Frame A & Brachotte G: Les campagnes des compagnes : la présence sur Twitter des compagnes des...

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Les campagnes des compagnes : la présence sur Twitter des compagnes des leaders politiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis Alex Frame et Gilles Brachotte 1 « La femme du présidentiable est non seulement garant de l’entretien domestique de l’homme public mais joue un rôle éminemment fonctionnel dans la certification de ses vertus privées et dans le rappel de sa proximité avec les profanes. Le discours sur les vertus privées de l’homme public est principalement tenu par cet intermédiaire ess entiel tant dans la mise en scène du privé que dans la mise en exergue des vertus privées à des fins publiques. » Christiane Restier-Melleray, 2002 : 124. A l’ère des médias sociaux, Twitter s’est rapidement imposé comme l’un des outils en vogue pour la communication politique, dans de nombreuses démocraties occidentales. La convergence des technologies et des applications, associée à l’instantanéité de ce type de réseau, permet à la classe politique de s’exprimer, à l’intention des électeurs et des journalistes, en « temps réel » à partir de n’importe quel lieu public ou privé. La notoriété des réseaux sociaux impose aux hommes et aux femmes politiques une « présence sociale » qui participe à la fois à la construction d’une image « moderne » mais aussi à une reconfiguration des pratiques de communication vis-à-vis de leur électorat. En effet, l’utilisation des réseaux sociaux peut privilégier une illusion d’intimité, d’im-média-teté et de proximité sociale avec leurs électeurs (Brachotte & Frame, 2011). De ce point de vue, les médias sociaux constituent un nouvel espace de communication politique, brouillant les frontières de la vie publique et de la vie privée 2 , à des fins de communication. Dans de telles stratégies, des hommes politiques de premier rang s’appuient parfois sur leur épouse ou leur compagne, qui devient alors actrice en termes de leur image (Frame, 2012). Ces figures de compagne, attachées et détachées, à la fois du leader et de l’espace politique en général, complètent et complémentent l’image et l’identité du leader politique, en se mettant en scène, à leur tour, comme femme, comme mère, comme citoyenne, comme admiratrice ou défenseuse, de l’homme (politique) dont elles partagent la vie intime. Ce chapitre présente les résultats préliminaires d’une enquête sur l’utilisation d’un compte Twitter ‘personnelcomme outil de communication politique par des « compagnes de leader », en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, en période électorale (élections présidentielles de 2012 en France et aux Etats-Unis et législatives de 2010 en Grande- Bretagne). Le corpus français est constitué des tweets des compagn(on)es des 5 principaux candidat(e)s aux élections présidentielles pendant la campagne électorale officielle, du 19 février 2012 au 20 avril 2012. Les figures concernées sont très majoritairement féminines, signe d’une parité non atteinte dans la vie politique française. Le seul homme, Louis Aliot, est le compagnon de Marine Le Pen, candidate au nom du Front National. Concernant les quatre compagnes, il s’agit de Carla Bruni -Sarkozy, épouse du Président sortant (UMP) ; Valérie Trierweiller, compagne de François Hollande (PS) ; Elisabeth Bayrou, épouse de François Bayrou (Modem) ; et l’épouse de Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche), qui évite toute présence dans les médias. Le corpus britannique porte sur les dernières élections législatives en date, de mai 2010 3 . Les figures concernées sont les épouses des leaders des trois partis politiques majeurs : Sarah Brown, épouse du 1 Alex Frame est docteur en SIC et maître de conférences d’anglais au Centre Texte-Image-Langage (EA 4182) à l’Université de Bourgogne, où il est rattaché à l’UFR langues et communication. Gilles Brachotte est docteur en SIC et enseignant au département SRC de l’IUT de Dijon, Chercheur dans l’équipe 3S/CIMEOS EA 4177. 2 Par « vie privée » nous entendons ici tous les événements, réels ou fictifs, associé à un individu en ce qu’ils ne concernent pas directement l’accès aux fonctions de gouvernement. 3 Le corpus a été établi suivant les dates officielles de la campagne : du 6 avril au 6 mai 2010.

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Les campagnes des compagnes : la présence sur Twitter des

compagnes des leaders politiques en France, en Grande-Bretagne et

aux Etats-Unis

Alex Frame et Gilles Brachotte

1

« La femme du présidentiable est non seulement garant de l’entretien domestique de

l’homme public mais joue un rôle éminemment fonctionnel dans la certification de ses vertus

privées et dans le rappel de sa proximité avec les profanes. Le discours sur les vertus privées

de l’homme public est principalement tenu par cet intermédiaire essentiel tant dans la mise

en scène du privé que dans la mise en exergue des vertus privées à des fins publiques. »

Christiane Restier-Melleray, 2002 : 124.

A l’ère des médias sociaux, Twitter s’est rapidement imposé comme l’un des outils en vogue pour la

communication politique, dans de nombreuses démocraties occidentales. La convergence des

technologies et des applications, associée à l’instantanéité de ce type de réseau, permet à la classe

politique de s’exprimer, à l’intention des électeurs et des journalistes, en « temps réel » à partir de

n’importe quel lieu public ou privé.

La notoriété des réseaux sociaux impose aux hommes et aux femmes politiques une

« présence sociale » qui participe à la fois à la construction d’une image « moderne » mais aussi à une

reconfiguration des pratiques de communication vis-à-vis de leur électorat. En effet, l’utilisation des

réseaux sociaux peut privilégier une illusion d’intimité, d’im-média-teté et de proximité sociale avec

leurs électeurs (Brachotte & Frame, 2011). De ce point de vue, les médias sociaux constituent un

nouvel espace de communication politique, brouillant les frontières de la vie publique et de la vie

privée2, à des fins de communication.

