Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807) et la police des Lumières, ou comment lire les “ papiers...

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Au début de la Révolution, les réquisitoires contre la police d’Ancien Régime sont particulièrement violents et visent tout spécialement les deux lieutenants généraux de police, Sartine et Lenoir, restés en poste de longues années après 1750 1 . Lenoir, fidèle serviteur de la politique royale devient, avant même 1789, une figure emblématique du « despotisme ministériel » aux yeux de maints auteurs de libelles et de pamphlets politiques car il est associé à des épisodes marquants du conflit qui oppose la monarchie à ses parlements lors de l’affaire du parlement de Bretagne et de la réforme Maupeou (Sars, 1948 ; Vidier, 1924 ; Williams, 1979). Dès l’été 1789, Lenoir décide de partir pour un exil qu’il prolonge jusqu’en 1802. L’ancien lieutenant général s’estime très vite d’autant plus dif- famé que la prise de la Bastille a livré aux révolutionnaires une large partie des archives de la lieutenance générale de police, qui en publient des extraits comme autant de preuves à l’encontre d’une administration tyrannique et dévoyée (Manuel, an II). Mis en cause personnellement, consterné par l’effondrement d’une machine policière qu’il n’avait eu de cesse d’améliorer au cours de la première décennie du règne de Louis XVI, traumatisé par l’exil et par la chute de l’Ancien Régime, Lenoir avait toutes les raisons de vouloir prendre la plume pour se justifier. C’est donc dans ce contexte qu’il entreprend de rédiger ses « mémoires », sans doute dès 1790, l’œuvre entre- 1. Lenoir est lieutenant général de police à Paris une première fois entre 1774 et mai 1775, puis sans discontinuer de 1776 à 1785. Gabriel de Sartine le précède directement entre novembre 1759 et août 1774. JEAN-CHARLES-PIERRE LENOIR (1732-1807) ET LA POLICE DES LUMIÈRES, OU COMMENT LIRE LES « PAPIERS » LENOIR PAR Vincent MILLIOT V. Milliot in P. Laborier, F. Audren, P. Napoli & J. Vogel, dir., Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011.

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Au début de la Révolution, les réquisitoires contre la police d’AncienRégime sont particulièrement violents et visent tout spécialement les deuxlieutenants généraux de police, Sartine et Lenoir, restés en poste de longuesannées après 17501. Lenoir, fidèle serviteur de la politique royale devient,avant même 1789, une figure emblématique du « despotisme ministériel »aux yeux de maints auteurs de libelles et de pamphlets politiques car il estassocié à des épisodes marquants du conflit qui oppose la monarchie à sesparlements lors de l’affaire du parlement de Bretagne et de la réformeMaupeou (Sars, 1948 ; Vidier, 1924 ; Williams, 1979).

Dès l’été 1789, Lenoir décide de partir pour un exil qu’il prolongejusqu’en 1802. L’ancien lieutenant général s’estime très vite d’autant plus dif-famé que la prise de la Bastille a livré aux révolutionnaires une large partiedes archives de la lieutenance générale de police, qui en publient des extraitscomme autant de preuves à l’encontre d’une administration tyrannique etdévoyée (Manuel, an II). Mis en cause personnellement, consterné parl’effondrement d’une machine policière qu’il n’avait eu de cesse d’améliorerau cours de la première décennie du règne de Louis XVI, traumatisé parl’exil et par la chute de l’Ancien Régime, Lenoir avait toutes les raisons devouloir prendre la plume pour se justifier. C’est donc dans ce contexte qu’ilentreprend de rédiger ses « mémoires », sans doute dès 1790, l’œuvre entre-

1. Lenoir est lieutenant général de police à Paris une première fois entre 1774 et mai 1775,puis sans discontinuer de 1776 à 1785. Gabriel de Sartine le précède directement entrenovembre 1759 et août 1774.

JEAN-CHARLES-PIERRE LENOIR (1732-1807)

ET LA POLICE DES LUMIÈRES,

OU COMMENT LIRE LES « PAPIERS » LENOIR

PAR

Vincent MILLIOT

V. Milliot in P. Laborier, F. Audren, P. Napoli & J. Vogel, dir., Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011.

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prise restant inachevée à sa mort en 1807 et jusqu’à ce jour inédite à peu dechoses près2.

Les « papiers Lenoir » sont aujourd’hui rangés dans trois boîtes conser-vées dans le fonds ancien de la médiathèque d’Orléans et ils représentent unensemble de 2673 feuillets qui sont restés longtemps non inventoriés avecprécision. Une quatrième boîte comprend la copie manuscrite du Mémoiresur la police de Paris que le commissaire Lemaire rédige à la fin des années1760, à la demande du lieutenant général Sartine, en réponse à un question-naire adressé à la France par la Cour de Vienne, soucieuse de réfléchir auréemploi possible du « modèle » policier parisien3. Lenoir a d’abord songé àéditer le texte de l’ancien commissaire, avec des annotations et des complé-ments, pour couper court aux « fables » des révolutionnaires. Cet ensembleest loin de constituer une source inconnue pour les historiens.Fréquemment cités, utilisés de manière fragmentaire, les « papiers » Lenoirreprésentent une collection de notes assez largement tenues en suspicion4.Leur caractère excessivement apologétique, l’idéalisation de la situation de lapolice parisienne à la veille de la Révolution sous la plume de l’ancien lieute-nant général, sont des motifs invoqués pour justifier cette longue méfiance.La nature du document reste malaisée à cerner : la subjectivité blessée del’auteur s’exprime en plusieurs endroits faisant pencher le texte vers l’œuvredu mémorialiste, mais la matrice administrative qui organise le proposdemeure omniprésente. Le texte prétend aussi contribuer à définir, à traversla peinture de ce qui fut, les préceptes d’une police efficace. De statut hybri-de, difficile à déchiffrer, posant maints problèmes de datation parfois inso-lubles, on comprend la gêne que ce texte suscite.

Une manière d’en sortir est peut-être de ré-interroger le projet deLenoir, de le lire comme un accès possible à un projet politique, idéolo-gique et administratif visant à définir la police et à réorganiser son adminis-tration selon des principes rationnels. Ce projet est ravivé, gauchi par lesconséquences de la Révolution ; sa mise en un texte récapitulatif elle-mêmeest déclenchée par l’événement, mais il s’inscrit en réalité, à travers d’autrestextes comme à travers un certain nombre d’orientations pratiques, dans leplus long terme du développement de l’administration au XVIIIe siècle etdes débats que l’organisation de l’État suscite. On peut donc essayer decomprendre dans quelles conditions, il s’agit là d’un document de bonneprise pour l’historien qui s’interroge sur l’organisation et le fonctionnementde la police d’Ancien Régime, un document qu’il faut mettre en regardd’autres textes porteurs de réflexions sur les pratiques policières, qu’il faut

2. Deux passages ont été plus particulièrement transcrits ; le titre V « Les vivres » quiévoque l’épisode de la Guerre des farines, et le Titre XII « De la police judiciaire et de la poli-ce administrative » , voir Ljublinski (1979 : 355-365) ; Darnton (1969 : 611-624 ; 1970 : 532-559).

3. Les « papiers » Lenoir sont conservés à la Médiathèque municipale d’Orléans, fondsancien, Mss 1399-1402 ; La Police de Paris en 1770. Mémoire inédit composé par ordre de G.de Sartine, sur la demande de Marie-Thérèse, notes et introduction par Gazier (1879).

4. Lefebvre (1927 : 300-301) ; autre présentation dans Vidier (1924). Même méfiance chezGhoul (1996).

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aussi confronter aux archives produites par les lieutenants généraux et parleurs subordonnés.

La tâche est ambitieuse et l’on se contentera ici de présenterquelques remarques sur la compréhension renouvelée que l’on peutavoir des « papiers » Lenoir. On peut d’abord essayer de débrouiller lanature du projet de Lenoir ; puis s’essayer à mieux comprendre les papiersde l’ancien lieutenant général de police depuis les considérations matériellesqui aident à mettre en ordre un manuscrit largement resté à l’état debrouillon, en passant par une interrogation sur les méthodes de travail et lessources de Lenoir. Enfin, au-delà des anecdotes sur la vie politique et sur lacapitale que le texte présente, au-delà des jugements d’opinion qui s’expri-ment çà et là, on peut tenter de lire ce texte comme un texte engagé qui pré-sente une certaine conception de la machine policière et qui souligne le rôlede cette construction dans la préservation d’un certain ordre social.

