Entre deux droits : les Lumières en Angola (1750-v. 1800), Annales HSS, juillet-août 2005, n°4,...

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Entre deux droits : les Lumières en Angola (1750-v. 1800) Catarina Madeira Santos Pour l’Europe du XVIII e siècle, l’Afrique était encore un continent à découvrir. Jean- Jacques Rousseau en témoigne qui déclarait, en 1750, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes que « l’Afrique entière et ses nombreux habitants, aussi singuliers par leur caractère que par leur couleur, sont encore à examiner », de même que l’article « Africa » de l’Encyclopaedia Britannica, daté de 1778, où le continent africain est vu comme « no part of the world 1 ». Il était familier, en revanche, aux administrateurs portugais de cette époque, qui bénéfi- ciaient en Afrique occidentale et orientale d’une expérience coloniale prolongée dont les sources, tant administratives que narratives, rendent bien compte. En ce qui concerne l’Angola, les années 1750-1800 se signalent par l’émergence d’un projet de colonisation élaboré dans le cabinet de Sebastia ˜o de Carvalho e Melo, marquis de Pombal, à partir des informations les plus diverses recueillies sur le terrain 2 , et inspiré par l’esprit des Lumières, visant à installer, en Afrique, un État suivant le modèle de la « bonne police ». La phrase du marquis de Pombal, « l’Angola n’est pas une factorerie, elle est un royaume, elle peut devenir un 1-JEAN-JACQUES ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Flammarion, 1992, p. 38, et Encyclopaedia Britannica, cité dans ROBIN HALLET, « The European approach to the interior of Africa in the eighteenth century », Journal of African history, IV, 2, 1963, pp. 191-206, ici p. 195. 2 - Par exemple, des enquêtes réalisées par le gouverneur, Dom Anto ´nio A ´ lvares da Cunha, 1753-1758, à Luanda, ainsi que l’ensemble des « savoirs africanistes » qui, de façon plus ou moins formalisée, circulaient dans les sphères administratives liées aux colonies dans la ville de Lisbonne. Annales HSS, juillet-août 2005, n° 4, pp. 817-848. 817

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Entre deux droits :les Lumières en Angola (1750-v. 1800)

Catarina Madeira Santos

Pour l’Europe du XVIIIe siècle, l’Afrique était encore un continent à découvrir. Jean-Jacques Rousseau en témoigne qui déclarait, en 1750, dans son Discours sur l’origineet les fondements de l’inégalité parmi les hommes que « l’Afrique entière et ses nombreuxhabitants, aussi singuliers par leur caractère que par leur couleur, sont encore àexaminer », de même que l’article « Africa » de l’Encyclopaedia Britannica, datéde 1778, où le continent africain est vu comme « no part of the world1 ». Il étaitfamilier, en revanche, aux administrateurs portugais de cette époque, qui bénéfi-ciaient en Afrique occidentale et orientale d’une expérience coloniale prolongéedont les sources, tant administratives que narratives, rendent bien compte. En cequi concerne l’Angola, les années 1750-1800 se signalent par l’émergence d’unprojet de colonisation élaboré dans le cabinet de Sebastiao de Carvalho e Melo,marquis de Pombal, à partir des informations les plus diverses recueillies sur leterrain2, et inspiré par l’esprit des Lumières, visant à installer, en Afrique, un Étatsuivant le modèle de la « bonne police ». La phrase du marquis de Pombal,« l’Angola n’est pas une factorerie, elle est un royaume, elle peut devenir un

1 - JEAN-JACQUES ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi leshommes, Paris, Flammarion, 1992, p. 38, et Encyclopaedia Britannica, cité dans ROBIN

HALLET, « The European approach to the interior of Africa in the eighteenth century »,Journal of African history, IV, 2, 1963, pp. 191-206, ici p. 195.2 - Par exemple, des enquêtes réalisées par le gouverneur, Dom Antonio Alvares daCunha, 1753-1758, à Luanda, ainsi que l’ensemble des « savoirs africanistes » qui, defaçon plus ou moins formalisée, circulaient dans les sphères administratives liées auxcolonies dans la ville de Lisbonne.

Annales HSS, juillet-août 2005, n°4, pp. 817-848.

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empire3 », synthétise un programme politique qui entend instaurer un processusde transition afin de faire passer l’Angola de sa condition quasi exclusive de « facto-rerie » – au sens large – exportatrice d’esclaves, à celle de colonie de peuplementorganisée à l’image de la métropole4.

Ce nouveau programme politique faisait de la réforme de la justice un deses principaux instruments. Il s’est efforcé d’effacer le lourd héritage de l’écolebartoliste en favorisant la législation royale contre la doctrine du ius commune. Lapromotion du légalisme, la limitation de la doctrine et de la jurisprudence, ainsiqu’une attention particulière portée au droit pénal devaient permettre le contrôledes comportements sociaux et la garantie de l’inscription d’un contrôle social effi-cace. En Angola, l’intérêt porté à la sphère juridique s’est traduit par la réformedes deux sources du droit et de la justice, coloniaux et indigènes. On assiste ainsi,et simultanément, à la rationalisation de l’administration coloniale et de sa pratiquejudiciaire, et à la clarification possible des droits indigènes Mbundu et Ovimbundu,qui conduisent à une définition précise des instances judiciaires, africaines et colo-niales, et de leurs domaines de compétence respectifs, ainsi que des modalités deleur application.

Ces deux dimensions de la vie juridique, telles qu’elles se sont manifestéesdans la colonie angolaise durant l’Ancien Régime, ne peuvent être considérées niétudiées séparément. Loin de simplement coexister, ces deux corpus normatifs– et les institutions qui leur étaient associées – ont interagi dans une sorte detransaction entre deux modèles juridiques. Ce constat aide à comprendre pourquoile programme rationaliste et légaliste « exporté » par les Lumières s’est trouvéconfronté à plusieurs formes de résistance sur le terrain : d’une part, celle du corpsdes administrateurs coloniaux d’Ancien Régime, les capitaes-mores, commandantles presıdios (présides ou places fortes), qui assumaient les fonctions d’agents mili-taires et de juges ordinaires tout en poursuivant des objectifs essentiellementcommerciaux, à savoir le trafic d’esclaves ; d’autre part, celle des chefs africains, quipratiquaient un droit coutumier ancré dans l’oralité ; cela vaut tout particulièrementpour l’autorité des chefs Mbundu, dont il sera surtout question ici, qui découled’une interaction ancienne, voire d’une collaboration entre le modèle social portu-gais d’Ancien Régime et les structures africaines endogènes.

3 - Arquivo historico ultramarino [AHU] (Lisbonne), Codex 555, § 87, « Parecer que oConde de Oeiras [...] », 20 novembre 1760, ff. 59-59v.4 - Pour une analyse approfondie de ce processus, voir CATARINA MADEIRA SANTOS, Umgoverno « polido » para Angola: reconfigurar dispositivos de domınio (1750 c. 1800),Thèse de Doctorat, Lisbonne-Paris, Universidade Nova de Lisboa/EHESS, 2005, sur-tout la IIIe partie : « Administration : rationalisme, bureaucratie et légalisme », pp. 318-434.8 1 8

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La réforme de la justice coloniale

La réforme de l’appareil judiciaire de l’Angola s’est traduite par la création, en1761, d’un tribunal supérieur, à Luanda, la Junta de justiça, et dans la redéfinitiondes fonctions des capitaes-mores, en 1765. Ceux-ci assuraient l’articulation avec lajuridiction des sobas5, les autorités indigènes soumises par des « traités de vassa-lité ». Dans l’un et l’autre cas, la célérité des procédures judiciaires était encouragéepar l’instruction par écrit des litiges dans les présides et la protection juridique desAfricains. L’objectif était de faire parvenir le droit écrit et la loi du royaume duPortugal jusque dans les établissements du sertao. A cette fin, les capitaes furenttenus d’instruire les procès, de procéder à l’écoute des témoins et au rassemble-ment des preuves. Ils étaient responsables de la détention des accusés et de leurtransfert au tribunal de Luanda, où le gouverneur rendait sa sentence. A plusieursreprises, les capitaines ont instruit des procès complets dont les minutes accompa-gnèrent les prévenus jusqu’à Luanda : des sobas et sobetas, impliqués dans des crimesde sang, des déserteurs ou encore des individus qui, assimilés à la catégorie devagabonds, étaient suspectés de fomenter des soulèvements dans le sertao6.

Dans le cas des sobas, cette mesure constituait un énorme changement. Aulieu d’une peine et d’une incarcération arbitraires entre les mains des adminis-trateurs, le chef africain était conduit dans la capitale coloniale et traité selonla jurisprudence portugaise. L’intention de l’État colonial n’était pas seulementde soumettre ses agents à un nouveau système juridique, plus rationalisé, maisd’empêcher également les capitaes de recourir, ce qu’ils faisaient très fréquemment,au droit local. En effet, dans les présides, le « droit indigène » et les formes dejugement qui lui étaient associées, les mucanos (du kimbundu mukanu : litige, résoluoralement) avaient conquis, au cours de l’Ancien Régime, un espace toujours plusgrand dans le règlement des conflits, et ce au détriment du droit portugais7. Désor-mais, la préparation des dossiers judiciaires conférait une importance nouvelle audroit colonial. Il s’agit donc bien d’une stratégie de l’État pour discipliner le sertao,à travers le droit et son administration. Les Africains eux-mêmes se trouvèrentengagés dans ce mouvement réformateur. Du point de vue colonial, les effets induitsne se firent pas attendre. Les questions africaines internes présentées aux autoritésportugaises faisaient entrer directement dans les circuits du droit colonial les droitsindigènes, dès lors véhiculés par des documents écrits.

Quant à la protection juridique des Africains, désignés ici comme « Noirsmisérables », elle renvoyait au statut juridique des personae miserabilae, figure reconnue

5 - Soba, du kimbundu usoba (pouvoir), terme utilisé par les Portugais pour désigner deschefs politiques africains (un sobeta est un soba de moindre importance ; le territoire etl’ensemble des sujets sur lesquels le soba a autorité s’appelle un sobado).6 - AHU, Angola, Boîte 49, doc. 2, « Lettre du capitao-mor de Ambaca, le 1er janvier1765 ».7 - « Instruction des capitaes-mores », publié dans CARLOS COUTO, Os Capitaes-mores emAngola no século XVIII (subsıdio para o estudo da sua actuaçao), Luanda, Instituto de Investi-gaçao Cientıfica de Angola, 1972, pp. 328-329. 8 1 9

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par la doctrine européenne du ius commune. Il prévoyait la protection des personnespauvres et incapables d’assurer leur défense. En 1761, il fut décidé que les crimescommis par des Africains seraient jugés en appel à Luanda, par la Junta de justiça,en bénéficiant d’un statut spécial qui incluait l’exemption des frais de justice8.Cette mesure – conforme au principe du ius commune qui octroyait aux pauvres ledroit d’en appeler directement au tribunal du roi – renvoie au fait, souligné àplusieurs reprises, que les enquêtes visant les sujets africains souffraient de nom-breuses irrégularités à l’origine d’importants retards et de détentions prolongées.

Mais cette situation était également la conséquence directe d’une incompré-hension du fonctionnement des institutions politiques africaines par le systèmejudiciaire portugais. Le gouverneur, D. Francisco Inocêncio de Sousa Coutinho(1764-1772), particulièrement engagé dans la nouvelle politique, soulignait le pré-judice porté par la justice portugaise aux Africains, et en particulier aux sobasarrêtés à Luanda, en l’expliquant par la « parenté perpétuelle »9. Dans les systèmesafricains, le titre politique, non héréditaire, se perpétue par la transmission à plu-sieurs porteurs. Il est donc porté successivement par des personnes différentes. Orl’identification des chefs africains se fondait sur leur titulature (par exemple sobaQuingue du Bailundo), et non sur l’onomastique (par exemple, D. Sebastiao) : lesnoms portés dans les registres judiciaires portugais se révèlent trompeurs. Au lieud’identifier plusieurs personnes, on n’en enregistrait qu’une seule, celle qui portaitalors le titre politique. La bureaucratie coloniale ne parvenait pas à faire la distinctionavec le nom personnel. Selon le gouverneur Sousa Coutinho, la non-spécificationde la personne porteuse du titre faisait retomber sur son porteur le plus récent lescrimes de ses prédécesseurs.

Systématiser les droits indigènes

Les autorités portugaises avaient, depuis longtemps, reconnu leur grande difficultéà appréhender le sens et les implications du droit coutumier africain. En théorie,les légistes du jusrationalisme valorisaient l’uniformité de la loi par opposition à lamultiplicité des traditions. Mais, pour les autorités coloniales en Angola, il n’était

8 - Arquivos de Angola [AA], vol. III, no 16-18, 1937, « Lettre du roi, 14 novembre 1761 ».9 - Sur l’utilisation du terme de parenté perpétuelle pour désigner les relations hiérar-chiques en Afrique, voir IGOR KOPYTOFF et SUSAN MIERS, Slavery in Africa: Historicaland anthropological perspectives, Madison, University of Wisconsin Press, 1977, p. 25 sqq.Cette notion, définie comme la structure du pouvoir politique, est formellement identi-fiée avec les structures familiales dans IAN G. CUNNISON, History on the Luapala, Londres,Oxford University Press, 1951. Pour l’Europe, sur le « père de famille », le gouvernementde la maison et le gouvernement civil, voir DANIELA FRIGO, Il padre di famiglia. Governodella casa e governo civile nella tradizione dell’« economia » tra cinque e seicento, Rome, BulzoniEditore, 1985. Pour le Portugal, voir PEDRO CARDIM, O poder dos afectos. Ordem amo-rosa e dinâmica politica na época moderna, thèse de Doctorat, Faculdade de CiênciasSociais e Humanas/Universidade Nova de Lisboa, 2000. Une formulation explicite dela figure du prince comme père apparaît, au XVIIIe siècle, dans PEDRO DE AZEVEDO (éd.),Instrucçoes inéditas de Dom Luıs da Cunha a Marco Antonio de Azevedo Coutinho, Coïmbre,s. éd., 1929, p. 201.8 2 0

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guère possible d’échapper au droit local ; et, pour y parvenir, il fallait le répertorieret le systématiser.

