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1 REVISITATION DE LA POLITIQUE EXTERIEURE DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : NECESSITE IMPERIEUSE. KISIMBA Kimba Emmanuel* Introduction Depuis deux décennies, la partie orientale, surnommée à juste titre le "maillon faible" de la République Démocratique du Congo est en butte à plusieurs conflits dont la dernière en date est celui du "Mouvement du 23 mars" en abrégé M23. Si les causes réelles de ces conflits n’ont jamais été révélées par les belligérants, mais les conséquences ont été très importantes dans tous les domaines de la vie nationale : déplacements massifs des populations, les violences contre les jeunes filles et les femmes, la destruction de l’écosystème, le pillage systématique des ressources naturelles, etc. Malgré les actions militaires du reste très insignifiantes pour arrêter la guerre que mènent les Forces Armées de la RD Congo (FARDC), l’on s’interroge chaque jour qui passe sur les stratégies à mettre en œuvre en interne comme en externe pour arrêter ces conflits armés dans cette partie de la RD Congo et partant dans toute la sous-région des Grands Lacs, et rétablir la paix dans ladite sous- région. En externe, on semble imputer la résurgence des guerres à répétition à l’Est à la politique extérieure de la RD Congo qui ne serait pas agissante sur le terrain. Ce constat nous interpelle à mener une étude analytique qui se propose de faire l’état des lieux de la politique extérieure de la RD Congo entre 1960 et 2010 en vue d’en proposer des nouvelles pistes. Celles-ci seraient principalement basées sur une diplomatie agissante mettant au premier plan le processus d’intégration régionale en attendant, en plus en interne, que soit réalisée la refonte de l’armée et des services de sécurité en cours de gestation. En d’autres termes, notre préoccupation consiste, en premier lieu, à circonscrire les variables et les paramètres de la politique de

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REVISITATION DE LA POLITIQUE EXTERIEURE DE LA

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : NECESSITE

IMPERIEUSE.

KISIMBA Kimba Emmanuel*

Introduction

Depuis deux décennies, la partie orientale, surnommée à juste

titre le "maillon faible" de la République Démocratique du Congo est

en butte à plusieurs conflits dont la dernière en date est celui du

"Mouvement du 23 mars" en abrégé M23. Si les causes réelles de ces

conflits n’ont jamais été révélées par les belligérants, mais les

conséquences ont été très importantes dans tous les domaines de la

vie nationale : déplacements massifs des populations, les violences

contre les jeunes filles et les femmes, la destruction de l’écosystème,

le pillage systématique des ressources naturelles, etc.

Malgré les actions militaires du reste très insignifiantes pour

arrêter la guerre que mènent les Forces Armées de la RD Congo

(FARDC), l’on s’interroge chaque jour qui passe sur les stratégies à

mettre en œuvre en interne comme en externe pour arrêter ces

conflits armés dans cette partie de la RD Congo et partant dans toute

la sous-région des Grands Lacs, et rétablir la paix dans ladite sous-

région.

En externe, on semble imputer la résurgence des guerres à

répétition à l’Est à la politique extérieure de la RD Congo qui ne

serait pas agissante sur le terrain. Ce constat nous interpelle à mener

une étude analytique qui se propose de faire l’état des lieux de la

politique extérieure de la RD Congo entre 1960 et 2010 en vue d’en

proposer des nouvelles pistes. Celles-ci seraient principalement

basées sur une diplomatie agissante mettant au premier plan le

processus d’intégration régionale en attendant, en plus en interne, que

soit réalisée la refonte de l’armée et des services de sécurité en cours

de gestation.

En d’autres termes, notre préoccupation consiste, en premier

lieu, à circonscrire les variables et les paramètres de la politique de

2

coopération régionale visant à réactiver la CEPGL dans l’intérêt

national de la politique de la RD Congo.

Secundo, notre étude se propose d’examiner les tenants et les

aboutissants de ce que doit être une diplomatie agissante de la

politique extérieure de la RD Congo en nous inspirant des prescrits

de la Constitution congolaise de février 2006 en matière de

coopération et d’intégration.

I. Définition des concepts utilisés dans l’étude

I.1. Le concept de "politique étrangère" ou "extérieure" d’un Etat

La politique étrangère est à la fois l’expression officielle et la

poursuite concrète des intérêts nationaux d’un Etat donné, en d’autre

termes, elle consiste à exprimer des positions mais aussi à

entreprendre des actions ; et enfin elle est supposée avoir été décidée

nationalement, dans le sens des intérêts de l’Etat représenté. (1)

Pendant longtemps, la politique étrangère s’est appuyée en

interne sur des acteurs que sont les institutions étatiques publiques :

le chef de l’Exécutif, le Ministre des Affaires Etrangères entouré

d’un réseau de diplomates se retrouvant dans son ministère ou à

l’étranger dans les Ambassades.

La bonne santé de ce ministère dépendait et continue à

dépendre aujourd’hui de la bonne qualité de ces agents doués,

expérimentés, intègres et voués à l’intérêt national.

Mais aujourd’hui, cette donnée s’est sensiblement modifiée,

plusieurs acteurs privés du domaine économique et commercia l des

mines, etc. ont vu leur rôle s’accroitre si bien qu’il faut tenir compte

de leurs points de vue dans la conception et conduite de la politique

étrangère, puisqu’ils sont souvent mieux préparés que les

administrations d’Etat dans certaines questions liées aux droits de

l’Homme, à l’environnement, à l’exploitation minière, etc.

* Professeur Associé à l’Université de Lubumbashi (RDC). 1 BLOM, CHARILLON, F, Théories et concepts des relations internationales,

Crescendo, Hachette, Paris, 2001, p.95.

3

I.2. Le concept "d’intégration régionale"

Selon les co-auteurs d’un ouvrage collectif déjà cité plus

haut, l’intégration régionale est un processus de collaboration et de

coopération par lequel plusieurs pays voisins constituant une région

géographique décident de s’intégrer et d’intensifier leurs échanges

économiques, culturels, environnementaux, etc. même si du point de

vue politique l’intégration est butée à plusieurs obstacles dont le refus

souvent opposé à la gestion politique supranationale de l’espace

intégré.

C’est dans ce cadre justement que fut créé la Communauté

Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) dont il sera

largement question dans notre analyse.

II. Etat des lieux de la politique extérieure de la RD Congo

(1960 – 2010)

La marche de la politique extérieure de la RD Congo a été

conçue et façonnée par les déterminants externes notamment la

guerre froide caractérisée par la rivalité idéologique Est

(communiste) – Ouest (capitaliste).

Les acteurs internes des institutions publiques nationales ont

travaillé à la lumière de cette guerre froide et leur politique extérieure

a été jugée et appréciée en termes de celle-ci en non en termes de

l’intérêt national qui devait guider toute action de la politique

extérieure de la RD Congo comme l’ont démontré les éléments à

travers le temps en RD Congo : la première République (1960-1965),

la deuxième République (1965-1997) et la troisième République

(2006-2012) précédée d’une longue période de transition (1997-

2005).

II.1. Sous la première République

Le Congo-Belge accède à son indépendance en 1960 au

moment où la guerre froide se met déjà en place et les animateurs de

la scène politique congolaise et plus particulièrement le Chef du

4

Gouvernement, le Premier Ministre congolais de l’époque qui

conduit la politique extérieure du pays est jugé par ses actes, ses

déclarations et ses visites antérieures en fonction de l’appui ou non

apporté à l’un ou l’autre bloc idéologique.

En effet, ses déclarations lors de la passation du pouvoir

politique aux congolais le jour de l’indépendance furent jugées par

l’Occident très radicales et teintées d’un soutien au bloc communiste.

Cela constituait aux yeux de l’occident une menace évidente pour

l’avènement du capitalisme dans un pays au cœur de l’Afrique, que

l’on voulait faire ami de l’occident pour contrecarrer l’expansion du

communisme en Afrique Centrale.

L’histoire de l’assassinat du premier ministre Patrice Emery

LUMUMBA est bien connue pour qu’on y revienne ici. L’on sait

déjà que celui qui devait devenir le prochain animateur de la

politique extérieure de la RD Congo, M. Joseph Désiré Mobutu était

entrain d’y être préparé si bien que cela ne pouvait les surprendre les

hommes ainsi du monde capitaliste.

II.2. Sous la deuxième République

Pendant la deuxième République, la politique étrangère de la

RD Congo (Zaïre) a été édifiée essentiellement sur la forte

personnalité du Président de la République (Mobutu) et sur la

situation géopolitique du pays (position centrale au cœur du continent

africain). Ce dernier facteur a contribué à générer dans l’esprit des

zaïrois (surtout chez les dirigeants) la folie ou l’excès de grandeur

sans équilibre à la base de laquelle a été instituée la diplomatie de

prestige. Cette recherche de prestige a présenté des failles et a glissé

vers les débordements incompréhensibles et déroutants ; à savoir des

dépenses incontrôlées et exagérées, des investissements irrationnels

d’expressions de grandeurs (références aux nombreux éléphants

blancs). Ce qui a conduit à l’endettement énorme de la R.D.Congo

(plus de 12 milliards de dollars) 2 et à la paupérisation de la

2 Avant le 30 juin 2010, la dette extérieure s’élevait à 13,7 milliards de dollars USD

pour un PIB d’à peu près 11 milliards de USD. Cf. www.7 sur

7.cd/index.php ?option=com. content. endettement…rdc.

5

population congolaise, bref à la faillite de l’Etat congolais. Ce

déséquilibre empêche les congolais de bien vivre.

En bon stratège diplomatique et probablement sous le conseil

de ses amis (Kasavubu) et fort de l’expérience du conflit Président-

Premièr Ministre Mobutu va supprimer le poste de Premier Ministre

pendant longtemps pour qu’il soit le seul acteur de la politique

extérieure du Congo devenu Zaïre. Il va nommer les Ministres des

Affaires Etrangères et des diplomates (Ambassadeurs) qui lui sont

fidèles et pas nécessairement bien formés et compétents pour

accomplir ce que l’Occident lui demandait de faire dans le cadre de

l’éloignement du bloc communiste de la région centrale africaine

d’autant plus que celui-ci est déjà pendant les années 1970 aux portes

de l’ex-Congo Belge.

Dans pareil cas, il est évident que les principaux axes de la

politique extérieure du Zaïre sous Mobutu étaient prioritairement

dictés par le souci de tenir promesse au bloc capitaliste et aux intérêts

de celui-ci plus tôt qu’à l’intérêt du pays.

Les composantes de l’intérêt national de la R.D.C, pour

diverses raisons ont été compromises au profit des intérêts des privés

sur le plan intérieur et au profit des étrangers dans les relations

extérieures alors que la politique étrangère des Etats doit avoir

pour ambition première de défendre et promouvoir leur intérêt

national. De ce fait, ce déséquilibre intérieur n’a pas manqué

d’affecter la conduite de la politique étrangère depuis la première

République, la deuxième, durant la transition et pendant la troisième

république avec l’instauration des pratiques préjudiciables à l’intérêt

national à savoir : l’irrationalité, le favoritisme, le non patriotisme, le

non nationalisme, la trahison, la traitrise, le détournement des biens

publiques et des aides internationales, le bradage, la spoliation du

patrimoine de la R.D.Congo à l’étranger tels les bâtiments

d’Ambassade, les résidences de Chefs de Mission diplomatique

bradées à vil prix. En effet, le congolais a transformé le slogan :

servir oui se servir non ! En servir oui ! Voler un peu et non

beaucoup disait-on. Et le résultat est connu : pratique de prédation à

tous les niveaux de la vie sociale.

De ce qui précède , nous constatons que les trois facteurs

précités (personnalité du président, la géopolitique de la RDC, la

6

rivalité (Est-Ouest) qui ont été prépondérant dans l’orientation de la

politique extérieure de la RDC dans les premières années de

l’indépendance n’ont pas su faire atteindre les objectifs lui assignés

non seulement du fait de la nature du régime mais aussi du fait des

déséquilibres observés entre les intérêts privés et les intérêts

étrangers par rapport à l’intérêt national .L’ intérêt national a été

délaissé au profit des privés sur le plan national et au profit des

intérêts étrangers dans les relations extérieures de la RDC3.

Aussi, la nomination de n’importe qui dans la diplomatie

congolaise a porté atteinte à l’image de marque de la RD Congo

(alors Zaïre) malgré sa position géographique et son poids

économique considérable. Cette situation a été dictée par le souci de

Mobutu de servir l’Occident tout en sauvegardant son fauteuil

présidentiel, d’où le caractère dictatorial, voulu par les circonstances

du moment, qui a accompagné l’exercice de son pouvoir. Le

caractère dictatorial du pouvoir de Mobutu est incarné politiquement

par l’existence d’un seul parti politique, le Mouvement Populaire de

la Révolution (MPR) de triste mémoire. La situation est pareille dans

tous les pays africains jusqu’en 1989/1990 quand commence une

nouvelle période de démocratisation incarnée par l’organisation des

Conférences Nationales Souveraines (CNS) chargée d’organiser la

transition, de concevoir le processus démocratique par le

multipartisme et l’organisation des élections.

Dans le cadre de la politique extérieure, il s’agit de concevoir

d’autres axes de celle-ci en tenant compte d’une nouvelle donnée

internationale : la fin de la guerre froide marquée par la victoire des

américains et du bloc capitaliste.

II.3. La politique extérieure de la RD Congo pendant la période de

transition (1990-2005)

Enfin, pendant la transition en RD Congo (depuis 1990 en

passant par l’avènement de l’AFDL de Laurent désiré Kabila

jusqu’aux élections démocratiques de 2006) ; la politique extérieure

3 www.memoire online.com…relations internationales

7

de la RD Congo suite à la crise de légitimité politique interne a

charrié une décennie de guerre civile à l’Est avec des millions des

victimes congolaises. La dite politique a connue une inertie

relationnelle ayant conduit à l’isolement diplomatique du reste en

passe d’être brisé pendant la troisième République.

Les conséquences de cette inertie privilégient les intérêts des

particuliers nationaux qui ont été défendus avec acharnement à

l’étranger et cela, au détriment de l’intérêt national. Et le résultat ne

s’est fait pas attendre ? Paupérisation de la population.

Par ailleurs ces comportements irresponsables dictés par

l’intérêt personnel des acteurs de la politique étrangère de la

R.D.Congo ont abouti à la signature de nombreux accords dit

« léonins » et à la prise des décisions irrationnelles ayant contribué à

précipiter l’Etat congolais dans le gouffre du sous-développement et

de l’endettement international dans lequel il se trouve ces jours.

Les raisons évoquées ci-avant pour expliquer cet état de

déséquilibre sont de trois ordres ; ordre structurel, ordre juridique

(impunité généralisée et absence de justice punitive) et ordre culturel

(introversion de l’échelle des valeurs cardinales des congolais). Mais

quels sont les remèdes appropriés pour palier à cette situation

préjudiciable au développement de l’entité nationale. En ce qui

concerne la question de la nature du régime politique et de la

légitimité politique, a été résolue depuis le 20 janvier 2007 par

l’instauration d’un régime démocratique à l’issue des premières

élections libre et transparentes de juillet 2006 en R.D.Congo. C’était

la première fois que le président de la république était élu au suffrage

universel direct (4).

Pour ce faire, la problématique qui émerge, porte notamment

sur : l’instauration de l’Etat de droit (justice impartiale, sans

discrimination, sans une classe des privilégiés avec comme mot

d’ordre, la tolérance zéro) et celle de la définition de l’intérêt national

pour la troisième République naissante par la détermination de

stratégies afin de la préserver, la protéger et la concrétiser.

4 Constitution de 2006 approuvée par le Référendum Constitutionnel du 18 au 19

décembre 2005 par le peuple congolais.

8

II.4. La politique extérieure de la RD Congo sous le signe d’une

diplomatie agissante (2006-2012)

La nouvelle phase de la politique étrangère de la RD Congo

coïncide avec l’organisation en 2006 des élections qui portent Joseph

Kabila Kabange à la Magistrature Suprême, ce qui mettait ainsi fin au

manque de légitimité que la communauté internationale reprochait

aux principaux animateurs notamment le Président de la République,

et le ministre chargée de la politique extérieure.

Du coup, il s’agissait aussi de mettre fin à la primauté des

intérêts privés qui l’emportaient sur l’intérêt national pendant la

période mouvementée de transition.

L’intérêt national de la troisième République, période de la

reconstruction nationale, devrait être défini en termes de quête d’une

sécurité pérenne afin de procéder à la réalisation du programme du

gouvernement censé assurer le bien être de la population par le biais

d’une prospérité exempte de tensions et des conflits récurrents. La

R.D.Congo par sa politique de « Cinq Chantiers » initiés par le

président Joseph KABILA et portés par le gouvernement à l’issue du

scrutin de 2006 était susceptible à apporter la satisfaction au sein de

la population en l’appliquant de manière positive et effective la

définition de l’intérêt national.

Pour revenir au discours d’investiture du 20 janvier 2007 du

président Joseph KABILA, la « politique de 5 chantiers », constitue

la stratégie de la reconstruction nationale comprenant les cinq

domaines prioritaires à développer à savoir :

1. Le chantier emploi ;

2. Le chantier infrastructure et voies de communication (routes,

voies ferrées, voies navigables)

3. Chantier projet agricole de grandes envergures

4. Chantier réforme éducative

5. Chantier énergie, soins de santé et habitats (5)

5 Discours présidentiel in Congo Afrique n°411, 2007 : 17

9

Pour éviter que le territoire Congolaise ne soit l’objet

d’incursion des bandes armées, le deuxième chantier infrastructure et

voies de communication (routes, voies ferrées, voies navigables)

devrait être l’unique grand chantier pour des raisons suivantes :

1. Des voies ferrées pourraient relier les villes congolaises les

unes aux autres, par exemple :

- Lubumbashi – Kinshasa – Mbandaka –Kisangani – Goma-

Kamina – Kabinda – Lodja – Lusambo – Ilebo – etc. L’avantage des

ces liaisons serait de renforcer l’unité nationale et / ou l’identité

nationale.

Car, jusqu’à ce jour, les congolais ne connaissent pas leur

territoire. Ceci contribue à le diviser, ceci explique pourquoi la

conscience nationale est plutôt une conscience clanique, territoriale,

provinciale. Lorsqu’un congolais vit dans une partie de la province

ouverte à la modernité, il n’hésite pas de considérer l’autre partie

comme inutile. Pourtant s’il avait visitée, il n’allait pas tenir un

langage si boiteux. Ce chantier devait être l’unique chantier aussi

parce que ;

Il allait accélérer le développement économique. D’abord le

rail (cesserait d’être) jouerait pleinement son rôle social d’intégration

nationale. Et, sans être dubitatif à l’endroit de la SNCC, dans les

conditions actuelles de son développement, la SNCC est à

restructurer en fonction de cette nouvelle visée d’un développement

durable. D’aucuns croient que la SNCC est toujours là pour le

transport des minerais. Avec la chute de la Gécamines, la SNCC

devrait changer de politique de développement.

Ensuite, partout où le rail passerait, l’électrification du pays

serait possible car, elle suivrait le tracé du chemin de fer. Entre les

nouvelles gares érigées dans les nouvelles régions, le développement

agricole et l’élevage serait facile. Cette mise en valeur du territoire

nationale par le rail donnerait du travail aux populations congolaises

et de l’emploi qualifié aux finalistes en économie, médecine

vétérinaire, agronomie-condamnés Quasi éternellement au chômage

et sans cause. Bref, tant que le Congo ne sera pas mis en valeur de

cette façon, les incursions de tout genre seront toujours nombreuses.

Les routes asphaltées pourraient aussi suivre les lignes de chemin de

10

fer et lorsqu’elles s’abiment, il sera facile de les réparer grâce aux

taxes perçues sur les usagers.

L’armée nationale s’impliquerait aussi dans cette mise en

valeur placée sous la conduite des architectes, maçons, ingénieurs

nationaux et internationaux.

A notre avis, nous nous proposons, dans le cadre du présent

article, à reformuler ladite politique en d’autres termes afin de

permettre un réel développement du Congo longtemps meurtri et

absent de la scène internationale, de revenir jouer un rôle de

leadership par l’application de la diplomatie agissante.

Ce qui aboutira par un changement significatif grâce à la

jouissance par tous des richesses dotées par la nature à la République.

De quelle manière par la concrétisation de l’intérêt national et les

programmes de développement du pays sans oublier la

sanctuarisation du territoire pour éviter qu’il ne soit l’objet

d’incursion des bandes armées le deuxième chantier infrastructure et

voies de communication (routes, voies ferrées et voies navigables)

Intérêt

national

Identité (A)

(

A

)

Survie (B)

Prospérité (C)

G

Ex : d’un Etat fort

(I

11

Le triangle équilatéral (I) que nous élaborons montre à

suffisance que les trois composantes de l’intérêt national sont liées et

indissociables. Dans le cadre de la RD Congo, le pays doit refondre

l’armée pour la rendre dissuasive et gardienne de l’entité congolaise

avec ses neuf frontières. "Cette réalité entraine fatalement des

problèmes de coopération différenciés avec chaque pays limitrophe,

mais aussi des problèmes de sécurité"(6). Les trois composantes de

l’intérêt national ne sont pas réunies. Pour cela, la R.D.Congo doit se

doter des atouts appropriés lui permettant de sanctuariser le pays tout

en participant à la reconstruction du pays. Par ailleurs, grâce à la

diplomatie agissante, la R.D.Congo pourra s’assurer que les

partenaires en quête d’un investissement seront crédibles car les

diplomates bien rémunérés seront à même de faire un tri des bons et

mauvais investisseurs et appliquer pour tous le principe de gagnant-

gagnant prescrivant tout investissement onéreux et non bénéfique au

pays . Une gestion orthodoxe et saine génère des recettes

substantielles susceptibles d’améliorer le vécu quotidien de congolais

par l’octroi des salaires décents. Ventre affamé n’a pas d’oreilles!

Pour avoir une bonne armée, grâce à une diplomatie agissante, la

RDC, pourrait envoyer les meilleurs de ses fils dans les académies

militaires de renom. L’argent est le nerf de la guerre, sans argent on

ne fait pas la guerre, on attend d’être envahi et submergé par

l’ennemi. Avec une économie prospère, la R.D.Congo est capable

de mener à bon port la bataille du développement .Le Congo est

devenu le malade de l’Afrique et ne parvient pas à faire décoller le

NEPAD, pour lequel beaucoup d’espoir était placé dans ce plan.

NB : Intérêt National

( AB=BC=CA)

(AG=BG=CG)

Les tentatives de mettre en exergue l’identité occultent les

autres composantes de l’intérêt, national.

6http://fweley.wordpress.com/2011/06/13/problematique-de-la-nationalité-en-

rdcongo/

12

NB : La réputation de la RD. Congo, la fait considérer

comme, un pays de démesure à tout point de vue : sous continent,

doté d’immenses richesses, mais classée parmi les derniers pays de la

planète en ce qui concerne le revenu par habitant.

AC BC

AG CG

BG=CG

Dans le triangle isocèle (II) il y a un déséquilibre flagrant.

Les composantes de l’intérêt national ne sont pas bien représentées

donc ne sont pas préservées. Dans ce type de représentation, le pays

est déséquilibré, et est en butte au disfonctionnements internes. Le

pays est un Etat faible voire défaillant. Il vit grâce aux aides

extérieures, l’armée n’assure pas la défense du sanctuaire. Les

rebellions naissent et perturbent le sanctuaire.

Avec la définition faite de l’intérêt national, il ya lieu de

s’assurer de la mise sur pied d’une stratégie capable de protéger le

pays des prédateurs et ce grâce à la diplomatie agissante. Les grands

stratèges ne disent-ils pas que les grandes victoires se gagnent à la

table de négociation. Cela signifie qu’une victoire sur le champ de

bataille n’est pas synonyme de victoire dans les cœurs et les esprits

et peut être un prélude d’un échec retentissant après que les armes se

soient tues. Aujourd’hui aucun pays ne peut se passer d’autres. Il y a

l’interdépendance car l’autarcie n’est plus de mise dans le contexte

mondial actuel. Du moment que l’intérêt national est défini, il y a lieu

de repenser à une stratégie pour le protéger, le préserver surtout

parvenir à le concrétiser sans atermoiements funestes. La stratégie à

appliquer est la diplomatie agissante basée principalement sur la

politique d’intégration régionale.

II.4.1. Les composantes d’une diplomatie agissante pour la RD

Congo

Dans ce présent point, il est question d’insister sur la

nécessité pour la R.D.Congo d’appliquer à la nouvelle politique

extérieure; la politique de la diplomatie agissante en lieu et place de

13

la politique de la diplomatie de prestige qui du reste n’a pas fait ses

preuves.

En effet, le Congo doit sanctuariser son territoire et faire des

voisins immédiats des partenaires en tissant des relations pacifiques

devant aboutir à une intégration positive. Toutefois, il y a lieu de

souligner que la RD Congo cohabite avec huit autres pays

limitrophes sans trop de conflits liés à la question de minorité et de

nationalité, en revanche la question reste récurrente en ce qui

concerne les relations entre la RD Congo et le Rwanda, notamment

sur la question des Banyamulenge et des Banyarwanda.

II.4.1.1. Les problèmes du Kivu

Les facteurs fonciers et densité de la population à l’accession

de la RDC à la souveraineté nationale sont devenus un problème non

de moindre qui n’a pas été résolu. Ce sont les populations du Rwanda

ayant émigré au Congo Belge qui n’ont jamais été intégrées par la

population autochtone. Celle-ci (population) est appelée

Banyarwanda ou congolais d’expression rwandaise pour les

distinguer des rwandais habitant le Rwanda. Il y a lieu de noter qu’il

y a 5 phénomènes qui seraient à l’origine du développement d’une

population rwandaise dans la province du Kivu : la proximité avec un

Rwanda surpeuplé, l’immigration des Banyarwandas, le recrutement

de la main d’œuvre rwandaise, la présence des réfugiés politiques, les

immigrés clandestins. A cela s’ajoute la porosité des frontières et les

diverses lois sur la nationalité congolaise, ainsi que la facilité avec

laquelle on acquiert la carte d’identité congolaise. Depuis plus

presque trois décennies, la RD. Congo n’a pas procédé à un

recensement sérieux de sa population. Il est prévu l’annonce des

résultats, de recensement de la population en 20157.

Comment arriver à taire les bruits de botte. La situation serait

d’envisager une politique d’intégration devant aboutir à la fin des

antagonismes. C’est ce que les pays occidentaux et l’ONU proposent

7 Communication du Ministre de l’Intérieur au Parlement au cours de la session

ordinaire de Mars 2013.

14

afin de taire les bruits de botte par exemple l’exploitation commune

de l’énergie électrique.

II.4.2. Nécessité d’une politique d’intégration régionale comme

coopération d’abord interétatique

La nécessité d’une politique d’intégration régionale pour

l’ensemble de régions de l’Afrique Centrale en général et de la région

des Grand-Lacs en particulier remonte à la fin des années soixante.

En ce qui concerne cette dernière région particulièrement,

l’idée fait jour le 29 Août 1966 quand les Ministres des Affaires et de

la Coopération de l’ex-Afrique Belge (Burundi, Rwanda et la RD

Congo) se réunirent à Kinshasa, signèrent le projet d’accord de

coopération en matière de sécurité en vue de garantir la paix dans la

région.

Cet accord de coopération en matière sécuritaire va

progressivement embrasser de domaines divers (judiciaire, sanitaire,

commercial, touristique, culturel, scientifique et technique) et se

transformer en conférence des Ministres des Affaires Etrangères

pour qu’enfin en septembre 1976 on arrive ainsi à la création de la

Communauté Economique des Pays des Grands-Lacs, CEPGL, en

abrégé.

Comme on le voit, la CEPGL a pour objectif l’intégration

économique régionale entre les trois pays, la libre circulation des

personnes, des biens et des capitaux, la sécurité régionale et le

financement d’institutions communes dans les domaines de la

finance, de la recherche et de l’énergie.

Mais à la suite des différentes difficultés dues aux conflits

armés survenus dans la région (crise burundaise en 1994, le génocide

rwandais, l’agression de la souveraineté territoriale de la RD Congo

par les troupes de l’AFDL, conflits armés menés par les troupes du

CNDP) et plusieurs tentatives initiées pour relancer la CEPGL

comme celle tentée en 2004 par l’ancien Ministre belge des Affaires

Etrangères, Louis Michel n’ont pas jusqu’ici abouti. Bien au

contraire, elles ont été freinées par des conflits armés récurrents dans

la région comme celui du M23, le dernier en date dans cette région,

mais soutenu par le Rwanda.

15

La situation d’agressions répétées de la RD Congo à partir

des pays voisins censés participer au processus de sécurité collective

dans la région et d’incessantes négociations suscitées par celles-ci en

vue de ramener la paix recommande pour ce dernier pays la mise sur

pied d’une nouvelle politique extérieure axée principalement sur une

diplomatie agissante qui devra désormais constituer le socle de la

nouvelle politique extérieure privilégiant l’intérêt national sur les

autres intérêts particuliers et/ou individuels.

II.4.3. La politique de la diplomatie agissante8

Est une politique devant encourager les diplomates affectés à

l’extérieur du pays à privilégier l’intérêt national par la signature des

contrats "gagnant-gagnant", l’exemple avec l’Empire du Milieu est

éloquent.

Avec cette politique, le diplomate sera réaliste, souple et

efficace à tout point de vue, la compromission est proscrite. Le

diplomate voit d’abord l’intérêt national dans toutes ses prises de

positions.9

II.4.3.1. La coïncidence des principes directeurs de la diplomatie

agissante et l’intérêt national

La zone vulnérabilité doit requérir une attention soutenue.

Les neufs voisins doivent constituer une ceinture de sécurité et non

une porte d’entrée des groupes armés et divers malfrats, la sécurité

nationale passe par l’établissement des alliances avec les voisins.

Ainsi, des efforts considérables et soutenus, grâce à une

diplomatie agissante doivent être entrepris afin de faire des Etats

voisins de partenaires privilégiés et des alliés voire de décourager

dans leur chef toute velléité d’immobilisation devant aboutir à des

incursions. Par ailleurs, ce sont des pays voisins qui s’intègrent, et

qui, grâce à la proximité géographique permet d’envisager

l’intensification de leurs échanges économiques.

8 www.cnrtl.fr/définition/diplomatie 9 www.digitalcongo.net/article/91513

16

Napoléon ne disait-il pas : "la moralité se trouve du côté de

la grosse artillerie ; ceci pour souligner l’importance et la nécessité

d’avoir une armée réellement dissuasive et républicaine (10

)." A tout

indéniable pour la RD. Congo afin de sécuriser les frontières

nationales, mais aussi d’épargner toute violation du sanctuaire en

provenance de ces Etats voisins.

En effet, il y a lieu de noter que les créneaux de vulnérabilité

d’un Etat se situe au niveau de ses frontières d’où nécessité

impérieuse de bonnes relations de voisinage et posséder une armée

dissuasive et républicaine.

II.4.3.2.La vocation africaine

Compte tenu des contraintes budgétaires, la RD Congo doit

rapidement procéder à un repli stratégique pour s’atteler à des tâches

spécifiques de développement national. La République Démocratique

du Congo doit s’abstenir à se lancer d’une manière non réaliste et

hasardeuse dans l’affirmation de sa position de puissance régionale

sur le plan africain en pareille période de reconstruction nationale.

Toute son énergie et toutes ses ressources doivent être consacrées à

l’effort de concrétisation de la prospérité nationale, bref, à atteindre

et parachever les cinq chantiers.

Mue par sa conscience de la vocation africaine, la RD Congo

doit garder sa place de manière symbolique au sein de l’Union

Africaine (U.A.) pour ne pas se désengager de manière irréversible

car l’alternative de se désengager serait mal interprétée et ne

manquerait de susciter des nombreuses interrogations voire de

l’hostilité.

Pour ce faire, la RD Congo se contentera de participer dans

les débats jugés importants sur la scène africaine et ne pourra s’y

investir à conditions que les résolutions y afférentes présentent des

impacts réels sur la promotion de l’intérêt national.

10 Déclaration de Napoléon Bonaparte à la campagne de Russie en 1812 in

fr.wikipedia.org

17

II.4.3.3.Les principes d’intégrité dans les grandes organisations

internationales

Dans la mesure où l’organisation internationale peut être

considérée comme un instrument de la politique étrangère des Etats,

comme un relais de leur action sur la scène internationale, la RD

Congo devra opérer un choix judicieux entre les organisations

internationales existantes pour s’intégrer dans celles susceptibles de

favoriser sa prospérité nationale. En plus de l’U.A. sur la scène

africaine, la RD Congo doit prioritairement s’intégrer dans l’ONU

notamment le FAO, le FMI, le BIRD, l’UNESCO, l’OMS,

l’UNICEF, OIT. La RD Congo ne peut échapper à l’intégration dans

les programmes des NU comme le PNUD, le CNUCED.

II.4.3.4.Réduction des missions diplomatiques

Dans le cadre de la politique de la diplomatie agissante, il est

souhaitable de procéder à la restructuration du nombre des missions

diplomatiques et des postes consulaires pour de raisons de

restrictions budgétaires et pour éviter la diplomatie de prestige de

naguère. Certaines missions diplomatiques qui ne présentent pas des

avantages réels pour les intérêts nationaux de la RD Congo doivent

être fermées ou mieux représentées au niveau des accréditations

multiples et en examinant le regroupement des fonctions avec nos

partenaires de la CEEAC.

Nous citerons à titre d’illustration : les Ambassades de la RD

Congo au Libéria, Sierra-Léone, Haïti, Yougoslavie, Djibouti,

Erythrée, doivent être fermées ou réduites au niveau des

accréditations multiples. Par contre, d’autres Ambassades doivent

être renforcées et maintenues à savoir :

- Toutes les Ambassades des pays voisins de la RD Congo

constituant la zone de vulnérabilité ;

- D’autres pays en Afrique comme l’Afrique du Sud, la

Libye, la Côte d’Ivoire, le Maroc, l’Egypte et le Nigéria.

- En Europe, nous citerons : la France, la Belgique, le

Royaume-Uni, l’Allemagne, la Grèce, la Suisse et la Grande-

Bretagne.

18

- En Asie, nous désignerons principalement : la Chine, le

Japon, l’Inde, le Pakistan, Dubaï, la Corée du Sud.

- En Amérique du Nord : les USA et le Canada.

- En Amérique du Sud : le Brésil, le Venezuela, le Mexique,

le Chili.

A noter qu’il serait également opportun de partager le

bâtiment avec les pays amis en ce qui concerne le personnel d’accueil

et de sécurité. Tout en réduisant le personnel diplomatique. Ceci

permettra de mettre fin à la diplomatie de prestige et éviter que la

clochardisation des diplomates en poste à l’étranger.

II.4.3.5.Privilégier les intérêts bannir les accords léonins et des

décisions déséquilibrées.

La politique de la diplomatie agissante s’inscrit aussi dans

l’optique d’une coopération bilatérale mutuellement profitable entre

les partenaires en présence. Il vise l’instauration de la symétrie dans

la coopération bilatérale entre la RD Congo et ses partenaires

extérieures, c’est-à-dire l’établissement de l’équilibre entre les

intérêts nationaux de la RD Congo et ceux des étrangers. Toute

situation de déséquilibre doit être dénoncée tels que les accords

léonins qui doivent être renégociés et au besoin être dénoncés par la

RD Congo.

Toutefois, l’instauration de l’Etat de droit où l’indépendance

du pouvoir judiciaire et la justice doivent être effectives et non

inféodés à l’exécutif.

Ainsi, le politique de la diplomatie agissante apporterait à la

politique extérieure de la RD Congo et dans le comportement de ses

animateurs le nationalisme, le patriotisme, le sens élevé de

responsabilité et de loyauté. Pour être le fondement de la politique

extérieure, la politique de la diplomatie agissante doit intervenir à

l’élaboration et à l’exécution de la politique extérieure de la RD

Congo. Notamment dans le recrutement et la formation des

animateurs, dans la définition de l’intérêt national et la prise des

décisions, dans la gestion des ressources financières et leur affection,

dans l’instauration de l’Etat de droit et la constitution d’une armée

19

républicaine dissuasive ; et enfin, dans la mise en œuvre de la

diplomatie réellement de développement.

II.5.Les axes et les principes d’une politique extérieure à

appliquer par la RD Congo grâce à la diplomatie agissante

Pour être efficace, notre politique extérieure devra tenir

compte de trois composantes rationnelles, à savoir : la survie, la

postérité et l’identité.

La RD Congo a besoin d’un cordon sanitaire pour sa survie,

cela qu’on suppose que le pays devra avoir des diplomates

compétents et de carrière. C’est dans ce contexte que nos diplomates

devront apprécier la force de chaque voisin pour en faire un

partenaire, afin de permettre au pays de l’éviter ou de l’affronter le

cas échéant.

Il faudra noter que notre pays ne pourra pas s’aligner lors

d’un conflit, derrière un quelconque camp sans tenir compte des

conséquences de cette prise de position et son impact sur les

populations. Il faudra à ce sujet éviter des prises de position

fantaisiste, non réfléchie, sans au préalable en calculer les

conséquences.

Il sied, comme le dit si bien Jean B. Duroselle, "d’éviter

d’être joueur par légèreté comme l’a été Benito Mussolini qui a

entrainé l’Italie dans la guerre aux côtés de l’Allemagne." L’idéal,

c’est d’être fin calculateur. C’est le lieu et le moment d’apprécier la

"real politik" de Joseph Kabila, à l’inverse de ses prédécesseurs et

aussi celui de Mobutu, qui malheureusement, finira par privilégier

l’intérêt personnel.

- La prospérité quant à elle, sous entend l’amélioration des

conditions existentielles des congolais après une si longue période de

crise socioéconomique. Pour ce faire, le pays appliquera quelques

principes dont le bilatéralisme où l’on devra cibler un certain nombre

d’Etats dont on devra tenir compte. Ce rapprochement avec d’autres

Etats devra se faire soit par des organisations sous-régionales telles

que la CEEAC, la SADEC soit par les relations bilatérales avec

plusieurs Etats à la fois. Cette prospérité peut revêtir plusieurs

aspects dont l’intégration sociale, politique ou économique.

20

Notre article démontre à suffisance que les pays à démocratie

balbutiante voire les Etats défaillants ont des difficultés de donner

satisfaction aux besoins élémentaires de leur population. Ils

s’illustrent souvent par la gabegie et la dilapidation des ressources du

pays et l’enrichissement personnel des dirigeants au détriment de la

population.

La situation politico-militaire de la RD Congo est la

résultante du manque de compétitivité de l’économie qui génère

aucun emploi durable et provoque des guerres cycliques plongeant

ainsi le pays dans une situation d’insécurité propice à la prolifération

des bandes armées animées par l’appât de gain facile que présente

l’exploitation illégale des ressources naturelles.

Par ailleurs, cette situation doit interpeller plus d’un

congolais. En effet, il est temps de revoir l’objectif de la politique

extérieure. Que veulent les Congolais pour le Congo ? Un Etat fort

ou défaillant ?

Conclusion

Notre recherche s’inscrit dans une logique d’études

prospectives pour la reforme et la revitalisation constante de la

politique extérieure de la RD Congo grâce à l’application de la

politique de la diplomatie agissante. La politique de la diplomatie

agissante est un courant de pensée innovatrice pour relancer et

redorer l’image ternie de la RD Congo à la suite de ses déboires.

Ainsi, avons nous voulu présenter cette approche scientifique

par les moyens qui y sont développés, lesquels se montrent par la

vision de la révisitation de la politique extérieure de la RD Congo et

de la dynamisation et l'adaptation de la diplomatie agissante

congolaise dans les pays de Grands Lacs Africains.

Nous avons souligné que depuis l’indépendance de la RD

Congo jusqu’aux élections démocratiques de 2006, l’intérêt national

a été compromis au profit des intérêts privés sur le plan national et

aux intérêts étrangers dans les relations extérieures. Ainsi, il y a lieu

de revoir notre politique extérieure grâce à une diplomatie agissante à

tout point de vue. Cette politique n’est pas asymétrique mais

converge vers un seul objectif : l’harmonisation d’intérêt

21

apparemment divergeant vers la convergence et ce dans l’intérêt

national d’une part et d’autre part, de sortir du déséquilibre présent

pour s’avancer vers la réalisation progressive et pacifique des

objectifs fixés ; c’est-à-dire atteindre la prospérité nationale par

l’établissement des relations des coopérations constructives et

durables. Ainsi, la compromission de l’intérêt national, bref, toute

compromission de l’intérêt national devra être reniée avec la dernière

énergie tout en coopérant avec les organisations internationales et

régionales comme : U.E, OCDE, OTAN, elle devra élaborer la

politique d’intégration des fonctionnaires congolais dans les

structures administratives des O.I. (Organisations Internationales) de

sorte que ces fonctionnaires par leur compétence puissent plaider de

manière honorable et par leur efficacité plaider pour les causes

défendues par la RD Congo dans ces O.I.

Par ailleurs, la consolidation de la paix fait partie des

objectifs du Gouvernement car sans paix durable, il est difficile de

concevoir un programme viable de développement. Comme pour l’un

ou l’autre objectif, la diplomatie agissante privilégiant l’intérêt

national est exigée comme soubassement de la nouvelle politique

extérieure de la RD Congo et le processus d’intégration dans le cadre

de la CEPGL doit se poursuivre quelles qu’en soient les difficultés,

car c’est au sein d’organisations régionales et/ou internationales que

s’épanouissent les nations comme l’ont démontré plusieurs exemples

à travers le monde.

22

ABREVIATIONS – SIGLES ET SYMBOLES

A.F.D.L : Alliance de Forces Démocratiques pour la

Libération du Congo

A.L.E.N.A. : Accord De Libre-Echange Nord-Américain

A.S.E.A.N. : Association des Nations de l'Asie du Sud-est

B.I.R.D. : Banque Internationale pour la Reconstruction et le

Développement (Banque Mondiale)

C.E.A.C. : Communauté des Etats de l’Afrique Centrale

C.E.P.G.L. : Communauté Economique des Pays de Grands

Lacs

C.N.D.P. : Congrès National du Peuple, rébellion de Laurent

KUNDA à l’Est de

C.N.U.C.E.D : Conseil des Nations-Unies pour la Coopération

Economique et le Développement

E.I.C. : Etat Indépendant du Congo

F.D.L.R. : Forces Démocratiques de la Libération du Rwanda,

rébellion Hutu à l’Est de la RD Congo

F.M.I. : Fonds Monétaire International

F.A.R.D.C. : Forces Armées de la République Démocratique du

Congo.

F.D.L.R. Force Démocratique de la Libération du Rwanda

M23 Mouvement du 23Mars 2012

MERCOSUR : Le Marché Commun du Sud, couramment

abrégé Mercosur, (de l'espagnol Mercado Común

del Sur) ou Mercosul (du portugais Mercado

Comum do Sul)

O.C.D.E. : Organisation de la Coopération et de

Développement en Europe

O.I.T. : Organisation Internationale du Travail

O.M.S. : Organisation Mondiale de la Santé

O.TA.N. :Organisation de l’Atlantique Nord

P.N.U.D. : Programme de Nations Unies pour le

Développement

S.A.D.E.C. : South Africa Developpement Community

(Communauté de de Développement des Etats de

l’Afrique Australe)

23

U.A : Union Africaine

U.E. : Union Européenne

UNESCO : United Nations for Education, Science and

Culture

UNICEF : Association Humanitaire pour la survie et la

protection des enfants

Bibliographie

1. Blom, A, Charillon, F, Théories et concepts des relations

internationales, Hachette Supérieure, Paris, 2001, pp.164-

167

2. Chute du mur de Berlin suivi de l’éclatement de l’URSS,

1947-1989

3. Constitution de 2006 approuvé par le Référendum

Constitutionnel du 18 au 19 décembre 2005 par le peuple

congolais.

4. Déclaration de Napoléon Bonaparte à la campagne de Russie

en 1812 in fr.wikipedia.org.

5. Discours présidentiel in Congo Afrique n°411, 2007 : 17

6. http://fweley.wordpress.com/2011/06/13/problematique-de-

la-nationalité-en-rdcongo/

7. Archives du Sénat (annales et comptes rendus) 1960 à nos

jours.-Commission des relations extérieures du Sénat de

2009 à nos jours.(Travaux).

8. www.7sur7cd/index.php?option=com.content

dendettement…rdc

9. www.memoire online…relations internationales

10. Diverses déclarations

24

25

PPAASSSSEE,, PPRREESSEENNTT EETT AAVVEENNIIRR.. LLEESS RREESSSSOORRTTSS DDEE LLAA

CCOOMMMMUUNNIICCAATTIIOONN MMUUSSIICCAALLEE VVEERRBBAALLEE DDEE TTRRAADDIITTIIOONN

OORRAALLEE..

IBILI Akwer*

00.. IInnttrroodduuccttiioonn

Henri POUSSEUR, compositeur et théoricien en sociologie

de la musique affirme que l’art cherche souvent à organiser des

communications différentes, des communications d’un autre ordre

que celles des sens.1 Comme d’aucuns le savent, la musique

d’Afrique noire est une expression et une communication de

l’homme à lui-même, à son semblable, au monde de l’au-delà et

même à l’être transcendant.

Nous tentons, dans les lignes qui suivent, d’identifier et

comprendre cette communication d’une autre valeur, d’un autre plan

auxquels la musique de tradition orale peut également conduire.

Qu’on ne se méprenne pas. Il ne sera question ici de l’analyse

ni des déictiques temporels ni de la temporalité narrative2 moins

encore du temps construit par le récit ou des fonctions de celui-ci.3

Le cheminement de cette analyse empruntera plutôt

l’itinéraire que voici : nous servant de la théorie de la temporalité

dans ses dimensions du passé, du présent et de l’avenir, notre

réflexion entreprend de découvrir la signifiance des symboles clés de

quelques mélopées funèbres mbuun et partant la valeur de la relation

que l’homme noue avec lui-même, son semblable, la tradition et le

Dieu créateur.

* Professeur à l’Université de Lubumbashi(RDC) 1 Cf. http://fr.Wikipedia.org/wiki/sociologie de la musique, 29.04.2006

2 Cf MAINGUENEAU D., Eléments de linguistique pour le texte littéraire, Bordas,

Paris, 1986, pp 22-25 3 Nous pensons ici à Y. REUTER, dans son ouvrage intitulé : L’analyse du récit,

Armand Colin, Paris, 2007, pp 37-39

26

II.. LLaa tteemmppoorraalliittéé

II..11.. LLee ccoonncceepptt ddee tteemmppoorraalliittéé

L’étant humain est, par essence, un étant qui se comporte. Il

faut entendre par là que cet étant est constitué d’une relation

intrinsèque à l’autre, quelle que puisse être la diversité des modes

concrets sous lesquels cette relation apparaît. Cette relation est la

transcendance même. La temporalité se caractérise aussi bien par une

certaine forme de spontanéité : elle est déploiement du soi qui va vers

l’autre de lui-même, que par une certaine passivité : par cette

articulation, la temporalité ne met pas seulement en présence de

l’autre comme autre, elle est aussi réception de la présence de cet

autre. Ce processus, fait d’un perpétuel renvoi de l’un à l’autre de ces

moments, se réduit donc au passer même, il est la transition en tant

que telle.4

La temporalité est la forme intime du sujet. Le temps n’est

pas une succession de maintenant, il est vécu par nous avant tout

découpage du temps. Le sujet est présent en intention au passé

comme à l’avenir. A chaque instant, apparaît mon faire futur qui

modifie le moment précédent. Le temps n’est pas une ligne mais un

réseau d’intentionnalités.5

Il est donc établi que la temporalisation est au centre de la

réalité humaine tout entière. C’est à partir d’elle-et à partir d’elle

seulement-qu’il nous devient possible de concevoir et d’interpréter

tout ce qui fait l’existence de l’homme : sa connaissance, son pouvoir

d’agir ou de poursuivre des fins siennes, sa liberté, sa capacité

d’affection au sens le plus général.6

4 De WAELHENS A., La philosophie et les expériences naturelles, Martinus

Nighoff, La Haye, 1961, p 169 5 CHATELET F., La philosophie au XXème siècle, T4, Hachette, Paris, 1974, p 245 6 De WAELHENS A., op cit., p 174

27

II..22.. LLee ppaasssséé,, llee pprréésseenntt eett llee ffuuttuurr cchheezz llee nnooiirr aaffrriiccaaiinn

Orienté vers le passé, l’africain ne trouve pas la justification

et le sens de son action dans le futur mais dans le temps déjà écoulé.

Son raisonnement est de ce fait de type « régressif ». Car dit-il : « je

fais ceci parce que mes pères, mes ancêtres l’ont fait ». C’est ici où

apparaît la liaison nécessaire entre le passé et l’activité actuelle. La

tradition qui est dans l’africain et non derrière lui joue un rôle

déterminant dans la culture africaine.7

Le passé, on le sait, n’a aucune forme d’existence objective,

aucune espèce d’existence séparée du présent. Et puisque ce passé est

constamment porté et actualisé chez les vivants, il s’assure d’avance

de l’avenir.

II..33.. LLee tteemmppss ddaannss ll’’oorraalliittéé

Avant de nous appesantir sur le temps tel que conçu dans

l’oralité, un mot s’impose à propos de ses liens avec l’espace, réalités

inhérentes à la vie de tout homme. Tellement liés, les deux

s’appellent inéluctablement. A leur sujet, H. BERGSON est arrivé à

ce constat : si nous voulons réfléchir sur le temps, c’est l’espace qui

répond. Ainsi la durée est toujours exprimée comme une extension et

le passé est compris comme quelque chose d’étendu (physiquement)

derrière nous, le futur comme étendu quelque part en avant de nous.8

Dans l’oralité africaine, le facteur temporel n’y a pas droit de

cité. En effet, lorsqu’ils nous sont transmis par la tradition orale, les

7 Lire à ce sujet :

- ELUNGU Pene ELUNGU, Tradition africaine et rationalité moderne, éd

L’Harmattan, Paris, 1987, pp 30-38

- MUDIMBE V.Y., « Réponse à Jacques L. Vincke sur quelques questions

de méthodes », in VINCKE J.L., Le prix du péché. Essai de psychanalyse

existentielle des traditions européenne et africaine, éd du Mont Noir,

Kinshasa-Lubumbashi, 1973, pp 51-52 8 BERGSON H. cité par ARENDT H., in HIGHWATER J., L’esprit de l’aube.

Vision et réalité des indiens d’Amérique, Traduit de l’américain par R. Tricoire,

l’Age d’Homme, Paris, 1984, p 99

28

événements ne sont en général racontés ni en termes de temps passé

ni en termes de temps futur, au sens linéaire. La raison en est que le

message de la tradition orale se trouve au carrefour de deux axes.

Dans l’instant actuel, il est un échange entre deux interlocuteurs.

Dans la durée, il est un échange entre une tradition ayant existé dans

le passé et une situation à laquelle s’applique cette tradition.9

IIII.. HHoommmmee,, ccoommmmuunniiccaattiioonn aarrttiissttiiqquuee eett ffoonnccttiioonnss ddee llaa mmuussiiqquuee

aaffrriiccaaiinnee

IIII..11.. CCee qquu’’eesstt ll’’hhoommmmee eenn ssooii

L’homme est le fruit de nombreuses et diverses expériences,

expériences de son corps propre, de ses sentiments, de ses émotions,

de ses craintes, de ses espérances. C’est pourquoi, en même temps

que l’unité est affirmée dans sa permanence, la diversité est

également affirmée soulignant ainsi la fluidité de la personne

humaine. Les composés divers et différents sont au moins au nombre

de deux : il y a le corps et le double. Mais en général, ces composants

sont assez nombreux pour traduire par là la pluralité des expériences

vécues.

En bref, on peut retenir avec ELUNGU Pene ELUNGU, une

fois de plus, que l’homme est un flux d’expériences sur le fond

immuable et invariable qu’est la vie. Celles-ci sont parfois

conflictuelles.

Pour M. HEIDEGGER, l’homme se définit essentiellement

comme projet et qu’il est orienté essentiellement vers l’avenir. Celui-

ci fait partie de son être fondamental. HEIDEGGER juge que le futur

qui donne sens à l’être de l’homme est l’extase temporelle la plus

déterminante ; elle passe avant le passé et le présent.10

9 Lire à ce sujet :

- EPES BROWN J., cité par HIGHWATER J., op.cit., p 94

- CAUVIN J., Comprendre la parole traditionnelle, coll. les Classiques

Africains, éd Saint Paul, Paris, 1980, p 7 10 OKOLO OKONDA W’Oleko, « Avenir et Tradition », in Les Nouvelles

Rationalités Africaines, Vol 3, n°9, octobre 1987, p 14

29

IIII..22.. OObbjjeeccttiiffss ddee llaa ccoommmmuunniiccaattiioonn aarrttiissttiiqquuee eett ffoonnccttiioonnss ddee llaa

mmuussiiqquuee aaffrriiccaaiinnee

La communication est un concept qui trouve son application

dans plusieurs secteurs de la vie humaine. Parmi les nombreux

objectifs qu’elle poursuit, l’on peut retenir dans l’art oral ceux par

lesquels l’émetteur veut faire passer un message, une information ou

une connaissance, exprimer un sentiment, donner son identité,

persuader le destinataire ou l’auditeur et ainsi l’amener à changer son

opinion, etc.

Les fonctions de la musique africaine, nombreuses elles

aussi, dépendent de la nature de celle-ci et du but qu’elle poursuit.

Ainsi les fonctions suivantes : intégrative, récréative ou ludique,

didactique ou éducative, initiatique, politique, laudative, soutien-

effort, thérapeutique, etc.

C’est ici le lieu de rappeler, à l’instar de tout texte littéraire,

que le compositeur d’un morceau chanté initie une signification alors

que l’auditeur lui, suivant son expérience, son éducation, ses états

d’âme, son rapport à la musique, dégage une signifiance comprise

comme une signification plurielle.

IIIIII.. CCoorrppuuss

III.0. Les textes chantés que nous avons retenus pour étudier le

phénomène de la temporalité sont des mélopées funèbres dites

« Engung » récoltées par MAZINGA MASHIN.11

Il s’agit d’une

forme de jeu individuel où les pleureurs professionnels prennent la

parole à tour de rôle pendant les veillées funèbres. Cette étape

succède au premier jeu où s’affrontaient, sous forme de palabre

11 Cf sa thèse de doctorat en Information et Arts de Diffusion, intitulée : Engong et

langong. Etude comparative de deux formes de dramaturgie populaire chez les

Ambuun du zaïre, Université de Liège, (s.d). Dans notre propre thèse de doctorat

(1998), ces deux chants apparaissent aux pages 301-304

30

jouée, des chanteurs regroupés en deux équipes concurrentes.

Chacune veut se faire apprécier comme la plus talentueuse.

Loin d’être un monologue béat, le jeu individuel des

pleureurs se mue en réalité en dialogue étant entendu que chaque

intervenant tient compte des propos lancés avant lui par un autre

pleureur.