CCoommpprreennddrree llee pprroojjeett ddee LLeennooiirr

La première manière de considérer les « papiers » Lenoir consisterait àles replacer au sein du vaste ensemble des écrits de mémorialistes, nés de laRévolution française (Rance, 1999 : 245-262 ; Fierro, 1988 ; Tulard, 1991 ;Vidalenc, 1969 ; Godechot, 1961). Le terme « mémoires », rappellel’Encyclopédie, est employé pour « signifier des histoires écrites par des per-sonnes qui ont eu part aux affaires ou qui en ont été témoin oculaire »(Diderot, 1751-1765 ; Juratic, 1988 : 5-48). L’article de l’Encyclopédie préci-se encore que « ces sortes d’ouvrages contiennent, outre quantité d’événe-ments publics et généraux, les particularités de la vie et les principalesactions de leurs auteurs ». Certains de ces textes peuvent passer pour debonnes instructions destinées aux hommes d’État, ainsi les mémoires deSully ou du cardinal de Retz.

À s’en tenir là, le texte de Lenoir ne correspond que partiellement à ladéfinition des encyclopédistes et occupe une position paradoxale. La déci-sion d’écrire apparaît liée au traumatisme révolutionnaire. Face à un espacepublic occupé par les contempteurs de la police de Louis XVI, spécialementaprès juillet 1789, Lenoir choisit de dire « sa » vérité. À ceci près qu’ilcherche à atténuer l’aspect purement subjectif de son récit et qu’il s’agit tou-jours moins pour lui d’écrire sa vie que de peindre une institution à laquelleil s’identifie. Dans ce texte donc, nul pacte autobiographique ; force est de lesituer en position marginale d’un genre littéraire, les mémoires. Pour autant,il est difficile d’y voir un simple traité administratif type traité de Delamareou mémoire du commissaire Lemaire. Il faut admettre d’emblée que cetexte réunit potentiellement un double héritage.

Du « secret » policier à l’obligation de transparence

Au moment de la Révolution, la mauvaise réputation de Lenoir auprèsde certaines franges de l’opinion résulte d’une sédimentation qui a accompa-

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gné les différentes étapes de sa carrière. La nouveauté tient ici à l’obligationde se justifier qui s’impose à lui.

Jeune robin, il a poursuivi son ascension au sein de la juridiction royaledu Châtelet à partir du début des années 1750. Il accède en 1765 au corpsdes maîtres des requêtes. C’est à partir de cette étape que l’on commencevéritablement à lui faire des reproches en raison de son implication dans latentative de règlement de l’Affaire du Parlement de Bretagne. Il est alorsl’un des douze membres de la commission présidée par Calonne, chargéede juger le procureur du Parlement de Bretagne La Chalotais et de ramenerle calme. Au moment de la réforme des Parlements du chancelierMaupeou, il est également commis auprès du Parlement d’Aix pour la faireappliquer. Dans la littérature pamphlétaire, Lenoir apparaît comme l’un desfourriers du « despotisme ministériel ». Un personnage aux fortes convic-tions comme le libraire parisien Hardy, grand défenseur des magistrats etassez peu aimable envers la police, ne manque jamais de rappeler dans sonjournal cette « tache originelle »5.

En tant que responsable de la police parisienne, il est ensuite frappé parla politisation des questions qui touchent certaines de ses attributions essen-tielles, notamment la réglementation du marché des grains et des farines,depuis l’épisode Laverdy en 1763-1764, puis celui du ministère Turgot(Kaplan, 1976). Dévastateur dans les cercles plus larges de l’opinion est lefait que le lieutenant général de police apparaisse, dès ce moment, lié à larumeur de « complot de famine ». Elle souligne cruellement à traversl’implication du chef de la police, la rupture du pacte entre un roi-nourricieret ses sujets, même si Lenoir est loin de partager les options dérégulatricesde Turgot. En 1789, Manuel dans la Police dévoilée se fait encore l’écho decette accusation. Lenoir, lieutenant général de police incarne donc la miseen œuvre d’une politique dévoyée, arbitraire et corrompue, sans légitimité.

À cela s’ajoute un troisième front, secondaire en apparence, mais en faitdécisif dans la mesure où il contribue à mobiliser toutes sortes de plumitifset de « Rousseau du ruisseau » dans les causes qui salissent la réputation dumagistrat (Darnton, 1982 ; Maza, 1997). Comme lieutenant général de police,Lenoir exerce son contrôle sur la publication et la diffusion de l’imprimé ; ilparticipe également à l’obtention de certaines prébendes au sein de laRépublique des Lettres par la recension des gens de lettres, effectuée dansses services, par les fiches de police qu’il transmet et par ses avis (Darnton,1985 : 137-176 ; Darnton, 1990 : 69 et s. ; Juratic, 2003 : 48 et s.). Pire enco-re, il offre à certains le moyen de subvenir à leurs besoins en travaillant pourla police, humiliation et tâche dont il faut impérativement se laver lors de laRévolution (Darnton, 1968 : 301-327). La figure de Lenoir est donc associéeaux débats qui portent sur la liberté d’opinion et sur le blocage de touteascension au sein de la République des Lettres, gangrenée par de nouveauxprivilèges.

5. Hardy S.-P., Mes loisirs ou Journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connais-sance, BNF Mss 6682, 11 juin 1776, fol. 232 ; BNF Mss 6685, 13 juin 1785, fol. 128-130.

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Enfin, au-delà des classiques de la critique contre la police, réputée tirerprofit des vices comme le jeu ou la prostitution, au-delà des attaques per-sonnelles et ordurières, caractéristiques de la littérature pornographico-poli-tique de la fin de l’Ancien Régime, les dénonciations portent trèsprécisément sur les évolutions de la police depuis un siècle6. Là est sansaucun doute l’essentiel de ce qui se joue.

Les critiques réagissent sur le fond à un processus de centralisation et debureaucratisation de l’administration policière. Dans la Police dévoilée,Manuel dénonce ces lieutenants généraux qui ont abandonné la chose com-mune à des commis et à des secrétaires. Il raille cette manie de conserveravec scrupule tout ce qui s’écrit « jusqu’aux copies, jusqu’aux brouillons, nefût-ce que pour former cette longue suite de cartons, bien étiquetés, biennumérotés, bien alignés, cette morte symétrie qui étonnait le regard et l’intel-ligence des passants ». De telles critiques visent à la fois le développementde l’administration centrale de la police, ces bureaux de la lieutenance surlesquels Berryer (1747-1757) et ses successeurs s’appuient effectivement deplus en plus (Hurtaut et Magny, 1779 : 78 ; Peuchet, 1789-91 : 640 et s. ;Chassaigne, 1975 : 150-156). Elles visent aussi le développement de la policeactive depuis l’époque de d’Argenson (1697-1718) qui a fait des inspecteursde police et de leurs informateurs, chargés de faire exécuter les ordres duroi, les symboles de l’arbitraire et du contrôle généralisé (Piasenza, 1990 :1189-1216). Manuel s’en prend également à la prétention de la police deParis qui veut « correspondre avec toute la France », étendre son contrôle,voire ses capacités d’enregistrement sur toutes les personnes du royaume etdonner le « la » à l’ensemble des provinces. Surtout, ces critiques ciblées surles pratiques d’une administration surviennent dans un contexte nouveau quiplace les droits des citoyens, libres et égaux, en regard de l’arbitraire de lapolice d’Ancien Régime, parfaitement illustrée par l’usage discrétionnairedes lettres de cachets.

La Révolution ouvre donc en grand ce que Lenoir appelle les « vannesde la calomnie ». Le pillage des archives de la lieutenance générale de poli-ce, conservées à la Bastille depuis le début du XVIIIe siècle et leur publica-tion partielle par Manuel fait brutalement sortir la police, ses pratiques,certains de ses agents, du cadre du « secret » du gouvernement royal. La poli-ce devient un objet de débat public, parce que pour fonder une police « phi-losophique », il faut d’abord dénoncer haut et fort les abus du despotisme.Lenoir consent à descendre dans l’arène publique avec réticence, « par res-pect », dit-il, « d’une opinion publique » (Lenoir, 1787 : 3-5). Avec la mon-tée des critiques, l’urgence devient telle qu’il ne peut plus surseoir.

