L'antisémitisme ou la société comme problème

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L'ANTISÉMITISME OU LA SOCIÉTÉ COMME PROBLÈME Sonia Dayan-Herzbrun Editions Kimé | Tumultes 2001/2-2002-1 - n° 17-18 pages 375 à 395 ISSN 1243-549X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-tumultes-2001-2-page-375.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Dayan-Herzbrun Sonia, « L'antisémitisme ou la société comme problème », Tumultes, 2001/2-2002-1 n° 17-18, p. 375-395. DOI : 10.3917/tumu.017.0375 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Kimé. © Editions Kimé. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.57.178.51 - 03/05/2014 16h06. © Editions Kimé Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.57.178.51 - 03/05/2014 16h06. © Editions Kimé

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L'ANTISÉMITISME OU LA SOCIÉTÉ COMME PROBLÈME Sonia Dayan-Herzbrun Editions Kimé | Tumultes 2001/2-2002-1 - n° 17-18pages 375 à 395

ISSN 1243-549X

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--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Dayan-Herzbrun Sonia, « L'antisémitisme ou la société comme problème »,

Tumultes, 2001/2-2002-1 n° 17-18, p. 375-395. DOI : 10.3917/tumu.017.0375

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TUMULTES, numéro 17-18, 2002

L’antisémitisme ou la sociétécomme problème

Sonia Dayan-HerzbrunUniversité Paris 7-Denis Diderot

Le dernier texte écrit par Adorno avant sa mort est lalongue Introduction au débat sur le positivisme dans lasociologie allemande1. Il y montre qu’en sociologie les choixépistémologiques représentent des décisions fondamentales etprofondément politiques, selon que la science vise, comme chezComte ou Parsons, à maintenir les formes de fonctionnement dela société, ou, au contraire, à partir de l’expérience sociale, àtransformer le cœur même de sa structure. Il ne s’agit pour lathéorie dialectique de la connaissance de la société dont Adornoexpose les éléments, ni de se défaire de l’exigence de neutralitéaxiologique ni de se poser en adversaire du positivisme et destechniques empiriques, mais de les intégrer en les dépassant(aufheben). Dans une négativité sans cesse réaffirmée contrel’autorité d’une science entrepreneuriale et réifiée, la sociologiedevient un instrument de lutte contre la domination dont ellerisque d’être, sinon, l’un des agents : le scepticisme positivistede Pareto s’est ainsi accommodé du pouvoir de Mussolini. Lesrecherches empiriques ont leur place dans cette démarche, si 1. Dans sa traduction française, ce texte figure comme Introduction àT. Adorno-K. Popper, De Vienne à Francfort, la querelle allemande dessciences sociales, Ed. Complexe, 1979.

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toutefois on admet que les faits ne sont pas l’élément ultime,mais des phénomènes de surface, qui obscurcissent au lieu derévéler la réalité sous-jacente, comme l’a montré Horkheimerdans sa Critique de la Raison Instrumentale2. A la différencedes faits des sciences de la nature, les faits sociaux ne sedistribuent pas selon un continuum relativement homogène, etils sont porteurs de contradictions et d’irrationalité. C’est que« l’objet même de la sociologie, la société, qui se maintient envie avec ceux qui la composent, en même temps qu’elle se et lesmenace de destruction, est problème au sens le plus fort »3.

C’est à partir du milieu des années 50, une fois revenu àFrancfort, que Adorno se trouve entraîné dans la controverseentre « positivisme » et « théorie sociale critique » qui traversealors la sociologie allemande et concerne non seulementl’épistémologie entendue au sens académique, mais le rapportétroit que celle-ci entretient avec l’histoire et la politique dès lorsqu’il est question des sciences de la société. Dans les différentsexposés de la « théorie critique de la société » qu’il présentedans ces circonstances, qui sont à la fois celles de la guerrefroide et des prémisses du mouvement étudiant de 68, il nemanque pas de rappeler les recherches menées aux Etats-Unisdans les années 40 par l’Institut de Recherche Sociale. Unegrande partie de ces recherches, il le rappelle, ont porté surl’évaluation des énergies humaines mobilisées par et contre lesmouvements totalitaires et leur propagande. « A travers uneapproche empirique, cette étude se centrait sur un problèmeextrêmement sérieux : la haine raciale et particulièrementl’antisémitisme »4. On peut en effet considérer que c’est autourde cette question de l’antisémitisme que l’Ecole de Francfort, entant que groupe collectif, s’est manifestée dans toute saspécificité. Un collectif ce n’est pas une équipe organisée et

2. Max Horkheimer, Zur Kritik der Instrumentellen Vernunft, Francfort sur leMain, 1967, (il s’agit de la version allemande de Eclipse of Reason, publié àNew-York en 1947).3. Zur Logik der Sozialwissenschaft , dans Th. Adorno, Soziologische SchriftenI, éd. Suhrkamp, 1995, page 551.4. Aspects of Sociology , by the Frankfurt Institute for Social Reserach,Boston, Beacon Press, page 169.

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hiérarchisée sur le modèle de la production industrielle5; c’estun ensemble d’individualités qui pensent, échangent etdébattent, peuvent se rapprocher ou s’éloigner. Depuis le débutdes années 30, cette unité du groupe se lit d’abord dans lacontinuité historique de concepts ou d’interrogations à l’œuvredans la succession des textes où l’antisémitisme, commeproblème, est abordé de front ou demeure à l’arrière-plan. Lesconcepts sont travaillés, échangés, critiqués. Ceux qui ont étéles premiers à les élaborer peuvent s’éloigner ou ne plus fairepartie du cercle ; leur trace demeure. C’est le cas en particulierpour Erich Fromm qui forme dès 1929 le concept de « caractèreautoritaire »6 ou de Georg Lukacs à qui se réfère encore Adornodans son dernier texte pour rappeler que ce qui se donne comme« objectivité » chez les journalistes ou les praticiens d’unesociologie industrialisée n’est qu’une figure de la « réification ».Les interrogations ainsi soulevées persistent. Les questions sontreprises par certains, puis par d’autres, dans une élaborationcollective qui n’exclut jamais la discussion ni les analysesindividuelles. Si l’on rappelle qu’Adorno refuse la séparationradicale entre connaissance, entendue au sens plein, et art, qu’ilparle de la théorie critique comme d’une « musique »innaccessible aux oreilles des positivistes7, on peut comparer untel groupe à une Ecole artistique, à l’Ecole de Vienne parexemple dont Adorno fut si proche.

