L'appel des Highlands – Les frères MacKenzie - Numilog

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Transcript of L'appel des Highlands – Les frères MacKenzie - Numilog

Jennifer Ashley

Traduite dans une dizaine de langues et récompensée par le prestigieux RITA Award, elle s’adonne à plusieurs genres de romance. Sous le nom Jennifer Ashley, elle écrit de l’historique, du paranormal et du contemporain sous le pseudonyme Ashley Gardner, du suspense, et du paranormal sous Allyson James. L’un de ses grands succès est la série historique consacrée aux frères Mackenzie.

L’appel des Highlands

Du même auteur aux Éditions J’ai lu

Dans la collection Aventures & Passions

La folie de lord MackenzieNo 9416

L’épouse de lord MackenzieNo 9613

Les péchés de lord CameronNo 9897

La duchesse MackenzieNo 10160

Les noces d’Eliott McBrideNo 10425

Daniel Mackenzie, un sacré coquinNo 10610

La préceptrice de Sinclair McBrideNo 11153

Dans la collection Crépuscule

LES EXILÉS D’AUSTIN1 – Insolente créature

No 105262 – Ange gardien

No 107933 – Âme féline

No 108914 – Cœur farouche

No 110074.5 – Union parfaite

Numérique4.6 – Dangereuse rivalité

Numérique

Jennifer

ASHLEYLES FRÈRES MACKENZIE

L’appel des Highlands

Traduit de l’anglais (États- Unis) par Daniel Garcia

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Titre original THE STOLEN MACKENZIE BRIDE

Éditeur original Berkley, an imprint of Penguin Random House LLC, New York

© Jennifer Ashley, 2015

Pour la traduction française© Éditions J’ai lu, 2016

Merci à tous mes lecteurs et lectrices de la série des frères Mackenzie,

qui aiment autant que moi la saga de ces fiers Highlanders.

Vos commentaires et vos encouragements me vont droit au cœur. Merci également

à mon éditeur, ainsi qu’à tous ses collaborateurs qui œuvrent dans l’ombre

pour publier mes livres.Et, bien sûr, un grand merci à mon mari,

qui est toujours prêt à discuter avec moi des détails de l’intrigue. Il m’écoute,

me rassure et veille à ce que je ne manque jamais de provision de thé glacé.Ce roman est un peu particulier.

Il m’a obligée à me plonger dans les tristes événements de la révolte jacobite

et à y précipiter mes héros. J’espère que mes lecteurs et lectrices

apprécieront de faire la connaissance de Malcolm, l’ancêtre de Ian Mackenzie.

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Édimbourg, 1745

— Miam, quel est ce tendron ?Mal Mackenzie, le dernier d’une fratrie de cinq,

appelé aussi « le jeune Malcolm », « le Diable Macken-zie » ou encore « Dégage de là, emmerdeur » – cette dernière formule étant principalement utilisée par son père et ses frères aînés –, avait réussi, par ces quelques mots, à capturer l’attention de son frère Alec.

Le tendron était bien sûr une jeune femme. Comment aurait- il pu en être autrement avec Mal ?

— J’aurais dû m’en douter, marmonna Alec, adossé à l’un des murs du grand salon. Tu as évidemment remarqué la plus séduisante créature de l’assemblée. Qui se trouve aussi être la plus intouchable.

La jeune femme en question déambulait, à travers la pièce, au bras d’un homme qui devait être son père. Sa robe n’était ni plus ni moins élégante que celles des autres femmes présentes, mais sa façon de la porter lui conférait une distinction et un éclat qui la distin-guaient du lot.

Toutes ces jeunes femmes étaient comme à la parade, avec leurs bustiers cintrés à la taille et leurs décol-letés qui laissaient entrevoir leur poitrine. Elles se déplaçaient les yeux sagement baissés, pour montrer combien elles étaient réservées, afin de convaincre

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les célibataires – jeunes ou vieux – venus les admirer qu’elles feraient des épouses parfaitement respectables.

Mais la postulante repérée par Malcolm marchait, au contraire, la tête haute et souriait à tout le monde. Son sourire, cependant, était figé. De toute évidence, elle pensait à autre chose.

Elle avait des cheveux d’un blond tirant sur le roux qui captaient la lumière chaque fois qu’elle passait sous un lustre. De son poste d’observation, Mal ne pouvait pas distinguer la couleur de ses yeux, mais il était prêt à parier qu’ils étaient bleu clair. Ou vert clair. Ou encore gris clair.

Elle finit par s’apercevoir que Malcolm l’observait et elle s’immobilisa un bref instant, son sourire soudain évanoui. Mal se décolla du mur, pour se tenir bien droit.

La jeune femme le détailla du regard – lui, l’Écos-sais solidement charpenté, habillé comme un Anglais à l’exception de son kilt. Malcolm tirait fierté de ne pas ressembler à ces freluquets d’Anglais. Par exemple, il préférait tirer ses cheveux cuivrés en queue-de-cheval, plutôt que de les cacher sous une perruque poudrée. Et il ajustait toujours sa cravate d’un nœud très lâche.

Leurs regards s’accrochèrent furtivement et l’étincelle qui brilla dans les prunelles de la jeune femme incendia les veines de Malcolm.

Puis elle tourna la tête et scruta la foule, à la recherche de quelqu’un d’autre.

Leurs regards ne s’étaient pas croisés plus d’une seconde et cependant Malcolm avait l’impression que son monde venait de basculer.

Il donna un coup de coude dans le flanc d’Alec.— Qui est- ce ? demanda- t-il.Alec parcourait la foule des yeux.— Tu veux parler de la blonde ?— Elle n’est pas blonde. Ses cheveux ont la flam-

boyance d’un coucher de soleil.

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— Si tu le dis, concéda Alec, de deux ans l’aîné de Malcolm – et qui avait un jumeau. Mais elle n’est pas pour une mauviette dans ton genre.

« Mauviette » était un autre des surnoms de Malcolm. Certes, il était resté longtemps très petit, mais il dépas-sait maintenant la plupart de ses frères – et même son père – de plusieurs centimètres.

Et l’objection « pas pour toi » ne l’avait jamais dis-suadé de quoi que ce soit. Au contraire.

