Les campagnes des compagnes : la présence sur Twitter des
compagnes des leaders politiques en France, en Grande-Bretagne et
aux Etats-Unis
Alex Frame et Gilles Brachotte
1
« La femme du présidentiable est non seulement garant de l’entretien domestique de
l’homme public mais joue un rôle éminemment fonctionnel dans la certification de ses vertus
privées et dans le rappel de sa proximité avec les profanes. Le discours sur les vertus privées
de l’homme public est principalement tenu par cet intermédiaire essentiel tant dans la mise
en scène du privé que dans la mise en exergue des vertus privées à des fins publiques. »
Christiane Restier-Melleray, 2002 : 124.
A l’ère des médias sociaux, Twitter s’est rapidement imposé comme l’un des outils en vogue pour la
communication politique, dans de nombreuses démocraties occidentales. La convergence des
technologies et des applications, associée à l’instantanéité de ce type de réseau, permet à la classe
politique de s’exprimer, à l’intention des électeurs et des journalistes, en « temps réel » à partir de
n’importe quel lieu public ou privé.
La notoriété des réseaux sociaux impose aux hommes et aux femmes politiques une
« présence sociale » qui participe à la fois à la construction d’une image « moderne » mais aussi à une
reconfiguration des pratiques de communication vis-à-vis de leur électorat. En effet, l’utilisation des
réseaux sociaux peut privilégier une illusion d’intimité, d’im-média-teté et de proximité sociale avec
leurs électeurs (Brachotte & Frame, 2011). De ce point de vue, les médias sociaux constituent un
nouvel espace de communication politique, brouillant les frontières de la vie publique et de la vie
privée2, à des fins de communication.
Dans de telles stratégies, des hommes politiques de premier rang s’appuient parfois sur leur épouse
ou leur compagne, qui devient alors actrice en termes de leur image (Frame, 2012). Ces figures de
compagne, attachées et détachées, à la fois du leader et de l’espace politique en général, complètent
et complémentent l’image et l’identité du leader politique, en se mettant en scène, à leur tour, comme
femme, comme mère, comme citoyenne, comme admiratrice ou défenseuse, de l’homme (politique)
dont elles partagent la vie intime. Ce chapitre présente les résultats préliminaires d’une enquête sur
l’utilisation d’un compte Twitter ‘personnel’ comme outil de communication politique par des
« compagnes de leader », en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, en période électorale
(élections présidentielles de 2012 en France et aux Etats-Unis et législatives de 2010 en Grande-
Bretagne).
Le corpus français est constitué des tweets des compagn(on)es des 5 principaux candidat(e)s aux
élections présidentielles pendant la campagne électorale officielle, du 19 février 2012 au 20 avril 2012.
Les figures concernées sont très majoritairement féminines, signe d’une parité non atteinte dans la vie
politique française. Le seul homme, Louis Aliot, est le compagnon de Marine Le Pen, candidate au nom
du Front National. Concernant les quatre compagnes, il s’agit de Carla Bruni-Sarkozy, épouse du
Président sortant (UMP) ; Valérie Trierweiller, compagne de François Hollande (PS) ; Elisabeth Bayrou,
épouse de François Bayrou (Modem) ; et l’épouse de Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche), qui évite
toute présence dans les médias.
Le corpus britannique porte sur les dernières élections législatives en date, de mai 20103. Les figures
concernées sont les épouses des leaders des trois partis politiques majeurs : Sarah Brown, épouse du
1 Alex Frame est docteur en SIC et maître de conférences d’anglais au Centre Texte-Image-Langage (EA 4182) à l’Université de
Bourgogne, où il est rattaché à l’UFR langues et communication. Gilles Brachotte est docteur en SIC et enseignant au
département SRC de l’IUT de Dijon, Chercheur dans l’équipe 3S/CIMEOS EA 4177. 2 Par « vie privée » nous entendons ici tous les événements, réels ou fictifs, associé à un individu en ce qu’ils ne concernent pas
directement l’accès aux fonctions de gouvernement. 3 Le corpus a été établi suivant les dates officielles de la campagne : du 6 avril au 6 mai 2010.
premier ministre travailliste sortant ; Samantha Cameron, épouse du chef de file du parti conservateur ;
et Myriam González Durántez, épouse de Nick Clegg, leader du parti centriste (Liberal Democrats). Aux
Etats-Unis, l’enquête a suivi l’activité des épouses des candidats majeurs à l’élection présidentielle de
2012 : Michelle Obama pour le Parti Démocrate, ainsi que les épouses des quatre derniers candidats
majeurs en lisses pour l’investiture républicaine, du 1er
février au 1er
mai 20124.
Parmi ces figures, les stratégies, l’intensité et, de facto, les logiques d’usage employées sur Twitter sont
très diverses, et varient de la non-utilisation du dispositif à une pratique soutenue pour d’autres. Cet
article passe en revue les différentes logiques mises en œuvre, les différents thèmes évoqués par ces
femmes à travers leurs tweets, et la posture qu’elles adoptent, vis-à-vis de la sphère politique, de leur
vie de couple et/ou de famille. En comparant entre elles les différentes stratégies, le chapitre dressera
un portrait des pratiques observées d’un pays à un autre, en explorant plus en détail leur rôle dans la
mise en scène politique des leaders.