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6. L’Apologie de Messire J.C. Pierre Lenoir (…), 2e édition, Paris, Imprimerie de la biblio-thèque du Roi, 1789, in-8°, 86 p., que l’on doit à la plume de Suard qui fait de Lenoir un alliéde la coterie des anti-philosophes, rassemblée autour d’Élie Fréron, ennemi de Voltaire et res-ponsable de L’Année littéraire ; Masseau (2000). Sur la corruption de la police par l’argent duvice, Freundlich (1995).

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La confusion des buts ?

L’avant-propos et l’introduction au manuscrit tels qu’ils auraient pu êtrepubliés, attirent d’emblée l’attention sur la diversité des objectifs poursuivispar Lenoir. Par son récit et par la mise au jour de certains événements, ilveut faire apercevoir « quelques-unes des causes de la Révolution actuelle ».D’un autre côté, il souhaite « découvrir des vérités sur une administrationavec laquelle on (l’a) identifié pour tous les torts réels ou supposés dont on avoulu l’accabler ». Il souhaite montrer les « progrès d’une belle machine »,dont la renommée européenne n’était pas l’effet de l’illusion. Il renonce àdresser la genèse ancienne de cette administration pour faire un « tableau dela police au temps de l’administration de M. de Sartine ». Et il se proposed’évoquer les ajouts, les transformations survenues depuis, et de présenterses « considérations sur l’administration de la police générale considéréesous les rapports qui peuvent intéresser l’ordre social, les corps politiques etle gouvernement ». Lenoir rompt, et c’est essentiel, avec la perspective histo-rique adoptée par Nicolas Delamare dans son Traité, avec celle des articlesencyclopédiques. Il privilégie une contribution en prise sur l’actualité. S’ils’agit bien pour lui de se justifier, il ne s’agit plus de fonder historiquementla police. Son souci est de décrire « ce qui a été perdu » et qui n’était ni siindigne ni si despotique, et d’offrir, enfin, une réflexion sur ce que peut êtrela police. Cette dimension prévaut finalement.

Mais la tâche annoncée est rude et surtout embrouillée : il lui faut à lafois se laver des accusations personnelles portées contre lui, faire com-prendre comment fonctionnait concrètement la machine policière dont ileut la charge pour faire justice de son caractère prétendument arbitraire et,enfin, apporter des réponses proprement politiques aux critiques qui visentla police d’Ancien Régime, une construction institutionnelle et juridiqueétroitement associée à la monarchie « absolue ».

Surtout, la « table rase » apparente de la Révolution, les efforts de remiseen ordre du Consulat et de l’Empire, l’éloignement définitif de Lenoir àl’égard de toutes responsabilités administratives brouillent finalement lesenjeux, atténuent l’urgence de la plaidoirie par rapport à la fin des années1780 alors que la rédaction des « mémoires » s’étale sur plus d’une dizained’années. Dès lors comment peut-on lire, comment peut-on comprendre leprojet qui était celui de Lenoir ?

Une deuxième piste : la matrice administrative

Dans son introduction, l’ancien lieutenant de police affirme qu’il vasuivre le plan du « tableau véridique de l’administration de la police » rédigépar le commissaire Lemaire, en respectant le même ordre des matières, lui-même hérité du Traité de la Police, pour éviter toute confusion. De ce pointde vue, Lenoir se place, d’emblée, dans la continuité d’une culture adminis-trative et institutionnelle. L’ancien lieutenant de police dispose de la copiefidèle du manuscrit de Lemaire, enrichie de compléments rédigés vers 1780et qui ne figuraient pas dans le mémoire remis à Sartine au début de l’année

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1770. Le premier aspect du projet consiste à donner une version impriméede ce manuscrit, resté inédit, et dont plusieurs copies circulent, afin de cou-per court à toute falsification, en ajoutant simplement « des notes qui ontpour but de relever quelques incorrections, d’indiquer quelques change-ments (…), de désigner des règlements tombés en désuétude et de faireconnaître de nouveaux établissements »7.

Mais Lenoir qui a déjà offert un complément imprimé au travail deLemaire en 1780, veut aussi aller au-delà (Lenoir, 1780). Il décrit sonpropre ouvrage comme une suite enrichie de suppléments sur des « objetsnouveaux ». Lenoir part de la nécessité « d’exposer clairement et succincte-ment, l’ancienne tactique d’une bonne police qui n’existe plus et dont les res-sorts sont brisés », pour s’élever ensuite à une réflexion plus générale sur lapolice. Ce faisant, Lenoir n’hérite pas simplement d’un cadre pour exposerses connaissances et ses réflexions sur la police. Il a très probablementconscience de couronner un édifice, un cycle de publications et de travauxinspirés par le développement de l’administration de la police parisiennedepuis 1667 (cf. Milliot, Quand la police prend la plume... infra). Son projets’inscrit, à n’en pas douter, dans une série de mémoires administratifs et detraités, imprimés ou demeurés à l’état de manuscrit, brefs ou imposants, maisparmi lesquels on peut compter l’ouvrage de Delamare, ou encore le Traitédes fonctions des commissaires de Sallé, voire l’utopie policière de Guillauté(Seznec, 1974). Tous sont susceptibles d’armer « une » culture policière, quin’est pas forcément partagée par toutes les instances qui prétendent exercer despouvoirs de police (les parlements, les corps de ville…), mais que l’on pourraitdéfinir ici comme un ensemble de principes tournés vers le service du bienpublic, justifiés par un corps de textes réglementaires et juridiques, expérimen-tés pratiquement et portés par un groupe d’officiers aux fonctions de plus enplus spécialisées. Tous ces ouvrages constituent les différents niveaux d’un outildocumentaire, en voie de perfectionnement, relié au développement d’uneadministration qui entend aussi réfléchir sur elle-même.

Plus largement, il faut réinsérer le travail de Lenoir, sorte de synthèserétrospective qui se voudrait aussi prospective, au cœur d’une pratiqueadministrative conduisant à compiler les règlements et les actes de jurispru-dence, à rédiger des rapports, à produire des mémoires sur des sujets parti-culiers, à rassembler par écrit un certain nombre de constatationsempiriques pour mieux agir, bref à constituer le savoir utile de l’adminis-tration policière. Lemaire présente à Lenoir son ouvrage comme étant le« résumé de plusieurs mémoires », de notes, remis à Sartine par des com-missaires et des inspecteurs de police8. Lenoir est toujours tributaire de cette

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7. On compte aujourd’hui trois copies du manuscrit du commissaire Lemaire. Il y a toutd’abord celle qui sert de support à l’édition qu’en donne A. Gazier en 1879, cf supra, note 3 etdont l’original constitue la pièce 92 du tome 181 des Papiers Grégoire, conservés à laBibliothèque de Port Royal. La Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) en possèdeune copie sous la cote Ms CP 5178. L’ultime version est celle qui figure dans les papiers deLenoir, à la médiathèque d’Orléans, fonds ancien, sous la cote Mss 1402. Ce texte diffère decelui édité par Gazier, on y trouve les ajouts rédigés par Lemaire dans les années 1780 et desnotes de Lenoir, voir Kaplan & Milliot (2006).

8. Lenoir (J.C.P.), Mémoires, Médiathèque Orléans, fonds ancien, Mss 1402, fol. 157.

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démarche intellectuelle qui était au cœur de ses anciennes responsabilités. Ilrevendique fréquemment dans son texte, les acquis d’une longue pratique,par opposition aux constructions théoriques des « faiseurs de projets » et deshommes à « l’esprit de système ». Et c’est pourquoi la quasi-absence depapiers de référence, hormis le Mémoire sur la police de Paris le gêne sansdoute au point d’hypothéquer finalement son projet, condamné au seulsecours de sa mémoire et à une certaine abstraction.

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La méthode de travail de Lenoir n’est pas aisée à reconstituer ; il semblequ’il ait pu utiliser des secrétaires si l’on en juge par la diversité des calligra-phies sur le manuscrit. Ses brouillons montrent qu’il a procédé par accumu-lations de notes fragmentaires, sur divers sujets, progressivement mises aunet et intégrées, re-travaillées dans le cadre fourni par le mémoire du com-missaire Lemaire. Il faut à la fois prendre en compte l’inachèvement de cemanuscrit toujours en train de s’écrire et s’interroger sur ce qui a pu nourrirla réflexion de l’ancien lieutenant général de police.

