Revue d'un phénomène étrange : la synesthésie

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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie Émilie A. Caspar 1,2 et Régine Kolinsky 1,3 1 Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS 2 Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Centre de Recherche Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique 3 Unité de Recherche en Neurosciences Cognitives (UNESCOG), Centre de Recherche Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique RÉSUMÉ Ces dernières années, l’étude de la synesthésie a pris de l’ampleur au sein de la communauté scientifique. Cet article passe en revue certains aspects essentiels de la synesthésie. Après une description de ce phénomène, nous nous intéressons à son objectivation et à ses origines développementales. Ensuite, grâce aux données issues de divers articles, nous tentons de déterminer si l’acquisition d’associations synesthésiques s’arrête un jour et si des personnes qui ne sont pas synesthètes peuvent apprendre à le devenir. Nous discutons aussi des bénéfices cognitifs éventuels de la synesthésie et de ce que peut apporter l’étude de ce phénomène à la compréhension plus générale de la cognition. Review of an unusual phenomenon: Synaesthesia ABSTRACT These last few years, the study of synaesthesia gained in importance in the scientific community. In this article, we present some essential aspects of synaesthesia. After describing this phenomenon, we discuss how to measure it in an objective way and what are its developmental origins. Then, based on data from various articles, we try to determine if the acquisition of synaesthetic associations stops one day and if non-synaesthete people can learn to become synaesthetes. We also discuss the possible cognitive benefits of synaesthesia and how the study of this phenomenon contributes to the more general comprehension of cognition. Correspondance : Émilie Caspar, Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Université Libre de Bruxelles, CP 191, Av. F.-D. Roosevelt, 50, B-1050 Bruxelles, BELGIQUE. E-mail : [email protected] Remerciements. La préparation de cet article a été rendue possible par un financement du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS) attribué à Régine Kolinsky (1.5.235.09, «Automaticité, précocité et bidirectionnalité des activations dans la synesthésie». Régine Kolinsky est Directeur de Recherches et Émilie Caspar Aspirant du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS), Belgique. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2013, 113, 629-666

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Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie

Émilie A. Caspar1,2∗et Régine Kolinsky1,3

1Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS2Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Centre de Recherche

Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique3Unité de Recherche en Neurosciences Cognitives (UNESCOG), Centre de Recherche

Neurosciences & Cognition (CRNC), Université Libre de Bruxelles, Belgique

RÉSUMÉCes dernières années, l’étude de la synesthésie a pris de l’ampleur au seinde la communauté scientifique. Cet article passe en revue certains aspectsessentiels de la synesthésie. Après une description de ce phénomène, nousnous intéressons à son objectivation et à ses origines développementales.Ensuite, grâce aux données issues de divers articles, nous tentons dedéterminer si l’acquisition d’associations synesthésiques s’arrête un jour etsi des personnes qui ne sont pas synesthètes peuvent apprendre à le devenir.Nous discutons aussi des bénéfices cognitifs éventuels de la synesthésie etde ce que peut apporter l’étude de ce phénomène à la compréhension plusgénérale de la cognition.

Review of an unusual phenomenon: Synaesthesia

ABSTRACTThese last few years, the study of synaesthesia gained in importance in the scientificcommunity. In this article, we present some essential aspects of synaesthesia. Afterdescribing this phenomenon, we discuss how to measure it in an objective way andwhat are its developmental origins. Then, based on data from various articles, wetry to determine if the acquisition of synaesthetic associations stops one day and ifnon-synaesthete people can learn to become synaesthetes. We also discuss the possiblecognitive benefits of synaesthesia and how the study of this phenomenon contributes tothe more general comprehension of cognition.

∗Correspondance : Émilie Caspar, Consciousness, Cognition & Computation Group (CO3), Université Libre deBruxelles, CP 191, Av. F.-D. Roosevelt, 50, B-1050 Bruxelles, BELGIQUE. E-mail : [email protected]. La préparation de cet article a été rendue possible par un financement du Fonds de laRecherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS) attribué à Régine Kolinsky (1.5.235.09, «Automaticité, précocité etbidirectionnalité des activations dans la synesthésie». Régine Kolinsky est Directeur de Recherches et ÉmilieCaspar Aspirant du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS (FRS-FNRS), Belgique.

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1. INTRODUCTION

1.1. Qu’est-ce que la synesthésie ?

A, c’est blanc et long, disait Veniamin ; i s’éloigne, on ne peutpas le dessiner ; ille est plus aigu ; iou est pointu, plus effilé quee ; ia est grand, on peut rouler dessus : o vient de la poitrine, ilest large et le son va vers le bas ; hé s’en va de côté, et je sens legoût de chacun des sons. Quand je vois des lignes, elles émettentdes sons elles aussi.

Extrait de « Une prodigieuse mémoire », Luria (1965).

Grâce à cet étonnant paragraphe retraçant l’expérience de Veniamin,cas exceptionnel de synesthète à la mémoire prodigieuse et doté d’uneforte imagerie mentale, suivi durant 30 ans par le psychologue soviétiqueAlexandre Luria (1965), nous voyageons dans un monde où les sens ontfusionné, où ils s’entremêlent, à savoir, dans le monde d’un synesthète.

La synesthésie (du grec syn, union, et aesthesis, sensation) est unphénomène qui consiste en un liage sensoriel inhabituel, dans lequelcertains stimuli évoquent automatiquement une perception additionnelle(Cohen Kadosh & Henik, 2007). Il est difficile d’en proposer une définitionplus précise, délimitant correctement les critères d’inclusion et d’exclusion,étant donné le nombre important de formes que la synesthésie peut revêtir.Il s’agit par exemple d’une expérience colorée lors de la lecture d’une lettreimprimée en noir, d’une expérience gustative lors de la perception d’unmot ou encore de la vision de formes lors de la perception d’un goût(voir Cytowic & Eagleman, 2009, pour plus d’exemples). Dans le domainede la synesthésie, le stimulus est communément appelé l’inducteur et laperception additionnelle qu’il entraîne est appelée le concurrent, ou encorele photisme s’il s’agit d’un concurrent visuel (ce dernier terme, souventmentionné au XIXe siècle, est encore parfois utilisé dans la littératurescientifique).

Comme le relatent Jewanski et collaborateurs, bien qu’ayant déjàété mentionné auparavant, mais sans preuve objective qu’il s’agissevéritablement de cas de synesthésie, cet impressionnant mais mystérieuxphénomène attira l’attention de la communauté scientifique dès leXIXe siècle (Jewanski, Day, & Ward, 2009 ; Jewanski, Simner, Day, & Ward,2011). En particulier, Sachs (1812) décrivit dans sa thèse probablement lepremier cas convainquant de synesthésie (il s’agissait vraisemblablement de

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lui-même) dans la littérature médicale (Jewanski et al., 2009). Entre 1812et 1849, aucune publication scientifique connue ne fit mention d’un autrecas de synesthésie, excepté deux commentaires de Sachs en 1813 et 1814(cités par Jewanski et al., 2009). En 1849, trois nouveaux cas de synesthésiefurent rapportés (cités par Jewanski et al., 2011). Ceux-ci furent suivis de casdétaillés de plus en plus nombreux dans la littérature scientifique jusqu’en1873. Un consensus émergea de ces différents ouvrages. Premièrement,la synesthésie n’est pas une pathologie du système visuel, ce qui étaitcru précédemment, notamment car Sachs était albinos (Dann, 1998).Deuxièmement, son origine est neurologique (Jewanski et al., 2011). Lorsde cette période, la plupart des travaux présentaient des études de casindividuels. La période post-1873 fut quant à elle davantage caractériséepar des enquêtes sur de larges échantillons, ce qui, notons-le, conduisit lesparticularités de chaque synesthète à être effacées.

Il est important de distinguer d’emblée la synesthésie d’associationstemporaires. En effet, des expériences synesthésiques ont été rapportéeschez des patients souffrant de lésions cérébrales (Jacobs, Karpik, Bozian,& Gothgen, 1981 ; Ro et al., 2007) et/ou de migraines (par ex., Armel &Ramachandran, 1999), ainsi que chez des personnes atteintes de la maladiede Parkinson (Fénelon & Alves, 2010). Des effets médicamenteux semblentégalement produire des expériences similaires, puisque celles-ci ont étérapportées chez des individus en bonne santé prenant de la mescaline oudu LSD (Hartman & Hollister, 1963). Théophile Gautier, poète françaiset membre du club des Haschischins, décrivit le son des couleurs lorsqu’ilavait pris du haschisch :

Mon ouïe s’était prodigieusement développée ; j’entendaisle bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes,m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verrerenversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé tout has,vibraient et retentissaient en moi comme des roulements detonnerre. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonicaou de harpe éolienne. (1846, p. 530)

Ce type d’expérience posa la question de l’objectivation d’une véritableexpérience synesthésique. Cependant, il faut noter que, en cas de prise dedrogue, le phénomène se déroule uniquement durant le trip et s’arrêtedirectement après que les effets de la drogue se soient estompés. Enexcluant ces cas-là, il est apparu que le même genre de phénomèneest aussi observable chez des individus en bonne santé et ne souffrantd’aucune addiction. Il est dans ce cas nommé synesthésie développementale.

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Le qualificatif « développemental » est à mettre en lien direct avec le faitque la plupart des synesthètes rapportent que ces associations ont toujoursété présentes, depuis aussi longtemps qu’ils s’en souviennent (Bargary &Mitchell, 2008).

La question de savoir si la synesthésie développementale est le refletde la mémorisation d’associations apprises durant l’enfance fut posée dèsle XIXe siècle (Cornaz, 1851). Bien que nous reviendrons sur l’originedéveloppementale de la synesthésie par la suite, il est important despécifier dès à présent que, si l’on admet l’hypothèse de la mémorisation,cela n’explique pas le fait que seules certaines personnes gardent cettemémoire intacte, ni pourquoi seules certaines classes de stimuli induisentchez elles une synesthésie, ni non plus de quel type de mémoire ils’agit précisément. Mais avant de poursuivre le débat sur l’origine de lasynesthésie, intéressons-nous aux différentes formes que peut prendre cephénomène.