Or, en ce qui concerne ces sociétés dites traditionnelles ou orales, historienset anthropologues remarquent que le droit n’existe pas comme un corps normatifà part entière, formellement codifié : autrement dit, le juridique n’est pas séparédu judiciaire. Le droit se présente ainsi comme une pratique sociale liée au sacré,et c’est pourquoi il paraît légitime d’affirmer l’existence d’une certaine fusionentre les institutions sociales et les institutions juridiques. Ce sont les phénomènessociaux eux-mêmes qui produisent un ordre social déterminé, en se constituantcomme dispositifs juridiques ou producteurs d’effets juridiques. La norme émanequand il est nécessaire de rétablir les équilibres sociaux10. De fait, comme l’ordrejuridique n’est pas le produit arbitraire d’une volonté mais, au contraire, celui d’unetradition sociale, considérée intangible, voire sacrée, tous les conflits en viennentà revêtir un caractère supra-individuel et une signification sociale, et tout actecontraire aux normes apparaît davantage comme une remise en cause des règleset des équilibres sociaux que comme une infraction. Personne ne peut survivre seuldans une société africaine, si bien que l’« appartenance » à un groupe peut êtreconsidérée comme socialement plus structurante que l’idée de liberté. Les droitsde l’individu sont remis en cause dès que la survie et l’équilibre du groupe setrouvent menacés. Ainsi, l’ordre collectif tend toujours à rétablir les équilibres quiont été momentanément bouleversés.

En ce sens – si l’on considère les données linguistiques comme un typeparticulier de source11 – on notera que, dans les principales langues bantoues del’Angola (le kimbundu et l’umbundu), il n’existe pas de vocable spécifique pourdésigner le droit ou la loi. En kimbundu, le mot kijila (et ses dérivés kituma, kitumu),qui a donné en portugais le substantif quezılia (inimitié, rixe), signifie en mêmetemps l’infraction (« interdiction imposée par la religion, la tradition ou la loi ;prescription, renonciation, abstention, privation de la pratique de certains actes12 »)et la loi (« loi, précepte, commandement, règle ou respect13 »). En umbundu, plu-sieurs termes leur sont associés, mais celui qui se rapproche le plus du mot loi estochituma, au sens de précepte, ou ochisile, qui est l’équivalent de kijila en kimbundu,et se rapporte également à la règle corrigeant l’infraction. Le droit des chefs àcommander se dit ochikele, de même que l’amende, au sens de peine pécuniaire,

10 - Sur la définition que l’anthropologie donne du droit, voir MAX GLUCKMAN, Customand conflict in Africa, Oxford, Basil Blackwell, 1973 ; ID., Politics, law and ritual in tribalsociety, Oxford, Basil Blackwell, 1965 ; CLIFFORD GEERTZ, Savoir local, savoir global. Leslieux du savoir, Paris, PUF, 1986 ; PIERRE BOURDIEU, Le sens pratique, Paris, Éditions deMinuit, 1980.11 - Cf. JAN VANSINA, « Linguistic evidence and historical reconstruction », Journal ofAfrican history, 40, no 3, 1999, pp. 469-473.12 - A. DE ASSIS JUNIOR, Dicionario de kimbundu-português, linguıstico, botânico, historico ecorografico, Luanda, s. d., p. 120.13 - J. D. CORDEIRO DA MATTA, Diccionario Kimbundu-Portuguez, Lisbonne, s. éd., 1893,p. 21. 8 2 1

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se dit ochimbu, et le droit des chefs à recevoir un tribut, ochibanda14. Il y a ainsi,indépendamment de la formalisation du droit, un code établi, une série de conven-tions et de règles sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

L’observation européenne des mucanos remonte au XVIe siècle. Antonio deOliveira Cadornega en fait état dans son Histoire générale des guerres angolaises15,en concluant que mukanu, en kimbundu, signifiait « délit, crime, faute, procès » etse rapportait aussi à un type de jugement verbal, ou simplement à un désaccordquelconque entre les Mbundu. Le terme kimbundu a été transposé par lesPortugais pour désigner des faits du même type sur le plateau de Benguela,quoique le mot ovimbu (ou ochimbu), porteur du même sens, existât dans la languedes Ovimbundu, l’umbundu. Pendant toute la période coloniale, il semble y avoireu une certaine confusion sémantique du mot et de son interprétation par les auto-rités portugaises.

L’utilisation du terme, dans les textes coloniaux, ne fut pas toujours claire.Mucano apparaît à plusieurs reprises identifié avec ce qu’on appelle, dans les sources,le « jugement des libertés » (juızo de liberdades), une instance judiciaire spécifiqueà la scène coloniale, à laquelle on reconnaissait la capacité de déterminer (enle confirmant ou en l’infirmant) le statut d’esclave moyennant la présentationde preuves. On peut affirmer que, à l’origine, dans le strict cadre africain, mucanosignifiait toute forme de litige résolu verbalement. Les mucanos étant des litiges,ils recouvraient plusieurs catégories de crimes puisque, pour que la qualificationfût complète, il fallait y ajouter un autre, qui spécifiât le type de délit : mortviolente, sorcellerie, non-paiement d’une dette, vol, injure, etc. Le « jugement deslibertés », autrement dit la détermination de la liberté ou de la servitude d’unindividu, constituait ainsi un type de mucano parmi d’autres. Les utilisations colo-niales du terme mukanu, et de l’institution qui lui était associée, en ont restreint

14 - GRÉGOIRE LE GUENNEC C.S.S.P. et JOSÉ FRANCISCO VALENTE C.S.S.P., Dicionarioportuguês-umbundu, Luanda, Instituto de Investigaçao Cientıfica de Angola, 1972, pp. 193et 372. Le Hongrois Ladislau Magyar, qui se trouvait en Angola entre 1849 et 1857, etpassa quelques années au Bié (région et royaume situés sur le plateau de Benguela),donna une lecture « contractualiste » du droit endogène : « Quant au droit coutumierbikola, le peuple [Kimbundu] n’a cédé de la liberté naturelle et de l’égalité entre lesindividus que le strict nécessaire pour que la constitution sociale, dominée par un espritsauvage, puisse se réaliser et perdurer. Chaque homme libre adulte et apte à faire laguerre est son propre maître, comme il l’est des membres de sa famille et de ses biens.Mais si les chefs de famille d’un même village ou d’un même district sont très unis, enraison du bénéfice commun et de la protection mutuelle, les biens sont considéréscomme propriété individuelle et leur protection ainsi que la défense et la punition desoffenses personnelles sont des affaires privées qui incombent aux chefs de famille [...],et seules les affaires qui concernent l’ensemble de la communauté sont traitées par elle »(LADISLAU MAGYAR, Reisen in süd-Afrika in den jahren 1849 bis 1857, Leipzig, 1859, trad.all. de la 1re édition hongroise, Magyar Lazlo Delafrikai Utasai, 1849-1857). Texte établià partir de la version portugaise inédite ; je remercie Maria da Conceiçao Neto pourl’avoir mise à ma disposition.15 - ANTONIO DE OLIVEIRA CADORNEGA, Historia geral das guerras angolanas, annotée etcorrigée par José Matias Delgado, Lisbonne, Agência Geral do Ultramar, [1690] 1972,vol. 2, p. 61.8 2 2

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la signification juridique et sociale, finissant par établir une identification simplifi-catrice entre les « causas de mucanos » (affaires concernant les mucanos et le « juızode liberdades »). Cette complexité du droit local a été identifiée et explicitée pourle plateau ovimbundu du Benguela16. Une telle confusion peut encore être expli-quée par le fait que, très fréquemment, le jugement des mucanos impliquait leversement d’une amende, généralement effectué en esclaves, pour réparer le crimecommis. Cela signifie donc bien que les mucanos ne portaient pas obligatoirementsur les questions de liberté et d’esclavage, même si l’« économie » des amendesdans lequel se traduisait ce droit criminel impliquait très souvent leur paiementen esclaves. Dans une instruction du gouverneur de l’Angola datée de 1676, les« juges de mucanos » sont définis comme les « juges des dettes » que les sobas contrac-taient entre eux17. Dans ce sens, mucano est bien ici à la fois le crime et l’amendequi le répare.

Les sources coloniales permettent de reconstituer l’histoire de cette institu-tion africaine dans sa relation avec le droit et les instances judiciaires coloniales etde suivre l’évolution sémantique des mucanos et celle, institutionnelle, des juızos deliberdades. Les efforts de clarification de cette institution et du droit africain furentrenforcés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La rationalisation du droit colonialimposait celle, jugée possible, du droit indigène, étant donné que ces deux sys-tèmes normatifs se trouvaient articulés l’un à l’autre à travers la juridiction descapitaes-mores.

Le jugement de mucanos a commencé par être associé à la question de l’escla-vage interne (distinct de l’esclavage Atlantique quant à ses modes et finalités), età celle de la circulation des personnes, en particulier les droits de l’ascendancematrilinéaire sur les fils, les transactions découlant du mariage et des dots, liées à lacirculation des femmes. Un missionnaire capucin de l’hospice de Bango Aquitambaput écrire, vers 1703, que les jugements de mucanos, soumis aux gouverneurs etaux capitaes-mores, étaient liés aux dynamiques et aux règles de la circulation despersonnes, et en particulier des femmes, dans les terres des sobas.

La question de la circulation des femmes, et notamment leur établissementdans des domaines qui n’étaient pas leur terre d’origine, et où elles donnaientnaissance à leurs enfants, posait nombre de difficultés dans l’Angola colonial. Selonles conceptions africaines, la vie et les services des sujets constituaient la principalesource de pouvoir politique et la principale richesse. La puissance d’un soba semesurait au nombre de personnes sur lesquelles il exerçait son autorité. En ce quiconcerne les sociétés Mbundu, le système matrilinéaire faisait prévaloir la parentèleconformément à l’ascendance maternelle. Les fils n’« appartenaient » pas seule-ment au père et à la mère, mais surtout à l’oncle maternel, à ses frères et sœursou aux cousins utérins. La descendance se faisait par la lignée maternelle, et celui

16 - AA, vol. I, nos 5 et 6, mars 1936, « Rapport du gouverneur Miguel Antonio de Meloadressé à D. Rodrigo de Sousa Coutinho, 30 avril 1798 ».17 - Ibid., « Instruction pour le gouvernement du royaume de l’Angola, 12 février 1676 »,chap. 18. 8 2 3

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qui exerçait l’autorité dans un noyau familial était l’oncle maternel18. C’est pourquoile missionnaire écrivait que, en Angola, les mucanos appartenaient aux « généra-tions », au sens de généalogie, lignage, ou groupes de filiation19. Avec le développe-ment du trafic des esclaves, on assiste à une assimilation du mot mucano à la capacitédes capitaes-mores de juger en première instance la condition de libre ou d’esclave,en se fondant sur le droit africain. A Luanda, l’Audiência de mucanos, présidée parle gouverneur, fonctionnait comme instance d’appel, et un registre, le livro demucanos, circulait entre les présides et la capitale, dans lequel étaient consignéesles sentences.

Ce fut le gouverneur Francisco Inocêncio de Sousa Coutinho qui chercha àdéfinir le droit africain et à délimiter son champ d’application. La première clarifi-cation indique que, jusqu’alors, les capitaes-mores définissaient comme mucanos tousles actes jugés, en fonction de leur prérogative de juges ordinaires. Ils assimilaientdonc le droit colonial et sa juridiction aux formes de la jurisprudence indigène. Lechamp sémantique auquel se rapportait le terme mucano s’élargit pour intégrer lajuridiction et le droit coloniaux. Depuis 1698, les capitaes-mores exerçaient conjoin-tement deux juridictions distinctes. Ils étaient « juges des libertés » dans leur district,en première instance, et rendaient leur sentence en recourant au droit indigène ;ils étaient aussi « juges ordinaires » dans les présides, où ils appliquaient le droitportugais. Le règlement de 1765 suivit la même orientation, tout en cherchant àdonner un contenu conceptuel et institutionnel au terme de mucano. Les sentencesprononcées par le capitao-mor en tant que juge ordinaire étaient jugées en appelpar la Junta de justiça, celles qu’il prononçait en tant que juge de mucano l’étaient parl’Audiência de mucanos. Les jugements des libertés étaient tranchés, selon le droitafricain, par le gouverneur de Luanda en sa qualité de juge de mucanos, et les casrégis par le droit portugais, par l’ouvidor général, magistrat de la Junta de justiça.On assiste à une nouvelle tentative pour clarifier toutes ces hésitations sémantiqueset institutionnelles sous le gouvernement de D. Miguel Antonio de Melo (1797-1802). C’est d’ailleurs ce gouverneur qui offre l’interprétation la plus systématiquedu régime de ces jugements. Cette nouvelle clarification reconnaissait la diversitédes critères et concluait que seul le roi du Portugal était à même de décider quelétait le droit des sobas.

