Les équidés arvernes et le phénomène des fosses à chevaux. Actes du colloque Équidés et...

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ÉQUIDéS ET BOVIDéS DE LA MéDITERRANéE ANTIQUE Rites et combats. Jeux et savoirs Actes du colloque organisé par l’axe Animal et sociétés méditerranéennes, Réseau interdisciplinaire d’études diachroniques sur l’animal (AniMed) UMR 5140 « Archéologie des sociétés méditerranéennes » Sous l’égide de la Maison des Sciences de l’Homme, Montpellier (Programme 2010-2012) et intégré aux célébrations du 500 ième anniversaire de la Confrérie des gardians d’Arles l’Antico Counfrarié di Gardians de Sant-Jorgi Espace Van Gogh Arles, 26 au 28 avril 2012 Édités par Armelle GARDEISEN et Christophe CHANDEZON Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique, l’UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, l’EA 4424 CRISES, le Labex ARCHIMEDE au titre du programme « IA » ANR-11-LABX-0032-01 MONOGRAPHIES D’ARCHéOLOGIE MéDITERRANéENNE HORS-SéRIE N°6 Publication de l’UMR 5140 du CNRS « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes » Édition de l’Association pour le Développement de l’Archéologie en Languedoc-Roussillon Lattes 2014

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Équidés et bovidés de la Méditerranée antique

Rites et combats. Jeux et savoirs

Actes du colloque organisé par l’axeAnimal et sociétés méditerranéennes, Réseau interdisciplinaire d’études diachroniques sur l’animal (AniMed)

UMR 5140 « Archéologie des sociétés méditerranéennes »

Sous l’égide de la Maison des Sciences de l’Homme, Montpellier (Programme 2010-2012)

et intégré aux célébrations du 500ième anniversaire de la Confrérie des gardians d’Arlesl’Antico Counfrarié di Gardians de Sant-Jorgi

Espace Van GoghArles, 26 au 28 avril 2012

Édités par Armelle Gardeisen et Christophe Chandezon

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique, l’UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, l’EA 4424 CRISES, le Labex ARCHIMEDE au titre du programme « IA » ANR-11-LABX-0032-01

Monographies d’archéologie Méditerranéenne

hors-série n°6

Publication de l’UMR 5140 du CNRS « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »Édition de l’Association pour le Développement de l’Archéologie en Languedoc-Roussillon

Lattes2014

L’étude des restes animaux découverts sur les sites arvernes du second âge du Fer (Foucras, 2011) a notamment montré qu’à l’échelle de ce territoire, l’analyse métrique des vestiges de chevaux témoigne d’une forte variabilité des statures, celles-ci se traduisant davantage par la corpulence des individus que par la taille au garrot. Ce constat est d’autant plus surprenant qu’il n’est établi qu’à partir d’une cinquantaine de pièces, pour une période chronologique relativement courte puisqu’elle ne dépasse pas trois siècles. Le dimorphisme sexuel n’étant pas en cause, cela nous semble laisser entrevoir une variété patente de formes, d’espèces ou de races équines qu’il conviendrait de confirmer d’abord, puis de caractériser.

Deux découvertes successives d’inhumations multiples de chevaux en fosses, au sud du bassin clermontois, ont livré les ensembles osseux d’une soixantaine d’individus entiers. Si l’importance du nombre de squelettes constitue d’emblée un ensemble de référence pour l’archéologie des équidés, c’est surtout les conditions d’enfouissement de ces animaux et notamment la simultanéité de ces inhumations dans chacune des fosses qui offre l’opportunité rare d’appréhender un groupe, plutôt que des individus isolés dans l’espace et dans le temps.

1. les Fosses à chevaux arvernes

Il s’agit de découvertes successives effectuées en 2002 au sud du bassin de Clermont-Ferrand, sur les sites de Gondole et de l’Enfer, situés à moins de cinq kilomètres de distance l’un de l’autre (fig. 1). Au total, ce sont sept fosses contenant des ensembles anatomiques de chevaux qui ont été mises au jour. Si l’on ne connaît que peu de choses sur l’environnement archéologique des fosses de l’Enfer, on sait que celles de Gondole ne constituent qu’un faible échantillon d’un ensemble bien plus important que l’on estime à plusieurs dizaines de structures du même type.

Ces fosses témoignent, sur les deux sites, de pratiques spectaculaires d’enfouissements collectifs d’animaux. Si quelques unes qui ont été testées à Gondole concerneraient aussi des bovidés, c’est manifestement le cheval qui a suscité le plus grand intérêt. Ces animaux ont toujours été déposés selon des modalités particulières d’orientation et d’agencement des corps, suivant un protocole strict et préalablement établi.

On assiste ainsi à la constitution de véritables cimetières équins, que l’on peine à rattacher aux activités cultuelles ou

Les équidés arvernes etle phénomène des fosses à chevaux

(Puy-de-Dôme, France) par Sylvain fouCras

avec la collaboration de Pierre Caillat

Résumé : Plusieurs découvertes successives de fosses à chevaux ont été effectuées en 2002 dans le bassin de Clermont-Ferrand, sur les sites de Gondole-les Piôts et de l’Enfer, situés à moins de cinq kilomètres de distance. À ce jour, ce sont sept fosses contenant chacune plusieurs squelettes complets de chevaux, qui ont été mises au jour. Elles témoignent de pratiques spectaculaires d’inhumations qui semblent obéir à des prescriptions strictes d’orientation et d’agencement des corps. On constate ainsi la mise en œuvre de dépositions très singulières que l’on peine à rattacher aux activités cultuelles ou religieuses locales, pour la fin de l’époque gauloise ou le début de la période gallo-romaine. L’analyse de ce phénomène a conduit à l’élaboration d’un projet d’étude concernant les équidés du territoire arverne au second âge du Fer. C’est dans ce cadre qu’une analyse métrique des huit chevaux de la sépulture multiple de Gondole-les Piôts a été entreprise afin de caractériser ces individus et ainsi mieux comprendre ce phénomène d’inhumations multiples, au cœur du territoire des Arvernes.