1.2. Variétés de synesthésies : une grandehétérogénéité des associationsLa synesthésie peut prendre de nombreuses formes : plus de 60 typesdifférents de synesthésie ont été recensés (Day, 2011). Certains synesthètesperçoivent des couleurs pour certains goûts alimentaires (Ward & Simner,2003), d’autres savourent des goûts lorsqu’ils entendent des intervallesmusicaux (Beeli, Esslen, & Jäncke, 2005) et d’autres encore entendent dessons lorsqu’ils sentent une odeur (Day, 2011). En raison notamment de leurforte prévalence au sein de la population, certaines formes de synesthésiesont été plus étudiées que d’autres dans la littérature scientifique. Il s’agitprincipalement de la synesthésie dite graphème-couleur (environ 64 % dela population synesthésique ; Day, 2011), de l’audition colorée (environ15 %) et des séquences spatialisées (environ 10 % à 15 %), que nousdiscuterons plus en détail ci-dessous. Il faut noter toutefois que cespourcentages ne sont qu’une approximation, étant donné que le mode derecrutement de la plupart des études, y inclus celle de Day, consiste endes témoignages spontanés qui dépendent de la définition implicite dessynesthésies utilisée par les expérimentateurs. De plus, les chiffres obtenuspar Day ne corroborent pas toujours ceux d’autres études (par ex., Cytowicet Eagleman, 2009, p. 25 ; Galton, 1880 ; Karwoski & Odbert, 1938 ;Simner et al., 2005), y inclus de celles présentant une base de données biendocumentée, pour laquelle on connaît le nombre total de témoignages et lesquestions posées (par ex., Novich, Cheng, & Eagleman, 2011, qui ont utiliséla batterie décrite par Eagleman, Kagan, Nelson, Sagaram, & Sarma, 2007).

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Il convient aussi de préciser que, indépendamment de la forme queprend la synesthésie, les concurrents induits par des stimuli semblentidiosyncratiques : pour une même forme de synesthésie, un mêmeinducteur évoquera un concurrent qui peut être différent pour chaquesynesthète (Galton, 1880). Ainsi, si l’on prend le cas des synesthètes quiperçoivent les lettres ou les chiffres en couleur, la lettre A peut évoquer lacouleur rouge pour un synesthète, mais la couleur bleue pour un autre.C’est cette hétérogénéité non seulement dans les différentes formes que peutprendre la synesthésie, mais également dans sa réalité subjective, qui rendson étude parfois complexe mais tellement passionnante.

1.2.1. La synesthésie graphème-couleurLe type de synesthésie le plus répandu consiste en une associationintra-modale : la synesthésie dite graphème-couleur1. Elle concerneraitenviron 1 % de la population (Simner et al., 2006). Dans cette forme desynesthésie, des graphèmes, à savoir des chiffres et/ou des lettres, évoquentune couleur. La Figure 1 représente le choix de couleur fait par M2,une synesthète graphème-couleur, à qui nous avons demandé lors d’unentretien d’indiquer le plus précisément possible, sur la palette RVB d’unordinateur, la couleur perçue pour chaque graphème. Il faut néanmoinsremarquer qu’un certain nombre de synesthètes n’arrivent pas à décrire ouà retrouver la couleur exacte qu’ils perçoivent sur une palette de couleurs,même si celle-ci est détaillée, ce qui a comme conséquence une difficultémajeure à illustrer les expériences synesthésiques.

L’expérience synesthésique peut prendre différentes formes. En effet,certains synesthètes, dits projecteurs, rapportent voir le concurrent seprojeter dans l’espace péri-personnel, tandis que d’autres, dits associateurs,signalent que le concurrent est perçu dans leur « œil mental », autrementdit dans l’espace intra-personnel (Dixon, Smilek, Wagar, & Merikle 2004 ;Ramachandran & Hubbard, 2001). Des différences de performance entresynesthètes projecteurs et associateurs dans la tâche de Stroop, dontnous parlerons plus loin, (par ex., Dixon et al., 2004 ; Dixon & Smilek,2005 ; Edquist, Rich, Brinkman, & Mattingley, 2006 ; Skelton, Ludwig, &

1Le terme « graphème » est ambigu car il désigne soit l’unité graphique minimale entrant dans la compositiond’un système d’écriture (Henderson, 1985), soit la forme écrite des phonèmes (cf. Coltheart, 1984 : par ex., « s »,« c », « ss », « sc », « ç » sont tous des graphèmes correspondant au phonème /s/ ; « ou » est un graphèmecorrespondant au phonème /u/). Or, de nombreux synesthètes perçoivent des couleurs différentes pour « s » et« c », ainsi que pour « o » et « u ». Il serait donc plus approprié d’utiliser l’expression « synesthésie caractère-couleur ». Néanmoins, par souci de cohérence avec la littérature (essentiellement anglophone) portant sur lasynesthésie, nous avons décidé de conserver l’expression « graphème », mais qui doit être considérée commedésignant l’unité minimale d’un système d’écriture, plus précisément ici les lettres et les chiffres.

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Figure 1. Forme de synesthésie graphèmes-couleurs pour les lettres, les chiffres et lesjours de la semaine, d’après M2.

Figure 1. Example of grapheme-color synaesthesia for letters, digits and days of theweek, according to M2.

Mohr, 2009) et dans des tâches de recherche visuelle (Dixon & Smilek,2005) ont été rapportées, mais celles-ci n’ont pas toujours été confirmées(Ward, Jonas, Dienez & Seth, 2010 ; Edquist et al., 2006). Par ailleurs,la classification des synesthètes dans l’une ou l’autre de ces formes n’estpas toujours possible, ou mène parfois à une réduction excessive de lacomplexité synesthésique. Edquist et al. (2006) ont ainsi relevé que deuxdes synesthètes graphème-couleur qui composaient leur échantillon n’ontpas pu indiquer si les concurrents (dans ce cas, des couleurs) étaient perçusdans l’espace intra- ou péri-personnel. De plus, après un intervalle d’unan, la description du lieu d’apparition des concurrents contredisait parfoiscelui décrit précédemment, bien que les nuances de couleur soient restéesidentiques. Enfin, certains synesthètes décrivaient percevoir souvent lesconcurrents simultanément dans l’espace intra- et péri-personnel. Cecireflète aussi le fait que la formulation exacte utilisée dans les questionnairespeut biaiser la réponse des participants, et impose la prudence quant à uneclassification strictement dichotomique des synesthètes (Eagleman, 2012).

Une autre tentative de classification de l’expérience synesthésiqueproposa les notions de synesthètes de haut niveau et de bas niveau (Martino& Marks, 2001 ; Ramachandran & Hubbard, 2001). Pour les synesthètesdits de haut niveau, des formes visuelles distinctes induisent la mêmecouleur lorsqu’elles font partie de la même catégorie (par ex., les formes

évoqueront toutes du rouge, voir Simner, 2012). En

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outre, des symboles ambigus peuvent induire des couleurs différentes enfonction du contexte (par ex., « 1 » et « l » sont visuellement semblables, etpeuvent, en fonction de la séquence, être interprétés comme un chiffre ouune lettre, cf. Dixon, Smilek, Duffy, Zanna, & Merickle, 2006). Il sembledonc que le concurrent (ici la couleur) soit évoqué par la catégorie, etnon par les caractéristiques physiques du symbole. Pour les synesthètesdits de bas niveau, en revanche, les concurrents semblent dépendre de cescaractéristiques physiques du graphème. Dans ce cas-ci, un symbole donnéinduira toujours la même expérience colorée, quel que soit le contexte danslequel il se trouve (une phrase ou une séquence de chiffres), et une mêmelettre pourrait produire des expériences colorées différentes en fonction dela police ou de la casse utilisée, par exemple (par ex., A vs. a ou A).

1.2.2. L’audition coloréeCertains synesthètes rapportent des perceptions colorées à l’écoute d’un son(par ex., Marks, 1975 ; Ward, Huckstep, & Tsakanikos, 2006). Celui-ci peutêtre un son du langage ou une note de musique. Sur base des différentsarticles faisant mention de synesthètes avec audition colorée (des étudesde cas pour la majorité), il semble néanmoins difficile de séparer cetteforme de synesthésie d’autres caractéristiques des personnes composant leséchantillons.

Le fait est qu’une grande partie des cas mentionnés dans les études surl’audition colorée ont une grande expertise musicale (par ex., Block, 1983 ;Carroll & Greenberg, 1961 ; Haack & Radocy, 1981 ; Rogers, 1987) et/ouprésentent aussi une synesthésie de type graphème-couleur (par ex., dansl’étude de Ward et al., 2006, c’était le cas des 10 synesthètes composant leuréchantillon). Selon Baron-Cohen (1996), l’audition colorée, du moins pourles mots parlés, ne serait ainsi que la conséquence de l’imagerie visuellecolorée de l’orthographe des mots. En effet, la plupart des synesthètesprésentant l’audition colorée rapportent que des mots parlés contenantle même phonème initial mais différant par leur lettre initiale (par ex.,« photo » et « futon ») déclenchent la perception de couleurs différentes,tandis que des mots parlés contenant des phonèmes initiaux différentsmais partageant la même lettre initiale (par ex., « antilope » et « artère »)déclenchent la perception de la même couleur (Baron-Cohen, Harrison,Goldstein, & Wyke, 1993). Ceci suggère que ce sont les lettres plutôt que lessons qui déterminent le concurrent (ici, la couleur).

Dans le cas de l’audition colorée de notes de musique, nous pourrionsaussi supposer que, chez les musiciens, l’écoute d’une note provoquel’activation automatique de la forme orthographique du nom de la note.

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Par exemple, chez les synesthètes qui rapportent également une synesthésiegraphème-couleur, l’écoute d’un do pourrait activer automatiquement laforme orthographique « do », ce qui provoquerait l’expérience colorée.On pourrait objecter à cette idée qu’il est communément admis queles musiciens ne transcodent pas verbalement l’information musicale. Ilfaut toutefois relever qu’il semble qu’un grand nombre de musiciens quiprésentent l’audition colorée possèdent l’oreille absolue (par ex., Haack& Radocy, 1981 ; Rogers, 1987) et sont donc capables d’identifier unenote de musique isolée, en l’absence de son de référence externe. Ainsi,tout en associant une couleur aux notes, ils activent automatiquementle nom des notes (par ex., Itoh, Suwazono, Arao, Miyazaki, & Nakada,2005 ; Miyazaki, 2004). Or, dans les pays anglo-saxons, les notes sontdésignées par les lettres A à G (ou H, pour les germanophones et certainspays scandinaves et slaves). C’est à cette situation que se référait Sachs(1812) lorsqu’il mentionnait le fait que « Les notes de musique suivent leslettres par lesquelles elles sont désignées ». En effet, certains synesthètesgraphème-couleur qui rapportent aussi une audition colorée des notesde musique présentent une forte correspondance entre la couleur desgraphèmes et la couleur des notes entendues qui sont désignées par cesgraphèmes ; par exemple, si la lettre A est associée au rouge, la note la (A,dans la notation anglo-saxonne) sera elle aussi associée au rouge (par ex.,Rogers, 1987 ; Sachs, 1812).

Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous les synesthètes graphème-couleurqui ont aussi l’audition colorée. Ainsi, Ward, Tsakanikos et Bray (2006) ontétudié trois musiciens (qui n’avaient pas l’oreille absolue) qui associaientdes couleurs à la notation musicale, aux graphèmes et à l’écoute de lamusique. Alors qu’ils présentaient une forte correspondance entre lescouleurs associées aux graphèmes et celles associées aux notes écritessur une partition, aucune correspondance claire n’était observée avec lescouleurs associées aux notes entendues, jouées au piano.

Pour d’autres synesthètes, il paraît peu vraisemblable que leursynesthésie graphème-couleur puisse expliquer leur audition colorée,puisqu’ils associent des couleurs différentes à chaque hauteur de note,indépendamment de leur nom. En effet, contrairement aux musiciensétudiés par Ward et al. (2006b), ces personnes-ci associent une couleurà une note de piano jouée à 220 Hz et une autre couleur à une notede piano jouée à 440 Hz, alors que toutes deux sont en réalité desla, mais dans des octaves différentes et donc l’un plus grave, l’autreplus aigu (Ward et al., 2006a). Il semble en fait que ces personnes sebasent sur une correspondance entre la hauteur de note et la clarté,associant, tout comme les non synesthètes d’ailleurs (Marks, 1974 ;

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Ward et al., 2006a), les sons les plus graves aux couleurs les plusfoncées, et les plus aigus aux couleurs les plus claires. Il n’en restepas moins que, comparés aux sujets de contrôle examinés par Ward etal. (2006a), les synesthètes présentaient des réponses qui restaient plusprécises et plus constantes au travers de plusieurs sessions de test-retest,même si plusieurs mois séparaient ces sessions, et qu’ils présentaientdes effets d’interférence témoignant de l’automaticité de l’activation desconcurrents. Comme nous en discuterons plus longuement par la suite, cescaractéristiques semblent différencier une véritable synesthésie de simplesassociations.

Il semble dès lors qu’il existe une véritable audition colorée qui nefait pas référence à des représentations visuelles. Mais nous ne sommesqu’au début de l’étude de ce phénomène, et il reste à en déterminer plussystématiquement les caractéristiques exactes.

1.2.3. Les séquences spatialiséesGalton (1880) fut le premier à avoir parlé des séquences spatialisées.Récemment, de nombreux chercheurs y ont fait référence au sein dela communauté scientifique et objectivèrent le phénomène (Cytowic,2002 ; Price & Mentzoni, 2008 ; Seron, Pesenti, Noël, & Deloche, 1992 ;Smilek, Callejas, Dixon, & Merikle, 2007). Les synesthètes qui présententdes séquences spatialisées perçoivent des séquences ordinales dans unedisposition spatiale particulière (Simner, Mayo, & Spiller, 2009 ; voirFigure 2). Il peut s’agir de chiffres arabes, de lettres de l’alphabet, desjours de la semaine ou des mois, mais il existe aussi des formes plus rarescomme celles concernant les pointures de chaussures, les ères historiques,les chaînes de télévision ou encore le système de caste indien (Cytowic& Eagleman, 2009 ; Sagiv, Simner, Collins, Butterworth, & Ward, 2006 ;Seron et al., 1992). Le cas le plus extraordinaire est celui rapporté parHubbard, Ranzini, Piazza et Dehaene (2009) : le synesthète DG qu’ilsétudièrent ne présentait pas moins de 58 formes différentes de séquencesspatialisées !

La plupart des gens se représentent les séquences numériques sur uneligne horizontale, avec les nombres de petite magnitude à gauche et lesnombres de grande magnitude à droite. Ceci a été étudié à travers l’effetdit SNARC (Spatial-Numerical Association of Response Codes) : lors d’unjugement de parité, par exemple, les participants répondent plus viteaux petits nombres avec la main gauche et aux grands nombres avec lamain droite (Dehaene, Bossini, & Giraux, 1993). Les séquences spatialiséesseraient un cas particulier d’association (entre par exemple nombres et

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Figure 2. Forme spatiale représentant les jours du mois, d’après le dessin d’unparticipant, JC (adapté de Simmer, Mayo, & Spiller, 2009b).

Figure 2. Spatial form depicting days of the month, adapted from a drawing made byparticipant JC (adapted from Simner et al., 2009b).

espace), n’ayant pas les mêmes caractéristiques que pour la majorité desgens. En effet, chez les synesthètes, celles-ci sont automatiques, consistanteset représentent des configurations particulières (Cytowic & Eagleman,2009). Plusieurs auteurs se sont d’ailleurs penchés sur la question desavoir si les synesthètes présentent également un biais de latéralisationdans une tâche de type SNARC (par ex., Eagleman, 2009 ; Hubbardet al., 2009 ; Jarick, Dixon, Maxwell, Nicholls, & Smilek, 2009 ; Price,2009). Price et Mentzoni (2008) ont mentionné que cet effet dépendaitdes perceptions synesthésiques. Par exemple, les synesthètes qui rapportentune disposition spatiale verticale des nombres montrent un effet SNARCdans la direction verticale, mais pas dans la direction horizontale. L’effetSNARC peut donc être inversé chez les synesthètes par rapport auxsujets de contrôle, si leurs perceptions sont disposées en sens inverse.Piazza, Pinel et Dehaene (2006) ont pourtant décrit le cas d’un synesthèteprésentant des séquences spatialisées, S.W., chez qui l’effet SNARC étaitsemblable à celui de non synesthètes, bien que sa représentation spatiale desnombres soit inversée (orientation des nombres de droite à gauche). Ce cassuggère que des représentations spatiales synesthésiques, idiosyncratiqueset explicites, peuvent coexister avec des associations spatiales plusimplicites.

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2. CARACTÉRISTIQUES DE LA SYNESTHÉSIE

Grâce à l’engouement pour l’étude de la synesthésie ces dernières années,certaines de ses caractéristiques spécifiques ont pu être mises en avant.Plusieurs tests furent développés afin de tenter de distinguer entresynesthètes et non synesthètes et d’objectiver la perception synesthésique(Eagleman, Kagan, Nelson, Sagaram, & Sarma, 2007).

Certains tests sont composés d’une série de questions visant à recueillirdes informations détaillées relatives à l’expérience synesthésique (Eaglemanet al., 2007 ; Rich, Bradshaw, & Mattingley, 2005). Nous ne décrirons pasces questionnaires en détail, mais les études que nous citerons permettrontd’en avoir un aperçu. D’autres tests servent à mesurer la constance desassociations synesthésiques au cours d’une certaine période (par ex., Asheret al., 2009 ; Baron-Cohen et al., 1996 ; Eagleman et al., 2007). Enfin,d’autres situations ont pour objectif de tester l’automaticité des associationssynesthésiques (Dixon et al., 2004 ; Mattingley & Rich, 2004 ; Mulvenna &Walsh, 2006). Actuellement, de nombreux articles font référence à l’une ouà plusieurs de ces trois méthodes pour déterminer si l’échantillon examinéest composé de synesthètes.

2.1. Constance test-retest des associationsEn 1987, Baron-Cohen, Wyke et Binnie développèrent un test visant àmesurer la constance test-retest des associations (Test of Genuineness –TOG), ce qui permettrait selon eux de confirmer la présence d’une véritableexpérience synesthésique. En effet, lorsque l’on demande à des synesthètesd’indiquer leurs associations, et ce à différents moments, ils présententdes scores de constance très élevés en comparaison avec des individus nonsynesthètes. Par exemple, un synesthète percevant un O en bleu le percevratoujours dans cette même couleur (Mattingley & Rich, 2004). Bien entendu,il existe d’autres associations constantes dans le temps, comme ressentirun état émotionnel particulier lors d’une chanson saisissante, ou encoreassocier le mot « cœur » à la couleur rouge. Cependant, les associationssynesthésiques sont différentes pour chaque synesthète, à l’inverse desexemples cités ci-dessus, qui font référence à des états émotionnels ou àdes associations de type sémantique.

Une des premières études à avoir vérifié empiriquement la constancedes associations synesthésiques est celle de Baron-Cohen et al. (1993).Les auteurs ont demandé à neuf synesthètes et à neuf sujets de contrôled’indiquer leurs propres associations de couleurs pour une liste de 130

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mots et lettres. Les participants n’avaient pas été prévenus qu’ils seraientréexaminés. Re-testés un an plus tard, les synesthètes présentèrent un tauxde constance moyen de 92,3 %, tandis que les sujets de contrôle, re-testésseulement une semaine plus tard, n’atteignirent en moyenne que 37,6 % detaux de constance dans leurs associations. De manière similaire, Mattingley,Rich, Yelland et Bradshaw (2001) ont répertorié les associations de couleursde 15 synesthètes pour 150 items composés de chiffres, de lettres et de motsclassés en 11 catégories. Des sujets de contrôle avaient également appris cesassociations. Trois mois plus tard et sans en avoir été avertis, les synesthètesont dû à nouveau spécifier les couleurs qu’ils associaient à ces 150 items. Lessujets de contrôle furent re-testés eux aussi, mais seulement un mois après lapremière session de test, afin de leur laisser un avantage. Malgré la différenceimportante de temps entre le test et le re-test pour les synesthètes et lessujets de contrôle, la constance des réponses des synesthètes était largementsupérieure (toujours au minimum 75 %, quelle que soit la catégorie destimuli inducteurs) à celle des sujets de contrôle (moins de 50 %). Il est aussiimportant de souligner qu’il n’y a généralement pas de chevauchemententre les scores de consistance des synesthètes et ceux des sujets de contrôle(Asher, Aitken, Farooqi, Kurmani, & Baron-Cohen, 2006 ; Eagleman et al.,2007 ; Eagleman, 2012).

L’une des difficultés principales de ces tests réside néanmoins dansle fait qu’un synesthète qui perçoit par exemple un A en rouge écarlateà un moment donné ne percevra pas, ou n’indiquera pas forcément,le même rouge à un autre moment (par ex., il pourra indiquer uneteinte bourgogne). Dès lors, comment indiquer qu’il s’agit d’une mêmeassociation dans la mesure de la constance ? Une solution judicieuseproposée par Eagleman et al. (2007) est de demander aux participantsd’effectuer un choix sur la palette de couleurs d’un ordinateur et de calculerla distance géométrique entre les paramètres RVB (rouge, vert, bleu) àchaque essai. Un synesthète ne présentera qu’une faible distance entre lesassociations réalisées à des moments différents, tandis qu’un individu nonsynesthète présentera une distance de plus grande ampleur.