— Pourrais- tu m’expliquer pourquoi ?— Dois- je te dresser une liste d’arguments négatifs ?

répliqua Alec, un brin d’irritation dans la voix. Lady Mary Lennox est la fille du comte de Wilfort, lequel est riche comme Crésus. Il possède un domaine de la taille d’une ville et a beaucoup d’influence au gouvernement. Sa famille est l’une des plus anciennes d’Angleterre – je crois même que son ancêtre a combattu aux côtés de Henri V, pour te dire. Ce qui fait de sa fille une héri-tière totalement hors de la portée du dernier rejeton d’un noble écossais dont les Anglais prétendent que son titre a été forgé de toutes pièces. Pour couronner le tout, elle est déjà fiancée à un lord anglais. Alors, bas les pattes !

— Pauvre petit tendron, marmonna Malcolm, qui ne semblait pas intimidé le moins du monde.

Il suivait des yeux la progression de lady Mary dans la salle. La jeune femme adressait des saluts polis aux personnes de sa connaissance et tout, dans son atti-tude, témoignait de sa parfaite éducation. Cependant, Malcolm n’était pas dupe de cette façade. Il voyait bien que lady Mary cherchait désespérément quelqu’un des yeux, même si elle s’efforçait de n’en rien montrer.

Elle évoquait à Malcolm ces juments un peu rétives et débordantes d’énergie, qui tiraient sur les longes les retenant attachées. Tôt ou tard, la carapace de sa respectabilité finirait par craquer, libérant la lave qui couvait en dessous.

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Mal était- il le seul à le voir ? Les interlocuteurs de la jeune femme lui souriaient, comme s’ils l’appréciaient sincèrement, mais ils gardaient une certaine réserve à son égard – réserve réciproque, du reste.

Ce n’était pas ici, entre les murs de ce salon policé, qu’elle brillerait de tous ses feux. Mal l’imaginait davan-tage à sa place en Écosse. Plus précisément, sur ses propres terres, à Kilmorgan, dans les Highlands. Là- bas, sa vraie nature pourrait enfin s’épanouir à sa juste mesure.

Malcolm se la représentait déjà dans son lit. Cette femme était faite pour lui. Et il avait bien l’intention de la conquérir.

Certes, le défi serait de taille. De toute évidence, lady Mary était très entourée et bien protégée. Son père et les matrones présentes à la réception la serraient de près, comme des chiens de garde chargés de la protéger des loups tels que lui.

Mal émit un bruit de gorge qui ressemblait à un grognement. Après tout, puisqu’ils le prenaient pour un loup.

— Que veut dire ce grommellement ? demanda Alec, de mauvaise humeur.

Il n’avait pas voulu venir. Alec détestait les Anglais et c’était uniquement par respect pour leur père qu’il restait sagement dans son coin, au lieu de chercher la bagarre.

— J’ai enfin trouvé quelque chose d’intéressant ici.— Laisse- la tranquille, Malcolm, répliqua Alec d’un

ton sévère. N’oublie pas que je suis censé te surveiller. Si jamais tu t’approches d’elle, tu vas provoquer des ennuis. Je n’ai pas envie d’affronter la colère de père à cause d’une femme.

— Il me suffirait de quelques mots pour que tu affrontes de toute façon la colère de père, et tu le sais très bien, lui rappela Malcolm. Mais je ne dirai rien parce que, en plus d’être mon frère, tu es mon meilleur

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ami. En contrepartie, tu pourrais au moins m’aider à faire la connaissance de cette charmante créature.

— La dernière fois que je t’ai rendu pareil service, je t’ai tiré tout nu d’une maison en feu et je me suis pris une balle dans l’avant- bras. Ma blessure me fait encore souffrir les jours de pluie. Tout ça parce que monsieur avait convoité ce qui n’était pas à lui.

Malcolm rougit légèrement à ce souvenir.— Oui, je conçois qu’un mari ne soit pas enchanté de

découvrir un type comme moi couché avec sa femme, mais ce n’était quand même pas une raison pour mettre le feu au lit conjugal. Il a bien failli tuer la malheu-reuse. Elle s’est vengée en partant pour les colonies, avec sa mère.

— Je ne serais pas étonné qu’il te cherche encore, Mal. Tu ferais mieux de l’éviter.

— Non, assura Malcolm. Père lui a inspiré la crainte du Tout- Puissant. Et c’était il y a trois ans.

Agitant la main en direction de lady Mary, il ajouta :— Ce tendron- là, par contre, n’est pas marié.— En effet. Mais tu devras affronter le pistolet de

son père avant de pouvoir mettre la main dessus.— Bref, tu n’es pas décidé à m’aider ?— Nullement.Malcolm ne répondit rien. Il ne trahirait jamais le

secret d’Alec à leur père – ni à un autre membre de la famille – et Alec le savait pertinemment. Il n’avait donc aucun moyen de pression sur lui.

— Bon, très bien, lâcha- t-il finalement, un sourire aux lèvres. Dans ce cas, je me débrouillerai tout seul.

— C’est bien ce qui me fait peur, marmonna Alec, plus sombre que jamais.

Les hasards de l’existence étaient décidément tou-jours aussi surprenants, songeait Mary. Au départ, elle n’avait pas prévu d’assister à la soirée de lady Bancroft.

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Et elle n’y était venue que pour rendre service à sa sœur, empêtrée dans une liaison interdite.

Le destin tenait à bien peu de chose ! Si Mary était repartie aujourd’hui chez elle, elle aurait atteint le Lin-colnshire sans avoir croisé cet Écossais bien bâti qui la regardait fixement. Et elle aurait continué de vivre en paix – comme ces pions, aux échecs, qui se retrouvaient toujours à l’abri des grandes batailles.

Mais, ce soir, elle avait mis les pieds sur la mauvaise case, au mauvais moment. Une tempête les ayant rete-nus à Édimbourg, son père et sa tante avaient finale-ment décidé d’accepter l’invitation de lady Bancroft.

Malcolm non plus n’aurait pas dû se trouver là. Mais son père avait dépêché Alec chez lady Bancroft dans le but d’espionner pour son compte. Alec s’était alors servi de Malcolm comme d’une couverture, et aussi un peu parce qu’il redoutait – avec raison – de laisser Mal tout seul dans les rues d’Édimbourg.

Sans ce concours de circonstances, l’existence de Mary n’aurait pas basculé.

Jusqu’à présent, lady Mary Lennox vivait dans un cocon. Son avenir était tout tracé depuis ses fiançailles avec lord Halsey, et la jeune femme s’inquiétait davan-tage pour sa petite sœur que pour elle- même.