Mots-clés : inhumations de chevaux, rituels, pratiques funéraires, Arvernes, guerre des Gaules

Sylvain FOUCRAS142

Nkm100

infographie : Y. Deberge / S. Foucras

N

L'Allie

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L'Auzo

n

La Veyre

0 5 km

Corent

Gergovie

Gondole

camps césariens

L’Enfer

Clermont-Ferrand

kilomètres0N

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moins de 400 m

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1000 à 1300 m

plus de 1300 m

Altitudes :

Fig. 1 : Carte de localisation des sites de Gondole et de l’Enfer dans leur contexte chronologique pour la fin de l’âge du Fer.

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 143

religieuses locales. Cette manifestation s’est pourtant répétée à de multiples reprises sur une zone géographique restreinte de 4 km2.

Ces dépositions semblent avoir eu lieu à la fin du Ier s. av. J.-C., mais rien ne nous renseigne sur la durée de ce phénomène. De la même manière, on ne sait pas non plus si ces pratiques participent d’un même fait, ou bien si chaque enfouissement relève d’une circonstance particulière. Toujours est-il que ces découvertes constituent un phénomène atypique et inédit en Gaule, à l’extrême fin de l’âge du Fer.

1.1 Les inhumations de l’Enfer

Les fouilles préventives conduites par F. Baucheron sur le site de l’Enfer (commune de La Roche Blanche, Puy-de-Dôme) ont d’abord mis au jour une modeste ferme indigène du IIe s. av. J.-C. accompagnée de deux sépultures humaines. À une centaine de mètres au sud-est, l’extension de la fouille a révélé la présence de cinq fosses, sans lien apparent avec l’occupation rurale (fig. 2).

Quatre de ces fosses, creusées les unes à côté des autres, sont regroupées sur une surface de 200 m2 alors qu’une cinquième a été installée à une trentaine de mètres plus à l’est. Leurs dimensions sont sensiblement les mêmes (environ 3 mètres de longueur sur 2 de large) et toutes ont fait l’objet d’un seul et même comblement : des corps de chevaux complets (fig. 3, 4 et 5).

Aucune datation matérielle n’a été possible en raison de l’absence de tout mobilier archéologique – en dehors des squelettes – et le recours à des datations par radiocarbone s’est avéré nécessaire. Chacune des cinq fosses a donc fait l’objet d’une estimation. Malheureusement les écarts de variation sont importants et ne permettent pas de proposer une datation absolue. On peut toutefois situer l’ensemble de ces fosses au Ier s. av. J.-C. et raisonnablement, dans la seconde moitié du siècle (1). Il est clair que ces indices n’ont qu’une valeur très relative et ne permettent certainement pas de statuer sur la contemporanéité de ces structures, même si cette hypothèse semble la plus probable.

1.1.1. Les fosses

D’emblée, ces cinq fosses apparaissent comme étant très similaires, autant par leur forme que par leur fonction. Elles sont aménagées en une seule fois sans qu’aucun recreusement ne soit effectué par la suite. Le mode opératoire qui consiste à déposer et installer des corps de chevaux complets suit également des prescriptions claires :

- une déposition accomplie rapidement après le décès. En témoignent certaines positions contraintes qui n’ont pu s’effectuer qu’avant que la rigidité cadavérique ne soit trop avancée.

- une déposition simultanée des chevaux. L’imbrication

des corps et leur agencement l’attestent de façon très spectaculaire.

- une disposition sur deux rangs ; les chevaux sont disposés côte à côte ou empilés les uns sur les autres et sont toujours physiquement reliés les uns aux autres.

La position des corps est également la même pour trois des cinq fosses. Les chevaux y reposent sur le flanc droit, la tête vers le sud (fig. 3 et 5). On le verra, cette position semble également avoir été le mode de déposition privilégié sur le site de Gondole. Pourtant, sur deux des fosses de l’Enfer d’autres choix ont été privilégiés. Dans la fosse 917, dix-neuf chevaux sont couchés sur le flanc droit mais leur tête est dirigée vers l’ouest et un vingtième a été déposé sur le ventre, les membres repliés sous le corps. Dans la fosse 918, les individus sont tous couchés sur le dos et l’orientation des corps diverge (fig. 4).

Des différences existent aussi dans le nombre de chevaux par fosse puisque deux d’entre elles comptent huit individus alors que les trois autres en comptent respectivement sept, dix et vingt. On note que ce n’est manifestement pas le nombre de chevaux qui a conduit à les disposer différemment puisque la fosse 918, où les sujets adoptent des positions variées, est celle qui ne livre que sept individus.

N

bâtiment

0 50 m

talus

sépulture

sépulture

Fosses à chevaux

Fig. 2 : L’Enfer. Plan des structures laténiennes et localisation des fosses à chevaux.