IIIIII..11.. TTeexxtteess eett ttrraadduuccttiioonn ffrraannççaaiissee

Pleureur 3

Me likal likal likal

Maam m’osur labwak labasodzu

Maam asas ayasodzu

Maam labwak layasosim

5. Maam kayi osaam lakal mwan a mpɛng

Maam kayi osaam ɛnkos mwan Opfing

Traduction française

Moi, je suis resté longtemps

Ma mère dans la forêt n’est pas morte d’anémie

Ma mère a été tuée par des balles

Ma mère est morte d’anémie

5. Ma mère m’a dit de faire attention au neveu

Ma mère m’a demandé de m’entendre avec Enkos, fils d’Opfing.

Pleureur 4

Ndzɛ lakal y’Onok odm a mwan Onkéén

Mɛ likɛl y’Asɛk mpɛng a mwân Oléél

Lawin awin awin

Ndzɛ ɛkwɛbwa ɛwa Ekwɛl

5. Ekwɛl mon awéén awɛla

N’asa ongung tɛ mɛ n’ab’sendel n’amɛndel ?

Mɛ baan amɛndel

Mɛ baan amɛndel

Mɛ alung abéndél

10. Mɛ alung abéndél

31

Baan abendel m’odm Etyer mwan Ekol

Bol aluum akandél !

Abesa Olool noon ekorowusa, baan b’awundel

Ekuk mpɛng mboome

15. Ankyem baan abis ɛbul

Ampal baan abis Ekob

ÓÓ mɛ wa, ÓÓ me wawo

Ibi yakwɛ nkyé? Maam kayuun!

Traduction française

Tu as épousé Onok, fille d’Onkeen

Moi, j’ai épousé Asɛk, fille d’Oleel

Tu es parti

Toi, tu as épousé la fille d’Ekwɛl

5. Mais Ekwɛl était déjà mort

C’est pourquoi je leur dis : qui me pleurera, qui me pleurera ?

Ce sont mes enfants qui me pleureront

Ce sont mes enfants qui me pleureront

Ce sont les ancêtres qui me pleureront

10. Ce sont les ancêtres qui me pleureront

Les enfants me pleureront, moi le mari d’Etyer, fille d’Ekol

Le village se lamentera aussi sur mon cadavre

A vos cris, je risque de me lever pauvres enfants

Ekuk, ma sœur, laisse-moi (parler) !

15. Ankyem est d’Ebul

Ampal est d’Ekob

Oh oh tu me vois, oh oh je suis là

Avec quoi m’en irai-je ? Ma mère le sait !

IIIIII..22.. AAnnaallyyssee

Prenant en compte des énoncés musicaux dits au passé, au

présent et au futur, notre analyse des mélopées funèbres mbuun part

32

de la tradition comme de toute œuvre humaine considérée comme un

symbole au sens d’une expression significative et multivoque.12

Nous empruntons notre grille de lecture à une théorie de la

temporalité et à Victor TURNER dans son interprétation du symbole.

IIIIII..22..11.. UUnnee tthhééoorriiee ddee llaa tteemmppoorraalliittéé

L’existant ne peut se rejoindre qu’en se quittant à travers un

intervalle infini. Ceci sous-entend qu’il est à la fois toujours séparé

de lui-même et toujours capable de se réidentifier à lui-même dans

cette séparation même, qu’il s’affecte sans cesse lui-même d’une

altérité qui n’est elle-même qu’un moment dans une opération

synthétisante. Autrement présenté, on peut retenir que le temps est la

forme dans laquelle l’existant se rapporte à lui-même comme écart

par rapport à soi. Ainsi :

- le passé représente ce qui s’est déjà éloigné,

- le futur représente la possibilité indéfinie de la séparation

d’avec soi, et

- le présent est l’unification incessante de cette possibilité et de

cet éloignement ; il réassume sans relâche les deux versants

de l’altérité, la distance qui s’est déjà creusée dans l’existant

et celle qui s’annonce en lui inépuisablement.13

IIIIII..22..22.. LLee ssyymmbboollee eett ssaa ssiiggnniiffiiccaattiioonn

Examinant la signification d’un symbole V. TURNER

distingue au moins trois niveaux ou champs de signification et qu’il

propose d’appeler le niveau d’interprétation endogène ou en bref, la

signification exégétique, la signification opérationnelle et la

signification positionnelle.14

12 OKOLO OKONDA, « La tradition comme médiation et symbole du sacré », in

Médiations Africaines du Sacré. Actes du Troisième Colloque International, Faculté

de théologie catholique de Kinshasa, Kinshasa, 1987, pp 70-71 13 Cf. LADRIERE J., « Le monde », in Encyclopaedia Universalis, corpus 12, Paris,

1988, p 520, Col 1 14 Cf. SPERBER D., Le symbolisme en général, Coll Savoir, Paris, 1974, pp 24-25

33

IIIIII..22..22..11.. SSiiggnniiffiiccaattiioonn eexxééggééttiiqquuee ddeess ssyymmbboolleess

La signification exégétique est celle fournie par le

commentaire autochtone. Ici comme dans la suite de cette analyse,

les symboles seront lus selon qu’ils renvoient au passé, au futur et au

présent.

a. Au passé

Comme signalé plus haut, le passé représente ce qui s’est

déjà éloigné.

Dans sa mélopée funèbre, le pleureur 4 s’appesantit sur

deux symboles : le mariage (Vers 1, 2, 4) et la mort (Vers 5-13). Un

index de valeur15

, le mariage est ce par quoi se forme la famille,

cellule de base de la société mbuun. Il s’agit d’un processus qui part

des fiançailles passant par le versement de la dot jusqu’à la

cérémonie ultime dite mariage et qui consacre l’union légitime de

l’homme et la femme.

A la brièveté de la durée du pacte s’oppose l’étendue de la

vie du couple dont le souci majeur, toujours vivace chez le négro-

africain, est la perpétuation de la société par la procréation. C’est par

la vie conjugale responsable que la communauté entrevoit en même

temps son avenir. Par le mariage, la personne marque son temps pour

ainsi s’imposer dans le souvenir de ses congénères.

La mort, réalité naturelle, est quant à elle, la cessation de

vie terrestre. Elle est ce passage obligé pour la vie de l’au-delà. Par sa

vie et ses œuvres, le souvenir du sujet décédé reste gravé dans la

mémoire des vivants. En même sur le temps qu’elle crée un vide, la

mort fait réfléchir en vue de l’avenir.

b. Au futur

Le futur représente la possibilité indéfinie de la séparation

d’avec soi. Non seulement le futur mais même « le mot humain

15 Cf. GUSDORF G., La porale, PUF, Paris, 1966, p 8

34

permet d’échapper à la contrainte de l’actualité pour prendre position

dans la sécurité de la distance et de l’absence.16

Ce que déclare le pleureur 3 permet au pleureur 4 de marquer

une distance par rapport à lui. Le pleureur 3 servant de miroir au

pleureur 4 aide celui-ci à identifier l’autre de lui-même. Dans ce face

à face, l’identité du pleureur 4 est le lieu d’une proximité. Celle-ci se

remarque, se définit lorsque ce pleureur 4 se fait une idée claire et

juste de la nature, de la forme et du contenu de l’espace qui sépare en

lui ce qu’il prétend être ou savoir de son image réelle que l’autre, le

pleureur 3 et donc son miroir a permis de circonscrire.17

Il est aussi un autre miroir en face duquel se place l’un et

l’autre chanteurs de mélopées funèbres mbuun. Il s’agit bel et bien de

l’événement lui-même, en l’occurrence la mort d’un sujet. En effet,

c’est par rapport à celle-ci que se justifie également le sens de

l’interaction entre les deux groupes concurrents des pleureurs

professionnels.

Mais le futur se dessine aussi au regard du passé et du

présent des symboles internes à un chant funèbre. En effet, du vers 7

au vers 12, le chanteur 4 parle de sa mort future en citant ses enfants,

toute la communauté villageoise et les ancêtres qui le pleureront.

Comme on peut le constater, ce pleureur 4 se sépare de lui-même en

se projetant dans l’avenir par sa mort prochaine, inévitable.

L’espace que représente la distance entre lui et l’autre de lui-

même est le symbole d’une vie pleine par le mariage et la progéniture

et le bon comportement dicté par l’éthique ancestrale.

c. Au présent

Le présent est l’unification incessante de la possibilité

indéfinie de la séparation de l’homme d’avec soi et de ce qui s’est

éloigné de lui. Par le présent, l’homme réassume sans relâche les

16 GUSDORF G., op.cit, p 6 17 Lire à ce propos : OKOLO OKONDA W’Oleko, Pour une philosophie de la

culture et du développement. Recherches d’herméneutique et de praxis africaines,

PUZ, Kinshasa, 1986, p 91

35

deux versants de l’altérité, la distance qui s’est déjà creusée dans

l’existant et celle qui s’annonce en lui inépuisablement.

Vers 13 : A vos cris, je risque de me lever pauvres enfants.

Ici, le pleureur 4 opère une fusion entre son passé qui est en

lui et sa mort future dans laquelle il s’est projeté. Ce mélange suscite

en lui une sorte de détente indispensable pour le corps et l’esprit.

IIIIII..22..22..22.. SSiiggnniiffiiccaattiioonn ooppéérraattiioonnnneellllee

La signification opérationnelle d’un symbole est équivalente

à son usage et aux qualités affectives liées à cet usage : agressive,

triste, repentante, joyeuse, moqueuse, etc.

L’affectivité est comprise comme l’ensemble des sentiments.

On distingue les sentiments liés à un état de passivité (plaisir,

douleur, émotion) et ceux qui sont liés à l’action, ou tendances

affectives (désir ou répulsion, amour, haine).18

a. Au passé

A l’instar du pleureur 4, le chanteur 3 traite lui aussi de la

mort, par maladie (anemie) et par balles. On le sait, le décès d’une

personne crée un vide dans sa communauté. D’où la tristesse qui

s’empare de ses proches. Mais reprise dans un chant, la mort devient

cet exutoire qui soulage quelque peu la peine de la famille éplorée.

Dans le texte sous examen, le chanteur insinue simplement que la

mort a toujours existé, qu’elle frappera, qu’on le veuille ou non, de

telle ou telle autre manière.

b. Au futur

La mort future dans laquelle se projette le pleureur 4 le

sépare de lui-même et de ses proches. Par rapport à la circonstance

du jour que sont les funérailles, cette mort future apaise aussi

l’auditoire. Par elle, en effet, le public réalise la fragilité de

18 JULIA D., Dictionnaire de philosophie, Larousse, Paris, 1964, p 13

36

l’existence humaine. La mort concerne donc tout le monde, le

chanteur et le danseur des lieux mortuaires y compris. C’est cette

évidence qui fait basculer la douleur en gaieté bénéfique pour le

groupe concerné.

c. Au présent

Les différents messages des textes ici considérés

s’enchaînent et se complètent par divers rapports. La mort qui

accompagne l’homme dans son existence depuis la nuit de temps

frappera toujours sans distinction de race, sexe, âge, fonction, etc.

voilà qui réclame à toute personne d’accepter cette réalité

mystérieuse avec stoïcisme.

IIIIII..22..22..33.. SSiiggnniiffiiccaattiioonn ppoossiittiioonnnneellllee

La signification positionnelle tient aux relations structurales

que les symboles entretiennent entre eux. Le mariage et la mort que

chante le sujet dans le texte 4 entretiennent quelques liens qu’il

importe de clarifier.

En effet, la naissance d’un être humain n’est que la résultante

de l’union de deux sexes opposés. C’est donc par elle que la vie

commence pour s’achever par la mort. Vie et mort sont donc les deux

faces d’une même et seule réalité qu’est l’existence. Mais la mort se

veut aussi point de départ de la vie par le phénomène de

l’incarnation. Les deux se révèlent l’une à l’autre dans un rapport de

contiguïté et de coordination dans cette existence.

Toutefois, sans procréation, le mariage, entraîne la mort sous

quelques formes. On parlera ici d’un lien de cause à effet.

Par rapport au présent, ceci veut dire en définitive qu’à une

naissance par le mariage dans le passé devra correspondre une mort

dans l’avenir de tout existant. A la famille endeuillée de le

comprendre et de se comporter en conséquence.

37

CCoonncclluussiioonn

Un contexte, quel qu’il soit, est un prétexte pour tout texte

dont la visée première est plutôt l’avenir, un avenir que le chanteur

veut radieux. Le destinataire d’un message est le miroir de l’émetteur

de celui-ci. Ce miroir l’aide à réaliser l’autre de lui-même. Cet autre

de lui-même longtemps resté à l’ombre et ce que cet émetteur

exprime constituent alors la vraie identité de celui-ci

Le passé et le présent sur lesquels l’homme s’appuie sont

pour lui un tremplin pour un avenir plus sécurisant. Ainsi, nous a-t-il

été donné de comprendre que le mariage et la mort sont les deux

faces d’une même et seule réalité qu’est la vie.

L’évocation de l’un et l’autre phénomène dans les

mélopées funèbres mbuun est une occasion pour l’homme de la

parole de réinstaller la cohésion qui s’est effritée en invitant le sujet

éploré à saisir l’existence avec responsabilité et stoïcisme car ce qui a

été, ce qui est n’a de sens et de valeur que pour l’avenir.

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39

LA ROUTE DES CARAVANES D’ESCLAVES A L’EST DE LA

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

KISONGA Kasyulwe Désiré*

Introduction

Le colloque du 10 au 12 janvier 2012 a été organisé dans le

cadre de la célébration de l’année jubilaire 2012, de la fondation de la

ville d’Albertville-Kalemie, 120 ans après. Le colloque était ainsi

sommairement intitulé : « 120 ans après, quel avenir pour

Kalemie ? ». Il s’est concrètement agi, dans l’esprit des

organisateurs, semble-t-il, de voir dans quelle mesure la ville

d’Albertville-Kalemie aura été, au cours de ces 120 dernières années,

un instrument de développement (ou de sous-développement

pourquoi pas) social, politique, économique, moral et culturel dans

son environnement local, provincial et national.

C’est précisément dans ce contexte que nous avons préparé

une communication sur « la route des caravanes d’esclaves à l’Est

de la République Démocratique du Congo ».

Loin de prétendre analyser profondément tous les aspects,

l’étude se veut succinctement une sorte du coup de sonde et a comme

objectif fondamental, montrer que la traite des esclaves et ses

corollaires auront influé négativement ou positivement sur les

transformations (politique, économique, sociale, morale et culturelle),

les structures, le fonctionnement et le développement du District du

Tanganyika en général et de la ville d’Albertville-Kalemie plus

particulièrement.

Disons de prime abord que l’Afrique équatoriale et sud-

tropicale aura été l’une des dernières parties du monde à subir les

influences étrangères. Certaines parties ont connu un long passé,

ainsi que l’attestent les sites préhistoriques découverts entre les

Grands Lacs et l’Océan Indien, mais leurs habitants n’entraient pas

directement en contact avec le monde extérieur. L’initiative revenait

aux étrangers, premièrement les arabes qui vinrent se fixer sur la côte

Est, et, tardivement, pénétrèrent plus loin dans l’intérieur du

Continent. Leur expansion s’étendra alors progressivement sur une

40

vaste zone qu’il convient de préciser dès maintenant, pour délimiter

le cadre géographique de la présente étude. Elle a couvert les pays ci-

après, désignés sous leurs appellations actuelles : moitié sud du

Kenya, moitié nord d’Uganda, Tanzanie, nord-est de la Zambie,

Malawi, moitié nord du Mozambique, et moitié est de la République

Démocratique du Congo. C’est cette dernière partie qui fait l’objet de

notre communication.

Hormis la conclusion, l’essentiel de notre article s’articule

autour des axes ci-après :

- L’arrivée des Arabes et les routes de caravanes en

Afrique centrale,

- L’expansion arabe en Afrique centrale et les aspects

généraux de la pénétration,

- La pénétration et le système d’implantation,

- Les rapines et le marché intérieur,

- L’exportation des esclaves,

- Les conséquences de la traite des esclaves.

1. L’arrivée des Arabes et les routes de caravanes d’esclaves en Afrique centrale.

Le grand carrefour commercial de l’Afrique centrale était

Kazembe, au Sud-ouest du la Moëro. Kazembe, qui

signifie « gouverneur », était le titre d’un chef de troupe envoyé au

XVIIIème siècle par Mwant Yav, le souverain Lunda. Le Kazembe

avait conquis de vastes territoires sur le Luapula dont il devint le chef

héréditaire. Théoriquement vassal du Mwant Yav, il avait acquis une

puissance et une notoriété qui le rendaient égal à ce dernier et parfois

même lui donnait-on ce titre souverain. Puissance à la fois

commerciale, car sa capitale devint le rendez-vous des traitants venus

de l’Est et de l’Ouest ; et politique, car il exerçait chez lui une très

forte autorité. Chef absolu, sa volonté constituait la loi ; une vraie

cour l’entourait avec des ministres chargés de fonctions précises.

La route entre Kazembe et Kilwa passait par la région des

Bemba. Ces populations se répartissaient en chefferies dont le

titulaire avait une autorité assez étroite sur les villages dépendant de

41

lui ; il commandait l’armée et certains cas judiciaires plus graves lui

étaient réservés ; il n’avait vis-vis du roi que des liens de dépendance

assez lâches. Mais en 1840, un chef, Cilesye, se révolta, assuma le

pouvoir suprême et établit une cohésion d’ensemble beaucoup plus

étroite.

A la même époque, surgissait un autre peuple venu du Sud de

l’Afrique : les Ngoni. Cinq à six d’entre eux, fuyant la tyrannie des

Zoulou, avaient quitté leur pays au début du siècle et entamé une

longue migration vers le Nord. Pour se frayer un chemin, ils durent

s’organiser militairement, non seulement par l’encadrement des

hommes en compagnies, divisées en sections, etc., et le tout sous

l’autorité d’un chef unique ; mais aussi par l’esprit combatif inculqué

aux garçons dès leur jeunesse. Peuple pasteur, la garde des troupeaux

servait en même temps de préparation à la guerre avec des exercices

de lutte et affrontement des taureaux excités. Ils semèrent la terreur

partout où ils passèrent : les populations qu’ils abordaient étaient

exterminées, dispersées ou réduites en esclaves. Les esclaves étaient

ensuite acheminés par caravanes vers les marchés de Zanzibar et

d’Udjidji à l’Est du Continent.

Les routes de caravanes disposaient, à partir du Katanga, de

la façon suivante :

- Du Katanga, l’une se dirigeait vers le centre du Nyassa

qu’elle traversa d’abord à la hauteur de la localité de Bendawé pour

se déplacer ensuite un peu vers le sud et contourner une région

nouvellement conquise par un groupe Ngoni ; cette ligne, située

approximativement sur le 13° de latitude sud, deviendra la principale

voie de passage du lac, et c’est là que se constitua l’établissement de

Kota-Kota.

- Du Katanga toujours, une autre route passait au sud du lac

Nyassa, puis divergeait en plusieurs directions : l’une rejoignait la

route précédente vers Kilwa ; d’autres rayonnaient vers le reste de la

côte portugaise, principalement au Mozambique.

A l’ouest de Tabora, une route s’ouvrait vers le Tanganyika.

Deux Swahili visitèrent Udjidji pour la première fois en 1840, et un

centre s’établit qui devait devenir le principal point d’appui du

commerce arabe sur le lac.

42

Udjidji offrait donc une situation particulièrement favorable.

Une colonie s’y développa, non qu’elle fut jamais très nombreuse en

éléments proprement arabes, cinq ou six tout au plus ; mais il fallait

compter leurs serviteurs et esclaves, et les éléments fixes ou

mouvants qu’attirait leur activité : conducteurs de caravanes,

charpentiers, forgerons, etc. ils devaient payer aux Djidji une taxe

lorsqu’ils traitaient une opération commerciale ou prenaient demeure

chez eux ; cette position d’infériorité se trouvant compensée par

l’existence d’une sorte de commission mixte qui réglait les affaires

d’intérêt général les plus importantes et faisait régner une certaine

justice.

Mais à Udjidji les affaires n’étaient jamais définitivement

réglées. Un rien relançait les palabres, et la querelle se concluait en

ce sens que tout restait comme auparavant.

A cette époque cependant, la balance penchait peu à peu du

côté des arabes au fur et à mesure que leurs entreprises prenaient de

l’extension sur le lac.

Le pays qui les attirait alors était le grand centre commercial

de Kazembe et le Katanga. Le territoire de Kazembe attirait les

trafiquants par les esclaves et l’ivoire tandis que le Katanga attirait

les mêmes trafiquants par son cuivre. D’Udjidji on pouvait s’y rendre

par deux voies différentes :

-La première voie traversait le lac Tanganyika jusqu’ à

Mtowa (au Nord de la ville de Kalemie) ou Mpala (au Sud de la ville

de Kalemie) et de là passait par l’Urua, région où la sécurité avait pu

être assurée par des chefs suffisamment puissants. Des hommes

hardis s’y engagèrent et, poursuivant leur lancée, traversèrent tout le

continent. En 1852, cinq arabes, dont deux nouvellement arrivés de

Mascate, parvinrent ainsi à Bangwela après être passés par Udjidji, le

Marungu et Kazembe où ils avaient rencontré un commerçant

portugais qu’ils accompagnèrent dans son voyage de retour vers le

Bihé. A cette même époque, la traversée transcontinentale à peu

d’années de distance par deux groupes d’arabes aurait pu signifier le

début de communications directes d’un océan à l’autre. Il n’en fut

rien cependant. Ces premiers pionniers n’eurent pas de successeurs

chez leurs compatriotes, et cette même route qu’ils avaient suivie

43

entre Udjidji et Kazembe sera interrompue et perdra toute

importance.

-Une seconde voie était possible qui permettait d’éviter la

traversée du lac : descendre le lac dans sa longueur jusqu’au sud, puis

continuer vers l’ouest. Les équipages fournis par les Djidji facilitaient

cette entreprise, qui fut expérimentée. Elle n’en restait pas moins

hasardeuse. Couper le lac d’Udjidji à Mtowa ne présentait pas de

grandes difficultés car le trajet pouvait être couvert d’une seule traite

en une trentaine d’heures, mais pour aller au sud, il fallait dix à

quinze jours en retrouvant, vu la faible capacité des canots, les

mêmes handicaps que sur le lac Victoria.

Aussi la grande voie d’accès de Tabora vers Kazembe, puis

le Katanga ne passa-t-elle pas par Udjidji, mais se dirigeait

directement vers le sud du lac qu’elle contournait et dont elle resta le

seul accès par suite de l’impossibilité d’une route directe venant de

Kilwa. Le grand carrefour commercial du centre africain allait

toutefois perdre de l’intérêt pour les arabes. Les Nyamwezi ou

Bayeke (un peuple de la Tanzanie) tenaient de fortes positions le long

de la route qui y conduisait ; et lorsqu’un de leurs compatriotes se

tailla au Katanga un pouvoir indépendant, ils concentrèrent entre

leurs mains presque tout le commerce du cuivre. Ainsi, il fallait

désormais compter avec le rigoureux monopole que Msiri (un

Nyamwezi) imposait sur celui de l’ivoire.

L’on se souviendra que, lorsqu’au 19ème

siècle,

s’ouvrit le « scramble » des Puissances en Afrique centrale, le

Katanga est encore un « désert ». En ce moment, Katanga est le nom

d’un petit village ou de son chef qui, vers 1850, donna sa fille en

mariage à un jeune chef Yeke appelé tantôt Mushidi, tantôt Msidi,

tantôt Mchiri, resté célèbre sous son dernier nom de M’siri. Aussitôt

le mariage célébré, M’siri empoisonna son beau-père, vainquit ses

beaux-frères, obtint la succession du chef Panda, détruisit les

guerriers de Kazembe sur le Luapula, conquit les Baluba dans l’Urua

et se fit prêter serment de vassalité par des populations couvrant

l’immense territoire du bassin du Congo à celui du Zambèze.

L’empire de M’siri était donc né. Très vite, M’siri se révéla

autocrate. Son règne est celui de la force. D’être roi ne lui suffit pas ;

il se proclame dieu. Son armée est puissante, redoutable, et ses

44

gouverneurs lui sont totalement soumis. Il épouse d’ailleurs une sœur

ou fille de chaque gouverneur et se constitue ainsi un harem de

femmes. De cette façon, les femmes, il en totalise bientôt 700. C’est

alors qu’il organise un commerce intense avec l’Est et l’Ouest, avec

les Portugais de la côte occidentale, avec les Arabes de la côte

orientale. Son objectif est d’obtenir avant tout des armes et de la

poudre à canon. Les esclaves sont, bien entendu, le moyen habituel

de paiement. Enfin, c’est autour de M’siri que se concrétise la rivalité

belgo-britannique dans le sud-est du Congo. Son empire entre, de ce

fait, dans l’histoire du Congo et de sa métropole.

Ainsi donc, au regard de nombreuses relations, l’histoire de

l’Afrique Orientale et Centrale, durant la seconde moitié du 19ème

siècle, est dominée, avant tout, par l’invasion arabe et européenne.

Partant de l’île de Zanzibar, cette pénétration commerciale,

scientifique, missionnaire et politique visait en premier lieu les

grands lacs : Tanganyika, Victoria et Nyassa1.

L’Ouest du lac Tanganyika, notamment le Marungu, Mpala

et Mtoa - qui n’était à l’époque, qu’un repaire des fauves, une zone

de hauts plateaux et des marais boueux - fut aussi une région de

chasse gagnée au commerce des esclaves. Les marchants d’esclaves

fréquentaient la région où les jeunes gens et jeunes filles étaient

enlevés et vendus sur les marchés d’Afrique Orientale. Les vols des

femmes et des enfants en bas âge étaient des faits journaliers dans

* Professeur à l’Université de Lubumbashi (RDC). 1 A ce sujet, voir les détails dans les publications ci-après :

- RENAULT F., Lavigerie, l’esclave africain et l’Europe 1868-1892, Tome I,

l’Afrique Centrale, Ed. E. de Boccard, Paris, 1971 ;

- HADDAD A., L’arabe et le swahili dans la République du Zaïre, Etudes

islamiques, histoire et linguistique, SEDES, Paris, 18983 ;

- KISONGA, K. et NKUKU, K., « Notes sur la traite des esclaves et ses

conséquences dans la Zone de Moba », in LIKUNDOLI, VII (1987)2, pp.127-

142.

- MWENDANABABO, M., L’impact de la pénétration arabe dans la Zone de

Fizi (1858-1900), T.F.C., UNILU, 1987.

45

cette partie du Congo où le commerce de l’ivoire marchait de pair

avec celui des esclaves2.

2. L’expansion arabe en Afrique centrale et les aspects généraux

de la pénétration.

L’expansion arabe s’est réalisée de façons fort diverses et

suivant les conditions physiques et humaines des régions différentes.

Cependant, quelques traits fondamentaux communs la caractérisaient.

Elle ne fut pas une conquête territoriale, mais plutôt l’ouverture de

grands axes lesquels, en se prolongeant, se rejoignaient et tendaient à

former un réseau. Ainsi, par exemple, de Tabora à Kazembe, les

caravanes rejoignaient assez facilement celles de Nyassa.Tippo-Tip,

par exemple, une fois arrivé dans l’Utetela par le Sud du lac

Tanganyika, n’eut qu’à pousser un peu plus au Nord pour retrouver à

Nyangwe les traitants venus d’Udjidji. Ces différentes branches

formaient elles-mêmes des lignes de départ pour l’exploitation des

pays voisins suivant les possibilités offertes3. Un ensemble

d’agglomérations s’y trouvait finalement constitué, inégalement

dense, mais aux vastes proportions.

Des centres quasi permanents de résidence s’y répartissaient

de façon tout aussi inégale, mais importants par leur influence. Les

arabes y reconstituèrent tout naturellement les conditions de vie qui

étaient les leurs dans leurs pays d’origine en y intégrant plus ou

moins la population locale, comme à Udjidji où une hiérarchie

sociale s’édifia ainsi : au sommet, les vrais arabes et les commerçants

les plus importants, ensuite la classe moyenne formée par les Djidji

et les Ngwana, enfin les esclaves qui constituaient la plus grande

partie de la population. Ces derniers se répartissaient comme à

Zanzibar en esclaves proprement domestiques et en travailleurs de

plantations. Pour les harems, on recherchait particulièrement les

2 ANTOINE N., « Notice historique sur le V.A. de Baudouinville », in LOVANIA, 8

(1945), pp. 9-32. 3 Certains pays se fermaient rigoureusement à toute pénétration, comme le Rwanda,

d’autres s’y ouvraient mais en se plaçant sur un pied d’égalité comme les Yaho ;

d’autres étaient soumis et payaient tribut comme au Congo.

46

femmes ganda et maniema en raison de leur complexion, car c’était

le personnel de « luxe » de l’intérieur. Et dans les maisons, gravitait

autour du maître tout un cercle de gens de confiance venus de la côte,

ou distingués sur place parmi les hommes achetés et donnés comme

volontaires.

L’impression d’ensemble laissée par ces centres arabes en

tenant compte des relations nouées avec les chefs locaux, est celle

d’une implantation se superposant aux structures africaines

traditionnelles et sachant en même temps s’y intégrer.

Il faut noter que la pénétration arabe ne se réalisa pas par

déplacement des masses humaines comme les populations de

Kalemie venues de l’Est , comme les migrations des Ngoni venus du

Sud ou les invasions des Cokwe venus de l’Ouest et la formation du

Royaume de Msiri avec les Yeke, qui ne constituèrent de nouvelles

positions qu’en abandonnant les précédentes. Elle ne se basa pas non

plus systématiquement sur la violence.

Bien sûr, l’usage de la force brutale chez les arabes n’a pas

manqué, mais on y trouvait une part assez large d’une certaine

autonomie et partant, d’une certaine diplomatie. En fait, les ententes

conclues avec les chefs locaux aboutissaient bien souvent à des

actions guerrières. Cependant, à considérer l’ensemble des zones

qu’ils ont pénétrées, on remarque chez les arabes une grande

souplesse dans les moyens employés. Ils ont su s’introduire dans des

régions très diverses, physiquement (la grande forêt équatoriale aussi

bien que la savane tropicale) et humainement (états puissants ou

groupes inorganisés). Ils ont fait preuve à la fois de ténacité et d’une

aisance dans l’adaptation. Il s’agissait plutôt d’un accroissement de

leur aire d’opérations et ce phénomène amorcé au début du 19ème

siècle, se poursuivait de façon active lorsque les européens vinrent

l’interrompre. En fait, les arabes n’ont pénétré en Afrique centrale

que dans un but commercial où leur influence se fit sentir

remarquablement par la création de certaines richesses, outre les

échanges commerciaux, comme nous le verrons dans la suite.

Cet aspect est caractéristique de leur présence jusqu’au

moment où la menace européenne provoquera un raidissement de

leur part. Cela ne veut pas dire cependant que leur influence se soit

limitée à ce domaine, car l’exploitation commerciale se trouvait, en

47

fait, liée à des activités de nature différente : politique, colonisatrice

et surtout religieuse où en certains cas, une action directe de

conversion était entreprise. Toutefois, les arabes n’avaient pas besoin

d’imposer leur religion. Un contact permanant et prolongé avec eux

la rendait attirante à bien d’africains comme marquant le passage à

un stade supérieur de civilisation, même s’il se limitait à quelques

pratiques extérieures. D’autant plus que cette religion était

facilement accessible puisque les arabes et les africains avaient bien

des points communs dans leur style de vie et la structure sociale.

3. La pénétration et le système d’implantation

Après la consolidation des positions des arabes sur la côte

orientale et le début de leurs incursions à l’intérieur, certaines

populations africaines entrèrent vite en contact avec eux et élargirent

leurs relations commerciales. Ce fut le cas des Bashaga et des

Bakamba au Kilimandjaro, des Nyamwezi et des Wasumba de

Tanzanie4. Les arabes se contentèrent de se rendre eux-mêmes vers

l’intérieur du continent à la recherche surtout de l’ivoire. Au début,

ils suivaient les sentiers battus par les Nyamwezi, pour se limiter à

Isanga, localité située juste au milieu du pays de Bagamoyo (côte de

l’Océan Indien) Karema (Lac Tanganyika). C’est vers 1850 qu’ils

entreprirent de fonder une colonie importante à l’endroit qui devra

s’appeler quelques années plus tard Tabora. De cette localité, partait

une route qui conduisait jusqu’au Buganda où un arabe, un certain

IBRAHIM, serait arrivé en 18445.

Une autre route partait de Tabora vers le lac Tanganyika en

passant par Udjidji et c’est celle-ci qui permettait d’atteindre le

Congo soit part la traversée du lac, soit alors par la voie passant par

le Buha, le Burundi et qui atteignait Uvira, point de transit vers le

Maniema, l’Urua et le Bubembe.6 Deux Swahili, dont les noms ne

sont pas livrés, visitèrent Udjidji pour la toute première fois en 1840,

4 KALUNGWE, M., Les Babwile du lac Moëro. Essai d’histoire politique

précoloniale, Mémoire de licence, UNAZA, L’shi, 1974, p. 61. 5 RENAULT F., Op. cit. T1, pp. 39-50. 6 MWENDANABABO, M., Op. cit., pp. 14-15.

48

alors qu’un centre important s’y établissait avec comme chef reconnu

MWENYI HERI. D’Udjidji, deux voies importantes et différentes

touchaient le Sud-est du Congo.7 La première traversait le lac

Tanganyika jusqu’à Mpala et de là passait dans l’Urua. De l’Urua, on

pouvait facilement atteindre les terres de Mwant Kazembe.

La seconde voie était lacustre avec des pirogues ou des

voiliers qui descendaient le lac dans sa longueur jusqu’au Sud ; de là,

on pouvait contourner vers l’Ouest et rejoindre les routes

commerciales de l’Urua.

Ce fut d’abord la recherche de l’ivoire qui attira les

trafiquants arabisés vers l’intérieur du continent. Par la suite, le seul

commerce de l’ivoire s’étant avéré insuffisant, il sera complété par le

trafic d’hommes. Il convient de noter que le commerce d’ivoire était

plus rentable, car celui des esclaves occasionnait tout au long du

parcours, de fortes pertes. Ceci alourdissait les conditions de trafic,

alors que l’ivoire pouvait être indéfiniment conservé. Néanmoins,

l’esclave, comme le fait ressortir RENAULT, offrait bien d’autres

avantages8. Il était un parfait moyen de transport qui pouvait porter

de lourds fardeaux, de l’intérieur du continent jusqu’à la côte. Il était

aussi une marchandise fort appréciée, car, même si son prix de vente

à la côte ne dépassait pas son prix d’achat à l’intérieur du continent,

il rapportait plus au traitant arabe ou arabisé qui l’avait utilisé au

départ comme moyen de transport et qui était sûr de l’écouler

facilement auprès des planteurs de Zanzibar. En définitive, la traite

du « bois d’ébène » était donc aussi rentable que celle de l’ivoire.

C’était là les deux denrées qu’on ne pouvait pas séparer, car elles se

complétaient selon la formule « l’esclave portant l’ivoire et l’ivoire

créant l’esclave ».

Au départ, les traitants se procuraient les esclaves grâce au

concours des populations autochtones chez lesquelles l’esclavage

existait déjà. Par la suite, la demande de cette « denrée » étant

devenue de plus en plus croissante, ils procédaient par des razzias

systématiques au cours desquelles des femmes, des hommes et

même des enfants étaient enlevés. Comme nous l’avons dit ci-haut,

7 RENAULT F., Op. cit., pp. 39-50. 8 Idem, pp. 323-324.

49

dans les régions où il y avait de l’ivoire en abondance, les traitants

recouraient au système des razzias afin d’avoir des porteurs qui

pouvaient faire arriver la marchandise vers les marchés situés à la

côte.

L’esclavage, c’est-à-dire, la possession d’êtres humains en

propriété privée, a existé en Afrique comme dans d’autres coins du

monde depuis des temps immémoriaux. A ses premiers temps, il s’est

agi d’un phénomène relativement mineur, limité, et, peut-être,

logique. Mais l’esclavage, comme trafic des muscles humains, est un

phénomène lucratif, nouveau, imaginé par l’esprit mercantiliste et

impérialiste de l’Occident. Rappelons que ce commerce allait de

l’Europe vers l’Amérique via l’Afrique. Ce qui lui a valu le nom de

« commerce triangulaire ». C’est dans ce circuit qu’est né le

commerce des esclaves noirs pratiqué à grande échelle par les arabes

et arabisés à la côte Est de l’Afrique, au centre et à travers le Sahara.

Le principe de départ était le suivant : si le coran interdit aux

musulmans de réduire en esclaves d’autres musulmans, il n’interdit

cependant pas l’esclavage ; il permet de l’imposer à ceux qui

s’opposent à la foi islamique. Ainsi, l’esclavage a-t-il toujours été

pratiqué dans les territoires pénétrés par les arabes. Notons que les

arabes et les chefs arabisés travaillaient pour leur propre compte (et

non pour celui de la religion), se livrant couramment à des razzias

dans les régions visitées et amenant en captivités les personnes qu’ils

pouvaient prendre vivantes.

Les premiers arrivés dans le Marungu furent les arabes et

arabisés appelés Wangwana. Ils venaient de Zanzibar où ils avaient

auparavant entrepris des plantations de girofliers qui exigeaient une

main-d’œuvre abondance. Ils arrivèrent vers 1845 au bord du lac

Tanganyika où ils évitèrent, au début, d’effaroucher les populations

établies sur les côtes. Ils avaient tout simplement besoin d’elles pour

la garde de leurs embarcations, de leurs dépôts des marchandises et

de leurs cargaisons d’esclaves. Ils leur remettaient, en échange du

service rendu, des articles de traite : savons, allumettes, assiettes

émaillées, étoffes, perles ou leurs imitations en faïence. C’est ainsi

50

qu’à Lubanda (Mpala), le Cheik Saïd Ben Habib et, plus tard, Djuma

Mérikani, protégèrent les chefs de la dynastie Mpala de 1869 à 18809.

4. Les rapines et le marché intérieur.

La recherche de l’ivoire et des esclaves a conduit à la

naissance des marchés intérieurs situés dans les différentes zones

gagnées au commerce arabe. L’élargissement de ces marchés a abouti

à la création des centres de négoce d’où partaient les caravanes vers

les zones de chasse ou d’échanges. Dans ces zones se trouvaient des

traitants permanents qui contrôlaient la chasse et les échanges avec

les autochtones.

Ils organisaient aussi le départ des caravanes vers la côte et

ne se transformaient pas en autorités politiques même s’ils exerçaient

une influence sur les chefs locaux devenus leurs complices.

L’autorité politique arabe ou arabisée s’est installée uniquement dans

les régions d’occupation comme le Maniema, avec Tippo-Tip, plus

tard, comme nous le verrons dans la suite, dans le Litabwa où le

même Tippo-Tip avait eu maille à partir avec le grand chef Tabwa,

Nsama, en 1867.

Les arabes avaient déjà atteint cette zone de forêt lorsqu’ils

traversèrent le lac Tanganyika, après 1840, pour s’établir dans

l’Uguha, au Nord de l’Urua ; mais ils s’étaient détournés quelques

instants après vers le Sud pour se diriger sur Kazembe, tentative qui

n’aura pas cependant fait long feu. Jusqu’alors, ils avaient parcouru

des pays de steppes ou de savanes qui offraient des possibilités

relativement aisées de déplacement, où les habitants avaient pris

l’habitude de voir les étrangers venir chez eux. La grande forêt

présentait, par contre, un tout autre milieu : maints obstacles

s’opposaient à la circulation, surtout celle des caravanes, et les

populations y vivaient dans un isolement qui ne les avait pas

préparées à accueillir de nouveaux venus. Toutefois, certains

avantages contrebalançaient ces difficultés. En effet, à travers la

forêt, le fleuve (Congo) formait une magnifique voie de passage,

9 NAGANT G., et alii, Mpala-Lubanda, la première communauté chrétienne du

diocèse de Kalemie-Kirungu (1885-1985), L’shi, 1987 et Kin, 1988.

51

pour la simple raison que les populations, faute d’avoir pu constituer

de grands Etats centralisés, étaient émiettées en groupes réduits,

lesquels le plus souvent, devaient se trouver en situation d’infériorité

vis-à-vis des traitants organisés et nombreux. Là, ces derniers

n’allaient avoir à compter avec aucune autorité locale gênante. Ils

pouvaient ainsi être des maîtres absolus, de sorte que ce fut

paradoxalement dans ce milieu tout naturellement hostile et ouvert

très tardivement qu’ils exercèrent, en définitive, l’action la plus

dévastatrice.

A l’époque, la partie Sud-ouest du la Tanganyika, qui

couvraient la presque totalité des Territoires actuels de Moba et de

Kalemie, était aussi une zone de chasse par excellence, gagnée au

commerce arabe. Les traitants arabes et arabisés fréquentaient

régulièrement cette région où les jeunes gens et jeunes filles étaient

enlevés et vendus comme esclaves sur les marchés d’Afrique

Orientale. Dans cette région, le rapt des femmes et des enfants étaient

des faits journaliers, le commerce de l’ivoire et celui des esclaves y

allant de pair.10

Stefano KAOZE, premier Prêtre congolais ordonné peu après

l’installation du pouvoir colonial (en 1917) a, dans ses nombreux

écrits, situé la pénétration arabe dans cette partie du pays et décrit le

commerce des esclaves ainsi que ses conséquences, plus

particulièrement dans le Marungu. En effet, la proximité du Marungu

de la région des populations qui se livraient au trafic à longue

distance, notamment les Nyamwezi, a joué un rôle déterminant dans

les incursions négrières sur la contrée. Les postes de Karema et de

Kirando, tous deux en face du Marungu (Moba) d’une part, et le

poste de Kigoma en face de Mtoa (Kalemie) d’autre part, déversaient

sur le lac Tanganyika, des bandes de chercheurs d’esclaves qui, à la

faveur du vent qui souffle de l’Est à l’Ouest durant le jour (le

Karema) et dans le sens inverse durant la nuit (le Lubangwe),

traversaient assez facilement le lac, razziaient le Marungu et Mtoa et

repartaient la nuit avec le butin. A Moba, les villages de Mpala (au

Nord) et de Kapampa (au Sud) respectivement en face de Karema et

10 ANTOINE N., « Notice historique sur le Vicariat Apostolique de Baudouinville »,

in LOVANIA, 8(1945), pp.9-32.

52

de Kirando, servaient de points de pénétration vers l’intérieur de la

région, car c’est ici que venaient s’entasser les navires des marchands

d’hommes avant de repartir nuitamment.

Il convient, toutefois, de remarquer que la proximité peut

avoir signifié peu de chose devant la présence au Marungu, de

denrées très recherchées à l’époque, à savoir, l’ivoire et l’esclave. Les

hordes d’éléphants n’étaient pas à rechercher. Elles fréquentaient les

cours d’eau de tout l’arrière-pays du Marungu, qui déversent les eaux

dans le lac. Ces éléphants étaient surtout nombreux dans les actuelles

collectivités de Kansabala, Kayabala et Nganie ; et les Nyamwezi,

qui fréquentaient le Marungu, se livraient tout particulièrement à la

chasse de ces herbivores.

Naturellement, les hommes n’y manquaient pas, car le

Marungu semble avoir été très peuplé à cette époque, s’il faut s’en

tenir aux déclarations de nombreux voyageurs qui ont eu à traverser

la région, tels que BECKER, LIVINGSTONE, STANLEY.11

Ces

déclarations ne peuvent cependant pas donner lieu à des estimations

qui conduiraient inutilement à des erreurs d’appréciation. Ce qu’il

faut retenir tout de même est que, à Zanzibar, on recherchait

beaucoup les gens de Marungu, parce que, disait-on, ces esclaves

étaient réputés excellents ouvriers pour les travaux des champs et très

dociles à leurs maîtres.

Aussi, dans cette singulière entreprise vers l’intérieur du

continent, les arabes bénéficiaient du concours très efficace des

« Wangwana » et des « Ruga-ruga » qui étaient leurs fidèles

collaborateurs.

Le terme « Ruga-ruga » désignait en bloc les mercenaires

recrutés pour une action armée (la chasse ou la guerre) et les brigands

occasionnels qui opéraient par groupes très réduits de quatre à cinq

individus. Le plus souvent ces mercenaires étaient des éléments

enlevés de leur milieu à la suite des guerres ou des razzias. Des

razzias, il y en avait fréquemment entre le Tanganyika et le Nyassa. Il

11 BECKER J., La vie en Afrique, T1 et T2, Ed. Lebègue, Bruxelles, 1887 ;

LIVINGSTONE D., Dernier journal, T2, Hachette, Paris, 1878 ; STANLEY, H.M.,

A travers le continent noir, T2, Hachette, Paris, 1870.

53

s‘agissait aussi des fuyards rescapés des raids des Ngoni et des

Babemba.12

Quant aux « Wangwana » - hommes civilisés, en swahili -

c’étaient d’abord des habitants de la côte qui exerçaient le commerce

à leur propre compte ou à celui des arabes. Au fil du temps, le terme

a pris l’habitude de désigner indistinctement les habitants de la côte,

les gens de l’intérieur et les esclaves qui étaient associés de plus près

aux affaires du Maître. Ils se voyaient confier la direction des

caravanes, la garde des entrepôts et la charge d’entreprises

commerciales connexes. Dans le cas des chefs remarquables comme

Tippo-Tip et Rumaliza, ce furent également ces Wangwana qui

s’occupaient du prélèvement du tribut chez les populations soumises.

Le vocable désignait anormalement aussi d’anciens esclaves

affranchis ou de petits trafiquants qui, de concert avec quelques chefs

locaux, se lançaient à leur propre profit. Ils razziaient pour la plupart

de temps, dans les contrées jugées peu propices par les grands

opérateurs.

Disons, en substance, un mot sur les personnages de Tippo-

Tip et de Rumaliza qui furent les têtes de file de ce trafic.

Hamed Ben Mohammed el-Murjebi, dit Tippo-Tip13

fut un

métis, descendant d’une famille de commerçants arabes originaires

de Mascate (Golfe Persique) établie sur la côte en face de Zanzibar.

Rajab Ben Mohammed Ben Saïd el-Murjebi, arrière-grand-père de

Tippo-Tip, est la toute première branche généalogique avec son

épouse, elle, une afro-arabe nommée Mwana-arabu (fille de l’arabe,

ce qui n’est pas à confondre avec Mwana-haramu : bâtard, non

civilisé, allusion faite aux esclaves), issue d’une africaine et d’un

arabe. Tippo-Tip serait né de l’union entre Bint Habit Ben Bushir el-

Wardi (originaire de Mascate) et Mohammed Ben Juma dont le père

12 KALUNGWE, M., Op. cit., p.63. 13 Hamed Ben Mohammed el-Murjebi avait été surnommé Tippo-Tip par les

Africains qui s’étaient enfuis à Pulungu. L’interprétation de ce surnom est aussi

diverse que sa graphie (Tippo-Tip, Tippo-Tipo, Tippu-Tipu, etc.). Selon lui-même,

son nouveau nom africain n’était qu’une onomatopée imitant le bruit des balles de

ses fusils. D’autres y voient une référence à un tic de Tippo-Tip, à savoir, un

continuel clignement des yeux.

54

Juma Ben Rajab conduisait déjà des caravanes dans la région du

Tanganyika.

Beaucoup d’auteurs ne s’accordent pas sur le lieu et la date

de naissance de Tippo-Tip. A.SMITH situe l’année de la naissance

de Tippo-Tip en 1840, alors que H. WISSMANN, E. TRIVIER et

W.H. BENTLEY le font naître en 1837.14

Par ailleurs, d’après les

dernières recherches réalisées par F. Bontinck, les déclarations du

père de Tippo-Tip et celles de Tippo-Tip lui-même coïncident sur son

âge. En effet, le premier affirme avoir voyagé avec son fils en 1858

et le second déclare avoir accompagné son père en voyage quand il

atteignit l’âge de 18 ans. Il est ainsi plus probable qu’il soit né en

1840.15

Quant au lieu de naissance, il est situé tantôt sur la côte

(Mrima) à Mbwamaji, près de Bagamoyo, tantôt à Kwarara, un

village de l’île de Zanzibar, situé près de la ville de Zanzibar.

Au Congo, le potentat s’était établi au Maniema où il

jouissait d’une certaine notoriété, non seulement sur tout le territoire

soumis à son autorité, mais encore sur toutes les peuplades des

contrées environnantes qui le savaient redoutable.

Mohammed Ben Khalfan dit Rumaliza était né près de Lindi

vers 1850 d’une famille originaire d’Oman. L’ordre « Maliza »

(achève !) qu’il donnait en toutes occasions : expéditions guerrières,

soumission des chefs vaincus, etc., lui fit gagner son surnom de

Rumaliza, celui qui achève.16

A partir d’Udjidji où il s’était installé,

il assura et étendit son pouvoir. Dans ce qui devint en pratique sa

capitale, les habitants durent lui payer tribut, système normal d’une

évolution qui tendait à renverser les rapports entre les arabes et les

anciens monarques du pays. Mais cet autre potentat ne résidait

qu’assez périodiquement dans ce qu’il conviendrait d’appeler son

fief. Il passait la bonne partie de son temps en inspection dans ses

domaines d’outre-lac, conduisant des expéditions lointaines,

notamment dans ses possessions d’Ubwari et de Masanze. Dans ces

14 BONTINCK F., L’autobiographie de Hamed Ben Mohammed el-Murjebi, Tippo-

Tip (Ca 1840-1900), ARSOM, Bruxelles, 1974, p. 49. 15 Ibidem 16 Idem, p. 223.

55

régions, il s’adonnait à diverses activités, essentiellement les

exigences de livraisons d’ivoire de la part des chefs, les réquisitions

pour des corvées diverses au service des Wangwana, et lorsque les

hommes optaient pour la fuite, femmes, enfants, jeunes et vieux

étaient saisis et détenus jusqu’à ce qu’ils revinssent.

Notons qu’avant 1840, les razzias étaient l’œuvre sporadique

des ressortissants Sumbwa et Nyamwezi ; c’est vers 1867 surtout

qu’on remarque la présence de Tippo-Tip dans la région suite à son

éclatante victoire sur le grand chef tabwa Nsama dont nous avons

parlé au début.

Après 1880, le Marungu était devenu un champ de

concurrence intense entre négriers, car Tippo-Tip cessait d’être le

seul maître sur terrain. Cette intensification était sans doute

consécutive aux ambitions d’autres trafiquants, notamment un certain

Juma Ben Salen, dit Mérikani, à cause, certainement de la cotonnade

américaine qu’il trafiquait souvent et, surtout, Rumaliza qui cherchait

à monopoliser les régions riveraines du lac Tanganyika, après avoir

envahi toute la région de Rubembe, où il opérait à partir d’Udjidji.

Les Wangwana à son service descendaient le long du lac Tanganyika,

à la recherche non seulement de l’ivoire, mais aussi des esclaves.

C’étaient surtout les hommes achetés par ce groupe qui étaient

acheminés dans les ports de d’Ubwari et de Baraka, avant d’être

conduits à Udjidji où Mohammed Ben Khalfan, dit Rumaliza,

s’occupait lui-même de la commercialisation.

Dans la suite, en 1881, Matimula, qui s’était réfugié au

Marungu refoulé par Mirambo à l’Est du lac, s’était avéré grand

chasseur d’éléphants dans la région où il disposait d’une troupe

armée de centaines de fusils. Il resta huit ans dans la région, exerçant

sans la moindre inquiétude, son métier : la chasse à l’éléphant et aux

hommes pour le transport de l’ivoire. Enfin, les hommes au service

de Mwenyi Heri (un potentat d’Udjidji), les traitants de Karema et de

Kirando, ainsi que les autochtones eux-mêmes, pratiquaient les

razzias hors de leurs contrées.

Le reste des habitants allaient se cacher dans la forêt afin de

se soustraire aux exactions dont ils étaient victimes de la part de leurs

propres frères et de leurs partenaires arabisés. Les évaluations en

proportions présentées par les voyageurs situent entre 5 et 10 le

56

nombre des vies humaines supprimées pour un esclave parvenu à

destination.

5. L’exportation des esclaves

L’esclave ayant été un objet d’achat et de vente, la

connaissance précise de ce trafic aurait exigé, semble-t-il, les mêmes

éléments de base que toute étude commerciale : des relevés

suffisamment complets des prix et du « volume » des échanges. En

ce qui concerne les prix, les renseignements que nous pouvons

recueillir de différentes sources sont très dispersés et leur utilisation

assez délicate. Sur la côte, avaient cours légal, les monnaies de type

européen, mais leur convertibilité n’était pas toujours sûre. A

l’intérieur du continent, l’incertitude était encore beaucoup plus

grande.

Cependant, ce qui est utile pour notre étude, c’est de dégager

sommairement sans doute, le « profit » tiré de ce commerce. Le

Consul britannique à Zanzibar, Monsieur ELTON, affirme que sur la

côte portugaise, il rapportait 300 à 400%, alors que le commerce

légitime ne fournissait qu’un profit de 25 ou 30% au plus, quoique

les statistiques fassent défaut pour corroborer cette affirmation.17

Sur

la côte zanzibarite par contre, des comparaisons chiffrées ont été

faites par rapport à l’intérieur du continent. Le capitaine COLOMB,

se basant sur le témoignage fait au Select Commitee de 1871,

établissait le calcul ci-après : un enfant pouvait être acheté au centre

de l’Afrique à dix pence (= 1 franc). Les pertes des caravanes, la

nourriture, la douane, etc., faisaient monter le prix de revient à

Zanzibar à 7 dollars,auxquels il fallait ajouter 5 dollars

d’amortissement pour l’équipement de la caravane et le travail fourni,

soit 12 dollars en tout. Or cet esclave était vendu 20 dollars (=110

francs). Ce qui laissait un bénéfice considérable.18

17 Rapport de Mr ELTON au Foreign Office, 5 janvier 1876, F.O. 514/42-46/1876, p.

140 18 COLOMB (capit.), Slave-catching in the Indian Ocean, Londres, 1873, p. 55.

57

Par ailleurs, le prix d’achat parait excessivement bas. Le

Consul RIBBY, vers 1860, l’estimait à 1,5 dollar, soit 2,75 francs19

,

et le capitaine GUILLAIN en 1848 donnait le chiffre de 5 à 7 piatris,

soit, 25 à 35 francs.20

Même en tenant compte de la baisse des prix à partir de

1860, la différence d’appréciation est très forte et on ne peut que la

constater car ces esclaves étaient achetés dans l’intérieur de

l’Afrique centrale, termes trop vagues cependant, puisque ne tenant

pas compte de la diversité des régions et de leur éloignement de la

côte. En outre, le prix de vente à Zanzibar semble exagéré. Présenté

comme moyenne, il n’était, en réalité, qu’un maximum atteint

rarement.

