés à la dimension culturelle des problèmes juri-diques internationaux.

Voilà pourquoi la priorité de l'école est — à l'instar des grandes écoles françaises — de s'ouvrir davantage à l'international.

BM : Pouvez-vous nous en dire plus sur le développement des possibilités de réalisation d'un projet personnel individualisé (PPI) à l'étranger ?

JLS : Comme vous le savez, il existe déjà des partenariats avec des universités et des cabinets anglais et américains notamment. Néanmoins, dans l'optique de permettre aux élèves-avocats de bénéficier des mêmes op-portunités que les élèves des grandes écoles, nous souhaitons aujourd'hui développer da-vantage les offres de PPI à l'étranger.

Ainsi, nous avons commencé par mettre en place des partenariats avec des universités et des cabinets en Chine et en Inde. Et nous sommes actuellement en train d'en mettre en place avec Ottawa et le Québec.

Au total, une dizaine d'accords sont ainsi en place actuellement avec des universités étrangères, et, dans certains pays, également avec des cabinets d'avocats ou les directions juridiques de sociétés.

BM : Comment s'effectue le recueil des candidatures et disposez-vous d'autant d'offres que de candidatures ?

JLS : Le recrutement s'effectue en prenant en considération le parcours universitaire, la maîtrise de l'anglais, la motivation profes-sionnelle de l'élève et sa capacité à assumer des risques et à tenter une aventure humaine dans un environnement inconnu. Nous dis-posons actuellement de plus de possibilités de stages ou de formations à l’étranger que de candidatures.

BM : Pour conclure, pouvez vous nous dire quelques mots sur la réforme sur le démarchage ?

JLS : Cette reforme permettra de légitimer une pratique devenue nécessaire pour se dé-marquer dans une profession de plus en plus compétitive.

Il était important que la publicité compara-tive, les critiques de confrères et la révélation des clients de son cabinet demeurent inter-dites, le principe de confraternité continuant, à juste titre, de jouer un rôle prépondérant.

Propos recueillis par Aurore Lott

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#3 maître mot #3 maître mot© Facelly / Sipa

Jean-Yves le Borgne

Le Baromaître : Parrain de la nouvelle promotion de l’EFB, qu’est-ce que cela signi-fie pour vous ?

Jean-Yves le Borgne : Il est difficile de donner un sens précis à cette notion de parrainage, je pense d’abord que c’est un honneur qu’on a bien voulu me faire. On donne aux promotions de l’EFB des noms qui cachent quelque chose, qui peuvent re-présenter, je pense à Christine Lagarde, une réussite exceptionnelle.

En ce qui me concerne, j’aurais plutôt comme caractéristique de profil d’être exclu-sivement avocat au XXIe siècle, un peu peut-être comme on l’était déjà au XIXe. Je ne suis pas sûr qu’il faille interpréter cela comme une forme de passéisme, de traditionalisme à appliquer à la promotion qui porte mon nom. Il y a plusieurs façons d’exercer la profession d’avocat mais peu de références et de règles générales qui président à ces règles. Pour moi

le Barreau est un état, une manière d’être en fonction de critères. Ce qui peut nous donner des avocats d’affaires, de droit immobilier ou un avocat de cour d’assises. Alors je suis plutôt ce modèle qui existait déjà dans les romans Balzacien.

Ce qui me paraît important c’est qu’on reconnaisse un avocat à travers un certain nombre de valeurs qu’il incarne à sa façon et que les autres sont destinés à suivre, non pas par imitation mais par adoption d’un modèle non pas de l’homme, mais des valeurs elles-mêmes de l’avocat.

BM : Quel sont selon vous le rôle et l’ob-jectif de l’École de formation du barreau ?

JYB : C’est une école pratique qui doit préparer à l’exercice quotidien donc concret de la profession mais on ne peut pas établir une séparation entre d’un côté, les principes et valeurs qui font un avocat et de l’autre,

Parrain de la promotion entrante de l’EFB, Me Jean-Yves le Borgne nous a reçu au sein de son cabinet du boulevard Saint-Germain. Entre les bibelots asiatiques qui ornent son bureau, sa voix résonne dans tous les coins de la pièce, comme si cette dernière adhérait aux paroles de son maître et, pour le soutenir, lui faisait écho. Avec l’éloquence et le charisme qui le caractérisent, M.  le vice-bâtonnier répond à nos questions.

renContre

Jean-yves le borgne

les recettes quotidiennes qui font l’exercice d’une ou plusieurs facettes de la profession. Au fond, ce qui nous réunit à travers la di-versité de nos exercices quotidiens, ce sont les valeurs qui guident l’exercice de la pro-fession d’avocat.

L’école est un creuset commun dont cha-cun sortira pour suivre le parcours que ses choix et les opportunités auront déterminé, mais il y aura cette exigence commune de répondre et de respecter ces valeurs apprises à l’école.

BM : Ne pensez vous pas qu’il y a un problème de nos jours, notamment en stage, à imposer aux élèves-avocats une charge importante de travail sans leur permettre de vivre de leur travail compte tenu de la rému-nération a minima ?

Et même plus largement, de demander aux élèves-avocats de se comporter comme des avocats, d’assimiler les valeurs sans leur en donner les moyens ni techniques, ni procédu-raux, ni financiers ?

JYB : Je ne vois aucune contradiction. Vous n’avez pas besoin de « moyens » pour apprendre et comprendre les valeurs atta-chées à la profession d’avocat. Quand on vous dit qu’il y a des valeurs essentielles de loyauté, de délicatesse, de désintéressement, etc., je ne vois pas quels moyens il faudrait vous donner pour les respecter.

Alors, au bord de l’inanition, on peut être tenté de fouler au pied les valeurs de délica-tesse en volant une miche de pain. Mais là, quelle serait cette impossibilité qui impose-rait de ne pas respecter ces valeurs ?

Au sujet de la rémunération, je ne sais pas de quelle rémunération vous parlez. Oublions la rémunération de l’élève-avocat qui est d’abord élève et secondairement avo-cat. Soyons clair, il n’est pas encore avocat, il est élève. Et les élèves n’ont pas à rêver d’une rémunération qui est nécessairement virtuelle sinon ils seraient professionnels et pas élèves. Oublions ce qui ne me paraît pas être un problème.

Ou alors un problème d’une autre nature qui se pose en ces termes : il n’est pas facile d’être étudiant jusqu’à 27 ans. Si vous parlez de la rémunération des jeunes avocats et du

tarif UJA Paris notamment, ne nous plai-gnons pas, nous sommes dans la moyenne de la rémunération des jeunes salariés des grandes écoles.

Ce que souvent les jeunes oublient, c’est qu’il y a beaucoup moins de jeunes qui ne gagnent pas plus, voire qui gagnent moins. Ce qui est difficile ce n’est pas d’avoir 28 ans et d’être collaborateur — situation tout à fait vivable d'ailleurs — c’est d’en avoir 40, de ne plus avoir de patron, de ne pas être collabo-rateur, de ne pas avoir une clientèle extraor-dinaire, de devoir assumer toutes les charges matérielles d'un cabinet. Ça, souvent, c’est difficile. C’est le débat de ceux qui sacrifient le confort pour rester avocat.

Le vrai problème financier des avocats c’est quand on se dit : « Demain je ne suis plus collaborateur, je ne vais plus avoir + x mais je vais avoir - y et il va falloir se préoc-cuper de payer les frais avant de manger le premier sandwich ».

Là c’est une vraie difficulté, ce n’est pas celle du jeune collaborateur.

BM : L’année dernière, vous étiez res-ponsable pédagogique de la matière de droit pénal.

JYB : Je ne savais pas qu’on m’avait flan-qué ce titre ronflant, je ne le méritais déjà plus du tout.

En réalité, si j’ai cette responsabilité, c’est parce que j’ai fondé l’École de la défense pé-nale aux alentours de 1994-1995. C’était une décision prise avec le bâtonnier de l’époque Jean-René Farthouat, considérant qu’il ne fallait demander une aide juridictionnelle qu’à ceux qui le souhaitaient, donc à des volontaires formés pour que ces derniers puissent offrir aux plus démunis, une pres-tation respectable. J’ai animé la formation jusqu’en 2008 ou 2009 avant de passer le flambeau à mon associé Me Christian Saint-Palais.

La difficulté c’est qu’on a besoin de monde à Paris, mais une fois que les gens sont entrés dans ce circuit, certains s’y trouvent bien et veulent y rester. Et les jeunes qui sont der-rière la porte, une porte de verre à travers laquelle ils peuvent voir ce qu’il se passe, se

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#3 maître mot #3 maître motFranck Prevel/Getty Images Europe

disent que si les autres ne s’en vont pas, ils n’y accéderont jamais.

Il faut donc persuader un certain nombre de confrères, encore jeunes mais plus débu-tants, qu’ils ont eu la chance d’avoir cette promotion par la commission d’office mais qu’il faut la laisser aux autres.

BM : Il y a dans ce que vous dites une large place à la « transmission ».

JYB : J’aime beaucoup cette idée de trans-mission. Pendant des siècles, la transmission c’était la collaboration, c’était le patron qui transmettait le savoir. Aujourd’hui, j’ose espérer que ça continue, je ne sais pas ce qu’il se passe dans tous les cabinets mais je suis convaincu que ça continue. Il faut aussi organiser des transmissions plus importantes quant aux destinataires, d’où l’École de la défense pénale. Il faut savoir que tous les confrères qui participent à cette transmission sont bénévoles.

BM : Vous êtes ancien secrétaire, ancien vice-bâtonnier, des fonctions et des statuts qui, d’une certaine manière, perpétuent une tradition, transmettent un message de continuité.

Il a beaucoup été discuté du maintien de l’expression orale dans la formation à l’EFB. Aujourd’hui, la forme adoptée est un cours dispensé par les secrétaires de la Conférence, on parle même de chasse gardée de la Conférence du stage. Alors les élèves-avocats ne s’en plaignent pas. Mais pensez vous qu’un bon orateur fait un bon enseignant ?

JYB : On n’est pas un bon enseignant parce qu’on est un bon orateur, mais quand on est un bon orateur, on est mieux placé qu’un moins bon pour enseigner ce qu’est l’art oratoire. Que l’expression orale soit essentiellement traitée par d’anciens se-crétaires, au fond, c’est dans la logique des choses. Le secrétariat de la Conférence n’est pas une aristocratie soulignant un privilège indu, c’est le résultat d’un concours où cha-cun peut se présenter et être élu. Et il faut persévérer, j’ai été candidat trois fois à la Conférence.

Je ne suis pas certain qu’il faille chercher le modèle oratoire chez les comédiens. Il y a ceux qui entrent dans la peau du personnage

et ressentent les émotions qu’ils expriment, et ceux qui sont dans l’affectation de ce que seraient les émotions du personnage qu’ils ne sont pas. L’avocat s’inscrit obligatoire-ment dans le premier modèle. La différence fondamentale entre le comédien et l’avocat est que l’un dit le texte d’un autre, et l’autre dit son propre texte. À partir de là, il n’est pas inutile que les professionnels de la co-médie expriment ce qui leur paraît être des règles d’expression orale. L’essentiel est que les avocats de demain soient confrontés à la profession tels qu’ils auront à l’exercer. Quand on plaide, on ne récite pas un texte, on le vit. La plaidoirie doit avoir quelque chose de maîtrisé et de spontané.

BM : Quelle place pour les Droits de l’homme dans cette école de formation ? On voit que c’est un sujet qui touche particu-lièrement la profession, que cela devient une matière en soi à travers les textes en vigueur de plus en plus contraignants.

L’EFB est-elle en marge de ce combat ?

JYB : Je pense que les Droits de l’homme sont une matière transversale. Prenez la QPC, pour laquelle j’ai une affection particulière, elle ne concerne pas une matière déterminée. Ainsi, les Droits de l’homme peuvent être ba-foués et vous pouvez vous en plaindre, tout autant dans une procédure administrative que dans une procédure judiciaire. On est dans cette sorte d’omniprésence de la notion d’équité qui se trouve dans toutes les ma-tières. Alors je ne peux pas vous répondre sur l’insuffisance de l’EFB sur le sujet des Droits de l’homme mais c’est un sujet important qu’on retrouvera.

BM : Vous faites partie d’une nouvelle association avec M. le bâtonnier Castelain qui remet en cause la gouvernance de la pro-fession telle qu’on la connaît.

Quand on connaît la place des institutions dans le fonctionnement de l’EFB et l’impor-tance parfois démesurée que les gens donnent à l’école dans une « stratégie » politique, quelles conséquences pour les futurs avo-cats, tant ceux qui aspirent à entrer dans la profession que ceux qui sont déjà dans ses rouages ?

Pensez vous qu’il nous faille une école na-tionale à l’instar des magistrats ?

Car, contrairement à ces derniers, nous ne sommes pas un service public. Ne serait-ce pas perdre les particularités culturelles que nous chérissons en France et particulièrement importantes dans la pratique de notre profession notamment dans ce qu’elle a de « libérale » ?

JYB : Il faut trier les problèmes, nous ver-rons les conséquences sur la formation dans un second temps.

On ne peut pas séparer les institutions de leur histoire. Le barreau à pour structure les ordres qui se sont constitués au fil du temps. Je pense que la gouvernance de l’exercice de la profession est dans les ordres et doit y demeurer. On ne peut pas imaginer qu’une gouvernance au quotidien puisse s’exercer par une sorte de bâtonnier abstrait qui serait bien loin de là. Le problème est de savoir si la représentation nationale de la profession existe.

Alors vous me direz : « bien sûr, c’est le CNB ». Sauf qu’une large partie de nos confrères confondent CNB et CNBF, c’est vous dire si la représentation nationale est particulièrement connue. Je pense que la rai-son est que les avocats, dans leurs barreaux, élisent leur bâtonnier et leurs membres du

conseil et ils les connaissent. Ils acceptent de les placer à leur tête dans cette autogestion. Le CNB est une forme d’assemblée avec des collèges différents et n’a pas d’exécutif selon moi, car lorsque le président est élu par le parlement, il dépend du parlement.

Il ne faut pas un monarque mais il faut des hommes. Pas 12, mais une équipe de dirigeants élus au suffrage direct. Il ne faut pas supprimer les barreaux, il faut peut-être les regrouper.

Pour terminer, j’aimerai dire simplement que cela fait 40 ans que j’exerce cette pro-fession et cela fait 40 ans qu’elle me rend heureux. Elle me rend heureux avec les angoisses des procès, l’angoisse d’être insuf-fisant, l’angoisse, lorsqu’on se rassied, de ne pas avoir tout dit, ce sentiment d’avoir oublié quelque chose, l’angoisse aussi de la fin de mois.

Malgré tous ces inconvénients, ce n’est pas un métier merveilleux, c’est un état excep-tionnel qui mérite quelques sacrifices, parfois de l’ordre personnel, parfois de l’ordre finan-cier. Mais, la vraie question est : la réussite d’une vie, est-elle dans l’argent, ou dans le bonheur de ce que l’on fait tous les jours ?

Propos recueillis par Boris Rosenthal

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#3 maître mot

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courtesy Enzo Faedda

Enzo Faedda

Que serait le quotidien d’un élève-avocat à l’EFB sans une association qui le re-

présente et lui ressemble ?

L’Association des élèves-avocats (AEA) s’est donné pour objectif de faire de l’EFB une école pleine de vie et proche de ses élèves-avocats, afin qu’ils sortent de cette formation avec un réseau professionnel et amical leur permettant d’avoir toutes les cartes en main pour bien commencer leur carrière.

L’AEA, c’est tout d’abord une équipe sou-dée, élue tous les ans sur liste par l’ensemble des élèves-avocats de chaque promotion. Cette année, la promotion Jean-Yves le Borgne a choisi les « Borgne to be Lawyer » pour reprendre le flambeau de l’AEA.

Le bureau, cette année constitué de onze membres, supervise l’ensemble des évène-ments organisés par l’ensemble des pôles, lesquels disposent d’une grande autonomie dans l’élaboration de leurs projets. Nous unissons nos forces et nos réseaux pour répondre aux attentes de celles et ceux qui nous ont élus.

Notre but est de proposer aux élèves-avo-cats un large choix d’événements culturels, festifs, ou professionnels, afin de les aider à entrer dans les meilleures conditions dans la pratique du métier d’avocat et se créer un large réseau, qui leur servira tout au long de leur carrière.

L’AEA offre ainsi aux élèves-avocats la possibilité d’améliorer leurs capacités d’ex-pression orale — indispensable dans le métier d’avocat — avec la Petite conférence orga-nisée par le Pôle éloquence et les cours de théâtre proposés par le Pôle culture.

Des conférences organisées par les pôles culture, pénal, solidarité, et international leur permettent de rencontrer des professionnels et de s’ouvrir à des domaines auxquels ils pourront être confrontés au cours de leur carrière.

Le Pôle sport a pour mission d’organiser des évènements sportifs divers afin de créer une cohésion à travers les sports d’équipe et la rencontre des étudiants lors de compéti-tions dans un contexte autre que l’EFB.

Les pôles événementiel et épicurisme, à travers l’organisation de l’ensemble des événements festifs, encouragent les futurs confrères à se rencontrer, tisser des liens d’amitié et rendre leur vie à l’EFB plus douce et sous le signe de l’entraide.

L’AEA, c’est plus de 60 membres prêts à donner de leur temps et de leur énergie pour faire de la formation à l’EFB une année inoubliable.

Enfin, notre plus grand bonheur de faire partie de cette association est de voir des élèves-avocats épanouis et heureux d’avoir passé de bons moments, étoffé leurs réseaux, ou encore vécu de nouvelles expériences en ayant participé à l’un de nos nombreux évènements.

Nous vous attendons nombreux à nos pro-chains rassemblements culturels festifs ou professionnels, et restons à l’écoute quant à de nouvelles idées ou projets que vous aime-riez partager.

Borgnement vôtre.

Enzo Faedda Président de l’AEA

#3le Baropôle

p. 20

lA RéfoRmE Du DRoIT DES ENTREPRISES EN DIffIculTé

analYSe de l'ordonnanCe du 12 marS 2014par pauline rousseau & aurore lott

p. 32

gESTATIoN PouR AuTRuIlA fRANcE coNDAmNéE PAR lA cEDh

par Clémence moulonguet

p.34

lE TRAITEmENT DES gRouPES DE SocIéTépar pierre-Henri brieau

p. 52

quEl SoRT PouR lES coNTRATS DE coNcESSIoNS hyDRoélEcTRIquES ?

par l'institut de droit public des affaires

p. 17

voIlE EN ENTREPRISE l'état du droit depuiS l'aFFaire babY loup

par Cyrielle Cazelles

p. 44

lA RéfoRmE Du DRoIT DES SocIéTéSun proJet prometteur

par Khaled aguemon & daniel Cruz

p. 47

RENcoNTRESanne-marie Sauteraud

dominique de leuSSe de SYon

par aurélie thuegaz

le mot du président

p.14

dignité en priSon : une ConSéCration Fragile

par albertine muñoz

p. 55

l'EuThANASIE PASSIvE ENTRE DIgNITé ET DRoIT à lA vIEpar Sonia ben mansour

aea pariS - le baromaître #3 | 1312 | le baromaître #3 - aea pariS12 | le baromaître #2 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôleiStockphoto

droit au respect de la dignité humaine en prisonune ConSéCration Fragile

Le 5 février dernier, le bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Alençon an-nonçait la suspension des interven-

tions des avocats au titre des commissions de discipline dans le centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe. Établissement ultra-sécurisé ouvert en mai 2013, cette pri-son a été conçue pour accueillir les détenus considérés comme les plus dangereux, avec un régime de détention très strict. Estimant que la sécurité des avocats n’était pas assu-rée lors de leurs entretiens avec les détenus, le bâtonnier a demandé la mise en place de parloirs sécurisés, comprenant notamment des dispositifs de séparation par hygiaphone.

Cette décision a été immédiatement condamnée par le collectif d’avocats en droit pénitentiaire qui considère que ces nouvelles mesures de sécurité porteraient directement atteinte aux modalités d’exercice des droits de la défense 1. Rappelant que l’acte de dé-fendre implique d’accompagner la personne

détenue, en se tenant « côte-à-côte », le col-lectif dénonce une surenchère sécuritaire qui conduit à considérer les détenus sous l’angle exclusif de leur potentielle dangerosité et non plus comme les titulaires de droits dont les avocats participent à assurer le respect. Cela reviendrait in fine à nier la dignité des personnes incarcérées en faisant du statut de condamné, un caractère consubstantiel de leur personne. Cet événement illustre bien la fragilité actuelle de la reconnaissance du droit au respect de la dignité des personnes incarcérées.

Qualifié « d’inhérent » à la personne hu-maine, le droit au respect de la dignité n’est pas un droit fondamental, au sens d’un droit subjectif parmi d’autres, mais le socle même des droits fondamentaux. La Convention contre la torture et autres peines ou trai-tements cruels, inhumains ou dégradants

1 « Nous ne pouvons concevoir de rencontrer nos clients dans un parloir sécurisé », Le Monde, 17 février 2014

adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 10 décembre 1984, l’exprime clairement en stipulant que « les droits égaux et inalié-nables de tous les membres de la famille hu-maine [...] procèdent de la dignité inhérente à la personne humaine ».

On comprend dès lors la particulière im-portance que revêt le droit au respect de la dignité dans le champ pénitentiaire. Il rap-pelle que les personnes détenues, en dépit de leur condition carcérale, font partie de la communauté humaine et sont, à ce titre, titulaires des libertés et droits fondamentaux. En d’autres termes, le principe de dignité hu-maine garantit à ces personnes le respect de leur condition même d’être humain.

C’est d’abord le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale de l’ONU, qui a fait du respect de la dignité des personnes détenues une norme juridique s’imposant aux États signataires.

Mais c’est surtout la Cour européenne des Droits de l’homme qui s’est attachée à assurer le respect effectif de la dignité des personnes incarcérées. Sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamen-tales, prohibant la torture et les traitements inhumains et dégradants, elle a consacré l’exigence de conditions matérielles de dé-tention respectueuses de la dignité humaine.

Il ne s’agit pas pour la Cour de Strasbourg de remettre en cause le principe de la condamnation, ni celui de la peine d’empri-sonnement, mais de promouvoir l’idée que les conditions de détention ne doivent pas aggraver la souffrance inhérente à l’incarcé-ration, en tenant compte de l’état de vulné-rabilité dans lequel se trouvent les personnes détenues 2.

En France, cette exigence a désormais acquis une valeur législative grâce à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dont l’ar-ticle 22 dispose que « L’administration péni-tentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits ».

La France a par ailleurs proclamé, en oc-tobre 2006, son adhésion aux règles péniten-tiaires européennes, adoptées par le comité des ministres du Conseil de l’Europe, dont la règle n°72.1 précise que « les prisons doivent être gérées dans un cadre éthique soulignant l’obligation de traiter tous les détenus avec humanité et de respecter la dignité inhérente à tout être humain ».

La création d’institutions tels que le Défenseur des droits, qui intervient dans les litiges opposant les détenus à l’administra-tion pénitentiaire, ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dont la mission est veiller à ce que les per-sonnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, est éga-lement significative. Dans la continuité, les droits des personnes incarcérées font l’objet d’une promotion croissante grâce à des ONG telles que l’Observatoire international des prisons. Toutes ces évolutions traduisent l’émergence et l’affirmation d’un mouvement d’humanisme carcéral. En rupture avec une fonction purement expiatoire de la sanction pénale, la transposition de la dignité dans l’univers carcéral a en effet conduit à mettre à la charge de la société des devoirs à l’égard des personnes qu’elle écroue.

Pour autant, cette reconnaissance grandis-sante du droit au respect de la dignité des personnes incarcérées se heurte à des obsta-cles tenant à la réalité carcérale ainsi qu’aux nouvelles politiques pénales.

Il existe d’abord la traditionnelle loi d’ai-rain des prisons, mise en avant dès le XVIIIe

siècle par Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes et régulièrement évoquée par Robert Badinter, selon laquelle les condi-tions de vie des détenus ne sauraient être meilleures que celles des travailleurs les plus défavorisés.

