Mastykova A. Les tombes de chevaux chez les fédérés de l’Empire d’Orient sur la côte est de...

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TERRA BARBARicA MonuMenta archaeologica BarBarica, SerieS geMina, toMuS ii Łódź-Warszawa 2010 La côte est de la mer Noire fait partie, à l’époque ro- maine, de la frontière maritime de l’Empire. Une chaîne de royaumes et peuples « clients », du Bosphore Cimmérien au Nord, jusqu’aux Tsani au Sud, ce qui représente à peu près la région entre Trébizonde et Batoumi aujourd’hui, forme alors la première ligne de défense romaine (M. Kazanski 1991; C. Zuckerman 1991; M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 7–13). L’Ab- michel kazanski, anna mastykova les tombes de chevaux chez les fédérés de l’empire d’orient sur la côte est de la mer noire (ii e -vi e s.) Fig. 1. Les sites archéologiques principaux des II e -VI e s. sur le territoire d’Abkhazie. 1 : Gagry (Гагры / Гагра) ; 2 : Pi- tiunt /Picunda (Питиунт / Пицунда / Пиҵунда) ; 3 : Ačandra (Ачандра); 4 : Gudauta (Гудаута / Гәдоуţа) ; 5 : Mcara (Мцара / Мҵара) ; 6 : Suška (Сушка) ; 7 : Čintaluk (Чинталук) ; 8 : Tracheâ / Novyj Afon (Трахея / Новый Афон) ; 9 : Pyšta-Verhnaâ Ešera (Пушта-Верхная Ешера) ; 10 : Atara Armânskaâ (Атара Армянская / Аţара-Ерманқыţ) ; 11 : Sébastopolis ; 12 : Lar (Лар) ; 13 : Ahysta (Ахыста) ; 14 : Cibilium (Цибилиум) ; 15 : Šapka (Шапка) ; 16 : Gerzeul (Герзеул) ; 17: Pskal (Пскал) ; 18 : Apušta (Апушта) ; 19 : Bat (Бат) (d’après M. Kazanski, A. Mastykova 2007)

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TERRA BARBARicA MonuMenta archaeologica BarBarica, SerieS geMina, toMuS ii

Łódź-Warszawa 2010

La côte est de la mer Noire fait partie, à l’époque ro-maine, de la frontière maritime de l’Empire. Une chaîne de royaumes et peuples « clients », du Bosphore Cimmérien au Nord, jusqu’aux Tsani au Sud, ce qui

représente à peu près la région entre Trébizonde et Batoumi aujourd’hui, forme alors la première ligne de défense romaine (M. Kazanski 1991; C. Zuckerman 1991; M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 7–13). L’Ab-

michel kazanski, anna mastykova

les tombes de chevaux chez les fédérés de l’empire d’orient sur la côte est de la mer noire (iie-vie s.)

Fig. 1. Les sites archéologiques principaux des IIe-VI

e s. sur le territoire d’Abkhazie. 1 : Gagry (Гагры / Гагра) ; 2 : Pi-

tiunt /Picunda (Питиунт / Пицунда / Пиҵунда) ; 3 : Ačandra (Ачандра); 4 : Gudauta (Гудаута / Гәдоуţа) ; 5 : Mcara (Мцара / Мҵара) ; 6 : Suška (Сушка) ; 7 : Čintaluk (Чинталук) ; 8 : Tracheâ / Novyj Afon (Трахея / Новый Афон) ; 9 : Pyšta-Verhnaâ Ešera (Пушта-Верхная Ешера) ; 10 : Atara Armânskaâ (Атара Армянская / Аţара-Ерманқыţ) ; 11 : Sébastopolis ; 12 : Lar (Лар) ; 13 : Ahysta (Ахыста) ; 14 : Cibilium (Цибилиум) ; 15 : Šapka (Шапка) ; 16 : Gerzeul

(Герзеул) ; 17: Pskal (Пскал) ; 18 : Apušta (Апушта) ; 19 : Bat (Бат) (d’après M. Kazanski, A. Mastykova 2007)