Dans de telles stratégies, des hommes politiques de premier rang s’appuient parfois sur leur épouse

ou leur compagne, qui devient alors actrice en termes de leur image (Frame, 2012). Ces figures de

compagne, attachées et détachées, à la fois du leader et de l’espace politique en général, complètent

et complémentent l’image et l’identité du leader politique, en se mettant en scène, à leur tour, comme

femme, comme mère, comme citoyenne, comme admiratrice ou défenseuse, de l’homme (politique)

dont elles partagent la vie intime. Ce chapitre présente les résultats préliminaires d’une enquête sur

l’utilisation d’un compte Twitter ‘personnel’ comme outil de communication politique par des

« compagnes de leader », en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, en période électorale

(élections présidentielles de 2012 en France et aux Etats-Unis et législatives de 2010 en Grande-

Bretagne).

Le corpus français est constitué des tweets des compagn(on)es des 5 principaux candidat(e)s aux

élections présidentielles pendant la campagne électorale officielle, du 19 février 2012 au 20 avril 2012.

Les figures concernées sont très majoritairement féminines, signe d’une parité non atteinte dans la vie

politique française. Le seul homme, Louis Aliot, est le compagnon de Marine Le Pen, candidate au nom

du Front National. Concernant les quatre compagnes, il s’agit de Carla Bruni-Sarkozy, épouse du

Président sortant (UMP) ; Valérie Trierweiller, compagne de François Hollande (PS) ; Elisabeth Bayrou,

épouse de François Bayrou (Modem) ; et l’épouse de Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche), qui évite

toute présence dans les médias.

Le corpus britannique porte sur les dernières élections législatives en date, de mai 20103. Les figures

concernées sont les épouses des leaders des trois partis politiques majeurs : Sarah Brown, épouse du

1 Alex Frame est docteur en SIC et maître de conférences d’anglais au Centre Texte-Image-Langage (EA 4182) à l’Université de

Bourgogne, où il est rattaché à l’UFR langues et communication. Gilles Brachotte est docteur en SIC et enseignant au

département SRC de l’IUT de Dijon, Chercheur dans l’équipe 3S/CIMEOS EA 4177. 2 Par « vie privée » nous entendons ici tous les événements, réels ou fictifs, associé à un individu en ce qu’ils ne concernent pas

directement l’accès aux fonctions de gouvernement. 3 Le corpus a été établi suivant les dates officielles de la campagne : du 6 avril au 6 mai 2010.

premier ministre travailliste sortant ; Samantha Cameron, épouse du chef de file du parti conservateur ;

et Myriam González Durántez, épouse de Nick Clegg, leader du parti centriste (Liberal Democrats). Aux

Etats-Unis, l’enquête a suivi l’activité des épouses des candidats majeurs à l’élection présidentielle de

2012 : Michelle Obama pour le Parti Démocrate, ainsi que les épouses des quatre derniers candidats

majeurs en lisses pour l’investiture républicaine, du 1er

février au 1er

mai 20124.

Parmi ces figures, les stratégies, l’intensité et, de facto, les logiques d’usage employées sur Twitter sont

très diverses, et varient de la non-utilisation du dispositif à une pratique soutenue pour d’autres. Cet

article passe en revue les différentes logiques mises en œuvre, les différents thèmes évoqués par ces

femmes à travers leurs tweets, et la posture qu’elles adoptent, vis-à-vis de la sphère politique, de leur

vie de couple et/ou de famille. En comparant entre elles les différentes stratégies, le chapitre dressera

un portrait des pratiques observées d’un pays à un autre, en explorant plus en détail leur rôle dans la

mise en scène politique des leaders.

1. Contextes politico-médiatiques et intensités d’usage inégaux

Compagne /

compagnon

Nombre de tweets

envoyés depuis son

compte personnel

Dates du corpus

Nombre

approximatif

d’abonnés (en fin de

période observée)

Aliot 221

du 19 février au

20 avril 2012

1 500

Bayrou 0

Bruni-Sarkozy 0

Mélenchon 0

Trierweiller 42 30 000

Brown 359 du 6 avril au

6 mai 2010

1 100 000

Cameron 0

González Durántez 0

Gingrich 267

du 1 février au

1 mai 2012

8 500

Obama 15 (126)5 830 000

Paul 0

Romney 13 40 000

Santorum 0

Tableau 1: Activité sur Twitter en période électorale

Seulement la moitié environ des compagnes (6 sur 13) utilisent le dispositif. En France, deux des cinq

figures ont un compte Twitter. Aux Etats-Unis, elles sont trois sur cinq, alors qu’en Grande-Bretagne,

en 2010, seule l’une des trois épouses se servait d’un compte personnel. L’utilisation du média semble,

par ailleurs, le plus souvent corrélée à une activité professionnelle (en tant qu’acteur politique,

journaliste, ou spécialiste de la communication), même si la campagne électorale semble aussi jouer

directement un rôle dans la décision d’ouvrir un compte Twitter, pour certaines.

Le choix d’utiliser ou non Twitter est également à relier au paysage médiatique national. Au premier

trimestre 2012, un Américain et un Britannique sur trois environ possèdent un compte Twitter (107

millions de comptes Outre-Atlantique, et 23,8 millions au Royaume-Uni), alors qu’en France il y en a

quatre fois moins (moins d’un habitant sur 12 avec 5,2 millions de comptes au total)6. En 2010, au

moment des élections législatives étudiées ici, la proportion des utilisateurs britanniques était autour

4 Le début du corpus a été déterminé par le rythme de la campagne des primaires républicains et la fin par les contraintes

éditoriales liées à la publication de cet ouvrage. 5 Michelle Obama a envoyé, pendant cette période, 15 messages signées de sa main. 111 messages étaient envoyés de son

compte par l’équipe de communication du camp Obama. 6 Sources : <http://wallblog.co.uk/2012/04/19/how-big-is-twitter-in-2012-infographic/> pour les Etats-Unis et la Grande-

Bretagne ; <http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-la-france-compte-5-2-millions-de-comptes-twitter-47622.html>

pour la France. Pages visionnées le 4 mai 2012.

de 8% également (un habitant sur 12)7. Dans les trois pays, l’outil a d’abord connu un grand succès

dans le microcosme « geek », médiatique et politique8. Se pose alors la question de l’intérêt et de la

nécessité d’une présence sociale sur ce dispositif pour les compagn(on)es.

