La normativité et le contentieux des règles générales du droit international en droit interne :...

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UNIVERSITĖ DE PARIS 1 PANTHĖON-SORBONNE ECOLE DE DROIT DE LA SORBONNE ĖCOLE DOCTORALE DE DROIT COMPARĖ - La normativité et le contentieux des règles générales du droit international en droit interne Une étude comparative en droit allemand, autrichien et français Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le grade de docteur en droit, le 12 décembre 2013 par Michaël MULLER-LAVINA JURY : Directeur de la recherche : Monsieur Otto PFERSMANN, Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne Membres du jury : Madame Constance GREWE, Professeur émérite à l’Université de Strasbourg Monsieur Xavier PHILIPPE, Professeur à l’Université d’Aix Marseille Monsieur Michael THALER, Professeur à l’Université de Salzbourg Monsieur Michel VERPEAUX, Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne

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UNIVERSITĖ DE PARIS 1 PANTHĖON-SORBONNEECOLE DE DROIT DE LA SORBONNE

ĖCOLE DOCTORALE DE DROIT COMPARĖ-

La normativité et le contentieux des règles généralesdu droit international en droit interne

Une étude comparative en droit allemand, autrichien et français

Thèse présentée et soutenue publiquementpour obtenir le grade de docteur en droit,

le 12 décembre 2013 par

Michaël MULLER-LAVINA

JURY :

Directeur de la recherche :

Monsieur Otto PFERSMANN, Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne

Membres du jury :

Madame Constance GREWE, Professeur émérite à l’Université de Strasbourg

Monsieur Xavier PHILIPPE, Professeur à l’Université d’Aix Marseille

Monsieur Michael THALER,Professeur à l’Université de Salzbourg

Monsieur Michel VERPEAUX,Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne

Remerciements

Je tiens à présenter tout d’abord ma gratitude à Monsieur le Professeur Otto Pfersmann, mon Directeur de thèse, pour la vision de la science juridique qu'il m'a transmise et pour son accompagnement bienveillant.

Tous mes remerciements vont également aux membres du jury Madame le Professeur Constance Grewe, Monsieur le Professeur Xavier Philippe, Monsieur le Professeur Michael Thaler, Monsieur le Professeur Michel Verpeaux, m'honorant aujourd'hui de leur appréciation critique et de leur présence.

J'aimerais également exprimer toute ma reconnaissance à Madame le Professeur Jacqueline Morand-Deviller pour m'avoir accompagné dans mes premiers pas dans l'enseignement supérieur.

Permettez-moi de dire aujourd’hui ma gratitude envers les Professeurs invités au Collège Universitaire Français de Moscou et évoquer les richesses que m'ont apportées mes années d'enseignement en Russie.

Plus personnellement, ma gratitude va aujourd’hui à ma famille, mon épouse, mes parents, mes enfants et les amis qui m’ont soutenu tout au long de ces années de recherche.

La normativité et le contentieux des règles généralesdu droit international en droit interne

Une étude comparative en droit allemand, autrichien et français

SOMMAIRE

Introduction générale

Première partie Le problème de la transformation des règles générales du droit international

Titre 1 : La relation entre la validité internationale et la validité interne (selon l'ordre de production)

Chapitre 1 : Le fondement constitutionnel de la transformation des règles générales du droit international en droit interne

Chapitre 2 : L'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation («application immédiate»)

Titre 2 : La concrétisation des règles générales du droit international

Chapitre 1 : L'habilitation générale à concrétiser les normes transformées dans la sphère interneChapitre 2 : L'implémentation des règles générales du droit international

Deuxième partie L'effet dérogatoire des règles générales du droit international

Titre 1 : La classification des règles générales du droit international selon la force dérogatoire

Chapitre 1 : La relation selon la force dérogatoire entre les règles générales du droit international et les normes issues de procédures de production internes

Chapitre 2 : La relation hiérarchique entre normes internationales dans le cadre du système juridique interne

Titre 2 : L'application téléologique des règles générales du droit international par les organes internes

Chapitre 1 : L'obligation générale de conformité au droit international en droit interneChapitre 2 : Les modalités de l'application téléologique du droit international par les organes

internes

Conclusion

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

AFDI Annuaire français de droit internationalAJDA Actualité juridique. Droit administratifAJIL American Journal of International LawAÖR Archiv des öffentlichen RechtsAnn. Dig. Annual digest of public international law cases (1919-1932) / Annual digest and

reports of public international law cases (1933-1949)AVR Archiv des Völkerrechts BGBl Bundesgesetzblatt : Journal officiel des lois fédérales (Allemagne fédérale ou

République d'Autriche).

al. alinéa

BDGV Berichte der Deutschen Gesellschaft für VölkerrechtBGH Bundesgerichtshof (Cour de justice fédérale, Allemagne)

BVerfG Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale)

BVerfGE Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts : Décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, éditées par les membres de la Cour

BVerfGG Bundesverfassungsgerichtgesetz : Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale

BVerwGE Entscheidungen des Bundesverwaltungsgerichts : Recueil des décisions de la Cour fédérale administrative (Allemagne)

BV-G Bundes-Verfassungsgesetz : Loi constitutionnelle fédérale

BYIL British Yearbook of International Law C.C. Conseil Constitutionnel

CCC Les Cahiers du Conseil constitutionnelCass. Cour de cassation

C.D.I. Commission du droit international

C.E. Conseil d'État

C.E.D.H. Cour européenne des droits de l’homme

C.J.C.E. Cour de justice des communautés européennes

C.J.U.E. Cour de justice de l'Union européenne

C.I.J. Cour internationale de justice

C.P.I.J. Cour permanente de justice internationale

D Recueil DallozDC Décision du Conseil constitutionnel

DÖV Die Öffentliche VerwaltungDVBl Deutsches VerwaltungsblattEJIL European Journal of International LawEuGRZ Europäische Grundrechte-ZeitschriftEuR Zeitschrift Europarecht GYIL German Yearbook of International Law / Jahrbuch für Internationales RechtHStR Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik DeutschlandICLQ International & Comparative Law Quarterly ILR International Law Reports JCP La semaine juridique JDI Journal du droit international (Clunet)JöR Jahrbuch des öffentlichen Rechts der Gegenwart JBl Juristische Blätter lit. litteraLF Loi fondamentale : GrundgesetzJZ JuristenZeitungLeb. Lebon (recueil des arrêts du Conseil d'État)

LPA Les Petites Affiches NJW Neue juristische WochenschriftÖJZ Österreichische Juristen-Zeitung O.N.U. Organisation des Nations unies

P.I.L. Hans Kelsen, Principles of International Law, 2ème éd, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p.

RCADI Recueil des cours de l’Académie de droit international de La HayeRCDIP Revue critique de droit international privéRec. Recueil

RDP Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étrangerRFDA Revue française de droit administratifRFDC Revue française de droit constitutionnelRGDIP Revue générale de droit international publicRIDC Revue internationale de droit comparéS. Recueil SireySlg Sammlung (Recueil)

StBGl Staatsgesetzblatt für die Republik Österreich : Gazette officielle des lois de l'Etat (Autriche : 1918-1920)

SZ Entscheidungen des österreichischen Obersten Gerichtshofes in Zivil- und

Justizverwaltungssachen (Autriche)

VfSlg Sammlung der Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes : Décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle

VwSlg Sammlung der Erkenntnisse und wichtigen Beschlüsse des Verwaltungsgerichtshofes : Décisions et arrêts de la Cour administrative

VVDStRL Veröffentlichungen der Vereinung der Deutschen StaatsrechtslehrerWRV Weimarer Reichsverfassung : Constitution de Weimar

ZaöRV Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und VölkerrechtZL Geschäftszahl : numéro de référence (Autriche)

ZÖR Zeitschrift für öffentliches Recht (Österreichische Zeitschrist für öffentliches Recht und Völkerrecht)

Avis

La numérotation des notes subpaginales n'est pas continue mais recommence à 1 au début de chaque chapitre. Le renvoi d'une note à une autre s'opère vers le même chapitre, sauf mention contraire.

Le rassemblement de la documentation s'est arrêté au 31 janvier 2013.

Les références internet sont valables au 30 avril 2013.

Introduction générale

L'extension de la sphère d'application du droit international conventionnel marque assurément

l'évolution du droit international depuis la toute fin du XIXe s., avec comme évènement la Première

conférence de La Haye de 1899 qui aboutit au « premier code international de la paix1 ». Elle prend de

l'ampleur à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, alors que la volonté des vainqueurs consiste dans

structurer davantage la Communauté internationale, ce qui passe par une codification du droit

international et l'institution d'organisations internationales, en commençant par l'Organisation des

Nations unies, auxquelles sont attribuées une compétence de production normative assez large, par actes

unilatéraux. Ce processus s'opère au détriment du droit international coutumier, qui était auparavant la

principale composante du droit international ; le droit international « écrit » remplace progressivement

le droit international « non écrit »2. Cette substitution est toutefois seulement partielle, notamment parce

que les principes structurants du droit international demeurent pour la plupart coutumiers (principe

d'effectivité3, pacta sunt servanda4, principe d'égale souveraineté des États5, principe d'indifférence du

1 Il s'agit de l'expression employée par le baron de Staal, Président de la Conférence ; cf. Conférence internationale de la Paix, La Haye, 18 mai-29 juillet 1899, Procès-Verbaux, lre partie, séance de clôture du 29 juillet 1899, p. 212.On relève déjà des codifications du droit international avant la Première Convention de La Haye de 1899, par la voie de conférences gouvernementales, dont aucune n'atteint cependant sa généralité ; cf. O.N.U., « Historical Survey of Development of International Law and its Codification by International Conferences », AJIL, vol. 41, 1947, suppl. pp. 29-111, spécialement pp. 29-49.2 Les « normes internationales non écrites » sont l'ensemble des normes internationales dont la validité n'est pas conditionnée par un acte écrit (publication, ratification, signature, reconnaissance, etc.). Cf. infra, le concept de « normes internationales non écrites ».3 Cf. Robert W. Tucker, « The principle of effectiveness in International Law », in : George A. Lipsky (éd.), Law and politics in the World Community, Essays on Hans Kelsen's pure theory and related problems in International Law, University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1953, 373 p., pp. 31-48 ; Heike Krieger, Das Effektivitätsprinzip im Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 2000, 521 p.4 Les principes coutumiers du droit international réglementant le droit international, dont pacta sunt servanda, ne sont pas abrogés par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1955. De manière générale, la Cour internationale de justice considère que : « le fait que les principes […] sont codifiés ou incorporés dans les conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à l'égard des pays qui sont parties aux dites conventions » (C.I.J., compétence, 10 mai 1984, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Rec. p. 421).5 Cf. Hans Kelsen, « The Principle of Sovereign Equality of States as a Basis for International Organization », The Yale Law Journal, vol. 53, 1944, pp. 207-220 ; Wilfried Schaumann, Die Gleichheit der Staaten – ein Beitrag zu den

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droit international par rapport au droit interne6, etc.). Plus récemment, dans la période historique dite de

globalisation, la tendance semble s'orienter vers une résurgence des normes non écrites parmi les

normes internationales, dans la position de normes valables universellement. L'explication de ce

phénomène est double7 : la pratique des États s'uniformise au sein de la sphère internationale en raison

de la globalisation, favorisant ainsi la formation de coutumes internationales par une praxis commune8 ;

le droit international non conventionnel peut lier les États sans ou contre leur volonté, surtout en vertu

du ius cogens9, ce qui est un mode de formation du droit approprié dans le cadre d'un système juridique

international qui protège de plus en plus les droits fondamentaux de l'individu, jusqu'à limiter la

« souveraineté » de l'État.

La présente analyse a pour objet d'exposer l'application des règles générales du droit international en

droit interne, par une comparaison entre les droits internes allemand, autrichien et français

principalement10. L'application des règles générales du droit international par les organes internes est

prévue par les dispositions constitutionnelles consistant en une obligation interne de transformer et de

concrétiser ces normes dans le cadre du droit interne, mais elle est aussi conditionnée par le droit

international lui-même qui, en tant que système juridique liant les États, prévoit une certaine

applicabilité des règles générales du droit international par les organes internes d'application du droit.

L'étude de la relation entre droit international et droit interne a surtout été entreprise par la doctrine

spécialiste du droit international à propos des traités internationaux 11. Cependant, son risque est double :

Grundprinzipien des Völkerrechts, Springer, Vienne, 1957, 160 p.6 Cf. Carlo Santulli, Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p.7 Cf. inter alia dans une doctrine abondante : W. Michael Reisman, « The Cult of Custom in the Late 20th Century », California Western International Law Journal, vol. 17, 1987, pp. 133-145 ; Richard B. Lillich, « The Growing Importance of Customary International Human Rights Law », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 25, 1995, pp. 1-30 ; Jost Delbrück, « Structural Changes in the International System and its Legal Order : International Law in the Era of Globalization », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht, vol. 11, 2001, pp. 1-36 ; Anthea Elizabeth Roberts, « Traditional and Modern Approaches to Customary International. Law : A Reconciliation », AJIL, vol. 95, 2001, pp. 757-791 ; Joseph H. H. Weiler, « The Geology of International Law : Governance, Democracy and Legitimacy », ZaöRV, vol. 64, 2004, pp. 547-562 ; Anja Seibert-Fohr, « Modern Concepts of Customary International Law as a Manifestation of a Value-Based International Order », in : Andreas Zimmermann, Rainer Hofmann (eds), Unity and Diversity in International Law, Duncker & Humblot, Berlin, 2006, 496 p., pp. 257-283 ; Jan Wouters, Cedric Ryngaert, The Impact of Human Rights and International Humanitarian Law on the Process of the Formation of Customary International Law, Instituut voor Internationaal Recht, K.U. Leuven, Working Paper n° 121, février 2008, 21 p., disponible sur : www.internationallaw.be.8 La «pratique» (praxis, élément matériel), qui est la répétition prolongée et constante d’un même comportement, constitue une condition de formation de la coutume. L'autre condition est le sentiment de la force obligatoire ((opinio juris sive necessatis, élément psychique).9 Ou « jus cogen ». L'article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 définit le ius cogens comme une « norme impérative de droit international général acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme а laquelle aucune dérogation n’est permise. »10 On analysera aussi d'autres systèmes juridiques nationaux en vue de compléter l'analyse (italien, grec, anglais...), surtout lorsqu'il s'agit d'appuyer la systématique qui sous-tend la présente recherche.11 Sans entrer dans le détail d'une littérature immense, on peut remarquer que la plupart des manuels d'enseignement du droit international public, qui contiennent presque toujours un chapitre spécial en la matière, servent de référence standard. Cf. inter alia, en Allemagne : Wolfgang Graf Vitzthum (coordinateur), Michael Bothe, Rudolf Dolzer, Kay Hailbronner, Marcel Kau, Eckart Klein, Philip Kunig, Alexander Proel, Stefanie Schmahl, Meinhard Schröder,

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celui de concevoir certaines questions comme un enjeu du droit international, alors qu'elles relèvent en

réalité de la sphère de compétence du droit interne, à l'exemple de la question de la transformation du

droit international en droit interne ; celui de développer une vision réduite de la normativité interne du

droit international centrée sur les traités internationaux, alors que c'est le droit international coutumier

qui, pourtant, structure la relation entre droit international et droit interne. En optant pour une analyse

comparative des systèmes juridiques internes allemand, autrichien et français, la démarche ici entreprise

voudrait contribuer à amplifier la systématique de la relation entre droit international et droit interne.

Pour l'entreprendre, il convient d'identifier clairement son objet (§1), de définir la méthode et les

concepts adoptés en vue d'appréhender la structure de la relation entre droit international et droit interne

dans les différentes structures juridiques en question (§2), mais aussi de présenter ce qui a été apporté

par la recherche antérieure (§3). On pourra alors proposer une explication des données du droit positif

(§4).

§ 1. Objet de l'étude

La présente étude se conçoit donc comme une comparaison de différents systèmes juridiques internes,

et non principalement comme une étude du droit international (A), mais elle analyse comment les États

concrétisent le droit international dans leur sphère interne (B).

A. Délimitation de l'objet de la recherche : ce qui est exclu

L'objet de la présente recherche consiste premièrement à analyser les droits internes allemand,

autrichien et français, non le droit international lui-même. Néanmoins, secondairement, l'analyse des

systèmes juridiques nationaux amène à rechercher le contenu du droit international en matière de

relations de systèmes juridiques. En effet, les systèmes juridiques nationaux sont des sous-systèmes

juridiques du droit international, au sens où ce dernier prévoit leur existence et, à un certain degré, leur

contenu juridique.

L'analyse de la relation entre le droit international et le droit interne peut être entreprise soit à partir des

données du droit international, soit à partir des données du droit interne, et rien n'empêche d'ailleurs de

Völkerrecht, 5ème éd., Walter de Gruyter, Berlin 2010, 769 p., spécialement pp.79-148 ; en Autriche : Hanspeter Neuhold, Waldemar Hummer, Christoph Schreuer, Österreichisches Handbuch des Völkerrechts, 2 tomes, 4ème éd., Manz, Vienne, 2004, 1278 p. ; en France : Patrick Daillier, Mathias Forteau, Daniel Müller, Alain Pellet, Droit international public, LGDJ, Paris, 8ème éd. 2009, 1708 p. ; ou encore, au Royaume-Uni : Malcolm N. Shaw, International Law, 6ème éd., Cambridge University Press, Cambridge/New York, 2008, 1708 p.

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juxtaposer ces deux approches12 13. Si le point de départ est le droit international, on recherchera alors

de quelle manière le droit international lie les États, c'est-à-dire quelles sont les obligations

internationales qui s'adressent à celui-ci, ces obligations pouvant éventuellement même s'étendre jusqu'à

la sphère domestique de l'État. La question alors soulevée concerne le statut international du système

juridique de l'État. En revanche, si l'on part du droit interne, l'analyse portera sur la transformation et la

concrétisation des normes internationales dans le cadre du système juridique interne.

La démarche ici exposée prend pour point de départ le droit interne. Le constitutionnaliste n'a en effet

pas à se préoccuper directement du contenu du droit international, mais il a néanmoins à le constater

afin d'analyser comment il est mis en œuvre par les organes de l'État dans le cadre de la réglementation

constitutionnelle. La difficulté qui s'ensuit consiste à ne pas généraliser les conclusions à partir d'une

analyse partielle, ce qui reviendrait à prendre la partie pour le tout. En d'autres termes, le sens de

l'investigation ne doit pas être confondu avec la relation entre le droit international et le droit interne

elle-même. Par exemple, le constat que l'État détermine librement, par voie constitutionnelle 14, de

transformer de telle ou telle manière les normes internationales, voire de ne pas les transformer,

n'implique pas que l'État est soustrait à toute conditionnalité, c'est-à-dire que la relation entre le droit

international et le droit interne dépendrait exclusivement de la volonté de l'État « souverain »15. Les

12 Les analyses systématiques actuelles adoptent parfois une démarche dans les deux sens, par exemple : Carlo Santulli, op. cit. note 6. Toutefois, comme le remarque le Professeur Jean Combacau dans la préface de cet ouvrage, la grande majorité des analyses, même lorsqu'elles sont le produit de spécialistes du droit international, ont pour objet « le traitement fait au droit international par l'État » ; cf. Jean Combacau, « Mettre de l'ordre dans les relations des ordres », préface à la thèse de doctorat de Carlo Santulli, pp. I-XIV, spécialement p. I.13 Hans Kelsen relate qu'il revient à Alfred Verdross d'avoir formulé pour la première fois la possibilité de concevoir le droit interne à partir des données du droit international et inversement. Cf. Hans Kelsen Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1920, 320 p., p. 120. Cf. aussi : Josef L. Kunz, « The Vienna School and International Law », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 59-124, spécialement p. 83-84.14 La doctrine présente souvent l'orientation de chaque constitution nationale comme le principal enjeu des recherches relatives à la relation entre droit international et droit interne, comme on le voit dans les extraits suivants :Les Professeurs Luzius Wildhaber et Stephan Breitenmoser écrivent que : « In any case, to answer the question whether a country follows the monistic or dualist conception in one or another moderated way, it will be necessary to examine pragmatically its actual constitutional position, its jurisprudence, as well as its doctrine. » ; cf. « The Relationship Between Customary International Law and Municipal Law in Western European Countries », ZaöRV, vol. 48, 1988, pp. 163-207, p. 173.Le Professeur Daniel H. Joyner développe quant à lui l'analyse suivante : « As applied in world legal systems these doctrines [monism and dualism] have been variously accepted and modified by nations and used as a basis for the integration of international law rules into their respective domestic legal system. As is readily apparent, determining which conception and what variation thereof should be accepted by a particular nation is vital to understanding how that nation should receive international law principles into its legal order. » ; cf « A normative Model for the Integration of Customary International Law into United States », Duke Journal of Comparative & International Law, vol 11, 2001, pp. 133-156, pp. 141-142.L'analyse développée dans ces extraits est marquée par une confusion entre le «monisme» et le «dualisme» au sens théorique (qui pose la question de la relation de système entre droit international et droit interne) et le «monisme» et le «dualisme» au sens technique (relatif au mode d'applicabilité du droit international dans la sphère de chaque système juridique national). Pour une analyse détaillée de cette confusion et de ses incidences, cf. infra : « Les différentes acceptions des termes "monisme" et "dualisme" comme manifestant une confusion entre théorie et technique ».15 Une partie de la doctrine déduit des dispositions constitutionnelles nationales relatives au droit international la relation plus générale entre droit international et droit interne. Ainsi, les constitutions nationales seraient chacune « moniste » ou « dualiste », et de cela résulterait que la structure générale de la relation entre droit international et droit interne se trouverait également « moniste » ou « dualiste » avec les nombreuses variantes possibles – suivant là

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conclusions relatives au droit interne ne présupposent en rien de l'ensemble de la relation entre le droit

international et le droit interne, qui est un objet propre de recherche, que l'on traitera certes, mais

surtout de façon incidente.

Il ne s'agit pas non plus de traiter le droit international du point de vue du droit interne16, comme si un

système juridique était pourvu, à l'instar des êtres humains, d'une quelconque perception. Nous ne

partageons pas ainsi l'opinion selon laquelle les systèmes juridiques puissent être sujets à des émotions,

comme cela semble être admis par le Professeur Jean Combacau : « le droit international a une vision

"dualiste" de ses rapports avec ses rivaux possibles [les droits nationaux] : très jaloux de sa supériorité,

il se perçoit en même temps comme différent d'eux, et ne prétend en aucune manière "nullifier" ou

même rendre inefficace dans leur ordre ce qui en eux est contraire à ses prescriptions17 ».

Le droit de l'Union européenne n'est pas non plus l'objet principal de la recherche. Il est parfois analysé

parce qu'il pose des difficultés spécifiques en tant que système juridique intermédiaire entre le droit

international général et le droit interne. La construction juridique de l'intégration européenne concerne

l'ensemble des États qui sont l'objet de la présente recherche, mais elle a des effets juridiques réduits sur

la relation entre droit international général et droit interne. Le principal de ces effets consiste sans doute

à limiter la sphère d'applicabilité du droit international général en se substituant à lui en certaines

matières, surtout dans le domaine économique.

B. Délimitation de l'objet de la recherche : ce qui est inclus

La présente recherche porte sur la façon dont l'État concrétise les règles générales du droit international

dans sa sphère interne (1). Il ne s'agit pas en l'occurrence d'analyser un seul droit interne, ni tous les

respectivement chaque modèle national ! La conclusion ensuite proposée paraît tautologique : comme tout dépend du droit interne en question, cela implique que ce dernier évolue séparément du droit international, donc que la relation entre droit international et droit interne demeure fondamentalement dualiste, voire « pluraliste » si l'on prend en compte tous les systèmes juridiques nationaux. La déduction opérée prête à controverse, étant donné que, trivialement, il n'est pas possible de tirer des conclusions générales relatives à la relation entre deux objets, par exemple la relation entre le droit international et le droit interne, par une analyse limitée à une seule de ses composantes, en l'occurrence le seul droit interne. Le Professeur Emmanuel Decaux procède ainsi à une telle analyse de la relation entre le droit international et le droit interne : « Dans une société internationale dominée par le volontarisme et la souveraineté des États, le droit international n'a longtemps été que la prolongation du droit interne par d'autres moyens. C'est le cas des États de tradition dualiste, comme le Royaume-Uni, qui refusent l'application directe des traités internationaux qui n'ont pas été "incorporés" par un acte interne substantiel, acquérant ainsi la même valeur que la législation nationale, mais qui considèrent que la coutume internationale fait, en tant que telle, partie du droit interne – part of the Law of the Land. C'est également le cas des États de tradition moniste, comme la France, qui se méfient de la coutume, mais qui donnent aux traités régulièrement attribués et publiés une valeur supra-législative, conformément à l'article 55 de la Constitution de 1958. » ; cf. « Déclarations et conventions en droit international », CCC, n°21 (Dossier : la normativité), janvier 2007, 8 p.16 Cf. par exemple la méthode employée par le Professeur Jean Combacau : « Tout est affaire [...] de point de vue et l'on doit soigneusement distinguer celui du droit étatique et celui du droit international » ; cf. « Mettre de l'ordre dans les relations des ordres », préface à la thèse du Professeur Carlo Santulli, op. cit. note 6, p. II.17 Ibid. p. VI.

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droits internes18, mais de se concentrer sur quelques droits nationaux, les systèmes juridiques nationaux

objets de la comparaison, soit les systèmes allemand, autrichien et français (2).

1. La production et la concrétisation des règles générales du droit international en droit interne est

déterminée par la constitution, soit par des dispositions spécifiques, à l'exemple d'une disposition

constitutionnelle prévoyant la transformation ipso iure19 du droit international en droit interne, soit par

l'intermédiaire de la réglementation constitutionnelle générale ; par exemple, la compétence attribuée au

législateur de produire des normes générales l'autorise à produire une norme déterminant les modalités

de la lutte contre l'infraction internationale de piraterie en haute mer20. L'absence d'obligation pesant sur

l'État d'opter pour un moyen déterminé de concrétiser le droit international dans sa sphère interne est

prévue par le droit international lui-même : il s'agit du principe d'indifférence du droit international par

rapport au droit interne. En cela, l'objet de la recherche consiste aussi plus globalement à analyser la

façon dont les États concrétisent la latitude qui leur est en principe attribuée par le droit international

pour sa propre application.

2. Cette latitude du droit international se manifeste entre autres au niveau constitutionnel par les

différences de contenu entre les dispositions constitutionnelles nationales organisant la relation entre le

droit interne et le droit international général21. Et on trouve au centre de la présente recherche les

dispositions constitutionnelles suivantes, ici présentées dans l'ordre chronologique22 :

18 On peut constater que les études concernant la normativité interne du droit international coutumier analysent souvent une grande quantité de systèmes juridiques nationaux, et aucun en particulier ; cf. inter alia : Lambertus Erades, Interactions between International and Municipal Law : A Comparative Case Law, T.M.C. Asser Instituut, La Haye, 1993, 1037 p. ; Simonetta Stirling-Zanda, L'application judiciaire du droit international coutumier : étude comparée de la pratique européenne, Schulthess, Zurich, 2000, 326 p. ; Michel Cosnard, La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des États , A. Pedone, Paris, 1996, 478 p. (dans un domaine spécial).19 Ipso iure, c'est-à-dire «de plein droit» ou encore «par (la seule) opération du droit» : la validité interne des normes internationales transformées en droit interne est directe, en ce sens qu'elle ne dépend pas d'une procédure interne de transformation une par une (ad hoc), mais de la seule disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation en droit interne. La transformation ipso iure est souvent dite «automatique» dans la terminologie employée par la doctrine française (cf. inter alia : Jacques Donnedieu de Vabres, « La Constitution de 1946 et le droit international », Dalloz, 1948, chron. pp. 5-8, spécialement p. 5). Le terme «automatique» est aussi, plus rarement, employé dans le même sens en langue allemande, cf. par exemple : Daniel Thürer, « Völkerrecht und Landesrecht : Thesen zu einer theoretischen Problemumschreibung », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht, vol. 9, 1999, pp. 217-224, spécialement p. 223 (« automatische Geltung »).20 Cf. en droit français, la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit abrogeant une législation ancienne relative à la piraterie, soit la loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime. 21 L'expression « droit international général » désigne l'ensemble du droit international non conventionnel. L'expression « droit international général » (sans italiques) désigne le système juridique international, par opposition les systèmes juridiques juridiques internationaux fortement particularisées (par exemple, le droit de l'Union européenne). Cf. infra, le concept de « droit international général ».22 Dans la présente analyse, on présentera dans la plupart des cas les différents droits internes dans l'ordre suivant : droit allemand, droit autrichien, puis droit français. En raison de la masse des données doctrinales et jurisprudentielles, la présentation du droit allemand permet de mettre en avant une grande partie des problèmes de droit positif posés ; le droit autrichien se place juste après du fait de sa ressemblance de contenu avec le droit allemand, et parce que les instruments critiques développés par la doctrine autrichienne offrent un moyen de récapitulation ; le droit français clôt l'analyse : sa plus grande originalité en la matière permet d'opérer une mise en perspective en ouvrant le champ des possibles.

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L'article 9 al. 1 de la Loi constitutionnelle fédérale autrichienne de 1920 (B-VG 23) : « Les

règles généralement reconnues du droit international sont valides en tant que composantes du droit

fédéral24 » ;

L'article 25 de la Loi fondamentale allemande de 1949 (LF25) : « Les règles générales du

droit international sont une composante du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent

directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral.26 »

L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le

Préambule de la Constitution française de 1958 actuellement en vigueur : « La République française,

fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n'entreprendra aucune

guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. »

Les différents systèmes juridiques internes en question présentent une certaine proximité de structure

constitutionnelle : État de droit, démocratie, séparation des pouvoirs, contentieux constitutionnel

concentré (modèle autrichien), tradition juridique dite romano-germanique. Et, plus spécifiquement, ils

contiennent tous une disposition constitutionnelle relative au droit international général27. Ces États

sont de surcroît liés de la même manière, c'est-à-dire en tant qu'également souverains28 ainsi que

membres de l'Union européenne, au droit international29.

23 « B-VG » est l'abréviation de «Bundes-Verfassungsgesetz». La Loi constitutionnelle fédérale a été votée par l'Assemblée constituante le 1er octobre 1920 (publication in : StGBl 1920/350 ; correction typographique BGBl 1020/1). Elle porte depuis l'importante révision de 1929 l'appellation de Bundes-Verfassungsgesetz in der Fassung von 1929 (BGBl 1030/1)24 « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes gelten als Bestandteile des Bundesrechtes. » (ma traduction)25 « LF » est l'abréviation de «Loi fondamentale» («Grundgesetz») . L'abréviation « LF » est devenue usuelle dans la doctrine française (abréviation allemande «GG»).26 « Die allgemeinen Regeln des Völkerrechtes sind Bestandteil des Bundesrechtes. Sie gehen den Gesetzen vor und erzeugen Rechte und Pflichten unmittelbar für die Bewohner des Bundesgebietes. » (ma traduction)27 Il n'en va pas ainsi de tous les États. Par exemple, les Constitutions néerlandaise, norvégienne, suédoise, ou encore danoise ne contiennent aucune disposition explicite relative à la normativité interne du droit international non conventionnel.28 Le principe d'égale souveraineté des États du droit international ne signifie pas pour autant que les États se trouvent dans une même situation juridique internationale. Leur situation juridique internationale est modulée selon les caractères propres à chaque État (sphère de compétence propre, appartenance à des organisations internationales ou supra-nationales...). Pour une critique du principe d'égalité en droit international, cf. : Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., spécialement pp. 247-248 ; Bardo Fassbender, « Die souveräne Gleichheit der Staaten – ein angefochtenes Grundprinzip des Völkerrechts », Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 43, 2004, pp. 7-13.29 Cela ne signifie pas pour autant qu'ils soient liés aux mêmes normes internationales : les normes internationales s'adressant à chaque État varie suivant les cas particuliers (par exemple, le Traité d'État de Vienne du 15 mai 1955, portant rétablissement d'une Autriche indépendante et démocratique, constitue apparemment une norme internationale d'une importance considérable pour l'Autriche ; cf. Gerhard Hafner, « L'"obsolescence" de certaines dispositions du Traité d'État autrichien de 1955 » , AFDI, 1991, pp. 239-257 ).

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§ 2. Outils d'analyse

Les outils d'analyse en vue d'appréhender la structure de la relation entre droit international et droit

interne dans les différents systèmes juridiques internes en question comprennent la méthode adoptée

(A) et les concepts retenus (B).

A. Méthode analytique

La méthodologie utilisée pour la présente recherche est celle développée par l'École de Vienne de la

théorie du droit, de Hans Kelsen et Adolf Merkl jusqu'au Professeur Otto Pfersmann (actuellement dite

« positiviste-normativiste »30 ou « normativiste »). La théorie positiviste-normativiste se distingue des

autres théories par trois idées principales : le droit est un ensemble de normes, ces normes forment un

système hiérarchisé, toute production est aussi application et réciproquement. La juridicité se définit de

manière récursive, au sens où une norme n'est juridique que pour autant qu'elle est fondée sur une autre

norme juridique. La théorie positiviste-normativiste contraste donc avec d'autres approches qui ont pour

objet de modifier le droit positif, telle celle actuellement développée par l'École de New Haven, qui

souhaite élaborer un «droit international de la dignité humaine»31.

Presque dès ses commencements, soit autour de la Première guerre mondiale, l'École de Vienne de la

théorie du droit, et surtout Hans Kelsen, applique sa conception de la relation entre normes à la relation

entre systèmes juridiques32, et tout particulièrement à la relation entre droit international et droit

30 Le terme « positiviste » pourrait sembler suffisant mais beaucoup d'auteurs se disent « positivistes » alors que ni leurs méthode, ni leurs conclusions ne sont semblables à celles de l'École autrichienne. Tel est notamment le cas des auteurs dualistes ou pluralistes qui soutiennent que leur conception de la relation entre droit international et droit interne est « réaliste » car elle part exclusivement du droit positif. (ou, du moins, de la « pratique juridique ») ; cf. inter alia : Michel Virally, « Sur un pont-aux-ânes : les rapports entre droit international et droit interne », in : Mélanges offerts à Henri Rolin – Problèmes de droit des gens, A. Pedone, Paris, 1964, 536 p., pp. 487-505 (« pluralisme à primauté du droit international ») ; Jean Combacau, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de philosophie du droit, 1986, pp. 85-105.La théorie « réaliste » s'étend au-delà de la théorie de la relation entre le droit international et le droit interne ; pour une aperçu critique, cf. Otto Pfersmann, « Contre le néo-réalisme juridique. Pour un débat sur l'interprétation », Analisi e diritto, 2001, pp. 231-284.31 Cf. W. Michael Reisman, L’Ecole de New Haven de droit international, présentation de Julien Cantegreil, A. Pédone, Paris, 2010, 268 p.32 A propos des rapports entre systèmes juridiques à l'intérieur de l'État fédéral, cf. inter alia : Hans Kelsen, « Die Bundesexekution. Ein Beitrag zur Theorie und Praxis des Bundesstaates, unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Reichs- und der österreichischen Bundes-Verfassung », in : Zaccaria Giacometti, Dietrich Schindler (éds), Festgabe für Fritz Fleiner zum 60.Geburtstag 24.Januar 1927, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1927, 431 p., pp. 127-187.

8

interne33. La construction de la « théorie moniste » succède au développement de la « théorie

dualiste »34 fondée par Heinrich Triepel et Dionisio Anzilotti au tournant du XIXe et du XXe s.35. En

insistant sur le caractère dynamique de la relation entre le droit international et le droit interne, la

théorie moniste se situe en rupture avec la théorie dualiste, qui considère quant à elle que les systèmes

juridiques en question évoluent certes, mais de manière déconnectée, en raison de la souveraineté des

États. L'enjeu principal consiste dès lors à cerner le phénomène de la «souveraineté» de l'État : il s'agit

soit d'une pré-donnée nécessaire qui détermine le rapport, et plus précisément l'absence de rapport

juridique, entre le droit international et le droit national, soit d'une idéologie qui ne permet pas de

rendre compte de l'état du droit positif, et de la relation dynamique entre le droit international et le droit

interne36.

En vue de résoudre les problèmes de droit positif, on utilisera une méthode normativiste (1),

comparative (2) et descriptive (3).

1. Normativiste

La théorie du droit retenue ici comme fondement de la méthode adoptée vise à rendre compte du droit

positif tel qu'il règle sa propre production37 et sa concrétisation38. En cherchant à exclure toute

considération extra-juridique, telle qu'idéologique ou politique, la théorie normativiste ouvre la

possibilité d'élaborer une méthode analytique qui permet de livrer des résultats qui correspondent à

l'état du droit positif, et ce, d'une façon qui semble présenter les plus grandes qualités de cohérence

logique et de potentiel explicatif.

La théorie moniste de la relation entre droit international et droit interne se présente comme un

développement particulier de la théorie normativiste, en ce qu'elle conçoit cette relation comme 33 Hans Kelsen Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1920, 320 p.. Hans Kelsen relate avoir achevé son œuvre dès 1916, la guerre ayant retardé l'édition (id. p. VII ; Rudolf Aladár Metall, Hans Kelsen, Leben und Werk, Deuticke, Vienne, 1968, 220 p., spécialement p. 38) ; auparavant déjà : Alfred Verdross, « Zur Konstruktion des Völkerrechts », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 8, 1914, pp. 329-359.34 C'est Alfred Verdross, soit un auteur «moniste», qui utilise le premier, en 1914, le terme de « dualiste » pour désigner cette École ; cf. ibid.35 La théorie dualiste, déjà construite dans la première décennie du XXe s., a pour fondateurs Heinrich Triepel et Dionisio Anzilotti. Cf. Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, C.L. Hirschfeld, Leipzig, 1899, 476 p., réédition Aalen 1958, 452 p. ; Dionisio Anzilotti, Teoria generale della responsabilita dello Stato nel diritto internazionale, Lumachi, Florence, 1902, 188 p. ; Dionisio Anzilotti, Il Diritto Internazionale Nei Giudizi Interni, Ditta N. Zanichelli, Bologne, 1905, 328 p. A propos de la théorie de Dionisio Anzilotti, cf. Denis Alland, Anzilotti et le droit international public – Un essai, A. Pedone, Paris, 2012, 196 p.36 Hans Kelsen, op. cit. note 33.37 Hans Kelsen remarque que : « le droit [présente cette particularité] de régler lui-même sa propre création. […]. Une norme est valable si et parce qu'elle a été créée d'une certaine façon, celle que détermine une autre norme; cette dernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. » ; cf. Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., p. 299.38 Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., pp. 483-528.

9

juridiquement organisée, autrement dit comme déterminée par des normes juridiques. Les systèmes

juridiques, soit des ensembles de normes, font donc partie d'un ensemble de normes plus vaste, qui

contient entre autres les normes de répartition des compétences entre les différents systèmes en

question. On le voit : la théorie moniste écarte aussi tout considération extra-juridique. La doctrine lui

reproche parfois une excessive complexité : la théorie moniste multiplierait les artifices pour démontrer

sa pertinence39. Les défauts imputables à la théorie moniste paraissent en réalité davantage

conjoncturels que structurels ; ils tiennent en effet à des contradictions internes qui ont dû être résolues

lors de l'histoire de sa construction40, et l'on cherchera à opérer un travail de récapitulation tout au long

de la présente recherche.

2. Comparative

La théorie normativiste est indispensable pour le droit comparé, dans la mesure où ce denier se conçoit

comme la confrontation analytique de structures normatives relevant de systèmes juridiques différents 41.

Le droit comparé analyse des phénomènes juridiques qui présentent une communauté de structure avec

des variantes plus ou moins marquées dans des systèmes juridiques différents42.

La fonction du droit comparé ne consiste pas à créer un monde juridique idéal ou souhaité en s'inspirant

des différentes solutions nationales, ce qui suppose nécessairement l'introduction de jugements de

valeur ; le droit comparé permet de décrire les structures de n'importe quel système juridique, et ce,

indépendamment du contexte terminologique et idéologique propre à chacune des doctrines nationales.

Car, en effet, les doctrines nationales ne se trouvent d'une part ni confrontées à la nécessité de construire

des concepts généraux en vue d'appréhender chacune des structures possibles, et de la différencier des

autres structures possibles, et elles se développent souvent, d'autre part, sous l'influence d'orientations

idéologiques propres :

La doctrine nationale n'a besoin que des concepts appropriés au système juridique qu'elle décrit,

mais ces concepts ne trouveront pas à s'appliquer à un autre système juridique, étant donné qu'il

contient des structures juridiques différentes. Le comparatiste, quant à lui, utilise les concepts

39 Cf. inter alia : Lazare Kopelmanas, « Du conflit entre le traité international et la loi interne – quelques remarques au sujet des rapports du droit interne et du droit international », Revue de droit international et de législation, vol. 64, 1937, pp. 88-143 et pp. 310-361, spécialement pp. 337-340. L'auteur évoque les « trésors d'ingéniosité » déployés par les auteurs monistes.40 Cf. Josef L. Kunz, op. cit. note 13 ; Alfred Rub, Hans Kelsen Völkerrechtslehre : Versuch einer Würdigung, Schulthess, Zurich, 1995, 646 p.41 Cf. généralement : Otto Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », RIDC, vol. 53, 2001, pp. 275-288.42 Le Professeur Otto Pfersmann dit que : « Le droit comparé analyse des structures normatives communes à plusieurs ordres juridiques, en vue, notamment, d'une meilleure connaissance de leurs différences significatives » ; cf. « Classifications organocentriques et classifications normocentriques de la justice constitutionnelle en droit comparé », in : Robert Andersen (éd.), Mélanges en hommage à Francis Delpérée : itinéraire d'un constitutionnaliste, Bruylant, Bruxelles, 2008, 1790 p., pp. 1131-1145, p. 1131.

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théoriques de structures possibles, qu'il impute à des systèmes juridiques actuels, tels le droit allemand,

le droit autrichien ou le droit français.

