Journal de la Société des Océanistes, 129

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Journal de la Société des Océanistes 129 | juillet-décembre 2009 Varia Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jso/5886 DOI : 10.4000/jso.5886 ISSN : 1760-7256 Éditeur Société des océanistes Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2009 ISBN : 978-2-85430-026-0 ISSN : 0300-953x Référence électronique Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009 [En ligne], mis en ligne le 25 juin 2009, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jso/5886 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/jso.5886 Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020. © Tous droits réservés

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Journal de la Société des Océanistes 

129 | juillet-décembre 2009Varia

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/jso/5886DOI : 10.4000/jso.5886ISSN : 1760-7256

ÉditeurSociété des océanistes

Édition impriméeDate de publication : 15 décembre 2009ISBN : 978-2-85430-026-0ISSN : 0300-953x

Référence électroniqueJournal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009 [En ligne], mis en ligne le 25 juin 2009,consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jso/5886 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.5886

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SOMMAIRE

Relations inter-ethniques et questions identitaires en Australie

De mythes en réalités : relations interethniques et questions identitaires en AustralieViviane Fayaud

Authenticity and Appropriation in the Australian Visual Contact Zone of Brenda L. CroftKatherine E. Russo

La représentation des Aborigènes dans les illustrations des livres écrits pour la jeunesseaustralienne entre 1830 et 1930 : une vision entre mythe et réalitésCyrielle Lebourg-Thieullent

Le temps du rêve français : l’Australie dans l’iconographie au XIXe siècleViviane Fayaud

Coonardoo de Katharine S. PrichardIsabelle Benigno

La prose littéraire des Grecs d’Australie : enjeux identitairesStéphane Sawas

Autres articles

Rongorongo Script: Carving Techniques and Scribal CorrectionsPaul Horley

Abondance et précarité. Conditions de vie et alimentation des sans-abri à TahitiChristophe Serra Mallol

Système de culture, système d’activité(s) et rural livelihood :enseignements issus d’uneétude sur l’agriculture kanak(Nouvelle-Calédonie)Catherine Gaillard et Jean-Michel Sourisseau

Miscellanées

Chasseurs dans le monde kalamDenis Monnerie

The Pirates At Tahiti in 1822: Two Unpublished Letters by Samuel HenryRhys Richards

Le classement des archives administratives de Wallis-et-Futuna (1951-2000) de GildasPressenséRaymond MAYER

Esthètes es têtes ou sans tête ? L’art ancestral des Kanak au musée des Beaux-Arts deChartresGilles Bounoure

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Comptes rendus d'ouvrages

Nouvelle-Calédonie. Terre de corail de Pascale JOANNOTIsabelle Leblic

L’outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires deThierry MICHALONBenoît Carteron

Paradiese der Südsee. Mythos und Wirklichkeit. Begleitbuch zur Sonderausstellungim Roemer- und Pelizaeus-Museum Hildesheim de Inès DE CASTRO, Katja LEMBKE etUlrich MENTER (Hg)Gilles Bounoure

A World of Relationships. Itineraries, Dreams, and Events in the Australian WesternDesert de Sylvie POIRIERRaymond MAYER

Un musicien chez les coupeurs de têtes de Michel DINTRICHGilles Bounoure

Becoming Art. Exploring Cross-Cultural Categories de Howard MORPHYRaymond MAYER

Art and Exoticism. An anthropology of the yearning for authenticity de Paul VAN DER

GRIJPRaymond MAYER

Creative Spirits. Bark Painting in the Washkuk Hills of North New Guinea de RossBOWDEN etRouge kwoma. Peintures mythiques de Nouvelle-Guinée sous la direction deMagali MÉLANDRI et Maxime ROVEREGilles Bounoure

Journeys Towards Progress. Essays of a Geographer on Development and Change inOceania de Ray WATTERSRaymond MAYER

Jahrbuch der Staatlichen Ethnographischen Sammlungen Sachsen sous la directionde ClausGilles Bounoure

Atoga No Mangareva, histoire mangarévienne. Regards croisés sur le Rongo deCahorsSarah Mohamed-Gaillard

Tonga. A new bibliography de Martin DALYRaymond MAYER

Lettres des missionnaires maristes en Océanie, 1836-1854. Anthologie de lacorrespondance reçue par Jean-Claude Colin fondateur de la Société de Mariependant son généralat sous la direction de Charles GIRARDGilles Bounoure

Art of the Massim and Collingwood Bay de Michael HAMSON and Richard ALDRIDGEGilles Bounoure

Parcours archéologique. Deux décennies de recherches du DépartementArchéologie de Nouvelle-Calédonie (1991-2007) de Christophe SAND, Jacques BOLÉ,André-John OUÉTCHO et David BARETFrédérique Valentin

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Campagne des mers du Sud faite par le Seignelay de 1875 à 1879 de Paul-ÉmileLAFONTAINEGilles Bounoure

Actualités et Actes de la Société

Les états généraux de l’outre-mer en Polynésie française Une initiative présidentielle priseaprès la crise sociale dans les DOMChristophe Serra Mallol

Cinéma des Océanistes

Listes des ouvrages reçus

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Relations inter-ethniques etquestions identitaires en Australie

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De mythes en réalités : relationsinterethniques et questionsidentitaires en AustralieViviane Fayaud

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cette journée comptait quinze communications regroupées en thèmes : littératures

(Christine Mathieu, « Goodbye from Vanilla » ; Katherine E. Russo et Cyrille Lebourg-

Thieullent, dans ce numéro) ; enjeux identitaires (Isabelle Benigno, dans ce numéro ;

Luc Vacher, « Les espaces du mythe du bush australien : de l’invention du territoire à

l’exploitation touristique ») ; questions aborigènes (Maryvonne Nedeljkovic, « Le

paysage dans la pensée aborigène australienne comme extériorité et intériorité » ;

Géraldine Leroux, « La parole des ancêtres dans les communautés urbaines du

Pacifique ») ; mythes et réalités politiques (Anna Cole, « ‘Dancing with the Prime

Minister’. Myth and History » ; Fabrice Argounès, « Mythes réalités de la politique

étrangère australienne ») ; art et exil, art de l’exil (Vanessa Castejon, « The exoticism of

the Musée du Quai Branly: French perspective on Aboriginal Australia » ; Stéphane

Sawas, dans ce numéro ; Laetitia Bourget, « Se faire des amis ») ; une introduction

(Viviane Fayaud, dans ce numéro ; Renata Summo O’Connell, « Transformation and Art:

ethnic and indigenous women artists in Australia ») et une conclusion par Robert

Aldrich. BARBE Dominique, 2009. Histoire du Pacifique des origines à nos jours, Paris, Perrin.

1 Le Réseau Asie-Imasie, dont l’objectif est de promouvoir la rencontre des chercheurs

travaillant sur l’Asie et le Pacifique, en partenariat avec l’AILAE1, a co-organisé du 21

janvier au 12 février 2008 une exposition2 réunissant des œuvres d’artistes australiens

et des photographies réalisées dans la région de Kimberley ces vingt dernières années

par l'anthropologue Kevin Shaw. Regards croisés sur l’identité, tel était le propos de

l’ensemble qui a servi de point de départ à une réflexion sur les jeux de

représentations, d’une part, entre l’Australie et l’Europe et, d’autre part, sur et entre les

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communautés aborigènes3 ou non aborigènes d’Australie, ouvrant ainsi sur la question

de la pluri-ethnicité, en particulier dans la construction nationale.

2 Cette réflexion a été menée le 5 février 2008 au sein d’une journée d'étude qui s'est

tenue à la Maison des sciences de l'homme (voir leprogramme complet en ligne http://

www.reseau-asie.com4). Intitulée Australie mythes et réalités, elle réunissait selon une

approche pluridisciplinaire sociolinguiste, politiste, géographe, anthropologue,

spécialistes des études littéraires et historiens, auxquels se sont joints des artistes

(cinéaste et écrivain). Ils étaient issus de centres de recherche australiens,

britanniques, italiens et français et d’une variété de formations professionnelles et

académiques. Chercheurs expérimentés, nantis d'une expérience internationale,

chercheurs en début de carrière et doctorants ont confronté leurs recherches sur les

imaginaires et les réalités identitaires de l'Australie du XIXe au XXIe siècle. Ne sont

publiés ici que cinq des contributions de cette journée, choisies pour leur caractère

inédit ainsi que pour l’originalité de leurs corpus, à savoir la littérature et l’art

interrogeant les mythes et la réalité ethnique et interethnique australienne, pierre de

touche identitaire et enjeu de l’avenir.

3 Dès le XVIIIe siècle, la curiosité et l’avidité des Européens ont convergé sur l’Australie,

son immensité, ses richesses naturelles et son statut de pays nouveau. Au siècle suivant

s’y ajoutent leurs rêves et leurs aspirations à un projet neuf de civilisation

s’épanouissant dans un pays enfin équitable (Lagayette, 2008 : 7 ; Vernay, 2009 : 45).

Aujourd'hui, certains déplorent que l’Australie contemporaine soit un champ et un

objet d’investigation périphérique de la recherche française suscitant peu de travaux

majeurs, tant il est vrai que chaque pays européen a tendance à travailler sur ses

anciens espaces de domination (Royer, 2008 : 135). Toutefois, une certaine fascination

semble perdurer et s’est accentuée ces dernières années. Ce n’est pas parce que cet

antipode de la France conjugue, à des traditions millénaires des peuples autochtones et

à la présence sulfureuse de bagnards et de colons, des aspirations toujours présentes à

l’évasion et à la justice sociale que, selon Françoise Kral :

4 Ce renouveau proviendrait plutôt, selon elle, de :

« l’émergence   de   nouvelles   données   telles   quel’affirmation d’une littérature et d’un cinéma [...] ouencore   le  débat  de   fond  sur   le  multiculturalisme,qui   intéresse   d’autres   pays   confrontés   à   desproblématiques semblables. » (Kral, 2005 : 5)

5 D’aucuns soulignent que, d’une manière générale, sur les Aborigènes et le regard

occidental eurocentré existent de très nombreuses études. Ainsi,  en  ce  quiconcerne   le  regard  de   l’Europe  sur   les  Aborigènes,  cettelittérature de recherche explore notamment les imaginairesque suscite la découverte des peuples autochtones par lesexplorateurs   des   XVIIIe  et   XIXe  siècles. Par ailleurs, enanthropologie  seulement,   les   représentations  cette   fois-cieuro-australiennes des Aborigènes sont le sujet d’une vastelittérature  et  de  nombreux  débats.  Aussi,  nos  relecteurs5

soulignent, qu’en Australie, le champ des études aborigènesconstitue  une  thématique  à  part,  distincte  de   l’étude  desautres  groupes  et  communautés  ethniques.  Le  dossier  se

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propose  une  autre  approche6.Nombre de sociétés contemporaines du

Pacifique, remodelées par les besoins des empires coloniaux, notamment en main-

d’œuvre, résultent de multiples mouvements migratoires toujours en cours, vers les

pôles de développement économique et, particulièrement, vers la Nouvelle-Zélande ou

l’Australie, avec pour conséquences des cristallisations d’identités ethnoculturelles et

des revendications politiques.

6 Ce contexte, allié à la volonté du Réseau Asie-Imasie d’être fidèle à sa politique de

subsidiarité7, expliquent les choix de ce dossier qui ne développe pas une anthropologie

des Aborigènes mais se focalise sur la mise en place, l’évolution ou la pérennité de

l’Australie « à engendrer du rêve » et à forger du symbole affrontant ou négociant :

« [les] dures   réalités   de   la   construction   d’unecommunauté   nationale   multiethnique   etmulticulturelle. » (Lagayette, 2008 : 8)

7 Dans le cadre de cette problématique, les Aborigènes sont associés plutôt que

particulièrement distingués des autres communautés d’Australie. La fascination pour

l’Australie, issue ou non de la nation, face aux réalités des relations entre

communautés, perçues et imposées de l’extérieur par l’altérité ou dominées par la

construction de l’image de soi, permet également, sans se désintéresser des pratiques et

des aspects des périodes coloniale et post-coloniale, de se placer au-delà de leurs

problématiques8. L’éviction d’une vision binaire de l’Australie isolant les autochtones

colonisés (ou Aborigènes) des colonisateurs et des migrants, éviction qui est loin d’être

originale puisqu’elle existe depuis plusieurs décennies, autorise également une

appréhension différente, peut-être plus fine, des multiples positions médianes,

similarités et/ou différences nées d’interactions et d’échanges continus, alors que par

la bipolarisation, les autres :

« sont   toujours   présentés   comme   un   collectifhomogène appelé “ils”, collectif qui s'oppose à unautre collectif, “nous” » (Russell, 2006 : 2)

chaque entité étant dotée de caractéristiques généralement peu nuancées. En outre,

celui qui parle se place au centre repoussant souvent les autres à la marge. De plus, les

« Aborigènes » eux-mêmes sont loin de constituer une entité homogène et uniforme

(Russell, 2006 : 4). Enfin, ces constructions ne prennent pas toujours en compte le

dynamisme des cultures qui, loin d’être figées et immuables, évoluent (Brewster,

1995 : 13). Manifester les positions médianes et les nuances au sein d’un groupe en

apparence homogène qu’il s’agisse des Français explorateurs de l’Australie au XIXe siècle

(Fayaud), des écrivains euro-australiens, colons anglais ou migrants grecs (Benigno et

Sawas) s’avère plus aisé si l’objet d’étude bénéficie d’une contextualisation historique

et/ou d’une attention aux parcours personnels. On remarque alors les positions

divergentes qu’inspirent les autochtones aux savants français en exploration, ou

l’hétérogénéité de l’hellénisme australien9. Une commune expérience explique

également la réunion dans un même dossier de sujets d’études traditionnellement pris

séparément, tels les Aborigènes et les migrants grecs, car, selon Simone Rinzler,

migrants et déracinés partagent avec ceux qui ont subi la colonisation, l’exil ou l’exode,

le besoin de reconnaissance, une demande de considération qui conduit à la

proclamation de l’identité et à l’expression dans l’espace public de l’expérience du

déracinement, du choc des cultures, de la discrimination et des préoccupations

concernant la langue ou l’identité hybride (Rinzler, 2005 : 179-180 ; Vernay, 2009 : 118).

Cette approche, nombre d’Aborigènes eux-mêmes l’acceptent, notamment sur le thème

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de la discrimination (Pons, 2008 : 115). Toutefois, les articles de ce dossier, qui reflètent

tout à la fois l’état actuel de la recherche et la polarisation politique et culturelle,

portent largement leur attention au monde aborigène.

8 Présenter des travaux de recherche majoritairement francophones sur l’Australie

contemporaine (XIXe au XXe siècle) et ne pas distinguer particulièrement une

communauté ethnoculturelle10 pour appréhender les nuances et les variations dans les

perceptions et les expressions constituent les deux premiers aspects de ce dossier. Le

troisième réside dans les corpus utilisés car il s’agit de sources recevant une

considération récente pour la compréhension des questions interethniques et

identitaires, à savoir l’art (Russo) et la littérature (Benigno et Sawas). D’autres sources

ne sont que rarement voire jamais consultées : l’art de l’illustration (Fayaud et Lebourg)

ou la littérature de jeunesse (Lebourg). Enfin, le dossier prend en compte la perception

selon le genre, puisqu’une artiste aborigène et trois écrivaines euro-australiennes

(anglaise et grecques) sont passées au crible de l’analyse. Il évoque la confrontation des

centres (ouvrages scientifiques et presse de Paris, littérature de jeunesse de Londres)

aux périphéries (la littérature des migrants grecs, l’art aborigène), mais inversement

des périphéries devenant centres (la littérature des Euro-australiens « anglo-celtes ») et

des paradoxes qui surgissent entre leurs principes et leurs entreprises.

9 Dans ces sociétés en mutation, les productions artistiques peuvent jouer un rôle capital.

Les formes artistiques des peuples premiers de l’Australie ont donné lieu à une vaste

bibliographie, qu’il s’agisse de leur littérature ou de leurs œuvres picturales. Peut-on

mettre en évidence l’apport original des productions esthétiques afin de mieux cerner

leurs fonctions sociales ? Les travaux en la matière, mais ils ne sont pas encore très

nombreux, démontrent peut-être surtout à quel point les théories des productions

symboliques sont le reflet des sociétés de type occidental. Pourtant, un historien

souligne que :

« jamais  peut-être   la   reconnaissance  d’un  peuplen’est   autant   passé   par   son   art   que   pour   lesAborigènes. »(Barbe, 2009 : 616)

10 Cependant, rappelle Xavier Pons, les artistes aborigènes travaillent avec des mediums

et des supports modernes. Ils usent de l’acrylique et non des pigments minéraux ou

végétaux, et de la toile ou du carton au lieu de l’écorce. Surtout, les thèmes se sont

transformés : spiritualité chrétienne ou militantisme politique (Pons, 2008 : 105). Cette

évolution est-elle une perte d’authenticité ? Katherine Russo, de l’université de Naples,

analyse les peintures d’une artiste aborigène contemporaine en regard des concepts

d’authenticité, d’hybridité et d’intersubjectivité, en prenant appui sur des travaux

récents de type anthropologique en Australie et surtout sur ceux d’Homi Bhabba (1994).

Prisme tout aussi original, l’art de l’illustration (Fayaud et Lebourg), art mineur à

l’impact non négligeable, est ici largement sollicité. Les représentations

iconographiques cristallisent les intérêts, les activités, les conceptions et les sentiments

du centre, fondements et reflets de la vision sur la périphérie mais reflets également de

sa manière de la traiter. Comprendre les enjeux de la représentation exige une

contextualisation historique, encore absente pour les dessins des navigations

françaises. En effet, l’iconographie coloniale du XIXe siècle 11 n’est que très rarement

remise dans une perspective historique, et encore moins replacée dans l’évolution du

milieu artistique. Innovateur également l’angle considéré, à savoir ce qui modèle et

influence l’iconographie de l’Australie, pays qui pour l’art représente avant tout une

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source de motifs, et non la représentation du « bon » ou « noble » et de « l’ignoble »

sauvage, objet de nombreuses analyses critiques (Hartog, 2005 ; Ellingson, 2001 ;

Dickason, 1995 ; Vibart, 1984). L'implantation étrangère et la découverte de l'or ont été,

entre autres, porteuses d'un imaginaire qu’illustrent tant la presse française que les

intrigues de romans12. Par elles l’Australie entre dans la littérature française, qui, à

l’image de son homologue anglaise :

« s'adresse   prioritairement   au   jeune   garçonoccidental, lui offre l'occasion d'é/prouver sa virilitéet de tester ses qualités d'homme blanc. »(Ryan-Fazilleauet al., 2008 : 69)

11 L’analyse intéressante et surtout novatrice de Cyrielle Lebourg se focalise sur les

représentations iconographiques de cette littérature de jeunesse (1830-1930).

L’historien Alain Corbin a clairement démontré qu’il n’est plus possible de :

« disqualifier   la   littérature   romanesque   sousprétexte qu’elle relève de l’imaginaire et ne renvoiequ’à elle-même. »(Corbin, 1986 : 85)

12 Depuis Edward Saïd, les études culturelles explorent la portée sociopolitique et

géopolitique des réalisations culturelles13 (Saïd, 2000 : 28). Jacques Rancière parle même

de Politique de la littérature qui :

« suppose   qu’il   y   a   un   lien   essentiel   entre   lapolitique  comme   forme  spécifique  de   la  pratiquecollective  et   la  littérature  comme  pratique  définiede l’art d’écrire. » (Rancière, 2007 : 11)

13 La littérature australienne, de son origine aux années 1920 :

« se veut interprète de la réalité telle que la voientou la souhaiteraient les colons. » (Nedeljkovic, 1982 : 15)

14 Elle témoigne précisément des interactions sociales (l'identité, la classe, le genre, les

minorités, la marginalité, le multiculturalisme, le migrant), ethniques (la race,

l'étranger, Noirs ou Blancs, l'ethnicité), et des questions contemporaines (l'exil, le

nationalisme ou comment bâtir/caractériser la nation). Ayant rejeté le formalisme et

l’intellectualisme occidental dans son expression du monde et de son sens, elle s’est

constituée laboratoire des évolutions symboliques, des conflits et de l’avenir.

15 L’enjeu de l’avenir constitue, dès la fin du XVIIIe siècle, un élément clé de la richesse

symbolique de l’Australie. Le pays génère la foi en l’avenir. En France, elle relève très

tôt de préoccupations utopiques, l’Australie représentant un antipode social où il est

possible   de   bâtir   une   meilleure   société   sans   classes,récompensant   socialement   et   financièrement   selon   lemérite  et  non  selon   la  naissance.  Cette vision de l'Australie comme

monde meilleur persiste puisque :

« dans   la   littérature   française  depuis   les  années1960,   [...]   les   indigènes  australiens  sont  dépeintscomme le dernier rempart contre les ravages de lamodernisation. »(Ryan-Fazilleau et al., 2008 : 18)

16 À l’interne, cette confiance ressort des « premiers écrits littéraires », qui « parlent en

terme d'avenir et non de passé », qu’une minorité d’auteurs conçoivent en rupture avec

l'Angleterre considérée comme « désuète, austère et lointaine », mais aussi comme

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synonyme de conservatisme et d’injustice sociale (Nedeljkovic, 1982 : 11). Pour

l’Australie revendicatrice de son identité, il s’agit

« [d’]élaborer   à   partir   de   l'expérience   passéel’éthique   future  d'une  nation  et  d’une  civilisationnaissantes. »(Nedeljkovic, 1982 : 16)14

17 Cependant, cette foi en l’avenir croît au sein de l’épineuse question des relations

interethniques. Le mythe de l’homogénéité nationale butte sur la réalité du peuplement

multiethnique et multiculturel (Piquet, 2004 : 36). Des romanciers mettent en lumière

non l’héroïsme entêté des Australiens blancs mais leur conduite d’envahisseurs

destructifs, et élèvent leurs voix contre les discriminations et injustices touchant les

Aborigènes. Aussi la majorité des études sur la littérature australienne porte-t-elle sur

la représentation des Aborigènes, du bush ou de la femme. Isabelle Benigno analysant

Coonardoo de Katharine Susannah Prichard (1883-1969) sacrifie à ces thématiques

puisque les femmes pionnières et les relations raciales sont le centre des sagas

historiques de la romancière qui menait, par ailleurs, un combat en faveur des

Aborigènes donnant ainsi à ses œuvres une dimension politique. Première à accorder

aux Aborigènes un rôle majeur dans la littérature, Katharine S. Prichard les présentent

en sauveurs bienveillants ou initiateurs de l’homme blanc à la terre australienne. Ses

ouvrages dévoilent également le fossé entre des principes avoués d'égalité et des

pratiques sous-jacentes, où dans Coonardoo par exemple,l’attraction homme-femme ne

peut s’épanouir que dans le respect des frontières rigides de la division raciale,

conduisant dans le cas inverse les protagonistes à l’impasse, ballottés de

l’incompréhension mutuelle à la destruction (Bennett et al., 1998 : 102, 112, 123, 210).

18 À côté des femmes et des Aborigènes, les migrants sont souvent des protagonistes

problématiques en raison même de leur marginalisation avec les cultures dominantes

et des négociations qu’exigent d’eux les méfiances de leurs compatriotes.

Stéphane Sawas analyse la littérature de la communauté périphérique des migrants

grecs qui reflète toute l’originalité de l’Australie pluriethnique et plurilingue, où le grec

est largement parlé. La découverte de l'or vers 1850 accélère et diversifie l’implantation

étrangère sur le sol australien. Une communauté grecque prend corps (MacLeod,

2006 : 111 et 123). À la fin du siècle, Melbourne, où s’érigeait dès la fin du XIXe siècle la

première église grecque orthodoxe d’Australie, et Sydney rassemblaient environ un

millier d’immigrants grecs. Malgré son ancienneté, cette diaspora n’était pas très

estimée et était vouée à végéter au bas de l’échelle socioprofessionnelle puisque les

carrières prestigieuses et rémunératrices lui était refusées. « Ses ressortissants, jugés

préférables aux immigrés de couleur », rappelle Xavier Pons, étaient néanmoins

considérés comme « race » notoirement inférieure (Pons, 1996 : 43 ; Piquet, 2004 : 95).

Ils   subirent   à   plusieurs   reprises   des   pillages   et   desexactions de la part des mineurs d’origine anglo-saxonne. En

effet, jusque vers 1950, l’Australie a rejeté avec obstination toute intégration hors des

« Anglo-Celtes » (Pons, 1996 : 42-3, 70, 211 ; Piquet, 2004 : 11, 95).

« Le  sentiment  de  rejet  et   la  volonté  d'expulsionque   manifestaient   les   colons   britanniques   nes'appliquaient  pas  uniquement  aux  communautésde   couleur,   mais   à   tout   groupe   suffisammentnombreux   pour   paraître  menacer   l'homogénéitéraciale des colonies. »(Piquet, 2004 : 95)

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19 S’accroissant après la migration de masse de 1947, la communauté grecque représente

aujourd’hui 4 % de la population australienne ; Melbourne est « l’une des plus grandes

villes grecques du monde » (Pons, 1996 : 334) et c’est à leur intention (et celle des

Italiens) que le multiculturalisme est instauré à partir de 1973 (Bruneau, 2000 : 35). La

politique du multiculturalisme s’ancre avec force dans la littérature qui cesse d’être

l’apanage des « Anglo-Celtes ». Si des études ont été consacrées à la littérature des

Italiens, des Allemands, des Chinois d'Australie, celles portant sur les écrivains

migrants grecs sont plus rares. Or, ces derniers, souligne l’Oxford Literary History of

Australia, ont été les plus importants des écrivains migrants, « pour des raisons qui ne

sont pas totalement claires » (Bennett et al., 1998 : 274).  Cette dernière remarque

souligne explicitement que des recherches restent à mener. Ce même ouvrage

d’histoire littéraire australienne rappelle l’impact de Dimitri Tsaloumas et Antigone

Kefala, sans toutefois faire plus que leur reconnaître cette prééminence puisqu’il ne cite

qu’une fois en presque cinq cents pages deux des trois auteurs étudiés par Stéphane

Sawas (Bennett et al., 1998 : 274 et 326). Le sujet méritait donc un regard plus

approfondi. En analysant les diverses expressions littéraires des Grecs d’Australie,

Stéphane Sawas parvient à mettre au jour à la fois l’évolution méconnue de la

problématique identitaire dans l’Australie des XXe et XXIe siècles et l’impact de la gestion

politique du multiculturalisme sur les stratégies éditoriales et la diffusion de textes

littéraires pas toujours à l’abri de récupérations inattendues.

20 L’ensemble des contributions dévoile que la question de l'ethnicité ne peut être

dissociée de l’identité australienne. Ce dernier thème hante les artistes car l’Australie

exacerbe le désir d’appartenance. Katharine S. Prichard par exemple avait donné

confiance et corps à l’émergence d’une conscience nationale, se dépensant pour forger

un socle de valeurs proprement australiennes, ce qu’atteste l’écrivain Frank Dalby

Davison (1893-1970) qui déclarait :

« Vous ne comprendrez jamais quel impact le livre de Katharine, Working Bullocks, aeu sur nous. Voici un livre écrit par un Australien, écrit aussi bien que n'importelequel des écrivains étrangers, un livre avec un activiste militant comme héros –c’est par ce livre que tout a commencé pour moi et Palmer et tous les autres. »15(Bennett et al., 1998 : 206)

21 Si les études critiques d’histoire nourrissent la construction identitaire nationale,

comme le rappelle Lynett Russell aujourd’hui :

« dans le discours australien post-colonial, les études sur l’identité, et les notions denation, le concept d’hybridité joue un rôle important – si ce n’est central. »16(Russell, 2006 : 3)

22 À l’issue de ces études, il reste à s’interroger sur la dimension du mythe et de la réalité

dans l’idée d’homogénéité socioculturelle comme fondement d’une communauté et

d’une nation, concept qui alimente des identités nationales peut-être plus proches elles

aussi du mythe que de la réalité. Plus largement demeure la question, soulevée par

François Laplantine, de la pertinence de la notion d’identité. L’altérité n’est-elle pas

l’une des questions les plus délicates et des plus brûlantes du monde d’aujourd'hui ?

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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NOTES

1. Académie itinérante des échanges Arts et Langues européennes, www.ailae.org.

2. Summo-O'Connell a réalisé le catalogue de cette exposition (Summo-O'Connell, 2008 : 1).

3. Précisons que les Aborigènes concernés sont surtout des urbains ou semi-urbains ; ils se

trouvent donc plus à proximité d’autres migrants que ceux des communautés éloignées.

4. Voir la note de la rédaction.

5. NDLR. – L’auteur fait référence ici aux avis de lecture transmis par la rédaction du JSO aux

auteurs des articles.

6. Cette situation entraînerait « une plus grande amnésie concernant d’autres histoires y

compris les histoires des migrations d’après-guerre » (Brewster, 1995 : 17, citant Gunew et al.,

1993 : 449, traduit par nous).

7. Le réseau Asie-Imasie promeut des recherches selon des démarches et/ou dans des domaines

différents de ceux que les laboratoires de recherche et les institutions existantes poursuivent, se

voulant en complémentarité et non en concurrence de leurs travaux.

8. Par les politiques du multiculturalisme et de la Réconciliation nationale, l’Australie se perçoit

comme une nation post-coloniale (Lagayette, 2008 : 12). Cela ne signifie pas que la réconciliation

soit effective. Pour faire simple, post-colonial est ici surtout pris dans son sens historique

(Brewster, 1995 : 22). La perspective post-moderne s’interroge sur les résultats de l’anthropologie

ou le concept de vérité historique, chacune impliquant des choix et des points de vue spécifiques

qui les placeraient surtout dans le domaine du discours.

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9. « L’hellénisme est un phénomène à la fois démographique, culturel et sociopolitique [...]. On

entend par ce terme l’ensemble des populations qui se revendique ou se sont revendiquées dans

un passé plus ou moins lointain d’une identité grecque » (Bruneau, 2000 : 35).

10. Même si une expérience commune de la marginalisation ne débouche pas sur des positions

communes. Les Aborigènes refusent d’être concernés par la politique du multiculturalisme.

11. Pour le XVIIIesiècle en général et pour le XIXesiècle anglo-saxon, voir les analyses inégalées de

Bernard Smith (1985).

12. Une cinquantaine de romans entre 1852 et 1910, la plupart dans le sillage de Jules Verne

(Ryan-Fazilleau et al., 2008 : 67 et 80).

13. « Des réalignements inédits s’opèrent, rapidement, à travers frontières, types, nations et

essences, et ce sont eux désormais qui défient la notion fondamentalement statique d’identité,

cœur de la pensée culturelle à l’ère de l’impérialisme » (Saïd, 2000 : 28).

14. Voir également Pons (2005 : 59).

15. « You’ll never know what an impact that book of Katharine’s, Working Bullocks, had on us. Here was a book written by an Australian,written as well as any of the foreign writers, a book with a militantactivist as a hero − this book started it all for me and Palmer and theothers. »(Traduit par nous).16. « […] hybridity plays an important – if not central – role in Australianpostcolonial discourse, identity studies and notions of nationhood. »(Traduit par nous).

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Authenticity and Appropriation inthe Australian Visual Contact Zoneof Brenda L. CroftKatherine E. Russo

1 In the Australian Indigenous studies field, the debate on appropriation has often

focussed on the issue of authenticity, ranging from an essentialist view of

appropriation as a process of cultural contamination to the recent, often assimilative,

celebration of a neutral, transparent, cross-cultural exchange, which is open to all.

However, according to this study, the relation between authenticity and appropriation

lies in the misuse of the term appropriation, which often maintains the assumption

that Indigenous peoples appropriate technologies which are still regarded as colonial

property. Yet, property, as Cheryl Harris explains, is always alienable (1993: 1731-1734).

Colonial property rights over visual arts such as photography and digital photography

are not natural but ideological. They are a myth, which the neo-colonial order has

established and protected in order to create a social divide and reputation (Harris,

1993: 1724). As Cheryl Harris notes, selection based on property is the central feature of

«reification»:

«Its basis is that a relation between people takes on the character of a thing andthus acquires a ‘phantom objectivity’, an autonomy that seems so strictly rationaland all-embracing as to conceal every trace of its fundamental nature: the relationbetween people.» (1993: 1730)

2 Thus, according to this study, the alienable nature of contemporary visual technologies

has been largely denied by neo-colonial discourses because it implies a relation with

other users. The recognition of Indigenous contemporary visual art as legitimate and

authentic would be an admittance of co-habitation and hybridity that needs to be

erased so that the myth of terra nullius can take place (Goldie, 1989: 148-169).

3 The colonial claim of property over contemporary visual art has sought to displace the

counterfactual ever present Indigenous ownership and use of visual technologies.On

one hand, colonial discourse has sought to relegate desert dot-painting and painting on

barks to the realm of cultural artefacts from a nostalgic past. On the other,

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anthropologists, ethnologists and art critics have reiterated the trope of authenticity as

a policing strategy to disallow the use of modern technologies such as photography and

contemporary technologies such digital technologies by Indigenous artists. The

unstoppable dynamism and innovation of Indigenous Australian artists has been met

with suspicion whenever, according to Marcia Langton, «a work appears to be

insufficiently primitive – perhaps too self-conscious, maybe too political, worse still,

‘part-Aboriginal’, or a domain in which cultures crash» (Langton, 2004: 87). The

paradox is that Indigenous Australian art has always existed in domains in which

cultures crash and technologies have been reciprocally appropriated, both before and

after the British invasion. However, as the Koori artist, Linus Onus, writes, essentialist

discussions of authenticity and hybridity usually precede «a vigorous debate on the

issue of appropriation. Some commentators will refer to this process with thinly

disguised revulsion, suggesting that their traditional artists might be contaminated»

(1990: 14-19).

4 Colonial anxiety over cross-cultural relations and co-habitation with Indigenous

Australian peoples has often resulted in an obsessive nostalgic representation and

advertising of Indigenous Australian art as remote in both time and space,

implementing an ongoing severing discourse of developmental modernization in

histories of the media and technology. As we know by now, the myth of cultural purity

has been much harder to sustain in the colonies where interactions between European

and Indigenous people took place. Policing Indigenous/non-Indigenous artistic

relations has been favoured since the work of early anthropological photographers,

who were intent in denying intercultural encounters and establishing racial distance.

For instance, in his work On the Phenomena of Hybridity in the Genus Homo, translated in

1865 for the first review of the anthropological society of London, Paul Broca, the

founder of anthropometry who greatly influenced the inventor of the photographic

grid method Henry Huxley, was searching for clear and defined answers on the issue of

hybridity. One of his claims was that while the intermixture of some races was very

prolific, the intermixture of the English people and the Indigenous Australian and

Tasmanian peoples was sterile because they were too distant on the evolutionary scale

(1864: 47-60). To prove his case, he states that «greater part of travellers make no

mention whatsoever of hybrids» and «No traveller or author has spoken» of

«Australia’s mulattoes» (1864: 47-49). Broca recounts that there was no ocular proof of

their existence at all and writes that «if such cross-breeds really existed, they would be

easily recognized» (1864: 47). The fact that Broca denied the presence of mixed-race

subjects on the basis of visual evidence is still puzzling today. Arguably, his denial was

so acute because visual representations of mixed-race subjects could open up a space

which threatened the defined borders of fixed origins necessary to the control of

colonial powers. Those who didn’t fit the available categories of Australian racial

discourse unsettled the colonial biopolitical administration of subjects which required

a collapse of the relationship between image and identity.As Mary Ann Doane argues,

the individual of mixed ancestry «whose looks and ontology do not coincide, poses a

threat to […] the very idea of racial categorization» (1991: 235).

5 Despite the obvious evidence that individuals of mixed ancestry were not sterile, the

Australian mythology of the tragic mulatto/a, who dies and does not reproduce,

continued for a long time to keep alive Broca’s theories of absolute biological

differences between the races. In the eugenics period of the 1930s and during the

period of the Stolen Generations, which unofficially continued until the 1960s, white

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hysteria over the threat of racial passing both spurred and increased fervour in racial

images. The desire for the latter marked the extent to which a long history of forced

racial mixing had blurred the colour line of privilege.Moreover, still today images of

mixed-race subjects are less favoured than pictures of «full-blood» peoples in the

obsessive replication and circulation of tourist and national icons because the physical

appearance of the person of mixed ancestry «always signifies a potential confusion of

racial categories and the epistemological impotency of vision» (Doane, 1991: 234).

Individuals of mixed racial ancestry challenge visual codes of racial distinction,

showing racial taxonomies founded in visual paradigms of recognition to be a fiction,

albeit a powerful one.

6 Conversely, hybridity became an increasingly popular cultural discourse among

Australian art curators and critics of the 1990s who shared a preoccupation with

authenticity and sought an alternative to the fetishization of Indigenous identity and

tradition which was present in the marketing and consumption of desert art and dot-

painting as authentic Aboriginal art. In those years, Australian curators embraced the

post-colonial movement and sought art works that deliberately reframed the

representation of Indigenous Australian art (Thomas, 1999: 197). In the context of

Indigenous Australian art, the popular discourse of hybridity was increasingly

identified with the works of those artists who were labelled as «urban» by art curators.

In 1995, the prominent Melbourne art dealer, Gabrielle Pizzi, declared that the locus of

creativity had shifted from the desert to the cities and that she would be dealing only in

the works of urban Indigenous artists (Pizzi, 1995). Interestingly, in 1994 and 1997, the

international art fair, Art Cologne, rejected Pizzi’s exhibitions claiming they were not

«authentic Aboriginal art» (Pizzi, 2004). As in the latter case, the opposition between

the supporters of authentic, traditional native identities and those of hybridity became

such a reigning cliché of international debates that the prominent scholar of cultural

race studies, Stuart Hall, wrote a famous essay which he provocatively entitled «Who

Needs Identity?» (1996). As Hanna Fink explains (1999), in the 1990s, «urban Aboriginal

art» became a fictive category just as much as «traditional Aboriginal art». The «urban

art» label is part of the many figments of imagination that comprise what is understood

by most non-Indigenous Australians as being «Aboriginal» (1990). As Fink writes:

«The category of urban Aboriginal art was announced in the latter 1980s to counterthe perception that the only authentic Aboriginal art was tribal art from the desertand the top end. This categorisation made a necessary statement at a particularpoint in time, but the endurance of the term has since become problematic. Booksand encyclopedias on Aboriginal art are organised geographically under thechapter headings Kimberley, Central Desert, Top End, Tasmania – and Urban. As thecurator Djon Mundine has wondered, “Where is urbania?”. One might as well askwhere is suburbania, as the indigenous experience is as likely to be exurban or ruralas metropolitan or outback.» (1999: n. pag.)

7 Indigenous artists and scholars have often spoken against the «traditionalist» trend

because they are preoccupied with emphasizing the modernity of their traditions. On

the other hand, Indigenous Australian traditional art is not to be dismissed as «merely

an extension of an imperialist cult of primitivist authenticity» (Thomas, 1999: 1988). As

Marcia Langton notes, the poetics of the «Dreamings» performed by post-Papunya

acrylic canvases and Arnhem Land bark paintings are hybrid in their geographical,

cultural and social context, while maintaining a respect for an incommensurable

otherness called the «secret sacred» (2003: 46-47). Thus, there is still a lot of work to do

in order to dismantle the progressivism of avant-garde critiques, which identify the

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relation between pre-modern, traditional, desert art, to contemporary, urban, hybrid

art, as an evolution. As Nicholas Thomas explains in depth (1996), in the 1990s, the

enthusiasm of some critics and curators for «hybridity» enabled some critics and

curators to celebrate their own capacity for acknowledging cultural difference, while

refraining from engaging with the stories and works that emerged from ground remote

from their own. Mutual contact between people before colonization was not seen to

generate reflexivity and cultural dynamism, but only interaction with the West was

seen to inaugurate a cultural process that ended up with the most advanced non-

European artists engaging with Western styles and traditions (Thomas, 1996: 10). The

concept of «hybridity» abandoned the specific study of the «interstices» as theorised by

Homi Bhabha, and became a depoliticized general and smooth process of «fusion» or

«synthesis» independent of agency, desire, violence or imposition. In fact, hybridity, in

the case of Indigenous peoples, often functions as an oppressive instrument of

«liberalism», which erases difference by idealizing the space of multiculturalism and

migration as the privileged site of hybridity, and by re-inforcing the «socio-economic

aesthetic» of global capitalism (Papastergiadis, 2003).

8 Thus, both the traditional and hybrid categories have often been imprisoning for

Indigenous Australian artists because traditional work is assimilated to primitivist

responses and hybrid work is assimilated to art world avant-gardism (Thomas, 1996:

223). The traditional and hybrid categories have become a binary opposition which is

precisely what the recognition of an empowering hybridity sought to displace. This

binary opposition is based on a prejudicial concept of time which treats the hybrid as

worthy because of its contemporary contact with Western culture. As Bhabha explains,

«the subject of [worthy] recognition stands in a synchronous space (as befits the Ideal

Observer)» (Bhabha, 1996: 56). Liberalism contains a non-differential notion of cultural

time which does not recognize the disjunctive, «borderline» temporalities of partial,

minority cultures, «the sharing of equality is genuinely intended, but only so long as we

start from a historically congruent space; the recognition is genuinely felt, but on

terms that do not represent the historical genealogies […] that constitute the partial

cultures of the minority» (Bhabha, 1996: 56). This disallows the possibility of other

times, histories and memories. However, I would like to argue that just as the

engagement with tradition needs to be studied in its specific strategic uses, also

hybridity can be appropriated by artists for ends that are different from those of the

global cultural hegemony. In the case of Gurindji artist, Brenda L. Croft, the issue of

hybridity is negotiated to suit an ethical concern with recording intersubjective

relations.

9 Stuart Hall’s famous provocative question «Who Needs Identity» (1996), seems to be

reversed in Croft’s work to ask »Who needs Hybridity». Croft started seeking the

possibility of a hybrid space when in 1988 she started her career as a photographer

documenting Indigenous rallies and happenings. In an interview entitled «Controlling

Our Own Images» (1989-1992), Croft reveals that she desired an intersubjective space in

her historical photo-documentation, which could eliminate the discursive «either/or»

objectifying function of much documentary work and could grant her people the

freedom of self-definition:

«What I’m trying to do is just totally break down that idea that the only things wecan fit into are the “romantic native of the land” or “the radical in the city” or “thedrunk”. You know there’s everything else in between; there’s kids, old people,having a good time, enjoying yourself, dealing with peoples’ personal spaces. That’s

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something I want to work on with people I have a relationship with and thereforethey can help direct how the work is set up as well. That’s what I’m interested indoing, showing that there’s a real relationship between the photographer and thesubject and that there’s not just the subject.» (124)

10 As Croft reveals in this interview with Sandra Phillips, she was interested in the

experiential identities that reside «in between» the stereotypical historical

representation of her people. As Fink suggests, the very ordinary liberty of self-

definition is of critical importance to Indigenous people who, in the art world have

been tagged as either «rural/traditional» or «urban/hybrid» and most importantly,

«have been categorised and pathologised as “full blood” or “half-caste”, as “primitive”

or “extinct”, or, in the parlance of contemporary statistics, as uneducated and

unemployed» (1999: n. pag.). Thus, the «either/or» stereotypical images of her people

disturbs Croft. In her words,

«I am aware that as I look through magazines they are not of me, for me. Themodels are white and pure, or black and foreign, and/or exotic, not from here notof me. I turn on the television and the advertisements make me feel that I havetravelled some other country, I am not at home.» (Croft, in Perkins, 1996: 92)

11 On the other side she often takes issue with the «assimilationist» drive of colonial

strategies of hybridity (Young, 1990),

«With “hybridity” and “Strange Fruit” it’s that notion of sectioning people,collecting them in quadrants and fractions and where you’re supposed to fityourself in, how you’re supposed to look, feel. It ties you down to that idea of beingflora and fauna, native or exotic species, introduced species and hybrids – how theycreated new flowers, vegetables and animals which didn’t have any taste or scent.It’s that whole thing of breeding the colour out of Aboriginal people so that they’llvanish into the rest of white society.» (Croft, in Perkins, 1996: 93)

12 In various works, Croft recalls the historical use of eugenics in the 1930s and the

assimilation policy of the Stolen Generations period, which was practiced until the

1960s. In Irrisistable/Irresistable (2000), Croft draws out the ironic injustice of colonial

rapes that lie behind the racist prejudice against mixed-race peoples. The archival

image is blurred beneath the ironic epithet Irrisistable (irresistible) and a small scaled

superimposition of images of a person holding the tag «black». Croft thus questions the

absolute desire for an exotic original image of «blackness» by deploying a strategy of

hybridization which reveals «an estranging movement in the “authoritative”, even

authoritarian inscription of the cultural sign» (Bhabha, 1996: 58). Croft plays with the

archival function of much photography which has a desire to return to an Irrisistable

exotic origin,

«We are en mal d’archive: in need of archives […] it is to burn with a passion. It isnever to rest, interminably, from searching for the archive right where it slips away[…] It is to have a compulsive, repetitive, and nostalgic desire for the archive, anirrepressible desire to return to the origin, a homesickness, a nostalgia for thereturn to the most archaic place of absolute commencement.» (Derrida, 1996: 91)

13 The pure pre-contact rhetoric of much documentary photography on Indigenous

peoples is questioned by Croft in several works such as contact/warra (2000), Bennelong/

Bannalon (2000), Wuganmagulya (2000). In the Strange Fruit series(1994) the backdrop of

variously painted wall panels, labeled with their «colour chart names of “coconut”,

“colonial beige”, “complexion”, ‘-“foreigner” and “nomad beige” etc.» renews her

interest in eugenicist ideals and the practice of racial segregation (Perkins, 1996: 92).

However, in one of the works, Croft inserts herself to question through the proximity of

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her image, the distant pre-contact/desert representations of her people. Her image is

richly coloured and sectioned like the quadrants of a «strange fruit», which indicates

the rejection of the political levelling of some hybridity critiques. In this work, Croft

seeks neither «assimilation nor collaboration» (Bhabha, 1996: 58). By re-installing the

inescapably suffering character of her experience of hybridity Croft makes possible the

emergence of an interstitial agency that refuses the binary representation of social

antagonism, and, at the same time, does not renounce its unique ground and time

(Bhabha, 1996: 58). In fact, her sectioned image indicates the refusal of synthesis and a

strategy of indirection to deceive appropriation and to stake out areas of difference

that cannot be mediated or redrawn.

14 In Monolingualism of the Other or the Prosthesis of Origin (1998), Jacques Derrida reflects on

how we know the nature of hyphenated identities, which are identities created through

a constitutive contact with the other. Derrida argues that in order to know the nature

of hyphenated identities we often proceed in an Aristotelian mode reflecting on a

model in order to think about a specific identity. However, he continues, in this manner

and still assuming that there was some historical unified identity, which is far from

certain, hyphenated identities «will never have been given, only promised or claimed.

The silence of that hyphen does not pacify or appease anything, not a single torment,

not a single torture. It will never silence their memory. A hyphen is never enough to

conceal protests, cries of anger or suffering» (Derrida, 1998: 11). Thus, it is important to

acknowledge that to regard the striving for identity as obsolescent would mean «to

forget that those who experience the partial incipient conditions of global life with the

greatest intensity and inequity, are minorities who have been denationalised subjects

and [whose] “free attemps of recognition” [are] denied in name of a majoritarian

normalisation or neutralisation of “difference”» (Bhabha, 2003-2004: n. pag.). While

hybrid practices of the poor and the excluded proliferate on the edges and in the blind

spots of the «global aestheticised city», this underclass are being made increasingly

powerless by the liberal discourses of the global and the national (Papastergiadis, 2003).

As Bhabha (1994; 1996) notes when explaining his theorization of hybridity, liberal

discourses on multiculturalism experience the fragility of their principles of tolerance

and equal respect when confronted with the experience of unequal social

differentiation, the disavowal of «culture-as-difference» as opposed to the presumed

acceptance of «culture-as-diversity».

15 The peculiarity of Croft’s art is that she addresses the past and present presence of her

partial experience by articulating those social divisions and unequal developments that

disturb the self-recognition of national and global culture. Her articulation of partial

and contingent cultural differences violates «liberalism’s deep commitment to

representing cultural diversity as plural choice» (Bhabha, 1996: 54). Croft seriously

addresses the experiences of those who languish in large zones of silence by addressing

the «scattered social contingencies» that she perceives falling out of the prejudicial

overdetermination of historical communal or group differences (Bhabha, 1996: 55). She

gives particular attention to the imaginary but politically powerful tracing of identity

borders. As Hanna Fink writes,

«So much of Aboriginal discourse has been patiently tailored to the ignorance ofnon-indigenous people: the unspoken context for Aboriginal utterance is whiteignorance. Almost every aspect of communication involves negotiation andtranslation: between cultures, within cultures, between the past and present. Whilewhite Australia hungrily appropriates and rewrites indigenous culture by

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translating it into its own terms, whether those of new ageism or of modernism, orby denying history or refusing to apologise for the stolen children, contemporaryindigenous artists deploy strategies which create the possibility of a sediment ofmeaning or selfhood that cannot be mediated or disturbed. Through [her] artBrenda L Croft navigate[s] ways of seeing through white Australia's hall of mirrors,capturing aspects of cultural difference that are intranslatable - inscrutable even.The result is that most desirable of personal qualities: self-possession.» (Fink, 1999:n. pag.)

16 Arguing for the constitutive force of time, Croft’s juxtaposition of past and present

creates a strategic zone of historical flow and transition that dismantles the liberal

concept of non-differential time. Rather than the all-encompassing hybridity of global

discourses, Croft’s hybridity stems out of a specific place where encounters and contact

have always existed and are not only the product of migration. At the point in which

liberal discourse attempts to convert time into distance, Croft elides the progressive

notion of a distant primitive authentic art/culture and an obscure contemporary

hybrid art/culture through a disjunctive present which enables minoritization to

interrupt and interrogate the homogeneous, horizontal claim of the democratic liberal

society. The partial culture that Croft displays emphasizes the proximity of internal

differentiations, the «foreign bodies», the interstices of the uneven and unequal

development of multiculturalism (Bhabha, 1996: 57). Thus, she addresses the main flaw

in some postcolonial theories of hybridity, which, according to Ian McLean (2004),

mistakenly reduce hybridity to a migrant condition to be used as a critical tool against

the supposed fixed identities of national and indigenous ideologies. The impasse of

hybridity is surpassed through Croft’s ethical presentation of differences, inequalities

and conflicts, which obeys the imperative to honour rather than assimilate otherness

(MacLean, 2004: 5).

17 In the Family Album Series (1991), Croft displays a different process of recording that

reveals the intersubjectivity of memorization. For instance, diverse images from her

family past are written over with phrases of subtle beauty which indicate Croft’s

feelings about them. In these images, self-definition gives way to Croft’s memories

which tarnish the idea of pure, separated images and histories. These images display

the intersubjectivity of her gazing experience, the self-transforming flow of her

encounter with the image. Moreover, the confrontation with the images of her family

past engenders memories that force the artist to record the presences which were

denied by stereotypical representations and the memories that were erased by

«selective, anaesthetized and censored» histories (Perkins, 1996: 92). The uniqueness of

her transitory intersubjective gazing experience of her family photos brings to life

«spectres of the past», who inhabit the interstices of experience that Croft perceived

falling out of the picture in many documentary representations of Indigenous peoples.

This Derridean (1995) «being-with-the-spectres» as a politics of memory and

inheritance is exposed by the artist through a digital layering of diverse richly coloured

images. As she reveals in her «artist statement», Croft’s experience becomes a call for

the consideration of historical co-habitation, the hybridity of «besideness»:

«I am fair, I am aware that I am not what people are looking for when they wantsomething black, something real, something authentic, something truly Aboriginal,but I am here… My mother marrying my father, white dress, black suit, the negativemakes me laugh, the story makes me cry. Reverse roles. Look at me/us and do notsee through me/us. Acknowledge me/us. I am right beside you.» (1992: n. pag.)

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18 Thus, the visual art of Brenda Croftperforms the «polluting memory» (Hage, 2001:

98-99) of Indigenous sovereignty. Croft disrupts the neo-colonizers’ monological claim

of property through localized art pieces that render the Australian place the site of

mutual recognition.The proximity of her visual stories points the non-Indigenous gaze

toward the Indigenous presence, spotlighting a stubborn and enduring obstacle to the

idea of settler nationhood and sovereignty. Putting Indigenous and non-Indigenous

peoples in contact, art becomes a gift of attempted exchange and reciprocity. Once we

enter this intersubjective exchange, once we accept its gift, it is difficult to see

ourselves and the place in which we live as untainted by the memory of what we seek

to distance.

BIBLIOGRAPHY

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ABSTRACTS

In the Australian contact zone, visual art has for a long time been represented as colonial

property and contemporary Indigenous art has often been studied as an appropriation or worse a

stealing of this property. According to this study, the alienable nature of visual technologies has

been largely denied by neo-colonial discourses because it implies a relation with other users. The

recognition of Indigenous contemporary visual art as legitimate and authentic would be an

admittance of co-habitation and hybridity that needs to be erased so that the myth of terra nullius

can take place (Goldie, 1989: 148-169). This article hopes to demonstrate that the study of the

digital photographic art of Brenda L. Croft reveals that neo-colonial claims of property of

contemporary visual technologies are based on the desire of creating a mythical distance

between Indigenous and non-Indigenous Australian peoples. Therefore, the study of Indigenous

artistic practices can further our understanding of Australian Indigenous/non-Indigenous

relations because they act as practices of proximity which interrupt non-Indigenous claims of

sovereignty and the denial of Indigenous/non-Indigenous co-habitation.

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Dans la zone de contact australienne, l’art visuel est depuis longtemps présenté comme une

possession coloniale et l’art contemporain indigène a souvent été étudié comme une

appropriation, ou pire, un vol. Selon cette étude, la nature aliénable des technologies visuelles a

largement été niée par le discours néocolonial parce qu’elle implique une relation avec d’autres

utilisateurs. Reconnaître la légitimité et l’authenticité de l’art visuel indigène contemporain

serait admettre la cohabitation et l’hybridité qui doivent être effacées pour que le mythe de la

terra nullius puisse opérer (Goldie, 1989 : 148-169). Cet article entend démontrer que l’étude de

l’art des photographies numériques de Brenda L. Croft révèle que les revendications

néocoloniales concernant la possession des technologies visuelles contemporaines sont fondées

sur le désir de créer une distance mythique entre les peuples australiens autochtones et

allochtones. Ainsi, l’étude des pratiques artistiques indigènes peut élargir notre compréhension

des relations Indigènes/non-Indigènes parce qu’elles agissent comme des pratiques de proximité

qui brisent les revendications non indigènes de souveraineté et la négation de la cohabitation

Indigène/non-Indigène.

INDEX

Keywords: appropriation, authenticity, hybridity, intersubjectivity, proximity

Mots-clés: appropriation, authenticité, hybridité, intersubjectivité, proximité

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La représentation des Aborigènesdans les illustrations des livresécrits pour la jeunesse australienneentre 1830 et 1930 : une vision entremythe et réalitésCyrielle Lebourg-Thieullent

1 Rien n’est anodin lorsqu’il s’agit de littérature pour la jeunesse. Chaque livre lu par un

enfant participe à la construction de l’adulte qu’il sera. En effet, au-delà de sa fonction

d’outil éducatif pour aider l’enfant à maîtriser le langage (que ce soit par

l’apprentissage de la lecture, ou l’enrichissement de son vocabulaire), le livre pour la

jeunesse est aussi le moyen de transmettre à l’enfant les valeurs, les comportements et

les idées jugées acceptables par l’adulte. Les livres pour la jeunesse cherchent à

promouvoir des valeurs socioculturelles incluant un regard sur le passé (notamment

sur le sens et l’importance des traditions), sur les questions morales et éthiques qui

agitent la société au moment de la rédaction de l’ouvrage et sur un futur où l’enfant

serait devenu l’adulte (Bradford, 1997 : 8).

2 Que cette transmission soit faite sciemment ou soit mise en avant inconsciemment par

l’auteur, elle est en tout cas inévitable. Chaque texte est le résultat de la relation de

pouvoir qui se crée entre l’adulte-auteur et l’enfant-liseur, le fruit de la culture dont il

est issu et aucun texte ne peut se prévaloir d’être exempt de toute idéologie. La

littérature jeunesse est donc un outil de socialisation important car comme l’écrit

Michael Alexander Kirkwood Halliday :

« à travers le langage, un enfant apprend des coutumes, hiérarchies et descomportements ; ainsi le langage littéraire peut promouvoir et renforcer l’adoptionde ces coutumes. » (Puurtinen, 1998 : 4)

3 Si les ouvrages pour la jeunesse ne sont plus uniquement écrits dans un but didactique,

la notion de transmission et d’enseignement reste présente et les textes continuent de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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véhiculer les valeurs promues ou considérées comme acquises par la société dont ils

sont issus.

4 Dans le cadre d’une étude sur la représentation des Aborigènes dans la littérature pour

la jeunesse, l’étude des textes est primordiale pour comprendre comment ont évolué

les relations de pouvoirs entre les colons et les Aborigènes au fil des ans. Les textes

écrits pour la jeunesse ont ainsi positionné le lecteur vis-à-vis de la culture aborigène,

de la place de celle-ci dans la construction de l’identité nationale australienne et vis-à-

vis des relations interraciales. Ainsi, comme le souligne Clare Bradford (Bradford, 1997 :

3), on peut apprendre énormément en étudiant la façon dont l’auteur s’adresse au

lecteur, en s’intéressant aux termes utilisés pour positionner l’enfant-liseur à préférer

un personnage plus qu’un autre, en observant comment l’auteur amène le lecteur à

valider certains comportements et à en rejeter d’autres. Parfois également, l’étude des

omissions et des absences sont aussi porteuses de sens et éclairent le lecteur sur

l’idéologie sous-jacente présente dans le texte.

5 Dans le cadre de l’Australie, des études sur la représentation des Aborigènes dans la

littérature pour la jeunesse ont été réalisées par Maurice Saxby, Brenda Niall et plus

récemment par Clare Bradford dont l’ouvrage Reading Race est indispensable pour toute

étude sur le sujet. Néanmoins, ces ouvrages se focalisent sur l’analyse des textes et peu

de place est accordée à l’étude des illustrations, or toute représentation, que ce soit par

le texte ou par l’image, positionne le lecteur afin de le rendre réceptif à l’idéologie

qu’elle entend transmettre. De plus, il semble primordial d’analyser les illustrations

présentes dans les livres pour la jeunesse car l’influence de l’image sur l’esprit humain

n’est plus à démontrer. Depuis le XVIIIe siècle, les images sont devenues parties

intégrantes de la connaissance du monde. Ainsi, lorsque le capitaine Cook a débarqué

sur ce qui allait devenir le continent australien, en avril 1770, il était accompagné de

deux dessinateurs : Alexander Buchan et Sydney Parkinson. Ces deux hommes étaient

chargés d’immortaliser les plantes, animaux et même de faire des portraits des

populations locales. Une fois de retour, leurs dessins étaient utilisés par les

scientifiques pour études.

6 Comme le souligne Chris Jenks dans son essai The Centrality of the Eye in Western Culture

(Jenks, 1995 : 1-12), « voir » est devenu « savoir » et dans un monde où l’image était

rare, le public faisait confiance à la représentation qui lui était offerte pour donner une

vision fiable du monde. Or, les images comme les textes ne sont jamais innocents, ils ne

sont pas des fenêtres transparentes ouvertes sur notre monde. Chaque illustration, que

ce soit une peinture à l’huile ou une photographie, est une interprétation du monde de

son auteur. C’est ainsi que Gillian Rose fait une distinction entre vision et la visualité. Si

la vision est ce que l’œil humain est physiquement capable de voir, la visualité fait

référence à la manière dont notre vision est orientée : comment nous voyons, ce que

nous sommes capables, autorisés, amenés à voir et comment nous appréhendons le

visible et l’invisible.

7 Dans le cadre de la littérature jeunesse, une image peut paraître « divertissante » pour

l’enfant, anodine, mais elle n’en est pas moins porteuse d’un message que l’on peut

déchiffrer par une étude, en contexte, de cette illustration. Ainsi, comme le dit Gillian

Rose :

« regarder attentivement les images implique, entre autres choses, une réflexionsur la façon dont elles proposent une vision particulière des catégories sociales

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telles que la classe, le genre, la race, la sexualité, l’aptitude physique etc. » (Rose,2001 : 7)

8 Les notions de race, de genre et de classe sont particulièrement pertinentes si l’on

décide de s’intéresser à la représentation des Aborigènes dans les récits, dont l’action

se passe en Australie.

9 Entre 1830 et 1930, trois types de textes étaient essentiellement offerts aux jeunes

lecteurs : il y avait les récits de pionniers qui se voulaient un appel à l’immigration, les

récits encourageant l’évangélisation des Aborigènes et les récits d’aventure sur « la

Frontière ». Nombre de ces textes étaient publiés avec des illustrations en noir et blanc,

voire en couleurs dès 1905, illustrations qui donnaient vie à un monde souvent inconnu

du lecteur et le rendaient réel. En effet, l’enfant considère que les illustrations sont

« vraies » et qu’elles offrent une vision objective de la réalité, c'est-à-dire de leur

monde. Puissant véhicule de l’idéologie impériale, les illustrations mettant en scène des

Aborigènes étaient donc très orientées afin de valider la vision que l’Empire voulait

imposer à ses futurs sujets, construisant ainsi une altérité étonnante, intrigante et/ou

menaçante que l’homme européen devait soumettre, par la force ou la religion. L’image

de l’autre était donc construite autour d’une série de préjugés parfois utilisés de façon

récurrente par les auteurs.

10 Mais, si l’on peut nommer des modes de représentation et des idéologies communes à

nombre de textes, il faut se garder de les considérer comme figées ou représentatives

de l’ensemble des écrits de l’époque car il n’y a pas d’homogénéité dans la vision des

Aborigènes.

« De la même façon que l’histoire des relations interraciales en Australie estcaractérisée par des ruptures et des contradictions, la représentation de la cultureaborigène dans la littérature pour la jeunesse ne peut témoigner d’une améliorationréelle et constante en faveur de la culture aborigène. » (Bradford, 1997 : 5)

11 Seuls les préjugés exprimés à l’encontre des Aborigènes font preuve de constance et

certains d’entre eux sont même quasiment systématiques, voire normalisés, comme le

fameux sourire éclatant des Aborigènes.

12 Dans le cadre de cette étude il est important de définir ce que le terme « lecteur »

recouvre. Dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, il existe différents types

d’ouvrages adaptés à l’âge du lecteur. Ici, nous évoquerons principalement les romans

d’aventures dont l’action se situe en Australie et publiés entre 1830 et 1930. Ces

ouvrages étaient principalement destinés aux jeunes garçons d’une dizaine d’années.

Cette fourchette est mise en évidence par l’âge des héros. En effet, les auteurs

donnaient de préférence à leurs héros l’âge de leur public cible pour faciliter

l’identification de ce dernier au personnage principal. Outre l’âge et le sexe du lecteur-

type dans cette étude, il peut sembler important de cibler le milieu social des lecteurs,

mais en Australie le livre n’était pas réservé à une certaine catégorie sociale. De plus,

nombre de livres pour la jeunesse étaient publiés sous forme de feuilletons dans les

journaux et étaient donc à la portée de la majorité des bourses. Ainsi, ces récits

d’aventures pouvaient toucher aussi bien la haute société coloniale, que le jeune garçon

isolé au cœur du Bush. Il est également important de préciser que les illustrations pour

cette étude ont été choisies pour mettre en lumière les préjugés les plus couramment

véhiculés dans les écrits australiens pour la jeunesse sans chercher à en faire la liste

exhaustive ou à généraliser.

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13 Toutes les illustrations choisies donnent une vision délibérément orientée de la réalité

et cherchent à marquer l’imaginaire du lecteur en façonnant pour lui « un monde hors

du livre en fonction des images dans le livre » (Nodelman, 2004 : 157). Cela était

d’autant plus aisé en Australie que ce pays était connu majoritairement à travers les

écrits des pionniers. L’Australie apparaissait alors comme une terre nouvelle peuplée

de courageux aventuriers, les blancs, et de dangereux « sauvages », les Aborigènes.

Certains auteurs comme Charlotte Barton dans A Mother’s offering to her children (1841)

n’hésitaient pas à donner des descriptions détaillées de ce que l’on considérait comme

des actes de sauvagerie : cannibalisme, infanticide, attaque des habitations et massacre

de ses occupants, femmes et enfants compris… La violence verbale de ces descriptions

est bien suffisante pour inspirer aux enfants la peur et le dégoût mais certaines

illustrations renforcent cet aspect « sauvage » voire « animal » de l’Aborigène.

14 Dans A boy’s adventure in the Wilds of Australia écrit en 1855 par William Howitt, l’auteur

a choisi de représenter la capture de « trois assassins natifs » alors que le texte en lui-

même ne s’intéresse que peu aux Aborigènes. Le personnage principal, Herbert, fait

même preuve d’un détachement surprenant à leur égard pour ce type de roman.

Comme l’écrit Brenda Niall :

« Il ne démontre que peu d’intérêt pour les Aborigènes. Il n’y a aucune ferveurévangélique en faveur de leur conversion ; en fait, certaines descriptions sontétonnamment désinvoltes. […] Il demeure le voyageur intéressé, rapportant ce qu’ilvoit. » (Niall, 1987 : 59)

Photo 1. – La capture de trois assassins aborigènes

(in William, 1858 : 311)

15 Mais même si le héros observe les Aborigènes avec le regard détaché d’un voyageur

plus passionné par le paysage que par ses habitants, l’illustration est quant à elle

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saisissante. Au premier plan, nous voyons un homme avec une corde lui enserrant le

cou, une main invisible sur l’illustration le tire vers le sol, l’obligeant à se tenir à

genoux, comme s’il était un animal sauvage que l’on devait domestiquer, dominer par

la force. Derrière lui, un second Aborigène est quant à lui tiré vers l’arrière, il tente de

retenir avec la main cette corde qui l’étrangle. Il cherche de l’air et ses traits expriment

une grande souffrance ; pourtant on ne voit aucune compassion dans le regard des

hommes venus les arrêter car ce ne sont que des sauvages. L’enfant voit ainsi les

Aborigènes réduits à l’état animal, tenus en laisse comme des chiens et donc lui étant

inférieurs. Cela s’inscrit dans le discours sur la sauvagerie des Aborigènes qui dominait

la littérature australienne à ses débuts, représentant :

« les peuples indigènes comme non civilisés, précisément situés à la frontière entrel’homme et l’animal. » (Bradford, 1997 : 15)

Photo 2. – La Mort de Magan

(in Kennedy, 1889 : 211)

16 De plus, ce parallèle avec l’animal amène une idée de soumission que l’on retrouve dans

cette illustration de Blacks and Bushrangers écrit par E. B. Kennedy en 1889 et illustré par

Stanley Berkeley. On y voit Dromoora, le chef de la tribu des Waigonda, accroupi aux

pieds du héros blanc. Son regard est tourné vers la plaine, ses muscles sont tendus et

son pied droit prépare l’impulsion qui le fera bondir hors des buissons en cas de besoin.

Il donne l’impression d’être à l’arrêt, soumis à la fois physiquement et mentalement

aux attentes de son maître. De plus, il ne prend pas part directement à l’action, il se

cache alors que le héros est debout, face à Magan, un dangereux bushranger.

17 Cette image de la soumission de Dromoora est saisissante mais au regard du texte qui

l’accompagne, elle en devient surprenante. En effet, Blacks and Bushrangers construit un

équilibre des pouvoirs différent de ce que l’illustration seule peut laisser supposer. Mat

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et son frère Tim, seuls rescapés du naufrage de leur navire, sont enlevés par les

Waigonda, mais très vite leur captivité prendra fin et les deux jeunes garçons seront

adoptés par la communauté de Dromoora. Mat et Tim passeront ainsi six ans de leur vie

dans le Bush, établissant des rapports d’amitiés avec les Waigonda. Dromoora est décrit

par E. B. Kennedy comme un homme digne et fier, à l’opposé de l’image de soumission

que l’illustration véhicule. Lorsque Mat et Dromoora se retrouvent face à Magan, c’est

même le chef aborigène qui donne à Mat les éléments pour vaincre le bushranger, en lui

indiquant de viser les jambes du criminel. Pour Brenda Niall :

« Le portrait que Kennedy fait de la vie aborigène est un compromis entre lesobligations du roman d’aventure, qui a besoin d’un méchant, et une admirationévidente pour les connaissances et les loyautés tribales. » (Niall, 1987 : 39)

18 Pour autant, Blacks and Bushrangers ne peut être décrit comme un ouvrage offrant une

vision positive des Aborigènes. En effet, si Dromoora semble avoir les faveurs de

l’auteur, les extraits du journal rédigé par Mat donne une tout autre vision de son

séjour chez les Waigonda :

« Ces indigènes chez lesquels nous vivons s’appellent les Waigonda ; ils ne sont pasvraiment noirs, mais plutôt de la couleur d’un vieux penny. […] Nombre d’indigènessont sournois et fourbes ; leurs nez sont larges et plats, leurs yeux, noirs etenfoncés ; leurs bouches terriblement grandes. Parfois des jumeaux naissent etnous savons que le père en tue un des deux pour s’épargner la peine d’élever lesdeux. Ils sont horriblement fainéants, les hommes ont – au moins certains d’entreeux – huit ou neuf femmes, qui font tout le travail pour eux […] J’ai connu unhomme qui avait vendu sa femme pour un nouveau filet à kangourou ; ou qui enavait prêté une pour quelque article dont il avait l’utilité. Il mange tout ce quirampe sur terre. » (Kennedy, 1889 : 95)

19 Dans Blacks and Bushrangers, E.B. Kennedy ne bouscule que superficiellement l’équilibre

des pouvoirs. Mat et Dromoora sont présentés comme des amis, mais la culture

aborigène est décrite de façon à ce que le lecteur la considère comme inférieure à la

sienne, tout comme l’illustration représente Dromoora, soumis, aux pieds du jeune

colon héroïque. Mat est complètement mis en avant, c’est lui qui met un terme au

règne sanguinaire de Magan, lui qui reçoit les honneurs. Au final, les Aborigènes

restent en retrait face à la supériorité de l’Empire. Cette notion de soumission est

également présente de manière explicite dans les textes sous la forme de personnages-

types que Brenda Niall nomme « the faithful Aboriginal servant » (Niall, 1987 : 42). Il s’agit

d’un Aborigène totalement dévoué à son maître au point de risquer sa vie pour lui. Il a

souvent une personnalité effacée, calme, sans réel impact sur l’intrigue. Il est

clairement le faire-valoir du héros, l’aidant à se dépasser. Le personnage de Black Harry

correspond tout à fait à l’image du « faithful Aboriginal servant » tel qu’il est décrit dans

le roman de Richard Richardson publié en 1877 . Une enfant à la santé fragile, Anna, a

pour ami Black Harry ce qui ne plaît pas à Jack, le grand frère d’Anna. Jack décide alors

de se venger et passe ses journées à persécuter Harry, qui bien sûr ne lui en tient pas

rigueur. Lorsque Jack se perd dans le bush, c’est Harry qui risque sa vie pour le sauver.

C’est d’ailleurs cette image de Harry portant Jack qui ouvre le livre. On voit Harry

portant un Jack évanouit au-dessus d’une rivière. Il marche sur un simple tronc d’arbre

jeté en travers des deux rives. La situation est périlleuse, ils pourraient tomber tous les

deux, et pourtant, Harry ne regarde que Jack, il ne baisse pas le regard vers le tronc. On

comprend alors que Harry fait plus attention à Jack qu’à sa propre sécurité. Il est

totalement dévoué à celui qui n’a cessé de lui faire du mal, il est son serviteur soumis et

silencieux comme l’est également Black Billy dans la série des Billabong écrit par Mary

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Grant Bruce (1996). Tous deux représentent une vision de l’Autre domestiqué et

inoffensif et leur silence apparaît alors comme une légitimation de la colonisation.

Ainsi Clare Bradford écrit :

« Quand je lisais, enfant, la série des Billabong, l’idée fausse et insultante que lesAborigènes aient subi l’invasion et la dépossession pratiquement sans lutter, mesemblait vraie et naturelle. » (Bradford, 1997 : 2)

Photo 3. – Les Noirs étaient d'humeur sauvage

(in Rowe, 1885 :35)

20 Cette vision donnée de la faiblesse des Aborigènes est bien loin de la réalité du conflit

qui avait lieu sur le sol australien. Pourtant, montrer l’homme aborigène comme faible

permettait une nouvelle fois de justifier l’appropriation de ses territoires. Si les

Aborigènes n’étaient pas jugés aptes à s’occuper de leurs terres, les colons, eux,

l’étaient et se devaient de valoriser la richesse du sol. Pour convaincre les lecteurs du

bien fondé des actes de l’Empire, les Aborigènes se devaient donc d’apparaître comme

diminués et indignes, notamment en féminisant leur comportement et leur apparence.

Pour cela, les auteurs et illustrateurs se sont appuyés sur des codes visuels établis,

affublant les Aborigènes d’attributs féminins alors que les jeunes héros australiens

étaient un modèle de virilité. Cette vision orientée et erronée se retrouve dans une des

illustrations du roman d’aventures de Richard Rowe : The Boy in the Bush, publié en 1885.

Dans cette illustration, nous sommes amenés à étudier et à voir, à la fois les deux héros

blancs et les Aborigènes. Cette construction sur deux plans invite le lecteur à mettre en

parallèle et à comparer ces deux visions de la masculinité. Au premier plan, Harry et

Donald observent un corroborree. Ils sont dissimulés par la végétation et sont donc

invisibles aux yeux des Aborigènes. Harry et Donald sont censés avoir une dizaine

d’années et ont déjà une stature imposante pour leur âge : ils sont musclés, larges

d’épaules avec un cou solide. Leurs vêtements sont pour leur part totalement

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ordinaires et sans fioritures. De plus, leur manière de se tenir l’un l’autre, comme pour

se soutenir mutuellement rappelle le sens de l’amitié, « mateship », très important dans

la culture australienne. Harry et Donald correspondent à l’image virile et solide que

l’on voulait donner des colons australiens.

21 Au second plan, les Aborigènes sont réunis pour un corroborree. Le cercle de danseurs

fait face à un immense feu qui les inonde de lumière permettant ainsi de voir les détails

de leur tenue. Les corps sont peints, des plumes ou des feuilles enserrent la taille et les

jambes des danseurs. Pour un enfant lisant cet ouvrage en 1885, les plumes, le

maquillage et la « tunique » sont autant d’attributs essentiellement féminins. Aucun

homme respectable ne saurait se travestir. L’Aborigène est alors dévalorisé car

féminisé. Il ne peut être respecté en tant qu’homme ou guerrier. Aux yeux du lecteur,

les Aborigènes participant au corroborree apparaissent comme inférieurs aux deux héros

qui sont déjà si murs et si virils.

22 Visuellement, Harry et Donald sont la représentation du colon idéal : jeune, fort, solide.

Au contraire du héros de A boy’s adventure in the Wilds of Australia, Harry et Donald ne

sont pas de simples voyageurs voués à retourner en Angleterre, ils sont nés en Australie

et veulent y trouver leur place, notamment avec l’établissement d’une nouvelle ferme,

Pigeon Park. Dans ce contexte, l’illustration tend à démontrer que face à des Aborigènes

efféminés et frêles, les deux jeunes garçons sont plus à même de faire prospérer la

colonie même si cela implique de déposséder les Aborigènes de leurs terres ancestrales.

Pourtant, au début du roman où l’illustration se trouve également, Harry éprouve des

remords :

« Je ne vois pas quels droits, nous Blancs, avons sur ce pays. Si vous deviez vousréveiller en pleine nuit et découvrir un type en train de se servir dans vos affaires,vous ferriez de votre mieux, je suppose, pour l’abattre s’il refusait de déguerpir. Etc’est ce que les Noirs doivent ressentir quand ils nous voient leur prendrepossession de leur territoire. » (Rowe, 1885 : 191-192)

23 Mais face aux conflits répétés avec les Aborigènes, le vernis « civilisé » se craquelle et

même si le narrateur déplore ce changement, Harry et Donald succombent à leur tour à

la haine, n’ayant plus aucun scrupule à tuer un Aborigène dont ils occupent sciemment

le territoire, puis à découper sa tête pour l’exposer à la vue de tous. Ce double discours

entre le narrateur et les personnages principaux peut sembler ambigu, notamment

pour un jeune lecteur. Comme l’écrit Brenda Niall :

« l’auteur soulève une question de morale qu’il ne peut résoudre dans le cadre deson roman. Sydney et Harry sont présentés comme des garçons sympathiques quifont du tort sans vraiment le comprendre totalement. Comme ils ne peuvent êtreéclairés sans changer complètement leur mode de vie, l’auteur les laisse dans leurignorance. C’est une conclusion inconfortable. » (Niall, 1987 : 35)

24 Pourtant, le texte apporte sa conclusion et positionne le lecteur sans hésitation en

faveur des colons. En effet, après l’attaque de la ferme de son frère, Harry est kidnappé

par les Aborigènes. À travers ses yeux, le lecteur découvre la « réalité » de la vie

Aborigène. Le récit de sa captivité est alors utilisé pour démontrer la supériorité de la

civilisation blanche en construisant des oppositions constantes entre le comportement

civilisé de Harry et la sauvagerie de ses geôliers, entre religion et superstition, etc. Mais

l’épisode qui achève de démontrer la supériorité de Harry survient quand ce dernier

refuse de partager un repas cannibale, préférant ainsi mettre sa vie en danger plutôt

que de renier ses valeurs morales.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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25 Au fil du texte, les doutes de Harry sont étouffés avant qu’il ne soit rassuré de sa propre

supériorité. Alors que le texte semblait reconnaître aux Aborigènes un droit sur leurs

terres et semblait appeler à plus de compassion dans leur traitement, The Boy in the Bush

se clôt sur l’affirmation que même si les colons ont commis des atrocités, les

Aborigènes ne sont que pires et ne méritent pas la terre sur laquelle ils vivent. Alors

que notre illustration semblait a priori en décalage avec le texte, il s’avère au final que

le texte finit par valider l’image en réaffirmant ce qu’elle laissait sous entendre : les

Aborigènes ne sont pas dignes de s’occuper d’un tel territoire qui doit revenir aux

colons comme Harry et Donald. Une nouvelle fois, l’image ne fait que renforcer

l’idéologie impériale au détriment des Aborigènes.

26 La représentation des Aborigènes dans les illustrations des récits pour la jeunesse entre

1830 et 1930 oscille en permanence entre mythes et réalités, entre visions idéalisées et

idéologies orientées. Peu de dessins donnent une image neutre ou simplement

descriptive de la vie et des cultures aborigènes. La majorité des illustrations

représentent les Aborigènes de manière stéréotypée et véhiculent nombre de préjugés.

Pourtant l’impact des illustrations sur l’imaginaire de l’enfant ne peut être négligé. Les

enfants font confiance aux livres qui leur permettent de se construire, de réfléchir au

monde qui les entoure et de se positionner par rapport à l’Autre. Dans le cas des

ouvrages pour la jeunesse en Australie, l’enfant blanc est amené à se considérer

supérieur aux Aborigènes, décrits comme faibles, efféminés et sauvages. L’enfant ne

peut alors s’identifier à eux, et se doit d’accepter leur disparition et leur effacement au

profit des colons et de l’Empire, comme normal et inévitable. Les illustrations des

premiers écrits pour la jeunesse ont largement contribué à la construction d’un

paysage australien où les Aborigènes n’ont pas leur place.

BIBLIOGRAPHIE

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RÉSUMÉS

Les illustrations mettant en scène des Aborigènes dans les ouvrages de littérature jeunesse

australiens ont participé activement à la création d'un imaginaire stéréotypé et à la

représentation d'une altérité qui intrigue et est parfois menaçante. Cet article vient confirmer

que l’étude de ces stéréotypes dans les illustrations et leur portée sur le lecteur sont autant

d’éléments à prendre en compte pour mettre en lumière les implications idéologiques souvent

sous jacentes dans les ouvrages pour la jeunesse et pour tenter de comprendre l’évolution des

relations interraciales en Australie.

The illustrations representing Indigenous Peoples in Australian children’s books took an active

part in creating a stereotyped imaginary and an intriguing and threatening image of the Other.

This paper confirms that studying the stereotypes present in these illustrations and their impact

on the reader is essential to understand the underlying ideologies books for children tried to

convey and the evolution of interracial relationships in Australia.

INDEX

Mots-clés : Aborigènes d’Australie, Australie, illustrations, littérature jeunesse, représentation

Keywords : Australia, Australian Indigenous People, children’s literature, illustrations,

representation

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Le temps du rêve français :l’Australie dans l’iconographie au XIXe siècleViviane Fayaud

« L’entreprise la plus grande que puisse faire un souverain, la plus capabled’illustrer à jamais son nom, est la découverte des terres australes. […] Commentdouter qu’une aussi vaste étendue de pays ne fournisse, après la découverte desobjets de curiosité, des occasions de profits, peut-être autant que l’Amérique enoffrait dans sa nouveauté ? »(Proust de la Gironnière, 2001 : 11)

Ni Louis XV son souverain, ni Louis XVI, Napoléon ou même Louis-Philippe au milieu du

xixe siècle ne peuvent oublier ces mots (bien connus aujourd’hui) du Président de

Brosses (1709-1777), qui mêlent aux purs intérêts de la science, ceux du profit. Si les

projets de Louis de Latouche Tréville vers l’Australie ne virent jamais le jour, une

quinzaine1 d’autres reçurent le soutien du roi (Marchant, 1988 ; Taillemite, 1999 ; Dyer,

2005). D’Yves de Kerguelen à Jules Dumont d’Urville, tous les commandants entrelacent

la soif de connaissance aux rêves coloniaux. Aussi l’Australie se révèle-t-elle plus

qu’une halte et le très remarquable Nicolas Baudin loin d’être le seul commandant à la

peindre et à la dépeindre. Dès la navigation commandée par Yves de Kerguelen (1772),

des dessinateurs embarquent pour les courses lointaines, car la quête de connaissances

passe également par l’image (Delépine, 1998). Ces dessins montrent des habitants, des

cérémonies et des paysages sans toutefois s’abstraire des conditions de leur production

parmi lesquelles l’influence esthétique, néoclassique ou romantique (Smith, 1985).

Aussi convient-il d’analyser les contextes matériels ou les théories artistiques et

savantes, pour déterminer les discours sous-jacents de cet ensemble iconographique

qui ne se démarque jamais des problématiques socioculturelles et politiques de son

temps. Parmi les divers facteurs d’influence, trois méritent d’être soulignés : les

ambitions de l’expédition, les conventions de l’art et la construction intellectuelle des

peuples non européens. Il est alors possible de mesurer les apports de ces estampes

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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d’atlas officiels publiés sous l’égide de l’État et de ces photographies parues dans la

presse grand public tels le Tour du monde etL’Illustration. Ainsi replacées dans une

perspective historique, les œuvres décrivant l’Australie révèlent des conceptions

philosophiques et des aspirations colonialistes qui, au fil du temps, deviennent des

regards racialistes et des rêves déçus.

Le cadre de l’art

L’iconographie constitue un apport marquant, et souvent attrayant, aux travaux de

recherche en sciences humaines, qu’historiens, anthropologues ou sociologues ne

négligent plus (Blanchard et al., 1995 ; Edwards, 1992 ; Haskell, 1995). Rendues plus

accessibles par de récentes expositions, les œuvres réalisées en et sur l’Océanie

retiennent depuis plus d’une décennie l’attention de N. Thomas, E. Rod, ou B. Douglas

(Muséum d'histoire naturelle du Havre, 2007 ; Hunt et al., 2002 ; Rod, 1997 ; Thomas et

al., 1999 ; Douglas, 1999a, 1999b, 2003). Pour l’historien, cette démarche poursuit celle

d’Hérodote, le « père de l’histoire » selon Cicéron, qui dès le Ve siècle avant notre ère

recourt à l’image pour fonder un raisonnement (Haskell, 1995 : 11). Antiquisants,

médiévistes et modernistes reprennent la démarche à la différence des

contemporanéistes qui cantonnent généralement le visuel au statut d'illustration

agrémentant, au mieux confirmant, une démonstration construite à partir d’autres

sources, en grande majorité, écrites (Delporte, 2006). De manière moins attendue, les

écrits s’avèrent une ressource d’importance pour d’autres sciences aux prises avec la

compréhension des sociétés humaines. En conséquence, les images réalisées dans le

Pacifique, bien que se chiffrant par milliers, offrent un témoignage rarement mis

pleinement à contribution alors que s’exposent les habitants et leur quotidien, les

cérémonies et les paysages (Fayaud, 2005 : 1, 62).