1. Contextes politico-médiatiques et intensités d’usage inégaux
Compagne /
compagnon
Nombre de tweets
envoyés depuis son
compte personnel
Dates du corpus
Nombre
approximatif
d’abonnés (en fin de
période observée)
Aliot 221
du 19 février au
20 avril 2012
1 500
Bayrou 0
Bruni-Sarkozy 0
Mélenchon 0
Trierweiller 42 30 000
Brown 359 du 6 avril au
6 mai 2010
1 100 000
Cameron 0
González Durántez 0
Gingrich 267
du 1 février au
1 mai 2012
8 500
Obama 15 (126)5 830 000
Paul 0
Romney 13 40 000
Santorum 0
Tableau 1: Activité sur Twitter en période électorale
Seulement la moitié environ des compagnes (6 sur 13) utilisent le dispositif. En France, deux des cinq
figures ont un compte Twitter. Aux Etats-Unis, elles sont trois sur cinq, alors qu’en Grande-Bretagne,
en 2010, seule l’une des trois épouses se servait d’un compte personnel. L’utilisation du média semble,
par ailleurs, le plus souvent corrélée à une activité professionnelle (en tant qu’acteur politique,
journaliste, ou spécialiste de la communication), même si la campagne électorale semble aussi jouer
directement un rôle dans la décision d’ouvrir un compte Twitter, pour certaines.
Le choix d’utiliser ou non Twitter est également à relier au paysage médiatique national. Au premier
trimestre 2012, un Américain et un Britannique sur trois environ possèdent un compte Twitter (107
millions de comptes Outre-Atlantique, et 23,8 millions au Royaume-Uni), alors qu’en France il y en a
quatre fois moins (moins d’un habitant sur 12 avec 5,2 millions de comptes au total)6. En 2010, au
moment des élections législatives étudiées ici, la proportion des utilisateurs britanniques était autour
4 Le début du corpus a été déterminé par le rythme de la campagne des primaires républicains et la fin par les contraintes
éditoriales liées à la publication de cet ouvrage. 5 Michelle Obama a envoyé, pendant cette période, 15 messages signées de sa main. 111 messages étaient envoyés de son
compte par l’équipe de communication du camp Obama. 6 Sources : <http://wallblog.co.uk/2012/04/19/how-big-is-twitter-in-2012-infographic/> pour les Etats-Unis et la Grande-
Bretagne ; <http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-la-france-compte-5-2-millions-de-comptes-twitter-47622.html>
pour la France. Pages visionnées le 4 mai 2012.
de 8% également (un habitant sur 12)7. Dans les trois pays, l’outil a d’abord connu un grand succès
dans le microcosme « geek », médiatique et politique8. Se pose alors la question de l’intérêt et de la
nécessité d’une présence sociale sur ce dispositif pour les compagn(on)es.
En France, le choix des compagnes de François Bayrou et de Jean-Luc Mélenchon de ne pas utiliser de
compte Twitter, s’explique, en premier lieu, par une volonté de ne pas mettre en scène leur vie privée,
de garder leurs proches éloignés des médias en général et de tenter, ainsi, de séparer les sphères
publiques et privées :
« Je ne parle pas de ma vie privée d’abord par éthique républicaine, […] Je suis candidat, c’est moi, pas
ma compagne, mes proches ou mon chien. Ensuite, je n’en parle pas par respect des miens. Eux n’ont pas
choisi ma vie. C’est déjà pénible de me supporter, avec tout ce que je trimballe, des calendriers
invraisemblables, des heures de disponibilité inouïes, et il faudrait qu’ils subissent en plus la
médiatisation ? Ils ne le souhaitent pas et je dois respecter ça. Vous n’imaginez pas le caractère offensant
de l’inquisition dans la vie privée des gens. De quel droit mes proches ou ex-proches subiraient la
pression de ma vie publique ? » (Jean-Luc Mélenchon)9.
Depuis 2007, Elisabeth Bayrou a participé une seule fois à un meeting de son époux, à Pau en
décembre 2012. Une autre raison pour cette ‘absence’ est la difficulté pour les impétrants à incarner,
en raison de leur posture politique, une image de présidentiable. Si les compagnes peuvent jouer un
rôle et faire partie d’une stratégie de communication chez un candidat à forte potentialité électorale et
en situation d’éligibilité, pour les deux candidats dont il est ici question, la problématique est déjà
d’exister et de subsister dans la vie politique française.
Pour le seul compagnon du corpus, Louis Aliot, la logique est différente puisqu’il est aussi Vice-
président du Front National et c’est surtout à travers cette fonction qu’il s’exprime et relaye les tweets
de sa candidate10
, auprès d’un peu plus de 1 500 abonnés (chiffres d’avril 2012).
En revanche, la problématique est foncièrement différente pour les deux « prétendantes » au titre de
« première dame » de France. Elles sont « l’atout charme »11
des aspirants et ne sont pas neutres dans
la construction de l’image de leur époux. Elles sont, à leur manière et à leur côté, parties prenantes
d’une stratégie de communication bien orchestrée par les stratèges en communication des partis
politiques, qui verrouillent l’image du candidat. Coïncidence ou pas, le compte Twitter de Valérie
Trierweiller a été ouvert début septembre, soit un mois avant les primaires socialistes. Toutes les
stratégies cross-médias générant des interactions sont monopolisées, en termes d’images,
d’informations et de communication dans le but ultime de renforcer la stature présidentielle du
prétendant.
Les « comptes des compagnes » sont alors observés « à la loupe » et on peut alors, légitiment
s’interroger sur la liberté d’expression des deux compagnes. Carla Bruni ne possède pas de compte
Twitter mais seulement un site internet officiel « chapeauté » par les communicants de l’Elysée12
. Elle
s’est exprimée une seule fois sur Twitter, à l’intention de ses supporters, par le biais du compte officiel
de son mari : « J'emprunte momentanément le compte de mon mari pour vous saluer, chers followers.
