Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d'introduction

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Annie Collovald Frédéric Sawicki Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d'introduction In: Politix. Vol. 4, N°13. Premier trimestre 1991. pp. 7-20. Citer ce document / Cite this document : Collovald Annie, Sawicki Frédéric. Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d'introduction. In: Politix. Vol. 4, N°13. Premier trimestre 1991. pp. 7-20. doi : 10.3406/polix.1991.1433 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1991_num_4_13_1433

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Annie CollovaldFrédéric Sawicki

Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche enguise d'introductionIn: Politix. Vol. 4, N°13. Premier trimestre 1991. pp. 7-20.

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Collovald Annie, Sawicki Frédéric. Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d'introduction. In: Politix.Vol. 4, N°13. Premier trimestre 1991. pp. 7-20.

doi : 10.3406/polix.1991.1433

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1991_num_4_13_1433

Le populaire et le politique Quelques pistes de recherche en guise d'introduction

// n'y a donc pas par rapport au pouvoir un lieu du grand Refus - âme de la révolte, foyer de toutes les rébellions, loi pure du révolutionnaire. Mais des résistances qui sont des cas d'espèces : possibles, nécessaires, improbables, spontanées, sauvages, solitaires, concertées, rampantes, violentes, irréconciliables, promptes à la transaction, intéressées, ou sacrificielles ; par définition, elles ne peuvent exister que dans le champ stratégique des relations de pouvoir. Michel Foucault, Histoire de la sexualité.

EN BAS : le "peuple" opprimé, étouffé, écrasé par l'alliance du "capital" et de la "patrie", incarné dans la figure du bourgeois ventru engoncé dans son

habit; en haut : le "peuple" uni, solidaire, rassemblé comme un seul homme derrière ses drapeaux, en marche vers la libération : dans les deux cas, un "peuple" saisissable, qui s'impose, qu'il geigne ou qu'il gronde (La voix du peuple, hier, Le cri du peuple).

Ces deux figures qui sont les deux faces d'un même mythe, utilisé aussi bien à des fins mobilisatrices que dénonciatrices, traversent toutes les représentations du peuple jusques et y compris les représentations sociologiques. Le misérabilisme et le populisme, ces deux dérives de la littérature et de la sociologie des classes populaires, remarquablement mises en évidence par Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (1989), semblent découler tout droit de la puissance de cette opposition mythique qui traverse l'histoire des mobilisations collectives : peuple dominé/peuple source de la rédemption, lieu de la grande renonciation par opposition au "lieu du grand Refus" dont parle M. Foucault.

Et tout semble se passer comme si l'histoire de la sociologie des dominés était condamnée à l'éternelle récurrence de cette opposition qui fait qu'après avoir tordu le bâton de l'autonomie symbolique dans un sens, on devait, immanquablement, retordre celui de la domination dans l'autre... Inutile de dire qu'on ne prétend pas ici y échapper totalement ; c'est donc en ayant conscience des limites de notre démarche que l'on insistera sur les cécités scientifiques engendrées par la prépondérance en sociologie politique des approches qui privilégient la définition légitime du politique qui renvoie à un espace fortement institutionnalisé où la concurrence passe par l'élection et les confrontations symboliques, notamment oratoires. Nonobstant, il nous a semblé que certaines questions

pouvaient permettre de ne pas s'enfermer totalement dans ce dilemme épistémologique, d'autant qu'on se situait sur un terrain, le politique, qui amenait à s'interroger de façon privilégiée sur la construction sociale des figures du peuple. Si l'on a choisi de tracer quelques pistes de réflexion autour "du populaire et du politique" et non pas des "classes populaires" et de "la" politique, c'est enfin parce que, plus que pour d'autres objets, ces mots nous sont apparus très vite autant comme des enjeux scientifiques que comme des enjeux politiques. La manière choisie ici pour contourner, sinon toujours dépasser, certaines des difficultés inhérentes à l'étude du rapport des dominés à la politique a donc été de se focaliser sur les usages populaires du politique et les usages sociaux et politiques du populaire1 .

Précisons d'emblée que si nous sommes amenés ici à insister plus particulièrement sur les ouvriers cela n'induit nullement une idée préconçue de notre part de ce qu'est le populaire. Nous ne faisons sans doute qu'enregistrer une construction sociale réussie au point de s'imposer avec la vigueur de l'évidence. Mais si les ouvriers ne sont pas tout le peuple (les employés, les artisans, les petits commerçants, les agriculteurs les "côtoient" par moments, s'en éloignent parfois), ils n'en incarnent pas moins le Peuple. Tous les critères susceptibles de fonder des définitions sociologiques concurrentes voire adverses sont en eux réunis et concentrés. Prendre les ouvriers pour sujet d'observations c'était prendre doublement le parti du réalisme et saisir le "naturel" là où il offrait le plus de prise; tenter de découvrir sous l'affirmation de l'uniformité de ce "populaire" perçu comme monolithique et authentique (entier dans son mode d'existence, entier dans ses relations aux autres, dans ses goûts, ses jugements etc.) la diversité des comportements et des points de vue sur le politique ; c'était aussi redonner de la couleur au noir et blanc imaginaire que produisent les projections multiples produites par les intellectuels dans leur approche de ce "peuple" là. Le Peuple "réel" et le "peuple en mots", tout ce que nous voulions remettre à la question, se rejoignaient de façon privilégiée dans le groupe ouvrier, pour engager le projet sous-tendant les deux numéros de Politix : "Esquisser la manière dont les comportements individuels et collectifs

1. C'est à ce dernier aspect que sera consacré plus particulièrement le numéro 14 de Politix. Signalons également que si le monde rural sera relativement absent de ces deux numéros, c'est que le numéro 15 y sera entièrement consacré.

Politix, n° 13, 1991

Annie Collovald et Frédéric Sawicki

populaires s'imbriquent dans des conditions formulées par le pouvoir"1.

Le populaire comme enjeu scientifique

A la différence des catégories socio-professionnelles, parler des "classes populaires""- (ou encore, comme on le verra, de "culture populaire"), c'est faire référence à une catégorie éminemment floue, aux usages multiples, qui fonctionne davantage comme épouvantait ou comme principe de mobilisation que comme catégorie durcie, c'est-à-dire objectivée et codifiée-^. L'histoire du mouvement syndical et du mouvement socialiste - entendu au sens large - et des multiples stigmatisations (positives ou négatives) dont leurs leaders furent les cibles - ou parfois les bénéficiaires - en témoigne** ; comme elle témoigne, au cours du XXe siècle, d'une construction d'une image du peuple en référence quasi-exclusive à la classe ouvrière . Le fait que les ouvriers, principalement d'industrie, aient su se doter de porte-parole reconnus, constitue, à bien des égards, une expérience historique singulière. Il leur permit en effet, à l'inverse d'autres groupes (les petits commerçants par exemple6), de participer, à leur manière certes, à la représentation politique et de résister à une relégation et une exclusion totales, en proposant notamment d'autres définitions d'eux-mêmes suffisamment "attractives" pour