La réception de ce soir était éminemment politique. Lady Bancroft avait invité plusieurs chefs de clans écos-sais afin de faire comprendre que les rumeurs d’un soulèvement jacobite n’étaient précisément que des rumeurs. Peu importait que Charles Stuart ait débarqué quelque part sur les côtes écossaises dans l’intention de lever une armée. Il n’y parviendrait jamais, et tout le monde le savait très bien.

Lady Bancroft entendait montrer que les Highlan-ders étaient des hommes civilisés, et donc inoffensifs. Après tout, ne se mélangeaient- ils pas à l’aristocratie britannique avec la plus parfaite aisance ?

Dans ce cas, lady Bancroft avait eu tort d’inviter ces deux jeunes hommes qui se réchauffaient près de la

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grande cheminée. Mary les observait du coin de l’œil, en même temps qu’elle cherchait Jeremy Drake pour lui remettre la lettre d’Audrey – et qui brûlait son réticule.

À en juger par leur ressemblance, les deux Écossais étaient frères. Mais ni l’un ni l’autre ne donnait le sen-timent d’être civilisé.

En lieu et place de culottes, ils portaient des kilts noués à la ceinture qui tombaient jusqu’aux genoux. Le bas de leurs jambes était recouvert d’épaisses chaus-settes de laine. Cette tenue se complétait de grosses chaussures en cuir et de chemises blanches à moitié cachées sous des vestes ornées d’une multitude de bou-tons.

Les autres Écossais présents à la réception ne se dis-tinguaient pas des Anglais : tous arboraient les mêmes culottes moulantes s’arrêtant aux mollets sur des bas de soie, et les mêmes perruques. Ces deux- là, en revanche, ignoraient superbement les perruques  : leurs cheveux cuivrés étaient coiffés en queue-de-cheval sur leur nuque. Et leur posture évoquait davantage des chas-seurs de gros gibiers héritiers des Vikings plutôt que de paisibles gentlemen s’adonnant à des mondanités.

Non pas qu’ils fussent nerveux le moins du monde. Ils semblaient, au contraire, très détendus. Mais leurs regards, sans cesse en alerte, jaugeaient chaque per-sonne présente dans la pièce. On aurait dit deux loups qui se seraient invités au milieu d’un troupeau de moutons.

À un moment, le regard de Mary croisa celui du plus jeune, et elle sentit un frisson la parcourir. Comme si le vent du nord soufflait tout à coup jusqu’à elle. Elle s’était déjà rendue une fois dans les Highlands, et elle en avait gardé le souvenir d’une nature terriblement âpre et splendide en même temps.

Cet Écossais charriait en lui toute la force de ce pays à la beauté sauvage et où le soleil, l’été, ne se couchait presque jamais.

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Mary détourna la tête. Mais c’était trop tard. Son existence avait irrémédiablement basculé.

À son arrivée chez lady Bancroft, elle était encore une jeune femme soucieuse de ses devoirs envers son père et son fiancé, et heureuse de l’avenir qui l’atten-dait. À présent, elle avait l’impression d’être aspirée dans un puits sans fond.

Mary secoua la tête pour s’ébrouer mentalement. Elle avait une mission à remplir, et ce n’était pas le moment de laisser ses pensées divaguer.

— Zut de zut ! s’exclama- t-elle avec véhémence.Quelques ladies tressaillirent mais sa tante Danae,

habituée au langage de Mary, se tourna tranquillement dans sa direction.

— Qu’y a- t-il, ma chérie ?— Mon éventail, expliqua Mary, lissant à grands

gestes les plis de ses jupes. Je l’ai oublié dans le salon réservé aux dames.

Tante Danae – une femme bien en chair quelque peu boudinée dans sa robe – posa une main apaisante sur celle de Mary.

— Demande à Whitman d’aller te le chercher, ma chérie.

Leur hôtesse, lady Bancroft, qui se tenait à côté, fit signe à l’un de ses nombreux valets.

— Non, ce n’est pas nécessaire, intervint Mary, qui avait délibérément caché son éventail afin de se donner un prétexte pour sortir. J’en ai pour une minute.

Et elle s’éclipsa avant que quiconque n’ait pu pro-tester.

Son éventail bien au chaud dans sa poche, la jeune femme dépassa le salon réservé aux femmes et se diri-gea tout droit vers l’escalier menant aux étages. Lady Bancroft était connue pour ne pas desserrer facilement les cordons de sa bourse, aussi ne gâchait- elle pas son argent en chandelles pour éclairer les parties de la mai-son ne recevant pas d’invités. C’est donc dans une semi- pénombre que Mary gravit les marches.

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Jeremy ne s’était pas montré à la réception. Mary en déduisait qu’il se languissait dans sa chambre, anéanti par la fin de non- recevoir opposée par lord Wilfort à toute relation entre lui et Audrey. Mais Mary lui réchaufferait bientôt le cœur avec la lettre d’Audrey.

Parvenue sur le palier du premier étage, la jeune femme bifurqua vers la gauche, dans l’aile où elle savait trouver les appartements privés de Jeremy.

Elle n’avait pas fait trois pas qu’un homme se maté-rialisa en travers de son chemin. À la lumière du clair de lune qui filtrait par les fenêtres du couloir, Mary s’aperçut qu’il portait un kilt.

C’était l’un de ces deux Écossais venus assister à la réception. Plus exactement le cadet des deux frères – celui dont le regard insistant avait ébranlé Mary.

La jeune femme était partagée entre panique et curiosité. Se retrouver seule face à un tel homme, dans le noir, à un endroit désert de la maison, avait quelque chose de grisant.

L’Écossais ne bougeait pas. Il avait décidément tout du chasseur, habitué à rester embusqué avant de fondre sur une proie. Et, pour l’heure, sa proie était Mary.

Ton imagination te joue des tours, voulut se raison-ner la jeune femme. Probablement l’Écossais logeait- il dans la maison pour la soirée, et Mary l’avait sim-plement croisé alors qu’il se dirigeait vers sa propre chambre.

Où il commencerait par ôter sa veste et débouton-nerait sa chemise, avant de dénouer son kilt.