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khazie (Fig. 1) présentait un intérêt stratégique parti-culier et ceci pour trois raisons : premièrement, c’est une escale sur la route maritime vers le Nord de la mer Noire, et plus précisément vers le royaume du Bosphore Cimmérien, dont l’importance militaire était évidente pour les Romains depuis l’affrontement avec Mithri-date. Deuxièmement, l’Abkhazie, grâce à ses routes traversant les cols du Caucase occidental, était le point d’accès le plus rapide vers les steppes ponto-cas-piennes, peuplées de Sarmates (Aorsi, Siraciani) puis d’Alains. Les uns et les autres intéressaient beaucoup Rome, dans le cadre de la politique impériale dans le Bosphore Cimmérien. Enfin, les guerres perso--byzan-tines montrent que l’Abkhazie représentait, pour une puissance maritime, un très bon point de débarquement de troupes pour attaquer l’Ibérie (Géorgie orientale actuelle). Il n’est pas exclu que les Romains, à l’époque du Haut Empire déjà, aient pu envisager une telle éventualité. D’autre part, il était évident que l’Abkha-zie, et la Colchide en général, pouvait être une base pour l’attaque maritime contre l’Empire, les ambassa-deurs lazes auprès de Chosroes Ier l’évoquent d’une façon claire (Procope, Bel. Pers. II.28.27).

L’incorporation, à partir du début IIe s. ap. J.-C. au plus tard (Arrien, Périple du Pont-Euxin, 11), des peuples habitant le territoire d’Abkhazie actuelle – Sa-nigues, Abasgues, Apsiles – dans le système défensif de l’Empire, a contribué à leur militarisation progressive. Celle--ci se manifeste dans le matériel archéologique, notamment par l’augmentation importante du nombre de tombes contenant des armes et par l’apparition de tombes de chefs ayant livré des armes d’apparat (Û. N. Vo ronov, N. K. Šenkao 1982 ; M. Kazanski 1991, 488–493 ; M. Ka zanski, A. Mastykova 2007, 56, 57). Ce phénomène est le reflet archéologique de la cristal-lisation des élites guerrières, à la solde de l’Empire ro-main (M. Kazanski 1991, 488–493 ; M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 56, 57).

Nous nous proposons d’examiner ici une pratique funéraire, liée, selon les chercheurs, à la classe guerrière du peuple apsile (Abkhazie centrale et méridionale) : les sépultures contenant des chevaux. Nous en avons relevé quinze, toutes se concentrent dans les deux plus grandes et plus riches nécropoles apsiles, Cibilium (Tsibilium, Цибилиум) et Šapka (Chapka, Шапка) (Fig. 1 : 14.15). Ces deux nécropoles se divisent, chacune, en plusieurs cimetières « familiaux ». Une inégalité de richesse est parfois perceptible entre ces cimetières1.

1 Ainsi, à Šapka, le cimetière d’Abgidzrahu / Steklânnyj Holm (Abgydzrahu / Stekljannyj Holm, Абгидзраху / Стеклянный Холм) (M. M. Trapš 1971, 20–87) a livré un mobilier manifes-tement plus riche que d’autres cimetières de cette nécropole. Ici, on a mis au jour des parures en or, des armes d’apparat,

Les squelettes de chevaux sont attestés dans les tombes suivantes : Cibilium-1, tombes 55, 259 et 376, 377 (You. Voronov 2007, 22, 62, 85), Tsibilum-2, tombes 313 et 383 (You. Voronov 2007, 73, 86), Cibilium-8, tombe 448 (You. Voronov 2007, 100), Cibilium-10, tombe 456 (You. Voronov 2007, 103), Šapka-Abgidzrahu, tombes de chevaux 1, 23, 29, 34 (M. M. Trapš 1971, 20, 22, 42, 48, 49, 54), Šapka-Ah΄acarahu (Шапка--Ахьацараху), tombe 3 (M. M. Trapš 1971, 90, 91), Šap ka-Apianča (Шапка-Апианча), tombe 7/22 (M. M. Gun ba 1978, 30–32), Šapka-Cerkovnyj Holm-4, tombe 5 (Û. N. Voronov, V. A. Ûšin 1973, 176). Une autre inhumation, accompagnée d’un cheval et datée, semble-t-il, du 6e s., à été mise au jour à Suhum (Сухум) / Sébastopolis (Fig. 1 : 11) en 1959, mas elle n’est pas publiée (M. M. Trapš 1971, 123).