La constance des associations a été considérée comme la conditionsine qua non pour confirmer la présence d’une réelle synesthésie etpour exclure des échantillons les simulateurs. Elle est d’ailleurs largementutilisée encore aujourd’hui. Néanmoins, ce critère de sélection présentedes faiblesses. D’une part, il y a certaines personnes qui présententtoutes les caractéristiques d’un synesthète, mais qui échouent au testde constance test-retest. Au lieu d’obtenir des taux de constance entre80 % et 100 % comme de nombreux synesthètes, ils obtiennent desperformances situées entre celles-ci et celles des sujets de contrôle, qui

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atteignent 20 % à 30 % (Simner et al., 2006 ; Simner, 2012). Durantnos propres expérimentations, nous avons été confrontées à un problèmesimilaire : certains synesthètes présentaient une forte constance intra-test,car leurs associations étaient les mêmes au travers de plusieurs essais,mais quelques mois plus tard, lorsqu’ils furent re-testés, les concurrentsavaient entre-temps diamétralement changé ! Ainsi, T4, une synesthète, amontré une constance intra-test élevée de ses associations entre chiffres etcouleurs lors d’un premier entretien, ainsi qu’au re-test, mais, à ce moment,deux chiffres étaient associés à une couleur totalement différente de cellerapportée lors du premier test (par ex., le chiffre 3 n’évoquait plus lacouleur orange mais du mauve). Eagleman et al. (2007) ont évoqué un cassimilaire, et il est probable que les synesthètes mentionnés par Simner aientété dans le même cas de figure, ce qui expliquerait leur faible pourcentagede constance entre les deux tests. D’autre part, certaines personnes nonsynesthètes présentent un score de constance test-retest élevé (Simner et al.,2006). Sans doute utilisent-elles une stratégie telle que choisir la couleursur base de la lettre initiale (par ex., la couleur orange pour la lettre O). Ilsemble donc qu’il faille faire preuve de prudence et ne pas utiliser les tests deconstance entre test et re-test comme critère unique dans la sélection d’unéchantillon de synesthètes.

2.2. Automaticité des associationsUne caractéristique supplémentaire de la synesthésie est que l’inducteursemble induire automatiquement un concurrent. Une conséquence frap-pante de cette caractéristique, sans doute la plus étudiée, est l’interférenceque produit la synesthésie dans une tâche inspirée de celle développée parStroop (1935). Appliquée à l’étude de la synesthésie graphème-couleur,cette tâche requiert de dénommer la couleur physique de graphèmesprésentés visuellement. Ici, l’information pertinente est donc la couleurphysique des lettres ou chiffres, tandis que l’information non pertinente estla couleur des concurrents induits par ces graphèmes. Dans cette situation,les synesthètes présentent des temps de réponse (TRs) plus longs lorsquela couleur dans laquelle le graphème leur est présenté ne correspondpas à la couleur du concurrent (condition incongruente) que lorsqu’elley correspond (condition congruente, par ex., Dixon, Smilek, Wagar, &Merikle, 2004 ; Mattingley & Rich, 2004 ; Mulvenna & Walsh, 2006). LesTRs plus longs observés en situation incongruente indiquent que, chez lessynesthètes, les concurrents sont difficiles à inhiber et que leur activation nesemble donc pas être sous contrôle volontaire, mais au contraire déclenchéeautomatiquement.

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À cette tâche de dénomination de la couleur physique, certaines étudesont ajouté une tâche de dénomination dite des photismes (par ex., Dixon,Smilek, & Merikle, 2004 ; Ward, Li, Salih, & Sagiv, 2007). Dans cettedernière, la dimension pertinente et la dimension non pertinente de latâche sont inversées : ce n’est plus la couleur physique des stimuli qui doitêtre dénommée, mais bien la couleur des concurrents qui y sont associés.Dans l’étude de Dixon et al., les synesthètes sélectionnés avaient été classéscomme étant des associateurs ou des projecteurs sur base de questionnairesauxquels ils avaient répondu avant de passer les deux tâches. Les synesthètesprojecteurs avaient plus de facilité pour la dénomination des photismes etun effet de congruence plus marqué lors de la dénomination de la couleurphysique. Les synesthètes associateurs étaient, quant à eux, plus rapidespour dénommer les couleurs réelles que les photismes et avaient un effetde congruence plus marqué lors de la dénomination des photismes.

Signalons que chez les synesthètes présentant une audition colorée, uneffet d’interférence de type Stroop a également été observé. En effet, cessynesthètes sont plus lents pour nommer la couleur d’un cercle apparaissantà l’écran lorsqu’ils entendent simultanément un son qui ne correspond pasà cette couleur que lorsque la couleur est congruente avec ce son (Ward etal., 2006).

Ce type d’évidence a mené divers chercheurs à conclure que lesassociations des synesthètes étaient activées automatiquement. Néanmoins,il est difficile à nouveau d’utiliser cette caractéristique comme critèreunique de la synesthésie. Il ne semble en effet pas suffisant de mettre enévidence un effet de type Stroop chez un individu pour pouvoir en conclureque cette personne est synesthète. De fait, des personnes non synesthètesayant été entraînées au cours de l’expérimentation à associer des graphèmesà des couleurs obtiennent un effet d’interférence semblable à ceux observéschez certains synesthètes (Cohen Kadosh et al., 2005 ; Meier & Rothen,2009). Elias, Saucier, Hardie et Sarty (2003) ont de plus fait mention d’unepersonne, adepte du point de croix (impliquant la connaissance d’un codede type couleur-nombre) mais n’ayant pas d’expérience synesthésique, quiobtenait néanmoins un effet d’interférence conséquent (38 ms) dans latâche de Stroop.

Cependant, comme nous en discuterons plus amplement par la suite,dans la tâche de Stroop tant la stratégie de réponse que les activationscérébrales de personnes non-synesthètes restent différentes de celles dessynesthètes (par ex., Nunn et al., 2002). L’objectivation de la synesthésiereste donc difficile, mais certaines caractéristiques peuvent indiquerla présence d’une véritable expérience synesthésique. En réalité, pourobjectiver la synesthésie à titre individuel, aucun test pris isolément n’est

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sans doute suffisant, ni les tests mesurant la constance des associations, nil’effet Stroop, ni même, comme nous le verrons plus loin, l’examen IRMfou l’IRM anatomique. Un entretien avec un professionnel expérimenté,capable d’intégrer les différentes données et d’en évaluer la convergence (ounon), est indispensable.

3. ORIGINE DE LA SYNESTHÉSIE

La question de l’origine de la synesthésie se pose à différents niveaux.Il faut d’abord mentionner l’influence de la génétique sur la probabilitéd’hériter du ou des gène(s) responsable(s) de la synesthésie. En effet, desétudes ont mis en avant la récurrence du phénomène au sein des familles.Cette prédisposition génétique pourrait en partie expliquer les spécificitéscérébrales (soit fonctionnelles, soit structurelles) qui provoqueraientl’expérience synesthésique. Enfin, au-delà de la génétique et d’une structureou d’un fonctionnement cérébral spécifique, la culture et l’environnementpourraient influencer la formation des associations synesthésiques.

3.1. Les facteurs génétiquesContrairement à l’idée que la synesthésie serait un phénomène rare,Simner et al. (2006) ont montré que 4 % à 5 % des adultes présententune ou plusieurs formes de synesthésie. Il apparaît de plus que laprévalence de la synesthésie serait plus importante au sein d’une mêmefamille, un fait évoqué pour la première fois par Galton (1883). En 1962,lors d’une interview à la BBC Television, le célèbre écrivain VladimirNabokov, synesthète, relata le jour où lui et sa femme, synesthète elleaussi, découvrirent que leur fils, âgé à l’époque d’environ 10 ans, percevaitégalement les lettres en couleurs. Après que son fils ait réalisé une liste avecles couleurs qu’il percevait, Vladimir Nabokov remarqua qu’une lettre –la lettre M – était mauve pour son fils, alors qu’elle était bleue pour safemme et rose pour lui-même, which is as if genes were painting in aquarelle(« comme si les gènes peignaient à l’aquarelle »). Le cas de Nabokov estd’autant plus intéressant que sa mère était elle aussi synesthète (Cytowic& Eagleman, 2009 ; Nabokov, 1949), ce qui ajouta un argument en faveurd’une prévalence de la synesthésie au sein des familles. Ces observationsfurent suivies d’études systématiques qui arrivèrent au même constat. Lorsd’une enquête, Baron-Cohen et al. (1996) ont ainsi constaté qu’environ untiers des synesthètes examinés connaissaient un autre synesthète au sein de

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leur famille. Barnett et al. (2008) obtinrent des résultats similaires. De parsa plus forte prévalence au sein d’une même famille, la synesthésie sembledonc avoir une base génétique.

Directement liée à l’idée d’une transmission génétique, la question desavoir si la synesthésie est équitablement répartie entre les hommes etles femmes fut posée dès le XIXe siècle par Cornaz (1851). Ses premièresconclusions furent que la synesthésie devait être plus fréquente chez lesfemmes car, selon Cornaz, Gall avait proposé que le sens traitant dela couleur fût plus développé chez les femmes. C’est la première foisqu’il fut mentionné que la prévalence de la synesthésie était en faveurdu sexe féminin (Jewanski et al., 2011), ce qui fut par la suite rapportéà de nombreuses reprises dans la littérature scientifique. Par exemple,Baron-Cohen et al. (1996) rapportèrent un rapport de 6:1 en faveur desfemmes, une proportion également observée par Rich et al. (2005).

Le fait que la synesthésie soit apparemment plus fréquente chez lesfemmes, associé au fait que pendant longtemps les chercheurs n’ontpas observé de cas de transmission de la synesthésie d’un père à sonfils, ont laissé supposer que le chromosome X jouerait un rôle centraldans cette transmission (voir discussions par ex., dans Barnett et al.,2008 ; Baron-Cohen et al., 1996 ; Cytowic, 2002 ; Ward & Simner,2005). Cependant, plus récemment Asher et al. (2009) ont rapporté deuxcas de transmission de la synesthésie de père en fils, ce qui contreditcette hypothèse. Par ailleurs, la différence de prévalence de la synesthésieen faveur des femmes pourrait être due au fait que les hommes sontmoins enclins que celles-ci à rapporter ce type d’expérience (Hubbard& Ramachandran, 2005), et ceci pourrait avoir biaisé fortement lesévaluations qui n’étaient basées que sur des auto-rapports (Barnett et al.,2008 ; Baron-Cohen et al., 1996). La prévalence de la synesthésie pourraitdonc être en réalité plus équitablement répartie entre hommes et femmesque ce qu’en laissaient croire les premières études (Simner et al., 2006 ; voiraussi Simner, Harrold, Creed, Monro, & Foulkes, 2009a).