Sylvain FOUCRAS144

1.1.2. Les chevaux

Le processus de décomposition s’est intégralement déroulé à l’intérieur de la fosse et en espace colmaté.

Tous ces individus sont des mâles (hongres ou étalons) et théoriquement, en âge d’être débourrés puisqu’aucun poulain n’est présent (2). L’estimation des âges, présentée ici, est établie selon le stade d’usure dentaire et le degré d’épiphysation des os. Globalement, on remarque que la grande majorité des chevaux inhumés sont de jeunes animaux de 1 à 10 ans (71 %). La part des individus plus âgés n’a cependant rien d’anodin (13 %) et les vieillards de plus de 15 ans comptent pour 15 % de l’effectif total (fig. 6).

Concernant les individus proprement dits, aucune classe d’âge ne semble avoir été favorisée dès lors que les chevaux ont dépassé la première année.

La fosse 917, la plus fournie avec vingt individus, présente des sujets plutôt jeunes. C’est là que l’on trouve les deux chevaux d’un an et demi seulement, qui sont les plus jeunes de l’ensemble équin. En définitive, cette fosse regroupe tous les

individus de moins de 3 ans (N = 9) ; la moyenne des chevaux y est inférieure à 5 ans, les plus vieux n’ayant pas 8 ans. Il en va de même pour la fosse 916 dont le plus âgé des chevaux n’a pas 10 ans et où l’âge moyen est de 6,5 ans.

Les autres fosses livrent en revanche des sujets adultes de 10 à 15 ans en moyenne, certains d’entre eux accusant des âges très avancés, dépassant même la quinzième année. On remarque, à ce propos, que six des huit chevaux de plus de 15 ans appartiennent à la fosse 10 et que, parmi eux, figurent les trois plus vieux sujets du site qui ont plus de 20 ans. Il ressort ainsi qu’une fosse regroupe les chevaux les plus jeunes et une autre les plus âgés. Les trois autres montrent une distribution plus aléatoire des classes d’âge avec toutefois une certaine répartition que l’on peut penser avoir été volontaire.

La moyenne des tailles au garrot varie selon les individus et des différences marquées apparaissent. Cela est en partie imputable aux écarts d’âge mais pas seulement (fig. 7). La forte majorité de ces animaux mesure entre 125 et 135 cm au garrot (60 %), conformément à la taille moyenne des chevaux gaulois de la fin de l’âge du Fer et du début de l’époque romaine

Fig. 3 : Inhumations de chevaux en fosses sur le site de l’Enfer (photos F. Baucheron, Inrap). Fosse 916 (en haut) et Fosse 10 (en bas).

Fig. 4 : Inhumations de chevaux en fosses sur le site de l’Enfer (photos F. Baucheron, Inrap). Fosse 918 (en haut) et Fosse 917 (en bas).

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 145

(Foucras 2011). Ces valeurs s’inscrivent ainsi très nettement dans la moyenne des équidés du territoire des Arvernes : nous y reviendrons. La part des individus de petite dimension – inférieure à 120 cm – correspond à des animaux âgés de moins de 7 ans (N = 5). Une exception toutefois se manifeste avec le cheval 3 de la fosse 915 qui ne mesure que 118 cm au garrot à l’âge de 10,5 ans. Inversement, les deux individus les plus jeunes (1,5 ans) sont loin d’être les plus petits de cet ensemble, atteignant des tailles de 129 cm au garrot. Le plus petit cheval est âgé de 6,5 ans et fait figure de nain (107 cm) ; il représente même le plus petit sujet du territoire arverne pour le dernier siècle avant notre ère (ibid.). Les plus grands de ces chevaux atteignent des mensurations supérieures à 135 cm (11,5 %). Les plus grandes dimensions appartiennent aux plus vieux de ces animaux ; les deux plus grands sujets dépassent 140 cm au garrot et sont âgés de 17 et 11 ans. Dans l’état actuel de nos connaissances, ils passent pour être parmi les plus grands des chevaux arvernes.

On le voit, cet ensemble équin ne répond donc pas à des critères de taille particuliers. Il représente même un panel des plus variés, élargissant le spectre des statures établi pour le territoire des Arvernes.

À ce stade, l’examen ostéologique (Caillat 2005) ne constitue encore qu’un travail préliminaire qui reste à étayer ou compléter. Sans revenir sur les conditions climatiques

difficiles subies durant la fouille (Baucheron et al. 2005), on signalera que l’état de conservation de ces vestiges est aléatoire selon les individus et les fosses. Globalement les ossements sont assez fragmentés et les surfaces osseuses altérées. Certaines parties anatomiques, comme les crânes, sont systématiquement détruites. Cela est essentiellement le fait de processus taphonomiques et de conditions de conservation peu favorables, dans un sédiment marneux à caractère argileux.

Si l’examen des vestiges osseux s’est limité jusque-là, à établir les âges et les statures de ces chevaux, il a d’ores et déjà pu révéler quelques atteintes pathologiques. Sans anticiper sur une étude qui reste à poursuivre, on mentionnera simplement la présence de probables carences alimentaires (des anomalies dentaires présentant des défauts de cémentogénèse) pour vingt-trois de ces chevaux. Par ailleurs, huit des sujets de l’Enfer présentent des formes d’ankylose de l’extrémité des membres postérieurs (canons, tarses et phalanges selon les individus), deux de l’extrémité des membres antérieurs et un autre des quatre membres (canons et phalanges). Enfin, bon nombre semble également souffrir de malformations dentaires qui restent à caractériser.