Les données juridiques nationales sont produites à l'issue de débats politiques et dans un

contexte idéologique propre, et le travail de la doctrine nationale va souvent consister à rationaliser

l'ensemble, en insistant sur son caractère nécessaire, voire naturel 43. Le droit comparé permet, quant à

lui, de qualifier les structures juridiques nationales indépendamment de la terminologie chargée de

connotations extra-juridiques que l'on trouve à la fois dans les textes normatifs et dans la doctrine

nationale qui est pourtant supposée les étudier scientifiquement. La doctrine relative à la relation entre

le droit international et le droit interne en offre d'ailleurs une illustration : tandis que la doctrine

autrichienne demeure globalement positiviste, dans le prolongement de Hans Kelsen, qui est aussi un

des principaux concepteurs de la Constitution de 192044, les doctrines allemande et française paraissent

davantage influencées par les idéologies, réciproquement celle de l'« ouverture au droit international »

et celle de la souveraineté.

3. Descriptive

La théorie du droit, dans laquelle s'inscrit la théorie de la relation entre le droit international et le droit

interne, explique par quels moyens – fondements, instruments de travail – la doctrine étudie les données

des systèmes juridiques positifs. Ce n'est que dans une certaine mesure que l'on exposera la théorie du

droit dans la présente étude :

En effet, la présente étude est principalement doctrinale, au sens où il s'agit de proposer une

description des systèmes juridiques concernés. La description de la normativité et du contentieux des

règles générales du droit international dans la sphère du droit interne se heurte d'ailleurs à des difficultés

inhabituelles, puisqu'en l'absence de support formel écrit telle la publication au Journal officiel ou par

tout autre acte écrit conditionnant leur validité, il faut utiliser des moyens appropriés pour identifier ces

normes dans l'immensité des données juridiques.

La théorie du droit intervient donc là à titre critique, négativement en vue de démontrer que,

sur tel ou tel point, la doctrine s'appuie sur des fondements qui manquent de cohérence, et positivement

parce qu'elle rend possible une approche systématique et comparative de l'état du droit positif en

matière de relation entre droit international et droit interne.

43 L'École historique du droit fondée par Friedrich Carl von Savigny montre l'effort qu'une doctrine peut déployer pour naturaliser les données du droit positif national ; cf. Friedrich Carl von Savigny, Vom Beruf unserer Zeit für die Gesetzgebung und Rechtswissenschaft, 2ème éd., Mohr, Heidelberg, 1828, 197 p.44 Rudolf Aladár Metall, Hans Kelsen, Leben und Werk, Deuticke, Vienne, 1968, 220 p., spécialement p. 34 et svtes.

11

a. Les sources (matériel de recherche)

La description du droit positif suppose l'accès à des sources dans lesquelles sont exposées les données

du droit positif qui constituent le matériel de recherche :

Tout d'abord, les normes qui sont l'objet de la présente recherche ne sont pas toutes écrites, d'où s'ensuit

certaines difficultés de documentation45. L'opération d'identification46 de leur contenu normatif est dans

la pratique surtout réalisée par plusieurs acteurs :

- la doctrine spécialiste du droit international, à laquelle participent les organes ayant pour

mission de codifier le droit international coutumier, parmi lesquels figure la Commission du droit

international ;

- la jurisprudence, en tant que les juridictions – internationales comme internes – sont tenues

d'appliquer les normes internationales non conventionnelles et qu'elles doivent motiver leurs

décisions en identifiant le contenu des normes en question47 ;

- le ministère des affaires étrangères national et les corps diplomatiques et consulaires dont

l'argumentation expose, parfois de manière partiale, l'état du droit international ;

La présente analyse porte aussi sur des textes normatifs. Les textes normatifs qui entrent dans le corpus

45 Les règles générales du droit international sont des normes non écrites, au sens où leur validité n'est pas conditionnée par un acte écrit (cf. infra, le concept de « normes internationales non écrites »). Notamment, elles ne font pas l'objet d'une publication, ni dans le cadre du droit international en raison des modalités de leur formation, ni dans le cadre du droit interne puisque leur transformation en droit interne s'opère dans la plupart des cas ipso iure.Le Professeur Otto Pfersmann précise, à propos de la publication, que : « la publication n’est évidemment pas, d’une manière générale, une condition de la validité. Une norme peut fort bien, selon le système, être opposable au destinataire sans que l’énoncé en ait été rendu public. Il est pourtant trivialement impossible qu’une norme n’ait aucune publicité puisqu’elle est la signification d’un ensemble d’évènements de communication. Elle doit donc être connue au moins de ceux qui sont appelés à l’appliquer (et auxquels, autrement, sera applicable une contrary-to-duty obligation), même si ceux auxquels elle sera applicable n’en ont aucune connaissance » ; cf. « temporalité et conditionnalité des systèmes juridiques », Revue de la Recherche Juridique – Droit prospectif, 1994, pp. 221-243, pp. 229-230.46 Il convient de distinguer l'« identification » d'une norme de sa « production ». L'« identification » est l'opération cognitive par laquelle on recherche la validité et le contenu de la norme en question ; la validité d'une norme est normativement conditionnée par sa « production », qui est un fait auquel le droit attache pour conséquence l'entrée en vigueur de la norme en question (par exemple, la validité d'une loi est conditionnée par une procédure législative constitutionnellement déterminée qui est la « production » de la norme en question).La doctrine confond souvent l'« identification » et la « production » d'une norme, et ainsi en est-il lorsqu'elle estime que le juge « dégage » certaines normes. En réalité, le juge exerce tantôt une fonction cognitive (il recherche, de la même manière que tout juriste, les normes valides ainsi que leur contenu normatif), tantôt une fonction de production normative (il concrétise des normes sur le fondement de la compétence qui lui est attribuée). Cf. Otto Pfersmann, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître - L’interprétation de la Constitution », in : Fernand Mélin-Soucramanien (éd.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, Paris, 2005, 248 p., pp. 33-60 ; Otto Pfersmann, « Explanation and Production: Two Ways of Using and Constructing Legal Argumentation », Logic, Epistemology, and the Unity of Science, vol. 20, 2011, pp. 281-293 ; Arthur Dyèvre, « Comprendre et analyser l’activité décisionnelle des cours et des tribunaux : l’intérêt de la distinction entre interprétation et concrétisation », Jus Politicum, n°4, 2010, 43 p. (en format PDF).47 Bien qu'on trouve dans chaque système juridique national une obligation de motiver les décisions (en ce qui concerne les juridictions constitutionnelles : art. 30, 50 et 59 de la Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale, art. 20 de l'Ordonnance portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 26 de la Loi sur la Cour constitutionnelle autrichienne), les pratiques des juridictions nationales quant à la motivation de leurs décisions varient grandement d'un État à l'autre. Cf. Otto Pfersmann, « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement p. 242.

12

de l'analyse relèvent de deux catégories : ceux qui conditionnent l'application du droit international non

conventionnel en droit interne, soit avant tout les dispositions constitutionnelles pertinentes ; ceux qui le

concrétisent, cette catégorie étant vaste : décisions des juridictions, décisions des organes exécutifs et

administratifs, entre autres du ministère des affaires étrangères et des corps diplomatiques et

consulaires, lois qui mettent en œuvre certaines obligations internationales (par exemple, les lois

relatives à la lutte contre la piraterie), etc. Il est particulièrement difficile de réduire la catégorie des

normes internes concrétisant le droit international parce que l'ensemble du droit interne lui-même peut

se concevoir comme une concrétisation du droit international, à l'instar du droit interne des affaires qui

peut s'analyser comme une concrétisation du droit international patrimonial, financier et commercial.

En effet, soit le droit international réglemente une matière de manière plus ou moins détaillée, soit il ne

la réglemente pas. Et même dans le cas où il ne réglemente pas une certaine matière, cela peut

s'analyser comme une autorisation internationale adressée aux États de réglementer intégralement la

matière en question48.

b. L'utilisation des indications fournies par la jurisprudence

La doctrine traite souvent la jurisprudence comme l'expression de la vérité alors que, d'une part, les

décisions posées par les juridictions ne sont autre chose, en leur dispositif, que des normes particulières

concrétisant des normes de degré plus général49, et que, d'autre part, rien n'empêche que les juridictions

puissent commettre des erreurs dans leur argumentation motivante50. Sans exclure une étude de la

jurisprudence, il convient de la situer dans le contexte juridique global. Un des aspects de la

jurisprudence, qui fera l'objet d'une analyse constante tout au long de la recherche, réside dans sa

fonction d'identification des règles générales du droit international ; étant donné que ces normes ne sont

habituellement pas écrites, la jurisprudence procure une vaste littérature à leur propos, qui permet de les

cerner.

48 Cf. Hans Kelsen (1967), P.I.L., spécialement pp. 290-293.49 Une norme n'est ni « vraie » ni « fausse », mais statue un « devoir-être », c'est-à-dire une obligation, une interdiction ou une permission ; on dira qu'elle est « valide » ou « non valide », cf. infra : le concept de «norme». Une décision d'une juridiction est une norme : elle n'est pas une formulation de la vérité, mais statue une nouvelle obligation, interdiction ou permission (par exemple, une norme de sanction qui interdit à tel ou tel individu de sortir du territoire national pendant telle ou telle période).Il convient de distinguer le « dispositif » d'une décision du juge de ses « motifs ». Les motifs de la décision ne sont pas des normes, mais une argumentation relative à l'état du droit positif destinée à justifier le « dispositif ». Un énoncé portant sur une norme peut être « vrai » ou « faux », par exemple l'affirmation « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est valide en droit international » est vraie ou fausse en fonction du contenu du droit international positif. De même, les « motifs » contenus dans le texte d'une décision du juge peuvent être vrais ou faux.50 Cf. Otto Pfersmann, « Ontologie des normes juridiques et argumentation », in : Otto Pfersmann, Gérard. Timsit (éds), Raisonnement juridique et interprétation, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001, 189 p., pp. 11-34 ; Otto Pfersmann (2001), op. cit. note 30 ; Otto Pfersmann (2005), op. cit. note 46 ; Otto Pfersmann (2011), op. cit. note 46.

13

B. Concepts

Il s'agit ici de construire un cadre conceptuel général afin d'identifier les objets recherchés dans des

systèmes juridiques différents, indépendamment de leur éventuelle dénomination par telle ou telle

formulation de disposition normative nationale et de la terminologie utilisée par les différentes doctrines

nationales. Comme la réflexion tient compte de la diversité des structures normatives possibles, elle

suppose en effet la construction de concepts à la fois suffisamment généraux et suffisamment fins en

vue d'appréhender chacune d'elles51, et de la confronter analytiquement aux autres dans une perspective

de comparaison. Il s'ensuit qu'il apparaît préférable d'introduire les concepts de manière

conventionnelle. On cherchera cependant dans la mesure du possible à ne pas heurter nos intuitions

linguistiques, donc à ne pas s'éloigner plus que nécessaire de la terminologie habituellement utilisée par

la doctrine.

De par l'universalité du droit international, on pourrait imaginer que la terminologie utilisée à propos

des relations entre le droit international et le droit interne est relativement uniforme, et ce, tant dans les

énoncés normatifs que dans la doctrine52. Une telle uniformité terminologique n'existe pourtant pas, et

cela tient sans doute au moins à deux facteurs :

Les énoncés normatifs des différentes constitutions nationales contiennent des expressions

divergentes pour faire référence à un même ensemble de normes internationales, que ce soit en matière

conventionnelle – « traités », « accords » ou « conventions » – ou en matière non-conventionnelle,

« règles générales du droit international », « règles généralement reconnues du droit international », ou

encore « règles du droit public international ». En matière non conventionnelle, la différence de

formulation tient grandement à la terminologie ainsi qu'à l'idéologie en vogue au moment historique où

ces énoncés ont été rédigés. En dehors des textes normatifs mêmes, la terminologie employée par les

organes d'application du droit, y compris au sein d'un même État, apparaît divergente et donne même

parfois l'impression d'être aléatoire. Cela est sans doute lié à une doctrine de droit international elle-

même hésitante dans l'usage de son vocabulaire.

Dans la doctrine des juristes spécialistes du droit international, les mêmes expressions ne

recouvrent souvent pas les mêmes concepts. Par exemple, les auteurs utilisent souvent les termes

d'«applicabilité directe», d'«effet direct», d'«applicabilité immédiate», de «self-executing» ou encore de

«self-sufficient» de manière divergente, alors même que l'on aurait pu penser que la terminologie de

droit de l'Union européenne employée régulièrement par la Cour de justice53, dans un important corpus

51Otto Pfersmann, op. cit. note 41, spécialement pp. 283-286.52 Francesco Francioni, « International Law as a Common Language for National Courts », Texas International Law Journal, vol. 36, 2001, pp. 587-597.53 En résumé, pour la Cour de justice de l'Union Européenne, l'«applicabilité directe» consiste dans l'obligation pesant

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jurisprudentiel54, allait s'imposer.

Lorsqu'il s'agit de désigner des données relevant du droit international, on adoptera dans la présente

recherche la terminologie de droit international général, du moins lorsqu'elle est univoque. On utilisera

par exemple la classification des formes normatives de droit international entre traité, coutume, principe

général de droit reconnu par les nations civilisées et ius cogens, et non la terminologie disparate

habituellement déployée par les doctrines et les jurisprudences nationales lorsqu'elles désignent l'un ou

l'autre ensemble de normes internationales.

Outre les concepts relatifs à la relation entre le droit international et le droit interne (1), qui concernent

spécifiquement l'objet de la recherche, on précisera aussi les concepts plus généraux qui trouveront à

s'appliquer tout au long de l'analyse (2).

1. Concepts relatifs à la relation entre le droit international et le droit interne

La présente recherche porte sur la normativité et le contentieux d'un certain ensemble de normes

internationales, les « règles générales du droit international », dans le cadre propre du système juridique

interne. Par conséquent, il s'agit de déterminer avec précision les concepts déterminant le domaine de

l'objet, c'est-à-dire ceux relatifs aux normes internationales en question (a), et ceux relatifs au rapport de

système entre le droit international et le droit interne (b).

a. La désignation des normes internationales en question

α. Concept de « règles générales du droit international »

i. Histoire de la terminologie

L'expression « règles généralement reconnues du droit international » est initialement l'expression

prépondérante dans la doctrine de droit international55 et sa substitution par l'expression de « règles

sur les administrations et les juges nationaux d'appliquer pleinement le droit de l'Union à l'intérieur de leur sphère de compétence («applicabilité immédiate») et de protéger les droits conférés par celui-ci aux citoyens («effet direct») . Il est vrai que certaines ambiguïtés subsistent dans la terminologie utilisée : l'«effet direct» adresse-t-il uniquement des droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers ou implique-t-il que les particuliers ainsi-visés soient aussi titulaires d'un droit de les invoquer devant les juridictions ? A ce propos, cf. infra, « l'"effet direct" ».54 Si la question de l'applicabilité directe apparaît centrale dans la relation entre Union européenne et États membres, elle ne caractérise pas exclusivement le droit de l'Union, puisque l'applicabilité directe existe aussi, en tant qu'exception, dans le cadre du droit international général.55 Cf. par exemple l'utilisation qui en est faite dans l'ouvrage classique : Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, C.L. Hirschfeld, Leipzig, 1899, 476 p., réédition Aalen 1958, 452 p. ; Droit international et droit interne, traduit de

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générales du droit international » tient largement à une polémique datant de l'entre-deux-guerres, à

propos de l'ambiguïté de la notion de « reconnaissance »56.

La formulation « règles généralement reconnues du droit international » fait partie des expressions

habituelles pour désigner le « droit international général » à une époque, la fin du dix-neuvième siècle

et le début du vingtième siècle, où le droit conventionnel général n'est pas encore existant. Dans la

terminologie juridique de l'époque la formulation allemande « die allgemein anerkannten Regeln des

Völkerrechts » est la traduction57 des formulations françaises « règles généralement reconnues du droit

international » ainsi que de « principes généralement reconnus du droit international ». En langue

anglaise, on trouve la formulation équivalente de « generally recognized principles of international

law58 »

Les termes de « règles généralement reconnues de droit international » et de « principes généralement

reconnus de droit international » sont contenus dans plusieurs traités internationaux classiques relatifs

au droit international humanitaire. La Convention (XII) relative à l'établissement d'une Cour

internationale de prises signée à La Haye le 18 octobre 1907 annonce en son article 7 alinéa 2 que : « A

défaut de [...] stipulations [conventionnelles], la Cour applique les règles du droit international. Si des

règles généralement reconnues n'existent pas, la Cour statue d'après les principes généraux de la

justice et de l'équité ». La Déclaration relative au droit de la guerre maritime signée à Londres le 26

février 1909 contient comme disposition préliminaire : « Les Puissances Signataires sont d'accord

pour constater que les règles contenues dans les Chapitres suivants répondent, en substance, aux

principes généralement reconnus du droit international. »

La formulation « règles généralement reconnues du droit international » n'a pas complétement disparu.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, qui est une juridiction internationale, l'utilise encore

actuellement. A l'occasion de ses décisions du 21 novembre 2001 (c/ Irlande, req. 31253/96 et c/

Royaume-Uni, req. 35763/97 et 37112/97), elle fait référence aux « règles de droit international

généralement reconnues en matière d'immunité des États ». L'expression apparaît aussi dans certains

traités internationaux tels que la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification

de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles du 10 décembre 197659 ou dans

l’allemand par René Brunet, A. Pédone, Paris, 1920, 448 p.Dans la jurisprudence internationale, cf. la terminologie employée par la Cour permanente de justice internationale : «principe généralement reconnu» (C.P.J.I., 26 juillet 1927, Usine de Chorzów (compétence), Rec. Série A, n°9, p. 31 ; C.P.I.J., avis consultatif, 31 juillet 1930, "Communautés" gréco-bulgares, Rec. Série B, n°17, p. 32).56 Cf. la lecture nationaliste possible de la formulation « règles généralement reconnues du droit international », à propos de l'article 4 de la Constitution de la République de Weimar (infra notes 196 et 197).57 La langue internationale dominante à la fin du XIXe et au début du XXe siècle est le français. Les traités internationaux d'une certaine ampleur, la jurisprudence internationale, ainsi que les travaux des auteurs de la doctrine considérés comme les plus éminents, sont très souvent rédigés en français ou traduits dans la langue française pour leur publicité. En cela, l'expression allemande constitue sans doute la traduction de l'expression française et non l'inverse, même si, par la suite, elle se trouve surtout dans des textes constitutionnels rédigés en langue allemande. 58 Louis B. Sohn, « "Generally Accepted" International Rules », Washington Law Review, vol. 61, 1986, pp. 1073-1080.59 Art. III al. 1 : « Les dispositions de la présente Convention n'empêchent pas l'utilisation des techniques de

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encore le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires ouvert à la signature le 24 septembre 1996

à New York60. La formulation « règles générales du droit international » est aussi actuellement présente

dans le vocabulaire employé par les organes internationaux61.

ii. Définition :

Les « règles généralement reconnus du droit international » et les « règles générales du droit

international » se définissent traditionnellement surtout négativement, par opposition au droit

conventionnel62. Les notions de « généralité 63» et de « reconnaissance » apparaissent en l'occurrence

relativement vagues, et ont d'ailleurs soulevé de nombreuses difficultés d'interprétation. Il n'est

notamment pas certain que la « généralité » soit exclusive du droit coutumier particulier.

Conventionnellement, les « règles générales du droit international » se composent, de manière positive,

des coutumes internationales, des normes de ius cogens (ou jus cogens)64 et des principes généraux de

droit reconnus par les nations civilisées auxquels l'article 38 §1 [c] du Statut de la Cour internationale

de justice fait référence65.

modification de l'environnement à des fins pacifiques et sont sans préjudice des principes généralement reconnus et des règles applicables du droit international concernant une telle utilisation. »60 Art. IV al. 5 : « Aux fins du présent Traité, il n’est interdit à aucun État partie d’utiliser l’information obtenue par les moyens techniques nationaux de vérification d’une manière compatible avec les principes généralement reconnus du droit international, y compris celui du respect de la souveraineté des États ».61 Cf. par exemple : C.I.J., 20 décembre 1980, avis consultatif, Interprétation de l'accord du 25 mars 1951 entre l'OMS et I'Egypte, Rec. 1980, p. 73 et svtes, § 37 : « L’organisation internationale est un sujet de droit international lié en tant que tel par toutes les obligations que lui imposent les règles générales du droit international, son acte constitutif ou les accords internationaux auxquels il est partie. » ; ou encore : CJCE, 25 juillet 1991, Factortame e.a., C-221/89, Rec. I. p. 3905, § 17.62 Linguistiquement, les formulations « règles généralement reconnues du droit international » ou « règles générales du droit international » pourraient aussi désigner certains traités internationaux universels ou quasi-universels pourvus d'un haut degré de généralité, à l'instar de la Charte de l'Organisation des Nations Unies du 26 juin 1945 ou de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Cela n'est toutefois pas leur signification habituelle dans les énoncés juridiques, aussi bien en droit international qu'en droit interne.63 A propos de l'ambiguïté du terme, cf. par exemple l'utilisation qu'en fait la Cour internationale de justice à l'occasion de l'affaire Plateau continental de la mer du Nord : « En ce qui concerne les autres éléments généralement tenus pour nécessaires afin qu'une règle conventionnelle soit considérée comme étant devenue une règle générale du droit international, il se peut qu'une participation très large et représentative à la convention suffise, à condition toutefois qu'elle comprenne les États particulièrement intéressés. » ; arrêt du 20 février 1969, Rec. 1969, p. 43. La notion de « règle générale du droit international » n'a jamais été fixée quant à la question de la généralité, cf. infra, « La condition de généralité ».64 Le ius cogens n'est pas avec certitude une forme normative du droit international, puisqu'il est tantôt considéré comme du droit coutumier ou conventionnel qualifié, tantôt comme une forme normative propre. La doctrine majoritaire actuelle affirme toutefois plutôt que, bien que non mentionnées dans l'article 38 §1 du Statut de la Cour internationale de justice, les normes de ius cogens forment bien une catégorie normative spécifique parmi l'ensemble des normes internationales. La théorie admettant l'existence de normes de ius cogens conduirait à isoler, au sein de l’ensemble des normes internationales, certaines normes dont il est interdit d'écarter l'application par voie d’accords particuliers, autrement dit à « distinguer […]dans le cadre des règles générales du droit international, la catégorie particulière des règles du jus cogens » (Annuaire C.D.I., 1976, vol. II, 2ème partie, p. 94).65 Dans sa jurisprudence récente, la Cour constitutionnelle fédérale définit de la même manière les « règles générales du droit international » visées par l'article 25 LF. Cf. Chambre du deuxième Sénat, arrêt du 21 mai 1987 (2 BvR 1170/83) :« Zu den Allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art.25 GG gehören das ius cogens, das Völkergewohnheitsrecht und die allgemeine Grundsätze ».

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β. Concept de « droit international général »

La doctrine classique66 distingue habituellement le « droit international général » du « droit international

particulier ». On trouve deux significations différentes de cette distinction67 :

De manière stricte, le terme de « droit international général » désigne les normes internationales

qui sont valides pour l'ensemble des États68, tandis que le « droit international particulier » désigne les

normes internationales liant uniquement un certain ensemble d'États.

Mais aussi, le « droit international général » désigne souvent le droit international coutumier,

tant général que particulier69, tandis que le « droit international particulier » désigne le droit

international conventionnel. Cette distinction doctrinale tient à l'histoire du droit international.

Antérieurement aux traités internationaux universels telle la Charte de l'Organisation des Nations

unies70, seul le droit coutumier international contenait des normes qui s'adressent à l'ensemble des

États71. Les traités ne lient en principe que les parties contractantes et il s'ensuit que, en l'absence d'un

66 La « doctrine classique » inclut ici la « doctrine traditionnelle » et la « doctrine kelsénienne ». La « doctrine traditionnelle » constitue la doctrine dominante depuis la fin du XIXe s. (idéologie de la souveraineté de l'État, théorie dualiste de la relation entre droit international et droit interne) à laquelle se sont opposés Hans Kelsen et l'Ecole viennoise de la théorie du droit.67 Par exemple, Hans Kelsen écrit que : « General or common international law is customary law valid for all states belonging to the international community. […] Particular international law is valid for some states only, and comprises, for the most part, norms created by treaties valid only for the contracting parties » ; cf. P.I.L., p. 17 ; plus loin, l'auteur précise que : « The term "general international law" designates norms of international law which are valid for all the states of the world, whereas the term "particular international law" designates norms of international law valid only for certain states. General international law is as a matter of fact, customary law. As treaties are in principle binding upon the contracting parties, and there is no treaty concluded by or adhered to by all the states of the world, there is only customary, not conventional general international law. » (p. 288).68 En ce sens, le Professeur Julio A. Barberis dit : « L'une des caractéristiques du droit coutumier est que ses normes ont une validité générale, qu'il inclut les États et autres sujets qui ont participé à son élaboration, ceux qui se sont abstenus d'y prendre part, et aussi les nouveaux États et autres sujets qui se sont intégrés ultérieurement à la communauté internationale » ; cf. « Réflexions sur la coutume internationale », AFDI, vol. 36, 1990, pp. 9-46, p. 38.L'affirmation selon laquelle certaines normes du droit international sont valides pour l'ensemble des États ne signifie pas que ces normes lient actuellement l'ensemble des États, mais seulement que ces normes lient potentiellement tous les États, c'est-à-dire qu'elles lient tous les États qui satisfont en l'espèce aux conditions requises. Par exemple, un État enclavé, c'est-à-dire dépourvu de littoral, n'est pas lié par certaines normes liant les États maritimes, mais ces normes le lient potentiellement en tant qu'il peut à un moment ou un autre acquérir un territoire littoral. 69 Dans la terminologie utilisée par certains auteurs, le «droit international général» désigne uniquement les coutumes internationales universelles à l'exclusion des coutumes internationales régionales ou locales ; cf. inter alia H.-H. Nöll, Die Völkerrechtssubjektivität der Europäischen Gemeinschaften und deren Bindung an das allgemeine Völkerrecht, Nomos, Baden-Baden, 1986, pp. 60-64. Dans sa terminologie, Hans Kelsen semble aussi parfois exclure les coutumes régionales et particulières de la définition qu'il adopte du «droit international général» ; cf. par exemple : P.I.L., p. 438.70 Même la Charte des Nations-Unies n'est pas ratifiée par l'ensemble des États . Celle-ci est néanmoins potentiellement universelle, d'autant plus qu'elle lie les États tiers ; cf. Hans Kelsen (1967), P.I.L., spécialement pp. 486-487.71 Josef L. Kunz procure une définition du « droit international général » en 1922 : « An der Existenz eines gemeinen Völkerrechts ist nicht zu zweifeln. Wenn wir auch die so fern umstrittenen "Grundrechte" beiseite lassen, ergibt sich immerhin ein gewisser Normenkomplex des Gesandtschafts- und Konsularrechtes, des Schiffs- und des See- wie des Vertragsrechtes, das als gemeines Völkerrecht zu bezeichnen ist. Wenn auch das gemeine Völkerrecht, bisher hauptsächlich Gewohnheitsrecht war, so wird es doch in absehbarer Zeit, da die Entwicklung in der Richtung der Kodifikation geht, auch geschriebenes Rechts sein » ; cf. « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, p. 312.Ultérieurement, d'autres listes des matières régies par le « droit international général » ont été proposées, cf. Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer,

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droit conventionnel universel, le droit international conventionnel général n'existe alors pas72. Jusqu'à la

fin du XIXe siècle, une partie considérable de la doctrine allait même jusqu'à considérer la coutume

comme l'unique « source » du droit international73. Dans ce contexte, la doctrine du début du XXe siècle

a étendu l'expression « droit international général » à l'ensemble du droit international coutumier, y

compris particulier, tandis que l'expression « droit international particulier » désigne exclusivement

uniquement le droit international conventionnel.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le vocabulaire utilisé par la doctrine a parfois changé en

raison du phénomène d'extension du droit international conventionnel :

Dans la Charte des Nations unies, le terme « droit international général » est utilisé pour indiquer les

normes internationales, tant conventionnelles que coutumières, qui lient l'ensemble des États .

Plus récemment, une partie de la doctrine emploie désormais l'expression « droit international général »

pour désigner les traités liant la plupart des membres de la Communauté internationale. Et ce « droit

international général » se distingue à la fois d'un « droit international universel » qui lie l'ensemble des

États, entre autres par les normes de ius cogens, et d'un « droit international particulier », qui désigne

souvent un droit international régional, par exemple le droit de la Convention européenne des droits de

l'homme74. La terminologie nouvelle paraît d'un point de vue linguistique tout à fait acceptable, même si

elle tend à faire oublier que le fondement du droit international conventionnel général se trouve dans le

Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98, spécialement p. 72. Selon Ernst C. Hellbling, le « droit international général » comprend entre autres les principes de droit international relatifs aux sources du droit international, à la relation du droit international au droit interne, à la délimitation des sphères de validité (personnelle, temporelle, matérielle, spatiale), aux organes internationaux, aux sanctions internationales, au règlement pacifique des conflits, au droit de la guerre et de la neutralité, ainsi que les droits fondamentaux internationaux et le droit international des étrangers. Cf. aussi plus généralement dans la littérature relative au droit international : Alfred Verdross, Völkerrecht, 5ème édition, Springer, Vienne 1964, 690 p., spécialement pp. 1-30 et 137-506.72 Emmerich de Vattel remarque, en 1758, que : « Les divers engagemens dans lesquels les Nations peuvent entrer, produisent une nouvelle espèce de Droit des Gens, que l’on appelle Conventionnel, ou de Traités. Comme il est évident qu'un Traité n'oblige que les Parties contractantes, le Droit des Gens Conventionnel n'est point un Droit universel, mais un Droit particulier. » ; cf. Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, vol. 1, Londres, 1758, préliminaires, §24. Cf. encore récemment : Grigory I. Tunkin, « Is General International Law Customary Law Only ? » , EJIL, vol. 4, 1994, pp. 534-541. 73 Cf. inter alia : Johann Wolfgang Textor, Synopsis juris gentium, Bâle, 1680 (le droit international conventionnel est une possibilité mais n'appartient pas à son époque) ; Cornelius van Bynkershoek, Quaestiones Juris Publici, 2 vols, Leyde, 1737 ; Emmerich de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Londres, 1758 ; Theodor von Schmalz, Das europäische Völkerrecht, livre 3, Berlin, 1817 ; Leopold Freiherr von Neumann, Grundriß des heutigen europäischen Völkerrechts, 3ème éd., Vienne, 1885 ; Heinrich Triepel, Die neuesten Fortschritte auf dem Gebiete des Kriegsrechts, Leipzig, 1894. La conception de la doctrine classique contraste manifestement avec celle de certains auteurs contemporains qui s'interrogent sur la possibilité même que la coutume internationale soit une « source » du droit ; cf. inter alia : Julio A. Barberis, « la coutume est-elle une source du droit international ? », in : Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Mélanges Michel Virally, A. Pedone, Paris, 1991, 511 p., p. 43-52 ; Jack L. Goldsmith, Eric A. Posner, « A Theory of Customary International Law », University of Chicago Law Review, vol. 66, 1999, pp. 1113-1177 ; Jörg Kammerhofer, « Uncertainty in the Formal Sources of International Law: Customary International Law and Some of Its Problems », EJIL,vol. 15, 2004, pp. 523–553. 74 Cf. inter alia : Josef L. Kunz, « General international law and the law of international organizations », AJIL, vol. 47, 1953, pp. 456-462 ; Gérard Cohen-Jonathan, « La coutume locale », AFDI, vol. 7, 1961, pp. 119-140.

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droit international coutumier, dont certains principes sont d'un degré de généralité plus élevé que le

droit conventionnel, parmi lesquels le principe pacta sunt servanda. Cette terminologie ne sera toutefois

pas adoptée, afin de ne pas s'éloigner plus que nécessaire de la terminologie utilisée au moment de la

rédaction des dispositions constitutionnelles qui sont l'objet de la présente recherche.

L'expression « droit international général » demeure usuelle dans la doctrine la plus contemporaine75,

ainsi que dans la jurisprudence76, pour désigner le droit international non conventionnel. La formulation

« droit international général » aura ici, conventionnellement, la même signification. Les italiques sont

utilisés (« droit international général ») pour souligner que l'ensemble des normes composant le système

juridique international n'est pas désigné par cette expression77. Le droit international en son ensemble, y

compris conventionnel, est simplement désigné par « droit international ». On utilisera aussi parfois la

formulation « droit international général » (sans italiques) pour désigner le système juridique

international lorsqu'il s'agit de l'opposer à un système juridique international particularisé 78, à l'instar du

droit de l'Union européenne qui est un système juridique international régional.

75 Cf. par exemple la terminologie utilisée par le Professeur Pierre-Marie Dupuy, in : Pierre-Marie Dupuy, « Un débat doctrinal à l'ère de la globalisation: sur la fragmentation du droit international », European Journal of Legal Studies, vol. 1, n°1, 2007, pp. 1-19 ; du même auteur, « L’Unité d’Application du Droit International à l’Echelle Globale et Responsabilité des Juges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, p. 21 et svtes. Cf. aussi dans la doctrine de langue française : Christian Dominicé, François Voeffray, « L'application du droit international général dans l'ordre juridique interne », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 51-62. Dans la doctrine de langue allemande, cf. par exemple : Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769 ; Jürgen Schwarze, « Das allgemeine Völkerrecht in den innergemeinschaftlichen Rechtsbeziehungen », Europarecht, vol. 18, 1983, pp. 1-39. Dans la doctrine de langue anglaise, cf. la terminologie utilisée dans les écrits d'Après-guerre de Hans Kelsen, par exemple : « Sovereignty and International Law », The Georgetown Law Journal, vol. 48, 1960, pp. 627-640, p. 630 (« It is expressed in modern state constitutions which contain provisions to the effect that the law-applying organs are bound by the norms of general international law and of particular international law as created by treaties of the state in question ») ; Hans Kelsen, Peace Through Law, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1944, réédité en 2008 par Lawbook Exchange, New York, 155 p., spécialement pp. 75-80. En langue italienne : Alfred Verdross, « La validità del diritto internazionale generale nel campo interao secondo il diritto costituzionale germanico e austriaco », in : Adunanze straordinarie per il conferimento dei premi Antonio Feltrinelli, Accademia Nazionale dei Lincei, Rome, 1976, p. 13 et svtes.76 Cf. par exemple : CIJ, arrêt du 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord, Rec. 1969, p. 38: « il est en général caractéristique d'une règle ou d'une obligation purement conventionnelle que la faculté d'y apporter des réserves unilatérales soit admise dans certaines limites, mais il ne saurait en être ainsi dans le cas de règles et d'obligations de droit général ou coutumier qui, par nature, doivent s'appliquer dans les conditions égales à tous les membres de la communauté internationale et ne peuvent donc être subordonnées à un droit d'exclusion exercé unilatéralement et à volonté par l'un quelconque des membres de la communauté à son propre avantage ».Cf. aussi la terminologie utilisée par la Cour constitutionnelle fédérale allemande (par exemple, BVerfGE, 18, p. 441 sqs. (448)).77 Cette utilisation des italiques pour désigner exclusivement le droit international non conventionnel n'est pas une nouveauté, cf. par exemple : Bruno Simma, « Termination and Suspension of Treaties: Two Recent Austrian Cases », GYIL, vol. 21, 1978, pp. 74-96, spécialement p. 85. 78 L'utilisation de l'expression « droit international général » dans ce contexte apparaît courante dans la doctrine, cf. par exemple : Hans-Heinrich Nöll, Die Völkerrechtssubjektivität der Europäischen Gemeinschaften und deren Bindung an das allgemeine Völkerrecht, Nomos, Tübingen, 1986, 177 p.

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γ. Expressions équivalentes ou quasi-équivalentes :

i. « Normes internationales non conventionnelles »

Par «normes internationales non conventionnelles», on entend l'ensemble des normes internationales à

l'exclusion des traités internationaux et de leurs normes dérivées79, tels les décisions des juridictions

internationales et autres actes unilatéraux des organisations internationales, comme les résolutions du

Conseil de sécurité de l'ONU.

ii. « Normes internationales non écrites »

Les concepts de « normes internationales non écrites » et de « normes internationales non

conventionnelles » ne recouvrent pas totalement le même objet, mais presque80. Les « normes

internationales non écrites » se définissent comme les normes internationales dont la validité n'est pas

conditionnée par un acte écrit81 (signature, forme rédigée, publication, etc.). La formulation désigne

donc en grande partie des « normes sans actes », soit les coutumes, les principes généraux de droit

79 Par ailleurs, la « doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations », à laquelle fait référence l'art. 38 §1 d. du Statut de la Cour internationale de justice, parmi les normes que la juridiction internationale est tenue d'appliquer, s'avère hautement problématique. L'article 38 §1 semble dans tous les cas mal rédigé, car la doctrine a uniquement une fonction cognitive, c'est-à-dire non normative. On remarquera d'ailleurs que la définition de la coutume que cet article contient prête aussi à controverse : « la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ». La « coutume » ne constitue en effet nullement une « preuve », mais une norme.80 Les actes unilatéraux des États sont parfois des normes non écrites, une déclaration orale pouvant former un acte unilatéral (C.P.I.J., 5 avril 1933, affaire du statut juridique du Groenland oriental (Danemark c. Norvège), Rec., série A/B, n°53, p. 22 ; C.I.J.,27 juin 1986, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Nicaragua/États -Unis), Rec. 1986, p. 14). Toutefois, leur caractère d’actes non autonomes du droit international conventionnel ou coutumier, mis à part certains actes spécifiques tels que la notification, la reconnaissance ou encore la protestation, nous incite à ne les traiter ici que marginalement. Cf. généralement : Hiram E. Chodosh, « Neither Treaty Nor Custom : The Emergence of Declarative International Law », Texas International Law Journal, vol. 26, 1991, pp. 87-124Les actes unilatéraux participent à la formation de normes coutumières internationales. Par exemple, en matière d'acquiescement, le Professeur Malcom N. Shaw remarque que : « The Chamber of the International Court in the Gulf of Maine case [C.I.J., 12 octobre 1984] defined acquiescence as «equivalent to tacit recognition manifested by unilateral conduct which the other party may interpret as consent» and as founded upon the principles of good faith and equity. Generally, where states are seen to acquiesce in the behaviour of other states without protesting against them, the assumptions must be that such behaviour is accepted as legitimate. Some writers have maintained that acquiescence can amount to consent to a customary rule and that absence of protest implied agreement. In other words where a state or states action which they declare to be legal, the silence of others states can be used as an expression of opinio juris or concurrence in the new legal rule. This means that actual protests are called for to break the legitimising process » ; cf. International Law, 5ème éd., Cambridge University Press, Cambridge/New York, 2003, 1288 p., pp. 84-85.81 Suivant la distinction classique, surtout en droit interne, entre «acte juridique» et «fait juridique». Les «actes juridiques» sont un comportement ayant pour objet la production d'une norme juridique tandis que les «faits juridiques» sont de simples comportements devant entraîner certaines conséquences juridiques. Toutes les normes internationales non écrites ne sont pas des normes sans «acte juridique» : certaines peuvent être produites par un acte oral, à l'instar des actes unilatéraux des États résultant d'une déclaration orale du chef de l'État, d'autres par un comportement répété de l'État visant à une modification coutumière du droit international (positivement ou négativement : par exemple, un État s'abstient intentionnellement de certains actes afin de ne pas être lié par une coutume internationale en voie de formation ; cf. C.I.J., 18 décembre 1951, affaire anglo-norvégienne des pêcheries, Rec. 1951, p. 131, à propos de la « théorie de l'objecteur persistant »).

21

reconnus par les nations civilisées, et le ius cogens. On utilisera dans la plupart des cas indifféremment

les termes « normes internationales non conventionnelles » et « normes internationales non écrites »,

sauf en certains passages, afin d'insister sur un des aspects de ces normes, réciproquement, soit pour les

opposer au droit conventionnel, soit pour mettre en avant leur procédure de formation dans la sphère

internationale.

L’appellation droit international «non écrit» suppose quelques discussions. Le caractère non écrit de ces

normes ne signifie pas qu'elles ne sont pas formulables par écrit, d'où s'ensuivrait qu'elle restent

nécessairement dans l'informulé. En effet, on en trouve des traces plus ou moins apparentes dans les

actes de langages, et il revient au juriste de les formuler dans son travail d'identification du droit positif :

Les diverses normes internationales non écrites peuvent connaître un support originel écrit : un

traité qui se modifie par voie coutumière, une soi-disant «norme» de soft law qui se transforme en droit

contraignant voire en norme de ius cogens, ou même une loi – appartenant à plusieurs systèmes

juridiques internes – qui se transpose en droit international sous la forme de principe général de droit

reconnu par les nations civilisées. On le voit à travers ces quelques exemples : les normes

internationales non écrites se caractérisent non par l’absence de dispositif écrit, mais par une procédure

de production non conditionnée par la présence d'un acte formel écrit.

C'est au juriste qu'il est demandé de connaître l'état du droit positif, et donc le cas échéant de

formuler par écrit une donnée juridique non écrite. Aux côtés des acteurs traditionnels de la doctrine, les

acteurs institutionnels contribuent désormais largement à la formulation du droit international non écrit.

En effet, un large mouvement de codification du droit international coutumier s'est développé depuis la

fin de la Seconde Guerre mondiale, et il ne poursuit pas dans tous les cas le dessein de le remplacer par

du droit conventionnel. Ce mouvement est actuellement mené par certaines organisations

internationales, parmi lesquelles on trouve l'ONU, mais aussi par des quasi-organisations

internationales, comme le Comité international de la Croix rouge en matière de droit international

humanitaire, ou de simples associations, à l'instar de l'Institut de droit international. La valeur

obligatoire de la coutume n'est nullement conditionnée par une telle mise à l'écrit82.