En France, le choix des compagnes de François Bayrou et de Jean-Luc Mélenchon de ne pas utiliser de

compte Twitter, s’explique, en premier lieu, par une volonté de ne pas mettre en scène leur vie privée,

de garder leurs proches éloignés des médias en général et de tenter, ainsi, de séparer les sphères

publiques et privées :

« Je ne parle pas de ma vie privée d’abord par éthique républicaine, […] Je suis candidat, c’est moi, pas

ma compagne, mes proches ou mon chien. Ensuite, je n’en parle pas par respect des miens. Eux n’ont pas

choisi ma vie. C’est déjà pénible de me supporter, avec tout ce que je trimballe, des calendriers

invraisemblables, des heures de disponibilité inouïes, et il faudrait qu’ils subissent en plus la

médiatisation ? Ils ne le souhaitent pas et je dois respecter ça. Vous n’imaginez pas le caractère offensant

de l’inquisition dans la vie privée des gens. De quel droit mes proches ou ex-proches subiraient la

pression de ma vie publique ? » (Jean-Luc Mélenchon)9.

Depuis 2007, Elisabeth Bayrou a participé une seule fois à un meeting de son époux, à Pau en

décembre 2012. Une autre raison pour cette ‘absence’ est la difficulté pour les impétrants à incarner,

en raison de leur posture politique, une image de présidentiable. Si les compagnes peuvent jouer un

rôle et faire partie d’une stratégie de communication chez un candidat à forte potentialité électorale et

en situation d’éligibilité, pour les deux candidats dont il est ici question, la problématique est déjà

d’exister et de subsister dans la vie politique française.

Pour le seul compagnon du corpus, Louis Aliot, la logique est différente puisqu’il est aussi Vice-

président du Front National et c’est surtout à travers cette fonction qu’il s’exprime et relaye les tweets

de sa candidate10

, auprès d’un peu plus de 1 500 abonnés (chiffres d’avril 2012).

En revanche, la problématique est foncièrement différente pour les deux « prétendantes » au titre de

« première dame » de France. Elles sont « l’atout charme »11

des aspirants et ne sont pas neutres dans

la construction de l’image de leur époux. Elles sont, à leur manière et à leur côté, parties prenantes

d’une stratégie de communication bien orchestrée par les stratèges en communication des partis

politiques, qui verrouillent l’image du candidat. Coïncidence ou pas, le compte Twitter de Valérie

Trierweiller a été ouvert début septembre, soit un mois avant les primaires socialistes. Toutes les

stratégies cross-médias générant des interactions sont monopolisées, en termes d’images,

d’informations et de communication dans le but ultime de renforcer la stature présidentielle du

prétendant.

Les « comptes des compagnes » sont alors observés « à la loupe » et on peut alors, légitiment

s’interroger sur la liberté d’expression des deux compagnes. Carla Bruni ne possède pas de compte

Twitter mais seulement un site internet officiel « chapeauté » par les communicants de l’Elysée12

. Elle

s’est exprimée une seule fois sur Twitter, à l’intention de ses supporters, par le biais du compte officiel

de son mari : « J'emprunte momentanément le compte de mon mari pour vous saluer, chers followers.

Merci pour votre soutien ! Carla ». Tweet d’une femme ordinaire ou d’une équipe de communication ?

Les questions de liberté d’expression et d’enjeu de communication des réseaux sociaux se posent

également pour Valérie Trierweiller qui se veut autonome, libre et non-soumise au dictat des

communicants du parti socialiste. Journaliste politique à Paris Match et sur la chaine française Direct 8

où elle anime des émissions politiques, Trierweiller vivait « clandestinement » avec François Hollande,

7 Source : <http://blog.sysomos.com/2010/01/14/exploring-the-use-of-twitter-around-the-world/>.

8 A ce propos, la dernière étude de l’Ifop (Observatoire des réseaux sociaux, Vague 6, Ifop, novembre 2011) confirme ce

paradoxe d’une notoriété grandissante mais d’une appartenance limitée au dispositif. Quelque soit la catégorie des utilisateurs,

Twitter ne fait pas partie des cinq réseaux sociaux plébiscité par les français. 9 Source : <http://presidentielle-2012.lesinrocks.com/2012/03/11/melenchon-je-jetterai-la-cle-de-lelysee-dans-la-seine/>, page

consultée le 30 avril 2012. 10

Louis Aliot est avocat et professionnel de la politique. Successivement conseiller régional en Languedoc-Roussillon, secrétaire

général de son parti de 2005 à 2010, il en devient Vice-président en 2011. 11

Selon la couverture du Paris Match du 8 au 14 mars 2012. 12

En revanche, de nombreux « faux » comptes Twitter concernent Carla Bruni, dont un que Twitter identifie à tort comme son

compte officiel (@MmeSarkozy).

alors marié avec Ségolène Royal, jusqu’en 2010. Depuis le début de la campagne, tout comme Carla

Bruni-Sarkozy, elle accompagne son compagnon lors de ses déplacements et de ses meetings. Même

si sa pratique date d’il y a moins d’un an, Trierweillier, comme Aliot, est une « twitto13

» régulière.

N’est-ce pas sa fonction de journaliste, « intellectuellement indépendante » qui lui impose,

consciemment ou inconsciemment, cette (image de) liberté ? Car si liberté il y a, elle reste en réalité

bien superficielle, puisque tout mésusage ou prise de position idéologique, en contradiction avec son

compagnon, se répercuterait sans doute sur l’image de celui-ci.

