La Recherche opérationnelle - Numilog

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Q U E S A I S - J E ?

La recherche

opérationnelle

R O B E R T F A U R E

Professeur titulaire de la chaire de recherche opérationnelle au Conservatoire National des Arts et Métiers Ancien conseiller scientifique près la R.A.T.P.

J E A N - P A U L B O S S

Chef du service informatique Société d'assistance technique pour Produits Nestlé S.A.

A N D R É L E G A R F F

Conseiller informatique du Groupe Elf-Aquitaine

Cinquième édition mise à jour

5 6 e mille

D E S MÊMES A U T E U R S

J e a n - P a u l B O S S

Thèse sur l 'analyse factorielle (Université de Neuchâtel) . E n collaboration avec M. KAUFMANN :

Eléments de recherche opérationnelle (Paris, Edi t ions techniques). E n collaboration avec MM. CARDINET, MAIRE et MULLER :

L a batterie générale d'aptitudes (Neufchâtel, Delachaux & Niestlé). E n collaboration (Kohlas /Waldburger , éd.) :

Informatik für EDV-Benützer (Bern u n d S tu t tga r t , Verlag Paul Haup t ) .

R o b e r t F A U R E

Cours de calcul booléien appliqué, 1 éd., 1963 ; 2 éd., 1970, Paris , Albin Michel.

Recherche opérationnelle (cours professé à la section Informatique), Ecole supérieure d 'Electr ic i té , P la teau du Moulon, Gif-sur-Yvette, 1 éd., 1967 ; 3 éd., 1971.

Compléments de mathématiques (cours professé à la section Infor- mat ique de l 'Ecole supérieure d 'Electr ic i té , v. al inéa précédent). COLLECTION « DUNOD-DÉCISION » :

Précis de recherche opérationnelle ( 5 éd. complètement refondue d ' de la recherche opérationnelle, 1968), Paris, Dunod , 1980. COLLECTION « PROGRAMMATION », SÉRIE « RECHERCHE OPÉRATION-

NELLE APPLIQUÉE » : 1. Chemins et flots, ordonnancements (en coll. avec C. ROUCAIROL

et P. TOLLA), Paris, Gauthier-Villars, 1976. 2. Processus stochastiques, leurs graphes, leurs usages (en coll. avec

Ph. CHRÉTIENNE), Paris, Gauthier-Villars, 1974. 3. Eléments de la programmation dynamique (ouvr. de J . -L. LAU-

RIÈRE), Paris, Gauthier-Villars, 1979. 4. Fiabil i té et renouvellement des équipements (en coll. avec J . -L. LAU-

RIÈRE), Paris, Gauthier-Villars, 1974. Structures ordonnées et algèbres de Boole (en coll. avec E . HEURGON),

Paris, Gauthier-Villars, 1971. Mathématiques pour l 'informaticien (en coll. avec B. LEMAIRE), Paris,

Gauthier-Villars, 1973. Invitation à la recherche opérationnelle (en coll. avec A. KAUFMANN),

Paris, Dunod, 1 éd., 1962; 2 éd., 6 nouveau tirage, 1979 (ouvrage t r adu i t en quinze langues).

La programmation linéaire appliquée, coll. « Que sais-je ? », n° 1776, Paris, Presses Universitaires de France, 1979.

A n d r é LE G A R F F

Dictionnaire de l 'informatique, Presses Universitaires de France, 1975. E n collaboration avec MM. KAUFMANN et FAURE :

Les jeux d'entreprises, coll. « Que sais-je ? », n° 892, 1 éd., 1960, 4° éd., 1976, Presses Universitaires de France.

I S B N 5 édition mise à jour ; 4 trimestre 1980 © Presses Universitaires de; France, 1961

108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris

Rien n'est insupportable à l'homme raisonnable que ce qui est sans raison.

EPICTÈTE, Manuel, 287.

CHAPITRE PREMIER

INTRODUCTION A LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE

I. — Ancienneté de la « recherche opérationnelle »

Bien que les censeurs aient, non sans raison, condamné l'expression au moment où elle commen- çait à se répandre (1), elle est maintenant partout reçue et l'on n'étonne plus l'homme de la rue en lui parlant de recherche opérationnelle.

Si l'appellation est nouvelle, la démarche est ancienne. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'homme cherche à optimiser (2) les résultats qu'il peut obtenir, dans des conditions déterminées, et, pour peu qu'il appelle l'esprit scientifique à son secours, il fait de la recherche opérationnelle sans le savoir.

