« TEST DE RÉALITÉ » ET LIMITES DU RELATIVISME Le cas du programme alimentaire multimixture

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« TEST DE RÉALITÉ » ET LIMITES DU RELATIVISME Le cas du programme alimentaire multimixture Ivan da Costa Marques S.A.C. | Revue d'anthropologie des connaissances 2012/2 - Vol. 6, n° 2 pages 165 à 189 ISSN 1760-5393 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2012-2-page-165.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- da Costa Marques Ivan, « « Test de réalité » et limites du relativisme » Le cas du programme alimentaire multimixture, Revue d'anthropologie des connaissances, 2012/2 Vol. 6, n° 2, p. 165-189. DOI : 10.3917/rac.016.0165 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.A.C.. © S.A.C.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.60.39.13 - 13/10/2012 22h57. © S.A.C. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.60.39.13 - 13/10/2012 22h57. © S.A.C.

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« TEST DE RÉALITÉ » ET LIMITES DU RELATIVISMELe cas du programme alimentaire multimixtureIvan da Costa Marques S.A.C. | Revue d'anthropologie des connaissances 2012/2 - Vol. 6, n° 2pages 165 à 189

ISSN 1760-5393

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Revue d'anthropologie des connaissances, 2012/2 Vol. 6, n° 2, p. 165-189. DOI : 10.3917/rac.016.0165

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Revue d’anthropologie des connaissances – 2012/2 165

Anthropologie des connAissAnces en Amérique lAtine

« test de réAlité » et limites du relAtivisme

Le cas du programme alimentaire multimixture

ivAn DA COSTA MARQUES

RÉSUMÉ

Cet article propose un cadre d’analyse des relations entre science et pouvoir dans le programme alimentaire MULTIMIXTURE, présent au Brésil depuis les années 1970. L’analyse porte sur la période 1970-2008. Je vous présente trois ontologies, histoires ou versions de réalité. Dans chacune, les relations entre les connaissances scientifiques sur la nutrition (institutionnalisées dans les laboratoires académiques et dans le Conseil Fédéral des Nutritionnistes) et le programme MULTIMIXTURE sont transformées. J’établis une hiérarchie entre ces trois versions de réalité en ce qui concerne leurs capacités dialogiques. La première est déterminée par l’analyse biochimique des composants de la MULTIMIXTURE. La seconde se présente comme un mélange stabilisé de science et culture, nature et société, technique et politique ; c’est une sorte de version de réalité mise en jeu par de nombreuses études dans le champ STS (Science and Technology Studies). La troisième est une histoire éclairée par l’anthropologie, qui échappe aux contraintes du « test de réalité » dominant dans la culture occidentale.

Mots clefs : science et pouvoir, test de réalité, cadres scientifiques, prisons rationnelles

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1. INTRODUCTION

En prenant pour cas d’étude la mise en place d’un produit employé comme « aliment » et nommé « multimixture », dans le cadre d’un programme alimentaire présent au Brésil depuis les années 1970, j’examine les correspondances entre les histoires ou versions de réalité racontées par les différents acteurs d’une part, et les différentes ontologies des êtres ou entités que ces mêmes acteurs portent à l’existence d’autre part. Je considère que chacune des versions de réalité proposées configure et rend réelle l’entité multiple multimixture. Néanmoins, les trois histoires que je présente ne sont pas trois interprétations de l’histoire de la multimixture, trois versions d’une histoire supposée « vraie » qui serait prise comme référence pour les autres. Au contraire, je prends au sérieux la performativité ontologique de chaque histoire qui mobilise différemment les collectifs de personnes (professionnels, volontaires, parents et enfants), les choses (nourriture, instruments, toilettes, casseroles) et les récits (théories, anecdotes, mythes). Ainsi, chaque histoire fabrique l’ontologie des êtres ou entités qu’elle introduit dans le monde. Ces trois histoires ne sont donc pas les histoires de la « même » multimixture, elles portent à l’existence trois ontologies différentes de la multimixture1.

Cet article, composé de cinq parties, examine les correspondances entre ontologies et versions de réalité sous l’angle des relations entre le savoir scientifique et la multimixture. Dans la première partie intitulée « Inscriptions historiographiques », je présente une série chronologique de « faits ». Dans les trois parties suivantes, je présente trois histoires de la multimixture, conduisant à trois caractérisations ontologiques différentes de l’entité « multimixture ».

La « première histoire » est l’histoire de la multimixture selon le point de vue des nutritionnistes. Les scientifiques nutritionnistes académiciens analysent la composition de la multimixture et concluent qu’elle n’a pas les effets annoncés. Cette conclusion se présente comme un fait scientifique parfaitement objectif. Une histoire sans âme dans les limites du corps biologique.

La « deuxième histoire » est l’histoire de la multimixture dans la perspective des rapports entre science et culture, nature et société, technique, politique et économie. C’est un type d’histoire très courante, aujourd’hui, dans le champ STS (Science and Technology Studies). Les éléments juxtaposés deviennent plus complexes. La multimixture, envisagée du point de vue de ses effets plus complexes, peut passer par le « test de réalité » mais la réalité reste définie par la « métaphysique euro-américaine » moderne.

Pour se débarasser de cette deuxième histoire qui mobilise Smith, Marx, Weber, Durkheim et Freud, une histoire qui fait intervenir le corps et l’âme dans une perspective qui est celle de cette « métaphysique euro-américaine » (Law, 2004), il faut avoir recours à l’anthropologie et vivre l’expérience de la décentration, une épreuve à laquelle Jacques Derrida a fait référence comme

1 En employant les mots de John Law, la multimixture est un objet fractionnaire (fractional object). La multimixture est « plus qu’une et moins que plusieurs » (Law, 2004, p. 62).

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« un moment en quoi la culture européene – et par conséquent l’histoire de la métaphysique et de ses concepts – a été disloquée... et obligée de cesser de se considérer comme une culture de référence ». (Derrida, 1978, p. 282).

La « troisième histoire » est une histoire informée par l’anthropologie, qui entend échapper au « test de réalité » actuellement dominant, et qui prétend dépasser les limites de la symétrie et du relativisme mis en scène par la « métaphysique euro-américaine ». La troisième histoire offre une ligne de fuite qui conduit l’entité multiple multimixture (qui configure des réalités multiples et hétérogènes, et est configurée par elles en retour) vers d’autres domaines de connaissance sur la santé, sur la maladie, sur le corps, l’esprit et l’âme.

Piers Vitebsky établit un rapprochement entre la psychanalyse freudienne et l’usage de la médiumnité chez les Sora en Inde, en soulignant qu’il s’agit dans les deux cas de travailler avec l’inconnu (ici, la mort) à travers le dialogue. J’utilise son œuvre pour, à la fin, suggérer l’existence d’une correspondance et d’une gradation dans la capacité dialogique de chacune des histoires ou versions de réalités présentées. Je suggère enfin que, à mesure qu’elle incorpore davantage d’éléments hétérogènes – corps dans la première histoire ; corps et âme dans la deuxième histoire ; corps, âme et esprits dans la troisième histoire – chaque histoire devient plus dialogique.

Je ne fais pas usage des entités « âme » et « esprit » à titre de compensation culturelle, à cause du manque de richesse et de puissance, de raison et d’hégémonie, comme on voit souvent, mais dans le but de mettre en scène un dialogisme croissant entre les trois histoires. Dans cet article, je m’inscris résolument dans un dialogue avec l’histoire des sciences et des techniques et l’épistémologie, et non avec le domaine plus spécifique de l’histoire ou de l’anthropologie de la nutrition.

INSCRIPTIONS HISTORIOGRAPHIQUES

Dans cette partie du travail, j’ai relevé des citations, telles qu’elles apparaissent dans les rapports scientifiques, les articles de divulgation, les interviews et manifestes, dans des journaux de grande circulation et sur Internet - en somme, j’ai prélevé des extraits du matériel publié, en vue de faire ce que l’on pourrait appeler une historiographie de la multimixture. J’établis une analogie entre ces citations tirées de l’historiographie et les inscriptions obtenues par le moyen des instruments de laboratoire. L’intention est de renforcer l’idée, chez ceux qui font de l’histoire, de la sociologie ou de l’anthropologie, que les textes historiographiques sont comparables et peuvent être traités comme les physiciens ou les biologistes, par exemple, traitent les « inscriptions »2 produites

2 Une inscription est une image brute, un hybride produit dans l’interface ou interaction entre un monde encore sans forme et le monde des instruments du laboratoire et des théories (Latour, 1989, p. 157).

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par les instruments du laboratoire. Ainsi, de même que dans la recherche en physique ou en biologie, les inscriptions sont le résultat de la rencontre entre des entités naturelles encore sans forme3 et des instruments de mesure, de même les textes historiographiques résultent de la rencontre entre une histoire encore sans forme et un « instrument », à savoir l’historien qui l’a écrite. D’où le titre « inscriptions historiographiques ». Dans la séquence ci-dessous, j’ai omis les guillemets pour faciliter la lecture et j’ai indiqué la source dans la note de bas de page.