Méthodes 5. Cf. Th. Adorno, Teamwork in der Sozialforschung, dans SoziologischeSchriften I, éd. Suhrkamp, 1995, p.p. 494-499.6. Dans son étude « psychologique et sociologique » sur la classe ouvrièredans l’Allemagne de Weimar, rédigée en 1929 à partir d’une enquête menéeavec Hilde Weiss, Erich Fromm esquisse une typologie de deux formes decaractère autoritaire : il distingue l’autoritarisme des petits bourgeoisconservateurs marqué par le désir de soumission à l’autorité, de celui des« rebelles », souvent militants, des partis d’extrême-gauche (The WorkingClass in Weimar Germany, Berg Publishers 1984, p.p. 228-230). La typologieexposée dans La Personnalité Autoritaire affine et précise considérablementcette première approche.7. Einleitung zum « Positivismusstreit in der deutschen Soziologie »,Soziologische Scriften I, page 318.

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Comment articuler ce qui se révèle à la fois projetpolitique et entreprise de connaissancesÊ? Il faut préciser : nonpas l’un et l’autre, mais l’un parce que l’autre. Qu’il y ait uneméthodologie liée à la théorie critique appliquée à laconnaissance de la société, nul n’est en droit de le contester.Mais parce que ces méthodes contreviennent à l’orthodoxie dessciences sociales elles soulèvent des problèmes qu’il fautévoquer maintenant.

Au niveau premier d’une histoire et d’une sociologie de laconnaissance, on peut se demander comment, au jour le jour, ilest possible de penser dans un groupe avec ses hiérarchies, sestensions, ses conflits. Un certain nombre de travaux, enparticulier ceux de Martin Jay, ont largement éclairé ces points.Des zones d’ombre demeurent qui obligent à nuancer l’image derépublique des égaux que l’on accolerait trop volontiers à cettepremière génération de l’Ecole de Francfort8. Les quelquespages qu’Adorno consacre en 1968 à retracer les circonstancesde l’élaboration des Etudes sur les Préjugés avec leursprolongements divers montrent cependant la richesse deséchanges entre tous les collaborateurs à cet ensemble de travauxqui n’aurait pas pu être l’œuvre d’un seul individu. Au sérieuxd’un positivisme englué dans une pseudo-objectivité, Adornooppose l’atmosphère ludique qui a présidé à l’élaboration del’échelle F par ses quatre concepteurs (lui-même, ainsi qu’ElseFrenkel-Brunswik, Daniel Levinson, et Newitt Sanford), tousfamiliers de la psychanalyse et de la libre association.

La psychanalyse « a fourni des hypothèses utilisables àl’intérieur même d’une démarche scientifique pour expliquer cequi sans cela serait inexplicable, à savoir qu’une écrasantemajorité des hommes se soumet aux rapports de domination,s’identifie à eux et de ce fait se laisse envahir par des attitudesirrationnelles en contradiction avec les intérêts les plusélémentaires de la conservation de soi »9. Rappeler son usagefamilier renvoie à un point central, qui est celui de l’entrelacsdes approches disciplinaires que les institutions universitairess’ingénient à séparer. Connaissance historique et connaissance 8. On songe en particulier aux relations d’Adorno avec Walter Benjamin.9. Einleitung... éd. citée, page 331.

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sociale ne peuvent être opposées, non pas simplement en raisonde l’inscription de tout ce qui est humain dans la temporalité,mais parce que l’individuation à quoi s’attache l’histoire est unecatégorie sociale et qu’il faut penser l’entrecroisement duparticulier et du général. Entrecroisement n’est pasindistinctement : ce qui est vrai des relations entre sociologie ethistoire l’est aussi de la place respective de la sociologie et de lapsychologie. L’écart majeur par rapport au positivisme concernela place de la philosophie. Dans les nombreux travaux surl’antisémitisme issus de l’Ecole de Francfort — qu’ils aient étépubliés ou laissés à l’état de manuscrits —, on constate que lafrontière entre philosophie et sciences sociales n’est pas tracée.Cette absence n’aboutit pas à la réduction des sciences sociales àdu discours philosophique, ni bien sûr à la réduction inverse.Elle se marque par un mouvement d’aller-retour de la démarcheempirique, du recueil des faits, à l’élaboration théorique. Lesfaits ne sont en rien des choses intelligibles en elles-mêmes.« L’histoire a permis de constater que ce fait absolument socialqu’a été Auschwitz, ne se laisse vraiment pas comprendre »10.La théorie, comme catégorie critique, propose une constructionconstamment modifiable du total autour duquel les donnéeséparses s’organisent. L’échelle F autour de laquelle se sontarticulées une bonne partie des recherches empiriques de laPersonnalité Autoritaire n’aurait pu être introduite ni mêmeaméliorée si elle avait été d’emblée élaborée sans recoursthéorique et selon des critères purement positivistes11.On saitbien que les Eléments de l’antisémitisme, inclus à titre dechapitre dans la Dialectique des Lumières, ont été rédigéspendant la période où Horkheimer et Adorno dirigeaient lesrecherches empiriques sur l’antisémitisme. Dans ce texte oùl’antisémitisme est pensé comme lien dialectique entre la Raisonet la domination, deux voies de réflexion sont suiviesparallèlement. D’un côté l’antisémitisme est pensé sous lacatégorie du préjugé et du stéréotype : « l’antisémitisme n’estpas une caractéristique de l’étiquette antisémite, c’est un trait 10. Th. Adorno, Einleitung zu Emile Durkheim « Soziologie undPhilosophie », Soziologische Schriften, t. I, page 277.11. Th. Adorno, Einleitung zum « Positivismusstreit in der deutschenSoziologie », Soziologische Schriften, t. I, page 334.