Merci pour votre soutien ! Carla ». Tweet d’une femme ordinaire ou d’une équipe de communication ?
Les questions de liberté d’expression et d’enjeu de communication des réseaux sociaux se posent
également pour Valérie Trierweiller qui se veut autonome, libre et non-soumise au dictat des
communicants du parti socialiste. Journaliste politique à Paris Match et sur la chaine française Direct 8
où elle anime des émissions politiques, Trierweiller vivait « clandestinement » avec François Hollande,
7 Source : <http://blog.sysomos.com/2010/01/14/exploring-the-use-of-twitter-around-the-world/>.
8 A ce propos, la dernière étude de l’Ifop (Observatoire des réseaux sociaux, Vague 6, Ifop, novembre 2011) confirme ce
paradoxe d’une notoriété grandissante mais d’une appartenance limitée au dispositif. Quelque soit la catégorie des utilisateurs,
Twitter ne fait pas partie des cinq réseaux sociaux plébiscité par les français. 9 Source : <http://presidentielle-2012.lesinrocks.com/2012/03/11/melenchon-je-jetterai-la-cle-de-lelysee-dans-la-seine/>, page
consultée le 30 avril 2012. 10
Louis Aliot est avocat et professionnel de la politique. Successivement conseiller régional en Languedoc-Roussillon, secrétaire
général de son parti de 2005 à 2010, il en devient Vice-président en 2011. 11
Selon la couverture du Paris Match du 8 au 14 mars 2012. 12
En revanche, de nombreux « faux » comptes Twitter concernent Carla Bruni, dont un que Twitter identifie à tort comme son
compte officiel (@MmeSarkozy).
alors marié avec Ségolène Royal, jusqu’en 2010. Depuis le début de la campagne, tout comme Carla
Bruni-Sarkozy, elle accompagne son compagnon lors de ses déplacements et de ses meetings. Même
si sa pratique date d’il y a moins d’un an, Trierweillier, comme Aliot, est une « twitto13
» régulière.
N’est-ce pas sa fonction de journaliste, « intellectuellement indépendante » qui lui impose,
consciemment ou inconsciemment, cette (image de) liberté ? Car si liberté il y a, elle reste en réalité
bien superficielle, puisque tout mésusage ou prise de position idéologique, en contradiction avec son
compagnon, se répercuterait sans doute sur l’image de celui-ci.
Concernant le cas britannique, l’absence du dispositif pour deux compagnes, Samantha Cameron et
Miriam González Durántez, s’explique sans doute en partie par la présence très affirmée, au préalable,
de Sarah Brown (infra). Cependant, l’épouse de Nick Clegg, de nationalité espagnole, s’est très
clairement positionnée à l’écart de ses deux « rivales », en expliquant qu’elle ne pouvait pas se
permettre, à la différence d’elles, de mettre en suspens sa carrière, afin de « jouer un rôle de figurant »
aux côtés de son mari pendant la campagne14
. Elle est, en effet, bien moins présente dans les médias
et sur le terrain que les deux autres « épouses politiques » (political wives), mais aussi très peu
susceptible de devenir un jour « première dame », compte tenu de la configuration du paysage
politique britannique. Sam Cameron occupe bien le terrain médiatique, souvent aux côtés de son mari
en campagne, jusque sur son blog vidéo, baptisé « WebCameron ». A partir du début de la période
électorale, elle figure dans plusieurs vidéos présentées sous le nom de « WebSamCameron », et c’est
dans ce média riche qu’elle fait passer la plupart de ses messages, cependant dans des registres
proches de ce que l’on retrouve sur Twitter chez d’autres « compagnes »15
.
Sarah Brown, fondatrice d’une agence de communication, est une twitto accomplie. Depuis quelques
années, elle s’est imposée comme l’une des figures nationales les plus connues sur Twitter, ce qui lui a
valu l’épithète de « grande prêtresse de Twitter », aux yeux du Daily Mail16
. Au moment des élections,
elle avait plus d’un million d’abonnés à son compte « SarahBrown10 »,17
au moins vingt fois plus que
les comptes Twitter des partis politiques majeurs à l’époque, qui ne dénombraient qu’entre 25 000 et
50 000 abonnés. Elle envoie elle-même ses messages, souvent adressés à une personne en particulier,
une réponse dans une conversation dont l’abonné à son compte ne connait ni l’origine ni la suite. Elle
a envoyé de très nombreux messages pendant la campagne (359 sur le mois, environ 12 par jour en
moyenne) d’une grande variété en termes de contenu.
De l’autre côté de l’Atlantique, en 2012, les premières dames prospectives du parti Républicain sont
toutes présentes aux côtés de leur mari, tradition présidentielle oblige. Ann Romney adresse
directement la foule, lors des meetings de Mitt, et connait un succès certain auprès de ses supporters,
alors que Carol Paul, épouse de Ron, reste davantage en retrait. De même, Karen Santorum a été peu
présente devant les électeurs, alors que son époux, Rick, parle souvent d’elle et de ses sept enfants.
L’absence de Twitter de ces deux dernières semble donc coïncider, encore une fois, avec un choix de
retrait relatif.