Au milieu des années 1970, la pédiatre brésilienne Clara Brandão a observé une réduction drastique de la diarrhée chez les enfants sous-alimentés de treize crèches de la ville de Santarém, dans l’État du Pará au Nord du Brésil, après qu’ils ont ingéré, pendant trois jours, un supplément alimentaire obtenu à partir de grains moulus, de feuilles foncées et d’autres ingrédients comme des semences et de la poudre de coquille d’œuf4. Suite à des entretiens avec la population locale qui lui ont permis d’en savoir davantage sur ses traditions alimentaires, C. Brandão a commencé à chercher dans la production régionale des « aliments alternatifs » de grande valeur nutritionnelle, même parmi ceux qui ne sont pas habituellement consommés par la population5. À partir de ce moment-là, C. Brandão a commencé à agir en faveur de la diffusion au Brésil de l’utilisation de la multimixture, selon le nom qui a été donné à ce produit obtenu à partir des aliments alternatifs trouvés6. Avec son mari, le docteur Rubens Brandão, lui aussi médecin, elle a fondé la Société d’Études et d’Utilisation des Ressources de l’Amazonie (Seara), tournée vers la recherche de solutions au problème de la sous-alimentation de la première enfance7. Ce mouvement a gagné de l’ampleur. En 1983, C. Brandão a reçu un prix au XXIIIe Congrès Brésilien de Pédiatrie et le programme de la Seara a été reconnu par la Société de Pédiatrie de Bahia et par la Société Brésilienne de Pédiatrie8. En 1984, un consultant designé par l’UNICEF (le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance) pour établir la valeur nutritionnelle de la multimixture a présenté un rapport favorable9. Dans le cadre de ses actions relatives au domaine de l’assistance de base, la Pastoral da Criança, de la Conférence Nationale des Évêques du Brésil (CNBB), a commencé à divulguer nationalement la pratique de la multimixture10. En

3 Les entités du monde de la science acquièrent une forme stabilisée (bien que toujours provisoire) avec la fermeture des controverses, mais pas avant cela (Latour, 1989).4 Shrimpton (1984), apud Velho & Velho (2002).5 Selon le récit de Brandão & Brandão (1996), apud Velho & Velho (2002).6 Beausset (1992), apud Velho & Velho (2002).7 Brandão & Brandão (1996), apud Velho & Velho (2002).8 Brandão, Clara T. et al (1983). ‘Programme de nutrition à Santarém – Pará’. Article presenté au XXIIIe Congrès Brésilien de Pédiatrie.9 Shrimpton (1984), apud Velho & Velho (2002).10 La « Pastoral da Criança » a commencé en 1985 le travail d’« Alimentation Alternative ». Déjà dans l’introduction du livre Alimentation Alternative, publié en 1988, le médecin Clara Takaki Brandão faisait des remarques sur les spécificités locales qui, d’après elle, sont des éléments qui entrent dans la constitution de la Multimixture. Dans son livre, elle souligne que c’est uniquement par une combinaison la plus diversifiée possible d’éléments que la population pourrait profiter de

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1989, la visibilité de la proposition de la multimixture a encore augmenté avec la mutation de C. Brandão et de son mari au ministère de la Santé à Brasília (Viseu et al., 2005). En 1990, le Conseil Fédéral des Nutritionnistes (CFN) a élaboré une expertise relevant plusieurs fautes techniques et conceptuelles dans un prospectus rédigé et publié par C. Brandão. L’expertise affirmait que les informations contenues dans le prospectus devraient être encore confirmées par des recherches scientifiques et demandait au ministre de la Santé la « suspension de la divulgation du prospectus “Alimentation alternative” pour des corrections indispensables »11. Mais, en 1992, le potentiel d’utilisation de la multimixture en vue du rétablissement et du maintien de l’état nutritionnel des enfants et des femmes enceintes a été reconnu par l’Institut National d’Alimentation et Nutrition (INAN), qui mettait toutefois en avant le besoin d’évaluations plus poussées12. C. Brandão a participé au groupe de travail, créé en 1994 et coordonné par le président de l’INAN, pour examiner la question de l’inclusion de la multimixture dans les programmes du ministère de la Santé. En 1995, elle a coordonné le Programme d’Orientation Alimentaire pour la Santé, mis en place par l’INAN. Mais, en 1994, les médecins Jaime Amaya-Farfán et Hilda Torin ont créé l’« Informe Technique » (IT) initiant une campagne qui disqualifiait la multimixture, alertant sur les dangers potentiels d’une diète composée d’éléments dont le bénéfice était remis en cause par les résultats des recherches qu’ils avaient faites (Torin et al., 1994). En juillet 2000, le Règlement Technique pour la Fixation de l’Identité et la Qualité a défini la multimixture comme un produit obtenu à travers le séchage, le grillage, le broyage et le mélange d’ingrédients d’origine végétale, avec présence obligatoire de grains moulus à hauteur de 70 % minimum (en grammes) et de poudre de feuilles vert foncé. Peuvent aussi être additionnés du lait en poudre et d’autres ingrédients13. Du début des années 1990 à 2002 et jusqu’à aujourd’hui (2008), beaucoup d’études ont été faites par des spécialistes qui, en majorité, ont révélé que la multimixture n’a pas d’effets bénéfiques, du moins pas au niveau annoncé, quand elle est incorporée dans la diète des enfants (Velho & Velho, 2002). Ces études concluent que, par comparaison avec le groupe de contrôle des enfants qui n’ont pas reçu la multimixture, mais aussi en analysant ses ingrédients et en procédant à des expériences avec des animaux, la multimixture n’a pas les qualités nutritionnelles, alimentaires et même sanitaires qui devraient être présentes dans une composition alimentaire capable d’avoir les effets proclamés

toute la potentialité nourrisante des aliments ». Brandão CT. Alimentação Alternativa. Brasília : Pastoral da Criança ; 1988.11 Conseil Fédéral de Nutritionnistes/CFN. Positionnement du Conseil Fédéral des Nutritionnistes en ce qui concerne la multimixture. Brasília, février 1996. 5p. Disponible en http://www.cfn.org.br/novosite/conteudo.aspx?IDMenu=61. Accès en septembre 2008.12 Institut National d’Alimentation et Nutrition. Circulaire numéro 04/95-P/INAN-BSB, Brasília, novembre 1995, 4 p.13 Agence Nationale de Surveillance Sanitaire/Brésil, Ministère de la Santé. Résolution numéro 53/00. Règlement Technique pour la Fixation de l’Identité et Qualité de Mixtures à base de Grains Moulus de Céréales. Secrétariat de Surveillance Sanitaire. D.O.U., le 19 juin 2000.

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par C. Brandão (Boaventura et al., 2003 ; Glória et al., 2004). Mais, en décembre 2002, la multimixture « destinée au Secrétariat d’État à l’Action Sociale et aux Mairies Municipales de l’État du Tocantins, étant acquise directement pour le programme de donation aux personnes démunies »14, reste exonérée du paiement de l’impôt ICMS. En 2006, Zilda Arns Neuman, coordinatrice de la Pastoral da Criança, reçoit « le Prix Opus (de la Opus Prize Foundation et de l’Université Catholique de Notre Dame d’Indiana – États-Unis), qui décerne la valeur d’un million de dollars US aux personnes ou organisations qui lancent des actions associant étroitement l’entrepreneuriat et la foi, et qui visent à transformer en profondeur des problèmes sociaux comme l’injustice, la pauvreté, la famine, l’analphabétisme et les maladies »15. La Pastoral da Criança n’utilise pas le numéro de son registre officiel (CNPJ) pour l’ouverture de fabriques de multimixture en raison du résultat de la recherche (des nutritionnistes), mais aussi parce que le travail doit être réalisé par les leaders de la communauté. « La farine multimixture, comme n’importe quelle nourriture, quand elle est produite pour être consommée à grande échelle, en dehors de la maison ou de la communauté, a besoin de suivre certaines normes exigées par les agences sanitaires. » En octobre 2006, C. Brandão déclare : « On m’a déjà avertie que je suis désormais une clandestine dans le gouvernement16. » En juin 2008, le programme AABB Communauté de la Fondation Banque du Brésil inaugure une fabrique de la multimixture à Bom Conselho, dans l’État du Pernambouc. 392 communes participent au programme AABB Communauté, qui compte plus de 50 000 enfants et jeunes de 7 à 18 ans non révolus et presque 4000 éducateurs17. C. Brandão explique que le gouvernement a décidé d’exclure la multimixture du goûter scolaire, au profit du Mucilon, un aliment à base de farine lactée fabriqué par Nestlé (le marché de la farine lactine est partagé entre Nestlé et Procter & Gamble). « Remplacer la multimixture par la nourriture industrialisée relève du génocide », clame la pédiatre18. La coordinatrice nationale de la Pastoral da Criança, Zilda Arns, reconnaît que la multimixture a joué un rôle important dans la baisse des indices de la sous-alimentation enfantine : « La multimixture a beaucoup aidé, mais elle n’est pas capable à elle seule de vaincre l’anémie ; il faut aussi prêter attention à l’allaitement maternel. » En 2007, le ministère de la Santé déclare que « la multimixture, un composé de céréales moulues et d’autres ingrédients n’a jamais été adoptée comme stratégie nationale comme traitement de la sous-alimentation enfantine ». Le ministère de la Santé déclare