Au livre I de L'Enéide, Virgile conte l'instal- lation de Didon sur la côte africaine : les habitants lui concédaient autant de terre qu'elle en pourrait enclore au moyen d'une lanière tirée de la peau d'un seul taureau. Les archéologues confirment que Carthage fut bâtie en arc de cercle autour de sa

(1) R . LE BIDOIS, dans Le Monde du 25 novembre 1959. (2) Nous écrivons ici : maximiser, minimiser, optimiser, le second

appar tenant , du reste, à la langue courante. Nous rejetons maximer, minimer, optimer, faussement élégants, ainsi que maximaliser, minimaliser e t optimaliser, transposit ions inuti lement compliquées de l 'américain.

citadelle, et cela implique que la reine connaissait, en l'an 814 avant notre ère, la figure plane qui, à périmètre donné, présente la surface maximale (1).

Si l'on passe de la légende à l'histoire, au I I I siècle avant notre ère, le tyran de Syracuse ne confia-t-il pas à son concitoyen Archimède la défense de la ville assiégée par le Romain Claudius Marcellus ?

Plus près de nous, Pascal et Fermat, en trouvant la notion d'espérance mathématique (1654), et sur- tout Jacques Bernoulli, avec son Ars conjectandi, publié en 1713, huit ans après sa mort, ne s'intéres- saient-ils pas à l 'art de la décision dans l'incertain ?

Vers la fin de l'Ancien Régime, Gaspard Monge, alors professeur à l'Ecole royale du génie de Mézières — la plus ancienne école d'ingénieurs de France, avec celle des Ponts et Chaussées —, posa le pro- blème des déblais et remblais, en vue de minimiser le coût des charrois. Il le relia à l'étude des congruences de normales et présenta un mémoire sur le sujet à l'Académie royale des Sciences dès 1776. Il venait ainsi de résoudre le premier problème de transport — comme nous disons aujourd'hui —, selon une terminologie qui s'applique aux transports de mar- chandises, tels que les ont envisagés A. Tolstoï en 1939, L. V. Kantorovitch (2) et F. L. Hitchcock en 1941.

Dans le même ordre d'idée, c'est-à-dire en pro- grammation mathématique, Fourier, dès 1824, donna une méthode directe pour traiter les systèmes d'inéquations linéaires, et Kantorovitch, en 1939,

(1) La légende conte encore que Didon ne se décida pour la cir- conférence qu 'après avoir simulé plusieurs figures géométriques à l 'aide de sa ceinture. La première trace historique d 'une s imulat ion da te de 1717, année où G. Leclerc de Buffon exposa le calcul de π p a r le j e t d ' une aiguille. Quan t à la simulation de gestion elle remonte à 1926, avec la maison de commerce fictive du Suisse A. Galliker.

(2) Pr ix Nobel d'économie, 1975.

une méthode de résolution des programmes linéaires. D'un autre point de vue, les Recherches sur les

principes mathématiques de la théorie des richesses d'Augustin Cournot, parues en 1838, faute d'un écho favorable en France (la 2e édition intégrale date de 1938), préludèrent à la fondation de l'Ecole de Lausanne, où s'illustrèrent l'Ebroïcien Léon Walras et le Parisien Vilfredo Pareto, puis, après leur traduction en Amérique, en 1897, à celle de la puis- sante école d'économétrie du nouveau monde (1). Reprenant l'appellation de Théorie mathématique des jeux, employée déjà par Ampère, en 1802, et Louis Bachelier, en 1901, Emile Borel présenta sur le sujet quatre notes à l'Académie des Sciences, de 1921 à 1927. Janòs (et, plus tard, John) von Neu- mann publia en 1928 le théorème fondamental de la théorie des jeux, qui fut rendu accessible au public français par René de Possel, en 1936, et l'objet d'une démonstration nouvelle de Jean Ville en 1938.

On sait qu'au début de la guerre de 1939-1945, J . von Neumann et O. Morgenstern, émigrés aux Etats-Unis, avaient déjà dans leurs cartons la fa- meuse Theory of games and economic behavior, dont la publication fut retardée jusqu'à la fin de 1944.

Dans le domaine de la combinatoire avaient paru des livres curieux, comme Les réseaux (ou graphes) de Sainte-Laguë (1926) et Theorie der endlichen und unendlichen Graphen de Dènes König (1936), préparant l'essor de la théorie des graphes.