Si peu se préoccupent de prendre en compte l’iconographie, parmi les chercheurs qui

empruntent une voie différente, rares sont ceux qui la soumettent à une étude critique,

remarquait Nicholas Thomas2. Rares mais pas inexistants grâce aux travaux de Bernard

Smith (Thomas, 1994 : 22 ; Smith, 1985). Sollicitant cependant le visuel, des analyses sur

la construction de l’anthropologie, sur l’émergence au XIXe siècle des concepts

racialistes ou sur la vision européenne du Pacifique, ne manquent pas d’approfondir les

théorisations scientifiques ou les élaborations utopiques et les conceptions de l’Autre,

mais restent discrètes sur les rapports de l’image à la science ou à la littérature3 à

l’époque considérée. Par ailleurs, la question de la composition, celles de l'espace, des

relations entre la figure et le fond, entre la figure et son spectateur ne sont jamais

prises en compte, et à peine plus la différence entre l’œuvre dessinée et sa version

gravée, même si d’aucuns n’omettent pas de signaler l’importance de cet aspect, tel

Bronwen Douglas dans son approche des récits de voyage (textes et images) comme

documents d’ethno-histoire des populations océaniennes (Douglas, 1999a : 177 ;

Muséum d'histoire naturelle du Havre, 2008 : 52-53 ; 96-97). Articuler l’interprétation

des œuvres aux conditions dans lesquelles elles ont été dessinées, gravées et regardées,

autrement dit les replacer dans l’histoire des sociétés qui en font usage, du style

artistique de production, ou de l’histoire des artistes qui les rapportent s’impose

pourtant. Le dessin d’exploration défie ce qui depuis longtemps constitue le fer de lance

de la recherche en histoire de l’art : l’identification du modèle, l’origine du thème, les

sources iconographiques, sans même mentionner la recherche en attribution ou les

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analyses du processus créatif fondé sur les influences reçues et générées. Or, rappelle

l’historien d’art Daniel Arasse :

« si l’art a une histoire et s'il continue à en avoir une, c'est bien grâce au travail desartistes et, entre autres, à leur regard sur les œuvres du passé, à la façon dont ils seles sont appropriés. » (Arasse, 2000 : 119)

Passer sous silence l’appartenance de ces images au domaine de l’art et les considérer

comme intrinsèquement existantes, objets hors de toute technique, de tout passé et de

toute postérité, constitue l’une des hypothèses qui, sans doute considérée comme allant

de soi, est rarement explicitée par les chercheurs usant de l’iconographie. Elle figure

parmi trois des hypothèses implicites sur lesquelles semblent se fonder les références

au visuel : premièrement, les circonstances historiques et les conditions matérielles et

culturelles des images sont sans conséquence majeure sur le sujet représenté et

peuvent être omises ; deuxièmement, les textes sont indispensables à la compréhension

des œuvres graphiques ou, pour reprendre le raisonnement de Daniel Arasse, n’avoir «

ni textes et documents d'archives [...] n'est pas historiquement sérieux » alors que

selon cet historien, même si des textes existent, « ce n'est même pas parce qu'ils

auraient été publiés en même temps » que l’œuvre « qu’ils contribuent nécessairement

à l’expliquer » (2000 : 22).

Troisièmement, les dessins paraissant refléter le réel (portrait, scène de rencontre,

festivités par exemple), si elles ne trompent pas effrontément, le reflètent réellement.

En conséquence, les œuvres sont délaissées ou appréhendées pour leur valeur

informative, sans que leur objectivité soit remise en perspective, ce qui est encore plus

vrai des ouvrages savants. Le postulat implicite de leur neutralité et de leur impartialité

perdure plus qu’il n’y paraît, alors même qu’est largement reconnue leur inféodation

au milieu savant, donc leur soutien à sa crédibilité, à ses conceptions et à ses

méthodologies qu’elles authentifient, en constituant une collection de preuves en sa

faveur (Briand, 2005 : 225).

En conséquence, l’étude de l’iconographie de l’Australie dans quelques collections

iconographiques et ouvrages du XIXe siècle s’avère ici avant tout une tentative de

remettre les images dans une perspective historique en retournant presque

exclusivement aux sources originales. En revanche, elle délaisse une étude minutieuse

des différentes étapes de la production, se concentrant sur la lecture des images dans le

cadre de leur contexte artistique et scientifique pour en dégager quelques assertions de

la vision française de l’Australie au XIXe siècle. Ce dernier aspect a imposé la focalisation

de cette étude sur des gravures de publications savantes mais aussi grand public, non

sur la perception d’un artiste ou d’une équipe, ni une catégorie de voyageurs.

Brosser une mission, trahir des ambitions

Les milliers de dessins rapportés dans le sillage des navigations sont issus pour une part

de professionnels jouissant souvent du statut officiel d’artistes d’expédition. Jacques-

Étienne Arago s’attache à rappeler ce rôle, s’illustrant régulièrement avec sa planche à

dessin (Arago, 1840 : 403). Au moins sept professionnels dessinent l’Australie : Jacques-

Louis Piron (?-1795), Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846), Nicolas-Martin Petit

(1777-1804), Jacques-Étienne Arago (1790-1855), Jules-Louis Lejeune (1804-1851), Louis-

Auguste Sainson (1801-1887) et Ernest Goupil (1814-1840). Or, ce type d’artiste ne mène

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jamais une recherche esthétique en solitaire. Il est soumis à des instructions très

complètes qui recommandent :

« Les portraits des naturels des différents pays, leurs costumes, leurs cérémonies,leurs jeux, leurs édifices, leurs bâtiments de mer et toutes les productions de laterre et de la mer dans les trois règnes, dont le dessin pourra leur paraître utilepour faciliter l’intelligence des descriptions que les savants en auront faites. »(Taillemite, 1999 : 340)

Ainsi Jean-François de Lapérouse rappelle que :

« Mr Duché de Vancy reçut ordre de s’embarquer pour peindre les costumes, lespaysages, et généralement tout ce qu’il est souvent impossible de décrire. »(Briand, 2005 : 224)

Georges Cuvier écrit sans détour :

« En vain voudrait-on s’en rapporter aux observations faites sur les lieux par desvoyageurs et consignées dans leurs journaux. L’expérience prouve qu’en histoirenaturelle, toute description absolue est vague, et que toute comparaison faite entreun objet présent et un objet absent est illusoire. [...] Des portraits vrais et nombreux[...] voilà donc tout ce que nous pouvons espérer des voyageurs. » (Copans et al.,1994 : 69, 70)

Au retour des expéditions, les commentateurs louent le dessinateur et soulignent

souvent l’exactitude des œuvres. Devant l’auditoire attentif de l’Institut de France,

l’académicien François Arago s’émerveille sur l’œuvre de Jules-Louis Lejeune,

dessinateur de l’expédition de Louis-Isidore Duperrey sur La Coquille, car :

« La ressemblance d’après le témoignage unanime des officiers de La Coquille estplus parfaite qu’on ne l’avait jamais obtenue par d’autres méthodes. » (Académiedes sciences, 1795-1835 : 275-276)

Au poids de sa hiérarchie, s’ajoute pour le dessinateur celui de l’ambition collective. En

effet, les progrès de la connaissance autant que la rareté de l’aventure exigent une

publication illustrée à la hauteur de la cohorte de courageux savants, qui, délaissant

leur bibliothèque, ont accepté plusieurs années durant l’inconfort d’un étroit vaisseau.

Entre septembre 1791 et 1794, Jacques-LouisPiron est le dessinateur d’une expédition

menée par Joseph Bruny d’Entrecasteaux qui poursuit une entreprise d’envergure à

double vocation : reprendre le programme scientifique de l’expédition de Jean-François

de Galaup de Lapérouse interrompu par sa disparition, et tenter de retrouver ce

dernier. Jacques-Louis Piron n’œuvre pas en marge des érudits à bord en poursuivant

une œuvre créatrice, reflet de son génie. Les choix de ses sujets s’opèrent

essentiellement en fonction de critères liés à l’entreprise à laquelle il appartient. Des

œuvres comme les Sauvages du Cap Diemen préparant leur repas4 illustrent, certes, les

agapes des autochtones, mais plus encore (Houton de la Billardière, an VIII : pl. 5 ; voir

photo 1).Chasseur d’images d’une mission de découvertes, l’artiste exalte d’abord la

réussite de cette mission. Ces estampes se veulent un compte rendu véridique,

puisqu’elles ornent un ouvrage savant et non une fiction, mais offrent en réalité une

véritable mise en scène de l’exploration au bénéfice de l’équipe qui l’a menée à bien.

Dans l’estampe des Sauvages du Cap Diemen préparant leur repas les officiers, tout à la

fois humanistes et savants, redécouvrent le bon « Sauvage » des conceptions

philosophiques, dans une filiation iconographique précise : celle de l’équipe de Jean-

François de Galaup de Lapérouse se livrant à l’étude des monuments et des populations

de l’île de Pâques (Lapérouse, 1792 : 11). Le rituel scientifique crée et entretient l’aura

du corps de savants, dont les membres deviennent de grandes figures de l’érudition,

d’abord française et surtout, internationale.

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À côté de ces images de l’équipe savante au plus fort de sa découverte, les atlas et la

presse regorgent de paysages. Les espaces naturels génèrent l’admiration et, en

conséquence, aucun atlas, aucun article de presse ne néglige de transmettre

l’impression ressentie devant la beauté des sites australiens, publiant des vues

grandioses que rehausse la luxuriance végétale d’une nature étrange. Les vastes baies

constituent un cadre propice à la mise en scène des navires au mouillage :

« Nos regards embrassèrent […] l’immense étendue […] rades assez vastes pourcontenir toutes les flottes du monde » (Taillemite, 1999 : 416)

s’extasie l’hydrographe de Joseph d’Entrecasteaux. Sa majesté le navire constitue le

premier héros de l’exploration et les hommes captivés lui sont affectivement attachés.

Du début à la fin du siècle, les carnets réservent une place aux trois-mâts. Plus encore

que le dessin, la gravure accorde aux vaisseaux une place honorable et même

prééminente. Sa taille et sa prestance sont sources de fierté, et en outre, il symbolise la

patrie qu’il faut glorifier tant auprès des autres nations européennes qu’auprès des

populations éparpillées sur la planète.

Photo 1. – Sauvages du Cap Diemen préparant leur repas

(Houtou de la Billardière, an VIII : pl. 5)

Cependant, les immensités australiennes inconnues et leur nature excessive le cèdent

en importance au progrès en cours. Dès l’expédition de Nicolas Baudin, les journaux de

bord commentent la prospérité qui s’offre aux yeux pour s’en émerveiller (Muséum

d'histoire naturelle du Havre, 2008 : 25). Dans le bush également, ce lieu symbolique, les

exploitations fermières et minières n’ont rien à envier à la France sous le rapport du

confort et du modernisme, car les « stations » témoignent de la qualité de la vie

coloniale. Au milieu du siècle, la mine et la ruée vers l’or, porteuses d’imaginaire,

exacerbent encore le sentiment d’un lieu en proie aux métamorphoses rapides. En

conséquence, de nombreux paysages « urbains », c’est-à-dire où l’architecture prime

sur la nature ou sur les personnages, peuplent les atlas et la presse. Au fil des estampes,

Sydney Cove (1788), Paramatta (1788), Port Jackson (1804), s’équipent de bâtiments

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gouvernementaux, administratifs, militaires, ou portuaires et de centres villes tirés au

cordeau jouissant d’ensembles architecturaux aux allures prestigieuses. Une

urbanisation inéluctable s’implante : Sydney, Adélaïde, Bathurst, Melbourne,

Sandhurst. En1839, Jules Dumont d’Urville ne tarit pas d’éloges sur les rues bordées des

deux côtés par de charmantes maisonnettes très propres (Dyer, 2005 : 18).

Certes, la presse s’attache à illustrer les améliorations des cités dans le double souci de

publier de la nouveauté et de satisfaire un lectorat citadin, très attaché à la vie urbaine

dans tous ses aspects, et d’autant plus sensible au modernisme que les profondes

métamorphoses et les embellissements du Paris du XIXe siècle témoignent des

évolutions sociales et des progrès techniques en cours (nouveaux systèmes d’égouts,

éclairage public, fontaines). Comment ne pas se répandre en éloges devant les modestes

écarts des antipodes devenus si rapidement de petites villes aux qualités toutes

britanniques (Ryan-Fazilleau et al., 2008 : 67-79) ? La thématique ouvre à des discours

faciles sur la dichotomie tradition/modernité, primitif/progrès, civilisé/sauvage.

Cependant, la multiplication des images sur ce thème témoigne également d’un ressenti

français plus profond : Londres mène à bien ses visées coloniales avec une énergie, une

endurance et un succès que Paris lui envie. Les ambitions françaises à cet égard

transparaissent des instructions de Jean-François de Galaup de Lapérouse, et surtout

des paroles du très explicite Nicolas Baudin :

« Tous les chefs d’expédition avant moi ont reçu le même ordre d’examiner lesétablissements anglais dans le monde. La Pérouse ne devait-il pas aborder dans lesîles et dans les ports de l’océan Pacifique occupés par les Européens pour s’enquériravec précaution de leur influence ? […] Voulût-on qu’il [Napoléon] commanditâtnotre navigation uniquement pour le muséum ? » (Proust de la Gironnière, 2001 :46)

Établir une colonie de peuplement et déporter les bagnards figurent dans certains

projets dès 1790, alors que devenir gouverneur d’un établissement français du bout du

monde fait rêver Nicolas Baudin agonisant, et pousse Louis-Claude de Freycinet à

établir un projet de navigation. À la fin des années 1830 encore, le retard français dans

l’exploitation du Pacifique n’empêche pas de cultiver certains espoirs. Puisqu’il n’existe

aucun projet politique colonial d’envergure, le gouvernement ne recherchant que des

points d’appuis, il faut se résigner, autour de 1850 à voir s’évanouir la France australe,

et se contenter de peindre ou de photographier Sydney (photo 2) ou Adélaïde.

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Photo 2. – Vue de George Street à Sydney

(in Dumont d’Urville, 1833 : pl. 32)

L’ascendance des catégories picturales

Certaines conventions des arts majeurs orientent les dessins et les photographies.

Ainsi, le lien étroit de l’art et de l’histoire transparaît également des Sauvages du Cap

Diemen préparant leur repas, estampe précédemment citée. En France, l’histoire est

l’une des grandes finalités de l’art. Les thèmes du repas et de la rencontre de cette

gravure appartiennent aux motifs traditionnels de l’art, que ce soit dans le domaine

religieux ou profane. Cependant, en France, à la fin du XVIIIe siècle, pour qu’une scène

relève de la peinture d’histoire, elle doit satisfaire à certaines conditions, et

premièrement traiter un fait historique. Par fait historique s’entend une action

exemplaire, ce qui se justifie ici, puisqu’il s’agit de la découverte d’une terre et de ses

habitants. Cette action exemplaire doit être le fait d’hommes remarquables, ce que

sont, dans le cas présent, les savants de l’expédition. Nouvel Ulysse, cette élite

intellectuelle exerce ses talents dans le cadre d’une Odyssée périlleuse au service de son

roi, mais aussi de l’humanité à qui elle révèle des contrées nouvelles. En outre, la

peinture d’histoire répond à des conventions artistiques précises dont notamment le

nombre de personnages et leur proportion dans le paysage. La conformité avec la

réalité importe peu car l’œuvre ne décrit pas une scène, elle la construit. Si les savants

de Joseph d’Entrecasteaux semblent se mêler harmonieusement aux indigènes, leur

place dans le tableautin des Sauvages du Cap Diemen préparant leur repas ne doit rien

au hasard. La composition se déploie en frise sur toute la longueur du cadre, mais

également en profondeur sur quatre plans, et organise soigneusement les acteurs. Elle

juxtapose plusieurs groupes. Au centre, un groupe familial d’autochtones souligne

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l’aspect extra-européen de l’ensemble. L’Occidental constitue le pivot de tous les autres

groupes, ce qui le valorise. Malgré le titre de la gravure, malgré sa place en périphérie,

le Français, non l’indigène, constitue le sujet de la composition. Le premier s’active et

s’occupe, le second, passif, contemple et observe. L’examen d’une esquisse au crayon de

l’estampe5 en constitue une preuve éloquente : la scène rassemble dix personnages,

tous autochtones, aucun savant ni aucun Occidental ne les accompagne.

La gravure finale atteint ainsi son objectif : glorifier une mission et ses acteurs. Elle ne

relève pas de la peinture d’histoire, mais elle en subit les impératifs et se coule dans son

moule, ce qui explique sa composition, le nombre et la proportion des humains, leur

pose, et le rôle dévolu à chacun. Cette catégorie picturale dicte la scénographie, lui

donnant en retour sa densité historique et son intérêt. En s’attardant de cette manière

sur l’Australie, les illustrations dévoilent l’importance du lieu, qui, objet digne d’étude,

mérite le meilleur de la science à son chevet. Les instructions qui assignent à Joseph

d’Entrecasteaux, Louis-Isidore Duperrey, ou Cyrille Laplace l’étude de l’île et, surtout, la

navigation que lui consacre Nicolas Baudin le confirment.

Cependant, toutes les estampes ne sont pas frappées au coin de la peinture d’histoire.

En France, le portrait constitue une catégorie prisée quoique inférieure en prestige à la

peinture d’histoire. Il traduit la dignité du personnage, son rang, sa valeur morale ou

ses réussites. La qualité des portraits se recommande par leur exactitude, avec une

tendance qui s’affirme depuis leXVIIIe siècle : rendre la psychologie du modèle. Tout l’art

consiste à exposer l’unicité d’une individualité, à la distinguer des autres, qui lui sont

parentes par la fortune, le rang social, l’activité. Les dessins de Nicolas-Martin Petit

Terre de Diémen – Femme portant son enfant6, Une femme de la Nouvelle-Hollande7, ou

Homme de Nouvelle-Hollande8, subissent et traduisent cette influence (Muséum

d'histoire naturelle du Havre, 2007 : 90, 92; Muséum d'histoire naturelle du Havre,

2008 : 52, 46, 96, 97).Les rapprocher du tableau intitulé Portrait d’une négresse9 qui est

exactement contemporain, l’atteste. La qualité de la pose donne l’importance du sujet,

voire du dynamisme au personnage, alors que le décor réduit à son minimum ou

inexistant concentre l’essentiel de l’attention sur le modèle au lieu de la disperser sur

un ensemble d’attributs. Enfin, et surtout, malgré l’accentuation des traits physiques,

ces œuvres ne s’y cantonnent pas. Une femme de la Nouvelle-Hollande10, ne tente pas

d’accrocher l’observateur par l’expression de son regard. Pourtant, il retient son

intérêt. L’individualité s’exprime. L’artiste tente de saisir la vie de l’âme, de révéler une

psychologie, une émotion pour rendre le frémissement intérieur. Cette approche

traduit une appréciation des Aborigènes, qui semble provenir de la reconnaissance

d’une identité biologique commune à toutes les races issue de la croyance biblique. Elle

émane aussi de philosophies, comme le déisme11 ou la croyance en la noblesse de la

nature, qui, dans le sillage des conceptions de Jean-Jacques Rousseau, lient les malheurs

du monde à l’éloignement de l’état de nature (Anderson, 2000, 212-214 ; Musée

d'histoire naturelle du Havre, 2008, 10, 11). Divers savants du début du siècle, tels Paul

Rossel, Joseph-Alphonse Pellion ou Joseph-Paul Gaimard s’émerveillent des capacités

naturelles des autochtones et de leur harmonie avec la nature. Joseph d’Entrecasteaux

écrit :

« Les peuples civilisés qui s’enorgueillissent de l’étendue de leurs connaissancesauraient à s’instruire à cette école de la nature. » (Taillemite, 1999 : 424-425 ;Horner, 1995 : 130)

Bien que le rousseauisme et les conceptions sur le « bon Sauvage » puissent influencer

certains savants, ces idées n’aveuglent pas ces voyageurs puisqu’ils différencient les

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comportements des « Naturels » de Tasmanie de ceux d’autres lieux, ou s’affligent de la

répartition des tâches entre les sexes (Horner, 2006 : 219 ; Anderson, 2000 : 220-221).

L’accent sur l’unité biologique de l’humanité ne nie pas la supériorité des Occidentaux,

mais porte la recherche sur ses variétés plus que sur sa hiérarchisation (Douglas,

1999a : 82, 91). Aussi, êtres humains à part entière, les Aborigènes, « ces hommes

simples et bons »,ne sont pas encore exclus a priori de l’art du portrait (Taillemite,

1999 : 424, 425). Dépeindre leur vie intérieure devient alors une exigence, qui rend si

attachants les portraits de Nicolas-Martin Petit, ce qui leur a valu d’être remarqués dès

leXIXe siècle (Hamy, 1891 : 24 ; à comparer à 1895).Ces œuvres témoignent d’un respect

peut-être jamais égalé envers les indigènes, une approche qui surgit d’un compte rendu

de l’expédition de Joseph d’Entrecasteaux :

« Il ne fut question ni de conquérir ni de convertir les insulaires ; les liensd’hospitalité furent les seuls qu’on chercha à former. » (Taillemite, 1999 : 436)

Cependant, cette vision s’évanouit dans le premier quart du XIXe siècle. Ainsi, les

instructions concernant les « Naturels » sont circonscrites à une seule période : celle

qui s’étend de François de Galaup de Lapérouse à Nicolas Baudin (Dyer, 2005 : 19). À

partir de la Restauration, l’intérêt pour les sociétés indigènes d’un ensemble de savants

ayant pour chef de file Jean-Marie Dégérando cède devant la quête anthropométrique

et l’analyse anatomique, témoin de l’importance que prennent les typologies et le souci

de classification de l’homme dont Georges Cuvier devient l’un des fers de lance

(Degérando, 1994). Une nouvelle appréhension des populations non-européennes

uniformise les regards, balaie le souci des individualités, transformant les images d’une

manière nullement superficielle.

Dans le domaine artistique, le souci d’identification de l’exotique, de l’étrange, qui

existe dès l’époque hellénistique poursuit comme premier objectif le dépaysement

plutôt que la description. Le pittoresque, non la psychologie, et la veine théâtrale non

l’exactitude constituent ses ressorts. Ce portrait de genre se limite aux caractères

marquants de la morphologie et des instruments (attributs de pouvoirs, costumes,

scarifications) pour singulariser un groupe, ou un type social. Le portrait de Timbéré de

Port Jackson que publie Jacques-Étienne Arago en constitue un remarquable exemple :

son couvre-chef déchiré et ses peintures faciales le placent dans la veine des portraits

de genre, notamment de l’école hollandaise si très prisée au XIXe siècle (Arago, 1822 : pl.

23). La légende accentue l’aspect théâtral et l’écart avec les convenances vestimentaires

occidentales : Timbéré, Sauvage de la Nlle-Galles du sud en grand costume (relâche du

Port Jackson) (voir photo 3). Selon Jacques-Étienne Arago, les Aborigènes sont :

« plus laids que ne le sont les plus vilains noirs », « bêtes féroces qu’ils égalent encruauté sans en avoir la force ni la puissance. » (Taillemite, 1999 : 484-485)

Le style de la littérature de voyage à l’époque romantique explique certaines

expressions. Malgré cela l’écart se creuse avec Paul Rossel de l’expédition de Joseph

d’Entrecasteaux, ou avec l’aspirant Joseph Ransonnet de l’expédition de Nicolas Baudin

(qui eut des contacts avec les Aborigènes dans une baie près de Bald Island). Ce dernier

les trouvait quinze ans auparavant (Marchant, 1988 : 237) « bien pris dans leur taille et

d’une belle corpulence » (Taillemite, 1999 : 426).

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Photo 3. – Timbéré, Sauvage de la Nlle Galles du sud

(in Arago, 1822 : pl. 23)

Portrait de genre et planche de costume définissent un groupe au travers d’un

personnage au physique exacerbé, pourvu parfois d’accessoires traditionnels.

Toutefois, la planche de costume appartient à l’art de l’illustration et donc à l’histoire

du livre, non à l’art pictural, et Jacques-Étienne Arago n’en néglige pas les attraits

(Arago, 1822 : pl. 22). Les personnages alors vigoureusement campés occupent tout

l’espace. L’attitude est des plus simples, souvent debout de face. Au-delà de la ligne

d’horizon, souvent matérialisée et placée très bas, s’esquissent quelques rares éléments

paysagers. Le dessin prime sur le modelé. Rien ne doit détourner l’attention du

vêtement et des parures, ni l’expression des visages, ni la complexité des poses ou des

décors. Le souci descriptif génère parfois la présentation de face et de dos afin d’avoir

un rendu précis et détaillé des ornements corporels.Les accessoires réduits à leur

minimum sont confinés aux angles de la page, ou placés derrière la figure. La formule

offre une lisibilité sans égale, et elle est familière au lecteur car la presse en regorge.

Portrait de genre et planche de costumes doivent traduire l’étrange, le pittoresque ou

l’exotique et créer la fascination quelque soit le lieu considéré : Bretagne, Orient ou

Australie.

Vision des sociétés

En troisième et dernier lieu, il convient d’évoquer l’interaction entre image et concepts

scientifiques. La construction et la diffusion du savoir requièrent, quel que soit le

domaine, l’image. L’anthropologie considère les dessins comme un matériau

indispensable, car d’une part, l’étude des distinctions raciales occupe une place

prépondérante, leur typologie servant à classer les sociétés dans le but de les

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hiérarchiser, et d’autre part, les anthropologues ne se déplacent pas sur le terrain mais

s’appuient sur la documentation rapportée par les voyageurs. Cependant, les savants se

lamentent des déformations artistiques que les dessinateurs impriment à leurs

modèles. À propos de William Hodges, dessinateur de James Cook, Jean-François de La

Harpe écrivait :

« Les amateurs trouveront dans cette gravure les contours et les traits grecs quin’ont jamais existé dans la mer du Sud. » (Briand, 2005 : 226)

En décrivant le dessin de Gaspard Duché de Vancy à l’Île de Pâques, Jean-François de

Lapérouse souligne, pour l’en démarquer, la différence que l’œuvre présente avec celle

de ses prédécesseurs, car :

« [elle] donne une idée bien plus vraie des monuments que la gravure de M.Hodges. » (Briand, 2005 : 223)

Georges Cuvier insiste pour que le savant se défie des artistes et de leurs productions :

« Les dessins qui se trouvent dans les voyages modernes quoique faits sur les lieux,se ressentent plus ou moins des règles et des proportions que le dessinateur avaitapprises dans les écoles d’Europe, et il n’en est presque aucun sur lequel lenaturaliste puisse assez compter pour en faire la base de recherches ultérieures. »(Copans et al., 1994 : 69)

La précision des formes doit supplanter les impératifs de l’esthétique en raison d’une

idée très répandue : le physique permet de déchiffrer l’homme intérieur. Or, toute

déformation externe se répercute immanquablement sur le jugement du caractère

moral, véritable intérêt de Georges Cuvier, qui l’exprime clairement :

« Les costumes, les marques par lesquelles la plupart des sauvages se défigurent,[…] ne servent qu’à masquer le véritable caractère de la physionomie. » (Copans etal., 1994 : 69)

Georges Cuvier exige donc une galerie de portraits normalisés :

« Pour le genre de portraits que nous exigeons ; […] il faut toujours que le profil pursoit joint au portrait de face. […] Il serait important que le peintre représentâttoutes ses têtes avec le même arrangement des cheveux, le plus simple possible, etsurtout celui qui cacherait moins le front et qui altérerait moins la forme du crâne.Tous les ornements étrangers, les bagues, les pendants, le tatouage, doivent êtresupprimés. » (Copans et al., 1994 : 70)

La stricte frontalité pose quelques difficultés, car elle requiert une grande maîtrise du

modelé, notamment pour le nez. Cependant, satisfaire l’exigence scientifique implique

d’user de la méthodologie émanant du Muséum, et non des conventions de l’École des

beaux-arts. Aussi, le rendu des sentiments, du caractère ou l’expressivité des regards

sont totalement bannis, à l’inverse du portrait artistique dont ils constituent au

contraire l’essence. L’observation, l’inventaire et le classement des sociétés humaines

proviennent de la méthodologie des sciences naturelles. Peindre les races humaines à la

manière des naturalistes qui détaillent les végétaux et les animaux et les

décontextualisent, se répercute immanquablement sur l’image. Celle-ci présente alors

un spécimen, et non un être particulier, lequel importe peu. Seul compte son « type »,

d’où l’accent sur la stricte frontalité associée au « pur profil », sur les bustes plutôt que

sur les personnages en pied, et sur les études morphologiques non les costumes

typiques. Il en résulte des bustes en diptyque, sans parure ni tatouage, détachés des

milieux de vie, des tâches quotidiennes, et même des accessoires reproduits à part. La

présentation des planches gravées sur fond blanc accentue l’idée d’universalité dans un

souci de se démarquer de la moindre notion de fiction (Briand, 2005 : 221). Peu de

dessinateurs suivent les directives du Muséum de manière absolue, aucun ne résistant

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aux accessoires originaux, aux étranges peintures corporelles et aux déroutantes

scarifications. Au retour de l’exploration, pour satisfaire la science, plusieurs copies

peuvent être tirées d’un même dessin, ainsi le portrait d’Homme de la Nouvelle-

Hollande12dont il existe plusieurs versions, avec ou sans scarifications. Dans ce cas

précis, la planche de l’atlas intitulée Nouvelle-Hollande, Cour-Rou-Bari-Gal, conserve

les scarifications du buste et des avant-bras, donnant même l’impression de peinture

aux tempes, aux pommettes et au maxillaire supérieur. Toutefois, la comparaison avec

les dessins originaux donnent à penser qu’il s’agit plutôt d’un rendu maladroit de la

couleur du teint (Lesueur et al., 1816, vol. 1 : pl. 18).Ce mode de représentation des

peuples sous la forme de « type » devient la marque du document scientifique et cette

approche perdure même si les techniques se modifient.

La photographie se construit sur des schémas de représentations identiques. Les clichés

ethnographiques éteignent les regards et déshumanisent les êtres. Les Aborigènes

adoptent généralement la pose anthropométrique de rigueur des portraits

anthropologiques, car ils demeurent des « types » à photographier selon les règles de la

science. Même remaniées pour la publication, les photographies juxtaposent les êtres

comme des plantes exotiques, êtres statiques aux postures rigides, au lieu de les mettre

en scène ; même si elles les contextualisent, les autochtones demeurent sans vie,

déshumanisés (Charnay, 1880 : 73 ; Castella, 1861 : 105).Si l’observation scientifique du

monde naturel triomphe de certaines notions erronées, elle n’est pas dépourvue d’a

priori puisque l’idéologie coloniale et la rivalité entre êtres vivants, animaux ou

végétaux, habitent les travaux des naturalistes et les fondent avant même Charles

Darwin (Browne, 1997 : 209). En postulant une hiérarchie des races, les savants

impulsent une évolution irréversible. Les sociétés non techniciennes ne sont plus les

lieux de l’harmonie naturelle mais de l’archaïsme, aussi la photographie les infériorise.

Le couple des Indigènes australiens du Tour du monde(voir photo 4),pris selon une vue

plongeante que rien ne justifie, subit un cadrage qui le place en contrebas de

l’observateur (Castella, 1861 : 100).Il se trouve dans la moitié inférieure et non au

centre de la composition. Assis en tailleur sur le plancher, il offre l’image d’une

certaine déréliction. Cette mise en scène rend palpable le dénuement qui écrase les

« Sauvages » et que confirment leurs corps recroquevillés, leurs pauvres visages

baissés, leurs regards rivés au sol et leurs sourcils froncés, sans joie. Cadrage et attitude

renforcent leur état de primitif.

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Photo 4. – Indigènes australiens

(in Castella, 1861 : 100)

LeXIXe siècle français se pense comme le début d’une nouvelle ère technique et

politique. En érigeant en valeur le Progrès, notion héritée des Lumières, et établissant

par la science l’infériorité biologique des insulaires du Pacifique, il justifie

l’expansionnisme et ses menées. Les vents de l’appropriation se lèvent, les empires se

constituent ou s’étendent. Le dynamisme des Européens s’allie à la déshumanisation

des autochtones pour justifier les ambitions coloniales, que les conceptions

évolutionnistes ne contredisent pas. L’absence française en Australie ne laisse pas

indifférent. En 1869, le Comte de Beauvoir énumère la toponymie australienne issue de

la vitalité française : Cap Surville, Cap Péron, Cap Bougainville ou du Naturaliste, baie de

Fleurieu, baie de Monge et du Géographe :

« De Marion sur le Castries [...] qui vit couler le sang français, de d’Entrecasteauxsur la Recherche et l’ Espérance, de Baudin et d’Hamelin sur le Géographe et leNaturaliste, il ne reste que des noms français » (Beauvoir, 1878 : 195)

s’attriste-t-il, au contraire « [d’]une autre puissance [qui] y possède une grande

colonie ».

La mise en italique des termes « grande colonie », dans un ouvrage qui connut de

nombreuses rééditions et des éditions illustrées souligne l’amertume française.

Les images se révèlent une riche source documentaire, un ensemble de traces

historiques sur la diversité et l’évolution des imaginaires et des ambitions que suscite

l’Australie, allant d’une part, d’une vue philosophique des « Sauvages » à celle de la

hiérarchisation scientifique des races et, d’autre part, des espoirs d’appropriation à

leurs déceptions. Cette iconographie n’est jamais totalement dépourvue d’observations

et d’expériences de terrain et, à ce titre, elle s’avère un témoin authentique de la

réalité. Son utilisation par les différents domaines des sciences humaines et sociales ne

peut qu’en valoriser la compréhension, alors que des approches interdisciplinaires sont

de surcroît un atout majeur pour élargir les conclusions. Toutefois, ces images ont été

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perçues et représentées conformément aux bagages culturels, aux aspirations, aux

idéaux voire aux déceptions de l’observateur. En outre, leur diffusion implique leur

remaniement, selon des techniques et des règles éditoriales particulières. Cette

construction des images s’inféode à une volonté de représentativité de l’équipe savante

et des ambitions nationales et elle est également orientée par des philosophies

prégnantes, des conventions artistiques séculaires et des approches scientifiques en

constante évolution. Une Australie se recrée dont la nature et le degré de

transformation se mesure par l’analyse des images selon les codes culturels du temps. D

éduire de ces planches l’histoire et le mode de vie des populations rencontrées exige

une grande attention à toutes les étapes de la conception des œuvres, où s’entremêlent

constamment l’individuel et le collectif, la longue et la courte durée, le sujet dessiné et

le dessinateur, les commanditaires de l’œuvre et le public visé.

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(1772, Cap Leeuwin, Shark Bay) ; Jean-François de Galaup de Lapérouse (1788, Botany Bay) ;

Joseph Bruny d’Entrecasteaux (1792-1793, Tasmanie, Cap Leeuwin) ; Nicolas Baudin (1801-1803) ;

Louis-Claude de Freycinet (1818, Shark Bay, Sydney) ; Louis-Isidore Duperrey (1824, Sydney) ;

Hyacinthe de Bougainville (1825, Sydney) ; Jules Dumont d’Urville (1826, Port du Roi-George, Port

Western, Baie de Jarvis, Sydney, Hobart) ; Cyrille Théodore Laplace (1831, Sydney, Hobart) ; Abel

Dupetit Thouars (1838, Sydney) ; Cyrille Théodore Laplace (1839, Sydney) ; Jules Dumont d’Urville

(1839/40, Hobart). Voir (Broc, 2003).

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2. «Much work on European images has been documentary rather than critical or analytical […]

the result is that an intriguing plethoral of sources have been presented while their discursive

affiliations and underlying epistemologies were frequently passed over.» (Thomas, 1994: 22).

3. Jacques-Étienne Arago assiste à l’avulsion des incisives d’une Aborigène des environs de Port-

Jackson. Dans le rendu des seins, texte et image diffèrent notablement (Dyer, 2005 : 50).

4. Baie de la Recherche, bras nord, 9, 11 février 1793 (Horner, 1995 : 128-135, 285 note 12 ;

Plomley, 1983 : 204-205).

5. Service historique de la Marine, Vincennes, 5 JJ 4 (Richard, 1986 : 313).

6. Musée du Havre, 1800-1804, pierre noire sur papier, 20004-2. Il existe deux autres versions :

20004-1, crayon ; 20004-3, gouache et crayon. Gravure en noir et blanc de l’atlas du voyage, Terre

de Diemen. Arra-Maïda. (Lesueur et al., 1816, vol. 1 : pl. XII)Le modèle a été rencontré au nord de l’Ile

Bruny (Dyer, 2005 : 107-111).

7. Musée du Havre, 1800-1804, pierre noire ou fusain sur papier, 20032-2. Gravure dans l’atlas du

voyage, Nouvelle-Hollande, Oui-Ré-Kine (Lesueur et al., 1816, vol. 1 : pl. XXI, île Bruny).Le modèle a

été rencontré vers Port-Jackson.

8. Musée du Havre, 1800-1804, pierre noire, sanguine et crayon sur papier, 20038-1. Il en existe

deux autres versions : 20038-2, pierre noire, sanguine, encre brune et noire sur papier ; 20038-3,

sanguine et pierre noire. Gravure dans l’Atlas du voyage, Nouvelle-Hollande, Cour-Rou-Bari-Gal

(Lesueur et al., 1816, vol. 1 : pl. XVIII).Le modèle a été rencontré vers Port-Jackson.

9. Marie-Guilhelmine Benoist, Portrait d’une négresse, 1800,musée du Louvre, inv 2508.

10. Musée du Havre, 1800-1804, pierre noire ou fusain sur papier, 20032-2. Gravure dans l’atlas

du voyage, Nouvelle-Hollande, Oui-Ré-Kine (Lesueur et al. ,1816, vol. 1 : pl. XXI). Le modèle a été

rencontré vers Port-Jackson.

11. Philosophie à laquelle adhère une partie importante de la classe cultivée dès leXVIIe siècle,

«qui renvoie au Dieu des philosophes par opposition au Dieu des Écritures » et qui admet alors

l’existence de Dieu et la doctrine de la création. Voir Encylopaedia universalis, entrée : Déisme,

Libertins, Enlightment, Reimarus (H. S).

12. Musée du Havre, 1800-1804, pierre noire, sanguine et crayon sur papier, 20038-1. Il en existe

deux autres versions : 20038-2, pierre noire, sanguine, encre brune et noire sur papier ; 20038-3,

sanguine et pierre noire. Gravure dans l’Atlas du voyage, Nouvelle-Hollande, Cour-Rou-Bari-Gal

(Lesueur et al.,1816, vol. 1 : pl. XVIII)Le modèle a été rencontré vers Port-Jackson.

RÉSUMÉS

Si les plans du Capitaine Philibert vers l’Australie ne se réalisèrent jamais, environ une quinzaine

d’autres expéditions françaises reçurent au XIXe siècle le soutien du gouvernement français. De

nombreuses illustrations furent rapportées qui, de l’humble esquisse à la prestigieuse aquarelle,

dévoilent la diversité des perceptions et des imaginaires français sur l’Australie. Des vues

urbaines aux vastes espaces luxuriants et des portraits aux mises en scène des autochtones, ces

œuvres démontrent aussi le poids des influences qu’elles subissent : conventions artistiques (de

la scène historique au portrait) ou ambitions scientifiques (de la philosophie du « bon Sauvage »

aux thèses racialistes). Il en émerge également des aspirations politiques et des ambitions

d’appropriation déçues.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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If Captain Philibert’s plans to Australia never came to completion, about fifteen other French

expeditions received governmental support in the Nineteenth century. In the wake of navigators,

hundreds of drawings came to light. They show to-ing and fro-ing between direct observations

and pre-existing French conventions, such as artistic or scientific ones. Humble sketches and

glowing water colours, all prove to be a rich documentary source for the historian to

comprehend the diversity of French imagination and ambitions over Australia, from the

changing philosophers’ views of the «savage» to arising political schemes of appropriation.

INDEX

Mots-clés : Aborigènes dans l’art, Australie dans l’art, dessins français du xixe siècle,

illustrations françaises du xixe siècle, presse française, récits de voyages français, représentation

française de l’Australie

Keywords : Aborigines in art, Australia in art, French illustrations of the Nineteenth century,

French press, French social representations of Australia, French travel tales, Nineteenth century

French drawings

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

52

Coonardoo de Katharine S. PrichardIsabelle Benigno

1 Katharine S. Prichard est née en 1883 à Levuka aux îles Fidji qu'elle quitte avec sa

famille pour aller vivre en Tasmanie. Son père est rédacteur en chef d'un journal et sa

mère peintre. La famille connaît des difficultés financières importantes qui sont sans

doute à l'origine de l'intérêt qu’elle porte aux questions d'injustice sociale et de

pauvreté. Il se traduit par un engagement au parti communiste dont la naissance en

Australie date de 1920. Cet engagement ne se démentira pas tout au long de sa vie. Elle

trouvera dans la philosophie politique de Karl Marx une explication à l'aliénation de

l'homme, manipulé par un système recherchant avant tout le profit. La théorie

marxiste influencera beaucoup Katharine S. Prichard dans l'écriture de Coonardoo où

elle s'attache à décrire un homme prisonnier d'un conditionnement économique et

social qui l'empêche de vivre une relation sincère avec la femme qu'il aime.

2 Une autre influence occupe une place importante dans la construction intellectuelle de

l'auteur, c'est celle de Carl Gustav Jung (mentionné dans le roman p. 294). Celui-ci

considère que l'homme moderne a perdu tout contact avec les mythes des origines et

cette perte a gravement endommagé son équilibre psychique. Coonardoo explore

l'équilibre psychique précaire de Hugh Watt dont la détérioration est responsable d'un

certain nombre de comportements violents. Jung considère que le coupable c'est

l'évolution de l'homme tandis que pour Marx, le coupable c'est le système capitaliste.

Dans les deux cas, les effets sont désastreux car l'homme se retrouve en position de

victime, soumis à des forces qu'il ne parvient pas à contrôler. Il nous paraît important

d'avoir à l'esprit ces deux influences pour mieux saisir le positionnement de

K. S. Prichard dans ce roman.

3 Outre l'environnement intellectuel, il convient également de replacer l'œuvre dans le

contexte économique, politique et social australien à l’époque où le roman est rédigé.

Coonardoo est publié en 1929, en pleine Dépression, dans un contexte économique qui

fragilise encore un peu plus la minorité aborigène. Comme le souligne l’historien Henry

Rowley :

« One of the effects of the Great Depression, all over Australia, seems to have been amore rigid containment in institutions, where conditions were probably worse thanever before, with enduring effects on Aboriginal attitudes. » (Rowley, 1972 : 281)

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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4 Le contexte politique est marqué par une bouffée de violence en Australie occidentale :

une tribu aborigène y est complètement décimée en réponse à une « provocation ». Il

n’en faut pas davantage pour que les esprits s’échauffent et que non content de

massacrer toute une tribu, on tue son chef en pleine ville de Perth. Cet épisode

sanglant, coïncidant avec la publication de Coonardoo, est l’un des derniers soubresauts

de la colonisation.

5 Dans ce contexte tendu, le roman de Katharine S. Prichard ne joue pas l’apaisement : il

se veut en effet, une dénonciation des conséquences néfastes de la colonisation sur les

populations aborigènes doublement soumises. D’une part, elles sont économiquement

dépendantes des grands propriétaires fonciers blancs ; d’autre part, depuis le milieu du

XIXe siècle, des missions ont été créées et placées sous le contrôle de missionnaires. Leur

but est double : convertir les Aborigènes à la religion chrétienne mais également aux us

et coutumes de l’homme blanc. Toutefois, ne parvenant pas à anéantir totalement la

culture aborigène, le nouvel État, né de la fédération des colonies en 1901, se dote d’une

constitution où le principe d’exclusion est clairement affiché. Les Aborigènes y sont

considérés comme des « citoyens de seconde zone » qui ne sauraient bénéficier des

mêmes droits que les citoyens blancs. Cette politique d’exclusion raciale vise une

homogénéisation de la population par le biais notamment de déplacements forcés des

communautés aborigènes vers des réserves. L'une des mesures les plus destructrices

consiste à enlever de force des milliers d'enfants aborigènes de sang-mêlé à leurs

parents pour les « blanchir ». Cette déportation systématique part du postulat qu'il faut

« assimiler la race ». La politique d'assimilation est cependant de plus en plus contestée

par les aborigènes qui refusent d'être représentés comme de simples victimes

consentantes. Les décennies 1920-1930 sont marquées par une mobilisation des

Aborigènes au sein de groupements politiques dont la naissance remonte au milieu des

années 1920. L'un des premiers mouvements de protestation aborigène créés est La

Ligue pour le Progrès et L'avancement des Aborigènes dont le but est de dénoncer les

préjudices subis par ces derniers mais également de s'opposer et résister aux politiques

de ségrégation mises en place par les autorités australiennes.

6 Avec la publication de ce roman, Katharine S. Prichard confirmait son statut d’écrivain.

En 1916, son premier roman The Pioneers, une histoire de vol de bétail sur fond de

romance dans le Gippsland, lui avait valu de remporter le premier prix du Hodder and

Stoughton All Empire Novel Competition, un concours destiné à révéler de nouveaux

talents. Au début des années 1920, elle s’établissait avec sa famille en Australie

occidentale et entreprenait d’écrire une série de romans ayant pour toile de fond les

conditions de vie rudes auxquelles étaient confrontés ses habitants. En 1926, paraissait

Working Bullocks, un roman dans lequel elle s’intéressait à une communauté de

bûcherons et à l’influence qu’exerçait sur cette dernière un militant communiste.

7 Son intérêt pour les gens ne se démentit pas dans Coonardoo. Lors de sa parution, le

roman suscita la controverse. Beaucoup de critiques s’indignèrent du fait qu’une

femme écrivain blanche ait pu choisir comme thème central de son roman l’amour

interracial. Bien que nul n’ignorât que cela existait, il n’en demeurait pas moins que le

sujet était tabou. Katharine S. Prichard dénonçait l’hypocrisie de ses congénères

espérant ainsi éveiller les consciences. À travers cette histoire, elle nous livrait un

témoignage poignant sur une minorité dépossédée dont le mode de vie avait été

irrémédiablement bouleversé par la colonisation et ses méfaits.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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8 Roman éponyme, Coonardoo peut en effet se lire comme le récit d’une triple

destruction : destruction d’une femme ; destruction d’un domaine ; destruction de

l’identité aborigène.

La destruction d'une femme

9 Coonardoo est une enfant de la tribu des « Noueux » qui vit sur le domaine de Wytaliba

que dirige Mme Bessie Watt depuis le décès de son mari. Son fils, le jeune Hugh, a

grandi aux côtés de Coonardoo. Le roman s'ouvre sur le départ de Hugh en pension et la

nostalgie passagère que ressent Coonardoo, toute la scène étant en focalisation interne.

Coonardoo est omniprésente dans la narration de façon directe (début et fin de roman)

ou indirecte ; lorsque Hugh la chasse, elle demeure présente à travers la chanson

aborigène traditionnelle que fredonne son fils :

« Ma mère, je suis là à pleurer sur ton sort, mais je reviendrai avec des choses àmanger qui te feront plaisir. » (Prichard, 1991 : 284)

10 De même, des bribes de nouvelles parviennent à la station qui permettent de se

représenter sa situation et plus généralement celle des femmes aborigènes qui font

l'objet de mauvais traitements (exploitation sexuelle). Ainsi, Sam Geary apostrophe-t-il

Hugh dans un bar à propos de Coonardoo :

« Dis-donc, Youie ! Beugla-t-il, devine un peu qui j'ai vu au port l'autre jour ?Coonardoo ! Et jamais on n'a vu de vieille ruine pareille ! Je ne l'aurais jamaisreconnue si elle ne s'était pas mise à piailler […] sur le point d'être internée dansl'île. » (Prichard, 1991 : 292)

11 La scène finale est également perçue à travers le regard de Coonardoo, ce qui permet au

lecteur de ressentir une profonde empathie pour le personnage mais également de

prendre la mesure de sa détresse physique et morale. La fin offre aussi un contraste

saisissant avec les premières lignes du roman dont l'atmosphère est empreinte d'un

bonheur teinté de nostalgie :

« Coonardoo chantait. […] S'élançant, retombant, les mots s'entrechoquaient ets'envolaient mystérieusement. » (Prichard, 1991 : 15)

12 La chanson du bonheur devient un chant funèbre à la fin du roman :

« Elle fredonna un moment et s'allongea. Ses bras, ses jambes s'écartèrent ; onaurait dit des bouts de bois noircis et brisés, à côté du feu. » (Prichard, 1991 : 305)

13 Entre ces deux moments, il y a l'espace de la narration dont le fil conducteur n'est autre

que la destruction de Coonardoo, processus où causes sociales et psychologiques sont

étroitement liées: mainmise des Blancs sur la terre et recours à une main-d'oeuvre

aborigène non-payée d'une part; pratique fort répandue parmi les Blancs de considérer

les femmes aborigènes comme leur propriété sexuelle d'autre part. Deux hommes

jouent un rôle prépondérant dans la destruction de Coonardoo : Sam Geary et Hugh

Watt.

14 Hugh est décrit dans le roman comme beaucoup moins dangereux que Geary dont le

comportement envers les femmes est qualifié de prédateur. Les sentiments de Hugh

vis-à-vis de Coonardoo sont excessivement ambigus : une très grande complicité l'unit

à Coonardoo depuis son enfance mais il demeure prisonnier des préjugés de l'homme

blanc. Ainsi après le décès de Warieda (le mari de Coonardoo), Hugh considère

Coonardoo comme sa « propriété » bien qu'il ne soit nullement disposé à offrir son

amour pour des raisons morales. Hugh prend peu en considération les sentiments de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Coonardoo car cela supposerait qu'il la traite en égale, ce qui est impensable compte

tenu du contexte historique et social. Coonardoo ne comprend pas non plus les

motivations de Hugh, notamment lorsque ce dernier la rejette sexuellement alors que

dans le même temps il en revendique la « possession ». Aux yeux de l'auteur, Hugh est

le digne représentant de la classe des possédants qui soumet toute chose à sa volonté.

Hugh et Coonardoo sont aux antipodes et pourtant ces antipodes se rejoignent une

seule fois dans le roman dans des circonstances particulières pour Hugh : celui-ci, miné

par la solitude et la maladie après le décès de sa mère, cède à Coonardoo. Ce sera la

seule et unique fois et il n'en sera plus jamais question :

« Hugh la prit dans ses bras et s'abandonna à l'esprit qui, de bien loin semblait-il,l'attirait vers la source commune où sa vie se mêlait à celle de Coonardoo. »(Prichard, 1991 : 98)

15 Il s'agit d'un épisode central du roman car il révèle ce que Hugh a tenté jusque-là de

laisser enfoui au plus profond de lui-même (les psychanalystes parlent de refoulement),

à savoir cette affinité profonde qu'il ressent à l'égard des aborigènes. Les barrières

mentales mises en place pour maintenir à distance ses sentiments cèdent car il n'est

plus physiquement en état de résister. Ce moment-clé lui permet de connaître une

harmonie du corps et de l'esprit. Mais le répit est de courte durée. Dès qu'il recouvre

toute sa lucidité, il redevient cet homme pétri de préjugés, en proie à un dilemme qu'il

est incapable de résoudre et dont Coonardoo fait les frais.

16 Cet épisode peut se lire également comme une illustration des théories de Carl Gustav

Jung dont nous avons souligné l'influence dans l'introduction. Hugh confronté à une

crise majeure après le décès de sa mère est en définitive incapable de transférer

l'amour qu'il lui porte vers une autre femme. Son admiration pour sa mère est sans

bornes, elle est une sorte de déesse qu'il vénère et pour laquelle il est prêt à tout

sacrifier. Il s'interdit d'aimer Coonardoo et d'en faire sa femme en dépit de l'attirance

profonde qu'il ressent, préférant endosser l'habit de protecteur, prenant fait et cause

pour elle, jusqu'au moment où elle détruit son fantasme. C'est Phyllis, l'une des filles de

Hugh qui se livre à cette analyse à la fin du roman :

« Tu n'as jamais entendu parler d'un type nommé Jung ? […] Tu sais, Bill, j'ai laconviction que notre Youie a pris ma mère comme la plupart des hommes prennentune gin et que Coonardoo, elle, a été une sorte de fantasme pour lui. » (Prichard,1991 : 294-295)

17 Coonardoo détruit le fantasme de Hugh en se donnant à Sam Geary qui fait précisément

ce que Hugh s'interdit de faire. La révélation de cette relation déclenche une scène de

jalousie d'une rare violence, scène au cours de laquelle Hugh ne prend en considération

ni ses propres défaillances ni le dévouement sans faille de Coonardoo. Pour

Katharine S. Prichard, Hugh est trop imbu de son statut économique mais également de

son sentiment de supériorité (supériorité de la culture et des valeurs morales de

l'homme blanc). Cela a pour conséquence le bannissement de Coonardoo et sa lente

déchéance : son exil la conduit notamment à bord d'un perlier où Coonardoo n'est que

l'une des nombreuses victimes de l'exploitation sexuelle par les Blancs et dont Sam

Geary est sans conteste le meilleur représentant dans le roman.

18 À la différence de Hugh dont les bonnes intentions à l'égard des Aborigènes révèlent au

bout du compte une personnalité pétrie de contradictions, Sam Geary incarne le

prototype du pionnier déterminé à survivre dans cet environnement hostile et à réussir

quel qu'en soit le prix. Il ne cache pas son intérêt pour la gent féminine et entretient

des relations sexuelles avec des femmes aborigènes, ne s'embarrassant d'aucune

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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considération morale. Il n'est guère étonnant que Geary s'intéresse à Coonardoo et

profite de la première occasion où il se retrouve seul avec cette dernière. Geary est tenu

pour responsable de la destruction de Coonardoo mais aux yeux de l'auteur, la plus

grande part de responsabilité incombe à Hugh.

19 Tout le roman s'attache à démontrer les qualités exceptionnelles de cette femme,

prisonnière des désirs des hommes. Coonardoo doit son nom à un puits, élément

essentiel à la survie d'une station. Lorsque Hugh ne l'accepte pas en tant que partenaire

sexuelle à part entière, Coonardoo éprouve un profond sentiment de frustration : sa

relation « stérile » à Hugh fait écho à la stérilité de la terre soumise à des périodes de

sécheresse intense. On peut également lire l'épisode où Coonardoo cède à Geary comme

l'expression d'une volonté de mettre fin à cette période de stérilité :

« Sa stérilité avait fait d'elle une morte-vivante. L'étreinte de Geary avait libéré uninstinct qu'on aurait dit inflammable, qui avait prise sur elle et qui essaimait. »(Prichard, 1991 : 266-267)

20 Dernier épisode mettant en évidence ce jeu sur la symbolique de la fertilité/stérilité,

celui du bannissement de Coonardoo de Wytaliba: il coïncide avec une période de

sécheresse extrême (sécheresse intime). L'un des membres de la tribu des « Noueux »,

associe la stérilité de la terre au départ de Coonardoo. Même le puits s'assèche peu à

peu. La source de joie, de fertilité et de croissance que représentait Coonardoo s'est

définitivement tarie. Hugh sombre dans un état de semi-démence tandis que Wytaliba

s'enfonce dans une situation de plus en plus délicate. La destruction de Coonardoo est

directement responsable de la destruction de Wytaliba.

La destruction de Wytaliba ou la dure réalité du bush

21 Le roman de Prichard se veut un portrait fidèle de la vie dans les stations (isolement ;

conditions climatiques extrêmes), de sa dureté et de la nécessaire mais difficile

adaptation de l'homme blanc à cet environnement dont il ignore tout. Deux points de

vue s'opposent dans le roman. Celui de Mme Bessie, Hugh, Phyllis, Coonardoo, des

hommes et des femmes profondément attachés à Wytaliba et sa terre; celui de Jessica et

Mollie d'autre part, qui détestent le bush et se saisissent du premier prétexte pour le

fuir. Les difficultés auxquelles sont confrontés les propriétaires d'exploitations sont

évoquées, qu'il s'agisse des longues périodes de sécheresse et de leurs conséquences

économiques (pressions financières exercées par les banques) mais également de la

solitude sexuelle qui amène les hommes à chercher des partenaires parmi les femmes

aborigènes. Pour rompre cette solitude, Sam Geary invite Hugh à ne pas se montrer

trop exigeant avec lui-même sous peine de sombrer. C'est précisément ce qui arrive à

Hugh. Geary est incontestablement prédateur mais c'est aussi un survivant, capable de

s'adapter à toutes les situations et d'en tirer profit, au sens propre du terme puisque à

la fin du roman, grâce aux difficultés financières de Hugh, Geary s'empare de Wytaliba.

Hugh aura finalement tout perdu : Coonardoo et la station pour laquelle sa mère s'était

battue.

22 Vivre dans le bush est en effet un combat permanent. Prichard s'en fait l'écho à travers

la description minutieuse de Wytaliba où Blancs et Aborigènes travaillent ensemble

dans une relation de respect mutuel jusqu'au bannissement de Coonardoo. À partir de

ce moment, les choses se retournent contre Hugh : la pression des banques, la

sécheresse mais aussi et surtout le fait qu'il s'aliène par son comportement, le soutien

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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de la tribu des « Noueux ». Ce qui est mis en évidence c'est la relation

d'interdépendance entre Blancs et Aborigènes. Sans la main-d'oeuvre aborigène

rétribuée en nature, il est évident que Wytaliba ne peut survivre. Le point de vue de

Prichard est clair : l'exploitation de la terre a été rendue possible par l'exploitation de

la main-d'œuvre aborigène.

23 L'auteur n'est pas seulement sensible aux enjeux économiques. Elle se montre aussi fine

observatrice de l'environnement naturel dont la beauté est évoquée à de multiples

reprises : faune, flore, changements de saisons sont minutieusement restitués laissant

percevoir un attachement sincère pour ces grands espaces :

« Les troncs des eucalyptus blancs comme de la craie, bordaient le lit asséché ducours d'eau sur toute sa longueur. Plus loin surgissait, dénudée et rouge vif, la ligneen dents de scie des collines, dont la partie basse avait pris la nuance fauve duspinifex […]. Loin, toujours plus loin, au fil des méandres d'une interminable pistequi franchissait la plaine, puis les étendues de terres, où la mulga se dresse, rigideet brillante comme du métal, depuis le temps qu'elle est morte et que le soleil l'adécolorée. » (Prichard, 1991 : 16)

24 Cette nature est exigeante et l'on sent poindre une certaine forme de mépris pour des

personnages comme Jessica et surtout Mollie qui ne sont pas à la hauteur du défi qui

s'offre à elles. La première préfère retourner en ville après quelques mois passés à

Wytaliba tandis que la seconde, bien que mariée à Hugh, ne partage aucune des vues de

ce dernier, qu’il s’agisse du travail sur la propriété ou des relations avec les Aborigènes.

Hugh consacre toute son énergie à Wytaliba : il a donc besoin d’une femme capable de

tenir un intérieur et de diriger les domestiques comme sa mère le faisait. Mollie prend

son rôle de maîtresse de maison très à cœur dans un premier temps. Toutefois, elle

entend exercer ce rôle sans partage. Bonne à tout faire dans une pension de famille

avant son mariage, elle s’imagine tenir enfin une revanche sur une existence étriquée

et fade :

« Imaginez, avoir toutes ces servantes ! Transportée à l’idée de sa grandeur, Molliehouspilla les gins comme Mme Armstrong l’avait houspillée si souvent elle-même. »(Prichard, 1991 : 134)

25 Le narrateur/auteur a peu d’affection pour Mollie dont le comportement nous est

présenté comme inadapté à la situation. Loin de se faire respecter par les domestiques,

son autoritarisme est tourné en dérision. Elle n’a ni l’étoffe ni le charisme de Mme

Bessie Watt. Mollie ne se sent exister qu’au travers de ce qu’elle possède :

« Pour la première fois de sa vie, Mollie avait le sentiment d’être propriétaire. Êtrepropriétaire de cette cuisine, de ces pots et de ces casseroles était une sensationnouvelle. » (Prichard, 1991 : 134)

26 Mollie confond être et avoir, confusion qui du point de vue du narrateur/auteur, est

une des principales caractéristiques morales des Blancs. À trop vouloir posséder, Mollie

finit par ne plus rien contrôler. Elle ne parvient d’ailleurs pas à s’imposer comme

l’épouse de Hugh. L’ombre de Coonardoo est omniprésente, ce qu’elle vit très mal.

Épuisée après cinq grossesses (toutes donnent naissance à des filles comme s’il y avait

chez Hugh une forme d’impuissance), Mollie décide de partir en ville où elle compte sur

les largesses financières de Hugh pour mener grand train.

27 Le portrait de Mollie est sans concession : la vie dans le bush ne tolère aucune forme de

faiblesse morale ou physique :

« Mais ici, dans un pays aux horizons sans fin, sous une voûte céleste illimitée, vivrereplié sur soi-même revenait à se décomposer de l'intérieur. Pour survivre, il fallait

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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rester porté par le courant de vie qui émanait de cette terre. Il fallait en faire partieet l'accompagner, pour pouvoir travailler, pour évoluer avec lui. » (Prichard, 1991 :163)

28 Mollie a l’impression d’être déplacée dans cet environnement rude et hostile où toute

manifestation de sensibilité est à proscrire. Si la mère de Hugh était aussi à l’aise à

Wytaliba, c’est parce qu’elle était dotée des qualités utiles à la survie dans le bush, à

savoir énergie et résistance. Comme le souligne fort justement Xavier Pons :

« Comme la plupart des sociétés occidentales, l’Australie est dominée par le“pouvoir masculin” qui y prend parfois des formes assez outrancières. Celas’explique par l’histoire du pays. Qu’il s’agisse de l’univers pénitentiaire ou de celuides pionniers qui exploraient et défrichaient le bush, le berceau de la civilisationaustralienne fut une rude école, où la force physique, l’énergie et la résistanceconstituaient les qualités les plus utiles à l’individu et où, par contraste, ladélicatesse et la sensibilité n’avaient guère de place. » (Pons,1983 : 158)

29 L’admiration que porte l’auteur à cet environnement naturel et à ceux qui lui sacrifient

tout, l’amène à lui accorder dans le roman une place plus importante que certains

personnages, ce qui aux yeux de certains critiques constitue une faiblesse dans

l’économie générale du récit. Le bush est en effet présenté comme le théâtre d'enjeux

économiques ayant de fortes répercussions sociales, morales et donc nécessairement

identitaires sur les communautés aborigènes.

La destruction de l'identité aborigène

30 Celle-ci découle de trois facteurs étroitement liés : la possession de la terre par les

Blancs ; l'exploitation sexuelle des femmes aborigènes ; l'interférence des Blancs dans

la vie sociale et spirituelle des aborigènes.

31 L'identité morale des Blancs est liée à leur pouvoir et statut économique. Alors qu'il

n'est qu'un enfant, Hugh nous est dépeint sous les traits d'un garçon autoritaire tandis

que Coonardoo se comporte en petite fille obéissante. Les valeurs morales de la culture

blanche sont dominantes et il ne viendrait à l'esprit de personne de contester cet état

de fait. Au début du roman, nous apprenons que la mère de Coonardoo, Maria, est

morte sous les coups de Ted Watt, le père de Hugh :

« Ted avait tué le chien de Maria […]. Elle lui aurait répondu refusant de faire cequ'il lui disait un jour qu'il était soûl. Il l'avait jetée en bas de la vérandah à coupsde botte. Quelques jours après, Maria rendait l'âme. » (Prichard, 1991 : 24)

32 La violence physique de Ted Watt n’est pas de nature intrinsèque. C’est l’alcool qui en

est à l’origine :

« De l’avis unanime, Ted Watt n’était pas pire que les autres, sauf quand il avait bu.Non, il ne supportait pas l’alcool, quelques verres suffisaient à le rendre foufurieux. » (Prichard, 1991 : 24)

33 Le crime de Ted Watt ne restera cependant pas impuni puisqu’il trouvera la mort un

mois plus tard lors d’une beuverie. De même, Hugh Watt, son fils, verra-t-il Wytaliba

tomber aux mains du cupide Sam Geary, se retrouvant ainsi sans le sou après qu’il eut

banni Coonardoo. Cette dernière se voit ainsi « vengée » alors même que l’idée de se

venger d’une quelconque manière lui est totalement étrangère. Après la mort de Maria,

elle n’éprouve aucun ressentiment vis-à-vis de Ted Watt. Les rapports que Coonardoo

entretient avec Hugh sont quant à eux basés sur des liens tissés tout au long de

l’enfance. Au début du roman, elle est dans la souffrance de la séparation :

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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« Ne partait-il pas demain ? Pour aller en pension ? Et ils ne joueraient plusensemble dans le jardin là-bas près de l’éolienne. » (Prichard, 1991 : 7)

34 Plus tard, lorsque Hugh est terrassé par la maladie, elle montre un dévouement sans

faille, attentive à ses moindres désirs.

35 Hugh, en revanche, ne partage pas le même sens du « dévouement ». Bien que

Coonardoo ait été sa compagne de jeu, puis son amante, il n’hésite pas à se comporter

de manière tout aussi brutale et inhumaine que son père vis-à-vis de Maria, ignorant

totalement le point de vue de Coonardoo :

« Les paroles les plus ignobles, un torrent de mots durs et suprêmement cruelsjaillirent de la bouche de Hugh, debout près du feu. Il frappa Coonardoo au visagelorsqu’elle releva la tête pour le regarder en pleurant et l’implorer sans un mot. »(Prichard, 1991 : 276-277)

36 Les comportements violents du père et du fils sont emblématiques des multiples

pratiques discriminatoires dont les aborigènes font l’objet. À plusieurs reprises, le

roman se fait l’écho de ces dernières qu’il s’agisse d’expéditions punitives menées par la

police ou de la pratique du blackbirding :

« On ramenait les nègres enchaînés, une lanière de cuir autour du cou nouée auxétriers. Vingt ou trente à la fois […]. Je connaissais un perlier qui pratiquait leblackbirding ; son équipage de garçons ramassés à Swan Point est devenu sidangereux qu'il a dû les expédier par-dessus bord en pleine mer. » (Prichard,1991 : 156)

37 Si ces comportements sont admis, c'est en raison de l'absence de statut légal ou

économique des Aborigènes. Ces derniers coopèrent de manière volontaire aux travaux

de l'exploitation en échange de nourriture, de vêtements et de quelques cadeaux

parfois, entretenant une dépendance des Aborigènes vis-à-vis de leurs employeurs

blancs. Cette relation de dépendance est présentée comme malsaine dans le roman car

elle entraîne une baisse sensible des pratiques de chasse et de cueillette des Aborigènes

ainsi qu'une sédentarisation forcée. Or, il faut le rappeler, les Aborigènes entretiennent

avec la terre un lien spirituel très fort. Le paysage contient la trace des événements du

Temps du Rêve. Ce n'est pas une étendue géographique quelconque. Il porte les

empreintes du passage des héros du Temps du Rêve dans ses arbres, ses sources, ses

rochers. La pensée aborigène est une pensée totémique. Pour que le lien entre l'homme

et la terre soit préservé et entretenu, chaque Aborigène en tant que descendant d'un

Ancêtre, doit célébrer un certain nombre de rites qui l'amènent à parcourir de grandes

distances. En les forçant à se sédentariser, les Blancs ont complètement bouleversé ce

rapport à la Terre-Mère tant d'un point de vue matériel que spirituel. Les bonnes

intentions des Blancs dont l'auteur se fait l'écho, ne sauraient compenser les

souffrances dans lesquelles les Aborigènes ont été plongés suite à l'appropriation de

leurs terres. Dans le roman, les rapports entre les deux communautés sont placés sous

le signe de la bienveillance. Mme Bessie est un autocrate octroyant aux Aborigènes une

marge d'indépendance importante en ce qui concerne leur organisation sociale et la

conduite de leur vie spirituelle.

38 Il est toutefois un domaine où des différences très nettes s'expriment, c'est celui de la

sexualité. Autant Mme Bessie exprime son admiration pour des pratiques ancestrales

telle que le corroboree:

« Avec grâce et agilité, sautant d'un pied sur l'autre, retombant à pieds joints,genoux écartés, il avait mimé le jeune homme “chantant toujours” en train dedanser son corroboree, audacieux et enjoué. » (Prichard, 1991 : 37)

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39 Autant elle se montre très critique à l'égard de certains rites initiatiques qu'elle

considère comme immoraux et sadiques :

« Mme Bessie avait parfois des accès de répulsion envers les Noirs […]. Despratiques qu'elle jugeait immorales l'avaient dégoûtée. » (Prichard, 1991 : 40)

40 Son attitude, mélange de fascination et de répulsion, est caractéristique de la

conception que les Blancs se font des Aborigènes à l'époque où le roman est écrit : ces

derniers sont considérés comme des êtres primitifs qu'il convient d'éduquer. Ce sont

des enfants qui n'ont aucune conscience du bien et du mal :

« Quand les Blancs ne leur ont pas expliqué, les Noirs ne voient pas le lien entre lanaissance des enfants et un rapport sexuel fortuit. » (Prichard, 1991 : 41)

41 C'est parce qu'elle considère qu'elle a un devoir d'éducation morale que Mme Bessie

intervient dans les arrangements matrimoniaux concernant Coonardoo et Warieda.

Mais cette intervention a des conséquences fâcheuses : elle déclenche un affrontement

entre Warieda et un Aborigène d'une autre tribu désireux de s'emparer de Coonardoo

tandis que dans le même temps Geary qui convoite également Coonardoo, tente

d'amadouer son père avant d'essayer de l'enlever.

42 L'intervention des Blancs dans l'organisation sociale interne à la tribu est présentée

comme inappropriée et dommageable pour l'équilibre social. Mme Bessie prend

conscience que ce qui est en jeu à travers le cas particulier de Coonardoo, s'apparente à

une lutte d'influence destinée à asseoir les valeurs morales véhiculées par la culture des

Blancs au détriment de la culture aborigène :

« Non pas que Mme Bessie cherchât à l'arracher à son élément. Pas du tout, maiselle redoutait que la petite ne fût soumise à une influence plus forte que la sienne. »(Prichard, 1991 : 45)

43 Cependant, il est intéressant de noter qu'il n'y a pas uniformité des points de vue et des

comportements concernant l'attitude des Blancs vis-à-vis des Aborigènes, notamment

en matière de moralité sexuelle. L'attitude de Sam Geary est jugée profondément

amorale par l'auteur mais elle s'explique par un instinct de survie ainsi que par un

besoin évident de satisfaction sexuelle qu'il semble assumer et même revendiquer. Il

n'hésite d'ailleurs pas à se faire le chantre de la polygamie, citant même la Bible :

« Sam était debout près du bar, un énorme feutre neuf sur la tête, le visage en feu,congestionné, l'air à vif. “Mais le roi Salomon aimait de nombreuses et étrangesfemmes en même temps que la fille de Pharaon” Hugh l'entendit déclamer commebien des fois déjà. » (Prichard, 1991 : 291-292)

44 Ce que Sam Geary se garde bien de mentionner au passage c'est le résultat de ces

relations sexuelles entre Blancs et femmes aborigènes, à savoir de nombreux enfants

métis. La question du métissage est abordée dans le roman à travers deux exemples:

d'une part celui de Geary et sa nombreuse progéniture dont il se désintéresse

complètement; d'autre part, celui de Winni, l'enfant de Hugh et Coonardoo. Cet enfant

est immédiatement reconnu par Hugh comme étant le sien :

« Debout près de Coonardoo, Hugh regardait l'enfant. Il savait que c'était son fils. »(Prichard, 1991 : 120)

45 Hugh entretient avec Winni une relation de complicité tout en évitant de lui révéler la

vérité sur ses origines. Pourquoi ? Hugh s'interdit-il de reconnaître cet enfant par

confort moral ou bien par respect pour les Aborigènes et ce afin de ne pas couper Winni

de ses racines ? C'est la deuxième option qui est privilégiée par Hugh :

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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« Son amour et sa fierté à lui étaient-ils plus grands que la fierté et l'amour deWarieda ? Se demandait Hugh. Il avait de l'affection pour le petit, mais pouvait-ilapporter à Winni ce que lui apportait Warieda ? Lui apprendre à faire ce qu'ilvoulait des chevaux, le préparer à une vie indépendante dans son environnementnaturel ? » (Prichard, 1991 : 182)

46 Son attachement à Winni le conduit à le préférer à ses propres enfants et sa femme. Son

mariage avec Mollie est postérieur à sa relation avec Coonardoo et la naissance de

Winni :

« Coonardoo leva les yeux vers Hugh puis les ramena vers le petit. Mais Hugh avaittout lu dans son regard : elle l’avait attendu, elle ne demandait rien, n’espérait rien ;elle était prête à servir son épouse, cette femme blanche qu’il avait ramenée pourpartager sa vie. » (Prichard, 1991 : 120)

47 Le dévouement de Coonardoo ne sera jamais payé de retour. Jalouse de la complicité

unissant Hugh à celle-ci, Mollie n’a de cesse de dénigrer Coonardoo et son « morveux de

métis ». Hugh condamne l’attitude de sa femme, qui déshonorée par la présence de

l’enfant de Hugh et Coonardoo, souhaite que son époux les chasse purement et

simplement. À ce stade de la narration, un tel geste est impensable pour Hugh :

« Il réagissait aux choses comme Warieda et Coonardoo. À ses yeux, exiger de les enchasser comme le faisait sa femme, était indéfendable; ça ne se faisait pas. Il nefallait pas le faire ; il ne le ferait pas. » (Prichard, 1991 : 189)

48 Cette prise de position prend un parfum particulier au regard du comportement de

Hugh vis-à vis de Coonardoo. À partir de ce moment, un fossé se creuse entre Hugh et

Winni, fossé qui ne sera jamais comblé. Winni n'est d'ailleurs pas jugé « digne »

d'hériter de Wytaliba et de faire fructifier l'exploitation.

Conclusion

49 En choisissant comme thème central du roman l'amour interracial, l'auteur a

pleinement conscience que la problématique du métissage est cruciale dans toute

approche des relations entre Blancs et Aborigènes et, a fortiori, dans toute approche de

l'identité aborigène. Cette problématique a fait et fait débat notamment chez nombre

d'intellectuels aborigènes. D'aucuns considèrent que l'on est aborigène ou que l'on ne

l'est pas indépendamment du degré de métissage. C'est la position que revendique un

écrivain comme Kim Scott : l'aboriginalité est une notion culturelle et non une donnée

génétique. D'autres écrivains ne partagent pas ce point de vue, arguant que certaines

personnes se revendiquent aborigènes pour en retirer des avantages qui sont au

demeurant fort limités (on a assisté dans les années 1990 à l'éclosion d'un certain

nombre de cas d'impostures, le plus célèbre étant celui de Leon Carmen publiant sous le

nom de Wanda Koolmatrie). Le grand mérite de Katharine S. Prichard réside

incontestablement dans la désignation comme personnage principal du roman d'une

Aborigène, ce qui au regard du contexte politique constitue une démarche courageuse.

Toutefois, Coonardoo demeure prisonnière du désir et des sentiments de l'homme

blanc. Comme l'ont souligné de nombreuses critiques, Coonardoo est un roman mettant

l'accent sur « la subjectivité de l'homme blanc ». Le roman pose un certain nombre de

questions qui n'avaient pas été abordées jusque-là mais les réponses apportées restent

celles d'un écrivain blanc : on peut d'ailleurs faire le même reproche à un autre roman

publié en 1937 par un écrivain blanc également, Capricornia,dans lequel l'auteur va plus

loin que Katharine S. Prichard sur la question du métissage mais avec des prises de

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position sur la politique d'assimilation très contestables pour le lecteur d'aujourd'hui.

En outre, on peut regretter un certain penchant manichéiste, notamment en ce qui

concerne l'opposition des deux logiques économiques : celle du capitalisme foncier

blanc présenté comme destructeur des valeurs sociales et spirituelles dont la société

aborigène est porteuse.

50 L'interrogation majeure, sous-jacente au roman, savoir comment réconcilier les deux

communautés, ne trouve pas de réponse satisfaisante. Parler de réconciliation au début

des années 1930 était, pour le moins, prématuré, les esprits n’y étant guère préparés.

Avant d’envisager la mise en œuvre d’un tel processus, il était nécessaire de dresser un

état des lieux. Le roman de Katharine S.Prichard met l’accent sur les injustices

commises par les Blancs envers les Aborigènes qui ont été spoliés de leurs terres et

dépossédés de leur culture.

51 Le processus politique conduisant à la restitution de leurs terres aux Aborigènes ne

s’est véritablement enclenché qu’au milieu des années 1970 avec The Aboriginal Land

Rights Act (1976) suivi en 1980 par la création des Conseils de la Terre aborigène, deux

initiatives fortes prises durant la période où les travaillistes étaient au pouvoir. Le

préjudice moral subi par les Aborigènes est, quant à lui, beaucoup plus difficile à

mesurer et à réparer car cela suppose, du point de vue de l’auteur, une remise à plat de

l’éthique capitaliste. Comme nous l’avons précédemment souligné, Coonardoo fut publié

en 1929 en pleine déroute du système capitaliste. Il est donc logique que l’auteur ait

cherché d’autres alternatives à un système qui de plus allait à l’encontre de ses

convictions personnelles. Ce faisant, elle invite ses lecteurs à puiser dans les valeurs

culturelles aborigènes (attachement à la terre et prééminence des liens

communautaires sur l’individu) afin de se ressourcer moralement et de construire un

avenir où Blancs et Aborigènes seraient réconciliés. Une telle démarche peut paraître

quelque peu utopiste au regard du contexte politique.

52 Néanmoins, il est indéniable que les idées portées par le roman de

Katharine S. Prichard ont permis à la communauté blanche australienne de prendre

progressivement conscience des injustices commises par le passé et de la nécessité de

revenir aux valeurs essentielles contenues dans la culture aborigène comme moteur de

construction identitaire :

« Those who wish to present a critique of individualism point out that Aboriginalityis about community; those who wish to highlight the detrimental effects ofindustrialisation on the environment point to the Indigenous people as the originalconservationists. We present a remaining though strategically distant, image ofwhat has been lost, and what could be regained. » (Dodson, 2003 : 36)

BIBLIOGRAPHIE

BENIGNO Isabelle, 2006. Évolution des représentations de l'Aboriginalité dans la littérature

australienne du XXe siècle, thèse de doctorat d’anglais, Université de Toulouse Le Mirail, sous la

direction de M. Xavier Pons.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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DODSON Michael, 2003. The end in the beginning: re(de)fining Aboriginality, Blacklines,

Contemporary Critical Writing by Indigenous Australians, Melbourne, Melbourne University Press.

PONS Xavier, 1983. L’Australie et ses populations, Paris, éditions Complexe.

PRICHARD Katharine Susannah, 1991. Coonardoo, traduction de Jean-Paul Delamotte et Hélène

Jacomard, Paris, La Petite Maison.

—, 2000. Coonardoo, Sydney, Angus and Robertson.

ROWLEY Henry, 1972. The Destruction of Aboriginal Society, Harmondsworth, Penguin.

RÉSUMÉS

Le roman Coonardoo est l’histoire d’une jeune femme aborigène ainsi nommée qui, dès son

enfance, est destinée à s’occuper du ranch de Wytaliba et à prendre soin de son propriétaire,

Hugh Watt. Ce dernier étant dans l’impossibilité de reconnaître l’amour qu’il porte à Coonardoo,

plonge celle-ci dans un profond désarroi. Il en résulte la destruction de Coonardoo mais aussi

celle de Hugh et de toute une communauté. Le cœur du livre explore les relations affectives entre

les communautés blanche et aborigène et, plus spécifiquement, le racisme comme l’exploitation

sexuelle et économique des femmes aborigènes par les hommes blancs. Publié en 1929, le roman

choqua les lecteurs de par son évocation de la déchéance des femmes aborigènes mais également

de par le choix d’une relation amoureuse entre un Blanc et une Aborigène comme sujet principal

du roman. Coonardoo soulève aussi le problème de l’acceptation de l’Australie noire par l’Australie

blanche. Pour K. S. Prichard, en 1929, il était évident que l’avenir des deux communautés reposait

sur la reconnaissance par l’Australie blanche du lien spirituel unissant les Aborigènes à leur

terre.

Coonardoo is the story of a young Aboriginal woman who is trained from childhood to be the

housekeeper at Wytaliba station and as such is bound to take care of its owner, Hugh Watt. The

latter’s impossibility to acknowledge his love for Coonardoo, brings terrible misery to her,

resulting in the destruction not only of both of them but also of a whole community. At the

center of the novel lies the exploration of the emotional lives and the history of interactions

between the Black and White communities, more specifically the racism, sexual and economic

exploitation of the Aboriginal women by the White men. Published in 1929, the novel shocked the

readers not only by its emphasis on the degradation of Aboriginal women but also by the

deliberate choice as the main plot of a novel, of the possibility of love between a White man and

an Aboriginal woman. Coonardoo also raises the challenging issue of White Australia’s acceptance

of Black Australia. For K. S. Prichard, in 1929, it was obvious that the future of both communities

would be doomed unless White Australia acknowledged Black Australia’s spiritual bond with the

land.

INDEX

Keywords : acculturation, bush, colonization, dispossession, interracial love

Mots-clés : acculturation, amour interracial, bush, colonisation, dépossession

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La prose littéraire des Grecsd’Australie : enjeux identitairesStéphane Sawas

1 La littérature des Grecs d’Australie fait depuis près de vingt ans l’objet de recherches

qui s’inscrivent dans le prolongement des débats, parfois houleux et contradictoires,

sur le multiculturalisme australien (Wapshere, 1994 ; Pons, 1996). L’ouvrage pionnier

du philologue Yorgos Kanarakis, La Présence littéraire des Grecs en Australie, publié en

grec en 1985 et en anglais en 1987 (Kanarakis, 1985 et 1987), propose une approche

historique et une anthologie de textes souvent parus à compte d’auteur ou dans des

revues confidentielles, tant en grec qu’en anglais, qui montrent l’importance

quantitative, méconnue jusqu’en Grèce, de ce vaste corpus littéraire. À la suite de ce

travail à bien des égards fondateur, les études menées sur ces œuvres sont souvent

subordonnées aux débats sur le multiculturalisme. Or, les considérations sur le

multiculturalisme littéraire en Australie, tout comme celles relatives au concept

d’écriture migrante au Canada (Harel, 2005), interrogent davantage le canon littéraire

et, plus largement, l’identité du pays d’accueil, que les œuvres regroupées dans un

corpus qualifié de « migrant » ou de « multiculturel », constitué de textes situés

précisément aux confins de canons littéraires nationaux (Sawas, 2007 et 2008).

2 L’œuvre des prosateurs Vasso Kalamara, Antigone Kefala et Christos Tsiolkas permet de

mettre au jour la diversité des contributions des écrivains grecs d’Australie, trop

souvent réunies hâtivement dans une même catégorie. Représentatifs des principaux

types d’immigration grecque aux antipodes, ces auteurs, à la fois grecs et australiens,

liés toutefois à la Grèce et à l’Australie de manière très différente, portent des regards

nécessairement éloignés sur l’identité des Grecs d’Australie, ce qui n’est pas sans

incidence sur la diffusion et la réception de leur œuvre tant en Australie qu’en Grèce.

De la Grèce à l’Australie

3 En abordant ce que l’on appelle littérature des Grecs d’Australie, littérature gréco-

australienne ou, plus prudemment, présence littéraire des Grecs en Australie, on a

souvent tendance à sous-évaluer l’hétérogénéité du corpus étudié. Or, l’œuvre de Vasso

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Kalamara, d’Antigone Kefala et de Christos Tsiolkas conduit en premier lieu à

remarquer que la littérature des Grecs d’Australie est placée sous le signe de la

diversité. En effet, si ces trois écrivains sont de parents grecs et vivent en Australie, ils

n’en entretiennent pas moins des liens à la Grèce et à l’Australie très différents qui

conditionnent leur approche de l’identité gréco-australienne.

4 Remarquons d’abord qu’ils représentent deux générations d’auteurs grecs d’Australie :

Vasso Kalamara, née au début des années 19301, arrive en Australie en 1951 et publie

son premier livre en 1959 ; Antigone Kefala, née en 1935, arrive en Australie en 1959 et

publie son premier livre en 1973 ; Christos Tsiolkas naît en Australie en 1965 et publie

son premier livre en 1995.

5 La répartition de ces auteurs sur le territoire australien mérite ensuite quelques

commentaires : Vasso Kalamara vit à Perth et revendique son indépendance à l’égard

de la côte Est, où se trouvent les principaux foyers de la communauté grecque

d’Australie et les centres culturels majeurs du pays ; de façon plus attendue, Antigone

Kefala vit à Sydney et Christos Tsiolkas à Melbourne.

6 Ces écrivains ne sont en outre guère représentatifs de l’image dominante des immigrés

contraints à quitter la Grèce pour des raisons économiques. En effet, Vasso Kalamara,

Antigone Kefala et les parents de Christos Tsiolkas viennent de Grèce et arrivent en

Australie dans des conditions très différentes.

7 Vasso Kalamara, d’origine crétoise et rouméliote, naît à Athènes, y passe son enfance et

son adolescence dans une famille aisée, y est scolarisée en grec et initiée aux arts. Elle

rencontre à l’École des Beaux-Arts son mari, sculpteur originaire de Macédoine, et

quitte la Grèce en 1951 pour rejoindre son époux et son beau-père, lequel s’est installé

dans les années 1920 en Australie occidentale. Le couple part dans l’idée de trouver un

climat favorable à leur art respectif, mais les travaux à la ferme du beau-père, située à

300 kilomètres au sud de Perth, sont peu propices à la création artistique et isolent les

Kalamaras dans un îlot hellénophone, coupé du monde anglophone. Vasso Kalamara

écrit, peint, sculpte et, à partir de la fin des années 1960, enseigne le grec moderne à

des étudiants australiens à Perth. Ses poèmes, nouvelles, pièces de théâtre et récit de

voyage sont, à une exception près, écrits en grec.