Elle va de pair avec l’idée, très répandue dans l’opinion publique, que les mauvaises conditions de détention font partie inté-grante de la peine privative de liberté 3. Or l’état déplorable d’une grande partie des établissements pénitentiaires en France est

2 Cour européenne des Droits de l’homme, Rapport annuel 2002, page 23.

3 CGLPL, Rapport annuel d’acti-vité pour 2008, Paris, Dalloz, mars 2009, p.21 « [...] les mauvaises conditions d’existence des détenus sont la « juste » contrepartie de l’infraction commise : « la victime, dit l’opinion commune, a souffert, le coupable doit lui aussi souffrir ; c’est « bien fait pour eux !» ; souffrir non seulement sous la forme de la privation de liberté, en l’espèce, mais aussi dans sa vie la plus quotidienne. Il doit « payer » pas uniquement par sa détention, mais surtout par une détention difficile à supporter. Et ce n’est qu’à ce prix, dit-on, que le coupable s’amendera. »

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#3 le BAROPôle #3 le BAROPôleIslametinfo.fr© Anne-Christine Poujolat

Prison des Baumettes, Marseille

pourtant régulièrement dénoncé et jugé in-compatible avec le principe de respect de la dignité humaine, tant par le CGLPL que par la Cour européenne des Droits de l’homme.

Mais la garantie du respect de la dignité des personnes incarcérées est également confrontée à l’évolution répressive de la société et à l’importance grandissante de la notion de dangerosité dans le champ pénal. Celles-ci traduisent un bouleversement en matière de politique criminelle, celui du passage d’une logique centrée sur l’homme à une logique de contrôle des risques, selon le professeur Christine Lazerges, actuelle prési-dente de la Commission nationale consulta-tive des Droits de l’homme (CNCDH)4.

Désormais, l’accent est d'avantage mis sur la protection de la société qui passe princi-palement par la prévention de la récidive. Cette dernière est ainsi devenue un objectif déterminant dans le prononcé et l’exécution de la peine. Les dernières politiques pénales illustrent en effet un « surarmement pénal » pour reprendre l’expression de l’avocat Jean Danet 5 : multiplication des incriminations, aggravation des peines, élargissement des infractions pouvant être assorties d’une pé-riode de sûreté, création de la rétention de sûreté.

Au stade de l’exécution de la peine, c’est une gestion sécuritaire des établissements pénitentiaires qui est privilégiée, favorisant une déshumanisation progressive du traite-ment des détenus.

La combinaison de ces phénomènes conduit à une forme de relégation sociale des personnes incarcérées qui sont placées dans une situation d'isolement extrême. Dans certaines hypothèses, en particulier pour les longues peines, la peine d'emprisonnement perd sa vocation d'amendement pour se transformer en une neutralisation sociale de l'individu, conduisant à légitimer l’idée qu’il existerait plusieurs humanités ne pou-vant prétendre aux mêmes droits. On assiste dès lors à une « éclipse de la dignité » des personnes incarcérées selon Pierre-Jérôme Delage, docteur en droit 6.

Dans ce contexte il importe de rappeler que l’univers carcéral, en dépit de ses carac-téristiques singulières, ne peut conduire à priver les personnes détenues du bénéfice des droits qui sont consacrés dans notre société. La prison participe au fonctionnement de la cité et, à ce titre, est soumise aux valeurs fondamentales sur lesquelles repose tout état de droit.

Un juste équilibre doit donc être assuré entre, d’une part, la protection de la société se traduisant par la répression et la répara-tion de la faute commise, et, d’autre part, la protection de la dignité des personnes incarcérées. Les exigences liées à la préser-vation de l’ordre public ne sauraient en effet justifier des atteintes à la dignité humaine des personnes détenues. A l’heure où la pro-tection des libertés et droits fondamentaux fait l’objet d’une exigence croissante au niveau international et régional, il apparaît essentiel, comme le souligne le professeur Jean-Manuel Larralde, de faire du principe de respect de dignité humaine « un véritable principe directeur » 7 dans le cadre de la pri-vation de libertés des personnes incarcérées afin d’assurer à ces dernières une reconnais-sance effective de leurs droits et libertés.

Albertine Muñoz

4 « La défense sociale nouvelle a 50 ans, L'actualité de la pensée de Marc Ancel », RSC, 2005, p. 165

5 le tournAnt, Justice pénale, Folio actuel (n° 119), Série Le Monde actuel, Gallimard, 2006.

6 « La dangerosité comme éclipse de l'imputabilité et de la dignité. », RSC, 2007, p.797.

7 Placement sous écrou et dignité des personnes incarcérées, Séance inaugurale du séminaire de recherche « Enfermement, Justice et Libertés », Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 15 septembre 2009

1 Cons. prud'h. Mantes la Jolie, 13 décembre 2010, n°10/00587 ; CA Versailles, 27 octobre 2011, n°10/05642

2 Soc., 19 mars 2013, n°11-28.845, n°536 FS-P+B+R+I, Mme X. c/ Association Baby Loup

dans l’affaire Baby Loup, une salariée avait été licenciée pour faute grave parce qu’elle avait refusé de retirer

son foulard islamique durant son temps de travail.

La salariée s’estimait victime d’une discri-mination en raison de sa religion.

La cour d’appel de Versailles a confirmé la décision du Conseil de Prud’hommes de Mantes-la-Jolie, considérant le licenciement comme non discriminatoire 1.

Au contraire, dans son arrêt du 19 mars 2013 2, la Cour de cassation a considéré que le licenciement était discriminatoire, au motif que la laïcité n’est pas applicable aux salariés des entreprises de droit privé qui ne gèrent pas un service public et que les dispositions du règlement intérieur étaient trop générales et imprécises.

le port du Voile peut-il être inter-dit à touteS leS SalariéeS d’une

entrepriSe priVée ? Sur quel Fondement ?

Le premier fondement qui vient à l’esprit est celui de la dignité. La Commission natio-nale consultative des Droits de l’homme dans son avis du 21 janvier 2010 constate que le voile pourrait être considéré comme une contrainte sociale et comme une forme d’op-pression. Elle rappelle que la France a ratifié la Convention pour l’élimination des discri-minations envers les femmes du 18 décembre 1979 prévoyant en son article 5 que les États doivent prendre les mesures appropriées pour « parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, […] fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

Lors d’un après-midi shopping, mon œil a été attiré dans une boutique d’habillement par deux vendeuses qui portaient un hijab, fait relativement rare dans les entreprises françaises pour être remarqué. Alors que la Cour de cassation dans l’affaire de la crèche Baby Loup a rendu son arrêt le 25 juin 2014, quels enseignements les entreprises françaises peuvent-elles en tirer ?

voile en entreprise l'état du droit depuiS l'aFFaire babY loup

aea pariS - le baromaître #3 | 1716 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

SaphirNews.com

Cependant, dès la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010, la dignité semble avoir été écartée comme fondement de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public 3. La dignité recouvre deux notions différentes. La première fait référence à une exigence morale collective, qui va à l’en-contre du libre-arbitre ; on pense bien sûr au fameux « lancer de nain » de Morsang-sur-Orge 4. La seconde acception a été consa-crée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions «  bioéthiques  » de 1994 et par la Cour européenne des Droits de l’homme, notamment dans son arrêt « KA et AD » 5 : il s’agit du droit à l’autodétermination. Selon cette seconde acception, dès lors que le port du voile est présenté par la plupart des inté-ressées comme volontaire, il semble délicat de l’interdire sur le fondement de l’atteinte à leur dignité.

La cour d’appel de Paris statuant sur renvoi après cassation a, le 27 novembre 2013, utilisé une autre voie tout en entrant en résistance face à la Cour de cassation. Elle s’est fondée sur la notion d’« entreprise de conviction », admettant ainsi l’existence d’une obligation de neutralité dans certaines entreprises privées.

L’entreprise de conviction trouve sa source dans la notion d’entreprise de tendance, dé-finie par Philippe Waquet comme celle dans laquelle « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressé-ment prônée, autrement dit, l’objet essentiel de l’activité de ces entreprises est la défense et la promotion d'une doctrine ou d’une éthique » 6. Cette notion a été utilisée par la Cour européenne dans son arrêt «  Obst  » 7  : elle a considéré que le licenciement pour faute grave du directeur des relations pu-bliques pour l’Europe d’une église mormone qui avait commis l’adultère ne violait pas les articles 9 et 11 de la Convention, notamment au regard du degré d’implication du salarié dans l’entreprise.

La notion d’entreprise de tendance laïque, proposée par la doctrine 8, mais vivement cri-tiquée en ce que la laïcité serait l’absence de tendance 9, n’a pas été retenue par la chambre sociale. Pour éviter cet écueil, la cour d’appel de Paris ne fait aucune référence à la laïcité et se fonde sur l’alinéa 1er de l’article 9 de la Convention européenne 10 et sur l’article

L. 1132-1 du Code du travail qui pose le principe de non-discrimination en droit du travail. Elle relève que la crèche Baby Loup a une mission d’intérêt général : son action est orientée vers la petite enfance en milieu dé-favorisé et vers l’insertion sociale et profes-sionnelle des femmes sans considération de leurs opinions politiques ou religieuses. Cette mission d’intérêt général permet d’imposer à son personnel un principe de neutralité, en tant qu’entreprise de conviction.

Remarquons toutefois que la solution dé-gagée par la cour d’appel de Paris est limitée. Celle-ci prend soin d’utiliser une formulation très restrictive pour caractériser l’entreprise de conviction : « une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général, peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction. » Cette notion semble faire écho à celle qu’a utilisé la Cour de cassation dans son arrêt selon lequel « le principe de laïcité instau-ré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ». Ainsi, la laïcité s’appliquerait au service public et la neutralité religieuse à l’entreprise privée investie d’une mission d’intérêt général 11, ce qui tend à réduire le fossé entre les deux secteurs public et privé.

Par ailleurs, la Cour ne va pas jusqu’à considérer qu’au sein d’une entreprise de conviction le salarié ne puisse plus manifes-ter ses convictions religieuses – ce qui serait contraire à la jurisprudence européenne 12. Elle fait une application classique des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du travail qui permettent de restreindre les droits et libertés du salarié si la restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportion-née au but recherché. L’obligation de neu-tralité religieuse prévue dans le règlement

intérieur était, selon la Cour, justifiée par la nécessité de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion de l’enfant et de res-pecter la pluralité des options religieuses des salariées. Elle était également proportionnée puisque le règlement intérieur ne prévoyait aucune interdiction générale conformément à l’article L. 1321-1 du Code du travail ; enfin elle répondait à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante 13 de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants.

C’est en effet dans le domaine très pré-cis de la petite enfance que la Cour admet l’existence d’une obligation de neutralité. La Cour rappelle dans ses motifs l’alinéa 1er de l’article 14 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui prévoit que « les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». La petite enfance serait un secteur particulier eu égard au caractère influençable des enfants.

Encore faut-il rappeler la loi du 15 mars 2004 ou l’avis du Haut conseil à l’intégration du 1er septembre 2011 indiquant que «  l’en-fant a droit à la neutralité et à l’impartialité. Les personnels des établissements privés associatifs ou d’entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, […] se doivent d’appliquer les règles de neutralité et d’impartialité ».

On citera également l’arrêt «  Dahlab  » 14 rendu à propos d’une institutrice catholique convertie à l’islam dans une école primaire publique, ou encore l’arrêt « Leyla Sahin » 15

dans lequel la Cour européenne a jugé que le recteur qui interdisait aux étudiantes voilées l’accès à l’université ne violait pas l’article 9 de la Convention, pour comprendre que les entreprises qui prennent en charge des enfants ont un statut particulier notamment au regard de la religion.

Reste désormais à attendre la réunion de l’Assemblée plénière. Si l’arrêt rendu va dans le sens de celui de la cour d’appel de renvoi, les entreprises privées non confessionnelles du secteur de la petite enfance pourraient exi-ger de leur personnel la neutralité religieuse dès lors qu’il ressort de leur objet et de leur règlement intérieur qu’il s’agit d’entreprises

de conviction et que la liberté religieuse est limitée conformément aux articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du travail.

et pour leS autreS entrepriSeS ?

Si l’intervention du législateur est appelée par une partie de l’opinion, celui-ci n’est pas encore décidé à intervenir, en témoigne le rejet le 6 juin 2013 de la proposition de loi relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations. Reste à connaître l’issue de deux autres proposi-tions de loi datant de mai et décembre 2013, l’une visant à étendre l’obligation de neu-tralité aux structures privées accueillant des enfants et l’autre à donner aux entreprises et organismes dotés d’un règlement intérieur le droit d’y inscrire le principe de laïcité et de neutralité à l’égard de toutes les opinions et croyances. Une telle intervention n’est peut-être pas nécessaire : la conciliation entre le pouvoir de direction de l’employeur et l’ex-pression des convictions religieuses ne pose aucun problème dans la plupart des cas 16; la liberté religieuse peut être limitée suivant l’article L. 1121-1 du Code du travail.

L'Assemblée plénière de la Cour de cassa-tion a rendu son arrêt le 25 juin 2014 17. Le licenciement pour faute grave de la salariée voilée a été considéré comme justifié, non par l'existence d'une entreprise de conviction, mais par le refus de la salariée «  d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter le voile et par les insu-bordinations répétées et caractérisées décrites dans la lettre de licenciement et rendant im-possible la poursuite du contrat de travail. »

La clause du règlement intérieur a été considérée comme ne présentant pas «  un caractère général mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnées au but recherché. » La Cour de cassation indique qu'il s'agissait d'une pe-tite structure de 18 personnes, pouvant donc toutes être en contact avec les enfants et les parents.

La salariée a encore un recours : la Cour européenne des Droits de l'homme et l'article 9 de la Convention.

Cyrielle Cazelles

13 Article L.1133-1 du Code du travail

14 CEDH, 15 février 2001, Dahlab c. Suisse

15 CEDH, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie

16 Laïcité dans l’entreprise, Le Monde, 6 juin 2013

17 Cass. Ass. plén., 25 juin 2014, n°13-28.369 P + B + R + I

4 Rapport du Conseil d’État, 25 mars 2010, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral

5 CE, Ass., 27 octobre 1995, n°136727, Rec. Lebon p. 372

6 CC, n° 94-343/344 DC 27 juillet1994 ; CEDH, 17 février 2005, KA et AD c. Belgique

7 p. WAquet, Loyauté du salarié dans les entreprises de tendance, Gaz. Pal. 1996. 1427.

8 CEDH, 23 septembre 2010, Obst c. Allemagne F. Gaudu, L’entreprise de tendance laïque, Dr. soc. no 12, déc. 2011, p. 1186

9 e. Dockes, Liberté, laïcité, Baby Loup : de la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation face à la xénophobie montante, Dr. soc. 2013 p. 388

10 « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

11 f. Dieu, L'affaire Baby-Loup : quelles conséquences sur le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse ?, SJACT, n°15, 14 avril 2014, 2114

12 CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni

aea pariS - le baromaître #3 | 1918 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle© Thibaud Poirier

Tribunal de commerce de Paris

Attendue depuis de nombreux mois, la réforme du droit des entreprises en difficulté a enfin vu le jour. Tout en préservant l’entreprise, elle rééquilibre le traitement des dossiers en faveur des créanciers.

Les professionnels restent néanmoins sur leur faim.

réforme du droit des entreprises en difficultépréSentation de l’ordonnanCe du 12 marS 2014

la conciliation

UN éLArGISSEmENT dE LA mISSIoN dU

CoNCILIATEUr (ArTICLE L. 611-7)

Le conciliateur peut dorénavant se voir confier une mission ayant pour objet l’orga-nisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise. Le débiteur devra avoir l’initia-tive de cette cession qui suppose l’avis des créanciers participants.

Cette cession pourra être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

Par conséquent, le tribunal peut tenir compte des démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur (et donc décider de ne pas prévoir de nouveaux délais de réception des offres cf. art. L. 642-2), après avoir recueilli l’avis du ministère public.

En conséquence, il est désormais possible d’utiliser la procédure de conciliation comme une procédure de préparation à un plan de cession et plus seulement comme une pro-cédure de prévention. Il faut également sou-ligner que cette cession rapide sera préparée par le débiteur avec ses créanciers et donc hors présence de l’actionnaire.

Cette nouvelle option, fruit de la modifica-tion des articles L. 611-7 et L. 642-2, gagnerait à voir ses conditions d’applications précisées. A titre d’exemple, l’article L. 611-7 prévoit la consultation des créanciers participants mais ne précise ni le mode de consultation de ces derniers, ni si leur avis est simplement consultatif ou pas.

dES déLAIS ImPoSéS AUx CréANCIErS

(ArTICLE L. 611-10-1)

Afin d’augmenter la protection du débiteur durant l’exécution de l’accord, et donc d’ac-croître les chances de succès de ce dernier, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier non partie à l’accord dispose de la faculté de solliciter et d’obtenir du juge qui avait ouvert la conciliation des délais de paiement dans les conditions de droit com-mun des articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil 1.

Toutefois cette prérogative ne concerne pas les créanciers publics mentionnés à l’ar-ticle L. 611-7 al. 3 2. Enfin la décision du juge devra tenir compte des « conditions d’exécu-tion » de l’accord, ce qui laisse au juge une large marge d’appréciation.

De manière nouvelle, l’ordonnance fait bénéficier les garants des délais de grâce obtenus par le débiteur pendant la recherche de l’accord, sans qu’il soit besoin de saisir le juge (art. L. 611-10-2 al.1er).

PrIvILèGE dU New moNey (ArTICLE L.611-11)

Le privilège du new money est étendu au new money apporté au cours de la concilia-tion et plus seulement au moment de l’homo-logation du plan de conciliation.

Jusqu’alors, les créanciers bénéficiant du privilège de la conciliation étaient soumis aux termes et conditions des plans de sau-vegarde et de redressement. Désormais, ils ne seront soumis aux délais et remises du plan que s’ils l’acceptent (art. L. 626-20).

Il s’agit par-là d’améliorer les garanties attachées aux nouveaux financements ac-cordés dans le cadre d’une procédure de conciliation.

LE débITEUr ProTéGé PAr UN ENCAdrEmENT

dES CoûTS dE ProCédUrE

(ArTICLES L. 611-14 ET L. 611-16)

L’article L. 611-14 du Code de commerce prévoit que les conditions de la rémuné-ration du conciliateur seront fixées après avoir recueilli l’avis du ministère public. Parallèlement, deux pratiques sont désormais prohibées :

– Lier la rémunération au montant des abandons de créances obtenus ;

– Prévoir une rémunération forfaitaire pour l’ouverture du dossier.

Cette nouvelle procédure de fixation des honoraires doit être comprise comme un contrôle.

Par ailleurs, dans les mandats ad hoc et les conciliations, toute clause prévoyant la prise en charge des honoraires de conseil auquel le créancier a fait appel, sera réputée non écrite si la prise en charge des honoraires excède une quote-part fixée par arrêté du Garde des sceaux.

Cette mesure est à relativiser, en effet les créanciers trouveront un autre moyen de facturer leurs frais de conseil, par exemple en augmentant les « waiver fees ».

Enfin, le nouvel article L. 611-16 du Code de commerce précise également qu’« est ré-putée non écrite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d’un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de la dé-signation d’un mandataire ad hoc […] ou de l’ouverture d’une procédure d’une procédure de conciliation […] ».

Il est important de souligner le fait que cet article, bien que ne concernant que les procé-dures préventives, est pourtant plus restrictif que la disposition applicable aux procédures collectives.

En effet, l’article L. 622-29 relatif aux pro-cédures collectives, se limite à interdire toute clause prononçant la déchéance du terme en cas de jugement d’ouverture.

PRévENTIoN ET coNcIlIATIoN

1 Article 1244-1 du Code civil : « Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en consi-dération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, le juge peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

En outre, il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement, par le débiteur, d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. »

2 « Les administrations finan-cières, les organismes de sécurité sociale, les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 5422-1 et suivants du code du travail et les institutions régies par le livre IX du code de la sécurité sociale peuvent consentir des remises de dettes dans les conditions fixées à l'article L. 626-6 du présent code. »

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#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

Tribunal de commerce de mayenne

CréATIoN d’UN mANdATAIrE à L’ExéCUTIoN dE

L’ACCord (ArTICLE L. 611-8)

Le mandataire à l’exécution de l’accord est créé et a pour rôle comme son nom l’indique, de surveiller la bonne exécution de l’accord et d’avertir le président du tribunal en cas de difficultés.

la sauveGarDe

ProJET dE PLAN à L’INITIATIvE d’UN CréANCIEr

(ArTICLE L. 626-30-2)

L’ordonnance renforce considérablement le pouvoir d’initiative des créanciers. Jusque-là ceux-ci ne s’étaient vus reconnaître qu’un pouvoir de suggestion par l’ordonnance du 18 décembre 2008, qui permettait à tout créancier membre d’un comité, de soumettre des propositions au débiteur et à l’adminis-trateur, en vue d’élaborer un projet de plan.

Désormais, tout créancier membre d’un comité dispose d’un pouvoir concurrent au débiteur situé sur le même plan : il peut sou-mettre « un projet de plan », qui devra ensuite faire l’objet d’un rapport de l’administrateur.

Toutefois, ce nouveau texte présente déjà certaines limites. Tout d’abord, la proposition de plan par les créanciers serait limitée aux seuls membres des comités de créanciers, écartant les créanciers obligataires. Exclusion très surprenante à la vue de certains grands dossiers de restructuring relayés par la presse comme l’affaire « Belvédère ».

Par ailleurs, la question de l’accès à l’infor-mation se pose. En effet, en pratique, on peut se demander si cela ne pourrait-il pas entraî-ner une systématisation des IBR et un allon-gement du processus de restructuration ?

Enfin, la mise en concurrence du plan du débiteur et du plan des créanciers n’est pas envisagée par les textes, ce qui amène à se demander sur quels critères le tribunal choisira entre deux plans bénéfiques pour la société, l’un proposé par les créanciers et l’autre par le débiteur ? Pérennité de l’acti-vité, maintien de l’emploi et apurement du passif ? Appréciation souveraine du tribunal.

déSIGNATIoN dES CoNTrôLEUrS (ArTICLE L. 621-10)

En l’état actuel des textes, les contrôleurs sont désignés parmi les créanciers qui en font la demande, sans distinction selon qu’ils sont créanciers publics ou privés.

Désormais, le tribunal devra désigner contrôleur le créancier public qui en ferait la demande, parmi les administrations finan-cières, organismes et institutions mentionnés au premier alinéa de l’article L. 626-6. Si plusieurs créanciers publics présentent une demande, un seul sera désigné.

Une règle identique est posée pour le ré-gime de garantie des salaires (AGS)

SImPLIFICATIoN dES modALITéS dE déCLArATIoN dE CréANCES (ArTICLE L. 662-24)

L’alinéa 2 de l’article L. 622-24 du Code de commerce conserve la solution selon laquelle la déclaration de créance est effectuée par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix.

L’ordonnance complète le texte en indi-quant que « le créancier peut ratifier la décla-ration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de sa créance ». Il n’est donc plus, comme par le passé, nécessaire de justifier du pouvoir de déclarer les créances jusqu’à ce que le juge statue : il suffira au créancier de ratifier 3.

Par ailleurs, l’alinéa 3 nouveau de l’article L. 622-24 du Code de commerce dispose que « lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration prévue au premier alinéa ».

Ainsi, si le créancier ne procède pas per-sonnellement à la déclaration de créance, la créance sera alors considérée comme va-lablement déclarée pour son compte par le débiteur.