La différence entre les normes internationales non écrites et les normes internationales écrites ne tient

donc qu'à une différence de technique de formulation, et de formalisation. Et si le domaine de l'analyse

se circonscrit présentement au droit international non écrit, la systématique qui la sous-tend trouverait à

s'appliquer en matière de droit international écrit. On aura l'occasion de le montrer à de nombreuses

reprises.

82 Cf. généralement : Karl Zemanek, « Die Bedeutung der Kodifizierung des Völkerrechtes für seine Anwendung », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich/Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 565-596.

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iii. « Droit international spontané »

Le terme « droit spontané », désignant le droit international coutumier83, par opposition à « droit posé »,

désignant quant à lui le droit international conventionnel, ne fait pas partie de la terminologie adoptée.

L'expression « spontanée » paraît en effet peu appropriée pour désigner les normes coutumières qui ne

se forment pas ex nihilo, mais sur le fondement d'un principe du droit international.

b. La désignation des systèmes juridiques

α. Concept de « système juridique »

Le « système juridique » est un système normatif grosso modo effectif84 qui sanctionne, du moins en

dernier recours85, la violation des normes le composant par une norme organisant un acte de

contrainte86.

83 Cf. Julio A. Barberis. op. cit. note 68, spécialement p. 15 ; Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7ème édition, LGDJ, Paris, 2002, 1510 p., spécialement pp. 319-398 (distinction entre les « modes de formation "spontanés" » et les « modes de formation volontaires » du droit international). On relève aussi l'expression « droit spontané » dans la doctrine de langue allemande, cf. par exemple : Rudolf Bernhardt, « Ungeschriebenes Völkerrecht », ZaöRV, 1976, pp. 50-76.84 Globalement, les destinataires se conforment aux normes qui composent le système normatif. L'effectivité grosso modo est relative au sens où elle n'implique pas que les destinataires des normes du système se conforment dans tous les cas aux prescriptions du systèmes normatif mais qu’ils se comportent globalement conformément à celui-ci. Pour un aperçu général, dans une littérature abondante, cf. : Otto Pfersmann, « Pour une typologie modale de classes de validité normative », Cahiers de philosophie politique et juridique de Caen, vol. 27, 1995, pp. 69-113 ; cf. aussi : Herbert L.A. Hart, The Concept of Law, 2ème éd., Oxford University Press, New York, 1994, 307 p.On relève l'existence de certains systèmes juridiques dépourvus d'effectivité grosso modo. L’invasion de l’Afghanistan par les armées occidentales a conduit à la formation d’un droit post-talibans – ou du moins un système normatif dont la juridicité est prétendue. L’effectivité de ce système « juridique » prête à controverse, étant donné que le territoire se trouve manifestement peu contrôlé par les armées d’occupation et le gouvernement officiel. Le droit interne afghan est-il dès lors un système juridique ? Cela tient surtout à la relation entre systèmes juridiques coexistants. En l’espèce, le gouvernement provisoire afghan bénéficie d'une certaine habilitation internationale, en vertu notamment de la Résolution 1386 du Conseil de sécurité de l’ONU du 22 décembre 2001 – l’ensemble du territoire afghan ayant été placé sous mandat international (cf. Ebrahim Afsah, Alexandra Guhr, « Afghanistan :Building a State to Keep the Peace », Max Planck Yearbook of United Nation Law, vol. 9, 2005, pp. 373-456). Le système juridique afghan, bien que dépourvu d'effectivité grosso modo, n'en est pas moins valide en ce qu'il trouve son fondement dans un système juridique supérieur, le droit international, pourvu quant à lui d'une effectivité suffisante. 85 La norme de contrainte n’est pas toujours immédiatement attachée à la violation d’une norme juridique, elle peut résulter d’un enchaînement déontique dont elle constitue la dernière norme. Par exemple, un individu peut être sanctionné d'abord par une amende puis, en cas de non-exécution de celle-ci, à des amendes toujours plus lourdes, jusqu'à une peine d'emprisonnement. Les systèmes juridiques prévoient, en dernier recours, une sanction contraignante même si la première norme de sanction adressé à l'individu fautif peut paraître – eu égard à notre évaluation dominante de la gravité de la sanction – insignifiante.Le Professeur Otto Pfersmann remarque que : « Les systèmes juridiques sont les systèmes normatifs qui relient le plus possible le normatif et le factuel. Normativement, la technique qui leur permet ce tour de force est l’usage de normes conditionnelle [leurs énoncés ont la forme "si p, alors q doit être"] en cascade jusqu’à l’injonction d’un acte de contrainte, factuellement il faut qu’à la construction normative corresponde un degré significatif de conformité, en d’autres termes il faut que les normes soient grosso modo efficaces. » ; cf. op. cit. note 42, p. 222.86 La norme organisant un acte de contrainte est une norme de sanction spécifique qui doit se traduire matériellement par un acte physique exercé sur le corps, c’est-à-dire un acte de violence. Il pourra par exemple s'agir en droit

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On utilisera dans la présente étude le terme de «système juridique» plutôt que celui d'«ordre

juridique87», que ce soit à propos du droit international ou des différents droits internes. L'importante

masse de données juridiques ainsi que l'accroissement de la complexité de l'état du droit 88 nous font de

manière générale préférer l'expression de «système juridique» à celle d'«ordre juridique»89. Dans les cas

où le terme «ordre juridique» est utilisé, c'est en tant que synonyme de «système juridique»90.

β. La relation entre un « système juridique » et ses « sous-systèmes juridiques »

Un système juridique est susceptible de conditionner l’existence et le contenu normatif d’autres

systèmes juridiques. Un tel système est un méta-système juridique par rapport à des systèmes juridiques

qui lui sont en ce sens inférieurs ou, la relation est équivalente, un système juridique par rapport à ses

sous-systèmes juridiques. La séparation entre un système juridique donné et ses sous-systèmes

juridiques est relative, au sens où le degré d’autonomie du sous-système en question est plus ou moins

fort. Le système juridique des États bénéficie d'une très forte autonomie par rapport au méta-système

juridique de droit international (« principe de souveraineté ») ; le système juridique d’une simple

association présente une faible autonomie par rapport au méta-système juridique de l’État dans lequel

elle est implantée (obligation de choisir un statut parmi plusieurs statuts pré-déterminés...)91.

international de la guerre-sanction ou en droit interne de la peine d'emprisonnement.87 A propos de l'histoire de la notion d'«ordre juridique» dans la doctrine internationaliste, cf. Pierre-Marie Dupuy, « Un débat doctrinal à l'ère de la globalisation: sur la fragmentation du droit international », European Journal of Legal Studies, vol. 1, n°1, 2007, pp. 1-19.88 Cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 42, spécialement pp. 241-243.89 L'appellation «ordre» peut sembler ici intuitivement peu pertinente : elle renvoie, au moins dans le langage naturel, à un ensemble contenant peu de «contradictions» (par exemple, on dira que tel ou tel lieu est «ordonné» car les individus s'y trouvant conforment leur comportement à un ensemble cohérent de règles qui a été posé). Or, au sein des systèmes juridiques – en droit international comme en droit interne – ainsi que dans les relations entre systèmes juridiques, telle celle entre droit international et droit interne, de nombreuses «contradictions» semblent exister et persister (par exemple, certaines normes internes d'un certain État sont valides tout en étant au moins en apparence contraires aux données du droit international). Cette observation n'est valable que dans la mesure où on accorde une certaine importance à notre compréhension intuitive des mots. En effet, du point de vue de la logique déontique, un fait ne peut pas contredire une norme et inversement (loi dite de «Hume»). Par exemple, l'action de voler ne contredit pas la loi punissant le vol, mais est un comportement auquel le système juridique attache une sanction. De même, une action par laquelle l'État viole le droit international ne contredit pas le droit international.90 L'expression «ordre juridique» renvoie à l'idée qu'un système juridique est «ordonné» car une norme le composant est nécessairement fondée sur une autre norme le composant.91 René Carré de Malberg oppose l’« ordre juridique de la communauté » aux « ordres juridiques particularistes ». La théorie de René Carré de Malberg a marqué la doctrine juridique française dominante qui dénie que les « ordres juridiques particularistes » puissent être analysés comme des systèmes juridiques. A propos du système juridique de la IIIème République, René Carré de Malberg écrit en 1933 : « S’il est indéniable que tout acte d’une autorité quelconque, émettant en termes abstraits ou sur un cas particuliers, une décision qui n’est pas l’application, par voie de simple reproduction, d’une règle antérieure, crée une règle nouvelle de droit, il faut reconnaître aussi que, selon la nature du pouvoir dont est investie leur auteur et qui est caractérisé par le mode de publication auquel elles sont soumises, les règles de droit ainsi émises constituent deux sortes d’ordres juridiques qui demandent à être soigneusement distinguées. Seules, les règles établies par les lois ou par des décrets forment du droit de la communauté nationale et composent le système proprement dit des normes de l’État. Les règles créées par les autorités placées au-dessous du Parlement et du Président de la République n’entrent pas dans l’ordre juridique général de la nation : les autorités de cette deuxième catégorie n’ont, en effet, le pouvoir de fonder que du droit particulier, c’est-à-dire du droit qui, non seulement, se rapporte à une espèce individuelle ou dont l’efficacité ne doit se faire sentir qu’au sein d’un groupe restreint, mais encore du droit qui n’a qu’une portée particulariste en ce sens qu’il n’est pas susceptible, et ceci à raison de la qualité de

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La situation d’un système juridique en tant que méta-système ou sous-système est relative. Par exemple,

l’État est un sous-système de la Communauté internationale, mais l’État est aussi un méta-système eu

égard aux universitas92 qu’il contient93 : collectivités territoriales, sociétés privées ou publiques, etc.

Dans la terminologie employée par Hans Kelsen, le « sous-système juridique » est le « système

juridique délégué » par rapport au « système juridique » qui est le « système juridique délégataire »94.

Cette terminologie peut sembler ambigüe car, dans le langage naturel, la relation de délégation suppose

généralement une certaine intentionnalité (par exemple, la « représentation politique » est l'idée qu'un

ensemble d'individus délègue par vote des prérogatives à un individu déterminé afin d'accomplir une

certaine mission). A propos de la relation entre systèmes juridiques, cela pourrait conduire à un

anthropomorphisme, c'est-à-dire l'attribution de qualités humaines à quelque chose qui ne l'est pas. Les

systèmes juridiques ne se caractérisent en effet pas par une quelconque intentionnalité, de sorte qu'il est

inapproprié de concevoir la relation entre systèmes juridiques comme une relation d'intentionnalité. Les

son auteur, d’être incorporé dans l’ordre juridique de la communauté ; il demeure propre aux personnes ou au groupe pour lequel il a été établi. Encore que la communauté en assure elle-même l’efficacité par les moyens de contrainte étatiques dont elle dispose, c’est du droit qui ne l’intéresse pas ; ou plutôt, elle ne s’y intéresse que dans la mesure où son propre ordre public exige que des solutions régulières soient données à toute question. Pour le surplus, la solution prise en soi ne concerne pas la communauté et reste en dehors de son ordre juridique national » ; cf. Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, réédition Dalloz, Paris, 2007, 174 p., p. 149.Contra, pour Hans Kelsen (1927) : « La personne de l'État n'est qu'à une plus grande échelle ce qu'est tout autre personne juridique ou physique : la personnification de normes juridiques. Mais alors que l'État est la personnification de l'ordre juridique total, les autres personnes juridiques et les personnes que l'on nomme physiques sont la personnification d'un ordre juridique partiel. Il en va ainsi de la commune par rapport à l'ordre communal, de la société par actions par rapport au statut de cette société, mais aussi de la "personne physique" par rapport à toutes les normes qui règlent le comportement de l'individu. L'ordre juridique se comporte de la même manière que le général par rapport au particulier envers ces personnes, autrement dit envers l'ordre juridique qu'elles personnifient. Il s'ensuit que l'on peut affirmer que ces personnes dérivent de l'ordre juridique, qui les dote d'une personnalité. Et c'est justement la personne juridique de l'État qui est l'ordre juridique total lui-même. » ; cf. Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème édition (1928), Scienta, Aalen, 1960, 320 p., pp. 20-21. 92 Toute association d’individus en droit romain classique (y compris «publique»).93 Hans Kelsen développe l'analyse suivante dans les années 1920 : « Les États peuvent aussi se situer dans une relation de supériorité ou d'infériorité [...]. La doctrine de l'association entre États se préoccupe des formes juridiques de l'association entre des personnes tout à fait précises, c'est-à-dire la personnification d'ordres juridiques partiels [les États par rapport au droit international] à un degré très précis du droit. Une théorie pure du droit des formes d'associations internes à l'État, donc une théorie du droit des sociétés et des corporations, aurait déjà dû, en vérité, avoir apporté l'essentiel en ce qui les concerne. L'analogie entre la constitution d'une "association" par des États et la constitution d'une société juridique par des personnes physiques ne trouve pas de limites dans la différence de nature des sujets. Car, entre les "personnes physiques" et les personnes qui [...] sont appelées "juridiques", tels les États, il n'existe de différence essentielle, et ce, étant donné que [...] les personnes physiques ne sont elles aussi qu'une personnification d'un ordre juridique partiel. De même que l'ordre juridique international lie de manière générale les États qui composent la Communauté internationale, l'État, du point du vue du droit interne, lie de manière générale les personnes physiques ou, vu sous un autre angle, les personnes dont le comportement constitue l'objet de ses normes. Et de même que la doctrine, en ce qui concerne le concept d'association entre États, ne pense qu'à des associations entre États bien précises constitués par des ordres juridiques partiels spécifiques, la doctrine des sociétés et des corporations – autrement dit des associations juridiques internes – perd de vue l'État lui-même précisément comme l'association la plus élevée et la plus générale. La référence constante de l'ordre juridique partiel par rapport à l'ordre juridique total serait d'une importance capitale pour la connaissance systématique des problèmes relatifs aux sociétés et corporations ; surtout, il s'ensuivrait le rétablissement de la relation consistante entre la théorie de droit privé de l'association et la doctrine de droit international relative aux associations entre États . » ; cf. op. cit. note 91, pp. 275-277.94 Cf. Hans Kelsen, op. cit. note 37, spécialement p. 443 et svtes ; Hans Kelsen (1967), P.I.L., spécialement pp. 569-570.

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expressions « système juridique délégué »/« systèmes juridiques délégataire » paraissent néanmoins

acceptables comme synonymes de « sous-système juridique »/« système juridique » une fois cette

ambiguïté évacuée.

γ. Concept de « système juridique international »

Le droit international est le « système juridique international ». Et il s'agit d'un système juridique

universel95 qui comprend, outre un droit matériel réglementant le comportement de ses destinataires, ses

propres normes de production et de destruction de normes. Parmi ces dernières, on trouve le principe

d'effectivité qui est un principe général du droit international attribuant la qualité d'États, c'est-à-dire un

ensemble déterminé de compétences juridiques dit « souveraineté », à certaines entités. En d'autres

termes, un État nouveau est en principe – outre la voie conventionnelle – créé par une norme

particulière du droit international sur le fondement du principe d'effectivité96.

On utilisera l'expression « droit des gens » comme synonyme de « droit international ». La doctrine de

langue française utilise parfois l’expression « droit des gens » pour désigner tout particulièrement

normes du droit international non écrit97. Toutefois, un tel emploi de l'expression dans la présente

recherche pourrait devenir une source d'ambiguïtés, étant donné que l'expression « droit des gens »

constitue précisément la traduction littérale du terme allemand « Völkerrecht », qui désigne quant à lui

incontestablement l'ensemble du droit international.

Conventionnellement, la « Communauté internationale » est identique au « droit international ». D'un

point de vue juridique, la « Communauté internationale » est un ensemble de normes. Et de même que

l'« État » est identique au « système juridique interne » (ou « système juridique étatique) », la

« Communauté internationale » est identique au « droit international ». Le terme de « Communauté

internationale » est ici dépourvu de toute connotation idéologique : il ne préjuge en rien d'une unité

politique des États réalisée ou souhaitée98.

95 Le droit international est un système juridique universel car il s'agit en l'état du droit positif du système juridique suprême dont la sphère de compétence n'est pas délimitée par un système juridique qui lui serait supérieur ; cf. Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp. 177-178. C'est en l'état actuel du droit que le droit international occupe la situation de système juridique suprême, et un système juridique qui lui serait supérieur reste imaginable, comme le remarque le Professeur Otto Pfersmann : « Si l'humanité juridique faisait partie d'un ensemble plus vaste d'exoplanètes juridiquement organisées, le droit international terrestre ne serait à son tour qu'un sous-ensemble parmi d'autres. », op. cit. note 38, spécialement p. 516.96 A propos de la Tchécoslovaquie après la Première guerre mondiale, cf. Hans Kelsen, « La naissance de l'État et la formation de sa nationalité : les principes ; leur application au cas de la Tchécoslovaquie », Revue de droit international, vol. 4, 1929, pp. 613-641.97 Cf. l'étude du Professeur Gérard Teboul : « À propos du droit international non écrit : présence du passé devant le juge français aux XIXe et XXe siècles », in : Bibliothèque de l'école des chartes, 1998, tome 156, pp. 155-171.98 Le terme de « Communauté internationale » est parfois traité avec scepticisme, voire avec ironie, par une partie de la doctrine, et en particulier soit par les partisans de la souveraineté de l'État, soit par les auteurs qui déplorent l'absence d'unité politique internationale. On le trouve ainsi souvent employé sous la formulation : « soi-disant Communauté internationale » (« so-called international community », cf. par exemple l'opinion dissidente du juge Scalia à propos de

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δ. Concept de « système juridique interne »

Le « système juridique interne » est le système juridique de l'État, c'est-à-dire d'une collectivité

territoriale relativement centralisée99 n'ayant comme système juridique supérieur que le droit

international («immédiateté internationale»). Du point de vue juridique 100, l'« État » est identique au

système juridique interne, il n'est autre chose que le nom communément donné à cet ensemble de

normes.

Le système juridique interne est formé par l'ensemble des normes le composant (constitution, lois,

normes internationales transformées, contrats, etc.) parmi lesquelles ses propres règles de production et

de destruction des normes (habilitations constitutionnelles, normes organisant le contentieux

juridictionnel de contrôle de conformité, etc.). On n'utilisera que rarement le terme « système juridique

étatique » car, pour une partie de la doctrine, il ne désigne que les normes produites par les organes

publics101. En revanche, l'on emploiera parfois le terme « système juridique national » comme

synonyme de « système juridique interne », surtout dans une perspective de comparaison, afin de mettre

en avant les différences.

l'affaire Roper v. Simmons devant la Cour suprême américaine en 2005 ; 543 U.S. 551, 628. Toutes choses égales par ailleurs et en dehors de considérations juridiques, la qualification de l'État en tant que « Communauté » peut aussi sembler déplacée : l'État est une structure abstraite qui n'empêche pas les antagonismes de persister dans la société qu'il est censé régir. 99 La centralisation et la décentralisation s'analysent comme une répartition spatiale de la compétence juridique. Un système juridique disposant d'une certaine sphère de compétence spatiale peut attribuer des compétences à des sous-systèmes juridiques sur une partie de cet espace ; il en va ainsi du droit international qui dispose d'une sphère de compétence spatiale illimitée et qui attribue à chaque État une sphère de compétence spatiale limitée – le territoire – dans laquelle l'État exerce de manière propre sa compétence de production normative ; et il en va de même de l'État qui attribue à ses collectivités territoriales – au sens large, y compris les collectivités qui s'appellent « États fédérés » – une compétence plus ou moins étendue de production normative sur une partie de son territoire.Le degré de décentralisation d'un système juridique dépend de la latitude qu'attribue le système juridique en question à ses sous-systèmes. Ainsi, le droit international actuel apparaît fortement décentralisée, étant donné que les États bénéficient sur le fondement même du droit international d'une sphère de compétence matérielle presque totale ; un État se trouvera plus ou moins décentralisé en fonction de l'étendue des compétences qu'il attribue à ses collectivités territoriales et, en général, un État fédéral se caractérisa par une plus grande décentralisation qu'un État unitaire. A propos de la centralisation et décentralisation, cf. Hans Kelsen, op. cit. note 37, spécialement pp. 412-417 ; Otto Pfersmann, « Hans Kelsen et la théorie de la centralisation et de la décentralisation : le cas de la supranationalité », Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande, vol. 28, 1996, pp. 171-185 ; Otto Pfersmann, op. cit. note 38, spécialement pp. 514-526 (« Hiérarchies entre ordres juridiques ou "rapports de système" ? », avec de nombreuses indications bibliographiques concernant la théorie de la décentralisation).100 Le point de vue juridique n'exclut pas la possibilité d'autres approches du phénomène « État », par exemple politique, historique ou encore sociologique, mais les réserve à d'autres disciplines qui suivent une méthodologie propre. Le juriste ne peut concevoir en effet l'État que comme un système juridique ; cf. Hans Kelsen, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème édition (1928), Scienta, Aalen, 1960, 320 p., spécialement pp. 9-16.101 Cette conception se retrouve surtout dans la doctrine civiliste ainsi que, plus récemment, dans la théorie du pluralisme juridique. Cf. inter alia dans une littérature abondante : Gustav Boehmer, Grundlagen der bürgerlichen Rechtsordnung, 4 volumes, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1950-1952 ; Daniel Mockle, « Ordre normatif interne et organisations », Les Cahiers de droit, vol. 33, 1992, pp. 965-1056.

27

ε. « Souveraineté »'

On dira d'un État qu'il est « souverain » si sa sphère de compétence n'est déterminée par aucun autre

système juridique étatique, et qu'il dépend donc immédiatement du droit international, sa validité

dérivant directement de celui-ci102. Le « principe de souveraineté » s'entend de l'ensemble des normes

internationales attribuant une autonomie normative à l'État. On en discutera plus loin le propos.

ζ.. « Monisme » et « dualisme » (au sens théorique103)

La théorie dualiste conçoit le droit international et le droit interne (les différents systèmes juridiques

internes particuliers) comme des systèmes juridiques différents simultanément valides tout en se

trouvant indépendants l'un de l'autre dans leur validité (différence toto genere).

Selon la théorie moniste, le droit international et le droit interne forment une unité impliquant une

hiérarchie entre ces systèmes juridiques puisque, en raison du postulat de l'unité, un de ces systèmes

juridiques est nécessairement le fondement de la validité de l'autre (soit primauté du droit international,

soit primauté du droit interne104).

102 Hans Kelsen, op. cit. note 5, spécialement pp. 207-208 (« contact direct » avec le droit international).103 A comparer avec d'autres définitions du monisme et du dualisme qui combinent un aspect théorique (la relation de système entre droit international et droit interne) et un aspect technique (le mode d'applicabilité du droit international par les organes internes). Par exemple, le Professeur Daniel H. Joyner définit ainsi le « monisme » et le « dualisme » :

« Monists believe that national law (domestic law) and international law are both part of the same legal system. In one influential monist model, domestic law is seen as secondary in rank within that single system to international law, and indeed derives its validity from it. Thus, international law is not subject to domestic law limitations, including those in national constitutions, but rather reaches into the domestic legal system even without formal enactment by national lawmaking bodies. Under monist conception of legal order, substantial control over fundamental areas of domestic law is transferred to international law and international law-making.

Dualists, however, see domestic law and international law as two distinct legal systems, existing in two separate spheres of influence. For there to be exchange between theses two systems certain procedures must be followed. For international law rules to be used by domestic courts, the international laws in question must first be formally "transformed" into the domestic legal system by the proper domestic legal authorities. This aspect carries with it the further effect that international law rules so transformed into domestic law are by that process made subject to constitutional constraints which are placed on any other domestic laws so enacted » ; cf. Daniel H. Joyner, op. cit. note 14, pp. 141-142. 104 La théorie moniste à primauté du droit interne, qui implique que le système juridique d'un seul État est le fondement non seulement du système juridique international mais aussi des États tiers, ne connaît actuellement pas de partisans, ce qui peut s'expliquer par le recul progressif de la croyance en la souveraineté d'une seule nation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Auparavant, ce sont surtout des auteurs de tendance nationalistes qui défendaient cette théorie, dont les juristes allemands Albert Zorn, Max Wenzel, Heinrich Pohl et Erich Kaufmann.

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2. Concepts généraux

α. « Norme »

La « norme » est la donnée principale du droit. La norme statue un « devoir être 105» ; elle est une

interdiction, une obligation ou une permission d'un certain comportement humain 106. Une norme

appartient toujours à un système normatif, c'est-à-dire est valide107, mais n'est pas nécessairement valide

dans tout système normatif.

La « normativité » est relative à la validité ainsi qu'aux effets juridiques d'une norme.

105 La distinction logique irréductible entre « être » et « devoir être » repose sur le fait qu'on ne peut tirer de prémices normatives une conclusion descriptive et inversement (« Loi de Hume »). « Ce qui doit être » ne se réalise pas nécessairement (dans les faits, un voleur n'est pas puni malgré l'interdiction législative) et « ce qui est » ne produit pas nécessairement une norme (par exemple, le fait de voler ne produit pas la norme selon laquelle « il est permis de voler » ou le fait de mentir ne produit pas la norme selon laquelle « il est permis de mentir » ou, inversement, « il est interdit de mentir »).106 Le Professeur Otto Pfersmann définit ainsi la norme : « la "norme" [est] la signification d'un ensemble d'évènements par lesquels un ou plusieurs êtres humains ordonnent, interdisent ou permettent un certain comportement humain » ; cf. op. cit. note 42, spécialement p. 224.107 La validité se définit le plus souvent de manière « existentielle ». Hans Kelsen définit ainsi la validité comme l’« existence spécifique de la norme » ; cf. Reine Rechtslehre, Deuticke, Vienne, 1960, 534 p., p. 9. La validité peut aussi ce définir par l'appartenance (à un système normatif). Le Professeur Otto Pfersmann écrit que :

« "Validité" est […]une détermination superflue, car dire d’une norme qu’elle est valide ne signifie en réalité pas autre chose que le fait qu’elle est une norme. [nouveau §] : La réduction du non-valide au possible non actuel]. La redondance de la notion de la validité entraîne deux conséquences. Tout d’abord il paraît difficile de parler de «normes non-valides» comme étant néanmoins des "normes". Il semble tout autant dépourvu de sens de dédoubler l’expression «norme» par le terme de "validité" que de faire comme si on pouvait la priver de validité. En effet, dans ce dernier cas, il pourrait ne plus s’agir d’une norme du tout. On retrouve ainsi le problème du sophiste de Platon : comment parler de choses qui ne sont pas ? En fait, il s’agit de distinguer trois cas différents. Le premier est celui de la norme «simple» avec les composantes suivantes : la description d’un certain comportement humain d’une part, une modalisation déontique qui fait de ce comportement une obligation à son destinataire d’autre part. L’expression «norme non-valide» peut alors signifier que la description du comportement n’est pas ou n’est plus modalisée, il ne s’agit pas d’une norme mais – deuxième cas – de l’énoncé d’une manière d’agir ; enfin, cette même expression peut être interprétée d’une façon plus complexe. Au lieu de priver la description du comportement de sa modalisation, nous en ajoutons une qui la «déréalise». Il nous suffit de faire précéder "il est obligatoire que p" (avec "p" pour un quelconque comportement humain) de la modalité ontique du possible. Le cas qui nous intéresse ici est en effet celui d’une norme d’un monde possible qui n’est pas le monde actuel. Il faudrait lire l’expression "norme non-valide" comme signifiant (en admettant que la "norme valide" pourrait s’énoncer "il est obligatoire que p") : "il est possible qu’il soit obligatoire que p et il n’est pas actuel qu’il soit obligatoire que p". Si nous rapportons par ailleurs les normes à un intervalle temporel, la modalisation s’enrichit d’une dimension supplémentaire, car il se peut que la norme en question ait fait partie du monde actuel à un autre moment de son histoire ou qu’elle en fasse partie dans l’avenir. Le couple "valide/non-valide" travestit donc par son apparente complémentarité des rapports de variantes qui peuvent avoir lieu entre une simple modalisation déontique et une modalisation plus complexe, ontique et temporelle » ; cf.« Pour une typologie modale de classes de validité normative » in : Cahiers de philosophie politique et juridique de Caen, vol. 27, 1995, pp. 69-113. En définissant la validité d’une norme comme son appartenance à un système normatif, la norme est valide ou non-valide relativement à un système normatif donné susceptible de faire partie – et de régler les comportements – du monde actuel, du monde passé, d’un monde avenir supposé, ou même, de tout monde potentiel. On retiendra dans la présente recherche la définition de la norme par l'appartenance, et non par l'existence. La définition par l'appartenance s'avère en effet plus commode pour décrire l'état des relations entre systèmes juridiques. Ainsi, une norme peut être valide en droit international (c'est-à-dire appartenir à celui-ci), sans pour autant être valide en droit interne, ou inversement.

29

Par convention, on utilisera le terme « règle » en un sens synonyme de « norme ». Il n'empêche que le

terme « règle » reste ordinairement réservé pour des normes s’adressant à un ensemble de destinataires

caractérisés de manière générale. Ainsi, les « règles générales du droit international » consistent en des

obligations, interdictions ou permissions s'adressant de manière relativement abstraite à un certain

ensemble d'États. En revanche, le terme « règle » ne s'emploie généralement pas pour désigner une

norme réglant un cas particulier, à l'instar d'une décision juridictionnelle portant sur un litige entre

particuliers.

Par « principe », on entend une espèce de norme à forte généralité et à forte indétermination,

éventuellement doté d’une fonction structurante et d’un statut hiérarchiquement supérieur. Les

« principes » ne forment pas par eux-même une catégorie normative différenciée par un mode de

production propre108. En d'autres termes, le principe se caractérise par son contenu général et

indéterminé, non par sa forme.

β. «Forme normative»

Par « forme normative», on entend une catégorie de normes qui se caractérise par un mode de

production propre : la «loi» par procédure parlementaire, le «règlement» par procédure administrative,

la «coutume internationale» par la réunion de la praxis et de l'opinio juris... C'est une norme de degré

supérieur qui détermine le mode de production d'une forme normative : la «constitution» de l'État

s'agissant de la «loi» et du «règlement»109, un principe général du droit international s'agissant de la

«coutume internationale»110.

108 La conception développée par le Professeur Ronald Dworkin relative à la distinction entre « principes » et « règles » n'est pas intégrée dans la présente recherche ; cf. Taking Rights Seriously, Harvard University Press, Cambridge, 1977, 395 p. La distinction opérée par l'auteur est double : les règles auraient vocation à une application soit intégrale, soit nulle, tandis que les principes pourraient être modulés entre ces deux extrêmes ; dans une situation de conflit, une règle prévaut strictement sur une autre règle, entraînant même son inexistence, tandis qu'un principe peut être concilié avec un autre en fonction leur poids réciproque, de sorte qu'une application simultanée de principes reste possible. Cette introduction d'un dualisme dans l'univers des normes peut sembler superflue, et ce, d'autant plus que la distinction repose sur deux points qui prêtent à controverse : les « principes » n'auraient pas besoin d'être produits pour exister dans un système juridique ; un conflit de normes aboutirait nécessairement à la perte de validité d'une des normes en conflit, à moins que les normes en question soient conciliables. Pour un aperçu critique de la conception du Professeur Ronald Dworkin, cf. Otto Pfersmann, « Arguments ontologiques et argumentation juridique », Austriaca, n°47, 1998, pp. 53-73. 109 On distinguera la « constitution au sens matériel » de la « constitution au sens formel ». La « constitution au sens formel » est l'ensemble des normes prévoyant la production de normes abstraites et générales ; la « constitution » au sens matériel » est l'ensemble des normes de forme normative constitutionnelle produites par une procédure spécifique, renforcée par rapport aux procédures « ordinaires », telles l'institution d'une assemblée constituante ou les différentes procédures de révision constitutionnelle dites « légiconstitutionnelles ». Cf. Otto Pfersmann, « La définition de la constitution », in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 72-77.110 Hans Kelsen soutient, dans ses écrits tardifs, que le principe du droit international prévoyant la formation des coutumes internationales est la norme suprême du droit international, étant donné qu'il est le fondement de la coutume

30

γ. La hiérarchie des normes

Un systèmes juridique a la propriété d'être hiérarchisé, au sens où la production d'une norme, mais aussi

sa destruction – qui s'analyse comme une production substitutive – résulte de l'application d'une autre

norme qui détermine ses conditions de production ou de destruction. On dira de la norme produite ou

détruite qu'elle est « inférieure » par rapport à la norme qui fonde sa production ou sa destruction, quant

à elle dite « supérieure ».

i. La hiérarchie des normes en tant que nécessité inhérente à tout système juridique

Une norme est valide dans un système juridique si elle appartient à ce système juridique – la validité

étant l’appartenance de la norme à un système normatif111. Une norme valide est nécessairement

produite sur le fondement d'une autre norme, de telle sorte que les systèmes juridiques sont

nécessairement hiérarchisés selon l'ordre de production112. Dans le cadre de la hiérarchie des normes

selon l'ordre de production, l'«infériorité»113 d'une norme relativement à une autre norme signifie que la

norme supérieure prévoit les conditions de formation de la norme inférieure. Dit en d'autres termes, la

norme supérieure détermine les conditions d'appartenance au système juridique de la norme inférieure.

Et lorsque le juriste examine la présence de tous les éléments requis à la validité d'une norme, on dira

qu'il procède au « calcul des défauts », qui permet d'établir que la norme en question appartient ou

internationale pacta sunt servanda qui est elle-même le fondement des traités internationaux. Cf. Hans Kelsen, P.I.L., spécialement p. 564.111 A propos de la définition de la validité par l'appartenance, cf. supra. note 107.112 Dans tout système juridique, il existe nécessairement une norme qui n'a pas pour fondement une autre norme. Et il s'ensuit qu'il faut supposer une norme qui lui serve de fondement. Cette norme, la «norme fondamentale», est une exigence logique à partir de laquelle on peut concevoir la validité du système juridique en question. La doctrine objecte souvent à la théorie de la norme fondamentale que la réalité de cette norme – c’est-à-dire son existence même en tant que norme – n'est pas observable dans les systèmes juridiques positifs. La norme fondamentale ne résulterait ainsi que d’une exigence théorique, soit la séparation logique entre «être» et «devoir être». Cf. inter alia, pour une histoire de l'évolution de la théorie de la Loi fondamentale : Robert Walter, « Entstehung und Entwicklung des Gedankens der Grundnorm », in : Robert Walter (éd.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Manz, Vienne, 1992, 172 p., pp. 47-59 ; pour un aperçu de l'ensemble de la critique formulée à l'encontre de la théorie de la loi fondamentale Andràs Jakab, « Problèmes de la Stufenbaulehre. L'échec de l'idée d'inférence et les perspectives de la théorie pure du droit », Droit et Societe - Revue Internationale de Theorie du Droit et de Sociologie Juridique, vol. 66, 2008, pp. 411-450.113 L'aspect métaphorique de la théorie de la hiérarchie des normes la rendrait problématique : une norme est dite « supérieure » à une autre norme parce qu'elle fonde sa validité. Or, rien ne démontre que la relation créateur/créé soit une relation de type supériorité/infériorité. Une partie de la doctrine voit alors dans la théorie de la hiérarchie des normes une analogie avec un raisonnement théologique (l'attribut de supériorité du créateur) ; cf. dans les écrits récents : Werner Krawietz, « Die Lehre vom Stufenbau des Rechts: eine säkularisierte politische Theologie ? in Rechtssystem und gesellschaftliche Basis bei Hans Kelsen », Rechtstheorie, 1984, pp. 255-271 ; Andràs Jakab, op. cit. note 112.La théorie pure du droit assume ce caractère métaphorique, Hans Kelsen écrivant que : « la validité d'une norme ne peut avoir d'autre fondement que la validité d'une autre norme. En termes figurés, on qualifie la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme de norme supérieure par rapport à cette dernière, qui apparaît donc comme une norme inférieure à elle. » ; cf. op. cit. note 37, p. 256 (cf. aussi p. 299 : Hans Kelsen évoque « l'image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination »).

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n'appartient pas au système.

La relation hiérarchique selon l'ordre de production ne préjuge pas de la prévalence d'une norme ou de

l'autre dans un cas déterminé, la supériorité selon l'ordre de production n'entraînant aucune autre

conséquence que celle que le droit positif lui attache effectivement114.

ii. La distinction entre hiérarchie des normes selon l'ordre de production et hiérarchie des normes selon

la force dérogatoire115 :

On distingue la hiérarchie des normes selon l'ordre de production de la hiérarchie des normes « selon la

force dérogatoire ». La «force dérogatoire» suppose la validité d'une norme, mais elle introduit la

possibilité de son annulation, de sa modification ou de sa désapplication. Le terme «force

dérogatoire»116 signifie qu'une norme ne s'applique pas par effet d'une autre norme117, en ce que cette

dernière l'élimine (annulation), la corrige (modification) ou la met à l'écart ponctuellement

(désapplication, c'est-à-dire suspension de son application dans un cas concret). La norme qui prévaut

s'analyse comme une condition de destruction de la norme dite «inférieure» ; on la dira « supérieure en

force dérogatoire ».

On trouve souvent dans la doctrine une confusion118 entre la «hiérarchie des normes» – au sens

descriptif de tout système normatif – et le principe Lex superior derogat legi inferiori119 – une norme.

114 Otto Pfersmann, op. cit. note 38, spécialement pp. 500-501. 115 Cf. Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz. Eine Betrachtung aus der Erkenntnistheorie des Rechts », JBl, n° 47, 1918, pp. 425-427, 444-447, 463-465, reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1091-1113 ; Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag , Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 252-294, reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1311-1361 ; Robert Walter, Der Aufbau der Rechtsordnung, 1ère éd., Leykam, Graz 1964, 68 p. ; Heinz Mayer, « Die Theorie des rechtlichen Stufenbaus », in : Robert Walter (éd.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Manz, Vienne, 1992, 172 p., p. 37 et svtes ; Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783 ; Otto Pfersmann, op. cit. note 38.116 C'est Adolf Merkl qui a introduit cette terminologie, cf. inter alia : Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag, Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 252-294.117 Le Professeur Otto Pfersmann remarque que : « L'expression "hiérarchie selon la force dérogatoire" revêt [...] une double signification qui peut prêter à confusion. Elle désigne d'une part l'articulation entre normes de destruction et normes détruites et d'autre part le rapport entre normes dominantes et normes écartées. En vérité, il s'agit non pas d'une mystérieuse hiérarchie différente, mais simplement d'une production substitutive : au lieu de la norme N2i produite selon les procédures organisées par l'ensemble normatif N1, on produit N2j. En vérité, il n'existe donc pas à proprement parler plusieurs hiérarchies, mais des effets organisés et différenciés de la hiérarchie des normes, la force dérogatoire et la destruction de normes résultant de la manière dont les normes dans leur ensemble structurent les obligations, interdictions ou permissions. Si l'on retiendra tout de même l'expression "hiérarchie selon la force dérogatoire", il convient de la comprendre en ce sens, c'est-à-dire comme un ensemble normatif structurel écartant un ensemble de normes au bénéfice d'un autre. » ; cf. op. cit. note 38, spécialement pp. 501-502.118 Pour une critique de la confusion entre « hiérarchie des normes selon l'ordre de production » et « hiérarchie des normes selon l'ordre de destruction », à propos spécifiquement de la doctrine française, cf. Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324.119 Cf. inter alia : Erich Vranes, « Lex Superior, Lex Specialis, Lex Posterior – Zur Rechtsnatur der « Konfliktlösungsregeln » », ZaöRV, vol. 65, 2005, pp. 391-405. La norme Lex superior apparaît largement présente

32

Le principe lex superior prévoit que les normes de degré supérieur selon l'ordre de production prévalent

sur les normes de degré inférieur selon l'ordre de production120 (par exemple : la constitution prévaut sur

la loi pour régler tel ou tel litige). Le principe lex posterior, puisque qu'il s'agit d'une norme, demeure

une donnée contingente du système juridique. Il est en effet aussi possible que la norme inférieure selon

l'ordre de production prévaut sur la norme supérieure selon l'ordre de production, surtout lorsque le

comportement en question – le cas d’espèce – est plus proche de la situation réglementée par la norme

inférieure121 (le « paradoxe de concrétisation »122). Lex superior organise, avec d'autres normes, la

destruction de certaines normes, en l'occurrence celles non-conformes aux normes de degré supérieur

dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production.

iii. La classification des normes dans la hiérarchie des normes

La classification d'une norme dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production dépend des

normes qui constituent son fondement de validité. Par exemple, un règlement d'application de la loi est

inférieur à la loi qu'il concrétise, et cette loi est elle-même inférieure à la constitution qui détermine la

compétence du législateur ainsi que la procédure législative.

Lorsque la doctrine évoque le «rang» d'une norme dans la hiérarchie des normes, parfois dite «pyramide

des normes», il est en réalité le plus souvent question de la force dérogatoire de la norme en question.

