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La révolution des casseroles: mythe ou réalité ?
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MEMOIRE
En vue de l’obtention du MASTER 1 SCIENCE POLITIQUE
UNIVERSITE TOULOUSE CAPITOLE 1
TITRE La révolution islandaise, mythe ou réalité ?
ou la mise en perspective critique du renouvellement politique et démocratique en Islande, engagé par la révolution des casseroles à travers des mécanismes de démocratie participative mis en
oeuvre suite à la crise économique d'octobre 2008
Présenté par
Mathis BUIS
Sous la direction de
Adélaïde BARGEAU
Année universitaire 2014/1015
Mathis BUIS
La révolution islandaise, mythe ou réalité ?
ou la mise en perspective critique du renouvellement politique et démocratique en Islande, engagé par la révolution des casseroles à travers des mécanismes de
démocratie participative mis en oeuvre suite à la crise économique d'octobre 2008
3
L'Université Toulouse I Capitole n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).
4
Table des matières
Introduction .........................................................................................................................................................................6
Spécification de l'objet de recherche …...............................................................................................................................7
Revue de la littérature.. .......................................................................................................................................................9
Cadre conceptuel et théorique ..........................................................................................................................................11
Problématisation et hypothèses .........................................................................................................................................12
Démarche de recherche......................................................................................................................................................13
TITRE 1. La révolution des casseroles : une révolte aux implications théoriques, politiques et démocratiques sensibles..........................................................................................................................................................…...............16
CHAPITRE 1 – Historique de la révolution.......................................................................................................16
SECTION 1 - Le contexte politique, économique et social en Islande portait les germes d'un
mécontentement croissant......................................................................................................................16
A. Introduction à l'histoire politique islandaise.......................................................................16
B. Le tournant néo-libérale et l'expansion économique, garant d'un bien-être fragile............18
C. La crise économique : une faillite historique, élément déclencheur de la révolte..............21
SECTION 2 - La révolution des casseroles : de la désillusion à l'implication du peuple en politique..23
A. La naissance d'une mobilisation sans précédant ................................................................23
B. Les implications directes de la révolte................................................................................25
C. Les implications indirectes de la révolte.............................................................................27
CHAPITRE 2 – Les fondements théoriques du mouvement révolutionnaire.....................................................29
SECTION 1 - La sagesse collective : concept révolutionnaire ou fondement oublié de la démocratie ?...........................................................................................................................................29
A. La sagesse collective, un mécanisme démocratique oublié …..........................................29
B. Les applications pratiques de la sagesse collective.............................................................31
C. Un concept clé pour appréhender la révolution des casseroles...........................................32
SECTION 2 - Un renouvellement majeur de la conception du politique et de la démocratie...............33
A. L'érosion des fondements de la démocratie représentative et de la compétence politique.33
B. La démocratie participative : une inspiration évidente du mouvement...............................35
C. Approches historique et pratique du tirage au sort en démocratie.......................................37
CHAPITRE 3 - Les applications pratiques de révolution des casseroles invitent à remettre le citoyen au cœur
de la politique : tirage au sort, délibération et démocratie 2.0.............................................................................40
SECTION 1- Le Forum National Islandais : une ode au tirage au sort ?...............................................40
A. Une expérience délibérative inédite à l'initiative du peuple................................................40
B. Le Forum National ou le citoyen directement impliqué en politique..................................41
C. Aboutissements de l'expérience : une préambule à une future constitution........................41
SECTION 2 - Le projet pour une nouvelle constitution, clé de voûte de la révolution ........................42
A. Histoire, origine et fondements d'un projet novateur..........................................................43
5
B. De l'assemblée constituante au Conseil Constitutionnel, un parcours semé d'embûche.....43
C. Un exercice démocratique aux multiples dimensions : participations par internet,
transparence et concertation.....................................................................................................45
Conclusion et transition...................................................................................................................................................47
TITRE 2. Limites et perspective de l'expérimentation islandaise................................................................................48
CHAPITRE 1 - Une révolution romancée..........................................................................................................48
SECTION 1 - Les Islandais, un peuple qui se lève contre la finance ?..................................................48
A. L'affaire Icesave ou le jour où l'Islande est devenu un pays terroriste................................48
B. Du rôle du FMI à la nationalisation des banques : des discours à la réalité........................50
C. L'aspect juridique de la révolution des casseroles : les responsables de la crise courent
toujours.....................................................................................................................................52
SECTION 2 - Le renouvellement politique sensible doit encore faire ses preuves...............................54
A. Au niveau national les partis traditionnels souffrent de la crise sans être totalement
discrédités.................................................................................................................................54
B. L'avenir incertain du projet constitutionnel : que reste t-il de la révolution des
casseroles ?...............................................................................................................................55
CHAPITRE 2 - Les leçons d'une révolution inachevée......................................................................................57
SECTION 1 - Du national au local, les enseignements de l'expérience islandaise................................57
A. Que nous enseigne le processus de révision constitutionnelle ?.........................................57
B. La victoire du « Meilleur Parti » à Reykjavik : une réinvention de la politique locale.......58
SECTION 2 – Le mythe d'un modèle islandais : une source d'inspiration politique et démocratique
phénoménale relativisée par les islandais...............................................................................................60
A. Un modèle de sortie de crise ?............................................................................................60
B. Des islandais aux indignés : les nouvelles façons de faire de la politique..........................61
CONCLUSION ...............................................................................................................................................................64
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................................67
ANNEXES …..................................................................................................................................................................75
6
Introduction
« Que Dieu sauve l'Islande »1
C'est avec ces mots chargés d'anxiété que le Premier ministre conservateur Geir Haarde
s'adresse au peuple islandais le 6 octobre 2008. Cette sollicitation dramatique du Seigneur, dans un
pays culturellement très attaché à la religion, a profondément marqué les esprits. Le jour précédent,
moins d'un mois après la chute spectaculaire de Lehman Brother, l'Islande connaissait à son tour un
choc financier brutal dont l'ampleur des dégâts est encore à évaluer. La faillite des trois principales
banques islandaises conduisit succinctement à la disparition de près de 50 milliards de dollars et à
l'effondrement du système bancaire islandais. La crise financière ainsi provoquée a écorné
durablement le paysage politique et social des terres nordiques. En 2007 encore, les Islandais
pouvaient se vanter d'habiter l'un des pays les mieux lotis en terme de richesse, de bien être ou
encore d'éducation. Depuis lors, ils découvrent le chômage, voient leur dette exploser, les faillites
d'entreprises se multiplier, le PIB national chuter.
Le miracle islandais était pourtant bien réel. L'Islande avait réussi le tour de force de
maintenir des comptes publics sains tout en affichant un PIB par habitant supérieur de près de 60%
à celui des Etats-Unis, un système de retraite confortable et une fiscalité peu contraignante. Les
politiques ultra-libérales menées par le Premier ministre David Oddsson avaient fait la joie des
élites financières du monde entier. Cet homme politique ambitieux, converti très jeune aux théories
de Milton Friedman et Von Hayek, a eu une carrière politique couronnée de succès jusqu'à ce que sa
responsabilité dans la gestion de la crise soit engagée devant les tribunaux spéciaux de l'île.
Passionné par l'exercice politique et économique que furent les années Thatcher et Reagan, il
entreprend de mener le tournant libéral dans son propre pays. En 2001, il libéralise le secteur
financier d'Islande, créant un véritable engouement international. Les banques islandaises font alors
miroiter des gains très élevés aux investisseur étrangers. La population est elle-même entrainée dans
cette frénésie du crédit. Elle souscrit à des prêts très accessibles afin d'acquérir des biens de
consommations importés, prenant ainsi goût à la culture de l'argent facile. Face à cette l'euphorie
collective, tous les experts semblent s'accorder sur la réussite des politiques de dérèglementation. Le
danger que représente l'hypertrophie du système bancaire par rapport à l'économie réelle – 1000%
du PIB en 2008 - ne semble pas inquiéter. Ainsi, l'OCDE, dans sont rapport de 2008 juge «le
système financier généralement sain. Les tests de stress semblent indiquer que les banques
disposent de capitaux suffisants pour résister à des chocs de grande ampleur sur le crédit et le
marché » 2. Seules quelques rares voix se font entendre pour mettre en perspective l'avenir du
modèle libéral à l'image de la Banque Centrale islandaise qui met en garde contre le risque
d'inflation faisant logiquement suite à l'affluence de capitaux. Mais elle n'est pas écoutée et les
1. RICHE Pascal, Comment l'Islande a vaincu la crise : reportage dans le labo de l'Europe, 2013, Versillo - Rue 89, p.232. OCDE, Etude économique de l'Islande 2008, 2008, OCDE
7
agents immobiliers ont vite fait de dénoncer une « prévision apocalyptique sans fondement » 1.
Pourtant, lorsque le premier ministre présente son allocution télévisée le 6 octobre 2008,
l'euphorie a laissé place à la panique générale. Les islandais se ruent dans les magasins et dépensent
à tour de bras leurs liquidités en espérant échapper à la dégringolade de la valeur de la couronne.
Comme l'analyse le journaliste de Mediapart Ludovic Lamant « l'Islande est passée, du jour au
lendemain, du statut d'un des pays les plus riches de la planète à celui d'un Etat en faillite, sous
perfusion du Fonds monétaire international »2. Mais l'intérêt de la recherche ne se trouve par dans
l'analyse des conséquences économiques et politiques induites par la mauvaise gestion du secteur
bancaire. Le désastre social produit par la crise financière n'est pas propre à l'Islande.
De la Grèce à l'Espagne, les taux de chômages, ou encore la hausse des taux de suicide,
témoignent des conséquences néfastes des plans de restructurations négociés par les institutions de
Bretton Woods. De même, les manifestations citoyennes ayant fait suite à la crise islandaise, sont
comparables aux mouvements d'occupation de l'espace public en Europe, avec les Indignés, ou en
Amérique avec Occupy Wall Street. L'énigme que nous propose l'Islande réside dans la réalisation
hypothétique d'une revendication commune à ces manifestations spontanées : l'exigence d'une
démocratie réelle conférant une place centrale aux citoyens.
Spécification de l'objet de recherche
Il s'agit donc, à travers ce mémoire, de donner une assise pratique à l'idée que les citoyens
puissent directement prendre part à l'exercice du pouvoir politique. La société civile s'est
longuement éprise de ce thème. La critique des institutions est née d'un constat global quant à la
« dé-démocratisation » 3 des sociétés occidentales. Elle suppose plusieurs questionnements.
Comment augmenter la participation du citoyen en démocratie ? Le critère de la compétence
politique, au fondement des démocraties représentatives, est-il insurmontable ? La sagesse
collective, appréciée à travers la réunion de citoyens non professionnels de la politique, peut-elle
constituer un mode de gouvernement consacrant une démocratie participative ? C'est ce que la
révolte populaire en Islande tendrait à prouver.
En effet, la révolution des casseroles a entraîné un long processus de renégociation populaire
de la Constitution islandaise, s'appuyant à la fois sur des pratiques politiques anciennes – élection
d'une assemblée constituante – et modernes – les citoyens sont appelés à faire des propositions par
internet. L'initiative vient contredire en profondeur l'idéologie ancestrale prônant l'incompétence
des citoyens ordinaires en politique.
1. Pascal Riche, op.cit, p.192. LAMANT Ludovic, « Cap sur une nouvelle constitution », Mediapart, 30 septembre 20113. BROWN Wendy, « Néolibéralisme, dé-démocratisation et sacrifices », 2006, Political Theory n° 34, pp.690 �714
8
Le fait qu'un Etat confie la charge de l'écriture de sa Constitution à une assemblée non
professionnelle n'est pas seulement une révolution théorique. Elle vient consacrer l'essence de la
démocratie en confiant véritablement au peuple l'instrument constitutionnel que chacun sait être la
condition de la démocratie et de l'Etat de droit. La réappropriation de l'instrument constitutionnel
par des profanes de la politique s'est inscrite dans un mouvement de révolte inédit en Islande.
L'utilisation des casseroles dans les manifestions pacifiques initiées par Hörður Torfason met
symboliquement en évidence la surdité des politiques face aux revendications du peuple.
Or, la crise a non seulement révélé l'incapacité des politiques traditionnels à répondre à ces
revendications, mais elle a aussi donné lieu à de multiples expériences démocratiques venant
confronter directement les citoyens au débat politique. Un forum national a ainsi rassemblé un
millier de personnes tirées au sort pour mettre en lumière les valeurs communes au pays. Il en
ressort un document établissant des idées aussi diverses que l'égalité des citoyens face au vote –
dans un pays où la capitale est bien mieux représentée politiquement - ou la revendication des
ressources naturelles par le peuple. Dans un second temps, une assemblée constituante a été élue
afin de modifier la constitution dans des circonstances particulières. Les prétendants au rôle de
constituants n'avaient que trois conditions à remplir : être majeur, n'appartenir à aucun parti
politique – ce qui excluait les parlementaires – et être soutenu par au moins 30 personnes. Le
processus constituant a donc non seulement été mené par des « gens ordinaires » 1 mais il s'est aussi
appuyé sur la participation des citoyens via internet. Dès le départ, les travaux de l'assemblée sont
rendus publiques et chaque citoyen est invité à les commenter, les amender, ou encore les enrichir
avec de nouvelles propositions. Ces mécanismes inédits dans l'histoire de la démocratie sont au
cœur du sujet de recherche puisqu'ils constituent une expérience pratique alliant sagesse collective
et démocratie participative.
Au delà d'une telle démonstration, que de nombreux éléments viendront amoindrir sinon
contredire, il s'agit aussi de se pencher sur la réussite de la révolution. Notre époque est caractérisée
par un enchaînement rapide de nombreuses révoltes dans une grande variété d'espaces
géographiques et culturels. Or, rares sont celles qui réussissent à repenser le politique et à redonner
le pouvoir au peuple. Que ce soit l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, l'instrumentalisation
des révolutions colorées dans l'ancienne aire d'influence soviétique, ou l'échec des récents plénums
bosniens, chaque révolution semble laisser un goût amer d'inachevé. Les mouvements citoyens en
Islande ont le mérite de mettre en lumière de nouvelles manières d'envisager le politique en laissant
une place centrale au citoyen non professionnel. Pour autant, elles ne sont pas exemptes de
déceptions. La révolution anti-capitaliste et populaire d'Islande est-elle aussi novatrice qu'elle fut
vantée sur les réseaux sociaux ?
1. CHABAS Charlotte, « Les Islandais se prononcent sur une nouvelle Constitution écrite par des gens ordinaires », LeMonde.fr, 20 octobre 2012
9
Beaucoup d'affirmations venant glorifier la révolution des casseroles ont parsemé internet.
On y évoque une description idéalisée de la révolte ayant secoué l'Islande. Les médias alternatifs se
sont vite épris de ce sujet. Ils se plaisent à raconter comment un peuple a nationalisé ses banques,
rejeté sa dette, mis en prison les banquiers et renouvelé la démocratie en s'inspirant des pratiques
athéniennes, tout en dénonçant un événement ourdi par les médias.
Or la beauté du tableau dressé par internet est à nuancer fortement. La nationalisation des
banques n'a duré qu'un temps puisque deux des trois grandes banques islandaises restent privées. Le
référendum sur la dette est pour beaucoup un coup politique venant conforter une décision qui
aurait de toutes façon été prise pour éviter la faillite du pays. Les procès contre les responsables de
la crise n'ont que rarement abouti, et la dimension participative des mécanismes démocratiques
envisagés reste à confirmer. Le paysage politique n'a finalement été que sensiblement modifié à
l'échelle nationale, bien que les principaux partis soient à la peine lors des dernières élections
législatives. La nouvelle constitution, étendard de la réussite de la révolution, désintéresse la
majorité du peuple n'ayant pas voté pour l'assemblée constituante et doit encore affronter de
nombreux adversaires avant d'être proclamée.
Revue de la littérature
S'intéresser à la révolution islandaise implique d'aborder des sujets généraux – la
démocratie, la crise financière, l'intelligence des foules – aussi bien que des thèmes très spécifiques
– utilisation du tirage au sort, modalités de la participation citoyenne en démocratie, etc. Il s'agit
donc de donner un aperçu des ouvrages pertinents traitant de ces différents sujets.
L'objet de recherche porte sur une révolution relativement récente et dont les aboutissements
ne sont pas encore totalement définis. La littérature portant spécifiquement sur les évènements qui
ont secoué l'Islande à partir de 2008 est donc aussi rare que précieuse. L'ouvrage de Jérôme Skalski
- La révolution des casseroles, chronique d'une nouvelle constitution pour l'Islande – dresse un
tableau documenté du processus constitutionnel au cœur de la révolution islandaise. Il met en
lumière les étapes, les échecs et les réussites d'une aventure encore loin d'être achevée. Pascal Riche
- Comment l'Islande a vaincu la crise : reportage dans le labo de l'Europe – nous propose un
compte-rendu étayé et passionnant de son voyage en Islande. En donnant la parole à de nombreuses
personnes, acteurs ou spectateurs des évènements, il permet de nuancer la romance qui entoure
souvent l'idée d'un peuple qui se serait soulevé contre les banques, les politiciens, et les institutions
financières. Concernant la sortie de crise islandaise et l'image qu'elle produit à l'étranger, l'oeuvre de
Daniel Chartier – La spectaculaire déroute de l'Islande : l'image de l'Islande à l'étranger – est tout
a fait pertinente.
10
Une analyse critique et argumentée peut être appréciée à travers le rapport des économistes
atterrés intitulé – Crise, faillite et défaut : économie et politique de la restructuration de la dette
islandaise – qui tente de mettre en lumière tout l'intérêt du sujet. Mais ce paysage littéraire serait
incomplet sans mentionner les travaux scientifiques de Michel Sallé, spécialiste de l'Islande, dont
l'objectivité est bienvenue lorsqu'il s'agit de décrire des évènements suscitant l'émotion.
Les réflexions sur la démocratie ont fait l'objet d'une littérature extrêmement riche. Il s'agit
donc d'en extraire les ouvrages les plus pertinents et proche du thème de recherche. Philippe Braud -
Le suffrage universel contre la démocratie – rejoint l'analyse critique du régime représentatif établie
par Bernard Manin – Principes du gouvernement représentatif. Les deux auteurs permettent de
dissocier l'élection de la démocratie pour mieux percevoir les nouvelles formes de participation
politique. A ce propos, l'ouvrage d'Albert Ogien et Sandra Laugier – Le principe démocratie :
enquête sur les nouvelles forme du politique – met en avant les nouveaux usages et conceptions de
la démocratie à travers les mouvements de contestation du politique. En appréciant la démocratie
comme méthode, ces mouvements invitent à remettre en question les pratiques démocratiques pour
une meilleur inclusion des citoyens.
La démocratie participative constitue une réponse parmi d'autres à ces questionnements. Là
encore, les travaux en la matière sont très nombreux. Blondiaux – Un bilan des recherches sur la
participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? - nous propose une excellente
synthèse des écrits en la matière. Dans une perspective plus normative, Blondiaux – La démocratie
participative, sous condition et malgré tout : un plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation
démocratique – s'intéresse au sérieux de la démocratie participative et aux critiques dont elle fait
l'objet. Une autre analyse critique du phénomène de participation démocratique à l'échelle locale est
l'ouvrage d'Yves Sintomer et de Julien Talpin – La démocratie participative, au-delà de la proximité
– qui, a travers de nombreux exemples, étudie les difficultés que pose la nationalisation de ces
pratiques. Ces auteurs sont tout deux à l'origine de nombreux articles sur la question. Gérard
Mendel - Pourquoi la démocratie est en panne. Construire la démocratie participative – a
l'originalité de mettre en perspective la démocratie participative comme solution possible à la crise
du régime représentatif. Enfin, Cédric Polère – La démocratie participative : état des lieux et
premiers éléments de bilan – a écrit une synthèse permettant de mieux cerner les différentes
approches du concept.
Le tirage au sort est au centre des nouvelles façons d'impliquer les citoyens dans la politique.
Yves Sintomer – Petite histoire des expérimentations politiques : tirage au sort et politique
d'Athènes à nos jours – nous propose une histoire de cette pratique politique qui revient sur le
devant de la scène aujourd'hui. Roger de Sizif – La stochocratie : modeste proposition pour que le
peuple de France soit heureusement gouverné grâce à l'instauration d'une sélection politique
aléatoire – identifie les failles du système démocratique et propose un mode de sélection aléatoire
11
pour tous les postes politiques. Etiennes Chouard, qui compte parmi les blogueurs les plus influent
de France, a rendu de nombreux travaux en la matière afin de mettre en perspective l'utilisation du
tirage au sort dans une société démocratique.
Enfin, le concept de sagesse collective a fait l'objet d'un ouvrage collectif coordonné par
Sylvie Servoise, regroupant de nombreux articles, critiques et réflexions en relation avec l'idée d'une
intelligence collective supérieure. James Surowiecki – La sagesse des foules – recueille de
nombreuses expériences mettant en évidence la capacité analytique et prédictive des foules. Dans
bien des cas, la diversité des profanes aboutit à des solutions invisibles aux yeux des experts
formatés. Il met en lumière trois conditions à l'expression d'une telle capacité : diversité,
indépendance et décentralisation.
Cadre conceptuel et théorique
La recherche tend à comprendre comment les Islandais ont mis en place des mécanismes
participatifs balayant le dogme de la compétence politique, et dans quelle mesure cette entreprise a
réellement constitué une révolution. Car l'idée d'une démocratie participative n'est pas neuve. La
démocratie peut se décliner en plusieurs formes et emprunter divers mécanismes intégrant plus ou
moins la participation des citoyens. Dans tous les cas, elle est fondée sur une croyance dans le
jugement de la majorité. La démocratie tient sur la présomption d'Aristote qui affirmait qu'un
groupe a moins de chance de se tromper qu'un individu seul. Cette idéologie a perduré tout au long
du Moyen-Age, et les moines déclamaient que le nombre est présomption de saniorité. Plus
récemment, Simone Weil déclarait que « Le véritable esprit de 1789 consiste à penser, non pas
qu'une chose est juste parce que le peuple la veut mais qu'à certaines conditions le vouloir du
peuple a plus de chance qu'aucun autre d'être conforme à la justice » 1. Certes, on peut penser que
la démocratie s'est construite sur la croyance que la majorité aurait une vision plus juste, équilibrée
et satisfaisante des directions à prendre que celle d'un individu isolé. Mais peut-on le prouver ?