Fig. 5 : Inhumations de chevaux en fosses sur le site de l’Enfer (photo F. Baucheron, Inrap). Fosse 915.

0

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36.5%34.6%

13.5%

9.6%

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N=

ans

Fig. 6 : Distribution des âges des chevaux de l’Enfer.

cm

N =

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<110 110 à 115 115 à 125 125 à 135 > 135

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26.4%

60.4%

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Fig. 7 : Distribution des tailles au garrot des chevaux de l’Enfer.

Sylvain FOUCRAS146

1.2 Les inhumations de Gondole

À quelques kilomètres de l’Enfer, le site de Gondole (commune du Cendre) est désormais bien identifié. Il constitue, avec Gergovie et Corent, l’un des trois principaux oppida de la Cité des Arvernes, dans le bassin de Clermont-Ferrand (Deberge et al. 2009).

L’occupation interne de l’oppidum n’a pas encore fait l’objet d’investigations (3) mais une campagne de fouille programmée a été menée au sud, en contrebas du rempart, entre 2005 et 2010. Celle-ci a révélé la présence d’un important quartier artisanal (ibid.), montrant que l’occupation débordait assez largement de l’enceinte de l’oppidum (fig. 8).

C’est à l’ouest de cette zone et en avant du rempart, qu’un vaste espace de 45 ha a fait l’objet d’une série de diagnostics archéologiques entre 2002 et 2005. Des quelques 600 sondages qui ont été pratiqués dans ce secteur, un peu moins d’une centaine se sont révélés positifs en vestiges laténiens.

1.2.1. La sépulture multiple des Piôts

La première campagne d’évaluation archéologique menée sur cette zone ouest de l’oppidum, en préalable à la construction du contournement sud-est de l’agglomération clermontoise, a notamment révélé la présence de vestiges à

caractère funéraire. C’est au lieu-dit « les Piôts » que les deux premières fosses livrant des ossements de chevaux ont ainsi été mises au jour.

La première (fosse 136) n’a pas été fouillée et ses limites méridionales n’ont pas été reconnues. Cependant, des « fenêtres » ponctuelles d’évaluation ont été pratiquées afin de définir son contenu. Cette appréciation sommaire a permis de reconnaitre la présence de segments de membres et de parties anatomiques appartenant à dix ou onze chevaux. Selon toute vraisemblance, ceux-ci reposaient sur le flanc droit, la tête vers le sud.

C’est la seconde fosse (fosse 137) qui a été fouillée intégralement. D’emblée, elle revêt la particularité de livrer des squelettes humains en plus de ceux de chevaux. Ce trait singulier lui confère ainsi un caractère funéraire jusqu’alors inédit qui permet de la qualifier de sépulture multiple (fig. 9).

Cette fosse quadrangulaire offre des dimensions similaires à celles qui ont été observées à l’Enfer, soit 3,6 m de longueur sur 3,2 m de largeur. Son comblement est exclusivement composé de squelettes, sans mobilier associé. C’est donc, une fois encore, le recours au radiocarbone qui a permis d’établir une datation relative. Celle-ci s’échelonne entre la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. et le milieu du Ier s. apr. J.-C. Bon gré mal gré, cette estimation, aussi imprécise soit-elle, n’est pas éloignée de celle qui a été établie pour les fosses de l’Enfer et peut, de la même manière, être recentrée vers l’extrême fin du Ier s. av. J.-C. (4).

Fig. 8 : Vue générale du site de Gondole et localisation des différents secteurs d’occupation (photo S. Foucras ; Arafa).

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 147

En tout état de cause, l’objet de cette fosse 137 se résume aux inhumations simultanées de huit chevaux et de huit hommes. La caractéristique première du mode de déposition est l’observation stricte de règles communes d’agencement et d’orientation des corps pour chacun de ces seize individus. De cette façon, chaque sujet a été couché sur le côté droit, la tête vers le sud et le bras gauche étendu de manière à ce que la main repose sur l’individu placé devant. À l’instar des dépositions de l’Enfer, cet ensemble est organisé en deux rangées, les corps étant toujours reliés physiquement.

Hommes et chevaux se distinguent par le fait que les premiers occupent la partie orientale de la fosse et les seconds la partie occidentale. Une autre distinction dans la position des corps peut être mentionnée. Elle concerne le personnage le plus à l’ouest de la rangée septentrionale qui a la tête au niveau du bassin de son prédécesseur et sa main gauche placée vers son visage. Tous ces individus sont de sexe masculin. Les hommes sont des adultes aux âges variés, exception faite d’un adolescent de 15 ans qui n’est autre que le sujet évoqué précédemment et dont la position diffère de celle des autres individus.

Concernant les chevaux, la distribution des âges rejoint une nouvelle fois celle établie pour les équidés de l’Enfer. Sept de ces animaux sont jeunes (entre 2 et 4 ans) alors que le huitième, sans être particulièrement vieux, est nettement plus âgé (10 ans). Les statures au garrot sont également conformes aux tailles des équidés de la fin de l’époque gauloise avec une moyenne de 123 cm. Cette valeur se situe toutefois dans la moyenne basse des dimensions équines pour le territoire arverne. Bien qu’aucun de ces chevaux ne fasse figure de nain vis-à-vis de ses congénères locaux (le plus petit mesure 118 cm au garrot), de la même manière, aucun d’entre eux ne peut être considéré comme un animal de grande taille (le plus grand faisant 130 cm au garrot).