La gorge de Mary était soudain toute sèche. Elle avait un peu trop écouté sa tante Danae lui raconter ses innombrables conquêtes masculines lorsqu’elle était plus jeune. Tante Danae avait connu une existence pas-sionnée, mais Mary était une femme trop pragmatique pour lui emboîter le pas. Du moins l’avait- elle toujours cru jusqu’à ce soir.

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— Je vous demande pardon, monsieur, dit- elle d’une voix qui se voulait naturelle, mais mon chemin me conduit derrière vous.

Elle avait usé d’un ton légèrement hautain – après tout, les Écossais étaient d’un rang inférieur aux Anglais, ces derniers leur ayant apporté la civilisation. En tout cas, c’était ce que prétendait son père. Pour sa part, Mary était beaucoup moins convaincue de la supériorité anglaise ; elle avait rencontré trop de spé-cimens qui contredisaient cette affirmation.

L’Écossais ne répondit rien. Et il demeurait parfai-tement immobile.

Cette fois, Mary commença à avoir vraiment peur. Elle était seule, sans personne pour la protéger, et cet homme arrivait tout droit des Highlands. Là- bas, les chefs de clans étaient réputés pour s’emparer sans scru-pules des possessions de leurs adversaires, volant aussi bien le bétail que les femmes.

— Ce n’est pas grave, reprit Mary, voyant qu’il restait silencieux. Je vais passer par un autre couloir. Bonsoir, monsieur.

La maison était construite sur quatre ailes qui se rejoignaient autour d’une cour intérieure. Il était donc possible d’en faire le tour par un sens comme par l’autre.

Mary tourna les talons. Mais elle n’avait pas fait trois pas que l’Écossais la dépassa, pour se planter à nou-veau devant elle.

Son cœur battant la chamade, Mary fit prestement demi- tour, dans l’intention de courir jusqu’à la chambre de Jeremy. Ce dernier n’était pas un gringalet. Il serait capable de flanquer une taloche à l’Écossais, pour le punir d’avoir effrayé celle qu’il espérait bien voir deve-nir sa belle- sœur.

Mais le Highlander lui barra une troisième fois le chemin. Emportée par son élan, Mary faillit tomber et il la rattrapa en la saisissant par l’épaule.

— Calmez- vous, dit- il d’une voix caverneuse.

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L’Écossais garda sa main sur l’épaule de Mary. Aucun gentleman digne de ce nom ne se serait permis de toucher une lady ainsi. Certes, il avait empêché Mary de tomber, mais il aurait dû retirer sa main aussitôt après l’avoir aidée à recouvrer l’équilibre. Or il n’en faisait rien.

Malgré la pénombre du couloir, il se tenait si près d’elle que Mary pouvait plonger directement son regard dans ses yeux. Ils n’étaient ni bleus ni verts, comme souvent chez les rouquins, mais ambrés – et pailletés d’or.

— Soyez aimable de me laisser passer, monsieur, dit Mary d’un ton qu’elle espérait sévère.

Mais il sourit.Son sourire le métamorphosa. De géant un peu ter-

rifiant, le Highlander était devenu presque humain.— Je vous relâcherai quand vous m’aurez dit où vous

allez, et qui vous comptez rencontrer.

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— Mes affaires ne vous regardent pas, monsieur, répliqua Mary. Est- ce que je vous demande, moi, ce que vous faites ici ?

— Oh, c’est très simple, dit- il, son pouce caressant légèrement l’épaule de la jeune femme – assez, en tout cas, pour lui incendier les veines. Je vous ai vue vous éclipser du salon, de manière très ingénieuse du reste, pour monter à cet étage sans chaperon. J’en ai déduit que vous cachiez quelque chose et je vous ai suivie.

Le fait est que Mary n’avait pas exactement la conscience tranquille. Elle imaginait mal cet homme se précipiter vers son père pour lui révéler qu’elle apportait une lettre d’Audrey à Jeremy ; en revanche, il pourrait en parler à une quelconque personne de sa connaissance et le bruit finirait par circuler.

— J’avais une commission à faire pour quelqu’un.Mary s’étonnait la première d’avoir pris la peine de

lui répondre, alors qu’elle aurait dû tourner les talons, redescendre l’escalier et attendre une meilleure occa-sion d’aller trouver Jeremy.

— Une commission, tiens donc ? Et c’est cette com-mission qui vous fait rougir ?

Mary rassembla tout son courage pour s’obliger à croiser son regard.

— Puisque vous refusez de me laisser passer, je vais retourner au salon. Au revoir, monsieur.

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L’Écossais s’esclaffa.— Savez- vous que vous avez de très beaux yeux ?

La mer, près du château de Kilmorgan, est du même bleu. Et c’est un spectacle magnifique.

Mary pouvait se représenter le paysage, puisqu’elle avait déjà été dans les Highlands – une mer d’un gris bleuté, venant buter contre des falaises au- dessus des-quelles se dressaient les murailles d’une antique forte-resse battue par les vents. La jeune femme s’imaginait très bien dans le tableau, avec ce bel Highlander l’enla-çant à la taille pour la protéger.

Elle s’éclaircit la voix.— Je vois que vous avez appris la flatterie, monsieur.

Mais certainement pas la courtoisie.Il s’esclaffa de plus belle.— Ne vous inquiétez pas, je vous laisserai passer,

dit- il. Mais pas gratuitement.— Je m’en doutais. Vous m’avez déjà suffisamment

prouvé que vous n’étiez pas un gentleman.— La froideur vous va très mal. Alors que je suis

convaincu qu’un seul sourire de votre adorable bouche suffirait à mettre tous les hommes à vos pieds.

— Vous êtes très insolent, monsieur. Mais sans doute est- ce naturel, de la part d’un Highlander.

L’Écossais éclata de rire – un vrai rire, spontané, qui se réverbéra entre les murs du couloir. Pour un peu, Mary aurait aimé rire avec lui.

— Vous n’êtes pas non plus très bonne pour les insultes, commenta- t-il. Vous avez raison : les Highlan-ders sont insolents et obstinés. Mais je suis sûr que vous êtes aussi têtue que moi.

Et, se penchant pour la fixer de ses yeux ambrés, il ajouta :

— Enfuyez- vous avec moi, ma belle. Et marions- nous.

Mary eut l’impression qu’une brèche s’ouvrait dans sa conscience morale. S’enfuir – de sa vie toute tracée par le devoir. Quitter un chemin balisé pour rejoindre,

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avec ce beau sauvage, l’immensité des Highlands, là où les montagnes plongeaient directement dans la mer sous un ciel infini.