Parmi les deux autres « espoirs » républicains18
, Callista Gingrich utilise Twitter de manière intensive et
depuis longtemps. Son compte a été créé le 18 avril 2009, à peu près en même temps que celui de
Sarah Brown. En revanche, elle n’avait que 8 500 abonnés environ en avril 2012. Une grande partie de
ses messages sont dédiés aux élections, notamment pour retracer le chemin de campagne lors de ses
déplacements, aux côtés de son mari, dans différents Etats. A un moindre degré, elle interagit avec des
13
Le terme de « twitto » (utilisateur de Twitter) a été repris de l’usage constaté sur internet (cf. par exemple, Télérama n°3208
<http://www.telerama.fr/techno/toi-aussi-deviens-un-twitto,70939.php>) 14
<http://www.telegraph.co.uk/news/election-2010/7558842/Election-2010-the-battle-of-the-leaders-wives.html> (page
consultée le 04.04.2012). 15
Son absence de Twitter est également à rapprocher de la stratégie de son époux, qui s’est condamné tout seul à ne pas
pouvoir utiliser ce réseau, lors d’un entretien avec Christian O’Connell sur Absolute Radio, en juillet 2009. Il a voulu faire un jeu
de mots, mais, par maladresse, a indirectement assimilé tous les utilisateurs de Twitter à des imbéciles. 16
<http://www.dailymail.co.uk/debate/article-1264068/JAN-MOIR-War-wives-How-did-Sarah-Brown-SamCam-compare-
fashion-stakes.html> (page consultée le 04.04.2012). 17
Suite à son départ de Downing Street, son compte a été rebaptisé « SarahBrownUK ». Il comptait plus de 7000 tweets et
environ 1 180 000 abonnés en avril 2012. 18
Finalement, Newt Gingrich se retirera de la campagne le 1 mai 2012, en se prononçant en faveur de la candidature de Mitt
Romney.
abonnés, dans des messages souvent limités à de simples remerciements, comme lorsqu’on lui
souhaite son anniversaire.
Le compte Twitter d’Ann Romney a été créé au cours de la période d’observation (le 12 avril 2012),
dans le contexte d’une polémique autour de la contraception et des valeurs familiales. Hilary Rosen,
conseillère Démocrate a accusé Mme Romney de « ne jamais avoir travaillé de la vie ». La réaction des
« mères de famille » républicaines était immédiate et la réponse de l’équipe de Romney était de créer
des comptes Twitter et Facebook pour Ann, ainsi qu’un groupe Facebook « Mums with Mitt » (les
mères qui soutiennent Mitt), groupe qui a attiré 35,000 personnes le jour de sa création. Le compte
Twitter d’Ann Romney contient assez peu de messages (13 en 19 jours), mais il était suivi, trois
semaines après sa création, par environ 40 000 personnes.
Autre « nouvelle arrivante » sur Twitter, Michelle Obama, épouse du président sortant en 2012, a créé
son compte Twitter le 12 janvier 201219
. A la fin du mois d’avril, plus de 800 000 personnes y étaient
abonnées. Le compte est géré par l’équipe de communication autour du Président, mais 15 messages
sur 126 sur la période étudiée ont été envoyés par la Première Dame, signés « mo ». Ces messages
gardent un caractère « public » dans la mesure où aucun n’est adressé à une personne particulière.
Parmi ces six twittos, les niveaux de pratique et de sophistication dans l’usage sont bien différents.
Cela se mesure, par exemple, à l’utilisation des « hashtags »20
, pratique qui reflète une certaine maîtrise
de l’outil, favorisant l’interactivité, le référencement, et pouvant viser à s’assurer que ses messages
soient repris dans d’autres conversations. Cet usage est observé chez Valérie Trierweiller, Louis Aliot,
Sarah Brown, Michelle Obama et Cally Gingrich. Une autre caractéristique notable est le degré
d’interactivité qu’acceptent les compagnes : Sarah Brown se sert de son compte Twitter pour répondre
nominativement à des questions qui lui sont posées. Comme la plupart des autres compagnes, elle
utilise également la fonction « retweet », permettant de transférer un message qui lui a été adressé, ou
qu’elle a vu ailleurs. La valeur de témoignage semble alors intéressante, en introduisant une
polyphonie qui renforce les positions défendues.
2. Tweets politiques En se concentrant sur les six utilisateurs de Twitter pour analyser les messages envoyés, il est possible
de déceler différentes logiques d’usage et de communication, sur le plan politique, mais notamment
aussi par rapport au dévoilement de la vie privée. Sur le plan strictement politique, l’on distingue
différents degrés d’engagement explicite dans le soutien de ‘son’ candidat. En France, Valérie
Trierweiller et Louis Aliot sont clairement engagés dans la campagne électorale. Les logiques sont
différentes puisque Valérie Trierweiller exprime de manière déguisée et en filigrane son soutien à
Hollande : « je vous donne rendez/vous à 19 heures sur radio hollande pour 20 minutes d’entretiens avec
Pierre Lescure.#FH2012 » ou à travers un clin d’œil au slogan de campagne de son compagnon « le
changement c’est maintenant » : « Le changement – de chaîne – c’est maintenant ! On se branche sur
#Direct8, pour la dernière d’itinéraires ». La référence à François Hollande se fait principalement par
l’utilisation du hashtag « FH2012 » et en retweetant ses messages. Depuis le 20 avril, et à la veille du
premier tour, elle a très peu tweeté et s’exprime essentiellement pour répondre aux attaques dont elle
fait preuve : « Merci à toutes celles et ceux –sans exception – qui m’ont apporté leur soutien après le
propos abjects de Luca » ou « Aujourd’hui c’est ma fête. La vraie, celle inscrite sur le calendrier. Parce que
pendant la campagne, j’ai cru que c’était tous les jours ! ». Seul bémol à notre analyse21
, son dernier
tweet, datant du lendemain du débat Hollande-Sarkozy qui est sans équivoque et que l’on pourrait
interpréter, par conséquent, comme la marque d’un basculement vers une position de première dame
de France : « Un seul mot « excellent » ! #FH2012 ».