Concernant le cas britannique, l’absence du dispositif pour deux compagnes, Samantha Cameron et

Miriam González Durántez, s’explique sans doute en partie par la présence très affirmée, au préalable,

de Sarah Brown (infra). Cependant, l’épouse de Nick Clegg, de nationalité espagnole, s’est très

clairement positionnée à l’écart de ses deux « rivales », en expliquant qu’elle ne pouvait pas se

permettre, à la différence d’elles, de mettre en suspens sa carrière, afin de « jouer un rôle de figurant »

aux côtés de son mari pendant la campagne14

. Elle est, en effet, bien moins présente dans les médias

et sur le terrain que les deux autres « épouses politiques » (political wives), mais aussi très peu

susceptible de devenir un jour « première dame », compte tenu de la configuration du paysage

politique britannique. Sam Cameron occupe bien le terrain médiatique, souvent aux côtés de son mari

en campagne, jusque sur son blog vidéo, baptisé « WebCameron ». A partir du début de la période

électorale, elle figure dans plusieurs vidéos présentées sous le nom de « WebSamCameron », et c’est

dans ce média riche qu’elle fait passer la plupart de ses messages, cependant dans des registres

proches de ce que l’on retrouve sur Twitter chez d’autres « compagnes »15

.

Sarah Brown, fondatrice d’une agence de communication, est une twitto accomplie. Depuis quelques

années, elle s’est imposée comme l’une des figures nationales les plus connues sur Twitter, ce qui lui a

valu l’épithète de « grande prêtresse de Twitter », aux yeux du Daily Mail16

. Au moment des élections,

elle avait plus d’un million d’abonnés à son compte « SarahBrown10 »,17

au moins vingt fois plus que

les comptes Twitter des partis politiques majeurs à l’époque, qui ne dénombraient qu’entre 25 000 et

50 000 abonnés. Elle envoie elle-même ses messages, souvent adressés à une personne en particulier,

une réponse dans une conversation dont l’abonné à son compte ne connait ni l’origine ni la suite. Elle

a envoyé de très nombreux messages pendant la campagne (359 sur le mois, environ 12 par jour en

moyenne) d’une grande variété en termes de contenu.

De l’autre côté de l’Atlantique, en 2012, les premières dames prospectives du parti Républicain sont

toutes présentes aux côtés de leur mari, tradition présidentielle oblige. Ann Romney adresse

directement la foule, lors des meetings de Mitt, et connait un succès certain auprès de ses supporters,

alors que Carol Paul, épouse de Ron, reste davantage en retrait. De même, Karen Santorum a été peu

présente devant les électeurs, alors que son époux, Rick, parle souvent d’elle et de ses sept enfants.

L’absence de Twitter de ces deux dernières semble donc coïncider, encore une fois, avec un choix de

retrait relatif.

Parmi les deux autres « espoirs » républicains18

, Callista Gingrich utilise Twitter de manière intensive et

depuis longtemps. Son compte a été créé le 18 avril 2009, à peu près en même temps que celui de

Sarah Brown. En revanche, elle n’avait que 8 500 abonnés environ en avril 2012. Une grande partie de

ses messages sont dédiés aux élections, notamment pour retracer le chemin de campagne lors de ses

déplacements, aux côtés de son mari, dans différents Etats. A un moindre degré, elle interagit avec des

13

Le terme de « twitto » (utilisateur de Twitter) a été repris de l’usage constaté sur internet (cf. par exemple, Télérama n°3208

<http://www.telerama.fr/techno/toi-aussi-deviens-un-twitto,70939.php>) 14

<http://www.telegraph.co.uk/news/election-2010/7558842/Election-2010-the-battle-of-the-leaders-wives.html> (page

consultée le 04.04.2012). 15

Son absence de Twitter est également à rapprocher de la stratégie de son époux, qui s’est condamné tout seul à ne pas

pouvoir utiliser ce réseau, lors d’un entretien avec Christian O’Connell sur Absolute Radio, en juillet 2009. Il a voulu faire un jeu

de mots, mais, par maladresse, a indirectement assimilé tous les utilisateurs de Twitter à des imbéciles. 16

<http://www.dailymail.co.uk/debate/article-1264068/JAN-MOIR-War-wives-How-did-Sarah-Brown-SamCam-compare-

fashion-stakes.html> (page consultée le 04.04.2012). 17

Suite à son départ de Downing Street, son compte a été rebaptisé « SarahBrownUK ». Il comptait plus de 7000 tweets et

environ 1 180 000 abonnés en avril 2012. 18

Finalement, Newt Gingrich se retirera de la campagne le 1 mai 2012, en se prononçant en faveur de la candidature de Mitt

Romney.

abonnés, dans des messages souvent limités à de simples remerciements, comme lorsqu’on lui

souhaite son anniversaire.

Le compte Twitter d’Ann Romney a été créé au cours de la période d’observation (le 12 avril 2012),

dans le contexte d’une polémique autour de la contraception et des valeurs familiales. Hilary Rosen,

conseillère Démocrate a accusé Mme Romney de « ne jamais avoir travaillé de la vie ». La réaction des

« mères de famille » républicaines était immédiate et la réponse de l’équipe de Romney était de créer

des comptes Twitter et Facebook pour Ann, ainsi qu’un groupe Facebook « Mums with Mitt » (les

mères qui soutiennent Mitt), groupe qui a attiré 35,000 personnes le jour de sa création. Le compte

Twitter d’Ann Romney contient assez peu de messages (13 en 19 jours), mais il était suivi, trois

semaines après sa création, par environ 40 000 personnes.

Autre « nouvelle arrivante » sur Twitter, Michelle Obama, épouse du président sortant en 2012, a créé

son compte Twitter le 12 janvier 201219

. A la fin du mois d’avril, plus de 800 000 personnes y étaient

abonnées. Le compte est géré par l’équipe de communication autour du Président, mais 15 messages

sur 126 sur la période étudiée ont été envoyés par la Première Dame, signés « mo ». Ces messages

gardent un caractère « public » dans la mesure où aucun n’est adressé à une personne particulière.

Parmi ces six twittos, les niveaux de pratique et de sophistication dans l’usage sont bien différents.

