Journal de la Société des américanistes, 95-2

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Journal de la Société des américanistes 95-2 | 2009 tome 95, n° 2 Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/jsa/10933 DOI : 10.4000/jsa.10933 ISSN : 1957-7842 Éditeur Société des américanistes Édition imprimée Date de publication : 5 décembre 2009 ISSN : 0037-9174 Référence électronique Journal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009, « tome 95, n° 2 » [En ligne], mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 24 avril 2022. URL : https://journals.openedition.org/jsa/10933 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jsa.10933 Ce document a été généré automatiquement le 24 avril 2022. © Société des Américanistes

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Journal de la Société des américanistes 

95-2 | 2009tome 95, n° 2

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/jsa/10933DOI : 10.4000/jsa.10933ISSN : 1957-7842

ÉditeurSociété des américanistes

Édition impriméeDate de publication : 5 décembre 2009ISSN : 0037-9174

Référence électroniqueJournal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009, « tome 95, n° 2 » [En ligne], mis en ligne le 10décembre 2014, consulté le 24 avril 2022. URL : https://journals.openedition.org/jsa/10933 ; DOI :https://doi.org/10.4000/jsa.10933

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SOMMAIRE

Articles

Varia

Les grandes pointes foliacées du type « Ponsonby » : un traceur culturel en PatagonieaustraleDominique Legoupil et Nicole Pigeot

From the island’s point of view. Warfare and transformation in an Andean verticalarchipelagoTristan Platt

Catastrophes and Weddings. Chachi Ritual as MetamorphosisIstvan Praet

Dossier : Historiographie américaniste

La Société des Américanistes de Paris : une société savante au service de l’américanismeChristine Laurière

Historiographie de l’américanisme scientifique français au XIXe siècle : le « prix Palenque »(1826-1839) ou le choix archæologique de JomardNadia Prévost Urkidi

Le Congrès des américanistes de Nancy en 1875 : entre succès et désillusionsÉtienne Logie et Pascal Riviale

Dossier : « Race », « ethnie » et « communauté » (II)

Nota Bene

Contestations Over Classifications: Latinos, the Census and Race in the United StatesClara E. Rodríguez

Whiteness in Latin America: measurement and meaning in national censuses (1850-1950)Mara Loveman

Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791)Dominique Rogers

The politics of « racial » classification in BrazilPeter Fry

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Position

L’auteur malgré lui. Réponse à un texte d’Emmanuel DésveauxLaurent Barry

Compte rendus

RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans la littérature desNahua du Mexique préhispaniqueMichel Perrin

SILVERMAN Gail P., A woven book of knowledge. Textile iconography of Cuzco, PeruAnnabel Vallard

NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur et leurs voisinsPhilippe Erikson

VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modes and effects ofChristianity among Indigenous Peoples of the AmericasFlorent Kohler

WRIGHT Robin M. (ed.), Transformando os deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas,pentecostais e neopentecostais entre os povos indígenas no Brasil • CABRERA BECERRA

Gabriel, Las Nuevas Tribus y los indígenas de la Amazonía: historia de una presenciaprotestanteJean-Pierre Goulard

CERIANI CERNADAS César, Nuestros hermanos lamanitas. Indios y fronteras en laimaginación mormonaDiego Villar

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Articles

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Articles

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Les grandes pointes foliacées dutype « Ponsonby » : un traceurculturel en Patagonie australeDominique Legoupil et Nicole Pigeot

1 De grandes pointes lithiques bifaciales foliacées, fines et longues, découvertes pour la

première fois à Ponsonby, en Patagonie australe, il y a 50 ans, marquent désormaistoute une série de sites du Ve millénaire cal BP dans cette région. Par leur morphologiefoliacée (lancéolée) très normalisée, leurs grandes dimensions et une denticulationoccasionnelle mais récurrente, elles sont très différentes des autres pointes observéesavant, après, ou ailleurs, chez les chasseurs-cueilleurs, tant terrestres que maritimes,de la région.

2 La valeur de ces pièces exceptionnelles mérite réflexion. Il est vrai que le façonnage

bifacial d’outils ou d’armes est une constante des traditions culturelles observées dansla région et même dans l’ensemble du continent américain à différentes époques del’Holocène. Toutefois, l’examen de certains aspects techniques et fonctionnels desgrandes pointes de Ponsonby indique qu’elles ont acquis le statut d’un véritablemarqueur culturel. En considérant leur spécificité conjointement avec leur traçagehistorique dans le contexte géographique qui leur est spécifique, il nous apparaît queces pointes peuvent caractériser un groupe original aux traditions communes. On peutmême s’interroger sur le rôle social et symbolique qu’elles ont pu jouer, à l’instard’autres traits culturels.

Un contexte chronogéographique homogène

3 Seuls deux sites à grandes pointes ont fait jusqu’à présent l’objet de fouilles extensives :

Ponsonby partiellement fouillé dans les années 1951-1958 par J. et A. Emperaire(Laming-Emperaire 1967-1968 ; Emperaire 1988), puis repris dans une partie restantedu site – les locus 1 et 2 – entre 1993 et 1997 (Legoupil 2003a) et Lancha Packewaïafouillé entre 1973 et 1976 (Orquera et al. 1977 ; Orquera et Piana 1993-1994). Ce dernier a

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fourni plus d’une centaine de pointes ou fragments de pointes foliacées (Orquera et al.

1977, tabl. IX) ; le premier, 47 pièces (Schidlowsky 2003, tabl. 10).

4 Cependant, d’autres pointes similaires (une quinzaine) sont apparues plus

occasionnellement dans des sondages ou de petites fouilles limitées, voire lors decollectes de surface dans des sites érodés. On en a ainsi trouvé sur la péninsule deBrunswick à Km 44 (Ortiz-Troncoso 1973) et à Rey Felipe (Miranda 1967), dans la régiond’Ultima Esperanza sur l’îlot Krüger et le Rio Hollemberg (Morello et al. 2002), dans leseno Skyring sur l’île Guzman (Legoupil 1992-1993), enfin sur l’île Dawson dans le senoOwen (Morello et al. 2002), dans la bahia Fox (Legoupil et al. 2007), ainsi que sur l’îlotOffing où un site, récemment découvert, est en cours de fouille (Legoupil et al. ibid.).

5 Tous ces gisements se situent dans un cadre chronogéographique bien circonscrit. Ce

sont tous des sites côtiers, en prise directe avec la mer, mais situés en lisière duterritoire terrestre, le long d’un arc de cercle qui s’étire sur près de 600 km, du senoUltima Esperanza au nord-ouest (l’îlot Krüger ; Rio Hollemberg), jusqu’au canal Beagleau sud-est (Lancha Packewaïa : voir Figure 1).

FIG. 1 – Les sites à grandes pointes foliacées : situation géographique.

6 La principale plage de recouvrement chronologique des sites varie entre 4 220 et

4 847 cal BP (Figure 2) ; elle serait donc limitée à une fourchette de moins de 700 ans(Figure 3). Un seul cas pourrait laisser supposer que ces pointes étaient encorefabriquées au début du IIIe millénaire cal BP : celui de Km 44. Toutefois, ce témoignageest fragile : il repose sur l’association d’une pointe découverte il y a 35 ans (Ortiz-Troncoso 1973) et d’un prélèvement daté très récemment dans le site (Morello et al.2002).

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FIG. 2 – Datations des principaux sites à grandes pointes (en italiques et gras) et des premiers sitesmaritimes anciens.

FIG. 3 – Chronologie des principaux sites maritimes anciens et des sites à grandes pointes (en grisé laprincipale plage de recouvrement des sites).

7 La hauteur des terrasses marines sur lesquelles se trouvent les gisements est

étroitement liée à leur période d’occupation. Tous les sites (datés ou non) se trouvententre 4 et 6 m au-dessus du niveau actuel des mers ce qui confirme leur grandehomogénéité chronologique : 4 m 50 à 5 m 50 à Ponsonby ; environ 6 m à LanchaPackewaïa (Piana, communication personnelle) ; 4 m à Km 44 (Ortiz-Troncoso 1973),6 m à Rio Hollemberg (Morello et al. 2002), 4-5 m à l’île Krüger (Legoupil et al. 2003) ;4 m 50 à l’île Guzman (Legoupil et al. 1992-1993) ; 4 m à la Bahia Fox sur l’île Dawson, et5 m pour l’îlot Offing (Legoupil et al. 2007).

8 Cette situation intermédiaire entre les terrasses basses (2-3 m), où se trouvent la

plupart des sites tardifs, et les terrasses hautes (au-delà de 10 m), où sont situés la

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plupart des sites anciens (culture d’Englefield et site de Túnel I), est liée à l’évolutiondes niveaux marins au cours de l’Holocène. Le niveau maximum des eaux,correspondant à la transgression flandrienne, a atteint dans la région entre 5 et 10 msnm (au-dessus du niveau marin actuel) vers le milieu de l’Holocène, soit à peu près àl’époque de la première installation de l’homme dans les territoires maritimes (voir,par exemple, la courbe d’Urien et Thurber, in Ortiz-Troncoso 1979). Les terrasses de4-6 m étaient alors sans doute immergées et n’ont été disponibles pour les populationsà grandes pointes qu’après qu’ait débuté le processus de régression marine.

Une stratégie économique originale

9 À la différence du système d’exploitation maritime des premières populations établies

en bord de mer dans la partie centrale du détroit de Magellan et dans la mer d’Otway(culture d’Englefield), l’économie observée à Ponsonby et Lancha Packewaïa est mixte.La modification de l’équipement de chasse des groupes à grandes pointes pourrait doncêtre due à un changement dans leurs activités cynégétiques.

10 À Lancha Packewaïa, les guanacos, proies traditionnelles des chasseurs terrestres, sont

les animaux les plus chassés, immédiatement après les pinnipèdes (Orquera et Piana1999). Le campement était, en effet, parfaitement accessible à ces artiodactyles quicohabitèrent durant tout l’Holocène avec les chasseurs terrestres de Terre de Feu, aprèsl’ouverture du détroit de Magellan intervenue il y a entre 10 000 et 11 000 ans(Clapperton 1992) et l’insularisation du territoire qui s’en est suivie.

11 À Ponsonby, sur l’île Riesco, les guanacos représentaient la majorité des restes

retrouvés. L’espèce n’a pas été signalée sur l’île lors de la colonisation à la fin duXIXe siècle. Cependant, elle était manifestement présente à l’époque d’occupation du

site, quoique la séparation de l’île et du continent ait déjà été effective : celle-ciremonterait au début de l’Holocène, comme l’ouverture du détroit de Magellan, selonRobert D. MacCulloch (communication personnelle). Les guanacos étaient même sicommuns qu’ils se sont fait piéger par dizaines dans une tourbière datée de 7 000 ans àPonsonby (Lepetz et al. 2003). Il y a 4 à 5 000 ans, ils étaient encore chassés massivementpar les occupants des niveaux B et C (Lefèvre et al., 2003).

12 Les données faunistiques manquent pour les autres gisements à grandes pointes, mais

tous se trouvent à peu de distance de la pampa et offraient donc un accès facile auterritoire steppique ou faiblement boisé des guanacos, notamment les sites de lapéninsule de Brunswick ou de la région d’Ultima Esperanza.

13 En fait, seul le site de Offing ferait exception avec une économie de subsistance qui,

d’après les premières analyses, paraît entièrement tournée vers la mer. Seuls quelquesos de guanacos, tout à fait anecdotiques, ont été retrouvés dans ce site. Il est vrai quec’est le seul campement à grandes pointes où les occupants n’avaient pas accèsdirectement aux guanacos. En effet, l’îlot Offing, isolé au milieu du détroit de Magellan,était trop petit (plus ou moins 1 km2) pour supporter une population viable de grandsmammifères terrestres ; et les guanacos n’ont jamais été signalés non plus sur la grandeîle Dawson, toute proche, si ce n’est par des vestiges très rares découverts dans dessondages (Legoupil et al. 2007). Les quelques ossements retrouvés à Offing proviennentdonc très probablement, comme ceux-ci, de la Terre de Feu à l’est, ou, éventuellement,de la péninsule de Brunswick à l’ouest. Dans tous les cas, leur présence implique que les

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occupants de ce campement ont traversé un bras de mer d’une dizaine de kilomètres,infranchissable autrement qu’en canot. Ils représentent donc les seuls possesseurs degrandes pointes dont on sait avec certitude qu’ils pratiquaient la navigation.

14 Ainsi, les populations à grandes pointes semblent avoir été, sur le plan économique,

très adaptables selon les circonstances. Ce caractère mixte les différencie nettementdes groupes voisins très spécialisés, généralement observés en Patagonie jusqu’àl’époque moderne. Mais, de ce fait, leur stratégie économique ne représente pas uncritère culturel déterminant permettant de les caractériser à coup sûr. Empruntanttantôt aux chasseurs terrestres, tantôt aux chasseurs marins, ils pouvaient pratiqueraussi bien la chasse aux guanacos qu’aux animaux marins ou aux oiseaux. Pratiquant lanavigation comme le prouve l’occupation du site d’Offing, ils avaient accès aux deuxdomaines, terrestre et maritime. Cela les différenciait autant des premiers groupes« canoeros »1, installés dans la région et visiblement soucieux de se maintenir à l’écartdes chasseurs terrestres grâce à la barrière de l’eau, que des derniers chasseursterrestres dont on sait qu’ils ne pratiquaient pas la navigation.

Un équipement technique à la confluence entrechasseurs terrestres et maritimes

15 Si l’on examine maintenant l’équipement technique de ces groupes, les principales

données dont on dispose proviennent, encore une fois, essentiellement de LanchaPackewaïa (Orquera et al. 1977 ; Orquera et Piana 1999 ; Álvarez 2007) et Ponsonby(Legoupil 2003b, c ; Pigeot 2003 ; Schidlowsky 2001, 2003, 2006). La panoplie, constituéed’armes, d’outils et d’objets décoratifs, présente des caractères communs aux deuxgroupes socioculturels de la pampa et des archipels.

16 L’industrie osseuse est typique des populations maritimes : des pointes de harpons

monodentées, des pointes de lances multidentées et des outils à extrémité biseautée enos de mammifères marins, ainsi que des poinçons, des tubes et des perles tubulaires suros d’oiseaux. Elle présente cependant quelques points originaux par rapport àl’industrie des premiers groupes canoeros. Ainsi les pointes de harpons sont plus rares,et techniquement et typologiquement moins systématisées. Leur décoration est aussibeaucoup moins développée que sur les harpons de la culture d’Englefield, caractériséspar des gravures géométriques (Emperaire et Laming 1961 ; Ortiz-Troncoso 1979 ;Legoupil 1997), et ceux des sites anciens du canal Beagle, ornés de décors gravés, àmotifs géométriques et naturalistes comme les harpons vulpicéphales du second niveaude Túnel I (Orquera et Piana 1986-1987). Surtout, on a découvert à Ponsonby desfragments de grandes pièces interprétées comme pointes (de sagaies ?) en os demammifère marin, massives et de section circulaire, uniques dans la région : ellespouvaient atteindre une trentaine de centimètres de longueur pour un diamètre de 2 à3 cm et étaient, pour certaines, marquées à une extrémité par deux petits reliefslatéraux courts et épais, plus fonctionnels comme système de fixation dans une hampeque comme barbelure pour retenir une proie (Figure 4, gauche). Des pièces trèscomparables, mais avec un seul relief, étaient présentées en 1981 dans les vitrines dumusée del Fin del Mundo à Ushuaïa (Figure 4, droite) : elles provenaient de ramassages desurface dans un site du canal Beagle, Rio Chico 3, malheureusement non daté.

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FIG. 4 – Pointes de sagaies de Ponsonby (d’après Legoupil 2003c, fig. 5) et Rio Chico 3 (clichéLegoupil).

17 Outre les grandes pointes, l’industrie lithique est, elle, essentiellement constituée de

grattoirs, de racloirs, de couteaux, de percuteurs et d’éclats utilisés. Toutes ces piècesse retrouvent en proportion variable, selon les activités développées dans les sites, etne sont pas culturellement très diagnostiques, sauf dans quelques cas comme les grandsracloirs à retouches couvrantes, les petits grattoirs unguiformes, ou les bolas. Lesgrands racloirs présents à Lancha Packewaïa et à Ponsonby évoquent fortement ceux dela grotte Fell (Schidlowsky 2003). Les petits grattoirs (il en existe un second type d’unmodule plus grand), bien connus chez les chasseurs terrestres, sont représentés àPonsonby, mais absents à Lancha Packewaïa, ce que Schidlowsky (ibid., p. 200) expliquepar le fait que « les contacts avec les chasseurs terrestres sont favorisés par la positiongéographique du gisement de Ponsonby ». Quant aux bolas, armes caractéristiques deschasseurs terrestres, elles ont été façonnées sur place à Ponsonby comme en attestentplusieurs fragments d’ébauches cassées (Legoupil 2003b). Elles ne résultent donc pasd’un simple échange d’objet, mais d’un véritable emprunt technique intégré jusquedans ses procédés de fabrication…

18 En fait, c’est surtout dans le choix des matières lithiques qu’on observe l’originalité des

sites à grandes pointes (Schidlowsky 2006). Ainsi, à Ponsonby comme à LanchaPackewaïa, sont employés systématiquement deux types de roches, l’une relativementtendre et friable, l’autre plus siliceuse et dure.

19 Dans le premier site, l’une, appelée communément « lutite », est en réalité une cinérite

retravaillée résultant de l’accumulation mécanique de détritus pyroclastiques et/ouvolcaniques plus anciens ; l’autre, la rhyolithe, est une roche pyroclastique primairerésultant d’accumulation directe de matériaux clastiques engendrés par des explosionsvolcaniques (Terradas, communication personnelle 2003). Dans le second site, il s’agit

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d’une vulcanite (l’andésite) et de métamorfites (rhyolithes et cinérites), rochespyroclastiques primaires de la Formation Lemaire (selon Terradas et al. 1991). Dans lesdeux sites, les pointes sont réalisées préférentiellement (mais non exclusivement) surla roche la plus tendre, alors que la roche plus dure et clastique, au grain plus fin et auxarêtes plus coupantes, était préférée pour le débitage d’éclats (Orquera et Piana 1999 ;Pigeot 2003 ; Álvarez 2007). Dans tous les cas, ces matériaux se distinguent nettementde l’obsidienne utilisée massivement dans les sites d’Englefield (Pigeot et Schidlowsky1997) et à laquelle les groupes à grandes pointes ne semblent pas avoir eu accès. Ils sedifférencient également des roches utilisées dans la pampa, en particulier dans lagrotte Fell où domine le basalte, suivi de la calcédoine et d’autres roches siliceuses(Schidlowsky 2006, fig. 4).

20 On voit ainsi se dessiner peu à peu les caractères particuliers des sites à grandes

pointes : à leur situation chronogéographique limitrophe entre steppe et archipels(mais toujours côtière) vient s’ajouter la polyvalence de leur économie et de leuréquipement technique, qui évoque tantôt les groupes maritimes, tantôt les groupesterrestres.

Un marqueur culturel fort : les grandes pointesfoliacées

21 La caractéristique la plus frappante de ces sites reste les grandes pointes foliacées ou

subfoliacées. Il convient donc de s’interroger sur la charge culturelle de ces artefacts :leurs caractères particuliers sont suffisamment diagnostiques et répétés pour que cespièces constituent véritablement le marqueur d’un groupe socioculturel original. End’autres termes, on peut considérer qu’elles représentent un type, « le type Ponsonby »,au même titre que les pointes Clovis, les pointes « en queue de poisson » ou les pointesde Paiján.

Les critères morphotypologiques

22 Deux critères permettent de distinguer facilement ces pointes : leurs dimensions

exceptionnelles et le modèle morphologique très standardisé vers lequel elles tendent(Figure 5).

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FIG. 5 – Les grandes pointes foliacées de Lancha Packewaïa (Orquera et al. 1977, fig. 48, 46, 45, 43, 49),de Ponsonby et d’Offing.

23 La longueur des pièces de Lancha Packewaïa varie en général entre 12 et 17 cm

(Orquera et Piana 1999), celles de Ponsonby entre 13 et 16 cm (Schidlowsky 2003).Presque toutes les pièces entières provenant des autres sites entrent peu ou prou dansce cadre (Morello et al. 2002, tabl. 1). Toutefois, quelques pièces exceptionnelles sortentdu lot : un peu plus grandes (jusqu’à 20 cm, par exemple, à Ponsonby et à Offing) ou unpeu plus petites (une dizaine de centimètres à Lancha Packewaïa et à Offing).

24 La longueur moyenne s’établit ainsi autour d’une quinzaine de centimètres. C’est le

double, voire le triple, de celle des pointes observées au cours de la première moitié del’Holocène en Patagonie, aussi bien dans les sites anciens de l’île d’Englefield,notamment à Bahia Colorada (Pigeot et Schidlowsky 1997, fig. 30), que dans les couchesmoyennes (III et IV) de la grotte Fell (Bird 1993, fig. 14 et 15).

25 Morphologiquement, les fouilles du locus 1 de Ponsonby n’ont pas permis de mettre en

évidence l’existence de types ou de sous-types standardisés (Pigeot 2003). En revanche,en incluant les pièces de la collection Emperaire, Schidlowsky (2001) a distingué deuxgrandes catégories de pièces bifaciales : quelques bifaces cordiformes (de longueursimilaire aux pointes, mais plus larges et plus épais) et les pointes elles-mêmes, trèslargement majoritaires. Ce sont ces dernières qui représentent le type « classique »,foliacé : allongé, mince, symétrique, appointé à une extrémité, plutôt arrondi à l’autreet parfois denticulé. Outre leur longueur absolue, l’allongement de ces pièces estparticulièrement spectaculaire, notamment par rapport aux bifaces cordiformes dePonsonby ou aux nombreuses ébauches de Lancha Packewaïa qui auraient pu êtredestinées aussi bien au façonnage de pointes que de simples bifaces. Cet allongementdes pointes (rapport longueur/largeur) est généralement compris entre 3,3 et 3,9 àPonsonby (Schidlowsky 2003, p. 188), mais il peut atteindre un rapport de 5 et même 6,

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par exemple sur une des pointes de l’île Offing (Figure 5, à droite). Ces pointes sontégalement assez minces malgré leurs grandes dimensions : leur épaisseur varie entre11 mm et 17 mm à Ponsonby (Schidlowsky 2003, tabl. 9), 8 et 12 mm sur l’île Kruger etles sites de la péninsule de Brunswick (Morello et al. 2002, tabl. 1) et moins de 10 mmpour les pièces représentées dans Orquera et al. (1977). Selon ces auteurs, le rapportépaisseur/largeur est alors de 1/4.

26 La recherche d’une longueur maximale de tranchant avait déjà été observée dans les

sites d’Englefield, mais pour les couteaux en obsidienne (Pigeot et Schidlowsky 1997), cequi était fonctionnellement justifié. Dans le cas des pointes, cette tendance nes’expliquerait que si elles étaient utilisées comme couteau mais, dans ce cas, il n’yaurait aucune raison de se soucier d’une parfaite symétrie. Pour une utilisation enpointe de jet ou de poignard, la longueur et, surtout, l’allongement fragilisentconsidérablement la pièce sans, pour autant, offrir une plus grande force depénétration. C’est ce choix qui explique sans doute le grand nombre de piècesfragmentaires retrouvées dans les sites, qu’elles aient été cassées en deux lors de leurfabrication (comme c’est le cas le plus fréquent), ou en percussion comme l’évoquentcertaines fractures en biais portant une languette.

Le système technique et la chaîne opératoire de façonnage des

pointes

27 Le façonnage bifacial est pratiqué en Patagonie depuis la fin du Pléistocène et les débuts

de l’Holocène, comme en témoignent les pointes en queue de poisson caractéristiquesnotamment de la phase I de la grotte Fell (Bird 1993). Il a toutefois connu undéveloppement apparemment à éclipses selon les moments, les régions et les sites, dansbien des cas, sans doute, pour des raisons fonctionnelles (selon les activités auxquelleselles étaient destinées) et non en fonction de variations culturelles. Peut-être est-ce dûaussi au hasard du développement des recherches. Ainsi, un millénaire avantl’apparition des grandes pointes, la taille bifaciale était utilisée massivement pourréaliser toute sorte d’objets, outils ou armes dans l’ensemble des sites à obsidienne dela culture d’Englefield. À la même époque, elle était à peine représentée dans le secondniveau de Túnel I, où aucune pointe n’était observée, sauf une, en obsidienne, d’origineallochtone (Orquera et al. 1977).

28 Les méthodes employées pour la fabrication des grandes pointes ne constituent pas en

elles-mêmes une innovation particulière : le processus de réduction est classique, d’unébauchage plus ou moins poussé sur masse ou éclat à la percussion directe, surtouttendre, jusqu’à, dans certains cas, une ultime finition à la pression. Mais ce qui fait lamarque de fabrique de ce façonnage est sans aucun doute la systématisation de lachaîne opératoire, la qualité et la régularité des réalisations (on pourrait presque parlerd’automatisation vu l’homogénéité des produits obtenus malgré les difficultéstechniques posées par la dimension des supports), ainsi que le soin apporté à unaménagement final par pression, destiné à produire une denticulation du tranchant quipeut, dans certains cas, être très prononcée (Figure 6).

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FIG. 6 – Pointe denticulée découverte par un pêcheur dans le seno Owen sur l’île Dawson (clichéLegoupil).

29 La chaîne opératoire2 de façonnage de ces pièces a été analysée sur toute sa séquence

dans le locus 1 de Ponsonby (Pigeot 2003), et c’est surtout à partir de cette étude quenous allons la synthétiser. Le processus mis en œuvre a ainsi été bien identifié depuisl’acquisition des matières et le choix des supports jusqu’à l’abandon des pièces. Ilprésente des particularités qui sont propres à cet ensemble de pièces et qui sedifférencient clairement du mode d’acquisition des groupes canoeros anciens ou tardifspuisque l’obsidienne réapparaît ensuite dans les sites après un ou deux millénairesd’absence.

L’acquisition des supports

30 Comme on l’a vu pour l’ensemble du matériel lithique, les comportements liés aux

choix des matières ont été comparables dans les deux sites de référence, pourtantdistants de plus de 500 km. Dans le locus 1 de Ponsonby les produits de façonnage sont,à 62 %, sur lutite et, à 26 %, sur rhyolithe (Pigeot 2003, tabl. 2). À Lancha Packewaïa, lamatière la plus utilisée est la vulcanite, suivie par les métamorfites (Orquera et Piana1999). Le choix préférentiel des roches tendres est manifeste dans les deux cas. ÀLancha Packewaïa, le choix de la vulcanite serait justifié par sa bonne homogénéité. ÀPonsonby, celui de la lutite serait dû avant tout à la grande dimension des rognons,principale qualité recherchée selon Pigeot (2003), mais aussi à la « finesse du grain, lastructure homogène, et la bonne aptitude à la taille » de cette matière, malgré unequalité de tranchant plus médiocre que la rhyolithe (ibid. p. 128).

31 Si le choix des qualités de matières est identique, celui des supports est, lui,

étonnamment différent entre les deux sites : dans un cas des éclats, dans l’autre desmasses centrales. À Ponsonby, dans tous les cas déterminables (5 ébauches), les pointesétaient façonnées à partir de grands éclats détachés au moyen d’une forte percussiondure, tandis qu’il n’existe aucune trace d’un façonnage sur galet ou plaquette. La seulepièce qui pourrait représenter une ébauche sur masse est ambiguë et a plutôt étéinterprétée comme un nucléus relevant de la famille conceptuelle des discoïdes (ibid.,

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fig. 6). L’obtention des grands éclats dévolus au façonnage des grandes pointes a doncnécessité la mise en œuvre d’opérations de débitage particulières, car il n’y a pas denucléus aussi grands dans le niveau d’occupation. Avant d’être rapportés aucampement, les grands éclats-supports avaient dû être débités directement sur lesplages voisines où abondent les roches transportées par les glaciers. Il s’agit d’unepratique d’acquisition simple et efficace consistant à percuter sur place de gros blocs,sans même avoir à les déplacer, et à obtenir facilement les grands éclats dont la formeest, dès l’origine, assez idéale pour initier un façonnage grâce à la structure déjàbifaciale d’un éclat brut.

32 À Lancha Packewaïa, en revanche, la première phase de mise en forme est dominée par

des témoins spectaculaires : les grandes préformes sur masse centrale (Orquera et al.

1977). Certaines pointes pourraient avoir été réalisées sur éclats, mais aucun témoin dece procédé n’est signalé, peut-être en raison de la difficulté à identifier les supportsinitiaux sur des objets entièrement façonnés. Les grandes préformes sur masseattestent en tout cas que des blocs volumineux ont été rapportés au campement,vraisemblablement après avoir été ébauchés sur leur lieu de collecte. Étant donné lepoids des pièces, cette collecte était plus coûteuse en énergie qu’à Ponsonby. Cela estd’autant plus vrai que la source de la vulcanite n’a pu être retrouvée et pourrait sesituer géologiquement hors du canal Beagle (Orquera et Piana 1999), à moins que desrognons n’aient été apportés par le déplacement des glaciers.

33 L’acquisition des supports lithiques à Ponsonby (et peut-être à Lancha Packewaïa) est

en tout cas très différente de ce qui se pratiquait pour l’obsidienne, principale matièreutilisée dans les sites canoeros anciens de la culture d’Englefield. Dans ces dernierssites, ce matériau était utilisé indifféremment pour le débitage d’éclats et le façonnagede pièces bifaciales. Surtout, la collecte de ce matériau rare impliquait la connaissancede l’une de ses sources, sans doute dans la zone sud du seno Otway (Morello et al. 2004 ;Stern et Prieto 1991), et un déplacement par mer (donc une programmation). Les blocsde matière première (sous forme de galets, de baguettes ou, souvent, de plaquettesallongées favorisant l’obtention de produits allongés, notamment des couteaux) étaientrapportés et stockés au campement où de nombreux nodules bruts ou à peine testés ontété retrouvés, en particulier à Bahia Colorada (Pigeot et Schidlowsky 1997).

Le façonnage

34 À Ponsonby, le façonnage pouvait commencer directement à la percussion tendre sur

ces morphologies déjà « prêtes » que sont les éclats. Il n’y a donc pas de phased’ébauchage proprement dite. Plus d’un millier d’éclats, courbes et aux talons déversés,très caractéristiques de cette technique, ont été reconnus comme déchets de façonnageà la percussion tendre organique. Ces vestiges témoignent de la fabrication des grandespointes in situ, une partie d’entre elles étant laissée sur place (au total 27 pointesentières ou fragmentaires après raccords), l’autre emportée ailleurs comme entémoignent certains ensembles auxquels seul manque l’objet final, la pointe elle-même(17 pointes « fantômes » ont ainsi été emportées). Des remontages ont été testés etréalisés, mais avec moins d’insistance pour le façonnage que le débitage, du fait dumoindre intérêt technologique des reconstitutions de pointe. En fait, c’est lerapprochement des variétés de roche au niveau très spécifique de chaque matériautaillé qui s’est révélé un excellent substitut au remontage. Cette méthode d’étude a

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permis de reconnaître, à côté des 27 pointes, le matériel « positif » en quelque sorte, unmatériel « négatif » de 17 pointes façonnées sur place avant d’être emportées.

35 Le schéma de façonnage consiste à utiliser la structure bifaciale pré-existante et à

amincir le support de proche en proche, en contrôlant la silhouette et la régularité desbords et des surfaces, jusqu’à l’obtention de la forme souhaitée : mince, allongée,appointée, symétrique. La chaîne est donc continue, réalisée de bout en bout aupercuteur tendre organique sur des éclats-supports dont la forme favorable estpréalablement déterminée. Cette option offre l’avantage d’une grande facilité tactiquepar rapport au processus de façonnage classique, sur bloc. Ce dernier oblige à unepremière phase de réduction effectuée au percuteur dur, ce qui crée des négatifs très« sécants » impropres à l’amincissement postérieur de la pointe ; pour affiner la pièce,il faut alors changer d’outil et passer au percuteur tendre. À Ponsonby, le choix d’unfaçonnage direct au percuteur organique permet d’éviter ce moment de transitiontoujours délicat, qui ne doit intervenir ni trop tôt, ni surtout trop tard (Pigeot 2003,p. 151).

36 Enfin, une ultime opération, partielle et peu envahissante, pouvait être effectuée le

long des bords par une technique par pression, provoquant la formation d’unedenticulation plus ou moins forte qui a pu améliorer les qualités tranchantes de lapièce. Parfois, cette finition est nettement marquée, laissant supposer que c’était bienla forme dentelée des bords qui était visée, et non la régularisation des surfaces actives.Cette denticulation n’était cependant pas systématique (la seule minceur de l’objetpouvant suffire à son efficacité) et l’on peut s’interroger sur le statut des pointes nondenticulées et se demander si elles peuvent être considérées comme parfaitementterminées.

37 La plupart des vestiges de façonnage ont été retrouvés dans deux ateliers spécialisés

situés, l’un dans la couche B1, l’autre dans la couche B2 (Legoupil 2003d, fig. 35, 41 et42). Leur organisation structurée est particulièrement frappante comparée à celle dudébitage, très opportuniste, dont les vestiges, notamment des nucléus peuprédéterminés et des « éclats aussi grands, et peut-être aussi minces que possible »,sont dispersés dans tout le campement (Pigeot 2003, p. 129). On observe donc àPonsonby des comportements différenciés entre le débitage, effectué de manièreconjoncturelle en fonction des besoins, et le façonnage « réalisé par une seulepersonne, fabriquant en une seule fois, de bout en bout, la pointe bifaciale désirée »(ibid., p. 157). La fabrication des pointes semble ainsi correspondre à une activité bienlocalisée dans le temps et dans l’espace, très probablement réservée à une ou deuxpersonnes ayant acquis cette compétence technique.

38 Si l’on tente une comparaison avec les traditions de production lithique des Indiens

canoeros anciens, le seul exemple disponible, celui de Bahia Colorada, témoigne d’uneorganisation beaucoup plus lâche. Dans ce site, opérations de façonnage et de débitagese mêlent, réalisées de manière opportuniste au fur et à mesure des besoins. L’ensembledes vestiges est ainsi très dispersé malgré quelques petits regroupements :concentration d’armes et d’outils brûlés dans une zone sans doute rituelle, plus fortereprésentation d’outils dans l’habitation, petit tas d’éclats évacués pêle-mêle enpériphérie… (Legoupil 1997). Mais ces concentrations sont sans rapport avec laproduction et aucun atelier de travail spécialisé n’a été clairement identifié.

39 Ces comportements différenciés n’ont jusqu’à présent été envisagés que sur deux sites,

faute d’études techniques et spatiales détaillées. On peut poser l’hypothèse d’une

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organisation du travail plus spécialisée, plus systématique, et donc d’une organisationsociale plus structurée pour les groupes à grandes pointes que chez les Canoerosanciens. Mais ce point demandera à être vérifié sur d’autres gisements.

La fonction des pointes

40 Même si la fonction la plus communément admise pour ces pièces est celle de pointe

d’arme (de poignard, sagaie, ou lance), d’autres fonctions sont envisageables commecelle de couteau. En fait, peu d’éléments concrets peuvent nous renseigner sur leurusage. Aucun stigmate tracéologique n’a été observé sur les tranchants des 21 piècesbifaciales du locus 1 de Ponsonby analysées par Christensen (2003), alors que des tracesde travail de matières minérales, animales et végétales ont été relevées sur desgrattoirs, racloirs et éclats retouchés. Par ailleurs, les cassures des pièces bifacialesretrouvées dans les ateliers semblent dues à des accidents de fabrication, même siquelques fractures en languette peuvent laisser envisager un accident d’utilisation enpercussion.

41 Si l’on examine l’ensemble de la panoplie technique du groupe, on constate que

l’apparition des grandes pointes s’accompagne d’une régression du nombre desharpons en os, si représentatifs des Indiens canoeros anciens, ainsi que des couteauxsur éclats retouchés. Les grandes pointes lithiques ont-elles remplacé les pointes deharpons en os ? Étaient-elles mieux adaptées à la chasse aux guanacos qu’il convient deblesser ou de tuer, et non de retenir (fonction principale du harpon pour éviter àl’animal marin de couler) ? Ou bien ont-elles servi de couteaux (d’autant plus efficacesqu’ils étaient denticulés), rendant moins nécessaire le simple usage du fil d’éclats et,pourquoi pas, de couteaux emmanchés comme on en connaît au Néolithique français(Figure 7) ? Mais, dans ce cas, pourquoi toutes les pièces portent-elles une extrémitéappointée ? et pourquoi seraient-elles presque toujours symétriques ? Enfin, unedernière hypothèse serait d’envisager un usage en racloir, étant donné la parenté entrecertaines pièces bifaciales et les grands racloirs à retouches couvrantes, bien connus àcette période. Elle est cependant peu probable compte tenu de la symétrie des pointeset de leur grand allongement, défavorable à une bonne préhension. De plus, la finitiondenticulée, si efficace pour couper, serait évidemment une aberration en raclage depeau.

42 En fait, la difficulté d’interprétation de ces pièces pourrait peut-être provenir de leur

caractère multifonctionnel : arme et outil.

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FIG. 7 – Couteau emmanché néolithique, Perte de la Jonquière, Foissac (Camps-Fabrer et Ramseyer1993, fig. 2).

Un caractère symbolique ou social ?

43 Quel que soit leur usage, il est manifeste que les grandes pointes de Ponsonby ont

acquis une valeur ajoutée sans rapport avec leur rôle pratique : une fonctionsymbolique ou sociale.

44 En effet, bien des particularités de ces objets sont assez remarquables et témoignent

d’un soin attentif à les rendre ainsi. Déjà, on l’a vu, leur module exceptionnel : si long, simince et si allongé, alors que ces pointes devenaient ainsi fragiles et perdaient enfonctionnalité, particulièrement pour un usage en impact. Par ailleurs, leur réalisationtémoigne d’une haute qualité technique : enchaînement programmé des modes dedétachement (direct dur, tendre, pression) et fort automatisme des gestes et desobjectifs visible sur de nombreuses pointes. Ces caractères indiquent que des artisansavertis ont dû réaliser ces pièces exceptionnelles à la suite d’un apprentissageprivilégiant la conception du modèle le plus long, le plus mince, le plus régulier – onserait tenté de dire le plus esthétique – au détriment de l’économie opératoire (risquede cassures au façonnage) et de l’efficacité de l’objet.

45 La valeur symbolique de certaines productions matérielles a été fréquemment

observée, notamment en ethnologie, plus particulièrement pour les pointes d’armes,attribut hautement viril. Des explications similaires ont été parfois avancées pour descas archéologiques. Ainsi Cauvin (1994, p. 169) considère que la technologie des pointeslithiques du Néolithique proche oriental (PPNB) représentait « un secteur de prestigeappelant un investissement artisanal supplémentaire et une recherche esthétiqueinexplicables autrement ». Une interprétation similaire a été donnée récemment auxlongues feuilles de laurier solutréennes d’Europe, dont la perfection et la dimension (25à 35 cm) valaient probablement à leurs auteurs, il y a 20 000 ans, une reconnaissancesociale importante, voire une représentation symbolique de capacités hors du commun(voir, par exemple, Aubry et al. 2007). Les grandes pointes n’ont du reste peut-être pasreprésenté le seul marqueur technique fort de cette culture. On peut entrevoir une

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recherche d’exploit technique valant reconnaissance sur d’autres pièces, notammenten os de grand cétacé, animal souvent à forte valeur symbolique chez les chasseurs-cueilleurs maritimes. Ainsi, pour les pointes de sagaies de Ponsonby, massives etparfaitement rectilignes, qui, entières, devaient facilement dépasser 30 cm de longueur(Legoupil 2003d). De même, certaines pointes de harpons se distinguent, par leurlongueur, du lot commun des harpons archéologiques, limités à 18-20 cm avantl’introduction d’outils métalliques modernes. C’est le cas, par exemple, d’un grandharpon très massif de 30 cm de long découvert en janvier 2008 à Offing (Figure 8,premier à gauche) : il fut non seulement très probablement réalisé sur os mandibulairede cétacé, mais en outre décoré, ce qui est rare dans les sites à grandes pointes. Onpourrait citer d’autres pièces comme ce harpon de 25 cm, récemment découvert dansun site daté d’environ 5 000 ans, à Bahia Valentin 11 (BV 11), dans le canal Beagle(Zangrando et al. s. d.) et qui porte des reliefs en bouton dont l’un au moins pourraitavoir une valeur décorative (Figure 8, deuxième à gauche).

FIG. 8 – Grands harpons des sites anciens et des sites de Offing (premier à gauche) et de CaboValentin 11 (deuxième à gauche).

Conclusion

46 Les grandes pointes bifaciales foliacées sont apparues en Patagonie dans un contexte

culturel dont la stabilité technique, économique et, sans doute, sociale a souvent étésoulignée, notamment pour les groupes maritimes au cours de la seconde moitié del’Holocène (Legoupil 1992 ; Orquera et Piana 1999). La panoplie lithique et osseuse deces chasseurs-cueilleurs est globalement la même durant des millénaires (des pointesd’armes, des grattoirs, des racloirs, des poinçons…). Les principaux mécanismescognitifs techniques sont en place : la taille en percussion dure, en percussion tendre, lapression, le façonnage bifacial, l’exploitation des rognons selon une technique discoïdeou proche de la famille Levallois, un débitage laminaire (rare mais connu), etc.

47 Dans ce contexte technique relativement homogène, les grandes pointes présentent les

caractères typiques d’une véritable tradition culturelle, révélés non seulement par lesparticularités de la structure opératoire de la chaîne de façonnage, mais aussi parl’analyse des objets eux-mêmes. Mais, pour atteindre ces traits diagnostiques, en resterau premier niveau d’analyse aurait été insuffisant, selon l’interprétation classique des

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degrés du fait de Leroi-Gourhan3. Ainsi la simple définition des grandes pointesfoliacées ne suffit pas. On a vu que les pointes de Ponsonby, Lancha Packewaïa et de ladizaine de sites attribués à ce groupe ont permis d’identifier des critères diagnostiquespersonnalisés et donc culturellement pertinents (automatisme technique, standardmorphologique, soin d’exécution, probable valeur sociale…). Il existe donc bien un typede pointe représentatif d’un faciès culturel que, par facilité, on serait tenté de nommerdu nom du site éponyme, le premier découvert : Ponsonby.

48 Resterait à comprendre l’origine de ces pointes et le contexte culturel de leur

apparition : emprunt ? invention ? Rappelons les facteurs qui pourraient expliquercette innovation : la perte de l’obsidienne, par exemple, matériau si utilisé auparavantdans la mer d’Otway et la partie centrale du détroit de Magellan et qui disparaît verscette période, pour reparaître ensuite (San Román et Prieto 2004) ; mais aussi le choixd’une nouvelle stratégie de chasse entraînant peut-être le besoin d’un nouveléquipement ; ou encore un événement historique comme l’arrivée d’une nouvellepopulation ou l’emprunt d’une nouvelle idée…

49 Ainsi, la disparition de l’obsidienne (quelle qu’en soit la cause) aurait pu entraîner le

choix, par défaut, de la lutite et de la rhyolithe et, au-delà, l’émergence d’une nouvelletechnologie, alternative, destinée aux armes de chasse et outils de boucherie. De même,l’importance prise par la chasse aux guanacos par rapport à l’exploitation desressources marines, et notamment des pinnipèdes (sauf à Offing), pourrait égalementexpliquer la relative pauvreté des harpons et le spectaculaire développement despointes. Les besoins ne sont pas les mêmes dans les deux cas : un chasseur de guanacodoit avant tout tuer ou blesser sa proie qu’il traquera et poursuivra à cet effet. Enrevanche, un chasseur de pinnipède ou de dauphin doit, non seulement tuer, mais aussiretenir l’animal pour éviter qu’il ne coule, d’où l’importance fondamentale de la lignequi fait que le harpon s’apparente autant à un hameçon qu’à une arme de jet. Sil’utilisation des grandes pointes est liée à l’exploitation des guanacos, la question qui sepose est de savoir pourquoi une population, à l’origine maritime, a adopté uneéconomie de subsistance terrestre. Raison climatique ? Événement biologique ?Compétition territoriale ? Mais, si elle est d’origine terrestre, pourquoi ses techniquesde chasse ne sont-elles pas identiques à celles des chasseurs de guanacos de la pampacontinentale ou de Terre de Feu qui, rappelons-le, n’ont jamais fabriqué de grandespointes de ce type ?

50 Enfin, il reste à s’interroger sur l’origine géographique de cette technologie. De grandes

pointes bifaciales similaires, mais légèrement plus petites, sont apparues, depuisquelques années, au nord des archipels, dans la partie septentrionale des îles Guaitecaset dans la région de Puerto Montt-Chiloé. Les sites d’où elles proviennent, Piedra Azul(Gaete et al. 2004), Puente Quilo (Rivas et al. 1999 ; Ocampo et Rivas 2004) et Guaitecas 10(Porter 1993), présentent des datations qui s’étalent entre 4 000 et 5 500 BP, ce qui lessitue globalement dans le cadre chronologique de la culture à grandes pointes de lazone australe. En attendant que des recherches dans la partie centrale des archipelspuissent éclairer les relations entre ces deux régions distantes de près de 1 000 km,seules de nouvelles analyses, tant sur le plan chronostratigraphique quemorphologique et technique, pourraient permettre de mesurer le degré de parenté deces deux séries et de juger de leur ancienneté relative. Encore faut-il se placer au bonniveau d’analyse : soit par l’observation des traits culturels diagnostiques révélés parles objets finis, soit par celle des chaînes opératoires de façonnage, ce qui implique une

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vision chrono-spatiale de l’ensemble des vestiges (objets finis, nucléus et déchets defabrication) permettant une reconstitution qui va de l’acquisition de la matièrepremière jusqu’à l’abandon des produits après consommation.

51 Pour résoudre le dilemme entre invention (ou plutôt innovation) et emprunt, il faudra

donc mettre au jour une documentation archéologique de bonne qualité et des sites quipuissent tenir le rôle de jalons entre ces deux pôles. En attendant, on peut émettrel’hypothèse que les relations entre Chiloé-Puerto Montt et la zone australe étaientmoins distendues qu’il n’y paraît et les frontières plus poreuses qu’on ne l’imaginegénéralement au vu de la grande distance et des difficultés de navigation dans cetterégion. La cristallisation du modèle des grandes pointes foliacées a pu se produire sansdoute très facilement, le terrain étant favorable à l’émergence de ces objetsspectaculaires. Depuis Leroi-Gourhan (1973, p. 394), on sait que l’on n’emprunte que cequ’on était prêt à inventer : « […] l’emprunt pur n’est possible que pour un groupe dontle milieu technique possède déjà le moyen de le recevoir […]. Pour l’invention, la mêmecondition s’impose : le groupe n’invente que s’il est en possession d’élémentspréexistants suffisants pour fonder l’innovation. Une certaine identité se révèle parconséquent entre l’invention et l’emprunt […]. Dans nombre de cas, il y a fusion entrel’emprunt et l’invention ».*

52 * Manuscrit reçu en septembre 2008, accepté pour publication en septembre 2009.

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NOTES

1. Indios canoeros (« Indiens en canot ») est le nom communément adopté aujourd’hui pour les

nomades marins des archipels de Patagonie et de Terre de Feu. Il concerne l’ensemble des ethnies

(Chono, Alakaluf et Yamana) reconnues par l’ethnologie classique dont la division est aujourd’hui

parfois contestée.

2. Pour le concept de « chaîne opératoire » de Leroi-Gourhan (1965) et de l’École française

d’ethnologie, voir les historiques récents de Schlanger (2004) et Pigeot (s. d.).

3. « Les faits présentent des degrés de valeur différente et ce ne sont pas les caractères du

premier degré, généralement liés à la tendance, qui sont les plus intéressants, mais ceux du

second ou du troisième degré, proprement attachés au peuple ou au groupe de peuple dont le fait

étudié est issu » (Leroi-Gourhan 1971, p. 30).

RÉSUMÉS

Les grandes pointes foliacées du type « Ponsonby » : un traceur culturel en Patagonie australe. De

grandes pointes bifaciales foliacées très spectaculaires furent découvertes à Ponsonby en

Patagonie australe, par Emperaire, il y a une cinquantaine d’années. La multiplication de ces

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découvertes dans toute une série de sites (plus d’une dizaine maintenant), nous amène à nous

interroger sur la signification et la valeur épistémologique de ces objets. Au-delà de leur

fonctionnalité, la mise en évidence de critères diagnostiques personnalisés (chaîne opératoire,

automatisme technique, standard morphologique, soin d’exécution, probable valeur sociale…)

fait de ces objets les marqueurs incontestables d’un faciès culturel. Ils sont donc les témoins

privilégiés qui nous permettent de nous interroger sur leur origine (emprunt ? innovation

technique ?) et de suivre l’évolution d’un groupe social représentatif des nomades marins des

archipels de Patagonie au Ve millénaire cal BP.

Las grandes puntas foliáceas tipo Ponsonby : un marcador cultural en Patagonia austral. Hace 50

años Emperaire descubrió por primera vez grandes puntas bifaciales foliáceas muy

espectaculares en Ponsonby, Patagonia austral. La multiplicación de tales puntas en toda una

serie de sitios (actualmente más de una decena), nos lleva a interrogarnos sobre el significado y el

valor epistemológico de estos objetos. Más allá de su funcionalidad, la puesta en evidencia de

criterios diagnósticos personalizados (cadena operatoria, automatismo técnico, norma

morfológica, cuidado de ejecución, probable valor social…) hace de estos vestigios los marcadores

innegables de una facies cultural. Son pues los testigos privilegiados que nos permiten

preguntarnos sobre su origen (¿préstamo? ¿innovación técnica?) y seguir la evolución de un

grupo social representativo de los nómadas marinos de los archipiélagos de Patagonia en el

5° milenio antes del presente.

The large foliaceous points of Ponsonby type : a cultural marker in Southern Patagonia. Large and

very spectacular foliaceous bifacial points were discovered in Ponsonby, southern Patagonia,

about fifty years ago by Emperaire. The multiplication of this kind of discoveries in several sites

(presently more than ten), calls into question the significance and the epistemological value of

these objects. Beyond the question of their function, the description of personalized diagnostic

criteria (« chaîne opératoire », technical automatism, morphological standard, very careful

execution, social value…) makes these objects the undeniable markers of a cultural facies. That

allow us to speculate about their origin (technical tranfer ? technical innovation ?) and to track

the evolution of a social group representative of the maritime nomads in the archipelagoes of

Patagonia during the 5th millennium BP.

INDEX

Keywords : bifacial point, cultural marker

Index géographique : Patagonie, Ponsonby, Indios canoeros

Thèmes : Archéologie, Technologie, Ethnologie préhistorique

Mots-clés : marqueur culturel, pointe bifaciale

Palabras claves : marcador cultural, punta bifacial

AUTEURS

DOMINIQUE LEGOUPIL

CNRS, UMR 7041 - Ethnologie préhistorique, Maison René-Ginouvès (archéologie et ethnologie),

21 allée de l’université, 92023 Nanterre cedex [[email protected]]

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NICOLE PIGEOT

Institut d’art et d’archéologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 3 rue Michelet, 75006 Paris

[[email protected]]

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From the island’s point of view.Warfare and transformation in anAndean vertical archipelagoTristan Platt

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en janvier 2008, accepté pour publication en septembre 2008.

In memoriam John V. Murra (1916-2006)

1 I propose in this article to relate two theories, each of which has given rise to extensive

debate but has not yet been integrated with the other. One, the « vertical archipelago »,is considered almost diagnostic of Andean economic organization, and is supposedlyirrelevant to the Amazon (see, however, Uzendoski 2004). This was one of the late JohnMurra’s characteristic themes: he analyzed the « vertical control of a maximum ofecological levels » in Andean societies whose nuclei of power were situated at differentaltitudes, and sought to understand the sociological and political implications of the« multi-ethnic » organization of distant resource-niches (Murra 1975 [1972], 2003[1973]; Masuda, Shimada and Morris 1985). The other topic, that of human-animaltransformations, has been developed strongly in Amazonian studies, although withlittle recognition of its possible resonances in the neighbouring Andes. It deals with the« ontological instability » of the frontier between animals and humans at the temporaland social margins of human society (see e.g. Viveiros de Castro 1998). Thetransformation of warriors and shamans into animals (whether wild, khuru, ordomesticated, uywa), and their oscillation between the human and the animal, can alsobe found among Andean shapeshifters, both in the mythohistoric past and in thepresent.

2 To relate these two themes, I draw on ethnography carried out during 1970-1971 with

the Macha ethnic group (Northern Potosí, Bolivia). I show the transformations thatoccur in practices of alliance formation and the choice of enemies when highland

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populations send out colonists to settle in the warm maize-producing valleys below.But to explain the new perspectives on violence that emerge in the valley« archipelago », we must situate these settlers within the wider horizon and ethos ofregional warfare. In Macha, as elsewhere in the North of Potosí, warfare and thewarrior ethic permeates traditional society; but there is an important differencebetween « balanced competitions » (tinkus) and « unbalanced destruction » (ch’ajwas). Ihave elsewhere suggested that the imposition of the pax incaica meant transformingch’ajwas into tinkus, thus restricting open warfare and encouraging the emergence ofcompetitive « games » (pujllay) at regular points in the ritual cycle (Platt 1987a). Ofcourse, it is not always certain, even today, that a tinku may not become a ch’ajwa,particularly if celebrated away from the parish capitals in the open countryside. Butthe oscillation between tinkus and ch’ajwas is not simply a matter of more or lessviolence; a tinku may throw into relief the underlying social conflicts andcontradictions between ayllus and moieties and, more broadly, between Indians,mestizos and the State; but a ch’ajwa may seek a radical transformation of theserelations between individual, community and the wider society. I suggest, moreover,that we try to relate changes in societies’ ideas of the relation between animals andhumans to historical events, with the aim of bringing history back into discussions oftransformationalism, as I shall propose in the conclusion.

3 The article therefore argues for the value of expanding both Amazonianists’ and

Andeanists’ universes of reference towards each other, and towards South America as awhole. Such an anthropology sees structural transformation and phenomenologicalperception as the outcome of collective and personal histories; and it is this approachthat Murra lived, practiced and urged us to follow.

Translocation and transformation

4 Crowned on the high puna by specialized pastural societies reaching up to 4500 msnm

(Flores 1979; Dransart 2002), the unique geo-ecological features of the tropical Andeanenvironment were surveyed by Carl Troll (1968), who drew attention to the high-altitude resources which had made possible the development of Andean civilization.Following Troll’s lead, in the 1960s Murra encouraged interdisciplinary research intothe vertical organization of Andean societies of varying scale, with centres of authoritysituated at different levels of altitude. Highland societies, for example, with theirancestral devotions, cold puna agropastural economies, and sacred geographies, hadchosen to re-adapt themselves through settlement to new conditions at lower, warmeraltitudes; yet settlers below still retained access to cold puna lands and resourcesthrough their highland kin, with whom they shared ethnic affiliations.

5 Murra coined the metaphor of the « vertical archipelago » to characterize the society

emerging from the intermingling of colonists from different groups at the limits oftheir core societies’ political reach, both upwards and downwards, and on both Pacificand Atlantic sides of the Cordillera. Settlers were seen as living like « islands » in« multi-ethnic » neighbourhoods alongside other « islands » placed there by othergroups1. And he saw the resettlement of populations, or mitimaes, by the Inca State as atransformation of the « vertical » model, in which the ideal of maximizing eachsociety’s resource base was transcended by State economic, military and politicalstrategies (Murra 2003; Saignes 1985; Presta 1995)2.

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6 Murra argued that his model was also applicable to periods « immediately prior » to the

emergence of Andean States, constraining the form of their development. For these« intermediate periods » between successive State formations, he predicted thediscovery of a « network of contradictory claims, temporary adjustments, tensions,struggles and truces between various regional nuclei who shared the same ideal [ofverticality] in a stage immediately prior to the formation of the archaeologists’“horizons” » (Murra 2003, p. 91)3. But the ways in which these conflicts wereexperienced, balanced and provisionally resolved has remained obscure.

7 The Macha ayllu today speaks a dialect of Quechua, considerably influenced by Spanish

and Aymara, but is derived historically from the leading social unit in the pre-HispanicAymara-speaking federation of the « White Charka », or Qaraqara, one of the largestsocieties within the Inka « Province of Charcas » (to the south of modern Oruro). Machacontinued to exercise considerable political protagonism during colonial andRepublican times (Platt, Bouysse-Cassagne y Harris 2006; Serulnikov 2006; Platt 1982a,1987b). Moreover, we now have evidence that the local « archipelago » of San Marcosde Miraflores, where I lived in 1970-1971, had persisted, with remarkable continuity onthe ground, since well before the late 16th and early 17th centuries, when it wasobserved and described by early colonial land Inspectors (visitadores)4.

8 Part of my argument concerns the language we use to talk about « vertical social

organization ». Murra’s own phrase, the vertical « archipelago », is a powerfulmetaphor for emphasising the interdigitated pattern of discontinuous territoriality5,but it may also screen out alternative ways of imagining the situation. It seems to implya sea with a group of islands at some distance from the nearest continent. But where isthe « sea »? Does it represent the land-limits between neighbouring ethnic « islands »?Or the transitional « middle region » (chawpirana), which settlers from the highland« continent » must traverse to reach their valley lands? And how are we to understandsituations where, as in the Macha valleys, lone households belonging to one group, orayllu, may be surrounded by a group of houses belonging to another? As « littleislands » within « larger islands »? The picture becomes complex…

9 How, then, is « verticality » spoken about in Aymara and Quechua? What other

linguistic expressions are available for expressing the social relationships behind thearchipelago metaphor? We will consider two « metaphors people live by » in the Andes(to use Lakoff and Johnson’s suggestive phrase): weaving and vegetable reproduction6.In 1985, Olivia Harris suggested comparing North Potosi spatial organization with theorganization of woven space revealed by Cereceda’s work (1978) on designcomplementarities in the weavings of Northern Chile (Isluga). Harris argued that NorthPotosí farmers living at the highest levels of settlement tended to have their valleylands in the lowest regions, while those living in the « middle region » (Que. chawpirana;Aym. taypirana) between puna and valleys could extend upwards and downwards withinrelatively easy reach of their nuclear settlements. She compared this distribution withthe spatial grammar of geometric textile designs, as revealed by Cereceda, where thesymmetrical bands on the opposite ends of rectangular pieces of cloth are contrastedwith the fertile band, or « heart », located at the centre of the design. The climaticgradations from high to low within the chawpirana were compared with the chromaticdegradations (k’isa) that may mediate between two opposing colours in the « heart » ofIsluga textiles. Harris did not discuss the « archipelago » settlement pattern, and heremphasis on the relative self-sufficiency of the centre has still to be demonstrated

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ethnographically in North Potosí (see Mendoza and Patzi 1997 for further data); but theidea of social cloth is reiterated in the Quechua and Aymara imagery of « island-hood »to be found in the Macha valleys. Indeed, one valley « islander » I spoke to likened hisprecarious situation to that of a « snapped thread », a vivid image of separation anddifference which captured both his distance from his puna ayllu-mates and his isolationin relation to his valley neighbours.

10 Another form of expression for vertical settlement can be derived from processes of

vegetable reproduction. Two mallki – paired shrubs which embody an apical couple –can be found in several ethnohistorical contexts (see, for example, Pachacuti YamquiSalcamaygua 1993 [1613]). They reappear in Macha today as the two sprigs of evergreenpepper-tree (molle) placed at the head of ritual « tables » (mesa/misa = altar/mass) assymbols of perennial fertility; and also, merged, as the trees that grow in front ofchurches in the squares of early colonial Indian towns (reducciones), and whose dividedmale-female roots are said to reach out to sustain every household in the parish (Platt1978; 1996a, note 15). While drawing diagrams of the valley and puna segments ofvertically connected kin-groups, I wondered how their respective household « roots »(saphi), believed to connect locally with these trees and towers, might also be connectedacross the intervening slopes of the Eastern Cordillera. A possible solution was offeredby a Macha acquaintance, who told me that mallki was the name in Quechua of « plantsthat send out other plants ». Could vertical links be imagined as subterranean rootsystems (suckers), or as the « runners » of strawberry-plants? Had settlers to « re-rootthemselves » as valley islands, after being sent down from their parent kin-groups onthe puna7?

11 In this article I show how settlers descending from the puna, while replicating their

social organization at lower levels of settlement, also introduce modifications in thevalleys arising from the compressed coexistence of different levels of social segmentation

within a shared space. These adaptations of highland organization are surprisinglysystematic, while at the same time they give rise to situations of ambiguity; yet theyhave enabled « islands » with multiple affiliations to coexist within these intermontanevalleys and render them habitable.

12 Another important feature of the region is a long tradition of warfare between

neighbouring groups at different levels of segmentation (Platt, Bouysse-Cassagne andHarris 2006). However, the islands’ identification of enemies and allies, of those whocan be fought and eaten as opposed to those with whom one shares battle-lines andcommensality, is, as I have suggested, significantly different from the identificationsmade on the puna. Other ayllus of the same moiety would be considered allies on thepuna; but they may be recategorized by valley islands as enemies. Equally, ayllus of theother moiety, considered enemies on the puna, may become allies in the valleyarchipelago context. The polar opposition between moieties (Anansaya and Urinsaya,« upper » and « lower halves ») thus becomes mediated by degrees of intermediateexperience, leaving open a range of ambiguous social definitions which characterisevulnerable valley islands. An analysis of these differences between highland andlowland alliance formation will lead us into the heart of the vertical archipelago.

13 As is well-known, today ritual battles, or tinkus, occur all over Northern Potosí,

generally in towns or villages, and associated with the dates of different Catholicfiestas. These battles are, among other things, rituals of confirmation of differentgroups’ access to land; alliances are tested and tried; and individual men may present

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themselves as fierce bulls that battle together to show their prowess, each rivalling theother with drunken shouts of turu kaniy, carajuuu! « I’m a bull, shiiit! » Fights generallyoccur under the vigilance of the town authorities in the squares and at street-cornersof regional towns and parishes (Platt 1987a; Harris 2000). In the puna town of Macha,the participants are generally from the two opposing moieties; but, further down theeastern side of the Cordillera, the moieties may unite to present a united Macha frontto a neighbouring ethnic group which shares the same parish jurisdiction (e.g. whenfighting with the Pocoatas in the chawpirana town of Surumi). Still lower, these groupsmay in turn ally against a rival alliance (such as K’ultas and Macha Anansayas againstMacha Urinsayas in San Marcos de Miraflores; or Machas and Pocoatas against Laymisand Purakas in the old red-pepper and cotton producing town of Carasi). As one

descends, the local representatives of more embracing classifications may suspend hostilities and

become allies against a rival bloc.

14 In contrast, the more ferocious confrontations known as ch’ajwa occur far from the

watchful eyes of mestizo authorities, the police, the military, and – today – thrill-seeking tourists. If tinkus are a violent game (pujllay), these other battles in the depthsof the mountains are seen as serious warfare; even seasoned warriors becomeapprehensive. Here the male members of ayllus or moieties may range themselvesagainst their opponents in battles over land-limits, resorting to slings, arson, gang-rapes and sometimes guns; behind the lines they may be supported by singing womenwho prepare chicha against their return. In puna ch’ajwas, where lines of warriors mayconfront each other with slings or fall to grappling hand-to-hand, men are sometimessaid to take the shapes of wild animals (khuru): the frontiers between humans and wild

animals become blurred and unstable. Transformed into bears (jukumari), owls (juku) orpumas (puma), predatory aggression by warriors who have become wild animalsreplaces their transformation during tinkus into the fiercest of domestically-rearedanimals, fighting bulls.

15 The social, symbolic and ritual identification of Indians with domesticated animals

(uywa) during peacetime is well-documented throughout the region (Abercrombie 1998;Stobart 2006). In rituals accompanying the fiesta of Corpus Christi in the valley town ofSan Marcos, men don the carrying bags of llamas (kustalas, Sp. costales), or the skins ofsheep and goats; or they may become yokes of man-bulls (all are called collectivelyjañachus, or « stud llamas »). Meanwhile local mestizos act out the parts of foxes orpumas, who attack the Indians playfully, and try to steal their animal skins in aburlesque representation of local relations of power (Platt 1996a). The traditional élitesof rural society – hacendados and dominant mestizos – embody natural powers,animals and birds, but also metereological threats. As patrons of lightning and thunder,for example, they are said to ride through the clouds with silver bits and stirrups,letting off their guns, or arquebuses, whose bullets streak to earth as thunderbolts(balas), sacralizing « places » and initiating male shamans and female midwives into thepreconditions of their arts (Platt 1996b, 2001; Platt and Quisbert 2007). The ayllu is thelocus and refuge of sociality, cultivation and domestication; whereas wild places,animals and other natural phenomena are potential sources of sacred power associatedwith other kinds of « people » beyond the ayllu8.

16 In ch’ajwas, however, the normal order of things is destroyed as people battle to

incorporate disputed territory into their jurisdiction. Transformed fleetingly into wildanimals, warriors acquire sacred power, and may tear their enemies apart, drink their

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blood and eat certain organs – tongue, liver, heart, testicles, etc. – in acts of freneticexocannibalism. In so doing, it may be said that they resuscitate the ambiguous role ofwild animals during the feral chullpa age, the mythic « unquiet time » (inkyitu tyimpu) ofthe moonlit ancestors before the rising of the Inka-Hapsburg Sun, when wild creaturescould become humans, and humans wild animals (Platt 1978, 1996a, 2001; Stobart 2006).This is the time called by Guaman Poma the « Age of the Warriors » (awka runa oraucuruna), and it is situated before the arrival of the Inkas, coinciding with the LateIntermediate period described by Murra and others as one of extreme social tensionand instability. The fluctuating identities of chullpas during this « lunar age » of warfareand enmity are reminiscent of the violence and anarchy of the ch’ajwas, when order andfrontiers are similarly suspended and disputed, and the preconditions for peacefulcoexistence break down. Social relations are dissolved as the ambiguous identities ofchullpa animals re-emerge, and the shamanic capacity for transformation is acquired bythe fiercest warriors in each army9. In ch’ajwas, activities in present time resuscitatemythic past time. In a sense, these battles may even be said to take place « out of time »and « out of society », re-enacting mythohistorical relationships that continue tounderly and sustain the formation of the present social age. Yet from anotherperspective, they can be dated and related to the history of local, and even national,political relations.

17 It should be remembered that, today, wild animals such as the puma are said to be the

mountain shepherds (awatiri) of domesticated animals, at the same time as they prey onthem and consume them as food. In their wild animal transformation, equally, warriorsattack and consume their enemies, who thus become domesticated animals which fallvictims to feral predation. As humans, however, warriors may be said to sacrifice theirenemies, pouring their blood on the ground as appeasement for hungry and angryearth deities, eating their vital organs, but burying the remnants (especially skulls, orkawisas, Sp. cabezas) as offerings to feed and placate the hungry hills and mountains.This may suggest one reason why it has always been difficult to distinguish between thesacrificial and predatory aspects of Andean warfare.

18 It is within this wider context of cosmic confrontation, of warfare as « play » and as

destruction, that the « confused » valley situation represents an important and little-understood situation of mediations and attenuations. While part of the wider Machareligious and social universe, it has distinctive characteristics of its own, which confirmthe intuition which Murra brought to bear upon the instabilities, temporary alliancesand conflicts that marked the « multi-ethnic archipelagos » of the Late Intermediate,places of inter-ethnic mixture and juxtaposition at the further reaches of Andeansocieties’ power to colonize and share distant ecological niches.

Approaching the Macha archipelago

19 Puna llama-herders travel down to the valleys each year, generally between April and

September, to take part in exchange relations with kin and other exchange-partners inthe old colonial parish (doctrina, reducción) of San Marcos de Miraflores, most of whosepopulation was (and, to some degree, still is) connected with landed groups and kin-networks up on the distant puna around San Pedro de Macha10. It takes two weeks totravel down with llamas from the puna to the valleys, and 3-4 days without llamas.Andean peasants inhabit their environment by traversing it, and disputing it in the

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process of transforming it. Access to paths and common pastures is generally permittedto travellers in times of peace; only when conflicts over land have established opposingbattle-lines, stretching over hills and valleys and guarded by « sentinels » (sentinelas),may passage be regarded as a provocation. Travel between puna and valleys maintainsa network of rural footpaths (chaki ñan) which criss-cross Macha vertical territory.These are marked at intervals by shrines and ceremonial sites related to passes(apachita) or to striking features of the sacralized landscape. At the entry to the valleys,the trail passes between two great peaks, one for each moiety, where the punaauthorities used to sacrifice and pour libations to ensure the fertile relation betweenlowlands and highlands. Here we find traces of a formal ceremonial relation betweenpuna and valley, and a « rite of passage » between them11.

20 From the valley point of view, relations with their puna kin are experienced with

considerable ambivalence. Some say that « robber mountain-spirits » (suwa jurq’u) fromthe puna may come and eat up their maize in a storm of hail, unless scared off withexplosions of dynamite. In their seasonal visits, llama-herders may bring exchangegoods with them: salt, clay and ceramics, and other mineral resources, as well ashighland herbs and coca-leaf (a lowland product bought in highland market-places);but there is still debate as to whether valley maize-farmers are the complementarypartners of the puna llama-drovers, or whether the latter are exploiting valleyresidents by carrying off their maize12. After the biggest tinku on the Macha puna at thefiesta of the Holy Cross (May 3rd), which takes place in the old colonial town of SanPedro de Macha, puna llama-herders (llameros) set off for the distant valleys, where thebiggest valley tinku is held a few weeks later in San Marcos de Miraflores at the feast ofCorpus Christi, with the participation of both highland and valley ayllu members13.Llama-herders may be absent for three or four months before returning with theirllamas loaded with maize, which will see them through the growing season before theearly potato crop appears in February or March. It is then the task of the women, ascontrollers of the larder (dispensa), to ensure that the maize supplies stored in the sacksand granaries (pirqa) « last out » (muchuy, or awantay cf. Sp. aguantar) until next year’sfood becomes available.

21 Land in the Andes is a vulnerable resource in constant need of labour, both in its

preparation and cultivation, and in its administration, defense, ritual nourishment andceremonial propitiation. Warfare itself is sometimes conceptualized in terms drawnfrom the organization of labour (e.g. chuqhunaku, where many people set on a singlevictim, derived from chuqhu, collective labour effort convened by a single beneficiary,and the Quechua interactive suffix -naku). Local activities are combined withnegotiations with higher levels of organization and, ultimately, with local and regionalrepresentatives of the State, which since the late 18th and 19th centuries has been eagerto privatize land and abolish collective claims. At the same time, the trappings of anolder reciprocal arrangement are maintained: the exchange of service and tribute forprotection and land, as developed between Aymara lords and tributary vassals since theInka and early Hapsburg States in the 16th century (Platt 1982a, 1984, 1996a; Platt,Bouysse-Cassagne and Harris 2006). It may be inferred that these marginal expressionsof State-community relationships (tribute-payment, provision of postillions, labourservices, etc) are characteristic of a different, older kind of State from that which, inRepublican times, has sought land-privatization, the creation of a land-market and anew land-tax based on the formation of a Catastro. Prestations for what I have called

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the Inka-Hapsburg State, it may be argued, are still being made at the margins of theexpansive thrust of the new post-Enlightenment form of liberal State.

22 I have elsewhere discussed how Macha ayllu-members explained to me the segmentary

principles behind the formation of their military alliances (see Appendix; also Platt1978, 1996a). But discrepancies emerge when we compare this ideal account withpatterns of residence and social affiliation on the ground. Whereas parts of thesegmentary model may be trotted out by Macha peasants to explain why differentgroups ally and confront each other, an examination of specific contexts of alliance andopposition reveals a more confused and complex picture. Nowhere is this confusiongreater than in the valley « archipelago » of San Marcos de Miraflores (see Figure 1).

FIG. 1 – Distribution of Macha lands in San Marcos de Miraflores (map drawn by Graeme Sandeman).

23 Macha society is divided, today as in the 16th century, into four main segmentary

levels, and at each level the term « ayllu » can be applied: so we find ayllus withinayllus within ayllus within… Insiders and outsiders are relative statuses: enemies at onelevel in the hierarchy are friends at another level. The maximal level of the Macha aylluis divided into two gendered moieties (Alasaya, « male upper » and Majasaya, « femalelower »); ten minor or « child ayllus » (churi ayllu), five in each of the moieties; and avariable number of cabildos or minimal ayllus which today have replaced the decimalpachaqa, or « hundreds »14 – probably an Inka innovation – referred to in the16th century sources. Most cabildos have land both on the puna and in the valleys15.Clearly, given this hierarchy of nested identities, several answers can be given to anyquestion about a person’s identity, residence or ayllu membership (Platt 1978).

24 Dispersed over each cabildo’s territory lie the patrilocal hamlets (estancias, or ranchos)

or isolated homesteads of the indian peasants. In the puna section of each cabildo theterritorial group is made up of several named hamlets and their lands; and each hamletis composed of the descendents of one or more ancestors recognised and assigned a

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land-holding (tasa) during the last Government-sponsored inspection (Revisita) in thelast decades of the 19th century16. Possession of a tasa confers rights to a share in thehighest common lands (mantas)17, cultivated in a 3-4 year cycle of crop rotation, andthen left to fallow over long periods. Landholders’ need to coordinate rotation cyclesand agree the moment for opening a new bloc of fallows underlies the tendencytowards nucleated hamlets to be found on the puna. Indeed, mantas are found mainlyon the puna (patarana, chirirana: « high » or « cold » region), and competition over achoice, well-rested bloc of fallows is a common pretext for inter-ayllu warfare (ch’ajwas)

(Platt 1982b).

25 But in the warm lands (urarana, q’uñirana: « low » or « hot region »), each farmer lives

in an isolated dwelling surrounded by his maize-plots. Here, a family’s local tasa mayconsist of several plots scattered between a range of local microclimates, from thehigher levels (patarana) and middle hillsides (chawpikinray) down to the riverbeds(mayurana, « river region »)18. The differences of settlement pattern in puna and valleyreflect differences in the agricultural system of each « production zone » (Mayer 2004);and it is clear that the isolated valley pattern is more compatible than puna hamletswith the emergence of individual « islands ».

26 How does ayllu segmentation relate to the actual alliances and oppositions entered into

by Macha peasants? A dispute between two groups at the same level, but eachbelonging to different higher-level groups, should (I was told) produce the fusion of allthose groups on each side that share membership of the same higher-level group (Platt1978). This would mean that people not directly involved in a local confrontation maybe expected to come to the assistance of those in the same structural category asthemselves, in exchange for reciprocal support in their own local conflicts. But thispattern is not followed consistently, partly because of increased localization within theState administrative system19; and partly because, while the « segmentary imperative »is part of a Macha theory of their own social organization, it does not « account for » allthe ambiguities of real-life situations.

27 Finally, although documentary evidence shows that the moieties and minor ayllus of

Macha have remained unchanged in name and number since the 16th century, thecabildos seem to be more flexible. They sometimes split and regroup, appear anddisappear, according to local demographic and political pressures. Indeed, institutionalflexibility at this level may underlie the greater degree of stability at the higher ayllulevels (Platt 1982b).

Neighbourhood solidarity and shifting affiliations

28 Isolated households on the internal frontiers of Macha valley organization must strive

to conserve access to their land in the face of pressures from dominant neighbours withdifferent vertical affiliations. These solitary « islands » represent a limit case in Machasociety, and their situation differs significantly from that of the large cabildos andminor ayllus on the puna. Indeed, they must sometimes suspend their moietyaffiliations, where these conflict with those of their dominant neighbours, as aconcession to the need for neighbourhood solidarity. So, in the valley, the ayllu andmoiety membership of the occupier of an island may be attenuated, inverted or« exchanged » to secure his/her access to an isolated parcel of land.

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29 Murra’s « archipelago » formation can be recognised at once in Figure 1, which shows

the vertical affiliations of each « island » I was able to identify in the Macha valleys. Aword of explanation before looking at the social relations involved. When I first went tolive in the Macha valleys in 1970, I had no idea of the scale of organization in whichlocal peasants were involved. There were no previous ethnographic studies anywherein Northern Potosí, and it was only after several weeks that people’s historic relationswith the distant puna began to dawn on me. One day, three months after my arrival inSan Marcos, I was told how the Machas and two other maximal ayllus, the Pocoata andthe Laymi, had begun their descent from the puna, and reached Carasi. Carasi is aneighbouring Canton further down the rio Grande, or Jatun Mayu, where red peppers,squashes, cotton and sugar-cane can be grown20, as well as maize, and where thesethree maximal ayllus possess territorial « islands ». But in Carasi the sandals of theLaymi broke, while the Pocoata and Macha continued their descent, finally reachingMizque many leagues away in the Department of Cochabamba, where the boundary-stone of « the Charcas » can still be found21. Alerted in 1969 by John Murra to theimportance of vertical organization in the Andes, I pricked up my ears and began towonder about the social and symbolic implications of what I was hearing.

30 But the accounts of Macha « vertical organization » which I received in the valleys at

first seemed confused and inconsistent. Some people told me that there were actuallytwelve ayllus22, although by the time I left San Marcos after Corpus Christi in June 1971I had collected the names of many more local social groupings than twelve… Othersasserted that there was only one kuraka for both moieties on the puna, a possiblereference to the ancient alternation of overlordship between the two moiety chiefs (seePlatt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006), or to the effective survival in the 1970s ofonly the Alasaya curacazgo. Still others used ayllu or cabildo names as toponyms, orused toponyms to designate social groups; and the levels of contrast were confused inrelation to the segmentary model. Indeed, before going to the puna I did notunderstand the distinction between a minor ayllu (or churi ayllu = « child » ayllu) and acabildo (or minimal ayllu), for it was seldom relevant to valley alliance-formation.

31 The « Yuqhunas », for example, dominate the central area around the town of San

Marcos itself (see 21 on the Figure 1). They are considered equivalent to other groups,such as the « Amutaras » (7), or the « Lluchhus » and « Chaytas » (2, 3). It was only on

the puna that I was told that the Yuqhunas were a cabildo of minor ayllu MajaQuyana,that Amutara was in fact the name of a mountainside opposite San Marcos where thecabildo Yuraqari (minor ayllu AlaQuyana) had its valley lands, and that Chayta andLluchhu were valley parish annexes where the cabildos of Ayuma, Pichichhua andPumpuri (also of AlaQuyana) had their valley lands intermingled. Toponyms anddifferent levels of organization, usually distinguished on the puna, were being mixed inthe valleys to designate the social contrasts relevant to life in San Marcos.

32 Again, on another occasion I was told that the Waraqhatas (11, 12) would be fighting

against the Yuqhunas (21). Only when I reached the puna did I realise that, thoughdemographically balanced in the valleys and hence considered equivalent fightingpartners, the two groups in fact belonged to different levels of segmentaryorganization: a churi ayllu name was being considered equivalent to a cabildo name. Myperspective in the valley was also affected by the fact that I lived in Yuqhuna in anabandoned thatched-adobe hut (built as a school and twenty minutes walk from theruined town of San Marcos). I was being presented with those contrasts of social

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membership particularly relevant to my status as resident of Yuqhuna; and I foundthat, similarly, most peasants often « know » only those aspects of social organizationthat directly concern them23.

33 Figure 1 therefore gives information collected in the valley, but supplemented with

glosses in the light of the tributary system explained to me later on the puna. This hasthe advantage of allowing a more precise identification of each local group. But not allthis information was considered relevant, or even known, by all valley-dwellers all thetime. Local features of organization were developed and reproduced for most of theyear with little need to take account of the formal segmentary model preserved in thepuna kurakas’ tribute lists. And in some cases, the dispersal of minor ayllus in thevalley had led to the appearance of contrasted groupings not recognised at all in thegeneral puna model. The Wakhuatas of Wilakota (35), for example, are contrasted inthe valley as jatun wakhuatas (« greater Wakhuata ») with those of Ilili and Sikuta (36,37) who are called churi wakhuatas (« child Wakhuata »). Again, the Sullkhawis of

Chhari-chhari and Ichurata (9, 8) are respectively distinguished as juch’uy and jatun

(« lesser » and « greater »). From a puna perspective, such local contrasts are notperceived to be part of the general organization of Macha society, although similarcontrasts are also built into local puna forms of self-identification24.

34 One dominant contrast, however, appears to be shared by both regions: the two

moieties, theoretically endogamous, are opposed in many ways, but especially by theviolent hostility which flourishes between them during tinkus and ch’ajwas. All Machafolk can be classified by themselves and others as either Alasaya (« upper half ») orMajasaya (« lower half ») (see Figure 1). It is a surprising feature of valley society thateven this all-embracing opposition becomes blurred and problematic when we observethe vulnerable and contradictory position of many « island » enclaves.

35 Let us consider cases where Alasaya « islands » are surrounded by a Majasaya

neighbourhood, and vice versa. How can this heterarchic, unequal situation bemaintained? Note first the different levels of segmentary organization at which anisland may be contrasted with its neighbours.

1. An island of one moiety may be nested inside the other moiety; e.g. Sullkhata(Majasaya; 33 on the Figure 1), inside Sullkhawi (Alasaya, 28); or Kuimuri(AlaQuyana, 5) inside Yuqhuna (MajaQuyana, 21).2. An island of one minor ayllu may lie inside another minor ayllu of the same moiety;e.g. Taphunata (15) inside Sullkhawi (28), both of Alasaya; or Kunthawata (4) insideYuqhuna (MajaQuyana, 21), both of Majasaya.3. An island of one cabildo may be set inside another cabildo of the same minor ayllu;e.g. Kunthawata island 13 inside Kunthawata island 31 (precise identificationsuncertain).4. One group comes from a different maximal ayllu altogether: the K’ultas of Llanquiri(1) inside the Macha AlaQuyanas of Chayta and Lluchhu (2, 3). Here the island/neighbourhood contrast occurs at the level of the maximal ayllus involved.

36 We can appreciate the complexity of a situation sometimes glossed simply as « multi-

ethnic » in the ethnohistorical literature on archipelagos and their « islands ». In fact,vertical affiliations combine with the segmentary system to establish several degrees ofsocial contrast between different « islands » and their surrounding neighbours, and thiscontinues down to levels well below the maximal level of ayllu contrast. The questionthat now arises is how these subtle gradations of contrast between islands andneighbours at different levels can be reproduced over time. Here it will be useful todistinguish between those social relations which pertain to the local neighbourhood, and

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those expressing the vertical affiliation of each household to its kingroup, cabildo, aylluand moiety on the puna25.

37 Let me now present four contexts where the vertical ayllu affiliations of each valley

household take clear precedence over membership of the local neighbourhood:

1. Tribute payments. Payment ceremonies (also called cabildos) are held in thevalley and are attended by all the scattered representatives of each territorialcabildo and minor ayllu within San Marcos. As a rule, the cabildos for the St Johnsemester are held in the valleys, since much of the puna population are also in thevalleys at that time (June 21st), engaged in exchanging salt, chuño (freeze-driedpotato) and other highland produce for the maize they need to survive the punagrowing season. Each cabildo is sponsored by a cobrador (collector) named by turnfor the year, who must provide the chicha, coca and alcohol for the ceremony. Here,as we have seen, the tribute-paying ceremonies act to bring together the scatteredmembers of each social group, whether they are normally resident on the puna ordispersed among different enclaves in the « mixed-up » valleys26.2. Vertical exchange. Between April and September each year, the llama-trainsdescend from the puna across mountains and through gorges, along river-beds anddown ravines, crossing passes between descending mountain peaks, until theyreach the warm maize-producing valleys where they can engage in exchangerelations with their kin, ayllu mates or other trading partners. This is the classicrationale for vertical affiliations, and has been well described for Macha byCassandra Torrico (n. d.), who shows how the stripes on the woven bags in whichthe llamas carry their loads themselves symbolize the major exchange products ofeach zone, propitiating successful transactions and the acquisition of sufficient food(especially maize) to last through till the following year.3. Corpus Christi. In May or June, all puna visitors come together in San Marcoswith their valley comrades to participate in the great moveable feast of CorpusChristi (or, in the case of the K’ultas of Llanquiri, San Pedro on June 29th). Here, themaize harvest is celebrated with a Mass dedicated to the Host (the solar body ofChrist), and offerings are made to propitiate a successful year ahead. A massivetinku also takes place, in which puna visitors and local residents are expected tocombine according to their ayllu and/or neighbourhood affiliations (Platt 1996a). 4. Vertical duties and services. Security of landholding also requires theperformance, in the name of one’s moiety, minor ayllu and cabildo, of certainlabour services to the State, of which the most important in colonial times was themita service in the silvermines of Potosí (Saignes 1985; Tandeter 1992; Platt 1983).Households enjoying access to land in both ecological zones were also expected totake part in sponsoring religious feasts in each zone, and to serve as tributecollectors (cobradores), alcaldes and couriers. A courier service was maintained until1972 in the tambo (inn) of the town of Macha on the puna, where travellers wereprovided with food and lodging (each moiety had its own kitchen garden):landholders of puna and valley would be named in turn to perform this task27.Similar obligations were expected of the valley K’ultas, who in 1971 still performedtheir postillion service in their puna town of Santa Barbara de K’ulta, Departmentof Oruro28.

38 This list is not meant to be exhaustive, but it illustrates a range of contexts in which

vertical affiliation is paramount. For much of the year, however, neighbourhood issuespredominate over vertical considerations, and islands with a different verticalaffiliation from that of their engulfing « hosts » must find some modus vivendi to ensuretheir own survival. To see how this is achieved, let us consider some specific cases:

1. Island 4 is an isolated Sullkhata (cabildo Juluch’i) who was well aware of hisconflictive position surrounded by Yuqhunas (minor ayllu MajaQuyana, 21), eventhough both minor ayllus belong to the same moiety of Majasaya. This was the manwho said he was p’iti-jta-sqa (where p’itiy means « to break or snap (a thread) », /jta/

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is an Aymara affix expressing the idea of « sudden separation », and /sqa/ hereindicates the past participle). The image belongs to the vocabulary of spinning andweaving, and confirms the metaphor for geographical organization which Harrisderived from Cereceda’s work on textile design. The island-dweller representshimself as a « broken thread » in the supposedly smooth weave of neighbourhoodand moiety organization. This condition has consequences for his choice of alliesand the identification of his enemies. Hence he spent the May 3rd feast of FatherTrue Cross, Tata Wilakrus29, sometimes with the Yuqhunas and sometimes with thenearby Sullkhawis (9) from the opposing moiety of Alasaya. Tata Wilakrus is the name given to big wooden crosses, painted with fertilitysymbols and housed in little chapels (calvario) generally built on the tops of smallhills in each neighbourhood. They are the male partner of the virgins (wirjinas) whoreside in the nearby fields. For the feast, they are dressed by each localcongregation in a poncho and helmet, with a coca-wallet and woven belt (chumpi).Then each is carried on a warrior’s shoulder amidst the local group of helmetedindians, whose julajulas (panpipes) intone something like a Gregorian chant to thestrict rhythm of a long-paced military march from the hamlet to the parish church.Here the Tata Wilakrus will hear mass and preside over the ritual battle (tinku) atthe end of the fiesta (Platt 1996; Stobart 2006 on the music and dances of warfare).By joining on certain occasions with the enemies of the Yuqhunas, this isolatedSullkhata therefore showed his own insecurity, and his willingness to seek supportfrom both moieties whose lands are close to his own, either of whose Holy Crossesmay provide fertility and protection for his land.2. At Carnaval, the two moieties Alasaya and Majasaya form two different andopposed ceremonial groups, except for the islands, who again join with the groupdominating their neighbourhood to celebrate another local fiesta marking thetransition from the wet growing season to the dry season’s time of maturation andharvest30.3. Island 5 belongs to cabildo Kuimuri of AlaQuyana (Alasaya). Its occupier foundthat living surrounded by Majasayas (cabildo Yuqhuna, minor ayllu MajaQuyana)was such a strain that he decided to let his lands to a tenant from Majasaya (minorayllu Wakhuata, 5) who might be expected to have more relaxed relations with thedominant local group.4. The new Majasaya tenant, however, felt obliged to take the part of the Alasayas inthe tinku, since they were the moiety who collected the tribute corresponding to hisnew land. Change of ayllu generally involves fighting for one’s new group, and thenew tenant aimed to change his loyalties and assume his new obligations to theAlasaya moiety in order to consolidate possession of his land. But the neighbouringYuqhunas thereupon beat him up. The tenant then changed his tune, and claimedto be on the side of the Yuqhunas (Majasaya moiety), although the owner of the plotcontinued to pay tribute at the cabildo of the Kuymuris (Alasaya). The tenant beganto fight on the side of the Majasayas, and even lectured the inhabitant of island 6 (afervent AlaQuyana loyalist) on the need for local solidarity with the Majasayas. Thisnew posture coincided, of course, with his own Majasaya origins; but it is significantthat, during Corpus Christi in 1971, he still attended the feast of the AlaQuyanaalferez (ritual sponsor from Alasaya) and thus received food and drink from thetribute-paying « owners » of the land.5. In the same way, the K’ultas of Llanquiri (island 1) fought on the side of theAlaQuyanas (Alasaya) who dominate the neighbourhood where their lands aresituated. They could thereby maintain their vertical affiliations, although they werenervous of the surrounding Machas. Some were even beginning to « becomeMachas » by shifting their tribute-payments and obligations (such as postalservices) from K’ulta to Macha. If carried through, this could have brought a changeof ayllu, and the K’ultas would probably have joined the surrounding AlaQuyanas.Others, however, remained obstinate: they said their lands would continue K’ulta

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until the Macha returned a « quintal of gold » (quri kintal), allegedly lent them bypassing K’ulta llama-herders to pay their tribute with31. 6. A particularly significant case concerns a couple from AlaQuyana (7) with onedaughter and three sons who, lacking sufficient land in their cabildo of origin (punaidentification Yuraqhari; valley locality Amutara), applied for permission tocultivate an unused piece of land in the territory of the Sullkhawis in nearbyIchurata (8). All were members of Alasaya moiety. Permission was granted providedthat the children attended the local school in Ichurata (established by theSullkhawis), that they helped maintain the paths in the area, and, as usual, thatthey would fight on the side of the Sullkhawis during tinkus and ch’ajwas. This arrangement continued for two years, when both the woman’s husband andtheir eldest son died. Unable to work the new plot alone, the widow and theremaining children then withdrew to AlaQuyana, where they lived on the lands thathad belonged to the dead husband. This was permitted by the AlaQuyanas becausethere were still two sons to inherit their father’s land: otherwise, the dead man’sbrothers would have had prior rights, and the widow would probably have returnedto her parents and birth-kin. But soon after, the widow remarried with anotherAlaQuyana, this time from the puna, and then tried to return to the plot inSullkhawi, since the new husband was unwilling to maintain his stepchildren onland from which he and his own children would be excluded.Meanwhile the Sullkhawis, observing that the widow had abandoned the plot, hadreallocated it to one of their own members who lacked land. They ceremoniallydispossessed the widow: the ayllu held a « dry work-party » (ch’aki chuqhu; i.e.without chicha) during which each man, including the prospective possessor,ploughed and sowed a couple of furrows. The following year, the harvest wasshared out between all the ayllu, and the repossessed plot was then handed over toits new occupier32.Two points may be drawn from this example. First, the ceremonial dispossessionshows both the reversionary right which the minor ayllu (and, beyond it, the moietyand maximal ayllu) can assert over land within its collective domain; and,simultaneously, the difficulty with which that right is reclaimed (since the plot hadto be collectively ploughed, sowed, harvested and the produce distributed, beforethe ayllu could again dispose of the plot). Second, the entry of the AlaQuyanacouple into the plot was regarded by their ayllu of origin as – potentially, at least –an increase of their own domain. This is shown by the fact that AlaQuyanas andSullkhawis came to blows over the matter during the Corpus Christi fiesta for 1968. Unfortunately, the key question concerning cabildo membership cannot beanswered, for the AlaQuyanas were not paying tribute at this time due to theSecond Agrarian Reform33. However, if the AlaQuyana couple had stayed inSullkhawi, fulfilled their neighbourhood obligations as demanded by their « hosts »,but continued paying their tribute with the rest of their own cabildo (Yuraqari),then all the conditions would have been fulfilled for the emergence of a new island.Equally, the case shows how circumstances could lead to the disappearance of anisland with a shift in the social requirements of both parties. Rather than expressing the unchanging situation of long-standing islands, then,some may also be seen as fluid expressions of a dynamic process: ephemeral« bubbles » that arise and burst, to use an alternative metaphor (Saignes 1978). Wecan infer that, even without a State apparatus disposed to guarantee security oftenure and access, circumstances could arise which would make small groups ofdistant colonists from the highlands, even single families, perfectly welcome in theheart of a different group already established in the lowlands, and perhapsthemselves in need of allies to resist neighbouring pressures. New settlers mighttherefore be accepted at the price of their military support, but could findthemselves expelled if their presence failed to suit their hosts – unless they couldfind effective backing from their own ayllu or other allies.