Trois questions seront abordées dans cette étude : la chronologie des tombes, leur statut social possible et l’origine de cette pratique funéraire.

Pour la datation des tombes d’Abkhazie nous avons utilisé la chronologie proposée par O. Gej et I. Bažan en 1997 (O. A. Gej, I. A. Bažan 1997) et modifiée confor-mément aux systèmes chronologiques européens (M. Ka-zanski, A. Mastykova 2007, 21–26). Ainsi, on peut proposer pour les tombes de chevaux les dates suivantes : ● Cibilium-10, tombe 456 (Fig. 2); Cibilium-8, tombe 448 – stade I/1 (170/200–260/270 : phases C1 et C2 de la chronologie du Barbaricum européen). ● Cibilium-1, tombe 259 (Fig. 3) – stade II (320/330––400/410 : phases C3 et D1).

notamment des umbo dorés (pl. 3 : 2), des récipients en bronze (M. M. Trapš 1971, pl. 7 : 3), en verre et sigillés, des garnitures de ceinture byzantines (M. M. Trapš 1971, pl. 8 : 5). Un autre cimetière riche de Šapka a été découvert à Cerkovnyj Holm-4 (Церковный Холм) (Û. N. Voronov, V. A. Ûšin 1973, 171–181). On a découvert dans ce cimetière des tombes contenant des épées ou/et des scramasaxes, une panoplie guerrière (boucliers, lances, flèches, haches) et des garnitures de ceinture presti-gieuses, à décor polychrome, du horizon « princier » dit Unter-siebenbrunn (380/400–440/450). Ce sont en particulier les tombes 4, 5, 7, c’est-à-dire trois sépultures sur dix, dont quatre masculines et six féminines. Cependant ce cimetière n’a pas livré d’objets en or. Enfin, le cimetière d’Ûstinianov Holm-3 (Юстинианов Холм) (Û. N. Voronov, V. A. Ûšin 1973, 182––185) peut être également considéré comme privilégié du point de vue de richesse du mobilier. Ici on a mis au jour cinq sépultures, dont deux masculines du VIe s. se distinguant par leur mobilier. La première a livré des monnaies de Justinien en or, une garniture de ceinture prestigieuse et une panoplie guerrière (scramasaxe, lance, hache) (Û. N. Voronov, V. A. Ûšin 1971 ; Bálint 1992, 378-380). La deuxième contenait notamment un scramasaxe et une garniture de ceinture avec deux plaques-boucles byzantines du style cloisonné (Û. N. Voronov, V. A. Ûšin 1973, 182). Trois autres sépultures, féminines, contiennent un mobilier abondant.

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Fig. 2. Cibilium-10, tombe 456 (d’après You. Voronov 2007).

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● Cibilium-1, tombe 55 ; Cibilium-2, tombe 383 (Fig. 4) ; Šapka-Cerkovnyjn Holm-4, tombe 5 ; Šapka- -Abgidzrahu, tombes 23 et 29 ; Šapka-Ah΄acarahu, tombe 3 ; Šapka-Apianča, tombe 7/22 – stade III (380/400–440/450 : phases D1 et D2).● La tombe 313 de Cibilium-2 (Fig. 5) contient, en plus du cheval, l’inhumation d’un homme avec un ceinturon à multiples lanières, dit « héraldique » (Fig. 5 : 14– –18.20–27), typique du stade IV/10–11 (530/550– –640/670), d’où son attribution au VIe s. (S. S. Pigar΄ 2007, 141). Cependant la position du cheval est anor-

male pour la nécropole de Cibilium, où d’habitude, la monture est disposée à côté du défunt, le long du corps. Or, dans la tombe 313 le défunt se situe dans le même axe que le cheval, de plus il est superposé au squelette du cheval. Ce dernier a livré les mors du type Akhme-dov IC (Fig. 5 : 7), appartenant à l’époque des Grandes Migrations, plus précisément à période D2, c’est à dire à la fin du IVe – première moitié du Ve s. (I. Akhmedov 2007, 69). Ainsi, il est très probable que dans la tombe 313, l’inhumation masculine soit postérieure à celle du cheval, cette dernière appartenant au stade III.