Au contraire, LIVINGSTONE qui parcourait les régions de

Nyassa où la traite d’esclaves était la plus active, affirmait que le

profit était faible pour les trafiquants. Malheureusement, dans ses

écrits, s’il indique 7 $ (soit 38 francs) comme prix d’un enfant à

Zanzibar, en 1866, il ne fournit aucun point de comparaison avec

l’intérieur.21

Pour le trouver, il faut s’étendre sur la période durant

laquelle les Européens résidant en diverses régions ussent donner des

renseignements chiffrés. Leur apparente précision ne doit cependant

pas nous tromper, car ils paraissent plus aléatoires qu’à Zanzibar.

Lorsqu’il s’agissait, en effet, d’esclaves rachetés par les

missionnaires, ou proposés par les arabes, ceux-ci devaient les coter

plus chers, car les Européens passaient facilement en Afrique, et il est

vrai, pour des gens d’une richesse à peu-près inépuisable. C’est ainsi

qu’à Kilwa, des esclaves qui valaient 5 $ étaient facilement vendus

30 ou 40 $ aux Français de l’Ile de la Réunion qui les achetaient

comme « libres engagés ».

Une autre source de difficulté se trouve dans la pratique du

troc. Beaucoup de prix sont exprimés en « doti », pièce d’étoffe, dont

la valeur variait suivant la qualité (qui n’est malheureusement pas

19 RUSSELL C., General Ribby, Zanzibar and the slave trade, Londres, 1860, p. 131. 20 GUILLAIN H., Documents sur l’histoire, la géographie et le commerce de

l’Afrique Orientale, 2ème partie, TII, 1848, p.305. 21 LIVINGSTONE D., The last Journals of David Livingstone in Central Africa,

from 1805 to his death, continued by Horace, Vol. I, Londres, 1872, p. 107.

58

souvent indiquée) et suivant le lieu : de plus en plus cher à mesure

que l’on s’éloignait de la côte, le « doti » valait en moyenne 2,5 à 3

francs à Tabora, 4 francs au Sud du Victoria-Nyassa et 5 francs sur le

Tanganyika, mais une interruption dans les arrivages pouvait

facilement doubler ces chiffres.

Les trafiquants, en parcourant les régions, se livraient aux

pillages, lesquels étaient facilités par les rivalités claniques. Durant

leurs nombreux voyages, ils éprouvaient la nécessité d’augmenter

leurs marchandises et par conséquent, grossir leurs colonnes de

porteurs. Les rapts d’hommes s’accompagnaient donc de tueries,

d’incendies des villages et de destructions des plantations. Par leurs

conséquences néfastes, ces violences affectèrent très profondément

les sociétés de l’Est de la République Démocratique du Congo.

6. Les Conséquences de la traite des esclaves

Le récit de Stefano KAOZE circonscrit les conséquences de

l’époque arabe qu’il considère comme étant celle qui a le plus

apporté malheur et désolation au sein de la population congolaise.

Pour lui, loin de se limiter au seul commerce de l’ivoire, les arabes et

leurs auxiliaires s’étaient livrés au trafic honteux des hommes, et leur

présence a, à coup sûr, accentué la dépopulation de tout l’Est du

pays, à la suite des maladies et autres épidémies qu’ils avaient

ramenées de la côte; et ce sans compter les nombreux sévices dont

les populations ont été victimes.

Parler des conséquences des rapines négrières revient, tout

naturellement, à analyser le commerce des esclaves lui-même, en

envisageant les retombées de toutes les considérations quantitatives

et qualitatives de la traite des esclaves dans la région, dans tous les

aspects : politique, démographique, économique, culturel et social.

Les conséquences politiques

Les rapines négrières ont eu, pour effet direct, le

morcellement du pouvoir politique caractérisé par l’ébranlement des

chefferies. En effet, dans cette partie du pays, l’organisation politique

59

fut dominée, à l’époque, par le système clanique. Un clan formait une

entité socio-politique. Il était composé d’une constellation de familles

étendues regroupées par la suite en lignages. La participation au

pouvoir hiérarchisait ces subdivisions. A la tête du clan se plaçait un

chef de la famille traditionnellement dirigeante.

Non seulement chaque clan possédait son terroir, mais aussi,

au sein du clan, chaque groupement avait son lopin de terre. Le

caractère politique d’un clan ou des chefs n’était reconnu qu’en

fonction de la mainmise qu’ils détenaient sur leurs territoires. Cette

équation entre le pouvoir politique et le contrôle d’une terre sous-

tendait toutes les réactions politiques qui s’en étaient suivies.

A l’arrivée des Arabes donc, les rivalités claniques mêlées à

leurs menées ébranlèrent trop fortement les structures traditionnelles,

avec comme résultat majeur la scission des clans et des chefferies.

L’emplacement géographique de ces dernières, aide à

comprendre aisément cette situation. Le clan des Tusanga s’étendait

du Sud du mont Murumbi(Luilingilingi) au bassin de la Lukuga. Le

chef Tumbwe Kisompo22

gouvernait le Nord. Le chef Kansabala et le

chef Mwindi se partageaient le centre. Le clan Bazimba habitait

traditionnellement la région méridionale du territoire de Moba. Et les

chefs de la dynastie Nsama détenaient le pouvoir. Il existait par

ailleurs des enclaves du clan Bazimba sur le territoire du clan des

Tusanga.

Le clan des Baanza dominait la bordure occidentale du

Territoire de Moba. D’autres groupuscules à dimensions diverses du

reste des clans tels que les clans des Tumanya, des Bakwa-Kyomba,

des Bena-Mumba étaient disséminés à travers le Territoire.

Vers 1880, deux clans étaient en pleine lutte : le clan des

Bazimba et le clan des Tusanga. La position géographique enclavée

du clan des Bazimba centraux constituait un facteur qui incitait ces

derniers à l’expansion. Le clan des Bazimba qui dominait déjà le Sud

avait juré de soumettre tout le territoire depuis le Tanganyika

jusqu’aux frontières de l’Urua. Ses guerriers avaient parcouru tout le

22 Pour SCHMITZ, H., il s’agit de TUMBWE KITALA, cfr les Baholoholo, Ed.

Dewit, Bruxelles, 1912, p. 551 ; pour VERHULPEN, E., de KAYA TEMPE, cfr

Baluba et Balubaïsés du Katanga, Anvers, 1936, Annexe II.

60

Marungu.

23 Les raids de cette entité étaient entretenus par les chefs

du clan des Tusanga tels Mazonde et Lusinga, après de violentes

batailles. Mais les Arabes donnèrent une autre tournure aux

conquêtes du clan des Bazimba qui, forts de l’aide de ce Arabes,

menèrent des campagnes plus victorieuses qu’auparavant.

Les rivalités claniques entremêlées des razzias et de

chercheurs d’esclaves entraînèrent la désintégration des forces dans

tous les clans. Le chef Tumbwe du clan des Tusanga ne parvenait

plus à garder l’unité politique de ses administrés. Et lorsqu’au Nord,

il luttait contre les traitants arabisés, ses subalternes Kaengele et

Kalonda collaboraient avec eux. Au Sud l’autonomie Tabwa avait été

brisée depuis 1867 par Tippo-Tip.

Par ailleurs, appuyés par les Arabes et à la faveur du

morcellement politique, une génération des chefs sans assises

politiques apparut. Cependant ces chefs, de véritables trafiquants, ne

cherchaient qu’à profiter des troubles pour mener leurs activités

commerciales. Ils disparaissaient aussitôt enrichis.

Les clans et, partant, les chefferies, se scindèrent. Une partie

du clan des Baanza a su garder son autonomie politique et a

constitué la base d’une circonscription cohérente de la famille

Mitenge. Mais les Nganie, chefs luba, s’ingéniaient toujours à ravir le

pouvoir aux chefs du clan des Baanza les plus rapprochés d’eux. En

même temps, dans le clan des Bazimba, les uns refusaient de

reconnaître l’autorité des chefs d’origine étrangère. La lutte se

poursuivait. Les autres s’étaient placés sous la protection des chefs de

lignage. Ces derniers, tel que Katele, soutenus par les Wangwana et

les Ruga-Ruga, se croyaient assez puissants pour s’imposer en

maîtres dans la région. Le clan des Tusanga se scindait également.

L’expansion des lanières territoriales du clan des Bazimba l’avait

divisé géographiquement. Ses membres se rassemblèrent en

communauté sous l’égide des chefs qui s’étaient distingués dans des

luttes hégémoniques, tels que Mazonde et Mwindi. En résumé, à tous

les niveaux des clans, le pouvoir se morcelait.

23 ROELENS, V., (Mgr), Notre vieux Congo 1891-1917, T1, Ed. Grands Lacs,

Namur, 1948, p.148

61

Les conséquences démographiques

La traite a considérablement décimé la population au

Tanganyika. On estime qu’à cette époque, 30 à 35 mille vies

humaines au moins étaient sacrifiées annuellement dans cette région.

Le Tanganyika à lui seul perdait ainsi des milliers d’hommes valides,

car, les négriers, comme on le sait, triaient leurs captures. Comme

nous l’avons dit, ne chose demeure certaine : à Zanzibar, on

recherchait beaucoup les gens du Tanganyika, parce que ces esclaves,

disait-on, étaient réputés meilleurs ouvriers des champs et plus

soumis à leurs maîtres. Alors qu’au Maniema on recherchait surtout

les femmes pour leur complexion. Au demeurant, les considérations

qualitatives et quantitatives étant faites, le reste de la population (les

vieillards et les enfants) ne pouvaient donner dans l’immédiat le

meilleur rendement quant à la reproduction des espèces humaines.

Une autre raison découle de l’emplacement géographique du

Royaume de Kazembe. Ce Royaume, grand centre commercial à

l’époque, se situait à cheval sur le Luapula. De l’Afrique Orientale,

deux possibilités d’accès se présentaient. Le contour par le Sud du lac

Tanganyika, traversant ainsi la région de Marungu. Ou bien, encore,

après avoir traversé le lac, à la hauteur de Mtowa, l’on partait vers le

Royaume de Kazembe, en empruntant la direction Sud-ouest.

Les trafiquants, en traversant les régions, se livraient aux

pillages. Durant leurs multiples va-et vient, ils éprouvaient le besoin

de renforcer leurs marchandises humaines ou de grossir le nombre de

leurs porteurs. Les rapts d’hommes eux-mêmes s’accompagnaient de

tueries et d’incendies de villages, ainsi que de destructions méchantes

des plantations.

Ainsi donc, dans cette région du Tanganyika, où les Arabes

et Arabisés constituaient une force considérable d’occupation, leur

présence a contribué à la régression démographique notamment avec

la traite des esclaves et ses corollaires, étant donné que la traite dans

cette région était suivie par un cortège de fléaux tels que les maladies

diarrhéiques, les maladies vénériennes, la trypanosomiase, les lésions

causées par les chiques, la famine, etc.

Tippo-Tip, dans son autobiographie, raconte que lors de son

premier voyage à Ugogo, lui et sa suite, avaient été attient par le

62

choléra. En somme, ils étaient atteints par une épidémie qu’il appelle

« maradhi ya tauni ». En swahili « maradhi » signifiant maladie et

« tauni » la peste. Il s’agit tout simplement ici de l’épidémie de

choléra. En effet, l’épidémie s’était déclarée à Zanzibar déjà en

novembre 1869 ; elle y sévit jusqu’en 1870 faisant 25 à 30.000

victimes pour faire son apparition quelques mois après sur le

continent24

.

En outre, comme tout transport se faisait à cette époque-là

par dos d’hommes, le porteur atteint de trypanosomiase portait avec

lui la maladie que la mouche tsé-tsé se chargeait d’inoculer aux

autres habitants le long des parcours. Un grand nombre de ces

trypanosés furent atteints de folie et on se vit réduit à lier ces

malheureux qui, plus d’une fois, réussissaient à mettre du feu aux

hangars et à s’y brûler tous vivants. Les agonisants au dernier stade

tombèrent quasi en décomposition avant la mort. Pour comble de

malheur, les enfants furent également atteints et les femmes

n’avaient plus le courage de soigner leur cuisine25

.

En définitive, de toutes les causes qui provoquèrent la

dépopulation en Afrique centrale, singulièrement au Tanganyika, il

est inadmissible de chercher à isoler la traite, car le commerce des

esclaves faisait partie d’un système social et commercial lequel, bien

que bénéfique dans certaines régions, s’est transformé en véritable

fléau dans d’autres. L’esclavage, principalement sous sa forme de

traite, aura constitué un élément puissant de destruction et de

tarissement des vies humaines. Tout rapport entre le nombre

d’esclaves vendus et les pertes en vies humaines s’avère, dans

beaucoup de cas, aléatoire. Le fait n’en reste pas moins que les

méthodes employées par les Arabes et Arabisés ont indubitablement

provoqué une dépopulation en Afrique, et spécialement au Congo où

leur action pouvait s’exercer sans contrainte.

24 VERSTRAETEN, L, « Le demi - siècle de Mpala », in Grand Lacs, (1935), pp

9-12. 25 Idem

63

Les conséquences économiques

Outre les échanges commerciaux, l’influence des Arabes se

fit sentir dans le domaine économique par la création des certaines

richesses. Partout où les Arabes se sont établis, des changements

notables furent constatés. Il y eu au Tanganyika, principalement dans

le Marungu, une amélioration de l’élevage et de l’agriculture,

l’introduction d’un bétail de race plus perfectionnée et de quelques

légumes et arbres fruitiers jadis inconnus dans la région. Les terres

laissées en friche pendant plusieurs années, furent mises en valeur et

des plantations introduites développées : caféier, manguier, papayer,

citronnier, oranger, grenadier, mandarinier, ainsi que la culture du riz,

des légumes, sésame, safran, du tabac ; certaines techniques furent

enseignées : soit d’ordre agricole comme l’irrigation méthodique et le

drainage des fonds humides, soit d’ordre artisanal comme la

fabrication du savon, le tissage des nattes employées comme tapis et

lits, le montage des couteaux à poignée d’ivoire , la fabrication des

fusils. Les Arabes apprirent aux autochtones à construire des

habitations de forme rectangulaire avec toits à quatre versants. Et,

pour prévenir la variole, ils prenaient des précautions par la

vaccination des populations en leur inoculant de la matière prélevée

sur un varioleux, technique que les missionnaires vont généraliser

dans tout le Vicariat apostolique de Baudouinville, quelques années

plus tard, après leur arrivée.

Il faut noter que tout ceci n’était évidemment conçu que pour

le service des centres arabes et l’idée n’existait pas de répandre ces

techniques chez les populations africaines pour améliorer leurs

conditions de vie, conséquence de ce qui a déjà été constaté : les

établissements créés par Arabes étaient des centres d’exploitation et

non d’administration. Toutefois, nous devons reconnaître que les

Africains avaient sous leurs yeux des apports techniques qu’ils

auraient pu adapter pour eux-mêmes s’ils s’y intéressaient.

Malheureusement, dans beaucoup de contrées, les populations

demeuraient indifférentes aux innovations apportées, et il en fut ainsi

dans la plupart des régions du pays.

64

Tout naturellement, une économie repose notamment sur la

force de la population. L’affaiblissement de celle-ci entraîne un

déséquilibre économique fondamental. A cette réalité, le Tanganyika

n’a pas fait exception. En examinant de plus près la vie économique

durant ces chambardements, nous arrivons à distinguer deux formes

d’économie, toutes deux ayant résulté du déséquilibre qui s’était

créé : l’économie de la rive et celle de l’arrière-pays.

En fait, les négriers avaient intérêt à disposer de solides

points d’appui pour pouvoir mener la chasse à l’homme et résister

ainsi aux concurrences de toutes parts. Ils aménagèrent, de ce fait,

quelque relation avec les autochtones. Il s’est agi surtout des chefs

riverains du lac qui collaboraient avec les traitants arabisés. Leurs

sujets, jouissant d’une paix relative, exploitaient intensivement les

lopins de terre. Ils se regroupaient de préférence autour des

embouchures des cours d’eau importants. Les villages s’y

développaient à la suite de la concentration des habitants fuyant les

contrées exposées aux razzias. C’est justement ces endroits qui, de

prime abord, retiendront l’attention des Agents de l’Association

Internationale Africaine (A.I.A.) dès leur arrivée et c’est aussi là que

naîtront les premiers postes.

STORMS qui, à cette époque, visita le village de Mpala (à

l’embouchure de la Lufuko) n’a pas retenu sa satisfaction d’atteindre

un centre aussi populeux où l’on pouvait facilement trouver à se

nourrir, comme le confirment certains de nos informateurs interrogés.

Les cultures du maïs, de l’arachide, du riz et de la patate douce y

fleurissaient, importées par les Arabes. Il parle également de

nombreuses améliorations introduites dans la région par les Swahili :

apport d’objets tels que les perles, les armes à feu, les assiettes en fer

émaillées ; introduction de la culture du coton, de l’élevage des

bovins, apprentissage d’une certaine façon de tuer les poules en leur

coupant le cou au lieu de les étrangler comme on le faisait autrefois.

Dans cette économie riveraine du lac, le commerce était

caractérisé par de nouvelles tractations d’échanges, car l’homme,

l’ivoire, le fusil et le tissu composaient désormais les articles du

trafic. Il se passait le jeu capitaliste de vendre pour acheter et

d’acheter pour vendre, mené par de fins traitants. Ces spéculations

supplantaient ainsi le troc traditionnel. Ce dernier était, en plus,

65

entamé du fait de la ruine des relations entre la rive et les régions

intérieures. Celles-ci étaient devenues pour les gens du lac un champ

de rapts où la force musculaire procurait les articles exigés.

Ainsi, la région du Tanganyika, à partir des bases lacustres,

était amenée à participer à une activité commerciale depuis

longtemps internationale. La tentation de nouvelles marchandises de

l’Afrique Orientale : étoffes, perles, fusils d’un côté ; réservoirs

d’hommes, d’ivoires de l’hinterland de l’autre, poussaient les centres

lacustres à se livrer à ce commerce.

Alors que la bande riveraine connaissait cette prospérité

relative, l’arrière-pays était le théâtre des razzias de plus en plus

violentes et des malheurs. En effet, vivant toujours dans une crainte

perpétuelle de nouvelles incursions esclavagistes, les populations de

l’hinterland ne pouvaient plus s’adonner, comme il se devait, à leurs

occupations quotidiennes. En outre, utilisant un outillage

rudimentaire, ils ne pouvaient que labourer de petites surfaces juste

assez pour la survie de la famille. Il en est résulté un délaissement

total des cultures de subsistance, de l’élevage, et un abandon forcé de

l’entretien des cases. D’où, la famine et la maladie ravageaient cet

espace.

« Le pauvre sauvage(…) maltraité, abattu(…) ne cultivait

plus, ne forgeait plus, ne faisait plus rien, c’est alors qu’il y eut

beaucoup d’émigrations. Des milliers et des milliers d’hommes

moururent. Des pays entiers perdirent leurs habitants », décrit

l’Abbé Kaoze26

.

Les survivants, chassés de leurs sources vivrières,

s’imposaient une forme d’économie dictée par les circonstances.

Concentrés dans des vallées fertiles (appelées « Munana »), ils y

développaient des plantations assez prospères. La pratique de la

jachère ayant été délaissée, ils labouraient alors le sol qui était

fréquemment disposé à recevoir la succession des cultures, étant

donné que dans ces vallées, les caprices des saisons n’avaient pas

d’emprise sur la production, le sol étant constamment irrigué par les

eaux des rivières. Seulement, il fallait opérer le choix des plantes qui

26 KAOZE, S., cité par NAGANT, G., Famille, histoire, religion chez les Tumbwe

du Zaïre, Thèse de doctorat, Sorbonne, 1976, p. 5

66

convenaient le mieux à une terre constamment humide. Les céréales,

importées par les négriers, étaient mieux indiqués. C’est ainsi que le

sorgho (masaka) et le maïs (visaka) dominaient les plantations. L’on

y cultivait également les légumes tels que le haricot, le « nsepa »

(une autre variété de haricot), ainsi qu’une légumineuse propre à la

région, appelée le « kinoë ».

La chasse aux rats des roseaux complétait l’essentiel de

l’alimentation. En fait, l’hinterland vivait dans une économie fermée.

Le commerce traditionnel avec les tribus voisines était rompu. Des

communautés assez compactes parsemaient la région. De cette façon,

aux activités commerciales intenses le long du lac, s’opposait une vie

quasiment spartiate de l’arrière-pays. Un pouvoir politique morcelé,

une économie totalement ébranlée par les rapines négrières, eurent

des répercussions très sérieuses sur la vie culturelle dans toute la

région.

Les conséquences culturelles

Sur le plan strictement culturel, les autochtones qui vivaient

avec les Arabisés, furent influencés par ces derniers. C’est ainsi que

le modèle du mariage polygamique s’accentua davantage, surtout

parmi les chefs et les notables, et l’on vit se généraliser aussi dans la

région, des mariages précoces (entre 13 et 18 ans). En effet, les

autochtones empruntèrent plus d’un élément culturel de leurs hôtes.

Et par simple jeu de comparaison, ces partisans de la civilisation des

dominateurs, crurent posséder la culture la plus fine. Ils crurent aussi

maîtriser la technique la plus développée pour subjuguer leurs

compatriotes. Ils furent portes à vouloir devenir, ou tout au moins à

se faire passer pour les « Wangwana » ou « hommes civilisés », de

quelque manière que ce soit. Kaoze, parlant de la période arabe au

Tanganyika, décrit cette situation comme suit : « …Alors, les idées

sont changées, les jeunes sont frappés par les étoffes. Partout, on

tend à devenir Mungwana ; homme des Arabes. Le sauvage est

méprisé, il n’est qu’un chien, Kafiri, homme sans religion »27

.

27 KAOZE, S., cité par NAGANT, G., Op. cit. , p. 51

67

Une constatation du même genre peut être faite dans les

domaines religieux, linguistique et rituel, car au Tanganyika en effet,

les populations empruntèrent, en plus de l’habillement, la religion

(l’Islam), la langue swahili et les rites de la circoncision, la

circoncision elle-même ayant été pratiquée depuis longtemps. Les

jeunes, particulièrement, étaient circoncis, sans doute pour les

intégrer totalement à la famille du maître, et dans l’intérieur du

continent, on imposait parfois le même rite à des esclaves

nouvellement razziés.

Jusqu’à ce jour, à Moba, à Kalemie et à Kongolo, non

seulement les personnes, mais aussi les avenues principales et les

quartiers les plus populaires continuent à porter les noms d’origine

swahili ou arabe, tels que Regeza Mwendo, Mwenyi Mvua, Mwenyi

Kambi, Bwana Pio. Et pour les noms des personnes : Mawazo,

Mwamini, Sinandugu, Songa Mbele, Alfani, Rajabu, Baruti, Bushiri

(Bushir) Muke Mwendo, Mukeina, Mwenda Mbali, Mutoka Mbali,

Mwenda Karibu, Kazi Mbaya, Bahati, Ramazani, Mukosa Mali,

Baruti, Balimwacha, Machozi, Neema, Rehema, Aliki Mali,

Bulimwengu, etc.

A ce sujet, on notera que le domaine le plus touché par la

culture arabe, c’est sans nul doute celui de l’éducation par les

proverbes. Ces derniers ont tellement été usités que pour le moment

toutes les pirogues et les embarcations portent les appellations sous

forme des proverbes tels que « Mtenda Mema kaliwa », « Dunia »,

« Ogopa Mungu », « Kiburi si Ungwana », etc.

Cependant, les Arabes n’avaient pas tellement besoin

d’imposer leur religion. Un contact prolongé avec eux la rendait

attirante pour bien d’Africains, comme marquant le passage à un

stade supérieur de civilisation même s’il se limitait à quelques

pratiques extérieures ; et stade assez accessible, puisqu’ils avaient

bien des points communs dans le style de vie et la structure sociale.

En fait, l’Islam a atteint les régions côtières d’Afrique

Orientale, dès le VIIème siècle, par l’intermédiaire des commerçants

Arabes et persans. Mais, c’est au XIXème siècle que démarre

véritablement l’expansion vers l’intérieur, en suivant les pistes

esclavagistes :

- au Sud : de Dar-Es-Salaam à Udjidji via Tabora ;

68

- au Nord : de Mombassa à Kampala via Nairobi.

De ces contacts naîtra une langue mixte afro-asiatique : le

Swahili (dérivé du mot arabe « Sahil » ou « Dahel », c’est-à-dire : la

côte, le rivage : le Swahili veut donc dire, la « langue de la côte », du

« littoral »). Cette langue, devenue la « lingua franca » ou langue

véhiculaire de l’Afrique Orientale et Centrale, est incontestablement

la langue africaine la plus répandue et l’une des langues les plus

étudiées au monde28

.

Disons enfin que les Arabes et Arabisés ne s’étant pas

totalement mêlés de la politique strictement interne des chefferies,

leurs actions s‘étant limitées à se servir de certaines rivalités entre ces

dernières pour occasionner des razzias, ils n’eurent guère une

influence totale dans le domaine religieux. Le chef Tumbwe, par

exemple, conserva son « Mupasi » (le Mpungwe) devant sa résidence

et les habitants continuèrent comme par le passé, à pratiquer leur

culte communautaire aux « Esprits » de la région (les Ngulu).

En definitive, la présence des Arabes et Arabisés dans le

Tanganyika eut de graves et inquiétantes répercussions sur la vie

sociale des populations.

Les conséquences sociales

Les nombreuses défaites devant les esclavagiste, les crimes

incessants ainsi que les multiples surprises d’agression de ces

derniers semèrent un climat continuel de peur, de méfiance et

d’insécurité. Les jeunes de leur côté s’habituaient à perpétrer les

actes des violences sur leurs compatriotes, à l’instar des Wangwana.

Il leur suffisait de se rendre dans une contrée où ils n’étaient pas

connus pour se proclamer Wangwana et se comporter en

conséquence. Les familles traquées perdirent confiance en elles-

28 Il faut noter aussi que l’implantation des Asiatiques dans l’Est africain déclencha

un brassage des populations et des races. La nouvelle race issue de ce métissage

(bantou-arabes-indiens) fut appelée « Banians ». les Arabes appelèrent « Zandj » ou

« Zendj » (c’est-à-dire nègres), les Bantou qui s’installèrent le long de la côte

orientale, et le nom actuel de l’île de Zanzibar ne signifie rien d’autre que « Plage »

ou « Pays des Noirs ».

69

mêmes et offrirent très peu de résistance aux pillages. C’est alors que

l’esclavage domestique, qui existait déjà, prit des proportions

abusives. Qu’on se hasardât dans un terrain étranger, qu’on s’égarât

ou qu’on pratiquât le « lwinzo »29

, l’on se retrouvait directement

menotté.

En février 1892, à Mpala, lorsque les petits esclaves

arrivaient de tous côtés pour être rachetés par les Pères Blancs,

Monseigneur ROELENS leur demandait pourquoi ils étaient

esclaves ; ces derniers disaient ceci, à tour de rôle :

- « Mon père et ma mère étaient esclaves, et moi aussi !».

D’autres répondaient :

- « J’ai été pris à la guerre, ou j’ai été volé dans les champs ».

L’un d’eux disait :

- « J’ai été fait esclave parce que mon père avait perdu

l’aiguille d’un arabe dont il portait les bagages ».

Un autre :

- « Accusé de sorcellerie, mon père a été tué. Nous, ses

enfants, avons été vendus et dispersés ».

Il en était un qui avait été vendu pour payer le pari de son

frère qui s’était engagé à briser un œuf en le pressant entre ses mains

et n’y avait pas réussi30

.

Cette perversion des coutumes était due aussi et surtout à

l’accroissement de l’importance de l’homme comme donnée

commerciale, philosophie en vigueur à l’époque et dont

paradoxalement l’Africain lui-même n’a pas pu se départir. Un grand

nombre d’esclaves traduisait la richesse du Maître. Ce dernier était

alors en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres obligations, en

offrant, d’après le nombre exigé, ses esclaves.

Il faut ajouter, naturellement, à tout ceci, les fléaux de la

nature, comme le souligne l’Abbé Kaoze, pour saisir l’ampleur des

conséquences sociales des rapines négrières au Tanganyika :

« …le pauvre sauvage est maltraité, il est battu…, ajoutons à

son malheur des fléaux immenses : la petite vérole, une diarrhée

29 « Lwinzo » ou « lupulo » = le fait de rendre visite à quelqu’un avec l’intention

manifeste et inavouée de profiter de ses repas. 30 ROELENS, V. (Mgr), Notre Vieux Congo (1891-1917), p. 22

70

inguérissable qui dura deux ans, les funza, puces et tiques, syphilis,

mais pas du tout vénérien, tout cela suivi d’une famine qui dura trois

ans (1890-1893). Dans tout cela, le pauvre sauvage se retrouva

complètement sans courage »31

.

Conclusion

Que faut-il retenir en définitive, de la traite des esclaves ?

Il paraît donc évident que le mot « traite » recouvre en

Afrique quatre réalités différentes : à savoir, l’esclavage africain

traditionnel, la traite orientale, la traite européenne, le trafic des

marchands arabes. Ces derniers se sont africanisés physiquement et

les Africains se sont arabisés culturellement. Ce brassage a créé un

peuple de métissage avec des cultures nouvelles, des institutions

nouvelles, des langues nouvelles.

Etant connu et pratiqué en Afrique, même avant l’arrivée des

Arabes, l’esclavage a pris, l’arrivée de ceux-ci, un caractère intensif

et joué surtout un rôle très remarquable, et dans la prospérité

commerciale, et dans l’émancipation culturelle et sociale de certaines

régions. Il prenait, semble-t-il, sous cette « forme civilisatrice », des

racines très profondes dans l’organisation sociale que son abolition

brusque aurait provoqué des torts irrémédiables et des régressions

catastrophiques. Situation étrange qui a souvent intrigué certains

européens, bien intentionnés d’ailleurs, mais qui se sont contentés

d’interpréter l’esclavage à l’européenne avant de l’étudier et de

comprendre ses relations (entre maître et esclave) à l’africaine. En

1882 par exemple, le Sultan de Zanzibar écrivait ceci à la Reine

VICTORIA :

« Votre désir est que l’esclavage cesse. J’excuse vos paroles

et j’obéis à vos souhaits. Mais, que votre Majesté soit informée que

ces régions seront, en conséquence, totalement et entièrement

ruinées »32

.

31 KAOZE, S., cité par NAGANT, G., Op.cit. p.52 32 HADDAD, A., L’arabe et le swahili dans la République démocratique du Zaïre.

Etudes islamiques, histoire et linguistique, SEDES, Paris, 1983, p. 34

71

A son tour, le Cardinal Lavigerie, que l’on ne suspectera pas

sans doute d’esclavagisme, proposait à Sa majesté le Roi Léopold II

la solution suivante :

« Vouloir abolir l’esclavage africain d’un seul coup, par la

force, car on ne peut le faire que par ce moyen, c’est vouloir une

œuvre irréalisable : toutes les armées, tous les trésors de l’Europe ne

suffiraient pas à l’obtenir. De plus, l’état social de l’Afrique indigène

étant fondé sur l’esclavage depuis des siècles, tout se trouverait jeté

dans le chaos, si on abolissait ainsi, en un jour, une organisation

lamentable sans doute, mais cependant préférable au chao »33

.

Enfin, au plan strictement religieux, nous ne pouvons ne pas

faire ressortir ici l’apport de l’Islam dans le développement global

des communautés que les Arabes ont eu à côtoyer. En effet,

l’expansion de l’Islam en direction de l’Asie centrale, de la Chine,

de l’Inde et de l’Indonésie à l’Est, et en direction de l’Afrique et de la

Péninsule Ibérique à l’Ouest, a amené l’adhésion d’innombrables

peuples sans discrimination raciale, notamment à l’occasion des

rencontres de pèlerinage (à la Mecque). Ce grand brassage racial fut

incontestablement à la base de l’éclosion d’une civilisation prospère,

dynamique et universelle. Une civilisation qui résulta de l’apport de

multiples peuples et communautés. Aujourd’hui, il paraît difficile de

délimiter le rôle qu’ont joué les négro-africains et tirer au clair leurs

contributions à l’épanouissement et au développement de la culture

arabo-musulmane par exemple34

.

33 Cfr Lettre à sa Majesté le Roi Léopold II, en date du 8 septembre 1889, in

Document sur la fondation de l’œuvre esclavagiste. Paris 1889, cité par

DSCHAMPS, H., L’Afrique nouvelle, Paris 1913, Page 165. 34 Lire à ce sujet, plusieurs et intéressantes publications de KIZOBO, O. et de

VERCOUTTER, J., notamment :

KIZOBO, O. :

- « L’Ethnonyme négro-africain” et ses synonymes dans la littérature de

Byzance », in Mélanges offerts au Professeur Emérite Paul de MEESTER,

linguistique et littérature, P.U.L., 1993.

- « L’Image des Négro-africains » dans les sources byzantines du VIe siècle au Xe

siècle, Thèse de doctorat, Athènes, 1986.

- « Le recrutement des soldats négro-africains par les musulmans du VIIIe au XIIe

siècles », in Journal of Oriental and African Studies, Volume I(1989), pp. 25-29.

72

Une chose reste certaine cependant : là où ils s’installèrent,

les Arabes se mélangeaient, sans aucune discrimination, avec les

peuplades autochtones et adaptaient souvent à leur mode de vie ce

qui n’était pas en contradiction flagrante avec leurs convictions

sociales et leur foi religieuse, et cette culture négro-arabe fut, au

XIXe siècle, l’un des ferments du nationalisme africain dans les

guerres de résistance à l’occupation coloniale. Il faut noter qu’à l’Est

du continent africain, l’Islam, en tout cas, s’implanta très tôt à Kilwa

ainsi qu’en d’autres points plus méridionaux de la côte orientale y

compris Zanzibar. De là, l’Islam, grâce aux initiatives individuelles,

jamais officielles, et avec le concours de la traite négrières, se fraya

un sentier vers l’intérieur du continent.

En définitive, l’éthique islamique, dans son essence, est

basée sur deux principes bien précis : l’égalité et l’unité : égalité

entre tous les membres de la communauté islamique ; unité de toutes

les parties territoriales de cette communauté. Se trouvant à la base de

l’idéalisme africain, les deux principes ont conféré à l’Islam un

aspect d’influence très différent qui s’est réalisé, comme le dit

WELCH, dans le « mélange des musulmans de couleurs différentes,

les Blancs et les Noirs et dans leur fusion en une seule masse

musulmane »35

.

- « Les Négro-africains dans les relations arabo-byzantines (Ve-Xe siècles), in

GRAECO-ARABICA, First International Congress on greeck and arabic studies,

Volume II(1984), pp.85-95.

- « Les Négro-africains dans le jihad », in Likundoli (Histoire et Devenirs),

8(1996)1-2, pp.69-90.

Et pour des soldats noirs en Egypte pharaonique, lire essentiellement :

- « L’iconographie du Noir dans l’Egypte ancienne », in VERCOUTTER, J.,

LECLANT, J., SNOWDEN, E., et DESANGES, J., L’image du noir dans l’art

occidental des Pharaons à la chute de l’Empire Romain, Fribourg, 1976, pp 43

et suivants.

- VERCOUTTER, J., « Nature et importance des rapports entre l’Egypte

pharaonique avec l’Afrique noire sous la XXVIIIe dynastie (1580-1914) », in

Afrique noire et monde méditerranée, dans l’Antiquité, colloque, Dakar,

1981, p. 81.

35 WELCH, G., L’Afrique avant la colonisation, Edit. Fayard, Paris, 1970, p. 108

73

On comprendra aisément pourquoi l’opposition des

populations du Tanganyika à l’occupation des Arabes et Arabisés

aura été plus passive qu’active. Tout simplement parce que l’Islam,

par suite de sa vocation de religion de dialogue et d’entente, excepté,

bien sûr dans les cas des djihads, a eu le mérite d’être réceptionné

facilement par rapport à d’autres religions en Afrique en s’adaptant

notamment à la réalité vivante.

Ainsi, à l’Est tout comme à l’Ouest de l’Afrique, et même

dans une certaine mesure au cœur du continent, l’Islam se développa

dans un contexte culturel intense qui déboucha sur l’âge d’or de la

culture arabe. Cette ambiance culturelle, animée et entretenue par la

circulation des livres et des manuscrits, suscitera sur les côte

orientale et occidentale, une florissante et abondante littérature écrite

et variée. Les lettres de ces contrées ont transcrit en peul, haoussa et

swahili, des poèmes, des chants, des chroniques et des légendes en

utilisant parfois des caractères de l’alphabet arabe.

Disons pour terminer qu’à l’Est du Congo, avant 1890, les

populations s’étaient organisaient en tribus sous la conduite d’un

chef, qui tenait un pouvoir des ancêtres. Certaines tribus ont même

connu une organisation politique assez développée. Cependant,

toutes souffrirent de l’instabilité due aux dissensions ethniques. Les

révoltes tribales causèrent ainsi l’altération du système politique

traditionnel.

Le développement économique du Congo à cette époque est

très faible. Il se résume en une économie de subsistance et de troc.

Un commerce est cependant très florissant, presque dans tout le

bassin du Congo : celui de la traite du noir qui constitue un fléau pour

le continent africain et une honte pour le reste du monde.

Un pouvoir politique morcelé, une économie affectée par les

Arabes et Arabisés, une société en crise, telle se présentait le

Tanganyika vers les années 1890. En revanche, à travers ce tableau

sombre, se dessinaient et se développaient certaines forces qui

extériorisaient la vitalité des populations. C’est cette image qu’offrait

la société congolaise dans l’Est du pays à l’arrivée des Européens.

Le Poste de Kalemie venait d’être fondé en 1892, après la

libération de la localité de Kataki par le Capitaine Jacques, au même

moment qu’au sud, le Capitaine Joubert, commandant des troupes de

74

L’Association Internationale Africaine (A.I.A.) dans la région,

libérait le poste de Kirungu à Moba, ayant reçu l’appellation de

Baudouinville déjà en 1891, en mémoire de feu Baudouin, fils du Roi

Léopold II, décédé en bas âge, la même année 1891. C’était la fin de

l’aventure arabe à l’Est de l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.),

principalement dans le Tanganika.

75

REFLEXIONS SUR LA THEORISATION DE L’HISTOIRE

CAS DE LA SITUATION AU NORD ET AU SUD KIVU EN

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

KISIMBA Kimba Emmanuel * et

NGANDU Mutombo Marcel *

Introduction

Le présent texte examine une question d’importance capitale

dans l’historiographie contemporaine congolaise, à savoir a-t-on

besoin d’une théorie en science historique susceptible de servir de

soubassement dans l’explication et la compréhension des événements

historiques ?

Dans la recherche d’une réponse à donner à cette inquiétude,

l’étude s’interroge d’abord sur le sens à donner à chacun de deux

concepts de notre analyse, notamment histoire et théorie et ensuite

sur le lien que les deux entretiennent dans la recherche scientifique.

Enfin, notre étude questionnera l’histoire des relations extérieures du

Congo avec ses voisins de la région des grands lacs à la lumière des

guerres de l’Est et des théories en présence.

1. L’histoire : discipline scientifique ou simple narration des

faits ?

La question s’est posée pendant des lustres quant à savoir si

l’histoire est une science ou non !

Le débat est vieux et semble aujourd’hui dépassé, sauf

peut–être en R.D.Congo et plus particulièrement à l’école historique

de l’Université de Lubumbashi où, dans une publication assez récente

d’un de ses éminents membres, il était repris une affirmation selon

laquelle l’histoire est une narration(1).

* Professeur Associé à l’Université de Lubumbashi (RDC).

76

Aujourd’hui tout le monde reconnait que l’histoire fait partie

intégrante des sciences sociales et l’historien français Pierre Vilar

voulait même, dans une étude de1974 que l’histoire soit reconnue

comme la seule science à la fois globale et dynamique des sociétés

donc comme la seule synthèse possible des autres sciences

humaines(2)

Il faut reconnaitre tout de même qu’à ses débuts, l’histoire a

été considérée comme une simple narration des faits historiques de

grandes batailles, de grandes manifestations liées à la vie des grands

hommes ; par exemple, les rois, les monarques, les seigneurs, etc.

Ces faits, très racontés par les vainqueurs, constituaient l’histoire

"officielle" ou l’histoire d’"en haut" perpétuée par les fonctionnaires

consacrés à la tache de sa conservation, et dans laquelle était vantée,

la bravoure ou le courage du Roi vainqueur. Etc.

En Afrique, ce type d’histoire d’"en haut" est connu dans

certaines régions où l’on forge la fonction de "griots", ces

fonctionnaires chargés de la conservation de la "version" officielle de

l’histoire du royaume ou de l’empire.

Ainsi, le "petit peuple", ou des catégories sociales dominées

ou anciennement dominées pouvaient également participer à

l’écriture de l’histoire de leurs communautés.

Cette tendance a été remise en question lorsqu’on a pensé

que même le "petit peuple" est faiseur ‘’ de l’histoire de son pays ou

de son royaume ; d’où l’on revient à cette tendance de l’histoire d’

‘’en bas’ ’qui vient compléter l’histoire d’ ‘’en haut’’ pour devenir ‘’

l’histoire totale ‘’ ou ‘’globale’’ de l’école des annales des

années1930.

Cette nouvelle histoire "totale" ne concerne pas seulement

les "grands" et "petits" peuples pour la faire, mais aussi elle prend en

compte toutes les sources disponibles : écrites, orales,

iconographiques, vestiges matériels et immatériels dont dispose

* Professeur Ordinaire à l’Université de Lubumbashi (RDC). 1 Kasongo Numbi K, L’Afrique se recolonise une relecture du demi-siècle de

l’indépendance du Congo Kinshasa, l’Harmattan, Paris 2008, p.7. 2 VILAR, P, "Problèmes théoriques de l’histoire économique" in J .Berque et alii

Aujourd’hui l’Histoire, Editions Sociales, Paris, 1974, p.122

77

l’historien sur son objet d’étude aussi elle fait naître d’autres thèmes

qui ne figuraient pas dans le champ historique et qui font leur

apparition. Tel est le cas de l’histoire environnementale.

Aussi cette approche "globalisante" a permis la remise en

question partielle, des découpages historiques classiques : les notions

du Moyen –Age, Epoque Moderne ont-elles grande signification

pour l’Inde, la Chine, l’Afrique ou l’Océanie ainsi que les aires

culturelles ?

Cette évolution de l’histoire est bénéfique car une science qui

ne reçoit pas de nouvel apport s’étiole comme une fleur finit par se

faner à l’instar des anciennes civilisations. L’histoire en tant que

science doit s’adapter et évoluer avec le contexte du moment.

Bien avant cela, Henri Irénée Marrou, l’un des plus grands

historiens qui ont forgé les normes de la scientificité de la science

historique, avait déjà relevé le caractère tout à fait particulier de

l’histoire : il faut la considérer à la fois comme réalité historique et

connaissance historique ou science de l’historien qui existe avant

tout dans et par la pensée de l’historien. A ce titre, Henri Irénée

Marrou rejette la conception des positivistes qui voulaient que

l’histoire s’élève au niveau des sciences "exactes" où la

quantification l’emporte sur la qualité (3)

Pour ces derniers, n’est science que celle qui se fonde sur

l’analyse mathématique pour l’élaboration des lois générales.

Cette critique a amené aux Etats-Unis à la naissance de

l’école historique appelée la Nouvelle Histoire Economique (ou New

Economic History) qui a mis en place un modèle théorique de

l’évolution historique auquel on soumet l’évolution de différents faits

sociaux pour voir si ces derniers ont évolué conformément à ce

modèle théorique ou à cette "théorie".

La discipline historique entre dans l’âge de la raison

pragmatique. Dire combien ce moment décisif se traduit dans les

démarches originales et trouve son unité dans les modèles

d’intelligibilité inattendus est une préoccupation de l’histoire comme

pratique sociale. L’histoire quantitative, plus précisément sérielle, ne

3 Marrou H.I, De la connaissance historique, Ed. du Seuil, Paris, 1954 ;

78

semble plus guerre attractive. L’analyse du discours sous ses formes

les plus variées, est devenue en quelques années la référence presque

exclusive pour les pratiques historiennes, avec les subtils jeux de

miroirs et des renvois et les effets d’irréel qu’elle suscite.4

Comment expliquer un événement unique alors que par

définition l'explication scientifique dans les sciences "exactes" ne

cherche pas à rendre compte de l'événement en tant qu'unique mais

de le déduire à partir de l'établissement de lois générales (5) ?

Tout le débat classique entre Carl Hempel et William Dray se

résume à ce problème. Le premier essaie de prouver que l'explication

historique est un mode particulier de l'explication scientifique tandis

que le second soutient que l'explication historique est par nature

différente de l'explication scientifique dans la mesure où la rationalité

des Hommes, objet de l'histoire, exige un autre type de

compréhension fondée sur l'analyse des intentions des acteurs.

Alors qu'au début du XXe siècle, Windelband avait accordé

un statut scientifique égal aux sciences nomothétiques (établissement

de lois générales) et à l'idéographie (science du particulier), les

positivistes ont réduit la scientificité aux seules investigations

nomothétiques. Les néo-positivistes avancent qu'il n'y a de science

que du général. Contre la thèse de la compréhension historique qui

prolongea la distinction entre deux types de science, l'une allant vers

le singulier, l'autre vers le général, le chef de file des néo-positivistes,

Carl G. Hempel défend le primat de l'explication et l'unité de la

connaissance scientifique. Selon lui, il n'existe qu'une seule science

digne de ce nom : la science nomothétique à laquelle l'histoire

appartient. Le début du célèbre article de Hempel "The function of

general Laws in History" affirme sans détour le lien étroit unissant

l'histoire à la science nomothétique : "general laws have quite

analogous functions in history and in the natural sciences (6)".

4 Jean –Yves, G, ‘’Expliquer et comprendre la construction du temps de l’histoire

économique" in Bernard Lepetit (éd.), Les formes de l’expérience. Une autre

histoire sociale, Ed. Albin Michel, Paris, 1995, p.228. 5 En ligne inhttp://www.er.uqam.ca/nobel/m200550/explication.htm 6Hempel, C, The function of general Law in History

79

Selon le modèle Hempel, aussi appelé "covering law

model", il n'y a explication scientifique que dans la mesure où une

relation directe entre événements singuliers peut se déduire d'une

proposition générale. L'explication historique ne peut être qualifiée

de scientifique que si elle repose sur une déduction logique.

Dépouillé de son statut narratif, l'événement historique devient

semblable aux événements physiques comme la rupture d'un

réservoir d'automobile. Pour expliquer un événement historique, il

faudrait procéder comme dans les sciences naturelles, soit dans un

premier temps, en décrivant les conditions initiales (antécédents,

conditions) et dans un second temps, en énonçant une hypothèse de

forme universelle qui sera appelée une loi si elle est vérifiée

empiriquement. Un événement est expliqué lorsqu'il est "couvert" par

une loi et que ses antécédents peuvent être considérés comme des

causes. En posant la primauté du modèle déductif, Hempel veut faire

de l'histoire une véritable science.

Bien sûr, l'histoire satisfait difficilement ce modèle car les

propositions générales qu'elle énonce n'ont pas la rigidité d'une

régularité stricte et encore moins d'une loi. De nombreux positivistes

ont cherché à "sauver" le modèle Hempel en atténuant le

déterminisme de la structure déductive de l'explication en passant de

l'explication causale à l'explication probabiliste. En fait, Hempel, lui-

même, fait cette unique concession pour préserver la validité de son

modèle idéal lorsqu'il introduit l'idée des "explanations sketches"(7).

Il n'en demeure pas moins que tous les néo-positivistes ont en

commun leur refus d'accorder une quelconque valeur

épistémologique et explicative aux méthodes de la compréhension et

d'empathie par lesquelles l'historien explique un événement en se

mettant à la place des acteurs et en saisissant les raisons, intentions

rationnelles de ces derniers. Selon Hempel, ce modèle de la

compréhension rationnelle ne peut être considéré comme une

explication, mais tout au plus comme un procédé heuristique parfois

utile, mais aucunement nécessaire pour répondre à la question

"pourquoi". Hempel ne se réfère jamais à la nature narrative de

7 Idem

80

l'histoire, il n'admet pas la différence entre un événement historique,

et un événement physique : car l'événement ne consiste pas

seulement à raconter, mais à déduire une proposition générale(8).

Les historiens des Annales optent généralement en faveur du

modèle de l'explication historique. La distinction entre l'histoire-

problème et l'histoire-récit maintes fois utilisée par ces historiens

pour rendre compte des différences entre l'explication et la

description en histoire le prouve. Selon eux, l'histoire doit rompre

avec le récit, l'événementiel, l'unique, le particulier. La forme

narrative qui établit les faits et les ordonne dans un ordre

chronologique fondée sur une chaîne causale simpliste sans les

expliquer, sans poser de question ou d'hypothèse préalable doit être

délaissée au profit d'une histoire-problème. Dans ce type d'histoire,

l'historien accorde une place primordiale à l'explication. Expliquer

c'est rendre compte de la réalité et la rendre intelligible en répondant

à la question "pourquoi" et en identifiant les causes d'un phénomène.

La description est alors perçue comme une tache préliminaire à

l'explication qui consiste en une simple récolte et mise en œuvre des

faits historiques.

Eu égard aux éléments ci-avants, a-t-on besoin de recourir à

une théorie en histoire, telle est la question posée par maints

scientifiques. En effet pour ces derniers, avant d’y répondre, il faut

tout d’abord donner le sens de ce deuxième concept utilisé dans notre

analyse, qu’est la "théorie".

2. Le Concept « théorie » en recherche scientifique

Une théorie est une construction spéculative de l’esprit

opposée à la pratique et à la connaissance. Sur le plan scientifique, la

théorie est un système hypothético-déductif ou un ensemble

d’hypothèses structurées.

D’après V. Dobrian : "la théorie est la mise à jour des lois

d’évolution sous une forme abstraite alors que l’histoire étudie le

cours concret du processus historique avec toutes ses particularités

8 Hempel,C, Op.Cit

81

individuelles, ses déviations et ses zigzags". Selon cet auteur , "si

l’histoire n’examine et ne décrit que les manifestations des lois du

processus historique découvertes et formulées par la théorie, cela

signifié qu’elle se contente d’illustrer la théorie, et ne fournit pas des

nouvelles connaissances sur l’objet et que sa valeur se ramène à la

vulgarisation des thèses théoriques(9), souvent élaborées par d’autres

sciences sociales comme la sociologie, l'économie" etc…

Lorsque les historiens bourgeois appellent à enrichir

l’histoire par la sociologie, il s’agit souvent tout simplement de

rehausser le niveau théorique de l’histoire, d’y dépasser le

descriptivisme qui y prédomine.

En d’autres termes, l’explication d’un fait social ou mieux,

d’un événement historique, pour être scientifiquement valable et

surtout vérifiable, elle devra s’appuyer sur une élaboration théorique.

La théorie en un mot n’est qu’un système explicatif que

l’expérimentation ou l’enquête confirme ou non. L’opposition entre

théorie et recherche revêt deux aspects.

- Le premier oppose la réflexion théorique et abstraite aux

recherches concrètes sur le terrain, celles-ci pouvant déboucher soit à

la découverte d’une théorie, soit au contraire sur des applications

pratiques.

- Le deuxième aspect oppose la recherche fondamentale à la

recherche appliquée. Alors que la recherche appliquée tente le plus

souvent de surmonter, à l’aide de principes connus, les obstacles

auxquels se heurtent les utilisateurs, la recherche fondamentale

réclame pour le savant la liberté de travailler sans objectif pratique.

Ainsi, la théorie apporte à la recherche : l’ordonnancement

de la réalité, le choix des concepts utiles, un schéma d’observation,

la mise sur pied des hypothèses et le cadre des explications. A son

tour, la recherche remplit pour la théorie, d’après R.K. Merton,

quatre fonctions majeures : "elle suscite, elle refond, elle réoriente et

elle clarifie la théorie"(10

).

9 Dobrian, V, Les problèmes méthodologiques de la connaissance théorique et

historique, Moscou, 1968, cité par J. Berque et alii (éds), op.cit pp.155-156- 10 Merton R, K, Eléments de théorie et de méthode sociologique, Ed. Gérard-

Montfort, Paris, 1965, p.46

82

La théorie et la recherche sont indispensables aux sciences

sociales comme à toutes les sciences. A-t-on besoin d’une théorie en

histoire ? Peu d’historiens répondraient par l’affirmative car pour les

sceptiques à tout concept de conceptualisation serait par avance

condamné, du fait de la nature du domaine étudié .En effet, le débat

fondamental porte sur la nature explicative de l’histoire. Comment

l’historien peut –il expliquer des événements historiques qui sont par

définition uniques et singuliers, c'est-à-dire qui ne se sont produits

qu’une seule fois ? Par ailleurs, l’emporte sur la régularité. Par

ailleurs, la théorie par nature réductrice serait en outre conservatrice,

voire totalitaire. Ce qui, on le peut comprendre, suffit à jeter le

discrédit sur les tentatives de théoriser l’histoire. Au début, parler

d’histoire pour le commun des mortels, il s’agit de la narration ; c’est

pourquoi le Professeur Yogelelo, explique que "l’histoire n’est que

lecture" (11

).

Cette conception de l’histoire (narration) est restée inchangée

pendant des lustres. Ensuite, l’historien a été décrit comme le

prophète du passé, aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent

pour dire que la prospective est utilisée pour analyser et exploiter les

faits à venir. L’historien devient alors prophète tout court.

Cette évolution de l’histoire est bénéfique, car une science

qui ne reçoit pas de nouvel apport, s’étiole comme une fleur et finit

par s’éteindre à l’instar des anciennes civilisations. L’histoire en tant

que science doit s’adapter et évoluer avec le contexte du moment.

3. Les trois tendances enregistrées en histoire

A l’examen de tous les faits connus, il se dégage trois

grandes tendances pour conceptualiser l’histoire, n’en déplaise aux

sceptiques. Au regard de l’histoire du monde, il y a bien de

dénombrer trois tendances : les faits sont mouvants, certains se

reproduisent, d’autres disparaissent à jamais :

a. La tendance linéaire

b. La tendance cyclique

11 Kasongo Numbi, Op.cit, p.7

83

c. La tendance cyclo-linéaire peut

expliquer les déroulements et les faits historiques

dans leur globalité.

En résumé, il existe donc trois tendances possibles pour

conceptualiser l’histoire. Pour certains, les faits historiques sont

cycliques, ils reviennent à des périodes données selon certaines

circonstances ; pour d’autres, les faits sont linéaires dès qu’ils

apparaissent une fois, ils ne se reproduisent plus ; tandis que pour la

dernière tendance, les faits sont mouvants, certains ne se produisent

jamais d’autres réapparaissent selon certaines circonstances que nous

reprenons comme suit :

1. La tendance cyclique : les mêmes causes reproduisent les

mêmes effets ; un temps historique circulaire et répétitif.

2. La tendance linéaire : les faits ne se reproduisent qu’une fois,

donc ne se répètent plus d’où la singularité des événements.

3. La tendance cyclo-linéaire : les mêmes causes produisent les

mêmes effets selon certaines circonstances de temps et de lieu.

Depuis presque une décennie nous tentons de théoriser

(mieux de conceptualiser) l’histoire qui se résume en une simple

narration d’événements, et autres faits des activités humaines selon

certains intellectuels ; bref, l’histoire est l’étude du passé humain.