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39 Our examples have clarified a fundamental point: the islands’ survival is conditional on

their willingness to fight on behalf of their surrounding « hosts », even if this means

fighting against their own moiety. During most of the year, they are submerged within anetwork of neighbourhood obligations which take precedence over other ties. It is asthough there is agreement that these isolated « broken threads » must somehow be re-integrated into the homogeneous weave of local groups and territorialities, and a blindeye turned by their hosts to the few situations during the year where verticalaffiliations re-emerge as paramount.

40 Even with these provisos, however, the situation of an island is often fraught: different

characters respond to isolation in different ways. We have seen the case of the Alasayaman who, finding himself surrounded by Majasayas, felt driven to letting the land toanother Majasaya; whereupon the tenant in turn found himself obliged to balance hissolidarities between the locally dominant Majasayas and the Alasayas to whom hisparcel still belonged. Again, the Majasaya island caught between a different ayllu of thesame moiety and another group of Alasayas chose simply to alternate services andsolidarities between Majasayas and Alasayas. On the other hand, a demand for landfrom within a host group may block the formation or persistence of an island,sometimes leading to cancellation and expulsion. This occurred with the widow fromAlaquyana (Amutara) who, on remarrying, wanted to reoccupy her dead husband’sparcel in Sullkhawi (Ichurata). She found herself formally dispossessed by her old hostswho preferred to give it to a landless ayllu comrade, a situation which provoked festiveviolence between these two Alasaya minor ayllus.

41 Evidently, island instabilities may provoke tensions between ayllus and moieties, and

these can carry over into situations of ritual or formal violence (tinku). But there is onesignificant feature of neighbourhood alliances, which shows that, while moietymembership may be suspended in the interests of neighbourhood solidarity, there arelimits placed on the scope of the violence that can be directed against one’s ownmoiety. A Majasaya island warrior surrounded by Alasayas cannot hit just any Majasayawithout exception; he might end up hitting his own kin and minor ayllu comrades.From people of both moieties I received testimonies affirming that no island should hit

someone of the same minor, or churi ayllu, as himself. He can fight with his more distantmoiety comrades, if compelled to do so by his engulfing neighbours; but not againstthose closest to him at the minor ayllu level.

42 This indicates how limits are placed on the socially desintegrative effects of an island’s

« forced betrayal » of its own moiety. The minor ayllu of vertical affiliation itselfremains solidary and intact, while the other four ayllus of the same moiety become theenemies of an island obliged to fall into line with its neighbours of the opposing moiety.Who in this context are the island’s greater enemies? Clearly, the four other ayllus ofits own moiety; while its most powerful allies are its dominant neighbours of theopposing moiety. In this upsidedown scenario, the relations between the island and itsown minor ayllu persist: they must not hit each other, although their unity is placedunder strain by those « others » who provide the island with a local umbrella ofprotection.

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Discussion

43 Social difference among Northern Potosi endogamous cabildos, ayllus or moieties is

often phrased in the literature in terms of structural alliance and opposition. In the lastresort, who one fights defines who one may eat (or be eaten by); one shares food withone’s friends and allies. This provides a fundamental criterion for social identification.But among valley « islands » the situation turns out to be more flexible, ranged along acontinuum of successive gradations. Polar contrasts are redeployed between segmentary

levels according to the tensions between distant tributary affiliations and those ofneighbourhood34. Moiety alliances may be inverted in exchange for security of tenurein the interdigitated context of the valley « archipelago », sea of « bubbles », or – inmore Andean terms – « weaving with broken threads ». The solubility of the moiety in the

local context is thus counterweighed by the solidarity of the vertical minor ayllu.

44 At the same time, valley islands are forced to count on the protection of the other

moiety that dominates their neighbourhood, while transforming into enmity theirusual alliance with the four other ayllus that compose the rest of their own moiety.Evidently, then, the moiety opposition does not exert some overriding « structuralimperative » over the formation of alliances. Rather, it can be fractured and re-deployed under local politico-economic and coercive pressures. In this context, onlythe vertical minor ayllu remains as the moral and solidary apex of verticalorganization.

45 I think we have here traces of a long-durational pattern of negotiations, echoing those

entered into by the puna minor ayllus when they first began, in the Late Intermediate« period of warfare » (or perhaps long before), to descend from the high puna andintermingle with each other in the adjacent valleys, possibly establishing some islandsthat persist till now. Today’s political accommodations seem to be inherent to thepractice of vertical cultivation in the valleys by different groups of minor ayllus on thepuna. The interdigitation of islands from different ethnic groups can be seen as a perfectly

acceptable way of recruiting new members to help defend a weak neighbourhood. The modernsituation may even reflect the process by which each moiety was originally formed onthe puna from a flexible micro-federation of churi ayllus.

46 Each minor, or churi ayllu was in turn composed of what the Inka called « hundredths »,

or minimal ayllus, also with their ancestral mallki, sacred places of origin (huacas andpaqarina), and vertical « runners ». Fixing the number of precisely five churi ayllus ineach moiety may reflect Inka intervention; but the moieties themselves are almostcertainly pre-Inka, in spite of their attribution today to the rising of the Inka-ChristianSun (Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006; Platt 1996a). The data available suggestthat today’s minor and minimal ayllus on the puna, composed of several differentintermarrying patrilineages each descended from an apical male or male-female couple(the « trunks » of « Houses », or troncos de casas, as they were called in 16th centurySpanish, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006), were probably the basiccomponents from which Macha society was historically assembled35.

47 Accordingly, each minor and minimal ayllu would have been a tendentially

endogamous group made up of smaller sets of intermarrying lineages, each stemmingfrom their respective ancestral huacas on the puna (such as the chullpa mummies ofsenior House-founders, or remoter places of origin set in a sacralized landscape). Setsof intermarrying descent groups made up each of the « hundredths » (pachaqas)

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recognized by Inka Wayna Qhapaq, which were probably the ancestors of the colonialcabildos (another name for the minimal ayllus). Today, within each cabildo, groups ofvirilocal patrilines live surrounding their respective Calvary chapels (calvarios), wherethe local Cross (tata wilakrus, from vera cruz = Father True Cross) is kept: a phallic Cross,which, as we have seen, is a patron of warfare, sometimes painted with symbols offertility, and often with a head of Christ in the middle36. It seems likely that theancestral huaca of each group of patrilines within the Inca hundredth (pachaqa) hasbeen replaced under the Spanish by a Calvary Cross. Remaining for most of the year intheir little chapels, these crosses are taken out for May 3rd, the Festival of the TrueCross, when, dressed in war-gear, they are carried by their congregations to the parishchurch in Macha. Within the church they hear Mass, focused on the Host of the Sun(Platt 1996a), before coming out into the sunlight to give renewed courage (animu) andstrength (kallpa) to their warrior-devotees’ prowess in the tinku.

48 We have seen that the valley « mixing » of ayllus at different segmentary levels

juxtaposes households which on the puna belong to contrasted, spatially separatedayllus and cabildos. Hence pressure towards segmentary alliance can also come fromthe lowlands to the puna, rather than vice versa. For example, the maize harvest of SanMarcos is a moment of maximal fusion for the whole Macha ayllu, expressed throughthe tinku in which, on each side, puna llameros participate in alliance with valley maize-farmers. We have seen that, in the valley town of Carasi, and at a higher level ofsegmentary alliance formation, Machas and Pocoatas unite to confront Laymis andPuracas (both part of the Laymi upper moiety of Chayanta, historically part of theQaraqara federation and dependent on Macha). These higher-level alliances in thevalleys can even propel similar alliances in the highlands, where allies may live muchfurther away from each other and would otherwise have less incentive to enter into analliance37.

49 I have suggested that these negotiations, reformulations and mutual concessions

among ayllus yield traces of the political and religious negotiations by which they werehistorically constituted. Such negotiations may take place without an over-archingState able to impose on its tributaries an « umbrella » of peace, order and legitimacy38.At the same time, they take place within a warrior ethos, nurtured by collectivecompetitions (tinkus) as well as by wilder confrontations (ch’ajwas), in which predatoryaggression and defense, religious sacrifice and cannibalism, are situated at theconstantly shifting frontiers of the political arena. Here, relatively orderedconfrontation between rival bull-fighters dissolves into an unrestrained liberation ofenergies by each shapeshifting berserker warrior (ch’ajwa). Nevertheless, we have seenthat there are also intermediary positions between the polar categories of ayllu-mate(expressed ideally by commensality) and enemy (or potential object of cannibalism).

50 These gradations are an essential part of the flexible political tapestry elaborated by

the Aymara-speaking societies of the Altiplano, as later by the Incas: a veritable forestof runners, or suckers, reaching out from their distant parent mallki on the puna tomingle and root themselves in the warm lands, both as components of local settlementsand as extensions of their respective groups. The ayllus probably constructed theirsegmentary system under the protection of the divinities of above (janajpacha) andthose within the earth (ukhupacha), forces which dominated, sacralized and defined thecontours of their social world. But this has not prevented people from constructing andshifting local loyalties and devotions, restructuring their federations, and moving their

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land-limits and even their cult centres, according to new demographic and politicalpressures. Social affiliations make people, but they are also constantly remade by them.Conflict and warfare are vehicles for this remaking.

51 We have seen that modern warfare invokes a situation akin to past-time, when

confederational lords led armies of transforming warriors who preyed on their rivalswhile taking their heads as trophies for sacrificing to the ancestral spirits in thelandscape39. The relation between shapeshifting, predatory warfare and shamanismamong the people of mythic time is well-known in the modern Amazon; and ouranalysis has reminded us that similar themes have been played out at different timesamong Andean vertical societies. The transformation of shamans and warriors intowild beasts and back again is a deep-seated Andean theme, reiterated from the jaguarpriests of Chavin (Burger 1996) to the military squadrons of Huari, each associated witha particular animal or bird transformation (Ochatoma Paravicino and Cabrera Romero2001). It is picked up again for the Aucaruna and Inka by Guaman Poma, who in theearly 17th century illustrates the late 15th century transformation of Inka Otorongo(= « Inka Jaguar ») into the jaguar enemy of the lowlanders he was trying to conquer40.The presence of jaguar/human transformations among 17th century miners in Charcashas been further documented by Bouyssse-Cassagne (2004), and the theme of thetransforming jaguar has continued in the use of jaguar skins during Altiplanic paradesand dances during the Republican period (see for the 19th century Mercado 1991). Thehighland use of masks and skins may recall times when the upward geographical reachof the jaguar was higher then it is today41. Even now, chullpa lunar time irrupts into ourown solar time whenever the sudden, uncanny appearance of an omen, in the form ofan animal or bird, is interpreted as the persistent presence of the shapeshiftingchullpas on the unstable edges of present time (Cereceda 1990). This other time, thetime of the berserkers, also awaits us at the wild fringes of a social order constructed totame those wild origins. Moreover, people regularly try to recover for society part ofthe creative energy of the unquiet dead through rituals, such as the tinku, or Carnival,necessary for good agropastural production (Harris 2000; Platt 1996a), or through theirreincarnation as hungry devilish foetuses which are later transformed into littleChristian babies (Platt 2001).

52 The textile metaphor for Andean vertical control may be illuminated by modern

weaving styles, such as the « mixed-up » or « confused » (chaxru) designs of theweavings of the Macha’s neighbours: the Jallq’a of Murumuru (Ravelo) and Chuquisaca(Cereceda et al. 2001). Here, the fertile confusion of the Jallq’a inner world is expressedthrough a plethora of strange, heterogeneous mythological beasts (sometimesborrowed from modern advertising labels), which are contrasted with the ordered,luminous qualities of the nearby Tarabuco weavings. The dim, deceptive light of theJallq’a inner world contrasts with the solar light of the Tarabucos, historically theInca’s settlers on the maize-producing fringes of the Tawantinsuyu. In the Jallq’avalleys, we also find settlers from highland groups – Tinkipaya, even the altiplanicKillaka and Karanqa – mixed with valley farmers from Caracara or Moromoro in aformation also called chaxru (Pacheco 1994; Mendoza and Patzi 1997; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, pp. 265-272). Aesthetic confusion is in constant dialogue with

sociological confusion.

53 But the weaving parallel also brings us to the numerical underpinnings of Aymara

social and political organization. In weavings, however « confused » the final

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appearance, there exists an underlying logic at the level of technique, issuing from theweaver’s design objectives, her numerical warp and weft calculations, which are in theservice of her aesthetic preferences. Can the same be said of social organization?

54 At the sociological level, Macha organization is achieved by means of the complex

combination of a relatively small set of overlapping principles: the generative centrewith radiating lines or, alternatively, « sandwich » relations along a complex frontier(chawpi); nested and overlapping divisions in two, three, four, five and seven, with theirmultiples, together constituting different levels of unity; the upper/lower, male/femaleor brother-in-law matrices and other ramifying and multivalent dualities; « reciprocityand redistribution », including the tributary relation, festive obligations and the lex

talionis. For the tinku and the ch’ajwa are themselves based on a rhetoric of reciprocalexchange: ayni means « reciprocal labour relations » but also « vengeance »:« returning the ayni » (aynita kutichiy), equalizing a death with a death, is one of theaims of Macha warfare, as it was in the 16th century (Santo Tomás 1951 [1551]).Warfare again appears as part of the collective labour prestations, or « services inexchange for access to land », of all ayllu members; and while it can have its festive and« playful » side (tinku), it may also become a source of pain and sorrow as well astriumph (ch’ajwa). Indeed, endocannibalism and exocannibalism become aspects of eachother, since what is endo-warfare at a higher level of segmentation is exo-warfare at alower. In combination, these principles configure or « frame » a lived experience that,for much of the time, flows flexibly through the « logic of forms » characteristic ofAndean sociological and moral thinking (Platt 1978). But when the wild past of theancient chullpas bursts through all restraining categories, and threatens to dissolvepre-existing ontological frontiers (as in the uncanniness of omens, in shamanism, orduring ch’ajwas), this human and domesticated order is itself placed in doubt42.

55 The « island’s point of view » challenges us, then, to unravel the specific forms of

Andean social complexity, modular transformation and territorial reach. It epitomizesthe ambiguities of life amidst valley « disorder », and the way vertical relations arereproduced and transformed through negotiated forms of violence and sociality.« Islands », like « broken threads », are occupied by people who must change the rulesin order to stabilize their fragile existence as « loose ends ». They clutch at possibleresolutions of their situation, such as those demanded of them by their hosts, but arestill forced to live on the ambivalent margins between the moieties, which at the sametime they subvert. Only the vertical minor ayllu, and its component cabildos,reaffirmed at each semestral tribute-paying ceremony, persists through time as arelatively unambiguous site of belonging and loyalty.

56 To wind up the skein: our analysis has shown how Murra’s « vertical archipelago » was

indeed (as he foresaw) a tangle of competing loyalties, truces, alliances and enmities.We have seen how this situation was itself assimilated to the image of a weaving withbroken threads, and how these threads had therefore to be reworked into line with thedominant power in each neighbourhood. The valleys are indeed « mixed-up », at everylevel of social segmentation, but that does not mean that there is no way out of theapparent chaos. This « confused order » is expressed through a play of inversions andambiguities that are valley transformations of the « dominant order » laid out on thepuna. And this gives rise to a distinctive « island’s point of view », situated at theinternal fringes of Macha valley society, and mediating between the points of view ofenemies and friends, as well as providing us with new ways of thinking about the

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political tensions and conflicts inherent to the island’s position in different historicalconjunctures.

57 The transformation of tinku into ch’ajwa spells a significant shift in the political and

cosmological reach of Andean warfare, from transformation into domestic animals(bulls) to the shapeshifting of the berserker into a wild animal. While local authoritiescan try to control tinkus, encouraging individual warriors to confront other individuals,and doing their best to restrain the confrontation of allied ayllus with slings andstones, in ch’ajwas the idea of balance is itself at stake, and the aim is to move thefulcrum, conquering and destroying the opposing side, shifting the boundaries andtheir markers, or risking the same happening to ones’ own side. Moreover, whenpeasant warrior alliances are turned, not against each other, but in open insurrectionand rebellion against the State or its local representatives, ch’ajwa practices are turnedtowards local instances of the créole-dominated administration and government. Oneexample of this can be documented in 1899 during the Bolivian Civil War, when theIndians of North Potosí came to grips with the Constitutionalist army of Severo Alonsoin Tacarani: we read that « fragments of soldiers have been found, who were probablymutilated by the Indians in the heat of the battle… », a clear reference to the predatorych’ajwa practices of ayllu berserkers (cited in Platt 1987b, p. 316). This shift fromdomestic bulls to wild animals occurs as the « non-human » pole of transformationcoincides with the shift from the ideal of equilibrium and balance between opposingsides (tinku) to the desire to kill, dismember and eat the organs of the prey (ch’ajwa).Such expansions in the scale of violence may constitute historical interventions whichchange the life of the wider society. They remind us that shifts from an emphasis ontinku to an emphasis on ch’ajwa, or vice versa, can be calibrated with a history of events,including periods of political tension and feud, and even insurrection, and hence withan absolute chronology, thereby indicating the possibility of relating shifts in thenature of human-animal transformations to their historical contexts, rather thanseeing them simply as « essential » (if transformable) structures in a relativistic mythicand symbolic framework. The historical approach will surely be necessary also in theAmazon, and elsewhere43.

58 How, finally, are we to understand the dialectic between neighbourhood and verticality

when the scale of each becomes enlarged? How do the practices of negotiatedsettlement, which we have uncovered on a relatively small scale through localfieldwork, respond to greater, more distant projections of highland vertical reach?Ethnohistorically, some of the answers have been found for the 16th century maize-producers of Tarabuco and Cochabamba: here distant settlers placed or confirmed byInka Wayna Qhapaq were subsumed locally beneath the authority of the dominantregional lord, whether this be Aymuru, lord of the Yampara federation in Chuquisaca,or Kuysara, Mallku of the Charka federation in Cochabamba (Platt, Bouysse-Cassagneand Harris 2006). The segmentary scale of the islands and their alliances, which wehave already seen growing as we descend the east-facing slopes of the Andes towardsMizque, here becomes truly colossal, since the units of alliance and opposition becomethe local representatives of whole federations and chiefdoms. In this case, Murra’semphasis on the transcendence by the Incas of the « purely ecological » motivation forvertical control should perhaps be qualified, since Inka strategy at the south-easternfrontier worked rather through an enlargement of the same principles of ever-extending vertical reach (Cochabamba maizefields, Chuquioma coca plantations, etc) inthe interests of vastly amplified State agricultural projects which combined

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contingents of rotational workers from most of the Altiplano federations with silos,administrative centres and fortified military garrisons (Wachtel 1981; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006).

59 Further research will be needed to understand how vertical relationships are perceived

from other ecological levels with other « points of view », such as from the chawpirana

between the highlands and valleys of North Potosi; or how highland « order » wasmodified when projected, in the 15th and early 16th centuries, towards the coca-plantations in the semi-tropical yungas of Pocona, Tiraque and Chuquioma44; or, finally,by following the routes of highland invaders and settlers down to the pie-de-monte andlowlands, in order to direct these questions to groups in the forests and savannas, anddown the headwaters of the Big and Little Pará…45.

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APPENDIXES

Segmentary organization of Macha

by maximal ayllu, moiety, churi ayllu and (where possible) cabildo

(key to map « Distribution of Macha lands in San Marcos de Miraflores », see

Figure 1)

Note: Cabildo names were first collected on the puna in 1971, and have now beencollated with the lists in Mendoza y Patzi 1997. Both sources are combined in the Map.The numbers refer to the numbered areas on the Map. The extent of each area is not

precise, many cabildos have remained unidentified. Errors will no doubt be found. Theonly way of doing the map 100% accurately is with the direct participation of re-empowered moiety authorities backed with further archival research. Macha lands inthe Department of Chuquisaca (Provincia of Yamparaes) have been omitted; also thosein Carasi. These still await investigation and detailed mapping. [TP = Platt 1996a; MP =Mendoza y Patzi 1997].

K’ULTA. MOIETY ALASAYA

Ayllu Kullana. 1. Llanquiri The K’ulta Kullanas have an annex chapel of their own in the parish of San Marcos deMiraflores: San Pedro de Llanquiri, close by the chapel of the local Macha AlaQuyanas,Santa Ana de Lluchhu (see Platt 1996a). Though in 1971 some Llanquiris protestedstrongly that the tributes and services for their lands in Llanquiri were still owed toSanta Barbara de K’ulta, situated on the Oruro frontiers with Macha’s high puna lands

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(see Abercrombie 1998), others felt that they should switch to paying services andtributes to Macha, merge with the AlaQuyanas of Lluchhu and « become Machas ». In1997 MP imply that this process was complete by the time of their Atlas, as theyrepresent the K’ultas of Llanquiri as « ayllu AlaQuyana » of Macha. Further research isneeded on this point.

MACHA. MOIETY ALASAYA

Ayllu AlaQuyana

Cabildo Ayuma, in Lluchhu and Chayta 2, 3Cabildo Chuquiqayara, n/dCabildo Kuymuri, of Kuymuri 5, 6Cabildo Phichichhua, in Lluchhu and Chayta 2, 3Cabildo Pumpuri, in Lluchhu and Chayta 2, 3Cabildo Rosario, n/dCabildo Yuraqari, in Amutara, 7In Lluchhu and Chayta those from cabildos Ayuma, Pichhichua and Pumpuri are allinterdigitated (chajrusqa). Choque churu (40) is unassigned.

Ayllu Sullkhawi

Cabildo Challwiri

Cabildo Salinas

Cabildo Qharipurqu

Cabildo Kiuja

Cabildo Tanki

No data for distinction by cabildo in the valleys, only by toponyms between the Jatun

Sullkhawis (« Greater Sullkhawis ») of Ichurata (8) and the Juchuy Sullkhawis (« LesserSullkhawis ») of Chharichhari (9), cabildos unknown.

Ayllu Waraqhata

Cabildo Awllakas

Cabildo Kantakanta

Cabildo Kañuquta

Cabildo Usquria

Cabildo Waylloma

No data for distinction by cabildo in the valleys, only by toponyms between theWaraqhatas of Payluta (10), Pariya (11), Samuma (12), Sayaqa (13), Lupi (41), Ñiqiri (42),cabildos unknown.

Ayllu Taphunata

Cabildo Titiri

Cabildo Palquyu

Cabildo P’uqira

No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms between theTaphunatas of Chawarani (14. MP Chawarani; TP Qolqapampa) and Qarpani (15),cabildos unknown.

Ayllu Alapicha

Cabildo Tuqhuqari

Cabildo Ch’iaraqi

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Cabildo Lurukachi

Cabildo Turku

Cabildo Qullpa

[Cabildo Jamach’iri: MP]No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms between Alapichasof Urqhapampa (16), Altu Luma (17), K’aspikancha (18), Janq’uma (19), Umupampa (43).At present, only Janq’uma can be assigned to cabildo Tuqhuqari.

MOIETY MAJASAYA

Ayllu MajaQuyana

Cabildo Kutañisu

Cabildo Waykuta

Cabildo Chajrani

Cabildo Jiruq’uma [not in MP]Cabildo Umajila (or Jatun Qullana)Cabildo Yuqhuna [MP assigns it to Sullkhata]Cabildo Phurki [MP assigns it to Majapicha]Few data for distinction by cabildos in the valleys, easier by toponyms betweenMajaQuyanas of Qayanqa (20), Yuqhuna (cabildo and toponym; 21), Triguira (22),Mathariri (23), Chuqipampa (24), Lluchhu (cabildo Waykhuta; 25).

Ayllu Sullkhata

Cabildo Juluch’i

[Cabildo Yuqhuna: MP. TP assigns it to MajaQuyana]Few data for cabildos in valleys, distinctions by toponyms, as Sullkhatas of Ch’alloma(26), Waramaya (27), uncertain (28), Lawa Apachita (29).

Ayllu Kunthawata

Cabildo Llust’aqi

[Cabildo Q’illuq’asa: MP]Only one cabildo identified in the valleys, the rest by toponyms: Kunthawatas ofKuñurani (30), Durasnillo (31), Llust’aqi (32), Kunthawata (33), Wankarani (34), ChuñuJarana (44).

Ayllu Wakhuata

Cabildo Milluri

Cabildo Pumpuri

Cabildo Llust’aqi

No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms: Wilakota (35; jatun

wakhuata, « great Wakhuata »), Ilili (36; churi wakhuata, « child Wakhuata »), Sikuta (37; churi wakhuata).

Ayllu Majapicha

Cabildo Tumaykuri

Cabildo Rukuruku

Cabildo Pichikachi

Cabildo Lluchhu

Cabildo Milluni

[Cabildo Tarwaki: MP]

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[Cabildo Pastupampa: MP][Cabildo Phurki: MP][Cabildo Chayrapata: MP][Cabildo Jut’i: MP]No data for distinction by cabildos in the valleys, only toponyms: e.g. Waranqa (38),Qatachilla (39).

NOTES

1. Murra also asked whether coastal societies could have « islands » in the highlands (which has

since been demonstrated, see Masuda, Shimada and Morris 1985); but he did not examine the

possibility of Eastern lowland chiefdoms having « islands » on the eastern slopes of the Andes.

See Renard-Casevitz 2002, together with Daillant and Hirtzel (s. d.).

2. In 1972, Murra’s example of a « State island » was the coca-producers of the tropical valleys of

Songo, below La Paz, who seem to have been a pie-de-monte, yunga-speaking group without lands

in the highlands, although with some Aymara-speaking implants. They were probably

incorporated into the Inca empire specifically to produce coca for the State. Different modes of

incorporation of eastern tropical fringe groups into the Tawantinsuyu are reviewed in Saignes

(1985, chap. 1); see Renard-Casevitz, Saignes and Taylor 1986; and Platt, Bouysse-Cassagne and

Harris 2006.

3. Andean archaeologists distinguish – often with excessive linearity – between periods of State

consolidation and expansion (Horizons) and the Intermediate or Formative periods, when

regional polities prevail, each frequently at war with its neighbours (see Lorandi 1978). In fact,

warfare may continue regionally at the margins of each State’s effective reach, though there may

be a tendency, as I have said, to transform it into a ritualized « game » or competition at

moments of maximum State control (see Platt 1987a).

4. Early colonial documentation from 1579 and 1619 confirms that the Macha valley archipelago

represents a case of long-durational stability, reaching back in some form to pre-Spanish, and

probably pre-Inka, times. See Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006 (part. IV, documento 8,

with its apéndice); also the maps of Macha valley settlements (Platt 1996a and Figure 1).

5. As Franklin Pease (1985) realized, discontinuous territoriality and « verticality » can be found

in many mountainous parts of the world, including Western Europe, in different social and

historical periods. Less common, however, are those societies in which it constitutes such an

integral and strategic dimension that it constrains the entire course of their social development,

including the development of the State.

6. See Lakoff and Johnson 1980. For these authors, warfare is an example of a metaphor by which

the modern West lives (as in « winning an argument » or in much market discourse), although

warfare and violence are also powerful – as experience, as metaphors and in religious

symbolism – in many other « warrior » societies, including the Macha.

7. An earlier draft of this article, given at a seminar on Murra’s work at the London School of

Economics in 1986, was entitled « Warfare and Alliance in an Andean Strawberry-Patch ». I thank

Marie-Danièle Demelas for finding the Spanish word tolondrones as a translation for « runners ».

8. « Wife-taking » affines « carry off » the bride in Macha just as the condor in a well-known tale

carried off a girl to his rocky nest (Que. thapa; also a ritual name for a human house, or « home »).

The condor-like role of brothers-in-law is made explicit during the marriage ceremony, and

signifies a recognition of the wild substrate of human sexual affairs, parallel to that of the

fighting-bull: attempts to harness these human-animal transformations and powerful energies lie

behind the Indian marriage ceremony and establishment of a new household. For condors and

bulls as expressions of Andean masculinity, see Harris 2000.

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9. Guaman Poma (1980 [1613]) describes these transformations for the age of the Aucaruna as

follows: « they became great captains and valiant princes of pure courage they say that in the

battle they turned themselves into lions [pumas] and tigers [jaguars] and foxes and vultures

hawks and wild cats and so until today their descendants are named otorongo [jaguar] atoc [fox]

condor anca [eagle] usco and wind acapana bird huayanay snake machacuay serpent amaro – and so

their ancestral names and arms were called after other animals which their ancestors won in the

battle they had… », cited in Platt 1987a. For shamanic transformations into condors in Macha

today, see Platt 1996b; Véricourt 2000; for the transformational experiences of present-day

miners in Potosi, Absi 2003; see Bouysse-Cassagne (2004) for the transformations of miners into

jaguars in the early colonial period, in the context of the wider prevalence of the shamanic

jaguar cult in both highlands and lowlands. For the association of the mines with lightning and

warfare, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006 (part. I).

10. Founded in the 1570s by the inspectors (visitadores), priests and « reducers » (reducidores)

charged with carrying out Viceroy Francisco de Toledo’s resettlement programme, San Marcos

replaced a pre-Hispanic settlement: Pichibisa. San Pedro de Macha was the « Indian town » for

the bulk of the population on the puna (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, part. IV).

The visita of San Marcos in 1619 shows much the same ayllu interdigitation and distribution as

can be found today (see Platt 1996a, map 1; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, pp. 571-574).

11. The old kuraka of Macha Anansaya, don Agustin Carvajal (d.1977), told me in 1971 that he

had had a dream that condors were circling above him, and was told by a yachaj (= « knower », or

shaman) that the dream meant he had not gone to make his sacrifices at Chiuquru Mountain, at

the entrance to the valleys, and would fall ill and die if he didn’t put this right. In a well-known

Macha story, condors circling above a girl hiding in a q’ayru (shallow covered pit for storing

potatoes) left her reduced to nothing but bones. The kuraka’s dream was similarly interpreted as

a threat of death by the condors, or mountain-spirits (jurq’us).

12. In the valleys of Provincia Charcas, this ambiguity was manipulated politically by peasant

union leaders in the 1970s, who argued that valley farmers should separate from the puna and

form part of the valley peasant unions, rather than retaining their links to traditional moiety and

ayllu kingroups and authorities on the puna (see Platt 1982a).

13. This fiesta in San Marcos is described in Platt 1996a. In 1971, the charango tuning known as

walli mayu (« valley river ») was the same as that used for the fiesta of the Cross on May 3rd (the

charango is a little guitar with six double strings that traditionally uses an armadillo shell as a

sounding-box). After the fiesta of the Holy Cross in San Pedro de Macha, the puna llama-herders

begin their downward journey, strumming their charangos as they walk and accompanying their

llamas as they follow along behind their lead-llama (delantero). For a full account of the

seasonality of Macha music, with reference to the puna hamlet of Caanquira (cabildo Titiri, ayllu

Taphunata, moiety Alasaya), see Stobart (2006).

14. Decimal organization in Macha is probably due to Inka influence. Documentary evidence

suggests a close relation between Inka Wayna Qhapaq and the regional lords of Macha and

Pocoata (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, documento 16 and « Ensayo de

Interpretación »). The earliest explicit reference to cabildos as territorial groups comes from the

Republican period.

15. In 1996, an attempt to map the physical distribution of these different groups was made

using satellite equipment by Fernando Mendoza and Felix Patzi as part of a cartographic project

funded by the European Community’s « Programme of Peasant Self-Development » (PAC; see

Mendoza and Patzi 1997, pp. 94, 116). I have collated information relating to San Marcos with

data collected in 1970-1971 (Platt 1996a, map 1): see in this article the Map and Appendix.

Uncertainties remain, whose resolution will require Macha participation. It should also be

remembered that satellite mapping totally ignores the traditional flexibility of ayllu land-limits

in relation to local demographic variation (see Platt 1982b).

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16. For the impact of the Law of Exvinculation (1874), and an analysis of the way in which the

holdings of an originario may become progressively fragmented between other tribute categories,

such as agregados and forasteros (or kantu runas), see Platt 1982a, 1982b. See Harris 2000 for the

Laymi, and Godoy 1990 for the Jukumani.

17. From the Aymara mantaña = « enter ». Elsewhere, other terms emphasise different semantic

features of these lands, such as the fact that they are a temporary grant from the community

(mañay), or the rotative nature of their cultivation (muyuy). See Fonseca 1972; Harris 2000.

18. A strip of land flanked by two gullies, and stretching from high to low, is called a chhuru.

Some families own an entire chhuru, containing a range of different microclimates; it may bear

their surname: Choque chhuru, Mamani chhuru, etc.

19. See, for example, the letter from the kuraka of Alasaya to his counterpart of Majasaya,

refusing help to the latter in a conflict with the neighbouring Pocoatas, published in Platt (1982a,

chap. 5).

20. In the 16th century these lands were cultivated by 10 minor ayllu mitayos (camayos), one for

each ayllu, as collective minor ayllu plantations. The Carasi « common lands » were regarded as

the richest lands in the whole of Macha. But after Toledo’s Visita of 1573 (which confirmed Macha

collective ownership) they were grabbed by Spaniards, and never given back in spite of repeated

Macha protests to the Audiencia of Charcas (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006,

part. IV).

21. See Pacheco (1994). Also Platt, Bouysse-Cassagne and Harris (2006), where it is argued that

the Laymi were part of the federation of Qaraqara in the 16th century, but were concentrated in

the upper moiety of the Chayanta vertical strip, dependent on the dominant authorities in Macha

and Pocoata. They may have been Qaraqara colonists, sent to share access to the tin and gold-

mines of Llallagua and Amayapampa with the lower moiety of Chayanta, who were dependent on

the capital of the Charka federation in Sacaca. The legend here recounted would then reflect a

historical situation, when Laymis, Pocoatas and Machas all belonged to the same jurisdiction,

based in Macha.

22. The insistence on the number twelve also coincides with the importance given to this

number in ritual contexts, when libations are poured for Tata chunkaiskayniyuj, « Father Twelve ».

On the puna I was told that twelve was the ideal number of children in a family; that our fingers

and toes should ideally consist each of two sets of six; that there were twelve mountains which

surrounded each hamlet; that the ideal number of ayllus was twelve; that there were twelve

miracles worshipped at twelve sanctuaries within and beyond the region of Northern Potosí. The

importance of the number twelve may converge with the Christian tale of the Twelve Apostles,

but it may also be an echo from a time prior to the Inka’s imposition of decimal organization

(Platt 1983, 2002; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006.

23. Other islands in Canton San Marcos, as well as many I collected in 1971, have since been

mapped by Mendoza and Patzi (1997).

24. Subdivisions within cabildos are also found on the puna; see e.g. Stobart (2006, p. 140) for the

divison of Caanquira estancia (cabildo Palquyu, minor ayllu Taphunata, moiety Alasaya) between

« upper » and « lower » sections.

25. This contrast is also recognized by Enrique Mayer (2004). Unlike Saignes (1978, 1985), I do

not find local solidarity and ayllu affiliation to be mutually exclusive, or inscribed within a

unilineal temporal sequence, in spite of Bernabé Cobo’s suggestion to this effect (Cobo 1964

[1660], lib. XI, cap. 23).

26. Compare the illuminating report by Governor Diez Canseco concerning tribute-payment

practices in Chayanta Province during the early Republican period (cited in English translation in

Platt 1984, pp. 10-12).

27. Before the abolition of the tambo in Macha during the 1970s, the system of turns had already

been complicated by the creation of new Cantons: thus, the Majapichas and Alapichas had their

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own tambo apart in Qulqapujyu, near Chayrapata and Ocurí, and did not participate in the

system of turns in Canton Macha. Similarly, the cabildos of Rosario (AlaQuyana) and Aullaqas

(Waraqhata) belong to the Canton of Colquechaca, the capital of the modern Province of

Chayanta. According to information given by the kuraka of Alasaya in 1971, the order within

Canton Macha (Alasaya) was as follows: AlaQuyana (3 months), Taphunata and Waraqhata (3

months) and Sullkhawi (3 months). Six men were provided for each turn according to a further

set of turns established at the level of the subsidiary cabildos. Thus, for example, the six men

from AlaQuyana (excluding Rosario) were chosen as follows: Pichichhua (2), Yuraqari (2),

Pumpuri and Chuqiqayara (1, alternating), and Kuimuri and Ayuma (1, alternating).

28. For the puna K’ultas, see Abercrombie 1998.

29. Vera = « true » in Spanish, but pronounced wila (meaning « blood ») in Aymara (see Platt

1996a).

30. Cassandra Torrico has analyzed the Carnaval groups, and the forms of semaphore with flags

developed by female dance-troop leaders for inter-moietal rivalry and communication (personal

communication).

31. The antecedents of this conflict, as well as the contradictions which vertical affiliations

imply for the Republican system of administration, can be seen in a document of 1887 (Archivo

Histórico de Potosí, Prefectura Departamental Expedientes 7475), where the Alasayas of Canton

San Marcos can be found denouncing the K’ultas of « the Province of Paria, Department of

Oruro » for « usurping » their lands under the pretext that « our ancient Governors would have

given them the lands in pawn for the sum of 250 pesos ». The reference is clearly to the same

event as the one I heard of in 1971. The origins of the K’ulta island are probably colonial.

32. The widow appealed to the Secretary of Justice and Conflicts of the Federation of Peasant

Unions in Banduriri (Charcas Province); but he upheld the position of the Sullkhawis saying that

the widow should never have abandoned the plot if she hoped to have the Agrarian Reform on

her side.

33. In the Macha valleys tribute-payments to the puna almost disappeared for a time, but were

later revived as peasant defense of the traditional system grew. See Platt 1982a for the

fluctuating levels of tribute collected between 1952 and 1980, and for the 1963 denunciation of

President Paz Estenssoro, the local MNR leader Hugo Reinaga, and the 1953 Agrarian Reform. One

friend said that the MNR revolution had in fact been a battle between the hacienda parti and the

tasamanta parti, implying that the purpose of defeating the hacendados was so that their land

could revert to the ayllu régime – an old revindication since the insurrections of the 18th century

and before, still strong today.

34. The number and complexity of these levels in pre-Hispanic and early colonial times was, of

course, much greater, reaching out to the whole Province of Charcas, and even to the whole

Qullasuyu south of Cusco. On this scale, the sociological calculus becomes correspondingly more

elaborate (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, « Ensayo de interpretación » and part. V).

35. These apical Houses were also found at the level of ordinary tribute-payers, and during the

early Republican period could still be re-founded on the occasion of each State inspection (Visitas

and Revisitas) (Platt 1982a, 1982b).

36. The « diabolic » subtext of the symbolism of the crucified Christ was noticed in the early 17th

century by the Archbishop of Charcas, Bernardino de Cárdenas, while extirpating idolatries

among the miners of Potosí (see Bouysse-Cassagne 2004). This double reading of the crucified

Christ can still be found today in the rural areas around Potosí (Platt 1996a).

37. See, for example, the organization from the valleys of resistance to the implementation of

the First Agrarian Reform Law of 1874 in North Potosi, analyzed in Platt 1987b.

38. It should be remembered that the Bolivian State in 1970-1971 had other things on its mind

than to guarantee vertical links between puna and valleys, although the ayllus could invoke

documentary support from the colonial and early Republican periods, which « fixed » the vertical

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distribution through successive documented rituals of confirmation (amojonamientos, revisitas,

etc).

39. Close to a « chullpa » settlement site in Macha I was shown a « chullpa cemetery », made up

of shallow pits marked by stones forming squares on the surface, beneath which a skull

(presumably a trophy head) with no body was accompanied by ceramics and other offerings.

40. Inka Otorongo’s transformation into a jaguar ( otorongo = « jaguar ») when battling with

lowland groups was re-enacted by Titu Kusi Yupanki in 1561 in a threatening letter to the

Corregidor of Cusco (Julien 2006).

41. According to 16th century testimonies, a jaguar is said to have killed an Inka’s son as high up

as the valleys of Sayapaya on the river Caine in Sacaca territory (Platt, Bouysse-Cassagne and

Harris 2006, p. 628). Jaguar presence in the highlands can also be detected symbolically in a

riddle I collected on the Macha puna in 1971, which suggests an Andean interpretation of the

Christian mass: tingri waqan, chaymanta kuntur tantakun, « the jaguar cries and then the condors

gather together ». The answer is the priest ringing the bells to call people to Mass, i.e. the

condors gather to eat the remains of the jaguar’s kill, just as the Indians go to church and follow

the mestizo or white priest in consuming the body and blood of Christ.

42. For the « logic of forms », see Claude Lévi-Strauss (1966), Du miel aux cendres, cited in Platt

1978. It does not, however, exclude the simultaneous transformation of warriors into

« animistic » expressions of « natural » forces, indicating a constant tension in the Andes

between « other » perspectives and those of any formal logic.

43. In Mongolia, for example, it has been shown how the blurring of frontiers between the

animal and the human is itself the recent result of the irruption of gold-mining, which has

angered the spirits and led to the appearance of wolf-men, whereas before the categories of

humans and animals were kept clearly distinct (High 2008).

44. For pre-Hispanic and early colonial settlement from different federations of the Collao and

Charcas in the maize-producing valley of Cochabamba and in the coca-growing yungas of

Tiraque, as well as around the tin and silver-lead mining enclaves of Chayanta and Porco-Potosí

on the puna, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris (2006). Here, too, distant affiliations were

subsumed within local structures of authority.

45. The Amazon and the Paraná. For the existence of possible Charcas and Pakasa outliers in the

eastern lowlands during the 16th century see e.g. the entrada of Francisco de Angulo to Chapare

in 1588, published in part by Maurtua 1906 (tomo IX). The Pakasa are said to have been involved

in battles with the Inka down there, as well as with their lowland neighbours, although the

alliances in which they participated have not yet been clarified. For Inka presence in the eastern

lowlands at Las Piedras, close to the meeting of the rivers Beni and Madre de Dios (near

Riberalta), see Pärssinen and Korpisaari 2003. It has been suggested that the term « Carcaraes »,

used in the Atlantic sources to refer to the « Caracaras » [Qaraqaras] of Macha and Chaquí, may

also be present in the river name « Carcarañal », indicating a distant « island » of these same

people at the junction of the rivers Carcarañal and Paraná near Cabot’s fort of Espiritu Santo. See,

for example, the letter by Luis Ramírez (1528), published in José Torre Revello (1941, tomo I,

p. 91, documento n° 16). I thank Isabelle Combès for a copy of this text.

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ABSTRACTS

From the island’s point of view. Warfare and transformation in an Andean vertical archipelago.

The article combines John V. Murra’s theory of the « vertical archipelago » – a dynamic model of

the changing historical relations between Andean societies, the complementary ecologies they

inhabit, and emergent « State »-formations – with transformationalist theories developed among

Amazonian peoples. Drawing on field-work with a longlived « archipelago » in the valleys of the

Macha ayllu (Northern Potosí, Bolivia), the author shows the conflictive experience of valley

« islands », which must invert their moiety affiliations to survive pressures from the larger

groups in which they are implanted. The confusion of levels of segmentation and the « island »

formation produces different valley alliances from those sought on the puna, while presupposing

a shared horizon of ideas concerning violence. Andean warfare is characterized by the same

« ontological instability » at the blurred frontier between humans and animals that is found

among other Amerindian groups, and elsewhere in the world. Different kinds of shapeshifting

during fiestas and warfare, and the reformulation of animal-human frontiers, are seen to be

related to different social and historical contexts.

Du point de vue insulaire. Guerre et transformation dans un archipel vertical andin. L’article

intègre la théorie de l’« archipel vertical » de John V. Murra (un modèle dynamique des relations

historiques changeantes entre les sociétés andines, les zones écologiques complémentaires

qu’elles occupent et l’émergence de formations de type « étatique ») avec les théories

transformationnistes développées pour des sociétés amazoniennes. Traitant d’un archipel attesté

sur la longue durée dans les vallées de l’ayllu Macha (Nord Potosí, Bolivie), le texte expose

l’expérience conflictuelle d’îlots des vallées qui doivent inverser leur appartenance de moitié

pour survivre aux pressions de groupes plus grands au sein desquels ils sont implantés. La

confusion existant dans les vallées entre les niveaux de segmentation sociale entraîne des

alliances politiques différentes de celles qui ont cours dans les hautes terres, tout en

présupposant un horizon partagé de représentations de la violence. On retrouve dans la guerre

andine la même instabilité « ontologique » aux frontières de l’humain et de l’animal qui a été

observée dans d’autres sociétés amérindiennes, ainsi qu’ailleurs dans le monde. Plusieurs types

de transformations qui se jouent durant les fêtes et la guerre, ainsi que la reformulation des

frontières animal-humain, apparaissent liés à des contextes sociaux et historiques eux aussi

changeants.

Desde la perspectiva isleña. Guerra y transformación en un archipiélago vertical andino. El

artículo combina la teoría del « archipiélago vertical » andino propuesto por John V. Murra – un

modelo dinámico de las cambiantes relaciones históricas entre las sociedades andinas, los nichos

ecológicos complementarios que habitan, y las formaciones « estatales » emergentes – con las

teorías transformacionalistas desarrolladas entre los pueblos de la Amazonía. Basado en un

trabajo etnográfico realizado con un « archipiélago » de larga duración en los valles del ayllu

Macha (Norte de Potosí, Bolivia), este texto muestra la experiencia conflictiva de algunas

« islas », que deben invertir su pertenencia de parcialidad (« mitad », o saya) para poder persistir

entre los grupos mayores que dominan su vecindad. La confusión entre los niveles de

segmentación y la formación de las « islas » exigen otros patrones de alianza de las que se dan en

la puna, aun si ambas regiones comparten un mismo horizonte de ideas con respecto a la

violencia. La guerra andina se caracteriza por la misma « inestabilidad ontológica » en la frontera

borrosa entre animales y seres humanos que ha sido encontrado en otros grupos amerindios,

como también en otras partes del mundo. Se muestra que los diferentes tipos de transformación,

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y la reformulación de las fronteras entre animales y humanos, pueden ser relacionados con

diferentes contextos sociales e históricos.

INDEX

Palabras claves: archipiélago vertical andino, guerra, transformaciones, fronteras socio-

ontológicas

Mots-clés: archipel vertical andin, guerre, transformations, frontières socio-ontologiques

Geographical index: Macha, Andes, Nord Potosí, Bolivie

Subjects: Ethnohistoire, Ethnologie

Keywords: vertical archipelago, warfare, shapeshifting, socio-ontological frontiers

AUTHOR

TRISTAN PLATT

University of St Andrews, Centre for Amerindian, Latin American and Caribbean Studies (CAS),

School of Philosophical, Anthropological and Film Studies, 71 North Street, St Andrews, Fife KY16

9AL, Scotland UK [[email protected]]

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Catastrophes and Weddings. ChachiRitual as MetamorphosisIstvan Praet

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en août 2007, accepté pour publication en septembre 2008.

Catastrophes

1 On the 31st of December 1999 frantic crowds had gathered in San Miguel, one of the

foremost ceremonial centres of the Chachi. These inhabitants of the coastal lowlands ofEsmeraldas, Ecuador, had congregated because they feared the world would end thereand then. Some had picked up on the prophecies of doom concerning the newmillennium and this had quickly developed into a general feeling of terror.Incidentally, there had been intense volcanic activity at that time and the sky wasdarker than usual. Many were convinced that an enormous deluge or a devastatingearthquake would follow. What happened during these panic-stricken moments wasintriguing: the Chachi organised a mock wedding festival. Musicians brought marimbasand various kinds of drums and played continuously. One of the participants declaredafterwards: « We had to do this; otherwise God-the-Father would have destroyed usall ». Another one described it thus:

We were all there and kept an eye on the clock. As it got closer to midnight, webecame more and more anxious. Just before twelve everybody was nervouslychecking their watches. A few had small portable radios and listened attentively.Some were so distressed that they started crying. At 12 o’clock nothing happened,no flood, no earthquake… A big relief, but we decided to stay on for a while, to beentirely sure that nothing would happen.

2 Anxieties about an imminent apocalypse are widespread, not only among the Chachi,

but among Amerindian peoples in general. For our purposes here it suffices to considera few examples from the ethnography of South America. Neil Whitehead (2002, p. 133)

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has shown that fears about the new millennium led to an outbreak of panic among thePatamuna, very reminiscent to the Chachi fears about the year 2000. Robin Wright(1992, 1998, 2004) has amply documented Baniwa « millenarianism ». A key point hemakes is that contemporary ideas about disaster cannot be understood as a mereconsequence of recent Christian influences. Rather, they are reformulations ofsomething which already existed previously. Stephen Hugh-Jones (1994) reaches asimilar conclusion with his claim that Tukanoan messianic cults resemble both theindigenous shamanism of the area and Catholic belief. But not only Amazoniaspecialists have documented such apocalyptic ideas. The theme is prevalent amongAndean populations as well. Sabine MacCormack (1988, pp. 982-983) provides anhistorical illustration with her discussion of the Quechua concept of pachacuti, whichshe describes as « the world turning upside down ». A more contemporary example isoffered by Olivia Harris (1987, p. 94), who found the Laymi of the Bolivian Andes to be« obsessed with rumours about the end of the world ». In sum, we notice a broadlyparallel conception of the apocalypse across native South America. But why would thisbe so? The aim of the present study is to contribute to this general question by lookingat the specific conceptions of disaster of the Chachi, whom I now introduce briefly.

3 Formerly known as « Cayapa », the indigenous inhabitants of Esmeraldas, Ecuador’s

northernmost province on the Pacific coast, nowadays refer to themselves as« Chachi ». Their language, Cha’palaa, is spoken by approximately nine thousandpeople. In a largely Hispanic country, the Chachi constitute a relatively sizable minoritygroup; they have a particular reputation for their skills as canoe crafters, basketweavers, hunters and river fishers. While most of them have a preference for livingfaraway in the forest, they are by no means an entirely isolated group. They havealways maintained connections with outsiders, both along the Pacific coast and in theAndean highlands (Altschuler 1964, p. 20; Carrasco 1988, p. 22). Recent linguisticevidence indicates that the Chachi are relatively closely related to the Tsachila, thenative residents of the Santo Domingo area in the western foothills of the Andes(Curnow and Liddicoat 1998). According to the same study, they are also related to theAwá of the western Colombian-Ecuadorian border area and to certain groups in thePaez region (highland Colombia). In a geographical sense, they live close to the Afro-Ecuadorian populations of Esmeraldas, to the Emberá of the Colombian Chocó and tothe Quichua of the highland province Imbabura. How and to what extent the Chachi areconnected to these various groups remains largely unexplored. At present, most Chachipeople speak Spanish fluently, a result of the continuing efforts of bilingual teacherstrained by organisations like the Summer Institute of Linguistics. While a significantnumber of them has migrated to Esmeraldas town and other cities in recent years, theoverwhelming majority continues to live in their ancestral territories contiguous to theCotacachi-Cayapas nature reserve.

4 To say that the Chachi have an « obsession » with disaster is not an exaggeration. Many

Chachi people can describe in minute detail how catastrophes took place in the past. Onone occasion, it is told, there was a solar eclipse. When the whole world had becomedark, frightening events began to occur. All kinds of objects such as stones or axesstarted flying around like insects. Suddenly, trees could talk. The Chachi were totallyconfused. In the darkness, they could no longer find their way. As they could no longerlook for nourishment, they got very hungry. Some fruit trees and certain palms werefriends of the Chachi. They gave instructions about how to locate them: « I am here. If

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you want to eat something come over here. Here I am! ». But not all trees were sofriendly; they were helped only by those that they always treated well. The trees theyused to chop down (to make canoes or sleeping mats, for instance) turned against themand were out for revenge. Benefiting from the dark, giant ogres lifted up the roofs ofhouses, abducting and eating many defenceless people. Some Chachi turned into man-eaters. Brothers ate their sisters and sons ate their fathers. Mothers even ate their littlebabies. In one woman’s words: « As it was dark, people could not see what they ate.Their own relatives had begun to smell like pineapple, so they were under the delusionthat they were consuming fruit ». After the eclipse, a huge thunderstorm followedwhich turned into a hurricane. Axes flew around, trying to kill the Chachi. They hadalways been « maltreated » (by knocking them against trees and so on) and now it wastheir moment of vengeance. And it was not just axes. All objects that people wereaccustomed to « maltreat » now became dangerously inimical. The stones they occupyto grind plantains now tried to smash the Chachi. A whole variety of kitchen utensilstransformed into lethal projectiles. Pots, plates and spoons attacked people. These wereall angry as in everyday life they had been burnt with fire (the pots), badly treated byfilling them with hot substances (the plates) or tortured by stirring them in boilingfood (the spoons). Many people died, but some survived as they were helped by friendlyobjects, that is, objects they had always treated with care and affection1. « During suchcatastrophes », one man told me, « it is as if the whole world reverses ». He maintainedthat while tornadoes uproot the heaviest trees, the lightest species remain unharmed.Guayacan trees, known to be the sturdiest in the area, were drifting through the air likefeathers on various occasions in the past. Balsa, which has the lightest kind of wood,

becomes like a stone and people run for shelter under such trees2. Moreover, animalsusually hunted by people allegedly turn into redoubtable enemies; prey becomespredator. Opossums, peccaries and wildcats attack humans, bats suck their blood andowls eat their eyes.

5 Accounts of the apocalypse also involve earthquakes. On various occasions, trees fell,

houses collapsed and people got smashed. Certain quakes were allegedly so devastatingthat some houses simply vanished in the ground. Remarkably, those who endured suchcrises best were not the new and sturdy houses – as one would expect – but the old andshabby ones. Again, we are confronted with a reversal: during the catastrophe what issturdy becomes weak and vice versa. The idea of a reversal of the world is also broughtup by my predecessor Samuel Barrett (1925, p. 376), who links earthquakes to theappearance of « those without anus », monstrous beings which cannot eat proper foodand instead feed on the steam escaping from cooking pots. One of my informantsdescribed an earthquake that took place some 15 years ago, when he was in his nativevillage. It was an horrible experience. Houses were shaking and the pots in the kitchensfell down. People ran outside in panic. They were jumping, screaming and crying infear, for they all assumed it was the end of the world. After such an incident peopleusually hurry to the ceremonial centre, where they enter the church, kneel and begGod-the-Father for mercy3. Floods and tsunamis (locally known as visitas) are alsorecurring elements. One bilingual teacher recounted me what happened during amassive flood in 1972, when he was living in Rio Cayapas. It was a general disaster;never before had he seen something so terrible. For days in a row, there was asuperabundant rainfall. The river burst its banks and entire houses were swept away.Villages along the river had to be evacuated and people had to camp in places that werelocated higher up. Various Chachi got caught by the violent currents and drowned.

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More recently, in 2003, another calamitous flood occurred in Rio Cayapas. Although nopeople appear to have drowned, many lost domestic animals and other possessions.Just as during the 1972 flood, those who were most frightened went to the ceremonialcentre to drum and to play marimba.

6 This illustrates that New Year 2000 was not the only time that a fiesta was organised. In

fact, any catastrophe of significant proportions is consistently followed by a celebrationin the ceremonial centre. Consider the following account, recorded by MiltonAltschuler (1964, p. 117):

During 1959-1960 rumors were constantly in the air in Ecuador that the end of theworld was going to take place soon. These rumors had reached the Cayapa [theformer name of the ethnic group nowadays known as « Chachi »] According toGabriel [a prominent Chachi], Jesus carries the world in his arms and when the sinsof the people pile up, the world gets heavier and heavier until at last the burdenbecomes insupportable, and Jesus lets the world fall. That, said Gabriel, will happenvery soon unless the Cayapa can appease the wrath of God by holding a specialfiesta […]. Gabriel was so concerned that he sent a message to the chiefs of the othersections [that is, to the Governors of the other ceremonial centres], inviting them toa meeting at his home to discuss the impending disaster and the means by which toavert it. He wanted each group to stage a fiesta at its own ceremonial center at thesame time « to give added strength ». To make doubly sure, he wanted four youngchildren to be married « as they did in the old days ». Being young they would, ofcourse, be without sin, and Jesus would find the sight touching and forgive theworld.

7 The coincidence of ritual celebrations with circumstances of general panic is a well

known fact and has been widely documented in the ethnography of South America.What surprises here is the Chachi’s particular choice for weddings, occasions whichnon-Chachi generally tend to envisage as joyous. Why celebrate a wedding when youare struck by the worst misery? When I asked this directly, none of my informantscould give a univocal answer. Phenomena like solar eclipses, some explained to me, area warning for people who live badly. All catastrophes are a punishment of God-the-Father or, as some literally express it, they are a whipping. He chastises in retaliationfor all the sins people have committed. It is up to the Chachi to beg God for forgiveness(alabar a Dios) and to better their lives. All my informants agreed that the best way toprevent the destruction of the world is to organize a wedding fiesta. In relatively smallemergencies like the 2003 flood people may content themselves with mimicking amarriage and just play the instruments and dance. When the worst comes to the worst,however, that is not enough. Nothing less than a real wedding will do. Preferably, thereshould even be several weddings at once. The couples that are planning to get marriedanyway are obvious candidates. When no couples were available, the elderly used tosummon particular youths to marry, if they wanted or not. If the situation wasextremely precarious it even happened that they married young children4. But thesespecifications do not resolve the question of the link between disasters and gettingmarried. In the next section I attempt to clarify the issue by looking at the weddingsthemselves.

Weddings

8 To be sure, weddings are not improvised to deal with a calamity in ordinary

circumstances. Usually, they are planned long beforehand and take place at fixed times

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of the year. They are celebrated in the ceremonial centres at Easter or at Christmas.Weddings are considered extremely important: they involve considerable preparationand, by local standards, incredible expenses5. It involves buying rum (ishkala), sugar tomake maize beer (chicha), tobacco and candles. Those who are getting married andtheir « wedding godparents », the madrina and the padrino, jointly finance most of thecelebration. What happens during the preparatory phase of the weddings gives us someclues about the relation with disaster. In the days before the Easter weddings one mustact cautiously, for it is thought that « Christ’s protection has fallen away »6. Forinstance, bathing in the river should be avoided. The prohibition may be largelyignored nowadays, but many people believe that in the past those who did go into theriver turned into all kinds of animals and monsters. Myths tell of imprudent Chachiwho metamorphosed into dolphins, lizards, toads and dragons. Besides bathing in theriver, walking in the forest must be kept to a minimum. Without Christ’s protection, allkinds of accidents are likely to happen. There is an increased risk of being bitten byvenomous snakes, which all of a sudden seem to abound. If one goes out alone on thenight of Good Friday one is bound to run into various kinds of malicious goblins, whoperform beautiful music. Marimba-playing and guitar-playing goblins are reported; forevery type of music instrument a goblin appears to exist. Notably, these are envisagedas reversed beings. When one hears their music vague and distantly, they are, in fact,nearby. When they sound loud and clear, by contrast, they are far away. If one thinksthat one is dangerously close, one is safe. If one thinks that one is safely distant, one isin danger. Those who are assaulted by such a goblin but manage to survive are said toreturn as virtuoso musicians, even though they may never have touched an instrumentbefore. People also refer to « drumming ghosts », evil creatures with characteristics ofboth humans and music instruments. They are said to have a hole at the front of theirrib cage, from which blood is constantly dripping. If one looks inside there is nothing:no flesh, no organs. They are hollow. Their back, however, is very hard, more or lesslike the surface of a drum. They have whips which they use to flagellate themselves(this is said to cause the sound of drumming). In brief, the likelihood of running into allkinds of inimical creatures increases dramatically in the week before Easter. « All areafraid to leave their house in that particular week », one man assured me. Indeed, whathappens in the days before Easter could be envisaged as a « little catastrophe ». I nowturn to the wedding ritual itself.

9 Only a small crowd was present when the bell of the church chimed for the first time

on Good Friday in April 2004. It was noon and we were in the San Miguel ceremonialcentre. « This is the hour that Jesus died », I was told. Some of the men took the bigcrucifix from the sanctuary and put it horizontally on the church floor. Others litcandles in the shrine with the saints’ figures. In front of the crucifix, four menpositioned themselves with long sticks, thus blocking the entrance of the church. Amember of my host family explained me about this: « Those men with their sticks areguardians. As Jesus is dead and defenceless now, we have to protect him. If we do not,the devil and his consorts would come and take him away. That would be disastrous ».The stick-bearers had to remain on post until midnight, that is, « until the moment thatJesus resurrected ». In the afternoon people occasionally went in front of the churchaltar, lit a candle and said their prayers. In the vernacular this activity is referred to asutyakenu; it consists of uttering incomprehensible phrases reminiscent of the esotericincantations of shamans who cure the sick. By the time the vigil in the church hadcome to an end, a substantial crowd had gathered in the ceremonial house. Most of

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them were Chachi, but several Blacks from neighbouring villages were also present.There was a marimba, several kununus (small drums) and two bombos (big drums).During the first night, those who would get married were not yet present and littlehappened. Music was played until dawn, people smoked tobacco and some got drunk.

10 The brides and the grooms arrived early the following morning. At the event that I

witnessed there were four pairs. In the ceremonial house, the brides sat on one side of abamboo partition, the grooms on the other. Their outfits were strikingly colourful. Thebrides had glittery dresses, while their face and the upper part of their body werecovered by a veil. The veils were kept in place by headbands to which strips of old coinsand tinsel garlands were attached. Some had festoons of little plastic bells, all inextravagant tints of gold, silver, green and red. The grooms wore two red ribbonswhich they put crosswise over their shirts. They also had headbands of the same colourand a few had put a red handkerchief on top of their head. The godparents of each pair,those who direct the fiesta, were always close. Behind the brides sat their respectivemadrinas, who constantly remained by their side. Likewise, each groom wasaccompanied by a padrino. The ceremonial house was divided in a female and a malepart: the women mostly stood or sat behind the madrinas, the men were grouped at theside of the padrinos. The dancing was initiated by the godparents, who opened withtheir respective brides or grooms. Then, friends and relatives of the couples couldbegin. The same procedure was repeated every time. If a man from the audience wishedto dance, he offered a soft-drink, beer or some rum, first to the groom, then to thebride on the other side of the bamboo partition. With the help of her madrina, the brideput on a ceremonial dress. Wrapped up in her veil, she avoided all eye-contact with thegiver; the onlookers could only see her nose peeping out of the cloth. Thus, she dancedwith the man. Most dances only lasted for ten seconds or so. The two dancers standclose, facing each other. While the man merely walks backwards and forwards a coupleof times, the bride – following him closely – hops rhythmically and sways her arms7.The wedding couples and their godparents remained sober, for they are supposed to« dance well ». The rest of those present, the relatives and friends, gradually got moreand more drunk. Each time they danced, they were served rum by both the bride andthe groom. Some, both women and men, ended up so drunk that they almost lostconsciousness. Once in a while, some of the men who had too much to drink engaged inbrawls. It was the task of the Policemen (chaitarukula) to punish those who were overlyexcited and they did not hesitate to put incorrigible fighters into the stocks8. To me,such drunken and sometimes violent behaviour was very striking, for it contrastedstarkly with my experience of how Chachi act in ordinary life.

11 There were pauses in the dancing once in a while, but the music always continued. The

padrinos were responsible to make sure that the musicians had sufficient rum andcigarettes at their disposal. The brides retired briefly with their madrinas every hour orso. When they reappeared, they would wear a new veil, different but similarlycolourful. « They are like film stars », one friend remarked, « during the wedding, theyconstantly change from one dazzling outfit into the other ». Remarkably, the madrinas

always followed their brides closely and never left their side. Even when the bride hasto defecate, I was told, she is accompanied. When I asked about this one participantresponded by recounting a myth. Summarized, it came down to the idea that brides(but also grooms) would behave promiscuously if they were not guarded9. Towards theend of the fiesta, the attention was drawn at the Policemen. As they took their whips, astir went through the crowd. It was time for the general punishment. The Policemen

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chastised gently, not severely as they would when somebody had truly committed amistake10. Nobody was exempted: the newlyweds, the godparents, the elderly, womenand children all received at least one whiplash. All had to be chastised, it was said,because all had sinned in the past year. By being whipped, I was told, one’s sins (ujcha)

were forgiven. Those who tried evading it were tracked down and received an extraportion. After this rather turbulent intermezzo, the fiesta resumed as before. The musicwent on the whole evening and throughout the night. Near dawn, those who were stillcapable performed the closing dance, known as San Fan Fan, a derivation from theSpanish « San Juan ». This was the only time at which people danced collectively:brides, grooms, godparents, wedding guests and even the musicians participated.Drums and the marimba were carried along. It was, to use Barrett’s (1925, p. 326)expression, « a riot of fun and jollity ». The dancers exchanged instruments, bottles ofrum and pieces of their outfits. They also cracked risqué jokes and shouted mockinsults. For instance, they would say to the groom: « Your wife is sleeping around ».This outburst of noise and laughter marked the end of the wedding. Brides and grooms

took off their ceremonial finery and put on their ordinary clothes.

The Big Metamorphosis

12 What happens at the Easter celebration, I suggest, can fruitfully be understood as a

metamorphosis. In fact, it is the ultimate metamorphosis or, in any case, a bigmetamorphosis. What takes place is a mass shape-shifting whereby all Humans turninto Monsters and Ghosts. The Living turn into the Dead11. Strictly speaking, « Chachisociety » ceases to exist. Indeed, weddings are catastrophes. Before explaining whatexactly I mean by this, I wish to emphasize a couple of points. The lavish andconspicuous spending of money is something which usually only happens at weddingsand a few other occasions commonly qualified as « ritual ». Similarly, the copiousconsumption of rum and tobacco is fairly strictly limited to such instances12. Inordinary circumstances most Chachi people never smoke or get drunk, a significantcontrast with what happens among neighbouring (non-Amerindian) populations.Another important element is the frequent use of esoteric language. When people go tothe church in the ceremonial centre, they « pray » in a twisted idiom of exotic andarchaic terms that have no clear meaning in the vernacular. If asked about theseincantations, most of those who had been uttering them simply deny that they knowthem; they are « words of the devil » and sharing them would be dangerous. Anotherhighly significant element is that the weddings are celebrated in ceremonial centres orpebulu, which literally means « village of the dead ». Most of the year such centresstand empty; people do not live there. They are used only on special occasions, mainlyweddings and burials. Indeed, these places are also graveyards: the dead are buriedunderneath the ceremonial house. In many respects these villages of the deadconstitute a miniature version of the ordinary Chachi world (DeBoer 1997), eventhough most things appear to be inverted. Thus, the ancient centres are not built onrandom places along the river, but specifically where the current is obstructed and thewater goes the other way round. Chachi people explicitly avoid building their housesnear such spots; they always live where the current is uninterrupted. Its implantationnear whirlpools makes the ceremonial centre, in a very physical sense, a « place of theopposite ».

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13 In previous work (Praet 2006, pp. 224-281) I have argued at length that these various

practices and the very location where the weddings take place mark a temporarychange from the Human into the non-Human; all Chachi have become Monsters.Humans or Chachi shift shape. I will not repeat this argument in detail. For mypurposes here I will just highlight a few key insights. Before anything else, it isnecessary to clarify why I use the terms « Human » and « Chachi » interchangeably. Atpresent, the latter expression is often used as what anthropologists call an« ethnonym », the name of a specific indigenous group. However, this usage is ofrelatively recent origin and mostly restricted to those with close links with theHispanic world. When asked to translate the term « Chachi », my informants usuallyrendered it simply as « people » (gente) or « true people » (gente verdadero). In thatsense, « Chachi » does not refer to a particular group of humans but to humans ingeneral. In such a framework, it would appear that there are no other humans apartfrom the Chachi13. To bring across this particular conception of humanity I capitalize« Humans ». Elsewhere (Praet 2005; 2006; s. d.) I have proposed that « Chachi » or« Humans » must be conceived of as a shape: these notions do not so much refer to acertain class or an ontological category, but to a position characterized by a specificmode of behaviour which my informants often epitomized in the phrase ura’chunu,« living well ». Among other things, this entails a strictly monogamous lifestyle and anattitude of modesty, that is, abstaining from alcohol and tobacco. Chachi shape orHuman shape is prominently opposed to Monster shape or Ghost shape, often capturedin the phrase firu’chunu, « living badly ». The latter principally refers to promiscuity, ageneral lack of restraint and a propensity for torture and aggression14. If one acceptsthese respective definitions, the wedding ritual, characterized by out-of-characterviolence, drunkenness, excessive smoking and whippings, is literally an instance ofgeneralized shape-shifting.

14 The wedding festival at Easter always seems to be announced by what one could call an

« institutionalised disaster ». If serious catastrophes are always followed by weddings,weddings are also always preceded by catastrophes. It is during Holy Week, especially,that people report being bitten by poisonous snakes. It is in the days before Easter thatpeople avoid trips in the forest or bathing in the river because they are scared toencounter all kinds of inimical creatures such as drumming ghosts. To be precise,Chachi people are not exactly afraid of such Monsters. Rather, fear is turning into aMonster against one’s own will (Praet 2006, pp. 74-121). Assaults by music-playinggoblins should be understood as metamorphoses: the people who survive return asgoblins themselves. Hence the fact that they are envisaged as virtuoso musicians. It isno surprise that the link between weddings and metamorphoses is one of the mostfrequently recurring themes in myth15. Consider the example of pipiñi, an aquaticMonster which is thought to be the cause of both drought and flooding:

During a celebration in Punta Venado [the most ancient ceremonial centre] anunknown man appeared. Nobody knew he was a man-eater; he had the habit ofeating Chachi fishermen. Dressed in beautiful, glittering clothes, he was sohandsome that one of the girls wanted to marry him immediately. Preparations forthe wedding were taken and at one point the man took off his clothes, which wereentirely made of silver coins. That was the snake shedding its skin, but the girl didnot notice. The beautiful man appeared to be incredibly thirsty. He asked to fill acanoe with water and to bring it in the ceremonial house. After drinking severalcanoes of water, which he experienced as consuming rum, the river almost dried up[Punta Venado is located along the Rio Cayapas]. Then, people started to suspect

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that he might be pipiñi, the giant snake that inhales and vomits water. When theyremarked: « You drink so much, you are just like a water dragon » he got angry,took his wife and ran away towards the coast. They jumped into the sea and bothtransformed into water dragons.

15 What happens at the « real » wedding ritual I have described is actually not so

different, for we have a complete reversal into the monstrous there too; all Humansturn into Monsters and Ghosts. The first day of the festival could be understood as avigil of cosmic proportions. As the horizontal position of the crucifix indicates, Godhimself has died. Those guarding Christ’s corpse are not Chachi but Ghosts. Thosesitting in the church are not the Living but the Dead. Everybody present in theceremonial centre, which is a graveyard after all, is Dead. For the procedure to besuccessful, both the victim and the rescuers must share a similar shape. An interestingpattern emerges: in order to rescue the dead Christ, one has to become Dead oneself.Throughout the fiesta, the musicians are given great amounts of alcohol and tobacco.They are Monsters, and it need not surprise us that especially at this time of the yearall sorts of hybrid creatures with features of music instruments are spotted. At thefiesta the status of the musicians is identical to that of marimba-playing goblins anddrumming ghosts. Recall that such ghosts are imagined as flagellating creatures. This isexactly what happens at the weddings: some of the participants chastise themselves. Istress that the music performed at the ceremonies is restricted to those occasions. Onewould never come across such an ensemble in everyday life. Music marks the non-Human shape of all those present.

16 Brides and grooms arrive on the second day of the festival. One is readily struck by

their eccentric outfits. The brides’ frequent changing of clothes (« Just like film divas »)suggests the assumption of not just one but a sequence of various non-Human shapes. Itis perhaps no coincidence that the term for « changing one’s clothes » is the same asthat for « metamorphosing » (mandinu). In any case, shape-shifters are very oftendepicted as wearing exceptionally colourful and glittery outfits in mythical accounts.Another striking element is the fact that the couples are constantly accompanied bytheir wedding godparents. The way things are staged is distinctly paradoxical. On theone hand, the newlyweds are supposed to « behave properly » and « live well »,something the Policemen constantly insist on. Each pair is married by a godparent pairthat has already proven to be a worthy couple16. On the other hand, brides and groomsare treated as incorrigible sinners: hence the idea that they should be closely guarded.While supposed to be strictly monogamous, the newlyweds are explicitly depicted assexually voracious. That the brides have to wear a veil and are forbidden to even justglimpse at other men confirms that they are envisaged as the worst adulterersimaginable (girls never wear veils in ordinary circumstances). That the weddingpartners are identified with dogs or other animals that epitomize promiscuity is afurther illustration. Now adultery is seen as one of the vilest crimes possible and,therefore, harshly punished by the Policemen. The sanctions of whipping and puttingpeople in the stocks become better understandable if we grasp that committing amistake against marital faith implies losing one’s Human shape (Praet s. d.). Those who« sin » are no longer Chachi; adultery is equivalent to monstrosity. In short, the bridesand grooms shift from Humans into Monsters17. The position of those offering rum andsoft drinks is similar to that of the wedding couple: they are no longer Human. Moregenerally, I argue that all wedding-participants temporarily become non-Humans.Their often immoderate consumption of rum and tobacco, their sometimes wild and

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aggressive behaviour and their dancing with bride or groom indicate their monstrosity.Dancing is associated with adulterous sex. In that sense, the wedding can be understoodas a collective orgy; it is defined in opposition to the monogamous restraint of everydaylife. All dancers are « sinners » or, what amounts to saying the same, they are Monsters.Especially the wedding couples and the godparents manifest themselves as such: they

are the ones that dance most often. Little wonder, given the outburst of « sinning » atthese particular occasions, that the Policemen are so busy whipping and chastising.During the general punishment neither the Policemen nor those whom they whip areHumans. In fact, torturing is a conspicuously non-Chachi way of acting; in ordinarycircumstances, the exemplary peacefulness of the Chachi is stressed time and again.This attitude is often contrasted with the ostentatious aggressiveness of fearsomeoutsiders such as the colonial Spaniards or policías. Spaniards, whether soldiers orclerics, were considered to be man-eaters, implying that they were not Human (seePraet 2006, pp. 77-85). In other words, Policemen are Spaniard-like Monsters. Thosewhom they punish, the « sinners », are in acute danger of losing their Human statusforever. The aim of the whipping is precisely to counter this: the sinner/Monster has tobe drawn back into his or her Human shape. To accomplish this the punisher has toassume the same position as the culprit: from the ordinary Chachi that he is ineveryday life, he transforms into an Hispanic Monster, a Policeman. That is why hemutters archaic Spanish incantations and tends to wear old-style colonial outfits onsuch occasions. In my view, the ultimate aim for both the punished and the punisher isto cast off their Monster shape definitively. In other words, I contend that thePoliceman is an expert shape-shifter who guides the sinner back into his former shape.The pattern that emerges is similar to what we have seen before: in order to reassumeone’s humanity and to ward off the monstrous, one temporarily has to turn into aMonster. That is, adopting a similar viewpoint as one’s adversaries is a necessaryprecondition to deal with and, eventually, to overcome the difficulties they provoke. Aswe know from contemporary Amazonian anthropology, this idea is quite widespreadacross South America. What matters is who manages to manipulate the « perspective »,as Eduardo Viveiros de Castro (1998) has expressed it. To formulate what happensduring the punishment in his terms: the Policeman transforms into a Monster but onlywith the aim to impose his own (Chachi/Human) perspective in the end. In order todominate the metamorphosis one first needs to be « on equal terms » with one’s non-Human adversary; the implicit logic is that one can only beat the monstrous by firstjoining it.

17 The San Fan Fan closing dance is the climax of the metamorphosis. One last time, in a

jolly charade of fun and drunkenness, the dancers demonstrate their monstrosity. Theyjokingly insult each other, accusing their fellow dancers of sleeping around. As pointedout, acting adulterously is equivalent to acting monstrously. The riotous exchange ofinstruments, hats and other items amounts to a sequential shifting into a multiplicityof non-Human shapes. Among them, as they dance in a long queue, is that of a waterdragon (this elucidates the glittery costume of such giant snakes in myth, for manyparticipants are adorned with silver coins and colourful beads). Others embodyfearsome Spaniards, marimba-playing goblins and drumming ghosts. In short, theclosing dance highlights the position of the wedding participants as Monsters andGhosts. It is the final episode of a concrete and tangible catastrophe where the Livinghave all become Dead, an idea that is less strange than it may appear at first sight for,after all, the wedding takes place in the graveyard. The end of the whole event is

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marked by the wedding couple changing into their ordinary outfits: only then theworld has turned back to normal. The ceremonial centre is vacated, people look fortheir canoes and return home: without more ado, Monsters and Ghosts transform intoHumans again. It is worth repeating that the vernacular expression for « changing backinto one’s former clothes » is identical to that for « metamorphosing ». Arguably, whathappens during weddings is identical to what takes place during « real » catastrophes.Earthquakes, floods or hurricanes are equally envisaged as metamorphoses. People,animals, plants and things shift shape. Hence the « cannibalism ». As I indicated earlier,eating human flesh is non-Human behaviour par excellence: those who confound theirbabies for pineapples are no longer Humans but Monsters. Hence the fact thatinnocuous animals become dangerous, peccaries hunt Chachi, bats suck their blood andso forth. What happens is a generalized shift from prey into predator, victim intoattacker. The same procedure takes place when certain trees transform into giant ogresand objects like pots, spoons and axes turn aggressive. Those who the Chachi« maltreat » in ordinary circumstances now take revenge and torture their torturers.The « turning around » of the world – what is sturdy becomes shabby, what is lightbecomes heavy, etc. – is yet another expression of this generalized metamorphosis. Weare now in a position to better understand the link between weddings andcatastrophes. During the festival, the site of the ceremonial centre is conceived of as the

entire world. Indeed, Chachi people often say that the world rests on wooden crosses18,just as the ceremonial house where the dancing takes place is built on top of thegraveyard, i.e. « supported by crosses ». Wedding participants explained me that eachtime somebody commits a mistake the weight of the world augments and crosses areliable to snap. Each cross that breaks causes an earthquake or other disasters.Adulterers, it is said, « have no cross » (cuusa tajtu). When the « burden of sins »becomes too heavy, Godly punishment, the apocalypse, is inevitable (Carrasco 1988,p. 152; Ventura 2000, p. 169)19. This is what happens each year at Easter. ThePolicemen’s chastisements of all those present at the wedding, and the utterance ofesoteric incantations aim to prevent the breaking of the crosses that support the world.However, these efforts would be in vain if no new crosses could be placed. Here, wegrasp the essential role of marriage, for each couple is explicitly equated to a cross.Each wedding, then, establishes additional support to avoid the world from collapsing.In an alternative version, Jesus holds the world in his arms; this explanation is similarin so far that it confirms that sinning augments the weight of the world, thusincreasing the risk that it crumbles. One man, cited by Cabrera (1998, p. 14), formulatesit thus:

The Chachi believe that the world rests in the hands of God. When somebodycommits a crime, steals or a man has three or four women, the weight of the worldaugments. Consequently, God gets tired. When He moves His hand a little thisproduces an earthquake. The Chachi conclude marriages to prevent suchmovements. [My translation]

18 In presumably more ancient versions crosses and Christian imagery in general are

entirely absent. In some accounts, for instance, the world is not kept in the hand ofJesus or God, but in that of a gigantic creature known as « the one that holds the worldwith its hand (tyaapachi tana’tu; Carrasco 1988, p. 134). In one version, each couple isidentified with a particular kind of cord made from fibres obtained from royal palms(Roystonea spp.). The latter version refers to Tutsá, the Chachi’s mythical village of originlocated in the middle of the world, exactly at the spot where it « threatens to break into

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two halves ». Narrators assert that underneath the path leading to that village, it isexactly such cords that keep the world together (Medina 1997, p. 59). The at first sightincongruous link between catastrophes and weddings, but also the frantic persecutionof adulterers is now better understandable. While the imagery is to some extentvariable, especially with regards to the use of Christian elements, the same idea alwaysrecurs. The married couple, as a whole, is equated to a cross or a cord, supporting theworld or preventing it from falling apart. Each time a marriage fails, a cross breaks or acord snaps, thereby bringing the end of the world closer. To conclude a marriage, onthe other hand, is always a bit of a salvation.

19 Clearly, it is a mistake to explain Chachi attitudes towards adultery and their stress on

monogamous marriage as an inheritance from their contacts with Catholicmissionaries, as some of my predecessors have done (e.g. Altschuler 1964). We nowunderstand that the adoption of Christian imagery like crosses did not necessarilyimply a radical rupture with previous beliefs and practices. The overlap betweenChachi and Spanish-Catholic conceptions about marital faith results more likely fromcoincidence than from imposition. The priests who attempted to convert the Chachisince the early 16th century maybe managed to alter the form of their metamorphicpractices, but not the metamorphic practices themselves. I would like to stress oncemore that the wedding couple, whether associated with a cross or a cord made fromroyal palm fibre, adopt a monstrous status: Hispanic priests and cross bearers arereferred to as uyala, nowadays usually translated as « whites » but originally meaning« man-eaters ». Although its etymology is unknown, the royal palm appears to have asimilar connotation, as its vernacular name is uyachi, which could tentatively betranslated as « man-eater tree ». These associations reinforce the thesis that thenewlyweds are temporarily non-Human just like the other wedding participants. Whatremains to be clarified is why this would be so; in other words: why metamorphosis?Before answering this question, it is useful to recap a few things. At the Easter festival,we observe a fundamental reversal: the ordinary world of Humans becomescatastrophic and the catastrophic world of Monsters and the Dead becomes ordinary.When the Chachi leave their villages and congregate in the ceremonial centre onecould say that all Humans have been exterminated; the world has come to an end andall that remains are non-Humans. In fact, the rationale is not so different from whathappens in Amerindian shamanism more widely: the idea appears to be that one canonly beat the monstrous by temporarily joining it. As Viveiros de Castro and those whoelaborated on his approach have hinted at, the precondition to control and eventuallyovercome one’s adversary is to adopt a similar perspective. The strategy is not one ofavoidance; rather, it is based on what one could term « neutralization by co-option ».At Chachi weddings, I argue, this only happens on a larger scale: we are not talkingabout the metamorphosis of an individual shaman, hunter or warrior but about that ofan entire population. I have shown that participation in the festival entails a shift fromthe Human into the non-Human, from restrained and peaceful Chachi into exuberantand aggressive Monsters. Such collective metamorphoses are disasters, but they arecurbed disasters, kept within certain bounds. The key assumption is that catastrophesare fundamentally unavoidable; therefore, trying to escape them is pointless andcompletely annihilating them impossible. Instead, Chachi people have chosen to co-optcatastrophes in order to « live with them » and wedding festivals are the originalinstrument they have developed for this purpose.

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20 To conclude, I briefly comment on what this particular case contributes to our

knowledge about « millenarianism » in South America more generally. If one considersthe ritual occasions described in the ethnography of South America, it is not difficult topoint to parallels with what I have outlined in the present study. For example, whatGow (2001, pp. 158-187) says about Piro initiation ceremonies, where celebrants paintthemselves as jaguars or dress up as white people, use esoteric language and copiouslyconsume tobacco and alcohol is strikingly similar to what happens at Chachi weddingfestivals. Not only in the Amazonian lowlands but also in the Andean highlands one

comes across interesting parallels. Frank Salomon’s (1981) work on the yumbada dancerituals of northern Ecuador is a good example. During such occasions Quichua dancersdress up as « wild Indians » from the tropical lowlands and as all kinds of evil creaturesand predatory animals. Such rituals also involve whipping, smoking tobacco anddrinking rum. Obviously, it would be worth investigating whether such practices entaila metamorphosis from the Human into the non-Human, as I have proposed concerningChachi weddings. What we know for sure is that apocalyptic ideas are omnipresentamong Amerindian people throughout the continent; however, why this would be soremains unanswered. The present study indicates a possible pathway: if it is true thatChachi weddings are catastrophes, the bigger question that arises is whether this is aunique ethnographic oddity or a specific instance of a much wider phenomenon weencounter all over the continent. To formulate this in a more tentative way: in how farcan we say that the occasions which South America specialists usually describe as« rituals » are catastrophes? Finding out to what extent shape-shifting from the Humaninto the Monstrous is common among Amerindians emerges as a promising challengefor future research.

21 Acknowledgments: I thank Laura Rival, Elizabeth Ewart, Philippe Erikson, Armelle Lorcy

and Anna Boermel for their comments on an earlier version of this paper. I gratefullyacknowledge the support of the Wenner-Gren Foundation (Gr. 7173), the RoyalAnthropological Institute, CNRS (Legs Lelong) and the Economic and Social ResearchCouncil (Grant PTA-026-27-1574).

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NOTES

1. The elderly say: « A glass of water can save your life ». When you drink water, to be sure, you

touch the glass gently; it is almost as if you give it a kiss. Grateful for this tenderness, it is said to

come to one’s help in emergency situations.

2. Even nowadays, when there is a heavy storm and children are afraid, they are sometimes

advised to hold a piece of balsa.

3. The Chachi call this practice miseecuya (from the Spanish misericordia). « God-the-Father » is a

literal translation of the vernacular term diusapa.

4. At present such children’s weddings no longer take place, but in the not so distant past they

were all but a rarity. Most of my elderly informants remembered such occasions from their

youth.

5. At the celebrations that I witnessed, the organizers spent from $100 up to $300.

6. In this article, I focus on the Easter ceremonies. Although they have a lot in common with

what happens at Christmas, I should make it clear that both are not entirely identical.

7. If the prospective dancer was a woman, the procedure developed inversely. Like the brides,

female dancers were wrapped up in a veil and had to put on a ceremonial dress.

8. Chaitaruku literally means « man with the baton »; in local Spanish it is translated as policía.

9. In the version related to me, the bride transformed into a dog and copulated with her former

lover behind the back of the groom.

10. In this case « mistake » especially refers to breaches of monogamy; each time it is discovered

that somebody has an extramarital affair, a Policemen is called upon. The punishment usually

consists of whiplashes or putting the « wrongdoers » in the stocks (in a forthcoming article I

treat this issue in more depth).

11. I use capital letters to indicate that these expressions refer to what I call « shape », a notion

that will be explained in more depth further onwards.

12. During death rituals and shamanic curing rites, money, rum and tobacco also play a

prominent role.

13. This is an example of what Eduardo Viveiros de Castro (1998) has referred to as the

« ethnocentrism » of Amerindian peoples. The phenomenon is widespread and was already noted

by Claude Lévi-Strauss (1962, p. 220).

14. This approach is in accordance with Philippe Descola’s (2005, p. 197) remark that many if not

most Amerindian ethnonyms can literally be translated as « the people » or « the human beings »

and that therefore « ils sont un marqueur d’énonciation et non un nom ».

15. For a more complete overview of Chachi mythology I refer to my doctoral thesis (Praet 2006,

pp. 20-121 and appendixes) and to a forthcoming publication specifically dedicated to that

theme.

16. In this context « worthy » specifically refers to « monogamous »: being faithful to one’s

husband or wife is a sine qua non to qualify as a proper Chachi (Praet 2006; s. d.).

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17. More specifically, the grooms appear to become drumming ghosts. The latter are often

described as carrying two big whips cross-wise over their shoulders. The red ribbons with which

the grooms are adorned are also worn cross-wise over the shoulders. Moreover, in some myths

drumming ghosts have red hats, while the grooms wear red head ribbons or put a red

handkerchief on their head.

18. In some accounts, the world is kept in the hand of Jesus or God. In another, probably more

ancient version, each couple is identified with a particular kind of cord made from fibres

obtained from Royal Palms (Roystonea spp.). The latter version refers to Tutsá, the « Old Village ».

Narrators point out that Tutsá was located in the middle of the world, exactly at the spot where it

threatened to break into two halves. Underneath the path leading to the Old Village, it was

exactly such cords that kept the world together.

19. Clearly, it is a mistake to explain Chachi attitudes towards adultery and their stress on

monogamous marriage as an inheritance from their contacts with Catholic missionaries, as some

of my predecessors have done. The Spaniards maybe managed to alter the form of their

metamorphic practices (Policemen replaced the big felines and evil creatures from an earlier

epoch as favourite non-Humans), but not the metamorphic practices themselves.

ABSTRACTS

Catastrophes and Weddings. Chachi Ritual as Metamorphosis. A question that has intrigued

anthropologists for a long time is why catastrophic anxieties are so omnipresent among

Amerindian peoples. Known in the literature as « millenarianism », fears of an apocalypse appear

time and again, both in lowland and highland South America. This article aims to contribute to a

better understanding of this phenomenon by examining notions of metamorphosis or « shape-

shifting ». The particular case described examines the link between catastrophes and the

wedding festival of the Chachi, Amerindians from the Pacific coast of Ecuador.

Catastrophes et mariages. Rituels chachi et métamorphoses. L’omniprésence des angoisses de

catastrophes chez les peuples amérindiens intrigue les anthropologues depuis longtemps.

Connues dans la littérature sous le nom de « millénarismes », la crainte d’une apocalypse est

récurrente dans toute l’Amérique du Sud. Cet article entend contribuer à une meilleure

compréhension de ce phénomène en s’intéressant aux notions relatives à la métamorphose. Plus

particulièrement, il explore le lien entre catastrophes et fêtes de mariage chez les Chachi, un

groupe amérindien de la côte pacifique équatorienne.

Desastres y bodas. Rituales chachis como metamórfosis. Una cuestión que ha intrigado a los

antropólogos desde hace mucho tiempo es la omnipresencia de ansiedades catastróficas entre los

pueblos amerindios. Conocidos en la literatura como « milenarismo », los temores de un

apocalipsis aparecen en todos partes de América del Sur. Este artículo se propone de contribuir a

una mejor comprensión de este fenómeno mediante el examen de nociones relacionadas con la

metamórfosis. Más concretamente, la investigación se centra en la relación entre las catástrofes y

las bodas de los chachis, un grupo indígena de la costa del Pacífico de Ecuador.

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INDEX

Geographical index: Chachi, Équateur

Subjects: Anthropologie sociale

Keywords: metamorphosis, ritual, millenarianism, conceptions of disaster

Mots-clés: métamorphose, rituel, millénarisme, conceptions de la catastrophe

Palabras claves: rituales, milenarismo, concepciones del desastre

AUTHOR

ISTVAN PRAET

Postdoctoral Research Fellow, University of Oxford and Laboratoire d’anthropologie sociale,

Paris. Linacre College, St Cross Road, Oxford OX1 3JA, UK

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Articles

Dossier : Historiographieaméricaniste

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La Société des Américanistes deParis : une société savante auservice de l’américanismeChristine Laurière

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en janvier 2008, accepté pour publication en septembre 2008

La Société des Américanistes de Paris est la plusancienne des institutions américanistes existantdans le monde entier, et il ne paraît pas exagéré

d’affirmer que par ses activités et son prestige,elle est l’une des premières en importance. […] Il

n’est pas nécessaire de rappeler aux lecteurs ceque les américanistes, surtout dans le domaine

anthropologique, doivent au matériel scientifiqueet informatif d’une immense valeur accumulé

pendant près de quatre-vingt années dans le Journal de la Société des Américanistes de Paris.

(Comas 1974, pp. 36-37 ; traduction de l’auteurC. L.)

La Société des Américanistes […] jouira d’unprestige considérable, qui vaudra à son Journal

(1895) de détenir longtemps un quasi monopolede la diffusion des résultats de recherches sur les

cultures indiennes d’Amérique latine.(Descola et Izard 1991, p. 52)

1 La Société des Américanistes de Paris1 a puissamment contribué à façonner la

physionomie de l’américanisme au cours de la première moitié du XXe siècle, en

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favorisant sa légitimation, son institutionnalisation, sa reconnaissance et sa visibilité,en France comme sur la scène internationale. Les publications sur l’histoire del’américanisme français sont encore relativement peu nombreuses2, et l’on ne s’est pasencore suffisamment interrogé sur l’apport de cette discipline dans la physionomieoriginale de l’ethnologie française. Si l’histoire de l’africanisme français commence àêtre bien balisée3, on ne saurait en dire autant de celle de l’américanisme et desaméricanistes qui ont, pourtant, pour plusieurs d’entre eux, occupé des positions clésdans les institutions ethnologiques françaises et dans les débats conceptuels qui ontanimé l’anthropologie (pour mémoire, ne citons qu’Ernest Théodore Hamy, Paul Rivetet Claude Lévi-Strauss). Cette indifférence à l’histoire de leur discipline s’explique sansdoute en partie par les préjugés nourris par les anthropologues américanistescontemporains eux-mêmes qui, pour la plupart, expédient d’un revers de la mainl’américanisme d’avant la Seconde Guerre mondiale dans les limbes d’une pseudo-science, dont la médiocrité théorique ne serait plus à démontrer. Ce jugementgagnerait à être relativisé en prêtant un peu plus d’attention, en historien et enethnologue, aux initiatives et activités institutionnelles, aux parcours desaméricanistes, aux disputes intellectuelles qui animent la discipline, en ayant présent àl’esprit leur contexte historique, sociologique et scientifique d’expression. C’est à cettehistoire que voudrait sensibiliser cet article, en posant quelques jalons et ens’intéressant principalement aux années 1890-1940.