Cela se mesure, par exemple, à l’utilisation des « hashtags »20

, pratique qui reflète une certaine maîtrise

de l’outil, favorisant l’interactivité, le référencement, et pouvant viser à s’assurer que ses messages

soient repris dans d’autres conversations. Cet usage est observé chez Valérie Trierweiller, Louis Aliot,

Sarah Brown, Michelle Obama et Cally Gingrich. Une autre caractéristique notable est le degré

d’interactivité qu’acceptent les compagnes : Sarah Brown se sert de son compte Twitter pour répondre

nominativement à des questions qui lui sont posées. Comme la plupart des autres compagnes, elle

utilise également la fonction « retweet », permettant de transférer un message qui lui a été adressé, ou

qu’elle a vu ailleurs. La valeur de témoignage semble alors intéressante, en introduisant une

polyphonie qui renforce les positions défendues.

2. Tweets politiques En se concentrant sur les six utilisateurs de Twitter pour analyser les messages envoyés, il est possible

de déceler différentes logiques d’usage et de communication, sur le plan politique, mais notamment

aussi par rapport au dévoilement de la vie privée. Sur le plan strictement politique, l’on distingue

différents degrés d’engagement explicite dans le soutien de ‘son’ candidat. En France, Valérie

Trierweiller et Louis Aliot sont clairement engagés dans la campagne électorale. Les logiques sont

différentes puisque Valérie Trierweiller exprime de manière déguisée et en filigrane son soutien à

Hollande : « je vous donne rendez/vous à 19 heures sur radio hollande pour 20 minutes d’entretiens avec

Pierre Lescure.#FH2012 » ou à travers un clin d’œil au slogan de campagne de son compagnon « le

changement c’est maintenant » : « Le changement – de chaîne – c’est maintenant ! On se branche sur

#Direct8, pour la dernière d’itinéraires ». La référence à François Hollande se fait principalement par

l’utilisation du hashtag « FH2012 » et en retweetant ses messages. Depuis le 20 avril, et à la veille du

premier tour, elle a très peu tweeté et s’exprime essentiellement pour répondre aux attaques dont elle

fait preuve : « Merci à toutes celles et ceux –sans exception – qui m’ont apporté leur soutien après le

propos abjects de Luca » ou « Aujourd’hui c’est ma fête. La vraie, celle inscrite sur le calendrier. Parce que

pendant la campagne, j’ai cru que c’était tous les jours ! ». Seul bémol à notre analyse21

, son dernier

tweet, datant du lendemain du débat Hollande-Sarkozy qui est sans équivoque et que l’on pourrait

interpréter, par conséquent, comme la marque d’un basculement vers une position de première dame

de France : « Un seul mot « excellent » ! #FH2012 ».

Quant à Louis Aliot, il exprime des idées politiques avec des messages engagés et joue son rôle de

vice-président du FN : « Merci à tous les électeurs de Marine, ils sont le fer de lance de la reconquête

19

Or son premier message aurait été envoyé sur Twitter le 2 mai 2010, selon Ed Henry, journaliste à CNN, qui lui aurait prêté son

téléphone portable afin qu’elle puisse tester le réseau social, lors d’un diner pour la presse à la Maison Blanche

(<http://edition.cnn.com/2010/POLITICS/05/03/first.lady.tweet/index.html?on.cnn=1>, page consultée le 14/04/2012). 20

Le hashtag permet de catégoriser les tweets en précédant le mot clef par le dièse « # » (« hash » en anglais). 21

Tweet hors corpus mais dont l’intérêt, en terme d’image, impose sa citation.

patriotique ! ». Sur le temps de la campagne, il n’a relayé qu’une seule fois un tweet de sa

candidate : « Merci à Brigitte Bardot pour son soutien et pour sa démarche de femme libre et courageuse.

MLP ». Twitter semble alors être l’expression du professionnel de la politique sans mise en scène d’une

quelconque vie privée et/ou intime.

Outre-manche, Sarah Brown envoie des messages de nature ouvertement politique, en exprimant son

soutien pour le parti de son époux : « @halenmo Labour is the party that does support all kinds of

families, and believes in fairness. here is the link http://www.labour.org.uk »22

. Elle tweete tout au long

de la campagne, en racontant les actions de son mari au quotidien : « and now in Manchester after GB

has given a fabulous speech to cheering crowd - and the day is not yet finished #ukelection »23

.

La plus grande partie des messages postés depuis le compte de Michelle Obama sont des prises de

position politiques, mais la majorité d’entre eux ont été envoyés par l’équipe de communication. Dans

les rares messages qu’elle signe de ses initiales, on détecte en plus une note personnelle, lorsqu’elle

met en avant la politique de son mari: « Proud that the Fair Pay Act was the first bill Barack signed as

president. http://OFA.BO/TMUyx7 –mo »24

.

La pratique de Cally Gingrich semble différente car elle sert de le compte principalement pour lister ses

déplacements : « Had a wonderful time at #CPAC yesterday with @newtgingrich. Read more about our

day here: http://www.newt.org/callistas-canvas/callista-gingrich-cpac-2012 »25

. Or, une grande partie de

ses messages sont écrits sur le modèle: « impatiente d’aller à X avec mon mari », suivi, quelques heures

plus tard de : « nous avons passé un très bon moment à X avec mon mari ». De tels messages

semblent destinés à créer une illusion de proximité relationnelle avec les habitants des endroits cités

avant et après le meeting politique. Cally Gingrich utilise également sa notoriété pour faire suivre

d’autres figures de la campagne de son époux, ses alliés politiques ou des membres de son équipe :

« For behind the scenes campaign updates follow our chief of staff@MillsapsLaw »26

. Mais il est

intéressant de noter qu’elle n’utilise pas son compte pour exprimer ses opinions politiques à

proprement parler (saluer ou critiquer un discours ou une action politique), comme le font d’autres

« compagnes ». Enfin, la même chose est vraie d’Ann Romney. Elle fait référence aux déplacements de

son mari, mais ses treize messages ne contiennent pas de prise de position politique en son propre

nom.

3. Mots de femmes Si leurs prises de position politiques diffèrent quant à la manière d’exprimer le soutien vis-à-vis de son

candidat, ce qui réunit les différentes compagnes (à l’exclusion de Louis Aliot, pour des raisons

évidentes) est une tendance à jouer un rôle d’ambassadrice en direction de l’électorat féminin. Le

contexte particulier des remarques d’Ann Romney : « I made a choice to stay home and raise five boys.