1. Cf. Farge (1989, p. 39). A partir des archives constituées sur les procès d'arrestations de "criminels" de tous ordres, A. Farge découvre derrière les arguments de défense des condamnés, "l'esquive, l'aveu, l'obstination, la détresse qui se mêlent sans se disjoindre" (p. 37). Voir aussi Davis (1988). 2. Ceteris paribus, on peut établir un parallèle entre la question de la construction sociale des "classes populaires" et celle des "classes moyennes" telle que l'expose Lacroix (1983). 3. Sur les fondements et les usages sociaux et politiques des CSP, cf. Desrosières et Thévenot (1988). Sur la définition des classes populaires selon l'INSEE, voir l'article à paraître de F. Héran dans notre prochain numéro. Sur la critique des définitions à géométrie variable du populaire selon les intérêts et l'objet (culture, art, religion et surtout langage), voir Bourdieu (1983). 4. A propos de l'épouvante que génère le développement d'un prolétariat en France au début du XIXe siècle voir l'ouvrage classique de Chevallier (1984) ou celui, plus récent, de Barrows (1990). Sur la disqualification du personnel politique ouvrier et les tentatives de transformer le stigmate social en qualité, voir Offerte (1984) et Pudal (1989). 5. Cette construction politique et sociale, bien décrite par Noiriel (1986b), a sans doute contribué à occulter l'influence d'autres groupes sociaux dans l'émergence des organisations de gauche au XXe siècle. J.-P. Molinari montre, dans un article à paraître dans le prochain numéro de Politix, qu'on a sans doute beaucoup sous-estimé le rôle joué par les populations rurales (petits propriétaires, ouvriers agricoles, artisans, bûcherons, etc.) dans l'implantation du PCF. Sur l'importance de "la classe ouvrière" dans la structuration des autres groupes de la société française, voir aussi Boltanski (1982). 6. Collovald (1989).

obtenir la reconnaissance et le soutien d'acteurs plus légitimes7.

Parler des "classes populaires" ou du "peuple", c'est aussi oublier que ce qui est sensé en faire l'unité, à savoir un système de représentations et de pratiques propres, est particulièrement difficile à définir autrement qu'en négatif*. Peut-on encore parler de "culture populaire", au singulier ou au pluriel - au risque de multiplier ad eternam les sous- cultures ("ouvrière", "employée", "paysanne" et, à l'intérieur de celles-ci, leurs variantes locales...) - dès lors que la symbolisation des pratiques populaires n'est jamais complètement autonome^, même si c'est à des degrés différents selon les groupes et les époques, et que l'on se situe dans des sociétés où la mobilité professionnelle, géographique et scolaire est devenue la règle ? Le phénomène n'est pas précisément nouveau et les historiens, avant d'autres, ont su montrer à quel point ce qu'ils désignaient par "culture populaire", depuis longtemps déjà, ne pouvait être assimilé à l'expression de groupes sociaux particuliers* .

On se heurte ici sans doute à une des difficultés intrinsèques du mot culture qui est issu d'une tradition intellectuelle (l'anthropologie structuro-fonctionnaliste) privilégiant la permanence, et dont les usages incontrôlés finissent par en faire une seconde nature. Dans la lignée des réflexions de François- André Isambert (1982) sur la "religion populaire", qui analyse celle-ci comme une représentation produite par les fractions conservatrices du clergé pour combattre ceux qui remettent en cause les pratiques et les rites traditionnels, ou encore de celles de Carlo Ginzburg (1980) pour qui la sorcellerie (pratique populaire) n'est pas une invention du pouvoir mais une interprétation faite par de mauvais "ethnologues" (prêtres ou lettrés) d'expériences

7. Perrot (1984) et Verdès-Leroux (1984). 8. Cf. notamment Hoggart (1970), Bourdieu (1979), et plus spécialement sur "la culture ouvrière", Verret (1981 et 1988). Sur les problèmes épistémologiques posés par la description des cultures dominées cf. Grignon et Passeron (1989) ou encore, dans le contexte des sociétés africaines, Bayart (1985 et 1989). 9. C'est le point sur lequel insistent Grignon et Passeron (1989), et que nous discutons avec C. Grignon dans l'entretien qu'il nous a accordé pour ce numéro. 10. Comme le note Chartier (1987, p. 8) : "Nombreux sont les exemples d'emplois «populaires» d'objets, d'idées, de codes point tenus pour tels, et nombreux, aussi, les formes et les matériaux d'une culture collective dont les élites ne se séparent que lentement... Il n'est donc pas aussi simple qu'on l'avait pensé de superposer clivages sociaux et différences culturelles." Voir également Ginzburg (1979), Davis (1979), Darnton (1984) ou encore Duby (1967), ainsi que la présentation de ces travaux par C. Mukerji et M. Schudson dans ce numéro et par Bayart (1985). Ce dernier remarque justement que "les analyses les plus convaincantes sont celles qui font éclater la catégorie du «populaire» et ne la retiennent que par simple commodité, en la définissant au coup par coup et en différenciant les acteurs subordonnés à la fois en fonction de leurs terroirs et de la stratification sociale globale" (p. 346).

Le populaire et le politique

fantastiques recueillies par le peuple, il faut aller plus loin : la "culture populaire" n'est pas une réalité qui s'impose naturellement au sociologue, mais elle est un construit social dans lequel interviennent principalement des agents qui ont, soit un rapport savant au peuple (intellectuels plus ou moins en recherche d'organisation), soit un rapport populaire à ce qui est savant (militants politiques ou syndicaux, érudits locaux, écrivains populaires...). Sous peine de les folkloriser* , un des préalables à toute étude des pratiques populaires réside, par conséquent, dans lliistoricisation et la sociologisation des porte-parole ou des porte-plume du peuple*-, ces "intermédiaires" dont les sociologues de la culture eux-mêmes font partie^.

C'est un des mérites du récent livre de C. Grignon et J.-C. Passeron (1989) de rappeler que la manière dont sociologues ou politistes questionnent cet "objet" est inséparable du rapport, à la fois personnel et méthodologique1^, que le chercheur entretient avec son "sujet" d'enquête et d'insister sur ce que les résultats de son analyse "scientifique" doivent à sa façon de l'aborder. Le rapport personnel à l'objet peut se traduire, par exemple, par une véritable fascination pour le monde enchanté du désenchantement total, de la nécessité ou du malheur faits destin, qui risque de faire oublier au sociologue que cette "communauté" est traversée de conflits centrifuges. On pourrait opposer sur ce point, si l'on s'en tient à deux ouvrages classiques sur le monde ouvrier anglais, L'ouvrier de l'abondance (Goldthorpe et al, 1968 et 1969) où l'accent est mis sur son changement, sa différenciation interne et la multiplicité des conflits qui en découle, à La culture du pauvre (Hoggart, 1970) où ces aspects sont parfois gommés au profit de ce qui en fait son unité et sa spécificité. En ce qui concerne le rapport méthodologique à l'objet, la discussion qui semble s'engager actuellement

1. Noiriel (1986a) souligne l'actuelle folklorisation du monde ouvrier par le biais du développement des éco-musées. 2. Les articles d'A.-M. Thiesse (ci-après) et de R. Ponton (Poliîix n°14, à paraître) sur les écrivains populistes et régionalistes aident à comprendre, à partir du domaine littéraire, les propriétés de ces porte-parole et le type d'image du peuple qu'ils produisent. Voir également l'analyse des porte- parole des beurs à Nanterre proposée par Dazi-Heni et Polac (1990). 3. Comme l'écrit Bourdieu (1978) : "La sociologie de la production du discours sur la classe populaire fait partie des préalables absolus de tout discours sur les classes populaires. [...] Quand nous parlons des classes populaires nous parlons de nous-mêmes [...] dans la sociologie des classes populaires il est fondamentalement question des intellectuels. [...] Parler de culture populaire, c'est parler politique". Pour une contribution à cette sociologie des sociologues, cf. dans ce numéro la contribution de M. Verret, dans le prochain celui de B. Pudal et l'entretien avec R. Hoggart. 4. Double rapport qui est à resituer dans les cadres sociaux plus vastes dont dépend le chercheur : cet aspect est au centre de l'article de B. Pudal à paraître dans le prochain numéro de Politix, ainsi que de celui de Fossé-Poliack et Mauger (1985) à propos des conditions du développement de la biographie en sociologie au cours des années 1970.

entre historiens et sociologues d'une part, et ethnologues d'autre part, sur les méthodes d'observation de la "classe ouvrière" actuelle, montre bien tout ce qu'engage un changement d'échelle d'observation privilégiant la posture "participante" du chercheur - partie prenante des interactions dont il vise à rendre compte - sur le point de vue surplombant^. Ce sont les outils de "réflexion" qui demandent à être modifiés, à commencer par l'obligation de passer par une sorte d'auto-analyse de la situation d'observateur. Ce nouveau regard conduit à dépasser une analyse des pratiques populaires conçues comme le simple reflet d'une situation sociale caractérisée par la nécessité, voire le manque et à refuser toute interprétation en terme d'inconséquence. Ainsi, par exemple, Olivier Schwartz (1990, p. 139) interprète-t-il la forte fécondité des couples en situation précaire, non pas comme une incapacité à prévoir, mais comme "une valorisation narcissique élective [et] un mode de défense contre le manque".