Bref, à la veille de la deuxième guerre mondiale,

(1) Certains voient l 'origine de la programmation mathémat ique dans le Tableau économique du physiocrate François QUESNAY (1758) et, dans la même ligne, le modèle d'équilibre de Léon WALRAS (1874), celui de V. K. DMITRIEV (1904) et les matrices intersecto- rielles de Vassily LÉONTIEFF (La balance de l'économie nationale de l 'U.R.S.S. , « Economie planifiée », n° 12, 1925), prix Nobel d'éco- nomie, 1973.

une quantité assez impressionnante de matériaux avait été accumulée, constituant un fondement suf- fisant pour développer la recherche opérationnelle. Et, cependant, à de rares exceptions près (quelques calculs déterministes à propos des stocks, selon Wilson (1929), quelques timides applications de la notion d'espérance mathématique, après Erlang et Engset (1918) ; les travaux de Léontieff, émigré aux Etats-Unis, enfin), ils ne faisaient l'objet d'au- cune pratique (1).

Les raisons de cette situation doivent être recher- chées essentiellement dans le défaut de moyens de calcul — l'ordinateur n'était même pas inventé — et dans la structure relativement simple du système d'informations des entreprises, de tailles d'ailleurs nettement inférieures à celles dont nous avons aujour- d'hui l'habitude.

II. — Apparition des premières équipes de recherche opérationnelle

Les chercheurs opérationnels devraient être fon- cièrement reconnaissants à Sir Blackett d'avoir, en constituant le premier groupe de recherche opé- rationnelle, défini, à la fois, la déontologie et la structure générale d'une équipe consacrée à cette discipline.

C'est en 1938 que le gouvernement britannique chargea un petit groupe de savants, réunis avec A. C. Rowe, puis Evans C. Williams, à Stanmore, d'étudier les contre-mesures à appliquer en cas

(1) Ou même suscitaient le dédain. Ainsi que le remarque William Feller, les pionniers de la biométr ie n 'euren t pas de chance. Les Applications of mathematics to medical problemes de A. G. M'KEN- DRICK (1925) passèrent inaperçues et les Leçons sur la théorie mathé- matique de la lutte pour la vie de Vito VOLTERRA (Gauthier-Villars, 1931), furent tournées en ridicule pa r des adversaires politiques peu scrupuleux.

d'attaque de la Grande-Bretagne par les flottes aériennes des puissances de l'Axe.

Peu après la déclaration de guerre, le physicien P. M. S. Blackett fut appelé à la direction du groupe de recherche du Coastal Command : il décida de s'appuyer sur une équipe très hétérogène, c'est-à- dire comprenant, outre des mathématiciens, des statisticiens, des physiciens, des biologistes, des éco- nomistes, etc., de manière à susciter les points de vue les plus différents sur la question étudiée ; d'autre part, il exigea d'avoir accès à toutes les sources d'in- formation, de manière à présenter un rapport aussi objectif que possible, et, enfin, il insista sur le fait que ce document ne constituerait jamais qu'une opi- nion raisonnable sur les décisions à prendre, celles-là appartenant finalement aux responsables politiques.

Encouragés par les succès couronnant l'activité du « cirque Blackett » — ce fut l'appellation irré- vérencieuse de l'équipe bizarre réunie par ce phy- sicien —, les armées britanniques, bientôt suivies par celles des Etats-Unis, constituèrent des groupes de recherche opérationnelle (operational research, en anglais ; operations research, en américain). Nous n'avons pas ici la place pour énumérer les victoires décisives remportées par nombre de ces groupes.

D'après McCloskey, les résultats excellents obte- nus pendant la seconde guerre mondiale sont essen- tiellement dus à : 1) l'hétérogénéité de formation des équipes (mathématiciens, physiciens, statisti- ciens, biologistes...) ; 2) l'intégration des études par- ticulières dans le cadre général des opérations ; 3) la liberté scientifique laissée à leurs membres.

Ainsi, au cours de cinq à six années, les militaires avaient démontré qu'il était possible et utile d'em- ployer la recherche opérationnelle. Un seul aspect du problème allait rendre momentanément dif-

ficile son application au domaine civil : en l'absence de moyens automatiques, le prix et le délai des calculs effectués à la main se révélaient prohibitifs. C'est la raison pour laquelle la date de naissance de la recherche opérationnelle civile coïncide, en fait, avec celle de la commercialisation des ordina- teurs, soit, pratiquement, 1956.