14 Clause première du Conseil National de Politique Financière – CONFAZ, pendant la 108e réunion ordinaire, réalisée à Natal, RN, le 13 décembre 2002.15 Portail Agence Brésil. Publication du 23/04/2007. Disponible sur http://www.agenciabrasil.gov.br /noticias/2007/04/23/materia.2007-04-23.9418914205/view. Accès : septembre 2008.16 Revue Isto É Publication du 19/9/2007. Disponible sur http://www.agenciabrasil.gov.br /noticias/2007/04/23/materia.2007-04-23.9418914205/view. Accès : septembre 2008.17 Fondation Banque du Brésil. Disponible sur http://www.fbb.org.br /portal/pages/publico/expandir.fbb?codConteudoLog=5938. Accès : septembre 2008.18 Revue Isto É Publication du 19/9/2007. Disponible sur http://www.agenciabrasil.gov.br /noticias/200704/23/materia.2007-04-23.9418914205/view. Accès : septembre 2008.

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aussi « qu’il n’achète ni ne distribue d’aliments à la population. Ainsi, il n’y a aucune justification fondée à affirmer que le Ministère aurait remplacé la multimixture par des aliments industrialisés19. »

PREMIÈRE HISTOIRE

La première histoire forme un tableau épistémologique radicalement divisé. Dans sa première phase, dans l’État du Pará, de 1974 jusqu’à la fin de la décennie, la proposition de C. Brandão a été « spontanémment » acceptée dans les crèches et les écoles pauvres d’un grand nombre de communes brésiliennes. C. Brandão a compté avec le volontariat de la Légion Brésilienne d’Assistance. Plus tard, en 1983, l’adoption tout aussi « spontanée » ou presque de sa proposition par la Pastoral da Criança a permis une diffusion importante de la multimixture au Brésil. À partir de ce moment, la multimixture étant encore adoptée « spontanément » par la Fondation Banque du Brésil, elle a été incluse, et en 1990 presque adoptée, dans un programme du gouvernement qui avait comme but de résoudre le problème de la sous-alimentation enfantine au Brésil, voire dans d’autres pays.

Cependant, au moment où la multimixture atteint cette dimension nationale à la fin des années 1980, les nutritionnistes commencent à se positionner contre elle. Ces nouveaux acteurs détiennent le savoir scientifique moderne, ils ont la légitimité pour juger les caractéristiques nutritionnelles des aliments, et pour évaluer leurs impacts dans les processus de nutrition des organismes. Ils sont capables de soumettre la multimixture au « test de réalité » et dès lors les controverses sur l’adoption de la multimixture commencent. Pour voir son adoption légitimée par la science moderne, la multimixture doit, dans sa constitution physicochimique, contenir certains éléments (atomes et molécules en condition d’absorption) et ne pas en contenir d’autres (anti-nourrissants). Des groupes académiques analysent la composition de la multimixture et concluent qu’elle ne peut pas avoir les effets annoncés. Comme elle n’a pas été contestée substantiellement par d’autres scientifiques dans les laboratoires, cette conclusion est devenue un fait scientifique établi. La multimixture échoue au « test de réalité », on lui dénie sa capacité nutritionnelle. À partir de ce moment-là, C. Brandão perd sa capacité à trouver des appuis. Elle perd ses alliés et la multimixture n’est plus viable comme programme de gouvernement.

Dans cette première histoire, il n’y a pas de relativisme en ce qui concerne les vérités établies dans les laboratoires sur les vertus de la multimixture. La « spontanéité » initiale peut être facilement expliquée comme le résultat de l’intervention de C. Brandão, accompagnée d’un ou de plusieurs des acteurs

19 Portail du Ministère de la Santé. Publication du 26/10/2007. Disponible sur http://www.saudedafamilia.rs.gov.br/v1/clipping/fullnews.php?id=390#topo. Accès : septembre 2008.

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« intéressés ». En opposition à ceux-ci s’alignent des groupes académiques, vus comme des acteurs « désintéressés » ou « intéressés seulement dans la découverte de la vérité » qui travaillent sous le contrôle de la Nature, seule arbitre désignée dans leurs laboratoires. Dans cette histoire, C. Brandão et les acteurs non scientifiques « intéressés » travaillent dans un champ ignorant ou vide de connaissances scientifiques sur la nutrition. Ils augmentent leurs échelles d’influence en mettant en réseaux des éléments subjectifs et émotionnels présents dans la Société (facteurs sociaux). À l’appui de cela, ne pourrait-on pas évoquer la mobilisation des sentiments de solidarité obtenus par l’usage de photographies comme celles qui composent l’Image 1 ?

Reportage publié par la Revue Figure 1. Veja le 30/10/96. Ed. 1486, An 29, numéro 44. (Composé qui sauve des vies. La petite fille Lindacy qui n’a presque que la peau sur les

os à la naissance, et qui grâce à la multimixture pèse 15 kg à l’âge de 3 ans).

Dans cette première histoire, toute insistance en vue d’imposer la multimixture dans les programmes alimentaires ne peut être comprise que comme le fruit d’une croyance absurde, un acte d’irrationalité, d’ignorance, de résistance absurde, de fanatisme ou de malice ; autrement dit, les pro-multimixture sont nécessairement en proie à l’erreur, enfermés dans un monde social complètement séparé des vérités purifiées établies dans les laboratoires. Cette histoire repose sur une asymétrie non questionnée entre ce qui relève de la connaissance scientifique d’une part et ce qui relève de la tradition, de la culture ou de la croyance populaire d’autre part. Pour les historiens de la science qui adhèrent à ce type d’histoire, il peut exister des espaces « sociaux » inconnus susceptibles d’être étudiés, mais il n’y a pas de place pour les relativismes dans l’espace de la réalité que la science découvre. Il est peu probable que les historiens de la science et de la technologie s’intéressent à l’histoire de la multimixture, dans la mesure où, selon eux, d’après ce que j’ai pu comprendre de leurs discours, cette histoire serait trop simple pour être intéressante – en fin de compte, il est très courant d’observer ces situations où une équivoque voire une fraude se développe et atteint de grandes dimensions, « quand le système de croyances interfère avec le système de preuves, éparpillant une atmosphère d’obscurité »20 (Vieira, 2009, p. 18).

20 Cette phrase, tirée d’un autre contexte, fait appel à la métaphore de la lumière pour s’opposer à la tradition épistémologique qui accorde au fait scientifique une sorte de transcendance. Dans cette

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DEUXIÈME HISTOIRE

Une deuxième histoire ouvre des espaces aux relativismes en mettant en avant des exigences de symétrie. Cette histoire fait valoir que C. Brandão est médecin et nutritionniste et beaucoup plus qu’un « simple acteur intéressé ». Elle a consulté la composition physicochimique de la multimixture et a vérifié que les sels et les vitamines y étaient présents. Elle s’est appuyée sur des analyses certifiées qui indiquent, par exemple, que la peau du potiron a une valeur nutritionnelle bien plus importante que sa pulpe. Alors qu’elle n’arrive pas à accumuler des éléments suffisamment convaincants pour contrer les arguments affirmant la présence dans la multimixture d’éléments néfastes sur le plan nutritionnel, C. Brandão exhibe la pesée des enfants et des malades dont elle s’est occupée. Ces enfants et ces malades ont en effet vu leur poids augmenter après l’ajout de la multimixture dans leur alimentation. C. Brandão et son équipe ont enregistré des résultats obtenus dans la pratique, avec les instruments dont ils disposaient. Les récits des participants (tableaux 1 et 2 en annexe) et la pesée des enfants sont des exemples typiques de ces notes.