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propre à toute mentalité acceptant des étiquettes »12. Dans cettemesure, les victimes de la haine, de la volupté sanguinaire, sontinterchangeables, suivant les circonstances historiques : gitans,juifs, protestants, catholiques, etc. Que les recherches surl’antisémitisme aient débouché sur des études sur les préjugés, lapropagande fasciste, etc., n’est donc pas le fait d’une adaptationpragmatique aux circonstances et aux demandes descommanditaires. Mais Horkheimer et Adorno proposent enmême temps des hypothèses sur ce qui a pu désignerspécifiquement les Juifs aux discriminations et aux persécutions.C’est dans la victoire de la société et de la civilisation sur lanature, à travers l’instauration du monothéisme et des rituels surl’animalité, la terre et l’idolâtrie que les deux auteurs voient laspécificité des Juifs, déclarés précisément responsables de cequ’ils ont été les premiers à briser en eux. « Les antisémites sefont les exécuteurs de l’Ancien Testament : ils veillent à ce queles Juifs qui ont goûté les fruits de l’arbre de la connaissance,retournent à la poussière »13.

Le troisième grand problème méthodologique auquel onse trouve confronté à travers cette série de recherches est celuide savoir comment penser l’expérience que l’on a vécue, quel’on est en train de vivre, c’est-à-dire comment concilier lediscours du « Je » et celui de l’objectivation. Autrement dit, dansle cas qui nous occupe, comment parler de l’antisémitisme,comment analyser l’antisémitisme, quand on en est soi-mêmevictime, dans les conditions extrêmes du nazisme ? PourHorkheimer et Adorno, cela reviendra peu à peu également àécrire sur le judaïsme, l’histoire juive, l’être juif, en allant trèsau-delà de ce qui s’énonçait dans l’analyse de 1939 intitulée DieJuden und Europa (Les Juifs et l’Europe)14. Dans cette étude,Horkheimer, tout en voyant déjà dans l’antisémitisme quidisperse à travers l’Europe les Juifs qui fuient les nazis et les 12. Max Horkheimer et Th. Adorno, La dialectique de la Raison, Ed. Tel-Gallimard, 1983, page 215. Je préfère rendre le titre de cet ouvrage («Dialektikder Aufklärung») par « Dialectique des Lumières ».13. Max Horkheimer et Th. Adorno, La dialectique de la Raison, éd. Tel-Gallimard, 1983, page 195.14. Max Horkheimer, « Die Juden und Europa », Gesammelte Schriften, t. 4,Fischer Verlag, 1988, p.p. 308-331.

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pogroms, le « messager de l’ordre totalitaire », voit dans lefascisme « la vérité de la société moderne » fondée surl’exploitation capitaliste. L’antisémitisme serait donc une desexpressions de l’angoisse des masses atomisées, en particulierdes chômeurs et de la petite bourgeoisie menacée dans sonexistence. Il y a loin entre l’affirmation selon laquelle lesouvriers allemands formés à l’école de la pensée révolutionnaireressentent de la nausée en face de pogroms, et la recherchemenée quelques années plus tard sur l’antisémitisme dans laclasse ouvrière américaine. Certes le marxisme strict auquel setient encore Horkheimer étend sa critique au systèmebolchevique. Mais il ne se reconnaît pas encore comme objet dela propagande antisémite, dont il écrit alors qu’elle porte surtoutsur l’étranger (les Juifs de l’Est). C’est plus tard qu’il parlera deson vécu.

Un des autres obstacles à la construction du préjugéantisémite comme objet empirique, consiste dans la nécessité desurmonter la répulsion que ce sentiment provoque. Commentfaire preuve des exigences de compréhension (insight) etd’objectivité exigées des chercheurs en sciences sociales quandl’objet sur lequel on travaille n’est autre que « cette horreur qui acoûté la vie à des millions de victimes innocentes »15? Ladémarche se justifie cependant dans la mesure où elle doitpermettre d’empêcher la répétition d’un tel désastre là où onpeut redouter qu’il ne se produise à nouveau. En d’autres termesil faut défaire le lien de la rationalité à la domination, rendrepossible l’exercice d’une rationalité non dominatrice, c’est-à-dire critique. Les connaissances et les machines, disait déjà letexte sur « Les Juifs et l’Europe », ne doivent pas servir àéterniser la puissance et le non-droit, mais au bonheur deshommes. Pour être un instrument de la lutte contre ladomination, la recherche sociologique doit donc obéir auxcritères qui permettent de faire usage de sciences sociales niatomisées ni réifiées et qui s’articulent autour d’une constructionthéorique critique. Loin d’être un discours préalable sur laméthode, l’exposé de 1957 sur Sociologie et RechercheEmpirique est une réflexion a posteriori sur la manière dont ont 15. Aspects of Sociology, Beacon Press, 1972, page 169. Ce texte date de1956.

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été conduites ces recherches. « La construction du total, yrappelle Adorno, a comme première condition un concept de lachose autour de laquelle s’organisent les données disparates.Celles-ci doivent être recueillies à partir de trois types desources : l’expérience vivante qui n’est pas préréglée par desmécanismes sociaux de contrôle ; le souvenir de ce qui a étépensé jadis ; la conséquence correcte de la réflexion de chacun.C’est à ce matériel que le concept doit toujours se rapporter, et àson contact qu’il doit toujours pouvoir être modifié. »16

Le projet de recherche sur l’antisémitisme.Tout au long des années 40, on rencontre plusieurs

formulations successives de ce projet dont une des finalités estl’élaboration d’une « pédagogie démocratique »17. Il s’agit soitdes textes publiés par l’Institut, alors replié à l’Université deColumbia à New York, soit des mémorandums en forme detapuscrits adressés à l’American Jewish Committee qui vaassurer le financement de la recherche.

En 1941, Horkheimer fait précéder la présentation duprojet collectif de recherche sur l’antisémitisme de remarquesépistémologiques et méthodologiques qui l’inscrivent dans lechamp de la Théorie Critique : « Ce projet ne contient passeulement des problèmes de recherche mais des conceptionsthéoriques auxquelles les recherches précédentes ont permisd’aboutir, et qu’il faudra mettre à l’épreuve à travers desinvestigations ultérieures. Il va de soi qu’aucune de cesconceptions ne sera jamais traitée comme un dogme, même unefois que la recherche en cours aura été menée »18.