L'analyse de la situation des traités internationaux dans la hiérarchie des normes en droit français en

dans les États contemporains à structure d'État de droit ; cf. Otto Pfersmann, « Prolégomènes pour une théorie normativiste de l’État de droit » in : Olivier Jouanjan (éd.), Figures de l’État de droit, PU Strasbourg, Strasbourg, 2001, 410 p., pp. 53-78.120 La doctrine juridique française voit souvent dans l'expression « hiérarchie des normes » le principe lex superior. Ainsi, à propos du contentieux administratif, la « hiérarchie des normes » (au sens prescriptif) signifie que les normes inférieures selon l'ordre de production (par exemple, les actes administratifs) doivent être conformes aux normes de degré supérieur selon l'ordre de production (par exemple, la loi). L'ensemble de la jurisprudence du Conseil d'État français trouve en réalité largement son fondement dans ce qui est en réalité le principe lex posterior.Le Professeur Otto Pfersmann ajoute que : « La "théorie française de la hiérarchie des normes" exige bien des rapports de conformité entre le niveau supérieur et le niveau normatif inférieur, mais ne livre aucun critère qui permettrait d'identifier exactement ce qui est inférieur et supérieur. [...]. Alors que la "théorie française de la hiérarchie des normes" considère la "hiérarchie" comme propriété contingente des ordres juridiques, Kelsen cherche à montrer que tout système juridique est nécessairement hiérarchisé » ; cf. op. cit. note 118, p. 297 et p. 299.121 Cette situation normative n'a rien d'étonnant, ne serait-ce que parce que la norme qui va être finalement appliquée, comme par exemple l'acte administratif individuel ou la décision juridictionnelle, se trouve aussi la plus proche de son objet. Le Professeur Otto Pfersmann précise que : « Toutes choses égales par ailleurs, la norme qui va être appliquée est celle qui cerne de plus près son objet. Une norme uniquement générale et abstraite ne peut être appliquée en tant que telle puisque l'application exige par définition que la personne et le comportement exactement demandé soient correctement désignés. », ; cf. op. cit. note 118, p. 307.122 Le Professeur Otto Pfersmann décrit ainsi le « paradoxe de concrétisation » : « Les normes deviennent de plus en plus concrètes et particulières : par rapport à la norme supérieure, la norme inférieure s’adresse à un cercle de destinataires et porte sur des actions plus étroitement délimitées. Cette concrétisation progressive amène une véritable inversion de la hiérarchie : la norme plus générale et plus abstraite s’applique à la production de la norme plus concrète et plus particulière en lui donnant sa validité, mais c’est la norme plus concrète qui s’applique aux comportements qu’elle rend obligatoires, interdits ou permis avant celle qui l’est moins. » ; cf. « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783, spécialement pp. 780-781. Cf. aussi, avec une analyse détaillée : Otto Pfersmann, op. cit. note 38, spécialement pp. 500-501.

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offre une illustration. La Constitution française dote les traités internationaux d'un rang dit «supra-

législatif», l'article 55 disposant qu'ils bénéficient d'« une autorité supérieure à celle des lois ». Comme

cet article ne spécifie pas la relation entre le traité international et les autres formes normatives, il en est

souvent déduit, en partant de l'idée que « chaque forme normative est dans un rapport d'infériorité ou de

supériorité par rapport à une seule autre forme normative »123, que le traité prévaut sur toutes les normes

«infra-législatives» (règlements, actes administratifs individuels).

La classification d'une norme selon la force dérogatoire dépend des normes qui organisent la destruction

normative, et elle ne coïncide donc pas nécessairement avec la classification de la norme en question

selon l'ordre de production. Une forme normative peut en effet être supérieure à une autre forme

normative dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production, mais se trouver dépourvue d'une

telle supériorité dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire. Par exemple, en droit

allemand, la loi occupe un degré supérieur par rapport au traité international dans l'ordre de production,

étant donné que la procédure législative de transformation ad hoc conditionne la validité interne des

traités internationaux (article 59 al. 2 LF), mais elle ne peut en principe entraîner la destruction d'un

traité international, ou même prévaloir sur celui-ci, une fois le traité en question transformé en droit

interne allemand124.

δ. « Juridiction » au sens du droit international et « compétence ».

La doctrine spécialiste du droit international utilise couramment le terme « juridiction » pour désigner la

« compétence », soit de manière générale (on dira par exemple de l'État français qu'il « a juridiction »

sur telle ou telle partie du territoire), soit spécifiquement à propos de l'étendue de la compétence d'un

tribunal125. Et il s'ensuit que, en vue d'éviter toute confusion terminologique, les auteurs qui analysent la

relation entre le droit international et le droit interne préfèrent parfois adopter le terme « judiciaire »,

plutôt que celui « juridictionnel », pour désigner ce qui touche à l'organe « juge »126.

123 Pour une analyse critique approfondie, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 118. 124 L'état du droit allemand est ici simplifié pour les besoins de l'exemple. Cf. BVerfGE 1, p. 372 sqs. (389). BVerfGE 1, p. 396 sqs. (411) ; BVerfGE 6, p. 309 sqs. (332) ; BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244).125 Par exemple, la terminologie employée par Prosper Weil : « Le terme de juridiction, employé ici au sens large de pouvoir conféré à un tribunal de statuer sur certaines questions (cf. Dictionnaire de la terminologie du droit international, V° Juridiction, litt. C), a été préféré à celui de compétence, parce que celui-ci évoque souvent un pouvoir apprécié in limine litis et opposé en tant que tel à l'examen de la question au fond : un juge peut être compétent pour connaître d'une demande tendant à lui faire constater l'irrégularité d'un acte sans pour autant pouvoir examiner au fond tel ou tel moyen d'illégalité; or, on le verra, ce n'est pas la compétence liminaire pour connaître d'une demande qui est en cause ici, mais le pouvoir du juge de subordonner l'application de l'acte d'un État étranger — acte qu'il a préalablement considéré comme applicable au litige — à l'examen de sa conformité au droit international. » ; cf. « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52, p. 9 note 1. Le terme de « compétence » est dans cette étude employé de manière beaucoup plus large que celui de « compétence liminaire » et désigne de manière générale une habilitation.126 Cf. Simonetta Stirling-Zanda, op. cit. note 18, spécialement p. 37 note 89 (pour la justification).

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On utilisera dans la présente recherche exclusivement le terme de « juridiction » pour désigner l'organe,

soit le « juge ». En effet, comme il s'agit d'une recherche qui prend principalement pour objet le droit

interne, l'appellation « judiciaire » pour désigner l'ensemble des juges internes pourrait devenir source

d'ambiguïtés, étant donné que le terme « judiciaire » renvoie souvent au seul juge en matière civile dans

la terminologie des différents systèmes juridiques nationaux.

ε. Les distinctions « critère/condition » et « distinction/différenciation »

La distinction entre « critère » et « condition »127 : on parlera de «critère» à propos d'un instrument

cognitif d'identification d'un objet, l'existence d'une norme par exemple, alors que le concept de

«condition» peut trouver toutes sortes d'application, parmi lesquelles un élément obligatoire («exigé»)128

pour la validité d'une norme, à l'instar de la praxis qui constitue une des conditions de l'existence d'une

coutume.

Il en va de même en ce qui concerne le couple « distinction »/ « différenciation ». La « distinction »

désigne une opération cognitive, comme par exemple la distinction réalisée par la doctrine entre le

pouvoir extérieur de l'État et sa sphère domestique, tandis que la « différenciation » est normative, par

exemple la constitution différencie la forme normative « loi organique » de celle de « simple loi ».

127 La confusion entre « critère » et « condition » apparaît fréquemment dans la doctrine juridique. Cela tient à ce que la démarche visant à vérifier l'existence d'un objet donné consiste souvent à vérifier si les conditions sont satisfaites en l'occurrence. Et cependant, les critères ne coïncident pas nécessairement avec les conditions. Ce qui vient d'être dit peut être illustré par exemple commun : dans le cadre d'un examen, le correcteur doit vérifier si l'étudiant a assimilé un certain ensemble de connaissances (condition d'obtention de l'examen). A cette fin, il utilise des critères, à l'instar d'une grille de notation qui n'est pas formellement obligatoire, mais uniquement indicative, et qui provient de la démarche personnelle du correcteur. Les critères pourront certes globalement coïncider avec les conditions, (à propos d'un examen portant sur la maîtrise de l'écriture, il pourra s'agir d'un seuil de fautes permises et d'indices concernant la maîtrise du style) mais ils ne coïncident pas totalement avec celles-ci (car l'obtention de l'examen est uniquement conditionné par une maîtrise globale de l'écriture).128 En dehors de de la logique déontique (des normes), le terme approprié est « nécessaire » : on dira que telle ou telle condition est nécessaire à l'existence d'un objet donné.

35

§ 3. État de la recherche

La doctrine actuelle affirme souvent une conception idéologique et progressiste de la relation entre le

droit interne et le droit international. Ainsi, le droit interne se trouverait notamment de plus en plus

« ouvert » au droit international, non seulement par le biais des normes incluses dans les constitutions

les plus récentes, mais aussi par la volonté des organes internes d'application d'« internationaliser » au

maximum le droit interne (cf. la théorie en vogue de la transnationalisation129). Il semblerait qu'une telle

approche soit à relativiser : les systèmes juridiques internes contemporains apparaissent certes

davantage « ouverts » au droit international qu'à l'époque où l'idéologie de la souveraineté de l'État

prévalait, c'est-à-dire de la deuxième moitié du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle 130.

Cependant, juste avant cette période, l'application du droit international général par les organes internes

d'application du droit semble beaucoup plus habituelle et ne prête d'ailleurs pas à controverse, même en

l'absence d'une disposition constitutionnelle explicite131. A une échelle historique plus vaste, en

comparant l'état du droit médiéval et moderne, on peut même observer une certaine régression dans

129 Selon la théorie de la transnationalisation, les systèmes juridiques s'interpénètrent de plus en plus aussi bien verticalement, c'est-à-dire entre droit international, droit supra-national, droit national et droit local, qu'horizontalement, c'est-à-dire entre systèmes juridiques nationaux. Cf. inter alia, dans une littérature abondante : Oscar Schachter, « The Decline of the Nation-state and its Implications for International Law », Columbia Journal of Transnational Law, vol. 36, 1997, pp. 7-23 ; T. Alexander Aleinikoff, « Thinking outside the Sovereignty Box : Transnational law and the U.S. Constitution », Texas Law Review, vol. 82, 2004, pp. 1989-1992 ; Mark Tushnet, « Transnational/Domestic Constitutional Law », Loyola of Los Angeles Law Review, vol. 37, 2004, pp. 239-269 ; Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (II), Le pluralisme ordonné, Seuil, Paris, 2006, 303 p. ; Moritz von Unger, Menschenrechte als transnationales Privatrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 2008, 273 p. ; Mireille Delmas-Marty, Stephen Breyer (éds), Regards croisés sur l'internationalisation du droit : France-États -Unis, Société de Législation Comparée, Paris, 2009, 266 p. ; Vicki C. Jackson, Constitutional Engagement in a Transnational Era, Oxford University Press, Oxford, 2009, 536 p. ; Peter H. F. Bekker, Rudolf Dolzer, Detlev F. Vagts, Michael Waibel (éds), Making transnational law work in the global economy : essays in honour of Detlev Vagts, Cambridge University Press, New York, 2010, 684 p. 130 D'un point de vue historique, la période de la deuxième moitié du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle s'analyse comme l'apogée de la « souveraineté ». L'idée de la souveraineté développée, entre autres, par Jean Bodin (Les Six Livres de la République, 1576) et Thomas Hobbes (Le Léviathan, 1651) semble alors réalisée.Les deux phénomènes qui caractérisent le plus cette période sont la centralisation du pouvoir politique par un seul organe dit « souverain » et le monopole des État en matière de guerre (« violence collective de masse ») :La structure de l'État apparaît en effet extrêmement centralisée : centralisation du pouvoir politique par un unique organe (le parlement, l'empereur, ou autres organes «souverains») lié à la disparition des relations féodales qui constituaient un intermédiaire entre le « souverain » et le « peuple » ; centralisation territoriale, y compris dans les États fédérés, à l'instar des États -Unis à l'issue de la Guerre de sécession (1861-1865) ou du Reich allemand après 1871. A partir de la fin du XIXe s., la guerre est devenue, suite à un processus de pacification de la société civile, le quasi-monopole des États souverains » (les « Puissances ») qui s'affrontent dans des luttes démesurées (Hans Kelsen, Peace Through Law, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1944 ; réédité en 2008 par Lawbook Exchange, New York, 155 p.). La théorie en vogue qui affirme que les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 ne forment qu'une seule « guerre civile européenne » s'approche en cela d'un négationnisme, qui part peut être d'une idée bienveillante (l'existence préalable et naturelle d'une « fraternité européenne »), mais au risque d'oublier ce qui est imputable aux États (cf. inter alia : Ernst Nolte, Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945. Nationalsozialismus und Bolschewismus, 4ème éd., Propyläen, Francfort-sur-le-Main/Berlin, 1989, 616 p. ; Enzo Traverso, A feu et à sang. De la guerre civile européenne 1914-1945, Stock, Paris, 2007, 372 p.).Plus généralement, à propos du développement historique de la souveraineté des États , cf. inter alia dans une littérature abondante : Helmut Quaritsch, Souveränität – Entstehung und Entwicklung des Begriffs in Frankreich und Deutschland vom 13. Jh. bis 1806, Duncker & Humblot, Berlin, 1986, 128 p. ; Olivier Beaud, La Puissance de l’État, PUF, Paris, 1994, 512 p. 131 Cf. par exemple : Gérard Teboul, « À propos du droit international non écrit : présence du passé devant le juge français aux XIXe et XXe siècles », in : Bibliothèque de l'école des chartes, 1998, tome 156, pp. 155-171.

36

l'inter-relation entre systèmes juridiques132 133.

A. Monographies récentes

La plus grande partie de la doctrine relative à l'applicabilité du droit international général par les

organes internes est disponible sous forme d'articles. Quatre types de monographie traitent plus ou

moins directement du sujet :

- des ouvrages généraux et comparatifs à propos de l'application du droit international

coutumier en droit interne qui s'apparentent à des compilations ordonnées de la jurisprudence, à

l'exemple de l'analyse du Juge Lambertus Erades134 et de la thèse de doctorat de Madame Simonetta

Stirling-Zanda135. Ces ouvrages sont d'une richesse certaine mais manquent, parfois volontairement, de

systématisation. L'ample étendue de la comparaison, qui comprend l'ensemble des systèmes juridiques

132 La doctrine actuelle appelle parfois la période de prédominance de la souveraineté des États « westphalienne » ou « westphalienne-keynésienne ». Cf. Stephane Beaulac, « Westphalia, Dualism and Contextual Interpretation: How to Better Engage International Law in Domestic Courts », EUI Working Paper, MWP 2007/03, disponible sur : https://papyrus.bib.umontreal.ca/jspui/bitstream/1866/3083/1/MWP_2007_03.pdf ; Oliver Eberl, Benjamin Herborth, René Steenbock, « Intersubjektivität und internationale Politik – Ein Tagungsbericht », Zeitschrift für Internationale Beziehungen, vol., 2, 2005, pp. 417-428 ; Nancy Fraser, « Reframing Justice in a Globalizing World », New Left Review, vol. 36, 1995, pp. 69-79 ; Christopher Harding, Chin L. Lim, « The significance of Westphalia : an archaeology of the international legal order », in : Christopher Harding, Chin L. Lim (éds), Renegotiating Westphalia, Kluwer, La Haye, 1999, 393 p., pp. 1-23 ; John H. Jackson, « Sovereignty-Modern : A New Approach to an Outdated Concept », AJIL, vol. 97, 2003, p. 782-802 ; Slim Laghmani, Histoire du droit des gens – Du jus gentium impérial au jus publicum europaeum, Paris, A. Pedone, 2003, 249 p. ; Andrew Linklater, The Transformation of Political Community: Ethical Foundations of a Post-Westphalian Era, Polity Press, Cambridge, 1998, 272 p. ; Anne-Marie Slaughter, William Burke-White, « The Future of International Law is Domestic (or, The. European Way of Law) » in : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 110-133 ; Oscar Schachter, « The Decline of the Nation-state and its Implications for International Law », Columbia Journal of Transnational Law, vol. 36, 1997, pp. 7-23 ; Benjamin Straumann, « The Peace of Westphalia as a Secular Constitution », Constellations, vol. 15, 2008, pp. 173-188 ; Neil Walker, Relocating Sovereignty, Ashgate/Dartmouth, Aldershot/Burlington, 2006, 555 p. ; Neil Walker, « Beyond Boundary Disputes and Basic Grids: Mapping the Global Disorder of Normative Orders », International Journal of Constitutional Law, vol. 6, 2008, pp. 373-396 ; Neil Walker, « Taking Constitutionalism Beyond the State », Political Studies, vol. 56, 2008, pp.519-543. Observons que la plupart des auteurs actuellement critiques de la souveraineté sont partisans de la théorie dite « pluraliste » alors même que, de la fin du XIXe s. au début du XXe s., les auteurs « dualistes » ou « pluralistes » fondent leur théorie sur la souveraineté.133 En droit médiéval européen, un premier degré de répartition des compétences existe entre le spirituel et le temporel, puis à un second degré entre les proto-États que sont l'Église, les royaumes et les seigneuries. L'inter-relation entre ces systèmes juridiques apparaît d'autant plus remarquable que la territorialisation n'est pas absolue, au sens où certains proto-États disposent de certaines compétences sur des territoires relevant principalement d'un autre proto-État (par exemple, les droits de l'Église sur l'ensemble de l'Europe chrétienne ou les droits d'un suzerain sur son vassal).cf. : Harold J. Berman, Law and Revolution : The Formation of the Western Legal Tradition , Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts)/Londres, 1983, 657 p. ; Harold J. Berman, Law and Revolution II : The Impact of the Protestant Reformations on the Western Legal Tradition, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts)/Londres, 2003, 522 p.134 Lambertus Erades, Interactions between International and Municipal Law : A Comparative Case Law, T.M.C. Asser Instituut, La Haye, 1993, 1037 p. Cf. aussi, antérieurement : Lambertus Erades, Wesley L. Gould, The Relation between International Law and Municipal Law in the Netherlands and in the United States – A Comparative Study, Leyde /New York, A.W. Sijthoff/Oceana, 1961, 510 p.135 Simonetta Stirling-Zanda, L'application judiciaire du droit international coutumier : étude comparée de la pratique européenne, Schulthess, Zurich, 2000, 326 p.

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nationaux en Europe, exclut également une analyse approfondie de l'un ou l'autre système juridique

interne, d'où s'ensuit le risque d'une minimisation des difficultés.

- des ouvrages non comparatifs, c'est-à-dire ayant pour objet un seul droit interne. On relève

en réalité peu d'ouvrages qui prennent précisément pour objet la normativité du droit international

coutumier dans la sphère interne d'un seul État136. Dans la plupart des cas, l'objet est soit plus large, par

exemple la relation générale entre droit international et droit interne dans tel ou tel droit interne 137, soit

connexe, et dans ce cas, on trouve des objets variés : étendue des normes de référence dans le cadre du

contentieux constitutionnel138, encadrement du pouvoir extérieur de l'État139, limitation internationale de

la souveraineté de l'État140...

- des approches systématiques de la relation entre droit international – conventionnel et

non-conventionnel – et droit interne, dont le contenu prête souvent au moins en partie à discussion en

raison de la fréquente confusion entre théorie et technique dont on verra le propos. On remarquera tout

particulièrement les contributions du Professeur Carlo Santulli141 et du Professeur André

Nollkaemper142, ainsi que les nombreux ouvrages – il est vrai surtout collectifs 143 – de théorie dite

« pluraliste ».

- des études comparative relatives à l'application en droit interne d'une coutume

internationale spécifique, dont l'objectif ne consiste pas à analyser l'ensemble de la relation entre le

136 Cf. par exemple, à propos du droit français : Romain Rollin, Le droit international non écrit devant le juge français: contribution à l'étude comparée des jurisprudences du Conseil d'état et de la Cour de Cassation , thèse, Université Paul-Cézanne, Aix-Marseille, 2005, 407 p..137 Cf. à propos du droit allemand, Rudolf Geiger, Grundgesetz und Völkerrecht, 5ème éd., C.H. Beck, Munich, 2010, 390 p. On relève aussi plusieurs ouvrages récents, globalement relatifs à l' « ouverture de la Loi fondamentale au droit international », qui comprennent une analyse de l'article 25 LF ; cf. inter alia : Stephan Hobe, Der offene Verfassungsstaat zwischen Souveränität und Interdependenz, Duncker & Humblot, Berlin, 1998, 515 p. ; Thomas Giegerich (éd.), Der "offene Verfassungsstaat" des Grundgesetzes nach 60 Jahren – Anspruch und Wirklichkeit einer großen Errungenschaft, Duncker & Humblot, Berlin, 2010, 388 p. (ouvrage collectif).138 Cf. Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p.. Une large partie de la thèse de doctorat du Professeur Agnès Roblot-Troizier porte sur l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946.139 La question de l'encadrement du « pouvoir extérieur » de l'État a ainsi beaucoup intrigué la doctrine allemande la plus récente, ce qui pose la question de l'obligation à charge des organes de l'État allemand de respecter le droit international coutumier en dehors de la sphère de souveraineté allemande. Cf. inter alia : Volker Röben, Außenverfassungsrecht : eine Untersuchung zur auswärtigen Gewalt des offenen Staates, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 570 p. ; Frank Schorkopf, Grundgesetz und Überstaatlichkeit : Konflikt und Harmonie in den auswärtigen Beziehungen Deutschlands, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 355 p. Pour une comparaison France/Allemagne, cf. Thomas Michael Pfeiffer, Verfassungsgerichtliche Rechtsprechung zu Fragen der Außenpolitik : ein Rechtsvergleich Deutschland – Frankreich, P. Lang, Francfort-sur-le-Main/Berlin/Berne, 2007, 423 p.140 Cf. par exemple, à propos du droit français : Olivier Dupéré, Le fédéralisme normatif en droit constitutionnel français : l'alinéa 15 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : (l'influence de la pensée juridique de Georges Scelle sur les constitutions françaises de 1946 et 1958), thèse de Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2010, 1279 p.. L'alinéa 15 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose : « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». 141 Carlo Santulli, op. cit. note 6.142 Cf. André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, 250 p.143 Cf. inter alia : Hilary Charlesworth, Madelaine Chiam, Devika Hovell, George Williams (éds), The Fluid State: International law and National Legal Systems, The Federation Press, Sydney, 2005, 287 p. ; Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p..

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droit international et le droit interne. On trouvera ainsi de nombreux ouvrages en matière d'immunités

de l'État étranger, de protection des investissements étrangers, ou encore de protection diplomatique144.

B. Apport à la recherche

S'il s'agit surtout de résoudre un ensemble de problèmes de droit positif (2), la présente étude voudrait

aussi apporter une contribution à la construction d'une théorie unifiée du droit (1).

1. Apport théorique

a. Pour une conception unifiée du droit

La plupart des écrits actuels partent du constat que la Communauté internationale se présenterait à la

fois de plus en plus fragmentée, en raison de la prolifération des acteurs, c'est-à-dire des États, des

organisations internationales et régionales, voire des organismes privées, et corrélativement de plus en

plus imbriquée, du fait de l'interdépendance économique et d'autres phénomènes tels la coopération

entre États pour la poursuite d'objectifs communs et le processus de mise en réseau145. Par une sorte de

dialectique, tandis que le monde juridique continue sa dislocation, un principe de réalité extra-juridique

tend à faire converger ses acteurs, et ce, quand bien même ils poursuivent en apparence des intérêts qui

leurs sont propres146. Dans ce contexte, l'approche normativiste du droit, assurément marquée par

l'analyse des relations hiérarchiques, ne suffirait plus à rendre compte les évolutions d'un monde

juridique qui croît en complexité, avec des ramifications nouvelles qui échapperaient à toute

hiérarchisation147. Et, plus spécifiquement, la doctrine « pluraliste » actuelle émet à l'encontre de la

144 Heinrich Triepel dans la première monographie ayant pour objet de manière générale la relation entre droit international et droit interne (1899) dresse une liste des matières touchant à la relation entre le droit international et le droit interne faisant l'objet de publications : « souveraineté, unions d'États, territoire d'État, servitudes internationales, nationalité, importance, conclusion, effets, contenu des traités internationaux […]. Mais ce sont surtout les disciplines particulières des différents droits dits "internationaux", droit privé international, droit pénal international, procédure internationale, qui, cultivées aujourd'hui avec ardeur et énergie, sont précisément destinés par nature à s'occuper de notre question » ; cf. op. cit. note 55 (trad. René Brunet), p. 5. On peut constater que les « droits dits "internationaux" », selon l'appellation de Heinrich Triepel, constituent actuellement les principaux objets d'études de la doctrine qui s'interroge sur la relation entre le droit international et le droit interne, au détriment donc du droit international classique.145 Joost Pauwelyn, « Bridging Fragmentation and Unity: International Law as a Universe of Inter-connected Islands », Michigan Journal of International Law, vol. 25, 2004, pp. 903-916.146 L'analyse du processus en cours diverge parfois considérablement d'un auteur à l'autre ; cf. inter alia : Christian Tomuschat, « International law : Ensuring the survival of mankind on the eve of a new century », RCADI, vol. 281, 2001, pp. 9-438 ; Bruno Simma, « Universality of International Law from the Perspective of a Practitioner », EJIL, vol. 20, 2009, pp. 265-297.147 Andreas Fischer-Lescano, Gunther Teubner, « Regime Collisions : The Vain Search for Legal Unity in the Fragmentation of Global Law », Michigan Journal of International Law, vol. 25, 2004, pp. 999-1046 ; Eve-lyne Comtois-Dinel, « La fragmentation du droit international : vers un changement de paradigme? », Lex Electronica, vol. 11 n° 2, 2006, 22 p. (format PDF).

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doctrine moniste trois séries d'objections, qui trouvent en réalité leurs origines dans la doctrine dualiste

plus ancienne148 : les données juridiques, tant internationales qu'internes, résulteraient intégralement de

la volonté de l'État, qui ne pourrait donc être considéré comme un sous-système du droit international

(α) ; la doctrine moniste n'arrive pas à rendre compte de l'éventuelle non-conformité des données du

droit interne par rapport au contenu du droit international (β) ; le monisme est une construction

idéologique qui poursuit l'objectif d'unifier le droit international et le droit des différents États (γ).

α. La volonté « souveraine » de l'État

La relation entre droit international et droit interne résulterait entièrement de la volonté de l'État, que ce

soit dans la sphère internationale ou dans la sphère interne, de sorte qu'il apparaît inadéquat de

concevoir le système juridique de l'État comme un sous-système du droit international 149. A l'appui de

cette opinion, la doctrine produit deux séries d'arguments :

Les États occupent peut-être dans la sphère internationale la situation de destinataires des

normes internationales, mais ils n'en sont pas moins les principaux producteurs de ces normes, si ce

n'est les producteurs exclusifs, étant donné que tout le droit international dérive de leur volonté. En

effet, même les actes unilatéraux produits par les organisations internationales ou supranationales, qui

échappent en apparence à la volonté des États, trouvent leur fondement dans les traités internationaux

constitutifs des organisations internationales ou supranationales en question, dont la positivité résulte

quant à elle bien de la volonté des États, exprimée à travers la ratification de ces traités150. De tout cela,

il s'ensuivrait que l'État ne peut aucunement être considéré comme inférieur au droit international, et,

s'il se soumet, c'est uniquement du fait de sa volonté qui demeure souveraine 151. Et pourtant, la situation

148 La théorie pluraliste succède à la théorie dualiste. Les deux théories proposent une même conception de la relation entre droit international et droit interne, résumée de manière efficace par le Professeur Matthias Kumm : « Under a dualist (or pluralist) conception of the legal world different legal systems on the national and international levels interact with one another on the basis of standards internal to each legal system. […]. The very idea that the national constitution is decisive for generating the doctrines that structure the relationship between national and international law is dualist » ; cf. « Constitutional Democracy Encounters International Law : Terms of Engagement », in : Sujit Choudhry (éd.), The Migration of Constitutional Ideas, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, 458 p., pp. 256-293, p. 257.La théorie pluraliste prolonge la théorie dualiste. Dans sa version la plus orientées vers les données du droit positif, la doctrine pluraliste déduit que l'indépendance entre droit international et droit national (dualisme traditionnel) implique l'existence d'une pluralité de systèmes juridiques indépendants puisqu'il faut tenir compte de tous les systèmes juridiques nationaux. Cf. Giuseppe Sperduti, « Le principe de souveraineté et le problème des rapports entre le droit international et le droit interne », RCADI, vol. 153, 1976, pp. 319-411. On relève une autre version de la théorie pluraliste. Elle part d'un constat factuel, l'absence d'homogénéité des États au niveau mondial, pour en tirer une conclusion normative : la fragmentation du droit en des systèmes juridiques indépendants. Cf. Francesco Capotorti, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 248, 1994, pp. 9-344, spécialement p. 219 et svtes.La théorie pluraliste la plus récente combine le plus souvent ces deux approches149 Denis Alland, « Droit international public », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 497-504 ; Jean Combacau, « Mettre de l'ordre dans les relations des ordres », préface à la thèse du Professeur Carlo Santulli, op. cit. note 6, pp. I-XIV.150 Jean Combacau, op. cit. note 30.151 Károly Nagy, « Problems of the Relationship between International and Domestic Law », in : György Haraszti (éd.), Questions of International Law, Martinus Sijthoff/Akadémiai Kiadó, Leide/Budapest, 1977, 255 p., pp. 129-152.

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de producteur de normes s'analyse aussi comme une situation de destinataire, et spécifiquement de

destinataire de normes d'habilitations. Ainsi, si l'État dispose d'une compétence de production normative

dans la sphère internationale, c'est parce que le droit international lui attribue un ensemble

d'habilitations. Et la violation de ces normes d'habilitation peut entraîner l'engagement de la

responsabilité internationale de l'État, et toutes sortes de sanctions, y compris le cas échéant la guerre

prononcée à son encontre. Il peut par exemple en aller ainsi lorsque l'État ne respecte sa sphère de

compétence territoriale, qui est une habilitation internationale, en empiétant sur le territoire d'un autre

État ; de même, la transgression des actes unilatéraux des organisations internationales et

supranationales dont il est membre peut conduire à de telles sanctions internationales, peu importe la

volonté de l'État si l'organisation internationale ou supranationale en question ne lui attache pas d'effets.

On trouve un autre argument à l'encontre de la doctrine moniste qui s'appuie aussi sur la

volonté de l'État, mais qui concerne sa sphère interne. En résumé, l'État choisit librement de transformer

ou de ne pas transformer le droit international en droit interne, ce qui montre qu'il évolue

indépendamment de l'état du droit international, à moins qu'il en décide autrement par un acte

souverain, comme l'adoption d'une disposition constitutionnelle d'ouverture au droit international. Il

s'ensuit que la relation entre droit international et droit interne apparaît fondamentalement « dualiste »,

et non « moniste »152. En réalité, la discussion de la théorie moniste est fréquemment marquée par une

confusion entre «monisme» et «dualisme» au sens théorique et «monisme» et «dualisme» au sens

technique. Les termes «monisme» et «dualisme» ont à l'origine uniquement une signification théorique :

il s'agit de décrire de manière générale la relation de systèmes entre le droit international et le droit

interne153. La doctrine dominante fait peu à peu évoluer la terminologie : les termes «moniste» et

«dualisme» désignent désormais non seulement la relation générale entre le droit international et le droit

interne mais aussi la technique de transformation du droit international en droit interne 154. La confusion

152 Alain Pellet, « Vous avez dit "monisme" ? Quelques banalités de bon sens sur l'impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la française », in : Denys de Béchillon, Pierre Brunet, Véronique Champeil-Desplats, Eric Millard (éds), L'architecture du droit – Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, 1028 p., pp. 827-857.153 Pour le Professeur Alain Pellet par exemple, le « monisme » n'a nullement cette signification. Le « monisme » consisterait dans une politique législative idéaliste visant l'unité du droit international et du droit interne en garantissant la primauté du premier sur le second : « Contrairement à ce que le "bon sens", peut-être, pourrait donner à penser, il n'existe pas, «en réalité, entre le "monisme pur" et le "dualisme parfait" (…) une gamme de solutions qui combinent dans des proportions variables des éléments empruntés aux deux systèmes» [Ronny Abraham]. Le monisme "n'est pas susceptible de degrés" [Denis Alland]; il relève tout simplement d'une impossibilité logique. Construction doctrinale idéale, il peut "inspirer" certains constituants; il ne peut jamais et nulle part s'imposer dans la pratique des États. Le monisme peut être une aspiration légitime; la dure réalité de l'interétatisme "souverainiste" renvoie inéluctablement au dualisme et le juge français garde, comme jadis, "le sentiment très aigu de dépendre exclusivement de son statut constitutionnel national" [Paul Reuter], alors que le juge international, directement investi par le droit des gens, est, légitimement, indifférent aux impératifs du droit interne. "Il faut alors bien conclure que la Constitution de la Vème République n'est pas moniste" [Denis Alland] » ; cf. ibid, § 44.154 La classification opérée par la doctrine varie significativement d'un auteur à l'autre, d'autant plus qu'elle est l'objet d'un âpre débat à l'échelle mondiale, souvent transcrit de manière sommaire dans les manuels de droit international public ou de droit public interne (cf. inter alia, dans la doctrine française : Ronny Abraham, Droit international, droit communautaire et droit français, Hachette, Paris, 1989, 223 p., spécialement p. 196 ; Alain Pellet, op. cit. note 152 ; Patrick Daillier, Mathias Forteau, Daniel Müller, Alain Pellet, Droit international public, LGDJ, Paris, 8ème éd. 2009, 1708 p.). Quoi qu'il en soit, la doctrine part de l'idée qu'il existerait différents degrés de perméabilité des constitutions

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qui s'est installée s'étend ensuite au-delà de la terminologie : la doctrine dominante déduit en effet d'un

aspect réduit de la relation entre droit international et droit interne – la technique de transformation des

normes internationales en droit interne – l'ensemble de la relation entre le droit international et le droit

interne155. Et comme cette démarche s'avère infructueuse dès lors qu'il s'agit de décrire le droit positif, la

doctrine la plus récente en vient à abandonner les théories classiques relatives à la relation entre le droit

international et le droit interne156 ; elle développe ainsi de nouveaux modèles qui consistent soit en une

déclinaison de la théorie dualiste, par exemple la théorie « pluraliste157 » ou encore un prétendu

nationales par rapport au droit international. Dans la doctrine allemande, on trouve le plus souvent la classification suivante :

- le « monisme radical » : toute norme interne en violation du droit international est nulle ;- le « monisme modéré » : une norme interne en violation du droit international demeure valide jusqu'à son

annulation par une procédure contentieuse ;- le « dualisme radical » : les normes internationales ne sont valables en droit interne que pour autant qu'elles

ont été transformées, une par une, par une procédure interne déterminée, ceci en raison de la séparation stricte entre droit international et droit interne ;

- le « dualisme modéré »' : le droit international et le droit interne s'interpénètrent car la normativité interne du droit international est garantie par une disposition constitutionnelle de collision.Cf. par exemple : Michael Schweitzer, Staatsrecht III: Staatsrecht, Völkerrecht, Europarecht, 10ème éd., C.F. Müller, Heidelberg, 311 p., spécialement p. 24 et svtes.155 Cf. inter alia : Gerald Fitzmaurice, « The General Principles of International Law Considered from the Standpoint of the Rule of Law », RCADI, vol. 92, 1957, pp. 1-227, spécialement pp. 68-74 ; Lambertus Erades, op. cit. note 134, p. 945.156 Cf. inter alia : Robert Y. Jennings, « The Judiciary, International and National, and the Development of International Law », ICLQ, vol. 45, 1996, pp. 1-12 ; Patrick Daillier, « monisme et dualisme : un débat dépassé », in : Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani (éds), droit international et droits internes, développements récents, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis (Colloque des 16-17-18 avril 1998), A. Pedone, Paris, 1998, 318 p., pp. 9-21 ; Theo Öhlinger, « Unity of the Legal System or Legal Pluralism: The Stufenbau Doctrine in Present-Day Europe », in : Antero Jyränki (éd.), National Constitutions in the Era of Integration, Kluwer, La Haye, 1999, 204 p., pp. 163-174 ; Christian Tomuschat, op. cit. note 146, spécialement p. 363 ; Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 5ème éd., Clarendon Press, Oxford, 1998, 792 p., spécialement p 33 ; Andrew D. Mitchell, « Genocide, Human Rights Implementation and the Relationship between International and Domestic Law : Nulyarimma v. Thompson », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 3, 2000, pp. 362-383 ; Denis Alland, op. cit. note 35, spécialement pp.74-107 (l'auteur présente une analyse de l'histoire de la doctrine dans une section de son ouvrage qui porte le titre de « Dualisme/monisme : le piège doctrinal »). Cf. déjà : Massimo Pilotti, « Plurality or Unity of Juridical Orders », Iowa Law Review, vol. 19, 1933-1934, pp. 244-258, spécialement pp. 256-258.Le Professeur Armin von Bogdandy dit que : « Monism and dualism should cease to exist as doctrinal and theoretical notions for discussing the relationship between international law and internal law. Perhaps they can continue to be useful in depicting a more open or more hesitant political disposition toward international law. But from a scholarly perspective, they are intellectual zombies of another time and should be laid to rest, or "deconstructed". The general understanding of the relationship between international law and domestic law should be placed on another conceptual basis. » ; cf. « Pluralism, direct effect, and the ultimate say : On the relationship between international and domestic constitutional law », International Journal of constitutional law, vol. 6, 2008, pp. 397-413, p. 400. Toutes choses égales par ailleurs, il paraît discutable du point de vue de l'histoire des idées, qu'une pensée aussi moderne que celle de Hans Kelsen, par certains aspects proches de celle, avant-gardiste, du Cercle de Vienne, soit classée comme une doctrine « d'un autre temps ». Cf. à propos de ce débat, la préface suivante : Otto Pfersmann, András Jakab, Jürgen Busch, « The Many Fates of Legal Positivism », German Law Journal, vol. 12, n°2, 2011, pp. 599-600, et les contributions y répondant dans l'ensemble du numéro.157 Cf. inter alia dans la doctrine récente : Stephane Beaulac, op. cit. note 132 ; Keebet von Benda-Beckmann, « Globalisation and Legal Pluralism », International Law. FORUM du droit international, vol. 4, 2002, pp. 19-25 ; Paul Schiff Berman, « Global Legal Pluralism », Southern California Law Review, vol. 80, 2007, p. 1155-1237 ; William W. Burke-White, « International Legal Pluralism », Michigan Journal of International Law, vol. 25, 2004, pp. 963-979 ; Jean Cohen, « A Global State of Emergency or the Further Constitutionalization of International Law : A Pluralist Approach », Constellations, vol. 15, 2008, pp. 456-484 ; Andreas Fischer-Lescano, Gunther Teubner, op. cit. note 147 ; Karen Knop, « Here and There: International Law in Domestic Courts », New York University Journal of International Law and Policy, vol. 32, 2000, pp. 501-535 ; Janne Nijman, André Nollkaemper, « Beyond the Divide », in : Janne

42

« pragmatisme158 », soit en une régression assumée dans la connaissance juridique, qui vise à

déconstruire tous les progrès réalisés dans la science du droit, et surtout la théorie de la hiérarchie des

normes159 , comme par exemple dans la théorie de la « coopération-coordination160 ». Et pourtant, la

théorie moniste, dans sa version kelsénienne, ne contredit pas l'état du droit positif. Pour simplifier :

l'État, en choisissant une technique de transformation du droit international ou une autre (transformation

ipso iure, procédure de transformation ad hoc, procédure de reconnaissance, etc.161), ou même en ne

prévoyant pas la transformation du droit international, ne fait qu'exécuter l'autorisation qui lui est

Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 341-380 ; Brian Z. Tamanaha, « Understanding Legal Pluralism : Past to Present, Local to Global », Sydney Law Review, vol. 30, 2008, pp. 375-411 ; James Tully, Strange Multiplicity : Constitutionalism in an Age of Diversity, Cambridge University Press, Cambridge, 1995, 253 p..Pour une analyse critique, cf. supra note 148.158 Cf. inter alia, Jonkheer H.F. van Panhuys, « Relations and interactions between international and national scenes of law », RCADI, vol. 112, 1964, pp. 1-89, spécialement p. 14 ; Michel Virally (1964), op. cit. note 30 ; Helen Keller, « Rechtsvergleichende Aspekte zur Monismus-Dualismus-Diskussion », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht, vol. 6, 1999, pp. 225-249 ; Giorgio Gaja, « Dualism—a Review », in : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 52-63 ; Mattias Kumm (2007), op. cit. note 148.Le prétendu « pragmatisme » peut en réalité s'analyser comme l'abandon, parfois assumée, de toute tentative théorique. Il aboutit finalement à un « pluralisme-dualisme » en ce qu'il ne conçoit que les séparations à l'exclusion de l'unité.159 Certaines publications ont explicitement pour objet de « déconstruire » la théorie de la hiérarchie des normes, par exemple : Armin von Bogdandy, op. cit. note 156 ; Theo Öhlinger (1999), op. cit. note 156; plus généralement : François Ost, Michel van der Kerchove, De la pyramide au réseau: pour une théorie dialectique du droit, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002, 596 p. Le Professeur Armin von Bogdandy soutient que : « "Pyramid" is a notion linked to Kelsenian monism as a general conception of the relationship between international law and domestic law. Yet, monism is, basically, a moribund notion and should be put to rest. In this sense, I give an affirmative answer : the pyramid should be deconstructed. At the same time, dualism also should be overcome, and developed into a theory of legal pluralism. Only a theory of legal pluralism can account, descriptively and normatively, for the diversity within the legal realm, in general, and the links between domestic constitutions and international legal phenomena, in particular. Rather than a "pyramid", "coupling" might be a more fitting general concept. » ; cf. op. cit. note 156, spécialement pp. 397-398. D'emblée, la terminologie utilisée incite à penser que la lecture proposée de la théorie de Hans Kelsen ne restitue pas correctement sa théorie. En effet, ce n'est qu'avec réticence que Hans Kelsen utilise des métaphores dans le cadre de sa démarche scientifique ; l'usage du terme de « pyramide » , s'il est vrai qu'il apparaît parfois dans l'œuvre de l'auteur (cf. op. cit. note 37, p. 299), s'inscrit dans la plupart des cas dans le contexte d'une vulgarisation de la théorie kelsénienne.En outre, alors que les progrès les plus remarquables des sciences humaines ont été réalisés par une autonomisation par rapport à la question politique (histoire, économie, sociologie, droit..), ce que proposent les critiques de la doctrine positiviste-normativiste consiste précisément à revenir à la question politique. Cette démarche rétrograde caractérise d'ailleurs la plupart des théories actuelles de la relation entre droit international et droit interne qui sont centrées sur les questions de « démocratie », « légitimité », « pluralité », « séparation des pouvoirs », « dialogue entre les juges », « coopération », « négociations », etc.160 Les tendances les plus récentes vont ainsi vers ce que l'on peut dénommer « dualisme de coopération » qui est en réalité un dualisme idéologiquement favorable au droit international, cf. inter alia. : Eyal Benvenisti, « Reclaiming Democracy : The Strategic Uses of Foreign and International Law by National Courts », AJIL, vol. 102, 2008, p. 241 et svtes ; Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72 ; Brun-Otto Bryde, « Konstitutionalisierung des Völkerrechts und Internationalisierung des Verfassungsrechts », Der Staat, vol. 42, 2003, pp. 61-75 ; Hilary Charlesworth, Madelaine Chiam, Devika Hovell, George Williams (éds), The Fluid State: International law and National Legal Systems, The Federation Press, Sydney, 2005, 287 p. ; Thomas Cottier, Daniel Wüger, « Auswirkungen der Globalisierung auf das Verfassungsrecht: Eine Diskussionsgrundlage » in : Beat Sitter-Liver (éd.), Herausgeforderte Verfassung: Die Schweiz im globalen Konzert, Universitätsverlag Freiburg, Fribourg (Suisse) 1999, 600 p., pp. 241-281 ; Tom Ginsburg, Richard H. McAdams, « Adjudicating in Anarchy : An Expressive Theory of International Dispute Resolution », William and Mary Law Review, 2004, vol. 45, pp. 1229-1339 ; Jack Goldsmith, Eric A. Posner, « The New International Law Scholarship », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 34, 2006, pp. 463-482 ; Mattias Kumm, « The Legitimacy of International Law: A Constitutionalist Framework of Analysis », EJIL, vol. 15, 2004, pp. 907-931 ;

43

attribuée par le droit international162. La latitude dont dispose l'État en matière de transformation du

droit international trouve donc son fondement dans le droit international lui-même, qui est son système

juridique supérieur.