La nécessité de renverser la perspective pour mettre en évidence la positivité des attitudes populaires, c'est-à-dire de l'ensemble de ces tactiques^ : de résistance, de distinction interne au groupe en fonction de grandeurs propres, d'ignorance de la domination, d'adaptation et de jeu par rapport aux sollicitations de la "consommation de masse" n'amène-t-elle pas à reconsidérer le rapport que ces groupes entretiennent avec la sphère politique ? La question mérite d'être posée car, curieusement, ces travaux omettent le plus souvent d'analyser les relations politiques au profit de l'étude de l'intimité, de la parenté ou de la sociabilité de quartier^, tandis que les ouvrages classiques sur la participation insistent sur l'incompétence et le désintérêt des catégories populaires à l'égard de la politique**, sans

5. Pour cette nouvelle approche des milieux populaires, voir : sur les ouvriers, les travaux récents de Pinçon (1987), de Weber (1988), de Schwartz (1990) et de Segalen (1990) ; sur les populations des cités de transit, Petonnet (1979 et 1982) ; sur les campagnes, Favret-Saada (1977). 6. Concernant l'opposition stratégie/tactique, cf. De Certeau (1990) ; opposition à laquelle on a justement reproché de ne pas prendre en compte la capitalisation historique et culturelle de l'action des groupes subordonnés, voir notamment Bayait (1985, p. 356-357). 7. Sur ce dernier point voir, notamment, Lalive d'Epinay (1982). 8. Pour ce qui est des politistes, leur analyse du populaire est en grande partie une analyse du rapport des classes populaires à la compétition politique légitime (essentiellement nationale). Le constat a été établi très tôt par la science politique américaine de l'incompétence des milieux populaires dans le décryptage du jeu politique, certains auteurs y voyant même une garantie pour la stabilité démocratique. Voir, par exemple, les ouvrages classiques de Lazarsfeld (1944 et 1954) et Almond et Verba (1963). En France, Gaxie (1978) a introduit ce type de travaux pour en tirer des conséquences radicalement différentes. Dans la lignée des recherches de P. Bourdieu sur les pratiques culturelles (1968 et 1979), il met en évidence la relation entre capital scolaire et compétence politique et interprète l'incompétence politique comme une des formes de la domination sociale, c'est- à-dire de l'exclusion (objective et subjective) des catégories populaires. Cette analyse a fait l'objet de critiques de la part de

Annie Collovald et Frédéric Sawicki

d'ailleurs que la logique de leurs modes de classement politique (à travers l'utilisation privilégiée de catégories éthiques ou esthétiques, par exemple) * et, plus généralement, leurs processus d'identification, soient jamais véritablement étudiés en tant que tels. Est-ce à dire que la politique reste une pratique "bourgeoise" condamnant la "grande masse" à rester spectatrice ou, au contraire, faut-il aller plus loin que le constat d'une dépossession, d'une remise de soi, dès lors que l'on prend ses distances avec le "dominocentrisme" (Grignon, Passeron, 1989) ?

Intérêts et limites d'une approche légitimiste du politique

Avant toute chose, il est nécessaire de se demander si, à trop particulariser le rapport populaire au politique, on ne risque pas de reproduire cette césure misérabiliste dont parle C. Grignon^- entre les "classes en soi" et les "classes pour soi", entre les groupes capables d'objectiver leur pratique et ceux qui en seraient incapables, réduits à n'avoir que des tactiques. Beaucoup des analyses du rapport des classes populaires à la politique reposent sur le postulat implicite qu'il existe un rapport savant/cultivé à la politique fondé sur des attitudes intellectuelles proches du choix rationnel conforme à l'idéologie démocratique. Ce faisant, elles tendent à laisser de côté dans les pratiques des catégories fortement dotées de capital culturel, des traits qui sont habituellement considérés comme l'apanage des classes populaires, à l'instar de la remise de soi (ou au moins la forte identification) à un parti ou à une cause^, même si celle-ci n'est sans doute pas du même ordre pour les membres des classes populaires que pour ceux des classes moyennes ou supérieures qui possèdent, au moins, le moyen de la dissimuler derrière une justification intellectuelle^. Les travaux récents sur les pratiques

Michelat et Simon (1981), qui insistent notamment sur la non- prise en compte de la spécificité des électeurs communistes de milieu ouvrier, politiquement nettement moins incompétents que, par exemple, les membres des classes populaires catholiques pratiquants ; ces auteurs soulignent que "les lois auxquelles obéit la performance politique apparaissent assez différentes de celles qui régissent, par exemple, la fréquentation des musées" (p. 85). Pour une présentation critique de l'ensemble des travaux se rapportant à "l'engagement politique" et de leurs présupposés normatifs, voir la présentation de Memmi (1985). 1. Nous faisons référence ici notamment à Bourdieu (1979, chap. VIII). Voir aussi la belle étude de Corbin (1990) sur les logiques de l'attachement des paysans de la Dordogne à Napoléon III qui restitue la cohérence de leurs sentiments et leurs intérêts politiques derrière des justifications d'ordre éthique (voir son compte-rendu dans ce même numéro). 2. Voir l'entretien infra. 3. Verdès-Leroux (1984) a bien fait apparaître que, dans certaines conjonctures, des intellectuels pouvaient tout autant s'en remettre au PCF que des militants d'origine ouvrière. 4. L'aptitude à dissimuler ou à "tourner autour du pot" des membres des catégories dominantes quand on leur pose certaines questions existentielles, comme par exemple, la croyance en Dieu a été relevée par Labov (1978).

magiques, en montrant combien celles-ci pénètrent avant tout les fractions les plus scolarisées - les ouvriers et les agriculteurs en restant au contraire assez éloignés - indiquent à quel point l'aptitude à croire et à s'en remettre à ses croyances n'est pas l'apanage des classes dominées (Boy et Michelat, 1986). Au contraire, on a peut-être oublié trop facilement que le réalisme pratique de celles-ci, lié à leurs conditions matérielles d'existence, ne les prédisposaient pas autant qu'il le semblait à la confiance politique aveugle.

C'est sans doute en analysant plus précisément leur existence quotidienne qu'apparaissent des phénomènes qu'une vision éloignée ignore : résistance "oblique" à la domination-5, capacité à reconstruire symboliquement l'univers social^, distance intime par rapport au rôle public exigé. C'est ce qu'indique, par exemple, l'article d'Alf Lüdtke (ci-après) qui redonne une complexité psychologique et sociologique à des comportements perçus habituellement comme élémentaires. C'est aussi à quoi invitent, d'une autre manière, Blondel et Lacroix (1989) dans leur étude des motivations du vote pour le Front national à partir de l'analyse d'entretiens non directifs. En montrant notamment que ces opinions se forment à partir de "tout un ensemble d'expériences non nécessairement construites intellectuellement", mais en référence directe à "l'espace social des relations quotidiennes" (p. 153), ces auteurs nous incitent à nous départir de "la construction politiste du vote" qui verrait de l'incohérence politique dans la conversion d'électeurs du RPR ou du PCF en électeurs du FN, là où serait à l'œuvre une "cohérence pratique des itinéraires de vote".