Aux origines de la Société des Américanistes(1895-1908)

2 Bien que l’américanisme soit une science jeune, il ne date bien évidemment pas de la

fondation de la Société des Américanistes de Paris, en 1895 : « il existe déjà en embryondans les récits des premiers conquérants, dans les descriptions des premiers voyageursoù sont consignées les observations suggérées par la vue nouvelle de la nature et desêtres » (d’Harcourt s. d., p. 23). Depuis plusieurs décennies déjà, le Muséum accorde sabénédiction à des missions scientifiques et à des explorateurs qui se rendent enAmérique (Riviale 1995 ; 1996). Mais, l’apparition de l’américanisme en tant quemouvement scientifique, c’est-à-dire en tant que volonté réfléchie d’organiser et de« grouper tous ceux que l’américanisme attirait en un centre de travail, d’émulation etde discussion » (d’Harcourt s. d., p. 31), peut toutefois être repérée à la fin desannées 1850. Il prend forme lors de la création de la Société Américaine de France, en1857. Ses fondateurs (Joseph Aubin, l’abbé Brasseur de Bourbourg, A. Maury et Léon deRosny) ne parviennent cependant pas à fédérer un nombre suffisant de membres pourassurer sa viabilité : ils « furent obligés, au bout de quelques mois, de modifier leurprogramme ; ils instituèrent une Société d’Ethnographie Américaine et Orientale dontla Société Américaine ne fut plus qu’une section » (Lasteyrie 1901, p. 605). On retrouveici la Société d’Ethnographie, fondée le 24 avril 1859 par le même Léon de Rosny, sur unterrain d’entente rassemblant la Société Américaine de France et le Société des Amis del’Orient à laquelle appartenait aussi Léon de Rosny, premier professeur de japonais enFrance (Chailleu 1990). L’union de l’Asie et de l’Amérique aurait de quoi surprendre sil’on ne gardait présent à l’esprit que les savants de cette époque pensaient que l’Asieétait le berceau de l’Amérique. Le vif débat autour de l’éventuelle découverte du

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Nouveau Monde par les Chinois, appelée Fou-Sang, illustre l’intérêt des orientalistespour les choses américaines, qui ne seraient que le prolongement de l’Asie.

3 En 1863, la section américaine rompt avec la Société d’Ethnographie, mécontente du

peu de place qui lui est réservée dans les colonnes de la Revue Orientale et Américaine, etelle se transforme en Comité d’archéologie américaine. Mais, étant donné la léthargiedans laquelle ce Comité (dont on perd trace en 1893) tombe rapidement, la vieilleSociété Américaine est reconstituée en 1873, et elle réintègre le giron de la Sociétéd’Ethnographie (Durand-Forest 1964, p. 203 ; Lasteyrie 1904, p. 326). Deux ans plus tard,en 1875, elle organise le premier congrès international des Américanistes, à Nancy, quidevait connaître la fortune que l’on sait puisque cette grande messe des chercheursaméricanistes existe toujours.

4 Lors de ce premier congrès international, la Société décida qu’elle aurait désormais une

revue propre et commença à faire paraître une série de fascicules appelés Archives de la

Société Américaine de France, rebaptisées en 1893 Archives du Comité d’Archéologie

américaine au moment où la Société elle-même se transformait en une section de laSociété d’ethnologie (d’Harcourt s. d., pp. 32-33). Léon de Rosny ayant moins de temps àconsacrer à la Société et à sa revue, cette dernière se délite puis cesse de paraître(Chailleu 1990, p. 96).

5 Ce rapide survol historique institutionnel tend à suggérer que le mouvement

américaniste français peine à se structurer durablement, à trouver son identité et unprogramme fédérateur qui mette d’accord suffisamment de personnes décidées àœuvrer dans le même sens (Prévost 2007, pp. 587-652). L’amateurisme et la force de latradition lettrée classique, uniquement préoccupée par les hautes civilisations, nuisentà l’établissement d’un programme de connaissance scientifique des populationsamérindiennes contemporaines dans leur ensemble. Bon nombre de travauxaméricanistes du dernier quart du XIXe siècle investissent les Amériques d’un

imaginaire occidental débridé par l’énigme que constituent les origines du NouveauMonde et de ses habitants. Les protestations vigoureuses de savants désireux detravailler sur de sérieuses bases scientifiques, consolidées par les progrès récents dessciences naturelles et archéologiques, et d’écarter toutes ces théories fantaisistes sefont certes entendre, mais, d’après les réflexions rapportées par Juan Comas (1974,pp. 15-20), elles mettront du temps à porter leurs fruits. « La question du déluge nerentre pas dans la compétence du Congrès actuel… » : c’est ce qu’avaient compris dessavants comme Lucien Adam, Armand de Quatrefages ou bien encore Ernest ThéodoreHamy.

6 Ernest Théodore Hamy fut amené à la recherche américaniste par le travail de

classification des collections ethnographiques qu’il entreprit, au lendemain de sanomination au poste de conservateur en chef du Musée d’ethnographie du Trocadéro,en 1880 (Dias 1991, pp. 207-235). Les collections américaines étant les plus importantesen quantité, il prend un soin particulier à organiser la galerie américaine, qui ouvre aupublic en 1882. Tout au long des années 1880-1907, pendant lesquelles il occupe lemême poste au musée, il commente nombre d’objets américains dans de courts articlesdescriptifs. Doté d’un esprit rigoureux, formé aux travaux paléontologiques puis àl’anthropologie physique, rompu à l’exercice de l’exposé naturaliste, maîtrisant unsavoir encyclopédique, Hamy se satisfait mal des dérives que subit l’anthropologie lato

sensu, de plus en plus restreinte à l’étude des caractères anatomiques de l’homme. C’estdans cet esprit qu’il faut comprendre sa décision de publier, en 1882, une revue

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indépendante de toute société savante, mais étroitement liée au musée du Trocadéro,L’Ethnographie, qui se veut en rupture avec la tendance biologisante de la sociétéd’Anthropologie qui sclérose la recherche et ne s’intéresse pas assez à l’homme vivant.Dans les pages de cette revue, il veut réhabiliter l’ethnographie, et surtoutl’ethnographie de sauvetage. La gageure que représente L’Ethnographie ne durecependant pas : six ans après son premier numéro, elle doit cesser toute activité enraison du manque de collaborateurs et de l’absence de tout soutien institutionnel etfinancier fort. Avec les Matériaux pour l’histoire de l’homme et la Revue d’anthropologie, ellese fond en une nouvelle publication, L’Anthropologie, créée en 1890, qui va connaître uneaudience plus importante et pérenne (Sibeud 2002, pp. 138-151 ; Laurière 2008a,pp. 186-190).

7 Pourquoi, alors qu’une Société Américaine existait déjà, sous une forme ou sous une

autre depuis 1857, Hamy prend-il la décision, en 1892, de créer une autre sociétésavante travaillant elle aussi sur le continent américain ? On a vu plus haut ce qu’ilpensait des recherches américanistes menées jusqu’alors : les faits recueillis, lesvestiges des hautes civilisations mésoaméricaines et andines n’auraient servi que deprétextes à moult spéculations farfelues et dénuées de fondements scientifiques. Or,selon lui, il se trouve que pareilles théories sembleraient avoir eu cours à la SociétéAméricaine de France. Si Hamy a bien fait partie de la Société d’Ethnographie, il sembleaussi qu’il participait plus aux travaux et séances de la section d’ethnographie généralequ’à ceux de la Société Américaine de France. Hamy reprochait en effet à cette dernièresa « tendance antiquisante » (Dias 1991, p. 61), « l’intérêt pour l’Amérique seconcentr[ant] surtout sur les monuments archéologiques et le déchiffrement de leursinscriptions ou des “manuscrits hiératiques” (Codex) » (Chailleu 1990, p. 96). Lafoudroyante rapidité de la disparition des peuples amérindiens inciterait plutôt Hamy àadopter une démarche de type ethnographique, de reconstitution matérielle dessociétés sur le point de disparaître, comme celle que l’on peut voir à l’œuvre dans lamuséographie du Trocadéro. Une étude rigoureuse de faits bruts, dénuée de toutethéorisation et spéculation, inutile au regard des trous béants qui caractérisent lesavoir américaniste, ennemie d’un exotisme bon marché : voilà résumées les ambitionsqui doivent préoccuper tout savant selon Hamy et qu’il a fait siennes dans sa proprepratique. Il semble aussi que le peu de cas fait par la Société Américaine de France desrecommandations critiques à observer vis-à-vis des sources et des documents relatifs àl’Amérique fut déterminant et l’en éloigna définitivement.

8 En même temps qu’Hamy met en doute et discute le bien-fondé de la méthode

appliquée par les membres de la Société Américaine dans leurs travaux, il attaque leurscientificité et sape la légitimité de cette tradition de recherche très attachée à laphilologie et l’exégèse des codex. Instituer l’américanisme en discipline scientifique àpart entière, c’est en fin de compte trouver une alternative au clivage anthropologiephysique/ethnographie, tout en restant fidèle au dessein originel de l’anthropologie :constituer les archives d’une humanité en voie de disparition, archives sans lesquelles ilsera à jamais interdit à l’homme moderne de concevoir dans sa plénitude la destinéhumaine.

9 Au début des années 1890, Hamy est un savant confirmé et de renom international de

par ses activités muséographiques. Il a succédé à Armand de Quatrefages en 1891 auMuséum d’Histoire naturelle et y occupe dorénavant la chaire d’anthropologie,assumant en même temps la direction du Musée d’ethnographie du Trocadéro, dont il

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est le fondateur. Dès que fut lancé en 1891 le projet d’une manifestation commémorantle quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique, Hamy a été de ceux quiparticipèrent activement à la réalisation de ce projet. Les célébrations n’ont pas lieu enAmérique, mais à Gênes, ville où naquit Colomb, puis à Huelva. Henri Cordier (1920),professeur aux Langues Orientales et l’un des membres fondateurs de la Société,raconte que c’est dans cette ville, à l’automne 1892, que Hamy et lui-même rencontrentle duc de Loubat et qu’ils décident ensemble de la création de la Société. La Société deGéographie leur offre l’hospitalité pour deux séances préparatoires en décembre 1893et mars 1894. La subvention généreuse du duc de Loubat leur permet de s’installer àl’Hôtel des Sociétés Savantes, et la première séance officielle de la Société desAméricanistes de Paris se tient le mardi 11 juin 1895.

10 La Société veut introduire un principe d’ordre dans le domaine de la recherche

américaniste et structurer scientifiquement les curiosités intéressées par cettediscipline. Elle exige davantage d’études pointues sur des faits bruts, épurées de touteambition théorique outrageusement comparative. De même, elle se défie desspéculations et hypothèses fantaisistes trop hâtivement bâties, qui auraient été légionjusqu’à présent, selon les membres fondateurs de la Société (Verneau 1920,pp. 206-207). L’acte de naissance de la Société est donc d’abord un acte d’expulsionrhétorique, une volonté affirmée de se démarquer de la Société Américaine en ladiscréditant, et de faire table rase des « robinsonnades » pour laisser place nette à une« étude historique et scientifique du Continent Américain et de ses habitants depuis lesépoques les plus anciennes jusqu’à nos jours », ainsi que le stipule sobrement l’articlepremier des statuts de la Société. Dans cette perspective et « pendant longtempsencore, il faudra que l’Américaniste ait la résignation de se limiter à l’explorationméthodique de son propre domaine, dans le passé et le présent, soutenu par l’idée queson travail permettra à ses successeurs d’aborder avec succès les grands problèmesqu’il est inutile et périlleux d’envisager pour l’instant ; il faut qu’il ait le courage derépondre aux impatients : je ne sais pas », plaide Paul Rivet (1914, p. 19), lors de laséance de rentrée de novembre 1913. L’« empirisme extrême » qui va découler de cettedéfiance vis-à-vis de la théorisation marquera pour longtemps la rechercheaméricaniste – peut-être est-il permis d’y voir l’une des raisons de l’absence deréflexion analytique, de la « pauvreté théorique » qui ont très longtemps caractérisél’américanisme, l’américanisme tropical en particulier (Taylor 1984, pp. 216-217).Comme circonstance atténuante, il faut mentionner que les savants doivent faire denécessité vertu, et que cet empirisme extrême s’impose d’autant plus que les béancesdu savoir sur l’Amérique sont abyssales. Rien n’est alors établi : on ignore encorepresque tout de la date, du chemin et des modes d’implantation des premiers migrants,on ne sait pas si les temps géologiques sont identiques à ceux du Vieux Monde,l’histoire des sociétés précolombiennes est très largement méconnue, l’identification etla classification linguistiques en sont à leurs balbutiements, on se hâte de grappillerquelques vestiges de la civilisation matérielle, mais on oublie de s’intéresser àl’organisation sociale et symbolique des cultures amérindiennes.

11 Il fallait toute l’envergure et la légitimité scientifiques et institutionnelles d’un savant

tel que Hamy pour imposer et mener à bien une telle ambition, qui exige aussi uncertain entregent, de battre le rappel de riches mécènes capables de pourvoir àl’existence d’une société savante. On a vu précédemment que plusieurs créations desociétés savantes et de revues avaient rapidement périclité, parce qu’elles n’avaient passu assurer, intellectuellement et pécuniairement, leur existence. L’impératif formulé

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par Hamy de ne pas dépasser le nombre d’une soixantaine de membres, afin desélectionner une élite d’érudits, ne facilite pas sa survie financière. À une époque oùl’État, relayé par l’université et les centres de recherche, ne s’est pas encore substituéaux initiatives privées et extra-universitaires, le mécénat représente en quelque sortele seul recours dont disposent les sociétés savantes pour garantir la pérennité de leursactivités. De fait, la Société n’aurait sans doute pas vu le jour si elle n’avait rencontré enla personne du duc de Loubat un bienfaiteur prêt à soutenir de ses deniers les effortsdes savants américanistes et à financer la publication d’un Journal manifestantpubliquement son existence.

12 Jusqu’à la mort d’Hamy, en 1908, la Société et son Journal jouissent d’une existence

certes respectable, mais plutôt confidentielle et modeste. Une réunion a lieu chaquepremier mardi du mois : on décrit des objets américains abrités au musée du Trocadéro,on discute de sujets ressortissant à l’archéologie, l’histoire, la linguistique, et un peu àl’ethnographie – rarement à l’anthropologie physique. Le Mexique, le Pérou, l’histoirede la Découverte et la présence française en Amérique rassemblent le gros desinterventions aux séances et des contributions au Journal, qui paraît régulièrement.Chaque volume annuel compte entre trois et quatre cents pages. Malgré ses statutsrestrictifs, un peu plus de 80 membres sont tout de même affiliés à la Société, grâce à ladistinction opérée entre membres ordinaires, titulaires et correspondants. Une grossemoitié de ces membres est étrangère et se répartit approximativement comme suit : unbon tiers est Européen, un tiers Nord-Américain et le dernier tiers Sud-Américain.Comme dans toutes les sociétés savantes, la composante mondaine et aristocratique estprésente : elle est ici assez significative (un quart en 1895, un sixième en 1909), mais,surtout, elle est placée aux positions stratégiques, les plus honorifiques. Le présidentd’honneur est le duc de Loubat, les vice-présidents sont le prince Roland Bonaparte etle marquis de Peralta, le trésorier est le marquis de Bassano. Les indications socio-professionnelles fournies par les listes annuelles de membres montrent une forteproportion de diplomates et d’explorateurs, ainsi que de professeurs de l’enseignementuniversitaire et des établissements académiques. Parmi les premiers membresétrangers à rallier la Société à sa création, en 1895, notons les noms des Nord-Américains Daniel Brinton (professeur d’archéologie et de linguistique américaine àl’université de Pennsylvania), William Holmes (du Field Columbian Museum), JohnPowell (directeur du Bureau of Ethnology de Washington), Frederick Putnam (duPeabody Museum), des savants allemands Eduard Seler et Rudolf Virchow, du SuédoisErland Nordenskiöld. Parmi les membres français, citons Désiré Charnay, Léon Diguet(ces deux derniers explorateurs), René Verneau et Paul Topinard.

13 Le décès de Hamy va provoquer un électrochoc. La Société connaît là une crise

d’identité profonde qui remet en question son existence même. Le duc de Loubat quiavait jusqu’à présent assumé seul sa survie pécuniaire estime que la Société ne peut passurvivre au décès de son fondateur et retire brutalement son soutien. « À l’unanimitéles membres présents à la séance du 1er décembre 1908 furent d’un avis contraire », serappelle René Verneau (1920, p. 208), présent lors de cette réunion. Ils estiment que ledevoir leur incombe de poursuivre l’œuvre du professeur Hamy et d’y collaborer plusactivement que jamais4. Ils prennent alors conscience que la société n’est pas l’œuvred’un seul homme, que le travail accompli collectivement ne saurait disparaître du jourau lendemain. Loin d’entraîner la dissolution, cette crise précipite au contraire la

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constitution d’une communauté savante américaniste, plus soudée, et consciente del’utilité d’une telle institution et de son Journal.

14 Car si la Société a pu franchir le cap difficile de la disparition d’Hamy, elle le doit sans

nul doute à son nom, « Société des Américanistes », très générique et qui n’exclut apriori aucune discipline scientifique du moment que celle-ci s’intéresse au continentaméricain et ne se pratique pas en dilettante. C’est à une réflexion de synthèsequ’invite la Société, son intention affichée étant de canaliser les recherches des savantsaméricanistes et de les grouper afin de favoriser le dialogue entre les diversesdisciplines concernées et de faire progresser la connaissance.

15 C’est la quête des origines de l’homme américain et l’étude du premier natif du

continent, l’Amérindien, qui doit mobiliser les savants : dans ce cadre, les sciencesanthropologiques (archéologie, ethnographie, linguistique, anthropologie physique)occupent une place de choix. Avec un programme d’une telle ampleur et une telleambition fédératrice, la Société entend démontrer et légitimer son existence, se faireune place dans le champ anthropologique. Au regard de la complexité des questions quijonchent ce domaine d’investigation, la Société se veut être le lieu de production, dereproduction et surtout de diffusion du savoir américaniste, un lieu d’échangesinterdisciplinaires qui fait fi des cloisons étanches isolant chaque discipline des autres.

16 Paul Rivet est particulièrement sensible à cette dimension pluridisciplinaire de

l’américanisme, qui stimule la solidarité scientifique et invite au dialogue. C’est le décèsde Hamy qui le conduit à s’engager plus fortement dans la destinée de cette institutionsavante. Pendant un demi-siècle, son nom sera indissolublement lié à celui de la Sociétédes Américanistes. Son implication dans les activités de la Société et dans l’animationdu Journal va être décisive et explique de manière déterminante leur réputationinternationale.

Paul Rivet, la cheville ouvrière de l’américanismefrançais (1908-1958)

17 À compter de son retour de mission en Équateur, en 1906, Paul Rivet ne va plus quitter

la Société des Américanistes : parrainé par Hamy et Verneau, il est élu le 5 mars 1907membre titulaire, et il rejoint immédiatement la commission de publication du Journal

de la Société des Américanistes (JSA). Il devient particulièrement actif à partir de l’été1907, date à laquelle il assure pendant neuf mois l’intérim du secrétaire général de laSociété, Léon Lejeal, décédé brutalement. Il y démontre toutes ses qualitésd’organisation et d’animation, et il emporte la confiance de ses aînés. Une fois LouisCapitan définitivement nommé à ce poste en avril 1908, il devient bibliothécaire-archiviste, chargé de développer les échanges d’ouvrages et de périodiques avec lesautres institutions françaises, mais surtout étrangères, et de faire connaître la revue.C’est cette fonction qu’il occupe à la mort de Hamy.

18 L’américanisme à huis clos tel que l’entendait Hamy s’avère une entreprise peu viable

sur la durée, une fois le père fondateur disparu. Si Hamy concevait le plafonnement dunombre des membres à soixante comme une assurance de pouvoir écarter lesimportuns et de mener en toute quiétude des recherches scientifiques entre genspartageant les mêmes aspirations, il n’en va plus de même après sa mort. La Société abesoin, pour assurer sa survie financière, de souscripteurs qui acceptent d’engager

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quelque argent. La cotisation annuelle est abaissée, afin de ne pas constituer unobstacle à l’adhésion. Au lieu d’un seul et unique mécène, ce sont dorénavant lesmembres par leur souscription, et les bienfaiteurs par leurs dons qui mettent la Sociétéà l’abri du besoin. En 1928, le legs de cent mille francs du linguiste Philippe Marcoumettra définitivement la Société à l’abri des soucis financiers jusqu’en 1947. Ce legs aété rendu possible grâce au décret du 25 mars 1924 qui reconnaît la Société desAméricanistes comme établissement d’utilité publique et lui octroie le droit de recevoirdes dons et de posséder des biens en propre. Paul Rivet est l’artisan de cettereconnaissance d’utilité publique, tout comme il est à l’origine de ce don important, quisalue ses propres recherches en linguistique amérindienne et l’ouverture du Journal àcette discipline. Paul Rivet décroche aussi plusieurs subventions publiques : ami de JeanMarx, le directeur du Service des Œuvres françaises à l’étranger, il obtient de ce servicequ’il souscrive plusieurs abonnements en faveur d’institutions internationales ; lacaisse des recherches scientifiques apporte son obole, tout comme la fédération dessciences naturelles.

19 Paul Rivet ne va pas s’activer uniquement sur le plan pécuniaire : la pérennité de la

Société passe aussi par une qualité accrue du Journal, qui représente la vitrine de laSociété et son meilleur argument. Il devient secrétaire général adjoint puis, en 1922,secrétaire général – titre purement honorifique puisqu’il n’est pas rémunéré. À ce titre,il est chargé de la préparation et de la publication des numéros du Journal. Le bureau dela Société est conscient qu’il faut l’ouvrir et affirmer le caractère international duJournal en y admettant les langues étrangères. Jusqu’au tournant des années 1910, il n’yavait qu’un noyau assez réduit d’auteurs. À partir de 1910, l’éventail de contributeurss’élargit considérablement, les langues étrangères font leur entrée en force dans lespages du Journal, qui accueille désormais l’anglais, l’allemand, le portugais, l’espagnol etl’italien. Cela ne peut qu’accroître son audience et servir les ambitions internationalesde la Société.

20 S’inspirant de la maquette de la revue L’Anthropologie, Paul Rivet développe

considérablement deux rubriques qui vont faire toute la richesse informative et larenommée du Journal : le « Bulletin critique » et les fameux « Mélanges et Nouvellesaméricanistes » qui font preuve d’une curiosité inégalée. Grâce à ces deux rubriques,qui permettent aussi l’expression personnelle et la mise en avant de partis pris grâceaux remarques, aux commentaires, le Journal va devenir un outil de référenceincontournable, un instrument de travail précieux pour tous les américanistes del’Ancien et du Nouveau Monde qui se tiennent ainsi au courant de l’actualité éditoriale,scientifique, voire politique concernant le continent américain. On a peine à imaginerla somme de travail – en lectures, collectes d’informations, correspondances – quereprésentent ces deux rubriques. En une dizaine d’années, Paul Rivet écrit plus de septcent notes pour les « Mélanges », c’est dire son ardeur à la tâche et l’intensité de sonimplication. Dans les débuts, il est aidé dans cette tâche titanesque par un confrère,devenu entre-temps un compagnon de route et un ami : Léon Poutrin, médecinmilitaire de formation, tout comme lui. À son décès précoce à la fin de la GrandeGuerre, victime de la grippe espagnole à 38 ans, Paul Rivet raconta que, de 1909 à 1914,« il devint mon collaborateur le plus actif et le plus précieux dans la direction de notreJournal. Presque à lui seul, il assuma la tâche accablante d’analyser toutes lespublications de langue anglaise. […] Le succès qu’a rencontré dans le monde savant

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notre Bulletin critique et qui a contribué pour une très large part à la renaissance denotre Journal est dû en très grande partie à l’activité de Poutrin » (Rivet 1919, p. 642).

21 Quiconque ouvre un volume du Journal postérieur à 1908 ne peut qu’être frappé par le

changement de ton et son ouverture internationale, son souci cosmopolite trèsprononcé. Outre les articles, ces rubriques ouvertes sur la vie scientifiquecontemporaine grâce aux analyses critiques toujours plus nombreuses, aux mille et uneinformations dont fourmillent les Mélanges, aux comptes rendus très détaillés desséances, rendent la revue très vivante et attrayante. Paul Rivet et son collaborateurLéon Poutrin, aidés ponctuellement de nombreux sociétaires appelés en renfort dansleur domaine de compétence précis, tiennent les lecteurs au courant d’une fouled’informations de tous ordres, concernant tout autant les recensements statistiques, lesdécouvertes archéologiques et linguistiques, les dernières avancées de la rechercheaméricaniste, les nouvelles relatives à des conférences et promotions d’américanistesque les politiques indigénistes des gouvernements sud-américains, les mouvementsmigratoires, les expéditions et missions des ethnographes et missionnaires, etc. Lelecteur apprend beaucoup de choses sur l’état de la science en train de se faire et sur lesaméricanistes qui la pratiquent. La revue devient le carrefour de l’américanisme nonpas français mais international, un lieu d’échanges intenses, le lien qui relie l’Europe àl’Amérique, l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, cette dernière étant plus prochede l’Europe jusqu’aux années 1940. Sa double tâche est de faire connaître au lectorataméricain les travaux des savants européens et, comme le souligne Rivet (1921, p. 121),de divulguer au lectorat européen « le labeur prodigieux et fécond des ethnologues duNouveau Monde et y entretenir le goût et la curiosité des choses américaines ».

22 Quelques-unes des personnalités les plus réputées de l’américanisme publient dans le

Journal. Paul Rivet entretiendra d’ailleurs avec plusieurs d’entre elles unecorrespondance régulière. Kaj Birket-Smith, Alexander Chamberlain, Jijon y Caamaño,Theodor Koch-Grünberg, Cestmir Loukotka, Curt Nimuendajú, Alfred Métraux, ErlandNordenskiöld, Paul Radin, Claude Lévi-Strauss, Jacques Soustelle, Robert Ricard, PaulRadin, Edward Sapir, Eduard Seler, William Thalbitzer, Max Uhle… font partie del’impressionnante liste de contributeurs. Le Journal s’ouvre sur des pays comme leBrésil, la Bolivie, la Colombie, l’Amérique centrale, et massivement sur l’ethnologie et lalinguistique : signe de sa notoriété et de son importance, la Société reçoit de plus enplus d’ouvrages pour recension et de demandes d’échanges de revues. De 24 en 1907,ces échanges passent à 55 en 1920.

23 Le meilleur indice de la prospérité et du succès de la Société après 1908 réside dans

l’examen des listes de membres5. La publication régulière dans le Journal de la liste desmembres appartenant à la Société des Américanistes constitue une mined’informations pour le chercheur. Le geste en soi n’est pas innocent : en publiant ceslistes, la Société créée du lien, une communauté symbolique entre des individus quipeuvent ne pas se connaître, mais que réunit un intérêt commun pour les étudesaméricanistes. Les nommer, c’est en quelque sorte les sortir de l’anonymat, amorcer undébut de reconnaissance qui soude symboliquement les membres les uns aux autres. LaSociété fonde aussi une partie de sa légitimité scientifique, sur le nombre des membresqu’elle a su attirer par son programme et la qualité de ses travaux. D’une certainefaçon, ceux-ci cautionnent son existence, valident ses activités et attestent de leur bien-fondé, de leur teneur scientifique. Ces listes témoignent du rayonnement de la Société,de l’autorité et du prestige scientifiques qui deviennent les siens dans les années de

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l’entre-deux guerres, de la diffusion de son Journal et de son implantation dans lescercles scientifiques institutionnels. À l’occasion d’un premier examen rapide, grossier,des listes, deux faits attirent immédiatement l’attention. Premièrement, l’audience dela Société croît d’une façon impressionnante : entre 1895 et 1930, le nombre desmembres fait plus que décupler. Une fois sauté l’article II des statuts de la Société quistipulait qu’elle se composait de soixante membres au maximum, le nombre desociétaires augmente rapidement, avec un taux de croissance impressionnant : il passeà 98 en 1909 (+ 22 %), puis à 138 membres en 1913 (+ 40 %). La Société en compte 234 en1920 (+ 70 %), puis 425 en 1925 (+ 82 %) et 677 en 1930 (+ 60 %), son maximum. Pour unesociété savante spécialisée, c’est beaucoup. À titre comparatif, on peut citer l’exemplede la Société d’anthropologie, qui compte 235 membres titulaires dans les années 1910(Wartelle 2004, p. 155), ou bien encore la Société de linguistique qui rassemble environ240 membres dans les années 1920. À l’heure actuelle, le nombre des membres de laSociété des Américanistes doit avoisiner les 400, institutions comprises.

24 Le deuxième fait remarquable est l’écrasante proportion de membres étrangers au sein

de la Société. En moyenne, ils ne représentent pas moins de la moitié et, la plupart dutemps, plus des deux tiers du total des sociétaires. Dès 1902, plus de la moitié desmembres est étrangère : près des deux tiers de ceux-ci proviennent des Amériques. Àpartir de 1920, les membres latino-américains constituent la majorité des effectifsétrangers. L’implantation de la Société dans les milieux savants et institutionnelslatino-américains peut peut-être en partie s’expliquer par le manque d’infrastructuresinstitutionnelles universitaires à la mesure de ces pays, et aussi par leur dépendancescientifique et intellectuelle vis-à-vis de l’Europe. Au début des années 1940, le venttourne, et ce sont les États-Unis qui prennent la relève de la tutelle scientifique del’Europe, en perte de vitesse notamment à cause de la guerre. Le deuxième grosbataillon de membres étrangers provient de l’Amérique du Nord, États-Unis en tête.C’est parmi eux que l’on remarque le plus tôt des scientifiques professionnels, qu’ilssoient affiliés à la Smithsonian Institution, à la Heye Foundation, au Peabody Museum,à l’American Museum of Natural History, ou bien encore à un département derecherches dans une université. En Europe, ce sont les membres allemands quidominent. Ceux-ci ont derrière eux, depuis Humboldt, une longue tradition d’étudesaméricanistes qui va de pair avec un solide réseau de musées ethnographiques dont laréputation n’est plus à faire. On peut être légitimement amené à penser que la Sociétéremplissait un vide dans le domaine des études américanistes internationales quin’était pas encore comblé par l’enseignement universitaire et les centres de recherchenationaux, ni par l’éclosion de revues spécialisées latino-américaines, comme cela serale cas à partir des années 1950-1960.

25 Une analyse plus nuancée de ces listes aide à dégager le profil-type de l’américaniste :

c’est un homme, étranger et plutôt originaire du Nouveau Monde, il réside dans unecapitale, là où le savoir et le pouvoir sont concentrés et, en raison de sa profession oude ses activités extra-professionnelles, il appartient au corps enseignant, au champuniversitaire ou à une institution de savoir, voire à la haute administration. Il fait doncpartie de l’élite intellectuelle, scientifique et/ou sociale de son pays. Plusieurscatégories de membres sont aussi repérables : les nobles, les explorateurs, les médecins,les hommes politiques (on compte trois présidents de républiques latino-américaines)et les représentants de la haute administration, du corps diplomatique en particulier. Ilest encore trop tôt pour pouvoir repérer, dans les années 1920-1940, une netteprofessionnalisation de la discipline qui ne s’effectuera réellement qu’au lendemain de

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la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1970, c’est un acquis : la majorité desmembres est composée de chercheurs professionnels et d’étudiants de troisième cycle.C’est dire que la composition sociologique des américanistes a subi une mutation totaleet aussi, partant, une diminution de ses effectifs, la pratique en amateur régressant.

26 Ce que l’on observe aussi, ce sont les liens étroits que la Société des Américanistes a su

tisser avec les institutions académiques, les musées ethnographiques. À défaut destructures universitaires solides, ce sont ces derniers qui se chargent de la productiondu savoir américaniste, qui avait alors principalement trait à l’étude des antiquités, desobjets, de la culture matérielle, et à la constitution de collections ethnographiques aussicomplètes et représentatives que possible des sociétés amérindiennes.

27 La Société des Américanistes doit incontestablement ce développement remarquable et

plutôt rapide à Paul Rivet, cheville ouvrière de l’institution, qui a compris quelle ligneéditoriale il fallait promouvoir, quelles étaient les directions scientifiques à privilégier,le rôle qu’elle devait remplir. Pendant plusieurs décennies, le Journal n’aura pasd’équivalent dans le monde. Rivet en est parfaitement conscient, lorsqu’il présente laSociété à l’extérieur :

Seul centre européen uniquement consacré à l’étude scientifique de l’Amérique, [laSociété] est devenue fatalement l’agent de liaison permanent et indispensable entreles savants qui, dans le Vieux Monde, travaillent en isolés le problème de l’originedes races et des civilisations indiennes, et les grands centres de recherches, qui sontune des gloires des États-Unis et du Canada et qui s’organisent de plus en pluspuissamment dans toutes les Républiques de l’Amérique espagnole et portugaise.(Rivet 1921, p. 121)

28 Parler de l’histoire de l’américanisme français de cette période, c’est immanquablement

aussi parler de Paul Rivet, qui a eu un rôle clé dans son développement et a contribué àson rayonnement hors de l’hexagone. En effet, il faut comprendre ce quel’américanisme représente pour Rivet et dans sa carrière. Paul Rivet nourrit pourl’ethnologie une ambition pluridisciplinaire très marquée, qui s’apparente à celle queBoas promeut aux États-Unis avec les fameux four fields (archéologie, anthropologiephysique, linguistique et anthropologie sociale). À partir des années 1925-1928, ilaffirme cette volonté, en profitant de la position institutionnelle dominante qu’ilacquiert en tant que co-secrétaire général de l’Institut d’Ethnologie, professeurd’anthropologie au Muséum et directeur du musée d’ethnographie du Trocadéro, avantd’être le fondateur du musée de l’Homme, en 1937. Il a déjà amplement expérimentécette ambition pluridisciplinaire au sein de son domaine d’élection, l’américanisme.Tout autant qu’ethnologue, Paul Rivet est aussi, et d’abord, américaniste. Il a toujourstenu ensemble les deux bouts de la corde, le particulier et le général, l’américanisme etl’ethnologie. Pour la société savante dont il se réclame, il n’a ménagé ni son temps nison énergie, se mettant à son service, œuvrant activement à la montée en puissance età la renommée de cette institution, qui devient dans les années 1920-1940 le principalorgane de diffusion du savoir américaniste sur le plan international. C’est dans ce cadrequ’il prend conscience de la solidarité savante et qu’il se fait courageusement l’apôtrepour la première fois, au moment critique de la reprise de la vie civile en 1919, d’uninternationalisme scientifique qui ne se démentira plus.

29 Car il ne faudrait pas croire que le succès de la Société des Américanistes, au lendemain

de la Première Guerre mondiale, était assuré, voire inévitable – ce fut loin d’être le cas.Du reste, cette réussite ne s’explique pas seulement par des raisons scientifiques. Lesévénements politiques, certains choix à la fois idéologiques et politiques auraient tout

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simplement pu inverser le cours des choses et renvoyer la Société et son Journal à unecertaine confidentialité si Paul Rivet n’avait su affirmer l’importance del’internationalisme scientifique contre ceux qui voulaient radier de la liste desmembres les savants des nations ennemies, en 1919, en mettant dans la balance unemenace de démission qui aurait très sérieusement mis en danger l’existence même dela Société6. Devant sa détermination, ceux qui voulaient continuer la guerre sur leterrain scientifique reculent devant ceux qui prônent l’extra-territorialité de la science,et la proposition de radiation est rejetée. C’est à cette occasion que Paul Rivet noueavec Franz Boas une forte relation épistolaire, passionnante, les deux hommespartageant la même façon de concevoir l’engagement scientifique. Tout au long desannées 1920-1930, leur amitié ne fera que se renforcer, et ils mèneront en communplusieurs combats : l’antifascisme, l’antiracisme, la nécessité absolue de favoriser etpréserver le dialogue scientifique international et – malgré leurs divergences de fondquant à la façon d’aborder la profusion linguistique dans le Nouveau Monde – l’intérêtpour les langues amérindiennes qu’il faut étudier pendant qu’il en est encore temps7. Àplusieurs reprises, à des moments critiques, au cours des années 1920, Franz Boas lèvedes fonds auprès de ses collègues et d’institutions états-uniennes en faveur du Journal etde la Société des Américanistes, dont la situation financière est très précaire à cause dela forte augmentation des frais d’impression, du prix du papier et de la dépréciationcontinue du franc. En 1920, plusieurs centaines de dollars viennent à point nommérenflouer les caisses de la Société et c’est à Franz Boas que celle-ci le doit. À nouveau,en 1924, Franz Boas envoie de l’argent à Paul Rivet, qui avait décidé de suspendrel’impression du Journal, ne pouvant acquitter les factures de l’imprimeur.

30 Nul mieux que Rivet pouvait comprendre l’importance de cet enjeu de la coopération

sur le plan international, car la grande majorité de ses interlocuteurs, ses opposantscomme ses partisans, sont tous étrangers et n’appartiennent donc pas au champanthropologique français. Le niveau d’intégration de la compétence et de la légitimitéscientifiques de Paul Rivet se situe bien au-delà de l’hexagone, en même temps qu’il luipermet de s’émanciper des contraintes institutionnelles françaises où il n’est encorequ’un assistant à la chaire d’anthropologie du Muséum, jusqu’en 1928. Grâce à sestravaux et ses responsabilités au sein de la Société, il s’impose comme la figure deproue de l’américanisme français et devient l’un des plus éminents représentants de lascience française en Amérique latine, l’un des plus connus et admirés. Il se rendrégulièrement en Amérique latine. Entre 1927 et 1939, il accomplit six longues tournéesde conférences pendant les mois d’été : il se rend en Argentine, au Mexique (trois fois),au Brésil, au Guatemala, au Salvador, en Colombie, au Pérou, etc. Infatigable, douéd’une curiosité insatiable, il visite les musées, les bibliothèques, les sites de fouillesarchéologiques, il prononce des conférences dans des amphithéâtres bondés. Reçucomme une personnalité officielle française importante, il fréquente les élitespolitiques, scientifiques et intellectuelles des contrées visitées. Amoureux de la languecastillane, goûtant fort la saveur des américanismes, des locutions propres à chaquenation, il est perçu comme un ami de l’Amérique latine, comme un fin connaisseur desa réalité humaine et de sa situation politico-économique. Chaque voyage se solde parune vague de souscriptions d’abonnements pour le Journal et de parrainages denouveaux membres rejoignant les rangs de la Société des Américanistes.

31 S’il a su l’imposer sur le devant de la scène scientifique, on ne peut pas dire pour autant

que le Journal n’ait été qu’une « revue-personne », la création d’une seule et forteindividualité qui se serait approprié la revue : ce serait plutôt une « revue-carrefour »,

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collégiale, selon les expressions proposées par Jacques Julliard (1987, p. 5), sans quoi leJournal n’aurait pas perduré et rencontré un tel écho. Il est certain que, comme dansbeaucoup de revues scientifiques, il y a une personne que l’on peut identifier plusspontanément que d’autres à la publication et qui s’y consacre avec plus d’implicationaffective et professionnelle. En l’occurrence, il s’agit ici de Paul Rivet qui possède auplus haut point ce que Pierre Bourdieu (2001, pp. 101-102) appelait la libido scientifica,qui permet de s’investir vigoureusement dans le champ sans pour autant espérer êtrepayé en retour, c’est-à-dire payé en monnaie sonnante et trébuchante puisqu’il estquestion d’une charge de travail gracieusement consentie. Par ricochet, larémunération symbolique qui, inévitablement, en découle si l’œuvre est couronnée desuccès, n’en a que plus de prix : l’autorité scientifique, l’influence, la renommée, quirésultent de cette activité désintéressée pour le bien commun assoit en retour saposition et accroît les dispositions de Rivet à poursuivre cet investissement dans lesinstitutions du savoir de son champ. Le grand mérite de Paul Rivet, c’est qu’il n’en a pasdisposé uniquement pour son profit personnel et qu’il a très tôt compris que lapérennité de la Société imposait la constitution d’une équipe éditoriale capable de serenouveler régulièrement.

32 À partir des années 1925-1928, il a un peu moins de temps à accorder à la Société et son

Journal, tant ses activités pour l’Institut d’Ethnologie, le Muséum et le musée duTrocadéro réclament son attention. La revue se collectivise, et il parvient à fédérer, àintéresser les jeunes étudiants américanistes au sort du Journal. Tout au long des années1930, ceux-ci apportent leur concours et préparent la relève, sous le regard de leursaînés du Bureau. Plusieurs sont des élèves recrutés à l’Institut d’ethnologie ou dansl’entourage scientifique de Rivet. Paul Rivet recrute d’autorité des recenseurs, des gensqui collectent et répercutent les informations contenues dans la grosse correspondanceet le service d’échanges de revues (55 en 1920) que reçoit la Société, ou qui écrivent desnotes à partir de leurs propres recherches et des informations qu’ils collectent sur leurterrain américain, comme Robert Ricard, Henri Lehmann, Guy Stresser-Péan, AlfredMétraux, Claude Lévi-Strauss, Jacques et Georgette Soustelle, Paule Barret et son époux,l’archéologue Henri Reichlen…

Ombres et lumières de l’américanisme

33 On ne saurait terminer cet aperçu historique très synthétique, sans évoquer

sommairement les orientations géographiques, disciplinaires, thématiques,constitutives de l’américanisme français telles qu’elles se donnent à lire dans les pagesdu Journal, sur le siècle qui court de 1896 au début des années 1990. Cela permettra dese faire une première idée de ses orientations, dont il faudra bien évidemment affinerl’analyse ultérieurement. De ce premier dépouillement, il résulte que le Journal de la

Société des Américanistes est un bon sismographe 8 qui reflète les tendances de fond decette discipline. Inévitablement, cependant, des choix ont été opérés, des impasses surla carte géographique et humaine du paysage américain se manifestent.

34 Rappelons pour mémoire l’article I des statuts de la Société des Américanistes : « elle a

pour but l’étude scientifique de l’Amérique et de ses habitants depuis les époques lesplus anciennes jusqu’à nos jours ». Si la Société ne restreint pas, a priori, l’étendue deses champs d’investigation, il en va différemment lorsqu’on observe les pratiqueseffectives. De fait, trois pays et une aire continentale concentrent près des deux tiers

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des travaux publiés dans le Journal, entre 1896 et 1992 : le Mexique (165 sur 752), lePérou (118), le Brésil (108) et, dans une moindre mesure, le sous-continent nord-américain (97)9.

35 Le Mexique, terre classique de l’américanisme, arrive donc largement en tête, avec plus

d’un cinquième des articles publiés. Il est suivi par le Pérou qui recueille près d’unsixième des mémoires parus dans le Journal. La place de choix réservée à ces deux paystraduit certaines préférences thématiques de l’américanisme qui a été, dès saconstitution, très attaché à l’étude des hautes civilisations mésoaméricaines et andineset de leurs monuments, qui jouissaient d’un statut culturel élevé et d’un fort prestige.Encore à l’heure actuelle, le Mexique et le Pérou continuent d’être des pôles de larecherche américaniste, talonnés, il est vrai, par le Brésil.

36 Les études archéologiques ont formé longtemps une des disciplines maîtresses de

l’américanisme, avec plus d’un quart des travaux publiés (201). La recherchearchéologique américaniste s’est elle-même profondément transformée et s’estdéfinitivement éloignée des fouilles d’amateurs. La place prépondérante del’archéologie dans l’américanisme tient autant à l’intérêt que ses recherches revêtentpour sonder les origines et le passé des hautes civilisations préhispaniques et des autressociétés amérindiennes, qu’à son étroite association avec l’anthropologie. Il faut, eneffet, souligner « l’originalité même de la préhistoire américaine (au sens strict depériode antérieure à l’apparition de documents écrits) qui se prolonge jusqu’à l’époquemoderne, domaine de l’ethnologie et de l’histoire pour le monde occidental », note avecjustesse Danièle Lavallée (1985, p. 49). C’est ce qui explique la quantité considérable detravaux publiés dans ce domaine. C’est flagrant en tout cas pour le Mexique et le Pérouavec, respectivement, près de 37 % et 30 % des publications consacrées à ces pays.

37 L’ethnologie est l’autre discipline phare de l’américanisme dans les pages du Journal,

devant même l’archéologie (un tiers des publications, soit 250 articles sur 752). Cela dit,la pluridisciplinarité en américanisme n’est pas un vain mot car, malgré l’existence derevues spécialisées dans chacun de ces domaines, il faut noter la part appréciable desétudes dévolues à la linguistique amérindienne (un peu plus de 15 % des articles, soit116 travaux), à l’histoire (11 %, soit 84 articles) et à l’ethnohistoire, spécialité plusrécente, mais bien représentée (près de 8 %, soit 58 articles). Dès les années 1910, onsent un intérêt grandissant pour les langues amérindiennes, menacées pour beaucoupde disparition. Paul Rivet fut extrêmement attentif dans la promotion de cettediscipline et la diffusion de ses propres connaissances, en publiant lui-même la grandemajorité de ses travaux linguistiques dans le Journal, et en acceptant très régulièrementdes contributions de missionnaires ou de spécialistes.

38 Les articles ethnologiques ont été particulièrement nombreux sur quatre pays : le Brésil

(51 articles), le Pérou (43), le Mexique (32) et l’Amérique du Nord (36). Si l’on compareavec l’archéologie, ce n’est que tardivement, dans les années 1920-1930, que s’amorceréellement la recherche ethnologique au Mexique. Quant aux études monographiquessur les sociétés amérindiennes du Pérou, elles ne prennent réellement leur essor qu’aulendemain de la Seconde Guerre mondiale, même si l’on en perçoit les prémices dès lesannées 1930. C’est sur l’ethnologie de ces populations andines que l’on trouve le plusd’articles relatifs au Pérou (36 %), largement devant l’archéologie et la préhistoire.

39 Au regard de l’abondance des sources écrites relatives à l’histoire de la Nouvelle

Espagne (les chroniques, les Relaciones, les Visites et archives administratives, lesdocuments paroissiaux et minutes des procès d’idolâtrie), le Mexique est un champ

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privilégié de la recherche historique et ethnohistorique. C’est surtout à partir desannées 1960 que ce domaine de recherche perce dans les pages du Journal, à un momentoù les sources écrites, les chroniques, commencent à être mises en valeur et exploitéessystématiquement. C’est aussi à la même période que les travaux ethnohistoriques auPérou prennent de l’importance.

40 Indéniablement, c’est au Brésil que l’ethnologie américaniste a acquis ses lettres de

noblesse. La recherche au Brésil s’est presque exclusivement concentrée surl’ethnologie (près de la moitié des articles publiés : 51) et la linguistique amazonienne(un tiers des articles : 36). Les premiers travaux ethnologiques sur les sociétésamazoniennes publiés dans les années 1920 et 1930 dans le Journal sont écrits parTheodor Koch-Grünberg, Curt Nimuendajú, le linguiste Cestmir Loukotka, etc.

41 Après le Mexique, le Pérou et le Brésil, vient en quatrième place l’Amérique du Nord.

Elle réunit près de 13 % des travaux publiés (97), loin devant l’Argentine (40) ou laColombie (38). Ce sont en majorité des études ethnologiques, historiques etarchéologiques. Elles sont communément écrites par des chercheurs canadiens et états-uniens – exception faite des articles historiques relatant les diverses expériencesfrançaises sur le territoire nord-américain, rédigés presque toujours par des Français.L’abondance des auteurs nord-américains illustre bien les liens que la Sociétéentretenait avec cette communauté scientifique dans l’entre-deux-guerres, États-Unisen tête, les articles sur cette aire continentale étant, en effet, les plus nombreux dansles années 1920-1930. Plus généralement, c’est au cours de la période 1895-1940 que l’ontrouve les deux tiers des travaux publiés sur cette région. On remarque deux momentsforts dans l’intérêt que le Journal porte aux cultures nord-amérindiennes : l’un, dans lesannées 1950, qui est principalement axé sur l’esquimaulogie, l’autre en 1988-1989, avecun numéro spécial du Journal, qui ouvre alors largement ses pages à ces cultures quiavaient été délaissées depuis plusieurs décennies.

42 Le fait que l’étude des sociétés nord-amérindiennes figure peu dans le Journal s’explique

surtout parce que cette aire continentale est le domaine de prédilection desanthropologues états-uniens et canadiens. Dans certains pays latino-américains, ledéveloppement tardif des études universitaires en sciences sociales, parfois seulementdans les années 1940-1950 et le manque d’intérêt des communautés scientifiques àl’égard de ces zones peuvent justifier le faible nombre d’articles concernant, parexemple, l’Argentine (40 articles), la Colombie (38) et la Bolivie (38), trois pays andinsqui parviennent néanmoins à émerger, avec un peu plus de 5 % chacun d’articlespubliés.

43 Au total, le Mexique, le Pérou, le Brésil, l’Argentine, la Colombie et la Bolivie ainsi que

l’Amérique du Nord représentent ensemble 80 % des travaux américanistes du Journal.Les laissés pour compte de la recherche sont clairement l’Amérique centrale et l’airecaraïbe.

44 Cette discrimination géographique est aussi thématique, et s’explique d’elle-même si

l’on garde présent à l’esprit le profond clivage épistémologique que l’anthropologieaméricaniste a longtemps instauré entre, d’une part, l’Amérindien, l’Indien paré detoute sa pureté originelle, et, de l’autre, le reste du monde américain – métis etpopulations d’origine africaine en tête.

45 La notion d’urgence ethnographique, telle qu’elle s’affirme au XIXe siècle, a pendant de

nombreuses décennies profondément orienté l’anthropologie américaniste. Il fallaitsauver de l’oubli les « sociétés appelées à disparaître », il fallait garder trace de leur

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passé – parce qu’elles ne pouvaient représenter que le passé, un temps forcémentrévolu. Dans les pages du Journal, on constate que les efforts se sont focalisés sur leslieux où l’Indien était encore visiblement présent et était resté non contaminé par lacivilisation, l’acculturation et le métissage, contribuant ainsi à perpétuer l’image desociétés qui, malgré cinq siècles de colonisation, seraient demeurées hors d’atteinte dutemps occidental et n’auraient pas évolué, ne se seraient pas transformées sous l’effetconjugué d’une dynamique interne à leurs structures sociales et de la dominationcoloniale. En fait, l’ethnologie américaniste a fait l’économie de toute analysesociologique et a eu tendance à figer les Amérindiens dans un état de torpeurhistorique. À ce titre, ce sont les sociétés des basses terres amazoniennes qui ont été lesplus aptes à véhiculer une conception de l’Indien faiblement acteur de son devenir, deson histoire. L’Indien resté pur, « fidèle à ses traditions ancestrales », représental’archétype de l’altérité exotique pour l’ethnologue, à la différence de l’Indien métis,« déjà » civilisé. Maintenir le métissage, les phénomènes d’acculturation, lesdynamiques sociales, hors du champ de l’anthropologie américaniste, ne rechercheruniquement que les survivances chez les groupes indigènes, c’était aussi refuserl’histoire, le politique, comme mode opérateur signifiant pour ces sociétés.

46 Dans les pages du Journal, il a fallu attendre 1969, et le numéro spécial dirigé par Roger

Bastide consacré aux Afro-Américains, pour noter un réel intérêt pour les autrespopulations concernées par la Conquête et la colonisation du continent américain.Roger Bastide, dans son Introduction, revenait sur les particularités de l’américanismefrançais :

Les Français sont restés obnubilés par l’ancienne anthropologie qui ne s’intéressaitqu’aux « primitifs » ou à la recherche des « archaïsmes ». Le Journal de la Société desAméricanistes en est la preuve et c’est même pour contrecarrer ce courant que j’aiaccepté de préparer un numéro spécial sur les Afro-Américains qui, tout en tenantcompte des « archaïsmes », s’ouvrait le plus largement possible à la nouvelleanthropologie. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager […]. Les études afro-américaines n’ont jamais occupé une place très importante dans le Journal. On encomprend les raisons : les problèmes noirs d’Amérique [les survivances, lessyncrétismes religieux, les phénomènes d’acculturation et les rapports dedomination dans les sociétés coloniales] ont été jusqu’à présent plus de naturesociologique qu’anthropologique. (Bastide 1971, p. 334)

47 Plus généralement, faute d’outils conceptuels adéquats, à cause également de la

priorité épistémologique accordée à l’étude d’un Indien pur – ce qui n’a, bien sûr,nullement entravé la publication de travaux ethnographiques remarquables –,l’anthropologie américaniste de la première moitié du XXe siècle n’a pas toujours su

rendre la richesse et la singularité de certaines formes sociales et culturelles originaleset complexes : la religiosité populaire indigène, largement mêlée de catholicisme, ouencore la médecine traditionnelle avec la socialisation et la dimension persécutive de lamaladie, la cosmogonie indigène, due rapport au corps des Amérindiens, tous sujetsdifficiles à aborder en prenant appui sur les habituelles catégories occidentales depensée. Les multiples bricolages à l’œuvre dans le monde américain, les innombrablesbrassages, métissages des hommes, des croyances, s’ils n’ont pas été tout simplementignorés, minimisés, passaient alors pour des phénomènes périphériques dont l’étude nefaisait pas partie des orientations thématiques légitimes, propres au champ derecherches américanistes. Depuis les années 1950-1960, la tendance s’est largementinversée, et l’américanisme s’est singulièrement renouvelé (Bernand et Gruzinski 1992 ;Erikson, Galinier et Molinié 2001 ; Taylor 2004), à la fois sous l’effet de facteurs propres

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à « l’état des questions » qui agitent la discipline et ceux propres à « l’état des lieux »(Augé 2006, pp. 14-15), c’est-à-dire propres à l’environnement social, politique etéconomique du continent américain avec, par exemple, la montée en puissance derevendications identitaires exprimées par des populations amérindiennes elles-mêmesrecomposées et le développement de traditions et de questionnements ethnologiquespropres à chaque nation latino-américaine. Le défi, pour la Société des Américanistes etson Journal, c’est de continuer d’être ce sismographe de l’américanisme international etde prendre en considération ses multiples facettes.

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NOTES

1. Cet article a fait l’objet d’une communication orale au séminaire « Histoire et anthropologie

des sociétés nord-amérindiennes » de Marie Mauzé et Joëlle Rostkowski, à l’EHESS, le 5 décembre

2007. Je remercie les participants pour leurs remarques et conseils.

2. De ce point de vue, il faut citer la recherche doctorale de Nadia Prévost (2007) qui apporte de

précieuses lumières sur l’histoire de l’américanisme français du XIXe siècle.

3. La création de la Société des Africanistes en 1930 couronne plus qu’elle n’inaugure un

domaine de recherches déjà existant, grâce notamment aux administrateurs coloniaux. Elle

marque cependant la volonté de ramener l’africanisme dans le giron de l’ethnologie universitaire

(Sibeud 2002).

4. Journal de la Société des Américanistes, séance du 1er décembre 1908, V, p. 272.

5. J’ai procédé à une analyse des listes nominatives de membres, publiées entre 1896 et 1947

(date à partir de laquelle elles cessent d’être publiées), en dépouillant les années suivantes : 1896,

1897-1898, 1902, 1909, 1913, 1920, 1925, 1930, 1935, 1939 et 1947. Après 1947, seul le nombre des

membres parvient encore à être connu et, quand il en est fait mention, c’est lors des séances

pendant lesquelles les questions administratives sont à l’ordre du jour.

6. Pour les détails de l’engagement de Paul Rivet en faveur de l’internationalisme scientifique,

voir Laurière (2008a, pp. 323-340).

7. Sur ces combats menés en commun et l’amitié agissante unissant Franz Boas à Paul Rivet, voir

Laurière (2008b).

8. J’emprunte cette expression à Emmanuelle Sibeud (2002, p. 144) qui l’utilise pour qualifier la

revue L’Anthropologie.

9. J’ai procédé à une analyse des volumes du Journal parus entre 1896 et 1992. Mon propos étant

de chercher à savoir si certains pays ou certaines disciplines avaient davantage bénéficié des

faveurs de la recherche américaniste, je n’ai pas tenu compte des articles comparatifs,

pluridisciplinaires, qui s’intéressaient à tout le continent américain ou à une aire régionale

(environ une soixantaine d’articles). Mon corpus totalise donc 752 articles.

RÉSUMÉS

La Société des Américanistes de Paris : une société savante au service de l’américanisme. Cet

article revient sur la création en 1895 de la Société des Américanistes, la première de son genre,

et pose quelques jalons de son histoire. La première partie évoque les conditions de sa création

par Ernest Théodore Hamy et son développement sous sa direction (1895-1908). La deuxième

partie s’étend plus longuement sur le fort engagement de Paul Rivet, figure de proue de

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l’américanisme français pendant la première moitié du XXe siècle, dans la destinée de la Société et

montre comment il œuvra de manière déterminante à son rayonnement international, en

donnant un nouvel élan au Journal de la Société des Américanistes qui n’eut pas son équivalent dans

le monde pendant plusieurs décennies. Enfin, la troisième partie dresse un tableau synthétique

des orientations géographiques, disciplinaires et thématiques constitutives de l’américanisme

telles qu’il se donne à lire dans les pages du Journal.

The Paris’ Society of Americanists: a learned society dedicated to Americanism. This article deals

with the creation in 1895 of the Society of Americanists, the first one of its kind, and gives some

reference points to understand its history. In the first part, it refers to the conditions of its

creation by Ernest Théodore Hamy and its development under his guidance. In the second part, it

discusses Paul Rivet’s strong commitment in the destiny of the Society and shows how he

decidedly helped to expand its international influence. As an international leader of French

Americanism during the first half of the twentieth century, he boosted its Journal that was

worldwide unequalled for several decades. In the third part, this essay sketches out the main

geographical, disciplinary and subject trends of the articles published in the Journal.

La Sociedad de Americanistas de París: una sociedad científica al servicio del americanismo. Se

trata aquí de documentar la creación de la Sociedad de Americanistas en 1895, la primera de esto

tipo, y de dar algunos puntos de referencia de su historia. En la primera parte se revisan las

condiciones de su creación por Ernest Théodore Hamy y su desarrollo bajo su dirección

(1895-1908). En la segunda parte se detalla el fuerte compromiso de Paul Rivet en el destino de la

Sociedad y demuestra como el trabajó de manera decisiva para aumentar su influencia

internacional. Abanderado del americanismo francés durante la primera mitad del siglo XX,

impulsó una nueva dinámica a su Journal que fue sin equivalente durante varias décadas. En la

tercera parte se esboza una síntesis de las orientaciones geográficas, disciplinarias y temáticas de

los artículos publicados en el Journal.

INDEX

Keywords : americanism, Société des Américanistes de Paris, Journal de la Société des

Américanistes, scientific internationalism, Hamy (Ernest Théodore), Rivet (Paul)

Index géographique : Paris, France

Thèmes : Histoire de l’anthropologie, Histoire de l’américanisme

Mots-clés : américanisme, Journal de la Société des Américanistes, internationalisme

scientifique, Hamy (Ernest Théodore), Société des Américanistes de Paris

Palabras claves : americanismo, Société des Américanistes de Paris, Journal de la Société des

Américanistes, internacionalismo científico, Hamy (Ernest Théodore), Rivet (Paul)

AUTEUR

CHRISTINE LAURIÈRE

LAHIC-IIAC, 11 rue du séminaire de Conflans, 94220 Charenton-le-Pont

[[email protected]]

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Historiographie de l’américanismescientifique français au XIXe siècle :le « prix Palenque » (1826-1839) oule choix archæologique de JomardNadia Prévost Urkidi

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en février 2008, accepté pour publication en juin 2009

Antécédents

1 D’une façon générale, la Société de Géographie de Paris (SGP) s’intéressa dès sa création

en 1821 (époque qui correspond à l’émancipation de plusieurs anciennes coloniesespagnoles) à la « redécouverte » du continent américain. Les siècles de dominationsespagnole et portugaise avaient en effet, selon de nombreux savants de l’époque, « jetéun voile » sur ce continent durant des siècles1. L’Amérique constituait donc encore unegrande inconnue pour les géographes français au début du XIXe siècle, alors même

qu’elle connaissait une actualité brûlante, consécutive à l’acquisition desindépendances. De fait, elle envahissait alors tous les espaces publics et médiatiques,comme le montre cet extrait d’un article du Bulletin de la Société de Géographie de Paris

(BSGP) :

Il semble que la découverte de l’Amérique ne date que d’hier, tant on montreaujourd’hui de curiosité pour tout ce qui a rapport à cette grande partie du monde.Cela s’explique facilement. L’ancienne Amérique était fermée à l’Europe, la nouvelleest ouverte à tous les regards de l’observateur ; rien n’est plus interdit à sesrecherches ; un Gouvernement soupçonneux ne multiplie plus les obstacles sous sespas ; on ne soustrait plus à ses yeux les archives des villes ou des provinces ; on nelui défend plus l’entrée des mines et des grands établissements de l’industrie, jadis

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sous le monopole du Gouvernement. L’Européen n’est plus un objet d’inquiétudesignalé à la surveillance de toutes les polices locales ; il assiste aux débats desdiverses législatures ; il est admis dans la confiance des hommes d’État ; il puisedans les journaux du pays, affranchis de la censure, des connaissances qu’ilchercherait vainement ailleurs. Tous les moyens sont donc à sa disposition pourbien voir et pour bien connaître le résultat des observations des autres. Qu’on nes’étonne donc plus, d’après cela, de l’intérêt qu’inspirent les nouvelles relations,lorsqu’elles ont surtout pour objet les contrées les moins connues du continentaméricain. (Larenaudière 1825b, pp. 245-246).

2 L’Amérique ne demandait donc qu’à être mieux connue, sous tous les rapports, ce qui

compte tenu de sa superficie, de sa géographie et de sa situation politique, constituaitune gageure. Heureusement, il existait une source scientifique jugée sérieuse surlaquelle les géographes français pouvaient s’appuyer pour guider leur réflexion surl’Amérique. Un homme avait en effet su percer quelque peu les mystères du NouveauMonde au tout début du XIXe siècle : Alexandre de Humboldt [1769-1859], dont les

travaux constituaient alors une référence constante et incontournable. Humboldt fitd’ailleurs tellement pour la connaissance de l’Amérique, que les savants du premierquart du XIXe siècle s’étaient demandés s’il restait encore vraiment quelque chose

d’intéressant « à glaner sur ses pas » (Larenaudière 1825a, p. 62). Pourtant, ces savantsavaient aussi conscience que l’Amérique que connut Humboldt (celle des années 1799 à1804) avait bien changé depuis les révolutions et les guerres d’indépendance, rendantainsi nécessaires « les regards de nouveaux observateurs » (Larenaudière ibid.). La SGPportait donc un intérêt particulier à cette Amérique en pleine mutation. De nombreuxvoyageurs de toutes nationalités s’y étaient rendus depuis l’émancipation desanciennes colonies espagnoles. Une littérature régulière paraissait à son sujet. Mais lavaleur scientifique de ces écrits était très variable et ne répondait pas toujours auxattentes des savants parisiens. Ces derniers étaient en effet tributaires des œuvrespubliées et n’avaient aucune emprise, ni sur les thématiques traitées, ni sur lesméthodes utilisées.

3 Parfois, lesdits ouvrages n’apportaient rien de très constructif. Le BSGP regrettait ainsi

le manque de rigueur, les inexactitudes ou le verbiage de certains voyageurs européenspartis explorer certaines régions du continent américain. Par exemple, sur la Colombie,la carte que Mollien2 avait insérée dans son ouvrage contredisait parfois son texte (et leBulletin de souligner que « c’est un défaut qui n’est malheureusement que tropcommun »), tandis que l’ouvrage de Francis Hall [s. d.]3, consacré au même pays, étaitdans le même temps quant à lui jugé « très-insuffisant et très-court » (BSGP 1825a,p. 18). Le Chili, le Pérou et le Mexique furent, pour leur part, traversés par Basil Hall[1788-1844]4 entre décembre 1820 et juin 1822, mais l’auteur ne fit bien souvent querépéter « ce qu’on savait déjà » (BSGP 1825a, p. 20)5. Sa carte laissait beaucoup àdésirer ; son texte témoignait également d’un manque évident de scientificité etd’objectivité :

Il est vrai qu’il a eu infiniment à se louer de l’accueil qu’on lui a fait et que sonvoyage n’a été qu’une suite de fêtes embellies par la présence de femmes presquetoutes jeunes, jolies et remplies de talens [sic] ! Comment aurait-il pu, d’après cela,être un narrateur froid et impartial. (BSGP 1825a, pp. 19-20)

4 Bien sûr, tous les voyageurs ne faisaient pas preuve d’un tel manque de rigueur et,

quand le BSGP jugeait une publication très intéressante, il n’hésitait jamais à en fairel’éloge, expliquant en quoi elle méritait la complète attention des lecteurs. Parfoiségalement, le sujet desdits ouvrages suscitait un intérêt durable au sein de la SGP et

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devenait donc ensuite un sujet de réflexion récurrent. Un article publié dans les Annales

maritimes6 fut ainsi vanté pour la qualité de ses cartes. Un rapport présenté au congrèsdu Mexique par le ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères mexicain et publiédans le Bulletin des Sciences géographiques7 pour ses « renseignements curieux qu’on nesaurait trouver ailleurs » fut particulièrement recommandé (BSGP 1825a, pp. 21-22).L’ouvrage madrilène de Fernández de Navarette [1765-1844] sur les voyages8 fut quant àlui à l’origine d’une « redécouverte » de Christophe Colomb (BSGP 1825b,pp. 78-79 ; Férussac 1825). De même, le mémoire du colonel américain Poinsett[1779-1851]9 sur « le tableau géographique et statistique de la Vice-Royauté du Pérou »présenté à la SGP inspirait Humboldt pour établir des statistiques, pour le moinsintéressantes, pour l’époque sur les populations américaines (BSGP 1825b, pp. 78-79 ;Humboldt 1825)10. Le Voyage de Bullock11, dont la collection d’antiquités mexicaines futexposée à la Royal Academy of Arts de Londres en 1824 (Matos Moctezuma 2003), tintune place particulière dans cet ensemble, car la SGP présenta ce récit de voyage comme« l’ouvrage le plus précieux qui ait été publié sur le Nouveau Monde, depuis celui de M.de Humboldt » (BSGP 1825a, p. 22). L’Amérique occupait donc une place importantedans les préoccupations de la nouvelle société savante, qui ne manquait jamais de setenir informée de toutes les nouveautés12. Parmi ces nouveautés dont la Société arrivaità prendre connaissance se trouva en 1825 un ouvrage qui retint particulièrement sonattention : il s’agissait de la Description of the ruins of an ancient city discovered near

Palenque, in the kingdom of Guatemala, in Spanish America, translated from the original

manuscript report of captain don Antonio del Rio, followed by Teatro critico, or a critical

investigation and research into the history of the Americans, by doctor Paul Felix Cabrera,publiée à Londres en 182213.

5 Cet ouvrage fit en effet, au cours de l’année 1825, l’objet de deux mémoires de la main

de David Bailie Warden [1778-1845], ancien consul des États-Unis d’Amérique résidant àParis, et membre de la commission centrale de la SGP. Le premier mémoire était ainsiconsacré au rapport proprement dit d’Antonio del Río [s. d.] sur Palenque. Le secondconstituait une analyse de l’essai du docteur Cabrera [s. d.] (BSGP 1825c, pp. 317-318).Ces mémoires furent ensuite examinés par Edme-François Jomard14 [1777-1862], lecélèbre géographe et « archéologue » orientaliste, membre de l’Académie desinscriptions et belles-lettres, qui présenta ses conclusions devant la Commissioncentrale de la SGP durant la séance du 11 novembre 1825, au nom de la Section depublication qu’il représentait. Le sujet provoqua immédiatement l’enthousiasme desmembres de la SGP, qui découvraient tout simplement l’existence non seulement desmystérieuses ruines de Palenque, mais aussi de tout un complexe architectural antiquetrès étendu et apparemment distinct de celui que l’on connaissait déjà pour lesAztèques :

On lit avec intérêt, dans cette relation, des descriptions de sculptures qui, outre desrapports évidens [sic] avec celles des Aztèques, offrent des particularités dignesd’attention, soit dans le caractère de la physionomie, soit dans le style desornemens [sic]. Il a existé dans cet endroit une Ville considérable, dont l’époque etl’histoire sont absolument ignorées. La succession des ruines occupe une [sic]espace de 7 à 8 lieues. Aucun historien n’avait connu ou décrit les monumens [sic]de Palenque, jusque-là dérobés à la curiosité des Européens par d’épaisses forêts.(Jomard 1825, p. 309)L’intérêt de ces monumens [sic] augmentera encore, en considérant qu’ils serattachent à d’autres semblables, situés à 8 lieues au nord et à 20 lieues au sud de laville de Merida […]. (ibid.)

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Les monumens [sic] de Palenque, restés si long-temps [sic] ignorés, paraissent doncdevoir être rangés au nombre des antiquités les plus importantes du nouveaucontinent (ibid., pp. 309-310).

6 Warden et Jomard ne furent pas les seuls à s’enthousiasmer à ce sujet. J.-B.-M.

Alexandre Dezos de la Roquette [1784-1868], également membre de la commissioncentrale de la SGP, souligna lui aussi immédiatement le caractère « remarquable » durapport d’Antonio del Río, notamment pour la précision de ses renseignements.L’ouvrage de Cabrera parut, en revanche, « hypothétique », et rappela d’ailleurs lessystèmes « de Bochart et de Dom Calmet »15 (BSGP 1825c, pp. 317-318). Malte-Brun,comme à son habitude à la pointe de la connaissance géographique, avait déjà consultéla traduction anglaise de l’ouvrage d’Antonio del Río et fit quelques remarquessupplémentaires sur l’importance des ruines de Palenque. Il signala l’ouvrage deDomingo Juarros, « sur les ruines de la même ville »16. Ainsi, il ne faisait aucun douteque l’ouvrage d’Antonio del Río, qui renvoyait plus généralement aux « monumens [sic]américains », avait conquis l’intérêt des membres de la commission centrale de laSociété de Géographie de Paris. Pour preuve les idées qui fusèrent en séance, entreFérussac [1786-1836], Roux de Rochelle [1762-1849] et Malte-Brun père [1755-1826], àpropos de la suite à donner à ces recherches, notamment en matière de publication(BSGP 1825c, p. 318).

7 La publication des deux mémoires de Warden, ainsi que du rapport de Jomard, fut

finalement décidée par la Société de Géographie dès le jour de leur présentation à laCommission centrale, le 11 novembre 1825 (BSGP 1825c, p. 318). Mais la Société deGéographie de Paris n’en resta pas là. Impatiente de donner suite aux questions que lerapport d’Antonio del Río avait suscitées durant ses séances, et donc peu désireused’attendre les bras croisés qu’un voyageur décidât spontanément de venir y répondre,la SGP décida en mars 1826 d’inclure les ruines de Palenque dans son nouveauprogramme de prix. Ce fut alors sur deux pages, et avec de nombreuses notes de bas depages (peu communes en général dans le « Programme des prix »), que la Société deGéographie de Paris dédia un prix d’une valeur de 2 400 francs aux « Antiquitésaméricaines » (BSGP 1826a, pp. 595-596 ; voir Figures 1 et 2).

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FIG. 1 et 2 – BSGP 1826a, pp. 595 et 596 [source : http://gallica.bnf.fr/].

8 Avant d’aller plus avant, l’importance de cette initiative doit être soulignée. Tout

d’abord, il faut rappeler la grande réputation, tant nationale qu’internationale, dontjouissait alors la Société de Géographie de Paris17. Ensuite, on doit relever la singularitédans le paysage érudit des années 1820 de cet intérêt français pour l’archéologieaméricaine, intérêt mis en relief par Margarita Díaz-Andreu García (2007) dansl’ouvrage qu’elle a consacré à l’histoire mondiale de l’archéologie au XIXe siècle. Que

cela soit en Espagne (qui avait pourtant manifesté de l’intérêt pour les ruines dePalenque à la fin du XVIIIe siècle), en Grande-Bretagne (qui, en 1824, avait reçu

l’exposition de la collection Bullock à la Royal Academy of Arts18), en Allemagne, enSuède ou aux États-Unis, l’étude des antiquités américaines demeurait en effetponctuelle, alors même qu’elle prenait une importance grandissante dans certains paysaméricains nés au début du siècle. Perçues comme des symboles de civilisation, cesantiquités pouvaient avoir une fonction politique pour ces derniers dans la mesure oùelles constituaient une preuve historique de la capacité des « natifs » às’autogouverner. Pour toute une génération d’érudits créoles confrontée à la nécessitéde créer de nouvelles nations, faites à la fois d’opposition aux anciennes métropoles etde récupération d’éléments amérindiens, l’étude de ces antiquités américaines revêtaitdonc une grande importance. L’intérêt que le Mexique porta à ses antiquités dès lespremières années de son indépendance l’illustre parfaitement (création du Museonacional en 1825, de commissions d’études, d’expéditions). Cependant, cetteidéalisation du passé amérindien, si éloigné parfois des canons de beauté classiques dumonde européen, ne se fit pas sans difficultés. D’après Díaz-Andreu García (2007, pp. 56,80-91, 172-181), le développement de l’archéologie américaine fut freiné au milieu duXIXe siècle en raison de la montée du racisme19. Dans ce contexte, l’intérêt précoce de la

France pour ces antiquités américaines faisait exception dans les années 1820 (ibid.).

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Le déroulement du « prix Palenque » (1826-1839)

9 Le programme de ce prix était pour le moins chargé. La Société de Géographie de Paris

demandait en substance une « description plus complète et plus exacte » des ruines dePalenque que celle donnée par Antonio del Río dans son rapport, description qui devaitbien évidemment être accompagnée de nombreux dessins, plans, cartes et coupes20. Parailleurs, la SGP attendait des candidats qu’ils fissent des « fouilles » afin de « connaîtrela destination des galeries souterraines pratiquées sous les édifices, et pour constaterl’existence des aqueducs souterrains ». Mais cela n’était pas tout, loin de là. Une fois lesite de Palenque étudié et dessiné sous toutes ses facettes, il restait encore à endéterminer l’originalité, ou au contraire la ressemblance, comparativement aux autressites de la région. La Société souhaitait en effet confirmer « l’analogie » entre ces sites,« regardés comme les ouvrages d’un même art et d’un même peuple ». La commissiondes prix de la SGP invitait donc ses candidats à aller examiner le site d’Utatlan (près deSanta Cruz del Quiché, Guatemala), mais également celui de Mixco (près de GuatemalaCiudad, Guatemala) et de Copan (au Honduras), ainsi que les sites archéologiques quijalonnaient le Yucatan et « l’île de Peten, dans la laguna de Itza, sur les limites deChiapa [sic], Yucatan et Verapaz ». Enfin, comme si cela ne suffisait pas, la SGPsouhaitait des « remarques sur l’état physique et les productions du pays », maiségalement des « recherches sur les traditions relatives à l’ancien peuple », comme des« observations sur les mœurs et coutumes des indigènes », des « vocabulaires desanciens idiômes [sic] », ainsi que des données relatives au personnage de Votan,« personnage comparé à Odin et à Bouddha » (BSGP 1826a, pp. 595-596). Autant dire quele programme n’était pas seulement ambitieux, mais tout simplement irréalisable : ildémontrait une totale méconnaissance du terrain21. Pour mener à bien leur projet, lescandidats disposaient de trois ans et demi, les mémoires, cartes et dessins devant êtredéposés au Bureau de la commission centrale, à Paris, avant le 1er janvier 1830.

10 Durant quelques mois, bien évidemment, la nouvelle du prix resta sans écho. Elle

commençait cependant à circuler tranquillement : son programme fut, par exemple,« expédié pour l’Amérique » par un intermédiaire et depuis Londres, en octobre 1826(BSGP 1826b, p. 222). La « Notice annuelle des travaux de la Société de géographie »pour l’année 1826 fut l’occasion pour Philippe François Lasnon de Larenaudière[1781-1845], le secrétaire général de la commission centrale, de rappeler en décembreson existence et d’évoquer ses enjeux et son importance :

Vous avez appelé les méditations des amis de la science sur ces ruines mystérieusesde Palenque, remarquables par leur similitude avec d’autres constructions du mêmegenre, situées dans des distances assez rapprochées, et qui déposent de l’existencedans le Yucatan, d’un peuple inconnu, nombreux, et cultivant les arts avec quelquessuccès. Peut-être sous ces débris mêmes est-il une lumière cachée, qui devenue laconquête d’un examinateur habile, lui fera lire sur ces vieux monumens [sic]l’origine de la population des Amériques, et les plus anciennes traditions, et les plusanciens idiômes de ses premiers habitans [sic]. (Larenaudière 1826, p. 249).

11 En mars 1827, le prix sur Palenque continuait à figurer dans le programme des prix,

toujours pour une valeur de 2 400 francs, mais avec la petite différence que lesmémoires devaient être déposés à la Société avant le 31 décembre 1829 (BSGP 1827b,pp. 156-158). En un an, aucun candidat ne s’était encore manifesté. La présentation dunouveau programme des prix permit à la Société de Géographie de Paris de rappeler

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l’un de ses buts fondateurs, à savoir donner par ses prix une impulsion à la science,pour hâter les progrès et développer les découvertes. Elle signalait également par sondiscours être tout à fait consciente des difficultés rencontrées par ses voyageurs, quitravaillaient souvent « sans autre soutien qu’un courage à toute épreuve et undévoûment [sic] sans bornes » (BSGP 1827a, p. 141). Elle était donc informée ducaractère pour le moins missionnaire de la science de ses voyageurs, et se disaittoujours prête à aider du mieux qu’elle pouvait les candidats à l’aventure géographique.

12 L’occasion d’épauler des voyageurs en partance pour l’Amérique n’allait pas tarder

puisque, durant l’année 1827, quatre personnes se préparèrent à partir sous lesauspices de la Société de Géographie à la découverte du Nouveau Monde : le peintreLouis Choris [1795-1828] pour le Mexique et le Guatemala, avec une visite prévue àPalenque, le docteur Bertero22 [1789-1831] pour le Chili, ainsi que Taillefer [s. d.] etPeyrounenc23 [s. d.] ensemble pour la Colombie et l’Orénoque. Tous sollicitèrent de laSociété des « instructions », des lettres de recommandation, ainsi que des« instruments », afin de faciliter leur voyage (BSGP 1827c ; Jomard 1827, pp. 336-337,342-343). Or un drame allait venir illustrer les dangers que pouvait représenter laréalité du terrain américain, où il ne suffisait pas d’avoir du courage et du dévouementpour toujours mener à bien la mission que l’on pouvait s’être fixée. À peine arrivé auMexique, au début de l’année 1828, deux jours à peine après son débarquement àVeracruz, Louis Choris fut assassiné sur la route de Xalapa, victime de « quatrevoleurs » (BSGP 1828d). Il n’arriva jamais à Palenque où il était cependant toujoursattendu en 1831 (BSGP 1831e).

13 Avec la disparition de Choris, le « prix Palenque » resta donc sans candidat potentiel. À

la fin de l’année 1827, enfin, un premier candidat se fit connaître : François Corroy[ca 1777-1839] (Baudez 1993, pp. 82-83), médecin français et directeur de l’hôpital deTabasco au Mexique, où il résidait depuis plus d’une vingtaine d’années. Corroy avaitpris connaissance de l’existence du prix dans un article paru en 1827 dans l’Aigle

mexicain (ce qui nous signale que la nouvelle circulait au Mexique) et pensait être lapersonne que la Société attendait pour répondre à ses vœux. Il estimait ainsi être lemieux placé pour concourir, mais fit judicieusement remarquer à la Société qu’il était« impossible de satisfaire entièrement [ses] désirs, car il faudrait abattre et brûler laforêt » (BSGP 1828b). Corroy connaissait le terrain, la région, le climat et la situationdes ruines de Palenque, qu’il était déjà allé visiter en 1819, et était donc en effet à mêmede pouvoir juger de la faisabilité du projet palenquéen de la Société de Géographie deParis. Il affirma même plus tard avoir reçu le colonel Dupaix [s. d.] et son dessinateurLuciano Castañeda [s. d.-ca 1834] lors de leur troisième expédition à Palenque, en 1808(BSGP 1831e, p. 281). Mais si Corroy regardait « comme impossible la solution complètedes questions posées par le programme », Jomard, le spécialiste de la SGP pour lesquestions américaines, y croyait bel et bien (BSGP 1828a, p. 134). La société savantesembla se ranger à l’avis de ce dernier puisque le mémoire de Corroy tomba alorsquelque temps dans l’oubli24. Toute l’année 1828, ainsi que la première moitié del’année 1829 passèrent ainsi sans qu’aucune mention officielle fut faite descandidatures au prix sur Palenque. Or la clôture du prix était toujours fixée au31 décembre 1829.

14 En juin 1829, un nouveau concurrent, et non des moindres, arriva sur la scène. Après un

séjour de deux ans au Mexique, l’abbé Jean Henri Baradère [1792-ca 1839] était revenu àParis avec « une collection précieuse de monumens [sic] relatifs aux ruines de Palenqué

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[sic], de Mitla et autres antiquités du Mexique », qu’il soumit à l’appréciation desmembres de la SGP lors de la séance du 5 juin 1829 (BSGP 1829a, pp. 37, 40). Durant sonséjour au Mexique, Baradère avait eu l’opportunité de pouvoir effectuer des rechercheset des fouilles avec l’assentiment du gouvernement mexicain (fait pour le moinsexceptionnel à l’époque), ce qui eut pour résultat la formation de son impressionnantecollection, composée notamment des dessins originaux de Luciano Castañeda, ledessinateur des expéditions Dupaix25. La collection Baradère se composait ainsi de145 dessins « recueillis dans plusieurs expéditions faites en 1784 et en 1808, par ordredu roi d’Espagne », « d’une scène de sacrifices humains, dessinée par les Astèques [sic],sur papier d’agave », « d’un plan du lac de Tezcuco [sic] et de Mexico, sur papier depalmier », « d’un tableau des impôts payés à Montezuma, également sur papier depalmier », « d’une généalogie des premiers rois mexicains »26, d’un manuscrit d’environ800 pages daté de 1559 touchant à l’organisation fiscale du Mexique et de divers objetsdont certains venaient de Palenque27. L’ensemble « excit[a] l’intérêt de l’assemblée »,qui nomma immédiatement une commission spéciale pour en rendre compte (BSGP1829a, p. 40). Un rapport très favorable fut présenté à la Société de Géographie de Paris

le 29 juin 1829 par une commission de la Société royale des antiquaires de France (BSGP1829b). Le prix sur Palenque avait enfin un candidat prometteur. Le corpus dontdisposait Baradère était tellement impressionnant que les membres de la SGPexprimèrent le vœu de le voir rester en France et l’estimèrent en mesure, une foisordonné et annoté bien sûr, de remporter le prix :

Cette collection, à part quelques copies de planches plus ou moins remarquables,était ensevelie dans le cabinet d’histoire naturelle de Mexico. En l’exhumant,M. Baradère a rendu un véritable service à la science et aux arts. Il est à désirer quecette collection ne passe pas en des mains étrangères, et que la France, patrie desarts, ne soit pas privée du fruit de la découverte la plus importante qui ait été faiteen Amérique, et qui donne à son auteur le droit de prétendre au prix proposé par laSociété de Géographie. (BSGP 1829b, p. 47).

15 La nouvelle de l’arrivée à Paris d’une importante collection de dessins d’antiquités

américaines de très bonne qualité fut rapidement relayée par la presse parisienne(BSGP 1829c, p. 90). L’arrivée de Baradère comme potentiel candidat au prix surPalenque réveilla François Corroy, dont la SGP était restée sans nouvelles. Ayant apprisau Mexique l’existence de la collection de Baradère et son retour à Paris, Corroy décidade recontacter la Société de Géographie de Paris par une lettre datée du 25 février 1829,afin de relancer sa candidature en annonçant sa prochaine expédition aux ruines dePalenque. Malheureusement pour lui, sa lettre arriva à la SGP le jour même où laSociété examina pour la première fois la collection Baradère (BSGP 1829a, p. 40), et lasociété oublia alors « d’en donner communication » (BSGP 1829c, p. 92). Malgré larichesse de la collection de Baradère, la Société décida néanmoins d’attendre lesrésultats du nouveau voyage de Corroy « pour se prononcer » (Larenaudière 1829,p. 302)28. Le 31 décembre 1829, date de clôture du prix Palenque, aucun mémoire n’avaitdonc encore été déposé à la Société.

16 Le 8 janvier 1830, Baradère fut officiellement admis au concours pour le prix sur

Palenque (BSGP 1830a, p. 87). Il était pour l’heure le seul candidat officiel, la Société deGéographie de Paris n’ayant encore rien reçu de très exceptionnel de François Corroy.Compte tenu des circonstances, la Société décida lors de sa séance générale du 26 mars1830 de proroger le sujet du prix Palenque à 1832 (BSGP 1830b, p. 177)29 et d’accorderd’ores et déjà par la même occasion une « mention honorable » et des « remerciemens

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[sic] » à Baradère (BSGP 1830b, pp. 173-174, p. 177 ; BSGP 1830c). Celui-ci avait doncdeux ans pour fournir sur sa collection une analyse et un cadre dignes des attentes desorganisateurs du prix Palenque. Il attendait pour ce faire des copies de documentsconservés au Musée de Mexico qu’Isidro de Icaza [s. d.]30 devait lui envoyer31. Mais pourl’heure, malgré le fait que le prix n’avait pu être décerné à la date requise, la Société deGéographie de Paris s’estimait très satisfaite de la tournure qu’avaient prise lesévénements :

L’attention générale est éveillée sur ce problème historique ; enfin des voyageursaméricains et français sont en route pour se rendre sur les ruines de cette citéremarquable, et pour explorer la péninsule d’Yucatan, qui en renferme beaucoupd’autres, peut-être non moins intéressantes. (BSGP 1830c, p. 186)

17 Il est indéniable que ce prix éclaira d’une lumière nouvelle l’intérêt scientifique que

pouvaient représenter les nombreux sites archéologiques mexicains etcentraméricains32. Le site de Palenque étant au Mexique, ce fut vers cette contrée queles regards et les efforts se concentrèrent principalement, créant par la même occasionune sorte de lien scientifique privilégié entre le Mexique et la France33. Les antiquitésmexicaines prirent indéniablement, et dès cette époque, une place prépondérante dansle champ des études françaises sur l’antiquité américaine. Il est vrai cependant qued’autres antiquités américaines bénéficièrent également de cette publicité, mais defaçon beaucoup moins marquée (Warden 1830 ; 1831b). Grâce à ce prix, l’Amérique pritun autre visage que celui marqué par l’instabilité et les guerres civiles, et acquit uneautre dimension dans l’imaginaire collectif des savants géographes français. Pourpreuve, l’insertion progressive dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris nonseulement d’articles concernant son histoire et ses antiquités, mais également d’articlesconcernant sa manière de vivre ou ses mœurs (BSGP 1830i)34. Ce nouvel intérêt pour lescultures américaines, non plus seulement passées mais également présentes, se verraconfirmé par l’importance croissante que prit peu à peu l’ethnographie au sein desétudes géographiques35.

18 L’annonce du prix Palenque circulait donc très bien en ce début d’année 1830. La

nouvelle vint s’insérer dans les colonnes du Courrier de la Fédération Mexicaine, grâce àl’initiative de M. David [s. d.], alors vice-consul de France à Mexico (BSGP 1830b, p. 171).À partir de cette époque, la Société de Géographie de Paris ne tarda pas à recevoir deplus nombreuses réponses à son appel à candidature. Ainsi, reçut-elle la Collectionmexicaine de Maximilien Franck [s. d.]36, qui lui fut particulièrement recommandée parle colonel Poinsett37, à la fin de l’année 183038. Les dessins de la collection frappèrentgrandement l’esprit des membres de la Société de Géographie de Paris pour lessimilitudes qu’ils présentaient entre les costumes, les physionomies et les vases desanciens Mexicains, d’un côté, et ceux des Égyptiens et des Phéniciens, de l’autre39. Ils nelaissaient aucun doute quant à l’existence de deux « écoles » artistiques bien distinctespar le passé : celle de Mexico et celle de Palenque (BSGP 1831b, p. 127). La nouvelle, quifit débat entre les savants durant une bonne partie de l’année 1831, fut relayée à Parispar les Annales de philosophie chrétienne (1831) ainsi que par le Bulletin des Sciences

historiques, antiquités, philologie (1831). La Société de Géographie de Paris reçut ensuite lacandidature de Carl [ou Karl] Nebel [1805-1855], un artiste allemand qui, sans aucunappui, se proposait de se mettre en route pour Palenque40. Celui-ci renonça néanmoinsà ce projet trop hasardeux et onéreux pour aller examiner en revanche les ruines qui setrouvaient au nord de l’État de Veracruz, laissant à son « associé »41 le soin depoursuivre seul, s’il le désirait, le projet de voyage à Palenque (BSGP 1832b). Or celui-ci

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trouva sur place le moyen d’obtenir l’aide et l’assentiment du gouvernement mexicainpour ces recherches palenquéennes : c’est ainsi que Waldeck [1766-1875]42, qui avaitauparavant participé à l’édition anglaise du Rapport d’Antonio del Río sur Palenque, partits’installer au milieu des ruines pour mieux les dessiner et se retrouva en course pour leprix de la Société de Géographie de Paris.

19 Alors que Waldeck entrait en scène, le 5 août 1831, soit cinq mois avant la clôture du

concours sur Palenque, la Société de Géographie de Paris reçut enfin la premièrelivraison de l’ouvrage de Baradère consacré aux expéditions du Capitaine Dupaix àPalenque et destiné à concourir pour le prix de 2 400 francs43. Parmi les auteurs, hormisl’abbé Baradère, se trouvaient les noms d’Alexandre Lenoir [1761-1839], archéologuefrançais, de Charles Farcy [s. d.], chanoine, membre de la Société des antiquaires deFrance et de Warden. Pourtant, contre toute attente, la Société de Géographie de Parisn’y prêta qu’une attention discrète, se bornant à remercier les auteurs pour leur envoi.La SGP, déjà, semblait placer toutes ses espérances en Waldeck et il fallut attendreseptembre 1832 pour qu’elle rendît compte de l’ouvrage (Jomard 1832). Pourtant,comme l’avait signalé Baradère en juin 1830, la publication des expéditions Dupaix parla France constituait en soi un événement important, tant pour les savants françaisintéressés par les études américaines que pour le gouvernement mexicain qui avait« prouvé sa prédilection pour la nation française » en autorisant la sortie des dessinsoriginaux de Castañeda et une copie « exacte et légalisée » des rapports originaux deDupaix restés à Mexico (BSGP 1830d). La fin de l’année 1831 et le début de l’année 1832se passèrent ainsi sans autre mention du prix dans le BSGP. Il faut ajouter que l’un desprincipaux promoteurs des études américaines au sein de la Société de Géographie,Warden, qui n’avait cessé d’alimenter la SGP d’écrits sur l’Amérique depuis bien desannées, se trouvait à ce moment-là atteint d’une maladie assez grave qui ne luipermettait pas toujours d’assister aussi assidûment qu’auparavant aux séances de laSociété (BSGP 1832d, p. 358). Il semble que, sans sa présence continue, l’intérêt pour leprix sur Palenque commença à s’essouffler quelque peu, malgré de fréquentsrebondissements à son sujet. Quand en mars 1832 le moment vint de proposer lenouveau programme des prix, le prix sur Palenque se retrouva donc de nouveauprorogé jusqu’en 1834 (BSGP 1832c) ; il le fut encore ensuite jusqu’en 1836 (BSGP 1834a,p. 197), et enfin jusqu’en 1839 (BSGP 1836b).