En dépit des preuves irréfutables sur les tentatives de

théoriser l’histoire, la plupart des intellectuels restent sceptiques sur

cette délicate question en n’oubliant pas l’assertion selon laquelle les

mêmes causes produisent les mêmes effets, et à nous d’enrichir selon

le temps, le lieu, les circonstances et les hommes, car l’histoire est

l’étude du passé du genre humain dans tous ses aspects. Avant

d’arriver à l’objet de notre article, nous devons savoir si : l’histoire

peut elle être théorisée ? Il nous a semblé opportun de faire

l’historique du sujet pour éviter tout malentendu et ainsi faciliter la

compréhension de tous sur ce sujet qui suscite la polémique.

84

A ces débuts, l’histoire a été une simple narration des faits

avérés et dans la plupart de cas, elle était relatée par le vainqueur

lequel à sa guise pouvait influencer indirectement et même

directement le scribe. En effet, malheur au vaincu, il a droit qu’à des

quolibets et aux qualificatifs peu réjouissants.

Pour revenir au sujet proprement-dit, l’histoire est une

science, cela signifie qu’elle présente les normes requises pour se

faire. L’historien avant de s’orienter dans le temps historique, doit se

livrer à un pronostic (projection) sur l’avenir dont la lumière se

reflète sur le présent pour l’éclairer.

Le présent n’existe que parce qu’il a été fait par un passé.

En effet, l’homme doit rester vigilant afin d’être capable de

déceler ce qui dans le temps présent (contemporain) risquerait de

s’avérer une répétition sinistre du passé.

Toutefois surenchérir sans cesse sur le passé c’est aussi

risquer d’alourdir le présent d’un poids écrasant et irrévocable. Dans

la figure (B) Marque l’apogée le point d’équilibre supérieur à partir

duquel le déclin s’enclenche inexorablement (C)

1)

A Apogée

(maturité)

Fin

B

Déclin

(Décade

nce)

Naissanc

e

85

Quand un empire disparait, un autre apparait et le cycle

continue.

Tout empire nait, atteint son apogée et connait la chute

(décadence) « loi naturelle». L’histoire est édifiante dans ce

domaine.(Cf. Figure 2)

2)

Où sont les empires et royaumes de naguère florissants ?

Aujourd’hui tombés dans les oubliettes de l’histoire.

L’illustration schématique ci-après, représente et explique

l’évolution des empires pendant la confrontation.

(B) Apogée

(A)Naissance

(C)Chute (décadence) et disparition

86

Quand un empire A décline et étale sa faiblesse A’, un autre

surgit B prend l’envol et s’affaiblit également B’ – Le cycle reprend.

L’empire émergent chasse l’empire décadent.

Un vieil adage africain insiste à ce propos sur le fait que :

"deux coqs ne peuvent faire bon ménage dans un même poulailler.

L’un d’eux doit disparaître et faire profil bas."

Le XXe siècle a connu deux guerres mondiales de 1914-1918

et 1939-1945. Un même pays a été à la base de ces deux guerres :

l’Allemagne (le Kaiser Guillaume et le führer Hitler) avec pour

objectif : la recherche de l’espace vital. Aujourd’hui, l’Allemagne ne

peut pas se lancer sur la voie impérialiste ; mais à participer avec son

ennemi séculaire (la France) à la création d’un ensemble unique au

Monde « l’Union Européenne » et a abandonné les visées

expansionnistes, devenant la locomotive de l’Europe meurtrie par

plusieurs conflagrations. L’Allemagne ne peut plus se permettre

d’être à la base d’une autre guerre mondiale. Au contraire, elle œuvre

pour la paix et connait aujourd’hui une ère de prospérité. Ne dit-on

pas que les démocraties ne se font pas la guerre !

Le cas de la RD Congo et les voisins de l’Est peuvent

illustrer les concepts de l’histoire décrit ci-avant.

Pour rappel, il s’agit de linéaire, cyclique et la combinaison

de deux concepts : cyclo-linéaire.

Il est vrai que le premier pas pour toute discipline consiste à

s’inventer en tant que concept distinct de l’objet qu’elle s’est

B A

B’ A’

87

assignée d’étudier en sélectionnant des éléments et en les

interprétant. En effet, une théorie se fonde sur le choix de certains

facteurs jugés plus explicatifs que d’autres et sur la disparition des

relations que ces facteurs entretiennent entre eux. Une théorie est

alors fondée sur une hypothèse qui ne prétend pas être vraie mais

seulement utile (12

). En effet, la théorie a pour objet d’apporter une

grille de lecture parmi d’autres de la réalité, avec pour condition de

validité, un minimum de permanence dans l’interprétation, et pour

limite acceptée sa possible réfutation dès lors que le changement de

circonstances porte atteinte à la cohérence de l’explication.

4. Illustration de la situation au nord et au Sud Kivu

Pour illustrer nos affirmations, nous prenons l’exemple du

problème au Nord et Sud Kivu dans le territoire Congolais.

Eloignés de plus de 1500km à vol d’ oiseau de la capitale, le

Nord et le Sud Kivu sont tournés pour les échanges vers l’Afrique de

l’Est et l’océan Indien. Ainsi les guerres récurrentes ont tendance de

renforcer les forces centrifuges d’une périphérie coupée de

l’hinterland Congolais. C’est pourquoi il y a lieu de saluer les

programmes de reconstruction des infrastructures et de modernité de

la communication afin que le Grand Kivu soit a nouveau ancré à

l’espace économique Congolais

En attendant, on se demanderait à qui profite la situation

d’imbroglio actuelle ?

Sans nul doute que c’est au Rwanda que profite la confusion

du Nord et du Sud Kivu. Les ambitions expansionnistes pour

déverser le trop plein de sa population, ses positions économiques

dans la commercialisation des ressources minières et son influence

politique, confirme à suffisance le désordre des ressources

économiques, sociales et environnementales dans cette région.

Ainsi, les questions identitaires, les ambitions politiques,

l’exploitation des ressources naturelles n’explicitent que

12 Roche, J.J, Théories des relations internationales Montchrestien, Paris ,2006

pp13-14

88

partiellement un conflit qui renvoie en dernière instance à des causes

beaucoup plus profondes.

En effet, les guerres de la région des Grands Lacs peuvent en

effet s’analyser comme des violences du trop-plein. Les petits

espaces du Rwanda et du Burundi, corsetés depuis la colonisation par

des frontières rigides, sont pris au piège d’une nasse démographique.

La forte baisse de la mortalité amorcée pendant la colonisation n’a

pas été suivie par une baisse significative de la fécondité : celle-ci est

encore proche de 4,81%. Le taux de croissance approche les 2,65%

par an conduisant à un doublement de la population en 25 ans. Or,

avec près de 10 millions d’habitants au Rwanda en 2008 la densité

atteint déjà 380 hab./km2, ce qui est beaucoup pour un pays rural à

près de 90 %. Chaque famille paysanne ne dispose plus en moyenne

que de 40 ares de terre à cultiver. Qu’en sera-t-il demain ? La

question n’est plus seulement de savoir comment vivront dans une

génération 20 millions de Rwandais, mais où vivront-ils sur un

territoire exigu, appauvri ou chercheront-ils de l’espace(13

).

Comme les vents, les mouvements migratoires vont des

hautes pressions vers les basses pressions, ici démographiques : la

migration vers l’ouest, vers les terres moins peuplées du Kivu

s’inscrit dans l’ordre des choses et dans le temps long. Elle n’a pas

posé de problème tant qu’il y eut d’abondantes disponibilités

foncières. Ce n’est plus le cas, même si l’acuité des problèmes est

inégale du fait d’une répartition différenciée des densités : en

quelques décennies, la saturation foncière a complètement changé la

donne, multipliant les conflits pour la terre, dressant les autochtones

contre les étrangers dans un contexte juridique confus où droits

coutumiers et droit moderne incarné par l’Etat se chevauchent(14

).

Circonstance aggravante, les migrants tutsis sont principalement des

éleveurs qui ont besoin de vastes étendues pour leurs troupeaux. Ils

ont trouvé des conditions idéales pour leur activité dans les pâturages

d’altitude, mais la constitution de grands domaines d’élevage réduit

13www.statistiques_mondiales.com/rwanda 14 Matthieu P, et Tsongo Mafikiri A., « Guerres paysannes au Nord-Kivu

(République démocratique du Congo)

89

d’autant les terres de culture(

15). La question foncière constitue le

fondement socioéconomique structurel des conflits du Kivu, lieu

d’une véritable « conquête foncière » liée à une immigration mal

contrôlée depuis les indépendances(16

). La création du vaste parc

national des Virunga sous l’administration belge a en outre soustrait

780 000 hectares à l’activité agro-pastorale, au cœur de la zone la

plus peuplée du Nord Kivu. Celle de Kahuzi Bieza 600 000 ha au

Sud Kivu.

15 Tallon, F, Données de base sur la population : Rwanda, CEPED, décembre 1991. 16 Idem

Nord-Kivu

RD Congo Rwanda

Rwanda

Sud-Kivu

Régions moins peuplées : 11.044.923 habitants 124.553Km²(superficie)

Surpeuplement :

11.689.696 habitants 26 800 km²(superficie)

90

B

B

Ce même principe peut s’appliquer au reste de la RD Congo.

La densité moyenne de la RD Congo s’élève à 29,4 mais Kinshasa a

la densité la plus élevée soit 974,5hab/Km² (17

). En se référant à la

ruée vers l’ouest des Etats-Unis les siècles passés, il y a lieu de

désengorger Kinshasa au profit de deux Kivu en suscitant une ruée

vers les deux Kivu.

17 Idem.

Principe du trop plein vers le

moins plein pour atteindre

l’équilibre

Ce principe s’explique dans

le sens où les récipients

d’inégale densité vont

parvenir à trouver un

équilibre par le versement

du contenu A’, vers le

récipient B’, afin de

trouver l’équilibre.

Exemple sur le Rwanda qui

surpeuplé avec

436,18hab/km² voit son

exécutoire dans les deux

Kivu, qui n’ont que

102,4hab/km².A=B(17)

Déséquilibre

= tensions

L’équilibre est

atteint

Rwanda N et S Kivu

RD

Congo

91

C’

A pratiquer alors une politique de déplacement afin de

désengager Kinshasa et certaines autres provinces au profit des deux

Kivu en créant des logements sociaux et en facilitant l’installation

des entreprises et la pratique de la priorité d’embauche pour les

nationaux : la ruée vers les deux Kivu pour endiguer les velléités

d’annexion du Rwanda est une mesure à examiner.

Pour revenir à la situation de deux Kivu, il y a lieu de noter

que pendant la guerre civile, les troupeaux ont beaucoup souffert de

la présence de militaires, quels qu’ils soient. Seuls quelques grands

ranchs protégés par des milices armées ont pu sauver une partie du

cheptel. Après des années de décapitalisation, les éleveurs

reconstituent leur troupeau : des convois de camions chargés de

bovins provenant du Rwanda en direction du Masisi restaurent au

pacage imposées au Rwanda renforcent cette migration bovine. Selon

le rapport des Experts, des transactions foncières ont eu lieu dans les

D

C

N e

t S

Kiv

u, R

D C

on

go

1

02

,4

Densité Rwanda +436,18

Densité RD Congo 29,4

Densité 1024 Ville de Kinshasa en 2011, 974,5 (Cf. De Saint Moulin,

op.cit.)

92

zones contrôlées par le CNDP : bénéficiaires, des hommes d’affaires

proches des rebelles, et des officiers. Les violences récurrentes entre

Maï Maï et Tutsis ont pour principal fondement cette compétition

pour une terre de plus en plus rare et donc disputée : elles ne sont pas

prêtes de s’arrêter.

La question foncière, principale cause des violences

interethniques, ne date pas d’aujourd’hui, mais elle n’a cessé de

s’aggraver au rythme d’une croissance démographique qui fait de la

terre l’enjeu central des conflits sociaux. Les mutuelles agricoles

apparues après l’indépendance eurent d’emblée une forte identité

ethnique. L’ACOGENOKI, Association coopérative des

groupements d’éleveurs du Nord-Kivu était à dominante tutsie, tandis

que la MAGRIVI, Mutuelle agricole des Virunga (Nord-Kivu)

représentait les intérêts des agriculteurs hutus18

. On mesure à travers

ces mutuelles l’articulation étroite entre enjeux fonciers et crispations

identitaires dans un contexte de pression démographique critique. La

situation devient chaque année plus insoutenable dans ce petit espace

saturé d’Afrique centrale où la guerre semble s’être substituée aux

famines comme régulateur démographique. La dernière grande

famine, en 1943-1944, aurait fait selon certaines sources un million

de victimes au Rwanda-Urundi, dont plus de la moitié au Rwanda

pour une population de l’ordre de 2 millions de personnes. Si ces

chiffres étaient exacts, cela représenterait une énorme saignée

d’environ 25 % de la population. Famines, massacres, provoquent de

terribles à-coups démographiques qui traduisent un déséquilibre

structurel entre population et ressources. Les thèses dites « néo-

malthusiennes » comme celle de l’école de Toronto qui autour du

politologue Thomas Homer-Dixon s’intéressent aux conflits

environnementaux et aux liens de causalité entre pénurie et conflit

peuvent être sans difficulté appliqués à la situation du Kivu.19

Sans une politique de population résolue portant sur

l’organisation des flux migratoires et surtout sur les moyens de

ralentir la croissance démographique dans ces hautes terres africaines

qui comptent parmi les plus prolifiques du monde, il n’y a aucun

18 www.syfia.info/index.php? 19 Idem

93

espoir d’apaisement durable des tensions et de disparition des

terribles violences périodiques qui rythment l’histoire des Grands

Lacs depuis quelques décennies. Quand on connaît les effets d’inertie

démographique, on ne peut que s’inquiéter de l’absence des questions

de population dans les initiatives visant à restaurer la paix dans la

région. Les sommes faramineuses dépensées sans résultat tangible

par l’ONU seraient plus utiles si elles étaient consacrées au

développement socio-économique et à la résolution de cette question

cruciale qui conditionne toutes les autres. Les politiques actuelles,

qu’elles soient nationales ou portées par des acteurs internationaux,

restent malheureusement à courte vue, car elles ne vont pas au fond

en ignorant le lien étroit entre guerre et démographie.20

5. Comparaison sommaire

1) Densité très élevée

2) Faible densité Densité élevée

20 www.pole-institute.org/documents

Kinshasa

Rwanda R.D.Congo

94

3) Porosité des frontières Invulnérabilité du sanctuaire

Etat défaillant Etat faible

Un Etat est donc qualifié de défaillant lorsqu’il n’y a aucune

autorité centrale en mesure d’assurer à titre exclusif l’exercice de la

violence légitime au sein des frontières dudit pays lorsqu’il n’assure

pas le respect des droits de la personne et la satisfaction des besoins

fondamentaux des populations(21

).

Si l’on transpose sur le plan économique le questionnement

sur les risques politiques suscités par les Etats défaillants, on en vient

alors à considérer qu’au même titre que la sécurité internationale,

l’ouverture des économies et l’extension des échanges internationaux

serait elle-même micacée si les phénomènes des Etats défaillants

venaient à s’étendre. S’ils répondent évidemment à des facteurs

spécifiques, des caractères historiques ou culturelles, s’ils relèvent

sans doute le comportement atypiques des certains élites, les Etats

défaillants sont surtout la résultante de l’extrême pauvreté, de

maladies endémiques, de l’analphabétisme, de l’absence d’avenir

pour la genèse qui frappe encore des régions importantes de la

planète, tout particulièrement sur le continent africain. L’urgence de

l’éradication de ces poches de sous-développement et de la pauvreté

extrême n’est donc pas seulement une affaire de conscience

collective. Il faut en effet considérer que le sous-développement est

une menace en termes de sécurité globale, les Etats faibles

corrompues ou défaillants étant une source des conflits internes, des

21 Carpanis A, Cercles des économistes : défit politique, on line

http// :www.lesercledeseconomistes.Asso.fr/IMG/pdf/S07.carpanis.pdf

ETAT

95

guerres régionales mais aussi des ramifications avec la criminalité

régionale (22

).

Carpanis cite une dizaine des pays considérées, dont la RD

Congo, comme défaillants : par effet "boule de neige" la défaillance

des certains Etats pourrait perturber tout le système mondial

(économique, sécuritaire, etc.…) Et la RD Congo défaillante peut

perturber par les effets collatéraux l’ensemble des pays de l’Afrique

Centrale. Les rebelles de tout abord trouvent un sanctuaire pour

fomenter des troubles contre leurs pays.

5. Cycles de violence extrême et fratricide depuis 1990 (Rwanda

RD. Congo) tendance Cyclo – linéaire

1994 Opération Turquoise

1996 Entrée de l’AFDL

1998 Réplique du RCD

2006 CNDP

2012 M23

7 2013 M23

22 Idem

6

8

2

2

19 ans

2013

Relative accalmie : Mais partition du pays en 3 zones d’influence

Gouvernement MLC RCD

1996 1994

2013

2006 1998

96

Deux décennies de conflits intenses. Il ne se passe pas deux

ans sans que les relations entre les deux Pays la R.D.Congo et le

Rwanda ne soient émaillées de tensions et des rébellions dont la

dernière en date du 23 mars 2012, celle-ci n’a pas été provoquée par

la colonisation Belge ou par la politique de Mobutu consistant à

diviser pour mieux régner. Elle a été probablement déclenchée par

une combinaison d’événements récents : l’insistance de la Cour

Pénale Internationale à extrader Bosco Ntaganda , les plans de Kabila

pour démanteler les réseaux de l’ex-CNDP dans l’Est du Congo, et le

refus de Kigali d’abandonner ses intérêts économiques, militaires et

politiques au Kivu et pourtant, le fait que le gouvernement et les

groupes armés jouent des sentiments sécessionnistes pour rallier des

appuis montre que l’histoire de la région continue à être importante

aujourd’hui.

Le passé de la région ne justifie pas les interventions

rwandaises au Kivu. Loin de là. Pourtant, il est clair qu’il faut

prendre aussi en compte les évolutions à long terme c’est- à-dire les

relations profondes entre les peuples, les cultures et les histoires de la

région, plutôt que de se concentrer sur les seules causes immédiates

des crises de la région. Il est probable que les mémoires partagées de

la violence vont continuer à façonner l’avenir commun de la région.

Aussi, afin d’empêcher les idéologues d’exploiter ces

souvenirs, la prochaine étape devrait viser à mitiger leur nature

potentiellement dangereuse. On pourrait ainsi faire avancer les

choses en promouvant les initiatives locales qui visent à créer une

plateforme où les victimes, les auteurs des violences et les

observateurs de l’un ou l’autre camp puissent parler de leurs

expériences du passé violent et les partager.

N.B. N.B.

-M23 – Mouvement du 23Mars 2012

..

-CNDP - Conseil National pour la Défense du Peuple.

N.B.

-RCD – Rassemblement Congolais pour la Démocratie

-AFDL – Alliance de Forces Démocratiques pour la Libération du Congo

97

*Un constat qui n’est pas sans conséquence sur le plan

économique

Sur le plan économique, les Etats défaillants sont une menace

pour le respect des règles du marché mondial mais aussi la

conséquence du maintien de la pauvreté.

En ne parvenant pas à assurer de façon complète les

fonctions régaliennes et la satisfaction des besoins fondamentaux des

populations concernées, les Etats défaillants dérogent également aux

règles qui s’appliquent au commerce international, aux transferts des

capitaux ou au respect des droits de propriété. Ils favorisent, on l’a vu

toute une série de comportements illicites : piraterie internationale,

corruption généralisée, blanchissement d’argent, activités illicites, …

Au-delà des principes du droit international ou du respect du droit de

l’homme, il y là autant de facteurs de distorsion de concurrence, de

menaces sur la sécurité ou la légalité des échanges, de source de

captation de rentes ou de détournements des recettes fiscales. Mais en

même temps, la carte mondiale des Etats défaillants recouvrent

étroitement celle de la pauvreté et du sous-développement23

.

La RD Congo doit sortir de cette situation afin de prétendre à

l’émergence d’ici deux décennies. Par ailleurs, la présence dans les

trois pays de la zone de turbulence à savoir : l’Ouganda, le Rwanda,

le Burundi des réfugiés de tous genres constitue également un facteur

permanent de tensions. Pour revenir au cas du Rwanda, l’HCR ( Haut

Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), dénombre 1000

réfugiés ou prétendus tels au Rwanda et du coté de la RD Congo il y

a la présence avérée de 10 à 15 000 réfugiées rwandais22

.

Paradoxalement les réfugiés congolais ne connaissent aucune

des langues nationales du pays et ne sont locateurs que du

Kinyarwanda.

23 Carpanis, A, op.cit.

22 M’Buze Momu, jammbonews.net.23.20012, La situation des réfugiés.congolais et

ruandais

98

En perspective, le retour desdits réfugiés pourrait poser des

problèmes d’intégration et seront tentés par ce fait à se cloisonner,

suscitant par ce reflexe l’’animosité des autres tribus doutent de

l’intégrité de leur vie une fois de retour au pays.

A)89000 B)53000

Réfugies Rwandais Réfugies Congolais ou

En RD. Congo prétendus tels au Rwanda

A) Les rwandais veulent des garanties pour regagner

leur pays le cas échéant souhaitent demander une naturalisation

doutant de la sincérité du dialogue inter rwandais.

B) Les réfugiés congolais aspirent à regagner leur pays

sans poser de préalable.

C) Naturaliser ces populations (rwandaises) serait

allumer à nouveau une bombe à retardement en RD Congo

susceptible d’embraser à nouveau la sous région des Grands Lacs.

En Egard à l’examen des différends entre le Rwanda et la RD

Congo et portant sur la réflexion que nous élaborons desdits

rapports : il y a un point important qu’il convient de souligner est que

la pensée historique est relative.

A chaque époque de chaque société l’étude de l’histoire,

comme les autres activités sociales, est liée aux tendances

prédominantes d’un temps et d’un endroit donné.

Toute étude, qu’il s’agisse de l’homme ou de la nature, est

soumise aux limites de la pensée humaine. La première et de plus

importante d’entre elles est que la pensée ne peut s’empêcher de faire

Tentative d’intégration

Difficile à envisager dans le contexte actuel

99

violence à la réalité dans son effort pour appréhender. La solution

préconisée par la RD Congo pour sortir du bourbier ne peut se

réaliser sans passer par notre image mentale de la réalité ou l’image

que la réalité donne d’elle. Le point de départ de l’interprétation

historique comme de toute entreprise intellectuelle, c’est l’hypothèse

que la réalité a, pour nous, un certain sens qui nous est accessible par

le procédé mental de l’explication.

La situation au nord et au sud Kivu pourrait se décanter si les

politiciens exploitaient les faits et les opinions antérieurs à notre

époque et propres à notre temps.

Cet article ne se limite pas à constater mais va au-delà de

l’explication empirique en proposant un modèle à suivre, la

négociation et non pas le recours aux armes pour se mesurer aux

Rwandais. La violence dit-on est l’argument des faibles.

Le recours à une théorie peut amener le chercheur à

découvrir voire à de redécouvrir la solution à son problème car dit-

on c’est dans le chaos que l’on peut trouver la réponse à l’ordre

(théorie de chaos).

Conclusion

Reconstituer l’histoire ancienne d’une région avant les

périodes couvertes par les traditions orales puis par l’écriture est un

défi que peut relever l’archéologie, du moins en ce qui concerne

l’évolution des techniques, des environnements naturels , du

peuplement et parfois des marques de puissance. Dans une approche

pratiquement théorique pour l’histoire moderne, une certaine

méthode consiste à combiner les analyses comparatives, lexicales et

étymologiques, l’éclairage ethnographique des champs sémantiques

concernés, qui permet de classer ces données dans un modèle

évolutif.

La division du métier d’historien en une multiplicité

d’approches locale, la parcellisation généralisée des sciences

humaines et sociales, la fragmentation de la philosophie en zones

séparées ne témoignent-elles pas d’un vide théorique plutôt que d’un

modèle satisfaisant ? C’est ce vide théorique que nous entendons

100

mettre en valeur, tant du point de vue de ses conséquences

épistémologiques que du point de vue de ses implications politiques.

En effet, la théorie apporte à la recherche un ordonnancement

de la réalité, elle permet de choisir des concepts utiles en traçant un

schéma d’observation, elle émet des hypothèses et fait parvenir des

explications. D’un autre côté, Merton R.K. montre ce que la

recherche apporte à la théorie : elle, la recherche remplit quatre

fonctions majeures :

- Elle suscite ;

- Elle refond ;

- Elle réoriente ;

- Elle clarifie la théorie.

Théorie et recherche sont indispensables aux sciences

sociales comme à toutes les sciences. La tentative de

conceptualisation de l’histoire est donc nécessaire et doit permettre

d’approfondir la recherche dans ce sens.

Bibliographie

1. Carpanis A, Cercles des économistes : défit politique on line

www.lecerledeseconomistes.asso.fr/IMG/pdf/S07-

Carpanis.pdf

2. De Saint Moulin, L, S.j, Atlas de l’organisation

administrative de la République Démocratique du Congo,

Cepas, Kinshasa, 2011, p.23.

3. Dobrian, V, "Les problèmes méthodologiques de la

connaissance théorique et historique", Moscou, 1968, cité

par J. Berque et alii (éds), op.cit pp.155-156-

4. Grenier Jean Yves, "Expliquer et comprendre la

construction du temps de l’histoire économique" in Bernard

Lepetit (éd), Les formes de l’expérience : Une autre histoire

sociale. Editions Albin Michel, Paris ,1995

5. Hempel, C, "The function of general Lawsin History"

6. Kasongo Numbi K, "L’Afrique se recolonise une relecture du

demi-siècle de l’indépendance du Congo Kinshasa", Paris,

l’Harmattan, Paris 2008.

101

7. Marrou H.I, "De la connaissance historique", Ed. du Seuil,

Paris, 1954

8. Matthieu P., et Tsongo Mafikiri A., "Guerres paysannes au

Nord-Kivu (République démocratique du Congo)

9. M’BUZE MOMI Jambonews.net

10. Merton R., K, Element de théorie et de méthode

sociologique, Paris, éd. Gérard-Montfort, 1965.

11. Roche, J.J, "Théories des relations internationales

Montchrestien", Paris ,2006

12. Tallon, F, "Données de base sur la population : Rwanda",

CEPED, décembre 1991.

13. www.er.uqam.ca/nobel/m200550/explication.htm

14. www.statistiques_mondiales.com/rwand

15. www.syfia.info/index.php 5?

16. www. pole.institute.org/documents

102

103

L’ATTITUDE DE QUELQUES EGLISES LOCALES FACE A

LA SECESSION KATANGAISE DE 1960 A 1963.

KASONDE Kyawama K. Germain*

0. Introduction

Le présent article porte sur l’attitude de quelques églises

locales face à la sécession katangaise. Il s’agit notamment de l’Eglise

catholique, l’Eglise protestante (Méthodiste) et la Communauté juive.

Comme on le voit, l’Eglise Orthodoxe et Kimbanguiste ne seront pas

prises en compte par notre article. Ce choix est purement subjectif.

1. L’Eglise Catholique face à la sécession katangaise

Il est à rappeler que la pénétration de l’église catholique

romaine dans le Haut-Katanga industriel date du 29 septembre 1910

avec Monseigneur Jean-Félix de Hemptinne. Ce dernier fit plusieurs

différentes interventions pour éclairer la politique congolaise

coloniale en général et katangaise en particulier. Malheureusement,

Monseigneur Jean-Félix de Hemptinne trouva la mort le 06 février

1958 deux ans avant l’indépendance du Congo le 30 juin 1960 et

celle du Katanga le 11 juillet 1960.

Cette église catholique du Katanga, alors Préfecture

apostolique deviendra le Vicariat apostolique en 1932. En 1958,

Monseigneur Cornelis, alors Curé de la paroisse Saint-Jean de la

Kamalondo, en fut promu Vicaire Délégué à peine quelques jours

avant la disparition de Monseigneur Jean-Félix de Hemptinne.

Monseigneur Joseph Floribert Cornelis est né à Gand le 6 octobre

1910. Il sera ordonné prêtre à Saint-André le 28 juillet 1935. Nommé

Vicaire délégué quelque jours, à peine, avant le décès de Mgr de

Hemptinne, il est ensuite sacré le 27 décembre 1958, par le Pape Jean

XXIII, comme évêque titulaire de Tunès avec pour devise « Recto-

104

Tramite »

1. C’est durant la retraite préparatoire à son sacre qu’il

médita sur la pastorale de Saint-Grégoire le Grand. Il en fut inspiré

de « Recto-Tramite » (par le chemin le plus droit).

Le 10 novembre 1959, à la veille de l’indépendance, le Saint-

Siège fixa la hiérarchie au Congo-belge, « le 17/11/1959, le vicaire

apostolique du Katanga devint le premier Archevêque

d’Elisabethville »2. Mgr Cornelis occupa le siège Métropolitain du

Katanga pendant huit ans, différemment de l’épiscopat de son

prédécesseur, en ce qui concerne les réactions socio-politiques. Il se

préoccupa beaucoup de doter son diocèse d’une organisation solide et

stable en vue de l’accession de l’Eglise locale à sa pleine maturité.

« Il fut aussi l’Evêque qui sut mener sa chrétienté d’une main sûre à

travers les remous de l’indépendance du pays et de la sécession

katangaise »3. Mgr Cornelis participa également au concile Vatican II

et s’était appliqué à en mettre en œuvre les orientations.

Durant sa charge épiscopale, Mgr Cornelis accomplit

plusieurs œuvres sociales, dont les plus remarquables sont les

suivantes:

Fondation de l’Institut Saint-Jérôme (I.S.P.) en 1959.

Transfert du Grand séminaire interdiocésain de

Baudouinville (Moba) à Lubumbashi ex Elisabethville, intervint en

1961 pour le Philosophat et en 1962 pour le Théologat.

Création de l’Institut des Sciences Religieuses et construction

du centre interdiocésain pour le Katanga à Elisabethville en 1963.

Acquisition du Domaine Marial à Elisabethville, en 1963.

Construction de l’Archevêché et agrandissement de la

procure diocésaine en 1963.

Transformation de l’habitation de Monseigneur Jean-Félix de

Hemptinne en procure diocésaine.

1 Esprit, Histoire et Perspective, Actes du colloque sur le centenaire de

l’évangélisation de l’Archidiocèse de Lubumbashi, MédiasPaul, 2010, p.37. 2 Mutombo Mwana, A., L’évangélisation de l’Archidiocèse de Lubumbashi (1910-

1986), p.16. 3 Katebula Kimbala, V., Op.cit. p.23.

105

Par ailleurs, il favorisa l’installation de plusieurs

congrégations religieuses masculines et féminines dans son diocèse.

L’église catholique fondée au Katanga était une église nationale

belge, au même titre que l’église catholique de Belgique, cependant

avec parfois plus d’avantage, et de privilèges que l’église

métropolitaine elle-même comme l’atteste encore l’abbé André

Mwansa : « Bien que désirées ou même appelées en Afrique par les

organes du gouvernement, les missions, catholiques belges sont

restées des institutions purement religieuses, indépendantes de toute

ingérence officielle et uniquement soucieuse de la promotion

intégrale des indigènes. Elles basèrent leur action religieuse

exclusivement sur le mandat que leur a confié le Saint-Siège. Elles

exploitaient aussi le principe de la collaboration voulue par le Roi,

dès le début de l’Etat Indépendant du Congo. Cette indépendance

mutuelle de l’Eglise et de l’Etat et cette franche collaboration entre

les Missions et le gouvernement constituent la caractéristique la plus

originales des missions catholiques au Congo »4.

De ce qui précède, il n’était pas aisé à l’église catholique du

Katanga de définir sa position vis-à-vis de l’indépendance

katangaise. Mais, elle s’aligna sur celle du gouvernement belge qui

avait refusé de reconnaître l’existence d’un Katanga distinct du

Congo. Monseigneur Cornelis fut l’opposant le plus farouche à toute

idée d’indépendance. Par contre, certains chrétiens catholiques

étaient acquis à la cause d’un Katanga libre et souverain. Plusieurs

d’entre eux assumèrent des postes importants au sein des institutions

katangaises sécessionnistes.

Selon l’opinion généralement répandue à cette époque,

« Monseigneur de Hemptinne, un bénédictin, aurait été un fervent

défenseur de la cause d’un Katanga distinct du Congo. Mais sa mort

avant l’indépendance du Katanga ne permet pas de confirmer ou

d’infirmer cette opinion.5

4 Mwansa André, Dynamique d’une pastorale d’ensemble axée sur la mission des

laïcs selon Vatican II. Essai d’application à l’histoire religieuse du Zaire, These,

Vol. II, Rome, 1978, pp.138-140. 5 Mr Mbenga Sandongo, Interview accordé le 28/02/2011.

106

Par ailleurs, il est connu que le choix de Leader pour la

direction de la Conakat se pencha sur Moïse Tshombe parce qu’il

était protestant libéral en lieu et place de Godefroid Munongo

(catholique) à cause de sa qualité d’agent administratif de la colonie

et de petit-fils du Roi M’siri assassiné par le capitaine Bodson de

l’expédition Stairs le 20/12/1891.

Pendant cette période, Mgr Cornelis ne pouvait pas soutenir

la sécession katangaise parce qu’il était lié à la politique belge. Aussi

son oncle Cornelis, Ministre de colonies, soutenait-il l’unité

congolaise parce que les Belges avaient des intérêts dans chaque

province du pays. Par contre, « L’homme de la sécession fut Edward

Kileshye qui avait failli même devenir l’Archevêque de Lubumbashi

pendant l’Etat indépendant du Katanga, n’eût été des enquêtes qui

révélèrent qu’il était Zambien dont les parents avaient tout

simplement habité Bunkeya »6. Pour revenir à Monsigneur Cornelis,

il est à signaler que dans sa lettre du 18 novembre 1960, à Monsieur

le directeur de la maison de presse " Il Quotidiano " de Rome, il

écrit : « Il n’est pas question pour l’église de prendre des options

politiques. C’est le rôle de la presse catholique »7. En effet, Mgr

Cornelis précise dans cette lettre ce qui suit :

Rome, ce 18 novembre 1960

A Monsieur le Directeur

"Il Quotidiano" ROME

Monsieur le Directeur,

A Rome depuis un mois et demi, j’ai été interrogé à diverses

reprises sur la situation du Congo. Je constate que le public italien

ignore tout du problème, en dehors du drame de Kindu.

Tout le monde semble ignorer que le vrai problème n’est pas

d’ordre politique mais bel et bien d’ordre idéologique. Or, il faudrait

que les chrétiens soient au courant et sachent de quoi il s’agit.

Il n’est pas question pour l’Eglise de prendre des options

politiques. C’est le rôle des laïcs et spécialement de la presse

6 Prof. Kalaba Mutabusha, Interview du 22/04/2011.

7 Archives sur le Katanga, Archidiocèse de Lubumbashi, Farde 1960-1961.

107

catholique. C’est pourquoi, je me permets de vous adresser, sous pli

séparé quelques documents que j’ai sous la main à Rome, dans

l’espoir qu’ils susciteront peut-être le désir d’une recherche plus

approfondie.

Dois-je préciser qu’il serait tout à fait inopportun de citer

mon nom dans votre journal.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’assurance de ma

considération très distinguée.

Jos. Flor. Cornelis

Archevêque d’Elisabethville

Adresse romaine :

Collegio San Anselmo-Aventino

lô Via di Porta Lavernale.

A en croire Monsieur Godefroid Kangala, « la sécession

katangaise avait séparé les prêtres du secteur rural et ceux des centres

urbains. Ceux du monde rural soutenaient la sécession par rapport à

leurs confrères du milieu urbain »8. Il va s’en suivre le massacre de

19 prêtres, un frère et de nombreux laïcs à Kongolo 1er janvier 1962

perpétré par les soldats Lumumbistes de la branche gizengiste qui

étaient contre la sécession.

En dépit de cela, l’église catholique du Katanga n’a jamais

condamné ni soutenir officiellement la sécession. Mais dans les

homélies, certains prêtres fustigeaient l’attitude de Lumumba à cause

de sa tendance communiste, doctrine qui était contraire au

catholicisme»9. Cette attitude de l’église catholique fut

compréhensible dans la mesure où elle ne pouvait pas aller à

l’encontre de la volonté de l’ONU. A ce sujet, Mgr. Michel Ngoya,

témoin vivant de la sécession déclare : « L’Archevêque de

Lubumbashi, Mgr. Cornelis, ne s’était pas engagé de quelque

manière que ce soit. Il avait délégué son Vicaire général Mgr Edward

8 Mr. Godefroid Kangala, Interview du 01/02/2011 (Cfr. Essor du Congo du

30/06/1960). 9 Mr. Donatien Mwitaba, Interview du 29/01/2011.

108

Kilesye pour tout contact avec les autorités katangaises. Mais celui-ci

joua le double jeu alors que l’église voulait demeurer neutre»10

.

Cependant, le gouvernement katangais de cette période avait

fait bénéficier à certains séminaristes des trois diocèses en

l’occurrence Kamina-Kolwezi, Elisabethville et Kalemie-Moba des

études en Europe. Hormis ces séminaristes, d’autres élèves tels que

Bernard Munongo, Nguz-A-Karl-I-Bond J., Maître Lumande…furent

également envoyés en Belgique pour la même cause. A cet effet, la

« maison de Louvain » fut acquise par le gouvernement katangais

pour les héberger»11

. Les abbés tels que C. Kiwila, E. Kabanga., E.

Kileshye bénéficieront de l’Etat katangais quelques actions au niveau

de la brasserie. Certains Abbés apportèrent leur contribution à la

population sinistrée par la guerre. C’est le cas de l’Abbé André

Mwansa qui parcourait même les champs de bataille en soutane pour

secourir les blessés. « Il était presque un aumônier militaire »12

. Il est

à noter que certains ministres pouvaient donner un coup de main dans

la catéchèse après leur service.»13

En 1961, eut lieu la première Assemblée après l’érection de

la hiérarchie au Congo et après l’indépendance du pays. Seuls les

évêques du Congo y siégèrent notamment Mgr Kimbondo de Kisantu

et Mgr Nkongolo de Lwebo. Vingt et un vicaires généraux, tous

congolais parmi lesquels il y avait 4 évêques auxiliaires Mgr Joseph

Malula de Léopoldville, Mgr Nzundu de Kikwit, Mgr Nzita de

Matadi, Mgr Nganga de Lisala, tous congolais, furent aussi

convoqués. Assistèrent également à cette assemblée le secrétaire

général et son adjoint ainsi que sept membres du comité des

supérieurs Majeurs des religieux. Cette assemblée avait revêtu un

caractère spécial parce que tenue à l’aube de l’indépendance et aussi

parce que le Pape Jean XXIII, venait de convoquer le concile Vatican

10 Mgr. Michel Ngoya, Interview du 29/01/2011

11 Mr. L’Abbé Charles Kiwila, interview du 27/01/2011.

12 Mr. L’Abbé Ildephonse Teta, interview du 07/02/2011.

13 Mr. L’Abbé Ildephonse Teta, Op.cit.

109

II pour l’année suivante et il fallait ainsi une large concertation au

niveau de chaque pays pour sa préparation.

Les actes de cette Assemblée traitèrent essentiellement des

problèmes sociaux, au moment où les Congolais s’efforçaient

d’affirmer leur indépendance. Le ton en était prophétique et anticipait

quelques points fondamentaux des déclarations du concile Vatican II.

Mais l’Assemblée ne tint pas compte des problèmes politiques. En

effet, elle ne dit rien de l’offensive Lumumbiste menée depuis

Kisangani sur Bukavu et le Katanga à partir de janvier 1961, ni de la

conférence de Tananarive qui tenta en mars de mettre fin à la

sécession katangaise, ni de celle de Coquilathville (Mbadaka) le mois

suivant, qui se solda par l’emprisonnement de Tshombe du 26 avril

au 22 juin, ni du gouvernement Adoula investi uniquement par le

Parlement le 2 août 1961 mais qui ne put établir son autorité sur le

Katanga. L’Assemblée ne condamna pas les adversaires du

gouvernement, elle ne soutint pas non plus le gouvernement»14

.

1. L’Eglise protestante (Méthodiste) dans la tourmente de la

sécession katangaise

Que retenir de cette église lorsque le Katanga proclamait son

indépendance ? Trois figures de proue retiennent notre attention. Il

s’agit de l’Evêque Méthodiste Booth, M. Janson Sendwe et de Moïse

Tshombe.

En effet, l’Evêque Booth était de la famille de John F.

Kennedy alors président des Etats-Unis élu en 1960. Pour le

président Kennedy, laisser le Katanga devenir indépendant, tout le

reste du Congo basculerait dans le camp du communisme. Voilà

pourquoi il s’opposa farouchement à l’indépendance du Katanga.

C’était la période de la guerre froide entre le bloc Est et le bloc Ouest

avec comme ténor le président des Etats-Unis. Mr Mbenga Sandongo

précise : « En réalité, l’administration américaine sous la présidence

14 Léon de Saint Moulin (S.J) et Gaise N’Ganzi, Op.cit., Eglise et Societé. Le

discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo (1956-1998), C.A.E.K,

F.C.K, 1998, p.65.

110

de John Kennedy souffrait de n’avoir pas eu la main mise sur l’Union

Minière du Haut-Katanga et les Katangais semble-t-il ne l’avaient

pas réalisé à temps,»15

.

Les relations de l’évêque Méthodiste Booth et Janson

Sendwe remontaient à l’histoire de la mort de Kanene, le fils de

l’Evêque dont Janson Sendwe devait protéger la tombe.

Les relations de l’évêque Booth avec d’autres Occidentaux

avaient semble-t-il amené Janson Sendwe à adhérer aux thèses

unitaristes. Par contre, bon nombre de fidèles méthodistes et d’autres

pasteurs étaient totalement pour l’indépendance du Katanga. A

Sandoa par exemple, les chrétiens avaient chassé le missionnaire

Kenneth Enrigth parce qu’il s’opposait à l’indépendance du Katanga

et soutenait l’évêque Booth. Il se refugia au lac Kafwankumba où il

fut encore chassé pendant la guerre de 80 jours en 1977»16

.

En ce qui concerne, Janson Sendwe, Méthodiste et Assistant

médical au service de la colonie, il se montrant favorable pour un

Congo-uni suite à l’influence aussi de Mgr l’Evêque Méthodiste

Booth. Il s’opposa à l’indépendance du Katanga et de ce fait il ne

pouvait se hisser à la présidence de la Conakat.

Quant à Moïse Tshombe, un fidele méthodiste, avait des

divergences profondes avec Janson Sendwe. Pourtant, tous deux

étaient des anciens élèves de la mission méthodiste de Kanene. En

définitive l’Eglise protestante Méthodiste ne fut pas non plus très

favorable à l’indépendance du Katanga et partant garda sa neutralité.

3. La Communauté Juive au secours de la sécession katangaise

L’action de la Communauté juive durant la sécession

katangaise est liée au talent du Grand Rabin Moïse Levy. En effet,

avec le pillage lié à l’indépendance du Congo et celle du Katanga, il

y a eu un marasme économique. Le 13 juillet, le Leader Katangais,

Moïse Tshombe invita Levy dans son cabinet et lui demanda sa

collaboration. Ce dernier intervint en sa faveur pour lui éviter la

15 Maître Mbenga Sandonga, Interview du 28/02/2011.

16 Maître Mbenga Sandonga, Op.cit.

111

faillite. Il fallait faire venir les juifs qui avaient fui en Rhodésie et les

indemniser. Une négociation s’engagea. Finalement, Tshombe

déclara que, dans un premier temps, « il remboursera 35% des dégâts

causés par les pillages »17

avec l’exigence des bilans de chaque

commerçant aux affaires économiques qui pourra établir les chiffres

de leurs pertes. Le Rabbin accepta les termes de cet accord.

Il y eut beaucoup d’autres interventions du Grand Rabin en

faveur du Katanga. En effet, l’intervention diplomatique par

exemple, révèle les talents du Grand Rabbin Moïse Levy, le chef de

la communauté juive. En effet, au mois d’avril 1961, un incident qui

aurait pu déboucher sur une catastrophe nécessita de nouveau son

intervention. Moïse Tshombe et son ministre des affaires étrangères,

Evariste Kimba, s’étaient rendus à Coquilathville pour y rencontrer

les membres du gouvernement de Léopoldville dans la perspective

d’un compromis entre l’Etat central et la province sécessionniste.

Mecontent de la tournure des négociations, Tshombe décida

subitement de quitter la conférence et de rentrer chez-lui. A son

départ, il s’expliqua devant la presse internationale : « Nous sommes

prêts à reprendre le dialogue mais, il faut tout recommencer, déclara-

t-il. Moi, je reste fidèle à l’esprit de Tananarive (où s’était tenue une

autre conférence), mais les membres du gouvernement de

Léopoldville ont tout démoli. Nous ne pouvons pas continuer à

travailler dans ces conditions… »18

.

Ces paroles provoquèrent la colère de la partie adverse et,

comme ils se rendaient à l’aéroport, le président Katangais et son

ministre furent entourés par une vingtaine de soldats en arme qui les

enfermèrent dans un local sans aucune possibilité de communiquer.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. A

Elisabethville, le ministre de l’intérieur Godefroid Munongo

convoqua immédiatement le Rabbin Moïse Levy, l’ami de Moïse

Tshombe et lui confia la mission de le faire libérer. Ce qu’il accepta

volontiers. « Il envoya son message au Président de la République du

Congo, Kasa-Vubu ainsi qu’à chacun des membres de son

17 Milantia Bourla Errera, Op.cit., p.129.

18 Idem p.138

112

gouvernement dès que Munongo l’eut approuvé. Le président du

Katanga fut libéré grâce à l’appui apporté par les ministres Bomboko

et Bolikango, grands amis du Rabbin. Tshombe et Kimba reprirent

l’avion pour Elisabethville et la première chose que fit le président en

retrouvant son sol natal fut d’aller embrasser Moïse Levy, qui

l’attendait à l’aéroport »19

.

Les deux Moïse avaient beaucoup d’estime l’un pour l’autre

car au mois d’août de la même année Moïse Tshombe proposa à

Moïse Levy de laisser le Rabbinat et de travailler pour lui comme

conseiller à la présidence. Le rabbin refusa en estimant que cela

pourrait irriter le gouvernement central et nuire à ses co-

religionnaires de Léopoldville. Il accepta toutefois d’apporter son

aide de façon discrète. C’est ainsi qu’il fut envoyé par Tshombe en

mission en compagnie de Daniel Tshombe, le frère du président et du

ministre de l’agriculture du Katanga pour voir si Israël pouvait

soutenir et reconnaître officiellement l’Etat du Katanga qui n’était

reconnu par aucun état au monde. En Israël, « Moïse Levy obtint une

audience de Moshé Dayan alors ministre de l’agriculture. Ensuite, il

fut reçu par Golda Meir, ministre des affaires étrangères, qui lui dit

que son gouvernement suivait la politique des Etats-Unis et qu’ils ne

pouvaient reconnaître que le gouvernement central de Kinshasa »20

.

Ce qui prouve qu’Israël ne pouvait pas se démarquer de la

politique américaine en la matière. La mission connut donc un échec.

En 1961, Tshombe chargea son ami d’une autre mission

secrète en France. A Paris, Moïse Levy eut une entrevue avec

Shmitlein, sénateur et président des amis France-Israël, Arthur Conte,

président de l’assemblée européenne et André Marie, ancien ministre,

qui lui remirent un message d’encouragement pour Tshombe. « Mais

du côté du gouvernement, rien n’indiquait que la France pouvait

changer de politique en dépit de sa sympathie pour le président

katangais »21

.

19 Milantia, Op.cit, p.139

20 Ibidem

21 Idem, p.142.

113

Convaincu qu’il fallait aller plus loin, Moïse Tshombe

persuada Moïse Levy de se rendre à Washington pour y rencontrer le

président Kennedy. Devant tous les échecs, il voulut refuser. Mais

Samuel Hasson, président de la congrégation israélite le persuada

d’aller. Le Grand rabbin donna son accord à la mission diplomatique

et Tshombe le recommanda vivement.

A « Rome où Moïse Levy rencontra Monseigneur

Sigismondi dans le but d’obtenir le soutien du Vatican »22

. Mais son

éminence expliqua que la Maison Blanche s’opposait à

l’indépendance de la province Katangaise : elle devait choisir entre le

conseil de sécurité de l’ONU ou Moïse Tshombe et elle donnerait

évidemment la préférence à l’ONU. Pour les Américains, Tshombe

devait donc être écarté.

Qu’à cela ne tienne : « La mission doit être menée ! Moïse

Levy se rend en suite à Paris. Il est reçu par Arthur Conte, lequel lui

annonce qu’il part également pour les Etats-Unis et lui dit que

l’audience avec Kennedy est fixée à 11 heures, le lendemain. Ils

prennent l’avion ensemble et logent dans le même hôtel à

Washington. Juste avant l’audience, au dernier moment, on lui fait

savoir que le président est appelé par son frère Robert et c’est

Harriman qui reçoit le Grand Rabbin. Non, les Américains ne

peuvent pas reconnaître l’Etat katangais car ce serait s’opposer à la

décision du conseil de sécurité qui dit clairement que les frontières

coloniales doivent être maintenues. Le refus est poli mais sans appel.

Moïse est bien forcé d’admettre que la meilleure diplomatie a

ses limites. Mais Tshombe tente une ultime démarche. Il prie

Joachim Frenkiel, recteur de l’université d’Elisabethville,

d’intervenir à son tour auprès du gouvernement américain. Frenkiel

demanda au Grand Rabbin Levy une lettre d’introduction et de

recommandation pour le grand conseil rabbinique des Etats-Unis afin

qu’il use de son influence sur Kennedy, mais il n’obtint pas

davantage satisfaction »23

. Aucun Etat ne semblait, finalement,

vouloir avaliser l’indépendance du Katanga.

22 Milantia, Op.cit.142

23 Idem, p.143.

114

Conclusion

Quelle a été l’attitude des églises locales vis-à-vis de la

sécession katangaise ? Sinon l’attitude de la Belgique parce qu’elle

avait des intérêts dans toutes les provinces du Congo, celle de l’ONU

et des USA qui prônait l’unité congolaise.

Il n’était pas aisé à l’église catholique de définir sa position

vis-à-vis de l’indépendance katangaise. Mais elle se serait alignée sur

celle du gouvernement belge qui a refusé de reconnaître l’existence

d’un Katanga distinct de l’Etat du Congo et Monseigneur Cornelis fut

l’opposant le plus farouche à toute idée d’indépendance. Par contre

les chrétiens catholiques étaient acquis à la cause d’un Katanga libre

et souverain et plusieurs d’entre eux assumèrent des postes

importants au sein des institutions katangaises.

L’église méthodiste s’opposa farouchement à l’indépendance

du Katanga tandis que la communauté juive par le truchement de son

Rabbin Levi soutint la politique du gouvernement de Moise

Tshombe. Le rabbin fut même des interventions diplomatiques

auprès des grandes puissances pour demander la reconnaissance de

l’indépendance. La fin de la sécession a été voulue par le monde

entier et Colette Brackman de renchérir : « On pense à Bruxelles

pouvoir ainsi contribuer effectivement à la reconstruction de l’unité

congolaise, et on ne manque pas de faire valoir auprès de Tshombe

que se serait folie de s’obstiner dans une politique que désapprouve

le monde entier »55

.

55 Baeckman Col. et al, Congo 1960. Echec d’une décolonisation, André Versailles

éditeur-GRIP, 2010, p.95

115

Bibliographie

1. Ouvrages

« Afrique Rédaction/Actualité/ », 12/07/2010, in Le

Potentiel, p.2.

DE SAINT MOULIN LEON (s.j.) et Gaise N’ganzi, Eglise et

Société. Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du

Congo (1956-1998). C.E.A.K, FCK, 1998.

Esprit, Histoire et Perspective, Actes du collogue sur le

centenaire de l’évangélisation de l’Archidiocèse de

Lubumbashi, MédiasPaul, 2010, p.37

LEKIME, F., « La mangeuse du cuivre, le salon de l’UMHK

de 1706-1966 », in Coll. Grand document, éd. Didier Hatier,

Bruxelles 1992, p.222.

Livre blanc du gouvernement katangais sur les événements

de septembre et décembre 1961, p.83.

MILANTIA BOURLA ERRERA, Moïse Levy Un Rabbin au

Congo (1937-1991), La longue vue, 2000, p.124.

MUTOMBO MWANA, A., L’évangélisation de

l’Archidiocèse de Lubumbashi (1910-1986), p.16.

NYEMBO SELEMANI, G., Témoignage sur les trois ans de

vie de l’Etat indépendant du Katanga et de la gendarmerie

Katangaise, Inédit, 2010.

2. Mémoires et thèses

Katebula Kimbala Véronique, Organisation et Activités de

l’archidiocèse de Lubumbashi (1960-1998), Mémoire,

(1997-1998), ISP Lubumbashi, p.23.

Mwansa André, Dynamique d’une pastorale d’ensemble axée

sur la mission des laïcs selon Vatican II. Essai d’application

à l’histoire religieuse du Zaire, Thèse, Vol. II, Rome, 1978,

pp.138-140.

116

3. Interviews

Kabamba Sambwa, Interview (G.K) du 28 septembre 1998 à

Lubumbashi

Maître Mbenga Sandonga, Interview du 28/02/2011.

Mgr. Michel Ngoya, Interview du 29/01/2011.

Mr Mbenga Sandongo, Interview accordé le 28/02/2011.

Mr. Donatien Mwitaba, Interview du 29/01/2011.

Mr. Godefroid Kangala, Interview du 01/02/2011 (Cfr. Essor

du Congo du 30/06/1960).

Mr. L’Abbé Charles Kiwila, interview du 27/01/2011.

Mr. L’Abbé Ildephonse Teta, interview du 07/02/2011.

Ndaya, L., Interview du 08/02/2011.

Père aDb 79 ans Etienne, interview du 08/02/2011.

Père aDb 76 ans Michel, interview du 08/02/2011.

Prof. Kalaba Mutabusha, Interview du 22/04/2011.

4. Archives

Archives sur le Katanga, Archidiocèse de Lubumbashi, Farde

1960-1961.

« Discours prononcé par son Excellence Moïse Tshombe,

Président du Katanga à l’Assemblée nationale le 7 septembre

1962», in Archives sur le Katanga, Archidiocèse de

Lubumbashi, 1960-1963.

5. Dictionnaires

Larousse classique illustré, Larousse, Paris, 1972

Petit Larousse illustré, Paris, 1981.

117

L’EDUCATION TRADITIONNELLE DES BEENA LULUWA

TSHISANDA Ntabala Mweny Emery*

0. Introduction

Les Beena Luluwa constituent aujourd’hui une des plus

importantes ethnies prolifiques du Kasaï Occidental en République

Démocratique du Congo. Ils habitent actuellement dans les territoires

de Kazumba, Dibaya, Demba, Tshikapa et Luebo. La région des

Beena Luluwa est située entre 4°30’ et 6°30’ de latitude Sud et entre

21° et 23° de longitude Est. Sa superficie totale est d’environ

34.350km2.