Fig. 3. Cibilium-1, tombe 259 (d’après You. Voronov 2007).

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Fig. 4. Cibilium-2, tombe 383 (d’après You. Voronov 2007).

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Fig. 5. Cibilium-2, tombe 313 (d’après You. Voronov 2007).

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● Cibilium-1, tombe 376-377 (Fig. 6 et 7) – stade IV/9 (450–550 : phases D3–E).● La sépulture de cheval 376 est liée à l’inhumation masculine 377, contenant des lances et des flèches, qui à livré en outre une boucle de ceinture méditerranéenne (Fig. 7 : 1), datable de la première moitié du VIe s. Elle a des parallèles dans la région de Krasnodar, à Kertch, en Syrie, au sud-ouest de l’Allemagne, en Slovaquie (M. Kazanski, A. Mastykova 1999, 543). La tombe contenait aussi une fibule (Fig. 7 : 10), appartenant au du stade III (cf., M. Kazanski, A. Mastykova 2007, pl. 24 : 3). Ainsi, la date de la tombe 376 correspond plutôt à la fin du Ve –début du VIe s.

Il est plus difficile, faute de mobilier significatif, de dater le reste des tombes de chevaux. Ainsi la sépul-ture 1, dans le cimetière Šapka-Abgidzrahu est, d’après la boucle circulaire, de l’époque romaine tardive (celle des Grandes Migrations), tandis que la sépulture 34 du même cimetière, n’a pas de mobilier. En général le cimetière Šapka-Abgidzrahu contient des sépultures des stades I/2 – IV/10–11, mais la plupart des sépultures correspond aux stades I/2–III.

Ainsi, on peut constater que les tombes à cheval apparaissent durant le stade I/1 (170/200–260/270) et ont existé jusqu’au stade IV/9 (450–550) ; la plupart des tombes (8 sur 12 datables) correspond au stade III – début du stade IV/9, c’est-à-dire à la fin du IVe-mi-lieu-deuxième moitié du Ve s. Ce type de tombe dis-paraît vers le VIe s. Cela c’explique sans doutes par une christianisation accélérée des Apsiles, surtout à l’époque de Justinien : certaines pratiques « païennes », telles que l’incinération ou le dépôt d’armes disparais-sent définitivement des nécropoles abkhazes.

D’habitude, on considère comme privilégiées les tombes masculines de guerriers, accompagnées de chevaux (O. H. Bgažba, Û. N. Voronov 1987 ; You. Voronov 1995). Par ailleurs, la coutume d’accompagner les tombes des chefs par des sépultures de chevaux est largement attestée chez différents peuples d’Eurasie aussi bien à l’époque romaine qu’à celle des Grandes Migrations (voir infra.). En effet, on peut constater qu’en Abkhazie l’enterrement de chevaux accompagne souvent les tombes à épée, scramasaxe ou poignard, des armes « professionnelles », relativement rares (voir Û. N. Voronov, N. K. Šenkao 1982, fig. 24) et considé-rées comme prestigieuses. Ce sont Cibilium-2, tombe 383, Cibilium-10, tombe 456, Šapka-Cerkovnyj Holm-4, tombe 5, appartenant sûrement aux élites militaires (M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 16).

Des chevaux accompagnent aussi parfois des tombes contenant des armes « populaires », assez nombreuses dans les nécropoles apsiles, telles que des lances, des haches ou des flèches (voir la liste non exhaustive :

Û. N. Vo ronov, N. K. Šenkao 1982). Citons les décou-vertes de Cibilium-1, tombes 259 et 376, et Cibilium-8, tombe 448. Cependant la tombe 376 de Cibilium 1 contenait une garniture de ceinture à boucle presti-gieuse du style polychrome.