20 La Société de Géographie de Paris continua donc tranquillement à recevoir des

nouvelles du Mexique durant les années 1832, 1833, 1834 et 1835 : tout d’abord du clanCorroy44, puis de Galindo [1802-1839]45, nouvel espoir de la Société parti lui aussiexplorer Palenque, enfin de Waldeck46, qui vécut au milieu des ruines entre 1832 et1835. Jamais Palenque n’eut autant de visiteurs en un laps de temps si court. Et lesnouvelles continuaient à bien circuler, un journal français imprimé à New York ayantmême consacré un long article à cette question vers le début de l’année 1832 (BSGP1832g, p. 190). En 1832, le sujet sembla reprendre une place prépondérante, commel’indique notamment le rapport qui fut consacré aux Antiquités mexicaines de Baradèrepar la Société de Géographie de Paris en 1832 (BSGP 1832f, p. 186 ; Jomard 1832). Elle futl’occasion pour la Société de réaffirmer son orgueil d’avoir été le moteur de toutes cesnouvelles recherches :

Les découvertes se multiplient sur le sujet des antiquités mexicaines ; lesmonumens [sic] s’accumulent, les publications se succèdent. Il doit en jaillir deslumières sur l’histoire des aborigènes, et même sur l’ethnologie en général : aucunequestion ne peut donc intéresser la Société de Géographie à un plus haut degré sous

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le rapport historique. La Société peut se féliciter d’avoir donné l’impulsion à cesrecherches, par le programme qu’elle a publié en 1826. (Jomard 1832, p. 218)

21 En 1833, toutefois, les nouvelles se firent plus rares. On pourrait se demander si la

Société espérait vraiment attribuer ce prix un jour, ou si elle le laissait d’années enannées au programme uniquement pour promouvoir ce champ d’études. Carl’impulsion que la Société de Géographie de Paris souhaitait donner aux étudesaméricaines ne concernait pas uniquement les savants étrangers, sinon également lessavants américains. Or ce fut justement l’intérêt quasi international des antiquaireseuropéens pour Palenque qui poussa par exemple le gouvernement mexicain à prendreune part active au projet, comme nous le montre cet extrait d’un rapport de LucasAlamán y Escalada [1792-1853, historien et homme politique mexicain] adressé auCongrès mexicain : « Négliger de prendre part à ces recherches serait imprimer unetache à notre réputation » (BSGP 1833a, p. 47)47. Ce fut donc avec un grand plaisir qu’audébut de l’année 1833 la Société de Géographie de Paris communiqua la décision dugouvernement mexicain de lancer une souscription afin de financer un voyagescientifique dans les États de Oaxaca et du Chiapas (BSGP 1833a, p. 47)48.

22 Le 18 juillet 1834, un peu excédé par le manque de décision de la Commission des prix,

Baradère, qui s’apprêtait à partir le 1er septembre 1834 pour le Mexique, demanda à laSociété de Géographie de Paris de prendre enfin une décision. Sa collection puis sonouvrage n’avaient reçu dans leur ensemble que des éloges, il était donc naturel queBaradère espérât remporter le prix de 2 400 francs. Malheureusement la Société disaitdevoir attendre l’expiration du concours (le 31 décembre 1835) avant de pouvoirdésigner le vainqueur du prix (BSGP 1834b, p. 77)49. En avril 1836, soit dix ans après lapremière parution du prix sur Palenque au programme des prix de la SGP, unecommission formée du baron Walckenaer [1771-1852]50, de Larenaudière [1781-1845] etde Jomard rendit un très long rapport sur l’état de la question (Jomard 1836). L’heuredu bilan avait enfin sonné.

Le bilan du « prix Palenque » (avril 1836)

23 Des faits positifs, des cartes exactes, des plans topographiques, des traditions, des

fouilles, des descriptions des monuments, des données sur les langues et les caractèresethnographiques des indigènes non seulement de la région de Palenque, maiségalement du Chiapas, du Yucatan et du Guatemala, voilà ce que la Société deGéographie de Paris disait avoir attendu des concurrents au prix Palenque. Elleattribuait en effet l’éloignement des érudits de « l’étude des antiquités américaines »ainsi que de « la lecture des écrivains originaux » au « défaut de cartes exactes oudétaillées » (Jomard 1836, p. 258). En d’autres termes, c’est parce qu’ils ne pouvaient« suivre les relations des événemens [sic] et la description des lieux » sur de bonnescartes que les érudits s’étaient détournés depuis longtemps de l’étude de l’Amériqueancienne (Jomard 1836, p. 256). Avec son prix, la SGP cherchait donc à obtenir denouvelles données positives qui lui auraient permis, depuis Paris, d’avoir une visionexacte et nette du terrain, des ruines et de leur contexte. Or elle ne reçut bien souventen retour que des « conjectures plus ou moins probables ou incertaines sur les originesaméricaines » (Jomard ibid.).

24 Selon la Commission de la SGP, les lettres de François Corroy laissaient « à désirer pour

l’intérêt et la précision » (Jomard 1836, p. 264), tandis que celles de Waldeck

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renfermaient « plus d’une conjecture hasardée, notamment en ce qui regard[ait]l’histoire et les langues » (ibid., p. 266). Elles n’étaient rien en comparaison avec lesconclusions de Juan Galindo qui faisait de la race américaine « la race la plus anciennede la terre » (ibid., p. 272) et de celles de l’ouvrage de Baradère sur l’expédition Dupaixqui mentionnait l’existence de l’Atlantide ou établissait encore d’hasardeusescomparaisons entre les monuments américains et les égyptiens (ibid., p. 281). Ensomme, en 1836, les « fragmens [sic] jusqu’ici communiqués à la Société » étaient « loinencore de remplir les conditions du programme » (ibid., p. 282). Le prix ne fut donc pasattribué, mais les différents protagonistes du prix reçurent tous néanmoins unerécompense pour leurs efforts : médaille d’argent pour l’ouvrage de Baradère, ainsi quepour Juan Galindo ; médaille de bronze pour Waldeck, ainsi que pour Corroy (ibid.,p. 291). Un autre ouvrage reçut une médaille d’argent, alors que sa candidatureofficielle n’avait pas été mentionnée jusque-là dans les procès-verbaux des séances dela SGP : Antiquities of Mexico, publié à Londres par Lord Kingsborough [1795-1837],contenant notamment une partie du rapport de la troisième expédition de Dupaix (ibid.,p. 291)51.

25 Compte tenu, d’une part, de la curiosité publique qui s’attachait de plus en plus aux

antiquités de l’Amérique centrale et, d’autre part, de la responsabilité qu’elle faisaitsienne à encourager et à aiguiller les voyageurs désireux de s’adonner à ce genred’études, la Société de Géographie de Paris résolut donc de proroger le prix Palenquejusqu’en 1839, en donnant néanmoins un cadre plus précis à ses desiderata. Tout d’abordne seraient pris en compte que les travaux de voyageurs ayant été sur place et ayantapporté des éléments nouveaux à la connaissance positive de la région ; les publicationsd’anciens rapports comme ceux présentés dans l’ouvrage de Baradère ou deKingsborough ne pourraient donc pas concourir. L’accent fut ensuite particulièrementmis sur l’importance des connaissances géographiques, historiques etethnographiques : « il n’est pas permis de renoncer à l’espoir d’une solutionsatisfaisante : c’est, au contraire, un devoir de maintenir le sujet de prix, peut-êtremême d’en élever la valeur » (ibid., p. 290). Le prix fut donc porté à 3 000 francs etdevait se clôturer au 31 décembre 1838. Aucun nouveau travail ne fut cependantprésenté à la date butoir, et le prix fut, cette fois, définitivement supprimé duprogramme du concours de la Société de Géographie de Paris à partir de 1839.

26 Le rapport d’avril 1836 demeura néanmoins un bon état de la question américaniste

pour les années 1830, et rendit particulièrement compte des difficultés du mondesavant parisien à élaborer une nouvelle pratique savante adaptée à l’étude del’Antiquité américaine. Après s’être chaleureusement auto-félicitée pour l’impulsionque le prix Palenque donnait depuis déjà dix ans aux études sur « tous les anciensédifices qui couvrent le sol américain » ainsi que sur « l’origine et les auteurs de cessinguliers ouvrages » (ibid., p. 253), la Commission en vint rapidement à poser leproblème de méthodologie que présentait ce nouveau domaine de recherchesaméricain. Le questionnement allait bien au-delà de l’étude de Palenque et nousrenvoie directement à la difficulté que présentait l’application au domaineaméricaniste de la pratique savante de l’école orientaliste déjà en coursd’institutionnalisation en France depuis la fin du XVIIIe siècle :

S’il s’agissait d’un problème de cette espèce dans l’ancien continent, trois voies seprésenteraient pour parvenir à la solution : l’histoire écrite, les langues, lesmonumens [sic] ; en d’autres termes, les écrits des historiens, l’analogie des idiomesentre les anciens indigènes et les peuples plus connus ; enfin, l’étude approfondie

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des ouvrages de l’art et du style des monumens [sic]. On peut ajouter encore leslumières que fournit l’examen du type physionomique dans les statues et les figuresde toute espèce, où les natifs ont laissé leurs portraits, leur propre image ; ce qui estune partie essentielle de l’ethnographie. (ibid., p. 254)Ici point d’historiens contemporains, point d’histoire proprement dite. Lesécrivains espagnols sont récens [sic] et même suspects ; les traditions sont confuses,contradictoires : elles présentent des dates qui diffèrent de plusieurs siècles […].(ibid.)Quant aux idiomes, bien que plusieurs subsistent encore tels que le maya, le tchol,le poconchi, le chorti, etc., on n’en peut tirer aucun parti, puisque l’ancienneAmérique n’a point laissé de littérature. Il n’y a, du reste, aucune preuve, pas mêmed’indice, malgré les conjectures plus ou moins hasardées qu’on a jetées en avant,qu’aucun des peuples indigènes ait possédé une écriture alphabétique. (ibid.,pp. 254-255)Restent les monumens [sic] des arts. Nous sommes presque réduits à cette uniquesource d’informations. Une fois les constructions des anciens peuples d’Amériquebien connues, et supposé qu’on ait des dessins précis des sculptures, avec leurvéritable style, qu’on possède des plans exacts des édifices, des coupes et desélévations géométriquement mesurés, on sera aussitôt en possession de deuxrésultats positifs. On pourra comparer entre eux, sous le rapport de l’architectureet de la sculpture, les ouvrages des plus anciens habitans [sic] de l’Amériquecentrale et du Mexique, ainsi que des autres parties civilisées du nouveaucontinent : 2° on pourra faire, du moins sous le rapport des ouvrages de l’art, desrapprochements sûrs et instructifs entre les degrés de civilisation des deux mondes.(ibid.)En dernier lieu, s’il est donné, un jour, de pouvoir comparer avec exactitude lecaractère ethnographique des races encore vivantes de ce continent, avec le typephysionomique empreint sur ces monumens [sic], il sera possible de chercher avecquelque fruit plusieurs points de ressemblance ou d’analogie avec d’autrespeuplades, soit asiatiques, soit africaines, et de sortir du vague où nous ont laissésjusqu’à présent les voyageurs et les historiens. Par là, on pourrait espérer de clorela carrière illimitée des conjectures et des systèmes sans base, et l’on entrerait enfindans la voie des véritables recherches historiques. (ibid., p. 255)

27 Il semblait ainsi impossible aux érudits de la Société de Géographie de Paris (souvent

membres également de l’Académie des inscriptions et belles-lettres) de jamais pouvoirfonder une philologie américaine telle qu’elle existait déjà pour le domaine orientaliste.En Amérique, point d’histoire proprement dite, point de littérature donc, point de partià tirer des idiomes. L’unique source d’informations à laquelle les érudits françaispensaient être réduits se résumait à l’étude des « monumens [sic] des arts », pourlaquelle ils nécessitaient le plus de descriptions et de représentations possibles, afin depouvoir les comparer avec les monuments de l’Ancien Monde et établir ainsi des degrésde civilisation des deux mondes. Car, dans les esprits savants de l’époque, l’origineasiatique ou africaine des américains semblait une évidence, seule restait vraiment à endéterminer l’origine exacte (rappelons au passage que beaucoup de voyageurs tels queFranck, Humboldt ou Waldeck portaient un regard orientaliste sur les antiquitésaméricaines)52. Sur ce dernier point, le caractère ethnographique des races pouvait,selon eux, peut-être un jour apporter quelque lumière sur les ressemblances ou lesanalogies des peuples américains avec d’autres peuplades, soit asiatiques, soitafricaines, le but déclaré étant de faire entrer l’étude de l’Amérique ancienne dans lavoie des véritables recherches historiques.

28 Deux grands axes de recherche américaniste se dessinaient ainsi en cet avril 1836 :

d’une part, l’étude de l’architecture et des arts américains, d’autre part, l’étude des

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caractères physionomiques des races américaines, toutes deux dans le but déclaré deles comparer ensuite à celles des autres peuples d’Asie et d’Afrique, selon les arbitrairescritères des savants français du Beau et du Civilisé. L’étude des littératures et deslangues indigènes, base fondamentale de l’orientalisme scientifique, étaitcomplètement écartée du domaine américaniste (Prévost Urkidi 2007, pp. 85-191).Enfin, notons que la finalité de ces études était présentée comme historique, l’étude desmonuments et celle des caractères ethnographiques n’étant conçues que comme desoutils auxiliaires utiles à la connaissance d’une Histoire universelle.

Les portées théoriques et méthodologiques du prixpour les études américaines

29 À une époque où l’américanisme n’avait pas encore émergé pour prendre une place

spécifique dans l’espace scientifique français, la Société de Géographie de Paris jouaincontestablement un rôle important pour la promotion des études scientifiques surl’Amérique. En effet, non seulement elle centralisa et diffusa tout type d’informationscientifique touchant au Nouveau Monde depuis la création de son Bulletin en 1822,mais en 1826 elle proposa également de récompenser généreusement tout nouveautravail pouvant apporter des éclaircissements sur ce que fut en d’autres temps la cité dePalenque, au Mexique. Or ce concours eut une importance considérable pour beaucoupd’américanistes français, les concurrents du prix comme Baradère ou Waldeck, maisaussi le jeune Brasseur de Bourbourg53 [1814-1874], notamment du fait de l’incroyabledurée du concours et de la publicité qui lui fut donnée durant treize longues années54.L’affaire intéressa beaucoup de monde à un niveau international (des extraits durapport de 1836 furent imprimés au Guatemala dès 183755), et produisit non seulementdes ouvrages et une importante iconographie sur le site de Palenque, mais futégalement à l’origine d’un bilan de connaissances sur ce nouveau domaine. Le résultatdu prix, compte tenu de l’ampleur de la tâche, fut néanmoins finalement loin derépondre aux espérances des membres de la Société de Géographie de Paris. Le constatsans appel des limites de l’archæologie56 dans le domaine américain fut cruellementétabli : sans connaissances basiques de l’histoire, des langues, des croyances, desmœurs, en somme de la philologie locale, les ruines refusaient de livrer leurs secrets.Les membres de la Société de Géographie de Paris, qui s’étaient trouvés inondés dereprésentations de ruines et de matériels archéologiques mexicains, au bout de treizeans ne pouvaient que constater leur peu d’avancées sur la connaissance du peuple quiavait vécu à Palenque. La nécessité de recourir à de nouvelles méthodes commença à sefaire ressentir.

30 Pourtant les conclusions du rapport de la Société de Géographie de Paris d’avril 1836,

loin de prôner le développement d’une philologie américaine déjà en germe dansl’énoncé du prix de 1826 et propre à répondre du moins partiellement à leurs attentes,posèrent l’archæologie (et accessoirement l’ethnographie57) comme la seule sourced’information possible pour appréhender un tant soit peu le passé américain, principalobjet des études américaines. Or cette position fut très longtemps défendue par Jomard,le principal auteur dudit rapport, comme le montrent notamment les instructions qu’ilcontribua à rédiger en 1853 dans le cadre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour le voyage de Mimey58 [1826-1888] au Pérou (Jomard 1853 ; Riviale 1996,pp. 176-187). Ainsi Jomard (1853, p. 78) continuait à placer l’étude des monuments des

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arts au centre de sa problématique et de sa pratique scientifiques, ce qui peu à peul’amena à croire qu’il était impossible d’apporter des éléments nouveaux à l’écriture del’histoire ancienne des nations amérindiennes. Jomard, principale figure de la Sociétéde Géographie de Paris durant près de quarante ans (Laissus 2004, p. 472), futégalement – et c’est un fait peu connu – l’un des chefs de file de l’américanismescientifique français. Son discours avait donc une certaine portée. Pour la Société deGéographie de Paris, pour l’Académie des inscriptions et belles-lettres comme pour bonnombre d’érudits internationaux versés dans l’étude de l’Amérique amérindienne, ilétait ainsi reconnu comme un spécialiste des questions américaines59. Sacorrespondance américaniste publiée dans le BSGP le prouve60. Le fait que Brasseur deBourbourg ait cherché à le rencontrer lors de son retour en France en 1851, après unlong séjour au Mexique61, n’a donc rien d’étonnant. Un an plus tard, c’est à lui queBrasseur de Bourbourg adressa un article illustrant ses convictions quant auxpossibilités philologiques des études américaines, intitulé « Langues et nations duMexique dans les siècles qui précédèrent la Conquête. À M. Jomard, membre del’Institut de France, et président de la Société de Géographie de Paris » (Brasseur deBourbourg 1852). Mais Jomard (1853), qui bien des années plus tôt avait nié le potentieldes découvertes de Champollion le Jeune dans le domaine de l’égyptologie62, demeuraencore sourd à ce discours et resta, vaille que vaille, sur ses positions.

31 La grande influence de Jomard dans le cénacle savant parisien (Laissus 2004) explique

sans doute le peu de réception qu’eurent à la fin des années 1840 les travaux deTernaux-Compans63 [1807-1864] et d’Aubin, tous deux promoteurs de travaux sur leslangues et les littératures amérindiennes. Ternaux-Compans, qui s’évertua par ailleursà la fin des années 1830 à faire renaître en France les anciennes chroniques coloniales64,défendit au début des années 1840 l’idée que l’historien de l’Antiquité américainedevait utiliser les documents originaux et donc connaître les langues indigènes. Sesarticles furent publiés, non pas dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris (dontTernaux-Compans était pourtant membre), mais dans les Nouvelles annales des voyages

(Ternaux-Compans 1840 ; 1841)65. L’un des deux Vocabulaires des principales langues du

Mexique publié par Ternaux-Compans fut établi grâce à Aubin qui eut l’obligeance decommuniquer certains manuscrits de sa collection à l’auteur (Ternaux-Compans 1841,pp. 257-258). L’entrée en scène d’Aubin est importante à souligner, car il s’agit d’unpersonnage central de l’américanisme scientifique français dont la collaborations’avéra déterminante sur le long terme. En 1840, Aubin était revenu en France lesvalises pleines de documents anciens en langue indigène, sortis illégalement duMexique après un séjour de dix ans dans le pays. Il devint le propriétaire de la plusriche collection privée de documents manuscrits et pictographiques américains enEurope, collection qu’il gardait précieusement à l’abri de tous les regards, vivant un peucomme un reclus, de peur que quelqu’un vienne la lui reprendre. Il vivait presquecloîtré chez lui, plongé dans un long et fastidieux travail de déchiffrement desdocuments pictographiques de sa collection privée, dont les tout premiers résultats nedevaient paraître qu’en 1849, sous forme d’une esquisse incomplète de son Mémoire sur

la peinture didactique et l’écriture figurative des anciens Mexicains, présenté sans succès auprix Volney de l’Institut de France, dont Jomard était membre. Jomard connaissaitparfaitement ces deux érudits, puisque ce fut lui qui en 1830 permit à Ternaux-Compans de présenter les résultats de son séjour en Amérique du Sud à la Société deGéographie de Paris (BSGP 1831a, p. 23) et ce fut également lui qui mit Brasseur deBourbourg en contact avec Aubin en 1851 (Brasseur de Bourbourg 1857, p. xiv).

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Pourtant, Jomard ne donna aucune publicité ni aucun encouragement à leurs travauxphilologiques dans les articles qu’il consacrait aux études américaines, et ce malgrél’intérêt qu’il nourrissait pour les études touchant à l’Amérique.

32 Il fallut attendre l’arrivée de Brasseur de Bourbourg sur la scène scientifique française à

partir de 1851 pour que les études philologiques américaines commençassent à êtreconsidérées comme une voie de connaissance possible du passé amérindien. En effet,Brasseur de Bourbourg, érudit charismatique et empreint d’amabilité, n’hésitait jamaisà interpeller publiquement les savants des institutions françaises intéressés par l’étudede l’Amérique ancienne sur ces questions de problématique américanistes. Il publia unelettre ouverte à Jomard (Brasseur de Bourbourg 1852), puis une autre à Alfred Maury[1817-1892], sous-bibliothécaire de l’Institut de France (Brasseur de Bourbourg 1855).Le fait que tous deux apparaissent en 1857 sur la liste des membres fondateurs de lapremière Société américaine de France n’est pas un hasard. Brasseur de Bourbourgconstruisit ainsi sa carrière en défendant coûte que coûte l’idée, contraire à celle deJomard, qu’il était possible et même nécessaire de développer une philologieaméricaine (étude des langues et des documents amérindiens) à l’image de celle quiexistait déjà pour l’orientalisme (Prévost Urkidi 2007). Jomard, malgré les réticencesqu’il nourrissait à ce sujet, ne put qu’admettre en 1858, sous l’avalanche decompliments savants qui accueillit la publication de l’Histoire des nations de Brasseur deBourbourg (Prévost Urkidi 2007, pp. 459-469), les indéniables résultats de la démarchebrasseurienne (Jomard 1858). Mais ce fut pour ensuite les passer sous silence aumoment de définir les desiderata de l’américanisme scientifique émergent pour lecompte de la section américaine de la Société d’Ethnographie américaine et orientale,dont il fut le président en 1859 et 1860 (Jomard 1859-1860). L’âge avancé de Jomard (il a85 ans lorsqu’il décède en 1862) explique peut-être cette incohérence66. Fortheureusement pour l’école américaniste française née dans le giron de la Sociétéd’Ethnographie américaine et orientale, Brasseur de Bourbourg (1861 ; 1862) restaégalement sur ses positions et put encore rendre accessibles à tous de vrais joyaux de lalittérature amérindienne (le Popol Vuh en 1861 et le Rabinal Achi en 1862). L’intérêt quel’école française porta dès les années 1860 à l’étude des codex, étude qui appartientégalement à cette philologie américaine tant défendue par Brasseur de Bourbourg, luidoit également beaucoup. Malheureusement cette voie philologique fut abandonnéedès le début du XXe siècle67.

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l’Institut », Nouvelles annales des voyages, de la géographie, de l’histoire et de l’archéologie, 147 (III),

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1857 Histoire des nations civilisées du Mexique et de l’Amérique-centrale, durant les siècles antérieurs à

Christophe Colomb, Arthus Bertrand, Paris.

1861 Collection de documents dans les langues indigènes, pour servir à l’étude de l’histoire et de la

philologie de l’Amérique ancienne. Volume Premier. Popol Vuh. Le livre sacré et les mythes de l’antiquité

américaine, avec les livres héroïques et historique des Quichés. Ouvrage original des indigènes de

Guatemala, texte quiché et traduction française en regard, accompagnée de notes philologiques et d’un

commentaire sur la mythologie et les migrations des peuples anciens de l’Amérique, etc., composé sur des

documents originaux et inédits par l’abbé Brasseur de Bourbourg, A. Durand, Paris.

1862 Collection de documents dans les langues indigènes, pour servir à l’étude de l’histoire et de la

philologie de l’Amérique ancienne. Volume Deuxième. Grammaire de la langue quichée espagnole-française

mise en parallèle avec ses deux dialectes, cakchiquel et tzutuhil, tirée des manuscrits des meilleurs auteurs

guatémaliens. Ouvrage accompagné de notes philologiques avec un vocabulaire comprenant les sources

principales du quiché comparées aux langues germaniques et suivi d’un essai sur la poésie, la musique, la

danse et l’art dramatique chez les Mexicains et les Guatémaltèques avant la Conquête ; servant

d’introduction au Rabinal Achi, drame indigène avec sa musique originale, texte quiché et traduction

française en regard, recueilli par l’abbé Brasseur de Bourbourg, A. Bertrand, Paris/Trübner and Co,

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1825b « Procès-verbaux des séances et actes de la Société », III, pp. 76-86.

1825c « Procès-verbaux des Séances », IV, pp. 315-320.

1826a « Programme des Prix », V, pp. 588-599.

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1826b « Procès-verbaux des Séances », VI, pp. 222-229.

1827a « Rapport sur le Concours de 1827 », VII, pp. 141-147.

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1828c « Extrait d’une lettre adressée à M. Warden par M. Latour-Allard, de la Nouvelle-Orléans »,

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1828e « Procès-verbaux des Séances », X, pp. 36-39.

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1830f « Voyage à la côte de Colombie dans le courant de 1827, avec une relation des derniers

évènemens [sic], suivi d’un aperçu sur l’état actuel, commercial et politique de cette république,

par MM. Timoléon Taillefer et Peyrounenc, docteurs médecins », XIV, pp. 126-127.

1830g « Procès-verbaux des Séances », XIV, pp. 131-134.

1830h « Procès-verbaux des Séances », XIV, pp. 189-192.

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collection de dessins d’antiquités mexicaines exécutés par M. Franck », XV, pp. 116-128.

1831c « Extrait d’une lettre de M. le consul général de France au Mexique à M. Jomard », XV,

pp. 141-142.

1831d « Extrait d’une lettre de M. Corroy, médecin », XV, p. 142.

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1832c « Antiquités Américaines. Une Médaille d’or de la valeur de 2,400 francs », XVII,

pp. 255-257.

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1833e « Antiquités mexicaines », XIX, p. 113-114.

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1834a « Procès-verbaux des Séances », I, pp. 194-197.

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1834c « Procès-verbaux des Séances », II, pp. 142-144.

1835a « Procès-verbaux des Séances », III, pp. 138-142.

1835b « Extrait d’une lettre de M. Waldeck à M. Jomard, Membre de l’Institut », III, pp. 207-210.

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à Tabasco », IV, pp. 175-179.

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1835g « Procès-verbaux des Séances », IV, pp. 242-246.

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NOTES

1. Cette expression est notamment utilisée, à des moments et dans des contextes bien distincts,

par Brasseur de Bourbourg (1851, p. 4), par la Société d’Anthropologie de Paris (Bulletin de la

Société d’Anthropologie de Paris ou BSAP 1861, p. 569) et par Gaston de Tayac (1863-1865, p. 62),

secrétaire adjoint du Comité d’Archéologie américaine. Ces sentiments, ressentis par de

nombreux érudits du XIXe siècle versés dans les études américaines, d’une curiosité scientifique

« bridée » par les couronnes d’Espagne et du Portugal, d’une part, et d’un manque de savoirs

positifs sur l’histoire ancienne de l’Amérique, d’autre part, sont mentionnés dans les textes que

l’historien Pascal Riviale (1995, p. 209 ; 1999, pp. 308-319 ; 2005, p. 27) a consacrés à l’histoire de

l’américanisme scientifique français. Il existe pourtant une abondante bibliographie qui illustre

l’idée d’un processus de relations scientifiques euro-américaines qui aurait été continues tout au

long de l’époque coloniale (Sala Catalá 1994 ; Millones Figueroa et Ledezma 2005 ; Cañizares-

Esguerra 2006). Si je ne conteste pas l’existence de ce processus, je m’interroge néanmoins, à la

lecture des textes d’américanistes du XIXe siècle, non seulement sur la nature et la transmission

au XIXe siècle de la production scientifique de l’époque coloniale pour des questions touchant à la

discipline américaniste, mais aussi sur la nature et l’éventuelle pérennité de relations

scientifiques internationales nées de ce processus. Ces questions sont bien trop complexes pour

être résolues dans le cadre de cet article.

2. Gaspard-Théodore Mollien, Voyage dans la république de Columbia en 1823, A. Bertrand, Paris,

1824. La Société de Géographie de Paris reconnaissait néanmoins « son talent d’observation et

son zèle éprouvé » (Larenaudière 1825a, p. 64).

3. Francis Hall, Columbia, its present state, in respect of climate, soil… manners, education, and

inducements to emigration, with itineraries, A. Small, E. Parker, E. Littell and Marot and Walter,

Philadelphia, 1825.

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4. Basil Hall, Voyage au Chili, au Pérou et au Mexique pendant les années 1820, 1821 et 1822, A. Bertrand,

Paris, 1825.

5. Cet ouvrage est analysé dans le même Bulletin (Larenaudière 1825b).

6. Annales maritimes et coloniales : recueil de lois et ordonnances royales, réglemens [sic] et décisions

ministériels, mémoires, observations et notices particulières, et généralement de tout ce qui peut intéresser

la marine et les colonies (Paris, 1809-1847).

7. Bulletin des Sciences géographiques, économie publique, voyages (Paris, 1824-1831).

8. Martín Fernández de Navarette, Colección de los viajes y descubrimientos que hicieron por mar los

españoles desde fines del siglo XV… Viajes de Colón, Imp. nacional, Madrid, 1825. Jusqu’à la publication

de cet ouvrage, les savants français ignoraient en effet que les lettres de Colomb avaient été

conservées.

9. Joel Roberts Poinsett, physicien, botaniste et homme politique nord-américain.

10. D’après Humboldt, en 1793 le Nouveau Monde comptait 34 284 000 d’habitants, dont 38 % de

Blancs, 25 % d’Indiens, 19 % de « Races mixtes » et 18 % de « Nègres ».

11. William Bullock, Le Mexique en 1823, ou Relation d’un voyage dans la Nouvelle Espagne, A. Eymery,

Paris, 1824.

12. . Voir pour exemple le compte rendu des publications sur l’Amérique publié dans le

BSGP 1825a, pp. 17-25.

13. Cette publication a été signalée par Díaz-Andreu García (2007, p. 56).

14. Edme-François Jomard, membre de l’Institut d’Égypte, puis de l’Académie des inscriptions et

belles-lettres à partir de 1818, collaborateur prolifique de la Description d’Égypte, considéré comme

le chef de file des « Égyptiens » à Paris (Solé 1998, p. 223).

15. Samuel Bochart [1599-1667], auteur d’une Geographiae sacrae (1646-1651), et Dom Augustin

Calmet [1672-1757], auteur d’un Dictionnaire historique, archéologique, philologique, chronologique,

géographique et littéral de la Bible (réédité à Paris en 1845-1846). Bochart prêtait aux Phéniciens une

importance quasi universelle, tandis que Calmet, malgré l’étendue de son érudition et

l’importance de ses contributions historiques, était resté connu pour son caractère superstitieux

et sa trop grande crédulité.

16. Malte-Brun parlait de l’ouvrage de Domingo Juarros, Compendio de la historia de la ciudad de

Guatemala, I. Beteta, Guatemala Ciudad, 1808-1818, 2 vols.

17. « De par le nombre considérable et la diversité de ses membres, la grande diffusion de son

bulletin et l’importance de ses contacts avec d’autres institutions nationales et internationales, la

société assuma son rôle de relais médiatique, en se faisant l’écho des travaux en cours, des

nouvelles découvertes (invitant parfois un explorateur de passage à donner une conférence) ou

bien des questions qui agitaient les cercles érudits à propos du Nouveau Monde » (Riviale 1995,

p. 215).

18. Pour l’exposition de la collection Bullock, lire Matos Moctezuma 2003. Díaz-Andreu García

(2007, p. 172) signale que, malgré le succès de cette exposition, l’intérêt de la Grande-Bretagne

pour le Mexique « would not continue ».

19. « Whereas Greek antiquity was accepted as part of the glorious origins of Europe, the American pre-

Columbian civilizations were not. The latter lost their prestige around the mid nineteenth century due to

the rise of racism and its significant role in ethnic nationalism. During that later period antiquarians

struggled to have their own antiquities considered as prestigious material remains of the primeval times of

the Mexican and Peruvian nations. This change in the perceived value of race explains the unequal

development of archaeology in Greece and the Latin American countries » (Díaz-Andreu García 2007,

p. 81).

20. Plans et coupes des monuments ; principaux détails des sculptures ; cartes particulières des

cantons où sont situées les ruines ; plans topographiques.

21. Cette méconnaissance de la part des théoriciens était courante au XIXe siècle (Blanckaert

1996, p. 29 ; Laissus 2004, p. 472).

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123

22. Carlo Giuseppe Bertero, naturaliste d’origine italienne qui, après son départ, ne donna a

priori pas beaucoup de nouvelles de son voyage à la Société de Géographie de Paris.

23. Timoléon Taillefer et Peyrounenc (non identifié), médecins et voyageurs français. Le résultat

de leur voyage fut présenté en juillet 1828 à la Société de Géographie de Paris sous la forme d’un

manuscrit de 80 pages intitulé Voyage à la côte de Colombie dans le courant de l’année 1827 (BSGP

1828e, p. 39 ; BSGP 1830f). Ce travail fit l’objet d’un rapport de Warden qui fut lu en séance le

1er août 1828 (BSGP 1828f, p. 120). Hormis un petit extrait publié peu de temps plus tard (BSGP

1828g), le manuscrit ne fut pas publié et fut rendu à M. Peyrounenc en septembre 1830 (BSGP

1830h, p. 191).

24. Oubli qui fut peut-être consécutif au fait que Corroy, sans aucune preuve scientifique,

affirmait avec entêtement que les ruines étaient « antédiluviennes » (Baudez 1993, p. 84).

25. Comme le souligna d’ailleurs la SGP, le gouvernement mexicain avait promulgué une loi pour

interdire aux étrangers de recueillir des antiquités et d’exécuter des fouilles sur le territoire

national. Baradère fit donc l’objet d’une exception (selon le BSGP, il était le « seul Européen »

dans ce cas), en vertu d’un accord qu’il passa le 07 novembre 1828 avec Isidore Icaza, le directeur

du Musée national de Mexico. Cet accord posait les termes de leur collaboration, Baradère ayant

le droit de conserver la moitié de la collection qu’il aurait pu rassembler durant ses recherches.

La SGP publia une partie dudit accord dans son Bulletin (BSGP 1829b).

26. Il s’agissait d’une copie, l’original ayant été détruit lors d’un incendie.

27. La collection Baradère est décrite dans le rapport établi par la Société des antiquaires de

France le 29 juin 1829 (BSGP 1829b, pp. 45-46). D’après ce document, la scène de sacrifices

humains sur papier d’agave, le plan du lac de Tezcuco et de Mexico sur papier de palmier et le

tableau des impôts payés à Montezuma sur papier de palmier étaient des documents ayant

appartenu à la collection de Lorenzo de Boturini y Benaducci [ca 1702-1755]. Après la mort de

Boturini en 1755, la collection également connue sous le nom de Museo indiano se dispersa. Elle fut

en partie reconstituée au XIXe siècle par Joseph-Marius-Alexis Aubin [1802-1891] dont la

collection est aujourd’hui conservée dans le département des « Manuscrits orientaux » sur le site

Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (Durand-Forest et Swanton 1998). Voici la liste

des divers objets qui composaient également la collection Baradère : une noix de coco, un crâne

en marbre, des « idoles » et des flageolets en terre cuite, un lapin sculpté en pierre, des grelots en

cuivre, des sceaux en terre cuite (BSGP 1829b).

28. Mais François Corroy se verra obligé d’ajourner son voyage, du fait de ses problèmes de santé

(BSGP 1831d).

29. Les mémoires devaient donc être remis avant le 31 décembre 1831.

30. Isidro Ignacio de Icaza fut le premier directeur du Musée national mexicain, entre 1825 et

1834.

31. Ces documents consistaient en des copies des rapports et des notes manuscrites de Dupaix.

Baradère les reçut à Paris à la fin du mois de mai 1830 (BSGP 1830d).

32. Dans la description géographique qu’il publia en 1831 sur le Guatemala, Warden signala la

grande méconnaissance que le monde scientifique avait alors de l’Amérique centrale. En effet,

celui-ci ne disposait pas même d’une bonne carte de la région, la meilleure étant alors celle qui

fut dressée par l’ingénieur Juan Bautista Jáuregui [s. d.] (Warden 1831a).

33. Le cas de Baradère, qui reçut un traitement très privilégié, en était alors la meilleure

illustration.

34. Dans cet article, le Mexique n’est plus seulement présenté comme un lieu de misère et

d’instabilité politique, mais comme un espace où il fait bon vivre, avec sa « magnifique

promenade de l’Alameda », la douceur des journées aux Chinampas, son goût pour la bonne chère

et la musique, etc.

Journal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009

124

35. Le terme « ethno-géographie » apparaît en 1832 dans un rapport de la Société de Géographie

de Paris sur les travaux et la collection indienne de M. Lamare-Picquot [s. d.] (BSGP 1832a, p. 87).

Peu de temps plus tard, il est attribué à Jomard (Barbié du Bocage 1832, p. 311).

36. Artiste né à Munich ayant séjourné deux ans à Mexico dans les années 1828-1830 (dans la

maison du colonel Poinsett), où il passa son temps à reproduire des objets archéologiques

conservés au Musée national. Il dessina également des objets mexicains conservés dans le musée

de la Société philosophique de Philadelphie, ainsi que dans diverses collections privées, comte

Peñasco [s. d.], Castañeda, Rich [s. d.], Exeter [s. d.] et Marshall [s. d.], les trois derniers étant des

négociants anglais installés à Mexico. Pour plus de détails et pour la description de la collection,

voir BSGP (1831b), Bulletin des Sciences historiques, antiquités, philologie (1831) et Baudez (1993,

p. 56).

37. Durant son séjour au Mexique, Joel Roberts Poinsett réunit une petite collection d’objets

archéologiques et ethnographiques, qu’il offrit à la Société philosophique de Philadelphie dont il

était membre, lors de son retour aux États-Unis (BSGP 1831b, pp. 124-125).

38. Séance du 3 décembre 1830 (BSGP 1831a, p. 23).

39. Les dessins de Franck donnaient selon la SGP « matière à des dissertations intéressantes sur

les rapports qu’on présume avoir existé entre les deux continents » (BSGP 1831b, p. 126). Ce

regard orientaliste que Franck posa sur les antiquités mexicaines n’est pas sans rappeler celui

d’Humboldt (Lubrich 2003) et de Waldeck (Baudez 1993). Stephens [1805-1852] et Catherwood

[1799-1854] arriveront à s’en affranchir dans leur ouvrage Incidents of Travel in Central America,

Chiapas and Yucatan publié à New York en 1841 (Stephens 1993 ; Prévost Urkidi 2007, pp. 175-179).

40. Adrien-Louis Cochelet [1788-1858], consul général de France à Mexico, écrivit une première

fois durant l’été 1830 à la Société de Géographie de Paris pour lui présenter des propositions en

vue d’une excursion de Karl Nebel à Palenque, mais celles-ci furent refusées par la société

savante (séance du 20 août 1830, BSGP 1830g, pp. 133-134). Quelques mois plus tard, Cochelet

recontacta la société pour lui annoncer que le voyageur allait entreprendre le voyage « sans

autre appui que lui-même » (BSGP 1831c).

41. Il est rare de trouver dans des articles imprimés de l’époque la mention d’une association

professionnelle formelle entre Waldeck et Nebel.

42. Jean-Frédéric Waldeck, artiste d’origine allemande, qui s’installa ensuite à Paris. Waldeck et

Nebel se connaissaient et se côtoyaient à Mexico autour de 1830. Les membres de la Société de

Géographie de Paris les présentaient comme des « associés », suite à une lettre d’Adrien Cochelet

reproduite dans son bulletin (BSGP 1832b). Pour Brunhouse (1989, p. 64), ils étaient des « amis

intimes ». Pour Baudez (1993, p. 56), Nebel était en revanche le « concurrent le plus dangereux »

de Waldeck.

43. . Antiquités mexicaines. Relations des trois expéditions du capitaine Dupaix, ordonnées en 1805, 1806 et

1807, pour la recherche des antiquités du pays, notamment celles de Mitla et de Palenque, etc., Jules Didot,

Paris, 1831, 1ère livraison (BSGP 1831f ; 1831g, pp. 129-130).

44. La Société reçut des correspondances du père, du fils et du neveu Corroy (BSGP 1832e ; 1833b ;

1835c).

45. Colonel Juan Galindo, érudit et homme politique mexicain (BSGP 1832f, pp. 185-186 ; 1832g,

p. 190 ; 1832h ; 1833f, p. 178 ; 1833g, p. 227 ; 1834a, pp. 195-196 ; 1834b, p. 73 ; 1835e ; 1835g,

p. 243).

46. . Voir BSGP (1832g, pp. 189-190 ; 1833c ; 1833d, pp. 60-61 ; 1833e ; 1834c, p. 142 ; 1835a, p. 141 ;

1835b ; 1835c ; 1835d ; 1835f ; 1835g, p. 245).

47. J’ai retrouvé le même esprit au sein de la Sociedad Mexicana de Geografía y Estadística quand

celle-ci décida en 1857 de s’investir plus amplement dans la sauvegarde et l’étude de documents

en langue indigène. La société savante mexicaine avait ainsi souligné le fait que « sería muy

vergonzoso, si no un crimen, que ésta ilustre Sociedad adoptara el desprecio en el que la generalidad del

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territorio mexicano ha tenido los dialectos indios, mientras que personas extrañas se interesan por ellos »

(Prévost Urkidi 2004, p. 518).

48. Cela dit, il est possible que cette souscription ne soit que celle déjà connue par la Société et

lancée en 1831 au Mexique par Lucas Alamán pour financer l’expédition de Waldeck à Palenque

(Baudez 1993, pp. 64, 73 ; Mestre Ghigliazza 1996, pp. 29-31).

49. Warden avait déjà annoncé le départ de Baradère pour Mexico le 07 décembre 1832 (BSGP

1832i, pp. 368-369), mais son départ fut reporté. Baradère disparut ensuite mystérieusement. On

ne retrouva jamais sa trace. Ses collaborateurs des Antiquités mexicaines firent en sorte que ses

droits fussent néanmoins maintenus dans le concours (BSGP 1836a, p. 212).

50. Charles-Athanase Walckenaer, érudit et homme politique français, également membre de

l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

51. Antiquities of Mexico : comprising fac-similes of ancient Mexican paintings and hieroglyphics,

preserved in the royal libraries of Paris, Berlin and Dresden, in the Imperial library of Vienna, in the

Vatican library, in the Borgian museum at Rome, in the library of the Institute at Bologna, and in the

Bodleian Library at Oxford, together with The monuments of New Spain by M. Dupaix, with their respective

scales of measurement and accompanying descriptions / the whole illustrated by many valuable inedited

manuscripts by Augustine Aglio, Robert Havell, Londres, 1830-1848, 9 vol. (BSGP 1828c ; 1830e).

52. Voir supra note 40.

53. Adolescent, vers 1832, Brasseur de Bourbourg lut un article du Journal des savants consacré au

rapport d’Antonio del Río sur les ruines de Palenque : « Il me serait impossible, aujourd’hui, de

décrire l’impression d’étonnement mêlé de plaisir que me causa cette lecture ; elle décida de ma

vocation archéologique pour l’avenir » (Brasseur de Bourbourg 1857, p. III).

54. Je ne peux donc aller dans le sens de John Lloyd Stephens et de Robert L. Brunhouse quant à

l’impact qu’eut la publication du rapport d’Antonio del Río à Londres. Le premier publia en effet

en 1841 qu’« au lieu d’électriser le public, par manque d’intérêt, incrédulité, ou pour quelque

autre cause, cette publication passa à tel point inaperçue qu’en 1831 la Literary Gazette, un journal

londonien de grande diffusion, annonça la “découverte” des ruines de Palenque par le colonel

Galindo » (Stephens 1993, p. 135). Quant à Robert L. Brunhouse (1989, p. 20), il écrivit que « En la

actualidad resulta sorprendente darse cuenta de que Description of the Ruins of an Ancient City llamó

tan poco la atención en la época en que fue publicada ».

55. La Nouvelle Académie des sciences du Guatemala publia des extraits du rapport de la SGP en 1837

(Taracena Arriola 2007).

56. L’archæologie consistait principalement en l’étude des monuments et de l’épigraphie.

57. Pour Jomard, l’ethnographie consistait en 1831 en « la connaissance d’une manière exacte et

positive du degré de civilisation des peuples peu avancés dans l’échelle sociale » (Dias 1991,

p. 126).

58. Maximilien-Étienne Mimey, élève de l’École des beaux-arts.

59. Notons par exemple que, sur les neuf mentions faites à l’archæologie américaine dans les

procès-verbaux de l’Académie des inscriptions et belles-lettres antérieurs à 1850, huit sont dues à

l’initiative de Jomard [sur les monuments mexicains présentés dans l’ouvrage de Kingsborough

(27 août 1830), sur les recherches de Waldeck au Yucatan (20 février 1835), sur les recherches

menées sur Palenque et les monuments du Yucatan (26 août 1836), sur les dessins de Catherwood

au Guatemala (09 octobre 1840 et 31 mai 1844), sur les travaux de Friedrichsthal [1808-1842] en

Amérique centrale (15 mai 1840), sur les recherches de Mahélin à Quirigua au Guatemala

(9 octobre 1840), sur les antiquités péruviennes vues par Castelnau [1810-1880] lors de son voyage

en Amérique du Sud (27 novembre 1845)] et une est due à l’initiative d’Alexandre de Humboldt

(sur Friedrichsthal, 1er octobre 1841).

60. Parmi ses correspondants, se trouvaient notamment les Français Augustin Mahélin, consul

général de France au Guatemala, Francis Lavallée [1800-1864], vice-consul de France à la Trinidad

de Cuba, le Danois Carl Christian Rafn [1795-1864], l’Autrichien Emanuel Ritter von

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Friedrichsthal, les Nord-Américains Albert Gallatin [1761-1849], Ephraim George Squier

[1821-1888], Samuel F. Haven [s. d.], William Brown Hodgson [1801-1871], ou encore Hermann E.

Ludewig [1809-1856], un jurisconsulte allemand établi à New York (Prévost Urkidi 2007, p. 380).

61. Brasseur de Bourbourg – et il le reconnaît lui-même – fut très influencé dans ses travaux par

certains savants de l’élite mexicaine, dont par exemple Faustino Galicia Chimalpopoca [s. d.-1877]

qui fut son professeur de nahuatl.

62. Champollion le Jeune fut mis au ban de l’Académie des inscriptions et belles-lettres où

Jomard le calomnia vivement. Il ne put y entrer qu’en 1830, après avoir été vigoureusement

défendu par des sommités de l’Institut de France (Solé 1997, p. 78).

63. Henri Ternaux-Compans, historien et éditeur de textes coloniaux en français.

64. Voyages, relations et mémoires pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amérique, Arthus

Bertrand, Paris, 1837-1841, 5 vols.

65. Notons que ce périodique, les Nouvelles annales des voyages, de la géographie, de l’histoire et de

l’archéologie, rendit compte des travaux américanistes de Brasseur de Bourbourg entre 1855 et

1870.

66. Signalons cette conclusion de son biographe Laissus (2004, p. 472) : « Les historiens de la

Société de géographie s’accordent à reconnaître que la disparition de Jomard, à l’automne 1862,

marque la fin d’une époque, d’ailleurs diversement appréciée. Elle se résume, pour l’un d’eux,

dans cette formule tranchée : “Quarante ans de gâchis” ».

67. L’« école américaniste française » du XIXe siècle essayait d’avoir une approche

pluridisciplinaire. Les travaux archéologiques continuèrent à être bien représentés dans la

seconde moitié du XIXe siècle (Mongne 2005 ; Podgorny 2008), tandis que les travaux

philologiques, principalement centrés sur les codex, cherchèrent à se développer dès la fin des

années 1860 (Prévost Urkidi 2007, p. 642). Cette voie se révéla finalement être une impasse à la fin

du XIXe siècle. Il est intéressant de constater combien la démarche de Robert Carmack au

XXe siècle fait écho à celle que Brasseur de Bourbourg défendit au XIXe siècle. Carmack se mit en

effet à la recherche de sources indigènes au Guatemala pour mener à bien ses recherches

ethnologiques (Carmack 1973), ce qui permit selon Enrique Florescano (2001) « d’envisager sous

un angle nouveau l’histoire ancienne » de la population quiché à partir des années 1970, comme

si cette démarche était réellement totalement inédite. En 1985, un historien espagnol, Fermín del

Pino Díaz (2005), pour qui l’américanisme est de caractère binomial, dirigea un ouvrage qui

souligna l’importance de l’étude les sources non seulement coloniales, mais aussi indigènes, ainsi

que de l’interdisciplinarité dans le champ américaniste (Pino Díaz 1985). Ces publications

illustrent, à mon sens, les difficultés que rencontra encore la philologie américaine pour

s’institutionnaliser au cours du XXe siècle.

RÉSUMÉS

Historiographie de l’américanisme scientifique français au XIXe siècle : le « prix Palenque »

(1826-1839) ou le choix archæologique de Jomard. Pour Carlos Navarrete, la « découverte » des

ruines de Palenque fut « le début de l’aventure archéologique maya ». La portée de cette

découverte alla cependant bien au-delà dudit champ archéologique maya grâce au prix sur les

« Antiquités Américaines » que la Société de Géographie de Paris proposa entre 1826 et 1839.

Durant treize ans, ce concours, qui avait pour principal objet l’étude des ruines de Palenque et de

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ses environs, créa en effet une dynamique générale non pas seulement française, mais

internationale autour de ce que le monde savant parisien appelait encore les « études

américaines ». De ce prix cependant, nul ne sait vraiment grand-chose. Le dépouillement des

Bulletins de la Société de Géographie de Paris permet pourtant de reconstruire la trame du « prix

Palenque » et d’en déterminer la portée théorique et méthodologique pour l’américanisme

scientifique naissant.

Historiography of the French scientific Americanism in the 19th century: the « Palenque prize »

(1826-1839) or the archaeological choice of Jomard. For Carlos Navarrete, the « discovery » of the

ruins of Palenque was « the beginning of the Mayan archaeological adventure ». The impact of

this discovery went beyond this Mayan archaeological field thanks to the prize about the

« American Antiquities » which the Société de Géographie de Paris proposed between 1826 and

1839. During thirteen years, this competition, which had for main object the study of the ruins of

Palenque and its neighbourhoods, indeed created a general dynamic not only in France but also

on an international plan around what the Parisian learned world still called the « American

studies ». About this prize however, nobody knows really much. The analysis of the Bulletins de la

Société de Géographie de Paris allows nevertheless to reconstruct the framework of the « Palenque

prize » and to determine the theoretical and methodological impact for the nascent scientific

americanism.

Historiografía del americanismo científico francés en el siglo XIX: el « premio Palenque »

(1826-1839) o la elección arqueológica de Jomard. Para Carlos Navarrete, el « descubrimiento » de

las ruinas de Palenque fue « el principio de la aventura arqueológica maya ». Sin embargo este

descubrimiento tuvo impacto más allá del campo arqueológico maya gracias al premio sobre las

« Antigüedades americanas » que la Société de Géographie de Paris propuso entre 1826 y 1839.

Durante trece años, este concurso, que tenía como principal objeto el estudio de las ruinas de

Palenque y de sus alrededores, creó en efecto una dinámica general no solamente francesa sino

también internacional alrededor de lo que la gente sabia parisina todavía llamaba los « estudios

americanos ». De este premio sin embargo, ninguno sabe verdaderamente gran cosa. El examen

de los Bulletins de la Société de Géographie de Paris permite reconstruir la trama del « premio

Palenque » y determinar su alcance teórico y metodológico para el americanismo científico

naciente.

INDEX

Palabras claves : americanismo, expediciones científicas, Jomard (Edme-François), Société de

Géographie de Paris

Index géographique : Palenque, Paris, France, Mexique

Thèmes : Historiographie, Histoire de l’américanisme

Mots-clés : américanisme, expéditions scientifiques, Jomard (Edme-François), Société de

Géographie de Paris

Keywords : americanism, Jomard (Edme-François), scientific expeditions, Société de Géographie

de Paris

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AUTEUR

NADIA PRÉVOST URKIDI

CNRS, UMR 5136 FRAMESPA, Université de Toulouse II, Maison de la Recherche, 5 allée Antonio

Machado, 31058 Toulouse Cedex 9 [[email protected]]

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Le Congrès des américanistes deNancy en 1875 : entre succès etdésillusionsÉtienne Logie et Pascal Riviale

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juin 2008, accepté pour publication en juin 2009

1 Le 19 juillet 1875 s’ouvre à Nancy le premier congrès international des américanistes.

Cette réunion scientifique se place sous le patronage de la Société d’Ethnographie. Pourla première fois, des « savants des deux mondes » viennent débattre des questions defond du champ d’étude américaniste. Si cette manifestation est de nos jours bienenracinée dans le paysage scientifique, on peut s’interroger sur les facteurs ayantrendu possible cette grande première. En ce dernier quart du XIXe siècle, dans un

contexte de grande dispersion de la recherche américaniste, la tenue d’une telleréunion paraissait une gageure. Pourtant, il a non seulement été possible de l’organiser,mais les résultats ont été jugés suffisamment probants par ses participants pour quel’on souhaite renouveler l’expérience, puis l’instituer en une manifestation régulière. Ilconvient donc de s’interroger sur l’impact de cette première session, tant sur lasociabilité américaniste à l’échelle internationale que sur les activités nancéiennes dansce champ d’études spécifique.

L’organisation du congrès

Pourquoi un tel congrès ?

2 Les origines du congrès international des américanistes sont à replacer dans un

contexte alors nouveau dans l’histoire des sciences. À l’instar des disciplinesscientifiques déjà bien établies, on observe dans la seconde moitié du XIXe siècle une

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volonté de rendre des domaines de recherches plus visibles, non seulement auprès desspécialistes, mais aussi d’un plus large public ; de même, les échanges internationauxentre confrères tendent à se formaliser. Pour les champs d’études encore jeunes – enl’occurrence tous ceux relevant des sciences de l’homme et de la société (l’archéologiepréhistorique, l’anthropologie, l’ethnographie…) –, il fallait gagner une crédibilité etobtenir une reconnaissance officielle et publique en tant que sciences véritables, aumême titre que la botanique ou la chimie, par exemple. Dans cette perspective, lesrencontres internationales offraient la possibilité de développer une réflexioncommune entre spécialistes sur ce que devait être le champ d’action d’une disciplinedonnée, s’accorder sur un certain nombre de références et d’objectifs, voire sur leslimites du domaine, d’échanger points de vues et informations sur l’état de la rechercheou sur des questions particulières, et de développer des réseaux de contacts. Cesrencontres étaient aussi un moyen de gagner en visibilité auprès du public1. On observela tenue d’un nombre croissant de congrès internationaux à partir des années 1860.Après une première rencontre à La Spezia (Italie) en 1865, puis à Neuchâtel en 1866, lesspécialistes de l’archéologie et de l’anthropologie préhistorique inaugurent à Paris en1867 la tenue régulière de leur congrès international. C’est en 1873 que Léon de Rosnyet quelques autres membres de la Société d’Ethnographie lancent l’idée d’unerencontre des spécialistes de l’orientalisme au niveau international. Le succès de cetteréunion aboutit à l’instauration d’un cycle régulier de rencontres tant internationalesque nationales. Le modèle de ce type d’événement ne pouvait qu’être séduisant pourtous ceux qui rêvaient de voir un jour l’américanisme acquérir une reconnaissanceofficielle autorisant son institutionnalisation. Les multiples initiatives associatives de laSociété d’Ethnographie illustrent ce profond souci de sociabilité et de fraternitéinternationale, volontiers exprimé dans les discours. Fondée en 1859 par Léon deRosny, Brasseur de Bourbourg, Charles de Labarthe et Edme Jomard, la Sociétéd’Ethnographie Orientale et Américaine2 s’investit d’une triple mission : définir lesparadigmes de l’ethnographie ; centraliser et promouvoir les travaux – notammentd’archéologie – des « rares savants adonnés à l’étude de l’Amériqueantécolombienne3 » ; assurer la promotion et la vulgarisation des études orientales.Après une première tentative de séparation en 1863, le Comité d’ArchéologieAméricaine avait réintégré la Société d’Ethnographie ; en 1873, il gagna finalement sonémancipation sous le nom de Société Américaine de France.

3 En fait, autant l’orientalisme paraît avoir trouvé assez tôt dans le XIXe siècle son ancrage

dans le paysage scientifique français, autant on peut constater dans le même temps lesgrandes difficultés rencontrées pour faire admettre le Nouveau Monde comme un objetd’étude à part entière. Pourtant, la multiplication des découvertes de vestigesarchitecturaux et d’artefacts parfois spectaculaires, le nombre croissant desexplorations, l’enrichissement incessant des collections archéologiques etethnographiques américanistes dans les musées européens, les recherches entreprisespour décrypter les sources vernaculaires écrites et orales, contribuèrent à constituerun savoir sur l’Amérique indigène qui ne demandait qu’à se développer et à êtreapprofondi, pour peu que des spécialistes s’y consacrassent. Désormais, ce n’est plusseulement en Europe, mais également en Amérique du Nord et du Sud que se manifesteune volonté grandissante de mener des recherches sur les populations autochtones – présentes ou disparues –, reposant sur des critères scientifiques. Dans le dernier quartdu XIXe siècle, les conditions paraissent donc nettement plus favorables à l’émergence

d’un champ d’étude propre aux Amériques. Avec la (re)création de la Société

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Américaine de France en 1873 à Paris, les américanistes issus de la Sociétéd’Ethnographie pensent que leur heure est venue et espèrent pouvoir mobiliser unmouvement international en ce sens. Un projet précurseur aurait été envisagé dès 1867par quelques membres de la première société américaniste – le Comité d’Archéologieaméricaine, déjà mentionné –, autour de Martin de Moussy et de William Bollaert, lorsd’un voyage à Londres (Riviale 1996). Toutefois le projet ne devait pas voir le jour, etc’est certainement dans la dynamique de la réussite du premier congrès internationaldes orientalistes, tenu à Paris en 1873, qu’est remise à l’ordre du jour l’idée d’unerencontre du même type pour les américanistes. Le congrès des orientalistes avait étéorganisé sous l’égide de la Société d’Ethnographie (et présidé par Léon de Rosny). Celuides américanistes le sera sous le double patronage de la Société Américaine de Franceet d’un comité organisateur à Nancy (présidé par le Nancéien Guerrier de Dumast), surle modèle du congrès des orientalistes4. Du fait de la proximité entre institutions, tousles membres de la Société d’Ethnographie (d’où sont issus les regroupementsorientaliste et américaniste) sont sollicités pour s’inscrire au congrès des américanistesà venir et bénéficient naturellement d’un tarif préférentiel.

Un congrès en province

4 La question scientifique ne saurait être suffisante pour justifier un exercice aussi

ambitieux. Depuis de nombreuses années, les américanistes s’efforçaient, en vain, dedévelopper à Paris un centre spécialisé dans leurs études, mais certains d’entre eux, telsque Rosny ou d’André de Clavery, avaient apparemment le sentiment d’être incompris,voire dédaignés, par les milieux académiques officiels. Dès lors, la poursuite de leurœuvre en province apparut comme une solution. À cela s’ajoute une dimensionpolitique importante. Les membres des grandes sociétés savantes sont, pour certainsd’entre eux, en étroite relation avec le monde politique. Ils sont sensibles aux grandesquestions de fond présentes dans tous les courants politiques, ainsi qu’à celles qui lestranscendent. La question de la décentralisation alimente nombre de débats dans lescercles de l’élite sociale française. La Société d’Ethnographie et son entourage vontenfourcher ce cheval de bataille. Peut-être dès la fin du premier congrès desorientalistes (Paris, 1873), il est envisagé de doubler les réunions internationales desessions provinciales. La première allait avoir lieu à Saint-Étienne en septembre 1875.Voici quel était l’argumentaire accompagnant l’invitation à cette session :

En France le public s’intéresse peu, trop peu même aux études orientales […]. Il fautrechercher particulièrement la cause dans la trop grande centralisation del’orientalisme et dans l’insuffisance de publicité […]. L’Athénée [oriental, section dela Société d’Ethnographie créée en 1864, puis recréée en 1874] ne fait donc passeulement appel à Paris pour sa session de Saint-Étienne, c’est-à-dire auxillustrations, aux maîtres de la science, aux professeurs de nos grandes institutionsnationales (les gloires de l’orientalisme français !), mais aussi à la Province, c’est-à-dire […] aux savants et aux amateurs encore inconnus du public, qui prendraientdes places distinguées dans le domaine de l’érudition, s’ils voulaient faire connaîtreleurs travaux inédits ou en préparation. (Textor de Ravisi 1875, pp. 8-11)5

5 Le rapport du comité de direction de la session inaugurale du congrès des orientalistes,

rédigé par Victor Dumas, alors secrétaire adjoint de la Société d’Ethnographie, va dansle même sens pour justifier la tenue du congrès des américanistes en province : « laSociété d’Ethnographie, poursuivant un système d’idées décentralisatrices, a vouluprouver que la province française pouvait faire fructifier une pensée tout aussi bien

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que Paris, et elle a confié à la généreuse Lorraine le soin de lui donner raison »6. Pourbeaucoup d’entre eux, les événements culturels et scientifiques doivent servir devitrine à leurs thèses politiques.

Le choix de Nancy

6 Le choix de Nancy semble avoir été fait par le bureau de la Société Américaine de

France (ci-dessous désigné sous l’acronyme de SAF). Il repose surtout sur quatreéléments. D’abord, Nancy est l’un des grands centres des études orientalistes en France.D’éminents orientalistes sont nancéiens à l’image de Burnouf et de Leupol7, ou encorede Lucien Adam. Avec Guerrier de Dumast, l’orientalisme connaît à Nancy undynamisme puissant qui œuvre pour l’ouverture d’une chaire de langues orientales à lafaculté de lettres au cours des années 1850 à 1870. Cette position particulière estsoutenue par des personnalités telles que Foucaux, Eichoff, Léon de Rosny, Chavée etOppert. Tous ces membres de la Société d’Ethnographie deviennent membrescorrespondants nationaux de l’Académie de Stanislas au cours de cette période. Unautre objectif, découvert récemment, de ce groupe provincial d’orientalistes résonneavec les vœux de la Société d’Ethnographie : vulgariser l’étude des langues orientales,en particulier le sanscrit et l’arabe. Bien que mise en concurrence avec d’autres villescomme Nantes ou Bordeaux (Logie 2008, p. 35), Nancy apparaît donc aux initiateurs ducongrès comme un choix qui s’impose. Ensuite, la question de la décentralisation aconnu un puissant écho à Nancy où le fameux « Programme de Nancy » avait été rédigéen 1865. Celui-ci suscite un large débat dans les sphères politiques nationales etlorraines. Il reçoit un appui enthousiaste d’hommes politiques tels que Jules Ferry, SadiCarnot, Casimir Périer, Guizot ou Falloux. Ce mouvement est entendu par Napoléon IIIqui crée, en janvier 1870, une commission sur la décentralisation, composéenotamment de Lorrains8. Nancy se trouve donc au cœur de débats politiquesimportants dans les années 1860-1870. Les intellectuels nancéiens ont démontré leurcapacité d’action et se font fort des soutiens reçus à cette occasion. Puis, Nancysymbolise la France meurtrie par l’humiliation de la guerre de 1870 contre la Prusse quieut pour conséquence la perte de l’Alsace-Moselle. Les troupes allemandes occupent lacité lorraine jusqu’en 1873, renforçant le sentiment de méfiance, voire de revanchearmée, des Français à l’endroit du Reich allemand. D’un autre côté, l’organisation d’uneréunion scientifique rassemblant des savants issus des deux mondes peut illustrer uneforme d’idéal pacifiste et de réconciliation. Dans l’esprit de ses organisateurs, le poidsde l’histoire doit marquer ce premier congrès : une ville forte d’un riche passé s’imposeainsi logiquement. Nancy offre, par ailleurs, un sérieux indiscutable. Celui-ci estrenforcé par la prise de position de l’Allemagne, grande nation scientifique à cetteépoque, qui demande la tenue de cette manifestation dans l’une de ses villes (Logie2008, p. 35). Dans le contexte, la demande allemande était difficile à accepter du côtéfrançais. En revanche, Nancy, ville frontalière juste libérée des troupes d’occupationallemande, présente un profil séduisant et a l’avantage de ne pas froisser l’Allemagne,puissance européenne de premier ordre. Nancy devient alors un double symbole.

7 Enfin, la présence de la prestigieuse Académie de Stanislas offre aux initiateurs du

congrès une caution scientifique et la possibilité d’exploiter un important réseau derelations. En effet, celle-ci est en contact avec quelques grandes institutions et revuesscientifiques, à l’instar de l’Académie française, l’Association scientifique de France, laSmithsonian Institution. Parmi les membres de l’Académie, deux personnalités se

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détachent : le baron Guerrier de Dumast et le magistrat Lucien Adam. Le premier estcorrespondant de l’Institut et ami du président de la République. C’est aussi un membretrès actif de la loge maçonnique des artistes du Grand Orient à Paris, puis à Nancy. Lesecond a aussi tissé un important réseau d’amitiés tant en France qu’en Amérique aucours de ses pérégrinations. Adam (1874) a participé au premier congrès internationaldes orientalistes de 1873, dont il dresse un résumé lors de son discours de réception àl’Académie de Stanislas le 15 janvier 1874. Nous disposons de peu d’informations sur lapériode qui précède l’annonce de la tenue du congrès à Nancy en octobre 1874.Toutefois, le discours d’Adam laisse penser que le choix de Nancy a pu être envisagéassez tôt. Adam a peut-être entendu parler d’un projet de réunion américaniste enprovince. Compte tenu de son caractère d’homme engagé, il se serait alors employépour promouvoir Nancy auprès des instances parisiennes et de l’Académie de Stanislas.

La tenue du congrès de Nancy

Le Musée lorrain accueille des congressistes venus du monde entier

8 Le comité de la SAF rédigea le 25 août 1874 les statuts du congrès de Nancy, calqués sur

ceux du congrès des orientalistes. Le 22 juillet 1875, sur la proposition de Léon de Rosnyet/ou de Madier de Montjau, le bureau du congrès en avait décidé ainsi : lesdits statutsavaient fait la preuve de leur efficacité. À l’instar du congrès des orientalistes, celui desaméricanistes est financé grâce à des fonds propres uniquement. Seules les cotisationset quelques dons (comme ceux du président Mac-Mahon, du ministère de l’Instructionpublique9 et de la chambre du commerce et de l’industrie de Nancy) permettent aucongrès de fonctionner. À l’ouverture du congrès, 1 486 souscripteurs français,étrangers et lorrains sont enregistrés. Ces derniers comptent 724 personnes soit 48,7 %.On dénombre 440 autres souscripteurs pour le reste de la France et 322 pour l’étranger.Le succès financier du congrès repose donc essentiellement sur la remarquableparticipation des souscripteurs lorrains. Les membres du comité de Nancy sont pour laplupart des magistrats, des membres de l’enseignement supérieur ou desecclésiastiques. Les magistrats représentent près de 20 % des souscripteurs, lesenseignants en Faculté environ 10 % et les membres de l’Église 6 %. Il faut y ajouter lesmilitaires à hauteur de 5 %. Il s’agit ici des souscriptions reçues jusqu’au matin du19 juillet 1875 (date de l’ouverture du congrès). La liste des souscriptions demeureouverte encore quelques temps, au moins jusqu’à la mi-août 1875. De ce fait, ce sont1 795 cotisations qui arrivent aux comités d’organisation au cours de la période globalede souscription. La réussite de la réunion entraîne probablement un regain d’intérêt,justifiant ainsi le nombre conséquent de cotisations tardives, y compris en Lorraine.

9 On observe que le nombre global s’accroît, avec des différences selon les catégories. La

répartition entre Français et étrangers s’équilibre au cours de la période indiquée(Figure 1). Le groupe des Français est celui qui gagne le moins de nouveaux adhérentsavec seulement 48 nouvelles inscriptions entre juillet et août. Les cotisationsétrangères augmentent fortement avec 145 nouveaux inscrits. Si la plupart desdélégations étrangères proposent des groupes de 4 à 8 cotisants (à l’image du Brésil : 5,de l’Espagne : 4 ou du Salvador : 4), d’autres délégations sont plus nombreuses10. Lesplus importantes sont le Canada (33), les États-Unis (32), le Pérou (26), le Mexique (21),le Japon (19). On remarque ici la forte représentation de l’Amérique du Nord. Le cas du

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Canada est révélateur de la composition générale des délégations. On y retrouve huitmembres de l’Église, six membres de l’éducation, six avocats. Les autres membres sontdes hommes politiques, des hommes de lettres et des militaires. La présence de certainspays d’Asie (comme le Japon) rappelle l’influence des milieux orientalistes dansl’organisation du congrès. Les Lorrains sont, quant à eux, 116 de plus. Si la Lorraineconserve une place prépondérante, l’augmentation de la part des étrangers est, elle,essentielle pour expliquer l’impact que l’événement a eu à l’extérieur de la France. Defait, les représentants des délégations étrangères présents à Nancy ont dû faire part dusuccès du congrès de sorte qu’il devint fondateur, en étant reconduit à Luxembourg en1877. C’est là un phénomène capital dans le processus de pérennisation des grandesréunions. La répartition des catégories socioprofessionnelles demeure dans les mêmesproportions. Le congrès de Nancy concerne surtout les milieux aisés et intellectuels. Ilne s’agit, en aucun cas, d’une manifestation populaire. Néanmoins, tous lessouscripteurs ne participèrent pas physiquement aux activités de ce rassemblement. Lenombre de congressistes se situe entre 1 040 et 1 120 personnes (soit environ 60 % del’ensemble des personnes ayant versé une souscription). Il convient de rappeler que cespremières réunions scientifiques sont encore avant tout des rendez-vous de sociabilitéd’un nouveau genre : près de la moitié des personnes se sont contentées d’exprimerleur soutien à l’initiative en ne faisant que payer une souscription, et un grand nombred’autres viendra assister au congrès sans jamais prendre la parole. Les véritablesacteurs de cette réunion internationale ne représentent encore qu’une petite minoritéde l’ensemble des inscrits.

FIG. 1 – Répartition des souscripteurs au congrès de Nancy (1875).

La place des sociétés savantes nationales initiatrices

10 Regardons à présent de plus près le rôle de la Société d’Ethnographie et de la SAF.

Aucun souscripteur lorrain, à l’exception de quelques membres du comitéd’organisation, n’est membre de l’une ou de l’autre de ces sociétés au moment de lapublication des actes du congrès. La Société d’Ethnographie apporte 213 souscripteurs,équitablement répartis entre la France et l’étranger (Figure 2). Au total, ceux-ci

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fournissent 22 % des souscriptions. Cela en fait un groupe non négligeable, preuve del’implication de l’association dans cet événement.

FIG. 2 – Part des membres de la Société d’Ethnographie dans les souscriptions – hors Lorraine.

11 Cinquante trois sociétaires de la SAF souscrivent au congrès, montrant sa relative

modeste influence en ce domaine (Figure 3). Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’ilexiste une grande porosité entre la SAF et la Société d’Ethnographie. Des américanistess’inscrivent de fait en tant que membres de la Société d’Ethnographie (qui bénéficied’un tarif préférentiel de six francs). Encore soumise à son aînée, la SAF ne dispose pasen réalité, à ce moment, de moyens suffisants pour peser davantage sur le congrès, à ladifférence de ce qui se posera ensuite. Au final, les membres de l’une ou l’autre de cessociétés constituent une part notable des souscripteurs étrangers et nationaux (28 % dutotal). Mais ces sociétés apportent aussi leur soutien par leur renom et parl’engagement de personnalités comme Boban, Bollaert, Cernuschi, Darwin, Méhédin,Squier, soit autant de gages du sérieux des questions qui seront débattues à Nancy.Force est de constater que Léon de Rosny et Madier de Montjau tiennent absolument àce que cette réunion soit une pleine réussite. C’est pourquoi, d’une part, ils incitent lesmembres des deux sociétés à soutenir activement cette initiative et, d’autre part, ilsapportent le concours déterminé des sociétés aux membres actifs du comité locald’organisation que sont Guerrier de Dumast et Adam. Ceux-ci disposent, eux-mêmes,d’un riche réseau de relations en France et dans le monde, dont ils usent pour assurerle succès de leur projet. Ils envoient des courriers à l’étranger et dans les colonies. Ilscherchent des délégués étrangers chargés de récolter les souscriptions et d’organiserl’envoi de délégations à Nancy. Ils écrivent, par exemple, au président de la Républiqued’Haïti, à celui du Venezuela. S’adresser aux États, c’est s’assurer un gage derespectabilité et un soutien officiel. Francisco Pimentel, par exemple, illustre leconcours des éminences scientifiques des pays étrangers. Il est, en effet, le plus influentdes indianistes mexicains. C’est pourquoi il accepte sa nomination comme délégué. Sonnom a été proposé, comme pour d’autres délégués. Ceux-ci s’engagent donc àrechercher des souscripteurs, voire des participants, à la réunion internationale et à enassurer la promotion. Lagier, délégué de la Suisse, utilise les grands quotidiensnationaux, comme la Confédération , pour vanter les mérites du congrès de Nancy et

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susciter des adhésions. Le comité canadien publie, quant à lui, à ses frais, des encartsdans la presse nationale. En Équateur, une commission spéciale se réunit pour désignerun représentant qui se rendra à Nancy. Des magistrats équatoriens se chargent detraduire en espagnol les documents comme le programme du congrès. Enfin, lesdélégués étrangers ont souvent recours aux journaux officiels pour diffuser leursannonces relatives à l’événement. C’est le cas en Équateur, en Guyane ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces pratiques tendent à montrer que cette manifestation, vue del’étranger ou hors de la métropole, concerne avant tout l’élite sociale et intellectuelle.Une étude réalisée sur les souscripteurs péruviens le démontre clairement : le congrèsest perçu comme un événement vecteur de modernité et de civilisation, auquel ilconvient de contribuer si l’on veut être intégré dans cette mouvance « éclairée » – même si l’on n’y prend aucune part active (Riviale 1989).

12 Les actions menées par Guerrier de Dumast et Adam les conduisent aussi à rencontrer

intellectuels et hommes politiques. Le baron est en relation avec le président Mac-Mahon, des ministres comme Falloux, sans oublier les membres de l’Institut. Laprésence d’Adam permet d’utiliser les réseaux d’amitié des magistrats dans toute laFrance. Victor Hugo, ami de Burnouf, adresse au comité de Nancy sa demanded’adhésion et son soutien en janvier 1875. La liste des souscripteurs montre son succèsauprès des orientalistes, américanistes ou savants d’autres disciplines comme Carnot,Castaing, le général Doutrelaine, Quatrefages, Henri Poincaré ou le jeune Vidal de laBlache.

FIG. 3 – Part des membres de la Société Américaine de France dans les souscriptions – hors Lorraine.

Un congrès fondateur pour les études américanistes

13 La question du peuplement de l’Amérique marque profondément le congrès de Nancy :

les quatre thèmes retenus pour chacune des séances se rapprochent tous de cettequestion. Mais celle-ci dépasse le simple cadre des recherches américanistes puisqu’ellese trouve au cœur des débats internes de la Société d’Ethnographie et, plus largement,de l’anthropologie depuis la fin du XVIIIe siècle.

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14 Dès la première journée, apparaît l’opposition de deux grands courants de pensée avec,

d’un côté, les partisans d’un peuplement exogène, de l’autre, ceux d’un peuplementendogène. La lecture commentée par Léon de Rosny d’un compte rendu de recherchede Foucaux, orientaliste réputé, lance la controverse. Le travail de Foucaux porte sur« les relations qu’ont pu avoir ensemble, au commencement de notre ère, lesbouddhistes d’Asie et les habitants de l’Amérique »11. Selon cet auteur, la filiation entreles religions américaines et le bouddhisme reste à prouver. Il estime que le peuplementde l’Amérique est endogène (ou autochtone) et, donc, que les peuples précolombiensont connu une évolution qui leur est propre. Cela implique aussi qu’il est inutile derechercher des liens entre les civilisations européenne, égyptienne et celles del’Amérique. Fort de sa longue expérience de vie parmi les Indiens du Canada et, bienentendu, de ses convictions religieuses, le R. P. Émile Petitot réagit assez vivement à cesthèses. Pour lui, ces liens entre l’Amérique et l’Asie existent, comme il compte ledémontrer au congrès à travers ses communications sur les Esquimaux. Le peuplementde l’Amérique est donc exogène, plus précisément par le biais de migrations issuesd’Asie. Eugène Dally, président de la Société d’Anthropologie de Paris et ferventdéfenseur d’un matérialisme scientifique, fait immédiatement remarquer que laméthode scientifique doit impérativement être appliquée à la science américaniste. Ilestime que, faute de documents attestant des relations entre l’Europe et l’Amériqueavant Colomb, celles-ci doivent être considérées comme inexistantes. Il avance ensuiteque les thèses anthropologiques conduisent à estimer que les Américains neproviennent ni d’Europe, ni d’Asie, mais de leur propre continent. Petitot rétorque qu’ilexiste des preuves montrant l’existence des migrations asiatiques. Il s’appuie sur lesrécits et les légendes des peuples nord-américains, ainsi que sur l’analogie de leursdialectes avec des langues asiatiques. La question des origines des Américains ne peutdonc pas être close si tôt. Le publiciste et diplomate colombien Torres Caicedo déclareque l’originalité des monuments et des langues d’Amérique centrale et du Sud vientperturber la thèse des migrations asiatiques. Frédéric de Hellewald, délégué del’Autriche-Hongrie, estime quant à lui que la situation est plus complexe : les peuplesd’Amérique du Nord formeraient une « race à part » ; pour lui, si des Asiatiques sontvenus en Amérique, cela n’a pu se produire que fortuitement. Il rejoint Dally : lesIndiens sont des Américains, qui ont évolué en s’adaptant au milieu dans lequel ils setrouvaient. Cette thèse a l’avantage d’expliquer les différentes évolutions observéesparmi les peuples précolombiens, tout en acceptant quelques migrations asiatiquessporadiques et dues au hasard. Léon de Rosny juge ces théories séduisantes, maisobserve que les preuves qui les étayeraient manquent toujours. Au final, le congrèsdécide qu’en l’état actuel des connaissances de la science, il est impossible de trancherla question. L’affaire passionne tant, que la presse locale s’empare de la question etprend même position pour l’une ou l’autre des thèses défendues. Madier de Montjaufinit par intervenir depuis Paris, après le congrès, en rappelant que les deux théoriesrestent à explorer et que le congrès s’est refusé à trancher en faveur de l’une ou del’autre.

15 De la question des origines des peuples de l’Amérique découlent d’autres

communications tout aussi polémiques, notamment celles traitant de « la tradition del’Homme blanc », ou bien de l’influence du dogme chrétien dans l’interprétation desfaits historiques et scientifiques. On retrouve ici les éléments d’une querelle inscritedans le mouvement plus large qu’est celui de l’affrontement scientifique entreévolutionnistes et créationnistes. Rappelons que la révolution majeure provoquée par

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Darwin, avec ses ouvrages L’origine des espèces (1859), suivi de La Descendance de l’Homme

et la sélection sexuelle (1871), reste d’actualité en 1875. Si quelques communications faitespendant cette manifestation semblent être plus d’ordre strictement ethnographique(notamment les études sur les langues et les écritures : « un manuscrit iroquois »,« déchiffrements mayas », « langues cheyenne et quichua », « alphabet bihua »…) oubien relever de l’anthropologie physique (l’anthropologie des Antilles, les crânescolombiens), les implications possibles sur la question des origines et des relationsintercontinentales y transparaissent cependant en filigrane. Ces débats se poursuivrontau cours des congrès suivants. C’était en définitive la question de fond depuis lespremières rencontres avec les Amérindiens quatre siècles auparavant : d’où viennent-ils ? et comment ont-ils pu, pour certains d’entre eux, développer une civilisationavancée hors de l’histoire de l’Ancien Monde ? Les études américanistes demeurerontimprégnées de ces questions jusqu’au début du XXe siècle.

Le Musée américain de Nancy

16 Le congrès tenu à Nancy doit s’accompagner d’une exposition d’antiquités américaines.

Une annonce officielle paraît dans la presse dès la fin du mois d’octobre 1874, ce quimontre que cette idée s’est vite dessinée pour la SAF et la Société d’Ethnographie12.Cette exposition vient nourrir des desseins plus ambitieux : créer le musée américaindepuis longtemps espéré (Riviale 1995, p. 221). On l’a souvent dit, le XIXe siècle est le

siècle des musées : chaque municipalité, chaque société savante digne de ce nom se doitd’ouvrir son musée. Médium scientifique et pédagogique, ce type d’institution estégalement une marque de reconnaissance et un signe de distinction (Georgel 1994). Lescongrès ne font pas exception à cette règle : les précédents congrès des orientalistesavaient organisé des expositions d’artefacts (et, sans doute aussi, de sources écrites).Dans le cas du congrès des américanistes, intervient une autre donnée : dès sareformation en 1873, la SAF avait publié un manifeste dans lequel on proclamait leprojet de créer – hors de Paris, lieu de la science académique désormais honni – unensemble de musées dédiés aux sociétés amérindiennes (Annuaire de la Société

Américaine de France, II, 1873, p. 159). Nancy offrait un cadre parfait pour réaliser ceprojet. En juin 1875, Adam confirme à Léon de Rosny que la ville de Nancy est prête àaccepter les ouvrages relatifs à l’archéologie américaine, ainsi que les collectionsd’archéologie américaine de la Société d’Ethnographie, à la condition que celles-cisoient destinées à former les premiers éléments d’une « Bibliothèque américaine etd’un Musée d’archéologie américaine » (Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875,séance du 5 juillet 1875). La ville de Nancy ne veut donc pas que la bibliothèque et leMusée américain soient confondus avec d’autres établissements de la ville ; ils doiventavoir une identité propre. Nous supposons donc que l’idée de transformer l’expositionen un Musée américain a probablement pris forme en mai-juin 1875. Enfin, JulesRenauld, américaniste nancéien dans les années 1875-1885, explique que le musée a étécréé pendant la tenue du congrès de Nancy (Renauld 1880, p. 203). La SAF a dû inciter àla création d’un Musée américain à mesure que le succès du congrès et de l’expositiond’antiquités américaines s’est confirmé. Il s’agit, pour cette société, d’élever les étudesaméricanistes au rang d’une science digne d’intérêt, au moins au même titre que lesétudes orientalistes. Pour la ville de Nancy, Adam et Guerrier de Dumast y voient aussiune belle occasion de se positionner en capitale culturelle et scientifique de province,capable de concurrencer Paris. Le comité local d’organisation fut donc chargé de réunir

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les collections présentées dans l’exposition. Ainsi, Adam parvient-il à obtenir le prêt dela nouvelle collection d’antiquités caraïbes du Guadeloupéen Noirtin. La Sociétéd’Ethnographie apporte sa contribution à la formation de la collection de l’expositionpar le prêt de momies péruviennes ; elle offre en outre une idole en jade. Léon de Rosnymet aussi à disposition un codex maya et des masques de pierre du Mexique. Le5 juillet 1875, le bureau de la société propose de faire don à la ville de Nancy, outre desouvrages d’archéologie précolombienne, « d’antiquités américaines lui [à la Sociétéd’Ethnographie] appartenant ». Puis elle « invite ses membres à enrichir par des donsles collections offertes par la Société », aux conditions mentionnées précédemment(Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, séance du 5 juillet 1875). En supportant cemusée américain à Nancy, la Société d’Ethnographie voit sans doute en cette nouvelleinstitution la possibilité de prendre le relais du musée américain du Louvre, fermé aupublic depuis des années (Guimaraes 1994 ; Riviale 1995). C’est ce que déclaretriomphalement André de Clavery (1875, p. 380) :

Elle serait la meilleure collection de ce genre au monde, la mieux gardée et la mieuxétudiée, la plus connue. Elle sera promptement plus utile que celles que possèdentles grands établissements de Paris, qui semblent avoir pour mot d’ordre de cacherleurs trésors, de les dédaigner, de les dilapider souvent, et d’empêcher les progrèsde la science américaine.

17 Le contenu de l’exposition d’antiquités américaines est décrit dans les actes du congrès

(Actes du Congrès international des Américanistes, 1875, pp. 21-26). On a déjà évoquéquelques dons faits par la Société d’Ethnographie13, d’autres collections viennent s’yajouter, en particulier la fameuse collection de l’orientaliste et homme d’affaires, HenriCernuschi. La seule source sur le fonds connue jusqu’à présent était le catalogue réalisépar Jules Renauld. Il l’a présenté au congrès de Bruxelles de 1879, il y décrit d’une façonassez détaillée les 58 poteries et les deux « idoles » considérées comme appartenant à lacollection du Musée américain de Nancy. Ce travail s’accompagne de quelques planchesréalisées par Renauld. Certaines publications mentionnent une collection de80 poteries, mais il s’agit en fait d’une erreur d’interprétation du préambule ducatalogue de Renauld14. La collection offerte par Cernuschi se compose d’un grandnombre de poteries, provenant du musée Cavaleri de Milan, qu’il acquit en totalité pourla somme de 300 000 lires en avril 1873. L’avocat Michele Cavaleri avait ouvert en 1871un musée privé dans la maison Fortis à Milan. Dans cette riche collection, se trouvait unlot de poteries péruviennes15. En tant que membre de la Société d’Ethnographie, ami deLéon de Rosny et participant au premier congrès des orientalistes à Paris en 1873,Cernuschi souhaita probablement soutenir la constitution d’un musée américain etencourager son succès. Hormis ces poteries, quelques pièces sont intéressantes : un lotde moulages et une statuette en terre cuite. Le descriptif de l’exposition d’antiquitésaméricaines mentionne le moulage d’un masque taillé dans un pétrosilex provenant dela région de Oaxaca. L’original appartenait à Eugène Boban ; une note précise qu’il estidentique à l’un des masques présentés par Lucien de Rosny dans les Archives de la SAFen 1875. Dans la même vitrine, se trouvaient d’autres pièces fournies par Boban : « unecollection de moulages représentant des têtes d’idoles en terre cuite, trouvées dans lesenvirons de la Vera-Cruz », ainsi que le « moulage d’un ocelotl, ou tigre mexicain », dontl’original proviendrait de la région de Puebla. La presse lorraine signale, à la mi-juin1875, les dons effectués par Boban à la ville de Nancy : il cédait une partie descollections mises à disposition de l’exposition (en l’occurrence ces moulages). Enfin,outre l’idole « péruvienne » en jade aux yeux d’émeraude offerte par la Société

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d’Ethnographie, on observe la présence dans la collection initiale d’une secondefigurine en terre cuite, d’origine péruvienne, dont le donateur est encore inconnu16.Une lettre de Lucien Adam de 1877, publiée dans les actes du congrès de Luxembourg,évoque aussi la SAF parmi les donateurs. Enfin, le Progrès de L’Est du 22 juillet 1875 nousapprend que Paul Broca venait « d’envoyer au Musée américain de Nancy des momieset les produits de l’industrie ancienne ». Nous ne disposons pas d’informations plusprécises à ce jour sur ces deux donations.

18 Comment s’est poursuivie la vie du Musée américain de Nancy après la clôture du

congrès ? On dispose de très peu de sources concernant ce sujet. Les archives du Muséelorrain nous apprennent juste que Jules Renauld emporta les collections chez lui pourles étudier en vue de réaliser un catalogue qu’il comptait présenter au congrès desaméricanistes à Bruxelles en 1879. À partir de là, nous n’avons trace que du lot étudiépar Renauld. L’édition de 1895 du catalogue des collections du Musée lorrain, établi parle conservateur Lucien Wiener (1895), montre que certains de ces objets sont exposésau public. À cette époque, le Musée lorrain s’agrandit afin de pouvoir présenterdavantage de collections. Un plan manuscrit de cette époque, retrouvé dans lesarchives du musée, illustre un projet d’organisation des nouvelles salles. On lit dans lalégende : « antiquités péruviennes ». Cela correspond, à en croire le plan, à une seulevitrine. L’histoire des autres donations demeure inconnue. Il semble que la disparitionde la Société d’Études Américaines de Nancy, dont le but était notamment depromouvoir le musée américain de la ville, ait entraîné un désintérêt pour cescollections devenues encombrantes. Au début des années 1930 s’ouvre sous l’impulsionde Lucien Cuénot, un ami de Goury, l’Institut de zoologie, qui deviendra quelquesdécennies plus tard le Muséum aquarium de Nancy. Le lot péruvien y est transféré,signe de l’indifférence dans laquelle cette collection est alors tombée – à l’image dureste des rêves américains de Nancy.

Après le congrès de Nancy

La pérennisation des congrès

19 Le succès du congrès des américanistes de Nancy débouche sur la tenue d’une deuxième

session à Luxembourg en 1877. La décision est prise pendant le premier congrès. Lerythme biannuel devient la règle. La possibilité de débattre des questions essentiellesde la recherche américaniste et de mettre fin aux faux débats concernant les relationsantiques entre l’Ancien et le Nouveau Monde, est finalement acquise à l’issue de latroisième session en 1879, à Bruxelles. Lors du cinquième congrès, le Mexique émet lesouhait de voir siéger en Amérique la réunion suivante. Pour des raisons pratiques,mais surtout parce que l’Europe hésite à déplacer un congrès qu’elle ne juge pas encoreassez enraciné dans le paysage scientifique, la décision est reportée à la sessionsuivante (à Turin). C’est en 1895, pour la onzième session, que le congrès internationaldes américanistes se rend pour la première fois en Amérique, dans la ville de Mexico.

Un champ de recherche qui s’affirme

20 Les cinq premières sessions sont marquées par la question de l’âge des civilisations

précolombiennes. On observe de la part des américanistes une ouverture sur les

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sciences de leur temps, en particulier vers la géologie et la paléontologie. Ces dernièresfont reculer à plusieurs dizaines de milliers d’années l’âge de l’humanité européenne.On s’interroge alors pour déterminer si cette nouvelle chronologie correspond auxpeuples américains. Les dogmes théologiques se retrouvent encore en opposition avecles progrès de la recherche scientifique : la chronologie biblique contre celle des stratesgéologiques. Dans le même temps, le vocabulaire scientifique se précise. À Copenhague(1883) est fixé l’usage systématique de « précolombien » ou d’« antécolombien »lorsqu’il s’agit de parler des anciens peuples et civilisations d’Amérique. Le sujet dupeuplement de l’Amérique, âprement débattu à Nancy, continue d’alimenter lesinterrogations lors des réunions suivantes, avec toutefois des approches qui se veulentplus scientifiques et des choix de sources plus fiables. Les études linguistiques etphilologiques continuaient à être discutées, mais dans le même temps les travauxarchéologiques et ethnographiques de terrain se font plus présents ; de même, lesproblématiques de recherche se précisent et l’on énonce la volonté d’une rigueurscientifique plus marquée, tant dans les méthodes de collecte des informations quedans leur processus d’analyse et dans la construction du discours. Ainsi, l’américanismeémerge peu à peu comme champ de recherche spécifique, avec ses références et sespropres méthodes.

L’échec des projets américanistes de Nancy

21 Lucien Adam décide de poursuivre l’œuvre du congrès tenu à Nancy et fonde la Société

d’Études Américaines de Nancy (SEAN) le 16 juin 1877. Ses finalités sont définies dansl’article 2 de ses statuts : « encourager par tous les moyens les études américaines etspécialement garder et conserver les objets qui ont déjà été donnés lors du premiercongrès des américanistes tenu dans cette ville en 1875, ainsi que ceux qui pourraientêtre donnés par la suite »17. Le but premier de cette société est donc le développementdu Musée américain. D’ailleurs, l’article 3 de ses statuts précise que la SEAN doit veillerà ce que le mobilier archéologique qu’elle possède ne soit pas confondu avec d’autrescollections. Cependant, il ne faut pas penser que cette société abandonne pour autantses projets initiaux. Ses membres continuent d’œuvrer dans ce sens, à l’image d’Adamlors des congrès de 1877 et de 1879.

22 Le travail de Jules Renauld sur les céramiques péruviennes, présenté à la session de

Bruxelles, et l’activité débordante de Lucien Adam, présent aux cinq premiers congrèsdes américanistes, marquent la vie de l’association. Celle-ci se manifeste aussi etsurtout par l’échec des grands projets – probablement inspirés par la SAF – qu’elle étaitcensée soutenir : créer une chaire à la faculté de lettres et une bibliothèque américaine.Lucien Adam demeure le seul membre vraiment actif de la Société. Il poursuit soninfatigable travail sur les langues qu’il présente à chaque congrès auquel il participe18.En juin 1879, Dumast félicite le conservateur du Musée lorrain de Nancy Henri Lepage19

pour avoir mis à disposition un local et une vitrine pour y déposer les collections de lasociété, mais il semble qu’à partir de 1880 les activités de l’association déclinentrapidement, pour s’éteindre officiellement le 12 juin 1895.