β. La non-conformité du droit interne par rapport aux données du droit international

Il est incontestable que les systèmes juridiques des États ont contenu et contiennent toujours des normes

qui ne correspondent pas à l'état du droit international, ce qui n'empêche pas ces normes de persister

dans la sphère interne. Cela indiquerait que le système juridique interne évolue indépendamment du

droit international, ou, pour le moins, qu'il ne se situe pas dans une relation d'infériorité par rapport à

celui-ci. Et la doctrine moniste n'arriverait pas à rendre compte du rapport de non-conformité du droit

interne eu égard aux données du droit international163.

La théorie moniste construite par l'École de Vienne semble en réalité souvent mal comprise ou mal

restituée164 :

Mayo Moran, « Shifting Boundaries: The Authority of International Law », in : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 163-191 ; André Nollkaemper, « Rethinking the Supremacy of International Law », ZÖR, vol. 65, 2010, pp.65-85 ; Anne Peters, « The Globalization of State Constitutions », in : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 251-309 ; Niels Petersen, The Reception of International Law by Constitutional Courts through the Prism of Legitimacy, Max Planck Institute for Research on Collective Goods, Bonn, 2009, 52 p. ; Thomas Vesting, « Die Staatsrechtslehre und die Veränderung ihres Gegenstandes: Konsequenzen von Europäisierung und Internationalisierung », VVDStRL, vol. 63, 2004, pp. 41-70 ; Christopher A. Whytock, « Thinking Beyond the Domestic-International Divide: Toward a Unified Concept of Public Law », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 36, 2004, pp. 155-193.Plus anciennement, un auteur en ce sens : Giuseppe Sperduti, « Dualism and Monism : a Confrontation to be Overcome », Italian Yearbook of International Law, 1977, pp. 31-49.161 Pour les définirions, cf. supra note 19.162 L'Institut de droit international souligne, dans sa résolution de Milan du 7 septembre 1993 relative à L'activité du juge interne et les relations internationales de l'État, qu'« il appartient en principe au système juridique de chaque État de prévoir les moyens les plus appropriés pour assurer l'application du droit international au niveau national » (considérant n°3). 163 Cf. Carlo Santulli, op. cit. note 6 (cf. aussi la préface de cet ouvrage, Jean Combacau, « Mettre de l'ordre dans les relations des ordres », pp. I-XIV, spécialement pp. V-VI) ; Denis Alland, op. cit. note 35, spécialement pp. 110-122 (l'auteur analyse le « problème des "antinomies" du droit international et du droit interne ».).164 Les auteurs français assimilent ainsi souvent la théorie « moniste » de Hans Kelsen avec celle plus connue en France de Georges Scelle. Comme la théorie de Georges Scelle apparaît en de nombreux points idéaliste, il est supposé que celle de Hans Kelsen doit l'être aussi. Cf. par exemple, la conclusion du Professeur Alain Pellet in : opus cit. note 152 (2006), §44 en note. L'assimilation entre Hans Kelsen et Georges Scelle existe aussi en dehors de la France, par exemple : Luzius Wildhaber, Stephan Breitenmoser, op. cit. note 14, particulièrement pp. 171-172. A propos des aspects idéologiques de la théorie de Georges Scelle, cf. Antonio Cassese, « Remarks on Scelle's Theory of "Role Splitting" (dédoublement fonctionnel) in International Law », EJIL, 1990, pp. 210-231. La doctrine du « dédoublement fonctionnel » de Georges Scelle suscite depuis récemment l'intérêt de la doctrine à un niveau mondial, cf. notamment : Pierre-Marie Dupuy, « Unity in the application of international law at the global level and the responsibility of judges at the national level : reviewing Georges Scelle's "role splitting" theory », in : Laurence Boisson de Chazournes, Marcelo G. Kohen (éds), International law and the quest for its implementation – Le droit international et la quête de sa mise en oeuvre : liber amicorum Vera Gowlland-Debbas, Martinus Nijhoff, La Haye, 2010, 513 p., pp. 417-429 ; Olivier Dupéré, « La nature fédérative des "rapports de systèmes": la théorie du "fédéralisme normatif" développée par Georges Scelle », Actes du VIIIe Congrès français de droit constitutionnel des 16-18 juin 2011, 138 p., disponible sur : http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN5/dupereT5.pdf ; André Nollkaemper (2011), op. cit. note 142, spécialement p. 8 ; Yuval Shany, « Dédoublement fonctionnel and the Mixed Loyalties of National and International Judges », in : Filippo Fontanelli, Giuseppe Martinico, Paolo Carrozza (eds), Shaping Rule of Law through Dialogue – International and Supranational Experience, Europa Law Publishing, Groningue, 2010, 433 p., p. 27 et svtes. La

44

La théorie générale de la hiérarchie des normes, dont dérive la théorie moniste, n'exclut

nullement qu'une norme puisse être valide sans pour autant être conforme à toutes les normes qui lui

sont supérieures selon l'ordre de production165. La validité d'une norme résulte du seul respect des

normes relatives à sa production, autrement dit de l'habilitation formelle pertinente en l'occurrence (une

norme sera par exemple valide en tant que loi si elle a été produite conformément à l'ensemble des

normes qui organisent la procédure législative). La norme pourra éventuellement être privée de sa

validité par la suite en raison de sa non-conformité à d'autres exigences, parmi lesquelles celles qui

découlent des normes supérieures imposant tel ou tel comportement contraire à celui prévu par la norme

en question. Cela suppose toutefois que le système juridique concerné contienne des normes qui

organisent la destruction des normes valides mais non-conformes, à l'instar d'une disposition instituant

un contentieux juridictionnel de contrôle de conformité. En résumé, rien n'empêche que les normes

valides mais non-conformes persistent dans un système juridique en l'absence de normes organisant leur

destruction ; le système juridique en question autorise dans une certaine mesure, qui dépend de son

propre contenu normatif, la production et le maintien en vigueur de normes de cette sorte. Il en ira par

exemple ainsi du système juridique d'un État qui laisse valide toute loi promulguée, même non-

conforme aux droits constitutionnellement protégés, parce qu'il ne soumet la loi à aucun contrôle de

constitutionnalité a posteriori. Le cas de la République française en a longuement offert une illustration.

Et il n'en va pas autrement en ce qui concerne la relation hiérarchique entre systèmes

juridiques166. Rien n'empêche que le système juridique supérieur introduise une dissociation entre

validité et conformité adressée au système juridique inférieur. Le droit international attribue ainsi aux

États une autonomie normative de principe quasi-illimitée ; il ne détermine pas en principe les

conditions de validité des normes internes, mais seulement la validité de l'État lui-même. Il s'agit là de

l'habilitation formelle dont bénéficie l'État, et cette habilitation internationale autorise l'État à produire

dans sa sphère interne toutes sortes de normes valides, peu importe qu'elles ne soient pas conformes aux

autres données contenues dans le droit international. De plus, comme le droit international ne contient

doctrine associe souvent à Hans Kelsen et Georges Scelle un troisième « fondateur du monisme » : l'ancien juge de la Cour internationale de justice Hersch Lauterpacht. La théorie de Hans Kelsen relative la relation entre droit international et droit interne se distingue clairement de celle des auteurs « monistes idéologiques ». Hans Kelsen ne conclue d'ailleurs pas à une quelconque nécessité de transformer le droit international en droit interne ; l'auteur remarque en effet que, en l'état du droit positif, la question de la transformation du droit international en droit interne relève de la sphère de compétence interne (P.I.L., pp. 474-475). Les auteurs les plus contemporains paraissent écarter les aspects les plus subtils de la théorie kelsénienne, et lui prêtent un contenu idéologique. Ainsi, le Professeur Andreas Paulus dit, à propos du « monisme kelsénien » : « The vision of a hierarchical unity of international and domestic laws is more threatening than reassuring, in particular at a juncture where the temptations of superpower hegemony appear stronger than ever […]. In the age of globalization, the dualist insistence on separateness and closedness of legal orders is doomed to fail just as much as the monist attempts of harmonization and hierarchization » ; cf. « Beyond the Monism – Dualism Debate : Remarks on Giorgio Gaja: "Dualism – A Review" », 17 janvier 2003, Amsterdam, 8 p. (format PDF), p. 5 et p. 7, disponible sur : http://www.jur.uva.nl/template/downloadAsset.cfm?objectid=73172016-0D58-4 2003. Cf. aussi : Jochen von Bernstorff, Der Glaube an das universale Recht. Zur Völkerrechtstheorie Hans Kelsens und seiner Schüler, Nomos, Baden-Baden, 2001, 233 p.165 Cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 38, spécialement pp. 496-506 (§. 2 « De la conformité à la validité défectueuse »).166 Cf. Hans Kelsen (1967), P.I.L., spécialement pp. 567-568.

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en principe pas de procédure de destruction des normes internes valides mais non-conformes par rapport

à son propre contenu normatif, la validité des normes internes ainsi produites persiste, à moins que

l'État lui-même choisisse d'établir un contrôle de conformité des normes internes par rapport au droit

international. On pourra appeler tout ce qui vient d'être dit « principe d'indifférence du droit

international par rapport au droit interne », expression qui s'approche de la terminologie employée par

la doctrine dualiste167, qui parle toutefois plutôt d'«indifférence», et non de «principe d'indifférence».

Cependant, l'indifférence du droit international par rapport au droit interne est à interpréter comme un

principe du droit international, c'est-à-dire une norme, et non comme une pré-donnée idéale ou naturelle

qui existerait en dehors de tout droit positif et déterminerait son contenu. La doctrine dualiste 168 ou

pluraliste, alors même qu'elle revendique ne pas être idéaliste, contredit l'état du droit car elle admet,

contrairement à sa propre affirmation, des exceptions à cette indifférence du droit international par

rapport au droit interne, comme par exemple dans les cas d'applicabilité directe du droit international 169.

La doctrine moniste parvient quant à elle à concevoir l'applicabilité directe du droit international car le

principe d'indifférence n'est autre chose qu'une norme susceptible d'être limitée par d'autres normes plus

spéciales. De même, la construction juridique de l'intégration européenne ne constitue nullement un

processus mystérieux pour la doctrine moniste. Le droit de l'Union européenne correspond à un système

juridique intermédiaire entre droit international et droit interne avec certaines spécificités de contenu,

dont une applicabilité directe forte170.

γ. L'« idéologie moniste » pacifiste et unificatrice

Le « monisme » manifesterait la volonté politique et idéologique de ses auteurs de faire advenir une

société internationale pacifiée et unifiée171. Et cela expliquerait pourquoi les concepteurs de la théorie

167 Cf. Carlo Santulli, op. cit. note 6 ; cf. aussi la préface de cet ouvrage, Jean Combacau, « Mettre de l'ordre dans les relations des ordres », pp. I-XIV, spécialement pp. V-VI. 168 Heinrich Triepel résume ainsi la théorie dualiste dans l'ouvrage classique Droit international et droit interne (1899) : « Le droit international et le droit interne sont non seulement des parties du droit distinctes, mais aussi des systèmes juridiques distincts. Ce sont deux cercles, qui sont au contact intime, mais qui ne se superposent pas. […]. [Cette thèse] signifie seulement que toute règle d'origine internationale est, en vertu même de cette origine, incapable [mes italiques] de devenir le contenu d'une règle interne. » ; cf. op. cit. note 55 (trad. René Brunet), p. 110. L'erreur de Heinrich Triepel consiste à concevoir la séparation entre droit international et droit interne comme relevant de la question de l'« être » (d'où le terme « incapable ») alors qu'elle relève, du point de vue de la science juridique, de la question du « devoir être ». La prétendue incapacité du droit international constatée par l'auteur n'est en vérité que l'absence d'applicabilité directe de celui-ci ; il pourrait en effet en aller autrement si le droit international en disposait autrement. 169 Cf. par exemple : Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP 1998, pp. 203-244.170 Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141. A titre historique, l'analyse du système juridique des Communautés européennes ne pose pas de difficultés particulières au Professeur Robert W. Tucker en 1966 dans sa révision de l'ouvrage Principles of International Law de Hans Kelsen, alors même qu'il n'est pas ignorant de ses aspects spécifiques relativement au droit international général (1966) ; cf. P.I.L., p. 211 et pp. 263-264 (en note).171 Cf inter alia, avec de nombreuses références doctrinales, Jochen von Bernstorff, Der Glaube an das universale Recht. Zur Völkerrechtstheorie Hans Kelsens und seiner Schüler, Nomos, Baden-Baden, 2001, 233 p. ; András Jakab, « La doctrine kelsenienne du droit international : Entre l'épistémologie et la politique », Droits, 2007, pp. 209-222.

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moniste en sont venus à multiplier les sophistications, de manière à arriver à la présenter de manière

cohérente172. La théorie moniste se présente en réalité plutôt, et dès ses origines, comme une critique

d'une approche idéologique de la relation entre le droit international et le droit interne 173. A partir des

années 1920, Hans Kelsen reproche en effet à la théorie dualiste de fonder sa conception du droit positif

sur une idéologie, c'est-à-dire quelque chose d'extra-juridique, en l'occurrence la «souveraineté» de

l'État174. Par la suite, Hans Kelsen cherche plus précisément à montrer, dans une série de publications

dont une grande partie est rédigée en langue française175, que les données du droit positif peuvent

s'expliquer indépendamment du dogme de la souveraineté.

Ainsi, toutes les variantes observables entre les différents États, ou même à l'intérieur d'un même État

entre traités internationaux et coutumes internationales176, relativement à la question de la

transformation du droit international tiennent à la latitude qu'attribue le droit international aux États en

la matière, et non au fait que le droit international et le droit interne constituent « deux cercles, qui sont

en contact intime, mais qui ne se superposent jamais177 ». Une telle métaphore paraît certes séduisante

mais résulte en réalité d'une idéologie illusoire, celle de la souveraineté de l'État 178. La souveraineté de

l'État n'est nullement absolue, de sorte que le terme même de « souveraineté » semble révélateur d'une

172 Albert Bleckmann, « Monismus mit Primat des Völkerrechts. Zur Kelsenschen Konstruktion des Verhältnisses von Völkerrecht und Landesrecht », in : Werner Krawietz, Helmut Schelsky (éds), Rechtssystem und gesellschaftliche Basis bei Hans Kelsen, Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 562 p., pp. 337-347. 173 Il est vrai que Hans Kelsen admet ne pouvoir trancher, pour des raisons logiques, entre un «monisme à primauté du droit international», qui suppose que la norme fondamentale ultime se situe dans le droit international, et un «monisme à primauté du droit interne», avec un fondement de l'ensemble du droit situé dans le droit national. Un choix politique, assumé en tant que tel par l'auteur, soit le pacifisme préféré à l'impérialisme, conduit toutefois Hans Kelsen à se prononcer pour la construction «à primauté du droit international» ; cf. Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème édition (1928), Scienta, Aalen, 1960, 320 p., spécialement pp. 314-320 ; Théorie pure du droit, op. cit. note 37, p. 299 ; P.I.L., spécialement pp. 434-452.Cependant, le droit international détermine la validité (création et destruction) ainsi que la sphère de compétence des différents États. Des raisons juridiques, et non un choix politique, nous feront donc opter pour la construction « à primauté du droit international ». Il nous semble d'ailleurs difficilement concevable qu'un seul État dispose d'une compétence de créer et de détruire le droit international. Il pourra certes dans sa sphère interne prévoir l'absence de normativité du droit international, voire sa destruction, mais cela n'aura pas pour effet juridique de priver le système juridique international lui-même de sa validité, ni même de supprimer les obligations internationales à charge de l'État en question. Cf. aussi : Otto Pfersmann, op. cit. note 38, spécialement pp. 514-526 (« Hiérarchies entre ordres juridiques ou "rapports de systèmes" ? »).174 Cf. supra note 33.175 Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Ecrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214 ; Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p.176 Cf. inter alia : Alfred Verdross, Bruno Simma, Universelles Völkerrecht, 3ème éd., Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 956 p., p. 549 ; Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 38, 2006, pp. 707-760 ; Tom Ginsburg, Zachary Elkins, Svitlana Chernykh, « Commitment and Diffusion: How and Why National Constitutions Incorporate International Law », University of Illinois Law Review, 2008, pp. 201-238.177 Heinrich Triepel, op. cit. note 55 (trad. René Brunet), p. 110.178 Hans Kelsen, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème édition (1928), Scienta, Aalen, 1960, 320 p. ; Hans Kelsen, « Der Wandel des Souveränitätsbegriffs », in : Studi filosofico-giuridici dedicati a Giorgio del Vecchio nel XXV anno di insegnamento, 2 volumes, Societa tipografica modenese, Modène, 1930-1931, 1836 p., vol. 2, p. 1 et svtes ; Hans Kelsen, « Die Einheit von Völkerrecht und staatlichem Recht », ZaöRV, vol. 19, 1958, pp. 234-248 ; Hans Kelsen, « Sovereignty and International Law », The Georgetown Law Journal, vol. 48, 1960, pp. 627-640.

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illusion. En effet, sa signification la plus courante, qui correspond à son origine étymologique à

rechercher dans le latin médiéval « superanus », est la qualité d'être un pouvoir suprême. La prétendue

« souveraineté » de l'État contraste donc avec la structure de la relation entre droit international et droit

interne : c'est le droit international qui détermine la sphère de compétence de l'État. Cela n'empêche pas

la présence du terme « souveraineté » dans la terminologie du droit international, qui contient même le

principe dit d'« égale souveraineté des États »179 ! La « souveraineté » de l'État signifie en réalité

seulement pour un État donné qu'il se trouve indépendant de tout autre droit interne, c'est-à-dire qu'il

n'est que sujet du droit international180. En d'autres termes, le droit de l'État est dépendant

immédiatement du droit international181. La doctrine ajoute souvent deux aspects à la souveraineté de

l'État : l'accord de volonté de l'État requis pour la production d'une large partie du droit international,

surtout le droit international conventionnel, c'est-à-dire que le droit international ne peut en principe

être créé sans ou contre la volonté de l'État182 ; le principe d'indifférence du droit international par

rapport au droit interne183 qui est une norme d'habilitation attribuant une autonomie normative

extrêmement large à l'État dans sa sphère domestique184. La « souveraineté » de l'État peut être conçue

comme une conséquence de ces principes, non l'inverse, en ce sens que ces principes ne découlent

nullement d'une prétendue « souveraineté » naturelle ou idéale de l'État. Juridiquement, la

« souveraineté » n'est pas autre chose qu'une compétence, et plus précisément un ensemble de

compétences185. Le « principe de souveraineté de l'État » est le terme qui désigne l'ensemble des

179 Cf. supra, note 28.180 Cette affirmation se trouve aussi dans la doctrine dualiste classique. Dionisio Anzilotti dit que : « L’indépendance [...] n’est autre chose que l’existence [...] comme Etat séparé et non soumis à l’autorité d’aucun autre Etat ou groupe d’Etats. L’indépendance ainsi comprise n’est au fond que la condition normale des Etats d’après le droit international : elle peut être aussi bien qualifiée comme souveraineté (suprema potestas) ou souveraineté extérieure, si l’on entend par cela que l’Etat n’a au-dessus de soi aucune autorité, si ce n’est celle du droit international » ; cf. son opinion individuelle jointe à l’avis consultatif de la C.P.J.I. du 5 septembre 1931 concernant le régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche, Série A/B, n°41, p. 45.181 Otto Pfersmann, « La "souveraineté de l'État" : une compétence de l'État en tant qu'ordre juridique », in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 35-40.182 Cf. Christian Tomuschat, « Obligations Arising for States Without or Against Their Will », RCADI, vol. 241, 1993, pp. 199-374.183 Cf. Carlo Santulli, op. cit. note 6.184 L'autonomie normative de l'État se caractérise, entre autres, par le principe de compétence exclusive de l'État dans sa sphère territoriale (cf. Erik Suy, « Réflexions sur la distinction entre la souveraineté et la compétence territoriale », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich/Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 493-508) et par le principe d'autonomie organique de l'État, c'est-à-dire la libre détermination de ses organes (cf. inter alia : Bardo Fassbender, « Die Souveränität des Staates als Autonomie im Rahmen der völkerrechtlichen Verfassung », in : Heinz-Peter Mansel, Thomas Pfeiffer, Herbert Kronke, Christian Kohler, Rainer Haufmann (éds), Festschrift für Erik Jayme, Sellier, Munich, 2004, 1849 p., pp. 1089-1101 ; Jean d’Aspremont, L’État non démocratique en droit international : Etude critique du droit international positif et de la pratique contemporaine, A. Pedone, Paris, 2008, 375 p.).185 Josef L. Kunz décrit ainsi l'évolution de la pensée de l'Ecole viennoise de la théorie du droit vers une conception positive de la « souveraineté », en tant que principe contenu dans le droit international positif : « [Alfred Verdross] made, in his book on the unity of the juridical world [Die Einheit des rechtlichen Weltbildes auf Grundlage der Völkerrechtsverfassung, 1923] , a further inquiry into the nature of the “sovereignty” of the states. He has shown that there are two conceptions of the sovereignty : Sovereignty as a presupposed conception, and sovereignty as a conception deriving from the contents of international law. Verdross has shown that Kelsen in his book of sovereignty [Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 1920] was occupied only with the first conception of

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principes du droit international qui attribuent une autonomie normative de principe à l'État.

b. Un approfondissement de la théorie moniste :

En l'état actuel de la recherche le problème de la validité est uniquement traité :

– soit à l'intérieur d'un même système juridique (Adolf Merkl, Hans Kelsen) ;

– soit à propos de la seule validité d'un sous-système juridique relativement à un système

juridique (Hans Kelsen), c'est-à-dire de la relation de systèmes juridiques ; par exemple, l'État en

tant que système juridique est dans son ensemble fondé sur le droit international qui détermine sa

création et sa destruction ainsi que sa sphère de compétence ;

La réduction de l'analyse est fortement liée à l'histoire moderne de la pensée juridique : celle-ci prend

initialement surtout pour objet le système juridique de l'État (« interne »)186, analysé toutes choses

égales par ailleurs, et est marquée par le postulat de la fermeture ontologique des systèmes juridiques187 188.

L'analyse que l'on développera porte sur la validité et la concrétisation des normes contenues dans le

système juridique délégataire à l'intérieur du système juridique délégué. L'objectif de la présente

recherche consiste notamment à compléter l'analyse positiviste de la relation entre le droit international

et le droit interne ; et, comme on le verra, les données du droit positif confirment les aspects centraux de

la théorie kelsénienne concernant la relation entre systèmes juridiques.

L'œuvre de Hans Kelsen relative à la relation entre le droit international et le droit interne est vaste et

s'étend sur la majeure partie de sa vie scientifique, de Problème de la souveraineté et la théorie du droit

international189 (1920) à Principes du droit international (1967)190 ; par là, elle constitue une somme de

sovereignty. [...]. But there is a second conception of sovereignty, deriving from the contents of positive international law. [...]. Sovereignty in this sense means a fullness of competences, given to the singles states by international law » ; cf. op. cit. note 13, spécialement p. 85 et svtes186 Josef L. Kunz rapporte que : « In his first work, Hauptprobleme, Kelsen, while still identifying the juridical order with the lex, did not attack the problem of the law of the nations ; even in his study Über Staats Unrecht (1913) Kelsen still professes the typical dualist doctrine, according to which municipal and international law constitute two different and independent spheres. Merkl, who introduced the dynamic conception of the pyramid of law, remained also within the orbit of the municipal law of one state. », cf. op. cit. note 13, spécialement p. 83.187 Le Professeur Otto Pfersmann remarque que : « il se pourrait [...] que l'ontologie présupposée de la clôture des chaînes de validité soit tout simplement erronée ou qu'elle ne constitue en tout cas nullement le seul modèle concevable. La première objection est faible, car il s'agit d'une ontologie constitutive et non de données de l'observation ou résultant d'une certaine procédure de recherche. La deuxième constitue une difficulté extrêmement sérieuse. Car évidemment, s'il est permis de déterminer les propriétés constitutives d'un objet, rien n'empêche de le faire d'une autre manière. » ; cf. op. cit. note 30, spécialement p. 278.188 Albert Bleckmann remarque que, tout en développant la thèse du monisme, Hans Kelsen évoque tantôt la norme fondamentale du droit international, tantôt celle du système juridique national ; cf. « Monismus mit Primat des Völkerrechts. Zur Kelsenschen Konstruktion des Verhältnisses von Völkerrecht und Landesrecht », in : Werner Krawietz, Helmut Schelsky (éds), Rechtssystem und gesellschaftliche Basis bei Hans Kelsen, Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 562 p., pp. 337-347, p. 339. Cf. aussi : Andràs Jakab, op. cit. note 112, spécialement pp. 427-428 (« La question du monisme : une position difficilement tenable »).189 Hans Kelsen, op. cit. note 33.190 Hans Kelsen, Principles of International Law, 2ème édition révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p.

49

données considérable sur la question, mais contient aussi parfois des contradictions, qui proviennent

pour la plupart des changements d'opinion de l'auteur, et des corrections qu'il apporte progressivement.

Il s'agit dès lors de sélectionner dans cette œuvre les éléments qui paraissent les plus pertinents en vue

de décrire le droit positif et d'approfondir la construction théorique sur les points qui soulèvent le plus

de difficultés ou qui ont été éludés. Curieusement, la conception kelsénienne de la relation entre droit

international et droit interne n'a été que peu développée par ses successeurs, ce qui est loin d'être le cas

s'agissant d'autres questions, qui occupent pourtant un volume beaucoup plus réduit dans l'œuvre de

Hans Kelsen même, comme par exemple la théorie de l'interprétation ou encore la théorie des libertés

fondamentales. Cela tient peut-être à la figure d'Adolf Verdross qui, d'abord disciple de Hans Kelsen191,

a élaboré une théorie propre de la relation entre le droit international et le droit interne dite « monisme

modéré » (Theorie des gemäßigten Monismus)192. L'affirmation centrale de la théorie du « monisme

modéré » est que la validité d'une norme interne contraire au droit international peut être maintenue

provisoirement, jusqu'à ce que l'annulabilité (« Vernichtbarkeit ») de la norme litigieuse soit statuée

dans le cadre d'une procédure internationale. Cette théorie est dite « modérée », car la non-conformité

d'une norme interne au droit international n'entraîne pas immédiatement sa nullité interne. Néanmoins,

l'État se trouve tout de même, en raison de sa responsabilité internationale, dans l'obligation de détruire

une norme interne contraire au droit international. La « théorie moniste modérée » n'est nullement la

correction de la « théorie moniste » qu'elle prétend pourtant être, puisque la théorie moniste – dans sa

version kelsénienne – n'affirme pas qu'une norme interne en violation du droit international est nulle.

Surtout, elle ne rend pas correctement compte du droit international positif, qui ne contient pas de

procédure193, ni même de principe, obligeant l'État à détruire les normes internes prétendument

«contraires» au droit international.

191 Cf. inter alia : Heribert Franz Köck, « Leben und Werk des österreichischen Rechtsgelehrten Alfred Verdross »,, ZÖR, vol. 42, 1991, pp. 31-57 ; Bruno Simma, « The Contribution of Alfred Verdross to the Theory of International Law », EJIL, vol. 6, 1995, pp. 33-54.La théorie d'Alfred Verdross est au cours de son œuvre de plus en plus marquée par sa croyance assumée en un droit naturel (cf. par exemple son article écrit pendant la Seconde Guerre mondiale : « Die Rechtslehre Heraklits », ZÖR, vol. 22, 1942, pp. 498-507). Alfred Verdross continue pourtant d'être considéré comme un des principaux auteurs de l'École de Vienne de la théorie du droit. Il se trouve par exemple seul aux côtés de Hans Kelsen et Adolf Merkl dans : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Franz Steiner, Vienne, 2010, 2020 p. (réédition de l'ouvrage de 1968).192 Alfred Verdross, Völkerrecht, 5ème éd., Springer, Vienne 1964, 690 p., spécialement p. 113 et svtes ; Alfred Verdross, « Die normative Verknüpfung von Völkerrecht und Staatsrecht », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., p. 425 et svtes. Dans la littérature secondaire, cf. Herbert Miehsler, « Alfred Verdroß' Theorie des gemäßigten Monismus und das BVG vom 4. März 1964, BGBl, Nr. 59 », JBl, 1965, p. 566 et svtes.193 Actuellement, principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne se caractérisant par l'absence de toute procédure de destruction des normes internes dans le cadre d'une procédure internationale. Cf. Hans Kelsen, « Sovereignty and International Law », The Georgetown Law Journal, vol. 48, 1960, pp. 627-640., spécialement pp. 634-636.

50

2. Apport relatif au droit positif

La systématique qui sous-tend le présent travail ouvre la possibilité d'un traitement des données du droit

positif en couvrant, si ce n'est la quasi-exhaustivité, du moins très largement le sujet ; et elle pourrait

même trouver à s'appliquer, outre à l'objet circonscrit de la présente analyse, à chaque droit national

d'une part, et à toutes les normes internationales, non-conventionnelles comme conventionnelles, d'autre

part. L'exhaustivité n'est néanmoins pas le but (a) et l'analyse se circonscrit aux droits nationaux

allemand, autrichiens et français d'un côté, et au droit international non conventionnel de l'autre (b).

a. La résolution de problèmes de droit positif complexes

On insistera sur les questions les plus générales, telles la validité et la hiérarchie des normes, ainsi que

sur les données qui posent le plus de difficultés à la doctrine traditionnelle comme, par exemple,

l'applicabilité directe du droit international, la distinction entre transformation et implémentation, la

manière dont les principes généraux du droit international conditionnent la normativité des normes

internationales plus particulières – coutumières comme conventionnelles – dans la sphère interne, ou

encore les contentieux constitutionnels nationaux spéciaux en matière internationale. On le verra : les

aspects les plus généraux et ceux qui occasionnent des difficultés doctrinales se recouvrent souvent.

Les aspects de droit matériel sont également présents, par exemple à travers les immunités

internationales ou les successions d'États, mais ils ne structurent pas l'exposé du droit positif 194. Ils

montrent de manière plus manifeste que les aspects formels la pratique ainsi que l'actualité de la

question.

b. Un domaine de comparaison permettant de concevoir une grande partie des possibles quant à la façon

dont les États concrétisent le droit international dans la sphère interne

L'objet de l'étude se circonscrit aux droits nationaux allemand, autrichiens et français d'un côté, et au

droit international non-conventionnel de l'autre. Ce domaine de comparaison permet de concevoir une

grande variété de structures possibles en ce qui concerne la façon dont les États concrétisent le droit

international dans leur sphère interne. Les différentes solutions nationales illustrent en effet dans une

large mesure l'ensemble des possibles. On trouve ainsi, par exemple, dans les différents systèmes

juridiques nationaux tous les modes d'applicabilité possibles du droit international 195, au moins à titre

historique : transformation ad hoc, c'est-à-dire transformation une par une des normes internationales en

194 On remarquera que certains ouvrages récents sont structurés à partir des aspects matériels, cf. par exemple : Simonetta Stirling-Zanda (2000), op. cit. note 135.195 La définition des différents «modes d'applicabilité» fera l'objet d'un développement ultérieur, cf. infra. : « Les modes d'applicabilité possibles ».

51

droit interne par un acte interne particulier, anciennement pratiquée sur le fondement 4 de la

Constitution de Weimar196 en raison de la lecture nationaliste qui en a été faite197 ; transformation ipso

iure, c'est-à-dire transformation du droit international en droit interne par le seul effet des dispositions

constitutionnelles de l'art. 9 B-VG et de l'art. 25 LF ; application immédiate du droit international, donc

en dehors d'un fondement constitutionnel de transformation (pour partie en droit français).

La grande variété des possibles concernant la façon dont les États concrétisent le droit international se

manifeste à travers chacune des dispositions constitutionnelles nationales en question, qui se prêtent

bien souvent à de multiples lectures (α), et à travers le contexte juridique général de chaque système

juridique interne qui module de manière propre la concrétisation des règles générales du droit

international dans la sphère interne (β).

α. La recherche des multiples lectures possibles des énoncés des différentes constitutions nationales

Les énoncés des différentes dispositions constitutionnelles nationales se prêtent souvent à plusieurs

lectures, qui témoignent chacune d'une façon possible de concrétiser le droit international. Il appartient

au juriste d'« interpréter » ces différents énoncés qui expriment chacun une norme, c'est-à-dire de

formuler un ensemble d'énoncés dont l'objet est la signification d'un autre énoncé, et ce, quelque soit le

degré de satisfaction auquel il est en l'occurrence possible de parvenir. On ne cherchera donc pas à

établir une solution unique pour toute question possible198, mais à dégager le cas échéant plusieurs

significations déterminées pour un texte à signification indéterminée. Cette démarche nous conduira à

exposer l'ensemble des significations pertinentes, donc à restituer la signification de l'énoncé exprimant

la norme au moment de son entrée en vigueur, indépendamment des concrétisations ultérieures de la

norme en question produites par les organes d'application du droit, qui ne font en réalité que

196 Art. 4 WRV : « Les règles généralement reconnues du droit international sont valides comme composante obligatoire du droit du Reich allemand ».197 Selon la doctrine allemande alors dominante, la notion de « règles généralement reconnues » contenue dans l'article 4 WRV implique que la norme internationale en question doit, préalablement à sa transformation en droit interne, être expressément reconnue par un organe du Reich, en particulier le législateur. Pour un aperçu historique, cf. Peter C. Caldwell, « Sovereignty, Constitutionalism, and the Myth of the State: Article Four of the Weimar Constitution », in : Leonard V. Kaplan, Rudy Koshar, The Weimar Moment: Liberalism, Political Theology, and Law, Lexington Books, Lahnam, 2012, 554 p., 33 p. (format word).198 L'interprétation indique ainsi aux organes d'application du droit, chargés de la concrétisation, les multiples choix juridiquement admissibles ; il convient donc de distinguer « interprétation » et « concrétisation » (ou « application »). Le Professeur Otto Pfersmann dit que l’interprétation est « l’opération cognitive consistant dans l’analyse de la signification des actes de langage exprimant une norme ainsi que des manifestations d’une telle opération. L’interprétation d’une norme n’a strictement aucune valeur normative puisqu’il ne s’agit pas, par définition, d’une opération de production normative. Elle peut arriver au résultat qu’une norme est indéterminée lorsque sa formulation est susceptible de plusieurs significations. L’indétermination ne s’oppose pas à la normativité, elle détermine simplement une plus large habilitation, un plus large ensemble d’obligations, de permissions, d’interdictions. Par contraste, l’application-production d’une norme sera appelée "concrétisation" » ; cf. « De l’impossibilité de changement de sens de la constitution », in : Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet – L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, 966 p., pp. 353-374, spécialement pp. 356-357. Cf. aussi : Michael Thaler, Mehrdeutigkeit und juristische Auslegung, Springer, Vienne/New York, 1982, 187 p..

52

l'appliquer199.

En particulier, les dispositions constitutionnelles qui se trouvent au centre de la présente recherche

apparaissent plus ou moins marqués, en leur globalité ou en des aspects particuliers, par leur

indétermination. Ainsi, l'article 25 LF paraît de prime abord le plus déterminé en raison de sa deuxième

phrase qui spécifie la primauté sur les lois des règles générales du droit international et la création de

droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers par leur biais. Cependant, ces

spécifications débouchent sur d'autres questions, par exemple celle de savoir si toutes les règles

générales du droit international deviennent par là créatrices de droits et obligations, ou seulement celles

auxquelles le droit international lui-même attache un « effet direct ». Par contraste avec l'article 25 LF,

ainsi qu'avec l'article 9 B-VG, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 donne l'impression

d'une grande indétermination. Il se pourrait toutefois que cela ne tienne pas tant à la formulation en tant

que telle de l'alinéa 14, mais plutôt à son originalité ; à l'opposé des dispositions constitutionnelles

allemande et autrichienne, il ne s'agit pas en effet d'une importation de la maxime anglo-américaine

« international law is part of the law of the land »200, devenue le modèle prédominant dans les

constitutions européennes contemporaines, et donc le plus familier à la doctrine actuelle.

β. La recherche des incidences du contexte propre de chaque système juridique national

Aussi, les dispositions constitutionnelles nationales relatives à la normativité du droit international

général se situent chacune dans un contexte spécifique, celui du système juridique national. Et le

système juridique national contient des normes, tant spéciales que générales, qui contribuent à

déterminer les effets juridiques des règles générales du droit international dans sa sphère interne :

Il peut s'agir de normes spéciales, telles celles qui instituent des procédures contentieuses

spéciales en matière internationale. L'article 100 al. 2 LF201, qui organise une procédure d'identification

des règles générales du droit international par le juge constitutionnel allemand, et l'article 145 B-VG 202,

qui annonce une procédure devant la Cour constitutionnelle autrichienne en vue de réprimer les

manquements au droit international203, en offrent une illustration.

199 Otto Pfersmann, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître - L’interprétation de la Constitution », in : Fernand Mélin-Soucramanien (éd.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, Paris, 2005, 248 p., pp. 33-60.200 Le principe « international law is part of the law of the land » prévoit la transformation ipso iure du droit international en droit interne dans les systèmes juridiques internes des États dits de Common Law. Ce principe est anciennement présent en droit anglais, et William Blackstone constate déjà sa positivité en 1769 ; cf. Commentaries on the Law of England, 4 tomes, Oxford 1769, tome 1, p. 67 et svtes.201 Article 100 al. 2 LF : « Si, au cours d’un litige, il y a doute sur le point de savoir si une règle du droit international public fait partie intégrante du droit fédéral et si elle crée directement des droits et obligations pour les individus (article 25), le tribunal doit soumettre la question à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale. »202 Art. 145 B-VG : « la Cour constitutionnelle connaît des violations du droit international public, conformément aux dispositions d'une loi fédérale spéciale ». L'article 145 B-VG n'a jamais été concrétisée par la loi spéciale expressément prévue 203 Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl rapportent que le constituant poursuit alors l'objectif d'instituer une procédure interne afin d'incriminer les auteurs de violation du droit international pénal ; cf. Die Bundesverfassung vom

53

Il peut aussi s'agir de normes générales, et tout particulièrement de principes structurants

propres à chaque système juridique international qui trouveront à s'appliquer aux règles générales du

droit international. Il en va par exemple ainsi du principe de légalité au sens strict 204, qui marque le droit

autrichien (art. 18 al. 1 et 2 B-VG205), et qui limiterait peut-être l'habilitation dont disposent les organes

autrichiens pour appliquer toute norme externe, y compris les coutumes internationales, initialement

produites dans la sphère internationale à l'issue d'un processus qui échappe à la réglementation

constitutionnelle206. Un autre exemple nous est fourni par les principes qui structurent chaque

contentieux juridictionnel national, parmi lesquels figurent ceux qui autorisent ou non les juridictions

internes à contrôler la conformité des normes internes par rapport au droit international général ; ces

principes participent aussi à la détermination des effets juridiques internes des règles générales du droit

international.

§ 4. Thèse proposée

A. Problématique

Les constitutions nationales semblent faire, de manière générale et indéterminée, du respect du droit

international une obligation interne. Et la technique la plus habituelle pour assurer cette obligation

constitutionnelle est la transformation des normes internationales en droit interne.

Pourtant, le droit international n’oblige généralement pas les États à transformer les normes de droit

1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement p. 280.204 On distinguera le « principe de légalité au sens strict » de l'actuelle conception du « principe de légalité » retenu par la doctrine française. Louis Favoreu dit que, dans la doctrine publiciste française, « le principe de légalité devient progressivement un "fourre-tout" dans lequel on va faire entrer non seulement les lois et les décrets-lois mais aussi les règlements et bientôt, notamment après la seconde guerre mondiale, les principes généraux du droit ainsi que la jurisprudence ; la Constitution va également être mentionnée [...] ; de même que les normes internationales. » ; cf.« Légalité et constitutionnalité », CCC, n°3, 1997, pp. 73-81. En droit autrichien, le principe de légalité est strict au sens où l'ensemble de l'administration, ainsi que la justice judiciaire, sont en principe tenus de se baser exclusivement sur les « lois », c'est-à-dire la forme normative « loi » ; cf. Robert Walter, Heinz Mayer, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, Bundesverfassungsrecht, 10ème édition, Manz, Vienne, 2007, 850 p. ; Heinz Schäffer, Verfassungsinterpretation in Österreich : eine kritische Bestandsaufnahme, Springer, Vienne/New York, 1971, 228 p.. Les règles généralement reconnues du droit international visées par l'article 9 B-VG ne semblent pas ainsi être une composante du « bloc de légalité » autrichien, de sorte que leur applicabilité par les organes internes soumis au principe de légalité s'avère problématique. Ceci contraste aussi avec le droit allemand qui prévoit un principe de légalité plus large (art. 20 al. 3 LF) : « Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit » (mes italiques).205 Art. 18 al. 1 et 2 B-VG : « (al. 1) Toute mesure de l'administration publique doit se fonder sur la loi ; (al. 2) Dans le cadre de son domaine d'action, toute autorité administrative peut prendre des règlements en se fondant sur les lois. ». 206 Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42.