D’autre part, les tombes 259, 383 et peut-être 376 font partie des secteurs privilégiés des cimetières 1 et 2 de Cibilium (Fig. 8–10). Ainsi, dans la partie sud du cimetière 1 (Fig. 8), la tombe de « guerrier » n° 259 (hache, deux lances), accompagnée d’un cheval, voi-sine avec celles 236 et 248, contenant des épées, for-ment un secteur privilégié pour le stade II (320/330– –400/410). Dans le cimetière 2 (Fig. 10), la tombe n° 383, tombe accompagnée d’un cheval et ayant livré un scramasaxe, se situe dans le même secteur nord-est que la sépulture 399, accompagnée d’une épée. Une sépul-ture masculine, accompagnée d’un cheval est attestée à Cibilium-1 (sépultures 376–377) pour le stade IV /9 (450–550). La tombe 376–377 a été mise au jour dans le groupe des tombes du secteur nord, que nous consi-dérons comme privilégié à l’époque précédente (voir en détail : M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 55–61).

Examinons les tombes de chevaux, qu’on ne peut pas mettre en liaison avec des sépultures précises de guerriers. Ainsi, la tombe 55 de Cibilium-1 (Fig. 9) se situe dans la partie nord, qui devient durant le stade III (380/400–440/450) un secteur privilégié. Ici se situe notamment la tombe 61, la plus riche de la nécropole pour cette période. A Šapka, quatre tombes de chevaux sur sept proviennent du cimetière d’Abgidzrahu (M. M. Trapš 1971, 122), le plus riche dans cette né-cropole (M. Kazanski, A. Mastykova 2007, 15).

Il est également intéressant d’évoquer les tombes apsiles sans chevaux, mais qui contiennent dans leur mobilier des mors de cheval, ce qui « remplace » en quelque sorte un cheval. Se sont les sépultures suivants (le catalogue : I. Akhmedov 2007) :● Šapka-Abgidzrahu, tombe 6, du stade II/4 (360/370––400/410). Incinération masculine. Des mors en fer avec des petits anneaux, à côté de l’urne (M. M. Trapš 1971, 25–28, pl. 3 : 8 ; Û. N. Voronov, N. K. Šenkao 1982, 134–136, fig. 6 : 4). La tombe contient notam-ment un bouclier à umbo et manipules métalliques, une arme « professionnelle ».● Šapka-Abgidzrahu, tombe 44, du stade III. Inciné-ration masculine. Des mors avec des branches en fer du type 4B1, à côté de l’urne (M. M. Trapš 1971, 67–71, pl. 22 : 4 ; Û. N. Voronov, N. K. Šenkao 1982, 134–136, fig. 6 : 30). La tombe contient notamment une épée, un glaive court et un bouclier.● Šapka-Ah΄acarahu, tombe 47, du stade III. Incinéra-tion masculine. Des mors en fer avec des branches du type 7A, des anneaux de brides, deux boucles, proba-blement des plaques-appliques de selle, près de l’urne

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Fig. 6. Cibilium-2, tombe 376-377 (d’après You. Voronov 2007).

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Fig. 7. Cibilium-2, tombe 376-377 (d’après You. Voronov 2007).

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Fig. 8. Répartition des tombes « privilégiées » du stade II dans le cimetière de Cibilium 1.

1 : tombes à cheval; 2 : tombes contenant des épées ; 3 : tombes contenant des broches polychromes ; 4 : tombes contenant des objets en or ; 5 : tombes contenant les plaques-boucles du style polychrome ; 6 : tombes contenant les fibules en arc du style polychrome (d’après

M. Kazanski, A. Mastykova 2007).

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Fig. 9. Répartition des tombes « privilégiées » du stade III dans le cimetière de Cibilium 1.

1 : tombes contenant des épées ou scramasaxes; 2 : tombes contenant des broches polychromes ; 3 : tombes contenant des objets en or ; 4 : tombes contenant les plaques-boucles du style polychrome ; 5 : tombes de chevaux (d’après M. Kazanski,

A. Mastykova 2007).

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Fig. 10. Répartition des tombes « privilégiées » du stade III dans le cimetière de Cibilium 2.