L'idée de sagesse collective a fait l'objet de nombreux travaux scientifiques et théoriques.
Elle repose, à l'instar de la démocratie, sur ce que nous suggérait en son temps Aristote dans
Politiques : la « multitude est le meilleur juge » 2. Aujourd'hui, le concept intéresse de nombreux
auteurs, du philosophe Daniel Andler au maître de conférence à l'université Yale à Hélène
Landemore, en passant par le sociologue norvégien John Ester. La postulat central de la sagesse
collective est qu'à certaines conditions, la diversité et la multitude priment sur la compétence. Qu'il
s'agisse d'estimer le poids d'un bœuf, de prédire la victoire de Barack Obama aux primaires
démocrates, ou, plus impressionnant, de deviner l'endroit d'atterrissage d'un sous-marin disparu
depuis des mois, l'intelligence des foules a déjà fait ses preuves. En est-il de même dans le domaine
1. WEIL Simone, Note sur la suppression générale des partis politiques, Paris, Climats, 2006, p. 42. Aristote, Les Politiques, Paris, 1990, Flammarion, Livre III, Chapitre 11, p. 240
12
politique ?
Les perspectives offertes par la sagesse collective en matière politique sont nombreuses.
Elles sont fortement liées à l'histoire de la démocratie. Pour l'historien Josiah Ober, la domination
athénienne reposait sur sa capacité à instrumentaliser la sagesse des foules en permettant une prise
de décision collective. L'imbrication d'un grand nombre d'individus confère de nombreux avantages
au régime démocratique en terme de cohésion, de légitimité, de stabilité. Pourtant cette dimension
tend à être atténuée au profit d'une technocratie éloignée des citoyen. C'est en tout cas la conception
d'Habermas, qui dénonce le technicisme de la société moderne 1. Cette dynamique, qui éloigne le
citoyen ordinaire de la politique, est loin d'être nouvelle. Selon le professeur Francis Dupuis-Déris,
elle est à l'oeuvre depuis les fondements mêmes de la démocratie représentative. En effet, il nous
présente un paradoxe intriguant : les Pères de la démocratie représentative étaient tous
antidémocratique. Siéyès, James Madison ou encore Brissot s'accordaient sur le fait que les
représentants soient « bien plus capables de connaître l'intérêt général » 2 que les citoyens
ordinaires.
La confrontation des deux concepts, démocratie et sagesse collective, permet donc à la fois
de redonner le sens véritable et premier du terme démocratie, mais aussi de nous intéresser plus
profondément aux mécanismes – démocratie participative, tirage au sort, délibération - permettant
de faire émerger l'intelligence collective en prenant l'exemple de la révolution islandaise.
Problématisation et hypothèses
L'intérêt de ce thème de recherche pour la science politique prend sa source dans un débat
très ancien et clivant, ayant animé la définition de la démocratie. La controverse entre les tenants de
la psychologie des foules et les partisans d'une conscience collective supérieure remonte à
l'Antiquité, lorsqu'Aristote et Platon débattaient sur la sagesse des profanes ou des hommes de
savoir. Aujourd'hui, pour de nombreux auteurs, la canalisation de l'intelligence collective, la
diversité cognitive, le miracle de l'agrégation ou encore le théorème de Condorcet, sont autant de
manifestations de la capacité du groupe non professionnel à établir une bonne décision. Ces
réflexions ont fait l'objet de nombreuses expériences pratiques en Europe depuis les années 90 :
budgets participatifs, conseils de quartier, conférences participatives. Les chercheurs, à l'image de
Blondiaux ou de Talpin, se sont penchés sur des réalisations locales de la démocratie participative
pour mettre en lumière les enrichissements et les limites qui accompagnaient ces pratiques. Or, dans
toute analyse scientifique de tel dispositif, un écart est perçu entre les attentes et la réalité effective
de la participation. Le cas de l'Islande offre une nouvelle opportunité pour apprécier et comparer les
ambitions théoriques de la révolution avec ses réalisations concrètes. Il s'agira donc de tester
l'hypothèse d'une réelle révolution participative et démocratique en Islande.
1. HABERMAS Jürgen, La technique et la science comme idéologie, Paris, 1978, Gallimard, 221p. 2. DUPUIS-DERI Francis, « L’esprit antidémocratique des fondateurs de la démocratie moderne », AGONE n°22 , septembre 1999, pp. 105
13
De plus, la recherche en matière de démocratie participative ne dépasse généralement pas le
cadre local ou régional. L'intérêt de se pencher sur l'Islande est d'autant plus fort que la participation
des citoyens a un impact direct sur la direction et l'organisation politique de la nation dans son
ensemble. La mise en place de forums citoyens et de référendums, l'élection d'une assemblée
constituante populaire, ou encore la réalisation de certaines revendications issues de la révolte, ont
démontré qu'un dialogue inédit s'était instauré entre les institutions traditionnelles et les citoyens. La
compétence politique ne semble plus être l'horizon indépassable qui empêcherait les citoyens
ordinaires de participer à la politique. Dans quelle mesure l'esprit de la révolution des casseroles –
accroître la participation des citoyens aux institutions en mettant en place des mécanismes de
démocratie directe et participative – s'est-il réalisé à travers les innovations politiques établies suite
à la crise économique de 2008 ?
Le questionnaire, porte-parole des Islandais
Entreprendre d'analyser les réussites et les échecs de la révolution islandaise depuis la
France peut sembler difficilement réalisable. Dans un premier temps, la recherche devait porter sur
l'appréhension de la réalisation du concept de sagesse collective à travers l'expérience démocratique
islandaise. Faute de méthode, une autre perspective a émergé : comparer le traitement médiatique de
l'évènement suivant qu'il soit traité par la presse traditionnelle ou par la presse alternative. Après
réflexion, cet axe ne m'a pas paru adapté au thème de recherche. En effet, il est peu probable de tirer
des leçons scientifiques et pertinentes d'une telle analyse de contenu. Les résultats de la recherche
seraient extrêmement dépendant du corpus de texte choisi. Examiner les batailles sémantiques
engagées par la presse ne permettait pas de répondre aux questionnements que sous-tend
l'expérience islandaise.
Ainsi, il semble que le meilleur moyen de rendre compte du degré de réussite de la
révolution islandaise soit de donner la parole à la plus grande diversité d'acteurs. Un déplacement
en Islande n'était pas envisageable, mais il est ressorti d'une discussion avec M. Ferret, professeur
de sociologie à l'université, qu'un questionnaire, mis à disposition via un site internet, pouvait être
établi afin de recueillir un nombre significatif de témoignages. L'objet du questionnaire tend à
mesurer le degré d'intérêt que porte la population islandaise à la révolution des casseroles, et à
comprendre comment elle apprécie les changements politiques induits par la révolte.
Quatre axes peuvent être dégagés pour mieux cerner l'engouement que suscite le
renouvellement démocratique :
14
– Légitimité, à la fois des manifestations, des revendications, de l'assemblée constituante, des
travaux du forum national, et de l'utilisation du tirage au sort
– Pertinence, des nouvelles pratiques politiques, des travaux rendus par l'assemblée et par le
forum national, de la sortie de crise, de l'usage du référendum
– Participation, en terme d'accessibilité des constituants, du réel impact des propositions
établies par internet, mais aussi afin d'expliquer la faible participation des électeurs à
l'élection de l'assemblée constituante
– Renouvellement, politique, aboutissement des pratiques judiciaires, avenir des nouveaux
partis politiques etc.
L'utilisation d'internet pour diffuser le questionnaire est particulièrement adapté à l'Islande
car elle connaît la meilleure couverture internet d'Europe avec près de 90% de la population
connectée. De plus, l'anonymat que procure le web permettrait aux personnes de s'exprimer plus
librement sans être accusée de dénigrer la révolte ou leur pays.
Concernant la prise de contact avec des Islandais, plusieurs méthodes ont été employées.
Deux réseaux d'échanges culturels – couchsurfing et Servas – m'ont permis d'envoyer mon
questionnaire à plus de soixante personnes islandaises et parfois d'entrer en contact avec des
personnes ayant participé directement à la révolution des casseroles. Le questionnaire a aussi été
publié sur un forum franco-islandais et a bénéficié d'un nombre de vues assez important. Enfin, un
ami m'a confié le contact de son père islandais et francophone.
L'élaboration du questionnaire s'est déroulée tout au long de la recherche afin de le rendre
toujours plus clair et accessible. Dans un premier temps, un questionnaire exploratoire en Français a
été envoyé au contact établi par l'intermédiaire d'un ami et à cinq membres de couchsurfing
francophones. Il était composé de deux parties. La première proposait une quinzaine de questions
fermées avec une marge de manœuvre appréciable pour l'interrogé. La seconde était composée de
questions ouvertes, relativement précises, afin de cerner le sentiment des Islandais quant à la
déroute économique, la révolution des casseroles ou encore le degré de renouvellement politique.
Plusieurs failles du questionnaire et difficultés ont alors été mises en lumière. Le
questionnaire exigeait une bonne connaissance des enjeux de la politique islandaise et un intérêt
certain pour la révolution des casseroles. Or, nombre d'interrogés ne se sentaient pas compétents
pour répondre aux questions : « I know less about politics than everyone else », « J'ai regardé ton
questionnaire mais malheureusement je ne m'y connais pas assez pour y répondre, sinon ça aurait
15
été avec plaisir », « Je connais absolument rien à ce sujet ». D'autres barrières imprévues ont aussi
restreint les réponses. Par exemple, certains métiers empêchent aux islandais de se positionner sur le
mouvement social : « Je peux pas prendre part a se questionnaire dut a mon poste ». Afin
d'amoindrir ces biais, le questionnaire a été modifié, précisé, simplifié, raccourci et traduit en
Anglais, afin de capter un public plus large. Les réponses ont alors été plus nombreuses mais étaient
toujours trop faibles pour envisager une méthode statistique.
La méthode d'enquête s'est donc fondée sur une approche plus qualitative. En effet, la
plupart des interrogés ont répondu aux questions ouvertes de façon très pertinente. Le questionnaire,
plutôt que de permettre de chiffrer le ressenti des Islandais, a ainsi pu être utilisé pour donner
directement la parole à ces derniers. Certaines personnes se sont montrées très heureuses de
répondre au questionnaire et m'ont même remercié de m'intéresser au sujet. La qualité des réponses
et la bonne volonté de plusieurs Islandais ont permis au questionnaire de mettre en exergue
plusieurs enseignements. Le questionnaire, devenu porte-parole des Islandais, a ainsi pu relater les
déceptions d'un participant des premières heures aux manifestations, la vive critique des politiques
en place, ou encore l'espoir de voire s'élever une nouvelle révolution en Islande.
16
TITRE 1La révolution des casseroles : une révolte aux implications théoriques, politiques et démocratiques sensibles
Comme toute révolution, l'expérience islandaise s'inscrit dans une histoire longue (1), dans
un ensemble théorique important sur la nature du régime politique (2), et s'accompagne d'ambitions
et de réalisations pratiques remarquables (3).
CHAPITRE 1. Historique de la révolution
La révolution des casseroles ne peut se comprendre qu'en prenant du recul sur cet événement
fortement chargé en émotion. Pour comprendre le déclenchement de cette mobilisation historique, il
convient de mettre en perspective l'Histoire islandaise (1) afin de comprendre qu'elle portait en elle
les ingrédients de la révolution à venir (2).
SECTION 1 - Le contexte politique, économique et social en Islande portait les germes
d'un mécontentement croissant
L'histoire politique et économique islandaise (A) s'est brutalement accélérée lorsque le néo-
libéralisme a hissé le pays au rang du plus riche et heureux de la planète (B). Sans jamais remettre
en question les fondements de son décollage économique, l'Islande s'est précipitée vers une déroute
économique historique (C).
A. Introduction à l'histoire politique islandaise
L'Islande est un pays certainement plus connu pour la beauté de ses paysages que pour son
histoire politique. Cette île de l'atlantique nord, proche du Groenland, est l'un des pays les moins
peuplé du monde : 320 000 habitants occupent les 103 000km2 qui constituent le territoire islandais
de façon très inégale puisque 2/3 des islandais vivent à Reykjavik et ses alentours 1. L'Islande a été
peuplée tardivement par les vikings en 870, puis par les flux migratoires norvégiens en quête de
condition de vie plus honorable. Mais si le pays est relativement jeune, son parcours et son histoire
politique n'en sont pas moins mouvementés. Il s'agit donc ici de dresser un tableau historique et
sociologique de l'Islande afin de mieux cerner une contrée peu connue.
La République d'Islande et ses institutions furent fondées en 930. On considère que
l'Althingi, le parlement islandais créé à l'occasion, est l'un des plus ancien d'Europe bien qu'il ne
soit à l'époque guère démocratique 2 au sens moderne. A cette époque, l'Althingi est doté des
1. SALLE Michel, L'Islande, A, Paris, 2013, Karthala, p.122. ibidem p. 39
17
pouvoirs législatifs, judiciaires et doit composer avec l'autorité des chefs civils et religieux locaux.
En 1262, dans un contexte sanglant de guerre entre familles pour la domination de l'île, l'Althingi
signe un traité d'union avec la Couronne de Norvège, et renonce ainsi à l'Etat libre et indépendant
d'Islande. Un siècle plus tard, l'Islande est rattachée au Royaume du Danemark.
Cette tutelle est déterminante pour comprendre et analyser les évènements récents. Au
XIXème siècles, le Danemark conçoit l'Islande comme faisant partie intégrante de son patrimoine
territorial comme le démontre la loi du 2 janvier 1871 définissant son statut. Cette loi intervient
alors même que l'indépendance est revendiquée par une fraction grandissante de la population qui
tente de s'inscrire dans les révolutions libérales. C'est dans ce contexte politique qu'est promulgué la
première constitution d'Islande à l'occasion du millième anniversaire du pays. Mais le texte
juridique suprême n'accorde en réalité qu'une autonomie de façade à l'Althingi, autorisé seulement à
légiférer en matière d'affaires locales. Les marches pour l'indépendance ne faiblissent pas et
réussissent à obtenir la reconnaissance de quelques libertés politiques, accordées à la marge de la
constitution : création d'un ministre pour l'Islande responsable devant le parlement, droit de vote des
femmes, reconnaissance d'un Etat libre d'Islande unie au Danemark par un Roi commun.
La 2nd Guerre mondiale, et l'occupation Allemande au Danemark, modifient profondément le
rapport de force. L'Althingi, s'affirme d'abord timidement en déclarant un transfert des pouvoirs
législatifs seulement provisoire, le temps que dure la guerre. Puis elle s'engage définitivement vers
l'indépendance en considérant comme nul le traité unissant l'Islande et la Danemark. Un référendum
entérine cette décision avec 97, 35% d'approbations et une participation s'élevant à 98,61% de la
population 1.
Dès lors, après 600 années de tutelle étrangère, l'Islande se constitue en République
constitutionnelle regroupant tous les attributs de la démocratie : séparation des pouvoirs, élections
libres, scrutin secret, pluralité, libertés individuelles. Pour autant, l'Islande a engrangé en retard
considérable par rapport à ses voisins du nord, notamment en terme de structures sociales. De plus
l'édiction de l'Etat libre et indépendant d'Islande ne s'est pas réellement accompagné d'une nouvelle
constitution adaptée à ce nouvel état de fait. La constitution islandaise, héritée de l'époque de
soumission de l'île à son voisin Danois, est donc un douloureux rappel toujours d'actualité au passé
colonial. La nécessité de modifier voire changer de constitution fait presque consensus, mais ses
modalités font l'objet de controverses. Diverses commissions se sont penchées sur le sujet sans
jamais aboutir. Cette situation engendre depuis bien longtemps des frustrations politiques qui
s'exprimeront haut et fort lors de la révolution des casseroles. Aujourd'hui, le projet pour une
nouvelle constitution souffre encore de l'absence de consensus.
Depuis l'acquisition de son indépendance, l'Islande s'est pleinement insérée dans la globalisation.
1. Johannesson Olafur, « La vie politique en Islande », Revue franc �aise de science politique n°4, 1953, p. 821
18
Elle adhère à partir 1946 à de nombreuses institutions internationales. Membre fondateur de
l'OCDE, elle participe dès sa création à l'ONU et au Conseil de l'Europe. Le pays est partie prenante
du plan Marshall, et s'associe rapidement à l'installation de bases américaines sur son sol national.
En 1949 elle coopère à la fondation de l'OTAN, contre l'avis d'une partie de la population qui
n'hésitera pas à manifester massivement son mécontentement.
En matière de politique intérieure, deux anciens partis politiques ont structuré la vie
politique islandaise. Le parti de l'indépendance, fondé sur une alliance entre libéraux et
conservateurs, est le parti de référence dans la mesure où il s'appuie sur une très longue pratique du
pouvoir. Il bénéficie de soutiens influents dans les secteurs économiques et sociaux. 10% des
islandais sont membres du partis de l'indépendance 1, par ailleurs très lié à l'oligarchie familiale
islandaise. Le parti du progrès, tient une ligne politique plus sociale et libérale. Les deux grands
partis ont souffert de la crise économique et politique au profit d'une coalition entre l'Alliance
sociale-démocrate et la gauche verte. Paradoxalement, les dernières élections législatives de 2013
ont redonné de la vigueur au partis de l'indépendance, au pouvoir durant la crise économique et
souvent considéré comme responsable de la dérive néo-libérale. Le tournant libérale de l'Islande,
amorcé dans les années 80, est l'une des clés pour comprendre la révolution.
B. Le tournant néo-libérale et l'expansion économique, garant d'un bien-être fragile
Lorsque l'Islande accède à l'indépendance en 1944, elle figure parmi les pays les plus
pauvres d'Europe. Depuis l'époque de la colonisation, l'économie islandaise s'est concentrée
essentiellement sur l'agriculture et la pêche. Très dépendante des ressources naturelles et donc
particulièrement fragile, l'industrie en Islande n'a cessé de revoir à la hausse ses ambitions. La
tradition protectionniste de l'île a peu à peu perdu de sa vigueur. Avec l'ouverture progressive aux
échanges extérieurs, la pêche s'est considérablement développée jusqu'à représenter 12% du PIB
islandais et constituer le principal secteur économique. Elle génère des entrés considérables de
devises étrangères, garantes d'un stimulation des importations. Dans ce contexte d'ouverture, le
pouvoir économique s'est diversifié pour annihiler les dangers que représente sa forte dépendance à
la pêche, une ressource susceptible d'épuisement et sensible au cours du marché. Les secteurs
favoris sont l'industrie de l'aluminium, le bâtiment, les services, la biotechnologie ou encore
l'informatique. La multiplication des supports de l'économie islandaise n'a pas empêché le
phénomène oligarchique de prospérer. Certains secteurs économiques, en collusion avec le monde
politique, sont noyautés par quelques grandes familles depuis la fin de seconde guerre mondiale 2.
La « Pieuvre », un terme désignant les 14 familles dominantes, a noyauté l'offre politique et le
marché économique islandais3.
1. PAUMIER, VENTURI, ZEMMOUJ, « La révolution Islandaise », Université Paris VIII, 20132. idem3. SIGURGEIRSDOTTIR Silla, WADE Robert, « Quand le peuple islandais vote contre les banquiers », Le Monde Diplomatique, mai 2011
19
Comparables aux chefs de tribus qui réglaient jadis la politique locale, ces familles ont la
mains sur les secteurs clés, de l'énergie au transport, en passant par les banques et les assurances.
Par exemple, les Octopus contrôlent une grande parti de la presse et du secteur pétrolier,
l'importation du bois ou encore la compagnie aérienne islandaise.
A partir des années 90, l'Islande s'intègre pleinement dans le monde globalisé. Son adhésion
à l'Espace Economique Européen et au GATT implique notamment une liberté de circulation des
capitaux indispensable à sa mutation économique. L'idéologie libérale imprègne l'Islande jusque
dans les universités où plusieurs revues sponsorisées – notamment « la locomotive à vapeur » -
témoignent des théories de Milton Friedman et des politiques libérales anglo-saxonnes 1. Les Néo-
Vikings, soit les financiers et politiques amenés à appliquer la logique de dérégulation de
l'économie, se retrouvent peu à peu au pouvoir. David Oddsson, fortement inspiré par cet appareil
idéologique, fait partie de la nouvelle élite louant les bien-faits du libre-échange et capable de
s'émanciper de la vielle oligarchie islandaise. Son mandat de maire l'a ainsi amené à privatiser
partiellement la flotte de pêche municipale en la fusionnant avec HB Grandi 2.
Lorsqu'il devient premier ministre en 1991, Oddsson entreprend une vague de privatisation
sans précédant. La pêche artisanale, l'un des premiers secteurs touchés, est entrainée dans une
logique de maximisation du profit en dépit de la qualité alimentaire 3. Une réforme fiscale de grande
ampleur est aussi engagée. Tout est fait pour attirer les investissements étrangers, notamment
l'abaissement drastique des taux d'impositions des entreprises sur le modèle du Luxembourg. La
finance internationale devient le moteur de la croissance économique islandaise. L'engagement
politique du ministre en faveur de la dérégulation se traduit notamment par la fusion des banques
d'investissements avec les banques commerciales.
L'un des secteurs clés concerné par la dérégulation est le secteur bancaire et financier. En
2003 le système bancaire est entièrement privatisé au profit de trois grandes banques : Kaupthing
Bank, Glitnir, et la Landsbankinn. Ces trois banques ont connu une expansion phénoménale. En
1998, elles étaient encore considérées comme des « petites sociétés du secteur publics » 4 mais en
quelques années elles deviennent partie prenante du classement des 300 plus grandes banques du
monde. Ce trio sera déterminant dans la crise économique à venir. Et ce d'autant plus que la
privatisation des banques accroit un peu plus la concentration oligarchique en Islande. Le contrôle
des banques est confié à des proches du pouvoir politique : la Landsbanki revient ainsi directement
à des cadres du Parti de l'Indépendance 5.