Le politique ou la politique ?

Ambivalence, complexité, diversité des "appréhensions" du monde social : c'est redéfinir le rapport au politique comme une pratique culturelle particulière parmi d'autres possibles, et sa conception populaire comme résultant de clivages, d'emplois, de modes contradictoires de lecture et d'investissement du monde, qu'on ne peut a priori ignorer ou normaliser. L'expérience du politique devient alors une forme d'expérience sociale : l'attitude (de rejet, de méfiance ou de fidélité) vis-à-vis des acteurs politiques et de la compétition électorale, propre à des groupes populaires, peut se lire à travers leurs attitudes à l'égard d'autres formes officielles de pouvoir (école, syndicat, usine, bureau d'aide sociale). Dès lors, saisir ce dont est fait, pour les classes dominées, le lien politique conduit à revenir sur l'un des "morceaux choisis" de la vision traditionnelle, celui de leur impuissance, pour repérer les formes d'opposition culturelles qui leur sont propres en en mesurant cependant

5. Voir par exemple le récit plein d'humour et de dérision de Dubost (1979) sur les relations entre ouvriers et patrons. 6. La capacité à dédoubler les normes "extérieures", à non seulement les détourner mais, grâce à un savoir social propre, à se les réapproprier en les détournant, a été mise en évidence dans le cadre du travail par Pharo (1983).

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Le populaire et le politique

la fragilité et l'aléatoire. Serrer au plus près la réalité sociale, c'est découvrir les capacités inventives des acteurs même là où elles sont le plus occultées et même si, pour les plus démunis, elles participent à "égayer", selon le mot de Willis, "ce qui peut être une descente aux enfers".

Peut-être faut-il alors commencer par changer le vocabulaire lui-même et réhabiliter le politique aux dépens de la politique1 ? Il ne s'agit aucunement de dissoudre l'objet ou d'ignorer les effets de la domination sociale. On ne saurait nier, comme l'écrit Daniel Gaxie (1978, p. 48-49) qu'"à partir du moment où la pratique politique comme activité symbolique est socialement légitime, elle s'impose à tous les agents et impose du même coup la conception de la politisation comme consommation et reproduction de discours. [...] C'est avec des mots - non par l'insurrection ou la grève - que les agents doivent (i.e. sont socialement et normativement contraints de) se prononcer politiquement, même si certains tentent - plus ou moins illégitimement alors - de s'exprimer sur d'autres terrains. Cette conception - lettrée si l'on veut - de la politisation permet alors de rendre compte des effets politiques et sociaux qu'elle provoque, et qu'une autre définition ne permettrait pas d'apercevoir".

Cette conception prend acte de tout ce que la politique comme activité de spécialistes dotés de compétences rares, doit au long travail historique de délégitimation d'autres modes d'action et de mobilisation sociale-. Historiquement constituée par des groupes culturellement dominants (Habermas, 1978), la compétition politique sous les formes organisées qu'on lui connaît aujourd'hui, est une activité qui s'est imposée progressivement à l'ensemble des groupes sociaux-^ en ayant à faire face à de nombreuses resistances'*

1. Ce refus de la définition dominante de la politique est la perspective retenue notamment par A. Liidtke dans ce numéro, ainsi que dans son article sur les formes de résistance et les aspirations des ouvriers allemands au tournant du siècle (1984) où il en tire des conséquences radicales en soulignant que "le fait qu'ils [les ouvriers] ignoraient l'arène de l'Etat et de la politique partisane ne signifie pas que les dépendants et les dominés n'avaient aucune idée d'une organisation politique alternative ; mais simplement que de telles idées restaient liées à la sphère privée ou à la politique de l'entêtement (self-willed politics)" (p. 89). 2. Les travaux sur cette question à propos du cas de la France commencent à se multiplier, cf. les travaux de Garrigou (1988) et de Déloye et Ihl (1990) sur l'imposition du vote individuel ; de Corbin (1990) et de Cardon et Heurtin (1990) sur la délégitimation de la violence paysanne ou ouvrière ; ou encore de Briquet (1990a) sur la délégitimation des formes locales de politisation.. 3. Mis à part Agulhon (1970), voir également, pour le milieu ouvrier urbain au XIXe siècle, Offerlé (1984). 4. Voir notamment les témoignages recueillis par Fevre et Peneff (1982). Voir aussi, dans un autre univers culturel, l'ensemble des formes de résistance populaires à l'édification de l'Etat en Afrique noire mis en évidence par Bayait (1989).

et, semble-t-il, en incorporant des caractéristiques proprement populaires5.

Deux des incarnations les plus typiques de la résistance à cette imposition restent l'anarcho-syndicalisme et l'action contemporaine de l'Eglise catholique pour délégitimer la participation politique et mettre en place des formes alternatives d'organisation rencontrant l'attente d'autres groupes sociaux (Berger, 1975). Le retour sur le moment d'installation du suffrage universel révèle combien le vote fut une forme de manifestation concurrente d'autres possibles (la grève, l'action directe, l'engagement dans des formes d'action "extra-politiques"...), perçu par beaucoup, comme une entreprise de "muselage, un outil de domination inventé par les Jean Foutre de la Haute... "*\ Les effets de cette histoire n'ont d'ailleurs pas disparu si l'on en croit la méfiance à l'égard de la politique de beaucoup de catholiques pratiquants (Michelat et Simon, 1977 et 1982) ou de militants syndicaux, comme ceux de la CFDT, marqués à la fois par une formation chrétienne et par une série d'événements, qui ont engendré une conception très morale de l'action publique et une méfiance à l'égard des organisations partisanes.

On peut donc se demander si la mise en perspective de tout ce travail historique d'imposition d'une bonne manière de faire de la politique, qui pourrait être rapproché - car on gagnerait sans doute à établir un parallèle entre l'histoire de l'évangélisation, celle du développement de la pratique sportive et celle de la politisation des classes populaires - de la bonne manière d'être catholique, ou encore de la bonne manière de pratiquer le sport^, s'il est en partie réussi, est bel et bien achevé. On peut rappeler ici pêle-mêle : la persistance plus ou moins accusée selon les périodes, des niveaux d'abstentionnisme ou de non-insription sur les listes électorales^, les "poussées" plus ou moins récurrentes d'anti-parlementarisme ou de discrédit de la "classe politique" qui peuvent se manifester, occasionnellement, par le succès de candidats jusqu'alors

5. Cf. l'étude de la statuaire chez Agulhon (1988) ou celle des conditions d'implantation du radicalisme dans le campagnes par Mac Phee (1978). Dans un autre contexte, celui de la mise en place du communisme en Russie, Lewin (1987) a également mis en évidence l'influence de la religiosité paysanne russe sur le développement du culte politique et de la "diabolisation de la vie politique" au cours des années trente. 6. Citation tirée de l'article de Peneff (1981). 7. Faure (1990) rappelle que le processus de codification de la pratique sportive par des agents issus des classes dominantes a progressivement abouti à délégitimer au cours du XXe siècle les valeurs d'hédonisme propres au sport/jeu populaire et à réléguer ce dernier hors des compétitions légitimes. Sur ce dernier point voir aussi Leite Lopes (1989). 8. Peneff (1981) rappelle, à propos de l'inscription électorale, que celle-ci suppose une perception de l'action politique planifiée, étalée dans le temps qui ne rencontre pas nécessairement d'écho auprès de groupes plus portés à agir et penser dans l'instant et le concret. Pour une sociologie de l'abstention voir également l'ouvrage classique de Lancelot (1968).