La difficile réception du droit portugais dans la colonie de l’Angola continuaà faire l’objet de rapports des gouverneurs tout au long du XIXe siècle, ce qui donnela mesure de la distance existant entre le projet politique élaboré à Lisbonne etl’action menée sur le terrain par des hauts magistrats qui devaient, quand ilsentraient en fonction, se mettre au fait des réalités locales pour régler les problèmes

18 - Cf. CHRISTIAN GEFFRAY, Nem pai, nem mae, Lisbonne, Caminho, 2000.19 - L’utilisation du mot « geraçao », dans la documentation d’Ancien Régime, pourdésigner ce que l’anthropologie et l’histoire africaniste appellent généalogie, lignage ougroupes de filiation, a été discutée dans un autre travail (CATARINA MADEIRA SANTOS

et ANA PAULA TAVARES, Africae monumenta. A apropriaçao da escrita pelos africanos, vol. I,Arquivo Caculo Cacahenda, Lisbonne, Instituto de Investigaçao Cientıfica Tropical, 2002,glossaire, pp. 428-429).8 2 4

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urgents qu’ils avaient à résoudre. Quelques années plus tard, autour de 1845, le« Projet de règlement pour les districts et présides d’Angola » (Projecto de regulamentopara os presıdios de Angola) traitait, dans sa partie consacrée à la justice, des attri-butions judiciaires des capitaines. L’article 109 établissait que leurs « audiencesdevaient non seulement servir à l’établissement et à la direction des affaires civiles »,usant pour cela de leurs compétences en tant que juge ordinaire, mais aussi à jugerles mucanos, en éliminant autant que possible « l’usage des lois indigènes ; en nerendant pas de sentences contre le droit portugais [...], en devant convaincre lesAfricains par la persuasion en ce qui concerne les mucanos comme les quituxes[serments] et les opandas [amendes payées pour adultère], qui sont tous récusés20 ».En 1883 encore, le gouverneur Francisco Joaquim Ferreira do Amaral dénonçaitle caractère trop théorique de la réglementation en vigueur en Europe et réclamaitsa clarification en vue de son application dans la colonie africaine21.

Instrumentalisation du droit portugais par les Africains

L’incidence du droit portugais sur le droit indigène passe, tout d’abord, par lestraités de vassalité établis entre le roi du Portugal et les potentats africains. Ils’agit là du plus ancien moment d’interaction entre les institutions coloniales etafricaines, puisqu’il remonte aux premiers temps de la colonisation. La conjoncturerationaliste du XVIIIe siècle en offre un second, qui résulte du renforcement dulégalisme et des procédures auprès des sobas, à travers l’action médiatrice descapitaines dans les présides.

Le vocabulaire féodo-vassalique

En théorie, le rationalisme s’opposait de manière explicite aux pratiques féodalesdans ses diverses expressions. Cependant, en Angola, les relations avec les pouvoirsafricains s’étaient structurées, dès le début de la conquête, au moyen de l’institu-tion féodo-vassalique, entendue dans son sens politico-juridique plutôt que socialou économique. Les liens avec ces royautés reposaient sur des traités de vassalité,accompagnés de cérémonies22 : de ce fait, l’altération du mode de relation avec lespouvoirs africains n’apparaissait pas comme une hypothèse envisageable. Le lexiqueféodal et le cadre juridique ainsi produit furent conservés, voire réitérés, dans la

20 - Angolana, Documentaçao sobre Angola, 1783-1883, Lisbonne, Instituto de InvestigaçaoCientıfica de Angola/Centro de Estudos Historicos Ultramarinos, vol. I, 1968, p. 38. Ilfaut souligner ici l’intégration de mots issus des langues locales dans le corps du texterédigé en portugais.21 - « Relatorio do Governador Geral de Angola, Francisco Joaquim Ferreira do Amaral,relativo ao ano compreendido entre e de Setembro de 1882 e igual dia e mês do ano de1883 », in Ibid., vol. I, p. 644 sqq.22 - Le premier cas, chez les Mbundu, remonte à 1582. Cf. BEATRIX HEINTZE, Luso-African feudalism in Angola? The vassal treaties of the 16th to the 18th century, Coïmbre,Faculdade de Letras da Universidade de Coimbra, 1980, pp. 111-131. 8 2 5

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seconde moitié du XVIIIe siècle, en dépit de quelques critiques exprimées par legouverneur Manuel de Almeida de Vasconcelos (1790-1797). Ce dernier vilipendaitles traités de vassalités établis entre les gouverneurs de Luanda et les sobas africainsen les qualifiant de « simulacres du droit féodal »23. Il en dénonçait l’altération etstigmatisait le décalage du langage juridique colonial face aux exigences nouvellesd’un État réformé selon un modèle éclairé.

La familiarisation des Africains avec le lexique féodo-vassalique, à travers lescérémonies et les documents écrits, est à l’origine, d’une part, de l’incorporationde cette institution européenne, qui se constitua en instance africaine d’auto-légitimation politique, et, d’autre part, de l’appropriation de l’écrit comme instru-ment formel privilégié des relations des pouvoirs africains avec le gouvernementcolonial comme entre eux. L’exercice durable de la vassalité a en effet exigé, etpermis, que les pouvoirs locaux adoptent les concepts associés à ce système. Desexpressions comme « votre vassal », « soba vassal » « dembo vassal24 » sont communes,employées par les intéressés eux-mêmes, non seulement pour définir leur degréd’attachement au gouvernement de Luanda, mais également pour préciser lesrelations entre les différentes autorités dès lors qu’il était nécessaire d’invoquerou de légitimer des alliances. D’ailleurs, le pouvoir colonial lui-même espérait qu’ilen allât ainsi, et utilisait à dessein la terminologie savante de la vassalité commelangage politique de communication.

Il est important de souligner ici qu’en dépit de la distance manifeste existantentre les concepts utilisés et leur charge sémantique (d’autant plus grande qu’ilstendaient à se vider de leur sens25), ce vocabulaire politico-juridique fut reçu etintégré par les potentats vassaux de l’actuel espace angolais. On assiste ici à unesorte de transcodage, qui résulte de l’articulation entre l’invocation d’une filiationsymbolique, recourant au vocabulaire africain de la parenté perpétuelle – « père dela génération », « fils » (sujets) au sens sociopolitique du terme, avec les hiérarchieset les classifications que cette parenté implique –, et le vocabulaire européenconstruit autour de l’amitié politique et de l’univers domestique, considérés commemodèles du monde politique, qui caractérisent l’Ancien Régime. Ces deux systèmesdistincts de métaphorisation du politique se révèlent perméables l’un à l’autre, enpermettant la communication. Celle-ci n’était rendue possible que parce qu’elle

23 - AA, vol. I, nos 5 et 6, 1936, « Lettre du gouverneur Dom Miguel Antonio de Meloà D. Rodrigo de Sousa Coutinho, 30 avril 1798 ».24 - Dembo : titre politique, du kimbundu ndembu, autorité supérieure à celle du soba ouayant des sobas sous sa juridiction. Sur les titres politiques Mbundu, voir JOSEPH MILLER,Poder polıtico e parentesco. Os antigos Estados Mbundu, Luanda, Arquivo Historico Nacionalde Angola, [1976] 1995, pp. 17-19 et 35.25 - Le cadre défini par les traités de vassalité régulait les relations entre les sobas et lescapitaes-mores, notamment en ce qui concernait les obligations des premiers à l’égarddes seconds. La discussion autour des services que devaient rendre les vassaux auxprésides révèle l’énorme distance qui s’établit peu à peu entre le texte du traité etles pratiques introduites sur la base de celui-ci (AA, vol. 1, no 2, 1933, « Information duprovedor da Fazenda d’Angola, 30 septembre 1770 »).8 2 6

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reposait sur une compréhension qui n’était très souvent que superficielle, maisaussi parce qu’elle fonctionnait de manière fortement ritualisée.

Il n’est toutefois pas question de généraliser. Si l’on considère le nord et lesud de l’Angola, la colonisation obéit à des chronologies différentes, et son impactfut également distinct. Il paraît donc important de discuter la question de la récep-tion du droit portugais par les pouvoirs africains à la fois à partir de l’exemple desMbundu, dans l’hinterland de Luanda, et de celui des sobas devenus vassaux autourdu préside de Novo Redondo, une zone d’occupation très récente (1769), et, plusgénéralement, des populations du plateau de Benguela, où les chefs Ovimbundu,de culture pastorale, détenaient un pouvoir plus diffus, exception faite des grandsroyaumes de Bailundo et de Bié. Dans le cas des dembos, la réception par l’appareilpolitique est particulièrement riche, l’État se confondant, pour eux, avec l’écrit, àtravers les documents établissant la vassalité, l’exercice du pouvoir passant lui aussipar l’écriture du pouvoir. Il est cependant possible d’identifier une pareille capacitéd’intégration du statut de vassal dans le Sud, où la grammaire des relations localeslui réserve également une place. En témoigne, à la fin du XVIIIe siècle, le cas dusoba de Socoval, relevant de la juridiction du préside de Quilengues, dans la capitai-nerie de Benguela, qui discutait les conditions de son traité avec le capitaine deBenguela par correspondance interposée et grâce au truchement d’un secrétaire26.

La vassalité ne permettait, au départ, aucune interférence des Portugais dansl’administration des chefs africains ; elle laissa à ces derniers la juridiction civile etcriminelle, à l’instar de ce qui se passa dans l’État portugais de l’Inde, où les placesfortes jouirent d’une situation d’extra-territorialité et où les capitaines exerçaientleur juridiction uniquement sur les officiers des présides et les sujets convertis auchristianisme. Hors des présides, le droit africain demeure en vigueur. Du reste,une clause des traités de vassalité reconnaissait au soba le droit de « régir commeauparavant ses subordonnés sous la même législation et les coutumes barbaresde son irréligion27 ». La juridiction portugaise et la capacité de rendre la justices’exerçaient donc exclusivement sur les vassaux baptisés, et les Africains qui vivaientsous la juridiction des sobas étaient régis par les lois des sobas.

Dans la pratique, pourtant, les interférences étaient permanentes, et cet étatde fait avait fini par être pris en compte dans les règlements, qui déclaraient que,s’il surgissait des litiges entre des sobas vassaux qui rendissent indispensable l’inter-vention de la justice coloniale, les gouverneurs disposaient du pouvoir de nommerdes officiers pour ce type de mission, afin de parvenir à un compromis. Toutefois,dans les relations juridiques de chaque soba avec ses sujets, c’est le droit indigènequi devait prévaloir28. Les présides, îlots de culture européenne enclavés dans les

26 - Arquivo Historico Nacional de Angola [AHNA], Gouvernement de Benguela,Codex 443, ff. 6, 8 et sqq. Voir aussi la lettre du soba de Bailundo, D. Lourenço Ferreira daCunha, datée du 28 janvier 1812, qu’il signe d’un « Humble vassal » (AHNA, Codex 445,f. 142).27 - ELIAS ALEXANDRE DA SILVA CORREA, Colecçao dos classicos da expansao portuguesa nomundo, Série E-Império, Lisbonne, s. éd., 1937, vol. II, p. 60.28 - « Il est nécessaire que V. M. sachiez que S. R., en vertu du chapitre XV de soninstruction, autorise les dits sobas, dans leur gouvernement domestique, à châtier leurs 8 2 7

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sociétés africaines, favorisaient la coexistence, au quotidien, des institutions portu-gaises et africaines. Les sobas étaient intégrés dans les divisions juridictionnelles,les présides ou les districts, où l’on rendait la justice et où l’on procédait à l’enregis-trement de la propriété de terres, à la rédaction de testaments29, etc., ce qui entraînal’adoption de certaines notions juridiques issues du droit portugais.

Le vocabulaire politico-juridique et les catégories d’Ancien Régime concer-nant les relations de vassalité entretenues avec les États non européens restèrenten vigueur jusqu’aux années 192030. Au contact des pouvoirs africains, les solutionspolitiques propres à un régime de type constitutionnel sont complètement igno-rées, les textes normatifs se situant sur un plan purement fictionnel. C’est retrouverlà ce que Jean-Frédéric Schaub a appelé « l’Ancien Régime par-delà l’AncienRégime31 ». Dans les relations politiques, la formule privilégiée est celle de la rela-tion de vassalité comme forme de domination indirecte : elle se traduit par unesouveraineté nominale, à travers les élites traditionnelles32 et, bien que clairementdécontextualisée et anachronique dans ses applications, elle seule paraît alors revê-tir une certaine efficacité. Celle-ci est pour le moins douteuse en ce qui concernela structuration des relations entre États. Cette option sert cependant les objectifsles plus immédiats du gouvernement de Luanda et obéit aux directives deLisbonne, qui, soucieuses de maintenir la paix et l’harmonie entre les sobas,s’opposent aux guerres intestines et veillent à ce que n’éclate nul conflit entre euxet avec les autorités portugaises, de manière à garantir la sécurité des communica-tions et des échanges.

Le protocole des traités de vassalité laisse apparaître une relation diploma-tique plutôt qu’un lien de soumission, dont on pourrait supposer l’existence si l’ons’en tenait exclusivement au contenu formel des contrats, qui alignent de véritablescatalogues des droits et devoirs respectifs des parties engagées. En marge de cesrelations, les structures africaines et portugaises se développent de manière auto-nome, les niveaux d’interférences apparaissant relativement bien maîtrisés d’uncôté comme de l’autre.