On peut dire que la recherche opérationnelle est la fille aînée de l'informatique (1). Mais la recherche opérationnelle est désormais en posture de lui rendre ses bienfaits ; les informaticiens qui ne le compren- draient pas se condamneraient probablement à l'im- possibilité de mettre en œuvre de vastes systèmes.

III . — Types de problèmes

La recherche opérationnelle, dont nos aïeux ont su se passer, ne s'attaque qu'aux problèmes qui constituent un défi pour le sens commun. Ils sont de trois types principaux : combinatoires, aléatoires ou concurrentiels.

a) Il est bien connu que nous avons du mal à imaginer les situations combinatoires. Il nous semble tout naturel qu'un chef d'équipe, ayant quatre tâches à distribuer, et voulant le faire à la satis- faction de ses quatre ouvriers dont il connaît les goûts, envisage de comparer les 4 ! = 24 solutions différentes que comporte le problème, ce qui lui prendra peut-être cinq minutes. Mais nous avons peine à imaginer que, si ce chef d'équipe avait à répartir 20 tâches entre 20 personnes, à la même vitesse de calcul, il aurait besoin, pour énumérer les solutions, de près de dix milliards de siècles (avec

(1) Bien que certains informaticiens a ient t en té parfois d ' in t ro- duire une regret table confusion entre gestion automatique e t gestion scientifique (part iculièrement en mat ière de gestion des stocks), la gestion au tomat ique p o u v a n t être très loin de la gestion optimale.

un ordinateur calculant chaque solution en une microseconde, quatre-vingt mille ans seraient tout de même nécessaires !).

On en déduit que, dès que le nombre de solutions dépasse quelques milliers, il est rigoureusement inter- dit d'énumérer dans les situations combinatoires.

Or, la recherche opérationnelle dispose de nom- breuses techniques aboutissant à des algorithmes rapides pour obtenir la solution d'un problème sans recourir à l'énumération exhaustive. Telles sont l'algèbre de Boole et les treillis, la programmation dynamique, la théorie des graphes et, enfin, la programmation mathématique.

b) Le problème de la décision dans l'incertain ne relève pas non plus du sens commun. En effet, la notion d'espérance mathématique, pourtant facile à enseigner à des adolescents, ne fait pas partie du programme des petites classes de l'enseignement du second degré. De plus, lorsqu'elle est abordée, à la fin du second cycle, devant une population déjà clairsemée, encore bénéficie-t-elle rarement de la riche illustration que pourraient lui apporter des exemples concrets. D'excellents esprits conviennent de la difficulté de découvrir l'avantage du banquier par la seule voie de l'expérience (1).

En recherche opérationnelle, la notion d'espérance mathématique est très utile, concurremment avec la théorie des processus stochastiques, pour per- mettre de prendre des décisions correctes dans des situations dont on ne connaît l'évolution qu'en pro- babilité. Tels sont les cas de remplacement des équi- pements, de l'entretien préventif, de la gestion

(1) Rober t ESCARPIT écrit, dans Le Monde du 8 avril 1972 : « Quand jadis à la Foire de Bordeaux je jouais des nougats à la roulette, il me fallut assez longtemps pour comprendre que si je misais sur tous les tab leaux à la fois j 'é tais , t o u t en é tan t sûr de gagner, également sûr de perdre. »

scientifique des stocks, de la réduction ou de l'élimi- nation des files d'attente et, plus généralement, de la résolution des problèmes dépendant de variables aléatoires, dans lesquels se présente un goulet d'étranglement.

c) La décision dans le duel, c'est-à-dire dans une situation de concurrence, apparaît comme encore plus difficile. N'est-elle pas, à la fois, combinatoire et aléatoire, puisqu'il s'agit de choisir une stratégie (parmi bien d'autres), face aux multiples stratégies de l'adversaire et, bien entendu, dans l'incertitude de la décision qu'il adoptera ? La théorie mathématique des jeux aide à résoudre ce type de problèmes (1).

On en conclut que la recherche opérationnelle n'est pas le moyen de supplanter le sens commun, mais au contraire d'aider aux jugements du bon sens, en écar- tant les difficultés dues à la structure combinatoire, aléatoire ou concurrentielle des problèmes réels.

En ce sens, Pierre Massé a pu écrire qu'elle était la science de la préparation des décisions.

IV. — Développements récents

Les développements récents les plus spectaculaires de la recherche opérationnelle concernent la théorie des graphes et la programmation mathématique.