Believe me, it was hard work »27

a déjà été présenté, et cinq sur ses treize messages font référence à

son rôle de mère. Mais elle est loin d’être une exception.

L’équipe de Michelle Obama adopte une stratégie de mise en avant de l’identité féminine, sous

différents aspects, avec quelques rares messages signées par la Première Dame, ex. : « Generations of

Americans marched and organized for women's rights. This Women's History Month, let's honor them

with our service. –mo »28

, ou encore, à propos de la polémique autour des remarques d’Hilary Rosen :

22

« @halenmo Labour, c’est le parti qui soutient toutes sortes de familles, et qui croit en la justice. Voici le lien [lien] ». Message

envoyé le 2 mars. 23

« désormais à Manchester après un super discours de GB devant une foule joyeuse - et la journée n’est pas encore terminée

#ukelection ». Message envoyé le 4 mai. 24

« Fière que la loi sur le salaire juste était la première loi signée par Barack en tant que Président [lien] –mo ». Message envoyé le

27 janvier. 25

« Me suis bien amusée à #CPAC hier avec @newtgingrich. Plus d’infos sur notre journée ici : [lien] » Message envoyé le 11

février. 26

« Pour recevoir des nouvelles des coulisses de la campagne, suivez notre directeur de campagne @MillsapsLaw ». Message

envoyé le 3 mars. 27

« J’ai fait un choix actif de rester à la maison et d’élever trois garçons. Croyez-moi, c’était un vrai travail ». Message envoyé le 12

avril. 28

« Des générations d’Américains ont défilé et se sont organisés en faveur des droits de la femme. Honorons-les à l’occasion de ce

mois dédié à l’histoire des femmes -mo ». Message envoyé le 8 mars.

« Every mother works hard, and every woman deserves to be respected. –mo »29

. Cally Gingrich signe

aussi des messages de ce type, mais ce sont moins des appels à défendre la cause des femmes que la

preuve qu’elle représente son époux devant des associations pour femmes : « Great crowd at the

Republican Women's Luncheon today at Food City in Kingsport, TN! http://instagr.am/p/HzViV1IJ4t/ »30

.

L’appel à militer est davantage présent lorsqu’il s’agit d’une association qui soutient directement son

époux : « Join our Women with Newt coalition today and help us rebuild the America that we love.

http://www.newt.org/coalitions/women/ #withnewt »31

.

La figure que cultive Sarah Brown sur Twitter communique beaucoup sur des questions qui touchent

en priorité les femmes, que ce soit en tant que femme engagée, au niveau de la santé32

, de la

politique33

, l’égalité des sexes34

, ou alors en tant que épouse et mère : « visited Atherton SUre Start

Centre - so many activities for babies, children, mums & dads,and a youth club - just a joy to be there »35

.

Valérie Trierweiller n’a adopté ce comportement qu’une seule fois, à l’occasion de la journée de la

femme : « #forumElle. En tant que femme : heureuse et convaincue de l’engagement de @fhollande sur

les questions des femmes. Notamment sur les violences ». C’est une femme d’opinion qui mêle

engagement idéologique, journalistique et politique et qui utilise le support pour transmettre ses

idées et défendre les causes qui lui font sens : « Hommage à cette si grande figure que fut Raymond

Aubrac. Grand résistant qui vient de disparaître 5 ans après Lucie Aubrac #coupledelégende ».

4. Les limites de la sphère privée Si l’analyse du caractère politique des tweets révèle ainsi des logiques à peu près semblables, selon la

compagne, dans les trois pays, il existe de grandes différences, en revanche, en ce qui concerne la mise

en scène de la vie privée sur Twitter. En effet, outre les messages à caractère politique qui encensent

l’époux, les compagnes anglo-saxonnes semblent aussi vouloir l’« humaniser » en mettant en avant

des détails de sa vie ‘intime’.

Sarah Brown joue un rôle presque caricatural d’épouse accomplie sur le plan domestique. Toute

femme de carrière qu’elle est, la figure qu’elle cultive sur Twitter échange des recettes de cuisine avec

ses abonnés : « RT @judithoreilly I tried out your recipes for lamb and crumble last night. They get my

vote. http://bit.ly/9Hz9Cn [SO PLEASED!] »36

. Elle parle aussi de son appréciation des supermarchés:

« @msjodavies I love pretty much every supermarket - I know not everyone likes a supermarket shop but

I really really do »37

.

Si Sarah Brown laisse imaginer à ses abonnés le havre domestique qu’elle partage avec son mari, pour

autant, cette intimité ne porte jamais atteinte à la pudeur. Cependant quelques-uns des détails qu’elle

livre au million de personnes qui la suivent semblent aussi anodins qu’insolites. Elle évoque ses doigts

de pied tordus, ou une tache d’encre qu’elle s’est faite en s’asseyant sur un stylo. « 2nd mishap of the

campaign for me after #feettweet: discover my favourite skirt has huge inkblot on the back from sitting

29

« Chaque mère travaille dur, et chaque femme mérite le respect -mo ». Message envoyé le 12 avril. 30

« Super la foule au déjeuner des femmes républicaines aujourd’hui à Food City à Kingsport, Tennessee ! [Lien] ». Message envoyé

le 5 mars. 31

« Rejoignez aujourd’hui notre coalition « Les femmes avec Newt » et aidez-nous à reconstruire l’Amérique que nous aimons.

[Lien] ». Message envoyé le 11 mars. 32

Ex: « Today is National Safe Motherhood Day in India - a big boost to the maternal mortality campaign and @WRAGLOBAL »

Message envoyé le 11 avril. 33

« Emmeline Pankhurst trending on Twitter. Let's remember the sacrifices the suffragettes made so we could exercise our right to

vote. » Message envoyé le 6 mai. 34

« http://twitpic.com/1evx4e - attending the Celebrating Women: Past, Present and Future, conference at Neasden Temple today »

Message envoyé le 11 avril. 35

« Ai visité le Centre SUre Start d’Atherton - tellement d’activités pour les bébés, les enfants, les mamans et les papas - une vraie

joie juste d’y être ». Message envoyé le 15 avril. 36

« RT @judithoreilly J’ai essayé vos recettes d’agneau et de crumble hier soir. Je vote pour elles. [Lien] [TRES CONTENTE] ».