1. RICHE Pascal, Comment l'Islande a vaincu la crise : reportage dans le labo de l'Europe, 2013, Versillo - Rue 89, p.202. SKALKSI Jérôme, La révolution des casseroles, chronique d'une nouvelle constitution pour l'Islande, Clamecy, 2012, La Contre Allée, p. 333. LE SANN Alain, « Les quotas transférables individuels dans toutes leur réalité : un rapport de l'OCDE », l'Encre de Mer, 5 octobre 20114. Jérôme Skalski, op.cit. p. 365. Silla Sigurgeirsdottir, op.cit, p.3
20
La politique de préférence nationale, qui réserve l'actionnariat des banques aux investisseurs
islandais conduit inévitablement à un rapprochement du domaine politique avec le secteur privé. Il
n'est donc pas rare de voire siéger les responsables politiques aux conseils d'administration des
banques.
Cela explique notamment pourquoi la libéralisation rapide du secteur bancaire ne
s'accompagne nullement de régulations politiques. De nombreuses pratiques bancaires illégales sont
mises en place sur les marchés financiers, et se révèlent extrêmement lucratives. La nouvelle élite
bancaire recourt au carry trade, une méthode de spéculation permettant d'engranger des profits
considérables. Les banques profitent entre elles d'emprunts massifs et de rachat de leurs propres
actions, faisant grimper leurs cours en dehors de toutes réalités économiques. La compétitivité de
l'économie islandaise atteint le 7ème rang mondiale et est encensée par la critique au World
Economic Forum. La finance internationale clame toute son admiration face au modèle de
développement islandais. Dans les pages du Wall Street Journal, le miracle islandais est loué par
Hannes Gissurarson qui témoigne de son admiration pour le premier ministre : « Les initiatives
libérales d'Oddsson sont la plus formidable réussite du monde » 1.
Les indicateurs sociaux et économiques tendraient à confirmer cette euphorie. Les islandais,
stimulés par la surabondance du crédit, ont le sentiment d'être l'une des population les plus heureuse
du monde, et les mieux loties 2. Il découvrent les délices de la surconsommation à crédit après des
années de rationnement, comme le confirme le témoignage d'un membre de couchsurfing, recueilli
par le questionnaire :
What was your reaction in October 2008 when Iceland faced a historical economic crisis ?
« I had watched my society go half crazy. The expansion in the building sector where every contractor was building and i wondered who would live in all those buildings. People borrowed money to buy new apartments and cleaned it out and renovated even new apartments, all with borrowed money. Almost every household had more than 1 car bought for borrowed money. You hardly saw cars older than maybe 8 years, they were disposed and everything was disposable. I watched an interview with the head of the Family help complaining that people were giving USED toys to the poor children! The financial market was the leading news in all the media and if a critical voice appeared they were shot down as traitors if it were Icelandic or envious people if it were foreign critics. I was even starting to have doubts if there was something wrong with me not wanting to be a part of this materialistic craze ».
En 2007, l'Islande est première en terme d'indice de développement humaine, selon
l'indicateur élaboré par les Nations Unies. Ce bien-être est accompagné d'une forte croissance
économique située entre 5 et 10% du PIB. L'Islande est passé d'un des pays les plus pauvre
d'Europe au 5ème pays le plus riche du monde avec un PIB par habitant évalué à 50 000$ 3. L'essor
de l'industrie du luxe témoigne d'une évidente prospérité. Cependant deux risques majeurs sont
associés à ce modèle d'expansion économique.
1. GISSURARSON Hannes, «Miracle on Iceland » The Wall Street Journal, New York, 29 janvier 20042. Michel Salle, op.cit, A, p. 1433. CORIAT Benjamin, LANTENOIS Christopher, « Crise, faillite, et défaut : économie et politique de la restructuration de la dette islandaise », Les économistes atterrés, 20 mars 2011
21
D'une part, l'économie islandaise se trouve intimement liée au marché inter-bancaire et donc
à la bonne santé de l'économie mondiale sans laquelle les banques perdent tout son soutien en
liquidité. D'autre part, la dépendance aux taux de changes fait encourir une grave dépression
économique en cas du chute du cours de la couronne. Si l'Islande est devenu un modèle
économique, son modèle de développement repose presque entièrement sur le gonflement de la
sphère financière.
Derrière cette évidente réussite et l'apparente solidité de l'économie islandaise vantée par des
professeurs et responsables très réputés 1, se cache en réalité un risque d'implosion très élevé.
C. La crise économique : une faillite historique, élément déclencheur de la révolte
« Il faut bien la plume d'un poète et d'un écrivant pour prendre la mesure du choc que
constitue pour un petit pays paisible comme l'Islande l'effondrement de son système financier. Après
la stupeur c'est la colère qui remonte en repensant à l'arrogance prétentieuse des affairistes qui, au
milieu d'un large consensus politique, ont monté une économie de casino, et à leur irresponsabilité
présente » 2. La plume d'un chercheur en science politique peut aussi servir à dresser un tableau de
l'effroyable brutalité de la crise financière en Islande, qui mena une partie de la population à
manifester dans la rue.
Le choc fût d'autant plus grand que le dénie de la fragilité du système économique était
quasi-unanime. Bien peu d'experts ont mis en avant le risque systémique que faisait porter les
grandes banques à l'ensemble des fondations sociales et politiques. En novembre 2007, Arthur
Laffer assurait que « L'Islande devrait être un modèle pour le monde entier » 3. Certains
économistes réputés sont même payés pour apposer leurs noms à des rapports rassurants et
optimistes quand à l'avenir du système bancaire. Pourtant les mécanismes économiques mis en
place pour engendrer la prospérité islandaise portaient en eux les germes du désastre à venir. Dès
2006, des indicateurs permettaient de relativiser la solidité du modèle de développement néo-
libéral : hausse spectaculaire du déficit islandais à 20%, inflation, hypertrophie d'un système
bancaire 10 fois supérieurs au PIB national, instabilité de la couronne, ou encore l'inquiétude de
l'agence de notation Ficht qui apposa une mention négative à la note souveraine islandaise. L'agence
Moody's avait elle aussi rappelé la fragilité du système bancaire, mais personne ne voulait remettre
en cause les fondements du miracle islandais 4. D'autant plus que les pratiques bancaires douteuses
et illégales venant soutenir la réussite économique étaient légion selon un rapport d'une commission
spéciale d'investigation mandatée par le parlement 5.
1. PORTES Richard, « The internationalisation of the Iceland's Financial Sector », London Buisness School, 20072. GUDMUNDSSON Einar Mar, « La faillite Islandaise », 2010, Esprit, 260p. 3. LAFFER Arthur, « Overheating is not dangerous », Morgunbladid, Reykjavi�k, 17 novembre 20074. CHARTIER Daniel, La spectaculaire déroute de l'Islande : l'image de l'Islande à l'étranger, Québec, Presse de l'Université du Québec, 2010, p. 775. SIC, « Report of the special investigation commission », special investigation commission, 12 avril 2010
22
Lorsque « l'économie geyser » 1 éclate, selon les terme de la Danske Bank, la panique est
générale : les politiciens témoignent de leur effroi, la population de son dégoût, les investisseurs
étrangers de leur peur viscérale de perdre leurs actifs.
Aucun mot n'est assez fort pour décrire la désillusion provoquée par la crise économique.
Michel Sallé évoque « un grand coup de massue » 2. Pascal Riche témoigne de la réaction des
islandais qui racontent vivre « la troisième plus grosse faillite financière de l'Histoire » 3. Hördur
Torfason, lors d'une conférence internationale à Athènes, a affirmé être face à une « troisième
guerre mondiale », menée non pas avec des armes mais avec « l'argent, l'avidité et la corruption » 4. Enfin, les témoignages de deux membres de couchsurfing illustrent la gravité des islandais face à
la rupture économique :
Quelle a été votre réaction, en octobre 2008, lorsque l'Islande fut confrontée à une crise économique
historique ?
« Tomber des nues, devant la dette abyssale contractée par les apprentis sorciers de la finance ».
« It was a horrifying experience. I thought we were close to a complete breakdown of law and order since people were
so furious with what was happening ».
La tragédie islandaise trouve notamment appuie sur les déclarations de Geir Haard qui
déclara maladroitement que « Le danger est aujourd'hui grand, chers concitoyens, de voir
l'économie islandaise, dans le pire scénario, être aspiré avec les banques dans le maelström, avec
pour résultat la faillite du pays » 5. Ce risque se concrétisa très rapidement. Le gel des échanges
inter-bancaires eut pour effet d'assécher durablement l'indispensable apport en liquidité des trois
grandes banques islandaises. Les banques islandaises sont alors incapables de s'approvisionner sur
le marché international. Or, les traditionnels prêteurs en dernier ressort, l'Etat et la banque centrale,
sont eux aussi bien incapables de renflouer les banques : la surdimension de la finance met en
exergue le nanisme de la Banque centrale islandaise. En une semaine, les banques s'effondrent et
annoncent une cessation de paiement générale.
Le premier ministre, tente de prendre plusieurs mesures protectrices, dont la nationalisation
des banques. L'Etat rachète 75% des actions de Glitnir afin de secourir le système financier à la
hauteur de ses moyens Cependant, cette tactique entraine un crise de confiance préjudiciable pour le
système bancaire. Les agences de notations sanctionnent l'instabilité de l'économie islandaise en
1. Danske Bank, «Iceland : Geyser crisis», Copenhague, 2006 2. GRENAPIN Antoine, « Comment l'Islande est sortie de l'enfer », LePoint, 26 février 2012, http://www.lepoint.fr, consulté le 16/02/20153. Pascal Riche, op.cit, p.194. Intervention de Hördur Torfason à la Conférence internationale Athènes des 30 novembre et 1 décembre 2013, visible ici: https://www.youtube.com/watch?v=7yD_L5mwmnI5. Daniel Chartier, op.cit, p. 84
23
aggravant sa note. Les capitaux étrangers fuient alors massivement le pays et se comptent en
milliards. Dans un deuxième temps, M. Oddsson indexe la monnaie sur un panier de devise. Cette
position n'empêche nullement la couronne de dégringoler quelques heures après. En un an, la
monnaie perd 80% de sa valeur. En réalité, seul les proches du pouvoir on pu échanger leurs
couronnes sans accuser d'une forte perte de valeur.
L'inquiétude gagne aussi la population. La chute prévisible de la couronne islandaise invite
les Islandais à dépenser leur argent dans des produits de nécessité, si bien que l'ancien ministre de
l'énergie du tourisme et de l'industrie affirme que « Nous avons été au bord de la rupture de stock
sur les carburants et sur les équipements médicaux » 1. La population est la première victime de la
crise économique. Les condition des vie sont durement entamées par les effets néfaste de la faillite
des banques. Habitués à bénéficier de conditions de crédit très avantageuses, les islandais voient
subitement le montant de leurs échéances doubler car indexés sur des devises étrangères tel le yen
ou l'euro. Les prêts immobiliers connaissent le même effet obligeant les débiteurs à rembourser
deux fois voire trois fois les montants des sommes dues mensuellement. L'effondrement de la
bourse met à mal 85 000 petits actionnaires qui misaient encore sur la hausse des cours bancaires.
La population fait face à une difficulté croissante à honorer sa dette. Et ce d'autant plus que le
chômage explose passant en seulement quelques mois de 3% à 9% 2. Quant au pouvoir d'achat des
islandais, il accuse une très forte contraction notamment du fait de la baisse des salaires nominaux.
Le cumul d'un désastre économique, politique et social réunit toutes les conditions pour
qu'une partie de la population, dégoûtée par les magouilles financières qui ont conduit à la ruine du
pays, s'engage pour d'une part changer le gouvernement en place, et réclamer des institutions
accordant une participation directe au peuple afin d'éviter de telles dérives. C'est la révolution des
casseroles.
SECTION 2 - La révolution des casseroles : de la désillusion à l'implication du peuple
en politique
La crise économique a révélé un profonde volonté de redéfinir le système et les acteurs
politiques en Islande. Le mouvement social connu sous le nom de révolution des casseroles est non
seulement remarquable dans son ampleur (A), mais aussi dans les conséquences directes (B) et
indirectes (C) qu'il a engrangé.
A. La naissance d'une mobilisation sans précédant
Avec la crise économique, l'Islande devient le symbole de la dérive bancaire et de la
1. Pascal Riche, op.cit, p. 352. Institut des statistiques islandais
24
complicité entre finance et politique dans le monde. A partir du mois d'octobre 2008, l'île de feu et
de glace, peu habituée aux révoltes, est le théâtre de manifestations populaires qui marqueront à
jamais son histoire.
A l'origine de la révolution des casseroles se trouve l'engagement d'un homme, Hördur
Torfason. Cet artiste et activiste local, connu et respecté, avait déjà mené plusieurs combats dans sa
vie. Ouvertement gay, il a défendu la reconnaissance et l'égalité des homosexuels à une époque où
cela était extrêmement mal vu en Islande. Il s'est toujours battu aux côtés des opprimés et a une
longue expérience de l'organisation de manifestations. Lorsque la crise économique éclate, il
s'indigne du niveau de corruption politique et partage le désarroi des islandais jusqu'alors fiers de
leur réussite économique. Plutôt que de laisser les politiques régler la situation, il s'engage à
informer la population et à jauger leur sentiment vis-à-vis du crash économique. C'est le « One
man's protest ». Chaque jour, armé d'un micro et de sa guitare à quelques pas du Parlement, il
questionne les passants et les parlementaires sur les démarches à engager pour faire face à la crise.
Selon ses termes, la peur et la confusion règnent même dans le milieu politique. Il organise, par le
biais d'internet, aux côtés de la militante des droits de l'hommes, anarchiste et poétesse Birgitta
Jonsdottir, des rassemblements hebdomadaires le samedi à 15h.
Peu à peu, les manifestations rassemblent des milliers de personnes et deviennent de
véritables lieux de partage et de réflexion. Le 18 octobre, deux mille personnes sont présentes sur la
Place de l'Est 1. Les manifestants s'organisent en un mouvement, dénommé La Voix du Peuple. Pour
mieux apprécier ces chiffres, il faut prendre en compte la très faible démographie du pays. Les
manifestants dans la capitale représentent plus d'un centième des habitants de Reykjavík. En France,
cela équivaudrait à un rassemblement comprenant près d'un millions de personnes à Paris. Le taux
de couverture internet exceptionnel du pays et le succès de Facebook en Islande – avec 96% des
20/29 ans inscrits – contribuent à dynamiser la révolte.
Les manifestations se veulent très interactives. De multiples interventions de personnalités
de la société civile rythment les réunions. Ce sont des professeurs reconnus, des écrivains, des
journalistes, des étudiants ou encore des camionneurs qui prennent la parole devant les manifestants
et témoignent de leurs idées, de leur pensée et de leurs sentiments 2. Plusieurs coups d'éclat sont
organisés, comme la mise à feu du drapeau d'une des grandes banques islandaises, ou le
déploiement du drapeau du célèbre supermarché Bonus au sommet de l'Althingi afin de mettre en
cause son président, l'homme le plus riche d'Islande 3. Le 15 novembre, on dénombre pas moins de
8000 islandais qui décorent avec joie la façade du Parlement à l'aide d'oeufs, de tomates ou encore
de papier toilette. Début décembre, alors que le mouvement tend à s'essouffler, des militants
perturbent les institutions et provoquent parfois quelques affrontements avec la police.
1. Jérôme Skalski, op.cit, p. 462. idem3. ibidem p. 47
25
Alors qu'il s'agit de remobiliser et de « maintenir la pression sur le gouvernement » 1,
Hördur Torfason organise une « ronde musicale et dansante » 2 au succès inattendu. La musique et
les festivités sont au cœur des manifestations. Des concerts sont organisés, tandis qu'un groupe de
percussion invite peu à peu les manifestants à se munir de casseroles pour symboliser la surdité du
Parlement à leurs revendications. Ces revendications, formulées par Hördur Torfason à de multiples
reprises avec l'approbation de la foule, sont aux nombres de trois : démission du gouvernement, du
Président de la banque centrale et des responsables chargés de la surveillance des banques. L'ère du
temps appelle aussi à la tenue d'élections législatives anticipées, afin de tenir compte de la nouvelle
donne politique et économique.
Le nouvel élan donné à la révolution des casseroles sera cette fois-ci porteur de changements
radicaux.
B. Les implications directes de la révolte
Alors que la révolte se drape d'une nouvelle dynamique, les institutions sont de plus en plus
déstabilisées, ne laissant guère le choix au gouvernement que d'accepter les principales demandes
de la révolution.
Dès le mois de décembre, les institutions sont directement prises à parti par les manifestants.
Une plainte déposé par Hördur Torfason, au nom du mouvement La Voix du Peuple, dénonce la
gestion du sauvetage de la banque Glitnir par le gouvernement. Une pétition populaire essaye de
rassembler les militants sur une demande particulière : la rédaction d'une nouvelle constitution et
des élections anticipées. De nombreuses actions symboliques mettent en lumière le rejet de l'équipe
au pouvoir. Dix-sept minutes de silence sont ainsi observées pour signifier les dix-sept années de
règne du Parti de l'indépendance.
Le gouvernement est tellement décrédibilisé auprès de la population que des militants s'en
prennent directement aux lieux de pouvoir. La veille du nouvel an, ce sont plusieurs centaines de
personnes qui perturbent un traditionnel débat politique retransmis à la télévision. Le 8 janvier,
plusieurs dizaines de militants s'introduisent dans l'Althingi pour perturber les travaux
parlementaires. Le lendemain, ce sont des ministres qui sont chahutés alors qu'ils essaient
d'atteindre la maison des gouvernements. Des feux allumés dans le jardin du Parlement, et des
affrontements avec la police, marquent une nouvelle étape dans la révolte. La surdité des politiques
entraîne des frustrations et des actions de plus en plus violentes. Le Premier ministre lui-même est
gêné par les manifestants alors qu'il tentait de rejoindre sa limousine. Son véhicule sera chamboulé
à coup de jets d'oeufs et de boules de neiges.
1. Jérôme Skalski, op.cit, p. 502. Pascale Riche, op.cit, p. 46
26
Pour autant, Geir Haarde ne semble pas prendre conscience de la gravité de la situation. Il
déclare que « le gouvernement demeure toujours pleinement en fonction et les partis de coalitions
vont continuer leur coalition » 1.
Or c'est justement l'émiettement de la coalition qui mettra un terme provisoire à la toute
puissance du Parti de l'indépendance. Il convient de rappeler que la situation politique, depuis les
élections législatives de 2007, était jusqu'alors assez favorable au Parti de l'indépendance. Détenteur
de vingt-cinq sièges au Parlement sur soixante-trois, il devait tout de même s'appuyer sur l'Alliance
sociale-démocrate pour engager des réformes politiques 2. Les deux principaux partis de la coalition
rompent avec la cohésion lorsqu'il s'agit de débattre de l'opportunité d'élections anticipées ou encore
de la démission du gouverneur de la Banque centrale, David Oddsson. Si les sociaux-démocrates
soutiennent une telle initiative, Geir Haarde s'y oppose fortement. La paralysie gouvernementale est
désamorcée par une décision du Parti du progrès, dont l'influence en terme politique est modeste,
mais qui n'en fut pas moins décisive. Il s'annonce prêt à soutenir un gouvernement de coalition
réunissant les sociaux-démocrates et la gauche verte. Cette décision permet d'élargir la marge de
manœuvre de la gauche. Le 21 janvier, une réunion entre sociaux-démocrates regroupe un millier de
personnes au lieu des cent-cinquante habituels. Il s'agit, pour le parti, de se prononcer sur sa fidélité
au gouvernement, sur son éventuelle destitution et sur l'opportunité de provoquer des élections
législatives anticipées. La motion, adoptée suite à un vote, donne lieu à des scènes de liesses, de joie
et de violences dans les rues de la capitale.
Pour la première fois depuis les manifestations dénonçant l'adhésion de l'Islande à l'OTAN,
le mouvement est le théâtre d'affrontements, d'arrestations, et de l'utilisation du gaz lacrymogène.
Alors que les leviers du pouvoir lui échappent peu à peu, le gouvernement hésite à passer en force,
quitte à recourir à l'appui des forces de polices norvégiennes. Le 23 janvier, Geir Haard entreprend
finalement d'accepter le principe d'élections anticipées auxquelles il ne se présentera pas,
officiellement sous couvert d'une tumeur maligne à l'oesophage. L'annonce n'a pas l'effet escompté
et les manifestations reprennent de plus belle avec quelques six mille personnes réclamant une
« nouvelle démocratie » 3.
La situation d'insurrection, couplée à l'instabilité gouvernementale, finissent par avoir raison
de la détermination du Premier ministre. Après un entretien avec la ministre socialiste des affaires
étrangères, il capitule, annonce sa démission et laisse la place à un gouvernement provisoire alliant
les sociaux-démocrates à la gauche verte. Le gouverneur de la Banque centrale, symbole de la
dérive économique islandaise, sera contraint de démissionner un mois plus tard. Quant aux élections
anticipées de 2009, elles marqueront le triomphe de la coalition au pouvoir et une défaite historique
pour le Parti de l'indépendance.
1. Jérôme Skalski, op.cit, p. 512. SALLE Michel, « Islande. Que reste-t-il de la "révolution des casseroles "? », B, Pages Europe, 18 juin 20133. Jérôme Skalski, op.cit, p. 63
27
La révolution des casseroles semble alors avoir rempli ses principaux objectifs : démission
du Premier ministre, du gouverneur de la banque centrale et tenue d'élections anticipées. Pourtant,
au fond, l'esprit de la révolte va bien au-delà de cette première victoire. Il s'agit d'engager une
révolution entérinant réellement la volonté du peuple sur le plan politique.
C. Les implications tardives de la révolution
La révolution des casseroles a été à l'origine de nombreuses initiatives politiques,
économiques et sociales. Il s'agit d'en donner un bref aperçu afin de mieux pouvoir les mettre en
perspective par la suite.
L'une des implications les plus rapidement mises en œuvre est très certainement la recherche
des responsables de la crise économique. Ecoeurés par les malversations des financiers et la
complicité des politiques, les Islandais n'ont eu de cesse de clamer dans la rue la nécessité de rendre
justice et de condamner les néo-vikings peu scrupuleux. Le Parlement réagit très vite à cette
demande sociale pressante et convoque, dès le mois de février 2009, un procureur spécial chargé de
faire toute la lumière sur les responsables de la crise économique. Une commission spéciale est
ainsi créée pour mieux comprendre la défaillance des banques. De nombreux coups d'éclat sont
menés par le procureur, qui ira même jusqu'à perquisitionner la banque centrale 1. En réalité, la
commission donne surtout lieu à un long rapport et une grande déception. A ce jour, peu de
condamnations sont effectives et la délinquance financière reprend de plus belle.