54

international en droit interne, mais il exige que les situations factuelles – notamment le comportement

de l'État – soient globalement, selon une évaluation qui lui est propre, conformes à la réglementation

internationale.

En cela, l'obligation de la transformation est une question de droit interne et non de droit international.

Les États transforment généralement les normes de droit international en droit interne, leur conférant

ainsi une validité interne. Cette transformation ne garantit cependant pas un comportement de l'État

conforme au droit international. En effet, la normativité interne des règles générales du droit

international transformées est conditionnée par les normes du système juridique interne en question, en

particulier par la disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation en droit interne, mais aussi

par d'autres réglementations internes qui limitent leur effet dérogatoire, comme par exemple la

compétence d'attribution du juge interne qui lui interdit d'opérer un contrôle de conformité du droit

interne par rapport à des normes qui ne sont pas expressément comprises parmi ses normes de

référence. De plus, la seule transformation des normes internationales dans la sphère du droit interne

n'entraîne pas nécessairement la satisfaction à l'obligation internationale de situations factuelles

globalement conformes au droit international, ne serait-ce que parce que les conséquences des normes

sur les situations factuelles sont difficilement prévisibles207.

La transformation des normes internationales en droit interne est insuffisante pour garantir l'obligation

de respecter le droit international par l'État, qui existe non seulement en droit international, mais aussi

de manière plus ou moins déterminée en droit constitutionnel interne. Les organes internes d'application

du droit ont en effet diverses obligations qui peuvent sembler contradictoires : obligation d'appliquer les

normes internationales transformées en droit interne, obligation plus large de garantir le respect du droit

international, obligation de ne pas outrepasser leur habilitation de droit interne par une application

prioritaire du droit international par rapport au droit interne.

207 Cf. l’opinion de Hans Kelsen à propos de la relation entre le droit et la prédiction : « T.H. Huxley jugeait les propositions de droit semblables aux lois naturelles : "La loi des hommes nous indique la réaction prévisible des objets naturels dans certaines circonstances. Chacune contient une information destinée à notre intelligence" [T.H. Huxley, Introductory, Science Primers, 1882, p. 12 et svtes.] On est en droit de se demander si les lois naturelles contiennent réellement une prophétie des évènements présents à l’aide d’évènements passés. Semblables prophéties ne sont possibles qu’en vertu de la supposition, dénuée de tout fondement scientifique, selon laquelle le passé se répète dans l’avenir. A l’aide d’une loi naturelle nous formulons une assertion sur notre expérience ; or, notre expérience réside non dans l’avenir mais dans le passé. Toutefois, cela est hors de propos. De fait, nous nous servons des lois naturelles , que nous pensons avoir découvertes, de façon à tenter de prévoir l’avenir, en présumant qu’à l’avenir les choses réagiront exactement comme elles ont réagi par le passé. Lorsque Huxley définit la "loi des hommes" comme une assertion sur ce qu’une société fera à l’avenir, il est impossible qu’il se réfère aux lois créées par les autorités juridiques. Celles-ci ne contiennent pas d’information destinées à notre intelligence mais des impératifs destinés à notre volonté. Certes, les propositions dont se sert la science normative du droit pour décrire le droit contiennent une information destinée à notre intelligence. Mais loin de nous indiquer ce que les membres de la société feraient, ils nous indiquent ce qu’ils devraient faire – en vertu des normes juridique. » ; cf. Théorie générale de l’État et du droit, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, 518 p., p. 218.

55

B. Enoncé de la thèse

Les dispositions constitutionnelles prévoyant de manière générale la transformation des règles générales

du droit international en droit interne ne sont qu'une manière, une technique, pour l'État de concrétiser

le droit international. Elles ne sont habituellement pas exclusives d'une application immédiate du droit

international par les organes internes, dans les limites de leurs compétences fixées par le droit interne.

Les dispositions constitutionnelles spécifiques ne sont néanmoins pas superflues : elles consistent, d'un

côté, en une habilitation générale au bénéfice des organes internes, ainsi, qu'éventuellement, aux

simples particuliers, d'appliquer le droit international ; de l'autre côté, elles ouvrent la possibilité pour le

droit international de prévaloir sur les réglementations internes avec lesquelles il entre en collision, en

lui attribuant une certaine force dérogatoire interne.

Les différences entre les systèmes juridiques internes relativement à la concrétisation du droit

international montrent que celle-ci dépend du cadre constitutionnel propre à chaque État. Cela est fondé

en droit international par le principe de « souveraineté » des États. L'autonomie normative des États n'en

est pas moins limitée dans certains cas, par exception, par le droit international lui-même, surtout

lorsqu'il est d'applicabilité directe. Le système juridique international demeure néanmoins un système

juridique fortement décentralisé208, si on le compare au système juridique de l'Union européenne209 ou

au système juridique d'un État fédéral210 qui sont davantage centralisés, ce qui explique les larges

différences dans sa concrétisation par les États qui constituent ses principaux organes.

C. Présentation du plan

Les dispositions constitutionnelles relatives au droit international général, ici l'article 9 B-VG, l'article

25 LF et l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, attribuent une compétence aux organes

208 Le degré de décentralisation est relatif à la latitude qu'attribue un système juridique à ses sous-systèmes juridiques (cf. supra note 99). Plus un système juridique est décentralisé, plus ses sous-systèmes disposent d'une compétence discrétionnaire (Ermächtigung, « latitude ») pour déterminer leur contenu juridique. Cf. inter alia, à propos de la décentralisation du droit international : Josef L. Kunz, « The Distinctiveness of the International Legal System : Comparison and Contrast », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., spécialement pp. 13-46 (l'auteur dit, à propos du droit international : « It is decentralized dynamically by its lack of special organs for the making, application and execution of norms », p. 20).209 Le droit de l'Union européenne est un droit international particulier fort au sens où il conditionne davantage le contenu des sous-systèmes juridiques (les États membres) que le droit international dit classique. Le droit de l'Union européenne se caractérise surtout par la primauté, censée valoir au sein même des systèmes juridiques des États membres, et par l'applicabilité directe. Cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 170.210 Au sein d’un État fédéral, il existe une répartition des compétences entre Fédération et États fédérés. La norme de répartition des compétences entre Fédération et États fédérés est une norme constitutionnelle de l’État fédéral. Contrairement à la relation entre droit international et droit interne, la validité de la constitution d’un État fédéré – qui est un sous-système de l'État fédéral – est généralement conditionnée par sa conformité à la norme fédérale de répartition de compétence. Par ailleurs, les systèmes juridiques d'État fédéral établissent le plus souvent plusieurs mécanismes de destruction des normes internes aux États fédérés non-conformes au droit fédéral. Par contraste, on ne trouve pas de procédure de destruction des normes internes à l'État dans le droit international actuel.

56

internes pour appliquer les règles générales du droit international (Première partie). Une telle

compétence n'implique pas à elle seule la primauté. Les effets juridiques des règles générales du droit

international seraient considérablement réduits dans la sphère interne si elles ne pouvaient prévaloir sur

les normes internes avec lesquelles elles entrent en collision (Deuxième partie).

Première partie : Les règles générales du droit international sont valides en droit interne, c'est-à-dire

qu'elles sont à la fois conditionnées et conditionnantes, en ce sens que leur validité est déterminée par

une disposition constitutionnelle spécifique (titre 1) et qu'elles sont amenées à être concrétisées par des

normes plus particulières (titre 2).

Titre 1 : Dans les systèmes juridiques nationaux positifs, la validité interne des règles générales du droit

international est déterminée par une disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation ipso

iure en droit interne (chapitre 1). Néanmoins, ces règles demeurent applicables par les organes internes

immédiatement, c'est-à-dire indépendamment de leur transformation en droit interne, dans la mesure de

la compétence de l'organe interne en question telle que délimitée par la constitution (chapitre 2).

Titre 2 : Il convient de distinguer deux modalités de la concrétisation des règles générales du droit

international par les organes internes : leur concrétisation en tant que normes qui composent le droit

interne en vigueur et leur implémentation. Une fois devenues composantes du droit interne par effet de

la disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation, il appartient aux organes internes de

concrétiser les règles générales du droit international, de même qu'il leur appartient de concrétiser toute

autre norme interne pourvue d'un certain degré de généralité (chapitre 1). L'implémentation constitue le

mode traditionnel de concrétisation du droit international dans les États européens continentaux : les

organes internes sont en principe libres de concrétiser le droit international lui-même, dans le cadre de

leurs compétences constitutionnellement déterminées (chapitre 2).

Partie 2 : Les dispositions constitutionnelles prévoyant la transformation du droit international en droit

interne attribuent, de manière plus ou moins déterminée, une certaine « valeur » aux règles générales du

droit international devenues composantes du droit interne (titre 1). Un autre élément intervient dans la

détermination de leur effet dérogatoire : l'obligation pesant sur l'État et ses organes de respecter ses

obligations internationales (titre 2) .

Titre 1 : Les règles générales du droit international prévalent ou non sur les autres normes internes : cela

dépend du contenu de la disposition constitutionnelle nationale prévoyant leur transformation en droit

interne, mais aussi de l'étendue de la compétence des organes internes pour assurer cette prévalence

(chapitre 1). Dans la sphère du droit interne, les règles générales du droit international se trouvent aussi

dans une relation propre avec le reste du droit international transformé en droit interne : d'un côté, la

constitution nationale dissocie souvent, par des réglementations spécifiques, dont celle relative aux

57

traités internationaux, la normativité interne des différentes normes internationales d'une manière qui ne

correspond pas au droit international ; de l'autre côté, la pratique des organes internes tend à faire

converger la relation entre normes internationales au plus proche possible de ce qui est prévu par le

droit international lui-même (chapitre 2).

Titre 2 : Plus une violation du droit international par l'État apparaît possible et grave, plus les organes

internes ont tendance à écarter l'application des normes internes qui pourrait aboutir à une telle

violation (chapitre 1). L'application téléologique du droit international par les organes internes, c'est-à-

dire afin d'éviter une violation du droit international par l'État, s'opère suivant différentes modalités,

parmi lesquelles on trouve l'«interprétation conforme au droit international» (chapitre 2).

58

Partie 1

Le problème de la transformation des règles générales du droit international

La normativité des règles générales du droit international dans le cadre du droit interne est à la fois

conditionnée, en ce qu'elle dépend de certaines dispositions constitutionnelles (titre 1), et conditionnante

car elles sont amenées à être concrétisées par des normes internes plus particulières (titre 2). En d'autres

termes, la validité interne des règles générales du droit international est déterminée par une norme de

degré supérieur et elles déterminent d'une certaine manière la validité de normes de rang inférieur. On

analysera donc dans cette partie ce que l'on appelle la double face1 de ces normes, au sens où elles sont

autant des objets produits que des objets réglant la production d'autres objets2.

1 Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz. Eine Betrachtung aus der Erkenntnistheorie des Rechts », JBl, n° 47, 1918, pp. 425-427, 444-447, 463-465, reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1091-1113.2 L'ensemble des normes qui composent un système juridique peuvent s'analyser ainsi, sauf celles qui se situent à ses deux extrêmes, c'est-à-dire d'un côté la norme fondamentale dont la validité n'est pas fondée sur une autre norme appartenant à ce système, et de l'autre côté les normes les plus particulières, par exemple les décisions exécutoires. Cf. Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., pp. 483-528, spécialement pp. 489-496.

59

60

Titre 1

La relation entre la validité internationale et la validité interne

(selon l'ordre de production)

Quelles que soient les orientations théoriques, la doctrine soutient unanimement que la validité d'une

norme internationale dans la sphère internationale conditionne son éventuelle validité dans la sphère

interne. L'argument est trivial : une norme issue du droit international ne saurait être valide en droit

interne que si elle appartient effectivement préalablement au droit international ; et le calcul des défauts

de ces normes en droit interne dépendra donc du calcul des défauts les concernant en droit international.

L'unanimité de la doctrine cède dès lors qu'il s'agit d'expliquer comment la norme internationale devient

valide dans la sphère interne. Cette question donne lieu à une multitude de réponses, parmi lesquelles on

trouve aux extrêmes : la norme internationale devient nécessairement valide en droit interne par un acte

interne, puisque droit international et droit interne évoluent fondamentalement de manière séparée ; la

validité interne de la norme internationale résulte de sa seule validité internationale, sans même

qu'aucun acte interne ne soit requis, étant donné que le droit international prime sur le droit interne.

Tandis que la première assertion s'avère problématique car elle ne permet pas de concevoir qu'il puisse

en être autrement, la seconde ne rend assurément pas compte du droit positif en vigueur.

La question du « comment » se décompose en réalité en deux strates, l'une relative à la relation entre le

système juridique international et le système juridique interne, la seconde relative à la procédure de

transformation de la norme internationale en droit interne, c'est-à-dire à son fondement de validité en

tant que norme interne. On le voit : la question du dualisme/monisme ne peut être envisagée qu'à partir

des instruments livrés par la théorie de la hiérarchie des normes.

Les différentes acceptions des termes «monisme» et «dualisme» que l'on trouve dans la doctrine

manifestent la présence d'une confusion entre théorie et technique (a). Une fois les différentes

ambiguïtés évacuées, une typologie des modes d'applicabilité internes du droit international devient

réalisable (b).

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a. Les différentes acceptions des termes «monisme» et «dualisme» comme manifestant une

confusion entre théorie et technique

α. L'utilisation des termes «monisme» et «dualisme» par la doctrine

Le courant doctrinal majoritaire affirme que l’état actuel du droit positif ne peut se décrire qu’en termes

de dualisme. L'analyse développée par le Professeur Denis Alland paraît représentative de ce courant :

« Les termes "monisme" et "dualisme" correspondent à des choix constitutionnels de la part des

États, et les conditions d’applicabilité du droit international dans l’ordre national sont régies par des

règles elles-mêmes internes, car il n’a jamais été établi de façon convaincante que l’organisation de

l’État dérive du droit international. Ainsi, lorsqu’une Constitution prévoit quelle est l’autorité juridique

des traités en droit interne, même si elle y met peu ou pas de confusion, comme en France l’article 55,

elle opère une sorte de réception par avance et généralisée, ce qui permet de regarder le monisme

comme une "modalité du dualisme". [...]. Dans cette perspective, il est tentant d’envisager la pratique

constitutionnelle des États sur un dualisme généralisé, plein de nuances, comme une échelle

d’internationalité croissante jusqu’au monisme avec primauté de droit international. L’opposition des

mots peut être trompeuse et l’explication dualiste rend, selon nous, mieux compte de la pratique »1.

L'argumentation exposée par le Professeur Denis Alland se conçoit comme pragmatique, au sens où c'est

l’étude du droit positif, et non pas autre chose, qui montre la pertinence du dualisme. Elle nous paraît

néanmoins doublement discutable, pour une raison tenant à l'état du droit positif lui-même, mais aussi

pour une autre raison d'ordre conceptuel, qui tend à fragiliser la cohérence de l'ensemble de l'analyse.

Remarquons d'abord la présence de «pratiques monistes», non évoquées par le Professeur Denis Alland,

et tout particulièrement visibles lorsqu'il s'agit du droit international non écrit («application immédiate»

du droit international). On le verra, l’application du droit international par l'État et ses organes ne

dépend pas nécessairement d'une norme interne qui dispose spécifiquement, d'une manière ou d'une

autre, de la transformation des normes internationales en droit interne. Ensuite, et peut-être surtout,

l’acception du terme «monisme» s'avère fluctuante dans l'extrait qui vient d'être cité, à l'image de ce qui

est bien souvent écrit par la doctrine. Tantôt, le «monisme» consiste en ce que l’organisation de l’État

« dérive du droit international » (acception théorique) ; tantôt, il se définit comme une technique de

transformation des normes internationales en droit interne, une « sorte de réception par avance et en

bloc » (acception technique). Le même mot «monisme» exprime deux concepts qui sont entièrement

différents.

1 Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP 1998, pp. 203-244, p. 207.

62

β. La diffusion de la confusion entre théorie et technique

Présente dans la doctrine française2, la confusion entre la théorie générale de la relation entre droit

international et droit interne et la technique de transformation des normes internationales en droit interne

a connu une large expansion3. On la retrouve dans la doctrine anglo-américaine4, dont elle semble être

originaire5, et dans la doctrine des pays de langue allemande6 7, dont elle est en réalité issue8. La

conception de la relation entre droit international et droit interne découlant de cette confusion entre

2 Cette confusion terminologique entre théorie et technique (qui affecte le raisonnement juridique) existe aussi, pour exemples dans la multitude, dans : André Gervais, « Constatations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », AFDI, 1965, pp. 13-39 ; Serge Sur, « Progrès et limites de la réception du droit international en droit français », in : Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani (éds), droit international et droits internes, développements récents, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis (Colloque des 16-17-18 avril 1998), A. Pedone, Paris, 1998, 318 p., pp. 227-243 ; Pierre-Marie Dupuy, « L’Unité d’Application du Droit International à l’Echelle Globale et Responsabilité des Juges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, p. 21 et svtes ; la thèse du Professeur Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p., spécialement pp. 343-390. Cette confusion apparaît même souvent dans les intitulés, par exemple : Jean Dhommeaux, « Monismes et dualismes en droit international des droits de l'homme », AFDI, 1995, pp. 447-468 ; Denys Simon, « L'arrêt Sarran : dualisme incompressible ou monisme inversé ? », Europe, 1999, p. 4 et svtes ; Alain Pellet, « Vous avez dit « monisme » ? Quelques banalités de bon sens sur l'impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la française », in : Denys de Béchillon, Pierre Brunet, Véronique Champeil-Desplats, Eric Millard (éds), L'architecture du droit – Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, 1028 p., pp. 827-857 ; Emmanuel Decaux, « Déclarations et conventions en droit international », CCC, n°21 (Dossier : la normativité), janvier 2007, 8 p.3 En dehors de la doctrine française, allemande ou du monde anglo-américain, cf. inter alia : Nicolas Valticos, « Monisme et dualisme, les rapports des traités et de la loi en Grèce », Revue hellénique de droit international, 1958, p. 203 et svtes ; Giuseppe Sperduti, « Dualism and Monism : a Confrontation to be Overcome », Italian Yearbook of International Law, 1977, pp. 31-49 ; Richard Frimpong Oppong, « Re-Imagining International Law : An Examination of Recent Trends in the Reception of International Law Into National Legal Systems In Africa », Fordham International Law Journal, vol. 30, 2007, pp. 296-345. Dans les publications d'auteurs suisses : Luzius Wildhaber, Stephan Breitenmoser, « The Relationship Between Customary International Law and Municipal Law in Western European Countries », ZaöRV, vol. 48, 1988, pp. 163-207 ; Christian Dominicé, François Voeffray, « L'application du droit international général dans l'ordre juridique interne », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 51-62.4 La même confusion se trouve entre autres dans : Joseph G. Starke, « Monism and Dualism in the Theory of International Law », BYIL, 1936, pp. 66-81 ; Gerald Fitzmaurice, « The General Principles of International Law Considered from the Standpoint of the Rule of Law », RCADI, vol. 92, 1957, pp. 1-227, spécialement pp. 68-74 ; Thomas M. Franck, Arun K. Thiruvengadam, « International Law and Constitution-Making », Chinese Journal of International Law, vol. 2, 2003, pp. 467-518, spécialement p. 470 ; Louis Henkin, Richard Crawford Pugh, Oscar Schachter, Hans Smit, International Law : Cases and Materials, 2ème éd., West Publishing Co, St Paul, 1987, 1517 p., pp. 140-148 ; John G. Collier, « Is International Law really Part of the Law of England ? », ICLQ, vol. 38, 1989, pp. 924-934 ; Jonathan Turley, « Dualist Values in the Age of International Legisprudence », Hastings Law Journal, vol. 44, 1993, p. 185 et svtes ; Rosalyn Higgins, Problems and Process : International Law and How We Use It, Clarendon, Oxford, 1994, 274 p.., p. 210 et svtes ; Curtis A. Bradley, « Breard, Our Dualist Constitution, and the Internationalist Conception », Stanford Law Review, vol. 51, 1999, pp. 529-566 ; Stéphane Beaulac, « Customary International Law in Domestic Courts : Imbroglio, Lord Denning, Stare Decisis », in : Chistopher P.M. Waters (éd.), British and Canadian Perspectives on International Law, Martinus Nijhoff, Leiden & Boston, 2006, 407 p., pp. 379-392 ; Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », University of Illinois College of Law, Law and Economics Working Papers, n°55, 2006, 65 p., disponible sur http://law.bepress.com/uiuclwps/papers/art55 ; Mattias Kumm, « Constitutional Democracy Encounters International Law : Terms of Engagement », New York University Public Law and Legal Theory Working Papers, n°47, 2006, 57 p.Dans la doctrine israélite, rattachable à la tradition de Common law : Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183, spécialement p. 164 et p. 176 ; Yuval Shany, Regulating Jurisdictional Relations Between National and International Courts, Oxford University Press, Oxford, 2007, 216 p.Dans la doctrine canadienne, cf. inter alia : Stephane Beaulac, « Westphalia, Dualism and Contextual Interpretation:

63

théorie et technique peut même être considérée, au vu des publications les plus récentes9, comme

mondialement dominante. Le Professeur Daniel H. Joyner, auteur issu d'une tradition de Common law,

en résume ainsi la substance :

« As applied in world legal systems these doctrines [monism and dualism10] have been variously

accepted and modified by nations and used as a basis for the integration of international law rules into

their respective domestic legal system. As is readily apparent, determining which conception and what

variation thereof should be accepted by a particular nation is vital to understanding how that nation

How to Better Engage International Law in Domestic Courts », EUI Working Paper, MWP 2007/03, disponible sur : https://papyrus.bib.umontreal.ca/jspui/bitstream/1866/3083/1/MWP_2007_03.pdfDans la doctrine « anglo-pacifique », cf. inter alia : David Feldman, « Monism, Dualism and Constitutional Legitimacy », Australian Year Book of International Law, vol. 20, 1999, pp. 105-126.5 Un exposé assumé de cette «théorie» apparaît déjà dans : Joseph G. Starke, « Monism and Dualism in the Theory of International Law », BYIL, 1936, pp. 66-81 ; Felice Morgenstern, « Judicial Practice and the Supremacy of International Law », BYIL, vol. 27, 1950, pp. 42-92, spécialement p. 91. Dans leur démarche, les auteurs caractérisent chaque État comme « moniste » ou « dualiste ».6 Dans la doctrine contemporaine, cf. : Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p., notamment p. 139 ; Albert Bleckmann, « Die Position des Völkerrechts im inneren Rechtsraum der Europäischen Gemeinschaften. Monismus oder Dualismus der Rechtsordnungen? », Jahrbuch für Internationales Recht, 1975, pp. 300-319 ; Michael Bothe, Raúl E. Vinuesa (éds), International Law and Municipal Law German-Argentinian Constitutional Law Colloquium, Buenos Aires avril 1979, Duncker & Humblot, Berlin 1982, 325 p. ; Karin Oellers-Frahm, « Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht in der italienischen Verfassung », ZaöRV, vol. 34, 1974, pp. 330-350, particulièrement le résumé en langue anglaise réalisé par l'auteur ; Moritz von Unger, Menschenrechte als transnationales Privatrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 2008, 273 p., spécialement p. 155 et svtes ; Niels Petersen, The Reception of International Law by Constitutional Courts through the Prism of Legitimacy, Max Planck Institute for Research on Collective Goods, Bonn, 2009, 52 p. ; Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502, spécialement pp. 470-471. Avec une approche critique : Dana Burchardt, « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p. (format PDF) disponible sur : http://www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/15/275.pdf.7 Par exception, une telle confusion n'existe habituellement pas dans la doctrine autrichienne, traditionnellement plus avertie en ce qui concerne les questions théoriques. Certains auteurs actuels rappellent encore que l'opposition entre monisme et dualisme n'est qu'un « problème apparent », car il s'agit uniquement d'une opposition théorique sans incidence sur le contenu du droit positif. Cf. Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193, spécialement p. 165.On trouve cependant quelques traces de la confusion théorie/technique dans la doctrine autrichienne contemporaine, cf. inter alia : Theo Öhlinger, « Unity of the Legal System or Legal Pluralism: The Stufenbau Doctrine in Present-Day Europe », in : Antero Jyränki (éd.), National Constitutions in the Era of Integration, Kluwer, La Haye, 1999, 204 p., pp. 163 – 174 ; Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98, spécialement p. 73. Cf. aussi la tendance de la revue électronique Vienna Online Journal on International Constitutional Law, par exemple : Konrad Lachmayer, « The International Constitutional Approach: An Introduction to a New Perspective on Constitutional Challenges in a Globalising World », Vienna Journal on International Constitutional Law, vol. 1, 2007, pp. 91-99, spécialement p. 92 ; de manière assumée : Anne Peters, « Supremacy Lost : International Law Meets Domestic Constitutional Law », idem, vol. 3, 2009, pp. 170-198 (l'auteur est de formation allemande).8 Sur le fond, la confusion théorie./technique est en grande partie imputable à quelques auteurs de langue allemande postérieurement à la Première guerre mondiale, parmi lesquels on trouve Josef L. Kunz (« Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, spécialement pp. 320-321) et Gustav Adolf Walz (« Die Bedeutung des Art. 4 der Weimarer Reichsverfassung für das nationale Rechtssystem », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 13, 1924 p. 165 et svtes). Dès 1928, Rudolf Aladár Metall la remarque, et en livre une critique radicale ; cf. « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, spécialement pp. 185-187.Certains auteurs partisans du monisme ne sont pas étrangers à cette confusion, cf. : Alfred Verdross, « Reichsrecht und

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should receive international law principles into its legal order11 ».

Dans ce passage, la confusion entre théorie et technique prend d'autant plus d'ampleur que la doctrine

devient un objet normatif qui peut être adopté ou non par les différents États, et non plus une étude des

données des systèmes juridiques positifs (confusion entre ce qui est normatif et ce qui est cognitif).

γ. Les prémisses de la confusion entre théorie et technique

On pourra observer que, très souvent, les auteurs réalisant cette confusion entre théorie et technique

constatent aux termes de leur analyse que les concepts de «monisme» et «dualisme» qu'ils utilisent

apparaissent peu pertinents dès lors qu'il s'agit de décrire l'état du droit 12. Les Professeurs Luzius

Wildhaber et Stephan Breitenmoser relatent ainsi que : « In common law countries, the discussion about

monism and dualism is not regarded as decisive. The problem is discussed in a more pragmatic (and we

would add felicitous) way ». Ce constat ne les empêche pas de poursuivre la piste dont ils viennent

pourtant d'entrevoir les limites, puisqu'ils ajoutent immédiatement à la suite : « In any case, to answer

the question whether a country follows the monistic or dualistic conception in one or another

internationales Recht – Eine Lanze für Art. 3 des Regierungsentwurfes der deutschen Verfassung », Deutsche Juristenzeitung, vol. 24, 1919, p. 291 et svtes (l'auteur soutient que le futur article 4 WRV provoque une nouvelle unification du droit international et du droit interne, perdue auparavant, à la fin du XIXe siècle) ; Alfred Verdross, Völkerrechtswidrige Kriegshandlung und Strafanspruch der Staaten, H. R. Engelmann, Berlin, 1920, 115 p., spécialement p. 38/29 (l'auteur dit que les théories moniste et dualiste peuvent aussi avoir des implications pratiques). A la suite d'Alfred Verdross : Max Wenzel, Juristische Grundprobleme. 1. Der Begriff des Gesetzes – Zugleich eine Untersuchung zum Begriff des Staats und Problem des Völkerrechts, Dümmler, Berlin 1920, 521 p., p. 468 et svtes ; Wilhelm Schmöe, Art. 4 der Reichsverfassung und die anglo-amerikanische Rechtspräromie : « International is a part of common law » in Theorie and Praxis, thèse Göttingen, Baruth-Mark, Berlin 1927, 50 p., spécialement pp. 33-36. Pour une critique de leur conception de la relation entre droit international et droit interne, cf. Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769, spécialement pp.742-745.9 Cf. inter alia, l'ensemble des ouvrages collectifs aux origines variées : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p. ; Hilary Charlesworth, Madelaine Chiam, Devika Hovell, George Williams (éds), The Fluid State: International law and National Legal Systems, The Federation Press, Sydney, Australia, 2005, 287 p.Cf. aussi, certains ouvrages de références, inter alia : Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 5ème éd., Clarendon, Oxford, 1998, spécialement pp. 31-33 ; Antonio Cassese, International Law, 2ème éd., Oxford University Press, Oxford, 2005, 612 p., pp. 213-17. 10 Cf. les définitions du « monisme » et du « dualisme » par le Professeur Daniel H Joyner, supra. « introduction », note 103.11 Daniel H. Joyner, « A normative Model for the Integration of Customary International Law into United States », Duke Journal of Comparative & International Law, vol 11, 2001, pp. 133-156, p. 142.12 Hersch Lauterpacht dit en 1970, à propos de la controverse doctrinale entre monisme et dualisme : « It will be suggested that the doctrinal controversy [...] which has grown round the problem of the relation between international and municipal law, is to a large extent unreal and that, in fact, no practical consequences of importance follow from any of the solutions adopted – though in the course of the controversy doctrines have been propounded, in support of one or the other solution, which either did not, or no longer, correspond to existing law and which are essentially retrogressive. » ; cf. Elihu Lauterpacht (éd.), International Law, Being the Collected Papers of Hersch Lauterpacht, vol. 1 – The General Works, Cambridge University Press, Londres, 2009, 568 p., p. 153.D'autres auteurs font abstraction de cette distinction théorique ou propose une théorie alternative ou supposée telle. Cf. par exemple : Andrew D. Mitchell, « Genocide, Human Rights Implementation and the Relationship between International and Domestic Law : Nulyarimma v. Thompson », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 3, 2000, pp. 362-383.

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moderated way, it will be necessary to examine its actual constitutional position, its jurisprudence, as

well as its doctrine.13 »

Très souvent, c'est à l'issue de la démarche suivante que la doctrine aboutit à une confusion entre la

théorie de la relation entre droit international et droit interne et la technique de transformation du droit

international en droit interne :

Le point de départ est un exposé de la théorie dualiste. La théorie dualiste considère théoriquement le

droit international et le droit interne comme des systèmes juridiques indépendants l'un de l'autre dans

leur validité. Il s'ensuit que, nécessairement, le droit international ne peut être techniquement incorporé

au droit interne que si le droit interne lui-même prévoit cette incorporation14.

La doctrine dominante procède ensuite à une définition par la négative du monisme, soit par opposition

au dualisme. Il en résulte que des assertions sont attribuées aux auteurs monistes, lors même qu'elles ne

se trouveraient pas dans leurs écrits. Pour illustrer ce qui vient d'être dit, les Professeurs Luzius

Wildhaber et Stephan Breitenmoser affirment que :

« According to [the unity between international law and national law], international law is

automatically and directly adopted (by way of reception) in municipal law as international law […].

Kelsen, Kunz and Scelle, recognize[...] the inherent jurisdictional superiority of international law before

municipal courts. As a consequence, norms of municipal law violating international law are to be

considered as null and void15. »

Cette lecture de la théorie moniste ne rend pas compte de son contenu, du moins en ce qui concerne le

monisme de Hans Kelsen, auquel on prête même des propositions inverses de ce qu'il a en réalité dit16.

En effet, en partant de l'état du droit positif, Hans Kelsen constate que le droit international autorise les

États à transformer ou non les normes de droit international en droit interne, suivant les modalités

choisies par l'État lui-même et sans que le droit international prévale nécessairement sur le droit interne

dans le cadre du système juridique interne. Cela est clairement exposé dans cet extrait de Principles of

International Law :

« La question est : les organes de l'État peuvent-ils uniquement appliquer le droit international

lorsqu'il est transformé en droit interne ? La réponse à cette question dépend […] du contenu de l'ordre

juridique national. Ce dernier peut contenir une disposition qui entraîne l'applicabilité du droit 13 Luzius Wildhaber, Stephan Breitenmoser, op. cit. note 3, p. 173.14 Cf. par exemple, ibid. pp. 170-171. Cf. aussi Hersch Lauterpacht qui se dit partisan du «monisme», ce qui ne l'empêche pas de confondre théorie et technique, avec à l'appui un argument rattachable à la doctrine dualiste : les effets internes du droit international peuvent être « conceded by the State and [are] revocable at its instance […] so long as that voluntary submission lasts it has the effect of elevating to the authority of a legal rule the unity of international and municipal law », Elihu Lauterpacht (éd.), International Law : Collected Papers of Hersch Lauterpacht, vol. 2 – The Law of Peace-Part I, Cambridge University Press, Londres, 1975, 590 p., p. 548.15 Luzius Wildhaber, Stephan Breitenmoser, op. cit. note 3, pp. 171-172.16 Cf. aussi, par exemple, pour une lecture mal restituée de Hans Kelsen, l'article pourtant exclusivement théorique et pro-moniste du Professeur Daniel Thürer ; cf. « Völkerrecht und Landesrecht : Thesen zu einer theoretischen Problemumschreibung », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht, vol. 9, 1999, pp. 217-224, spécialement p. 218 (« Dem Völkerrecht widersprechendes Landesrecht ist nach radikaler Lesart der Lehre vom Völkerrechtsprimat nichtig (Hans Kelsen) »).

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international par les organes compétents de l'État, à l'instar des constitutions américaine, allemande et

française17. Une telle disposition ne doit pas être interprétée comme une reconnaissance du droit

international par l'État (ou une délégation du droit national au droit international), mais comme une

transformation, en l'occurrence une transformation générale du droit international en droit interne. Une

telle transformation est nécessaire […] lorsque les organes ne sont autorisés à appliquer que le droit

national par la constitution de l'État. […] Mais [contrairement à la doctrine de la reconnaissance] la

validité du droit international est indépendante de son applicabilité par les organes de l'État. Si les

organes de l'État ne l'appliquent pas parce qu'ils n'y sont pas autorisés par le droit national, l'État est

responsable, par rapport au droit international en vigueur, des violations de celui-ci.18 »

La technique de transformation des normes internationales en droit interne ne constitue qu'un des

aspects de la relation entre droit international et droit interne, et non le tout 19. Surtout, la technique de

transformation ne conditionne pas l'état de la relation entre le droit international et le droit interne. Il

s'ensuit que la généralité de la relation entre droit international et droit interne n'est pas déductible d'une

technique de transformation du droit international en droit interne adoptée par un État ou un autre. A

l'inverse, la relation générale entre droit international et droit interne conditionne la technique de

transformation des normes internationales en droit interne, ne serait-ce qu'en raison de la latitude que le

droit international attribue aux États d'opter pour une technique ou une autre, ou même de ne pas

transformer le droit international20.

Les termes de «monisme» et de «dualisme», bien qu'originellement théoriques, sont devenus

conventionnels pour désigner les différents modes d'applicabilité du droit international relevables dans

les différents États. La démarche ici adoptée ne poursuit pas l'objectif d'éliminer une terminologie

désormais usuelle, mais d'opérer proprement les distinctions. Il s'ensuit que, pour désigner le mode

d'applicabilité interne du droit international, on utilisera les termes de «monisme au sens théorique»,

«dualisme au sens théorique», «monisme au sens technique», «dualisme au sens technique». En cas

d'absence de précision, la signification théorique est visée.

17 Dans une note précédente, Hans Kelsen mentionne pour exemple l'article 25 LF. Par ailleurs, l'auteur ajoute que : « parfois seul le droit international conventionnel, c'est-à-dire le droit créé par les traités internationaux auxquels l'État concerné est partie contractante, est délégué par le droit de cet État. Tel est le cas, par exemple, de l'article VI de la Constitution des États-Unis […]. Cf. aussi les dispositions des articles 26 à 28 de la Constitution française [Constitution du 28 octobre 1946] ». On peut noter que Hans Kelsen ne relève pas dans ce passage l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946. 18 Hans Kelsen, Principles of International Law (PIL), 2ème éd., The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., p. 579.19 En ce sens, cf. déjà Rudolf A. Metall à propos de la polémique théorique en Allemagne relative à l'article 4 WRV : « Die völkerrechts-monistische Konstruktion bleibt auch ohne Art 4 [WRV] bestehen und gilt auch dort, wo diese Art. ähnliche Bestimmungen fehlen. », in : op. cit. note 8, spécialement pp. 186-187.20 Cela vaut aussi bien dans le cas où la relation entre droit international et droit interne est une relation entre systèmes juridiques évoluant de manière déconnectée (théorie dualiste), que dans le cas où le droit international et le droit interne participent à un même système juridique global (théorie moniste). Dans le premier cas, la liberté des États résulte de la relation par nature séparée entre droit international et droit interne ; dans le second cas, le droit international attribue aux États une compétence d'opter pour une technique de transformation ou une autre.

67

b. Typologie des modes d'applicabilité du droit international dans la sphère du droit interne

En dehors des considérations théoriques relatives à l'unité ou la pluralité de systèmes juridiques, la

présente recherche se veut avant tout une analyse des techniques d’application du droit international en

droit interne.

α. Précisions terminologiques

On commencera par préciser les concepts les plus généraux dont il est question, en l'occurrence

l'«applicabilité» et la «validité», ce afin de définir progressivement les concepts plus spécifiques, d'ordre

plus technique :

i. L'«applicabilité» et la «validité»

L’«applicabilité» signifie que les organes internes d’application du droit bénéficient d'une

habilitation pour appliquer les normes internationales, mais elle ne présuppose pas un mode spécifique

de transformation de celles-ci en droit interne. L'«application» se distingue de l'«applicabilité» en ce

qu'elle est déjà une concrétisation d'une norme simplement applicable. Dans le cas de l'«application»,

l'organe d'application du droit produit une norme nouvelle sur le fondement d'une norme «applicable».

Une précision reste à ajouter quant au concept d'«applicabilité» que l'on va utiliser : qu'une norme soit

«applicable» ne signifie pas ici qu'elle va s'appliquer dans tous les cas où elle sera pertinente. Car cela

dépend encore de la force dérogatoire qui lui est attribuée (cf. infra, partie 2 : « L'effet dérogatoire des

règles générales du droit international »).

La «validité» d’une norme est son appartenance à un système juridique donné. Qu’une norme ne

soit pas valide dans un système juridique, c’est-à-dire ne lui appartienne pas, ne signifie pas qu’elle ne

soit pas pour autant valide juridiquement dans un autre système juridique, qui peut d'ailleurs occuper la

situation de système juridique supérieur. Une norme non valide dans un certain système juridique pourra

avoir des effets juridiques sur celui-ci, mais uniquement dans la configuration où elle appartient à un

système juridique supérieur qui conditionne son existence et son contenu juridique (par exemple, les

normes appartenant au système juridique supérieur de l'État fédéral peuvent avoir certains effets

juridiques sur le système juridique d'un État fédéré). Donc, rien n'exclut d'éventuels effets d'une norme

internationale sur le système juridique interne, même lorsque la norme internationale en question n'est

pas une composante de ce dernier. Cela est une question de droit positif. Il en ira par exemple ainsi d'un

traité international modifiant le territoire d'un État, c'est-à-dire la sphère de compétence spatiale du

système juridique interne.

68

De manière générale, «applicabilité» et «validité» coïncident, les normes valides dans un système

juridique étant également les normes applicables par les organes de ce système21. Toutefois, on pourra

émettre une première réserve à cette affirmation, qui concerne l'intérieur du système juridique : les

normes sont souvent valides dans un système juridique, sans pour autant être applicables par tous les

organes de ce système. Il se peut par exemple que l'habilitation du juge constitutionnel se limite à

l'application des normes constitutionnelles, à l'exclusion des autres normes valides dans le système

juridique de l'État. Une seconde réserve concerne plus particulièrement l'objet de la présente recherche :

dans une situation de relation hiérarchisée entre systèmes juridiques, le système juridique supérieur peut

prévoir l'applicabilité des normes lui appartenant par les organes qui occupent la position de composante

du système juridique inférieur. Ainsi, le droit international pourra prévoir, mais il ne prévoira pas

nécessairement, l'applicabilité des normes internationales par les organes de l'État.

ii. La distinction entre «transformation» et «application immédiate»

Par «modes d'applicabilité», nous entendons les différentes manières par lesquelles les organes internes

bénéficient d'une compétence pour appliquer le droit international. Les modes d'applicabilité du droit

international par les organes internes comprennent les différentes «techniques de transformation» d'une

part, et l'«application immédiate» d'autre part :

La «transformation» est le processus par lequel une norme valide dans le système juridique

international devient valide dans le système juridique interne en tant que norme interne. Dit autrement,

la norme en question passe d'une forme internationale à une forme interne. Et ce, soit su r le fondement

d'une norme interne de contenu général, le plus souvent du type « international law is part of the law of

the land », soit sur le fondement d'une norme interne particulière, généralement législative ou

réglementaire. La «transformation» opérée par une norme interne, de contenu plus ou moins général,

fera l'objet du premier chapitre.