Message envoyé le 20 avril. 37

« @msjodavies j’adore à peu près tous les supermarchés - je sais que ce n’est pas tout le monde qui adore faire ses courses au

supermarché, mais moi c’est vraiment vraiment le cas ». Message envoyé le 17 avril. Il aurait naturellement être difficilement

imaginable que la femme du premier ministre exprime sa préférence pour telle ou telle supermarché, à la fois pour des raisons

politiques vis-à-vis des enseignes, mais aussi pour ne pas aliéner une partie de l’électorat, dans une société britannique ô

combien attentive aux différences de classe sociale.

on a pen #bottblot ».38

En dévoilant des détails intimes de son quotidien, aux côtés de son mari mis

systématiquement en valeur, Sarah met en scène la face intime de Gordon, en prenant soin de le

montrer toujours en position de force. La confidence qu’elle fait aux internautes lorsqu’elle leur dit

qu’elle a taché sa jupe, peut rendre la « première dame » plus accessible pour les électeurs qui s’y

identifient. Mais il est significatif que la tache ne recouvre pas son mari. La veille des élections, elle

envoie, l’un après l’autre, ces deux messages sur Twitter : « just bought licorice allsorts and strawberries

'n' cream in the sweet shop in Skelmersdale with Labour candidate Rosie Cooper #ukelection »,39

puis :

« visited innovative R&D centre at University of Bradford & listened to Gordon's strong speech on the

economy to students & staff #ukelection ».40

Alors que la mise en avant du discours convaincant de son

mari est assez attendue, communiquer le choix des bonbons qu’elle a achetés en compagnie de la

candidate travailliste de Skelmersdale – message envoyé avec le même hashtag « #ukelection » – ne

semble pas avoir d’autre objectif qu’une mise en scène de détails relevant de la sphère privée, dans un

registre intimiste, conversationnel, qui s(t)imule une proximité avec ses lecteurs.

Cette mise en scène de l’intime est présente chez Michelle Obama, lorsqu’elle fait allusion à des

soirées « entre amis », tout en faisant un clin d’œil à ses abonnés : « It was great to sit down for dinner

with a few new friends last night. My date had a great time, too. –mo »41

. Elle partage également des

messages personnels envoyés à son époux : « Happy President's Day to my personal favorite,

@BarackObama. –mo »42

, ou : « I wonder how Al Green ended up on our playlist, @BarackObama! –

mo »43

. Elle inclut quelques références au foyer familial mais, à la différence de Sarah Brown, elle ne

partage pas de détails sur elle-même.

Malgré la petite quantité de messages envoyés du compte d’Ann Romney, celle-ci répond, en le

retransmettant, à un message à caractère personnel, que son fils lui a envoyé : « Thank You Matt! Love

You RT @Matt_Romney Happy Birthday@AnnDRomney! Wish we could celebrate with you today mom,

but see you soon! »44

, et publie même une photo de son petit-fils endormi. En revanche, cette

utilisation ‘intime’ de Twitter est totalement absente du compte de Cally Gingrich, où l’on ne retrouve

aucune mise en scène de sa vie, en dehors des messages et des photos officielles qui retracent la

campagne.

Côté français, la séparation vie privée/vie publique semble être une règle d’or. Aucune allusion de vie

intime ou de relation se retrouve parmi les messages envoyés. Bien au contraire, Valérie Trierweiller

tient des propos ayant pour objectif de renforcer la protection de la vie privée : « Quel choque de se

découvrir à la Une de son propre journal. Colère de découvrir l’utilisation de photos sans mon accord ni

même être prévenue ».

Conclusion Si Twitter et les autres médias sociaux constituent encore, en 2012, des outils/des usages relativement

mineurs au sein de l’arsenal de la communication politique, ces médias constituent une voie de

communication intéressante pour rassembler au sein de communautés et véhiculer certaines valeurs. A

ce titre, les compagnes des leaders politiques qui acceptent ce type de médiatisation adoptent peu à

peu ces outils, que ce soit Facebook, Twitter, ou même le tout récent « Pinterest »45

, souvent avec une

38

« Deuxième accident de la campagne pour moi, après #feettweet [l’incident des pieds] : découvert que j’ai tâché ma robe préférée,

après m’être assise sur un stylo #bottblot ». Message envoyé le 19 avril. 39

« viens d’acheter des réglisses et des bonbons à la fraise dans un magasin de bonbons à Skelmersdale, en compagnie de la

candidate travailliste Rosie Cooper #ukelection ». Message envoyé le 5 mai. 40

« visité le centre R&D innovant de l’Université de Bradford, et écouté le discours convaincant de Gordon sur l’économie, devant

étudiants et personnels #ukelection ». Message envoyé le 5 mai. 41

« C’était génial de prendre le diner avec quelques nouveaux amis hier soir. Mon homme s’est bien amusé aussi -mo ». Message

envoyé le 9 mars. 42

« Joyeuse fête des présidents à mon favori personnel, @BarackObama. –mo ». Message envoyé le 20 février. 43

« Je me demande comment il se fait qu’Al Green se trouve sur notre liste de lecture, @BarackObama ! –mo ». Message envoyé le

12 février. 44

« Merci Matt! Je t’aime RT @Matt_Romney Joyeux Anniversaire@AnnDRomney ! Nous aimerions faire la fête avec toi aujourd’hui

maman, mais on se verra bientôt ! ». Message envoyé le 17 avril. 45

Ce réseau a été lancé en version béta en mars 2010, et comptait plus de 11 millions d’utilisateurs uniques aux Etats-Unis déjà

en janvier 2012. Il permet de regrouper textes et images par thème, avec une fonction « repin » qui ressemble au « retweet » de

véritable stratégie cross-médias. Outre la volonté de donner une image « moderne » et « branchée »,

une telle présence leur permet de contrôler, ou du moins de participer dans la construction de leur

identité numérique, leur assurant une présence en ligne et leur donnant un forum pour exprimer leur

point de vue, dans une logique communautariste, et pour se défendre (à l’image d’Ann Romney et de

Valérie Trierweiller, notamment). La pression « d’y être » est certainement plus forte pour les

compagnes des « présidentiables », celles qui ont le plus de chance de devenir « première dame »,

compte-tenu de l’attention médiatique dont elles sont la cible, quel que soit le pays : même en France,

dès les élections présidentielles de 1965, Paris-Match dressait déjà le portrait des « premières dames »

potentielles.