La gestion d'une partie de la dette a aussi fait l'objet d'une attention toute particulière de la
part des manifestants. L'affaire dite Icesave est un imbroglio politique, économique, diplomatique et
financier relativement complexe. Icesave est une filiale de la banque Landsbankinn implantée à
l'étranger et qui comptait des centaines de milliers de clients au Danemark et au Royaume-Uni.
Lorsque la banque fait faillite, le gouvernement islandais se trouve dans l'incapacité de rembourser
les épargnants étrangers et entame des négociations très intenses avec ses partenaires économiques.
En octobre 2009, accord contraignant est parachevé entre Londres, La Haye et Reykjavik.
Cependant, le peuple, encore échauffé par des mois de manifestations, s'engage massivement à
signer une pétition refusant le remboursement de cette dette. Sous la pression sociale et politique, le
président de l'Islande mettra en place deux référendums, faisant ainsi dépendre le remboursement de
cette dette de la volonté de peuple.
La révolution des casseroles a aussi donné naissance à de nouvelles façons de concevoir la
politique. De nombreux mouvements et partis politiques sont nés de cette période
d'expérimentation. Le succès des nouveaux mouvements politiques issus de la révolution est
remarquable.
1. Pascale Paumier, op.cit, p.1
28
En 2009, le Mouvement des citoyens a rassemblé 7,2% des voix aux élections législatives 1.
Le Meilleur Parti, devenu Avenir Radieux, a aussi été applaudi après qu'il ait obtenu six sièges au
Parlement en 2013. En 2010, le parti a remporté une majorité relative de sièges au conseil municipal
au profit de Jon Gnarr, un comédien non professionnel de la politique.
Le véritable enjeu posé par la révolution des casseroles est évidemment la révision
participative de la Constitution. Les Islandais ont en mémoire la teinture coloniale de la
Constitution qui les gouverne. En 1944, ils étaient 98% à voter pour leur indépendance et la
rédaction d'une nouvelle constitution 2. En réalité, le nouveau texte n'était qu'une modernisation de
l'ancienne Constitution et n'a jamais satisfait les Islandais. Le désir de changer la Constitution fut
l'une des demandes les plus pressantes de la révolution des casseroles. Après tout, le travail
constituant est le propre de toute révolution menée à son terme. Ainsi, à l'initiative du peuple, un
processus constituant inédit dans l'histoire à peu a peu pris forme. Mêlant participation directe,
élection et référendum, la révision participative de la Constitution est certainement le symbole le
plus visible de la révolution des casseroles et de sa volonté d'introduire les citoyens dans
l'élaboration de la politique.
La révolution des casseroles, en prônant l'édiction d'une démocratie directe, ou du moins
participative, a donné lieu à de multiples expérimentations politiques qu'il s'agira d'analyser. Mais il
convient d'abord de rendre compte des questions théoriques et philosophiques dans lesquelles
s'inscrit la démarche islandaise.
1. Michel Salle, op.cit, B2. Johannesson Olafur, op.cit, p. 818
29
CHAPITRE 2 - Les fondements théoriques du mouvement révolutionnaire
La révolution des casseroles, dans la mesure où elle tente d'introduire les citoyens non
professionnels de la politique au cœur même des mécanismes du pouvoir, peut être appréhendée à
travers le concept de sagesse collective (A). Le caractère participatif de l'expérience islandaise
contribue à redéfinir en profondeur l'appréciation constamment dénaturé de la démocratie (B).
SECTION 1 - La sagesse collective : concept révolutionnaire ou fondement oublié de la
démocratie ?
Les dispositifs qui rassemblent des citoyens ordinaires dans l'optique de faire émerger la
sagesse collective ont des avantages épistémologiques considérables par rapport au gouvernement
représentatif (A). Au-delà d'une simple croyance en la démocratie, c'est une théorie qui repose sur
de nombreux travaux scientifiques et pratiques (B), d'autant plus fascinante qu'elle constitue le cœur
de la révolution démocratique en Islande (C).
A. La sagesse collective, un mécanisme démocratique oublié
« La multitude est le meilleur juge » 1 annonçait Aristote.
L'idée qu'un groupe de citoyen ordinaire soit capable de prendre des décisions plus
pertinentes que les experts, ou les professionnels de la politique, est ancestrale. Elle repose sur une
appréciation de la démocratie en tant que régime capable de canaliser l'intelligence des citoyens.
Les thèses de la psychologie des foules ont longtemps remis en question cette appréciation en
préférant une approche aristocratique et technocratique de la démocratie. Ce courant élitiste
affirmait, à l'image de Friedrich Nietzsche, que « La folie fait exception chez l’individu et fait loi
dans le groupe » 2. Sur les conseils du célèbre Lippman, la fabrication du consentement devait alors
devenir l'instrument de gouvernement privilégié. Ces réflexions s'inscrivaient dans un contexte
favorable au développement conséquent de la propagande.
Cependant, tous les auteurs ne se positionnaient pas en faveur d'un « gouvernement
invisible » 3 capable d'instrumentaliser les foules. Durkheim affirmait, en contradiction avec les
thèses de Lebon, que « la conscience collective est la forme la plus haute de la vie psychique,
puisque c'est une conscience de consciences » 4. Aujourd'hui, le concept tend à être réactualisé.
1. Aristote, Les Politiques, Paris, Flammarion, 1993, p. 2402. SUROWIECKI James 2008, Sagesse des Foules, Paris, e�ditions Jean-Claude Lattès3. BERNAYS Edward, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Paris, Zones, 2007 4. DANTIER Bernard, Introduction à La psychologie des foules de Gustave Le Bon Québec, Les classiques des sciences sociales, Chicoutimi, 16 octobre 2002, p. 14
30
Les mouvements Indignés et Occupy ont témoigné d'une prise de conscience soudaine de
l'impuissance politique programmée des citoyens. La délégation des choix publics à des experts
éloignés des situations locales et nationales s'oppose à l'idée d'un contrat social liant les membres
d'une démocratie. La multiplication des initiatives et des partis politiques originaux réintroduit la
nécessité d'un renouvellement politique mais peine encore à s'affirmer. La difficulté de Syriza à faire
valoir son programme social face aux experts de Bruxelles en est un exemple frappant.
La sagesse collective pourrait être une réponse au désir de réinventer la démocratie au profit
du citoyen. De nombreux ouvrages parus récemment appuient la validité et la pertinence du concept
de sagesse des foules. L'oeuvre de James Surowiecki, ou encore le colloque international du
Collège de France organisé en 2008 par Jon Elster et Hélène Landemore 1 sur le thème de la sagesse
collective, confèrent une réelle consistance à l'idée d'une intelligence des masses. L'alchimie
collective, fruit de l'expérience, du débat et de la coopération, n'est pas la simple addition des
songes individuels, mais possède une dimension supérieure. Selon cette approche, le soucis de
justice, de morale et de bien commun serait décuplé par le regroupement d'individus à certaines
conditions.
Pour David Estlund, la condition essentielle de la sagesse collective est la diversité
cognitive. La variété des points de vue, des vécus, des cultures, et des perspectives, contribue à
accroître la qualité de la réponse globale. C'est le point de départ de la théorie : l'individu n'a pas à
faire preuve d'une capacité de jugement, de connaissances fines ou d'une expertise développée.
Selon le théorème de Scott Page, « La diversité prime sur la compétence » 2. Par exemple en
Islande, au sein de l'assemblée constituante citoyenne, les connaissances juridiques étaient pour la
majorité assez faibles. Mais les solutions préconisées par les citoyens, dont la compétence est
modeste mais les perspectives multiples, sont potentiellement plus pertinentes que les analyses des
technocrates formatés et uniformisés dans leur manière d'envisager le monde. L'ouverture d'esprit
permet d'aboutir à des solutions plurielles et innovantes, invisibles aux yeux des experts. Selon
James Surowiecki, l'indépendance des individus, la décentralisation et l'agrégation sont aussi la
condition d'une bonne expression de l'intelligence des foules. Les débats ne doivent pas être
chapeautés par une autorité supérieure. Cette analyse va à l'encontre des analyses de l'historienne
Josiah Ober. L'institutionnalisation de l'intelligence collective est selon elle essentielle pour guider
le jugement d'une collectivité vers le bien commun.
Au delà de l'appréciation théorique du concept, il convient de donner un aperçu des
réalisations pratiques inspirées de la sagesse collective.
1. ELSTER Jon, LANDEMORE Hélène, La Sagesse Collective, Paris, Raison Publique, avril 2010, 428p.2. PAGE, « The Difference : How the Power of Diversity Creates Better Groups, Firms, Schools, and Societies, » Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 163
31
B. Les applications pratiques de la sagesse collective
Les manifestations de la sagesse collective sont multiples et quotidiennes. Par exemple, le
moteur de recherche Google fait appel à l'intelligence des foules : la probabilité qu'une requête
trouve une réponse parmi les milliards de pages web est une application évidente des bénéfices tirés
de la mobilisation de la collectivité. Pour s'en convaincre, l'ouvrage de James Surowiecki fourmille
d'exemples démontrant que, contrairement aux croyances empiriques, la foule vient non pas diviser
l'intelligence des individus mais au contraire la démultiplier. Qu'il s'agisse de donner les résultats
d'une élection plus sûrement que les instituts de sondages ou d'identifier l'entreprise à l'origine de
l'explosion d'une fusée, les applications pratiques de l'intelligence des multitudes sont aussi
nombreuses que stimulantes.
La première expérimentation scientifique d'une conscience supérieure est certainement
l'expérience de Francis Bacon dont « le résultat apporte davantage de crédit a� la fiabilité du
jugement démocratique qu’on aurait pu l’attendre » 1, du moins à cette époque.
A l'occasion d'une exposition internationale à Londres en 1884, Francis Bacon s'intéresse au
déroulement d'un des nombreux jeux de hasard qui font la popularité de l'évènement. Il s'agit pour
les participants, de classes sociales très diverses, de prédire le poids exact d'un bœuf. Du point de
vue de Francis Bacon, l'électeur moyen a autant de chance d'évaluer les enjeux politiques lors d'une
élection, que de deviner la poids du bœuf. Mais alors qu'il calcule la moyenne des paris, le célèbre
scientifique obtient une estimation presque parfaite du poids du bœuf : 1 197 livres selon la foule
contre 1 198 livres en réalité. Cette approche remarquablement proche du poids exacte du bœuf
vient confirmer que : « dans des circonstances favorables, les groupes sont remarquablement
intelligents, et souvent plus encore que les personnes les plus intelligentes entre elles » 2.
Mais la sagesse collective est capable de résoudre des problématiques bien plus complexes
que l'évaluation du poids d'un bœuf. Par exemple, en 1986, la marine américaine accusait la perte
du sous-marin Scorpio, porté disparu dans un périmètre de vingt milles à des milliers de pieds de
profondeur. Jusqu'alors, les recherches avaient été peu fructueuses et il semblait peu probable de
retrouver un jour l'épave du sous-marin. Pourtant, à l'initiative d'un officier naval du nom de John
Craven, une nouvelle approche du problème faisant appel à la sagesse collective va apporter des
résultats inespérés. En envisageant tous les scénarios possibles – en terme de vitesse, d'angle, de
problèmes techniques – il confie à un groupe de professionnels dans des domaines aussi variés que
les mathématiques ou le sauvetage en mer, la tâche de parier sur leur probabilité de réalisation. Les
meilleurs estimations seraient récompensées par des bouteilles de Chivas Regal.
1. SUROWIECKI James 2008, Sagesse des Foules Paris, e�ditions Jean-Claude Latte �s p. 152. ibidem p. 16
32
En regroupant les résultats des paris, l'officier réussit à dessiner l'estimation collective de la
localisation du sous-marin. Celle-ci n'avait encore jamais été envisagée. Cinq mois plus tard,
Scorpio fut retrouvé à seulement deux-cent mètres de l'emplacement prescrit par l'estimation
collective. L'étonnement était d'autant plus vif que les professionnels avaient raisonné à partir de
très peu de données. Aucun n'avait été capable individuellement de donner la vitesse ou la
trajectoire du sous-marin. Pourtant, l'agrégation des estimations individuelles a fait ressortir une
perspective exacte sans que personne ne puisse trouver sa source autre part que dans la sagesse du
groupe.
La sagesse collective peut trouver de multiples champs d'application. Son intérêt est
particulièrement intéressant dans le domaine politique.
C. Un concept clé pour appréhender la révolution des casseroles
« S'il existe une tâche à propos de laquelle la sagesse semble être particulièrement
désirable, c'est bien la rédaction d'une constitution créée pour demeurer en place tout au long d'un
futur indéfini »1. L'expérience islandaise est une application grandeur nature des réalisations
pratiques de la sagesse collective.
La crise économique de 2008 s'est traduite par un chaos impressionnant que très peu
d'experts avaient prévu. Tandis que les marchés financiers s'extasiaient devant la réussite
économique de l'île et que l'OCDE confirmait la bonne santé des banques islandaises, il se préparait
en réalité un choc économique d'une ampleur considérable. Et si la crise économique avait pu être
évitée par la mise en application des principes de la sagesse collective ?
Cette question n'est pas si naïve qu'elle y paraît. En 1998 déjà, le consensus économique
avait provoqué la faillite du hedge fund LTCM : « Tout le monde pensait la même chose parce que
le groupe de personnes qui prenait les décisions était trop réduit et ses membres trop prompts à
s'imiter les uns les autres » 2.
Les conditions d'expression de la sagesse collective ne sont pas réunies sur les marchés
financiers. La diversité n'est pas respectée car les sources d'informations sont souvent communes.
L'indépendance est vaine car les investisseurs dépendent les uns des autres. Ainsi, si des opinions
plurielles avaient plus été mises en valeur au sein du corps financier et économique, la déroute
islandaise aurait peut-être pu être évitée.
1. ELSTER Jon, « L'ingénierie optimale d'une assemblée constituante », Raison publique n°12, mai 20102. J-M. V, « L'intelligence des multitudes », les Echos, 22 avril 2008, en ligne, http://www.lesechos.fr, consulté le 10/02/2015
33
De plus, les mécanismes de démocratie participative mis en œuvre sous la pression de la rue
sont de véritable odes à l'intelligence des masses. Par exemple, le Forum National Islandais a
rassemblé un millier de citoyens tirés au sort afin de capter l'esprit de la Nation. L'un des enjeux
principal du forum était, pour ses organisateurs, de permettre aux opinions individuelles de
s'exprimer sans contraintes. Autrement dit, il s'agissait de faire confiance à la sagesse des
participants sans faire intervenir d'autorité hiérarchique. Par ailleurs, l'assemblée constituante,
composée de citoyens ordinaires aux compétences juridiques inégales démontre les possibilités
qu'offre la théorie de l'intelligence des masses. En faisant appel directement aux citoyens sans
l'intermédiaire des politiques institutionnels, l'Islande ne vient pas seulement réhabiliter l'idée d'une
intelligence collective supérieure. Elle redéfinit en profondeur notre conception de la démocratie.
SECTION 2 - Un renouvellement majeur de la conception du politique et de la
démocratie
La révolution des casseroles est une réinvention du politique. Elle s'inscrit au-delà des
dogmes de la démocratie représentative (A), en s'inspirant des expériences de démocratie
participative (B) et en réhabilitant un usage démocratique oublié et pourtant essentiel : le tirage au
sort (C).
A. L'érosion des fondements de la démocratie représentative et de la compétence
politique
La révolution des casseroles brise de nombreux dogmes et contredit les théories politiques
dominantes en intégrant directement les citoyens dans le processus constituant. La compétence
politique, pilier du régime représentatif, devient alors un frein à l'exercice démocratique.
Il convient d'adopter pour point de départ la première ligne du célèbre ouvrage de Bernard
Manin sur le gouvernement représentatif : « Les démocraties contemporaines sont issues d'une
forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie » 1. Le régime représentatif a
longtemps été opposé, plutôt qu'associé, au gouvernement du peuple. A Athènes, la démocratie était
appréciée à travers la réunion du peuple dans l'agora à des fins de délibérations et de vote des lois.
Rousseau concevait aussi la démocratie comme un régime où le peuple se donne lui-même les lois
auxquelles il obéit. La distinction entre république et démocratie fut reprise par les fondateurs des
démocraties modernes. Madison, ou encore Sieyès, soulignaient tous deux la « différence énorme » 2 entre le régime représentatif et la démocratie sur le fondement de la participation du peuple. Pour
ces auteurs, il ne saurait y avoir de démocratie lorsque le rôle du peuple se résume à choisir ses
dirigeants. La démocratie, selon Madison, est justement le régime où « un petit nombre de citoyens
s'assemble pour conduire en personne le gouvernement » 3.
1. MANIN Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Paris, 2012, Flammarion, p. 112. ibidem p.133. ibidem, p.12
34
Francis Dupuis-Deri, professeur en science politique, souligne ce paradoxe intriguant :
« Nos régimes démocratiques ont été fondés par des individus profondément et ouvertement
antidémocrates » 1. Il est bien connu que de grands auteurs, à l'image de Montesquieu, ont mis en
garde contre les dangers de la démocratie directe et se sont généralement ralliés à la démocratie
représentative : « Le grand avantage des représentants c'est qu'ils sont capables de discuter des
affaires. Le peuple n'y est point du tout propre : ce qui forme un des grands inconvénients de la
démocratie » 2.
Mais le principe selon lequel le peuple est incapable de décider des affaires, et finalement de
gouverner, était certainement bien plus répandu que l'on ne le croit. Les pères de la démocratie
moderne n'entendaient en aucun cas confier les instruments du pouvoir au peuple. En 1787, les
délibérations autours de la constitution américaine envisageait la démocratie comme « le pire de
tous les maux politiques » conduisant à « l'oppression et à l'injustice » 3. John Adams, futur
président des Etats-Unis, déclara même que « L'idée que le peuple est le meilleur gardien de la
liberté n'est pas vraie. Il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir » 4. Une telle négation de la
volonté du peuple au cœur de la démocratie américaine naissante est d'autant plus remarquable
qu'elle est parfaitement assumée.
En France, ce sont Sieyès et Brissot qui ont le plus martelé l'incompétence naturelle du
peuple en politique, dans l'optique de justifier leurs propres positions dominantes. Pour Brissot,
« Le peuple seul a le droit de se constituer, mails il n'en a pas le talent ; il doit donc confier une
partie de son droit à ceux qui en ont le talent » 5. Sieyès lui emboîte le pas en estimant que les
représentants sont « bien plus capables de connaître l'intérêt général » 6 que le peuple lui-même. Il
assure, à l'instar de tous les défendeurs de la représentation, que « La France n'est point, ne peut
pas une démocratie » dans la mesure où « Le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses
représentants » 7.
Face à un tel mépris de la compétence du peuple, la révolution populaire en Islande s'inscrit
dans un lutte historique pour la reconnaissance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. En
Islande, l'une des dispositions les plus discutées du rapport rédigé par le Forum National Islandais
est le retour aux mains de la nation des richesses naturelles du pays. Or, la problématique de la
propriété privée est au fondement de la démocratie libérale et représentative, construite afin de
garantir les libertés individuelles et plus particulièrement pour pérenniser la propriété privée.
1. DUPUIS-DERI Francis L’esprit antidémocratique des fondateurs de la « démocratie moderne, publié dans la revue AGONE, no 22, septembre 1999, pp. 95-1132. idem3. idem4. idem5. idem6. idem7. idem
35
Benjamin Franklin avait souligné l'esprit anti-démocratique d'un tel mode de pensée, qui
donne « aux riches une prédominance dans le gouvernement » 1. Thomas Plaine s'était aussi
inquiété que la propriété privée soit à ce point loué : « Si la propriété devient le critère, cela
constituera une rupture complète avec tout principe moral de liberté, car cela rattacherait le droit
à la matière et transformerait l'homme en agent de la matière » 2. Côté français, c'est certainement
Babeuf qui s'est le plus insurgé contre le mauvais usage de la propriété privée par les dominants.
Mais à mesure que les problématiques de la représentation et de son caractère non
démocratique disparaissaient des discours, la lutte s'est peu à peu effacée. La représentation
politique et l'incompétence du peuple s'est normalisée, par un travail acharné de certains
intellectuels à l'image de Benjamin Constant. Jusqu'à récemment, les chercheurs en science
politique se sont plus intéressés aux modalités de la compétence politique, à sa répartition 3, à son
influence sur la politique gouvernementale 4, qu'aux moyens de dépasser l'inégale compétence
civique des citoyens.
Aujourd'hui, la problématique de la participation des citoyens non professionnels de la
politique est plus que jamais d'actualité. Des Indignés aux mouvements Occupy, en passant par les
nombreux dispositifs participatifs élaborés de par le monde, le dogme de l'incompétence naturelle
des citoyens s'érode peu à peu. Les recherches sur la démocratie participative se sont multipliées, et
constituent désormais un socle scientifique venant renforcer le sérieux des initiatives menées par la
révolution des casseroles.
B. La démocratie participative : une inspiration évidente du mouvement
Les revendications des Islandais portaient essentiellement sur un renouvellement politique,
synonyme d'une meilleure participation des citoyens aux institutions. L'idéal d'une démocratie
participative n'avait peut-être jamais été autant réclamé qu'en Islande. Or, cette thématique s'inscrit
dans le sillage de nombreux travaux universitaires dont il s'agit de rendre compte.
Le thème de la délibération est certainement aussi ancien que celui de la politique lui-même.
Le monde anglo-saxon, et plus particulièrement la philosophie politique, en a fait un paradigme
majeur 5. De Montesquieu à Rousseau, en passant par Tocqueville et Weber, les réflexions sur la
démocratie se sont toujours attachées à l'inscrire dans le local et à favoriser la proximité des
citoyens.