L'«application immédiate» consiste dans l'application du droit international par les organes

internes en dehors d'un fondement interne disposant spécifiquement de la transformation des normes

internationales en question en droit interne22. L'application du droit international par l'organe interne se

fonde sur le droit international lui-même. L'expression «application immédiate» est issue de la

21 La question de la relation entre «applicabilité» et «validité» fera l'objet d'une analyse détaillée ultérieurement ; cf. la digression théorique à la fin du chapitre « L'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation ("application immédiate") ».22 Il convient de distinguer «application immédiate» du droit international par les organes internes et «applicabilité directe» du droit international : L'«application immédiate» consiste dans l'application du droit international en tant que tel par les organes internes ; elle est autorisée par le droit international lui-même, qui prévoit pour condition qu'elle ne doit pas être interdite par le droit interne.L'«applicabilité immédiate» du droit international se définit comme l'obligation à charge des organes internes d'appliquer certaines normes internationales, et ce, même lorsqu'aucune norme interne intermédiaire ne fonde cette application. Il s'agit, avec l'«effet direct», d'une forme d'«applicabilité directe» du droit international (cf. infra : « l'"applicabilité directe" du droit international général »).

69

terminologie posée par Hans Kelsen, et se trouve présente dans ses écrits en langue française 23.

L'«application immédiate» sera analysée dans le second chapitre.

iii. Les différentes «techniques de transformation»

La «transposition» se définit comme la transformation ipso iure24 des normes internationales, opérée sur

le fondement d'une disposition constitutionnelle prévoyant de manière générale leur transformation. Elle

se distingue de la «transformation ad hoc» qui se définit quant à elle comme la transformation une par

une des normes internationales en droit interne au terme d'une procédure interne. La procédure de

transformation ad hoc prend le plus souvent la forme de la reprise de la norme internationale en

question dans un acte interne.

La transposition s’effectue par l'intermédiaire d’une disposition constitutionnelle de transposition, au

contenu souvent proche de « international law is part of the law of the land ». C’est par son biais que

toute norme internationale valide passe ipso iure dans le système juridique interne. La transformation ad

hoc exige quant à elle une procédure interne, norme par norme, qui se conclut par un acte de droit

interne qui confère une validité nouvelle, dans le système juridique interne, à la norme en question. On

peut relever deux types d’actes internes de transformation ad hoc :

La simple «reconnaissance» de la norme se définit comme un acte juridique produit par un

organe compétent qui constate la validité internationale d'une norme, ce qui entraîne son entrée en

vigueur dans le droit interne. La «reconnaissance» s'analyse comme une norme conditionnant la validité

interne de la norme internationale en question, mais sans modifier son contenu. Elle se distingue de

l'«identification» par laquelle on entend l'opération de connaissance d'une norme ; tandis que de la

procédure de «reconnaissance» résulte une norme, l'«identification» n'est autre chose qu'un processus

cognitif.

L’«acte de transformation ad hoc» est un acte susceptible de modifier le contenu de la norme

internationale en question. Il en sera ainsi d'une loi interne transformant un traité international en

reproduisant son contenu, mais en y ajoutant des «réserves d'interprétation».

Avant d'approfondir l'analyse relative aux différents modes d'applicabilité possibles, remarquons qu'elle

concerne tant le droit international non conventionnel que le droit international conventionnel. La

23 Hans Kelsen dit que : « la nécessité de la transformation ne résulte […] ni de la nature du droit international ni de celle du droit interne, mais uniquement des dispositions positives du droit interne. A défaut de ces dispositions, rien ne saurait s'opposer à l'application immédiate de la norme internationale. » ; cf. « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP n° 43, 1936, pp. 253-292, spécialement la conclusion.24 Ipso iure, c'est-à-dire «de plein droit» (ou encore «par (la seule) opération du droit») : la validité interne des normes internationales transformées en droit interne est directe, en ce sens qu'elle ne dépend pas d'une procédure interne, mais de la seule disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation en droit interne. La transformation ipso iure est souvent dite «automatique» dans la terminologie utilisée par la doctrine.

70

différence entre ces normes ne tient qu'à une différence de technique de formulation, et de formalisation,

les problèmes relatifs à leur applicabilité interne étant semblables.

β. Tableau des modes d'applicabilité

Dans la doctrine, deux acceptions d'ordre technique des termes «monisme» et «dualisme» apparaissent

couramment. Notre démarche ne consistera pas présentement à les discuter, mais à les distinguer, en vue

d'exposer par la suite l'ensemble des modes d'applicabilité possibles :

i. Dans sa première acception, le «monisme au sens technique» signifie que les normes internationales

sont applicables par les organes internes, et ce, sans même qu'une norme interne d'aucune sorte prévoit

leur transformation dans le système juridique interne (configuration «moniste 1»)25.

Le «monisme au sens technique» signifie, dans sa seconde acception, que la validité d’une norme en

droit international entraîne son applicabilité dans la sphère interne (configuration «moniste 2»).

Quelle que soit la définition du monisme au sens technique retenue, c'est toujours le même organe qui

produit la norme, soit un organe ou un certain ensemble d'organes situé dans la sphère internationale.

ii. Le «dualisme au sens technique» signifie, dans sa première acception, que la validité des normes

internationales dans le système juridique interne dépend d’une norme interne de transformation d'une

sorte ou d'une autre (configuration «dualiste 1»).

Dans sa seconde acception, le «dualisme au sens technique» signifie que seul un acte interne particulier

peut transformer une norme internationale en droit interne (configuration «dualiste 2»).

Ces configurations ne sont en réalité pas toujours exclusives l'une de l'autre, puisqu'elles peuvent être

combinées, et ce jusqu'à obtenir une classification exhaustive des modes d'applicabilité du droit

international dans la sphère du droit interne. Si l'on écarte les combinaisons aboutissant à des

contradictions26, il reste les combinaisons possibles suivantes : «moniste 1» et «moniste 2»27, «moniste

2» et «dualiste 1», «dualiste 2» et «dualiste 1»28. Il en résulte une typologie des modes d'applicabilité :

25 Cette technique apparaît spécifique : elle ne relève pas de la transformation des normes internationales en droit interne, mais de la compétence des organes internes d'appliquer les normes internationales immédiatement. Cf. infra : « l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation ».26 Il en va ainsi des combinaisons suivantes : configuration «moniste 1» et configuration «dualiste 2», configuration «moniste 1» et configuration « dualiste 1» ; configuration « moniste 2» et «configuration «dualiste 2». Une combinaison à plus de deux aboutit nécessairement à une contradiction. Quant aux hypothèses uniques, la configuration «moniste 1» implique nécessairement la configuration «moniste 2» ; la configuration «dualiste 2» implique nécessairement la configuration «dualiste 1» ; la configuration «moniste 2» se combine nécessairement soit avec la configuration «moniste 1», soit avec la configuration «dualiste 1» ; la configuration «dualiste 1» se combine nécessairement soit avec la configuration «moniste 2», soit avec la configuration «dualiste 2».27 Étant donné que la configuration « moniste 1» présuppose nécessairement la configuration « moniste 2»28 Étant donné que la configuration « dualiste 2 » présuppose nécessairement la configuration « dualiste 1».

71

i. Le «mode d'applicabilité moniste au sens technique» se caractérise par une applicabilité des normes

internationales par les organes internes, sans que celle-ci ne résulte d'une norme interne spécifique, donc

ni d'une disposition de transposition, ni d'un acte interne particulier de transformation29. On parlera aussi

d'«application immédiate» du droit international par les organes internes. Ce mode d'applicabilité relève

de la combinaison entre la configuration «moniste 1» et la configuration «moniste 2». On le verra :

l'application immédiate est encore pratiquée en France par les juridictions ordinaires lorsqu'il s'agit de

droit international non conventionnel. Plus largement, la tradition des États européens continentaux

semble résider dans l'application immédiate, du moins jusqu'à l'introduction de dispositions

constitutionnelles spécifiques relatives à la normativité interne du droit international. Selon une

tendance doctrinale, certes minoritaire, il en irait d'ailleurs de même pour les États de tradition juridique

de Common law, en ce qui concerne du moins le droit international non écrit30. La majorité de la

doctrine considère néanmoins à son encontre que « international law is part of the law of the Land31 »

ne peut être autre chose qu'une coutume constitutionnelle de droit interne32 qui opère la transformation

ipso iure du droit international en droit interne.29 Cf. dans la doctrine allemande, la notion doctrinale de «Vollzugslehre» qui ne recouvre pas totalement le mode d'applicabilité moniste au sens technique. 30 En dehors de la doctrine, quelques États appartenant à la tradition de Common Law (voire au Commonwealth) semblent pratiquer un mode d'applicabilité moniste au sens technique, comme le manifestent certaines décisions juridictionnelles:La position de la Cour suprême d'Israël – l'État d'Israël appartient à la tradition de Common law –, à propos de la juridiction universelle en matière de droit international pénal paraît moniste au sens technique. A l'occasion de la célèbre affaire Eichmann, la Cour dit que : « [international] law surmounts these difficulties […] by authorizing the countries of the world to meet out punishment for the violation of its provisions, which is effected by putting these provisions into operation either directly or by virtue of municipal legislation which has adopted and integrated them » (AG (Israel) v. Eichmann (1962) 36 ILR 277-292). La Cour suprême d'Israël soutient l'applicabilité interne du droit international en l'absence d'un fondement constitutionnel interne, même si celui-ci existe par ailleurs (en l'espèce, le juge applique au final le contenu du droit international sur un fondement interne). A propos de la l'affaire Eichmann, cf. Claude Klein, Le cas Eichmann : vu de Jerusalem, Gallimard, Paris, 2012, 265 p.A propos du droit Australien, appartenant à la tradition de Common law, le juge Dixon affirme que : « in the first place the theory of Blackstone […] that « the law of nations […] is here adopted in its full extent by the common law, and its held to be a part of the law of the land » is now regarded as without foundation. The true view, it is held, is « that international law is not a part, but is one of the sources, of English law » », mais que : « in each case in which the question arises the court must consider whether the particular rule of international law has been received into, and so become a source of « English law » » ; cf. High Court, Chow Hung Ching v. The King, (1949) 77 CLR 449-477. Cette conception n'a pas manqué d'attirer les critiques de la doctrine, qui souligne son absence de cohérence, cf. : Geoffrey Sawer, « Australian Constitutional Law in Relation to International Relations and International Law and Australian Law », in : Daniel Patrick O'Connell, Julius Varsanyi; Garfield Barwick (éds), International Law in Australia, Stevens & sons, Londres, 1965, 603 p., pp. 35-50.31 Chambre des Lords, Triquet v. Bath, 1764 ; dans la doctrine, cf. William Buttler, « International Law and Municipal Law : some reflections on British practice », Coexistence, vol. 24, 1987, p. 67 et svtes.32 En l'absence d'une constitution formelle du Royaume-Uni, on peut au moins supposer le rang constitutionnel de cette coutume, étant donné que les organes d'application du droit, y compris suprêmes, sont tenus d'appliquer le droit international général. A propos de la positivité de normes constitutionnelles, indépendamment de l'existence d'une constitution formelle, cf. l'analyse du Professeur Otto Pfersmann : « Tout ordre juridique a nécessairement une Constitution matérielle : il est toujours possible d'identifier la manière – quel que soit le degré de sophistication ou de simplicité – dont sont produites les normes générales et abstraites d'un système. Mais tout ordre juridique ne possède pas nécessairement une Constitution formelle : la production de normes générales et abstraites peut tout à fait se faire de la même manière que celle des normes qui ont ces premières pour objet. Il se pourrait donc fort bien qu'il n'y ait pas de normes formellement constitutionnelles. » ; « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324.

72

ii. Le «mode d'applicabilité médian» : une disposition de transposition du droit international en droit

interne fonde l'applicabilité interne des normes internationales, mais la transformation ad hoc de chaque

norme internationale par un acte interne n'est pas requise33. La norme de transposition fait passer ipso

iure les normes internationales valides dans le système juridique interne. Le producteur de la norme en

droit international et en droit interne est identique, au sens où il s'agit du même organe. Ce mode

d'applicabilité relève de la combinaison entre la configuration «moniste 2» et la configuration «dualiste

1». On en trouve de nombreuses illustrations dans les différents droits internes : les traités en droit

français, à travers l’article 55 de la Constitution de 1958, le droit international coutumier en droit

portugais, sur le fondement de l’article 8 § 1 de la Constitution qui dispose que : « Les normes et les

principes du droit international général ou commun font partie intégrante du droit portugais ».

iii. Le «mode d'applicabilité dualiste au sens technique» : l'applicabilité de la norme d’origine

internationale par les organes internes procède obligatoirement de la production d'une norme interne

particulière34. La transformation de la norme internationale en question résulte d'une procédure interne

de transformation ad hoc ; le producteur de la norme est un organe interne, différencié du producteur de

la norme dans la sphère internationale. Ce mode d'applicabilité relève de la combinaison entre la

configuration «dualiste 1» et la configuration «dualiste 2». Le droit allemand (art. 59 al. 3 LF) et le droit

du Royaume-Uni en fournissent une illustration en matière de traités internationaux. La transformation

ad hoc peut être opérée par diverses procédures : reconnaissance par un acte interne (anciennement, art.

4 de la Constitution de la République de Weimar dans sa lecture « nationaliste »), reproduction à

l'identique de la norme internationale par procédure législative (art. 59 al. 3 LF)... En résumé, le mode

d'applicabilité dualiste au sens technique correspond à une interdiction pour les organes internes

d'appliquer le droit international, à moins que celui-ci soit transformé sous une forme interne par une

norme interne particulière.

33 Cf. dans la doctrine allemande les notions similaires d'«Absorptionslehre», d'«Inkorporationslehre» ou encore d' «Adoptionslehre». La doctrine allemande a développé une classification propre des modes d'applicabilité, qui présente tout de même de grandes similitudes avec la classification «mondiale».34 Cf. dans la doctrine allemande, la notion de « Transformationslehre ». Le terme employé reflète bien la confusion entre théorie et technique prévalant aussi dans la littérature allemande (le terme «Lehre» se traduit par «théorie» ou «doctrine»). Cf. inter alia : Walter Rudolf, Völkerrecht und Deutsches Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1967, 323 p., p. 240 et svtes, spécialement p. 164 et svtes ; Albert Bleckmann, Grundgesetz und Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1975, 407 p., spécialement p. 290.

73

Avertissement : le tableau des modes d'applicabilité exposé ci-dessous présente de quelles façons les

normes internationales deviennent applicables par les organes internes, mais n'affirme pas qu'elles vont

nécessairement s'appliquer en cas de collision. Car cela dépend encore de leur prévalence (cf. infra,

partie 2). Aussi, ce tableau généralise les différents phénomènes en question, et il n'est en aucun cas à

comprendre comme une analyse détaillée.

Tableau des modes d’applicabilité

Nature de la norme constitutionnelle Description du mode d'applicabilité Qualification

Présence d'une norme constitutionnelle exigeant la transformation ad hoc des normes internationales.

Une procédure interne de transformation de chaque norme de droit international, une par une par un acte particulier de droit interne, est requise pour que la norme devienne applicable en droit interne.La transformation s'opère généralement soit par une reconnaissance de la norme internationale par un acte interne conditionnant son entrée en vigueur interne, soit par sa reproduction à l'identique à l'issue d'une procédure interne déterminée.

Mode d'applicabilité

dualiste au sens technique

Présence d'une norme constitutionnelle de transposition des normes internationales en droit interne.

Les normes internationales sont valides ipso iure en droit interne. Mode

d'applicabilité médian

Absence de norme constitutionnelle prévoyant spécifiquement la transformation du droit international en droit interne.

Applicabilité de la norme internationale par les organes internes, sans même qu'une norme interne de transformation ne soit exigée («application immédiate» du droit international).

L'«application immédiate» dépend dans chaque cas de l'étendue de la compétence attribuée aux organes internes par le droit interne, et ce en tenant compte de leur compétence d'appliquer ou non des normes externes au système juridique. L'application immédiate trouve son fondement dans un principe implicite contenu dans le droit international lui-même.

Mode d'applicabilité

moniste au sens technique

Les normes internationales ne sont pas applicables par les organes internes. Une procédure interne de transformation de la norme internationale en question par un acte de droit interne approprié35 conditionne son applicabilité interne.

Mode d'applicabilité

dualiste au sens technique

35 Si, par exemple, la constitution prévoit que la compétence de produire des normes générales relève du seul domaine de la loi, alors seule procédure législative pourra opérer la transformation en droit interne d'une norme internationale de contenu général.

74

Il n'est pas exclu qu'un système juridique interne prévoit différents modes d'applicabilité du droit

international, et il en va d'ailleurs souvent ainsi dans les systèmes juridiques nationaux positifs. Le mode

d'applicabilité pourra ainsi varier en fonction de la forme normative des normes internationales en

question (traités, coutumes, actes unilatéraux des organisations internationales ou supra-nationales...).

En droit allemand, la Loi fondamentale dispose de la transposition des règles générales du droit

international (art. 25), mais exige la transformation ad hoc des traités internationaux (art. 59 al. 3). La

solution semble similaire dans la plupart des États de Common law. Un mode d’applicabilité différencié

peut également résulter de la compétence attribuée aux organes internes d’application du droit, tout

particulièrement lorsque la disposition constitutionnelle est inexistante ou indéterminée et que les

organes d'application internes bénéficient néanmoins d'une certaine autorisation d'appliquer le droit

international. En droit français, la Cour de cassation et le Conseil d'État appliquent traditionnellement

immédiatement le droit international non écrit (mode d'applicabilité moniste au sens technique), tandis

que le Conseil constitutionnel, auquel il est interdit d'appliquer autre chose que la Constitution, se fonde

sur l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 supposé transposer le droit international général

en droit interne (mode d'applicabilité médian).

γ. Le modèle anglais concernant le mode d'applicabilité des coutumes internationales36 37

Plusieurs raisons incitent à choisir l'Angleterre comme exemple : 1. Le principe anglais « international

law is part of the law of the Land » est considéré par beaucoup d'auteurs d'hier et d'aujourd'hui comme

mystérieux38, métaphoriquement « dans les brumes anglaises », alors qu'il est tout à fait possible de le

décrire par une analyse formelle ; 2. Plus en relation avec le fond de notre travail, les recherches

approfondies relatives à la relation entre droit international et droit interne réalisées par les auteurs

36 La doctrine de Common law relative à la relation entre droit international et droit interne procède d'abord à l'analyse de la normativité du droit international coutumier, puis à celle du droit international conventionnel, ce qui contraste avec la doctrine romano-germanique qui a tendance à marginaliser l'analyse de la normativité du droit international non conventionnel. Une telle démarche est cohérente car en droit international, le droit non conventionnel est de principe : de celui-ci découle le droit conventionnel. La différence de démarche peut s'expliquer historiquement : la rupture de la codification prend beaucoup moins d'ampleur dans le monde de Common law ; de plus, la doctrine ainsi que les organes d'application du droit ont maintenu une conception médiévale de l'applicabilité du droit international coutumier (les auteurs pré-modernes du monde romano-germanique traitent aussi amplement de l'application interne de normes assimilables à la coutume internationale par les proto-États alors existants, cf. par exemple : Jacques de Révigny, Lectura super prima et secunda parte codicis, ad. C.7.33.12, 1519, Paris, fol. 344 v. ; Balde de Ubaldis, Consilia sive responsa I-V, Venise, 1575, Anastatic reproduction, 1971, Bottega d’Erasmo, V. 406, n. 6, fol. 107r. ; Balde de Ubaldis, Commentarium super pace constantie, Pavie, 1495, fol. 94 v. ; Balde de Ubaldis, Super usibus feudorum interprétatio, Pavie, 1495, fol. 74 r. ; Bartole de Sassoferrato, De regimini civitatis, De tyranno, De statutis, Diego Quaglioni (éd.), L. S. Olschki, Florence, 1983, 257 p.).37 On se reportera utilement à la bibliographie spéciale relative aux États de Common Law en fin d'ouvrage.38 Heinrich Triepel (1899), Droit international et droit interne, traduit de l’allemand par René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p., spécialement pp. 1-10 (introduction) et pp. 132-152 (Chapitre spécial) ; Treasa Dunworth, « Lost in Translation: Customary International Law in Domestic Law », in : Hilary Charlesworth, Madelaine Chiam, Devika Hovell, George Williams (éds), The Fluid State: International law and National Legal Systems, The Federation Press, Sydney, Australia, 2005, 287 p., pp. 136-155.

75

s'inscrivant dans une tradition «romano-germanique» se sont à l'origine construites à partir d'une

comparaison avec le droit anglais, d'ailleurs souvent accompagnée d'une critique de la doctrine de

Common law en la matière (par exemple, Heinrich Triepel, 1899, Droit international et droit interne39) ;

3. Les dispositions constitutionnelles allemande et autrichienne postérieures à la Première guerre

mondiale prévoyant la transformation ipso iure du droit international général en droit interne s'inspirent

de la pratique des États de Common Law40.

i. La doctrine anglaise traditionnellement divisée quant à la question du mode d'applicabilité du droit

international

La question du mode d'applicabilité du droit international divise la doctrine anglaise, et cela depuis au

moins le milieu du XVIIIe siècle41 :

Les partisans de la « doctrine dite de la transformation » [« transformation ad hoc » selon notre

terminologie] affirment qu'une norme internationale – quelle que soit la forme – ne peut avoir aucun

effet juridique interne, à moins qu'elle soit spécifiquement et expressément transformée en droit interne

par une procédure constitutionnellement prévue, telle un acte du Parlement42. A l'appui, ils font observer

que, dans le droit positif, la procédure constitutionnelle de ratification opérée par le souverain

conditionne l'applicabilité interne des traités internationaux43. Et cela serait sans doute généralisable,

d'où s'ensuit que l'applicabilité interne de chaque norme internationale se trouverait aussi conditionnée

par sa transformation en droit interne par un acte interne particulier (mode d'applicabilité dualiste au

sens technique).

Une autre tendance doctrinale soutient que le droit international devient ipso iure une

composante du droit interne, sans que la constitution n'exige de procédure. William Blackstone, sans

doute le partisan le plus célèbre de cette « doctrine de l'incorporation », rapporte dans ses Commentaries

que « The law of nations, wherever any questions arises which is properly the object of its jurisdiction,

is here adopted in its full extent by the common law, and it is held to be a part of the law of the land.44 ».

La « doctrine de l'incorporation » se réfère à la façon dont le droit international coutumier, ainsi que

certains principes relatifs aux traités internationaux, passent dans le droit positif anglais . Un principe

coutumier constitutionnel disposerait de la transformation ipso iure de ces normes internationales en

39 Heinrich Triepel, op. cit. note 38, spécialement pp. 1-10 (introduction) et pp. 132-152 (Chapitre spécial).40 Cf. inter alia, Wilhelm Schmöe, op. cit. note 8 ; Frank Schorkopf, Grundgesetz und Überstaatlichkeit : Konflikt und Harmonie in den auswärtigen Beziehungen Deutschlands, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 355 p., spécialement à propos des aspects historiques pp. 40-48.41 Remarquons la récente étude détaillée de Monsieur Roger O'Keefe, cf. « The Doctrine of Incorporation Revisited », BYIL, vol. 79, 2008, pp. 7-85. 42 L'expression anglaise est Act of Parliament.43 Le principe d'une transformation ad hoc des traités internationaux semble tellement certain que Lord Hoffmann affirme en 2004 que « it should no longer be necessary to cite authority for the proposition that the Convention [in question], as an international treaty, is not part of English domestic law » ; cf. affaire In re McKerr [2004] UKL 12; [2004] 1 WLR 807, 826, §63. 44 Commentaries, IV, Chapter 5.

76

droit interne (mode d'applicabilité médian).

ii. L'évolution de la jurisprudence anglaise quant aux coutumes internationales

La « doctrine de l'incorporation » décrit en réalité mieux que la « doctrine de transformation » le mode

d'applicabilité dominant des coutumes internationales en droit anglais45, quand bien même il faudrait

prendre en compte quelques variations historiques.

La Chambre des Lords prend explicitement position pour la transformation ipso iure des coutumes

internationales en droit interne dès 1737, à l'occasion d'une affaire relative à l''étendue de l'immunité

diplomatique (Buvot v. Barbuit46). Lord Talbot déclare que « the law of nations in its full extent was part

of the law of England », d'où s'ensuit que le manquement à un decree par un agent commercial prussien,

bénéficiant d'une immunité internationale en tant qu'agent du Roi en Prusse, ne lui est en l'espèce pas

imputable47. Par la suite, dans l'affaire Triquet v. Bath48, Lord Mansfield se prononce explicitement pour

le maintien de la jurisprudence Buvot v. Barbuit, en ajoutant que « Blackstone’s principles are right ».

La force dérogatoire d'une coutume internationale se conçoit néanmoins comme limitée lorsqu'elle va à

l'encontre d'une loi49 ou d'une décision d'une juridiction supérieure, ce qui découle du principe du stare

decisis50.

L'évolution de la jurisprudence anglaise connaît deux phases significatives, l'une allant du XIXe s. à la

première moitié du XXe s., la seconde étant contemporaine :

(i.) La longue hésitation de la jurisprudence

Anciennement, la jurisprudence de la Chambre des Lords et d'autres juridictions britanniques

supérieures semble occasionnellement affirmer une exigence de transformation ad hoc des coutumes

internationales. C'est du moins la lecture qui en a été faite par la « doctrine de la transformation »51 :

45 Ajoutons que de chacune de ces doctrines se déclinent en une approche dite «soft» et une approche dite «hard» :« Théorie de la transformation » : le droit international ne devient une norme de l'État qu'une fois « transformé » par un acte juridique interne discrétionnaire. « Hard transformation theory » : la loi est la seule forme normative appropriée pour transformer une norme internationale en droit interne ; « Soft transformation theory » : la transformation d'une norme internationale en droit interne peut s'opérer tant par un acte juridique législatif que par un acte juridictionnel.« Théorie de l'incorporation » : les normes internationales deviennent ipso iure une composante du droit interne, pour autant toutefois qu'elles n'entrent pas en conflit avec certaines normes internes. « Hard incorporation theory » : les juridictions internes doivent appliquer le droit international dans la mesure où elles n'entrent pas en conflit avec la législation interne ou la common law. « Soft incorporation theory » : les juridictions internes sont tenues d'appliquer les normes internationales dans la mesure où elles n'entrent pas en conflit avec la législation interne. 46 (1737) Cases temp. Talbot 281.47 Le terme anglais est «decree».48 (1764) 3 Burr. 1478, à propos de l'immunité d'un serviteur domestique du Ministre de Bavière en Grande-Bretagne.49 Le terme anglais est «statute».50 Dans certaines décisions récentes, une autorité plus forte des coutumes internationales semble affirmée ; cf. Trendtex Trading Corporation v. Central Bank of Nigeria [1977] 2 WLR 356 ; 64 ILR, pp. 111-113.51 On le verra : en réalité, le mode d'applicabilité médian des coutumes internationales n'est en aucun cas remis en cause dans la jurisprudence. Dans les différentes affaires, les variations portent en effet sur les modalités d'application interne du droit international coutumier, et surtout sur sa prévalence (encore qu'elle paraisse relativement stable). La doctrine confond souvent la question de l'existence des normes internationales en droit interne et la question de leur prévalence, comme si l'existence dépendait de la prévalence.

77

Le cas R v. Keyn52 offre matière à controverse. Les faits sont les suivants : un vapeur allemand, le

Franconia, entre en collision et coule un navire britannique dans le Channel, plus exactement dans la

zone des trois milles marins, c'est-à-dire dans le territoire maritime britannique en l'état d'alors du droit

international. Le capitaine allemand est poursuivi devant une juridiction anglaise pour homicide par

imprudence en raison de la mort d'un passager du navire britannique. La question posée à la Court for

Crown Cases Reserved porte sur la compétence des juridictions anglaises pour se saisir d'une telle

inculpation. En l'espèce, la juridiction conclut qu'aucune législation britannique n'attribue une telle

compétence aux juridictions anglaises dans la zone des trois milles. L'argumentation se décompose de la

manière suivante : il est vrai qu'une norme internationale prévoit la compétence des organes internes

dans cet espace maritime ; cependant, il est une chose de dire que l'État bénéficie d'une compétence en

vertu du droit international pour légiférer sur un espace qui était auparavant la haute mer, et une autre

chose de conclure que les lois de l'État deviennent désormais applicables dans cette zone,

indépendamment de toute législation interne. Lord Cockburn résume ainsi le problème juridique : les

juridictions internes disposent-elles d'une compétence pour étendre leur propre compétence sur le seul

fondement du droit international, c'est-à-dire en l'absence d'une législation interne actualisée53 à la

coutume internationale des trois milles ? La Court for Crown Cases Reserved constate l'existence d'une

distinction de droit interne entre la compétence du Parlement pour légiférer dans cet espace – qui lui est

attribuée par l'intermédiaire du droit international étendant la sphère territoriale de l'État – et la

compétence des juridictions d'appliquer le droit pénal là où il n'était pas applicable sans législation

interne appropriée. A l'issue des délibérations, la majorité de la Cour estime que la compétence

territoriale des juridictions n'est pas étendue sur le seul fondement du droit international, ce qui justifie

qu'aucune juridiction anglaise ne peut dans ces circonstances inculper le capitaine allemand.

Pour les partisans de la «doctrine de la transformation», cette décision va clairement dans leur sens : la

coutume en question se voit dépourvue d'effets juridiques immédiats en droit interne 54. Pourtant, la

juridiction affirme dans son argumentation que la règle des trois milles a au moins pour effet juridique

d'étendre la compétence parlementaire dans l'espace55. Surtout, le problème dans cette affaire ne

concerne pas tant la validité interne de la règle des trois miles en droit interne, que sa concrétisation, qui

dépend effectivement de la répartition des compétences entre les différents organes telle que

constitutionnellement déterminée.

Il n'en reste pas moins que d'autres affaires ont par la suite donné l'occasion de contester la «doctrine de

l'incorporation» :

52 (1876) 2 Ex.D.63.53 Une telle législation est adoptée par le Territorial Waters Jurisdiction Act de 1878.54 Cf. notamment : William S. Holdsworth, Essays in Law and History, Clarendon, Oxford, 1946, 302 p., pp. 263-266 ; Hardinge Stanley Giffard, 1st Earl of Halsbury, Laws of England, 3ème éd., Londres, 1968, vol. 7, p. 264 ; Heinrich Triepel (1899), op. cit. note 38, pp. 148-149.55 Pour une opinion en ce sens : Hersch Lauterpacht, « Is International Law a Part of the Law of the Law of England ? », Transactions of the Grotius Society, vol. 25, 1939, pp. 51-88, spécialement p. 60-61.

78

A l'occasion de l'affaire West Rand Gold Mining Co56, Lord Alverstone dit que ce qui a reçu le

«consentement commun des nations civilisées»57 reçoit aussi celui de la Grande-Bretagne et doit dès lors

être appliqué par ses juridictions. De prime abord, cette opinion semble favorable à la transformation

ipso iure des coutumes internationales en droit interne anglais. Elle paraît toutefois en ajouter une

condition : encore faut-il que suffisamment de preuves indiquent que la coutume internationale en

question soit « reconnue par et agissante envers notre propre pays 58» ou qu'elle soit d'une telle nature

qu'il devient difficilement supposable qu'un État civilisé la rejette. Les propos de Lord Alverstone

peuvent s'analyser ainsi : l'applicabilité interne des coutumes internationales est conditionnée par une

identification certaine, et non par une procédure interne de transformation ad hoc. Il ne s'exprime donc

nullement dans le sens de la « doctrine de la transformation ».

Dans l'affaire Mortensen v. Peters59, un capitaine danois se trouve initialement condamné par une

juridiction écossaise pour avoir contrevenu à une réglementation législative sur la pêche valable dans

l'espace de l'estuaire de la Moray, soit au nord-est de l'Écosse. Le bateau opérait alors certes à l'intérieur

de l'estuaire Moray et se situait en cela dans la zone où s'applique la réglementation maritime, mais il

était au-delà de la limite des trois miles posée par le droit international coutumier. Devant la Scottish

Court of Justiciary, en appel, Lord Dunedin estime qu'un acte du Parlement60 adopté par procédure

régulière est suprême, en ce sens qu'une juridiction n'est pas habilitée à écarter son application. En

d'autres termes, la loi prévaut sur le droit international coutumier et une juridiction est tenue d'appliquer

la première, même s'il en résulte la violation d'une norme internationale61. Cette décision ne va pas non

plus dans le sens de la « doctrine de la transformation », puisqu'il est question de prévalence, et non de

validité interne du droit international coutumier.

A propos de l'affaire Chung Chi Cheung v. R.62, Lord Atkin soutient que : « international law has no

validity except in so far as its principles are accepted and adopted by our own domestic law... The

courts acknowledge the existence of a body of rules which nations accept among themselves. On any

judicial issue they seek to ascertain what the relevant rule is, and having found it they will treat it as

incorporated into the domestic law, so far as it is not inconsistent with rules enacted by statutes or

finally declared by their tribunals. ». L'analyse de Lord Atkin, formulée de manière assez obscure,

contient les éléments suivants : 1. L'applicabilité des normes internationales par les organes anglais est

conditionnée par une disposition interne prévoyant leur transposition (incorporation), et non par le droit

international lui-même ; 2. L'application du droit international par les juridictions internes n'est

réalisable que pour autant qu'elles ont bien identifié les normes pertinentes (ce qui est une évidence) ; 3.

56 [1905] 2 KB 391.57 « The common consent of civilized nations »58 « Recognised and act upon by our own country »59 (1906) 8 F. (J.) 93.60 Act of Parliament61 Cf. aussi 170 HC Deb, col. 472 et le Trawling in Prohibited Areas Prevention Act 1909.62 [1939] AC 160; AD, p. 264. Cf. aussi : Commercial and Estates Co. of Egypt v. Board of Trade [1925] 1 KB 271, 295 ; 2 AD, p. 423/

79

Les normes internationales sont applicables « dans le contexte du droit interne », « as part of the law of

land », et non selon les modalités d'application du droit international lui-même ; 4. Les normes

internationales cèdent devant les lois et les stare decisis des juridictions supérieures.

(ii.) Une « doctrine de l'incorporation » assumée par la jurisprudence récente

A partir de la seconde partie du XXe s., les juridictions anglaises assument clairement la transformation

ipso iure des coutumes internationales (mode d'applicabilité médian) :

L'affaire Trendtex Trading Corporation v. Central Bank of Nigeria63 porte sur l'immunité d'État (ou

«immunité souveraine») de la Banque centrale du Nigeria. Les trois juges de la Court of Appeal

prennent en l'espèce à l'unanimité position pour la «doctrine de l'incorporation». Lord Stephenson

précise à l'occasion de cette affaire que les polémiques doctrinales relatives à l'applicabilité interne du

droit international coutumier trouvent surtout leur origine dans les difficultés d'identification de son

contenu, non dans la question de sa validité interne : « it is nature of international law and the specific

problems of ascertaining it which create the difficulty in the way of adopting or incorporating or

recognising as already incorporated a new rule of international law 64 ». Aussi, Lord Denning dit,

semble-t-il de manière nouvelle, que le droit international coutumier ne doit pas céder devant le stare

decisis (ou precedent). Comme le droit international évolue indépendamment du contentieux

juridictionnel interne, le juge bénéficie d'une habilitation pour constater ses changements « sans attendre

que la Chambre des Lords le fasse65 ». Lord Shaw ajoute en ce sens que : « les juridictions anglaises

doivent à tout moment découvrir quelle est la norme internationale pertinente en l'espèce et

l'appliquer66 ».

La Court of Appeal conserve par la suite cette jurisprudence à propos du cas Maclaine Watson v.

Department of Trade and Industry67, relatif la coutume internationale obligeant les États membres d'une

organisation internationale – en l'espèce l'International Tin Council – à la dette de celle-ci.

A l'occasion des célèbres décisions Pinochet de la Chambre des Lords, qui concernent les violations du

droit international humanitaire imputables à l'ancien chef de l'État chilien, Lord Lloyd se réfère aux

« bien-établis principes du droit coutumier international qui forment une partie de la common law

d'Angleterre68 », ce que confirme Lord Millett, qui rappelle la maxime classique selon laquelle « le droit

63 [1977] 2 WLR 356; 64 ILR, p. 111.64 [1977] 2 WLR 356, 379.65 « Withouth waiting for the House of Lords ». La Chambre des Lords n'est plus liée par ses propres précédents et dispose dès lors de la compétence de modifier sa propre jurisprudence, entre autres en se fondant sur les normes internationales ([1966] 3 All ER 77; [1966] 1 WLR 1234 ; cf. Practice Note [on] Judicial Precedent). Les juges d'un degré inférieur sont liés par les décisions de la Chambre des Lords (precedents), de telle sorte qu'ils ne sont généralement pas habilités à se fonder sur l'existence de normes non encore appliquées par la juridiction anglaise suprême.66 [1977] 2 WLR 356, 388. Lord Slynn soutient ultérieurement cette position à l'occasion de l'affaire Pinochet : Ex parte Pinochet (N°. 1) [2000] 1 AC 61, 77 , 119 ILR, pp. 50, 65.67 Décision du 27 avril 1988, 80 ILR 49.68 Ex parte Pinochet (N° 1) [2000] 1 AC 61, 98. « well-established principles of customary international law, which principles form part of the common law of England »

80

international coutumier fait partie de la common law69 ».

Complétons ce panorama de la jurisprudence britannique en citant la High Court of Justiciary d'Écosse

qui estime aussi, à propos du droit écossais, qu'« une règle internationale coutumière est une

composante de la common law70 ».

On le verra, la maxime « international law is part of the law of the land » s'est largement exportée vers

les systèmes juridiques d'Europe continentale, et ce bien qu'elle provienne du contexte spécifique des

systèmes juridiques dits de Common law. Elle s'est ainsi vue introduite dans plusieurs textes

constitutionnels, dans une forme cette fois-ci écrite.

La validité des règles générales du droit international transformées en droit interne est conditionnée par

une norme constitutionnelle (chapitre 1). La difficulté (subtilité) est qu'elles sont parfois applicables par

les organes internes en dehors du fondement constitutionnel de transformation, dans la mesure où cela

n'est pas interdit par la constitution (chapitre 2).

69 Ex Parte Pinochet (N°. 3) [2000] 1 AC 147, 276; 119 ILR, pp. 135, 230. « Customary international law is part of the common law ».70 2001 SLT 507, 512. « A rule of customary international law is part of common law ».

81

Chapitre 1

Le fondement constitutionnel de la transformation

des règles générales du droit international en droit interne

Le mode d'applicabilité des normes internationales est déterminé par un fondement constitutionnel

(section 1) qui leur est supérieur dans l'ordre de production interne (section 2).

Section 1 : Les techniques de transformation

Les normes internationales transformées en droit interne par le biais d'une disposition constitutionnelle

(I) doivent satisfaire certaines conditions (II).

I. Le mode d'applicabilité

Les constitutions nationales déterminent un mode d'applicabilité du droit international en droit interne

parmi plusieurs possibles (A). Dans les constitutions actuellement en vigueur, il est principalement opté

pour une transformation ipso iure1 du droit international général en droit interne («transposition») (B).

Il s'ensuit une série de difficultés d'identification des normes en question ; car elles n'ont pas été

formulées par un acte juridique écrit, ni dans la sphère du droit international (il s'agit de normes non

écrites), ni dans la sphère du droit interne (absence de formalités procédurales) (C).

1 Ipso iure, c'est-à-dire «de plein droit» (ou encore «par (la seule) opération du droit») : la validité interne des normes internationales transformées en droit interne est directe, en ce sens qu'elle ne dépend pas d'une procédure interne de transformation une par une (ad hoc), mais de la seule disposition constitutionnelle prévoyant leur transformation en droit interne. La transformation ipso iure est souvent dite «automatique» dans la terminologie employée par la doctrine française (cf. inter alia : Jacques Donnedieu de Vabres, « La Constitution de 1946 et le droit international », Dalloz, 1948, chron. pp. 5-8, spécialement p. 5).

82

A. Les significations possibles du fondement constitutionnel quant au mode d'applicabilité

1. La question de la continuité avec la tradition constitutionnelle ancienne :

Les dispositions constitutionnelles relatives au droit international général (parfois dites « clauses de

droit international ») ont toutes été adoptées dans la constitution nationale dans un contexte d'après-

guerre2. L'article 4 de la Constitution de Weimar (WRV3) et l'article 9 de la Loi constitutionnelle

fédérale autrichienne4 (B-VG) suivent la Première guerre mondiale ; l'article 25 de la Loi fondamentale

allemande (LF)5, encore plus «ouvert» au droit international que l'article 4 WRV6, et l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 entrent en vigueur après la Seconde guerre mondiale.

Le contexte de la production de ces différentes normes constitutionnelles présente en apparence une

nette similarité : il s'agit après les conflits armés mondiaux d'introduire dans les systèmes juridiques

nationaux une obligation de se comporter conformément au droit international afin d'éviter

d'éventuelles dérives nationalistes7 et de démontrer la volonté renouvelée des États concernés d'adhérer

pleinement à une Communauté internationale en recomposition8. Une différence se remarque

néanmoins dans le contenu des normes constitutionnelles nationales : tandis que les pouvoirs

constituants allemand et autrichien importent une tradition étrangère, « international law is part of the

2 Walther Schücking observe que : « Es gehört einmal zur Tragik des Völkerrechts, daß sich die größere Öffentlichkeit für das Völkerrecht erst zu interessieren beginnt, wenn es sich um Kriegsrecht handelt. », ; cf. Die völkerrechtliche Lehre des Weltkrieges, Veit, Leipzig, 1918, 239 p., p. 8.3 « WRV » est l'abréviation de « Weimarer Reichsverfassung » .4 Article 9 al. 1 de la Loi constitutionnelle fédérale autrichienne (B-VG) : « Les règles généralement reconnues du droit international sont valides en tant que composantes du droit fédéral ».5 Article 25 de la Loi fondamentale allemande (LF) : « Les règles générales du droit international sont composantes du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral. »6 En dépit une certaine opposition, dont celle du chrétien-démocrate Hermann von Mangoldt. Pour un résumé de l'histoire de l'article 25 LF, cf. Werner Matz, « Entstehungsgeschichte der Artikel des Grundgesetzes – Art. 25 », JöR, vol. 1, 1951, pp. 229-235. 7 Cf. notamment : Antonio Cassese, « Modern Constitutions and International Law », RCADI, vol. 192, 1985, pp. 331-475 ; Peter C. Caldwell, « Sovereignty, Constitutionalism, and the Myth of the State: Article Four of the Weimar Constitution », in : Leonard V. Kaplan, Rudy Koshar, The Weimar Moment: Liberalism, Political Theology, and Law, Lexington Books, Lahnam, 2012, 554 p., 33 p. (format word).8 La thèse selon laquelle les normes d'ouverture au droit international ont été introduites dans les constitutions nationales afin d'engager l'État dans la Communauté internationale, non seulement vis-à-vis des États étrangers et organisations internationales, mais aussi vis-à-vis des particuliers (investisseurs étrangers, organisations non gouvernementales, etc.), est amplement défendue par le Professeur Tom Ginsburg. La méthode de l'auteur se veut un syncrétisme entre science juridique et science politique : cf. Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », University of Illinois College of Law, Law and Economics Working Papers, n°55, 2006, 65 p., disponible sur http://law.bepress.com/uiuclwps/papers/art55 ; Tom Ginsburg, Zachary Elkins, and Svitlana Chernykh, « Commitment and Diffusion: How and Why National Constitutions Incorporate International Law », University of Illinois Law Review, 2008, pp. 201-238. Cf. aussi : Jon Pevehouse, « Democratization, Credible Commitments, and Joining International. Organizations », in : Daniel W. Drezner (éd.), Locating the Proper Authorities: The. Interaction of International and Domestic Institutions, University of Michigan Press, Ann Arbor (MI), 2003, 280 p., p. 25 et svtes.