L’objet de la recherche est l’ensemble des croyances, desaffects, des pulsions, des comportements à travers lesquels se 16. Th. Adorno, « Soziologie und empirische Forschung », SoziologischeSchriften, t. I, page 197.17. J’ai exposé les circonstances historiques précises de la réalisation de cestravaux dans une étude à paraître sous le titre « New York-Los Angeles. Lesthéoriciens critiques aux Etats-Unis ».18. « Notes On Institute Activities », Studies in Philosophy and socialSciences, Institute of Social Research, New York, 1941, page 123.

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manifeste la haine des Juifs, et qui risque d’aboutir aux Etats-Unis à la même volonté de destruction que celle qui s’estdéployée en Allemagne ou à partir de l’Allemagne.L’antisémitisme est présenté dans le texte de 1941 comme undanger inhérent à la culture moderne. Même les grands penseursde la modernité n’en sont pas exempts, qu’il s’agisse de Voltaireou des philosophes allemands Herder, Kant, Fichte ou Hegel.Les stéréotypes antisémites resurgissent chez des écrivains quiont cependant pris la défense des Juifs ou de certains d’entreeux, comme Goethe ou Zola. Dans ce tableau Lessing etNietzsche figurent comme de remarquables exceptions.L’antisémitisme, en effet, sous-tend la vie sociale de tous lesgroupes de la population, expression de l’ambivalence vis-à-visdu concept de Droits de l’Homme, comme le fut au moment dela Révolution Française la persécution des aristocrates. Danscette mesure une propagande bien conduite peut toujours leréactiver.

L’antisémitisme totalitaireCette première approche transhistorique va être largement

nuancée. Une première note de 1943 précise les définitions :« Ce qui aujourd’hui est appelé antisémitisme relève de deuxtypes d’attitude. La première est l’absence de sympathie àl’égard des Juifs, sentiment d’intensité variable mais où l’on neleur fait pas porter la responsabilité de la majorité des maux dela société. L’autre attitude émane d’un centre défini depropagande et a le soutien d’un groupe d'« intellectuels » quiconsacrent leur vie à la création de mythes juifs. C’est alorsl’instrument d’une stratégie qui vise à s’emparer du pouvoir.Pour nous occuper de l’antisémitisme politique nous devonsdistinguer entre les agents ou manipulateurs et les patients oucroyants. Le vrai problème est de comprendre la fascinationexercée par l’antisémitisme, ce en quoi il est attractif etsusceptible de jouer un rôle de compensation. En outre onvoudrait savoir quelles sont les couches sociales et les typesparticuliers de personnalité qui sont le plus susceptibles de s’ylaisser aller »19. L’objet de la recherche n’est plus 19. Some Methodological Errors In The Study of Antisemitism (tapuscrit),janvier 1943, page 4. Je remercie ici les conservateurs de la Bibliothèque

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l’antisémitisme en général, mais l’antisémitisme politique outotalitaire.

Une autre note, du 15 mars 1943, série les caractères parlesquels antisémitisme prétotalitaire et antisémitisme totalitairese distinguent. L’antisémitisme prétotalitaire s’est développédans des sociétés où les Juifs vivaient en communautés closes etminoritaires, et c’est à cette minorité qu’il s’en prenait. Il semanifestait le plus souvent sous la forme de la discriminationsociale et religieuse, et ses manifestations terroristes, dont lesauteurs étaient le plus souvent des groupes frustrés qui prenaientles Juifs pour des boucs-émissaires, étaient limitées dans letemps. L’antisémitisme totalitaire est, quant à lui, une armedestinée à transformer la structure même de la société. Les Juifscontre lesquels s’exerce une terreur systématique sont« l’incarnation symbolique de l’ensemble des forces sociales etspirituelles que le système totalitaire doit détruire pour établir etmaintenir l’essence de sa domination »20. Il ne peut donc y avoirde « bon » Juif, et aucun d’eux n’est amendable par conversionou assimilation. L’ensemble du groupe est condamné pour desraisons pseudo-anthropologiques, sans qu’il soit possibled’argumenter : l’antisémitisme totalitaire ne repose sur aucuneexpérience mais sur un ensemble de clichés acceptéspassivement. L’antisémitisme prétotalitaire a pu être utilisé à desfins politique, alors que tous les aspects et toutes les techniquesde l’antisémitisme totalitaire « sont déterminés par les fonctionspolitiques que le système totalitaire veut lui faire jouer. Parconséquent l’antisémitisme totalitaire est toujours manipulé »21.Les modifications dans les techniques de communicationpubliques (en particulier la propagande radiodiffusée à desmillions d’auditeurs) en modifient la portée et l’impact. Lesconduites ne font pas sens à elles toutes seules. L’analyse desmanifestations apparemment semblables de l’antisémitisme doitdonc toujours tenir compte de sa signification politique. Lenumerus clausus et les pogroms organisés par le gouvernement Universitaire de Francfort-sur-le-Main qui m’ont permis l’accès auxmanuscrits du Fonds Horkheimer que j’exploite ici.20. Notes on some methodological principles and some tentative assumptionfor the work on the anisemitism project (tapuscrit), 15/3/1943, page 1.21. Ibid, page 2.

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de la Russie tsariste étaient l’expression d’une politiqueréactionnaire cherchant à faire diversion. Les pogromsallemands de 1938 marquaient, eux, la première étape del’extermination des Juifs d’Europe. L’objet du travail collectifde l’Institut ne sera donc ni le totalitarisme ni le nazisme, mêmesi des travaux importants de membres de l’Ecole qui portent surle national-socialisme, en particulier le Béhémoth de FranzNeumann, incluent la question de l’antisémitisme dans leuranalyse22.