Mais ce serait bien sûr une pure folie. De toute façon, cet homme n’avait nullement l’intention de l’épouser. Il ne cherchait qu’à la séduire.

— Je me vois mal épouser un homme que je viens juste de rencontrer en haut d’un escalier, répondit Mary. Je ne sais rien de vous, pas même votre nom. Accessoirement, je suis déjà fiancée.

— Oui, je suis au courant. Qui donc est l’heureux gentleman ? Est- ce lui que vous couriez rejoindre, pour savourer un avant- goût du mariage ?

Cette fois, c’est Mary qui faillit éclater de rire.— Certainement pas.Elle ne voyait pas George Markham, lord Halsey,

enfreindre les règles de la bienséance pour ne serait- ce que voler un baiser à sa fiancée. Halsey n’était pas un homme impulsif. Et il ignorait tout de la passion.

— Je suis fiancée au comte de Halsey, ajouta- t-elle.L’Écossais se raidit brutalement, et il retira sa main

de l’épaule de Mary.— Dieu du ciel, mais c’est impossible ! Vous êtes

belle et vous respirez la vie. Ne vous sacrifiez pas pour ce foutu blanc- bec.

Mary cligna les yeux. Elle était habituée au parler vulgaire – les amis de son père usaient d’un vocabulaire fleuri dès qu’ils avaient un verre de trop dans le nez –, mais ces écarts de langage ne la concernaient jamais directement.

— Qu’avez- vous donc contre lord Halsey ? C’est un gentleman tout à fait respectable et respecté.

— Avec la goutte au nez, la coupa l’Écossais, se pas-sant un doigt sous ses propres narines.

— Il n’a pas, commença Mary, avant de réaliser que Halsey se tamponnait toujours le nez avec un mou-choir, même lorsqu’il parlait à quelqu’un.

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— Cela gâcherait votre nuit de noces, reprit l’Écossais d’une voix plus douce. Et ce serait vraiment dommage. Vous méritez d’avoir une nuit de noces inoubliable.

Mary ne s’était jamais préoccupée de la question. En revanche, elle savait comment donner des héritiers à son mari – sa tante Danae ne lui avait épargné aucun détail.

D’après celle- ci, certains hommes rendaient l’expé-rience plutôt agréable, alors que d’autres se condui-saient comme des porcs. Malheureusement, une lady ne pouvait pas savoir de quelle manière se comporterait son mari tant qu’elle n’avait pas couché avec lui.

Tante Danae parlait d’expérience : elle avait eu trois maris et de nombreux amants. Une chose ne chan-geait jamais, cependant, avait- elle précisé  : l’homme n’accordait de véritable importance qu’à son propre plaisir.

Mary se demandait quel genre d’amant serait cet Écossais. Il avait de grandes mains, des épaules larges, une silhouette musculeuse. Ses bras et ses mains étaient assez puissants pour tenir fermement une femme, aussi bien que pour la caresser.

Il fit un pas dans sa direction. Mary recula d’autant. Mais elle savait que l’escalier se trouvait derrière elle. L’Écossais lui prit le bras pour la plaquer contre un mur, à l’abri du vide.

Mais pas à l’abri de sa personne.— Si vous étiez ma femme, Mary, je me montrerais

très tendre avec vous, dit- il, lui caressant l’épaule avec son pouce. Je prendrais soin de vous comme si vous étiez une délicate porcelaine.

De fait, le contact de son pouce était d’une incroyable douceur, qui contrastait avec son apparence de brute.

— Je ne suis pas une porcelaine, murmura Mary d’une voix étranglée.

— Si. La porcelaine est fragile et solide en même temps. Et très belle.

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Son pouce caressait maintenant le cou de la jeune femme et descendait même un peu plus bas, vers sa poitrine.

Mary ne pouvait pas se permettre de laisser plus longtemps cet homme la toucher. Elle était fiancée à un gentleman de haut rang, qui avait pleinement les faveurs de son père. Ce mariage scellerait l’alliance entre leurs deux familles, et les enfants qui en naî-traient prolongeraient cette alliance pour les généra-tions futures.

Le Highlander – peut- être même était- il jacobite – n’avait strictement rien à faire dans ce tableau.

Mary ne pouvait pas se permettre de flirter tant qu’elle n’aurait pas eu quelques enfants, dont au moins un héritier mâle. Ensuite, tante Danae lui avait assuré qu’elle pourrait s’amuser à sa guise, mais discrètement bien sûr et certainement pas avec un homme qui repré-senterait le moindre danger pour son mariage.

Cet Écossais respirait la vie, alors que Mary devait se contenter d’exister. Il incarnait la liberté, tandis qu’elle ne connaissait que le devoir et le sacrifice.

Sa main s’approchait dangereusement de sa poitrine, laissant une traînée de feu dans son sillage. Puis il insinua deux doigts dans son bustier, et Mary ferma les yeux.

Elle les rouvrit presque instantanément  : il s’était emparé de la lettre d’Audrey.

— Qu’est- ce que c’est que ça ?— Rendez- moi cette lettre !Le Highlander s’éloigna avec la lettre, un sourire

taquin sur les lèvres. Mary le poursuivit, mais il réus-sit à l’ouvrir tout en marchant.

— Ah, mais c’est un billet doux ! dit- il, parcourant rapidement le texte des yeux.

Mary s’était laissé raconter que les Highlanders pas-saient le plus clair de leur temps à s’occuper de leurs troupeaux et qu’ils savaient à peine lire, mais ce n’était manifestement pas vrai. La lettre était rédigée en fran-

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çais – qu’Audrey et Jeremy considéraient comme la langue du cœur –, pourtant l’Écossais était parfaite-ment capable de la déchiffrer.

— Cette femme est très amoureuse, commenta- t-il. Et d’un homme qui a de ravissants yeux bleus. Cela m’étonnerait beaucoup qu’il s’agisse de votre lord Halsey.

— Ce n’est pas moi qui l’ai écrite, s’empressa d’expli-quer Mary, qui ne comprenait pas sa propre hâte à se justifier.

— J’avais déjà compris. Vous ne vous appelez pas Audrey, que je sache.