1. Francis Dupuis-Deri, op.cit2. idem3. GAXIE Daniel, la démocratie représentative, Paris, 2000, Montchrestien, 160p. 4. BLONDIAUX Loïc, « Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? » Retour critique sur un concept, classique de la science politique, Revue française de science politique, n°57, 2007, p. 7275. BLONDIAUX Loïc, « L'idée de démocratie délibérative dans la science politique contemporaine. Introduction, généalogie et éléments critiques. Entretien avec Bernard Manin », Politix Vol. 15, N°57, 2002, p. 27 - 55
36
Mais plus l'échelle de prise de décision s'éloignait des conseils de quartiers et de villages,
plus l'idée d'une démocratie directe s'est mue en utopie. Le dilemme de la participation a
parfaitement été résumé par Robert Dahl : « Plus petite est la communauté, plus les citoyens agiront
de façon responsable et compétente en contrôlant les décisions publiques, mais moins le système
sera en mesure de répondre à leurs préférences » 1.
Aujourd'hui ce sont les mouvements sociaux qui ont remis en lumière cette thématique,
largement oubliée suite au triomphe du gouvernement représentatif. Les contestations étudiantes des
années 60 figurent parmi les premières manifestations d'une réel intérêt populaire pour la
participation du public aux décisions politiques. Le vocable « démocratie participative » est alors
utilisé par plusieurs auteurs à l'image de Sherry Arnsein pour mesurer le degré d'influence effective
de la participation du public aux décisions. Le terme révèle à la fois un véritable paradoxe et une
critique de la « conception minimaliste de la démocratie » 2.
Le paradoxe tient au fait que la démocratie est justement fondée sur la délibération et la
participation du public : peut-on imaginer une démocratie non délibérative ? Mais par ailleurs, ce
paradoxe se comprend car les revendications pour une meilleure inclusion du citoyen en politique
s'accompagnent d'un rejet de la démocratie à minima exercée par les régimes représentatifs.
Dans les années 80, la notion de délibération réinvestit avec force le champs politique. John
Rawls figure parmi les grands théoriciens de la délibération, en soutenant l'idée d'un usage public de
la raison. Habermas encourage aussi l'essor de mécanisme de participation des citoyens aux
institutions, permettant d'accroître la légitimité des décisions publiques. La délibération viendrait
alors combler l'aspect élitiste de la démocratie représentative et le caractère exclusif du vote, en
permettant aux citoyens de s'impliquer personnellement en politique. Cette conception de la
démocratie participative est majoritaire. Elle entend à institutionnaliser la participation des citoyens
en leur conférant un rôle direct dans la prise de décision. En ce sens, la démocratie participative
n'est pas conçue à l'encontre du régime représentatif, mais plutôt comme un palliatif des travers de
ce système politique. Au-delà de cet apport démocratique notable pour la légitimité des institutions,
de nombreuses hypothèses ont signifié les aspects positifs, sur un plan individuel, qu'apporterait la
démocratie participative. Blondiaux et Sintomer ont témoigné de cette « transformation des
individus » (ibidem, p. 18). L'idéal d'un citoyen appelé à être plus sensible à l'intérêt général, mieux
informé et captivé par la chose publique, a fait l'objet de nombreuses expérimentations. Talpin s'est
intéressé à « la vertu souvent attribuée à la délibération publique » selon laquelle les individus
intègreraient les attributs du « bons citoyens » avec des résultats mitigés 3.
1. SINTOMER Yves, TALPIN Julien, « La démocratie participative, au delà de la proximité », Res Publica, Presse Universitaire de Rennes, 2011, 184p. 2. BLONDIAUX Loïc, FOURNIAU Jean Michel, « Un bilan des recherches sur la participation du public en de �mocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, 2011/1 N° 1, p. 8-35. 3. TALPIN, « Jouer les bons citoyens . Les effets contraste �s de l’engagement au sein de dispositifs participatifs », Politix, 75, 2006, p . 13-31
37
Deux courants académiques se sont ainsi formés autour de la question de la participation des
citoyens au débat politique. Pour certains, les dispositifs participatifs seraient capable de renouveler
la démocratie en jugulant les travers de la représentation. Les expertises citoyennes constitueraient
un nouveau mode de prise de décision publique, une « ingénierie publique » 1 capable de répondre à
la crise politique. Pour les autres, la démocratie participative ne vise qu'à masquer la continuité de
la domination politique en organisant des « simulacres de démocratie » 2.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que de multiples expériences ont cependant eu des
résultats encourageants. Depuis une quinzaine d'années, des dispositifs participatifs se développent
un peu partout dans le monde. Ces expériences démontrent que les pratiques politiques et les
modalités de prise de décision sont tout à fait capables d'inclure plus intensément les citoyens. En
France, Ségolène Royale a mené de multiples débats participatifs lors de sa campagne présidentiel
en 2007. Mais sa volonté de réaffirmer le principe légitime de la participation des citoyens
ordinaires est allée au-delà d'une simple thématique électorale. En Poitou-Charentes, une innovation
majeure et presque unique a ainsi permis en six ans, à cent-quinze mille personnes de proposer, de
débattre, et de voter la répartition annuelle de dix millions d'euros. C'est « l'une des expériences
européennes de budget participatifs doté du pouvoir décisionnel le plus important et dont les taux
de participation sont parmi les plus élevé » 3. Ailleurs dans le monde, le potentiel démocratique des
collectivités locales a été maintes fois démontré.
Mais là où l'expérience islandaise se démarque de toutes les autres, c'est qu'elle prend le
parti de dépasser le dilemme de l'échelle en conférant aux citoyens un pouvoir décisif sur des
décisions nationales et non plus régionales. La révision participative de la constitution islandaise
vient sublimer les expériences de démocratie participative jusqu'alors menées. Elle offre un nouvel
horizon au développement de ces pratiques démocratiques, sans pour autant révolutionner le
concept. Si l'initiative d'une telle révision est essentiellement populaire, la nouvelle première
ministre a aussi revendiqué la paternité du projet qui reste finalement largement encadré par les
institutions.
C. Approches historique et pratique du tirage au sort en démocratie
« Comment pouvons-nous ne pas pratiquer le tirage au sort, nous qui nous proclamons
démocrates ? » 4. Xénophon résume ici parfaitement l'enjeu posé par le tirage au sort. Comment cet
instrument démocratique a t-il pu disparaître de notre culture politique moderne ?
1. Le Comité Editorial, « Dispositifs participatifs », 2006, Politix N°75, p. 3 - 92. idem3. Yves Sintomer, op.cit, p. 84. Bernard Manin, op.cit, p. 21
38
Jacques Rancière a développé une conception singulière de la démocratie. Selon ce docteur
en sociologie, la démocratie se définit comme « la mise en acte du principe égalitaire » 1. Le tirage
au sort en tant que procédure politique est certainement l'approche la plus évidente du principe
d'égalité, et finalement la meilleure réalisation possible de l'idéal démocratique.
La pratique du tirage au sort a une longue histoire politique et philosophique. Les Athéniens
furent les premiers à mettre en œuvre à grande échelle le hasard en politique. Les institutions
maîtresses de la démocratie athénienne, du tribunal du peuple au Conseil des 500, étaient
composées de membres tirés au sort. Les citoyens pouvaient ainsi être amenés à s'impliquer
directement en politique, par exemple en proposant des lois au sein de la Boulée. La répartition des
charges politiques par le sort comportait de multiples avantages. Selon Bernard Manin, l'intérêt
central de cette procédure résidait dans la nécessité de rotation des charges afin que chaque citoyen
puisse être à la fois gouvernant et gouverné, et ainsi ne puisse jamais profiter durablement de la
position dominante que confère le pouvoir politique. L'alternance conduisait à former un contrat
social permanent, de sorte que toute personne amenée à voter une loi y serait inévitablement
confrontée. Le tirage au sort était considéré comme un outil prévenant la tyrannie et garantissant à
chacun des lois justes. Les abus de pouvoir étaient limités par cette absence de hiérarchie entre
gouvernants et gouvernés.
Au-delà de l'expérience athénienne, l'histoire du tirage au sort continue à être
intrinsèquement liée à l'histoire de la démocratie. Yves Sintomer - Petite histoire de
l'expérimentation démocratique, tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours – a mis en
évidence les divers usages dont le tirage au sort pouvait être l'objet : résolution des conflits,
représentativité. Mais l'intérêt du tirage au sort pour ce mémoire est principalement politique.
Montesquieu avait perçu le lien fort qui unit sort et démocratie en affirmant que « le suffrage
par le sort est de la nature de la démocratie » 2. De même, Rousseau affirmait que « Les élections
par sort auraient peu d'inconvénient dans une véritable Démocratie » 3. Le tirage au sort devient
l'apanage du système démocratique dans la mesure où il donne la possibilité à chacun, plus
qu'aucun autre système de représentation, de conduire les délibérations politiques. Pourtant, malgré
les avantages que procure le tirage au sort, celui-ci a été rapidement écarté au profit du système
représentatif. L'une des raisons déterminantes de l'évacuation du tirage au sort comme méthode de
répartition des charges réside dans le fondement du régime représentatif : le consentement. La
volonté populaire est considérée comme l'unique détentrice de la souveraineté, et comme source du
pouvoir politique. Partant de là, seule l'élection est capable d'exprimer le consentement, d'autant
plus que le tirage au sort, en plus de ne reposer sur rien sinon le hasard, n'est pas exempt de
1. RANCIERE Jacques, La Haine de la démocratie, La fabrique, 20052. MONTESQUIEU, Esprit des lois, Paris, Jean de Bonnot, 1999, livre II, chap. 2, vol. 1, p. 173. ROUSSEAU Jean-Jacques., Du Contrat social 1762, p.265, Livre IV Chapitre III, p.265
39
critiques : incompétence des individus, désintérêt d’une grande partie de la population pour la
politique... Les obstacles qui décrédibilisent son usage avaient été depuis longtemps mis en lumie �re
par Montesquieu qui le conside �re «défectueux en lui-même» 1.
Aujourd'hui, alors que la question de la participation tend à gagner en vigueur et que le
régime représentatif peine à répondre à ses propres contradictions, le tirage au sort comme moyen
politique et démocratique tend à être réinvesti sur le champs politique. Les mouvements alternatifs,
tel Nouvelle Donne ou Colibri, se sont épris de ce sujet longtemps oublié. Certains intellectuels, à
l'image d'Etiennes Chouard, ont produit des travaux remarquables sur la pertinence du tirage au
sort. François Amanrich, concepteur du Mouvements de Clérocrates et fervent partisan de la
stococratie, a tenté d'introduire dans le débat de la présidentielle de 2007 le tirage au sort en
présentant sa candidature. Mais c'est certainement Ségolène Royale qui s'est la mieux démarquée
lors de cette campagne, en proposant un contrôle et une évaluation de l'action politique par des
citoyens tirés au sort. En Irlande, le tirage au sort a connu une expérimentation politique
remarquable en permettant à un panel de citoyens tirés au sort de travailler aux côtés de
parlementaires à la révision de certains points de la constitution 2.
La démocratie tient son essence dans l'égalité politique, que seul le tirage au sort peut
parfaitement reproduire. Il était donc inévitable que les revendications islandaises pour une
démocratie réelle et une meilleurs inclusion des citoyens dans la politique, se tournent vers cette
pratique.
1. Montesquieu, op.cit, p. 42. CORDIER Lionel, « Quand l'Islande joue au dès », 2013, université de Lyon, mémoire sous la direction de Philippe Corcuff, p. 65
40
CHAPITRE 3 - Les applications pratiques de la révolution des casseroles
invitent à remettre le citoyen au cœur de la politique : tirage au sort,
délibération et démocratie 2.0
Après avoir été éclipsé pendant des siècles, le tirage au sort réinvestit le domaine politique à
travers des expériences inédites à l'image du Forum National Islandais (1). Les résultats de
l'expérience serviront de fondement au projet de révision constitutionnelle au cœur de la révolution
des casseroles (2).
SECTION 1- Le Forum National Islandais : une ode au tirage au sort ?
Le Forum National Islandais s'est inspiré d'une expérience réalisée à l'initiative de citoyens,
en dehors de tout contrôle institutionnel, (A) et avait pour ambition de capter l'esprit de la nation en
mettant à profit de l'intelligence collective des islandais (B). Le rapport final rassemble un ensemble
de propositions destinées à faciliter le travail de la future assemblée constituante (C).
A. Une expérience délibérative inédite à l'initiative du peuple
Les travaux de Gil Delannoi se sont appliqués à introduire « le retour du tirage au sort en
politique 1 ». Le Forum Nation Islandais, première étape du processus de révision constitutionnelle
revendiquée par la révolution des casseroles en est une élégante illustration. A ce jour, l'expérience
est inédite à la fois dans sa forme mais aussi dans ses conséquences.
A l'origine de ce gigantesque brainstorming se trouve, en premier lieu, le constat de
l'incapacité des institutions à représenter fidèlement les aspirations des citoyens. L'idée d'associer
des citoyens pour se saisir des problématiques politiques est née à Austurvöllur, la place publique de
Reykjavik où se situe le parlement. La Fourmilière, une association issue de la société civile
islandaise regroupant de nombreuses tendances politiques, est la première à réfléchir à de nouvelles
manières d'organiser la prise de décision collective. En association avec l'Agora, une organisation à
but non lucratif fondée dans l'objectif de financer des projets alternatifs, elle met en place une
première rencontre informelle le 14 novembre 2009. L'esprit de cette première rencontre était, selon
l'une des principaux membres de la Fourmilière, de sublimer « l'énergie négative du conflit » 2
Il s'agissait, à travers cette expérience militante, d'entendre la voix du peuple et plus
précisément de permettre aux citoyens de former un consensus quant à l'avenir du pays, des grands
principes constitutionnels aux valeurs cimentant nation islandaise. Environ 1 200 citoyens sont tirés
1. DELANNOI Gil, Le Retour du tirage au sort en sort en politique, Fondapol, Paris, 20102. CORDIER Lionel, « La participation au secours d'institutions en crise ? L'exemple du cas islandais », B, thèse sous la direction de Nathalie Dompnier, Science politique Aix en Provence, Laboratoire Triangle UMR 5206
41
au sort, parmi les volontaires, pour constituer le corps citoyen de l'assemblée, auxquels s'ajoutent
300 personnalités ayant participé au financement du projet.
Le bilan de l'expérience se solde en plusieurs milliers d'idées pour l'avenir de l'île parmi
lesquelles l'indépendance énergétique, un approfondissement de la démocratie par une participation
directe des citoyens, ou encore l'intégrité des politiques 1.
B. Le Forum National ou le citoyen directement impliqué en politique
Cette expérience menée en totale autonomie inspire rapidement la nouvelle coalition au
pouvoir. Le 20 novembre 2009, le gouvernement s'engage à former un partenariat avec la
Fourmilière pour rééditer l'expérience sous contrôle public. Un an plus tard, le Forum National nait
d'une loi, en date du 16 juin 2010, édictée afin d'expliciter les mécanismes de révision
constitutionnelle. La loi encadre la formation d'une assemblée constituante, composée de 25
membres, chargée de réviser la constitution. En parallèle, la loi confère la responsabilité à un
Comité de préparation, d'organiser un Forum National et d'en collecter les résultats. Le Forum
National y est conçu comme la première étape démocratique du processus de révision
constitutionnelle, conférant une place prépondérante au peuple. Afin de répondre aux exigences
démocratiques exigées par la révolution des casseroles, le tirage au sort est préféré comme mode de
désignation des participants. Le tirage au sort est effectué à partir du registre national des électeurs
inscrits selon une égale division des genres et une représentation de toutes les régions d'Islande 2. La
participation est accompagnée d'une compensation financière.
Concrètement, les membres du Forum National sont regroupés en groupes de travail. Dans
un premier temps, il s'agit de faire ressortir, en fonction de leur occurrence et d'un vote pondéré, les
valeurs les plus partagées par l'ensemble des participants tels que la liberté, l'égalité des droits ou
encore la démocratie. Répartis en groupes de 8 personnes sur 128 tables de discussions, les citoyens
sont amenés à débattre, proposer et émettre des opinions sur le contenu de la future constitution.
Puis, les groupes de travail ont centré leurs approches à partir de 8 concept, parmi lesquels l'éthique
et la moralité, les droits humains ou encore la collaboration internationale.
C. Aboutissements de l'expérience : un préambule à une future constitution
« Quand vous réunissez un millier de personnes tirées au sort, vous arrivez à capter l'esprit
d'une nation » selon l'une des organisatrices du Forum National 3. Mais au delà d'une expérience
inédite de mise en pratique de la sagesse collective, le Forum National a donné naissance à un
rapport de 700 idées, propositions et recommandations évoquées en cours de débat.
1. « Integrity named Iceland most important value », Iceland Review Online, 16 novembre 20092. Jérôme Skalski, op.cit, p.653. Pascal Riche, op.cit, p.68
42
Le document final insiste en premier lieu sur la qualité des discussions et sur la bonne
coopération entre les participants. Selon l'aveu des organisateurs, l'enjeux principal était de faire
jaillir l'intelligence collective en acceptant de « perdre le contrôle » 1 et de faire confiance aux
citoyens. Parmi les valeurs les plus remarquables se trouve l'appartenance au peuple des ressources
naturelles du pays, l'égal accès à la santé, l'indépendance de la justice, la nécessité de règlementer et
de modifier les salaires des parlementaires, etc.
L'objectif du projet était de saisir l'esprit de la Nation et de constituer une fondation
participative à la future constitution islandaise. De ce point de vue, l'expérience est un succès.
L'ensemble impressionnant d'idées et de valeurs ont inspiré l'assemblée constituante chargée de
rédiger la future constitution. Elles ont aussi été approuvé par les islandais lors d'un référendum
consultatif. A la question « Voulez-vous que les propositions du Conseil constituant servent de base
à la nouvelle constitution ? » 66,3% des votants ont exprimés leur accord 2. Cela témoigne d'une
forte approbation, au sein de la société islandaise, des idées émises par les citoyens tirés au sort,
mais aussi d'une confiance certaine dans ce mode de désignation, la plupart des citoyens n'ayant pas
pris connaissance du document final issu des discussions.
Un membre de couchsurfing interrogé par le questionnaire se montre un peu plus réservé
quant à la réussite du Forum :
What do you think of the drawing lots used to choose the people who would take part in the national forum
debates ?
« Not with or agains really. I'm sure there are a few different ways to have executed it but it felt a little rushed. People
were mad and wanted change. Too bad it all got buried in paperwork/filibuster ».
En effet, au-delà de la durée relativement courte de l'expérience, les obstructions et les
crispations suscités par la révision participative de la constitution n'ont pas fait honneur à la
remarquable originalité du rassemblement citoyen.
SECTION 2 - Le projet pour une nouvelle constitution, clé de voûte de la révolution
L'histoire de la « proposition pour une nouvelle constitution » 3 est au cœur de la révolution
des casseroles (A). Loin de faire l'unanimité au sein de la classe politique et sujette à de nombreuses
embûches (B), elle ne s'en ait pas moins traduite par des innovations démocratiques pertinentes (C).
1. Lionel Cordier, op.cit, p. 962. SALLE Michel, « Islande. La révision participative de la Constitution ou comment passer du rêve à la réalité », Pages Europe, 12 novembre 2012, La Documentation française, C3. Constitutional Council, « A proposal for a new constitution for the Republic of Iceland », Althing resolution, 24 mars 2011
43
A. Histoire, origine et fondements d'un projet novateur
La réécriture de la constitution par les citoyens étaient la revendication centrale de la
révolution des casseroles. Le nouveau gouvernement transitoire mis en place au début de l'année
2009, suite à la démission de Geir Haarde, s'est employé à faire de cette demande une réalité, en
affirmant sa volonté de créer une assemblée constituante selon des modalités novatrices.
La révolution des casseroles a centralisé le mécontentement des islandais vis-à-vis de leur
constitution. Accordée par le Roi de Danemark, cette dernière est un douloureux rappel au passé
colonial de l'île alors même qu'elle devrait être un symbole de sa souveraineté et de son
indépendance. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la société islandaise est traversée par un
vif désir de grand soir constitutionnel. Cette volonté est rapidement captée par la nouvelle première
ministre, Johanna Sigurdardottir. Dans l'optique de se montrer à l'écoute des revendications
populaires, la première ministre va jusqu'à faire de la révision participative de la constitution sa
propre initiative. Ce qui est nié par une participante des premières heures aux manifestations de la
révolution des casseroles : « Certains partis nient le fait que l'initiative soit venue du peuple, mais
je peux vous dire que c'est pourtant bien le cas » 1.
La bonne volonté politique affichée par la coalition au pouvoir, qui tient à se montrer
conciliante avec les revendications des islandais, est finalement parachevée lors de l'adoption du
projet de loi sur l'assemblée constituante, le 16 juin 2010. Celui-ci définit clairement les modalités
de l'élection des 25 membres de l'assemblée constituante. Cette assemblée est directement issue de
la société civile et fait appel à des non-professionnels de la politique. Les membres du Parlements,
leurs suppléants, ainsi que les membres du gouvernement ne sont pas autorisés à se présenter à
l'élection. Le scrutin est ouvert à toutes personnes bénéficiants des critères d'éligibilités, soutenues
par au moins 30 électeurs qualifiés 2.
D'un point de vu formel, il s'agit réellement de confier au peuple, les reines du pouvoir à
travers l'instrument constitutionnel. Pour autant, l'élection et les travaux de l'assemblée constituante
seront constamment délégitimés et remis en question par les institutions.
B. De l'assemblée constituante au Conseil Constitutionnel, un parcours semé
d'embûche
Le 27 novembre 2010, le peuple islandais désignent les 25 membres de l'assemblée
constituante. Le travail constitutionnel est cependant affaibli par une élection en demie-teinte, et par
le désaveu de la Cour suprême.
1. Pascale Riche, op.cit, p. 662. Jérôme Skalski, op.cit, p. 61
44
La campagne pour le poste de constituant s'est déroulée selon des modalités uniques.