Malgré l’influence qu’a pu exercer le droit portugais, il convient de soulignerque les champs de compétence délimitant, au quotidien, les conflits d’intérêts,

fils et à utiliser leurs lois, bien que barbares, sans qu’aucun capitaine ou régent n’inter-vienne [...] », AHNA, Codex 91, « Lettre au régent de Cambambe et Muxima, 29 juillet1805 », f. 43v.29 - AHU, Boîte 77, doc. 85 : convention des dîmes par Francisco Antonio Pitta Bezerrade Alpoim Castro, 1792.30 - Cette idée est confirmée par Valentim Alexandre qui, dans une analyse approfondie,conclut que, dans l’Afrique du XIXe siècle et malgré tous les projets de réforme, l’appareild’État continuait à fonctionner comme sous l’Ancien Régime (VALENTIM ALEXANDRE,« O projecto colonial português e a partilha da Africa », in O Império africano, 1825-1890,Lisbonne, Estampa, 1998, pp. 21-132, ici p. 52 sqq.).31 - JEAN-FRÉDÉRIC SCHAUB, « Le temps et l’État : vers un nouveau régime historio-graphique de l’Ancien Régime français », Quaderni fiorentini, 25, 1996, pp. 127-181, icip. 181.32 - B. HEINTZE, Luso-African feudalism..., op. cit., p. 16.8 2 8

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la résolution des différends et l’exercice du pouvoir et du contrôle, bref l’« espacepolitique » dans lequel les populations évoluaient, se situaient essentiellementen marge des institutions coloniales, en s’inscrivant avant tout dans le cadre desinstitutions indigènes : celles de la parenté, avec ses relations de réciprocité et desolidarité, et de la consanguinité, à travers la descendance, ainsi que de l’allianceentre les groupes, principalement à travers le mariage. Il existait un système depeines et d’amendes, constamment actualisé, ainsi que des dispositifs de contrôle.La structure hiérarchique des villages, avec ses relations de dépendance, induitespar l’âge et le genre, constituaient autant de divisions sociales structurantes : l’accèsà la terre et la redistribution de ses produits, sous le contrôle des anciens, en sontde bons exemples33. Tout cela avait peu à voir avec les contours que le « politique »assumait dans l’espace des institutions politiques du pouvoir colonial. L’État étaitperçu avant tout à travers les actions entreprises par ses représentants dans lesprésides, implantés dans l’immensité du sertao, derrière lesquels planait l’ombredu pouvoir de Luanda, et plus loin encore, immanent, celui du roi du Portugal.Finalement, cette coexistence ne prit fin qu’avec la colonisation formelle, à comp-ter de 1875 (Conférence de Berlin), et surtout des campagnes militaires du débutdu XXe siècle, qui bouleversèrent les structures africaines.

Légalisme et droit jurisprudentiel

S’il est vrai qu’en Europe même et au Portugal le système légaliste du droit – etle système étatico-juridique qui lui correspond –, ne parvint pas à dominer l’en-semble de la pratique juridique jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, ce phénomèneapparaît plus évident encore en Angola. Ainsi, dans les décennies 1760 et 1770,chercha-t-on justement à renforcer l’influence de l’État de manière à faire pénétrerle droit écrit et les lois dans les domaines relevant du droit coutumier indigène.Le gouvernement de la colonie se devait, dans sa relation avec les sobas vassalisés,d’être régi par le droit, considéré comme substitut de la force34.

L’orientation jusnaturaliste, reconnaissant l’universalité et la rationalité dudroit, sous-jacente à l’« anthropologie » coloniale dominante en métropole, doit êtreconsidérée dans les relations politiques avec les populations africaines. Ainsi lalégislation de Pombal entendait-elle défendre celles-ci contre les abus et la lenteurde la justice portugaise. Une législation fut établie, qui avoue explicitement queles « vassaux noirs » étaient fréquemment accusés et emprisonnés à tort, dans laville de Luanda, où ils croupissaient en prison, abandonnés des leurs et voués àune mort cruelle, en raison des longues tergiversations de la justice coloniale.

L’ordonnance royale du 14 novembre 1761, instituant la Junta de justiça àLuanda, détermina également que les sujets du royaume d’Angola devaient êtrejugés rapidement par cette instance, à cette différence près que les « vassaux noirs »

33 - JILL DIAS, « Angola », in O Império africano..., op. cit., pp. 319-556, ici p. 329.34 - Sur l’imposition de « l’État de police » en Angola, voir C. MADEIRA SANTOS, Umgoverno « polido » para Angola..., thèse citée, p. 66 et sqq. 8 2 9

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pauvres et misérables n’avaient pas à payer les charges liées à l’instruction de leurprocès35. Et le gouverneur Sousa Coutinho de conclure : « Ces gentils (gentios) [ne]doivent pas être régis par tous les principes du Droit Naturel [...]. » L’ordonnanceroyale du 8 avril 1767 s’inscrit dans cette même perspective : D. José y ordonne àD. Francisco Inocêncio de Sousa Coutinho la plus grande attention en ce quiconcerne les procès impliquant les Noirs36.

Cette politique universaliste – au demeurant graduelle – du droit signifiaitun renforcement sensible de la pénétration du discours juridique et de ses ritesauprès des autorités traditionnelles africaines : « De même, je tiens à préciser queje n’interdis pas que soit châtié un soba quand il le mérite, mais il faut pour celal’arrêter et lui faire un procès, comme l’ordonne la loi, et non pas le tuer et le volerarbitrairement. » Un tel souci concerne plus précisément les sobas et les chefsvassalisés. Le motif était récurrent dans la correspondance échangée entre lesgouverneurs et les capitaines37. Les chefs africains furent ainsi amenés à porterleurs litiges devant la justice coloniale. Et même quand il s’agissait de problèmesinternes – tels les conflits de terre entre les sobas, le gouvernement orientait lesparties vers un magistrat qui cherchait en même temps à inculquer des notions debase du droit occidental, comme celle de la propriété privée et de son inviolabilité38.

Cette mesure supposait cependant, de la part des capitaines, une compétencejuridique, puisqu’il leur revenait d’instruire les procès dans les présides et d’en-tendre les témoins en présence d’un greffier. Mieux encore, à partir du momentoù les Africains et les affaires internes à la société africaine firent l’objet de procèsécrits, les Portugais éprouvèrent la nécessité d’approfondir leur connaissance desinstitutions et du droit endogènes, bien au-delà du vocabulaire de base exigé pourde simples transactions, celui touchant à la parenté ou à la sphère domestique. Ona pu localiser quelques procès faisant intervenir des témoins, organisés dans lesprésides, comme dans celui d’Ambaca39. L’impréparation des officiers apparaîtclairement dans de nombreuses lettres, où les gouverneurs de Luanda indiquentque leur furent déférés des Africains emprisonnés sans qu’ait eu lieu un procèsécrit, en raison de l’incompétence des capitaines ou des difficultés à réunir témoinset preuves. Dans une dépêche datée du 3 janvier 1797, le gouverneur de Benguela

35 - A quoi l’on ajoutait : « Que le gouverneur comme président de ladite Junta, et commemagistrat des justices, visite les prisons, comme le permet l’Ordonnance du LivrePremier, et exécute intégralement la Loi Extravagante du 31 mars 1742 avec l’assistancede l’ouvidor et du juiz de fora de cette ville, ce que vous ferez exécuter » (AA, vol. III,no 16-18, 1937, « Lettre du 14 novembre 1761 »).36 - S’y ajoute une autre information du 24 janvier 1784, adressée au gouverneurd’Angola, afin de sauvegarder l’égalité des jugements des natifs, conformément à ladisposition prise en 1761 par la Junta créée à cet effet le 14 novembre 1761 (Ibid.).37 - AHNA, Codex 91, « Lettre au régent de Cambambe, où il est recommandé quel’emprisonnement du Dembo Caboco ne doit avoir lieu qu’une fois les actes avérés,11 janvier 1805 », f. 33v.38 - AHNA, Codex 91, « Lettre au régent de Cabambe, 10 avril 1805 », f. 37v.39 - AHU, Boîte 42, doc. 37, Préside d’Ambaca, procès pénal daté du 2 mars 1759.8 3 0

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demandait au nouveau capitaine du préside de Quilengues d’enquêter sur l’exer-cice de son prédécesseur et de procéder à des interrogatoires sur les événementsqui avaient impliqué le soba de Socoval, afin de répondre aux plaintes déposéespar celui-ci auprès des autorités coloniales. Cependant, la reconnaissance de l’im-préparation du capitaine en matière judiciaire exigeait des mesures de précaution :« Et, considérant que Votre Grâce ne trouvera là personne qui lui puisse indiquerla manière de constituer l’acte et les instructions relatives aux interrogatoires deladite enquête, je vous remets avec la présente un formulaire, afin que vous l’utili-siez, n’étant pas vous-même au fait des matières judiciaires, et n’existant personnedans cette ville qui soit compétent dans l’affaire que je vous envoie.40 » L’instruc-tion d’un procès signifiait très souvent une protection des sobas face à l’arbitrairedes capitaines. Des procès incomplets, instruits dans les présides, où les preuvesdes crimes imputés aux sobas s’avéraient insuffisantes, conduisaient à la réhabilita-tion de ces mêmes sobas41.

Dans la capitainerie de Benguela, la situation semblait plus grave encore.Les juges des nouveaux villages civils (novas povoaçoes42) et les capitaines étaientincapables de juger les affaires, « à l’exception de certains litiges de peu d’importanceentre les Noirs43 ». Les présides ne disposaient même pas de formulaires pourguider les capitaines dans l’instruction des procès. Il est intéressant de remarquerque certains de ces officiers reconnaissaient eux-mêmes leur incapacité à mener àbien cette tâche. Ce fait confirme que les capitaines, insuffisamment lettrés, envenaient à réduire le droit en usage à quelques formules simples, voire simplifica-trices et, partant, à restreindre son champ d’application44.

40 - AHNA, Gouvernement de Benguela, Codex 443, f. 12. Le gouverneur, D. MiguelAntonio de Melo, adressa également une demande au Conseil d’outre-mer, où il notaitqu’une des choses les plus nécessaires au bon gouvernement des présides (sachant queles capitaines et les régents assumaient également la juridiction des juges ordinaires)serait une « Instruction » établissant la manière dont ils devaient conduire les procès, vuque toutes les causes qui arrivaient du sertao étaient entachées « de nullités et d’erreursinfinies ». Pour remédier à ces désordres, un magistrat rédigea sur place un projet,expédié à Lisbonne le 11 octobre 1799 pour être soumis au Conseil d’outre-mer (AHU,Boîte 93, doc. 55).41 - Dans une lettre au régent de Muxima, datée du 12 novembre 1808, le gouverneurconcluait que l’on ne pouvait juger coupable le soba parce que « ces papiers » (lespreuves) n’étaient pas suffisants pour prouver les délits qui lui étaient reprochés. Ilconcluait en disant qu’il n’avait pas le pouvoir de déposer le soba comme le prétendaitle capitaine, ni de le condamner au bannissement à vie. Ce soba finit donc par êtreremis en liberté et continua à jouir de son état (AHNA, Codex 91, ff. 185-188).42 - Vers 1768, le gouvernement de Luanda a fondé plusieurs villages dans le sertao duBenguela, avec un capitaine et un juge à leur tête, afin de promouvoir le peuplementblanc de la région.43 - AHU, Angola, Boîte 62, doc. 102, papiers divers, année 1779.44 - Voir par exemple l’aveu du capitaine Pedras de Pungo Andongo, qui reconnaît« l’irrégularité avec laquelle j’ai peut-être procédé dans ces procès », en alléguant ne pasavoir eu à sa disposition dans les archives de formulaire auquel se conformer (AHNA,Codex 3018, « Lettre du capitaine Joaquim de Brito au gouverneur Saldanha da Gama,2 septembre 1808 », f. 148). 8 3 1

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La possibilité de recourir à la justice portugaise, soit pour résoudre desconflits avec les autorités coloniales, soit pour des questions africaines internes,semble avoir été tôt mise à profit par les sobas et leurs macotas (les Anciens, dukimbundu dicota). Il en est résulté une bureaucratisation des royautés du nord del’Angola, en particulier des dembos, qui s’inscrivit dans un long « apprentissagede l’État », pour reprendre l’expression utilisée dans les textes par les protagonistesafricains.

Avec l’institution de la Junta de justiça, en 1761, et l’obligation d’instruire lesprocès dans les présides, la documentation judiciaire augmenta de volume, ce quipermet aujourd’hui de circonscrire les domaines dans lesquels la structure judiciaireportugaise pouvait être amenée à trancher les conflits entre sobas vassalisés ou entreces derniers et les capitaines, ou encore avec des marchands, par exemple mise àdisposition de porteurs pour le transport de denrées45, vol d’esclaves entre sobas,paiement des dîmes46, assassinat de fils de chefs47 ou litiges fonciers entre sobas48.Tous ces domaines exigeaient de prendre en compte le droit portugais et le droitafricain, en particulier les règles définissant la distribution des terres, la hiérarchieentre sobas et sobetas, la circulation des « fils » des sobas et les droits sur les esclaves.

De l’examen de ces différents cas, il ressort que, en ce qui concerne larésolution des conflits internes de nature politique, c’était parfois les sobas eux-mêmes qui recouraient à la justice portugaise, transformant cette dernière enun arbitre extérieur et supérieur. Le système judiciaire institué par le pouvoircolonial a par ailleurs offert aux Africains des armes pour défendre leurs intérêts.La juridiction des capitaines fait très tôt référence à cette capacité d’arbitrage49.Quand une telle situation se présentait, les procédures et les rites judiciairesportugais étaient respectés, mais c’est la compréhension du litige et la manièreendogène de rendre la justice qui conduisaient à la résolution du cas. Le recoursau formalisme judiciaire portugais s’inscrivait dans un système argumentatifpréexistant, mais le procès était réduit à son expression « liturgique » et formelle,décalée et détachée de la réalité qu’elle prétendait couvrir. Étrangers aux formulesdans lesquelles la réalité cherchait sa légitimation, les actes du procès portugaisétaient finalement mis au service du conflit africain, dans sa dimension politiquetraditionnelle.