L’ASSoUPLISSEmENT dES rèGLES rELATIvES AU rELEvé dE ForCLUSIoN

(ArTICLES L. 622- 24 ET L. 622-26)

Jusqu’alors le créancier devait démontrer soit que l’absence de déclaration dans le délai n’était pas due à son fait, soit faire

état d’une omission volontaire de la part du débiteur lors de l’établissement de la liste de ses créanciers lors de l’ouverture de la procé-dure. L’ordonnance supprime la mention du caractère volontaire de l’omission : il faut, mais il suffit dorénavant que le créancier ne figure pas sur la liste.

Aucun délai n’était auparavant prévu pour la déclaration de créance du créancier relevé de forclusion. Désormais, les délais de déclaration de créance de ce dernier courent à compter de la notification du relevé de forclusion. Ils sont alors réduits de moitié. Ainsi, le créancier qui doit classiquement dé-clarer sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication au BODACC, aura un mois seulement à compter de la notifica-tion de la décision le relevant de forclusion.

Enfin, s’agissant des créanciers placés dans l’impossibilité de connaître l’existence de leur créance avant l’expiration du délai de six mois (délai classique de l’action en relevé de forclusion), le délai de relevé de forclu-sion n’est plus d’un an mais court désormais à compter de la date à laquelle ces derniers ne pouvaient ignorer l’existence de leurs créances.

obSErvATIoNS dU débITEUr SUr LES CréANCES déCLAréES (ArTICLE L. 622-27)

Dans le cadre de la vérification des créances, le débiteur sera désormais enfermé dans un délai (qui sera fixé par décret en Conseil d’État) pour formuler des observa-tions sur les créances déclarées. Passé ce dé-lai, le débiteur ne pourra plus émettre aucune contestation sur la proposition ultérieure du mandataire judiciaire.

Il était en effet illogique que le débiteur puisse contester les créances déclarées sans limitation de délai, tandis que le manda-taire judiciaire lui, était enfermé dans un

délai d’établissement de la liste des créances déclarées avec ses propositions de rejet ou d’admission. La mesure a pour vocation de contribuer à accélérer les trop lentes opéra-tions de vérification du passif .

LA SAUvEGArdE ACCéLéréE (ArTICLES L. 628-1 à L. 628-10)

L’ordonnance crée la sauvegarde accélérée. L’article L. 628-1 al. 1er du code qui en résulte reprend la rédaction existante, en substi-tuant à l’expression « sauvegarde financière accélérée » celle de « sauvegarde accélérée ». Cette procédure est soumise aux règles de la sauvegarde de droit commun, sous réserve des dispositions propres à la sauvegarde accélérée.

Les délais de la sauvegarde accélérée sont incompatibles avec certaines règles de la période d’observation. C’est pourquoi les dis-positions du III et du IV de l’article L. 622-13 de Code de commerce ne sont pas applicables à la sauvegarde accélérée. Ainsi, l’ouverture d’une sauvegarde accélérée ne pourra entraî-ner la résiliation d’un contrat.

Sont ensuite inapplicables les dispositions des sections 3 et 4 du chapitre IV du titre II, c’est-à-dire les règles relatives à la revendica-tion du propriétaire de meubles. (Dérogation logique étant donné que le délai de l’action en revendication est de trois mois, ce qui est aussi le délai maximum de la procédure de sauvegarde accélérée).

La sauvegarde accélérée est accessible à un débiteur engagé dans une procédure de conciliation en cours, qui justifie avoir élaboré un projet de plan visant à assurer la pérennité de l’entreprise et susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part des créanciers à l’égard desquels l’ou-verture de la procédure produira ses effets, pour rendre vraisemblable son adoption dans un délai permettant au tribunal d’arrêter le plan.

Ce délai est fixé à trois mois à compter du jugement d’ouverture. Aucune prorogation de délai n’est envisageable. Si le tribunal n’a pas arrêté de plan dans ce délai, il est mis fin à la sauvegarde accélérée.

L’alinéa 2 de l’article L. 628-1 du Code de commerce la rend plus sélective qu’une

3 pierre-michel le corre, Premier regards sur l’ordonnance du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté, Recueil Dalloz 2014 p.733

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#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

sauvegarde de droit commun en la réservant aux débiteurs dont les comptes sont certifiés par le commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable. En outre, le dé-biteur doit employer un certain nombre de salariés, réaliser un certain chiffre d’affaires ou avoir un total de bilan supérieur à des seuils fixés par décret, ou encore établir des comptes consolidés.

La sauvegarde accélérée apparait moins sélective que la sauvegarde financière ac-célérée puisqu’il est prévu que lorsque le débiteur n’est pas soumis à l’obligation de constituer des comités de créanciers, le tribu-nal qui ouvre la sauvegarde accélérée décide qu’il sera fait application des dispositions relatives aux comités de créanciers. En outre, la procédure peut être ouverte à la demande d’un débiteur en cessation des paiements si cette situation ne précède pas depuis plus de 45 jours la date de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation en cours (article L. 628-1 al. 4).

Enfin, la procédure de sauvegarde accélé-rée a des effets plus étendus que la sauve-garde financière accélérée. Elle concerne en effet tous les créanciers soumis à l’obligation de déclaration des créances, à savoir tous

les créanciers antérieurs, à l’exception des salariés et des créanciers d’aliments, ainsi que les créanciers dont la créance est née régulièrement après le jugement d’ouverture mais qui ne sont pas éligibles au traitement préférentiel.

LA SAUvEGArdE FINANCIèrE ACCéLéréE

La sauvegarde financière accélérée, devient donc une simple variante de la sauvegarde accélérée.

Ainsi, selon l’article L. 628-9 du Code de commerce, lorsque les comptes du débiteur font apparaître que la nature de l’endette-ment rend vraisemblable l’adoption d’un plan par les créanciers mentionnés comme ayant la qualité de membres du comité des établissements de crédit et, s’il y a lieu, de membres de l’assemblée des obligataires, le tribunal peut décider de limiter à ces créan-ciers les effets de l’ouverture de la sauve-garde accélérée.

Enfin, l’article L. 628-9 réduit le délai d’adoption du plan par rapport à la sauve-garde accélérée : un mois au lieu de trois. Le délai peut être prorogé d’un mois.

Droit positif

Droit post-réforme

Sauvegarde financière accélérée Sauvegarde Sauvegarde accélérée

Procédure de conciliation préalable Oui Non Oui

Société requérant l'ouverture de la

procédure

Seuils définis à l'article D. 628-2-1

Toutes les sociétésSeuils devant être

déterminés par décret

État de cessation des paiements Non Non

Oui, si depuis moins de 45 jours à la date de la demande d'ouverture

de la procédure de conciliation

Créanciers concernés par la procédure

Seulement les créanciers financiers appartenant

aux comités des établissements de

crédit et créanciers obligataires le cas

échéant

Tous les créanciers Tous les créanciers

Durée de la procédure Un mois (Deux mois au maximum)

Six mois (18 mois au maximum)

Trois mois maximum

lE REDRESSEmENT juDIcIAIRE

rECoNSTITUTIoN dU CAPITAL SoCIAL (ArTICLE L. 631-9-1)

C’est, en fin de compte, le nouvel article L. 631-9-1 du Code de commerce, seul, qui traduit la ligne directrice de la réforme quant à la procédure de redressement judiciaire qui tend à déplacer le rapport de force entre les actionnaires et les créanciers.

Selon ce texte, à défaut de reconstitution des capitaux propres conformément à l’ar-ticle L. 626-3, l’administrateur a qualité pour demander la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit, en faveur d’une ou plusieurs personnes qui s’engagent à respecter le plan, une modification du capital.

Toutefois, et c’est là la limite majeure po-sée par la version définitive de l’ordonnance, le mandataire de justice ne pourra voter sur la reconstitution du capital qu’à hauteur du minimum légal, autrement dit la moitié du capital social.

LIbérATIoN dU CAPITAL SoCIAL (ArTICLE L. 624-20)

En droit commun, la dette de libération d’apport ne devient exigible que sur la seule décision des organes sociaux compétents.

Désormais, l’article L. 624-20 rend exi-gible par l’effet du jugement d’ouverture, le

montant non libéré du capital social. L’article L. 622-20 al. 2 prévoit que le mandataire judiciaire a qualité pour mettre en demeure un associé ou un actionnaire de verser les sommes restant dues sur le montant des parts ou actions souscrites par lui.

QUId dU debt for equity swap ?

C’est à l’article L. 631-19 que l’avant-projet d’ordonnance prévoyait de loger l’essentiel du dispositif de rééquilibrage voulu par la ré-forme, en faveur des créanciers, au détriment des actionnaires, afin d’éviter que l’inertie de ces derniers ne fassent obstacle à l’adoption du plan de redressement.

De cette manière, les actionnaires auraient pu être évincés et si l’exclusion directe n’était pas prononcée, elle aurait pu avoir lieu sous la forme d’une dilution, en raison de la conversion des titres de créance en titres de capital.

Ce dispositif a finalement été abandonné en raison de l’atteinte qu’il portait au droit de propriété des actionnaires, et donc du risque de censure par le Conseil constitutionnel, au regarde de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ces dispositions devraient être réintro-duites dans une prochaine vague de réforme du droit des entreprises en difficulté. À suivre…

lE RéTABlISSEmENT PRofESSIoNNEl

La procédure de rétablissement profes-sionnel fait partie des innovations de cette réforme. L’idée est d’offrir au débiteur le confort des effets de la clôture pour insuf-fisance d’actif, c’est-à-dire la « purge des dettes », en se dispensant d’une véritable procédure collective du fait de son dossier impécunieux.

domAINE dU réTAbLISSEmENT ProFESSIoNNEL

(ArTICLE L. 645-1)

Le rétablissement professionnel est réservé aux débiteurs personnes physiques, mention-nés à l’article L. 640-2, autres que les entre-preneurs individuels à responsabilité limitée, n’ayant employé aucun salarié au cours des

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Gabriel Sonier

Tribunal de commerce de Paris

courtesy Gabriel Sonier

six derniers mois et dont la valeur de l’actif est inférieure à un montant à fixer par décret.

Le recours à ce mécanisme est fermé au débiteur qui a connu dans les cinq ans pré-cédents, une clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, au titre de l’un quelconque de ses patrimoines, ou un réta-blissement professionnel du livre VI du code.

rèGLES dE LA ProCédUrE

La demande d’ouverture du rétablissement personnel appartient au seul débiteur lors-qu’il saisit le tribunal aux fins d’une liqui-dation judiciaire en application de l’article L.640-4 du Code de commerce.

Si, au cours de la procédure, le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par un

créancier, le juge commis peut, à la demande de ce débiteur, reporter le paiement des sommes dues, dans la limite de quatre mois.

Il n’est pas prévu de véritable déclaration de créance, toutefois les créanciers connus sont avisés de l’ouverture de la procédure et sont invités à communiquer, dans le délai de deux mois à compter de la réception de l’avis, le montant de leurs créances.

La clôture de la procédure de rétablisse-ment professionnel entraîne effacement des dettes à l’égard des créanciers soumis à l’obligation de déclarer leurs créances et qui ont été portées à la connaissance du juge commis par le débiteur, avec les mêmes ex-ceptions qu’en cas de liquidation judiciaire.

lA lIquIDATIoN juDIcIAIRE

NULLITé dES déCLArATIoNS NoTArIéES

d’INSAISISSAbILITé EN PérIodE SUSPECTE

(ArTICLE L. 632-1)

L’ordonnance crée un nouveau cas de nullité de droit de la période suspecte, en insérant un 12° au I de l’article L. 632-1 du Code de commerce : celui de la déclaration notarié d’insaisissabilité.

Il est important de préciser qu’est visée la déclaration notariée, non sa publicité.

ASSoUPLISSEmENT dES CoNdITIoNS dE LA

CLôTUrE PoUr INSUFFISANCE d’ACTIF

(ArTICLE L. 643-9)

La clôture peut désormais être obtenue sur la justification que l’intérêt de la poursuite des opérations de liquidation judiciaire « est disproportionnée par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels ».

Pauline Rousseau

Le Baromaître : L’article L. 626-30-2 du Code de commerce prévoit désormais que tout créancier membre d'un comité peut éga-lement soumettre un projet de plan qui fera l'objet d'un rapport de l'administrateur.

Un créancier pourra donc proposer et exé-cuter, éventuellement, à la place des action-naires en place, un projet de plan concurrent.

En l’état actuel de la réforme, il est éga-lement toujours prévu que le projet de plan présenté par un tiers sera soumis au vote de la collectivité des associés.

Le projet initial de l’ordonnance de réforme prévoyait d’aller encore plus loin, et prévoyait la possibilité pour le tribunal de nommer un mandataire ad hoc ayant le pouvoir de vo-ter à la place des associés opposants ; voir d’ordonner une cession forcée des titres des associés opposants.

J’y reviendrai plus tard, mais avant d’en-trer dans la polémique, j’aimerais connaître votre avis sur les nouveaux textes dans leur rédaction actuelle.

Gabriel Sonier : En effet, l'une des me-sures les plus remarquées de l'ordonnance tient à la possibilité reconnue au créancier de proposer un projet de plan concurrent de celui du débiteur. Dans le cadre d'une procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire, avec comité de créanciers, les créanciers membres des comités peuvent également soumettre un projet de plan qui fera l'objet d'un rap-port de l'administrateur judiciaire et sera

proposé au vote des co-mités. L'ordonnance n'ac-corde au débiteur aucune priorité pour la présenta-tion de son projet de plan ; les différents projets étant examinés concurremment par les comités de créanciers.

Si le rôle des créanciers en cours de procé-dure est ainsi valorisé, cette nouvelle dispo-sition risque d'être dissuasive pour les chefs d'entreprise souhaitant demander l'ouverture d'une sauvegarde.

En définitive, il s'agit de rétablir un équilibre entre les droits du débiteur et des créanciers. L'avis du juge commissaire, les rapports des mandataires de justice, l'avis des contrôleurs, des représentants des sala-riés, du débiteur représenté par son dirigeant, l'avis du parquet, sont autant de garde-fous contre l'adoption d'un plan cher qui aurait reçu l'aval des comités mais qui finalement n'apparaîtra pas de nature à assurer le re-tournement puis la pérennité de l'entreprise.

Le pouvoir d'appréciation du tribunal, tel qu'il résulte de l'article L. 626-13 du Code de commerce, doit être élargi. Les juges consu-laires, juges de l'économie par excellence, étant de par leur expérience professionnelle et leur formation juridique et économique à même d'examiner et d'analyser les disposi-tions économiques d'un plan.

l'aViS du SpéCialiSte

gabriel sonieraVoCat aSSoCié du Cabinet gide-loYrette-nouel

SpéCialiSé en proCédureS ColleCtiVeS/reStruCturing

aea pariS - le baromaître #3 | 2726 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

BM : Pourrait-on aller plus loin et ima-giner qu’un créancier rachète des créances, propose un plan concurrent à celui du dé-biteur avec conversion de créances en capi-tal, et prenne ainsi le contrôle de la société comme on le voit aux États-Unis ?

Ainsi, bien qu’en vertu de l’article L. 631-13 du Code de commerce, une offre de reprise peut être présentée spontanément, un créan-cier pourrait avoir une telle idée de prendre le contrôle d’une société via un plan de sauve-garde ou de redressement, en payant au final bien moins cher que via un plan de cession.

Concernant les opérations sur le capital so-cial, la réforme a apporté deux modifications notables.

Tout d’abord, est créé l’article L. 626-16-1 qui prévoit désormais en sauvegarde comme en redressement que lorsque le tribunal donne mandat à l’administrateur judiciaire de convoquer les assemblées mentionnées à l’article L. 626-3 en vue de statuer sur les modifications statutaires induites par le plan, il peut décider que l’assemblée compétente statuera, sur première convocation, à la ma-jorité des voix dont disposent les associés ou actionnaires présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ou actions ayant le droit de vote. Sur deuxième convocation, il est fait application des dispositions de droit commun relatives au quorum et à la majorité.

La tendance est donc de faciliter l’adoption des opérations sur le capital.

Ensuite, bien que la réforme finale soit allée moins loin que le projet initial ; est tou-tefois introduit le mécanisme suivant :

Article L. 631-9-1 : « Si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice char-gé de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital, à hauteur du minimum prévu au même article, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à res-pecter le plan. »

Cette mesure, permettant de reconstituer les capitaux propres, n’entrainera pas nécessai-rement éviction de l’actionnaire majoritaire.

Toutefois, les « risques » de coup d’accor-déon et d’entrée d’un tiers au capital de la société ne sont pas à exclure ; d’autant plus qu’en redressement judiciaire, toute clause d’agrément est réputée non écrite.

Un coup d’accordéon avec éviction totale de l’actionnaire par réduction du capital à zéro 1 et augmentation corrélative du capital par l'émission d'actions dont la souscription était exclusivement réservée à un tiers, par suppression du droit préférentiel de souscrip-tion des actionnaires 2 n’est pas considérée comme une expropriation ou une exclusion illicite des actionnaires. Elle se fait néan-moins dans le respect des règles du droit des sociétés puisque seule l’assemblée peut délibérer sur une telle opération.

Or cette possibilité de faire voter un mandataire de justice en lieu et place des actionnaires opposants, bien que réservée à la situation de reconstitution des capitaux propres, crée une possibilité d’éviction de l’actionnaire (même majoritaire) au mépris des règles du droit des sociétés.

Quel est votre avis sur la question ?

GS : Si les actionnaires d'origine sont défaillants, je n'ai pas d'objection de prin-cipe à formuler quant à la prise de contrôle du capital par un tiers, par conversion de la dette, dès lors que le plan qu'il présentera assumera le retournement et la pérennité de l'entreprise.

Les actionnaires n'ont pas de devoirs vis-à-vis de la société en difficulté, le corollaire et qu'ils n'ont pas de droit absolu à empêcher son redressement.

BM : Plusieurs questions restent au-jourd’hui en suspens :

Ce dispositif de reconstitution des capitaux propres laisse en suspens de nombreuses interrogations, qu’il s’agisse de son prin-cipe même (en effet les articles L. 223-42 et L. 225-248 du Code de commerce dispensent une société, soumise à une procédure de sauvegarde ou de redressement, d’avoir à reconstituer ses capitaux propres) ou qu’il s’agisse d’en préciser les modalités.

Concernant ses modalités plusieurs ques-tions se posent :

– Le mandataire ad hoc aura-t-il uni-quement le pouvoir de voter une augmentation de capital destinée à ramener les capitaux propres au mini-mum légal (la moitié du capital social dans les sociétés à risque limité) ou pourra-t-il aller au-delà ?

– à qui reviendra-t-il de formuler la proposition de résolution mise à l’ordre du jour de l’assemblée (et qui choisit ainsi le mode de reconstitution des capitaux propres : réduction, augmentation, ou réduction puis aug-mentation) ?

– Le texte parle d’opposition, mais qu’en sera-t-il si l’associé n’a pas voté contre la résolution proposée mais

aura seulement refusé de participer à l’assemblée, interdisant par son ab-sence l’adoption de la résolution, faute de quorum ?

GS : Si l'ordonnance que l'on nous an-nonce pour la rentrée va plus loin, deux éléments devront être pris en compte :

– L'indemnisation (par voie d'expert !) de l'actionnaire de bonne foi exempt de toute responsabilité dans la gestion qui se trouverait exproprié de son droit de propriété ;

– L'appréciation par le tribunal du plan qui sera le plus à même d'assurer le retournement et la pérennité de l'entreprise.

Propos recueillis par Aurore Lott

1 Arrêt « Usinor » de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 17 mai 1994, n°91-21.364

2 Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11.999

l'aViS deS SpéCialiSteS

christophe théronaVoCat Fondateur du Cabinet tHéron

xavier neumageraVoCat au Sein du Cabinet tHéron

Le Baromaître : L’un des objectifs du Gouvernement était d’inciter à la contractua-lisation d’accords entre les parties prenantes à la restructuration dès le stade des procé-dures préventives.

Que pensez-vous de l’instauration du plan de cession « prépacké » ?

Christophe Théron & Xavier Neumager : La possibilité d’organiser la cession d’une entreprise pendant les procé-dures amiables présente quelques risques liés à l’opacité de la procédure.

En effet, les procédures amiables étant confidentielles, elles ne permettent pas la

diffusion des informations et par conséquent la mise en concurrence de repreneurs qui nécessite une procédure publique. Bien que l’avis du ministère public soit requis pour cette procédure, il n’en demeure pas moins que la recherche et le choix du repreneur seront faits dans des conditions n’assurant pas la transparence inhérente aux cessions d’entreprises en difficulté.

Il conviendra donc d’observer attentive-ment les conditions dans lesquelles les tri-bunaux useront de ce pouvoir de « court-cir-cuiter » la procédure normale de sélection des offres.

aea pariS - le baromaître #3 | 2928 | le baromaître #3 - aea pariS

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Christophe Théron

courtesy Christophe Théron

Xavier Neumager

courtesy xavier Neumager

La conciliation, jusque-là destinée à favoriser la conclusion d’un accord amiable avec les créanciers, peut désormais aboutir à une sorte d’expropriation. Ce dispositif présente donc un risque pour les actionnaires, notamment minoritaires, qui n’auraient aucun contrôle sur les représentants légaux de la société, seuls personnes habi-litées à solliciter la désigna-tion d’un conciliateur avec pour mission l’organisation d’une cession.

BM : Le second objectif du Gouvernement était de re-chercher un nouvel équilibre pour les procédures de sau-vegarde et de redressement jugées trop favorables à l’ac-

tionnaire de contrôle de la société débitrice lorsque celui-ci ne prend pas les moyens d’assurer le sauvetage de l’entreprise.

Pensez-vous que ce nouvel équilibre puisse « mettre en danger » les actionnaires d’une société en difficulté ?

CT & XN : Il est indéniable que la pression s’accroît progressivement sur les actionnaires d’entreprises en difficulté qui refuseraient de réinjecter de la new money tout en s’oppo-sant à la prise de contrôle par un tiers.

Il existe à mon sens quatre zones de risque pour les actionnaires :

– La possibilité pour un créancier de présenter un plan de continuation concurrent de celui du débiteur et de rentrer ainsi dans le capital de la société ;

– Le risque créé par la modification des règles de majorité et de quorum de l’assemblée des actionnaires ;

– Le risque créé par la reconstitution forcée des capitaux propres prévue dans un plan ;

– La « perte de contrôle » de la société débitrice en sauvegarde, la procédure pouvant être convertie en redres-sement judiciaire à la demande des

organes de la procédure et du minis-tère public.

BM : Pouvez- vous développer chacun de ces points en nous expliquant en quoi ces mesures représentent un risque pour les actionnaires ?

CT & XN : S’agissant de la possibilité pour un créancier de présenter un plan de continuation concurrent de celui du débiteur et de rentrer ainsi dans le capital de la so-ciété, il convient au préalable de noter que cette mesure est positive dans la mesure où elle permettra de mettre en échec la tentation pour le débiteur et ses actionnaires de mettre les créanciers devant une alternative sim-pliste consistant à accepter le plan proposé par le débiteur ou à se voir imposer un réé-chelonnement de leurs créances sur dix ans.

Toutefois, le législateur ne s’est pas conten-té de prévoir la possibilité pour les créanciers de présenter un plan concurrent à celui de la société et de ses actionnaires. Il est allé plus loin en prévoyant des mécanismes juridiques permettant, certes dans une mesure encore li-mitée, de contraindre les actionnaires à subir ce plan concurrent.

Deux dispositions de l’ordonnance de mars 2014 vont dans ce sens :

– La possibilité pour l’administrateur judiciaire et le tribunal de modifier les règles de majorité et de quorum des Assemblées Générales en sauvegarde comme en redressement ;

– La possibilité pour l’administrateur judiciaire et le tribunal de forcer, dans le cadre d’une procédure de redresse-ment judiciaire, la reconstitution des capitaux propres prévue dans le plan présenté par un créancier.

Concernant le risque créé par la modifica-tion des règles de majorité et de quorum de l’assemblée des actionnaires :

En permettant à l’assemblée de prendre des décisions sur des opérations de capital à la majorité simple (et non pas à la majorité qualifiée), le législateur a clairement souhaité neutraliser les minorités de blocage qui pour-raient se manifester.