Enfin, l’étude ostéologique a révélé la présence de quelques pathologies osseuses mineures. Celles-ci se concentrent sur les tarses principalement (lyses osseuses, ostéophytoses et soudures articulaires) mais n’ont vraisemblablement pas occasionné de réel handicap pour ces chevaux.

Sans développer davantage la présentation de ce dépôt – déjà largement exposé par ailleurs (Cabezuelo et al. 2007) – on soulignera le caractère inédit de ce type de manifestation funéraire pour la période protohistorique et antique.

1.2.2. Les sondages

Après ces découvertes, quatre autres phases d’évaluations archéologiques ont été entreprises entre 2004 et 2005 dans la plaine de Gondole, sur les parcelles voisines. La mise en œuvre de ces sondages systématiques a finalement permis d’identifier tout un ensemble de structures en marge de l’oppidum (fig. 10).

Ainsi, loin d’être un fait isolé, ces fosses se placent dans un tissu continu d’autres structures du même type, au sein desquelles s’intègrent également plusieurs enclos ou fossés. Au total, ce sont 17 fosses à chevaux supplémentaires qui ont ainsi été localisées le long d’une légère dépression du terrain orientée nord-sud, face au rempart (fig. 10). Chacune a fait l’objet de vérifications ponctuelles qui ont révélé la présence d’ensembles anatomiques d’équidés mais aucune n’a encore été fouillée. Sans préjuger de l’état réel du comblement de ces fosses, on sait d’ores et déjà qu’elles accueillaient, pour la plupart, des corps de chevaux (de deux à dix individus selon les premières estimations) et que ceux-ci étaient pareillement couchés sur le flanc droit, la tête vers le sud. On constate également, lorsque le mobilier le permet, que ces animaux sont systématiquement des mâles et qu’ils ont dépassé la première année. On est donc désormais en mesure de considérer cette pratique d’inhumations multiples de chevaux comme un phénomène avéré et répété, plutôt qu’un fait isolé.

On constate également que l’association homme-cheval n’est manifestement pas la règle à Gondole. Une seule autre de ces fosses pourrait être qualifiée de sépulture multiple, à l’instar de la fosse 137 mais elle n’a pas été fouillée.

Fig. 9 : Sépulture multiple de Gondole(photo U. Cabezuelo, Inrap). Fosse 137.

Sylvain FOUCRAS148

À ce stade de nos connaissances, le caractère funéraire de cette vaste zone n’est visible qu’à travers deux concentrations de sépultures excentrées, situées aux deux extrémités du rempart. En l’état des connaissances actuelles, il est bien difficile de rattacher ces petites nécropoles à la sépulture multiple (fosse 137) même si elles ont pu en être contemporaines. En revanche, deux sépultures individuelles s’intègrent complètement aux fosses équines. Une seule a été fouillée et montre un mode de déposition très similaire (l’individu est couché sur le côté droit, la tête vers le sud) à celui employé pour la sépulture multiple (Cabezuelo et al. 2005). Là encore, aucun mobilier n’a été déposé dans la tombe.

On le voit, il est encore bien difficile de se prononcer sur la nature de ce site et des pratiques qui y ont été mises en œuvre, en dépit d’un contexte particulier et pour le moins atypique, que l’on hésite à réduire au seul fait funéraire.

1.3. Les fosses à chevaux arvernes : essai d’interprétation L’analyse de ces dépôts collectifs de chevaux et des modes

de déposition montre clairement de nombreux caractères communs. Il est également évident que de nombreuses analogies existent entre les sites de l’Enfer et de Gondole pourtant éloignés de quelques kilomètres. Enfin, il est admis que ces pratiques répondent à un processus de déposition long et laborieux, dont les différentes étapes dans la chaine opératoire sont régies par un ensemble de règles analogues que l’on a déjà énoncé.

Cela incite évidemment à considérer ce phénomène d’inhumations de chevaux en fosses comme un seul et même fait : il s’agit là d’un ensemble cohérent. On ne peut toutefois savoir si ces pratiques ont été simultanées ou différées dans le temps, et dans ce cas, selon quelles échéances et sur quelle durée. La présence des hommes dans deux de ces fosses permet

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F83

F91

LES PIOTS

LAUBANNE

mètres0

N

250

oppidum

quartier artisanal

Fosse à chevaux

Sépulture individuelle

Fosses

Fossés

Voirie

Sépulture multiple(hommes et chevaux)

Fig. 10 : Plan de localisation des sondages et des vestiges devant l’oppidum de Gondole.

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 149

enfin de s’interroger sur l’origine funéraire de ces inhumations massives de chevaux.

Ainsi, c’est la question de la fonction de ce type de dépôt qui est posée : comment caractériser de telles pratiques ?

La mort simultanée d’autant d’individus implique, selon nous, un abattage que rien n’atteste. L’absence de toute trace significative sur les squelettes (le mauvais état de conservation n’y est peut-être pas pour rien) demande de trouver ailleurs les raisons de ces hécatombes équines. Une cause naturelle reste fort peu crédible au regard du jeune âge des individus, de leur nombre et du soin pris pour les déposer dans les fosses. Il ne semble donc pas être ici question de charniers et le sacrifice de ces animaux, sans être attesté, nous paraît donc vraisemblable. Ce sont bien les modalités strictes de sélection ayant prévalu à leur mise en place qui nous montrent le caractère rituel de ces dépôts : le choix préférentiel d’une espèce particulière, d’un sexe spécifique, l’orientation des sujets comme aussi l’organisation et le positionnement toujours similaire des corps en sont autant de marqueurs (Foucras, à paraître).