Au cours de leur histoire, les Beena Luluwa ont été désignés

ou ils se sont désignés eux-mêmes sous diverses appellations :

Baluba, Bapemba (Bahemba, Bafemba), Bashilange (Baschilonges,

Tuschilanges), Beena Diamba (Bena Diamba, Bena Riambo, Bena

Diambo), Bena Moyo et enfin Beena Luluwa (Bena Lulua, Bena

Luluwa, Luluwa, Lulua, Baluluwa, Balulua).1

Pas de société sans éducation. L’éducation est inhérente à la

vie de tout groupe social qui, par cette transmission de sa culture, lui

assure les conditions de sa perpétuation et survit aux individus qui le

constituent.

L’éducation est définie par l’UNESCO en ces termes :

« l’Education recouvre des activités qui ont pour fin de développer

les connaissances, les valeurs morales et les modes d’intelligence

dont l’individu a besoin en toutes circonstances de sa vie. Elle a

comme objectifs de développer les aptitudes et les compétences

* Professeur Associé à l’Université de Lubumbashi 1Pour plus d’informations sur ces différentes appellations, le lecteur peut consulter

les auteurs ci-dessous : -Van BULCK, Les recherches linguistiques au Congo,

Bruxelles, 1948, Mém., in-8°, I.R.C.B., Section Sci. Mor. et Pol., XVI. –VAN

ZANDIJCKE, A., Pages d’histoire du Kasaï, Namur, Collection Lavigerie, Grands-

Lacs, 1953, -WAFUANA KUTAMBI K.M., Emery, L’Epopée de Kalamba

Mukenge, Naissance du peuple Lulua, 2002, Tournai, Institut Don Bosco, 2002.

118

d’ordre physique, intellectuel, moral et social qui permettent aux

enfants, aux adolescents et aux adultes de trouver leur place dans la

société où ils vivent et de se réaliser dans les différentes dimensions

de leur personnalité ».2

Cet article se propose d’étudier la conception et la pratique

de l’éducation ancienne en milieu ethnique traditionnelle des Beena

Luluwa du Kasaï Occidental. En fait, nul ne l’ignore, l’éducation

demeure un fait social légitime pour toute société consciente de sa

perpétuation. De ce fait, l’enfant occupe une place prépondérante

dans la mentalité des Beena Luluwa et tous les soins sont pris pour

assurer non seulement une bonne croissance à l’enfant mais aussi

pour le doter d’une forte personnalité par une éducation qui se veut

intégrale.

Le lecteur trouvera dans les lignes qui suivent les grandes

étapes du cycle éducatif et les principes éducatifs sous-jacents à

chaque étape conformément aux types d’homme et de femme

attendus dans et par la société luluwa ancienne. Il s’agira donc ici de

retracer tout simplement de manière synthétique les principes

directeurs de l’éducation de base, commune à tous les enfants luluwa

et transmise dans un cadre beaucoup plus vaste.

Nous présenterons d’abord la conception de l’enfant dans la

société luluwa traditionnelle et ensuite nous passerons en revue les

différentes étapes du cycle éducatif ainsi que les principes éducatifs y

afférents. Une petite conclusion résumera les éléments importants à

retenir sur l’éducation ancienne des Beena Luluwa.

1. L’enfant dans la société luluwa ancienne

Dans ce paragraphe, nous essayons de répondre aux

questions suivantes : Qu’est-ce qu’un enfant aux yeux des Beena

Luluwa ? Qui est l’enfant dans la société luluwa ancienne ?

Comment le percevait-elle, le concevait-elle, que voyait-elle en lui ?

Chaque groupe ethnique a sa manière propre de voir l’enfant

d’homme, de le traiter, d’envisager ce qui a trait à son éducation et à

2 ANONYME, Terminologie de l’éducation des adultes, Paris Ed. IBEDATA, 1979,

p.112.

119

son intégration sociale. Etre c’est vivre. Une force vitale semblable à

celle de l’homme anime chaque objet : depuis Dieu jusqu’au grain de

sable, l’univers négro-africain est sans couture. L’être force vitale est

en liaison nécessaire avec d’autres forces, s’il veut croître et non

dépérir ; il est inséré dans une hiérarchie dynamique où tout est

solidaire. Nous sommes ainsi introduits dans un univers de

correspondances, d’analogies, d’harmonies, d’interactions. Homme

et cosmos constituent un même réseau de forces, leur saisie

intellectuelle est identique. Les correspondances analogiques ne sont

pas seulement valables au niveau de la pensée, mais aussi de l’action.

Les rapports sont dynamiques, porteurs de force et d’influence, et on

en attend une efficience. L’univers africain, a-t-on dit, est comme une

toile d’araignée : on ne peut toucher au moindre de ses éléments sans

faire vibrer l’ensemble ; tout est relié et solidaire : tout concourt à

former une unité. L’homme y occupe cependant une place à part, il

en est le centre et tout converge vers lui.

Parler donc de l’enfant et de son éducation en soi, en tant

qu’objet séparé d’étude ou d’action, n’a donc pas de sens dans une

pareille vision du monde. Il faut le situer dans ce cosmos, voir à quoi

il se relie, ce qui agit sur lui et ce sur quoi il agit. Homme, il

récapitule en quelque sorte cet univers, lui sert de modèle, concentre

l’ensemble des présences et des influences. S’interroger sur l’être

profond de l’enfant et les modifications ontologiques qui surviennent

au cours de son développement, le situer dans cet univers qui

l’entoure et avec lequel il établit des correspondances multiples,

telles nous semblent être deux directions essentielles de la réflexion

luluwa sur l’enfant. Un enfant, s’il faut définir le concept, est un être

qui croit alors que chez l’adulte taille et forme sont achevées ; il a en

lui comme une force progressive qui ébauche déjà le « je » futur ; il

est un élan, un mouvement en avant, l’adulte en volonté bien plus

qu’en puissance. Il se trouve écarté, par la force des choses, des

travaux réels, du monde sérieux des grands, et pourtant il cherche à

s’y insérer de son mieux. L’enfance se définit ainsi comme une

plénitude de projets, une audace, un départ vers de multiples

horizons. L’enfant, selon Jean CHATEAU, c’est l’être et le seul être

qui vive par-delà lui-même… Disons même que l’homme ne vaut

120

jamais que par ce peu d’enfance qu’il conserve par devers lui comme

son plus précieux trésor.3

Fidèles à l’ensemble de la culture négro-africaine, les Beena

Luluwa ont une très haute idée de l’enfant. Leur croyance dans la

transcendance éclaire et renforce leurs convictions sur l’ascendance

et la descendance qui déterminent le lignage par lequel se perpétue

l’espèce humaine à travers la famille, le lignage, le clan, la chefferie,

l’ethnie.

La société luluwa est patrilinéaire. Chaque individu doit

descendre de quelqu’un, génétiquement ou légalement. La légitimité

d’un enfant dans une famille s’établit par rapport au droit qu’un

homme a sur la mère de cet enfant dont il est coutumièrement le père.

Ainsi, la paternité correspondait moins à la question : de qui est

l’enfant qu’à celle plus réglementaire : à qui est l’enfant ? Comme

dans toutes les sociétés lignagères d’Afrique noire, où les enfants

sont la principale source de richesse et de prestige, les enfants sont

souvent désirés par les Beena Luluwa. La stérilité constitue une

véritable catastrophe et les pratiques abortives sont inconnues des

Beena Luluwa.

L’enfant était donc un apport si précieux qu’on était toujours

prêt à le recevoir, à le revendiquer et à le garder. Déjà à l’étape de la

grossesse, tous les soins et stratégies étaient mis en place pour

protéger le fœtus ainsi que la femme enceinte.4 Mourir sans enfant

représentait la pire des calamités, car une descendance mâle s’avérait

indispensable à la perpétuation du lignage ancestral. La tradition en

reconnaît la nécessité par ce proverbe : « Bakulela walela biebe,

nansha ka mutu mampakashi », ce qui veut dire : « Tu as été

engendré. Tu dois aussi engendrer même un enfant à la tête

difforme ». Nous trouvons presque le même proverbe chez le Basaa

3 CHATEAU, Jean, « Qu’est- ce qu’un enfant ? », in : Psychologie de l’enfant, de la

naissance. Cahiers de Pédagogie moderne, Bourrelier, Paris, 1959. 4 Lire DIAMBILA, LUBOYA Albert, De la conservation du bukolè-santé du couple

Mère/Enfant dans la société africaine en mutation. Une contribution à l’étude des

stratégies de gestion de la santé chez les Beena Luluwa, Thèse de doctorat en

Anthropologie, Université de Lubumbashi, Faculté des Sciences Sociales,

Administratives et Politiques, Département de Sociologie et Anthropologie, Année

Académique 1996-1997, pp. 135-212.

121

du Cameroun qui disent : « De même que ton père t’a laissé, de

même tu dois laisser quelqu’un après toi » ou encore « Un fils (dans

une famille) est comme une pièce maîtresse d’un fusil pour

éléphant ! ».5

La société luluwa ancienne distinguait les catégories

suivantes d’enfants :

- Bana balela : enfants légitimes

- Bana ba pashi : enfants bâtards

- Bana ba bamfumu : enfants des chefs

- Bana ba musoko : enfants d’hommes libres du

village

- Bana ba bapika : enfants des esclaves

- Bana ba mapanga : enfants nés dans des

circonstances particulières

- Bana banshiye : les orphelins

- Bana ba cilengulengu : les enfants monstres

Les Beena Luluwa distinguent les enfants anormaux

(monstres ou difformes), les enfants particuliers et les enfants

normaux ou ordinaires. Les anormaux étaient considérés comme

signe de mauvais augure, comme l’incarnation de mauvais génies et

comme une malédiction « Mwana wa cidika ou bana ba bidika »ou

encore « Cilengulengu ». On les supprimait tout de suite en leur

faisant boire de l’eau et du natron et on les enterrait loin de la maison

avec des malédictions et interdiction de revenir sur terre. Les Beena

Luluwa croient fermement à la réincarnation des esprits des morts.

Voyons à présent les grandes étapes du cycle éducatif chez les Beena

Luluwa.

5 NJAMI-NWANDI, Simon BOLIVAR, « L’éducation traditionnelle bassa », in :

SANTERRE, Renaud et MERCIER-TREMBLAY, Céline (Sous la direction de), La

Quête du savoir. Essais pour une anthropologie de l’éducation camerounaise,

Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1982, p. 277.

122

2. Les grandes étapes du cycle éducatif et les principes éducatifs

sous-jacents à chaque étape

Toujours liée à l’action, l’éducation traditionnelle luluwa

présente l’avantage d’être permanente. Nul barrage ne s’oppose à

l’étude qui ne souffre d’aucune limitation.

Elle se déroule dans la société, avec la participation de toute

la collectivité de telle sorte qu’elle demeure gratuite, populaire et

démocratique. Cette éducation couvre pratiquement toutes les phases

sinon tous les éléments principaux de vie d’un individu depuis la

conception jusqu’à la vieillesse et à la mort. Nous nous proposons,

dans ce deuxième point de donner un aperçu plus ou moins complet

de grandes étapes et des principes éducatifs majeurs sous-jacents à

chaque étape. Nous parlerons d’abord du tronc commun de

l’éducation, et ensuite de l’éducation spécifique des garçons et enfin

de l’éducation des filles.

2.1 Tronc commun de l’éducation : de la grossesse à l’âge de

raison

En dépit de certaines particularités dues aux circonstances de

naissance et de la dation du nom, il est possible de dégager des

grandes lignes directrices de l’éducation mixte ou de tronc commun ;

elle se donne depuis la conception jusqu'à l’âge de raison.

2.1.1 La grossesse (Dimi, difu dia mwana)

La raison d’être du mariage chez le Beena Luluwa à l’instar

d’autres groupes ethniques du Congo et de l’Afrique noire, est la

perpétuation de l’espèce humaine par la procréation. Ainsi, à

l’exception de la mort, le plus grand malheur qui puisse arriver à un

Mwena Luluwa est sans aucun doute l’infortune dans la procréation :

ne pas avoir d’enfants ou se les voir enlever par la maladie et la mort

commande ipso facto un revirement dans la conduite sociale des

conjoints, l’adoption d’un nouveau type de comportement. Etre privé

d’une descendance, c’est se sentir « humilié » aux yeux du monde ;

« humilié » parce que les deux conjoints ses croient « diminués »,

123

inférieurs aux autres personnes qui connaissent les joies de la

paternité et de la maternité.

Devant une telle situation de stérilité du couple, non

seulement le couple en question mais aussi les membres de deux

familles des conjoints mettent toutes les batteries en marche en vue

de trouver une issue heureuse dans la vie du couple infortuné. On

s’adressera alors à Dieu, aux ancêtres, aux devins et aux féticheurs

pour provoquer et maintenir des naissances d’enfants tant désirés.

Les enfants, don gratuit de Dieu, quel que soit le moyen

utilisé pour les engendrer, sont seulement considérés comme la plus

grande forme de richesse qui soit chez les Beena Luluwa.6

C’est pourquoi les Beena Luluwa mettront au point toutes les

stratégies possibles pour provoquer une grossesse dans le mariage.

En effet, la femme enceinte jouit d’un statut tout à fait particulier.

Elle est considérée comme une personne sacrée, vivant en dehors des

relations normales et communiquant incessamment, par le

truchement du fruit qu’elle porte, avec les forces invisibles. Tant que

la grossesse ne s’est pas encore manifestée ouvertement au grand

public, personne ne peut en parler ni y faire même allusion. Il est

interdit à quiconque d’oser regarder le corps de la femme enceinte à

ce stade de gestation, d’une façon effrontée ou intriguée. Tout

accident, en effet, mettant en péril la mère ou l’enfant risque d’être

imputé à cet imprudent. C’est l’une des raisons qui expliquent

l’empressement avec lequel on consulte le féticheur ou la sage-

femme afin de procéder sans tarder au rituel de « mubangu »,

autrement appelé « kubanga difu » c'est-à-dire « couvrir » ou

« cacher » le nouvel être à venir, le soustraire dès le sein de sa mère

aux influences maléfiques.7

6 Quelques proverbes traduisent cette soif intense d’avoir des enfants : « Kulela

nkwabanya mesu » qui veut dire « Avoir des enfants c’est multiplier les possibilités

d’avoir ce que l’on désire, c’est multiplier les potentialités d’une bonne vie » ;

« Balela, walela biebe, nansha kamutu mampakashi, nansha ka mutu dibungu » c'est-

à-dire « Tu as été engendré, engendre toi aussi, même un enfant macrocéphale ou

malingre » ; « Kuatshila mwana mpasu, pakolaye ne akukuatshile biebe » signifiant

« Attrape une sauterelle pour ton enfant, à ta vieillesse, il fera autant en ta faveur ». 7 TSHIBWABWA. Mukuku, Relations sociales autour de la nourriture de base chez

les Beena Luluwa, Mémoire de License en Anthropologie, Université Nationale du

124

Par courtoisie, les Beena Luluwa recourent généralement à

un style métaphorique pour signifier qu’une femme est enceinte. On

dira, en effet, qu’elle est « kûlu » c'est-à-dire qu’elle haut

perchée, haut placée. L’expression métaphorique « kwikala kûlu

kule » signifie « être enceinte », « avoir une grossesse », « attendre

famille ». Cette métaphore trouve son sens profond dans le fait que la

conception est comparée à une montée et que l’accouchement est

comparable à une descente ; c’est une question de vie ou de mort.

Ainsi, pour dire avec courtoisie « qu’elle a accouché », les Beena

Luluwa diront « wakutuluka » c'est-à-dire qu’elle est descendue ou

elle a accouché.

Cependant, quant la grossesse atteint un certain âge et qu’il

n’y ait plus de raison de la cacher, la femme enceinte est appelée

dans les relations de plaisanterie, « mwa kadi munda », ce qui veut

dire « mère de celui (celle) qui se cache dans le sein ». Dès que tous

les symptômes de la grossesse se révèlent au grand jour, les Beena

Luluwa prennent toutes les précautions nécessaires pour protéger

cette grossesse afin d’éviter l’avortement ou la fausse-couche et

aboutir à un bon accouchement. Les soins qui entourent la grossesse

sont assurés à travers les rituels dits « mubangu » et « cisaba » qui

imposent à la femme enceinte des interdits « bishila » à respecter

scrupuleusement et des tabous « mikiya » à éviter aussi

scrupuleusement.

2.1.1.1 Le rite de « mubangu » et de « cisaba »

La grossesse se traduit par deux concepts différents : « difu »

et « dimi ». Le concept « difu » est ambigu parce qu’il signifie à la

fois ventre, abdomen ou la grossesse. C’est un terme d’usage courant.

Mais le terme le plus approprié pour désigner une grossesse reste

celui de « dimi » qui dérive du verbe « kwimita », c'est-à-dire

‘’concevoir’’, ‘’tomber enceinte’’. Ainsi, pour dire par exemple

qu’une femme est enceinte, on dira en ciluba : « udi ne dimi » tout

comme on peut dire : « udi ne difu ».

Zaïre, Campus de Lubumbashi, Faculté des Sciences Sociales, Politiques et

Administratives, 1974, p.57.

125

Les Beena Luluwa établissent une nette différence entre les

manières dont une femme conçoit. Les circonstances de la conception

déterminent l’intensité de l’attention et des soins préventifs à

accorder à la grossesse qui est considérée soit comme une grossesse

normale ou ordinaire soit comme une grossesse circonstancielle. La

grossesse normale est celle qui se forme sans poser des problèmes

particuliers et qui évolue normalement jusqu’à l’accouchement sans

risque. La grossesse circonstancielle est celle qui se forme dans les

circonstances particulières, par exemple la conception de Ntumba wa

kuulu ou Cibola.8 Mais, d’une manière générale, toute grossesse est

entourée de soins particuliers par mesure de prudence tout

simplement parce qu’une grossesse est toujours considérée comme

un mystère. Voilà pourquoi les rites de « mubangu » et de « cisaba »

et tous les interdits et tabous qui les entourent, interviennent

pratiquement à toute grossesse, qu’elle soit normale ou

circonstancielle.

Qu’est-ce que donc le rituel de « mubangu » ? Le concept

« mubangu » vient du verbe « kubanga » qui signifie protéger,

entourer de soins. Parfois, on parle aussi de « kukwata difu » c'est-à-

dire « couvrir » ou « cacher » le nouvel être à venir, le soustraire dès

le sein de sa mère aux influences maléfiques comme nous l’avons

déjà dit.

Le « mubangu » consiste à faire porter aux hanches de la

future mère une sorte de cordelette tressée de raphia (cipia) ou encore

un morceau de tissu (mukaba) que les femmes portent aux hanches

pour soutenir leurs pagnes ou leur cache sexe. Cette ceinture est

pourvue d’ingrédients magiques. Ces ingrédients varient d’un

« nganga » ou initiateur (initiatrice) à l’autre et de la nature même de

la grossesse. La ceinture peut contenir un certain nombre de nœuds

correspondant au nombre de mois prévus pour l’accouchement.

La ceinture magique ou fétiche est un symbole. Autant elle

lie les vêtements au corps, autant les vêtements tombent dès qu’elle

8 Pour plus de détails sur ces deux cas, on peut lire TSHISANDA NTABALA-

Mweny, Le thème de la maternité dans l’art luluwa du Kasaï, Mémoire de Licence

en Histoire, Université Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi, Faculté des

Lettres, 1974.

126

se dénoue, autant également, par analogie, cette ceinture de

« mubangu » fait tenir l’enfant dans le sein maternel jusqu’à

l’accouchement.

Parfois le « mubangu » est façonné dans une petite corne

d’antilope remplie d’ingrédients magiques attachées à une cordelette

de raphia tressée et que la femme enceinte portera au hanche, au cou

ou en bandoulière.

Le « Mubangu » sécurise et protège la grossesse et permet

d’aboutir à un accouchement normal et sens risque. Toute mauvaise

influence extérieure susceptible d’entraver l’évolution normale de la

grossesse s’en trouve écartée et même neutralisée.

Un deuxième rituel de sécurisation et de protection de la

grossesse est appelé « cisaba ». Le « cisaba » est une sorte d’écuelle

en terre cuite ou en calebasse dans laquelle on conserve de l’eau pour

le bain de la femme enceinte ou pour la toilette du bébé. Cette eau est

mélangée à toutes sortes des feuilles, racines, sciures qui sont censées

procurer bonne santé et protection de la femme enceinte ou du

nouveau-né après accouchement.

L’efficacité de « mubangu » et « cisaba » tient non seulement

aux gestes symboliques, mais aussi et surtout à l’observance

rigoureuse des interdits et des tabous. Parmi ces derniers, il y en a qui

sont d’ordre alimentaire tandis que d’autres relèvent du

comportement social spécial auquel doit se conformer la femme

enceinte. Signalons que les registres d’interdits et de tabous

dépendent de chaque initiatrice et du cas particulier de la conception.

Cependant, certains interdits peuvent être passés outre par l’initiatrice

moyennant payement compensatoire. La femme enceinte incapable

de se conformer à un interdit ou à un tabou devra payer à l’initiatrice

un bien matériel ou verser un montant en argent pour être dispensée

de l’observance dudit interdit. Dans ce cas, l’initiatrice présente une

paille sèche ou un bâtonnet sec à la femme enceinte et les deux

coupent cette paille ou ce bâtonnet qu’elles tiennent chacune entre le

pouce et l’index. Cela s’appelle « kukosa kaci ». Ce geste annule

ainsi l’obligation de respecter un interdit ou un tabou déterminé.

Néanmoins, il n’est pas inutile de signaler qu’il existe de grands

interdits et tabous qui ne peuvent souffrir d’aucune annulation et qui

doivent à tout prix être respectés.

127

2.1.1.2 Les interdits et les tabous liés à la grossesse

D’une manière générale, chez les Beena Luluwa, une femme

enceinte est soumise aux interdits alimentaires dont les principaux

sont les suivants9 :

- interdiction de consommer la viande de porc (ngulube). Le

porc met bas difficilement et péniblement. La consommation de sa

chair par une femme enceinte est préjudiciable et néfaste pour elle car

cette consommation risque d’entraîner un accouchement pénible et

difficile et qui traînerait en longueur, assimilé, à cause de ses

grognements, aux derniers efforts de respiration déployés par les

moribonds avant de rendre l’âme. Le porc est considéré comme

l’incarnation de mauvais esprits et ne peut donc pas être mangé

surtout par les femmes. Soulignons que les Beena Luluwa ne

connaissent pas l’anthropophagie. Pour la même raison, la femme

enceinte ne peut pas consommer la viande de l’oryctérope (nshibu) ;

- interdiction de consommer la viande de singe (nkima, ncima)

pour la simple raison que l’enfant à naître risque de ressembler au

singe et d’acquérir ses caprices et turbulences ;

- interdiction de consommer les œufs (mayi, makela) car

l’enfant risque de naître chauve ou sans chevelure ;

- interdiction de consommer certaines volailles ; le hibou

(cipungulu), oiseau, porte-malheur, incarnation des forces occultes,

incarnation des sorciers, « nyunyu wa beena mupongo, oiseau sorcier

ou oiseau des sorciers ; le corbeau (cikololo), oiseau charognard,

censé accompagner les morts à leur dernière demeure ;

9 Pour en savoir plus, on peut lire : -KABASU, NTUMBA Moussim, Le fondement

moral des interdits africains : Cas de Luluwa. Une approche analytique, Mémoire

de Licence en Philosophie, Université de Lubumbashi, Faculté des Lettres, Juillet

1987, p. 37.

-TSHIMBOMBO, Mudiba Petrus, La famille Bantu-Luluwa et le développement,

Rome, 1975, pp. 162-167.

128

- interdiction de consommer certains reptiles notamment le

serpent (nyoka). Sa consommation provoque de fausses couches ou

des enfants difformes ;

- interdiction de manger la viande d’un animal trouvé mort ; de

boire des liquides amers qui provoqueraient l’avortement. Nous ne le

dirons jamais assez, les interdits alimentaires et même les tabous

dépendent de la nature de la grossesse et de la volonté de l’initiatrice

qui les imposent. Ils sont nombreux et diversifiés. Ils touchent même

à la consommation de certains légumes locaux.000000

La femme enceinte liée au rituel de « Cibola » ne peut pas

manger les poissons frais pris le même jour, la viande du gibier

abattu le même jour, la viande de la perdrix ni celle de diverses

antilopes. Elle doit prendre ses repas seule ou avec son mari la

journée avant le coucher du soleil. La nuit, elle ne peut ni manger, ni

boire ni se promener. Il lui est interdit de pleurer les morts, de se

rendre au lieu de deuil et au cimetière. Le rituel de Cibola concerne

les femmes qui perdent les enfants en bas-âge ou qui font des

avortements ou des fausses-couches répétés.10

En ce qui concerne les tabous, les plus importants sont les

suivants. Une femme enceinte doit s’abstenir de tout commerce

charnel avec une tierce personne. Les rapports sexuels avec son mari

sont interrompus aux sixième et septième mois de la grossesse et ne

reprendront, en principe, qu’après le sevrage. La femme enceinte est

frappée d’interdiction de se rendre au marché et de voir un cadavre.

L’explication donnée à ces derniers tabous est que l’enfant qui est

dans le sein de sa mère peut communiquer facilement avec les esprits

de morts. Un esprit malveillant peut rappeler cet enfant dans la

demeure de défunts en le trompant d’une manière ou d’une autre, le

persuadant des souffrances qui attendent cet enfant sur la terre des

vivants si jamais il s’entêtait à naître. Certains avortements et fausses

couches sont interprétés de cette manière par les Beena Luluwa.

Au cours de la grossesse, la pratique la plus courante de

prévention et de protection de la grossesse est l’utilisation de certains

10 TSHISANDA NTABALA-MWENY, Op. cit., p.68.

129

produits alimentaires spéciaux que les Beena Luluwa appellent

« myanya ». Qu’est-ce à dire ?

2.1.1.3 Les « myanya »

« Mwanya » au singulier et « myanya » au pluriel viennent

du verbe « kwanyika » : sécher et les « Myanya » sont des feuilles ou

légumes séchés, des écorces pressées et moulues, des racines de

certaines plantes, cueillies dans la forêt, dans la savane ou au village

dans les jardins potagers, qui sont coupées en petits morceaux ou

pulvérisées et que la femme enceinte doit consommer durant la

grossesse.

Les « myanya » sont préparés soit sous forme de légumes

soit sous forme de sciures dans un pot spécial en terre cuite ou sur

une houe non encore utilisée. Ils sont mâchés et avalés ou léchés et

avalés. Ils sont mélangés à l’huile de palme et au sel indigène ou sel

végétal. Les « myanya » sont consommés d’une manière plus ou

moins cérémoniale. On les consomme soit avec les doigts, soit avec

une pastule, un couteau ou un bâtonnet dans une position debout,

assise, accroupie ou à genou à des moments bien déterminés de la

journée ou de la nuit.

Précisant l’apport des « myanya » aux soins apportés à la

grossesse, Albert DIAMBILA Luboya écrit : « Pendant les trois mois

de grossesse, leur consommation favorise la croissance du fœtus et

prévient l’avortement. Ils serviraient également à corriger la

mauvaise position éventuelle du fœtus, à augmenter la « quantité de

sang » chez la mère, à empêcher les malaises abdominaux, etc. Les

propriétés de ces feuilles et de ces racines sont multiples. Les

« myanya » sont au centre d’une véritable science gynécologique

traditionnelle chez les Beena Luluwa.11

Après tous les soins assurés à

la grossesse et à la femme enceinte, qu’arrive-t-il à l’accouchement ?

11DIAMBILA, LUBOYA Albert, Op. cit., p. 149.

130

2.1.1.4 L’accouchement

L’accouchement se fait à un endroit caché soit dans la case

soit sous la véranda soit encore en brousse, en-dessous d’un arbre,

non loin de la case de résidence de la parturiente. Celle-ci accouche

assise, soutenue par une sage-femme qui la soutient par derrière.

Une autre sage-femme aidée de quelques femmes âgées de

l’entourage encouragent la parturiente à pousser fort pour permettre à

l’enfant de sortir. Si elle ne parvient pas à expulser l’enfant dehors,

la femme est d’abord encouragée par l’assistance en vue de faire de

son mieux pour la sortie de l’enfant. Mais si on constate qu’elle est

trop faible et n’a pas assez de souffle, on l’insulte parfois et on lui

enfonce une pastule (mutengu) dans la bouche afin de l’obliger à

expulser l’enfant dehors.

Très souvent durant le dernier mois de la grossesse, avant

l’accouchement, la femme utilise des remèdes et consomme certains

légumes comme le gombo, sorte d’oseille, afin de préparer la voie

vaginale à l’expulsion facile de l’enfant. Si, toutefois la femme

n’arrive pas à s’en sortir, les accoucheuses la soupçonnent d’avoir

commis l’adultère ou d’avoir transgressé certains tabous pendant le

mariage. Elle est alors soumise à un interrogatoire sévère et doit

passer aux aveux ou à une confession publique. Cette confession

consistera à nommer à haute voix tous ceux avec qui elle se serait

méconduite ou à déclarer un forfait quelconque commis dans sa vie

de mariage. En cas d’adultère, dans le cas où elle ne saurait se

rappeler tous ses amants ou si elle tient à taire certains noms, elle

présentera une quantité de grains de maïs ou de millet et la présentera

pour signifier qu’elle est coupable d’adultère avec beaucoup de gens.

En principe, après cette confession, la parturiente se tire bien

d’affaire en accouchant normalement.

Avant la colonisation, le cordon ombilical était coupé à l’aide

d’une herbe tranchante ou avec un couteau en fer. Avec la

colonisation, on utilise une lame de rasoir. Le cordon ombilical est

bien gardé et sera plus tard enfoui dans le sol avec cérémonie selon

qu’il s’agira d’un accouchement normal ou de la naissance d’un

enfant « déviant » c’est-à-dire « mwana wa bupanga ». Le cordon

ombilical est censé représenter l’enfant selon les Beena Luluwa. Le

131

placenta, « nkishi wa bende », est enterré à côté de la case

conjugale. Dés lors, la mère et l’enfant sont lavés et font l’objet de

soins spéciaux d’hygiène, d’alimentation et de protection.12

2.1.2 De la naissance à la marche

Dès sa naissance, l’enfant reçoit un nom. Ce nom est

déterminé par les circonstances de conception et de naissance. Un fait

important à signaler est l’assistance de la nouvelle mère. Les Beena

Luluwa parlent de « dikola ». La nouvelle mère est appelée

« mufyele ». A elle seule, surtout quand il est question du premier

accouchement ou du deuxième, la jeune mère est incapable

d’assumer convenablement tous les soins du bébé, les tâches

domestiques et ses propres soins par manque d’expérience. C’est

pourquoi, les Beena Luluwa, par un élan de la solidarité familiale ou

clanique, apporte leur assistance au jeune couple et particulièrement à

la mère et à son bébé.

La pratique de « dikola » est bien observée chez les Beena

Luluwa. L’assistante « ndeshi wa mwana » est choisie parmi les

femmes de la famille de la jeune mère : sa propre mère, une grande-

sœur, une cousine parallèle ou croisée, une grand-mère, etc.

L’assistance commence souvent un peu tôt avant la naissance

de l’enfant, vers le terme de la grossesse car à cette période, on pense

que la jeune future mère n’a plus assez de force pour accomplir tous

ses devoirs domestiques. L’assistance se prolonge jusqu’à la marche

de l’enfant. Ainsi l’assistante est généralement une femme d’un

certain âge qui peut assumer, parce qu’elle en a une longue et bonne

expérience, toutes les tâches domestiques : cultiver, chercher le bois

de chauffage, puiser de l’eau à la rivière, préparer la nourriture, laver

le nouveau-né, le porter, laver ses linges, etc. il arrive des fois que

l’assistance est assurée par une jeune fille sans expérience en matière

de puériculture. Elle recevra alors un apprentissage de la part de

l’entourage social.

12 DIAMBILA Luboya, Albert, Op. cit., pp. 149-150.

132

L’assistante est aussi une bonne conseillère en matière de

santé de la mère et de l’enfant. Elle vit au foyer de la jeune mère

durant son apostolat. A la fin de celui-ci, le père de l’enfant offre des

cadeaux à l’assistante en signe de remerciement. Pendant toute la

période de « dikola », le mari de l’accouchée s’exile. Cependant, il

vient prendre ses repas chez lui à la maison mais il dort ailleurs. Cette

pratique permet à la jeune maman de se reconstituer et d’éviter une

grossesse inattendue.

Toutefois. Il arrive aussi très souvent que le mari envoie son

épouse dans sa belle-famille et reste seul dans son foyer. L’assistance

est dans ce cas assumée par la famille même de sa femme. Pour

récupérer sa femme et son bébé après la naissance, le mari doit

donner certains biens en nature à ses beaux-parents. A défaut de ces

biens, il lui sera demandé d’exécuter certains travaux manuels au

bénéfice de sa belle-famille.

La pratique de « dikola » est significative à deux niveaux.

D’abord, aider la jeune femme dans les travaux de ménage et des

champs, l’initier aux soins à apporter à l’enfant, lui montrer comment

le laver, lui faire boire et manger, l’allaiter, l’habiller, dormir avec le

bébé sans l’écraser ; bref, l’initier à tous les soins relatifs à la

puériculture. Ensuite, cette assistance a l’avantage d’éviter des

grossesses trop rapprochées et d’espacer les naissances. Quels sont

les principes éducatifs au profit de l’enfant entre sa naissance et sa

marche normale sur les deux pieds ?

Le premier élément éducatif est d’ordre préventif et

protecteur : le « cisaba ». L’enfant est lavé avec de l’eau conservée

dans une écuelle magique, « cisaba », contenant des ingrédients

réputés prévenir et neutraliser tout mauvais sort des esprits et des

hommes malveillants tout en protégeant et en favorisant la santé du

bébé. Le « cisaba » assure à l’enfant une croissance normale,

harmonieuse et sans risque. Ses vertus sont préventives et

protectrices.

En deuxième lieu, l’enfant dès sa naissance est soumis aux

soins de propreté (bain régulier) et aux exercices physiques en vue de

lui doter d’une bonne forme de la tête et des jambes. A ce sujet, des

massages appropriés sont appliqués à la tête, au dos aux jambes, aux

bras, aux mains et aux pieds du bébé. On souffle, après le bain, dans

133

les oreilles, on lui nettoie les narines, la gorge et la bouche. On lui

frotte de l’huile sur tout le corps en vue d’une peau douce. On le

lance deux ou trois fois dans l’air pour fortifier son souffle et lui

éviter la peur. Chaque matin, on lui étire les bras, les jambes, les

doigts et les orteils tout en massant les mollets. Toute cette

gymnastique du bébé vise l’assouplissement et un bon

développement du corps et des membres. Les trois premiers mois de

sa vie confèrent à l’enfant le nom de « mwana mutoke », enfant blanc

c'est-à-dire jeune bébé ou nourrisson.

Avant le troisième mois, l’enfant est nourri exclusivement au

lait maternel et à l’eau. A un mois, on lui parle et on lui sourit. Quand

il pleure on lui chante des berceuses afin qu’il puisse se taire et

dormir.

A partir de trois mois environ, l’enfant est nourri à la bouillie

de la farine de manioc. Le nouveau-né est l’objet de soins maternels

tendres et continus ; toute la journée l’enfant reste ainsi attaché à sa

mère. Pendant toute cette période, le nourrisson est sous l’entière

responsabilité de sa mère, qui ne le quitte presque jamais si ce n’est

qu’en cas d’extrême nécessité.

Vers quatre ou cinq mois, le bébé commence à s’asseoir tout

seul. On lui confie de petits jouets sonores. Les bruits de ces petits

objets le distraient. Mais on veille beaucoup à ce que le bébé ne

tombe pas. C’est pourquoi, aux premiers jours de sa position assise, il

y a toujours derrière lui une personne qui le surveille ou le place

entre ses jambes.

Vers le huitième mois, le bébé se met debout. Il tient aux

objets et se met debout. Vers une année, le bébé fait déjà ses premiers

pas. A cette occasion, les parents sacrifient une poule (nsolo) pour

saluer la marche de l’enfant. Les premiers pas de la marche de

l’enfant est un événement bien accueilli par les Beena Luluwa qui

s’adressent à l’enfant en chantant:

« Kenda Katamuna, kaya kutemeshila nshandi kapia, shandi

mulale kabumanyi », ce qui veut dire : « Il marche, il accélère, il va

allumer du feu pour son père endormi. A son réveil son père est

surpris ».

On chante encore à cette occasion en disant à

l’enfant : « Enda tudie nsolo, nsolo wa citala ne cikuku ciende », ce

134

qui signifie à peu près : « marche pour que nous mangions un poulet,

un coq avec sa poule ».

La poule de la marche de l’enfant est partagée à tout le

monde car c’est un événement de grande joie pour les parents et

l’entourage.

La dentition est un élément important qui retient l’attention

des Beena Luluwa. L’enfant dont les incisives supérieures

apparaissent en premier lieu est considéré comme un porteur de

l’insuccès ou de la malchance. Pareil enfant est écarté de la

consommation des prémices de champs ou de toute autre activité

économique. A titre d’exemple, il ne peut pas manger les premières

fourmis ailées, « nswa », attrapées par les parents ou par quelqu’un

d’autre ; il ne peut pas non plus boire le premier vin tiré d’un

palmier. On dit généralement de cet enfant : « udi ne mwinu » c'est-à-

dire c’est un porte-malheur. Un bon enfant est celui dont les incisives

de l’arcade dentaire inférieure poussent en premier lieu. Ajoutons en

passant que la fente entre les deux premiers incisifs constitue un

élément de beauté particulièrement chez les filles. Le phénomène est

rarissime chez les garçons.

2.1.3 De la marche à l’âge de raison

On apprend à l’enfant à marcher vers un an, à courir en cas

de danger et à danser vers deux ans. Quand il marche, on lui apprend

à ne pas s’éloigner de la maison en lui faisant peur.

La prise en charge personnelle de la propreté corporelle ne

commence guère avant dix-huit mois. L’entraînement au sommeil

n’est pas systématique : le petit enfant dort quand il veut dans la

journée et presque jamais sur le dos mais toujours sur le côté. On

utilise un langage de bébé lorsqu’on s’adresse à un petit enfant afin

de lui faciliter l’apprentissage linguistique ; par exemple le sein

maternel sera « mbele » au lieu de « dibele » ; la bouillie « sabu » au

lieu de « musabu ».

Le sevrage du nourrisson n’a pas lieu avant deux ans, à

moins que la mère ne redevienne enceinte. Pour sevrer l’enfant, la

mère met un peu de piment sur les seins au niveau de mamelons et

donne le sein à l’enfant ou elle applique un liquide amer au sein et

135

l’enfant qui cherchera à téter sera découragé par l’amertume.

Signalons en passant que certaines femmes allaitent leurs enfants au-

delà de deux ou trois ans. Même si l’enfant marche déjà tout seul et

court, et que sa mère le laisse seul au cours de la journée alors qu’elle

se rend aux champs, à son retour, l’enfant de trois ans et même plus

non encore sevré cherchera toujours à téter. Sa mère ne l’en

empêchera même pas.

Une fois sevré, la mère n’a plus la charge exclusive de

l’enfant. Mais on ne laisse pas encore trop les voisins s’en occuper.

Les agents socialisateurs sont donc encore les membres de la

maisonnée : le père, la mère, aussi et de plus en plus les frères et

sœurs aînés, qui servent de gardiens aux plus petits et restent avec

eux à la maison lorsque les parents sont aux champs. Généralement

les Beena Luluwa font aussi appel à une grande fille, une cousine ou

une nièce, une sœur à la femme ou au mari pour assumer le

gardiennage de petits enfants, on l’appelle aussi « ndeshi wa

mwana ».

C’est à cette époque que l’enfant apprend à se situer dans la

hiérarchie des germains et qu’il commence à faire l’apprentissage de

la subordination. La socialisation commence aussi à se différencier

selon le sexe.

Dès le sevrage, l’enfant se nourrit comme tout le monde. On

lui explique comment manger le « bidia »13

sans le mâcher dans la

bouche avec de la viande, du poisson, de légumes ou autres

nourritures de complément comme le champignon par exemple ou les

termites. On apprend alors à l’enfant comment recevoir sa part de

nourriture avec les deux mains et comment se positionner quand on

prend les repas en famille. Les filles doivent s’asseoir complètement

par terre, les jambes allongées ; les garçons peuvent rester accroupis,

assis ou à genoux. Les filles mangent avec leurs mères, les garçons

avec leurs pères.

13 Pâte à base de farine de manioc ou du mélange de la farine de manioc et du maïs.

C’est la nourriture de base des Beena Luluwa.

136

Ce que l’on donne aux enfants, on ne les laisse pas le prendre

avec la main gauche ou la main droite seule ; ils doivent recevoir

avec les deux mains et dire merci.

La distribution des cadeaux et de la nourriture suit la

hiérarchie basée sur le sexe et rang de naissance. Souvent aussi les

petits reçoivent moins et les grands beaucoup plus.

Les Beena Luluwa éduquent par l’injure. C’est le domaine

des femmes spécialement. La maman luluwa injurie très facilement

son enfant fautif mais elle ne supporte pas que l’enfant injurie les

autres enfants et surtout pas une grande personne. Un conflit qui

oppose un enfant moins âgé à celui qui est plus âgé est souvent

tranché en faveur du plus jeune. Mais quand le plus petit a mal agi,

les parents le réprimandent en faisant allusion notamment à lui

refuser un repas ou un service.

Ainsi l’enfant est jaloux de celui qui le précède directement,

qui reçoit plus, et de celui qui le suit, qu’on soutient toujours contre

lui et que, pense-t-il, on le lui préfère. La perception des rapports

aîné/cadet qu’il a alors est très ambivalente puisque le pouvoir va

effectivement à l’aîné, mais l’amour au cadet.

Jusqu’au sevrage, le petit enfant était chaleureusement porté

ou pris sur les jambes par les membres de la maisonnée ; après, cette

attitude cesse progressivement. C’est définitif vers cinq ans.

Les Beena Luluwa traitent un peu brutalement un enfant de

trois ou quatre ans qui pleure. On lui demande pourquoi il pleure et

on le « chicotte », ou on lui pince les joues ou on lui tortille les

oreilles. On peut aussi chercher à lui faire peur en lui disant, par

exemple, qu’un animal féroce va l’attraper ou qu’une personne que

ledit enfant craint va le saisir et l’emporter avec lui.

Vers trois ou quatre ans, on apprend à l’enfant à se laver seul.

Filles comme garçons ne sont encore vêtus, à cette époque, que des

colliers, bracelets, ceintures de perles ou ceintures de tissu. Ils sont

pratiquement nus.

L’apprentissage linguistique est soutenu après le sevrage.

Souvent on pose la question au petit enfant : « c’est quoi ça ? ». S’il

ne sait pas, on le lui explique et l’on corrige sa prononciation.

Vers quatre ou cinq ans, les enfants commencent à rendre de

menus services mais la conscience de sexe se renforce. On renvoie

137

avec fermeté un garçon chez son père : « va chez ton père », « va te

réchauffer avec ton père », « qu’est-ce que c’est qu’un garçon qui

reste toujours avec les filles ? ».14

Quand la mère prépare les repas,

elle ne garde pas le petit garçon près d’elle. Par contre les petites

filles restent encore dans le sillage de leur mère.

Les enfants d’environ cinq à sept ans se mettent à imiter les

activités des adultes, surtout d’ailleurs les petites filles, pour qui le

conditionnement à la maternité commence déjà. Elles jouent avec des

poupées en bois ou en argile qu’elles traitent comme des bébés, font

leur cuisine avec du sable considéré comme de la farine, cueillent des

légumes et imitent leurs mamans faisant cuisine. Tous les jeux des

enfants s’inspirent des réalités du vécu quotidien, qu’il s’agisse des

garçons ou des filles. Parfois on observe même dans leurs jeux

mixtes, la formation des foyers : papa, maman et leurs enfants.

Entre six et sept ans, âge de raison, même jusqu’à la puberté,

les agents socialisateurs sont essentiellement les aînés et les amis, les

adultes n’intervenant guère que pour récompenser ou corriger un

enfant. De six à dix ans environ d’ailleurs, les enfants ne sont jamais

avec leurs parents ni avec des adultes, mais toujours en groupe avec

leurs germains et leurs amis.

Entre l’âge de raison et de la puberté, les termes qui

désignent les enfants ne sont pas identiques pour les petits garçons et

pour les petites filles, ce qui est bien significatif d’un enseignement

diversifié selon le sexe. Le garçon est appelé « nsongalume » et la

fille « nsangakaji ». De manière générale, en parlant de deux sexes

ensemble, on dira « bansonga ». Les termes « nsongalume et

bansongalume », « nsangakaji et bansongakaji », « bansonga »

désignent les enfants à partir de la puberté jusqu’à l’entrée en

mariage et même après l’entrée en mariage lorsqu’il s’agit de jeunes

foyers. Il y a donc des mariés encore appelés « bansonga ». Voyons

maintenant les traits spécifiques de l’éduction et de la socialisation

des garçons et des filles en milieu traditionnel des Beena Luluwa.

14 On se moque souvent des garçons de cet âge qui restent dans l’entourage de leur

mère et on chante : « Cienda ne bana bakaji, pafwa bana bakaji, bwalu bushale

bwende », c'est-à-dire le garçon qui se promène avec les femmes sera responsable de

leur mort.

138

2.2 Education spécifique : de l’âge de raison à l’âge adulte.

2.2.1. L’éducation des garçons

De l’âge de raison à l’adolescence en passant par la puberté,

l’éducation des garçons et même des filles consiste essentiellement à

aimer le travail manuel, à se rendre utile à la famille et à la

communauté villageoise, à devenir une personne responsable,

respectueuse et respectable.

On enseigne ainsi aux enfants de cet âge à être polis, à

respecter les personnes plus âgées, à ne pas se moquer d’eux, surtout

quand il s’agit des personnes handicapées physiques, et à être

serviables vis-à-vis d’eux. Garçons et filles commencent à rendre

énormément des services : la garde de la maison et de plus petits

enfants durant la journée alors que les parents sont aux champs ;

surveiller les bébés près de la maman qui travaille ; apporter des

messages et faire des courses de leurs parents, grands-parents ou

autres membres de la parenté ou de la communauté villageoise.

Vers sept ans, le garçon entre en plein dans la structure

économique de la famille. On lui apprend à prendre part aux petites

tâches masculines de cueillette et du ramassage, on lui apprend à

tendre des pièges et à faire la petite pêche à la ligne dans les

ruisseaux du village. Le premier produit de ses pièges ou de ses

ramassages et cueillettes est mangé dans une cérémonie spéciale par

le père seul ou parfois par le père et la mère avec beaucoup

d’encouragements, d’éloges et de louanges sans oublier de petites

récompenses en nature.

Toute la vie du garçon, il en est de même de la fille, est

comme un apprentissage à servir le groupe familial. Aussi les

vertus comme le « cisumi » (constance dans l’effort), le « dipa » (la

générosité), « didifila » (l’engagement) le « dipeta » (la productivité)

sont très appréciées chez les enfants par les Beena Luluwa.

La division du travail étant organisée selon le sexe et l’âge,

personne ne se sent vraiment inutile. Au village, un enfant qui

apporte à la famille un produit consommable (champignon, chenilles,

rats de brousse ou de forêt, poissons pris à la pêche, etc.) sera plus

139

loué que celui qui revient de l’école avec un bulletin que les parents

analphabètes ne savent pas déchiffrer.

L’éducation et la socialisation des garçons reposent sur la

connaissance de l’environnement social et physique. Le garçon est

initié à connaître les membres de sa parentèle tant patrilinéaire que

matrilinéaire. On lui apprend la généalogie du lignage et les rapports

de son lignage avec les autres lignages qui forment le village.

Toujours au plan de l’environnement social, les garçons sont

présents lors des sacrifices pour les ancêtres, des mariages, des

funérailles et des procès judiciaires. Aucun enseignement religieux

formel ne leur est donné. Mais les adultes répondent à leurs questions

et leur apprennent ce qu’il faut savoir sur les bienfaits et les malheurs

envoyés par Dieu ou par les ancêtres, les risques encourus à négliger

ses parents paternels et maternels ou ses ancêtres, les dangers de la

sorcellerie, des fétiches, le rôle du devin dans la détection des

manquements aux règles de la vie sociale.

L’éducation porte aussi sur l’apprentissage de l’expression et

sur le développement intellectuel. Les erreurs de tons et l’accord de

classes, comme les erreurs grammaticales faites par les enfants sont

nombreuses. Les adultes les remarquent et les corrigent surtout aux

heures de loisirs, lorsque le père passe un moment à parler

familièrement avec les enfants, ou que la mère, après le repas du soir,

participe à des veillées de contes. Lorsque la nuit est tombée, les

garçons se réunissent dans une case ou dehors dans la cour et narrent

les contes ou s’interrogent autour de devinettes et des énigmes. Au

clair de lune, les jeux nocturnes ne manquent pas. Certains jeux sont

constitués de danses et des chants. Les contes sont stéréotypés mais

non appris par cœur. Le conteur peut enjoliver et perfectionner sa

maitrise de la langue. Les auditeurs corrigent les erreurs de langage

ou les erreurs dans le déroulement de l’histoire. On ne trouve pas de

comptines ou devinettes qui aient pour le but spécifique

l’apprentissage de la langue, par exemple des accords de classe. En

revanche, contes, proverbes et devinettes ont une forte teneur morale

qui met l’accent sur les vertus à acquérir et sur les défauts à éviter.

Le développement intellectuel porte sur la mémoire et la

réflexion. On demande à l’enfant de transmettre des messages et de

rapporter fidèlement la réponse. On lui demande, le soir, de raconter

140

très exactement ce qu’il a vu et entendu dans la journée, en brousse

ou dans la forêt. On l’incite à la réflexion en lui posant de

nombreuses questions.

Quant à la formation de la personnalité, l’éducation

traditionnelle des Beena Luluwa insiste sur le développement de

l’obéissance, de la réciprocité, de la responsabilité et de l’ardeur au

travail. L’ardeur au travail était une vertu réellement déterminante et

le gros du travail se faisait en brousse. Et pour paraphraser Simon

BOLIVAR NJAMI-NWANDI : « La brousse était l’école, le champs,

la salle de classe, et la nature, un livre ouvert, ou mieux une immense

bibliothèque où l’on trouvait tout. On n’y introduisait pas l’enfant en

touriste, mais en élève, en ouvrier, en explorateur et en

chercheur ».15

Le jeune homme était ainsi appelé et initié à la connaissance

des sols et de leur assignation à différentes cultures ; à l’étude des

plantes, de leur reproduction et de leur utilisation ; à la connaissance

de la nature et des saisons, à la communication avec la nature par la

faune et la flore ; rien n’était laissé au hasard. Dans la société de

l’économie de subsistance qui est celle des Beena Luluwa, chacun

devait être tout pour soi et pour les autres. La nécessité du travail

apparaissait en relief, raison pour laquelle nous insistons beaucoup

là-dessus. Car tout s’obtenait par le travail : santé, science, richesse et

considération. Bref, on apprenait au jeune homme que le travail était

physiquement un bien et moralement une vertu. Pour cela, il devait

occuper le plus clair du temps d’un homme valide.

Bien que le travail occupe une bonne partie de la journée

pour les hommes et les femmes adultes en brousse, en forêt ou même

au village pour certains métiers, l’horaire des enfants, ici les garçons

était plus souple et toujours adapté à leurs forces et à leur âge.

Souvent, après leur libération en début de l’après-midi par les adultes

qu’ils accompagnaient tôt le matin, les garçons se livraient eux-

mêmes à des explorations techniques dont on leur demandait des

15 NJAMI-MWANDI, « L’éducation traditionnelle basaa », in : SANTERRE Renaud

et MERCIER-TREMBLAY, Céline, La Quête du savoir, Essais pour une

anthropologie de l’éducation camerounaise, Montréal, Les Presses de l’Université

De Montréal, 1982, p. 285.

141

comptes en fin de journée. Ce quartier libre n’était donc qu’un

prolongement d’étude à l’initiative des élèves eux-mêmes.

Le programme d’études des garçons comportait entre autres

la fabrication de différents engins ou matériels de la chasse et de la

pêche : lances, arbalètes, sagaies, filets de pêche et de chasse,

hameçons, nasses, etc. On associait donc l’enfant à tout. La

communication était directe et presque automatique. Le maître

prêchait par l’exemple, suscitant chez l’élève un esprit d’émulation.

Les études, faut-il se permettre de le dire, étaient moins ennuyeuses.

On en faisait presqu’un jeu ; sans contrainte aucune, même le pénible

travail des champs. Les enfants y prenaient donc plaisir. Ils

apprenaient des choses sérieuses en s’amusant. Le débutant entrait

effectivement dans un nouveau cycle de formation, mais il s’y

introduisait sans trop s’en apercevoir. Il y accédait sans émotion,

encadré par des instructeurs familiers, dans un cadre naturel et

rassurant. Toutes choses différentes de l’école occidentale imposée

dont le début est toujours dramatique pour le tout jeune élève paysan,

qui s’y perd et s’en effraie (milieu, cadre, ambiance, discipline

forcée, maître trop sévère, etc.). L’entrée brutale de l’enfant dans

cette jungle scolaire le traumatise et le marque pendant longtemps

avant qu’il ne s’y adapte.

L’initiation des garçons se clôturait par la cérémonie de la

circoncision « ditengula ». La circoncision se faisait dans le cadre

d’un rite de passage appelé « mukanda », mais notons qu’elle se

faisait aussi en dehors de ce rite. La circoncision est une pratique

ancestrale des Beena Luluwa. La pratique de « mukanda » restait

confinée à quelques clans et lignages mineurs. Le « mukanda » est

d’origine cokwe. Il a été adopté par les Beena Luluwa, pas tous, sous

l’impact du commerce luso-africain. La circoncision est une

préparation psychologique au mariage dans la mesure où les femmes

luluwa redoutaient de s’unir aux incirconcis, objets de raillerie.16

Lors de « mukanda », les jeunes gens subissaient une

réclusion d’environ trois à six mois et étaient initiés à différents

métiers, aux enseignements d’ordre moral et spirituel et passaient par

16 TSHIJUKE WA KABONGO, S., Op. Cit., P. 63.

142

diverses épreuves pénibles en vue d’en faire des hommes complets.

L’initiation au « mukanda » visait non seulement la circoncision mais

aussi l’inculcation d’une éducation intégrale. L’initié était un homme

adulte capable d’affronter la vie individuelle, familiale et

communautaire sous tous leurs aspects.

Un homme n’est pourtant considéré comme un adulte chez

les Beena Luluwa, quel que soit son âge, que s’il est marié. Un

célibataire est toujours considéré comme un enfant c'est-à-dire

comme une personne irresponsable car il n’a aucune charge sociale.