On pourrait en effet imaginer la situation dans laquelle un actionnaire majoritaire, agissant de concert avec le créancier auteur d’un plan, puisse diluer les minoritaires qui s’opposent aux modifications statutaires pré-vues au plan.

S’agissant du risque créé par la reconstitu-tion forcée des capitaux propres prévue dans un plan :

Il est vrai que les mécanismes prévus sont encore limités mais ils traduisent à coup sûr une tendance de fond inquiétante pour les investisseurs en capital.

L’imprécision des textes vient renforcer ce sentiment car il n’est pas possible d’ap-préhender pour le moment l’étendue de ces dispositions.

La doctrine et la pratique sont divisées sur le risque d’éviction des actionnaires induit par cette réforme et sollicitent des améliora-tions et précisions qui devraient être appor-tées par la seconde réforme (attendue pour la rentrée).

Ainsi, certains auteurs doutent qu’un coup d’accordéon fasse partie des reconstitutions forcées envisageables car si ce procédé a un intérêt économique évident, il n’est pas une condition juridique nécessaire de la recons-titution des capitaux propres 1. Mais d’autres auteurs considèrent qu’un coup d’accordéon serait envisageable puisqu’aucune disposi-tion ne l’interdit 2.

Une chose est certaine : le droit des en-treprises en difficulté s’oriente vers les ten-dances anglo-saxonnes. Si le droit français est encore loin de connaître le fameux debt for equity swap, on peut parier que cette première réforme s’inscrit dans cette logique.

Un dernier point mérite d’être souligné : la société débitrice perd le contrôle de la pro-cédure de sauvegarde qui peut être convertie en redressement judiciaire à la demande des organes de la procédure et du ministère public 3.

Cette possibilité nouvelle qui a pour but d’éviter que la société ne s’éternise en sauve-garde alors qu’aucun accord sérieux et viable

n’est possible avec les créanciers présente un risque majeur pour les actionnaires.

Dans la pratique, on peut craindre qu’un débiteur et ses actionnaires — qui refuse-raient un plan de sauvegarde présenté par des créanciers prévoyant un fort allègement de la dette par une conversion de cette dette en capital entraînant de facto une di-lution massive des actionnaires — subissent des pressions des organes de la procédure collective.

Surtout, en brandissant la menace de la conversion en redressement judiciaire, les or-ganes de la procédure collective et le minis-tère public vont pouvoir mettre la pression sur les actionnaires d’une société en sauve-garde pour que ces derniers la refinancent.

À défaut, les actionnaires récalcitrants et la société débitrice (pourtant seuls à pouvoir décider de se placer sous procédure de sau-vegarde) pourraient subir dans le cadre du redressement judiciaire subséquent un plan de cession ou la présentation d’un plan de continuation par un créancier et son adop-tion forcée par l’assemblée des actionnaires conformément aux mécanismes ci-avant détaillés.

Propos recueillis par Aurore Lott

1 philippe pétel, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°18, 1er mai 2014, 1223

2 frAnçois-xAvier lucAs, Présentation de l’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, BJE, 1er mars 2014 n°2 ;

3 Article L. 622-10 du Code de commerce

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La fiLiation des enfants nés de gesta-tions pour autrui (GPA) pratiquées à l'étranger peut-elle être inscrite sur

les registres français d'état civil ? C’est sur cette question emblématique que la Cour européenne des Droits de l’homme a du se prononcer, en rendant deux arrêts très atten-dus, le 26 juin dernier 1.

Qu’entend-on par « gestation pour au-trui  »  ? C’est le « fait pour une femme de porter, dans le cadre d’un contrat, un enfant pour le compte d’un couple qui en a assuré le projet et la conception et à qui il sera remis après sa naissance » 2. Légalement interdite en France depuis la loi de bioéthique de 1994 3, la GPA est fondée sur le principe de non-patrimonialité du corps humain, intro-duit par l'article 16-1 du Code civil. L'article 16-7 du même code précise que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ».

Malgré cette interdiction, le nombre de recours aux mères porteuses à l’étranger ne cesse d’augmenter, confrontant les juridic-tions à de nombreuses questions juridiques, et en particulier celle du statut de ces en-fants. La Cour européenne des Droits de l'homme a pris position, le 26 juin dernier, en condamnant la France pour avoir refusé de transcrire la filiation de deux enfants nées par GPA aux États-Unis sur les registres d’état civil français.

En dépit d’une circulaire de la ministre de la Justice en date du 25 janvier 2013 encourageant la délivrance d’un certificat de nationalité française aux enfants nés à l'étranger d'un parent français, ayant vrai-semblablement eu recours à une procréation ou gestation pour le compte d'autrui, la Cour de cassation s’était montrée réticente à une telle pratique. Elle refusait, dans un premier temps, de reconnaître la filiation de la « mère d'intention » au nom du principe d'ordre pu-blic d'indisponibilité de l'état des personnes 4.

Par un arrêt du 19 mars 2014 5, la Cour de cassation a ensuite confirmé sa position adoptée en septembre 2013 6, refusant la transcription sur les registres français de l'état civil des actes étrangers pour les en-fants nés d’une GPA, en raison de la fraude à la loi française constituée par le recours à une convention de mère porteuse.

Dans cette espèce, il était question d’un enfant né en Inde à la suite d’une convention de GPA. Le père biologique, de nationalité française, avait reconnu l’enfant et demandé la transcription de l’acte de naissance étran-ger sur les registres français de l’état civil, ce à quoi s’étaient opposés le Ministère public puis les hauts magistrats, estimant que cela caractérisait un processus frauduleux dont la naissance de l’enfant était l’aboutisse-ment. Le refus était ainsi justifié « lorsque la naissance est l'aboutissement, en fraude

gestation pour autrui la FranCe Condamnée par la CedH

1 Arrêts Labassee c. France, CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11, et Menesson c. France, CEDH, 26 juin 2014, n°65192/11

2 Bulletin Académie nationale de médecine, 2009, 193, no 3, 583-618, séance du 10 mars 2009

3 Loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'uti-lisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal

4 Civ. 1re, 6 avr. 2011, n°09-17.130

5 Civ. 1re, 19 mars 2014, n°13-50005

6 Civ. 1re, 13 sept. 2013, n°12-18.315 et n°12-30.138, D. 2013. 2170

à la loi française, d'un processus d'ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui, convention qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil ».

Alors que la Cour de cassation considé-rait, jusqu’aux arrêts de septembre 2013, la reconnaissance de la filiation par GPA comme « contraire à l'ordre public » et aux « principes essentiels du droit français » tenant essentiellement à l’indisponibilité de l’état des personnes, c’est le fondement de la fraude à la loi qui a ensuite justifié le refus de transcription d’un acte d’état civil.

Or, l’arme de la fraude est redoutable. Une application stricte de l’adage fraus omnia corrumpit a en effet conduit la Cour de cas-sation, dans ses arrêts de septembre 2013, à rejeter jusqu’à l’action en reconnaissance de paternité : « ayant caractérisé la fraude à la loi commise par M. X, la cour d'appel en a exactement déduit que la reconnaissance pa-ternelle devait être annulée ». L’enfant serait ainsi le fruit d’un « processus frauduleux  » qui non seulement motiverait le refus de transcription sur les registres français, mais qui empêcherait également l’établissement de la filiation, ce qui n’a pas manqué d’être vivement contesté 7.

Nul doute que la position de la Cour de cas-sation visait jusqu’à présent à dissuader les recours à la gestation pour autrui à l’étran-ger. En effet, reconnaitre la transcription des actes étrangers sur les registres de l’état civil français revient in fine à atténuer la teneur de l’interdiction de la GPA en France.

Mais si le refus de transcription des actes étrangers est aisément justifiable au re-gard des principes fondamentaux du droit français, il est plus discutable d’anéantir la filiation de l’enfant au nom de ces mêmes principes, quand bien même cette filiation serait conforme à la vérité biologique. Cela revient en effet à priver l'enfant de certains droits (en particulier, la nationalité française) en raison de la fraude des parents.

Certes, M. l'avocat général Jean-Paul Jean a souligné dans ses conclusions 8 — très ar-gumentées — que l'enfant n’était pas « privé d'état civil, ni de filiation ». Pour autant, les actes étrangers établissant la filiation

ne peuvent produire tous leurs effets en France et les enfants, dépourvus de la na-tionalité française, se trouvent confrontés à de nombreuses difficultés. Parfois appelés les « fantômes de la République », ces enfants étaient ainsi plongés dans une situation de « non-droit » 9, portant atteinte à leur iden-tité même. Privés de la nationalité française, ils devaient obtenir un titre de séjour ou de voyage pour résider valablement en France, et ne pouvaient prétendre à une succession directe de leurs parents (sauf par testament).

Le fondement de la fraude devrait désor-mais être écarté, puisque la France ne peut plus refuser de transcrire sur les registres français d'état civil les actes de naissance étrangers des enfants issus de GPA ; la CEDH a ainsi fait primer « l'intérêt supérieur de l'enfant ». Au terme d'un long dévelop-pement, la CEDH a en effet estimé que la position française plaçait les enfants des deux couples requérants dans une situation d'incertitude juridique.

Où l’on perçoit comment l’interdiction de la GPA sur le sol français, à travers le refus de transcription sur les actes d’état civil, pose une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur de l’enfant, donc le respect doit guider toute décision les concernant. L’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun a ainsi décidé la CEDH à se pronon-cer en ce sens, sans pour autant condamner la prohibition de la GPA en tant que telle. Pourtant, il est clair que cette décision contribue à faciliter le contournement de la loi française, puisque les effets du recours aux mères porteuses à l’étranger devraient être reconnus en France.

Une intervention du législateur sur ces questions semble désormais envisageable malgré le peu d’empressement à aborder la « grande réforme du droit de la famille », dont la GPA fait figure de casus belli. Quoiqu’il en soit le législateur est placé dans une posi-tion délicate : s’il n’intervient pas, le statut de l’enfant reste incertain; s’il intervient, il risque de ruiner l’interdit.

De quoi faire travailler l’imagination de nombreux juristes…

Clémence Moulonguet

7 Voir à ce sujet les com-mentaires d’Hugues Fulchiron et Christine Bidaud-Garon, Recueil Dalloz 2014 p.905, L’enfant de la fraude… Réflexions sur le statut des enfants nés avec l’assistance d’une mère porteuse

8 JeAn-pAul JeAn, avocat général à la Cour de cassation, La fraude à la loi française commise par le père ne peut pas exclure la protection des droits propres de l'enfant par les conventions internationales, Recueil Dalloz 2014 p. 901

9 hugues fulchiron & christine BiDAuD-gAron, Dans les limbes du droit, D. 2013. 2349

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Pour introduire la conférence, le pro-fesseur Yves Chapus rappelait les divers enjeux entourant la question

du traitement des groupes de sociétés et ce, dans le cadre de l’ouverture de procédures collectives à l’encontre d’une ou de plusieurs sociétés d’un même groupe.

Principe d’autonomie des personnes mo-rales ou désintérêt du droit positif pour la notion de groupe en matière de procédures collectives, autant de questions auxquelles il fallait tenter d’apporter une réponse ou, à tout le moins, une explication.

A ainsi d’abord été évoquée la source du problème : alors qu’il est une réalité écono-mique et financière, le groupe de sociétés ne bénéficie en droit français d’aucune défini-tion unanime. Surtout, il a été rappelé que

l’existence du groupe ne fait pas disparaître la personnalité morale des sociétés le com-posant. Gaston Gèze aurait ainsi pu résumer qu’il n’a jamais déjeuné avec un groupe de sociétés…

Les quelques mécanismes d’encadrement de l’autonomie des sociétés d’un groupe tels que l’extension de procédure — par fictivité d’une société ou confusion des patrimoines — ou la notion de coemploi 1 sont ainsi jugés largement insuffisants.

En outre, un regard critique a été porté sur le sort réservé aux groupes de sociétés dans l’ordonnance n°2014-326 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives ainsi que dans la proposition de révision du règlement

européen n°1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.

Le premier texte n’aborde le « groupe » que dans un article 93 qui prévoit l’insertion au Code de commerce d’un article L. 662-8, lequel permettra la nomination d’un syndic commun à l’ensemble des procédures qui pourraient être ouvertes devant plusieurs tribunaux à l’égard de plusieurs sociétés d’un même groupe. Quant à la proposition de ré-vision du règlement, elle consacre d’une part les avancées jurisprudentielles permettant de regrouper sous la houlette d’un seul tribunal, et ce sous certaines conditions 2, l'ensemble des procédures ouvertes à l’encontre de plusieurs sociétés d’un groupe et, d’autre part, elle met l’accent sur la coopération, la coordination entre syndics, entre syndics et juridictions et entre juridictions de pays différents.

Saluant ces quelques avancées, Frédéric Abitbol, administrateur judiciaire, a néan-moins souligné qu’il serait opportun d’ac-corder plus de liberté aux praticiens dont le pragmatisme sert les intérêts de la matière. À travers la présentation des restructurations des groupes Belvédère et Partouche, ce der-nier a ainsi démontré combien il pouvait être difficile d’apporter les meilleures solutions lorsque les textes se montrent inadéquats  ; tel est le cas avec le principe de l’autonomie

des personnes morales qui rend encore plus difficile en France qu’à l’échelle européenne la restructuration d’un groupe de sociétés.

Enfin, Me Nicolas Morelli, avocat associé du cabinet Aramis, a pu traiter la probléma-tique ô combien débattue de la responsa-bilité des dirigeants au sein des groupes de sociétés, notamment lors de la cession par un groupe solvable d’une filiale ou d’une branche d’activité en difficulté. A ainsi été débattue la question, autant juridique que morale, de l’éventuelle diffusion de l’obliga-tion à la dette au sein des groupes ou de la responsabilité des cédants face à l’échec du retournement d’une société en difficulté par ses cessionnaires.

À l’issue de ces échanges, le professeur Roussel Galle a relevé pour conclure que la discussion sur le traitement des groupes de sociétés fait réapparaître une autre difficul-té, récurrente dans la matière : donner aux professionnels des outils juridiques communs satisfaisants pour agir sur des terrains radi-calement différents, c’est-à-dire à la fois à l’échelle de la « petite entreprise » en difficul-té mais aussi à l’échelle du groupe de sociétés multinational.

Pierre-Henri Brieau

Le 9 avril dernier, le Centre d'études et de recherche en droit des affaires et gestion de l’univer-sité Paris Descartes, avec la participation du Master 2 juriste d'affaires, dirigé par le Professeur Isabelle Urbain-Parleani, organisait une conférence sur le traitement des groupes de sociétés, sous la direction du professeur Roussel-Galle.

Retour sur les points essentiels abordés lors de cette conférence.

ConFérenCe

le traitement des groupes de sociétésnouVeauX déterminantS du droit deS entrepriSeS en diFFiCulté

1 Cass. com., 12 juin 2012, n°11-16.109

2 Pour les groupes dont le centre des intérêts principaux des sociétés du groupe est localisé dans un même État membre.

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une thérApie de choc pour une France malade de sa complexité réglemen-taire » : c’est l’ambition révélée par

le projet d’ordonnance dans le cadre du mouvement de réforme du droit des sociétés. Pris en application de l’article 3 de la loi du 2 janvier 2014 ayant habilité le gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entre-prises, cette ordonnance a pour objectifs de « renforcer l’attractivité de la place finan-cière française, assouplir certaines règles de fonctionnement des sociétés commerciales, sécuriser les opérations et accroître la trans-parence au sein des sociétés anonymes ».

À cette fin, plusieurs dispositions du droit des sociétés devraient être modifiées pour sécuriser le régime de certains titres (rachat des actions de préférence et du régime ap-plicable aux valeurs mobilières), simplifier les formalités administratives des entreprises (prolonger le délai de tenue de l'AGO dans les SARL, alléger les formalités relatives à la ces-sion des parts sociales des SNC et SARL, etc.), faciliter la constitution de groupes d’EURL (abrogation de l'article L. 223-5 du Code de commerce interdisant les chaînes d'EURL)ou encore préciser — ou modifier — le champ d’application de certains mécanismes. Tel est le cas du régime des conventions réglemen-tées et de l’article 1843-4 du Code civil relatif à la valorisation des droits sociaux par un

expert. Ce sont ces deux mesures qui seront ici étudiées.

Le droit des sociétés ne doit pas constituer un frein à l’activité économique ; il doit, par des règles claires et, dans la mesure du possible, simples, apporter de la sécurité juri-dique aux opérateurs économiques. À l’heure de la compétitivité accrue entre les systèmes juridiques, il y avait donc urgence à amé-liorer cet environnement réglementaire afin que les entreprises se consacrent pleinement à leur cœur de métier : investir, innover et, surtout, créer.

le liFtinG Des conventions réGleMentées

Suite à certaines recommandations, en particulier de l’AMF 1, le législateur procède à une réforme d’importance du régime des conventions réglementées.

D’abord, l’autorisation préalable du conseil d’administration, ou du conseil de surveil-lance le cas échéant, doit désormais être motivée, ensuite les conventions autorisées par le conseil d’administration dont les effets s’étendent sur plusieurs années sont examinées chaque année 2 avec une faculté de retrait de l’autorisation. Enfin, le légis-lateur effectue un nouvel encadrement des

conventions intra-groupe : il procède à l’ex-clusion des conventions mère/fille du champ de la procédure des conventions réglemen-tées et renforce l’obligation d’information de certaines conventions intra-groupe.

La question centrale en matière de conven-tions intra-groupe est de savoir si ce lifting effectue une concordance entre le risque de conflits d’intérêts et le champ des conven-tions réglementées.

l’eXCluSion deS ConVentionS mère/Fille stricto sensu

La proposition la plus marquante s’inscrit dans une démarche de simplification de la procédure : sont exclues du champ de la procédure des conventions réglementées les conventions conclues entre une société et une filiale dont elle détient, directement ou indirectement, la totalité du capital 3.

Précisons-le d’emblée : au regard du champ actuel des conventions réglementées, le simple fait que la convention soit conclue entre une société mère et une fille n’implique pas, en tant que tel, la soumission aux règles des conventions réglementées pour la société mère. Encore faut-il que les sociétés aient, en particulier, des dirigeants communs.

Comment expliquer cette exclusion ? Les conventions mère/fille ne sont-elles pas les plus sensibles ? En réalité, le risque de conflits d’intérêts semble particulièrement limité dans un pareil cas de figure 4 ; il n’y a pas, à cet égard, le risque de l’octroi d’un avantage injustifié au profit de la société mère au détriment des minoritaires de la filiale 5. Ensuite, cette exclusion permettra aux actionnaires de se concentrer sur des conventions présentant un « réel » risque de conflits d’intérêts sans être « étouffés » par des conventions répétitives.

Enfin, l’exclusion des conventions mères/filles du champ d’application des conven-tions réglementées permettrait d'alléger le rapport spécial du commissaire aux comptes 6

déjà très dense et, par conséquent, de réduire les coûts pour la société. On évalue combien cette procédure peut être contraignante pour les sociétés dans lesquelles les conventions avec leurs filiales sont très fréquentes, l’in-formation de l’actionnaire donnée par le

rapport spécial perdant souvent en clarté et en pertinence. Soucieuse d’un équilibre, l’ordonnance a souhaité consacrer une autre suggestion en matière de conventions intra-groupe.

l’obligation d’inFormation renForCée Sur leS ConVentionS entre un dirigeant d’une

SoCiété et Sa Filiale

Le projet d’ordonnance introduit une obli-gation d'information spécifique des action-naires d'une société mère sur les conventions conclues entre un dirigeant, un administra-teur ou un actionnaire à plus de 10 % de la société mère et une filiale détenue directe-ment ou indirectement par celle-ci.

Ce type de conventions ne sont pas ipso facto comprises dans le périmètre des conven-tions réglementées ; il n'est pour autant pas question d'aller jusqu'à soumettre de telles conventions à la procédure des conventions réglementées, mais simplement d'offrir aux actionnaires de la société mère une informa-tion dont la teneur devra certainement être précisée 7.

En définitive, ces diverses retouches ap-portées au régime des conventions laissent place à un régime plus pragmatique, bien que manifestement imparfait.

la MoDiFication Du chaMp D’application De l’article 1843-4

Du coDe civil

limitation auX CeSSionS et raCHatS de droitS SoCiauX préVuS par la loi

À l’inverse des conventions réglementées qui sont rapidement — et à plusieurs re-prises — abordées par le projet d’ordonnance, l’article 1843-4 du Code civil n’est mention-né qu’une seule fois, de façon laconique et en fin de texte. L’article 43 du projet précise ainsi « à l’article 1843-4 du Code civil, les mots : “sont prévus” sont remplacés par les mots  : “la loi prévoit” ». Ainsi modifié, le nouvel article prévoirait que « dans tous les cas où la loi prévoit la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un

«

la réforme du droit des sociétésun proJet prometteur

1 Recommandations AMF 2012-05, L’AMF a publié le 2 juillet 2012, un ensemble de 33 propositions au sein de la recommandation n°2012-05, parmi lesquelles 15 concernent le vote des conventions réglementées ; Dans le même sens: Rapport J.-M. Delisle, « Renforcer l’efficacité de la procé-dure des conventions réglementées, contribution de la CCIP aux travaux de place », 8 sept. 2011.

2 Le conseil d’administration dispose en conséquence d’une faculté de retrait de l’autorisation

3 Cela signifie que la procédure des conventions réglementées devra s’appliquer dans la filiale

4 Ces conventions sont de natures diverses: convention de sous-location de locaux, conven-tions de mécénat, conventions de mise à disposition de bureaux, convention de gestion des opéra-tions de marché, participations à des frais d’étude, prestations de services dans le cadre de la gestion du risque de change.

5 On peut, par ailleurs, s’interroger sur « l’exclusion » des actionnaires minoritaires de la société mère, à cet égard il faut noter qu’en matière de fusion sim-plifiée l’article L.236-11 du Code de commerce octroie à certains minoritaires de la société mère une faculté d’intervention.

6 « Le contrôle des conventions réglementées dans les SA, les SAS et les SARL », Cahiers de droit de l'entreprise n° 2, Mars 2013, prat. 6.

7 En droit positif, les action-naires d’une société cotée ont une large information sur ce type de convention lorsqu’elle octroie une rémunération ou avantage de toute nature au dirigeant

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courtesy Anne-marie Sauteraud

Anne-Marie Sauteraud

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expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ».

Avec cette nouvelle rédaction, le législa-teur marque très nettement son désaccord avec une position jurisprudentielle très controversée. En effet, depuis le milieu des années 2000, le domaine d’application de l’article 1843-4 du Code civil a connu une extension considérable : la Cour de cassation considérait que le texte s’appliquait aux ces-sions ou rachats de droits sociaux prévus par la loi mais également ceux envisagés par les statuts de sociétés 8 et les pactes extrastatu-taires 9. La nomination d’un expert devenait donc possible quelles que soient les moda-lités de sortie du cédant. De surcroît, la vo-lonté des parties quant à la valeur des droits sociaux, exprimée dans des conventions régulièrement conclues, était clairement mise en échec par les juges. Peu importent les méthodes d’évaluation des droits sociaux prévues par les parties, l’expert bénéficiait d’une totale autonomie et pouvait librement s’en écarter (sous réserve du cas marginal de l’erreur grossière) 10. On comprend alors les inquiétudes exprimées par les praticiens de voir leurs prévisions prendre le risque d’être bouleversées.