À l’Enfer comme à Gondole, ces fosses à chevaux constituent de véritables nécropoles d’animaux qui rappellent celles connues à des époques plus récentes, à Vertault (Côte d’Or) au milieu du Ier s. apr. J.-C. notamment (Jouin, Méniel 2001). Les animaux qui y sont enterrés n’ont pas été consommés et côtoient des tombes humaines. On retrouve à Vertault une même prédilection pour les chevaux mâles, qui ont là aussi été déposés têtes au sud et couchés sur le flanc droit. Ces inhumations sont parfois individuelles et souvent collectives.

Des traits communs existent aussi avec les tombes équines des nécropoles mérovingiennes de Tournai (Ghenne-Dubois 1991) ou de Bekhum (Müller-Wille 1998). Là également des inhumations multiples de chevaux ont été mises en œuvre, à l’occasion de pratiques funéraires particulières. Mais si des analogies existent, de nombreuses divergences sont également à mentionner, à commencer par des écarts géographiques importants et il reste bien hasardeux d’établir des liens entre des pratiques aussi éloignées dans le temps.

Il ne faut pas non plus mésestimer le contexte archéologique qui n’a rien d’anodin. Il est évidemment fort tentant de rapprocher ces chevaux – et les hommes qui les accompagnent à Gondole – des événements guerriers survenus autour de Gergovie. Compte tenu de la proximité de cet oppidum mais plus encore des fortifications de l’armée césarienne (fig. 1), on est en droit de se demander si ces inhumations ne seraient pas liées à la célèbre bataille de 52 av. J.-C.

On le voit, les interprétations restent encore peu assurées et conduisent à s’interroger sur l’origine de ces chevaux. C’est par l’analyse biométrique que nous proposons d’aborder cette question.

2. preMières approches Morphologiques

2.1. Le contexte morphologique arverne

L’analyse métrique des équidés du territoire arverne témoigne de différences morphologiques parfois importantes.

Fig. 11 : Distribution des tailles des chevaux arvernes pour les IIe et Ier s. av. J.-C.

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Ier s. av. J.-C. (N = 23)

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120-125 125-130 130-135 135-140 140-145 115-120< 115 > 145 cm

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105 115 125 135 145 155 (cm)

I.g.

taille au garrot

robuste

gracile = 21

Fig. 12 : Distribution des chevaux arvernes en fonction de la taille au garrot et de l’indice de gracilité.

12

12,5

13

13,5

14

14,5

15

15,5

16

105 115 125 135 145 155 (cm)

I.g.

taille au garrot

robuste

gracile

Fig. 13 : Distribution des chevaux de la Fosse 137 de Gondole en fonction de la taille au garrot et de l’indice de gracilité.

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 151

Les travaux récents ont ainsi montré que ces variations se marquent dans la stature de ces chevaux gaulois mais plus encore dans leur corpulence (Foucras 2011). Puisque le dimorphisme sexuel ne semble pas devoir être mis en cause, on devine la présence de formes distinctes parmi le cheptel équin des Arvernes. Bien entendu, le panel analysé est encore trop restreint pour permettre de se faire une idée sûre, mais nous pouvons tout de même en tirer quelques observations.

2.1.1. Stature et corpulence des chevaux arvernes

L’ensemble des restes mesurés montre que ces animaux sont conformes aux statures des équidés du territoire gaulois durant les deux derniers siècles avant notre ère avec une moyenne de 128 cm au garrot (ibid.). Des chevaux nains de moins de 115 cm côtoient ainsi, sur des fermes du IIe s. av. J.-C., des chevaux de plus de 130 cm (fig. 11).

À la fin de la période celtique, ces écarts se resserrent nette-ment sans que la moyenne des tailles ne progresse et c’est avec la romanisation que l’on assiste véritablement à l’augmenta-tion des statures. La moyenne passe alors à 132 cm avec des animaux particulièrement grands (plus de 150 cm au garrot) alors que plus aucune taille n’est inférieure à 120 cm (ibid.).

Le rapport entre l’indice de gracilité (I.g.) et la taille au garrot permet d’estimer la corpulence des individus. Celle-ci a été établie à partir d’une vingtaine de métacarpes provenant de chevaux laténiens issus de différents sites arvernes. On remarque d’abord qu’à peine plus de la moitié de ces individus s’inscrit dans la moyenne de corpulence des chevaux gaulois (indice de gracilité compris entre 14 et 15) ; parmi eux toutes les tailles sont représentées (fig. 12). On constate ensuite que des individus particulièrement graciles sont présents, accusant des valeurs très en deçà des données équines établies dans d’autres régions de Gaule. Enfin, trois sujets sont au contraire fort robustes, mais sans dénoter particulièrement de leurs congénères gaulois.

Deux groupes apparaissent, avec d’une part des individus petits et graciles et d’autre part des chevaux plus grands et robustes (fig. 12). C’est bien là, la présence de morphotypes distincts. Toutefois, cela ne nous renseigne pas sur les raisons de ces différences morphologiques. S’il n’est pas question de dimorphisme sexuel pour les chevaux, peut-être s’agit-il de la marque entre les castrés et les « entiers ». Les hongres sont effectivement plus graciles que les étalons – de l’avant-main notamment – et leur taille peut s’en trouver modifiée, même si cela dépend de l’âge auquel l’opération aura été pratiquée (Boessneck et al. 1971 ; Méniel 1984 ; Tortigue 1876).