Par leurs plaintes ou leur défense, les sobas se prévalaient de l’arbitrage ducolonisateur pour résoudre des questions de politique interne, les figures de l’admi-nistration coloniale se voyant reconnaître autorité et légitimité pour en décider.

45 - Voir l’arrêt de la Junta du 11 décembre 1764 sur le procès impliquant l’accusé« D. Lourenço Francisco Caculo Cahango, soba de la juridiction du préside de Muxima »et le sobeta « D. Joam Antonio, Samba Cahoha », à propos de la fourniture de porteurs etd’un vol d’esclaves (AHU, Angola, Boîte 9, doc. 2).46 - AHU, Angola, Boîte 49, doc. 7, 23 décembre 1764.47 - Le prévenu est le sertanejo Tomas Antonio, accusé d’avoir assassiné le fils d’undembo (AHU, Angola, Boîte 49, doc. 7, 23 décembre 1764).48 - Arrêt de la Junta daté du 26 mars 1765 (AHU, Angola, Boîte 49, doc. 19).49 - En 1735, dans la ville de Massangano, il revenait au capitaine d’« applanir les diffé-rends qui peuvent survenir entre les sobas » (AHU, Codex 1481, f. 30v).8 3 2

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Parmi ces questions internes, exigeant la participation des capitaines, on trouve ladéposition et la substitution des sobas. L’interférence directe du gouverneur deLuanda, par la voie judiciaire, dans la politique locale était fréquemment sollicitéepar les sobas et les macotas eux-mêmes, ce qui impliquait la production et la circula-tion de requêtes, de pétitions et de tous documents relatifs aux procès. Pour résoudredes questions de légitimité touchant à l’exercice du pouvoir, les sobas s’adressaientaux instances coloniales, engageaient un procès selon les voies légales et se pliaientaux attendus du gouverneur et juge ; mais ils ne renonçaient pas pour autant,et parfois avaient recours simultanément, aux modalités et normes régulatricesconformes au « style du pays ». Le problème devenait plus complexe quand lesparties présentaient devant l’instance judiciaire portugaise un litige portant surun conflit de succession ou un processus d’élection des chefs, espérant que cesautorités prissent en compte les usages et les coutumes du lieu. On en trouve desexemples jusque dans des zones comme le Dombe Grande et le Dombe Pequeno,ce qui peut surprendre sachant la présence tardive et ténue d’une structure judi-ciaire portugaise dans ces régions50.

L’instrumentalisation de la justice coloniale prit des proportions considé-rables, sur le plan politique, chacun cherchant à déposer des sobas au profit d’autres.Tant et si bien que le gouverneur Saldanha da Gama, recevant une nouvellerequête de macotas visant la déposition d’un soba, recommanda au capitaine de neplus enregistrer de telles plaintes :

Ayant fait examiner avec l’attention nécessaire la requête de Dom Antonio Pascoal, sovaAnga Angolome, et le contenu de la plainte que Manuel Sebastiao a présenté contre lui,avec quelques macotas de l’État, j’ai considéré que ce qui est allégué par ces derniersn’est pas suffisant pour que soit expulsé le dit Antonio Pascoal, parce que si l’on prêtel’oreille à de telles plaintes il n’y aura pas un soba qui se sente en sécurité dans son Étatet il en découlera des discordes et des discussions permanentes entre ses macotas et filsau détriment du service royal auquel ils sont liés. J’ajoute être également informé deque dans ce sovado il n’a jamais été d’usage de remplacer les sobas, au seul motifqu’ils ne conviennent pas à leurs sujets, et si cette coutume qui est la leur est altérée,ce sera la source de désordres répétés, au vu de quoi j’ordonne à V. M. que vousconserviez le soba dans cet État, en lui faisant plutôt une série d’avertissements, afinqu’il traite ses sujets avec justice et rectitude, et surtout qu’il obéisse aux ordres du serviceroyal, faute de quoi je procéderai contre lui de la manière qui me paraîtra la plusappropriée51.

Ces procès portent sur des conflits de succession à la tête des États (sobaslégitimes contre sobas illégitimes), des litiges concernant l’usage des insignes de

50 - Un soba du Dombe Pequeno requiert auprès du gouverneur de Benguela la libéra-tion d’un parent, soba du Dombe Grande, emprisonné par le commandant de ce district,à la demande d’un autre soba. La dépêche du gouverneur ordonnait que les sobasimpliqués aillent s’expliquer auprès dudit commandant, afin que celui-ci règle le diffé-rend présenté par-devers lui (AHNA, Codex 440, 16 juillet 1812, f. 22v).51 - AHNA, Codex 92, « Lettre au capitaine d’Ambaca, 11 novembre 1813 », f. 3. 8 3 3

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chefs, le paiement de dettes, l’esclavage et la régulation des tensions sociales, desquestions de contrôle du territoire, etc. Ils sont organisés dans les formes portu-gaises (plainte et défense, par le truchement de l’interprète, dans les termes de lacour, interrogatoire et dépositions des témoins) ; mais, pour être efficaces, l’admi-nistration de la preuve et les arguments invoqués doivent mobiliser des dispositifsjuridiques inscrits dans les structures sociales africaines. Parmi ceux-ci, on a latrace, pour confirmer la culpabilité, du « serment de la terre » (quituxi en kimbundu,ou ombulungu en umbundu), sorte d’ordalie au cours de laquelle l’accusé doit boirele « jugement du sort » devant un spécialiste redouté, le nganga ou sorcier, afin quesa culpabilité doit démontrée ou démentie52.

Le caractère spécifique de la preuve, dans les cultures orales, ne tient pasà sa vraisemblance mais au caractère sacré de sa forme, le fondement de lacausalité étant renvoyé à l’ordre du sacré. La preuve découle de la contributiondes esprits à la manifestation de la vérité. Pour beaucoup de sociétés africaines,la terre renferme conjointement une valeur mystique et séculière53. Au contraire,dans les cultures écrites, qui constituent l’univers auquel appartenaient lescapitaines, le document écrit présenté a une importance fondamentale dans l’admi-nistration de la preuve, de par son caractère fixe et permanent (verba volantem,scripta manent).

D’une manière générale, dans le champ du droit pénal indigène, on n’infligepas des sanctions mais des compensations, ces dernières étant négociées entre lesparties engagées. C’est donc le principe de la réparation qui est appliqué, moyen-nant le paiement d’amendes (pour « payer la mort qu’il a causée », en cas de crimepar exemple)54, très souvent au moyen d’esclaves. L’objectif n’est pas de punir etréprimer mais de rétablir l’équilibre et la paix55.

Pour les autorités africaines de la région des Dembos (nord de l’Angola) oude Quilengues (sud de l’Angola), le procès instruit devant l’Audiência de mucanosest surtout perçu comme une formule et une forme susceptibles d’appropriation

52 - Le même terme de « serment de la terre », renvoyant à l’ordalie, est utilisé au Ghanaet au Burkina Faso. Cf. RUDIGER SCHOTT, « Le jugement chez les peuples acéphalesen Afrique occidentale : les Bulsa (Ghana) et les Lyèla (Burkina Faso) », Droit et cultures,29, 1995, pp. 177-208, ici pp. 181-182 ; JEANNE-FRANÇOISE VINCENT, « Serment-ordalie,justice et pouvoir chez les montagnards mofu-diamaré (Cameroun du Nord) », in Leserment, vol. I, Signes et fonctions, Paris, Éditions du CNRS, 1991, pp. 279-292.53 - MAX GLUCKMAN, Custom and conflict in Africa, Oxford, Basil Blackwell, 1973, p. 16,indique pour les Nuer l’existence d’un « seigneur de la terre » (man of the earth), quiétablit le lien sacré avec la terre. En ce qui concerne la preuve, voir KÉBA M’BAYE,« Sacralité, croyances, pouvoir et droit en Afrique », in M. WANE (éd.), Sacralité, pouvoiret droit en Afrique, Paris, Éditions du CNRS, 1978, pp. 145-160, ici p. 157 ; MEYER

FORTES et E. E. EVANS-PRITCHARD, Sistemas politicos africanos, Lisbonne, FundaçaoCalouste Gulbenkian, 1979, p. 13.54 - Procès judiciaire, 23 mars 1833, publié dans C. MADEIRA SANTOS et A. P. TAVARES,Africae monumenta..., op. cit., vol. I, p. 114.55 - Les mécanismes du procès pénal entre Nuer et Dinka sont expliqués dans HERVÉ

BLEUCHOT, « L’évolution du droit coutumier : l’exemple des Nuer et des Dinka », Droitet cultures, 27, 1994, pp. 161-174, ici p. 165 sq.8 3 4

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et de reconversion en accord avec la logique endogène. C’est pourquoi la notiond’articulation permet de situer la discussion, non pas dans l’un ou l’autre des sys-tèmes discursifs, celui de la loi ou du droit coutumier, mais dans un entre-deux,un « territoire du milieu », espace où peuvent se jouer l’innovation et la négociationdes contraintes politiques ou idéologiques. C’est à ce niveau, semble-t-il, qu’il estpossible de parler d’une certaine « codification », au sens de formalisation et desubordination des pratiques sociales locales liées avant tout à l’organisation et àla légitimation du pouvoir politique. Il apparaît en effet que tous les problèmesrelatifs au processus d’élection ou de déposition des sobas et aux conditions de lasuccession étaient traités judiciairement et surtout authentifiés par des documentsécrits. C’est le système politique local lui-même qui offrait des mécanismes d’auto-régulation conduisant à la déposition du chef, dans des contextes de non-respectdu droit coutumier – dettes, présents indus, questions relatives à l’esclavage, auxfemmes ou aux terres, offenses corporelles –, toutes situations susceptibles deconduire à un processus d’élection validé a posteriori par les instances judiciairesportugaises56.

Un certain formalisme, fondé sur le papier et l’écriture, s’est donc progressi-vement imposé, comme une espèce de titre ou d’attestation légitimant un droitcoutumier déterminé. Les pièces du procès fonctionnent comme des formules enblanc, au service d’objectifs endogènes. Quand les autorités traditionnelles cher-chent confirmation de leur légitimité via les institutions judiciaires portugaises, ellesutilisent les protocoles judiciaires comme autant de symboles d’auto-légitimation.Il en est bien des exemples. Les Dembo Caculo Cacahenda D. Paulo Sebastiao etD. Joao Sebastiao (qui semble lui avoir succédé), demandent une « attestationet l’acte référent du différend qui les avait opposé à un autre dembo » (le DemboMufuque Aquitupa D. Joao Manuel Afonso Cheque), différend qui concernaitl’accusation, portée contre eux par celui-ci, de vendre ses « fils » et la restitutionde quelque soixante-dix sujets qu’il avait faite à D. Sebastiao. Le Dembo Mufuquefut condamné dans les deux cas à payer « une amende de quatre esclaves, sixpièces d’Inde et deux muleques de six palmes »57. Ou encore le procès entre undembo retiré et un autre, élu, qui demandaient l’arbitrage des autorités portugaisessur la légitimité de l’usage d’insignes58 ou l’initiative d’un macota, venu chercher

56 - Malgré les recours auprès des autorités coloniales, l’élection des sobas par les macotass’est maintenue selon le modèle endogène (cf. « Lettre au régent de Cambambe,20 décembre 1803 », AHNA, Codex 90, f. 148v). Quand, à l’issue d’une guerre, l’arméeportugaise écartait et déposait un soba, le procès qui conduisait à l’élection d’un nouveauporteur du titre politique obéissait aux règles traditionnelles (AHU, Angola, Codex 78,doc. 60, f. 297).57 - Sentence datée du 8 avril 1786 ; litige publié dans C. MADEIRA SANTOS etA. P. TAVARES, Africae monumenta..., op. cit., p. 378. Une pièce d’Inde est un esclave de« bonne qualité », c’est-à-dire particulièrement robuste, de stature et d’âge déterminé ;un muleque est un esclave d’une capacité de travail moindre, en général un enfant.58 - « Procès judiciaire, province des Dembos, 23 mars 1833 », Ibid., doc. 36, pp. 107-117 ; AHNA, Codex 240, « Correspondance du gouverneur avec les potentats Noirs dela colonie, 19 mars 1803 », f. 13. 8 3 5

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auprès des Portugais le même type d’arbitrage ; enfin la requête faite au capitainedu Golungo par les macotas et le peuple du soba Capelo Adolo pour déposer unsoba. Le capitaine entendit les raisons du soba et l’envoya à Luanda devant legouverneur, avec tous les documents nécessaires. Entre-temps, le sobado fut confiéà des macotas élus. Deux d’entre eux se rendirent alors à Luanda, munis d’uneprocuration de l’ensemble de la population pour demander la mise en accusationdu soba59.

Réception du droit indigène par les Portugais :appropriations langagières, usages documentaires

Les usages coloniaux du « langage politique africain », dans ses diverses manifesta-tions, révèlent une certaine perméabilité des institutions portugaises, dès les pre-miers temps de la conquête. Il convient d’aborder à présent la question de la réceptiondu droit local par le droit et les instances judiciaires portugaises. Historiquement,on constate la porosité des langues coloniales au vocabulaire local, pour désigner,voire pour reconnaître des institutions sans équivalent en Europe. On doit ainsirelever la fréquence avec laquelle le Conseil d’outremer, dans sa documentationinterne et sa correspondance avec les gouverneurs, utilise des termes kimbumduet umbundu, en particulier ceux concernant l’organisation politique, ce qui conduità considérer la bureaucratie comme le canal d’une interpénétration culturelle,s’accompagnant non seulement de la réception du droit, mais aussi des institutionslocales.