L’inachèvement du manuscrit

L’essentiel du texte, réunit dans deux premiers dossiers, se composed’abord de 14 titres ou chapitres qui reprennent l’ordre de l’ouvrage publiépar le commissaire Lemaire9. Ils traitent de l’administration de la policeparisienne depuis la Religion (Titre I), jusqu’au fonctionnement de la policejudiciaire et administrative (titre XII à XIV) en passant par l’approvisionne-ment de Paris, le commerce, les arts et métiers, la mendicité, etc…

Pour chaque titre, on trouve une sorte d’état « au propre », plus oumoins prêt pour la publication, ainsi que les brouillons, les états intermé-diaires, les repentirs de Lenoir10. Chaque titre est constitué de deux parties,l’une portant sur l’Ancien Régime et l’autre sur la période napoléonienne,permettant de juger les évolutions survenues dans l’administration de laPolice depuis 1789. La rédaction s’est étalée sur plusieurs années, entre1790, date de l’envoi du mémoire de Lemaire - certains fragments datant de1789 - et 1806, sans que l’on sache exactement quand Lenoir s’est arrêté.Une page de garde affirme que la seconde partie des « Mémoires » a étérédigée entre 1802 et 180611. Cette dernière partie relève plus souvent dujugement « d’opinion » que de l’analyse raisonnée des institutions.

9. Le manuscrit de Lenoir côté 1399, Médiathèque Orléans, fonds ancien, comprendnotamment les titres I (Religion) à V (Voirie) et les brouillons de l’introduction et de l’avant-pro-pos. Le manuscrit 1400 comprend les titres VI (Sûreté) à XIV (Police administrative).

10. Les papiers Lenoir et les états « au brouillon » sont parfois difficilement déchiffrables,sur les conditions de leur utilisation Milliot V. (2002), Les « Mémoires » de J.-C.-P. Lenoir(1732-1807), lieutenant général de police de Paris, texte transcrit, annoté, présenté, dossier envue de l’obtention de l’HDR, Université de Paris 1, vol. 2.

11. Lenoir, Mémoires, op. cit, Mss 1399, fol. 68-69 et fol. 74-76.

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Un volume de « notes diverses » rassemble les états préparatoires desquatorze titres qui forment les « mémoires » à proprement parler12. On ytrouve également des « Mélanges » ou essais qui semblent résulter de com-mandes, à l’origine jamais spécifiée. Ils témoignent peut-être de la volontéqu’avait l’ancien lieutenant de police de continuer à jouer un rôle d’expertau temps de la réorganisation napoléonienne, dont il ne dit pas que du mal.Ces mémoires consacrés à des points particuliers coïncident assez bien avecles sollicitations dont Lenoir fait l’objet depuis son exil et qui émanent deLondres, de la cour de Vienne ou encore du Tsar Paul Ier. L’ancien lieute-nant de police continue à croire dans les vertus d’un « modèle parisien » qui,de Vienne à Naples, de Madrid à Bruxelles, de Londres à Milan faisaitl’objet d’un débat et d’une controverse avant même la Révolution13.

La confrontation des différents états autorise plusieurs constats. Les cinqpremiers titres des mémoires présentent des états au net, puis à partir dutitre VI, la qualité du manuscrit se dégrade. Lenoir a accordé une importan-ce particulière aux chapitres qui mettent en jeu sa conception de la police, laprésentation de son organisation et de son fonctionnement avant 1789. C’estpourquoi le titre VI consacré à la « Sûreté », essentiel pour la définitiond’une police détachée de ses formes juridictionnelles anciennes, est l’un desplus longs (390 folios) tant s’accumulent les ajouts, les corrections, les réécri-tures. Alors que plusieurs titres suivants sont particulièrement inaboutis, lestitres XII à XIV qui traitent de la police judiciaire et administrative, de sesfonds et de ses dépenses sont de nouveau plus fournis, sans être pour autantmieux établis.

Nombre de ces passages consacrés à la « manutention de la police » sontdélicats, car, au-delà de l’explication d’un fonctionnement administratif, ilsportent sur des points controversés de l’activité policière au cours du XVIIIe

siècle. Le titre VI consacre ainsi de longs développements aux lettres decachet, aux multiples procédures administratives qui les accompagnaientpour répondre à l’accusation d’arbitraire.

Les corrections témoignent également d’une certaine logique. D’un état àl’autre, l’évolution se fait dans le sens de la concision ; Lenoir supprime lesremarques anecdotiques, trop personnelles ou trop politiques. La versionrestée au brouillon du titre VII (Commerce et Arts libéraux) commence parune vive critique du régime des corporations que ne désavouerait pas unéconomiste libéral. La version définitive euphémise ces critiques, apparem-ment pour mieux défendre le système réformé et « intermédiaire » d’août1776 qui demeure distinct du régime libéral pur (Kaplan, 2001 : ch. IV etV). Comme en d’autres passages, les aspects les plus historiques de ladémonstration sont simplifiés et atténués. Ce travail de lissage donne parfois

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12. Médiathèque Orléans, fonds ancien, Mss 1401.13. Ainsi ce Mémoire pour servir à le réorganisation de la police de Paris, Lenoir,

Mémoires, op. cit., Mss 1401, IIIe partie, fol. 119-136. Pour approcher le débat européen surla réforme de la police au temps des Lumières, voir Denys (2003 : 807-826) et Marin (2005).Pour les réserves anglaises à l’égard du modèle policier continental, Colquhoun (1800) ; Palmer(1988) ; Reynolds (1998).

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un résultat très allusif et appauvri ; il n’obéit pas seulement à la volonté desupprimer ce qui serait trop daté. La manière dont Lenoir se représentel’impact de son texte, une fois imprimé, peut se lire ici. Il évince de la ver-sion publiable de son manuscrit les aspérités les plus politiques, celles quirisqueraient d’associer le régime impérial avec lequel il semble prêt au com-promis et son hostilité foncière à la Révolution. Enfin, le manuscrit présentedes imprécisions plus ou moins volontaires. Dès son introduction, Lenoirinsiste sur son devoir de réserve afin de préserver l’honneur des familles,d’où l’usage qu’il fait de formes anonymées. Toutefois, les défauts de samémoire peuvent aussi justifier le flou et les erreurs de dates en certains pas-sages. La qualité des informations qu’il transcrit pose aussi la difficile ques-tion de la documentation qui était à sa disposition.

Les sources de Lenoir

On peut d’abord tenter de cerner quelques-uns des centres d’intérêt deLenoir grâce au catalogue de sa bibliothèque, imprimé en 1782 ; elle réunitenviron 1300 titres d’ouvrages, auxquels il faut ajouter 580 brochures14. Maisil est difficile de savoir quels sont les livres restés à sa disposition lors desphases de rédaction du manuscrit, en exil ou à son retour en 1802.L’ensemble est assez peu original par rapport aux bibliothèques des magis-trats éclairés de la fin du XVIIIe siècle (Marion, 1978 ; Chartier & Roche,1987 : 165-222). Lenoir est curieux d’Histoire et de « Métaphysique »,ouvert aux Sciences et Arts et aux nouveautés littéraires, ce qu’il faut étendreaussi aux livres interdits et clandestins, qu’il ne lit pas forcément uniquementpar « obligation de service » (Darnton, 1991 ; Darnton, 1995a et 1995b).