C’est dans ce contexte que le législateur est intervenu en habilitant le gouvernement à réformer l’article 1843-4 pour « assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ». Mais l’ordonnance propose d’aller bien plus loin que cet objectif. Plutôt que de limiter les pouvoirs de l’expert ou de le contraindre à respecter la volonté des parties, l’ordonnance tend à modifier — ou plutôt préciser — le champ d’application de l’article 1843-4 pour le cantonner aux seuls cas de cessions ou de rachats prévus par la loi. Partant, la réécri-ture de l’article 1843-4 du Code civil poursuit expressément un objectif — tant attendu — de sécurité juridique.

l’ordonnanCe deVanCée par la JuriSprudenCe

Avec cette précision, l’article 1843-4 du Code civil renoue avec ses origines. En effet, l’ancien article 1868 du Code civil,

l’ancêtre de l’actuel 1843-4, annonçait s’ap-pliquer « dans tous les cas prévus au présent article  ». De même, le projet de la loi du 4 janvier 1978, dont est issu l’actuel article 1843-4, précisait « dans tous les cas où la loi impose ». Si cette précision avait disparu lors de l’adoption de la loi, la doctrine était una-nime pour déclarer que ce texte continuait à s’appliquer uniquement aux cas de cession ou de rachats prévus par la loi. Pourtant, la jurisprudence avait profité de l’écriture incertaine de cet article pour étendre son domaine d’application aux cas de cessions statutaires et extrastatutaires. L’ordonnance était donc évidemment attendue…

Et pourtant, il semblerait que la jurispru-dence ait finalement entendu les suppliques qui lui étaient adressées. Ainsi, par un arrêt du 11 mars 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un véritable revirement de jurisprudence en jugeant que les dispositions de l’article 1843-4, « qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé » 11. Dès lors, les ma-gistrats du quai de l’Horloge ont clairement exclu l’application de l’article 1843-4 dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente.

Pour autant, il faut se garder d’en conclure que l’ordonnance serait devenue, avant même d’être adoptée, obsolète. En effet, cet arrêt laisse perplexe sur le champ d’application exact de l’article 1843-4 : un doute demeure sur l’applicabilité de l’article à l’ensemble des pactes extrastatutaires mais surtout aux statuts, ceux-ci pouvant être imposés à l’associé et partant, ne pas être «  librement consenti[s] ». De plus, si cet arrêt bénéficie de la plus large diffusion (P+B+R+I), il n’en demeure pas moins qu’il reste encore fragile puisqu’isolé au milieu d’une mer agitée par les nombreux soubresauts jurisprudentiels. En limitant expressément son application aux seuls cas de cessions ou de rachats pré-vus par la loi, l’ordonnance vise un objectif bienvenu de sécurité juridique.

Khaled Aguemon & Daniel Cruz

8 Cass. com., 4 décembre 2007, n°06.13-912

9 Cass. com., 24 novembre 2009, n°08-21.369 et Cass. com., 4 décembre 2012, n°10-16.280 ; Moury J., « Supplique à l’adresse de mesdames et messieurs les Hauts conseillers afin qu’ils accordent grâces aux praticiens de la tierce estimation », Revue des sociétés, 2013, p. 330 ; Couret A., « Article 1843-4 du Code civil et clauses d’évaluation de droits sociaux : de nouvelles perspectives ? », Recueil Dalloz, 2013, p. 147

10 Cass. com, 5 mai 2009, n°08-17.465

11 Cass. com., 11 mars 2014, n°11-26.915

Le Baromaître : Pouvez-vous me donner les grandes lignes de votre parcours acadé-mique et professionnel ?

Anne-Marie Sauteraud : Je suis ma-gistrate depuis 1980, après avoir passé quatre ans au TGI d’Arras, j’ai été nommé à Paris dans plusieurs chambres, puis j’ai été premier juge à Créteil de 2000 à 2002 et je suis re-venu au tribunal de Paris à la chambre de la presse, depuis 2002 jusqu’à présent.

Et précédemment, juste avant de partir à Créteil, j’étais là lorsqu’a été créée cette chambre de la presse car avant les activités

civiles étaient distinctes des activités pénales. A la suite de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, les mêmes règles de procédure ont été appliquées au civil et au pénal, donc le président du TGI de Paris de l’époque, M. Coulon, a décidé que ce soient les mêmes magistrats qui traitent des affaires afférentes à la loi de 1881 en matière civile et pénale.

Donc cette création de la chambre dite de la presse date d’octobre 1999, j’y étais avant d’aller à Créteil et ensuite j’y suis revenue, donc j’y suis depuis plus de dix ans.

renContreS

anne-marie sauterauddominiQue de leusse de syon

anne-marie sauteraudpréSident de la XViie CHambre CorreCtionnelle du tgi de pariS

aea pariS - le baromaître #3 | 4746 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

courtesy dominique de Leusse de Syon

Dominique de Leusse de Syon

BM : Il y a des textes éparses pour régir le droit de la presse, pensez-vous qu’il serait judicieux de les regrouper au sein d’un même Code de la presse par exemple ?

Que pensez-vous de la dépénalisation du droit de la presse ?

AMS : Sur le regroupement des textes, en effet ça peut être utile dans un coté pratique mais pour l’instant ils ne sont quand même pas trop disparate : dans le code ils sont pu-bliés les uns à la suite des autres, donc c’est principalement la loi du 29 juillet 1881. Il y a eu des ajouts pour suivre les évolutions techniques d’ailleurs, la loi de 1982 puis celle de 2004. Mais je pense que leur lisibilité est quand même assez claire. La chambre de la presse traite donc à la fois des infractions prévues par la loi de 1881 qui peuvent être, notamment comme en matière de diffama-tion, poursuivies au pénal comme au civil.

À un moment s’était posé le problème de la dépénalisation de ces infractions. Finalement, il y a été renoncé et je pense que c’est une bonne chose que les parties puissent choisir d’aller au civil ou au pénal dès lors notamment qu’en matière pénale, les investigations peuvent être plus simples pour elles et notamment pour les personnes n’ayant pas de moyens financiers suffisants lorsqu’il y a des publications sur internet, sur des blogs ou sur des messages dans les fo-rums de discussion. Cela nécessite un certain nombre de démarches afin d’identifier les au-teurs, ce qui est parfois d’ailleurs impossible et dans ce cas on peut saisir un juge d’ins-truction qui se charge lui-même de chercher les responsables. Tandis qu’en matière civile, il faut faire des ordonnances sur requête pour aller chercher les adresses ou autres qui demandent plus d’investigations qui peuvent difficilement se faire sans avocat.

Donc, parfois il y a un intérêt aussi pour les victimes d’aller au pénal, alors certes les personnes poursuivies auront un casier judi-ciaire, on peut se poser la question de savoir si une infraction à la loi sur la presse peut légitimement donner lieu à une condamna-tion pénale.

Là j’estime que oui, il y a un intérêt aussi pour les victimes d’aller au pénal, mais il faut que le tribunal garde la mesure des choses

et en général les peines prévues ne sont pas d’une extrême gravité. En tous cas, les peines prononcées lorsque les personnes n’ont ja-mais été condamnées auparavant.

Et les peines d’emprisonnement sont ré-servées aux infractions les plus graves, en pratique elles sont rarement prononcées à moins que la personne soit récidiviste ou que l’infraction soit particulièrement grave ; quand il y a des apologies de terrorisme par exemple.

Ce qui fait que c’est une bonne chose parce que finalement, à la fois la juridiction civile et la juridiction pénale traitent notamment des affaires de diffamation et par ailleurs il y a tout l’aspect qui n’est que civil donc : atteinte à la vie privée, au droit à l’image et à la présomption d’innocence, qui font partie également des attributions de la chambre de la presse mais qui n’affectent que le volet civil.

Les atteintes à la vie privée ont aussi un aspect pénal qui est aussi traité par cette chambre, à savoir la prise de photographies dans un lieu privé ou l’enregistrement de personnes à leur insu qui peut donner lieu à condamnation du chef d’atteinte à la vie privée au plan pénal.

BM : Pensez-vous qu’avec le développement d'Internet, le droit de la presse, vie privée et image ont vocation à se développer ?

AMS : En effet, il y a une évolution mani-feste dans les contentieux qui, avant, étaient surtout basés sur des publications papier, des magazines ou autres et maintenant il y a un grand développement des diffusions sur Internet, soit des journaux en ligne, soit des blogs, soit des forums de discussion, donc il y a une forte évolution dans ce sens.

Ceci est lié aux nouvelles technologies, tout à fait.

BM  : Pouvez-vous comparer cette chambre de la presse aux autres chambres correctionnelles ?

AMS : Cette XVIIe chambre a plusieurs spécificités. Notamment le fait qu’elle traite à la fois des affaires civiles et pénales, ce qui n’est pas le cas en général des chambres qui sont spécialisées, donc je pense que ça

donne une vision d’ensemble plus globale et intéressante.

Par ailleurs, elle a aussi un intérêt, que je trouve personnellement très important, c’est que par le biais notamment de ces actions en diffamation, le tribunal examine des questions extrêmement diverses, questions qui peuvent toucher aux domaines politique, artistique, historique, et donc cette variété de contentieux me paraît tout à fait déterminant dans la spécificité de la chambre.

Il faut souligner aussi que la procédure de presse fait qu’une grande partie du débat se passe à l’audience et notamment la procé-dure de l’offre de preuve fait que les parties peuvent faire citer des témoins qui sont ac-quis aux débats, donc des gens spécialistes dans leur domaine, ce qui donne une richesse certaine au débat.

Propos recueillis par Aurélie Thuegaz

Le Baromaître : Maître de Leusse, vous êtes avocat spécialisé en droit de la presse et en propriété intellectuelle, et plus parti-culièrement en droit d’auteur, avocat de pro-ducteurs, d’éditeurs. Comment en êtes-vous arrivé là ? Quelles raisons ont conduit à cette spécialisation dans ces branches du droit ?

Dominique de Leusse de Syon : Le gout de la littérature, l’amour du cinéma, celui de la création quelle qu’elle soit. J’ai eu la chance de suivre les cours de propriété intellectuelle à la faculté de droit : la matière m’a passionné et j’ai eu la chance, souvent la vie est faite de hasards, d’entrer comme collaborateur dans un cabinet spécialisé dans

ces matières, lequel a eu la bonté au bout de deux ans de m’associer et, vogue la galère, voilà comment je suis arrivé où je suis.

BM : Quel est l’intérêt pour une maison d’édition ou un producteur audiovisuel de faire relire par l’avocat un manuscrit ou un scénario que l’éditeur ou le producteur soup-çonne de contenir les germes d’un procès ? Comment cela se passe concrètement ?

DLS : L’intérêt c’est d’éviter à mes clients des ennuis car tout procès dit de presse ou de contrefaçon coûte, quelle qu’en soit l’issue à l’éditeur, au producteur, au journal, voire aux auteurs ou aux scénaristes, des sommes

dominiQue de leusse de syon aVoCat au barreau de pariS, SpéCialiSé en propriété intelleCtuelle

aea pariS - le baromaître #3 | 4948 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôle

qui sont très importantes eu égard à l’intérêt financier du litige qui n’est pas toujours, lui, très important.

L’idée, c’est, en amont, d’éviter que l’édi-tion de l’ouvrage, la diffusion de l’émission de télévision, la diffusion du film ne génère une quelconque procédure judiciaire.

Voilà le but premier, maintenant il s’agit d’un des exercices les plus difficiles qui soit pour un avocat spécialisé en propriété intel-lectuelle, puisque nous intervenons avant la publication ou la diffusion et que nous devons indiquer à nos clients quels sont les passages du texte ou de l’émission qui nous sont soumis, qui peuvent générer des pour-suites judiciaires.

Exercice difficile car chaque manuscrit, chaque émission de télévision, chaque film est différent et présente des problèmes de droit différents. Nous appliquons donc un principe général de précaution, c’est-à-dire de signaler à nos clients tous les passages du manuscrit, du scénario, qui peuvent très éventuellement générer un procès.

Par la suite, avec les auteurs ou les réali-sateurs, ces aléas disparaissent à 90 % parce qu’ils viennent nous expliquer et surtout nous démontrer que ce que nous pensions être un risque de procès n’en est pas vérita-blement un, étant donné qu’ils ont la matière pour se défendre en cas de procédure, ou la matière pour prouver la réalité de ce qu’ils prétendent, ou pour prouver qu’il n’y a pas contrefaçon.

Voilà donc l’intervention en amont de l’avocat avant la mise en production de l’œuvre intellectuelle qui peut constituer soit une atteinte à la vie privée, une diffamation. C'est un exercice difficile car on nous livre un matériau brut dont souvent on ignore tout, ou presque tout, sauf lorsqu’il s’agit de faits qui tiennent à l’actualité la plus récente ou à l’histoire la plus connue.

Il nous appartient par la suite, avec les auteurs de réduire les risques, ce qui se fait d’habitude assez facilement et enfin lorsque nous avons dégagé les quelques passages qui restent et qui seraient de toutes manières susceptibles de générer des procès, l’avocat s’efface alors devant la liberté de création et la liberté de production de ses clients qui,

eux, prennent le risque de publier ou de dif-fuser en conséquence, mais cette fois-ci c’est l’éditeur ou le producteur qui prend le risque de diffuser.

Après cet examen, restent 10 % qui sont susceptibles de générer des procédures judi-ciaires. Là, l’auteur ou le producteur assume les risquent en connaissance de cause, l’avo-cat lui ayant indiqué qu’il y avait un risque, et selon son opinion quel était l’importance de ce risque, pécuniaire ou pire car le tsunami c’est l’interdiction, rare heureusement. Mais le producteur ou l’éditeur prend le risque après que l’avocat a attiré son attention sur les conséquences de sa décision.

BM : Relisez-vous systématiquement chaque manuscrit ?

DLS : Fort heureusement nous ne reli-sons pas toute la production de nos clients car nous ne ferions plus que ça étant donné le nombre d’ouvrages qui sont publiés en France.

Ils nous font relire les ouvrages dont ils estiment qu’ils présentent des risques, il va de soi que le roman proprement dit puisqu’il s’agit d’une œuvre de fiction ne présente sou-vent aucun risque, encore que les ouvrages qui sont basés sur des faits divers récents présentent des risques même si les person-nages sont déguisés, délocalisés ; souvent les véritables intéressés se reconnaissent. Donc même l’œuvre, dite de fiction peut présenter un risque et les producteurs de télévision ont depuis quelques années un goût très pronon-cé pour le «  docu-fiction  », une œuvre qui se présente comme une fiction mais qui est fondée sur des faits réels et dont les person-nages peuvent se reconnaitre.

BM : S’il y a une condamnation pour contrefaçon, atteinte à la vie privée ou diffa-mation, qui va payer ? L’auteur, l’éditeur ou le producteur ?

DLS : La personne qui estime que ses droits sont lésés, que ce soit le droit à l’image, le droit d’auteur, les droits de la per-sonnalité comme la diffamation ou l’atteinte à la présomption d’innocence, va poursuivre, en général, celui qui a les poches les plus profondes, c’est-à-dire l’éditeur, la chaîne de

télévision ou le producteur de cinéma ou de télévision.

Il demande souvent, pour l’obtention de dommages et intérêts, une condamnation solidaire de toutes les personnes qu’il estime responsables et il va poursuivre celle qu’il estime la plus solvable.

Alors en théorie, le fait générateur du dommage, c’est la diffusion de l’émission, c’est l’édition et la mise en vente du livre, donc l’auteur du dommage est en principe l’éditeur ou le producteur de cinéma ou de télévision, voire la chaîne de télévision.

Il se trouve qu'en droit, mais en droit très théorique, le producteur ou l’éditeur a la faculté de se retourner contre son auteur ou son scénariste qui lui a cédé les droits sur une œuvre intellectuelle qui présente certains risques alors qu’il lui doit, selon le droit civil général, l’exercice paisible des droits cédés, et cette obligation se retrouve presque dans tous les contrats de cession de droits d’au-teur. Donc, très théoriquement, si jamais la responsabilité de l’éditeur est recherchée, qu’il est condamné et qu’il doit payer, il a la faculté de se retourner, de demander la garantie de son auteur.

Cette faculté n’est pas toujours exercée car des considérations d’ordre politique, au sens large du terme, d’opportunité, font que par-fois l’éditeur hésite à demander des comptes à son auteur.

BM : Vous êtes avocat inscrit au barreau de Paris depuis trente-cinq ans, conseillez-vous votre spécialité aux jeunes, futurs confrères ? Dans l’affirmative, quelles sont les qualités à avoir pour être avocat dans cette spécialité ?

DLS : Bien évidemment que je la conseille à ceux qui veulent pratiquer ce droit telle-ment particulier. Parce que c’est formidable, il n’y a pas un dossier qui ressemble au pré-cédent et au suivant, j’aime ce métier, je le pratique depuis trente-cinq ans et je n’envi-sage pas d’y mettre fin car je m’y passionne, je m’y amuse.

Il traite de tous les aspects de la création humaine donc il ne peut être que passionnant. Cela dit, tout ceci est une déclaration géné-rale et un vœu pieux, la pratique est malheu-reusement beaucoup moins séduisante. Le

domaine de la propriété intellectuelle est une minuscule niche économique qui ne permet pas de donner du travail à tous les avocats qui voudraient s’y consacrer. La production audiovisuelle, malgré la multiplication de chaines de télévision, l’édition de livres, la production sur internet, dont tout le monde a cru qu’elle allait faire exploser la création, la production d’œuvres plastique, graphique, etc. constitue un tout petit marché et il faut pour un avocat pouvoir s’y intégrer et c’est la chose la plus difficile qui soit.

Donc, si je dois conseiller à des jeunes confrères de se lancer dans cette aventure, parce que c’en est véritablement une, il faut qu’ils le fassent en toute connaissance de cause, en se disant que non seulement ils ont choisi un métier difficile, celui d’avocat, mais au sein de cette profession, celui d’avocat de propriété intellectuelle fait partie des plus difficiles.

BM : Quelles sont les qualités ?

DLS : D’abord celles que l’on demande à tout avocat : le goût du droit, d’un droit par-ticulier, le goût de toute forme de création : le goût de la littérature, le goût du cinéma, de la musique, de la sculpture, de la peinture, etc.

Vouloir se tenir au courant, et puis dis-poser d’une certaine culture générale en la matière, il faut un petit peu connaître l’his-toire de la peinture, l’histoire du cinéma, de la littérature, et la culture générale au sens le plus large du terme, dont l’histoire des idées politiques et de la politique récente, parce que bon nombre de dossiers qui nous sont soumis dans le cadre de procès en dif-famation touchent à la politique passée et contemporaine.

Donc cela demande une culture générale, un minimum en matière littéraire, historique et artistique, et beaucoup de ténacité et de volonté.

Propos recueillis par Aurélie Thuegaz

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Barrage de Tignes (Savoie)

droit publiC deS aFFaireS

Quel sort pour les contrats de concessions hydroélectriQues ?

En plein cœur des débats sur la transition énergétique, alors que le développement des énergies renouvelables constitue l’un des axes de la politique énergétique de la France, et au lendemain de l’adoption d’une directive européenne (2014/23/UE) encadrant spécifiquement les concessions, la question du sort des concessions hydroélectriques est plus que jamais d’actualité.

PLus connues sous le nom de « bar-rages  », les installations hydroélec-triques sont régies par une loi du 16

octobre 1919 relative à l'utilisation de l'éner-gie hydraulique, qui organise un régime de concession pour 90 % d’entre elles, soit 400 concessions (les autres, d’une puissance inférieure à 4,5 MW, devant faire l’objet d’une autorisation accordée par le préfet de département).

80 % de ces installations sont gérées par le groupe EDF, les 20 % restants relevant prin-cipalement du groupe GDF-Suez.

VerS une miSe en ConCurrenCe deS ConCeSSionS HYdroéleCtriqueS ?

La législation, inchangée depuis presque cent ans, a été quelque peu bousculée par le droit de l’Union européenne, mais aussi par des évolutions internes. Concrètement, les installations hydroélectriques relevaient d’un régime de concessions pour une durée de 75 ans, avec un droit de préférence au profit du concessionnaire sortant (introduit par un décret du 13 octobre 1994).

Elles étaient exclues des obligations de publicité instaurées par la loi «  Sapin  » du 29 janvier 1993, en raison du statut

La France est le 1er producteur hydroélectrique de l’Union

européenne

15% de l’énergie consommée en France est d’origine hydraulique

4,5 MegaWatts : Puissance au-delà de laquelle le barrage doit être soumis à concession

chiFFres clés :

d’établissement public d’EDF (en vertu de l’article 41 de cette loi).

Or, transformée en société anonyme en 2004, EDF ne pouvait plus bénéficier de cette exemption. Ce changement de statut d’EDF constitue la première étape du débat sur le mode d’attribution des concessions hydroélectriques. S’en est suivie une mise en garde de la Commission européenne en 2004, demandant formellement à la France de supprimer le renouvellement automatique de ces contrats.

En réaction, la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 1 a supprimé le droit de préférence, puis un décret du 26 septembre 2008 2 a mis en place une procédure de mise en concurrence, le concessionnaire devant être choisi à partir de trois critères : économique, énergétique et environnemental.

Or, le processus a subi des retards, pour des raisons tenant tant à la complexité des dos-siers de candidatures introduits par le décret de 2008, qu’à un risque de « désoptimisa-tion » de la production électrique française.

C’est alors la Cour des comptes qui, dans un référé daté de 2013, a pointé le manque à gagner dû à l’absence de mise en concurrence de ces concessions et, partant, l’inertie du gouvernement. Les ministres concernés ont reconnu que la mise en concurrence consti-tuait «  la solution juridique la plus robuste pour optimiser le patrimoine de l’hydroélec-tricité ». Mais un rapport 3 des députés Marie-Noël Battistel et Eric Straumann, enregistré le 7 octobre 2013, a en parallèle, proposé des scénarios alternatifs à l’ouverture à la concurrence, considérant qu’il ne fallait pas tomber dans un « fatalisme juridique ».

ou un SCenario alternatiF au « FataliSme Juridique » ?

Dans le « feuilleton » des concessions hy-droélectrique, plusieurs pistes alternatives ont été proposées. Outre la méthode dite du « barycentre » initialement défendue par le gouvernement, et consistant à regrouper les concessions par vallées pour créer un en-semble cohérent avec une date unique de mise en concurrence, le rapport dit « Battistel  » précité propose une concession unique, avec la désignation par la loi de l’opérateur historique en tant que gestionnaire d’un ser-vice d’intérêt économique universel (SIEG),

ou encore la transformation du régime des concessions en un régime d’autorisation. EDF de son côté, soucieux de ne pas démanteler le dispositif actuel, prône plutôt une prolonga-tion des concessions en cours.

Récemment, une nouvelle piste intermé-diaire, associant acteurs publics et privés, semble émerger au sein d’une partie du gou-vernement : il s’agirait de créer des sociétés d’économie mixte (SEM) par vallées dans lesquelles l’État serait majoritaire (51 %), les 49 % restants étant attribués à des entreprises privées par appel d’offres.

1 Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques

2 Décret n°2008-1009 du 26 septembre 2008 modifiant le décret n°94-894 du 13 octobre 1994 modifié relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique

3 Rapport d’information n°1404 de Mme Marie-Noëlle Battistel et de M. Éric Straumann enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 7 octobre 2013

aea pariS - le baromaître #3 | 5352 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle #3 le BAROPôleiStockphoto

ZooM sur : la ConCeSSion

La concession est une forme de contrat public, et plus précisément de délégation de service public (DSP), par lequel une personne publique confie à une personne publique ou privée la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité, pour une durée limitée. Les différents types de DSP se distinguent selon l’im-plication du concessionnaire, son niveau de risques, et son type de rémunération : dans la concession, le concessionnaire prend en charge les investissements, a le droit de percevoir des redevances, et exploite le service à ses risques et périls pendant une durée longue.

Régie par la loi «  Sapin  » n°93-122 du 29 janvier 1993 , la concession était jusqu’à récemment peu encadrée par le droit de l’Union européenne. La directive sur les concessions adoptée le 15 janvier 2014 est venue préciser la notion, en la différenciant clairement des marchés publics, autour de l’idée de risque d’exploitation.

Autres exemples de contrat de concession de service public : contrats d’eau potable, d’assainissement, de gestion des déchets, de distribution d’énergie etc.

la direCtiVe ConCeSSionS, « une oCCaSion manquée » de

régler le Sort deS ConCeSSionS HYdroéleCtriqueS ?