Ainsi que le mentionne Claude Berge dans l'avant-propos à son excellent livre Graphes et hypergraphes (1971) : « En fait, une théorie des graphes, unifiée et abstraite, n'a pu prendre sa forme que grâce aux efforts de certains spécialistes de la recherche opérationnelle et sous l'impulsion de préoccupations pratiques. »

Avec H. W. Kuhn, en 1955, apparaît la méthode hongroise, qui permet de résoudre les problèmes d'affectation. La même année, L. R. Ford et D. R. Fulkerson, à qui est dû le théorème fondamental de la théorie des flots, font connaître un algo-

(1) Concernant la théorie ma thémat ique des jeux, que nous ne t ra i terons pas dans ce pet i t livre, signalons le n° 892 de la collection « Que sais-je ? », Les jeux d'entreprises, chap. II , p. 19-59.

rithme donnant le flot maximal dans un réseau de transport (1). Claude Berge écrit, en 1957, un ouvrage qui rassemble, d'une

manière ordonnée, les nombreux résultats déjà obtenus en théorie des graphes et présente des théorèmes nouveaux qu'il a établis sur la théorie des chaînes alternées, si utile en matière de couplage et de recouvrement. La publication de cet ouvrage, traduit en anglais et en russe, allait déclencher un accrois- sement des recherches sur les graphes aux Etats-Unis, en U.R.S.S. et en France même, où nous citerons les noms du regretté Ghouila-Houri, de P. Rosenstiehl et B. Roy.

Enfin, la notion de matroïde, due à H. Withney (1935) a été développée par W. T. Tutte (1965) et n'est pas sans rapport avec la programmation mathématique, comme l'est aussi la théorie des systèmes bloqués de Fulkerson (1968).

Pour ce qui regarde la programmation mathématique, les progrès décisifs datent des années 50, qui ont vu la publication des rapports de la Cowles Commission et du livre édité chez J. Wiley par Tjallin C. Koopmans : Activity analysis of production and allocation (1951). C'est à cette époque que G. B. Dantzig, qui travaille au projet Scoop (Scientific Compu- tation of Optimum Programs) depuis 1948, fait connaître l'algorithme du simplexe (1949), que Kühn et Tucker expriment les conditions d'optimalité (1950). Avec l'apparition des ordi- nateurs civils, les recherches s'orientent vers la pratique de la programmation linéaire : C. L. Lemke propose la méthode duale du simplexe (1954), P. Wolfe, pour échapper à la faible capacité des mémoires de l'ordinateur, préconise la décompo- sition des matrices des programmes trop importants (1958).

En 1958, Ralph Gomory publie son premier algorithme de troncature pour la résolution des programmes linéaires en nombres entiers et poursuit ses recherches dans la voie algé- brique. A. H. Land et A. G. Doig, en 1960, proposent de ramener un programme à n variables, dont k entières, à une suite ordonnée et finie de programmes ne contenant plus que k — 1 variables entières, aboutissant ainsi, par une démarche arborescente, à un programme linéaire sans variable entière. Dès 1961, retenant une suggestion de R. Fortet, R. Faure et le regretté Y. Malgrange utilisent l'algèbre booléienne binaire pour les programmes à variables bivalentes et A. Le Garff étend la méthode aux programmes à variables entières (2) ;

(1) Il existe aujourd 'hui , celui, plus rapide, de Dinic et Karzanov (1974).

(2) R. FAURE et Y. MALGRANGE, Une méthode booléienne pour la résolution des programmes linéaires en nombres entiers, Gestion, 6, 4, numéro spécial R.O., avril 1963. Cet article const i tue une

On constate que l 'entreprise doit céder la laine A en prélevant un bénéfice de 4,8 unités monétaires par kilogramme, la laine C, avec un bénéfice de 8 unités monétaires, mais revendra, au prix coûtant, les autres éléments de production (laine B et capacité de production). Nous renverrons le lecteur à des livres d'économie pour des interprétations théoriques des variables duales.

V . — L a p a r a m é t r i s a t i o n

Si elle fournit l 'opt imum, la méthode du simplexe laisse tout ignorer des solutions voisines. Or, parmi ces dernières, il peut en exister qui donnent à la fonction économique des valeurs très proches de l 'opt imum et présentent, par exemple, des commodités de réalisation. D'autre part , les valeurs numé- riques des coefficients de la fonction économique ou du se- cond membre peuvent être sujettes à caution, parce que déter- minées avec peu de précision ou variables entre certaines limites.