Il n’a aucun avis à émettre dans les assemblées « masambakanyi »

populaires ou familiales où l’on débat de problèmes de la vie des

personnes et du groupe.

2.2.2 L’éducation des filles

La multiplicité et la diversité des tâches rendaient l’éducation

des filles délicate et complexe et leur laissaient moins de temps libre.

Une fille mal élevée était la honte de la famille et l’insulte de toute la

gent féminine. C’est pourquoi dans bien des cas, la mère Luluwa était

très sévère vis-à-vis de ses filles dont elle contrôlait tous les

mouvements, corrigeant les défauts et encourageant les qualités. Rien

chez la fille n’était négligé. On veillait jusque sur sa démarche, ses

attitudes en public et en privé, son sourire, son rire, etc. On voulait en

faire un être correct en tout.

Les filles étaient les assistantes de leurs mères aux champs.

Conformément à leur âge et à leur habilité, elles remplissaient des

tâches qui leur convenaient : aller puiser de l’eau, servir les repas

déjà préparés, surveillance des bébés déposés à l’ombre des arbres,

semer, sarcler, élever des buttes, transporter du bois de chauffage et

une partie de la récolte. A tout cela, il faut ajouter aussi les activités

économiques de ramassage, de la cueillette de la petite pêche.

De retour à la maison, les filles devaient accomplir encore

des tâches mineurs en assistant leurs mères ; laver la vaisselle,

allumer le feu, surveiller les casseroles au feu et autres menues

commissions nécessaires à la préparation du repas.

Après le repas du soir et avant le coucher, les filles passaient

leur temps soit à l’éducation sportive soit à la formation purement

143

intellectuelle. Cette dernière se donnait habituellement dans le cercle

de la famille, autour du feu ou, à la belle saison, au clair de lune. Les

sports et jeux se déroulaient au sein du village, dans les cours de

certaines familles ou sur la voie publique.

La partie gymnique comprenait des jeux divers ; jeux

d’adresse, d’observation, de mémoire, de compétition, jeux

comiques. Il s’agissait toujours de jeux collectifs où les filles

rivalisaient d’ingéniosité, d’habileté et d’adresse. C’est à partir de ces

groupes ludiques que se formait le caractère de la jeune fille. Ici,

c’était une épreuve d’endurance qui exigeait discipline et maîtrise de

soi. Là, c’était un poste de commandement qui demandait de

l’autorité, du sang-froid et du dynamisme. Ailleurs, c’était un rôle

d’arbitre où le héros devait faire preuve de discernement, de

jugement et de loyauté. Le jeu, chez les Beena Luluwa, était une

épreuve de discernement, de jugement et de loyauté. Le jeu était

aussi une excellente école de formation du caractère, dont l’influence

était d’autant plus grande qu’elle pénétrait sous la forme apparente de

distraction.

A ces jeux s’ajoutait l’initiation à la danse. Il existait diverses

danses accompagnées d’instruments de musique et d’autres sans ces

instruments. Mais les danses les plus importantes sont celles de

jeunes filles pubères qui se déplaçaient d’un village à l’autre,

apprenant aux filles des villages voisins une nouvelle danse qui

venait d’apparaître.

Nous ne pouvons clore ce paragraphe consacré à l’éducation

de la fille luluwa sans évoquer un aspect de la préparation au

mariage. Cet aspect concerne les filles qui portent des seins debout et

non encore mariée. Il s’agit de deux pratiques très en vogue et très

courante dans la société luluwa ancienne : les tatouages et les

scarifications « nsalu » et le développement de petites lèvres

« bisuna » et du clitoris « mukoto ».

Les tatouages et les scarifications, symbole de courage, de

fécondité féminine mais aussi de la beauté, étaient pratiqués durant

l’adolescence de la jeune fille. Les tatouages et les scarifications

occupaient une place prépondérante dans l’éducation de la fille

luluwa. C’était un élément culturel d’esthétique de premier ordre

dans la société luluwa ancienne.

144

La deuxième pratique est le développement de petites lèvres

« kufweta » et l’allongement du clitoris.17

Dès que les seins de la

jeune fille commencent à se développer, celle-ci est initiée par sa

grand-mère mais surtout par les filles plus âgées aux techniques du

développement de petites lèvres. Ces techniques s’apprennent et se

pratiquent en brousse, à la lisière de la forêt ou en-dessous d’un

arbre. Une équipe de filles se rassemblent, en cachette, toutes les

précautions étant prises pour échapper à la curiosité des hommes et

se livrent à étirer et à allonger manuellement leurs petites lèvres ainsi

que leurs clitoris. Les hommes luluwa apprécient beaucoup les

femmes dont les petites lèvres et clitoris sont suffisamment

développés pour les caresses érotiques. Néanmoins, chez les femmes

grasses, on conseille de ne pas trop s’adonner à cette pratique parce

que les petites lèvres trop développées gênent non seulement la

démarche mais surtout la transpiration provoque des liquides qui

indisposent la femme elle-même.

L’excision est inconnue des Beena Luluwa18

bien que cette

pratique constitue la clé de voûte de l’initiation de la jeune fille dans

beaucoup de sociétés de l’Afrique noire. Chez les Bambara,

l’excision des filles a un sens équivalent à celui de la circoncision des

garçons d’après Viviana PAQUES.19

Elle les libère du support

physique mâle résidant dans le clitoris.

Parlant de la pratique de la clitoridectomie chez les Gikuyu

du Kenya, Jomo KENYATTA écrit : « Il importe de comprendre

l’importance énorme de cette opération dans les réactions

psychologiques de la tribu ; elle est toujours considérée comme la

base même d’une institution qui a de multiples implications

éducatives, morales sociales et religieuses. Il est impossible

actuellement à un membre de la tribu d’imaginer une initiation qui se

déroulerait sans clitoridectomie. Pour les Gikuyu, l’abolition de

l’élément chirurgical signifierait l’abolition de l’institution elle-

17 TSHIJUKE WA KABONGO, S., Histoire politique des Luba-Luluwa et Lubaïsés

du Kasaï (Des origines à 1968), Tome I, Kananga, Ed. de l’Institut Supérieur

Pédagogique de Kananga, 2006, p. 63. 18 Ibidem, P. 64. 19 PAQUES, Viviana, Les Bambara, Paris, P.U.F., 1954, pp. 92-93.

145

même ».

20 Une étude anthropologique sérieuse, poursuit l’Auteur,

montre que la clitoridectomie - tout comme la circoncision chez les

Israélites – est une mutilation corporelle considérée, en quelque sorte,

comme la condition « sine qua non » pour recevoir un enseignement

religieux et moral complet. L’initiation des garçons et des filles est la

plus importante des coutumes Gikuyu. Grâce à elle, l’enfant atteint sa

majorité, il peut s’intégrer à la communauté. La plupart des peuples

africains en sont les adeptes, et on en trouve trace à peu près sur tout

le continent. Il est nécessaire d’étudier de très près les éléments d’une

pratique largement répandue, afin de saisir pourquoi les Africains

s’attachent à ce qui passe aux yeux des Européens pour un traitement

« horrible » et « douloureux », qui ne peut convenir qu’à des

barbares.21

Pour mieux saisir la portée de cette prise de position de Jomo

KENYETTA, il faut la situer dans le contexte de l’accusation de la

pratique de la clitoridectomie. En effet, cette pratique à été l’objet de

vigoureuses attaques de la part de nombreux Européens influents :

missionnaires, Pro-Africains sentimentaux, dirigeants, médecins et

éducateurs.22

Les Beena Luluwa éduquent-ils toujours dans la

douceur ?

3. Violence, humiliation et récompenses dans l’éducation

traditionnelle des Beena Luluwa

Nous ne pouvons pas passer outre un aspect négatif qui fait

tâche d’huile dans l’éducation traditionnelle des Beena Luluwa : la

violence faite à l’enfant, qu’il soit garçon ou fille. Injures, punitions

corporelles, coups des poings, coup de fouet et voire tortures

accompagnent souvent les remontrances et les remarques adressées à

l’enfant.

La méchanceté des personnes adultes, sous prétexte

d’éduquer, atteint ou frise parfois le scandale et le crime. Les erreurs

20 KENYATTA, Jomo, Au pied du mont Kenya, (Traduit de l’anglais par G. Marcu et

P. Balta), Préface de Georges Balandier, Paris, François Maspero, 1960, p. 117. 21 Ibidem, pp. 117-118. 22 Ibidem, p. 115.

146

et les fautes commises par les enfants sont souvent mal digérées par

les adultes. D’où que l’enfant se trouve victime de toutes sortes de

mauvais traitements évoqués ci-dessus.

L’humiliation de l’enfant, dirait-on, est inhérente et

inséparable de son éducation en milieu social luluwa. L’injure facile

est le lot de la mère principalement. Une mère luluwa manque

souvent des tacts dans l’éducation de ses enfants. Un enfant qui a

manqué à son devoir ou qui a déçu les espoirs est toujours victime de

mauvais traitement de son entourage familiale et communautaire. Les

injures telles que « kanyama »,23

« kabi »,24

« kabole »25

,

« kasenji »,26

« kapote »,27

« kabwa »,28

etc., sont distribuées aux

enfants par leurs mères, pères, leurs grandes-sœurs, leurs grands-

frères ou par d’autres personnes. Le « Ka » est un diminutif qui

accentue et renforce l’aspect humiliant et péjoratif des termes utilisés.

Eduquer en humiliant est à la mode dans l’éducation

traditionnelle luluwa. Bref, l’éducation traditionnelle luluwa

s’accompagne toujours de l’humiliation de l’enfant et de la violence

verbale faite à ce dernier.

Néanmoins cette humiliation et cette violence s’adressent

particulièrement aux enfants paresseux, impolis et espiègles et ne

cachent point les récompenses encourageantes dont bénéficient un

enfant soumis, poli, brave et débrouillard. Pareil enfant est couvert

d’éloges et de récompenses afin de stimuler davantage son bon

comportement ou ses petits exploits. Il est pris en modèle et vanté par

son entourage.

Conclusion

L’éducation dans la société luluwa ancienne était un système

qui assurait une formation intégrale à l’enfant quel que soit son sexe.

23 KANYAMA : Bestiole, de « Nyama », bête, animal. 24 KABI : Lait : Kabi est diminutif de « Mubi », lait, mauvais. 25 KABOLE : Puant, pourriture. 26 KASENJI ; Imbécile ; Kasenji est diminutif de « Musenji », imbécile. 27 KAPOTE : Importun ; Kapote est diminutif de « Mupote », importun. 28 KABWA : Chiot ; Kabwa est diminutif de « Mbwa », chien.

147

Cette formation touchait tous les aspects de la vie individuelle, de la

vie familiale et de la vie communautaire tant au niveau magico-

religieux et moral qu’au niveau économique et social. L’éducation

traditionnelle luluwa reposait sur un idéal de travail manuel et de

responsabilité mais elle était aussi graduelle c'est-à-dire s’étendait de

la naissance à l’âge adulte. L’idéologie dont se nourrissait le système

éducatif luluwa était les croyances et les pratiques coutumières ou

tout simplement la coutume au sens ethnologique du terme. Selon

cette acception, la coutume luluwa englobe l’ensemble d’usages, des

pratiques, des rites, des mœurs et des croyances de l’entité ethnique

luluwa, le tout vécu et exprimé dans une même langue, le Céena

luluwa.

L’éducation traditionnelle luluwa était dans l’ensemble

l’affaire de tout le monde. Toute personne majeure ou même plus

âgée sans être majeure, avait mission de participer à l’éducation des

plus jeunes pour leur faciliter l’accès à la vie active et civique, même

si le gros de la tâche revenait à la famille dans la première enfance.

La spécialisation intervenait dans l’apprentissage des métiers, mais il

y avait un effort constant de tous pour assurer à chacun une base

culturelle commune.

Tout au long du texte, il est apparu que l’éducation luluwa

répondait aux conditions économiques, sociales, magico-

religieuses et même politiques de la société traditionnelle ; qu’elle

embrassait aussi bien la formation du caractère, le développement des

aptitudes physiques et des qualités morales que l’acquisition des

connaissances et des techniques nécessaires pour permettre à tout

homme et à toute femme de participer activement à la vie sociale

sous ses différents aspects ; qu’elle n’était pas séparée de

l’instruction, et qu’au contraire ces deux aspects étaient constamment

et intimement liés. L’éducation traditionnelle des Beena Luluwa se

présente donc comme une éducation gratuite, populaire, coutumière,

démocratique, collectiviste et surtout intégrale. Cependant, la

violence verbale, l’humiliation et les sévices corporels ne cessent

d’accompagner cette éducation nonobstant les récompenses, les

éloges et les encouragements occasionnellement réservés aux enfants

obéissants, laborieux, respectueux et débrouillards.

148

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maternité dans l’art luluwa du Kasaï, mémoire de Licence en

Histoire, Université Nationale du Zaïre, Campus de

Lubumbashi, Faculté des Lettres, Département d’Histoire, 1973-

1974.

12. WAFUANA-KUTAMBI KAPANDA Mbuembue, Emery,

L’épopée de Kalamba Mukenge. Naissance du peuple luluwa,

Tournai, Institut Don Bosco, 2002.

13. VAN BULCK, A., Les recherches linguistiques au Congo

Belge, Bruxelles, mémoire in-8°, Section Sci. Mer. Et Pol., XVI,

I.R.C.B., 1948.

14. VAN ZANDIJCKE, A., Pages d’histoire du Kasaï, Namur,

collection Lavigerie, Grands-Lacs, 1953.

150

151

LES FORMES DE L’ETAT EN REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO DE 1960 A NOS JOURS

LWAMBA Bilonda Michel * et

SANGWA Masikini.Bin Musinde Hancko*

Introduction

Le présent exposé porte sur les différentes formes que l’Etat

Congolais a revêtues depuis son indépendances en 1960 jusqu’à ce

jour. Mais avant de retracer l’histoire même de la RDC, nous avons

estimé qu’il fallait pour faciliter la compréhension de notre thème, en

définir les concepts clés. Voilà pourquoi cet exposé est divisé en

deux parties ; la première, théorique, consacrée à la définition des

concepts et, la seconde, concrète, retraçant l’histoire des formes de

l’Etat au Congo. Une petite conclusion clôture notre texte.

Première partie : la définition des concepts

Les concepts clés de notre communication sont : l’Etat

unitaire, l’Etat fédéral et la Confédération. A ces termes s’ajoutent

secondairement la décentralisation et la centralisation.

1. L’Etat Unitaire

Le concept unitarisme n’existe pas dans le dictionnaire. Par

contre il existe l’expression Etat Unitaire. Et pour la définir, nous

nous sommes référés, outre le dictionnaire Larousse, à l’ouvrage de

Paul Leroy, Professeur à l’Université de Grenoble (1). Selon ce

* Professeur Ordinaire à l’Université de Lubumbashi (RDC).

* Assistant à l’Université de Lubumbashi

152

professeur, l’Etat unitaire est celui qui est caractérisé par l’existence

d’un centre unique de décision politique. Des organes de l’Etat

siégeant dans la capitale émanent un ordre juridique unique valant

pour l’ensemble de la population sur tout le territoire national.

L’Etat unitaire, dans le cadre de son ordre juridique unique

peut se présenter soit exclusivement dans sa logique centralisatrice

ou, au contraire, admettre que, sous conditions particulières précises,

certaines décisions lui échappent. L’Etat peut ainsi être centralisateur

au sens où toutes les décisions sont prises par ses organes, qu’ils

siègent dans la capitale ou qu’ils soient disséminés sur l’ensemble du

territoire (ce qu’on appelle déconcentration). Mais l’Etat peut surtout,

tant pour des raisons techniques que pour tenir compte d’urgence

démocratiques, admettre la décentralisation. Avec elle, des décisions

sont le fait d’entités internes à l’Etat mais distinctes de lui. Mais avec

elles également, ces décisions sont prises sous un certains contrôle de

l’Etat et surtout dans le respect de la réglementation constitutive de

son ordre juridique. Même étendue la décentralisation (le fait de

donner certains pouvoirs aux collectivités locales) ne porte atteinte au

caractère unitaire de l’Etat.

En France (le prototype de l’Etat unitaire), la décentralisation

s’exprime au plan fonctionnel avec l’attribution à certains services de

la personnalité juridique (Aptitude d’un groupement d’un individu à

être de droit) et d’une certaine autonomie (par exemple les

universités) et surtout au plan territorial. L’article 72 de la

constitution du 4 octobre 1958 accordés aux communes et aux

départements, ainsi qu’aux collectivités territoriales (les régions), le

pouvoir de s’administrer librement par des conseils élus dans des

conditions prévues par la loi.

Lorsque la centralisation se développe, l’accroissement des

compétences accordées aux entités qui bénéficient peut faire hésiter

sur la nature de l’Etat.

1P. Leroy, les régimes politiques du monde contemporain. Introduction Générale.

Les régimes politiques des Etats libéraux, Grenoble, P.U.G., 2001, 176p. N.B. Les

définitions sont tirées des pages 26 et suivantes.

153

2. L’Etat Fédéral

D’après le dictionnaire Larousse, la fédération ou l’Etat

fédéral est un regroupement d’Etats–succédant souvent à une

confédération- qui constitue une unité internationale distincte

superposée aux Etats membres, et à qui appartient la souveraineté

externe.

Paul Leroy qui reprend les mêmes éléments du dictionnaire

les explicite d’avantage. Dans le langage courant, dit-il, l’Etat fédéral

est un « Etat fait d’Etats ». Mais ajoute-il, cette formule est

paradoxale et doit être écartée du fait qu’elle manque de valeur

explicative au regard du caractère souverain de l’Etat. Les entités

composantes, même si elles possèdent l’appellation d’Etat, n’en ont

pas vraiment le caractère. L’Etat fédéral est un Etat marqué par

l’existence de plusieurs ordres juridiques subordonnés. Structure

complexe, l‘Etat fédéral dépasse la pluralité des entités composantes

par l’unicité de l’existence d’autant d’ordres juridiques chaque

« Etat » fédéré dispose d’une structure étatique propre : parlements

gouvernementaux, tribunaux agissent dans le cadre d’un

ordonnancement juridique spécifique. Naturellement ces ordres

juridiques sont placés dans une situation de subordination par rapport

à l’ordre juridique fédéral là où ce dernier s’exprime.

L’organisation de l’Etat fédéral répond à deux principes.

Selon la loi d’autonomie, chaque Etat fédéré a le droit d’exercer

certaines compétences. Dès lors la constitution fédérale répartit les

compétences entre la Fédération et les Etats membres selon un

partage évidemment susceptible de connaître les modalités les plus

variables, au centre ou à la périphérie. La pratique habituelle accorde

des compétences d’attribution c’est –à-dire des compétences de

souveraineté à la Fédération, et celle de droit commun aux Etats

fédérés, mais d’importances respectives diverses. Naturellement, un

tel système porte en lui-même le conflit. Tant la fédération que les

Etats membres peuvent chercher à établir leurs champs

d’interventions respectifs. Il importe dès lors qu’un organe de l’Etat

juridictionnel pour être indépendant (cas de la cours suprême des

Etats-Unis), puisse dire le droit par application et interprétation de la

constitution et agir ainsi en régulation de ce système complexe. La

154

logique du système est également prise en compte par la loi de

participation des entités composantes au fonctionnement de

l’ensemble. En tant que telles, les entités composantes sont

représentées au niveau de la fédération et interviennent ainsi dans son

organisation. Très habituellement le parement de l’Etat fédéral est

bicaméral : l’une des chambres représente la population avec ses

membres désignés en considération de données démographiques (un

parlementaire pour 100.000 ou 300.000 électeurs par exemple) ; la

seconde représente, elle, les Etats fédérés et ceux-ci désignent,

éventuellement par leurs assemblées (Allemagne), les membres de

cette chambre sans tenir compte parfois même de l’importance de

population (Etats-Unis où chaque Etat désigne deux sénateurs).

Le système fédéral, par logique, est un système complexe

mais sa complexité porte en elle ‘avantage de la souplesse au plan de

la répartition des compétences comme à celui de la participation à la

gestion de l’ensemble, les solutions les plus variées peuvent être

retenues. Le fédéralisme peut ainsi s’adapter à la réalité des Etats

occidentaux (Etats-Unis, Suisse, Allemagne…) ou socialistes (URSS)

ou encore des Etats du tiers monde parmi les plus importants (Brésil,

Nigeria, Inde…). Il peut aussi s’adapter à l’évolution de la société.

En certaines circonstances, comme aux Etats-Unis depuis deux

siècles, il peut évoluer vers un renforcement de l’influence fédéral

mais aussi tolérer, comme dans les années 90, de momentanés retours

de balancier. En revanche, en Yougoslavie dans les années 70, il

admet le renforcement des républiques fédérées au détriment de

l’organisation centrale de l’Etat. Mais dans cette voie, à la limite, la

dissociation de l’Etat fédéral peut être atteinte.

3. La confédération

Selon le dictionnaire Larousse, la confédération est une

union d’Etats souverains qui constituent une forme de transitoire dont

l’aboutissement consiste soit en sa dissolution, soit en sa

transformation en Etat fédéral. Et ici, Larousse nous donne l’exemple

de la Suisse qui, tout en conservant son nom officiel de confédération

helvétique constitue depuis 1874 un Etat fédéral.

155

Amplifiant la définition du dictionnaire, Paul Leroy précise

que la confédération est l’union des Etats qui demeurent

véritablement des Etats, donc des entités indépendantes, sujet de droit

international. La confédération elle-même, n’est pas un Etat. Les

Etats membres tout en conservant leurs caractéristiques d’Etat,

renoncent à exercer seuls certaines de leurs compétences. Ces

compétences ainsi gérées en commun ne marquent pas pour autant

l’abandon de souveraineté dans la mesure où l’organe commun ne

peut agir qu’en prenant les décisions à l’unanimité.

Dans le passé, les confédérations ont surtout pris en charge la

gestion commune de la diplomatie ou de la défense des Etats qui,

seuls, redoutaient les conséquences de leur faiblesse et qui

entendaient s’unir pour se préserver d’une domination de puissants

voisins.

La confédération a parfois précédé l’Etat fédéral. Tel est le

cas aux Etats-Unis ou en Suisse où elle se révèle insuffisante et fait

prendre conscience de la nécessité d’une plus forte intégration. Il

apparaît, actuellement, qu’elle pourrait succéder à l’Etat fédéral. Cela

aurait pu être le cas en Yougoslavie si la guerre intérieure n’avait pas

voué à l’affrontement irréductible les républiques qui accédaient à

l’indépendance. Cela aurait pu être surtout le cas en URSS, après sa

dissolution, si la structure d’ensemble mis en place en décembre

1991 sous la dénomination de « communauté des Etats

indépendants » (CEI) et chargé essentiellement, d’une mission de

coordination aux plans économiques et militaires, était devenue une

réalité.

Deuxième partie : les formes de l’Etat au Congo de 1960 à ce jour

La partie théorique ayant présenté la réalité de

chaque forme d’Etat, nous pouvons aborder la situation concrète de

l’histoire de la RDC depuis son indépendance en 1960. Nous

présentons dans un premier temps l’antécédent colonial.

156

1. La forme de l’Etat congolais à l’époque coloniale (1885-1960)

De 1885 à 1960, le Congo n’a été qu’un Etat unitaire, tantôt à

forte centralisation, tantôt décentralisé. Pendant la période de l’Etat

indépendant du Congo (1885-1908), tous les pouvoirs étaient

concentrés dans les mains du Roi Léopold II, fondateur et

propriétaire de l’E.I.C. il dirigeait à Bruxelles le Gouvernement

Central du Congo composé au départ de 3 départements dont le

nombre sera porté à 4 en 1894. Au Congo, le Roi était représenté par

le gouvernement local établi d’abord à Vivi, ensuite à Boma. A la

tête de ce gouvernement se trouvait un gouverneur général, secondé

par un vice- gouverneur général, un inspecteur d’Etat, un secrétaire

général et plusieurs directeurs. Le Congo fut divisé en 11 districts en

1888, nombre qui sera porté à 12 en 1890 et à 15 en 1895. Les

districts seront subdivisés en zones, les zones en secteurs, en postes.

Les décisions étaient prises à Bruxelles, répercutées à travers le

Congo par le gouvernement local de Boma. Cette centralisation était

quelque peu atténuée par le système des compagnies

concessionnaires (compagnie du Katanga, comité spécial du Katanga,

Compagnie du Kasaï, etc.) auxquelles l’Etat avait délégué certaines

de ces prérogatives dans les parties du territoire congolais non encore

bien occupées.

En 1908, le Congo cessa d’être une propriété privée du Roi

Léopold II pour devenir la Colonie Belge. Il demeura un Etat unitaire

mais à partir de 1910, la Belgique amorça la décentralisation avec la

création de la province du Katanga dont le gouverneur était doté de

larges pouvoirs qu’aucun autre gouverneur de province n’aura au

cours de la période coloniale. La décentralisation qui était aussi

judiciaire avec la création de la 2ème

Cour d’appel du Congo Belge à

Elisabethville et de quelques tribunaux de 1ère

instance, sera

consacrée par l’arrêt royal du 28 Juillet 1914 instituant la division du

Congo en 4 provinces, 22 districts et 185 territoires. Certains services

furent transférés de Bruxelles à Boma. Le gouverneur général fut

secondé par un conseil de gouvernement et les gouverneurs de

provinces par des comités régionaux. Cette structure va rester en

place jusqu’à la grande crise mondiale des années trente.

157

Pendant ladite crise, la décentralisation fut abandonnée au

profit d’une centralisation à outrance. Tous les pouvoirs furent de

nouveau centralisés à Bruxelles et Léopoldville, la nouvelle capitale

du Congo Belge. Le nombre de province fut porté de 4 à 6, chacune

portant le nom de son chef-lieu. Les gouverneurs de provinces furent

appelés commissaires de province et un corps des inspecteurs d’Etat

chargés d’inspecter les provinces fut mis sur pied à Léopoldville. Le

Congo Belge, toujours unitaire, demeura centralisé jusqu’en 1947.

Avec l’arrêté royal du 1èr juillet 1947 la décentralisation reprit le

dessus sur la centralisation c’est la structure qui parviendra au 30 juin

1960.

2. La 1ère

république et l’Etat fédéral au Congo (1960-1966)

A la proclamation de l’indépendance, le Congo était régi par

la loi fondamentale promulguée par le Roi Baudouin le 19 mai 1960.

Cette constitution de 260 articles, était l’œuvre de spécialistes belges

assistés de 6 congolais (Bomboko, Kama, Kanga, Kapongo, Kibwe et

Kititwa). Inadaptée aux circonstances de lieu et de temps, elle fut la

source de la plupart des conflits qui entraînèrent le Congo dans le

chaos et l’anarchie. La constitution du 19 mai 1960 reproduisit en

Afrique le régime politique parlementaire appliqué en Belgique : un

pouvoir exécutif bicéphale (président et premier ministre) dont les

attributions n’étaient pas très bien précisées, un parlement bicaméral

(sénat et chambre des représentants) dont aucune chambre n’avait la

préséance sur l’autre ; un régime fédéral permettant à toute province

de se transformer en Etat indépendant. Ainsi au terme de la loi

fondamentale, le Congo avait un président (Kasa-Vubu) et un

gouvernement dirigé par un premier ministre (Lumumba) dont on ne

voyait pas bien qui avait la préséance sur l’autre. On comprend dès

qu’ils se soient révoqués réciproquement le 5 septembre 1960. Au

parlement congolais, la chambre des représentants était composée de

137 députés, à raison d’un député pour 100.000 électeurs. Aucun

parti politique n’y détenait la majorité absolue. Le MNC/Lumumba

avec ses alliées détenait 41 sur 137, soit 30% ; le PNP, 23 sièges soit

16,78% ; le PSA 13 sièges, soit 9,48%, l’ABAKO, 12, soit 8,75% ; le

CEREA et la CONAKAT, 10 sièges (5,10%). Par contre le Sénat

158

était composé de 84 sénateurs, à raison de 14 par provinces, tous élus

par l’assemblée provinciale.

Dans chaque province, une assemblée élue élit à son tour un

gouvernement de 11 membres : 10 ministres et un premier ministre

président. Dans les 6 provinces, les gouvernements furent présidés

respectivement par Cléophas Kamitatu Massamba (Léopoldville),

Laurent Eketebi Mooyidiba Mondjo-lombwa (Equateur), Jean pierre

Finant (Povince Orientale), Jean Miruho (Kivu), Moise Tshombe

(Katanga) et Barthélemy Mukenge (Kasai). Pour les assemblées

provinciales, les seuls présidents dont nous avons pu trouver les

noms sont ceux de l’Equateur (Ekoko), du Kivu (Abraham Lwanwa),

du Katanga (Charles Mutaka wa Dilomba) et du Kasai (Dominique

Manono). L’indépendance du Congo était acquise dans une

atmosphère empoisonnée. Voilà pourquoi le pays a vite sombré dans

l’anarchie. Il y avait trop de contradictions à gérer : entre unitaristes

(Lumumba) et fédéralistes (Kasa-Vubu, Tshombe,Kalonji), entre les

extrémistes (Lumumba, Gizenga) et les modérés (Kasa-vubu,

Tshombe), entre le pouvoir central et certaines provinces (Katanga,

Kivu, Equateur), entre les civils et les soldats, entre certains groupes

ethniques et, entre les citadins et les ruraux, entre pro-capitalistes et

pro-communistes.

Le 4 juillet 1960, soit 5 jour après la proclamation de

l’indépendance, la force publique se mutina et fut africanisée le 8

juillet. Cet évènement fut le détonateur de beaucoup d’autres, plus

graves encore : l’intervention des troupes belges (10 juillet 1960), la

sécession du Katanga (le 11 juillet), l’appel de Kasa-vubu, et

Lumumba au Secrétariat Général des Nations Unies (l’arrivée des

troupes de l’ONU au Congo (le 15 juillet), la sécession du Kasaï (le 9

août 1960), le massacre des Bakwanga (27-31 août), la révocation

réciproque du Président Kasa-Vubu et du premier ministre Lumumba

(le 5 septembre 1960), la création du collège des commissaires

généraux installé le 29 septembre 1960, la fuite de Gizenga et

l’installation d’un gouvernement lumumbiste à Stanleyville (octobre

1960), la tentative manquée de fuite de Lumumba (27 novembre

1960) suivie de son arrestation (2 décembre 1960) son incarcération à

Thysville et finalement son transfert et son assassinat au Katanga (17

janvier 1961). Cet assassinat sera suivi de l’arrestation à Léopolville

159

de 7 Lumumbistes (Elengesa, Finant, Fataki, Lumbala, Muzungu,

Nzuzi, Yangala) et leur transfert à Bakwanga où ils seront massacrés

après avoir été condamné à mort par le tribunal des Chefs coutumiers

Baluba du Kasai. Il y avait à ce moment-là (février 1961) sur le

territoire congolais 4 gouvernements (Léopoldville, Stanleyville,

Bakwanga et Elisabethville) et 5 armées (Léopolville, Stnleyville,

Bakwanga, Elisabethville plus les forces des Nations Unies). L’ANC

se réunifia en Avril 1961 et mit fin au gouvernement Gizenga de

Stanleyville (Janvier 1962) l’ONU résorba successivement les

gouvernements du Kasaï (Janvier 1962) et du Katanga (janvier 1963).

Le gouvernement de Léopoldville demeura l’unique gouvernement

du Congo. Dans l’entre-temps, de nouvelles provinces virent

progressivement le jour à travers le Congo, à l’instar de celle du Sud-

Kasaï, née le 9 août 1960 sous le nom de l’Etat autonome du Sud-

Kasaï, ou encore la province du Nord-Katanga, née en octobre sous

le nom de province de Lualaba dont l’objectif était d’affaiblir le

gouvernement de Moïse Tshombe à Elisabethville.

C’est surtout en 1963 que la prolifération des nouvelles

provinces s’affirma et le Congo passa de 6 à 21 provinces réparties

comme suit : 3 au Katanga, 3 au Kivu dans la province orientale, 3 à

l’Equateur, 4 dans la province de Léopoldville et 5 au Kasaï. Ces

nouvelles provinces furent appelées aussi provincettes. Le système

fédéral fut maintenu. Etant donné que la plupart des leaders congolais

attribuaient la crise politique congolaise à la loi fondamentale du

19mai 1960, il fut décidé d’élaborer une nouvelle constitution. Du 10

janvier au 11 avril 1964, une commission constitutionnelle siégea à

Luluabourg pour ce faire. Présidée par Joseph Iléo, secondé par

Marcel Lihau, la Commission réunit 127 participants dont 84

délégués des 21 provinces à raison de 2 par gouvernement provincial

et 2 par assemblée provinciale, 4 membres du gouvernement central,

12 représentants des syndicats, 6 des Eglises, 15 des employeurs, 2

de la presse, 2 des associations des étudiants, 2 du conseil national de

la jeunesse et 9 des collectivités rurales. Cette constitution élaborée

d’une façon consensuelle, fut promulguée le 1èr août 1964 par le

président KASA-VUBU. Elle totalisait 204 articles.

Avec une constitution, le Congo devenu République

Démocratique du Congo, demeurait une république fédérale,

160

composée de la ville de Léopoldville et de 21 provinces : Katanga

Oriental, Lualaba, Nord-Katanga, Maniema, Kivu central, Nord-

Kivu, Haut-Congo, Kibali-Ituri, Uele, Ubangi, Moyen-Congo,

Cuvette centrale, Lac léopold II, Kwango, Kwilu, Kongo central,

Unité kasaienne, Luluabourg, Sankourou, Lomami, Sud-Kasaï. Les

provinces étaient autonomes et avaient une personnalité juridique.

Les assemblées et les gouvernements provinciaux étaient maintenus.

Cependant, les pouvoirs des gouvernements provinciaux furent

réduits. A titre d’exemple, la constitution a remplacé le titre de

Président Provincial par celui de Gouverneur de province. Et celui-ci

devait prêter serment devant le Président de la République. D’autres

part elle a institué la conférence des gouverneurs de province qui

devaient se réunir au moins une fois sous convocation de son

président, le chef de l’Etat. Cette conférence avait comme objectif de

renforcer l’unité de la République et de faciliter la coordination de la

politique des provinces. Avec pareille structure, il n’était plus facile

de faire sécession. Au niveau national, les institutions prévues par la

constitution de Luluabourg furent :

- La présidence de la République ;

- Le gouvernement dirigé par un premier

ministre ;

- La cour constitutionnelle ;

- Les cours et tribunaux.

Les pouvoirs du président de la République furent renforcés

ainsi que sa prééminence sur le gouvernement et le premier ministre

qui était d’ailleurs nommés et le cas échéant révoqués par lui. Son

mandat était de cinq ans comme l’avait prévu aussi la Loi

fondamentale. Il était renouvelable une seule fois. Le président

n’était pas élu au suffrage universel, mais plutôt par un corps

électoral composé par les membres du parlement et ceux des

assemblées provinciales. La constitution de Luluabourg a également

réparti les compétences entre le pouvoir central et celle des droits

communs en provinces.

161

3. L’Etat unitaire au Congo (1967 à nos jours)

Le 24 novembre 1965, le Général Mobutu s’empara du

pouvoir, officiellement pour 5 ans, mais en réalité pour toujours. Il

instaura la politique de l’élimination physique des opposants qui

coûta cher à Evariste KIMBA, Jérôme ANANY, Emmanuel BAMBA

et Alexandre MAHAMBA, pendus publiquement le 2juin 1966 à

Kinshasa. Il réduisit d’autorité le nombre de provinces qui qui

passèrent de 21 à 12. Et après avoir fait arrêter quelques gouverneurs

de province, il prit le 25 décembre 1966 une ordonnance qui réduisit

encore le nombre des provinces de 12 à 8 plus la ville de Kinshasa à

la tête de laquelle fut nommé un gouverneur militaire (Colonel

Bangala). Par la même ordonnance, il supprima les assemblés et les

gouvernements provinciaux. Il fit élire des gouverneurs le 27

décembre 1966 avant de les permuter le 3 janvier 1967. Depuis le 24

octobre 1966, il avait limogé le Général Léonard Mulamba de ses

fonctions de premier ministre et cumula depuis lors les fonctions de

Chef de l’Etat et Chef de gouvernement. Toujours en 1966, il avait

crée le corps des volontaires de la République (CVR), chargé de

traquer les opposants et d’orchestrer sa propagande. Et le 20 mai

1967, il créa un parti unique, appelé Mouvement Populaire de la

Révolution (MPR) dont les congolais étaient membres dès leur

naissance. Ce parti fut institutionnalisé en 1970 avant de devenir en

1974, l’unique institution du pays et parti-Etat en 1984. Le 24 juin

1967, jour de la sortie de la nouvelle monnaie le Zaïre et de la

création du syndicat unique, l’UNTC, Union Nationale des

Travailleurs Congolais, il promulgua une nouvelle constitution dite

révolutionnaire. Selon cette constitution de 82 articles, la RDC est un

Etat unitaire, démocratique et social, qui comprend la ville de

Kinshasa et les 8 provinces. Les provinces n’ont plus aucun pouvoir

par rapport aux institutions centrales qui sont par ailleurs dominées

par le Président de la République. Ce dernier est désormais élu au

suffrage universel pour un mandat de 7 ans renouvelable à l’infini. A

chaque élection, il était candidat unique (1970, 1977 et 1984). Après

avoir supprimé le parlement congolais en 1967, il créa en un autre en

1970 sous le nom de Conseil législatif au sein duquel il nomma lui-

même tous les députés appelés alors commissaires du peuple. Le

162

parti avait la prééminence sur toutes les autres institutions de la

République réduites au rang de branches spécialisées du parti. Le 1èr

juillet 1977, à la suite de la guerre des 80 jours, il instaura le système

électif au sein du MPR et nomma un premier commissaire d’Etat

(premier ministre) mais qui, loin d’être le Chef du Gouvernement,

n’en était qu’un coordonnateur, le chef n’en étant autre que le

Pr2sident Mobutu. Les élections furent alors organisées au niveau des

conseils respectifs de collectivité, de zone et du conseil législatif

ainsi qu’au bureau politique. Elles furent renouvelées au niveau des

collectivités, des zones urbaines et du conseil législatif en 1982 et en

1987-1989. Le conseil législatif eut le droit d’interpeller les PDG

d’entreprises et les ministres. Mais lorsque le président Mobutu se

rendit compte du danger que représentaient les interpellations au

conseil législatif. Il y mit fin par son discours du 4 février 1980. Et le

2 septembre suivant, il créa un Comité Central du MPR ayant la

préséance sur les autres organes d’une part, dont le conseil législatif,

renvoyé au 7ème

rang. C’est contre cet état de chose que les 13

parlementaires réagirent par la pétition du 31 décembre 1980.

Entre temps depuis 1973, l’animation politique avait été

instituée au Congo, devenu depuis le 27 octobre 1971, la République

du Zaïre. Des groupes d’animation furent créés a tous les niveaux de

la structure administrative et dans toutes les entreprises et institutions

d’enseignement pour chanter et danser à la gloire du Président

Mobutu, devenu le Président Fondateur, le timonier, le guide

clairvoyant, le père de la nation, le bâtisseur, l’unificateur, le

pacificateur, etc.

Le Président Mobutu a structuré l’armé de manière à

renforcer sans cesse son pouvoir effectif. En 1962-1963, garde était

portée à la hauteur d’un bataillon de 800 parachutistes, commandés

par le major Tshathi. En 1976, la garde du président atteignit une

brigade avant de devenir la division spéciale présidentielle (DSP)

dont le rôle consistait à protéger la personne, la famille, les biens du

Président Mobutu.

C’était une armée dans l’armée. Le président a multiplié les

corps d’arme pour mieux diviser les militaires. En 1966, il avait

réunifié toutes les polices du Congo en une seule et unique police

nationale congolaise (PNC) en 1972, il la supprima en la fusionnant

163

avec la gendarmerie de l’armée nationale (ANC), devenue au cours

de la dite armée les forces armées zaïroises (FAZ). Les FAZ étaient

alors structurée en plusieurs corps et armes : la Force terrestre, la

Force aérienne, la Force navale, la Gendarmerie nationale, la D.S.P.

auxquelles s’est ajoutée la garde civile en 1984. Il avait aussi

abandonné l’organisation militaire belge héritée de la colonisation au

profit de l’organisation française qui lui a permis de s’octroyer le

grade de maréchal en 1983.

Bref, avec le président Mobutu, la RDC était un Etat unitaire

à forte centralisation dont tous les pouvoirs étaient réunis entre les

mains d’un seul individu. Tout partait de lui et tout aboutissait à lui.

Après la chute du mur de Berlin (09/11/1989) et l’exécution

de son ami Roumain, le président Nicolae Ceausescu (décembre

1989), il organisa les consultations populaire qui se terminèrent par le

discours du 24 avril 1990, par lequel il mettait fin au parti-Etat et

donc la 2ème

République. Il nomma un premier ministre de la

transition (Lunda-Bululu) et après quelques remaniements, la

Conférence Nationale Souveraine (CNS) s’ouvrit le 7 août 1991. A

l’issu de la CNS, le Zaïre eut comme structure politique, le président

de la République, le Haut-conseil de la République Parlement de

Transition (HCR-PT) et le gouvernement. Le président nomma les

gouverneurs de provinces originaires, mais le Zaïre était toujours un

Etat unitaire. Des conflits ethniques éclatèrent ça et là, à travers le

pays.

Le 17 mai 1997, le président Mobutu fut chassé du pouvoir

par l’AFDL de Laurent-Désiré KABILA, soutenue par les Rwandais

et les Ougandais. Le nouveau Président, Laurent-Désiré KABILA, se

retrouva lui aussi devant un boulevard, car il avait, en face de lui,

aucun autre pouvoir concurrent, d’autant plus qu’il venait de

supprimer les conseils communaux en état de déliquescence ainsi que

tous les partis politiques à l’exception du sien, l’AFDL. Il gouverna

par décrets et renforça la centralisation politique et administrative. En

juillet 1999, il supprima l’AFDL et créa le Comité de Pouvoir

Populaire (CPP) qui existe en Libye. Mais depuis le 2 août 1998, une

nouvelle guerre avait éclaté à l’Est, supervisée par le Rwanda et

l’Ouganda.

164

La guerre dite d’agression a eu des conséquences

incalculables sur le Congo : beaucoup de destructions, des morts qui

se comptent par millions, des déplacés de guerre, etc.

Le 16 janvier 2001, le Président Laurent KABILA fut

assassiné. Son fils Joseph KABILA KABANGE accéda au pouvoir et

fit stopper la guerre. Des négociations se poursuivirent pour aboutir,

le 17 décembre 2002 à Pretoria à la signature de l’accord global et

inclusif dont est issu le gouvernement de transition (205 articles)

stipule en son article 5 que la RDC est un Etat unitaire décentralisé,

composé de la ville de Kinshasa et de 10 provinces dotées de la

personnalité juridique.

Conclusion

Etat unitaire, Etat fédéral, Confédération, il n’existe pas à

priori une forme de l’Etat qui soit mauvaise ou soit meilleure par

rapport à l’autre. Le tout dépend de la façon d’appliquer la loi. La

France est Etat unitaire, tandis que l’Allemagne est une fédération.

Mais chaque système se défend. Comme l’a affirmé le Professeur

Leroy, la forme de l’Etat la plus souple c’est l’Etat fédéral. Même

pour le Congo, en considérant son étendue, le système fédéral serait

le mieux venu. Cependant dans l’histoire du pays, le fédéralisme n’a

pas eu beaucoup de chance de s’imposer. Tout d’abord au cours de la

période coloniale (de 1885 à 1960) le Congo n’a connu d’autre

forme que l’Etat unitaire, tantôt centralisé tantôt décentralisé. D’autre

part au cours de la première République lorsque le fédéralisme fut

instauré, ses propres partisans, Tshombe et Kalonji ont péché en

proclamant l’indépendance du Katanga et du Sud-Kasaï. Cette double

sécession a fait peur aux congolais qui entrevoyaient une possible

balkanisation du pays. Ce danger était d’autant plus réel qu’à la

conférence de Tananarive (mars 1961), dominée par les fédéralistes

(Kasa-Vubu, Tshombe, Kalonji), il fut proposé que le Congo

devienne une confédération d’Etats, ce qui signifie que l’Etat

congolais devait disparaître si l’on se réfère à la définition d’une

confédération. Tout ceci explique pourquoi la formule de l’Etat

fédéral fut modifiée par la constitution de Luluabourg du 1èr août, le

coup d’Etat du Général Mobutu constitua une deuxième malchance

165

pour le fédéralisme. Mobutu étant partisan de l’Etat unitaire doublé

d’un dictateur, il ne pouvait que mettre fin à l’Etat fédéral. D’autres

part son règne ayant dépassé les 30 ans, les congolais ont eu le temps

d’oublier que le Congo a connu par le passé le régime fédéral.

Bien plus usant du mensonge et du matraquage médiatique, il

a fait croire aux congolais que le fédéralisme est le synonyme de la

sécession et du séparatisme. Et lorsqu’au début de la transition des

années nonante, les troubles ont éclatés de ça et de là,

particulièrement au Katanga, ceci a achevé de convaincre beaucoup

d’observateur que le fédéralisme aboutirait à une chasse à l’homme

dont serait victime les non-originaires. Outre l’arrivée du pouvoir

d’un autre unitariste en la personne du président Laurent-Désiré

KABILA, la troisième malchance du fédéralisme au Congo aura été

la guerre dite d’agression qui a donné naissance au R.C.D. soutenu

par le Rwanda. En effet le R.C..D. ayant opté pour le fédéralisme,

beaucoup de congolais sont convaincus que cette option n’est qu’une

formule trouvée pour faciliter le contrôle du Kivu par le Rwanda et

peut-être de l’Ituri par l’Uganda. Pour éviter cette éventualité un seul

remède se présente : l’Etat unitaire.

Bibliographie

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Kinshasa-Lubumbashi-Kisangani, édition universitaire du

Congo, 1968, 391p.

168

169

AUX ORIGINES DE L’ETAT MODERNE EN AFRIQUE

KIZOBO O’Bweng-Okwess*

Prolégomènes

Il est plus aisé de parler du tronc et des branches d’un arbre

que de ses racines, déclame une sagesse africaine. En effet, à

l’opposé du tronc et des branches, les racines sont invisibles. Mais

sans elles, un arbre ne peut jamais exister. Il en est de même de

l’Etat africain moderne dont les manifestations extérieures s’offrent

facilement à l’analyse scientifique. Par contre son archéologie,

s’avère ardue à saisir d’emblée parce que liée à un mécanisme

historique non moins complexe. En dépit de cette difficulté certaine,

est-il impératif, d’appréhender le fondement historique de ‘Etat

moderne en Afrique si l’on tient à répondre avec satisfaction au

questionnement : « Quel Etat pour l’Afrique de demain ? Mais avant

de se livrer à une sorte d’exégèse factuelle ayant concouru à

l’émergence de l’Etat moderne sur le continent africain, une

interrogation s’impose. Qu’est-ce qu’un Etat moderne ? Si l’Etat,

concept combien polysémique que plusieurs scientifiques ont défini,

se conçoit comme un ensemble d’individus régis par un code

permettant la manière d’être ; la modernité, quant à elle, est une

rupture avec l’ancienneté à laquelle on confère généralement des

pratiques jugées rétrogrades. L’Etat accède ainsi à la modernité

quand il cesse de se concevoir comme l’émanation divine ou

ancestrale pour se considérer comme le produit précieux de la

volonté d’un peuple. L’Etat moderne se reconnaît ainsi par l’usage

qu’il fait de la justice sociale, de l’alternance politique démocratique,

du souci de servir pour le développement du peuple, des droits de

l’homme, de la transparence dans la gestion, etc. A l’intérieur, l’Etat

moderne, comme on peut lire dans l’encyclopédie Encarta, se

caractérise par son monopole de la violence légitime, c’est-à-dire

l’usage légal de la contrainte sur les personnes. Vis-à-vis de

l’extérieur, le trait distinctif de l’Etat moderne est sa souveraineté,

autrement dit son indépendance totale, et sa compétence illimitée.

170

Enfanté par le génie occidental depuis le siècle des Lumières, un tel

Etat moderne n’est que le synonyme de l’Etat démocratique libéral.

Comme on le sait aujourd’hui, beaucoup d’auteurs pensent

que la modernité semble avoir pris en partant a cédé sa place à la

post-modernité que J.-F. Lyotard analyse dans son ouvrage intitulé

« La condition postmoderne ». Selon lui, dans le monde

postmoderne, chacun doit s’accommoder des différences cultures de

l’autre sans attente qu’elles se fondent sur un idéal de civilisation

unique1. Cela étant, on peut se demander sincèrement si ce n’est pas

un Etat post-moderne qu’il faut construire pour l’Afrique en général

et pour le Congo Démocratique en particulier ou encore, l’Etat sur-

moderne pour reprendre l’expression de Georges Balandier dans son

livre dont le titre est : « Civilisé, dit-on ? » Les concepts de « post-

modernité » et de « sur modernité » constitue une interpellation

importante en ce début du XXIe siècle car ils démontrent à

suffisance que l’époque caractérisée jusque-là par les idéaux

progressistes telles que rationalité, science, liberté, vérité, révolution,

etc. mise en cause par les guerres du XXème siècle et par la fin des

Etats totalitaires vient de se terminer et qu’une autre commence.

Dans ce cas, le modèle de l’Etat d’hier, fut-il moderne, risque d’être

anachronique par rapport au « Nouveau Monde ». La formule est

également de G. Balandier. Par ces prolégomènes, je voudrais

susciter un débat de fond sur la problématique de la construction d’un

autre type d’Etat en Afrique du XXIème siècle.

1. Naissance des Etats en histoire

Cela m’amène à m’intéresser à la naissance des Etats en

histoire dans le monde et en Afrique. Plusieurs théories sur les

origines des Etats existent toutes placent à la base de l’émergence des

structures étatiques, la volonté de l’homme de relever un défi donné

dans l’optique de l’historien anglais Toynbee et de s’imposer sur son

semblable, comme le traduit si bien l’adage latin « Homo homine

* Professeur Ordinaire à l’Université de Lubumbashi (RDC). 1 M.FOURNIER, « Postmodernité. Une idée fin siècle ? dans SCIENCES

HUMAINES, Hors série, n° 30 Septembre 2000, p.125.

171

lupus ». A partir de cette double volonté de l’homme, acteur

historique, quatre types d’Etats peuvent être distingués2. Le premier

type d’Etat naît à la suite des travaux hydrauliques. Ce fut le cas de

l’Etat pharaonique en Egypte et des Etats mésopotamiens et

asiatiques. Ce type d’Etat étudié par Marx et Engels, est appelé « Etat

de type asiatique ou Etat à mode de production asiatique (M.P.A.).

Au sein de ce genre d’Etat, l’aristocratie militaire joue un rôle

secondaire. Mais soumis aux aléas de l’histoire, cet Etat peut se

militariser. Le second type d’Etat est celui qui prend naissance à la

suite de la résistance à l’ennemi commun. En effet pour faire face à

un ennemi commun, les populations se réunissent pour lutter contre

le danger en se mettant sous l’autorité d’un chef. Tel fut le cas de la

Nubie ancienne contre les forces armées de César Auguste. Le

troisième type d’Etat et l’avant dernier, émerge quand les populations

autochtones mettent en place, de façon délibérée, un arsenal juridique

visant à écarter les étrangers de la gestion de la société. C’est l’Etat

athénien antique qui avait exclu les métèques de la gestion de la

Cité ? Le dernier type d’Etat, vient au monde lorsqu’un groupe

ethnique s’impose sur les autochtones par le biais d’une conquête

militaire ou non et refusé de se mêler aux vaincus. Dans cet Etat,

l’aristocratie militaire joue un rôle déterminant. La contestation est

toujours ethnique et se termine généralement par le génocide. C’est le

type d’Etat est appelé « Etat de type spartiate ». Exemple, l’Etat

ancien du Rwanda. Certains l’appellent « l’Etat du type tutsi ».

Au total, l’Afrique ancienne a vu émerger par-ci par-là, à

travers le temps, ces différents types d’Etat. On citera à titre

illustratif ; les Etats tels que Kerma, Nubie, Axoum, Ghana, Kongo

Mali, Monomotapa, Lunda, Kuba, Kanem Borno, etc.3 Ces Etats

furent dans la majorité de cas, des monarchies électives comme au

Royaume Kongo. Ce trait politique avait d’ailleurs frappé les Grecs

en séjour en Egypte comme Solon, Diodore de Sicile, car chez eux la

monarchie était héréditaire. La monarchie élective est une des

preuves de la pratique ancienne d’une certaine démocratie dans les

2 C.A.DIOP, Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981, p. 165-171. 3

172

Etats africains antiques. Car cette pratique ne diffère pas du système

de grands électeurs connu aujourd’hui à travers le monde.

Quel fut le sort de ces Etats Africains anciens au contact de

l’Occident ?

L’histoire des relations entre l’Afrique et l’Occident remonte

très loin dans le passé. En effet, les archéologues les situent

volontiers à l’époque préhistorique avec les migrations des

préhominiens comme l’attestent les peintures rupestres qui vont de

l’Afrique australe au sud de l’Europe en transitant par le Sahara.

L’Afrique a aussi eu des contacts avec le monde gréco-romain. Les

écrits des auteurs antiques et les études récentes le témoignent. Dans

l’imaginaire médiéval, l’Afrique devient « Terra incognita ». Et

partant, les rapports entre l’Afrique et l’Occident vont entrer dans

une ère de turbulence et se compliqueront avec l’avènement de la

traite négrière à laquelle le monde arabo-musulman naissant amena

sa caution historique. L’absence des armes à feu à la laquelle il faut

ajouter ce que l’on conviendrait d’appeler « naïveté africaine » ont

fait que beaucoup d’Etats africains anciens courbèrent l’échine

devant les Négriers très bien armés et très rusés. L’intérêt scientifique

couplé de l’amour du gain incitèrent l’Occident à pénétrer par

l’entremise des expéditions diverses à l’intérieur de l’Afrique. Sur les

ruines de ces Etats africains, émergeront les Empires coloniaux

florissant à l’instar de l’Empire britannique, l’Empire français, etc.,

que la Conférence de Berlin de 1885 essaya d’organiser afin d’éviter

les antagonismes entre les puissances extra-africaines de l’époque.

L’heure de la colonisation ou mieux de l’occupation, avait sonné. Les

quelques Etats africains agonissant rendront leur dernier soupir. Il ne

restera sur ce champ des ruines que des chefs africains de titres

quelque peu moqueurs de « chefs coutumiers », de « chefs

médaillé », etc. En Afrique, le Congo Démocratique actuelle, fut le

seul territoire à avoir eu le « privilège » d’inaugurer son ère coloniale

par l’indépendance. On le désigna, contre toute attente, par l’Etat

Indépendant du Congo avec le roi Léopold II, comme souverain. La

suite, on la connaît.