L'absence de consensus politique sur la question de la nécessité d'une assemblée constituante n'a pas
découragé les islandais. 522 candidats se lance dans la course à l'élection. Généralement très peu
connu des islandais, ils bénéficient tous de quelques minutes d'expressions sur les ondes de la radio
publique 1. Afin d'aider les électeurs à faire leur choix, des livrets comprenant les CV et les
professions de foi des candidats leurs sont envoyés. C'est l'un des premiers biais de l'élection :
comment imaginer qu'un électeur ait le temps d'analyser plus de 500 professions de foi. D'autant
plus que le scrutin s'opère au suffrage universel direct par vote unique transférable, c'est à dire que
l'électeur doit lister 25 candidats par ordre de préférence 2. Le complexité de l'exercice explique en
partie la faible participation. Seul 35, 95% des 232 374 votants, participent effectivement à
l'élection. Parmi les membres élus de l'assemblée constituante, une place de choix est réservée aux
personnalités actives dans leur communauté, bénéficiant d'une popularité acquise et d'une position
sociale relativement confortable. S'il n'y a ni pêcheur ni ouvrier, la diversité des professions est
remarquable. On compte un pasteur, un responsable de musée, un directeur d'une société de jeux
vidéos, des personnalités médiatiques, une directrice de théâtre, des médecins ou encore des
mathématiciens. Peu ont des compétences juridiques affirmées.
Fragilisée par une faible légitimité, l'assemblée constituante est aussi désavouée par la plus
haute instance judiciaire islandaise « pour des raisons plus politiques que juridiques » 3. Trois
plaintes avaient été déposée à la Cour Suprême d'Islande par trois citoyens, dont deux candidats
malheureux à l'élection, afin de dénoncer des « lacunes dans le déroulement de l'élection » 4. Dans
sa décision du 25 janvier 2011, les juges déclarent invalide l'élection de l'assemblée constituante. En
se fondant sur des aspects techniques de la conduite du vote, les juges signent un violent coup
d'arrêt au processus constitutionnel. Certains observateurs noteront la partialité des juges, pour la
majorité désignés par l'ancien pouvoir de droite, sceptique quant au projet constitutionnel.
Le jour de la décision, la première ministre tient à calmer les esprits en soutenant que
l'existence de l'assemblée n'est pas visée par la décision, seulement le déroulement du vote 5. Un
groupe de travail est chargé d'examiner la portée de l'arrêt de la Cour et de proposer une démarche à
suivre. Une résolution adoptée par le parlement par 30 voix pour, 27 contre et 7 abstentions,
transforme l'assemblée constituante en une commission du parlement. Sur les 25 membres de
l'assemblée constituante, seul un élu refuse de participer au Conseil Constitutionnel, permettant au
26ème candidat à l'élection, aillant reçu le plus de vote, de prendre sa place. Le Conseil
Constitutionnel est donc désormais capable d'engager le processus de révision constitutionnelle.
1. Jérôme Skalski, op.cit, p. 632. Michel Salle, op.cit, C3. idem4. Jérôme Skalski, op.cit, p.715. ibidem, p.72
45
C. Un exercice démocratique aux multiples dimensions : participation par
internet, transparence et concertation
« Au départ, cela m'a un peu bousculée, moi la juriste constitutionnaliste, de voir les gens
s'approprier ainsi le processus. Mais je me suis raisonné : que le peuple écrive lui-même sa
Constitution, quoi de plus démocratique ? » 1. Si l'expérience d'une constitution citoyenne peut
étonner, cette nouvelle façon de concevoir le travail constituant est très proche de la conception
antique de la démocratie.
Le 6 avril 2011, le Conseil Constitutionnel engage les travaux de révision de la constitution
en mettant un point d'orgue sur la participation du plus grands nombres de citoyens. La procédure
de travaille mise en œuvre par le Conseil constitutionnel repose à la fois sur les travaux des
membres de l'assemblée, mais aussi sur une coopération poussée avec le peuple par l'intermédiaire
d'internet. Le conseil est réparti en trois groupes distincts. Le premier groupe travail sur les valeurs
qui rassemblent la société islandaise comme la langue nationale, la place de l'Eglise ou encore
l'environnement. Le deuxième groupe se penche plus spécifiquement sur les relations de pouvoir au
sein de l'appareil exécutif et législatif. Le troisième groupe travail sur les institutions – tribunaux,
membres du parlements, élections – et sur la participation des citoyens à la vie politique.
Le processus de révision constitutionnelle s'est voulu à la fois totalement transparent et
participatif. C'est même une obligation au regard de l'article 20 de la loi sur l'Assemblée
constituante. Instituer une réelle relation avec la public n'est pas une mince affaire. L'Islande a
l'avantage de bénéficier du meilleur taux de couverture internet d'Europe. Il était donc logique pour
le Conseil Constituant de s'impliquer directement sur les réseaux sociaux : des comptes Facebook,
Twitter, Youtube sont créés afin que le publique puisse directement s'informer et contrôler l'avancée
des travaux. Les débats sont rendus publics. Une synthèse des discussions est publiée toutes les
semaines. Tous les jeudi, les citoyens peuvent visionner les débats de l'assemblée en session
plénière par le biais d'une diffusion en direct sur internet. Lors de cette session plénière, les
propositions des groupes de travail sont présentées, commentées puis mises en ligne sur le site
internet du Conseil afin que le public puisse s'en saisir et lui-même exprimer son opinion. Lorsque
les propositions, issues d'une synthèse entre les recommandations et les amendements, font
consensus, elles sont à nouveau débattues avant d'être intégrées à la proposition pour une nouvelle
constitution. Finalement, la nouvelle constitution sera le fruit de pas moins de 370 suggestions
issues du peuple et de 3 600 commentaires.
3 mois après le début des travaux, le 27 juillet 2011, le document final est approuvé par
l'ensemble des membres de l'assemblée. Les avancées sur multiples. L'une des plus évocatrices est
surement l'appartenance au peuple des ressources naturelles, au chapitre des droits de l'hommes.
1. Pascal Riche, op.cit, p.77
46
C'est aussi l'occasion de réaffirmer la liberté d'information et d'obliger l'administration à motiver
tous ses refus. Parmi les propositions, certaines sont très politiques et concernent directement la
démocratie islandaise. Il s'agit notamment de lutter contre le monopole des partis, de supprimer le
cumul des fonctions de ministre et d'élu parlementaire, ou encore de clarifier la répartition des
pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire. L'accent est mis sur la démocratie participative en
permettant notamment aux citoyens de recourir au référendum ou de proposer des lois via des
pétitions.
Conclusion et transition
Finalement, nous avons constaté que l'Islande, en s'appuyant sur une définition participative
de la démocratie et sur la pratique réelle du tirage au sort, a su tirer les bénéfices de l'intelligence
collective des citoyens. Et c'est bien l'objectif de la « Proposition pour une nouvelle constitution » :
réhabiliter le citoyen non professionnel de la politique en lui permettant de d'influencer directement
sur l'élément central et directif de la Nation, à savoir la constitution. La révolution des casseroles
constitue donc bien une réussite d'un point de vue théorique. Pourtant, les déceptions ne sont pas en
reste. Le bruit des casseroles n'a pas eu raison de l'oligarchie islandaise, qui a même réaffirmé sa
domination, avec le consentement des islandais, lors des élections législatives de 2013. La victoire
du Parti de l'Indépendance ne permet pas d'envisager sereinement l'avenir de la révolution des
casseroles.
Ce pessimisme a été largement ressentis à travers le questionnaire. À la question - « The 27th
April 2013’s general election‘s result gave power to a group not very in favour of the constitutional revision. Do you
think the reform has any chance to be achieved ? » - tous les interrogés ont répondu par la négative.
47
TITRE 2Limites et perspective de l'expérimentation islandaise
« L'Islande est un microcosme, ou plutôt un laboratoire de tout ce que le monde doit affronter
comme crises aujourd'hui : crise économique, sociale et financière (avec les ravages de la
dérégulation à outrance et de l'ultralibéralisme), crise environnementale (et notamment
énergétique), crise politique. Le déroulé de son histoire récente est comme une parabole ; poser un
regard dessus, c'est comme regarder à travers une loupe grossissante » 1.
La révolution des casseroles constitue une expérience formidable de révolte pacifique menée
à son terme par le biais d'une révision participative de la constitution. Pour autant, afin que
l'initiative islandaise confirme son importance dans l'histoire démocratique occidentale, ses écueils
et ses limites (A) doivent être mis en perspective. Il s'agit aussi de tirer toutes les leçons politiques
d'une expérience riche en enseignements (B).
CHAPITRE 1Une révolution romancée
Peut-on parler de révolution au regard des évènements qui ont secoué l'Islande à partir
d'octobre 2008 ? A bien des égards, la révolution des casseroles n'a que peu changé l'ordre établi. Si
le néo-libéralisme a désormais mauvaise presse, il n'a jamais été frontalement remis en cause (1).
Quant à l'aventure des citoyens ordinaires en politique, elle pourrait bien ne jamais aboutir (2).
SECTION 1 - Les Islandais, un peuple qui se lève contre la finance ?
La révolution des casseroles s'est construite autour de plusieurs temps forts qui ont été
largement commentés sur internet et dans la presse, au prix de certains raccourcis avec la vérité. De
l'initiative populaire contre le paiement de la dette d'une banque (A) à l'engagement contre les
responsables de la crise (C), en passant par l'indépendance revendiquée du gouvernement vis-à-vis
du FMI (B), les mythes qui jalonnent la révolte sont nombreux.
A. L'affaire Icesave ou le jour où l'Islande est devenu un pays terroriste
« Peut-on demander aux gens ordinaires – les agriculteurs et les pêcheurs, les enseignants, les
docteurs et les infirmières – d'assumer la responsabilité de la faillite des banques privées ? Cette
question, qui fut au cœur du débat dans le cas de la banque islandaise Icesave, va être la question
brûlante dans de nombreux pays européens » 2.
1. JOLY Eva, « Retour d'Islande : la crise financière, Björk et l'énergie », Le Nouvel Observateur, 17 octobre 2010, http://evajoly.blogs.nouvelobs.com, consulté le 10/03/20152. Benjamin Coriat, op.cit, p.1
48
L'un des épisodes marquant de la révolte du peuple islandais, largement commenté à
l'étranger, est certainement l'affaire Icesave. Selon la réponse d'un membre de couchsurfing, c'est
même le plus grand succès de la révolte :
Iceland distinguished itself from the other countries, solving the crisis both economically and politically. The
revolution aimed at placing common citizens at the heart of the political life by the means of some unusual
democratic machinary : people's constituent assembly, online participation, referendum. According to you, did
it achieve its goal ?
« The biggest success was the petition against the President signing the government's bill into law which would have
allowed it to borrow money to pay the IceSave money demanded by the UK and the Netherlands ».
En effet, les Islandais ont refusé que le gouvernement se porte garant d'une dette privée
colossale. Cette apparente victoire du peuple a suscité l'enthousiasme des militants en faveur d'une
grand soir du peuple contre les banksters. Etait-il justifié ?
Lorsque la crise économique éclate et provoque la faillite des banques islandaises, l'une
d'elle, la Landsbanki, pose particulièrement problème au gouvernement. La banque possédait une
agence en ligne très attractive au regard de ses taux d'intérêts particulièrement élevés. Ses clients,
des universités, des entreprises ou encore des collectivités locales, étaient notamment Britanniques
et Hollandais. Mais alors que la banque dépose le bilan suite à la faillite de Lehman Brother, le
gouvernement déclare maladroitement, en violation des principes de l'Espace Economique
Européen, qu'il ne remboursera pas les épargnants étrangers. Qualifié de pays terroriste par le
gouvernement de Gordon Brown, l'Islande se trouve dans une position inconfortable. D'un côté, la
pression populaire et l'indignation des Islandais suite à la mesure de la Grande-Bretagne
s'intensifient. De l'autre, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne incitent l'Islande à rembourser une
dette d'environ cinq milliards, soit plus de la moitié du PIB islandais.
Dans le contexte de déroute économique, l'enjeu posé par l'affaire Icesave est considérable.
Comment imaginer que l'Islande puisse rembourser une telle dette alors même que ses citoyens sont
confrontés à une hausse massive des prix et à un gel des salaires ? Pourtant, les négociations
entamées entre l'Islande, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, avec le concours du FMI et de l'Union
Européenne, aboutissent à un accord en ce sens. L'Islande est sommée de rembourser 2,35 milliards
au gouvernement britanniques et 1,33 milliards au gouvernement hollandais, sur sept ans, avec un
taux d'intérêt très élevé de 5,55% 1. Pour mieux réaliser la teneur de l'accord, le poids de la dette est
estimé à treize mille euros par Islandais. Eva Joly, dans une tribune rendue publique, avait dénoncé
l'absurdité d'un tel programme : « Au final, ni le FMI, ni l'Angleterre ou les Pays-Bas ne pourront
être remboursés » 2.
1. Benjamin Coriat, op.cit, p. 102. Eva Joly, op.cit, p.1
49
Face aux enjeux économiques et politiques, le peuple islandais réagit rapidement. Une
pétition signée par cinquante-six mille Islandais invite le président Olafur Grimsson à refuser de
signer la loi entérinant l'accord. Ne pouvant ignorer la popularité d'une telle demande, le président,
aux pouvoirs très limités, s'appuie sur un vieil article de la constitution pour soumettre l'accord à
référendum. 93% des votants refusent le remboursement de dette.
Malgré la fronde populaire, les négociations reprennent. L'arrangement final est plus clément
envers l'Islande : le remboursement est étalé sur trente ans, les taux d'intérêts et les montants sont
revus à la baisse. De nouveau, un référendum est organisé. Bien que l'oligarchie islandaise misait
sur un « oui », 60% des votants récidivent contre le remboursement de la dette. Finalement l'affaire
Icesave s'est bien traduite par une « victoire pour la démocratie directe » selon l'expression d'une
députée anarcho-pragmatique 1. En réalité, la majorité des dettes dues au gouvernement de Londres
et de la Haye ont été remboursées suite à la liquidation de la Landsbanki. C'est aussi un très beau
coup politique pour le Président. Jusqu'alors critiqué pour sa défense inconditionnelle des banques
au moment de la crise, il est désormais loué pour sa résistance face au monde des affaires. Enfin,
beaucoup d'Islandais s'interrogent sur la réalité de l'influence populaire dans cette affaire :
Un certain folklore entoure la révolution islandaise. On entend souvent dans les médias étrangers et sur internet
que le peuple islandais a fait plier les banques, ou encore que les responsables de la crise économique ont été
jugés. Cela vous parait-il conforme à la réalité ?
« Cela tient beaucoup plus du mythe. La nation islandaise ne pouvait évidement pas honorer la dette de ses banques a
moins d'endetter le pays tel un pays du tiers monde pour plus d'un siècle. La solution de sortie de crise a pu aussi être
trouvée par la bienveillance des gouvernements néerlandais et britannique ».
Au-delà de l'élan populaire ayant forcé le gouvernement à refuser le remboursement d'une
dette privée, l'affaire Icesave révèle surtout l'hypocrisie des créanciers qui souhaitent engranger de
forts bénéfices tout en n'assumant pas les risques encourus.
B. Du rôle du FMI à la nationalisation des banques : des discours à la réalité
A l'occasion d'un déplacement au forum de Davos, le Président islandais, interrogé sur le vif
par le journaliste Stephen Cole, a tenu un discours qui tranche avec les discours feutrés
habituellement tenus : « Nous avons été assez sages de ne pas suivre les politiques traditionnelles
qui ont prévalu normalement en Occident au cours des 30 dernières années. Nous avons introduit
le contrôle des changes, nous avons laissé les banques faire faillite, nous avons soutenu les plus
pauvres, nous n’avons pas adopté les mesures d’austérité comme ailleurs en Europe, et le résultat
final, 4 ans plus tard, est que l’Islande a accompli des progrès et une relance très différente des
autres pays européens qui ont souffert de la crise financière » 2.
1. Pascale Riche, op.cit, p. 652. ALTUNDAG Kafur , « Discours détonnant du Président islandais au forum de Davos », Médiapart, 1 février 2010
50
Cette affirmation doit être nuancée en plusieurs points. L'Islande a une longue histoire de
lutte d'indépendance comme le démontre la continuelle popularité du « Parti de l'Indépendance ».
L'indépendance est une fierté pour les Islandais. Ainsi, lorsque la crise économique éclata, l'une des
décisions les plus difficiles qu'eut à prendre le Premier Ministre fut de faire appel, ou non, au FMI.
Au prix d'un plan d'ajustement structurel, l'Islande accepte finalement de recevoir le soutien
financier du FMI. La révolution s'était insurgée contre les conditions sociales associées au plan
financier. Le refus de l'austérité a motivé un peu plus la revendication d'une démission
gouvernementale. En octobre 2008, la gauche et les verts en avaient même fait un axe de campagne,
en affirmant que le FMI allait « prendre le contrôle de l'Islande » 1.
Pourtant, lorsque la nouvelle coalition arrive au pouvoir, le plan du FMI est suivi à la lettre.
Selon le ministre des affaires étrangères, Ossur Skarphedinsson, « nous avons fait des coupes
drastiques dans le budget », « nous avons fait de l'austérité budgétaire, nous avons aussi levé les
impôts » 2. La relation entre l'Islande et le FMI était si forte que le ministre des affaires étrangères
islandais avait pris l'habitude d'appeler « gouverneur » Franek Roswadowski, le représentant du
FMI : « N'est-il pas le gouverneur de l'Islande ? » s'amusait-il à demander 3. Et si la plupart des
politiques ont tenté de minimiser l'influence du FMI, le Fond Monétaire s'est montré très satisfait de
sa coopération avec le gouvernement islandais : « Le FMI déclare que le plan de sauvetage à la
manière Islandaise fournit des leçons pour les temps de crise » 4. Birgitta Jónsdóttir relativise aussi
la capacité du gouvernement a s'attribuer les mérites de sa politique :
« Pour ce qui est des banques, le fait de les laisser tomber n’était pas volontaire. C’est
arrivé uniquement parce que le gouvernement n’a pas trouvé d’argent pour les sauver : aucun
autre pays n’a alors voulu lui en prêter. Aujourd’hui, des gens mettent la liquidation des banques
au crédit du gouvernement d’alors, mais c’est un mythe » 5.
Ce constat est partagé dans l'une des réponses au questionnaire :
The Iceland « saucepan revolution » had a real impact on the political field, forcing the government and the
president of the central bank to resign. What is your view on this movement ? How would you qualify the
political & economic changes that occured after the economic crisis ?
« We got a new government but it had to obey the orders of the International Monetary Fund ».
1. Pacale Riche, op.cit, p.1112. ibidem p.1143. ibidem p.1184. VALDIMARSSON Omar, « IMF Says Bailout Iceland-Style Hold Lessons in Crisis Times », Business Week, 13 août 20125. JONSDOTTIR Brigitta, « L'Islande peut être le laboratoire de la démocratie », Rue 89, entretien de Pascal Riche, 6 octobre 2012, http://rue89.nouvelobs.com, consulté le 10/03/2015
51
Quant à la nationalisation des banques, elle n'a duré qu'un temps. Aujourd'hui, deux des trois
grandes banques islandaises sont de nouveaux détenues par leurs créanciers. Seule la Landsbanki
est encore techniquement sous contrôle du gouvernement, du fait du processus judiciaire lié à
l'affaire Icesave. Comme le note un des volontaires au questionnaire :
Un certain folklore entoure la révolution islandaise. On entend souvent dans les médias étrangers et sur internet
que le peuple islandais a fait plier les banques, ou encore que les responsables de la crise économique ont été
jugés. Cela vous parait-il conforme à la réalité ?
« (…) Les activités de dépôt et celle de spéculation des banques sont toujours dangereusement imbriquées dans les
mêmes établissements financiers. Et sur les 3 banques nationalisées, seule une est encore contrôlée par l'état ».
L'Islande a cependant bénéficié d'un certain traitement de faveur. Loin des mesures radicales
et rapides préconisées ailleurs en Europe, l'Islande a appliqué, en cohésion avec le FMI, des
réformes non-orthodoxes. Par exemple, le gouvernement avait insisté pour que le peuple ne soit pas
tenu responsable financièrement de la faillite des banques. Contre toute attente, le FMI s'est porté
garant d'une telle mesure alors même qu'en Europe « le FMI et l’UE ont pesé de tout leur poids
pour convertir les dettes bancaires privées en dettes publiques et ainsi contraindre les peuples à
payer les frasques des banquiers » 1. Selon les termes du représentant du FMI « nous les avons
encouragés à maintenir ce principe de la non-socialisation des pertes » 2. La préservation du
système social et des services publiques a été garantie : « les hôpitaux n'ont pas fermé, la recherche
à l'université a continué » 3.
L'Islande constitue donc bien une alternative économique à la résolution de la crise en
Europe. Avec des résultats remarquables. Selon l'évaluation du ministère de l'économie française :
« la reprise économique islandaise se confirme désormais : les perspectives de croissance pour
2014-2016 s’établissent autour de 3% par an. L’Islande affiche une inflation modérée (2,2% en
août 2014) et un taux de chômage d’environ 5% » 4.
C. L'aspect juridique de la révolution des casseroles : les responsables de la crise
courent toujours
« Nous avons très vite pris conscience que cette crise n'était pas seulement économique et
financière. C'était aussi une profonde crise politique, démocratique et même judiciaire. Nous avons
donc engagé des réformes politiques, des réformes démocratiques, et même des réformes
judiciaires. Ce qui a permis à la nation d'affronter le défi, de façon plus large, plus globale que la
1. Benjamin Coriat, op.cit, p.202. Pascale Riche, op.cit, p. 1193. ibidem, p. 1034. France Diplomatie, « Présentation de l'Islande », 18 décembre 2014, http://www.diplomatie.gouv.fr, consulté le 20/02/2015
52
simple exécution de politiques financières et budgétaires » affirmait le président islandais O�lafur
Ragnar Gri�msson lors d'un entretient à Rue 89 1.
Le tenant juridique de la révolution des casseroles constitue encore une fois une particularité
de l'Islande. Selon Eva Joly, l'Islande est le seul pays « à accomplir une enquête de cette ampleur. Il
y consacre même une équipe aussi nombreuse que l'ensemble de la brigade financière parisienne !
Preuve qu'en la matière comme en beaucoup d'autres la volonté politique et la pression de l'opinion
publique peuvent accomplir des miracles... » 2. Alors qu'ailleurs aucune responsabilité n'a été
engagée pour des malversations politiques ou financières ayant participé à la crise économique,
l'Islande, à la demande du peuple, s'est avancée sur le chemin d'une traque judiciaire contre les néo-
vikings. Avec quels résultats ?