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Annie Collovald et Frédéric Sawicki

peu impliqués dans le champ, la relative fréquence des situations de crise politique remettant en cause la légitimité des règles et des frontières sectorielles1 et, plus généralement, la persistance d'une forte méfiance à l'égard de la politique dans des groupes non forcément dénuées de capital culturel .

De même que la mise en évidence de la persistance de la forte inscription locale des rapports politiques et de la moindre différenciation des rôles et des pratiques qu'on peut y observer3, incline à ne pas s'en tenir à une démarche privilégiant la spécialisation de l'activité politique, de même faut-il peut-être reconsidérer l'ensemble des attitudes de rejet ou de méfiance à l'égard de la politique officielle sous un autre angle, pour tenter d'appréhender ou de réhabiliter quantité de phénomènes négligés par l'approche "légitimiste" ? La minceur des travaux spécifiquement consacrés au politique oblige ici à émettre des hypothèses s'appuyant sur une réflexion analogique.

S'intéresser au désintérêt

A cet égard, le rejet ou la méfiance de la politique ("tous les mêmes", "tous pourris") pourrait peut-être être rapproché de la manière dont Paul Willis traite du rapport des jeunes prolétaires anglais à l'école professionnelle4. En effet, si de larges fractions des classes populaires apparaissent éloignées de toutes formes institutionnalisées d'action collective^ et repliées sur une sociabilité informelle fondée sur les relations de voisinage et de parenté, cette attitude peut également être vue comme la plus efficace possible compte tenu de l'intériorisation de leur exclusion. Plus

1. Voir Dobry (1986). Force est de constater que des crises politiques comme, par exemple, les grèves précédant le Front populaire, les premières années de la Ve République, Mai 68, sans parler des crises révolutionnaires, sont également des moments d'entrée en politique d'agents ne disposant pas des compétences politiques légitimes. 2. Le rapport très distant à la politique de certains militants de la CFDT, voire pour des raisons en partie différentes de Force ouvrière ou encore de militants d'association d'obédiance catholique, n'empêche pas ceux-ci de conserver une représentation valorisée du politique (même si elle peut paraître irréelle) qui les amène parfois à s'engager dans certaines formes d'action collective non considérées comme "politiques" mais qui le sont en faits pour ceux qui en font partie. 3. Sur l'intérêt d'une approche localisée du politique : Abelès (1989), Briquet et Sawicki (1989) ; sur les caractéristiques du métier politique en milieu urbain : GEMEP (1990). 4. Comme l'écrit Willis (1978, p. 59) : "Du point de vue de l'individu, il y a sans doute quelque logique à être conformiste mais du point de vue de la classe, il n'y a rien à attendre d'un tel comportement qui se résume en fait à abandonner toutes possibilités d'indépendance et de création, pour une chimère : le dépassement des classes sociales. [...] La «culture anti-école», elle, «enseigne» bien mieux que l'Etat et ses appareils ce à quoi il faut s'attendre : l'exclusion élitiste de la masse grâce à l'idéologie du mérite individuel". 5. Cf. les articles de Héran (1988a et 1988b) sur la sociabilité ainsi que le chapitre consacré à "la scène politique" par Verret (1988, chap. 15).

encore les attitudes de rejet des "politicards" ou d'autres titulaires de "savoirs" légitimes", voire de certains services sociaux qui leur sont en théorie destinés^, profondément ancrées dans certaines fractions des classes populaires, ne gagneraient-elles pas à être pensées comme la volonté de préserver des formes collectives et solidaires de prise en charge des problèmes** ou, inversement, dans le cas des groupes les plus "intégrés", comme la résultante d'un mouvement de repli sur la vie privée".

Encore faut-il ne pas s'en tenir au désintérêt apparent, sans s'interroger sur ce qu'occulte la définition de l'intérêt ou de l'incompétence et la manière de l'évaluer. L'exemple développé par Anne-Marie Thiesse^ à propos de la signification de la lecture pour des personnes qui se vivent comme incultes et indignes d'une telle pratique ne peut, par analogie avec le "désintérêt" déclaré pour la politique des agents appartenant aux classes les plus défavorisées, que poser question au politiste désireux de rendre compte de leurs engagements collectifs ou de leurs identifications politiques. Interrogés spontanément sur leurs lectures, les membres des classes dominées disent en effet qu'elles ne lisent pas ou les minimisent, et se révèlent peu aptes à classer les ouvrages selon les auteurs^ "Cette auto-censure, remarque A. -M. Thiesse, pourrait sembler aberrante si l'on ne voyait son véritable sens : dire qu'on ne lisait pas, c'est ratifier le système social des convenances selon lequel la lecture n'est pas un attribut des classes populaires" (1984, p. 34). L'intériorisation de la domination et "l'absence de distinction nette entre ce qui relève du domaine culturel et ce qui n'en est pas" (ibid., p. 31) qui en découle, conduisent donc à mettre en évidence une incompétence et une inculture qui s'atténuent lorsque l'analyse est poussée plus avant. On s'aperçoit alors que non seulement les membres des classes populaires interrogés lisaient la littérature

6. Cf. par exemple, le beau livre de Castelain (1989), sur les résistances des dockers du Havre aux politiques antialcooliques. 7. On pourra, par exemple, se reporter à l'étude de J.-C. Kaufmann sur l'attitude des milieux populaires face au logement et sur leur capacité à s'auto-organiser (1981), ainsi que les travaux de l'équipe de recherche à laquelle il appartient (LARES) sur la sociabilité en HLM et, notamment, l'utilisation des centres sociaux et des équipements scolaires (Kaufmann, Laigneau et de Queiroz, 1982), partiellement repris dans Huet et de Queiroz (1983). 8. Cette idée est présente chez Hoggart (1970, chap. 3), qui note également que l'attitude acerbe à l'égard des hommes politiques, mélange de cynisme et d'indifférence résigné, est une manière de faire face, même s'il n'oublie pas de rappeler qu'"elle tend aussi à les enfermer dans leur monde comme dans un ghetto, ainsi qu'il arrive lorsque l'ironie devient le trait principal du caractère" (p. 333-334, repris par Grignon et Passeron, 1989, p. 169). Voir également l'article de M. Offerlé dans le prochain numéro de Politix qui analyse les négociations entre formateurs et syndicalistes sur le choix des thèmes de cours et des intervenants lors d'un stage de formation syndicale. 9. Voir les hypothèses d'O. Schwartz dans ce numéro. 10. Cf. Thiesse (1984) et la synthèse de son analyse dans ce même numéro.

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"populaire" mais également la littérature "classique". Simplement, "c'est en universalisant ses goûts, non en les présentant comme marque d'originalité que le lecteur populaire les justifie" (ibid., p. 45). Cet exemple ne manque pas de susciter une méfiance à l'égard des analyses reposant uniquement sur une lecture rapide des données fournies par les sondages d'opinion. D. Gaxie (1990, p. 98- 100) identifie bien ce travers lorsqu'il remarque que "la capacité à se prononcer sur les enjeux généraux dépend d'abord de l'autorité et de la compétence que chacun se reconnaît" (p. 99), alors même que toutes les non-réponses ne sont pas toujours des sans-opinion ; au contraire la non- réponse à une question abstraite (formulée selon la problématique politique légitime) peut parfois masquer des opinions tranchées si elle est posée différemment.