Selon la députée Marie-Noël Battistel, la directive « concessions » aurait constitué une « occasion manquée » d’exclure de la concurrence les concessions hydroélectriques à l’instar du secteur de l’eau. Ne sont en effet exclus que les projets d’alimentation en eau potable.

Peut-être la loi sur la transition énergé-tique constitue-t-elle la nouvelle occasion de régler le sort des concessions hydroélec-triques ? Pour le moment, les documents de travail du Conseil national sur la transition

énergétique évoquent un regroupement des contrats pour une négociation unique, selon la méthode dite « du barycentre ».

La loi de transposition de la directive concessions pourrait également être un véhicule pour adopter définitivement une position.

En l’absence d’encadrement précis, le débat reste pour le moment ouvert, avec néanmoins le risque d’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne si la situation n’est pas clarifiée. Il devient donc urgent qu’un modèle soit mis en place, bien qu’il semble évident que les enjeux ne soient pas uniquement juridiques, mais également économiques, techniques et politiques.

l'association de l'IDPA représente les étudiants de l'Institut de droit public des affaires, formation gérée en partenariat par l'Ecole du Barreau de Paris et la faculté jean monnet - Paris XI.

les étudiants de l'IDPA sont des élèves avocats désireux de bâtir une carrière autour des spécialités du droit public.

contact : [email protected]

Cet article a été rédigé avec le concours de l'Institut de droit public des affaires.

l'euthanasie passiveune perpétuelle remiSe en CauSe de la dignité et du ConSentement du patient ?

proléGoMènes théoriques

L’euthanasie (grec, euthanasie- mort douce) est « l'acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade in-curable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays » (Dictionnaire Larousse).

On distingue l’euthanasie active de l’euthanasie passive.

L'euthanasie active consiste à administrer de manière délibérée des substances létales dans l'intention de provoquer la mort, à la demande du malade qui désire mourir, ou avec son consentement, sur décision d'un proche ou du corps médical.

L'euthanasie passive consiste à refuser ou à arrêter un traitement nécessaire au maintien de la vie.

La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative au droit du malade et à la qualité du système de santé a consacré le droit du patient à sa dignité et au respect de son consentement.

L’euthanasie active est interdite en France mais l’euthanasie passive a été légalisée par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, appelée loi Leonetti. La loi autorise le médecin à limiter ou arrêter un traitement inutile, disproportionné ou se limitant à permettre la survie artificielle du malade bien que cela puisse mettre sa vie en danger. La décision appartient au patient qui donne son consentement. Cependant, lorsque celui-ci est hors d’état d’exprimer son consentement et en l'absence de désignation d'un tiers digne de confiance par le patient, c’est une procédure collégiale qui est mise en place (enclenchée par l'équipe médicale, les proches, mais le pouvoir décisionnel appartient à l'équipe médicale).

Cette loi a pour but d’éviter tout acharnement thérapeutique.

Les actes de prévention, et d'« investigation ou de soin » ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris (art. L. 1110-5 du Code de la santé publique).

aea pariS - le baromaître #3 | 5554 | le baromaître #3 - aea pariS

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wikimedia commons

Conseil d'état

iL y a cinq ans, Vincent Lambert était vic-time d’un grave accident de la route qui l’a plongé dans le coma. Aujourd’hui,

Vincent Lambert est dans un état pauci-re-lationnel, c'est à dire qu'il est doté d'un état de conscience minimal contrairement à une personne en état végétatif 1. Il souffre éga-lement de mutisme, dans un état aphasique.

La discorde est née au sein de la famille Lambert lorsque les médecins ont décidé, avec l’assentiment de sa femme et de certains de ses frères et sœurs d’arrêter les soins dont dépend la vie de Vincent.

L'équipe médicale a en effet interprété certains signes comportementaux du patient, Vincent Lambert, comme exprimant son opposition aux traitements le maintenant en vie. Une procédure médicale collégiale a abouti à la décision d'interrompre l'alimenta-tion et de baisser l'hydratation de Vincent 2.

Cependant, la mère de Vincent a saisi le tribunal administratif par un référé-liberté afin de suspendre la décision de l'équipe médicale.

Le juge administratif a accueilli favorable-ment sa demande 3.

Les médecins ont persisté en prenant une nouvelle décision d'interrompre les soins de nutrition et d'hydratation artificielle de Vincent 4.

La mère de Vincent a de nouveau exercé un référé-libéré devant le juge administratif qui, là encore, a invalidé la décision collégiale en

considérant que Vincent n’avait pas manifes-té de manière certaine la volonté de refuser tout traitement le maintenant en vie 5.

L’assemblée du contentieux du Conseil d’État, s’est réunie le jeudi 13 février 2014 pour délibérer de l’appel sur le litige relatif à la situation de Vincent Lambert.

Le Conseil d’État a ordonné qu’un col-lège de trois médecins spécialistes des neu-rosciences réalise une expertise sur la situa-tion de Vincent Lambert afin que le Conseil d’État dispose d’informations complètes et actualisées sur l’état de santé du patient.

Le Conseil d’État a également invité l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil national de l’Ordre des médecins ainsi que le député Jean Leonetti à présenter des ob-servations écrites.

  Le Conseil d’État a d’ores et déjà jugé que l’alimentation et l’hydratation artifi-cielles de Vincent Lambert constituaient un traitement au sens de la loi du 22 avril 2005 et que les dispositions de cette loi relatives à l’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable peuvent s’appliquer, que le patient soit ou non en fin de vie.

  Il a également jugé qu’il appartenait au juge des référés de concilier les libertés fondamentales que sont le droit à la vie et celui de ne pas subir un traitement tradui-sant une obstination déraisonnable. Cette conciliation implique qu’il s’assure, en étant

1 L’affaire Vincent Lambert : Qu’est que l’état pauci-relation-nel ? Propos recueillis par Violette Robinet, Rubrique Société, Nouvel observateur, publié le 17 janvier 2014.

2 Décision du 10 avril 2013

3 TA Châlons en Champagne, 11 mai 2013, n° 1300 740, AJDA 2013, 1842, étude F-X Bréchot ; D.2013. 216, obs. A. Mirkovic

4 Décision du 14 janvier 2014

5 TA Châlons en Champagne, 16 janvier 2014, n°1400029

suffisamment éclairé sur la situation mé-dicale du patient, que la décision médicale d’interrompre le traitement relevait bien des hypothèses prévues par la loi .

Le 5 mai 2014, les experts nommés par le Conseil d’État ont rendu un pré-rapport dans lequel ils affirment qu’en l’absence de direc-tives anticipées et de personne de confiance le degré de conscience du patient ne peut être le seul élément déterminant de sa réflexion concernant un arrêt éventuel de traitement.

Le 24 juin 2014, le Conseil d’État s’est prononcé en faveur de l’arrêt des soins de Vincent Lambert. Les parents de Vincent ont saisi la Cour européenne des Droits de l’homme pour qu’elle s’oppose à l’arrêt des soins de leur fils.

Cette affaire 6 provoque une vive polémique et a fait resurgir le débat sur la légalisation de l'euthanasie passive en France.

l’eutHanaSie paSSiVe SuSCite deuX diFFiCultéS maJeureS :

la dignité du malade

le ConSentement du patient lorSqu'il eSt HorS d’état

d’eXprimer Sa Volonté.

S'agissant de la dignité, le Conseil consti-tutionnel a érigé le principe de sauvegarde de dignité humaine contre toute forme d’as-servissement et de dégradation en principe à valeur constitutionnelle (Décision n°24 343/344 DC du 27 juillet 1994). Ce principe justifie-t-il « un droit à mourir » et donc, la légalisation de l’euthanasie, ou s’oppose t-il à ce qu’un individu puisse décider de mettre fin à sa vie ? La difficulté réside dans la dé-finition juridique de cette notion : eu égard à la définition retenue, le principe de dignité peut justifier l’euthanasie ou, au contraire, l’interdire 7.

En effet, deux conceptions de la dignité s’opposent. On peut utiliser le principe de dignité dans le but de nommer de manière globale ce qui est perçu comme le fondement d'un certain nombre de droits ou de règles juridiques que la personne peut opposer aux tiers, ou bien faire de la dignité une qualité opposable à l'homme par des tiers, qualité

étroitement associée à l'idée de devoirs et de responsabilités (CE Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, 136727, Rec. Lebon, p. 372 ; CE Ass., 26 octobre 2001, Mme Senanayake, n° 198546, Rec. Lebon p. 514).

doit-on mourir danS la dignité, en ouVrant la poSSibilité d’aCCélérer

la mort ?

ou au Contraire la dignité Commande-t-elle de reSpeCter la SaCralité de toute Vie, auSSi

diminuée Soit-elle, en laiSSant la nature SuiVre Son CourS ?

Pour ce qui est du consentement, chez un patient dans un état végétatif ou pauci-re-lationnel, il est très difficile de se prononcer sur sa volonté de limiter ou d’arrêter son traitement. Le risque est de commettre une erreur d’interprétation d’autant plus que le patient peut toujours revenir sur sa décision. L’affaire Lambert illustre les précautions des juges dans leur refus d'opter pour l’euthana-sie passive pour un homme hors d’état d’ex-primer sa volonté, surtout lorsque la division familiale instaure la plus grande incertitude sur le consentement du patient.

Outre les éventuels conflits familiaux, le rôle du médecin dans l’euthanasie est très dé-licat. Le médecin doit mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour sauver une vie, et comme l’a rappelé récemment l’Académie nationale de médecine dans l’affaire Lambert, le médecin a la mission de soigner et ce, que le patient soit en état végétatif chronique ou en état de conscience minimale.

Les cas d’euthanasie passive doivent rester exceptionnels et doivent être encadrés très strictement. Toutes les dispositions prises par les juges avant de prononcer une décision ir-réversible pour le patient étaient nécessaires, seulement, la division familiale reste un pro-blème inextricable.

Sonia Ben Mansour

>>

6 Pour une étude exhaustive: D. poupeAu, Le juge administratif s'oppose à l'arrêt de l'alimentation de Vincent Lambert », Dalloz actualité, 23 janvier 2014

7 c. girArD c., s. hennette-vAuchez, Voyage au bout de la dignité, Recherche généalogique sur le principe juridique de la dignité de la personne humaine, avril 2004, rapport de recherche Mission Droit et Justice, PUF, coll. Droit et Justice, 2005 ; s. hennette-vAuchez, Kant c/ Jéhovah, Refus de soins et dignité de la personne humaine, R.Dalloz. 2004, p. 3154

aea pariS - le baromaître #3 | 5756 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le BAROPôle

Laurence Brunet

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courtesy Laurence brunet

L’euthanasie active est interdite. Elle est juridiquement considérée comme un homicide et pourrait ouvrir à

d’incontrôlables dérives, même encadrées. De plus, l’injection létale provoque la mort d’une manière trop soudaine, trop brusque et on ne pourrait imposer ce procédé ni aux familles qui souhaitent pour leur proche un départ apaisé, ni aux médecins qui sauvent des vies.

En 2005, la loi « Leonetti » a légalisé l’eu-thanasie passive. Il est vrai que l’arrêt d’un traitement médicamenteux ou de l'alimenta-tion et de l’hydratation est moralement moins délicat pour un patient dont les jours sont comptés (par exemple dans le cas d’un can-cer en phase terminale) que pour un patient qui n’est pas en fin de vie. En effet, arrêter l'alimentation et l'hydratation, lorsqu'ils sont les seuls supports dont dépendent la vie du patient, est difficile pour tous, pour le pa-tient et ses proches tout comme pour l'équipe médicale (détérioration du corps, processus parfois très long à aboutir, etc.), mais pour l’instant, il n’y a pas d’autres solutions.

Récemment avec l’affaire Lambert, les juges du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne comme ceux du Conseil d’État, ont reconnu que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont bien des trai-tements au sens de la loi du 22 avril 2005 et qu'ils peuvent donc être interrompus. La sédation profonde et continue qui pourrait être associée à l'arrêt de tous les traitements n'est pas expressément autorisée, même si le rapport de la commission présidée par D. Sicard envisage cette pratique pour certaines situations (p. 45 et p. 55 et s. 1).

L’euthanasie met en exergue de nom-breuses questions éthiques : le droit à la vie, le consentement du patient, la dignité et ses divers acceptions mais ce sont des problèmes inextricables. Il faut aller au-delà, trancher et ne pas laisser les situations s’enliser. Il ne faudrait pas que le litige sur une décision conflictuelle d'arrêt de soins entraîne une re-mise en cause de la possibilité d'arrêter ou de suspendre les traitements, quels qu'ils soient, ouverte par la loi de 2005. Il faut veiller à ce que cet acquis ne disparaisse pas, car il faut prendre en compte la douleur physique et la souffrance psychique ou existentielle de certains patients dans un état très grave ou en phase ultime d'une affection incurable.

Récemment, dans cette affaire Lambert, le Conseil d’État est intervenu pour désigner trois experts médecins. La décision finale re-vient exclusivement aux médecins. Toutefois, il est regrettable que les proches du patient n’aient pas de rôle à jouer dans le processus décisionnel.

C'est pourquoi, au moins en cas de conflits familiaux, il pourrait être opportun que le juge puisse intervenir afin de désigner la personne digne de confiance qui pourra tran-cher sur le sort du patient hors d’état d’expri-mer sa volonté. Un consensus sera toujours difficile à obtenir sur la signification des manifestations du patient (par exemple, les manifestations de Vincent Lambert n’ont pas été perçues de la même manière par le juge, les médecins, les parents de Vincent ou sa femme). Il faudrait que les médecins et les proches du patient soient côte à côte dans ce processus de décision, même si le rôle prépondérant à jouer revient au médecin.

l'aViS du SpéCialiSte

laurence brunetJuriSte-CHerCHeur à l’uniVerSité pariS 1

pantHéon-Sorbonne

#3le maîtropôle

p. 68

l'AvocAT vu PAR moN méDEcINp. 64

Il éTAIT uN lIEu... la buVette du palaiS

p. 70

pro-bono

lA REPRéSENTATIoN DE PARTIES cIvIlE Au

cAmBoDgEpar Cindy Cloquette

p. 62

éconoMie

S'Il vouS PlAîT... DESSINE-moI uN gRAND mARché

TRANSATlANTIquE !par Joël deumier

p. 66

la robe et le FouetChronique gastronomique

par benjamin gourvez

p. 73

internationallES RégIoNS SyRIENNE ET IRAkIENNE Du kuRDISTAN : quEl AvENIR ?par aurore lott

p. 60

rencontrechRISToPhE BARBIER

par aurore lott

1 D. thouvenin, La loi n°2005-370 du 22 avril 2005 dite loi Leonetti : la médicalisation de la fin de vie, in Fin(s) de vie. Le débat. JM Ferry (ed), PUF, 2011, p. 303-368.

aea pariS - le baromaître #3 | 5958 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôle

Christophe Barbier

© Yann revol

Originaire de Haute-Savoie, étudiant au lycée du Parc à Lyon, son envie de vivre de sa passion pour l’écriture

l’amena à entreprendre des études littéraires.

Diplômé de l’École normale supérieure, Christophe Barbier est également un passion-né d’histoire et de politique. Voyant dans le journalisme « une voie privilégiée permettant d’accompagner chaque jour l’histoire en train de s’écrire », il poursuivit ses études avec un Master de management dans les médias à l'ESCP et débuta sa carrière en tant que jour-naliste politique au journal Le Point en 1990.

Toute sa carrière fût intimement liée à celle de Denis Jeambar qui fût l’un de ses mentors, les deux hommes ayant ce même leadership

et cette même fibre pour le journalisme politique.

Après son expérience au Point, Christophe Barbier suivit Denis Jeambar à Europe 1, dont ce dernier reprit la direction générale en juillet 1995.

L’année suivante, Denis Jeambar prendra la succession de Christine Ockrent à la direc-tion de la rédaction de L’Express. Christophe Barbier deviendra cette même année chef du service politique de ce magazine. Cinq ans plus tard, il deviendra directeur adjoint de la rédaction, puis en août 2006, suite au départ de Denis Jeambar, directeur de la rédaction.

Au cours des années 1990, apparaissent de nouvelles radios et de nouvelles chaînes de

renContre

christophe barbierDirecteur de la publication et de la rédaction du magazine L’Express, éditorialiste sur i>Télé, le

journaliste Christophe Barbier exerce ses fonctions avec audace et droiture, veillant à toujours préserver la plus grande indépendance possible. Fort de la conviction que dans une société ayant tendance à s’autocensurer, la clé de voûte du journalisme devrait résider dans une « subjectivité désintéressée ».

télévision qui font appel aux journalistes de la presse écrite.

À cette période, des émissions de débat politique voient le jour.

Christophe Barbier animera ainsi avec Denis Jeambar l’émission « Affaires pu-bliques » sur La Cinquième.

Devenant un grand habitué des plateaux télé, il participera également de 2003 à 2006 à « Ça se dispute » (i>Télé), animée alors par Victor Robert, où il incarne la perspective de gauche face au droitier Éric Zemmour.

Après avoir assuré un éditorial dans la matinale ainsi qu’une interview politique quotidienne sur LCI de septembre 2006 à l’été 2011, il quitte LCI pour rejoindre i>Télé et y présenter dans la matinale un éditorial et animer une interview.

Entre 2008 et 2012, il a également été la personnalité la plus invitée dans l’émission « C’est dans l’air » qui passe sur France 5.

Directeur de rédaction de L’Express, il prend son rôle d’ « animation et de direction » très à cœur. Retenant les bonnes idées, récu-sant les mauvaises, l’homme pour qui «  un journal ne fonctionne pas verticalement  » sait se fier à son instinct tout en restant ou-vert au dialogue, reconnaissant avec modes-tie qu’ « on ne peut pas être spécialiste dans tous les domaines ».

En tant que journaliste, l’homme dévoile ses opinions avec le franc-parler qu'on lui connaît.

Interrogé au sujet de l’actualité concernant Vincent Lambert, il reconnait être parti-san d’une loi en matière de suicide assisté. Prônant l’idée d’inspiration stoïcienne selon laquelle « c’est un progrès de l’humanité de choisir sa mort », il remet en cause le serment d’Hippocrate : « si la société a été capable de le faire évoluer sur la question de l’avorte-ment, pourquoi ne pourrait-il pas en être au-tant à propos de l’euthanasie ? » Pour éviter l’écueil d’une société à deux vitesses où seuls ceux en ayant les moyens bénéficieraient de la législation suisse, il estime que la France devrait légiférer sur cette question.

« L’acquittement du Docteur Bonnemaison vient d’ailleurs renforcer cette affirmation. » Redoutant que la société française ne soit pas

encore prête à admettre l’euthanasie active, quand bien même elle serait strictement en-cadrée juridiquement, il craint que la concré-tisation de la volonté du gouvernement de faire évoluer le cadre législatif ne soit que très limitée.

Et que pense le professionnel des révéla-tions du journal Mediapart au sujet de l’af-faire Kadhafi1 ?

« Ces notes blanches retrouvées au cabinet d’un avocat d’affaires parisien évoqueraient, d’après des sources informées de l’enquête, la corruption par le régime Kadhafi du clan Sarkozy. Mais il convient d’être prudent. Ces révélations se contentent de nourrir le faisceau d’indices sans apporter de preuve. ». Et le journaliste de poursuivre : « Cinquante millions d’euros dépensés en liquide lors de la campagne de 2007, permettez-moi quand même d’émettre des doutes sur la plausibilité d’une telle allégation. »

Défenseur d’un journalisme éclairé et éclairant, l’homme pour qui la dignité est « un angle droit formé par la capacité à se tenir debout et à regarder en face de soi » insistera sur l’importance de préserver sa dignité et de combattre les préjugés et les reniements de la société.

Il relèvera cependant que si Nicolas Sarkozy n’a pas encore atteint le point de non-retour, il n’en est plus très loin : « il est impossible d’exclure totalement une mise en examen d’ici 2017 et cette affaire, comme d’autres — notamment l’affaire Bygmalion — risquent de mettre en difficulté Nicolas Sarkozy. »

N’hésitant pas à souligner que M. Hollande risque d'être, lui aussi, en difficulté pour la présidentielle de 2017, il est défenseur d’un journalisme engagé mais non partisan.

Reprenant l’expression d’Edwy Plenel, l’homme aime à dire qu’il espère retrouver un jour « les joies simples de l’écriture ».

Après avoir eu de grandes responsabilités, il se retirera probablement dans quelques années pour retrouver la réalité du terrain et pourquoi pas se reconvertir en grand reporter…

Aurore Lott

1 « Financement libyen : des notes accusant Sarkozy retrouvées chez un avocat » par Fabrice Arfi et Michel Delean publié le 24 juin 2014 sur le site Mediapart.fr

aea pariS - le baromaître #3 | 6160 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôleiStockphoto

Ce que leS européenS Y gagneront et leS VigilanCeS indiSpenSableS

Les négociations en cours sont conduites par les plus hautes fonctions publiques euro-péennes et américaines 1. Les réglementations en vigueur pour chaque secteur de l’écono-mie sont méthodiquement décortiquées afin d’identifier celles qui ralentissent la crois-sance. Dans le domaine des marchés publics par exemple, les entreprises européennes sont aujourd’hui empêchées de soumission-ner à égalité avec les entreprises américaines parce que les critères d’attribution favorisent ces dernières.

Le traité permettra aux entreprises de l’Union d’avoir accès aux marchés publics américains, ce qui constitue un avantage in-déniable. Si l’accord transatlantique peut être bénéfique à l’Europe, certaines concessions peuvent nuire à nos intérêts. Par exemple, l’industrie américaine du poulet veut obtenir la possibilité d’importer de la viande fraîche de poulet qui a été désinfectée au chlore. Or, en droit de l’Union européenne, seul le traitement du poulet à l’eau ou à la vapeur d’eau est autorisé.

Accepter une telle méthode de désinfection de la viande entraînerait une diminution

Depuis l’été 2013, les États-Unis et l’Union européenne négocient un accord de libre échange qui s’annonce d’ores et déjà historique. S’il est conclu, le traité donnera naissance à un marché de plus de 820 millions de consommateurs et représentera quasiment la moitié de la richesse mondiale. Son objectif est simple : éliminer les obstacles au commerce entre l’Union européenne et les États-Unis. Cela permettra aux entreprises américaines d’investir librement en Europe et réciproquement.

Concrètement, les derniers tarifs douaniers seront abaissés, voire supprimés, et certaines normes réglementaires qui protègent encore trop nos économies pourront être modifiées. Libérer nos économies de ce qui empêche la création de richesse, c’est finalement une application directe des théories du libre-échange qui sont majoritaires en occident depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

s'il vous plaît... dessine-moi un grand marché transatlantiQue !

1 Les États membres ont donné un mandat de négociation à la Commission européenne qui négocie en leur nom. Ignacio Garcia Bercero est le négociateur en chef pour l’Union européenne. Son homologue américain est Dan Mullaney.

de la qualité des produits consommés dans l’Union, ce qui n’est pas envisageable. Ainsi, à nous citoyens d’être vigilants sur ce qu’il convient d’accepter ou de refuser dans les discussions avec les États-Unis.

ForCer leS porteS deS SalleS de négoCiation

Cinq cycles de négociations ont déjà eu lieu 2. Ils se tiennent à huis clos afin de ne pas dévoiler les stratégies de chacune des parties. A chaque cession, les intérêts person-nels américains et intérêts privés européens sont confrontés, et des divergences peuvent apparaître.

Ainsi, depuis le début des discussions, la France a notamment obtenu que soient ex-clus des discussions les produits et services culturels en vertu du principe d’exception culturelle. Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du Fonds monétaire international, s’est exprimé à propos de la confrontation des intérêts dans le cadre des négociations actuelles  : « C’est un piège considérable pour les Européens (…) nous sommes dans un monde de méchants (…) et il ne faut pas croire que les propositions qui sont faites le sont dans l’intérêt collectif. Elles le sont dans l’intérêt des entreprises qui les font 3. » C’est la raison pour laquelle il est plus qu’impé-rieux de savoir ce qui se négocie précisé-ment. Tout en admettant le caractère secret des négociations, il ne faut pas en rabattre sur le droit des peuples à être informé.