8 Le cas d’Antigone Kefala est encore plus complexe. Elle naît en 1935 en Roumanie, à

Braïla, de parents grecs, et gagne avec sa famille la Grèce après la Seconde Guerre

mondiale en qualité de réfugiée. Alors qu’en Roumanie, elle parlait principalement le

français et le roumain, elle apprend en Grèce le grec qu’elle connaissait mal. Les

parents d’Antigone Kefala préfèrent toutefois quitter la Grèce de la guerre civile, qui

réserve un accueil mitigé à cette famille de la prospère diaspora grecque de Roumanie,

qui a tout perdu, et émigrent en Nouvelle-Zélande en 1951. Antigone Kefala y apprend

l’anglais, étudie la littérature française à l’Université de Wellington et commence à

écrire en anglais, sa quatrième langue2. Elle s’installe, pour des raisons personnelles, à

Sydney en 1959, à la fin de ses études, et publie en Australie poèmes et nouvelles en

anglais.

9 Enfin, Christos Tsiolkas, souvent présenté comme une personnalité sulfureuse en

marge de la communauté grecque, est pourtant issu d’une famille plus en accord avec

l’image dominante que l’on se fait des immigrés grecs en Australie. Ses parents quittent

la Grèce pour des raisons économiques ; il naît à Melbourne dans un quartier populaire

peuplé d’immigrés principalement originaires d’Europe du Sud et de Méditerranée

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orientale. Il est scolarisé en anglais en Australie et pratique le grec surtout dans le

cercle familial. C’est donc naturellement en anglais qu’il écrit ses romans, pièces de

théâtre et scénarii.

10 Ainsi, ces trois auteurs, gréco-australiens suite à des choix esthétiques, à des nécessités

politiques ou à des contingences économiques, représentent trois des principaux types

d’immigration grecque vers les antipodes : immigration d’élection dans un contexte

post-colonial avec Vasso Kalamara, immigration de réfugiés politiques en provenance

des anciens foyers de la diaspora avec Antigone Kefala, immigration économique

d’après-guerre avec Christos Tsiolkas. Ils portent dans leur œuvre un regard

nécessairement différent sur l’identité gréco-australienne.

Émigrés, immigrés et wogs

11 La représentation de l’identité gréco-australienne, de Vasso Kalamara à Christos

Tsiolkas, évolue selon une ligne de partage qui n’est pas réductible à l’opposition entre

une première et une seconde génération de Grecs d’Australie.

12 Vasso Kalamara qualifie au moins à deux reprises ses textes de gréco-australiens : sur la

page de garde, les poèmes de Paysage et âme (Topio kai psychi, 1980) sont présentés

comme « poèmes gréco-australiens » (« ellinoafstraliana piimata ») (Kalamaras, 1980b) et

les nouvelles de Autres terres (Alla chomata, 1961), du moins dans les rééditions de 1977 à

Perth et de 1980 à Athènes, comme « nouvelles gréco-australiennes » (« Greek-Australian

stories » ou « ellinoafstraliana diiyimata ») (Kalamara, 1977 et 1980a). Ils ne rendent

pourtant guère compte des spécificités identitaires des Grecs d’Australie.

13 Les nouvelles du recueil Autres terres sont par exemple principalement situées en milieu

rural alors que la grande majorité des immigrés grecs vivent en milieu urbain. Les

personnages principaux, souvent des mères de famille, sont presque toujours des

immigrés de première génération qui ne vivent que dans le souvenir de leur vie passée

en Grèce, sans espoir de retour. Les enfants n’ont en outre guère la possibilité de

construire une vie et d’affirmer une identité dans le pays d’accueil qu’est l’Australie.

Citons par exemple le personnage du fils dans la nouvelle « Alkis, ou Allan, le petit

Grec » (« Alkis, i Allan, o mikros Graikos »), qui ouvre le premier recueil de nouvelles de

l’auteur, Autres terres : attiré par le bush australien, le garçon s’y perd et y est retrouvé

mort pendant que la mère prie la Vierge et implore sa propre mère (c’est-à-dire la

grand-mère du petit), restée en Grèce.

14 Le genre littéraire principal dont on perçoit l’influence à la lecture tant des poèmes que

des nouvelles de Vasso Kalamara est la chanson dite de l’exil (tis xenitias), genre à part

de la chanson traditionnelle grecque (Gaulis, 2001 : 144-146). L’auteur s’inscrit

volontairement dans un univers littéraire grec et populaire, comme le montre

également son théâtre : ses pièces Karaghiozis riche ( O Karaghiozis ploussios, 1987),

Karaghiozis milkbariste ( O Karaghiozis milkbaristas, 1987), Karaghiozis interprète ( O

Karaghiozis diermineas, 1987), Karaghiozis immigré (O Karaghiozis metanastis, 1992), mettent

en scène en Australie le personnage du théâtre d’ombres grec Karaghiozis (Gaulis,

2001 : 131, 240), dans le sillage des pièces du montreur d’ombres Dimitris Katsoulis,

publiées à Melbourne en 1983 (Kanarakis, 1985 : 529-533). Vasso Kalamara, longtemps

éloignée du monde anglophone, fait revivre les genres traditionnels de la littérature

orale grecque en en transposant les personnages et les thématiques en Australie.

Enseignante de grec moderne, elle entend jouer un rôle de passeur culturel entre les

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deux pays, ou plutôt de la Grèce à l’Australie. Elle déclare ainsi avoir traduit en anglais

avec David Hutchison ses propres pièces sur les aventures de Karaghiozis en Australie,

en vue de faire connaître l’univers du théâtre d’ombres grec au public anglophone3.

15 Présenté par l’auteur comme un tournant, le recueil Genèse (Genesis, 1993), écrit en

anglais, dont les poèmes sont cette fois qualifiés de « poèmes australiens » (« Australian

poems »), invite peut-être à réexaminer l’évolution du regard de l’auteur sur cette

problématique, notamment après la publication annoncée de son prochain recueil de

nouvelles, Les Expatriés4. Pour l’heure, les Grecs en Australie sont toutefois toujours chez

Vasso Kalamara des exilés, des étrangers dans le pays d’accueil, sans possibilité de

retour au pays natal ; leur mort est conçue comme une seconde mort, après la première

mort que constitue l’exil, suivant le motif de la chanson traditionnelle. Ainsi, le

personnage de Nelly dans Impressions d’un voyage (Endypossis apo ena taxidi, 1977) tente

de rentrer en Grèce, mais son retour au pays est un échec qui la contraint à reprendre

le bateau pour l’Australie, pour certainement y mourir comme les personnes âgées de la

nouvelle « Les retraités » (« I syndaxiouchi ») du recueil Autres terres. Le titre du premier

livre en prose de l’auteur, Autres terres, suggère du reste bien que l’Australie,

irréductiblement marquée par une altérité hostile, ne permet pas aux immigrés,

presque tous grecs dans son œuvre, de se construire une vie et une identité.

16 Les nouvelles d’Antigone Kefala, écrites en anglais, proposent une toute autre

approche. Les personnages principaux y sont en effet souvent des immigrés non plus de

première génération, comme chez Vasso Kalamara, mais de deuxième génération, qui

sont certes considérés comme étrangers dans la société urbaine dans laquelle ils vivent,

mais intégrés à celle-ci. Les narratrices, où l’on reconnaît beaucoup de traits de l’auteur

elle-même, sont des personnages en quête, dans des récits menés à la première

personne, et non à la troisième personne comme chez Vasso Kalamara. Les immigrés de

première génération, s’ils exercent une fascination et constituent un repère moral et

esthétique, comme la tante Niki dans L’Île (The Island, 1984), sont cependant toujours

des personnages secondaires. Les personnages principaux, immigrés tous grecs, sont

dans une situation d’entre-deux qui, dans la prose d’Antigone Kefala, s’avère tantôt

ludique tantôt dramatique. Dans son récit Alexia (1984), qualifié de conte de deux

cultures (« a tale of two cultures ») dans la première édition (Kefala, 1984), puis de conte

pour grands enfants (« a tale for advanced children ») dans la réédition bilingue de 1995

(Kefala, 1995), les mots étrangers, que l’enfant s’approprie, sont l’objet de rêverie

poétique, tandis que la narratrice de L’Île observe l’incongruité des mots de sa langue

maternelle dans ce nouveau pays :

« L’autre soir, j’entendais madame Koussis, sa voix montant et descendant sur cesexpressions de miel […] ma poupée […] mon trésor […] qui venaient si facilement, sinaturellement en grec, sans ostentation, comme une ancienne et discrète litanieavec laquelle on a grandi. Maintenant elle semblait les utiliser de façon creuse, sansenthousiasme, une vieille habitude. » (Kefala, 2002 : 67, trad. de Marie Gaulis)

17 Pourtant, la narratrice cherche à se trouver une place dans le pays d’accueil, ce que

l’écrivain rend de façon intéressante : le nom de la narratrice, Mélina, n’est donné que

dans la deuxième partie du roman, au théâtre, au moment de l’entrée en scène du

personnage (Kefala, 2002 : 88-89). Le premier livre d’Antigone Kefala s’intitule du reste

L’Étrangère (The Alien, 1973) : ce n’est plus le pays d’accueil qui est conçu dans son

altérité, comme dans Autres terres de Vasso Kalamara, mais le sujet immigré. Et alors

que Vasso Kalamara enseigne le grec moderne aux Australiens, Antigone Kefala

enseigne l’anglais langue étrangère aux immigrés5.

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18 En outre, si les personnages de Vasso Kalamara sont porteurs d’une identité grecque,

ceux d’Antigone Kefala se sentent certes Grecs, mais plus généralement Européens, ce

qui n’est pas étonnant quand on songe que l’auteur est issue de la diaspora grecque de

Roumanie. Leur culture de référence est la culture européenne classique, en particulier

française − on trouve, dans la prose d’Antigone Kefala, des références fréquentes à

Racine, cité en français dans L’Île, ou à Baudelaire (Kefala, 2002 : 100-101). La Grèce,

c’est-à-dire la Grèce helladique, est, comme souvent chez les auteurs de la diaspora, une

Grèce image, liée à l’esthétique particulière du paysage, qui est par exemple mise à

distance par la photographie dans L’Île :

« Nos vies passées dans les bibliothèques, tous penchés sur les mêmes tables,comme si ces derniers mois nous n’avions pas bougé de là. J’essayais de meréconforter en regardant un livre avec des photographies de Grèce que Kate avaitdécouvert. Voilà que, page après page, tout y était, fixé pour toujours, la sensationdélicate et transparente du paysage, le soleil qui ruisselait de blancheur surl’architecture délabrée des maisons et des rues, le poids sombre des gens, lesfemmes penchées, immobiles, sur les champs. » (Kefala, 2002 : 154-155, trad. deMarie Gaulis)

19 Et, alors que chez Vasso Kalamara les Aborigènes sont considérés comme autres, chez

Antigone Kefala les peuples premiers des antipodes

« nous ressembl[ent], à nous et à ceux de la colonie étriquée au sein de laquellenous paraiss[ons] nous mouvoir, tous des déracinés qui parl[ent] constamment dupassé. » (Kefala, 2002 : 45, trad. de Marie Gaulis)

20 Il est enfin intéressant de noter qu’Antigone Kefala ne mentionne avec précision le lieu

dans ses récits que lorsque l’action se déroule en Australie : quoique aisément

reconnaissables, Bucarest dans Le Premier Voyage (The First Journey, 1975) et Wellington

dans L’Île et dans Alexia ne sont pas nommées, tandis que Sydney l’est explicitement

dans La Pension (The Boarding House, 1975). C’est l’Australie qui apparaît comme propice

au lent épanouissement des personnages d’Antigone Kefala, qui sont en quête d’une

mesure, pour reprendre les premiers vers du poème éponyme du recueil Temps assoiffé

(Thirsty Weather, 1978) :

« Trouver notre mesure, exactement,non pas l’écho d’autres voix. » (Kefala, 2000 : 24)

21 Ces vers pourraient constituer la devise des narrateurs de Christos Tsiolkas. Avec cet

écrivain né en Australie, Grec de deuxième génération qui écrit exclusivement en

anglais, l’approche de la problématique identitaire change une nouvelle fois. Son

premier livre, Chargé (Loaded, 1995), premier roman de notre corpus, est construit en

quatre parties d’inégale longueur, dont chacune porte pour titre l’un des points

cardinaux, correspondant aux différentes banlieues de Melbourne que le narrateur

arpente en quête de plaisirs fugitifs. Dans cette narration menée à la première

personne, largement autobiographique, écrite « avec colère »6, comme le précise

l’auteur dans la préface à l’édition grecque (Tsiolkas, 1999a : 8), on peut lire un

retournement de la problématique identitaire :

« Je ne suis pas australien, je ne suis pas grec, je ne suis rien. Je ne suis pas unouvrier, je ne suis pas un étudiant, je ne suis pas un artiste, je ne suis pas un junkie,je ne suis pas causeur, je ne suis pas un Australien, pas un wog, rien. Je ne suis pasde gauche, pas de droite, du centre, de la gauche du centre, de la droite de GenghisKhan. Je ne vote pas, je ne manifeste pas, je ne fais pas la charité. Un fugitif, voilà ceque je suis. » (Tsiolkas, 1997 : 149)

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22 Ces négations, prises dans la figure circulaire des rythmes ternaires, ne vont pas sans se

contredire : « Je ne suis pas blanc, je suis un wog » (Tsiolkas, 1997 : 5). Wog est en outre

le premier mot que Christos Tsiolkas et Sasha Soldatow font figurer sur la carte de leur

ville à la fin du chapitre « Esthétique » (« Aesthetics ») de leur autobiographie Jump Cuts

(1996) (Soldatow and Tsiolkas, 1996 : 293). Insulte proférée à l’encontre des immigrés

originaires d’Europe du Sud ou de Méditerranée orientale, le terme wog7 est aujourd’hui

revendiqué par les enfants de ces immigrés, comme le montrent, outre l’œuvre de

Christos Tsiolkas, les spectacles et les films interprétés par l’acteur Nick Giannopoulos,

comme le long métrage The Wog Boy (2000) d’Aleksi Vellis, sur un mode humoristique

cette fois. Élevés dans une culture mixte, ces artistes revendiquent une culture wog,

partie intégrante de l’identité australienne contemporaine, et s’autorisent à critiquer

tant le pays et la société d’accueil que le pays et la société d’origine, comme le fait

Christos Tsiolkas dans ses romans L’Homme de Jésus (The Jesus Man, 1999) et L’Europe

morte (Dead Europe, 2005) (Tsiolkas, 1999b et 2005). L’auteur confie par exemple avoir

été choqué, lors d’un séjour en Grèce, par le nationalisme ambiant et par l’intolérance

des Grecs à l’égard des nouveaux immigrés, la Grèce, traditionnellement pays

d’émigration, étant devenue dans les années 1990 terre d’immigration. Il écrit :

« Ivre un soir dans une taverne à Athènes, j’ai entendu une bande de Grecs à la tablevoisine insulter les Albanais ; je me suis levé et j’ai déclaré à la tablée “Moi aussi jesuis albanais”. Je voulais dire que moi aussi je suis un immigré. » (Tsiolkas,1999a : 8)

23 C’est une double culture qui se manifeste, parfois avec rage, dans l’œuvre de Christos

Tsiolkas : le narrateur de Chargé, à la fin de chaque face de sa cassette préférée, a par

exemple recopié, à la suite de chansons anglo-saxonnes, une célèbre chanson grecque

(Tsiolkas, 1997 : 24). Dans la préface à l’édition grecque de son roman, l’auteur résume

sa position à l’égard de la question identitaire de manière assez poétique :

« En fin de compte, je ne suis ni grec ni australien. Je vis dans le trait d’union qui lieses deux mots. » (Tsiolkas, 1999a : 9)

24 Notons enfin que le genre du roman, privilégié par Christos Tsiolkas, contrairement à

Vasso Kalamara et Antigone Kefala, qui préfèrent la nouvelle (short story ou diiyima pour

la première, novella ou nouvela pour la seconde), ne relève peut-être pas d’un choix

anodin. En revendiquant une prise de possession du territoire et même des territoires

pluriels de l’identité gréco-australienne, l’auteur entend construire et dire le monde

dans sa totalité plutôt que de travailler sur l’ellipse, le non-dit, le silence et l’absence,

comme le permet si bien le genre de la nouvelle ; et le titre de son premier livre, Chargé,

qui se prête certes à de multiples interprétations, suggère en tout cas un trop plein, à la

différence des textes des prosateurs gréco-australiens des générations précédentes.

De l’auteur au lecteur

25 Les différences d’approche de l’identité gréco-australienne qui apparaissent chez ces

trois auteurs ne sont pas sans effet sur la diffusion et sur la réception des œuvres. Les

travaux sur le multiculturalisme ont à notre sens tendance à surestimer le critère de la

langue dans l’évaluation de la diffusion de la littérature des immigrés de première ou

de deuxième génération. En effet, la traduction, largement pratiquée en Grèce et bien

subventionnée en Australie, permet de pallier l’obstacle de la langue étrangère ; elle

permet même, dans le cas de l’édition bilingue, de mieux apprécier le texte original.

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Pourtant, les trois auteurs de notre corpus semblent cantonnés à des lectorats très

différents.

26 Les premiers livres de Vasso Kalamara, Gouttes (Stalagmaties, 1959), Autres terres (1961),

Amertumes (Pikres, 1976), Impressions d’un voyage (1977) et Le Fermier et le sculpteur (O

mandrakas kai o glyptis, 1979), paraissent à Athènes, mais, publiés à compte d’auteur, ils

ne connaissent qu’une diffusion confidentielle en Grèce. Seul son recueil de nouvelles,

Autres terres, est réédité en 1980 par la grande maison d’édition athénienne Estia, mais

cette publication reste sans suite. La thématique de ces textes permet en revanche à

l’auteur de tirer profit de la politique favorable au multiculturalisme, à l’œuvre en

Australie depuis les années 1970, pour faire publier ces textes, avec des traductions en

anglais assurées par ses propres étudiants, comme Reg Durack ou June Kingdom. Si les

recueils de poésie Vingt-deux poèmes et Paysage et âme paraissent en édition bilingue à

Perth à compte d’auteur en 1977 et en 1980, nombre de ses textes sont publiés par des

maisons d’édition à Perth, Melbourne ou Fremantle, qui souvent bénéficient de

subventions étatiques : les recueils de nouvelles Autres terres et Amertumes sont réédités

en bilingue en 1977 et en 1983, la pièce de théâtre Une souricière à pain (Mia faka me

psomaki, 1986) est éditée en bilingue, le recueil de nouvelles La Même Lumière (The Same

Light, 1989), constitué de textes déjà parus ou inédits, est publié en traduction anglaise,

la pièce de théâtre Olympias (2001) paraît simultanément en grec et en anglais.

27 Antigone Kefala est, quant à elle, reconnue en Australie8, même si ses textes sont

surtout publiés par de petites maisons d’édition (comme Wild and Woolley, Hale and

Iremonger, John Ferguson à Sydney). Elle est en revanche quasiment inconnue en

Grèce. Plusieurs de ses œuvres sont pourtant traduites en grec par l’universitaire et

éditrice Helen Nickas9, mais ces traductions sont publiées à Melbourne, chez Owl

Publishing, petite maison d’édition spécialisée dans la littérature de la diaspora

grecque : Alexia (1984) est ainsi réédité en 1995 en édition bilingue anglais-grec, un

choix de poèmes extraits des recueils L’Étrangère (1973), Temps assoiffé (1978), Carnet

européen (European Notebook, 1988) et Absence (Absence, 1992), est publié sous le titre

Poèmes (Poems) en 2000, avec une traduction grecque en regard, et la nouvelle L’Île est

rééditée en 2002 en édition trilingue anglais-français-grec. Ces rééditions où deux ou

trois des langues de cet auteur quadrilingue sont présentes témoignent de la volonté,

partagée par l’auteur et l’éditrice10, de mettre en avant la culture cosmopolite et

plurilingue du monde grec de la diaspora. En outre, les illustrations de Nikos Kypraios

pour Alexia et des artistes lituano-australiens Jurgis et Jolanta Janavicius pour Poèmes et

L’Île inscrivent ses rééditions dans le champ de l’Australie multiculturelle : Jurgis

Janavicius déclare par exemple à cette occasion chercher à représenter les spécificités

de l’arrière-pays australien dans sa nudité, proche selon lui de la poésie d’Antigone

Kefala (Kefala, 2000 : 116).

28 Les romans de Christos Tsiolkas, enfin, sont publiés par Random House, éditeur qui

jouit d’une large diffusion tant en Australie que dans le reste du monde anglophone. Ils

font déjà l’objet de longs développements dans certaines histoires de la littérature

australienne (Vernay, 2008 :, et certains d’entre eux sont traduits en allemand (Chargé),

en grec (Chargé et L’Homme de Jésus) ou en turc (L’Europe morte). Les traductions grecques

de Chargé et de L’Homme de Jésus sont publiées en 1999 et en 2001 par un petit éditeur

athénien, Oxy, spécialisé dans la littérature alternative (Tsiolkas, 1999a et 2001), à la

suite du succès du film d’Ana Kokkinos, Head on (1998), adaptation de Chargé11. L’édition

grecque de Chargé montre que c’est davantage la thématique sexuelle, en l’occurrence

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gay, qui retient l’attention à Athènes plutôt que la complexité d’une identité wog.

L’édition française du DVD du film d’Ana Kokkinos, dans la collection « Cinégay » chez

Antiprod, procède du reste d’une démarche analogue : ainsi, dans le synopsis que

propose la jaquette du DVD, il n’est par exemple pas précisé que le personnage

principal, Ari, interprété par Alex Dimitriades, est fils d’immigrés.

Conclusion

29 D’une littérature de l’exil (avec Vasso Kalamara) à une culture wog revendiquée (avec

Christos Tsiolkas), l’étude de ces trois prosateurs gréco-australiens contemporains

permet de suivre l’évolution complexe des problématiques identitaires dans l’Australie

multiculturelle, qui a des effets, au plan littéraire, sur le genre (de la nouvelle au

roman), sur les techniques d’écriture (de l’usage de la troisième personne à celui de la

première personne dans la conduite du récit) et sur la thématique (du Grec perdu dans

une Australie rurale hostile au wog urbain, fugitif et gay). En fonction des approches

retenues par les auteurs et de la gestion politique du multiculturalisme, ces textes,

regroupés sous la catégorie « littérature gréco-australienne », bénéficient en fait d’une

diffusion très diverse auprès du lectorat tant anglophone que hellénophone, en Grèce

comme en Australie, et s’inscrivent dans des champs littéraires différents.

30 L’œuvre de ces auteurs est en outre l’occasion d’évoquer des aspects essentiels de la

culture australienne qui, jusqu’à maintenant, n’ont guère retenu l’attention des

chercheurs européens. Pourtant, la revendication nouvelle de cette identité wog

apparaît comme l’un des objets d’étude les plus intéressants dans la société

australienne contemporaine, phénomène certes loin des mythes exotiques d’une

Australie qui invite au rêve, mais proche des réalités d’un continent viscéralement lié

au nôtre.

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NOTES

1. L’écrivain ne mentionne à notre connaissance pas sa date de naissance. Nous suivons donc sur

ce point la présentation biographique de Marie Gaulis (Gaulis, 2001 : 125).

2. Cf. L’entretien qu’accorde Antigone Kefala à Helen Nickas (Nickas, 1992 : 225sq).

3. Cf. la notice biographique en grec de l’édition grecque de sa pièce Olympias, mère d’Alexandre le

Grand (Kalamara, 2001).

4. La directrice des éditions Owl Publishing, Helen Nickas, nous précise par courrier au début de

l’année 2008 que la date de publication de ce recueil n’est pas encore connue.

5. Cf. la notice biographique incluse dans la première édition de Alexia (Kefala, 1984).

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6. Nous traduisons à partir de la traduction grecque. L’original n’a à notre connaissance pas été

publié.

7. Les dictionnaires proposent plusieurs étymologies pour ce terme que l’on trouve en anglais

britannique et australien : il est tantôt l’acronyme de « Worthy Occidental Gentleman », tantôt

l’abréviation de « golliwog ».

8. Marie Gaulis rapporte les propos du critique Geoff Page qui affirme qu’Antigone Kefala est

« l’un des premiers poètes d’origine non anglophone à avoir eu un impact sur la poésie

australienne contemporaine et l’un des meilleurs » (Gaulis, 2001 : 183).

9. Qu’il me soit ici permis de remercier Helen Nickas qui m’a envoyé de Melbourne nombre de

textes introuvables en Europe.

10. Cf. la partie « Why a trilingual text and who is it for? » dans l’introduction de Helen Nickas à la

réédition de L’Île (Kefala, 2002 : 22-23).

11. Le titre Kata metopo [Frontalement] (Tsiolkas, 1999a), choisi pour l’édition grecque du roman,

est du reste la traduction du titre de cette adaptation cinématographique.

RÉSUMÉS

Représentatifs des principaux types d’immigration grecque aux antipodes, les écrivains

V. Kalamara, A. Kefala et Ch. Tsiolkas sont liés à la Grèce et à l’Australie de manière différente.

D’une écriture de l’exil à la revendication d’une culture wog, leurs démarches mettent au jour

l’évolution des problématiques identitaires dans l’Australie de la fin du ΧΧe siècle et du début du

ΧΧΙe siècle, qui a un impact tant sur la thématique et l’esthétique que sur la diffusion et la

réception de leurs œuvres.

The writers V. Kalamara, A. Kefala and Ch. Tsiolkas, bound up with Greece and Australia in

different ways, represent the main patterns of Greek immigration to the Antipodes. From writing

about exile to claiming a wog culture, they highlight the evolution of cultural and ethnic identity

in Australia at the end of the 20th and the beginning of the 21 st century. This evolution both

influences their themes and aesthetics as well as the way their work is read and received.

INDEX

Keywords : Australian multiculturalism, diaspora, exile, Greek immigration, identity, literature,

wog.

Mots-clés : diaspora, exil, identité, immigration grecque, littérature, multiculturalisme

australien, wog.

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Autres articles

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Rongorongo Script: CarvingTechniques and Scribal CorrectionsPaul Horley

1 Rongorongo script of Easter Island, first mentioned by Brother Eugène Eyraud in 1864

(Orliac and Orliac, 2008: 62), survived on about two dozens of inscribed artifacts

collected in a short period during the late 19th century. The first tablet, Echancreé, was

presented to the Bishop Tepano Jaussen by Father Gaspar Zumbohm in 1869 (ibid, 259);

three tablets deposited by J.L. Young to the Bishop Museum at Honolulu are the latest

collected around 1888 (Fischer, 1997: 459). The radiocarbon dating of the wood of Small

St. Petersburg tablet yielded the possible dates in the ranges AD 1680-1740 and

1800-1871 (Orliac, 2005: 118). The first interval advocates for a considerable antiquity of

the script expanding to pre-contact (1722) time, while the second range practically

overlaps with a period when the majority of rongorongo tablets were collected. The

existence of inscriptions on a European oar (tablet Tahua) and four kohau rongorongo

made of conifer wood(Orliac and Orliac, 2008: 257) that could be probably sourced from

the crosses set at Poike by Gonzalez in 1770 (Orliac, 2007: 9), suggests that Easter Island

script was still active in post-contact time including late 18th century.

2 Rongorongo studies revealed that several artifacts have the same text (Kudryavtsev,

1949: 180; Barthel, 1958: 56-70) and share many parallel passages (Barthel, 1958:

156-157; Pozdniakov, 1996: 295; Sproat, 2003; Horley, 2007: 26). The inscriptions

contains repetitive sequences delimited with a fixed glyph groups (Harrison, 1873: 379,

380-382; Butinov and Knorozov, 1956: 82; Barthel, 1958: 304; Fedorova, 1982: 38, 66;

Fischer, 1995: 306; Guy 2006: 59, 60; Horley, 2007: 27-29; Melka, 2008: 162). Analysis of

parallel passages helped to define reading order for the ligatures (Métraux, 1940: 401;

Guy, 1982: 447; Pozdniakov, 1996: 297). Results of statistical analysis of rongorongo texts

suggest that the script most probably had a predominant syllabic nature (Pozdniakov,

1996: 300; Horley, 2005: 114; Pozdniakov and Pozdniakov, 2007: 12).

3 One of the important problems that should be solved to enable decipherment of

rongorongo consists in a proper identification of basic glyph elements and their

allographic forms. In addition to parallel sequences, much information for allographic

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studies can be extracted from the calligraphy of the script, which is closely related to

carving techniques and properties of writing media itself.

Carving of Rongorongo inscriptions

4 According to Brother Eugène Eyraud:

«one finds in all the houses [on Rapa Nui] wooden tablets and staffs covered withsort of hieroglyphic characters. These are figures of animals unknown to the island,which natives trace by means of sharp stones.» (Fischer, 1997: 12)

5 Later ethnographic studies revealed that the signs were carved with obsidian flakes and

shark teeth (Englert, 1948: 317). To increase the precision and lower the strain, both

types of tools should be hafted (Fischer, 1997: 388). This detail is confirmed with a

crossed-out passage in the notes of Tepano Jaussen (Orliac and Orliac, 2008: 247). Before

carving in wood, the pupils practiced writing with a bone stylus over banana stems and

leaves (Englert, 1948: 316), which proved to be an excellent writing media (Barthel,

1959: 164). Moreover, the veins of banana plant (separated in average by 10 mm and 15

mm space for stems and leaves, respectively) offered an efficient natural lining that

might determined glyph size for inscriptions in wood (ibid). It was suggested that

banana leaves were also possibly used to keep a «draft text» intended for carving on

wooden tablet (Fischer, 1997: 647).

6 Predominant glyph orientation perpendicular to the fibers of leaf or wood (Orliac and

Orliac, 2008: 253) most probably was an important factor defining the shape of the

signs; they are practically devoid of horizontal segments that are capable to damage

the integrity of a leaf or cause slips of writing implement on wood. Even rectangle-

looking signs usually have inclined or v-shaped top and bottom parts to avoid cutting

lines along the fibers. The similar restrictions can be seen in other scripts (unrelated to

rongorongo) designed for incising on palm leaves – Kannada, Telugu and Oriya from

India – which widely use curved lines to avoid tearing the leaves apart (Masica, 1993:

143, 144). Runic script, developed for carving in wood, also lacks horizontal segments

that will be hard to distinguish from wood fibers or cracks (Greetham, 1994: 65). To the

contrary, scripts designed for non-incising writing implements (e.g., Chinese or Maya

hieroglyphs intended for brush and ink writing on a paper), are usually free from this

restriction on horizontal lines.

7 Prior to carving, the surface of a tablet was usually carefully polished (Fischer, 1997:

388); then, a set of shallow grooves (flutes) few tenths of a millimeter deep (Orliac and

Orliac, 2008: 245) was formed on its surface to aid alignment of the signs and protect

them from wearing (Harrison, 1873: 372). The glyphs were pre-incised with an obsidian

flake (Orliac and Orliac, 2008: 246) and deepened with a shark tooth (Dederen and

Fischer, 1993: 182). The properties of writing media also influenced the choice of a

proper instrument – old and worn shark tooth proved to be more useful than a new

one, because it does not tear wood fibers during carving of acute angles (ibid.: 184).

8 The lines of rongorongo texts are arranged in reverse boustrophedon fashion (Métraux,

1940: 394), requiring rotation of a tablet upon reaching the end of each line. In many

cases, observation of fitted and overlapped signs in the neighboring lines helps to

deduce their reading order even without resorting to analysis of parallel textual

fragments.

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Methodology and general comments

9 This paper focuses on three rongorongo tablets Tahua, Aruku Kurenga and Mamari from

the Collection of the Congregation of the Sacred Hearts of Jesus and Mary (SS.CC.),

Rome. All three artifacts were displayed at the Exhibition of 60 objects from Easter

Island (Paris, Galerie Louise Leiris, June 3 - July 31, 2008). The show-cases for the tablets

were made of a special glass with anti-reflective coating, allowing clear view of each

inscription from the both sides. To detect faint pre-incised glyphs and scribal

corrections, the visual study was aided with a magnifying glass and an additional light

source when needed. The texts of the original inscriptions were compared with the

tracings published by Barthel (1958) and Fischer (1997); further analysis was performed

with computer-enhanced photographs of the artifacts.

10 Even a brief observation of original tablets reveals amazing artistic skills of the scribes,

tangatarongorongo. All the signs, despite of their small size and multitude of fine details,

are carefully carved «with a freedom, a keen appreciation of proportion, and a vigor»

(Métraux, 1940: 393) – and practically without errors. The number of corrections in the

studied texts (totaling up to about 4,000 glyphs in Barthel’s notation) is astonishingly

few. The presence of corrections suggests that apart from aesthetic issues, the scribes

obeyed writing rules, and were concerned about producing the most accurate text. To

simplify the analysis, all scribal errors and corrections were grouped by their type:

minor corrections (influencing only a part of the sign), pre-term writing evidenced by

faint pre-incised contours, re-insertion of omitted glyphs and palimpsest corrections.

11 The tracings of rongorongo glyphs shown in the figures were made after the photos from

the SS.CC. Archives and illustrations published by Orliac and Orliac (2008), Chauvet

(1935), Heyerdahl (1975), Butinov and Knorozov (1956). Barthel’s notation is used for

referencing tablets, lines and individual glyphs; glyph codes are zero-padded (also in

figures, if the space permits) to three-digit numbers according to the C.E.I.P.P. extended

Barthel system.

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Figure 1. – Minor scribal corrections

The lines with an asterisk (*) include deep contours (thick black / grey curves) and hairline pre-incision(thin curves).

Minor scribal corrections

12 Minor corrections of mistaken glyph elements can be detected by unusual contours

featuring pronounced angle on what should be a smooth curve, or survived pre-incised

lines (Figure 1). Graceful anthropomorphic signs with long necks or curved backs were

quite difficult for carving; sometimes, several pre-incisions might have been required

to achieve a proper shape (Figure 1, Aa5). If long neck was pre-incised too close to the

body, it precluded engraving of a head without intersection of the contours. In such

cases, the scribe «skewed» the head at unnatural angle (Figure 1, Aa1, sign 655) or

abandoned pre-incised contour, re-writing both neck and head properly (Figure 1, Bv6,

sign 474). In rare cases pre-incision of a standardized duplicated form shows a single-

glyph analog, such as faint traces of a «star» 008 in place of a «double star» 080 (Figure

1, Ab1), and outlines of a single sign 200 in place of 208 in line Aa3 (Figure 1). The scribe

of tablet Tahua confused leg types for anthropomorphic glyphs, correcting himself

before deepening the contours with a shark tooth (Figure 1, Aa3 and Ab71) or

appending a proper leg to a finalized glyph (Figure 1, Aa6 and Ab2).

13 Marked list delimiters 001.009:005, characteristic for the tablet Tahua, renders sign 009

with a smooth and rounded bottom part (Figure 1, Aa7 and Ab71), resembling that in

the ligature 045.009.037 (Figure 7, Bv82). In some cases, the tri-line sign 005 is carved

slightly to the right from axis of glyph 009 (Figure 1, Aa7), possibly implying that it

should be read after. In line Ab4 (Figure 1), the fragment 010.599d-005 includes a pre-

incised contour of sign 001 unlinked from glyph 599. The lower part of the latter was

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probably too small for clear incision of a vertical line, so that a full-size sign 005 was

carved next. Two «feathered» version of sign 050 (Figure 1, Ab72 and Ab8) feature a

faint «feather garland» glyph 003 at their left side.

14 Minor scribal corrections in Aruku Kurenga text include clearly marked toe division in

the middle of the foot for sign 484 (Figure 1, Bv2), suggesting that the present foot

might have been added to balance composition of the glyph. A pre-incision in line Bv7

(Figure 1) reveals scribe’s intention to carve sign 322 with a rounded fist, which was

changed in favor of full-size glyph 045. A pre-incised contour in line Bv6 shows slightly

different basal shape for the ligature 065.065:042.

15 In the firstdelimiter group of lunar calendar of tablet Mamari (Figure 1, Ca6) there is a

rounded pre-incision at the neck of sign 670. It is only the second occurrence of this

glyph on the tablet (the first one is in line Ca1), so the carver might have been not

accustomed yet to write this sign in its standardized form, trying to spell it by

components instead. The same situation takes place in tablet Tahua, where before the

firstoccurrence of glyph 670 in line Aa1 one can see a strikingly similar ligature 630.678

(Figure 1, Aa1) with a rounded-head glyph 630 matching pre-incision in Ca6. This

evidence may suggest that a long-beaked sign 670 has a composite nature,

corresponding to fusion of glyphs 630.678. The remaining minor correction in tablet

Mamari is a ligature 600.64, initially outlined as a single sign 604 (Figure 1, Cb2).

Figure 2. – Pre-term writing examples shown in pairs illustrating pre-incised (marked with anasterisk) and final version of the inscription

Evidence for pre-term writing

16 In some rare cases a textual fragment becomes written too early (i.e., has a pre-term

appearance), which is corrected by repeating the same passage in a proper context like

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illustrated here in the example illustrated here. In place of crossed-out words,

rongorongo inscription will feature hairline obsidian pre-incision below the final deeply

carved signs. The existence of such re-written glyphs on tablet Mamari (see Figure 2,

Ca7 and Cb64) were described by Barthel (1963: 373, footnote 3) without any illustration

or discussion about their relation to the neighboring signs. Fischer confirms that the

other tablets contain the «entire sequences of etched hairline glyphs [that] have been

written over with different, deeply incised glyphs» (1997: 388, 389), also without

illustrating any examples.

17 Pre-term writing occurs on each artifact studied. Tablet Tahua has two such instances: a

«fisherman» 306.711 erroneously incised in place of sign 305f.020 and a ligature pre-

incised as 450.240.002, but re-carved adding a hand 006 to a «sitting man» sign (Figure

2, Ab1 and Ab8, respectively).

18 Aruku Kurenga has three corrections in neighboring lines Br4 and Br5 (Figure 2):

anthropomorphic glyph 263s pre-incised below signs 700-001, causing curved contours

of overlaying «stick» 001, and a misplaced glyph 065 held by a «bird». The most

interesting example features signs 133-773 pre-incised in reverse order (Figure 2, Br52).

Surprisingly, the second glyph (corresponding to sign 133 with a closed upper part) was

initially traced as a «palm tree» 067 with X-shaped top. The implied allography (or

interchangeability) of signs 133 and 067 makes this sequence «rhythmic»: 607–063–

730–067–773–063–730–067.

19 At the verso side, the scribe omitted glyphs 430-739 and proceeded with pre-incision of

a lengthy sequence 022-050-022-002-022.010 (Figure 2, Bv2). When the error was

realized, the missing signs were inserted and writing resumed from the contour of

glyph 022, resulting in a wide space after sign 739. The underlying faint contour of

glyph 002 explains the rounded «tail» in Barthel’s version of the sign 739 (most

probably based on Figure 156 from Chauvet, 1935). Fischer’s tracings show sign 739 in

its final form with pointed ends of the «tail». Mistakenly incising sign 381 as 385

(Figure 2, Bv7), the scribe proceed with a delimiter 003.065.200 of a list-like structure in

lines Bv5-Bv7, writing it in «mirrored» form 300.065.003.

20 In the text of tablet Mamari, pre-term writing occurs inside lunar calendar delimiter

(Figure 2, Ca7), where the bird with a long beak 670y was pre-incised immediately after

sign 378y, skipping a crescent 041 existing in all such delimiters. The head of both pre-

incised and final version of glyph 670y looks to the left, contrary to the usual head-

right orientation. Possibly, it was intended to convey a special meaning, such as a

change from waxing to waning moon (Guy, 1990: 141). The pre-incision left no space to

insert the missing crescent even in superscript form (see Figure 3, Ca7, Ca8), causing

the scribe to abandon this contour and to write a full-size crescent 041 on top of it. The

residual hairline grooves, filled with powder to increase contrast in early pictures

(Chauvet, 1935: Figure163), create an impression of a deliberate hatching:

«the lines through this moon are only apparent on high quality photographs of thetablet. We propose them to indicate that the moon is diminished from fullluminosity.» (Berthin and Berthin, 2006: 96)

21 The new superb photo of tablet Mamari (Orliac and Orliac, 2008: 256, Figure 194) clearly

show the underlying bird glyph. The hatched moon signs do exist (e.g. Figure 2, Br9,

Bv10). However, hatching is applied after marking glyph contour, so it does not expand

beyond sign outlines (at least not as much as seen in Chauvet’s photo).

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22 Another pre-term writing occurs in a structured sequence in lines Cb6-Cb7 (Figure 2)

where the sitting sign 381 was incised in place of glyph 030b, defining the wavy shape

of the leftmost «feathered stem» and the bottom part of the sign. It is curious that sign

030b is located in the same position within the repetitive pattern as three unidentified

glyphs with «feathered circles» (Figure 2, Cb63), suggesting that these signs may be

related. The delimiter group 004-066-760-004-066 includes glyph 066 before the

«lizard» 760 in three cases; in the fourth one, there is a faint pre-incised contour

(Figure 2, Cb64), which might possibly intended to represent sign 066 or 092.

Figure 3. – Inserted glyphs and sign adornments in the tablets Tahua, Aruku Kurenga and Mamari

Omissions and palimpsest corrections

23 The easiest way tocorrect omission of a short segment (one-two glyphs) is to fit them

between the existing signs, resulting in small subscript / superscript forms

distinguished by letters t and h in Barthel’s notation. Not all small-size glyphs

constitute corrected omissions; the majority of them were written in this way for

efficient use of space or, possibly, for inscription embellishment purposes. However, a

tentative judgment about re-insertion of omitted glyphs can be made for parallel or

repetitive fragments, if one of them uses small-sized signs where the other shows full-

size forms.

24 On tablet Tahua, two passages feature the same text with minor variations (Figure 3,

Aa2 and Ab2), such as sequence 028.006-093 condensed to a ligature 028.095

(Kudryavtsev, 1949: 191). The similar simplification takes place with a fragment 022f.

243-005-077.034, abbreviated as 022f.243-005t in line Ab2. Additionally, there is a

miniature sign 034 above the subscript glyph 005t; its hairline incision is undetectable

in Chauvet’s photo (1935: Figure 169) and does not appear in Barthel’s tracings. A

modern illustration (Orliac and Orliac, 2008: 248, Figure 185) allows to see this hairline

incision, which may represent an example of re-inserted sign. Four hairline glyphs 003

are similarly fitted in tight spaces in tablet Mamari (Figure 3, Ca4, Ca9, Cb5, Cb11; Orliac

and Orliac, 2008: Figs. 193, 194); they are absent in Barthel’s tracings, but are

documented by Fischer (1997: 413-416).

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25 In-line repetitions can also reveal possible re-inserted glyphs. A two-headed glyph 013

in Aruku Kurenga text (Figure 3, Br5) was possibly intended to represent ligature 079.001

written a couple of signs further. If so, then two heads 079 were probably omitted and

further squeezed between signs 303 and 001. In duplicated group 201f-001 (Figure 3,

Ca2) a «stick» 001 is set under the elbow of first anthropomorph, but appears in full size

after the second one, despite there was a space to fit it in the same manner. It this case,

one becomes inclined to think that the first sign 001 may have been re-inserted.

26 The most famous example of inserted glyphs appears in the second delimiter group of

lunar calendar (Figure 3, Ca6). It was first documented by Fischer (1997: 418) as a:

«composite glyph, perhaps v631By.78, […] incised on the tablet edge that begins RR2a7 [Ca7 in Barthel’s notation], in other words, within the “calendar’s”text. Since itis on the edge of the artifact, this glyph appears neither in any photographs of thetablets nor in Barthel’s transcription.»

27 Study of original tablet confirms the existence of these edge glyphs (Figure 3, Ca6/7).

They have more elaborate shape than that depicted by Fischer (1997: 418), perfectly

fitting the missing part of a delimiter group (e.g. Figure 3, Ca8). First sign is a long-

beaked bird 670 with a hand-like claw and a head expanding over the side Cb, where it

overlaps gaping-mouth head of a fish (Figure 3, Cb8). Both head and a beak arevisible in

the new photo of Mamari (Orliac and Orliac, 2008: 255, Figure 193). The second edge

glyph corresponds to star-prefixed group 008.078.711 and also starts on b-side,

significantly away from the first sign in line Cb7. Being carved over an «uncomfortable»

surface, the «star» is reduced to a lozenge-like form (a central circle and a ray?), which

is also visible in the aforementioned photo. The fish glyph 711 is carved completely

over the edge. It belongs to the first part of the calendar where all fish glyphs in

delimiter groups are pointed upwards, most probably implying that the moon phase is

waxing (Guy, 1990: 141). Surprisingly, the edge fish looks down, which may mean that

its omission was detected after the carver passed to the waning moon part of the

calendar (i.e., upon completing line Ca7, or even both sides of the artifact). The curved

glyph 078 is misplaced after the fish, extending to side Ca and becoming partially

visible in the modern photo (Orliac and Orliac, 2008: Figure 194). To facilitate detection

of the edge glyphs discussed, Figure 3 includes dashed curves representing tablet

outline for a particular case of photos published by Orliac and Orliac (2008: Figs. 193

and 194); a magnifying glass is helpful to see these glyphs clearly.

28 Two delimiter groups of lunar calendar include superscript crescents 041h (Figure 3,

Ca7 and Ca8), the small size of which was suggested to represent small apparent

diameter of the Moon in the apogee of its orbit (Guy, 1990: 139). Possibly, one or two

intercalary nights Hotu and Hiro were inserted into lunar calendar when the apogee

criterion was met (ibid, 140). Indeed, Barthel’s tracings suggest that these crescents

were carved small despite there was plenty of space to write a full-size sign (Figure 3,

Ca8 Barthel). In Fischer’s tracings, both crescents 041 are more closely related to the

next sign 670. This discrepancy stems from the best intentions of both authors to

produce the most readable tracings, which required unification of spaces between the

signs for the sake of presentation clarity. However, as it can be seen from the photos of

the artifact, these superscript crescents show no preferred association with either of

signs 378y and 670; instead, they are fitted between aforementioned glyphs. Therefore,

following the previously discussed examples, one becomes inclined to think that these

crescents were possibly omitted and then «squeezed» into available space. The pre-

incised sign 670y in the same line Ca7 (Figure 2) supports this hypothesis, proving that

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the carver already omitted crescent 041 once, but in that case he has no place to insert

it in superscript form and thus has to carve a full-size glyph. Moreover, the structure of

delimiter group may «facilitate» such omission because the hand of glyph 378y

resembles a crescent itself. Thus, it could be natural for a scribe to skip sign 041, as he

just carved the very same shape as a part of sign 378y. A further discussion on

superscript crescents follows in the next section.

Figure 4. – Holes and polished-off areas on the tablets; schematic profile of a polishing in line Aa3

Glyphs located in such areas are shown in light grey tone.

29 If omission mistake was detected already after deepening glyph contours with a shark

tooth, the scribe was forced to use palimpsest as an «ultimate» re-insertion technique –

to polish off a part of the inscription and re-write correct glyphs over it. Such

corrections are detectable by characteristic localized «bumps» (Laurens, 2008) aligned

with individual lines. These polished areas are easy to reveal in slanting light, but they

can be practically invisible under frontal illumination. For three rongorongo tablets

studied, the palimpsest corrections can be clearly seen in the photos published in

Trésors de l’île de Pâques/Treasures of Easter Island (Orliac and Orliac, 2008: Figure 186 [Aa],

Figure 193 [Cb] and Figure 197 [Aa, Ca]).

30 The number of palimpsests per artifact seems to depend on the professional level of the

scribe. More masterly executed Aruku Kurenga and Tahua feature only one and two

corrections of this type, respectively (Figure 4). The situation with tablet Mamari is

more complicated, as its wooden support was already damaged in several places on

(what became) side Cb before the incision (Orliac and Orliac, 2008: 257), including a

deep cavity close to the corner (Figure 4, Cb3). The signs inside this cavity were studied

using an additional light source and traced after a photograph subjected to computer

image enhancement. These glyphs are best seen in the photo from SS.CC. Archives (ibid,

Figure 192), which used white powder to enhance image contrast. The original surface

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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defects may also include smoothed areas in lines Cb4, Cb6, and Cb7. To the contrary,

the polished sections Ca3, Ca5, Ca7, Cb2, and Cb12 were certainly made deliberately for

text correction needs.

31 The polished area in line Aa3 (Figure 4) is especially interesting as it enters the

neighboring line – which can only post-date the correction. The obtained line order

perfectly coincides with that determined by Barthel. Usually, all palimpsest corrections

are short; the scribe may polished away a part of a single sign, e.g. removing

erroneously written head 050 of glyph 254a, which had to belong to a second

anthropomorph (Figure 4, Aa5). The same probably occurred to the bird sign in line Ca5

to make it a «star-head bird». One crescent in lunar calendar also underwent

modification (Figure 4, Ca7). Line Ca3 contains the longest (for artifacts studied)

palimpsest correction with a polished area expanding over six Barthel’s glyphs (Figure

4).

Pits and holes in the tablets

32 The tablets feature pits (not penetrating through the whole plank) or holes used to pass

a cord for hanging. The interaction between pits / holes and glyphs (Figure 4) allows to

infer about their temporal relation. If the hole postdates the inscription, it will cut

through the glyphs, showing halves of a sign at its sides or erasing a vital part of the

glyph (Figure 4, Br1 and Bv11). On the base of such analysis, one can conclude that the

middle hole in the long side of Aruku Kurenga post-dates its inscription (Orliac and

Orliac, 2008: 255). If the hole was there before the carving of the text, the glyphs are

usually arranged around it without intersection. After prolonged use of a hanging cord,

the surface around the hole became worn and may obliterate peripheral sign details

(Figure 4, Br5/Br6). Therefore, the hole in the narrow part of Aruku Kurenga seems to

pre-date the text of Br, where it barely touches the signs. To the contrary, it erases

significant part of a glyph on Bv side, which may mean that the hole is younger (Figure

4, Bv6), supporting the hypothesis about partial re-writing of the tablet (ibid.: 254).

33 On side Ca of tablet Mamari, the left head of sign 770b(Figure 4, Ca2) is partially

obliterated by wear area around the hole. However, the presence of a large space

between this sign and preceding ligature 370.070 strongly suggest that the scribe

intended to avoid the existing hole, slightly miscalculating the width of sign 770b

(which also implies that its bottom part was incised first). The very same situation can

be seen earlier in line Ca2, where glyph 770b is placed too close to glyph 215. On the

other side of the tablet, the signs are inscribed around the hole (Figure 4, Cb13/14).

Therefore, one can conclude that the hole in tablet Mamari most probably pre-dates its

inscription.

34 Hypothesizing that the scribe could define the shape and the size of this perforation, it

will be interesting to verify if it could be related with suggested use of the tablet as an

astronomic canon for insertion of intercalary nights basing on observation of the

apparent diameter of the Moon (Guy, 1990: 140). As we know, the average visible

diameter of our Natural satellite is 31'05''. When the Moon is in perigee (closest orbital

point), its diameter reaches the maximal value 33'29''; for apogee (far orbital point)

Moon it decreases to 29'23'' (Grego, 2005: 44). These changes (comprising about 12%)

are easily detectable in side-by-side comparison (Figure 5). However, they are hardly

noticeable in life due to gradual variation of aforesaid diameter during anomalistic

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month of 27.555 days, the time between consecutive perigee points (Karttunen et al.,

2007: 136). Anomalistic month does not match synodic month of 29.531 days describing

lunar phases (ibid.: 135), which means that the same phase may coincide with a perigee

and later with apogee position (Grego, 2005: 43). Therefore, to detect variation of

apparent Moon diameter it should be measured.

Figure 5. – Hypothesized use of tablet Mamari to detect apogee Moon

Below: arm length estimated from Vitruvius body proportion model, illustrated by drawing of Leonardoda Vinci.

35 Ancient Rapanui had good astronomical knowledge and oriented their ceremonial

structures for important sunrise and sunset directions (Liller, 1993: 11-27). For

observation of a moving celestial body, they might have used some portable devices,

such as «a length of string tied to a shell or piece of wood with a hole drilled through or

notches cut along the edge» (Guy, 1990: 140). If tablet Mamari contains a canon relying

on observation of apogee Moon (which is useless if the measurements can’t be

performed), it is tempting to speculate that the inscription may contain instructions

for producing a required device – or that the tablet with its hole represents such device

itself.

36 The perforation in tablet Mamari is comparatively large and cylindrical in shape, with

slightly worn edges (Orliac and Orliac, 2008: 257). With artifact thickness of about 2.5

cm (ibid, 256), the wearing induced by a cord will first affect the surface of the tablet,

keeping hole interior relatively intact. In this way, a measuring device with a hole is

more wear-resistant in comparison with the marks / notches engraved on wood

surface.

37 One can hypothesize that the hole should frame the «smallest» apogee Moon,

«cropping» it for larger visual diameter. Glyphs 378y-041h in the delimiter group,

tentatively interpreted as «apparent diameter of the moon should be measured to

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decide whether a supplementary night is required for the current month» (Guy, 1990:

143) were suggested to depict a person making such measurements with a rod or an

outstretched arm implying «the notion of “measurement” or “comparison with a

standard”» (ibid.). A man holding a tablet in his outstretched arm also agrees well with

this pictographic interpretation of sign 378y (Figure 5).

38 The diameter of the hole d, estimated from the photos of the artifact, is about 4.1 mm.

Viewed from the distance L (Figure 5) it will encompass an angle a such that tan(a/2) =

d/(2L). For small angles tan(a<<1 radian) ≈a, allowing to simplify the formula as a ≈d/L.

For a = 29'23'' = 0.008547 radian and d = 4.1 mm, the viewing distance L will be about 48

cm. To estimate correlation of L with an outstretched arm length, we will use human

body proportions model suggested by Marcus Vitruvius in 1st century BC. He wrote:

«the human body is so designed by nature that […] a tenth part of the whole height[is the same as] the open hand from the wrist to the tip of the middle finger […] thebreadth of the breast is also one fourth […] the distance from the soles of the feet tothe top of the head and […] outstretched arms […] [are] the same.» (Morgan, 1914:72, 73)

39 Introducing a variable H for body height (equal to arm span), B for breast width, and A

for arm length, one can obtain H = B+2A (Figure 5). Using proportions suggested by

Vitruvius, arm length becomes A = 3H/8. The latter value needs refining as the fingers

(F, approximately half-palm long) are not outstretched but hold the tablet. Thus, L = A–

F = (3/8–1/20)H = 13H/40. For the average stature of Easter Islander H = 1.73 m (Shapiro,

1940: 28), the viewing distance L ≈ 56 cm. The latter value is slightly greater the

estimation L = 48 cm calculated in assumption that the hole in the tablet should be seen

at the same angle as apogee Moon. Using the same formulas, one can show that viewing

distance L = 48 cm will correspond to a hypothetic stature 1.48 m; hole diameter d

required to get an angle 29'23'' from distance L = 56 cm should be 4.8 mm (about 117%

of estimated perforation diameter).

40 Therefore, analysis of hole size, angles describing apparent Moon diameter, and body

proportions of people who might used the tablet yields intriguing similarities, which

may possibly imply an additional function of tablet Mamari related to lunar

observations. The further research should use the exact measurements of tablet

perforation diameter and detailed anthropometric data aiming to improve the

correlations obtained. It will be fascinating to confirm a possible use of this tablet to

detect apogee Moon, which would be an additional supporting evidence for

astronomical canon hypothesis. Any extra proof that ancient Rapanui were aware of

varying apparent Moon diameter and moreover, used it for fine-tuning their lunar

calendar would be an important contribution to archeoastronomy of Easter Island.

Alternatively, the small size of two crescents in lines Ca7 and Ca8 can be also plausibly

explained from paleographic point of view, suggesting that both signs were omitted

and re-inserted into available space. Additional research is required to clarify the

meaning of these small crescents.

Discussion on carving techniques

41 All discussed scribal errors and corrections in rongorongo tablets are completely

expected and natural for a proper writing system, further confirming that Easter Island

script represents an «écriture “de bon aloi”» (Pozdniakov, 1996: 297).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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42 A particular attention should be paid to pre-term writing, which seems to preclude the

complete pre-incision of the text by generating an unintelligible mixture of contours

for each pre-incision error. Under these circumstances, it looks reasonable to assume

that the inscription was carved in short fragments – first incised with an obsidian flake

and then engraved with a shark tooth before passing to the next fragment. After the

text was completed, the tablet might have been subjected to additional engraving

sessions required to achieve smooth contours of the glyphs. The homogeneity of

carving style within each rongorongo artifact – with rare exceptions of tablet Échancrée

(Fischer, 1997: 422) and Aruku Kurenga (Orliac and Orliac, 2008: 254) – suggests that the

majority of tablets were completed by the same scribe (Fischer, 1997: 385).

43 The existence of almost exact copies of the same text on several tablets (Kudryavtsev,

1949: 180; Barthel, 1958: 56-70) highlights the importance of old inscription

reproduction (Fischer, 1997: 384). However, the differences between the texts, such as

varying number and composition of glyphs in tablets H/P/Q (Olderogge, 1947: 237),

omission of list items in Gr / K (Butinov and Knorozov, 1956: 84) and substitution of

bird heads (Gr) to gaping mouth heads in text K (Barthel, 1958: 156, 238) seem

indicative of indirect copying. The inscriptions might have been written from memory,

which poses a related question if the texts were composed directly on the tablet or the

scribes used «drafts» on banana leaves to be «transferred, without modification, to

wood» (Fischer, 1997: 647). Hints to this question can be found in numerous inline

repetitions of (not always identical) glyphic sequences (Métraux, 1940: 402), revealing a

surprising improvement of calligraphy and composition practically after each

repetition.

Figure 6. – Glyph variations in repetitive sequences

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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44 Three fragments in tablet Tahua (Figure 6, Aa3) start with the sign 316, depicting a

human with both arms raised. In the first occurrence, the scribe incised glyph’s body

too close to the preceding sign, fitting its left arm into tight space. This miscalculation

does not appear in second repetition of the group and is less pronounced in the third

one. Delimiter groups of lunar calendar on the tablet Mamari also feature gradual

conventionalization with each repetition (Figure 6, Ca61-Ca81). The first group includes

second glyph 315ystanding, while further on it is sitting; in the third group, its left

hand is carved separately as if it was added to the glyph after deepening its outline

with a shark tooth. In the fifth group, the first sign has a bird head in place of the usual

gaping mouth head; this substitution can be also seen in the other texts (Barthel, 1958:

238).

45 Improvement of sign composition is more evident for rare or complicated glyphs. The

text of Aruku Kurenga contains triplicate fragment beginning with (003).001-470-091t

(Figure 6, Br4). The first group features sign 558 resembling glyph 493 with gaping

mouth head similar to that of sign 470, appended with a lozenge head of glyph 091.

Most probably, the perplexing appearance of resulting sign 558 caused the scribe to

repeat glyph 091 in a full size. The next two groups show these signs in proper

arrangement; they also illustrate «floating» glyph connections with ligatures 091.450

and 001.470 formed only in the first and the second group, respectively. Elaborate

«lizards» 762 and 761 (Figure 6, Cb11) probably represents two calligraphic variants of

the same sign; similarly, the following glyphs 557 and 556 show the second sign in more

conventionalized form as well. This calligraphy improvement phenomenon is not

limited to artifacts from the Collections of SS.CC.; in-line repetitions in Atua Mata Riri

tablet (Figure 6, Rb8) and Great St. Petersburg tablet (Figure 6, Pr9) clearly show

pronouncedly better composition of glyphs 762 and 491a on their second occurrence.

46 It seems improbable that the scribe was merely practicing his writing skills with these

repetitive groups – a careful engraving of the contours suggests that the inscription is

final. At the same time, if one of the repeated groups were erroneous, it would be most

probably re-written using palimpsest correction technique. Thus, the repetitions

discussed should have been acceptably accurate from the scribe’s point of view, and all

of them intended to appear in the inscription. In this case, it is tempting to interpret

the observed calligraphy improvements as an evidence for direct on-tablet composition

of text, naturally resulting from increasing familiarity of the scribe with particular

signs and ligatures. If tangata rongorongo had a «draft» inscription on banana leaf or

another tablet in front of him, he most probably would carve all glyphs in these

repetitive fragments properly starting from their first occurrence.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

89

Figure 7. – Parallel sequence suggesting allography of signs 133 and 067; in similar fashion, signs055b and 068 also could be related

Glyph conflation ligatures are illustrated with Ra5 / Bv3 and Ab7 / Bv81.

Allographic observations

47 Discussed scribal corrections offer several allographic insights. The most interesting of

these is replacement of pre-incised sign 067 with glyph 133, which differ by their open

and closed upper part (Figure 2, Br52). Due to slight ambiguity of Barthel’s notation,

code 133 also describes unrelated glyph with a lozenge head (e.g.,Figure 2, Bv7); at the

same time, glyph code 169 represents a ligature based on sign 133 (Figure 7, Bv2). It is

important that all occurrences of sign 133 (excluding dissimilar lozenge-head glyphs)

and 169 are limited to Aruku Kurenga, as if they are part of a carving style characteristic

for the scribe responsible for this tablet. The interchangeability of signs 133 and 067 is

additionally confirmed with parallel passage appearing in lines Bv2 and Cb13/14

(Figure 7), containing equivalent groups 010.133-060-169.678 and 010.067-067-145.

These parallel sequences also imply that a curved «arm» of sign 169 – Pozdniakovs’

element 901 (2007: 22), usually merged as a body part of glyphs 207, 247, 277, 387, 408,

618, 749, etc. – should correspond to an isolated «fishhook» sign 145.

48 Further analysis of these parallel fragments seems indicative that signs 484-470-021t

from line Bv2 are shuffled in text Cb14, so that 484 = 725 (both featuring leg 060 at their

left side; a long arm of sign 725 may correspond to the upper limb of glyph 484) and 470

= 664. The latter allography (see also signs 453 = 670, Figure 7, Ab7 and Bv81) agrees

with observation about interchangeability of gaping-mouth head on a long neck and

bird head with a long beak (Horley, 2007: 30). The small glyph 021t subscribed below

the mouth of sign 470 in line Bv2 may be related to digraph 017 in Cb14; the similar

group 470-017t can be found in lines Br6 (Figure 4) and Bv11.

49 In analogy to suggested allography 133 = 067 it is possible to propose that glyphs 055b

and 068 (also different only by closed and open shape of their upper part) could be

interchangeable as well. As one can see from the parallel fragments Ra5/Bv3 and Sa51/

Bv82 (Figure 7), both glyph 055b and 068 occur in characteristic combination with sign

022f. Preceding abstract glyph 166 may be a contracted version of ligature 044.607

(Figure 7, Ra5), when the body of bird 607 is omitted, but its curved wing is preserved.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

90

The use of contraction is evident for the sequence 200f.025-324 (Figure 7, Ab7), re-

written as 200.171 in text of Aruku Kurenga (Figure 7, Bv81), retaining only a foot and a

hand of glyph 324 in abstract sign 171. This interpretation of contracted ligatures could

be helpful to identify the components in Barthel’s glyphs 162-176 (see Figure 7, Bv81 for

sign 165).

50 Glyphs 300.079, seemingly related to 068-022f series (Figure 7, Bv3) can be compactly

written as another associated sign 190a (Figure 7, Sa51) following the rules of vertical

ligature formation with rotation of a composing element (Guy, 1982: 447; Pozdniakov,

1996: 297). Moreover, the allography 055b = 068 would also explain (and eliminate) the

puzzling change of delimiter glyph in a sequence from Large Washington tablet (Figure

7, Sa52).

Conclusions

51 Exceptional quality of carving exhibited by rongorongo artifacts proves high

professional level of the ancient scribes. The miniature signs are incised with an

outstanding precision and attention to details. Errors and corrections, being

surprisingly few, are completely expectable and natural to a true writing system. They

include corrections of misspelled elements, pre-term writing detectable via pre-incised

hairline contours, omissions and re-insertion of a single or several signs accomplished

by fitting glyphs into available space (including edges of the tablet), or by polishing off

the incorrect part to write a proper inscription. The length of the corrected fragments

for three tablets studied is small (less than ten glyphs), strongly suggesting that the

scribe was writing the text in short fragments, first pre-incising glyphs with an

obsidian flake and engraving the contours with a shark tooth before proceeding

further. To achieve contour smoothness, additional engraving sessions could be

performed for a completed inscription.

52 Study of in-line repetition fragments revealed surprising conventionalization of glyph

forms already upon their second occurrence, suggesting that tangata rongorongo became

familiarized with specific ligatures. This observation allows to hypothesize about direct

on-tablet composition of the text without any intermediate «draft» inscriptions.

53 Analysis of parallel fragments shared between the tablets suggested allography of sign

133 (limited to Aruku Kurenga, which may be indicative for an individual scribal style)

and «palm tree» glyph 067. Both signs have similar shape except for closed and open

upper part. By analogy, the allography of glyphs 055b and 068 was also proposed.

Assumption of their interchangeability removed ambiguity for variation of delimiter

sign in a structured sequence and revealed an example of a conflated ligature. A further

study of such ligatures may help to identify composing elements for Barthel’s glyphs

162-176.

I am deeply and specially grateful to Catherine and Michel Orliac, Quentin Laurens and the staff

of the Galerie Louise Leiris (Paris) for allowing me a unique opportunity to study three authentic

rongorongo inscriptions displayed at the Exhibition of 60 objects from Easter Island. I would

also like to express my most sincere thanks to Jean Louis Schuesterfor his kind permission to use

the photos from the Archives of the Congregation of the Sacred Hearts of Jesus and Mary for

making glyph tracings for this paper. I am very grateful for stimulating discussions and valuable

comments to Catherine Orliac, Konstantin Pozdniakov, Quentin Laurens and Tomi Melka. My

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

91

most sincere thanks to Reidar Solsvik, Shawn McLaughlin and Scott Nicolay for their great help

with the literature references about rongorongo.

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ABSTRACTS

Studies of three original rongorongo tablets (Tahua, Aruku Kurenga and Mamari) revealed clear

traces of two-stage carving (pre-incising with an obsidian flake and contour enhancement with a

shark tooth). Most probably, the texts were written in short fragments with shark-tooth

engraving applied before passing to the next fragment. Additional multiple engraving sessions

might been performed for finished inscription, aiming to enhance glyph contours. Despite

laborious and time-consuming writing technology, the scribes display extremely high

professional level, making only a few errors and corrections in the studied inscriptions totaling

to about 4,000 glyphs. These errors usually consist in pre-term writing of a passage, re-insertion

of omitted symbols (even on the edge of the tablet) and palimpsest corrections. Pronounced

shape variation of signs entering inline repetitive fragments seems indicative of direct on-tablet

composition of the text without any draft inscriptions. Corrections and parallel passages suggest

allography of glyphs 133 and 067, which by analogy may imply allography of signs 055b and 068

in Barthel’s notation.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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L’étude menée sur trois tablettes rongorongo originales (Tahua, Aruku Kurenga et Mamari)

montre clairement que les signes ont été tracés au cours de deux étapes successives : pré-incision

avec un éclat d’obsidienne puis gravure des contours avec une dent de requin. Il est probable que

de courts fragments de textes étaient écrits et gravés à l’aide d’une dent de requin avant de

tracer le fragment de texte suivant. Des reprises de gravure ont pu être exécutées afin

d’améliorer les contours des glyphes. Malgré une technique de tracé minutieuse et complexe, peu

d'erreurs ont été faites par les scribes dans le texte étudié totalisant environ 4 000 glyphes. Ces

erreurs consistent essentiellement dans l’écriture initiale d’un passage, dans la réinsertion de

symboles omis (même sur le bord d’une tablette) et dans les corrections par ablation partielle

d'inscriptions (palimpseste). La variation prononcée dans la forme de certains signes présents

dans des fragments répétitifs semble indiquer une composition du texte directement sur la

tablette sans pré-incision préalable. Les corrections et les fragments de textes similaires

suggèrent une allographie des signes 133 et 067, qui par analogie peut impliquer l’allographie des

glyphes 055 et 068 dans le système de notation de Barthel.

INDEX

Mots-clés: allographe, écriture, île de Pâques, paléographie, rongorongo

Keywords: allograph, Easter Island, paleography, rongorongo, script

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Abondance et précarité. Conditionsde vie et alimentation des sans-abrià TahitiChristophe Serra Mallol

1 La Polynésie française et, en particulier, Tahiti ont fait et continuent à faire l’objet

d’une vision édénique créée par les premiers Européens à la fin du XVIIIe siècle : climat

paradisiaque et abondance naturelle, relations sociales dépourvues de conflit fondées

sur un communautarisme partageux... De la nourriture rendue disponible par la nature

sans aucun effort humain et offerte par brassées par des indigènes édéniques à leurs

visiteurs : le mythe de l’abondance et de l’hospitalité tahitiennes était né (Serra Mallol,

2005). Ces représentations se sont diffusées dans l’ensemble du monde occidental, et

ont été intégrées par les acteurs locaux eux-mêmes.

2 Avec l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) au début des

années 1960, la Polynésie française est entrée dans la modernité et la croissance

économique. Cette période de constructions militaires et civiles sans précédent a attiré

vers le salariat un grand nombre d’agriculteurs-pêcheurs résidents des îles éloignées,

parmi les plus jeunes, leur permettant de sortir d’une vie confinée à l’autosubsistance

avec l’espoir d’accéder à une autonomie financière, à la vie urbaine, aux sorties, aux

objets de consommation, aspirations à une vie quotidienne transformée dans tous ses

aspects (Fagès, 1973, 1974). Mais cette croissance extraordinaire au cours des quarante

dernières années a creusé les inégalités socio-économiques, provoquant la création

d’un prolétariat urbain (Lockwood, 2002) et d’une frange relativement importante

d’exclus, et notamment de personnes sans-abri. C’est dans ce contexte particulier qu’il

nous a paru intéressant de mener une étude sur ce dernier groupe. Dans le présent

article, nous n’aborderons pas les questions des raisons qui poussent à vivre dans la

rue, ni la géographie des différents lieux où vivent et dorment les sans-abri. Nous nous

limiterons à présenter la réalité vécue sur le terrain par les personnes vivant dans la

rue en matière de conditions de vie et notamment d’alimentation et les représentations

qu'ils ont de leur situation.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Un groupe particulier : les sans-abri

Définition de l'objet et méthodes d’enquête

3 Face à la multiplicité des termes utilisés (sans-abri, sans domicile fixe ou « SDF »,

personnes en situation d’errance…) et donc de définitions, la population visée par

l’étude a été définie comme suit :

personnes dépourvues d’un espace privé nécessaire à l’accomplissement de fonctions

vitales : se nourrir, se vêtir, se laver… dans l’agglomération de Papeete (de la commune de

Papara à l’ouest de Papeete à la commune de Mahina à l’est) et à Moorea ;

personnes fréquentant les structures d’accueil et d’assistance existantes ;

personnes accueillies à un moment donné dans une structure d’accueil temporaire.

4 Sont donc exclues du cadre de la présente étude les personnes résidant dans un abri de

fortune sur un terrain leur appartenant, ainsi que les familles logées temporairement

en attente d’être relogées par décision administrative.

5 Les éléments recueillis au cours de la phase exploratoire de l’enquête nous conduisent à

poser la question de la pertinence de la dénomination « SDF » utilisée au lancement de

l’enquête, et telle qu’elle apparaît dans certains documents consultés localement. Ce

terme a toujours été ressenti par les personnes rencontrées comme dépréciatif,

correspondant à la perception qu’elles avaient du « clochard », « à la française » qui

plus est, et à ses signes jugés comme distinctifs : toujours en état d’ébriété, sale et

déguenillé, âgé et en mauvaise santé. Elles renvoyaient d’ailleurs cette dénomination

aux rares sans-abri polynésiens correspondant à cette description et caractérisés par

une « chronicisation » de leur situation (Damon, 2002), ou au traditionnel « hombo »

tahitien. Si le terme « SDF » est perçu par les personnes rencontrées comme

caractérisant une forme de laisser-aller et de situation de dérive sans retour (’ōere), il

est surtout ressenti comme une absence d’ancrage inacceptable pour un Tahitien pour

qui la terre, le fenua, symbolise l’identité individuelle (l’étranger est communément

appelé hutu painu, à l’image de ce fruit qui flotte sur l’eau et dérive au gré des courants).

6 Les personnes elles-mêmes se désignaient comme « vivant dans la rue » ou « sans-

abri », faisant le constat objectif d’une absence de logement, alors que les éducateurs de

rue les désignaient plutôt sous le vocable de « sans-abri »1 ou « en situation d’errance »,

mais cette dernière expression peut être perçue de façon péjorative. Ce sont donc

indifféremment les dénominations « sans-abri » et « personnes vivant dans la rue » que

nous utiliserons ici.

7 Pour mieux connaître ce groupe et ses conditions de vie, notamment en matière

alimentaire, nous avons mené auprès de cette population une étude2 à la fois

qualitative et quantitative. La partie qualitative a été menée à partir de récits de vie

auprès de vingt personnes vivant dans la rue, choisies en raison de caractéristiques

sociodémographiques variables (âge, sexe, situation familiale, durée de vie dans la rue).

Il a fallu souvent deux à trois contacts avant d’aboutir à un entretien complet et

exploitable. Les entretiens ont été menés en grande majorité dans la rue, tout au long

de la journée (de 05h30 du matin à 21h00 le soir) et tous les jours de la semaine, samedi

et dimanche compris, pendant les trois dernières semaines du mois de novembre 2007.

8 Les entretiens de la phase quantitative, d’une durée comprise entre vingt et quarante-

cinq minutes, ont été conduits en quasi-totalité dans la rue, dans les principaux

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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« spots » et lieux de vie des sans-abri, en matinée surtout (de 5h du matin à 13h), du 13

au 21 décembre 2007, et du 7 janvier au 5 février 2008. Quelques entretiens ont été

menés le soir à l’occasion des repas gratuits de début de mois, et une minorité dans les

centres d’hébergement. Des questionnaires ont également été remplis directement

dans quelques « squats » ou « châteaux », après prise de rendez-vous préalable avec les

différents occupants.

9 Nous ne traiterons pas ici des difficultés rencontrées en cours d’enquête inhérentes à la

population visée par l’étude, des représentations de l’enquêteur lui-même et à leur

influence sur le phénomène observé, ni des interactions inévitables entre deux groupes

de population aux caractéristiques socio-économiques différentes entrant en contact

(Bourdieu, 1993), qui ont fait l’objet d’un développement par ailleurs (Serra Mallol,

2008).

Photo 1. – « Squat » ou cabane fait de matériaux de récupération

(cliché de l’auteur)

10 Parmi l’ensemble des acteurs associatifs et institutionnels rencontrés3, les élus

communaux et du pays ou leurs représentants4 avec lesquels ont eu lieu de nombreux

échanges lors des réunions de travail et des présentations des différentes phases de

l’étude, nous ne prendrons en compte ici que les réactions des « acteurs de terrain »,

constitués par les structures d’aides associatives de proximité et les personnels des

services du pays en contact direct avec la population étudiée (Santé, Affaires sociales,

Prévoyance sociale, Emploi et Formation, Logement).

L’évaluation quantitative de la population visée

11 Le nombre total de personnes interrogées au cours de l’enquête est de 321 personnes5

dont 80 % ont été recensées dans la seule ville de Papeete6, non compris les 28 enfants

de moins de quinze ans vivant avec leurs parents. Nous avons été amenés à faire une

différence de situation entre des sans-abri que l’on peut qualifier de « permanents »,

qui constituent précisément le public suivi à Papeete par l’équipe du Club de

prévention spécialisée7 et des sans-abri que nous nommerons « temporaires » qui

vivaient dans la rue au moment de l’enquête quantitative mais dont les réponses

permettent d’indiquer qu’ils font des retours périodiques vers un logement, soit leur

logement familial d’origine, soit des logements successifs et temporaires, à considérer

donc en termes de « flux ». Parmi les 321 personnes interrogées, environ 55 %

constituent des sans-abri « permanents » (environ 170 personnes) et environ 45 % des

sans-abri « temporaires » (environ 150 personnes), et 19 d’entre elles vivaient dans la

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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rue avec leurs enfants mineurs (1,5 en moyenne), soit 28 enfants. La population totale

prise en compte dans l’étude est donc de 349 personnes.

12 Mais ce chiffre ne constitue qu’une « photographie » du phénomène pendant le

déroulement de l’enquête statistique. En effet, le « flux » observé pendant les six

semaines d’enquête quantitative, soit les cent cinquante personnes considérées comme

sans-abri « temporaires » dont la présence dans la rue est de six mois en moyenne, se

transforme en « flux » de trois cents personnes sur l’année. Sur une année complète, on

peut donc estimer qu’environ cinq cents personnes sont à un moment ou à un autre

« sans-abri », enfants compris. On peut de plus considérer que cette population est

sous-estimée (« fuite » devant les enquêteurs, personnes en mouvement qui n’ont pas

été repérées, personnes vivant dans des endroits reculées et inaccessibles dans les

conditions de l’enquête, etc.) à 30 %8. On aurait donc un total de six cent cinquante

personnes sur une année qui représenterait un pourcentage d’un peu plus de 0,4 % par

rapport à la population considérée, celle de l’agglomération de Papeete et de l’île de

Moorea où résidaient 146 716 personnes en 20079 : nous sommes donc proches des taux

moyens relevés pour la France, et bien loin des données officielles disponibles

localement, qui évaluent les personnes vivant dans la rue pour l’ensemble de la

Polynésie française à environ deux cents personnes, dont 60 % dans la seule

agglomération de Papeete10.

Un profil spécifique

Age, sexe, provenance géographique

13 En matière de sexe, le profil des 321 personnes interrogées11 peut être scindé en trois

groupes, selon les répondants eux-mêmes : les hommes constituent 81 % du total12, bien

plus nombreux que les femmes (14 %), et que les raerae13 (5 %). Nous estimons toutefois

le nombre de femmes sous-évalué, car la plupart des refus de répondre (verbal, ou par

« fuite physique ») provient en majorité de femmes accompagnées d’enfants mineurs,

qui tentent ainsi d’échapper à ce qu’elles perçoivent comme un recensement officiel,

avec le risque de se voir dessaisir de leurs enfants.

14 En matière d’âge, quatre groupes de taille à peu près équivalente se détachent (sans

compter les mineurs de moins de quinze ans vivant avec leurs parents) : les 15-24 ans

(23 %), les 25-34 ans (29 %), les 35-44 ans (21 %), les 45 ans et plus (27 %). L’âge moyen

est de 35 ans14, avec une variation très large (écart-type : 13,6 ans). L’âge moyen auquel

on a connu la rue pour la première fois est de 29 ans (écart-type : 11,8 ans), avec des

extrêmes qui vont de 10 à 69 ans.

15 La grande majorité des personnes rencontrées est célibataire (79 %). Le restant vit en

concubinage (14 %)15, formant parfois des couples entre sans-abri. Seuls 3 % se

déclarent mariés, et 3 % séparés, divorcés ou veufs.

16 Plus d’un tiers des personnes interrogées (40 %) ont des enfants mineurs, dont certains

qui vivent avec eux dans la rue mais que l'on voit peu, les parents se cachant alors ou

n’acceptant que rarement l’entretien. Le nombre moyen d’enfants déclarés est de 2,4

(écart-type : 1,6), dont 1,1 mineur. Sur 115 enfants mineurs ainsi recensés, 28 vivent

dans la rue avec les parents, 30 avec l’autre parent, 22 en famille fa’a’amu (adoption

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locale) sans lien familial, 9 placés en famille d’accueil, et le restant dans d’autres

situations (chez les grands-parents, oncles et tantes, parrains…).

17 Pour ce qui concerne le lieu de naissance, on note une part prépondérante de Tahiti

(67 %) et de Papeete (57 %) en particulier, du fait de l’obligation des femmes vivant dans

les archipels éloignés dépourvus d’un hôpital d’accoucher à Papeete. Mais l’élément

remarquable est la sur-pondération des personnes provenant des archipels des

Australes et des Tuamotu-Gambier (au total 16 % des personnes interrogées) par

rapport à leur poids réel dans la population totale (5,5 %), donnée qui illustre

l’importance de l’errance géographique des personnes vivant dans la rue, et qui

confirme les phénomènes de migration inter-îles observés depuis les années 1970 vers

Tahiti (Lockwood, 1980).

18 Le lieu de résidence jusqu’à l’âge de 18 ans est variable. Avant l’âge de 12 ans, la grande

majorité des personnes interrogées a vécu chez ses parents. Seules trois des personnes

interrogées citent la rue comme lieu de vie avant l’âge de 12 ans; 93 % citent un seul

lieu de résidence, 3 % en citent 2, 1 % en citent 3 ou plus (non réponse : 3 %). Entre l’âge

de 12 et 18 ans, la moitié a vécu chez ses parents naturels, un quart fa’a’amu, soit adopté

dans la famille élargie ou par des proches16. Trente six répondants citent la rue comme

lieu de vie à cette période; 86 % citent un seul lieu de résidence, 8 % en citent 2, 2 % en

citent 3 ou plus (non réponse : 4 %).

19 La durée moyenne de vie totale dans la rue est de cinq ans (écart-type 7 ans : les

extrêmes vont de trois jours à 47 ans). Ainsi, 18 % des personnes interrogées déclarent

vivre dans la rue depuis plus de dix ans, 26 % de trois à dix ans, 14 % depuis un à trois

ans, 13 % de six mois à un an, et 29 % depuis moins de six mois. L’âge moyen auquel on

a connu la rue est de 29 ans (écart-type 11,8 ans : les extrêmes vont de 10 ans à 69 ans) :

au total,16 % des répondants ont connu « la rue » avant l’âge de 18 ans.

20 La durée de présence est fortement liée à certains facteurs, qui sont, par ordre

décroissant d’importance, l’âge auquel on a connu la rue pour la première fois (les

personnes ayant connu la rue le plus tôt sont celles qui sont susceptibles d’y vivre le

plus longtemps), le montant des dépenses journalières (les personnes qui ont les

dépenses quotidiennes les plus faibles sont celles qui ont vécu le plus longtemps dans la

rue), le sexeenfin (les raerae sont les personnes susceptibles de vivre le moins

longtemps dans la rue, au contraire des hommes).

21 Les caractères spécifiques de cette population sont donc la prépondérance des hommes

célibataires, et le poids important des personnes originaires des archipels éloignés.

Mais il faut souligner la forte hétérogénéité des situations en matière d’âge et de durée

de vie dans la rue, facteurs prépondérants pour expliquer les attitudes et

comportements relevés plus loin.

Un niveau de scolarisation et de formation préoccupant

22 Le niveau scolaire relevé est très faible : près de la moitié (44 %) des personnes

interrogées17 n’a pas le niveau « troisième », et 77 % n’ont pas atteint le niveau

baccalauréat18, 16 % ne savent pas ou ne veulent pas répondre. Parmi l’ensemble des

répondants, l’âge moyen de fin de scolarisation est de 14 ans (écart-type : 2,8) : les deux

tiers des répondants ont quitté l’école avant l’âge légal des 16 ans actuellement en

application, compte tenu du fait que l’âge minimal légal était de 14 ans il y a quelques

années encore en Polynésie française.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

99

23 Parmi l’ensemble des répondants, seul un quart (24 %) déclare avoir reçu une formation

professionnelle, et 5 % ne savent pas. Les formations reçues sont de type « technique »,

liées en majorité au bâtiment (42 %) à l’hôtellerie-restauration-tourisme (23 %), à la

mécanique (10 %) ou autre (artisanat, service aux personnes, agriculture-pêche…).

24 Les trois quarts (72 %) des personnes interrogées ont déjà travaillé, pendant une durée

moyenne de sept ans et demi, mais avec des écarts très importants entre les individus

(écart-type supérieur à la moyenne). Les emplois occupés concernent en majorité le

bâtiment, le secteur secondaire en général ou le secteur primaire (agriculture, pêche),

et sont des emplois peu qualifiés et précaires : on relève très peu de CDI et un travail

non déclaré important19.

25 Les points communs à la population étudiés sont ainsi un niveau de scolarisation et de

formation préoccupant, et des expériences générales d’emploi précaires et peu

qualifiés, dont les effets se cumulent en se renforçant.

Des conditions de vie socio-économiques précaires

Le quotidien des sans-abri tahitiens

26 D’une façon générale, nonobstant les différences individuelles relevées au cours de la

phase qualitative de l’enquête, le réveil est très matinal, entre 4h et 5h du matin, avant

le début de l’activité de la ville : « après, il y a trop de bruit », « les gens commencent à

arriver en ville ». Une rapide toilette est entreprise aux robinets d’eau publique du

marché de Papeete (un petit groupe de sans-abri attend son ouverture tous les matins),

aux toilettes publiques de la récente place Vaiete sur le front de mer, ou aux douches de

la plage aux pirogues à Paofai.

27 Un rendez-vous quotidien en semaine est souvent évoqué : le petit-déjeuner offert à

Vaininiore par le Centre Te Vaiete20 : « au moins, on n’a pas à se préoccuper du repas du

matin », « j’y vais tous les jours, du lundi au vendredi », « on retrouve là-bas tous les

copains ». Parmi les plus jeunes des personnes rencontrées, tous mineurs, on relève des

évocations de petits-déjeuners offerts par les « copines » de la nuit (prostituées femmes

ou raerae).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

100

Photo 2. – Abri improvisé dans des tuyaux abandonnés sur un terrain vague

(cliché de l’auteur)

28 La matinée est ensuite passée à discuter avec les « copains » dans des « spots » ou lieux

de rencontre habituels, sur le domaine public de la commune de Papeete : l’espace de la

rade dit « sable blanc », le pont de Motu Uta, la place Vaiete, etc. La matinée est ainsi

remplie soit à se promener de « spot » en « spot », dans des parcours piétons

apparemment inorganisés mais répondant à une géographie précise des différents

« spots » de la ville et des activités possibles, soit à « travailler » pour pouvoir déjeuner.