Une fois la recherche aboutie et ses résultats publiés dansles cinq volumes des Studies in Prejudice dont La personnalitéautoritaire ne forme qu’une partie (le volume 5), l’objet en seradevenu la « potentialité fasciste ». A la lumière de l’expérienceaméricaine et à la suite des travaux de l’équipe qu’ils ontconstituée, Horkheimer et Adorno sont parvenus à la convictionque l’antisémitisme est une des composantes d’un « ticket »,d’une plate-forme, qui est le fascisme. « L’antisémitisme apratiquement cessé d’être une impulsion indépendante, il n’estplus qu’une planche de la plate-forme : quiconque se prononcepour une forme de fascisme souscrit à la destruction dessyndicats et à la croisade contre le bolchevisme et souscritautomatiquement à l’extermination des Juifs »23. Cedéplacement de l’objet où l’antisémitisme devient un indicateurde cette abdication de la liberté qu’est le fascisme, est un parfaitexemple de ce qui est conçu dans la théorie comme totaliténégative, c’est-à-dire un « total » qui se modifie au contact dumatériau recueilli dans la recherche. Celle-ci aura porté sur ceuxqui sont susceptibles d’activer les potentialités fascistes (enparticulier les propagandistes et les agitateurs24) et ceux qui ont

22. A cet égard, il est intéressant de remarquer qu’une étude consacrée àl’analyse du fascisme par l’Institut de Recherche Sociale ne mentionne ni laquestion de l’antisémitisme, ni la Personnalité autoritaire. Il s’agit de MichaëlWilson, Das Institut für Sozialforschung und seine Faschismusanalysen,Francfort sur le Main / New York, 1982.23. Max Horkheimer et Th. Adorno, La dialectique de la Raison, éd. Tel-Gallimard, 1983, page 209.24. Ainsi de l’ouvrage de Leo Lowenthal et Norbert Guterman, Prophets ofdeceit ; a study of the techniques of the American agitator, plusieurs foisréédité, et qui constitue le volume 3 des Studies. Th. Adorno a lui-même

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pu être manipulés, et adhérer aux préjugés ainsi qu’auxmouvements qui les mettent en application.

La dimension de l’expérienceD’abord refoulé, l’antisémitisme comme expérience vécue

s’exprime dans la correspondance qu’échangent les différentscollaborateurs de l’Ecole de Francfort. Comme le sexisme, il esttrès largement répandu et s’exprime à des niveaux de faibleconscience dans les plaisanteries obscènes ou les graffitis desW.-C.25. Ces manifestations que l’on pourrait qualifier desubliminales sont constitutives des potentialités fascistes que lesgroupes concernés refusent souvent de percevoir. Dans un texteportant sur l’arrière-plan sociologique de l’approchepsychanalytique de l’antisémitisme, Max Horkheimer revient sursa propre histoire : « Dès 1930, alors que j’étais encore àFrancfort, j’ai pris conscience de la gravité du problème del’antisémitisme. A cette époque j’ai essayé de convaincre lesresponsables les plus importants de la vie de la communauté enAllemagne, en France et dans d’autres pays, du sérieux de lasituation. De manière répétitive, la réponse était quel’antisémitisme était un argument de propagande, et qu’une foisHitler arrivé au pouvoir, il cesserait certainement cette sottise.En France la réponse était la suivante : le pays était une vieilledémocratie, habituée à des modes de vie démocratique, et ilserait donc impossible de mettre sur pied un quelconque régimeantisémite dans ce pays. C’est ce que l’on disait aussi enAutriche, avec d’autres arguments »26. Horkheimer se pose enjuif et en immigré pour affirmer l’intérêt d’une recherchemultidisciplinaire sur l’antisémitisme dont la menace pèse consacré plusieurs articles à la question des agitateurs et de la manipulation demasse, établissant ainsi un lien essentiel entre ses travaux sur le fascisme et surles mass médias. On peut citer en particulier « Anti-Semitism and FascistPropaganda » dans Anti-Semitism. A Social Disease, éd. Ernst Simmel, NewYork, 1946, et « Democratic Leadership and Mass Manipulation » dansStudies in Leadership. Leadership and Democratic Action, éd. A.W. Gouldner,New-York, 1950.25. Cf. Lettre de Horkheimer à Adorno du 11/10/45.26. M. Horkheimer, « Sociological background of the psychoanalyticapproach » dans Anti-Semitism. A Social Disease, éd. Ernst Simmel, NewYork, 1946, page 1.

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encore sur les Etats-Unis et sur d’autres pays occidentaux, endépit de la victoire des troupes alliées sur l’Allemagne. Unsondage publié en novembre 1943 par la revue Fortune et citépar Horkheimer dans un de ses mémorandums, avait montré àquel point le pays était sensible à la propagande antisémite.21,5 % des réponses désignaient les Juifs comme un groupevivant aux dépens des autres (et c’était le groupe qui venait entête de la liste) ; parmi les ouvriers, 33,8 % désignaient les Juifscomme un groupe de profiteurs. Les exilés ne pouvaient pas nepas être sensibles à un tel climat politique. Ce moment del’expérience vivante, comme le qualifiera plus tard Adorno,n’exclut pas l’objectivation mais la prépare. Même si elle émanede chercheurs qui se situent explicitement comme émigrés etcomme juifs, même si elle est financée par une des organisationsjuives les plus importantes des Etats-Unis, la recherche surl’antisémitisme n’est pas judéocentrée. L’antisémitisme estclairement distingué de l’antijudaïsme chrétien ; il est toujoursréféré au fascisme dont il représente le fer de lance, et quimenace ce qui demeure de la civilisation occidentale.L’antisémitisme n’est pas quelque chose de fondamental, écritHorkheimer à Adorno, mais plutôt « une rationalisation fourniepar notre culture et qui permet à des envies plus profondémentenfouies de s'exprimer »27.

