Les enjeux mémoriels : les rapports entre histoire et mémoire.

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Les enjeux mémoriels

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Les enjeux mémoriels

Histoire et mémoire : Que signifie enseigner la mémoire aujourd’hui ?

Quels en sont les enjeux sociétaux et scolaires ?

« L'étude de l'évolution des représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou sociaux », (Henry ROUSSO)

« La mémoire, c'est le fait qu'une collectivité se souvienne de son passé et cherche à lui donner une explication au présent, à lui donner un sens » (Annette WIEVIORKA)

« La " mémoire " peut se définir de manière large comme la manière dont des sociétés, des groupes et des individus se représentent le passé. Son étude constitue un champ de recherche historique relativement récent, qui s’intéresse donc, principalement à travers

les productions culturelles et les pratiques mémorielles, aux représentations du passé dans son ensemble, ou de tel personnage ou événement spécifique » (André LOEZ)

«  L’histoire et la mémoire travaillent toutes deux sur le temps déjà écoulé, mais traitent et analysent de façon divergente le temps révolu  [...]. Le temps de la mémoire est le temps

du souvenir qui ne peut être complètement objectivé et mis à distance... À l'inverse de la mémoire, l'histoire est fondamentalement définie par la mise à distance » (Laurent

DOUZOU)L'histoire est une reconstruction problématisée du passé qui s'élabore alors que la mémoire est

une présence du passé chargée d'émotions

La complexité des rapports entre « histoire » et « mémoire » :

• La distinction entre histoire et mémoire

• Les réciprocités entre histoire et mémoire

• La mémoire comme objet d’histoire• Quelles mémoires enseigner ?

Accompagnement de Terminales,

2004

Une notion polysémique et qui devient un leitmotiv des slogans conceptuels :

« Devoir de mémoire », « politique de mémoire », « travail de mémoire », « abus de

mémoire », « tyrannie de la mémoire »

Bibliographie

La place des enjeux mémoriels dans les programmes scolaires.

• L’enseignement scolaire de l’histoire a, parmi ses finalités, celle de transmettre une mémoire collective nationale du passé. Elle a une dimension socialisatrice, intégratrice, patrimoniale (1995)

• Il s’agit de donner des repères qui agissent comme des lieux de mémoires mais intègrent un élève dans une communauté par la transmission de son histoire => les relations entre histoire et mémoire– Rapports sur l’enseignement – Repères chronologiques

• Cependant la mémoire en tant que telle n’est que rarement l’objet d’un programme – Rien au collège– Terminales ES-L sur bilan et mémoires de la Seconde guerre mondiale et / ou de la

guerre d’Algérie

• … pourtant elle est présente dans la plupart des thèmes abordés sur le XXe siècle– Première guerre mondiale / Colonisation / Guerre froide / République … – Utilisation de documents mémoriels dans les manuels les plus récents (témoins,

monuments, œuvres …)

• L’histoire scolaire est un des outils pour transmettre aux jeunes générations le « devoir de mémoire » comme le montre la multiplication des circulaires officielles du MEN sur le sujet. Il s’agit donc d’un enjeu politique fort pour l’Etat et la société.– Concours de la Résistance et de la Déportation– Organisation de journées commémoratives (Guy Moquet)– Devoir de mémoire de la Shoah (2002)

L’histoire au cœur des enjeux mémoriels

• Montée et diversification des revendications mémorielles depuis les années 1970 qui sont l’expression d’une forte demande sociale associée progressivement au « devoir de mémoire », qui devient une injonction morale pressante

– Fièvre mémorielle qui se traduit par un goût pour le

patrimoine et pour la commémoration … – Remise en question du récit national et fin de l’histoire-

mémoire qui a forgé la mémoire collective entre le milieu du XIXe et la fin des années 1960 et qui était transmis par l’école de la République.

– Institutionnalisation de la mémoire et d’un devoir de mémoire repris par l’Etat sous la pression-sollicitation des groupes de mémoires qui veulent mettre fin aux amnésies collectives.• Expertise des historiens• Judiciarisation à double tranchant

– Crises identitaires et polémiques mémorielles sur des questions plus embarrassantes pour la société française qui mobilisent l’opinion en interrogeant le passé au nom des victimes et des oubliés.

• La mémoire devient un enjeu politique• « Un passé qui ne passe pas » : Vichy, la responsabilité de l’Etat dans la mise en œuvre du génocide, la place des « années noires » dans la mémoire collective = procès ; attitude ambigüe de Mitterrand …

• Des flambées mémorielles concernant la Guerre d’Algérie entre mémoire officielle de guerre de libération (Etat algérien) et occultation de la mémoire de cette guerre coloniale et de la torture (France)

• Débats sur la colonisation, l’esclavage et les traites négrières qui se rejouent au travers de la dénonciation des discriminations frappant les descendants d’esclaves ou de parents indigènes des anciennes colonies comme le maintien de l’idéologie colonialiste (« indigènes de la République »)

• De nouveaux acteurs associatifs, les porteurs de mémoires, revendicatifs, en particulier sur le terrain médiatique et judicaire.  