— Dieu du ciel ! Elle l’a signée ?Mary tenta à nouveau de récupérer la missive, mais

l’Écossais la brandissait hors de sa portée.— Eh oui ! Ce n’est pas une femme très discrète.Elle aurait dû écrire « Votre amoureuse », ou « Celle

qui vous adore », ou bien signer du nom d’une déesse grecque de l’Antiquité, ainsi qu’il était recommandé dans les manuels spécialisés.

— Vous êtes un malotru, monsieur. Rendez- moi cette lettre. Elle ne vous regarde pas.

— Ce n’est pas exactement mon avis, répliqua l’Écos-sais, qui repliait déjà la lettre. Figurez- vous que j’ai fait un pari avec mon frère, quand je vous ai vue vous éclipser de la réception. J’ai parié que je réussirais à vous voler un baiser. Et je ne me vois pas le rejoindre maintenant pour lui annoncer que j’ai échoué. Alors je vous propose un marché : donnez- moi un baiser et je vous rends la lettre.

— Un tout petit baiser, voulut marchander Mary.L’Écossais s’esclaffa.— Oh non, Mary. Je veux un vrai baiser.— Je ne vous ai pas donné le droit de m’appeler par

mon prénom. C’est trop intime.— Oui, et c’est bien pour cela que je l’ai fait.— Je ne connais même pas votre nom.

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Cette remarque lui avait échappé. Elle n’aurait pas dû manifester la moindre curiosité à son égard.

Il redevint sérieux et plaqua une main sur son cœur.— Malcolm Daniel Mackenzie, pour vous servir. Le

plus jeune fils du duc de Kilmorgan. Mais tous mes amis m’appellent Mal.

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Mal. La simplicité de ce diminutif n’était pas pour déplaire à Mary.

— Un seul baiser, Mary, redit- il. Et vous pourrez récupérer la lettre de votre sœur.

La jeune femme fronça les sourcils.— Comment savez- vous que c’est ma sœur ?— Parce que j’ai soutiré à mon frère, Alec, tout ce

qu’il savait sur votre compte.— Dans ce cas, pourquoi m’avoir demandé le nom

de mon fiancé ? D’autant que ce n’est pas un secret.Malcolm haussa les épaules.— Je voulais savoir comment vous me répondriez :

avec fierté ? avec embarras ? ou alors, de l’admiration plein les yeux ? Mais je n’ai rien vu de tel. Vous savez quoi, Mary ? Vous étiez aussi raide qu’un piquet. Ce qui m’a redonné espoir.

— De l’espoir pour quoi ?— Pour moi, bien sûr. J’ai le sentiment qu’il ne me

sera pas impossible de gagner le cœur de la belle Mary et de l’emmener dans mon château des Highlands. J’ai besoin d’une femme pour me réchauffer, les nuits d’hiver.

— J’avoue que je vous comprends mal. Je croyais que les Highlanders se livraient à des razzias d’un clan à l’autre pour se trouver des femmes, mais je n’ai jamais entendu dire qu’ils recrutaient dans les soirées de la bonne société anglaise.

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Il rit encore, de bon cœur. Mary songea qu’il serait bien agréable d’entendre ce rire l’environner tous les jours – et même les nuits.

— Vous avez raison. Autrefois, quand les temps étaient plus durs, les clans se combattaient âprement et se volaient des terres, du bétail et des femmes. À présent, nous nous contentons de nous insulter dans les couloirs des universités. Je suppose que cela vous déçoit ?

Le sourire de Mal était si contagieux que Mary ne put s’empêcher de sourire à son tour – bien contre son gré : elle aurait préféré qu’il continue de la croire très austère.

Mal, la voyant sourire, devint soudain grave.— Vous êtes vraiment très belle. Je crois bien que

vous m’avez brisé le cœur.Il se pencha vers elle et prit son visage dans ses

mains. Mary, comprenant qu’il allait l’embrasser, recula prestement d’un pas.

— Non, ne faites pas cela, dit- elle.Sinon, elle risquait fort de succomber à ce bel Écos-

sais. Et de se déshonorer, ainsi que sa famille, en le suivant dans son château des Highlands.

Malcolm se redressa.— Non ? Ne croyez pas que je vais renoncer aussi

facilement. J’aurai mon baiser. Sachez que lorsque j’ai quelque chose en tête je parviens toujours à mes fins.

Mary frissonna, mais ce n’était pas de froid.— Je ne vous crois pas. Vous m’aurez déjà oubliée

dès que j’aurai tourné les talons. Je dois repartir pour l’Angleterre aussitôt que le temps se sera calmé.

— Alors je vais prier pour que la tempête se pour-suive. En attendant, si vous ne voulez pas m’embrasser, je vais vous ravir une mèche de vos beaux cheveux. De cette manière, j’aurai un trophée à montrer à mon frère et je n’aurai pas entièrement perdu mon pari. C’est dans mon intérêt, car Alec n’a aucune indulgence

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à mon égard. Étant le dernier de la fratrie, je dois sans cesse me battre pour survivre.

— J’en doute fort, répliqua Mary avec conviction. Je vous imagine plutôt les charmer sans le moindre effort. Mais soit. Si une mèche de cheveux suffit à vous contenter, je vous l’accorde bien volontiers.

Le sourire de triomphe de Malcolm lui fit immédia-tement regretter sa bonne volonté.

— Ah, Mary, vous êtes une femme merveilleuse. Je l’ai su à l’instant où j’ai posé les yeux sur vous.

À la façon dont il prononçait son prénom, Mary aurait aimé pouvoir croire chacun de ses mots.

— Je n’ai pas de ciseaux sur moi, malheureusement. J’ai donc peur que ce ne soit pas possible.

Mary n’avait pas terminé sa phrase qu’une lame de poignard brilla dans la pénombre. La jeune femme sursauta. Une lame de cette taille pouvait facilement occire quelqu’un.

Mal souleva une mèche qui retombait sur les épaules de Mary et la pressa entre ses doigts. Puis il la trancha, d’un coup sec. Le poignard retourna dans son fourreau aussi rapidement qu’il en avait surgi, et Mal resta avec la mèche dans ses doigts.

Tous les gentlemen que connaissait Mary portaient l’épée et savaient s’en servir. La plupart, d’ailleurs, avaient combattu sur le Continent, ou avaient parti-cipé à des duels d’honneur. Mais ils ne produisaient jamais de lames devant ses yeux, et certainement pas de manière aussi spectaculaire.

Cet homme était un guerrier entraîné à tuer. Il n’y avait décidément rien de civilisé chez lui.