La conceptualisationDans la présentation du projet de l’Institut que

Horkheimer publie en 194128, celui-ci est présenté commel’exemple même de ce que doit être une recherche socialecritique avec sa méthodologie propre et donc sa façon dedéterminer les caractères des concepts dès lors qu’on se situe aucœur de la théorie critique29. Les concepts sont alors des 27. Lettre du 11/10/4528. « Notes On Institute Activities », Studies in Philosophy and socialSciences, Institute of Social Research, New York, 1941, page 123.29. Il est clair qu’Horkheimer se réfère ici implicitement aux débatsépistémologiques en cours depuis le début du siècle et que l’on pourrait sansdifficulté mettre un nom sur les différentes écoles (les Weberiens, le Cercle deVienne, le positivisme critique) par rapport auxquelles il situe la théoriecritique de l’Ecole de Francfort. La discussion publique vingt ans plus tardentre Popper et Adorno ne sera que la poursuite d’un ancien débat.

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catégories construites dans l’histoire, et non des généralisationsauxquelles on prétendrait accéder par un processus d’abstractionà partir de cas individuels, ni même des définitions axiomatiquesou des postulats. Ainsi de la notion de masses : un usageméthodologique correct doit tenir compte du fait qu’elles sontdifférentes aux différentes étapes du processus socio-historiqueet que leur fonction sociale est déterminée par celle des autrescouches sociales, aussi bien que par les mécanismes sociaux etéconomiques qui les produisent et les perpétuent. Ainsi lesconcepts ne peuvent être dissous dans la multitude des faitsempiriques, mais découlent d’une analyse théorique et critiquedu processus historique. Le concept de masses est cité ici par ceque, comme le diront les versions ultérieures du projet,l’antisémitisme politique se développe dans les masses, ce qui ledistingue de l’antisémitisme non totalitaire. Dès lors, parmi lesméthodes permettant de l’étudier, il faudra inclure celles quis’appliquent aux masses, c’est-à-dire celles de la psychologiesociale d’inspiration psychanalytique.

Les concepts, écrit encore Horkheimer, doivent êtreconstruits de manière critique. Cette position critique renvoiedos-à-dos le scepticisme du refus de tout jugement de valeur etle dogmatisme normatif. Elle suppose une mise en relation desinstitutions et des activités sociales (on pourrait dire despratiques) avec les valeurs mises en avant comme normes etcomme idéaux. On aboutit, le plus souvent, au constat d’unediscordance qu’il convient d’analyser. Ici encore l’exemple pris,celui des mass media renvoie à un axe du projet, l’étude de lapropagande — en particulier radiophonique —. En effet lesmedia font sans cesse profession de leur respect des libertésindividuelles, alors qu’en prescrivant ce que doivent être lesattitudes, les pensées et les comportements de consommation, ilscherchent à entraver les individus. Le même type d’analyse peutêtre proposé en ce qui concerne les partis politiques. C’est enraison de cette relation ambivalente entre les valeurs et lecontexte social, que les catégories de la théorie sociale nepeuvent être que critiques et donc prendre au sérieux lesaspirations démocratiques.

Les concepts sociétaux, comme les désigne Horkheimer,sont induits, non pas sur le mode traditionnel, c’est-à-dire par

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généralisation à partir de faits particuliers, mais au contraire encherchant l’universel dans le particulier. Au lieu de se perdredans l’abstraction, il convient de pénétrer de plus en plusprofondément dans le particulier pour y découvrir ce qui relèved’une loi universelle. Il y a donc bien là une méthode empirique,mais qui n’est pas celle des disciplines spécialisées et clivéesentre elles. Les concepts utilisés par la recherche sociale critiquesont enfin intégrateurs, puisqu’ils permettent de combiner lesexpériences et les résultats de ces sciences sans l’entrave deleurs frontières. Le projet sur l’antisémitisme n’est réalisablequ’avec l’association des différentes disciplines. Horkheimer lerépétera en termes plus combatifs dans un texte de décembre194330: « Il n’y a, jusqu’à présent, jamais eu de travail derecherche systématique pour découvrir les racines sociales etpsychologiques de la sensibilité à la propagande antisémite ».Les contre-mesures ont été prises au hasard. « La préparation dela bataille contre l’antisémitisme exige l’utilisation de toutl’équipement scientifique développé par la psychologiemoderne, la sociologie et la science politique. Dans les sciencesnaturelles on a établi le principe d’une procédure de recherchefondée sur la combinaison de toutes les branches et de tous lesdomaines du savoir liés à la question traitée. Mais dans lessciences sociales les progrès dans la coordination des ressourcesindividuelles ont été assez lents [...]. La nature complexe del’antisémitisme rend l’utilisation de cette procédurecoordinatrice impérative, et nous proposons d’utiliser le savoir-faire de spécialistes de différents champs. Personne ne s’attend àce que le sérum contre une maladie mortelle puisse être trouvésans un travail intensif de laboratoire. La recherche d’unethérapie contre l’antisémitisme ne sera couronnée de succès quesi elle obéit aux mêmes standards scientifiques ». Comme le ditun autre texte31 non daté — mais vraisemblablement de la mêmeépoque — et sur lequel différentes écritures ont corrigé lepremier jet dactylographié, lutter contre l’antisémitisme c’estlutter contre l’antidémocratisme, et c’est un combat à la foispolitique et scientifique qui ne se réduit pas à la lutte contre unrégime. En 1949, Horkheimer rédigera, avec la collaboration de 30. « Why research on Antisemitism » (tapuscrit).31. Il est également intitulé « Why research on AntisemitismÊ? ».

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Leo Lowenthal, un long projet d’éducation démocratique pourl’Allemagne, destiné à éradiquer l’antisémitisme post-nazi quipersiste de façon souterraine, y compris à l’intérieur du SPD, età rétablir les valeurs morales essentielles enracinées dans unephilosophie démocratique de la vie32.

La mise en œuvre du projet.Au départ (1941) le projet est immense, et seules certaines

parties en seront développées. Sa réalisation démarre en mars1943. L’accord passé avec l’American Jewish Committee etsigné par Pollock, ne répond pas seulement à des nécessitésfinancières. Horkheimer et Adorno veulent établir un pont entreles « progressistes », ainsi qu’ils se désignent, et les Juifs despays où ils ont émigré, et qui ne sont pas d’emblée conscients dece qu’eux aussi sont menacés, et de ce que l’antisémitismecontemporain est politique et antidémocratique, d’autant plusque démocratie et capitalisme leur semblent, à cette époque-là,incompatibles. Quelle que soit l’horreur de ce qui a été perpétrépar l’Allemagne, l’antisémitisme totalitaire n’est pas unphénomène propre à l’Allemagne, ni même au nazisme. Mais lacomparaison avec l’Allemagne incite à la réflexion.