23 L’échec de ce projet est, en partie, lié à l’absence de personnalités jouant un rôle

moteur au sein de la société. Guerrier de Dumast décède en janvier 1883, tandis queLucien Adam part à Rennes exercer ses nouvelles fonctions de président de Chambre endécembre 1883. En outre, il convient de noter qu’Adam – l’un des seuls vrais

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américanistes nancéiens – fut lui-même « lâché » par la SAF. Léon de Rosny écrivaitainsi à Marcos Jiménez de la Espada ces mots sévères à l’encontre de Lucien Adam :

Le seul [sujet] qui me préoccupe, c’est de savoir si le congrès deviendra une réuniond’américanistes autorisés, ou s’il sera une tribune ouverte à quiconque voudra, sansétudes préalables sérieuses, lire une fantaisie quelconque sur le Nouveau Monde.L’américanisme est trop discrédité dans nos académies et dans nos corporationsvraiment savantes, pour qu’il nous soit possible de nous asseoir plus longtemps àdes réunions aussi creuses que bruyantes, dans lesquelles les travaux de valeur nesont pas distingués des travaux sans base ni solidité […]. J’ai eu un tort dans macarrière, […] c’est en voyant combien était peu nombreux le nombre de travailleursdans le champ de l’américanisme, de vouloir inventer des américanistes. J’en aimalheureusement inventé plus d’un, et pour ne parler que de M. Adam qui l’areconnu au congrès de Nancy, je me berçais de l’espoir qu’avec son intelligence etsa remarquable activité, il deviendrait bientôt un collaborateur sérieux, dans unebranche quelconque de notre domaine. Au lieu d’apprendre une langue américaine,M. Adam a préféré s’occuper de 32…20

24 À cela s’ajoute l’absence de projet scientifique à long terme. Ainsi, le projet

muséographique est conçu sans la moindre perspective de recherche. De même,l’absence d’enseignement universitaire américaniste empêche, dans une ville deprovince, de susciter l’intérêt et d’attirer de nouvelles collections. Le manqued’engagement politique et/ou le manque de moyens financiers renforcent lesdifficultés. La bibliothèque voit ses ouvrages disséminés dans diverses institutionsnancéiennes : Société d’Archéologie de la Lorraine, bibliothèque publique de Nancy,Académie de Stanislas. Ces deux dernières finissent par fusionner au XXe siècle. Comme

d’autres projets provinciaux, celui de Nancy disparaît au moment où s’ouvre à Paris leMusée d’Ethnographie du Trocadéro.

Conclusion

25 Le congrès de Nancy peut être considéré comme l’un des actes fondateurs de

l’américanisme. L’initiative de cette manifestation reposait essentiellement sur lanécessité d’ériger les études américanistes au rang de science pour exister, mais aussisur des arguments plus politiques. La mobilisation d’énergies convergentes tant auniveau local, national qu’international a permis de réussir ce pari qui a priori paraissaitdémesuré. Certes, la plupart des projets liés à la session inaugurale ont échoué, àl’exception de la pérennisation de ces réunions internationales et de la richesse deleurs débats. C’était déjà un grand pas fait pour l’institutionnalisation del’américanisme. Avec des objectifs assez différents, la Société Américaine de France, laSociété d’Ethnographie et les élites nancéiennes ont conjugué leurs efforts et leursréseaux pour initier une manifestation scientifique qui, après cette première réussite,devait bientôt leur échapper pour vivre sa propre vie et évoluer vers ce que l’onconnaît maintenant.

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congrès].

WIENER Lucien

1895 Musée historique lorrain au palais ducal de Nancy. Catalogue des objets d’art et d’antiquité, Palais

ducal/René Wiener, Nancy.

NOTES

1. L’idée est clairement énoncée dans une plaquette résumant les premiers résultats du congrès

des orientalistes : « Ces congrès ont valu à la science un autre avantage dont on avait tort de ne

pas tenir compte. Les princes et les peuples ont appris à vénérer les savants et à les seconder du

concours de leur puissance » (Duchateau 1874, p. 3).

2. Fondée par arrêté du 24 avril 1859, la Société d’Ethnographie Orientale et Américaine avait été

formée par des personnalités issues d’horizons très divers et n’ayant pas forcément les mêmes

centres d’intérêt. C’est sans doute ce qui explique qu’au fil du temps cette association ait institué

différentes sections qui, en fonction de circonstances favorables ou non, proclamaient leur

autonomie ou bien finissaient par réintégrer le giron de la société-mère. Pour donner une idée de

ce foisonnement d’initiatives, mentionnons le Comité d’Archéologie américaine (1863),

transformé après des années de silence en Société Américaine de France (1873) ; l’Athénée

oriental (1864), subdivisé en 1873 en deux sections, l’une conservant ce nom tandis que l’autre

prenait celui de Société d’Études japonaises, chinoises, tartares et indo-chinoises. D’autres sous-

sections feraient par la suite leur apparition, puis leur sécession : le Divan oriental et africain

(1880), la Société Sinico-japonaise et la Société Océanienne (1889). L’association initiale qui, quant

à elle, avait en 1864 simplifié son nom en Société d’Ethnographie, donna naissance en 1875 à une

Institution ethnographique, devenue en 1886 l’Alliance scientifique universelle. Il convient

cependant de souligner que, derrière cette multiplicité de créations institutionnelles, se trouvait

un nombre relativement restreint de membres, ce qui explique l’extrême complexité et

imbrication de leurs initiatives et publications respectives.

3. Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, p. 40.

4. Sur les relations étroites entre orientalisme et américanisme dans ces années-là (et

principalement au sein de la Société d’Ethnographie), voir Prévost 2007.

5. L’auteur était alors président de l’Athénée oriental. Notons également que le « règlement des

sessions provinciales », inclus dans cette même publication, est signé par Léon de Rosny.

6. Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, p. 43.

7. Burnouf est titulaire de la chaire de langues orientales à la Faculté de Nancy. Il est, avec

Leupol, l’auteur d’ouvrages sur le sanscrit.

8. La disparition de l’Empire le 4 septembre 1870 précipite la fin de cette commission.

9. Après l’annonce de la contribution de Mac-Mahon, le baron Guerrier de Dumast écrit le 3 mai

1875 au ministère de l’Instruction publique pour solliciter une aide financière, qui se

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matérialisera par un don de 100 francs (Archives nationales, 1875, F/17/3092/3, dossier Nancy,

Paris).

10. Si les organisateurs avaient craint un temps la réaction de la Prusse pour le choix du siège de

ce congrès, celle-ci fut finalement représentée par une poignée de souscripteurs. On note

également la contribution de plusieurs autres États allemands (Bavière, Bade, Saxe, Hesse),

cependant il ne s’agit que d’une participation de principe. Force est de constater que l’on ne

relève le nom d’aucune personnalité notable. En fait, la très grande majorité des souscriptions

allemandes émane des territoires occupés (12 pour l’Alsace et 13 pour le pays messin). Il est

vraisemblable que les autorités allemandes aient fortement découragé les inscrits de faire le

voyage.

11. Il s’agit là du titre de la communication rédigée par Foucaux.

12. Le Progrès de l’Est, 30 octobre 1874.

13. Si la figurine en jade aux yeux d’émeraude, mentionnée dans les documents, paraît avoir

aujourd’hui disparu, les recherches menées dans les réserves des musées nancéiens ont permis

de retrouver un moulage de masque correspondant à celui offert par Léon de Rosny.

14. Pour réaliser son catalogue, Renauld (1880, p. 202) s’est rendu au Louvre où il a étudié

80 poteries péruviennes similaires à celles de Nancy.

15. Longtemps enfouies dans les réserves du Muséum aquarium de Nancy (MAN), ces céramiques

péruviennes furent retrouvées en 2006 par l’équipe du service des collections de ce musée et

inventoriées. Grâce à leur aide, il a été possible de réaliser une étude rapide des poteries. D’abord,

elles ne sont pas toutes issues de la collection Cavaleri. Seules celles portant une étiquette

manuscrite rédigée en espagnol semblent en provenir. La collection Cernuschi regrouperait alors

44 poteries. Les 14 restantes émanent d’un autre fonds restant à identifier. Dans l’ensemble, ces

poteries funéraires sont assez bien conservées, bien que certaines aient été recollées afin de

pouvoir être présentées au public. Une partie du lot semble de facture Mochica et les autres

Chimu. Il est intéressant de signaler que les vases de la collection Cernuschi forment un ensemble

assez homogène ; des étiquettes, déjà considérées comme « très anciennes » par Renauld (1880),

rédigées en espagnol, donnent des indications de provenance très précises (en majorité des

huacas des environs de Casma, Pacasmayo, Chota et Trujillo). Cette série de vases fut par la suite,

vers 1930, mise en dépôt à l’Institut de zoologie. L’histoire de ces collections reste marquée par la

question épineuse de leur propriété : à ce jour, personne ne sait vraiment qui en jouit, d’où le

statut de dépôt provisoire qui leur a été réservé lors de l’enregistrement sur l’inventaire du MAN

en 2006.

16. Elle est aujourd’hui conservée dans les réserves du MAN. Il convient également de signaler

que, dans ces mêmes réserves, se trouve une statuette péruvienne d’une dizaine de centimètres

de haut, offerte par Georges Goury, ancien conservateur du Musée lorrain, responsable des

estampes, livres et sceaux au début du XXe siècle.

17. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, 4M114, liasse Sociétés d’Études.

18. Pour une évocation plus étendue de l’œuvre linguistique de Lucien Adam, voir Desmet (1996,

pp. 435-463).

19. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, MS484SAL/1, Correspondance Lepage,

liasse correspondance Guerrier de Dumast.

20. Lettre de Léon de Rosny à Marcos Jiménez de la Espada (1 er novembre 1879), Archives du

Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, Papiers Jiménez de la Espada, signature

8518. Ce courrier vient peu après la clôture du congrès des américanistes de Bruxelles et se situe

dans le contexte de la préparation du congrès suivant à Madrid. Rosny sent que le congrès se

trouve à un tournant de son histoire et cherche des « alliés » pour y maintenir une approche qu’il

considère scientifique. Ancien membre de la commission espagnole du Pacifique (1862-1866), le

naturaliste Marcos Jiménez de la Espada était devenu l’une des figures marquantes de

l’américanisme espagnol (notamment avec son travail de redécouverte et d’édition des

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chroniques de la Conquête et de la Colonie). Sur cette personnalité et ses sources, voir López-

Ocón et Pérez-Montes (2000). Nous remercions Leoncio López-Ocón, du CSIC, de nous avoir révélé

ce fonds important pour l’histoire de l’américanisme.

RÉSUMÉS

Le Congrès des américanistes de Nancy en 1875 : entre succès et désillusions. Le 19 juillet 1875

s’ouvre à Nancy le premier congrès international des américanistes, dans le prestigieux palais

ducal. Ses initiateurs, la Société d’Ethnographie et la Société Américaine de France, ont su

travailler de concert avec un comité local d’organisation, remarquablement dirigé par deux

personnalités nancéiennes : le baron Prosper Guerrier de Dumast et Lucien Adam. Le congrès

connaît un vif succès qui en appellera d’autres. Mais des ambitieux projets américanistes conçus

pour la cité ducale, il ne reste plus que quelques pièces de collections éparpillées, pour lesquelles

bien des questions restent encore sans réponse, ainsi que quelques lointains souvenirs dus à la

commémoration à Nancy du centenaire de ce premier congrès.

El congreso de Nancy (1875) : entre éxito y desilusiones. El 19 de julio de 1875 se abre el primer

Congreso international de americanistas en el prestigioso Palacio ducal. Sus iniciadores, la

Société d’Ethnographie y la Société Américaine de France, supieron trabajar de común acuerdo

con un comité local organizador, muy bien dirigido por dos personalidades de Nancy : el barón

Prosper Guerrier de Dumast y Lucien Adam. El Congreso conoce un gran éxito llamado a

desembocar en otros. Sin embargo, de los ambiciosos proyectos americanistas concebidos para la

ciudad ducal, subsisten sólo unas pocas piezas de colección diseminadas, sobre las cuales muchas

preguntas quedan sin respuestas, y algunos recuerdos reactivados por la conmemoración en

Nancy del centenario de este primer congreso.

The Nancy congress of Americanists (1875) : successes and disappointments. The first

international congress of Americanists opened on July 19th 1875 and was held in the prestigious

palace of the Dukes of Lorraine, Nancy. Its instigators, the Société d’Ethnographie and the Société

Américaine de France worked in close collaboration with a local board of organization,

remarkably led by two prominent notables of Nancy : the Baron Prosper Guerrier de Dumast and

Lucien Adam. The congress was a tremendous success and opened up a great tradition. However,

little remains of the ambitious concerning American studies which were planned for Nancy : a

few scattered museum pieces, asking many unanswered questions, and some distant memories

recovered during the celebration of centenary of the first Nancy congress.

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INDEX

Index géographique : Nancy, France

Keywords : americanism, Guerrier de Dumast (Prosper), Adam (Lucien), Société Américaine de

France, Société d’Ethnographie

Palabras claves : americanismo, Adam (Lucien), Musée américain de Nancy, Société Américaine

de France, Société d’Ethnographie

Mots-clés : congrès international, Guerrier de Dumast (Prosper), Musée américain de Nancy,

américanisme, Société d’Ethnographie

Thèmes : Historiographie, Histoire de l’américanisme

AUTEURS

ÉTIENNE LOGIE

CRULH–EA 3945, Université de Nancy 2, 3 place Godefroy de Bouillon, 54000 Nancy

[[email protected]]

PASCAL RIVIALE

Archives nationales, 60 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, et EREA (UMR 7186, CNRS,

Villejuif) [[email protected]].

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Articles

Dossier : « Race », « ethnie » et «communauté » (II)

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Nota Bene

La revue en ligne Nuevo Mundo Mundos Nuevos (2009) a publié dans leur intégralité lescommentaires des communications qui ont donné naissance aux articles de ce dossier.

[voir http://nuevomundo.revues.org/44072#colloque-mascipo]

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Contestations Over Classifications: Latinos, the Census and Race in theUnited StatesClara E. Rodríguez

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en septembre 2007, accepté pour publication en janvier 2009

1 As Morning (2008) notes, governments vary with regard to how they count their

populations. Some use a simple count of individuals, as in France. Others also countcategories of people, but not all use the same categories and the meanings given to thecategories vary from country to country and sometimes within a country. « What iscalled “race” in one country might be labeled “ethnicity” in another… nationalitymeans ancestry in some contexts and citizenship in others. Even within the samecountry, one term can take on several connotations, or several terms may be usedinterchangeably » (Morning 2008, p. 240). Despite these variations, the categoriesgenerally reflect and support the scientific discourse and milieu of the nation at anygiven point in time. The categories used by governments ostensibly reflect groupboundaries; but they may also reinforce, create and perpetuate group boundaries andhierarchies. Finally, the categories may also be contested by the categorized. This paperanalyzes an example of such a contestation. It focuses on Latinos1 in the US at onehistorical juncture (the late 20th-early 21st centuries)2 and examines their responses toquestions of « race » on the US census. It also examines the theories developed toexplain the « Some Other Race » (SOR) response chosen by many Latinos and chroniclesgovernment efforts to force Latinos into more traditional US race categories.

2 Perhaps, the most well-known example of the social construction of « race » is the

experience of the Jews in Europe during World War II. A review of the evolution ofcategories in the US census also reflects how socially constructed « race » is. What’smore changes in US census categories reflect the US’s political-economic and scientific

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milieu at particular points in time. In addition, what is called and measured as « race »in the US census is particularly unique within the larger world context. A historicemphasis on hypodescent (i.e., the one-drop rule) and the conceptual distinctionbetween race and ethnicity are two characteristics that make « race » in the US distinctfrom many other countries (Davis 1991; Morning 2008).

3 In contrast to France, which does not collect « ethnic statistics » and where there is

much division as to whether to collect such statistics (Amiraux and Simon 2006;Sabbagh 2009), the US has – from its inception – used race/ethnic categories to countits population. These categories have changed over time, but a basic structure of« white » and « not white » has persisted. Interestingly, although today we call thesecategories « race categories », that is not what they were originally called. There was ashift from the use of the word « color » (or colour in the early censuses) to « race ».Although in the 19th century the scientific discourse on « race » and « racialdifferences » was quite pronounced in the US and elsewhere3 the word « race » was notused as a census category label until the 20th century, when it appeared in the 1900census (Rodríguez 2000).

4 Reflecting the importance of slavery to the US economy, when the US conducted its

first constitutionally mandated decennial census in 1790, « Free Whites » were countedalong with « Slaves ». Slaves are presumed to have been African or descendants ofAfricans. What is significant in the choice of the phrase « Free Whites » is that a colorterm was used for this category. Other terms, such as « free inhabitants » or « freepeople » might have been chosen then, but they were not. The use of the term« White » initiated what would become in subsequent censuses a more clearly labeled« racial » classification schema (Anderson 1988; Rodríguez 2000). There was also a thirdcategory, « All Other Free People » who are presumed to have been mixtures of Whites,the indigenous population and and/or free people of color. Over time, the first twocategories evolved into simply « Whites » and « Blacks ». The third category became,first, « All other free persons, except Indians not taxed » between 1800-1810 and, then,« Free colored persons » (1830-1840).

5 In 1850, somewhat in response to the concern over the high degree of mixing taking

place and the alleged inferiority of the offspring of such Black and White mixing,mulattos were counted4. Consequently, the third separate category disappeared andBlacks were subdivided into Free and Slave Blacks and Free and Slave Mulattos. Thiscategorization continued until the Civil War, when slavery was abolished and thecategories that appeared in the 1870 census were merely Whites, Blacks, and Mulattos.Earlier, in response to the large number of immigrants arriving from Ireland andGermany, « Foreigners not naturalized » were counted from 1820 to 1840. Other« race » categories were added as the groups increased in number and as concerns wereraised about the large numbers entering the country, e.g., the Chinese (in 1870) and theJapanese category (in 1880), or as they were recognized and resettled, e.g., AmericanIndians (in 1870) (Rodríguez 2000, chap. 4). In essence, the changes in categories havereflected changes in scientific thought, immigration and political and economicconcerns, but a basic white and not-white racial dichotomy evolved and has prevailedin US census classifications.

6 With the arrival of larger numbers of Spanish-speaking people from Mexico, Central

and South America and the Caribbean during the second half of the twentieth century,the question of how to count this group surfaced. The passage of a number of anti-

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discrimination legislative acts and the subsequent development of affirmative actionprograms in the 1960s-1970s accentuated the need to determine the numbers of peoplein disadvantaged groups. The honorable military service and deaths of many (mainly,at the time, Puerto Ricans and Mexicans) convinced legislators that they weredeserving of assistance and that the degree of disadvantage that existed within thesegroups should be ascertained.

7 But how to count the groups? The US had evolved a somewhat color-coded race

structure. There were Whites, Blacks, American Indians (red), and Asians (yellow). Thiswas a heterogenous group that resulted from the same kind of migrations and mixingthat had led to the US population. They also brought their own racial constructions,which were a result of their own unique population histories and political-ideologicaldevelopments.

8 In 1980, a decision was made by the census bureau to consider them an ethnic group

within which individuals could be of any race. This is still the basic census policy, but aswe will see below, there has been a tension between this view and efforts to make thegroup into yet another « race » – occupying a perhaps « brown » category. Some wouldargue that this effort began with the attempt to place the Spanish origin populationinto one category, i.e., the Hispanic category in 1980 (see on this Oboler 1995). Therewas clearly precedent for this and it could be argued that the Spanish origin group wasjust as heterogenous as the groups now called « Black or African American » and« American Indian » had been. Yet, in the past the census had successfully subsumedwidely varying nations, tribes and individuals into generic categories, e.g., « Indians »and « Blacks ». Eventually, many came to identify with, or, to accept these terms asapplying to their group – although many also retained their own individual or groupidentity, e.g., as Mohawk or Navajo. These categorizations were also accepted, by andlarge, by those not in these categories. A similar result could be expected with the UScensus created category of « Hispanic ».

9 However, the categories used by governments to count populations are not always

completely in synchronism with the categories used by the people being counted(Morning 2008, p. 259). Recent immigrants coming to the US from Europe or Africaoften express surprise at being classified simply as « White » or « Black » – particularlyif they have been minorities, or, if they had very distinct ethnic identities within theircountries of origin, e.g., Albanians in Italy, the Yoruba in Nigeria, the Kurds in Iraq.State classifications may involve contestations over such categorizations. Or, there maybe negotiations between state definitions and folk/popular understandings; or,between the dominant and the dominated. Haney López’s review of the many courtcases that individuals brought forth so that they (and the groups they represented)could be racially classified as « white » describes the numerous legal negotiations thathave ensued during US history over racial classification (Haney López 1996). Perhapsthe most significant example of such a negotiation is the historic 1894 Supreme Courtcase of Plessy vs. Ferguson, which is recognized as sanctioning the (separate andunequal) Jim Crow practices and laws in existence then. The plaintiff in the case wasHomer Adolph Plessy, a Black man who argued that since he was 7/8th white, and thatsince he « looked white, » he should be allowed to sit in the white section of a train.Other cases contested the 1790 law which disallowed non-Whites from becomingnaturalized citizens. Two significant cases are Ozawa vs. United States (1922) andBhagat Singh Thind vs. US 261US204 (1923). Ozawa, a Japanese immigrant argued that

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because his skin was white, indeed whiter than that of many Caucasians, he should beclassified as white. Bhagat Singh Thind, an Indian immigrant made the case that sincescience had found that Indians were Caucasian, he should be classified as white. Thesecases were brought before the courts because the plaintiffs wanted the same rights andadvantages that Whites enjoyed. Few were successful; both of these plaintiffs lost.

The changing demographic context in the US

10 Just as other cases of contestation are best understood when placed within their

historical and structural context, the significance of Hispanic/Latinos responses tocensus questions on race is best understood in the context of race reporting in the US’scurrent demographic milieu. Today, almost one of every three US residents is of non-European origin. Hispanics/Latinos are the largest minority group and censusestimates showed them to be 14 percent of the nation’s total population or 41.3 millionas of July 1, 2004. However, this estimate does not include the 3.9 million residents ofPuerto Rico, who are also US citizens and would raise the total to 45.2 million5. Thiswould make the US population of Latinos larger than the population of Spain and thesecond-largest Spanish-origin population in the hemisphere, after Mexico (Thomas2005, pp. 73-76).

11 The growth of this population since 1980 has also been dramatic. Hispanics/Latinos

grew more than seven times faster than the population of the nation as a whole,increasing by half, while the white (non-Hispanic) population increased by only6 percent between 1980 and 1990 (US Bureau of the Census 1991, table 1; US Bureau ofthe Census 1993, p. 2). In the next decade, the Hispanic population increased 58percent. The most recent figures show that between 2003 and 2004, one of every twopeople added to the nation’s population was Hispanic6. Consequently, not only areLatinos a substantial part of the US population, but they account for half its populationgrowth.

Race and ethnicity in the US census

12 How particular groups are counted and classified often involves conflicts between state

definitions and folk or popular understandings. Hence, and for example, persons maybe classified « White » in the US, but may consider themselves Jewish or Islamic instead

of White. Or, they may consider themselves not quite the same as « plain vanillawhite », but perhaps Jewish and white. The same can be said for the other race groupsin the US census, i.e., those classified as Black or African American may see themselvesmore as Yoruba or Jamaican; or, as Jamaican and Black.

13 This conflict or contest between state and folk understandings is universal. Chantal

Caillavet refers to it, in her response to my paper, as « the divergence between thepoint of view of the passive “subjects”, and those in power, or the dominant society in agiven period » (Caillavet 2006). This divergence or contestation has grown as an issuealong with the increasing migration of peoples around the world. The experience ofLatinos in the US census provides insight into one such contestation.

14 The US census has used a variety of indicators as it has wrestled with the question of

how to best count and categorize the group we now call Hispanic or Latino. For a periodof time, the US Census Bureau used cultural indicators, such as whether the person’s

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mother tongue was Spanish (1940), and whether they had a Spanish surname (1950) orwere of « Spanish Origin » (1970). (In other words: language, surname and ancestry.) In1930, the Census Bureau also included a separate category in the race question for oneparticular Latino group, i.e., the « Mexican » group. This category was eliminated insubsequent censuses. From 1940-1980, Puerto Ricans, Mexicans and all other Latinoswere classified as « White » unless the census interviewer determined (or therespondent indicated to the interviewer) that they were some other race category, e.g.,Black, Asian, etc.

15 The 1980 census marked a major turning point. This was when the US Census

introduced – in response to political pressure from Hispanic organizations – what itcalled « the Hispanic Identifier » (Choldin 1986). This was a specific question, whichasked all residents whether or not they were Hispanic. If the respondent said « Yes »,they then checked off one of four boxes, i.e., Mexican, Cuban, Puerto Rican, and otherHispanic (specify), to indicate what kind of Hispanic they were. So it was in 1980 thatHispanics were first counted on a national basis. (This same Hispanic identifier is still apart of the census and it is included in the « short form » that goes out to all residents7.)There is also a question on race that asks all people, Hispanic and non-Hispanic, toindicate their race. In the last 2000 census, the two questions appeared as appears inFigure 1.

FIG. 1 – Questionnaire, census 2000.

16 In addition to including the Hispanic identifier, it was also in 1980 that the US census

instituted its mail-back questionnaire system. In so doing, it altered the way in which itmeasured race8. I suspect that when it moved to its mail-back system, fewcontemplated any major difficulties in moving from having race determined by others(i.e., census takers) to having individuals determine their own race. After all, race wasrace. For decades, it had been described in many sociological texts and elsewhere as anascribed characteristic, i.e., something that we were born with at birth, like sex, thatwas easily recognizable and that did not change during our lifetime. Indeed, the UScensus had – since its inception in 1790 – assumed an either/or approach – one was in aparticular category or one was not. Race had discrete racial categories. The kind of

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overlap or porous boundaries between groups (or between race and ethnicity) thatmany academics discuss today, was less clearly in view9.

17 The major categories provided for race in the 1980 and 1990 census were by now

standard. They were: White, Black, Asian or Pacific Islander, American Indian or« Other race ». The last three categories provided write-in opportunities, e.g., specifytribe in the American Indian category. The last category, the « Other race » categorywas the miscellaneous, or « none of the above » category10. It had evolved in the censusas a place to put new, but small groups that did not have a specific racial category. Forexample, Asian Indians, or « Hindus » as they were then all called – regardless ofreligion – were placed into this category at the turn of the 19th century. However, thecategory of « Other Race » was to change dramatically after the 1980 census, formillions of Latinos were to choose this category for the next three decennial censuses.In fact, various smaller, previous censuses (generally conducted by censusenumerators) had indicated that Hispanics/Latinos were 90% white. After 1980, theofficial racial classification of Latinos changed dramatically. For the 1980, 1990 and2000 censuses only about half of Latinos were to report themselves as white, and over40% would choose the « Other Race » category in the last three nation-wide decennialcensuses. In essence, since 1980, Hispanics/Latinos have responded to questions of racein starkly different terms than the non-Hispanic population in the US – in ways thathave confounded census officials but also moved us to think about « race » in new ways.

18 Another major change in the way that the US counted its people is that in the year

2000, respondents were allowed to choose more than one race category. This altered the200-year practice of the US census, which required that individuals choose only onerace category. This « only one race » practice had reinforced and reflected thehypodescent (or one drop rule). Accordingly, persons who were of different(supposedly pure) races were to be classified socially and, in the census, as a member ofthe non-white race, regardless of physical appearance, cultural socialization, orpersonal identity preference. Interestingly, few Americans (2.4%) chose more than onerace. Hispanics/Latinos chose more than two categories two and a half times as often,but even this was only 6.3%. What again loomed large were the 42.2% who chose the« Some Other Race » (SOR) category; many of whom also wrote in a Latino descriptor,such as Mexican, Chicano, Puerto Rican, Honduran in the specify portion of the racequestion (US Bureau of the Census 2001a, p. 10). This response contrasted vividly withthe proportion – only 0.2% – of non-Hispanics who chose the same (SOR) category (USBureau of the Census 2001b). Figure 2 indicates how the remainder of the Latino

population answered the race question in the year 2000: 47.9% of Latinos indicated theywere White, 2% reported they were Black, 1.2% said they were American Indian, andless than 1% said they were Asian, Native Hawaiian, or Other Pacific Islander.

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FIG. 2 – Hispanic/Latino population by race, census 2000.

19 The tendency of a large portion of Latinos to choose the « other race » category and to

write in Latino descriptors has been a consistent pattern for the last three decennialcensuses. In both the 1980 and 1990 censuses, about 40% of Latinos in the country chosethis category (Denton and Massey 1989; Tienda and Ortiz 1986; Martin et al. 1990;Rodríguez 1990, 1991, 1991a, 1991b). Latinos’ SOR response has continued despitevarious attempts on the part of the US census to dissuade the « Other Race » response.For example, the census inserted the word « race » into the race question numeroustimes, reversed the questions, so that the Hispanic origin question would precede therace question, and in the 2000 census, added the word « Some » to the « Other race »category in an attempt to make clear that the race question was calling for a raceresponse and not a national origin or Latino descriptor. Even the decision to allowrespondents to choose more than one race category was an attempt to dissuade Latinosfrom choosing the Other Race category (Padilla 2001). In fact, the proportion andnumbers of Latinos choosing SOR has grown significantly (Guzmán and Diaz McConnell2002) and was estimated in 2004 to be over 19 million people. The problem with the SORresponse, from the government and statistician’s perspective, is that it is not possibleto arbitrarily place those in the SOR group into the traditional US racial categories ofwhite, black, etc.

Points of clarification

20 Before proceeding to an examination of why Latino responses to the race question are

so different from that of non-Latinos, it is perhaps important to make a few points ofclarification for those less familiar with Latinos in the US and with how race and ethnicdata are used in the US.

Use of race and ethnic data

21 First, it is important to clarify that the race and ethnic data are very significant and are

relied upon by a variety of users in the US. For example, they are used by governmentaland non-governmental agencies to implement civil rights legislation, anti-discrimination policies, health planning, research and operations. The private sectoralso uses the data to estimate demand for products and services and to locate facilities.

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Non-profit organizations use the data to gain information, develop proposals, andadvocate for the groups they represent or seek to serve. Finally, academics andjournalists use the data for basic and policy-related research and to frame issues ofinterest to the public and to describe the « face » of the population.

Latinos and socioeconomic status in the US

22 It is also important to note, for those unfamiliar with the US context that, although

there are still unresolved questions on how « race » or color operate among Latinos, anumber of studies have found substantial socioeconomic (SES) differences by raceamong Latinos. In general, studies have found that Latinos who report that they areBlack (or who are seen as « dark ») are more residentially segregated and have lowerSES outcomes than their White Hispanic counterparts11. Although other variables havealso influenced SES (e.g., the labor markets faced by different groups of Latinos), this« color cost » has been observed for some time12.

The heterogeneity of the Hispanic/Latino populations

23 The terms Latino or Hispanic may obscure for some the actual heterogeneity that the

term represents13. The Latino/Hispanic group is composed of a variety of Latinonational origin groups. Figures 3a and 3b show what this medley looked like in 2000,with and without the inclusion of the residents of Puerto Rico, who are US citizens14.

FIG. 3 – (a) US Hispanics, 2000 (source: US Bureau of the Census, 2001); (b) US Hispanics, Puerto Ricoincluded, 2000.

24 As the figure indicates, Latinos of Mexican origin constituted the majority, Puerto

Ricans the second largest single group, followed by Cubans. All other Latinos/Hispanics(i.e., from different national origins) combined constituted 26-28% of the total. Despitethis diversity of national origins, all Latino groups chose the SOR response to a muchgreater degree than did non-Latinos. For example, in the 1990 census, while only 12% ofCubans chose this category, 47% of Mexicans and 59% of Salvadorans did so (Rodríguez2000, p. 9). More recent studies also showed similar differentials in reporting byHispanic national origin, see, e.g., US Dept. of Labor, Bureau of Labor Statistics (1995,p. 4), Tucker et al. (1996, p. 45), and Saenz (2004). Such differentials between Latinonational origin groups pale, however, when compared to the difference betweenLatinos and non-Latinos. As will be recalled, in 2000, less than 1% of non-Latinos choseSOR as compared with 42% of Latinos. Adding to the diversity of this population is that

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each group is also physically quite diverse, reflecting – as does the US population – themigrations and blending of peoples from all continents, plus the indigenous groups.

Theories, interpretations and assumptions

25 Let us turn now to research and interpretations that have been advanced to explain

why so many Latinos chose the « Some Other Race » response in the census15. Theseinclude the mixture and confusion assumptions; the theory that Latinos have adifferent understanding of race, which has developed in Latin America; the denial ofrace; examinations of how contexts influence responses; and the racialization and non-assimilation hypotheses.

« Mixed or multiracial » and « mixed up or confused »

26 An initial explanation of the Latino SOR response was to assume that Latinos were

indicating that they were of « mixed race » or multiracial (see Gonzales and Rodríguez2004; Rodríguez 1992). However, when given the option to choose more than one racecategory in the 2000 census, only 6.3 percent of Latinos did so and most of theseindicated that they were « White » and « Some Other Race » and many specified anational origin in the second category. In light of little mainstream research in thearea, another of the early explanations offered for « the other race » departure ofLatinos was the assumption that Hispanics had misunderstood or had difficulty withthe question (see McKenney and Bennett 1994, p. 21; McKenney and Cresce 1993,pp. 173-222; Scarr 1994, p. 9; McKenney, Bennett et al. 1993; Buehler et al. 1989, p. 458;Rodríguez 1991a, pp. 77-78). Misunderstanding of the question undoubtedly accountedfor some responses, but it is doubtful that it accounted for all 40% of respondents.

« Spanish race » and « race » in the US

27 Another view contends that it is possible that respondents may have interpreted the

question within their own frame of reference, which may be a different frame ofreference than that generally used in the US16. Indeed, Hirschman, Alba and Farley(2000, p. 388) indicate that: « Many Hispanics, especially immigrants, are unsure how torespond to census questions on race because the North American concept of race is notestablished so firmly in Latin American cultures ». This implies that there are dualconstructions of race, i.e., « Spanish race » and « race » in the US.

28 Caillavet’s (2006) comments provide some insight into how racial/ethnic distinctions

evolved in the Northern Andes of Latin America. Her comments are based upon thehistorical studies of Andean societies (especially Ecuador and Colombia) that she hasconducted. She examined the changes in race, ethnic and census categories thatoccurred there during the colonial period and how they reflect the political structuresof their times. She finds, for example, that where the dominated population isprimarily autochthonous or indigenous and « the dominant population has an externalorigin, and it is, demographically, in a small minority », – a situation very typical of theNorthern Andes areas then – the dominant elite class « will continue to justify andexercise its domination by accentuating ethnic difference in the most visible andexternal way, introducing racial classification, and creating hierarchies of these

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phenotypes » (Caillavet 2006, p. 2). The ways in which these ethnic lines wereaccentuated include the insistence on the Indians’ wearing standardized clothing of« manta y camiseta » and keeping their hair long – regardless of the variety of hairstyles they’d had before the Spanish conquista, which were many. Also, accentuatingboundary differences between groups were the prohibitions against any kind of headdress, a ban on body paintings, and hairstyles and head adornments. Theserequirements placed them in contrast to the varied dress, hairstyles, adornments andshort hair of the dominant group and accentuated phenotypic differences.Interestingly, at this point, the mestizos (which included every type of mixture) werealigned with the Spanish or white category. This kept the indigenous race « pure. » Thepure indigenous were forced to pay taxes or supply labor. Those who were notclassified as indigenous were not subject to these requirements but had other tasks.

29 Curiously, Caillavet (2006) finds that, during this same period, Spain followed a

different strategy to govern the dominated. Here, the Jews and Muslims, who had notbeen expelled, were obligated to downplay differences. For example, in contrast totheir former cultural practices, they were now forced to have beards and to washthemselves less often – thereby, discarding the Muslim cultural practice of bathing inpublic bath houses. She also notes that in both areas, there was continual evolution ofcategories and changes within categories. For example, in Quito, Ecuador, the categoryof « Mestizo » was not separated from that of « White » in the late eighteenth centurycensuses, but it does appear as a separate category in the nineteenth century when theRepublic takes control. In addition, Caillavet (2006, p. 3) adds that the understanding ofwhat formal categories meant often varied. So that although Whites and Mestizosmight have been placed in the same category, the reality was that there was a growingseparation between the white aristocracy and the Mestizos, which included Mulattosand lighter-skinned « Montañeses ». Also a minority of low-income Whites might bereferred to « pejoratively » as mestizo in one area, while a stable, rural Mestizopopulation in another area was classified as white. Lastly, she points out that withinthese classifications, individuals negotiated or sought out the most advantageous typeof classification – and that this did not seem to be particularly problematic17. Caillavet(2006) notes that this had been a common practice in the Ancien Régime in Europe,where individuals moved from one part of the country to another (or from the OldWorld to the New World) and left their earlier identities and histories behind, changingtheir names, religions, often pursuing different occupations and sometimes becominglandholders instead of being landless peasants. Women, of course, did this regularlyand in a sanctioned way when they married, changed their name, and migrated to theother areas.

30 Both of these strategies for dealing with the dominated are in contrast to those

developed in the US. In the US, a different approach was taken to ensure that thisdominant group retained dominance. This involved creating and/or reinforcing theidea of the « purity » of the white race. The « white » group came to be defined as agroup, which had no « black blood » (or, in many cases, any non-white). Although weknow now that blood is blood, historically in the US any type of mixture was deemednon-white and this off-spring viewed as non-white. Consequently, if it was found that aperson had « one-drop » of black blood, they and their children could never be white – while in Latin America « whitening » occurred over time. In the US « passing » asWhite occurred but when discovered often had serious and negative legal and socialconsequences. This idea of hypodescent kept the dominant group « pure » and

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prevented others (not of this group) from becoming a part of it. Separate schools,churches, residences, etc. helped to develop, perpetuate and reinforce groupboundaries between the dominated and the dominant. New immigrants coming to theUS entered into their respective queues, based on this white/not white division.

31 Accordingly, we can note some basic, broad differences between racial constructions in

the US and in Latin America. In the United States, rules of hypodescent and categoriesbased on presumed genealogical-biological criteria have dominated thinking aboutrace. Racial categories have been few, discrete, and mutually exclusive, with color,hypodescent or knowledge of African ancestry playing important roles. Categories formixtures, e.g., mulatto, have been important at times, but ultimately transitory. Incontrast, in Latin America, racial constructions have tended to be more fluid and basedon many variables, like social class and phenotype. There have also been many, oftenoverlapping categories, and mixtures have been more consistently acknowledged andhave had their own terminology. While in the US, those with « one-drop » of « blackblood » could never become white, in Latin America, « whitening » occurred overgenerations, and, on some occasions, within one generation, e.g., when an individualacquired greater wealth or status. Unfortunately, the whitening process also tended toinclude the depreciation of indigenous or African ancestries. It is argued that thesegeneral differences are what many Latinos bring into the US, and they stronglydetermine how they view their own « identity » and that of others – and that this isreflected in their responses to the questions of race.

32 This perspective that Latinos view race differently, i.e., that their folk view is different

from the US state view, has recently received more attention. There does appear to besome evidence for a different understanding of what race is; or, that the Spanish term« raza » is not exactly equivalent to the English term « race » – at least as understood inthe US. It may be that for Latinos the concept of « race » is less influenced byhypodescent or blood quantum (as is the case in the US) and more influenced by othervariables such as class, culture, appearance, education, national origin, ethnicity, ornationality; or, a combination of these and skin color (see Bates et al. 1994, p. 109;Rodríguez 1991a, 1992; Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; US Office of Managementand Budget 1995, p. 44689).

33 In essence, within this view, many of the individuals who chose the « Other Race »

category on the census forms and wrote in a Latino referent saw themselves asmembers of a group that had its separate ethnicity and saw that ethnicity as independent of

the other social and « racial » categories listed in the race question. In other words, theywere « una raza diferente » but this was not equivalent to a separate race as definedwithin the US race classification system. The Latino referents, which were written in,e.g., as Hispanic, Latinos, Mexicans, etc., indicated this. Many Latinos placed themselvesin a category that said they « were none of the above », i.e., the SOR category. However,research in this area indicates that, on further probing, some Latinos who choose SORmay also acknowledge that their phenotype or color would place them in the othercategories, e.g., as White, Black, American Indian, and that others might place themthere (Rodríguez 2000).

34 But does this mean that there is one Latino view of race to which all Latinos subscribe?

Apparently not. Not all Latinos responded that they were « Some Other Race » on thecensus. Only 47% of all Latinos said they were SOR, others reported that they were justwhite, black, etc. Moreover, there are different views of race within different countries,

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classes, and even families. Latin Americans’ views of race are dependent on a complexarray of factors, one of which is the racial formation process in their countries of origin(see on this, Safa 1998). There are also other variables that influence individuals’ viewsof race, e.g., class, racial phenotypes within families, and educational experiences.

35 In addition, « race » as understood by many Latinos is not without its own racism,

colorism, and other biases; it too is based on historical social constructions that involveslavery, conquest and colonialist regimes (Rodríguez 2000, chap. 6). Nor, does it meanthat « Spanish race » views are devoid of implications of power and privilege – bothamong Latinos in Latin America and in the United States (see Torres and Whitten 1998;Martínez-Echazábal 1998).

36 With regard to the future, some authors have written on the increasing convergence of

racial constructions in the US and in Latin America. However, it is unclear whether theUS is becoming more like Latin America and masking its own racism as Hernandez(2002) and Bonilla-Silva (2003) maintain; or, whether Latin America is becoming morelike the US. In the latter perspective, US views and race questions are becoming part ofLatin America, especially via the educational training or experience of Latin Americanelites; research exchanges and projects funded by US foundations and otherinstitutions in Latin America. Also influencing such change is research carried out byNorth American scholars, who apply US-based paradigms and interpretations to theirresearch conclusions; these, in turn, serve to educate new generations of youngerscholars, both in the US and Latin America. Echoes of this debate can be heard in theliterature on Brazil (see e.g., Harris et al. 1993; Telles 1995; Bailey 2002, 2008). What isclear is that « race » is indeed changing in both hemispheres and that with greater timein the US Latino’s racial and ethnic identities will also change.

Denial of race

37 Another perspective that, to some extent, challenges the Spanish race view, interprets

the choosing of the « some other race » category as reflecting a denial of race, or, adisinclination to identify as « Black » or « Indian ». In other words, and for example,that by not checking traditional US race categories, Latinos evade their racialdesignation as Black – and being non-white or black is a reality in countries dominatedby Whites. But not much empirical research has been done on this (see, however,Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005; Román2001). More recently, Morning (2008, p. 255) has proposed that the fact that the UScensus has two questions, one measuring ethnicity and the other measuring race,unwittingly supports the « long standing belief that race reflects biological differenceand ethnicity stems from cultural differences ». This conceptual distinction, which isreflected on the census form, may induce those of Spanish origin to choose the SORcategory and write in national origins. It may also induce others, e.g., many Haitians,who view ethnicity, national origin and race to be somewhat synonymous terms, andwhose groups do not specifically appear on the census form, to choose SOR.

Contextual Influences

38 The question of how « context » influences Latinos’ racial responses is one area that has

benefited from solid and ample empirical research. It is, however, also a complex area

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because it involves defining « context » in a myriad of ways. For example, there is themicro context, which includes, for instance, the context that the question presents tothe respondent. There is also the macro context, which is the larger context withinwhich the person was raised or resides. The following sections cover first research inthe micro contexts and then various approaches that take a more macro view.

39 The micro context is the context in which the question is asked and its format.

Depending on question context, Latino responses to race questions are more variablethan the more consistent responses of Whites, African Americans and Asians, whorespond similarly regardless of how the question is asked. This reflects the extent towhich many Latino responses are contextually influenced. Variables that affect Latinoresponses to the race question on the micro level include: who asks the question; whoanswers the question; how and where the question is asked, i.e., is there an Anglointerviewer, a Hispanic category as a possible choice, the presence of other culturalgroups as categories; and, the phrasing, structure, placement, format and purpose ofthe questions (see Rodríguez 2000, chap. 7; Tafoya 2004; Chevan 1990; Ramirez 2005;Hirschman, Alba and Farley 2000, p. 388; Landale and Oropeza 2002; Rodríguez andCordero Guzmán 1992; Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005).

The local context: place and neighbor matter

40 A few researchers have found that place – or the local context – matters in determining

how Latinos answer questions about race. For example, Itzigsohn, Giorguli and Vazquez(2005) found that, despite similar socioeconomic profiles, the Dominicans in Providencewere more likely to choose the term « Hispano » than those in Washington Heights whochose « Black » more often. They maintain that this is related to the greater number,presence and salience of Blacks in NYC (23.6% in the 2000 census) as compared withProvidence (7.5%). They also cite Logan (2004) who, examining national data, assertsthat the greater the proportion of Blacks in an area, the greater the proportion ofLatinos who report on the census that they are Black. Rodríguez (1990) examiningearlier 1980 census data on the racial identification of Hispanics by state also foundthat the greater the proportion of Blacks in a state, the lower the proportion ofHispanics who chose the « Some Other Race » option. She speculated that the moresalient the biracial structure, i.e., the greater the proportion of Blacks and Whites, themore likely Hispanics were to accept biracial classification for themselves as White orBlack18.

41 Logan (2004) contends that Latino racial identification is the result of people’s

identities being affected by the social and cultural milieu in which they live. He saysthat intermarriage, everyday encounters with racial identification by others, and thestrong presence of African American and black diasporic culture in NY influence manyDominicans to identify as Black (see also Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005).Another context that appears to influence Latino racial reporting is the educationalcontext and the race and ethnicity of fellow students (on this see, Vaquera and Kao2006; Vaquera and Doyle 2005; Harris and Sim 2002; Eschbach and Gomez 1998).

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Migration and changes in contexts

42 Some authors have argued that with migration to the United States, conceptions of

ethnic, racial and national identities are often called into question and identitiesbecome « a terrain of ideological contestation » (Omi and Winant 1995; Duany 1998,p. 149; Foner 1998; Torres-Saillant 1998; Oboler 1995). Some observers ask whether theLatino write-ins, reflecting national origin, etc. in SOR reflect the ideologicalcontestation to which the authors above allude (see McKenney and Bennett 1994).These results suggest that when individuals migrate from their home countries to theUS, they enter a different racial structure. This experience was early noted by theanthropologist Wagley (1965), who described how a man’s racial classification couldchange when traveling from the Caribbean, where he would be white, to Mexico, wherehe might be described as mulatto, to the US, where he was negro or black19.

The racialization context: histories and discrimination

43 Although the process of racialization and discrimination can also be thought of as

conjoined contextual factors, they are discussed separately here. In the Itzigsohn,Giorguli and Vazquez (2005) study on Dominicans, the authors concluded that theexperience and perception of racial discrimination – whether in the US or in theirhome countries – played an important role in racial self-classification. They found thatonly those who identified as « white » reported little discrimination againstDominicans. However, Dominicans who identified as black or « hispano » had a morenegative view of US and Dominican relations, reported greater discriminatoryexperiences and believed that Dominicans were discriminated against in the US. Incontrast, Dominicans who identified as « indio » (Indian) had more positive views of USand Dominican relations than those who identified as black. The authors contend thatidentifying as « indio » is another way of distancing one’s self from blackness and thatthis distancing has historical roots in the Dominican Republic. They also note that WestIndian and African immigrants have confronted similar tensions between racial andethnic identity – suggesting other instances of contestation over US classifications.

Racialization and non-assimilation

44 Is the Latino SOR response to the race question a refusal to assimilate or to accept racial

categories and become Americans? Does the discrimination experienced within the USsocial context play a fundamental role in choosing SOR? Golash-Boza (2006) addressesthe question more generally when she asks if the experience of discrimination affectswhether individuals identify as « American » or in ethnic terms. She finds thatHispanics who experienced discrimination were more likely to adopt pan-ethnic termssuch as Hispanic or Latino, as opposed to the term American. She also found that theuse of pan-ethnic terms had grown substantially during the 12 years period shestudied, from 39% in 1989 to 81% in 200220. She also found that darker skinnedHispanics were also more likely to adopt or retain their national origin identifier asopposed to an American identifier (see also Bonilla-Silva 2003, Vaquera and Kao 2005on this).

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The many influences

45 In summary, for many Latinos, responses to questions of race are seldom the simple,

straightforward affairs that they tend to be for most non-Hispanic Whites (Rodríguez et

al. 1991) 21. Indeed, what the current and limited research seems to indicate is thecomplexity of race for Latinos in the United States. Latinos’ views of race appear to beinfluenced by a complex array of factors. These include the racial formation process incountries of origin, class status, exposure to US educational systems, phenotype andperception of phenotype by North Americans, phenotypic variation within their family,language, age and/or generational status, experiences of discrimination andracialization, and education. They also include social variables, such as significantexperiences in schools, jobs, and social settings, neighborhood socialization and theracial composition where they live. Case studies in the literature also indicate thatthere is change over time with regard to how Latinos respond to questions of race(Rodríguez et al. 1991). Each of the above needs further investigation and all probablyaccount to some degree for the SOR response and many interface with one another.However, much more research is needed to determine whether some of theseexplanations apply more to one Latino group than to another.

46 What is evident is what Véran (2006) and Landale and Oropeza (2002) have noted and

that is that the construction of a racial and ethnic identity is an ongoing process thatinvolves negotiation between an individual and others (see also Omi and Winant 1995;Portes and Rumbaut 2001; Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; Rodríguez 2000;Waters 1999). Self-definitions shift over time and across social contexts. Thisnegotiation (and perhaps contestation) is reflected in Latinos’ SOR response.

47 As Véran (2006, p. 1) notes, the SOR response « questions the interaction between

social, political and analytical categorizations ». In essence, many Latinos (over 40%) donot consider themselves part of the structure of signification. Socially and politically,they do not organize themselves as White Latinos, although some do organize andidentify as Afro Latinos, and some new immigrants also identify as Native AmericanIndian. Analytically, the SOR response can be seen as a challenge to the way in whichthe Census and other social scientists construct categories. This negotiation is at workin France and increasingly in other countries that have received immigrants fromformer colonies, or, from culturally and physically distant shores. What the outcome ofthese negotiations will be are unclear in both France and the US. According to Véran(2006, p. 2) in both France’s « political fiction » where racial categorization is forbiddenand in the US’s more supposedly pragmatic framework, social groups are challengingthe structures of signification and questioning « the political meanings and uses ofracial categories ».

48 But, according to Véran, from the French racial fiction perspective, Latinos’ SOR choice

raises a number of questions for all theorists. Among them are « what is the meaning ofrace? ». Is it possible to exempt biology from analytical categorization? Or, is ethnicityto race what gender is to sex? How can the categories in the US census be adapted so asto better reflect the views of Latinos? And, lastly, if so many reject the classiccategories, as the SOR response indicates, do we still need to classify people racially?Would it be best to use ethnic designators for all – as Morning (2008) recommends?22 Asplans for the US’s 2010 census move along, it does not appear that « race » will bedropped – although as the section below will indicate, there have been many attempts

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to discourage the SOR response and to increase Latino reporting in the traditionalWhite, Black, etc. categories. Moreover, new research in this area indicates that manyare investigating the « racialization of Latinos in the US ». This suggests that thepressures to assimilate or adapt to the current race-color based structures are quitestrong. It may be, that – for the time being – Véran’s (2006, p. 4) quote of Adriene Rich[1974] still reflects the current situation: « this is the oppressor’s language, yet I need itto talk to you ».

49 There is an intense but multifaceted questioning occurring within French « cultures of

scholarship » and in public debate over whether to enumerate the population usingethnic statistics (Amiraux and Simon 2006). On the one hand, such categories mayenable the government in France to investigate and pursue (more aggressively?) anti-discrimination measures which would ensure that all of its inhabitants receive properand adequate social treatment. On the other hand, the creation of such categories areseen by some leading to the reification of mutual group boundaries and assisting in theboundary marking process. In addition, some question whether this is the role of thestate. In some ways, the emphasis on integration is similar to the emphasis that socialscientists had on assimilation when writing about ethnic groups and immigrants in theearly and mid 20th century US. The question of course is whether group boundariesand discrimination already exist, but are just not recognized by the state. This analysisof Latinos in the US suggests that if France decides to undertake enumeration byethnicity, it will have to think hard about how the groups they seek to count identifythemselves and if this is congruent with how they are identified by others or the state.

State attempts to alter the SOR response

50 The government’s response to Latinos’ « other race » reporting reflects negotiation or

contestation between state and popular understandings; or, to use Caillavet’s (2006)phrasing, it reflects the dominant’s attempts to classify the dominated. In brief, thestate addressed the SOR responses in the 1980 census results by changing the format ofthe question. For example, the Hispanic origin question was placed before the racequestion and the term « race » was inserted numerous times in the question so thatLatinos would understand that they were being asked their « race » and not theirnational origin. But this did not diminish the number of Latinos who chose SOR;actually the proportion went up.

51 In the 1990 census, when the SOR responses were repeated, the government began a

major re-examination of racial and ethnic standards and it tested numerous proposals(Evinger 1996). One proposal that was advanced was to « make Hispanics a race » in thenext 2000 census. (This proposal was not advanced or enthusiastically endorsed by anyHispanic group.) This proposal was subsequently given a less inflammatory name, i.e.,the « combined question format ». In this proposal Hispanics were to be listed as a racecategory along with the other traditional race categories, i.e., White, Black, etc.Essentially, Hispanics were no longer to be an ethnic group; they were to be a race23.

52 The Office of Management and Budget tested the « combined format » proposal but,

when the studies found that using the combined format resulted in fewer Hispanics and

Whites being counted, the proposal was abandoned (US Dept. of Labor, Bureau of LaborStatistics 1995, Table 1). Consequently, both the Hispanic question and the racequestion were continued on the census and the policy of the 2000 census continued to

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be that Hispanics were an ethnic group that could be of any race. As noted earlier, thedecision of the census to allow respondents to « choose more than one race » was alsoan attempt to minimize the number who would mark « other » (Padilla 2001)24.

53 In preparing for the 2010 census, the US Census considered another approach to

« correct » the Latino responses. It conducted extensive, nation-wide testing of the racequestion – without the SOR category. However, this ignited « a furious debate amongHispanic advocacy groups, statisticians and officials over how the nation’s largestminority group should be defined racially ». In November 2004, Congressman José E.Serrano (D-NY) effectively cut the funding for any other projects that would eliminatethe SOR category. As the New York Times subsequently noted, « Census officials hadhoped to eliminate the “some other race” category from the 2010 questionnaire toencourage Hispanics to choose from among five standard racial categories », i.e., white,black, Asian, American Indian or Alaska native, and Pacific Islanders or Hawaiiannatives (Swarns 2004a, 2004b).

54 But as the press release from Congressman Serrano’s office stated Americans would not

now be « forced to racially self-identify in a way they are uncomfortable with » andthat this would produce census results that better reflected the realities of race inAmerica today (Serrano 2004). Serrano also noted that eliminating SOR would ignorethe evolving views of race across the country as immigration from Latin America hassurged (Swarns 2004b). In essence, the Bureau had lost in its attempt to impose a racialclassification system over the objections of the group that would have been mostaffected. As of this writing, the 2010 census will retain the « Some Other Race »category25.

55 In conclusion, the contest over how Latinos are to be counted was (and is still) an

essentially silent, but intensely political confrontation. As noted above, Véran (2006)sees Latinos’ SOR response as challenging the structure of signification. However, theSOR response is not necessarily a consciously political act. Many Latinos simply fill outthe forms to the best of their ability. Most are not acting in a defiant or confrontationalmanner when doing so. However, because of different racial formation processes, theirviews are not necessarily congruent with those of the government. This is not asingular or new experience. As noted above, the historical record is replete with manyother examples of groups that have undergone similar racializing and that haveresponded with their own racial constructions, re-constructions, and challenges to howthey are classified (see Haney Lopez 1996; Rodríguez 2000, chap. 2; Coates 2006).Undoubtedly, Native American Indian groups had experiences similar to those notedabove. Their collective experience illustrates that « race » and, in particular, racialclassifications, have changed over time and have been very much influenced bypolitical-economic factors, individual perceptions, and the intellectual scientific milieuof the times.

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NOTES

1. In these pages, the word Latinos is used too frequently to italicize it systematically.

2. Both terms, Latino and Hispanic, are used interchangeably to refer to the same population.

3. However, US census studies and reports did use the term « race » as well as racializing

language. For more on the historical development of racial taxonomies, see Gould (1981), Gossett

(1963), Jordan (1968), Stanton (1960) and Sanjek (1994).

4. Mulattos were only enumerated between 1850 and 1920.

5. Data on the most recent estimates of the Latino population are from http://www.census.gov/

Press-Release/www/releases/archives/population/005164.html and http://www.census.gov/

Press-Release/www/releases/archives/population/003153.html.

6. Cited in http://www.census.gov/Press-Release/www/releases/archives/population/

005164.html.

7. It is perhaps important to note for those unfamiliar with the census changes in the US that the

introduction of the Hispanic identifier fundamentally altered the whole racial classification

schema of census population categories. Before the US introduced its Hispanic question in 1980

on the decennial census, all peoples were neatly folded into four large, obliquely color-coded

categories of White, Black, Asian and Pacific Islander, and Native American Indian « race »

categories. A few miscellaneous persons were to be found in the Other Race category –

specifically, less than 2% in 1970. In 1980, each of these categories had to be re-named. The

White category became the non-Hispanic White category, the Black category, the non-Hispanic

Black category and so on. Hispanics, reported in all the race categories, had to be subtracted from

these categories to derive the « pure » race categories plus a Hispanic category. In 2000, this all

became more complex as people were allowed to choose more than one race category. Sixty-

three races, or 6 single races (these included White, Black, Asian, Pacific Islander, Native

American Indian, and Some Other Race) and 15 possible combinations were noted. When divided

by whether these groups were Hispanic or not Hispanic, a total of 126 were arrived at (Porter

2001). Although few reports utilize all of these categories, they indicate the impact of these

shifts.

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8. This has changed somewhat. While in its prior years of census taking, racial determinations

may have involved respondents to some degree, it was in 1980 that individuals would be asked to

indicate their race without an interviewer present on mail-back questionnaires.

9. In response to the question, « What is race? », the US Census today responds as follows: « The

US Census Bureau complies with the Office of Management and Budget’s standards for

maintaining, collecting, and presenting data on race, which were revised in October 1997. They

generally reflect a social definition of race recognized in this country. They do not conform to any

biological, anthropological, or genetic criteria », www.census.gov, accessed July 9, 2008 (author’s

italics).

10. In the year 2000 census, the term « Some » was added to the Other race category.

11. On housing segregation, see Rosenbaum (1996), Denton and Massey (1989), Massey and

Denton (1993, pp. 113ff) and the following on SES outcomes: Katzman (1968), Relethford et al.

(1983), Arce et al. (1987), Murguía and Telles (1996), Rodríguez (1990; 1991a), Gomez (2000), Allen

et al. (2000), Espino and Franz (2002, p. 612), Tafoya (2004). See also the debate between Telles and

Murguía (1990) and Bohara and Davila (1992).

12. See, for example, historical references to this among Puerto Ricans in New York City in

Rodríguez (1996).

13. See Diaz McConnell and Delgado-Romero (2004) who argue that a pan-Latino identity is real

for some, but may also be influenced by methodological issues.

14. Puerto Ricans in Puerto Rico are generally not included in tabulations or discussions about

Latinos in the US. However, their inclusion alters the size and relative proportion of all Latino

groups. For further analysis of this issue, see Rodríguez (1994). Some recent analyses have begun

to include data from Puerto Rico.

15. This tendency to choose non-traditional or national origin categories is also evident in other

data sets, e.g., one recent sample of 2929 Latinos in the US found that the majority of Hispanics

surveyed preferred to indicate « Hispanic » or « Latino » as their race (Suro and Tafoya 2004). See

also Landale and Oropeza (2002, p. 251), Vaquera and Kao (2005, p. 7).

16. Many other foreign-born persons also had difficulty reporting in the race item (McKenney

and Bennett 1994, p. 22). See Rodríguez (2000, chap. 7) for other research in this area.

17. As noted earlier, individuals in the US also sought out a more advantageous type of

classification, but they were not successful.

18. Rodríguez (1990) also found that, conversely, the greater the proportion of Hispanics, the

greater the proportion that chose the Other Race category. The proportion identifying as Other

Race varied greatly at the time, ranging from 6% in W. Va. to 48.5% in Kansas.

19. It is of interest in this regard that in the 2000 census of Puerto Ricans in Puerto Rico, 81% of

Puerto Ricans reported they were « White, » while only 47.4% of Puerto Ricans in the 50 states

and Washington, DC, reported similarly on the same questionnaire. Also, only 9% indicated they

were SOR in Puerto Rico in contrast to 47% in the states (see Christenson 2003; Denton and

Villarrubia 2007).

20. This was the 2002 National Survey of Latinos, which was conducted by the Pew Hispanic

Center and the Kaiser Family Foundation in 2002.

21. However, Latinos are not the only groups to have (or have had) complex and changing (or

situational) racial/ethnic identities. See Thompson and Sanders (2001) who find that, among

African Americans, there are a number of elements that are critical to identifying racially and to

having a sense of belonging to a group.

22. For example, Great Britain uses « ethnic group » with a Mestizo category; South Africa

« ethnic origin » with a Mestizo category. They do not use « race ». However, the use of the term

« mestizo » still suggests a racial component to the classification.

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23. Some in the data gathering community, who were in favor of the proposal, argued that

adding Hispanics to the race question would reinforce the view that race is a social construction

and not a biological reality. However, the question was still referred to as the « race » question.

24. Publicly and prior to this, the mixed race political movement appeared to be solely

responsible for this shift.

25. An expanded discussion of the government’s attempts to delimit the SOR response can be

found in Rodríguez (2009).

ABSTRACTS

Contestations over classifications: Latinos, the census and race in the United States. The

divergence between popular and state classifications of peoples has become increasingly

important with the growing migration of peoples around the world. This paper examines this

issue by focusing on one group (Latinos in the US) at one historical juncture (the late 20th-early

21st centuries). After examining the evolution of US census « race » categories in the context of

shifting political, economic, and scientific trends, it reviews Hispanic/Latinos’ responses to

questions of « race » on the US census and the theories that have surfaced to explain why so

many Latinos choose the « Some Other Race » category on the census. It also chronicles the US

government’s efforts to discourage such responses and force Latinos into more traditional US

race categories. The global uniqueness of the US’s « race » concept is also underscored.

Débats autour des classifications: les Latinos, le recensement et la question raciale aux États-Unis.

Les divergences entre les classifications courantes des individus et celles des États ont gagné en

importance avec l’augmentation du nombre de personnes immigrées à travers le monde. Cet

article ne traite que d’un groupe, celui des Latinos aux États-Unis, à ce point de contact entre la

fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Après avoir rappelé l’évolution des catégories de

« races » dans le recensement nord-américain, ce dans le contexte politique, économique et

scientifique changeant des dernières décennies, on s’intéressera à la réponse des Hispaniques/

Latinos à la question de la « race » et aux explications qui ont été données au pourquoi du choix

que tant d’entre eux ont fait de la catégorie « autre race ». On fera aussi l’historique des efforts

du gouvernement des États-Unis pour décourager une telle réponse et forcer les Latinos à se

positionner dans des catégories de races plus traditionnelles. Le place du concept de « race »,

unique aux États-Unis, sera également soulignée.

Divergencias sobre las clasificaciones: los latinos, el censo y las razas en los Estados Unidos. Las

divergencias entre las clasificaciones comunes de la gente y las de los estados ha crecido

sustancialmente con el aumento de las migraciones a nivel mundial. En ese trabajo se tratará de

un solo grupo, los latinos en los Estados Unidos, entre el final del siglo XX y el inicio del siglo XXI.

Después de haber revisado la evolución de las categorías raciales utilizadas por los censos de los

Estados Unidos en el marco de las transformaciones políticas, económicas y científicas recientes,

se examinarán las respuestas de los latinos a la pregunta sobre la(s) raza(s) y las interpretaciones

que se han venido dando al porqué de su elección – tan frecuente – de la categoría « Otra raza ».

Se revisarán también los esfuerzos que el gobierno de los Estados Unidos ha realizado para

controlar este tipo de respuesta y forzar a los latinos a elegir una categoría racial más tradicional.

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Se discute igualmente el concepto de raza tal como se aplica de forma sin equivalente en los

Estados Unidos.

INDEX

Geographical index: États-Unis, France, Latinos, Hispaniques

Palabras claves: raza, etnicidad, clasificaciones, construcción social de las razas, censo

Mots-clés: race, ethnicité, classifications, construction sociale des races, recensement

Keywords: race, ethnicity, classifications, social construction of race, census

Subjects: Sociologie, Anthropologie

AUTHOR

CLARA E. RODRÍGUEZ

Professor, Fordham University, Dept. of Sociology and Anthropology, 113 W. 60 St., New York, NY

10023, États-Unis [[email protected]]

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Whiteness in Latin America:measurement and meaning innational censuses (1850-1950)Mara Loveman

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en février 2009, accepté pour publication en septembre 2009

1 The explicit identification of « whiteness » as an object of study was a radical

intervention in race scholarship in the United States, destabilizing the long tradition ofidentifying ethnic and racial studies with the study of ethnic and racial minorities andtheir problems. As part of the social constructivist re-reading of the history of race inAmerica, the critical study of whiteness has rendered visible the fact that « white » – like other racial and ethnic categorical identifications – is a social and historical, ratherthan a natural kind of person to be. The objectification of whiteness denaturalized thepreviously unmarked reference group in studies of race, and fueled the explosion of« whiteness studies » across several different disciplines1.

2 Taken together, the varied contributions to whiteness studies scholarship have drawn

attention to the many forms of invisible privilege that accrue to those seen as « white »in the United States. At the same time, this literature has made clear that the boundaryof whiteness in the United States – that is, the social and symbolic line demarcatingwho is white from who is not – has changed over time. Despite its naturalization asfixed, impermeable, and enduring, the boundary that demarcates who is white hasbroadened in some moments and contracted in others, and it has been more or lesspermeable for distinct « kinds » of individuals who have aspired to cross it.

3 While the cascade of scholarship on whiteness in the United States continues to grow2,

the pivotal notion that the category « white » is defined socially and historically hasarguably made much less of a splash in scholarship on race in Latin America. Indeed,there does not appear to be an analog in Latin Americanist scholarship to the

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interdisciplinary field of « whiteness studies » that has coalesced in the United States.No doubt this owes largely to the very different histories of racial division andresistance in the US and the individual countries of Latin America, differences that arerefracted, to varying degrees, in the production of scholarship on race and ethnicity ineach context. But perhaps it is also because what appeared in the United States as aradical and destabilizing analytical move, in the Latin American contexts comes as asomewhat peculiar version of rather old news. The idea of whiteness as an achieved

social status – that individuals, families, even entire communities may move acrossracial boundaries to become white – was a central focus of scholarship on race in LatinAmerica long before the recent surge of whiteness studies in the United States.

4 The topic of whiteness has certainly not been ignored in scholarship on race in Latin

America. Yet it has rarely been the principal focus of investigation either. Studies ofwhiteness in the US suggest that making the « white » racial category a central focus ofanalysis, placing it directly beneath the objectifying lens, may yield new insights intothe social production and reproduction of racial hierarchy. Sustained attention to howthe category « white » is defined and deployed in particular contexts can help toilluminate how, exactly, race becomes naturalized. Precisely because « white » is sooften the reference category in discussions of racial dynamics (in daily practice as inscholarship), problematizing the taken-for-grantedness of « whiteness » may advanceunderstanding of how racial categories work to make social differences appear to benatural differences.

5 While it may not make sense to simply transpose the entire « whiteness studies »

agenda from the US to Latin America, some central concerns from this varied field ofscholarship could prove to be productive lines of inquiry for advancing comparativeunderstanding of racial dynamics in Latin America. There are by now a number of veryrich anthropological, sociological, and historical accounts of the racial dynamics ofindividual Latin American countries during specific historical periods. Recentcontributions have focused especially on the place of blackness and indigeneity innational constructions in the region3. Since racial and ethnic identities are constructedrelationally, these studies contain within them a wealth of insights – sometimesimplicit and sometimes explicit – into the meaning and social significance of whitenessin many parts of Latin America. Building from these recent contributions, and taking acue from whiteness studies in the US, we might pose a number of comparativequestions that specifically aim to unpack the social meaning of whiteness in LatinAmerica in comparative and historical perspective.

6 Among the questions that might be posed by a critical study of whiteness in Latin

America: How similar or different are understandings of « whiteness » across LatinAmerica and within individual countries or localities over time? How were theboundaries of whiteness constructed historically in different parts of Latin America?What are the symbolic and material consequences of inclusion in the category « white »in different parts of the region at different points in time? What are the social penaltiesfor exclusion from the white racial category in comparative-historical perspective?Who could aspire to inclusion, in which contexts, and at what cost? To what extent arethere hierarchies within the « white » racial category in different Latin Americancontexts, and do intra-white distinctions (e.g., based on nationality or religion) affecthow the boundary between « Whites » and « non-Whites » is conceived? In what waysdo understandings of whiteness found in Latin America map onto understandings

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found in the US, and in what ways do they differ? Is « white » always the unmarkedracial category in Latin America in the same way it is presumed to be in the UnitedStates? Of course, these questions do not exhaust the possible lines of inquiry into thesocial significance of whiteness in Latin America. Rather, they direct attention towardsa promising new terrain for comparative research on the creation and maintenance ofracialized social inequality in the Americas.

7 The present contribution does not pretend to encompass all of this vast terrain. The

more modest aim of this article is to suggest the potential for comparative analysis ofconstructions of whiteness in the Americas through a close examination of the use ofthe category « white » across the entire region in one very specific context: nationalcensuses. National censuses are usually used by researchers to glean information aboutthe size, composition and characteristics of populations. But they can also be read ashistorical texts, as cultural and political products that provide clues to the tacitassumptions and ideologies that influenced their creators4.

8 Based on a critical review of every available national census conducted in Latin

America from Independence to the present day, this article analyzes how tacitassumptions and explicit beliefs about the nature of race in general, and the nature of« whiteness » in particular, informed the production of statistical knowledge about theracial make-up of Latin American populations. The analysis focuses especially onnational censuses conducted between 1850 and 1950 that included a direct « race »query on the census schedule (the rationale for this focus is discussed below). For allsuch censuses, I examined the format of questions, the instructions to enumerators, thepresentation of racial statistics in official published results, and any accompanyingnarrative discussion or analyses.

9 Needless to say, there is much variation in the census schedules and statistical

descriptions of populations contained in Latin American censuses in this period.Without ignoring important axes of variation, however, the central aim of the presentanalysis is to identify points of convergence in conceptions of « whiteness » thatinformed census-taking in the region. The reasons for this choice of emphasis aretwofold. First, it is not possible within the space of a single article to fully describe,much less account for, the many differences in the production of racial statistics acrossall the countries of Latin America or the often nuanced changes in enumerativepractices within individual countries over time5. Second, without forgetting thatnomothetic aspirations typically come at an idiographic cost, it can be fruitful tomomentarily bracket the exploration of historical differences to entertain thepossibility of shared understandings, practices, or beliefs across the most variedcircumstances. The identification of points of convergence in understandings of« race » across contexts, in turn, can bolster the analysis of racial meanings in specificcases, by serving as a point of reference against which historically contingentidiosyncrasies of racial thought and practice in disparate settings can be assessed.

10 Thus, the present analysis asks whether – or to what extent – national censuses in Latin

America from 1850-1950 reveal shared assumptions about the meaning of« whiteness ». Analysis of original census documents and published results suggeststhat certain fundamental understandings about the nature, value, and boundaries ofwhiteness transcended nation-state borders. Without arguing that there was (or is) asingle, unitary, « Latin American » understanding of whiteness, the analysis revealsthat in certain key respects, tacit assumptions about the nature of whiteness appear

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quite similar in the national censuses of diverse Latin American countries. Further,implicit understandings of the nature, value, and boundaries of whiteness evident inthe national censuses of Latin American countries bear much more resemblance toeach other than to the understandings of whiteness that informed racial enumerationin the national censuses of the United States.

11 The analysis that follows examines conceptions of whiteness in Latin American

censuses by comparing how census-takers across countries accomplished three basictasks entailed in the production of official racial statistics in this period: 1) theidentification of « Whites » in the population; 2) the presentation of statistical tablesdescribing the results, and; 3) the projection of the racial composition of the populationin the future. The analysis emphasizes points of convergence in the measure andmeaning of « whiteness » in Latin American censuses, but also notes some points ofdivergence across distinct contexts in the Americas. Before proceeding to the analysis, Iprovide an overview of the set of texts upon which this study is based and commentbriefly on the significance of national censuses in the history of state and nation-building in Latin America.

Racial classification in Latin American censuses

12 It may initially seem an odd choice to examine national censuses from nineteenth and

early twentieth century Latin American for clues to tacit understandings about themeaning of the « white » racial category in the region. After all, at independence theSpanish American republics defined themselves in direct opposition to the legallyinscribed ethnoracial hierarchy imposed by the Spanish colonial state. In their origins,the Latin American republics explicitly rejected – at least rhetorically – the practice ofofficial racial classification. Nonetheless, the vast majority of Latin American republics(and monarchical Brazil) opted to classify their populations by « race » in at least onenational census in the nineteenth or early twentieth century.

13 Figure 1 presents a synoptic view of the national censuses conducted by Latin American

states from Independence to the present day. Cells shaded in light grey indicate that acountry conducted (or attempted to conduct) a national census in that decade6. Cellsshaded in grey indicate that a census in that decade included an explicit « race » or« color » query. Blank cells indicate that no census was conducted in that decade. Aquestion mark indicates a census was reportedly taken in a given country and decadebut I have not been able to consult original sources to verify the content of the censusquestionnaire.

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Fig. 1 – Race queries in Latin American censuses, 1810s-1960sSources: Data is compiled from microfilm and print copies of original census schedules, reports, andresults; archival and secondary sources that reference specific censuses; information available onlineat the official website of each country’s national statistics agency and information contained in Goyerand Domschke (1983) and Platt (1989). Information from non-primary materials was cross-checkedwith primary source material whenever possible.Notes: a) « Race question » indicates a query that used the term raza (raça) or color (côr) or asked « Is[the person]… » followed by a choice of racial categories; b) in ten cases, more than one nationalcensus was conducted in a given decade. In these cases, the cell is shaded if either census or bothincluded a race question; c) clarifying notes about several individual cells in Figure 1 have beenomitted due to space constraints.

14 From this large set of national censuses, the present article focuses especially on those

conducted between 1850-1950, paying particular attention to censuses that included anexplicit « race » query, or omitted such a query but nonetheless discussed racialstatistics in published census results7. There are both practical and theoretical reasonsfor this delimited focus. Practically, it makes sense to start in the 1850s rather thanimmediately after Independence because so few Latin American countries attempted toconduct a modern national census in the first decades of the nineteenth century. Thereare reported attempts in a handful of countries, but with the exception of Chile in 1813and 1835, very little is known about these early initiatives8. Between 1850 and 1950,every Latin American country took at least one national census and the majority askeddirectly about « race » or « color » at least once in this period. This broad temporalscope thus allows consideration of the full set of Latin American countries – those thatstarted census-taking relatively early, and those that started later. By the 1960s, inturn, the majority of Latin American countries abandoned the use of direct « race » or« color » queries in national censuses9.

15 There are also strong historical and theoretical reasons for focusing on the second half

of the nineteenth century and the first half of the twentieth. In 1850, the InternationalStatistical Congress convened for the first time in Brussels and issued an influentialrecommendation that all modern states should take periodic national censuses of theirpopulations. Thereafter, census-taking took on increased symbolic and political

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importance for modernizing states world-wide10. In Latin America, taking a nationalcensus became a symbolically potent way to substantiate claims to membership in theclub of « modern, civilized nations ».

16 Written in the internationally prestigious language of statistics, and sanctioned by the

combined authority of science and the state, censuses played featured roles in state andnation-building projects throughout Latin America11. From the latter half of thenineteenth century, national censuses came to be seen as indispensable instruments forassessing – and publicizing – the progress of modernizing Latin American nations. Ofcourse, the precise timing and role of statistics agencies’ contributions to state andnation building varied across countries and within countries over time. But throughoutthe region, published volumes of census results were seen as indispensible evidenceand instruments of modern statehood, providing scientifically « objective » renderingsof the present and future « face of the nation »12.

17 In part, the political import of national censuses owed to their simultaneous domestic

and international legibility. Both the narrative and statistical content of nineteenthand early twentieth-century census publications makes clear that their authors wereoriented to domestic concerns and international ideological currents at the same time.With this dual audience in mind, census publications were carefully crafted as« scientific » portraits of the nation.

18 Using statistics as their principal medium, these national portraits helped to forge the

tight linkage between ideas about « race » and ideas about modern nationhood in latenineteenth and early twentieth century Latin America. Indeed, Latin American censuspublications from 1850-1950 are exceptionally rich sites to investigate how the racialclassification of populations was tied to nation-making projects in different parts ofLatin America and in the region as a whole. As one small part of this larger theoreticalagenda, the analysis that follows examines the conceptions of « whiteness » thatinformed the production of national statistical portraits in Latin America from 1850 to1950. By exploring how tacit beliefs about the nature, value, and boundaries ofwhiteness shaped official statistical descriptions of national populations, the analysishighlights the role of censuses in yoking ideas of race and nation in Latin America,while also pointing to the potential for new lines of comparative research on the socialsignificance of « whiteness » in the Americas.

The nature of whiteness: who is white?

19 Up until the mid-twentieth century, when a « race » query was included on a national

census schedule it was standard practice for census enumerators to assign individuals’racial classification. Self-identification only became the preferred method ofenumeration after World War II; before that, enumerator ascription was almost alwaysthe official method for collection of racial data in censuses throughout the Americas13.In order to improve the quality and consistency of the data collected in this manner,census agencies often issued explicit instructions to enumerators describing how to fillin the official forms. These official instructions, together with the format of questionsand the allowable responses, can be read as cultural artifacts. They provide clues totacit assumptions about the nature of « race » as an object of statistical investigation14.

20 What do the official questions, categories, and instructions for racial classification in

censuses reveal about official conceptions of whiteness in Latin America in this period?

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While the specific answer to this question varies by country, certain sharedassumptions about the nature of race in general and the nature of whiteness inparticular are evident from census schedules from across the region. In particular,there appears to be broad consensus in the tacit understanding of « race » as anobjective individual trait discernible through simple sight, at least most of the time.There also seems to be a shared assumption that « whiteness » is even more self-evident than other self-evident racial types. Finally, there is suggestive evidence that« whiteness » is understood to be bound up with ideas of familial honor in many partsof the region.

21 The broadly shared assumption that « race » is a self-evident, objective property of

individuals can be seen in the format of race queries in Latin American censuses.Queries about race on Latin American censuses before WWII generally took the form ofone-word prompts rather than full questions. The word raza or color would appear onthe census form, followed by a blank line. Some census schedules dispensed with anyprompt whatsoever, leaving a simple blank to be filled in with one of a set ofpredetermined categories. The format of these queries suggests that « race » was notconsidered a matter of « identity » or of communal belonging, as it came be defined inthe censuses of some countries of the Americas towards the end of the twentieth-century and beginning of the twenty-first. Rather, « race » was construed as anessential individual trait, as something a person just is.

22 Given this understanding of race, census enumerators were tasked with the job of

reporting individuals’ race by selecting the « correct » racial category from a finite setof official options. The specific terminology and number of categories that enumeratorscould choose from varied across countries and often within countries over time.Typically, the set of categories included some combination of « white » (blanco),« black » (negro), « indian » (indio or indígena), and « mixed » (usually denoted withmestizo and/or mulato, but ladino, trigueño, pardo, and mezclado also appeared in somecases). Some censuses also included amarillo as an official category, though thiscategory was sometimes omitted in the presentation of results15. The inclusion of an« other » option in many contexts signaled recognition that the official category setwas not comprehensive of all « races » that might be identified in national populations,while also implying the state’s disinterest in the categorical identification of any« racial kinds » not already conceived as constitutive elements of the nation.

23 Notably, while there is considerable variation across countries and over time in the

availability and terminology of categories to describe individuals of African,indigenous, « mixed » or « other » descent, there is almost no such variation withrespect to the category « white ». With very few exceptions, every Latin Americancensus that includes a direct « race » query lists « white » as an official option16. Amongthe exceptions are the 1880 Guatemalan census and the 1887 Honduran census, whichemployed the dichotomous category set ladino or indígena, and the 1950 Bolivian census,which simply recorded if individuals were indigenous or not (indígena or no indígena).These cases highlight a binary racial vision in some parts of Latin America, where theline dividing « Indians » from the rest of the population was elevated above otherpossible lines of differentiation. The narrative texts accompanying the publishedcensus results in these cases (discussed below) leave little doubt that the ladino or no

indígena classification was strongly associated with whiteness – though a whiteness

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understood to hinge much more on distance from « indianness » than on notions of« purity of blood ».

24 From the perspective of those who wrote up instructions for census enumerators, the

question of whom to count as « white » on the census was not treated as problematic.The same definitely cannot be said of other racial categories. While explicitinstructions to enumerators for filling in the « race » field on census forms were notroutine (testifying, again, to the presumed self-evidence of « race »), in the cases whereenumerators were given written instructions for completing this task, there is not asingle instance of clarification about whom to classify as « white »17. At most,enumerator instructions provided acceptable shorthand for reporting someone as« white » (e.g: « mark “b” for blanco »). While this was generally also true for thecategory « black » and, to a somewhat lesser extent, « Indian », it is noteworthy thatthe self-evidence of whiteness was apparently too self-evident to mention, while theself-evidence of blackness or indianness might warrant explicit comment. For instance,the instructions to enumerators for the 1921 Guatemalan census stated matter-of-factly: « The characteristic marks of each race are well defined… For example, anindividual of the yellow or black race is not easily confused with an Indian »(Guatemala. Dirección general de estadística 1924).

25 When enumerator instructions for reporting race went beyond issues of notation, it

was usually to address the challenge of classifying « mixed race » individuals. Theenumerator instructions for the 1876 Peruvian census, for example, read:

The column « Raza » has five subdivisions, the first for the white race, the second forthe indian, the third for the black, the fourth for the mestiza, and the fifth for theasian. The first, second, third and fifth do not pose any difficulty whatsoever in thecategorization of the individuals who belong to them. As for the mestiza race… it isto be understood that it includes all the mixtures [mezclas] without distinction(Perú. Dirección de estadística 1878, p. XXXIII).

26 The 1920 Panamanian census included « under the generic denomination of mestiza

everything that is situated between one race and another, making use of the generalunderstanding of the term » (Panamá. Dirección general del censo 1922, p. 18). The1940 Brazilian census allowed enumerators to deal with « mixture » by filling in theblank with any term, then later aggregating all such open-ended responses into acatch-all mixed-race « pardo » category.

27 Enumerator instructions in Latin America reveal a concern with « accurate »

classification of those of « mixed race », but the extent of this concern neverapproximated the classificatory obsession seen in enumerator instructions in UnitedStates censuses. In particular, there are no cases in Latin America where enumeratorsare explicitly cautioned to be wary of « misclassifying » those with any degree of« mixture » as « white ». In the 1870 and 1880 US censuses, enumerators were told to« Be particularly careful in reporting the class Mulatto. The word here is generic, andincludes quadroons, octoroons, and all persons having any perceptible trace of Africanblood. Important scientific results depend on the correct determination of this class inschedules 1 and 2 »18. The explicit directives to US enumerators to be on the lookout for« traces » of « African blood » and the lack of such directives to enumerators anywherein Latin America, suggests that ideas of « purity » figured much more centrally in thesocial definition of whiteness in the United States than in most of Latin America in thisperiod19.

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28 Also in contrast to the instructions for racial classification in the US, in some Latin

American countries enumerators were instructed to prioritize social etiquette anddeference to familial honor over concerns about accuracy in racial classification ofrespondents. A striking illustration of the concern about injury to personal honor insimply asking about « race » is the 1876 Peruvian census, which included this note ofcaution to enumerators:

No warning would be sufficient to impress on the Enumerators the delicacy withwhich they should proceed with this question, without ever allowing themselves toask the person concerned directly and making the annotation in his presencewithout letting him see. Of course, when dealing with absent individuals or withinscriptions based on the declarations of third parties, asking about race isinevitable; but in such unavoidable cases, [the enumerator] should proceed withextreme tact, so much so that, even dealing with absentees, if possible theEnumerator, on most occasions, should avoid the question, whether because heknows the person or because, when speaking of the person his race is casuallymentioned, or finally, by logical deduction that ancestors and descendents belongto the same race, as when he’s dealing with the son of Whites or the parents ofsomeone who is white; in which case the question would be unnecessary andinsulting [hiriente].20

29 That asking about absent family members of a white individual would be inherently

insulting reveals how the notion of family honor was bound to the idea of whiteness. Toavoid the « insult » of inquiring about « race », Latin American census takers weresometimes reminded to keep their racial classifications of the enumerated out of view,or to record individuals’ race « in a discrete manner », as it was put to enumerators inthe 1921 Guatemalan census.

30 When the array of direct « race » queries that appeared in Latin American census

schedules between 1850-1950 are examined side by side, it is immediately clear thatthere is considerable variation across countries and over time in the specific methodsand categories used to racially classify their populations. Yet the comparison alsosuggests that underlying this variation, certain basic assumptions about the nature of« whiteness » were shared among census-takers across the region. The mechanics ofracial ascription in Latin America’s censuses in this period suggest that at the level ofthe individual, « whiteness » was construed as an objective and observable personaltrait. The self-evidence of « race » per se was understood to be especially self-evident inthe case of « Whites ». And individual whiteness was strongly associated with notions ofpersonal and familial honor.

31 Comparing the range of Latin American census « race » queries with those that have

appeared in the censuses of the US, it is clear that for purposes of official racialclassification, « whiteness » was defined more narrowly in the latter context than inthe former. While in the US census, the « white » racial category was supposed to berestricted to individuals without « any trace » of « non-white » ancestry, in thecensuses of Latin American countries the « white » category did not necessarily carrythis implication. Without doubt, the « white » racial category was construed morenarrowly in some Latin American censuses than in others. But in no instance was« whiteness » explicitly defined as restrictively as it was in the censuses of the UnitedStates.

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The value of whiteness: describing and inscribingracial hierarchy

32 While the queries and categories used to collect racial statistics in Latin American

censuses reveal underlying assumptions about the nature of whiteness, the formalpresentation of census results yields insight into unspoken beliefs about the value ofwhiteness. As noted above, published volumes of censuses results were crafted asstatistical portraits of the nation. In order to craft these national portraits, the massesof data collected by enumerators had to be aggregated, ordered, and packaged into thetidy rows and columns that comprise descriptive statistical tables. Census results donot present themselves; they are deliberately organized in ways that may revealimplicit assumptions of their creators21. The particular ways Latin American census-makers presented racial statistics in the published volumes of national census resultssuggests a broadly shared consensus about the position of whiteness in the « naturalorder » of racial hierarchy.

33 Among the Latin American census publications that present statistics describing the

racial composition of the population, there is almost complete uniformity in listing thenumber of « Whites » first, regardless of the numerical distribution of the populationamong racial categories. That this presentational choice seemed « obvious » speaks tothe successful naturalization of the idea that the category « white » belongs at the topof any racial hierarchy. Of course, in the broader public spheres of individual LatinAmerican countries this notion was openly contested at several moments across thisperiod. In the first decades of the twentieth century, in particular, intellectuals,political elites and social critics developed elaborate and nuanced arguments about therelative merits and deficits of different « races » and their potential contribution tonational development22. « Whites » were not left out of these debates. There were oftendisagreements about the relative worth of different « kinds » of « whites »,disagreements that were analogous (though not identical) to those documented inhistorical scholarship on whiteness in the United States. But despite the contested andcomplicated ideological terrain in which individual census volumes were produced,when it came time to draw the tables reporting numerical results, the near universaltacit consensus was that « whites » should be listed first23.

34 The most notable exception to this ordering trend proves the rule. In the 1921 Mexican

census, the first after the Revolution of 1910, in the summary table titled « Razas », raza

indígena is listed first, followed by raza mezclada, raza blanca, « all other races orunknown », and « foreigners, without distinction by race » (México. Departamento dela estadística nacional 1928, p. 62). The Mexican Revolution, of course, extolled theindigenous past and constructed the ideological foundations for the construction of theMexican raza cósmica; it was also virulently anti-imperialist and anti-colonialist, seekingto construct a new Mexican nationalism symbolically rooted in the glories of theindigenous past. The inversion of the « natural » order of racial categories was clearly apolitical act by those who produced the official statistics. And yet this deliberatedisruption of the expected order of racial categories in the 1921 Mexican census servesto confirm the general rule, underscoring the extent to which the prioritization of« whiteness » is taken for granted in the presentation of racial statistics across most ofthe region.

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35 Notably, the privileging of whiteness sometimes comes across in the presentation of

census results even in censuses that did not include a direct « race » query on thecensus schedule. To take one instance, Argentina’s 1912 census of its territoriesincluded the query: « To what nation does the individual belong? ». The nominalcategories included in summary tables of the population by nationality included onlythe names of recognized countries, thus ruling out official statistical recognition ofArgentina’s remaining indigenous peoples. Further, the nominal list of nationalitiesdisplayed in presenting the results was restricted to those countries that fell under themeta-categories « Europeans » and « Americans ». From data on nationality, thuscircumscribed, the report on the 1912 census of territories constructed a description ofthe racial composition of the Argentine population. The twenty-five « European » and« American » nationality categories that appeared in the 1912 census report werelumped into groups of five razas. These included: 1) the « Latin race », which wassubdivided into « Argentines », « Spanish-speaking Americans », and « Latinos of otherlanguages »; 2) the « German race »; 3) the « Anglo-saxon race »; 4) the « Slavic race »;and 5) the « Scandinavian race » (Argentina. Dirección general de territorios nacionales1914, p. 26).

36 This particular strategy of deriving racial categories from European and American

nationality categories effectively ruled out the statistical registering of non-Europeanracial types in the Argentine population. Indeed, the text that accompanied the tableadmitted as much: « In speaking of races we do so taking into account the populationnominally enumerated, omitting the indígena » (Argentina. Dirección general… 1914,p. 26). The fact that African-descent individuals were also omitted is not even explicitlymentioned (see Andrews 1980). This method of presenting racial statistics departedfrom the assumption that Argentina was always-already white. The statistical tableconceded racial diversity within the nation, but a racial diversity that was nonethelessentirely « white ». The approach to presenting racial statistics in Argentina exemplifieshow the categories used to display numerical data could render invisible entiresegments of the population and, in so doing, (re)inscribe the conceptual pairing of thecategory « white » with the category « nation »24.

37 The decisions made in the presentation of official racial statistics in Latin American

census reports from this period display a near consensual privileging of the « white »racial category. In this specific respect, the display of racial statistics in Latin Americancensuses also converges with the default privileging of the « white » category instatistical tables of census reports in the United States. At the same time, theorganization of statistical tables reveals divergence across the region and over time inthe conceptualization of the specific relationship between the category « white » andother racial categories, and between the category « white » and the nation as a whole.This variation in understandings of the boundaries of whiteness in relation to thenation is amplified in the narrative discussions that accompanied statistical tables inpublished census reports.

The boundaries of whiteness: projecting a whiterfuture

38 In addition to pages and pages of statistical tables, published volumes of census results

frequently contain carefully composed narrative analyses of the demographic « facts »

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made visible by the census. The analyses of racial statistics in these reports tend tofocus heavily on the significance of demographic trends for the future racialcomposition of the nation. The demographic projections made in Latin Americancensus reports reveal a shared understanding of the principal demographic processesfueling change in the racial composition of populations. Across the region, censusreports pointed to the roles of differential fertility and mortality, immigration, andmiscegenation in moving populations in a whiter direction.

39 Significantly, however, concurrence about the principal demographic mechanisms and

direction of racial change led to different projected outcomes from the unfolding ofdemographic processes. In some countries, demographic trends were said to havealready forged a homogenous « white » nation; in others, a « whitened » nation wasprojected in the future. In still others, it was predicted that the population would fuseinto a homogenous « mixed » type; on the whole, such mestizo nations would be whiter

than present populations, but they would never be just « white ». Among other things,these different projections reflected the historically specific ways that perceiveddemographic realities of « race » were refracted through distinct conjunctures ofideological, political and social struggle over the boundaries of citizenship andnationhood.