Figure 2. Pesée mensuelle des enfants par les volontaires de la Pastoral da Criança21

La communauté des nutritionnistes dénonce le manque de rigueur des protocoles et argumente que le type de suivi qui mène aux résultats dont se réclame C. Brandão (ceux qu’illustrent les images I et 2), nécessite une plus grande rigueur scientifique. Dans leur grande majorité, les études des

tradition, l’historien(ne) des sciences et des technologies n’a pas pour impératif méthodologique de chercher « en dehors de la science » une explication du fait scientifiquement établi, en l’occurrence que « la multimixture ne contient pas les éléments nutritionnels nécessaires pour nourrir les enfants », dans la mesure où cette vérité scientifique est supposée affirmer quelque chose sur le monde ou sur « la réalité » telle qu’elle est. Les tenants de cette tradition ignorent que toute vérité scientifique s’appuie sur un ensemble spécifique d’« inscriptions ». Le processus de purification, de choix et de négociations qui stabilise un fait scientifique n’est pas pris en compte par cette tradition, qui considère la science comme appartenant à un autre monde, un monde non humain. Le Programme Fort de Sociologie de la Science de l’Université d’Édimbourg a rompu avec cette tradition épistémologique, qui reste peut-être encore dominante (voir Bloor, 1976/1991). Après cet éclatement, d’autres l’ont suivi (voir Latour & Woolgar, 1979 ; Knoor-Cetina, 1981 ; Lynch, 1985 ; Traweek, 1988 ; Latour, 1989).21 Source : Pastoral da Criança de l’état de Paraíba. Disponible sur http://www.fazendatamandua.com. br/it-nov04.htm. Accès en juillet 2009.

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nutritionnistes mettant en œuvre des protocoles plus rigoureux ne confirment pas les résultats annoncés par C. Brandão. Cependant, celle-ci dénonce de son côté les imperfections des protocoles de certaines expériences conduites par des chercheurs universitaires dans le domaine de la nutrition22.

Toutefois, C. Brandão a une capacité très limitée d’ouvrir des controverses sur le déroulement et sur les résultats des expériences menées par les scientifiques nutritionnistes. Elle ne dispose pas et n’a pas accès aux ressources de contre-laboratoires23 pour réussir à ouvrir des controverses susceptibles de pousser les nutritionnistes eux-mêmes à douter des résultats obtenus dans leurs laboratoires.

Cela étant, le fait que C. Brandão ne dispose pas des ressources pour ouvrir une controverse avec les nutritionnistes n’est le point le plus important de la deuxième histoire. Ce que la deuxième histoire apporte de plus important, c’est l’exigence de symétrie : d’un côté le problème de la malnutrition ou de la famine, spécialement chez les enfants, a le pouvoir de mobiliser des actions solidaires. C. Brandão a osé aller au-delà des limites d’une zone purifiée restreinte et isolée du laboratoire, pour augmenter l’échelle de circulation de sa proposition de la multimixture. D’un autre côté, l’établissement de vérités scientifiques sur la multimixture par des groupes académiques traitant de questions alimentaires et nutritionnelles, n’est pas un processus isolé et désintéressé. La possibilité que la multimixture soit adoptée dans le goûter scolaire, dans le cadre d’un programme d’ampleur nationale, avec une dépense annuelle de milliards de reais24, met la multimixture dans une arène où il y a d’autres acteurs, déjà très bien établis sur le marché brésilien depuis longtemps. Ces acteurs ont noué des rapports avec les groupes académiques, des rapports souvent encouragés par le gouvernement via le financement de la recherche. La Pastoral da Criança a établi un accord avec de grandes entreprises du secteur agroalimentaire, l’abandon de l’usage de la multimixture coïncide d’ailleurs avec l’attribution du prix international d’un million de dollars à la coordinatrice de la Pastoral da Criança, Zilda Arns. Les groupes académiques de nutritionnistes professionnels impliqués proviennent, en majorité, des régions du Sud et du Sud-Est du Brésil, c’est-à-dire des régions les plus riches où l’idée d’une équivalence entre connaissance scientifique et connaissance fiable reste le paradigme dominant, par opposition aux soi-disant « croyances absurdes ». En tant que groupe professionnel, les nutritionnistes ont peut-être en tête de bien délimiter leur territoire dans un conflit possible pouvant les opposer à un groupe professionnel beaucoup plus puissant, celui des médecins.

La première histoire considère qu’il y a une définition univoque de la rationalité, laquelle n’a pas besoin d’explication et de justification, et accepte

22 « Un accompagnement individualisé de chaque enfant n’a pas été fait, et si l’enfant n’a pas mangé le haricot ? Et s’il est resté chez lui ? » – questionnement du résultat de la recherche qui n’a pas confirmé les propriétés de la multimixture (interview de Lucimeri Ricas Dias et de l’auteur, à Brasília, le 9 mars 2009).23 Pour une explication sur le contre-laboratoire, voir Latour (1998).24 US $ 1,00 équivaut approximativement à R $ 1,70 (mars 2011).

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que le « fait » scientifique et la « vérité » scientifique soient d’emblée inscrits dans un Ciel pur, celui de l’Universel et de l’Absolu. La deuxième histoire introduit des différences. Dès lors que pour comprendre la diffusion de la multimixture, inexplicable par la référence aux seuls « faits » scientifiques, il apparaît nécessaire de faire intervenir toutes sortes de facteurs « impurs », notamment des facteurs sociaux tels que les intérêts, les émotions, l’irrationalité, l’ignorance, la résistance, le fanatisme ou la malice, alors il sera tout aussi nécessaire de faire intervenir les mêmes facteurs sociaux pour comprendre le succès des opposants à la multimixture. Principe de symétrie donc : dans cette deuxième histoire, méthodologiquement, des explications symétriques doivent être proposées pour expliquer aussi bien la diffusion de la multimixture dans un premier temps, que son échec dans un second temps. Les vérités scientifiques autant que les équivoques ou les fraudes doivent être comprises et expliquées dans les mêmes termes, c’est-à-dire par la juxtaposition d’éléments hétérogènes. Dans la deuxième histoire, les vérités scientifiques ne se soutiennent pas d’elles-mêmes ou en vertu d’une rationalité supposée intrinsèque (scientifique), pas plus que les erreurs, les errements, les fictions supposés des pro-multimixtures ne peuvent être considérés comme totalement irrationnels : ceux-ci en effet ne sont pas dépourvus d’une certaine rationalité.

La deuxième histoire est par conséquent plus relativiste et plus dialogique. Quand elle exige que les succès et les échecs soient expliqués dans les mêmes termes, elle ôte à la « vérité scientifique » son privilège épistémologique supposé, parce qu’elle affaiblit le caractère radical de la différence entre une connaissance scientifique « vraie » et une « croyance populaire absurde fausse ». Dès lors qu’elle met en évidence l’historicité du fait scientifique, elle le rend relatif.

Toutefois, pour l’anthropologue, le sociologue ou l’historien des sciences et des techniques, il existe une limite du relativisme. Cette limite réside dans la façon dont se terminent les controverses scientifiques (voir Collins, 1992 ; Latour, 1998). En effet, si au sein de la communauté des scientifiques spécialisés dans le domaine de la nutrition, il n’y a pas de controverse sur les caractéristiques alimentaires de la multimixture, alors ces caractéristiques sont considérées comme un fait scientifique établi. Point final. On peut ainsi lire dans l’ouvrage de Bruno Latour, Science en action (1987) :

« Nous ne pouvons pas être plus relativistes que les scientifiques [quand ils ferment une boîte noire]... Pourquoi ? Parce que le coût de la controverse est très cher pour un simple citoyen, même s’il est un historien ou un sociologue de la science » (Latour, 1998, p. 166).

Or, pour C. Brandão, cette limite du relativisme a une conséquence de portée stratégique : la connaissance scientifique, cette ennemie puissante capable non seulement de décrire et de créer les objets qu’elle décrit, mais aussi de créer et d’imposer comme universelle et neutre sa version de réalité, n’admet comme légitime qu’un dialogue avec un contre-laboratoire. Elle impose donc les armes du duel. Les exigences de symétrie peuvent être une ressource,

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mais elles ne sont pas par elles-mêmes suffisamment fortes pour permettre l’ouverture de controverses scientifiques. C. Brandão devrait mobiliser des ressources importantes si elle veut provoquer des fissures dans la connaissance scientifique établie dans les laboratoires au sujet des propriétés nutritionnelles de la multimixture, et ouvrir ainsi des controverses « proprement scientifiques ». Or, pour mener la lutte sur ce terrain, C. Brandão doit, mobiliser des ressources qui pourront ne pas être à sa portée, du moins à court terme.

Comment dépasser cette limite du relativisme de la deuxième histoire ? Autrement dit, comment une troisième histoire peut-elle dans ce cas-là tracer une ligne de fuite dans le territoire délimité par la fermeture des controverses scientifiques ? Soit encore, comment peut-on parvenir à dépasser les limites de l’épistémologie moderne qui résultent de ce que John Law appelle la « métaphysique euro-américaine » ?