Le gouvernement a chargé Olafur Hauksson, un commissaire de police d'une petite
province, inexpérimenté en matière judiciaire mais ayant l'avantage de n'avoir aucun lien avec
l'élite, d'établir toute la lumière sur les éventuelles fraudes à la loi. Il explique ainsi sa mission aux
journalistes du Monde : « D'un côté, il s'agit d'enquêter sur toutes les suspicions de fraudes et délits
commis avant 2009, de l'autre, nous engageons nous-mêmes des poursuites en justice contre les
présumés coupables » 3. Entouré d'une équipe et de conseillers conséquents, dont la députée
européenne Eva Joly, il n'a pas manqué d'engager des coups d'éclat contre l'élite financière du pays :
arrestation et inculpation de l'ancien patron de la banque Kaupthing, du directeur financier de la
Landsbanki, et du président de la Glitnir Bank, perquisition à la Banque Centrale Islandaise... Les
inculpations pour fraude et pour manipulation de cours semblent n'épargner personne, des
actionnaires jusqu'au symbolique investisseur John Asgeir Johannesson.
Cependant, malgré les moyens conséquents, la bonne volonté de l'équipe, et la petite
centaine de dossiers en cours d'enquête, la purge du système financier se fait attendre. Les néo-
vikings n'ont pas été mis face à leurs responsabilités et vivent toujours des bénéfices tirés du
gonflement de système bancaire islandais. Seuls deux banquiers ont connu une condamnation pour
détournement de fonds. Quand au procès très médiatique de l'ancien premier ministre Geir Haard,
au pouvoir lors de la crise économique, selon ses propres termes :
« Je n'ai pas été condamné pour des faits liés à la crise ! J'ai été condamné pour une formalité si
mince que le juge n'a pas cru bon de me sanctionner ou même de faire payer les frais de justice » 4.
Les Islandais ayant répondu au questionnaire partagent le désarroi face au relatif échec de
l'entreprise de condamnation des responsables de la crise :
1. RICHE Pascal, « Euro, banques... Les leçons du président islandais », Rue 89, 28 février, http://rue89.nouvelobs.com, consulté le 05/03/20152. Eva Joly, op.cit, p. 13. CHABAS Charlotte, « Comment l'Islande traque ses "néo-vikings" de la finance, responsables de la crise », LeMonde, 12 juillet 20012, http://www.lemonde.fr, consulté le 15/03/20154. Pascale Riche, op.cit, p. 57
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There is some kind of folklore around the Icelandic revolution. We often hear in the media abroad and on the
Internet that the Icelandic people made the banks give in or that those who were responsible for the economic
crisis were judged. Is that the reality for you ?
« No not at all. Even though few of them have finally been sentenced to jail they got away with a lot of money and hav
been living abroad. When they've done their short time they most likely will go back to England or Luxembourg or
wherever they moved and continue living their life in luxury. The biggest criminal David Oddsson head of central
bank is still running the country through his puppets Sigmundur David and Bjarni Benediktsson and will without
doubt lead us all over the cliff again! »
En effet, David Oddsson est aujourd'hui à la tête d'un des plus influents journaux islandais :
le Journal du Matin. L'équipe judiciaire n'a certes pas encore abandonné toutes ces pistes, mais
comme semble l'annoncer un ancien banquier :
« Les poursuites judiciaires ne semblent mener nulle part. La société islandaise est-elle trop petite
et imbriquée pour que la justice opère avec impartialité et efficacité ? 1.
SECTION 2 - Le renouvellement politique sensible doit encore faire ses preuves
Que ce soit le retour au pouvoir du Parti de l'Indépendance (A), ou le pessimisme quant à
l'avenir du projet constitutionnel (B), les indicateurs ne vont pas dans le sens d'un changement
politique significatif en Islande.
A. Au niveau national les partis traditionnels souffrent de la crise sans être
totalement discrédités
Le renouvellement politique tant attendu par la révolution des casseroles a commencé à se
dessiner suite au retrait politique de Geir Haard de la présidence de l'Alliance, ou encore de l'ancien
président du parlement. Mais était-ce suffisant ?
En 2009, l'élection législative anticipée, demandée par les manifestants, fut en plusieurs
aspects intéressante. Une féminisation remarquable du parlement s'est produite en permettant à 27
femmes de siéger dans un parlement jusqu'alors très masculin. Ce sont aussi 27 nouveaux membres
qui ont rejoint les parlementaires de l'Althingi. Le Parti de l'Indépendance connaît une défaite
historique en passant de 25 sièges à seulement 16. Le nouveau parti issu de la révolution, le
Mouvement des citoyens, fait une entrée modeste, mais inattendue pour un parti si jeune, en
regroupant 7,2 % des voix. Pour autant, l'engouement suscité par la révolution semble se tarir lors
des élections législatives de 2013.
1. Pascale Riche, op.cit, p. 63
54
Le quotidien norvégien Aftenposten, à l'occasion d'une analyse de l'élection législative, a
tenu à commenter l'étonnant résultat du scrutin : « Les Islandais donnent une seconde chance aux
partis qui les ont conduits à la faillite » 1. En effet, le principal vainqueur de ces élections est le
Parti de l'Indépendance, considéré pour beaucoup comme le responsable, sinon le consentant, de la
crise économique ayant durement atteint l'Islande. Il en résulterait un « retour à la maison » selon
l'expression locale 2. Les enjeux de ce scrutin étaient nombreux, notamment en matière de politique
intérieure, de politique économique ou encore de politique étrangère sur l'éventuelle demande
d'entrée dans l'Union Européenne. Le débat sur l'Union Européenne a constitué un axe de campagne
important pour les partis de droites : « L’Union européenne ne nous veut qu’à genoux et affamés !» 3. Et il a certainement participé à la défaite cinglante de la coalition de gauche qui cède plus de la
moitié des siège obtenus en 2009. Le scrutin était un véritable test de sa politique sociale et
économique. Et pour beaucoup, la déception et grande.
Comme l'analyse Michel Sallé :
« Voici, en effet, que ce gouvernement de gauche poursuit à la virgule près, la politique engagée
par son prédécesseur, en liaison étroite avec le FMI, pourtant vilipendé en octobre de 2008 par
Steingrímur Sigfússon, président de la Gauche verte et numéro 1bis du nouveau gouvernement » 4.
La révolution des casseroles n'a pas eu autant d'impact sur le scrutin législatif qu'on pourrait
le prétendre. Une partie de l'électorat (12%) s'est profondément divisée entre de nombreux
nouveaux partis, plus ou moins anti-systèmes, n'ayant pas atteint les 5% nécessaire pour obtenir un
siège de député. La nouvelle formation Avenir Radieux a fait une entrée prometteuse au parlement
en obtenant pas moins de 6 sièges, soit presque autant que la parti de la Gauche verte (7 sièges).
Pourtant, selon la réponse d'une personne au questionnaire, la multiplication des partis n'a
pas changé grand chose, sinon compliquer le vote.
B. L'avenir incertain du projet constitutionnel : que reste-t-il de la révolution des
casseroles ?
La révolution des casseroles n'a t-elle finalement de révolutionnaire que le nom ? Lorsqu'il
s'agissait de décrire l'enchaînement de coups d'éclat, poussant un mouvement citoyen à chasser du
pouvoir les représentants gouvernementaux du néo-libéralisme au profit d'une coalition de gauche
prête à satisfaire la réalisation d'une démocratie participative, l'expression n'était pas dénuée de
sens. En effet, selon un membre de couchsurfing :
1. Michel Salle, op.cit, B2. STEFANSKI Nicolas, « Les élections de 2013 en Islande : enjeux pour l'Union Européenne et pour les dynamiques citoyennes », Les analyses du CRISP, 17 juin 20133. Michel Salle, op.cit, B4. idem
55
The Iceland « saucepan revolution » had a real impact on the political field, forcing the government and the
president of the central bank to resign. What is your view on this movement ? How would you qualify the
political & economic changes that occured after the economic crisis ?
« The Johanna Sigurdardottir government did a hard job cleaning up their mess although they also made some
mistakes and it's not free of corruption either. It will be hard to get rid of that in Icelandic society, it's to small and
people have to many complex connections. »
Ainsi, le fracas des casseroles et des ustensiles a certes fait frémir l'oligarchie islandaise. Mais elle
ne semble pas avoir désarçonné les relations de pouvoir et finalement la corruption, presque
structurelle, de la société politique islandaise. Pour plusieurs personnes interrogées par le
questionnaire, la révolution n'a rien changé.
Iceland distinguished itself from the other countries, solving the crisis both economically and politically. The
revolution aimed at placing common citizens at the heart of the political life by the means of some unusual
democratic machinary : people's constituent assembly, online participation, referendum. According to you, did
it achieve its goal ?
« It did not achieve its goal. The politicians managed to kill it, probably afraid of losing some of their power. »
« It was a first step in trying to change the system and we looked in all directions as to how to give power back to the
people. In the beginning it looked like it would achieve something but in the end it hardly changed anything. »
Pour l'une des personnes interrogées par le questionnaire, la révolution « tient beaucoup plus du
mythe ». Le moment fort de la révolution, lorsque le peuple s'est élevé contre le remboursement de
la dette Icesave en signant massivement une pétition, est considéré par l'un des membres de Servas
interrogé par le questionnaire comme le meilleur succès de la révolution. Pourtant, il souligne que : « The governmnet finally backed down and the people were subseqently vindicated when the Eruopean Court of Justice
ruled that the Government of Iceland was not required to pay back this money as the bank had been privatized and was
acting independently. »
Quant à la révision citoyenne et participative de la constitution, son avenir semble assez compromis
comme le montre la victoire de partis de droite aux élections législatives de 2013, plutôt hostiles au
projet. Or c'est bien l'assemblée nationale qui aura le dernier mot sur cette constitution. En cas de
vote négatif, l'initiative pourrait tout simplement être enterrée. Comme l'affirme un volontaire au
questionnaire répondant à la question citée plus haut : « Nothing is going to happen to the constitution
initiative as it was left by the assembly ».
La poursuite de la révision constitutionnelle est désormais de la responsabilité du parlement.
Sauront-ils respecter la volonté de refonte des institutions ? Selon le président islandais : « Ces
derniers six mois, il y a eu au Parlement un débat, des propositions... Le Parlement va peut-être
adopter certaines mesures, ou va peut-être s'entendre sur une façon de poursuivre le processus, ou
va adopter une réforme plus complète. Nul ne le sait » 1.
1. RICHE Pascal, « Euro, banques... Les leçons du président islandais », Rue 89, art.cit.
56
CHAPITRE 2Les leçons d'une révolution inachevée
La révolution des casseroles est riche en enseignements (1). Sa tentative inachevée de
redonner le pouvoir au peuple n'en est pas moins intéressante. Elle nourrit une réflexion mondiale
sur la nécessité de réviser les pratiques politiques (2).
SECTION 1 - Du national au local, les enseignements de l'expérience islandaise
Des ratés de la révision constitutionnelle (A) à la victoire du « Meilleur Parti » au élections
municipales de la capitale (B), l'Islande regorge d'initiatives pertinentes.
A. Que nous enseigne le processus de révision constitutionnelle ?
Si l'aboutissement du projet constitutionnel est encore hypothétique, son processus
d'élaboration ouvre déjà quelques perspectives d'analyses.
A travers le projet de réforme constitutionnelle, revendiqué par les manifestants, il s'agissait
pour beaucoup de témoigner leur hostilité à l'égard de la classe politique. Or, l'absence d'un fort
consensus, à la fois populaire et politique, à l'égard du projet a été fortement préjudiciable pour la
réforme. Les députés ne se sont pas gardés de dénoncer les insuffisances techniques du texte. En
effet, nombre de propositions rédigées par la commission nécessiteraient des précisions ou une
formulation plus juridique. Selon Michel Sallé :
« À bien des égards, le projet élaboré par la Commission est un projet de société, un manifeste
politique au sens le plus noble, plus qu’un texte constitutionnel » 1.
Et même si le texte porte en lui de nombreuses revendications issues des milieux associatifs
et militants, il n'est pas pour autant révolutionnaire. Le méthode préconisée ne permettait pas en
elle-même de s'affranchir de l'ambiance politique, et de tirer tous les fruits de l'intelligence
collective de l'assemblée. En ne permettant qu'une relecture article par article de l'ancienne
constitution, la commission a, certes, gagné en efficacité, mais est restée cantonnée à un résultat
plus institutionnel que populaire. Finalement, c'est certainement le temps qui manque cruellement
au projet. Même le président islandais a fait part de ses doutes quant au projet :
« Mais selon moi, ils n'ont pas eu assez de temps : quatre mois seulement. Seuls des surhommes
auraient pu faire un texte parfait en seulement quatre mois » 2.
1. Michel Sallé, op.cit, B2. RICHE Pascal, « Euro, banques... Les leçons du président islandais », Rue 89, 28 février 2013,
57
Quant au peuple islandais pris dans son ensemble, il s'est montré fort peu transcendé par le
projet, comme le montre le très faible taux de participation à l'élection des 25 membres de
l'assemblée. Si le mode d'élection préconisé n'a pas manqué de décourager plus d'un électeur, c'est
aussi la déprime sociale et économique qui a amoindri la force du projet.
Only 36% of people took part in the referendum to elect the constituent assembly and 49% as far as the
constitutional project is concerned. That was quite unusual. Does it mean Icelandic people have lost interest in
politics ?
« It was an extremely traumatic time for the nation. Many people moved out of Iceland permanently, many lost their
life savings and thousands ended up with huge mortgages that they will never be able to pay off. I think most people
just felt burned out and exhausted by it all »
Un membre de couchsurfing, répondant à la même question pense que la faible participation est :
« peut-être le signe du peu de crédit que la nation porta à ce projet ».
Fallait-il donc repenser le mode d'élection des membres de l'assemblée ? Le tirage au sort
aurait certainement pu être envisagé. Le choix des vingt-cinq représentants s'est fondé sur la
notoriété des candidats. Et cela explique sûrement pourquoi l'assemblée est moins ordinaire qu'on
pourrait le prétendre : les grandes familles, les dirigeants d'entreprises et d'associations, les
universitaires sont largement sur-représentés, au grand damne du domaine agricole par exemple. Le
tirage au sort aurait peut-être permis de photographier plus fidèlement la société islandaise.
Pourquoi ne pas avoir pris le parti de confier la révision constitutionnelle à des membres du Forum
National qui auraient ainsi participé de bout en bout au projet ?
B. La victoire du « Meilleur Parti » à Reykjavik : une réinvention de la politique
locale
La révolution des casseroles s'est montrée propice à la floraison de nombreux nouveaux
partis. Pour l'une des personnes interrogées par le questionnaire, l'impact de la multiplication de
l'offre politique est cependant relative.
Some new political parties were created aftre the 2008 economic crisis, such as Bright Future or Citizens'
movement. What does this increase in the number of political offers mean ?
« Nothing really. It just makes voting more complicated. The big change was the success of the Best Party in winning
the municipal election in Reykjavik. »
L'analyse se concentrera donc sur la victoire du « Meilleur Parti » aux élections municipales de
Reykjavik.
58
Ce parti, fondé en 2009 et désormais fusionné avec Avenir radieux, était d'abord conçu par
son créateur, le comédien et humoriste islandais Jon Gnarr, comme une satire des autres partis
politiques. Avec son style singulier au second degré, ce dernier revendiquait être ouvertement
corrompu quand tous les autres partis sont secrètement corrompus, ou encore annonçait qu'il ne
pourrait de toute façon pas tenir ses promesses, à l'image des politiques traditionnels. Jon Gnarr est
aussi à la tête d'un programme farfelu : un parlement sans drogue d'ici 2020, un seul Père Noël pour
faire des économies, un disneyland à l'aéroport, etc. Il s'agirait selon le numéro deux du partis, Einar
Orn Benediktsson, un musicien des Sugarcubes, de « faire de Reykjavik un endroit drôle, où on sait
s’amuser » 1
Mais au-delà de la parodie, le Meilleur Parti est bien plus sérieux et ambitieux qu'il n'y
paraît. Si le rire est la démarche du parti, son fondateur s'appuie sur un programme progressiste,
écologiste et social. Tout en dénonçant l'élite financière et la ruine du pays, Jon Gnarr plaide pour
l'arrêt de la corruption, des transports publiques et des soins dentaires gratuits pour les étudiants et
les pauvres, une démocratie participative ou encore le soutien aux ménages endettés. Ce
positionnement servira certainement le parti en lui accordant les faveurs du vote protestataire. Selon
Benediktsson :
« Les gens qui ont voté pour le Meilleur parti viennent de droite comme de gauche ; ils ont tous été
attiré par notre volonté de promouvoir une véritable liberté dans la gestion politique et de leur
ouvrir la discussion » 2.
C'est donc à la fois l'impertinence et l'espoir d'envisager la politique autrement qui ont
permis au Meilleur Parti de grandir dans les sondages. Et en effet, à l'occasion des élections
municipales de Reykjavik, le Meilleur Parti l'emporte et Jon Gnarr est élu maire de la capitale.
Durant son mandat, Jon Gnarr n'a pas dévié de ses convictions. Toujours très accessible et actif sur
sa page facebook où il comptabilise plus de 10 000 adhérents, il a élaboré une organisation,
Citizen's Fondation, destinée à créer des liens entre la politique et la communauté. L'anti-politicien
s'est montré très impliqué, notamment dans le développement de la démocratie participative. Il a
mis en place une plateforme participative en ligne où chaque citoyen peut suggérer des idées de
réforme à la municipalité. Les cinq propositions recevant le plus de votes positifs de la part des
citoyens sont examinées tous les mois par la municipalité et débouchent parfois sur des décisions.
Ces décisions vont de la réforme du ramassage des ordures ménagères à l'imposition dans les
programmes scolaires de voyage, une suggestion proposée par une jeune fille de 9 ans 3.
Au cœur de cette étonnante victoire se trouve une nouvelle manière d'envisager le politique.
1. HADDAD Emmanuel, « Le programme du « Meilleur Parti » ? « Faire de Reykjavik un endroit où on sait s'amuser », 4 juin 2010, Café Babel, http://www.cafebabel.fr, consulté le 05/02/20152. idem3. RICHE Pascal, « Mais qu'est-ce qu'ils ont tous, ces Islandais, avec Internet ? », Rue 89, 14 avril 2013, http://rue89.nouvelobs.com, consulté le 05/02/2015
59
SECTION 2 – Le mythe d'un modèle islandais : une source d'inspiration politique et
démocratique phénoménale relativisée par les islandais
L'Islande est passée d'un modèle de réussite économique à un modèle de sortie de crise
économique et politique. Mais derrière l'apparentes reprise économique, le changement politique est
loin de satisfaire les Islandais (A). Cependant, l'Islande reste une source d'inspiration extrêmement
riche pour les mouvements sociaux actuels et futurs (B).
A. Un modèle de sortie de crise ?
De retour en France après sa mission judiciaire en Islande, Eva Joly a tenu ce propos : « Ce
fut un voyage intense et pour tout dire aussi émouvant qu'instructif. Il y aurait en effet beaucoup à
apprendre, pour l'Europe toute entière, de ce petit territoire perdu au milieu de l'Atlantique nord et
confronté à des défis que beaucoup considèreraient insurmontables ! » 1.
Les très bons chiffres économiques affichés par l'Islande, seulement quelques années après
avoir été victime d'une crise économique d'une violence inouïe, ont rapidement fait le tour du
monde. L'Islande est un véritable laboratoire politique et économique ouvert sur le monde et
pourtant peu exploité. Mais peut-elle être pour autant érigée en modèle ?
De la gestion de Reykjavik à la révisions participative de la constitution, en passant par
l'organisation de grands rassemblements protestataires, internet a occupé une place centrale dans la
révolution des casseroles. Le web a été pour l'Islande « comme un jouet offert à un enfant » selon
une professeure de philosophie de Reykjavik 2. Un jouet dont Jon Gnarr ou encore la Commission
Constitutionnelle se sont saisis pour dessiner les contours d'une démocratie participative impliquant
directement les citoyens. « Grâce à Internet, agir ensemble n’est plus une utopie » 3.
La pertinence des initiatives islandaises est remarquable d'un point de vue démocratique.
Selon Etiennes Chouard, l'incapacité des peuples à se gouverner eux-mêmes tient principalement
dans le processus de rédaction des constitutions nationales. La constitution est conçue comme
l'instrument des peuples pour limiter le pouvoir et l'inévitable abus de pouvoir des dirigeants.
Pourtant, confier le pouvoir constituant au peuple est généralement refusé par l'oligarchie. Evoquant
la position du parti de l'Indépendance, Birgitta Jonsdottir note ainsi que « A l’écouter, laisser le
peuple décider de sa Constitution serait inconstitutionnel ! » 4. L'instrument constitutionnel, afin de
réaliser sa véritable nature, doit être de bout en bout dans les mains du peuple.
1. Eva Joly, op.cit, p. 12. France Culture, « Islande et Numérique », Place à la toile, 13 avril 2013, 45 minutes3. JONSDOTTIR Brigitta, « L'Islande peut être le laboratoire de la démocratie », Rue 89, entretien de Pascal Riche, 6 octobre 2012, http://rue89.nouvelobs.com, consulté le 01/03/20154. idem
60
Et c'est bien ce principe qui a été suivie par l'Islande et qui pourrait inspirer les volontés de
réformes institutionnelles ailleurs dans le monde. Toujours selon Birgitta Jonsdottir :
« Si l’Islande peut jouer le rôle de laboratoire, c’est parce que nous sommes un microcosme : nous
avons toutes les institutions d’un pays, mais nous sommes petits et nous pouvons atteindre plus
rapidement, en mobilisant les citoyens, la masse critique nécessaire pour forcer des
changements »1.
Cependant, l'optimisme est loin d'être de mise dans la société islandaise et notamment chez ce
membre de couchsurfing :
There is some kind of folklore around the Icelandic revolution. We often hear in the media abroad and on the
Internet that the Icelandic people made the banks give in or that those who were responsible for the economic
crisis were judged. Is that the reality for you ?
« Nope and someone that has spent 8 out of the last 10 years traveling, and working with tourists when in Iceland I
have had to debunk a whole bunch of bullshit. I guess the world wants to be able to look at a little country in the
middle of nowhere and say: "Hey! they did it, so why can't we!". Too bad we didn't and doesn't look like these muppets
running the country now are going to change that for the better. »
La critique des personnes au pouvoir est encore plus violente chez ce membre de
couchsurfing ayant participé à toutes les manifestations de la révolution des casseroles :
The Iceland « saucepan revolution » had a real impact on the political field, forcing the government and the
president of the central bank to resign. What is your view on this movement ? How would you qualify the
political & economic changes that occured after the economic crisis ?