Nombreux sont également les ouvrages de Jurisprudence, à vocation pro-fessionnelle, comme il est fréquent dans les bibliothèques des magistrats etdes gens de robe. Ils sont parmi ceux qui ont pu avoir un impact direct surle projet de Lenoir, sur sa pratique et sur ses conceptions de la police.Quelques-uns ont une finalité utilitaire ou invitent à de plus hautes spécula-tions. Aux côtés d’auteurs attendus comme Delamare ou Muyart deVouglans, aux côtés des recueils de jurisprudence et des coutumiers divers,il y a sur les rayonnages, Puffendorf, Grotius, Locke ou Montesquieu, maisl’absence de Beccaria reste notable. Plusieurs titres témoignent de l’implica-tion de Lenoir dans les réflexions menées à la fin de l’Ancien Régime enfaveur de la réforme de la procédure criminelle et de son humanisation.Dans le détail, cet ensemble traduit aussi l’attention portée aux rouages del’administration policière, aux institutions avec lesquelles la police entretientdes rapports réguliers, comme la compagnie des notaires ou la maréchaus-sée15. Ainsi trouve-t-on mention du Traité des fonctions, Droits et privilèges

14. Catalogue des livres qui composent la Bibliothèque de M. Lenoir, conseiller d’État,Lieutenant général de police, A Paris, de l’imprimerie de Valade imprimeur-libraire de Mgr lelieutenant-général de police, 1782, BNF impr. Q. 2038.

15. Les multiples conflits que les chevauchements de compétence occasionnent entre lesdivers officiers chargés du « maintien de l’ordre » en sont la cause, voir les récriminations descommissaires au Châtelet dans AN Y 17309 et Y 17313 et plus généralement, BNF, Mss FF,coll Joly de Fleury 1311.

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des commissaires au Châtelet de Paris, publié par Sallé en 1759, ou encoreun manuscrit in-folio de 1776 sur les Attribution(s) des commissaires auChâtelet de Paris. Lenoir ne néglige pas les aspects très concrets de la manu-tention de la police et du travail administratif, comme le signale ce Traité surla preuve par comparaison d’écritures, publié à Paris par Vallain, en 1761.

Les rayonnages de Lenoir attestent également de sa curiosité à l’égarddes controverses et de l’actualité ; ses notes signalent d’ailleurs l’usageconstant qu’il fait de la presse, même si ses références sont peu précises. Sacollection de brochures fait écho aux thèmes développés dans les mémoireset qui sont aussi des points saillants de son administration. Des questions quiont suscité des demandes d’expertise ou des échanges un tant soit peu suivisentre la lieutenance générale et des institutions scientifiques ou acadé-miques, des problèmes qui ont appelé une réglementation nouvelle ou desajustements de règles plus anciennes, des points qui ont donné lieu à des ini-tiatives spécifiques de la police ou qui ont fait l’objet de controverse, onttous laissé une trace sur les rayonnages de Lenoir, qu’il s’agisse des ques-tions de réglementation des grains, de la lutte contre le mal vénérien, de lamendicité, de l’usure et du Mont-de-Piété, de l’allaitement mercenaire, de lasalubrité et de la santé publiques (Milliot, 2004 : 32-41). Nombre de cestextes - réflexions, mémoires, discours académiques, rapports imprimés -illustrent la volonté de dialogue entre science et administration qui animaitLenoir, signalent ses aspirations philanthropiques ou ses préoccupationsplus politiques, celles de la réforme des Parlements et des finances, parexemple16.

La bibliothèque de Lenoir a donc constitué un instrument de travail per-manent, qui s’est enrichi aux différentes étapes de sa carrière. Mais unegrande incertitude demeure, quant à sa mobilisation possible pendant lesannées de l’exil. Il faut donc évoquer un second cercle de sources, celui des« papiers de la police ». En raison des explications de Lenoir lui-même, onsait que sa source principale est la copie du Mémoire sur la police de Parisen 1770 qui lui a été adressée. Les rares bribes de sa correspondance avecLemaire au début de la Révolution tendent à montrer que Lenoir aurait sou-haité se faire expédier des documents de son administration et qu’il auraitpu solliciter le concours de certains de ses anciens subordonnés, hommes deconfiance ayant exercé des fonctions soit dans les bureaux de la lieutenancegénérale, soit au sein de la compagnie des commissaires ou des inspecteursde police17. De rares fragments laissent entendre que Lenoir a pu récupé-rer des rapports transmis au lieutenant général par des inspecteurs, ainsi ce« relevé de différentes notes fournies » qui concerne « des hommes de tout

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16. Dans le cas de la police, les rapports science et gouvernement sont à reprendre. Brian(1994) ; Gillipsie (1980) ; Parker (1965 : 85-109) ; Hilaire-Perez (2000) ; voir également Perrot(1988) et les contributions rassemblées dans ARSS 133, juin 2000.

17. Lenoir J.-C.-P., Mémoires, Médiathèque Orléans, Mss 1402, lettre à Lenoir du 10 jan-vier 1792, fol. VII. Il se justifie ainsi dans un brouillon : « La première partie des mémoires quej’ai écrit loin de Paris concernant l’administration de la police de cette ville ne contient pas toutesles citations que j’aurais pu y insérer. J’étais privé des papiers et renseignements qui m’eussentété, à cet effet, utiles ou nécessaires », Mss 1401, fol. 80.

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état et condition ayant donné dans la Révolution » dont la transcription origi-nale date des années 1781-178518. Lenoir précise : « Les extraits ci-dessusdes rapports des inspecteurs de police peuvent être vérifiés sur les minutesen feuilles qu’ils en gardaient. Quelques-uns d’entre eux en tenaient mêmedes registres ». En fait, si Lenoir a pu bénéficier d’un réseau de correspon-dants, celui-ci est resté occulte et probablement assez limité. En revanche,on s’aperçoit qu’il cite ses sources dès qu’il le peut pour mieux étayer lavéracité de ses dires19. Mais ce qui ressort cruellement de cette aspiration,c’est une « mémoire » absente de l’État.

Lenoir doit la plupart du temps compter sur ses habitudes intellectuelles,une manière d’aborder les fiches de police, par exemple, ou d’organiser sesarguments en faisant référence à la jurisprudence, et sur ses souvenirs.Lenoir doit se résoudre à mettre en avant « les connaissances que (lui) ontdonné le travail et l’expérience de près de douze années ». Il invoque cesecours de la mémoire, par exemple lorsqu’il brosse les portraits de plu-sieurs personnages embastillés dans le titre VI. Il est alors frappant deconstater qu’il produit des notices qui rappellent celles que l’inspecteur de lalibrairie Joseph d’Hémery dressait quelques années plus tôt dans le cadre dela surveillance des écrivains et auteurs de mauvais livres. Mais ces habitudesintellectuelles de travail, cet « esprit de formulaire » qui peut caractérisertoute une partie de l’activité d’enregistrement de la police, ne comblent pastoutes les lacunes documentaires.

Si les papiers de la lieutenance de police ne l’ont pas suivi en exil, c’estd’abord parce qu’il n’occupait plus cette charge depuis 1785, ensuite parcequ’il avait souscrit au principe du dépôt public des archives (Funck-Brentano, 1892). Mais la Révolution a dilapidé cette ressource indispen-sable à la bonne administration qui constitue, de surcroît, un rempartcontre les affabulations20. Le texte et les notes infra-paginales du manuscritcomportent le plus souvent des références allusives aux ouvrages, auxtextes législatifs dont discute Lenoir. Cette absence de renvois exacts à uncorpus d’archives et de textes réglementaires sape constamment le projet,consistant à définir et à défendre une conception de la police tout endévoilant ses matières et ses modes de fonctionnement. C’est surtout unecarence difficile à admettre par rapport aux modes habituels d’écriture dela police qui ont coutume soit de s’appuyer sur toute une collection detextes réglementaires faisant jurisprudence, soit sur ceux, telles les circu-laires, qui encadrent les pratiques de ses agents.

18. Lenoir, Mémoires, op.cit., mss 1401, IIIe partie, mélanges, fol. 55-68.19. Sur la délicate question de l’argent de la police, Lenoir cite aux titres XIII et XIV un état

de la dépense de la police parisienne, « copie certifiée Dufresne, premier commis du Trésorroyal » .

20. Lenoir en appelle plusieurs fois à une mémoire de l’État, en particulier dans son pro-jet d’introduction, Mss 1399, op. cit. Autre allusion aux répertoires tenus par les bureaux de lapolice, Mss 1402, notes au mémoire du commissaire Lemaire. Voir aussi Chassaigne (1975 :156-160.

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Le testament de la police d’Ancien Régime ?