Les travaux cités sont toujours les mêmes : mettre en place les tables et chaises de

quelques snacks de la ville en échange de nourriture, petits travaux évidemment non

déclarés de jardinage ou de maçonnerie, chez des particuliers la plupart du temps.

29 Le déjeuner est léger et les mêmes réponses apparaissent, quand déjeuner il y a : « un

casse-croûte » (le « sandwich » à la française), « du pain et une boîte de pâté »,

consommés debout en général. Le programme est le même l’après-midi, balades de

« spot » en « spot », ou petits travaux de fin d’après-midi pour pouvoir dîner. Les

travaux cités consistent là-encore à débarrasser les tables et chaises des snacks et à

« nettoyer » (balayer, passer un jet d’eau), en échange de nourriture, à vendre à la

sauvette des fruits glanés ou cueillis dans les rares jardins des alentours, etc.

30 Le dîner est en général plus consistant que le déjeuner : « du riz avec de la sauce »

(achetée aux roulottes de la place Vaiete), « du pain et une boîte de maquerelle » (ou de

sardine à la tomate, achetés en commerce) consommés soit debout soit assis dans un

« spottranquille ».

31 Les repas quotidiens cités qui font l’objet d’un achat reviennent à 200 FCFP (environ

1,7 €), chiffre cité en grande majorité : « 51 FCFP la boîte, soit 102 FCFP les deux boîtes, et

deuxpains[baguettes] à 47 FCFP ». Le plat acheté aux roulottes fait l’objet d’une remise

par le commerçant car il contient ni viande ni poisson, et est même parfois offert.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

101

32 Une fois pris le repas du soir, la soirée est passée à attendre le moment de dormir,

toujours tardif pour laisser passer l’activité nocturne de Papeete (boîtes de nuit, jeunes

des quartiers de l’agglomération qui « traînent en ville et en bande »…), et éviter ainsi

les problèmes consécutifs à l’ingestion d’alcool des noctambules : « je ne me couche pas

avant 23h », « je vais dormir vers minuit - une heure du matin ».

33 De fait, les nuits sont courtes, d’une durée moyenne de cinq heures, et agitées par la

présence indésirable des « jeunes des quartiers » rôdant en ville, ou des rondes des

policiers municipaux, appelés les « ninja » du fait de leur uniforme entièrement noir. La

nuit constitue ainsi pour ceux que l’opinion publique juge « dangereux » le moment de

tous les dangers : agressions par d’autres sans-abri (peu cités) ou par « des voyous des

quartiers » (plus généralement cités), vols de vêtements ou d’argent pendant le

sommeil, et inconfort et froid (en saison sèche) des nuits passées par terre sur un

carton (to’eto’e roa). La nuit constitue aussi le moment de l’argent facile pour les

mineurs rencontrés et, notamment, celui de la prostitution masculine des vendredis et

samedis soirs.

34 Nourriture insuffisante en qualité et en volume, durée forcément réduite d’une nuit

agitée, inconfort des conditions de sommeil, absence générale de couvertures et de

vêtements « longs » (pantalons, tricots à manches longues), il ne semble dès lors pas

étonnant que certaines personnes avouent souffrir du froid, même sous un climat plus

clément que celui de la France métropolitaine, à l’encontre des lieux communs

généralement formulés (« la misèreest moins dure au soleil »…).

35 Les conditions de vie des personnes rencontrées paraissent ainsi particulièrement

précaires, notamment en matière de besoins élémentaires. Le toit est constitué par un

endroit abrité de la pluie, et des regards des passants si possible, et retiré des

principales artères automobiles, avec un carton (« je vérifie avant s’il est propre etjele

sens ») pour matelas. Le linge est en général fourni par la Croix rouge ou les Églises ; on

est habillé d’un short, d’un tee-shirt et d’une paire de savates, et le minimum gardé

avec soi dans un sac à dos : un short et un ou deux « tricots » de rechange, rarement un

pantalon et une chemise à manches longues (« le pyjama ») pour dormir, et une carte

nationale d’identité quand on en a une. Le linge est lavé aux fontaines publiques de la

ville (place Vaiete), ou grâce aux machines à laver que rend disponibles le Centre de

jour (« mais ça fait honte devanttout le monde »). Les transports se font bien sûr à pied,

le prix minimum d’un truck correspondant à la valeur monétaire d’un repas. Les loisirs

sont limités à la discussion avec les « copains », à regarder les voitures et les gens

passer, ou encore à boire et/ou fumer en groupe. Le terrain de sport dont dispose le

Centre de jour est peu utilisé, hormis quand un animateur ou un stagiaire du Centre

décide d’organiser une rencontre amicale.

Des relations sociales entre « pairs »

36 Contrairement aux idées répandues d’une désocialisation et d’une rupture familiales

totales des sans-abri, des contacts sont gardés avec la famille : 42 % des répondants

déclarent avoir gardé des liens avec un membre au moins de leur famille. Mais ces liens

sont en très grande majorité occasionnels (seuls 3 % d’entre eux se voient « souvent »)

et privilégient les parents dans 50 % des cas (dont 15 % la mère seule, 15 % la « famille

nucléaire », 14 % les deux parents et 5 % le père seul), les frères ou les sœurs dans 22 %

des cas21, les cousins et cousines dans 12 % des cas, les enfants (6 %), les grands-parents

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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(5 %), les oncles et les tantes (3 %), les concubins ou les copains (2 %). La phase

qualitative de l'enquête a en outre permis de mettre en évidence des contacts parfois

entretenus avec des commerçants du quartier dans lequel les sans-abri passent leurs

nuits, qui leur fournissent de la nourriture (jamais d’argent) sans contrepartie, ou

contre de menus travaux.

37 En matière de relations sociales, les personnes rencontrées ont donc peu de contacts

avec d’autres personnes, hormis avec celles vivant dans la rue : « les copains ». Elles

mettent en grande majorité l’accent sur la stigmatisation dont elles font l’objet au

quotidien : « les gensnous regardent de côté », « quand je demande un cent franc, on

me dit que je ferais mieux d’aller travailler ». Comme l’ont noté E. Goffman (1975) et S.

Paugam (1991) notamment, les phénomènes d’exclusion et de déqualification sociales

sont le produit d’une construction sociale, à laquelle les personnes soumises à la

stigmatisation adhèrent en intériorisant certaines représentations négatives (« Ça fait

honte »).

38 Par ailleurs, elles ont également peu de contacts avec les institutions. Seules quelques

citations spontanées ont été relevées, et ne concernent que de rares structures, celles

qui sont le plus souvent et en contact direct avec eux : le Club de prévention spécialisée

(« le Centre dejour ») qui n’est jamais cité en tant que tel, mais au travers des prénoms

de ses animateurs de rue, le centre Te Vaiete jamais cité non plus en tant que tel mais

sous la figure charismatique de son responsable et animateur, les repas gratuits le

premier jeudi du mois et les structures qui les organisent (« les Églises »).Nous n’avons

pas noté de mentions spontanées des centres d’hébergement, qui n’apparaissent qu’en

relançant l’entretien sur ces derniers. De la même façon, nous n’avons relevé aucune

citation spontanée concernant les institutions chargées d’œuvrer auprès de ce public

(direction des Affaires sociales, Caisse de prévoyance sociale, Office polynésien de

l’Habitat…). En relance, il apparaît auprès des personnes rencontrées une perception

négative de ces institutions : les principaux griefs concernent l’absence ou le peu de

rencontres, l’absence de suivi des dossiers administratifs en cours, des jugements

moralisateurs sur la situation de la personne plutôt qu’une écoute objective ou une

réelle aide : « Les obstacles à leur réinsertion sont d’ordre psychologique et social : il

faut qu’ils acceptent de se réinsérer dans la société, de s’intégrer, d’être un peu comme

tout le monde, et je ne sais pas s’ils veulent devenir comme tout le monde s’ils sont SDF

» (un travailleur social).

39 À la question « quelles sont les personnes ou structures qui aident les gens qui vivent

dans la rue ? », et malgré un taux de non-réponse important, seules deux structures

sont citées spontanément par les répondants : le centre Te Vaiete (59 % des

répondants), et le Centre de jour(51 %), qui se trouvent être les structures en contact au

quotidien avec les sans-abri.

40 Des acteurs institutionnels tels que les « travailleurs sociaux » (constitués des

intervenants de la direction des Affaires sociales) et la « Caisse de prévoyance sociale »

recueillent entre un quart et un tiers des réponses, autant que la structure

d’hébergement pour hommes le Bon Samaritain. La réponse « autres » regroupe des

réponses minoritaires telles que « la Justice » (4 réponses, soit 1 % du total des

répondants), « les clients » pour les prostituées (4 réponses, soit 1 % du total), « les

commerçants » (3 réponses, soit 1 %), et pour moins de 1 % des réponses au total les

voisins (1 réponse), la Croix-Rouge (1 réponse), la CCISM (1 réponse), la commune (1

réponse).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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41 D’une façon générale, on peut noter que les structures privées et associatives

recueillent plus de réponses spontanées que les structures institutionnelles et l’absence

remarquable des communes qui ne recueillent qu’une seule réponse spontanée.

42 Devant cette absence quasi générale de contacts humains, personnels comme

institutionnels, et la rupture familiale constituant en premier lieu le statut d’errant

(Moreau de Bellaing et Guillou, 1995 : 184), il apparaît chez les personnes vivant dans la

rue une nécessité : se constituer en « groupe de copains », tous vivant dans la rue,

partageant les mêmes expériences et subissant le même regard de la part de la

population et des institutions. Nous avons noté de façon quasi générale une mise en

commun des ressources au sein des groupes ainsi constitués, notamment en matière

alimentaire, ou de consommation d’alcool et de cannabis pour partager un « trip ».

Lorsque l’un des membres du groupe dispose de liquidités (perception mensuelle d’une

petite pension, rémunération de petits « boulots », argent issu de trafics divers…), il en

garde une partie pour lui (« je cache mon argent dans mon slip pour ne pas me le faire

voler pendant la nuit »), souvent la moitié de la somme, et l’autre moitié est versée au

« pot commun » pour l’achat et la consommation en général immédiate de nourriture

ou parfois de psychotropes.

43 Il semble se recréer ainsi une « communauté de destin » se détachant peu à peu d’une

société dont ils s’estiment rejetés ou mis à l’écart, renforçant par là leur statut de

« marginaux » ou de « déviants » : c’est l’interaction, le regard des autres porté sur

quelqu’un qui fait de lui un déviant (Becker, 1985). Le regard et le jugement d’autrui ont

bien une fonction de désignation, type de relation engagée entre l’attribut (le stigmate)

et le stéréotype (Goffman, 1975). La seule solution pour le sans-abri tahitien est

d’adopter une position « d’évitement », en refusant de « faire la manche » pour se

nourrir, en prenant soin de ne pas paraître négligé, en portant toujours des vêtements

propres et d’apparence correcte (ni déchirés ni troués), et en évitant de stationner trop

longtemps au même endroit pour éviter de se faire repérer non tant par les forces de

police municipale que par d’éventuelles connaissances, phénomène plus fréquent et

donc sans doute plus redouté dans une ville de la taille de Papeete que dans une grande

ville française. De la même façon, les seuls centres d’hébergement existant aujourd’hui

à Tahiti sont pris en charge par des associations religieuses, notamment catholiques.

Les discours qui y sont tenus par les responsables et travailleurs sociaux sont perçus

comme normatifs et moralisateurs par les personnes hébergées (« il faut supporter à

chaque fois leur prêchi-prêcha, une prise de tête »), renforçant leur sentiment de

culpabilité vis-à-vis de leur situation, et les horaires et la discipline jugés trop stricts

(« c’est pire que la prison », « c’est comme à l’armée ») par des personnes qui vivent

parfois dans la rue depuis de longues années.

Les inconvénients perçus à vivre dans la rue

44 Les problèmes rencontrés lorsqu’on vit dans la rue sont nombreux selon les personnes

interrogées. Parmi celles qui trouvent un inconvénient à vivre dans la rue (seuls 14 %

n’en trouvent aucun), en moyenne 2,6 inconvénients sont donnés.

45 Contrairement à l’image communément partagée du sans-abri représentant un danger

public pour les citoyens « normaux », la rue est vécue par les personnes qui y vivent

comme un lieu de danger, d’agressions et de vols (62 %), et notamment par les plus

jeunes et les plus âgés d’entre eux, et par les femmes. Les agressions dont font l’objet

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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les personnes vivant dans la rue semblent de plus en plus nombreuses depuis quelques

années, et fragilisent encore plus les personnes qui y vivent, qu’il s’agisse des plus

jeunes, des plus âgés, ou des femmes (« je suis tout le temps agressé et tabassé par les

plus forts », « quand on est vieux, on nous bouscule, on nous vole et on nous tabasse

souvent », « quand tu es une femme et que tu vis dans la rue, tu as intérêt à te trouver

un tane [compagnon] pour te protéger »).

Photo 3. – Un carton d'emballage comme couche devant le rideau de fer d'un commerce où un sansabri passe la nuit

(cliché de l’auteur)

46 Le fait de « ne pas avoir d’endroit pour dormir » (31 % des répondants) constitue bien

sûr la spécificité des personnes vivant dans la rue « quand il fait mauvais temps, c’est

trop dur de dormir dehors, ce n’est pas confortable ») et le deuxième inconvénient cité

en moyenne. Mais cette dimension recouvre également la concentration croissante de

ces personnes à Papeete, et le fait que « d’anciens » sans-abri doivent laisser place à de

plus récents, ou encore que les plus jeunes d’entre eux, et notamment les mineurs,

doivent trouver des lieux pas encore territorialisés par leurs prédécesseurs (« je dors là

où il y a de la place »). La dispersion des lieux de vie et leur caractère aléatoire et

changeant illustrent ce phénomène : les sans-abri polynésiens ne se concentrent plus

seulement autour du marché de Papeete, zone centrale et historique et point de

ralliement, mais investissent désormais des quartiers éloignés du centre-ville et de ses

commodités : Fare Ute, Motu Uta, Taunoa… dormant à même le sol sur un carton, ou

encore dans un immeuble en construction, au milieu des matériaux de construction sur

un chantier, dans un endroit abrité au milieu d’un terrain vague, dans des voitures aux

portes laissées ouvertes par leurs propriétaires, etc., formes d’« appropriation »

occasionnelle et sans cesse remise en question.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

105

47 La faim, troisième réponse énoncée par près d’un quart des personnes interrogées

(« depuis que je vis dans la rue j’ai tout le temps faim », « la vie est dure quand on ne

sait pas comment trouver à manger »), est de nouveau un coup porté au lieu commun

souvent entendu, y compris de la part d’élus municipaux : « en Polynésie, on ne peut

pas avoir faim ». L’argument de fruits et de poissons librement disponibles ne résiste en

effet pas à l’analyse, la concentration urbaine à Papeete ayant fait disparaître nombre

d’arbres fruitiers, et rendu délicat l’accès au lagon. Selon Serge Paugam (1991 : 219) :

« la disqualification est avant tout une épreuve, non pas seulement en raison de lafaiblesse des revenus ou de l’absence de certains biens matériels, mais surtout enraison de la dégradation morale que représente dans l’existence humainel’obligation de recourir à l’appui de ses semblables et des services d’action socialepour obtenir de quoi vivre dans des conditions décentes. »

48 Les réponses « le regard des autres » (20 %) et « la saleté » (17 %) (« ce que je n’aime

pas, c’est que je sens mauvais tous les jours, et j’ai honte… », « même les chiens sont

mieux traités que nous : on leur donne à manger tous les jours sans leur demander de

travailler… », « on nous regarde méchamment », « ce que je voudrais avant tout, c’est

de ne pas nous regarder comme le font les gens : nous ne sommes pas des monstres »)

sont souvent complémentaires et mettent l’accent sur la stigmatisation forte dont font

l’objet les sans-abri, les renforçant encore plus dans leur statut de marginaux et de

« déviants », y compris de la part de personnes dont le premier discours spontané

évoque la liberté de la vie dans la rue et le sentiment de maîtriser leur propre corps.

49 D’autres réponses apparaissent de façon plus minoritaire, et notamment l’ennui

éprouvé dans la rue (15 %) du fait de l’absence d’activités, et le fait d’être séparé de ses

enfants (10 %). L’absence d’hygiène quotidienne, et un suivi de santé incertain ou

insuffisant malgré la gratuité des soins mise en place pour les populations les plus

défavorisées, sont évoqués soit par les plus jeunes, soit par les personnes frappées de

pathologies invalidantes (goutte, handicap physique…) ou nécessitant un suivi médical

régulier (diabète, maladies cardio-vasculaires, problèmes dentaires graves, cancers…)22.

L’hygiène quotidienne est bien souvent limitée à la douche publique et à des ablutions

aux robinets publics. Tous évoquent le peu d’infrastructures en la matière à Papeete. La

contraception semble inexistante ou très irrégulière.

Des dépenses quotidiennes variables

50 Il s’avère donc que les conditions de vie sont particulièrement précaires pour la

population étudiée : 38 % des répondants déclarent dépenser 500 FCFP par jour ou moins

(soit environ 4,2 €), soit un maximum de 15 000 FCFP par mois (125 €).Ces dépenses

recouvrent principalement la nourriture, mais également des besoins annexes

(boissons, tabac à rouler…). L’alimentation est bien le poste budgétaire pour lequel les

écarts sont les plus importants entre les groupes de revenus, et encore plus quand on

s’attache aux populations très défavorisées (Cavaillet et Momic, 2004) : le poids des

achats alimentaires dépasse 50 % des dépenses quotidiennes pour près de la moitié des

personnes interrogées, alors que ce taux n’est que de 19 % en moyenne pour la

population totale dans la zone urbaine de Tahiti.

51 Selon l’ISPF (2005), le seuil de pauvreté absolue correspond à un revenu annuel inférieur

à 57 796 FCFP (environ 480 €) et concernerait moins de 0,5 % de l’ensemble des familles

polynésiennes. Ce seuil (environ 160 FCFP par jour, soit un peu plus d’un euro) concerne

28 % des sans-abri interrogés. Toujours selon les mêmes données de l’ISPF, le seuil de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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pauvreté relative est de 51 470 FCFP (environ 430 €) par mois et par unité de

consommation, et toucherait 18,6 % des ménages polynésiens23. Ce seuil (1 700 FCFP par

jour soit environ 14 €) concerne 76 % des personnes interrogées vivant dans la rue.

52 Cumulant un niveau de scolarisation et de formation préoccupant, une précarité

économique et une rupture du lien social primaire, les sans-abri tahitiens font donc

face à un phénomène de désaffiliation au sens où l’entend R. Castel (1991), auquel

chaque type de sans-abri, sinon chaque individu, s’adapte peu ou prou en fonction de

stratégies individuelles. La notion de désaffiliation paraît plus intéressante à utiliser

que le concept d’exclusion, puisque l’accent est mis sur le processus de rupture du lien

social, sur une dynamique plus que sur un état. L’existence de « zones de cohésion

sociale », reposant sur l’association d’un niveau d’emploi et d’une densité de réseau

relationnel, conduit ainsi à définir un processus de vulnérabilité progressive en cas de

ruptures, qui déboucherait sur une situation de désaffiliation.

53 Par ailleurs, l’utilisation du terme « exclusion » conduit, au moins localement, à

considérer ensemble des populations très diverses et aux trajectoires de vie très

différenciées : jeunes des quartiers sociaux ou placés dans des foyers d’action

éducative, sans emploi, toxicomanes, anciens détenus en liberté surveillée, personnes

handicapées ou âgées, sans aucune référence spécifique aux sans-abri. Ainsi la

délibération 94-148 AT du 08/12/94 instituant un Fonds d’action sociale (FAS) au Régime

de solidarité territoriale (RST) indique que ce Fonds est destiné à « […] venir en aide aux

catégories défavorisées, notamment les handicapés, les personnes âgées, les enfants en

danger, les familles ou personnes en détresse ». La délibération 95-135 AT du 24/08/95

modifiant la précédente précise que :

« […] les programmes d’action sociale du régime de solidarité territorialecomprennent : l’éducation familiale et sociale ; la prévention de la maltraitance etde la délinquance des mineurs ; les programmes destinés aux personnes âgées ; lesactions en faveur du handicap médical ou social ; le développement de l’actionsociale dans les archipels ; les mesures en faveur du traitement de l’exclusionsociale. »

54 De même, la délibération 2001-157 APF du 06/09/01 relative aux associations pour

l’insertion indique que les missions de ces associations consistent à :

« […] accueillir prioritairement les personnes en situation ou en risque demarginalisation, les personnes relevant de la liberté surveillée, les mineurs de seizeans en rupture familiale et les personnes venant d’achever une périoded’incarcération ou de désintoxication […] »

55 Cette absence de référence formalisée aux personnes vivant dans la rue se retrouve

dans les documents de travail des différents acteurs institutionnels. Ainsi, la fiche-type

d’un budget du Régime de solidarité de Polynésie française (RSPF) fait apparaître les

différents programmes d’action sociale en fonction des axes suivants : « insertion des

familles / insertion des jeunes / insertion des personnes âgées / insertion des

personnes handicapées / actions de formation ».

56 Les sans-abri polynésiens sont donc en quelque sorte « noyés » dans les textes

réglementaires avec d’autres types de population, sans être identifiés en tant que tels,

et assimilés sinon réduits par les acteurs de terrain selon les situations à un « jeune

toxicomane », une « personne âgée » en difficulté économique, un « malade mental »

errant dans la rue, un « ancien détenu », un couple « chômeur » avec des enfants, etc.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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sans jamais, ou rarement, prendre en compte la globalité, certes complexe, de leur

situation.

57 L’analyse quantitative « moyennise » également des situations individuelles très

différentes pour établir le portrait-type d’un « sans-abri » auquel aucune personne

rencontrée sur le terrain ne correspond vraiment. Ainsi, la dépense moyenne

quotidienne déclarée est de 1 470 FCFP (donc inférieure au seuil de pauvreté relative),

mais elle connaît un écart-type très important dû aux différences de situation : les

extrêmes vont de 0 à 10 000 FCFP. Il existe de nombreuses différences entre les

personnes interrogées en fonction de leur profil :

les femmes sont sur-représentées à la fois parmi les personnes déclarant ne rien dépenser

par jour (zéro FCFP) et parmi celles déclarant dépenser plus de 4 000 FCFP par jour du fait du

poids des prostituées parmi ces dernières réponses,

les raerae sont sur-représentés parmi les personnes déclarant dépenser plus de 1 000 FCFP par

jour, et surtout parmi celles déclarant dépenser plus de 4 000 FCFP par jour (influence

également de la prostitution parmi cette population),

la probabilité de dépenser plus par jour est d’autant plus forte que la personne vivant dans

la rue est plus jeune : 22 % des moins de 40 ans déclarent dépenser 2 000 FCFP par jour ou plus

(influence des dépenses en pakalolo ou cannabis), contre seulement 10 % des 40 ans et plus.

58 La prostitution, le trafic de pakalolo et les vols sont des facteurs favorisant les dépenses

élevées, sans que celles-ci soient absolument liées aux premières.

59 Les personnes interrogées déclarent près de deux (1,6) moyens de se procurer des

ressources.

60 « Faire charité » est la principale ressource pour plus d’un sans-abri sur deux (56 %).

Une personne vivant dans la rue interrogée sur cinq (19,6 %) déclare recourir à des

« petits boulots »24 (« j’aide à décharger les bateaux. Tous les travaux qu’on me propose,

je fais ») : petits travaux de maçonnerie pour des particuliers (7 %), aide aux snacks et

vendeurs du marché de Papeete (3 %), entretien des jardins de particuliers (2 %), pêche

(2 %), ménage et gardiennage chez des particuliers (2 %), vente de fruits donnés ou

volés (2 %) et autres (revente des bouteilles de bière vides, gardiennage de voitures,

couture… 3 %).

61 Mais des façons annexes ou complémentaires de gagner de l’argent ou de se procurer

de la nourriture existent. Un sans-abri sur trois déclare des activités illicites : 20 %

avouent voler (dans les voitures, à l’étal des magasins, les passants ivres…), 9 % recourir

à la prostitution, 2 % procéder au trafic de pakalolo (cannabis) et 1 % protéger des

prostituées. D’autres moyens de subvenir à ses besoins sont également déclarés de

façon minoritaire : argent donné par la famille (8 %), économies (2 %), emploi régulier

(3 %)25. En Polynésie française, comme le note Serge Paugam (1991) pour la France, « le

travail ne protège plus de l’extrême pauvreté. Il ne suffit pas d’avoir un emploi pour

échapper à la précarité ».

62 Parmi les personnes rencontrées, 15 % déclarent percevoir une pension régulière (d’un

montant de 40 000 FCFP en moyenne soit 330 € environ) : retraite (8 %), pension

invalidité (2 %), pension adulte handicapé (2 %), prestations familiales (1 %). Mais il ne

semble pas que la personne en soit toujours la bénéficiaire : elle peut être frappée

d’incapacité juridique et avoir été placée sous tutelle, les fonds peuvent être prélevés

directement par la famille (sœur, parent…) ou réservés aux enfants comme nous l’avons

relevé au cours de l’enquête.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

108

L’alimentation des sans-abri à Tahiti

Une alimentation au quotidien insuffisante en quantité et en qualité

63 Hormis l’idée que les personnes vivant dans la rue l’étaient de leur plein gré, par

volonté délibérée de ne pas vivre au sein du domicile familial (« ils sont dans la rue

parce qu’ils le veulent bien », « tout le monde a de la famille en Polynésie, donc

personne n’est sans abri » etc.), dans un pays où les relations sociales et surtout

familiales sont censées être restées traditionnelles et denses, un des lieux communs les

plus souvent énoncés à propos des sans-abri dans l’agglomération de Papeete est qu’ils

n’ont pas à souffrir de la faim puisque végétaux et poissons sont librement disponibles.

Outre que cette affirmation (« il suffit detendre le bras pour cueillir des fruits

disponibles toute l’année »), partagée par certains des élus municipaux et acteurs

institutionnels « de proximité » rencontrés, est issue d’une perception mythique d’un

Éden polynésien où la nourriture est toujours et librement disponible en abondance

(Serra Mallol 2005) ou d’une forme inversée « d’idéologie du retour » qui prend la

forme d’une injonction d’un retour aux zones rurales où l’accessibilité aux ressources

naturelles est plus aisée, elle ne reflète en rien la réalité dans l’agglomération urbaine

tahitienne, et surtout à Papeete même où sont concentrées 80 % des personnes vivant

dans la rue : jardins privés clôturés, passage de plantations vivrières au profit des fleurs

dans les jardins, disparition avérée depuis plus d’une cinquantaine d’années des

plantations vivrières communautaires en lisière des communes ou en fond de vallée au

profit de rares plantations commerciales à Tahiti… De la même façon, la fréquentation

et la pêche accrues des lagons de l’agglomération, et du chef-lieu en particulier, font

qu’il est désormais nécessaire de disposer d’un matériel minimal (canne à pêche, filet,

sinon bateau ou pirogue) pour pouvoir assurer sa subsistance en matière de produits de

la mer. Sans compter la nécessaire préparation culinaire de ces produits qui impose le

recours à un appareil de cuisson et aux ustensiles de cuisine, dont ne disposent

évidemment pas la quasi-totalité des sans-abri rencontrés.

64 De fait, la réalité est bien différente. Le seul repas complet pour beaucoup des

personnes rencontrées vivant dans la rue est celui du matin, grâce à la distribution

gratuite de repas complets organisée bénévolement en semaine par un responsable

religieux : 38 % des personnes interrogées déclarent bénéficier de façon plus ou moins

régulière de ce service. Les autres se satisfont d’une nourriture frugale (« café-pain-

beurre » en majorité, pain accompagné d’une boîte de sardines ou de pâté, sandwich,

pain seul, restes de nourriture glanés dans des poubelles, café sucré seul) ou même de

rien. Hormis le repas offert par le Secours catholique polynésien, les autres achètent

leur repas du matin (37 %), ou se le voient offrir (12 %) par charité ou par échange de

services, et 5 % le partagent avec d’autres personnes de « la rue » (sans-abri ou

prostituée); 6 % déclarent avoir mangé le matin dans un centre d’hébergement, et 2 %

dans leur famille ou chez un ami.

65 À propos du repas de milieu de journée, 46 % déclarent ne rien manger26. Les autres

prennent les mêmes en-cas que ceux cités pour le matin (« casse-croûte », pain

accompagné d’une boîte de conserve, restes de nourriture…). Seuls 13 % prennent un

plat chaud ou un repas complet, acheté ou offert. Parmi ceux qui déclarent manger à

midi, 54 % achètent leur nourriture, 19 % se la voient offrir par charité ou par échange

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

109

de services, 7 % la partagent avec d’autres sans-abri ou des prostituées, 7 % déclarent la

voler, 2 % utilisent des restes du repas gratuit du matin, 6 % déclarent avoir mangé à

midi dans un centre d’hébergement, et 5 % dans leur famille ou chez des amis.

66 Le repas du soir est un peu plus fréquent que celui du midi : seuls 10 % déclarent ne rien

manger. Il est plutôt composé d’un plat chaud (45 %) acheté dans une roulotte27 ou

encore partagé avec d’autres sans-abri, de pain accompagné d’une boîte de sardines ou

de pâté (22 %) achetés dans le commerce ou encore partagés, de restes de nourriture

trouvés dans les poubelles (7 %), de café seul ou accompagné de pain beurre (6 %), de

pain seul (3 %) ou de fruits seulement (2 %). Seuls 3 % bénéficient d’un repas complet le

soir, offert en général par leurs clients aux personnes vivant dans la rue et qui se

prostituent ; 5 % déclarent avoir mangé le soir au domicile de la famille ou chez des

amis, et 3 % dans un centre d’hébergement.

67 On notera l’absence de dispositif institutionnel d’alimentation pour les sans-abri :

même les bons alimentaires distribués avec parcimonie par les Services Sociaux

territoriaux ne sont pas vraiment adaptés, constituant des bons d’achat dans certains

commerces pour des produits qui nécessitent ensuite une préparation ou une cuisson

dont les ustensiles font souvent défaut aux personnes vivant dans la rue.

L’importance de la nourriture

68 Nous avons montré ailleurs l’importance tant qualitative que quantitative de la

nourriture et des prestations alimentaires dans la culture polynésienne, dont la

principale caractéristique est d’être basée sur une notion d’abondance quantitative et

sur l’irrégularité des prises (Serra Mallol, 2007). Si cette irrégularité des

consommations est avérée chez les sans-abri interrogés, il s’agit ici bien plus souvent

d’une contrainte de fait que d’habitudes de consommation. De même, la notion

d’abondance est exclue des discours. Le caractère compensateur, principe de plaisir

plus physique qu’organoleptique (l’expression tahitienne pa’ia, s’éprouver à la fois

rassasié et empli de nourriture) que nous avions relevé, est ici absent (ou en creux,

comme souhait : « bien manger, c’est être rassasié, pour faire la sieste après ») : on mange

d’abord par nécessité vitale, « je mange pour survivre », « manger ce qu’il faut pour

avoir des forces », « je mange pour être en forme », « si je ne mange pas je risque

d’avoir des problèmes de santé », etc. Le pain est omniprésent, ainsi que les conserves

bas de gamme de bœuf en boîte (punu pua’atoro), de poisson (sardines, maquereau) ou

de légumes (lentilles, haricots). La viande est rarement évoquée (et plutôt le poulet que

les viandes dites rouges), sauf comme aliment considéré comme « important », au

même titre que le poisson.

69 À la question « pour vous, bien manger, qu’est-ce que cela signifie ? », nous relevions,

auprès de personnes issues de ménages certes modestes mais « domiciliées », des

réponses liées au caractère culturel de la nourriture, qui évoquaient les aliments perçus

comme « typiques », « traditionnels », de l’alimentation tahitienne : fruits et tubercules

locaux (taro, fē’i, ’uru…), poisson cuit ou cru préparé « à la tahitienne » (légèrement

macéré dans de l’eau de mer ou du citron, puis mélangé à du lait de coco), préparation à

base de sauce au lait de coco (poisson cru mais également porcelet au lait de coco, fāfaru

, po’e, etc.). Dans les réponses données par les personnes vivant dans la rue, rien de tout

cela. L’objectif rarement atteint est d’être rassasié, d’atteindre cette plénitude physique

et ce bien-être que procure un estomac bien rempli.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

110

Une consommation répandue d’alcool et de cannabis

70 Contrairement au lieu commun, les personnes vivant dans la rue ne sont pas toutes

fortes consommatrices d’alcool. Toutefois, la consommation d’alcool est relativement

élevée parmi cette population, puisque seuls 15 % déclarent ne jamais boire ou

occasionnellement (moins d’une fois par semaine), beaucoup citant un abandon de la

consommation d’alcool au cours de l’année après signature d’un contrat moral avec une

Église du type « Croix bleue28 ». Les autres personnes interrogées se partagent entre

36 % qui déclarent boire une fois par semaine, 32 % déclarant boire une fois par jour, et

13 % plusieurs fois par jour, cette dernière fréquence de consommation pouvant

atteindre en volume jusqu’à plusieurs litres de vin bas de gamme pour les plus anciens

des sans-abri pour lesquels les dépenses quotidiennes en alcool dépassent celles

consacrées à la nourriture.

71 La consommation de pakalolo (cannabis local) est plus hétérogène puisque 35 %

déclarent ne jamais en fumer ou occasionnellement (moins d’une fois par semaine). En

revanche, 11 % déclarent en fumer une fois par semaine, 27 % une fois par jour et 22 %

plusieurs fois par jour ; ce dernier type de consommation est le fait surtout des plus

jeunes, qui sont par ailleurs ceux qui se nourrissent le plus mal, sautant bien souvent

les repas du matin et de midi.

Conclusion

72 Les représentations de Tahiti basées autour des notions d’abondance naturelle et de

tradition d’accueil et d’hospitalité, font partie de l’imaginaire occidental, et sont

également intériorisées par les populations locales. Si ces représentations ne portent

pas à conséquence en matière sociale quand elles sont intégrées dans les spectacles

folkloriques ou dans la communication touristique à l’égard des touristes

internationaux comme des résidents, elles ont en revanche un impact important quand

elles prennent la forme d’arguments visant à nier ou à minimiser l’existence même et

les conditions de vie des groupes de population les plus précaires. C’est donc un rôle

important que joue la question des représentations, fondées sur une facilité perçue

d’accès aux ressources naturelles, et notamment dans les zones rurales de Tahiti ou

dans les îles des autres archipels. Elle agit au niveau des différents acteurs de proximité

chargés d’œuvrer auprès de ce groupe de population et permet ainsi de vérifier

l’influence des représentations culturelles et sociales sur les attitudes et pratiques des

sans-abri eux-mêmes suivant le modèle du jeu des interactions (Goffman 1971, 1974).

73 Au-delà de cette constatation, nous voudrions revenir sur la notion de désaffiliation qui

nous paraît bien mieux s’appliquer aux sans-abri, en une sous-catégorie du concept

plus général d’exclusion. En effet, le concept d’exclusion met plus l’accent sur des

déterminants économiques que sociaux (et en ce sens est souvent assimilé à la

« précarité » ou à la « pauvreté »), ce qui n’empêche pas pour autant l’existence de liens

sociaux forts, notamment en Polynésie française. En effet, et malgré des situations

économiques difficiles sinon précaires, on note dans les quartiers définis comme

prioritaires par les pouvoirs politiques locaux, et notamment ceux qui font l’objet

d’opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI), l’existence de réseaux de

solidarité économique très forts, fondés sur l’autoconsommation et les échanges,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

111

vecteurs de recomposition sinon de pérennité de liens sociaux qui dépassent le strict

lien de parenté. Malgré les quelques contre-exemples cités à propos des sans-abri, on

ne peut pas pour autant considérer qu’ils sont inclus dans de tels réseaux sociaux et

économiques, à commencer par les solidarités familiales si importantes en Polynésie

française, dont le caractère défaillant paraît être une cause première à leur situation,

avant même le facteur économique. C’est l’absence même de ce tissu relationnel, et

notamment familial, qui nous paraît les définir, au-delà du constat de l’absence de

logement et de la précarité de leur condition.

74 De plus, la diversité des situations rencontrées parmi cette population (et qu’illustrent

notamment les écarts-types importants calculés dans l’analyse des données

quantitatives de l’enquête) est souvent rassemblée sous un vocable unifiant, « le SDF »

ou « le sans-abri », qui laisse croire à une homogénéité de pratiques de vie et de

sociabilité. Or, nous ne partageons pas les propos de P. Gaboriau (1993 : 15) sur une

prétendue « culture de la rue » ou de la « place publique » partagée par tous les sans-

abri autour de la mendicité, la consommation massive d’alcool et de drogues, et des

modalités d’occupation des lieux publics, et qui dépasserait les particularités

individuelles. L’esprit de survie et de « débrouille » nous semble ressortir d’une culture

plus largement populaire, comme les « stratégies d’évitement » constatées auprès des

sans-abri tahitiens relèvent d’une réaction face aux regards « des autres » et à la

culpabilité et la honte ressenties, d’autant plus importantes que les autres sont des

personnes connues : tactiques pour échapper au regard désapprobateur des passants

qui peuvent faire partie de la famille éloignée, réticence à bénéficier des aides

matérielles mises à disposition par les structures associatives ou institutionnelles, refus

des soins et du recours au médecin ou au psychologue...

75 Les représentations traditionnelles de Tahiti, une certaine forme « d’idéologie du

retour » et des questions de catégorisation s’ajoutent en les renforçant aux

représentations concernant les personnes vivant dans la rue, et ont une influence sur

les attitudes et les comportements des acteurs institutionnels à même de mettre en

œuvre sur le terrain les politiques sociales qui pourraient leur être destinées, de façon

plus ou moins spécifique, rendant problématique leur prise en compte dans une

optique de traitement social. Des expériences de « retour dans les îles » de personnes

sans-abri ont ainsi été mises en œuvre, sans s’assurer au préalable des conditions de

prise en charge et d’accompagnement dans les réseaux locaux sur place, et sans

toujours prévoir d’aides en matériel agricole ou de pêche : les travailleurs sociaux

notaient avec fatalité la présence de ces personnes dans les rues de Papeete de nouveau

deux à trois mois après l’opération (« On envoie des personnes chez elles dans les îles,

mais ensuite aucun suivi n’est fait : il n’y a qu’une assistante sociale pour tous les

Tuamotu »selon un travailleur social).

76 Mais ces représentations ont de plus une influence sur les comportements mêmes des

sans-abri : le fait de vivre dans la rue à Tahiti, bien plus difficile au quotidien que

l’image que s’en fait le grand public, est en outre vécu sur le mode paradoxal et

douloureux d'une libération pourtant facteur d’exclusion et de culpabilisation. Certains

acteurs politiques ont conscience de la gravité et de la complexité d’un problème qui

mêle des facteurs aggravants (conditions socio-économiques des familles dont est issue

la grande majorité des sans-abri, handicaps psychologiques dus à des histoires

personnelles souvent dramatiques…) et la faiblesse des moyens mis en œuvre (nombre

relativement faible de travailleurs sociaux et de psychologues dans le secteur public

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

112

pour un réel et indispensable accompagnement de ce public dans le temps, difficultés à

rendre des terres disponibles du fait de l’indivision des propriétés foncières…). Mais les

actions mises en place ces dernières années au profit des populations défavorisées ou

« en situation d’exclusion » (logement social, protection sociale généralisée, dispositifs

subventionnés d’aide à l’emploi ou à la formation …) s’appliquent imparfaitement à

cette population, qui n’est finalement pas prise en compte en tant que telle. Et les

difficultés économiques que commence à connaître le pays, ainsi que l’instabilité

politique récurrente depuis 2004, ne sont pas de nature à modifier cet état de fait. Les

sans-abri tahitiens constituent donc la « part maudite » de l’abondance matérielle

déversée ces quarante dernières années et la face obscure, de plus en plus visible, d’un

mythe de l’abondance et de l’hospitalité familiale polynésiennes toujours vivace.

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NOTES

1. Même si on peut considérer de façon stricte que la personne « sans-logis » est celle qui se

caractérise par une absence de logement, alors que celle « sans-abri » a été victime d’une

catastrophe. Mais le fait d’être rejeté par sa famille, ou de fuir des problèmes familiaux jugés

insurmontables, peut être vécu par la personne comme une « catastrophe sociale ».

2. Cette étude, commanditée par le Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) de l’agglomération

de Papeete au sein duquel je remercie Sylvie Jarles et Heimana Ah-Min, s’est déroulée entre

novembre 2007 et septembre 2008 en trois phases : une phase documentaire et d’entretiens

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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qualitatifs approfondis auprès de vingt sans-abri, une phase d’enquête quantitative de type

exhaustif par recensement systématique auprès de plus de trois cent cinquante sans-abri dans

l’agglomération urbaine de Papeete et l’île de Moorea, et une dernière phase d’évaluation des

structures d’aide existantes et d’entretiens auprès d’acteurs associatifs et institutionnels. Les

résultats complets de l’enquête ont été présentés en septembre 2008 devant les principaux

représentants des communes, du pays et de l’État en charge des questions d’exclusion sociale et

économique. Des travaux de mise en œuvre d’actions correctives et préventives sont en cours à

partir d’un plan d’action global proposé par l’auteur, et une évaluation continue du plan d’action

est prévue au cours des deux années à venir.

3. Les structures associatives rencontrées (a minima le responsable et l’adjoint de la structure,

sinon les personnels en charge des publics) ont été les suivantes : le Club de prévention

spécialisée de l’association Te Torea, le Centre d’accueil Te Vaiete du Secours catholique

polynésien, les structures d’hébergement qui dépendent de l’association Emauta (Le Bon

Samaritain pour les hommes adultes, la Samaritaine pour les femmes adultes, le Centre Te Arata

pour les familles, le foyer maternel Maniniaura pour les jeunes mères célibataires), le Centre

d’hébergement du Bon Pasteur destiné aux adolescentes, le Centre d’hébergement Uruai a Tama

pour les adolescents, les associations de réinsertion par l’économique Te Rima Turu (Moorea) et

Te U’i Rau (Fa’a’a). Seules les cinq premières structures associatives citées oeuvrent de façon

majoritaire auprès des sans-abri. Les acteurs institutionnels rencontrés ont été les médecins et

infirmières des dispensaires communaux de Papeete et de Moorea, les travailleurs sociaux de la

caisse de Prévoyance sociale (CPS) et de la direction des Affaires sociales (DAS) ainsi que leurs

responsables de circonscription administrative, la personne chargée des sans-abri à la commune

de Papeete, des cadres du Fonds de développement des archipels (FDA) et du service de Formation

et d’Insertion (SEFI), et des responsables des Églises catholique, protestante et adventiste.

4. Et notamment des membres des cabinets ministériels de la Solidarité, du Logement et de la

Santé à la vice-présidence, ainsi que les directeurs ou adjoints des directions des services

administratifs de tutelle, et les maires ou adjoints des communes concernées par l’étude, soit

Papeete, Fa’a’a, Punaauia, Papara, Pirae, Arue, Mahina et Moorea, et leurs chargés de mission

auprès du CUCS.

5. Le chiffre total d’entretiens réalisés est de 341, non compris les 42 enfants âgés de moins de

quinze ans vivant avec leurs parents, soit 383 personnes au total. Mais le fait que certains

entretiens ont été menés auprès de familles accueillies au sein de l’ancien hôpital Vaiami en vue

d’un possible relogement ultérieur nous a conduit à les faire sortir du champ de l’étude, et donc

de l’échantillon total.

6. Contrairement aux affirmations initiales de certains élus ou adjoints communaux de

l’agglomération urbaine (« nous n’avons pas de sans-abri chez nous »), nous avons pu vérifier que

toutes les communes composant l’agglomération urbaine de Tahiti, sans exception, accueillaient

des sans-abri sur leur territoire. En revanche, c’est le chef-lieu Papeete qui en rassemble le plus

proportionnellement à sa population résidente, du fait de l’attraction que la « capitale » et ses

commodités exercent, mais également en fonction d’un phénomène que certains auteurs

(Damon, 2002) qualifient de « jeu de ping pong », qui consiste à déplacer le problème (en

l’occurrence les sans-abri) chez le voisin en les y envoyant, le Not in My Back Yard des Américains.

7. Le Club de prévention spécialisée est une structure associative créée en 1998 regroupant onze

personnes (en majorité travailleurs sociaux de formation) et dédiée à « l’assistance aux

personnes en situation d’exclusion » et aux interventions dans la rue, de jour comme de nuit. En

ce sens, on peut l’assimiler à une forme de Samu social polynésien. Un local d’accueil, le « Centre

de jour », a été mis à leur disposition en 2002 par la mairie de Papeete ; il est doté d’une douche,

d’un lavabo et de toilettes, de machines à laver le linge, de sèche-linge, et de casiers de

rangement individuels. L’association dispose depuis 2005 de deux studios et d’un F3 pour loger

temporairement des familles.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

115

8. En France métropolitaine, les rapports indiquent que la sous-évaluation est de l’ordre de

100 %, et certains ouvrages avancent même des estimations qui varient du simple au quintuple

(Zeneidi-Henry, 2002 : 38-40). Nous minimisons fortement de façon volontaire notre sous-

évaluation du fait de la méthode d’enquête retenue, exhaustive sur le terrain.

9. Selon les premiers résultats statistiques du Recensement général de la Population de 2007 par

l’ISPF.

10. Les seules données quantitatives disponibles sont celles du Club de prévention spécialisée, de

la circonscription administrative des Affaires sociales de Papeete, et de la commune de Papeete.

Les chiffres du Club de prévention spécialisée, les seuls portant sur plusieurs périodes, montrent

une augmentation notable du nombre de sans-abri « permanents » identifiés sur le champ

géographique d’intervention de l’association, c’est-à-dire la seule commune de Papeete : en

1998-99 le Club en aurait identifié 119, et 130 en 2007. La circonscription des Affaires sociales de

Papeete dispose d’une liste de 160 personnes recensées en 2007 comme bénéficiaires d’une aide

de la commune sans pour en être forcément originaires, et estime que ces personnes constituent

environ les trois quarts de la population totale des sans-abri polynésiens. La commune de

Papeete, quant à elle, « estime à deux cents le nombre de SDF à Tahiti, principalement en ville »

en 2002 (site internet de la commune).

11. Quelques résultats de la partie quantitative de l’enquête seront comparés à ceux d’une

enquête réalisée par l’INED à Paris en 1995 (Firdion et Marpsat, 2000), d’une autre par l’ INSEE

auprès des usagers de services d’hébergement en janvier 2001 (Brousse, Rochère et Massé, 2002),

et d’une enquête menée entre novembre 2003 et janvier 2004 auprès de 585 usagers des

structures d’accueil et d’hébergement d’urgence en région Pays de Loire (Fleuret, Pihet et

Zeneidi-Henry, 2004).

12. Dans l’enquête INSEE, les hommes représentaient 64 % du total, et 68,5 % du total dans

l’enquête Pays-de-Loire. Les chiffres de la présente enquête se rapprochent plus de l’enquête

1995 INED menée à Paris où seuls 17 % des SDF sont des femmes.

13. Un raerae est un homme qui adopte le comportement et l’apparence physique d’une femme,

jusqu’à se travestir et recourir à des procédés médicaux (prises d’hormones féminines) ou

chirurgicaux (implantation de seins, ablation des organes génitaux masculins).

14. Comparable à l’âge moyen de 34 ans obtenu dans l’enquête Pays de Loire, et aux résultats de

l’INED à Paris avec 36 % de 18-29 ans.

15. Données comparables aux 67 % de célibataires et de 14 % de couples dans l’enquête INED.

16. À rapprocher du résultat de l’enquête l’INED à Paris : un SDF sur quatre ne vivait à 16 ans ni

avec son père, ni avec sa mère.

17. L’enquête quantitative a été menée par quatre enquêteurs, deux femmes et deux hommes

répartis en binômes homme-femme. Trois des quatre personnes étaient bilingues français-

tahitien (re’o mā’ohi). Le questionnaire a été conçu, testé et passé généralement en langue

française, et une traduction en langue tahitienne de ce questionnaire avait été élaborée au

préalable du terrain de l’enquête. Dans certains cas (mauvaise compréhension du français,

enquêtés qui s’adressaient spontanément aux enquêteurs en langue tahitienne, explication de

certains mots ou expressions…), les enquêteurs ont donc pu utiliser la traduction tahitienne.

18. À rapprocher des résultats de l’enquête INED : « 69 % des SDF sont sortis de la scolarité avant la

terminale, 5 % n’ont jamais été scolarisés, 41 % sont sans diplôme (pas de différences hommes /

femmes), 17 % ont un diplôme supérieur ou égal au bac ». La situation apparaît donc comme

encore plus préoccupante dans notre enquête.

19. Les résultats sont très similaires dans l’enquête Pays-de-Loire : 7 personnes sur 10 n’ont

jamais eu d’emploi ou ont exercé des activités professionnelles précaires, alors que ce taux est

plus élevé dans l’enquête INSEE de 2001 : 90 % ont travaillé au cours de leur vie, huit fois sur dix

comme employés ou ouvriers (Rochère, 2003 : 1).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

116

20. Le centre Te Vaiete est une structure associative créée par le Secours catholique polynésien,

déclarée à la direction des Affaires sociales comme « gîte officiel » pour fournir des attestations

de résidence. Depuis 1995, des bénévoles servent des repas complets (plat chaud, dessert, barres

de chocolat, jus de fruits) le matin de 6h30 à 8h environ du lundi au vendredi. Les produits (en

format collectivité) sont donnés par des importateurs et des commerçants. Le local, adjacent à

celui du Club de prévention spécialisée, a été mis à disposition par la commune de Papeete, qui

prend également en charge les frais d’électricité et d’eau. Le local dispose également d’une

douche, d’une machine à laver le linge et d’un sèche-linge.

21. Les résultats de l’enquête INED menée à Paris donnent des résultats comparables : 29 % des

sans-abri interrogés ont eu un contact avec leur père durant l’année écoulée et 37 % avec leur

mère.

22. Les problèmes de santé les plus fréquents relevés par les Services de Santé Publique chez les

sans-abri dans l’agglomération de Papeete, sans pour autant identifier cette population en tant

que telle dans les statistiques de fréquentation et de types de soin apportés, sont de graves

infections cutanées (prodermite, infections purulentes…) qui constituent selon les structures

entre 30 à 50 % des problèmes constatés et qui nécessitent à la fois des traitements en urgence et

un suivi régulier, des problèmes dentaires (avec des complications sous forme de septicémies et

de problèmes cardiaques), le diabète et la goutte qui nécessitent des traitements quotidiens, des

insuffisances respiratoires (qui entraînent des bronchites chroniques et parfois même des

emphysèmes pulmonaires), toutes pathologies qui nécessitent un suivi médical, selon deux

grandes modalités : suivi médical régulier et quasi quotidien (diabète, goutte, problèmes

respiratoires…) ou plus ponctuel, au mois (problèmes cutanés…).

23. Ces taux sont sans doute très nettement sous-estimés puisque l’ ISPF considère le seuil de

pauvreté relative en dessous de 50% du niveau de vie médian, alors que l’Europe utilise le seuil de

60% du niveau de vie médian. De plus, l’ISPF prend en compte dans ce niveau de vie les ressources

non monétaires (autoconsommation, échanges…) qui constituent en moyenne 6 à 7 % des

ressources totales d’un ménage moyen polynésien, alors que l’INSEE en France ne prend en

compte que le revenu disponible, c’est-à-dire les revenus financiers y compris les prestations

sociales, nets des impôts directs.

24. Le pourcentage correspondant est de 29 % dans l’enquête INSEE de 2001, dans des emplois

majoritairement non qualifiés.

25. Dans l’enquête Pays-de-Loire, 5,8 % des personnes interrogées avaient un emploi en CDD ou

en CDI.

26. À rapprocher des résultats de l’enquête INED à Paris : « 59% des hommes et 78 % des femmes

mangent tous les jours à midi (souvent un sandwich).;16% des hommes et 10% des femmes n’ont

jamais pris de repas à midi au cours de la semaine précédant l’enquête » » (Firdion et Marpsat,

2000).

27. Les roulottes sont des véhicules de type camionnettes, à l’arrière desquels est aménagée une

cuisine servie par les côtés. Ambulants, leur activité est principalement nocturne. Près de trois

cents roulottes sont installées en Polynésie française, dont 128 pour la seule île de Tahiti. Le

client peut consommer un plat populaire et bon marché sur place, attablé devant un panneau

amovible installé sur les côtés du véhicule et assis sur un tabouret amené par le « roulottier », ou

dans quelques cas autour de tables en plastique, ou acheter des plats à emporter pour

consommation à domicile.

28. La Croix bleue est une forme de « contrat » écrit passé devant le pasteur de la paroisse

protestante, en vertu duquel la personne s’engage devant Dieu à ne pas boire, et/ou fumer, et/ou

jouer aux jeux d’argent, pendant une durée variable (de quelques mois à plusieurs années). Ce

contrat remonterait au dix-neuvième siècle, et serait aujourd’hui encore précédé en début et en

fin d’abstinence par une « beuverie monstre ».

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

117

RÉSUMÉS

Malgré l’image de paradis terrestre, d’abondance alimentaire et de relations sociales basées sur

l’hospitalité dont fait l’objet Tahiti, et la manne des transferts publics déversée sur le pays depuis

une quarantaine d’années, l’agglomération de Papeete accueille pourtant un nombre non

négligeable de personnes vivant dans la rue. Une enquête exhaustive a été menée auprès de cette

population, pour mieux cerner ses conditions socio-économiques de vie, notamment en matière

alimentaire. Nous nous poserons la question de l’influence réciproque des représentations

traditionnelles de Tahiti et de celles concernant les personnes sans-abri sur la prise en compte

d’une réalité vécue dans la rue, et sur ces personnes elles-mêmes.

In spite of the image of paradise on Earth, food abundance and social relationships based on the

hospitality of which Tahiti is the object, and the considerable amount of the public transfers

poured since about forty years, the urbanized zone of Papeete welcomes nevertheless an

important number of persons living in the street. An exhaustive survey has been led with this

population, to identify better its socioeconomic conditions of life, in regard to food in particular.

We shall ask the question of the mutual influence of the traditional representations of Tahiti and

of those concerning the homeless persons on apprehending a reality lived in the street, and on

these very persons.

INDEX

Mots-clés : alimentation, exclusion, Polynésie française, sans-abri, Tahiti

Keywords : exclusion, food, French Polynesia, homeless, Tahiti

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

118

Système de culture, systèmed’activité(s) et rural livelihood :enseignements issus d’une étudesur l’agriculture kanak(Nouvelle-Calédonie)Catherine Gaillard et Jean-Michel Sourisseau

1 Les débats sur la notion d’exploitation agricole familiale et, plus généralement, sur le

choix des unités d’observation du monde rural, ne cessent d’évoluer (Cahiers

Agricultures, 2006). Le présent article vise à y apporter un éclairage spécifique à travers

l’exemple de l’agriculture kanak (Nouvelle-Calédonie). Il pose la question du maintien

et de l’adaptation d’une activité agricole – souvent abusivement qualifiée

de « traditionnelle »1 – dans un contexte a priori défavorable : transition agricole,

tensions sur le foncier, faible rentabilité économique, aspiration des actifs vers le

salariat.

2 Le développement économique de la Nouvelle-Calédonie dépend en partie de

l’exploitation du nickel2, dont les cours rythment la vie économique et qui, par effets

induits, dote le pays d’un produit intérieur brut (PIB) de l’ordre de 23 000 €/habitant

(CEROM, 2008), le classant parmi les pays à hauts revenus. En 2004, l’agriculture ne

représente que 1,7 % du PIB, loin derrière les services (28,4 %), l’administration (19,7 %),

le commerce (13,1 %) et l’industrie du nickel (11 %). Dans le secteur rural, un clivage

existe entre l’agriculture européenne, 29 % des exploitations mais 74 % de la surface

agricole utile (SAU), et l’agriculture sur terres coutumières, 69 % des exploitations et à

peine un quart de la SAU. La population agricole familiale représenterait, en 2002, 10 %

de la population du pays et aurait connu une baisse drastique de 47 % par rapport à

1991, passant de 40 311 à 21 212 personnes (DAVAR, ISEE, 2005). Le recensement général

agricole (RGA) révèle donc, entre 1991 et 2002, une diminution du nombre

d’exploitations ainsi qu’une concentration des superficies et une spécialisation des

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

119

unités de production. Ce déclin de l’agriculture apparaît en première analyse conforme

à l’évolution d’un pays se développant rapidement et s’urbanisant. Cependant, les

critères d’échantillonnage du RGA ciblent surtout les exploitations agricoles

marchandes et occultent une part importante des structures de production kanak, peu

compétitives, moins connectées au système d’aide à l’agriculture et donc moins lisibles

avec les outils standard d’observation de la ruralité.

3 Ainsi, dans une économie doublement rentière (mines et administration) se

tertiarisant, une petite agriculture familiale, fondée sur l’articulation de fonctions

marchandes et non marchandes (Sourisseau et al., 2008), se maintient en tribu. Le

maintien d’une telle agriculture peut paraître paradoxal à la lumière des seuls

indicateurs macroéconomiques. C’est à travers l’analyse détaillée des systèmes de

culture et d’activités des ménages ruraux des tribus, en incluant les logiques non

marchandes3, que l’on peut en comprendre les raisons. Les dynamiques relevées en

Nouvelle-Calédonie, certainement exacerbées par les particularismes locaux, engagent

plus largement à réviser les méthodologies usuelles d’observation de la ruralité, à

travers une réflexion autour des notions de système d’activité(s) et de livehood4.

Méthodologie : du système de culture au systèmed’activités

4 Peu d’informations récentes sont disponibles sur les savoir-faire agricoles locaux ; mais

de nombreux auteurs s’y sont intéressés par le passé, parmi lesquels Leenhardt (1937),

Haudricourt (1964), Barrau (1956, 1965), Doumenge (1975) et Leblic (1993, 2002). Ces

références permettent de juger de l’évolution des pratiques culturales actuelles et,

notamment, de celles de l’igname. Pour Haudricourt (1964), la société kanak est le

produit d’une civilisation de l’igname5 ; son cycle rythme le calendrier kanak. Cette

plante, cultivée dans des jardins spécifiques, soumise à de nombreux rituels (Leblic,

2002) proches de ceux existant au Vanuatu (Bonnemaison, 1984), est également un bien

essentiel dans les échanges entre les clans (contre d’autres ignames, des produits de la

mer ou des biens équivalents). Elle est enfin commercialisée, en quantités variables

selon les stratégies des agriculteurs. L’igname est donc une culture représentative de

l’inter-relation entre le marchand et le non-marchand dans la société kanak, d’où notre

choix d’en étudier plus précisément les itinéraires techniques.

5 La zone d’étude se situe sur la côte Est de la province Nord, du nord de Pwêêdi wiimîâ

(Poindimié) au sud de Pwäräiriâ (Ponérihouen) (figure 1). Elle bénéficie de

précipitations abondantes et d’un réseau hydrographique dense. L’eau n’est donc pas

un facteur limitant les activités agricoles. La faible superficie disponible, son

morcellement en vallées encaissées et en plaines littorales étroites, et la fertilité

chimique basse des sols sont plus problématiques. Ces éléments réduisent la

localisation des parcelles aux plaines littorales et aux terrasses alluviales.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

120

Carte 1. – Zone d’étude, avec du nord au sud les tribus concernées : Tiouaé, Kokingone-Pouiou,Tiwaka, Ti-Ounao, Wagap, Cäba (Tchamba) et Aoupatoriba (Mou)

(source : sig province Nord)

6 La population de la côte Est est surtout d’origine mélanésienne et la majorité de ses

terres agricoles est située sur du foncier coutumier6 (DAVAR, ISEE, 2005). Comme signalé

plus haut, il est difficile de déterminer le nombre exact d’exploitations kanak, les

critères d’échantillonnage du RGA éliminant les structures les plus petites en termes de

superficie et de production, tandis que, de fait, de nombreux ménages ne se déclarent

pas, n’y voyant pas d’intérêt.

7 Des enquêtes ont été menées auprès de trente-trois agriculteurs kanak, répartis dans

trois communes – Pwêêdi wiimîâ (Poindimié), Tuo (Touho) et Pwäräiriwâ

(Ponérihouen) – et sept tribus (composition de l’échantillon détaillée en annexe). Le

choix des agriculteurs s’est fait « à dires » de techniciens et de coutumiers, de façon à

interroger des agriculteurs peu ou pas insérés, en voie d’insertion ou bien insérés dans

le marché. À une étude statistique fut donc préférée la finesse des données, d’où la

faiblesse apparente de l’échantillon. L’étude portait sur l’adaptation de l’agriculture

familiale tribale face aux évolutions de l’environnement économique et social, à deux

niveaux : les pratiques culturales, via les systèmes de culture « igname », et les

stratégies globales des individus, via les systèmes d’activités. La question foncière, bien

que non négligée, n’est pas traitée spécifiquement, le travail étant ciblé sur les liens

entre pratiques et marché.

8 Le système de culture est défini ici par le choix des cultures et de leur ordre de

succession, et par celui des itinéraires techniques pour chaque culture (Aubry et al.,

1998). Son étude passe ainsi par l’analyse des diverses modalités des opérations

culturales et des règles de décision s’y rapportant (Aubry, 1994). L’échelle du système

d’activités permet d’approcher les stratégies globales des agriculteurs : il intègre les

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

121

activités agricoles (système de production7) et extra agricoles, ainsi que les activités

dites marchandes (emploi salarié, vente de produits agricoles) et non marchandes, liées

à la vie sociale et aux logiques d’identification des individus.

Le maintien de l’agriculture8en tribu, socle de la viecoutumière

9 Le caractère multifonctionnel de l’agriculture kanak est incontestable. L’activité

agricole a toujours rempli des fonctions alimentaires et sociales, fournissant à la fois les

produits alimentaires de base et les tubercules à donner en coutume ou à échanger

dans les pire, lieux traditionnels d’échanges entre les clans de la mer et de la

chaîne9(Barrau, 1956 : 58 ; Leblic, 1993 : 86sq.). Ces fonctions se maintiennent après le

cantonnement des Kanak dans les réserves ; les pratiques culturales sont modifiées du

fait de la réduction des espaces agricoles, mais pas la destination de la production. La

pénétration marchande s’affirme avec la nouvelle politique indigène, dans les années

1930, puis avec la fin du code de l’Indigénat en 1946. L’implantation progressive de

caféières dans les tribus confère à l’agriculture une fonction économique, qui va

s’étendre aux autres biens produits. Dans les années 1970, la crise liée au boom du

nickel de 1968 renforce les revendications foncières ; l’agriculture devient alors aussi

un instrument politique, des parcelles étant réclamées pour faire face à l’augmentation

de la population tribale et pour retrouver le « lien à la terre » spolié durant la

colonisation. La dimension économique s’articule alors à la dimension politique, avec

l’émergence de projets menés par l’État pour favoriser le développement de l’économie

domestique mélanésienne (Leblic, 1993 ; Bensa et Freyss, 1994). Les différentes

fonctions assignées à l’agriculture en tribu ont donc évolué au gré de la situation socio-

économique du monde kanak et des revendications politiques. Il est cependant difficile

de dissocier dans l’histoire ces fonctions, tant leur combinaison dynamique détermine

les trajectoires agricoles.

10 Aujourd’hui, l’agriculture en tribu prend des formes diverses selon, schématiquement,

la part des différentes destinations de la production (semences et consommation, dons,

ventes) et les choix de vie des agriculteurs et de leur ménage. Consommer sa

production peut être « un choix plus ou moins affirmé de l’exploitant à vivre

“traditionnellement” » (Brune, 1993 : 44), ou un choix par défaut en l’absence de

ressources financières. Donner des produits agricoles lors des coutumes n’est pas

uniquement une obligation, c’est toujours le signe de l’appartenance à une

communauté et l’activation d’un faisceau de droits (Sourisseau et Bouard, 2005). La

vente des productions relève aussi de différentes logiques ; elle permet à la fois

l’obtention d’un revenu et le renforcement des liens sociaux sur les marchés de

proximité (Sabourin et Tyuienon, 2007). Ainsi, les productions qualifiées hâtivement de

vivrières sont aussi bien consommées que données, voire vendues et leur vente suit des

objectifs à la fois économiques et sociaux.

11 Le recensement des activités des individus rencontrés et du temps qu’ils leur

consacrent montre que l’agriculture est, dans la majorité des cas, l’activité la plus

consommatrice de temps (figure 1). Les systèmes de production comportent des

tubercules (igname, taros, manioc, patate douce), des arbres fruitiers (orangers, litchis),

de la canne à sucre et des bananiers. Tubercules, canne à sucre et bananiers sont

souvent associés sur une même parcelle (8 cas sur 10 dans la présente étude). Au sein de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

122

ces systèmes de production, l’igname est la culture prioritaire et la plus consommatrice

de temps (au moins 65 % du temps de travail) bien qu’elle occupe des superficies

réduites (figure 2). La parcelle d’ignames fait l’objet de soins particuliers qui se réfèrent

à des pratiques anciennes dont le savoir-faire s’est en partie perdu depuis la

colonisation.

Figure 1. – Répartition du temps entre les différentes activités

(Gaillard, 2007)

Figure 2. – Comparaison de la proportion des temps de travail des cultures implantées par lesagriculteurs enquêtés (saison culturale 2006-2007)

(Gaillard, 2007)

12 L’analyse de la destination de la production montre que 21 producteurs sur 33 ne

vendent pas d’ignames, ou de façon très épisodique10. Par ailleurs, même chez les

agriculteurs qui vendent des produits, le revenu agricole reste faible. Le maintien de

l’agriculture en tribu ne s’explique donc pas par les performances financières des

systèmes mis en place.

13 Une part non négligeable du temps disponible est dédiée à des activités sociales locales

(voir figure 1) : paroisse, cérémonies coutumières, travaux en commun dans la tribu.

Ces activités sont, avec le salariat et les contrats courts, prioritaires sur l’agriculture,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

123

mais ne l’excluent pas. En effet, la participation aux activités sociales ne relève pas que

d’une stratégie d’accès aux ressources ou d’une obligation sociale, mais aussi d’une

volonté de marquer son appartenance à la communauté (Leblic, 1993 ; Sourisseau et

Bouard, 2005 ; Groupe Polanyi, 2008). Elle est concrétisée par des dons d’ignames, ce qui

explique le maintien, même non prioritaire, d’une parcelle de tubercules.

14 Les interprétations utilitaristes, même si elles valorisent ces destinations non

marchandes, résistent mal à l’analyse. Les salaires sont élevés et le marché de l’emploi

très favorable. Les choix ne sont pas guidés par la recherche de performance

économique et les échanges de produits n’obéissent pas aux règles d’un marché d’offre

et de demande concurrentiel ; ils se réfèrent davantage à des principes solidaires

d’analyse et de satisfaction des besoins de chaque ménage impliqué dans les échanges.

15 Dès lors, la recherche d’optimisation porte surtout sur la gestion des temps de culture

et des temps salariaux, à l’échelle individuelle et des ménages. Les objectifs de

production sont définis par les besoins alimentaires (qui dépendent aussi des revenus

extérieurs obtenus et des possibilités d’achats) et de la coutume. La diversité de ces

objectifs et des fonctions assignées à l’agriculture en tribu se traduit concrètement par

des systèmes de culture d’igname plus ou moins intensifs, correspondant à des niveaux

différenciés d’enchâssement de l’économique dans le social.

Des systèmes de culture déterminés par le niveaud’enchâssement des relations marchandes et nonmarchandes

Aperçus sur les différents systèmes de culture d’igname identifiés

16 Cinq systèmes de culture (SC) sont différenciés selon des critères techniques et

économiques (niveau d’insertion dans le marché) (tableau 1). Les agriculteurs qui

participent et s’impliquent dans les activités sociales locales cultivent l’igname pour la

consommation et les dons (SC 1 et 2). Plus sa stratégie d’insertion dans le marché est

marquée, plus le producteur se désengage de ces activités et plus il intensifie son

système de culture (SC 3, 4 et 5). Cela se traduit par une sélection variétale forte et une

modification du travail du sol et du tuteurage, pour augmenter la densité de

peuplement et limiter le temps de travail. Par ailleurs, les temps de jachère diminuent

avec le niveau d’intensification des systèmes. Ceci peut s’expliquer par le recours aux

engrais.

Tableau 1. – Systèmes de culture (SC) igname présents dans la zone d’étude

Dénomination

Nombre

de

variétés

Support

de

culture

Travail du

solTuteurage Jachère

Recours

aux engrais

chimiques

ou

organiques

Insertion

au

marché

igname

sc

1

« tout

manuel »> 10 Sillon Manuel perches

2 à 3

ans

nulle à

faible

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

124

sc

2peu intensif Motoculteur non

sc

3

en

intensification5< <10

Tracteur en

prestation

service

fils1 à 2

ans en cours

sc

4

intensif avec

travail du sol

faible

< 5Billon

étroit simplifiés

6 mois

à 1 annon forte

sc

5

intensif avec

travail du sol

important

Tracteur

personnelfils

(Gaillard, 2007)

17 L’espèce Dioscorea alata est la plus représentée sur la zone d’étude comme sur

l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Dioscorea cayenensis, D. transversa et D. esculenta

sont également présentes. Quarante variétés d’igname ont été relevées au cours de

l’étude. Cette diversité variétale correspond à la recherche de multiples caractères :

cycle cultural précoce/de saison/long pour répondre au calendrier social, résistance à

des maladies, qualité gustative, qualité symbolique (igname longue et rectiligne sur la

côte Est, igname courte et très recourbée à l’île des Pins)… (Varin et Brévart, 2006). À

une diminution du nombre de variétés par parcelle de 24 à 1 (figure 3), est associée une

forte sélection variétale, avec passage d’une prédominance des ignames nobles, reflets

du patrimoine culturel local, à un petit nombre d’ignames aisément commercialisables

(résistance à l’anthracnose, tenue à la cuisson, débouchés).

Figure 3. – Nombre de variétés d’igname et moyenne par agriculteur

(Gaillard, 2007)

18 Les agriculteurs sont groupés en fonction de leur niveau d’intensification.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

125

19 Pour un groupe A, correspondant aux deux tiers des enquêtes et aux systèmes SC1 et

SC2, les fonctions non marchandes sont prioritaires. L’objectif est de produire à faible

coût, en quantité suffisante pour subvenir aux besoins alimentaires et pour remplir les

obligations coutumières (fonctions alimentaires et sociales). Des adaptations sur la

composition de la coutume (autres produits agricoles, voire argent liquide) sont

également possibles, ce qui offre des possibilités supplémentaires d’ajustement du

temps consacré à l’agriculture.

20 Les ignames sont plantées sur un « sillon »11 (figure 4), selon une technique déjà utilisée

avant la colonisation. Un sillon correspond à une surface de même altitude que le

niveau du sol, ceinte d’inter-sillons appelés localement « caniveaux » assurant

l’écoulement des eaux de pluie, évitant ainsi le pourrissement des tubercules par

asphyxie. Il est tabulaire, bombé en son centre ou surélevé sur un côté, selon l’endroit

où est rejetée la terre des caniveaux. Ses dimensions varient selon le foncier et le temps

disponibles. La localisation des variétés d’igname est déterminée par leur qualité

(ignames nobles ou communes), leur destination, et leur développement foliaire. Le

travail du sol sur sillon est une opération culturale longue et pénible, réalisée

manuellement ou à l’aide d’un motoculteur.

Figure 4. – Sillon et billon étroit

(Gaillard, 2007)

21 Aux sillons est associé un tuteurage sur perches (figure 5), le plus répandu et le plus

ancien dans la zone d’étude, qui ne nécessite pas d’achat de matériel. Le tuteurage sur

perches est une opération délicate, que l’agriculteur cultivant effectivement la parcelle

ne délègue jamais. Il nécessite un temps de travail important : coupe des perches, pose

de la perche, attache régulière de la liane jusqu’à la phase de remplissage du tubercule

et surveillance jusqu’à la récolte. Il nécessite « beaucoup de patience » (E. Nimbayes,

Tchamba, 14 juin 2007) car « une igname, c’est comme un enfant, il faut en prendre

soin, s’en occuper » (A. Poueda, Tchamba, 27 juin 2007). Un soin particulier est donc

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

126

apporté en vue d’obtenir des ignames en nombre suffisant et de calibre moyen à élevé.

Cette technique, contraignante et coûteuse en temps, est réalisée sur de petites

superficies, à faible densité de peuplement (1 pied/m²). La production est faible en

volume et surtout destinée à l’autoconsommation et aux coutumes.

Figure 5. – Tuteurage en perches

(Gaillard, 2007)

22 Pour un groupe B, correspondant à un tiers des enquêtés et aux systèmes SC3, SC4 et SC5,

les fonctions sociales et alimentaires sont aménagées pour permettre la production

commerciale d’ignames. Les investissements en capital sont importants et permettent

d’augmenter la densité de peuplement tout en limitant le temps de travail nécessaire.

23 Les ignames sont plantées sur des billons étroits, à une ligne (voir figure 4), disposés

au-dessus du niveau du sol. Les inter-billons, légèrement en deçà, assurent

l’écoulement des eaux. La longueur de l’igname correspond à la hauteur du billon, d’où

l’obtention de tubercules calibrés, aisés à commercialiser. Le nombre de billons varie

selon le foncier disponible. Les billons sont réalisés à l’aide d’un tracteur (personnel ou

prestation de service). L’intensité du travail du sol varie en fonction des ressources de

l’agriculteur et de la localisation des parcelles. En plaine littorale, un seul labour

complété par un billonnage manuel suffit, les sols étant argilo-sableux. Dans les vallées

et sur les terrasses alluviales, deux labours et un sous-solage sont nécessaires, pour

décompacter et aérer le sol (terrains argileux et limoneux).

24 Le tuteurage est réalisé à l’aide de piquets verticaux, sur lesquels sont fixés des fils

(figure 6). La densité de peuplement est le double de celle d’une parcelle tuteurée en

perches. Les fils et les piquets de maintien, en métal ou en bambou, sont installés avant

que les lianes ne sortent de terre, afin de ne pas les arracher lors de la levée des fils. Le

tuteurage sur fils nécessite un temps d’installation et de surveillance moindre

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

127

(vérification de l’enroulement des lianes) et permet une densité de peuplement

supérieure (2 à 4 pieds/m²). Il est présent sur des parcelles de grande surface, allant

jusqu’à 0,5 ha. Ce tuteurage représente un investissement important, les fils étant

renouvelés tous les un à deux ans. Il est utilisé par des agriculteurs tournés vers la

commercialisation ; ceux dont les moyens financiers sont encore limités récupèrent les

fils utilisés par les exploitants agricoles plus aisés des environs.

Figure 6. – Tuteurage avec piquets verticaux et fils

(Gaillard, 2007)

Des systèmes articulant dans l’histoire des fonctions marchandes

et non marchandes

25 La place des relations non marchandes influence les choix techniques à l’échelle de la

parcelle, les agriculteurs les plus ancrés dans la communauté préférant des systèmes

peu intensifs. L’objectif n’est pas d’être compétitif, ni de produire pour vendre, mais de

rester en accord avec un choix de vie. Sont alors mises en œuvre des pratiques

considérées comme « traditionnelles », consommatrices de temps et peu productives,

mais permettant de produire des ignames de coutume.

26 La comparaison des systèmes de culture actuels avec les descriptions de Leenhardt et

Barrau souligne leur évolution. Les grands aménagements ne sont désormais utilisés

qu’épisodiquement, après un travail du sol superficiel. Une valeur d’échange marchand

est ajoutée à l’igname, d’où un désenchâssement relatif des fonctions marchandes et

non marchandes de l’agriculture. Des techniques d’intensification des systèmes sont

ainsi apparues afin d’augmenter la densité de peuplement et la production, dans des

objectifs commerciaux et de gains de temps (SC 2 à 5). La mécanisation du travail du sol

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est importante, avec le recours à des tracteurs équipés. Le tuteurage en fils est

privilégié et les intrants (engrais, pesticides) sont maîtrisés par les producteurs les

mieux insérés dans le marché.

27 Cependant, certaines des valeurs culturelles et identitaires associées à l’igname, et plus

généralement à l’agriculture, sont conservées. Si des adaptations techniques ont lieu,

elles ne concernent qu’une partie des opérations culturales et demeurent réversibles :

essai de tuteurage en fils, travail du sol manuel ou en prestation de service selon les

disponibilités financières.

28 Le caractère multifonctionnel de l’agriculture est donc toujours présent, mais la

combinaison et l’articulation des fonctions semblent a priori plus diversifiées et se

traduisent par davantage de diversité technique. Sont observés un affaiblissement de la

fonction alimentaire et une intensification des fonctions marchandes. Néanmoins, une

agriculture peu compétitive perdure, malgré des coûts d’opportunité du salaire lui

étant très défavorables. Dans ce cas, les principes de circulation des biens produits

échappent au marché et ne sont pas pilotés par la recherche de l’intérêt individuel.

Des systèmes d’activités complexes marqués parl’importance des « activités sociales »

29 Au sein des tribus enquêtées, les producteurs concilient de nombreuses activités, qui

occupent un temps variable selon les stratégies des individus. Les activités sont

schématiquement de cinq types : agriculture, chasse/pêche, vie sociale locale,

représentation collective, salariat/contrats courts. L’agriculture, la chasse et la pêche

sont pratiquées par tous. Les objectifs qui leur sont assignés sont multiples et peuvent

coexister au sein d’un même système d’activités : agriculture vivrière, marchande et

coutumière, chasse et/ou pêche pour l’autoconsommation, pour la vente ou les

échanges coutumiers (Leblic, 1993 ; Sourisseau et Bouard, 2005). Les activités liées à la

vie sociale locale sont présentes chez la quasi-totalité des agriculteurs : appartenance

au conseil des Anciens, rôle coutumier, participation aux activités tribales ou

paroissiales, rôle au sein du clan ou de la famille. L’intégration à la communauté, par

différents biais, est un élément central du fonctionnement des systèmes d’activités

tribaux. Chez quelques producteurs, la représentation collective est également

importante : conseil de district, mairie, coopérative agricole, engagement politique. Elle

prend parfois le pas sur les activités tribales, à cause du temps qu’elle nécessite,

notamment pour les déplacements. Enfin, le salariat et les contrats courts concernent

quelques agriculteurs, avec des fréquences d’obtention variables selon la nature des

contrats. Les agriculteurs saisissent – en cas de besoin ou pas – des opportunités de

travail, surtout si elles se situent à proximité de la tribu. Ces emplois sont généralement

peu qualifiés12 : conduite d’engins, ouvrier agricole dans ou hors de la tribu, entretien

des voiries, branchement de lignes électriques, aide-géomètre, enquêteur, etc.

30 L’étude de la répartition des temps consacrés aux différentes activités souligne une

distinction entre les agriculteurs13. Certains se désengagent des activités sociales

locales : il s’agit de producteurs insérés dans le marché, pour lesquels l’agriculture est

marchande et prime sur le reste. D’autres perçoivent les coutumes comme une

obligation et préfèreraient se spécialiser dans la culture commerciale de l’igname, ce

qui induirait des modifications de système de culture et donc d’organisation du travail

qu’ils n’osent mettre en place. Enfin, la majorité continue de mettre la priorité sur

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l’insertion dans les réseaux sociaux locaux, malgré le temps important à y consacrer et

l’incidence sur les autres activités de production.

Quelle(s) unité(s) pour observer et analyser lesstratégies des ménages ruraux ?

31 L’analyse des pratiques culturales sur l’igname et de leur lien avec le niveau

d’enchâssement de l’économique dans le social montre les limites des unités usuelles

d’observation des dynamiques agricoles. En effet, l’unité de production agricole seule

ne couvre pas le champ de la définition stratégique du rôle et des fonctions assignés à

l’agriculture. Dans le cas calédonien, les décisions se prennent au sein d’une vision plus

englobante, incluant les activités non marchandes et la question de l’identification

sociale et culturelle.

32 Pour les mêmes raisons, les unités économiques usuelles – de résidence, de

consommation, de production et d’accumulation – définies sur des terrains africains

par Gastellu (1980) n’offrent que des réponses partielles à la compréhension de la

société rurale kanak. Les produits agricoles sont en effet un des supports des échanges

coutumiers, à côté de la monnaie kanak, mais aussi des femmes et des enfants à travers

des dispositifs complexes d’accueil et d’adoption (Leblic, 2004). Ces échanges, qui

opèrent entre les clans et des ensembles parfois très larges de clans, priment dès lors

sur les liens de sang.

33 Le ménage, composé du couple, des enfants (y compris adoptés) et des alliés vivant

ensemble, reste cependant l’unité privilégiée d’observation des stratégies. Les études de

cas réalisées montrent que les décisions pour la gestion des parcelles et des emplois du

temps sont plutôt individuelles, mais qu’elles se prennent en référence à un ménage,

assimilable à une unité de résidence, de production et de consommation. Il importe

cependant de ne pas réduire l’analyse à cette unité. Les fonctions sociales et identitaires

de l’agriculture telles qu’analysées dans le cas calédonien, démontrent en effet un

espace de cohérence intégrant les systèmes d’échanges à des échelles plus larges. Même

en restant au niveau du ménage, il faut que la formalisation intègre ces systèmes

d’échanges et leurs impacts sur la gestion du temps, l’accès aux moyens de production

et les choix de valorisation des fruits du travail. Prendre en compte ces aspects invite à

transcender les unités économiques proposées par Gastellu (1980).

Une définition du système d’activité tournée vers les activités

marchandes

34 Le concept de système d’activité est développé par Paul et al. (1994) pour permettre de

comprendre les déterminants non agricoles des stratégies des agriculteurs. Ces auteurs

soulignent la limite du système de production comme « domaine de cohérence pour

appréhender la rationalité des prises de décisions » des agriculteurs (Paul et al., 1994 :

46).

35 En effet, ce système ne prend pas en compte la pluriactivité des membres de la famille14

et ne permet pas de cerner complètement les stratégies familiales. Ces auteurs

proposent donc un nouveau système de référence, le système d’activité, défini comme :

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« un métasystème qui englobe [les activités agricoles] à côté des autres activitésproductives de l’exploitant et de sa famille. » (Paul et al., 1994 : 47)

36 L’unité de référence est la famille et l’analyse du système se concentre sur les relations

fonctionnelles entre les activités, notamment la gestion de la main-d’œuvre familiale.

La notion de portefeuille d’activités générant un revenu est sous-jacente. La main-

d’œuvre familiale est de préférence allouée aux activités les plus rémunératrices, quitte

à bousculer l’organisation du travail au sein du système de production agricole. Par

ailleurs, l’agriculture n’est parfois qu’une étape permettant d’accumuler des biens et de

la reconnaissance sociale avant d’être abandonnée (sur des pas de temps plus ou moins

longs) pour des activités plus rémunératrices. Le concept de système d’activité, tel que

défini par Paul et al., s’intéresse prioritairement aux activités directement associées à

l’accumulation de biens matériels, qualifiées de « productives » (Paul et al., 1994 : 2), qui

permettent aux ménages ruraux d’atteindre leurs objectifs socio-économiques. Les

activités sociales, telles que définies plus haut, n’apparaissent pas directement dans les

formalisations proposées des stratégies des ménages. Par suite, le système d’activité de

Paul et al. intègre l’agriculture comme une activité – associée à d’autres – génératrice de

revenus et permettant l’accumulation productive. Il ne permet donc pas d’appréhender

les fonctions non marchandes de l’agriculture et, par suite, les raisons de son maintien,

en articulation avec les autres activités sociales. Le cas calédonien illustre les limites de

ce modèle.

Le concept de rural livelihood, un élargissement ?

37 Au fil des travaux menés notamment par l’Institute of Development Studies (IDS)et par la

plateforme (think tank) Overseas Development Institute, le terme de rural livelihood s’est

imposé au sein des institutions internationales comme le plus à même de définir les

stratégies des ménages dans une perspective de lutte contre la pauvreté15. Ellis le

définit comme :

« the activities, the assets, and the access that jointly determine the living gainedby an individual or household. » (Ellis, 1999 : 2)

38 Cette définition est en effet susceptible de donner des pistes opérationnelles (à travers

la combinaison des activités et des actifs), pour mettre en œuvre des politiques de lutte

contre la pauvreté et pour les évaluer. Dès son apparition, est associé au rural livelihood

le qualitatif « durable ». La vision en termes de livelihood permet effectivement de

souligner les facultés d’absorption des chocs et stress (résilience) des ménages ruraux.

Cette cohérence avec le référentiel global de développement durable participe

également de son succès.