Nous n’en sommes encore qu’au stade des conjectures car nous ne pouvons malheureusement pas attester d’éventuels castrés à partir des seuls métacarpes. Par ailleurs, ces écarts morphologiques peuvent tout aussi bien résulter de dispositions génétiques, de formes voire de races distinctes. Quoi qu’il en soit, cela ne nous paraît pas devoir remettre

en cause l’hypothèse de la coexistence de différents types de chevaux qui transparaît dans notre échantillon arverne.

2.2. Les chevaux de Gondole parmi les chevaux arvernes

À ce stade, seuls les chevaux de la sépulture multiple de Gondole ont fait l’objet d’une étude ostéométrique. Ces premières analyses menées sur les métacarpes de sept de ces huit squelettes (5) montrent qu’ils s’intègrent bien dans le schéma présenté plus haut (fig. 13). Ces chevaux appartiennent manifestement au groupe des petits gabarits et deux d’entre eux sont particulièrement graciles. Il faut noter que les trois plus robustes sont aussi les plus petits et étrangement, les plus âgés. On constate d’ores et déjà, au vu des premières analyses métriques menées sur les segments de membres (os longs), que ces huit sujets sont loin d’être identiques et témoignent de morphologies variées à des âges pourtant très proches (six de ces chevaux ont entre 3 et 4 ans).

L’étude ostéométrique s’est attachée à comparer les rapports des segments anatomiques de ces huit individus. L’estimation de la corpulence appliquée à d’autres éléments du squelette tend à confirmer que ces chevaux de Gondole sont clairement graciles, notamment pour ce qui est de l’avant-train (humérus-radius-métacarpes), avec des membres antérieurs assez courts.

Le recours au diagramme de Simpson souligne la petitesse de ces chevaux, les plaçant juste au dessus des valeurs du poney (fig. 14). On remarque d’ailleurs que certains individus sont tout à fait proches de ce dernier, particulièrement pour les membres, antérieurs comme postérieurs (le cheval 1 en particulier). On constate également que l’ensemble est assez homogène, avec généralement des segments assez courts (les métacarpes et les tibias notamment).

Pour autant, des écarts notables apparaissent entre les individus ; on le voit pour les phalanges distales qui sont courtes chez les uns (cheval 7) et longues chez les autres (cheval 8 et 6). Notre attention a été attirée sur le cheval 6 de la sépulture, qui montre un profil assez proche de celui d’Equus gallicus (fig. 15). Chez ce cheval préhistorique (vers 30 000 ans) les proportions des membres indiquent, selon V. Eisenmann, « une médiocre adaptation à la course ; les premières phalanges sont longues et les sabots très larges » (Eisenmann 2010). Son museau est par ailleurs très court ce qui ne semble toutefois pas être le cas à Gondole mais un examen plus approfondi des crânes devra encore le confirmer.

Sans pousser la réflexion plus loin, on voit que ces chevaux présentent des morphologies variées et particulières en plus d’une corpulence et d’une taille souvent très faible. Par ailleurs, on remarque qu’aucun de ces sujets ne s’inscrit dans les profils d’espèces sauvages comme le Tarpan ou le cheval de Przewalski.

Cela constitue autant d’indices qui permettent d’envisager la présence d’une forme spécifique de chevaux.

Sylvain FOUCRAS152

-0,100

-0,050

0,000

0,050

0,100

0,150

H F R T MC MT Ph I A Ph I P

Gondole - F137

Equus gallicus

Tarpan

Przewalski

6

Fig. 15 : Rapport entre les segments de membres du cheval 6 de Gondole comparé aux valeurs d’Equus Gallicus et d’autres équidés (d’après les données de V. Eisenmann).

-0,100

-0,050

0,000

0,050

0,100

0,150

H F R T MC MT Ph I A Ph I P

Gondole - F137

c4c5

c7c8

Poney

c1

c6

c2

c3

Fig. 14 : Rapport entre les segments de membres des chevaux de Gondole comparés au poney (d’après les données de V. Eisenmann).

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 153

3. preMiers constats

En définitive, cette présentation liminaire des fosses à chevaux arvernes ne constitue que le prélude aux recherches en cours. Les données présentées dans cette contribution sont encore bien lacunaires et il conviendra de les développer davantage à la lumière des études à venir.

À ce stade de nos connaissances, nous constatons une pratique d’inhumations collectives de chevaux qui répond à des règles communes de déposition et d’agencement des corps dont le sens nous échappe encore largement, mais que l’on peut qualifier de rituelle.

Les découvertes successives des fosses de Gondole et de l’Enfer montrent que ce phénomène ne peut être considéré comme un acte isolé. En dépit de quelques variables qu’il ne faut pas négliger, c’est bien une pratique analogue qui a été réitérée à de nombreuses reprises, avec toujours une prédilection pour le cheval, quand bien même quelques fosses de Gondole auraient également concerné des bovidés (bœufs et caprinés).

En plus des 53 individus de l’Enfer, ce phénomène impliquerait 150 à 200 chevaux dans la vingtaine de fosses découvertes à Gondole. Par extrapolation on peut raisonnablement penser qu’un nombre tout aussi important de fosses n’ont pas été découvertes dans le cadre du diagnostic archéologique. Il est probable que la poursuite des investigations sur cette zone élargira utilement notre champ de réflexion.