La transmission de la synesthésie est aussi beaucoup plus complexeque ce qui avait été supposé. Bien que ce domaine de recherche en soitencore à ses prémisses, il semble que cette transmission soit polygénique,ou du moins « oligogénique » (impliquant un nombre réduit de gènes).Ainsi, Tomson et al. (2011), en réalisant des analyses au sein de famillespour déterminer le ou les gènes responsable(s) de la transmission de lasynesthésie, ont identifié la région 23 sur le chromosome 16. Asher et al.(2009) ont réalisé des analyses sur l’ensemble du génome, et ont observéun lien significatif sur le chromosome 2q24, ainsi que peut-être sur leschromosomes 5q33, 6p12, et 12p12.

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Quoi qu’il en soit, même si le ou les gènes responsables de la synesthésierestent à identifier plus précisément, il apparaît que les membres d’unemême famille peuvent présenter des formes différentes de synesthésie(Barnett et al., 2008). Pour revenir à l’exemple de Vladimir Nabokov, sonfils et lui-même percevaient les lettres en couleurs, tout comme sa mère,également synesthète, mais cette dernière possédait également l’auditioncolorée (Cytowic & Eagleman, 2009 ; Nabokov, 1949). Ceci n’est en faitpas étonnant : les circuits nerveux de notre cerveau sont déterminés àla fois par des instructions génétiques et par les expériences issues denotre environnement. La tendance à présenter une synesthésie serait doncgénétique, mais le sous-type précis de synesthésie présenté par un individudonné pourrait dépendre de facteurs environnementaux et/ou culturels,que nous aborderons plus loin. Par conséquent, ce qui est transmis neserait pas les associations en elles-mêmes, mais la tendance à associer lessensations entre elles (voir discussion dans Barnett et al., 2008).

Par ailleurs, selon Brang et Ramachandran (2011), le ou les gènes de lasynesthésie, bien que n’ayant a priori aucune raison de persister, auraientrésisté à la pression de l’évolution car être doté d’une ou plusieurs formesde synesthésie pourrait apporter certains bénéfices cognitifs, que nousaborderons dans la dernière partie de cet article.

Les études génétiques ne nous permettent par ailleurs pas decomprendre comment le ou les gènes responsables de la transmission dela synesthésie provoquent les expériences particulières qui sont associéesà ce phénomène. Plusieurs modèles tentent d’expliquer ces expériencespar des caractéristiques neurobiologiques spécifiques qui se mettraient enplace au cours du développement. Parmi ces modèles du fonctionnementcérébral de la synesthésie, nous en examinerons deux, qui sont plus souventmentionnés que les autres. En parallèle, nous évoquerons également lesaspects neuroanatomiques de la synesthésie.

3.2. Les facteurs anatomo-fonctionnelsDeux hypothèses principales ont été formulées quant aux corrélatsneurobiologiques de la synesthésie. L’une propose que les expériencessynesthésiques sont dues à des spécificités structurelles du cerveau dessynesthètes, tandis que l’autre considère que la synesthésie reflète descaractéristiques fonctionnelles particulières liées à l’inhibition/excitationdes connections entre aires corticales. Comme nous le verrons, il se pourraitque ces deux facteurs s’intègrent au cours du développement.

La première hypothèse est illustrée par la théorie de l’activation croisée(cross-activation theory), qui fut développée principalement dans le cadre

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de l’étude de la synesthésie graphème-couleur. Selon cette théorie, lesexpériences synesthésiques refléteraient une activation croisée entre les airescérébrales sous-tendant la perception des inducteurs (les graphèmes) et desconcurrents (les couleurs), plus précisément entre les régions cérébralesadjacentes du gyrus fusiforme qui sont impliquées d’une part dans lareconnaissance visuelle des séquences écrites (par ex., Cohen & Dehaene,2004) ou des nombres (par ex., Rickard et al., 2000) et d’autre part dansle traitement des couleurs (principalement l’aire V4, cf. Zeki, Watson,Lueck, Friston, Kennard, & Frackowiak, 1991). La cause de cette activationcroisée pourrait être un élagage périnatal incomplet entre les connexionsneuronales (Kennedy, Batardiere, Dehay, & Barone, 1997 ; Maurer &Maurer, 1988 ; Ramachandran & Hubbard, 2001). Cet élagage est une étapenormale de la maturation du cerveau pendant laquelle certaines connexionspeu utilisées sont supprimées par apoptose. Chez les synesthètes, cesconnexions n’auraient pas été supprimées.

Les arguments en faveur de cette hypothèse proviennent essentiellementd’études révélant des différences anatomiques chez les synesthètes prèsdes régions liées au traitement des graphèmes et des couleurs. Il fautcependant noter que ces différences ne s’observent pas seulement auniveau d’aires spécifiques de traitement, par exemple au niveau du gyrusfusiforme dans le cas de la synesthésie graphème-couleur, mais aussi auniveau frontal et pariétal. Par exemple, Rouw et Scholte (2007) trouvèrentune meilleure connectivité chez les synesthètes graphème-couleur tant auniveau du cortex pariétal et frontal supérieur qu’au niveau du cortextemporal inférieur, dans la matière blanche proche du gyrus fusiforme.De manière cohérente, les synesthètes graphème-couleur présentent uneaugmentation du volume de matière grise non seulement au niveau dugyrus fusiforme mais aussi au niveau du cortex pariétal (par ex., Weiss &Fink, 2009). Il est intéressant de noter que l’implication des aires pariétalesn’est pas spécifique de la synesthésie graphème-couleur, mais a aussi étéobservée dans d’autres formes de synesthésie impliquant la couleur, commel’audition colorée (Beeli, Esslen, & Jäncke, 2008 ; Jäncke & Langer, 2011 ;Neufeld et al., 2012 ; Nunn et al., 2002 ; Paulesu et al., 1995).

Ces données suggèrent que la synesthésie ne serait pas due uniquementà une activation croisée entre deux aires spécifiques, mais qu’elle impliquedes processus supplémentaires. L’implication des régions frontales etpariétales pourrait refléter les processus d’intégration et de contrôle cognitifqui font partie intégrante du phénomène synesthésique. En effet, touten créant des liens forts entre inducteur et concurrent, l’expériencesynesthésique mènerait à des conflits entre les sensations engendrées demanière interne et externe, ce qui nécessiterait dès lors un plus grand

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contrôle cognitif et ferait intervenir des régions (pré-)frontales. En accordavec cette idée, Weiss, Zilles et Fink (2005) ont montré qu’une dissonanceperceptive entre les couleurs physiques et l’expérience synesthésique coloréerésulte en une augmentation de l’activité neurale au niveau du cortexpréfrontal dorsolatéral gauche.

L’implication du lobe pariétal a quant à elle surtout été amplementdiscutée sur la base du fait que ce lobe est spécialisé, même chez lesnon synesthètes, dans l’intégration des propriétés perceptives de basecomme la couleur, la forme, l’orientation, etc., en objets cohérents (par ex.,Friedman-Hill, Robertson, & Treisman, 1995). La synesthésie impliqueraitainsi un processus de liage supplémentaire qui se réaliserait principalementdans le lobe pariétal, même si les données divergent quant à savoir s’ils’agit du lobe pariétal gauche ou droit (Specht, 2012). Cette idée a menéà une refonte de la théorie de l’activation croisée : suite à l’activation croiséeentre aires adjacentes, par exemple, les aires traitant les graphèmes et cellestraitant les couleurs, les deux percepts seraient ensuite intégrés au niveaupariétal (par ex., Hubbard, 2007 ; Hubbard, Brang, & Ramachandran,2011).

Selon la seconde hypothèse, le cerveau des synesthètes ne diffèreraitpas au niveau structurel de celui des non synesthètes, mais plutôt auniveau de son fonctionnement. Il existerait de nombreuses connexionsentre les différentes aires sensorielles, mais celles-ci seraient normalementinhibées chez les sujets non-synesthètes (par ex., Cohen Kadosh & Henik,2007 ; Cohen Kadosh & Walsh, 2008 ; Grossenbacher & Lovelace, 2001).Plus précisément, Grossenbacher et Lovelace proposent que la synesthésieserait causée par un manque d’inhibition descendante (feedback) desaires associatives du cortex vers les aires perceptives de plus bas niveau(Grossenbacher & Lovelace, 2001). En effet, notre système perceptifcomporte des connexions en provenance des différentes voies sensoriellesqui convergent vers les aires associatives. Ces connexions vers les airesassociatives s’accompagnent de connexions descendantes qui renvoient del’information aux aires perceptives de plus bas niveau. Chez les personnesnon synesthètes, ces connexions descendantes seraient suffisammentinhibées pour qu’il n’y ait pas d’induction synesthésique. Par contre, lessynesthètes connaîtraient un défaut d’inhibition des connexions en retour.Ce phénomène provoquerait alors l’activation des aires sensorielles de basniveau, ce qui mènerait aux perceptions synesthésiques.

Un des arguments les plus convaincants en faveur de cette hypothèse estcelui des cas d’expériences qui ressemblent à de la synesthésie mais qui sontdéclenchées par la prise de drogues (Grossenbacher, 1997 ; Grossenbacher& Lovelace, 2001). Ceci soutient en effet l’idée selon laquelle la synesthésie

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est sous-tendue par des connexions existant chez tout un chacun, mais quisont habituellement inhibées. Un autre argument en faveur de l’hypothèsedu manque d’inhibition a été apporté par Cohen Kadosh, Henik, Catena,Walsh et Fuentes (2009) : ces auteurs ont montré que des participantsnon synesthètes pouvaient éprouver une expérience synesthésique lorsd’une suggestion post-hypnotique. Ils ont recouru à l’hypnose afin de faireapprendre des correspondances graphème-couleur chez leurs participants,en vue d’induire une synesthésie. Les résultats obtenus en suggestionpost-hypnotique (mais pas lorsque la suggestion n’avait pas eu lieu) dansune tâche de type Stroop sont similaires à ceux des synesthètes. Cecisemble remettre en cause l’hypothèse d’hyperconnectivité et privilégiercelle d’un manque d’inhibition. En effet, il est très peu vraisemblableque de nouvelles connections neuronales puissent être créées, devenirfonctionnelles et ensuite dégénérer rapidement, au cours d’une expériencerelativement restreinte dans le temps. Néanmoins, ces arguments sont sujetsà caution. Ainsi, Sinke, Halpern, Zelder, Neufeld, Emrich et Passie (2012)ont récemment relevé que la synesthésie induite par les drogues diffère dela synesthésie développementale, car notamment elle ne présente pas deconstance (ni sur le long terme ni après un re-test immédiat), n’est pasautomatique et arbore une phénoménologie différente tant au niveau desinducteurs que des concurrents. De même, dans l’étude de Cohen Kadoshet al. (2009), il n’y a pas de preuves tangibles que les participants qui ont euune expérience synesthésique lors d’une suggestion post-hypnotique aientvécu une expérience semblable à celle de véritables synesthètes. De plus,nous verrons par la suite qu’un effet Stroop peut être obtenu par entraîne-ment chez des sujets non synesthètes, sans avoir recours à une suggestionpost-hypnotique.