« The current government is run by a psychopath with the help of narrow minded people that seem determent to ruin
the Icelandic nature. »
Ainsi, malgré de bons résultats économiques et une réforme constitutionnelle remarquable
sur le papier, le changement politique tant attendu par la révolution des casseroles ne semble pas
s'être produit. Au grand damne du mythe d'un modèle islandais, permettant de remettre les pays
étrangers sur la voie de la croissance et de la démocratie.
B. Des islandais aux indignés : les nouvelles façons de faire de la politique
Les Islandais ont montré « la lumière au bout du tunnel » , selon l'expression du ministre de
l'économie islandaise et leader du Mouvement Gauche-Vert 2.
1. Brigitta Jonsdottir, art. cit2. G. D. S, « Islande. Steingrimur Sigfusson : Montrer la lumière au bout du tunnel », L'Humanité, 26 juillet 2012, http://www.humanite.fr/, consulté le 29/02/2015
61
De Stéphane Hessel à la place Puerta el Sol en Espagne, le mouvement d'indignation
mondiale a été perçue par beaucoup comme l'écho grandissant des évènements en Islande.
Et cela n'est pas une vue d'esprit. Les travaux de Jérôme Ferret sur les indignés espagnols
met en lumière les liens qui existent entre l'Islande et les Indignés. Alors qu'il interroge Klaudia
Alvarez, la responsable en communication du collectif « Democracia Real Ya », il s'aperçoit que de
nombreux évènements ont construit puis nourri la prise de conscience collective qui, seule, pourra
rendre possible une mobilisation de l'ampleur du 15-M. « Rien n'aurait été envisageables sans ces
mouvements internationaux » 1. Parmi ces mouvements il y a bien sur la crise grecque, mais aussi la
soulèvement populaire en Islande.
Les problématiques soulevées par les indignés espagnols sont multiples. Les membres du
collectif du 15-M PaRato, engagé dans une bataille juridique contre la finance, ont certainement en
tête la commission spéciale mise sur pied en Islande pour réhabiliter les responsabilités dans la crise
économique. Grâce au soutien financier et juridique d'avocats et d'indignés, le collectif a ainsi pu
faire inculper Miguel Blesa, l'ancien président de la caisse d'épargne de Madrid, sur fond de
scandale financier. En faisant miroiter des produits financiers à haut risque, présenté comme sur à de
petits épargnants, il avait provoqué la ruine de milliers de personnes 2.
La crise de la dette est aussi au cœur du mouvement d'indignation. Selon Dani Gomez-
Olivé, chercheur à l'Observatoire de la Dette dans la Globalisation et spécialiste de la dette
espagnole : « Nous vivons dans notre pays une dictature financière qui impose aux citoyens le poids
de la dette accumulée par le secteur privé pour financer la spéculation immobilière et les
exportation de nos créanciers comme l’Allemagne » 3. Là encore, l'expérience islandaise, et plus
encore la décision du tribunal de l‘Association européenne de libre-échange, peut servir de
fondement juridique au refus de socialiser la faillite des banques. Selon ce tribunal : « la directive
oblige seulement un État à assurer l’établissement, la reconnaissance et la surveillance d’un
système de garantie des dépôts. Autrement dit, ce n’est pas à l’État de payer mais bien aux
banques » 4.
Enfin, le point commun à tous ces mouvements est certainement « la formulation et
l’expression de la revendication de démocratie réelle » 5. Albert Ogien et Sandra Laugier se sont
penchés sur la redéfinition des pratiques politiques à travers les mouvements de contestation.
1. FERRET Jérôme, La violence refusée des indignados espagnols, Socio, Sept. 20142. PEDESTARRES Nathalie, « Trois ans plus tard, où en est le mouvement des indignés espagnols ? », Bastmag, 6 janvier 2014, http://www.bastamag.net, consulté le 01/03/20153. DE ROMANET Virginie, « Devant la perspective d’un sauvetage des banques qui alourdira la dette publique de l’Espagne, des experts et militants proposent un audit citoyen de la dette », Comite Pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde, 12 octobre 2011, http://cadtm.org, consulté le 01/03/20154. MALHERE Manon, « Affaire Icesave : le tribunal de l’AELE donne raison à l’Islande », Europolitique, 28 janvier 2013, http://europolitique.eis-vt-prod-web01.cyberadm.net, consulté le 01/03/20155. OGIEN Albert, LAUGIER Sandra, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2014, p 29
62
La démocratie y est conçue comme un ensemble de méthode d'action politique et
d'organisation sociale, tendant à réaliser la « volonté d’agir en politique en restant fidèle à une
attitude respectueuse des choix de vie de chacun » 1. Cet idéal se heurte cependant violemment à
l'idéologie néo-libérale dominante comme le souligne Wendy Brown :
« La raison néolibérale et la notion de gouvernance contribuent toutes deux à éliminer le citoyen
politique et le démos et à les réduire à l'état de capital humain organiquement lié au projet de
croissance économique » 2.
A la fin de son article elle explique que l'homme tel qu'il est pensé par le néo-libéralisme n'a
plus le droit à sa dignité, promise par les fondateurs du libéralismes :
« Bien au contraire, il peut être sacrifié, privé d'emploi ou réduit à la famine dès qu'il cesse de
contribuer au projet de la nation-entreprise, ou bien lorsque ce projet ne peut tout simplement plus
lui garantir le bénéfice d'une assurance maladie, d'une retraite d'une éducation, ni une quantité
minimale d'air pur, d'eau potable ou d'espace verts, remettant en question son existence même » 3.
L'ensemble conséquent d'initiatives citoyennes, proposant et élaborant des stratégies
d'actions, des résolutions de problèmes quotidiens à l'image du logement, dénonçant l'érosion du
sens des pratiques politiques jusqu'alors favorisées, et réclamant une démocratie réelle, auront-ils
raison de la capacité du néo-libéralisme à nier le citoyen ?
1. OGIEN Albert, LAUGIER Sandra, op.cit, p. 222. BROWN Wendy, « Néolibéralisme, dé-démocratisation et sacrifices », 2006, Political Theory n° 34, pp.690 �714 3. idem
63
Conclusion
L'expérience islandaise n'a pas été un long fleuve tranquille. De la décision de la Cour
Suprême de Justice à la victoire du Parti de l'Indépendance aux dernières élections législatives,
l'élan participatif amorcé par la révolution des casseroles s'est maintes fois heurté à l'oligarchie
dominante. Une fois la crise économique passée et la croissance retrouvée, aucun changement
social, politique et économique majeur n'a semblé pouvoir empêcher la finance d'entamer à nouveau
son euphorie destructrice. Pourtant, ce fut certainement là le cœur du problème islandais, ainsi que
l'affirme le Président islandais :
« Cette idée, répandue dans les sociétés occidentales, que les marchés financiers doivent représenter la part souveraine
de notre économie, et devraient être autorisés a� grossir sans contrôle et dans la mauvaise direction, avec pour seule
responsabilité de faire du profit et se développer... Cette vision est très dangereuse. Ce qu'a démontré l'Islande, c'est
que lorsque ce système a un accident, cela a des conséquences politiques et démocratiques dramatiques » 1
Au-delà du constat des effets délétères de l'idéologie néo-libérale, on peine à percevoir une
réelle remise en question de ce modèle économique. Les fondamentaux de la société capitaliste
n'ont jamais été frontalement remis en cause. L'Islande, après avoir été le symbole du néo-
libéralisme triomphant, n'a pas encore réussi à construire une voie de développement alternative.
Comme le souligne une membre de couchsurfing :
The Iceland « saucepan revolution » had a real impact on the political field, forcing the government and the
president of the central bank to resign. What is your view on this movement ? How would you qualify the
political & economic changes that occured after the economic crisis ?
« The government is very corrupt now though. We need another revolution »
Les récentes manifestations plaidant pour que la question européenne soit soumise à un
processus démocratique semblent lui donner raison. Mais curieusement, la nouvelle révolution
pourrait non pas provenir du peuple, mais du parlement islandais. En effet, un rapport commandé
par le Premier Ministre islandais intitulé – Un meilleur système monétaire pour l'Islande –
préconise de refonder le système monétaire en conférant à la Banque Centrale et non plus aux
banques commerciales le soin de créer la monnaie 2.
Si l'enthousiasme international à dépassé les réalisations pratiques envisagées par l'Islande,
elle n'en est pas moins une source inépuisable de réflexions et donne matière à penser. La principale
leçon du laboratoire islandais est essentiellement politique. La désacralisation du politique et
1. RICHE Pascal, « Euro, banques... Les leçons du président islandais », Rue 89, 28 février 2013, http://rue89.nouvelobs.com, consulté le 03/03/20152. AFP, « Iceland looks at ending boom and bust with radical money plan », 4 avril 2015, The Telegraph, http://www.telegraph.co.uk, consulté le 04/04/2015
64
l'exacerbation de la sagesse collective des citoyens sont certainement les apports majeurs de la
révolution des casseroles. Les Islandais ont réussi à dépasser les vieux mécanismes de la démocratie
représentative... sans pour autant redonner le pouvoir au peuple. A travers l'orientation participative
et sociale conférée à l'hypothétique future constitution, les Islandais ont ménagé et organisé de
manière inédite l'implication des citoyens en politique. Ils ont aussi redonné des lettres de noblesse
à la démocratie. La démocratie n'est plus le label dénaturé et stratégique revendiqué par les
politiques pour asseoir leur légitimité. Elle est l'expression souveraine de la volonté des peuples
d'interagir directement dans les prises de décision collective.
A partir de ce constat, plusieurs recherches sont possibles pour aller plus loin. La présente
recherche sur le cas islandais aurait évidemment bénéficié d'une enquête qualitative sur le terrain.
Une enquête de terrain aurait certainement mieux permis de cerner le sentiment des Islandais quant
aux aboutissements de leur révolte. Mais aussi de répondre à un questionnement sous-jacent à la
recherche : sommes-nous en démocratie ?
L'étude de Martin Gilens et Benjamin Page, parue dans l'Academic Journal Perspectives on
Politics, y répond par la négative en démontrant que le régime des Etats-Unis ne répond en aucun
cas aux exigences de la démocratie 1. L'Islande y répond à sa manière en proposant de nouvelles
manières de concevoir et de pratiquer la démocratie à travers la participation directe des citoyens.
Finalement, comment insérer des mécanismes de démocratie participative dans les régimes
prétendument démocratiques ? On peut dès lors se tourner vers l'Irlande, le Brésil ou la France pour
réaliser la pertinence de tel mécanismes, sans jamais réussir à les appliquer durablement à l'échelle
d'un pays en permettant véritablement aux citoyens de pouvoir débattre, argumenter et refonder tout
sujet qui intéresse la politique. Est-il donc nécessaire de remettre les institutions à plat pour réaliser
réellement la démocratie participative, et ne pas l'entendre comme un simple mécanisme de
légitimation des décisions publiques qui, in fine, préserve l'assise des personnes au pouvoir ? C'est
l'interrogation qui demeure après l'analyse du cas islandais.
1. GILENS & PAGE, Testing Theories of American Politics: Elites, Interest Groups, and Average Citizens, 2014, Perpectives on Politics, Princeton University
65
Bibliographie
Sources
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science politique n°57, 2007, p. 759-774
– « La compe �tence politique, Nouveaux questionnements et nouvelles perspectives »,
Revue franc �aise de science politique n°57, 2007, p. 733-735
– FROMENTIN Thomas, WOJCIK Stéphanie, « Le profane en politique :
compétences et engagements du citoyen », Paris, L'Hartmann, 2008, 314p.
Sagesse collective
– PAGE Scott, « The Difference : How the Power of Diversity Creates Better Groups,
Firms, Schools, and Societies », Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 163
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Annexes
Questionnaire 1
TITRE – La révolution des casseroles
Introduction - Ce questionnaire vous est proposé par un étudiant en master 1 en science politique.
Il vise à mesurer le degré de réussite et de popularité des changements politiques et démocratiques
engagés suite à la révolution des casseroles en Islande. Le questionnaire se divise en deux parties.
La première page est composée de questions rapides et de réponses fermées. La seconde permet de
mieux rendre compte de vos opinions en comprenant uniquement des questions ouvertes et des
réponses écrites. Selon votre temps et vos connaissances, vous pouvez répondre à l'une, à l'autre, ou
aux deux à la fois. Merci de votre réponse. Bien cordialement. Mathis BUIS
PARTIE 1 – Questionnaire fermé
Question 1 - Lors d'un interview, le président islandais a déclaré : « Nous avons eu la chance de
pouvoir répondre à toutes les demandes des manifestants : le gouvernement est tombé, des élections
ont été organisées, les directions de la Banque centrale et de l’autorité de surveillance des banques
ont été remerciées, nous avons mis en place une commission spéciale pour enquêter sur les
responsabilités ». A l'instar du président islandais, pensez-vous que l'ensemble des revendications
du mouvement « révolution des casseroles » aient été satisfaites ? (Oui ou non)
Question 2 - Partagez-vous l'indignation exprimée par les manifestants réunis à Reykjavik ? (idem)
Question 3 - Les manifestants ont exprimé leur volonté de juger les responsables de la crise
économique. Selon vous cette volonté a t-elle aboutie ?
Question 4 - Le jugement judiciaire de Geir Haarde, finalement relaxé, vous semble t-il
satisfaisant ?
Question 5 - Un forum national islandais a été mis en place pour saisir l'esprit de la Nation
islandaise. Avez-vous lu le rapport de synthèse qui en ai ressorti ?
Question 6 - Si oui, vous a t-il paru en accord avec votre conception des valeurs nationales
islandaises ?
Question 7 - L'utilisation du tirage au sort pour sélectionner les participants au Forum vous semble
t-il pertinent ?
Question 8 - Un processus de révision constitutionnel a aussi été engagé suite aux manifestations à
travers, notamment, l'élection de 25 constituants issus de la société civile. Selon vous, la révision
constitutionnelle peut-elle être confiée à des non-professionnels de la politique ?
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Question 9 - La décision de la Cour suprême d'invalider l'élection de l'assemblée constituante
mandatée pour réviser la constitution vous semble t-elle justifiée ?
Question 10 - Le conseil constituant vous semble t-il légitime ?
Question 11 - Le conseil constituant, au regard de sa composition, vous semble t-il représentatif de
la société islandaise ?
Question 12 - Le processus de révision constitutionnel s'est voulu à la fois transparent et
participatif. La volonté d'associer les citoyens à cette constituante, notamment via une participation
par internet, vous a t-elle semblé accomplie ?
Question 13 - Selon vous, la transparence des travaux était-elle réelle ?
Question 14 - Avez vous pris connaissance de la « proposition pour une nouvelle constitution » ?
Question 15 - Souhaitez-vous que le projet de réforme constitutionnel aboutisse en l'état ?
Question 16 - Les élections législatives du 27 avril 2013 se sont traduites par le retour au pouvoir
d'une coalition sceptique quant à la révision constitutionnelle. Pensez-vous que le projet de réforme
constitutionnel puisse aboutir ?
Question 17 - Considérez-vous que la classe politique ait été renouvelée depuis la démission de
Geir Haarde ?
Question 18 - Considérez-vous que le peuple islandais, qui a répudié une partie de la dette privée
de la banque Icesave, ait fait plier les banques comme on peut l'entendre dans les médias étrangers ?
PARTIE 2 - Questionnaire fermé
Question 1 - Quelle a été votre réaction, en octobre 2008, lorsque l'Islande fut confrontée à une
crise économique historique ?
Question 2 - La « révolution des casseroles » a bouleversé le champs politique en exigeant la
démission du gouvernement et du président de la banque centrale. Comment vous positionnez-vous
par rapport à ce mouvement ? Qualifieriez-vous les changements politiques et économiques
survenus après la crise économique de révolution ?
Question 3 - Que pensez-vous de l'utilisation du tirage au sort pour désigner les participants aux
débats du Forum national ?
Question 4 - De nouveaux partis ont fait leur apparition dans le paysage politique suite à la crise
économique de 2008, tels Avenir Radieux ou le Mouvement des citoyens. Que traduit selon vous
cette multiplication de l'offre politique ?
Question 5 - L'Islande s'est démarquée des autres pays en résolvant la crise non seulement sur le
plan économique mais aussi sur le plan politique. La révolution des casseroles avait notamment
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pour ambition de remettre le citoyen ordinaire au cœur de la politique par le biais de mécanismes
démocratiques inédits : assemblée constituante issue du peuple, participation via internet,
référendum. Selon vous, cette ambition a-t-elle était accomplie ? Quel fut la part du peuple dans la
révision constitutionnelle ? Quels sont les avancées et/ou les travers du projet de réforme
constitutionnelle ?
Question 6 - La participation aux référendum concernant l'élection de l'assemblée constituante
(36%) et l'avenir du projet constitutionnel (49%) était assez inhabituelle en Islande. Cela traduit-il
un désintérêt des islandais pour la politique ?
Question 7 - Le 20 octobre 2012, les citoyens islandais ont exprimé leur accord pour que le projet
de révision constitutionnelle serve de base à la nouvelle constitution. Pour autant, l'avenir du projet
est incertain. Selon vous, lors des prochaines élections législatives d'avril 2015, quel place aura
l'enjeu posé par l'avenir de la nouvelle constitution ?
Question 8 - Un certain folklore entoure la révolution islandaise. On entend souvent dans les
médias étrangers et sur internet que le peuple islandais a fait plier les banques, ou encore que les
responsables de la crise économique ont été jugés. Cela vous parait-il conforme à la réalité ?
Question 10 - Avez-vous joué un rôle direct ou indirect dans la révolution des casseroles ?
(proposition par internet, participation à une manifestation, à une pétition, vote, visionnage des
débats au sein de l'assemblée, autre)
Visible à l'adresse suivante :
https://docs.google.com/forms/d/1czFAKqWsivq_KbFITCKMZTJXr9vYHcP_ykWuGGDsroQ/vie
wform
Questionnaire 2
TITRE – The Icelandic Revolution
Introduction - This survey was created by a student preparing his Master degree in politic sciences.
Its aim is to estimate the success and popularity of the “saucepan revolution”. The survey is divided
into two parts. The first part is made of quick questions and short answers. The second part allows
you to express your opinion through developed answers. Up to you to fill the entire survey, or only
one part of it. Thank you for your involvement. Mathis Buis.
Sous-titre 1 – The Saucepan Revolution
Question 1 - The demonstrators wanted the responsible for the economic crisis to be judged in
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court. According to you, did they achieve their goal ? (Yes – No)
Question 2 - Do you think there was a real change of the political class since Geir Haarde’s
resignation ? (idem)
Question 3 - Do you think, as is said in the foreign media, that the Icelanders who have rejected
the private debt of the Icesave bank, managed to make the banks give way ?
Question 4 - During an interview, the Icelandic president declared: “ You were able to meet all the
demonstrators’ demands: the government resigned, elections were set up, the heads of the central
bank and of the supervisory committee of banks were dismissed and we set up a special committee
to investigate about responsibilities.”As the president, do you also think that all the “saucepan
revolution” demands were satisfied ?
Sous-titre 2 – The National Icelandic Forum
Question 1 - A national Icelandic forum was created to grasp the icelandic nation’s spirit. Did you
read the report issued by this group ?
Question 2 - If yes, do you share the same values as the ones expressed in the report ?
Question 3 - Do you like the concept of selecting members of this forum by drawing lots ?
Sous-titre 3 – The Constitutional Revision
Question 4 -A process of a constitutional revision started after the demonstrations, with the election
of 25 simple citizens as members. Do you think this work of revision can be hold by people outside
the political world ?
Question 5 -Do you think its composition reflects the Icelandic society ?
Question 6 -The process of constitutional revision associated the population through a poll on the
Internet. Do you think it contributed to involve the citizens in the constitutional revision ?
Question 7 - Did you read the “proposal for a new constitution“ ?
Question 8 - Do you want this reform of the constitution to be applied as it appears in the
proposal ?
Question 9 - The 27th April 2013’s general election‘s result gave power to a group not very in
favour of the constitutional revision. Do you think the reform has any chance to be achieved ?
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Sous-titre 4 – Open Survey
Question 10 - What was your reaction in October 2008 when Iceland faced a historical economic
crisis ?
Question 11 - The Iceland « saucepan revolution » had a real impact on the political field, forcing
the government and the president of the central bank to resign. What is your view on this
movement ? How would you qualify the political & economic changes that occured after the
economic crisis ?
Question 12 - What do you think of the drawing lots used to choose the people who would take part
in the national forum debates ?
Question 13 - Some new political parties were created aftre the 2008 economic crisis, such as
Bright Future or Citizens' movement. What does this increase in the number of political offers
mean ?
Question 14 - Iceland distinguished itself from the other countries, solving the crisis both
economically and politically. The revolution aimed at placing common citizens at the heart of the
political life by the means of some unusual democratic machinary : people's constituent assembly,
online participation, referendum. According to you, did it achieve its goal ? What role played the
people in the constitutional revision ? What are the pros & cons of the project for the constitutional
reform ?
Question 15 - Only 36% of people took part in the referendum to elect the constituent assembly and
49% as far as the constitutional project is concerned. That was quite unusual. Does it mean
Icelandic people have lost interest in politics ?
Question 16 - On October 20th, 2012, the Icelandic citizens expressed their agreement with the fact
that the project of the constitutional revision could become a starting point to the new constitution.
But the future of the project is uncertain. Do you think the future of the new constitution will be at
stake in the next general election in April 2015 ?
Question 17 - There is some kind of folklore around the Icelandic revolution. We often hear in the
media abroad and on the Internet that the Icelandic people made the banks give in or that those who
were responsible for the economic crisis were judged. Is that the reality for you ?
Question 18 - Have you played any direct or indirect role in the “saucepan revolution” ?
(suggestions via Internet, demonstrating, signing , vote….)
Visible à l'adresse suivante :
https://docs.google.com/forms/d/17xp3aH29mGcAfposYB64HDzXLyHwL6ojG6_egeHnsz8/viewfor
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