39 L’accent est mis par Ellis (1999) sur la diversification des moyens d’existence des

ménages via la constitution de portefeuilles d’activités et d’un capital social, entendu

comme un ensemble de réseaux sociaux venant faciliter ou renforcer l’insertion

économique (associations, réseaux d’entraide, etc.). Ces portefeuilles leur permettent

de survivre et d’augmenter leur niveau de vie. Selon Ellis, la diversification concerne

essentiellement des activités non agricoles et non rurales, qui permettent aux ménages

ruraux de varier leurs sources de revenus et de mieux gérer les risques. Il suit ainsi

l’argument du déclin de l’agriculture (desagrarianization) qui explique la diversification

des moyens d’existence en milieu rural par une diminution de l’importance de

l’agriculture (Ellis, 2004 : 9). N’étant plus capable de fournir un revenu suffisant, elle

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devient une activité résiduelle. L’obtention d’un revenu reste le fil directeur de la

compréhension du concept de rural livelihood, l’analyse portant sur les stratégies de

diversification des activités mises en œuvre par les ménages ruraux. L’analyse d’Ellis se

rapproche finalement de celle de Paul et al. (1994). Avant Ellis, Chambers et Conway

(1991 : 6) avaient proposé le cadre suivant :

« a livelihood comprises the capabilities, assets (stores, resources, claims andaccess) and activities required for a means of living. »

40 Le rural livelihood pouvait alors être compris comme un système équilibré de stocks et

de flux de nourriture et de numéraire permettant de couvrir les besoins élémentaires

des ménages, complété par une approche par les capacités16 au sens de Sen. Dans leur

conception, le rural livelihood articule dans un modèle dynamique des capacités, des

biens (matériels et immatériels) et des activités (agriculture, artisanat, vol, réciprocité

dans le travail…) nécessaires pour assurer un moyen d’existence à un ménage rural.

41 La notion de capacité développée par Sen définit les différentes combinaisons de

fonctionnements (functionings) qu’un individu peut mettre en œuvre ; le concept de

fonctionnement correspond à ce qu’une personne peut aspirer à faire ou à être (beings

et doings) (Sen, 2000 : 105-106). L’ensemble des capacités renvoie dès lors à la liberté

effective de choix et d’action des individus : ce qui prime, c’est davantage ce que

l’individu peut faire s’il le souhaite, que ce qu’il réalise vraiment.

42 Les travaux sur le livelihood mobilisent donc, dans leurs premiers textes, le concept de

capacités. Ils se focalisent néanmoins, dans une perspective opérationnelle, sur la

capacité des individus à s’adapter aux stress et aux chocs, à trouver et à profiter des

opportunités de gain de moyens d’existence qui s’offrent potentiellement à eux. Le

niveau individuel est très présent chez Sen, alors que Chambers et Conway se situent

davantage à l’échelle des ménages entendus comme le foyer et, par défaut, comme la

famille nucléaire. Les membres du ménage mettent ainsi en commun leurs capacités et

constituent des portefeuilles d’activités et de biens leur permettant de gagner un

moyen d’existence. Le concept se concentre plutôt sur la génération d’un revenu ou sur

l’accumulation de nourriture et de biens, mais il est admis que les conditions de cette

génération ne relèvent pas que de mécanismes économiques. Des effets induits sur

l’amélioration de la qualité de vie ou le renforcement des capacités peuvent survenir

mais ils ne sont pas des objectifs à part entière. Les activités se réfèrent ainsi à des

activités productives, qui fournissent :

« food, cash, and other goods to satisfy a wide variety of human needs. » (Chambersand Conway, 1991 : 8)

43 Malgré l’ambiguïté des termes other goods et human needs, les activités non directement

productives – ce que nous appelons les activités « sociales » – ne sont pas traitées en

tant que telles bien qu’elles jouent sur les capacités des individus.

44 Scoones (1998) reprend la définition précédente en la recentrant sur les processus

institutionnels permettant aux ménages de suivre leurs stratégies d’obtention de

moyens d’existence. Les institutions sont tant formelles qu’informelles et relèvent d’un

processus de négociation sociale qui détermine l’accès des acteurs aux ressources.

Cependant, les relations entre les individus et l’existence d’échanges non marchands ne

sont abordées que pour leur incidence sur l’accès aux ressources permettant aux

ménages de gagner des moyens matériels d’existence.

45 Ainsi, les approches en termes de livelihood partent d’une définition ambitieuse et

pluridisciplinaire, articulant notamment les dimensions marchandes et non

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marchandes, via l’utilisation des capacités et les références aux cinq différentes formes

de capital (humain, physique, social, financier et ses substituts, naturel) (Bebbington,

1999 ; Ellis, 1999). Ces approches ont en outre une vocation opérationnelle ; elles

doivent contribuer à définir et à mettre en œuvre des politiques de lutte contre la

pauvreté et de développement durable. Pourtant dans la pratique il s’avère difficile de

caractériser et de mesurer le capital social (Bebbington, 1999). La notion de capacités

telle que définie par Sen est par ailleurs soumise à controverse, en particulier sur ses

limites pour l’analyse concrète des dimensions non marchandes hors du cadre néo-

classique (Bénicourt, 2004 ; Farvaque et Robeyns, 2005). De fait l’application du cadre

d’analyse du rural livelihood s’est progressivement réduite à l’étude et à l’interprétation

de l’accès des ménages aux capitaux physique et financier, et de la transformation de

ses actifs à travers des activités marchandes (Scoones, 2009).

Un essai de définition d’un système d’activités élargi

46 De notre point de vue, le cadre d’analyse proposé par l’IDS élargit indéniablement le

regard porté sur les sociétés rurales. Cependant, l’analyse des portefeuilles d’activités,

qui constitue la base des études empiriques, limite de fait l’intégration de la dimension

non marchande des stratégies. Elle ne parvient notamment pas à expliquer la résilience

d’agricultures peu performantes économiquement et techniquement selon les critères

usuels de productivité17 et fortement concurrencées par le salariat, comme c’est le cas

pour l’agriculture kanak. Le système d’activité proposé par Paul et al. (1994) rencontre

les mêmes limites.

47 Un concept plus englobant peut être envisagé, qui inclut toutes les activités des

ménages, qu’elles soient marchandes, hybrides ou non marchandes, et qui tente

d’éviter une lecture in fine utilitariste des stratégies. Ces systèmes d’activités se

définiraient comme des ensembles d’activités, articulées au sein du ménage, pour

lesquelles sont mobilisées des ressources techniques mais aussi des relations

interpersonnelles se référant à différents systèmes normatifs (moraux, religieux,

familiaux ou républicains) et caractérisées par la recherche spécifique ou globale

d’objectifs marchands et non marchands, permettant la satisfaction des besoins

économiques et sociaux du groupe domestique (figure 7). La notion d’enchâssement de

l’économique dans le social (Polanyi, 1983) est ici centrale. Les activités produisent,

selon leur nature et leur degré d’enchâssement, du numéraire, des biens de

consommation, du lien social et/ou de l’identité.

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Figure 7. – Représentation synthétique du fonctionnement des systèmes d’activités

influence de l’environnement extérieur (institutions)

contour du système d’activités

UP : unité de production

UR : unité de résidence

48 Le ménage, qui dans ce cas d’étude est à la fois unité de production et de résidence,

apparaît comme l’échelle pertinente d’analyse des stratégies des producteurs. En effet,

si un individu est maître de ses décisions sur sa parcelle, il est, dans la vie quotidienne,

un élément d’un système regroupant les activités du ménage dans son ensemble. Les

activités en milieu rural sont diverses et sont réparties entre les membres d’une unité

domestique, par exemple en fonction de leur âge, de leur sexe et de leur position

coutumière. Il est donc nécessaire de s’intéresser aux activités de tous les membres du

ménage pour comprendre les stratégies mises en œuvre.

49 Comme dans le cadre défini par Chambers et Conway (1991), l’accès aux cinq différents

types de capitaux et les capacités à les valoriser déterminent les choix d’activités des

ménages. Les capitaux relèvent du tangible (foncier, main-d’œuvre, ressources

financières, etc.) et de l’intangible (systèmes de droits, de soutiens, de solidarité,

d’interconnaissance, etc. liés à l’appartenance sociale). Actifs et capacités ne sont pas

figés ; ils évoluent en fonction des choix d’activités et des différents produits qui en

sont issus.

50 Le poids relatif de chaque type de produits du système est soumis à l’influence des

institutions et des relations interpersonnelles dans lesquelles les ménages sont insérés.

Si le ménage décide de la composition du système, son environnement en contrôle

partiellement les fruits. De même, les possibilités de conversion de ces produits en

actifs et en capacités dépendent pour partie de l’univers institutionnel auquel les

ménages appartiennent. Ainsi, par exemple, l’orientation vers une agriculture intensive

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et marchande nécessite un accord préalable pour avoir accès au foncier coutumier, qui

fait l’objet d’un contrôle collectif. Dans de nombreux cas, les décisions concernant le

système d’activités appartiennent au ménage, tandis que le contrôle des moyens de

production et de l’allocation des produits relève des institutions.

51 Les difficultés méthodologiques n’en persistent pas moins. Le système d’activités d’un

ménage peut être partiellement reconstitué par les calendriers de travail de chacun de

ses membres. Cette reconstitution doit tenir compte des interactions et des règles de

priorité entre activités et des activités sociales de type relationnel si elles devaient

s’avérer structurantes. Pourrait y être associée une analyse fine de la circulation des

richesses entre groupes18, qui trouve son sens lors de grandes manifestations

clairement identifiées (mariages, baptêmes, deuils…). L’analyse quantitative des

emplois du temps serait complétée par l’étude des échanges à la base de la cohésion de

la communauté, afin de mieux cerner les positions relatives entre les groupes et les

conditions d’accès aux ressources. L’agriculture serait ainsi replacée dans une relation

dynamique et interactive avec les autres activités des ménages. La difficulté réside dans

la définition des différents niveaux de temporalité, qui serait réalisée grâce au repérage

d’éléments sociaux et culturels déterminants et non par une étude ethnographique

complète. Il importerait aussi d’identifier et de comprendre les liens du ménage ou du

groupe domestique avec sa communauté d’appartenance de référence (le clan en

Nouvelle-Calédonie). Une approche par les relations interpersonnelles, mesurant les

valeurs échangées, la réciprocité de ces échanges et leur fréquence, apparaît dès lors

complémentaire à la mobilisation du concept de capacités.

Conclusion

52 Depuis le début de la colonisation, l’agriculture tribale a évolué, en lien avec le contexte

politique et économique néo-calédonien. Ses fonctions se sont diversifiées et les

systèmes techniques se sont adaptés aux disponibilités foncières et à l’insertion dans le

marché agricole (intensification des itinéraires techniques). Les fonctions non

marchandes de l’agriculture restent le moteur de la vie communautaire et de

nombreuses adaptations techniques visent à les concilier avec des activités salariées. Le

maintien d’une agriculture non marchande et non compétitive s’explique par

l’importance du lien à la communauté et aux fondements de l’agriculture tribale

(alimentation, dons).

53 Cette réflexion renvoie à la question méthodologique du choix d’une unité

d’observation pertinente permettant de comprendre les évolutions de l’agriculture en

tribu. Il apparaît clairement que l’étude de sa seule fonction économique ne permet

d’en cerner qu’une infime partie.

54 Plus généralement, l’étude de l’agriculture kanak conduit à privilégier une analyse par

les systèmes d’activités, en intégrant les activités non directement productives. En

effet, la vie sociale locale occupe une place primordiale dans les activités des ménages

kanak vivant en tribu et détermine en partie leurs stratégies de production. Dans les

cas où la vie sociale est prioritaire, le volume donné est élevé et les systèmes techniques

sont peu intensifs en capital et tournés vers des pratiques anciennes. Par contre, dans

ceux où l’insertion dans le marché est privilégiée, des investissements en capital

tangible permettent d’intensifier les systèmes de culture. Sont ainsi enchâssées

appartenance à la communauté, activités marchandes et non marchandes.

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135

55 La définition du système d’activités proposée ici vise à répondre aux principales limites

des modèles antérieurs de représentation et, notamment, du rural livelihood. En

reprenant très largement ce dernier modèle, nous insistons sur la prise en compte

effective de la sphère non marchande pour expliquer la réalité du fonctionnement des

sociétés rurales et la permanence d’une agriculture a priori non rentable et non

compétitive.

56 Les liens entre les livelihoods et le triptyque État - Marché - Société civile permettent un

utile changement d’échelle. Bebbington (1999) considère que l’augmentation des

capacités (au sens de Sen) des ménages ruraux doit leur permettre d’influencer

positivement leur environnement. Dans cet article, nous avons considéré les ménages

comme subissant l’influence des institutions ; il conviendrait d’inclure dans l’analyse

leur lien dynamique avec ces dernières. Les pistes proposées pour la prise en compte

des dimensions non marchandes peuvent certainement y contribuer.

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communication au Colloque CORAIL 2005. Territoire et Patrimoine en Océanie, Centre culturel Jean-

Marie Tjibaou, 2 et 3 décembre 2005.

SOURISSEAU Jean-Michel, Raymond TYUIENON, Jean-Claude GAMBEY, Marcel DJAMA, Marie-Rose

MERCOIRET et Emmanuelle SOURISSEAU, 2008. Les sociétés locales face aux défis du développement

économique. Province Nord de Nouvelle-Calédonie, province Nord de Nouvelle-Calédonie, Institut

agronomique néo-calédonien/éditions Grains de Sable.

VARIN Didier et Julien BREVART, 2006. L’igname en Nouvelle-Calédonie. Espèces et variétés, Nouméa, CDP

et AICA.

Composition de l’échantillon enquêté

Zone Tribu

Agriculteurs enquêtés

homme femme

Kokengone 0 1

Tiounao 3 0

Nord de Poindimié Tiwaka 3 0

Tiwandé 1 0

Wagap 1 0

Nord de Ponérihouen Tchamba 15 0

Sud de Ponérihouen Mou 6 3

Total 29 4

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NOTES

1. Le terme « traditionnel » fait notamment référence ici au discours des techniciens du

développement. Ceux-ci opposent l’agriculture « moderne », mise en place sur de grandes

parcelles et faisant appel à la mécanisation et aux intrants, et l’agriculture « traditionnelle »,

manuelle et non destinée au marché. L’examen des systèmes de culture de l’igname en tribu

montrera que cette distinction ne reflète pas toujours les pratiques réelles.

2. La Nouvelle-Calédonie est le cinquième producteur mondial de nickel et détiendrait de 20 à

40 % des réserves mondiales.

3. L’étude présentée répond à une demande venant d’une structure locale de développement, la

Direction du Développement économique et de l’Environnement (DDEE) de la province Nord de la

Nouvelle-Calédonie, et d’une coopérative, le Groupement agricole des producteurs de la côte Est

(GAPCE). Elle s’inscrit dans une perspective de recherche finalisée et s’intègre aux travaux menés

par l’axe de recherche « Ruralité et politiques publiques » de l’Institut agronomique néo-

calédonien.

4. Livelihood signifie littéralement moyen d’existence, moyen de gagner sa vie, mais nous verrons

que cette traduction reste partielle, le concept recouvrant des dimensions multiples.

5. L’igname est considérée comme « le symbole vivant de l’homme » ; « il y a toujours de

l’onction dans les gestes qui concernent l’igname » ; « la saison de l’igname est si importante

qu’elle donne l’année canaque » (Leenhardt, 1937 : 63, 71).

6. Depuis la réforme foncière démarrée en 1978, il existe trois types de fonciers en Nouvelle-

Calédonie : les terrains privés, les terres domaniales et les terres coutumières, qui regroupent

les « réserves » issues de la colonisation, les terres de groupement de droit particulier local (GDPL)

rétrocédées par la réforme. Les terres coutumières ont un statut particulier et sont incessibles,

insaisissables, incommutables et inaliénables.

7. Un système de production est entendu ici comme une « combinaison dans l’espace et dans le

temps des ressources disponibles de l’exploitation agricole et des productions animales et

végétales » (Benkahla, Ferraton, Bainville, 2003 : 104 ).

8. Nous préférons le terme d’agriculture à celui d’horticulture (utilisé couramment pour

qualifier la culture de l’igname en tribu), pour son caractère plus englobant. En effet, certains

systèmes de culture décrits (voir plus loin) s’éloignent, par les pratiques mises en œuvre, de

l’horticulture telle que décrite par Barrau (1956) et Haudricourt (1964).

9. Dans la langue de notre zone d’étude (le paicî), le terme ajië pire a pour équivalent jènä.

10. La fête de l’igname de Ponérihouen est en particulier une opportunité de vente annuelle très

prisée par les producteurs de la zone d’étude.

11. Le terme « sillon » est celui utilisé par les agriculteurs ; il s’agit en fait d’une forme

particulière de billon.

12. Ces caractéristiques d’emploi concernent spécifiquement la côte Est de la province Nord.

Dans la zone de Vook-Koohnê-Pwebuu (Voh-Koné-Pouembout), sur la côte Ouest, l’accès aux

emplois plus qualifiés est généralisé et les contrats obtenus sont plus pérennes (Grochain, 2007).

13. Le terme « travail » est ici utilisé qu’il s’agisse du salariat, du champ, des travaux d’entretien

de la tribu ou des actes coutumiers. Ainsi les « activités sociales » sont traitées au même niveau

que les autres activités dans l’allocation du temps, même si elles ne sont pas de même nature

(Leblic, 1993).

14. Entendue pour chaque individu ou par l’agrégation des activités de chaque membre de la

famille.

15. La réflexion autour du rural livelihood est très peu présente dans les travaux francophones.

16. Le terme capabilities au sens de Sen est généralement traduit par l’anglicisme capabilités. Nous

préférons utiliser le terme de capacités, car son sens se rapproche du concept de Sen, mais en le

gardant en italique pour signaler que cette traduction n’est pas entièrement satisfaisante.

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17. Critères finalement aussi sous-jacents aux analyses mobilisant les livelihoods et le système

d’activité.

18. Y compris les circuits des ignames de coutume.

RÉSUMÉS

La Nouvelle-Calédonie jouit d’un taux de croissance élevé dû à l’industrie du nickel et aux

services. Le poids économique de l’agriculture est faible et le secteur est marqué par un fort

dualisme : une agriculture « européenne » assurant l’essentiel de la production marchande

cohabite avec une agriculture kanak majoritairement tournée vers des fonctions de

consommation et des usages cérémoniels. L’étude des systèmes de culture d’igname des tribus de

la côte Est de la province Nord, montre comment une petite agriculture familiale coûteuse en

temps de travail se maintient, en s’adaptant pour satisfaire au mieux à ses vocations marchandes

et non marchandes. La prise en compte du système d’activités des agriculteurs semble

primordiale pour comprendre les stratégies mises en œuvre à l’échelle des ménages ruraux et,

par suite, de la parcelle. À travers cette étude, c’est aussi le choix de l’unité pertinente d’analyse

des systèmes techniques et d’activités qui est questionné. En effet, les unités utilisées jusqu’à

présent peinent à reconstituer les stratégies des ménages ruraux et ne prennent pas en compte

l’enchâssement du marchand et du non marchand. Un nouveau cadre d’analyse est alors proposé,

le système d’activités, afin d’intégrer les activités dites « sociales » à l’analyse des stratégies.

In New Caledonia, the growth rate is high because of nickel industry and services. The economic

importance of agriculture is low and this sector is characterized by strong dualism between

“European” agriculture, that provides most of merchant production, and Melanesian agriculture,

mainly dedicated to food crops and ceremonial productions. The study of yam cultivation in

tribes from the Eastern coast of the North province, explains how small family agriculture

remains despite its high cost in work time, by adapting itself to satisfy its merchant and not

merchant objectives. Taking into account farmers’ activities seems to be necessary to understand

strategies of rural households and then, crops management. Thanks to this study, the choice of

pertinent units of analysis is also questioned. Indeed existing units have difficulties to

reconstitute households’ strategies and do no take into account the setting of merchant and not

merchant activities. A new framework for analysis is consequently proposed – the activities

system – to integrate “social” activities to the analysis of strategies.

INDEX

Keywords : activities system, agronomy, family farming, New-Caledonia, tribe

Mots-clés : agriculture familiale, agronomie, Nouvelle-Calédonie, système d’activités, tribu

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Miscellanées

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Chasseurs dans le monde kalamDenis Monnerie

1 C’est un livre de chasseur et de savant que nous donnent à lire les regrettés Ian Saem

Majnep et Ralph Bulmer, dont la collaboration a profondément marqué l’ethnologie et

en particulier « l’ethnobiologie » de la Papouasie Nouvelle-Guinée (Pawley, 1991). Cet

impact s’était fait tout particulièrement sentir avec un premier grand livre, Birds of my

Kalam Country (1977),ouvrage à deux voix, où l’ethno(zoo)logue Bulmer et son

interlocuteur néo-guinéen Majnep nous présentaient, chacun de son point de vue,

l’avifaune du pays kalam. Leurs deux voix étaient enrichies du regard de Christopher

Healey avec de magnifiques illustrations que l’on retrouve dans ce nouvel ouvrage

(hélas ici encore reproduites en noir et blanc, vraisemblablement en raison du

dénuement financier de l’édition anthropologique). Animals the Ancestors Hunted est

ainsi le second volet d’une œuvre majeure – en attendant son parachèvement avec la

publication du dernier livre de la trilogie : Kalam Plant Lore.

2 Animals the Ancestors Hunted diffère du livre précédent : alors que, pour chaque grande

partie, la plupart des brèves introductions sont de la plume de Bulmer, l’essentiel de la

présentation des animaux est de Majnep et constitue le gros du texte. Le travail de

Bulmer consiste ici surtout en transcription, traduction et édition du texte, en

collaboration avec Saem. Les difficultés de ces tâches (pp. xv-xviii, xxiv-xxvi) furent en

partie à l’origine d’une première publication de ce texte en Kalam, destiné autant à un

public académique qu’aux jeunes générations de cette population (Majnep, 1990).

Voisins des Maring et des Melpa, dont les études sont des classiques de l’ethnologie de

la Papouasie Nouvelle-Guinée, les Kalam vivent dans la Province de Madang à la limite

des Hautes Terres occidentales. Animals the Ancestors Hunted est un livre précieux,

passionnant et difficile. Précieux par l’abondance des savoirs qu’il recèle. Passionnant

parce que Majnep décrit ces gibiers, leurs environnements, leur vie, les tactiques des

chasseurs et chasseuses et celles de défense des animaux, leurs qualités alimentaires et

leurs usages rituels ou quotidiens dans des évocations savantes, mais fluides, concrètes,

précises, inattendues souvent aussi. Son style oral est magnifiquement rendu par la

traduction anglaise. Livre difficile parce qu’il ne nous tranquillise pas en offrant une

interprétation ethnologique construite de ces connaissances – mais nous incite à tenter

de devenir, le temps d’une lecture, ethnologue des Kalam, un vrai casse-tête ! Car c’est

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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bien ici la voix de Majnep qui domine l’ensemble, le dialogue avec les conceptions

scientifiques occidentales prenant surtout la forme d’introductions, de notes et

d’appendices.

3 Fils d’une veuve – à qui les Kalam ont réservé, avec ses enfants, un sort peu enviable

(pp. 9-17) –, Majnep a dû survivre dès l’âge de trois ou quatre ans de chasse et de

cueillette, avec sa mère, à qui il dédie ce livre, et qui le porta quand ils dormaient « sous

les arbres, dans les abris rocheux et sous les toits crevés, ruisselants, de maisons

abandonnées, lugubres ». Avec ses frères aînés, des oncles et des tantes aussi, cette

femme lui enseigna la chasse, ce qui fait de ce livre un document très complet qui

intègre les pratiques cynégétiques des hommes et des femmes du pays kalam. Livre

d’un chasseur et d’un savant donc, à qui Bulmer a demandé de choisir son sujet et son

titre. Majnep décida de traiter en priorité, non pas des plantes, mais des kmn (kalam) ou

kapuls (pidgin), catégorie qui inclut nombre de mammifères (et des marsupiaux), à

l’exception notable des chauves-souris (classées avec les oiseaux, yakt), porcs, chiens et

autres grands quadrupèdes importés. Outre les kmn, le livre présente de petits rongeurs

classés par les Kalam comme as – avec les batraciens – et des kopyak, rats, se nourrissant

d’ordures et de patates douces et qui, pour les Kalam, forment une catégorie marquée

par des interdits de nourriture surprenants – les Maring, eux, mangent ces mêmes rats

(pp. 249-251). Regroupés en douze parties, les vingt-deux chapitres du livre présentent

un animal principal, souvent associé, par les Kalam, à d’autres qui partagent avec lui

certains traits significatifs. La treizième et dernière partie de l’ouvrage présente des

plantes sauvages avec leur utilisation dans le contexte de la chasse et un appendice de

près de cinquante pages regroupe « les plantes significatives dans les savoirs kalam sur

les animaux » (pp. 349-391).

4 Plutôt que de présenter l’ensemble de ces chapitres, je résumerai l’un d’eux, qui

témoigne bien des spécificités du livre, que ce soit pour la qualité des informations ou

par la façon de les présenter. Dans la cinquième partie de l’ouvrage – introduite, non

par Bulmer, mais par Robin Hide et Andrew Pawley –, le chapitre 11 est consacré au wgi,

bandicoot à longue queue (illustré par Healey) et au bandicoot chasseur. Majnep décrit

les variétés du premier de ces marsupiaux. Il passe alors à son comportement vis-à-vis

des petits :

« un jeune mâle est expulsé du nid […] avant une jeune femelle. La raison en est quela mère craint que, si son rejeton mâle reste […] il puisse essayer de copuler avecelle, alors elle s’en débarrasse. » (p. 177)

5 Suit une description très précise des environnements favorisés par l’animal, de son nid

qui comporte « une entrée principale » dissimulée par du feuillage mais aussi « un

tunnel de secours » permettant une fuite vers les galeries souterraines de l’undercroft

(voir infra). Ici, les femmes, qui chassent à proximité de la surface du sol, détiennent la

plus grande expertise, car la plupart des hommes chassent dans les arbres, parfois à

très grande hauteur. Ensuite viennent les nourritures de l’animal, ses traces, la façon de

le piéger, de le mettre à mort, les tableaux de chasse (de cinq à quinze individus), ses

différentes préparations culinaires – quotidiennes ou cérémonielles –, les précautions

psychologiques, magiques ou de communication qui visent au succès de la chasse.

Majnep évoque aussi ses souvenirs d’enfance liés à cette chasse et aux lieux préférés de

sa mère. Nous apprenons ensuite qui pratique ou non cette chasse et comment elle est

enseignée. Viennent alors les interdits de consommation : « un spécialiste du rituel […]

ne consomme jamais cet animal, ne l’a jamais fait et ne le fera jamais », il ne mangera

rien qui ait été cuit sur les mêmes pierres, pour lui, bien d’autres tabous encore

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s’appliquent à la viande de cet animal et certains s’étendent aussi aux hommes dès

l’adolescence (pp. 182-183). Pour Majnep, le wgi est aussi support de souvenirs

d’enfance. De façon générale, les Kalam pensent que « les jeunes enfants nourris avec

cette nourriture deviennent grands et forts » (p. 183). Cette section s’achève avec des

considérations sur les saisons privilégiées de la chasse et les compétences comparées

des chasseuses selon leur milieu écologique de résidence, les pratiques de partage.

Saem évoque enfin les plantes utilisées pour farcir l’animal – avec, à ce sujet, la

description d’une autre prescription, et non des moindres : aux enfants la viande, aux

adultes la farce.Les wgi sont, on le voit, un gibier important autour duquel s’articulent

enfance et maturité, dans plusieurs domaines d’expérience significatifs. À la fin du

chapitre, le bandicoot chasseur, considéré par les Kalam comme proche du wgi, est

l’objet d’un traitement plus rapide, surtout fait de comparaisons : de taille, de forme,

d’odeur, d’habitat, d’habitudes et d’interdits de consommation.

6 Revenons à l’undercroft (en kalam, abn, les cavités). Ce néologisme créé par Bulmer ne

possède pas non plus je crois d’équivalent français. Constitué par les racines

supérieures des arbres de la forêt primaire et leur compost, l’undercroft est bordé pour

les humains par une surface sur laquelle on marche comme sur un sol homogène mais

qui, en fait, cache, à peu de profondeur, un important réseau de galeries souterraines

où vivent, se déplacent ou se réfugient nombre de petits animaux. Un monde souterrain

dont, nous dit Bulmer, les Occidentaux, y compris les écologues, ne soupçonnent pas la

complexité (p. 43). On a ici, dans un contexte cynégétique, un élément d’une

conceptualisation « verticale » du monde, organisée autour de la surface ; celle-ci, avec

l’undercroft, est le domaine de chasse privilégié par les femmes, alors que le domaine

des hommes est, vers le haut, celui des grands arbres. Ce type de conceptualisation

verticale du monde se retrouve au plan cultural, cérémoniel ou rituel dans certaines

sociétés de Mélanésie (Coppet, 1976 ; Sahlins, 1995 : 160 ; Monnerie, 1995, 1996 ;

Juillerat, 2001 : 210-211). Cependant, pour les Kalam, elle n’est pas explicitée en tant

que telle par Majnep, mais apparaît souvent en filigrane dans le contexte de la chasse.

7 À propos des oiseaux kalam, Majnep, dans les premières années de sa collaboration

avec Bulmer, déclarait :

« Je crois que vous avez un gros problème pour décider comment ordonner toutceci. »

8 Ce genre d’interrogation a mené à la rédaction de l’article le plus connu de celui-ci qui

rend compte du fait que, pour les Kalam, le casoar n’est pas un oiseau (1967), suivi

d’une série d’articles confrontant savoirs kalam et connaissances scientifiques

occidentales (Bulmer, 1968, 1974, 1979 ; Bulmer and Menzies, 1972 ; Bulmer and Tyler,

1968 ; Bulmer, Menzies and Parker, 1975). À mon sens, ce « gros problème » perdure et

il s’étend au-delà de la seule question des classifications. Pour comprendre le monde

kalam, une large part des travaux de Bulmer et Majnep (avec leurs autres

collaborateurs) propose des matériaux et des réflexions d’une qualité et d’une précision

rares, généralement en les juxtaposant avec les représentations scientifiques

naturalistes. Cette démarche comparatiste permet aux spécialistes d’avancer dans la

connaissance des questions d’« ethnobiologie » ou, plus précisément, des relations des

Kalam à leur univers, tout en faisant bien apparaître la complexité de cette entreprise.

Car ces connaissances serrées s’intègrent difficilement aux propositions scientifiques

actuelles, qu’elles soient naturalistes ou ethnologiques. Dans cette veine, Animals the

Ancestors Hunted introduit des matériaux ethnographiques qui représentent un défi

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pour les anthropologues ; je voudrais consacrer la suite de cet à propos à des remarques

qui soulignent la qualité de ce défi.

9 Animals the Ancestors Hunted suggère de nombreuses (re)lectures des relations des

Kalam avec leur univers et, en particulier, avec le gibier. L’ouvrage présente une

ethnographie qui permet d’aller au-delà des éléments d’analyse qui y sont proposés, en

particulier par Bulmer. Dans une note de travail, ce dernier avait remarqué « qu’il

serait difficile d’ordonner ces animaux » d’une façon plus différente de celle de la

taxinomie zoologiste actuelle (p. xxix). En effet, comme pour les oiseaux, les

considérations spatiales et écosystémiques – dans leur interprétation kalam – jouent un

rôle considérable dans la façon dont Majnep présente les kmn. Il me semble qu’on peut

dégager un premier principe général, au fond assez simple : les animaux sont connus

principalement en relation avec les espaces où ils vivent et qu’ils partagent peu ou prou

avec les Kalam. Cette question du découpage emic des espaces, paysages et écosystèmes,

de façon générale, semble revêtir une importance toute particulière pour nombre de

peuples des Hautes Terres de Papouasie Nouvelle-Guinée (Sillitoe, 1998 ; Brunois, 2008).

Comme le montrent les connaissances concernant les galeries souterraines, les

ethnologues et les naturalistes ont encore à apprendre dans ces domaines. Mais la

question se complique quand on cherche à aller au-delà de cette caractérisation

spatiale et écologique large de l’organisation du monde kalam. Marshall Sahlins a

consacré plusieurs pages très synthétiques à ces questions (Sahlins, 1995 : 157-163) dans

un livre qui conteste avec passion et conviction l’idée de Gananath Obeyesekere (1992)

selon laquelle tous les peuples partageraient une rationalité pratique fondée sur

l’expérience sensorielle. Alors que les propositions « réalistes » d’Obeyesekere

« prétendent être déterminées par les choses en elles-mêmes et pour elles-mêmes »,

Sahlins, lui, souligne que chaque épistémologie locale est « complètement imbriquée et

médiatisée par l’ordre culturel local » (1995 : 158). Les études sur les Kalam fournissent

l’essentiel de son argumentation. Pour lui, une des clés du système met en œuvre des

« distinctions morales humaines [human-moral distinctions] corrélées avec l’habitat et

associées spécifiquement au monde des esprits » (Sahlins, 1995 : 161). Toutefois, ce

schème général laisse de côté l’importance de l’expérience olfactive qu’il souligne

pourtant au début de sa réflexion (Sahlins, 1995 : 158) et à laquelle, me semble-t-il, peu

de distinctions « morales » sont attachées – l’appétence et le dégoût entrent-ils pour

Sahlins dans cette catégorie ? Enfin, d’autres grands principes contribuent à organiser

la présentation de Majnep, en particulier, la prise en considération de la taille des

animaux et les usages et interdits afférant aux nourritures – celles des humains mais

aussi celles du gibier (pp. xxix-xxx). Pour reprendre l’exemple des wgi, une partie

seulement de ces interdits relève d’analyses structurales, faisant intervenir des critères

de genre, d’âge, de rapport au rituel, des oppositions comme intérieur-extérieur,

viande-végétal, etc. Un problème, comme souvent en anthropologie, réside dans

l’imbrication étroite des dimensions de distinction et de continuité ainsi que dans les

superpositions et imbrications de systèmes.

10 Une autre réflexion s’impose. Majnep a sur les animaux une perspective de chasseur, le

caractère serré de ses connaissances minimise vraisemblablement la place du hasard

dans la démarche cynégétique. Cependant, dans l’approche qu’il nous propose du

gibier, il n’y a guère de « perspectivisme » au sens d’Eduardo Viveiros de Castro (1998).

Sur ce point, les Kalam se distinguent nettement, me semble-t-il, du monde amazonien.

Faut-il y voir une différence « d’ontologie » entre ces peuples dans leurs modes

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d’identification des humains et des non-humains comme le propose un autre grand

spécialiste de l’Amazonie, Philippe Descola (2004, 2005) ? Les thèses de Viveiros de

Castro ont joué un rôle non négligeable dans l’élaboration de la réflexion théorique de

Descola (sur ce point, voir l’intéressant article de Latour, 2009). Pour Descola :

« savoir chasser […] c’est savoir adopter le point de vue de l’animal que l’oncherche. » (2005 : 274)

11 Mais, à ce compte, le perspectivisme serait un trait universel implicite chez la plupart

des chasseurs et pêcheurs du monde… Par ailleurs, nous n’avons aucune certitude sur le

fait qu’un autre Kalam, aussi bon chasseur que Majnep, aurait classé ses descriptions

exactement comme lui – lui-même a changé plusieurs fois l’ordre de présentation de

ses chapitres (p. xxix). Alors, n’est-ce pas la priorité donnée à la question de la

catégorisation, de l’organisation, du découpage du monde (en particulier sous une

forme statique, typologique, concernant les seuls animaux), qui pose problème et

demande à être dépassée ? Jack Goody (1977) a bien souligné certains aspects généraux

de ce biais. À vouloir en faire la pierre angulaire de nos interrogations, ne manquons-

nous pas d’autres questionnements plus pertinents et scientifiquement plus productifs

pour l’anthropologie ?

12 C’est une des qualités des récents travaux de Philippe Descola dans son maître ouvrage,

Par-delà nature et culture (2005) de nous proposer d’aller voir ailleurs :

« d’échapper à une interprétation trop classificatoire de phénomènes qui, àl’évidence, se prêtent mal à une telle lecture » (ibid. : 179)

et d’essayer de nouveaux angles d’approche, en particulier celui des divers modes

d’identification possibles de l’homme avec son environnement – constitué de ce qu'il

appelle des « existants ». Ce sont alors les « différentes manières dont nous disposons

pour établir des continuités ou des discontinuités entre nous-mêmes et des éléments du

monde » qui passent au centre de la réflexion (Descola, 2004 : 64-65). En opposition

raisonnée aux thèses de Claude Lévi-Strauss, le livre de Descola s’ouvre sur une critique

de la césure nature-culture qui mobilise aussi, parmi bien d’autres, les travaux de

spécialistes de la Mélanésie, en particulier Roy Wagner, Edward Schieffelin, Daniel de

Coppet et Marilyn Strathern. D’assez longue date, en effet, l’ethnographie de cette

partie de l’Océanie a invité à une remise en cause de cette distinction et, dès 1947,

Maurice Leenhardt, comme le souligne bien Descola (2005 : 48-49), fut un des premiers

à pointer la difficulté d’un tel clivage. Les ethnographies de Mélanésie invitent au

moins à cette remise en cause et, mieux encore, à des tentatives de conceptualisation

renouvelées. Leenhardt en fut un précurseur, avec l’idée de « cosmomorphologie » des

sociétés de Mélanésie, poursuivie avec l’idée de « systèmes sociocosmiques »ou de

« logique socio-cosmologique » ; il s’agit de penser ensemble ce que les ethnologues

désignent classiquement par « société, culture, nature et univers », avec leurs

interactions qui, en Mélanésie sont bien souvent d’échanges et de circulations (Barraud

et al., 1984 ; de Coppet, 1976, 1981, 1990 ; Iteanu 1983 ; Monnerie, 1996 ; Juillerat, 2001 :

159-178).

13 C’est une autre voie qu’emprunte Descola. La plus grande partie de son livre est

consacrée à l’élaboration d’une vision universalisante des modes d’identification des

humains et des autres existants, avec une typologie à quatre termes « animisme,

naturalisme, totémisme, analogisme » qui structure la théorie de ces modes

d’identification. Celle-ci se construit à partir d’une vaste réflexion sur les relations

entretenues par « l’intériorité » des personnes et la « physicalité » du monde. Ici

encore, Animals the Ancestors Hunted ne me semble pas se prêter facilement à une

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interprétation dans les termes de cette typologie. Avant tout, dans ce livre, Majnep ne

nous donne guère d’indications permettant de définir une « intériorité » kalam. Plus

largement, il nous manque souvent en Mélanésie de pouvoir bien cerner, à partir de

l’ethnographie, ce que Descola nomme l’intériorité des personnes, celles-ci pouvant

dans certains cas impliquer plusieurs composantes ou relations (Leenhardt, 1971

[1947] ; Coppet, 1981 ; M. Strathern, 1988 ; Monnerie, 1996) dont certaines établissent

de façon différente les continuités et discontinuités avec des formes de « physicalité » –

et surtout avec ces existants majeurs que sont les ancêtres. Que l’intériorité fasse

problème pour Descola en Mélanésie est montré par sa brève discussion des thèses de

Marilyn Strathern qui a proposé que l’on qualifie la personne, dans cette région du

monde, non comme une individualité mais comme une « dividualité », c’est-à-dire un

être défini en premier lieu par sa position et ses relations dans un réseau. Sans

contester l’existence en Mélanésie d’une théorie de la personne « dividuelle », Descola

affirme, avec Maurice Leenhardt autrefois et Edward LiPuma plus récemment, que

celle-ci coexiste avec – et, dans certaines situations, est supplantée par – une

conception plus égocentrée du sujet dont rien ne permet d’affirmer qu’elle serait le

produit exclusif de la colonisation européenne (Descola, 2005 : 170-171, voir aussi

p. 168). Dans la définition de l’intériorité, il faudrait donc distinguer des plans ; pour sa

démonstration, Descola nous oriente vers un plan universel. Il définit cette intériorité

commune par la combinaison de l’expression linguistique du « je » et du « tu » avec une

expérience qui est « cette croyance universelle qu’il existe des caractéristiques internes

à l’être ou prenant en lui sa source » (ibid. : 169). Dans cette quête d’une meilleure

compréhension des relations des humains aux autres existants, si Animals the Ancestors

Hunted doit nous servir de guide, c’est peut-être pour nous conduire vers la

reconnaissance d’une diversité des positions des sociétés de Mélanésie par rapport aux

schèmes de Descola – ce que ce dernier n’exclut, me semble-t-il, pas. En définitive, il

faudra attendre la publication du troisième volume de la trilogie de Majnep et Bulmer,

entièrement consacré aux plantes, pour que les collaborateurs de Majnep et Bulmer ou

un non-spécialiste du terrain kalam, puissent envisager de proposer de façon

circonstanciée des modèles ethnologiques des conceptions kalam de leur

environnement. Celles-ci seront-elles très différentes des propositions de Bulmer et ses

collaborateurs, dont Sahlins a tenté de faire la synthèse ? Ou pourront-elles s’écarter

des sentiers battus des études de classifications, pour suivre la voie ouverte par

Descola ? D’autres cohérences, d’autres voies d’accès seront-elles mises en évidence ?

14 Au même titre que Birds from my Kalam Country, cet ouvrage est, je crois, indispensable à

toute bibliothèque sérieuse, ethnologique ou naturaliste. Il est un outil de travail quasi

irréprochable – les nombreux glossaires et index ne prêtent guère à critique, sauf peut-

être pour l’absence de données précises et systématiques sur la taille des animaux

mentionnés. Aussi, je n’en doute pas et je viens d’essayer de suggérer pourquoi ce texte

pourra dérouter. L’incontestable plaisir de lecture ethnographique qu’il procure sera-t-

il goûté par tous ? Il met en évidence un certain « gai non savoir », proche de celui que

procure cette « encyclopédie chinoise » de Borgès si souvent citée, en particulier, par

Michel Foucault. Pour l’esprit non averti, peu réceptif ou fermement ancré dans la

tradition française d’ironie – à la Georges Perec –, Animals the Ancestors Hunted ne sera

peut-être qu’une sorte d’inventaire à la Prévert : bizarre, déconcertant, plaisant,

grinçant peut-être, mais ne tirant guère à conséquence. Pour d’autres, il ménagera une

béance, un souffle, bienvenus dans les certitudes sur le monde. Les passionnés qui

s’essaient à la compréhension d’autres univers où sont tissés nature, culture, société et

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147

personne y trouveront un trésor de connaissances et d’aperçus sur le monde kalam,

une fenêtre sur de nouvelles découvertes, de nouvelles perplexités, de nouvelles pistes.

BIBLIOGRAPHIE

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morts. Quatre sociétés vues sous l’angle des échanges, in Jean-Claude Galey (éd.), Différences,

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The Pirates At Tahiti in 1822: TwoUnpublished Letters by SamuelHenryRhys Richards

AUTHOR'S NOTE

Paremata

September 2007

With thanks to Chris Maxworthy for locating the Spanish records and to Marion Minson for help

with their translation. Also thanks to the State Archives of New South Wales for permission to

use their letters by Samuel Henry.

1 In June 1822 at Tubuai, a tiny 40 ton brig captured a 300 ton brig of war armed with

twenty cannons. The captured brig was formerly part of Lord Cochrane’s squadron of

patriots fighting the Spanish for the independence of Chile and Peru (see illustration).

The losing captain, Henry Good, was long experienced in war before he turned to

piracy. The victorious captain, Samuel Henry, was only 22 years old, totally

inexperienced in war, and the son of Rev. William Henry, an Irish LMS missionary at

Tahiti. Samuel Henry’s enormous act of courage and heroism earned him no official

recognition. Indeed this titanic victory of David against Goliath, of good against evil,

was not even mentioned in the chronicle of the Tahitian Mission, apparently because

the writer, John Davies, was so deeply engrossed in petty squabbles with Samuel’s

father (Newbury, 1961).

2 The events involved were well recorded by the Belgian trader J. A. Moerenhout, though

largely it seems not from the perspective of Captain Henry, but rather from that of the

volatile Irish first mate, Thomas Ebrill, who wrongly claimed all the credit for himself.

Two unpublished letters in the State Archives of New South Wales now redress the

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balance somewhat by showing that in fact it was young Samuel Henry who led the

capture of the pirate brig, and that Ebrill was not the leader.

3 In addition, up till now little has been available to Pacific historians about the

preceding circumstances that led to the presence of this pirate ship at Tahiti and

Tubuai as early as 1822. This article now seeks to fill that gap briefly from Spanish

records, and to draw attention to the two letters of explanation written by Samuel

Henry soon after the events.

4 In December 1818 the British lord, Thomas Cochrane, became Admiral of the Chilean

Navy. Late in 1819 Cochrane began a naval blockade of Callao, the port of Lima, which

was then the Spanish capital of South America. Cochrane’s fleet consisted of only seven

vessels, all old, leaking and in poor repair (Thomas, 1978: 249). His crews were very

mixed with a few politically motivated patriots, some Chilean Indians, but

predominantly a core of European mercenaries intent upon seizing the fabled riches of

the Spanish gold and silver mines.

5 As the blockade of Lima dragged on for many months, two vessels which had sustained

damages were detached to raid Spanish settlements to procure whatever food they

could find. These were the corvette Independencia with 44 gunsunder Captain Wilkinson

and the Araucano with 28 gunsunder Captain Robert W. Simpson. Both captains were

experienced in contraband trading along the Pacific coasts. Now Chile was in revolt, the

English captains acted as if they were privateers, licensed by Chile to prey upon the

Spanish enemy wherever they chose, and to seize any Spanish merchant ships trading

along the coast.

6 In December 1821 Captain Simpson had taken the Araucano to Acapulco seeking for food

for the patriots attacking Lima, but the Governor of Mexico declined to permit any

trade, detained Simpson for several days and then asked him to leave. In February 1822,

trying again, both Captain Wilkinson and Captain Simpson sailed north, across the

Equator to Baja California where they knew there were several small towns without any

military presence. Captain Wilkinson seized a local merchant ship, and attacked the

southernmost town of San Jose del Cabo, where his men stole everything they could

including every item of any value in the church.

7 Captain Simpson took the Araucano further up the Gulf of Mexico to the town of Loreto,

arriving on 17 February 1822. There his trading began peacefully, but when he found

Loreto could not produce sufficient dried beef and flour, he took the ship’s boat to visit

Guyamas and other small towns nearby to see what food they might spare. During his

absence, thirty of his crew mutinied, sacked Loreto, and occupied the looted church as

their headquarters. Later on local Mexicans drove them out fiercely, capturing some.

The remaining pirates retreated to their ship, where the first officer joined the

mutineers and sailed off to Peru and Tahiti (Davis, 1980).

8 After further altercations and desertions, and unloading two boat’s crews of unwanted

Chileans and Indians on the coast of Peru, the Araucano reached Tahiti with barely

enough crew to navigate, and leaking badly. At Tahiti they found many dissolute

beachcombers ready to join a pirate ship. Also there laying at anchor was a

replacement vessel, the small colonial brig Queen Charlotte under Captain Samuel Henry.

He was born at Tahiti, was not only bilingual but also bi-cultural, and was highly

regarded by both the Tahitians and the missionaries (though the latter deplored his

“immorality” in sexual matters). Samuel was only 22 years old, but had already

travelled widely across the south Pacific. Samuel had had some education in Sydney,

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including as a mechanic and in navigation so that he could take command of the

mission’s trading brig. Affable and well mannered, Samuel Henry was a protégé not

only of Samuel Marsden but also of King Pomare I (Gunson, 1976: 36-45).

9 What followed when the pirates arrived at Tahiti in June 1822 is well covered by

Moerenhout:

«The captain of the Araucano, or at least the man who called himself such, almostimmediately after his arrival, repaired to the small ship, where he said that he wasgoing to coast of New Zealand to fish for seals, offered Captain Henry some flour inexchange for several objects which he needed, and (a singular thing) finallysucceeded after several days in dispelling any suspicion about whom he might be. Itwas only at the last moment that the insubordination of his crew gave rise to thethought that the pretended fisherman was a pirate.» (Borden, 1993: 455)

10 He told Henry that he was next bound northwards to the Marquesas to get supplies

before sealing.

11 When Captain Henry took the Queen Charlotte out for Eimeo (Moorea) and Tubuai, he

was startled that the Araucano (alias Prudence) followed, and tried to close with him

near Eimeo. Samuel Henry evaded them, but was even more startled when he arrived at

Tubuai only to find, to his «great surprise and fear», that the Araucano was anchored

there already, as if waiting to prey upon him. The Queen Charlotte was only an eighth

the size of the pirate, was totally outgunned and a sluggish sailor, and her crew of

nineteen were greatly outnumbered. There certainly seemed no chance of an escape.

Captain Henry wrote the following account:

«Shortly after I arrived, I was informed by an Englishman who had been on boardthe Prudence when I hove in sight that immediately on perceiving us, all hands onboard her left their work, and loaded their guns with round and grape shot.On the 22nd June, Captain Patterson came on board and stated to me that there wasa mutiny on board his vessel, and requested me to go on board as a protection tohim, whilst he could make enquiry into the particulars, to which I acceded, takingwith me Paihia, a chief, and a party of natives. Went on board where after someenquiries, Captain P. was obliged to relinquish the business not being able to findout the ringleaders; and a quarrel then ensuing between the crew, several wordswere made use of which appeared to me very suspicious, and caused me to questionCaptain P. closely. He appeared very much perplexed and alarmed, and in aconfused manner hinted that things were not with him as they ought to be.On 23rd my chief mate [Ebrill] who had been on board the Prudence, came to me andstated that she was sailing under a false name, and that in reality she was a Patriotbrig of war Arocano, formerly commanded by Captain Simpson, that she was runaway with by Mr Patterson, who had been First Lieutenant on board of her, whileCaptain Simpson was on shore at Callao, with a great part of her crew, and that theperson who called himself Patterson and now commanded her, was also under afalse name, his proper name being Henry Good. He further stated to me that it wasin agitation to take the Queen Charlotte as soon as she got outside the harbour, andput us on board the vessel, she being in such a damaged and leaky state that theywould not remain in her themselves. This plan was objected to by some of their ownpeople as we should in the event of being put on board of the Prudence, then beenabled to take the Queen Charlotte from them again. It was then agreed upon thatthey should throw all the guns overboard after taking us, and otherwise disable usin such a manner as should put it out of our power to molest them afterwards.This statement from my Chief Mate naturally caused considerable alarm, which wasfurther augmented when Mr Clark, First Officer of the Prudence, came on board thesame day, and corroborated what my mate had stated and further added that Iought to be very much on my guard whilst in harbour. One of the crew of the

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Prudence, formerly the cook on the Queen Charlotte, also informed me of the plansthat were laid to take her.It was my intention to have sailed in the morning subsequent to this disclosure. Butfinding myself in such a critical situation with every chance of being pursued by thebrig, from whom we could not possibly escape when out at sea as she had muchsuperiority over using sailing and mounted eighteen guns with a large complementof men. I conceived it best under the circumstances of the case to consult with mycrew, and having stated the particulars to them, they agreed to stand by me to aman, and endeavour to take the brig while she lay at anchor about a mile distant.The crew also stated that they had heard reports that alarmed them very much, asthe brig was so well manned, and we were so few in number. It was finally agreedupon that when everything was in readiness we should take her.Captain Patterson coming on board in the interim, I confined him and two men whoaccompanied him. Having in the meantime dispatched a boat for information, whoreturned after leaving two of their number on board, with word that part of thecrew were on shore.Upon this, I manned our [two] boats, and with myself, my mate, seven Europeansand ten Otaheitians, put off for the brig about 7 pm. On coming along side weboarded and took her without any lives being lost on either side or any damagedone. At 10 o’clock I returned to my own vessel, leaving my chief mate in charge ofthe Prudence.» (Henry, Letter 1 July 1822)

12 According to Moerenhout, it was the new mate Thomas Ebrill, a lively Irishman, who

first proposed that the best form of defence was a pre-emptive strike to capture the

pirate ship whilst her crew were on shore and off guard (Borden, 1993: 456). This may

be true, but the later reports by Henry make it absolutely clear that it was Henry

himself who led the attack, supported by Ebrill. Henry is unlikely to have told untruths

to his father, particularly since they would have been exposed by others on the Queen

Charlotte on their return home.

13 At Tahiti, the foreign residents and the Tahitians alike were astonished that such a tiny

ship had captured the big, well armed, ship of war. Captain Hunter of the Sydney brig

Governor Macquarie later reported that:

«An English whaler, the name of which is not remembered by Captain Hunter,happening shortly after to touch at the islands, the captain of the captured brigwith ten of his men, ran away in a boat and obtained a passage on board, thuseffecting their escape, and satisfactorily proving their guilt of the charge of piracyattributed to them. Many actions subsequent to this capture, corroborated thestatements in evidence against them. To act with all that prudence which shouldever characterise British commanders in cases of such extreme importance, CaptainHenry called a Council of four captains of whalers who had put in to refresh ontheir homeward bound passages. By this assembly the piratical brig was declaredun-seaworthy; she therefore remains at Otaheite at anchor, and is already near akinto a wreck.» (Sydney Gazette 22 November 1822)

14 The members of the council of captains were probably Captain Hunter of the Governor

Macquarie, Captain Walker of the Dragon, David Clark of the Good Hope and William

Carlett of the John Bull. The Governor Macquarie was a pork trader; while the others were

whaleships. The later British whaleship on which Captain Good and ten of his men left

Tahiti was probably the Charles of London, Captain Lock.

15 Rather curiously no further record has been found of the pirate captain, whom Samuel

Henry calls Henry Good, alias Henry Patterson. Nor is it known who else were among

the pirate crew, but no doubt some at least continued to live in other Pacific islands as

beachcombers, traders and tyrants.

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16 Moerenhout’s account continues:

«Unfortunately instead of leaving immediately with his capture for Chile, wherehonours and awards might await him, the noble victor, on the advice of themissionaries, left the brig at Tahiti waiting till it should be reclaimed by the ChileanGovernment, who were written to but never replied, whether for reason of the[chaotic] state of the country, or whether the ship did not seem to them worth theeffort.» (Borden, 1993: 457)

17 Samuel Henry’s letter confirms the more mundane reason, namely that the Auracano

was declared un-sea-worthy and left to rot. No doubt the wreck proved a major source

of iron and brass for tool, weapons and other metal items for the local Tahitians whose

previous reliance upon stone and wood was fast diminishing.

«Some years afterwards the Tahitians destroyed and appropriated the cannons,which are still on a small island in the center of Papeete…» (Borden, 1993: 457)

18 Afterwards Captain Ebrill went to Chile twice:

«he even saw Simpson, the first captain of the brig, now commander of the Aquilles,but the Government paid no attention to him, and no-one spoke to him of his [sic–their] fine action […] Ebrill was not even thanked […]» (Borden, 1993: 463, 257)

19 Meanwhile in Chile the moment had passed as Lord Cochrane was no longer in

command in 1823. So a leaky old ship requiring extensive repairs far away from repair

facilities, was no great attraction. The Chileans too judged that the Araucano was best

left to rot at Tahiti.

Conclusion

20 The two unpublished letters by Samuel Henry confirm the events and convey more of

the context of Tahiti in 1822. The disunity and lawlessness among the various foreign

visitors against each other, were conspicuous and in no way an encouragement for

Tahitians to adopt foreign codes and mores uncritically. These letters also illustrate the

disunity and dissent present among the foreign residents living ashore. Samuel Henry

was unlikely to have written to tell his father untruths that might have been exposed

on his return to Tahiti. Henry was brave but naive. Ebrill was a self-promoting

opportunist ready to claim credit that belonged to Henry and, one suspects, Ebrill was

not only a fast talker, but also a liar. Even the two recorders were biased: Moerenhout

disliked the missionaries and the Henry family so much that he accepted Ebrill’s biased

reports. Davies was unwilling to endorse the bravery that had occurred because it was

within the family of his fellow missionary, William Henry, with whom he was engrossed

in petty squabbles. Only Captain Samuel Henry emerges well. He certainly deserves

more credit and acclaim for his heroic David-and-Goliath victory over the war-

seasoned pirates of the Auraucano.

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Le classement des archivesadministratives de Wallis-et-Futuna(1951-2000) de Gildas PressenséRaymond MAYER

1 Une opération exceptionnelle de classement des archives administratives a été réalisée

à l’île Wallis de 2000 à 2004 par Gildas Pressensé, premier chef de cabinet (1972-1975)

auprès de l’Administrateur supérieur du territoire des îles Wallis-et-Futuna et résident

permanent dans l’île depuis 1967. Gildas Pressensé a débuté en tant que chef du service

information du territoire, pendant son temps légal de service national effectué à titre

civil sous le statut de volontaire de l’aide technique (VAT). À l’issue de son service

national, il est resté sur place, continuant à servir dans l’administration avant de se

lancer dans des activités commerciales dans le district de Hahake sous l’enseigne

« Uvea shop ». Peu avant d’être admis à faire valoir ses droits à la retraite, au tournant

de l’an 2000, il a été rappelé par l’Administrateur supérieur Alain Waquet. Celui-ci lui a

en effet confié le soin de procéder, sous contrat spécifique, à un classement des

archives administratives des îles Wallis-et-Futuna pour la période 1951-2000. Le

résultat en est réellement exceptionnel, car outre le classement physique de la

documentation primaire entreposée au centre administratif de Havelu, à Mata-Utu, on

dispose à présent d’une remarquable base de données qui s’avère d’ores et déjà

incontournable pour toute recherche sur la période considérée.

2 Sous le titre trop modeste de Wallis-et-Futuna. Éléments d’histoire, l’auteur-archiviste s’est

en effet investi, à titre personnel, dans la production d’une dizaine de fascicules de

synthèse, chacun constitué d’environ quatre-vingts pages. Ceux-ci sont accompagnés

d’autres travaux originaux, ceux-là thématiques ou tabulaires, qui fournissent à

profusion tous types de renseignements utiles à une recherche se rapportant aux îles

Wallis-et-Futuna. Le seul total des fascicules de synthèse (dont les derniers livrets

étaient en cours de rédaction en 2008) équivaut à quelque mille pages, ce qui est tout

simplement prodigieux pour la période archivée. Sous un climat où l’archivage ne

représentera jamais un souci prioritaire, cette « exception documentaire » a presque

valeur d’« exception culturelle ». À ce titre, elle vaut d’être connue et mérite, me

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semble-t-il, un minimum de précisions sur les formats utilisés, les contenus compilés,

ainsi que sur les conditions de leur mise à disposition, quand bien même celles-ci sont

pour l’instant relativement restrictives, pour des raisons de confidentialité qui sont

faciles à comprendre. En effet, si l’accès à un dépôt d’archives administratives obéit à

une réglementation qui impose généralement un délai minimum de trente ans sur la

période ouverte à la consultation publique, la diffusion des travaux personnels de

l’auteur reste pour l’instant à la discrétion de ce dernier. Après avoir brièvement

présenté l’auteur de cette base de données que je propose de dénommer désormais BDGP

(base de données Gildas Pressensé), je montrerai l’ampleur du travail accompli à

travers une recension des fichiers existants, dont une douzaine d’extractions

soulignera la richesse des informations traitées.

L’auteur du classement des archives administratives

3 Originaire de la région nantaise, Gildas Pressensé est donc installé à l’île Wallis depuis

1967, où il a entre-temps fondé sa famille et établi son domicile dans le district de Mu’a.

En raison de ses activités successivement publiques et privées, il y est devenu un

témoin attentif aux grands et petits événements de l’île et de sa vie quotidienne. Il est

resté, par-dessus tout, un observateur privilégié de sa vie administrative et politique.

Plus de quarante ans de présence dans l’île en font une personnalité incontournable de

la vie locale, et une source sûre pour toute recherche en sciences historiques et

politiques. Gildas Pressensé ne fut pas seulement le premier à occuper les fonctions de

chef de cabinet de l’Administrateur Supérieur du territoire des îles Wallis-et-Futuna,

mais il a également été rédacteur en chef, à la suite de Michel Barbier qui l’avait lancé

en 1964, du Bulletin d’information du territoire des îles Wallis-et-Futuna. Ce bulletin

d’information mensuel, ronéoté à l’administration, a vu éditer 49 numéros jusqu’à la

cessation de sa parution en mai 1971. Son contenu était dédié à l’histoire politique

locale, aux résultats des élections territoriales et nationales (chefs de villages,

référendums, etc.), aux fêtes, aux mouvements d’avions et de navires, à la

météorologie, au sport, à l’état-civil, aux visites ministérielles, etc. Ce bulletin

d’informations a aussi servi de support à la première réédition (depuis les années 1910)

de la célèbre histoire généalogique Talanoa ki Uvea compilée par le père Henquel, et à sa

première traduction en français effectuée par Mgr Alexandre Poncet. On remarque que

ces contenus donnent déjà en filigrane l’inspiration des notes de synthèse composées

par l’archiviste Pressensé à partir de l’an 2000. Parallèlement à son travail éditorial, le

photographe Gildas Pressensé avait constitué à l’époque un fonds d’un millier de

diapositives, dont certaines ont été éditées sous forme de cartes-postales, au point de

pourvoir le premier stock de cartes-postales couleur disponibles dans les années 1970

et 1980 à l’île Wallis, tandis que d’autres ont même connu une adaptation philatélique.

Bref, que ce soit par la documentation écrite ou par l’image, Gildas Pressensé n’a jamais

cessé de s’intéresser aux faits et gestes de la vie wallisienne, et cette passion de

l’information fait évidemment merveille quand elle commence à s’appliquer de

manière systématisée aux archives administratives proprement dites.

4 Comme toutes archives, celles de l’Administration de Wallis-et-Futuna obéissent à des

nécessités de confidentialité et doivent, comme on l’a dit plus haut, se conformer à la

réglementation en vigueur pour être consultables. Ce qui est vrai du fonds

administratif – et qui dépend de la seule autorité administrative – ne l’est pas des

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travaux effectués à titre personnel par Gildas Pressensé – qui dispose de leur propriété

intellectuelle. On comprend donc que les notes de synthèse (annuelles et thématiques)

rédigées par Gildas Pressensé sont à la fois de première importance, parce qu’elles

donnent un accès indirect aux informations archivées, mais que, dans la mesure où

certaines données portent sur des périodes non encore ouvertes à la consultation

publique, elles s’imposent des limites qui dépendent de la seule responsabilité de leur

auteur.

5 Précisons que le support de base des notes de synthèse est informatique et qu’aucune

édition publique sur support papier n’en est disponible. La présente note n’a donc pour

objectif que d’en faire connaître l’existence et d’évoquer l’étendue du domaine couvert

à la faveur d’une recension des principaux dossiers et fichiers constitués à l’occasion de

l’opération de classement des archives et à travers une série d’extractions qui en

illustrent les contenus.

Recension des dossiers et fichiers informatiquesconstitués sur la période 1951-2000

6 À partir du classement physique des archives administratives sur la période 1951-2000,

mais indépendamment de leur conservation finale à l’administration de Mata-Utu,

quatre types de dossiers informatiques ont été élaborés par Gildas Pressensé sur la

période classée :

un dossier Chronologies comportant dix fichiers ;

un dossier Listes de huit fichiers ;

un dossier Élections et référendums de six fichiers ;

un dossier Synthèses comportant cinq dossiers décennaux comprenant chacun dix fichiers

annuels.

7 Sur l’ensemble de ces dossiers informatiques, deux types de productions sont à relever :

la série Wallis-et-Futuna. Éléments d’histoire qui est composée, comme on l’a dit plus haut,

d’une dizaine de fascicules d’environ quatre-vingts pages, rédigés sur la base des notes

annuelles synthétisant les événements et documents consignés dans les archives,

auxquels sont ajoutées en annexe des copies de documents rares (lettres, rapports,

décisions, etc.), raison pour laquelle l’auteur estime que ces notes de synthèse ne

peuvent être ouvertes à tous les publics et de libre utilisation. Autre type de production

qui pourrait être plus facilement mis en diffusion publique : ce sont la cinquantaine de

fichiers informatiques sur tableur Excel qui récapitulent utilement l’histoire des

nominations de chefs, ou de la présence des administrateurs qui se sont succédé sur le

territoire dans les différents services relevant de l’administration ou de la « coutume ».

J’en donne un bref aperçu dans les annexes qui suivent et qui constituent des

extractions (le plus souvent partielles) indicatives des contenus des fichiers

informatisés.

1.

8 Si nous regardons en détail chaque type de dossier informatique, nous pouvons noter

que celui des «Chronologies » nous donne les principaux événements locaux, mois par

mois, à raison d’un fichier informatique par décennie. On a donc les décennies

1951-1960, 1961-1970, etc. Deux fichiers complémentaires ont été consacrés à des

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

158

périodes antérieures : l’un à la chronologie 1616 (année du passage des navigateurs

néerlandais Lemaire et Schouten à Futuna) à 1900, l’autre à la chronologie 1901 à 1950.

Un autre fichier chronologique est en cours d’élaboration depuis 2001. Enfin, un fichier

« Ephémérides » balaie le calendrier en fonction des événements locaux sur les

périodes ayant fait l’objet de chronologies annuelles. Tous les fichiers du dossier

« chronologie » sont élaborés sous format Excel. L’on trouve ici, sous la forme de

l’extraction 1, les chronologies de l’année 1951 et de l’année 1952, qui donnent une idée

du traitement appliqué aux données.

Extraction 1 – Début du fichier BDGP « Chronologie de 1951 à 1960 »

Chronologie de 1951 à 1960

15.01.51 Un décret royal fixe à 40 F l'impôt dû par les hommes de 18 à 50 ans à l'exception des

chefs coutumiers, des personnes malades et des handicapés

01.02.51 Inauguration du dispensaire-maternité de Mua et, à Mata'Utu, mise en service d'une salle

de radiologie

24.09.51 Arrivée à Mata'Utu d'un nouveau Résident M. Folie Desjardins. Il séjournera à Wallis-et-

Futuna jusqu'au 11 juillet 1953

21.12.51 Lolesio Faletuuloa est intronisé Tuiagaifo après une crise royale de plusieurs semaines en

remplacement de Silisio Katea destitué au cours du mois de novembre

Le gouverneur de Nouvelle-Calédonie, M. Raoul Angamarre, avait dû envoyer une dizaine

de militaires et une dizaine d'auxiliaires de gendarmerie sous les ordres du capitaine

Rabany pour ramener l'ordre et mettre fin à la crise

1952

28.01.52 Début des travaux de reconstruction de la cathédrale de Mata'Utu sous la direction du

révérend père Petelo Hamale. Ces travaux devaient durer plus de sept ans. Mgr

Alexandre Poncet procéda à la bénédiction solennelle de fin de travaux le 13 août 1959,

alors que le Père Petelo Hamale était décédé trois semaines plus tôt, le 17 juillet. Il fut

inhumé le lendemain dans la cathédrale

23.05.52 Départ des deux derniers séminaristes de Lano vers la Nouvelle-Calédonie et fermeture

définitive du séminaire ouvert en 1874 qui devait devenir intervicarial : Wallis, Futuna et

Samoa

25.05.52 Départ du premier contingent de travailleurs wallisiens et futuniens vers les Nouvelles-

Hébrides (55 hommes et une femme), sous la conduite de l'inspecteur du travail du

condominium venu spécialement de Port-Vila(d'après Mgr Poncet). Selon d'autres

sources, le premier départ aurait eu lieu en janvier ou février

19.09.52 Départ d'un deuxième contingent pour les Nouvelles-Hébrides

1953

01.01.53 Pelenato Fuluhea est nommé chef du district de Mua par le Résident Folie- Desjardins

contre l'avis du Lavelua Kapeliele Tufele dit Setu

11.07.53 M. Charles André, arrivé le 9 à bord du Maria del Mar, prend les fonctions de Résident en

remplacement de M. Folie-Desjardins partant sur ce même bateau

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

159

17.11.53 Destitution du roi Kapeliele Tufele dit Setu. La reine Aloisia, veuve Brial, lui succédera le

22 décembre

11.12.53 Après la destitution de Kapeliele Tufele au mois de novembre, est constitué un nouveau

gouvernement coutumier : Kalae-Kivalu (Tomasi Kulimoetoke)

Ului'monua : Apalahamo de Haatofo / Fotua tamai : Paino / Mahe Fotuaika : Soane

Foloka de Falaleu/Mukoi : Seteone de Vaitupu/Kulitea : Paulino de Liku

20.12.53 Arrivée par le Maria del Mar d'Aloisia Tautu, veuve Brial

21.12.53 Aloisia est désignée comme reine

22.12.53 Aloisia est intronisée Lavelua par une partie de la chefferie. Cette intronisation faite dans

la précipitation, hors la présence du Résident, sera recommencée le 31 janvier 1954 à la

demande du Commissaire général Raoul Angamarre

9 Cette chronologie recoupe, sur la période allant de 1951 à 1961, celle qui a été proposée

par Patrick O’Reilly dans le Journal des Océanistes, numéro 19 de 1963. Elle recoupe

également les notes largement autobiographiques de Mgr Alexandre Poncet qui ont

nourri la rédaction de son ouvrage dédié à l’Histoire de l’île Wallis. Le protectorat (numéro

23 des Publications de la Société des Océanistes). Elle les prolonge évidemment toutes

deux sur la période postérieure à 1961 jusqu’en l’an 2000. La période 1951-1960, comme

on peut en juger d’après cette extraction des années 1951 à 1953, fut féconde en

événements sur le plan coutumier, puisque Futuna connut une destitution de Tuiagaifo

(cf. Likuvalu, 1977 et Favole, 2000) et Wallis une destitution de Lavelua, dans des

conditions qui nous retrouvons, presque à l’identique, dans la pleine actualité des

années 2005 à 2008 (cf. Mayer et Pressensé, Ruptures et continuités dans les successions

royales à l’île Wallis, en préparation).

2.

10 La totalité des fichiers du dossier informatique « Listes » constitué par Gildas Pressensé

est également saisie sous format Excel. Les huit fichiers dressent l’état du personnel

politique, tant métropolitain que territorial, et tant administratif que coutumier, sur la

période 1951-2000. On trouve ainsi la liste datée des ministres coutumiers du royaume

de ’Uvea (le début en est présenté dans notre extraction 2, en même temps que celle des

entrées en fonction et des départs des résidents et administrateurs supérieurs du

territoire (les premiers sont présentés dans notre extraction 3, celle des délégués de

Futuna, des chefs de cabinet (dont Gildas Pressensé fut le premier à occuper la

fonction). Suivent les listes datées des députés (liste complète dans notre extraction 4,

des sénateurs (liste complète dans notre extraction 5, des représentants au Conseil

économique et social, ainsi que des membres de la commission permanente de

l’Assemblée territoriale (début de liste dans notre extraction 6. En extra, on trouve un

fichier relatif aux visites de ministres, de secrétaires d’État, de Premier ministre, et de

Président de la République (un seul, Giscard d’Estaing en 1978) à Wallis.

11 Voici les extractions 2 à 6, dont les commentaires qui suivent sont de notre main. Ils

n’ont d’autre but que de signaler avant tout leur existence et de susciter l’intérêt qu’il y

aurait à les consulter dans leur intégralité.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

160

Extraction 2 – Début de la liste des ministres de ’Uvea de 1951 à nos jours

12 Les ministres de 'Uvea de 1951 à nos jours

Kalae-kivalu Ulu'imonua Fotu'atamai Mahe

fotu'aika

Mukoi-

fenua

Kulitea Pulu'ivea

1951 Sagato

Taofifenua

Lafaele

Taukapa

1952 Sagato

Taofifenua

Lafaele

Taukapa

1953 Sagato

Taofifenua

Lafaele

Taukapa

Soane

Malivao

13 Ils sont entrés en fonction le 11.12.1953

1953 Tomasi

Kulimoetoke

ex-Hoko

Apalahamo

Vakalepu

de Haatofo -

ex-pule de

Mua

Paino

Tuugahala

Soane

Foloka

de

Falaleu

Seteone

Siaki

de

Vaitupu

Paulino

Uuatemoakehe

chef du village

de Liku

1954 Tomasi

Kulimoetoke

Apalahamo

Vakalepu

Paino

Tuugahala

Soane

Foloka

Seteone

Siaki

Paulino

Uuatemoakehe

1955 Tomasi

Kulimoetoke

Apalahamo

Vakalepu

Sosefo

Manuka

Soane

Foloka

Seteone

siaki

Paulino

Uuatemoakehe

1956 Tomasi

Kulimoetoke

Apalahamo

Vakalepu

Sosefo

Manuka

Soane

Foloka

Seteone

Siaki

Paulino

Uuatemoakehe

1957 Tomasi

Kulimoetoke

Apalahamo

Vakalepu

Sosefo

Manuka

Soane

Foloka

Seteone

Siaki

Paulino

Uuatemoakehe

Mikaele

FolauMahina

Démissionne

le 16.10

puis

Suspendu en

fin d'année

après la

scission entre

le Nord et le

Sud de l'île

puis

1957 Soane

Foloka

Soane

Malivao

Sosefo

Manuka

Seteone

Siaki

Paulino

Uuatemoakehe

1958 Soane

Foloka

Soane

Malivao

Sosefo

Manuka

Seteone

Siaki

Paulino

Uuatemoakehe

14 Les ministres ci-dessus ont cessé leurs fonctions après la démission de la reine Aloisia le

12.09.58 puis ont été nommés à compter du 10.03.59

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

161

1959 Paino

Tuugahala

de Falaleu

Pasilione

Tuita

de

Vaitupu

Siolesio

Talaha

de Falaleu

Automalo

Manuka

de Kolopopo

Mikaele

Gaasikele

dit Masiva

Pelenatino

Kiki

de Vaitupu

Vito

Fomeku

de

Aka'Aka

1960 Paino

Tuugahala

Pasilione

Tuita

Siolesio

Talaha

Automalo

Manuka

Mikaele

Gaasikele

de

Malaefoou

Pelenatino

Kiki

Vitoli

Fomeku

1961 Paino

Tuugahala

Pasilione

Tuita

Siolesio

Talaha

Automalo

Manuka

nommé fai

pulé le 08.06

remplacé par

Mikaele

Gaasikele

Pelenatino

Kiki

Vitoli

Fomeku

1961 Paino

Tuugahala

Pasilione

Tuita

Siolesio

TALAHA

Alikisio

Liufau

Mikaele

Gaasikele

Pelenatino

Kiki

Vitoli

Fomeku

15 Gildas Pressensé est, à notre connaissance, le premier à avoir collecté les noms des

titulaires successifs du conseil royal del’île Wallis. La consultation de ces listes révèle

des traits récurrents de l’histoire coutumière de l’île. On notera par exemple ici, pour

les années 1953 à 1957, que la fonction de Kalae-Kivalu (considérée localement comme

une fonction de Premier ministre) avait été confiée à Tomasi Kulimoetoke. Or celui-ci

n’est autre que celui qui devait, à partir de 1959, accéder au titre de Lavelua et fournir à

l’histoire wallisienne, jusqu’à son décès en 2007, l’un des plus longs règnes que l’on

connaisse (48 ans). Cet exemple nous projette aussi, un demi-siècle plus tard, dans la

plus stricte actualité coutumière, puisque l’investiture du nouveau titulaire de la

fonction, en la personne de Kapeliele Faupala, le 25 juillet 2008, a procédé, malgré la

contestation d’une partie de la chefferie de l’île, d’un choix porté sur quelqu’un qui

exerçait la fonction de Kalae-Kivalu au moment de son accession à la fonction de hau. De

là à prétendre que l’histoire des règnes wallisiens est, malgré la longévité de certains

titulaires à la fonction, un éternel recommencement, l’administration de la preuve en

serait peut-être légitimée par le recours à ces données oubliées.

Extraction 3 – Début du fichier BDGP « Liste Administrateurs supérieurs de Wallis-

et-Futuna »

Administrateurs supérieurs de Wallis-et-Futuna

Arrivée Départ

Pierre Fauche (dernier

résident)

02.08.1958 9.07.1961

Jacques Herry 10.07.1961 14.10.1961

chef du Bureau des Wallis au haut-commissariat, a été « chargé de l’intérim de la Résidence »

1 Jean Perie (décret du 20.09.61) 03.10.1961 21.03.1962

(prise de fonctions le 7.10.) Adm-ch FOM

Jacques Herry (par intérim) 21.03.1962 13.08.1962

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

162

chef du Bureau des Wallis, a été nommé Adsup p.i. par arrêté du Haussaire

2 Jean Bertrand 13.08.1962 28.01.1964

Adm. FOM

3 André Duc-Dufayard 11.03.1964 20.04.1966

Adm. FOM

4 Fernand Lamodiere (D.26.7.66) 26.07.1966 19.07.1968

M. Lamodière, chef du bureau des Wallis au haut-commisssariat, était à Wallis, assurant l'intérim

chargé des affaires courantes lorsqu'il a été nommé Adsup d'où concordance entre dates du décret

de nomination et celle de prise de fonctions

Adm FOM

5 Jacques Bach 30.07.1968 25.03.1971

Administrateur civil

6 Guy Boileau 25.03.1971 26.08.1972

7 Jacques de Agostini 19.10.1972 25.11.1974

anc. ENFOM -

8 Yves Arbellot-Repaire 22.03.1975 29.10.1976

9 Henri Beaux 06.11.1976 02.05.1979

10 Pierre Isaac (D.06.07.79) 11.07.1979 24.12.1980

11 Robert Thil (D.16.12.80) 31.12.1980 17.12.1983

12 Michel Kuhnmunch (D.

16.11.83)

25.01.1984 11.04.1985

13 Bernard Lesterlin 03.12.1985 17.04.1986

14 Jacques Le Henaff 15.07.1986 13.09.1987

16 Sur cette liste des Administrateurs supérieurs du territoire des îles Wallis-et-Futuna

(reproduite ici jusqu’en 1987 et qui fait suite à la liste des Résidents de la période du

protectorat), l’on remarque que les nominations s’effectuent à Paris sur un rythme

généralement bisannuel. Des événements jugés graves, comme par exemple la première

« grève générale » de l’histoire wallisienne en 1974 (considérée à l’époque comme une

réplique à retardement du « Mai 68 » de la métropole) ont pu entraîner des périodes de

latence entre deux nominations, ou précipiter des remplacements au poste. Le

commentaire détaillé de cette liste pourrait également montrer la corrélation entre les

nominations et les changements de gouvernement ou de législature en métropole.

Extraction 4 – Liste BDGP des députés de Wallis-et-Futuna

Les députés de Wallis-et-Futuna

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

163

Hervé Loste élu le 25 mars 1962

réélu le 2 décembre 1962 après la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 octobre

Benjamin Brial élu le 5 mars 1967

réélu le 7 juillet 1968 après la dissolution de mai 68

réélu le 4 mars 1973

réélu le 12 mars 1978

réélu le 28 juin 1981 après la dissolution de mai 1981

réélu le 23 mars 1986

réélu le 12 juin 1988

(élection annulée par le Conseil constitutionnel le 23 novembre)

Kamilo Gata élu le 15 janvier 1989

réélu le 28 mars 1993

Victor Brial élu le 1er juin 1997 après dissolution de l'Ass. nat. en avril 97

réélu le 16 juin 2002

réélu le 23 mars 2003 après l'annulationde l'élection de 2002 par le Conseil

constitutionnel

Albert Likuvalu élu le 17 juin 2007

17 Bien plus courte que d’autres, cette liste des députés est pourtant complète. Elle

montre d’un seul coup d’œil que l’élection du député se porte définitivement, à partir

de 1967, sur des personnalités locales (wallisiennes ou futuniennes, à part égale a-t-on

envie de dire). Après une reconduction interrompue du député de la période 1967-1989,

on note que l’élection est plus âprement disputée et met alors en scène des députés qui

ne viennent plus seulement de la mouvance gaulliste ou post-gaulliste qui a longtemps

dominé la scène politique (nationale et) locale. On pressent aussi que les annulations

d’élection sont sans doute plus fréquentes à Wallis-et-Futuna que dans les

circonscriptions métropolitaines.

Extraction 5 – Liste des sénateurs de Wallis-et-Futuna

Liste des sénateurs des îles Wallis-et-Futuna

1 Henry Loste élu le 23.09.1962

2 Sosefo Makape

Papilioélu le 26.09.1971

réélu le 28.09.1980

réélu le 24.09.1989

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

164

3 Basile Tui nommé le 7 avril 1998 après le décès accidentel à Futunale 6 avril de Sosefo

Makape PAPILIO dont il était suppléant

4 Robert Laufoaulu élu le 28.09.1998

réélu 21.09.2008

18 La liste des sénateurs est encore plus courte que celle des députés, et montre, à partir

de 1971, le même passage historique d’un personnel extérieur aux îles à des

personnalités locales. On observe, plus que pour les députés, une remarquable stabilité

des titulaires élus. Celle-ci est due en partie à la durée d’un mandat sénatorial (9 ans),

mais aussi aux conditions mêmes de l’élection sénatoriale au suffrage indirect,

s’appuyant sur la stabilité politique du collège des membres de l’Assemblée territoriale.

De fait, la période 1951-2000 n’a connu que trois titulaires (puisque l’un d’eux fut

nommé sénateur à titre de suppléant du titulaire décédé).

Extraction 6 – Début de la liste BDGP des membres de l’Assemblée territoriale

19 Membres de l'Assemblée territoriale par mandature

HIHIFO HAHAKE MUA SIGAVE ALO

04.03 Petelo Halagahu Paino Tuugahala Pelenato Fuluhea Atelea Matetau Sosefo Makape

Atoloto Uhila Siolesio Talaha Alikisio Liufau Lafaele Malau Sosefo Gata

1962 Alexis Bernast Benjamin Brial Keleto Lakalaka

Mikaele Folaumahina Muni Lagikula

Likaleto Simete

Mikaele Gaasikele

Setefano Keletaona

Patita Savea

Kalepo Nau

Petelo Halagahu Siolesio Talaha Richard Simete Soane-Patita Lakina Sosefo Makape

Atoloto Uhila Benjamin Brial Kamaliele Lagikula Cyprien Brial Siolesio Masei

1967 Alexis Bernast Petelo Fakataulavelua Akatoto Tuitoloke

Mikaele Folaumahina Keleto Lakalaka

Napole Muliloto

Pelenato Fuluhea

décédé le 8 juillet 1970

remplacé par suivant de liste

Alikisio Liufau

Kamilo Matetau

Moisese Sumoi

Sosefo Sea

Suliano Tini Benjamin Brial Pasilio Tui Aloisio Kaikilekofe Sosefo Makape

Sosefo Saponia Mikaele Folaumahina Manuele Lisiahi Soane Patita Lakina Ilalio Lape

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

165

1972 Petelo Halagahu Siolesio Talaha

décédé le 9 septembre 1975William Goepfert

Muni Lagikula

remplacé par suivant de liste

Mikaele HoatauSoane Taufana

Sosefo Lami

Napole Muliloto

Cyprien Brial

Samuele Tuihoua

Siolesio Masei

Soane Maiau Benjamin Brial Keleto Lakalaka Cyprien Brial Siolesio Masei

Petelo Halagahu Michel Hoatau Manuele Lisiahi Gédéon Jessop Kameli Katoa

1977 Apeleto Likuvalu Sosefo Lami Napole Muliloto

Clovis Logologofolau Gaston Lutui

Lafaele Malau Lutoviko Maituku

Falakiko Gata

20 Ce tableau retraçant la composition de l’Assemblée territoriale de 1962 à 1977 montre

la répartition des élus suivant les trois districts de l’île Wallis (Hihifo, Hahake et Mu’a)

et les deux districts de l’île Futuna (Alo et Sigave). En l’examinant de plus près, on

constate que les députés (et futurs députés) en sont membres, de même que le sont les

sénateurs et représentants successifs au Conseil économique et social.

3.

21 S’agissant du domaine électif, un dossier est spécialement consacré aux « Élections et

référendums » et regroupe six fichiers thématiques, respectivement ouverts sur les

élections présidentielles, législatives, sénatoriales, territoriales et des représentants au

Conseil économique et social. On a enfin un fichier spécialement affecté aux résultats

des référendums nationaux. Les élections législatives sont en général les élections les

plus sensibles, s’agissant d’élections au suffrage général direct. Voici quelques

exemples de résultats d’élections qui ne peuvent manquer de susciter notre

commentaire.

Extraction 7 – Résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 1974

(fichier BDGP)

Ins. Votants % Nuls Exp. J. CHABAN-

DELMAS

René

DUMONT

V.GISCARD

D'ESTAING

Guy

HERAUD

VAITUPU 631 497 78,76 0 497 479 96,38 0 - 17 3,42 0 -

MATA'UTU

N

538 423 78,62 0 423 292 69,03 4 0,95 98 23,17 0 -

MATA'UTU

S

362 290 80,11 2 288 97 33,68 1 0,35 186 64,58 1 0,35

TEPA 294 226 76,87 0 226 126 55,75 1 0,44 99 43,81 0 -

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

166

MALAEFOOU 716 508 70,95 1 507 74 14,60 1 0,20 425 83,83 0 -

Total Wallis 2

541

1 944 76,51 3 1

941

1068 55,02 7 0,36 825 42,50 1 0,05

SIGAVE

(Nuku)

517 432 83,56 0 432 224 51,85 0 - 189 43,75 0 -

ALO ( Ono) 658 612 93,01 1 611 413 67,59 15 2,45 172 28,15 1 0,16

Total Futuna 1

175

1 044 88,85 1 1

043

637 61,07 15 1,44 361 34,61 1 0,10

TOTAL W + F 3

716

2 988 80,41 4 2

984

1 705 57,14 22 0,74 1186 39,75 2 0,07

22 (Suite tableau)

A. Krivine A. Laguiller J.-M. Le Pen F. Mitterrand E. Muller B. Renouvin J. Royer J.-c. Sebag

- 1 - - 0 - 0 - - - 0 - 0

2 0,47 - - 1 0,24 24 5,67 0 - - - 2 0,47 0

- - - - - - 1 0,35 0 - 1 0,35 1 0,35 0

- - - - - - 0 - 0 - - - 0 - 0

- - 1 0,20 - - 3 0,59 2 0,39 1 0,20 0 - 0

2 0,10 2 0,10 1 0,05 28 1,44 2 0,10 2 0,10 3 0,15 -

- - - - - - 18 4,17 0 - - - 0 - 0

2 0,33 1 0,16 - - 5 0,82 1 0,16 1 0,16 0 - 1

2 0,19 1 0,10 - - 23 2,21 1 0,10 1 0,10 - - 1

4 0,13 3 0,10 1 0,03 51 1,71 3 0,10 3 0,10 3 0,10 1

23 Parmi les nombreuses élections présidentielles auxquelles participe la population de

Wallis-et-Futuna, certaines expriment des positionnements locaux plus marqués que

des positionnements nationaux. On en veut pour preuve l’exemple des résultats du

premier tour de l’élection présidentielle de mai 1974 pour désigner le successeur du

président Georges Pompidou décédé en avril. Les électeurs du district de Mu’a

regroupés au bureau de Mala’efo’ou ont porté leur choix sur le candidat Valéry Giscard

d’Estaing, par opposition aux autres districts qui ont tous voté pour Jacques Chaban-

Delmas. Par hasard, la minorité au plan local de Mala’efo’ou s’est avérée être la

majorité au plan national et a ainsi pu se prévaloir d’une légitimité en quelque sorte

extra-territoriale pour faire valoir ses droits à un positionnement fréquemment

différent des autres districts de l’île.