Même si de nombreuses tentatives expérimentales ont été faites(voir aussi Brang, Hubbard, Coulson, Huang, & Ramachandran, 2010),l’hypothèse d’hyperconnectivité et l’hypothèse de manque d’inhibitionsont en réalité difficiles à départager car elles ne sont pas nécessairementincompatibles : des différences de structure cérébrale pourraient eneffet mener à des différences fonctionnelles et vice-versa. Ainsi, selonCohen Kadosh et al. (2009), les différences structurelles rapportées parRouw et Scholte (2007) pourraient en réalité n’être qu’une conséquence,plutôt qu’une cause, de la synesthésie. Selon ce point de vue, ceserait le manque d’inhibition qui mènerait lui-même à une réorgani-sation anatomique (Cohen Kadosh & Henik, 2007 ; Cohen Kadosh &Walsh, 2008).

Quelle qu’en soit l’explication la plus plausible, il faut toutefois releverque les résultats des études réalisées jusqu’ici sur les bases neurales de

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la synesthésie sont moins cohérents et ont montré une réalité bien pluscomplexe que celle que nous venons brièvement de décrire.

Ainsi, les résultats de plusieurs études pourraient laisser croire quechaque forme de synesthésie mène à des loci d’activation cérébrale quidiffèrent en fonction de l’inducteur et du percept additionnel évoqué, cequi expliquerait le caractère « véridique », de type perceptif, de l’expériencesynesthésique subjective. De fait, certaines études ont montré que chez lessynesthètes de type graphème-couleur, la perception colorée de lettres oude chiffres achromatiques provoque une activation au niveau des aires ducortex visuel responsables du traitement de la couleur (par ex., Hubbard,Arman, Ramachandran, & Boynton, 2005 ; Rouw & Scholte, 2007). Ilen est de même lorsque la perception colorée est évoquée par des motsparlés (Nunn et al., 2002). Mais ces activations ne sont pas toujoursobservées. Ainsi, chez les synesthètes graphème-couleur, Hupé, Bordieret Dojat (2012) et Rich et al. (2006) n’ont pas trouvé d’activation parles concurrents des aires impliquées dans le traitement de la couleur, nid’ailleurs Rouw et Scholte (2010) dans un échantillon plus large incluantpourtant celui testé en 2007. Par ailleurs, d’autres études rapportent chezles synesthètes des activations du cortex visuel beaucoup plus larges quecelles impliquant seulement les aires liées au traitement de la couleur,et les aires cérébrales qui présentent une modification structurelle chezles synesthètes ne coïncident pas toujours non plus avec leur modalitésynesthésique (voir Hupé et al., 2012, et Rouw & Scholte, 2011, pourdes revues).

Hupé et al. (2012) proposèrent ainsi que les couleurs synesthésiquespourraient être codées de manière distribuée, et non pas localisée, ausein du cortex visuel. Selon ce point de vue, l’expérience synesthésiquereposerait sur l’interconnexion de diverses régions cérébrales sans que pourautant une région spécifique soit fortement activée, et les co-activationssubtiles sur laquelle elle reposerait seraient difficiles à détecter par lestechniques d’imagerie les plus fréquemment utilisées de nos jours. Notonsque cette idée est compatible avec des données qui montrent unealtération globale de la typologie structurelle du cerveau des synesthètesgraphème-couleur (Hänggi, Wotruba, & Jäncke, 2011), ce qui suggèreune hyperconnectivité globale qui n’est pas limitée au gyrus fusiforme etau cortex pariétal et qui pourrait refléter une modularité de traitementmoindre.

Il est par ailleurs intéressant de signaler que selon Rouw et al.(2011), l’insula semble aussi impliquée dans la synesthésie, ce quipourrait être lié au processus de conversion d’un stimulus externe enun stimulus interne différent (Paulesu et al., 1995) et/ou à la qualité

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émotionnelle particulière qui semble souvent accompagner les expériencessynesthésiques En effet, Jones, Gray, Minati, Simne, Critchley et Ward(2011) ont trouvé, chez deux synesthètes lexicaux-gustatifs, une activationde l’insula en fonction du goût plaisant ou déplaisant évoqué par des mots.Signalons que des émotions semblent aussi accompagner la synesthésiegraphème-couleur : pour les synesthètes, percevoir un mot dans uneautre couleur que la couleur synesthésique provoque une réaction émo-tionnelle particulière pouvant biaiser leur performance (Callejas, Acosta,& Lupianez, 2007). Par ailleurs, certains synesthètes ne perçoivent descouleurs synesthésiques qu’en réponse à des stimuli émotionnels (par ex.,Ward, 2004).

Cette qualité émotionnelle particulière qui accompagne (voireprovoque) les expériences synesthésiques pourrait aussi rendre comptede l’implication du cortex retrosplénial dans ces expériences. Bien quel’intervention de cette région dans la synesthésie ait déjà été mentionnéepar Weiss, Shah, Toni, Zilles et Fink (2001), son importance n’a étésoulignée que récemment. Hupé et al. (2012) y ont en effet relevéune plus grande quantité de matière blanche (bilatéralement) chez dessynesthètes graphèmes-couleur, et Jäncke et Langer (2011) ont trouvéune connectivité plus forte chez des synesthètes présentant l’auditioncolorée au niveau de l’hippocampe et du cortex retrosplénial. Il fautrelever que le cortex rétrosplénial présente des liens fonctionnels etanatomiques avec le système de mémoire (para)-hippocampique et qu’ilest impliqué dans les interactions entre les émotions et la mémoire,surtout de type épisodique ou à caractère auto-référentiel (Maddock,1999 ; Northoff et al., 2006 ; Piefke, Weiss, Zilles, Markowitsch,& Fink, 2003). Comme le discutent Hupé et al., une associationsynesthésique pourrait ainsi être considérée comme une associationmémorisée (arbitraire et idiosyncratique) chargée émotionnellement.Ces auteurs soulignent aussi le fait que, chez le singe, cette régionenvoie des connexions à l’aire V4, responsable du traitement de lacouleur (Kobayashi & Amaral, 2007). Le cortex rétrosplénial pourraitainsi lier des propriétés visuelles (comme la couleur) aux émotions etsouvenirs.

À la section suivante, le dernier niveau que nous aborderons danscette revue des divers facteurs à l’origine de la synesthésie concernel’influence de la culture et de l’environnement sur la formation des asso-ciations synesthésiques. Bien qu’à notre connaissance seule la synesthésiegraphème-couleur ait été analysée sous cet angle, ce type de facteur pourraitaussi intervenir dans les autres formes de synesthésie.

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3.3. Les facteurs environnementaux et culturelsNous avons déjà signalé que les concurrents semblent idiosyncratiques.Bien qu’à première vue ceci semble être le cas dans la synesthésiegraphème-couleur, il est apparu que certaines lettres sont plus fréquem-ment associées à certaines couleurs. Plusieurs études ont ainsi montré queles associations entre couleurs et graphèmes, bien que propres à chaqueindividu, ne sont pas totalement aléatoires, tant chez les synesthètes quechez les non-synesthètes (par ex., Barnett et al., 2008 ; Rich et al., 2005 ;Simner et al., 2005). Naturellement, les adultes non synesthètes n’ont pasd’associations fortes entre couleurs et lettres. Cependant, lorsqu’on leurdemande de faire un choix, certaines lettres sont plus fréquemment reliéesà une couleur que d’autres.

Plusieurs hypothèses tentant d’expliquer comment se forment cesassociations ont été avancées. Premièrement, Rich et al. (2005) ont constatéque la première lettre du nom d’une couleur semblait influencer le choixde la couleur associée. En effet, un pourcentage significatif d’adultessynesthètes et non-synesthètes anglophones choisit la couleur rouge pourla lettre R (36 % – red en anglais), jaune pour Y (45 % – yellow enanglais) et bleu pour B (31 % – blue en anglais). Il y a cependantde nombreuses exceptions à cela, comme le fait qu’aucune associationsignificative n’ait été trouvée entre la lettre O et la couleur orange, ou entrele B et la couleur brune. De plus, dans d’autres études, des concurrentsdifférents ont été trouvés pour un même inducteur (Baron-Cohen, Burt,Smith-Laittan, Harrison, & Bolton, 1996 ; Marks, 1975). Il semble donc quecette hypothèse ne soit pas suffisante pour expliquer les correspondances decouleurs associées à des graphèmes, tant chez les synesthètes que chez lesnon synesthètes.

Une deuxième hypothèse proposée par Rich et al. (2005) est que lasimilarité des associations graphèmes-couleurs des synesthètes et des nonsynesthètes reflète certaines expériences communes. Dès le XIXe siècle,Chabalier (1864, p. 101) avait remarqué que « depuis plusieurs années,une méthode éducationnelle pour que les enfants apprennent a été dematérialiser chaque lettre avec une couleur particulière, sous l’apparenced’un objet dont le nom commence par la lettre à mémoriser ». Ilfut convaincu que ce type d’éducation avait produit de nombreuses« pseudochromesthésies » (un terme employé à l’époque et faisant référenceà la synesthésie). Pour tester cette hypothèse, Rich et al. ont examinéplusieurs collections de livres pour enfants de compréhension en lecture(The Australian Children’s Literature Collection et The Australian School

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Textbooks Collection) qui utilisent des couleurs pour les nombres et leslettres. Leur étude dévoile que la lettre A est souvent présentée en rouge(43 %), H et S en vert (24 % et 23 %), D en brun (15 %) et Oen orange (18 %). Ces résultats ont montré certaines correspondances,comme pour le A et le D, avec les choix de couleurs des synesthètes etdes non synesthètes qui composaient leur échantillon. Néanmoins, unseul parmi les 150 synesthètes qu’ils ont examinés présentait des couleurssynesthésiques consistantes avec les livres. Il est donc possible que lescouleurs synesthésiques soient, mais seulement en partie, influencées parles couleurs utilisées dans les livres pour enfants.