40 When census reports drew attention to racial differences in rates of fertility or

mortality, it was inevitably to note the quicker pace of « natural » increase among« Whites ». In Bolivia, for instance, the author of « A statistical sketch of Bolivia »concluded his discussion of « the races and their relations » with the presentation ofcomparative data on the rates of reproduction of « Whites » and Indios. Presentingnumbers that purported to show that more « White » children were being born thanindio children, the author concluded with an air of relief « that the White is multiplyingmore than the other » (Delance 1975 [1851], p. 205). In another example, the report onthe 1920 Brazilian census presented tables of birth and death rates broken down by« race » to illustrate the higher growth rate of the « white » population. The reportunderlined the significance of these statistics: « In this work of aryanization of ourpeople there are more energetic collaborators than the immigration of white racesfrom Europe… there are natural and social selection, which accelerate extraordinarilyamong us the rapidity of the process of reduction of the ethnically inferior elements »(Brazil. Directoria geral de estatística 1922, p. 337).

41 A striking example of an explanation of « white » growth as a share of total population

stemming from « natural selection » is found in the 1898 Cuban census. Takenimmediately after US military occupation of Cuba, the published census report (whichappeared in English) was composed by officers of the US War Department and clearlyoriented to a North American audience. In reference to a table reporting a decline inthe « colored » share of the Cuban population in the second half of the nineteenthcentury, the report noted:

Their diminution relative to the Whites, during the last half century, is doubtlessbut another illustration of the inability of an inferior race to hold its own incompetition with a superior one, a truth which is being demonstrated on a muchlarger scale in the United States. (United States. War department… 1900, p. 97)

42 Unlike the other cases considered, this census reflected the imperialist and racist gaze

of the US War Department. Notably, the « survival of the fittest » imagery in the Cubancensus, which suggests explicit (and fatal) competition between « the races », contrasts

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with the image of more inadvertent and « pacific » processes of biological and socialselection highlighted in the censuses of other Latin American countries. Nonetheless,the underlying notion that selective processes resulted in higher rates of « natural »growth for « Whites » was shared.

43 The white share of the population was also said to be growing in several Latin American

countries due to European immigration. (The influx of non-European immigrants ofvarious kinds, on the other hand, was rarely a focus of discussion.) Europeanimmigration as a mechanism of demographic change was emphasized in Braziliancensus reports between 1890 and 1920. Following a table that displayed the absolutenumbers of Europeans of different nationalities who entered into various Brazilianports between 1908 and 1920, it was noted: « This admirable immigratory movementnot only contributes to the rapid augmentation of the coefficient of the pure Aryanmass in our country; additionally, by crossing and re-crossing with the mestiça

population, it contributes with equal rapidity to raising the Aryan element of ourblood » (Brazil. Directoria geral de estatística 1922, p. 337).

44 Even in countries with a poor record attracting European immigrants, census reports

might note the potential of such immigration to fuel racial-demographic change. Theintroduction to the 1893 Guatemalan census suggested, for example, that the« shadow » cast over Guatemalan development by the « indifference » and « passiveattitudes » of the indigenous numerical majority could be counteracted [neutralizado],in part, « by European and North American immigrants, who were energetic andhardworking, if not as numerous as would be ideal ». In addition to their cultural andeconomic contributions to the vitality of the nation, immigrants would help to improvethe « quality » [calidad] of the national population through their « contribution tonational robustness » (Guatemala. Dirección general de estadística 1894, pp. 14-15).

45 European immigration – whether actual or potential – was described in many census

reports as a means to augment the « white » share of national populations. Europeanimmigrants were seen to bode well for the whitening of national populations not onlythrough the additive effect of a net inflow of « Whites » into the population, but alsothrough an integrative effect, by « combining » with the native-born population. Thispoints to a third demographic process identified in census reports as an engine of racialdemographic change: miscegenation, or mestizaje.

46 In a wide array of contexts, mestizaje was reported to contribute to the overall

whitening of the population through the assimilation (disappearance) of indígenas or negros. The fact that « mixture » also entailed reducing the relative number of« Whites », on the other hand, was not usually mentioned. This bias in emphasis inLatin American census reports reflects the fact that despite its semantic neutrality,mestizaje was typically construed as a socio-demographic process that movedpopulations in a whiter direction. In principle, and in its most idealized formulations,mestizaje implies a neutral fusion of distinct « kinds » into a unique new « kind » that isbetter than the sum of its parts. Historically and in practice, however, mestizaje – as asocio-demographic process and as official ideological trope – has tended to privilegeand promote the « white » component of the mix25.

47 In a few cases, mestizaje was explicitly described as a demographic process that would

eventually yield a whitened population. The 1920 Brazilian census, cited above, is themost blatant example of this view. The idea that racial mixture was whitening Brazil’spopulation flipped the « hypodescent rule » that was institutionalized in law

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throughout most US states in this period on its head. In Brazil, when « Whites » mixedwith « non-Whites », the result was not the pollution and degeneration of whiteness,but the improvement, regeneraton, and eventual dissipation of non-whiteness.

48 Mestizaje was more often construed in census reports to be moving the aggregate

population in a whiter direction, but not necessarily towards a thoroughly whitened

population in the future. Even in countries and at historical moments when it wascelebrated as constitutive of nationality, mestizaje was usually described in censusreports as a process that pulled the population irreversibly away from the categories« black » and « indian », whether culturally, biologically, or simply numerically. Inmany Latin American census publications – including cases where the census did notcollect data that could speak to the question – mestizaje was credited with the decline innumber of indigenous peoples within the national territory. Venezuelan nationalcensuses, for example, reported rough estimates of the indigenous population thatpurported to demonstrate their rapid blending into the general population (Venezuela.Dirección general de estadística 1938). The introduction to the 1893 Guatemalan census,to take another example, affirmed that two-thirds of the national population wasindígena, « but in some districts, and especially near the centers of the whitepopulation, the [indígena] race has suffered declines as a consequence of mixing[cruzamento] in various degrees » (Guatemala. Dirección general de estadística 1894,p. 15). Similarly, in Argentina, the report of an estimated total of 58,979 indígenas in theArgentine territories was immediately qualified with the claim that although thenumbers were not diminishing « with the rapidity that was believed », the indígenas

« become mixed [se mestizan], become civilized, and become diluted in the general massof the population » (Argentina. Dirección general… 1914, p. 34).

49 Commentaries in official census reports often cheered the projected disappearance of

indígenas as a distinctive element in the national population, even as they celebratedthe contribution of indigenous groups to defining the essence of the nation. In the 1900Bolivian census, to take one example, the observation that the diverse « indigenousraces » of Bolivia were destined to disappear was followed by the claim that each ofthem had « contributed to stamping (imprimir) the peculiar character of the nationalitythat has formed within the limits that today constitute the Republic of Bolivia »(Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 25). Notably, this same census reported thatindígenas made up the majority (50.91%) of the population26. The raza mestiza was thenext largest group27. Nonetheless, the census report assured readers that the numericalminority of « whites » remained firmly in control of the country: « the White race,descendent of the Spanish, whose most illustrious names are found here in profusion, isthe smallest in number but has retained over all the others the supremacy [the whiterace] obtains in all places… » (Bolivia. Oficina nacional… [1973] 1902, p. 30).

50 While the 1900 Bolivian census maintained a clear divide between « Whites » and

mestizos, in other contexts, mestizaje was understood to blur the distinction betweenthese two categories, while leaving the line demarcating « Indian » from everyone elseintact. In one example, the 1940 Peruvian census reported a major shift in the racialcomposition of the population between 1876 and 1940 using a bar graph that combinedthe « white » and « mestizo » totals in a single bar labeled blanca y mestiza. The growthof the blanca y mestiza population over time was measured against the diminishing sizeof the population categorized as india. The lumping of blanca y mestiza to report thetrajectory of racial demographic change implied the fuzziness – even irrelevance – of

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the boundary between them, while their combined juxtaposition to the category india

made clear that the result of mestizaje is an approximation towards whiteness.

51 In another example, the 1893 Guatemalan census report explained that the category

ladino referred to the combination of « Whites » and « the mixture of the European withthe indígena ». Treating them together made sense, the report continued, because « themixture of the European with the indigenous race has not produced either facultativedecrease nor intellectual or moral debilitation » (Guatemala. Dirección… 1894, p. 14). Atthe same time that the boundary between « white » and mestizo was downplayedthrough use of the category ladino in the narrative analysis, the boundary betweenladino and indígena was maintained stark and clear – though by no means impassable.Guatemala was portrayed as a dual society, composed of two « races » – ladinos and indígenas – that did not « move to the same compass » (Guatemala. Dirección… 1894,p. 15)28. The differences between them were not, however, « organic »: « The Indianswho enter into any type of immediate relations with the families or services of theactive society, quickly develop an amount of energy disproportionate to what youwould presume from a glance at the race as a whole, and this phenomenon is especiallynoticeable among the Indian women ». Through both sexual and social contact, theboundary between indígenas and ladinos could be easily crossed, though only in onedirection.

52 In most cases where mestizaje was highlighted as a mechanism of racial change, it was

construed as one demographic process among others moving the aggregate populationin a whiter direction. Mestizaje « explained » the shrinking numbers of « Blacks » and« Indians », while simultaneously documenting the particular blend of human typesthat made up the « not exactly white… or almost white » national mestizo type(Martínez-Echazábal 1998, p. 34). Once again, the 1921 Mexican census stands out as anexception that proves the rule. In contrast to the more common tendency to conceivemestizaje as means of collective approximation towards whiteness, the 1921 Mexicancensus emphasized mixed-ness as an end point in itself. In this version of mestizaje, thedistance between mestizo and indígena was symbolically shorter than the distancebetween mestizo and « white ». Matter-of-factly, the census reported that the majorityof the Mexican population corresponded to the raza mezclada, followed by the raza

indígena and then the raza blanca. The blunt reporting of absolute numbers of each« race » was followed by a lengthy discussion of the various indigenous languages andarchaeological treasures to be found in different parts of Mexico. The statisticaldescription of a predominantly mestizo present population was thus followed by thenarrative evocation of the glorified indigenous past upon which modern Mexicanmestizo national identity was constructed (México. Departamento de la estadísticanacional 1928, pp. 51-53).

53 Stepping back, it becomes clear that discussions of racial demographic trends in Latin

American censuses in this period hinge on two distinct, even contradictory,conceptions of the character of the boundaries of whiteness. On the one hand, analysesof differential fertility, mortality, and immigration as sources of growth in the relativesize of the « white » population belie a vision of racial boundaries as solid, stable,enduring29. Change in the racial composition of the nation is envisioned to occurthrough additive increase in the number of « Whites » relative to other racialcategories, while the boundaries between categories remain the same. On the otherhand, analyses of mestizaje as fueling racial demographic change tend to imply a vision

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of the boundary of whiteness as more porous, malleable, even dissolvable in somecases. Aggregate shifts in the population in the direction of whiteness take placethrough integrative increase in the share of the population that is neither « black » nor« Indian ». Rarely, censuses depict mestizaje as a demographic process that blurs allracial boundaries with equanimity, resulting in population projections that tackdirectly in between the constituents parts to the racial mix. More often, censuses showmestizaje to blur the boundary between « white » and mestizo while leaving otherboundaries intact, resulting in population projections that gravitate towards a whiter – if never fully whitened – future.

Discussion and conclusion

54 The survey of efforts to classify and quantify « whiteness » in Latin America’s national

censuses from 1850-1950 makes clear that there is significant variation across theregion and over time in the nuances of racial thought that informed the production ofracial statistics. Indeed, on one level, this analysis confirms the truism that it is alwayshazardous to venture generalizations about « race » in Latin America as if LatinAmerica were a single monolithic and coherent unit. Clearly, to properly understandand explain the specific content and socio-political significance of any of the individualcensus volumes considered here requires rigorous historical analysis of the scientific,political, and cultural contexts of production, reception, and dissemination. The broadcomparative perspective adopted in this article is no substitute for deep historicalresearch on individual cases.

55 Yet the sharply focused but wide-angle analytical lens deployed in this essay

productively complements such idiographic research. The broad comparative analysisof the meaning and measure of « whiteness » in Latin American censuses illuminatesseveral fundamental points of convergence in the racial understandings that informedthe production of statistical portraits of Latin American nations in this period. Takingstock of these points of convergence enriches existing and future idiographic research,by bringing into focus the specificities of individual cases that are most surprising – and thus sociologically interesting – in comparative and historical perspective. Takingstock of shared assumptions about the meaning of whiteness in Latin American censusproduction also illuminates key contrasts – but also significant similarities – to themeaning of whiteness in censuses in the United States. Consideration of the similarities

with the United States, in particular, suggests the potential for development of a LatinAmerican analog to parts of the intellectual agenda charted by « whiteness studies » inthe United States.

56 The comparative review of the production of racial statistics in Latin American

censuses brings to light certain fundamental commonalities in tacit assumptions aboutthe nature, value and boundaries of whiteness. With regard to understandings of thenature of whiteness, the analysis revealed that those who crafted census questionnairespresumed that enumerators did not need guidance to identify « Whites » in thepopulation. Whiteness was treated as if it were completely self-evident, a property ofindividuals that could easily be read by enumerators from bodily and, in some cases,societal cues. With regard to assumptions about the value of whiteness, analysis ofstatistical tables revealed a near universal consensus that « white » belongs first amongracial « kinds ». With regard to conceptions of the boundaries of whiteness, analysis of

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demographic explanations for shifts in the racial composition of populations revealedthat almost all countries in this period pronounced, projected or aspired to collectivedemographic movement in a whiter direction.

57 Analysis of the measure and meaning of whiteness in Latin American censuses also

revealed that multiple and sometimes contradictory understandings of whitenesscoexisted within individual census volumes, with no apparent tension. As noted above,accounts of racial demographic shifts fueled by « natural » increase, immigration, andmestizaje implied simultaneous acceptance of two very different conceptions of thecharacter of white racial boundaries. In addition, while at the individual levelwhiteness was treated as self-evident and stable, an enduring characteristics ofparticular human beings, at the collective level, whiteness was construed as variable, amalleable and (in some versions) achievable trait of national populations. While perhapsnot surprising, the easy coexistence of alternative conceptions of whiteness withinindividual Latin American census volumes underscores the complexity – andslipperiness – of racial categories, both as they are used in practice, and as objects ofsocial scientific analysis.

58 Cross-cutting the historical particularities of individual cases, certain fundamental

understandings of « whiteness » pervade the production of racial statistics in LatinAmerican censuses in this period: whiteness is obvious, whiteness is privileged, andwhiteness is desired. Notwithstanding the myriad ways this generalization would bespecified as applied to any particular case, there is a broad « family resemblance »across the region in the key tacit assumptions about the nature of whiteness thatinform the production of racial statistics in national censuses.

59 The « family resemblance » in tacit understandings of whiteness that informed

statistical production in Latin America appears more starkly when the scope of analysisis extended to include the United States. In addition to the specific points of contrastspecified above, the treatment of whiteness in US and Latin American censusesdiverges sharply in one respect in particular. The conception of whiteness as acollective trait that could be demographically approximated or achieved – a conceptionfound in different variants in census volumes throughout much of Latin America – rancounter to the dominant notion of whiteness operationalized in the censuses of theUnited States. In the US Census in this period, whiteness was not a collective status toachieve, but a national trait to preserve. Demographic trends like immigration andmiscegenation that were hailed in many Latin American censuses as contributions tonational (qua racial) progress, appeared in US censuses as threats to the national racialorder.

60 Yet perhaps in a more fundamental respect, tacit beliefs about whiteness contained in

US and Latin American censuses are very much alike. As in almost all Latin Americancensuses in this period, in US censuses the « white » racial category always came first.It was listed first in enumerator instruction and questionnaires, in statistical tablesreporting results, and in narrative lists of racial categories. The place of « white » in the« natural order » of racial categories was too obvious to be questioned. Ideologicallyorganized statistical tables that inscribed a preference for whiteness were presentedand, we might reasonably assume, read as neutral descriptions of numerical facts.

61 Of course it is precisely the invisibility of the preference for whiteness – exemplified in

the seeming naturalness of placing the « white » category first in tables of racialstatistics – that helped to inspire and is directly challenged by much whiteness studies

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scholarship in the United States. In recent years, especially, this scholarship has beenless concerned with documenting the open and explicit history of racial exclusion andviolence in America, and more concerned with understanding the dimensions of whiteracial privilege and domination that are not generally perceived as such. To date,scholarship on race in Latin America has paid more attention to the former type ofdynamics than to the latter.

62 Here is where the identification of a shared understanding of the « natural order » of

racial categories in censuses from across the Americas generates a promising newavenue of research for students of Latin America. As in the US, the analysis of explicitdiscourses, practices, and experiences of racial marginalization in Latin America wouldbe advanced through simultaneous analysis of socially invisible forms of racialpreference, privilege and domination. By objectifying « whiteness », making tacitassumptions explicit, naming the « obvious », and identifying racial privileges that arenot recognized (by those who enjoy them) as such, research on the social significanceof whiteness in Latin America might help to denaturalize the hierarchical order thattoday still remains « the natural order of things » throughout so much of the region.

63 Acknowledgments: This article was originally prepared for the conference « Des

catégories et de leurs usages dans la construction sociale d’un groupe de référence:“race”, “ethnie” et “communauté” aux Amériques », held at the EHESS, Paris,13-14 December, 2006. I am very grateful to the conference organizers, VéroniqueBoyer and Sara Le Menestrel, for the invitation to participate, and to the otherconference attendees for the stimulating exchange of ideas. I also wish to thank JimCohen and Carmen Salazar-Soler for their thoughtful written comments to the originalconference paper, and Peter Kolchin, Daniel Sabbagh, Charles Hale, Peter Wade, PeterFry, and Juan Carlos Garavaglia for their constructive questions and critiques. Thanksare also due to the anonymous reviewers for the Journal de la Société des Américanistes fortheir thoughtful suggestions for improving the essay. Research for this article wassupported in part by a grant from the Graduate School at the University of Wisconsin,Madison.

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NOTES

1. Foundational works include Roediger (1991; 2005), Dominguez (1994), Ignatiev (1995),

Jacobson (1999). For critical review of contributions to literature on whiteness in the United

States, see Bonnett (1998), Kolchin (2002), Guglielmo (2003).

2. See Kolchin (2009) for a review of recent contributions.

3. Space constraints do not permit a full listing of the many notable contributions to this

literature. Important works include Wade (1993), Skidmore (1993), Mallon (1995), de la Fuente

(2001), Andrews (2004), Larson (2004), and the collection of essays compiled by Appelbaum et al.

(2003).

4. For more on this approach to the analysis of censuses, see, inter alia, Hirschman (1987),

Patriarca (1996), Kertzer and Arel (2002), Otero (2006).

5. To explain changes in census questions and categories within countries over time requires a

deep engagement with the historiography to understand how developments in the political,

scientific, and cultural fields shaped census-taking practices. I have attempted such an analysis of

the Brazilian case elsewhere (Loveman 2009).

6. Many of the nineteenth-century censuses reported in Figure 1 – and some early-twentieth

century censuses as well – have been disavowed by contemporary national statistics agencies as

unreliable and incomplete. But the technical and procedural shortcomings of early censuses do

not hinder their analysis as political and cultural artifacts. For a few of the early nineteenth-

century cases, there are documented reports of a national census but little information beyond

that. These cases require additional research.

7. Note that census queries related to cultural characteristics, such as language used in the

home, dietary choices, or clothing, are not reported in Figure 1. Such queries are directly

relevant to understanding how Latin American statistics agencies conceive (and construct) lines

of « difference » within their respective populations, a larger project which I tackle in another

Journal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009

199

context. The more narrowly circumscribed focus of the present analysis, however, is the subset

of Latin American censuses that attempt to directly discern the « race » or « color » of individuals

in the population.

8. Chile’s early census efforts are analyzed in Jaramillo (2004). Provincial and local level

enumerations took place in several Latin American countries during these decades, but for most

countries, the aspiration to conduct a national census did not bear fruit until the second part of

the nineteenth century or beginning of the twentieth.

9. Most countries dropped direct race queries from census questionnaires for a combination of

pragmatic, political and international reasons (see Loveman 2001, pp. 332-334).

10. On the institutionalization and international diffusion of modern census-taking, see

Ventresca (1995).

11. There is a growing body of research on the connections between census-taking and state and

nation-building in individual Latin American countries. See Clark (1998), Botelho (1998),

Jaramillo (2004), Otero (2006), Raga (2008).

12. In addition to translation of census publications into French (the nineteenth-century

language of international diplomacy), standardized methods, form, and presentation of results

all contributed to the international legibility of census publications.

13. In practice, of course, enumerators may have allowed household heads or others to fill out

their own forms in some contexts. But officially, the enumerator was supposed to assign each

individual to the « correct » racial category.

14. Of the 190 national censuses included in my review, I was able to obtain a copy of the original

census schedule for 115. Of those with a direct race or color question prior to WWII, 56 include

some kind of written instructions to enumerators pertaining to the race query.

15. Conversely, in a few instances tables reporting census results at the provincial level report

the number of amarillo individuals even though amarillo was not an allowable category according

to official enumerator instructions. Such discrepancies speak to the disjuncture between official

visions of the relevant racial kinds that make up the nation and the much broader array of

ethnoracial distinctions informing social interactions in daily life.

16. This claim is based on analysis of the subset of 50 censuses for which I was able to consult the

original census schedule for the official categories used by enumerators. Of these there are four

cases where a « white » category was not included in the official category set: Guatemala 1880;

Honduras 1887; Bolivia 1950, and Colombia 2005 (the latter case corresponds to a different

historical moment in the history of racial enumeration in Latin America, see Loveman 2001, p.

336).

17. In this respect, instructions for racial classification on Latin American censuses mirrored

those in the United States, where clarification for how to identify « Whites » is also conspicuously

absent from enumerator instructions (Nobles 2000, pp. 187-190).

18. The « mulatto » category was eliminated from the US census in 1900. It returned in 1910 and

1920, but in 1930 « Negro » became an all-encompassing category for individuals showing any

trace of African ancestry. On race classification in the US census, see Lee (1993), Goldberg (1997),

Anderson and Fienberg (2000), Nobles (2000), Schor (2009). The exclusion of a « mixed race »

category of any sort for most of the twentieth century in US censuses stands in marked contrast

to racial classification practices in Latin America during the same period.

19. This is not to deny that ideas of « blood purity » informed – and continue to inform – ideas

about race in the social thought and practices of some sectors of Latin American societies. The

point here is that the weight placed on « purity » as a criteria for eligibility in the « white »

census category was much greater in the US.

20. This cautionary tone was reiterated in the instructions to enumerators for the 1940 Peruvian

census. The instructions read: « Is [the individual] white, indian, black, yellow or mestizo? – It is

not necessary to ask this question when the individual is seen; the Enumerator will record the

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200

data according to his personal judgement. Persons without a defined race such as white, indian,

black or yellow will be reported as mestiza » (Perú. Dirección de estadística 1944, p. 598).

21. See Goldstein (2000), Zerubavel (1996), Hirschman (1987), Monmonier (1991), Starr (1987).

22. From the large and still growing literature on this topic, see especially Graham (1990), Helg

(1990), Stepan (1991), Skidmore (1993), Martínez-Echazábal (1998), Wade (1993), Lesser (1995;

1999).

23. The dividing lines within the « white » category were often understood to be racial lines, as

well as national and religious. See Kolchin (2002); Guglielmo (2003). On debates over the merits of

different kinds of « whites » in Latin America, see especially Lesser (1995; 1999); Skidmore (1993).

24. On ideas of race, nation and the census in Argentina, see Otero (2006), Andrews (1980),

Gootenberg (1993).

25. On the subordinate position of blackness and indianness in national ideologies of mestizaje,

see especially Martínez-Echazábel (1988). This racial hierarchy-within-mixture is sometimes

inverted, especially in performative spaces (Wade 1993). But such moments of inversion testify to

the naturalized racial hierarchy within « mestizaje » that prevails more broadly.

26. The numerical majority of indígenas might help account for the pages devoted to describing

the virtuous characteristics of the various pueblos, branches [ramas], and « nations » of Bolivia’s

indigenous peoples – only 9% of whom, according to the census, still lived « in a state of

barbarism » (Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 28).

27. The census text further explained that the mestizo, known as cholos in Bolivia, exhibited the

character of the Spanish and indigenous races from which it emerged, « even though their

features and color are closer to those of the indian » (Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 30).

28. The text also notes a few other marginal « types » in passing, including the « not very

perceptible group of mixed indígena and negro, that of blanco and negro, and the successions of

these two ».

29. On the essentialist assumptions embedded in conventional methods for projecting racial

populations forward, see Hirschman (2002).

ABSTRACTS

Whiteness in Latin America: measurement and meaning in national censuses (1850-1950). Drawing

on an analysis of all national censuses conducted in Latin America from 1850 to 1950, this article

examines how tacit assumptions about the nature of « whiteness » informed the production of

statistical knowledge about Latin American populations. For insight into implicit racial beliefs

that shaped census-taking in this period, the article considers how census agents accomplished

three basic tasks: 1) identifying the « race » of individuals in the population; 2) preparing

statistical tables to publicize census results; and, 3) projecting the racial composition of national

populations in the future. The analysis identifies variation in notions of « whiteness » across the

region, but also points to a set of broadly shared premises about the nature, value, and

boundaries of whiteness that transcended nation-state boundaries in this period. Fundamental

similarities in ideas about whiteness found in Latin American censuses appear even more starkly

when the scope of analysis expands to include the censuses of the United States.

Les Blancs en Amérique latine : mesure et signification dans les recensements nationaux

(1850-1950). Fondé sur l’analyse de tous les recensements nationaux effectués en Amérique latine

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entre 1850 et 1950, le présent article examine la façon dont certains paradigmes tacites sur la

« blancheur » ont modelé la production de connaissances statistiques sur les populations latino-

américaines. Afin de clarifier les croyances raciales implicites qui se sont exprimées dans ces

recensements, l’article distingue trois opérations de base effectuées par les agents du

recensement : 1) identifier la « race » de chaque individu; 2) préparer des tableaux statistiques

pour la publication des résultats; 3) projeter la future composition raciale de la population

nationale. L’analyse identifie des variations dans la notion de « Blanc » à travers la région, mais

révèle aussi une série de paradigmes largement partagés sur la nature, la valeur et les limites de

ce qu’est un Blanc, qui traversait les frontières nationales de l’époque. La recherche conclut que

les similitudes régionales en Amérique latine sur la signification de la « blancheur » sont encore

plus remarquables quand on les compare avec les paradigmes implicites et explicites sur la

« blancheur » dans les recensements des États-Unis pendant la même période.

La blancura en América Latina: medición y sentido en los censos nacionales (1850-1950). A partir

del análisis de todos los censos nacionales realizados en América Latina entre 1850 y 1950, este

artículo examina cómo las premisas tácitas sobre la « blancura » formaron parte de la producción

del saber estadístico sobre las poblaciones latinoamericanas. Con el fin de esclarecer las creencias

raciales implícitas que se plasmaron en los censos de este período, el artículo distingue tres

funciones básicas realizadas por los agentes del censo: 1) identificar la « raza » de cada individuo;

2) preparar cuadros estadísticos para publicar los resultados; 3) proyectar la composición racial

futura de la población nacional. El análisis identifica variaciones en las nociones de la

« blancura » a través de la región, pero también establece un conjunto de premisas ampliamente

compartidas sobre la naturaleza, el valor, y los deslindes de la « blancura », que sobrepasaban las

fronteras nacionales de esa época. Estas premisas compartidas son aún más notables cuando se

comparan con las premisas implícitas y explícitas sobre la « blancura » que informaban los

censos de los Estados Unidos de América durante el mismo período.

INDEX

Subjects: Sociologie, Anthropologie

Geographical index: Amérique latine, États-Unis, Blancs/Métis

Keywords: census, ethnicity, race, social construction of race

Palabras claves: etnicidad, censo, construcción social de las razas, raza

Mots-clés: ethnicité, classifications, race, recensement

AUTHOR

MARA LOVEMAN

Associate professor of sociology, University of Wisconsin, 8128 William H. Sewell Social Science

Building, 1180 Observatory Drive, Madison WI 53706-1393 [[email protected]]

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202

Raciser la société : un projetadministratif pour une sociétédomingoise complexe (1760-1791)Dominique Rogers

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juin 2008, accepté pour publication en juin 2009

1 Il suffit d’avoir vécu aux Antilles quelques mois, parfois seulement quelques semaines,

pour percevoir l’importance que les populations locales accordent à la couleur desindividus. Jean-Luc Bonniol (2001, p. 12) a parlé à ce propos de « société marquée par laprévalence d’une identité de couleur ». Alors que les travaux sur l’hémotypologie et surla génétique des populations (Jacquart 1974 ; Lewontin 1974 ; Lewontin et al. 1984) ontdémontré l’inadéquation du concept de « race » pour l’espèce humaine, faut-ilnéanmoins utiliser les notions de « race », « racisation », voire « racisme », pourqualifier les processus à l’œuvre dans ces sociétés ? « Couleur » et « race » sont-ellesirrémédiablement liées en matière de différenciation sociale ? Historienne, spécialistedes « libres de couleur »1 de la partie française de Saint-Domingue, je considère qu’ilserait intéressant de contribuer au débat en évoquant une société de la fin duXVIIIe siècle présentée ordinairement2 comme la plus brutale, la plus discriminatoire et

la plus raciste des sociétés esclavagistes du Nouveau Monde. L’exemple mérite d’autantplus d’attention que cette société domingoise s’est développée dans un contextethéorique complexe où la notion de « race » au sens contemporain ne se met en placeque très progressivement et où les recherches les plus récentes sur les libres de couleurde cette colonie renouvellent notre connaissance de cette société. Pour traiter de laquestion, j’aborderai deux aspects assez différents : d’une part, un projet administratifd’organisation de la société domingoise en fonction de la couleur des individus, projetqui nous intéresse moins pour son contenu précis, déjà assez bien connu globalement,que pour sa qualification et, d’autre part, la manière dont les diverses composantes de

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la société locale ont appréhendé les différences que l’on désigne aujourd’hui parfois parles termes d’« ethniques » ou « raciales », mais pour lesquelles on pourrait peut-êtretrouver d’autres épithètes.

Le projet de réforme de l’administration métropolitaine

2 Avant de tenter de qualifier ce projet de l’administration métropolitaine française,

rappelons-en brièvement le contexte. Après la guerre de Sept ans (1756-1763),l’administration centrale française décide de réorganiser la société domingoise enprenant comme exemple ce qui s’est fait, bien plus tôt, en Louisiane3, dans les petitesAntilles4 et en métropole 5 et en légalisant le principe d’une barrière infranchissableentre les Blancs et les Noirs. Les esclaves ne sont pas la cible visée ; leur sort,ordinairement misérable, ne permet aucune confusion, même avec le plus pauvre desBlancs. La cible, ce sont les libres de couleur : des hommes noirs ou métis, libres denaissance ou par affranchissement, qui, en vertu des articles LVII et LIX du Code noir de1685, jouissent des mêmes droits et privilèges que les Blancs. Le Code ne mentionneaucun argument pigmentaire ou racial pour justifier l’esclavage et, en accordant auxanciens esclaves l’égalité des droits avec les autres sujets du roi, il démontre une totaleindifférence du législateur à une éventuelle « macule servile » ou pigmentaire. Sil’usage favorise l’affranchissement des métis, la loi ne distingue que les affranchis et leslibres de naissance. L’article LVIII du Code noir obligeait les premiers à marquer uncertain respect à leurs anciens maîtres, alors qu’il n’en était rien pour les seconds.

3 Pour tenter de mettre en place cette barrière, les administrateurs nommés par l’État et

les cours locales prennent des mesures discriminatoires à l’encontre des libres decouleur de Saint-Domingue. À partir de la fin des années 1750, plusieurs arrêts limitentleur possibilité de porter des armes : interdiction de porter une machette (1758) ou uneépée (1761), sauf s’ils sont en service pour la milice ou la maréchaussée (1762). Entre1758 et 1767, il leur est aussi interdit de vendre ou d’acheter de la poudre ou desmunitions sans autorisation du gouverneur. Des professions, des fonctions et des étatsprestigieux leur sont aussi progressivement enlevés : l’accès à la prêtrise et à lanoblesse en 1763, les professions de chirurgien et de médecin en 1764, l’exercice d’unecharge ou fonction publique en 17676, le rang d’officier de milice en 1768. De 1770 à1782, l’offensive se radicalise en s’attaquant à une population de couleur beaucoup pluslarge. En 1772, dans la juridiction de Port-au-Prince, les assemblées nocturnesd’hommes de couleur libres sont soumises à l’autorisation des juges. En 1773, lesadministrateurs interdisent aux libres7 de porter un nom de Blanc et leur imposentl’adoption d’un surnom d’origine africaine. La même année, ils édictent une loisomptuaire. Enfin, en 1783, les libres de couleur ne peuvent plus être qualifiés de sieuret de dame dans les documents officiels.

4 Après 1783, les règlements explicitement discriminatoires envers les libres de couleur

cessent. Les nouveaux administrateurs envoyés à Saint-Domingue sont chargés de« recueillir le sentiment des conseils supérieurs, des chambres d’agriculture et deshabitants qu’ils jugent les plus dignes de leur confiance » pour « tempérer le parti prisde la dégradation établie [contre les libres de couleur] et [de] lui donner même unterme »8. En effet, à Paris, les choses ont changé. Dans les années 1760, les ministres descolonies (Praslin en 1766, Bourgeois de Boynes en 17729) et le premier comité delégislation considéraient les libres de couleur comme d’anciens esclaves et, à ce titre,

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des ennemis des Blancs. À la fin des années 1770, « les personnes les plus réfléchies » – notamment les membres du deuxième comité de législation (1778-1781), mais aussi lemaréchal de Castries (Debbasch 1967, pp. 126-130) – estiment que les libres de couleurdoivent être perçus « comme la barrière la plus forte opposée à tout trouble de la partdes esclaves »10. Les libres de couleur apparaissent alors comme des propriétairesd’esclaves, nécessairement attachés au maintien du système. Cependant, en 1788,lorsque les instructions ministérielles annoncent la décision « de tempérer […] ladégradation établie », le ministère choisit d’attendre « l’époque où les signes quiattestent l’origine des gens de couleur auront disparu »11. Beaucoup, à la suite deDebbasch (ibid., p. 20), en concluent que la société domingoise a « résistévictorieusement à ces pressions » métropolitaines dissidentes jusqu’à la fin de l’AncienRégime.

5 Comment doit-on qualifier le processus administratif ici rappelé ? Pour Debbasch (ibid.,

p. 34), il s’agit de la mise en place d’un « régime de castes fondé sur la distinction descouleurs ». Cette analyse est-elle suffisante ? Ou doit-on lui préférer celle d’unetentative de « racisation » ou de « racialisation » de la société ?

6 À certains égards, l’expression « régime de castes » peut sembler inadaptée pour

décrire la société domingoise. Celle-ci est, certes, composée de trois groupes, mais ils nesont pas fermés à la manière d’une caste et ne se différencient pas strictement par lacouleur. D’un côté, les esclaves comme les libres de couleur sont des Noirs ou desmétis ; d’un autre, les esclaves par l’affranchissement deviennent des libres de couleur.Les Blancs mésalliés sont exclus de leur groupe d’origine, tandis qu’un certain nombrede métis très clairs parviennent à franchir la ligne et sont assimilés de fait aux Blancs.Néanmoins, s’il s’agit de caractériser le projet des administrateurs, l’expression« régime de castes » est pertinente car elle suggère bien la création de catégoriesétanches.

7 Faudrait-il néanmoins préférer les termes de « racisation » ou de « racialisation » ? En

effet, la référence au critère de la couleur pour distinguer les populations entre ellespeut sembler insuffisante pour caractériser un système dont la dimension raciste ouraciale paraît évidente. Cette référence ne légitime-t-elle pas des discriminationsenvers un groupe d’individus délimité par leur couleur, c’est-à-dire, dans le langagecommun, en fonction d’un des critères fondamentaux définissant la notion de« race »12 ? Dans une première version de ce texte, nous avions envisagé d’employer leterme « racialisation » pour tenter de rendre compte du processus que nous voulionsobserver. Nous empruntions ce néologisme à Michel Wieworka (1996) qui le définit ences termes : « processus par lequel une société se représente de façon plus ou moinsdécisive, comme constituée de groupes raciaux, de races en concurrence et enopposition ». La « racialisation » étant en fait une variété de « racisation », néologismeinventé par l’anthropologue Colette Guillaumin (2002), moins à la mode mais sansdoute plus précis, il a paru plus opportun de préférer ce dernier terme. La « racisation »désigne un processus dans lequel un groupe dominant crée « des catégories », qu’ilopprime « au nom d’un signe biologique irréversible ». Dans une formulation plusscientifique, Véronique de Rudder (1998, p. 34) le décrit comme « l’attribution ou larevendication d’appartenance d’un ensemble particulier d’individus définis par unensemble syncrétique et indissociable de caractéristiques naturelles et culturelles,physiologiques et psychologiques, biologiques et mentales ». De prime abord, la volontédes administrateurs des années 1760 de séparer strictement les populations en fonction

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205

de leur couleur et leur perception de ces composantes comme ennemies semblentparticiper d’une démarche d’exclusion en fonction d’un signe biologique et donc d’unprocessus de « racisation ».

8 Pourtant, ne faudrait-il pas d’abord que les populations opposées correspondent

effectivement à des groupes raciaux ou que l’on peut considérer comme tels ? Si onanalyse le discours des contemporains, on est confronté au fait que ceux-ci ne parlentjamais de préjugé de race, mais de préjugé de couleur. On le sait, le terme « race » n’aacquis que progressivement son sens moderne (Jouanna 2003). Les premièresclassifications de l’homo sapiens en races distinctes apparaissent avec François Bernieren 1684, puis avec l’histoire naturelle de Buffon en 1749, le Systema naturae de Linné en1758, enfin le De generis humani varietate nativa de Johan Friedrich Blumenbach en 1776.Dès lors, on trouve les expressions de « race blanche », « race noire ou nègre » chez levicomte de Mirabeau, Rousselot de Surgy13, chez Pierre-Victor Malouet, chez Hilliardd’Auberteuil et chez bien d’autres. L’abbé Raynal (1780, p. 292) parle de la « racevigoureuse des mulâtres », Émilien Petit de la « race indienne », tandis que monsieur deSaint-Lambert souhaite que l’on ne distingue aux colonies que « deux races d’hommes,celle des libres et celle des esclaves »14. À l’évidence, les uns et les autres ne se réfèrentpas exactement aux mêmes choses et, en tout cas, pas à ce que l’usage communcontemporain appelle des races. Ici sont en effet juxtaposées ce que l’on nomme parfoisles « catégories pures » et les « catégories métisses » et, plus simplement, des groupeshumains, voire des classes. Utiliser alors le terme de « race » ou de « racisation » pourdécrire le processus administratif proposé, ne nous ferait-il pas courir le risque d’unecertaine confusion ?

9 De manière plus fondamentale, l’argumentaire développé par les administrateurs pour

justifier cette nouvelle politique suggère aussi au chercheur la prudence, car ladifférence alléguée entre les Noirs et les Blancs n’est pas d’ordre essentialiste, maissimplement contingente. Si, comme le souligne Colette Guillaumin (2002, p. 9), la raceest une construction imaginaire, une « vérité imaginaire et non concrète » dont il n’estpas nécessaire d’établir la réalité physique, elle suppose néanmoins l’affirmation d’unedifférence d’ordre biologique15 et pas seulement chromatique. Or les discours despropagandistes de cette politique sont loin d’être aussi radicaux. Certes, en 1771,Bourgeois de Boynes évoque une différence de nature entre les Noirs et les Blancs : « lesadministrateurs ne doivent pas accorder de grâce qui tendrait à réduire la différenceque la nature a mise entre les Blancs et les Noirs et que le préjugé politique a eu soind’entretenir comme une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendants nedevaient jamais atteindre »16. Émilien Petit (1777, p. 283), le président du premiercomité de législation, parle aussi de « la supériorité du sang blanc », distinct selon luide celui des Noirs. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’expliquer les conséquences funestesque peut avoir une promesse d’affranchissement, il compare l’attitude des esclaves àcelles des domestiques blancs de métropole que le désir de jouir plus vite « d’un legsqui les rend à eux-mêmes, abandonnent, dans la maladie, s’ils n’en précipitent pas la finde la vie, les maîtres assez imprudens [sic] pour faire connaître différentes dispositionsqui engagent à souhaiter leur mort au lieu de veiller à leur conservation » (Petit 1777,section VI). Preuve de leur commune humanité, même pour Émilien Petit17. Le texte desinstructions confiées aux administrateurs va certes plus loin en suggérant de mettreplus de distance « entre les deux espèces ». Cette terminologie, à une époque où cesnotions ne sont pas très claires, est-elle bien significative ? La très grande majorité descontemporains du XVIIIe siècle (Blumenbach, Buffon, Linné etc.) restent foncièrement

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monogénistes et donc convaincus de l’unicité de l’espèce humaine, à la différence de ceque l’on observe à la fin du siècle suivant.

10 Au XVIIIe siècle, l’administration métropolitaine justifie ordinairement la subordination

des hommes de couleur par une infériorité des Noirs liée à l’esclavage. En 1776, lesriches libres de couleur de Gorée, invités à émigrer en Guyane après le traité de Paris,ont obtenu un statut différent18 de celui des autres hommes de couleur de la colonie.Comme le précise Sartine aux gouverneurs de la Guyane de l’époque : « C’est l’esclavageet non la couleur qui imprime aux nègres une tache ineffaçable » (Tarrade 1995, p. 139).De manière tout aussi explicite, le ministère justifie la nouvelle législation, non par unmépris épidermique, mais par la nécessité politique de maintenir les esclaves dans lasujétion pour éviter les révoltes. Les instructions envoyées à Saint-Domingueprécisent :

Les gens de couleur sont libres ou esclaves, les libres sont des affranchis ou desdescendants d’affranchis : à quelque distance qu’ils soient de leur origine, ilsconservent toujours la tache de l’esclavage. […] Cette distinction rigoureuse,observée même après la liberté, est le principal lien de la subordination parl’opinion qu’il en résulte que sa couleur est vouée à la servitude et que rien ne peutle rendre égal à son maître.19

11 N’est-ce qu’un artifice ? Le contexte historique des années 1750 et 1780, avec la

conspiration de Macandal qui a fait trembler la colonie, les traités de paix imposés auxBlancs par les Saramaka et les Ndjuka du Surinam comme cela avait été aussi le caspour les Noirs marrons de la Jamaïque dès 1739, pouvait légitimement réveiller lescraintes. De plus, dans le même temps, le déséquilibre entre la population blanche et lamain d’œuvre servile ne cessait d’augmenter. Enfin, lorsqu’en 1788, le ministèreenvisage de mettre un terme au préjugé, il entend véritablement « confondre [les libresde couleur] avec les Européens et les Créoles », preuve que les différences entre les unset les autres ne sont pas perçues comme essentialistes, encore moins génotypiques ousimplement biologiques, et pas du tout comme irréversibles, du moins pour lesréformateurs du deuxième comité de législation. Or si le critère de différenciation n’estni biologique, ni essentialiste, ni irréversible, peut-on encore parler de race ?

12 Ne pourrait-on chercher ailleurs et, s’inspirant de l’exemple de l’Amérique espagnole,

analyser cette politique administrative comme une très classique tentative deréorganisation de la société coloniale en fonction de catégories fermées comparables àcelles des sociétés d’ordres européennes20 ? Au Mexique, Federica Morelli (commentaireoral 2006) constate qu’il y a eu pendant « toute l’époque coloniale, et surtout à partir duXVIIe siècle, […] une tension constante entre l’image traditionnelle de la société

ordonnée et les pratiques et les dispositions sociales engendrées de facto par lesconditions de la conquête et de la colonisation ».

Vers 1640, par exemple, certains curés de la ville de Mexico avaient des registres demariage séparés pour les différentes castes. Au fur et à mesure que les processus demétissage biologique se réalisaient et que les combinaisons et transformations semultipliaient, se multipliaient également les initiatives pour décrire cesphénomènes : des taxinomies notamment qui, se fondant sur les degrés de relationet la gradation de la couleur de la peau, couvraient toute la gamme du Blanc auNoir. Les célèbres « pinturas de castas » constituent un magnifique exemple de cesinitiatives : par ces peintures les artistes essaient d’illustrer un systèmeclassificatoire, conçu afin de faire l’apologie et de maintenir la suprématie sociale,d’une élite créole qui se sentait menacée par la contamination. Les effortscompliqués de ces artistes pour représenter et classer en sous-groupes familierstoutes les combinaisons, croisements raciaux et mélanges de couleurs possibles et

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imaginables ressemblent à une tentative d’imposer un ordre sur la confusion. Danscette espèce de « pigmentocratie », la « blancheur » se transforma, au moins enthéorie, en indicateur de la position dans l’échelle sociale. L’accusation de sang-mêlé, qui impliquait le stigmate d’illégitimité, était utilisée pour justifier unepolitique ségrégationniste qui excluait des castes des charges publiques etégalement de l’affiliation aux corporations et confréries. Cependant, comme l’ontdémontré plusieurs recherches, les barrières de cette ségrégation étaient bel et bienfranchissables, ce qui engendrait de fait une sorte de flexibilité ethnique légalisée.(Douglas Cope 1994)

13 L’État, d’ailleurs, fut contraint de le reconnaître en mettant en place des mesures de

gracia al sacar permettant aux plus riches de jouir des mêmes avantages que lesEspagnols, et cela quelle qu’ait été leur couleur. Comme le note Federica Morelli (commentaire oral 2006), « bien que l’Amérique coloniale espagnole se soit transforméeen une société codifiée par la couleur, l’identification entre la couleur et le statut socialn’y était pas du tout absolue pour autant ».

14 Cette grille d’interprétation peut s’appliquer, nous semble-t-il, de manière assez

pertinente au cas domingois, même si cela exige quelques explications. Une analysesommaire pourrait laisser croire à l’inadaptation de cette grille en alléguant que lasociété domingoise était, depuis le XVIIe siècle, beaucoup plus fluide que la société

métropolitaine et que les seules mesures de changement envisagées concernent leslibres de couleur. En fait, la question est peu étudiée et la réalité est un peu différente.À la fin du XVIIIe siècle, les tentatives de réorganisation sociale dans un sens plus

traditionnel concernent aussi, quoique dans une moindre mesure, les « petits Blancs ».Certaines instructions données aux services de police suggèrent l’existence d’uncourant favorable à une hiérarchisation plus traditionnelle21 en ce qu’elles envisagentde ne pas accorder plus d’égards aux petits Blancs qu’aux libres de couleur,contrairement à l’attitude à avoir vis-à-vis des « Blancs domiciliés »22 ou des« habitants »23 suivant les textes. Les cahiers de doléances des « grands Blancs » de 1789(Maurel 1935) qui mentionnent l’application contre eux de la « grande police » vontdans le même sens. Les difficultés d’insertion des nouveaux immigrants du XVIIIe siècle,

le mépris dont ils sont victimes de la part de la population blanche et les pétitionscontre leur venue, l’attestent également (Cauna 1998, pp. 229-262). Les travaux deFrostin (1973), quant à eux, documentent fort bien cette peur réelle des petits Blancsd’une réorganisation sociale en fonction de la fortune et du statut, comme cela s’étaitpratiqué au XVIIe siècle lorsque engagés blancs et esclaves noirs étaient vendus et traités

au quotidien de façon également cruelle. Dès lors, le projet concurrent24, dont ÉmilienPetit fut l’apologiste, tendant à regrouper l’ensemble de la population blanche dans ungroupe unique, lié à la France, dans le cadre d’un processus plus large de redéfinitionde l’identité française, nous semble n’exprimer qu’une des solutions envisagées par lasociété domingoise, par ailleurs si souvent et si longtemps tentée par l’autonomie.

15 Un détour par la situation guyanaise permet d’enrichir le débat. Selon l’anthropologue

Marie-José Jolivet (communication orale 2006), les projets d’organisation sociale visenttoujours à « asseoir la hiérarchie mise en place avec la colonisation esclavagiste » etfavorisent les Blancs au détriment des autres.

Il faut être Blanc, chrétien et de naissance honorable pour faire partie du groupesitué au sommet, le fait d’être esclave (indépendamment de sa place sur l’échellechromatique) suffit à rejeter toute personne au bas de cette même échelle qui,toutefois, descend encore jusqu’au « Bossale » et au « Sauvage ». Quand on sait, parailleurs, que le « Sauvage » est amérindien et le « Bossale » africain, on voit mieux

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apparaître la position de l’esclave « créole », puis du « Créole » tout court parrapport à ceux qui peuvent encore se définir par l’une ou l’autre des précédentescatégories (les deux existant en Guyane).25

16 La situation domingoise est, malgré tout, différente de la guyanaise, tout comme

d’ailleurs de celle de la Nouvelle France26. À Saint-Domingue, l’administration centraleinstitue une hiérarchie différente. En 1767, le Roi, au travers de son ministre de laMarine, rappelle que les Indiens sont assimilés en tout aux Blancs, à la différence desNoirs et de leurs descendants.

La raison de cette différence porte sur ce que les Indiens sont nés libres et onttoujours conservé l’avantage de la liberté, dans les colonies, tandis que les nègresn’y ont été introduits que pour y demeurer dans l’état d’esclavage, première tachequi s’étend à tous leurs descendants.27

17 De manière très concrète, les Indiens et leurs descendants peuvent accéder à toutes les

charges et fonctions publiques à Saint-Domingue ainsi qu’à la noblesse. Les argumentssont bien sûr historiquement fallacieux, puisque les Indiens ont aussi été réduits enesclavage et que les libres de Gorée ne sont pas venus comme esclaves à Saint-Domingue. Une fois de plus cependant, l’État semble construire une hiérarchie qui nefonctionne pas selon une logique raciale simple. Pour être au sommet, on peut êtreBlanc, Amérindien ou descendant d’Amérindien. Dès lors, même dans cette phase aiguëde discrimination envers les libres de couleur, il n’y a pas de crispation sur la blancheurabsolue. La société blanche locale entérine d’ailleurs cette logique. Lors desdénonciations pour mésalliance comme dans l’affaire Chapuizet (Debbasch 1967,pp. 71-74), l’argumentaire des accusés effectivement métis n’est pas « ma famille atoujours été blanche », mais « mon aïeule était une Indienne ». Ils utilisent sans doutela brèche ouverte par l’administration, tout en affirmant aussi leur absence de rejet dela différence. Dès lors, si le processus de hiérarchisation sociale proposé par l’Étatn’obéit pas à un discours idéologique unique, mais varie dans le temps et l’espace, ilapparaît possible, sinon nécessaire, de suggérer qu’il s’élabore en fonction d’uncontexte stratégique et/ou social particulier que l’on ne doit pas évacuer.

18 À ce stade, il nous semble que le projet des administrateurs des années 1760-1770,

distinct de celui des années 1780, peut sans doute être qualifié de processus deracisation de la société domingoise, par le fait même qu’il entend créer une barrièreinfranchissable entre les hommes en mettant en avant le critère de la couleur, même siles promoteurs de cette réforme n’ont pas les outils intellectuels pour parler en termesde race et qu’ils ont peut-être le sentiment de participer à une tentative deréorganisation beaucoup plus classique. Nous nous écartons ici du point de vue deColette Guillaumin, pour qui la notion de « race » au sens contemporain de ce mot nepeut guère s’appliquer avant le XIXe siècle. Aux États-Unis où des débats importants ont

divisé les chercheurs sur cette thématique pendant de nombreuses années, nous noussituerions volontiers aux côtés de ceux qui pensent qu’il est possible de faire usage deces termes, même s’il n’y a pas de justification biologique des différences. « The results of

prejudice [seem] more important than their ideological underpinnings »28 (Anderson 2005,p. 101). Jean-Luc Bonniol (2007) adopte d’ailleurs une posture similaire. Il faudraitnéanmoins, pour en valider la pertinence, que le fonctionnement social des habitantsde la colonie française de Saint-Domingue corrobore cette analyse.

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La société domingoise face au projet métropolitain

19 Au-delà des projets administratifs, comment la société locale a-t-elle appréhendé sa

diversité chromatique ? Pour beaucoup, la réponse est évidente, tant il est d’usaged’affirmer que l’inspiration des règlements discriminatoires se trouve aux îles. Laprésence du Domingois Émilien Petit à la présidence du premier comité de législation,comme celle de Jean Dubuc au bureau des colonies, ou encore le soutien financier del’État aux travaux de Médéric Moreau de Saint-Méry en seraient une illustrationévidente. Néanmoins, les travaux les plus récents29 sur les Noirs en France commed’autres plus anciens30 suggèrent que la peur du mélange des races, ressentie par lesélites françaises, explique en partie les décisions prises à une époque où les Noirs sontplus nombreux et s’intègrent assez facilement aux locaux (Boulle 2007). Pourtant,lorsqu’il s’agit d’étayer leur conviction, les historiens ont la fâcheuse habitude den’interroger que la composante blanche de la population domingoise. Ils évoquent lesilence des esclaves noirs, voire leur immobilisme total, et proclament le quarteronJulien Raimond leader incontesté des libres de couleur. Ils citent à l’envi le voyageurAlexandre Stanislas de Wimpffen, le colon métropolitain Hilliard d’Auberteuil et lejuriste créole Moreau de Saint-Méry. Ils affirment volontiers que les autres adhèrent aumodèle proposé par l’administration, sauf quelques rares exceptions, toujours discrètesen public. Le discours dominant des élites exprime-t-il autre chose que sa propreperception des choses ? En diversifiant les sources d’information et en examinant lescomportements des différentes composantes de la société domingoise vis-à-vis duprojet métropolitain, la nature et les valeurs de cette société se révèlent d’une manièreplus fine et plus exacte. Il n’est pas possible d’en rendre compte ici de manièreexhaustive, mais nous en évoquerons quelques aspects.

20 Du côté des élites coloniales, consultées à plusieurs reprises sur la question du préjugé

de couleur dans les quarante dernières années de l’Ancien Régime, nous disposons aminima d’une pluralité de témoignages différents du discours unanimiste trop souventallégué. Lorsqu’en 1797 Moreau de Saint-Méry divise la population domingoise entreize classes d’individus, distinctes par « la nuance de la couleur de leur peau » et pardifférents éléments phénotypiques, il se positionne effectivement dans une logiqueraciale. On retrouve dans l’introduction de la Description… à la fois l’idée de lasupériorité de l’homme blanc et celle de l’impossibilité d’une quelconque fusion enraison d’une différence biologique. Néanmoins, l’analyse fine de l’œuvre du juristemartiniquais montre qu’il n’est pas le théoricien raciste radical que l’on a souvent faitde lui. Dans Loix et constitutions…, il est fait mention de plusieurs arrêts favorables auxlibres de couleur. Dans Description… de la partie française de l’isle de Saint-Domingue, maintspassages laudateurs révèlent l’ambivalence du regard de Moreau de Saint-Méry (Rogers2006). À propos du préjugé de couleur, il précise :

Cet indice, auquel il serait peut-être plus dangereux de croire, c’est l’œil du préjugéqui le voit et, s’il se promenait dans l’Europe entière, il trouverait, avec ce système,de quoi y former aussi une nomenclature colorée ; car qui n’a pas observé, envoyageant dans cette partie du monde, des teints bien obscurs et des traits quisemblent appartenir à l’Afrique ? (Moreau de Saint-Méry 1984, tome 1, p. 100)

21 Marcel Dorigny note, nous semble-t-il très justement : « sa vision du cloisonnement

racial dans les colonies était avant tout fonctionnelle » (Dorigny, in Moreau de Saint-Méry 2004, tome 1, pp. XIX-XX). De manière encore plus caractéristique, dès lesannées 1770, les élites coloniales consultées – parmi lesquelles on compte Barré de

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Saint-Vénant, Hilliard d’Auberteuil, Malouet d’Alibert – ne parlent que de l’assimilationdes libres de couleur avec les Blancs et dépassent donc la logique raciale desadministrateurs, puisqu’ils envisagent de faire abstraction de l’ascendance objective.Certes, le terme envisagé est parfois lointain et concerne essentiellement les plus clairs.Hilliard d’Auberteuil (1777, tome 2, p. 82) suggère d’attendre le sixième degré demétissage comme l’avait proposé l’amiral d’Estaing dès 176531. En 1776, Barré de Saint-Vénant propose plutôt le stade du quarteron. Pierre Victor Malouet d’Alibert,ordonnateur de Saint-Domingue entre 1765 et 1769, puis époux d’une Domingoise àpartir de 1785, va même beaucoup plus loin (Debien et Thésée 1975). En 1785, ilenvisage de normaliser les relations entre les Blancs et les libres, de ne distinguerparmi ceux-ci que deux ou trois classes d’hommes en fonction, non de la couleur, maisdes activités économiques et de l’accès à la propriété (Malouet 1803).

22 Les conseillers supérieurs et, plus largement, les praticiens du droit n’ont guère laissé

d’ouvrages exposant leur position, mais les choix qu’ils ont opérés dans la mise enœuvre de la nouvelle politique nous semblent éclairants. À Saint-Domingue, les conseilssupérieurs, chargés d’enregistrer les règlements de police émanant des administrateurset d’interpréter le droit par leur fonction de haute cour, sont un rouage essentiel de lapolitique administrative. Or le conseil supérieur de Port-au-Prince a proposé une visionalternative de la norme administrative et s’est opposé avec fermeté aux projetsdiscriminatoires de l’intendant intérimaire Alexandre Lebrasseur. En 1781 et 1782, ilrefuse d’enregistrer les trois règlements qui limitent l’accès des libres aux professionsde sage-femme, d’apothicaire32 et d’orfèvre. Les conseillers argumentent : « La policelaisse les gens de couleur libres jouir de la faculté de travailler […] certainementcomprise dans l’article LIX de l’édit de 1685, par lequel le roi accorde aux affranchis lesmêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres »33.Cette ordonnance est « une atteinte directe portée à l’état des affranchis en général »(Archives nationales, fonds Colonies, C9a 151, le 4/5/1781). « Messieurs lesadministrateurs se croiraient-ils autorisés à détruire la disposition d’un édit ? » (ibid.).La résistance des conseillers s’inscrit sans doute dans un conflit de pouvoir plus large,mais on remarquera qu’ils ne se sont pas engouffrés dans cette porte largement ouvertede la discrimination légale des libres de couleur. Ni l’ordonnance sur les orfèvres, nicelle sur les sages-femmes ne furent enregistrées et ne furent donc appliquées34. Leministère, acquis alors aux idées nouvelles, désavoue d’ailleurs la prise d’initiative desadministrateurs : « en refusant l’enregistrement d’un pareil règlement, contraire àtoutes les dispositions de l’ordonnance du 30 avril 1764, le conseil de Port-au-Prince n’afait que se conformer aux ordonnances des mois de mars 1766 et mai 1775, qui assurentirrévocablement à Saint-Domingue le maintien de l’autorité du roi »35. Le ministreajoute : « le désir de faire des règlements, quoiqu’il parte souvent d’un bon principe,aveugle quelquefois au point de trouver mauvaises les dispositions les plus sages desloix du souverain, et de ne trouver bon que ce l’on fait »36. Finalement (est-ce lesouvenir de Macandal ?37), l’ordonnance sur les poisons fut appliquée malgré lesreprésentations des conseillers38. Quelques années plus tard, alors que lesadministrateurs nouvellement nommés par le deuxième comité de législation sontfavorables à l’atténuation du préjugé de couleur, les conseillers soutiennent leur actioncontre la population blanche du Mirebalais qui refuse de recevoir, dans une compagniede dragons blancs, trois riches libres de couleur, les frères Montas. Point de vue demétropolitains ou de Créoles sensibles aux idées des Lumières ? La récente thèse deNavarro-Andraud (2007) ne permet guère de percevoir les positionnements

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intellectuels et politiques des membres des conseils, elle confirme néanmoins laprésence de Créoles, comme Moreau de Saint-Méry, parmi les conseillers, même si leurproportion reste à préciser39.

23 Dans l’exercice de leur fonction de juge40, les conseillers supérieurs, comme les

magistrats de première instance de la partie ouest de Saint-Domingue, n’ont paspratiqué au civil une « justice de race » (Pluchon 1982, p. 178), privilégiantsystématiquement les Blancs sur les Noirs, même si cela n’exclut pas des tentativesd’intimidation à l’extérieur du tribunal et sans doute au niveau des commandants dequartier. Au conseil supérieur de Port-au-Prince, entre 1776 et 1789, les juges donnentraison aux libres de couleur dans près de 60 % des cas de litige contre un Blanc. Ilsappliquent les mêmes règles de droit écrit qu’en métropole : ils réclament les mêmespièces (acte authentique ou acte privé reconnu comme preuve pleine et suffisante)pour prendre leurs décisions et usent des mêmes pratiques quand celles-ci font défaut.L’existence de procédures, où le serment d’un libre de couleur, même Noir non métissé,est reçu contre un Blanc avec succès nous semble la preuve évidente que les juges neconsidèrent pas qu’il existe une infériorité de principe des Noirs par rapport auxBlancs.

24 Enfin, au quotidien, les jurislateurs41 n’ont pas appliqué strictement les règlements

discriminatoires en matière d’identification des personnes. Dans les contrats demariage du Cap-Français, la liberté des clients libres de couleur est justifiée par la« possession d’état » et non par le recours à des titres écrits (certificat baptistaire ouacte d’affranchissement) comme le prévoit l’article VI du règlement de 177342. Il estalors souvent impossible de savoir si on a à faire à un affranchi ou un libre de naissance.Les surnoms tirés de l’idiome africain prévus pour les affranchis et les enfantsillégitimes n’ont pas été attribués avec toute la rigueur nécessaire pour permettre lacréation d’une onomastique de couleur spécifique. En outre, la rétroactivité de lamesure a été difficile à mettre en œuvre, quelques affranchis et quelques enfantsillégitimes ont changé de nom, beaucoup ont gardé l’ancien. Les procédures deprotestation en usurpation d’identité restent très rares, alors que les exemplesd’enfants illégitimes de couleur portant des noms de Blancs sont pléthores. Dans le casdes nouveaux affranchis, la résistance des familles blanches est évidente43.

Catégories et « sous-racisme »

25 L’un des critères essentiels du succès des processus de « racisation » des sociétés réside

dans la pratique, à l’intérieur de la population dominée, de ce que l’on appelle la« cascade de mépris » ou le « sous-racisme » (Debbasch 1967, p. 119), tant cette attitudesuppose l’intériorisation par celle-ci du préjugé de la population dominante racisante.Selon Yvan Debbasch (1967), le préjugé de couleur impose que l’on ne se fréquentequ’entre gens de même nuance de couleur. Il affirme que chaque sous-groupe de lacommunauté libre de couleur « se veut et se sent étranger à ceux que l’éthique racistelui indique comme étant situés à des niveaux inférieurs au sien » (ibid., p. 307). Qu’enest-il ?

26 Tout processus de sous-racisme nécessite d’identifier les autres individus en fonction

d’une palette de couleurs ou catégories de couleur ou de métissage sur laquelle ilconvient de s’arrêter en préalable. Sur cette thématique, la classification de Moreau deSaint-Méry, publiée en 1797, occupe une place plus importante dans le débat qu’elle ne

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le devrait. On oublie trop souvent qu’elle est une production littéraire qui s’inscrit dansun projet de légitimation de l’esclavage et de subordination de la population libre decouleur. Elle ne reflète donc pas la réalité. De la fin du XVIIe siècle au début de la

Révolution, l’administration coloniale ne connaît que quatre catégories : les « nègreslibres », les « mulâtres libres », les « quarterons libres » et les « Blancs ». Lesjurislateurs (notaires, greffiers), qui sont toujours plus proches des locaux, utilisentcependant une palette de couleurs plus large avec sept nuances (« nègre », « mulâtre »,« grif »44, « quarteron », « tierceron »45, « mestif »46 et « sang-mêlé »), auxquelles ilconviendrait d’en ajouter deux autres : « blanc », mais le terme n’est jamais indiquédans les actes, et « indien » ou « sauvage » pour les rares Amérindiens. Ces catégories,plus variées que celles du législateur, prouvent l’importance accordée par les locaux àla couleur des individus. Le nuancier est en effet spécifique, il se distingue de celui de laMartinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, lesquels sont d’ailleurs tous différentsentre eux. Certains termes sont inspirés de l’espagnol47, mais pas toujours avec lesmêmes significations. Cette palette a aussi évolué dans le temps. En 1765, dans le cadrede la réforme des milices, le gouverneur d’Estaing propose d’intégrer les enfants desmestifs dans les compagnies des Blancs, « car les mestifs forment la dernière classe desgens de couleur » (Moreau De Saint-Méry 1784-1790, tome IV, article 28 del’ordonnance générale des milices du 15 janvier 1765). En 1777, Hilliard d’Auberteuil(1777, p. 82) tentant d’évoquer des individus au sixième rang de métissage parle de la« petite-fille d’une mestive », là où, en 1797, Moreau de Saint-Méry utiliserait le terme« quarteronnée ». Tenté à son tour d’évoquer un stade plus lointain, Moreau de Saint-Méry, en 1797, fournit une mauvaise périphrase « sang-mêlé qui s’approchecontinuellement du blanc » (Moreau de Saint-Méry 1984, tome 1, p. 86). À l’évidence, àce stade et d’ailleurs bien avant, les passages de la ligne (l’intégration des libres decouleur dans la catégorie des « Blancs » ou leur assimiliation aux Blancs) sont sansdoute extrêmement fréquents, même si certains dont l’origine paraît suspecte ne sontpas à l’abri de procès ou de vexations48. D’une manière générale, Hilliard d’Auberteuil,Alexandre-Stanislas de Wimpffen, Moreau de Saint-Méry, Julien Raimond ne sont pastous d’accord sur l’aspect des individus qui sont qualifiés de « sang mêlé », de « mestif »ou de « tierceron ». Cette dernière catégorie n’est même pas citée dans la classificationde Moreau de Saint-Méry, alors que nous avons trouvé dans les archives notariales et legreffe plus d’une trentaine d’individus qualifiés ainsi (Rogers 1999, chap. 5).

27 L’existence d’une palette de couleurs extrêmement variée induit-elle des relations

hiérarchisées en fonction de la couleur des individus ? Ainsi que nous l’avions évoquédans un précédent article (Rogers 2003), au quotidien, les hommes de couleur et lesautres sont souvent beaucoup plus pragmatiques, et cela aussi bien chez les plusmodestes que chez d’autres plus aisés.

28 Pour ce qui est des esclaves, notre connaissance est tout à fait embryonnaire.

Ordinairement, les historiens49 affirment l’existence d’une hiérarchie interne au mondeservile où les métis sont toujours favorisés par rapport aux Noirs non-métissés. PourSaint-Domingue, ils citent souvent Moreau de Saint-Méry dans la Description… française

de l’isle de Saint-Domingue ou dans son mémoire anonyme d’un planteur de Saint-Domingue. Dans les deux cas, le juriste créole affirme :

Il n’est pas un nègre qui osa acheter un mulâtre ou un quarteron pour s’en faireservir. Si cette tentation avait lieu, le quarteron esclave préfèrerait le parti le plusviolent, la mort même, à un état qui le déshonorerait de sa propre opinion, et tous

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ceux de sa caste se croiraient obligés de seconder ses projets, parce qu’ilspartageraient son infamie.

29 L’anecdote est saisissante, mais elle n’exprime que le préjugé de celui qui la relate. La

réalité domingoise le contredit maintes et maintes fois. Même si les métis sont assezpeu nombreux dans la population servile, les cas de Noirs libres achetant des métisenfants ou adultes sont bien réels, ceux d’esclaves métis ayant survécu chez leurspropriétaires plus foncés aussi. Notons l’exemple, en 1783, de la négresse libre Marie-Jeanne Niady acquérant, pour 2 700 livres, Suzanne, mulâtresse créole de 28 ou 30 ans,et sa fille de trois ans, Nanette50. De même, en 1788, Pauline, négresse libre, achète,pour 5 280 livres, un mulâtre, maître d’hôtel et confiseur du célèbre Barré de Saint-Vénant, membre de la chambre d’agriculture du Cap51. En 1777, lorsque le grif libreSimon Mansel décide d’épouser son esclave, plus claire que lui, Rosalie, mulâtresse,leurs amis, les nègre libres Jean-Baptiste et Barbe Mouton, « pour marquer leurcontentement »52, font don au jeune couple de deux esclaves de sexe féminin, de582 livres de meubles et effets divers et d’une somme de 1 782 livres qui restera lapropriété personnelle de la jeune fiancée, en plus du douaire promis par le futurconjoint. Où est l’ostracisme, le sentiment d’infamie ? Enfin, il conviendrait aussi de serappeler qu’à la différence de ce qui se passe dans les petites Antilles, les planteursblancs de Saint-Domingue pendant les deux derniers tiers du XVIIIe siècle confient

encore des postes de commandeur à des Noirs non métissés et même, plus souvent, àdes Africains qu’à des Créoles (Debien 1974, p. 122)53. De même, nombres d’ouvriers detalent, de chefs d’équipes ou de domestiques attachés à la personne des maîtres, en villecomme à la campagne, sont des Africains ou des nègres créoles et non des métis. Tousces éléments ne favorisent pas le développement systématique d’une logique dediscrimination favorable aux plus clairs par rapport aux plus foncés, sur la base decapacités intellectuelles soi-disant inférieures ou supérieures.

30 Du côté des libres de couleur, les faits le confirment aussi. Parmi les partenaires

économiques54 de Julien Raimond, John Garrigus (1996, p. 17) a signalé l’existence deBlancs, de mulâtres, mais aussi d’une négresse libre, originaire du Curaçao. Anne-Dominique Acquiez, qui a été affranchie à l’âge de 25 ans, possède à Aquin une aubergeet une boutique en 1770. Pendant trois ans et demi, Julien Raimond a pris ses repasdans son établissement et, en 1775, s’est fait livrer quelque 402 livres de marchandises.Entre eux, des liens plus personnels se sont tissés. En 1773, Julien sert de témoin pourauthentifier son testament. Plus important, son frère, Guillaume Raimond, signe soncontrat de mariage, en grande pompe, chez « Mama Acquiez ». Au-delà des différencespigmentaires, la familiarité semble possible.

31 Dans les villes de Saint-Domingue, la ségrégation résidentielle n’existe pas. Au quartier

de la Petite Guinée du Cap, seuls 46 % des bailleurs ou des locataires sont des nègreslibres, les 54 % restant se répartissent presque également entre Blancs et métis. Commeà Port-au-Prince, les Blancs, les Noirs et les métis sont présents dans tous les quartiers.Du fait de la configuration particulière des maisons domingoises, propriétaires etlocataires partagent souvent la cour, la cuisine et le puits, en toute simplicité. D’autresvivent effectivement sous le même toit, sans qu’il y ait concubinage. Entre juin et juillet1784, le quarteron libre Joseph Pironneau sous-loue plusieurs appartements d’unemaison donnant sur la rue Royale et sur la rue des Religieuses : le sieur ConstantinParfait prend une chambre et deux cabinets sur la rue Royale ; le sieur Lasserre, uneseule chambre sur la même rue ; les négresses libres Marie-Louise A. Traitté et Marie-

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Louise Tardivy choisissent chacune une chambre et un cabinet sur la rue desReligieuses. Le montage est prévu pour le long terme : seul le bail de Marie-Louise A.Traitté n’est que de trois ans, les autres ont une durée de sept ans55. Si, à Port-au-Prince, les propriétaires métis privilégient souvent les locataires blancs, le quarteronJoseph Pironneau semble ici faire pleinement confiance à des négresses libres.

32 Dans les villes comme dans les campagnes, la proximité résidentielle a permis le

développement de relations de voisinage, de confiance et d’amitié parfois qui suggèrentle nivellement des différences d’autant plus qu’elles ne s’inscrivent pas dans desrapports hiérarchiques forts. Au Cap-Français, le choix du maître d’apprentissage sefait indépendamment de la couleur : depuis le petit Blanc56 confié à un quarteronjusqu’au petit mestif confié à un nègre libre. Au moment de choisir la personne quirachètera et/ou éduquera leurs enfants encore esclaves, les négresses libres du Cap-Français font confiance, dans 40 % des cas, à un tuteur blanc ou métis, souventd’ailleurs sans compensation financière. Ainsi, « en reconnaissance de la bonne amitiéqu’elle lui porte et des services qu’elle lui a rendus depuis cinq ans qu’elle la loge, lanourrit, et qu’elle continue à lui rendre journellement » (Rogers 1999, p. 582), Marie-Jeanne, négresse libre du Cap, lègue tous ses biens à la dame Veuve Cottin, « mulâtresselibre, sa sincère amie ». Plus largement, les testaments mentionnent aussi des petitsprêts du quotidien consentis sans reconnaissance de dette, ainsi que des legs accordés àdes amis ou à des filleuls d’une couleur différente. En 1784, dans la paroisse isolée duBaynet, le nègre libre François Tourat57, sellier de profession, favorise ainsi un petitmulâtre Jean-François Fillières, une petite négrille, Marie-Françoise Fillières, sa demi-sœur, et une quarteronne Marie-Henriette Tourat.

33 Selon Bonniol et Benoist (Bonniol 1992, 2001 ; Bonniol et Benoist 1994), l’une des

caractéristiques les plus fondamentales des sociétés marquées par un ordre socioracials’apprécie au niveau des pratiques matrimoniales ou reproductives. La sélection duconjoint s’établit « en fonction de l’origine et/ou des caractères physiques » desindividus et participe donc à la reproduction de l’ordre socioracial imposé. À cet égard,dans l’état actuel de la recherche, Saint-Domingue se singularise une fois de plus parrapport aux autres colonies françaises. Les mariages mixtes, jamais interdits, s’ypratiquent pendant toute la période. En 1777, Hilliard d’Auberteuil (1777, p. 79) affirmequ’il y a « environ trois cent [sic] blancs mariés à des filles de sang-mêlé, [et que]plusieurs sont nés gentilshommes ». En 1780, Pierre-Ulrich Dubuisson (1780, p. 59)renchérit :

L’indigence confond de toute part les rangs et les couleurs : la fille unique d’unnègre ou d’un mulâtre propriétaire du plus petit terrein [sic] sera recherchée parvingt de ces misérables cadets, nés sur des terres qui, après avoir été leur berceau,ne seront jamais leur demeure.

34 En fait, les mariages mixtes restent assez fréquents à la fin de l’Ancien Régime : ils

représentent 17 % des unions légitimes dans le Sud (Houdaille 1963), 7 % des contratsde mariages à Port-au-Prince et 11 % au Cap-Français58. En outre, ils s’observent dansdes milieux divers, modestes mais aussi plus aisés. En matière de concubinage, le faiblenombre de femmes blanches favorise les femmes de couleur, qui sont le plus souventl’unique compagne de leur partenaire blanc. La jurisprudence des conseils supérieursde Saint-Domingue très favorable aux enfants naturels simples assure à ces enfants desrevenus parfois très importants et suggère que le concubinage est un état aménagé,moins ostracisant qu’on ne le suppose ordinairement.

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35 Les contrats de mariage entre personnes de couleur que nous avons étudiés confirment

l’importance de l’identité pigmentaire, davantage entre les Noirs non-métissés et lesmétis, qu’entre individus relevant de différentes catégories de métissage. De manièresymptomatique, les grifs sont très peu nombreux dans la population libre de couleur.Ils représentent moins de 2 % de la clientèle des notaires du Cap-Français contre 56,5 %pour les nègres libres et moins de 4 % de la clientèle de couleur de Port-au-Prince,contre 39,2 % pour les nègres libres et 44,3 % pour les mulâtres. D’une manièregénérale, on épouse quelqu’un de sa nuance de couleur dans près de 80 % des cas auCap-Français et 70 % à Port-au-Prince. Si l’on ne prend en compte que les nègres libres,ce taux s’élève respectivement à 90 % et 86 %. En revanche, les métis du Cap-Françaisne respectent la norme que dans 61 % des cas, contre 54,5 % à Port-au-Prince. Àl’évidence, les transgressions sont aisées entre métis. Le quarteron Julien Raimond et sadeuxième femme, la mulâtresse Françoise Dasmard-Challe, en sont d’ailleurs un bonexemple. Souvent, les transgressions concernent les milieux assez fortunés. En 1785, lanégresse libre Anne Barthélémy dite Sancié59 apporte une dot de près de 40 000 livres(quatre esclaves offertes par sa mère et 32 000 livres de biens propres en esclaves,argent et divers effets personnels, dont des bijoux). Comme dans les riches mariagesmixtes, des précautions sont prises et la communauté est limitée à 12 000 livres. Cetteétude a été menée uniquement à partir des contrats de mariage, il conviendrait sansdoute de l’élargir avant de conclure.

36 Peut-on déduire de cette situation l’existence d’un « sous-racisme » (Debbasch 1967,

p. 118) ou l’intériorisation du préjugé de couleur ? Si le racisme suppose l’existence degroupes d’individus supérieurs à d’autres et légitime la domination des premiers sur lesseconds, il nous semble qu’il faut répondre par la négative, du moins entre gens decouleur. La proximité des relations des uns et des autres au quotidien l’interdit. S’ilimplique peur et mépris de l’autre, il nous faut aussi répondre négativement. Demanière exemplaire, lors de la signature de 25 % des contrats de mariage au Cap,l’assistance est composée de personnes de toutes les couleurs. Certaines sont desvoisins de la Petite Guinée, du Haut-du-Cap pour Geneviève Scipion, d’autres desartisans d’un même secteur professionnel. En 1788, le mariage de Marie-Noëlle,négresse libre, et de Louis Rodin, mulâtre libre, scelle une union déjà féconde. Lamarraine et le parrain du petit garçon sont là : l’un est quarteron, l’autre mulâtresse.Un négociant blanc est parmi les témoins ainsi que deux mulâtres. La mère de Marie-Noëlle, Marie-Catherine dite Angélique surnommée Fabia, une négresse, affranchie en1783, est aussi présente. On mentionne enfin une autre négresse libre, la sœur utérinede l’époux. À l’évidence, les nuances n’ont pas l’air de gêner les uns et les autres. Dansla petite paroisse rurale de Baynet, partie sud de la colonie, en 178360, la négresseMarie-Magdeleine Denis ouvre sa maison au quarteron Antoine Lavoile et à lademoiselle Marie-Jeanne Moutard, mulâtresse libre, pour la signature de leur contratde mariage. Dans la partie ouest, la même année, le mulâtre libre Jean Pouillot,surnommé Azor, connu sous le nom de Bernon61, au moment de rédiger son testamentn’oublie aucun de ses parents en esclavage, quelle que soit leur couleur : sa mèreGuitonne, négresse créole, âgée de 72 ans, mais aussi son jeune « frère naturel »Hyppolite, nègre créole, âgé de trente ans. Tous sont confiés à la garde d’un quarteronlibre Pierre Gabriel Pellerin, cordonnier de Croix-des-Bouquets, chargé d’obtenir leurliberté. Cette situation ne prévaut pas dans toute l’île et notre propos ne sauraits’appliquer à son ensemble même s’il n’est pas seulement valable pour le monde urbain.Il y a sans doute une variété de situations, liées à des contextes sociaux distincts, que

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seules des études complémentaires permettront de préciser. Dans les campagnes duNord (King 2000, p. 223) ou de l’Ouest notamment, il semble que les grandes famillesmétisses les plus riches tendent à se structurer de manière plus classique en s’alliant àd’autres familles de leur couleur, plus même qu’à des Blancs.

Conclusion

37 Les hommes de la fin du XVIIIe siècle qui conçoivent et soutiennent le projet

administratif de réorganisation de la société domingoise dans un sens discriminatoiren’ont pas les connaissances biologiques ou génétiques pour élaborer une théoriediscriminatoire de type racial, comme ont pu le faire les théoriciens des XIXe et

XXe siècles, même si certains s’en approchent (Praslin, Bourgeois de Boynes, Moreau de

Saint-Méry par quelques aspects). Leur projet participe sans doute par certains côtésdavantage d’une tentative de réaction face à une société locale dont le fonctionnementquotidien apparaît comme potentiellement dangereux pour le maintien de l’ordreesclavagiste, en ce qu’il est constamment en contradiction avec un ordre socioracialbinaire. Dès lors, projeter une grille explicative racialiste simple pour rendre compte dela complexité, de la « schizophrénie »62 – voire simplement de la pluralité d’opinionsd’une société où certes des discriminations que nous appelons raciales existent demanière patente, mais où d’autres types de relations sont aussi possibles de manièreordinaire entre gens de couleur différente – nous semble tout à fait insuffisant. À partirdu moment où les stratégies de contournement et, plus largement, les comportementsordinaires n’obéissent plus, sur une large échelle, à la logique administrativediscriminatoire, la question fondamentale des critères pertinents pour qualifier unesociété de « racisante » se pose à nouveau. Les travaux de Barbara Fields (1990) sur lesquestions raciales aux États-Unis d’Amérique offrent peut-être une hypothèsesuggestive pour appréhender la situation domingoise. À la fin du XVIIIe siècle, nous

serions ainsi à ce moment charnière où l’idéologie de la race se met en place et où lasociété locale hésite encore sur le fonctionnement social à adopter. À ce stadeintermédiaire, toutes ses composantes n’auraient pas encore intégré cette « routinecomportementale »63 qui permet de vérifier au quotidien l’application de cetteidéologie, ce qui expliquerait la pluralité des discours et les comportements peuconformes.

38 Nous ne prétendons pas avoir donné de réponse définitive. Cependant, la difficulté de

certains à accepter la complexité de la société domingoise que nous avons tenté dedécrire s’ancre sans doute dans un traitement téléologique de l’histoire, où l’onvoudrait trouver dans la société locale de la fin de l’Ancien Régime toutes lesexplications de la période révolutionnaire. Dans le cas domingois, néanmoins, cettedémarche, a priori acceptable, est biaisée par une perception racialisée très forte, maistrès réductrice de la révolution haïtienne. Les carrières bien différentes d’un Jean Kina(Geggus 2002), d’un Jean-François, leader de l’insurrection de 1791 puis généralissimedes troupes espagnoles, ou d’un Toussaint Louverture engagent en effet a minima à laprudence. La présence de Blancs comme Ferrand de Baudière ou Jean-Baptiste Gérard64

aux côtés des libres de couleur dès 1789 ou aux cotés des anciens esclaves pour lestroupes polonaises du général Leclerc suggère aussi la complexité d’un très long conflitoù la couleur est loin d’être le seul critère explicatif des événements. Dès lors, cesquelques pages invitent à approfondir l’analyse des différents groupes sociaux

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domingois, notamment la population blanche, au-delà des seules élites, mais aussi celledes esclaves, en tenant compte de la diversité géographique et organisationnelle de lasociété locale. Mieux cerner les ressorts des politiques administratives avant, pendantet après la mise en place du projet des années 1760-1770 apparaît également essentiel.Enfin, s’il y a racisation à partir des années 1760, quelle est la nature de la situationantérieure ? Quels rapports y a-t-il entre le fonctionnement social avant 1789 ou 1791 etla variété des réactions et des évolutions pendant la Révolution et après ?

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NOTES

1. Il s’agit d’une personne noire ou métisse libre de naissance ou par affranchissement.

2. Par des auteurs allant de Thomas Madiou à Doris Garaway en passant par Cyril L. R. James,

Yvan Debbasch, David Nicholls, Jean-Luc Bonniol. À titre d’exemples récents, on pourra se

reporter aux travaux de Garaway (2005, p. I) et de Bonniol (1992, p. 77).

3. Le Code noir de 1724 y était beaucoup plus radical que celui de 1685 qui avait cours dans les

Antilles françaises.

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4. Une déclaration du 8 février 1726 étend aux îles du Vent (Martinique et Guadeloupe) les

dispositions de l’article 52 du Code noir de 1724, lequel article interdit les donations entre « vifs »

(personnes vivantes) au profit des hommes de couleur. Une déclaration du 3 octobre 1730 impose

aux hommes de couleur le paiement d’une capitation. L’article 6 de l’ordonnance des

administrateurs de la Martinique réactive la disposition en 1766 (Petit 1777, pp. 266, 253).

5. À partir de la fin du XVIIe siècle, de nombreuses mesures sont prises pour limiter le séjour des

esclaves, puis plus généralement des Noirs et gens de couleur dans la métropole : édit du

25 octobre 1716, déclaration royale du 15 décembre 1738, ordonnances des 31 mars, 5 avril et

30 juin 1763…

6. L’interdiction date de 1733, mais elle n’a vraiment été appliquée qu’à partir de 1767.

7. Sur l’application de ce règlement, voir Rogers (1999, chap. 5).

8. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry,

F3/72, folio 46.

9. Archives nationales, fonds Colonies, B 141, folio 193, v°-195, 26 novembre 1772, lettre de

Boynes à Vallières et Montarcher (cité in Tarrade 1991, p. 380).

10. Archives nationales, fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/72, notamment

folio 46.

11. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry,

F3/72, folio 241. Instructions au gouverneur du Chilleau du 1/8/1788.

12. La définition du terme est évidemment plus large, comme le rappelle l’article « race » du

dictionnaire Le Robert, édition 2004 : « groupe ethnique qui se différencie des autres par un

ensemble de caractères physiques héréditaires (couleur de la peau, forme de la tête, proportion

des groupes sanguins) représentant des variations au sein d’une même espèce ». En général, elle

désigne les individus selon trois catégories : « Blancs », « Jaunes » et « Noirs ».

13. Rousselot de Surgy et le vicomte de Mirabeau sont cités par Pierre Boulle (1988).

14. Archives nationales, F3/139, folio 289, réflexions sur les moyens de rendre meilleur l’état des

nègres et des affranchis des colonies, mémoire dit de Saint-Lambert.

15. « C’est la croyance en la différenciation bio-physique et non l’apparence qui est impliquée

[dans le racisme] » (Guillaumin 2002 p. 95). « La biologisation de la perception, dès qu’elle est

associée à la perception de la différence sociale, forme le nœud de l’organisation raciste » (ibid.,

p. 96).

16. Cité par Pierre Pluchon (in Wimpffen 1993, p. 34).

17. John Garrigus (2006, p. 113), qui a étudié l’ensemble des écrits du Domingois Émilien Petit,

démontre de manière assez convaincante que « Petit’s racism was not primarily biological, but driven

by the need to orient colonial “patriotism” toward France » [« le racisme de Petit n’est pas à l’origine

d’ordre biologique, mais lié au besoin d’orienter le patriotisme colonial vers la France »

(traduction de l’auteur, D. R.)].

18. L’exemption de la capitation obtenue par les libres de Gorée faisait coexister deux types de

libres de couleur à la Guyane. Ils durent finalement payer la capitation, mais ils purent aller en

métropole sans demander l’autorisation des administrateurs (Debbasch 1967, pp. 55-56).

19. Archives nationales, fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/91, instructions

aux administrateurs, messieurs Fieldmont et Malouet en 1776, p. 209.

20. La formulation exacte de Federica Morelli (communication personnelle 2006) est la suivante :

« tentative, typique des sociétés d’Ancien Régime, de mettre de l’ordre dans une situation

confuse au sein d’une société corporatiste et hiérarchisée, [plus] que [d]’une véritable tentative

de “racialisation” de la société dans le sens de créer des catégories visant à engendrer des

logiques ségrégationnistes ».

21. Voir la lettre de Reynaud de Villeverd du 21 février 1781 aux commandants en second (citée

in Pluchon 1991, p. 407).

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222

22. Voir la lettre co-signée par l’intendant de Montarcher au sénéchal du Cap en date du 9 juillet

1772 (citée in Pluchon 1991, p. 407).

23. Voir la lettre de Reynaud de Villeverd du 21 février 1781 aux commandants en second de la

colonie (citée in Pluchon 1991, p. 407).

24. Sur ce projet, voir Garrigus (2006, pp. 109-116).

25. On pourra se reporter à la communication intitulée « Races, ethnies et communautés : la

Guyane et Saint-Domingue en miroir » que Marie-José Jolivet a prononcée pour le colloque « Des

catégories et de leurs usages dans la construction sociale d’un groupe de référence : “race”,

“ethnie” et “communauté” aux Amériques », décembre 2006, EHESS, Paris.

26. Sur les variations des politiques françaises d’assimilation des populations amérindiennes,

voir Belmessous (2004) et Aubert (2004).

27. Voir Petit, Traité sur le gouvernement des esclaves, lettre du ministre du 7 janvier 1767, p. 258.

28. « Les conséquences du préjugé [nous semblent] plus importantes que leur justification

idéologique » (traduction de l’auteur, D. R.).

29. Voir Peabody (1996) et Noël (2006).

30. Voir Boulle (1988) et Elisabeth (1954).

31. L’article 28 de l’ordonnance générale des milices du 15 janvier 1765 propose que les « enfants

des mestifs servent dans la milice avec les Blancs » (voir Moreau de Saint-Méry 1784-1790,

tome IV). Pour une étude détaillée, voir Frostin (1973, pp. 669 et sq.).

32. Moreau de Saint-Méry 1784-1790, tome V, article V de l’Ordonnance sur les poisons.

33. Archives nationales, fonds Colonies, C9a 151, le 4/5/1781.

34. Les notaires mentionnent plusieurs clients de couleur exerçant cette profession jusqu’à la fin

de la période.

35. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, F3/78, p. 249.

36. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, F3/78, p. 249.

37. Macandal était un esclave de la partie Nord à qui on avait attribué des vagues

d'empoisonnement et dont la traque avait duré plusieurs années en raison de nombreuses

complicités dans la population servile. Le souvenir de son épopée était encore vivant en 1791

chez les esclaves comme chez les maîtres.

38. Mars 1781 : refus d’enregistrer l’ordonnance sur les poisons, après la sommation du

gouverneur, envoi de représentations signées par Bourdon et Volunbrun, le 28 avril. Archives

nationales, fonds Colonies, C9a/151, le 28/4/1781. Mai 1781 : idem pour l’ordonnance sur les

orfèvres.

39. Elle note la présence d’au moins 12 Créoles parmi les 95 conseillers, présidents, assesseurs, et

procureurs des deux conseils de Saint-Domingue qu’elle a identifiés pour la période de 1763 à

1792. Les autres sont, pour 26, des métropolitains et l’origine des 51 autres est inconnue (voir

Navarro-Andraud 2007).

40. Sur les libres et la justice du roi, voir Rogers (1999, chap. 5).

41. Le terme de « jurislateur » se ditingue du terme « législateur » en ce que le second désigne

les instances qui font la loi, alors que le premier évoque celles qui ne font que la mettre en

pratique (ici greffiers et notaires).

42. Voir Moreau de Saint-Méry 1784-1790, tome IV, article 6 du règlement de 1773 sur

l’identification des personnes.

43. Sur l’application du règlement de 1773 à Saint-Domingue, voir Rogers (1999, chap. 5).

44. Dans l’usage ordinaire, le terme « grif » désigne un individu de sexe masculin dont l’un des

parents est noir non métissé et l’autre mulâtre.

45. À Saint-Domingue, au XVIIIe siècle, le terme « mestif » désigne, en règle générale, un individu

né d’un parent blanc et l’autre quarteron, alors que le mot « tierceron » évoque une personne

dont l’un des parents est quarteron et l’autre mulâtre. Le « sang-mêlé », cas très rare,

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223

correspond, dans le schéma le plus simple, à un individu dont l’un des parents est mestif et

l’autre blanc. Sur la palette des couleurs domingoises, voir Rogers (1999, chap. 5).

46. Pour éviter les confusions, dans cet article, le terme « mestif » renvoie à une catégorie de

désignation domingoise précise et non à un groupe générique incluant tous les sangs-mêlés

quelle que soit leur nuance de couleur.

47. Les termes « mulâtre », « grif » et « quarteron » sont calqués sur l’espagnol, avec

respectivement mulato, grifo, cuarterón (Lavallé 1993, p. 153).

48. Sur la catégorie des suspects, voir Debbasch (1967, pp. 66-67) et Ogle (2006, pp. 23-46).

49. Pour un point de vue similaire récent, voir Régent (2004).

50. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 200, vente du 18/2/1788.

51. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 200, vente du 18/2/1788.

52. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notariat de Saint-Domingue,

Grimperel ancienne cote 845, vente du 18/2/1788.