• Un contexte historique propice à ce développement de la mémoire comme enjeu politique, culturel et identitaire :– Remise en cause des certitudes dans les années 1970 (mai

68, remise en cause des autorités, dépression économique … )

– Reflux des idéologies utopiques et totalitaires (« effacement de l’avenir » selon Taguieff)

– Montée de l’individualisme qui facilite la constitution de groupes identitaires (communautaires ?)

– Réinvestissement des thématiques portant sur l’identité nationale, sur l’immigration …

– Effet « mondialisation » : ouverture économique et repli identitaire.

– Nouveau régime d’historicité ou présentisme (Hartog) : le regard sur le passé est conditionné par les enjeux du présent

• Un renouvellement historiographique et épistémologique qui montre un attrait récent des historiens pour la mémoire.– Histoire politique de la mémoire avec Nora et ses Lieux de

mémoires.– Histoire des zones d’ombre, des blessures de la mémoire, des oubliés

de la mémoire officielle– Création de l’IHTP en 1978 qui structure les recherches sur

les mémoires du XXe siècle– Retour à l’événement, à l’acteur, aux stratégies de groupes qui

redonnent une place aux témoins, aux sources orales en particulier dans l’histoire du temps présent

– « Ere du témoin » (Wiewiorka) qui est dénoncée par une partie des historiens

• Les risques et les débats : 

– L’instrumentalisation des mémoires par des lobbies concurrents. •L’exemple des lois mémorielles : des abus ou des garde-fous

démocratiques ? •Multiplication des journées commémoratives = une

reconnaissance des souffrances (des victimes), « un devoir de mémoire », un « devoir civique » ou une politique de repentance qui mine le récit national ?

•Force des antagonismes : mémoire unitaire du récit national vs « mémoires meurtries »

 – Quel rôle social pour l’historien et le professeur d’histoire-géo face au « devoir de mémoire » ?

– Les effets pervers des discours mémoriels•Banalisation•Sacralisation•Captation de la parole muette des victimes•Décontextualisation, anachronisme

Les mémoires éclatées de la Seconde guerre mondiale et leurs

temporalités

Terminales ES-L

Années 1940 Années 1950 Années 1960 Années 1970 Années 1980 Années 1990 Années 2000 …

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Hégémonie du résistancialisme 

Gaullisme

« Résistances » au mythe et sans

héros

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1964 : Panthéonisation de Jean Moulin

Silence Reconnaissance

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Deuil, amnésie et refoulement « Syndrome de Vichy » devenu obsessionnel

1961 : Procès d’Eichmann

Les procès – mobilisation de l’opinion

1995 : Responsabilité  de la France dans le génocide (Chirac)

1964 : Imprescriptibilité du

crime contre l’humanité

Eveil d’une identité juive fondée sur le génocide, revendicative

1951-53 : lois d’amnistie Leguay (79), Barbie (87), Touvier (93), Papon (98)

Complexes des « années noires » Fossé avec les

témoinsRésistance comme fait

historique

1990 : loi Gayssot contre le négationnisme

Le temps des polémiques

2007 : hommage aux

Justes

Shoah (85)Nuit et brouillard (56)

Le Chagrin et la pitié (69)

2005 : mémorial de la Shoah

Hilberg (85)

Rousso (87,94) Aron (54)

WieworkaHolocauste (79)

Paxton (73)

Les troubles de la mémoire dans un contexte propice à l’oubli et à la

mémoire officielle

Le réveil des mémoires : « un passé qui ne passe pas » ; vers un apaisement des

mémoires

Des mémoir

es p

luriel

les e

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ofonde

mut

ation

Douzou

Vidal Naquet (81)

Histoire et mémoire : Usages publics, lois mémorielles et leurs répercussions

sociales et scolaires

Lois mémorielles Objectifs Contexte Réactions des historiens Programmes actuels

Loi Gayssot du 13 juillet 1990

Pénaliser l’expression publique de la négation du crime contre

l’humanité et réprimer tout acte de

racisme

Procès de Robert Faurisson en mars

1991

Reberioux (« Le génocide, le juge et l’historien »)

pointe les polémiques à venir en contestant le fait que l’on puisse dire le

droit au nom de la « vérité

historique »Assassins de la mémoire,

1987

En 3e et en 1ère dans le cadre de la Seconde guerre mondiale, une

guerre d’anéantissement

Nouveaux programmes de Tale « L’historien et les mémoires de la

DGM »