1 : tombes à cheval et tombes de chevaux; 2 : tombes contenant des épées ; 3 : tombes contenant des broches polychromes ; 4 : tombes contenant des plaques-boucles du style polychrome ; 5 : tombes contenant des fibules en arc du style polychrome

(d’après M. Kazanski, A. Mastykova 2007).

(M. M. Trapš 1975, 51–54, fig. 22, pl. 12 : 36 ; Û. N. Vo-ronov, N. K. Šenkao 1982, 134–136, fig. 6 : 15–19). La tombe contient notamment un bouclier à umbo avec des éléments métalliques, une arme « profession-nelle ».

Le caractère militaire de ces tombes apparaît claire-ment dans leur mobilier, contenant des armes « pro-fessionnelles ». Il faut souligner que deux tombes parmi les trois citées font partie du cimetière Abgi-dzrahu, appartenant sûrement à un clan privilégié.

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Toutes ces sépultures sont datées du stade III, quand les tombes de chevaux sont nombreuses surtout dans les nécropoles des Apsiles.

On peut donc conclure que les tombes contenant un squelette de cheval ou des mors de cheval sont géné-ralement des sépultures privilégiées de guerriers de haut rang ou qu’elles font partie des secteurs privilégiés des grandes nécropoles de Cibilium et Šapka, et repré-sentent donc un marqueur social (M. Kazanski, A. Mas-tykova 2007, 16). La tombe 7/22 de Šapka-Apianča est cependant une exception. C’est manifestement une inhumation féminine, comme le témoigne la présence de perles et de fibules dans le mobilier (M. M. Gunba 1978, 30–32).

Il a été supposé que cette pratique funéraire a une origine steppique (S. S. Pigar΄ 2007). Chez les peuples de la steppe, cette coutume est attestée à l’époque ro-maine, c’est-à-dire à l’époque, où les tombes de che-vaux apparaissent chez les Apsiles. Ainsi pour la pé-riode sarmate, dans les steppes pontiques tardive, on peut citer les découvertes aussi bien de squelettes en-tiers de chevaux, comme par ex. à Mospinskaâ (Мос-пинская) (V. A. Podobed, A. V. Simonenko 1998, 99), que d’ossement isolé, comme à Kazakliâ (Казаклия) (S. M. Agulnikov, A. V. Simonenko1993, 91) ou Ust΄--Kamenka (Усть-Каменка) (E. V. Mahno 1960, 27). Cependant, il faut noter qu’à l’époque des Grandes Migrations, à laquelle appartient la majorité des tombes apsiles, dans la steppe, on pratique surtout l’enterre-ment de parties du corps du cheval, même si les inhu-mations steppiques sont souvent accompagnées d’os-sements d’équidés. Pour l’époque hunnique, des squelettes entiers ont été mis au jour à Solončanka (Соло нчанка, Oural du Sud) et à Zelenokumsk (Зеле-нокумск, Caucase du Nord), une peau de cheval (seuls le crâne et les extrémités restent dans la sépulture) a été découverte à Belâus-1 (Беляус) en Crimée, Po-krovsk / Èngel΄s (Покровск / Энгельс, kourgane E25) et à Verhnepogromnoe (Верхнепогромное) sur la Volga, des crânes ou des dents à Straže, Aleški-1902 (Алешки), Staraâ Igren΄ (Старая Игрень), Pavlovka-Sulin (Павловка-Сулин), Sovhoz Kalinina (Совхоз Кали нина), Vozdviženskaâ/Zdviženskoe (Воз дви жен-ская / Здвижен ское) peuvent peut-être indiquer la présence de peau de cheval. Cette coutume est égale-ment connue chez les nomades plus à l’Est, au Ka-zakhstan (Kanattas [Канаттас], Kara-Agač [Кара Агач]), on l’attribue généralement aux peuples turcs. Enfin, des ossements de cheval (sans plus de précisions) sont présents à Budapest-Zugló, Aleški-Sagi (Алешки--Саги, Proletarka (Пролетарка), Melitopol΄ (Мели-то поль), Bogačevka (Богачевка), Kyzyl-Adyr (Кызыл-Адыр) (Zaseckaâ, I. P. 1994, 17, 18; Shchukin et alii 2006, 122). Des squelettes entiers sont attestés

chez les nomades de l’époque post-hunnique (milieu du Ve s. -milieu du VIe s.) une seule fois, à Dmitrievka-Vol΄naâ Voda (Дмитревка-Вольная Вода) (Zaseckaâ et alii 2007, 110). Tout cela ne nous permet pas d’ac-cepter la thèse de l’influence steppique sur les pratiques funéraire de l’ancienne population d’Abkhazie.