La singularité de ces papiers apparaît plus clairement. À la différence desmémoires administratifs produits par les praticiens de la police, cette écritu-re a posteriori est détachée de toute pratique administrative concomitante.Elle n’a plus d’implication en termes d’ajustements réglementaires oud’organisation des services. Elle ne s’insère plus dans une vision politiqueeffective du développement de l’administration policière et étatique. Mais lamarginalisation des papiers Lenoir dans la série des mémoires administra-tifs ne saurait être totale, lorsque l’on prend en compte tout ce qui les rat-tache, même de façon fossilisée, à une culture administrative, à uneméthode de travail, à des cadres de pensée. La manière d’organiser sesmatériaux, le souci des définitions, la présentation des organigrammes et desrouages administratifs, le style juridique lourd et parfois peu plaisant à lire etle « modèle Lemaire » fortement revendiqué relèvent de cet héritage.

Cette tension entre le surgissement du moi et les pesanteurs d’une cultu-re bureaucratique nourrit l’ambivalence du texte quant au « genre » auquel ilse rattache, mi-mémoire d’émigré contre-révolutionnaire, mi-tableau del’administration policière. Elle souligne l’hésitation des auteurs qui ont abor-dé ce fouillis de notes dans une perspective traditionnelle d’histoire des insti-tutions, mais elle ne suffit plus à disqualifier ce texte pour qui s’intéresse à lapolice de Paris au XVIIIe siècle.

Il faut encore tenir compte de l’inflexion qui marque la rédaction des« mémoires » de l’ancien lieutenant général de police. Il réagit d’abord àchaud, dès 1790, puis, au fil d’une dizaine d’années, il s’attache à présen-ter le modèle d’une bonne police en jetant des ponts vers les réalisations durégime napoléonien. L’urgente nécessité de se justifier s’atténue avec letemps. Reste le désir de faire œuvre utile, en faisant la part des réalisationsde l’Ancien Régime et de celles que l’on doit au nouveau. L’image qui sedégage est celle d’un vieil homme d’expérience, de l’administrateur éclairéqui se voudrait encore conseiller du prince. Il accumule dans ses notes lesprojets de mémoires sur les prisons, sur la mendicité, sur tel ou tel aspectdes rapports entre police et justice. C’est aussi pour cela qu’il lisse le cœurde ses premiers chapitres, en supprimant les anecdotes, en atténuant cer-tains jugements implicites, comme pour se rapprocher du style du mémoireadministratif. Mais la comparaison que Lenoir veut construire ne débouchepas, car il demeure désormais éloigné des services de police, des matériauxque leur activité produit et qui nourrissaient les anciens mémoires.

Ce que Lenoir peine à construire, c’est une sorte de synthèse efficiente,de somme juridico-politique autour de la notion de police, comme le fai-saient les juristes de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle autourde la définition de la souveraineté monarchique (Napoli, 2003). Son objetest sans cesse rabattu vers des considérations relevant davantage du fonction-nement et des pratiques administratives, d’où ce qui ressort principalementde son texte, une évocation des rouages de la machinerie policière(Cosandey & Descimon, 2002 : 3è partie).

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Mais cela ne signifie pas que Lenoir reste imperméable à toute dimen-sion spéculative, qu’il refuse systématiquement théorie et philosophie, aunom d’un empirisme étroit d’administrateur de terrain. C’est peut-être, aucontraire, parce qu’il assiste à la déliquescence de certains fondements théo-riques de la monarchie, qu’il s’acharne à proposer et à expérimenter dessolutions pratiques, décrites dans son texte, conçues comme immédiatementsusceptibles de provoquer l’assentiment. En effet, il nous semble quel’ancien lieutenant général de police pointe des faits essentiels qui, lorsqu’onles considère, obligent à rebattre certaines cartes. Bien sûr, Lenoir déplorel’absence de volonté politique exprimée avec constance au sommet de l’Étatet le portrait qu’il laisse de Louis XVI n’est pas forcément des plus exaltants.Mais beaucoup plus importantes sont les remarques occasionnées par lesréformes de Turgot qui insistent sur la subversion et sur l’ébranlement àlong terme des fondements institutionnels, politiques et sociaux de l’Étatroyal provoqué par la poussée de l’économie politique libérale. Cesremarques ne visent pas la préservation d’un ordre ancien dont il critiquemaints aspects, elles n’épousent pas pour autant les conclusions des « écono-mistes » (Kaplan & Milliot, 2009 ; Napoli, 2003 : 69 ; Milliot, 2002).

La crise à laquelle Lenoir s’efforce de répondre avec un réel sentimentd’urgence au départ de son projet, se manifeste pour lui de multiples façonset dans des domaines importants pour le maintien de la cohésion sociale :le commerce des denrées de première nécessité, l’organisation des métiers,les caractères du débat public. Elle est peut-être d’autant plus grave à sesyeux qu’aucune des institutions, aucun des lieux, religieux ou profanes, où seproduisaient les justifications et les ajustements théoriques de la souverainetéet des pouvoirs des agents de l’État n’est épargné par la politisation et par lesdivisions. Les contradictions et les déchirements du monde des parlemen-taires lui en fournissent les indices constants. Dans ce tableau, parce qu’elleentretient des rapports avec la justice et avec la souveraineté monarchique, lapolice parisienne peut apparaître comme une exception.

Refusant la mise en œuvre de principes comme ceux de Turgot, nonnégociés, non validés par une longue pratique, désireux de mettre en œuvreune voie réformatrice plus respectueuse des équilibres sociaux qui garantis-sent un ordre public dont il est comptable, Lenoir veut s’appuyer sur uneinstitution – la police de Paris – qui peut lui paraître relativement unie et suf-fisamment généraliste, efficace et capable de répondre relativement en dou-ceur à la remise en cause par la critique libérale des formes de la régulationsociale. C’est pour cette raison que Lenoir ne rompt pas avec la conceptiontrès large et « englobante » de la police, proche de l’administration dans sonensemble. Ce faisant, il développe aussi un modèle institutionnel capable deremettre en question la logique des privilèges et de prendre la responsabilitéd’assumer les différents aspects de la vie sociale, soit en exerçant un contrôledirect, soit en intervenant comme force de médiation et de régulation plussouple.

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Le texte de Lenoir est œuvre de praticien, celle d’un acteur de premierplan dans des moments où tout bascule et qui doit nécessairement sortir destraces pré-établies. Il doit essayer de justifier une action novatrice et esquis-ser une projection vers le nouveau. Le véritable cœur des « papiers » Lenoir,l’un de ses enjeux centraux, est de produire une conception de la police desLumières.

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Au fil des papiers Lenoir, trois thèmes s’imposent qui permettraient decaractériser cette police des Lumières. C’est, tout d’abord, la vision et ladéfense d’une certaine organisation administrative, centralisée et aux fonc-tions de plus en plus spécialisées.

Ensuite, se dessine une conception politique de la police, « science dugouvernement des hommes » comme le rappelle Lemaire dans son mémoi-re (Gazier, 1879 : 23). En rapport direct avec les plus hautes instances del’État, la police se pose comme l’intermédiaire par excellence, entre le sou-verain, son gouvernement et les « citoyens », qu’il s’agisse de leur assignerune place dans la hiérarchie des états et des corps ou de mettre en œuvre lapuissance paternelle et protectrice du Roi. Cette situation d’intermédiaire,s’accompagne d’une exigence d’exclusivité, ou au moins de prééminence,qui conduit également à la remise en cause raisonnée des droits particuliers,des biais qui gênent la poursuite de l’intérêt général et qui peuvent entraverl’action de la Police. Lenoir prône un organicisme doux et réformé.

Enfin, dépassant de beaucoup sa fonction répressive et de contrôlesocial, la police selon Lenoir (et quelques autres) se voit assigner un rôlepositif de prestataire de services publics et se constitue en force qui organiseles aspirations à l’innovation, à l’amélioration des choses et des êtres.

La machine policière21

Le vocabulaire et les métaphores utilisés par Lenoir pour évoquer sonadministration sont révélateurs d’une conception bureaucratique et centrali-sée de la police dont il situe le développement à partir du Berryer et le per-fectionnement à l’époque de Sartine. L’autorité d’un seul « centre d’unité »et l’image d’une mécanique aux rouages précis s’imposent en plusieursendroits22. Lenoir renvoie à l’étoffement des services de l’administrationcentrale de la police, à la constitution de bureaux spécialisés à la tête des-quels œuvrent des commis, mais aussi des commissaires et des inspecteursqui reçoivent un département particulier en plus de leur affectation territo-riale (Chassaigne, 1975 : 150-160 ; Williams, 1979). Cette spécialisationrepose sur le pouvoir de sélection des fonctionnaires les plus talentueux, lesplus efficaces, qui est aux mains du lieutenant général de police. Il l’exerce à

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21. Mannoni, 1988 : 247-257.22. Lenoir, Mss 1400, Titre XIII, fol. 892.