Christiane Restier-Melleray (supra, citation en tête de chapitre) souligne toute l’importance de la

première dame concernant la mise en scène des valeurs éthiques et familiales de l’homme politique.

Or, cette étude montre que les compagnes des candidats anglo-saxonnes visent également à toucher

plus largement, sur des valeurs supposées propres aux femmes, un électorat féminin duquel les

hommes politiques semblent plus éloignés. Elles jouent sur une image de femme aussi large que

paradoxale : tantôt bonne ménagère ou « mère à plein temps », tantôt défenseuse des droits de la

femme, elles tweetent leur compassion face à des causes nobles ou à des situations difficiles, à l’image

de ce message de Newt Gingrich, retransmis par son épouse : « @CallyGingrich and I have

@RickSantorum and family in our prayers since their daughter bella is back in the hospital »46

.

Or, on est là dans une société américaine bien éloignée de la France, où l’on imagine mal un tel

message, portant sur l’enfant d’un rival, envoyé entre les candidats aux présidentielles, même au sein

d’un même parti. Malgré quelques tentatives de « pipolisation », depuis une dizaine d’années, sur

d’autres médias, cherchant à accentuer le visage « humain » de tel ou tel homme politique47

, en

France, cette étape de mise en scène et de dévoilement de l’intimité sur les réseaux sociaux n’a pas été

franchie. Le sera-t-elle un jour ? Cela semble peu probable à court terme. Daniel-Louis Seiler remarque

que les nations qui favorisent la mise en scène de la vie privée sont également celles qui ne tolèrent

aucune écart de la part de leurs hommes et femmes politiques. Un scandale sexuel ou financier met

terme à une carrière politique beaucoup plus facilement aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne qu’en

France. Là où les Français critiqueraient peut-être un manque de pudeur, les Anglo-Saxons verraient de

la transparence nécessaire à prouver son exemplarité, dans la vie privée, puisqu’il en va de même que

pour la vie publique. Seiler évoque des différences culturalo-religieuses, entre les nations anglo-

germaniques à héritage protestant et les peuples latins à dominant catholique. Les premières, écrit-il,

« ne distinguent pas l’acteur de la personne. Dès lors, l’opinion considère que celui ou celle qui est dépensier dans son budget familial se révélera prodigue des deniers publics, que le politicien infidèle à son épouse le sera aussi envers ses électeurs, etc… » (2002 : 163). Dans les sociétés latines, en revanche, « les citoyens ont, en quelque sorte, intériorisé le principe de totalité qui pose que le tout est différent de la somme des parties. Ils considèrent qu’un individu peut être immoral dans sa vie privée, voire un parfait salaud, mais apprécier et privilégier ses capacités de gouvernant, d’homme d’Etat » (ibid.). Mais il semblerait, qu’au delà de ce « principe de totalité », cette question touche aux valeurs fondatrices de la République. La séparation de la vie privée et publique est à la base de la notion de citoyenneté à la française. Ce principe justifie, entre autres, les politiques d’intégration et de laïcité. Or, compte tenu des pressions dans le monde actuel, notamment par le biais des technologies internet et des médias sociaux, combien de temps une telle séparation forcée restera-t-elle socialement viable ? Les futures évolutions dans les pratiques sur Twitter des compagnes en campagne seront intéressantes à suivre, à plus d’un titre.

Twitter. Ann Romney a ouvert un compte sur Pinterest le 21 février 2012 (avant ses comptes Twitter et Facebook), compte suivi

par environ 6 000 abonnés quatre mois plus tard : <http://pinterest.com/annromney/>. 46

« @CallyGingrich et moi incluons @RickSantorum et sa famille dans nos prières depuis que leur fille bella se trouve de nouveau

à l’hopital ». Message envoyé le 6 avril. 47

Mais là encore, la réception du message est aléatoire et l’écho pas toujours favorable à l’image des moqueries et des parodies

sur les réseaux sociaux qu’a subi d’Hervé Morin (ancien ministre de la défense) suite à sa présentation iconoclaste de ses vœux,

depuis sa cuisine.

Références : BRACHOTTE, Gilles et FRAME, Alex. « Appropriation et usages des TIC chez des « leaders » politiques

en France et en Grande-Bretagne : pratiques et discours ». La communication électronique : enjeux de

langues. LIENARD Fabien et ZLITNI, Sami (éds.), Limoges : Lambert-Lucas, 2011, pp.65-76.

FRAME, Alex. « Too many twits ? Réseaux sociaux et mise en scène de l’intimité par les candidats aux

élections législatives britanniques en 2010 ». Les frontières de l’intime. CRINQUAND Sylvie et BRAVO

Paloma, Bruxelles : Editions EME, 2012, pp.77-89.

RESTIER-MELLERAY, Christine. « Les formes d’interventions journalistiques dans l’évocation de

l’intimité ». La vie privée à l’heure des médias. BAUDRY Patrick, SORBETS Claude et VITALIS André

(éds.), Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, pp. 123-138.

SEILER, Daniel-Louis. « L’usage politique de la vie privée des hommes politiques en démocratie ». La

vie privée à l’heure des médias. BAUDRY Patrick, SORBETS Claude et VITALIS André (éds.), Bordeaux :

Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, pp. 149-165.