Cependant, la lame du poignard n’avait même pas effleuré sa peau. Mary ne s’était pas sentie un seul instant en danger.

Mal approcha la mèche de ses lèvres.— Je la porterai près de mon cœur, dit- il, avant de

caresser le menton de Mary et d’ajouter, d’une voix attendrie : Ma rose d’Angleterre.

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Mary pouvait à peine respirer. Malcolm effleura la mèche de ses lèvres avec sensualité.

Elle avait eu raison de ne pas le laisser l’embrasser. Sinon, elle serait à présent dans ses bras et il l’empor-terait vers le pays des lochs.

— Mary ? résonna la voix de tante Danae, dans le hall.

Et la vieille dame grommela :— Diable de fille. Où a- t-elle bien pu passer ?Mary retrouva sa respiration. La réalité l’avait rat-

trapée et son petit interlude avec le bel Highlander s’évaporait déjà comme un rêve.

Sa réputation serait ruinée si elle était découverte seule avec lui. Une jeune lady célibataire ne pouvait pas se permettre de côtoyer un gentleman sans chaperon – et encore moins un Écossais. Elle jetterait l’opprobre sur son père, sur toute sa famille, et sur lord Halsey. La rumeur de sa faute se répandrait d’autant plus vite que beaucoup pensaient déjà que tante Danae n’était pas le chaperon idéal pour les sœurs Lennox, étant donné ses nombreuses liaisons passées.

Et Malcolm qui détenait toujours la lettre d’Audrey !Il ne souriait plus, comme s’il avait deviné le danger

qui la guettait.— Dépêchez- vous de filer, lui dit- il. Je porterai

la lettre à votre place. Où est la chambre du jeune homme ?

— Grands dieux, non ! Rendez- la- moi. Je la lui don-nerai plus tard.

— Ne soyez pas idiote. Votre tante sera ici d’un ins-tant à l’autre. Si elle vous surprend en ma compagnie, vous êtes perdue.

— Mary !La voix de tante Danae se rapprochait dangereuse-

ment.— Vous voyez, la pressa Mal. La lettre sera plus en

sécurité avec moi.Et, retrouvant son sourire ravageur, il ajouta :

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— Vous n’avez donc pas confiance en moi ?— Pas le moins du monde, rétorqua Mary.Cependant, elle n’avait d’autre choix que de capituler.

Elle savait qu’elle ne pourrait pas récupérer la lettre de force.

— C’est la dernière porte sur votre droite. Faites bien attention que personne ne vous voie.

— Personne ne me verra.Mary lui accorda un ultime regard – un peu comme

si elle était supposée ne jamais le revoir. Mal, immo-bile, se tenait comme une sentinelle dans la pénombre.

Ces Highlanders avaient la réputation d’attaquer au moment où leurs ennemis s’y attendaient le moins. Malcolm était à l’image du poignard qu’il portait caché dans ses vêtements : au repos pour l’instant, mais ter-riblement meurtrier s’il le fallait.

— Vite ! lui dit- il, voyant qu’elle s’attardait. Je ne vous trahirai pas, ma chère rose d’Angleterre.

Et cela résonnait comme un serment. Mary repartit vers l’escalier et commença de descendre les premières marches.

— Mary, murmura- t-il dans son dos.La jeune femme s’immobilisa un bref instant et se

retourna. Malcolm, penché sur la rampe du palier, la fixait du regard. Même dans la pénombre, ses prunelles luisaient d’un éclat intense.

— Bonne nuit.Et il lui souffla un baiser du bout des doigts, que

Mary eut l’impression de recevoir directement sur les lèvres.

Elle reprit sa descente, sans un mot, mais elle sentit le regard de Malcolm la poursuivre jusqu’en bas.

Mal regarda Mary se précipiter vers sa tante, ses jupes ondulant comme des vagues. La jeune femme était la beauté personnifiée, et Mal la voulait pour lui.

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Il ne la désirait pas seulement dans son lit – même s’il comptait bien coucher avec elle. Il la voulait toujours à ses côtés pour se réchauffer à la chaleur de son sourire.

Mal se retint de la poursuivre pour la rattraper. De toute façon, il ne tarderait pas à la revoir – il était prêt à tout faire pour cela.

Remontant le couloir afin de remettre la lettre à son destinataire, il se fit la réflexion qu’il en savait déjà beaucoup sur le compte de lady Mary Lennox. C’était une jeune femme romantique et passionnée, même si elle s’efforçait de cacher sa vraie nature sous une façade respectable. Et Malcolm avait lu dans ses beaux yeux bleus qu’elle aurait souhaité qu’il l’embrasse. Elle s’était ressaisie au dernier moment, et bien à contrecœur.

Ses qualités morales étaient à la hauteur de ses attraits physiques. Elle avait manifesté sa compassion en voulant aider sa sœur à communiquer avec un soupirant qu’on lui refusait. Si Mary avait cru vrai-ment aux convenances, elle n’aurait jamais encouragé lady Audrey à écrire une lettre aussi passionnée à son amant.

Elle ne pouvait pas ignorer qu’elle- même risquait d’être compromise pour avoir joué les intermédiaires. C’était donc la preuve que Mary aimait assez fort sa sœur pour s’exposer au danger. Et donc, qu’elle était courageuse.

Le courage, la passion, la beauté et la compassion, tout cela dans une même femme ! Mal avait plus que jamais envie de l’attirer dans son lit.

Mary. Même son prénom lui plaisait. Il le prononça à voix haute, dans le silence du couloir désert. Il lui apprendrait à l’appeler Mal, et il aurait plaisir à l’ entendre murmurer cette simple syllabe au plus fort de l’extase.

Oh, elle ne se laisserait pas apprivoiser facilement. Mais il saurait se montrer patient. Et quand il aurait gagné sa confiance, Mary se donnerait à lui sans réserves. De toute façon, maintenant qu’il lui avait

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parlé, Malcolm ne pouvait pas imaginer qu’elle ne puisse pas être à lui.

Toute la question était de savoir comment. La lettre qu’il tenait dans sa main lui fournirait peut- être un moyen. Elle était adressée à Jeremy Drake, le dernier d’une fratrie de trois. Jeremy Drake n’avait aucune chance d’hériter de la fortune des Bancroft. Tout au plus devrait- il se contenter de la pension que lui accor-derait sa famille. Il était logique, dans ces conditions, que le père de Mary s’oppose à ce qu’il épouse son autre fille.