Au début des années 40, Adorno émet quelques remarquesà propos de la mise au point d’une échelle de mesure del’antisémitisme aux Etats-Unis. Il les fait précéder d’un certainnombre de remarques33 portant sur l’Allemagne etl’antisémitisme et qui sont destinées à montrer la pertinence dela recherche aux Etats-Unis même en l’absence de pratiquesdiscriminatoires ouvertes ou de sentiments hostiles largementdéclarés à l’égard des Juifs. « Même aujourd’hui, écrit-il, lesAllemands, comme peuple, sont largement indifférents àl’antisémitisme » dans la mesure où, dans l’Allemagnepréhitlérienne, exception faite de quelques zones rurales,l’assimilation des Juifs était très avancée. L’antisémitisme ne

32. Fight against anti-semitism within the framework of Germany’s educationfor democracy, memorandum dactylographié de 62 pages, 1949.33. Ces notes dactylographiées ne sont pas datées, mais y figurent le nomd’Adorno et l’adresse de l’Institut à New York.

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trouvait à s’exprimer que dans quelques groupes sociaux oupolitiques qui constituaient « l’aile expansionniste de la classemoyenne ». L’antisémitisme est devenu une force politiqueactive quand, à partir de ces groupes, se sont constitués despartis politiques de masse profondément antidémocratiques et aunationalisme extrême. « L’antisémitisme leur permettait decombler le fossé entre l’antidémocratisme et l’appel auxmasses ». De plus, cet antisémitisme excédait largement lesrangs des nazis, mais trouvait à s’exprimer dans beaucoupd’autres partis et organisations qui plus tard allaient êtreabsorbés dans le national-socialisme, comme les organisationsétudiantes et professionnelles qui refusaient l’admission de Juifs,ou les partis nationalistes à nostalgie féodale. Le plus marquant,cependant, était que l’antisémitisme ne rencontrait aucuneopposition sérieuse où que ce fût. C’est cette absenced’opposition dont Adorno montrera plus tard, dans L apersonnalité autoritaire, qu’elle fait le lit de la potentialitéfasciste. Dans l’échelle F des variables comme le conformismeou la stéréotypie renverront à ce type de comportement. Aucuneclasse sociale, aucun groupe n’est immunisé. Là aussil’expérience allemande est riche d’enseignement. Elle a mis, eneffet, en évidence l’antisémitisme latent d’un prolétariat nonéduqué démocratiquement et marqué par l’autoritarisme. Maiscet antisémitisme est étranger au projet socialiste. DansRehearsal for Destruction34 le quatrième volume des Studies inPrejudice, qui s’attache à la genèse de l’antisémitisme enAllemagne et étudie l’antisémitisme politique dans l’Allemagneimpériale, son auteur, Paul Massing, publie en annexe une lettred’avril 1890 écrite par Engels à un responsable social-démocrated’Autriche pour le mettre en garde contre toute connotationantisémite des propos du parti. Non seulement « l’antisémitismeest un trait caractéristique de l’arriération culturelle », qui « sousson déguisement socialiste ne sert que les desseinsréactionnaires », mais en désignant comme ennemi lecapitalisme juif, il n’énonce que des sottises. Les millionnairesaméricains ne sont pas juifs, en Angleterre, Rotschild n’a quedes moyens modestes si on le compare au Duc de Westminster, 34. Paul W. Massing, Rehearsal for Destruction, a study of political anti-semitism in Imperial Germany, New York, 1949.

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et surtout il existe un prolétariat juif très actif. « Ici enAngleterre, nous venons d’avoir trois grèves d’ouvriers juifsdurant les douze derniers mois ». En outre l’apport des Juifs aucombat socialiste dans les pays germanophones est trèsimportant. « Nous devons beaucoup aux Juifs. Sans même parlerd’Heine et de Börne, Marx était d’origine purement juive ;Lassalle était juif. Beaucoup de nos meilleurs éléments le sont.Mon ami Victor Adler, qui, en ce moment, fait de la prison àVienne en raison de son dévouement à la cause du prolétariat ;Edouard Bernstein, l’éditeur du Social-démocrate de Londres,Paul Singer, l’un de nos membres les plus actifs au Reichstag,sont tous des Juifs, et je suis fier de leur amitié ! Moi-même, j’aiété fait juif par l’hebdomadaire conservateur Gartenlaube. Enfait, si j’avais eu à choisir, j’aurais préféré être un Juif qu’unHerr von »35.

Et de fait, la première étape de la recherche empirique del’Institut sera une vaste étude sur l’antisémitisme chez lesouvriers américains, conduite avec l’aide et le soutien de cadressyndicaux inquiets des préjugés qu’ils perçoivent et dont certainsserviront d’enquêteurs bénévoles. De très nombreux chercheursvont participer à ce travail : ils seront 22 dès la première année ;Adorno prendra part, lui aussi, à la collecte des interviews. Lesquatre volumes de résultats de la recherche sur l’antisémitismechez les ouvriers américains (1944-1945) ne seront pas publiés.On peut considérer cette recherche comme une pré-enquête dansla mesure où, à travers les 566 ouvriers (420 hommes et 146femmes) et les 47 cols blancs interrogés, les préjugés et lesstéréotypes antisémites, et souvent favorables à la politiquenazie, sont énoncés et répertoriés. L’objet de l’étude est en effetdavantage la nature que l’étendue de l’antisémitisme dans lamasse des travailleurs américains36. En un sens les choses sonttrop claires : la comparaison avec les tracts de propagandedistribués aux ouvriers américains, et qui attaquent la politiquede Roosevelt accusé d’être sous l’influence des Juifs, montre queles propos des enquêtés se conforment à ce qu’ils lisent. Il faudra 35. Ouvrage cité, pages 311-312.36. Antisemitism Among American Labor, Report on a Research Projectconducted by the Institute of Social Research, Columbia University, in 1944-1945, page 27 (tapuscrit).