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tous les niveaux de son administration, depuis les quartiers de police enattribuant, par exemple, à certains commissaires les responsabilités et letitre « d’ancien » jusque dans les bureaux centraux23. Ce mouvement obéitau partage nécessaire d’une masse immense d’affaires et à la continuitéindispensable du service dans une ville sans cesse agrandie24. Il s’accom-pagne de la production d’outils administratifs de plus en plus précis, inven-taires spécialisés, registres ou répertoires pour détailler les piècesadministratives à conserver dans les archives de la police25.

Les conceptions de Lenoir soulignent tout le chemin parcouru depuis lacréation de la lieutenance générale de police en 1667. L’héritier lointain de LaReynie et de d’Argenson n’a plus de véritable concurrent au sein de la juridic-tion du Châtelet puisque l’administration de la police doit renvoyer à un prin-cipe d’unité, à un centre unique ; ses pouvoirs très étendus sont de plus enplus distincts de l’ancienne police juridictionnelle pour laquelle il continue àdépendre du Parlement, avec une tolérance limitée de sa part, tandis que sesliens directs avec les ministres se sont considérablement renforcés.

Surtout, il développe une conception de la police active, d’un servicepublic de la sûreté qui modifie la nature de ses relations avec la compagniedes commissaires. Il s’adresse parfois davantage à ses subordonnés commeà des fonctionnaires qui sont engagés à « servir le public » et non pluscomme à de simples officiers d’abord détenteurs de leurs charges et privi-lèges. Au sein de la machine policière, il apparaît d’une certaine façoncomme le maître des carrières, le détecteur des talents, le dispensateur degratifications.

Pour autant qu’on puisse le mesurer, il ne s’agit pas ici seulement d’unereconstruction rétrospective et d’une pétition de principe. Les circulairesqu’il adresse à la compagnie des commissaires, sa correspondance montrentque Lenoir s’était attaché à faire passer dans les faits sa volonté de simplifica-tion des procédures, de répartition des tâches entre commissaires et sonpouvoir de sélection des plus méritants au profit de l’efficacitéadministrative26. Lenoir veut une police omnisciente, occupée à enregistrerles hommes et leurs activités, mais il ne défend pas pour autant une visiondéshumanisée. Son insistance à obtenir de ses subordonnés le respect scru-puleux des procédures et des formes écrites est une manière de valoriser lafonction policière et d’obtenir pour elle un surcroît de légitimité lié à la qua-lité des services rendus au public. Loin de reposer sur une conception sim-plement fonctionnelle, la politique qu’il suit entend conjuguer paternalismeprotecteur et rigueur des pratiques afin de mieux protéger.

23. Lenoir, Mémoires, op. cit., Titre XIII, fol. 890.24. Lenoir, Mss 1402, op. cit., note 9 au manuscrit Lemaire, fol. 114.25. Dans le domaine de la Librairie, on connaît les fiches de surveillance des auteurs de la

République des Lettres de l’inspecteur d’Hemery, BNF, Mss Na fr. 10781-10783 ; voir aussil’exemple de la surveillance des étrangers non-régnicoles, Dubost (2001 : 221-290).

26. AN Y 12830 et 13728.

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Les fonctions de la police « éclairée « : connaître, intégrer, améliorer

La première de ses fonctions serait, avec peut-être plus de diversité qued’autres administrations, de développer un appareil de connaissances auprofit de l’État (Perrot, 1975 ; Desrosières, 1993 ; Brian, 1994 ; Minard,1998). Au cours du XVIIIe siècle, elle motive l’attention permanente qui estapportée à la définition de normes administratives pour tenir registres etrépertoires, pour remplir les procès-verbaux et les formulaires qui sont aucœur des pratiques des agents de la sûreté publique, commissaires, inspec-teurs et certains de leurs satellites, les logeurs ou les revendeurs, parexemple. Cette fonction essentielle nourrit à la fois les fantasmes d’unespionnage généralisé dont Lenoir se défend et les utopies policières,comme celle de Guillauté qui assigne à la police d’immenses responsabilitésallant du recensement de la population au contrôle des mobilités, de l’étatcivil à la fiscalité, de l’organisation de l’assistance à la régulation du marchédu travail. Elle rend la police maîtresse d’une activité constante de classifica-tion et d’identification. Elle apparaît comme responsable de la taxinomie desétats sociaux. Sans aller jusqu’à cet universalisme, Lenoir évoque, parexemple, concrètement cette activité de classification, de recensement et degestion dans l’espace, dans le cas des métiers non qualifiés qui évoluent horsdu cadre corporatif27.

Le classement et l’enregistrement des individus ont ici évidemment pourpremier objectif de maintenir le bas peuple dans la subordination, de sur-veiller et punir les mendiants. Mais c’est aussi ce qui fonde les entreprisesd’assistance de la police puisqu’elle doit à la fois prévenir les « murmures »de la populace mais aussi ses besoins. En cas d’intempéries ou de difficultéséconomiques et sociales, mais pas seulement en ces circonstances, la policedistribue du travail et des secours sous forme « d’ateliers de charité » qu’ellefinance. Plus que de sanctionner celui qui transgresse la loi, l’interdictionréitérée de mendier par exemple, la police cherche d’abord à intégrer lesindividus dans le corps social. La police, au-delà de sa mission de surveillan-ce, se définit alors comme une sorte de prestataire de services qui a besoinde connaître leur sphère d’application et leurs destinataires.

La seconde fonction de cette police ressort désormais : son action rendconcrète la puissance paternelle de la monarchie à l’égard des sujets. Mieux,elle sert de relais, elle comble la distance entre les « mystères » de l’État etles administrés. En contribuant à discipliner le corps social, elle contribueaussi à y intégrer les individus. La position adoptée par Lenoir lorsqueTurgot tente de supprimer les corps de métiers par l’édit de février 1776obéit à cette logique. Il se rallie donc à la refondation des corps de métiersen août 1776 qui ne restaure pas un mode de fonctionnement communau-taire, au demeurant fort malade, mais qui reconstitue une « chaîne de rap-ports » entre l’État et tous les membres des métiers, au sein de laquelle laPolice et son chef disposent d’une position prééminente (Kaplan, 2001).

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27. Lenoir, Mss 1400, titre XIII, fol. 891 ; voir aussi Kaplan (1979) ; Kaplow (1974) ; Denis& Milliot (2004 : 4-27), voir par exemple les propositions « d’enregistrement généralisé » for-mulées en 1756 par la compagnie des inspecteurs, BNF Joly de Fleury 346, fol. 141-218.

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Enfin, la police selon Lenoir, mais aussi selon Sartine ou Lemaire, appa-raît plutôt comme une instance de régulation et de progrès, comme uneadministration « amélioratrice » qui construit un dialogue permanent avecd’autres secteurs de l’État dont la démarche et la problématique sont iden-tiques. Son action vise à susciter, à promouvoir et à valider des innovationsmultiples (Garrioch, 1992 : 43-59).

Dans un ordre des choses moins spéculatif, la police se donne un rôleque l’on pourrait, toutes proportions gardées, comparer à celui des institu-tions académiques avec leurs concours (Roche, 1978). Elle délivre des prix ;elle propose des sujets de recherche, elle fait imprimer ce qu’elle estime êtreles meilleures contributions à la résolution d’un problème donné. La fasci-nation de Lenoir à l’égard des hommes de science transparaît en plusieurspassages des mémoires qui correspondent à des domaines essentiels de labonne administration de la ville et des services que la police peut rendre aupublic, tels que l’approvisionnement, la voirie ou la santé. Lenoir rechercheleurs compétences d’experts dans les institutions qui sont liées à la police etil se montre constamment soucieux de vulgarisation.