173

2. Etat Colonial

L’Etat colonial qui se mit en place Afrique après Berlin, se

ressemble à quelques choses près à l’Etat de type spartiate. En effet,

quelque soit la subtilité du langage utilisé pour désigner les différents

systèmes d’administration coloniale, en l’occurrence l’assimilation,

l’administration indirecte, etc., il y a eu le refus manifeste de

l’Occident vainqueur de se mêler aux colonisés, c'est-à-dire aux

vaincus. L’Odyssée des Africains à travers les soubresauts de

l’histoire coloniale a fait l’objet de plusieurs publications et continue

encore à inspirer les jeunes générations tant en Afrique qu’en

Occident. On veut par-là savoir ce qui s’était passé réellement entre

l’Afrique et le monde occidental. Il est connu que l’occupation

coloniale avait été mal vécue tant en Afrique qu’en Occident. Pour se

donner une conscience tranquille, comme cela est de coutume dans

tout Etat spartiate, il sera échafaudé par la colonisation une littérature

expiatoire. Car l’anéantissement de tout un peuple, ne devait susciter

chez les colonisateurs que le sentiment de la culpabilité. L’Etat

Colonial s’employa à démonter de manière systématique l’incapacité

des colonisés de s’assumer comme les êtres adultes. Ces derniers

étaient taxés de « Grands enfants » qu’il fallait guider à chaque

instant. Certes au nom de la mission salvatrice de l’Occident, l’Etat

colonial se mit à construire des routes, des chemins de fer, les ports,

les écoles, les hôpitaux, des barrages, etc. L’Afrique fit ainsi son

entrée dans la modernité comme un aveugle qu’il fallait guider à

chaque instant. On a beaucoup regretté en Afrique que l’Etat

colonial n’ait pas fait ceci, ou cela. Mêmes certains intellectuels

africains respectables se livrent à ce genre regrets assortis d’une

véritable amertume. A ceux-là, je recommande le voyage dans

l’histoire. Je ne sais pas s’ils trouveront l’expérience d’une

colonisation heureuse. Aux non-africains, je demande de s’abstenir

de citer l’Etat colonial, comme « Modèle de gestion » d’une société

humaine. Un bon Etat colonial n’existe jamais. La colonisation est

une négation de l’autre. C’est pourquoi durant les années 1960,

beaucoup de pays africains accéderont à l’indépendance. L’Etat

colonial avec son refus de se mêler aux colonisés rendit l’âme. Le

bilan de cet Etat colonial est difficile à dresser ici. Mais ce que l’on

174

peut retenir ce qu’il a détruit complètement l’Homme africain. Car

l’Homme, comme le disait L.S. Senghor, c’est-à-dire la culture, était

au commencement et à la fin du développement.

3. Etat post-indépendant

L’Etat colonial sera suivi de l’Etat africain post-indépendant.

En effet, les nouveaux Etats africains seront confrontés au problème

de l’Etat-nation. Si historiquement l’Etat apparaît à la fin de l’époque

médiévale, ce ne fut qu’à partir du XVIème siècle que naîtra l’idée

selon laquelle, à un Etat doit correspondre un groupe humain

cohérent tant sur le plan ethnique que culturel, c’est-à-dire une

Nation. L’idée d’Etat-Nation se répandra largement dans le monde

par l’entremise du mouvement des nationalités au XIXème siècle.

Les pays africains qui venaient d’être proclamés indépendants,

étaient constitués de groupes ethniques multiples. Le Congo-

Kinshasa par exemple en compte 365. Comment élaborer l’Etat-

Nation dans un tel contexte ? Pour éviter les conflits ethniques et

territoriaux, les membres fondateurs de l’Organisation de l’Unité

Africaine (OUA), l’actuelle Union Africaine, établirent le principe de

l’intangibilité des frontières héritées du découpage arbitraire opéré

par la Conférence de Berlin (1884-1885) et consacré par la

colonisation. L’Eta africain post- indépendant se livra à la quête de

l’unité nationale non sans peine pour réaliser les promesses

électorales. Mais hélas, beaucoup de jeunes Etats africains, faute de

modèle original, eurent recours au modèles d’Etat de type occidental

que leurs peuples respectifs ne maîtrisaient pas très bien. D’autre se

tournèrent vers le modèle d’Etat de type communiste ou socialiste

d’où le règne de fameux partis uniques. A cause de la déception

engendrée par l’échec de ces modèles, on se mit à expérimenter la

recette des coups d’Etat militaires. L’armée devint ainsi la voie

privilégiée d’accès à la magistrature suprême. Comme si cela ne

suffisait pas, la carrière du président de la République devint à vie.

Quelqu’un poussera même son audace à l’extrême en se proclamant

« Empereur » en plein XXème siècle. Tout cela s’accompagna de la

dégradation économique sans précédent. Et à même, pointait à

l’horizon un Etat ethnodémocratique en Afrique. Car la majeure

175

partie des régimes politique en Afrique allait s’élaborer autour de

l’ethnie, du clan, de la famille, etc.

4. Etat ethnodémocratique

Cet Etat ethnodémocratique provoqua comme l’on pouvait

s’y attendre, beaucoup de conflits sanglants en Afrique dont le plus

meurtrier est le triste génocide rwandais en 1994 qui coûta la vie à

des milliers des Tutsi et des Hutu modérés. Quatre ans après ce

désastre humain, la République Démocratique du Congo connut « la

grande guerre africaine », comme on la désigne, avec plus de six

millions de morts dont les conséquences ne sont pas encore très bien

évaluées. L’Angola, le Mozambique, le Libéria, la Sierra-Leone,

Tchad, la République Centre Africaine, le Soudan, l’Algérie, la Côte

d’Ivoire, et ne furent pas épargnés par la folie meurtrière des

animateurs de ces Etats ethnodémocratiques. Il est souvent question

dans ces conflits de la main de l’étranger, de la recherche des

matières premières, de l’ambition individuelle, etc., Et les peuples

dans tout cela ? Rien que la misère, la maladie, la désolation. Le

continent africain continue ainsi à perdre le poids politique sur le

plan international. Il y a lieu de se demander, au regard de tout ce qui

précède, si l’Afrique a vraiment connu l’Etat de type moderne tel

qu’il a été défini plus haut ? C’est-à-dire un Etat qui garantit les

droits fondamentaux de l’individu tels qu’ils sont proclamés dans la

Déclaration universelle des Droits de l’Homme ; un Etat qui fournit à

la population non seulement un cadre juridique lui permettant de

vivre et d’agir dans l’ordre et la sécurité mais aussi de promouvoir

son développement intégral. La réponse à cette question ne peut-être

que mitigée. En effet, la difficulté première qu’éprouve l’Afrique

pour réaliser pleinement un Etat moderne réside dans l’Homme

africain lui-même. C’est bien lui qui se trouve, comme on vient de le

voir, aux origines d’un Etat moderne qui devra émerger sur son

continent. A l’instar de phœnix, il devra renaître de ses cendres. Mais

comment ? Avant d’esquisser le processus de la renaissance de cet

Homo africanus, je voudrais dresser un état lieu susceptible de

circonscrire l’environnement dans lequel devra se réaliser la

176

construction de l’Etat moderne ou postmoderne en Afrique en ce

début du XXIème siècle. En un mot quelle est la situation actuelle de

l’Etat ethnodémocratique en Afrique ?

L’Etat éthnodémocratique actuel en Afrique est en train de

vivre des mutations internes profondes dues essentiellement à

l’émergence des forces sociales, économiques et politiques nouvelles.

Suite à l’écroulement du mur de Berlin mettant par-là fin à la

bipolarisation du monde, au rôle de plus en plus croissant de la

société civile dans la gestion politique de l’Etat, à la mondialisation

ou à la globalisation qui fait du monde d’aujourd’hui un village

planétaire, etc. l’Etat ethnodémocratique est véritablement pris des

vertiges. En Effet, l’Ethnie, la Tribu ou le Clan, qui jusque là, était

perçu comme une donnée monolithique autour de laquelle se

construisait cet Etat ethnodémocratique en Afrique, est fissurée par

les revendications internes d’ordre identitaire. Comme le dit Jean-

François Bayard, la revendication identitaire paraît dangereuse

lorsqu’elle devient4 un programme politique incluant l’exclusion et

l’épuration ethnique. La notion de la territorialité, composante

indispensable de tout Etat, se trouve, elle aussi, remise en question

par les effets de la mondialisation et des nouvelles technologies de la

communication et de l’information. L’Afrique est entrée ainsi dans le

monde des réseaux.5 Le gouvernement voit son pouvoir centralisateur

concurrencé par les ONG, les Associations socioculturelles multiples,

etc. C’est pourquoi Jean-Claude Ruano-Borbalan parle des

métamorphoses du pouvoir dans les sociétés contemporaines. Au

total, tout bouge en Afrique et dans le monde au même moment.

C’est pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité que cela

arrive ainsi.

Devant cette évidence, l’Etat ethnodémocratique qui prévalait

presque partout en Afrique, est voué à la métamorphose si pas à la

disparition. A sa place doit s’ériger un Etat moderne ou post-moderne

fondé sur trois piliers, à savoir l’Education, la Formation et la

Culture. En effet, grâce à une politique éducative nouvelle, bien

pensée qui mettra l’élève africain au centre, l’Homo africanus devra

4 BAYARD, J.-B., L’illusion identitaire, Fayard, Paris, 1996, p.55 5 FORSE, M., Les Réseaux sociaux, Armand Collin, Paris, 1994.

177

déconstruire ses représentations erronées pour les remplacer par des

conceptions plus adéquates susceptibles de le transformer en un être

responsable.6 Par la formation, l’Africain devra se transformer afin de

transformer également son environnement immédiat et lointain. Dans

cette édification de l’Etat moderne ou post-moderne en Afrique, une

place de choix sera accordée à la culture selon l’entendement

senghorien du terme, c’est-à-dire, CULTURE = HOMME =

DEVELOPPEMENT. L’Etat ethnodémocratique en Afrique,

influencé sans doute par l’excès de l’analyse structuraliste et du

marxiste, avait oublié de placer l’Homme, c’est-à-dire la Culture au

carrefour de ses principales préoccupations. Aujourd’hui, les

problèmes culturels s’imposent avec force. L’homme est aussi,

comme le dit Gaëtane Chapelle, culturel. Avec la Culture, l’individu

redevient ainsi l’épicentre de toute l’action de l’Etat. Les éléments

culturels tels que le sens de la parole donnée, le respect de la

personne humaine et de l’autorité, l’esprit communautaire, le devoir

de la solidarité, la tolérance, la justice sociale, etc., hérités des Etats

paléo-africains vus plus haut, seront enseignés aux jeunes, futurs

acteurs de l’Etat moderne en Afrique.

Conclusion

C’est dire que le budget de ce futur Etat moderne africain,

quel que soit son importance, devra réserver des pourcentages

conséquents à l’Education, à la Formation et à la Culture. Dans cette

tâche, combien immense de l’édification de l’Etat moderne en

Afrique, le concours des autres peuples du monde, épris de justice et

de paix est indispensable. L’Afrique n’a pas été détruite par un seul

peuple, comme on l’a vu. Ce n’est pas de la réparation dont il est

question ici, mais c’est le simple bon sens. Le poète Senghor disait :

« on marche mieux avec deux jambes qu’avec une seulement. »

Les racines de l’arbre étant explorées, il reviendra aux autres

chercheurs d’examiner son tronc et ses branches.

6 (FOURNIER M., « Sciences de l’éducation l’élève au centre », dans

Sciences Humaines n° 100, décembre 1999, p. 29.

178

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Lellouche, S., « Les Sciences Sociales au temps des réseaux » dans

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septembre 2000, p. 126-127.

Ruano-Borbalan, J.-C., « Les métamorphoses du pouvoir » dans

Sciences Humaines, n° 100, décembre 1999, 40-41.

179

LA POLITIQUE RELIGIEUSE DE LEOPOLD II :

L’ASSOCIATION INTERNATIONALE AFRICAINE ET LA

CIVILISATION EN AFRIQUE.

KALENGA wa Kubwilu Jean jacques*

Introduction

A l’ouverture de la Conférence Géographique de Bruxelles

en 1876, Léopold II avait lancé un défi à l’Europe, celui de porter la

civilisation dans le continent africain. Ils s’expriment en ces termes :

‘’ouvrir la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’était

encore pénétrée, percer les ténèbres qui enveloppent des populations

entières, c’est, j’ose le dire, une croisade digne de siècle de progrès’’

(1).

La Conférence Géographique de Bruxelles provoqua

beaucoup d’enthousiasmes dans toute l’Europe. Pour les uns, c’était

un moyen propice pour faire pénétrer la civilisation parmi les

peuples encore barbares et mettre fin aux horreurs de la traite. Pour

les autres, un moyen d’organiser les explorations scientifiques et

commerciales dont profiteront les nations européennes (2).

Si la convergence des points de vues était la même de porter

la civilisation en Afrique, mais la divergence fut sur les moyens à

user. Ceci dépendait qu’on soit catholique ou libre-penseur.

1. L’église catholique et l’Association Internationale Africaine

Dans le milieu catholique, l’œuvre de Léopold II suscitait

beaucoup d’intérêts. Les missionnaires y voyaient un moyen pour

ouvrir l’intérieur de l’Afrique centrale. En effet, depuis déjà plusieurs

siècles, ils ne s’étaient arrêter qu’à la côte. Ils craignaient de

* Professeur associé à l’Université de Lubumbashi. 1 Conférence géographique de Bruxelles, p.4.

2 Cfr Journal de Bruxelles du 3 octobre 1876 in ROEYKENS A., La politique

religieuse de l’Etat Indépendant du Congo, Document I, Léopold II, le Saint-Siège et

les missions catholiques dans l’Afrique équatoriale (1876-1885), document n°9

180

s’aventurer à l’intérieur où les populations étaient considérées

sauvages et barbares. Ainsi aux premiers pas des explorateurs

suivraient ceux des missionnaires (3) cette œuvre était considérée

comme la seule œuvre civilisatrice capable de porter le règne de

Dieu, de faire sortir les peuples sauvages de l’état de misère à l’état

de civilisé. Elle servira aussi de bannir la traite d’esclaves dont les

Africains sont victimes. ‘’J’approuve beaucoup les idées du roi, m’a

dit Pie IX, elles me semblent bonnes et très généreuses ; j’ai été moi-

même, en Amérique, révolté de voir des marchés d’esclaves ; ce

serait une grande chose de détruire cet affreux trafic, et d’ouvrir

l’Afrique à la civilisation. La religion catholique ne peut qu’y

gagner ; je suis tout disposé à seconder le projet du roi. Veuillez le lui

dire et lui faires mes compliments’’ (4). Le pape fait état de sa

disponibilité de collaborer à cette œuvre si humanitaire et y met

l’espoir de voir la disparition de la traite. Une confirmation d’une

volonté ferme contre ce crime. Mgr Lavigerie et Mgr Comboni

avaient déjà commencé à lutter d’une autre manière contre ce

commerce, comme par les moyens de rachat des esclaves.

Quelques catholiques prévoyaient dans les futures stations,

les bases de la propagation de l’Evangile et la découverte du

continent profiteront aux missionnaires, soit par les routes les peuples

à connaître. Les missionnaires pourront suivre les commerçants(5).

2. L’appel aux missionnaires

Déjà au cours de la conférence de Bruxelles, Léopold II

avait demandé au supérieur des Scheuts, M. Vranckx, de fonder une

nouvelle mission en Afrique et un autre appel fut aux pères

trappistes. L’ambassadeur auprès le Saint-Siège était chargé d’en

3 Cfr Lettre du 15 novembre 1876, Vranckx au rédacteur en chef du journal de

Bruxelles in Ibib., document n°16. 4 Lettre du 5 décembre 1876, d’Anethan à d’Aspremont Lynden, in Ibib. Document

n°27. 5 Cfr Lettre du 27 août 1877, Duparquet à Schwindenharmmer in Ibid., document

n°49.

181

informer le Vatican sur le projet de la civilisation lancé par la

Conférence.

Si les congrégations répondirent qu’il ne leur appartenait pas

d’ériger des nouvelles missions, mais l’appel fut bien reçu à Rome où

le pape déclara : ‘’Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour cela. Je

sais qu’il y a des ménagements à garder, mais le roi peut être assuré

du concours de la propagande et je lui demande l’aide bienveillante

des explorateurs belges pour nos missionnaires. La civilisation et les

sciences sont de nobles buts ; la religion ne peut que seconder ceux

qui veulent les atteindre’’ (6).

L’appel fut lancé aussi à tous les belges et à tous les

catholiques du royaume afin qu’ils contribuent à répandre la

civilisation. Mais on notera une certaine réticence du milieu

catholique belge à cause de l’intransigeance des libéraux qui

considéraient l’Association comme œuvre exclusivement laïque où le

religieux n’avait pas de place.

A Rome, le Pape demanda Mgr Comboni, l’évêque de

Vérone de se mettre en contact avec sa majesté. Pour Comboni, c’est

une occasion pour combattre par tous les moyens moraux et

civilisateurs l’horrible fléau de la traite (7).

3. La franc-maconnerie

Les catholiques comme le maçon étaient intéressés du but de

l’Association internationale, c’est-à-dire porter la civilisation et

abolir la traite en Afrique, mais les moyens à user divergeaient les

uns des autres.

Pour la franc-maçonnerie, l’Association internationale est

une œuvre entièrement dans l’esprit de la maçonnerie et digne par

conséquent digne d’obtenir l’appui de l’ordre. Le but de l’œuvre est

l’ouverture de l »’Afrique au commerce, à la science et à l’abolition

de la traite qui épuise chaque jour le continent africain. L’Association

permettra l’abolition de la traite et ouvrir l’Afrique à la civilisation

6 Lettre du 30 mars 1878, D’Anethan à D’Aspremont Lynden in Ibid., document

n°106. 7 Cfr Lettre du 4 mars 1877, D’Anethan à Lambermontn in Ibib, document n°34.

182

européenne. Elle est exclusivement humanitaire et pacifique sans

arrière-pensée politique ou religieuse (8).

Les maçons s’y engagent donc pour les raisons évoquées ci-

dessus. Les uns pour empêcher que l’Eglise détourne l’Association

de ses objectifs exclusivement humanitaire pour en faire un

instrument d’évangélisation (9). Les autres cherchent d’abord à

s’assurer de l’absence du clergé au sein de l’Association : ’’s’il ne

s’agissait que d’établir en Afrique des relations industrielles et de

créer des débouchés pour nos produits manufacturés, il serait de notre

intérêt de nous associer au mouvement. Mais il est certain que le

clergé veut en faire une œuvre de christianisation et de lors prenons

garde’’ (10

). Il s’agira donc seulement d’établir en Afrique des

relations industrielles et de créer des débouchés pour des produits

manufacturés. Elle doit rester une entreprise humanitaire et

civilisatrice n’ayant ni arrière-pensée de conquête militaire ou de

prosélytisme religieux, apporter la liberté aux populations et

supprimer la traite.

Les stations à ériger seront essentiellement scientifiques pour

l’observation astronomique et météorologique, dans la formation de

collections d’histoire naturelles la confection de la carte, du pays,

rédaction du vocabulaire et de la grammaire du pays, dans les

observations ethnologiques.

Les stations auront une mission hospitalière pour accueillir

tous les voyageurs. Les chefs des stations seront priés à refuser

l’accès à la station aux voyageurs qui troubleraient l’application du

programme exclusivement scientifique et hospitalier. Les stations se

livreront à l’agriculture et à l’enseignement aux populations (11

).

La guerre était donc déclarée à l’Eglise dans son entreprise

d’évangélisation. Pour mieux comprendre l’esprit intransigeant de la

8 Cfr Assemblée générale du Grand-Orient de France. Septième séance samedi 15

septembre 1877 in Ibid., document n°54. 9 Cfr Séance du 11 décembre 1876 du Suprême Conseil de l’ordre du Rite Ecossais

Ancien et Accepté de Belgique, in Ibid., document n°29 10 Assemblée générale du 12 décembre 1876, in Ibid., document n°30. 11 Cfr Rapport sur la question du Congo 1877 de Couvreur, Goblet d’Alviella,

Anspach à la loge bruxelloise les amis philanthropes, in Ibid., document n°44.

183

franc-maçonnerie, il faut lire le discours de couvreur à l’Association

libérale de Bruxelles reporté par le journal ‘indépendance belge du 10

janvier 1877 : ‘’Un grand danger du projet en question serait de livrer

les nègres des controverses religieuses. Nous n’en voulons à aucun

prix. Mais l’œuvre sera laïque et scientifique, ou elle ne sera pas (les

applaudissements interrompent l’orateur). Le parti clérical a bien

senti cela, aussi a-t-il commencé par dénigrer l’œuvre. S’il nourrissait

l’arrière-pensée d’en tirer un avantage pour ses propres intérêts, ses

espérances seraient déçues, parce que l’œuvre a un caractère

international et cosmopolite. Les Anglais, les Allemands hérétiques,

les Russes schismatiques, les Français voltariens y participent, ils ne

permettront pas que l’œuvre s’écarte de son programme et livre le

centre de l’Afrique à toutes les jalousies des actes chrétiens et aux

horreurs des guerres religieuses.

D’ailleurs les tentatives de civiliser les peuples barbares par

la religion n’ont jamais réussi qu’avec l’aide du pouvoir séculier.

Derrière le crucifix était le bras du bourreau. C’est ainsi que les

jésuites ont imposé leur autorité aux indiens du Mexique, aux

Guaranis du Paraguay, aux Taglas des îles philippines ; ils ont détruit

tout ressort moral chez les peuples. La véritable civilisation ne

pénètre chez les races barbares que par la science’’ (12

).

4. L’association internationale africaine et la question

religieuse

Dans son rapport sur la Conférence Géographique de

Bruxelles, Banning présente le point de vue de celle-ci sur sa

politique religieuse. En effet, les missions religieuses sont d’un utile

concours et salutaires pour les peuples d’Afrique. Les établissements

à créer porteront un cachet purement laïc, c’est-à-dire ne

représenteront aucune confession et aucun culte. ‘’Loin d’être

hostiles à la prédication de l’Evangile, la plupart des membres de la

conférence ont été d’avis que cette prédication serait hautement

12 Journal l’indépendance belge du 12 janvier 1877 in Ibid., document n°32.

184

salutaire, qu’elle pourrait devenir le principe le plus actif de la

régénération morale des peuples de l’Afrique’’ (13

).

Par sa vertu, le christianisme sera capable de retirer de la

barbarie les Africains et les faire parvenir rapidement à la

civilisation. Quant aux missionnaires, ils pourront s’établir librement

à côté de la station, érigée dans leur rayon des temples et des écoles :

ils recevront aide et appui, ‘’ les stations n’excluent pas les autres

initiatives, elles les provoquent plutôt et les couvrent de leur

patronage’’ (14

).

Léopold II avait une attention particulière à l’Eglise dans son

œuvre de civilisation qu’il venait de créer. A Devaux il écrit : ‘’ Les

stations doivent garder leur caractère laïc, la tâche de l’évangélisation

doit être laissé aux missionnaires. C’est la grande puissance morale

qui détournera volontairement les noire des crimes que nous

chercherons à empêcher par la création des stations’’ (15

). Léopold II

dissocie le devoir approprié aux explorateurs et aux missionnaires.

Aux explorateurs, il s’agit donc de découvrir le centre de l’Afrique,

de fonder les stations. Aux missionnaires auxquels il reconnaît la

puissance morale, apporter l’Evangile.

Il s’était adressé aux congrégations de trappistes, Jésuites,

scheutistes d’aller en Afrique centrale afin d’y fonder des nouvelles

missions. Il croyait à l’œuvre civilisatrice de l’Eglise et ne cachait

pas de l’exprimer publiquement. L’ambassadeur d’Anethan informait

le Saint-siège du dit projet et le Pape Pie IX exprima son accord

total : ‘’Je ferai tout ce qui dépendra de moi’’ (16

).

C’est aux missionnaires qu’il demande des conseils. Les

missionnaires connaissant un peu bien l’Afrique sont aptes à donner

les informations appropriées, comme à Comboni et Lavigerie. Il les

invita aussi de fonder les missions en Afrique centrale.

13 BANNING., L’Afrique et la Conférence géographique de Bruxelles, p. 93. 14 Ibid., p. 93. 15 Lettre du 24 octobre 1876, Léopold II à Devaux in ROEYKENS, op.cit., document

n°13. 16 Lettre du 30 mars 1878, D’Anethan à D’Aspremont Lynden, in Ibid., document

n°106.

185

5. L’affaire Abbé Debaize

L’affaire Abbé Debaize avait mis de la poudre au feu entre

l’association internationale et les missionnaires. En effet, Debaize, un

prêtre français du diocèse de seez, s’était volontairement offert pour

accompagner la première expédition de l’Association en Afrique.

Avant son départ pour la Belgique, il écrivit une lettre au Pape Pie IX

dans laquelle il lui fit savoir sa volonté de se rendre en Belgique

pour solliciter auprès du roi d’être associé à l’expédition (17

).

Arrivé à Bruxelles, le roi lui fit savoir la difficulté qu’il peut

rencontrer en l’associant à l’expédition étant prêtre : ‘’Il me déclara

qu’à son grand regret il ne pouvait pas donner une réponse favorable

à ma demande. Voici les raisons de son refus. Le roi n’est pas libre

de faire tout le bien qu’il voudrait ; il aime de tout son cœur la

religion catholique, mais il est obligé de traiter avec des

ménagements infinis le parti anticatholique, très puissant chez-lui ; la

présence d’un prêtre étranger dans l’expédition susciterait de grandes

difficultés à son gouvernement, d’abord de la part de ce parti hostile

à la religion, et ensuite de la part des états voisins dont il avait refusé

les voyageurs qui s’étaient présentés’’ (18

).

L’expédition arriva à Zanzibar le 12 décembre 1877, Crespel

était chef d’expédition. Mais à peine arrivé, la mort emporta Maes

docteur ès science naturelles le 14 janvier. Crespel suivit 10 jours

après. Tous deux reçurent des funérailles religieuses très solennelles

et ils furent enterrés dans le cimetière de la mission. En signe de

reconnaissance, le roi envoya à la mission une charpe et une chasuble

avec un drap mortuaire (19

).

Père Horner voit dans cet avènement la punition de Dieu :’’

Les membres de l’expédition ont exclu le prêtre, et voici qu’à

quelques pas de trois prêtres, ils meurent à deux sans sacrements’’

17 Cfr Lettre du 13 septembre 1877, Debaize à Pie IX, A.P.F., S.C.R., Afrique

centrale, vol. VIII, f. 591-592. 18 Ibid. 19 Cfr Bulletin de la communauté deS. Joseph de Zanzibar du (24/25 janvier 1878) in

ROEYKENS, op.cit., document n°74.

186

(

20). Ce double décès amena les membres de l’Association à changer

d’attitude à l’égard des missionnaires. Ils comprirent la nécessité

d’acquérir des informations auprès d’eux avant de se lancer dans

l’aventure. Sur l’expédition de 1878, Horner écrit : ‘’ c’est une

entreprise bien malade, sinon complètement manquée. A présent on

s’adresse à, la mssion pour des conseils et des hommes de

confiances’’ (21

).

La libre pensée comprendre plus tard le rôle incontournable

des missionnaires dans l’exploration de ‘Afrique. En parlant de la

politique religieuse de la France, le journal libéral progressiste de

Bruxelles écrit le 18 novembre 1884 : ‘’Si le gouvernement veut

réussir, il doit nécessairement s’appuyer sur l’œuvre des missions et

l’influence du clergé, son intérêt exige désormais l’Eglise avec plus

de bienveillance et d’équité’’ (22

).

6. L’enquête de Mgr franchi sur l’association Internationale

Africaine

6.1. Le point de vue du père Planque

La Société internationale fondée à Bruxelles sous la

présidence du roi des Belges a comme but : ‘’la civilisation de

l’Afrique. Son programme est humanitaire, mais n’exclut pas

l’élément religieux.’’ ‘’Au contraire je sais de bonne source que

plusieurs des organisations et des membres influents de cette Société

désirent voir arriver des missionnaires catholiques dans ces pays’’

(23

). La Société se propose de frayer les routes à l’intérieur et

d’établir des stations pour le ravitaillement et le secours.

Le Père Planque propose donc à la propagande d’envoyer

dans cette contrée les missionnaires catholiques pour explorer

d’abord et choisir les lieux qui paraîtront propres à s’y établir. Le

20 Lettre du 7 février 1878, Horner à Schwindenhammer, in Ibid., document n°84. 21 Lettre du 24 août 1878, Horner à Schwindenharmmer, in Ibid., document n°133. 22 Journal la réforme du 18 novembre 1884 in Ibid., document n°423. 23 Rapport du 7 mai 1877, Planque à Franchi, A.P.F, S.R.C., Afrique centrale, vol

VIII, f. 485-486.

187

champ d’action serait l’équateur au nord jusqu’aux Zambèze au sud ;

à l’ouest ils pourraient s’étendre jusqu’aux limites de Luanda et de

Benguela ; à l’est ils s’arrêteraient aux limites de Mozambique et de

la mission de Zanzibar pour empêcher l’avancée des protestants et

des musulmans (24

).

Suite à cette proposition, la propagande le chargea d’étudier

les modalités et recueillir des données plus abondantes et plus

positives qui seraient examinées et proposé à l’assemblée plénière

des cardinaux. Quand la propagande confiera cette charge à Mgr

Lavigerie, le Père Planque dira : ’’ La propagande m’avait chargé

d’étudier cette question et ensuite d’y pourvoir’’ (25

).

6.2. Le rapport de Mgr Comboni sur L’Association

Internationale Africaine

Mgr Comboni se dit connaître bien l’Association grâce à

l’entretien qu’il avait eu avec le roi. Il se dit connaître tous les

comités internationaux qui se sont fondés dans les capitales d’Europe

et d’Amérique parce qu’il est en relation avec leurs présidents sauf le

chef de l’expédition écossaise (26

).

Selon Comboni, l’œuvre conçue par Léopold II se propose

d’abolir l’esclavage en Afrique. On peut donc espérer d’en tirer des

avantages pour la religion catholique après les échecs essuyés par les

expéditions qui veulent se passer de l’aide du catholicisme. Les

membres de l’expédition n’ont ni foi ni loi ne sont pas persévérants

comme les missionnaires. Ainsi conclut-il : ‘’Je suis certain qu’on

n’obtiendra aucun résultat ni pour la suppression de l’esclavage, ni

pour la civilisation européenne’’ (27

).

Parmi les membres, la plupart sont franc-maçons. Ce qui qui

amène Comboni à un jugement sévère : ‘’Le but final (de beaucoup

de membres, non pas du roi) est civiliser sans Dieu, sans la vraie

24 Ibid. 25 Ibid, p.8. 26 Cfr Rapport du 19 janvier 1878, Comboni à Franchi, A.P.F., S.R.C., Afrique

centrale, vol VIII, f. 734-737. 27 Ibid.

188

religion et sans morale. Il est impossible d’introduire la vraie

civilisation dans l’Afrique centrale et d’abolir l’esclavage sans

prédication de l’Evangile, sans la foi et l’apostolat catholique : pour

obtenir le résultat, tout effort purement humain est vain. C’est

pourquoi, tout en exhortant gentiment le roi des belges je ne casse de

lui suggérer qu’il n’y aura pas de bon résultats sans résultats sans le

concours des misions catholiques’’ (28

).

Mrg Comboni propose à la propagande de laisser agir

l’Association sans trop se soucier, car elle est vouée à l’échec. La

Propagande pourra donc agir au temps opportun. Grâce à

l’abnégation, au sacrifice et la persévérance des missionnaires,

l’Eglise en tirera un bon résultat. Ce qui explique peut-être le refus de

Mgr Comboni de fonder une mission en Afrique centrale à la

demande du roi, prétendant de vouloir fonder une nouvelle mission

sur le lac Nyanza Albert et une seconde au lac Victoria (29

).

6.3. Le mémoire secret de Mgr Lavigerie

Mgr lavigerie passe dans l’histoire comme un personnage qui

a grandement influencé les missions de l’Afrique centrale avec

‘’Mémoire secret’’. Bien que donnant l’impression de ne pas être

bien informé, Lavigerie, dans ce document, parle de l’Association

Internationale, de ses dangers, et de ses avantages pour l’Eglise.

Finalement il propose un programme des missions pour l’Afrique

centrale.

6.3.1. L’association Internationale Africaine au point de vue

religieux

Lavigerie voit dans l’Association ‘’la centralisation sous une

direction et une action unique de toutes les sociétés formées et de

toutes les entreprises tentées, depuis un demi-siècle pour

28 Ibid. 29crf Ibid.

189

l’exploration et la conquête de l’immense continent africain’’ (

30). Il

regroupe toutes les sociétés d’exploration dans l’Association

Internationale Africaine et ne fait aucune distinction entre les

explorateurs nationaux et ceux de l’Association.

Selon Lavigerie, les explorateurs qui composent

l’Association, sont la plupart libres-penseurs. Ce qui met l’Eglise

catholique dans une mauvaise posture, car étant protestantes, ils

favoriseront l’action protestante. ‘’Ils parlent de l’Eglise catholique

avec dédain et les missions protestantes en des termes très

favorables’’ (31

).

L’Evangile ou le christianisme est nommé en second plan

dans la civilisation de l’Afrique, derrière la science, et à côte du

commerce. Son cachet et son drapeau ne portent aucun signe

religieux, même pas la croix. Il voit ce qui s’est produit à Alger la

leit-motiv de cette Association. ‘’Le consul d’Alger, composé de

libre-penseurs dans sa derrière session, pris deux décisions qui

s’éclairent très bien l’une de l’autre. Par la première il a voté qu’ils

n’accordaient aucune subvention à tout établissement où serait

admise l’influence religieuse. Par la seconde, il a accordé une

subvention de cinq cents francs à l’Association internationale de

Bruxelles’’ (32

).

Lavigerie présente deux périls, le premier la connivence ou

moins ouverte avec les missions protestantes, et le second avec la

libre-pensée. Comme la plupart de ses membres sont protestants, ils

favoriseront certainement l’action protestante. Par conséquent, le

protestantisme envahira l’Afrique équatoriale, d’autant plus qu’il est

déjà planté dans la colonie anglaise du cap, des Républiques

hollandaise d’Orange, du Transvaal, Natal, du Zanzibar et exerce en

Egypte une primatie réelle. A la côte occidentale, les républiques de

Libéria et de Sierra-Leone où le protestantisme est représenté par les

nègres affranchis installés dans cette contrée.

30 Mémoire sacret du 2 janvier 1878, Lavigerie à Franchi, A.P.F., S.R.C., Afrique

Centrale. Vol. VIII, f. 546-574. 31 Ibid. 32 Ibid.

190

Néanmoins l’Association internationale présente des

avantages matériels pour les missions africaines. Elle permettra

d’ouvrir aux missionnaires de l’Afrique équatoriale. Les

missionnaires pourront trouver dans les stations de l’Association au

point de vue matériel, protection, appui et même facilités pour leur

établissement. Ils bénéficieront aussi des faveurs de transport gratuit,

hospitalisation, et protection contre les violences des indigènes que la

conférence a promis aux missionnaires. Ils pourraient aussi espérer

quelques dons ou subventions en argent, surtout par l’intermédiaire

du roi (33

).

6.3.2. Le programme d’évangélisation de l’Afrique Centrale

Deux problèmes de première nécessité à résoudre s’imposent

en Afrique centrale ; celui de l’avancée du protestantisme et la libre-

pensée avec l’Association Internationale. Lavigerie propose à Mgr

Franchi de créer immédiatement plusieurs vicariats nouveaux : celui

d’Ujiji, celui de Kabebe, celui des grands lacs Victoria et Albert et

peut-être aussi de l’Equateur africain qui pourrait se situer entre le

vicariat des grands lacs et celui de Guinée.

Il faudra donc créer autant des vicariats, autant qu’il y a des

stations. Des vicariats distincts et indépendants qui créeront ensuite

dans leur voisinage des établissements ou résidences de simples

missionnaires. Il faut créer des vicariats et non des préfectures, car un

vicaire apostolique ou un pro-vicaire aura plus d’autorité morale pour

contenir le représentant de l’Association.

Lavigerie propose finalement que le vicariat des grands lacs

de l’Afrique équatoriale et même le vicariat de l’Equateur soient

confiés à Mgr Comboni. Les missions d’Elobeid, Karthoum, du

Darfour, du Kordofan, du Djebel-Nouba soient aussi confiées à Mgr

Comboni qui pourra y envoyer un pro-vicaire. Quant aux vicariats

d’Ujiji et de Kabèbe, Lavigerie promet de mettre à la disposition de

la propagande des prêtres de sa Société.

33 Cfr Ibid.

191

LES CINQUANTE ANS DE MBUJIMAYI

MUYA Bia Lushiku Lumana Norbert*

D’après Le Petit Larousse 2OO2, le mot anniversaire

signifie : « Retour annuel d’un jour marqué par un événement, en

particulier du jour de la naissance, la fête, la cérémonie qui

accompagne ce jour. »(1) A la lumière de cette définition, une

question nous préoccupe aujourd’hui : Quand tombe l’anniversaire de

la ville de Mbujimayi, ancienne Bakwanga ? Pour répondre à cette

pertinente interrogation, examinons les points essentiels suivants :

Bakwanga avant la fondation de la ville de Mbujimayi, naissance de

la ville de Mbujimayi, Mbujimayi et sa survie.

1 .Bakwanga avant la fondation de la ville de Mbujimayi

En 1959, Bakwanga fut un point qu’il était difficile à

localiser sur la carte géographique du Congo Belge. Mais, ce petit

territoire était très bien connu économiquement par le monde entier,

à cause de ses mines de diamant industriel découvert par le

prospecteur écossais George S. Young en décembre 1918 et

exploité depuis par la Société Internationale Forestière et Minière du

Congo, la Forminière ². Cette vallée s’étendait entre les trois cours

d’eau qui forment ses limites naturelles : la rivière Mbujimayi qui

donne son nom à la ville à l’Est, la rivière Muya au Nord et la

rivière Kanshi au Sud. Le plateau de Tshibombo constitue la limite

Ouest. Le centre de la vallée était occupé par la cité européenne

habitée par les agents blancs et les cités africaines appelées baudines

où vivaient les travailleurs noirs de la société. Ces cités constituaient

un bouclier du Polygone, c’est-à-dire, les installations minières qui se

situent au confluent des rivières Mbujimayi et Kanshi. Ce Polygone

est appelé en tshiluba Mwitu, ce qui veut dire dans la forêt.

* Professeur Ordinaire à l’Université de Lubumbashi (RDC).

192

A cette époque, la contrée était habitée par les populations ci-

après :

1° Le groupement des Bakwa Nyangwila qui comprenait les clans

suivants : Bakwa Dianga, Bakwa Kapanga, Beena Dipumba, Beena

Kabongo, Beena Kansele, Beena Mabika, Beena Mbobo, Beena

Nkumbi, Beena Nyanzala et Beena Tshibuyi ;

2° Le groupement des Beena Kabeya Nkongolo, composé des

Beena Kabangu, Beena Kabundi, Beena Kapwadi, Beena Mbala,

Beena Mbayi, Beena Mpoyi et Beena Ngoyi ;

3° Le groupement des Bakwa Tshibuyi, divisé en Beena Kalanda,

Beena Mubenga, etc. ;

4°Le groupement des Basangana parmi lesquels on trouve les

Bakwa Nzevu et les Bakwa Tshibanda ;

5°Le groupement des Bakwa Tshimuna qui se situe essentiellement

au-delà de la rivière Kanshi et qui compte les clans que voici : Beena

Kaseya, Beena Madiatu, Beena Muteba, Beena Tshiabayembi,

Beena Tshiamanga, Beena Tshilumbu et Beena Tshishimbi.

Ces populations des Bakwanga pratiquaient l’agriculture

du manioc, du maïs, d’arachide, de haricot, de patate douce, etc.

Elles consommaient une partie de leur production et vendaient le

surplus à la Forminière ou sur les marchés environnants. Elles

élevaient les volailles, les chèvres, les moutons et les chiens. La

chasse, la pêche et la cueillette (champignons, chenilles et

sauterelles) n’étaient pas ignorées de ce peuple de la savane boisée.

Les agents et les travailleurs de la Forminière qui vivaient dans les

cités modernes étaient ravitaillés en produits vivriers et manufacturés

par la société. Les loisirs, les sports, l’instruction et la santé n’étaient

pas oubliés.

Erigé en territoire le 1er juin 1950, Dibindi, puis

Bakwanga, avait pris de l’importance en 1954 lorsque la Forminière

y transfère le siège de sa direction générale qui était basé à Tshikapa.

La présence de l’Etat était assurée par un commissariat de police

à Bakwa Dianga ; un camp des gendarmes, celui des agents et

commis territoriaux et une prison à Diulu.

Bakwanga était ainsi divisé en deux parties : la concession

minière de la Forminière et le reste du territoire séparées par le

193

boulevard Ngalula, aujourd’hui débaptisé sans raison profonde en

boulevard d’Inga, dans une ville sans lumière ! La concession de la

Forminière était composée de zone A, c’est-à-dire les mines et les

installations de la société appelées Polygone à Tshikisshi, et de la

zone B qui protégeait la zone A. Les deux zones étaient interdites à

toute personne étrangère à la Forminière.

Pour les étrangers à la société, il fallait avoir un laissez-

passer ou une autorisation de séjour de huit jours. La police de cités

passait avant et après le huitième jour à l’adresse du visiteur pour

avertir d’abord et pour vérifier ensuite si l’étranger était

effectivement parti. Toutes ces mesures à la fois de sécurité et de

racisme vont tomber en désuétude au moment de la naissance de la

ville de Mbujimayi, en 1960.

2. Naissance de la ville de Mbujimayi

Le Larousse de poche 2OO7 définit le terme ville comme

suit : « Ville : Agglomération d’une certaine importance où la

majorité des habitants est occupée par le commerce, l’industrie ou

l’administration. »(3) Dès l’arrivée des Baluba de la diaspora à

Bakwanga en 1960, ce poste d’Etat avait brusquement changé de

statut. Sa population avait considérablement augmenté (16.500

émigrés + 19.000 occupants) (4) ; son genre de vie avait été modifié

par le commerce, l’artisanat et l’administration.

En effet, le 8 août 1960, Albert Kalonji avait déclaré depuis

Elisabethville que « Bakwanga était désormais la capitale de l’Etat

Minier ».(5) Depuis cette déclaration, les textes ci-après furent

publiés par les autorités du moment sur l’organisation territoriale et

administrative du nouvel Etat. Il s’agit de l’arrêté n° 20/11 du 10

novembre 1960 portant l’organisation territoriale de l’Etat

Autonome du Sud-Kasaï (E.A.S.K.) , des arrêtés n°s 40/11 et40/12

du 10 novembre 1960 fixant l’organisation de l’Etat Autonome du

Sud-Kasaï. C’est ainsi que l’organisation politique et administrative

de l’Etat Autonome du Sud-Kasaï qui va survivre pour l’essentiel à

tous les régimes qui vont suivre, à savoir les régimes Ngalula en

1962 et Mukamba en 1965, qui avaient divisé le Sud-Kasaï en 10

arrondissements dont la ville de Mbujimayi, 59 communes et 39

194

quartiers au 6 avril 1966 (6). En conséquence, toutes les institutions

de l’Etat y furent établies : le Chef de l’Etat fédéré, le Parlement et le

Gouvernement.

Concernant la date précise de la proclamation de Bakwanga,

puis Mbujimayi comme ville, les sources disponibles consultées

restent muettes. D’ailleurs, la définition d’une ville donnée par le

Larousse de poche 2007 ci-haut ne mentionne pas le critère de date

d’arrêté, de décret, d’ordonnance ou de loi. Souvent, une ville existe

avant sa reconnaissance officielle. Mbujimayi en est une. C’est

pourquoi nous avons retenu et nous demandons avec insistance le

maintien de la date de la proclamation par A. Kalonji de l’Etat Minier

à Elisabethville, c’est-à-dire le 8 août 1960, avec Bakwanga comme

siège des institutions. La reconnaissance par Léopoldville de la

Province du Sud-Kasaï ne change en rien le statut de la ville de

Mbujimayi. Elle est venue confirmer ce que les gens connaissaient

déjà.

Quant aux nombreux problèmes connus par les Baluba au

Sud-Kasaï, l’histoire a retenu les plus importants ci-

après :l’installation des réfugiés venus de Luluabourg, du Katanga et

d’ailleurs, l’occupation de la population des adultes et des jeunes ;

l’alimentation ; la santé et l’éducation. Pour faire face à toutes ces

urgences, les Baluba s’étaient lancés un mot d’ordre appelé « Article

15 bis », « Débrouillez-vous. » (7) Cet article, qui ne figure nulle part

dans les deux constitutions du Sud-Kasaï , invitait les Baluba à

beaucoup travailler pour assurer leur survie et celle de leur Etat.

Mobilisés autour de ce slogan, les dirigeants politiques et religieux,

les populations valides, les organismes humanitaires et les personnes

de bonne volonté ont tous lutté pour réussir ce pari. Nous avons vu

A. Kalonji et J. Ngalula en politique ; Mgr J. Nkongolo,les prêtres ,

les abbés , les religieux et les pasteurs en religion ; V. Hutu Mukele,

H. Kadima, C. Mwamba wa mampa et C. Bajikijayi dans la

boulangerie ; C. Mbikayi, F. Tshibalabala, P. Mukendi wa tubobo, P.

Mukendi, Maison Lukusa, Ets Kansebu,etc. dans le commerce ;

Tshibangu Biayi, Mukendi Fontshi wa Tshilenge, Betu Miba, M.

Mbala et les Ouests Africains, communément appelés les Sénégalais,

dans le trafic du diamant, sans oublier Tatu Nkolongo, Tshishimbi,

195

Nkumbikumbi et les autres dans l’hôtellerie, tous, comme un seul

homme, mobilisés , pour sauver ce qui pouvait encore l’être.

Tous ces problèmes ont été partiellement ou totalement

résolus à l’exception de ceux d’eau et d’électricité qui bloquent

totalement le développement de la ville de Mbujimayi. Certains de

ces vaillants bâtisseurs ont résisté à la faillite, tandis que les autres,

les plus nombreux, ont définitivement disparu, laissant derrière eux

des écuries des femmes et d’enfants errants. Que faire alors pour

développer Mbujimayi et pour stabiliser sa population ?

3. Développement et survie de Mbujimayi

La ville de Mbujimayi a été créée par les Baluba du Kasaï

dans les conditions pénibles que l’on sait. Elle est appelée à

demeurer à jamais. Les combattants de l’époque chantaient ceci pour

manifester leur détermination : Nansha bashala banayi, kabena mua

kunyenga Etat wa minière. La ville de Mbujimayi doit, pour se

maintenir, s’attaquer et vaincre les défis essentiels qui se dressent sur

sa voie du développement. Il s’agit de la lutte contre les érosions, de

la production d’eau et de l’électricité, de la création des emplois, etc.

L’expérience nous a montré que l’individualisme, l’indifférence, la

haine, la jalousie et la méchanceté sont à la base de toutes les

souffrances que les Baluba du Kasaï connaissent à Mbujimayi et

partout où ils vivent. La solution de tous ces challenges réside dans

la mise en commun d’efforts et des moyens financiers , en créant des

sociétés anonymes ou des coopératives, possédant des statuts

notariés, dirigées et contrôlées par des gens compétents et honnêtes.

Des « lobbys » ainsi constitués peuvent aider les Baluba du Kasaï à

lutter efficacement contre les érosions, à se stabiliser à Mbujimayi et

à mettre fin aux va et vient qui les caractérisent aujourd’hui.

Après l’échec des entreprises de type familial comme Maison

Lukusa, Groupe Fontshi, etc., le temps est venu de se tourner vers

les initiatives collectives, intelligemment montées et dirigées. Les

Baluba du Kasaï doivent tout faire pour que Mbujimayi cesse d’être

un éternel foyer d’émigrations massives pour devenir une ville où il

fait bon vivre. L’argent produit par le trafic du diamant, s’il existe

196

encore, doit servir à préparer l’avenir de nos enfants par la création

des infrastructures de base de remplacement, car les mines du

diamant s’épuisent.

Il est impardonnable de constater que certains Baluba du

Kasaï fuient Mbujimayi aujourd’hui pour aller vivre ailleurs au

Congo et plus particulièrement au Katanga. Ces Baluba ont-ils déjà

oublié les exodes de 1960, de 1962, et surtout l’épuration ethnique de

1992 organisée par les génocidaires Mobutu Sese Seko, Nguz a Karl

bond et Kyungu wa Kumwanza ? Ces trois leaders sont responsables

du plus long cimetière du monde qui s’étend de Sakania à Ilebo, sans

oublier le tronçon Kolwezi-Tenke Fungurume. Ce cimetière

historique serpente le rail de la Société Nationale des Chemins de fer

du Congo (S.N.C.C.).Le génocide, le crime de guerre et le crime

contre l’humanité étant imprescriptible, nous pensons que l’Histoire

rendra un jour justice à ces dignes enfants de la République

Démocratique du Congo (R.D.C.), même à titre posthume. A ce sujet,

il existe une documentation abondante et adéquate que tous ceux qui

s’intéressent à ces massacres barbares et inutiles doivent consulter

pour être édifiés. Il s’agit des ouvrages, des bandes cassettes, des

bandes dessinées, des journaux, des chansons, des slogans, des

discours, des meetings, d’injures, etc. A ces témoignages irréfutables

sur les génocides au Katanga, il faut ajouter la Constitution de

l’époque et l’éloquent C.D. de Pie Tshibanda intitulé : Un fou noir

dans le pays des blancs. .

Devant le silence coupable du Tribunal Pénal International

(T.P.I.), les Baluba du Kasaï doivent se défendre en déposant une

plainte en bonne et due forme au T.P.I., conformément à la sagesse

de leurs ancêtres qui les oblige à le faire dans ces termes :Kazolo

dilumbuluila, c’est-à-dire , Poulet défendez-vous, ou Bupua bupua

mmukana mua muenabu. Ce qui veut dire que la parole du concerné

met fin à tout.

Depuis 1959, les Baluba du Kasaï souffrent et vivent toutes

les sortes de discrimination. La plupart des Congolais, de nombreux

Occidentaux et Africains les considèrent comme leurs ennemis et

vont jusqu’à leur attribuer de qualificatifs négatifs tels que : de mulu

vantard, de mulu orgueilleux, de mulu intelligent, de mulu tribaliste,

etc. et que s’il arrive à obtenir le pouvoir politique, il va dominer les

197

autres Congolais. Qu’est-ce que les ennemis des Baluba du Kasaï

n’ont pas fait pour diviser les fondateurs de l’Union pour la

Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S.) et réduire ce grand parti

politique national aux Kasaïens et aux deux Kasaï, en dépit de sa

réalité nationale congolaise ? Pensez-vous que c’est par hasard que la

ligne de haute tension Inga-Shaba puisse traverser les deux Kasaï

sans prévoir des possibilités de conversion pour alimenter les

provinces et les villes traversées ?

Les constitutions congolaises étant violées à tout moment

sans qu’il y ait poursuites judiciaires ni réparation des dommages

subis, les Baluba du Kasaï doivent tirer des leçons contenues dans

leur culture et qui vantent les mérites de leur propre patelin comme

suit :

1) Katende wasankila muenu, ku ba Luvila kudi diyoyi.

(Passereau, épanouit-toi sur ton terroir, car ailleurs, c’est la

bagarre.)

2) Luvile kupitshi kuenda, ne uye kupia tshibanda tshidi

budimbu.(Luvile, limite tes déplacements, le risque d’être pris

par la glue est permanent.)

3) Kua bende kakuena bu kuetu. ( On n’est vraiment mieux que

chez soi.)

4) Kua bende nkulu kua mutshi, dikuabu ne ukuluke. (A

l’étranger, on est comme sur un arbre perché, le risque d’en

tomber ne peut être écarté.)

5) Nkutshi wadia watangila kuenu, kua bende nkumona makenga.

(Tourterelle, consomme le regard tourné vers ton terroir, la vie

où tu es est un malheur.)

6) Kashikuila bena bilowa, biende bishala bisendame.

(Cultivateur qui, calebasses d’autrui, redresse, les siennes,

abandonnées, dégénèrent et se déforment.)

Cette sagesse ancestrale luba invite les Baluba du Kasaï à être

prudents, à ne pas rester les éternels constructeurs et bâtisseurs

d’ailleurs, alors que chez eux ils ne font rien. Ce qui est une

évidence.

La génération d’avant 1960 a été sacrifiée : elle a connu des

disettes, des tourmentes, des migrations, d’esclavage et de

198

colonisation. C’est ainsi qu’on a trouvé des Baluba du Kasaï à

travers tout le Congo, au service de la colonisation. A la veille de

l’indépendance, le colonisateur belge a dressé les Congolais contre

les Baluba du Kasaï, présentés comme envahisseurs, conquérants,

tribalistes, dominateurs, bref, »ennemis public numéro un des

Congolais ». Ce cliché est devenu une marque indélébile des

Baluba du Kasaï en particulier et de tous les Kasaïens en général.

Acculée, la génération de 1960 lutte pour sa survie et pour l’avenir

des générations futures. Elle est parvenue, au prix de sacrifice

suprême de ses dignes filles et fils, à obtenir deux résultats

mémorables que voici :

1° La création de la Province Muluba qui porta successivement

les noms ci-après : Province Minière, Etat Minier, Etat Autonome

du Sud-Kasaï , Etat Fédéré du Sud-Kasaï, Royaume Fédéré du Sud-

Kasaï, Province du Sud-Kasaï, pour terminer le 14 juin 1962, par le

Sud-Kasaï tout court.

2° La libéralisation de l’exploitation du diamant représenté par le

populaire « Article 15 bis, débrouillez-vous », qui ne figure nulle

part dans les deux constitutions qui ont existé au Sud-Kasaï et dont

les fruits du trafic sont bêtement dilapidés par les millionnaires du

dimanche que nous connaissons dans la société luba.

Les générations actuelles et à venir doivent conserver et

développer ces deux acquis précieux si elles veulent se valoriser et

pérenniser la mémoire collective des Baluba du Kasaï tombés sur les

champs d’honneur. Il ne sera pas superflu d’ériger un jour, devant la

cathédrale Saint Jean de Bonzola, un monument dédié aux Baluba

morts pour le Sud-Kasaï afin de glorifier leur lutte. Celui-ci portera

les inscriptions de leur devise suivante : Kayi kayee. Ee.

Katubengela. Kafua. Tuettu peni ? Muluee ! C’est-à-dire : A mort

notre ennemi. A nous la victoire. Cette devise qui a sauvé les Baluba

du Kasaï à Luluabourg en 1960 à la suite du rapport Dequenne sur le

conflit Baluba-Lulua, doit être un mot d’ordre de chaque instant,

car, un homme averti en vaut deux.