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remonter en amont. C’est ce que fera La personnalitéautoritaire. La recherche sur les ouvriers américains est, eneffet, un semi-échec. Paul Lazarsfeld refuse d’en rédiger lapréface, et Adorno ne lui donne pas entièrement tort : on ne peutlaisser croire que toute la classe ouvrière américaine estantisémite, et se contenter d’une conceptualisation aussi faibleque celle qui est utilisée dans l’étude avec le couple agression-frustration, ou avec la théorie très simpliste du bouc émissaire. Ily a là comme une présentation très rationaliste, alors que c’estl’irrationnel, le pulsionnel, le moins conscient, qu’il fautexplorer. Quelques années plus tard, en présentant un bilan del’ensemble des recherches sur les préjugés antiminoritaires,menées par l’Institut, Adorno revient sur cette première étudequi a montré que l’adhésion des travailleurs aux préjugés étaitbeaucoup plus importante qu’on ne le croyait généralement.Mais ces préjugés sont ambivalents. « Dans les Juifs, ils haïssentles représentants de la classe moyenne qui, pour ainsi dire, leurprésente la facture, alors que, dans le même temps, ils sententque la position sociale des Juifs est de nature si marginale et siinstable qu’on peut aisément en faire l’objet du ressentiment. Cequi implique que la motivation économique qui est à la racine dupréjugé, ne peut être fondée à un niveau rationnel, mais alargement pour médiateur la construction de la personnalité de lapersonne porteuse du préjugé ; ceci est d’une natureprincipalement inconsciente et nécessite, pour être saisi de façonadéquate, l’application de connaissances psychologiques »37. Lapersonnalité est donc conçue comme un ensemble signifiantmais souvent conflictuel, de forces qui ne sont pas toujoursintégrées et tirent en sens contraires. Il faut mettre à jour cesforces et les processus par lesquelles elles s’organisent. L’apportde Freud, ici, est essentiel.

C’est cet objectif qui sera atteint avec La personnalitéautoritaire, dont on sait qu’elle est une œuvre collective, mêmesi l’on sait aussi qu’Adorno lui a donné son cadre théorique et sadirection méthodologique. L’intérêt de cet ouvrage vient, biensûr, comme on l’a souvent fait remarquer, de l’articulation entreun cadre théorique rigoureux et solide, et un protocoleexpérimental de grande qualité. S’y trouvent aussi liés de façon 37. Tapuscrit, sans titre et sans date, mais postérieur à 1950.

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intime, le social, le politique et le psychologique avec lesdimensions que la psychanalyse a su donner à cette discipline.Les nombreuses études de psychologie politique qui par la suites’en inspireront, celles, par exemple, aux Etats-Unis, deLasswell ou de Seymour Lipset, perdront cette dimension,substituant la démarche réductrice à l’intégration des concepts etdes disciplines. « Même si j’affirme la prééminence de la sociétésur la psychologie, je n’en conclurai pas, comme le fait Popper,à une indépendance radicale des deux disciplines. La société estun processus global, dans lequel les hommes circonscrits, dirigéset formés par l’objectivité, exercent cependant sur elle unerétroaction ; la psychologie, de son côté, ne se dissout pas plusdans la sociologie que l’être singulier ne le fait dans l’espècebiologique et dans son histoire naturelle. Il est certain qu’il nefaut pas expliquer le fascisme par la psychologie sociale, commeon l’a fait à l’occasion en interprétant l'Authoritarian Personalityde façon erronée ; mais si le caractère assujetti à l’autoritén’avait pas connu une aussi large extension pour des raisons qui,elles, sont lisibles en termes sociologiques, le fascisme n’auraitjamais trouvé sa base de masse sans laquelle, dans une sociétécomme celle de la démocratie de Weimar, il n’aurait jamais puparvenir au pouvoir »38. La personnalité, en effet, n’est pas undéterminant ; « elle est l’intermédiaire à travers lequel lesinfluences sociologiques sont transmises à l’idéologie »39.Toutes ces dimensions sont à prendre en compte avec leursinteractions et leurs contradictions.

C’est le caractère social global de l’antisémitisme,paradigme de la passivité au stéréotype et donc de la potentialitéfasciste, qui explique la composition des Etudes sur les préjugés,et, à l’intérieur de chacun de ses volumes, la multiplicité desapproches. Il n’y a cependant pas clôture de la question, puisquela globalité est celle d’une tension entre « les idées et les savoir-faire d’une société hautement industrielle, et les croyances 38. Zur Logik der Sozialwissenschaft, dans Th. Adorno, SoziologischeSchriften I, Ed. Suhrkamp, 1995, page 55 Zur Logik der Sozialwissenschaft,dans Th. Adorno, Soziologische Schriften I, éd. Suhrkamp, 1995, page 563.39. Th Adorno, The Authoritarian Personality, New-York, 1951, page 6.

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irrationnelles ou antirationnelles »40. Faire se croiser lesdisciplines, sans les affadir, relancer l’analyse et la réflexion àpartir de points de vue différents, toujours nourris parl’expérience, c’est échapper à la réification dont on est victimedès lors que l’on pose l’autonomie des processus sociaux parrapport aux processus psychologiques, économiques ouhistoriques. Cette réification qui atomise les disciplines est dumême ordre que celle qui atomise les individus dans les massesde la société prétotalitaire. Les problèmes sociologiques sontaussi les problèmes posés à une pratique de la liberté. Larecherche critique en science sociale ne doit pas servir à mettre àjour des déterminants au-delà desquels il est impossible d’aller.Elle doit, au contraire, rendre possible l’exercice d’une raisonlibératrice, ainsi qu’Adorno le rappelle dans sa préface de Lapersonnalité autoritaire. Le projet émancipatoire de la théoriecritique est donc entièrement présent dans les choixépistémologiques opérés à l’occasion des travaux surl’antisémitisme. Poser la société comme problème c’est lapenser pour une liberté.

40. Max Horkheimer, The Authoritarian Personality, New York, 1951,Préface, page IX.

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