Quant à Louis Aliot, il exprime des idées politiques avec des messages engagés et joue son rôle de
vice-président du FN : « Merci à tous les électeurs de Marine, ils sont le fer de lance de la reconquête
19
Or son premier message aurait été envoyé sur Twitter le 2 mai 2010, selon Ed Henry, journaliste à CNN, qui lui aurait prêté son
téléphone portable afin qu’elle puisse tester le réseau social, lors d’un diner pour la presse à la Maison Blanche
(<http://edition.cnn.com/2010/POLITICS/05/03/first.lady.tweet/index.html?on.cnn=1>, page consultée le 14/04/2012). 20
Le hashtag permet de catégoriser les tweets en précédant le mot clef par le dièse « # » (« hash » en anglais). 21
Tweet hors corpus mais dont l’intérêt, en terme d’image, impose sa citation.
patriotique ! ». Sur le temps de la campagne, il n’a relayé qu’une seule fois un tweet de sa
candidate : « Merci à Brigitte Bardot pour son soutien et pour sa démarche de femme libre et courageuse.
MLP ». Twitter semble alors être l’expression du professionnel de la politique sans mise en scène d’une
quelconque vie privée et/ou intime.
Outre-manche, Sarah Brown envoie des messages de nature ouvertement politique, en exprimant son
soutien pour le parti de son époux : « @halenmo Labour is the party that does support all kinds of
families, and believes in fairness. here is the link http://www.labour.org.uk »22
. Elle tweete tout au long
de la campagne, en racontant les actions de son mari au quotidien : « and now in Manchester after GB
has given a fabulous speech to cheering crowd - and the day is not yet finished #ukelection »23
.
La plus grande partie des messages postés depuis le compte de Michelle Obama sont des prises de
position politiques, mais la majorité d’entre eux ont été envoyés par l’équipe de communication. Dans
les rares messages qu’elle signe de ses initiales, on détecte en plus une note personnelle, lorsqu’elle
met en avant la politique de son mari: « Proud that the Fair Pay Act was the first bill Barack signed as
president. http://OFA.BO/TMUyx7 –mo »24
.
La pratique de Cally Gingrich semble différente car elle sert de le compte principalement pour lister ses
déplacements : « Had a wonderful time at #CPAC yesterday with @newtgingrich. Read more about our
day here: http://www.newt.org/callistas-canvas/callista-gingrich-cpac-2012 »25
. Or, une grande partie de
ses messages sont écrits sur le modèle: « impatiente d’aller à X avec mon mari », suivi, quelques heures
plus tard de : « nous avons passé un très bon moment à X avec mon mari ». De tels messages
semblent destinés à créer une illusion de proximité relationnelle avec les habitants des endroits cités
avant et après le meeting politique. Cally Gingrich utilise également sa notoriété pour faire suivre
d’autres figures de la campagne de son époux, ses alliés politiques ou des membres de son équipe :
« For behind the scenes campaign updates follow our chief of staff@MillsapsLaw »26
. Mais il est
intéressant de noter qu’elle n’utilise pas son compte pour exprimer ses opinions politiques à
proprement parler (saluer ou critiquer un discours ou une action politique), comme le font d’autres
« compagnes ». Enfin, la même chose est vraie d’Ann Romney. Elle fait référence aux déplacements de
son mari, mais ses treize messages ne contiennent pas de prise de position politique en son propre
nom.
3. Mots de femmes Si leurs prises de position politiques diffèrent quant à la manière d’exprimer le soutien vis-à-vis de son
candidat, ce qui réunit les différentes compagnes (à l’exclusion de Louis Aliot, pour des raisons
évidentes) est une tendance à jouer un rôle d’ambassadrice en direction de l’électorat féminin. Le
contexte particulier des remarques d’Ann Romney : « I made a choice to stay home and raise five boys.
Believe me, it was hard work »27
a déjà été présenté, et cinq sur ses treize messages font référence à
son rôle de mère. Mais elle est loin d’être une exception.
L’équipe de Michelle Obama adopte une stratégie de mise en avant de l’identité féminine, sous
différents aspects, avec quelques rares messages signées par la Première Dame, ex. : « Generations of
Americans marched and organized for women's rights. This Women's History Month, let's honor them
with our service. –mo »28
, ou encore, à propos de la polémique autour des remarques d’Hilary Rosen :
22
« @halenmo Labour, c’est le parti qui soutient toutes sortes de familles, et qui croit en la justice. Voici le lien [lien] ». Message
envoyé le 2 mars. 23
« désormais à Manchester après un super discours de GB devant une foule joyeuse - et la journée n’est pas encore terminée
#ukelection ». Message envoyé le 4 mai. 24
« Fière que la loi sur le salaire juste était la première loi signée par Barack en tant que Président [lien] –mo ». Message envoyé le
27 janvier. 25
« Me suis bien amusée à #CPAC hier avec @newtgingrich. Plus d’infos sur notre journée ici : [lien] » Message envoyé le 11
février. 26
« Pour recevoir des nouvelles des coulisses de la campagne, suivez notre directeur de campagne @MillsapsLaw ». Message
envoyé le 3 mars. 27
« J’ai fait un choix actif de rester à la maison et d’élever trois garçons. Croyez-moi, c’était un vrai travail ». Message envoyé le 12
avril. 28
« Des générations d’Américains ont défilé et se sont organisés en faveur des droits de la femme. Honorons-les à l’occasion de ce
mois dédié à l’histoire des femmes -mo ». Message envoyé le 8 mars.