On l’a dit, nous ne pouvons encore réellement caractériser ce type de pratique. La trame funéraire établie à Gondole reste pour le moins ambiguë et n’est pas du tout avérée à l’Enfer. Aussi, nous ignorons tout de ce dont il s’agit : rituels funéraires ou manifestations d’ordre cultuel ? La présence du cheval est récurrente dans les pratiques rituelles gauloises. Représentation élitaire et guerrière, cet animal bénéficie d’une symbolique forte. On remarque toutefois que les dépositions d’individus entiers non consommés sont plus fréquents à la période romaine, alors que le statut de cet animal évolue (Lepetz, Méniel 2008 ; Lepetz 1996).

Quoi qu’il en soit, si le caractère rituel semble pouvoir être admis, le sacrifice n’est pas établi. En effet, l’absence de traces empêche de confirmer cette étape pourtant cruciale du rituel. À défaut, cela semble néanmoins exclure l’hypothèse d’une mort naturelle.

On constate qu’aucun de ces chevaux n’a été découpé ou dépouillé et leur viande n’a donc pas été consommée. En l’état, l’hypothèse de bêtes issues des fermes ou des villages environnants nous paraît recevable et ne peut être écartée. Pourtant, l’abattage d’un nombre aussi important d’individus dans la force de l’âge nous semble pour le moins aberrant. À l’évidence, la mise à mort d’un tel cheptel aura constitué une perte en viande considérable, à moins de penser que ces chevaux aient pu représenter un tabou alimentaire (6).

Le sud du bassin clermontois est une zone particulièrement riche en vestiges pour les périodes laténienne et augustéenne. Cela tient notamment à la présence des trois grands oppida de Corent, Gondole et Gergovie. La découverte de la sépulture multiple à proximité du lieu de la célèbre bataille qui opposa les légions de César aux armées de Vercingétorix, permet légitimement d’envisager un lien avec ces événements de la Guerre des Gaules. Plusieurs hypothèses ont déjà été émises en ce sens. De notre point de vue, s’il ne peut s’agir de sépultures de guerre compte tenu de l’absence de traces de coups liées au combat, rien n’empêche d’y voir la manifestation de rites funéraires particuliers mis en œuvre à l’occasion de cet épisode.

Si tel est le cas, ces chevaux correspondraient donc à une cavalerie, ce qui expliquerait notamment l’absence notoire de juments. Pourtant une majorité semble trop jeune pour avoir été montée, surtout lorsque l’on connaît les exigences d’une utilisation militaire. Les premiers examens ostéologiques ont bien montré la présence de quelques lésions pouvant être consécutives à une monte précoce, mais cela reste douteux. Il est probable qu’un débourrage aussi prématuré aurait occasionné davantage de traumatismes osseux pour plusieurs de ces chevaux.

L’aspect inédit de ce type de rituel en Gaule pose aussi la question d’une provenance étrangère de ces chevaux et des hommes auxquels ils ont pu être associés. La question de l’origine de ces animaux reste posée et rien n’assure que les analyses biométriques permettront d’apporter des éléments de réponses par l’identification d’un « cheval arverne ». Néanmoins, gageons que les travaux concernant l’identité biologique de ces chevaux représenteront un axe d’étude majeur.

C’est tout l’enjeu de la reprise des études de ces individus issus des fosses à chevaux arvernes qui devraient constituer, à terme, autant de références sur le cheval de la fin de l’âge du Fer en Auvergne et en Gaule.

Sylvain FOUCRAS154

(1) La datation par radiocarbone est très aléatoire selon les fosses et

propose des écarts parfois importants. À titre indicatif : fosse 10 (155 cal

BC-205 cal AD) ; fosse 915 (195 cal BC-75 cal AD) ; fosse 916 (200 cal BC-70

cal AD) ; fosse 917 (400 cal BC-170 cal BC) ; fosse 918 (350 cal BC- 20 cal AD).

(2) Il est communément admis que les chevaux sont débourrés à partir de 2

à 3 ans, selon les méthodes utilisées, afin d’éviter les traumas. Il s’agit toutefois

là d’un postulat car rien ne permet de savoir ce qu’il en était réellement aux

périodes protohistoriques.

(3) Plusieurs campagnes de prospections pédestres et aériennes ont été

menées à l’intérieur de l’oppidum, révélant une forte densité de structures et de

mobiliers datés de La Tène finale.

NOTES

BIBLIOGRAPHIE

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(4) La datation par radiocarbone effectuée à partir d’échantillons

prélevés sur les chevaux 4 et 6 donne un écart très large (160 cal BC-120

cal AD). L’interprétation de la courbe de densité de probabilité de la date

calibrée permet de resserrer cette écart entre 120 cal BC et 85 cal AD, avec

une probabilité de 90,2 %.

(5) Les métacarpes du cheval 2 n’ont pas permis une analyse métrique du

fait de leur mauvais état de conservation.

(6) L’hippophagie, bien qu’avérée en Gaule laténienne, n’est que probable

chez les Arvernes. Si elle semble avoir été courante en Gaule, elle n’en demeure

pas moins occasionnelle sur les habitats ; les restes alimentaires étant largement

dominés par la triade domestique (porc, bœuf et mouton).

les équidés arvernes et le phénoMène des fosses à Chevaux (puy-de-dôMe, franCe) 155

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