Ces exemples rappelent combien les problèmes méthodologiques sont cruciaux lorsqu'il s'agit d'étudier le rapport populaire aux institutions reconnues (Eglise, Etat, Ecole...). Ainsi, on pourrait aussi faire l'hypothèse que les biais ne sont pas uniquement liés au contexte de l'enquête, qui fait se rencontrer deux individus aux statuts sociaux inégaux*, ou à l'imposition de problématiques légitimes, mais sont inhérents à la forme même de l'enquête par sondage qui valorise la formulation individuelle de l'opinion (recueillie en face-à-face individuel et la plupart du temps au domicile), alors que l'expression politique populaire semble se faire plutôt collectivement , dans certains lieux bien déterminés (lieux de travail, bistrot...) et sur des modes qui échappent en partie à la "communication digitale"^.

Cela conduit à poursuivre le parallèle avec le travail d'A.- M. Thiesse, car les entretiens qu'elle a réalisés avec des lecteurs d'origine populaire lui ont permis de mettre en évidence les modes de classement et de jugement qui leur sont propres, et qui pourraient ne pas être sans rapport avec les modes d'évaluation politique. L'absence de distinction entre la forme et le contenu, le refus d'utiliser ses lectures comme ressource distinctive, l'attrait pour la répétition et la conformité caractérisent le rapport populaire à la littérature ou au théâtre. Comme le souligne Marc Angenot (1989) : "Là où le journaliste bourgeois ne voit qu'emphase maladroite, mauvais pathos, clichés extravagants, le

1. Dans une relation analogue à celle existant entre le professeur et son élève, comme le montre Gaxie (1990). 2. M. Verret va encore plus loin en se demandant ce "que vaut le questionnement, en face à face individuel, si la culture du groupe veut que les réponses soient données par le groupe ou déléguées à des représentants seuls légitimés pour lui répondre, et seulement aux questions tenus par lui pour légitimes" (1988, p. 14). 3. Par opposition à la "communication analogique", pour reprendre les termes de Watzlawick (1972). Voir l'article d'E. Kimminich sur l'importance des chansons dans la diffusion des représentations politiques au XIXe siècle dans le prochain numéro de Politix.

militant ouvrier entend le langage de l'action, juste et persuasif.

Ces remarques rejoignent en outre de nombreuses observations établies par les sociologues du monde ouvrier, à l'instar de Michel Verret (1988, p. 238) qui souligne que "les partages politiques ici se font plus en bas qu'en haut, moins sur les idées que sur les actes, sur les actes proches plus que sur les lointains, et autant sur le style de l'action que sur sa ligne". D'où l'importance de "la politique executive", de la politique en actes, dans les milieux populaires : les commérages, les plaisanteries, les gestes du corps, le faible intérêt pour les questions doctrinales ; importance renforcée par la prégnance des relations informelles (voisinage, famille...) dans la structuration des réseaux associatifs, syndicaux ou politique^. Autant de caractéristiques qui devraient sans doute conduire à s'intéresser davantage aux formes de "communication analogique . Les élus de municipalités ou de circonscriptions majoritairement populaires ne s'y trompent d'ailleurs pas ; leur implantation repose souvent autant sur leur présentation et leur don de soi^ et leur capacité à manier les symboles d'appartenance communautaire' que sur une communication explicitement verbale et politique.

Mémoires, identités et pratiques

Si l'on admet avec M. Verret (1988, p. 13) que, dans les cultures populaires, "l'économique et la politique, la politique et le religieux, le familial et le syndical, le loisir et le travail, ailleurs séparés, voisinent [...] dans la familiarité bon enfant du syncrétisme", une attention toute particulière devrait également être portée à l'ensemble des attitudes, des comportements, et des représentations forgées à travers les multiples expériences sociales structurant l'identité politique. Faut-il en effet encore considérer, pour prendre des exemples triviaux, qu'une manifestation ou une grève mineure, ratée, à l'audience purement locale, n'a aucune conséquence politique au prétexte que des dirigeants n'ont pas, sur le moment, défini, traduit la situation en termes "partisans", alors que ces épisodes sont d'importants

4. C'est ce que montre Molinari (1987) pour le Parti communiste. 5. Les historiens travaillant sur le développement du socialisme à la fin du XIXe siècle relativisent tout autant le rôle des doctrines, voir par exemple Baker (1967), Lequin (1969) ou Judt (1979). 6. Voir aussi, dans un contexte voisin, l'analyse que fait Maresca (1983, p. 197-232) des "gages de paysannité" (conservation de son exploitation, forme de présentation de soi...) que doivent fournir les porte-parole du monde agricole pour être reconnus par leurs mandants, ou encore celle d'Offerlé (1984) sur l'importance du "personnalisme" et du "localisme" dans les processus de mobilisation électorale en milieu urbain au XIXe siècle. 7. C'est ce que montre, par exemple, J.-N. Retière à propos de l'implantation du PC à Lanester (cf. infra) ou encore Sawicki (1988) à propos de celle du PS dans le bassin minier du Pas-de- Calais.

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moments de formation de la mémoire et de réflexes politiques sans parler de l'acquisition de nombreux savoir- faire militants ?

Encore peu nombreux sont les travaux portant sur la mémoire sociale et les modalités d'identification partisane qui en découlent ̂ , alors même que la sociologie électorale française s'est employée, depuis André Siegfried, à tracer les contours des permanences politiques de notre territoire et que de nombreux travaux ont montré comment les pratiques politiques, en particulier des milieux populaires, s'inscrivent dans des formes spécifiques d'organisations du travail^ mais aussi des formes de sociabilité "extra- politiques"-^, en insistant notamment sur leur forte inscription locale. Il semble en effet que ce soit à travers le maintien d'une hégémonie locale de groupes par ailleurs dominés culturellement que cette capacité à pervertir l'ordre social dominant se retrouve le mieux4. C'est la prise en compte de l'ensemble de ces phénomènes qui donne sans doute sa pertinence la plus grande au mot "culture", à propos des catégories populaires .

1. Le travail de référence reste celui de Michelat et Simon (1978, notamment p. 51-77), mais il est marqué par le choix de l'étude d'une fraction particulière du monde ouvrier (les ouviers communistes de milieu urbain à forte concentration ouvrière). 2. Sur la diversité du degré de "conscience ouvrière" selon les secteurs professionnels, voir Touraine (1966). 3. Les exemples sont ici nombreux, outre l'article de J.-N. Retière dans ce numéro, cf. notamment l'intéressante contribution de Topalov et Magri (1990) à l'ouvrage collectif qu'ils ont coordonné et le travail de Fourcault (1986) sur la banlieue rouge. 4. C'est ce qu'ont, par exemple, observé Retière pour les ouvriers des chantiers navals à Lanester (1990 et article dans ce numéro), Bozon (1984) pour les ouvriers de Villefranche-sur- Saône, Dubar et al. (1982), pour ceux du bassin minier du Pas- de-Calais. L'intrication des relations familiales et économiques dans le monde rural et les formes de sociabilité spécifiques qui en découlent, ont également permis d'interpréter la particularité des formes de compétition politique qui s'y déroule trop vite assimilées à de l'"apolitisme" : voir le numéro spécial d'Etudes rurales sur "Pouvoir et patrimoine au village" (1976), ainsi que Briquet (1990b) qui met en évidence l'importance du registre de l'amitié dans les rapports politiques dans la Corse rurale. 5. C'est ce que semble lui-même indiquer Bourdieu (1979, p. 458-459, souligné par nous) : "II y a, bien sûr, tout ce qui est de l'ordre de l'art de vivre, une sagesse acquise à l'épreuve de la nécessité, de la souffrance, de l'humiliation, et déposée dans un langage hérité, dense jusque dans ses stéréotypes, un sens de la réjouissance et de la fête, de l'expression de soi et de la solidarité pratique avec les autres (évoqué par l'adjectif bon vivant où les classes populaires se reconnaissent), bref tout ce qui s'engendre dans l'hédonisme réaliste (et non résigné) et le matérialisme sceptique (mais non cynique) qui constituent à la fois une forme d'adaptation aux conditions d'existence et une défense contre ces conditions, il y a l'efficacité et la vivacité d'un parler qui, libéré des censures et des contraintes pesant sur les parlers quasi écrits, donc autonomes par rapport au contexte pratique, trouve la référence commune à des situations, des expériences et des traditions partagées, le principe de ses ellipses, de ses raccourcis et de ses métaphores ; il y aussi tout ce qui ressortit à la politique, à la tradition des luttes syndicales, où pourrait résider le seul principe véritable d'une