« Every mother works hard, and every woman deserves to be respected. –mo »29
. Cally Gingrich signe
aussi des messages de ce type, mais ce sont moins des appels à défendre la cause des femmes que la
preuve qu’elle représente son époux devant des associations pour femmes : « Great crowd at the
Republican Women's Luncheon today at Food City in Kingsport, TN! http://instagr.am/p/HzViV1IJ4t/ »30
.
L’appel à militer est davantage présent lorsqu’il s’agit d’une association qui soutient directement son
époux : « Join our Women with Newt coalition today and help us rebuild the America that we love.
http://www.newt.org/coalitions/women/ #withnewt »31
.
La figure que cultive Sarah Brown sur Twitter communique beaucoup sur des questions qui touchent
en priorité les femmes, que ce soit en tant que femme engagée, au niveau de la santé32
, de la
politique33
, l’égalité des sexes34
, ou alors en tant que épouse et mère : « visited Atherton SUre Start
Centre - so many activities for babies, children, mums & dads,and a youth club - just a joy to be there »35
.
Valérie Trierweiller n’a adopté ce comportement qu’une seule fois, à l’occasion de la journée de la
femme : « #forumElle. En tant que femme : heureuse et convaincue de l’engagement de @fhollande sur
les questions des femmes. Notamment sur les violences ». C’est une femme d’opinion qui mêle
engagement idéologique, journalistique et politique et qui utilise le support pour transmettre ses
idées et défendre les causes qui lui font sens : « Hommage à cette si grande figure que fut Raymond
Aubrac. Grand résistant qui vient de disparaître 5 ans après Lucie Aubrac #coupledelégende ».
4. Les limites de la sphère privée Si l’analyse du caractère politique des tweets révèle ainsi des logiques à peu près semblables, selon la
compagne, dans les trois pays, il existe de grandes différences, en revanche, en ce qui concerne la mise
en scène de la vie privée sur Twitter. En effet, outre les messages à caractère politique qui encensent
l’époux, les compagnes anglo-saxonnes semblent aussi vouloir l’« humaniser » en mettant en avant
des détails de sa vie ‘intime’.
Sarah Brown joue un rôle presque caricatural d’épouse accomplie sur le plan domestique. Toute
femme de carrière qu’elle est, la figure qu’elle cultive sur Twitter échange des recettes de cuisine avec
ses abonnés : « RT @judithoreilly I tried out your recipes for lamb and crumble last night. They get my
vote. http://bit.ly/9Hz9Cn [SO PLEASED!] »36
. Elle parle aussi de son appréciation des supermarchés:
« @msjodavies I love pretty much every supermarket - I know not everyone likes a supermarket shop but
I really really do »37
.
Si Sarah Brown laisse imaginer à ses abonnés le havre domestique qu’elle partage avec son mari, pour
autant, cette intimité ne porte jamais atteinte à la pudeur. Cependant quelques-uns des détails qu’elle
livre au million de personnes qui la suivent semblent aussi anodins qu’insolites. Elle évoque ses doigts
de pied tordus, ou une tache d’encre qu’elle s’est faite en s’asseyant sur un stylo. « 2nd mishap of the
campaign for me after #feettweet: discover my favourite skirt has huge inkblot on the back from sitting
29
« Chaque mère travaille dur, et chaque femme mérite le respect -mo ». Message envoyé le 12 avril. 30
« Super la foule au déjeuner des femmes républicaines aujourd’hui à Food City à Kingsport, Tennessee ! [Lien] ». Message envoyé
le 5 mars. 31
« Rejoignez aujourd’hui notre coalition « Les femmes avec Newt » et aidez-nous à reconstruire l’Amérique que nous aimons.
[Lien] ». Message envoyé le 11 mars. 32
Ex: « Today is National Safe Motherhood Day in India - a big boost to the maternal mortality campaign and @WRAGLOBAL »
Message envoyé le 11 avril. 33
« Emmeline Pankhurst trending on Twitter. Let's remember the sacrifices the suffragettes made so we could exercise our right to
vote. » Message envoyé le 6 mai. 34
« http://twitpic.com/1evx4e - attending the Celebrating Women: Past, Present and Future, conference at Neasden Temple today »
Message envoyé le 11 avril. 35
« Ai visité le Centre SUre Start d’Atherton - tellement d’activités pour les bébés, les enfants, les mamans et les papas - une vraie
joie juste d’y être ». Message envoyé le 15 avril. 36
« RT @judithoreilly J’ai essayé vos recettes d’agneau et de crumble hier soir. Je vote pour elles. [Lien] [TRES CONTENTE] ».