La coutume du dépôt d’un cheval dans les tombes est bien connue auprès de l’ancienne population sé-dentaire ou sédentarisée du Caucase du Nord, depuis l’époque romaine (A. A. Sazonov 1992, fig. 4 : 4.6–11, 131; I. I. Guŝina, I. P. Zaseckaâ 1994, 8 ; I. O. Gavri-tuhin, A. V. P΄ânkov 2003a, 187, 189, 190; M. P. Abra-mova 1997, 27, fig. 16 : 1 ; I. O. Gavrituhin, A. V. P΄ân-kov 2003b, 194), ainsi qu’au sud-ouest de la Crimée (Hrapunov 2004, 101, 134, 150, fig. 29, 30). Sur le territoire du Bosphore Cimmérien, des tombes de chevaux sont attestées pour l’époque romaine dans plusieurs nécropoles (A. A. Maslennikov 1990, 38, 39, 58). Citons à titre d’exemple la fameuse tombe royale d’Adžimuškaj (Аджимушкай) 1841, ou un squelette de cheval se situait au dromos de la chambre funéraire (M. I. Rostovcev 1925, 245, 246)2. À l’époque hun-nique, cette coutume se diffuse parmi les élites prin-cières et militaires de différents peuples barbares d’Europe centrale et orientale (M. Kazanski, P. Périn 2005, 295). Ainsi, en Silésie, dans la tombe de Ługi, un squelette de cheval a été découvert dans la chambre funéraire d’une tombe de chef (W. La Baume 1934, Bild 66). A Žuráň, en Moravie du Sud, des chevaux ont été enterrés près de la chambre funéraire d’ l’époque hunnique (M. Müler-Wille 1997, 250, 251, fig. 6). La coutume persiste à l’époque des Grandes Migrations dans le Caucase du Nord (par ex. B. Atabiev 2002 ; A. V. Dmitriev 1979) et en Crimée (A. A. Maslennikov 1997, 22–25). Cependant nous n’avons pas de preuves tangibles de contacts importants entre les Apsiles et les Barbares du Caucase du Nord ou de la Crimée à l’époque romaine et celle des Grandes Migrations.

La pratique d’enterrement de cheval remonte en Abkhazie, paraît-il, au VIIe-VIe s. av. J.-C., les tombes de Kulanurhva (Куланурхва) et de Suhum-Krasnyj Maâk (Сухум-Красный Маяк) accompagnées d’un cheval le prouvent (M. M. Trapš 1971, 123 ; G. K. Šamba 2005, 31–33). Cependant une grande lacune chrono-logique entre ces tombes anciennes et celles des Apsiles de l’époque romaine ne permet pas de les mettre en liaison. Des tombes à cheval en Abkhazie sont attestées

2 Soulignons que de nombreuses tombes de chevaux ont été attestées à l’époque romaine chez des peuples n’ayant pas des contacts stables avec le monde de la steppe, tels que les Baltes occidentaux (par ex. J. Jaskanis 1966) ou orientaux (par ex. L. Vajtkunskene 1986 et 1990). Il s’agit sans aucun doute d’un marqueur social.

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Michel Kazanski, Anna Mastykova

du IIe au début du VIe s. Leur statut social privilégié et manifestement « guerrier » laisse plutôt penser à l’ap-parition de ce culte à l’époque romaine, comme une manifestation de la militarisation approfondie des Barbares locaux. Cette militarisation s’explique par l’engagement des Apsiles dans la sphère de la politique militaire de l’Empire romain.

Prof. dr hab. M. Kazanski7, rue de Sainte-PaixF – 14 000 Caenemail: [email protected]

Dr Anna MastykovaInstitut Arheologii RANDm. Ul´ânova 19R 117036 Moskva

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