Dans la communication entre le gouvernement de Luanda et les présides,les transferts de vocabulaire acquéraient un degré de profondeur plus élevé, parcequ’ils portaient directement sur les relations avec les sobas, et visaient très souventà trouver une solution aux querelles judiciaires relatives aux affaires internes deces chefs. L’importance des insignes de pouvoir dans le champ politique africain,bien que considérés comme des accessoires porteurs de croyances superstitieuses,devait être, dans l’économie générale des relations politiques, connue – de mêmequ’étaient reconnus les insignes par les agents de la colonie60. En outre, l’obligationde gérer un vaste empire entraînait, sur le plan bureaucratique comme sur le planpolitique, la nécessité de documents produits par les diverses autorités : c’est ainsiqu’une déclaration émanant d’un soba, par exemple une lettre de recommandationauprès du Conseil d’outre-mer, avait une valeur similaire à celle d’un capitaine depréside.

59 - AHU, Angola, Codex 1628, « Lettre du gouverneur d’Angola à Marcos Pereira Bravo,capitao-mor de Golungo, 10 août 1791 », f. 8.60 - Voir la référence à la possession et l’usage de la « rilunga », ou « lunga » (doublecloche sans battant, qui « ressemble à deux clochettes, prises l’une dans l’autre »), l’in-signe le plus importante des Mbangala, associée à l’idéologie guerrière, mentionnéedans une lettre du gouverneur d’Angola au directeur de la foire de Cassanje (AHNA,Codex 91, « Lettre du gouverneur au capitaine d’Ambaca, 1er décembre 1805 », f. 28v).8 3 6

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Une attestation du Dembo Ambuila, rédigée par les deux « greffiers » de sonÉtat, concernant la qualité de la prestation de l’« escrivao das terras » (officier del’administration auprès des dembos), est ainsi intégrée à un rapport soumis auConseil d’outre-mer, comme preuve de ses compétences pour le poste de capitainede préside, et prise en compte en tant que telle par Lisbonne dans la compositiondes curricula et leur évaluation ; les actions conduites dans le cadre de la politiqueafricaine, et certifiées par les autorités locales africaines, valaient, aux yeux dela Couronne, autant qu’une lettre émanant d’une autorité portugaise. Une telleattestation était non seulement reconnue, mais également recherchée, et produisaitun effet sur la société non pas africaine, mais européenne. La recommandation duDembo Ambuila est intégrée et mise à profit suivant la logique de l’administrationcoloniale. La transcription de cette lettre permet de saisir plus précisément ledialogue entre les institutions :

Dom Francisco Afonso Alvares Ambuilla quiambolle [titre politique signifiant grand]de Sa Majesté que Dieu garde. Je jure sur les Saints Évangiles avoir reçu le 22 février1747 avec les macotas principaux de mon État, Antonio Carneiro de Magalhaes, pourcapitaine et écrivain de mes terres, comme me l’ordonnait l’illustrissime et excellentissimeseigneur général et gouverneur de ce royaume d’Angola et de ses conquêtes, Joao Jacquesde Magalhaes ; jusqu’à ce jour, quinze mai, je n’ai aucune matière de plainte le concernant,il exerce son gouvernement dans la paix et la quiétude de mon peuple et avec attentionpour mes terres, et la vérité étant celle-ci, j’ai fait établir cette attestation qui m’étaitdemandée par mes secrétaires [...] de la banza de Sao Miguel de Ambuilla, en ce jour,le 15 mai 1748. [signé] Dom Francisco Affonso Alvares Builla andua et quiambollede Sa Majesté61.

A côté de ce processus d’interpénétration, la Couronne créa des charges etincorpora des fonctions issues des structures politiques africaines dans sa hiérarchieadministrative. Le premier cas, et le plus connu, est celui de la figure du tendala,interprète mais aussi commandant de la « guerra preta » (troupes indigènes). Aumilieu du XVIIe siècle, la nomination à ce poste était inscrite dans les rôles del’administration coloniale62. Un autre cas concerne l’incorporation du titre africainde dembo dans l’organisation de l’administration portugaise63. La délivrance d’unecédule de dembo, suivant les mêmes modalités que pour un capitaine, par exemple,rend compte de la contamination de l’appareil d’État portugais par le champ ins-titutionnel endogène tout autant que du processus d’intégration des dembos dans

61 - AHU, Angola, Boîte 39, doc. 8, « Banza de Golome, 23 janvier 1749 », cf. p. 38v. Labanza (mbanza en kimbundu) est la capitale politique où résidaient un soba et sa cour.62 - Il est mentionné pour la première fois dans les sources en 1588 (ANTONIO BRASIO,Monumenta missionaria Africana: Africa Ocidental, 1re série, vol. III, p. 378 ; vol. IV, pp. 559,562 et 573 (1er mai 1594), Lisbonne, Agência Geral do Ultramar, 1955-1956) ; en 1648, parexemple, Salvador Correia de Sa e Benavides nommait le nouveau tendala et capitaine dela « guerra preta » pour le Benguela (AA, vol. I, no 2, 1933).63 - AHNA, Codex 240, « Correspondance du gouverneur avec les potentats Noirs dela colonie », f. 13. 8 3 7

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la hiérarchie bureaucratique portugaise coloniale. Voilà qui semble indiquer que laculture politique coloniale a diffusé non seulement des modèles (d’abord celui del’Ancien Régime, puis celui des Lumières), mais résulte elle-même de transfertsculturels et de la diffusion, en son sein, de traits africains, dans le sillage de soncontact prolongé avec le monde politique endogène.

Appropriations institutionnelles :l’Audiência de mucanos et l’esclavage

Le gouvernement des Lumières n’a jamais mis en cause la pratique de l’escla-vage. Bien au contraire, son objectif était d’accroître le trafic négrier pour soutenirle système impérial. L’interpénétration de la traite Atlantique avec l’esclavageafricain, dans le royaume d’Angola, a exigé l’intégration des institutions africainesdans l’appareil judiciaire portugais. D’un autre côté, les institutions coloniales ontcontribué à la légitimation de l’esclavage et ont alimenté ses canaux. Dans ce scénario,le gouvernement des Lumières eut besoin d’agir dans un cadre juridique préétabli.

Le pluralisme juridique et l’application, dans un même tribunal, de droitsdivers, constituaient une réalité loin d’être étrangère à l’Ancien Régime. Dans leroyaume de Portugal comme dans l’espace impérial, la reconnaissance de l’altéritéjuridique était manifeste. On retrouve ce même phénomène dans le cas angolais,mais d’une manière sensiblement différente. Plutôt que d’une coexistence, il s’agitici de l’adoption d’une institution traditionnelle africaine et de l’exercice de lajuridiction qui en découle par les officiers coloniaux (gouverneur et capitaines).

L’instance judiciaire africaine destinée à régler les litiges, l’Audiência demucanos, notamment ceux liés à l’esclavage, intégra la structure judiciaire colonialeparce que les dynamiques du trafic Atlantique l’exigeaient ainsi. La question de lalégitimité du statut d’esclave obéissait à deux principes. Quand les Portugais rédui-saient quelqu’un en servitude, l’idéologie de la guerre juste était invoquée : ceuxqui se trouvaient emprisonnés à la suite d’une guerre dont la cause était justeétaient des esclaves légitimes. Cependant, dans la plupart des cas, les Portugaisachetaient aux Africains des esclaves qui avaient déjà ce statut. Dès lors, la questionde la légitimité n’avait plus de raison de se poser, puisqu’elle relevait de la sphèredu droit africain et de ses voies de légitimation. Les Portugais devenaient ainsifonctionnellement, indépendants des justifications idéologiques d’inspiration chré-tienne concernant l’esclavage, la responsabilité de la réduction en esclavage reve-nant aux commerçants africains. Les difficultés survenaient lorsque ces esclaves,achetés par les Portugais, déclaraient avoir été illégitimement emprisonnés, allé-guant des arguments relevant du droit coutumier, ou quand les sobas réclamaientla restitution de leurs « fils », en affirmant l’illégitimité de leur emprisonnement.Ces situations, et d’autres encore, découlaient des modalités de fonctionnementde l’institution de l’esclavage en Afrique. Dans de nombreux cas, ces contestationsde légitimité renfermaient des problèmes de nature politique, parce que si lessobas réclamaient la restitution de leurs sujets, une guerre pouvait être imminente.Mais aussi de nature économique, à travers des représailles dans les principaux8 3 8

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centres de ravitaillement64. L’Audiência de mucanos s’est ainsi trouvée insérée dansles pratiques judiciaires coloniales en Angola. C’est par le biais de l’esclavagequ’eut lieu cette appropriation institutionnelle, dont la raison d’être a directementà voir avec les caractéristiques de l’esclavage en Afrique65. Pour juger les affairesde mucanos, les capitaines, dans les présides, étaient assistés d’un tabellion et dutendala (interprète). A Luanda, l’Audiência comptait deux religieux interprètes etenquêteurs du juge des libertés, dont le salaire faisait l’objet d’une rubrique dansles relations annuelles des dépenses et des revenus des finances royales, aux côtésde ceux de l’ouvidor général et du juiz de fora66.

La juridiction des capitaes-mores

Les capitaines des présides, qui avaient en charge l’administration de la justice,étaient généralement des militaires sans formation juridique spécifique. Concer-nant le recrutement aux postes administratifs de « fils de la terre », c’est-à-dire desnatifs d’Angola, les positions des gouverneurs et des autorités portugaises apparais-sent antagoniques, tout au long des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Antonio Alvares daCunha (1753-1758) déclarait qu’« aucun des fils d’Angola » ne devait être employéaux postes militaires, et défendait le choix d’hommes venus de la métropole pour

64 - Voir l’exemple des razzias pratiquées par une ambassade, conduite par un capitaine,dans le couloir Cuanza-Cuango à partir de Cassanje, en direction du préside de Pedrasde Pungo Andongo. Une « fille » d’un soba fut alors capturée. Le Jaga Cassanje infligeades représailles aux commerçants et quelques-uns furent emprisonnés en compensationde la capture des deux cents vassaux appartenant à un soba allié du Jaga. Les protesta-tions des sobas des régions razziées, exigeant la restitution des captifs, parvinrent ensuiteà Luanda (« Lettre au régent de Pungo Andongo, 24 juin 1805 », AHNA, Codex 91,f. 9v ; « Lettre au régent de Pungo Andongo, 24 juin 1805 », AHNA, Ibid., f. 14). Unefois l’enquête réalisée à Luanda, les captifs furent restitués aux divers sobas auxquelsils appartenaient (AHNA, Codex 91, « Lettre au régent d’Ambaca, 2 septembre 1805 »,f. 19v). Voir JOSÉ CURTO, « Un butin illégitime : razzias d’esclaves et relations luso-africaines dans la région des fleuves Kwanza et Kwango », in Déraison, esclavage et droit :les fondements idéologiques et juridiques de la traite négrière et de l’esclavage, Paris, UNESCO,2002, pp. 314-327 ; JEAN-LUC VELLUT, « Le royaume de Cassange et ses réseaux luso-africains vers 1750-1810 », Cahiers d’études africaines, 57, 1975, pp. 117-136. Les gouver-neurs manifestèrent en diverses occasions leur souci de restituer aux sobas alliés leurssujets illégitimement capturés par les commerçants (« Lettre au directeur de la foire duBondo, 20 juillet 1759 », AHU, Angola, Boîte 43, doc. 54).65 - L’esclavage a rarement pris la forme d’une institution monolithique. Le statutd’esclave a diverses origines, connaît différentes expressions, et peut être modifié : unepersonne d’origine servile pouvait détenir des biens et exercer certaines activités pourson propre compte. Qui était aujourd’hui esclave, pouvait ne plus l’être demain. C’estle cas de ceux qui remettaient leur liberté entre les mains d’un seigneur en paiementd’une dette ; ils la recouvraient plus tard quand cette même dette était honorée (cf.JOSEPH MILLER, « Stratégies de marginalité. Une approche historique de l’utilisationdes êtres humains et des idéologies de l’esclavage : progéniture, piété, protection per-sonnelle et prestige – produit et profits des propriétaires », in Déraison, esclavage et droit...,op. cit., pp. 105-160, ici p. 106 sqq.).66 - AHU, Angola, Boîte 43, doc. 54, 27 mars 1759. 8 3 9

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accomplir des missions dans le sertao67. Son successeur confirma cette position : lesnatifs seraient « mous, malades, timides et manquaient de charité et de générosité68 ».

Une des attributions des capitaines consistait à faire des sobas des vassaux69.Les capitaines occupaient aussi une position clé dans le trafic d’esclaves, et ilsen tiraient d’importants avantages économiques. Ils recrutaient, auprès des sobasliés aux présides, les porteurs qui devaient acheminer les produits jusqu’auprochain préside, avant de s’enfoncer dans le sertao. Dans chacun, les marchandsattendaient des capitaines qu’ils leur fournissent de nouveaux porteurs mais, trèssouvent, ce qui était une obligation finissait par devenir une excellente monnaied’échange, qui permettait aux capitaines d’exiger des marchands des paiementsexorbitants et indus. Par ailleurs, les salaires qui devaient être normalement versésaux Africains pour ce service leur étaient refusés, sous le prétexte qu’ils étaient auservice des « œuvres royales », ces dernières, non rétribuées, faisant partie de la listedes obligations imposées par les liens de vassalité. Ainsi, le poste qu’occupaient lescapitaines leur permettait de jouer, à leur profit, sur les deux tableaux70. Le capi-taine constitue donc une figure centrale : jouissant de la juridiction ordinaire, ilcumulait les fonctions militaires et judiciaires.