Message envoyé le 20 avril. 37
« @msjodavies j’adore à peu près tous les supermarchés - je sais que ce n’est pas tout le monde qui adore faire ses courses au
supermarché, mais moi c’est vraiment vraiment le cas ». Message envoyé le 17 avril. Il aurait naturellement être difficilement
imaginable que la femme du premier ministre exprime sa préférence pour telle ou telle supermarché, à la fois pour des raisons
politiques vis-à-vis des enseignes, mais aussi pour ne pas aliéner une partie de l’électorat, dans une société britannique ô
combien attentive aux différences de classe sociale.
on a pen #bottblot ».38
En dévoilant des détails intimes de son quotidien, aux côtés de son mari mis
systématiquement en valeur, Sarah met en scène la face intime de Gordon, en prenant soin de le
montrer toujours en position de force. La confidence qu’elle fait aux internautes lorsqu’elle leur dit
qu’elle a taché sa jupe, peut rendre la « première dame » plus accessible pour les électeurs qui s’y
identifient. Mais il est significatif que la tache ne recouvre pas son mari. La veille des élections, elle
envoie, l’un après l’autre, ces deux messages sur Twitter : « just bought licorice allsorts and strawberries
'n' cream in the sweet shop in Skelmersdale with Labour candidate Rosie Cooper #ukelection »,39
puis :
« visited innovative R&D centre at University of Bradford & listened to Gordon's strong speech on the
economy to students & staff #ukelection ».40
Alors que la mise en avant du discours convaincant de son
mari est assez attendue, communiquer le choix des bonbons qu’elle a achetés en compagnie de la
candidate travailliste de Skelmersdale – message envoyé avec le même hashtag « #ukelection » – ne
semble pas avoir d’autre objectif qu’une mise en scène de détails relevant de la sphère privée, dans un
registre intimiste, conversationnel, qui s(t)imule une proximité avec ses lecteurs.
Cette mise en scène de l’intime est présente chez Michelle Obama, lorsqu’elle fait allusion à des
soirées « entre amis », tout en faisant un clin d’œil à ses abonnés : « It was great to sit down for dinner
with a few new friends last night. My date had a great time, too. –mo »41
. Elle partage également des
messages personnels envoyés à son époux : « Happy President's Day to my personal favorite,
@BarackObama. –mo »42
, ou : « I wonder how Al Green ended up on our playlist, @BarackObama! –
mo »43
. Elle inclut quelques références au foyer familial mais, à la différence de Sarah Brown, elle ne
partage pas de détails sur elle-même.
Malgré la petite quantité de messages envoyés du compte d’Ann Romney, celle-ci répond, en le
retransmettant, à un message à caractère personnel, que son fils lui a envoyé : « Thank You Matt! Love
You RT @Matt_Romney Happy Birthday@AnnDRomney! Wish we could celebrate with you today mom,
but see you soon! »44
, et publie même une photo de son petit-fils endormi. En revanche, cette
utilisation ‘intime’ de Twitter est totalement absente du compte de Cally Gingrich, où l’on ne retrouve
aucune mise en scène de sa vie, en dehors des messages et des photos officielles qui retracent la
campagne.
Côté français, la séparation vie privée/vie publique semble être une règle d’or. Aucune allusion de vie
intime ou de relation se retrouve parmi les messages envoyés. Bien au contraire, Valérie Trierweiller
tient des propos ayant pour objectif de renforcer la protection de la vie privée : « Quel choque de se
découvrir à la Une de son propre journal. Colère de découvrir l’utilisation de photos sans mon accord ni
même être prévenue ».
Conclusion Si Twitter et les autres médias sociaux constituent encore, en 2012, des outils/des usages relativement
mineurs au sein de l’arsenal de la communication politique, ces médias constituent une voie de
communication intéressante pour rassembler au sein de communautés et véhiculer certaines valeurs. A
ce titre, les compagnes des leaders politiques qui acceptent ce type de médiatisation adoptent peu à
peu ces outils, que ce soit Facebook, Twitter, ou même le tout récent « Pinterest »45
, souvent avec une
38
« Deuxième accident de la campagne pour moi, après #feettweet [l’incident des pieds] : découvert que j’ai tâché ma robe préférée,
après m’être assise sur un stylo #bottblot ». Message envoyé le 19 avril. 39
« viens d’acheter des réglisses et des bonbons à la fraise dans un magasin de bonbons à Skelmersdale, en compagnie de la
candidate travailliste Rosie Cooper #ukelection ». Message envoyé le 5 mai. 40
« visité le centre R&D innovant de l’Université de Bradford, et écouté le discours convaincant de Gordon sur l’économie, devant
étudiants et personnels #ukelection ». Message envoyé le 5 mai. 41
« C’était génial de prendre le diner avec quelques nouveaux amis hier soir. Mon homme s’est bien amusé aussi -mo ». Message
envoyé le 9 mars. 42
« Joyeuse fête des présidents à mon favori personnel, @BarackObama. –mo ». Message envoyé le 20 février. 43
« Je me demande comment il se fait qu’Al Green se trouve sur notre liste de lecture, @BarackObama ! –mo ». Message envoyé le
12 février. 44
« Merci Matt! Je t’aime RT @Matt_Romney Joyeux Anniversaire@AnnDRomney ! Nous aimerions faire la fête avec toi aujourd’hui
maman, mais on se verra bientôt ! ». Message envoyé le 17 avril. 45
Ce réseau a été lancé en version béta en mars 2010, et comptait plus de 11 millions d’utilisateurs uniques aux Etats-Unis déjà
en janvier 2012. Il permet de regrouper textes et images par thème, avec une fonction « repin » qui ressemble au « retweet » de
véritable stratégie cross-médias. Outre la volonté de donner une image « moderne » et « branchée »,
une telle présence leur permet de contrôler, ou du moins de participer dans la construction de leur
identité numérique, leur assurant une présence en ligne et leur donnant un forum pour exprimer leur
point de vue, dans une logique communautariste, et pour se défendre (à l’image d’Ann Romney et de
Valérie Trierweiller, notamment). La pression « d’y être » est certainement plus forte pour les
compagnes des « présidentiables », celles qui ont le plus de chance de devenir « première dame »,
compte-tenu de l’attention médiatique dont elles sont la cible, quel que soit le pays : même en France,
dès les élections présidentielles de 1965, Paris-Match dressait déjà le portrait des « premières dames »
potentielles.