Les mémoires de l’ancien lieutenant général de Louis XVI balaient lesimmenses responsabilités de la police parisienne ; ils jettent des lueurs surles vues de ses responsables quant à la bonne marche de l’administration ;ils illustrent le rôle effectif de la police dans un processus de bureaucratisa-tion, de spécialisation et de perfectionnement des services de l’État, voire sacontribution à l’émergence de la notion de « service (du) public ». Certes, lesconditions de leur rédaction – de longues années d’exil alors que tout l’édifi-ce policier hérité de l’Ancien Régime, vigoureusement critiqué, sembles’effondrer – incitent à prendre en compte la subjectivité blessée de Lenoiret la tentation apologétique qui habite son projet. Mais s’en tenir là est assu-rément réducteur. Lenoir écrit à un moment où l’expansion révolutionnairede la France et où la remise en ordre qui correspond à l’époque duDirectoire puis du Consulat, invitent à la fois à revisiter certaines des disposi-tions anciennes de la police, au nom de leur efficacité avérée, et à s’interro-ger sur la duplication de certaines structures administratives françaises dansdes territoires rattachés et départementalisés, ou satellisées comme lesRépubliques sœurs, dont les traditions pouvaient être différentes. La postured’expert ou de conseiller qu’il semble affectionner discrètement peut iciprendre tout son relief.

Lenoir s’inscrit également dans un héritage dont il est tributaire. Lesannées 1770-1789 qui correspondent à l’exercice de sa magistrature et à sonrôle politique effectif sont, à l’échelle de l’Europe, des années au cours des-quelles un certain nombre d’administrateurs se sont efforcés d’énoncer unnouveau discours de légitimation de la police (Marin, 2005 ; Napoli, 2003 ;Stolleis, 1996). Il s’agit de mieux articuler désormais efficience administrati-ve et capacité à se faire aimer et reconnaître par le public ; il s’agit derépondre aux grandes transformations qui affectent les sociétés européenneset qui modifient les conceptions, les champs d’intervention et les méthodesdes forces investies de pouvoirs de police. La seule défense d’un ordre

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socio-politique immuable, fondé sur des principes immanents ne suffit plus.Les changements politiques accélérés de la décennie révolutionnaire accen-tuent encore l’urgence d’une réflexion puisque la police doit à chaque chan-gement de régime s’efforcer de justifier et de re-définir ses objectifs et sesméthodes. Au-delà et avant même ces bouleversements, les sommationssont nombreuses. On peut évoquer ici la percée de l’économie politiquelibérale, la redéfinition des rapports du politique et du religieux, l’élargisse-ment d’une sphère publique de débat ou la mobilité accrue des hommes etdes choses (Kaplan, 2001 ; Guignet, 1990 ; Roche, 2003). Que peut-on sau-ver ? Que faut-il réformer ? Les solutions recherchées sont probablementdiverses d’un pays à l’autre, nuancées, nourries d’échanges, de propositionssyncrétiques et originales, mais que l’on connaît à ce jour assez mal. Uneopposition trop stricte entre police continentale et police anglaise, ou entreterritoires germaniques qui connaissent l’émergence d’une science de la poli-ce qui s’enseigne à l’université et pays où prime un empirisme de bon aloine rend pas compte de la nature des expérimentations en cours et des circu-lations qui existent. Évoquer cette toile de fond et faire de Lenoir un acteurparmi d’autres d’une dynamique qui a des racines antérieures à 1789 confè-re à son texte une dimension que l’on n’a guère su lui reconnaîtrejusqu’alors. Il devient comme la butte-témoin d’une culture administrativequi a donné d’autres textes, à la fois distincts et comparables que l’on peutregrouper en « série », visant également à définir la police, à mieux cernerses pratiques et ses instruments tout au long du siècle qui précède.

On peut utiliser Lenoir pour travailler sur la police des Lumières, aumême titre que de gros traités imprimés ou des mémoires administratifs plusachevés. Les uns comme les autres sont, dans des contextes donnés, destextes engagés qui interprètent plus qu’ils ne décrivent fidèlement les ressortsde la police. Ils proposent des modèles et diffusent des normes attendues, ilsportent les conceptions de certains agents d’une administration mais pas for-cément de tous. Par delà l’événement révolutionnaire, le texte de Lenoiréclaire une construction administrative et politique en train de se faire, unegouvernementalité qui cherche ses marques dans les difficultés de l’AncienRégime finissant et qui s’énonce de manière crépusculaire dans le cabinetd’un exilé.

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Annexe 1LLeess mméémmooiirreess ddee JJ ..--CC.. --PP.. LLeennooiirr ,, ll iieeuutteennaanntt ggéénnéérraall ddee ppoolliiccee ddee PPaarriiss

((MMééddiiaatthhèèqquuee dd’’OOrrllééaannss,, MMssss 11339999--11440000))

TTaabblleeaauu 11

Volume des 14 titres constituant les Mémoires

TTii tt rree manuscrit 1399 (anc.1421) ffooll iioottaatt iioonn nnbbrree ffeeuuii ll lleettss11 RReell iigg iioonn 84-269 18522 MMœœuurrss 270-358 8833 SSaannttéé 359-436 7744 VViivvrreess 437-596 15955 VVooiirr iiee 597-738 141

manuscrit 1400 (anc.1422) ffooll iioottaatt iioonn nnbbrree ffeeuuii ll lleettss66 SSûûrreettéé 5-399 39477 CCoommmmeerrccee 400-509 10988 SScciieenncceess eett aarrttss ll iibbéérraauuxx 510-589 7999 AArrttss mmééccaanniiqquueess 590-633 4311 00 OOuuvvrriieerrss,, mmaannoouuvvrriieerrss 634-675 41

ddoommeesstt iiqquueess11 11 PPaauuvvrreess,, mmeennddiiaannttss 676-713 3711 22 PPooll iiccee jjuuddiicciiaaiirree eett 714-886 172

aaddmmiinniissttrraatt iivvee11 33 FFoorrmmaattiioonn eett pprrooggrrèèss 887-960 73

ddee llaa ppooll iiccee aaddmmiinniisstt rraatt iivvee11 44 CCoommppoossii tt iioonn eett oorrggaanniissaa- 961-1017 56

tt iioonn ddee llaa ppooll iiccee ddee PPaarriiss

TTaabblleeaauu 22

Les mémoires de Lenoir : thèmes privilégiés (classement hiérarchique destitres au plus fort volume)

CCllaasssseemmeenntt TTii tt rreess nnbbrree ffeeuuii ll lleettss

1 SSûûrreettéé ((VVII)) 3942 RReell iigg iioonn ((IIII)) 1853 PPooll iiccee jjuuddiicc.. eett aaddmm.. 172

((XXIIII ))4 VViivvrreess,, ssuubbssiissttaanncceess 159

(( IIVV))5 VVooiirr iiee ((VV)) 1416 CCoommmmeerrccee 109

((VVIIII))

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Annexe 2

TTaabblleeaauu 33LLaa bbiibblliiootthhèèqquuee ddee JJ ..--CC..--PP.. LLeennooiirr,, ll iieeuutteennaanntt ggéénnéérraall ddee ppooll iiccee ddee PPaarr iiss

1. Répartition thématique (en nombre de titres et en pourcentage)

CCaattééggoorriieess NNbbrree tt ii ttrreess eenn %% dduu ttoottaallThéologie 88 6,73Jurisprudence 190 14,53Sciences et Arts 108 7,8Politique 47 3,6Métaphysique 184 14,07Belles Lettres 25 1,91Rhétorique 346 26,47Histoire 325 24,86

TToottaall 11330077 100 (99,97)

2. Quelques détails de la répartition et du classement adopté

Sciences et Arts : 108 titresdontPhilosophie : 25 titresMorale et éducation : 66 titresEconomie, finances et commerce : 17 titresMétaphysique : 184 titresdontTraités de métaphysique : 27Physique : 15Agriculture : 11Histoire naturelle : 17Histoire naturelle des animaux : 3Médecine, anatomie, chirurgie : 55Chimie : 3Mathématiques, géométrie, astronomie : 11Musique : 4Arts et métiers : 8Peinture, sculpture : 7Art de l’écriture : 2Architecture : 3Art militaire : 18

D’après le Catalogue des livres qui composent la bibliothèque de M. Le Noir, Conseillerd’Etat, Lieutenant Général de Police, A Paris, de Valade, imprimeur-libraire de

Mgr le Lieutenant Général de Police, 1782 (BNF).

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