53. Pendant la Révolution, Jacques Houdaille (1963) a observé une légère préférence pour les

Créoles sur les Africains. Plus de 50 % des 150 ateliers analysés étaient dirigés par des Créoles

dans la zone occupée par les Anglais. Geggus (1999, p. 41) suggère qu’à la veille de la Révolution

les commandeurs de la partie nord étaient principalement des Créoles dans les exploitations de

plaine plus anciennes et donc très créolisées (3 Créoles sur 5), mais plutôt des Africains dans les

exploitations des mornes, souvent beaucoup plus récentes et pourvues d’ateliers composés de

plus d’Africains.

54. Voir l’inventaire de ses 159 papiers commerciaux déposés, en 1786, chez le notaire Paillou.

55. Archives nationales d’Outre Mer, DPPC, notariat de Saint-Domingue, Rivery registre 1545,

testament du 12 décembre 1777.

56. Un cas unique. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, 176, Bordier jeune,

contrat d’apprentissage du 12/10/1779.

57. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, 649 Funuel de Séranon, acte n° 119,

testament du 15/12/1784.

58. Soit 7 cas sur 68 à Port-au-Prince et 12 pour 110 au Cap-Français.

59. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 1521, Porée, contrat du

18/10/1785.

60. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, ancienne cote, Funuel de Séranon,

645, acte n° 26 du 25/9/1783

61. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Guieu, notsdom 889, acte n° 562,

testament du 28 août 1783.

62. Pérotin-Dumon (1998, p. 643) évoque une « schizophrénie vécue intimement, mais aussi

collectivement entre interdits officiels et liens de fait ».

63. Sur cette idée, voir Fields (1990, p. 114).

64. Sur Jean-Baptiste Gérard, se reporter à l’ouvrage de Jacques de Cauna (1998, pp. 378-381).

RÉSUMÉS

Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791).

L’auteur s’intéresse à la pertinence des termes « race », « racisation » et « racisme » pour

qualifier les processus à l’œuvre dans la société domingoise française de la fin du XVIIIe siècle. Elle

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distingue ce qui relève des politiques mises en œuvre par les administrateurs métropolitains et

les agents du pouvoir local pour lesquelles ces termes peuvent être pertinents, à certains

moments (premier comité de législation), mais pas à d’autres (deuxième comité de législation).

Elle leur oppose la diversité des comportements des différentes composantes de la population

domingoise (Blancs, libres de couleur et esclaves) dont elle invite à approfondir l’étude.

S’appuyant sur les travaux de Barbara Fields, elle fait l’hypothèse que la fin du XVIIIe siècle

correspond à un moment charnière de l’histoire de la colonie où l’idéologie de la race se met en

place et où la société domingoise hésite sur le fonctionnement social à adopter.

Racializing a society: an administrative plan for a complex French colonial society (Saint-

Domingue 1760-1791). The author deals with the relevance of the terms « race », « racialization »

and « racism » to qualify the processes at work in the colonial society of French Saint-Domingue

at the end of the 18th century. She describes what concerns the policies implemented by the

metropolitan administrators and their local agents for which these terms can be relevant at

certain moments (during the first committee of legislation) but not in others (during the second

one). She also takes into account the variety of the behaviour of the various members of the

Domingan society (Whites, free people of colour and slaves) and she invites to deepen their

study. In the same line as Barbara Fields’s work, she makes the hypothesis that the end of the

18th century is a turning point of the history of the colony when the ideology of race is set up

and when the French Saint-Domingue society is hesitating on the social functioning to be

adopted.

« Racializar » la sociedad: un plan administrativo para la sociedad colonial francesa compleja de

Saint-Domingue (1760-1791). En este artículo se pregunta acerca de la pertinencia de los términos

« raza », « racialización » y « racismo » para calificar los procesos que se dieron en la sociedad

francesa de Saint-Domingue hacia el final del siglo XVIII. Se describen las políticas implantadas

por los administradores metropolitanos y los agentes del poder local en las que estas palabras

pueden aplicarse en algunos momentos (primer comité legislativo) pero no en otros (segundo

comité). A estas políticas se contraponen los variados comportamientos de los diferentes

componentes de la población local (blancos, hombres de color libres y esclavos) que requieren ser

estudiados más a fondo. En la continuidad del trabajo de Barbara Fields, se puede hacer la

hipótesis que el final del siglo XVIII representa una transición en la historia de la colonia en la que

la ideología racial se impone, titubeando la sociedad local acerca de su modo de funcionamiento.

INDEX

Index géographique : Antilles, Saint-Domingue

Keywords : race, free people of colour, racialization, Whites, administration

Mots-clés : race, racialisation, Blancs, hommes libres de couleur

Palabras claves : legislación, racialización, raza, hombres de color libres

Thèmes : Histoire

AUTEUR

DOMINIQUE ROGERS

Université des Antilles et de la Guyane, UFR de Lettres et Sciences Humaines, campus de

Schoelcher, quartier Ravine Touza, 97275 Schoelcher [[email protected]]

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The politics of « racial »classification in BrazilPeter Fry

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en octobre 2007, accepté pour publication en septembre 2008

The question

1 The very first law that introduced racial quotas in Brazilian universities was enacted in

November 2001 by the state legislature of Rio de Janeiro. Apart from the 50% quota forcandidates who had studied in public schools which had been enacted a few monthspreviously, this new law reserved 40% of all places in Rio’s state-owned universities fornegros or pardos1. From the beginning the Rio authorities were concerned with the bestway to classify candidates into these « racial » categories. After consulting« authorities » (myself included), it was decided that there were no objective criteriafor defining a person’s race. The method, therefore, would be self classification.Candidates for the 2002 entrance exam were obliged to fill in a form which askedamong other things the candidate’s « race ». Question 24 reads thus: « In accordancewith decree n.30.766, of 04/03/2002, I declare, under penalties of the law, that I identifymyself as negro or pardo: ( ) Yes/( ) No ». If the candidate did not tick one of the boxes,the instructions for filling in the form explained, he or she would be considered branco.Quite clearly, then, candidates were obliged to classify themselves in one of twocategories: negro or pardo versus branco eligible or not for the racial quotas. Later thelaw was changed, the racial quotas were reduced to 20% and candidates were askedwhether they were negro or not. No longer were they asked if they were pardo.

2 There were many problems. More than 300 candidates filed suit claiming that they had

lost their places to blacks or public school candidates with lower scores. One candidate,who refused to fill in question 24 because he was against the quota system, failed to

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enter the faculty of law although he claimed that he would have done so if he haddeclared himself negro. Candidates that seemed pretty branco were interviewed on TVclaiming African ancestry. The Coordinator of the NGO Educafro which prepares youngnegros for the entrance exam, Frei David, accused the State University of Rio de Janeiro(UERJ) of permitting « frauds ».

3 It was probably to avoid this kind of problem that the University of Brasília opted for

photographs and commissions. In June 2004, under rules introduced that year,candidates for the University of Brasília’s entrance examination formed two queues:one for those competing for the 20% of places reserved for negros and one for the rest.Those claiming to be negro had their photographs taken: on the basis of these pictures acommission dubbed a « racial tribunal » in a recent article (Maio and Santos 2005),composed of a student, a sociologist, an anthropologist and three representatives ofBrazil’s Black Movement, decided whether they were really black or not. Thecommission rejected 212 out of 4,385. 34 of these complained, and were interviewed bya second commission, composed of university teachers and members of non-governmental organizations, which asked among other things whether they had stronglinks to « black values and culture ». One young man said afterwards that they askedhim whether he had belonged to the Black movement and if he had ever had a mulata

girl friend. In the end only 13 of the 34 were denied a black identity.

4 Many Brazilian intellectuals expressed some astonishment that one of the leading

universities in the country could have adopted racial classification techniques redolentof the eugenics movement of the 1930s. Others wrung their hands at what they saw asan affront to Brazil’s identity as a mestizo republic where racial identity was formallyimmaterial. Defenders of the newly introduced quotas maintained that Brazil mustbreak with its French republican tradition of colour-blindness. Unequal treatment wasnecessary, they argued, for those who were, in fact, unequal. To treat all equally wasthe only way of avoiding dealing with racial inequality (Fry 2004; Maggie and Fry 2002;Maio and Santos 2005; Santos 2004).

5 But the debate concerned not only problems of classification, but also of taxonomy, the

classificatory system itself. On the one side, there were those who pointed to centuriesof « miscegenation » to argue that the introduction of a bi-racial taxonomy would leadto the formation of opposing racial groups in Brazil with the risk of bringing aboutracial hatred and strife. The defendants of the quotas argued that Brazil has alwaysbeen in fact divided into negros and brancos, the latter discriminating against the former(« ask any policeman », was a common comment) (Sales 2006), but that this underlyingtaxonomy had been masked by « miscegenation » and the myth of racial democracy. Onthe face of things, the dispute is simply between those in favour of affirmative actionand those contrary to it. I would argue, however, that underlying this politicalconfrontation is a dispute over taxonomies; on the one hand taxonomies with multiplecategories, and on the other a simple bipolar taxonomy of negros and brancos.

6 In this paper I wish to reflect on the genealogy of Brazilian racial taxonomies as a way

of better understanding what is at stake during the present debate on affirmativeaction and reparation.

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Taxonomies and classifications

7 De quelques formes primitives de classification. Contribution à l’étude des représentations

collectives [QFPC] (Durkheim and Mauss 1968) as is well known is the classic textannouncing the social genesis of systems of classification.

Loin que l’on soit fondé à admettre comme une évidence que les hommes classent toutnaturellement, par une sorte de nécessité interne de leur entendement individuel, on doit, aucontraire, se demander qu’est-ce qui a pu les amener à disposer leurs idées sous cette formeet où ils ont pu trouver le plan de cette remarquable disposition. (ibid., p. 18)

8 The reply is, of course, society: « Le centre des premiers systèmes de la nature, ce n’est pas

l’individu ; c’est la société » (ibid., p. 87). « La société n’a pas été simplement un modèle d’après

lequel la pensée classificatrice aurait travaillé; ce sont ses propres cadres qui ont servi de cadres

au système. Les premières catégories logiques ont été des classes d’hommes dans lesquelles ces

choses ont été intégrées. C’est parce que les hommes étaient groupés et se pensaient sous forme

de groupes qu’ils ont groupé idéalement les autres êtres, et les deux modes de groupement ont

commencé par se confondre au point d’être indistincts » (ibid., p. 83).

9 However, as so many have noted, the causal explanation of Durkheim and Mauss suffers

from petitio principii. How may one derive the logic of a classificatory system fromsociety if social organization itself requires mental categories to exist as such? Avoidingpetitio principii, we part from the principle that the social order is itself fashionedthrough the dispute over alternative systems of classification.

10 This critique of QFPC is particularly relevant to the exercise in hand, for rather than

taking as our object of analysis classificatory forms of things, we are concerned withunderstanding the ways in which members of society themselves come to be classifiedin « racial » categories. More than is the case with the classification of things, thecriteria for constructing taxonomies to classify individuals result in political, economicand existential consequences for the individuals thus classified. It was surely not bychance that Robert Hertz (1980) drew attention to the analogy between the relationshipbetween the two hands and the relationships between sexes and races. Theclassification of the hands as superior and inferior had, he claimed, the effect ofexacerbating whatever differences nature may have given them. The discussion ofracial taxonomies is not a purely technical or logical exercise, as for example, is thediscussion on the classification of colours in nature (Sahlins 1977). To discuss the colourof people is to enter a complex world of emotions: feelings of guilt and remorse, ofanger for past and present suffering, which are in large part derived from thetaxonomies and classifications in dispute.

11 Our use of taxonomies and classifications in the plural reveals another problem in

using QFPC as a theoretical starting point. Durkheim and Mauss sought the sociologicalprinciples of classification through an understanding of what they saw as the mostelementary societies. QFPC follows an evolutionary schema, beginning with theextreme simplicity of the aborigines of Australia, then North American India societies,Chinese society and finally modern France. All these societies are treated as coherentand systematic entities, whose systems of classification are shared by all. Our challenge,as we look at contemporary Brazil, is to understand a situation in which more than oneracial taxonomy exist, each claiming truth, legitimacy and naturalness.

12 One might argue therefore that QFPC is of little help for this exercise. However, in one

absolutely crucial way, QFPC establishes a starting point which opens possibilities for

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an analysis of what we see as taxonomies in dispute. Durkheim and Mauss taught thatsystems of classification which have their origin in society, project themselves asbelonging to the natural order of things. We must therefore search for the mechanismsthrough which racial taxonomies acquire their « naturalness » through time, and,above all, understand how the bipolar taxonomy became sufficiently strong to beadopted by the State as a basis for affirmative action.

13 A study of this dispute should allow for the suggestion of the possible dialectical

relations between taxonomies and subjectivities (both individual and collective). Eachrequires and at the same time engenders the other. By so doing, it should be possible todelineate possible political, economic and moral consequences for society of therelative preponderance of one or the other

Early perplexities

14 The colours of people, or if one prefers, the appearance of people have always been the

subject of perplexity not only for Brazilians themselves but especially among visitors.One of the most often quoted of such visitors is Joseph Arthur Gobineau (1816-1855).After writing his Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), he landed in Brazil inthe middle of the 1869 carnival. He was horror struck by what he saw as excessive« racial mixture », which he thought would condemn Brazil to ultimate doom. Gobineaudescribed a society – Brazil – in which « not one Brazilian has pure blood sinceexamples of marriages between Whites, Indians and Blacks are so disseminated thatnuances of colour are infinite, which leads to the most depressing degeneration asmuch among the lower as among the upper classes » (Skidmore 1993). Gobineau wasthe most radical critic of Brazil’s mixture; he found only one exception to the generalrule: the family of the Emperor, Dom Pedro II.

15 Brazilian writers noted the predominance of mixture. In his essay As raças humanas e a

responsabilidade penal no Brasil (1897), the professor of forensic medicine at the Facultyof Medicine of Bahia Nina Rodrigues described the situation in these terms:

Prima facie, it is possible to distinguish within today’s Brazilian population asignificant majority of mestizos in various degrees of corssing [sic] and a minorityof pure uncrossed anthropological elements. [in a footnote he adds: « the term purehas here only a relative value which merely exists in contrast with the mixingwhich we observe.] (Rodrigues 1894, pp. 89, 90; author’s translation, P. F.)2

16 He distributed the mestiços in four categories, each one defined by the degree of

mixture involved: 1) The mulattos, « product of the crossing of the White with the Black, a verynumerous group constituting almost the total population in certain regions of thecountry » (ibid., p. 91; author’s translation)3. He further divides the mulattos in« mulatos dos primeiros sangues » (mulattos of first bloods), « mulatos claros » (lightmulattos) and « mulatos escuros » (dark mulattos). 2) The mamelucos or caboclos, « produto do cruzamento do branco com o índio » (productof the crossing of the White with the Indian) (ibid., p. 91). 3) The curibocas or cafuzos, « produto do cruzamento do negro com o índio » (product ofthe crossing of the Black with the Indian) (ibid., pp. 91, 92). 4) The pardos, « product of the crossing of the three races but predominantly fromthe crossing of the mulatto and the Indian, or with mamelucos caboclos. This mestizo,

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which, in the case of an equivalent mixture of the three races, must be the Brazilianproduct par excellence, and much more numerous that one might suppose » (ibid.,p. 92; author’s translation)4.

17 These observers of Brazilian social life at the turn of the twentieth century constructed

a taxonomy whose logic was given by three principal categories (the White, Black andAmerindian « races »), which, in their mixture, produce subsequently derivedintermediate categories. Mutatis mutandis, this schema informed the analyses of mostsubsequent Brazilian anthropologists during the first decades of the twentieth century.Roquette-Pinto, for example, divided the population into four « types »: the brancos orleucodermos; the negros, or melanodermos; the mestiços, or faiodermos; and the cafuzos, orxantodermos. What distinguished these theoreticians was less their classificatoryschemes and more their prognosis for the future of Brazil. While for Gobineau racialmixture would lead to Brazil’s ultimate ruin (he predicted that the society would ceaseto exist in about 200 years), Roquette-Pinto and his followers denied any hereditary orconstitutional problems deriving from « miscegenation »5.

18 The first Brazilian censuses reflected in part these taxonomies. The first national

census of 1872 was based on a taxonomy of four categories: branco, preto, pardo andcaboclo (Amerindians). The second census of 1890 substituted pardo for mestiço, in thebelief that the colour pardo referred only to the offspring of marriages between brancos

and negros. The 1920 census eliminated the item « race » altogether because it was feltthat « replies greatly concealed the truth », above all the replies of the mestiços (Carvalho 2004). Even so, in common parlance the population was more simply dividedinto brancos and homens de cor (people/men of colour). At this early stage in the coiningof « racial » taxonomies, therefore, a binary system existed alongside a more complextaxonomy of at least four categories. As Armelle Enders pointed out in her critique ofthis paper, many 19th century travellers to Brazil, « beaucoup moins obsédés que Gobineau

par la question raciale, ont l’impression, en arrivant à Rio de Janeiro, de débarquer en Guinée.

Edouard Manet, qui passe quelques semaines dans la ville en 1849 (à la fin de la période intense

du trafic négrier), distingue entre, d’un côté, les Noirs et les métis (mêlant déjà les deux

catégories) et, de l’autre côté, les « Brésiliens ». Le Brésil de la première moitié du XIXe siècle n’est

nullement un “pays métis”, mais une société très cloisonnée où la couleur de la peau correspond

quasiment à un statut juridique » (Enders, personal communication 2006).

Brazil’s fame as a hybrid Brazil with « racial » harmonyinspires the world

19 The Brazilian modernists, following the same taxonomy of races and their mixture

shared Roquette-Pinto’s optimism. For them, hybridism was not the weakness of thecountry; rather its strength, celebrated in the art of Tarsila, Anita, Portinari and diCavalcanti and in the literature of Mário and Oswald de Andrade. Mario de Andrade’sMacunaíma was born negro of an Indian single mother whose other children coveredthe rest of the spectrum, and became branco when he migrated to the metropolis(Maggie 2005). Gilberto Freyre (1933) described Brazil in terms of basic antagonismsbetween the great houses and the slave quarters, the bourgeois town houses and theshanties, grand tombstones and open graves, masters and slaves, brancos and negros. Heargued that these antagonisms were mediated and attenuated by the erotic encountersbetween members of one and other pole. This led to his utopian vision of a Brazil which

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would finally overcome its antagonisms when all was dissolved into a homogeneous« meta-raça ».

20 This optimistic understanding of a hybrid Brazil without « pure races » and without

racial hatred excited the imagination of many, not least the anthropologists ofColumbia University in New York and UNESCO’s intellectuals who were avid to findpacific solutions for multi-racial societies in the years following the Second World War(Maio 1997). The research carried out under the auspices of UNESCO reproduced to acertain degree the previous taxonomies recognizing a few brancos and negros and a vastmass of mestiços. But there was a fundamental difference also. In accordance with theinsights of the São Paulo sociologist Oracy Nogueira (1991), the categories of Brazil’staxonomy were not to be understood in terms of descent (origem) as in the UnitedStates of the « one drop rule », but in terms of appearance (marca). Other participantsin the UNESCO team followed suit. Marvin Harris, for example, provides thisdescription of the people of Minas Velhas based entirely on their physical attributes:

Les types les plus courants sont le moreno, le chulo, le mulato, le creolo et le cabo verde.Le moreno a les cheveux ondulés et la peau d’un Blanc fortement hâlé. Le mulato a lescheveux crépus et frisés, et la peau plus foncée que le moreno. Le chulo a les cheveuxcrépus et bouclés et la peau « de la couleur de caramel ou de tabac ». Le creolo a les cheveuxfins et ondulés et la peau presque aussi foncée que le chulo, mais plus lisse. Le cabo verde ales cheveux plats, mais la même couleur de peau que le Noir. (Harris 1951, p. 60)

21 However fascinated they may have been with Brazil’s complex « racial » taxonomy, the

authors of Races et classes dans le Brésil rural (Wagley 1951), also noted the presence of abasic logical and socio-economic opposition between brancos and pretos which coincidedwith the opposition between the rich and the poor. Marvin Harris illustrated his visionof Minas Velhas using a triangle based on a trapeze. In the diagram he drew, thepopulation was divided into brancos and ricos who occupied the superior positions ofthe triangle, while the pretos or pobres occupied the lower part. By so doing, Harris(1951, p. 86) established the logical relation preto:branco::pobre:rico. Even so, this clearopposition was not deemed present in the political domain. The words of Marvin Harrisand another of the Brazilian participants in the UNESCO project, Luiz de Aguiar CostaPinto (1953), are clear:

Objectively, there is a correspondence between class and race in Brazil […]; themore negroid the phenotype the lower the class. Prevention of the development ofracial ideology may very well be a reflex of the conditions which control thedevelopment of class confrontations. In the United States, racism and racial castedivisions have split and fragmented the lower class. « Black Power » in the UnitedStates lacks the revolutionary potential of the preponderant mass; « Black Power »in Brazil contains this potential. The ambiguity built into the Brazilian calculus ofracial identity is thus, speculatively at least, as intelligible as the relative precisionwith which Blacks and Whites identify each other in the United States. (Harris 1970,p. 85)Thus if it be true, as Myrdal suggests, than on the day when the trades unions of theUnited States expunge the colour line from their ranks in the name of classsolidarity, this will produce an explosion which will be heard in the entire worldand will lead to a change of direction which will surprise North Americancivilization, also here one might say, in the light of current opinion in the world inrelation to the racial situation in Brazil, that a no lesser explosion will be producedin Brazil if one day the great masses of colour of this country lend their ears to thecallings of this race ideology and charge forward along the cul-de-sac which it leadsto. (Costa Pinto 1953, p. 291; author’s translation)6

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22 For both these writers, then, the « ambiguity » of Brazil’s racial calculus stands opposed

to the clarity of racial identities in the Unites States as class is to race as a principle ofmass political action in one society as opposed to the other. Even so, as at the turn ofthe century which saw a dichotomy of brancos and homens de cor, so the UNESCOresearchers recognized the coexistence of bipolar and more complex « racial »taxonomies.

Brazil becomes a land of racial distinction anddiscrimination

23 Most subsequent sociological analyses, with the exception of Carl Degler (1986) who

posited that the category mulatto served as a kind of « safety valve » which secured thesystem of racial domination, have underplayed the ambiguity of hybridism toconcentrate on what is seen as a fundamental opposition between negros and brancos.Ironically it was Costa Pinto who first described the demography of Rio de Janeiro interms of Whites and people of colour. He presented his findings in the form of simplebar diagrams.

24 The hierarchy of races and classes as in Harris’ diagram gave way to the depiction of a

society cruelly divided into two clear and separate categories. While the trianglesritualize hierarchy and relationship, the bar diagram ritualizes a society divided intotwo distinct collective identities. Contrary to Nina Rodrigues’s prophecy that Brazilwould ultimately become a society of mestiços, it had become in the sociologists’imagination a society divided into two and only two racial categories. Costa Pinto’sdiagram informs, reifies and ritualizes a bipolar taxonomy.

25 How did Costa Pinto construct his diagram? At the time of his research, the Brazilian

Geographical and Statistical Institute (IBGE) utilized a four-category taxonomy toestablish what they determined as colour: branca, parda, preta, and amerela. (Today itincludes one more category: indígena for Amerindians; Nobles 2002). What Costa Pintodid was to group together those who declared themselves pardo or preto to form a newinclusive category which he denominated, reverting to the turn of the centuryterminology, « de cor », « of colour »:

26 Costa Pinto’s elision of the categories pardo and preto soon became standard practice in

Brazilian sociology as can be seen in such titles as Brancos e Negros em São Paulo (Bastideand Fernandes 1971), and A integração do negro na sociedade de classes: o legado da « raça

branca » (Fernandes 1978b). But the practice acquired greater authority with thepublication in 1979 of sociologist Carlos Hasenbalg’s Discriminação e desigualdades raciais

no Brasil (Hasenbalg 1979), which was to have great impact on the Black Movement andon subsequent sociology. He effected statistically that which the black movement hadbeen unable to do in practice, transforming Brazil’s complex taxonomy (what he callsthe « colour continuum ») into a simple dichotomous one. In the first chapter ofDiscriminação e desigualdades raciais no Brasil census data are presented utilizing thecategories of pretos, pardos e brancos. But in the later and most important chapters ofthe book, those which analyse political and social mobility (or the lack thereof),Hasenbalg elides the two categories into one which he calls « non-Whites ». In anarticle first published in 1985, Hasenbalg justifies this procedure:

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Non-whites are defined as the sum of what the various censuses classify as Blacks[pretos] and Browns [pardos], excluding the category yellow [amarelos]. In alldimensions analysed, the browns occupy an intermediary position between thewhites and the blacks, although this position is always closer to that of the Blacks.(Hasenbalg 1988; author’s translation)7

27 As if by magic the continuum had become a dichotomy. But how often is the cool

reason of « methodology » in effect the product of the cultural categories of its author?Hasenbalg, as Florestan Fernandes before him, saw himself as a significant ally of theblack activists, for whom the division of the Brazilian population into Whites and non-Whites had been their point of departure and the dreamed-of future. After all what is ablack movement without Blacks, and, by logical opposition, Whites?

28 In retrospect, I would argue that Discriminação e desigualdades raciais no Brasil became an

ideological narrative for the black movement and its sympathizers much as Casa Grande

e Senzala had been for the modernists of the 1930s. At the end of his book he makes thispoint quite explicitly:

If processes of social competition and individual social mobility based on marketforces operate to the detriment of the racially subordinate group, the analysis shouldfocus on the forms of political mobilization of the non-Whites and to inter-racialconflict. The effect of race on the class structure and the evolution of racialinequalities will depend on the emergence of racial movements and of the formsthey take as well as the way in which they relate to other battles and other socialmovements. (Hasenbalg 1979, p. 221; author’s translation)8

29 More recently and in preparation for Brazil’s participation in the III World United

Nations conference for the combat against racism, racial discrimination, xenophobiaand correlate intolerance in Durban in October, 2001, the Brazilian government’sInstitute for Applied economic Research (IPEA) presented a paper which has hadenormous influence on the debate over the racial question in recent years. Once again,Brazilian society is imagined as made up of only two « racial groups » and the diagrams,now much more sophisticated due to computer technology, are redolent of CostaPinto’s.

30 Thus, statistical analysis has come to the aid of the bipolar taxonomy, eliminating for

ever intermediate categories. This form of understanding Brazil, which José Murilo deCarvalho has appropriately called « statistical racial genocide » effectively substitutesthe complex taxonomy of the IBGE with a simple bipolar one.

It is obvious to anyone that the 39% of pardos in the 2000 census to a large extentare made up of people descended from Indians. There lies, it must be said, the raisond’être of the racial tribunal of the University of Brasília which is charged withdistinguishing people of African descent from among the pardos. The monthlyresearch bulletin of the IBGE in 1998 showed that people who were classified aspardos according to the imposed categories of the Institute called themselvesmorenas (brown) or morenas claras (light brown) in 60% of the cases when left free todefine themselves as they wished. Only 34% of the pardos agreed with the Institute’staxonomy and only 2% defined themselves as mulattos. Research conducted in theMetropolitan Region of Rio de Janeiro in 1997 revealed that 50% of those classifiedas pardos by the interviewers said that they were brown or white. Another researchproject carried out in Rio in 2000 showed that 48% of the pardos claimed Indianancestry. In the northern states, where there was much less African slavery, thosedescended from Indians form without any doubt the great majority of the pardos. (Carvalho 2004, p. 7; author’s translation)9

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31 Qualitative analyses have also steadily abandoned the gradations and ambiguities so

prevalent in the UNESCO research. This new tradition seems to have begun with theSão Paulo sociologist Florestan Fernandes, who also participated in the UNESCO projectas Roger Bastide’s assistant, and who, quite explicitly adopted as analytical terms thecategories used by his « natives », his black activist friends:

We found various difficulties in the use of certain words. The term « preto » wasalways used by the « white » to designate the negro and the mulatto in São Paulo, butcalling up a stereotyped and highly negative image socially elaborated in the past.The negros and mulattos themselves preferred, in their first manifestations ofautonomy – through protest movements – the self description contained in theword negro. On the other hand, they impugne the word « white », arguing thatmiscegenation imposes severe restrictions on the pretensions of those paulistaswho claim « racial purity ». To avoid susceptibilities or recriminations we utilizethe word « preto » when stereotyping by the « Whites » is evident and we put allthe words in inverted commas, except for concrete cases where we could discernthe gradations of skin colour of the subjects under investigation. Otherwise we usethe expressions « men of colour » and « population of colour » quite frequently andwith no pejorative intention. (Fernandes 1978a, p. 25; author’s translation)10

32 In this way, the native categories of the black activists (brancos and negros) became the

analytical categories of native Brazilian sociology. Needless to say, most Americanresearchers, whose native and analytical categories tend to be based on the bipolartaxonomy which is dominant in North American society, have merely reinforced thistendency11.

The law and the building of a bipolar taxonomy

33 Another important factor in the naturalization of a Brazil of negros and brancos is the

fight against racial discrimination which at first sight might appear to negate theexistence of races but in practice confirms the existence of but two. Costa Pinto clearlyperceived this demarche in his analysis of the passing of the Almino Afonso law againstracial discrimination in 1951, arguing that for the first time in Republican law the negro

appears as a juridical entity as Brazil is imagined as a nation of white discriminatorsand black victims:

[The law represents] the beginning of a process which, in the context of the racialtensions which exist and which are becoming more serious in the country, will notsurprise us if they lead to the situation which is characteristic of the southern citiesof the United States and which may be resumed by the formula separate but equal. Infact, until the new law, in Brazil with its republican legislation, the negro appearedas a free man in 1888, as a citizen, in the abstract, juridically equal to all othercitizens. He was in the Law by exclusion – all are equal before the law,independently of colour, sex, religion, etc. Now, for the first time, unless I ammistaken, a law has been passed which defines the behaviour of Whites in relationto blacks, and attributed to the latter, as negros, the specific right not to be deniedsome more general rights which the law already attributed to all citizens regardlessof their ethnic condition. […] and to declare that those who violate principlesalready solemnly present in more general prior legislation are punishable.12 (CostaPinto 1953, pp. 292-293; author’s translation)

34 He then goes on to suggest that such legislation may be the prelude for effective

segregation:

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Such a law could come to be the prelude for subsequent legislation which wouldsubstitute it, inspired by the desire to remedy its practical defects, assuring bothBlacks and Whites of the right to receive education, recreation, residential districts,social services and other institutionalised sectors of social life equal but separate. Forthis to come about, one of the pre-conditions now exists: the juridical entity negro,present in the spirit and text of the common Law.13 (ibid.; author’s translation)

35 More recently, Fabiano Dias Monteiro has argued forcefully that this law which so

many of us had understood as purely anti-racist constitutes in effect the truth of abipolar racial taxonomy. It was precisely in the field of the law and the concomitantfight against the « farce of racial democracy » that the black movement was able tostrengthen the notion of a racially divided Brazil, what he denominates the Brazilianracial schism (Dias Monteiro 2003).

36 A further step in the strengthening of the legal recognition of a black identity (and by

logical extension a white one also) and therefore in the strengthening of a bipolarracial taxonomy was the 1988 Constitution, which defined racism as a crime with notime limit and without possibility of bail, as opposed to being simply a« contravention » as it had been defined under the Afonso Arinos law. The 1988Constitution also introduced the concept of « communities that are descendants ofmaroon communities (quilombos) », with rights over titles to their lands. This effectivelydivided the non-Indian rural population in negros and not negros; in quilombolas and therest. But it was during the Fernando Henrique Cardoso government (1994-2002) thatmore direct measures were taken. In 1995 the government launched its NationalHuman Rights Program which contained a series of planned activities in the interests ofthe « black community ». These included support for « the inter-ministerial workinggroup – created by Presidential Decree on November 20, 1995 – for drawing upactivities and policies to recognize the value of the black population », and a « WorkingGroup for the Elimination of Discrimination in the Workplace and in Careers » withinthe Ministry of Labor. In relation to the legal system, the Program proposed to« stimulate State Secretaries of Public Security to promote refresher courses andseminars on racial discrimination. […] Adopt the principle of the criminalization ofracism in the Penal Code and Penal Process. […] Disseminate the InternationalConventions, articles of the Federal Constitution and infra-constitutional legislationdealing with racism. […] Support the production and publication of documentscontributing to dissemination of anti-discriminatory legislation ». The document alsosuggested the inclusion of racial data in all official documents, the stimulation of thepresence of « ethnic groups that make up our population » (grupos étnicos que compõem a

nossa população), in institutional propaganda, and « private initiatives to bring aboutpositive discrimination » (ações da iniciativa privada que realizem discriminação positive). Italso recommended the implementation of « affirmative action for the access of negros

to professional and university courses and to cutting edge technology » (ações

afirmativas para o acesso dos negros aos cursos profissionalizantes, à universidade e às áreas de

tecnologia de ponta), and the formulation of « compensatory policies that promote theblack community socially and economically » (políticas compensatórias que promovam social

e economicamente a comunidade negra) (Programa Nacional de Direitos Humanos [PNDH],1996, my emphasis). The PNDH also proposed that the IBGE eliminate the categoriespardo and preto in favour of one single category negro. Most of these ideas remained onpaper. It was to be the government of President Luis Inácio Lula da Silva which came topower in 2002 which took them one stage further.

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37 The Lula administration gave greater salience to the issue of race by creating the

Special Secretariat for Policies for the Promotion of Racial Equality (SEPPIR) underleadership of Matilde Ribeiro with the status of Minister of State. SEPPIR was chargedwith: promoting « equality and protection of the rights of individuals and racial andethnic groups subject to discrimination and other forms of intolerance, with emphasison the black population » (a igualdade e a proteção dos direitos de indivíduos e grupos raciais

e étnicos afetados pela discriminação e demais formas de intolerância, com ênfase na população

negra); articulating, promoting and following through « various programmes involvingcooperation with public and private organisms, both Brazilian and foreign » (diversos

programas de cooperação com organismos públicos e privados, nacionais e internacionais);promoting compliance with the international conventions to which Brazil is signatory,and which refer to the « promotion of equality and combating racial or ethnicdiscrimination »; and « aiding the Ministry of Foreign Affairs in coming closer to thenations of the African continent »14.

38 This tiny Secretariat with a staff of less than forty has been extremely active in making

itself felt in various ministries and in State and municipal governments, encouragingpolicies directed to negros principally in the fields of health and education. It has alsolent its weight to two governmental projects which, if implemented, would definitivelyinstall a bipolar racial taxonomy in Brazil. The first is a bill which seeks to implementracial quotas in all federal institutions of higher learning (PL 73/1999) and the second isa bill which proposes the establishment of a Statute for Racial Equality (PL 3.198/2000).

39 The first bill which is still to be debated in Congress extends racial quotas to all federal

universities. Each university would distribute places to Indians, Blacks and Whites inaccordance with their statistical distribution in the State where the university issituated. In effect, it will oblige all candidates for federal university places to definetheir colour/race. The Statute of Racial Equality (SRE) is far more wide-ranging in itsaims, containing an Introduction and eleven chapters, covering rights to health,education, belief, employment and fair pay, justice, and representation in the media15.Throughout the document Brazil is presented as a country of two races: on the oneside, the « Afro-Brazilians », « people who classify themselves as such and/or as negros,

pretos, pardos or analogous definition » (as pessoas que se classificam como tais e/ou como

negros, pretos, pardos ou definição análoga) (Paim 2006, p. 13) and on the other, un-namedbut logically present, are the « Whites » (Grin 2006). As if to illustrate a document thatrefers only to Afro-Brasileiros, the cover of the document portrays a smiling blacknuclear family of father, mother and daughter, each one with dreadlocks.

40 Having defined Brazil as a bi-racial society, the Statute claims to be guided by the

desire for « reparation, compensation and the inclusion of the victims of inequality andthe promotion of racial equality » (reparação, compensação e inclusão das vítimas da

desigualdade e a valorização da igualdade racial) (Paim 2006, p. 14). Each chapterexemplifies actions to be taken in each area of social life. Significantly the first chapter(« On the right to health »), establishes essential and supposedly natural differencesbetween black and white bodies, in spite of all evidence on the non-correlation betweenphenotype and genotype that has been recently demonstrated by Brazilian geneticists(Parra et al . 2003; Pena 2005). This lays the way for justifying the necessity for allcitizens to declare their « race/colour » at all encounters with the health system and toalter the curricula of medical faculties to include materials on what are described as« the specific health problems of the afro-brazilian population as transversal themes in

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the curricula in schools of medicine » ([a]s especificidades da saúde da população afro-

brasileira como temas transversais nos currículos dos cursos de saúde) (Paim 2006, p. 17).Having established a « natural » difference between Afro-Brazilians and (presumably)Euro-Brazilians, the Statute proceeds to advocate quotas in universities, in the media,and the workplace. If brought into law, the Statute will oblige all citizens of Brazil todeclare their « race or colour » at just about every step in their lives.

Brazil in the world

41 In 1994 I gave a course about Brazilian racial relations in Gothenburg University in

Sweden. When I was discussing the ideas of Oracy Nogueira (Nogueira 1991) on theBrazilian classification system, talking about the multiple terms used to describe all thevarious forms of appearance, I noticed that a blonde student wearing her hair in abraids and looking more like Queen Nzinga than Brunnehilde was becoming redder andredder and ever more agitated. Finally, she exploded: « This is ridiculous! This is notpossible! How can this be? » and other phrases that expressed her shock and anger. Myattempt to win her over to what could be called a more « anthropological » perspectivefailed. She refused to be convinced that what I was trying to describe could be takenseriously.

42 This seemingly banal event drew my attention to the fact that Brazil’s various

taxonomies are perceived to be outrageous (Judith Butler would doubtless use the term« object ») by those who are accustomed to tidy « racial » categories, that is most of theworld, especially that great part which is dominated by the thinking of (mainlyAnglophone) societies whose colonial past was based on premises of racial and ethnicsegregation, and whose post-colonial present celebrates multiculturalism16.

43 Some years back, Loïc Wacquant and Pierre Bourdieu argued that Brazil was the victim

of North American cultural imperialism which was imposing a bipolar racial taxonomyon Brazil. « L’impérialisme culturel repose sur le pouvoir d’universaliser les particularismes liés

à une tradition historique singulière en les faisant méconnaître comme tels » (Bourdieu andWacquant 1998, p. 109).

Le fait que la sociodicée raciale (ou raciste) ait pu, au cours des dernières années, se“mondialiser”, perdant du même coup ses caractéristiques de discours justificateur à usageinterne ou local, est sans doute une des attestations les plus exemplaires de l’empire et del’emprise symboliques que les États-Unis exercent sur toute espèce de production savante etsurtout demi-savante, à travers notamment le pouvoir de consécration qu’ils détiennent etles profits matériels et symboliques que procure aux chercheurs des pays dominés parl’adhésion plus ou moins assumée ou honteuse au modèle venu des États-Unis. (ibid., p. 113)

44 It is true that at least one American foundation has been very generous in its support of

non-governmental organisations directed by the most articulate black leaders in Brazil,not to mention its equally generous support for the Brazilian AnthropologicalAssociation in its work related to the recognition of the authenticity of indigenousgroups and « quilombo communities ». However, Bourdieu and Wacquant could alsohave highlighted the growing influence of multi-lateral associations, especially theUnited Nations. Convention 169 on Indigenous and Tribal Peoples in IndependentCountries approved by the International Labour Organisation (ILO) on 7/6/1989, and towhich Brazil is a signatory, guarantees rights over land and over their own identity « totribal peoples in independent countries, whose social, cultural and economic,conditions distinguish them from other sectors of the national collectivity, and which

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are governed, totally or partially, by their own customs or traditions, or by speciallegislation » and « the peoples of independent countries considered indigenous by thefact that they descend from populations who inhabited the country or a geographicregion belonging to the country at the time of conquest, or colonisation, or theestablishment of the current state frontiers and who, irrespective of their legalsituation, preserve all their own social, economic, cultural and political institutions, orpart of them ». « The consciousness of their indigenous or tribal identity must beconsidered as a fundamental criterion to determine the groups to which the provisionsof this Convention apply ». Three years after the publication of the article of Bourdieuand Wacquant, the United Nations held the Third United Nations World ConferenceAgainst Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance in Durban,South Africa in October 2001 in which 170 States and 1000 NGOs participated. It had thecatalysing effect of propelling the demand for affirmative action in Brazil. The 2004PNUD report on human development had the sub-title: « Cultural Liberty in aDiversified World ». The message of this Report, despite recognising the dangers of the« essentialisation » of culture, is that without cultural diversity there is nodevelopment. There is no doubt, therefore, that Brazil has found itself in a network ofinternational relations that is positioned against the old Brazilian ideology of ignoring« race » in the distribution of justice and the largesse of the State. The internationalconventions are invoked frequently by those in favour of quotas with the clearintention of corroborating the ubiquity and therefore naturalness of affirmative action.

45 Seen in this way, then, the power of the wider world to further the naturalization of a

bipolar taxonomy is difficult to underestimate. But it would be fallacious to suggestthat it introduces a bipolar taxonomy, which we have shown to be consistently presentin Brazilian discourse at least since the end of the 19th century. What it is possible toargue, however, is that the massive presence of the wider world which utilizespredominantly Anglo-Saxon terminologies, plays a significant role in adding to thenatural truth of the division of Brasil into negros and brancos; a truth « masked » by« miscegenation » and the « myth of racial democracy ».

The future

46 The notion of racial quotas and the Statute of Racial Equality define Brazil as a society

divided between negros and not negros. It brings a legal seal to the gradual growth insalience of a binary racial taxonomy which we have documented in this paper. If thetwo laws are approved, citizens who visit health centres or compete with one anotherfor university places or positions in the civil service or jobs in the private sector will beobliged by law to classify themselves in one of two categories. The taxonomy of theblack activists will have become law.

47 What will be the consequences of the involvement of the State in the sphere of racial

taxonomies and classifications? Will it signify the final victory of the bipolar taxonomyand, as some fear, a growing racialization? After all, the recent history of Stateintervention in racial classification hardly leads to optimism on this score. Or will thenew laws have little effect on daily life which will continue to invoke one or othertaxonomy in the endless and complex process classification of self and others? Will thenew laws impinge upon the subjectivities of Brazilian citizens, strengthening andlegitimizing a negro identity, and, by logical extension, a branco one also? Or, as some

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claim, will the law be « assimilated » by the tradition of hybridism and terminologicalconfusion?17

48 I do not wish to reply to these questions, amongst other reasons because I am well

aware that the social sciences are more proficient in interpreting the past that inpredicting the future. Even so, one might return to Durkheim and Mauss forinspiration. Almost at the end of their essay they point to the speculative character ofprimitive classification:

Les choses n’y sont pas simplement disposées sous la forme de groupes isolés les uns desautres, mais ces groupes soutiennent les uns avec les autres des rapports définis et leurensemble forme un seul et même tout. De plus, ces systèmes, tout comme ceux de la science,ont un but tout spéculatif. Ils ont pour objet, non de facilitier l’action, mais de fairecomprendre, de rendre intelligibles les relations qui existent entre les êtres. (Durkheim andMauss 1968, p. 82)

49 In the situation I have described, the two rival taxonomies could be seen as

speculations on the aesthetic, cultural, economic and political diversity of Brazil. Thedispute over taxonomies has certainly produced an unprecedented debate on thenature of Brazilian society. Even so, it is quite evident that the adoption of one or otherof these taxonomies is less a case of speculation than of political expedience.Furthermore, the debate is emotionally charged. Defendants of quotas accuse theircritics of racism, cynicism and the use of guile to preserve their privilege as a « whiteelite ». Those who oppose them argue that they merely legalise categories which wouldbe better left to find their own direction in the course of everyday social life. Toaddress inequality between darker and lighter skinned Brazilians, they argue, policiescould be directed, as in France, to territories that are predominantly darker and poorerwithout incurring the legalization of racial categories. What may not be clear to allconcerned is that the adoption of the quota law and the Statute of Racial Equality lendthe force of law to a bipolar taxonomy which will certainly involve distinct even if notclearly defined practical consequences.

50 Acknowlegments: A first version of this paper was written in collaboration with Professor

Yvonne Maggie, and presented at the XXIII Annual Meeting of the National Associationof Social Science Programs, Caxambu, 21-25 October 2003. I am more than grateful toYvonne Maggie for her constant support and lively participation in the debate. I alsothank my fellow members of the Observa project (www.observa.ifcs.ufrj.br), inparticular Fabiano Dias Monteiro and Durval dos Anjos. My graduate andundergraduate students working on related issues, Robson Cruz, Bruno Chiappetto,Orlando Calheiros and Rafael Wagner have been a source of comfort and ideas.

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NOTES

1. Throughout this essay the terms for color/racial categories are presented in Portuguese in an

attempt to avoid distortions through translation into categories which may have distinct

meanings in English or French.

2. « À prima facie, pode-se distinguir na população brasileira atual, uma grande maioria de mestiços em

graus muito variados de cruzamento, e uma minoria de elementos antropológicos puros, não cruzados. [em

nota « o termo puro tem aqui apenas um valor relativo e se opõe tão somente ao mestiçamento que

assistimos.] ».

3. « Produto do cruzamento do branco com o negro, grupo muito números, constituindo quase toda a

população de certas regiões do país ».

4. « Produto do cruzamento das três raças e proveniente principalmente do cruzamento do mulato com o

índio, ou com os mamelucos caboclos. Este mestiço, que, no caso de uma mistura equivalente das três raças,

devia ser o produto brasileiro por excelência, é muito mais numeroso que realmente se supõe ».

5. For a description and analysis of the taxonomies of Edgar Roquette-Pinto and his followers,

see Gomes da Cunha (2002).

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6. « Assim, se é verdade, como diz Myrdal, que no dia em que os sindicatos trabalhistas nos Estados Unidos,

em nome da solidariedade de classes, liquidarem em suas fileiras a linha de cor, isto produzirá um estrondo

que será ouvido no mundo inteiro e determinará rumos surpreendentes à civilização norte-americana,

também aqui se pode dizer, em face da opinião corrente no mundo a respeito da situação racial brasileira,

que estrondo não menor se produziria no Brasil se algum dia as grandes massas de cor deste País dessem

ouvidos aos chamamentos dessa ideologia de raça e enveredassem pelos caminhos sem saída que ela lhes

apontam. »

7. « [D]esigna-se como não-brancos a soma do que os censos e a PNAD categorizam como pretos e pardos,

excluindo-se a categoria “amarelos”. Em todas as dimensões analisadas, os pardos ocupam uma posição

intermediária entre brancos e pretos, se bem que essa posição esteja sempre mais próxima do grupo preto ».

8. « Se os processos de competição social calcados no mecanismo de mercado envolvidos no processo de

mobilidade social individual operam em detrimento do grupo racialmente subordinado, então o enfoque da

analise deve se orientar para as formas de mobilização política dos não-brancos e para o conflito inter-

racial. O efeito da raça sobre a estrutura de classes e a evolução das desigualdades raciais dependerá da

emergência de movimentos raciais e das formas assumidas por estes, bem como da forma como os

movimentos raciais se ligam a outras lutas e movimentos sociais ».

9. « Ora, é óbvio para qualquer um que os 39% de pardos do censo de 2000 se compõem em boa parte de

descendentes de indígenas. Aí está, aliás, a razão de ser do tribunal racial da Universidade de Brasília,

destinado a apontar entre os pardos os afro-descendentes. A Pesquisa Mensal de Emprego do IBGE, de 1998,

mostrou que as pessoas classificadas como pardas pelos critérios impostos, quando deixadas livres para se

autoclassificarem se disseram morenas e morenas claras em 60% dos casos. Apenas 34% dos pardos

concordaram com essa classificação e apenas 2% se disseram mulatos. Pesquisa feita na Região

Metropolitana do Rio de Janeiro em 1997 revelou que 50% dos que foram classificados de pardos pelos

entrevistadores se disseram morenos ou brancos. Outra pesquisa no Rio, de 2000, mostrou que 48% dos

pardos diziam ter antecedentes indígenas. Nos estados do Norte, onde foi fraca a presença da escravidão

africana, os descendentes de indígenas formam sem dúvida a grande maioria dos pardos ».

10. « No uso de certas palavras encontramos várias dificuldades. O termo “preto” sempre foi usado pelo

“branco” para designar o negro e o mulato em São Paulo, mas através de uma imagem estereotipada e

sumamente negativa, elaborada socialmente no passado. Os próprios negros e mulatos preferiram, em suas

primeiras manifestações de autonomia – através dos movimentos reivindicatórios – a autodesignação

contida na palavra negro. Doutro lado, impugnam o vocabulário “branco”, alegando que a mestiçagem

impõe restrições severas às pretensões de “pureza de sangue” dos paulistas. Para evitar suscetibilidade ou

recriminações, usamos a palavra “preto” quando a estereotipação do ‘branco’ entra, visivelmente em jogo, e

colocamos todas as palavras entre aspas, com exceção dos casos concretos, onde pudemos discernir as

gradações da cor da pele dos sujeitos da investigação. Outrossim, empregamos as expressões “homens de

cor” e “população de cor” freqüentemente e sem nenhuma conexão pejorativa ».

11. See e.g. Hanchard (2001) and Sheriff (2001). For a discussion of in-built ethnocentrism in the

study of « race » in Brasil, see Fry (1995).

12. « … [a lei representa] o começo de um processo que, dentro das tensões raciais existentes e em

agravamento neste País, não será surpreendente se conduzir à situação que caracteriza as relações de raças

nas cidades setentrionais dos Estados Unidos e que se pode resumir na fórmula separate but equal. De

fato, até então, no Brasil, na legislação republicana, o negro vinha comparecendo como o liberto de 1888,

como cidadão, em abstrato, juridicamente igual a todos os cidadãos; estava na lei por exclusão – todos são

iguais perante a lei, independentemente de cor, sexo, religião, etc. Agora, pela primeira vez, salvo engano,

regulamenta-se em lei o comportamento de brancos em relação a negros, e atribui-se a estes, como negros, o

direito específico de não terem praticamente negados alguns direitos mais gerais que a lei já atribuía a

todos os cidadãos, independentemente da condição étnica. […] a declarar que são puníveis os que violarem

determinados princípios já solenemente presentes em leis anteriores e mais gerais… ».

13. « Ora, uma tal atitude da lei… pode vir a ser… o prelúdio de uma outra legislação substitutiva desta e

até inspirada no desejo de remediar sua inoperância pratica, visando assegurar a negros e brancos o direito

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de terem educação, recreação, distritos residenciais, obras de assistência e outro setores institucionalizados

da vida social iguais mas separados. Para isto, tecnicamente, uma das pré-condições já existe: a entidade

jurídica negro, presente no espírito e no texto da legislação ordinária ».

14. http://www.planalto.gov.br/seppir/, accessed on September 4, 2006.

15. The chapters are: « On the rights to health », « On the rights to education culture, sport and

leisures », « On the rights to freedom of conscience and belief and on the free exercice of

religious cults », « On the financing of the promotion of racial equality », « On the rights of the

Afro-Brazilian woman », « On the rights of descendants of maroon community to their lands »,

« On the labour market », « On the quota system », « On the media », « On permanent watchdogs

in legislative assemblies » and « On access to justice ».

16. In a previous paper I compared British and Portuguese colonial enterprises, formally

segregationist and assimilationist, suggesting that the adoption of racial distinctiveness in Brazil

might be seen as a final victory of the British colonial doxa as set out by Lord Alfred Lugard (Fry

2000).

17. Anne-Marie Losonczy (2006) observed in her critique of this paper that the phenomenon I

describe for Brazil occurs throughout Latin America, above all with incorporation of indigenous

identities in constitutions and laws.

ABSTRACTS

The politics of « racial » classification in Brazil. This paper traces the genealogy of « racial »

taxonomies in Brazil arguing that recent policies which focus on the « black population » or the

« black community » depend upon a belief that Brazilian society is neatly divided into « blacks »

and « not blacks », thus superseding taxonomies which produce ambiguous « racial » categories

based on the social « appearance » of individuals. The paper argues that such new political

orientation may be a form of self fulfilling prophecy, bringing into being that which it assumed

to exist.

La politique de classification « raciale » au Brésil. Cet article retrace la généalogie des taxinomies

« raciales » au Brésil, et démontre que les récentes politiques publiques en direction de la

« population noire » ou de la « communauté noire » reposent sur la croyance que la société

brésilienne est clairement divisée entre « noirs » et « non-noirs ». Ces politiques remplacent ainsi

des taxinomies produisant des catégories « raciales » ambiguës fondées sur l’« apparence »

sociale des individus. L’article montre qu’une telle orientation politique s’apparente à une

prophétie auto-réalisatrice, amenant à être ce qui est supposé exister.

Las políticas de clasificación « racial » en Brasil. Este artículo traza la genealogía de las

taxonomías « raciales » en Brasil argumentando que las recientes políticas aplicadas a las

« población negra » o a la « comunidad negra » parten del presupuesto de que la sociedad

brasileña se divide nítidamente entre « negros » y « no negros », suprimiendo, así, taxonomías

que producen categorías « raciales » ambiguas basadas en la « apariencia » social de los

individuos. El artículo argumenta que esta orientación política se asemeja a una profecía auto-

cumplida, estableciendo lo que se presupone que ya existe.

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INDEX

Geographical index: Brésil

Subjects: Sociologie, Anthropologie

Palabras claves: acción afirmativa, raza, taxonomías raciales

Keywords: affirmative action, race, racial taxonomies

Mots-clés: discrimination positive, race, Afro-descendants

AUTHOR

PETER FRY

Professor of Anthropology, rua Voluntários da Pátria, 34, casa 15, Rio de Janeiro 22270-010, Brasil

[[email protected]]

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Position

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L’auteur malgré lui. Réponse à untexte d’Emmanuel DésveauxLaurent Barry

1 J’ai, ces derniers jours, pris connaissance d’une position publiée dans la dernière

livraison du Journal de la Société des Américanistes où Emmanuel Désveaux, membre ducomité de rédaction de cette même revue1, critique sévèrement un ouvrage, La parenté,que j’ai publié chez Gallimard il y a quelques mois de cela.

2 Sa condamnation porte notamment sur le fait que j’y défendrais l’idée selon laquelle la

reconnaissance de la parenté serait universellement fondée sur la « ressemblancephysique ». Il s’agirait là de la thèse principale de mon argumentaire ou, comme ill’écrit, du « soutènement de toute [ma] démonstration » (p. 214)2.

3 Je n’ai bien entendu jamais, au grand jamais, défendu dans mon essai de thèse qui

s’approche ni de près ni de loin (ni même de très loin) de celle qu’Emmanuel Désveauxme prête. Tous les lecteurs de cet essai le savent déjà, et je pense que je n’aurai pas deréelle difficulté à le démontrer aux autres dans la suite de cette réponse. Mais ce n’estpas sur ce point que je veux insister pour l’instant. Ce que j’aimerais d’abord essayer defaire partager, c’est une expérience nouvelle pour moi et sans doute également inéditepour beaucoup. Celle consistant, ne serait-ce que dans l’intervalle de temps qui sépareune recension de la réponse qu’on y apporte, à se trouver en butte à une critiqueportant non sur ses propres propositions, mais sur celles d’un autre. Bref, cet étrangesentiment qu’il y a à endosser, même si ce n’est que pour le premier acte de la pièce, unhabit taillé à la mesure d’autrui, et à devoir interpréter un rôle particulièrementingrat : celui d’un « auteur malgré lui ».

4 Car, Désveaux ne s’en tient pas là dans son exercice de travestissement de mes propos.

Dans les onze pages de développements de sa Position, j’ai eu bien du mal à identifierne serait-ce que quelques lignes qui évoquent honnêtement mes idées ou mes écrits.Pour le vérifier, et avant de répondre à la charge de mon critique, voici d’abord un petitrésumé de son texte où j’userai de ses propres mots.

5 Si l’on en croit Emmanuel Désveaux, j’aurais développé dans mon essai un modèle liant

parenté et ressemblance physique aux « relents d’évolutionnisme » (p. 215) et

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comportant un « argument caché » (p. 218) : celui de la « notion de substance ». Cemessage subliminal qui serait contenu dans ce livre ferait de moi un « disciple dévoué »et « fidèle » de Françoise Héritier (p. 218) à qui l’on doit cet argument de la« substance ». Je poursuivrais, de la sorte, la tâche de « démantèlement de l’échangematrimonial » que celle-ci aurait entamée de façon « assez erratique » dans ses travauxpar le biais d’un concept, celui d’inceste du deuxième type, qui manque« singulièrement de rigueur » (p. 223, note 11). Conscient, toutefois, de cesinsuffisances, je m’efforcerais à présent de « remédier aux faiblesses intrinsèques destravaux de Françoise Héritier », travaux « reçus pendant des années dans un silencepoli par la communauté des anthropologues » (p. 219). Cependant – et ce thème DanBrownien du message cryptique qu’il faut lire entre les lignes va revenir comme uneantienne – cette défense inconditionnelle de la notion de substance, il ne faut pas que lelecteur espère la trouver franchement exposée dans mon texte. Non, car, même si je« tends à reconnaître les linéaments de la parenté occidentale partout » (p. 219), cet« argument caché » reste toujours chez moi de l’ordre du « non-dit » (p. 219) et,partant, du non-écrit. Or, quand bien même Désveaux reconnaît lui-même que je nerecours à aucun moment à ce concept pour asseoir mon modèle, cela ne m’exonère pasà ses yeux de toute critique, car en réalité je « [m’]avance […] masqué, n’osant pasnommer explicitement ce qui sert de fondement et de fil conducteur à [mon] travail, àsavoir cette notion de substance » (p. 219) qui « campe en arrière-fond de [mon]imaginaire théorique ». Et cet argument, qui est le mien à la manière dont MonsieurJourdain use de la prose, autrement dit sans que je le sache ni sans que le lecteur puissejamais le lire, « éveille des soupçons à cause de sa connotation biologisante, mais aussi àcause de ses relents d’ethnocentrisme » et « ne peut se comparer avec la réciprocité quis’était imposée à Lévi-Strauss […] et qui était vouée à un grand rayonnement dans leclimat un peu particulier de ressaisissement moral qui marqua l’après-guerre » (p. 219).

6 Après cette ouverture où les propos désobligeants envers Françoise Héritier et moi-

même se succèdent et tiennent lieu d’arguments, Désveaux va changer de registre etjouer la carte corporatiste. Il feindra ainsi de s’émouvoir du fait qu’avec cet essai j’enaurais « profité au passage pour critiquer sévèrement les spécialistes des “basses terresd’Amazonie” ». Fort de ce pseudo casus belli, il s’efforcera de rallier nos « différentscollègues amazonistes », leur suggérant de se reporter à mon texte « afin de savoir s’ilsse sentent visés ou non… » (p. 223). Selon lui, en effet, dans un passage « très étonnantpar la vigueur de sa charge », j’aurais pointé du doigt mes collègues américanistes « àpropos des incohérences que susciteraient dans leurs écrits les adéquations admisesentre classes terminologiques et règles de mariage » (ibid., note 16). Ce sera à cetteoccasion que Désveaux délivrera l’un des deux seuls renvois qu’il fait dans son texte àmon ouvrage (en indiquant les pages 203 et 71-75 comme loci delicti). Poursuivant sur lavoie du réflexe communautaire, il m’accusera alors d’avoir offensé mes collèguesaméricanistes d’une autre manière : en leur tournant ostensiblement le dos cette fois,ce, en raison de l’absence d’exemples ethnographiques issus de l’aire culturelleaméricaine dans mon essai. Car il y a bien entendu des raisons que l’auteur ignore, maisque Désveaux connaît et nous découvre, à cette absence. Et ici mon « silence est siassourdissant » (p. 220) et relève tellement de « l’acte manqué » que Désveaux nepouvait pas ne pas le remarquer. Et, une fois encore, ce sera sur ce dont je ne parle pasqu’il aura le plus à redire, car ce non-dit me vaudra pas moins de deux pages decommentaires sur les onze de son texte.

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7 À quoi tient mon silence ? En tout premier lieu, à la crainte. À mon appréhension à

affronter le courroux d’un groupe de chercheurs américanistes agissant « sous lahoulette » d’Eduardo Viveiros de Castro et dont il donne ici une liste provisoire : AnneChristine Taylor, Carlo Fausto, Aparecida Vilaça et Isabelle Daillant. C’est ainsi desreprésentants de cette « brillante école franco-brésilienne » (c’est la seule chose que jene conteste pas dans sa diatribe)3 dont j’aurais eu à craindre les foudres si je m’étaisaventuré sur les terres de l’ethnographie amazonienne. C’est la peur que m’inspirentnos collègues – « autant éviter […] de se jeter dans la gueule du loup » (p. 220) –, quiexpliquerait ma « désertion » (p. 221) face aux Amériques. Qui rendrait compte du faitqu’il m’a fallu me détourner de ce « “bastion” […] de l’échange matrimonial » qu’est lecontinent américain et « renoncer à l’investir ». C’est à l’occasion de ce pathétiqueportrait de l’ethnologue en croquemitaine que nous brosse Désveaux, que nous allonsapprendre que ces mêmes collègues sont les véritables gardiens du Temple érigé à lagloire de la pensée lévi-straussienne. Les seuls initiés, comme il l’écrit, restés « fidèlesaux enseignements des Structures élémentaires de la parenté ». Car ils « font de laréciprocité la clé d’interprétation privilégiée des comportements sociaux, en général, etmatrimoniaux, en particulier » et jamais « aucun d’entre eux ne renonce à la valeuruniverselle de leur paradigme fétiche » (p. 220). Mais poursuivons. Désveaux connaît sibien mes pensées et mes motivations profondes qu’il est capable d’ajouter à cettepremière cause – la crainte – deux motifs secondaires à même d’expliquer l’absence,dans mon ouvrage, d’exemples ethnographiques amérindiens. D’abord le fait que lanotion de substance – censée être au cœur de mon travail – n’ait pas en Amazonie lesens qu’elle a ailleurs. Ensuite, le fait que les terminologies soient la clé ouvrant à lacompréhension de la parenté américaine4, alors que je n’y attacherais aucuneimportance. Désintérêt total dont témoigne sans ambiguïté, « nouvelle désinvolture »de ma part, le fait que je ne consacre à la question des nomenclatures de parenté quequatre pages sur plus de huit cents, « déniant à cette question ipso facto la moindrepertinence » (p. 221).

8 Voilà donc brièvement résumé l’essentiel de l’argumentaire de ce texte critique

d’Emmanuel Désveaux. Quelque désir que j’ai de ne pas m’enliser dans ce qui relèveplus, me semble-t-il, de la vendetta que du débat, je ne peux pourtant garder le silencedevant certaines de ces élucubrations. Je souhaite donc reprendre et démonter ici lestrois arguments principaux de mon contempteur, à savoir :

9 1) Le fait que la thèse principale de mon essai repose sur le lien que j’établis entre

ressemblance physique et reconnaissance de la parenté.2) L’importance que j’accorde à la notion de substance dans ma démonstration.3) Le fait que l’absence d’exemples ethnographiques empruntés à l’aire culturelleaméricaniste dans cet ouvrage découle du point 2 ainsi que de mon désintérêt pour laquestion terminologique.

Ressemblance physique et terminologie

10 Commençons par l’argument le moins crédible pour qui a déjà lu mes travaux ou

connaît mon orientation intellectuelle, celui selon lequel je ferais de la ressemblancephysique le fondement de la parenté.

11 Non content de déformer à peu près l’ensemble de mes propos, Emmanuel Désveaux

prend ici un risque quelque peu inconsidéré : celui de forger de toutes pièces une

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théorie, puis de m’en imputer le mérite. Et si je parle de « risque » ce n’est pas sansraisons, puisque perpétrer ce genre de « plagiat à rebours »5, c’est, à un moment ou àun autre, devoir assumer les conséquences que la découverte de l’imposture peut avoirsur la crédibilité intellectuelle de ceux qui s’y adonnent. Or le dévoilement de lasupercherie est ici relativement aisé.

C’est dans les vieux pots…

12 Juste avant cela cependant, j’aimerais faire une incise à propos de l’idée selon laquelle

la ressemblance physique entre parents et enfants pourrait être à l’origine de lareconnaissance de la parenté et des formes « familiales » qui en résultent, idée queDésveaux veut m’imputer et dont il semble ignorer qu’elle n’a vraiment rien de biennouveau.

13 L’hypothèse est en effet une variante bien connue d’un modèle sociobiologique,

d’inspiration néo-darwiniste, qui développe une vision « biologisante » de laproposition d’Edward Westermarck sur l’évitement de l’inceste dû à une éducationcommune. Dans cette optique, développée par plusieurs anthropologues anglo-saxons(voir, par exemple, Burling 1985 ; McCabe 1983 ; Wolf 1966, 1968, 1970, 1993), maissurtout par un nombre toujours croissant de sociobiologistes ou de psychologuesévolutionnistes (voir, par exemple, Bischoff 1975 ; Bixler 1981, 1983 ; Lieberman, Toobyet Cosmides 2003 ; Shepher 1971, 1983 ; Van den Berghe 1983), certains auteurs ontsoutenu l’idée d’un phylogenetically programmed negative imprinting (d’une « empreintenégative phylogénétiquement programmée » ; Shepher 1983, p. 72) où des mécanismesde reconnaissance fondés sur les traits phénotypiques (dont précisément la« ressemblance physique »), mais aussi sur les odeurs ou d’autres marqueurs auraientpermis à Homo sapiens sapiens de reconnaître ses « parents ». Ce mécanisme dereconnaissance de la parenté fondé sur la ressemblance physique ayant pour finalitéd’éviter les accouplements incestueux.

14 Que Désveaux n’ait pas connaissance de ces travaux, admettons. Mais il est plus

surprenant qu’il ignore jusqu’à ceux des anthropologues français travaillant sur undomaine qu’il revendique pourtant pour sien, celui de l’anthropologie de la parenté. Orcette thèse qui lie ressemblance physique à reconnaissance de la parenté aeffectivement été défendue dans les années 1990, à partir d’autres réflexions que cellesdes sociobiologistes, par un anthropologue européaniste français, Bernard Vernier(1994). La thèse n’est donc pas nouvelle. Elle est encore moins la mienne.

Savoir lire…

15 L’argument n’est toutefois pas définitif. Examinons-en d’autres6.

16 Que je n’ai à aucun moment soutenu une telle thèse relève d’une première évidence : du

simple fait que je conteste l’avoir fait et, qui plus est, que je la juge – comme toutes lesthèses fondées sur un tel réductionnisme biologique – passablement ridicule. Si j’avaisd’ailleurs défendu noir sur blanc ce modèle, pourquoi, à peine quelques mois après sapublication, le nierais-je farouchement ? Je devrais soit la défendre bec et ongles, soit – si j’avais été touché par quelque contre-argument – en soutenir une version remaniée.Mais pourquoi nier en être l’un des partisans, si cela avait été effectivement le cas,sachant combien il sera aisé de vérifier mes dires en parcourant mon ouvrage ?

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17 Or, et ce sera mon deuxième argument, il se trouve justement qu’un certain nombre de

nos collègues ethnologues (Berger 2009 ; Collard 2009 ; Casajus 2008 ; Menget 2008 ;Muller 2009), démographe (Héran 2009), sociologue (Bastin 2008) ou encore philosophe(Keck 2009) m’ont d’ores et déjà fait l’honneur de lire cet ouvrage et d’écrire quelquesmots à son propos, soit sous la forme de comptes rendus ou d’« à propos », soit dans lecadre d’articles ou d’essais thématiques. Il semble dès lors plutôt étonnant qu’aucun deces auteurs, qui comptent pourtant dans leurs rangs d’éminents spécialistes des étudesde parenté, n’ait lu dans mon essai la moindre hypothèse qui se rapproche de près ou deloin de ce thème de la ressemblance physique dont Désveaux nous affirme qu’il enconstitue la trame principale. Tous, en revanche, ont parfaitement saisi et résumé lemodèle que je propose, et il n’est qu’à lire ces collègues pour se convaincre que celui-cin’a pas la moindre relation avec cette question.

18 Mon troisième et dernier argument consistera à me tourner tout simplement vers mon

texte. Si j’avais défendu la thèse que Désveaux m’attribue, il devrait être facile de levérifier en se reportant aux passages incriminés qui devraient être nombreux etconséquents. Hélas, ce recours nous est interdit, et il est impossible de vérifier lemoindre des propos que mon critique me prête dans la mesure où, à l’encontre de tousles usages universitaires, il ne cite aucune source7. La raison en est simple : elle tient aufait que non seulement je n’évoque jamais l’idée selon laquelle la parenté seraitdéterminée par la ressemblance physique, mais que je n’évoque non plus pratiquement jamais le thème de la ressemblance physique, ce à quelque fin que ce soit.

19 Il y a quelques avantages à être l’auteur d’un ouvrage. L’un d’entre eux tient à ce que

nous n’ayons pas besoin de le lire pour en connaître le contenu. Un autre découle dufait que nous disposons d’une version électronique de notre manuscrit qui nous permetde retrouver précisément et rapidement l’ensemble des occurrences où nous avonsabordé tel ou tel thème. Ayant constaté, à la lecture de la note critique d’EmmanuelDésveaux, à quel point le flou et l’imprécision étaient les fidèles auxiliaires de lamauvaise foi, je m’efforcerai d’être aussi précis que possible.

20 J’ai donc fait appel à la fois à ma mémoire et à celle de mon ordinateur, et le résultat de

cette vivifiante collaboration est sans appel. Sur les huit cent soixante-trois pages demon ouvrage, La parenté, il n’y a que trois paragraphes, chacun de quelques lignes, où ilest question du thème de la ressemblance physique. Soit, si l’on en juge à l’aune de lataille de l’ouvrage (863 pages) et surtout de la multiplicité des thèmes qui y sont

évoqués, à peu près ε (epsilon). Le Code civil prussien, la réforme grégorienne oul’archéologie chinoise, par exemple, sont plus souvent et longuement évoqués dans cevolume que la question de la ressemblance physique.

21 Examinons ces occurrences. J’évoque une première fois ce thème de la ressemblance

physique p. 19, quand je cite, en introduction de l’ouvrage, certains des usageslinguistiques figurés que diverses langues proposent du terme de « parenté ». Parmid’autres exemples, je mentionne les expressions populaires de « “parenté de vues” pourévoquer une identité de pensée » (p. 19) et celle « de “l’air de parenté” qu’entretiennentdiverses choses ou personnes auxquelles l’on impute un certain degré de ressemblance,quelque similitude d’aspect ou de comportement » (ibid.). Je ne fais, dans ce passage ouà sa suite, aucun commentaire personnel ayant trait à cette notion de ressemblancephysique. Le thème apparaît également p. 584 dans le cadre d’une citation extraite durécit des Éthiopiques d’Héliodore. Dans ce passage, j’explique ce qu’était la théorie del’imprégnation dans les sociétés européennes anciennes. L’exemple de cette deuxième

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occurrence est plutôt amusant eu égard aux propos et aux hypothèses qu’on me prête,puisque j’y décris une théorie selon laquelle il n’y a pas vraiment de raisons valablespour que… les enfants ressemblent à leurs parents8. Enfin, ce thème apparaît p. 193dans le cadre d’une discussion portant sur un système de parenté particulier, lesystème cognatique, et sur le rôle que les acteurs (et non l’ethnologue, précisons-le)accordent parfois dans celui-ci au critère de la ressemblance physique. Permettez-moide citer un extrait de ce passage :

De même, l’on sait la différence qu’il existe entre voir et reconnaître et que, là où uneressemblance physique entre parents et enfants semblera à certains évidente, ellepourra toujours, comme c’était le cas des habitants des îles Trobriands, êtrefarouchement niée pour l’un d’entre eux, ou encore être certes reconnue, c’est lecas chez les Na du Yunnan, mais sans qu’on attache à cette idée de ressemblance lamoindre importance en terme d’identité.

22 Je pense que mon propos est ici suffisamment parlant. J’affirme sans ambiguïté – et je

ne suis pas le premier – que là où certaines cultures attachent de l’importance aucritère de la ressemblance physique, d’autres s’en désintéressent totalement.Autrement dit, je défends la position exactement inverse de celle contenue dans la thèseque me prête Emmanuel Désveaux selon laquelle les systèmes de parenté dans leurensemble seraient universellement fondés sur la notion de « ressemblance physique ».

23 Il n’est en définitive, nous venons de le vérifier, aucun passage de mon livre où je

défendrais l’idée selon laquelle la ressemblance physique serait au fondement de la« parenté » et pourrait servir de modèle explicatif aux différents systèmes qui laconstituent. Je propose bien – à tort ou à raison – une théorie « générale » des systèmesde parenté et d’alliance dans cet essai, mais elle est développée dans les quelquesoixante-cinq pages du chapitre III (pp. 166-231). Et le contenu de ce chapitre, toutlecteur pourra aisément en juger, n’a rien à voir avec ce thème de la ressemblancephysique auquel Désveaux aimerait tant que je souscrive.

Savoir compter…

24 Mais puisque je viens de montrer que la thèse de la « ressemblance physique »,

supposée centrale dans mon argumentaire, est en réalité forgée de toutes pièces parEmmanuel Désveaux, autant en profiter pour corriger tout de suite une autre de sesaffirmations tout aussi fallacieuses.

25 Examinons le thème des terminologies de parenté dont Désveaux déplore cette fois

l’absence puisque, selon lui, je ne l’évoque que dans quatre malheureuses pages sur leshuit cent soixante-trois qui composent mon ouvrage. À nouveau, un petit effort demémoire personnelle (ego) et virtuelle (personal computer d’ego) permettra aisément detrancher et de vérifier que ce thème, s’il n’est pas au centre de mon essai, ce dont je nedisconviens pas, y est pourtant plutôt bien représenté. Pour être très précis, et enadoptant une perspective « comptable » d’administration de la preuve, remarquons quej’aborde cette question aux pages :

22, 30, 35, 36, 48, 71, 72, 73, 74, 75, 81, 92, 93, 114, 163, 177, 297, 304, 319, 320, 332,334, 342, 357, 358, 368, 369, 379, 381, 382, 383, 389, 391, 400, 402, 430, 431, 437, 466,483, 499, 525, 526, 530, 534, 555, 568, 569, 639, 712, 722, 751, 754, 760, 766, 771, 773,774, 776, 777 et 816.

26 Autrement dit, ce ne sont pas moins de soixante et une pages de mon ouvrage qui

évoquent, parfois rapidement, parfois longuement, cette question des terminologies de

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parenté qu’Emmanuel Désveaux me reprochait – lui aussi chiffres à l’appui – den’aborder que dans quatre pages esseulées dérivant sur un océan de texte. À ce nouvelexemple, l’on peut juger de la formidable torsion qu’Emmanuel Désveaux fait subir auxpropos et aux écrits de ses collègues9.

Substance, quand tu nous tiens…

27 Venons-en à présent aux deux autres arguments critiques du texte de Désveaux. Ces

arguments, qui sont pour partie liés, tiennent à l’absence d’exemples ethnographiquesempruntés à l’aire culturelle américaniste et à la place centrale que j’accorderais à lanotion de substance dans ma démonstration. Commençons par le dernier point.

28 Comme je le précise à maintes reprises dans cet ouvrage, le concept (et non la

catégorie) de « parenté » – concept qui, selon moi, organise les divers traits constituantle domaine traditionnel de cette étude : le mariage et l’alliance, les prohibitionsd’inceste, la morphologie des groupes sociaux (filiation, parentèle…) – est fondé sur unenotion princeps, celle d’identité.

29 L’usage du concept d’« identité » est, il est vrai, quelque peu galvaudé dans notre

discipline à la suite des nombreux travaux qui lui furent consacrés, en particulierdepuis la publication du séminaire du même nom par Claude Lévi-Strauss. On a, eneffet, rattaché à cette notion de nombreux usages distincts se rapportant de manièreplus ou moins métaphorique, soit à des phénomènes d’individuation (la construction du« soi », la spécificité de nos goûts, de nos désirs…), autrement dit à des procès dedifférenciation, soit au contraire à des idées d’appartenance à un même ensemble(l’identité ethnique, nationale, religieuse…), autrement dit à des procès d’incorporation.Or, si j’ai tenu à conserver ce terme pour ne pas encombrer d’un nouveau néologismeune littérature ethnologique qui en est déjà amplement pourvue, je ne l’utilise pourtantici dans aucune de ces acceptions, mais dans son sens premier, proche de celui que luiconfèrent encore les mathématiques ou la logique contemporaine : celui d’égalité ou desimilarité. Dans cette perspective, dire que des êtres partagent une même identité, cen’est ni nier la singularité des expériences individuelles (faire l’hypothèse d’un espritcollectif à la manière d’un Carl Gustav Jung), ni signifier qu’ils partagent seulement untrait extérieur commun. Des compatriotes, des membres d’une même communauté oudes fidèles qui professent une même foi appartiennent bien à un même ensemble, carils partagent certaines caractéristiques externes – un récit national, généalogique ouspirituel – et l’on parlera pour eux d’identité nationale, ethnique ou religieuse. Pourautant, deux patriotes américains, deux guerriers zoulous ou deux catholiques ferventsne sont pas des « proches », ni des « semblables », sinon au sens très générique del’admonestation chrétienne qui nous enjoint à « aimer nos semblables comme nous-mêmes ». En revanche, la relation de parenté produit des ensembles qui se démarquentde ceux résultant de ces autres modes d’affiliations sociales en ce qu’ils substituent àl’idée d’inclusion celle d’ identité (de similarité, d’équivalence) des éléments qui lescomposent. Et cette opération qui consiste à remplacer une simple répartitiontaxinomique par une règle d’équivalence, il semble que seul le lien de parenté soit àmême de la faire.

30 Ce qui organise maintenant une identité ainsi définie, ce qui lui permet de plonger dans

la succession des générations, mais aussi de s’immiscer dans la sphère de l’affinité et dela sexualité, ou ce qui a contrario y met fin et interrompt le sentiment de partage entre

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les êtres, tient pour l’essentiel, c’est du moins l’hypothèse que je soutiens, à laperception culturelle que nous avons des rôles sexués, autrement dit à notre conception

locale du genre. Dès lors, le concept de « substance » qui se rattache lui-même à celuid’enracinement biologique de l’humain, s’il est fréquent et surtout récurrent d’un boutà l’autre du globe – c’est toute l’ethnographie comparative mondiale qu’il faudraitrécuser pour ne pas reconnaître d’importance à ce thème – n’est, pour moi, que l’un desnombreux supports métaphoriques10 qui expriment l’efficace et la performativité de cesrôles sexués (dynamique que je désigne sous l’expression de « principes de parenté ») etdonc leur capacité à constituer des « grumeaux » d’identités que j’appelle « groupes deparenté ». Cette identité générée par la parenté n’est pourtant par essence ni charnelleni spirituelle, ni pragmatique ni linguistique. Elle ne suit – puisqu’on a ailleurs (Berger2009) comparé mon modèle à celui proposé par Descola (2005) – aucune des lignes departage du champ philosophique classique : celle opposant l’âme au corps(« l’intériorité » et la « physicalité »), la nature à la culture, etc. Elle ne découle pas nonplus de l’opposition traditionnelle, posée par le concept nietzschéen de« perspectivisme » qu’Eduardo Viveiros de Castro a récemment revisité, entre uneidentité/altérité définie par le prisme d’un simple changement de point de vue ou delocuteur. Et pourtant, sans s’y identifier, ce concept d’« identité » est tout à faitsusceptible de suivre localement les arêtes de chacune de ces lignes de fracture, dans lamesure où, s’il n’est lié à aucun support en particulier, il reste susceptible de leschevaucher tous.

31 L’affirmation, réitérée à maintes reprises dans mon essai, selon laquelle bien d’autres

supports métaphoriques que ceux faisant appel à l’idée de substance ou même debiologie peuvent organiser les « principes de parenté » que j’analyse, n’a donc riend’une simple déclaration de principes. Je consacre ainsi, pour en venir à quelquesexemples plus concrets, pas moins de la moitié des chapitres (et les deux tiers des pagesdédiées à des examens ethnographiques et historiques) à deux gros dossiers : ceux dessociétés européennes et han. Or, il s’agit là justement de deux ensembles culturels quiont construit le processus d’identité qu’est la parenté à partir d’autres matériaux queceux offerts par la métaphore biologique et substantialiste.

32 Pour l’exemple chinois, les choses sont on ne peut plus claires : l’argument de la

« substance » est totalement absent de l’analyse que je conduis de « cette société qui a sudétacher l’idée même de parenté de pratiquement toute emprise du “biologique” pouraccorder à l’homme, au père, une place centrale sinon exclusive dans la construction dulien générationnel » (p. 638). Le monde chinois ancien concevait en effet la parenté,c’est du moins la thèse que je soutiens, à partir d’une trame conceptuelle juridique etreligieuse dont les motifs évoquaient surtout la question du statut définitif outemporaire des femmes – en tant qu’épouses, mères, filles, brus, veuves ou répudiées,etc. –, ainsi que les droits et devoirs liés à la communauté de culte et aux obligations dedeuils. La seule mention d’une théorie « physiologique » de la parenté, dans la centainede pages (pp. 636-740) que je consacre à l’examen de la société han, apparaît ainsi dansle cadre d’un récit populaire rapporté par un autre auteur, Kulp (1925). Un informateurde Kulp évoque en effet un système fondé sur la circulation des « sangs » pour justifierdes interdits et des préférences matrimoniales han. Voici le commentaire que j’apporteà cette unique référence à une vision « substantialiste » de la parenté chinoise :

Il ne faut sans doute pas accorder un crédit trop exclusif à ce récit étiologique, dansla mesure où il se réfère à des notions « physiologiques », à des idées sur latransmission du sang, qui semblent à première vue assez éloignées des conceptions

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traditionnelles chinoises du mariage. Celles-ci empruntent bien plus,habituellement, à un schème rituel (voire politico-rituel) que « biologique », etrecourent à une architectonique qui, je me suis essayé à le montrer, met en avantles idées d’effacement des liens féminins et de ré-affiliation de la femme à sonmariage plutôt qu’elles ne proposent un discours sur le corps. (pp. 716-717)

33 L’autre gros dossier historique analysé dans ce volume est celui de l’Europe. Or,

contrairement au lieu commun véhiculé par Désveaux selon lequel cette région dumonde s’identifierait à une vision « substantialiste » de la parenté, ce n’est en réalitéqu’assez récemment – comme Claude Lévi-Strauss (1949) l’avait remarqué bien avantmoi –, à compter de la fin du XVIIe siècle en fait, que le thème des « substances » ou,

plutôt, du « biologique » apparaît (voir pp. 572-635). Pour les périodes plus anciennes(et j’envisage l’évolution du système de parenté européen du IIe siècle de notre ère

jusqu’au XXe siècle) qui servent de toile de fond à la plus grosse partie de mon analyse

du dossier européen (pp. 481-572), je montre, m’appuyant sur les beaux travaux de noscollègues romanistes et médiévistes, que le monde romain païen et chrétien, puis leMoyen Âge européen eurent une compréhension de la parenté faisant presquetotalement fi de l’idée d’un enracinement « biologique ». La parenté européenne serad’abord rapportée à des catégories juridiques et terminologiques sous l’Empire romain,puis à un concept théologal complexe, celui de la Una Caro, qui est bien plus proche del’idée de la métempsychose platonicienne ou de la métamorphose ovidienne, que de lagrosse « plomberie » substantialiste et du « liquide qui coule » d’un corps à l’autre qu’yvoit Désveaux. Comme je l’écris alors,

si la pensée occidentale s’est toujours intéressée, d’un point de vue médical ouphilosophique, aux aspects purement physiologiques de la conception et toutparticulièrement de la génération humaine, ses réflexions sur ce point ne furentjamais, à l’époque romaine puis dans le christianisme médiéval, le levain à partirduquel prirent forme les représentations cognatiques de la parenté. La conceptiondu « biologique » ne peut, au cours de ces périodes, être considérée comme unélément pertinent d’une conception cognatique du lien familial et il ne semble pas,à ces époques, figurer au nombre des traits qui en assurent la base idéologique etque l’on situera plutôt du côté de l’argument taxinomique et terminologique pourle monde romain et du concept composite, spirituel et charnel, de la Una Caro pourl’Europe chrétienne. (p. 573)

34 Ces deux gros dossiers de l’Europe et de la Chine occupent ainsi près de la moitié de

mon ouvrage (pp. 481 à 740). Si l’on ajoute à cela que l’analyse critique que je conduisdu « domaine classique » des études de parenté suivie de l’exposé de mon propremodèle occupent le premier quart de celui-ci (les 241 premières pages), cela réduitfinalement l’examen d’exemples ethnographiques dont certains mettront l’accent surdes notions de substance (notamment pour l’Inde, la Nouvelle-Guinée et l’Afrique) auquart restant de cet essai (pp. 241-481). Il est alors pour le moins étonnant, si l’on partde l’affirmation de Désveaux selon laquelle mon modèle gravite autour d’un« argument caché » omniprésent, celui de la substance, que j’ai délibérément choisi deconsacrer les deux tiers de mes analyses ethnographiques et historiques à des sociétésoù justement l’idée de substance est soit totalement absente (la Chine), soit marginale ettardive (l’Europe).

35 Quant aux commentaires, à présent, que j’apporte au fil des analyses que je consacre à

d’autres types de systèmes de parenté – aux sociétés pratiquant le « mariage arabe » oùla métaphore du « lait maternel » est fréquente, puis aux « systèmes élémentaires » quifont eux aussi souvent appel (que ce soit en Inde, en Afrique ou en Nouvelle-Guinée) à

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des arguments fondés sur des notions de substances –, ils sont, je pense, assezinstructifs quant à mon supposé tropisme substantialiste. Par exemple quand,commentant la belle étude que Cécilia Busby consacre aux Mukkuvar (Indeméridionale), j’exprime le regret qu’elle mette « sans doute trop fortement l’accent surles seules notions de “substances” et de corporéité, sur une conception emic du“biologique” qui – si elle est effectivement prégnante dans de nombreuses régions dumonde […] – n’en est pas moins, à mon avis, une simple métaphore culturelleexprimant l’idée plus générale de “parenté” qui peut trouver, nous en verrons desexemples, d’autres supports que “biologiques” où s’inscrire » (p. 403). Ou encore, quandglosant la lecture que Joseph Danqah fait de la transmission genrée (gendered) dessavoirs et des métiers chez les Ashanti, je remarque que « cette question de latransmission des savoirs – mais aussi des habitus – est alors d’autant plus intéressantequ’elle nous permet de mieux comprendre comment la notion d’identité partagée, deparenté, peut s’exprimer hors du strict champ des représentations liées à la corporéité,au “biologique”, tout en continuant à exprimer une dimension sexuée, basée sur legenre » (pp. 447-448).

36 On trouvera, en fait, bien d’autres remarques de cet ordre disséminées dans mon

ouvrage qui, toutes, témoignent du fait que je n’accorde aucun rôle spécifique ou sui

generis à la notion de substance. Quand une telle notion est présente dans les discoursdes acteurs, je ne cherche pas pour autant à la gommer, mais je la considère pour cequ’elle est : une pure métaphore culturellement construite qui nous instruit surl’étiologie locale que les agents accordent aux mécanismes de transmission de cetteforme particulière d’identité qu’est la parenté. Et, comme je l’écris un peu plus loin,

peu importe […] les supports et les métaphores auxquels elles empruntentprovisoirement leurs traits et qui n’appartiennent qu’à l’époque et au lieu, leslogiques de la parenté que je cherche à décrire dans cet ouvrage n’en sont pasvraiment dépendantes comme une lecture trop essentialiste des analyses que j’yprésente pourrait le laisser croire. Ces supports métaphoriques, dont il ne s’agit pasde nier l’efficace, ne sont limités que par l’imagination humaine, là où les logiquesde la parenté qu’elles expriment le sont par des ressorts bien plus contraignants[…]. Par l’omniprésence de l’idée de génération et par les différentes manières deconcevoir le rôle du sexe dans celle-ci. (pp. 597-598)

37 Pour terminer enfin sur ce thème de mon supposé « substantialisme », je me

permettrais de citer à nouveau ces collègues que j’ai évoqués plus haut et qui ont bienvoulu se pencher eux aussi sur mon ouvrage. En effet, non seulement ils ne me font pasce grief de la « naturalisation » des faits de parenté, mais plusieurs d’entre eux insistentsur une lecture inverse. Sur le fait, précisément, que j’ai su éviter dans cet essai le piègeconsistant à accorder une place indue à une vision « substantialiste » supposéeuniverselle. Je laisserai, sur ce point précis, la parole à l’auteur d’une des sommes lesplus érudites qui ait été publiée dans le domaine des études de parenté au cours de cesdernières décennies, à savoir à François Héran (2009, p. 565).

[S]i la réflexion de Barry nous paraît digne d’intérêt et même marquer une grandeavancée dans les études de parenté, c’est qu’elle fait un usage contrôlé de la « bio-ethnologie », où les parts respectives de l’empirique et du spéculatif sontclairement marquées ; […] ni Athènes ni la Chine des Han, qui occupent pourtantune place centrale dans la théorie de Barry, ne mettent en avant les argumentsphysiologiques pour étayer leur théorie de l’identité. […] C’est une chose de direque le corps est un support tout trouvé pour réguler les rapports sociaux de sexe,c’en est une autre de dire que la parenté est dans le corps ou qu’elle est le corps. Lathéorie de Barry […] ne tourne jamais à la théologie de la présence réelle.

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L’Amérique fantôme

38 Venons-en à présent au dernier point critique de mon contempteur, qui intéressera

peut-être plus particulièrement les lecteurs du JSA, celui portant sur l’absenced’exemples ethnographiques amérindiens dans mon ouvrage.

39 Avant d’y répondre, j’aimerais cependant faire part de mon étonnement. Je suis en effet

surpris de constater que ce sont toujours les auteurs qui revendiquent un relativismeculturel strict, qui reprochent à ceux qui privilégient au contraire une perspectiveanthropologique comparative de ne pas y avoir été parfaitement exhaustifs. Pour lapetite histoire, cette polémique me rappelle une phrase d’un grand savant, JacquesBerque. Il y a quarante ans de cela, ce grand spécialiste du Maghreb formulait àl’encontre de l’entreprise lévi-straussienne des reproches du même ordre – je necompare bien entendu que l’histoire, pas les protagonistes. À une petite nuance prèstoutefois, c’est qu’il intervertissait radicalement les régions concernées. Il remarquait,en effet, sur un ton un peu désabusé, que « l’anthropologie durkheimienne s’est fixéesur les Arunta plutôt que sur les Kabyles, et Lévi-Strauss emprunte plus franchementson matériel aux Indiens d’Amazonie qu’aux Nord-Africains que nous coudoyons »(Berque, cité par Chelhod 1969, p. 26). Que Désveaux me reproche alors de privilégierl’Afrique, l’Orient ou l’Europe au détriment de l’Amérique, très bien. Mais il ne mesouvient pas, je peux bien entendu me tromper, qu’il se soit jamais offusqué del’absence, en miroir, du monde arabe ou du continent européen dans les écrits de Lévi-Strauss11 ?

40 Rappelons, cette remarque faite, que pour Désveaux mon silence sur l’Amérique tient à

deux de mes présupposés (je passe sous silence l’argument de la crainte qu’il me prêteface à la possible réaction de mes collègues si, d’aventure, j’en venais à empiéter sur leterrain américain).1) À l’importance que j’attache à la notion de substance et au caractère évanescent quecelle-ci revêt dans le monde amérindien, ce qui m’interdirait d’y faire référence.2) Au fait que toute la « parenté américaine » (les règles de mariage, les interditsd’inceste, les types de filiation, etc.) se réduise, selon lui, à ses aspects terminologiques.

41 Pour ce qui est du premier, je viens d’y répondre longuement. Si, contrairement aux

assertions de mon critique, le modèle que je développe n’est pas dépendant de la notionde substance, alors que les sociétés de l’aire amérindienne recourent fréquemment ounon à cet idiome pour exprimer leurs relations de parenté n’a plus la moindreimportance12. Il n’y a en effet plus aucune raison de croire que ce critère ait pu, lemoins du monde, influer sur ma décision d’évoquer – ou non – l’Amérique.

42 Seul le second point – l’importance des catégories linguistiques dans la construction de

la parenté amérindienne – pourrait donc, en définitive, être susceptible d’avoirinterféré avec le choix de mes exemples ethnographiques.