Une manière de mesurer l'influence que peuvent avoir les variations des coefficients sur la solution du problème consiste à paramétrer les coefficients dont on n 'est pas sûr. Un grand nombre de solutions voisines de l 'opt imum peuvent être ainsi explorées. Un examen critique permet de délimiter les varia- tions du programme optimal sous certaines conditions, en particulier de définir son domaine de stabilité.

1. Paramétrisation de la fonction économique. — Revenant encore à l 'exemple précédent, on peut supposer, par exemple, que le profit c1 ne soit pas déterminé avec certitude et qu'il puisse varier entre 1,3 et 5,2 unités monétaires.

On posera alors : c1 = 2,6(1 + λ), avec — 0,5 ≤ λ < 0,5. Pour chercher le tableau optimal en prenant : c1 = 2,6(1 + λ), au lieu de c1 = 2,6, on pourrait évidemment recommencer le calcul à partir du tableau I. Ce serait oublier que, dans un domaine combinatoire, il est recommandé de ne pas énumérer. E t c'est pourquoi nous partirons, au contraire, de l 'opt imum, c'est-à-dire du tableau IV.

Le nouveau tableau de départ (tableau VII) s 'obtient aisé- ment puisqu'il suffit de faire c1 = 2,6(1 + λ), mais il faut se souvenir que, dans ces conditions, certains indicateurs marginaux, calculés d'après la formule : vont maintenant dépendre du paramètre λ.

Ainsi, dans l 'exemple dont nous poursuivons l 'étude, ∆

et ∆ apparaissent comme des fonctions de λ et ne sont donc plus nécessairement négatifs ou nuls, puisque cela dépendra désormais de la valeur de λ.

TABLEAU VII

Il faut donc étudier, dans les limites de variation de λ, les signes des indicateurs marginaux qui sont fonction de λ et l'on obtient un tableau :

d'où l'on tire la conclusion que pour λ > 3/13 on doit faire entrer la colonne 4 dans la base. Cette itération fournit le tableau VIII.

TABLEAU VIII

Les valeurs de tous les indicateurs marginaux sont négatives pour λ ≤ 1/2. On obtient donc une nouvelle solution (point C) lorsque 3/13 ≤ λ ≤ 1/2.

Nous résumerons les résultats de la discussion par un tableau où figurent les valeurs des variables principales et de la fonc- tion économique en fonction des variations de c1

Remarques. — On observera avec quelle finesse ce tableau décrit la situation : partant du point E, obtenu pour λ = 0, c'est-à-dire c1 = 2,6, mais qui est déjà valable pour c1 < 2,6, on passe par une solution optimale dégénérée pour λ = 3/13, soit c1 = 3,2, et les points solutions sont représentés par

l'arête EC. Le point C représente la solution optimale pour λ compris entre 3/13 et 1/2, c'est-à-dire c1 compris entre 3,2 et 3,9.

2. Paramétrisation des coefficients du second membre et de la matrice. — Dans le paragraphe concernant la dualité, on a observé que pour passer du primal au dual, il suffit de trans- poser la matrice des coefficients et de prendre comme fonc- tion économique une fonction dont les coefficients sont ceux du second membre du primal.

Par conséquent, pour paramétrer les coefficients du second membre d'un programme donné, il suffira de considérer le dual de ce programme, à l'optimum, et d'en paramétrer les coefficients de la fonction économique. Les résultats se lisent, naturellement, au signe près, dans la ligne des indicateurs marginaux du dual qui correspondent aux valeurs des variables du primal.

Les méthodes utilisées parfois pour paramétrer les coeffi- cients de la matrice d'un programme sont très complexes. Nous ne les aborderons pas ici.

VI . — Utilisation des ordinateurs

L'exemple que nous avons développé ne permet malheureu- sement pas d'imaginer le volume énorme de calculs qu'en- traîne la résolution d'un problème dès que sa taille est un peu grande (soit, pour fixer les idées, un millier de variables et une centaine de contraintes). Mais le lecteur concevra certainement que seul un ordinateur peut effectuer le travail.

1. Les codes. — La résolution de grands problèmes à quelques milliers d'inconnues est une technique couramment utilisée par un certain nombre d'entreprises, notamment les compa- gnies pétrolières, pour planifier et optimiser le déroulement de leurs activités.

Depuis l'apparition des ordinateurs, de nombreux codes de programmation linéaire (on emploie ce mot pour désigner un programme d'ordinateur et éviter la confusion avec la tech- nique de la programmation linéaire elle-même) ont été écrits pour les types les plus divers de machines. Certains ont pré- senté de très bonnes performances, d'autres ont constitué des échecs.