Les Baluba du Kasaï doivent craindre de nouvelles

migrations et épurations ethniques qui les menacent sans cesse

partout où ils habitent au Congo. Le fédéralisme que la constitution

du 18 février 2006 envisage d’appliquer en 2009 nous semble être

199

mal compris par les Congolais qui voient plus le fédéralisme

d’originaire et non celui de résidence. Donc, ils doivent agir en

conséquence en se méfiant des articles 13, 30 et 66 de cette

constitution qu’on ne respecte pas et qui disent respectivement ceci :

« Article 13

Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès

aux fonctions publiques ni en aucune autre manière, faire l’objet

d’une mesure discriminatoire qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de

l’exécutif, en raison de son origine familiale, de sa condition sociale,

de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de

son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité

culturelle ou linguistique. »

« Article 30

Toute personne qui se trouve sur le territoire national a droit

d’y circuler librement, d’y fixer sa résidence, de le quitter et d’y

revenir, dans les conditions fixées par la loi. »

« Article 66

Tout Congolais a le devoir de respecter et de traiter ses

concitoyens sans discrimination aucune et d’entretenir avec eux des

relations qui permettent de sauvegarder, de promouvoir et de

renforcer l’unité nationale, le respect et la tolérance réciproques.

Il a en outre, le devoir de préserver et de renforcer la

solidarité nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée. »

(8)

Ces articles, comme tant d’autres de constitutions

précédentes, constituent, depuis l’indépendance de notre pays, un

trompe-l’œil, destiné à la consommation extérieure ; leurs

contrevenants ne sont ni inquiétés, ni traduits en justice, ni punis.

Les Baluba du Kasaï de la diaspora ont beaucoup souffert. Ils

ont tout perdu en 1960 lors de l’accession du Congo Belge à sa

souveraineté nationale et internationale. Ils ont encore tout perdu au

Katanga en 1960 lors de la sécession katangaise et en 1992 à la suite

de l’épuration ethnique organisée et planifiée fortuitement par

Mobutu Sese Seko, Kyungu wa Kumwanza et Nguz a Karl Bond.

200

Aujourd’hui, ils sont diabolisés pour n’avoir pas voté massivement

Joseph Kabila aux présidentielles de 2006 et 2011.

Pour mettre fin à toutes ces misères chroniques, les Baluba

du Kasaï doivent comprendre le danger qui les menace dans le

fédéralisme d’originaires qui se prépare en République Démocratique

du Congo. Ils doivent se mobiliser afin de développer leur patelin

qu’est Mbujimayi, actuelle capitale d’érosions et d’affaissements (9).

Que ceux qui se disent riches s’associent pour sauver Mbujimayi et

stabiliser sa population. Ils feront œuvre utile.

Si nous admettons aujourd’hui que Mbujimayi est une ville,

nous devons lui reconnaître son statut d’une ville, c’est-à-dire, lui

reconnaître son autonomie urbaine qui couvre toute sa superficie. En

conséquence, toute la ville de Mbujimayi et ses cinq communes :

Bipemba, Dibindi, Diulu, Kanshi et Muya, dépendent de leur chef

qui est le Maire de la ville, nommé par l’ordonnance du chef de

l’Etat. Ceci signifie que la ville de Mbujimayi et ses dépendances

échappent à l’administration de l’autorité coutumière. Le chef des

Bakwanga n’a rien à dire sur la population urbaine, qu’elle soit

Mukwanga ou autre. Donc, l’expression Bena kalaba (propriétaires

fonciers) est nulle et de nul effet. D’ailleurs, elle viole la Constitution

du 18 février 2006. Surtout son article 9 qui stipule ceci : « L’Etat

exerce une souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-

sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et

maritime congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur

le plateau continental. »

201

Notes.

(1) LE PETIT LAROUSSE 2002, Paris, 2001, p.69.

(2) LA FORMINIERE 1906-1956, Bruxelles, 1956, p. 109.

(3) LE LAROUSSE DE POCHE 2007, Paris, 2006.

(4) MUYA Bia Lushiku Lumana, Les Baluba du Kasaï et la

crise congolaise (1959-1966), Lubumbashi, 1985, p. 17.

(5) MUYA Bia Lushiku Lumana, Op.Cit.p107.

(6) MUYA Bia Lushiku Lumana, Op.Cit.p.114-116.

(7) MUYA Bia Lushiku Lumana, .Op.Cit.p.184.

(8) CONSTITUTION DU 18 FEVRIER 2006, C.E.I., Kin., 2006,

pp.4, 5 et 8.

(9) Il y a à Mbujimayi, 450 têtes d’érosions et 350 affaissements

environ de terrain.

Bibliographie.

1.C.E.I.,CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE

DU CONGO, Kinshasa, 2006.

2. LA FORMINIERE 1906-1956, Bruxelles, 1956.

3. LE LAROUSSE DE POCHE 2007, Paris, 2006.

4. LE PETIT LAROUSSE 2002, Paris, 2001.

5. MUYA Bia Lushiku Lumana, Les Baluba du Kasaï et la crise

congolaise (1959-1966), Lubumbashi, 1985.

202

203

L’EMIGRATION INTELLECTUELLE DES JEUNES :

ELEMENT DE COMMUNICATION DE LA SOCIETE

LUSHOISE

SUKADI Mangwa Christelle*

et KIZOBO Fel Opel Guy*

Introduction

Depuis un bon nombre d’années, le désir des jeunes

congolais de voyager hors du pays pour leurs études n’a pas cessé de

s’accroître.

Qu’il s’agisse du cycle d’études secondaires ou universitaires, les

jeunes congolais recherchent le meilleur. Ils recherchent l’excellence

dont sont caractérisées la plupart des institutions de l’enseignement à

l’étranger. La dégradation du niveau de l’enseignement en

République Démocratique du Congo n’améliore guère la situation et

précipite de ce fait, les Congolais en général et les Lushois en

particulier, à n’avoir qu’une seule destination pour leurs projets

d’étude les plus sérieux : l’extérieur des frontières congolaises. Ce

sont surtout des pays comme la République Sud Africaine, la France,

la Belgique,...qui deviennent berceaux pour des intellectuels

congolais. Cette situation est souvent source des difficultés sociales

aussi bien dans la diaspora congolaise, qu’au sein de la population

lushoise car cette « émigration » reste un grand problème pour la

communauté intellectuelle locale.

La communication semble s’inviter partout, dans toutes les

activités, dans la vie sociale. Le terme « communication » désigne à

la fois la production de sens et de représentation individuelle ou

collective, le transport et la transmission d’information, l’échange

intentionnel de messages.1 La communication est une activité

Assistante à l’Université de Lubumbashi.

204

d’interprétation. Nous considérons qu’il est important de relever

l’aspect communicationnel de l’émigration intellectuelle des jeunes

Congolais. Chacun, en fonction de ses expériences, de sa culture, de

son statut social, etc.2, attribue des significations différentes à un

même message. Dans cet article, nous allons interpréter sous un œil

de communication, cette émigration intellectuelle des jeunes lushois.

Nous considérons ce phénomène comme une communication car il

nous permet de déduire des réalités vécues par les jeunes intellectuels

lushois, il nous permet de conclure à des affirmations sur la société

congolaise et il nous permet de nous faire une idée concrète sur la

question. Bien au – delà de tout cela, nous analyserons cette situation

sous un angle de communication pour obtenir de chacun des lecteurs

un feed-back et, une réaction.

Le présent article s’article autour d’une triple interrogation à

savoir :

1) Quelle est la proportion des élèves finalistes lushois qui veulent aller

en dehors de la RDC pour les études universitaires ?

2) Quels sont les pays les plus convoités par les finalistes pour leurs

universités ?

3) Pour quelles raisons les finalistes lushois préfèrent effectuer leurs

études universitaires à l’étranger que dans leur propre pays ?

Pour répondre à ces questions, il était logique de mener une enquête.

1. Univers et résultats de l’enquête

L’univers de l’enquête est composé des élèves finalistes

lushois. Notre choix a porté sur 5 écoles de la ville de Lubumbashi. Il

s’agit du complexe scolaire Anuarite, du Collège Imara, du

Assistant à l’Institut Supérieur de Commerce/Lubumbashi 1 Mpungu Mulenda, Information et communication, 2

ème édition, Presses

Universitaires de Lubumbashi, Lubumbashi, 2011, p 88 2 Wolton D., Dacheux E., Silvoz E., la communication, CNRS Editions,

Paris, 2001, p 21

205

Complexe scolaire Imani /Mgr Nsolotshy, du Complexe scolaire

l’Age d’Or et du Lycée Tuendelee. 100 élèves de ces écoles ont

constitué l’échantillon pris pour l’enquête. La méthodologie utilisée

pour l’enquête s’est basée sur le quantitatif et sur le qualitatif. Les

données quantitatives qui ont résulté du dépouillement des

questionnaires nous ont permis de déterminer les proportions exactes

des divers avis de la population enquêtée, afin de parvenir à fournir

des explications sur ces chiffres.

La partie qualitative quant à elle a consistera en l’explication des

résultats chiffrés obtenus à l’issu du questionnaire. Le quantitatif a

été un élément capital car de lui, nous avons tiré des réponses de

notre problématique.

La technique utilisée pendant l’enquête est celle du

questionnaire. En effet, pour recueillir les informations, nous avons

procédé à l’établissement d’un questionnaire auquel devront répondre

les sujets enquêtés de l’univers de l’enquête. A la question qui

consiste à savoir si les élèves préfèrent étudier dans une institution

locale ou étrangère, 15 élèves sur 100 ont prétendu préférer étudier

dans une institution locale d’enseignement et 85 élèves sur 100

préfèrent étudier à l’étranger. Cette question peut être considérée

comme le cœur de ce travail. Le simple fait d’avoir les résultats de la

question dit beaucoup sur l’image des institutions locales

d’enseignement. Seul 15% d’élèves désirent effectuer leurs études à

Lubumbashi après leur cycle secondaire. Ce chiffre est plus alarmant

que nous ne pouvons le penser. Cela voudrait dire que le sol lushois

serait presque totalement vidé de sa population intellectuelle d’ici

quelques années si certains élèves n’éprouvaient pas des difficultés

financières ou autres pour partir à l’étranger. La question a été posée

de manière à obtenir des réponses libres c'est-à-dire sans prendre en

compte les facteurs qui pourraient influer sur le choix des élèves.

C’est une manière de voir réellement quelles sont les intentions

profondes qui règnent au sein de la population finaliste du cycle

d’études secondaires.

Autre chiffre parallèlement alarmant, 85% d’élèves

interrogés disent vouloir poursuivre, s’ils ont le choix, leurs études à

l’étranger. Cela veut dire que des pays étrangers regorgeraient de

milliers et de milliers d’intellectuels lushois. Pour analyser

206

qualitativement ces deux situations, nous pouvons dire qu’à la base

de tout, il y a d’un côté un problème de communication des

institutions locales et d’un autre, une excellente politique de

communication non seulement des universités étrangères, mais aussi

de leurs pays respectifs. Ces 15 et 85% résultent :c

Une image peut être acceptable par des institutions locales

devant retenir les futurs étudiants. Les élèves, dès le début de

leurs études du cycle secondaire, si pas plus tôt, se forgent

déjà une image négative de ce que sont les études supérieures

à Lubumbashi.

Le pire dans cette situation, c’est que des 15% qui veulent poursuivre

leurs études ici, la majorité avance comme raisons le fait de pouvoir

réussir facilement, sans aucun effort intellectuel considérable.

Cela veut dire que, non seulement, la majorité préfère s’en aller, mais

aussi que la minorité qui reste le fait pour des raisons

inacceptables en l’occurrence le moindre effort.

Une communication bonne image des institutions

d’enseignement universitaire à l’étranger. Cela est dû à leur

meilleure politique de communication. Il s’agit d’un

processus global comportant l’effort d’une bonne image

provenant des institutions étrangères et l’effort des pays

bénéficiaires de la « fuite des cerveaux ».

Devons-nous nous estimer heureux que la grande majorité

d’élèves qui désirent étudier à l’étranger ne s’en aille pas à cause du

manque de finances nécessaires ?

Les sciences de l’information et de la communication peuvent

remédier à cette situation catastrophique en élaborant une bonne

politique de communication pour les universités congolais. A la

question qui consiste à opérer un choix sur un pays étranger pour les

études après le secondaire, 15 élèves sur 100 ont choisi l’Afrique du

Sud, 22 ont choisi la France, 29 ont choisi les Etats Unis d’Amérique,

16 ont choisi la Belgique et 18 le Canada. Comme on le voit le plus

grand nombre d’élèves à porté son choix sur les Etats Unis

d’Amérique, soit à 29%. Ceci est dû au fait que c’est un pays qui

offre beaucoup d’opportunités, c’est le pays qui a toujours fait rêver

la plupart des jeunes. Car il possède des centaines d’universités très

207

réputées. Il est donc tout à fait logique que les élèves l’aient choisi en

grand nombre.

En seconde position, c’est la France qui est choisie par 22%

des élèves enquêtés.

L’une des grandes raisons est le fait que le pays francophone et en

tant que tel, c’est déjà un grand avantage pour ceux qui désirent y

étudier. En dehors de l’aspect francophone, il y a le fait que la France

regorge aussi comme les Etats Unis d’Amérique, de plusieurs

universités très bien réputées. C’est le pays européen par excellence

pour les jeunes étudiants. Le troisième pays choisi à 18 % est le

Canada. Le Canada est en partie francophone, et est le pays qui est le

plus favorables aux « nouveaux venus ». Il n’est pas difficile de

s’installer au Canada, de trouver du travail, il a une politique

d’immigration très souple. Il arrive d’ailleurs souvent que le Canada

lui-même fasse appel à des personnes pour travailler sur son sol, pour

y habiter. Le quatrième pays choisi est la Belgique avec 16%

d’élèves qui l’ont choisi. C’est un des pays d’Europe qui a une

grande concentration de la diaspora congolaise. Il possède aussi en

son sein des bonnes universités qui offrent une formation de qualité.

Le lien nostalgique de paternité entre anciens colonisateurs et

colonisés est encore très présent.

Le pays qui vient en cinquième position est l’Afrique du Sud

avec un choix de 15 élèves sur 100. Ce pays est souvent convoité par

les jeunes congolais déjà de par la facilité qu’il y a d’y arriver : si

pour aller aux USA, en France, au Canada, en Belgique il faut

prendre l’avion, en Afrique du Sud on peut y arriver par route. Les

prix sont plus ou moins abordables dans les universités qui sont de

qualité et ont l’avantage d’être bien cotées sur le plan international.

L’anglophonie ajoute un plus à la formation académique de par

l’émergence des domaines exigeant la pratique de l’anglais.

Quand on demande à 100 élèves les raisons pour lesquelles

beaucoup de congolais vont poursuivre leurs études à l’étranger, 57

disent que c’est parce que les conditions d’étude y sont meilleures, 5

pensent que c’est parce qu’ils ont le goût de l’aventure, 3 disent que

c’est parce qu’ils pensent que la vie y est moins chère, 21 pensent

que c’est pour obtenir facilement du travail après les études, 12

prétendent que c’est parce que ceux qui sont partis avant réussissent

208

mieux leurs vies aujourd’hui et 2 donnent d’autres raisons comme le

fait qu’à l’étranger on s’épanouit mieux qu’en RDC ou encore qu’il

est possible d’avoir plus d’opportunité de choix de spécialisation

dans les autres pays. C’est dire que 57% d’élèves pensent que les

congolais vont étudier à l’étranger parce que les conditions d’étude y

sont meilleures. Ceci montre à quel point les fameuses conditions

d’étude dont les congolais se plaignent souvent y sont pour

beaucoup. Les bâtiments en piteux état n’ayant dans la plupart des

cas pour seul éclairage que la lueur du soleil, le matériel de pratique

insuffisant, les points difficilement obtenus,… A couse de tous ces

éléments, les jeunes congolais partent à l’extérieur de leur pays. 5%

pensent que les Congolais partent parce qu’ils ont le goût de

l’aventure, qui les pousserait à s’en aller découvrir de nouveaux

horizons, de nouvelles cultures, de nouvelles façons d’être formés à

l’université, dans des instituts supérieurs. 3% d’élèves a choisi

l’option qui dit que c’est parce qu’ils pensent que la vie y est moins

chère. Cette conception erronée sur l’étranger est encore présente

dans le chef de beaucoup de jeunes congolais. On s’imagine que la

vie est facile ailleurs et ce, parce qu’on estime ne pas pouvoir plus

souffrir en dehors des frontières congolaises. 21% pensent que c’est

pour obtenir facilement du travail après les études que les congolais

s’en vont. C’est un pourcentage important qui reflète une autre réalité

de la vie du jeune congolais. Obtenir du travail après les études est un

vrai parcours du combattant dans la plupart des cas. On est sûr

qu’ailleurs il suffit de finir ses études, rédiger une lettre de demande

d’emploi pour devenir travailleur contrairement à la réalité locale.

Ceci est dû au fait que la culture de la création d’emploi n’est pas très

répandue et que les nouveaux émergents sont souvent matés.

12% des élèves interrogés pensent que les jeunes congolais

quittent le pays parce que ceux qui sont partis avant réussissent

mieux leurs vies aujourd’hui. Il y a encore aujourd’hui dans la culture

congolaise, le besoin de ressembler aux aînés. Quand on observe un

homme, une femme dont la vie a réussi, on s’imagine qu’il faut

passer par la même voie pour arriver aussi soi-même à la réussite.

Ainsi, le désir de réussir sa vie influe aussi grandement sur la

décision de quitter le pays.

209

Deux autres pourcent ont donné d’autres raisons comme

qu’ailleurs on s’épanouit mieux qu’en RDC ou qu’il est possible

d’avoir plus de choix de domaines de spécialisation. Tout homme a le

besoin de s’affirmer dans le milieu où il évolue. Les institutions

étrangères contrairement aux locales ont l’avantage d’encourager les

étudiants à effectuer des recherches, à créer, à imaginer des pistes de

solutions à apporter à la science. L’esprit d’initiative est prôné. En

dehors de cela, quand un jeune congolais vous parle de spécialisation,

vous pouvez être sûr qu’il pense l’effectuer à l’étranger. Parce que

bien entendu, il y a plusieurs domaines de spécialisation qui ne sont

pas développés localement. Somme toute, l’étranger demeure un

« paradis » rêvé par les jeunes Congolais.

2. L’étranger, Eldorado des jeunes congolais

Depuis l’accession des pays africains à l’autodétermination à

aujourd’hui, soit exactement deux générations, nous entendons parler

de l’aide, de dons, de coopération entre les pays africains et les

nations occidentales. Seulement, cette aide n’a eu aucun effet majeur

pour sortir l’Afrique du cercle vicieux du sous-développement, du

goulag de la pauvreté, de la misère et de la dépendance de

l’extérieur3. Dès lors, le meilleur recherché par les jeunes africains se

trouve en dehors de leurs frontières. Plusieurs années après son

indépendance, la RDC assiste impuissante à un départ massif des

jeunes élèves et étudiants vers l’étranger, en vue non seulement

d’entreprendre ou de parfaire des études, mais également de réaliser

le rêve qu’ils n’ont pas pu accomplir chez eux. L’Europe exerce sans

aucun doute un grand attrait sur ces jeunes gens. Il faut, déclarent-ils,

voir un jour l’Europe, y vivre, y entreprendre facilement les études, y

tailler dans la pierre (kobeta libanga, disent-ils en lingala), autrement

dit y trouver du travail, peu importe lequel. C’est tout un programme,

et aucun obstacle ne peut gêner ni contrarier leur ambition.

3 MAYEGA F., L’Avenir de l’Afrique La diaspora intellectuelle

interpellée, L’Harmattan , Paris, 2010, p. 17

210

Tous les moyens sont donc permis pour y parvenir. Les

immigrés rêvent d’y amasser rapidement une fortune qui leur

permettra d’accéder à un rang social meilleur par rapport à celui de

leurs camarades restés au pays. Quoi qu’il en soit, l’Europe apparaît à

leurs yeux comme un modèle et synonyme d’aisance matérielle,

c’est-à-dire, l’absence des problèmes inhérents à l’Afrique : la faim,

l’analphabétisme, le manque et/ou l’insuffisance des places dans les

universités, les mauvaises conditions d’étude, l’injustice, le chômage,

etc. Mais une fois sur place, que des désillusions, des déceptions.

Chaque année l’Afrique perd ses espoirs, ceux qui sont censé

la construire ou la reconstruire, ceux qui sont censée lui donner un

nouvel élan vers le développement, ceux qui sont censé faire d’elle

un eldorado…Le congolais aussi s’en va vers cet eldorado. Le désir

de chercher le meilleur à l’étranger dépasse de loin le désir de

développer le pays en acceptant de croupir dans la « misère » .

3. La fuite des cerveaux

Selon le Programme des Nations Unies pour le

Développement (PNUD), la fuite des cerveaux se produit lorsqu’un

pays perd sa main d’œuvre qualifiée en raison de l’émigration. Il

faut donc entendre ici par fuite de cerveaux, l’émigration des

travailleurs qualifiés, des universitaires et d’autres intellectuels, vers

d’autres pays pour diverses causes. 4

La fuite des cerveaux ou exode des cerveaux ou drainage des

cerveaux, désigne les flux migratoires des scientifiques et des

chercheurs s'installant à l'étranger pour trouver de meilleures

conditions de vie, de travail ou de rémunérations.Plusieurs termes,

essentiellement des anglicismes sont employés pour désigner ce

phénomène et traduire sa dynamique multipopulaire, accélérée et

diversifiée, dans les contextes économique, politique et

technologique actuels : « profesionnal transients », « brain gain »,

« reserve transfert of technology », « transit brain drain », « delayed

4. Kouvibidila G.-J, La fuite des cerveaux africains, Le drame d’un continent

réservoir, L’Harmattan, Paris, 2009, p 9.

211

return », « skilled transients », « brain mobility », « brain

exchange ».Le terme couramment employé par les Anglo-saxons est

« brai drain », c’est-à-dire drainage des cerveaux. Pour les Anglais

par exemple, il s’agissait , à l’origine de recruter, à leur profit, des

cerveaux dans d’autres pays en leur proposant des conditions

professionnelles salariales plus avantageuses. Chez les francophones,

certains l’appellent « fuite des cerveaux », d’autres la qualifient de

« traite des cerveaux », la comparant, à tort ou à raison, à la traite

négrière dont les anciens colonisateurs furent les vils bénéficiaires.5

Au début des indépendances, les pays d’Afrique au sud du

Sahara voyaient leur avenir avec optimisme. Ils ont misé sur le

développement rapide pour « sans tarder » venir à bout de

l’ignorance, de la pauvreté, de la maladie et de l’insécurité

alimentaire. Cette tendance tablait sur la croissance continue de

l’économie mondiale dont il semblait que l’Afrique subsaharienne

devait bénéficier de façon prioritaire. La communauté des bailleurs

de fonds partageant ce sentiment n’a pas manqué de fournir l’aide

nécessaire. Dans cette dynamique de modernisation, de nombreux

pays africains ne possédant pas d’institutions, ont envoyé leurs

étudiants se perfectionner dans les universités et centres de recherche

des pays du Nord afin d’accélérer la formation des ressources

humaines. Mais plusieurs d’entre eux ont choisi d’y rester une fois

leur formation terminée. Le même phénomène touche les

professionnels qui, n’étant pas parvenus à réintégrer totalement leur

pays d’origine, décident de retourner dans celui où ils ont fait leurs

études. Selon l’UNESCO, plus de 30 000 africains titulaires d’un

diplôme de 3ème

cycle universitaire vivraient en dehors du continent

et 25 000 boursiers africains qui sont allés faire leurs études dans les

pays de l’Union Européenne n’ont pas regagné leurs pays d’origine.

Le phénomène de « fuite de cerveaux » n’est pas nouveau et

remonte aux années 1950. A cette époque, le terme désignait le

départ massif des scientifiques et ingénieurs britanniques vers les

5 Nedeleu M. (dir), La mobilité internationale des compétences-situations

récentes, approches nouvelles, ouvrage sous la direction de Mihaela

Nedelcu, Paris, L’Harmattan, Paris, 2004, pp 11-12

212

Etats–Unis. Depuis, il est réservé aux migrations scientifiques du Sud

vers le Nord et depuis peu les scientifiques de l’Est. La migration est

favorisée par la politique de séduction que mènent les pays

développés vis-à-vis de ceux qu’ils ont formés (bien souvent aux

frais de leurs pays d’origine). Il est une évidence qu’il existe une

corrélation étroite entre le lieu de formation et les flux migratoires

des intellectuels. Afin de réduire cette migration internationale

préjudiciable au développement, de nombreux pays d’Afrique se sont

engagés dans un processus de création (parfois de revitalisation) des

universités, des institutions régionales de formation professionnelles,

et des centres nationaux et régionaux de recherches qui sont

potentiellement les institutions les plus compétentes des pays

d’Afrique subsaharienne pour mener des recherches qui enrichissent

le savoir par des connaissances nouvelles ou qui acquièrent et

adaptent les savoirs aux conditions locales, pour favoriser

l’assimilation et l’utilisation des connaissances qui renforcent les

moyens humains et pour s’investir dans les nouvelles technologies

qui produisent des biens et services.

Pour une coopération plus judicieuse Mr Cheikh Modibo

Diarra disait que « les pays devraient mettre en commun leurs

maigres moyens pour créer des institutions sous-régionales de

formation et de recherche pour contribuer à la lutte contre la fuite des

cerveaux africains ». Les institutions sous-régionales d’enseignement

supérieur constituent alors un dispositif essentiel dans le plan

stratégique de lutte contre la fuite des cerveaux.6 Les principales

raisons de la fuite des cerveaux sont: insécurité politique,

insuffisance, voire quasi inexistence des moyens de travail ; risque

pour leur vie en cas de conflits armés, car les intellectuels sont

souvent la cible de l'homme fort du moment lorsque ceux-ci sont

opposés à ses idées politiques et à sa gestion du pouvoir. Les

exemples sont légion partout en Afrique. Il y a aussi la quête

permanente des biens matériels qu'ils ne peuvent acquérir dans le

6 KABORET Y., Eviter la fuite des cerveaux en Afrique subsaharienne :

Rôle des institutions sous-régionales de formation et de recherche

.Communication présentée à la Conférence Régionale sur l’exode des

compétences et développement des capacités en Afrique.

213

pays d'origine où les dirigeants brillent par leurs politiques

hasardeuses et contre productives. Même si la responsabilité

principale incombe aux Etats africains, qui ne font pas grand-chose

pour éviter cette hémorragie, les pays d'accueil sont coupables du

recrutement abusif des cadres africains qu'ils n'ont pas contribué à

former, sinon partiellement, ce qui aggrave une situation déjà

dramatique sur le continent. Ils sont d'autant plus responsables qu'ils

le font en connaissance de cause. Plus grave, les cerveaux africains

sont sous-employés et sous-payés dans les pays riches. Ces pays n'ont

donc aucune excuse.

Des solutions existent pour lutter contre la fuite des

cerveaux: il y a des solutions internes et externes à l'Afrique. Selon

les analystes économiques et politiques, soit les Etats africains

mettent en place, maintenant, des politiques audacieuses qui

favoriseront le développement économique et portant l'inversion de la

tendance de l'émigration, soit c'en est fini d'une Afrique responsable.

Et tous les cerveaux s'en iront dans les pays riches.

Malheureusement, ces Etats ne semblent pas prendre réellement la

mesure de ce phénomène qui pénalise plus l'Afrique que d'autres

continents. Très peu d'entre eux ont compris qu'il faut créer des

structures économiques, des Centres de recherche technologique et

des logements pour recevoir les cerveaux expatriés. 7Comme on le

voit, avec le désir effréné des jeunes Congolais d’aller étudier à

l’étranger, la RDC favorise également la fuite des cerveaux.

Conclusion

Le présent article se veut être un outil révélateur d’un

problème important que vit la ville de Lubumbashi en particulier et la

République Démocratique du Congo en général. Des milliers de

jeunes congolais quittent le pays sous les regards impuissants et

passifs du peuple congolais. Les Sciences de l’Information et de la

Communication sont à mesure de résoudre à long terme ce problème

7 http://www.senat.fr/rap/r99-388/r99-388_mono.html

214

important en mettant à la disparition des universités congolais une

meilleure communication pour les élèves.

Cet article révèle des chiffres effrayants mais qu’on ne veut

prendre la peine d’analyser sérieusement. Il ressort le désir profond

de toujours chercher l’avenir en dehors de frontières de la République

Démocratique du Congo. Les questions posées ont trouvé des

réponses à l’issue de l’enquête menée posées au début du travail dans

l’introduction. La société congolaise est rongée par un mal auquel il

faut remédier. Le remède par excellence à ce problème n’est rien

d’autre qu’un immense plan de communication qui serait réalisé par

des communicologues à tous les niveaux concernés par la mauvaise

image que les jeunes congolais ont des institutions locales

d’enseignement supérieur et universitaire. Pendant des années,

l’homme s’est posé des questions sur la résolution de certains

problèmes et beaucoup de ces problèmes n’ont été résolus qu’avec

l’avènement de la communication.

Des efforts doivent se faire sentir dans tous les domaines et encore

plus en communication. Une organisation peut posséder des finances,

des ressources humaines et techniques, des matières à transformer,

tant que la communication ne s’y intègre pas, le fonctionnement de

cette grosse machine institutionnelle est voué à l’échec. Les sciences

de l’information et de la communication sont donc destinées à sauver

ce qui se meurt où les autres sciences n’ont rien pu faire.

Au niveau des institutions respectives, il est important de

mettre sur pied un plan de communication en collaboration avec la

hiérarchie et tous les services et ainsi s’entendre sur les actions à

entreprendre pour améliorer, redorer ou même créer une image

favorable pour l’organisation. Chaque organisation devra effectuer ce

travail en tenant compte du contexte dans lequel elle évolue. Ainsi

seront élaborés des documents qui informent sur ces institutions, des

sites internet bien entretenus seront mis sur pied, des descentes dans

les écoles seront organisées pour accrocher les futurs étudiants, des

travaux seront opérés sur les infrastructures,… bref un colossal

travail des relations publiques doit être entrepris… Tout ceci en

recherchant premièrement un sentiment de sympathie auprès des

étudiants et des futurs étudiants, en recherchant leur confiance.

215

Au plus haut niveau de l’enseignement national des décisions

de communication doivent aussi être prises afin qu’il y ait une

concordance dans la politique générale de toutes les institutions

d’enseignement. De plus, il ressort au cours de ce travail que ce qui

est recherché par les futurs étudiants, c’est la nécessité d’évoluer, de

réellement grandir intellectuellement, d’appartenir fièrement et avec

enthousiasme à une institution, d’en être un élément important et

pour cela il y a toute une organisation autour qui doit être montée. Un

des enseignements tirés est que la société congolaise est un vaste

champ d’action pour les communicologues. Les sciences de

l’information et de la communication, bien qu’étant des sciences

nouvelles par rapport aux autres, ont aujourd’hui beaucoup à

entreprendre. Toutes les institutions d’enseignement qui sont vidées

de 85% de leur population, tous ces grands professeurs, chefs de

travaux et assistants disposés à transmettre leur savoir, tous ces

agents prêts à leurs postes à chaque rentrée académique, même sans

le dire, ont le regard tourné vers la communication.

Bibliographie

1. MAYEGA F., L’Avenir de l’Afrique La diaspora intellectuelle

interpelée, L’Harmattan, Paris, 2010.

2. Mpungu Mulenda, J., Information et communication, 2eme

Edition, Presses Universitaires de Lubumbashi, Lubumbashi,

2011.

3. NEDELCU M. (dir), La mobilité internationale des compétences

situations récentes, approches nouvelles, l’Harmattan, Paris,

2004.

4. WOLTON D., E. DACHEUX, E. SILVOZ, La communication,

CNRS, Paris, 2001.

216

217

L’IMPACT SOCIO-CULTUREL DE L’USAGE DE

NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET

DE LA COMMUNICATION EN REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO.

KIZOBO Fel Opel Guy et

SUKADI Mangwa Christelle*

Introduction.

En ce début du XXIe siècle, le monde vibre au rythme de la

mondialisation ou de la globalisation. Le village planétaire s’est

construit grâce entre autre aux nouvelles technologies de

l’information et de la communication. Lesquelles nouvelles

technologies liées à la création de réseaux satellitaire, la numérisation

des signaux, la convergence entre le multimédia, les

télécommunications et l’informatique ayant réduit sensiblement les

distances entre les différents coins de la planète grâce notamment à

l’Internet, l’e-mail, le fax, le téléphone cellulaire, etc., accéléré le

temps entre les interlocuteurs. D’emblée la mondialisation a-t-elle

suscité un certain nombre des répercussions nouvelles qui affectent

tous les secteurs de la vie allant de la politique à la culture en passant

par l’économie et le social.

En effet dans son intéressant article intitulé : « Penser la

mondialisation », Jean-Claude Ruano Borbalan résume les principaux

axes des recherches scientifiques sur la mondialisation en ces

termes : « En dix ans, les interrogations se sont portées sur trois

aspects différents : d’abord la réalisé de l’intégration économique et

ses conséquences sur les Etats, puis la relation de l’impact de la

mondialisation. Enfin, on se préoccupe depuis quelques années

fortement des aspects culturels de la mondialisation » (1).

C’est dire que les hommes de sciences ne sont pas en reste

depuis l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de

1 -J.C.R- BRBALAN, "Penser la mondialisation" dans Sciences Humaines, Hors-

série, n° 30, Septembre 2000, p. 116.

218

la communication qui, en Afrique, date des années quatre-vingt-

vingt-dix avec comme produit phare, le téléphone cellulaire. (2) Les

scientifiques ont pris à bras le corps aussi l’évaluation de l’impact de

ces nouvelles technologies tant sur la société que sur la culture.

La présente communication s’inscrit dans cette

préoccupation. Mais évaluer l’impact d’un secteur aussi vaste que les

nouvelles technologies de l’information et de la communication dans

un sous-continent qu’est la République Démocratique du Congo, se

veut une tâche ardue. D’abord, le processus de l’impact de ces

technologies n’a pas encore pris fin. Ensuite la pluralité de ces

technologies rend toute évaluation de l’impact difficile au niveau

global car les répercussions de l’Internet par exemple ou du courrier

électronique ou encore du téléphone cellulaire, ne s’exercent pas de

la même façon sur une culture ou dans une société donnée. C’est

pourquoi mon analyse ne prendra en compte, que quelques domaines

susceptibles de faire ressortir l’impact réel des nouvelles technologies

de l’information et de la communication sur le secteur socio-culturel

congolais. Il s’agit notamment du rapport des Congolais avec le

temps de l’émergence de la société en réseaux, de l’économie

culturelle, de la culture-jeune et de la cyberculture. Mais avant cela,

un mot sur l’avènement de ces nouvelles technologies de

l’information et de la communication en République Démocratique

du Congo s’avère indispensable.

1. Avènement des nouvelles technologies de l’information et

de la communication au Congo.

En 1997 lors des Journées Scientifiques de la Faculté des

Lettres consacrées à la libération de la ville de Lubumbashi pour les

troupes de l’AFDL, parlant des NTIC en 1997 le Professeur Jeff.

Hoover faisait une sorte de prophétie en ces termes :

« D’abord, disons un mot sur la révolution informatique qui se

passe comme un vent à travers le monde et qui arrive aujourd’hui à la

porte de la République Démocratique du Congo. Elle va transformer

2 -P. LADERLIER, " Le temps de la communication" dans Sciences Humaines,

Hors-série, n° 30, Septembre 2000, pp. 110-111.

219

votre vie pendant les prochains dix ans qui encore difficiles à

prévoir » (3). Oui, aujourd’hui, la vie des Congolais en matière de

l’information et de la communication est en train de se modifier. La

République Démocratique du Congo est loin de s’échapper

aujourd’hui aux influences multidimensionnelles notamment socio-

culturelles des nouvelles technologies de l’information et de la

communication à l’instar des toute l’Afrique. (4)

« A la fin des années 90, peut-on lire dans la revue Sciences

Humaines, Hors-série, n° 30 DU septembre 2000, Internet fait une

irruption fracassante autant dans les foyers que dans la plupart des

sphères de la vie sociale des pays occidentaux (dans les entreprises,

les écoles, etc. En juillet 1997 par exemple, plus de 100.000

personnes se sont connectées au site Internet diffusant les images de

synthèse de la planète Mars. On parle de plus en plus de société de

l’information et du savoir, et du savoir, et de globalisation

culturelle. » (5) La révolution Internet venant des Etats-Unis

d’Amérique se généralise dans le monde. La vague atteint aussi

l’Afrique et partant le Congo (6). Mais c’est surtout le téléphone

cellulaire qui explose en Afrique en général et au Congo en

particulier. En effet en mai 1997 l’AFDL libère le Congo, le régime

Mobutu tombe. Pendant cette guerre de la libération, les hommes de

l’AFDL font usage intense de l’Internet du téléphone cellulaire, bref

des nouvelles technologies de l’information et de la communication

par rapport au camp gouvernemental.

Jeff Hoover écrit encore à ce propos ce qui suit :

« La Campagne qui a transformé la République du Zaïre de

nouveau en République Démocratique du Congo est peut-être la

première révolution du 21ème

siècle. Les communications

3 - J. HOOVER, "Le rôle de l'internet dans la libération du Congo" dans Histoire

immédiate Récits de Libération

d'une ville, cas de Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi,

Lubumbashi p. 151. 4 "L'Afrique est-elle bien partie" dans Sciences Humaines, mensuel- n° 225, Avril

2011, p. 31-33. 5 "La Révolution internet" dans sciences Humaines, Hors-série, n° 30…, p. 115. 6 - J. HOOVER, "Le rôle de l'internet…, p. 151.

220

informatisées sur l’Internet ont joué un rôle critique en transformant

une petite affaire localisée en croisade national ». (7)

Et depuis lors, en dépit de sa situation de guerre, le Congo se

trouve envahi par les nouvelles technologies de l'information et de la

communication. Hormis l'Internet et la téléphonie mobile, les grandes

villes congolaises y voient l'installation des radio privées, des chaînes

de télévision non officielles, de cybercafés, des agences de

messagerie, ,des téléboutiques, des publiphones et des télé centres. Il

suffit de circuler par exemple au centre ville de Lubumbashi pour

s'en convaincre.

Qu'on le veuille ou pas, la RDC a fait son entrée dans le monde

communicationnel du XXIe siècle. Le mouvement ira en s'amplifiant.

D'où la nécessité d'évaluer d'ores et déjà les répercussions

qu'engendre cette nouvelle situation.

2. Le rapport des Congolais avec le temps.

Depuis l'avènement de nouvelles technologies de l'information et

de la communication, des Congolais en tant que Négro-africain

voient leur vision cyclique du temps subir, un coup d'accélérateur à

l'instar de leurs partenaires européens dont la vision du temps est

linéaire. En effet, si la mondialisation se réfère surtout à l'espace, en

l'occurrence, l'espace économique, la globalisation, quant à elle,

laisse penser à l'accélération du temps (8). Dans tout ce qu'ils

entreprennent actuellement les Congolais ne sauront plus dormir sur

leurs lauriers. Ils seront soumis à la vitesse vertigineuse qu'imprime

la globalisation. A l'heure actuelle, on assiste à deux types de sociétés

congolaises. D'un côté la société qui marche au rythme de la

globalisation et d'un autre côté celle qui ne sait pas encore être

branchée. Cela pose le problème au niveau de la gestion de temps,

7 - J. HOOVER, ''Le rôle de l'internet…, p. 151. 8 - D. CORREGES, "La tyrannie de la vitesse" dans Sciences Humaines, Mensuel,

239, Juillet 2012, p. 32-35; voir

aussi P. VIRILO, Le Grand Accélérateur, Galilée, Paris, 2010; H. ROSA,

Accélération. Une critique sociale du

temps, La Découverte, Paris, 2010.

221

c'est l'argent comme disent les Anglais. Dans une société où certains

filent vite tandis que les autres traînent les pieds, le développement

est difficile à envisager.

Avec l'existence des Congolais d'en haut et ceux d'en bas, pour

ainsi reprendre l'expression chère au Premier Ministre Jean-Pierre

Raffarin, l'in assiste à une société congolaise du savoir qui amplifie

les disparités sociales et même l'exclusion. Alors que les nouvelles

technologie de l'information et de la communication sont faites pour

permettre à chacun d'avoir accès au savoir planétaire. C'est pourquoi

la lutte contre la pauvreté devra être amorcée réellement afin que

chaque Congolais puisse accéder aux merveilles de ces nouvelles

technologies de l'information et de la communication. C'est à cette

unique condition que les Congolais pourront véritablement faire leur

entrée dans la société internationale des réseaux (9).

3. Emergence de la société en réseaux au Congo.

Au niveau mondial, la mutation culturelle due à la liberté qui a

caractérisé le XXe siècle, et la révolution dans le domaine des

technologies de l'information et de la communication, ont donné

naissance à ce que l'on nomme aujourd'hui, la société en réseaux. (10

)

La RDC se trouvant impliqué, malgré lui, dans la mondialisation fait

de cette société en réseaux.

En effet une observation attentive de la réalité sociologique

congolaise actuelle révèle que le goût de la musique, du sport, les

croyances religieuses, l'adhésion politique, quête du savoir, les

amitiés, le travail, etc. ont engendré des nouveaux acteurs congolais

qui agissent sur la scène international. Tout cela est renforcé par

l'échange des e-mail, par la communication interpersonnelle, etc. En

clair, les Congolais appartiennent aujourd'hui à plusieurs réseaux

internationaux lié à la religion, au savoir, aux affaires, même le

9 - Réseaux Sociaux, Comment protéger sa vie primée et ses données personnelles"

dans l'Ordinateur

Individuel, n° 250, Juin 2012, p. 26. 10 - S. LELLOUCHE "Les Sciences Sociales au temps des réseaux" dans Sciences

Humaines,...,pp. 126-127.

222

moins catholique, comme le trafic de la drogue, au militantisme de

tout bord.

Ce qui est vrai au niveau externe, l'est aussi au niveau

interne. En effet, les habitants de villes congolaises telles que

Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, Kamina, Kananga, Mbuji-Mayi,

Isiro, Bukavu, Goma, Kikwit, Matadi, Butembo, etc. entretiennent en

grand partie des relations avec leurs compatriotes de 'arrière pays par

l'entremise des phonies, des téléphones portables, des e-mail, etc.

Cela renforce le fonctionnement des réseaux. Compte tenu de

l'immensité du pays, beaucoup restent encore à faire dans le domaine

de la télécommunication. A ce stade, tous les espoirs sont permis car

les sociétés multinationales qui investissent dans les nouvelles

technologies de l'information et de la communication se livrent,

depuis un certain temps, une véritable guerre commerciale en Afrique

en général et au Congo en particulier. A titre d'illustration, on peut

citer France-Télécom en Côte d'Ivoire, et dans les autres pays

africains ex colonies française; Télécel International (société

américaine) qui opère au Burundi, en République Centrafricaine, en

République Démocratique du Congo, en Guinée, à Madagascar et en

Zambie; Milicom (société luxembourgeoise) au Ghana, à Maurice et

en Tanzanie; Telekom Malaysia en Malawi, Vodacom (société

britannique) en Afrique du sud, au Lesotho, en République

Démocratique du Congo, etc. () Dans ce dernier pays, autres Télecel,

Stracel, Sogetel, on a Oasis, Comcel, etc. D'ici quelques années, la

télédensité au Congo sera sensiblement augmentée, entrainait du

coup, le développement des réseaux nationaux et internationaux.

L'Etat congolais devra prendre en compte cette nouvelle donne. Car

le Congolais ne sera plus seulement le sujet national mais il est

entrain de devenir le citoyen du monde. Les nouvelles technologies

de l'information et de la communication font ainsi donc des

congolais, des acteurs importants au niveau de l'économie culturelle

mondiale.

4. L'Economie culturelle au Congo.

L'explosion des technologies de l'information et de la communication

a transformé aussi la "Culture" en véritable produit économique au

223

même niveau que le cuivre, le pétrole, le bois, etc. En effet, cette

nouvelle perception de la culture est due aussi à la globalisation.

D'aucuns n'hésitent pas à parler de la globalisation culturelle. A ce

point, la mondialisation heurte les susceptibilités des gens. Car au

nom de l'identité culturelle, chaque individu, chaque nation, tient à

garder sa spécificité culturelle. N'oublions que la culture se définit ici

dans l'optique senghorienne, c'est-à-dire, la culture c'est l'Homme

tout court. Si la Culture égale l'Homme de ce fait, elle est au début et

à la fin de tout développement.

La mondialisation ne pourra donc pas réussir dans le secteur

culturel. Ce qui n'empêche pas l'économie dite culturelle de faire son

chemin (11

).

En RDC, l'économie culturelle est encore à ses débuts en

dépit du fait que ce pays soit le scandale culturel. La musique, la

danse, la peinture, la sculpture, la céramique, la coiffure, la littérature

orale et écrite, l'architecture, etc. tous ces produits culturels, un

marketing culturel. Il se crée ainsi des nouveaux métiers depuis le

développement des nouvelles technologies de l'information et de la

communication. Il appartient aux entrepreneurs congolais de se

lancer aussi dans l'économie culturelle.

Dans cette dernière comme le disait Jean-Michel Djian,

professeur à l'Université de Paris VIII, dans l'économie culturelle tout

ce qu'on donne, on le garde (). Avec l'appui des nouvelles

technologies de communication, l'économie culturelle a pris de

l'envol au Congo. En effet, les artistes musiciens congolais, par

exemple, ne produisent plus uniquement pour leur pays mais aussi

pour le marché culturel international. A ce mouvement, il convient

d'associer également leurs compatriotes scientifiques. Secteur

d'avenir, l'économie culturelle vise surtout une clientèle jeune. D'où

l'émergence du concept de Culture jeune.

11 - M. DONDEY, L'économie culturelle et créative, Document, 05/03/2009, p. 1-8.

224

5. La culture Jeune au Congo.

Loin d'être un bloc monolithique, la culture dite jeune par les

adultes est un ensemble composites d'éléments caractéristiques

divers. (12

) En effet depuis l'avènement des Nouvelles technologies

de l'information et de la communication, on assiste au Congo comme

d'ailleurs dans d'autres pays de par le monde, à une culture nouvelle

que d'aucuns désignent par culture jeune. Elle se caractérise par un

argot qui emprunte beaucoup au vocabulaire de ses nouvelles

technologies de l'information et de la communication. Prenons le cas

termes tels que "biper" "load byte", "unité", que les jeunes utilisent

de façon argotique.

Cette culture se caractérise aussi par le vestimentaire, penser

par exemple aux chaussures appelées "télécel" par les Congolaises;

un véritable look masculin et féminin et féminin s'installe mais pour

qu'il soit complet, il faut que le téléphone cellulaire vienne compléter

le tout. La possession d'un portable devient un véritablement

snobisme pour la jeunesse congolaise.

Il y a aussi la musique. En effet, hormis la musique qu'on

peut écouter à partir des appareils miniaturisés, le téléphone cellulaire

a aussi incorporé la fréquence modulée (FM)…, des mélodies

diverses, etc. qui affolent la jeunesse congolaise.

Les envois des messages à partir du téléphone cellulaire est

encore une activité qui enchante les jeunes d'aujourd'hui. Au total, la

révolution informatique a engendré une culture-jeune avec lequel il

faut se familiariser. Tout cela conduit à ce que l'on peut appeler la

cyberculture pour ainsi reprendre le titre de l'ouvrage de Pierre Lévy

(13

).

1212 - X. MOLENAT, "Les enfants du numérique" dans Sciences Humaines,

Mensuel, n° 226, Mai 2011? P. 44-45.

Culture Jeune, WIKIPEDIA, L'encyclopédie libre p. 44-45; M. FRAGONARD, La

Culture du 20ème siècle, Bordas,

Paris, 1995, p. 125-127. 13 - P. LEVY, Cyberculture, Odile Jacob, Paris, 1997; p. 224-225.

225

6. La cyberculture au Congo.

Le symbole de la société de communication passe aujourd'hui

par l'usage de l'Internet.(14

) Ce dernier est entrain de prendre son

envol au Congo. Les universités telles que celle de Kinshasa, de

Lubumbashi, etc. sont à l'heure actuelle connectées à l'internet. Les

entreprises comme la Gécamines; la SNCC, la MIBA et tant d'autres

ne sont pas en reste dans le domaine de l'internet. Les missions

religieuses toutes confessions réunies, œuvrant au Congo sont

également branchées sur le net. Les maisons commerciales privées

continuent à ouvrir de cybercafés dans les différentes villes

congolaises. L'internet se présente ici comme le lieu d'affirmation

d'une universalité et même d'une intelligence collective, comme le

pense Pierre Lévy.

Certains chercheurs qui s'intéressent à ce problème comme

Dominique Wolton estiment que la question qui se pose à ce niveau

est celle de savoir si l'internet entraînent un changement des modèles

sociaux et culturels car un système de communication ne peut se

réduire à une technologie comme internet. Comme on le sait , la

communication est avant tout affaire des contenus culturels. Quoi

qu'il en soit, les chercheurs congolais doivent à même temps que se

développe l'internet dans leur pays, analyser son influence tant dans

les milieux scientifiques que dans la communication entre eux. Ils ne

doivent pas non plus oublier de réfléchir sur l'internet à l'école ou

dans l'entreprise.

De toutes les façons, on assiste au Congo actuellement aux

nouveaux modes de sociabilité et de l'échange via internet. D'ici

quelques années, la RDC sera en plein dans le "nouvel art de

bavarder". La cyberculture est entrain de gagner aussi le milieu

congolais. Il y a des raisons légitimes de s'en occuper sérieusement.

14 -"Internet: vers de nouveaux rapports sociaux" dans Sciences Humaines., Hors-

série,…, p. 127.

226

Conclusion.

Au terme de cette communication, il y a lieu de retenir que

des nouvelles technologies de l'information et de la communication

ne laisse pas insensible le social et le culturel. Bien au contraire, ces

technologie viennent bousculer sérieusement les modèles sociaux et

culturels qui régissaient jusque là les Congolais. Si par exemple hier,

l'enseignant était perçu comme le seul dépositaire du savoir vis-à-vis

de son élève, aujourd'hui il devrait être modeste car l'élève peut en

navigant sur la toile avoir accès à ce que lui ne connaît pas encore.

Les éducateurs doivent prendre en compte cette nouvelle évolution

pour mieux former les enfants et les jeunes. La RDC est contraint à

intérioriser cette nouvelle réalité, qui, à tout point de vue, s'annonce

révolutionnaire et par conséquent, ses répercussions sur le socio-

culturel restent évidentes.

Bibliographie.

Articles

- BORBALAN J.-C.R., "Penser la mondialisation" dans Sciences

Humaines, Hors-série, n° 30, septembre 2000, p. 116-117.

- CORREGS D., "La tyrannie de la vitesse" dans Sciences Humaines,

Mensuel, n° 239, Juillet 2012, p. 32-35.

- HOOVER J., "Le rôle de l'internet dans la libération du Congo"

dans Histoire immédiate Récits de Libération d'une ville, cas de

Lubumbashi, Presse Universitaires de Lubumbashi, L'shi, 199., p.

151-157.

- "Internet: vers de nouveaux rapports sociaux" dans Sciences

Humaines, Hors-série, n° 30, septembre 2000, p. 127.

- LADELLIER P., "Le temps de la communication" dans Sciences

Humaines, Hors-série, n° 30, septembre 2000, p. 110-111.

- "L'Afrique est-elle bien partie?" dans Sciences Humaines, mensuel

n° 225, avril 2011, p. 28-38.

227

- LE LLOUCHE S., "Les Sciences Sociales au temps des réseaux"

dans Sciences Humaines, Hors-série, n° 30, septembre 2000, p. 126-

127.

- MOLENAT X., "Les enfants du numérique" Sciences Humaines,

Mensuel, n° 226 S, mai 2010, p. 44-45.

- "Réseaux sociaux, comment protéger sa vie privée et ses données

personnelles" dans L'Ordinateur Individuel, n° 250 Juin 2012, p.

26-31.

Ouvrages

- FRAGONARD, M., La Culture du 20ème siècle, Bordas, Paris,

1995.

- LEVY P., Cyberculture, Odile Jacob, Paris, 1997.

- ROSA H., Accélération. Une critique sociale du temps, La

Découverte, Paris, 2010.

- VIRILIO P., Le grand Accélérateur, Galilée, Paris, 2010.

- WOLTON D., Internet at après? Une théorie des nouveaux

médiaux, Flammarion, Paris, 2010.

228

TABLE DES MATIERES

1. REVISITATION DE LA POLITIQUE EXTERIEURE DE LA REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO : NECESSITE IMPERIEUSE. PAR KISIMBA KIMBA ... 1

2. PPAASSSSEE,, PPRREESSEENNTT EETT AAVVEENNIIRR.. LLEESS RREESSSSOORRTTSS DDEE LLAA CCOOMMMMUUNNIICCAATTIIOONN

MMUUSSIICCAALLEE VVEERRBBAALLEE DDEE TTRRAADDIITTIIOONN OORRAALLEE. PAR IBILI AKWER ............................ 25

3. LA ROUTE DES CARAVANES D’ESCLAVES A L’EST DE LA REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO. PAR KISONGA KASYULWE DESIRE ........................... 39

4. REFLEXIONS SUR LA THEORISATION DE L’HISTOIRE CAS DE LA SITUATION

AU NORD ET AU SUD KIVU EN RDC. PAR EMMANUEL KISIMBA KIMBA ET

MARCEL NGANDU MUTOMBO .......................................................................................... 75

5. L’ATTITUDE DE QUELQUES EGLISES LOCALES FACE A LA SECESSION

KATANGAISE DE 1960 A 1963. PAR KASONDE KYAWAMA K. GERMAIN ................. 103

6. L’EDUCATION TRADITIONNELLE DES BEENA LULUWA. PAR TSHISANDA

NTABALA MWENY EMERY .............................................................................................. 117

7. LES FORMES DE L’ETAT EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DE

1960 A NOS JOURS. PAR LWAMBA BILONDA MICHEL ET SANGWA MASIKINI. BIN

MUSINDE HANCKO ............................................................................................................ 151

8. AUX ORIGINES DE L’ETAT MODERNE EN AFRIQUE. PAR KIZOBO O’BWENG-

OKWESS ................................................................................................................................ 169

9. LA POLITIQUE RELIGIEUSE DE LEOPOLD II : L’ASSOCIATION

INTERNATIONALE AFRICAINE ET LA CIVILISATION EN AFRIQUE. PAR

KALENGA WA KUBWILU JEAN JACQUES ..................................................................... 179

10. LES CINQUANTE ANS DE MBUJIMAYI. PAR MUYA BIA LUSHIKU LUMANA

NORBERT ............................................................................................................................. 191

11. L’EMIGRATION INTELLECTUELLE DES JEUNES : ELEMENT DE

COMMUNICATION DE LA SOCIETE LUSHOISE. PAR SUKADI MANGWA ET

KIZOBO FEL OPEL ............................................................................................................. 203

12. L’IMPACT SOCIO-CULTUREL DE L’USAGE DE NOUVELLES TECHNOLOGIES

DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO. PAR KIZOBO FEL OPEL ET SUKADI MANGWA ..... 217