Il y a à ce sujet au moins deux changements nécessaires à considérer. Le premier changement, en partie présent dans la deuxième histoire, consiste à reconnaître la performativité ontologique de la connaissance scientifique moderne. Bien que les sciences modernes se présentent comme découvrant des formes ou entités données dans la Nature, les Science and Technology Studies nous ont accoutumés depuis une quarantaine d’années à l’idée que les sciences ne décrivent pas seulement, mais créent les entités qu’elles décrivent. La physique, la chimie, la biologie et même l’économie (science économique) affirment, par le moyen des institutions de la vulgarisation scientifique, que ce qu’elles décrivent est la vérité et la réalité, c’est-à-dire le monde tel qu’il est. La reconnaissance de la performativité ontologique des connaissances scientifiques nous conduit à admettre que la vérité et la réalité que visent les connaissances scientifiques, indépendamment des indéniables succès technologiques sur lesquels elles débouchent, ne sont ni La vérité ni La réalité, mais une vérité et une réalité qui sont construites sur la base d’un nombre nécessairement restreint d’inscriptions. Au contraire de ce qui se passerait dans le cadre d’une « recherche désintéressée » au sens de Merton, la stabilisation d’une vérité ou d’une réalité scientifique est fortement tributaire des interventions à la fois techniques, sociales et politiques des scientifiques, ainsi que de la nature et de la solidité des alliances qu’ils nouent. Dès lors, les entités, les vérités, les faits, en somme : la « réalité » que les sciences prétendent exhumer, n’est pas une donnée de la Nature mais une construction, fruit de ces interventions. La reconnaissance de cette performativité ontologique de la science n’est certes pas une nouveauté, toutefois ce n’est que récemment – quelques décennies – qu’elle a été prise pour thème privilégié par les sociologues et historiens des sciences et des techniques. Thomas Kuhn écrit en 1969, dans la postface de son livre célèbre, qu’une vision exacte ou la plus fidèle possible de ce qu’est la Nature n’est plus qu’un « ajustement parmi les entités avec lesquelles la théorie peuple la nature » et il ajoute : « La notion d’un ajustement entre l’ontologie d’une théorie et sa contrepartie “réelle” dans la nature me semble illusoire par principe » (Kuhn, 1969/1992, p. 253). La voie en direction d’une appréciation plus conséquente de la performativité ontologique des sciences a été ouverte

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environ deux décennies plus tard, par les études ethnographiques portant sur « la vie de laboratoire », c’est-à-dire sur la fabrique des connaissances scientifiques C’était à partir de là qu’une production interdisciplinaire dans le domaine des Science and Technology Studies est devenue plus forte, et que s’est imposée l’idée que les sciences modernes, du moins les sciences modernes contemporaines, ne décrivent pas seulement les objets dont elles s’occupent, mais qu’elles créent elles-mêmes ces objets qu’elles décrivent. Michael Fischer observe que, bien que le titre « constructivisme social » puisse paraître « une redécouverte tardive d’une pratique ancienne d’analyse sociale et culturelle anthropologique », la contribution des STS « continue d’être profonde... vers la reconnaissance que le processus de découverte consiste, à chaque fois davantage, en un processus de production active, de reconfiguration de nos mondes en nouvelles formations » (Fischer, 2009a, p. 74 ; Fischer, 2009b, p. 99).

Le second changement à considérer, c’est le déplacement auquel Derrida a fait référence. Si la réalité mise en scène par la science occidentale, sous-tendue par la « métaphysique euro-américaine », est une construction historique immanente et non pas transcendante, alors cette réalité n’est pas un absolu et la perception elle-même, traitée par le sens commun mais aussi par les scientifiques comme le sens qui nous donne accès à la réalité en soi, dont la science est supposée s’approcher asymptotiquement, la perception donc est elle aussi le résultat d’une production active. Autrement dit, l’histoire de la « métaphysique euro-américaine » et de ses concepts, la culture européenne, ne doivent pas être considérées comme ayant a priori une valeur universelle : la réalité qu’elles mettent en scène n’est qu’une version parmi d’autres de la réalité. Une équivalence ontologique émerge ainsi entre la culture européenne et les autres cultures, en particulier entre la connaissance des sciences modernes et d’autres types de connaissances, y compris celles des « profanes ». Cependant, notons que l’affirmation d’une équivalence ontologique entre différentes versions de réalité n’implique pas chez les acteurs une capacité égale à faire valoir ces versions de réalité. Cette capacité sera le résultat incertain et indéterminé, toujours situé, de contingences non seulement philosophiques mais aussi, et inséparablement, politiques, économiques, techniques, etc.

Thomas Kuhn va dans le sens de ce déplacement quand il indique « les difficultés croissantes (des historiens) pour distinguer la composante scientifique des observations et des croyances passées, de ce que leurs prédécesseurs avaient nommé promptement “erreur” ou “superstition” ». Bien que ses exemples et ses références historiques, géographiques et culturelles soient strictement européens (la dynamique aristotélicienne, la chimie du flogistique, la thermodynamique), il conclut que « si ces croyances obsolètes doivent être appelées mythes, alors les mythes peuvent être produits par les mêmes types de méthodes et maintenus par les mêmes raisons qui aujourd’hui conduisent à la connaissance scientifique. Si, par un autre côté, elles doivent être appelées sciences, alors la science inclut des ensembles de croyances totalement incompatibles avec celles que nous maintenons aujourd’hui » (Kuhn 1969, p. 21).

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Sur ce point, l’anthropologie du développement apporte un éclairage utile en suggérant que les rapports entre connaissances forgées sur la base de métaphysiques différentes, sont plus de confrontation que de dialogue. L’anthropologie du développement montre que « la connaissance aussi bien que l’ignorance, au lieu de renvoyer à des états ou à des situations de sens bien défini, sont des notions bien souvent érigées en normes idéales et atemporelles que certaines personnes attribuent à d’autres en situations particulières, fréquemment avec des connotations morales. En outre, ceux qui proposent un “système” essayent la plupart du temps d’éliminer les autres types de connaissances, et traitent ceux qui en font usage, non seulement comme victimes de l’erreur, mais aussi comme obscurs et mauvais » (Hobart, 1993, p. 21).

TROISIÈME HISTOIRE

C. Brandão survivra et pourra même vaincre partiellement à la condition que d’autres ontologies entrent en scène, et définissent d’autres territoires où les armes des scientifiques nutritionnistes, ses puissants ennemis, n’ont pas le même effet. La multimixture ne peut pas nourrir puisqu’elle ne contient pas d’éléments nutritifs, affirment les nutritionnistes, mais elle continue malgré cela à nourrir les enfants, disent les « profanes ». C. Brandão collectionne des témoignages des mères, des proches, des amis et volontaires qui participent au programme multimixture et qui présentent des « évidences anecdotiques »25, évidences que les scientifiques déprécient, quand ils ne les disqualifient pas purement et simplement, sans explication.

Les évidences anecdotiques mettent en scène une tension entre la connaissance du spécialiste (scientifique) et la connaissance du profane. Elles ont fréquemment des conditions spécifiques, locales. Par exemple, les conditions intimes entre mère et fille – qui ne sont pas et ne peuvent relever d’évaluations générales basées sur des situations supposées « typiques ». « Le point clé ici, c’est que la connaissance de ces conditions sociales particulières [des évidences

25 L’évidence anecdotique évoque la notion d’anomalie de Thomas Kuhn. L’évidence anecdotique met en scène une nouvelle situation qui n’a pas d’explication dans le cadre de la « science normale ». Il est possible, bien que non garanti, que les éléments apportés par l’évidence anecdotique disloquent un paradigme et provoquent une « révolution scientifique » au sens de Kuhn, mais tant que cette transformation n’a pas été accomplie, c’est-à-dire tant que le scientifique n’a pas appris à voir la nature autrement, le nouveau fait ne sera pas considéré comme scientifique (Kuhn, 1969/1992, p. 78) « Dans la science... la nouveauté émerge seulement avec difficulté (difficulté qui se présente par la biais d’une résistance) contre un scénario fourni par les attentes » (Kuhn, 1969/1992, pp. 90-91). Récemment, les évidences anecdotiques ont réussi à changer l’attitude des scientifiques en ce qui concerne les effets des ondes électromagnétiques sur les personnes, comme dans le cas des téléphones portables, et n’ont pas réussi dans le cas du vaccin triple viral (contre varicelle, oreillons et rougéole). Voir le détail de ces cas chez Moore & Stilgoe (2009).

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anecdotiques] doit venir des personnes les plus intimement liées entre elles » (Moore et Stilgoe, 2009, p. 657).

Les personnes qui croient en la multimixture choisissent de vivre une version de réalité qui n’a pas une performativité ontologique comparable à la version de réalité soutenue par ceux qui s’appuient sur des références scientifiques, sur les « effets de vérité » attachés aux laboratoires. Les rapports, dont on trouvera une illustration ci-dessous, sont courants entre les défenseurs de la multimixture – un certain nombre d’entre eux peut être trouvé dans la partie « témoignages » sur le site www.multimixture.org.br.