Christiane Restier-Melleray (supra, citation en tête de chapitre) souligne toute l’importance de la
première dame concernant la mise en scène des valeurs éthiques et familiales de l’homme politique.
Or, cette étude montre que les compagnes des candidats anglo-saxonnes visent également à toucher
plus largement, sur des valeurs supposées propres aux femmes, un électorat féminin duquel les
hommes politiques semblent plus éloignés. Elles jouent sur une image de femme aussi large que
paradoxale : tantôt bonne ménagère ou « mère à plein temps », tantôt défenseuse des droits de la
femme, elles tweetent leur compassion face à des causes nobles ou à des situations difficiles, à l’image
de ce message de Newt Gingrich, retransmis par son épouse : « @CallyGingrich and I have
@RickSantorum and family in our prayers since their daughter bella is back in the hospital »46
.
Or, on est là dans une société américaine bien éloignée de la France, où l’on imagine mal un tel
message, portant sur l’enfant d’un rival, envoyé entre les candidats aux présidentielles, même au sein
d’un même parti. Malgré quelques tentatives de « pipolisation », depuis une dizaine d’années, sur
d’autres médias, cherchant à accentuer le visage « humain » de tel ou tel homme politique47
, en
France, cette étape de mise en scène et de dévoilement de l’intimité sur les réseaux sociaux n’a pas été
franchie. Le sera-t-elle un jour ? Cela semble peu probable à court terme. Daniel-Louis Seiler remarque
que les nations qui favorisent la mise en scène de la vie privée sont également celles qui ne tolèrent
aucune écart de la part de leurs hommes et femmes politiques. Un scandale sexuel ou financier met
terme à une carrière politique beaucoup plus facilement aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne qu’en
France. Là où les Français critiqueraient peut-être un manque de pudeur, les Anglo-Saxons verraient de
la transparence nécessaire à prouver son exemplarité, dans la vie privée, puisqu’il en va de même que
pour la vie publique. Seiler évoque des différences culturalo-religieuses, entre les nations anglo-
germaniques à héritage protestant et les peuples latins à dominant catholique. Les premières, écrit-il,
« ne distinguent pas l’acteur de la personne. Dès lors, l’opinion considère que celui ou celle qui est dépensier dans son budget familial se révélera prodigue des deniers publics, que le politicien infidèle à son épouse le sera aussi envers ses électeurs, etc… » (2002 : 163). Dans les sociétés latines, en revanche, « les citoyens ont, en quelque sorte, intériorisé le principe de totalité qui pose que le tout est différent de la somme des parties. Ils considèrent qu’un individu peut être immoral dans sa vie privée, voire un parfait salaud, mais apprécier et privilégier ses capacités de gouvernant, d’homme d’Etat » (ibid.). Mais il semblerait, qu’au delà de ce « principe de totalité », cette question touche aux valeurs fondatrices de la République. La séparation de la vie privée et publique est à la base de la notion de citoyenneté à la française. Ce principe justifie, entre autres, les politiques d’intégration et de laïcité. Or, compte tenu des pressions dans le monde actuel, notamment par le biais des technologies internet et des médias sociaux, combien de temps une telle séparation forcée restera-t-elle socialement viable ? Les futures évolutions dans les pratiques sur Twitter des compagnes en campagne seront intéressantes à suivre, à plus d’un titre.
Twitter. Ann Romney a ouvert un compte sur Pinterest le 21 février 2012 (avant ses comptes Twitter et Facebook), compte suivi
par environ 6 000 abonnés quatre mois plus tard : <http://pinterest.com/annromney/>. 46
« @CallyGingrich et moi incluons @RickSantorum et sa famille dans nos prières depuis que leur fille bella se trouve de nouveau
à l’hopital ». Message envoyé le 6 avril. 47
Mais là encore, la réception du message est aléatoire et l’écho pas toujours favorable à l’image des moqueries et des parodies
sur les réseaux sociaux qu’a subi d’Hervé Morin (ancien ministre de la défense) suite à sa présentation iconoclaste de ses vœux,
depuis sa cuisine.
Références : BRACHOTTE, Gilles et FRAME, Alex. « Appropriation et usages des TIC chez des « leaders » politiques
en France et en Grande-Bretagne : pratiques et discours ». La communication électronique : enjeux de
langues. LIENARD Fabien et ZLITNI, Sami (éds.), Limoges : Lambert-Lucas, 2011, pp.65-76.
FRAME, Alex. « Too many twits ? Réseaux sociaux et mise en scène de l’intimité par les candidats aux
élections législatives britanniques en 2010 ». Les frontières de l’intime. CRINQUAND Sylvie et BRAVO
Paloma, Bruxelles : Editions EME, 2012, pp.77-89.
RESTIER-MELLERAY, Christine. « Les formes d’interventions journalistiques dans l’évocation de
l’intimité ». La vie privée à l’heure des médias. BAUDRY Patrick, SORBETS Claude et VITALIS André
(éds.), Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, pp. 123-138.
SEILER, Daniel-Louis. « L’usage politique de la vie privée des hommes politiques en démocratie ». La
vie privée à l’heure des médias. BAUDRY Patrick, SORBETS Claude et VITALIS André (éds.), Bordeaux :
Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, pp. 149-165.
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