Reconnaissance du génocide arménien

(29 janvier 2001)

Déclaration qui vise à

la qualification d’un fait historique

Enjeux politiques internes et européens

Génocide arménien comme un acte

barbare préalable au génocide juif (téléologique,

banalisation de la Shoah)

Génocide arménien en 3e (manifestation de

violence de masse ; 1ère STG)

Loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissance

de la traite et de l’esclavage comme

crimes contre l’humanité

10 mai comme journée nationale des

mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition

Pénaliser l’expression publique de la négation du crime contre

l’humanité

Reconnaissance dans

l’écriture de

l’histoire (art.2)

Lutter contre le racisme latent de

la société légiférer sur la

mémoire pour panser (penser?) les blessures

Traites négrières. Essai d’histoire globale (2004)

Mise en accusation de Pétré-

Grenouilleau « Les traites négrières ne sont

pas des génocides »

Nouveaux programmes de 5e (traites orientale et transsaharienne) et

de 4e (traite atlantique au 18e

siècle et abolition de l’esclavage dans le cadre de l’évolution

politique)2de « Abolitions des

traites, de l’esclavage et leur

application »C’est la seule loi qui a

explicitement une implication scolaire

Loi Mekachera du 23 février 2005

Article abrogé le 26 février 2006

Présenter le rôle positif

de la présence française

outre-mer … (art.4)

Contexte de débats sur la

colonisation, la décolonisation

(Guerre d’Algérie) résurgence du

fait colonial dans l’espace public

Crispations autour de sujets sensibles

(immigration, intégration,

laïcité, islam)

Pétition d’historiens

Création du CVUH (juin 2005)

LPH

Collège et lycée : histoire de la

colonisation, de la décolonisation et des

indépendances

Nouveaux programmes de Terminales

« L’historien et les mémoires de la guerre

d’Algérie »

DOCUMENT

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Années 1940 Années 1950 Années 1960 Années 1970 Années 1980 Années 1990 Années 2000 …

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Lois mémorielles Objectifs Contexte Réactions des historiens Programmes actuels

Loi Gayssot du 13 juillet 1990

Pénaliser l’expression publique de la négation du crime contre

l’humanité et réprimer tout acte de

racisme

Procès de Robert Faurisson en mars

1991

Reberioux (« Le génocide, le juge et l’historien »)

pointe les polémiques à venir en contestant le fait que l’on puisse dire le

droit au nom de la « vérité

historique »Assassin de la mémoire,

1987

3e et en 1ère dans le cadre de la Seconde guerre mondiale, une

guerre d’anéantissement)

Nouveaux programmes de Tale « L’historien et les mémoires de la

SGM)

Reconnaissance du génocide arménien

(29 janvier 2001)

Déclaration qui vise à

la qualification d’un fait historique

Enjeux politiques internes et européens

Génocide arménien comme un acte

barbare préalable au génocide juif (téléologique,

banalisation de la Shoah)

Génocide arménien 3e (manifestation de

violence de masse ; 1ère STG)

Loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissant

de la traite et de l’esclavage comme

crime contre l’humanité

10 mai comme journée nationales des mémoires de la

traite, de l’esclavage et de leur abolition

Pénaliser l’expression publique de la négation du crime contre

l’humanité

Reconnaissance dans

l’écriture de

l’histoire (art.2)

Lutter contre le racisme latent de

la société légiférer sur la

mémoire pour panser (penser?) les blessures

Traites négrières. Essai d’historie globale (2004)

Mise en accusation de Pétré-

Grenouilleau « Les traites négrières ne sont

pas des génocides »

Nouveaux programmes de 5e (traites orientales et transsaharienne) et 4e (traite atlantique

au 18e siècle et abolition de

l’esclavage dans le cadre de l’évolution

politique)2de « Abolitions des

traites, de l’esclavage et leur

application »C’est la seule loi qui a

explicitement une implication scolaire

Loi Mekachera du 23 février 2005

Article abrogé le 26 février 2006

Présenter le rôle positif

de la présence française

outre-mer … (art.4)

Contexte de débats sur la

colonisation, la décolonisation

(Guerre d’Algérie) résurgence du

fait colonial dans l’espace public

Crispations autour de sujets sensibles

(immigration, intégration,

laïcité, islam)

Pétition d’historiens

Création du CVUH (juin 2005)

LPH

Collège et lycée : histoire de la

colonisation, de la décolonisation et des

indépendances

Nouveaux programmes de Terminales

« L’historien et les mémoires de la guerre

d’Algérie »

Lois mémorielles Objectifs Contexte Réactions des historiens Programmes actuels