Une mixture simple et miraculeuse qui jusqu’à aujourd’hui sauve des vies. La Multimixture a sauvé Tiago da Silva qui a actuellement 21 ans. Sous-alimenté, il est né avec 900 grammes seulement, en raison du manque de soin de la mère, Maria Aparecida da Silva, pendant sa grossesse. Le bébé est resté hospitalisé durant 28 jours dans un hôpital de Porecatu (Nord)…Son état était tellement mauvais que les religieuses refusaient parfois qu’il soit vu. Il était entre la vie et la mort. Personne ne pouvait dire s’il survivrait ou pas, confie la mère. À l’âge de six mois, le bébé a ingéré la multimixture ajoutée au lait et à la nourriture et, petit à petit, il a recouvré la santé. « Si mon fils a survécu, c’est grâce à Dieu et à la Pastoral », explique la mère, fière d’avoir aujourd’hui un homme chez elle. « Ceux qui regardent mon fils aujourd’hui n’imaginent même pas qu’il a été presque mort. » Tiago a terminé ses études secondaires et travaille dans le secteur des chaudières à l’Usine de Porecatu. Marié et père d’une petite-fille d’un an et trois mois, il exige aujourd’hui qu’on donne à sa fille la multimixture en guise de complément de son alimentation. « Je sais à quel point elle (la Multimixture) a été importante pour moi. » Maria Aparecida, après que son fils a été sauvé, a commencé à travailler activement au sein de la Pastoral ; elle est aujourd’hui leader dans un secteur. « Je fais pour les enfants des autres ce qu’on a fait pour le mien à sa naissance, quand j’ai eu besoin d’aide. » (Dias, 2010, p. 69)Une autre jeune rescapée à Florestópolis s’appelle Edileusa Martins de Oliveira, 24 ans. Elle aussi a été internée pour malnutrition à sa naissance. Dans un état très grave, elle est restée jusqu’à l’âge de 3 ans au Centre Nutritionnel. Aujourd’hui, chez Edileusa qui a trois enfants – João Lucas de 4 ans, Bruna Stefane de 2 ans et Bruno Ariel de 6 mois – la multimixture est présente dans l’alimentation. Aujourd’hui, Edileusa oriente les mères, visite chaque maison et suit le développement des enfants. « C’est un travail béni que nous faisons avec beaucoup d’amour. »26 Nous voulons communiquer et nous voulons montrer notre joie de pouvoir travailler dans la Pastorale de l’Enfant, de voir le sourire de l’enfant. L’une des actions de la Pastoral qui m’attire le plus, c’est la cuisine alternative que nous avons eu l’occasion d’apprendre avec le docteur Clara Takaki Brandão en mai 1987. Nos leaders qui ont participé aux cours de cette cuisine alternative ont commencé à donner plus de valeur aux produits nationaux, ont eu l’occasion de connaître ce complément alimentaire de blé, ainsi que la valeur nutritionnelle des feuilles vertes, et ont appris à améliorer l’alimentation de toute la famille, principalement celle des enfants

26 Journal Feuille de Londrina, 12/09/2008.

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et des femmes enceintes, avec la multimixture. Le plus important, c’est que presque toutes les participantes ont eu une formation et ont commencé à cultiver des jardins potagers, ont appris à aimer la terre et à comprendre la beauté de la nature. À la fin de la formation, chacune a assumé l’obligation de transmettre ce qu’elle avait appris aux autres mères qui, elles, n’avaient pas eu l’occasion de bénéficier de cette formation. Le résultat fut immédiat – non seulement en ce qui concerne l’alimentation des enfants, mais aussi au regard des dépenses domestiques (avec un jardin potager, la personne économise et apprend à valoriser ses produits et peut même les échanger contre d’autres produits). Mais ce n’est pas facile, même pour une mère, d’introduire dans sa famille des aliments étranges pour elle, comme le grain moulu de blé (connu au Brésil comme étant la nourriture que l’on donne aux cochons). Il y a aussi dans la multimixture des peaux de banane, des coquilles d’œuf, de la poudre de la farine de manioc... Nous tous, dans la région de São Miguel (à São Paulo), nous n’avons qu’à remercier Dieu d’avoir mis sur notre chemin le docteur Clara Brandão... En sus des bonnes choses dont nous parlons lors de nos rassemblements, nous apportons toujours un gâteau fait avec de la poudre de blé ainsi que des plats confectionnés avec la multimixture ; les personnes qui ne font pas partie de la Pastoral da Criança commencent ainsi à s’intéresser et à aimer. Après les réunions, ces personnes commencent à se servir de la multimixture et elles finissent par l’adopter. Nous avons eu récemment un reportage, une interview dans le programme de télévision Fantástico. À la fin du programme, l’équipe de journalistes qui a fait les enregistrements a mangé avec nous. Le groupe était composé de 20 personnes. Nous n’avons pas beaucoup dépensé, à peine 500 cruzados, et il restait encore à manger quand nous avons fini. Le journal O São Paulo, de l’église, est venu jusqu’à nous et les journalistes, eux aussi, ont goûté la « farofa » (la poudre de blé). Comme nous avons aboli les produits des entreprises multinationales (Danone, Mucilon, Farine lactée, Yakult), beaucoup d’économies ont été faites. Tous ces produits entraient chez nous par obligation parce qu’on avait l’idée qu’un enfant bien nourri devait absolument les manger et, pour des ouvriers comme nous, ces produits étaient difficiles à se procurer. Pour les enfants qui ne sont plus allaités, et même pour les enfants plus grands, dès que la mère commence à utiliser la cuisine alternative, ils grandissent très vite, c’est même presque un miracle tant ils deviennent vite actifs et éveillés. Dans la région, nous donnons toujours des conseils nutritionnels aux familles par le moyen du journal Grita Povo. La cuisine alternative fera partie de toutes les formations que nous dispenserons parce que, comme nous l’avons déjà dit, cette découverte a été un miracle27.« Quand ils participent au Programme ils vivent un rêve », explique Edilene Oliveira Ferro en parlant des garçons et des filles impliqués. L’alimentation nutritionnelle est associée au « Jour de l’Hygiène », quand tous prennent un bain plus soigné, coupent les cheveux et les ongles, quand les fillettes se maquillent et qu’on leur fait une manucure et une pédicure. Les participantes au programme aident aussi à la préparation des repas en tant qu’assistantes . C’est le moment de découvrir ce qu’est une bonne alimentation et de s’informer à ce sujet. La mini-fabrique de multimixture va approvisionner,

27 Lettre de l’équipe de São Miguel Paulista publiée dans le Bulletin Informatif Pastoral de l’Enfant, adressée à la sœur Maia Helena Arns, signée par Cecília le 29/12/1987.

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outre Bom Conselho, toutes les villes de l’État de Pernambouc où fonctionne la AABB Communauté. « Ce sont les éducateurs et les mères des enfants qui font fonctionner la mini-fabrique de multimixture. La matière première utilisée en vue de fabriquer le complément alimentaire composé, est adaptée selon les produits les plus disponibles et les plus courants dans la région, et offerts par les parents et par les membres de la communauté », explique le président du Conseil de l’État des AABBs (Cesabb), José Alexandre da Silva28.

EN GUISE DE CONCLUSION

Je propose pour terminer de confronter les trois histoires ou versions de réalité présentées dans l’article, afin de mieux cerner un problème important, à savoir montrer que les connaissances produites doivent toujours être rattachées aux conditions particulières de leur usage. Ce problème suscite l’attention des anthropologues qui étudient et discutent les façons dont les connaissances locales sont confisquées par des spécialistes (ici les nutritionnistes), qui pensent qu’il n’existe pas plusieurs façons valables de traiter les problèmes du monde, autrement dit, qu’il n’existe pas des façons alternatives d’agir et connaître, « ou des rapports temporels de cosmopolitisme » (Fischer, 2009). Je cherche ainsi à pointer les problèmes que soulève la prétention de la science occidentale à fournir et imposer des solutions soi-disant nécessaires et inévitables à tous les problèmes qui se posent dans le monde, en occultant le fait que ces solutions sont en réalité fortement marquées par les modes de vie et de pensée occidentaux. Cette situation devient franchement dramatique dès lors que ces solutions sont imposées à tous ceux qui n’ont pas été, par le biais de l’école, familiarisés avec la vision et les valeurs occidentales, c’est-à-dire qui ne sont pas préparés par leur éducation à considérer cette vision et ces valeurs comme « naturelles », ce qui est le cas d’une grande partie de la population brésilienne aujourd’hui. « La connaissance aussi bien que l’ignorance... sont des notions érigées en normes idéales et atemporelles qui, au lieu de décrire des situations sans ambiguïté, sont attribuées par certaines personnes à d’autres personnes dans des circonstances particulières, le plus souvent avec des connotations morales » (Hobart, 1993, p. 21).

Selon l’anthropologue Piers Vitebsky, l’article « Deuil et mélancolie » de Freud présente « la théorie séculaire la plus cohérente et influente des processus mentaux de la perte par mort, dans l’Occident industrialisé » (Vitebsky, 1993, p. 102). Je voudrais m’appuyer sur le travail de Piers Vitebsky afin de confronter les trois histoires de la multimixture que j’ai présentées.