Avoir un droit de regard sur les boule-versements opérés par les négociations sur le traité commercial européo-américain est une exigence démocratique de premier plan. En effet, comment expliquera-t-on aux Européens les éventuels effets pervers que le futur traité engendrera si les opinions

publiques ne sont pas informées de ce qui est en train d’être discuté ?

la FaCulté deS entrepriSeS d’atta-quer leS étatS : un méCaniSme peu

SouHaitable

Voilà le problème central qui se pose : l’instauration d’un « mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États 4 ». Concrètement, nos États et collectivités territoriales pourront être attaqués devant un tribunal spécial par les entreprises. Elles pourront demander à être indemnisées dès lors qu’une loi ou une réglementation porte préjudice à la bonne marche de leurs affaires. Un tel mode de règlement des litiges aurait deux conséquences majeures.

D’abord il mettrait en péril la sécurité de l’ordonnancement juridique en donnant une place prépondérante à une justice privée.

Ensuite, et cela est une conséquence plus profonde, il affaiblirait l’autorité de la puis-sance publique en donnant aux entreprises un avantage qui desservira nécessairement le pouvoir politique. En effet, quelle sera la légitimité de l’action des États représentant l’intérêt général si ceux-ci peuvent être atta-qués d’une telle façon ?

L’enjeu de fond est celui du rapport de force entre marchés et démocraties, et il est à craindre que le futur traité prenne le parti des marchés. En donnant droit aux entreprises d’attaquer les États par voie extrajudiciaire, on affaiblit les démocraties. Ce n’est pas cé-der à la théorie du complot que de pointer du doigt cette évolution peu souhaitable.

Être critique à l’égard des négociations actuelles ne signifie pas être critique vis-à-vis de l’Europe. Que vaudrait la France seule face au géant américain ? L’Union euro-péenne nous apporte la crédibilité et la force nécessaire pour faire valoir nos intérêts. Résolument, il faut être vigilant sur ce qui est en train d’être discuté et avoir confiance dans l’Europe que nous construisons chaque jour.

Joël Deumier

2 Le cinquième cycle a commen-cé le 19 mai 2014.

3 Audition de Dominique Strauss Kahn devant le Sénat, 26 juin 2013

4 Questions/réponse sur le Partenariat transatlantique, Commission européenne : www.europa.eu

aea pariS - le baromaître #3 | 6362 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôlecourtesy benjamin Gourvez

il était un lieu...la buVette du palaiS

Personnifiée sous les traits de Thémis, la justice est une déesse dont les yeux sont bandés pour mieux voir

l’insondable. Indifférente à ses officiants, elle ne peut être distraite de la quête menée dans la diversité des vérités qui lui sont proposées. Pourtant, à la vérité des prétoires et des es-trades, s’adosse une autre vérité : celles des praticiens sous les robes. Cette vérité, forme de nudité, est toujours intime et souvent plus complexe que celle révélée. Jusqu’à peu, elle avait son domicile au Palais, sous un discret escalier, et un nom : la Buvette du Palais.

« In vino veritas » eut pu être sa devise tant, comme Diogène cherchant un homme en plein jour avec sa lanterne, elle aussi permettait la découverte de toutes ces vérités lorsque les opposants d’un temps redeve-naient les camarades qu’ils n’avaient cessé d’être en réalité.

Me Eolas nous conte cette charmante époque où on y voyait « déjeuner non loin l’un de l’autre un avocat général et un accusé

de meurtre, un procureur impitoyable quand il requiert en train de fumer une cigarette en parfaite violation de la loi Evin, un ténor du barreau qui avant de manger son plat du jour qui refroidit, devra faire le tour des tables parce qu’il connaît tout le monde » et où « la serveuse [demandait] à un président de cour d’assises de bien vouloir dégager la chaise face à lui, et celui-ci [de s’exécuter] sans rouspéter (voire avec le sourire) » 1.

épopée baCCHanale

La réputation du lieu est à la hauteur de son histoire et parfaitement digne d’une épo-pée. Construite à l’emplacement du bureau du greffier de la Conciergerie, où notamment Marie-Antoinette attendit la charrette qui la conduisit place de la Révolution pour y connaître son dernier soupir, la Buvette du Palais, de son nom officiel « Buffet du Palais », voit le jour en 1956, à la faveur de son enthousiaste propriétaire M. Brun. Ne faites qu’évoquer le nom de Brun aux sages

1 me eolAs, « Il est de ces lieux… », Journal d’un avocat – ins-tantané de la justice et du droit, 15 nov. 2005, http://www.maitre-eo-las.fr/post/2005/11/15/225-il-est-de-ces-lieux-au-palais

mémoires du Palais, au premier rang des-quelles se trouve M. André Fourcade, huissier de l’Ordre des avocats de Paris, et vous assis-terez au récit passionné d’une époque passée où les gens de justice se mêlaient les uns aux autres, faisant fi de l’étiquette et des titres dans une ambiance de partage. La cuisine y était modeste mais l’intérêt était ailleurs.

Cédant la concession à son fils, Thierry Brun fut le digne successeur de cet héri-tage, faisant perdurer les habitudes du lieu. Les grands pénalistes y avaient leur table à droite en entrant. Au fond, le directeur du bureau pénal y tenait des séances plénières quotidiennes, entouré des jeunes assoiffés de défense.

l’iVreSSe deS proFondeurS

Alors que le lieu brillait avant tout par son atmosphère singulière, les années 90 virent arriver des réglementations sanitaires vétil-leuses. Un contrôle des services vétérinaires en 1998 sonna le glas de la Buvette époque Brun, qui dut alors déposer le bilan l’année suivante. N’assumant probablement pas de devoir renoncer à ce lieu qui lui était si cher, il mit fin à ses jours un mois plus tard, laissant, dans des circonstances tragiques, la buvette orpheline de ses deux parents.

La suite ? C’est d’abord la société Sodexo qui va l’écrire en reprenant l’affaire en 2001 tout en assurant la réfection et la remise aux normes des lieux. La Buvette renaît alors de ses cendres, bien que certains n’y voient qu’un ersatz de ce qu’elle fut. Alors qu’elle était un carrefour incontournable de la vie du Palais, respirant au rythme d’événements phares comme la Conférence du stage ou les élections au bâtonnat, elle en est réduite à sa seule fonctionnalité : lieu de restauration rapide, à la qualité toujours discutable mais sans générosité ni passion. Cédée pour di-verses raisons à la société Horeto en 2008, la Buvette continue progressivement de perdre son attrait et sa clientèle, perdus dans la ges-tion classique de ce qui finit de devenir un banal point de restauration.

Son histoire s’écrit alors en point d’orgue, qui se tait définitivement le 31 mars 2014, pour finir à nouveau orpheline, telle une pupille de la Cité.

a l’aube d’un renouVeau… ?

C’est face à ce constat d’un lieu au large potentiel trop longuement sous-estimé que nous, signataires de ce billet, avons l’am-bition de réhabiliter la Buvette du Palais de Justice de Paris afin de lui redonner une part de son lustre d’antan à la lumière de la réalité du monde judiciaire contemporain.

Dans l’ombre du futur déménagement du TGI aux Batignolles, il nous incombe, dans un premier temps, de réconcilier les gens du Palais avec ce lieu historique, en leur offrant une cuisine simple, efficace mais élaborée et exigeante, dans une atmosphère chaleureuse à l’identité affirmée afin qu’aux plaisirs du palais se mêlent le partage des émotions. Il nous importe, dans un second temps, d’of-frir à cet écrin unique une offre culturelle idoine faite de rencontres intellectuelles, d’événements artistiques et de retrouvailles festives, renouant ainsi avec une Buvette en phase avec la vie du Palais. Enfin, il nous paraît essentiel à plus long terme de relever le défi de la transition vers un Palais amputé de son premier ressort en rebondissant vers une clientèle extérieure à la cour du Mai, clientèle éclairée souhaitant se recueillir le temps d’un repas dans l’intimité de la voûte palatine.

Cette belle mélodie, que nous nous effor-çons aujourd’hui de mettre en musique et dont nous espérons qu’elle restera l’apanage de confrères et futurs confrères, animés par la passion et l’envie, doit bénéficier d’une partition aux accords consonants : d’une part, l’appel d’offres de la cour d'appel dont nous sommes dans l’attente et auquel nous nous préparons ardemment ; d’autre part et surtout, le soutien des professionnels du Palais dont vous, élèves-avocats, constituez la jeune garde et la relève. Comme vos pré-décesseurs, nous vous espérons être les futurs visiteurs de cette enceinte historique et c’est votre intérêt pour ce lieu et votre envie d’y revenir qui lui permettra de renaître de ses cendres.

« On se retrouve à la Buvette ! »

Gageons que la phrase que tous vos confrères ont prononcée un jour puisse se retrouver aussi dans votre bouche.

Benjamin Gourvez & Benjamin Pichto

aea pariS - le baromaître #3 | 6564 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôlecourtesy benjamin Gourvez

« Un avocat est dans un procès ce qu’est un cuisinier dans un repas » : combatif, passionné, exigeant et créatif. Ces deux professions peuvent sembler aux antipodes l’une de l’autre, et pourtant elles partagent inconsciemment bon nombre de qualités et d’exigences communes, nécessaires pour prétendre à l’excel-lence. Qui d’autre qu’un hédoniste, en la personne d’Aristippe de Cyrène, eut pu oser associer ces deux métiers de bouche ? La recherche du plaisir et la fuite du déplaisir. Et au titre des plaisirs de l’hédoniste, on retrouve à la fois les plaisirs de la table et ceux de la conversation et de l’oration.

La Robe et Le Fouet est la conjonction de ces deux passions, forgées par le plaisir et la soif de partage. Ces deux caractères se sont pleinement exprimés le 5 décembre 2013 alors que l’AEA Badinter organisait au profit du Téléthon une soirée caritative au cœur de la capitale. J’ai eu ce jour l’insigne honneur de partager ma passion au profit d’une œuvre commune. Puisque nous briguons tous la même profession, il est évident que c’est l’avocat qui était à l’honneur, dans tous ses états et accommodés à toutes les saveurs. Vous avez été nombreux à venir contribuer à ce moment et nous vous en remercions tous très chaleureusement !

Cette époque hivernale est maintenant révolue et les beaux jours semblent définitivement installés ! Profitons en alors pour réveiller les saveurs ensoleillées et mettre à l’honneur des fruits que j’affectionne tout particulièrement : les agrumes ! Aussi banals qu’ils puissent paraître, les agrumes renferment une myriade impressionnante de variétés aux formes, couleurs et saveurs multiples ! Citron, orange, pam-plemousse évidemment, mais également cédrat, kumquat, yuzu, combava, ou même main de Bouddha… Je vous propose à cette occasion un dessert très simple et classique qu’est la tarte mais permettant d’accommoder tous ces agrumes à votre convenance ! Laissez donc parler votre curiosité et votre gour-mandise et conviez vos amis à un voyage des sens aux saveurs envoûtantes et dépaysantes !

la robe & le fouet

Pour la pâte sucrée :

250 g de farine

92 g de sucre glace

30 g de poudre d’amande

1 pincée de sel

½ gousse de vanille

150 g de beurre doux

1 œuf (56 g environ)

Pour la crème aux agrumes :

90 g de jus d’agrumes au choix

Le zeste des agrumes utilisés

130 g de sucre semoule

130 g de crème liquide

4 œufs entiers (200 g environ)

2 feuilles de gélatine

100 g de beurre doux

INGRÉDIENTS

le Fond de tarte

Dans un cul de poule, tamiser la farine, le sucre glace et la poudre d’amande. Y ajouter le sel ainsi que les graines de la demi-gousse de vanille (pour ce faire, inciser la gousse en deux et racler l’intérieur à l’aide de la tranche non coupante de la lame). Incorporer le beurre pommade (à température ambiante) coupé en morceaux et sabler le tout pour obtenir une texture type crumble (un robot muni d’une feuille à pleine puissance pendant quelques secondes fait très bien l’affaire). Ajouter l’œuf entier et pétrir à la main jusqu’à l’obtention d’une pâte homogène. Filmer et conserver au réfrigérateur au moins trois heures.

Après cette période, sortir la pâte du frigo et l’abaisser sur un plan de travail fariné jusqu’à l’obtention d’une épaisseur de deux à trois millimètres. Beurrer un cercle en métal ou un moule à tarte et foncer la pâte en la faisant bien adhérer aux parois. Piquer la pâte à la fourchette, recouvrir d’une feuille de papier sulfurisé et la maintenir avec des noyaux de cuisson (tous fruit sec, haricots, lentilles feront l’affaire).

Enfourner à 150°C (thermostat 6) pendant environ quinze minutes. Une fois cuite, sortir du four, décercler et laisser refroidir à température ambiante.

la Crème d'agrumeS

Faire tremper les feuilles de gélatine.

Dans une casserole, mélanger le jus, les zestes, le sucre la crème et les 4 œufs entiers. Cuire ensuite à feu moyen comme une crème anglaise. Pour ce faire, remuer continuellement la préparation avec une spatule en bois jusqu’à ce que l’appareil nappe la cuillère. Vérifier en passant le doigt sur la spatule : si cela laisse une trace nette sur la spatule, la crème est prête !

Débarrasser la crème dans un récipient et incorporer la gélatine essorée. Laisser retomber un peu la température et incorporer le beurre en morceaux, soit au fouet énergiquement, soit, idéalement, au mixeur plongeant afin de bien lisser la crème. Filmer et entreposer au frais une bonne heure.

Une fois reposée, foisonner la crème au mixeur afin de la rendre plus légère.

le montage

Verser dans le fond de tarte la crème aux agrumes à ras bord et lisser pour un résultat esthétique. Zester chacun des agrumes utilisés sur la crème. Servir et déguster.

Benjamin Gourvez

Retrouvez cette recette en vidéo ainsi que d’autres recettes autour de l’œuf sur mon blog :http://larobeetlefouet.canalblog.com et soumettez moi vos commentaires et vos idées !

aea pariS - le baromaître #3 | 6766 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôle

iStockphoto

Qu’est-ce qu’un avocat ?

C’est avant tout un conseil mais un conseil qui doit être présent en amont, avant que des difficultés ne surviennent pour nous aider à les éviter. C’est dans l’hypothèse où des problèmes apparaîtraient néanmoins, qu’il doit alors nous permettre d’y faire face. C’est finalement quelqu’un que l’on consulte et qui nous accompagne dans des situations et des éléments de vie.

Le rôle de conseil est très important pour vous ?

Oui, ce rôle de conseil est essentiel pour éviter de potentielles complications, par exemple dans l’analyse de contrats passés avec des cliniques ou d’autres structures.

Mais un avocat c’est aussi quelqu’un qui vous défend, vous assiste et vous représente dans des situations difficiles.

Il pourrait ainsi vous défendre dans le cadre de votre exercice professionnel ?

Il est susceptible d’intervenir dans le cadre des accords contractuels que nous sommes amenés à conclure avec différentes structures de soins et administratives mais également dans notre rapport aux patients.

Les professions médicales subissent au-jourd’hui les conséquences de la judiciarisa-tion de la société. Je serais presque tenté de dire que l’on constate une réelle « américa-nisation » lorsque l’on s’intéresse au rapport qui existe entre notre profession et le monde

Alors que le contentieux médical et les affaires de santé nourrissent de façon récurrente l’ac-tualité judiciaire de ces dernières années, le Baromaître a souhaité rencontrer un professionnel de santé, Docteur en médecine, qui a eu la gentillesse d’échanger et de partager avec nous sa vision de l’avocat. Qu’il en soit chaleureusement remercié.

l'avocat vu par…

… mon médecin

juridique et judiciaire. S’il n’y a pas encore un avocat à la porte de chaque bloc opéra-toire, il est évident que la médiatisation de certaines grosses affaires de santé conduit à rendre nos métiers de plus en plus exposés. Cela pourrait à terme devenir un élément d’angoisse mais ce n’est pas tant la crainte du procès que celle de l’erreur qui nous amène à prendre de plus en plus de précautions.

De manière générale, on comprend assez clairement que les problématiques d’ordre médical appellent souvent une réflexion en droit. L’exemple récent tiré du débat sur la fin de vie en est une parfaite illustration.

Comment trouver son avocat aujourd'hui ?

Sans doute faut-il tout d’abord faire confiance à un avocat généraliste qui pourra utilement, le cas échéant, nous recommander l’un de ses confrères spécialistes pour nous assister dans tel ou tel domaine.

Le premier contact téléphonique est pour moi essentiel. J’accorde une grande impor-tance à ce premier contact et à la voix de mon interlocuteur. Mon avocat doit être disponible, il est fondamental que je puisse lui parler et échanger avec lui.

Existe-t-il des points communs entre un avocat et un médecin ?

Avocats et médecins sont des profession-nels libéraux et de ce point de vue là, ils doivent faire face à de très lourdes charges. Ils sont également tous les deux soumis à une obligation de moyens et non pas de résultat : le médecin doit ainsi tout mettre en œuvre pour soulager et guérir les malades et l’avo-cat pour garantir les intérêts de ses clients.

Mais ceux sont surtout des métiers de rela-tions humaines : les patients livrent beaucoup de choses à leur médecin, de la même façon que nous sommes amenés à nous confier à

notre avocat. La relation de confiance est par conséquent cardinale dans nos deux métiers.

C’est ce qui explique la place primordiale que prend le secret professionnel dans l’exer-cice quotidien de nos professions. Si je peux tout dire à mon avocat, pour autant que ce soit dans l’intérêt de mon dossier, c’est préci-sément parce ses obligations déontologiques lui imposent de conserver le secret. Je n’aurai sans doute pas la même relation de confiance avec un professionnel du droit qui ne serait pas soumis à cette obligation déontologique.

Comment voyez-vous évoluer la profession ?

On constate aujourd’hui que les avocats sont de plus en plus (trop ?) nombreux, tan-dis que les médecins ne sont plus en nombre suffisant.

Ces deux situations, qui a première vue semblent s’opposer, développent pourtant une conséquence commune : il devient de plus en plus compliqué d’exercer au quotidien.

L’avocat parce qu’il doit faire face à une concurrence de plus en plus importante et le médecin parce qu’il doit prendre en charge une patientèle de plus en plus nombreuse et de plus en plus exigeante.

Je pense qu’il apparaît également essentiel de permettre à chacun d’avoir connaissance des domaines de spécialisation de l’avocat qu’il consulte, un peu à l’image de ce qui se fait en matière de santé. Il y a de quoi se trouver un peu perdu. Peut-être serait-il opportun de réfléchir à un moyen permet-tant à tous les citoyens d’avoir accès à une information claire quant aux domaines de compétence de chaque avocat.

Maxime Aunos

Si vous avez envie de jouer le jeu, vous aussi envoyez-nous vos idées d'interview sur le thème de « l'avocat vu par… » Nous comptons sur vous

pour faire preuve d'imagination !

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#3 le maîtropôle #3 le maîtropôleiStockphoto

pro-bono

la représentation de parties civiles au cambodge

emmanueL Jacomy a commencé à s’in-vestir en faveur des victimes du ré-gime Khmers rouges à titre individuel

à partir de janvier 2010 avant de rejoindre l’Association Justice pour le Cambodge dont il est actuellement Président. En collabora-tion avec les autres avocats de l’association, il assure aujourd’hui la défense de soixante parties civiles devant les Chambres extraor-dinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), une juridiction exceptionnelle cam-bodgienne mise en place pour juger les prin-cipaux responsables du régime des Khmers rouges, avec l’assistance des Nations Unies.

Pour assurer la représentation de parties ci-viles devant les CETC, il est impératif de jus-tifier d’une expérience reconnue en matière pénale au niveau national ou international.

Bien sûr, il est également important d’avoir le désir de s’investir pleinement et sur le long terme dans ce procès d’envergure.

Dans ce type de procès, l’avocat doit être doté de fortes capacités d’adaptation, d’une grande culture juridique et être ouvert d’es-prit afin de saisir et de développer les argu-ments les plus pertinents au regard des faits extraordinaires qui y sont jugés.

Me Jacomy mène à bien sa mission de représentation des parties civiles avec l’ap-pui du cabinet Shearman & Sterling au sein duquel il exerce à Singapour. Ce dossier s’in-tègre parfaitement dans les actions pro-bono de Shearman & Sterling en matière d’accès à la justice 1. Le second pivot permettant la réalisation de cette mission est l’association Justice pour le Cambodge 2. Cette association regroupe quatre avocats français exerçant à

1 “Our pro bono practice is the cornerstone of our lasting commitment to bring positive social change to our local and global communities. By bridging the gap in access to justice, our lawyers make a tremendous impact on our everyday social landscape and are able to improve the lives of pro bono clients from virtually every corner of the globe.” — Creighton Condon, Senior Partner — source : Shearman & Sterling website, July 2013 (http://www.shearman.com/pro-bono/)

2 L’association Justice pour le Cambodge a été créée en 2004, peu de temps avant l’institution des CETC, voir rubrique « pour plus de renseignements ».

De nombreux cabinets développent une activité pro-bono (littéralement « pour le bien public ») qui concrétise leur engagement en faveur de causes d'intérêt général. Les dossiers rattachés à cette activité sont traités par les collaborateurs avec le même investissement et la même rigueur que les dossiers « plus classiques » et les bénéficiaires sont considérés comme des clients à part entière.

Les missions peuvent être initiées par le cabinet ou à titre individuel par un ou plusieurs avocats, parfois même en synergie entre plusieurs cabinets, auquel cas la durée et les moyens mis à dispo-sition sont adaptés en concertation avec les différents acteurs impliqués.

3 Tous les propos sont recueillis par un interprète cambodgien, traduits en temps réel lorsque l’avocat est présent, retranscrits dans tous les cas.

4 Règlement Intérieur, Rev. 8, Règle 23 quinquies

Paris, Londres et Singapour et dispose éga-lement d’une équipe de juristes et avocats français et cambodgiens dédiée à Phnom-Penh. Deux juristes sont employés à Phnom Penh à temps plein pour réaliser cette mis-sion, les autres membres interviennent béné-volement en fonction des besoins du procès. L’ensemble des acteurs intervenant sur ce projet représente en tout dix personnes.

La dynamique créée par les membres de l’association — avocats et juristes mais égale-ment traducteurs et autre bénévoles — permet d’assurer l’assistance et la représentation de 60 parties civiles. Trois d’entre elles résident en France, les 57 autres au Cambodge.

Le travail de défense des parties civiles est long et complexe.

Le travail de représentation et la centralisa-tion des informations sont réalisés à Phnom-Penh. La défense repose en premier lieu sur les témoignages des victimes. Au regard de la teneur des évènements, il est essentiel que les témoignages des parties civiles soient recueillis avec la plus grande délicatesse mais également avec la plus grande rigueur à défaut de laquelle ils risqueraient de ne pas être exploitables.

La langue 3, les difficultés logistiques pour rencontrer les parties civiles dans un pays qui comporte encore de nombreuses régions difficiles d’accès, le caractère traumatique des évènements sont autant d’obstacles à surmonter pour assister les parties civiles devant les CETC. Si le dossier n’est pas suf-fisamment solide, il ne pourra être défendu.

En effet il ne suffit pas d'observer que l’ensemble de la population cambodgienne a souffert du régime institué par les « khmers rouges », il est nécessaire de prouver qu’il existe un lien direct entre les crimes faisant l’objet du procès et le préjudice subi par la victime partie civile.

Rapporter cette preuve est d'autant plus difficile que les faits survenus sont anciens (plus de trente ans) et que le régime Khmers rouges s’est accompagné de la destruction de nombreux documents et de déplacements massifs et réguliers de populations dont il résulte que peu de victimes ont pu conserver des effets personnels. De plus, le champ du

procès étant restreint à un nombre limité de coopératives et de sites d’exécution, de nombreuses victimes du régime des Khmers rouges ne peuvent pas justifier d’un préju-dice résultant directement des faits examinés dans le procès. En d’autres termes, toutes les victimes du régime des Khmers rouges ne sont pas recevables à se constituer parties civiles dans le procès, ce qui a suscité l’in-compréhension de nombreuses victimes.