Extraction 8 – Résultats de l’élection sénatoriale de 1998

Élections sénatoriales du 27 septembre 1998

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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1er tour (8h30 à 11h00)

Candidats Basile Tui ; suppléant : Pasikale Niutoua

Kamilo Gata ; suppléant : Siliako Lauhea

Soane Muni Uhila; suppléant : Malino Masei

Clovis Logologofolau ; suppléant : Petelo Mafutuna

Erménégilde Simete ; suppléant : Napole Muliloto

Gaston Lutui ; suppléant : Donald Mercier

Résultats :

Ont obtenu :Inscrits : 21

Votants : 21

Bulletin nul : 1

Suffrages exprimés : 20

Kamilo Gata 6 voix

Soane-Muni Uhila 4 voix

Clovis Logologofolau 4 voix

Erménégilde Simete 3 voix

Basile Tui 2 voix

Gaston Lutui 1 voix

2ème tour (15h30 à 17h30)

Candidats Robert Laufoaulu, religieux ; suppléant : Erménégilde Simete

Kamilo Gata

Résultats :

Ont obtenu :Inscrits : 21

Votants : 21

Exprimés : 21

Frère Robert Laufoaulu 14 voix

Kamilo Gata 7 voix

Est proclamé élu : Robert Laufoaulu

24 Sur cet exemple d’élection sénatoriale, on voit de manière inattendue prévaloir, entre

les deux tours de scrutin, une position extérieure au collège des membres de

l’Assemblée territoriale. Pour ne pas avoir à élire le candidat arrivé en tête à l’issue du

premier tour (et qui était antérieurement député de Wallis-et-Futuna inscrit dans la

Majorité présidentielle de François Mitterrand), les groupes politiques opposés à sa

candidature ont fait alliance et ont fait appel à un religieux de la congrégation des

Frères du Sacré-Cœur et qui n’était pas membre de l’Assemblée Territoriale, pour l’élire

au Sénat. Ce cas de figure pourra être considéré comme un exemple de traitement de la

représentation au Parlement national par les voies de la politique locale. Il sera

intéressant de voir, dans les mêmes conditions, les résultats des dernières élections

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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législatives en date, celles du député Apeleto Likuvalu, en juin 2007, qui montrent le

retournement des électeurs du district central de Wallis au deuxième tour de scrutin, à

la faveur de la prise de position du candidat sur le règlement de la crise de succession

royale. Bien que ces élections sortent du cadre chronologique de notre recension, elles

nous permettent de préciser que Gildas Pressensé n’a pas arrêté de consigner les

résultats des élections tenues à Wallis-et-Futuna au-delà l’année 2000, comme

l’attestent ces résultats du référendum de 2005 (notre extraction 9).

Extraction 9 – Résultats du référendum sur la constitution européenne en 2005

RÉSULTATS DU RÉFÉRENDUM DU 29 MAI 2005

Question : Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant

une constitution pour l'Europe ?

Inscrits Votants Part.Bl./

NulsExp.

OUI NON

Nbre % Nbre %

Vaitupu 1 1 014 533 4 529 473 56

Vaitupu 2 709 324 10 314 276 38

Total

Hihifo1 723 857 49,74 14 843 749 88,85 94 11,15

Hahake N 753 342 3 339 292 47

Hahake C 1 200 652 6 646 561 85

Hahake S 775 359 9 350 302 48

Total

Hahake2 728 1 353 49,60 18 1 335 1155 86,52 180 13,48

Tepa 803 430 5 425 402 23

Malaefoou 1 997 535 1 534 481 53

Malaefoou 2 886 405 1 404 370 34

Total Mua 2 686 1 370 51,01 7 1 363 1 253 91,93 110 8,07

Total

WALLIS7 137 3 580 50,16 39 3 541 3 157 89,16 384 10,84

Nuku 776 407 3 404 355 49

Fiua 505 258 - 258 222 36

Total

Sigave1 281 665 51,91 3 662 577 87,16 85 12,84

Ono 957 556 1 555 517 38

Malae 630 356 1 355 337 18

Poi 380 210 1 209 184 25

Total Alo 1 967 1 122 57,04 3 1 119 1 038 92,76 81 7,24

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Total

FUTUNA3 248 1 787 55,02 6 1 781 1 615 90,68 166 9,32

TOTAL W &

F10 385 5 367 51,68 45 5 322 4 772 89,67 550 10,33

25 Pour servir de comparaison et de contraste avec l’exemple de l’élection présidentielle

de 1974 citée plus haut, voici une image du corps électoral de Wallis-et-Futuna à

l’occasion d’un référendum sur un traité européen. Celle-ci rappelle bien évidemment

que les citoyens français de l’Océanie prennent part à tous les scrutins nationaux, y

compris « européens ». Elle atteste cependant d’une participation moindre de la

population par rapport aux scrutins locaux. Elle montre enfin un résultat qui exprime

une opinion inverse de celle de la métropole, le oui l’emportant à Wallis-et-Futuna sur

le non dans une proportion sans ambiguïté de près de 90 % des suffrages exprimés.

D’aucuns pourraient en déduire que l’Océanie est plus « européenne » que l’Hexagone !

Extraction 10 – Résultats de l’élection à l’Assemblée territoriale de 1997

Résultats des élections territoriales du 15 mars 1997 (34 listes)

(Élections annulées dans 4 circonscriptions sur 5 par décision du C.C.A. en date du 2 juin 1997)

HIHIFO 4 Listes : OFA KI TOU FENUA : Sao dit Lakafia ép. Pilioko Maketalena ; Kaviki Petelo Falevalu, Iloai

Osmane

R.P.R. - TAUMU'A LELEI : Uhila Soane, Kolokilagi Atoloto, Ilalio ép. Toa Nicole

RASSEMBLEMENT UVEA MO FUTUNA POUR LA RÉPUBLIQUE (rufpr) : Tauhavilimikaele,

Sea Kusitino, Tuhimutu Paulo

FAKATAHI'AGA O HIHIFO (HIHIFO 2000) : Taofifenua Manuele, Likuvalu Apeleto, Tuifua

Paul Vinvent

Résultats : Ins : 1 126 - Votants : 1 035 - Exprimés : 1 030

Ont

obtenu : Liste Make Pilioko 280 1 élu

Liste Soane Uhila 253 1 élu

Liste Mikaele Tauhavili 250 1 élu

Liste Manuele Taofifenua 247

Élections annulées par décision du conseil de contentieux administratif en date du 2 juin 1997

(recours de Manuele Taofifenua et autres)

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HAHAKE 5 listes : Liste RPR : Logologofolau Clovis, Fakataulavelua Ismaël, Tuivai Petelo, Tulitau Lafaele

FEMMES GAULLISTES DE L'AVENIR (WALLIS-ET-FUTUNA) : Papilio Bernadette, Tuipolotu

ép. Keletaona Patilita, Manuofiua M.K. Siene, Kaiga ép. Papilio Aniseta

RASSEMBLEMENT POUR WALLIS-ET-FUTUNA (RPWF) : Pesamino Taputai, Patelisio

Ikafolau, Visesio Tafilagi, Visesio Malau

FAKATAHI'AGA OTE PALOKIA O HAHAKE : Setefano Hanisi, Malino Nau, Afalaato

Kulimoetoke, Vitolio Faigauku

TAOFO KE MAU PEA SIO MAMAO : Patalione Kanimoa, Aloisio Fulutui, Soane Likafia,

Jean-Marie Vianney Punufuu

Résultats : Ins : 1 855 - Votants : 1 612 - Exprimés : 1 596

Ont

obtenu :Liste Setefano Hanisi 429 1 élu

Liste Pesamino Taputai 351 1 élu

Liste Patalione Kanimoa 287 1 élu

Liste Cl. Logologofolau 270 1 élu

Liste Bernadette Papilio 259

Élections annulées par décision du conseil de contentieux administratif en date du 2 juin 1997

(recours de Bernadette Papilio et autres)

MUA 10 listes GAUE FAKATAHI ITE MOONI : Petelo Sanele Tauvale, Lafaele

Kulimoetoke, Petelo Lie

Liste KIA TAUA MALOLO : Soane Patita Ulutuipalelei, Philippe

Vaamei, Sakopo Munikihaafata, Fololiano Tanifa, Mikaele Togiaki,

Silipea Mataikamoana

LAGA FENUA O UVEA MO FUTUNA : Petelo Mafutuna, Gildas

Pressense, Kapeliele Tuifua, Sosefo Tauhola, Polikalepo Mataila,

Soane Tauvale

MANATUI TOU APOGIPOGI : Napole Muliloto, Petelo Ponoso, Sapeta

Polutele ép. Maluia, Sakopo Mataila, Samuele Tokotuu, Paulo Liogi

SIAGAHU-ATUVALU-FAKATAHI LELEI : Seleone Amole, Malia Lafaela

Neti, Gaston Lutui-Te-Fuka, Tasiano Moeliku, Taniela Magoni,

Sagato Teugasiale

FAKATAHI'AGA OTE MAULI TOKALELEI : Esitele Fuluhea ép.

Lakalaka, Ikenasio Kikanoi, Soane Paagalua, Samuele Faupala,

Pelenato Tulitau, Filipo Tokotuu

TU'UTAHI KI UVEA MO FUTUNA : Pitelo Manuofiua, Falakika

Manuopuava ép. Falelavaki, Valelia Lauhea, Ive Liufau, Malia Salote

Fiakaifonu, Manuele Siuli

MAULI FETOKONI AKI - R.P.R. : Keleto Lakalaka, Aloisio Tauota,

Aloisia Siakinuu, Soane Vakalepu, Soselina Talalua, Patelise Simeli

Liste ATE KAU VAIVAI: Iletefoso Tokavahua, Sosefo Taufana, Sakopo

Sione, Sosefo Taginoa, Apesalone Mavaetau, Apolosio Pelo

FAKATAHI'AGA: Siliako Lauhea, Mikaele Uhilamoafa, Lita

Liufau Ép. Muliakaaka, Aselo Maluoluo, Giovani Polutele,

Etuale Manufekai

Résultats : Inscrits : 1 935 - Votants : 1 763 - Exprimés : 1 757

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Ont obtenu : Liste Siliako LAUHEA 253 1 siège

Liste Iletefoso TOKAVAHUA 196 1 siège

Liste Petelo MAFUTUNA 179 1 siège

Liste S.P. ULUTUIPALELEI 178 1 siège

Liste Napole MULILOTO 175 1 siège

Liste Seleone AMOLE 170 1 siège

Liste Keleto LAKALAKA 159

Liste Estelle LAKALAKA 151

Liste P.S. TAUVALE 150

Liste Pitelo MANUOFIUA 146

Élections annulées par décision du conseil de contentieux administratif en date du 2 juin 1997

(recours de Petelo-Sanele Tauvale et autres), mais confirmées valables par le Conseil d'État

SIGAVE 6 listes : MAJORITÉ PRESIDENTIELLE FETOKOI'AKI : Pasikale Niutoua, Sosefo Kelekele, Epifano

Lamataki

GAULLISTE R.P.R. : Victor Brial, Michel Lataiuvea, Julien Brial

FUTUNA 2000 : Petelo Gata, Fabrice Fulilagi, Silino Savea

PROGRÈS DANS LE RESPECT DES TRADITIONS : Filipo Luaki, Mikaele Keletaona, Lenisio

Niuhina

UNION DE LA JEUNESSE FUTUNIENNE - FAKATASI'AGA O TUPULAGA O FUTUNA : Tomeno

Fotutata, Fiteli Luaki, Patita Akiletoa

PARTI SOCIAL DÉMOCRATE DE WALLIS-ET-FUTUNA : Simione Vanai, Etualeto Tuufui,

Soane Louis Malalua

Résultats : Ins : 1039 - Votants : 876 - Exprimés : 869

Ont obtenu : Liste Victor BRIAL 348 2 sièges

Michel LATAIUVEA 3e siège

Liste Pasikale

NIUTOUA

196 1 siège

Liste Filipo LUAKI 136

Liste Tomeno

FOTUTATA

108

Liste Simione VANAI 55

Liste Petelo GATA 26

Le recours déposé par Filipo LUAKI et autres auprès du C.C.A. a été rejeté le 2 juin 1997

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

172

ALO : 9 listes : LOU FENUA : Setefano Takaniko, Sosefo Motuku, Soane Takaniko, Soane Kavauvea

TEUTEU'I LE APOGIPOGI O FANAU : Afeleto Ikasa, Telesia Iva, Malia Tagatamanogi,

Tositea Takasi

FUTUNA KOLIA 2000 : Vetelino Nau, Lutoviko Maituku, Mikaele Lie, Sepasetiano Sekeme

AGAI-FENUA-MAULI FAKATASI : Toma Savea, Malesiana Lemo, Kesiano Vaitanaki, Soane

Pipisega

R.P.R. : Falakiko Gata, Afalaato Fanene, Petelo Leleivai, Soane Lea

MANATUI LE FAIGATAA'IA O LOU FENUA : Malia Sanele Moefana, Sagato Mataila,

Nopeleto Katoa, Soakimi Takasi

GAULLISTE ALAFO'OU : Malino Masei, Esekiele Lie, Malekalita Maniulua née Leleivai,

Sosefo Alofi

FAKATASI'AGA O FUTUNA : Kamilo Gata, Petelo Tufele, Siliako Nau, Kapeliele

Tagatamanogi

LAGA FENUA : Fiteli Mani, Tuale Tafili, Atelemo Takasi, Sosefo Tuiseka

Résultats : Inscrits : 1 590 - Votants : 1 381 - Exprimés : 1 381

Ont

obtenu :Liste Setefano TAKANIKO 243 1 siège

Liste Fiteli MANI 213 1 siège

Liste Malino MASEI 199 1 siège

Liste Toma SAVEA 149 1 siège

Liste Kamilo GATA 147

Liste Falakiko GATA 133

Liste Vetelino NAU 132

Liste Malia Sanele MOEFANA 132

Liste Alefeleto IKASA 33

Élections annulées par décision du conseil de contentieux administratif en date du 2 juin 1997

(recours de Kamilo Gata et autres)

Composition de l'Assemblée élue le 15 mars 1997

à HIHIFO : 1. Make Pilioko

2. Soane Uhila

3. Mikaele Tauhavili

à HAHAKE : 1. Setefano Hanisi

2. Pesamino Taputai

3. Patalione Kanimoa

4. Clovis Logologofolau

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à MUA : 1. Siliako Lauhea

2. Iletefoso Tokavahua

3. Petelo Mafutuna

4. S.P. Ulutuipalelei

5. Napole Muliloto

6. Seleone Amole

à SIGAVE : 1. Victor Brial

2. Pasikale Niutoua

3. Michel Lataiuvea

à ALO : 1. Setefano Takaniko

2. Fiteli Mani

3. Malino Masei

4. Toma Savea

26 Sur cette extraction complète des résultats de l’élection des membres de l’Assemblée

territoriale du 15 mars 1997, on retrouve une fréquence anormalement élevée de

recours amenant à des invalidations partielles de scrutin, et on note la coexistence de

dénominations françaises et wallisiennes appliquées aux listes se présentant au

suffrage populaire : par exemple fakatahi’aga o Hihifo (rassemblement de Hihifo),

fakatahi’aga o te palokia o Hahake (rassemblement de la paroisse de Hahake) ou gaue

fakatahi ite mooni (« travailler ensemble pour la vérité »). L’incorporation à la vie

politique « à la française » se fonde sur l’adaptation locale à ses procédures qui savent

devenir, le cas échéant, procédurières, tout en ajoutant au lexique français des partis

politiques celui des dénominations polynésiennes.

4.

27 Mais les dossiers les plus piquants et les plus densément documentés par Gildas

Pressensé sont incontestablement les synthèses personnelles (fichiers du dossier

informatique « Synthèses ») et qui constituent le matériau le plus abouti de toute la

série des documents élaborés sur l’histoire des îles Wallis-et-Futuna pour la période

couverte par les fichiers. Que l’on en juge d’après la recension du premier fichier

intitulé par son auteur « Wallis-et-Futuna. Éléments d’histoire. Livret 1 : 1951-1960 »

qui en juillet 2008 se trouvait confronté à l’actualité immédiate de la désignation d’un

nouveau titulaire à la fonction de hau et au titre de Lavelua, la précédente intronisation

ayant eu précisément lieu le 12 mars 1959.

28 Wallis-et-Futuna. Éléments d’histoire. Livret 1 : 1951-1960, par Gildas Pressensé,

d’après les archives de l’Administration supérieure, 84 p.

29 Les synthèses sont élaborées et paginées année par année, des notes ou des copies de

documents venant compléter chaque synthèse annuelle.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

174

Extraction 11 – Début du livret de synthèse BDGP sur l’année 1951 à Wallis-et-

Futuna

1951

30 En 1951, les effets de la présence américaine se faisaient encore sentir. Le dernier

détachement, basé à Gahi – douze hommes et un officier – avait été embarqué

précipitamment au mois d'avril 1946, une dizaine de jours après une manifestation pro-

américaine (25 mars) suscitée par l’officier américain. Cette manifestation avait

amplifié la fracture au sein de la population entre pro-Français et pro-Américains, de

loin les plus nombreux, et la déportation en Nouvelle-Calédonie en 1947 des onze chefs

qui avaient participé activement à cette manifestation n’avait pas arrangé la situation.

31 M. Cresson, arrivé le 1er janvier 1949, fut le premier administrateur civil après une

période ininterrompue de vingt-cinq années de Résidents-médecins militaires. Il eut

pour premier souci de raccommoder les pro-Américains et les partisans de la présence

française. Dans cet esprit, il donna son accord au rapatriement des 11 déportés qui

purent revenir à Wallis par le bateau suivant sa propre venue (avril 1949).

32 Si Futuna était encore indemne de l’Oryctes rhinoceros, l’île Wallis en était infestée car,

pendant le temps de la présence américaine, les cocoteraies, comme les plantations,

avaient été laissées à l’abandon. Des ramassages manuels avaient été organisés au cours

de l’année 1950 : 350 000 larves et adultes furent ramassés au cours de cette année-là

mais la population commençait à se lasser d’un travail qu’elle estimait inefficace car en

1951, les cocotiers étaient toujours aussi improductifs malgré un chiffre des collectes d’

Oryctes, larves ou adultes, aussi élevé.

33 Peu de temps après l’apparition de l’Oryctès rhinoceros dans l’île, vers 1930, le

gouvernement fidjien avait interdit à tous bateaux en provenance de Wallis d’accoster

dans les ports fidjiens. Le commerce et le ravitaillement de l’île étaient alors assurés

par les établissements Burns Philp’s et plusieurs commerçants chinois. Leurs gérants

achetaient le coprah et, pour l’emmener jusqu’aux Fidji, le chargeaient sur des bateaux

de petit tonnage qui ravitaillaient leurs magasins à peu près mensuellement. Si les

établissements Burns Philp’s poursuivirent leur activité, la totalité des commerçants

chinois quittèrent Wallis assez rapidement. Pendant la guerre, les Américains avaient

pourvu à leur propre ravitaillement et les établissements Burns Philp’s avaient

grandement bénéficié des dollars que les Américains avaient distribués dans l’île. Mais

après le départ des dernières troupes américaines, faute d’argent et de coprah, les

gérants de ce dernier établissement manifestèrent leur intention de quitter aussi bien

Wallis que Futuna. Aussi, c’est à la demande du Commissaire général de Nouvelle-

Calédonie que des maisons de commerce de Nouméa prirent le relais : la maison SCIE-

Lavoix ouvrit alors un comptoir dès 1947 et envoya comme gérant Victor-Emmanuel

Brial qui était agent de police à Nouméa. Puis, deux ou trois ans plus tard, les

établissements Ballande s’établirent à leur tour et Victor-Emmanuel Brial changea

d’établissement. Il fut remplacé à la SCIE-Lavoix par Michel Bernast. Mais Victor-

Emmanuel Brial se fit bientôt remplacer par deux de ses jeunes frères, Benjamin qui

resta à Wallis et Cyprien qui s’établit à Futuna. Les statuts de la société « Molihina »,

association Ballande-Benjamin Brial furent publiés dans le quotidien de Nouméa La

France australe daté du 1er septembre 1951.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

175

34 Les bateaux, affrétés par le Commissaire général sur le budget du Protectorat étant de

taille beaucoup plus importante et le trajet depuis Nouméa plus long que pour venir de

Fidji, les affrètements coûtaient plus cher. Aussi devinrent-ils plus rares d’autant qu’à

Wallis, il n’y avait que très peu de coprah à transporter pour en atténuer le coût. C’est

lorsque le Délégué de Futuna, le R. P. Joseph Cantala, annonçait qu’un stock d’environ

300 tonnes était prêt à être embarqué, que le Commissaire général décidait l’envoi d’un

bateau. Ainsi, le bateau d’avril 1951 emporta 302 tonnes de coprah de Futuna alors qu’il

n’y avait rien au départ de Wallis.

35 En 1949, trois liaisons maritimes seulement avaient été effectuées avec Nouméa, deux

liaisons en 1950 et trois liaisons en 1951 : avril, fin septembre/début octobre et

décembre, ce troisième voyage ayant été décidé pour une mission de maintien de

l’ordre à Futuna (cf. ci-dessous).

36 Au cours de son séjour – 1er janvier 1949 à septembre 1951 – M. Cresson n’avait pu se

rendre une seule fois à Futuna faute de liaison maritime pour le retour.

37 La récolte du coprah était rendue difficile tant à Wallis qu’à Futuna par le manque de

routes et de moyens de transport. De plus, la population, malgré les interdictions,

utilisait les cocos pour sa propre consommation. À Sigave, le père Cantala avait

demandé aux chefs de fournir 20 tonnes/mois, et à Alo 40 tonnes/mois. Mais, à Alo,

soufflait un esprit de rébellion passive avec la venue des nouveaux commerçants, le

retour d’anciens militaires, d’anciens travailleurs libres ou même d’anciens prisonniers

et le quota demandé était loin d’être atteint. Cet état d’esprit nouveau était également

répandu par un nombre croissant de Wallisiens partis de Mata’Utu vers Nouméa

comme passagers clandestins et qui, aussitôt signalés, étaient stoppés à Futuna. En

1951, le père Cantala en signale une soixantaine, uniquement à Sigave.

38 Par le Néo-Hébridais du mois d’avril, le Résident signalait le départ (régulier) d’une

dizaine de Wallisiens tous munis d’engagement de travail particulièrement chez Castex,

Schmidt et famille Brial.

39 Le changement de roi qui était intervenu en avril 1950 ne facilita pas non plus la tâche

du Résident dans ses efforts pour améliorer la situation économique de l’île. Alors que

l’ancien roi – Pelenato Fuluhea – était ouvert au progrès et francophile (son

intervention avait été déterminante pour faire avorter les manifestations pro-

américaines dans le district de Mua), son successeur – Kapeliele Tufele, dit Setu –

beaucoup plus âgé, était très conservateur et très attaché à ses prérogatives

coutumières, ignorant souvent la présence du Résident de France. Les dispositions du

traité de protectorat (révisé au mois de mai 1910) étaient des plus vagues en ce qui

concernait les compétences respectives du roi et du Résident :

« Le roi devra prendre conseil auprès du Résident pour toutes les affairesimportantes et s’en remettre à son avis. »

40 La notion d’affaires importantes était laissée à l’appréciation de chacun et, en fait, sous le

règne de Kapeliele Tufele, le Résident fut de moins en moins consulté ou informé des

affaires du Gouvernement wallisien qui, au contraire, empiéta sur ses attributions en

intervenant par exemple dans la conduite des travaux administratifs.

41 Par décret royal en date du 15 janvier 1951, l’impôt dû par les hommes de 18 à 50 ans

fut porté à 40 francs, mais la rareté du coprah impliquait aussi la rareté de l’argent dans

l’île et les recettes du budget du Protectorat étaient limitées, d’autant que les deux

maisons de commerce – la SCIE-Lavoix (gérée par Michel Bernast) et la maison Ballande

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

176

(gérée par Benjamin Brial) – n’avaient pas payé d’impôt depuis plus de deux ans, et le

Résident ne disposait d’aucun moyen de pression pour les obliger à payer leurs

patentes ou les taxes sur les importations.

42 Aussi, les travaux avançaient-ils au ralenti tant à cause du manque d’argent que de la

rareté des liaisons maritimes qui rendaient difficiles tous les approvisionnements. Le

premier bateau de l’année 1951, le 19 avril, arriva à Mata’utu sept mois après le

précédent (septembre 1950).

43 À l’exception du Palais royal, de l’hôpital de Mata’Utu (construit en 1935 à l’initiative

du docteur David), et de quelques constructions à Lano, les bâtiments de l’île et

notamment les logements des fonctionnaires étaient des baraques en bois, y compris la

Résidence de France. Toutefois, au cours de son séjour, M. Cresson put remplacer

progressivement les planches par des murs en briques et fit réaliser un sol en dur.

44 La jeep du Résident ainsi que « le » camion administratif fonctionnaient tant bien que

mal, sans frein, ce qui avait provoqué en peu de temps trois accidents ; « le » camion de

la mission était dans le même état.

45 Le groupe électrogène commun à la Résidence et à la poste tombait en panne

régulièrement, rendant impossibles souvent pendant plusieurs jours les liaisons radio

avec l’extérieur (Futuna et Nouméa).

46 Seul, le domaine de la santé fut un sujet de satisfaction pour le Résident : une sensible

amélioration de la situation se produisit en 1951, d’abord avec l’arrivée au mois d’avril

du médecin-lieutenant Touzé, chirurgien, qui pratiqua des interventions que ne faisait

pas son jeune prédécesseur, puis avec l’installation d’un appareil de radiologie à

l’hôpital, financé par la fondation Lepers Board de Nouvelle-Zélande. Enfin, les travaux

réalisés au dispensaire de Mua, district le plus peuplé, permirent de l’utiliser comme

maternité. L’inauguration eut lieu le 1er février.

47 Parmi les maladies les plus courantes, le médecin cite la tuberculose (environ 30 % de la

population) et l’éléphantiasis (une centaine de cas). La lèpre est aussi présente et les

personnes atteintes de cette maladie sont mises à l’écart sur l’îlot de Nukuatea.

48 Le manque de liaisons maritimes entraîne aussi de longues ruptures de stocks de

médicaments…, on note des épidémies de grippe à l’arrivée de chaque bateau. Au mois

d’avril 1951 notamment, « l’une de ces épidémies a provoqué dix-sept morts à Wallis et

probablement autant à Futuna ».

49 Sur le plan social, le mois de mai connut sans doute la première grève (1/2 journée ) à

Wallis à l’instigation du gouvernement wallisien et celle des travailleurs revenant de

Nouvelle-Calédonie mais aussi avec les encouragements du technicien radio PTT-

météo, M. Baillet. Des employés de l’administration cessèrent le travail en réclamant

une augmentation de salaire : Les tarifs étaient alors de 30 francs la journée pour un

manœuvre alors qu’en Nouvelle-Calédonie un manœuvre était payé de 120 à 150 francs.

M. Cresson, qui était conscient du bas niveau des salaires, dut devancer la date de mise

en application des augmentations qu’il avait programmées pour le second semestre, et

le travail reprit l’après-midi même. Il faut rappeler que les travailleurs étaient payés

depuis seulement un an, à la suite du voyage à Wallis, au mois d’avril 1950, du

gouverneur Cournarie. Auparavant, les travaux collectifs, ceux notamment entrepris

depuis le séjour du docteur David (1933-1938), n’étaient pas rémunérés.

50 Dans le domaine de l’enseignement, la bonne volonté des sœurs et des monitrices dont

la plupart n’avaient aucune formation, ne suffisait pas à donner à l’enseignement un

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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niveau satisfaisant. Les moyens financiers octroyés à la Mission catholique étaient très

limités. Dans les trois districts de l’île, l’enseignement se faisait en wallisien et seuls les

meilleurs élèves, ainsi que ceux de Futuna qui étaient envoyés comme internes à

« l’école supérieure » de Malaetoli, pouvaient apprendre le français. De là, seuls les

trois ou quatre meilleurs pouvaient continuer des études en Nouvelle-Calédonie.

51 Fait divers : au mois de juin, un Catalina, probablement d’origine anglaise, amerrit

devant Malaetoli, près de l’ancienne hydrobase des Américains. Il ne se laissa pas

approcher et repartit environ une demi-heure plus tard en survolant le lagon tout le

long de la côte Est en direction du nord. Peu de temps après, un bâtiment de guerre

passa au large, à l’extérieur du récif, naviguant dans la même direction.

52 À Futuna, une crise royale éclata à Alo au mois de novembre, pour des motifs futiles, à

l’instigation de jeunes contestataires ayant vécu en Nouvelle-Calédonie. Le Tuiagaifo,

Silisio KATEA, fut destitué mais deux prétendants s’opposèrent pour le remplacer :

Alosio, présenté par la chefferie traditionnelle, et Petelo TALAE qui avait vécu de

nombreuses années à Nouméa, préféré par les jeunes. Ces derniers ayant brûlé

plusieurs paito (falés cuisine), le nouveau Résident, M. Desjardins, qui n’avait pris ses

fonctions que depuis le mois de septembre, demanda des renforts militaires et un

bateau de guerre pour se rendre à Futuna régler la crise. Le Tiare étant indisponible, il

obtint toutefois le renfort d’une dizaine de militaires de Nouméa conduits par le

capitaine Rabany qui embarquèrent sur le Néo-Hébridais – bateau de commerce qui

assurait alors la desserte des îles. Après un détour par Mata’utu où il embarqua le

Résident, M. Folie Desjardins, et une dizaine d’auxiliaires de Gendarmerie, il accosta à

Sigave le 19 décembre.

53 C’est donc une vingtaine de militaires qui débarquèrent à Sigave pour se rendre à Alo le

20 où deux journées de palabres et quelques démonstrations de force furent nécessaires

pour ramener le calme. Plusieurs points de discussion trouvèrent accord :

le nouveau Roi ne sera aucun de ceux qui ont participé au coup de force.

les ministres seront choisis pour moitié par le nouveau Roi, moitié par ses opposants.

une dizaine de jeunes d’Alo pourront partir par ce bateau-même à destination des

Nouvelles-Hébrides : le Délégué – le révérend père Cantala – s’opposait alors

catégoriquement au départ des jeunes, en accord avec le Résident, car ils représentaient une

main d’œuvre utile pour le ramassage du coprah.

54 Le lendemain soir, 21 décembre, un consensus se fit pour la désignation de Lolesio

Faletuuloa qui, aussitôt, fut intronisé dans les fonctions de Tuiagaifo.

55 Les deux ex-prétendants au trône furent embarqués immédiatement sur le Néo-

Hébridais, tenus éloignés de Futuna pour trois mois, Alosio pour soigner à Mata’Utu son

éléphantiasis, Petelo « pour être employé soit chez un commerçant soit à défaut aux

Travaux publics ».

« La cause profonde de ces événements, écrira le Commissaire général dans unrapport au ministère, semble résider dans le désir de la population de se soustraireà l’autorité d’un gouvernement qui accepte trop facilement les anciennes méthodesinstituées par la Mission… La solution qui consiste à confier au missionnairecatholique les pouvoirs administratifs présente de graves inconvénients. Lemoment semble venu de l’abandonner. » (Gildas Pressensé, d’après les archives del’Administration supérieure, VP – octobre 2005)

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178

Notre commentaire

56 Ces notes de synthèse de l’année 1951 donnent une claire idée du traitement

récapitulatif des informations tel que pratiqué par Gildas Pressensé. Rapportée au

tableau chronologique (présenté en extraction 1 plus haut), la version rédigée, même

dans sa version provisoire (VP d’octobre 2005), s’intéresse à une large gamme

d’événements qui ne se limitent pas à la sphère politique, mais s’étendent aussi au

secteur économique, social, religieux, éducatif et culturel. L’exemple de l’année 1951

est représentatif du canevas généralement appliqué à l’exposé des faits d’une année.

Celui-ci débute par l’évocation du contexte général (ici le départ du dernier

détachement américain de la guerre du Pacifique 1941-1945), enchaîne sur les nouvelles

de l’administration, retient la situation phytosanitaire alarmante des plantations de

cocotiers infestées par l’Oryctès rhinocéros, précise l’état des liaisons maritimes (les

liaisons aériennes étant encore inexistantes), dresse l’état sanitaire général prévalant

dans le territoire, évoque celui de l’enseignement, avant de conclure sur les

circonstances de la destitution de Tuiagaifo à Futuna et des troubles occasionnés par cet

événement. Certaines données font l’objet de traitements thématiques spécifiques. Il

existe ainsi un fichier spécifique récapitulant l’histoire des liaisons aériennes à Wallis

et Futuna (notre extraction 12).

Extraction 12 – Histoire des liaisons aériennes à Wallis-et-Futuna

1955

57 Autre chantier important : le défrichement des anciens terrains d’aviation ; les travaux

auraient dû s'achever avant la fin de l'année mais le médecin-résident (le médecin

commandant Bernard Heinz) eut le tort de payer la totalité des travaux avant leur

réalisation complète et, au mois de décembre, le travail n’était pas achevé.

1956

58 Liaisons aériennes. La piste de Hihifo ayant été entièrement débroussaillée, une

première liaison aérienne avait été prévue au mois de mars mais, sans doute en raison

du changement de Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie, elle ne se fera que le 16

décembre avec un DC3 de la T.A.I… sur l'aérodrome de Lavegahau. Le haut-

commissaire, M. Grimald, arrivé 48 heures plus tôt à bord du Vulcain, bâtiment de la

Marine nationale, assista à l'atterrissage de ce vol expérimental. Aucun appareil ne

s’était posé à Wallis depuis le départ des Américains en 1946, à l’exception d’un avion

spécial affrété par une société française, la « Trapas » en 1947.

Décembre

59 14 : Arrivée du haut-commissaire à Wallis puis à Futuna (le 18) à bord du Vulcain, de la

Marine nationale.

60 16 : (dimanche) Après neuf ans sans avion, atterrissage à Lavegahau du DC3 de la T.A.I.

en présence du haut-commissaire.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

179

1957

61 Liaisons aériennes. À Wallis, la rareté des liaisons maritimes a été compensée par

l’ouverture d’une liaison aérienne régulière à compter du 3 mars, liaison d’abord tous

les deux mois mais rapidement devenue mensuelle. Une radio-balise avait été installée

(les fils d’antenne reliaient la poste au sommet de la cathédrale) permettant

l'établissement de liaisons radio avec l’aéroport de Fidji ainsi qu’avec les avions

survolant les îles. Elle permit surtout une meilleure qualité des communications

téléphoniques avec Nouméa.

Mars

62 3 : Arrivée du DC3 de la TAI (premier vol régulier). Commandant de bord : M. Allais.

Une liaison avec Nouméa est prévue tous les deux mois.

Mai.

63 6-7 : DC3 Avion TAI - Arrivée nouveau gendarme en renfort pour Wallis (Couturier).

Juin.

64 17-18 : DC4 TAI (premier DC4) en provenance de Pago-Pago.

Juillet

65 9 : Avion

Août

66 26 : Arrivée Damadora à Wallis. Résident Wallis à Haussaire Nouméa : « déchargement

Damadora s'effectue normalement malgré wagonnets neufs inutilisables car ne

correspondant pas à voie ferrée 60 cm dimension donnée par moi même dans

conversation téléphonique stop Damadora, d'après capitaine Courtois, espère quitter

Wallis samedi soir ou dimanche 1er septembre et quitter Futuna mercredi 4.

67 Même jour…DC3 TAI.

Septembre

68 2-3 : Avion – Départ M. et Mme Trigalleau.

69 5 : Damadora quitte Sigave avec 335 T de coprah. Le lendemain le capitaine signale par

radio… une passagère clandestine à bord.

70 Six enfants clandestins signalés le surlendemain.

71 Tg [télégramme] de RW [Résident de Wallis] à HN [?] : « Six enfants embarqués

clandestins à Futuna sur bateau avec complicité famille, roi et chefs Sigave et personnel

bateau Stop demande retour à Futuna enfants avec leurs parents à titre d'exemple

sinon davantage prochain bateau ».

72 15-16 : Avion supplémentaire.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

180

Octobre

73 1er :Alors que le Résident est à Nouméa : Kivalu et Pelenato (ancien Roi) avec 200 de

leurs partisans se rendent au palais royal pour demander à la reine de démissionner.

Situation tendue : les partisans de la Reine et ses opposants sont à peu près en nombre

égal.

74 7-8 : DC3 TAI

75 16 : Grand fono à la Résidence avec le père Mansion, la Reine et ses ministres et les

opposants. Un accord est trouvé : la Reine reste à son Palais et le Premier ministre

remet sa démission. Pelenato se porte garant pour maintenir le calme à Mua.

76 Le Résident accepte de ne reconnaître la démission du Premier ministre « que lorsque

l'ordre complet régnera et tous engins explosifs (récupération munitions américaines

immergées ou enterrées en grande quantité après la guerre) seront rapportés à la

Résidence ».

77 Société Générale Entreprise de Nouméa demande embarquement 15 travailleurs par

prochain bateau « pour travail carrière ou montage ». Lieu de destination : Yaté.

Novembre

78 3-4 : Avion – À bord, Cohic, entomologiste « avec insectes vivants en provenance de

Madagascar pour lutte contre rhinoceros ».

79 8-13 : Escale Lancaster – Mission M. Pons, envoyé spécial Haussaire.

80 Tg [télégramme] de DF [Délégué de Futuna] à RW [Résident de Wallis] : « les mandats

portent un grave préjudice à la production du coprah ». Conséquence : les bateaux se

font plus rares, il suggère que « les commerçants subventionnent navire si nécessaire

afin de faire venir bateau et éviter disette stop hausse prix toutes les marchandises

obligerait population à travailler davantage ».

Notre commentaire

81 Cette dernière extraction donne un exemple de récapitulation thématique spécifique

dans le traitement des événements qui se sont déroulés sur la période 1951-2000. Il

s’agit d’une sélection d’informations brèves relatives au domaine du transport aérien,

présentées dans l’ordre chronologique et permettant de se faire une idée rapide et en

quelque sorte panoptique sur l’évolution de ce secteur d’activités. Ici, Gildas Pressensé

rappelle la remise en état des terrains d’aviation construits par l’armée américaine

pendant le deuxième conflit mondial et abandonnés après leur départ. Il récapitule

ensuite les grandes dates du lancement des vols réguliers, inaugurant ainsi la récente

histoire de l’aviation civile à Wallis-et-Futuna : 1957 pour la première et 1970 pour la

seconde.

82 Il existe de même un fichier sur les mouvements migratoires vers les Nouvelles-

Hébrides et la Nouvelle-Calédonie. Qu’il s’agisse de fichiers thématiques ou de notes de

synthèse,il est certain que l’ensemble du travail mérite sans aucun doute d’être publié

un jour. Les notes de synthèse, en particulier, représentent plus qu’une chronique, car

elles sont une histoire savamment construite et consignée dans les règles de l’art et

d’une documentation rigoureusement constituée.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

181

Et que se passe-t-il depuis l’année 2000 ?

83 Comme un bonheur n’arrive jamais seul, il est intéressant de savoir que Gildas

Pressensé n’a pas renoncé à tenir ses fichiers informatiques à jour depuis l’an 2000. Un

autre fait vient définitivement renforcer le dispositif de sauvegarde des archives des

îles Wallis-et-Futuna : c’est l’archivage audio-visuel effectué par la station de radio et

de télévision du service public RFO mis en service à Wallis et à Futuna. Depuis l’année du

lancement de la station radio à Wallis (1979), les enregistrements sonores des grandes

fêtes locales sont systématiquement conservés. Et depuis l’an 2000 les journaux

télévisés de RFO Wallis-et-Futuna sont disponibles sur Internet (du moins la version

française du JT quotidien de 19h30, heure locale). Sur ce point, les nouveaux potentiels

en ressources d’archives ne concernent plus seulement la seule collectivité territoriale

de Wallis-et-Futuna, mais intéressent de nombreux territoires et terrains de recherche

sur les cinq continents. On considérera que le cas des archives de Wallis-et-Futuna est

susceptible de faire école.

84 En ce qui regarde la collectivité territoriale de Wallis-et-Futuna, la consultation des

archives administratives a déjà commencé à alimenter substantiellement des travaux

de recherche portant sur son histoire immédiate (Favole, 2000 ; Angleviel, 2006 ; Lotti,

2008). J’ai aussi signalé un article en préparation sur les continuités et ruptures dans les

questions de successions royales à l’île ’Uvea, sujet de pleine actualité sur le plan local.

À la faveur de ces recherches bien circonstanciées et encore mieux documentées, on ne

manquera pas de prendre progressivement la pleine mesure de ce qu’il faudra bien

appeler un jour par son nom : « Base de données Gildas Pressensé » (BDGP). Ce sera le

moment où l’on reconnaîtra que cette base mérite d’être pleinement opérationnelle

non seulement à Wallis-et-Futuna, mais – comme le suggère une expression

couramment reprise par les chants wallisiens – dans le « grand intervalle ».

BIBLIOGRAPHIE

ANGLEVIEL Frédéric, 2006. Comment le protectorat est devenu un TOM, Journal de la Société des

Océanistes 122-123 : Spécial Wallis-et-Futuna, H. Guiot et I. Leblic (éds), pp. 61-76.

FAVOLE Adriano, 2000. La royauté oscillante. Ethnographie et histoire de la cérémonie

d’investiture du Tu’iAgaifo d’Alo (Futuna), Journal de la Société des Océanistes 111, pp. 195-218.

LIKUVALU Apeleto, 1977. Intronisation de Tuiagaifo à l’île Futuna en 1974, Journal de la Société des

Océanistes 56-57, pp. 219-220.

LOTTI Allison, 2008. Le statut de 1961 à Wallis-et-Futuna : genèse de trois monarchies

républicaines (1961-1991), doctorat d’histoire, université Montaigne Bordeaux 3.

MAYER Raymond et Malino NAU, 1982. Talatuku o le Puke ou ethnopolitique de l’île Futuna, Pacific

Studies 10, Helsinki, pp. 23-32.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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PONCET Alexandre (Mgr), 1972. Histoire de l’île Wallis. Le protectorat, Paris, Société des Océanistes,

Publications de la Société des Océanistes 23.

O’REILLY Patrick (rév. père), 1963. Chronologie des îles Wallis-et-Futuna, Journal de la Société des

Océanistes XIX, pp. 12-46.

Iconographie, filmographie et vidéographie

Bishop Museum, Honolulu, 1944. Album de photos sur Wallis léguées par Alexis Bernast.

PRESSENSÉ Gildas, 1967-2000. Un millier de diapositives et/ou de photographies couleur.

SIFFERT Étienne (rév. père), 1972. Films super8 sur Wallis-et-Futuna, en copie au musée du quai

Branly, Paris.

Site internet http : rfo.fr (depuis 2000)

Mise en ligne du Journal télévisé quotidien de Wallis-et-Futuna, diffusé par la station RFO de

Wallis à 19 h 30 (environ 20 mn). Archivage à l’INA (Brie-sur-Marne, France).

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183

Esthètes es têtes ou sans tête ? L’artancestral des Kanak au musée desBeaux-Arts de ChartresGilles Bounoure

1 Dans son souci de mettre en valeur et de mieux faire connaître les objets océaniens que

le musée municipal de Chartres tient de la collection Bouge ou d’acquisitions

ultérieures, Nadine Berthelier, conservatrice en chef de cette institution et directrice

des arts et du patrimoine culturel et historique de cette ville, a présenté du 6 juin au 27

septembre 2009, sous le titre L’art ancestral des Kanak , une exposition consacrée à la

culture matérielle des anciens Néo-Calédoniens, envisagée sous ses aspects artistiques.

Elle faisait suite à l’exposition L’art ancestral des îles Marquises organisée par le même

musée à l’été 2008, avec des défectuosités (voir JSO128, pp. 149-151) dont bon nombre

ont été corrigées ou atténuées dans cette nouvelle manifestation, soutenue par la

Maison de la Nouvelle-Calédonie, la région Centre et d’autres instances publiques, et

par un seul mécène privé, extérieur au milieu des « amateurs », courtiers et marchands

d’art.

2 Trente-quatre musées ou institutions analogues avaient été mis à contribution, ainsi

que huit prêteurs privés, dont un seul précisait clairement sa qualité d’« antiquaire ».

Selon le dossier de presse, « plus de 300 objets » (p. 4, et même « plus de 323 pièces »,

p. 3) avaient été réunis et s’il s’agissait souvent de spécimens de petite taille, peu

fragiles et moins coûteux que d’autres à emprunter et à transporter, leur nombre

attestait néanmoins une recommandable volonté d’illustrer la diversité des styles et des

formes kanak. Ils étaient disposés dans deux grandes salles rectangulaires en enfilade,

assez lumineuses, meublées l’une et l’autre d’une dizaine de vitrines en bois clair ou

naturel, convenablement espacées, souvent bien éclairées et garnies avec attention,

sans les accumulations et effets de pénombre quelque peu oppressants de la précédente

exposition. Les cartels, imprimés lisiblement sur fond blanc, étaient réduits au

minimum, imposant de fréquents recours au catalogue mis à disposition dans chacune

des salles. Pour certaines des pièces qui ne s’y trouvaient ni reproduites ni décrites (par

exemple, dans la vitrine consacrée à la navigation et à la fabrication du tissu d’écorce,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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une pièce d’accastillage sculptée d’une tête, probablement une fourche à drisse de tête

de mât), les visiteurs étaient laissés à leur savoir ou à leur ignorance.

3 Malheureusement, tel était aussi le cas de l’archipel même dont ces deux salles

célébraient les arts anciens. Une seule carte, d’époque coloniale (éditée par Arthème

Fayard en 1877 au titre de l’Atlas national), et décrivant pour moitié la rade de Nouméa

et l’île des Pins, ne laissait voir de la diversité des paysages et des modes de vie kanak

qu’un « caillou » uniformément rose sur fond bleu, avec l’emplacement des

pénitenciers et des usines à sucre. Aucun secours ne venait du catalogue, muet sur ces

paysages, et où cette carte reproduite au dos de la couverture paraît enfermer tout le

savoir géographique estimé utile aux lecteurs et aux visiteurs. Contrastant avec le

foisonnement d’images de l’exposition précédente, dont c’était l’un des rares mérites,

le nombre très réduit de gravures exposées (dont deux « compositions » ou « belles

infidèles » de Grasset de Saint-Sauveur) faisait douter de l’existence sous le toit du

même musée du fonds Bouge et de ses trésors iconographiques désormais connus des

spécialistes du monde entier. De ce point de vue, l’exposition semblait surtout destinée

à des Océanistes ou à des familiers du musée de Chartres et de sa bibliothèque.

4 Le même sentiment venait de la visite des salles dévolues à la présentation de la

collection océanienne du musée (fonds Bouge et acquisitions ultérieures), à l’autre

extrémité de la même aile de l’ancien palais épiscopal, qu’aucun panneau n’invitait à

visiter à la suite de l’exposition, mais que les connaisseurs ont plaisir à revoir quand ils

viennent à Chartres. Il y eut une certaine surprise à retrouver, dans la salle basse de ce

bout de bâtiment un peu à l’abandon (cartels tombés, peinture écaillée…), le grand

chambranle de case de chef (Chartres Inv. 93.6.1) ou talé, selon la dénomination

usuelle1, dont un détail du visage avait été retenu pour illustrer la couverture du

catalogue et l’affiche de l’exposition. Pourquoi avait-on écarté ce bel et vieil objet de la

vaste vitrine réunissant talé, sculptures de seuil et autres ornements figurés de la

grande case ? On le trouve pourtant photographié à l’intérieur du catalogue (p. 68, avec

ces plaisantes indications botaniques, données par le musée même2 : « Bois de houp

(Pontrouziera couliflora) », on rétablira Montrouziera cauliflora…). Quelques autres objets

des collections chartraines (sac à pierres de fronde, série de projectiles, etc.), eux aussi

reproduits au catalogue, étaient restés relégués loin de l’exposition, pour des raisons

qu’il n’a pas semblé utile de chercher à éclaircir.

5 Volontairement (comme on aime à le croire) ou non, cette exposition « un peu fouillis »

(selon l’avis de plusieurs visiteurs) mettait certainement à contribution les facultés

d’observation du public soucieux d’en savoir plus. Dans l’une des salles, voisinant avec

une remarquable « panoplie » de javelines à décor sculpté, flèches, propulseurs,

frondes, pierres et sacs à projectiles, une vitrine alignait sur un mur entier une

douzaine de masques nus de leurs coiffes et de leurs manteaux, sans aucune intention

discernable de répartition selon ce qu’on sait ou croit savoir de leurs styles régionaux :

on les avait apparemment disposés en fonction des volumes et des éclairages. Dans

l’autre salle, ni la vaste vitrine déjà mentionnée de talé et autres sculptures de grande

case, ni celle qui rassemblait une dizaine de flèches faîtières et quelques autres objets

longiformes (bâtons à fouir, forêt, tuteur à igname…) n’offraient de référence aux

différentes aires de style que l’on connaît ou soupçonne dans l’archipel néo-calédonien.

Le catalogue ne s’y attache pas davantage, mais il est compréhensible qu’il ait

contourné une question qui donne de la tablature même aux spécialistes les plus

chevronnés.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

185

6 Pour cette exposition comme pour beaucoup d’autres, il est malaisé d’apprécier ce

qu’aura pu en retenir le public nominalement visé, autrement dit le tout-venant des

visiteurs. Néanmoins, beaucoup de vitrines comme celles des masques, des sculptures

architecturales, des casse-tête (l’une réunissant une vingtaine de massues « en tête

d’oiseau », la deuxième offrant une sélection d’autres formes de casse-tête), celles des

bambous gravés (dont des miroirs réfléchissaient les décors cachés), ou des flèches

faîtières étaient là pour manifester la variété des expressions artistiques observables

sur un même type d’objet, sans chercher à dissiper le mystère de ces variations que les

connaisseurs eux-mêmes peinent à élucider. On n’ose croire que les visiteurs aient pu

rester insensibles à la leçon élémentaire (et malheureusement unique) de cette

exposition, la frappante diversité des arts traditionnels kanak. Pour les Océanistes déjà

avertis de cette évidence, les bénéfices étaient ailleurs et, avant tout, dans la

proportion assez abondante d’objets inédits ou rarement publiés que cette exposition

et la publication qui lui était associée leur auront permis de découvrir ou d’examiner

directement pour la première fois, une majorité de pièces provenant de musées

provinciaux, mais aussi quelques-unes issues d’importantes collections privées

françaises.

7 Quelques remarques s’imposent sur le catalogue, appelé à séduire un assez vaste public

du fait du nombre important d’objets qu’il reproduit (environ 220), de la rareté des

publications illustrées actuellement disponibles sur le sujet et de son prix relativement

modique. Les photographies sont généralement d’une qualité satisfaisante, beaucoup

de pièces ont bénéficié de détourages qui les font efficacement ressortir sur fond blanc

et certaines, comme les armes ou les bambous gravés, ont fait l’objet d’excellentes vues

de détail. Les notices sont inégalement précises et parfois incomplètes des dimensions

des objets, à l’instar de la « statuette, bois, Château-Musée, Boulogne-sur-Mer, Inv.

274 » (haute de 49 cm) censée illustrer l’article que Sophie Cazaumayou consacre aux

« statuettes Kanak : une sculpture oubliée » (pp. 75-78). Elle y indique que « la statuette

appartenant à la collection du Château-musée de Boulogne-sur-Mer a deux sosies. L’une

appartient à la Masco Collection et la seconde à la collection Carlo Monzino » (hautes

respectivement de 26 et 24 cm et passées en de nouvelles mains, la première ayant été

ainsi revendue 156 000 dollars chez Sotheby’s New York le 9 mai 2006). Or ce

rapprochement, déjà formulé par Roger Boulay, Allan Wardwell et les experts des

maisons de ventes, n’a de sens que pour un autre objet des collections boulonnaises

(ainsi décrit dans De jade et de nacre : « Statuette. Bois. H. 32 cm, sans indication de

collecte. Acq. Anonyme 1900. Château-musée, Boulogne-sur-Mer. Inv. 988.1.179 »,

p. 167 ; ces deux objets sont reproduits côte à côte dans Océanie. Curieux, navigateurs et

savants, p. 212 et notices p. 243, avec variantes dans les numéros d’inventaire). La

substitution d’une pièce à une autre est un aléa fréquent et presque sans conséquence

dans les expositions, mais elle peut rendre absurde, et c’est ici le cas, le commentaire

qu’entend en donner le catalogue.

8 L’économie générale de ce volume est conforme à l’esprit de l’exposition, peu porté à la

pédagogie sans pour autant atteindre une qualité constamment « scientifique », dira-t-

on par euphémisme et égard pour les spécialistes qui y ont collaboré. Hormis la carte

précitée et quelques gravures ou photographies anciennes, nulle part n’est montré ou

seulement suggéré le pays d’origine des objets exposés, moins encore ce qu’on sait de

son histoire et de son ethnologie. L’« orientation bibliographique » proposée en fin de

volume suit un « ordre » qui n’est ni chronologique, ni alphabétique, ni thématique,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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mais aléatoire jusque dans sa typographie (on y signale ainsi p. 184 « Océanie Guiart,

Jean, Paris, Gallimard, 1963 ») et avec des oublis plutôt « désorientants » (les livres de

Roger Boulay et d’Éliane Métais sur les bambous kanak, la somme de Fritz Sarasin –

orthographié « Sarrazin » p. 37 et ailleurs –, plusieurs titres de Maurice Leenhardt, et

jusqu’au récent ouvrage d’Yves-Bealo Gony sur la monnaie kanak, dont a rendu compte

le JSO 125, pp. 333-334). Faute de relecture attentive, textes et notices des objets sont

souvent fautifs, y compris pour l’onomastique néo-calédonienne (par exemple,

« Ballade » pour Balade pp. 81 et 171, « canaque » ou « kanaks » presque partout).

9 Des seize contributions réunies dans l’ouvrage, quatorze constituent moins des articles

proprement dits que des présentations dévolues à un secteur d’activité traditionnel ou

à un type d’objet particulier, une seule page (p. 66) évoque les chambranles de grande

case, deux pages les masques (pp. 108-109), les haches-ostensoirs (pp. 98-99), les armes

(pp. 162-163), etc. En raison de leur qualité d’information ou des énigmes que posent

leurs sujets, les articles que consacre Yves-Béalo Gony à la monnaie (pp. 85-92), aux

sculptures en « berceaux » (pp. 104-105) et aux paquets magiques (pp. 94-95, avec Paul

Lagarde) méritent sans doute une lecture attentive. Des deux articles de portée

générale disposés en tête du catalogue, le deuxième (« L’art des ancêtres », pp. 41-44),

dû à Paul de Deckker dont l’exposition honorait la mémoire par un grand cartel

dédicatoire, présente une comparaison entre les arts occidentaux et ceux des « sociétés

de l’oralité », caractérisées par des « mentalités collectives », où « l’individualisme […]

n’existe pas […] puisque la conception même de l’individu en tant que tel n’y est pas

concevable » (p. 42). Quelques solides preuves du contraire qu’en ait administrées

l’ethnologie, spécialement en Mélanésie, il est évidemment hors de question de discuter

ici ces affirmations venues sous la plume d’un chercheur si récemment disparu.

10 L’article le plus développé (pp. 10-39) et qui ouvre véritablement le catalogue, s’intitule

« De James Cook à Maurice de Vlaminck : cent cinquante ans de collectes et de

collections ». Il est dû à Bertrand Goy, amateur érudit, auteur d’études récemment

parues sur les arts africains ou même une importante collection privée française

d’objets traditionnels du Népal. L’ambition de ce texte est de prolonger la remarquable

enquête jadis menée par Roger Boulay sur les « objets kanak dans les collections

européennes. Petite histoire de la collecte : 1774-1917 » (De jade et de nacre, pp. 208-238).

Il ne la cite jamais bien qu’il lui doive beaucoup. Parce qu’il déborde le cadre historique

que s’était fixé Roger Boulay et qu’il s’intéresse au destin de nombreux objets restés en

mains privées ou sur le marché de l’art, ce nouveau travail est à prendre en

considération. Ses apports sont nombreux, mais nécessitent parfois d’être vérifiés,

nuancés ou corrigés. Par exemple, Bertrand Goy commente d’après une illustration

d’époque le masque complet de sa cape de plumes qui para « le mannequin canaque au

Trocadéro durant l’Exposition universelle » de 1878, avant d’être acquis par le musée

d’ethnographie de Vienne. L’auteur ajoute (p. 27) : « Ce masque est réapparu plusieurs

fois sur le marché : vendu par le musée à un amateur [sic : lire marchand d’art new-

yorkais] genevois, Maurice Bonnefoy, en 1970, il sera proposé une première fois à la

vente par Sotheby’s New York le 14 novembre 1980. Le coquillage manque et le bonnet

est de travers. Le 16 novembre 2001, il est une nouvelle fois proposé par Sotheby’s New

York, restauré dans les conditions où le montre notre gravure ». Pourtant, lorsque la

même maison de ventes l’avait présenté le 9 novembre 1979 (lot 149), il était complet

du coquillage (Ovula sp.) ornant la base de sa coiffe, et il l’était à nouveau quand il fut

adjugé 6350 dollars le 6 mai 1998 (lot 47) par le même auctioneer. Il atteignait 14 400

dollars trois ans plus tard, dans la vente citée par Bertrand Goy (lot 236). À côté des

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efforts de « restauration » qu’il signale, ces données manquant à son article semblent

surtout illustrer les tribulations infligées aux objets kanak par le commerce

contemporain.

11 Quoique trop brièvement (en titre et p. 33), ce texte évoque légitimement la

personnalité de Maurice de Vlaminck, dont le « dépôt privé permanent » d’une

quarantaine de toiles provenant de sa dernière fille est l’un des fleurons du musée des

Beaux-Arts de Chartres. On sait qu’en pleine période fauve, le peintre collectionna avec

passion « l’art nègre » en compagnie de son ami André Derain. Les objets acquis par ce

dernier, qui avait une prédilection pour les arts de l’Afrique centrale, font aujourd’hui

référence pour leur ancienneté comme pour leurs qualités stylistiques et restent des

plus convoités. S’il n’en est pas ainsi des pièces réunies par le premier, c’est que son

goût pour les arts lointains et surtout les sculptures le portait à exécuter lui-même des

répliques ou des pastiches. Le 1er juillet 2009 était ainsi proposée à l’Hôtel Drouot (étude

Rieunier, lot 120), avec l’indication « ancienne collection Maurice de Vlaminck », non la

fameuse sculpture uli de Nouvelle-Irlande ayant appartenu à Walter Bondy (une des

plus belles du genre), mais une copie raide et étriquée, moins « fauve » que mal

observée, de ce chef-d’œuvre des arts du Pacifique. Décrite et estimée comme un objet

des mers du Sud, elle ne trouva pas preneur.

12 Trois pièces provenant de la même collection avaient été sélectionnées pour cette

exposition et son catalogue (pp. 34, 61, 117) – l’une d’elles, d’étrange facture, jadis

décrite comme « sculpture de flèche faîtière » (Hôtel Drouot, 15 décembre 1997, lot

218), déroute tout autant sous la dénomination de « planche de rêveur, étagère à

monnaies » –, mais il va de soi que seul un examen complet, allant jusqu’à déterminer

les essences de bois mises en œuvre, pourrait décider de leur sincérité, ou plutôt de

leur origine. On ne peut douter que Vlaminck ait possédé ou observé des objets

réellement venus de Nouvelle-Calédonie avant qu’il entreprenne de les réinterpréter. Il

serait également absurde d’assimiler ses essais de sculpture, où il cherchait en somme à

s’assimiler le style d’artistes lointains, nouveaux et admirés, au travail des faussaires

actuels, encouragés par un « marché des arts premiers » qui du temps du peintre n’en

était qu’à ses premiers pas. Ces trois objets, auxquels L’art ancestral kanak n’a réservé

aucun statut spécial ou attention particulière, devraient sans doute permettre de

rouvrir le dossier du « découvreur » des arts primitifs, ainsi que se proclamait

abusivement Vlaminck (voir Jack D. Flam, 1987 : 211-217 et maints autres passages du

même volume sur cet artiste), pour continuer d’éclairer l’histoire des premiers

développements en France de ce qu’on nomme le « primitivisme », dont cette récente

exposition chartraine constituait un prolongement à la fois étonnant et quelque peu

inquiétant s’il devait faire école.

13 Le parti pris de dépouillement présidant à l’aménagement des salles et à la rédaction

lapidaire des cartels vérifiait certes la remarque bien connue de Sally Price (1995 : 137)

sur l’esthétisation des objets « primitifs » par dissimulation de leur contexte

d’intelligibilité ethnographique, mais si cette volonté de mettre en avant « l’art » kanak

était louable dans son principe, elle était désastreuse dans ses résultats. Peut-on

aujourd’hui exposer cet art comme au temps de Vlaminck, c’est-à-dire de « l’Empire

français », sans la moindre information sur la colonisation et ses suites

contemporaines ? Coïncidant avec une actualité sociale agitée en Nouvelle-Calédonie au

cours du même été, l’exposition n’avait assurément pas à se focaliser sur ces tensions

« post-coloniales », mais elle devait offrir aux visiteurs d’autres éléments de

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compréhension historique que les trois « têtes de guerrier canaque » en terre cuite ou

en plâtre présentées sans commentaire dans un diverticule de l’une des salles (et p. 41

du catalogue). Elles n’évoquaient pas seulement les pires conceptions et pratiques de

l’ancienne anthropologie physique ou les productions les plus détestables de la

sculpture classique occidentale, elles rappelaient malheureusement aussi les têtes

mises à prix et récoltées par l’armée française, à l’instar de celle d’Ataï si

mémorablement pleurée par Roselène Dousset-Leenhardt.

14 À côté de cette marque de mauvais goût (sinon d’indifférence à l’égard des Kanak

d’autrefois comme d’aujourd’hui) relevée par plusieurs visiteurs dont l’un m’a

obligeamment suggéré de parler d’« esthètes es têtes », l’exposition se ressentait dans

son ensemble d’une esthétique vieillotte, élitiste et méprisante, qui continue d’avoir

cours dans « les beaux quartiers », chez les marchands d’arts « premiers » et leurs

clients fortunés. Les cartels vous paraissent insuffisants ou placés trop près du sol ?

Consultez le catalogue (ou la liste de prix) ou mieux, achetez-le. Vous n’avez pas de quoi

vous l’offrir ou vous le jugez mal fait et insuffisant lui aussi ? Eh bien, faites comme la

plupart des visiteurs, taisez-vous et admirez, c’est « du primitif », ça vient de loin,

voyez la vieille carte là-bas, un pays dont on n’entend jamais parler à Chartres parce

qu’ici tout est calme et silencieux, et puis c’est de l’art, vous n’avez pas besoin de

comprendre, regardez seulement l’objet car le beau, comme dit Kant, c’est ce qui plaît

universellement et sans concept… Mon cher, avez-vous vu cette patine, qu’en dites-

vous ? Voilà à peu près comment Jacques Kerchache s’entendait à déclencher « le coup

de foudre » chez ses acheteurs et ses successeurs dans la profession ont des procédés

similaires pour provoquer « le réflexe d’achat ». Le « primitivisme » est un chapitre

complexe des arts modernes occidentaux, ce qu’on peut dénommer le « primitivisme

marchand » (ou des marchands) ressemble le plus souvent aux astuces des camelots et

des bonimenteurs. Il serait consternant de voir ce primitivisme-là inspirer sciemment

ou à l’aveugle, avec ou sans tête, de nouvelles expositions dans ce musée ou dans

d’autres institutions publiques comparables, où « l’esthétisation » ne peut déployer ses

ruses (disons aussi ses tricheries ou ses mensonges par omission) qu’au détriment de

l’éducation et du renouvellement du regard et de l’esprit, mission première de tout

musée, à Chartres non moins qu’ailleurs.

BIBLIOGRAPHIE

BOULAY Roger, Emmanuel KASARHÉROU et Henri MARCHAL (éds), 1990. De jade et de nacre. Patrimoine

artistique kanak, Paris, Réunion des musées nationaux.

FLAM Jack. D, 1987. Matisse et les Fauves, in William Rubin (éd.), Le Primitivisme dans l’art du 20e

siècle. Les artistes modernes devant l’art tribal, Paris, Flammarion, pp. 211-239.

LUQUET Georges-Henri, 1926. L’Art néo-calédonien, Paris, Institut d’ethnologie.

NOTTER Annick (éd.), 1997. Océanie. Curieux, navigateurs et savants, Paris, Somogy.

PRICE Sally, 1995. Arts primitifs : Regards civilisés, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts.

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NOTES

1. Selon Luquet (1926 : 13), ce terme est celui de la région d’Oubatche et est donc en langue jawé ;

plus au sud, notamment en ajië et dans les langues de la région centre, on nomme les

chambranles jovo, terme un peu moins utilisé dans les ouvrages spécialisés.

2. Le catalogue précise : « Les notices des objets présentés dans le catalogue reprennent les

informations communiquées par leurs prêteurs » (p. 9).

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Comptes rendus d'ouvrages

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Nouvelle-Calédonie. Terre de corail dePascale JOANNOT

Isabelle Leblic

RÉFÉRENCE

JOANNOT Pascale, 2008. Nouvelle-Calédonie. Terre de corail, Paris, Éditions Maison de la

Nouvelle-Calédonie/Solaris, 123 p., bibliogr., ill. couleur.

1 Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition du même nom qui a été inaugurée à

l’Aquarium de la Porte Dorée à Paris en décembre 2008 et que nous avons annoncée

dans le JSO Spécial environnement paru fin 2008. Depuis, cette exposition, réalisée par la

Maison de Nouvelle-Calédonie (MNC) dans le cadre de l’inscription le 7 juillet 2008 d’une

partie des lagons de Nouvelle-Calédonie, de sa diversité récifale et des écosystèmes

associés, au patrimoine mondial de l’UNESCO, circule de ville en ville1.

« Depuis juillet 2008, 15 000 km2 de lagons et récifs calédoniens répartis en six sitessont reconnus et “labellisés” patrimoine mondial de l’UNESCO. » (p. 16)

2 L’auteur de cet ouvrage est le commissaire de l’exposition conçue à partir d’une idée

originale du directeur de l’agence Trans-Faire de Paris, Virginio Gaudenzi. La visite de

cette exposition m’a laissé un excellent souvenir ; dommage de n’avoir reçu ce

catalogue qu’en mai 2009, ne me permettant pas de le mettre en écho avec cette visite.

3 L’avant-propos, intitulé « L’homme est inséparable de la nature », est signé par le

président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Harold Martin, et des présidents

des trois provinces, Paul Néaoutyine pour le Nord, Philippe Gomès pour le Sud et Neko

Hnepeune pour les Îles. Dans la droite ligne des accords de Matignon et de Nouméa qui

fêtent respectivement leurs vingtième et dixième anniversaires, cette réalisation éco-

conçue2 – une première en France – entend célébrer le destin commun des hommes en

harmonie avec leur nature :

« Ensemble nous partageons la certitude que le développement de notre pays nepeut se faire qu’en conciliant l’économie et l’écologie. Au moment où se réalisent denouvelles usines métallurgiques dans les provinces Nord et Sud de la Nouvelle-

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Calédonie, nous devons affirmer notre engagement de mieux connaître, préserveret protéger ce patrimoine qui nous accueille depuis des millénaires.[…] Car l’hommeest inséparable de la nature qu’il ne peut dominer durablement sans la respecter. »(p. 7)

4 Après une très courte introduction de Joël Viratelle (directeur de la MNC), Virginio

Gaudenzi (réalisateur de l’exposition) et Pascale Joannot (commissaire de l’exposition)

insistant sur le besoin de partager « la beauté de ce bien naturel à “caractère

exceptionnel, universel et inestimable” que sont les récifs coralliens de Nouvelle-

Calédonie » (p. 8), viennent six chapitres faisant écho aux divers volets de l’exposition

et aux six parties de la structure du corail. Ils déclinent la Nouvelle-Calédonie en

« Terre océanienne » (pp. 10-17), « Terre de corail » (pp. 18-35), « Terre nature »

(pp. 36-59), « Terre des hommes » (pp. 60-83), « Terre de paradoxe » (pp. 84-97) et

« Terre de partage » (pp. 98-113). L’ouvrage se termine sur les remerciements d’usage

(pp. 114-115), la présentation de cinq des photographes ayant illustré le parcours

(pp. 116-120), et une bibliographie (pp. 122-123).

5 Le premier chapitre nous fait aborder cette Terre océanienne par huit belles

photographies aériennes montrant la diversité des littoraux calédoniens et de leurs

couleurs : blanc de l’écume, bleu des lagons, vert de la végétation et rouge et ocre de la

terre minière. Il invite au voyage et à la découverte de cette terre entourée de « l’un des

ensembles coralliens les plus remarquables de la planète », et de ses populations très

attachées à ce « bien commun à respecter et à partager, d’une importance majeure aux

plans coutumier, culturel, scientifique, économique et touristique » (p. 11). Deux cartes

complètent cette présentation. Afin de présenter les récifs coralliens du monde, la

première situe la Nouvelle-Calédonie sur un planisphère, en signalant particulièrement

les « récifs coralliens de l’outre-mer français » et en indiquant l’importance de chaque

zone économique exclusive (ZEE) et la surface des formations coralliennes. La Nouvelle-

Calédonie arrive ici en première position en termes d’importance des formations

coralliennes avec 40 000 km2 (80 % de l’ensemble corallien des collectivités d’outre-

mer) et une longueur de récif supérieure à 2 000 km, pour 18 564 km2 de terres

émergées et1 740 000 km2 de ZEE (soit cinq fois celle de la France métropolitaine et

15,8 % de la ZEE totale française).

« Les récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie représentent un des ensemblescoralliens les plus remarquables de la planète tant par sa structure que par ladiversité biologique dont il permet le développement. » (p. 16)

6 Les auteurs rapportent les données présentées à l’échelle de la France métropolitaine

pour permettre au visiteur de se rendre compte de son importance.Au niveau mondial,

les récifs coralliens sont les « plus grandes bio-constructions de la planète » et sont

situés en zone intertropicale : 284 300 km2 (à peine plus de la moitié de la France)

offrant un potentiel économique et une source de subsistance à plus de 500 millions de

personnes (dix fois la population métropolitaine et 8 % de la population mondiale) dans

une centaine de pays bordés par ces récifs. L’outre-mer français place la France au

quatrième rang mondial des grandes régions coralliennes avec 14 280 km2 de récifs

coralliens, derrière l’Indonésie (51 020 km2 de récifs), l’Australie (48 960 km 2) et les

Philippines (25 060 km2). La seconde carte, figurant la Nouvelle-Calédonie et les îles,

avec ses découpages provincial et communal, accompagne une présentation

géographique de cet archipel du bout du monde (à 18 368 km de Paris) et de ses

populations : 244 600 habitants en 2008 dont les Kanak, le peuple d’origine,

représentent 44,1 % à côté de 34,1 % d’Européens, 9 % de Wallisiens et Futuniens, 2,6 %

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de Tahitiens, 2,5 % d’Indonésiens, 1,4 % de Ni-Vanuatu et 1,4 % de Vietnamiens, 0, 4 %

de Chinois et 4,3 % d’autres communautés dont des Japonais…. (selon l’ISEE).

7 Le second chapitre nous fait entrer dans le vif du sujet : la terre de corail déclinée en

plusieurs sous-chapitres (« “Mégalocorallis” », « Architectes de talent », « Quelle est la

nature du corail : animal, végétal ou minéral ? », « Du macrocosme au microcosme »,

« Coraux fluorescents », « La Nouvelle-Calédonie honorée par la science »).

Extrêmement bien illustré et documenté par de belles photographies et des schémas

très pédagogiques, il permet au néophyte de tout savoir sur le corail – voir, par

exemple, la présentation de neuf espèces de coraux multiformes avec leur nom

commun, leur nom scientifique et une photographie couleur (p. 23) ; l’arbre de vie

schématique du corail : les Cnidaire descendent, dans l’ordre du vivant, des animaux

(Métazoaires) qui, avec les champignons et les plantes, proviennent des Eucaryotes

avec les Achées et les Bactéries (p. 25) ; ou encore le schéma de la structure d’une

colonie de corail (p. 28).

8 Le troisième chapitre présente les différents écosystèmes (« natures ») calédoniens : les

4 000 km2 de forêt humide (21 % du territoire) face aux 350 km2 de forêt sèche, les 4 400

km2 de maquis minier (23 % de la superficie !) et les 6 000 km 2 de savane (40 %). Puis

l’auteur fait percevoir l’importance des espèces endémiques de la forêt humide,

autrement dit celles qui n’existent nulle part ailleurs, en nous offrant un aperçu de

quelques-unes d’entre elles : les roussettes et chauves-souris, seuls mammifères

installés en Nouvelle-Calédonie avant l’arrivée de l’homme, dont six espèces sur les

neuf actuelles sont endémiques, parmi lesquelles la roussette rousse, Pteropus ornatus…

et la fougère arborescente, Cyathea intermedia. Puis, à la rencontre de la mer et de la

terre se trouve la célèbre mangrove calédonienne – qui ne connaît pas le « cœur de

Voh » qui s’étale sur 200 km2 – et les non moins célèbres crabes de palétuviers, Scylla

serrata, dont on apprend tout du cycle de reproduction… De nombreuses photos

présentent la biodiversité des lagons et récifs de Nouvelle-Calédonie et leurs étonnants

habitants.

9 Le quatrième chapitre permet de découvrir les hommes qui peuplent ce territoire et

leur histoire, à savoir les migrations au moyen de grandes pirogues, puis l’arrivée des

Européens sur de grands navires. Là encore, on passe de la mer à la terre avec la

découverte de « l’or vert » que fut la garniérite découverte par Jules Garnier et est

encore le nickel. L’auteur présente enfin en quelques pages la coutume kanak

(pp. 70-79).

10 Les deux derniers chapitres abordent des questions actuelles de la Nouvelle-Calédonie :

les paradoxes climatiques et naturels tout comme écologiques et humains, et le partage

actuel de toute cette richesse via le classement à l’UNESCO. Ainsi, on apprend que « les

coraux sont d’excellents indicateurs climatiques » et que « l’enregistrement des

changements du climat se fait à l’échelle de la colonie corallienne et à celle du récif »

(p. 86) en vertu de leur « mémoire d’éléphant » et de leur « fragilité de cristal » (p. 85).

Contraintes naturelles, changements climatiques et pressions anthropiques entraînent

des destructions totales ou partielles de ce milieu et « ont des conséquences pour

l’homme en termes de santé publique, d’économie et de société » (p. 95). Parmi les

risques les plus célèbres, on pense évidemment à la gratte, ou ciguatera, qui se

développe sur les coraux morts et dont le responsable est la micro-algue Gambierdiscus

toxicus consommée par les poissons herbivores et qui entre dans la chaîne alimentaire

jusqu’à l’homme via les poissons carnivores.

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11 Voilà donc un beau petit ouvrage, très pédagogique et accessible au plus grand nombre,

non spécialiste de ces questions, qui permet à tous de se familiariser avec la Nouvelle-

Calédonie et sa biodiversité, tant marine que terrestre.

NOTES

1. Du 22 juin au 4 octobre 2009 à Nice.

2. « C’est une exposition qui se soucie de l’environnement, sur le fond et dans la forme » et elle

« sera la première à afficher son bilan carbone » mesuré selon la méthode de l’ADEME, pour

« rendre compte de la cohérence environnementale de notre démarche par un indice

incontestable afin d’éviter “l’auto proclamation verte” trop couramment répandue. » (p. 111).

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L’outre-mer français. Évolutioninstitutionnelle et affirmationsidentitaires de Thierry MICHALON

Benoît Carteron

RÉFÉRENCE

MICHALON Thierry, 2009. L’outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations

identitaires, Paris, L’Harmattan, coll. Grale, 162 p.

1 Dans ce court ouvrage, l’auteur développe deux idées-force, dans une perspective qu’il

qualifie d’« anthropologie juridique » (p. 15) : d’une part, il met au jour un brouillage

juridique mettant fin à l’opposition entre la « République intra-nationale » (France

métropolitaine et départements d’outre-mer) soumise au droit commun et la

« République extra-nationale » que constituaient les territoires d’outre-mer (devenus

collectivités sui generis), aux règles de droit distinctes de celles imposées par l’autorité

centrale. D’autre part, il montre le caractère semblable des outre-mers, autant sur le

plan économique que sur celui des relations ambiguës avec la France, malgré une

diversité de statuts censée refléter la diversité des situations locales. Chacune de ces

thèses est reprise respectivement dans les deux parties de l’ouvrage, elles-mêmes

subdivisées en quatre et cinq chapitres.

2 En introduction, Thierry Michalon rappelle le fil directeur de ses travaux depuis trente

ans : à savoir que la République française est une fédération qui s’ignore du fait de

l’autonomie juridique accordée à certaines collectivités territoriales d’outre-mer, et ce

à l’encontre d’une doctrine juridique proclamant « le caractère définitif et intangible

de la délimitation du territoire de l’État et de la consistance de sa population » (p. 12).

L’unité et l’indivisibilité de la République relèvent du slogan idéologique et sont

contredites par l’évolution du droit ultramarin depuis 1946, qui a tenté par là

d’endiguer le problème de la nationalité. Jusqu’à la révision constitutionnelle de 2003,

la création de deux blocs mettait alors en évidence l’opposition entre deux volets de la

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République. Dans les départements d’outre-mer, les populations considérées comme

assimilables rejoignent le cœur de la nation et se voient appliquer les règles du droit

commun (égalité législative avec adaptations). Dans les territoires d’outre-mer, les

populations, implicitement considérées comme des nations périphériques, bénéficient

d’un régime de spécialité législative tenant compte de leurs intérêts propres.

3 Le statut de département d’outre-mer, accordé d’abord en 1946 à la Martinique, la

Guadeloupe et la Réunion, a été considéré comme un aboutissement du processus

d’assimilation concernant les « vieilles colonies ». L’auteur rappelle que la

départementalisation a été mise en place à la demande des élus locaux de l’époque

(dont Aimé Césaire) « dans le but de réaliser la complète incorporation à la République

de populations qui se proclamaient et voulaient être considérées comme intégrées à la

Nation » (p. 26). Le même raisonnement justifia trente ans plus tard l’accès de Saint-

Pierre-et-Miquelon et Mayotte au statut de département, même si, dans ce cas précis, il

a été imposé par le gouvernement français.

4 Par le statut de territoire d’outre-mer, la loi a traduit la reconnaissance implicite d’une

« différence de nature » avec les départements, présupposant en quelque sorte « une

essence nationale distincte » (p. 30). Dans ses avancées les plus audacieuses, ce statut a

bénéficié aux Comores et au Territoire français des Afars et des Issas (Djibouti) dans les

années 1960 et 1970, devenus indépendants depuis. Il s’est présenté sous une autre

forme dans les années 1980 en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française. Véritable

régime d’autonomie, il accorde un degré de libre administration dépassant la simple

décentralisation administrative : pouvoir d’auto-organisation, lois et décrets

spécifiques publiés au journal officiel local, organes territoriaux inspirés de ceux d’un

État, transfert massif de compétences aux autorités territoriales, possibilité d’abroger

ou de modifier les lois ou règlements nationaux, système répressif propre, autonomie

fiscale, possibilité d’adopter des signes distinctifs, chef de l’exécutif associé aux

relations internationales de la République, régime spécial d’association avec la

Communauté Économique Européenne, possibilité de jouir d’une procédure

d’autodétermination1. Notons que ce régime d’autonomie à la française se distingue

tout de même des entités membres d’un ensemble fédéral par le fait que les actes des

autorités territoriales demeurent des actes administratifs, et non législatifs, qui sont

donc soumis au contrôle de légalité et de régularité budgétaire.

5 L’opposition entre les deux statuts a cependant perdu de son sens initial. D’une part, les

départements d’outre-mer, ainsi que la Corse, ont bénéficié au fil du temps d’une

décentralisation plus poussée que les départements de l’hexagone. Le législateur a ainsi

essayé de faire face à l’affirmation identitaire et à la montée des sentiments

nationalistes. D’autre part, la création de collectivités territoriales non nommées (sui

generis), qui ne sont donc ni des départements, ni des régions, ni des territoires d’outre-

mer, a permis au législateur d’échapper à l’unité et à l’homogénéité des collectivités de

même catégorie qu’exige la conception française du droit, mais qui sont remises en

cause par les revendications des périphéries ultramarines. Le brouillage n’en persiste

pas moins en raison d’une confusion entre la dénomination de chaque collectivité sui

generis et la catégorie censée définir les règles de fond qui s’y appliquent. Ce brouillage

s’accentua avec la révision constitutionnelle de 2003 qui, en introduisant la spécialité

législative dans les départements et régions d’outre-mer, estompe la distinction entre

départements et territoires d’outre-mer pour laisser place à un large éventail de statuts

possibles en fonction des attentes locales.

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6 L’éclatement des catégories juridiques, censé transposer la variété des situations

locales (et qui conduit à parler aujourd’hui des Outre-mers plutôt que de l’Outre-mer),

apparaît « comme la reconnaissance officielle d’une diversité culturelle et juridique, à

l’intérieur du cadre de la République » (p. 99). Pourtant, l’auteur met en évidence des

réalités semblables : au plan économique, par la très grande dépendance envers la

métropole, et au plan idéologique, par la réticence à se reconnaître partie intégrante de

la nation française. Il en ressort un écartèlement des opinions « entre le souci de leurs

intérêts matériels et leur propension à affirmer une identité nationale propre » (ibid.)

que traduit l’évolution juridique de statuts cumulant l’identité législative et

l’autonomie. La prospérité due aux transferts financiers et le sentiment d’être assistés

par l’ancienne puissance coloniale suscitent des sentiments contradictoires, teintés

d’humiliation, et cette double revendication d’intégration à la République et de large

autonomie. Pour l’auteur, la montée des sentiments identitaires, qui a accompagné

l’élévation du niveau de vie, aboutit à une « instrumentalisation de la culture »

(p. 107) : préserver ou conquérir des avantages matériels tout en invoquant les

spécificités culturelles à l’appui d’un régime de discrimination positive.

7 À ce stade, Thierry Michalon appuie sa démonstration sur le cas des départements

antillais, qui semblent particulièrement exacerber l’ambivalence à l’œuvre : regrets

exprimés par Aimé Césaire dès 1956 quant aux effets de la départementalisation,

affirmation d’une identité nationale (elle-même appuyée, à travers le discours de la

créolité, sur une idéologie de l’essence culturelle), mais refus par le vote de renoncer

aux départements et régions en 2003. Au final, la posture revendicative même, que

reproduisent sans cesse les élus, prend le pas sur le fond des revendications en ce

qu’elle révèle une humiliation persistante engendrée par des rapports de domination et

vise, pour les peuples concernés, « à faire plier la République sans toutefois mettre en

jeu leur appartenance à celle-ci » (p. 116). La culture créole est alors explorée dans ses

traits non explicités. Il s’agit pour l’auteur d’une proximité de fond avec les origines

africaines des populations, éclairant, par-delà l’histoire de ces territoires, la résistance

à l’économie de marché (débrouillardise, primauté des solidarités familiales, vision

négative du travail, culture d’assistance, consommation immédiate…) et à la logique

rationnelle légale des institutions publiques (résistance à l’ordre établi, captation du

pouvoir au profit de réseaux relationnels, passe-droits, citoyenneté et rapports à l’État

vécus de façon utilitaire…). Pour terminer, l’auteur se demande si la révision

constitutionnelle de 2003 n’a pas paralysé l’action du législateur en soumettant toute

évolution du régime des collectivités ultramarines à l’approbation de leur population ?

La République ne peut plus d’elle-même accorder la souveraineté à des collectivités qui

rêvent d’émancipation tout en ne la voulant pas dans les faits.