La base du modèle et de la pratique (thérapeutique) de Freud est la certitude que la personne qui est morte a fini d’exister dans un sens ontologique profond.

28 http://www.fbb.org.br/portal/pages/publico/expandir.fbb?codConteudoLog=5938.

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La personne morte n’est plus un être subjectif et toute tentative faite pour entrer en contact avec le mort repose sur une illusion. Pour une personne qui ne se console pas de la perte de l’être cher, penser avoir entendu la voix du mort ou imaginer sa présence peut faire partie de ce que Freud appelle le « deuil normal ». Mais le « test de réalité » doit immédiatement convaincre cette personne inconsolable que le mort n’existe plus. C’est la reconnaissance du « verdict de la réalité » qui amorce le processus de récupération. Si ce verdict n’est pas accepté, un état pathologique de mélancolie s’établit. Cela signifie le recul et la retraite dans une psychose hallucinatoire dominée par le désir que l’existence du mort soit psychiquement, et illusoirement, prolongée. Le dialogue avec un psychanalyste devient alors nécessaire pour que le patient puisse reconnaître cette illusion et en sortir.

Or, d’après Vitebsky, les Sora29 vivent une autre version de réalité. Pour eux, les morts continuent à exister pleinement malgré leurs transformations qualitatives. Là où Freud distingue les états mentaux normaux et pathologiques chez la personne inconsolables, les Sora distinguent les états mentaux bienveillants et agressifs chez le mort et les localisent dans plusieurs parties distinctes du paysage. Les morts habitent dans ces lieux selon leurs envies du moment, le vivant les rencontre et se mêle à eux en passant par le paysage. Parfois, les morts soignent leurs descendants et assurent la continuité de la lignée ; parfois, ils attaquent leurs descendants et leur causent les mêmes maladies que celles par lesquelles ils sont morts. Le chaman prévoit un canal par lequel les vivants et les morts établissent un dialogue. Ces dialogues se réalisent par le moyen des divinations, des rituels de guérison et des funérailles. Ici les vivants et les morts exploitent les mouvements de chacun pour les modifier. Pour être guéri, le vivant invite les morts qui l’attaquent pour un dialogue, de manière à découvrir quels sont leurs sentiments à son égard et pourquoi ils l’attaquent. Le vivant essaie alors de persuader les morts d’arriver à un état mental différent, moins agressif, tandis que les morts, à leur tour, peuvent persuader le vivant de changer quelque chose en lui-même.

Vitebsky affirme qu’il serait difficile – au moins pour un anthropologue – de découvrir une métaposition depuis laquelle on pourrait affirmer avec certitude qu’une de ces deux versions de réalité est fausse tandis que l’autre serait vraie. En vérité, cette proposition semble dépourvue de sens. Selon lui, la différence n’est pas ici entre le vrai et le faux ou l’illusion, elle passe entre deux types d’explication qui sont sur le même plan :

Ceux qui adhèrent à chacune de ces deux traditions métaphysiques en concurrence sont sûrs au même titre de ce qu’ils savent, et des deux côtés on renforce même cette conviction via des procédures de vérification. Freud explique que le « test de réalité » qui conduit au « verdict de la

29 Les Sora sont un peuple « tribal » qui vit historiquement à l’écart des centres politiques et qui se déplacent dans l’Inde centrale. Ils se pensent comme advasi (tribal), mais aussi comme « Hindou », en opposition consciente aux enclaves plus petites des Sora chrétiens. Culturellement, les Sora des plaines sont similaires aux castes des alentours, mais sur les montagnes ils ont un caractère distinct. (http ://www.everyculture.com/South-Asia/Sora-Orientation.html, accès le 09/01/2012).

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réalité » est que le mort « n’existe plus ». De même, les Sora ont des moyens bien à eux d’interroger les morts pour vérifier qu’ils sont vraiment ce qu’ils prétendent être, et non des imposteurs venus pour se régaler gratuitement à l’occasion d’un sacrifice. Dans ces deux cas, on peut trouver des arguments visant à disqualifier la métaphysique concurrente de fausse et d’absurde. Le test de réalité de Freud ne teste vraiment pas la réalité, mais teste des propositions face à une notion préconçue de réalité. De même, toute pratique de dialogue avec les morts pourrait être de manière plausible interprétée dans la supposition que ces dialogues ne sont rien de plus qu’une mise en scène. (Vitebsky, 1993, pp. 103-104)

Je propose de confronter les trois histoires ou versions de réalité, et corrélativement les trois types d’articulations entre techniques et vérités dans les « domaines de la maladie et de la santé, du corps, de l’esprit et de l’âme » que Vitebsky élabore (Vitebsky, 1993, p. 112) :

Première histoire de la multimixture : formes matérialistes a. de psychiatrie : technique avec peu ou aucun dialogue, corps radicalement séparé de l’esprit (ou cerveau) ;Deuxième histoire de la multimixture : psychanalyse freudienne : b. technique moyennement dialogique, corps en rapport avec l’esprit, concept d’âme sans esprit ;Troisième histoire de la multimixture : chamanisme des Sora : c. technique très dialogique, corps en rapport avec l’esprit (ou âme), concept mental (ou d’âme) avec les esprits.

Vitebsky observe que « nous avons besoin d’abandonner les théories qui portent sur la valeur de vérité de la connaissance (pour ne rien dire de l’ignorance), au profit des notions d’adéquation, de connaissance appropriée et de contexte » (Vitebsky, 1993, p. 104).

La version de réalité de la première histoire, qui limite le corps à l’espace ontologique habité par les entités créées et établies par la biochimie au sein du laboratoire, correspond, et ce n’est pas surprenant, aux techniques matérialistes (biophysiques ou biochimiques) de la psychiatrie. Dans la deuxième histoire, l’idée de comprendre la réussite puis l’échec de la multimixture en termes de faits scientifiques qui se stabilisent ou pas dans les espaces ontologiques incluant le laboratoire et la société, correspond à l’ontologie de la psychanalyse freudienne qui amplifie l’être, en douant le corps d’affections (âme sans esprit). La troisième histoire, qui fait une place aux représentations magiques de la multimixture, correspond au chamanisme des Bora, un rituel qui crée un espace ontologique habité par des corps et des affections ou âmes avec esprit, en ouvrant une ligne de fuite pour échapper aux limites du relativisme caractéristique de la deuxième histoire lorsqu’elle fait face à la fermeture des controverses, dans le contexte de la métaphysique que John Law appelle « euro-américaine ».

Dans la troisième version de réalité, C. Brandão n’est pas a priori isolée et la multimixture peut coexister avec la science ; elle peut même la forcer à s’infléchir et peut, changeant en mouvement inverti, la domestiquer :

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« Le mouvement de l’éducation populaire a fait émerger des pratiques alternatives au modèle mercantile et biologique dominant, surtout à partir des années 1970... La participation des professionnels a permis le développement d’une culture de la relation avec les couches populaires, ce qui a contribué à rompre avec la culture autoritaire et normative de la pratique éducative » (Frota, Albuquerque et al., 2007, p. 248) apud (Dias, 2010, 22).

Cependant, il apparaît que le plus souvent :

« vaincre les résistances des scientifiques professionnels et des institutions formelles de recherche est pénible et prend du temps. Les techniques de préservation du sol connues sous le nom d’agriculture minimum, développées et répandues par les fermiers de la région du Sud du Brésil à partir de 1972, avaient déjà été adoptées dans plus de dix millions d’hectares en 1997lorsque la Embrapa les a validées en tant que procédures agricoles » (Fioravanti, 2010, p. 26).

En abandonnant au moins partiellement l’adhésion inconditionnelle à la valeur normative de la science et aux « vérités » scientifiques établies dans le champ de la biochimie nutritionnelle – même quand ces « vérités » ne souffrent plus la controverse entre scientifiques, et qu’elles semblent devenues des boîtes noires –, les personnes mettent en œuvre dans la troisième version de réalité des pratiques qui débordent le cadre d’un dispositif nutritionnel coupé du reste du monde (Callon, 1998). Elles dérangent ainsi la fermeture des controverses scientifiques et tentent d’ouvrir (sans garantie de succès) des lignes de fuite dans le dispositif plus restreint et purifié des paradigmes scientifiques dominants, et des processus nutritionnels configurés dans les laboratoires où les rapports avec le corps sont vus à partir de modèles formels. Ces lignes de fuite conduisent vers des conceptions plus larges touchant la vie et le corps (en se référant, par exemple, à l’enchantement, à la magie, à l’amour-propre).

C’est l’acceptation de la connaissance dans une autre version de réalité qui peut émerger de la troisième histoire et qui permet de rompre avec la « métaphysique euro-américaine », d’abandonner l’idée d’une réalité unique et d’instituer une réalité multiple (sans formes supposées données a priori, soit dans la Nature soit dans la Société) et de créer les conditions d’un meilleur dialogue (un dialogue plus inclusif) entre les versions de réalité.