Pour les personnes représentées, l’expli-cation du mécanisme d’indemnisation peut également être délicate : les CETC peuvent accorder aux parties civiles des réparations dites « collectives et morales » définies comme étant des réparations qui « recon-naissent le dommage subi par les parties civiles en conséquence de la commission des crimes pour lesquels l’accusé a été déclaré coupable et accordent aux parties civiles des avantages qui répondent à ce dommage », ces avantages ne pouvant prendre la forme d’une indemnisation financière 4.

Ce principe de réparation, clairement exclusif de toute indemnisation financière, a été posé dès l’origine sans dérogation possible et est parfois une autre source d’in-compréhension des victimes, qui, au-delà du préjudice moral, ont également subi de graves préjudices matériels du fait du régime Khmers rouges.

Dans le cadre de ce dossier pro-bono d’en-vergure, Me Jacomy est amené à se rendre au Cambodge entre trois et six fois par an, pour des durées allant de quelques jours à une ou deux semaines. Les durées de séjour sont généralement brèves car Me Jacomy assure la gestion de ses autres dossiers pour lesquels sa présence est indispensable à Singapour ou à l’étranger, elles doivent cependant être suffisantes pour permettre de recueillir les éléments nécessaires à la représentation des parties civiles, donner un espace de parole aux parties civiles qui expriment un besoin fort d’être entendues, les informer sur l’avan-cement du procès et assurer leur représenta-tion en audience.

Le travail de préparation des dossiers et des plaidoiries se fait en grande partie

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#3 le maîtropôle #3 le maîtropôlecourtesy Antoine Laurent & Nicolas bertrand

à distance, avec l’assistance des membres de l’association présents en permanence à Phnom Penh. Au total, l’investissement pro-bono de Me Jacomy représente plusieurs centaines d’heures par an.

L’association s’est appliquée à entretenir d’excellents rapports avec les autres asso-ciations sur place au Cambodge pour créer des synergies et gagner en efficacité. C’est notamment le cas de l’ONG Legal Aid of Cambodia, spécialisée dans l’octroi de ser-vices d’aide juridictionnelle depuis de très nombreuses années, avec laquelle Justice pour le Cambodge a conclu un partenariat très fort.

Cette démarche sur le long terme est im-pérative car le temps est un enjeu majeur de ce procès et suscite des incertitudes. Critiqué pour être « arrivé trop tard », d’une

durée «trop longue », la Communauté inter-nationale est partagée sur le bien-fondé de l’institution et la poursuite du travail des chambres extraordinaires. Par ailleurs, une partie de la population est défavorable à ces procès arguant une volonté de dépasser voire d’occulter cette période 5.

Et pourtant.

Pourtant les attentes des parties civiles subsistent : être entendues, comprises, recon-nues victimes. Dans cette optique, au-delà des procès, l'action pro-bono est menée de manière à répondre aux besoins des parties civiles victimes du régime Khmers rouges et à apporter, autant que possible, les clés pour que l'Histoire ne se répète simplement pas.

Cindy Cloquette

PouR EN SAvoIR +L'association Justice pour le Cambodge a pour mission de promouvoir et défendre les droits

des victimes des Khmers Rouges et en particulier de les assister et de les représenter devant les

Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) créées pour juger les hauts

dirigeants du régime khmer rouge ainsi que les principaux responsables des crimes commis sous

l’empire du régime du « Kampuchéa démocratique » entre 1975 et 1979.

Depuis 2004, elle recueille et traite les témoignages des parties civiles victimes du régime

khmer rouge afin d’assurer leur défense et la reconnaissance des préjudices subis par la po-

pulation cambodgienne pendant le régime khmer rouge. Les parties représentées vivent au

Cambodge (principalement) et en France.

L’équipe actuelle est présidée par Emmanuel Jacomy.

Pour en savoir davantage et les contacter :

Site internet : http://www.justicepourlecambodge.org/

Adresse de contact : [email protected]

Liens utiles:

http://www.eccc.gov.kh/fr

http://www.justicepourlecambodge.org/

5 Les témoignages recueillis en ce sens semblent cependant le plus souvent faire référence à une population jeune et urbaine et ne seraient en ce sens pas nécessai-rement représentatifs de l'opinion d'une majorité de la population cambodgienne.

international

les régions irakiennes et syriennes du kurdistan : Quel avenir ?

Rencontre avec Sylvie Jan, Présidente de l'association de solidarité France Kurdistan qui dévoile ses impressions sur les derniers événements marquants au sein de ces territoires.

l'irak et le kurDistan

progreSSion deS ForCeS KurdeS en iraK

Le Baromaître : On dit que pour le Gouvernement de la Région autonome du Kurdistan, l’offensive de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui a débuté le 10 juin 2014 en Irak, était tout sauf inattendue.

Avez-vous un avis sur la question ?

Sylvie Jan : Cette offensive était prévi-sible, elle était crainte pas seulement par les Kurdes mais par le gouvernement central de Bagdad qui a alerté la communauté interna-tionale et par tous les analystes informés de la situation dans la région.

BM : Quoi qu’il en soit, les forces kurdes ont en quelque sorte profité de cette offensive pour étendre leur emprise en Irak, notam-ment sur la ville pétrolière de Kirkouk.

Il semblerait en effet que les Peshmergas n’aient rien fait pour empêcher la débâcle de l’armée irakienne face aux djihadistes de l’EIIL ; débâcle ayant permis aux forces kurdes de prendre totalement le contrôle de la fameuse ville de Kirkouk qu’ils convoitent depuis de nombreuses années.

Ils se sont également déployés dans la zone située à une trentaine de kilomètres au Nord-est de Mossoul, ainsi que plus au sud, dans la région de Khanaqin, dans la province de Diyala.

aea pariS - le baromaître #3 | 7372 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle #3 le maîtropôle

Pensez-vous que ces zones reviendront un jour dans le giron du Gouvernement central irakien ou qu’elles resteront acquises aux kurdes ?

SJ : Face à l'incurie d'une armée ira-kienne, rongée de l'intérieur et mal dirigée qui n'a pas su défendre une partie de l'Irak et en particulier la région de Kirkouk, les forces armées kurdes de la région autonome du Kurdistan d'Irak ont pris la responsabilité de défendre les régions et en particulier la ville de Kirkouk dont ils revendiquaient l'administration depuis la chute de Saddam Hussein. Ils ont été cohérents, capables de s'organiser pour défendre des territoires qu'ils considèrent depuis longtemps comme les leurs. Ce constat me fait dire qu'il sera très difficile de revenir en arrière. Les Kurdes ne sont sûrement pas prêts à céder ce territoire et ses importantes richesses pétrolières à un gouvernement irakien qui n'a pas su les dé-fendre et s'en trouve discrédité. Pour autant, cette situation reste extrêmement fragile et dangereuse, les djihadistes n'ont pas dit leur dernier mot et ont l'objectif de reconquérir ces zones contres les Kurdes.

rôle de l’armée Kurde en iraK

BM : Les djihadistes de l’EIIL ont débuté le 10 juin 2014 une offensive les conduisant jusqu’à une soixantaine de kilomètres au-tour de la ville de Baquba. Bagdad redoute aujourd’hui toujours une avancée des djiha-distes sur la capitale.

Une prise de Bagdad par les djihadistes vous parait-elle plausible ?

SJ : Bien que le pouvoir de Bagdad soit extrêmement fragile et que les divisions soient multiples et graves, il me semble im-probable que les États-Unis laissent se dégra-der la situation au point que Bagdad tombe. Pourtant, on ne peut pas exclure une telle éventualité tant le pouvoir irakien continue à s'enfermer dans une politique sectaire qui n'a fait qu'éloigner la perspective possible d'une réconciliation nationale.

BM : L’armée kurde aujourd’hui est vrai-semblablement la première armée d’Irak. En effet, depuis le début de l’offensive djihadiste en Irak, les combattants kurdes parviennent à

maintenir l’EIIL à distance, alors que l’armée irakienne, elle, s’est effondrée dans le nord du pays.

Au vu de l’efficacité des peshmergas sur le terrain, pensez-vous qu’une coalition entre l’Etat central irakien et la Région autonome kurde, ayant pour objectif de repousser la percée djihadiste, soit à l’ordre du jour ?

SJ : Cette perspective ne pourrait être en-visagée qu'aux termes d'une évolution très importante interne à l'Irak et dans la région. Dans l'immédiat, comme je viens de le dire, l'horizon d'une réconciliation nationale autrement dit d'une mobilisation conjointe des forces irakiennes et des forces kurdes est amplement compromise du fait de l'ampleur des divisions qui rongent l'Irak. Les Kurdes sont aussi divisés.

Nous vivons aujourd'hui les conséquences empoisonnées de l'intervention occidentale en Irak. Le fédéralisme inscrit dans la consti-tution de 2005 devait permettre la création d'une démocratie irakienne reposant sur une répartition équitable du pouvoir. Or, la po-litique pro-Shiite et répressive de Nouri Al-Maliki n'a fait que nourrir la radicalisation des groupes sunnites et a aussi éloigné les kurdes. À cette impasse interne s'ajoute des affrontements de leadership entre Etats du Moyen-Orient. Israël, l'Iran, l'Arabie-Saou-dite et les États-Unis ne s’accommodent-ils pas finalement d'un Irak balkanisé et faible ?

BM : Existe-t-il selon vous une possibilité pour que Bagdad soit contrainte de concéder une véritable indépendance au Kurdistan d’Irak en échange d’une aide militaire des combattants kurdes pour débarrasser l’Irak des djihadistes de l’EIIL ?

SJ : Certes les Kurdes peuvent apparaître le dernier, voire le seul rempart face aux dji-hadistes dans la région, mais je ne vois pas le Premier ministre Al-Maliki proposer l'indé-pendance aux kurdes en contre-partie de leur mobilisation militaire, alors qu'il vient de condamner avec la plus grande fermeté l'ini-tiative de Barzani, proposant un référendum d'auto-détermination du Kurdistan d'Irakien.

LA RÉGION AuTONOME KuRDE EN IRAK

Il s’agit d’une entité politique, fédérale et autonome du Nord de l'Irak, reconnue par la constitution irakienne de 2005, et par la communauté internationale. Cette région est bordée par l'Iran à l'est, la Turquie au nord et la Syrie à l'ouest. La capitale du Kurdistan irakien est Erbil.

Le gouvernement régional kurde dispose d'une force armée composée de gardes régionaux kurdes, aussi appelés Peshmergas.

Pour mémoire, le Traité de Sèvres signé en 1920 prévoyait la création d’un Kurdistan indépendant et accordait une certaine autonomie à la région kurde située en Irak, alors sous mandat britannique.

Mais l’arrivée de Mustafa Kemal, premier Président de la République de Turquie, opposé au démantèlement de l’ancien Empire Ottoman, et la découverte de pétrole dans la zone kurde portent un coup fatal à la création d’un Etat kurde indépen-dant. De l'autre côté, dans le nouvel État irakien administré par la Grande-Bretagne, l’autonomie promise aux Kurdes n’est pas non plus mise en œuvre.

Par conséquent, les Kurdes d’Irak vont se lancer dans une lutte politique et militaire pour obtenir leur autonomie face à un pouvoir répressif. L’arrivée au pouvoir du parti Baas en Irak, en 1968, accentue la répression de l’État vis-à-vis des Kurdes. En 1970, Moustapha Barzani, fondateur du parti démocratique du Kurdistan, rejette l’accord d’autonomie proposé par Saddam Hussein, principalement en raison de l’exclusion de la ville de Kirkouk. La répression atteint son paroxysme en 1988, lorsque Saddam Hussein, alors président d’Irak, lance l’opération « Anfal » qui sera une véritable campagne d’extermination des Kurdes.

Après la Guerre du Golfe de 1990, les Kurdes se soulèvent mais sont rapidement défaits par l'armée irakienne. Une répression sanglante s'abat sur le Kurdistan obligeant les Américains à intervenir et à créer une zone d'interdiction aérienne pour les troupes irakiennes au-delà du 35e parallèle.

Cette protection permet aux Kurdes de bénéficier d'une large autonomie sur la moitié du Kurdistan irakien, sans la reconnaissance officielle de Saddam Hussein.

Deux régions autonomes se constituent ainsi en un état fédéré en août 1992 grâce à la protection aérienne des États-Unis et du Royaume-Uni :

– La première autour d'Erbil est dirigée par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Ce parti est actuellement dirigé par Massoud Barzani ;

– La seconde région, voisine au sud, est sous la direction de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) et a pour ville principale, Souleimaniye. L'Union est dirigée par Jalal Talabani.

L’épisode d’une lutte fratricide entre le PDK et l'UPK qui débuta en 1994 aboutit à la signature d’un accord à Washington sur la création d’un gouvernement intérimaire en 1998. En 2002, après un accord entre le PDK et l’UPK prévoyant de réins-taurer un parlement du Kurdistan réunifié, l’accord signé à Washington en 1998 fût ratifié par le parlement du Kurdistan.

Suite au renversement du régime de Saddam Hussein par une coalition d'États conduite par les États-Unis, des élections ont lieu sur l'ensemble du territoire irakien. Les votes dans le nord de l'Irak vont à plus de 95 % à la coalition formée par les deux grands partis kurdes en Irak. Le kurde Jalal Talabani est devenu le premier président de l'Irak post-Hussein. Un accord d'unification entre les deux administrations est signé le 16 janvier 2006. Ensuite, le 7 mai 2006, un gouvernement régional du Kurdistan est inauguré. Il a pour Président Massoud Barzani et pour Premier ministre Netchirvan Barzani. En vertu de la constitution irakienne, ce gouvernement a une autonomie législative sur son territoire dans certains domaines qui lui sont accordées au sein d'un Irak fédéral.

Les deux plus grandes villes du Kurdistan irakien de Mossoul et Kirkouk, à forte population kurde, sont cependant laissées en dehors de cet « État fédéré ».

Importantes régions pétrolières, elles constituent le point d’orgue des tensions entre Bagdad et la région autonome kurde.

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#3 le maîtropôle #3 le maîtropôlecourtesy Sylvie Jan

Sylvie Jan

BM : L’association de solidarité France Kurdistan : un rôle à jouer en Irak ?

L’aide humanitaire s’est aujourd’hui mo-bilisée, à Qaraqosh notamment, pour venir en aide aux populations de la ville qui doit actuellement faire face à l’arrivée de centaine de familles ayant fui les régions de Mossoul tombées entre les mains des djihadistes.

Cette ville doit aujourd’hui faire face à une pénurie de nourriture, d’eau, sans compter l’absence de logements suffisants dans cette ville où avait déjà été construit un quartier de réfugiés en 2005 pour accueillir des réfugiés de Mossoul et Bagdad.

Pensez-vous que France-Kurdistan pourrait se mobiliser et venir en aide aux populations de cette ville ou bien, diplomatiquement, il est préférable qu'elle n’intervienne pas ?

SJ : Il n'y a aucun obstacle diploma-tique. Nous sommes une organisation non gouvernementale, nous nous déterminons par rapport à nous-mêmes et à l'intérêt des populations. Si nous étions en mesure d'apporter un soutien efficace, suffisamment organisé et sûr pour que celui-ci parvienne bien aux personnes nécessiteuses, nous le ferions. Mais nous ne sommes pas, à ce jour, en situation de pouvoir le faire et ce n'est

pas le rôle que nous nous sommes assigné, à aujourd'hui. Toutefois, si nous étions sollicités pour participer à une telle action avec des partenaires sérieux nous pourrions examiner positivement cette éventualité. Que signifie se déterminer par rapport à nous-mêmes ? Nous avons nos valeurs qui sont celles de notre république et des valeurs de paix, de respect des droits des peuples et des personnes. Notre association a été créée en janvier 2013, initialement en riposte au triple crime politique commis sur le sol fran-çais contre trois militantes kurdes engagées pour la paix. Elles étaient des militantes du PKK. Cela ne signifie pas pour autant un alignement sur ce mouvement même si nous pensons que les négociations avec le PKK et A. Ocalan sont incontournables pour qui veut une issue politique. Nous refusons la bana-lisation de ce crime politique qui remet en cause notre démocratie. Il s'agit d'un crime d’État puisque l'on sait maintenant que les services secrets de la Turquie sont impliqués. Nous nous adressons à l'opinion publique française sur la situation faite aux Kurdes en France et dans leur région en permettant, autant que nous le pouvons, la connaissance, la réflexion, l'échange et la rencontre entre élus, universitaires, syndicalistes, citoyens, artistes, avocats... C'est ce chemin solidaire que nous empruntons.

VerS l’indépendanCe d’un KurdiStan SYrien ?

BM : Pensez-vous que l’autonomie actuelle des régions syriennes kurdes contrôlées par le PYD aboutira à une véritable indépendance de ces régions kurdes ?

SJ : Je n'en suis pas sûre. La situation est extrêmement critique. Depuis le 2 juillet 2014 les forces djihadistes ont lancé une offensive de très grande envergure contre la province de Kobanê. De très nombreuses victimes sont à déplorer et des villages entiers sont sous le feu de leurs armes. Disposant d'armements lourds abandonnés par l'armée irakienne à Mossoul, ces djihadistes tentent d'élargir le territoire auto-proclamé du califat.

Le scandale est que ces forces djihadistes bénéficient du soutien de la Turquie qui or-ganise la porosité de sa frontière avec la Syrie et permet ainsi l'acheminement de matériels et de combattants à leur profit. Pour l'instant, au prix de très lourds sacrifices, les forces militaires kurdes résistent afin de mettre en échec cette tentative, mais pourront-ils réus-sir sans soutien international ?

Elles sont pourtant aujourd'hui le seul rempart contre le terrorisme et tous les ex-trémismes. Le Conseil national du Kurdistan a lancé plusieurs appels à l'aide à l'adresse de la Communauté internationale, de l'Union européenne, mais ils n'ont obtenu aucune réponse à aujourd'hui.

Les arguments qui prévalent dans cer-taines régions du monde pour s'opposer aux djihadistes et à la charia ne seraient-ils pas valables à cet endroit ? Préférerait-on les djihadistes à une autonomie démocratique qui avait commencé à stabiliser cette zone ?

la poSition de l’aSSoCiation FranCe KurdiStan FaCe au pYd

BM : Human Rights Watch vient de pu-blier un rapport faisant état de graves at-teintes aux Droits de l’homme commises par les autorités kurdes du PYD : arrestations arbitraires d’opposants politiques au PYD,

violation du droit à un procès équitable, exactions commises à l’encontre de détenus, dysfonctionnement du système policier et ju-diciaire, utilisation d’enfants dans les rangs des forces de police du PYD et dans ceux de sa branche armée, les Unités de protec-tion du peuple. Un tel rapport est lourd de conséquences sur l’image des kurdes et l’on connait les tendances des gens à procéder à des amalgames…

Quel est votre opinion sur ce rapport ?

SJ : Je déteste la guerre. Je n'ai jamais vu une guerre durant laquelle les droits hu-mains soient respectés. Par définition même, la guerre entraîne des actes de violences extrêmes. Il existe des conventions interna-tionales qui régissent les lois de la guerre, évoquent les droits des prisonniers, la non utilisation des enfants comme soldats. À Rodjava comme ailleurs, ces règles doivent être respectées. Ce sont mes convictions mais je crois qu'elles frôlent le rêve...

Toutefois j'ai noté que récemment, des textes ont été signés entre des forces kurdes et Genève dans cet objectif. Les enfants, qui étaient utilisés à des postes d'observation ont été dégagés. À plusieurs reprises, ce rapport indique aussi le caractère transitoire de la pé-riode que vivent ces régions. On ne peut que souhaiter une stabilisation de la situation qui permette le respect total des droits de la personne et la paix. C'est notre raison d'être.

BM : Quel message souhaiteriez-vous faire passer afin de nous permettre de ne pas en venir à faire des amalgames sur le peuple kurde ?

la syrie et le kurDistan

aea pariS - le baromaître #3 | 7776 | le baromaître #3 - aea pariS

#3 le maîtropôle

SJ : Il faut préciser que les Kurdes de Syrie se trouvent seuls face à deux armées, celle de Bacher Al-Assad et celle des djihadistes. Les populations ont dû se défendre contre des horreurs et des massacres effroyables.

Je trouve choquant le silence des médias et de la communauté internationale. J'ai vu des images insupportables, des bennes de camions pleines d'enfants et de femmes tués.

Je ne sais pas comment face à cela, on ne devient pas fou. Malgré tout ils ont résisté et résistent encore. Il ne faudrait pas faire l'amalgame entre les agresseurs et les agres-sés. Depuis deux siècles, les kurdes luttent pour la reconnaissance de leurs droits comme cela devrait être accordé à chaque peuple. Cette résistance leur a coûté beaucoup de sacrifices, d'humiliations et a fait de nom-breuses victimes.

C'est un peuple dont l'histoire, la culture, les rêves de paix devraient être davantage connus et soutenus. Ce peuple n'est pas monolithique, il est comme tous les peuples, traversé de contradictions, de débats et de courants idéologiques qui s'opposent mais il tient au respect de sa culture, de son existence.

Parmi ces kurdes, certains prônent aussi l'union démocratique des peuples du Proche-Orient sur des principes de confédéralisme démocratique. Personne ne peut dire de quoi sera fait l'avenir mais une chose est sûre, cette région, ne pourra pas écrire son histoire sans tenir compte des Kurdes, sans les respecter. Ils ont trop longtemps été niés et réprimés et toutes les stratégies qui ont prétendu les faire abdiquer ont mené à l'im-passe. Ils se retrouvent aujourd'hui au cœur des enjeux de cette région du Moyen-Orient. La Communauté internationale, l'Union eu-ropéenne, la France ont leur responsabilité dans cette histoire. Tout doit être fait pour cesser l'escalade guerrière, soutenir les forces qui s'opposent aux djihadistes et travailler à une issue politique dans le cadre du droit international. Une voie de recherche paci-fique implique aussi de sortir le PKK de la liste noire des organisations terroristes. Un rapport a été adopté par l'Assemblée parle-mentaire du Conseil de l'Europe qui préfère les notions « d'activistes » et de « conflit » à la place du terme « terrorisme ». Les kurdes et leurs organisations représentent une part importante des solutions, ils doivent être écoutés et pris en compte. De mon point de vue, ce chemin est incontournable.

Propos recueillis par Aurore Lott

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LA RÉGION KuRDE DE SYRIEContrairement à l’Irak, il n’a jamais existé de région kurde syrienne autonome. Ce n’est qu’au

moment de la guerre civile en Syrie, ayant débuté en 2012, que le Rojava – nom kurde donné au Kurdistan syrien – débutera sa marche vers l’autonomie.

En effet, profitant du retrait de l’armée syrienne, les Kurdes de Syrie annonçaient, le 12 novembre 2013, la création d’une administration autonome de transition dans les trois zones d’Afrine, d’Ain-al-Arab et de Jazira.

Dans l’attente d’élections prévues dans le courant de l’année 2014, chaque entité possède une assemblée législative locale de transition dirigée par un président et un gouvernement régional provisoire, composé de vingt-deux membres (appelés « ministres ») qui gèrent, avec un conseil ministériel, les affaires courantes de la vie politique, sociale, juridique et économique.

Ces trois gouvernements régionaux ont chacun à leur tête un premier ministre kurde et deux vice-premiers ministres souvent issus des autres communautés confessionnelles ou ethniques, kurdes, arabes, chrétiens, tchétchènes. D’après les membres de ces nouvelles instances admi-nistratives, l’ensemble du processus transitoire a été conçu comme moderne, pluraliste et « démocratique » même s’ils ont tous été choisis par une coalition politique dominée par le Parti de l’union démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD), aile syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK).

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