Encore faut-il ne pas reproduire une image figée des communautés populaires (comme hier les communautés paysannes) dont de nombreux travaux se sont attachés à déceler la transformation sinon la désagrégation, au risque d'idéaliser voire de sanctifier un présent déjà mort. Dans cette perspective serait à interroger une quantité de phénomènes sociaux qui permettraient en outre de comprendre les changements politiques de ces dernières années (hégémonie à gauche du PS et déclin corrélatif du PCF, émergence du Front national, puis des Verts, montée de l'abstentionnisme, baisse des adhésions syndicales...). A ce niveau, l'éclairage qu'apportent les travaux de sociologie urbaine ou du travail sur les transformations de l'habitat, l'éclatement des espaces sociaux (dissociation entre lieux de travail, de résidence, de consommation, et de loisirs) et les nouvelles formes de travail (chômage et précarité chroniques, disparition des sites de mono-industrie...), serait à mettre en relation avec la désobjectivation du groupe ouvrier aujourd'hui^, inséparable des transformations qui ont touché les porte-parole "naturels" des classes dominées (Pudal, 1989, chap. 8).

Si l'on s'intéresse plus particulièrement aux transformations de l'identité professionnelle des classes populaires, notamment ouvrières, dont on sait, depuis Marx, à quel point elle informe puissamment l'identité sociale et politique, force est de constater que l'on n'a pas encore mesuré toute l'ampleur des changements récents intervenus dans la sphère du travail. L'importation de nouvelles technologies et les modifications dans le management des entreprises qui tendent à installer des formes douces de contrôle social (Villette, 1985), rejaillissent directement, à travers de nouvelles demandes de qualifications professionnelles, sur le rapport que les ouvriers entretiennent à leur métier, leur expérience quotidienne, leur perception de l'avenir, leurs types d'attitudes dont vont dépendre pour une large part l'élaboration de leurs opinions en matière morale, politique et leur engagement syndical (Desrosières et Pialoux, 1983). Sur ce dernier point la redéfinition des relations pratiques entre les ouvriers et entre leur groupe et la hiérarchie de l'usine contribue, à terme et différentiellement selon les organisations ouvrières, à remodeler les pratiques syndicales7 de plus en plus tournées vers une défense individuelle des salariés (recours de plus en plus important au droit, participation plus volontaire à la gestion de l'entreprise qui appellent de nouveaux profils de délégués

contre-culture mais où les effets de la domination culturelle ne cessent pas, on le verra, de s'exercer." 6 C'est ce que montrent, à leur manière, les deux articles d'O. Schwartz et J.-N. Retière dans ce même numéro : le premier en insistant sur les effets du chômage sur les changements dans les formes de recrutement et de pratiques du PCF ; le second, en soulignant les effets du déclin de la mono-industrie sur la sociabilité qui est au fondement de l'implantation communiste à Lanester. 7. Pour une histoire des modes de renvendiactions syndicales, cf. Segrestin (1990).

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syndicaux), et engagent dans de nouvelles voies l'expression des intérêts des salariés (par exemple, plutôt négociées que conquises par des mouvements collectifs). Un ensemble de savoirs et de savoir-faire se trouve ainsi défait, refaçonné : son étude permettrait sans doute de mettre en évidence la dé- et re-composition des principes de vision du monde social qui orientent le rapport au politique des classes populaires.

Etre socialement assuré, confiant dans son avenir, quand les points de repères traditionnels de ce qui fait un "bon ouvrier" tombent et se transforment, avoir le sentiment d'être passé de l"1 autre côté" au fur et à mesure de son avancement professionnel ou, au contraire, ne plus y croire, se sentir condamné à rester dans des emplois sans avenir ou au chômage : autant d'images de soi qui ne sont pas sans incidence sur le rapport que ces ouvriers nouent avec le politique et sur les discours sur soi et les autres qu'ils tiennent1 . Malaise, incertitude vis-à-vis d'un engagement de soi, conscience de pouvoir jouer sa partie dans le jeu qui se déroule, de réussir à résister pour préserver sa place ou, au contraire, ressentiment pouvant conduire au racisme, au repli sur l'individualisme : ces attitudes ouvrières ne sont pas sans effet sur le sentiment d'appartenance à un groupe social, sur le sens de la "place sociale" - au sens de Pharo (1986) - qui est la leur et partant sur "les droits et devoirs" qu'ils se définissent"-.

Nouvelles qualifications, mutations technologiques, formation professionnelle posent en des termes d'une ampleur nouvelle des problèmes aux syndicats, ne serait-ce que parce qu'un nouveau personnel ouvrier, plus qualifié, plus "polyapte"-*, porteur d'un sens nouveau de la hiérarchie et d'attentes nouvelles vis-à-vis de leurs fonctions au sein de l'entreprise, tend à se substituer à celui auquel étaient habitués les représentants des salariés. Cette situation relativement nouvelle demande de la part des syndicats des capacités à s'adapter à cette nouvelle clientèle au prix sans doute d'une redéfinition de leur manière de représenter les "travailleurs" et de militer.

Cette reconstruction des critères de légitimité "ouvrière" et des manières dont les ouvriers vont se caractériser ne peut que refaçonner une identité professionnelle qui engage de nouveaux rapports au "civisme ordinaire" (Pharo, 1985) sur

lequel prend assise le rapport au politique. La perspective développée ici gagnerait à être complétée par l'analyse des effets de ces transformations sur d'autres fractions des classes populaires au principe de l'émergence de nouvelles formes de sociabilité et d'images de soi qui peuvent éclairer, par exemple, le succès de la diffusion des thèmes du Front national ou les nouvelles formes de mobilisations des "beurs"^. On rencontre là, immanquablement, la capacité d'organisations politiques de répondre à ces "demandes" sociales diffuses, ce qui amène à s'interroger plus généralement sur la construction politique des images du peuple.

Les usages politiques du populaire

Cette construction politique est, on vient de le voir, inséparable d'une construction sociale qui repose sur des phénomènes très complexes qu'une définition limitée du politique ne permet pas toujours d'apercevoir. De fait, le terme de construction politique n'est pas facile à cerner et renvoie à quantité de phénomènes plus ou moins bien connus, dont on se contentera ici de donner quelques exemples.

On sait encore peu des formes de mobilisation partisane à destination des groupes les plus démunis culturellement. Les travaux sur le PCF, les plus nombreux, concernent souvent des communautés ouvrières homogènes et sont loin d'épuiser l'ensemble de ces formes. L'étude de l'implantation populaire du PS et des partis issus du gaullisme** ou de la démocratie-chrétienne reste encore lacunaire pour comprendre comment, par exemple, l'usage de certains symboles, de certaines fêtes ou cérémonies, 1' "encadrement" de la sociabilité populaire peuvent politiser des formes a priori non politiques d'activités sociales et expliquer des identifications qu'une approche légitimiste pourrait analyser comme aberrante6.