43 Si cette question demanderait un développement technique que je ne puis lui consacrer

ici, je préciserai pourtant qu’il n’y a aucune raison de croire que j’ai évacué l’aireamérindienne du fait de la spécificité des terminologies qu’on y trouve ou encore de lasingularité du lien que celles-ci entretiennent avec la structuration du champmatrimonial ou la morphologie des groupes sociaux. Ce, dans la simple mesure où lesterminologies amérindiennes, de même que les formes d’alliance ou les types de

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filiation qu’on trouve sur le continent américain, n’ont, lorsqu’on les envisage du pointde vue comparatif qui est le mien, tout simplement rien de bien singulier13.

44 J’espère qu’aucun lecteur du JSA ne verra dans cette affirmation une « attaque » et

moins encore une dépréciation du terrain amérindien14. Je ferai la même – j’ai déjà faitla même – observation à propos du continent africain où je travaille, et l’on pourraitsans difficulté étendre cette remarque à l’Asie du Sud-Est, à l’Indonésie, voire à laNouvelle-Guinée. Dans toutes ces régions en fait, la plupart des systèmes de parenté,des types de nomenclatures et des formes d’alliance que l’ethnologie recense sont co-présents. Et leurs agencements (les associations entre ces différents traits) ne sont enrien propres à ces aires culturelles. Si certains auteurs cherchent parfois, dans uneperspective culturaliste, à cultiver chacune des petites différences qu’ils rencontrentsur leurs terrains pour les ériger en marqueurs culturels singularisants, c’est bienentendu leur droit. Mais cela répond surtout, à mon sens, à ce réflexe relativiste sirépandu dans les sciences humaines et sociales, à cette tentation du « rien n’estcomparable » que le sociologue Cyril Lemieux a bien décrit et dénoncé dans son dernierouvrage, Le devoir et la grâce (2009). De fait, dans la perspective comparative que jeprivilégie, je vois moins de distance formelle entre, par exemple, les systèmes deparenté de certaines sociétés des Basses Terres amazoniennes et ceux de groupes situésen Inde du Sud, en Océanie ou même en Europe, qu’entre ces mêmes sociétés etcertaines communautés andines situées dans une proximité géographique beaucoupplus immédiate. Certes chaque aire culturelle a ses singularités (la quasi-absence demodèles dravidiens en Afrique, la prévalence des systèmes asymétriques en Indonésie,l’abondance des traits crow-omaha et dravidiens en Amérique, etc.), mais celles-cin’indiquent que des tendances, jamais de réelles spécificités régionales. Si l’on tient àparler à tout prix de systèmes de parenté qui soient regional-specific, alors ce n’estcertainement pas vers ces régions du monde qu’il convient de se tourner. Plutôt vers leProche-Orient et le Maghreb, par exemple, avec l’étonnante prépondérance du« mariage arabe » qu’on y trouve, ou encore vers l’Australie avec la forte attirance dessociétés aborigènes pour les systèmes à sections, sous-sections, etc.

45 Bien, mais si les diverses raisons avancées par Désveaux pour rendre compte de

l’absence d’exemples amérindiens dans cet ouvrage ne sont pas les bonnes, quelle futma véritable et principale motivation ?

46 Elle est tellement évidente, eu égard au roman psychologique torturé que mon critique

s’est construit, que je crains bien que sa simplicité ne puisse jamais vraiment lesatisfaire. D’autant qu’en l’espèce, et contrairement aux autres points de contentieuxque j’ai évoqués précédemment, je n’ai plus aucune « preuve » à avancer pour prouverma bonne foi – sinon ma seule parole –, car l’on ne démontre jamais aux autres que laréalité de ses actes, jamais celle de ses intentions.

47 La raison essentielle15 pour laquelle je ne me suis pas appuyé sur des exemples

ethnographiques amérindiens dans cet ouvrage tient très simplement au fait que je n’aipas construit celui-ci selon un découpage géographique. Mon intention était d’y parlerde « systèmes de parenté » et, ne partageant pas les obsessions néo-diffusionnistes etculturalistes d’Emmanuel Désveaux, ma constante préoccupation au cours de larédaction de ce livre fut que tous les principaux systèmes de parenté y soientreprésentés (et je pense qu’ils le sont), plutôt que toutes les régions du monde. Je ne mesuis donc sincèrement jamais vraiment posé la question, en rédigeant cet essai, desavoir si l’ethnographie que j’utilisais couvrirait bien les cinq continents. Au final, ce ne

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fut pas le cas. Je l’ai remarqué trop tard pour y remédier, et je le regrette, car il eût étéfacile de pallier cette lacune. Si cette absence a pu alors gêner certains lecteursaméricanistes qui ont cru y voir un oubli intentionnel, je leur présente mes sincèresexcuses, car ce n’était pas le cas.

48 Qu’ils soient en tout cas assurés du fait que, si je n’ai pas emprunté d’exemples à

l’ethnographie américaniste, ce n’est en aucune façon dû à une image singulière quej’aurais de la parenté amérindienne, singularité qui m’aurait détourné de son analyse.Moins encore à un possible dédain ou au désintérêt que je manifesterais à l’encontre duNouveau Monde16.

49 En effet, une telle attitude de ma part irait totalement à l’encontre d’une conviction qui

s’est profondément ancrée en moi au fil de mon parcours d’ethnologue. Celle selonlaquelle il n’existe qu’une humanité, et non une pléthore d’humanités particulières, etque, par conséquent, les anthropologues ne sauraient se satisfaire du rôle dans lequelcertains semblent aujourd’hui vouloir les cantonner : ceux d’experts oud’« interprètes » de cultures supposées irréductibles les unes aux autres.

50 Il n’est pas, beaucoup d’entre nous en sont désormais convaincus, de « troisième voie »

pour les sciences humaines, et l’anthropologie doit à présent choisir son blason : ce seracelui des sciences ou celui d’un sous-genre littéraire. Je conserve pour ma part bientrop de goût pour la littérature pour considérer que la production ethnologique puissejamais y occuper une place honorable, et je tiens donc pour acquis qu’elle a vocationscientifique. Or le seul moyen dont nous disposions pour nous distinguer de l’expert, dufolkloriste ou même de l’écrivain, consiste justement à nous efforcer de dépasser lestade de la simple accumulation d’observations locales pour accéder enfin à cettedimension comparative et humaniste dont j’ai modestement essayé de m’inspirer dansmon ouvrage et qui seule nous autorisera peut-être un jour à dire quelque chose del’Homme en général, plutôt que du chasseur guarani, du guerrier massaï ou duconsommateur nord-américain en particulier.

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NOTES

1. Mais dont le texte fut l’objet, comme tout ce que publie le JSA, d’une évaluation par deux

lecteurs indépendants et anonymes et dont les avis, d’ailleurs, ont imposé une refonte profonde

du texte initial [note de la rédaction].

2. Si Désveaux ne cite jamais les propos qu’il m’attribue, je vais au contraire citer les siens :

« [Pour Barry] la parenté existe dans toutes les sociétés humaines. Elle procéderait partout d’un

même sentiment d’identité […]. Cette identité partagée commande des groupes dits “groupes de

parenté’’ […] ». Jusqu’ici, rien à redire. La suite laisse plus à désirer : « Barry voit dans la capacité

de détecter des ressemblances physiques entre une progéniture et ses géniteurs le fondement

“cognitif” de cette perception d’une identité commune aux uns et aux autres. On doit

sérieusement mettre en doute la valeur de cette observation, soutènement pourtant de toute la

démonstration » (p. 214).

3. Au sein de laquelle je compte plusieurs amis, me dois-je de préciser à l’attention du lecteur qui

aurait pu croire que les rapports que nous entretenons entre collègues aient quoi que ce soit à

voir avec le tableau agonistique qu’en brosse Désveaux.

4. Il est, bien entendu, question ici de la thèse personnelle qu’il soutient depuis des années et

non, comme il tend à le laisser croire, de l’opinion des américanistes en général travaillant sur la

parenté.

5. Il voudrait faire croire en effet que ses inventions sont miennes.

6. La preuve la plus simple et la plus convaincante que je n’ai pas soutenu cette thèse (ou

endossé les autres positions que Désveaux me prête) consisterait bien entendu à lire tout

bonnement mon ouvrage. Mais, sachant que tous les lecteurs du JSA ne le feront pas dans

l’immédiat, il me faut ici en apporter la démonstration d’autres manières.

7. Il n’y a, dans les onze pages de son texte, que deux uniques renvois à mon ouvrage : celui

précité où je discute de terminologie et dans lequel Désveaux voit une attaque contre les

américanistes (voir note 12, infra), et un autre où Désveaux extrait une phrase de la p. 203 de son

contexte pour la rendre incompréhensible et me faire grief de ce manque de clarté. Mais sur la

plupart des thèmes principaux qu’il aborde (la ressemblance physique, la substance…) Désveaux

ne fournit étrangement ni citation, ni référence.

8. Comme on le sait, dans la théorie de l’imprégnation, les enfants sont censés être

physiquement ou psychologiquement marqués non par un quelconque héritage génétique, mais

par ce que leur mère a vu ou entendu durant leur grossesse ou pendant l’accouchement. Ainsi,

dans les Éthiopiques dont il est question dans ce passage, Chariclée, l’héroïne du roman, est

blanche de peau alors que ses deux parents sont noirs. Cela s’explique par le fait que Persinna, sa

mère et Reine d’Éthiopie, a contemplé un portrait d’Andromède à l’heure de la délivrance. Là

encore, la question de la ressemblance physique évoquée dans ce passage n’entraîne aucun

commentaire personnel de ma part.

9. C’est bien l’absence de discussion autour du thème des terminologies dont Désveaux me fait

grief dans son texte et c’est donc sur ce seul point que je lui réponds ici. Quant à la question de

fond, à son affirmation, qu’il n’étaye par aucun argument, selon laquelle le vocabulaire de

parenté serait la clé de lecture de la parenté américaine, si je ne la partage absolument pas, il ne

me sera pas non plus possible d’en donner les raisons ici : un tel débat nécessiterait un article à

lui seul.

Journal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009

262

10. J’en recense un certain nombre dans mon ouvrage. Parmi ceux-ci, citons – et la liste n’est pas

exhaustive – les distinctions genrées (gendered) en droit de l’adoption, de la filiation et dans les

statuts respectifs des partenaires matrimoniaux, les critères (notamment celui de la bifurcation)

pris en considération dans les taxons terminologiques, les règles de commensalité et de co-

résidence et leurs incidences sur la socialisation et l’intégration de l’enfant à la famille, la

division sexuelle des tâches, la transmission sexuée des savoirs et des techniques aux enfants des

deux sexes, les habitus et « qualités » culturellement imputés à l’un et l’autre sexe et leurs modes

d’acquisition ou d’apprentissage, l’égale ou l’inégale participation et l’accès différencié, ou non,

des hommes et des femmes aux cultes et aux initiations, etc.

11. Or, comme l’ont remarqué plusieurs de nos collègues, de telles absences furent autrement

plus conséquentes pour notre compréhension des systèmes de parenté que ne le sera

probablement jamais mon silence sur l’Amérique. En effet, le silence lévi-straussien portait non

pas uniquement sur des régions, mais bien sur des systèmes entiers : sur le « mariage arabe » ou

encore sur les systèmes dits « complexes » renvoyés à une mise à l’écart « provisoire » (Lévi-

Strauss 1967, p. 124) qui s’est éternisée. C’est ce que notaient déjà à l’époque, pour s’en réjouir ou

pour s’en plaindre, des auteurs tels que Lefébure (1976) ou Dumont (1971).

12. À ce propos, l’aire amérindienne n’est sans doute pas aussi homogène que Désveaux le

suppose et le thème du « biologique » dans le champ de la parenté n’est pas si évanescent qu’il le

croit. On pourra se reporter, pour un premier survol de cette question, à l’article de Peter Rivière

(2004). Entre autres exemples, on citera aussi le texte de Seeger, Da Matta et Viveiros de Castro

(1981) qui montre bien que la parenté dans certaines sociétés brésiliennes est structurée par un

symbolisme centré sur la construction de la personne et du corps. On mentionnera encore le

thème classique de l’opposition entre os et semence masculine et chair et sang féminin chez les

Barasana, que nous dévoilent les écrits de Christine Hugh-Jones (1988). Pour citer aussi quelques

exemples plus récents, on se reportera avec intérêt aux travaux sur l’Amazonie colombienne de

Karadimas (2005) sur les Miraña et de Goulard (2009) sur les Ticuna, auteurs qui insistent, tous

deux, sur le symbolisme du corps et son importance dans la structuration du groupe et de la

parenté.

13. Comme toujours, à quelques rares exceptions près, par exemple ceux de la terminologie

aymara. Ou encore du système des panacas incas décrit par Zuidema (1977).

14. Celle qui m’était reprochée par Emmanuel Désveaux, « sévère » et « étonnante par la vigueur

de sa charge », visait un passage (pp. 71-75) dans lequel je parlais du présupposé ethnologique qui

rapproche implicitement, depuis les premiers travaux de Lewis Henry Morgan, terminologie et

mariage. Or ce préjugé, jamais formellement démontré, mais jamais non plus totalement

abandonné, comme je l’écris noir sur blanc, « informe encore aujourd’hui de façon diffuse tous les

modèles et toutes les théories de la parenté » (p. 73 ; italiques d’origine). Autrement dit, s’il faut

dire les choses encore plus simplement pour espérer qu’elles ne soient pas systématiquement

déformées, il concerne toutes les aires culturelles (Amérique, Afrique, Océanie, Europe, etc.) où il

existe une certaine congruence dans les systèmes de parenté entre un type de terminologie et

une forme de mariage. Si je mentionne l’ethnologie américaniste dans ce bref passage, à côté des

études sur l’Inde au demeurant, c’est tout simplement que le système dravidien qui se prête bien

à ce type d’association intuitive est particulièrement présent dans ces deux régions. Quant à la

page 203 qui était également mentionnée par Emmanuel Désveaux au nombre des loci delicti où

j’aurais perpétré cet attentat à l’endroit de l’ethnologie américaniste, ceux qui auront le courage

de s’y reporter constateront qu’il n’y a… rien ! Ce n’est pas une page blanche et j’y parle de

diverses choses, on s’en doute. Mais il n’y est question ni de terminologie, ni d’ethnologie

américaniste !

15. Il en est quelques autres que je ne développerai pas, qui ont pu jouer un rôle secondaire dans

mes choix. Parmi celles-ci, notons l’absence de données quantitatives suffisantes sur les

pratiques matrimoniales de beaucoup de travaux (même récents) portant sur l’aire amérindienne

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(avec, heureusement, quelques remarquables exceptions, comme la monographie qu’Isabelle

Daillant a consacrée en 2003 aux Chimane de Bolivie, ou encore les travaux, malheureusement en

grande partie inédits, de notre regretté collègue argentin Enrique Tandeter sur les communautés

incas). J’ajouterai aussi, bien que cela soit plus anecdotique j’en conviens, que l’usage d’un

lexique de la parenté très spécifique utilisé par de nombreux auteurs américanistes (pensons aux

« affins virtuels », « potentiels » ou « réels », par exemple) rend parfois l’exégèse de leurs travaux

assez délicate, sinon ambiguë. Ce particularisme langagier peut alors conduire les ethnologues

travaillant comme moi sur d’autres aires culturelles et habitués à un vocabulaire plus

« normalisé » à se détourner de ces travaux.

16. Ceux qui me connaissent savent, au contraire, que je me suis toujours intéressé de près aux

travaux des américanistes sur la parenté. En témoigne, par exemple, le fait que je suis l’un des

rares africanistes à avoir co-publié dans le JSA, et ce peu après la soutenance de ma thèse, un

texte portant justement sur l’ethnographie d’une société amérindienne, les Ticuna (Barry et

Goulard 1998).

INDEX

Thèmes : Anthropologie sociale

Mots-clés : parenté

Keywords : kinship

Palabras claves : parentesco

AUTEUR

LAURENT BARRY

École des Hautes Études en Sciences Sociales / Laboratoire d’anthropologie sociale, 52, rue du

Cardinal Lemoine, 75005 Paris

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Compte rendus

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RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans lalittérature des Nahua du MexiquepréhispaniqueMichel Perrin

RÉFÉRENCE

RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans la littérature des Nahua du

Mexique préhispanique, préface de Miguel León-Portilla, L’Harmattan, Paris, 2003, 350 p.,bibl., index

1 Ce livre aborde de manière originale et fine la littérature préhispanique nahua, et son

champ est large. L’auteur embrasse mythes et récits, hymnes religieux et discourstraditionnels émanant de divers types de locuteurs et rassemblés après la Conquête, auXVIe siècle et au début du XVIIe siècle, ainsi qu’une dizaine de représentations

iconographiques extraites de divers codex, dont l’un date d’avant la Conquête. Lesrécits oraux ont été mis en alphabet latin, souvent écrits en nahuatl, par des religieuxou des Nahua lettrés ayant appris auprès d’eux.

2 Ces textes ont déjà été étudiés, mais l’originalité du travail de Dominique Raby tient à

un double choix, du point de vue de l’intention comme de la méthode (chap. II). Ils’agissait avant tout de dégager « les différents systèmes de représentation du genre »,de mettre au jour ce qui, implicitement ou explicitement, y était dit des femmes et cequi leur était dû. Dans cette très riche littérature, l’auteur a donc privilégié lesdocuments qui pouvaient éclairer les rapports entre féminin et masculin. Pour cela,dans des sociétés très hiérarchisées, il ne fallait pas se limiter aux textes des lettrés (les« autorités civico-religieuses », principalement des « nobles ») – textes qualifiés ici de« version officielle » ou de « discours hégémonique » –, mais élargir le champ auxdiscours plus populaires des conteurs professionnels, des sages-femmes, des

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guérisseuses et guérisseurs « utilisateurs de sortilèges », des sorciers et, enfin, despoétesses. On reconnaît ainsi cinq catégories principales de discours reflétant chacuneune symbolique particulière du genre.

3 Avant de pénétrer dans les textes, l’auteur apporte des précisions sur les différentes

situations sociales des femmes nahua préhispaniques, les conceptions nahua del’amour, la sexualité et la procréation. Elle rappelle aussi les positions des spécialistesdes sociétés nahua sur ce sujet et sur la problématique du genre dans le panthéonqu’évoquent les récits (chap. III).

4 Dans l’analyse de la mythologie « officielle », consistant en une vingtaine de mythes ici

résumés, Dominique Raby s’est imposé un choix compatible avec son projet, ensélectionnant ceux dans lesquels un personnage féminin jouait un rôle important. Elledébrouille d’abord l’écheveau complexe des dieux, déesses et entités associées selonune démarche librement inspirée du structuralisme. Plutôt que d’essayer de trouver lesattributs communs aux déesses ou de les définir une à une, comme cela a déjà été fait,elle adopte une perspective nouvelle en dégageant deux ensembles reflétant lesrelations paradoxales entre féminin et masculin.

5 Le premier est celui relatif au couple Chimalma (encore appelée Cihuacoatl) et

Mixcoatl, respectivement mère et père de Quetzalcoatl, pour ainsi dire les « dieux dumariage » (chap. IV). La déesse Chimalma-Cihuacoatl est non seulement associée aumariage, mais aussi à la marche du soleil, donc au cycle journalier, et à la naissance deQuetzalcoatl qui fut à la fois « deuxième soleil, seigneur de Tollan et planète Vénus ». Lesecond ensemble se forme autour de Xochiquetzal et Tezcatlipoca, les « amantsterribles », dont la relation est avant tout d’ordre sexuel, respectivement « éternellejeune fille et déesse de l’amour » et « dieu universel, dieu de la guerre et de l’érotiquemasculin, également sorcier » qui prend aussi la forme du coyote, le trompeur(chap. V). La déesse Xochiquetzal, « Plume précieuse fleurie », représente l’amour, cequi sera développé plus loin, mais elle est également « porteuse de catastrophes » etliée à l’alternance des saisons ainsi qu’à la naissance du maïs. À ces quelquesreprésentants d’un panthéon traditionnel, il faut ajouter, au dernier étage du mondecéleste, un « Dieu de la dualité », Ometeotl, dont les aspects féminin et masculin,nommés Omecihuatl (« Dame de la dualité ») et Ometecuhtli (« Seigneur de la dualité »),forment une sorte de couple androgyne.

6 Associés aux cycles temporels, journaliers et annuels, à l’agriculture et à la guerre, ces

dieux se métamorphosent, prenant au long du cycle un nom et un aspect différents touten restant une même entité. Sexualité prénuptiale, mariage et adultère ponctuent leurvie. Tous les mythes nahua, démontre Dominique Raby, témoignent ainsi d’un véritabledynamisme, ce qui est un apport essentiel de son travail : les personnages divins nepeuvent se comprendre que dans une dimension temporelle. L’auteur s’appuie sur cettedimension pour lier entre eux les mythes et leurs héros. Elle montre que lesmétamorphoses de la déesse Chimalma se rapportent principalement à la création dusoleil et à son cycle journalier ; celles de la déesse Xochiquetzal au cycle annuel dessaisons. De même, elle remarque que les déesses Chimalma et Itzpapalotl (« Papillond’obsidienne », déesse guerrière stellaire) étaient le même être à deux moments d’uneexistence cyclique.

7 En liant à un second degré d’analyse, via le personnage masculin de Tezcatlipoca, les

deux personnages féminins Chimalma et Xochiquetzal à partir d’une oppositionfondamentale entre mariage et royauté, et amour et saisons, on découvre que

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l’opposition entre masculin et féminin ne se résume pas à une série d’oppositionsstatiques, terre-fertilité-mort contre ciel-guerre-savoir, etc. Cette opposition est, aucontraire, dynamique, ce qui est fondamental pour comprendre les relations de genreet les divinités féminines de la mythologie nahua.

8 Le « cycle aztèque » est original en ce qu’il est relié à l’histoire de l’ascension au

pouvoir de ce peuple nahua (chap. VI). Il met en scène les personnages féminins deMalinalxochitl et de Coyolxauhqui, les deux sœurs infortunées d’un dieu tutélaire,Huitzilopochtli, et donc les relations sœur-frère. L’originalité de l’analyse consiste ici àavoir pris en compte plusieurs générations de personnages pour les lier auxévénements connus de l’arrivée des Aztèques au pouvoir. Cela permet de ramener lemythe à des paramètres sociaux et d’aller au-delà des interprétations en termes degrandes oppositions, sorcellerie/religion, lune/soleil, défaite/conquête, femme/homme, même si ces interprétations restent également valides.

9 Dominique Raby s’intéresse ensuite aux « opinions divergentes », c’est-à-dire aux récits

et aux points de vue d’un autre secteur de la société, porteur d’un « discours contre-hégémonique », celui des guérisseurs et des spécialistes des sortilèges, où les femmessont majoritaires et plus prestigieuses que les hommes. Cela révèle une autresymbolique du genre (chap. VII). L’auteur s’appuie en particulier sur le fameux Tratado

de las supersticiones de Hernando Ruiz de Alarcón, un curé « extirpateur d’idolâtrie ». Dece texte unique, difficile à circonscrire, elle fait une étude systématique et tire lemeilleur parmi les informations foisonnantes qu’il contient. La principalecaractéristique de cet ensemble propre aux guérisseurs est de retourner l’aspectmaléfique de la déesse Xochiquetzal en bénéfique : ici la sexualité en elle-même (et nonde par une naissance qui en résulterait) devient, plutôt qu’une force destructive, unefaçon de sauver les humains. En effet, aux débuts du monde et grâce à son pouvoirsexuel, la déesse empêche que le venin de scorpion ne devienne trop puissant et mortel.Les dates de calendrier, les couleurs, les outils, etc., qui apparaissent dans lesinvocations pour qualifier les êtres invoqués servent à l’auteur pour doser lescomposantes masculines et féminines. Ici, la minutie est poussée jusqu’à tenter unequantification et évaluer un pourcentage, même si le nombre des données est parfoisfaible. Comme le signale l’auteur, cela n’est fourni qu’à titre d’aide pour « dégagercertaines tendances ».

10 Le dernier chapitre, traitant lui aussi des « opinions divergentes », est consacré à la

poésie amoureuse et érotique, essentiellement féminine et qui, elle aussi, revêtplusieurs formes (chap. VIII). Aux poétesses, les hommes répondent par des poèmesguerriers. Cette dichotomie est le reflet des attributs du couple divin Xochiquetzal-Tezcatlipoca, étudié précédemment, avec cependant une vision de Xochiquetzal trèsdifférente de celle mise en avant par les guérisseuses. Les femmes s’identifient auxattributs de la déesse, les hommes à ceux du dieu. La poésie d’amour est liéeintimement aux conceptions religieuses et à l’organisation sociale qu’elle reflètedirectement, tout en exprimant de manière émouvante et fine des sentimentspersonnels. Elle exprime la réalité des femmes les plus subordonnées de la sociéténahua.

11 Les résultats de cette analyse sont jugés à l’aune des travaux anthropologiques

concernant les rapports entre société et représentation du genre, dont l’auteur a faitune présentation fouillée en début d’ouvrage (chap. I).

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12 L’épreuve fleurie (In xochiyecolli, en langue nahua) est un étrange et beau titre, emprunté

à une poétesse autochtone. Que signifie-t-il ? L’auteur nous en dévoile partiellement lesens au tout début de l’ouvrage en précisant que la poétesse désignait ainsi sa relationavec son amant. On perçoit qu’il s’agit d’une expression symbolisant les relations nahuade couple qui sont amour et sexualité, signifiées par les fleurs, mais aussi épreuve,c’est-à-dire ce que l’on expérimente et ce que l’on subit. C’est ce que disent, entreautres, les récits et les poésies.

13 Tout au long du livre, Dominique Raby a donc cherché, avec opiniâtreté et passion, la

dimension féminine, les différentes « voix » colorées par la présence plus ou moinsimportante, plus ou moins influente, des femmes. Tous les documents sont analysésavec grand soin et subtilité pour dégager ce qui concerne la variabilité des rapportsentre les genres, selon que l’on soit homme ou femme ou bien, ici ou là dans la société,mais aussi pour juger de ce qui relève davantage du « novohispanique » que dupréhispanique. On est mené pas à pas, les hypothèses sont soigneusement justifiées etbien distinguées des faits. Une vingtaine de tableaux et de schémas, souvent éclairants,aident à la compréhension ou résument l’analyse ou les données. On mesure d’autantplus la tâche accomplie si on se rappelle la réflexion de Claude Lévi-Strauss dans lepremier tome des Mythologiques : « C’est de propos délibéré que nous évitons d’utiliserles mythes des hautes civilisations de l’Amérique centrale et du Mexique qui, en raisonde leur mise en forme par des lettrés, exigeraient une longue analyse syntagmatiqueavant tout emploi paradigmatique » (Le Cru et le cuit, Plon, Paris, 1964, p. 184, note 2).

14 En bref, L’épreuve fleurie est une présentation et une analyse brillantes de la littérature

nahua du Mexique préhispanique mettant en lumière une part jusque-là négligée.Découlant d’une magistrale thèse de doctorat en anthropologie considérée par le jurycomme « exceptionnelle », cet ouvrage imposant, dense et de haute tenue scientifiqueatteste également un talent littéraire et une grande sensibilité.

AUTEURS

MICHEL PERRIN

Laboratoire d’anthropologie sociale

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SILVERMAN Gail P., A woven book ofknowledge. Textile iconography ofCuzco, PeruAnnabel Vallard

RÉFÉRENCE

SILVERMAN Gail P., A woven book of knowledge. Textile iconography of Cuzco, Peru, The

University of Utah Press, Salt Lake City, 2008, 226 p., bibl., gloss., index, nombr. ill. N&B,16 p. de pl. coul., tabl.

1 A woven book of knowledge est un ouvrage doublement attendu de ceux qui s’intéressent

aux textiles et à leur iconographie. D’abord, il s’agit de la traduction en anglais de laversion révisée de quelques-uns des articles de Gail P. Silverman qui se consacre depuisune vingtaine d’années aux textiles de Cuzco et de sa région et qui étaient connus,jusqu’alors, des seuls hispanophones. Cette publication est ainsi une porte ouverte surles travaux de cet auteur et permettra de les diffuser auprès d’un public élargi – dont jefais partie – partageant un intérêt pour les textiles, sans être pour autant spécialiste nides mondes andins, ni plus généralement des mondes latino-américains. Attendu, cetouvrage l’est également en raison de la place qu’occupent les Andes dans l’imaginairedes amateurs de textiles, qu’ils soient ou non anthropologues, archéologues ouhistoriens de l’art. L’ancienneté des pièces archéologiques découvertes dans la région,la diversité de leurs homologues contemporaines ainsi que l’extrême sophistication deleurs techniques et de leurs décors contribuent, en effet, à alimenter une passioninternationale et une bibliographie abondante.

2 Parmi les recherches publiées en anglais ou en français, Gail P. Silverman évoque, par

exemple, celles de Verónica Cereceda (1978), Sophie Desrosiers (1982), Lynn Meisch(1991) ou Ann P. Rowe (1975 ; 1977) et, à travers elles, celles de Raoul d’Harcourt (1934),l’un de leurs plus fameux précurseurs. La riche bibliographie sur laquelle l’auteurs’appuie dans A woven book of knowledge rappelle combien, dans le cadre stricto sensu des

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Andes péruviennes, l’attention des chercheurs s’est principalement focalisée sur lestextiles préhispaniques, notamment ceux des cultures Paracas (Anne Paul 1990) et inca(John Murra 1962 ; Ann P. Rowe 1978, 1992, 1997), laissant quelque peu dans l’ombre lestextiles modernes et contemporains, à l’exception notable des tapisseries coloniales(Elena Phipps et al. 2004), des costumes de la fin du XXe siècle (Blenda Femenías 1987) ou

encore des tissus de l’île de Taquile (Mary Frame in Rowe 1986 ; Elayne Zorn 2004) et deCuzco (Christine et Edward Franquemont in Rowe 1986 ; Ann P. Rowe 1975, 2002). Ceux-ci ont été aussi abordés par le biais des changements sociaux qu’ont connus, cesdernières décennies, les pratiques textiles de la région selon des perspectives ayanttrait à l’économie, au genre, au tourisme ou encore aux constructions identitaireslocales, régionales et même nationales.

3 Précisons qu’il n’est pas rare, au sein de cette bibliographie, qu’un même auteur traite,

dans des publications parfois distinctes, de périodes historiques très différentes. En cesens, les recherches sur les textiles ne dérogent donc pas au penchant général desétudes andines, qui tendent à élaborer leurs modèles sur un axe diachronique plutôtque sur un axe synchronique, et considèrent les sociétés actuelles comme les héritièresde leurs illustres prédécesseurs, inca plus particulièrement (Molinié 2003). Si leschercheurs sont peu nombreux à publier à la fois sur les textiles préhispaniques etcontemporains (Ann P. Rowe 1975, 1978, 1984, 1992, 1997, 2002 ; Sophie Desrosiers 1982,1985, 1988, 1998), tous les spécialistes des textiles de la période coloniale, et beaucoupde ceux qui travaillent sur les textiles contemporains, font référence aux textiles incas,même s’ils ne remontent pas aux cultures plus anciennes (Sophie Desrosiers,communication personnelle). Cette tendance est principalement fondée sur le fait que,parallèlement au métier à pédales d’origine européenne, des métiers à tisser du mêmetype que ceux des périodes préhispaniques (permettant par exemple de produire destextiles à quatre lisières) sont toujours utilisés dans ces régions, souvent avec unedivision des tâches liée au genre (aux hommes les premiers, aux femmes les seconds).Plus encore, alors que des influences extérieures sont visibles dans les matériauxemployés et dans certains des motifs réalisés, une continuité existe manifestementdans les types d’armures produites ainsi que dans les façons de les tisser (Desrosiers1985 ; 1988). Ces comparaisons restent cependant difficiles dans la mesure où lestextiles préhispaniques conservés grâce au climat désertique l’ont plutôt été sur la côte,tandis que les textiles contemporains sont presque uniquement produits dans leshautes terres. Du fait de cette différence régionale, il est dès lors encore malaisé decomprendre ce qui était tissé dans les hautes terres avant les Incas, à l’exception destapisseries dont les décors peuvent être comparés à ceux qui ont été peints sur lescéramiques (Sophie Desrosiers, communication personnelle).

4 Dans A woven book of knowledge, Gail P. Silverman va plus loin que la seule comparaison

diachronique et prend comme postulat de départ – j’y reviendrai – que les Q’ero, du faitessentiellement de leur isolement géographique, « ont davantage conservé le mode devie des Incas que leurs voisins métis [mestizo] » (p. 3). Si l’auteur propose de démontrerque l’iconographie textile contemporaine de la région de Cuzco fonctionne comme uneécriture non alphabétique, c’est donc toujours en référence au monde incapréhispanique sur lequel les Q’ero sont supposés ouvrir une fenêtre. Pour étayer sonhypothèse, Gail P. Silverman a, tout au long de ses années de terrain, non seulementprocédé à un recueil extensif des motifs tissés par les Q’ero, mais les a « lus » à l’aided’une approche méthodologique conjuguant apprentissage du tissage et enquêteterminologique (en quechua) auprès des tisseuses et villageois, cela à l’intérieur et hors

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contexte des pratiques textiles. Elle a également demandé aux Q’ero de dessiner leursvillages, leurs champs, l’espace céleste ou encore les temps saisonniers afin decomparer ces représentations graphiques avec les décors tissés.

5 Il résulte de cette étude un ouvrage richement illustré en neuf chapitres commençant

par une présentation générale des Q’ero (chap. I) et une description de leurs matériaux,techniques et productions textiles (chap. II) et se poursuivant par une analyse desmotifs et de leurs significations. Gail P. Silverman propose surtout un décryptage desdivers losanges quadripartites très largement représentés dans le corpus textile q’eroet des éléments minimaux les composant (lignes, triangles isocèles, croix, etc.). Ellemontre ainsi comment ils figurent des concepts cosmologiques et spatiaux (chap. III),ainsi que les temps quotidiens (chap. IV) et saisonniers (chap. V). Elle se penche ensuitesur la classification des couleurs utilisées dans le champ textile et qui, selon elle,servent, à l’instar des quipu incas, à représenter des biens spécifiques comme desanimaux ou de la nourriture (chap. VI), puis sur la représentation graphique du mythede l’Incarri (chap. VII). Les derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés au lexiquegraphique des motifs q’ero représentés sous forme de diagrammes accompagnés deleur appellation et du champ de leur signification sémantique (représentation du tempsou de l’espace) (chap. VIII) ainsi qu’à un retour sur les principales conclusions del’auteur (chap. IX).

6 La proposition de Gail P. Silverman de considérer les textiles non seulement comme un

langage (c’est-à-dire avec des règles à décoder), doté en somme d’un vocabulaire, d’unegrammaire et/ou d’une syntaxe, mais comme une écriture est très intéressante,notamment parce que d’autres chercheurs la considèrent plutôt comme un langagevisuel (Cereceda 1978 ; Zorn 2004) et que, dès lors, un dialogue théorique se dessinecomme perspective d’étude comparative dans le futur. Néanmoins, A woven book of

knowledge présente, selon moi, deux limites épistémologiques et méthodologiques qu’ilest nécessaire de préciser.

7 D’une part, il me semble difficile d’aborder le monde q’ero contemporain sans préciser

la place que ce groupe ethnique occupe aujourd’hui dans l’imaginaire régional etnational péruvien. En effet, comme l’a montré Yann Le Borgne (2003), la premièreexpédition ethnographique consacrée aux Q’ero menée en 1955 par l’indigéniste ÓscarNúñez del Prado « transforma le Q’ero en figure éponyme de l’authenticité recherchéepour construire le Pérou à venir » (in Le Borgne 2003, p. 143). Depuis lors, les Q’ero sontidentifiés comme les derniers Incas. Cette figure mythique du Q’ero représentant « Lo

andino », c’est-à-dire ce qui était, pour les indigénistes, propre aux Andes, aux Incas etpar extension à Cuzco, a d’abord été à usage politique et s’est construite en oppositionavec celle de criollo liée à la côte et à Lima ( ibid., p. 144). Fondée notamment sur lemythe d’Inkarri (auquel Gail P. Silverman consacre un chapitre de son ouvrage), cettefigure mythique s’exprime depuis une vingtaine d’années dans le domaine rituel. LesQ’ero sont ainsi de nos jours considérés par les Cuzquéniens comme des spécialistes dela divination et de l’offrande à la Terre mère et aux montagnes sacrées (ibid., p. 153). Àce titre, ils exercent en milieu urbain où ils sont très appréciés. En retour et du fait deleur inscription au cœur de la mystique globale du New Age (Galinier et Molinié 2006),ils font l’objet d’un tourisme ésotérique. Cette double combinaison influence laperception que certains Q’ero – comme ceux de Hatun Q’ero, siège de la quasi-totalitédes études qui leur sont consacrées et des voyages touristiques ésotériques – ontdésormais des caractéristiques de leur identité qu’ils lient à leur statut de dépositaires

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d’une tradition incaïque réinventée (Le Borgne 2003, pp. 156-157). L’ouvrage deSilverman aurait gagné en force si l’auteur avait évoqué cette affiliation fictive desQ’ero avec les Incas – qu’elle soit apposée et/ou revendiquée – et si, en ne la tenant dèslors pas pour réelle, elle avait discuté de manière critique les terminologies textilesrecueillies sur le terrain, terminologies qui font justement référence, selon l’auteur, àdes concepts préhispaniques et plus particulièrement incaïques.

8 Il me semble, d’autre part, qu’une étude sur les textiles et leur iconographie ne peut

faire l’économie d’une recontextualisation élargie et ne peut se résumer aux seulsentretiens, recueils de terminologies et dessins réalisés sur demande comme si lesmotifs étaient signifiants par eux-mêmes en dehors de leur mobilisation humaineeffective. Si un langage textile existe, je ne pense pas qu’il puisse se résumer à uneiconographie de surface. Il s’ancre dans des épaisseurs textiles, épaisseurs tout à la foismatérielles et sociologiques. Or ces épaisseurs naissent des relations qui se nouententre les humains qui les fabriquent, les portent, les imaginent, et dans les rapportsintimes quotidiennement renouvelés que ces derniers entretiennent avec le tissu.Formée aux techniques de tissage et investie depuis de longues années sur le terrainq’ero, il est dès lors étonnant que Gail P. Silverman n’insiste pas plus dans son ouvragesur les contextes de production textile et, plus encore, sur les usages des étoffesréalisées. Elle ne donne en effet pas la mesure de l’imbrication étroite que les individusentretiennent localement avec le tissu, imbrication qui aurait sans doute éclairé cetimaginaire qu’ils projettent sur eux et expriment notamment, mais pas seulement, parle biais de leur iconographie.

9 Malgré ces limites, A woven book of knowledge est une entrée richement illustrée dans le

monde jusqu’alors peu connu, pour les non-hispanophones, des textiles q’ero. Cevolume rejoint le très bien documenté et très beau catalogue d’exposition que le Muséedes textiles de Washington DC leur a consacré (Rowe et Cohen 2002). Ce dernier enpropose une approche très différente qui, sur de nombreux points, contredit lesconclusions de A woven book of knowledge. Néanmoins, la déconstruction en autantd’unités minimales des motifs étudiés réalisée par Gail P. Silverman – notamment celledes losanges quadripartites – tout comme les représentations graphiques qu’elle leurconsacre fait de son ouvrage un objet d’intérêt pour ceux qui s’appliquent, ici ouailleurs, à la lecture des iconographies textiles. Ayant d’ores et déjà inspiré deschercheurs hispanophones (par exemple Molinié 1993-1994), sa traduction en anglaisservira sans aucun doute, comme l’auteur l’appelle de ses vœux, de point de départ à denouvelles études sur le sujet.

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City.

AUTEURS

ANNABEL VALLARD

Docteur en ethnologie. Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative

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NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur etleurs voisinsPhilippe Erikson

RÉFÉRENCE

NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur et leurs voisins, présentation et notes de Pierre

Grenand, traduit de l’allemand par Wolfgang Steiner et Joëlle Lecler, Éditions du Comitédes travaux historiques et scientifiques/Presses universitaires d’Orléans, coll.« Encyclopédie palikur », Paris/Orléans, 2008, 183 p., bibl., nombr. ill. N&B, carte

1 Originellement publié en 1926, cet ouvrage de Curt Unkel (alias Nimuendaju) inaugure

le volet palikur de la superbe série que promet d’être la collection Encyclopédies despeuples de Guyane, dirigée par Françoise Grenand. Catalogue d’exposition virtuelleplutôt que véritable monographie, ce livre est abondamment illustré de 46 figures, pourl’essentiel des photos noir et blanc de l’auteur représentant les gens et les objets dont ilest question dans le texte, auxquelles s’ajoutent quelques cartes et croquis.

2 En raison de la brièveté de son séjour sur le terrain (cinq mois au total) et parce que ses

bailleurs de fond s’intéressaient avant tout à la collecte d’objets, Nimuendaju aconstruit son ouvrage comme une juxtaposition de fiches, avec quarante micro-chapitres consacrés aux Palikur (pp. 32-139), vingt-neuf aux Indiens de l’Uaçá(pp. 140-157) et une courte vignette sur les Brésiliens du rio Curipy (pp. 158-161).L’ouvrage se termine (pp. 162-178) par une série de brefs lexiques palikur, galibi du rioUaçá, auruá et maraón, ce dernier ne comprenant que deux entrées – « bonjour » et « jesuis un vieil homme » – qui fleurent bon l’ethnographie de sauvetage. Relevonstoutefois que Nimuendaju semble avoir surtout, sur le terrain, utilisé la langue créole.

3 L’essentiel du texte est consacré à une présentation générale des Palikur, suivant un

plan à tiroirs d’un parfait classicisme. On trouve d’abord une présentation générale desgens et du milieu (pp. 32-62 : l’histoire, l’ethnonyme, la région, la démographie, lesclans, l’hygiène, la division des tâches). Suit une partie plus spécifiquement consacrée à

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la culture matérielle (pp. 63-99 : armes, navigation, poteries, calebasses, vannerie,filage, instruments ménagers, instruments de musique, arts plastiques, costume,parures) et aux activités de subsistance (pp. 100-105 : agriculture, pêche, chasse,animaux domestiques). Viennent ensuite des développements sur la vie familiale etsociale (pp. 106-113 : caractère et morale, statut de la femme, mariage, naissance, nom),avant d’aborder des considérations plus abstraites sur les croyances et la viecérémonielle (pp. 114-124 : rituels de puberté, funérailles, religion, astronomie,chamanisme, fêtes), puis de conclure sur l’organisation politique, les relationsextérieures et une rapide description de la langue (pp. 131-139). Les chapitres sont trèscourts, le plus long étant celui consacré à la description des fêtes de boisson(pp. 124-130).

4 La deuxième partie, consacrée au colluvies gentium (p. 142) constitué par les Indiens de

l’Uaça, reprend le même plan, dans une optique comparative souvent prétexte à unlaconisme renforcé. Le titre de la rubrique 8, par exemple, « Répartition du travail », estpresqu’aussi long que le texte qui la compose : « Autant que j’ai pu le voir, elle estidentique à celle des Palikur ». L’entrée « hygiène » se réduit à : « Sans être malpropres,les Indiens de l’Uaça ne sont pourtant pas aussi propres que les Palikur. Il y a souventdes poux et on les mange » (p. 146). Des instruments de musique du Uaça, on apprendseulement que : « Ce sont les mêmes que ceux des Palikur, les sifflets en terre et en boisen moins. Les tambours et les violons fabriqués par les paysans brésiliens, et mêmel’accordéon, prennent le dessus » (p. 46). On est loin de la description détaillée de latoilette des Palikur, qui va jusqu’à évoquer le lien entre les odeurs et les soins donnésaux mourants (p. 61) ; loin aussi des cinq pleines pages consacrées à l’organologiearawak dans la partie précédente (pp. 85-89)…

5 Sa relative concision stylistique, alliée à une précision extrême dans le choix des termes

employés, confère à cet ouvrage un charme dépouillé. Ceux qui ne le savaient pas déjàapprendront en lisant ce livre que la partie de la kuyeraha qui se met en bouche senomme le « cuilleron » (p. 84) ; qu’une pagaie comprend trois parties, la poignée, lemanche et la pale (p. 69) ; qu’une pièce du costume féminin peut s’appeler le« gorgerin » (p. 93) ; que la soupe d’amidon de manioc se prépare à partir del’« empois », tandis que la farine se fait à partir des tubercules « rouis », etc. À cetégard, saluons au passage la rigueur et la qualité de la traduction, exemplaire à undétail près : l’emploi du terme « compas », au lieu de « boussole », pour rendrel’allemand kompass (p. 104). Soulignons également la grande qualité de l’appareilcritique qui complète l’ouvrage, sous forme d’une présentation générale (pp. 10-24),d’une bibliographie complémentaire (pp. 181-183) et surtout de quelque 182 notes debas de page d’une précision admirable signées Pierre Grenand, dont le travail vautautant par les corrections et les compléments d’informations qu’il apporte au texte deNimuendaju (notamment sur les identifications botaniques et zoologiques), que parl’hommage qu’il lui rend en faisant ainsi écho à son goût du détail et du travailméticuleux.

6 Sans doute cet ouvrage n’est-il pas toujours d’une lecture exaltante. On pourrait même

en déplorer le caractère souvent austère et parfois désuet. Signalons cependant que cetravers se voit assez régulièrement contrebalancé par les discrètes touches d’humourqui parsèment le texte et à travers lesquelles la personnalité particulièrementattachante de l’auteur transparaît à intervalles réguliers. Les lecteurs moins intéresséspar les techniques amérindiennes que par la dimension humaine du travail

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d’ethnographe retiendront les passages où l’auteur raconte ses déboires avecl’uxorilocalité, la tyrannie des épouses et les caprices des jeunes filles palikur(pp. 106-110), ou encore son effroi admiratif devant le spectacle de très jeunes enfantsse gorgeant dans l’obscurité la plus profonde de poissons truffés d’arêtes (p. 102).Nimuendaju est certes frustrant quand il se contente de noter sèchement que la flûteturaká « avait été utilisée pendant la guerre contre les Galibi, qui d’ailleurs en étaientles inventeurs » et qu’elle ne servait désormais plus qu’aux jeux de séduction entrejeunes gens (p. 88). On aimerait vraiment en savoir plus sur cet aérophone enchanté,dont « le son sauvagement passionné et plaintif me procurait toujours,particulièrement dans le silence du soir, une émotion profonde » (p. 88). Notre auteurse départit également de sa froideur dans ses touchantes descriptions de la noblessed’âme et de la générosité désintéressée de ses informateurs, pourtant « assez sots pouravoir honte de leur pauvreté » (pp. 107-108). Rien d’étonnant à lire, qu’au moment où ilprenait congé, le chef puis le chamane lui aient déclaré n’avoir jamais vu chez eux « unétranger qui les eût si bien traités » (p. 107). Relevons en outre, s’il faut en croirel’auteur (p. 47), qu’à la suite de ses travaux, le gouverneur de l’État de Para a octroyéaux Palikur 25 000 ha en propriété commune. Rien que pour cela, ce travail doit êtresalué comme une réussite.

7 Sur le plan ethnographique, ce livre n’apporte sans doute rien d’absolument

exceptionnel. On relèvera cependant des données éparses sur des thèmes rarementabordés, mais qui n’ont pas échappé à l’œil attentif de Nimuendaju : les techniquesd’enfumage vespéral (p. 58) ou le recours aux imposantes plaques de granite de lasavane pour échapper aux agressions nocturnes des moustiques (p. 60) ; la compositionde la mèche des briquets de quartz et d’acier d’antan (p. 59) ; les lieux d’excrétion etl’utilisation de bâtonnets en guise de torche-culs (p. 59) ; le badigeonnage des pointesde flèches de bambou pour les protéger contre les insectes xylophages (p. 67) ; lestechniques pour mener une pirogue dans la vase en prenant appui sur la perche utiliséecomme passerelle (p. 69) ; le zèle et la ferveur des petites filles à s’adonner à la poterie(p. 75) ; la baignade séparée des hommes et des femmes et l’utilisation de tessons pourbrûler les lèvres des jeunes filles, lors du rituel de puberté, afin de les rendre plusdiscrètes (p. 107) ; l’emploi par le jeune père d’objets miniatures grâce auxquels ilemporte l’âme de son enfant avec lui en forêt (y compris à la chasse) (p. 112) ; larécupération de perles dans les urnes anciennes déterrées par hasard (pratiqueaujourd’hui désuète) (p. 116) ; l’existence ancienne de femmes chamanes (pp. 121-122)ou encore le système de comput permettant de déterminer le jour et l’horaire de débutd’une fête au moyen d’une sorte de calendrier de l’avent en bâtonnets à découper(p. 124).

8 En dépit d’un prix qu’on ne saurait qualifier de bon marché, ce livre soigné,

magnifiquement mis en page et pourvu d’une iconographie de qualité, est susceptiblede toucher un public varié, du touriste à l’universitaire. Les Palikur y trouveront desbribes de leur histoire récente ; les étudiants y découvriront un modèle de rigueur ;historiens, ethnologues et muséologues y dénicheront des pépites. Les linguistesresteront sans doute un peu sur leur faim. Ils trouveront néanmoins de quoi aiguiserleur curiosité, en attendant les prochains ouvrages de cette collection, notamment ceuxportant sur les langues. Souhaitons donc bon vent et bonne route à cette Encyclopédiedes Guyanes, dont on signalera en conclusion qu’un autre volume vient de paraître(Grenand 2009).

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BIBLIOGRAPHIE

GRENAND Françoise

2009 Encyclopédies palikur, wayana et wayapi. Fascicule 0 : langue, milieu et histoire, Éditions du Comité

des travaux historiques et scientifiques/Presses universitaires d’Orléans, Paris/Orléans.

AUTEURS

PHILIPPE ERIKSON

Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modesand effects of Christianity amongIndigenous Peoples of the AmericasFlorent Kohler

RÉFÉRENCE

VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modes and effects of

Christianity among Indigenous Peoples of the Americas, Ashgate, Farnham, 2009, xii + 252 p.,bibl., index, ill., cartes

1 Aparecida Vilaça et Robin Wright sont des références dans le champ des études sur les

conversions indigènes au christianisme, notamment grâce à leurs écrits portantrespectivement sur les Wari’ et les Baniwa. Leurs travaux s’inscrivent dans un domainede réflexion plus vaste portant sur les modes de conversion, avec tout ce qu’ilsentraînent comme bouleversement des valeurs, d’adaptation ou d’imposition decosmologies chrétiennes sur des modes d’être et de penser indigènes. L’ouvrage qu’ilsviennent de coéditer est le résultat d’un symposium tenu lors du Congrès desAméricanistes de Séville à l’été 2006, réunissant onze contributions qui couvrent leNord et le Sud du continent américain, selon une perspective posée en introduction :

Our decision to focus on the native point of view does not mean that we haveignored the viewpoints of other agents. Rather, the latter are subsumed by theformer insofar as the native perspectives provide us with the categories forcomprehending the process of Christianization. In other words, we seek tounderstand the Christian experience of these peoples via their cosmologicalconcepts, and their social, political and economic organizations. (p. 2)

2 On sait ce qu’il en est des problématiques proposées au moment d’organiser un

symposium ou un séminaire : bien souvent, il n’en reste nulle trace passée

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l’introduction. Ce n’est pas le cas ici, où se dégage, contribution après contribution, unréel effort pour constituer un corpus cohérent d’analyses.

3 En guise de contrepoint, Allan Greer propose en ouverture une approche comparative

des méthodes de conversion jésuite au Canada et au Paraguay au XVIIe siècle. Ces

méthodes, liées aux idéologies dominantes dans les pays d’origine des missionnaires, setraduisaient par des politiques plus ou moins oppressives sur les populations indigènes,respectivement Iroquois et Guarani. Ce sont, selon lui, les différences marquées quiincitent, non pas à rapprocher ces démarches, mais à les comparer, sachant que, dansun cas comme dans l’autre, tant les jésuites que les catéchumènes avaient pour objectifcommun de se soustraire, autant que possible, à l’influence des colons.

4 Peter Gow s’intéresse aux formes stabilisées qui, dans la région du Bas Huallaga au

Pérou, permettent à des cosmologies de franchir les étapes historiques de conversionssuccessives, par des systèmes de correspondance qui se reconstituent dans le passaged’un régime religieux à un autre. L’équivalence sémantique des termes Cristiano et« humain » est l’axe principal de cette continuité, qui affecte la perception du passé : lesrégimes successifs ne sont pas perçus comme des ruptures ontologiques.

5 L’enquête de Giovanna Bacchidu porte sur les conversions épisodiques au

protestantisme dans des populations traditionnellement catholiques, au sud du Chili,dans l’île d’Apiao. S’élevant contre les suggestions d’« immuabilité » et de résistancepassive aux changements, elle cherche à démontrer les tensions suscitées par lecomportement des convertis qui s’affranchissent des règles élémentaires de lasociabilité. Son étude de cas complète utilement certains travaux menés sur desconversions affectant des individus ou des familles isolées, comme ceux de VéroniqueBoyer (2009) ou Gabriele Grossi (2004), et amène à regretter que l’auteur ne se soit pasposé, in fine, la question suivante : et si la conversion était la conséquence, et non lacause, de tensions internes à la communauté étudiée ?

6 Emilia Ferraro aborde le rôle social et religieux joué par l’argent, comme valeur et

comme symbole, dans le village quechua de Pesillo, au nord de l’Équateur. Moteur de latransition entre l’Église catholique et les ONG qui gagnent en influence à mesure ques’instaure le crédit, l’argent opère comme un médiateur entre la cohésioncommunautaire que réclament ces instances et les formes de réciprocité anciennementétablies entre les habitants, c’est-à-dire les emprunts contractés localement à l’occasionde la Saint-Jean, système dénommé el castillo.

7 C’est la question du genre que pose le chapitre rédigé par Ana Mariella Bacigalupo, à

propos des chamanes mapuche (région centrale du Chili), dont les pouvoirs reposentsur des comportements génériquement attribués aux femmes : porter des jupes, ne passe livrer à certains travaux masculins. Ces comportements entrent en conflit avec lesreprésentations du colonisateur castillan concernant la virilité. L’auteur abordel’histoire des glissements et réappropriations successifs des fonctions politiques etchamaniques attribuées respectivement aux hommes et aux femmes, à travers uneredistribution des pouvoirs (pouvoir d’intercession par la piété, pouvoir de guérisonpar la connaissance…), observant, au long des XIXe et XXe siècles, une montée en

puissance des femmes dans les fonctions chamaniques. Les machi masculins ont regagnéleurs prérogatives en se soumettant tantôt à une hétérosexualité passant par la vie decouple, tantôt un célibat du type de celui assumé par les prêtres.

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8 Pour Vanessa Elisa Grotti, dont l’étude porte sur les Trio et Akuriyo du Surinam,

populations de langue karib, on ne peut appréhender, au sein des villages qu’ilspartagent, les rapports qu’entretiennent ces deux groupes si l’on se réfère uniquementà la perception qu’en ont les évangélisateurs protestants. Les Akuriyo ont étésédentarisés dans les années 1970, et la charge de leur socialisation fut assumée par lesTrio, qui voient en eux des créatures intermédiaires, incomplètement humanisées,donc encore susceptibles de transformation. Tandis que les missionnairesappréhendaient les Akuriyo comme des convertis intellectuellement difficiles à manier,les Trio voyaient avant tout leur conversion sous la forme d’une transformation descorps. Les Trio considèrent, en effet, que leur propre conversion a eu pour principalrésultat de les fixer corporellement. Les Akuriyo demeuraient, de ce point de vue, deshumains inachevés.

9 Les Indiens Paumari du bassin du Purus (au sud-ouest de l’Amazonie brésilienne) ont

fait l’objet d’une ethnographie de longue haleine par Oiara Bonilla. Les Paumari furentmarqués par la prégnance du système de l’aviamento mettant en relation un « patron »et des « clients » (pamoari) qui lui fournissaient du caoutchouc en échange de biens deconsommation. L’irruption de missionnaires protestants, qui les guérirent de la pinta

(maladie bactérienne provoquant l’irruption de taches épidermiques), fut perçuecomme le passage d’une ancienne vie (ou « peau ») à une nouvelle, mais aussi d’unesituation de dépendance à une autre, résultat d’une « décision collective de sesoumettre à la domestication d’un nouveau patron, dont on attend qu’il accorde del’attention et des soins à la mesure de ses connaissances et de son pouvoir » (p. 142).

10 La perspective inverse est adoptée par Aparecida Vilaça, dont le point central est de

discuter l’opportunisme économique et politique des conversions, pour lui opposer unecontinuité perspectiviste : l’adoption du « point de vue de l’ennemi », thème central desréflexions de cette auteur afin de maintenir « une position de prédateur dans unerelation prédateur/proie » (p. 158). De là le caractère repoussant de l’enfer chrétien oùles âmes « rôtissent » comme du gibier, cependant que le paradis est perçu comme unlieu neutre, où certes l’affinité laisse place à la consanguinité (brotherhood), mais sansque soit reconstituée une vie communautaire. Vilaça attire l’attention sur les systèmesqui contiennent structurellement, comme l’affirmait Lévi-Strauss, la place de l’Autremarquée en creux.

11 Frédéric Laugrand et Jarich G. Oosten proposent une étude centrée sur les Inuits de la

côte de Kivalliq, au nord de la mer de Baffin. Ils s’intéressent avant tout aux rapportsentre missionnaires et chamanes, les pouvoirs des premiers semblant transcender ceuxdes seconds : pouvoir de classification, pouvoir de vision et, bien entendu, de guérison.Les chamanes inuits ont donc aisément adopté le christianisme, en toute cohérenceavec une pratique qui exige une innovation et un apprentissage permanents. Comme cefut le cas chez nombre de convertis amazoniens – et comme je l’ai moi-même observéchez les Palikur de l’Oyapock – les pouvoirs dévolus aux esprits-maîtres sont transférésà Dieu ou à son fils. Les auteurs s’interrogent finalement, à l’unisson des chamanes, surla perte de connaissances locales spécifiques que représente l’adoption d’une nouvellereligion, dans ce monde très particulier en termes de ressources alimentaires quereprésente le Nord canadien.

12 Les projets de développement durable, tels ceux portant sur l’artisanat, font l’objet

d’une réflexion extrêmement détaillée de la part de Robin Wright, qui a suivi de prèsune expérience portant sur des paniers tressés chez les Baniwa du Haut Rio Negro,

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expérience encadrée par l’Instituto Socioambiental (organisation indigéniste installée àSão Paulo). Wright souligne la concomitance entre le succès commercial de l’expérienceet sa relative limite, dans la mesure où elle s’inscrit dans un schéma de montée enpuissance des associations évangéliques – protestantes –, en particulier l’OIBI. Laréflexion de Wright porte plus particulièrement sur ce que les ONG négligent le plussouvent : la nécessité de s’affranchir de la logique de succès mercantile de cesopérations pour prendre en considération les logiques sociales à l’œuvre chez ceux quisouhaitent y participer. Se référant à un cas d’ensorcellement d’un des principauxporteurs du projet, Wright place en perspective les problèmes liés à la brusqueascension sociale des agents indigènes du développement, confrontés à des mécanismesde contrôle social tels que l’empoisonnement.

13 C’est également un projet de développement – portant cette fois sur la baie du

Guarana – qui sous-tend l’étude de Wolfgang Kapfhammer. Les Sateré-Mawê, groupetupi résidant aux alentours de la ville de Parintins (cours moyen de l’Amazone),relèvent, selon les mots de l’auteur, d’une « modernité sceptique » : populationsd’abord considérées comme des entraves au progrès, aujourd’hui portées à ses avant-postes par les expérimentations socio-économiques dont elles font l’objet. Kapfhammerrelate donc la manière dont la production durable du guarana s’insère dans lacosmologie des Sateré-Mawê et, plus largement, dans l’ensemble prophétique queconstitue la Terre sans Mal. L’étude est riche de références, en particulier de référencesgermaniques qui, pour des raisons linguistiques, sont méconnues en France. L’auteurs’attache à décrypter les incohérences cosmologiques suscitées par la culture duguarana (à des fins individualistes dans une société du partage ; planté par des hommesen saison humide, tandis que le manioc est planté par les femmes en saison sèche) et lesdiscours légitimateurs de telles pratiques portés par la religion protestante.

14 Le mot de la fin revient à Joel Robbins, qui propose une lecture de l’ouvrage à la lumière

de ses propres travaux, principalement menés en Mélanésie, visant à dégager lesgrandes lignes d’une anthropologie du christianisme. Robbins observe avec raison queles études proposées, si l’on excepte celles de Greer et de Vilaça, portent avant tout surles cosmologies indigènes et sur les éléments de continuité ou de discontinuité que l’onobserve après la conversion. Une approche centrée sur le christianisme en lui-mêmeeût probablement permis de charpenter différemment cet ouvrage, en s’éloignantquelque peu du paradigme amazonien pour s’insérer dans une réflexion plus ample surla conversion à cette religion particulière ; religion qui n’est pas dépourvue en soi designification, qui ne peut être considérée comme un simple support ou véhicule et,finalement, qui est lourde de conséquences pour l’insertion dans une sociétéinterconnectée comme l’est le monde contemporain. Les études présentées dans cetouvrage n’en sont pas moins cohérentes entre elles et forment ainsi une bonneintroduction à une telle réflexion.

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BIBLIOGRAPHIE

BOYER Véronique

2009 Expansion évangélique et migrations en Amazonie brésilienne, Karthala, Paris.

GROSSI Gabriele

2004 Ici nous sommes tous parents. Fêtes et rituels chez les Pataxo du Mont Pascal, thèse de doctorat,

EHESS, Paris.

AUTEURS

FLORENT KOHLER

Université François Rabelais, UFR Lettres et langues, Tours

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WRIGHT Robin M. (ed.), Transformandoos deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas,pentecostais e neopentecostais entre ospovos indígenas no Brasil • CABRERA

BECERRA Gabriel, Las Nuevas Tribus ylos indígenas de la Amazonía: historiade una presencia protestanteJean-Pierre Goulard

RÉFÉRENCE

WRIGHT Robin M. (ed.), Transformando os deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas, pentecostais e

neopentecostais entre os povos indígenas no Brasil, Editora da Unicamp, Campinas/SaõPaulo, 2004, 407 p., réf. dissém., ill.CABRERA BECERRA Gabriel, Las Nuevas Tribus y los indígenas de la Amazonía: historia de una

presencia protestante, Edición Cabrera Becerra, Bogotá, 2007, 224 p., bibl., ill., cartes

1 Le phénomène du néo-religieux en milieu indigène pose de nombreuses questions en

anthropologie, ce qui explique la multiplication des études sur ce thème dans descontextes socioculturels variés et sur tous les continents. La prégnance de nouvellesnormes religieuses, manifestement influencées par l’Occident, interpelle les conduitesdes observés comme celles des observateurs. Il conviendrait donc d’interroger lesmotivations des uns et des autres. Les résultats présentés dans les deux ouvragesretenus ici rendent compte de l’analyse de l’impact de courants religieux qui ont surgiau cours du XIXe siècle aux États-Unis au sein de populations qui, a priori, ont peu à voir

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avec les basses terres amazoniennes. Pourtant, les différences sont-elles vraiment siimportantes ? L’insertion et la permanence de certains des traits importés sont lessignes d’une appréhension possible de l’extériorité par lesdites populations d’accueil.Certes, elles ont déjà connu des échanges par contact et/ou affrontements, ne serait-cequ’avec des populations voisines. Par exemple, on sait que le « complexe arawak » aposé son empreinte sur une grande partie du Nord-Ouest amazonien. Les groupes ontété normés et ont partagé des pratiques rituelles et des croyances dont le prophétismen’était pas absent. Les rives de l’Amazone ont été ensuite « infiltrées » par le mondetupi qui a introduit à son tour certaines de ses valeurs. Puis, à leur tour, les Européensont imposé, peu ou prou, certaines des leurs. Ainsi, en un millénaire, trois « conquêtes »successives ont remodelé le paysage ethnique et ont donc influencé les populations desbasses terres du Nord-Ouest amazonien.

2 À leur arrivée, les Espagnols et les Portugais se retrouvèrent face à une mosaïque de

groupes ethniques qui furent rapidement décimés. L’adhésion au catholicisme futproposée aux survivants comme « planche de salut ». De nos jours, cette optionchrétienne est souvent, et peut-être plus que jamais, perçue comme une oppression, àl’image de l’esclavage, de la servilité, de l’exploitation… Au cours du XXe siècle, les

« résidus » de ces populations originelles ont rejeté le catholicisme et se sont tournéesfacilement vers l’offre des néo-religions à orientation protestante. Le travail depénétration de ces mouvements s’est étalé sur plusieurs décennies en développant desstratégies propres, au niveau national (politique) comme local (linguistique). Lesmissionnaires ont nécessairement dû s’adapter aux conditions posées implicitementpar chaque groupe indigène pour emporter l’adhésion. Le facteur temps et leurimmersion permettent de comprendre cette réussite. Tout d’abord rejetés, puismaintenus à distance, ils ont enfin été accueillis au prix de concessions et les indigènesont progressivement accepté certaines de leurs propositions. Les populationsconcernées ont en même temps tiré profit de cette proximité, sous forme d’avantages,matériels et autres, tandis que certaines d’entre elles ont été associées à un travaillinguistique qui a souvent abouti à la traduction de la Bible dans leur propre langue. Ils’en est suivi une offre de scolarisation et l’accès à des pans du monde des Blancs.

3 L’adhésion est-elle alors une réaction au système antérieur et/ou est-elle la

conséquence du contact devenu permanent avec les Blancs ? L’acceptation de cesmouvements a sans doute été renforcée par la reconnaissance du fait indigène dans lesnouvelles constitutions des principaux pays latino-américains (Colombie en 1991 ;Brésil en 1988). Il en a résulté une prise de conscience de leur indianité, non pluscomme facteur d’opprobre, mais bien au contraire comme une marque identitaire forteopposable à la société dominante. Le discours des néo-religions, comme des ONG, s’estsaisi de cette opportunité pour promouvoir, au sein de ces populations, une plus grandeautonomie, tout en imposant l’abandon de certaines pratiques et l’acceptation denouvelles contraintes venues de l’extérieur, dont certaines sous un motif religieux(prohibition de l’alcool et du tabac, abandon de la polygynie…).

4 Parmi toutes les offres proposées, celle du « salut » occupe une place préférentielle. Un

tel discours salvateur trouve un écho favorable chez un nombre de plus en plusimportant de communautés indigènes qui se sont longtemps perçues comme délaisséeset abandonnées. Cette proposition induit une nouvelle perception de Soi et de l’Autre

qui est prise en compte quand un groupe interroge son éventuelle adhésion à une néo-religion. Mais la réception du discours eschatologique induit est-elle la même pour

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tous ? Sont-ce les mêmes schèmes qui font écho chez les uns et chez les autres ? S’agit-ildes mêmes stratégies ethniques, des mêmes correspondances idéologiques ? Uneappréhension ainsi partagée doit bien, jusqu’à un certain point, répondre à une attente,à un besoin ou à une nécessité. Les deux ouvrages dont il est question apportentquelques réponses à travers des études de cas qui couvrent une bonne partie del’Amazonie.

5 L’étude de Gabriel Cabrera Becerra est exemplaire à plus d’un titre. L’auteur met en

perspective le parcours d’un groupe ethnique nomade, les Nukak, dont la survie estl’objet d’un véritable enjeu idéologique. Ce groupe d’environ 500 personnes est devenuemblématique, pour la Colombie, « d’un patrimoine culturel et ethnologique ». Ce casest un exemple et met l’emphase sur une situation que connaît peu ou prou l’ensembledu pays, soit l’occupation du territoire national disputée par différents acteurs : laguérilla, les groupes d’autodéfense, les paramilitaires, les narco-trafiquants, l’État àtravers ses différents organismes et, bien sûr, les indigènes. Au-delà des affects del’ethnologue, la situation des Nukak, qui vaut par ailleurs pour beaucoup d’autrespopulations, condense la situation des « déplacés » que l’auteur analyse dans laperspective proposée par Hannah Arendt (reprise in Cabrera Becerra, p. 93). Le résultatest un plaidoyer pro domo ancré dans l’engagement personnel de longue date del’auteur, à côté d’autres, pour la défense de ce groupe dont le premier contact avec lesBlancs remonte à 1987. Dans tous les cas, les conséquences de ce contact sontimpressionnantes, faites de nombreux décès, de rapts, de maladies et du déplacementforcé du restant de la population.

6 Pourtant, en raison de leur situation paroxystique (de rejet !) en milieu métis et pour

des raisons de survie (du moins peut-on le penser, puisque le point de vue indigèneapparaît peu tout au long de ce travail), la majorité de ces survivants a entrepris, contrel’avis de leurs mentors institutionnels, et peut-être au soulagement de la populationrégionale, de retourner au cours de l’année 2007 sur leur territoire (communicationpersonnelle de Carlos Franky et Dany Mahecha), pour le meilleur ou pour le pire, terresdevenues inaccessibles à tous les organismes, ceux de l’État et d’autres. Partant de ceconstat, Cabrera Becerra élargit son propos. Il détaille l’intrusion et la permanence dela présence des Nuevas Tribus parmi les Nukak, en insistant sur l’épopée de SophieMüller (missionnaire américaine adventiste qui sillonna durant plus de trente ans lebassin de l’Orénoque pour convertir les populations indigènes à l’évangélisme), pourdonner un aperçu de la présence protestante dans toute la région.

7 Peut-être eût-il été préférable qu’il publiât des textes séparés, car l’intérêt de la

première partie de son travail a tendance à se dissoudre dans la seconde, confusionentretenue par un style alternant entre la chronique et l’analyse. La présenceprotestante relève, en effet, d’une problématique dont l’étude, même si elle estcirconscrite dans son propos, rejoint celle de bien des populations indigènes et s’inscriten même temps dans le concert des nations…

8 Finalement il s’agit d’un travail linéaire, le plus souvent descriptif, dont l’apport est

indubitable par les nombreuses informations fournies, mais dont les enjeuxidéologiques qui sous-tendent la situation ne sont pas toujours développés. On peutsupposer que le tableau des Nuevas Tribus dressé par Cabrera cherche à mettre enperspective la démarche idéologique poursuivie dans la plus grande discrétion, mais ileût été nécessaire de disposer de plus d’informations quant aux « débats » et

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interrogations qui n’ont certainement pas manqué au sein du groupe, tant sur le planreligieux que l’auteur aborde peu que sur les autres champs de la vie de la société.

9 À l’inverse de cette perspective avant tout diachronique, l’ouvrage dirigé par Robin

Wright inscrit son collectif dans une approche synchronique. Dans la continuité d’unpremier volume paru il y a quelques années (Wright 1999), est présentée une visionpanoramique qui facilite une approche comparative de la confrontation résultant de laproblématique de l’implantation des néo-religions protestantes au sein de plusieursgroupes amazoniens.

10 Pour éviter toute compassion, il convient de rappeler encore que les sociétés

amérindiennes dont il est question ici sont pour la plupart en interrelation avec lemonde occidental, parfois depuis des siècles. C’est donc à un moment précis de leurparcours à côté du monde des Blancs, que ces groupes ont eu à connaître leprotestantisme, dont le positionnement est de mettre fin, par adhésion, à une « vie desouffrances et d’afflictions » (Wright, p. 10). Ce cadre religieux est facilement associé àla civilisation, en opposition avec la tradition associée au catholicisme. Une desconséquences de cette démarche est d’inscrire le monde indigène dans une perspectivehistorique. Ce rapport à l’histoire, concept nouveau pour l’indigène, procède d’unelinéarité (versus la civilisation) qui succèderait à une cyclicité (versus la tradition). Danssa préface, Wright s’interroge sur cette démarche : est-elle nécessaire pour unetransformation culturellement acceptable dans ce nouveau rapport avec l’extérieurpour réintroduire l’ethnicité, non tant comme une alternative que comme un cheminobligé ?

11 Même si le religieux n’est pas seul à participer du renouveau indigène, il tend à

focaliser cette revendication. Le cadre étant perverti, il s’est ainsi fortifié par uneappropriation de ce qui, vu de l’extérieur, est un emprunt, alors qu’il n’en va pas demême en interne. Si la conversion au protestantisme est un acte individuel, il est plutôtvécu comme collectif dans le contexte indigène. Ce qui fait la force des variantes duprotestantisme tient pour partie à l’approche émotive ou émotionnelle entretenueprincipalement lors de rituels festifs et qui est souvent confortée par des visionscommunes au cours du culte. Ce qui frappe encore c’est l’impact spécifique del’adventisme. Sa lecture littérale de l’Ancien Testament exige, par exemple, de ne pastravailler le dimanche et de respecter des tabous alimentaires, pratiques empruntéespar cette branche du protestantisme au judaïsme et qui sont observées par les« convertis » indigènes.

12 Il ressort de toutes les contributions que la pénétration des néo-religions au sein des

groupes indigènes va crescendo jusqu’à ce qu’elles soient reconnues en interne etdeviennent parfois la « religion » d’un groupe dans son entier (comme, par exemple,chez les Curripaco).

13 D’autres questions ne manquent pas de surgir. Permettent-elles malgré tout le

maintien des cosmologies (même au prix de certaines adaptations par analogies etautres procédés) ? Dans le même ordre d’idées, cette adhésion ne permet-elle pas derétablir un cadre ethnique qui est parfois considéré de l’extérieur comme ayant étéperverti par dégénérescence en raison des allers-retours de la croyance ? Elleréunifierait alors l’ethnique, conforté par une appropriation de ce qui, vu del’extérieur, serait un emprunt, à l’inverse du ressenti des communautés indigènesimpliquées dans cette démarche.

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14 Dans cette nouvelle configuration, la « religion » permettrait en effet à ces sociétés de

perdurer comme un tout. Elle serait unificatrice, permettant à l’ensemble despersonnes qui s’en revendiquent de s’y identifier. C’est encore la place de la coutumeou de la tradition qui est questionnée et, implicitement, celle des rituels et duchamanisme. Dans le cas du chamanisme, il y a en effet des tentatives de substitutionpar des néo-officiants qui reprennent certaines de leurs fonctions, mais souvent il y aplutôt une recombinaison. Le positionnement face au chamanisme est double. D’unepart, de nouvelles significations sont introduites par l’usage d’équivalences inverséesqui incitent à l’abandon de certaines pratiques. D’autre part, le maintien de la culturevaut par la conservation de connaissances, telles celles d’ordre phyto-thérapeutiqueavec les plantes et leur efficacité symbolique, mais également l’ascendance morale duchamane au sein d’un groupe. Ce que confirme Robin Wright quand il propose que,malgré les apparences, les analogies et les ruptures ne sont pas opposées dans lescosmologies, car les analogies concernent le fond, alors que les ruptures sont de pureforme.

15 Tous les textes de ce livre montrent, s’il en est encore besoin, comment perdurent les

sociétés amazoniennes, comment l’identité est revendiquée dans le cadre actuel face àun certain discours pessimiste tenu à leur sujet. Toutefois, la revendication d’unevisibilité indigène se combine avec d’autres facteurs. Le cadre politique national etinternational offre une reconnaissance des droits de plus en plus souvent exigés par lesacteurs indigènes, avec parfois l’aide de personnes et d’organismes extérieurs. Ceciimplique, ou conduit à, comme le notent plusieurs auteurs, la création et l’exacerbationdes postes et des fonctions (enseignants, pasteurs, promoteurs de santé) qui induisentl’introduction d’une hiérarchie là où elle était absente jusqu’à présent. S’y ajoute uncadre économique avec lequel il faut désormais composer avec une « économie del’intime », d’une part, et une « économie de l’externe », d’autre part. In fine, il y a unemutation putative de la cosmovision, souvent à partir de « résonances » (Wright, p. 47).Les questions posées en introduction de l’ouvrage ont alors toute leur place etconduisent à interroger la combinaison entre transcendance et essentialisme.

16 Bien des traits sont ainsi partagés par les sociétés présentées ici, ne serait-ce que celui

lié au fait qu’elles traversent des « situations de crise », lesquelles conduisent àl’adhésion à une « néo-religion ». D’une telle rencontre, propose Kapfhammer (inWright pp. 102-103), naît une « mythopraxis » que partagent ensuite les « néo-croyants ». C’est alors qu’est induite une certaine transculturalité, avec une diffusiondepuis une Tour de Babel, et la présence d’un Dieu, si possible unique. Cette situationest rendue possible par la construction d’une terminologie biblique et d’un glossairespirituel par détournement sémantique du lexique usuel. Ce qui retient encorel’attention des auteurs est la rapidité d’intégration de ces concepts déviés, unegénération étant parfois suffisante pour y parvenir. Glissements sémantiques,glissements comportementaux sont les premiers ingrédients utilisés. Une autre forcede ces mouvements est de fonder leur endoctrinement sur l’usage exclusif de la languenative. Au terme d’un réel effort fourni pour l’apprentissage d’une langue, lemissionnaire devient alors un interlocuteur privilégié. Dans un deuxième temps, cedernier complète son œuvre en traduisant la Bible ou des extraits dans ladite langue.

17 Un autre trait commun à toutes ces sociétés est que les communautés se partagent

entre les catholiques, associés à la tradition, et les croyants, ceux qui ont adhéré à la« religion ». Si, d’une part, la situation actuelle (modes de communication,

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reconnaissance par les États, etc.) a renforcé l’identité ethnique en englobant peu ouprou l’ensemble de la population s’en revendiquant, les néo-religions ont introduit unenouvelle identité. Cette identité religieuse vient à son tour subdiviser le groupe. Lesconséquences sont alors notables. Elles touchent aux modes de relation entre lespersonnes tant sur le plan de l’organisation sociale, avec la pratique de rituelsspécifiques, des alliances matrimoniales, qui se déroulent exclusivement au sein dugroupe « religieux » concerné, ce qui n’est pas sans conséquences sur le planéconomique et sur les rapports à l’extériorité. Fondées sur le religieux, se mettent enplace ou se surajoutent une nouvelle consanguinité et, conséquemment, une nouvelleaffinité qui, de plus, sont localisées spatialement.

18 La condamnation du personnage du chamane déjà suggérée se retrouve dans la « néo-

idéologie » mise en place. La question est alors de savoir s’il y conserve une place. Il estcondamné, certes, mais encore ? Toute la difficulté est de savoir si son profil est ou nontransféré sur de nouveaux personnages. Le pasteur semble, en effet, récupérercertaines de ses attributions. Son rôle de guérisseur associe souvent des emprunts auchamanisme et un comportement de type occidental. Pourtant, dans la pratique, etsous certaines conditions, la présence bien tempérée du chamane semble plutôtacceptée, ou, tout du moins, tolérée. L’essence même du chamanisme est doncconservée, même si son représentant traditionnel en porte l’ambiguïté et peut à ce titreêtre condamné.

19 Dans tous les cas, les différentes approches relèvent d’une anthropologie de la

contemporanéité. Malgré les règles contraignantes et exclusives que semblent imposerces néo-religions, il n’en demeure pas moins que chaque société garde son (ou ses)secret(s). Malgré les apparences, tout n’est jamais pour ou contre. Ainsi du purati ̃g desSateré-Mawê. Cet objet aux spécificités détaillées par Kapfhammer (in Wright,pp. 114-115) est précieux. Il est hérité des temps primordiaux par une lignée dechamanes qui le conservent aux limites d’une terre qui leur a été attribuée. Or lalecture de cet objet que propose un informateur « croyant » est que le dessin gravéserait le support d’une « transformation par écrit » de la révélation des tempsmythiques, un « texte de référence moral ». L’une des deux faces renseigne sur « le“bon”, l’unité et le travail », l’autre sur le « mauvais, la guerre et la discorde » (inWright, p. 120). Si bien que l’ethnothéorie indigène associe la révélation et latechnologie comme la prémisse de la connaissance de l’écriture (in Wright,pp. 120-121). Bien des sociétés mettent en avant ce dualisme de la fonction du chamaneet du chamanisme, mais peu en fournissent un exemple à partir d’un objet dont lepouvoir montre à souhait la subjectivation dont il est investi. Cela permet decomprendre son inscription dans un héritage généalogique qui ne se retrouve pas dansd’autres sociétés pouvant toutefois inventer d’autres processus pour ethnothéoriserl’adhésion à une néo-religion.

20 Ce qui ressort des divers cas présentés c’est que, malgré les spécificités de chaque

groupe, la mythologie est pervertie. Certes, celle qui peut être tenue pourtraditionnelle est déjà une (re)construction, une recombinaison prenant en compte lesaléas et les processus historiques du groupe. La dernière combinaison, celle quis’enracine avec l’introduction des néo-religions, est actualisée. Elle intègre des donnéesimmédiates de toutes sortes (événementielles, bibliques) pour se recréer une intégritéprimordiale qui devient peu à peu la mythologie orthodoxe du groupe. Elle tend àdevenir rigide car elle est fixée sur le papier. Son oralité vaut à partir de la lecture qui

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n’est le propre que de quelques-uns. Ajoutée aux nouvelles conditionsenvironnementales, l’adoption d’une néo-religion vise à revitaliser l’image de Soi et sarelation à l’Autre. De cette manière, il est possible de se rapprocher, au moins d’êtreproche de l’Autre, jusqu’à parfois se confondre avec lui par le partage de mêmesconcepts alternatifs. L’ordre social reprend toute sa place. Les néo-religions offrentl’alternative symétrique inverse de la proposition de départ qui a favorisé leuracceptation par certains groupes indigènes, avec le cataclysme et la fin du mondecomme communauté de destin et que les acteurs indigènes reprennent à leur compte.

BIBLIOGRAPHIE

WRIGHT Robin M. (éd.)

1999 Transformando os Deuses. Os múltiplos sentidos da conversão entre os povos indígenas no Brasil,

Editora da Unicamp, Campinas.

AUTEURS

JEAN-PIERRE GOULARD

Docteur en ethnologie EREA/LESC

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CERIANI CERNADAS César, Nuestroshermanos lamanitas. Indios y fronterasen la imaginación mormonaDiego Villar

Traduction : Isabelle Combés

RÉFÉRENCE

CERIANI CERNADAS César, Nuestros hermanos lamanitas. Indios y fronteras en la imaginación

mormona, Biblos, Buenos Aires, 2008, 285 p.

1 Ce livre analyse le processus d’absorption de la religion mormone chez les Toba

Takshik de l’Est de la province de Formosa en Argentine, qui vivent entre autres dansles localités de Clorinda, La Primavera et Misión Taacaglé. Loin de se limiter à uneethnographie du mormonisme toba, l’ouvrage s’attache à démonter les mécanismesidéologiques qui structurent l’imagination culturelle des adeptes, indiens commecréoles, de cette religion. Pour ce faire, il retrace une brève histoire du mormonismedepuis sa fondation aux États-Unis, sous la tutelle du prophète Joseph Smith(1805-1844), jusqu’à ses plus scabreuses prolongations, comme le stigmate qui entourela société secrète des Danites, ces implacables « anges de la mort » que le fameux romande Sir Arthur Conan Doyle, A study in scarlet, faisait sévir dans les banlieues de Londresen 1887. Le principal objectif du livre consiste à démonter une icône récurrente de lacosmovision mormone : les Lamanites. D’après Le livre de Mormon, annale orthodoxe del’histoire universelle, le continent américain aurait été colonisé par deux courantsmigratoires israélites, les Néphites et les Lamanites, idolâtres dégénérés et apostats, quianéantirent les premiers ; l’imaginaire mormon voit précisément dans ces héritiersdirects, mais maudits, des tribus d’Israël, les ancêtres des Indiens américains. À partirde cette étiologie, César Ceriani Cernadas retrace les différentes significations de lacatégorie dans les perspectives réciproques des Créoles et des Indiens du Chaco, quifaçonnent une fabuleuse conception des temps anciens, mêlant dinosaures, migrations

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inconcevables, trésors cachés, crimes sanglants et jusqu’à des présomptions decannibalisme.

2 Pour suivre les avatars du mormonisme dans le Gran Chaco, le livre nous raconte

l’origine de la mission évangélique Emmanuel, fondée en 1937 par John Church (« JuanChurch » pour les Toba). L’établissement se convertit en un point stratégique decoagulation démographique pour les différentes bandes nomades de l’Est de Formosa :plus attirés par les nouvelles sur la bonne disposition, la technologie et les richesses desgringos que par un supposé désir de conversion théologique, les Toba se concentrèrentrapidement autour des missions mormones. Peu de temps après, cependant, ilsmanifestèrent leur célèbre inconstance en participant au mouvement millénariste,constitué autour de la figure de « Dieu Luciano » (1940-1950), qui fut interprété par lesmormons comme une rebelle survivance païenne. Ceriani s’efforce de démêler lesprocessus de changement et de continuité dans la chefferie guerrière, l’autoritécharismatique traditionnelle ou chrétienne et ce que l’inimitable Branislava Susnik aappelé l’autorité « transactionnelle », médiatrice entre les deux mondes créole etindien. En analysant, à partir de cas particuliers, les crises existentielles qui motiventl’adoption du culte (alcoolisme, violence, adultère, maladie) ainsi que les idéesrécurrentes dans la rhétorique mormone de l’individualité, du progrès personnel et del’émulation individuelle, l’auteur décrit la même « exégèse pragmatique etsécularisante » qu’Edgardo Cordeu avait rencontrée chez les Toba de Bartolomé de lasCasas : l’adoption du christianisme en tant qu’instrument privilégié de socialisationdans le monde doqshi (blanc), un dépassement progressif des préjugés que la sociéténationale nourrit envers les Indiens du Chaco, prétendument ignorants, fainéants,sales, ivrognes, etc.

3 L’ouvrage s’efforce, à tout moment, de décrire un mormonisme déchiré par des

tensions et fissures qui configurent un champ ouvert, extrêmement dynamique, terrainde processus de mélange, combinaison et permutation d’images. Les conceptions desmormons créoles et toba sont indissociables : les fabuleuses richesses des gringos setraduisent dans la croyance répandue au sujet des tapados, fantastiques trésors cachésqui hantent le folklore régional. Le fil conducteur du livre consiste à démontrer, sousdifférents angles, la complexité de ces religiosités contemporaines. Il décrit, parexemple, les harmonies et frictions entre les différents cultes qui rivalisent pour attirerles mêmes clientèles. Ces aspects sont perceptibles dans la méfiance mormone enversles missionnaires mennonites qui, grâce à leurs talents linguistiques, convertissent desToba en assistants idéaux pour leurs démarches légales et bureaucratiques. Ou, encore,ils sont visibles dans l’amertume envers les églises évangéliques, auxquelles les austèresmormons reprochent une démesure de l’extase émotionnelle. Ce même facteur est àrelier à son tour à l’influence de la proximité relative des villages créoles : tandis queles Indiens les plus indépendants préfèrent une religiosité plus sentimentale, corporelleet extatique, ceux qui sont les plus immergés dans le monde créole paraissent setourner progressivement vers une rationalité moralisante, façonnée dans la prédicationà travers la parole. Dans cette perspective, la perception toba de la catégorie de« catholique » s’avère fascinante, en tant que désignation générique, résiduelle etnégative, qui s’applique à tous ceux qui fument, boivent de l’alcool et n’ont de rapportsavec les mormons qu’à l’occasion d’activités sportives, festives ou sociales.

4 Subsistent quelques questions à peine esquissées, qu’il aurait été intéressant

d’approfondir. L’une est le lien symbolique entre la sacralité du mormonisme toba et

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l’opposition chaud/froid, timidement suggérée dans la discussion sur le rôle du matédans la sociabilité quotidienne (p. 163) ; une autre, la fascination toba pour le servicemilitaire que les Indiens, loin d’en souligner les rigueurs et la discipline obligée,perçoivent comme une exceptionnelle opportunité de socialisation et d’extension deleurs relations sociales (pp. 94-98).

5 On pourrait aussi discuter, naturellement, quelques nuances exégétiques. Lorsqu’il

examine les ambivalences implicites dans les représentations mormones, le livresuggère que le « vampirisme » peut se constituer en un authentique genre narratifparmi les Toba. Ceriani décrit d’une façon très vivante la circulation des rumeurs,ragots et on-dit sur la Reine Moronia, un être séducteur, mais monstrueux, qui senourrit du sang des jeunes vierges. Il explique cette fascination macabre à la façon deGluckman, Pitt-Rivers ou Turner, en associant ces images à des boucs émissaires, desschismes religieux, des disputes de légitimité politique ou des rivalités entre cultes. Ilpropose aussi, dans le style des métaphores d’aliénation coloniale de Michael Taussig,d’insérer la reine cannibale dans un ensemble plus vaste de représentations qui inclutdes êtres comme le pishtaco andin ou le familiar du Chaco. Ceriani présente sa recherchecomme un croisement entre trois variables : religion, frontière et expansion coloniale.De fait, « colonial » est l’épithète le plus fréquent de l’argumentation : les Lamanitessont une « catégorie néo-coloniale », un « récit colonial de frontière », une « mytho-praxis coloniale », une « métaphore d’aliénation coloniale », etc. Sans réfuter cetteinterprétation, il semble possible d’élargir le spectre comparatif. Si on s’attache à desimages similaires comme le saca-caras des Piros ou « l’Inca mesquin » des Panos, aumythe chiriguano de la répartition des armes, qui ramène l’inégalité technologiqueentre Indiens et Blancs à un choix malencontreux des armes de bois plutôt que de ferde la part de leur ancêtre, ou même à des phénomènes d’actualité comme la traiteinternationale d’enfants, la « fuite des cerveaux » vers les pays puissants ou la croyancelatente qui veut que les anthropologues deviennent millionnaires grâce à des patentesde plantes médicinales, des photographies ethnographiques ou des collections demythes, il est tentant de penser en un univers de représentations bigarré, maiscohérent, caractérisé par ce que Louis Dumont a appelé la « complémentaritéasymétrique ». Dans des registres divers, ce fonds commun démontre une mêmestructure formelle de relations dans laquelle le puissant est décadent ou, au moins,incomplet et a, pour cela même, un besoin impératif de la réserve dynamique et de lavitalité de l’inférieur exploité – en d’autres termes, la contrepartie ambivalente,terrible, de l’« ouverture à l’autre » que Lévi-Strauss détecte à la racine des cosmologiesamérindiennes. Les meilleures études sur des figures ambiguës comme le pishtaco oul’Inca amazonien ont démontré que le jeu d’asymétries entre « Indiens » et « Blancs » – si tant est que cela puisse se formuler en termes aussi simples – se greffe sur desoppositions préexistantes dans les diverses sociétés indiennes, comme celles entre lesIncas et les Chunchos, les Chiriguano et les Chané, les Caduvéo et les Chamacoco, etc. Cegenre de phénomènes nous oblige, en somme, à nous demander si l’histoire indiennecommence avec l’arrivée des Espagnols, et donc s’il est vraiment pertinent de parler de« métaphores d’aliénation coloniale » au lieu du jeu de mutations symboliques propredes représentations de la domination en général : des images nivelées, complexes,polysémiques, parmi lesquelles le fait colonial n’est qu’un des registres possibles.

6 Dans le classique débat anthropologique entre structure et histoire, ce livre opte

résolument pour cette dernière. Qui y chercherait une ethnographie classique de lareligiosité toba serait déçu : en commençant par le sous-titre lui-même (« Indiens et

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frontières dans l’imagination mormone »), Ceriani propose explicitement unedéconstruction de l’imaginaire sur les Lamanites à partir du point de vue des croyantsindiens et créoles. La partie dédiée à l’histoire critique du mormonisme est d’ailleursbeaucoup plus volumineuse que celle qui touche à l’ethnographie du Chaco. Lorsquel’argument requiert l’explication de concepts clés de la cosmovision toba, comme jaqa’a,piguem ou haloik, Ceriani n’hésite pas à recourir aux ouvrages de linguistes etethnologues spécialistes. C’est sans doute pour cela aussi que sa méthodologieprivilégie des voies comme la critique textuelle, la micro-histoire ou l’histoire de vie, audétriment de la traditionnelle observation participante.

7 Quelques erreurs (les Toba caractérisés comme « patrilinéaires », p. 13) n’empêchent

pas que Nuestros hermanos lamanitas… soit un livre recommandable autant pour lesspécialistes du Chaco que pour ceux qui s’intéressent à la religiosité en général.L’ouvrage analyse impartialement les logiques régionales du mormonisme sanssombrer ni dans une critique destructrice ni dans une apologie ingénue. Il s’agit d’unlivre amène, d’agréable lecture et profondément argentin, dont les titres comme « Desmontagnes Rocheuses au pays du maté et de la milonga » (p. 19), et les explications dela logique mormone doivent autant à Max Weber qu’à Sarmiento et Paul Groussac.

AUTEURS

DIEGO VILLAR

Conicet, Buenos Aires

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