Une troisième hypothèse propose que les associations graphèmes-couleurs analogues chez les adultes synesthètes et non synesthètes reflètentdes connexions corticales communes facilitant les liens entre les sens ouentre des dimensions sensorielles comme la forme et la couleur. Spectoret Maurer (2008, 2011) firent remarquer que si les associations entre lescouleurs et les lettres dépendent d’une organisation corticale sensorielleintrinsèque, alors les mêmes associations devraient être observées chez lesjeunes enfants pré-lettrés. Au contraire, si ces associations sont le reflet d’unapprentissage de la lecture, les enfants pré-lettrés ne devraient pas présenterd’associations cohérentes. Les résultats de Spector et Maurer montrèrentque seules certaines associations lettres-couleurs sont provoquées par laforme : c’est le cas de la tendance à associer X et Z à du noir et I et O àdu blanc.

Réunies, ces données suggèrent donc qu’initialement l’organisationcorticale sensorielle lierait certaines formes à des couleurs spécifiques, maisque l’apprentissage de la lecture induirait des associations supplémentaires.

4. LA FORMATION DES ASSOCIATIONSSYNESTHÉSIQUES S’ARRÊTE-T-ELLE APRÈS

L’ENFANCE ?

De nombreux chercheurs ont suggéré que la synesthésie s’établirait durantl’enfance, au moment où les cellules neuronales se spécialisent (Maurer,1993 ; Maurer & Maurer, 1988 ; Spector & Maurer, 2009). Néanmoins, selonSimner et al. (2009a), l’âge auquel se manifestent les associations varieraiten fonction du type de synesthésie. Par exemple, une synesthésie de typegraphème-couleur se manifesterait plus tardivement qu’une synesthésiede type son-couleur, puisqu’elle ne peut survenir qu’après l’apprentissage

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des lettres. Quoi qu’il en soit, l’acquisition des associations synesthésiquessemble s’arrêter à un moment donné. Un argument qui semble soutenircette hypothèse est le fait qu’au sein d’un même sous-type de synesthésie,toutes les associations ne sont pas présentes chez les synesthètes. Dans lecas des séquences spatialisées, nous avons déjà relevé que la plupart dessynesthètes rapportent qu’ils perçoivent une disposition spatiale pour desséquences telles que les jours, les mois et les graphèmes, mais pas pourd’autres types de séquences. De même, nous avons noté que de nombreuxsynesthètes graphèmes-couleurs perçoivent des couleurs pour les chiffres etles lettres mais plus rarement pour d’autres symboles généralement acquisplus tardivement (comme $, <, @, &, etc.). Il se pourrait donc qu’il existeune période sensible, pouvant varier d’un type de synesthésie à l’autre,durant laquelle les associations se forment. Notons qu’il est probable quecette période soit plus étendue dans le temps chez certains individusprésentant une synesthésie multiple comme Veniamin (Luria, 1965), maisaucune donnée empirique ne permet de confirmer cette hypothèse.

Il n’est toutefois pas exclu que les synesthètes puissent acquérirde nouvelles synesthésies tout au long de leur vie, mais celles-ci sedévelopperaient plus lentement ou nécessiteraient une exposition pluslongue ou plus intensive que pendant l’enfance. Certains auteurs ont misen évidence que des associations synesthésiques initialement acquises parexemple entre couleurs et chiffres pouvaient se généraliser aux symbolesalphabétiques, acquis plus tardivement (par ex., du chiffre « 2 » au mot« deux », Rich et al., 2005). De même, des associations synesthésiquesinitialement acquises pour les nombres et les lettres de l’alphabet latinpeuvent être transférées à l’alphabet cyrillique, appris plus tardivement(Witthoft & Winawer, 2006). Comme le montre l’étude de Mroczko,Metzinger, Singer et Nikolic (2009), un tel transfert à de nouveauxgraphèmes semble pouvoir s’opérer même à l’âge adulte, suite à un brefapprentissage d’une dizaine de minutes. Les « nouveaux » graphèmesutilisés par ces auteurs appartenaient à un ancien système d’écriture slave –le glagolitique – et correspondaient aux graphèmes latins et arabes (chiffres)qui produisaient initialement une forte association graphème-couleur chezles participants de leur étude. Ceux-ci apprenaient la forme visuelle desnouveaux graphèmes un à un, en les écrivant d’abord chacun six fois,puis en acquéraient leur signification en écrivant 20 mots ou séquencesde chiffres dans lesquels il devaient remplacer le graphème latin/arabepar son équivalent glagolitique. La tâche de type Stroop a été ensuiteutilisée pour témoigner de cet apprentissage. La comparaison de laperformance avant et après l’apprentissage a montré un effet importantde l’entraînement. Ceci suggère que les associations entre graphèmes et

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couleurs apprises durant l’enfance peuvent être transférées à un nouveaugraphème en une période de temps très courte, puisque ces nouvellesassociations induisent directement un fort effet d’interférence dans la tâchede type Stroop. Cependant, les résultats observés ne permettent pas desavoir s’il s’agit d’une nouvelle synesthésie pour ce type de graphème,ou s’il s’agit simplement de la mémorisation d’associations au niveausémantique (Nikolic, Lichti, & Singer, 2007). En effet, nous avons déjà faitréférence au fait qu’un effet de type Stroop peut également être observéchez des non synesthètes, suite à l’apprentissage d’associations de typegraphèmes-couleurs (par ex., McLeod & Dunbar, 1988 ; Meier & Rothen,2009). La question de savoir si de nouveaux inducteurs peuvent mener à denouvelles associations synesthésiques reste donc en suspens.

5. PEUT-ON APPRENDRE À ÊTRE SYNESTHÈTE ?

La question de savoir s’il est possible pour les synesthètes de continuerà acquérir de nouvelles associations synesthésiques au-delà de l’enfancemène tout naturellement à celle, plus large, de savoir si des individus nonsynesthètes peuvent, par entraînement, acquérir une forme de synesthésie.Il paraît évident que, avec un entraînement plus ou moins long, tout lemonde pourrait mémoriser des associations entre, par exemple, des chiffreset des couleurs. Cependant, peut-on réellement devenir synesthète ?

Plusieurs études ont mis en évidence un effet de type Stroop chez desadultes non synesthètes mais entraînés à former de nouvelles associations.Toutes ont montré que, suite à un entraînement, des personnes nonsynesthètes ayant appris à associer des graphèmes avec des couleursobtenaient un effet d’interférence dans une tâche de type Stroop. Nousavons déjà mentionné le cas rapporté par Elias et al. (2003) d’un participantnon synesthète mais qui s’était entraîné sur une très longue période à lapratique du point de croix, lequel implique la connaissance d’un code detype couleur-nombre. Il est à relever que cette personne présentait un effetd’interférence de type Stroop identique à celui d’un groupe de synesthètes.Meier et Rothen (2009) ont de plus montré qu’un entraînement courtsuffisait à provoquer un effet d’interférence dans la tâche de type Stroop.Ils ont entraîné un groupe de non synesthètes pendant sept jours, à raisonde 10 minutes par jours, à associer des mots et des couleurs. Ils observèrentun effet d’interférence dans la tâche de type Stroop, montrant une fois deplus que cet effet n’est pas suffisant pour juger ou non de la véracité desperceptions synesthésiques chez un individu.

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Bien que dans toutes ces études les participants aient pu apprendreà associer des graphèmes avec des couleurs, il semble néanmoins quetrois éléments ne soient pas réunis pour former une véritable synesthésie.Le premier concerne les aspects neuroanatomiques sous-tendant lasynesthésie. Nunn et al. (2002) ont surentraîné un groupe de nonsynesthètes à associer des mots avec des couleurs spécifiques. À l’inversedes synesthètes, qui présentaient une forte activité dans les aires V4 et V8du cortex temporal, les sujets de contrôle ne montraient pas d’activité dansces régions lors de l’écoute des mots parlés. Il semble toutefois prématuréde considérer que cette différence d’activation prouve que les nouvellesassociations ne sont pas véritablement synesthésiques, puisque nous avonsvu que, de manière générale, il est difficile de différencier le fonctionnementcérébral des synesthètes et des non synesthètes.

Le deuxième élément, plus convainquant, est le fait que les nonsynesthètes ayant appris des associations semblent utiliser des stratégiescognitives particulières, que l’on n’observe pas chez les synesthètes. Ainsi,Cohen Kadosh et al. (2005) ont développé un paradigme modifié deconcordance de taille2 destiné à évaluer l’influence de la couleur sur lamagnitude numérique chez les individus qui présentent une synesthésiegraphème-couleur. Ce paradigme utilisait la couleur comme variablenon pertinente. Le participant devait désigner lequel de deux chiffresse caractérisait par la plus grande magnitude, tout en ignorant ladimension non pertinente. Les deux synesthètes examinés ont répondu plusrapidement quand la « distance numérique » entre les deux couleurs étaitplus grande que celle indiquée par les chiffres, par rapport à la situationdans laquelle les chiffres étaient présentés dans leur « bonne » couleur, àsavoir celle de leur association synesthésique. Par exemple, ils répondaientplus rapidement aux chiffres 4 et 5 présentés dans les couleurs évoquantle 2 et le 7 qu’aux chiffres 4 et 5 présentés dans leur propre couleursynesthésique. Les participants non synesthètes mais entraînés ont, quantà eux, obtenu des résultats opposés aux deux synesthètes : chez eux, il yavait une interférence lorsque la couleur ne correspondait pas au chiffreauquel elle avait été associée lors de leur apprentissage. Le groupe decontrôle non entraîné n’a quant à lui montré aucun effet de la couleur surla tâche. Il faudrait cependant, selon les auteurs, effectuer un apprentissagebeaucoup plus long pour vérifier si dans ce type de tâche les résultats des

2Notons que le paradigme classique de concordance de taille met en évidence un effet d’interférence de variablesphysiques sur le traitement de la magnitude numérique. Ce traitement est par ailleurs sensible à l’effet de distanceentre les magnitudes, ainsi qu’à l’effet de distance au niveau de la variable non pertinente (si une dimensionphysique est importante, son effet interférent sur le traitement numérique sera plus appréciable).