A côté de cette perspective "locale" il convient d'ajouter une perspective s'attachant à la construction politique des définitions du peuple à laquelle participent quantité d'agents et d'institutions : juristes, statisticiens, écrivains populistes, historiens, chefs de partis et leaders syndicaux, etc. On l'a dit, les références au "peuple" traversent de part

1. L'ensemble de ces questions touchant aux conditions de possibilité et aux transformations de la conscience ouvrière est au centre de l'article à paraître de M. Pialoux et F. Weber dans Politix n°14. Voir aussi Pialoux (1983). 2. "Occuper une place, ce n'est pas seulement avoir un poste fonctionnel, c'est avoir un certain rapport avec des alliés, éventuellement des adversaires et c'est aussi avoir des droits et des devoirs définis", écrit A. Cottereau (1980). Cet auteur montre, à propos de scènes d'embauché, que le rapport au public légitimant est un principe fondamental du déroulement de l'interaction. 3. Cf. les articles de M. Rébérioux, R. Trempé, G. Noiriel, G. Ribeill dans Technologies, idéologies, pratiques (1985).

4. Cf. le numéro de Politix consacré aux "Issu(e)s de l'immigration" et particulièrement les articles de Dabène (1990) et de Dazi-Heni et Polac (1990). Voir également l'analyse proposée par Dubet (1987), ainsi que l'article de G. Mauger à paraître dans le prochain numéro de Politix. 5. Exception faite du travail de Bonnet (1972). Les nombreux travaux sur le clientélisme dans les pays d'Europe du sud s'inscrivent également dans cette perspective, voir l'article de synthèse de Médard (1976). 6. A. Lüdtke, dans ce numéro, montre très bien comment le fascisme s'est appuyé - en les réactivant - sur des pratiques populaires quotidiennes et sur la complexité de leur "image de soi" pour asseoir sa domination.

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en part l'histoire politique, des périodes révolutionnaires * aux temps plus "doux" des démocraties libérales. On se contentera de prendre trois exemples qui indiquent la diversité des figures historiques et sociales du "peuple" et des acteurs intervenant dans leur construction.

Cas classique, oserait-on dire, Patrick Hassenteufel s'intéresse aux conditions de développement et au contenu d'un parti populiste dans l'Autriche contemporaine. 11 montre ainsi comment l'émergence et la perduration d'un parti populiste en Autriche (le FPÖ, Parti libéral) découle de la déstructuration du système de représentation néocorporatiste et laisse la possibilité d'user de la référence au peuple en valorisant des pratiques délaissées par les partis classiques. Son leader, Jörg Haider, négocie son "appel au peuple" en alimentant le sentiment diffus de dépossession de soi et de confiscation de la parole que connaissent les groupes populaires vis-à-vis d'instances politiques perçues comme éloignées et étrangères aux préoccupations qui leur importent. La crise de représentation qui traverse le système politique autrichien rend possible une entreprise charismatique à connotations populaires dont joue le leader du FPÖ en exaltant des aspects de sa personne, propres à susciter une identification populaire (exaltation du corps, de la virilité, de l"'austrianité")2.

Mais la définition du peuple ou, en l'occurence, d'un "petit peuple", peut aussi être construite par la dénonciation d'adversaires politiques. Ainsi, le poujadisme fut d'abord, en 1956, avant d'être l'injure actuelle, la représentation honnie, figure de la detestation d'un peuple "ignoble", forgée par des intellectuels modernistes, proches de Pierre Mendès France, traduisant directement l'absence de crédit qu'ils accordaient à un mouvement de petits commerçants totalement étrangers au monde qu'ils tentaient de mettre en place. Ce fantasme s'enracine et tire sa force du point de vue adopté sur ce que représentaient ces petits commerçants en colère (1' "archaïsme"), plus que de ce qu'ils étaient réellement, démunis qu'ils étaient de toutes les ressources qu'il importait alors de détenir pour réussir à s'imposer sur la scène publique. En bref, le "poujadisme" s'inscrivait dans le type de rapport que ces "experts de l'avenir" économique, social et politique entretenaient avec le "Peuple"3.

Cette analyse amène de façon plus générale à porter notre attention sur le rôle des intellectuels qui vont légitimer, parfois scientifiquement, les représentations sociales du peuple. C'est ce que montre, par exemple, Barrows (1990) à propos du cauchemar que représentent les "classes dangereuses" pour la bourgeoisie à la fin du XIXe siècle. Cette analyse nous permet de comprendre ce que la vision

et la compréhension que les intellectuels ont des groupes populaires, à cette époque, doit à la distance sociale qui les sépare du monde "à part" qu'ils observent ; vision qui rend propice la projection de préjugés qui concluent d'emblée à l'hystérie, la débilité mentale, les tares dues à l'alcoolisme hérédiataire, quelles que soient les affinités que ces écrivains (Zola), historiens (Taine), psychologues des foules (Tarde, Le Bon) éprouvent pour ces "bêtes humaines". Ces intellectuels mettent alors en scène leurs propres fantasmes et, pour les premiers d'entre eux, les mettent en une forme scientifique qui réussit à s'imposer sans remise en cause de fond4. Au point d'ailleurs que leurs jugements, expressions directes de leur "racisme de classe" le plus cru perdurent, et que les analystes actuels des foules de la fin de siècle (mais aussi d'autres groupes comme les petits commerçants par exemple) doivent passer par un travail sur soi pour se dépendre de cette manière d'observer et déjuger*.

Ces exemples invitent à s'interroger sur les figures du "peuple" qui sont données dans les mises en scènes des "grands messes" politiques, dans les conflits internes aux partis où prétendants et dirigeants s'affrontent6 ou dans les présentations de soi de l'homme politique destinées à mobiliser des soutiens populaires. De l'art du prolétariat, art social destiné au peuple (Verdès-Leroux, 1979 et Angenot, 1989) à l'appel au "peuple", à la "base populaire" de Charles Pasqua, en passant par Pierre Poujade dénonçant les "ensaussissonés de technocrates" au nom du "petit peuple", c'est un véritable voyage au pays du peuple mythifié (Suaud, 1984) qu'il faudrait entreprendre pour comprendre les différentes formes historiques de "chosification" dont les catégories populaires furent et sont l'objet. On serait alors en mesure : d'une part, d'évaluer leur difficulté à s'évader d'une telle prescription ou sommation au "naturel" (c'est-à-dire à être ce que les autres pensent qu'elles sont) à partir de l'évolution historique de leur situation symbolique, et non plus simplement comme le résultat de leur "manque" ou de leur faible possession de ressources sociales ; et, d'autre part, de saisir, d'une autre manière encore, les transformations morphologiques des classes populaires contemporaines (dont la "désobjectivation" de la "classe" ouvrière est la manifestation la plus visible), par la déstabilisation de ses principes d'identification et, partant, par la destruction symbolique du groupe de référence qui conduit ses membres à chercher des représentants ailleurs qu'auprès de leurs porte- parole traditionnels...

Annie Collovald, Frédéric Sawicki Université Paris I

1. Voir, par exemple, les luttes sociales et politiques pour la bonne définition du peuple en pleine révolution de 1830 à travers les commentaires sur la réception de La liberté guidant le peuple de Delacroix que reconstituent Hadjinicolaou (1979) . 2. L'article de P. Hassenteufel sera publié dans Politix n°14. 3. Sur le poujadisme, voir Collovald (1989 et 1991).

4. Cette image serait à rapprocher de la valorisation, à peu près à la même période, du "peuple des campagnes" dont toute une littérature régionaliste et folkloriste vante, par opposition avec le "peuple des villes", les mérites et la sagesse. Voir notamment l'article à paraître dans Politix n°14 de R. Ponton. 5. C'est ce que fait, par exemple, Corbin (1990). 6. Sur l'utilisation des références populaires du gaullisme dans la compétition interne au RPR, voir Haegel (1990).

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Le populaire et le politique

Bibliographie

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