Les observations portant sur la préparation insuffisante des actes judiciairesdans les présides, en raison de l’incapacité des capitaines à maîtriser le langagejuridique ou tout simplement l’écrit, sont légion71. Aussi n’est-il pas étonnant devoir ces derniers finir par adopter le système judiciaire africain fondé sur l’oralité,au détriment de l’européen, qui privilégie l’écrit. Encore faut-il relativiser cetteassertion, en raison de la place de l’oralité dans les pratiques judiciaires d’AncienRégime72. En réalité, ces deux exercices de la justice finissent par être très proches,dans la mesure où ils participent d’une même sphère, celle de l’oralité, vis-à-visde laquelle le droit écrit occupe une position marginale. L’opposition entre ceuxqui dominaient l’écriture et ceux qui en étaient exclus ne peut être considéréecomme une frontière clairement définie. Au Portugal, sous l’Ancien Régime, onle sait, les décisions des juges municipaux ou ordinaires n’étaient que partiellementmises par écrit ; les Ordenaçoes Filipinas (Livre III) encourageaient la simplicité etl’oralité de la procédure suivie dans ces tribunaux de première instance. La règle

67 - « [...] Par leurs faiblesses et leurs coutumes paresseuses dans lesquelles ils sontélevés, bassesse d’esprit, crainte qu’ils ont envers les Noirs [...], tout indique aveccertitude que dans ce royaume il n’y a pas d’homme pour quelque type d’emploi quece soit [...] » (AHU, Angola, Boîte 42, doc. 8), « Au Conseil d’outre-mer, 1er février 1757 ».68 - Papiers divers, année 1760 (AHU, Angola, Boîte 43, doc. 28).69 - Voir l’exemple du capitaine de Cambambe, José da Costa de Faria, qui amena à lavassalité deux sobas dépendants de ces présides (Ibid., doc. 80, 26 septembre 1759).70 - AA, vol. II, no 9, 1936, « Lettre royale au gouverneur, 1761 ».71 - Voir, par exemple, AHU, Angola, Boîte 100, doc. 29. Sur la préparation insuffisantedes actes dans les présides, voir, entre autres, le Parecer de l’ouvidor geral Joao Alvaresde Melo sur la réforme de l’administration de la justice en Angola, adressé au gouverneurD. Miguel Antonio de Melo, 14 avril 1798 (AHU, Angola, Boîte 87, doc. 61).72 - Sur l’oralité de la procédure, voir la lettre royale dans laquelle le roi du Portugaldemande que soient jugés rapidement et oralement les crimes mentionnés suivant laforme déclarée (AHU, Angola, Boîte 42, doc. 96).8 4 0

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était de ne faire enregistrer par le greffier que la sentence, et ceci parce que lesjuges des municipalités, élus parmi les élites locales, et fréquemment non lettrés,connaissaient rarement les règles du droit romain et les ordonnances royales. C’estpourquoi on peut parler d’une survivance prolongée de tradition juridique nonécrite au niveau des tribunaux locaux73. De même que l’incapacité de signer n’ajamais empêché personne de souscrire un acte notarial, ni de recourir à l’écrit pourétablir un testament74, il existe des fragments de culture écrite, au sein de la cultureorale, dans l’Europe moderne aussi. Entre l’écriture et l’oralité, plutôt que declivages, il faut parler de points de contact, voire de zones de recouvrement75.

Il revenait aux capitaines de procéder à l’audience de mucanos, et de trancheroralement des cas locaux, en recourant au droit local, notamment aux moyens derecherches de preuves selon le mode africain. Le souhait exprimé par eux auprèsdes gouverneurs de pouvoir utiliser des formulaires « prêts à l’emploi », pour lescas qu’ils avaient à traiter et pour lesquels ils n’étaient pas préparés, en vint à fairedu formulaire une pièce centrale de l’administration coloniale en Angola au coursdu XVIIIe siècle76. Fixe, il contribua à « rigidifier » le droit ; formaliste, il en vint,d’une certaine manière, à s’y substituer. Il témoigne de la position des capitaines,à mi-chemin entre les sphères de l’écrit et de l’oral, du droit écrit et d’une pratiquejuridictionnelle non écrite.

Dans une information du gouverneur de Benguela sur les mucanos, il estspécifié que le tribunal présidé par le soba fonctionnait comme une première ins-tance, avec recours au gouvernement colonial : « Leurs requêtes, qu’ils appellentmucanos, de peu d’importance, sont traitées par le soba assisté de ses macotas etceux de son conseil ; quand une des parties en fait la demande, elles viennent enappel au gouvernement où la sentence rendue leur donne satisfaction ». Il est ensuiteexpliqué que la qualité de l’amende payée, pour réparation du crime, variait enfonction de la gravité de celui-ci : « Quand le mucano est important il vient tout desuite [en appel], et l’on paie une tête de bétail ou un muleque suivant une coutumetrès ancienne77. » Ce qui était en jeu ici est la coexistence entre le droit africain etle droit européen ; les autorités coloniales utilisaient ce qui, dans le droit africain,pouvait être mis à profit78.

73 - ANTONIO MANUEL HESPANHA, « Para uma teoria da historia institucional de AntigoRegime », in Poder e instituiçoes na Europa de Antigo Regime, Lisbonne, Fundaçao CalousteGulbenkian, 1984, pp. 9-89, ici p. 13.74 - Voir l’exemple de la Hongrie où, jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, l’appo-sition d’une croix, en lieu et place de la signature, au bas des contrats et des actessous serment était prévue par la formule « parce que tu ne sais pas écrire [...] » : ISTVAN

GYORGY TOTH, « Une société aux lisières de l’alphabet. La paysannerie hongroise auxXVIIe et XVIIIe siècles », Annales HSS, 56-4/5, 2001, pp. 863-880.75 - ROGER CHARTIER, « Culture écrite et littérature à l’âge moderne », Annales HSS,56-4/5, 2001, pp. 783-802, ici pp. 798-800.76 - AHNA, Codex 3018, « Lettre du capitaine Joaquim de Brito au gouverneur Saldanhada Gama, 2 septembre 1808 », f. 148.77 - AHU, Angola, Boîte 64, doc. 59, Benguela, 8 juin 1781.78 - Voir l’exemple du sud de l’Angola actuel, où les « chefs de poste » infligent uneamende payée en bœufs, selon le droit coutumier africain, et appliquent ensuite le 8 4 1

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Les procès de mucanos, que les capitaines étaient amenés à juger, leur per-mettaient d’exiger des paiements qui orientaient leur sentence. Les capitaineslaissaient traîner les affaires, alléguant le manque de telle ou telle pièce, pour neles reprendre qu’ultérieurement. Le paiement des charges liées à l’instruction duprocès était alors à nouveau exigé des parties en conflit. Mais rien n’était établidans la législation portugaise en ce qui concerne les émoluments que devaientrecevoir le capitaine, le tendala ou le greffier dans le cadre d’un jugement demucanos. La pratique s’était progressivement installée de payer en esclaves79 ouen beirames80 (pièces de toile fine de coton indien, qui servait de monnaie étalondans les échanges).

Ainsi, ce qui pouvait apparaître et être considéré comme des abus de pouvoirde la part des capitaines renvoie aussi à cette coexistence de droits et à l’inter-férence des juridictions81. La ratio decidendi et l’argumentation du capitaine diffé-rant de celles du tribunal présidé par le soba, le capitaine pouvait percevoir desamendes et des émoluments exorbitants, et retourner à son profit les logiqueslocales de la réciprocité82. Les deux principes économiques que sont la réciprocitéet la redistribution83 se trouvent ici subordonnés à la même logique mercantile84.L’échange de muleques, qui apparaît très souvent comme moyen de paiement dedettes, d’amendes, ou simplement comme formes de cadeaux, à l’intérieur des

droit de l’État d’Angola. RUY DUARTE DE CARVALHO, Aviso à navegaçao. Olhar sucinto epreliminar sobre os pastores kuvale da provıncia do Namibe com um relance sobre as outrassociedades agropastoris do sudoeste de Angola, Luanda, INALD, 1997, pp. 89-91.79 - Il revenait généralement au capitaine une ou deux pièces d’Inde (voir BEATRIX

HEINTZE, « Traite de pièces en Angola – ce que nos sources passent sous silence »,in S. DAGET (éd.), Actes du Colloque international sur la traite des Noirs, vol. 1, Nantes,Université de Nantes/Société française d’histoire d’outre-mer, 1988, pp. 147-172), augreffier un muleque et l’interprète un autre muleque, assorti de quelques présents (poules,porcs, chèvres...).80 - AHU, Angola, Boîte 49, doc. 7, « Lettre du capitaine d’Ambaca, 23 décembre 1764 ».81 - « L’ouvidor procède chaque année à l’examen de la police, cette dernière compre-nant l’ensemble des capitaines et des régents qui ont juridiction sur certaines maisonsconformément à leurs instructions et cette juridiction est la cause de grands désordresdu fait de la dépendance dans laquelle se retrouvent les misérables Noirs du sertao. [...]Ils les capturent pour les libérer en échange de quelques pièces » (AHU, Angola, Boîte79, doc. 66, « Enquête sur les capitaines et les régents, 1793 »).82 - GEORGE DALTON et KARL POLANYI, « Théorie économique et société primitive »,in M. GODELIER (éd.), Un domaine contesté : l’anthropologie économique, Paris-La Haye,École pratique des hautes études/Mouton, 1974, p. 193.83 - MAURICE GODELIER, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard,1984, p. 248.84 - « Quand ils demandèrent au capitaine de Quilengues de quoi il vivait, il réponditque dans cette province il était fréquent que les Africains vinsent présenter leurs dis-putes devant les autorités coloniales. Quant aux plaignants, ils amenaient des présentspour les offrir aux capitaines. Les accusés les épiaient pour en ramener ensuite de plusgrands. La sentence était finalement rendue en faveur de celui qui donnait le plus. Ainsile capitaine recevait ces dons à chaque fois qu’il rendait un jugement » (AHNA, Codex442, « Rapport du gouverneur de Benguela au gouverneur d’Angola, 21 mars 1802 »,f. 220v).8 4 2

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relations africaines, était détourné à leur profit par les capitaines directementengagés dans le trafic négrier.

Les accusations d’enrichissement constamment portées contre les capitainespeuvent ainsi être interprétées, non pas à la lumière de la rationalité européenne,où, malgré « l’économie de la grâce »85 exprimée dans les termes de la libéralité etde la munificence, la rationalité purement mercantile et son autonomie existentbien, mais en considérant leurs comportements comme une appropriation de cesformes d’intégration économique – propres aux sociétés dites archaïques –, quesont la réciprocité et la redistribution. La question du vol est, sur ce point, parti-culièrement éclairante. Au sud, dans la zone de Novo Redondo, où les structurescoloniales étaient confrontées à des sociétés pastorales, le vol de bétail occupe uneplace importante dans les relations de pouvoir et de dépendance. Il s’inscrit dansune dynamique de la réciprocité : quiconque s’approprie le bétail d’autrui s’exposeà être lui-même victime d’une action équivalente de la part de celui qu’il auralésé, justifié par avance à commettre cette action, ce qui entretient et reproduit lemécanisme86. Du point de vue colonial, le vol de bétail est un crime, et la détentionde celui-là n’est légitime qu’en cas de guerre juste. Sinon, il est considéré commeillégitime et le droit ordonne la restitution du bétail. Dans la documentation deNovo Redondo, émaillée de cas concernant la restitution de bétail, les capitainesfinirent par être impliqués dans cette logique de vol et contre-vol, appréhendéecependant d’un point de vue mercantile.

Ainsi, quand un capitaine de Novo Redondo vole cent vingt et un bœufs ausoba Gunza Cabolo, la signification de ce vol s’inscrit, dans le contexte endogène,dans les logiques de la réciprocité, mais, pour cet officier de l’administration, ilcorrespond à une logique d’accumulation de richesse, qui n’envisage pas de retourssociaux. Le gouverneur de Benguela amené à juger la plainte du soba, s’inscritquant à lui dans une rhétorique de la « guerre juste » : si des têtes de bétail ontété trouvées en terre amie, elles doivent être restituées ; si elles se trouvaient enterre ennemie, elles acquièrent le statut de prises de guerre et le capitaine esten droit de les conserver, sous réserve du versement du quint royal à la Fazendareal87. Nous avons ici une double interprétation d’une même institution : pour lesAfricains, le vol s’inscrit dans une logique sociale où le « banditisme » est régulé etcodifié, jusqu’à la guerre qui parfois en découle ; pour les capitaines, il est pratiquéd’un point de vue mercantile, instrumentalisant à cette fin et détournant à leurprofit cette pratique indigène.

85 - Concept développé par ANTONIO MANUEL HESPANHA, « La economıa de la gracia »,in ID., La gracia del Derecho. Economıa de la cultura en la Edad Moderna, Madrid, Centrode Estudios Constitucionales, 1993, pp. 151-176.86 - La documentation est particulièrement abondante en ce qui concerne le vol de bétailet ses fonctions sociales (voir AHNA, Codex 442, « Rapport du gouverneur de Benguelapour le gouverneur d’Angola sur la guerre de Quilengues, Benguela, 2 juillet 1803 »,f. 229).87 - Biblioteca Nacional de Lisboa [BNL], Reservados, Codex 8473, « Lettre deD. Francisco Inocêncio de Sousa Coutinho, 9 septembre 1769 », ff. 11 et 15 sqq. 8 4 3

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Le gouverneur, juge des libertés

Dans le domaine du jugement des libertés, la place accordée par le gouverneur auxquestions d’esclavage s’explique par des raisons de nature juridique, théologiqueet politique, car il traitait de la légitimité et de la vérification des titres de l’escla-vage. Les sobas pouvaient contester l’emprisonnement et l’esclavage illégitime deleurs propres esclaves ou de leurs sujets par des officiers ou des commerçants.L’Audiência de mucanos était saisie par ceux-ci et ceux-là en cas de conflit avec desofficiers de la Couronne et les commerçants88. A ce titre, les gouverneurs étaientgarants de la bonne harmonie avec les sobas vassaux89.