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non synesthètes se rapprochent de plus en plus, au fur et à mesure del’apprentissage, de ceux obtenus par les synesthètes.

Le troisième élément manquant pour être un parfait synesthète, et quiest essentiel, semble être l’expérience synesthésique en elle-même. En effet,ce n’est pas parce que des personnes non synesthètes peuvent parvenirà apprendre des associations que celles-ci vont être perçues de la mêmemanière par un synesthète. Dans l’exemple des séquences spatialisées, lesynesthète perçoit, dans son « œil interne » ou dans le monde qui l’entoure,une disposition spatiale d’éléments. Quoi qu’il fasse, il la percevra. Dansl’expérience de Meier et Rothen (2009), les non synesthètes rapportentcertes que les lettres déclenchent après l’apprentissage la mémoire desassociations apprises, mais aucun ne rapporte que celles-ci provoquent uneexpérience colorée.

Il semble donc que l’influence des gènes et ce qui en découle, à savoirnotamment les différences structurelles et fonctionnelles, ne puissent pasêtre suppléés – par exemple, par un entraînement, aussi long qu’il soit –pour la formation d’une véritable expérience synesthésique.

6. QU’EST-CE QUE CELA APPORTE D’ÊTRESYNESTHÈTE ?

La synesthésie a souvent été mentionnée comme étant un « sixième sens »,ou comme un type de perception extrasensorielle. Pour rejoindre Day(2005), la synesthésie ne semble pourtant pas être un sixième sens. Il s’agitplutôt d’un groupement de plusieurs sens préexistants. C’est simplementune manière différente de voir le monde. Le paradoxe est qu’en faitles perceptions synesthésiques sont considérées comme normales par lessynesthètes, bien que ce ne soit pas le cas pour les non synesthètes. Pourchaque synesthète, le fait d’apprendre que ses perceptions ne sont pas cellesde tout le monde est souvent une découverte surprenante. C’est d’ailleurspour cette raison que beaucoup de synesthètes ignorent qu’ils le sont. Pourun synesthète, il n’est pas normal de ne pas percevoir toutes ces choses !

De nombreuses études ont montré qu’être synesthète pouvait menerà l’obtention de scores supérieurs dans certaines tâches, mais à desperformances inférieures dans d’autres. Par exemple, les synesthètes« goûtant les mots » rapportent des difficultés à maintenir leur attentionlorsqu’ils lisent (Ward & Simner, 2003). Ward, Sagiv et Butterworth(2009) ont montré que les synesthètes numérico-spatiaux sont lents encalcul mental, et plus particulièrement en multiplication, sans doute

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en raison du recours involontaire à leur ligne mentale numérique. Ilest cependant fréquemment apparu que la synesthésie procure certainsavantages cognitifs, notamment dans le domaine de la mémoire. Veniamin(Luria, 1965), qui pouvait se souvenir précisément de listes d’une centainede mots apprises 20 ans plus tôt, et Daniel Tammet (auteur de « Je suisné un jour bleu »), qui pouvait apprendre l’islandais en une semaine ouencore réciter 22,514 décimales de Pi par cœur, n’auraient pas contredit lefait qu’être synesthète leur confère un avantage mnémonique important.Outre ces deux exemples prodigieux, plusieurs études ont montré quela synesthésie pouvait conférer un avantage mnésique (Mills, Innis,Westendorf, Owsianiecki, & McDonald, 2006 ; Smilek, Dixon, Cudahy,& Merikle, 2002). Par exemple, Smilek et al. (2002) ont présenté auxparticipants trois matrices différentes de 50 chiffres allant de 0 à 9. Sur lapremière, C – un synesthète – voyait apparaître les chiffres dans une couleurcongruente à ses photismes ; sur la deuxième, les chiffres étaient présentésdans des couleurs incongruentes ; et sur la troisième, les chiffres étaientnoirs. Les résultats ont montré non seulement que C avait des performancesplus faibles lorsqu’il était confronté à la matrice de chiffres en couleursincongruentes par rapport à la matrice avec des couleurs congruenteset des chiffres noirs, mais également que C était meilleur que les sujetsde contrôle dans le rappel des chiffres noirs. Simner et al. (2009) ontmontré que les synesthètes avec séquences spatialisées qui perçoivent unedisposition particulière pour les années et les siècles sont plus exacts que dessujets de contrôle non seulement lorsqu’il s’agit de dater 120 événementspolitiques ou culturels, mais également lorsqu’il s’agit de rappeler desdétails autobiographiques. Les synesthètes graphème-couleur obtiennentquant à eux de meilleures performances dans des tâches de mémorisationde couleurs (Yaro & Ward, 2007) et dans certains tests de créativité (Ward,Thompson-Lake, Ely, & Kaminski, 2008).

Notons que les avantages mnémoniques liés à la synesthésie pourraientreposer sur l’implication du cortex rétrosplénial et de l’hippocampe,dont nous avons déjà discuté (Hupé et al., 2012 ; Jäncke & Langer,2011). Néanmoins, les exemples cités ci-dessus suggèrent que les bénéficescognitifs liés à la synesthésie dépendent des sous-types de synesthésies. Deplus, ces bénéfices ne sont pas toujours prodigieux. Ainsi, Rothen et Meier(2010) ont porté leur attention sur différents domaines de la mémoireen présentant un test de mémoire standardisé (l’échelle de mémoire deWechsler) à un groupe de synesthètes graphème-couleur et un groupede non synesthètes. Bien que montrant un avantage mnémonique parrapport au groupe de contrôle, particulièrement pour la mémoire visuelle,les scores des synesthètes restaient pour la plupart des tests dans les

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limites de l’ordinaire, définis par les auteurs comme un écart-type parrapport à la moyenne des sujets de contrôle. Ce n’était en fait que dansle test d’apprentissage d’associations entre dessins et couleurs que leurperformance dépassait cette limite. De plus, les synesthètes ne bénéficiaientd’aucun avantage dans des tests classiques de mémoire à court termecomme l’empan de chiffres. Il faut donc rester prudent lorsqu’on évoqueles bénéfices cognitifs que peut procurer la synesthésie.

7. CONCLUSION

Dans cet article, nous avons examiné les éléments de discussion issusdes recherches récentes se rapportant à la synesthésie. Bien que larecherche en la matière ait indéniablement avancé ces dernières décennies,de nombreuses zones d’ombre subsistent encore. La synesthésie méritecependant une attention particulière, non seulement en raison del’étonnante diversité des perceptions qu’elle produit, mais aussi parcequ’elle peut nous aider à améliorer notre compréhension de la cognition« normale » (non synesthésique), et ce, dans de nombreux domaines.

L’un de ceux-ci est bien entendu la compréhension des interactionsintermodales dans la perception, tant au niveau des mécanismes impliquésque du développement de ces mécanismes. Comme le discutent Spectoret Maurer (2009), le fait que l’on ait observé une cohérence entreles associations des synesthètes, des non synesthètes et des jeunesenfants, non seulement, comme nous l’avons déjà discuté, entre leslettres et les couleurs, mais aussi entre les formes et les sons (l’effet« Bouba-Kiki » – Köhler, 1947 ; Ramachandran & Hubbard, 2001) etentre la hauteur des sons et la couleur (plus claire pour les sons aigus,plus foncée pour les sons graves, par ex., Marks, 1974 ; Ward et al.,2006), suggère que des connexions intermodales (et entre dimensions)fonctionnelles sont présentes dès la naissance, et que celles-ci persistentdans une certaine mesure à l’âge adulte. Ces connexions influenceraient ledéveloppement perceptif et langagier de l’enfant et peuvent être dévoiléespar la synesthésie, puisque les synesthètes ont un accès conscient à cesprocessus.

Étroitement lié à la question de l’intermodalité est le problèmedu couplage (binding) perceptif. Il s’agit de comprendre comment despropriétés perçues indépendamment, par des zones différentes du cortex(par ex., la forme, la couleur, le mouvement, etc.), peuvent être couplées

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pour nous procurer une expérience unifiée des objets du monde quinous entoure (voir discussion dans Cohen Kadosh & Henik, 2007). Or,les synesthètes associent deux propriétés dont l’une n’est en réalité pasphysiquement présente (par ex., la couleur, dans le cas des synesthètesgraphème-couleur). Inversement, les patients qui souffrent d’une lésionau lobe pariétal peuvent présenter un problème de couplage (par ex.,Friedman-Hill et al., 1995). Il a été suggéré, dès lors, que l’étudeconjointe de ces deux populations pourrait contribuer à améliorernotre compréhension des mécanismes de couplage perceptif (Robertson,2003).

Dans de nombreux domaines, la synesthésie est utile à l’étude dela cognition car le fait que les synesthètes soient conscients de leurperception permet d’étudier des phénomènes qui autrement sont difficilesà examiner empiriquement. Cohen Kadosh et Henik (2007) ont présentéun exemple frappant qui illustre cette idée dans le champ de la cognitionnumérique. Si l’on considère l’un des effets les plus connus dans cedomaine, l’effet SNARC, dont nous avons déjà parlé, il est surprenantque le patron de réponse classiquement rapporté ne soit observé enréalité que chez environ 65 % des participants non synesthètes. Expliquercette variabilité est assez difficile, et faire un « débriefing » de cesparticipants ne serait pas très utile, puisqu’en général ils ont un accèslimité à leur « œil mental ». Ceci n’est pas le cas des synesthètes quiont une représentation explicite des nombres dans l’espace. Or, il estintéressant qu’environ la même proportion de ces synesthètes (autourde 63 %) présente un arrangement visuo-spatial allant de la gauchevers la droite. Cohen Kadosh et Henik (2007) ont ainsi émis l’idée queles différences individuelles observées dans l’effet SNARC chez les nonsynesthètes refléteraient chez eux des différences individuelles dans laforme de l’association implicite entre nombres et espace. De manièreplus générale, ceci pourrait suggérer que certaines associations des nonsynesthètes sont en réalité des associations de type synesthésique, mais dontles individus ne prennent pas conscience.

Cet exemple nous montre aussi que l’étude de la synesthésie permetd’aborder des questions tout à fait fondamentales, comme celle desconditions qui permettent l’émergence de la perception consciente. Nousne pouvons dès lors que nous réjouir de l’intérêt croissant des neurosciencescognitives pour ce phénomène, qui, loin d’être seulement étrange, est unefenêtre ouverte sur la nature de notre système cognitif.

Reçu le 31 janvier 2012.Révision acceptée le 23 octobre 2012.

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