Remerciements

Je remercie Lucimeri Ricas Dias d’avoir partagé avec moi le matériau de recherche qu’elle a réuni en vue de sa dissertation de maîtrise (Dias, 2010).

Je remercie aussi les trois experts anonymes pour leurs généreux commentaires et suggestions, ainsi que Marília Sales de Siqueira qui a traduit avec soin cet essai.

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RENCONTRE DU 26 NOVEMBRE 2006 – HUBGroupe Fraternel Étoile de l’Orient – Aide aux lépreux du DF

TÉMOIGNAGE DES PERSONNES AIDÉES QUI ONT CONSOMMÉ PENDANT

UN MOIS LA MULTIMIXTURE (UNE CUILLÈRE À SOUPE PLATE PAR JOUR)

Ana Rita Leitão. Symptômes initiaux : douleurs aux articulations, 1. nausées et intestin qui ne fonctionne pas bien. Résultats : a présenté des améliorations et a maigri de 3,5 kilos (sur un total de 5 kilos si on considère la perte de poids du mois d’octobre).Anísia Ramos. Symptômes initiaux : douleurs et crampes aux côtes, forte 2. soif. Résultats : a présenté des améliorations de tous les symptômes.Erisvalda Souza Macedo. Symptômes initiaux : insomnie, douleurs aux 3. articulations et aux jambes. Résultats : dort bien et a maigri de 4,5 kilos (sur un total de 6 kilos si on considère la perte de poids du mois d’octobre), amélioration des douleurs.Francinaldo de Oliveira Claudino. Symptômes initiaux : douleurs aux 4. jambes et flatulences. Résultats : amélioration des douleurs et intestin mieux réglé.

... séquence de témoignages analogues de plus de 10 personnes...14) Severino Fernandes da Silva : Symptômes initiaux : manque d’appétit,

imsomnie et engourdissement des jambes. Résultats : mange et dort mieux,

l’engourdissement a diminué.

Tableau 1.

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Suivi de l’usage de la multimixture auprès des personnes qui fréquentent

la Thérapie Communautaire du Centre de Santé numéro 1 du Paranoá

(jeudis de 14:45 à 17 heures)23.08.2007 – Daistribution de 21 paquets de multimixture à 13 femmes

et 1 homme, concernant 73 personnes. (distribution de 10 exemplaires de recettes qui contiennent l’usage de la Multimixture).

30.08.2007 – Témoignages de 6 personnes (6 étaient absentes et 2 n’ont pas répondu).

- Enfant de 5 ans avec un faible poids et en état de dépression, a commencé à se nourrir et, de 17,4 kg, a atteint 18,2 kg. La mère a diminué la consommation de sucreries. La grand-mère a commencé à manger pendant les repas ; il y a eu une amélioration de la constipation.

- 2 personnes n’ont pas encore observé de modifications. - Amélioration de l’appétit, la personne se sent mieux.- Amélioration de l’appétit, le nez ne coule pas et la toux s’est arrêtée.- L’enfant grossit.Distribution à 19 personnes de 27 paquets de multimixture, concernant

101 personnes.En additionant les deux distributions, 129 personnes ont participé à la

consommation de la multimixture.06.09.2007 – Témoignages de 11 personnes (13 étaient absentes)

(distribution de 10 exemplaires de recettes qui contiennent l’usage de la multimixture, recette d’un gâteau de banane contenant la peau de la banane, du pain et un ferment).

- Le gonflement a diminué, les douleurs aux jambes de la mère ont diminué, amélioration de l’allergie de peau de la fille, une autre fille (en état de dépression) ne pleure plus.

- Le fils sous-alimenté se sent plus fort et est moins somnolent.- La petite fille de six mois qui avait les cuisses très maigres a grossi.- La grand-mère qui mangeait peu et qui avait du diabète a de l’appétit

maintenant. Le garçon de 13 ans qui était maigre a grossi.- Une personne qui avait des problèmes pour dormir dort mieux.- La personne dort mieux et ses filles mangent mieux.- L’intestin de tout le monde fonctionne bien.- L’appétit et la disposition sont meilleurs.- Plus disposée, moins déprimée. Mari plus disposé.- Mange bien, bonne peau, le mal à la jambe a disparu ainsi que la diarrhée

après de déjeuner de l’enfant de sept ans.- Le petit-fils maigre a grossi d’un kilo et demi et dort mieux. L’estomac

de la fille fonctionne bien maintenant et son intestin est mieux réglé.

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Ivan DA COSTA MARQUES est professeur associé au Programme, en Histoire des Sciences et des Techniques et en Épistémologie (HCTE) de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Il a publié “Cloning Computers: From Rights of Possession to Rights of Creation”, Science as Culture, 14(2), 139-160 (2005) et O Brasil e a abertura dos mercados - o trabalho em questão. Rio de Janeiro, Contraponto. (2002 - 2e édition).

Adresse Universidade Federal de Rio de Janeiro Programa de pós-Graduação em História das

Ciências e das Técnicas e Epistemologia Avenida Atlântica 822 / 402 Rio de Janeiro, RJ 22010-000 BrasilCourriel [email protected]

Distribution à onze personnes de 13 paquets de multimixture, avec la participation de 56 personnes.

En additionant les trois distributions, 156 personnes ont participé à la consommation de la multimixture.

... des témoignages identiques, hebdomadaires, se suivent jusqu’au 08.11.2007 – Témoignages de 4 personnes :

- Sent moins la faim.- Se sent plus fort, grossit et l’appétit est bon. Les petites filles ont de

l’appétit, gagnent du poids et leur peau est bonne.- Des améliorations : diminution de la constipation, de la faiblesse des

jambes et de la diarrhée.- Le ventre a diminué et les taches au visage de la fille disparaissent.Le dernier jour, une mère est venue avec son fils de 2 ans et 3 mois.

L’enfant pesait 6,3 kg et mesurait 71 cm. Il est arrivé avec une sonde en raison de la malnutrition (d’après le livre du Dr. De Lamare – pour 2 ans et 6 mois le poids minimum d’un garçon doit être de 11,4 kg et sa taille de 86,5 cm). La même mère a un autre fils de 4 ans qui pèse 10 kilos (selon le Dr. De Lamare – le poids minimum doit être de 13,65 kilos). Elle est partie avec les 9 paquets qui restaient de la multimixture, pour elle et pour ses 2 enfants. La durée des paquets était de 3 mois. (Chez elle il y avait encore 7 autres personnes).

Tableau 2.

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Revue d’anthropologie des connaissances – 2012/2 189

AbstrAct: “reAliy testing” And limits of relAtivism: the cAse of the food progrAmme multimixture

I present an analytical framework of relations between science and power until the year 2008 around the food program MULTIMIXTURE, present in Brazil since the 1970s. I offer three ontologies, stories, or versions of reality. In each, the relationship between scientific knowledge about nutrition (institutionalized in academic laboratories and in the Federal Council of Nutritionists) and the program MULTIMIXTURE are transformed. I establish a hierarchy between the three versions of reality concerning their dialogic capacities. The first version of reality is determined by the analysis of biochemical components MULTIMIXTURE. The second is the version of reality on a “seamless tissue” of science and culture, nature and society, technical and political issues; it is a kind of version of reality brought into play by many studies in STS (Science and Technology Studies). The third is the version of reality enacted by an anthropologically informed history that escapes from the prison bounded by the “reality testing” dominant in Western culture.

Keywords: science and power, reality testing, scientific frames, rational cages

resumen: « pruebA de reAlidAd » y límites del relAtivismo: el cAso del progrAmA de AlimentAción multimixturA

Se presenta un marco analítico de las relaciones entre la ciencia y el poder hasta el año 2008 en torno al programa de alimentación la MULTIMIXTURA, presente en Brasil desde la década de 1970. Me ponen en escena tres ontologías, historias, o versiones de realidad. En cada una, las relaciones entre el conocimiento científico acerca de la nutrición (institucionalizado en los laboratorios académicos y en el Consejo Federal de Nutricionistas) y el programa MULTIMIXTURA se vuelven. Sugiero una jerarquía entre las tres versiones de realidad acerca de sus capacidades de diálogo. La primera es la versión de realidad establecida por el análisis bioquímico de los componentes de la MULTIMIXTURA. La segunda es la versión de realidad en una mezcla estabilizada de ciencia y cultura, naturaleza y sociedad, cuestiones técnicas y políticas; es una especie de versión de realidad que muchos estudios STS (Science and Technology Studies) ponen en juego. La tercera es la versión de realidad de una historia antropológicamente informada que escapa de la prisión limitada por la “prueba de realidad” dominante en la cultura occidental.

Palabras claves : ciencia y poder, prueba de realidad, marcos científicos, prisiones racionales

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