La rédaction d'un code de programmation linéaire représente un travail important et particulièrement délicat.

Il est à remarquer que, dans les très grands problèmes, la matrice des coefficients a contient une faible proportion d'éléments non nuls, par exemple 2 % pour des programmes de quelque mille équations ou au-delà. Un code efficace doit tenir compte de cette structure et utiliser cette propriété pour réduire le temps de calcul.

Il existe à l'heure actuelle (1980) des codes capables de résoudre couramment des programmes comportant de 2 à 3 000 contraintes et de 4 à 10 000 variables, en un temps de l'ordre d'une dizaine de minutes, grâce à l'utilisation d'un ordinateur puissant. A priori, il est très difficile d'estimer le temps de calcul d'un programme, car ce temps dépend plus de la structure particulière du problème que des performances de la machine.

L'algorithme du simplexe demeure la méthode analytique sur laquelle se fondent la plupart des codes actuellement en usage. Mais il a fallu le compléter par des techniques auxiliaires assurant un choix convenable des pivots (en cas de difficultés provoquées notamment par les erreurs d'arrondi, l'ordinateur calculant à chaque pas les valeurs discrètes les plus « voisines » des valeurs effectives, en raison de la limitation de ses registres) et accélérant la convergence de l'algorithme. De plus, on a dû adjoindre au programme proprement dit de nombreux modules assurant :

— la recherche d'une solution initiale (méthode du grand M, par exemple) ;

— les diverses méthodes de paramétrisation (fonction éco- nomique, second membre, coefficients de la matrice) ;

— le bornage des variables, etc.

Enfin, lorsque la taille de la matrice des coefficients du problème dépasse la capacité de l'ordinateur, on a été contraint de décomposer le programme initial en parties de taille conve- nable, grâce à des codes dits de décomposition (fondés généra- lement sur la méthode de Dantzig et Wolfe).

Nous n'avons pas la place d'évoquer ici les codes tout à fait spéciaux qui ont été conçus pour résoudre : — les problèmes à variables entières ; — les problèmes à variables mixtes (les unes continues, les

autres entières).

Il ne nous est pas permis non plus d'examiner les extensions de la programmation mathématique aux domaines non linéaires (nous nous sommes bornés à quelques indications de nature « historique » au chapitre I

D'autre part , nous renvoyons le lecteur au « Que sais-je ? », n° 1776, R. Faure, La programmation linéaire appliquée, 1979, qui contient des détails sur l 'utilisation des méthodes de réso- lution, de paramétrisation, un court chapitre sur les pro- grammes à résoudre en nombres entiers. Ce petit ouvrage offre également un chapitre sur la théorie de la programmation mathématique (programmes linéaires et non linéaires convexes).

2. Les générateurs-éditeurs. — Présenter et mettre en forme les coefficients d 'un programme comportant quelques milliers de contraintes constitue une tâche lourde et fastidieuse. Aussi, le rédacteur du programme doit-il compléter son œuvre par la création d 'un programme engendrant automatiquement la matrice initiale, à part i r des données indispensables (données brutes) fournies par l'économiste.

Ce générateur assure aussi le contrôle des données et facilite les retouches qu'on ne manquera pas d 'apporter au modèle. Il sera associé à un programme nommé éditeur, dont le rôle est de mettre en forme et présenter les résultats obtenus à l 'optimum.

3. En guise de conclusion, il nous faut remarquer que l 'uti- lisation, la mise en œuvre et l 'exploitation courantes des pro- grammes linéaires sont devenues le fait d'équipes nombreuses, formées d'économistes, de chercheurs opérationnels et d'in- formaticiens.

CONCLUSION

La recherche opérationnelle, nous espérons que le lecteur en est maintenant persuadé, s'occupe de maints problèmes de l'entreprise. Il subsiste tou- tefois des doutes sur la possibilité de l'appliquer réellement et sa rentabilité. Tel chef d'entreprise se plaint d'avoir payé à haut prix une étude dont les conclusions n'ont jamais été mises en œuvre. Un autre, au contraire, ne tarit pas d'éloges sur l'efficacité des solutions proposées par les analystes. Beaucoup, tout en en reconnaissant l'utilité, font preuve d'un enthousiasme plus modéré.