8 Les deux parties de l’ouvrage se différencient nettement par l’intérêt qu’elles

représentent et les approfondissements qu’elles apportent. La première offre un

tableau d’ensemble de l’évolution institutionnelle de l’outre-mer français depuis la

seconde guerre mondiale, exemples pris dans les différentes régions du globe en

fonction des statuts de département, territoire ou collectivité sui generis viennent à

l’appui de la démonstration. Dans la seconde partie, l’examen des caractéristiques

juridiques se poursuit par l’approfondissement des modifications statutaires depuis

2003 dans les Antilles. Avec un langage clair, sans jamais se perdre dans le détail des

subtilités du droit, rappelant régulièrement les points essentiels, Thierry Michalon

donne à comprendre une matière complexe pour le non-spécialiste. Alors que les

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

198

médias et l’enseignement scolaire hexagonal se réfèrent toujours aux deux seules

catégories des départements et territoires d’outre-mer, cet ouvrage permet de faire le

point sur l’évolution des statuts tout en identifiant les tendances communes derrière

l’éclatement apparent. On regrettera seulement l’absence d’une bibliographie générale

en fin de volume qui aurait permis de renvoyer le lecteur aux travaux menés sur la

question de façon plus systématique.

9 La seconde partie est plus inégale. Si l’examen du lien entre « évolutions

institutionnelles et affirmations identitaires » semble prometteur, les questions

identitaires sont abordées d’une manière étroite et l’analyse se restreint

essentiellement au cas des départements antillais, contredisant d’emblée sur ce point

l’ambition de donner une vision d’ensemble de l’outre-mer. Dans la première partie,

l’auteur réussit très bien à mettre en exergue les lignes de fond statutaires qui

rapprochent les collectivités d’outre-mer, en fonction d’une politique initiée par le

Centre ainsi que par la reprise des innovations d’une collectivité à l’autre. Par contre, le

cas des possessions françaises du Pacifique disparaît complètement en seconde partie,

l’auteur suggérant que leurs populations n’ayant jamais connu le régime de l’identité

législative, leur histoire est bien différente des vieilles colonies des Antilles dont la

départementalisation venait tenter d’effacer les séquelles douloureuses de l’esclavage.

Du coup, l’analyse est privée d’une portée véritablement comparative et de la

possibilité de tirer des conclusions générales.

10 Par ailleurs, le traitement réservé aux questions identitaires apparaît bien

schématique. L’affirmation identitaire n’est pas vraiment examinée pour elle-même,

mais occupe la place d’une variable, expliquée par l’amélioration des conditions

d’existence et explicative de la contradiction entre désir de prise en compte des

spécificités et refus de l’émancipation. Thierry Michalon restreint la question

identitaire à sa dimension stratégique : comme expression instrumentalisée de la

culture au service de l’obtention d’avantages matériels. Le caractère composite de

l’identité culturelle, ses dimensions émotionnelle et existentielle, les jeux de

superposition ou emboîtements, les affirmations d’appartenances apparemment

incompatibles, sa variabilité selon les contextes, sont, parmi d’autres, autant

d’éléments disparaissant derrière une vision de l’affirmation identitaire réduite à un

sentiment nationaliste qu’on suppose uniformément partagé. Cette complexité de

l’identité est entrevue à propos de la créolité, mais l’examen de son expression propre

est écarté au profit d’une approche de la culture créole la renvoyant au type de la

société traditionnelle (identifié ici par une culture africaine profonde), par opposition à

la société moderne que représente la culture hexagonale. Utilisé comme unique cadre

d’analyse, cette dichotomie souvent dénoncée par les anthropologues pour son

schématisme excessif, comporte des effets pervers : réduction des cultures à une série

de traits figés confortant les stéréotypes du sens commun, hiérarchisation établie en

fonction d’une vision à sens unique de la modernisation. De plus, en décelant dans la

culture créole un héritage africain préexistant à l’esclavage, l’auteur tombe lui-même

dans cette naturalisation de l’appartenance culturelle qu’il reproche aux chantres de la

créolité.

11 Cette réticence mise à part, le regard et le travail du du juriste Thierry Michalon

alimente une réflexion essentielle sur le devenir des collectivités d’outre-mer et leur

possible accès à la souveraineté. La présentation de l’évolution des statuts des

collectivités ultramarines comme reflet des tendances contradictoires nées des

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rapports de force économiques et sociaux laisse planer le doute sur la possibilité

d’accompagner un accès à la souveraineté dans le cadre de la République. Une analyse

des évolutions récentes dans les collectivités du Pacifique, notamment en Nouvelle-

Calédonie avec l’application de l’accord de Nouméa (irréversibilité du processus

d’autodétermination, lois de pays, citoyenneté propre), prendrait ici toute sa place dans

le prolongement de la réflexion engagée par l’auteur.

NOTES

1. Qui n’est pas un droit à l’autodétermination car le gouvernement de la République conserve

seul le pouvoir de déclencher la procédure.

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Paradiese der Südsee. Mythos undWirklichkeit. Begleitbuch zurSonderausstellung im Roemer- undPelizaeus-Museum Hildesheim de InèsDE CASTRO, Katja LEMBKE et Ulrich MENTER (Hg)Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

DE CASTRO Inès, Katja LEMBKE, Ulrich MENTER (Hg), 2008. Paradiese der Südsee. Mythos und

Wirklichkeit. Begleitbuch zur Sonderausstellung im Roemer- und Pelizaeus-Museum Hildesheim,

Mainz, Verlag Philipp von Zabern. 248 pp., bibliographies, carte, 353 illustrations.

1 Édité à l’occasion d’une exposition présentée du 11 octobre 2008 au 7 juin 2009 dans

l’un des musées de la ville d’Hildesheim (100 000 habitants, la plus petite des

métropoles de Basse-Saxe), ce livre a pour premier intérêt d’offrir un catalogue illustré

(pp. 161-235) des collections océaniennes du Roemer-und Pelizaeus-Museum (RPM),

fortes de 237 objets provenant de l’ensemble du Pacifique, et pour beaucoup collectés

avant 1900, à l’exemple d’un ornement frontal nagasaka (RPM V 6) acquis à Lukunor

(îles Mortlock) en 1877 par Kubary pour le compte du Musée Godeffroy. Les

photographies sont parfois trop réduites et peu parlantes, et sans doute faut-il avoir

déjà vu quelques exemplaires des rares statues tino de Nukuoro pour deviner les formes

du spécimen collecté par Bartels en 1903 (RPM V 7067), haut de 125 cm reproduit au

1/20e p. 215 (mais un peu mieux figuré au 1/6e p. 120, en face du bref article que lui

consacre Inés de Castro, conservatrice et directrice adjointe du musée). Ces défauts

sont le seul revers d’une mise en pages astucieuse, mettant en regard les objets disposés

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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en vignette et leurs légendes dans des cartouches de même taille sur la page opposée.

On y trouve, ce n’est pas le moins important, de nombreuses pièces inédites dont les

dates et les circonstances de collecte pourraient susciter des enquêtes fructueuses,

telles les effigies hohao du golfe de Papouasie entrées dans les collections d’Hermann

Roemer (fondateur de ce musée en 1844) avant sa mort en 1894 (p. 185, RPM V 1088 à

1090).

2 Si ce catalogue est nécessaire aux spécialistes des arts océaniens, l’ensemble du livre

illustre aussi de façon remarquable le renouveau des musées allemands et la qualité des

efforts qu’ils déploient en direction du grand public. Il y a une décennie, la ville

d’Hildesheim dotait les collections de Roemer – auxquelles s’étaient notamment

ajoutées en 1907 les pièces égyptiennes accumulées pendant quarante ans de séjour au

Caire par Wilhelm Pelizaeus, puis en 1927 les porcelaines chinoises d’Ernst Ohlmer –,

d’un bâtiment moderne et d’un statut semi-privé en vue de mieux conserver et mettre

en valeur des objets parfois considérés comme de première importance (ainsi qu’il est

notoire pour la collection égyptienne de Pelizaeus). Pour ce qui est des pièces venues

d’Océanie et des autres trésors ethnographiques du musée, il fallut aussi tout ce temps

pour les étudier, les restaurer, déterminer la meilleure façon de les présenter au public

proche ou lointain, en tenant compte des avancées récentes dans l’exploration et

l’exposition de ce sujet complexe, spécialement en Allemagne.

3 Les vingt-deux essais parfois réduits à une ou deux pages qui forment le corps de

l’ouvrage n’offriront peut-être aux spécialistes qu’un sentiment de « déjà vu ». Ils ne

sauraient perdre de vue que les pièces et informations inédites révélées à cette

occasion s’adressent non pas seulement à l’attention de leur milieu restreint, mais à

celui d’un large public, allant, peut-on souhaiter, des habitants d’Hildesheim aux

lecteurs des bonnes bibliothèques du Pacifique. Signés, outre les éditeurs précités du

volume, de Michaela Appel, Ehrentraud Bayer, Antje Denner, Michael Dickhardt,

Andreas Fluck, Thomas Gädecke, Brigitta Hauser-Schäublin, Ingrid Heermann,

Wolfgang Kempf, Werner Kreisel, Gundolf Krüger, Markus Schindlbeck, Florian Stifel et

Hildegard Wiegel, ces textes d’excellente vulgarisation présentent les principales

directions de recherche auxquelles se sont attachés récemment les Océanistes

allemands, telle l’image des mers du Sud chez les peintres expressionnistes proches de

Die Brücke (trois articles et de nombreuses œuvres d’Emil Nolde et de Max Pechstein)

et bien sûr aussi la colonisation allemande du Pacifique (M. Schindlbeck, « Deutsche in

der Südsee ») ou encore les effets récents de la mondialisation. Sur des sujets plus

strictement ethnographiques comme les maisons des hommes en Mélanésie ou les

monnaies mélanésiennes en coquillages marins et terrestres, les petits textes denses

qu’y consacrent respectivement B. Hauser-Schäublin et I. Heermann constituent des

aperçus synthétiques utiles à tous.

4 En complément de cette exposition et de ce catalogue, le Roemer Museum présentait

également au Stadtmuseum im Knochenhauer-Amthaus (du 2 octobre 2008 au 3 mai

2009) les collections d’objets et les photographies laissées par Conrad Machens

(1856-1930), originaire des environs d’Hildesheim, devenu entre 1881 et 1914 l’un des

principaux commerçants actifs aux îles Fidji, au point d’être surnommé Fidschi-

Machens. Prolongeant des reportages récents dévolus à ce personnage, cette

intéressante manifestation organisée par Ulrich Menter n’était malheureusement

accompagnée d’aucun catalogue ; elle fait espérer des articles ou des publications qui

mettent ces documents épars ou inédits à la disposition des chercheurs de façon plus

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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large et plus durable. La qualité et l’intérêt de ces deux expositions montraient à

nouveau que les musées des villes moyennes d’Allemagne ne sont pas riches seulement

de leur incomparable patrimoine historique, mais du soin et du savoir-faire de leurs

responsables actuels à en révéler les trésors aux publics les plus divers.

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A World of Relationships. Itineraries,Dreams, and Events in the AustralianWestern Desert de Sylvie POIRIER

Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

POIRIER Sylvie, 2005. A World of Relationships. Itineraries, Dreams, and Events in the Australian

Western Desert, Toronto, University of Toronto Press, 303 p., bibliogr., index, cahier

hors-texte en noir et blanc de 2 cartes, 2 peintures et 8 photographies.

1 Les études réalisées dans le désert de Gibson (au nord de l’État d’Australie occidentale)

par Sylvie Poirier, professeure à l’Université Laval de Québec, font autorité. Ce livre est

l’édition anglaise remaniée de son travail initialement publié en français sous le titre

Les jardins du nomade : Cosmologie, territoire et personne dans le désert occidental australien

(1996). L’auteure m’a d’ailleurs confié qu’elle voit dans l’édition anglaise une chance de

diffusion accrue et surtout la possibilité, pour les populations « sujets » du livre, de

pouvoir se relire dans leur langue officielle, ainsi que l’annoncent ses remerciements

(p. XI). L’obligation de « restitution des données » devient en effet l’un des enjeux

permanents de toute production scientifique contemporaine. Les lecteurs francophones

pourront, quant à eux, se reporter à l’une ou l’autre édition, même si les titres

respectifs ne donnent pas, à première vue, l’impression de se rapporter à un même

ouvrage, puisque le paradigme de « l’univers relationnel » de l’édition anglaise s’est

substitué à celui du « jardin nomade » de l’édition française.

2 Rappelons simplement que, dans un continent où il est difficile de faire du neuf avec

des lieux communs rabâchés, tant dans la littérature grand public que dans la

littérature scientifique, Sylvie Poirier a parcouru inlassablement tous les grands thèmes

que l’on attache aux cultures « aborigènes » pour les requestionner à partir de

perspectives de terrain originales et de théories suffisamment fluides pour lever avec

empathie les malentendus persistants entre leurs cadres cognitifs respectifs. Ses

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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travaux ont débuté dans les années 1980, se sont déroulés sur une double décennie, et

aboutissent à un affinement certain de notre compréhension de cultures encore mal

connues du point de vue endogène, et dont on attend d’ailleurs de plus en plus des

productions scientifiques autochtones.

3 En nous installant à Balgo (son premier chapitre, pp. 15-51) et à Yagga Yagga, à environ

900 km d’Alice Springs, en marge de la route menant vers les villes côtières du Nord-

Ouest australien, sur le terrain de communautés de langue Kukatja auprès desquelles

s’est établie à la fin des années 1930 une mission catholique, Sylvie Poirier ne craint pas

de nous relater les « résistances » et les « incompréhensions » qui ont émaillé les

différents épisodes de son « intégration » progressive au sein de cette population. Un

cahier de deux cartes, deux peintures et huit photographies originales en noir et blanc

sur des scènes locales d’initiation, de chasse, de boomerang et de voyage cérémoniel

complète notre familiarisation avec les lieux. Loin de nous « éloigner » du sujet, ces

préalables, outre qu’ils contribuent à nous fournir les assises méthodologiques réelles

de l’intervention anthropologique au sein d’une population inconnue, d’une manière

bien moins idyllique que ne le laissent souvent percevoir les écrits a posteriori, nous

amènent au cœur du sujet, qui est en effet de passer de l’extérieur à l’intérieur, de

l’exogène à l’endogène, de l’implicite à l’explicite, finalement de l’inconnu vers le

connu partagé. Sylvie Poirier nous entraîne avec elle dans la réévaluation critique de

tous les poncifs australiens et extra-australiens qui en jalonnent ses déserts et ses

cultures. Sa première surprise sera de se découvrir dans la posture des Kartiya (Blancs),

dont la conception Kukatja fait des « esprits malveillants » (p. 19), et dont la suite du

livre devra sinon corriger l’image, du moins réduire la distance culturelle. Après

« l’installation critique » sur le terrain, nous voilà prêts à reprendre, un à un, les

chantiers thématiques récurrents de cette partie du désert, pensée comme un « jardin

nomade ».

4 Le premier thème soumis à l’examen (chap. 2, pp. 52-91) est celui de l’ancestralité.

L’auteure est fidèle au concept qui est devenu central et premier dans l’affichage du

titre de l’édition anglaise, à savoir de la pluralité des relations à établir à partir de

chaque concept clé. Aucun thème n’est donc abordé « en soi » et dans la perspective

d’un isolat sémantique, pas plus celui d’« ancestralité » qu’un autre. Au contraire,

Sylvie Poirier tisse patiemment l’écheveau des relations qui unissent et entrelacent

chaque concept à de nombreux autres. Ici l’ancestralité qui entre dans la définition du

« complexe multidimensionnel » Tjukurrpa (p. 53) que nous retrouverons à propos du

« rêve », n’est plus simplement vue comme une simple dimension verticale, mais elle

est mise en « relation » avec une vision du monde, des « points saillants » du désert et

des « itinéraires mythiques ».

5 De même, dans le chapitre 3 (pp. 92-120), la cosmologie focalisée sur des « identités

composites » est mise en « relation » avec la « socialité » et la « mobilité ». Le chapitre 4

(pp. 121-153) construit la « connaissance » elle-même comme « relation » et « manière

d’être », ce qui nous éloigne évidemment – et c’est bien le moins – des visions

kantiennes ou au contraire empiristes de nombre de philosophies occidentales. Le

décentrement final est à ce prix.

6 Dans le chapitre 5 (pp. 154-197), Sylvie Poirier nous introduit aux fondamentaux du

rêve comme état et du rêve comme action. Ce n’est pas seulement la matière des rêves

qui importe mais aussi la manière qui est significative. Le rêve, dit-elle, et l’événement

ne font qu’un. Plus exactement, leur mise en « relation » ouvre toutes les relations

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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possibles. Le fait de « relier » est plus important que celui de « comprendre ». La

« socialité » dérive fondamentalement de cette posture de mise en « relation ».

Compréhension sans relation équivaut à une absence de « socialité ». La « bonne

connaissance » est « sociale » ou elle n’est pas.

7 Le chapitre 6 (pp. 198-241) nous amène à mettre en « relation » la « vitalité rituelle » et

la « mobilité ». Celle-ci est la fin de l’itinérance et en même temps son

recommencement. La boucle est fermée, mais pas sur elle-même. Au contraire, l’infini

des possibles est relié à la mobilité. La mobilité est ainsi elle-même sociale, socialité et

socialisation.

8 La conclusion (pp. 242-256) peut ainsi nous inclure nous-mêmes dans le voyage au

monde des « relations » tissées entre l’ancestralité, les itinéraires mythiques, le rêve et

l’historicité. Cela ne signifie pas que la distance entre les Kartiya et les Kukatja soit

abolie. Au contraire, Sylvie Poirier conclut sur le constat d’incompatibilité entre les

deux « mondes », celui du postmodernisme occidental dans lequel « le sujet est fait

d’objets » et celui des Aborigènes d’Australie dans lequel « la personne est un sujet

composé de relations entre humain et non-humain ainsi que d’instances ancestrales »

(p. 255), et dans lequel l’imaginaire est constamment mis en relation avec l’historicité.

9 La revue thématique critique opérée par Sylvie Poirier sur des concepts ressassés en

Australie n’a rien de scolaire et cette réévaluation a toute son utilité d’autant qu’elle a

été réalisée avec finesse et, comme on l’a dit, avec une remarquable empathie.

L’auteure a le don de présenter sur un mode narratif des notions qui ressortissent à des

ontologies et des métaphysiques bien éloignées de celles de la tradition occidentale.

Son récit – parce que son livre peut être considéré comme un long récit – traite de

thèmes qui apparaissent au premier abord comme des thèmes abstraits, mais qui

prennent, sous son analyse narrative, une épaisseur historique et quotidienne telle

qu’ils deviennent rapidement des morceaux de vécu intense qui semblent nous

incorporer dans l’analyse. Bref, une fois installés, on a envie de rester, tant la mise en

« relation » avec les porteurs de rêves et de science du rêve finit par nous attacher à

une relation où chacun trouve sa place.

10 S’il y avait une réserve à formuler, ce serait peut-être l’insatisfaction que l’on pourrait

éprouver par rapport à un certain de nombre de termes endogènes manquants, même

si une trentaine d’entre eux a été soigneusement épluchée au fil de l’écriture critique

qui les a mis en scène. On regrettera aussi que les quelque quarante récits mobilisés

pour servir l’argumentaire général de l’ouvrage ne soient pas transcrits dans la langue

des Kukatja, ne serait-ce que pour contribuer à la patrimonialisation des « langues en

danger ». On a beau dire que les langues sont dorénavant l’affaire des linguistes et qu’il

faut respecter l’interdit de la mention des noms de personnes décédées, toute

entreprise anthropologique majeure doit faire des corpus endogènes une priorité

incontournable. Mais l’immersion dans la longue durée de la culture étudiée a sans

aucun doute qualifié Sylvie Poirier pour faire parler autant les rêves que la science

locale, qui trouve précisément dans les rêves non seulement une modalité d’expression,

mais une de ses principales ressources. Aller jusqu’au bout de la ressource est

l’itinéraire principal de l’ouvrage, indépendamment des kilomètres parcourus sur le

terrain.

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Un musicien chez les coupeurs de têtesde Michel DINTRICH

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

DINTRICH Michel, 2009. Un musicien chez les coupeurs de têtes, Paris, Mille et une nuits,

272 p., cahier de 16 p. d’illustrations couleur, nombreuses ill. noir et blanc dans le texte.

1 Entre les derniers jours de juin et les premiers d’août 1985, l’auteur de ce livre, un

quinquagénaire français, guitariste classique de renom, attiré par les arts océaniens et

les joies du dépaysement, visite le sud de l’Indonésie, en tâchant de rejoindre à

moindres frais la mer d’Arafura et la côte des Casuarines, but de son voyage. C’est là

qu’il espère recueillir des impressions… et des objets d’art asmat. Ancien élève d’une

académie de peinture bien connue à Paris, il se remet pour l’occasion au dessin et à

l’aquarelle. Selon le récit qu’il livre ici de son périple, les esquisses qu’il accumule dans

son carnet (et dont quelques-unes sont reprises dans ce volume) lui seront parfois plus

utiles auprès de ses interlocuteurs de rencontre que le vocabulaire malais ou les dollars

dont il dispose – sans parler d’un appareil photographique dont son récit ne dit mot,

mais d’où proviennent d’autres illustrations de son livre. S’y trouvent aussi reproduits

certains des objets qu’il a rapportés en France, une série d’ornements de nez bipane, un

mât mbis compatible avec l’ordinaire hauteur sous plafond d’un appartement parisien,

ainsi qu’une photographie d’André Breton dans son atelier.

2 L’engouement de Michel Dintrich pour les arts asmat lui est venu, écrit-il, d’un bouclier

de ce style qu’il a vu accroché au centre du grand mur de l’atelier du 42, rue Fontaine à

Paris, plusieurs lustres après la mort du poète. Cet objet, aujourd’hui visible au centre

Pompidou, mais absent des dernières photographies prises in situ du vivant de Breton,

telles celles de Sabine Weiss en 1960, n’était pas la plus spectaculaire des pièces

représentatives des arts du Pacifique accumulées dans cet atelier. Un crâne asmat, non

cité par l’auteur, aurait pu tout aussi bien justifier sa prédilection exclusive et son

projet de voyage, dont les ressorts demeurent ainsi obscurs ou confus. Maintes

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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inexactitudes de fait (sur la date de la mort de Breton, p. 32, sur le nombre d’objets de

la baie de Geelvink en sa possession, nettement supérieur à « deux », p. 30, comme le

montre encore le film tourné en 1994 dans l’atelier par Frédéric Maze pour le centre

Pompidou, etc.) suggèrent que l’auteur n’a pas été si attentif qu’il le dit à cette

collection ou au contexte social qu’il lui prête, certaines des scènes qu’il rapporte en

contrepoint de son récit ayant trouvé des témoins pour les contester. La part du livre

consacrée au séjour chez les Asmat (pp. 140-225), abondamment ponctuée d’anecdotes

complaisantes sur le passé scout, les premières armes ou les concerts du musicien,

marque un intérêt non moins expéditif et superficiel à « ces guerriers redoutables, jadis

réputés dans toute la Nouvelle-Guinée (sic) pour leur cruauté » (p. 145).

3 L’auteur en convient et semble s’en accommoder, il lui est « difficile de se débarrasser

des archétypes véhiculés à propos des sauvages, surtout quand ces derniers sont

réputés extrêmement dangereux, de surcroît anthropophages » (p. 168), car une fois

que « ces rudes coupeurs de têtes » (p. 201) leur ont remis leurs prises,

« frénétiquement, leurs épouses […], avec une férocité bestiale, les font rôtir pour en

extraire la cervelle » et la manger (p. 202, voir aussi p. 213, etc.)… Ces descriptions sont

rendues encore plus effrayantes par l’emploi d’un « présent ethnologique » indistinct

d’un « présent de narration » constant dans l’ouvrage et d’un « présent d’actualité » qui

n’y est pas rare non plus. S’il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’une recette parmi d’autres

en vue de fabriquer un « coup d’éditeur » conforme aux règles du récit à sensation, les

ignorances et les complaisances du narrateur et héros de ce bref séjour chez les Asmat

révèlent plutôt l’étendue de sa naïveté, ou l’ampleur de celle qu’il attend d’un public

entiché d’« arts premiers » aussi bien que d’« expériences vécues ».

4 L’ouvrage n’ayant nulle ambition savante, ethnographique ou littéraire, il n’y a pas lieu

de discuter de son intérêt sous ces angles-là, non plus que sur le plan du « rêve » ou de

« l’escapade onirique » (pp. 262-263) où cherche à le faire valoir (et l’exempter de toute

critique) l’auteur inconditionnellement ravi de la préface et de la postface, concluant,

entre autres abus de formules et excès de langage, que la parole de Michel Dintrich est

« toujours envoûtante ». II n’y a pas lieu davantage (en tout cas ici) d’apprécier, dans ce

livre qui se présente sous des auspices poétiques non négligeables (en exergue p. 13,

une citation d’Océanie, texte écrit par Breton en 1948), tout ce qui y sépare « le signe et

la chose signifiée » dont il se réclame et qui fut énoncée il y a plus de soixante ans d’un

tout autre point de vue. Restent certains faits dont la mise en valeur ou l’omission

semblent significatives de l’esprit de ce récit d’un voyage entrepris en 1985 et proposé

en librairie près d’un quart de siècle plus tard.

5 À son arrivée à Agats en juillet 1985, le narrateur dut débarquer clandestinement du

bateau de la ligne « pionnière » (perintis) de liaison inter-îles de la compagnie de

navigation gouvernementale PELNI, sur lequel il était « le seul Blanc » (p. 142) depuis le

port d’Ambon, et qui venait de relever des soldats sur la côte mimika. M. Dintrich avait

omis de demander l’indispensable permis de voyage (surat jalan), il ignorait

apparemment que la région était en ébullition, après les événements de 1981 (emploi

de napalm, bombardement d’Enarotali…), le soulèvement raté de Jayapura en 1984, la

fuite de milliers de réfugiés en Papouasie Nouvelle-Guinée, et des centaines de civils

tués encore au cours du printemps 1985. Heureusement, survinrent des Asmat qui le

firent échapper au contrôle de police :

« Athlétiques, debout dans leurs pirogues effilées, ce sont des guerriers olympiens.Leur peau brune souligne le bipane de coquillage blanc qui leur traverse la cloisonnasale et leur donne un aspect farouche. » (p. 141)

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6 Quand ils le prirent à bord de leur « frêle embarcation » pour le déposer à Agats, le

narrateur se sentit « devenu le héros de ces bandes dessinées [ayant enchanté son]

enfance, en particulier celle de Tarzan l’homme-singe », etc. (p. 142).

7 C’est aussi en arrivant à Agats qu’il apprit l’existence d’un « musée local » (qu’il ne

nomme pas), « composé de plusieurs cases », et se fit remettre par son conservateur

(qu’il ne nomme pas davantage) une photocopie (reproduite p. 139) de la carte du pays

asmat « établie en 1961 par Michael Rockefeller » avant sa disparition, ainsi qu’une liste

« des meilleurs sculpteurs locaux » (reproduite p. 153).

« Je me garde bien, commente M. Dintrich, de lui dire que ses informations vont àl’opposé de ce que je suis venu chercher. En effet, les curios, c’est-à-dire les objetsfabriqués pour être vendus aux touristes, n’ont aucun intérêt pour moi : n’étant pasdes incarnations d’aïeux, ils n’ont aucune valeur sacrée. Persuadé qu’il existe un artasmat encore vivace […], je décide de me rendre dans plusieurs villages reculés où jetrouverai peut-être mon bonheur. »

8 Les pages qui suivent narrent comment l’auteur multiplia les visites et les achats auprès

des sculpteurs de la liste, dans les villages mêmes qui lui avaient été indiqués sur la

carte…

9 À cette époque, l’Asmat Museum of Culture and Progress, ouvert à Agats en 1973, avait

déjà édité plusieurs publications et pouvait se flatter d’avoir contribué à une exposition

annoncée dans nombre de pays occidentaux, et notamment à Paris. Présentée au

Metropolitan Museum de New York du 11 juin à la mi-septembre 1985, elle

s’accompagnait d’un livre-catalogue dû à Tobias Schneebaum, l’un des fondateurs et

des plus actifs soutiens du musée d’Agats, avec de remarquables dessins de cet ancien

élève de Rufino Tamayo, également visibles au MET à cette occasion. Elle faisait suite

aux initiatives d’Adrian A. Gerbrands (à partir de 1960) et surtout de Jac Hoogerbrugge

(dès avant 1969) pour encourager les sculpteurs asmat à entretenir leurs traditions, fût-

ce en les adaptant aux conditions du marché international de l’art « primitif », voire

contemporain. Dès la fin des années 1970, l’arrivée sur le marché occidental de pièces

asmat de création récente semait le trouble, suscitant de vives discussions sur

« l’authenticité » de tous les objets provenant de cette aire de style, ainsi qu’un intérêt

non dénué de suspicion pour les initiatives de l’Asmat Museum.

10 À Agats même, l’auteur se fit ainsi livrer « un poteau funéraire blanc, ocre et noir,

d’environ six mètres de long […] Le sculpteur auquel je l’avais commandé a travaillé

d’arrache-pied pour l’achever avant mon départ […] Évidemment, le bisj qui m’est

destiné n’est qu’un simulacre […] Il n’empêche que je suis heureux de posséder cette

sculpture digne d’un grand musée » (pp. 220-223). Il fit expédier deux caisses d’objets,

une première munie d’un « papier officiel […] sorte de laissez-passer indispensable à la

sortie des marchandises hors du pays » (p. 192), et dont il prit livraison en banlieue

parisienne quelques mois après (p. 239) et une seconde, chargée à quelques jours

d’écart et finalement « saisie par les militaires » indonésiens (p. 244). À Paris, il invita

des « amis », un « collectionneur américain », « deux représentants du Musée des arts

africains et océaniens », etc., à contempler ou à se disputer son butin, pour

« s’approprier [son] aventure » (p. 242).

11 Une fois passés ces moments d’effervescence, M. Dintrich dit ne s’être plus intéressé

aux Asmat qu’à l’occasion de compositions musicales (en 2003 et 2005) et au hasard

d’une brocante parisienne où il dénichait en 2007 « un curios asmat, c’est-à-dire un objet

fabriqué après l’arrivée des missionnaires », qu’il crut devoir acheter (p. 254).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

209

L’imperturbable frivolité étalée tout au long de l’ouvrage n’est sans doute pas une

attitude isolée, elle pourrait même s’avérer répondre à des attentes de vacanciers

enchaînant sur les plages les lectures « d’étonnants voyageurs ». Mais, s’agissant des

Asmat et de leur génie plastique, et venant d’un artiste professionnel qui se prétend au

fait de l’esthétique occidentale ayant tenu le meilleur compte du « legs des civilisations

sauvages », ce livre pousse l’indifférence et l’inintelligence jusqu’au mépris, et il ne

mérite d’être connu qu’à titre de contre-exemple et de repoussoir.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

210

Becoming Art. Exploring Cross-CulturalCategories de Howard MORPHY

Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

MORPHY Howard, 2007. Becoming Art. Exploring Cross-Cultural Categories, Oxford & New-

York, Berg Publishers, 234 p. , bibliogr., index, notes, 59 fig. en noir et blanc.

1 Howard Morphy, directeur de l’École de recherche en humanités à l’Université

nationale australienne de Canberra (ANU), tire parti de son expérience de terrain pour

remettre en question l’ensemble des catégories d’analyse appliquées à la pratique

artistique en contexte ethnique. Son expérience spécifique du Nord de l’Australie, en

Terre d’Arnhem, et plus particulièrement auprès des Yolngu, n’est pas le résultat de la

rencontre d’un jour, mais d’une longue fréquentation de trente-cinq ans (1973-2008).

Mieux, il a été le témoin du changement radical d’appréciation occidentale de la

production artistique locale, d’abord considérée comme simple artisanat ethnique (à la

limite de l’artefact d’aéroport pour touristes) avant d’être reconnue comme art

justiciable du qualificatif de « beaux-arts » (« fine art », p. XI) et comme tel classable

dans les grandes collections de niveau mondial. De là, la limpidité du titre de l’ouvrage

Becoming Art dédié à ce renversement de perspective (comment ce qui n’était pas vu

comme art est, à la génération actuelle, « en train de devenir art »), et du sous-titre

stipulant une « exploration de catégories transculturelles ». Autrement dit, l’auteur ne

se contente pas d’un compte rendu de terrain, il ambitionne d’en dégager une nouvelle

théorie. L’ouvrage analyse le passage du local au global, tout en évitant le piège de la

réduction du « global » à l’ethnocentrisme occidental élevé au rang d’un universalisme

de jure.

2 La mise en cause de l’ethnocentrisme de la critique d’art n’est évidemment pas

nouvelle. Il y a plus d’un demi-siècle, Claude Lévi-Strauss, par exemple, tenait des

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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propos comparables sur les productions « ethniques » de la Colombie britannique et

proférait ce jugement alors anticipateur :

« L’époque n’est pas lointaine, sans doute, où les collections provenant de cettepartie du monde quitteront les musées ethnographiques pour prendre place dansles musées des beaux-arts, entre l’Égypte ou la Perse antiques et le Moyen Âgeeuropéen. » (1943 : 176)

3 Une véritable profession de foi, avant la lettre, pour l’intégration des « arts premiers »

dans les collections du Louvre, voire un exercice divinatoire pour susciter la création

d’un musée du quai Branly privilégiant la dimension esthétique d’objets autrefois

simplement ethnographiques !

4 Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si la première figure – sur les cinquante-neuf que

recèle l’ouvrage d’Howard Morphy – nous offre justement un coin de plafonds et murs

du musée du quai Branly aux couleurs aborigènes, et sur fond de Tour Eiffel en cadrage

oblique – cela ne s’invente pas ! L’inspiratrice australienne de ces peintures murales,

Mme Gulumbu Yunupingu, de culture yolngu, apparaît elle-même au premier plan de

cette figure, nous permettant de mettre un nom et un visage sur l’œuvre réalisée, ce qui

est précisément le propre de toutes les œuvres cotées sur le marché de l’art. Je

reviendrai sur l’iconographie de l’ouvrage un peu plus loin. Ce qu’il y a de convaincant

dans la démarche de Howard Morphy, c’est que celle-ci va jusqu’au bout de son propos

et qu’elle y va même doublement, à la fois en explorant toutes les facettes possibles des

catégorisations applicables aux œuvres d’art, et en parcourant jusqu’à son terme

l’expérience singulière de la production yolngu de l’Australie du Nord. Pratiques et

théories sont dévoilées et analysées d’un même regard.

5 Les trois premiers chapitres (pp. 27-86) nous installent dans l’histoire de l’art spécifique

des Yolngu, de sa période la plus ancienne qui est rapportée par l’auteur au XVIIIe siècle,

jusqu’à sa prise en considération dans la catégorie des « beaux-arts » (« fine arts ») qui

se situe au milieu du XXe siècle. Cette première partie est essentiellement descriptive.

L’on y apprend que les premières collections d’objets furent constituées par des

missionnaires (révérend Chaseling en 1937, p. 48) puis par des anthropologues et des

scientifiques (Berndt en 1946, Mountford en 1948, p. 51), avant d’être promues par une

exposition spécialement dédiée à l’art aborigène (galerie d’art David Jones à Sydney en

1949, p. 53). Mais le tournant de cette histoire d’art est à dater, selon Morphy, de 1958,

année de la décision d’un chirurgien, Stuart Scougall, et d’un directeur-adjoint de

musée, Tony Tuckson, d’admettre des collections aborigènes à l’Art Gallery of New

South Wales (p. 54). Décision historique qui, cette fois-là, a précédé de quelque

quarante ans l’initiative du Louvre ou du quai Branly, puisqu’en faisant entrer les

œuvres au musée des beaux-arts en lieu et place du musée ethnographique, on s’est mis

à requalifier des œuvres « folkloriques » en œuvres d’art à part entière. Pour Morphy,

même s’il ne partage pas la distinction sèche entre « artistique » et « ethnographique »

(p. 55), le changement d’affectation spatiale fut le signal traduisant un changement de

catégorisation dans le classement des œuvres. Cette question est reprise en détail

jusqu’à son chapitre 8, mais elle est transposée dans l’intervalle sur un plan théorique.

6 La deuxième partie du livre (pp. 87-172) ouvre ainsi la discussion théorique sur les

questions de représentation (chap. 5), de style et de signification (chap. 6), ainsi que de

discours de légitimation en matière artistique (chap. 7). Sur le plan théorique, la

nouveauté de perspective réside dans le positionnement de l’artiste au centre de la

fixation de la valeur, et non plus à la périphérie du marché de l’art. Selon l’auteur, le

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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critique d’art n’a plus le monopole du jugement artistique, mais l’artiste local entre

dans la dynamique du changement de catégorisation et joue un rôle actif dans la

création artistique répondant aux critères internationaux.

7 Une troisième partie de l’ouvrage, bien que plus succincte (pp. 173-195), peut alors

librement s’adonner à appliquer les conclusions tirées de la discussion théorique à la

situation de l’artiste local face aux galeries d’art mondiales. Le chapitre de conclusion

proprement dit (pp. 187-195) ne se prive pas de capitaliser les acquis de la

démonstration faite sur l’exemple australien des Yolngu pour l’étendre à des cas de

figure qui transgressent allègrement toutes sortes de frontières, d’ailleurs souvent plus

idéologiques et financières que culturelles et historiques.

8 Partant d’une analyse processuelle d’un exemple concret, il aboutit à une claire

détermination de la genèse de la catégorie d’« art », non seulement comme catégorie

exogène, mais aussi comme catégorie endogène. Car l’innovation corollaire, c’est

l’alternative positive qu’il propose, sous la forme de la possibilité de transformation, à

la fois endogène et exogène, d’une conception esthétique dont le blocage transculturel

initial est levé. Nul ne doute qu’il s’agisse d’une question importante, puisque

concernant potentiellement dix mille cultures, et pas seulement les cultures

australiennes directement analysées.

9 Questionnant les catégories d’analyse généralement produites pour appréhender l’art

aborigène, l’auteur revendique le double angle critique d’une approche

anthropologique et d’une histoire de l’art pour discuter la pertinence du discours

occidental sur des œuvres non occidentales. Il ne fait pas que dénoncer un perpétuel

ethnocentrisme, mais il offre une alternative fondée sur un argumentaire

méthodiquement établi. Si l’on suit le cheminement retracé par Howard Morphy sur un

exemple australien, force est de conclure que c’est une décision individuelle de

directeur de musée de beaux-arts qui a été déterminante dans la réévaluation de la

production artistique précédemment considérée comme simplement « ethnique ». Si on

voulait le dire plus simplement, on dira qu’on est passé d’un art « populaire » ou

« folklorique », le plus souvent anonyme, à un art « élitiste », individualisé et coté sur le

marché international de l’art. La démonstration théorique de Howard Morphy montre

deux choses : que le concept d’art est historiquement situable, quelles que soient les

cultures en présence ; que les producteurs d’art sont associés ou associables à

l’inscription d’une production artistique à un niveau mondial. Sur ce point, Howard

Morphy propose une définition transculturelle de l’art incluant dimension esthétique

et dimension sémantique (p. XI et passim). Même si certains auteurs contestent toute

catégorisation occidentale ségrégative de l’art et y dénoncent son « hyper-

sémantisation » (par exemple, Laplantine, 2009), on doit reconnaître que l’analyse de

Morphy reste un des exemples les plus aboutis d’une observation fine associée à un

effort de théorisation transculturelle.

10 Revenons cependant à l’iconographie du livre qui contient cinquante-neuf figures

présentées exclusivement en noir et blanc, et partagées entre des photographies

d’événements de terrain et des photographies reproduisant des œuvres d’artistes. Si la

première série des illustrations ne souffre pas de leur édition en noir et blanc, la

seconde série, celle des œuvres, oblige normalement à recourir à une édition en

couleur. On ne comprendrait pas que l’on puisse par exemple présenter uniquement

par des illustrations en noir et blanc la peinture italienne de Canaletto ou d’un artiste

contemporain coté. Il est aujourd’hui relativement facile d’incorporer un cahier de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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planches en couleur dans n’importe quel ouvrage. Ne pas le faire, dans le cas particulier

de cette étude d’art australien, pourrait signifier que le chromatisme n’est pas

pertinent dans les peintures « aborigènes », ou que la lecture de la couleur est réduite

au contraste entre une couleur plus claire et une couleur plus foncée (ce que donne

effectivement le rendu d’une illustration en noir et blanc), mais ce qui est évidemment

un contre-sens par rapport à ce que Howard Morphy veut nous donner à comprendre

de l’art australien.

11 De plus, l’art coté impose ses règles de présentation des œuvres : outre le nom du

créateur, le titre et la date de l’œuvre, il est d’usage d’en indiquer les matériaux utilisés

et les dimensions. Ici on peine à savoir ce qui est tapisserie, écorce peinte ou peinture

murale. Il est à mon avis contre-productif de vouloir démontrer le rehaussement de

l’art ethnique à un niveau d’art coté, en ne respectant pas le code de présentation des

œuvres cotées. Revenir au noir et blanc « ethnographique », alors que les « beaux-arts »

travaillent expressément en couleur est, me semble-t-il, la seule « erreur » matérielle

de ce livre. L’édition, dans sa version actuelle, dessert le dessein théorique.

12 Au-delà des points d’articulation de l’argumentaire, ce qui retient l’attention c’est la

perspective globale qui se dégage de cette pénétrante étude locale. La proposition

principale consiste à placer les artistes eux-mêmes au centre de l’argumentaire

critique. Ce nouveau recentrement est à la clé du nouveau déploiement de la critique de

l’œuvre d’art (ou jugée comme telle). La question du clivage entre art populaire et art

de cotation n’est sans doute pas épuisée, et cette étude n’est ni la première – celle-ci

étant attribuée à l’historien de l’art Aby Warburg considérant dès 1895 que la culture

artistique hopi de l’Arizona est « aussi élaborée que la peinture italienne de la

Renaissance » (réédition 2003, citée par Laplantine, 2009) –, ni la dernière à s’y

attacher ; mais elle constitue indéniablement une contribution théorique majeure à la

catégorisation des œuvres d’art ethnique et post-ethnique dans un monde globalisé.

BIBLIOGRAPHIE

LÉVI-STRAUSS Claude, 1943. The Art of the Northwest Coast at the American Museum of Natural

History, Gazette des Beaux-Arts, New-York, pp. 175-182.

LAPLANTINE François, 2009. Son, images et langage. Anthropologie esthétique et subversion, Paris,

Beauchesne.

WARBURG Aby, 2003. Le rituel du serpent. Art et anthropologie, Paris, Macula.

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Art and Exoticism. An anthropology ofthe yearning for authenticity de PaulVAN DER GRIJP

Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

VAN DER GRIJP Paul, 2009. Art and Exoticism. An anthropology of the yearning for

authenticity,Berlin, Lit Verlag, 358 p., bibliogr., index.

1 Le nouvel ouvrage de Paul Van der Grijp, professeur d’anthropologie dont l’université

Lumière-Lyon 2 s’est attaché les services, est une excellente plongée dans un

« penchant culturel» qui semble aller de soi et que nous hésitons à remettre en cause :

notre appétence pour l’exotique et notre souci pour de l’authentique. Il complète

l’approche des arts déjà développée dans un livre antérieur, écrit dans la perspective

des collectionneurs, Passion and Profit: Towards an Anthropology of Collecting (2006). Entre

« l’anthropologie des collecteurs » et « l’anthropologie de la recherche d’authenticité »,

on devine que la seconde prolonge, en l’affinant, la quête de l’objet d’art et des désirs

avoués ou inavoués qu’elle suscite et comble tout à la fois.

2 Question distance, nous sommes servis, puisque l’angle d’attaque est d’une certaine

manière océaniste, l’ouvrage s’ouvrant et s’achevant sur les appréciations portées par

Victor Segalen sur son expérience polynésienne. Au début de son livre, Paul Van der

Grijp tient les appréciations du médecin de marine arrivé en 1903 à Tahiti, pour des

réflexions premières, de type anthropologique, non ethnocentriques, sur la question de

l’altérité culturelle. Même s’il ne critique jamais son insertion dans le système colonial

français, Victor Segalen lui apparaît comme une sorte de premier anthropologue qui ne

mystifie ni n’idéalise les cultures qu’il rencontre avec empathie. Quelques extraits de sa

biographie serviront donc de moteur au dessein exploratoire de l’ouvrage. Paul Van der

Grijp a même repris à son avantage un projet explicite, mais sans cesse différé, de

Victor Segalen, qui était de publier un ouvrage sur l’exotisme.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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3 Celui-ci parut finalement à titre posthume – assez tardivement puisqu’il fallut attendre

l’année 1978, mais avec un certain succès puisqu’il fut réédité dès 1986, sous le titre

d’origine Essai sur l’exotisme. Le projet de Van der Grijp est quelque peu différent : il fait

de Segalen une sorte de ludion de son livre, le consacrant guide imaginaire de son

exploration conceptuelle pour parcourir le vaste espace des amateurs du « regard

éloigné » et des collectionneurs de tous horizons. Ce faisant, son livre – que l’on n’ose

qualifier de « catalogue » car il ne comporte malheureusement aucune illustration, à

l’exception de la page de couverture qui nous présente en noir et blanc un masque

facial anonyme photographié par l’auteur – nous entraîne dans une revue complète

d’un siècle de peinture occidentale et d’expériences artistiques des antipodes passées

au prisme des influences exotiques et des apports extérieurs. Mais ce parcours est lui-

même un prétexte pour explorer le concept d’exotisme et rationaliser celui

d’authenticité. Pour parvenir à ses fins, l’auteur pratique le travelling oblique,

s’arrêtant à plusieurs gares et ancrant dans plusieurs ports.

4 Le livre s’ouvre ainsi sur le mouillage du navire de Victor Segalen à Java (p. 7) – sans

rappeler expressément la date de cette escale de retour : est-ce pour installer l’auteur

des Immémoriaux dans une sorte de pérennité paradigmatique ? – et il s’achève, pour

définir l’exotisme, sur un dépassement de la conscience d’altérité telle qu’imputée au

même auteur (p. 318). Entre ces deux repères, Paul Van der Grijp procède à des rappels

périodiques de son auteur de référence, à la fois pour baliser le terrain conceptuel et

pour débusquer l’exotisme sur le marché de l’art qu’il répertorie au fur et à mesure

qu’il nous le fait découvrir au loin et redécouvrir à domicile.

5 Les six premiers chapitres, dont le chapitre introductif, sont alloués à une analyse

conceptuelle dans laquelle le concept d’exotisme est successivement rapproché, sans

s’y dissoudre, des concepts de différence culturelle (chap. 1), de globalisation (chap. 2),

d’antiquité, de paradis et de rapport à la nature (chap. 3), de civilisation et d’esthétique

(chap. 4), de collection et de distance (chap. 5), et enfin d’érotisme (chap. 6). Les

arguments théoriques sont entrelacés d’observations concrètes et d’anecdotes vivantes.

On appréciera ainsi aux pages 65-69 le taux des trocs pratiqués, sur leurs terrains

respectifs, par Malinowski et Firth pour l’acquisition d’objets « exotiques » contre des

objets manufacturés (hameçons, pipes et couteaux). Ou encore l’érotisme induit par les

cartes postales exotiques d’époque (pp. 81-87).

6 Par allusions furtives, nous retrouvons ensuite Victor Segalen déambulant à travers

une histoire de l’art comme témoin théorique de l’évolution des conceptions artistiques

qui se bâtissent à coups d’inspirations exotiques. Comme Moussorgski dans sa visite des

« Tableaux d’une exposition », Paul Van der Grijp sait reconstituer (chap. 7 à 11)

l’atmosphère des mouvements artistiques européens qui se sont succédé à partir de

l’orientalisme d’Eugène Delacroix jusqu’aux peintures en extérieur des

impressionnistes et aux ateliers abondant en arts nègres des fauves, cubistes,

surréalistes et dadaïstes ultérieurs. Chaque halte de l’auteur devant les œuvres d’un

Millet, Courbet, Pissarro ou Gauguin (chap. 8) est l’occasion de mesurer ce que ces

« inventions » artistiques doivent à l’inspiration de modèles « exotiques ». La

biographie de Victor Segalen reprend à l’année 1903 (p. 131), au moment de son

débarquement aux Marquises où Gauguin vient de décéder, et à la période où il acquiert

sept peintures de cet artiste qui n’est pas encore considéré comme un maître, aux

enchères improvisées de Papeete. Le propos de Paul de Van der Grijp est alors d’insérer

l’histoire de Segalen dans l’histoire d’un Gauguin à l’exotisme non encore reconnu.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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7 La visite du XXe siècle de la peinture occidentale s’arrête un bon moment devant Picasso

(chap. 9) et devant le cours des écoles formelles de l’époque (chap. 10). L’étude est

érudite et fouillée, se faisant plaisir, entre autres, à nous conter la genèse au jour le jour

des Demoiselles d’Avignon. Mais Van der Grijp y ajoute de son pinceau d’ethnographe, en

nous conviant, pour clore cette revue européenne, à trois études de cas d’artistes

contemporains du sud de la France (chap. 11) qui apportent au débat leur propre

conception de l’exotisme.

8 À partir de là, le livre opère une véritable bifurcation dans l’analyse, en croisant les

regards sur des terrains non occidentaux, et en nous amenant à juger de l’exotisme en

sens alterné. Un balayage dialectique est effectué sur les influences réciproques entre

l’Orient et l’Occident au Japon, en Chine et en particulier à Taïwan (chap. 11). Dans un

genre où il excelle, l’auteur convoque ensuite d’autres études de cas, principalement

empruntées aux terrains tongiens (chap. 12), fidjiens et néo-zélandais (chap. 13), où il

s’est rendu sur les marchés locaux. Des artisans communs ou des artistes émergents

font part de leurs critères d’authenticité et d’inspiration artistique. Pour connaître les

canons qu’ils appliquent à leurs productions artistiques ainsi que leurs sources

d’inspiration, Paul Van der Grijp prend langue à Tonga avec Lopati, Ofa, Tevita, Feleti,

Kaufili et Tomasi (pp. 208-212). Nous apprenons ainsi que leur première préoccupation

est l’accès à un marché approprié pour commercialiser leurs œuvres. Leur définition de

« l’authenticité » des œuvres est référée sans ambiguïté aux traditions séculaires :

« faire du tongien », « faire du fidjien » ; mais la pratique de l’innovation n’est pas

interdite pour autant. « Je veux que chaque pièce soit différente, déclare Lopati ; je

n’aime pas me répéter ! » (p. 252). Ce qui en dit long sur la capacité à innover dans des

productions censées s’inspirer de modèles traditionnels. Le livre examine le cas

particulier des matières premières (ivoire, matières osseuses, corail noir) qui font

intervenir l’obligation de respecter les conventions internationales concernant les

espèces protégées (chap. 14 et 15). Celles-ci n’empêchent ni les amateurs de satisfaire

leur goût pour l’exotisme, ni les artistes de continuer à faire face à la demande.

9 Victor Segalen réapparaît en conclusion (p. 318), au moment à l’auteur pose le bilan de

son investigation antipodique, au terme du parcours qui nous aura amenés du bateau

de Polynésie jusqu’aux galeries parisiennes, tout en nous ayant introduit aux ateliers

outre-mer de différents continents et sous-continents, de l’Asie à l’Océanie notamment.

La définition multicritère initiale de l’exotisme selon Victor Segalen (p. 9) qui a servi

d’amorce à cette exploration tous azimuts, est alors passée au crible des exemples et

des contre-exemples qui ont nourri l’argumentaire du livre. Paul Van der Grijp est en

mesure de proposer à son tour six critères définissant l’authenticité (pp. 315-316),

reconnaissant que le critère de la « qualité artistique » est l’un des plus difficiles à

valider. Quoi qu’il en soit, il refuse plusieurs réductions qui lui semblent attachées au

concept d’exotisme de la version Victor Segalen. La seule reconnaissance de la distance

culturelle et de l’incompréhension culturelle, telles que stipulées par l’auteur de

référence, ne lui suffit pas. Car il lui manquerait la contrepartie identitaire qui mérite

au minimum une réciprocité de perspectives, celle qui est justement fournie par une

approche de type ethnographique. De même, la réduction au « primitivisme » le

priverait de sa dimension inconsciente, qui nécessite sans aucun doute le recours à une

approche de type psychanalytique. Enfin le rapprochement avec le concept d’érotisme

lui fait dire qu’il faudrait inclure une approche de genre dans la conception de

l’exotisme. Et de conclure par l’obligation d’approfondir l’examen des motivations

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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sous-jacentes au concept. Manière de dire que, malgré la profusion des exemples déjà

mis en scène dans l’ouvrage, la porte est ouverte pour d’autres investigations

conceptuelles aussi circonstanciées.

10 Il est évidemment dommage que l’ouvrage traite de son sujet « en aveugle »,

puisqu’aucune image ne vient corroborer le discours roboratif de l’auteur. C’est

probablement dire sa volonté de se situer à un niveau plutôt théorique et d’être plus

proche d’un essai philosophique que de celui d’un critique d’art. Mais si les productions

de l’histoire de l’art occidental qui jalonnent sa démonstration nous sont connues,

celles des « jeunes écoles » artistiques du Pacifique, de Taiwan, de Fidji, de Tonga ou de

Nouvelle-Zélande ne nous le sont pas, et il est donc difficilement concevable que nous

analysions des formes, des emprunts et des pratiques éloignées, en quelque sorte par

procuration. Sur ce point, il eût été préférable de travailler sur pièce et de montrer

toutes les productions artistiques utiles à la démonstration. Les études de cas auraient

donc gagné à être illustrées, au sens que l’impression « esthétique » produite par une

œuvre est médiatisée par sa mise en présence effective, ne serait-ce que par un

dispositif iconographique minimal. Cette réserve faite, ce livre est suffisamment riche

en documentation écrite et en discussion théorique pour susciter un intérêt qui ne

s’arrête pas à sa seule lecture.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Creative Spirits. Bark Painting in theWashkuk Hills of North New Guinea de Ross BOWDEN etRouge kwoma.Peintures mythiques de Nouvelle-Guinée sous la direction de Magali MÉLANDRI et Maxime ROVERE

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

BOWDEN Ross, 2006. Creative Spirits. Bark Painting in the Washkuk Hills of North New Guinea,

Melbourne, Oceanic Art Pty Ltd, x-204 p., tableaux, bibliogr., index, carte, 137

photographies noir et blanc et couleur.MÉLANDRI Magali et Maxime ROVERE (s. d.), 2008.

Rouge kwoma. Peintures mythiques de Nouvelle-Guinée, Paris, Réunion des musées

nationaux-Musée du quai Branly, 96 p., bibliogr., carte, 52 illustrations en couleur.

1 Les Kwoma sont des habitants des collines, comme ils se nomment eux-mêmes, vivant

sur la rive gauche du Sépik, à environ 200 km à vol d’oiseau de l’embouchure de ce

fleuve, non loin d’Ambunti, où un poste de patrouille australien fut établi dès 1924.

Leurs collines, les Washkuk Hills, dominent de 250 mètres tout au plus le cours du

fleuve, qui n’est alors qu’à 45 mètres au-dessus du niveau de la mer. Moins d’un millier

en 1936 selon le dénombrement de Whiting (1941 : 5), entre 1 700 et 2 000 au début des

années 1970 (Kaufmann, 1979 : 311 ; Bowden, 1983 : 8 ; 2006 : 2-3), ils seraient au

nombre de 4 000 aujourd’hui (Mélandri et Rovère, p. 46), peut-être en leur adjoignant

leurs voisins et apparentés Nukuma. De remarquables ethnologues ont consacré à leurs

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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coutumes et à leurs arts des études détaillées, qui en font, du point de vue occidental,

une des sociétés les mieux connues du bassin du Sépik.

2 Fort différents dans leur volume et leur ambition, les deux ouvrages ici réunis ont pour

sujet commun des peintres kwoma contemporains et leurs œuvres acquises par des

institutions muséales de type occidental. Traditionnellement réalisées sur spathe de

feuille de sagoutier au moyen de quatre couleurs d’origine minérale (noir, blanc, jaune

et rouge), ces peintures étaient destinées à orner les maisons des hommes, dont la

longévité était d’une génération environ. De l’un de ces édifices, Wayipanal à Bangwis,

démoli en 1994, 25 ans après sa construction, tandis que ses peintures étaient brûlées,

seules des photographies gardent trace aujourd’hui, enregistrant d’ailleurs la

dégradation progressive de ces œuvres in situ (Bowden, pp. 4, 5, 7, 8, 10, 12-13, 36, 44,

46, 52-54, 58, 63, 65-66, 68-74, 90, 92). À défaut de pouvoir préserver ces témoignages de

la peinture traditionnelle kwoma qu’il avait étudiée dans son admirable ouvrage publié

en 1983, commander à leurs auteurs toujours vivants d’autres échantillons destinés à

une conservation durable fut l’une des préoccupations de Ross Bowden, qui en

recueillit 125 de la main de six créateurs principaux, entre 1972 et 1988. Principalement

conservées à Melbourne (National Gallery of Victoria) et à Port Moresby (Papua New

Guinea National Museum and Art Gallery), ce sont ces œuvres qu’il présente et analyse

dans Creative Spirits, « livre d’art » aux illustrations abondantes et soignées

(spécialement dans le chap. 10 et dernier, « Six painters and their paintings »,

pp. 101-188).

3 L’exposition « Rouge kwoma » présentée au musée du quai Branly entre le 14 octobre

2008 et le 4 janvier 2009 avait pour centre les peintures acryliques sur papier ou sur

toile de trois artistes kwoma d’aujourd’hui, Raymond Kowspi Marek et ses deux fils

Chiphowka et Agatoak Kowspi, dont le catalogue reproduit une quarantaine d’œuvres.

Agréable à voir et bien équilibrée, l’exposition les confrontait à une vingtaine de

peintures traditionnelles (dont l’une due à l’un des artistes étudiés dans Creative Spirits),

et à une quinzaine de beaux objets représentatifs de l’ancien mode de vie kwoma, qu’on

regrette de voir à peine figurés dans la publication correspondante, qui se présente

comme une revue d’art sans ambition scientifique. Elle entend surtout souligner la

« pratique picturale résolument moderne » des Kowspi, qui « s’inscrit résolument dans

la démarche souhaitée par le musée de mettre à l’honneur les arts contemporains

extra-européens », comme écrit « résolument » Stéphane Martin, président du musée,

dans son avant-propos. De fait, Raymond Kowspi, dont Ross Bowden avait publié une

belle photo en tenue de cérémonie pour une fête célébrée en décembre 1973 (Bowden,

1983, pl. 19a), a d’abord vendu des peintures traditionnelles à des musées occidentaux,

à l’instar d’autres artistes kwoma, avant d’adopter, lui et ses fils, les médiums

« modernes » au début du nouveau siècle. Aujourd’hui conservés par le Fonds régional

d’art contemporain de Picardie, leurs plus anciens travaux à l’acrylique visibles dans

cette exposition datent de 2001.

4 Tandis que ce catalogue s’attache au présent et à l’avenir de peintres d’origine kwoma

que leur succès international rapproche du statut des artistes occidentaux, l’ouvrage de

Ross Bowden envisage la peinture traditionnelle kwoma principalement dans ses

sources anciennes et ses dernières productions de style « classique » (chap. 5, « The

Kwoma Style », pp. 45-57). Entre autres apports, il éclaire les principes de composition

en miroir ou en symétrie ainsi que beaucoup de motifs empruntés au monde naturel.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Cette perspective « classique » le conduisait à m’écrire, en accompagnement de son

livre :

« After all, the book deals with some very complex and controversial theoreticalissues (e.g. repatriation, how indigenous peoples understand what Europeans call“art”, etc.). »

5 Sujets d’autant plus délicats que selon les observations formulées par Christian

Kaufmann dès 1979 (pp. 313-315, voir aussi la précieuse mise en perspective historique

du même auteur, « La peinture kwoma : une forme artistique en contexte », pp. 49-56

du catalogue de 2008), après avoir quasiment disparu ou s’être beaucoup réduite dans

les années 1950 et 1960, l’ornementation sculptée ou peinte des maisons des hommes

kwoma édifiées dans la décennie suivante adoptait un parti pris de surcharge peu

apprécié des anciens, cette « tendance au baroque » semblant surtout dictée par la

volonté ou la nécessité de présenter des productions culturelles « aux voisins, aux

représentants du gouvernement, et par-dessus tout, aux touristes blancs ». Ross

Bowden décrit les principaux effets de cette évolution (chap. 9, « Recent

Developments », pp. 89-100) : emploi de peintures laques industrielles, introduction de

nouveaux motifs locaux ou venus de l’extérieur, recours au genre figuratif, apposition

de signatures à l’exemple des artistes occidentaux…

6 S’agissant d’œuvres réalisées pour les ethnologues et les musées, à l’instar des

sculptures asmat (ou copies de style ?) commandées et acquises par Adrian Gerbrands

en 1960-61, ou de productions destinées aux touristes et au marché international de

l’art, la question de « l’authenticité » ethnographique prend des dimensions excédant

tout ce qu’on pourrait en dire dans le cadre réduit de cette rubrique. Elle interfère

souvent avec celle de la « valeur » esthétique de ces expressions artistiques, que le

catalogue de l’exposition parisienne présente implicitement comme hors de doute,

principalement en raison de leur caractère « transculturel », « fondamental » selon

Yves Le Fur (p. 73), en ce qu’il les fait échapper à la « critique artistique interne, comme

elle peut exister dans les communautés ». Au contraire, selon Ross Bowden qui

consacre un important développement à ce sujet (chap. 7, « Aesthetic Values and

Artistic Creativity », pp. 69-81), ces peintures ne trouvent véritablement leur sens et

leur valeur que rapportées aux sources surnaturelles ou spirituelles que leur assignent

les Kwoma, en comparaison desquelles les talents et les productions artistiques des

humains sont d’importance ou de prix dérisoire. Ainsi explique-t-il que les

propriétaires de Wayipanal, alors la plus ancienne des trois maisons des hommes de

Bangwis, n’aient eu aucun regret ni scrupule à détruire ce « monument historique » en

ruine pour lui substituer un bâtiment neuf.

7 Nette dans le principe, cette opposition n’est pas toujours aussi tranchée dans les faits

ou les détails exposés par ces deux publications. Les maîtres d’œuvre du catalogue et de

l’exposition de Paris ne manquent pas de faire valoir le même « critère interne »

d’appréciation des peintures contemporaines, « l’ensemble qu’elles forment avec le

recueil de mythes » (p. 73), tout comme les traditions dans lesquelles elles s’inscrivent :

« L’aptitude à l’innovation a toujours fait la valeur des artistes » kwoma (p. 45). Telle

était aussi une des leçons du premier livre que leur avait consacré Ross Bowden, où

plusieurs passages (1983 : 42, 99-100) insistent sur le rôle du rêve dans l’invention

artistique traditionnelle. Son ouvrage de 2006 (pp. 76-77) mentionne brièvement le rêve

comme une source parmi d’autres inspirant l’artiste kwoma et ses diverses « mains ».

C’est qu’à côté des mains encore guidées par les songes, les esprits, la tradition et

l’habileté, il y a désormais la main qui signe à la manière occidentale, et c’est à elle que

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Ross Bowden consacre ici les plus amples développements (pp. 99-100 ; voir aussi

pp. 78-81, sur l’« anonymat artistique » et la notion d’art du point de vue kwoma).

8 En 1997, dans son panorama des arts contemporains de Nouvelle-Guinée (où ne figure

aucun artiste kwoma), Susan Cochrane faisait observer (p. 29) que « l’intrication

(integration) de toutes les formes d’art est inhérente aux cultures de Papouasie

Nouvelle-Guinée », alors que « dans la culture occidentale, des institutions culturelles

et éducatives distinctes existent pour exposer et montrer les arts plastiques et les arts

vivants, avec des individus hautement spécialisés dans des formes artistiques

particulières », très différemment de ce qu’étaient les « spécialistes » traditionnels du

Pacifique. Examinant en 1970 les rapports antagoniques du folklore et des cultures

vivantes l’ayant nourri, le premier terme incluant l’« art d’aéroport » (p. 143) et toutes

les productions « esthétiques » destinées à l’exportation, Michel Leiris remarquait aussi

a contrario que « l’attribution d’un statut folklorique à un élément de culture vivante »

pouvait résoudre « le problème posé par l’incompatibilité » de deux systèmes opposés

de société et de « développement ».

9 On ne parle plus guère de folklore aujourd’hui, le terme semblant aussi honteux que

dépassé, pour avoir cessé de faire recette au cours de ce dernier demi-siècle. Mais, tel

que le proposent les galeries et musées des pays « développés » à un public

apparemment séduit et heureux d’être « dans la tendance », il se pourrait que l’art

contemporain d’inspiration traditionnelle issu d’anciens pays colonisés soit aujourd’hui

appelé à jouer un rôle similaire, celui de résoudre brièvement, et avant tout sur le plan

symbolique, les problèmes d’incompatibilité désignés si lucidement par Michel Leiris,

qui les liait à la question à la fois obscène et poignante de la vie et de la mort des

cultures et des sociétés. Ni dans le livre de Ross Bowden ni dans le catalogue de

l’exposition parisienne on ne trouvera évidemment d’interrogation aussi brutalement

formulée à propos de la situation présente et future des Kwoma ou de leurs arts visuels.

Il n’échappe pourtant à personne, artistes, commentateurs, gens de musée, public des

rives du Sépik ou du bassin parisien, que cet enjeu implicite surdétermine toute

appréciation « esthétique » portée aux peintures contemporaines formant le sujet de

ces deux publications. À suivre ce livre et ce catalogue tous deux de grand intérêt, on

entrevoit tout ce que la formule que Baudelaire était allé chercher chez Stendhal, « la

peinture n’est que de la morale construite », pourrait éclairer dans ce qu’ils donnent à

voir et à comprendre de la peinture contemporaine kwoma.

BIBLIOGRAPHIE

BOWDEN Ross, 1983. Yena. Art and ceremony in a Sepik society, Oxford, Pitt Rivers Museum.

COCHRANE Susan, 1997. Contemporary Art in Papua New Guinea, Sydney, Craftsman House.

GERBRANDS Adrian A., 1967. Wow-Ipits. Eight Asmat Woodcarvers of New Guinea, The Hague-Paris,

Mouton.

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222

KAUFMANN Christian, 1972. Das Töpferhandwerk der Kwoma in Nord-Neuguinea, Basel, Pharos, Basler

Beiträge zur Ethnologie 12.

—, 1979. Arts and Artists in the Context of Kwoma Society, in S. M. Mead (ed.), Exploring the Visual

Arts of Oceania, Honolulu, Hawaii University Press, pp. 310-334.

LEIRIS Michel, 1992 [1970]. Folklore et culture vivante, Zébrage, Paris, Gallimard, pp. 133-156.

WHITING John W. M., 1941. Becoming a Kwoma. Teaching and Learning in a New Guinea Tribe, New

Haven, Yale University Press.

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Journeys Towards Progress. Essays of aGeographer on Development andChange in Oceania de Ray WATTERS

Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

WATTERS Ray, 2008. Journeys Towards Progress. Essays of a Geographer on Development and

Change in Oceania, Wellington, Victoria University Press, 303 p., avant-propos et

postface, bibliogr., index, 5 cartes, cahier de 12 photos N&B et cahier de 12 photos

couleur.

1 Ce livre ravira les anthropologues du développement. D’autant qu’il a été écrit par un

géographe ! Au terme d’une carrière bien remplie, l’auteur, géographe retraité de

l’université Victoria de Wellington, revient sur les principales étapes de son itinéraire

professionnel qui correspondent à autant d’expertises de plans de développement sur

des terrains océaniens, expertises effectuées à la demande de l’Administration coloniale

et postcoloniale britannique. On pourrait s’attendre à un simple discours de

légitimation des actions conduites pendant trente ans de vie active, mais le résultat va

heureusement au-delà de la rhétorique d’autosatisfaction. C’est bien pour cela qu’il

nous intéresse. Les mises en œuvre pragmatiques appellent un minimum de réflexivité.

C’est ce qui leur confère, à mon sens, un intérêt élargi par rapport aux questions

rétrospectives et prospectives de l’Océanie insulaire. Engageant l’autobiographie dans

une entreprise autocritique que le lecteur ne manquera pas d’apprécier, le livre ouvre

toutes grandes les portes des questions cruciales du « développement des îles »

traduites en termes de plans habituellement exogènes.

2 Fondée sur une sélection d’articles et d’extraits d’ouvrages publiés antérieurement,

l’autobiographie est construite en cinq étapes géographiques (Fidji, Kiribati, Nouvelle-

Bretagne, Vanuatu, Cook) qui sont tout à la fois des étapes chronologiques (de 1958 à

1989), des étapes professionnelles (expertises, enseignement et recherche) et des étapes

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théoriques (modélisations du développement), ou du moins des réflexions frappées au

coin du bon sens sur les expériences positivement ou négativement concluantes.

Chaque étape est soulignée par une carte (que l’on pourra paradoxalement juger

« minimaliste », venant de la part d’un géographe), par des photographies prises par

l’auteur (au total, douze en noir et blanc, et douze en couleur), et des tableaux

récapitulant les données quantitatives utiles. D’habitude, nous avons des travaux

d’anthropologues fréquentant quelques notions de géographie. Ici nous avons la

position inverse d’un géographe se rapprochant sérieusement de travaux

d’anthropologues (notamment Firth, Sahlins, Bonnemaison, Geertz et Marcus).

3 Après une introduction aux modèles théoriques exploités (du « mode de production

villageois » au MIRAB), la première étape nous fait débarquer, en trois chapitres

(chap. 5-6-7, pp. 94-154), aux îles Fidji, bien avant l’indépendance de 1970, puisque

l’auteur se trouve dès 1958 dans le village de Nalotawa, dans l’île principale de Viti

Levu, pas très loin de l’actuel aéroport international de Nadi, l’incontournable

carrefour aérien du Pacifique-Sud où à peu près tout le monde a fait au moins escale.

L’auteur y est envoyé à cette époque en qualité de chercheur en géographie appliquée.

Il en fera le premier volet d’un triptyque construit de manière contrastive entre un

village « traditionnel » – presque l’idéal-type du village colonial – qu’il opposera d’une

part à une localité qui s’industrialise dans le contexte des plantations de canne

(Sorolevu, où la main-d’œuvre indienne transférée par la puissance coloniale s’impose

par sa masse et sa nouvelle autonomie sur un terrain qui ne lui appartient pas) et qu’il

confrontera d’autre part à une économie prédatrice des ressources naturelles mesurées

à l’aune des critères écologistes plus récents : déforestation, assèchement,

bouleversements environnementaux. Il reprend l’analyse de situation là où sa thèse

soutenue à Oxford l’a laissée, sous le titre qui fleure bon le titre fondateur de Raymond

Firth Social change at Tikopia et qui est devenu ici Koro : Economic Development and Social

Change at Fiji (1969). L’analyse se faisait visiblement dans un contexte colonial encore

intact, et les étapes suivantes de l’auteur vont nous entraîner dans des projets post-

indépendantistes, dont il est intéressant de mesurer les contrastes d’avec l’étude

fidjienne de référence.

4 Trois chapitres plus tard (chapitres 9-10-11), la deuxième étape nous installe aux îles

encore appelées Ellice et Gilbert en 1971, quand l’auteur y débarque au terme de trois

années passées dans les Salomon. Son projet est là aussi piloté par la puissance

coloniale. L’étude porte le passage d’une richesse en foncier transmutée en richesse de

production, où les concepts de « richesse en biens de subsistance » et « richesse en

argent » sont totalement « entrelacés » aux dires de l’auteur (p. 163). « Bien que le

concept traditionnel soit encore de la plus grande importance – et que la vraie richesse

provienne de la possession des terres – il est rapidement évident pour tous que le

nombre de palmes porteuses sur une parcelle de terre devient d’une importance

décisive » (p. 163). Bref le passage à l’économie de marché est testé positivement aussi

bien à Butaritari qu’à Abemama (chap. 10).

5 Nouvelle étape de projet en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’intitulé du chapitre 11

« Cercle vicieux à Kandrian-Gloucester » donne le ton d’une expérimentation

développementaliste qui tourne à l’échec. L’analyse de Ray Watters fait intervenir le

défaut de voies de communication et symétriquement le faible intérêt local pour la

production de cultures de rente afin d’expliquer les causes d’échec du développement.

Il n’est pas certain que l’analyse serait partagée par des « experts » d’une autre

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discipline qu’économiste, ou par des consultants plus sensibles à des critères

« endogènes » qu’exogènes. Comme on le verra, ce point rejaillit sur les questions de

fond.

6 Le contraste entre « indépendance, coutume et développement » revient dans le titre

du chapitre 12 consacré à des projets qui ont pour terrain le Vanuatu à la charnière de

son indépendance de 1978. Une fois encore, l’auteur est mandaté par le Ministère

britannique du développement de l’outre-mer pour expertiser en 1977 les conditions

du passage imminent à l’indépendance. Le rapport de type « développemental » vire de

l’économie à la politique, car l’auteur est témoin des développements (en un autre sens)

du mouvement Nagriamel de Jimmy Stevens. Il en tire profit pour analyser les

composantes des partis politiques naissants en posant la question de savoir si leurs

fondements sont politiques ou religieux (p. 238). Sans doute qu’une ethnographie plus

académique lui aurait permis, là encore, d’aborder la question de manière –émique

plutôt qu’-étique, et de façon « endogène » plutôt qu’« exogène ». Et de tirer des leçons

de « développement politique moderne » sans qu’un autre type de modernité soit

envisagé que celui de la modernité occidentale. Or des études sur l’obligation pour

chaque tradition d’inventer sa modernité ont depuis lors largement balisé ce terrain, y

compris sur le plan politique et en Asie (par exemple au Japon), pour que l’on ne se

risque plus à procéder par comparaison simple avec le monotype occidental.

7 Un dernier chapitre nous fait visiter quelques micro-États du Pacifique-Sud (Cook, Niue

et Tokelau notamment, sous des statuts divers) et nous renvoie à l’acronyme de MIRAB

(Migration-Remittances-Aid-Bureaucracy) qui est le modèle d’expertise économique qui a

prévalu dans les États océaniens en remplacement de l’économie coloniale d’import-

export antérieure. Cette abréviation qui signifie « émigration – transfert de fonds des

émigrés – assistance – bureaucratie » est pour Ray Watters et pour d’autres chercheurs

(Evans, 1999) l’un des sésames d’expertise des modèles de « développement » insulaire.

Le livre fait bien de poser la question de conclusion (chapitre 14) : « A-t-on fait des

progrès ? » Pour l’auteur, la réponse est mi-figue, mi-raisin, mais il se force à garder

une attitude positive envers les principes directeurs de ses actions passées et de

légitimer ce qui a été pour lui un succès personnel. L’âge et l’expérience aidant, il

s’autorise même à juger de l’efficacité comparée du développement de pays ayant

choisi l’indépendance intégrale (Samoa) et de celui d’autres (Cook par exemple) ayant

opté pour des indépendances sous association avec l’ancienne administration coloniale

(p. 314).

8 Reste une question de fond, celle de l’idéologie du développement (Rist, 2001), qui se

nourrirait autant des travaux de Jürgen Habermas, sur « l’idéologie de la technique »

comme conditionnement d’un rapport de forces colonial et/ou postcolonial qui ne dit

pas son nom, que de ceux d’un autre chercheur, d’ailleurs géographe comme Watters,

qui annonce la « fin du mythe du développement » (François, 2003), autre manière

d’avoir une position réflexive sur la question. Ray Watters consacre bien quelques

lignes à « l’invention du développementalisme » (p. 40), mais son évocation s’arrête à

l’inventaire de la trajectoire du phénomène sans aborder son évaluation critique

proprement dite. Dès lors, toutes les critiques sur les plans de développement qu’il a

conduits ne s’engagent que sur des questions de procédures en termes de succès et

d’échec, mais sans remise en cause du concept lui-même. Cela dit, l’itinéraire

autobiographique qu’il nous propose nous apprend à mesurer dans le détail sur le

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terrain les multiples facettes de chaque projet mené, ainsi que le bilan en quelque sorte

« consolidé » de chacun d’eux. Et cela en soi vaut la lecture.

BIBLIOGRAPHIE

FRANÇOIS Alain, 2003. Le concept de développement : la fin d’un mythe, L’Information géographique

66, pp. 323-336.

EVANS Mike, 1999. Is Tonga’s MIRAB economy sustainable? A view from the village and a view

without it, Pacific Studies 22, pp. 137-166.

RIST Gilbert, 2001. Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de sciences po.

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Jahrbuch der StaatlichenEthnographischen SammlungenSachsen sous la direction de ClausGilles Bounoure

RÉFÉRENCE

Claus DEIMEL (Herausg.), 2007. Jahrbuch der Staatlichen Ethnographischen Sammlungen

Sachsen, Band XLIV, Berlin, Verlag für Wissenschaft und Bildung, 240 p., nombreuses

photos dans le texte, frontispice et 24 pl. d’illustrations hors texte.

1 Il n’est pas d’usage de traiter de périodiques dans cette rubrique, mais la publication

dont il s’agit ici mérite une exception. En dépit de sa numérotation, elle porte un titre

inédit jusqu’en 2007 : elle succède au prestigieux Jahrbuch des Museums für Völkerkunde

zu Leipzig, dont la première livraison fut publiée en 1907, comme le rappelle au dos du

présent volume Claus Deimel, directeur de ce musée. Le dernier numéro de ce Jahrbuch

du musée de Leipzig, Band XLII , ayant été édité en 2004, on comprendra que la date de

parution – 2007 – assignée à ses deux successeurs est une aimable fiction, destinée à

mieux marquer ce centenaire tout en faisant connaître les efforts de réorganisation et

de modernisation des musées d’ethnographie saxons, avec la mise en commun de leurs

moyens et par conséquent de leurs publications. De fait, le nouveau Jahrbuch, Band XLIV,

qui est parvenu à la rédaction du JSO en mai 2009 et dont il s’agit ici, porte la date de

2007 sur sa couverture, tout comme le volume 43 paru en 2008 chez LIT Verlag à Berlin.

2 Comme par le passé, cette livraison s’intéresse à divers continents, à diverses époques,

à divers sujets ethnographiques ou ethnologiques… et cette variété n’est pas moins

riche d’enseignements que les dossiers thématiques développés dans nombre de

publications de ce type. Par exemple, l’article que consacre Carola Krebs, la

conservatrice des collections du Sud-Est asiatique à Leipzig, à « Radcliffe-Brown, Chicago

und die Andamanen » (pp. 13-30) devrait intéresser tout ethnologue (fût-il océaniste et

ici hors de son « domaine de compétence ») curieux de voir ce grand nom de

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l’anthropologie sociale britannique à la fois « sur le terrain » et s’efforçant de

perfectionner ses idées et ses méthodes. S’agissant des musées de Dresde et de Leipzig,

aux collections océaniennes incomparables (et moins endommagées par les

bombardements de la Deuxième Guerre mondiale qu’on ne l’a estimé longtemps), les

travaux de réorganisation et même de reconstruction (pour le second) ne peuvent

laisser indifférent. Ils sont évoqués en tête et en fin de volume, où l’on trouve

également une réflexion de portée générale (« Haben Völkerkundemuseen eine Zukunft ? »,

pp. 195-204), sous la plume de Wulf Köpke, qui dirige le musée d’ethnographie de

Hambourg depuis 1992 et dont l’expérience est probablement sans équivalent

aujourd’hui.

3 Pour l’Océanie elle-même, à côté des utiles rapports de la conservatrice de ce

département à Leipzig, Marion Melk-Koch, il faut avant tout retenir le bref mais dense

article que consacre Hans Fischer à la poterie des Wampar, jadis connus sous le nom de

Lae-Womba (« Töpfe und Scherben. Prozesse der Aufgabe, Übernahme, Abgrenzung und

Vereinheitlichung in Papua New Guinea und die ethnographische Wahrnehmung », pp. 99-129).

Illustré de trente photographies, de cartes et de relevés de motifs et de formes, il

complète les nombreux travaux consacrés par cet ethnologue aux habitants du bassin

moyen de la Markham, dans la province de Morobe (à propos de ce type d’objet et de

production, voir notamment Fisher,1963 : 66-67 ; 1968 : 311 ; 1978 : 348, index, s.v. Topf).

Le grand intérêt de cette étude, impossible à résumer ici, tient à la fois aux objets qu’il

envisage et dont l’importance est mieux reconnue aujourd’hui qu’il y a quelques

décennies, et à son esprit « pluridisciplinaire » caractéristique de la « vieille école »

allemande, qui croise les angles de recherche et touche de la sorte un plus grand

nombre de lecteurs.

4 Tout en livrant une description concise de la production céramique des Wampar et de

leurs proches voisins, avec de précieuses investigations sur le symbolisme des motifs

mis en œuvre (pp. 111-117), Hans Fischer l’insère dans un exposé historique situant

remarquablement bien ce peuple « austronésien » dont les voisins, au nord, au sud et à

l’ouest, parlent des langues papoues. S’appuyant largement sur la littérature antérieure

(dont les rapports des premiers missionnaires qu’il avait si attentivement étudiés et

publiés dans ses publications précédentes), il souligne les principaux effets des

changements culturels et matériels survenus dans cette vallée, non seulement depuis

son premier séjour du printemps 1958, mais même depuis les premiers contacts avec

les Blancs venus chercher de l’or puis l’installation d’une mission luthérienne en 1911.

C’est néanmoins l’attention qu’il porta en 1965 à des tessons semi-enterrés dans un

jardin wampar, comme il en avait trouvé en 1958 chez les Watut, qui conduisit ses

informateurs à les attribuer soit à des ancêtres reculés, soit à des êtres humains

disparus mais aux esprits toujours redoutables, et l’amena finalement lui-même à cette

recherche. Il y rassemble ses observations personnelles et celles de chercheurs plus

récents, les données disponibles dans les collections des musées allemands, et avance

(pp. 126-127) de très importantes hypothèses sur la diffusion de la poterie dans cette

région, laissant entrevoir des échanges de nombreux autres éléments de culture,

particulièrement avec les Anga et les Adzera. Les cinq observations de méthode

concluant l’article sont évidemment à lire, venant d’un savant si distingué, et qui signe

là une étude exemplaire de densité et d’intérêt.

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BIBLIOGRAPHIE

FISCHER Hans, 1963. Watut. Notizen zur Kultur eines Melanesier-Stammes in Nordost-Neuguinea,

Braunschweig, Albert Limbach Verlag.

—, 1968. Negwa. Eine Papua-Gruppe im Wandel, München, Klaus Renner Verlag.

— (Hg.), 1978. Wampar. Berichte über die alte Kultur eines Stammes in Papua New Guinea,

Bremen, Im Selbstverlag des Übersee-Museums.

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Atoga No Mangareva, histoiremangarévienne. Regards croisés sur leRongo de CahorsSarah Mohamed-Gaillard

RÉFÉRENCE

COLLECTIF, 2009. Atoga No Mangareva, histoire mangarévienne. Regards croisés sur le Rongo de

Cahors, université Toulouse-Le Mirail, master Patrimoine 2008-2009, musée de Cahors

Henri-Martin, 111 p., bibliographie, cartes, illus. couleur.

1 Ce bel ouvrage est né de la redécouverte, en 2000, dans les réserves du musée de Cahors

Henri-Martin, d’une statuette faussement classée comme une divinité néo-

calédonienne. La pièce, donnée au musée en 1835 par Joseph Bonafous-Murat, fut

identifiée par Laurent Guillaut (conservateur en chef du musée de Cahors) et Claude

Stefani (alors attaché de conservation du patrimoine au musée des Beaux-Arts de

Chartres) comme une représentation anthropomorphique d’une divinité polynésienne,

Rongo, divinité qui se trouve être liée à la pluie, à la fertilité et à l’abondance. La

découverte est importante. Haute de 73 cm, cette statuette, taillée dans une pièce de

bois de tamanu, est en effet la sixième représentation connue du dieu Rongo et la seule

à être parée d’un pagne (voir la contribution d’Hélène Guiot, pp. 47-49). Le Rongo fut

l’une des pièces maîtresses de l’exposition que le Musée du quai Branly consacra, en

2009, à « Mangareva, panthéon de Polynésie ».

2 Laurent Guillaut ouvrit alors l’enquête pour comprendre l’histoire de cette statue et

son parcours de Mangareva, île de l’archipel des Gambier, à Cahors. Cette recherche fut

couronnée par l’organisation d’une exposition au Musée Bonafous-Murat de Cahors et

l’édition d’un ouvrage confiée à la promotion 2009 du master Patrimoine de Cahors,

rattaché à l’université Toulouse-Le Mirail. À travers neuf communications richement

illustrées, ce beau livre rend accessible au grand public l’histoire encore peu connue de

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cette île des Gambier et, au-delà, révèle l’histoire croisée de deux « pays » de l’Empire

français. C’est donc un récit à plusieurs voix que propose cette histoire mangarévienne.