Malcolm était lui aussi le dernier de la famille. Mais son sort était tout différent. En Angleterre, quand celui qui n’était pas l’héritier du titre n’avait aucune envie de rentrer dans les ordres ou dans l’armée et qu’il ne s’intéressait pas à la politique, il ne pouvait pas espérer grand- chose de l’existence. En Écosse, au contraire, les règles de transmission étaient différentes.

Mal avait hérité, à la mort de sa mère, d’une somme qu’il avait fait intelligemment fructifier dans le négoce et la distillerie. À présent, il était assez riche pour entre-tenir une épouse telle que Mary – une femme qui avait toujours été habituée à ce qu’il y avait de mieux.

Parvenu devant la dernière porte du couloir, Mal frappa au battant et attendit. Aucun son ne lui parve-nait de l’intérieur.

Il frappa de nouveau, sans davantage de succès. Alec l’attendait probablement en bas, pour l’entraîner boire quelques pintes dans un pub et laisser ces froids Anglais à leur glaciale demeure. Mais Mal ne voulait pas partir tant qu’il n’aurait pas rempli sa mission. C’était le meilleur moyen de gagner la confiance de Mary.

Il essaya la poignée, s’aperçut que la porte n’était pas verrouillée, et il la poussa.

Un jeune homme était étendu sur le tapis, devant la cheminée. Il gisait sur le dos, inerte, son corps formant

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un angle bizarre. Le cœur de Mal se serra et sa vision se brouilla.

Il avait existé un sixième frère Mackenzie, Magnus, entre les jumeaux et le deuxième né, Will. Magnus avait toujours été de santé précaire et ses frères s’étaient efforcés de le protéger. En fait, Magnus passait la plu-part de son temps au lit, ou assis devant la cheminée de la grande salle, emmitouflé dans une grosse couverture.

Un soir, Mal était entré dans la chambre de Magnus et l’avait trouvé pareillement étendu sur le tapis. Le cœur de Magnus, épuisé par la maladie, avait fini par capituler.

Magnus était mort à dix- huit ans. Mal en avait qua-torze.

Les années, tout à coup, s’étaient comme volatilisées. Devant le corps de cet Anglais, Mal était redevenu le jeune garçon qui avait désespérément tenté de réveiller son grand frère.

Mal inspira un grand coup. Sa vision s’éclaircit et il se rappela que le jeune homme écroulé sur le tapis n’était pas Magnus. Il avait l’âge de Mal et était presque aussi robuste que lui. Il s’était simplement endormi.

Malcolm s’accroupit et lui secoua l’épaule.— Réveille- toi, mon gars.Jeremy Drake cligna les yeux et les rouvrit. Il regarda

d’abord Mal avec étonnement puis, s’accrochant à son bras, il se releva sans effort et, d’une cisaille du pied derrière les genoux, il voulut l’envoyer à terre.

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Malcolm avait appris à se battre tout jeune. Il n’avait pas eu le choix, avec quatre frères aînés qui passaient leur temps à le martyriser. Il réussit à ne pas tomber, mais l’attaque surprise de l’Anglais l’avait déstabilisé. Une fois son équilibre recouvré, il s’apprêtait à se jeter à la gorge de son adversaire quand celui- ci produisit une dague sous son nez.

— Qui diable êtes- vous ? demanda Jeremy. Les jaco-bites auraient- ils déjà lancé leur offensive ?

Mal leva les bras.— Je ne suis pas un jacobite, mon gars, assura- t-il.C’était vrai. Il était au courant, bien sûr, que Charles

Édouard Stuart, surnommé familièrement Bonnie Prince Charles, ou simplement Bonnie, avait débarqué sur les côtes écossaises à la tête de quelques partisans, dans l’intention de reconquérir le trône d’Écosse, dont son grand- père avait été dépouillé. Mais Malcolm ne se sentait pas concerné par cette rébellion.

— À supposer qu’ils lancent bel et bien l’offensive, reprit- il, comptez- vous défendre toute cette maison avec une seule dague ?

Pour toute réponse, Jeremy se jeta sur lui. Mal lui saisit le bras et le tordit dans son dos, avant de lui arra-cher son arme des mains.

Jeremy – c’était tout à son honneur – savait se battre, lui aussi. Il se démena si bien que Mal fut obligé de le

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relâcher. De toute façon, il s’était emparé de sa dague et c’était l’essentiel.

Jeremy, la respiration lourde, le fusillait du regard. Il avait les yeux bleus, des cheveux noirs tirés en arrière et noués en queue-de-cheval, et son costume de bonne coupe ne cachait rien de son corps musculeux. Il était peut- être le dernier de la famille, mais Mal avait l’intui-tion que, si les circonstances lui accordaient le pouvoir et l’autorité, il se montrerait redoutable.

— Répondez- moi, lança Jeremy d’une voix plus dure. Qui êtes- vous ?

— Lord Mal Mackenzie.Et, plongeant sa main libre dans sa poche, il en tira

la lettre :— J’étais venu vous remettre ceci.Jeremy contempla la lettre d’un œil suspicieux.— Qu’est- ce que c’est ?Mal agita la missive sous le nez du jeune homme.— Une lettre d’amour, imbécile. De la part de votre

chère Audrey.— Quoi ? s’exclama Jeremy, lui arrachant la lettre

des mains. Et pourquoi est- elle en votre possession ?— C’est lady Mary qui m’envoie.Jeremy n’en croyait visiblement pas un mot. Il ouvrit

la lettre et parcourut les premières lignes, avant de relever les yeux.

— Bon, d’accord. Vous avez dit vrai.Mal tenait toujours fermement la dague, mais il

abaissa son bras.— Je l’ai lue en entier. Elle vous dit de bien belles

choses.Jeremy devint cramoisi.— Vous l’avez lue ?— Par accident. Lady Audrey sait se servir d’une

plume. Êtes- vous très amoureux d’elle ?La fureur de Jeremy se volatilisa.— Grands dieux, oui ! Je l’adore littéralement. Mais

son père veut la marier à un vieux barbon, dont il

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CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en ItaliePar GRAFICA VENETA

Le 7 novembre 2016.

Dépôt légal : novembre 2016.EAN : 9782290133781

OTP L21EPSN001202N001

ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard- et- Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger : Flammarion