Le juızo de liberdades est propre au royaume angolais, de même qu’il reflètel’instabilité de l’état d’esclave. Liée à la possibilité de contester le statut illégitime-ment attribué, il révèle une adaptation de la justice coloniale au fonctionnementafricain de l’institution de l’esclavage. Et c’est la spécificité de l’institution, dansson contexte africain, qui obligea l’administration coloniale à instituer un tribunalchargé de résoudre les litiges qui en découlaient90. La justice portugaise, tout parti-culièrement en la personne du gouverneur de l’Angola, se voyait obligée de considérersimultanément les principes qui, dans le droit portugais, établissaient la légitimitéde l’esclavage – la grammaire de la guerre juste, les tributs payés par les chefs, lesdons, les remboursements de dettes et le commerce –, et les principes du droitindigène, régulateurs de cette même institution, à travers la présentation de preuvesvalides (prisonniers de guerre, rebelles, bandits, suborneurs)91.

Il faut ajouter qu’en marge du grand trafic d’esclaves, étaient soumis à l’arbi-trage du gouverneur des litiges renvoyant à l’esclavage interne et à des formes dedépendances les plus diverses. Ils donnent à voir la diversité des situations locales

88 - AHNA, Codex 322, « Lettre au Dembo Ambuila D. Joaquim Afonso Alvares, 14 mai1799 » : « [...] La plainte que vous présentez suivant laquelle ont été pris commeesclaves, dans cette capitale, des gens libres, qui sont vos sujets, est moins vraie, car ilapparaît de l’examen réalisé par le magistrat que la capture a été faite sur des esclavesvous appartenant en vertu de la sentence prononcée par l’ouvidoria pour la dette dontvous êtes redevable à Antonio da Mota Ferreira Guimaraes [...] », f. 57.89 - « AHU, Angola, Boîte 38, doc. 82 », Rapport du gouverneur D. Antonio Alvares daCunha, 29 octobre 1753 . Un cas exemplaire, remontant au XVIIe siècle, entre Ngola Ariet un capitaine portugais, concernant l’esclavage et la restitution de dix mille sujetsNdongo a été analysé par JOSÉ CURTO, « A restituiçao de 10 000 subditos Ndongo “rou-bados” na Angola de meados do século XVII: uma analise preliminar », in Escravatura etransformaçoes culturais. Africa – Brasil – Caraıbas, Actas do Coloquio Internacional, Universi-dade de Évora, 2001, Lisbonne, Editora Vulgata, 2002, pp. 185-208.90 - ALAIN TESTARD, « L’esclavage comme institution », L’Homme, 145, 1998, pp. 207-245, ici pp. 232 sqq. ; SUZANNE MIERS et MARTIN E. KLEIN (éd.), Slavery and colonialrule in Africa, Londres, Frank Cass, 1999, chap. III.91 - Sont appelés suborneurs ceux qui séduisent la femme d’un roi ou d’un chef(B. HEINTZE, « Traité de pièces... », art. cit., p. 155). Voir l’exemple du délit d’adultèrecommis avec la femme du Jaga Cassanje par un marchand, puni par la justice portugaise(AHNA, Codex 91, « Lettre au directeur de la foire de Cassange, 5 novembre 1805 »,f. 50).8 4 4

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de dépendance et de pouvoir de disposer d’autrui92. Nous donnerons ici deuxexemples qu’eurent à connaître les gouverneurs de Luanda, qui en venaient àjuger des pratiques de dépendance ou de semi-dépendance découlant de conceptset d’institutions spécifiquement africains. Le premier cas, qui se déroule dans uncadre se rapprochant davantage de ce que l’on appelle esclavage domestique, estcelui d’un sujet abdiquant sa liberté afin d’obtenir un bien nécessaire à sa survie.Quand la farine manquait à Luanda, à la suite du non-respect du règlement de lahalle au Blé, « d’innombrables Noirs » étaient obligés de se vendre, eux et leursenfants, pour une poignée de manioc. Ces cas étaient également traités par l’Audiênciade mucanos. Sous le gouvernement de D. Miguel Antonio de Melo, une telle conjonc-ture entraîna l’intervention du juge des libertés, le gouverneur ordonnant la restitu-tion de leur liberté aux plaignants93.

Le deuxième cas illustre la situation dans laquelle un individu est esclave depar sa condition matérielle, mais non par son statut juridique, puisqu’il continueà jouir de droits et à maintenir des relations avec ses parents, sans pouvoir êtrevendu par son maître94 : ainsi en est-il d’une femme qui avait été remise à un sobapar ses parents comme gage d’une dette95. Il ne s’agit pas ici d’esclavage pour dette,une pratique d’ailleurs très commune dans toute l’Afrique : c’est seulement si ladette n’était pas payée que la personne gagée pouvait se retrouver dans une situa-tion de totale dépendance et, partant, d’esclavage. Désirant la vendre, le soba reven-diqua la possession de cette femme à titre d’esclave. Ses parents, par l’entremised’un médiateur, vraisemblablement un Portugais lettré, portèrent l’affaire au tribu-nal. Le soba, ainsi accusé, dut se présenter au jugement. Les preuves réuniesconduisirent le gouverneur à juger qu’elle était libre et non esclave96.

Les ambiguïtés des procès

Exclusivement régis par le droit portugais, les procès se révèlent cependant eux-mêmes entachés d’ambiguïtés. Un exemple particulièrement significatif est celuid’une affaire impliquant un certain marquis de Mossulo accusé de contrebanded’esclaves97. Ce procès constitue un témoignage exemplaire de ce territoire del’ambiguïté qui existe dans les procès et témoigne de l’existence de vides juri-diques et de la distance existant entre le droit officiel (portugais) et sa pratique.

92 - Les deux ouvrages de référence pour l’étude de l’esclavage interne sont CLAUDE

MEILLASSOUX, Anthropologie de l’esclavage : le ventre de fer et d’argent, Paris, PUF, 1986, etI. KOPYTOFF et S. MIERS, Slavery in Africa..., op. cit., surtout l’introduction. Pour l’Angola,voir B. HEINTZE, « Traité de pièces... », art. cit., p. 154 sqq.93 - D. MIGUEL ANTONIO DE MELO, « Rapport du gouverneur d’Angola, 1802 », Boletimda Sociedade de geografia de Lisboa, 5e série, no 3, 1885, pp. 548-564, ici pp. 552-553.94 - Sur cette configuration de dépendance, voir A. TESTARD, « L’esclavage... », art. cit.,p. 51.95 - Sur la remise d’une personne comme gage (ou pawado), voir Ibid., p. 88.96 - AHU, Angola, Boîte 53, doc. 37, « Sentence de la Junta de justiça, 15 juin 1769 ».97 - AHU, Angola, Boîte 60, doc. 5, 31 mai 1774, « Procès ». 8 4 5

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Son intérêt tient à ce que l’argumentation de la défense, présentée par un avocatde la Santa Casa da Misericordia qui assurait gracieusement la défense des accusés,mobilise les modèles dogmatiques du droit érudit européen qui, depuis Bartole,ordonançaient la pratique juridique traditionnelle. Dans cette littérature érudite,le monde du droit oral est celui des rustiques98. Il n’est donc pas étonnant que leschefs africains aient été rangés dans cette catégorie, cités qu’ils étaient dansles correspondances administratives99, et que les pratiques juridiques dont ilsétaient porteurs aient pu être reçues et acceptées par le droit portugais, en tantque coutumes.

Bien qu’il ne soit pas question ici d’envisager la rhétorique développée parl’avocat, on ne peut pas manquer de souligner le fait qu’elle s’organise en recourantaux topoï sous-jacents au stéréotype forgé par la doctrine du ius commune : celui du« rustique », en oubliant complètement les modalités concrètes et en occultant lecadre juridico-politique de l’exercice du pouvoir colonial, à savoir les traités devassalité qui reconnaissaient les chefs africains comme des chefs d’État, les habi-litant ainsi à assumer des compromis politiques, et impliquaient des droits et desobligations réciproques. L’accusé, Melchior Clemente Domingos Martins, marquisde Mussulo, est présenté en ces termes par l’avocat :

Ce pauvre accusé est une personne si misérable, rustique et ignorante, qu’en plus de vivreau fin fond des forêts, où sa vie se limite à communiquer avec d’autres gens rustres de lacampagne, il ne sait pas distinguer les règles de la nature elle-même ni faire la différenceentre ce qui est bon et mauvais.

Cette définition est conforme à celle que donnaient Bartole et Baldus du rustique,quand ils reléguaient cette figure au monde rural : « Sont rustiques tous ceux quivivent en dehors des villes ou des terres importantes » ; Alejandro de Imola seréfère, quant à lui, aux attributs qui définissent le statut spécial des rustiques :l’ignorance et la grossièreté. Et l’avocat d’ajouter à propos du marquis : « De même,il manque de raisonnement, n’a guère de sentiment et ne peut pas comprendreles obligations auquel il est sujet, et, pour ces raisons, il semble devoir être excuséde quelque peine que ce soit [...]100. » L’argumentation suit à la lettre le texteérudit, tant et si bien que la défense est portée à conclure que l’accusé est incapablede répondre judiciairement, parce qu’il ignore le sens véritable de ce qui lui estdemandé : « Son erreur est clairement tangible, ainsi que son ignorance, n’étantpas vraisemblable qu’il connaisse l’interdiction, étant un Noir ignorant des lettres,et même de la langue portugaise101. »

98 - ANTONIO MANUEL HESPANHA, « Sabios e rusticos. La dulce violencia de la razonjuridıca », in ID., La gracia del Derecho..., op. cit., pp. 6-64, ici p. 17 sqq.99 - AHU, Angola, Boîte 63, doc. 59, « Lettre du gouverneur José Gonçalo da Câmara àMartinho de Melo e Castro, Luanda, 11 décembre 1780 ».100 - AHU, Angola, Codex 60, doc. 5, f. 49v.101 - Ibid., f. 50.8 4 6

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Face au rustique, le juriste a donc une attitude de sympathie, qui lui vientdu constat d’une espèce d’innocence primitive, en même temps que de condescen-dance devant son ignorance et sa stupidité102. Le rustique apparaît d’un côté commeune créature franche, ingénue et incapable de faire du mal, susceptible d’êtretrompée, et simultanément, comme un être ignorant et grossier, incapable de s’ex-primer correctement et surtout de comprendre les implications de la vie juridique.Le marquis, rustre et ignorant des lois pénales, s’exprimant d’une manière qui luiest propre, est finalement jugé inapte à prêter serment au tribunal. Or cet argumen-taire, au service des intérêts d’un justiciable, rompait avec les pratiques politiquesde la couronne portugaise. En effet, quelques années auparavant, le marquis deMossulo était traité comme un chef d’État, de la même manière que le gouverneurd’Angola. Il entretenait une correspondance, recevait des ambassades, et son pou-voir – comme sa capacité politique – était reconnu au point que des démarchesavaient été engagées pour le conduire à devenir vassal du roi du Portugal.

Finalement, le droit apparaît relatif, parce qu’il y a toujours un ordre prag-matique qui altère et détermine l’application pratique des droits invoqués. S’il estvrai que, dans l’histoire de l’administration de la justice d’Ancien Régime, la lecturedes sources exige de garder présente à l’esprit « l’incompatibilité entre, d’une part,les exigences institutionnelles des modèles de l’organisation juridique et judiciaireexistant dans les sources légales, et, d’autre part, la généralité des situationsvécues103 », l’ordre pragmatique rend plus évident encore l’artifice juridique quifonde et détermine l’action du colonisateur.

Le modèle du rapport féodo-vassalique, qui lie les rapports entre les chefs africainset le roi du Portugal et inspire les « traités de vassalité », continue d’être au fondementde la fiction juridique de la relation coloniale, et ce, encore à la fin du XIXe siècle.Pourtant, la réforme du système judiciaire en Angola, avec ses règles et pratiques,dans le cadre du projet des Lumières, fait basculer le rapport colonial vers un ordreadministratif, celui du gouvernement et de la police du royaume, au sens anciendu terme. Dans ce processus, la justice est le lieu, et le droit l’instrument, d’unedouble intégration et appropriation. D’un côté, la couronne portugaise reconnaîtle droit africain comme une coutume et s’appuie sur des pratiques locales pourdétourner à son profit les mécanismes esclavagistes. De l’autre, les populationslocales s’approprient l’institution judiciaire portugaise et ses règles juridiquesécrites, et, pour ce qui est des chefs, les utilisent pour reproduire leur autorité etleur légitimité. L’interaction est ainsi au fondement du lien colonial, renouveléet approfondi aux temps des Lumières, dans le cadre des réformes du marquis dePombal. La justice portugaise est l’institution qui s’est trouvée en positionde réguler et d’arbitrer les conflits entre sobas, investie de la tâche d’articuler etd’ordonner les relations sociales entre colons et chefs africains. En dernière analyse,

102 - A. M. HESPANHA, « Sabios... », art. cit., pp. 33-34.103 - Ibid., p. 25. 8 4 7

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le processus de colonisation doit être envisagé comme une double articulation delogiques indépendantes : celle des rapports entre colonisateur et colonisé ; cellede l’occidentalisation et de la préservation de la matrice indigène.

Catarina Madeira SantosInstituto de Investigacao Cientifıca Tropical/Universidade Nova de Lisboa

Traduit par Guida Marques

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