3 L’archipel des Gambier, sans doute peuplé depuis le Xe siècle, fut aperçu et nommé par

le capitaine du Duff, le 24 mai 1797. Mais l’équipage de ce navire, conduisant les

premiers missionnaires de la London Missionary Society en Polynésie, ne toucha pas terre,

découragé par l’attitude hostile des insulaires. La société mangarévienne était alors

fortement hiérarchisée. Tara Hiquily, dont l’article (pp.15-23) utilise largement les

observations, quoique imparfaites, du père Honoré Laval (1968) et les travaux de Peter

Buck (1938), souligne la complexité de l’organisation sociale, religieuse et matérielle de

l’île. Bien que difficile d’accès et à l’écart des grandes routes de navigation traversant

l’océan Pacifique, l’archipel des Gambier fut visité en 1825 par l’équipage du Blossom,

navire anglais commandé par Frederick William Beechey. Ce premier contact, comme

ce fut le cas dans de nombreuses autres îles d’Océanie, donna lieu à des tirs de la part

des Européens pour punir les vols commis par les insulaires.

4 Après les navigateurs, arrivèrent en 1834 les missionnaires qui découvrirent une

population déjà affectée par les maladies introduites dans l’archipel par les Européens.

Les pères Caret et Laval, missionnaires de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus,

baptisèrent dès 1836 l’akariki (le chef) Maputeoa, ce qui entraîna la conversion de

l’ensemble de l’île. L’archipel des Gambier devint dès lors un bastion catholique en

Polynésie. Parallèlement à l’action missionnaire et en réaction à l’annexion de la

Nouvelle-Zélande par la Grande-Bretagne en 1840, la France plaça, cette même année,

l’archipel sous son protectorat mais l’acte ne fut ratifié qu’en 1881, sur fond de

nouvelles tensions franco-britanniques. Durant quarante ans, la mission s’imposa donc

comme l’unique autorité de l’archipel, instaurant une véritable théocratie.

5 Tout en replaçant l’archipel dans le maelström des ambitions missionnaires et

coloniales qui toucha l’ensemble de l’Océanie au XIXe siècle, Claire Laux (pp. 51-65)

montre comment les missionnaires picpusiens tinrent l’archipel des Gambier à l’écart

des « influencespernicieuses » (p. 51) des navigateurs et aventuriers européens en

quête de richesses et de paradis terrestres (cf. Christian Coiffier, pp. 25-33). La volonté

du père Laval de préserver sa « cité idéale » des maux de l’Occident (cf. Claire Laux,

p. 53) en fit un opposant déclaré à la colonisation et ses relations avec les Européens

approchant l’archipel furent souvent exécrables. À l’anticolonialisme du père Laval et

des missionnaires picpusiens répondit bientôt un anticléricalisme colonial, largement

porté par les représentants de la France qui présentèrent la colonisation comme une

libération du poids missionnaire. La controverse faisait du lucre, de la dépravation et

du déclin des populations autochtones ses principaux thèmes de débats. À partir des

années 1870, la mission compta moins de missionnaires et fut affaiblie par les critiques

diffusées par les détracteurs du Père Laval. Les îles Gambier illustrent bien les relations

complexes qu’entretinrent, en Océanie, les missions avec le pouvoir colonial et qui

souvent, ne se réduisirent pas à la collaboration du sabre et du goupillon.

6 Comme ailleurs en Océanie, l’action des missionnaires bouleversa profondément la

société traditionnelle. Outre la conversion et la prohibition de la nudité, les

missionnaires introduisirent de nouveaux éléments de la faune et de la flore (cochons,

chèvres, bananiers, patate douce par exemple), définirent de nouveaux usages sociaux,

des codes de lois et sanctionnèrent ceux qui ne s’y pliaient pas… Les missionnaires

transformèrent également le paysage par l’édification de bâtiments religieux et

l’organisation d’un habitat regroupé autour des lieux de culte. L’église Notre-Dame-de-

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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la-Paix construite sur l’île d’Akamaru, en 1837, fut ainsi le premier édifice catholique

bâti en Océanie ; en 1839, la première église en pierre fut érigée sur l’île voisine

d’Aukena. Les picpusiens mobilisèrent donc la population mangarévienne autour de la

construction de dizaine de bâtiments dont la monumentalité et les décors travaillés

participaient à l’enracinement de leur influence dans l’archipel tout en symbolisant la

reconstruction de l’Église catholique après le Concordat de 1801. Les chrétiens

mangaréviens furent également sollicités pour aider à la construction d’autres édifices,

tel la cathédrale de Tahiti, en 1856-1857.

7 Un des grands intérêts de cet ouvrage collectif est de replacer Mangareva au cœur des

grands enjeux européens dans le Pacifique tout en relevant les liens unissant, à partir

de 1835, l’histoire locale de la région aveyronnaise et de l’archipel des Gambier.

L’origine lotoise du donateur du Rongo au musée de Cahors puis les missionnaires

picpusiens sont au cœur de ces histoires croisées.

8 Entré dans la Marine en 1805, Joseph Bonafous-Murat, neveu du roi de Naples et beau-

frère de Napoléon, fut nommé en 1832 capitaine de la frégate la Thisbée et commandant

de la station du Brésil et des mers du Sud, en remplacement d’Abel Dupetit-Thouars.

Arrivée au Brésil en 1833, la Thisbée assuma plusieurs missions de reconnaissance et de

protection des intérêts français sur les côtes sud-américaines avant d’appareiller pour

la France, en mai 1834. Au terme de ce voyage et sans s’être rendu dans les îles

d’Océanie, Joseph Bonafous-Murat était en possession de onze objets polynésiens dont

le Rongo de Mangareva qu’il versa au musée de Cahors, en janvier 1835. Si l’histoire de

la collecte du Rongo et de sa transmission à Joseph Bonafous-Murat demeure

mystérieuse, elle permit à la statuette aux yeux de lune d’échapper aux destructions

des idoles qu’engagèrent les missionnaires nouvellement débarqués à Mangareva.

9 Les pères Laval et Caret furent rejoints, dès 1835, par plusieurs religieux lotois et

aveyronnais ; régions qui envoyèrent dans les années suivantes de nouveaux

missionnaires aux Gambier et plus largement en Polynésie. Comment expliquer ces

liens ? Après le Concordat et en pleine période de renouveau du catholicisme français,

Cousin de Grainville, évêque de Cahors, Rodez et Montauban de 1802 à 1808, puis de

Rodez de 1808 à 1822, permit l’implantation dans ces diocèses de communautés

religieuses dont la congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus qui s’investit fortement

dans l’instruction des jeunes garçons et filles. Or en 1833 le Pape confia à cette

congrégation le vicariat apostolique de l’Océanie orientale. Il était naturel qu’une partie

des vocations missionnaires suscitées par les picpusiens dans la région aveyronnaise, se

tournassent vers ces îles. De même, il existe une correspondance entre l’ancrage

forézien des pères maristes en charge de l’évangélisation de la Mélanésie, et l’origine

forézienne d’une partie des missionnaires et des colons présents en Nouvelle-

Calédonie. Entre 1834 et 1866, neufs missionnaires du Lot et de l’Aveyron partirent

pour les Gambier, dont quatre périrent en mer en 1843. Par ailleurs, la congrégation

était dirigée depuis 1849 par un Lotois, Monseigneur Bonamie, et le poste de Valparaiso

fut occupé à deux reprises par un Lotois.

10 Si le choix de l’enchaînement des articles surprend parfois, cet ouvrage construit

autour du parcours du dieu Rongo de Mangareva à Cahors, écrit l’histoire d’une

rencontre entre Européens et Polynésiens, entre des missionnaires catholiques et la

société mangarévienne. L’intérêt principal de l’ouvrage est de placer Mangareva, et

plus largement l’archipel des Gambier, au cœur des enjeux missionnaires et coloniaux

de l’Océanie du XIXe siècle tout en mettant en évidence ses liens avec l’histoire locale

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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d’une région française. Certes, l’histoire du Rongo de Cahors, comme celle de la société

mangarévienne d’avant le contact avec les Européens, garde de nombreuses zone

d’ombre mais la redécouverte de la statuette a permis celle d’un épisode de l’histoire de

l’archipel des Gambier dans un texte accessible au grand public.

BIBLIOGRAPHIE

BUCK Peter Henry, 1938. Ethnology of Mangareva, Honolulu, Bernice Pauhai Bishop Museum,

Bulletin 157.

LAVAL Honoré, 1968. Mémoires pour servir à l’histoire de Magareva, ère chrétienne, 1834-1871, Paris,

Société des Océanistes, Publications de la Société des Océanistes 15.

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Tonga. A new bibliography de MartinDALY

Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

DALY Martin, 2009. Tonga. A new bibliography,Honolulu, University of Hawai’i Press,

303 p., bibliogr., index.

1 Personne ne se plaindra que l’on édite encore des bibliographies en version papier, à

l’heure où les consultations électroniques via Google proposent des milliers de

références en ligne, il est vrai aléatoires et non hiérarchisées. Le tout est de savoir si les

bibliographies confectionnées à l’ancienne répondent aux critères améliorés qui ont vu

le jour depuis le siècle, et qui s’offrent à « documenter » davantage – et mieux – chaque

information bibliographique brute. Or rien n’est moins sûr dans cette bibliographie de

Tonga qualifiée de « nouvelle », alors qu’elle semble, contre toute attente, ne pas

répondre à certaines exigences d’une bibliographie même « ancienne ». Car elle pèche

au moins autant sur l’étendue du champ bibliographique couvert que sur les principes

élémentaires de méthode à suivre dans une telle entreprise.

2 Martin Daly se défend de toute idée d’exhaustivité et se contente, pour cette

bibliographie, de 744 entrées. À titre de comparaison, signalons qu’une bibliographie

des îles Wallis-et-Futuna (anciens tributaires septentrionaux de l’empire tongien, ne

l’oublions pas) en accueillait déjà 982 dans les années 1970. Faisons donc le deuil du

quantitatif. On est alors en droit d’attendre au minimum les références incontournables

dans chaque domaine étudié. Tel n’est malheureusement pas non plus le cas. Aucune

référence aux articles publiés par exemple dans le Journal de la Société des Océanistes.

Ainsi, l’étude sur le salon de l’agriculture et l’inasi de Marie-Claire Bataille-Benguigui

est passée à la trappe (JSO 1977). Pas de trace du chapitre de la même sur le rythme

alimentaire des jours ordinaires et extraordinaires à Tonga (Cuisines et sociétés, éditions

Sépia, 1996). Ni de référence au livre de Françoise Douaire-Marsaudon sur Les premiers

fruits. Parenté, identité et pouvoirs en Polynésie occidentale (Tonga, Wallis-et-Futuna), publié

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aux éditions du CNRS (1998). Pas davantage à l’analyse du domaine tongien dans Les

métamorphoses de la parenté de Godelier (2004). Ces quelques exemples font craindre que

toutes les entrées en langue française – et dans toute langue autre que l’anglais – soient

simplement passées par pertes et profits ; mais même des entrées majeures en langue

anglaise ne sont pas systématiquement répertoriées. Par exemple, dans le domaine

musical et chorégraphique, si l’on trouve bien les classiques d’Adrienne Kaeppler, on ne

trouve pas ses entrées basiques dans le New Grove Dictionary (1981), ni dans la Garland

Encyclopedia (1998).

3 La bibliographie débute sur l’anecdote de la Reine Salote roulant en voiture découverte

sous la pluie battante, le jour de son couronnement ! L’image semble malheureusement

valoir pour la manière de dilettante dont cette bibliographie a été constituée. On a la

conviction que la composition de la bibliographie a été assurée sur un mode aléatoire.

Or le hasard n’est pas connu pour être producteur de science documentaire. On est loin

des bibliographies « systématiques » de Patrick O’Reilly à la Société des Océanistes et de

Renée Heyum, responsable pendant vingt ans des Collections du Pacifique à l’université

de Hawai’i, qui nous avaient habitués à un mode opératoire rigoureux et

internationalement reconnu. Chaque titre recevait son résumé ou indiquait la

pertinence de sa citation à partir du passage de l’ouvrage ou de l’article qui concernait

l’entité insulaire décrite.

4 Cette bibliographie relative aux Tonga donne la nette impression de n’avoir d’autre

fonction que d’assurer une entrée en matière cursive. Si nous passons en revue le plan

des entrées telles que finalement sélectionnées dans la « nouvelle bibliographie » de

Martin Daly, nous trouvons comme rubrique retenue pour ses trente-cinq premiers

titres : « le pays et sa population » ; puis trente et un titres (sous les numéros 36 à 60)

sur « la géographie et l’environnement » dont quelques thèses de doctorat regroupées

sous la même entrée, non paginées, non analysées, et simplement indiquées par

l’université de soutenance. Cette méthode est peu défendable, car elle introduit une

discrimination incompréhensible entre les productions scientifiques et oblige à faire

soi-même le travail qui est normalement demandé au bibliographe. La bibliographie

continue, des numéros 61 à 68, avec une rubrique « Tourisme et guides de voyage ». Il

semble que l’ordre non alphabétique des thèmes abordés montre à quel point des

préoccupations essentiellement d’ordre pratique et commercial subordonnent la

réalisation de la bibliographie à des critères peu universitaires. Dans ces conditions, son

édition par les soins des Presses de l’université de Hawaii ne s’explique pas. Le

répertoire se prolonge par la rubrique des « Récits de voyageurs » (numéros 69 à 79 qui

commencent par l’historique et incontournable récit de William Mariner qui sert de

mythe fondateur à toutes les sciences historiques sur l’archipel. Mais la rubrique est

réduite à onze titres qui sont loin d’être représentatifs de toute la littérature disponible

sur le sujet et sur deux siècles. « Flore et faune » sont ramenées à vingt-trois entrées

(numéros 80 à 102), dont une seule thèse. « Préhistoire et archéologie » sont évoquées

en vingt-sept titres dont quatre thèses soutenues en Australie, au Canada et à Yale

(USA). « L’histoire » reçoit le traitement le plus conséquent en cent cinq titres, il est

vrai répartis en sous-rubriques (généralités, histoire religieuse, histoire pré-1900 et

post-1900).

5 Quand la rubrique « Langue » s’ouvre, nous sommes au numéro 235 ; soit au tiers de la

bibliographie, et elle reçoit trente-quatre entrées. La « religion » retient toute

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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l’attention du bibliographe qui lui consacre vingt-et-un ouvrages et articles (numéros

269 à 289).

6 Sous la dénomination « société » (quatre-vingt-une références) viennent tous les

travaux anthropologiques relatifs aux Tonga, suivies de neuf références à

l’emblématique cérémonie du kava. « Santé et bien-être » (numéros 380 à 429)

reçoivent en traitement bibliographique cinquante et une autres références. « Politique

et gouvernement » sont réglées en vingt-cinq entrées, complétés par trente-quatre

références ayant trait à la constitution et au système légal, sept aux relations

étrangères, trente-quatre à l’économie, au commerce et au travail. La bibliographie

peut s’intéresser alors à la démographie, à l’émigration et aux flux financiers dus à

celle-ci (numéros 514 à 553), à l’industrie, aux activités commerciales et à l’agriculture

(numéros 554 à 585), à la pêche (de 586 à 594), à l’éducation (de 595 à 617), à la

littérature (de 618 à 631), à la culture matérielle (de 632 à 665), aux arts du spectacle

(666 à 683). Il y en à la fois beaucoup et peu, car aucune rubrique ne saurait se satisfaire

d’un nombre d’entrées aussi peu fournies.

7 Le plus récemment publié, selon le bibliographe, nous vaut un addendum de cinq titres

concernant les années 2006 à 2008, ce qui est à la limite du ridicule (numéros 740 à 744).

Les trois index qui concluent la bibliographie font cas des auteurs, de l’intitulé des

travaux recensés, ainsi que des thèmes traités. Le dernier est particulièrement utile par

rapport à un ordre de rubriques qui, comme on l’a vu, ne respecte pas l’ordre

alphabétique. On saluera aussi la courageuse introduction de huit sites de l’Internet

dans la bibliographie sous les numéros 732 à 739. Après qu’une rubrique eut été

consacrée aux livres, aux médias et à la communication (numéros 684 à 700), aux

journaux scientifiques (numéros 701 à 712) et aux encyclopédies et travaux de

référence (numéros 713 à 716) et enfin à d’autres bibliographies (numéros 717 à 731).

Mais nous sommes loin du compte. On allait désespérer !

8 S’agissant du mode d’exposition des titres, il est peu défendable, comme je l’ai dit, que

les thèses ne reçoivent aucune explication ni recension. L’intitulé des universités de

soutenance ne dispense pas de l’indication des pays dans lesquels elles sont situées. Il

n’y a pas que le quantitatif ; il y a aussi le qualitatif qui n’y trouve pas son compte. Les

recensions sont hétérogènes, ne suivent pas le même canevas d’analyse et sont

disparates. Bref, ce travail est non seulement à compléter, mais à refaire. Dommage

qu’une aussi belle édition magnifiquement reliée consacre un travail intellectuel aussi

peu cohérent avec la noblesse de la matière. La bibliographie, si elle reste un art, sera

toujours un métier exigeant.

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Lettres des missionnaires maristes enOcéanie, 1836-1854. Anthologie de lacorrespondance reçue par Jean-ClaudeColin fondateur de la Société de Mariependant son généralat sous ladirection de Charles GIRARD

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

Charles GIRARD (éd.), 2008. Lettres des missionnaires maristes en Océanie, 1836-1854.

Anthologie de la correspondance reçue par Jean-Claude Colin fondateur de la Société de Marie

pendant son généralat, avant-propos de l’éditeur, préface de Claude Prudhomme,

introduction historique de Claire Laux, Paris, Karthala, collection Mémoire d’Églises,

760 p., annexe, index biographique et onomastique, bibliogr., environ 50 illustrations

couleur hors-texte.

1 Ce fort volume vient en héraut ou en avant-garde d’une troupe plus impressionnante

encore, la publication des « 1 365 lettres reçues d’Océanie par l’administration générale

des pères maristes entre 1836 et 1854, qui paraîtront bientôt en dix volumes » par les

soins du même éditeur, selon les propres termes de son annonce. On ne peut

qu’applaudir à la publication de telles archives, non seulement « déclassifiées », mais

surtout ouvertes au tout-venant des lecteurs. On en espérerait autant d’autres

institutions, dépositaires d’observations non moins précieuses sur l’Océanie de cette

période. Fallait-il attendre le moment de disposer de ces dix volumes ou l’occasion de

consulter des échantillons représentatifs de ces documents aujourd’hui conservés à

Rome pour signaler la présente anthologie ? Faute de moyens ou d’espace, nombre de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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bibliothèques et maints chercheurs pourraient être contraints de s’en tenir à ce seul

volume annonciateur, et c’est ce qui le fait décrire dans cette rubrique,

indépendamment et sans préjuger de ses suites promises.

2 S’ouvrant sur un impressionnant « comité de parrainage » international rassemblant

des personnalités du monde politique, diplomatique, scientifique et ecclésiastique

(deux cardinaux, plusieurs évêques), cette anthologie a bénéficié du soutien, sinon de l’

imprimatur, de deux organismes missionnaires et du Centre de recherche et de

documentation sur l’Océanie (CREDO) de Marseille. Comme le précisent l’éditeur (p. 11)

et le préfacier (p. 15), c’est seulement « dans l’édition intégrale en dix volumes » qu’on

trouvera « annotations scientifiques et apparat critique », le présent volume, « à

destination d’un public plus large » (p. 11), ne comportant que des notices réduites au

minimum. Les lettres choisies, de caractère varié, requêtes, rapports officiels, courriers

entre confrères ou parents, sont ordonnées selon un plan à la fois historique et

géographique (« Le grand départ : 1836-1838 », « La Nouvelle-Zélande » de 1837 à 1853,

« Wallis et Futuna » de 1838 à 1854, « Les archipels polynésiens » Tonga, Fidji, Rotuma,

Samoa de 1843 à 1855, la « Mélanésie » insulaire, « La Nouvelle-Calédonie » de 1843 à

1854) avec une bibliographie par chapitre et par archipel (mais qui manque pour la

Mélanésie insulaire et particulièrement les îles Salomon, où il était au moins facile de

citer les ouvrages de Verguet et de Monfat ; on s’étonne aussi de voir mentionnée la

thèse inédite de Claire Laux (Bordeaux, 1998) et non la synthèse qu’elle en a publiée en

2000, etc.).

3 Utilement munies d’une brève présentation, d’un numéro d’ordre renvoyant à l’édition

complète, d’indications sur leur pagination originale et les coupes parfois pratiquées

par l’éditeur, ces lettres ont fait l’objet d’aménagements visant à les faire lire « dans un

français actuel » :

« il fallut moderniser des tournures, écrire en toutes lettres les abréviations assezfréquentes dans le texte, traduire les expressions latines. » (p. 13)

4 À côté de quelques textes reproduits tels quels (« le document est transcrit avec son

orthographe originelle » p. 358, « originale » p. 322, « à l’identique » p. 640), d’autres,

plus nombreux, présentent des entorses inexplicables au « français actuel » : « dix

livres sterlings que j’ai emprunté », p. 127 ; « vos petites notes […] nous a beaucoup

intéressé », p. 194 ; « je désirerais bien que vous puissiez m’envoyez », même page ;

« cette atmosphère de civilisation européenne dans lequel on a été élevé », p. 287 ;

« toutesfois », p. 293 ; « quelque goute de vinaigre », p. 294 ; « les deux parties de l’île se

sont donnés mutuellement des fêtes », p. 296 ; « les vieillards aiment la religion “qui

leur donnent la vie du corps et celle de l’âme” », p. 297 ; « nous fûmes très bien reçu »,

p. 627 ; « les propositions dégoûtantes que le père avait fait à sa femme », p. 642 ; etc.

Erreurs du rédacteur primitif ou inadvertances de l’éditeur correcteur ? En souhaitant

que l’édition scientifique dissipe toute ambiguïté sur ce point, on devra probablement

se garder de citer certains passages de cette anthologie avant de pouvoir consulter ces

documents dans leur texte d’origine.

5 Dans sa longue introduction historique (pp. 19-69), Claire Laux s’attache à dessiner les

contextes complexes et intriqués dans lesquels ces missionnaires ont travaillé durant

les dix-huit ans du généralat du créateur de la Société de Marie, Jean-Claude Colin,

période formant les bornes de ce recueil. Sa conclusion insiste à juste titre sur le

caractère à la fois massif et « multiforme » de la présence européenne en Océanie à la

fin du XIXe siècle (p. 69), elle souligne judicieusement l’isolement des missionnaires,

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confrontés à des situations ambiguës, mais l’image qu’elle donne des premiers maristes

conduisant « leur apostolat hors de toute tutelle coloniale » (p. 45), joue quelque peu

sur les mots et sur les faits. Selon elle, la première des « spécificités de l’évangélisation

de l’Océanie par les Maristes » serait « l’indépendance par rapport aux colonisateurs »

(pp. 52-55), ce qui est évidemment exact à propos du seul exemple qu’elle en donne, les

Britanniques en Nouvelle-Zélande, que les maristes étaient venus concurrencer, mais

n’a guère de sens à l’égard des autorités françaises, restées en peine de fonder des

colonies en Océanie dans la période considérée. Incapacité que regrette encore avec

vivacité le provincial mariste Roudaire, en 1851, dans une de ses dernières lettres

parties de Nouvelle-Calédonie et significativement adressée à un aumônier de la flotte

de Toulon (p. 661).

6 S’il n’y eut pas de « tutelle coloniale » faute de colonies déjà constituées, les

« colonisateurs » français furent aussi souvent que possible aux côtés des maristes, soit

à la demande des uns soit à celle des autres, soit par accord réciproque, écrit ou tacite,

comme le montrent ces lettres et maints autres documents, d’un terme à l’autre de

cette période 1836-1854. Le 9 août 1837, arrivé à Valparaiso et sur le point de se lancer

dans un Pacifique Sud inconnu, Jean-Baptiste Pompallier, évêque et vicaire apostolique

de la première mission mariste en Océanie, adresse à Rosamel, ministre de la marine et

des colonies de Louis-Philippe, son programme de conquête des âmes justifiant sa

demande d’aide, et spécialement le transport des missionnaires par les bâtiments de

l’État (pp. 87-91). Le « rapport de Charles-Eugène Mathieu à Napoléon III » depuis Viti

Levu, le 27 juin 1853 (pp. 407-409), atteste à nouveau que les maristes d’alors n’en sont

pas à envisager une « séparation de l’Église et de l’État » qui surviendra un demi-siècle

plus tard.

7 Du côté des « autorités civiles », et comme pour illustrer les formules d’époque sur

l’union du trône et de l’autel et l’alliance du sabre (ici de marine) et du goupillon, ces

lettres offrent une liste significative (et non exhaustive) de navires de guerre français

venus procurer leur aide aux missionnaires maristes en Océanie. Il y eut en 1837 la

frégate la Vénus, commandée par Dupetit-Thouars, l’inspirateur de Rosamel et de son

successeur Duperré pour leur politique de colonisation de l’Océanie par la religion à

l’exemple de la LMS (voir la note que lui consacre Claire Laux p. 313 de son ouvrage paru

en 2000), en 1840 la corvette l’Aube, en 1842 l’Allier (voir ci-dessous), en 1843 le Phaéton

et l’Uranie partis de Toulon avec des contingents de missionnaires maristes, la corvette

Bucéphale mise aux ordres de l’évêque d’Amata, Guillaume Douarre, par Dupetit-

Thouars la même année, en 1845 la corvette le Rhin que commandait Bérard, la corvette

la Seine en 1846, la corvette la Brillante arrivée à la rescousse des maristes de Balade, en

Nouvelle-Calédonie, le 9 août 1847, la corvette L’Ariane venue sur ordre visiter les

missionnaires de San Cristobal en février 1848, la corvette la Moselle envoyée à Tonga en

1852…

8 « Indépendance » ou dépendance, « tutelle » ou autonomie, les textes reproduits dans

ce volume montrent l’anachronisme de tels termes, qui anticipent les confrontations

ultérieures entre autorités civiles et religieuses françaises, à partir de 1860, non sans y

superposer des débats plus récents sur le rôle et la responsabilité des missionnaires

dans l’occidentalisation du Pacifique. Stimulé directement ou non par la situation de

concurrence où ils se savaient d’emblée avec les protestants (« la gueule du loup »,

p. 200 !), le patriotisme des premiers missionnaires maristes perce certainement déjà

dans leur souci parfois affecté du « bien dire » et de la précision qui fait un des intérêts

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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de ces lettres, mais il trouve souvent à s’exprimer de façon plus explicite. Évoquant la

corvette la Seine et son pavillon tricolore en vue de Balade, le père Rougeyron s’exclame

en 1846 :

« C’est l’image de la patrie, et le souvenir de la patrie fait toujours battre le cœur dumissionnaire français. » (p. 565)

9 Autant vaudrait débattre à l’inverse (et tout aussi futilement) d’une inféodation ou

d’une tutelle cléricale sur le ministère et les officiers de la « Royale » durant cette

période de confusion des rôles et des « missions civilisatrices ». À l’exception de

quelques récalcitrants libéraux ou républicains aisément mis à l’écart (tel Joseph de

Rosamel, voir JSO 125, 2007, pp. 332-333), il paraît n’y avoir eu dans ces états-majors

marins aucune réticence à associer un spirituel et un temporel qui sans doute au

contraire leur semblaient aller de pair. Le rapport adressé le 6 novembre 1842 par

Pompallier à ses mandataires lyonnais témoigne assez bien de cette communauté de

sentiments :

« La corvette l’Allier et son digne commandant monsieur du Bouzet me furentaccordés et comme mis à ma disposition, et je partis peu de jours après pour Walliset Futuna. La grandeur et la majesté de la France se montrèrent aux yeux de nosnaturels de ces îles ; la goélette [de la mission, escortée de la corvette] et l’évêque [àbord de l’Allier] parurent en même temps. » (p. 157)

10 On n’est guère étonné de lire que des officiers de marine comme Marceau, capitaine de

frégate, se mirent en congé pour entrer au service de la congrégation en Océanie, ou

qu’avec d’autres un Laferrière, commandant du Bucéphale qui débarqua des maristes à

Balade en décembre 1843, leur parut avoir « eu constamment le zèle et le dévouement

d’un missionnaire » (p. 544).

11 À côté des nombreux détails intéressants ou inédits qu’elle offre sur ce pan de l’histoire

de la colonisation du Pacifique, cette anthologie se recommande par la large place

qu’elle réserve aux observations ethnographiques des missionnaires, parfois de

première importance pour leur ancienneté ou l’ampleur de leurs développements. Pour

ne citer ici qu’un seul exemple, judicieusement choisi pour enluminer la couverture de

ce volume, on y trouve reproduits en hors-texte dix-sept dessins en couleur exécutés

par Léopold Verguet d’après les relevés effectués durant son année de séjour à San

Cristobal (1845-46, voir aussi sa lettre pp. 485-495), avec des désignations d’objets ou

d’éléments de parure en « arossien » qui complètent heureusement l’article que lui fit

publier Léopold Hugo dans la Revue d’Ethnographie en 1885. Comme d’autres dessins ou

aquarelles de ces cahiers hors-texte qui témoignent de son passage aux Marquises et en

Nouvelle-Calédonie, ils portent des indications de folio suggérant qu’ils proviennent

d’un projet de livre resté manuscrit, et dont la reproduction (ou l’édition critique)

serait hautement souhaitable, pour accompagner et illustrer cette vaste entreprise de

publication des archives des premiers maristes en Océanie, à la fois généreuse et pleine

de promesses.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

241

BIBLIOGRAPHIE

LAUX Claire, 2000. Les Théocraties missionnaires en Polynésie au XIXe siècle. Des cités de Dieu dans les Mers

du Sud ?, Paris, L’Harmattan.

MONFAT P. Antoine (s.m.), 1925 (première édition, 1891). Dix années en Mélanésie. Étude historique et

religieuse, Lyon-Paris, Librairie catholique Emmanuel Vitte.

VERGUET Léopold, P., 1861 (première édition, Carcassonne, 1854). Histoire de la première mission

catholique au vicariat de Mélanésie, nouvelle édition, Paris, Tolra et Haton.

—, 1885 (mai-juin). Arossi ou San-Christoval et ses habitants, Revue d’Ethnographie, t. IV,

pp. 193-232.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

242

Art of the Massim and Collingwood Bayde Michael HAMSON and Richard ALDRIDGE

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

HAMSON Michael and Richard ALDRIDGE, 2009. Art of the Massim and Collingwood Bay, Palos

Verdes, CA., Michael Hamson Oceanic Art, 272 p., cartes, bibliogr., environ 180 photos

couleur.

1 En attendant la somme que doit leur consacrer Harry Beran, les « arts »de l’aire Massim

(ainsi qu’on a pris l’habitude de nommer l’extrémité orientale de la Papouasie

Nouvelle-Guinée et les îles adjacentes) restent à ce jour étudiés ou illustrés par si peu de

publications spécialisées que cette rareté justifierait à elle seule qu’on signale ici la

parution de cet important catalogue, dû à deux marchands à la fois sérieux et

passionnés. En février 2009, dans sa galerie de San Francisco, à l’occasion du « Tribal

and Textile Arts Show » qui se tient annuellement dans cette ville, Michael Hamson

présentait avec Richard Aldridge, autre marchand établi en Australie et familier des

côtes orientales de la Papouasie Nouvelle-Guinée, une exposition préparée de longue

date et réunissant, à côté de pièces proposées à la vente, de très nombreux autres

spécimens d’étude et de comparaison. Ainsi s’explique que le volume qu’ils ont publié

concomitamment dépasse de loin les catalogues habituels et finisse par constituer un

utile et plaisant ouvrage de documentation.

2 Il se recommande d’abord par l’abondance des objets publiés (plus de 200, dont plus de

50 spatules à chaux en bois sculpté, une vingtaine dans d’autres matériaux, autant de

pare-écume et autres objets liés à la navigation, etc.), souvent inédits et, pour certains,

d’une extrême rareté (à l’instar du coffret à monnaie de coquillage en noix de coco

sculptée ou du chevet reproduits pp. 158-159). Les notices qui les accompagnent

indiquent leur provenance et, chaque fois que possible, les circonstances de leur

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

243

collecte, données précieuses dans cette région où l’intensité des échanges rend souvent

difficile de déterminer l’origine des objets, comme l’avait éprouvé Ehrard Schlesier lors

de sa campagne de 1961-1962 (Schlesier, 1986 : 26). Ces notices sont suivies de

commentaires heureusement moins descriptifs (ou commercialement flatteurs)

qu’informatifs et qui ont bénéficié de l’aide ponctuelle d’H. Beran, sans le soutien de qui

les deux galeristes auraient sans doute hésité à publier cet important volume.

3 Les fonctions qu’ils attribuent à certains objets donneront peut-être lieu à discussion

ou à révision. Par exemple, ce qu’ils présentent, après H. Beran, comme des « Massim

Pig Net Hooks, gegep » (pp. 154-157), était décrit en tant que « Fishnet handle » par

William A. Shack (1985 : 67, n° 58, ouvrage non cité dans la bibliographie du catalogue).

Mais les spécialistes apprécieront aussi le nombre et la qualité des données recueillies

sur le terrain lors de l’acquisition de maints spécimens. D’une spatule à chaux en bois

sommée d’un personnage, exceptionnellement longue (65 cm, n° 21 p. 44), collectée à

East Cape, R. Aldridge rapporte ainsi qu’elle servait non à la consommation du bétel,

mais à alerter la maisonnée en réagissant par ses vibrations à toute attaque de

sorcellerie. H. Beran avait déjà fait allusion à l’usage magique ou apotropaïque de ces

objets (1988 : 10-12 et 28) et l’on se souvient des notations de Malinowski sur

l’« aspersion de la chaux visant à produire une brume qui aveugle les mulukwausi » ou

sorcières volantes (1963 : 473, voir aussi 314-316 sur l’enchantement kayga’u du contenu

des gourdes à chaux), mais on entrevoit comme il reste à apprendre sur ces spatules,

au-delà de leurs seules qualités esthétiques.

4 À côté de ces informations de première main, un autre apport notable de cette

publication est la section substantielle (pp. 190-269) qu’elle consacre à des pièces pour

le moins méconnues de la province d’Oro, à l’exemple des spatules des Orokaiva et de

leurs voisins de la Collingwood Bay (près d’une quarantaine), qui présentent souvent

des parentés de forme ou de matériau avec celles de l’aire Massim, mais s’en

distinguent vigoureusement par le style de leur ornementation, à rapprocher de celle

des poteries, des tapas et des chevets à décor en ajours de la même province d’Oro (très

rares objets dont ce catalogue reproduit sept spécimens). Plus largement, par la mise en

comparaison de pièces venant à la fois des îles de l’aire Massim, des côtes mêmes de la

province de Milne Bay et, plus à l’ouest, de celles de la province d’Oro, les auteurs de

cet ouvrage aux prétentions qui se veulent modestes invitent discrètement à

reconsidérer l’histoire des styles et celle de leur diffusion dans cette vaste région

d’échanges, à la lumière des objets qu’ils y ont collectés, de façon « éthique », assurent-

ils. En tout cas, au vu de ce catalogue, il est impossible de leur disputer le mérite d’avoir

présenté ces objets de façon « éthique », en les publiant avec un tel souci de leur qualité

visuelle et de leur dimension ethnographique.

BIBLIOGRAPHIE

BERAN Harry, 1988. Betel-chewing Equipment of East New Guinea, Aylesbury, Shire Publications.

MALINOWSKI Bronislaw, 1963. Les Argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

244

SCHLESIER Ehrard, 1986. Eine ethnographische Sammlung aus Südost-Neuguinea, Göttingen, Herodot

(Arbeiten aus dem Institut für Völkerkunde der Georg-August Universität Göttingen 20).

SHACK William A., 1985. The kula. A Bronislaw Malinowski Centenial Exhibition, Berkeley, Robert H.

Lowie Museum of Anthropology.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Parcours archéologique. Deux décenniesde recherches du DépartementArchéologie de Nouvelle-Calédonie(1991-2007) de Christophe SAND,Jacques BOLÉ, André-John OUÉTCHO etDavid BARET

Frédérique Valentin

RÉFÉRENCE

SAND Christophe, Jacques BOLÉ, André-John OUÉTCHO et David BARET, 2008. Parcours

archéologique. Deux décennies de recherches du Département Archéologie de Nouvelle-Calédonie

(1991-2007), Nouméa, Département Archéologie, Direction des Affaires culturelles et

coutumières, Les Cahiers de l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 17, 278 p., bibliogr.,

nombreuses photographies en couleur.

1 Cet ouvrage, magnifiquement illustré de près de deux cents photographies, présente à

un large public les résultats de vingt ans de recherches archéologiques en Nouvelle-

Calédonie. Les auteurs – Christophe Sand, Jacques Bolé, André-John Ouétcho et David

Baret, membres fondateurs du Département Archéologie de la Direction des Affaires

culturelles et coutumières de Nouvelle-Calédonie – y dévoilent sur près de trois cents

pages l’extraordinaire richesse du patrimoine archéologique calédonien et y retracent

l’histoire pré-européenne de l’archipel, en s’appuyant sur une centaine de références

listées en fin d’ouvrage.

2 L’ouvrage débute avec une réflexion sur la discipline archéologique, son application,

ses retombées et sa raison d’être en Océanie, surtout en Nouvelle-Calédonie,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

246

contemporaines. La lecture du chapitre 1 (pp. 15-55) permet de comprendre comment

on a pu passer d’un discours colonial sur le passé de l’archipel, où la notion de

« premier occupant » occupe une place prépondérante, à un rejet de ce discours dans le

cadre des revendications kanak, puis à une recherche d’une « histoire vraie » selon

l’expression des auteurs. Cette lecture permet aussi d’appréhender la démarche

retenue par les membres du Département Archéologie pour replacer l’archéologie « et

son inévitable manipulation » dans le cadre social actuel d’un pays en devenir. Cette

démarche souhaite « favoriser l’émergence d’une notion de dynamique historique,

marquée par des phénomènes d’adaptations, d’évolutions, de transformations et

d’intensifications » ainsi que le précisent les auteurs (p. 54) ; une façon de voir

intégrative qui tente de donner place à chacun.

3 L’ouvrage offre ensuite une synthèse des résultats archéologiques obtenus par le

Département Archéologie sur le terrain et en laboratoire, parfois en collaboration avec

des chercheurs extérieurs, venus de différentes régions du monde, rattachés à diverses

institutions et spécialisés dans des domaines particuliers tels que la pétrographie, les

datations d’art pariétal, les études de restes fauniques et humains. Cette synthèse

aborde cinq périodes-clés des trois mille ans d’histoire humaine de la Nouvelle-

Calédonie. Cette mise en perspective chronologique permet d’apprécier les dynamiques

de transformations culturelles et sociales à différentes échelles.

4 Ainsi, le chapitre 2 (pp. 57-91) est consacré au premier peuplement austronésien de

l’archipel. Les travaux du Département Archéologie dans ce domaine renouvellent

considérablement les connaissances sur la culture Lapita en Nouvelle-Calédonie et plus

généralement en Mélanésie et Polynésie occidentale. Les auteurs ont notamment

montré que le début du peuplement de l’archipel calédonien remonte à 1100-1050

avant J.-C., et non pas à 1500 ans comme on le pensait auparavant, et que la durée de

production des céramiques Lapita est d’environ trois cents ans, un intervalle de temps

bien plus court que celui envisagé autrefois (mille cinq cents ans). Leurs travaux ont

également largement contribué à mieux connaître cette tradition céramique

proprement dite. Les découvertes essentielles réalisées sur le site de Lapita prés de

Koné (côte Ouest de la Grande Terre) combinées à celles effectuées dans d’autres

régions de l’archipel, ont permis aux auteurs d’identifier la spécificité des tailles,

formes et décors des poteries de Nouvelle-Calédonie et de proposer l’hypothèse d’une

provincialisation de la tradition céramique Lapita immédiatement après les premières

installations. De plus, leurs études contextuelles les plus récentes montrent

l’association de ces poteries si particulières à des rituels funéraires complexes, et

suggèrent une occupation humaine précoce, dès 800-700 ans avant J.-C., de certaines

zones intérieures.

5 Dans le chapitre 3 (pp. 92-137), les auteurs abordent la question des dynamiques

culturelles « prétraditionnelles ». Leurs travaux révèlent tout un ensemble d’évolutions

et de diversifications locales durant la seconde moitié du premier millénaire avant J.-C.

et réfutent ainsi l’hypothèse d’un remplacement de population autrefois évoquée pour

expliquer les changements de culture matérielle. Sur un plan environnemental, ils

confirment la disparition d’animaux endémiques durant le premier millénaire et

soulignent l’impact limité des implantations humaines sur l’écosystème, suggérant une

lente progression démographique. Ils montrent par ailleurs que le début du premier

millénaire après J.-C. se caractérise par des phénomènes d’isolement, matérialisés par

une réduction des échanges entre les îles Loyauté et la Grande Terre et une diversité

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

247

des styles céramiques de la Grande Terre. Leurs travaux permettent également de

conclure que certaines manifestations artistiques – peintures pariétales et pétroglyphes

qui abondent en Nouvelle-Calédonie – se rattachent à cette période.

6 Le chapitre 4 (pp. 138-183) traite des organisations « traditionnelles » kanak qui

émergent durant le premier millénaire après J.-C. À cet égard, les travaux de terrain du

Département Archéologie ont considérablement enrichi les connaissances sur les

modalités d’occupation de l’espace et les transformations du paysage. Ils mettent en

évidence la diversité de forme des villages et des aménagements horticoles,

l’intensification des pratiques horticoles et l’émergence des spécificités culturelles

kanak grâce à la découverte en contexte stratigraphique d’objets tels des éléments de

monnaie, ou de hache ostensoir, et documentent des arrivées de populations

polynésiennes. Les résultats obtenus dans ce domaine sont essentiels, créant une

relation privilégiée entre archéologues et populations contemporaines, malgré « la

complexité des rapports extrascientifiques induite par le lien entre archéologie des

sociétés traditionnelles et terroirs contemporains » (p. 143).

7 Dans le chapitre 5 (pp. 184-205), l’accent est mis sur l’impact des tout premiers contacts

occidentaux sur les sociétés kanak du XIXe siècle. Les auteurs démontrent clairement

que le décalage entre données archéologiques et données ethnographiques peut

s’expliquer par la prise en compte des données démographiques. La chute

démographique drastique consécutive aux premiers contacts a induit une

déstructuration des groupes kanak anciens alors que l’ethnographie documente les

groupes recomposés, à la recherche de nouveaux équilibres, qui en sont issus. Cette

constatation a des conséquences importantes en termes d’histoire contemporaine mais

aussi en termes d’histoire humaine et de génétique historique. Les sociétés autochtones

rencontrées et décrites par les explorateurs, les missionnaires, les administrateurs

coloniaux ne sont ni stables, ni figées, mais le produit d’une dynamique irréversible. Il

en est de même des populations actuelles.

8 Le chapitre 6 (pp. 206-241) décrit les travaux du Département Archéologie en matière

d’archéologie coloniale. Ces derniers sont significatifs car ils dévoilent des pans entiers

jusque-là méconnus de la vie à cette période. Deux aspects principaux sont présentés

dans l’ouvrage. Le premier concerne la transformation de la culture kanak, soulignant

l’intégration d’objets exotiques dans le système traditionnel, l’abandon progressif de

pratiques anciennes, et le développement du marché de « curios ». Le second est relatif

à l’histoire du bagne avec une importante contribution à la définition de la fonction des

bâtiments et à la mise en valeur des sites.

9 La conclusion (pp. 243-259) revient sur le rapport entre archéologie et société

contemporaine, en affirmant le rôle de l’archéologie dans la construction d’une

Nouvelle-Calédonie actuellement en cours d’émancipation. Pour les auteurs :

« la démarche n’a rien de nouveau, car chaque mise en place d’une communauténationale de par le monde s’accompagne nécessairement d’un discours sur le passédéfini par la structure étatique en cours de constitution. » (p. 248)

10 S’adressant principalement au grand public calédonien, cet ouvrage, qui met en avant

les apports – remarquables et essentiels en matière de recherche archéologique

océanienne – des travaux entrepris depuis près de vingt ans par le Département

Archéologie de la Direction des Affaires culturelles et coutumières de Nouvelle-

Calédonie, offre au lecteur non spécialiste un texte un peu ardu, comportant parfois des

longueurs et quelques fautes d’orthographe (en particulier sur des noms propres). Il

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

248

propose aussi une illustration superbe. Légendée de façon détaillée, celle-ci permet à

qui feuillette le livre de découvrir, de s’informer sur l’archéologie de la Nouvelle-

Calédonie. Ainsi, avec ces deux niveaux de lecture, c’est un ouvrage utile et enrichissant

pour tous.

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Campagne des mers du Sud faite par leSeignelay de 1875 à 1879 de Paul-ÉmileLAFONTAINE

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

LAFONTAINE Paul-Émile, 2006. Campagne des mers du Sud faite par le Seignelay de 1875 à 1879,

édition établie, préfacée et annotée par Dominique Delord, Paris, Mercure de France,

456 p., notes, notices biographiques, documents d’archive, bibliogr., index.

1 Dominique Delord, traductrice et historienne des arts, également spécialiste de

l’Amérique du Sud et amie de la petite-fille de Paul-Émile Lafontaine, a eu la fortune de

se voir communiquer un jour, par cette dernière, les cahiers manuscrits dans lesquels

son aïeul avait relaté, entre 1877 et 1881, sa campagne dans le Pacifique à bord d’un

vaisseau de guerre français, Le Seignelay. Soucieuse d’éditer au mieux ce texte qui en

valait largement la peine, elle a passé de nombreux mois à le confronter à des sources

d’archives (Archives nationales, Services historiques de la Marine de Vincennes, Toulon

et Rochefort notamment) et à l’éclairer des compléments historiques et géographiques

que livrent sa préface et ses annotations, d’une remarquable concision. Inscrit à son

catalogue par un éditeur « grand public » et qui plus est dans une collection de poche,

l’ouvrage se présente sans l’appareil de références savantes des publications

« scientifiques », mais il les concurrence pourtant très largement par son sérieux, son

érudition et même sa correction typographique (à l’exception de deux erreurs

patronymiques, « Bourdillon » pour « Dordillon » aux Marquises, p. 149, « Godefroy »

pour « Godeffroy » à Tahiti, p. 155).

2 Pour son cadre historique et sociologique, on serait tenté de rapprocher ce texte inédit

du mémoire de Joseph de Rosamel sur Pohnpei récemment proposé au public par la

Société des Océanistes. Comme lui retrouvé dans les archives familiales, très

certainement conçu aussi dès le départ non comme un rapport ou un journal, mais pour

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

250

paraître sous forme de livre, il est également le fait d’un officier de marine aux

positions anticléricales et républicaines assez minoritaires dans « la Royale » de ces

temps-là, même si elles étaient un peu mieux admises sous Mac-Mahon, maréchal-

président, que sous Louis-Philippe Ier, roi des Français. Pour l’un comme pour l’autre

auteur, ces rédactions avaient très probablement un caractère libérant, au terme

d’années de vie en vase clos et de régime disciplinaire. Mais le ton plus critique de

Lafontaine ne tient pas seulement aux décennies qui le séparent de Rosamel :

lieutenant de vaisseau, il était à bon poste pour relever les bourdes ou même les fautes

de ses supérieurs comme de ses subordonnés. Né en 1829, il avait été emprisonné au

Mexique, avait défendu des forts parisiens contre les Prussiens en 1870 et ses

convictions comme son récit se ressentent de sa longue expérience. Formé dans la

marine marchande, capitaine au long cours, il ne perdait pas une occasion d’observer la

supériorité technique des « mar-mar » sur les officiers de la marine d’État, dont il

n’était après tout qu’un subalterne, significativement chargé des manœuvres du

vaisseau.

3 Long de 80 mètres, le « croiseur » Le Seignelay était une frégate de la « classe Sané »,

trois-mâts à vapeur d’un modèle alors des plus récents, capable d’atteindre 15 nœuds

grâce à sa seule machine. Son état-major comprenait une petite vingtaine d’officiers,

son équipage un peu plus de deux cents hommes (dont une compagnie de

débarquement), souvent fort jeunes, souligne justement D. Delord. Confié à un marin

brillant, bienveillant et parfois brouillon, le commandant Aube, futur ministre de la

Marine, il avait pour mission de rejoindre la Division du Pacifique (six navires, dont les

deux stationnaires de Valparaiso, base permanente, et de Tahiti). Évidemment

insuffisante pour un si vaste océan déjà en proie aux convoitises des divers

impérialismes européens, encore avivées en 1878 par les tractations du congrès de

Berlin, cette petite flotte ne pouvait mieux faire qu’acte de présence dans les divers

ports où elle s’invitait. Il lui était impossible de s’engager dans des voyages

d’exploration comme ceux du Basilisk de Moresby en 1873 et du Challenger de Nare en

1875, ou de police comme le Rosario de Markham en 1871-1872, pour ne pas parler de

ceux d’autres marines (allemande, autrichienne, etc.) venues alors sillonner les mêmes

eaux que la britannique. Comme pour souligner cette situation de faiblesse des

représentants de l’État français dans le Pacifique, le retour à Toulon du Seignelay, en

mars 1879, coïncida à peu de jours près avec le lancement officiel de l’ahurissante

entreprise de colonisation privée du sud de la Nouvelle-Irlande, « la Nouvelle France en

Océanie », par le marquis de Rays, au Salon des Œuvres de Marseille, le 4 avril de la

même année.

4 Lafontaine consacre quatre cinquièmes de son récit (pp. 33-329) aux deux premières

années (octobre 1875-octobre 1877) où Le Seignelay fut sous le commandement d’Aube,

comme les moins pénibles et les plus distrayantes de cette campagne à bord de ce

bâtiment comptant de nombreux libres-penseurs, même sur le chapitre de la discipline.

Dominées par l’ennui et l’attente, plusieurs fois déçue, du retour en France, les deux

autres années passées sous deux commandants successifs sont plus rapidement

résumées (pp. 331-399), tant Lafontaine avait le souci de ses lecteurs. Se référant à « la

manière qu’ont les vieux marins de raconter leurs campagnes » (tels sont les premiers

mots du livre), non seulement il a veillé à éviter tout sentiment de lassitude, mais,

quand il parle de ses avanies, de son spleen ou de ceux du reste de l’équipage, c’est

toujours avec pudeur et souvent même avec humour. Le capitaine Lafontaine était un

esprit fin et lettré, son style est rapide et plaisant, et ces qualités suffiraient à

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

251

recommander la lecture de son récit, indépendamment des observations historiques

qu’il livre, et qui sont parfois précieuses.

5 Parmi ces observations, celles qui peuvent intéresser aujourd’hui les océanistes

semblent principalement de deux ordres. À côté des traits qui concernent

l’administration ordinaire de la future « Polynésie française » et les visites de routine

des vaisseaux de la Division du Pacifique, il est aussi arrivé au Seignelay de faire escale

en Océanie hors de la zone d’influence française où il était censé croiser. Parmi des

exemples trop nombreux pour être cités, voici en quels termes Lafontaine décrit les

visites que faisaient en son temps les vaisseaux de guerre français aux Marquises

(p. 151) :

« Si quelques Canaques se sont un peu grignoté les côtes, on demande à fairecomparaître les coupables, qui ne se montrent jamais. Alors pendant deux jours onfait le bombardement du village suspect (ce qui sert d’exercice), puis on envoie àterre la compagnie de débarquement, qui met le feu aux cases que les boulets ontépargnées, et qui détruit les cocotiers et les arbres à pain entourant le village.Excellent moyen pour extirper l’anthropophagie que de réduire les gens à lafamine ; mais la morale est vengée ! »

6 C’est encore sur le plan moral qu’il scrute les faits et gestes des prêtres et des

missionnaires, et spécialement leur politique intéressée, notamment à l’île de Pâques et

aux îles Gambier, où les picpusiens avaient certes recueilli des Pascuans, mais, insiste-t-

il (pp. 227 et 240), pour leur « faire pêcher des perles ».

7 Parmi les escales imprévues du Seignelay, il faut évidemment mentionner la semaine

passée (1er-6 avril 1877) à l’île de Pâques, pour y accompagner Alphonse Pinart, jeune

explorateur déjà rendu fameux par son récent séjour en Alaska (1871-1872), d’où il

avait rapporté la splendide collection de masques Kodiak aujourd’hui conservée au

musée de Boulogne-sur-Mer. Le récit de Pinart, « Voyage à l’île de Pâques », paru dans

Le Tour du Monde en 1878 (suivi d’une communication devant la Société de géographie),

est bien connu des spécialistes qui l’ont scruté en tous sens, mais il est précieux de

pouvoir le confronter aujourd’hui avec l’une des deux rédactions consacrées par

Lafontaine à ce même voyage, et qui aurait pu inspirer le texte même de Pinart

(pp. 195-234). Pour cette section du livre, D. Delord a bénéficié des conseils de Catherine

et Michel Orliac, mais on peut gager que la révélation de cette relation inédite, très

judicieusement complétée en annexe d’un autre texte inédit extrait du rapport du

médecin du navire, Auguste Thoulon (pp. 427-432), excitera l’intérêt de tous les

professionnels ou passionnés de la civilisation et des arts pascuans. D’autres escales,

plus rapidement relatées, mériteraient d’être citées, telle celle des Samoa (pp. 312-324)

en septembre 1877, où Lafontaine cerne avec une acuité remarquable les germes des

affrontements entre grandes puissances survenus une dizaine plus tard, largement

connus au moins grâce aux écrits de Robert Louis Stevenson. Ainsi, ce « récit de mer »

si soigneusement édité par D. Delord à l’attention du grand public mérite à de très

nombreux titres l’attention des spécialistes qui y trouveront également une lecture

attrayante, fait assez rare dans leur domaine.

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252

Actualités et Actes de la Société

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

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Les états généraux de l’outre-meren Polynésie française Une initiativeprésidentielle prise après la crisesociale dans les DOM

Christophe Serra Mallol

NOTE DE L'AUTEUR

Papeete, 19 octobre 2009

À l’issue des événements de crise sociale aux Antilles dans les premières semaines de

l’année 2009 et à la Réunion dans les semaines qui suivirent, le président Sarkozy a

espéré sortir du conflit, d’une ampleur et d’une intensité jamais connues alors dans ces

territoires et qui menaçait de s’étendre à l’ensemble des collectivités ultramarines, en

lançant un vaste mouvement de réflexion dans les départements d’outre-mer, Antilles,

Guyane et Réunion « pour un débat sans tabou » selon ses termes et aborder « tous les

sujets qu'ils soient économiques, sociaux, culturels mais aussi identitaires ou encore

institutionnels »1. De cette consultation populaire, il attendait des orientations pour

faire émerger de nouvelles relations qui ne soient plus fondées sur la seule et

traditionnelle politique de la main tendue et de l’assistanat.

Cette consultation était destinée initialement aux seuls départements d’outre-mer,

mais les collectivités d’outre-mer, la Polynésie française, Mayotte, Saint-Martin, Saint-

Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ont été elles aussi appelées à participer à ce

vaste débat selon des modalités qui ont fixées et annoncées localement par les préfets

et les hauts-commissaires. En revanche, la Nouvelle-Calédonie, engagée sur une

réflexion propre de long terme2 par le biais d’une démarche participative auprès des

acteurs impliqués dans la vie économique et sociale qui mobilise la population par le

canal des organisations représentatives, a décliné l’invitation.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

254

Les modalités de participation des différentescollectivités ultramarines

La phase de participation et de consultation des états généraux de l'outre-mer s’est

déroulée de mars à juillet 2009 dans les collectivités de Guadeloupe, Martinique,

Guyane, la Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin ainsi que dans

l'Hexagone, auxquelles se sont adjoints dans un second temps Wallis-et-Futuna et la

Polynésie française.

Elle s’est tenue dans chacune des collectivités sous la forme de travaux en quatre à huit

groupes ou ateliers thématiques3 de préparation selon les collectivités regroupant des

personnes issues d’horizons socio-économiques différents aboutissant à l’élaboration

conjointe d’un diagnostic, puis de réunions publiques pour présenter les résultats des

diagnostics effectués et proposer des recommandations d’action. Une consultation

spécifique a également été organisée auprès des ultramarins de métropole via

notamment leur réseau très dense d'associations. Outre la participation aux différentes

réunions, d’autres moyens d’expression ont été mis en œuvre, via des sites internet

dédiés, des services audiotel (numéro vert), des messageries vocales, des courriers de

lecteurs dans les quotidiens locaux, etc.

Le site internet national a été fréquenté par plus de 130 000 visiteurs et a recueilli à lui

seul plus de 10 000 contributions et commentaires autour des huit thèmes proposés,

dont près de 30 000 émanant de la seule Guadeloupe malgré les consignes de « boycott »

lancées par le LKP. Parmi les thèmes soumis à la réflexion du public, c'est celui de la

gouvernance qui a suscité le plus de réactions alors que celui de la baisse des prix, à

l'origine de la crise sociale des Antilles et de la Réunion, semblait le plus attendu.

Les équipes locales et, en particulier, les rapporteurs généraux, souvent issus de

l’administration décentralisée, se sont ensuite attelés à la rédaction des rapports de

synthèse de l'ensemble des contributions recueillies pour chaque atelier, tous rendus

publics sur le site national des états généraux de l’outre-mer. Le délégué général à

l’outre-mer, chargé de la coordination de ces états généraux au niveau national,

Richard Samuel, préfet originaire de Guadeloupe, dispose ainsi d'un catalogue de

propositions émanant des différents ateliers, qui montre la diversité des situations et

des besoins exprimés dans chaque collectivité.

Ces états généraux ont été marqués par les interventions du président de la République

lors de son séjour aux Antilles en juin 2009, au cours duquel il a relancé le débat

institutionnel sur l’organisation de ces territoires, et du Premier ministre durant son

déplacement à la Réunion puis à Mayotte en juillet 2009. À la Réunion, le Premier

ministre a ainsi affirmé que l'avenir de l'économie réunionnaise ne passait pas « par

l'emploi public », souhaitant appliquer la même règle de « réduction de la dépense

publique » en outre-mer qu'en métropole :

« Il n'y aura pas d'augmentation de l'emploi public, il faut donc s'appuyer surl'emploi privé. » (François Fillon)

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

255

Les états généraux de l’outre-mer en Polynésiefrançaise

Comme ils étaient au départ destinés aux seuls départements d’outre-mer, le

gouvernement de la Polynésie française a longtemps hésité avant d’apporter une

réponse positive fin avril à l’invitation faite par le haut-commissariat de la Polynésie

française. La présidence du pays a finalement accepté d’y participer au mois d’avril

dernier, alors que la plupart des départements d’outre-mer rendaient déjà le 29 avril

des premières synthèses de leurs travaux.

L’organisation mise en place localement conjointement par la présidence du pays et le

haut-commissariat au cours du mois de mai s’appuyait sur trois structures ad hoc :

un Comité d’organisation composé de façon paritaire de membres de l’État et du territoire

(gouvernement et assemblée de la Polynésie française) et co-présidé par le haut-

commissaire de la République et par le président de la Polynésie française, qui se réunissait

une fois par mois ;

un Comité opérationnel composé des sept responsables d’atelier, dont deux d’entre eux

jouaient également le rôle de délégués généraux et de personnes ressources, co-présidé par

le secrétaire général du haut-commissariat et par le directeur de cabinet du président de la

Polynésie française ;

un Comité de pilotage composé des sept responsables d’ateliers et des personnes support

auprès de la présidence dont le coordonnateur en Polynésie française, détaché de la

présidence.

La fréquence des réunions de ces deux dernières structures était hebdomadaire, sauf

réunion supplémentaire à la demande expresse d’un des membres.

Les sept ateliers, constitués localement à partir de la constitution des ateliers proposés

dans les DOM, étaient les suivants :

la Polynésie française face au choc de la crise économique et financière : plan de relance et

renforcement de la cohésion sociale ;

grands projets structurants et développement durable ;

le renforcement de la contribution des productions locales au développement économique

et la promotion d’un développement endogène au bénéfice des Polynésiens ;

le renforcement de l’efficacité du fonctionnement des institutions de la Polynésie française ;

La mise en œuvre d’un partenariat rénové entre la Polynésie française, les communes et

l’État ;

La promotion de la culture polynésienne et le développement culturel et artistique en

Polynésie française ;

gérer l’après-nucléaire : mémoire, reconnaissance et responsabilités.

Initialement au nombre de six, le septième atelier, spécifique à la Polynésie française, a

été ajouté suite à une demande expresse du gouvernement de la Polynésie française.

Les responsables d’atelier ont été choisis conjointement par le président de la Polynésie

française et par le haut-commissariat, sur proposition du coordonnateur des états

généraux en Polynésie. À chaque responsable d’atelier était adjoint un co-animateur,

tous salariés ou contractuels de la fonction publique, et un assistant administratif.

La première réunion du Comité de pilotage a eu lieu le 4 juin et a été l’occasion de

préciser le déroulement des états généraux et d’en débattre les principales modalités :

planning prévu, type de documents attendus, moyens matériels et humains, lieux de

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

256

tenue des réunions, fonctionnement des ateliers… Elle a ouvert une phase de cadrage

des travaux qui s’est déroulée jusqu’au 16 juin, au cours de laquelle a été définie par

chaque responsable d’atelier sa « feuille de route ». Il s’agissait d’y préciser :

les objectifs attendus ;

les éléments de diagnostic déjà existants ou à réaliser ;

l’équipe en charge de la réalisation du diagnostic ;

les conditions de sa réalisation ;

la liste des participants ;

le planning de déroulement des travaux.

Une deuxième phase dite de « diagnostic » s’est tenue de la mi-juin à la fin juillet.

L’objectif était ici de réaliser un bilan objectif et argumenté pour le thème propre à

chaque atelier et d’identifier des axes de réflexion pour les discussions en réunions de

la phase suivante. Chaque responsable d’atelier avait ainsi la charge de composer à sa

discrétion un groupe de personnes ressources, en général experts dans les domaines

abordés par les thèmes de son atelier. Une réunion d’introduction a été organisée fin

juin dans chacun des sept ateliers, pour définir précisément le champ de la réflexion et

présenter l’organisation et le planning retenus pour l’atelier. Des travaux de

préparation de la phase suivante se sont également tenus, en fin de phase : organisation

logistique des réunions (réservation des salles, lancement des invitations…)

Parallèlement, des outils de recueil des contributions ont été mis en œuvre : création

d’un site internet dédié avec possibilité de laisser des messages

(www.etatsgeneraux.pf), création d’un téléphone vert aux appels gratuits, liens

internet avec les sites des principaux services de l’État et du pays (trente-six sites au

total) et avec ceux de la blogosphère polynésienne (onze sites). Les communes n’ont pas

été oubliées puisque des cahiers étaient mis à la disposition du public dans chaque

commune et commune associée de Polynésie française et des réunions organisées dans

la commune la plus importante (Rangiroa, Uturoa, Nuku Hiva, Tubuai) de chacun des

archipels hors îles du Vent.

Les médias ont été utilisés pour informer la population sur l’objectif de ces états

généraux et sur les modalités de participation. Ainsi, les deux quotidiens locaux ont

consacré chaque jour une page à ces débats et des émissions de radio et de télévision

ont été proposées tout au long du processus sous forme de débats et d’interviews en

français et en reo mā’ohi.

Une troisième phase de travaux en ateliers a suivi, de début août à la mi-septembre.

Elle a été ouverte par chaque atelier par une réunion plénière pour présenter le

diagnostic et les axes de réflexions retenus. Cette réunion plénière a également été

l’occasion de définir, de façon plus ou moins participative (par exemple, par la diffusion

plus ou moins élargie des procès-verbaux de réunions), les modalités de travail en

atelier, chaque atelier se laissant le choix de définir lui-même ses modalités de

fonctionnement. L’objectif de cette phase était de proposer et de valider en commun

par une réunion plénière de clôture des axes d’évolution pour le thème de chaque

atelier, à partir des échanges tenus en réunions et après analyse et intégration des

contributions externes (internet, téléphone, courriers des lecteurs…). Au total, près de

mille personnes ont ainsi participé aux travaux en ateliers. Puis, une phase finale de

synthèse globale des travaux s’est déroulée dans les deux semaines qui ont suivi.

L’objectif était ici de formaliser la synthèse générale par un comité rédactionnel, puis

de la faire valider par l’ensemble des responsables d’atelier. Mais les responsables

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

257

d’atelier se sont finalement saisis de cette tâche, pour jouer le rôle de ce comité

rédactionnel final.

Tout au long de ces trois phases, des réunions régulières d’avancement des travaux se

sont tenues à la fois avec le Comité opérationnel et avec le Comité d’organisation, afin

de procéder à des reportings et discuter en commun d’éventuels problèmes soulevés par

l’organisation ou la tenue des réunions d’atelier. Une phase de restitution a clôturé

cette phase de synthèse, durant la matinée du 25 septembre à la présidence du pays,

après diffusion de l’ensemble des travaux à Paris.

La suite donnée aux états généraux dans lescollectivités d’outre-mer

Les sept responsables d’atelier, comme l’ensemble de ceux des autres collectivités ultra-

marines, se sont retrouvés à Paris à l’invitation du secrétariat d’État à l’outre-mer le 1er

octobre à Paris. En l’absence de la Nouvelle-Calédonie qui n’a pas participé aux travaux

et de Wallis-et-Futuna qui n’avait pas envoyé de délégation à Paris, la Polynésie

française s’est avérée être la seule collectivité d’outre-mer française du Pacifique à

participer à cette restitution nationale.

Chaque rapporteur des collectivités a ainsi pu tracer publiquement et de façon très

synthétique les grandes lignes des recommandations retenues, avant que les

responsables d’atelier ne se retrouvent en ateliers thématiques pour partager et

débattre sur les recommandations de leur collectivité en présence de représentants de

l’État.

Le président de la République et le Premier ministre ont d’ores et déjà annoncé une

première décision : prolonger le dialogue avec la transformation des Comités

d'organisation des états généraux en comités de suivi permanents des décisions du

futur conseil interministériel de l’outre-mer4 du 6 novembre 2009. Au-delà des

décisions qui seront prises par le gouvernement, cette étape devrait aussi être

l’occasion d’une implication d’autres partenaires, à l’exemple des collectivités locales et

des acteurs économiques.

Dans un prochain article, nous proposerons une synthèse détaillée des travaux et des

recommandations pour la Polynésie française, une analyse critique de l’organisation et

du déroulé de ces travaux localement et des premiers éléments sur les discussions

tenues au comité interministériel du 6 novembre.

NOTES

1. Intervention le 19 février 2009 sur RFO du président de la République française à l’issue de

l’entretien au Palais de l’Élysée avec les collectivités locales et les parlementaires des

départements d’outre-mer.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

258

2. « Nouvelle-Calédonie 2025. Schéma d’Aménagement et de Développement de la Nouvelle-

Calédonie », voir plus d’informations sur le site internet www.nouvellecaledonie2025.gouv.nc.

3. Les thèmes soumis à la réflexion du public, décidés au niveau national avec des aménagements

possibles dans les collectivités, étaient les suivants : prix et pouvoir d'achat ; productions locales ;

développement durable ; dialogue social ; gouvernance ; intégration dans l'environnement

régional ; égalité des chances et insertion des jeunes, culture et identité.

4. Créé par décret n° 2009-182 du 18 février 2009, le conseil interministériel de l'outre-mer est

présidé par le Président de la République, et comprend le Premier Ministre et la grande majorité

des membres du Gouvernement. Il aura pour rôle principal de définir des orientations

stratégiques pour l'outre-mer, notamment en matière de développement économique, social,

culturel et environnemental. Il s'assurera également de la définition et de la mise en œuvre de

politiques publiques adaptées aux spécificités des collectivités d'outre-mer, ainsi que de leur

évaluation. Il pourra faire appel à toute personnalité qualifiée susceptible d'éclairer ses travaux.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

259

Cinéma des Océanistes

Le Cinéma des Océanistes a repris ses séances le 1er octobre 2009 à 18 heures avec la

projection du film d’André Iteanu et d’Eytan Kapon (France, 2009) : Reviens demain1.

Image1

Sept ans après le tournage de Lettre aux morts, ce film renoue avec lestrois amis d’enfance, l’avocat, le prêtre et le traditionaliste qui souhaitese lancer dans le « business », sur le thème de la politique, à l’occasionde la campagne pour les élections parlementaires de 2007 en PapouasieNouvelle-Guinée.

Sur fond de rivalités anciennes, le film a pour ambition de montrer que,pour les Orokaivas, la politique n’est pas une chose froide mais un objetinvesti  d’espoir  où   l’on  se   jette  à  corps  perdu.  La  mise  en  œuvre  duprocessus  démocratique   soulève  de  nombreuses   interrogations  poureux : pourquoi et comment voter ?Une trentaine de personnes2 ont assisté à cette séance. Le débat qui asuivi la projection a été animé, en plus des deux auteurs, par FlorenceBrunois,  Philippe  Peltier  et   Isabelle  Leblic,  à  propos  notamment  del’implication de l’ethnologue sur son terrain, qui est une des forces dece très beau film.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

260

Programme des séances à venir

• Jeudi 3 décembre 2009, à 18h

Le salaire du poète3, un film d’Éric Wittersheim (France, 2008, documentaire, 59', VOSTF)

avec le soutien du ministère de la Recherche, du LACITO CNRS et du Pacific Islands West

Center (Honolulu).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

261

Pour la première fois depuis des années, sur la petite île de Motalava, tout au nord du

Vanuatu, un nouveau chant épique sera écrit dans la langue des ancêtres, – la langue du

dieu Quat – et entrera dans la coutume. Ce qui est plus surprenant, c’est que ce chant

est écrit en l’honneur d’un Blanc, un jeune linguiste français adopté par une famille de

l’île et que tout le monde appelle familièrement « Alex ».

Pour assister à la cérémonie d’inauguration du chant, Alex arrive dans l’île avec sa

femme, ses deux enfants et une collègue ethnomusicologue. Mais une fois sur place,

tout ne s passe pas exactement comme prévu…

La projection sera suivie d'un débat en présence de l’auteur et d’autres personnalités.

• Jeudi 4 février 2010, à 18h

Image4 Image5

Les Rapa Nui ont fait un rêve…, un film de Gérard Bonnet et Philipe Ray (France, 2004,

documentaire, 52').

L’île de Pâques est isolée au milieu de l’océan Pacifique, à 4 000 km des côtes sud-

américaines. Elle est célèbre pour ses mystérieux Moaïs, ces statues géantes parsemées

autour de l’île. Localement, on l’appelle Rapa Nui, qui signifie grande brillance, ou

Tepito O Te Henua, le nombril du monde.

Tous les livres d’histoire décrivent une civilisation disparue au xixe siècle. Pourtant, il

existe un peuple natif de l’île : les Rapa Nui. La famille Hucke Atan de Tehoe Manu est sa

descendance directe. Ce clan d’irréductibles livre sa version de l’histoire du peuple

Rapa Nui…

La projection sera suivie d'un débat en présence des auteurs, de Cathy et Michel Orliac

et d’Isabelle Leblic

• Jeudi 8 avril 2010, à 18h

Les voyageurs de La Korrigane sur la piste des « Arts premiers » (52’, version DVD RMN,

français et anglais), une production Dokumenta : Jeanne Charuet, réalisateur et auteur :

Jean-Paul Fargier, conseiller scientifique : Christian Coiffier, musique : Jérôme

Bourdellon, dessins originaux : Régine van den Broek.

Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud (1934-1936) est devenu mythique.

Entrepris par cinq jeunes gens de bonne famille, épris d’exotisme mais désireux d’être

utiles à la science, c’est la dernière expédition ethnologique française qui peut

prétendre avoir ramené des divers territoires océaniens une aussi complète collection

d’objets (plus de 2 500) encore authentiques. Les plus intéressants ont été présentés au

public lors d’une exposition inaugurée le même jour que le nouveau musée de l’Homme

en 1938. Huit cents d’entre eux sont aujourd’hui à l’honneur au musée du quai Branly.

Le cinéaste Jean-Paul Fargier et l’ethnologue Christian Coiffier ont refait en partie ce

voyage en 2005 pour en mesurer la richesse. On les voit dans ce film revenir en pirogue

dans les régions les plus reculées visitées par les Korrigans, comme sur les rives du

Moyen-Sépik (Papouasie Nouvelle-Guinée). Ils retrouvent les descendants des artistes

et des artisans qui ont vendu leurs œuvres aux jeunes Français soixante-dix ans

auparavant. Les Papous n’ont rien oublié. L’art vibre comme aux jours anciens et ses

raisons s’éclairent de l’autre côté du mythe.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

262

La projection sera suivie d'un débat en présence des auteurs et de Christian Kaufman.

• Jeudi 3 juin 2010, à 18h

Ouvéa 2004, le développement pour l’indépendance ?, de Mathias Faurie

Ce film propose un état des lieux, en 2004, sur ce qui a été fait, ce qui marche et ce qui

bloque depuis les événements que l’île d’Ouvéa a connus en avril et mai 1988. Il pose la

question de savoir si le développement et le rééquilibrage annoncés ont été suivis

d’effets et si les populations locales ont ou non joué le jeu ? Et dans les cas où cela s’est

produit, on peut se demander si cela sert l’independance ! Enfin, le film revient sur ce

qu’en pensent les différents acteurs et les habitants ?

La projection sera suivie d'un débat en présence de l’auteur, de Walles Kotra, Mehdi

Lalloui et d’Isabelle Leblic

NOTES

1. Production Luna Blue film (Bruxelles) et Mouvement (France) avec l’aide de la RTBF (télévision

belge) et de France Ô.

2. Une erreur d’annonce dans le programme du musée du quai Branly a fait qu’un certain

nombre de personnes sont venues à 16h30 au lieu de 18h et ne sont pas revenues à la bonne

heure. Nous nous en excusons auprès d’eux.

3. Prix Bartok de la société française d’ethnomusicologie (28e Festival international Jean Rouch

2009).

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

263

Listes des ouvrages reçus

NOTE DE L’ÉDITEUR

(La liste précédente est incluse dans le numéro 128)

2009

BABADZAN Alain, Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie, Paris,

L’Harmattan, Connaissances des hommes, 286 p., bibliogr., 2 cartes.

BEER Bettina, Sabine KLOCKE-DAFFA und Christiana LÜTKES ( Hg.). Berufsorientierung für

Kulturwissenschafter, Erfahrungsberichte und Zukunftsperspectiven , Berlin, Reimer,

Kulturwissenschaften, 305 p., bibliogr. après chaque contribution, présentation des 21

auteurs, 15 photographies en noir et blanc.

COLLECTIF, Atoga No Mangareva, histoire mangarévienne. Regards croisés sur le Rongo de

Cahors, université Toulouse-Le Mirail, master Patrimoine 2008-2009, musée de Cahors

Henri-Martin, 111 p., bibliographie, cartes, illus. Couleur (compte rendu dans ce

numéro).

COLLECTIF, Tapa, Étoffes cosmiques d’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin,

127 p., bibliogr., nombreuses illustrations couleurs.

CRUCHET Louis, Ethnoastronomie et traditions astrologiques, Paris, Éditions Publibook,

373 p.,bibliogr. sélective,photos noir et blanc, carte.

DALY Martin, Tonga. A new Bibliography, Honolulu, University of Hawai’i Press, 306 p.,

rééd. 1996, 3 index (compte rendu dans ce numéro).

DINTRICH Michel, Un musicien chez les coupeurs de têtes, Paris, Mille et une nuits, 272 p.,

cahier de 16 p. d’illustrations couleur, nombreuses ill. noir et blanc dans le texte

(compte rendu dans ce numéro).

GNECCHI Ruscone et Anna PAINI (dir.), Anthropologia dell’Oceania, Milan, Raffaello Cortina

Editore, Culture e società, 340 p., bibliogr. après chaque article.

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

264

GUIART Jean (éd.), Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes, Paris,

L’Harmattan, 184 p., bibliogr.

KRUPNIK Igor, Michael A. L ANG and Scott E. M ILLER (eds), Smithsonian at the Poles,

Contributions to International Polar Year Science, Washington D. C., Smithsonian Institution

Scholarly Press, 405 p., index, illustrations noir et blanc.

MARTIN Stéphane (éd.), Mangareva, Panthéon de Polynésie, Paris, Somogy-Musée du quai

Branly, 80 p., bibliogr., cartes, 46 ill. couleur (compte rendu dans le numéro 128).

MOKADDEM Hamid, nd. Pratique et théorie kanak de la souveraineté. …30 janvier 1936, Jean-

Marie Tjibaou, 4 mai 1989…, Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 144 p., 2 documents en

annexes et 22 ill. noir et blanc et couleur.

VAN DER GRIJP Paul, Art and Exoticism. An anthropology of the yearning for authenticity,Berlin,

Lit Verlag, 358 p., bibliogr., index (compte rendu dans ce numéro).

VERNAUDON Jacques et Véronique FILLOL (éds), Vers une école plurilingue dans les collectivités

françaises d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, Cahiers du Pacifique Sud

contemporain, hors série 1, 320 p., bibliogr., ill. noir et blanc, liste des auteurs.

VIVIER Jean-Loup, Calédonie, l’heure des choix, Paris, L’Harmattan, 185 p.

VOLKENANDT Claus and Christian KAUFMANN (eds), Between Indigenous Australia

and Europe. John Mawurndjul. Art Histories in Context,  Canberra,Reimer - Aboriginal Studies Press, 240 p., index, 3 cartes, 45 ill. en noiret blanc, 26 planches en couleur hors textes.

2008

AL WARDI Sémir, Tahiti Nui ou les dérives de l’autonomie, Paris, L’Harmattan, 263 p.,

bibliogr. (compte rendu dans le numéro 128)

ANGLEVIEL Frédéric et Stephen LEVINE (eds), New Zealand – New Caledonia. Neighbours,

Friends, Partners. La Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie. Voisins, amis et partenaires,Wellington,  Victoria  University  Press,  347 p.,  bibliogr.  après   chaquearticle.

Bulletin de la Société des Études océaniennes 314 : Makatea, 119 p.

CARTERON Benoît, Identités culturelles et sentiment d’appartenance en Nouvelle-Calédonie. Sur

le seuil de la maison commune, Paris, L’Harmattan, coll. Portes océanes, 281 p., bibliogr.,

annexes, une carte.

COLLECTIF, Va’a. La pirogue polynésienne, Pirae, Au vent des îles – musée de Tahiti et des

îles, coll. Culture pacifique, 197 p., bibliogr., 1 carte, nombreuses illustrations en noir et

blanc et en couleur (compte rendu dans le numéro 126-127).

COLOMBO DOUGOUD Roberta (éd.), Bambou kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-

Dellenbach, Genève, MEG, Infolio, 184 p., bibliogr., très nombreuses ill. couleur et noir et

blanc (compte rendu dans la rubrique Miscellanées du numéro 126-127).

Coordination autochtone francophone, Des peules autochtones francophones en mouvement,

GIPTA-IGWIA France/UNESCO, DVD-ROM.

DE CASTRO Inès, Katja LEMBKE, Ulrich MENTER (Hg), Paradiese der Südsee. Mythos und

Wirklichkeit. Begleitbuch zur Sonderausstellung im Roemer- und Pelizaeus-Museum Hildesheim,

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

265

Mainz, Verlag Philipp von Zabern. 248 p., bibliographies, carte, 353 illustrations

(compte rendu dans ce numéro).

DE DECKKER Paul et Jean-Yves FABERON (éds), La Nouvelle-Calédonie pour l’intégration

mélanésienne, Paris-Nouméa, L’Harmattan - Nouvelle revue du Pacifique 4, 285 p., 1

carte.

DERLON Brigitte et Monique JEUDY-BALLINI, La passion de l’art primitif. Enquête sur les

collectionneurs, Paris, Gallimard, 324 p., bibliogr., index thématique (compte rendu dans

le numéro 128).

DOUGLAS Bronwen and Chris BALLARD (eds), Foreign Bodies. Oceania and the Science of Race

1750-1940, Canberra, ANU, 352 p., bibliogr. après chaque article, index, 21 ill. en noir

et blanc.

GIRARD Charles (éd.), Lettres des missionnaires maristes en Océanie, 1836-1854. Anthologie de la

correspondance reçue par Jean-Claude Colin fondateur de la Société de Marie pendant son

généralat, avant-propos de l’éditeur, préface de Claude Prudhomme, introduction

historique de Claire Laux, Paris, Karthala, collection Mémoire d’Églises, 760 p., annexe,

index biographique et onomastique, bibliogr., environ 50 illustrations couleur hors-

texte (compte rendu dans ce numéro).

HAUDRICOURT André-Georges, Essai sur l’origine des différences de mentalité entre Occident et

Extrême-Orient, suivi de Un certain sens du concret de Jean-François Bert, Strasbourg, Les

Carnets 6, 85 p. (compte rendu dans le numéro 128).

HAUN Beverley, Inventing Easter Island, Toronto-London, University of Toronto Press-

Buffalo, 332 p., bibliogr., index, ill. noir et blanc.

HERREMAN Frank (éd.), Océanie. Signes de rites, symboles d’autorité, contributions de Pauline

van der Zee, Ingrid Heermann, Karen Jacobs, Bart Suys, Bruxelles, ING-Fonds Mercator,

192 p., bibliographie, cartes, 17 figures dans le texte, 198 objets photographiés et

décrits (compte rendu dans le numéro 128).

JOANNOT Pascale, Nouvelle-Calédonie. Terre de corail, Paris, Éditions Maison de la Nouvelle-

Calédonie /Solaris, 123 p., bibliogr., ill. couleur (compte rendu dans ce numéro).

JOSEPHIDES Lisette, Melanesian Odysseys. Negotiating the Self, Narrative and Modernity ,

Oxford, Berghan Books Ltd, 246 p., bibliogr., index, photos noir et blanc.

KUNZ R. et Vibha J OSHI (eds), Naga, a Forgotten Moutain Region Rediscovered, Basel,

Christophe Merian Verlag and Museum des Kulturen Basel, 200 p., glossaire, bibliogr.,

cartes et photos noir et blanc et couleur.

MARANDA Pierre, Voyage au pays des Lau (îles Salomon, début du XXe siècle). Le déclin d’une

gynécocratie, Paris, éditions Cartouche, 189 p., bibliogr., 1 carte, dessins noir et blanc

(compte rendu dans le numéro 128).

Mathématiques et sciences humaines 183 : Hommage en l’honneur de G.-Th. Guilbaud, 116 p.

MRGUDOVIC Nathalie, La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, Paris,

L’Harmattan, coll. Lettres du Pacifique 10, 438 p., bibiogr., index, annexes, préface de

Michel Rocard, 2 cartes, 1 schéma.

PITOISET Anne et Claudine WÉRY, Mystère Dang, Paris, Le Rayon vert, 191 p., bibliogr.,

cahier photos hors texte de 31 p., annexes : 6 biographies, 2 cartes, chronologie.

POATYIÉ Anna Pwicèmwâ et David DIJOU, Le chasseur de la vallée. I pwi-a i-pwâ mûrû géé nâ

mötö. Conte kanak paicî-français, Nouméa, ADCK-centre culturel Tjibaou et grain de sable

Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

266

jeunesse, 28 p., ill. couleur, lexique paicî, CD audio bilingue (compte rendu dans le

numéro 128).

SAND Christophe, Jacques BOLÉ, André (John) OUÉTCHO et David BARET, Parcours

archéologique. Deux décennies de recherches du département archéologie de Nouvelle-Calédonie

(1991-2007), Nouméa, Les Cahiers de l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 17, 278 p.,

bibliogr., 1 carte, nombreuses photographies en couleur (compte rendu dans ce

numéro).

TAYLOR John P., The other side. Ways of being and place in Vanuatu, Honolulu, University of

Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 22, Center for Pacific Island Studies, 238 p.,

glossaire, bibiogr., index, 36 ill. en noir et blanc.

WADDELL Eric, Jean-Marie Tjibaou. Kanak witness to the world. An intellectual biography,

Honolulu, University of Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 23, Center for Pacitific

Islands Studies, 232 p., bibliogr., index, 23 ill. noir et blanc.

WAHEO Taï, Oûguk, Le petit coco vert. Oûguk, ame metu ke caa ûen. Récit autobiographique en

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ill. couleur (compte rendu dans le numéro 128).

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Branly-Actes Sud, 144 p., bibliogr., cartes, très nombreuses ill. noir et blanc et couleur.

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rendu dans ce numéro).

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Journal de la Société des Océanistes, 129 | juillet-décembre 2009

267

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2006

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dans le numéro 126-127).

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numéro 125).

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(compte rendu dans le numéro 126-127).

PÉTREQUIN Anne-Marie et Pierre, avec la collaboration d’Olivier Weller, Objets de pouvoir en Nouvelle-Guinée. Approche ethno-archéologiqued’un système de signes sociaux, catalogue de la donation Anne-Marie etPierre   Pétrequin,   préface   de   Patrick   Périn   (directeur   du   muséed’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, MAN-RMN-CTHS, 552 p.,environ  600   illustrations  et  cartes  en  noir  et  blanc  et  couleur,   index,bibliographie (compte rendu dans le numéro 124).

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(compte rendu dans le numéro 126-127).

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RICH Roland (ed.) with Luke Hambly and Michael G. Morgan, Political Parties in the Pacific

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Australian National University, 244 p., bibliogr., glossaire, index, cartes.

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SCHMID Anna (herausgegeben von), Mit Begeisterung und langem Atem.

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cartes, illus. noir et blanc, CD.

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dans le numéro 124).

2005

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AUBERT Laurent (éd.), Musiques migrantes, Genève, Tabou, infolio, MEG, 240 p.,

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annexes, lexiques, index, bibliographie, illustrations noir et blanc dans le premier

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LEMONNIER Pierre,  Le sabbat des lucioles. Sorcellerie, chamanisme et

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272