Ces divergences méritent l'examen. Observons d'abord qu'on ne peut parler de rentabilité pour les études qui n'ont pas été suivies d'application. Or, dans le cas contraire, les exemples de gains substantiels ne manquent pas, surtout lorsque le problème traité était de nature combinatoire. Quoique, d'habitude, les succès ne se traduisent pas par des taux aussi élevés, on peut, avec A. Kauf- mann, rappeler cette compagnie d'aviation qui, en substituant au plan des vols établi à la main celui calculé par l'ordinateur, réalisait une économie immédiate de 18 %. Aussi serait-il malséant de condamner recherche opérationnelle et analystes en ne prenant en considération que les échecs, au demeurant peu nombreux (1).

Notre sentiment est d'ailleurs que certains pour-

(1) Le « malaise » serait-il davantage dans l 'esprit de ceux qui ne pra t iquent pas ou qui bapt isent « recherche opérationnelle » des études t r op générales ou n ' a y a n t qu 'un lointain rappor t avec cet te discipline ?

raient être évités si l'on n'avait jamais abandonné la structure hétérogène de l'équipe de recherche, qui impose la présence, auprès des spécialistes de la modélisation, d'hommes connaissant bien la vie et l'organisation des entreprises et si l'on cessait de considérer le travail comme achevé lorsque le rapport d'étude est remis au client.

De même, les analystes devraient prendre cons- cience de l'espèce de déchirement qui s'opère dans l'esprit du chef d'entreprise qui les consulte (1). Habitué à entendre prôner son savoir-faire, sinon son flair, en tout cas son aptitude à prendre des décisions au moment opportun, il a fait une conces- sion à l ' scientifique, ou du moins à la dé- marche rationnelle, en prescrivant une étude, mais il est tenté, à tout instant, de revenir en arrière ou de céder à la pulsion pragmatique au moment de l'action. Il s'agit donc de conforter le décideur dans son désir d'essayer les méthodes de préparation rationnelle des décisions, en lui rappelant notam- ment qu'il reste seul maître aussi bien du critère de classement, qu'il a le privilège de choisir, que de la décision finale et en lui permettant de constater lui-même, une fois le travail terminé, qu'il est plus efficace de décider en toute connaissance de cause qu'à l'aveuglette.

De plus, il est plus facile d'exécuter une très belle étude que de rédiger un rapport utile et sur- tout de préparer l'application des résultats du tra- vail. Il faut savoir bannir du rapport le langage faussement élégant et le franglais, l'ésotérisme des techniques, les notations bizarres et les pages cou- vertes de formules : dix pages en français courant,

(1) J . C. HOLL, Discussion du rappor t sur le « Rôle des modèles dans les processus de décision globaux » ( V I Conférence interna- t ionale de l ' I .F .O.R.S . , Dublin, aoû t 1972).

exposant clairement les conclusions, valent mieux que cent pages alambiquées, dissimulant les fai- blesses de l'étude ou l'indécision du rédacteur. Enfin, il importe surtout de convaincre le demandeur de la possibilité d'appliquer les résultats de l'étude et de la rentabilité de cette application. Une inter- vention ne doit pas s'arrêter lorsque le rapport est imprimé. Elle devrait toujours comporter une phase d'aide à la mise en œuvre.

On comprendra, d'autre part, facilement, qu'une équipe de chercheurs acceptant de travailler pour un prix inadéquat ne peut assumer toutes ces pres- tations et sans doute faut-il voir dans cette erreur la cause principale des insuffisances que nous avons signalées.

En 1960, lors de la première édition de cet ouvrage, nous écrivions : l'ère de la gestion scienti- fique a commencé. On nous a fait depuis, et à retar- dement, un procès d'intention (et quel procès !), où les plaignants, découvrant soudain leurs propres préoccupations, nous accusaient de prôner l'optimi- sation en toutes circonstances, la recherche opéra- tionnelle « académique », ou, à l'opposé, d'adopter d'enthousiasme l'étiquette honteuse d' « aide à la déci- sion », de manquer d'imagination, de souplesse, d'ignorer l'environnement, etc., alors que nous avions, pratique oblige, depuis longtemps mis en garde le public contre de telles erreurs ou de telles carences (1). Ainsi, après vingt ans et quatre autres éditions de ce petit livre, qui atteint mainte- nant le tirage de 56000 exemplaires (2), nous n'avons pas l'impression de nous être trompés.

(1) Voir, entre autres, R. FAURE, Quelques réflexions sur l'essor de la R.O., in Management international, 3, 1961, p. 46-58 (Gabler, Wiesbaden).

(2) Sans compter les t raduct ions en langues étrangères : alle- mande, espagnole, japonaise, polonaise, etc.

B I B L I O G R A P H I E S O M M A I R E

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