83

law of the land »9, le pouvoir constituant français tend plutôt à la continuité. « La République française,

fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n 'entreprendra aucune

guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. » La

première phrase prévoit explicitement une telle continuité ; la seconde phrase n'est autre chose que la

reproduction d'une disposition révolutionnaire classique10.

On analysera successivement l'histoire des dispositions constitutionnelles allemande, autrichienne et

française. La norme constitutionnelle autrichienne passe certes pour la plus ancienne dans sa rédaction,

mais elle trouve incontestablement son modèle dans l'article 4 de la Constitution de Weimar. L'article 4

WRV s'avère d'ailleurs la première norme constitutionnelle écrite prévoyant l'obligation pour l'État de

transformer dans sa sphère interne le droit international coutumier. Et il constitue, outre l'article 9 B-

VG, le modèle de beaucoup d'autres normes constitutionnelles postérieures11, même récentes12. L'alinéa

9 Pour une opinion contraire, cf. notamment : Alfred Verdross, Völkerrecht, 5ème éd., Springer, Vienne, 1964, 690 p., spécialement pp. 61-68 et p. 118. Alfred Verdross soutient que les dispositions constitutionnelles d'après-guerre ne sont que des codifications d'une pratique déjà accomplie par les juridictions. L'auteur ne voit donc pas que les juridictions pratiquaient anciennement l'application immédiate du droit international général, et ce au cas par cas, c'est-à-dire réservée à certaines circonstances, tandis que les normes constitutionnelles nouvelles prévoient la transformation ipso iure du droit international général en droit interne, avec obligation pour l'ensemble des organes de l'État de les appliquer. Cf. aussi Christian Dominicé, François Voeffray : « Qu'il figure expressément de la constitution ou qu'il découle de la jurisprudence, l'adage d'origine anglo-saxonne "International law is part of the law of the land" vaut de manière quasi-universelle », « L'application du droit international général dans l'ordre juridique interne », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 51-62, p. 53. 10 Robert Redslob, « Völkerrechtliche Ideen der französischen Revolution », in : Festgabe fur Otto Mayer zum siebzigsten Geburtstag, 29 marz 1916, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1916, pp. 273-301 ; Boris Mirkine-Guetzévitch, « La renonciation à la guerre et la Révolution française », Le monde nouveau, 1929, n°3, p. 183 et svtes.11 Il en va ainsi, après la Première guerre mondiale, des constitutions de l'Estonie (art. 4 de la Constitution du 15 juin 1920), de l'Espagne (article 7 de la Constitution du 9 décembre 1931) et de Cuba (article 7§2 de la Constitution du 5 juillet 1940). Gustav Adolf Walz évoque en 1927 une « sphère juridique d'Europe centrale continentale » ayant adopté ce principe ; cf. Die Abänderung völkerrechtsgemäßen Landesrechts; grundsätzliche Untersuchungen zum englischen, amerikanischen, deutschen und österreichischen Recht, Dümmler, Berlin, 1927, 174 p., spécialement p. 157.La formulation de l'article 4 WRV continue d'ailleurs d'inspirer les États postérieurement à la Seconde Guerre mondiale, alors même que la République fédérale d'Allemagne n'a pas conservé le texte ancien. Cf. par exemple, l'article 28 § 1 de la Constitution grecque de 1975 disposant que « les règles généralement reconnues du droit international […] font partie intégrante du droit hellénique interne […] ». D'autres dispositions constitutionnelles modernisent le texte de l'art. 4 WRV en supprimant l'adjectif « reconnu », par exemple l’article 8 § 1 de la Constitution portugaise suivant lequel : « les normes et les principes du droit international général ou commun font partie intégrante du droit portugais ».12 On peut d'ailleurs noter que l'expression « règles généralement reconnues du droit international » a souvent été retenue par le pouvoir constituant, même dans les constitutions les plus contemporaines, et ce bien que l'expression puisse sembler «vieillie», et bien qu'elle ait disparu de la constitution allemande. Cf. par exemple, généralement : Vladlen S. Vereshchetin, « New Constitutions and the Old Problem of the Relationship Between International Law and National Law », EJIL, vol. 7, 1996, pp. 29-41 ; à propos des États de l'ancien bloc socialiste : Eric Stein, « International Law in Internal Law : Toward Internationalization of Central-Eastern European Constitutions? », AJIL, vol. 88, 1994, pp. 427-450 Gennady M. Dalinenko, « Implementation of International Law in CIS States: Theory and Practice », EJIL, vol. 10, 1999, pp. 51-69 ; Jiri Malenovsky, « Dix ans après la chute du Mur : les rapports entre le droit international et le droit interne dans les constitutions des pays d'Europe centrale et orientale », AFDI, vol. 45, 1999, pp. 29-54 ; Hannes Vallikivi, « Domestic Applicability of Customary International Law in Estonia », Juridica International, vol. 7, 2002, pp. 28-38. Par exemple, l'article 15 al. 4 première phrase de la Constitution de la Fédération russe, approuvée par référendum du 12 décembre 1993, dispose que : « les principes et normes généralement reconnus du droit international et les traités internationaux de la Fédération de Russie sont valides en tant que composante de son système juridique » (« Общепризнанные принципы и нормы международного права и международные договоры Российской Федерации являются составной частью ее правовой системы. », ma traduction ; la plupart des traductions, tant en français qu'en anglais, ne paraissent pas totalement fidèles au texte original : le terme « universellement » est utilisé à la place de « généralement »).

84

14 du Préambule de la Constitution de 1946 paraît quant à lui relativement éloigné de ce modèle, et il se

rapproche davantage d'autres normes constitutionnelles originales, tel l'article 10 al. 1 de la Constitution

de la République italienne du 27 décembre 1947 qui dispose que : « L’ordre juridique italien se

conforme aux normes du droit international généralement reconnues. »

a. Les normes constitutionnelles allemande et autrichienne en rupture avec le modèle traditionnel :

A la toute fin du XIXe siècle, Heinrich Triepel dans son ouvrage classique Droit international et droit

interne13 s'étonne du principe « international law is part of the law of the land »14. L'auteur constate

préalablement que la conception dominante dans la jurisprudence et la doctrine anglo-américaine est

que le droit international général « serait en même temps partie du droit national anglais et

américain15 ». L'existence d'un tel principe en droit positif lui semble douteuse :

« Je ne peux […] pas m'empêcher d'examiner la question : cette conception est-elle réellement

en Angleterre et en Amérique indiscutée ou dominante, son essence correspond-elle à la formule par

laquelle on l'exprime, […] comment s'expliquer dans la science juridique anglaise une conception qui

contredit si diamétralement les nôtres ?16 ».

Heinrich Triepel, après avoir constaté la positivité de la maxime dans les systèmes juridiques anglais et

américain, conclut à l'exotisme du principe « international law is part of the law of the land » :

« Le principe ne s'applique qu'à l'Angleterre et aux États-Unis. Depuis Blackstone jusqu'à nos

jours, on a précisément considéré comme la caractéristique du droit anglais, que le droit international

soit passé en lui. Blackstone explique le fait par l'originalité de la Constitution anglaise 17. Wharton18 par

l'originalité de l'organisation judiciaire anglaise et anglo-américaine : il souligne et loue l'importance en

notre matière de cette organisation, qu'il oppose à l'organisation des tribunaux dans les pays du

continent européen. La plupart se contentent d'affirmer que le droit international public a toujours été

considéré comme droit interne anglais ou nord-américain19, ou l'appellent simplement une partie de la

common law, c'est-à-dire d'un ensemble juridique, dont la mention ne peut faire penser qu'à un droit

13 Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, C.L. Hirschfeld, Leipzig, 1899, 476 p., réédition Aalen 1958, 452 p. ; Droit international et droit interne, traduit de l’allemand par René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p.14 A propos des aspects techniques du principe « international law is part of the law of the land », cf. supra : « Le modèle anglais concernant le mode d'applicabilité des coutumes internationales. »15 Heinrich Triepel, Droit international et droit interne, traduit de l’allemand par René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p., p. 132.16 Ibid. p. 133.17 Henry John Stephen, New Commentaries on the Laws of England, IV, 12ème édition, Londres, 1895, p. 188 (cité par l'auteur, l'ouvrage est en partie un commentaire de William Blackstone).18 Francis Wharton, Commentaries on Law, 1884, p. 194 (cité par l'auteur) ; cf. aussi : Francis Wharton, Treatise On The Conflict Of Laws, 2ème éd., Philadelphie, 1881 ; James Kent, Commentaries on American law, 14ème éd.,John M. Gould, Boston, 1896 ; dans la jurisprudence : Chambre des Lords, 1764, Triquet v. Bath, 3 Burrows Reports p. 1478, à propos de l'immunité d'un serviteur domestique du Ministre de Bavière en Grande-Bretagne.19 Cf. inter alia (cités par l'auteur) : Shelden Amos, Systematic view of the science of jurisprudence, Londres, 1872.

85

anglais20. […]. [international law is part of the law of the land] n'est pas comprise dans le sens d'une

théorie dont la validité soit générale. 21»

Le principe « international law is part of the law of the land » se trouve malgré cet exotisme introduit

dans les textes constitutionnels allemand et autrichien à la suite de la Première guerre mondiale 22.

L'article 4 de la Constitution allemande de Weimar (WRV) précède chronologiquement l'article 9 de la

Loi constitutionnelle fédérale autrichienne (B-VG)23. La ressemblance de formulation et de contenu

s'explique au moins en partie par un contexte historique proche : la nouvelle République d'Autriche ne

continue sans doute pas en droit international la personnalité juridique de la Double monarchie austro-

hongroise, mais elle est tout de même traitée par les Alliés, au même titre que la République de Weimar,

comme un État coupable des atrocités de la Première guerre mondiale tenu de prouver sa volonté de

réintégrer la Communauté internationale.

α. De l'article 4 WRV et sa neutralisation progressive à l'article 25 LF

Aucune indication n'est contenue dans la Constitution du Reich allemand du 6 avril 1871 quant à la

question de la normativité interne du droit international général24. La Constitution de Weimar rompt

avec la tradition constitutionnelle impériale par son article 4 :

« Les règles généralement reconnues du droit international sont valides comme composantes

obligatoires du droit du Reich allemand25 ».

20 Cf. inter alia (cités par l'auteur) : William Blackstone, Commentaries on the Law of England, tome 1, Oxford 1769 ; Henry John Stephen, New Commentaries on the Laws of England, IV, 12ème éd., Londres, 1895, p. 188 ; pour la jurisprudence : Chambre des Lords, 1767, Heathfield v. Chilton, 4 Burrows Reports, p. 2016.21 Heinrich Triepel, op. cit.. note 15, p. 138.22 Cf. inter alia : Max Emcke, Art. 4 der RV. unter Berücksichtigung des amerikanischen und englischen Rechts , thèse de l'Université de Kiel, Kiel, 1920, 95 p. ; Wilhelm Schmöe, Art. 4 der Reichsverfassung und die anglo-amerikanische Rechtspräromie : « International is a part of common law » in Theorie and Praxis, thèse Göttingen, Baruth-Mark, Berlin 1927, 50 p. ; Josef L. Kunz, « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, spécialement p. 309 et svtes ; Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, spécialement p. 162 et p. 165-166 ; Walter Rudolf, « die innerstaatliche Anwendung partikulären Völkerrechts », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich-Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 435-448, spécialement pp. 435-437 ; Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42 ; Frank Schorkopf, Grundgesetz und Überstaatlichkeit : Konflikt und Harmonie in den auswärtigen Beziehungen Deutschlands, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 355 p., spécialement pp. 40-48. Cf. aussi la source primaire suivante : Verhandlungen der verfassungsgebenden Deutschen Nationalversammlung, tome 336, Berlin, 1920, spécialement pp. 32-33 et p. 405 et svtes ; Selon Ernst von Simson de l'Office allemand des affaires étrangères, l'art. 4 WRV « den Satz, der in der anglo-amerikanischen Rechtsprechung und Staatenpraxis herrschend ist, zum Ausdruck bringen ».23 Pour une comparaison entre droit constitutionnel allemand et droit constitutionnel autrichien datant de l'époque : Alfred Verdross, « Staatliches Recht und Völkerrecht – Die Stellung der neuen deutschen und osterreichischen Verfassung zum Völkerrecht », Schweizerische Juristenzeitung, vol. 17, 1920, p. 246 et svtes.24 RGBI. 1871, p.63.25 « Die allgemeinen anerkannten Regeln des Völkerrechts gelten als bindende Bestandteile des deutschen Reichsrechts ».

86

Ce texte attribue au droit international général une portée beaucoup plus étendue que dans la plupart

des constitutions de l'Europe continentale alors en vigueur. Ceci résulte sans doute de la défaite

allemande à l'issue de la Première guerre mondiale et des violations du droit international reprochées à

l'Empire allemand. Néanmoins, et dès la rédaction de la Constitution, les juristes d'idéologie

nationaliste contestent l'attribution d'une telle normativité aux normes internationales dans la sphère du

droit du Reich26 ; puis, la tendance dominante devient, tout au long de la République de Weimar, de

minimiser au possible les effets juridiques de cette disposition constitutionnelle. La doctrine et la

jurisprudence s'accordent en effet de plus en plus pour restreindre l’attribution de la qualification de

«générales et reconnues» aux seules normes internationales reconnues de manière évidente ou expresse

par le Reich. Autrement dit, seule une règle généralement reconnue du droit international ayant fait

l'objet d'une reconnaissance par un organe du Reich, par exemple le législateur, devient une composante

du système juridique interne allemand27. Aussi, le retrait d’une telle reconnaissance par une loi du Reich

entraîne le retrait de la validité interne de la norme en question. Il est supposé, et bien que cela ne soit

aucunement spécifié par la Constitution elle-même, que le rang d’une règle généralement reconnue du

droit international se situe entre le rang de «simple» («einfach») droit du Reich et le rang de droit

constitutionnel fédéral.

Le régime national-socialiste conserve cette lecture de l'alinéa 4 WRV relativement commode, étant

donné qu'elle conditionne l'applicabilité du droit international par une procédure de droit interne. Le

droit international peut certes se «transformer» en droit interne, mais seulement pour autant et aussi

longtemps qu'il est explicitement reconnu par l'Allemagne28.

Presque toutes les Constitutions des Länder de 1946/1947 de la zone Ouest reproduisent le texte de

26 Des réserves importantes à l'encontre cette formule sont émises devant la Commission constitutionnelle à l'occasion de la première lecture. Ces réserves concernent surtout l’incertitude du contenu de la formulation « règles généralement reconnues du droit international », ainsi que l’applicabilité directe du droit international, car la doctrine dominante de l'époque soutient que l’application du droit international aux citoyens repose uniquement sur les actes de législation de l’État auquel le citoyen appartient. Par une décision prise à la majorité au cours de la première lecture, la formule issue du projet du ministre de l’intérieur d’État Hugo Preuss (article 3) est rayée par la Commission constitutionnelle. Elle est alors remplacée par une formule qui vise à limiter les effets juridiques des règles généralement reconnues du droit international à la sphère des relations entre le Reich avec les États tiers, aux côtés des traités d’État et d’éventuelles normes d’alliance entre peuples (« Für die Beziehungen des Deutschen Reiches zu auswärtigen Staaten sind die Staatsverträge, die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und, wenn das Reich in den Völkerbund eingetreten ist, dessen Bestimmungen maßgebend »). Au cours de la deuxième lecture, la formule initiale, et au final définitive, est rétablie, suivant ici la volonté exprimée par le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice du Reich d’adopter un mode d’applicabilité du droit international général s’inspirant, selon le rapporteur, de la jurisprudence anglo-américaine (« international Law is part of the law of the land ») et de la pratique nouvelle des États.27 Wolfgang Pigorsch, Die Einordnung völkerrechtlicher Normen in das Recht der Bundesrepublik Deutschland – Eine Studie zu den Artikeln 25, 59 und 79 des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland vom 23. Mai 1949 , Hansischer Gildenverlag – Joachim Heitmann & Co, Hambourg, 1959, 135 p., p. 28.28 Ernst Rudolf Huber, Verfassungsrecht des Grossdeutschen Reiches, Hanseatische Verlagsanstalt, Hambourg, 1939, 527 p., p. 266. Plus spécialement : Gustav Adolf Walz, « Das Verhältnis von Völkerrecht und staatlichem Recht nach nationalsozialistischer Rechtsauffassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 8, 1934, pp. 145-154 ; à propos de la conception national-socialiste du droit international : Eduard Bristler (=John H. Herz), Die Völkerrechtslehre des Nationalsozialismus, Emil Oprecht, Zurich, 1938, 230 p.

87

l'article 4 de la Constitution de Weimar29. L'entrée en vigueur de la Loi fondamentale en 1949 «brise»

par la suite la validité des dispositions constitutionnelles des Länder en matière de droit international

général, apparemment non compatibles avec l'organisation constitutionnelle fédérale. En effet, l'article

25 de la nouvelle Constitution fédérale allemande exclut clairement que la validité interne des règles

générales du droit international soit conditionnée par une quelconque reconnaissance, tant

«internationale» qu'«interne», c'est-à-dire résultant soit de l'action du pouvoir extérieur dans la sphère

internationale, soit d'une procédure interne telle la procédure législative. Le maintien de la notion de

«reconnaissance» dans la formulation des articles des constitutions des Länder semble donc

incompatible avec les données de la Loi fondamentale en la matière. Surtout, l'article 25 LF fait sortir le

domaine de la normativité interne du droit international général de la sphère de compétence des Länder,

d'autant plus qu'il spécifie que les règles générales du droit international font partie du « droit

fédéral »30.

La Commission d’experts pour les questions constitutionnelles réunie sur l'île d'Herrenchiemsee du 10

au 23 août 1948 part du constat, résultant de l'expérience national-socialiste, que l'article 4 WRV s'était

montré insuffisant pour garantir le respect du droit international par l'État allemand. Il s'ensuit qu'une

formulation alternative reste à trouver, qui renforcerait le statut du droit international dans le système

juridique interne, tout en assurant le principe de sa validité immédiate. Carlo Schmid 31 dit clairement

que le principal enjeu réside dans la transformation de l'ensemble des règles « générales » du droit

international – et non plus seulement les règles « généralement reconnues » du droit international – dans

le système juridique interne allemand. Et ceci passe par exclure de manière claire l'exigence d'une

procédure de transformation ad hoc. Le Conseil parlementaire suit la ligne fixée Convention de

Herrenchiemsee, en déterminant de surcroît la valeur des « règles générales du droit international » ;

elles privilégient désormais expressément, aux termes mêmes de l'article 25 LF, d'une supériorité sur les

lois.

L'article 25 LF nouvellement adopté dispose : « Les règles générales du droit international sont

composantes du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des

obligations pour les habitants du territoire fédéral ». A l'origine, la proposition du Comité général de

rédaction et la formulation exposée par le Comité principal retiennent l'expression « droit

constitutionnel fédéral » (« Bundesverfassungsrecht ») plutôt que celle de « droit

29 Cf. inter alia : Lawrence Preuss, « International Law in the Constitution of the Länder in the American Zone in Germany », AJIL, vol. 41, 1947, pp. 888-899.30 Cf. art. 70 al. 1 LF : « Les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la présente Loi fondamentale ne confère pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer. ».31 Carlo Schmitt (1896-1979), député et universitaire, membre du Parti social-démocrate allemand, est considéré comme le Père de l'ouverture du droit allemand au droit international. De manière générale, à propos de Carlo Schmid, cf. Petra Weber, Carlo Schmid : 1896-1979, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1998, 968 p. ; Klaus-Peter Schroeder, « Carlo Schmid (1896 – 1979) – Ein deutscher Europäer » , in : Klaus Beckmann, Jürgen Dieringer, Ulrich Hufeld (éds), Eine Verfassung für Europa, Mohr Siebeck, Tübingen, 2005, 612 p, pp. 21-36. A propos de l'influence de Carlo Schmid sur l'«ouverture» de la constitution allemande au droit international, cf. Frank Schorkopf, op. cit. note 22, pp. 58-61.

88

fédéral »(« Bundesrecht »)32. Ceci laisse alors supposer l'attribution d'une valeur constitutionnelle aux

règles générales du droit international, le terme «Bundesrecht» finalement adopté n'excluant d'ailleurs

pas nécessairement une telle valeur.

L'article 25 LF occupe une place centrale dans le dispositif constitutionnel relatif au droit international,

avec le Préambule et à côté des articles 24 et 26. La doctrine et la jurisprudence vont ensuite déduire de

cet ensemble le « verdict constitutionnel » pour la coopération (« Zusammenarbeit ») et le principe

d'« ouverture au droit international »33 (« Völkerrechtsfreundlichkeit »). Les caractéristiques les plus

remarquables de l'article 25 LF consistent en la transformation ipso iure du droit international qu'il

opère et en l'extension de l'obligation de respecter le droit international, qui s'adresse désormais à

l'ensemble des organes internes, et non plus seulement à la République fédérale d'Allemagne en son

ensemble. Dans la continuité de l'article 4 WRV, il revient à l'article 25 LF d'ouvrir encore davantage le

système juridique allemand au droit international.

β. Un contexte autrichien à l'origine plus ouvert à la normativité interne du droit international général

La situation internationale de l'Autriche au lendemain de la Première guerre mondiale est plus

méconnue, mais a sans doute des incidences sur l'histoire de la pensée juridique34. Certains auteurs

autrichiens conçoivent à ce moment une théorie du droit qui conduit à une critique de la doctrine alors

dominante (Dionisio Anzilotti, Heinrich Triepel) qui soutient que le droit international et le droit interne

évoluent séparément, de manière « déconnectée ». On précisera le contexte juridique de la naissance de

la République d'Autriche (i) avant l'historique de l'article 9 B-VG (ii).

i. La situation juridique internationale de l'Autriche

La République d'Autriche est visiblement un État crée par le droit international. La critique positiviste, 32 Parlamentarischer Rat, Akten und Protokolle, tome 7, p. 147 et svtes.33 La traduction littérale est la suivante : « principe d’amabilité au droit international de l’ordre juridique allemand ». On trouve cependant parfois comme traduction « le principe d’ouverture de l’ordre juridique allemand au droit international » (cf. Christian Autexier, Introduction au droit public allemand, PUF, Paris, 1997, 384 p., p. 154). Dans la doctrine allemande, cf. généralement : Albert Bleckmann, « Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 49, 1996, pp. 137-145 ; Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502. Dans la jurisprudence : BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (121) ; 111, p. 307. BVerfGE 111, p. 307 : « Das Grundgesetz hat die deutsche öffentliche Gewalt programmatisch auf die internationale Zusammenarbeit (Art. 24 GG) und auf die europäische Integration (Art. 23 GG) festgelegt. Das Grundgesetz hat den allgemeinen Regeln des Völkerrechts Vorrang vor dem einfachen Gesetzesrecht eingeräumt (Art. 25 Satz 2 GG) und das Völkervertragsrecht durch Art. 59 Abs. 2 GG in das System der Gewaltenteilung eingeordnet. Es hat zudem die Möglichkeit der Einfügung in Systeme gegenseitiger kollektiver Sicherheit eröffnet (Art. 24 Abs. 2 GG), den Auftrag zur friedlichen Beilegung zwischenstaatlicher Streitigkeiten im Wege der Schiedsgerichtsbarkeit erteilt (Art. 24 Abs. 3 GG) und die Friedensstörung, insbesondere den Angriffskrieg, für verfassungswidrig erklärt (Art. 26 GG). Mit diesem Normenkomplex zielt die deutsche Verfassung, auch ausweislich ihrer Präambel, darauf, die Bundesrepublik Deutschland als friedliches und gleichberechtigtes Glied in eine dem Frieden dienende Völkerrechtsordnung der Staatengemeinschaft einzufügen (vgl. auch BVerfGE 63, 343 [370]) ». 34 Cf. déjà les observations de Josef L. Kunz (1921/1922), op. cit. note 22 (avec une comparaison entre la situation juridique internationale de l'Allemagne et de l'Autriche).

89

en particulier par Hans Kelsen vers 192035, du dogme de la souveraineté résulte pour grande partie de

cette observation. Le Professeur Otto Pfersmann décrit ainsi le contexte :

« L’Autriche, telle qu’elle se présente en septembre 1919, doit son existence à un traité [Traité

de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919, StGB1, 1920/303]. Elle est donc une création pure et

simple du droit international conventionnel, mais ce même droit international conventionnel lui

interdisait de prendre la configuration qu’elle avait normativement affirmé vouloir adopter puisque le

traité de Saint-Germain-en-Laye la sépare des Sudètes et du Sud-Tyrol et lui interdit en même temps de

renoncer à une indépendance dont elle ne voulait pas en ces conditions. Formulé en termes plus

techniques, il s’agissait [pour Hans Kelsen] de comprendre comment un État souverain pouvait être

juridiquement forcé d’être et de rester souverain. […] La seule construction satisfaisante ne pouvait que

reposer sur la négation de l’indépendance, au sens strict, des ordres juridiques. Quelle que soit la

différence des droits et des obligations auxquels sont soumis les États, le seul fait de reconnaître que les

États soient et puissent être soumis à des devoirs n’est pensable que si l’on admet qu’ils ne sont tous

que des ordres juridiques partiels d’un ordre juridique unique, celui que l’on désigne habituellement

comme "droit international public". Revendiquer une souveraineté au sens strict revient à nier purement

et simplement l’existence de ce droit international. 36»

La République d'Autriche telle qu'elle existe actuellement résulte de plusieurs successions d'États

depuis la Première guerre mondiale37 :

Dans un contexte de succession d'États, la continuité de personnalité juridique entre l'État prédécesseur

et l'État successeur ne dépend aucunement de l'identité de nom. Un État peut changer de nom tout en

conservant la même identité que l'État prédécesseur ; il en va par exemple ainsi de la Fédération de

Russie qui continue la personnalité juridique de l'Union soviétique. A l'opposé, la conservation d'un

nom par un État n'implique pas sa continuité avec l'État disparu qui portait le même nom. Tel est le cas

de la République d'Autriche, créée à la suite de la Première guerre mondiale, qui ne continue pas la

personnalité juridique de la Monarchie autrichienne, lors même que son nom paraît proche de celui de

l'État ayant disparu après la reddition du 4 novembre 1918 et que le changement de régime n'affecte pas

35 Hans Kelsen, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1920, 320 p.. Référence de la seconde édition : Hans Kelsen, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème éd., Scienta, Aalen, 1960, 320 p. En Allemagne, quelques auteurs s'intéressent aussi à la limitation de la souveraineté de l'État par le droit international, cf. par exemple : Hans Gerber, Die Beschränkung der deutschen Souveränität nach dem Versailler Vertrage, Dümmler, Berlin, 1927, 174 p. Cependant, au contraire de l'Autriche, la doctrine «souverainiste», souvent liée à une idéologie nationaliste, a été dominante après la Première guerre mondiale.36 Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la seconde guerre mondiale », RFDC, vol. 16, 1993, pp. 761-789, p. 767.37 Cf. Waldemar Hummer, « Der internationale Status und die völkerrechtliche Stellung Österreichs seit dem Ersten Weltkrieg », in : Hanspeter Neuhold, Waldemar Hummer, Christoph Schreuer (éds), Österreichisches Handbuch des Völkerrechts, tome 1 : Textteil, 4ème éd., Vienne, 2004, 1278 p, p. 572 et svtes.

90

la continuité de l'État en droit international. Le Traité d'État de Saint-Germain-en-Laye ne tient

apparemment pas complétement compte de cette discontinuité. Les circonstances sont les suivantes : la

République d'Autriche est tenue de conclure un traité de paix avec les Alliés et les Puissances

associées ; l'article 177 de ce traité spécifie que la République « reconnaît pour les avoir causés, [la

responsabilité de l'Autriche] de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les gouvernements

Alliés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l'agression de

l'Autriche-Hongrie et de ses alliés », ce qui signifie que la République d'Autriche devient, en tant que

partie de l'Empire austro-hongrois, internationalement responsable des dommages provoqués par

l'ancienne Monarchie. Le Traité d'État de Saint-Germain-en-Laye rend donc les dommages de guerre

imputables à la nouvelle République d'Autriche. La création de cet État ne se fonde pourtant nullement

sur la Constitution de la Double Monarchie et le territoire de la nouvelle République ne constitue qu'une

petite partie du territoire de l'ancienne Monarchie.

Les juridictions internes de la République d'Autriche contestent d'emblée toute solution de continuité

entre l'Empire et la République. Dès ses débuts, la Cour suprême autrichienne estime que la République

nouvellement formée ne se présente en aucun cas comme l'État successeur de l'ancien Empire 38, les

dispositions du Traité de Saint-Germain ne s'opposant d'ailleurs pas à une telle discontinuité. La Cour

constitutionnelle constate, quant à elle, que la République d'Autriche n'est pas liée par les obligations de

l'ancienne Monarchie autrichienne, à moins qu'un traité international – auquel est partie la République

d'Autriche – le prévoit spécifiquement en des matières déterminées, ou que le droit interne autrichien

contienne une obligation en ce sens39. Le principe apparaît donc dans tous les cas celui de la

discontinuité entre la Monarchie autrichienne et la République d'Autriche.

L'annexion par le Reich allemand et la restitution de l'État autrichien marquent par la suite l'histoire

internationale et constitutionnelle de la République d'Autriche40.

Le droit international prévoit qu'un État conserve son identité, même à l'issue d'un changement de

gouvernement par voie révolutionnaire, si le territoire et la population qui vivent sur ce territoire

demeurent largement semblables. La continuité de l'existence même de l'État s'interrompt en revanche à

l'occasion d'une annexion par un autre État ou d'une union volontaire. Une telle discontinuité juridique

persiste ensuite, et ce, même si un État indépendant s'établit à nouveau sur le même territoire, peuplé de

la même population. Il s'agit dans ces circonstances, en droit international, de la création d'un État

nouveau, et non du rétablissement d'un État ancien.

38 Cf. inter alia dans une jurisprudence constante, la décision de la Cour suprême du 9 juillet 1931 à propos de la compagnie ferroviaire Kaiser Ferdinands-Nordbahn (Die Rechtsprechung, 1931, p. 241).39 Cf. les décisions de la Cour constitutionnelle du 11 mars 1919 (Slg. 18), du 5 mai 1919 (Slg. 119), du 6 mai 1919 (Slg. 124) et du 7 mai 1919 (Slg. 126). Cf. Alfred Verdross, « La Cour constitutionnelle d'Autriche et le problème de la succession des États », Bulletin de I'Institut Intermédiaire International, vol. 7, 1922, pp. 20-21.40 Cf. Hans Kelsen, « Die staatsrechtliche Durchführung des Anschlusses Österreichs an das Deutsche Reich », ZÖR, vol. 6, 1927, pp. 227-331.

91

En 1938, le Reich allemand annexe le territoire de la République d'Autriche («Anschluss»41), ce qui fait

juridiquement cesser l'existence de la République d'Autriche42. L'année 1945 voit l'établissement d'un

État appelé « Autriche » sur le même territoire, toujours peuplé par le peuple autrichien. Sa Constitution

ne reproduit ni le contenu de celle en vigueur pendant la période de l'«Anschluss»43, ni même le contenu

de la Constitution en vigueur encore auparavant, pendant le régime autoritaire corporatiste chrétien

instauré à partir de mars 193344 ; il s'agit d'un retour à la Loi constitutionnelle fédérale de 192045 en sa

version de 1929, et plus précisément aux institutions telles qu'elles se présentaient en 1933 46. La

Seconde République d'Autriche n'en est pas moins formellement un nouvel État, étant donné que la

Seconde République ne continue pas la Première, ni en droit international, ni en droit interne 47.

ii. Historique de l'article 9 B-VG

De même que l'article 4 WRV, l'article 9 B-VG est rédigé à la suite de la Première guerre mondiale,

dans le contexte plus général de l'élaboration de la Loi constitutionnelle fédérale, un des textes

constitutionnels autrichiens. A l'opposé de beaucoup d'autres dispositions constitutionnelles, on trouve

peu de traces de l'article 9 B-VG dans les documents relatifs à l'évolution de la Loi constitutionnelle

fédérale. La connaissance dont on dispose sur sa rédaction se limite, en résumé, à deux aspects : la

formulation de l'article n'a jamais été modifiée, mais son emplacement dans le texte constitutionnel a

changé à plusieurs reprises durant l'élaboration de la Loi constitutionnelle fédérale.

C'est lors de la Conférence des Länder de Salzbourg de février 1920, dont les travaux prennent pour

appui le projet constitutionnel privé du Secrétaire d'État pour la réforme constitutionnelle et

41 Le terme «Anschluss» n'apparaît pas dans les textes officiels autrichiens ; cf. inter alia : BGBl 75/1938, 13 mars 1938, Bundesverfassungsgesetz über die Wiedervereinigung Österreichs mit dem Deutschen Reich (Loi constitutionnelle fédérale sur la réunification de l'Autriche avec le Reich allemand) ; Gesetzblatt für das Land Ôsterreich 1/1938, 15 mars 1938 (article 1 : « Österreich ist ein Land des deutschen Reiches »).42 Cf. inter alia : Yitzhak Hans Klinghoffer, Les aspects juridiques de l'occupation de l'Autriche par l'Allemagne, Rio de Janeiro, Santo Antonio, 1943, 63 p. 43 StGBl. 1/1945 (1er mai 1945) ; article 2 : « Der im Jahre 1938 dem österreichischen Volke aufgezwungene Anschluß ist null und nichtig. »44 La Constitution promulguée le 1er mai 1934 ; le contenu de son Préambule est le suivant : « Au nom de Dieu Tout puissant, de qui émane tout droit, le peuple autrichien reçoit pour son État fédéral chrétien allemand la Constitution suivante, basée sur le principe corporatif ». 45 StGBl. 1/1945 (1er mai 1945) ; l'article 1 annonce : « Die demokratische Republik Österreich ist wiederhergestellt und im Geiste der Verfassung von 1920 einzurichten. »46 StGBl. 4/1945 (daté au 1er mai 1945), article 1 : « [Die Provisorische Staatsregierung hat beschlossen] das Bundes-Verfassungsgesetz in der Fassung von 1929 sowie alle übrigen Bundesverfassungs-gesetze und in einfachen Bundesgesetzen enthaltenen Verfassungsbestimmungen nach dem Stande der Gesetzgebung vom 5. März 193 3 werden im Sinne der Regierungserklärung, St.G.Bl. Nr. 3 von 1945 , wieder in Wirksamkeit gesetzt. »47 Le Traité d'État portant rétablissement d'une Autriche indépendante et démocratique (Vienne, 15 mai 1955) prévoit néanmoins une certaine continuité entre la Première et la Seconde République. En son article 1, le traité dispose : « Les Puissances Alliées et Associées reconnaissent que l'Autriche est rétablie en tant qu'État souverain, indépendant et démocratique ». Par ailleurs, le Préambule du même traité déclare que puisque « l'Allemagne hitlérienne a annexé l'Autriche par la force et a incorporé son territoire au Reich allemand », les signataires du Traité de Moscou de 1943 considèrent « comme nulle et non avenue l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne ». Cette déclaration est contraire à l'état du droit, ne serait-ce que parce que certains de ces États avaient auparavant reconnu l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne.

92

administrative Michael Mayr48, que le futur article 9 B-VG fait sa première apparition. Il prend alors

place au dernier alinéa de l'article 11 lit. 12. L'article 11 énumère tous les points destinés à être ajoutés à

la loi fédérale de la République d'Autriche. Le lit. 12 de cet article est inséré dans l'ensemble après la

Conférence, et concerne « la procédure administrative et la procédure administrative pénale, y compris

l'exécution contraignante ainsi que les dispositions générales du droit administratif pénal en ces

matières, relevant de la compétence d'exécution des Länder49 ». Les principes relatifs à l'exécution de la

loi contenues dans le lit. 12 relèvent de la compétence de principe de la Fédération, sauf si le contraire

est expressément prévu.

Le futur article se présente déjà avec la formulation « Les règles généralement reconnues du droit

international sont valides en tant que composantes du droit fédéral » à la Conférence des Länder qui se

déroule à Linz en avril 1920 ; il ne suscite pas l'attention des délégués50. A l'issue du projet dit de Linz,

le futur article 9 B-VG est déplacé vers l'ensemble de l'article 11, qui comprend une énumération des

matières relevant de la compétence fédérale. Son inclusion dans la sphère de compétence fédérale ne

paraît toutefois pas totale, étant donné qu'en prenant place dans le §3 du projet de l'article 11, il

demeure clairement séparé de son §1 qui détermine un certain ensemble de matières fédérales51.

En parallèle, l'article 9 B-VG entre dans le projet dénommé « Renner52-Mayr », et précisément dans son

article 24 ainsi formulé :

« 1. La République d'Autriche est prête à adhérer à la S.D.N. en tant que membre indépendant et à se

soumettre aux institutions mises en place par la S.D.N. ;

2. Les règles généralement reconnues du droit international sont valides en tant que composantes du

droit fédéral ;

3. La représentation de la République devant la S.D.N. et devant les autres États, ainsi que la conclusion

des traités internationaux, sont exclusivement de la compétence de la Fédération ».

La position du futur article 9 B-VG dans le projet Renner-Mayr appelle plusieurs observations :

La disposition ne fait pas en l'occurrence partie des articles relatifs à la répartition des

compétences au sein de l'État fédéral (§3 du projet de Linz), mais se situe dans le §2 dénommé « à

48 Michael Mayr (1864-1922), professeur d'université et membre du Parti chrétien-social (Christlichsoziale Partei), est considéré, avec notamment Karl Renner et Hans Kelsen, comme un des principaux fondateurs de la Loi constitutionnelle autrichienne de 1920. Cf. à propos du « projet privé » de Michael Mayr : Felix Ermacora (éd.), Quellen zum österreichischen Verfassungsrecht (1920) – Die Protokolle des Unterausschusses des Verfassungsausschusses samt Verfassungsentwurfen, mit einem Vorwort, einer Einleitung und Anmerkungen, Berger, Vienne, 1967, 577 p., p. 43 et svtes.49 « Das Verwaltungs- und Das Verwaltungsstrafverfahren einschließlich der Zwangsvollstreckung sowie die allgemeinen Bestimmungen des Verwaltungsstrafrechts in Angelegenheiten, deren Vollziehung den Länder zusteht. »50 Cf. sténographie des textes de négociation sur la Conférence des Länder (Länderkonferenz) de Linz des 20, 21 et 22 avril 1920, édité par OÖ Landesrates, Salzbourg. 51 Felix Ermacora (éd.), op. cit. note 48, p. 43 et svtes.52 Karl Renner (1870-1950), chancelier de l'État au moment des négociations sur la Loi constitutionnelle fédérale, bibliothécaire général de l'État de profession et membre du Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeiterpartei), est un des fondateurs de la Loi constitutionnelle fédérale de 1920.

93

propos de la puissance publique dans la République ».

Ce projet met clairement en relation le futur article 9 B-VG avec la volonté politique de

l'Autriche de devenir membre de la Société des Nations. L'Autriche s'efforce alors, dans le cadre du

processus de négociations avec les Alliés concernant les termes du Traité d'État de Saint-Germain,

d'obtenir une adhésion à la Société des Nations en tant que membre originaire. A cette fin, la délégation

gouvernementale autrichienne attire l'attention sur le fait que la nouvelle « Autriche allemande »

(Deutschösterreich), dans la politique qu'elle a menée jusqu'à ce jour, ne s'est jamais comportée de

manière à ce que l'on puisse douter qu'elle se soit écartée d'un esprit de paix et de respect des autres

peuples, et qu'elle a de plus en toutes occasions accompli ses autres obligations internationales 53. Pour

le nouvel État autrichien, une adhésion rapide à la Société des nations – surtout en tant que membre

originaire – semble à ce moment cruciale, et ce pour deux raisons : 1. Il est considéré que l'adhésion à la

Société des Nations constituerait sans doute la principale garantie d'une solution appropriée à toutes les

divergences qui risquent d'éclater entre l'Autriche et les autres États issus du démembrement de

l'Empire, et ce d'autant plus la Société des Nations a déjà admis ces États – à l'exception de la Hongrie 54

– en qualité de membres originaires55 ; 2. L'espoir d'adhérer au Reich allemand n'a pas encore disparu,

et il semble plus facile pour cela d'obtenir l'approbation du Conseil de la Société des Nations en

bénéficiant du statut de pair56. Les Alliés rejettent cette dernière requête, et l'article 88 du Traité de

Saint-Germain-en-Laye prohibe d'ailleurs expressément toute adhésion au Reich allemand ; les Alliés

signalent cependant qu'ils sont prêts à apporter leur soutien à une candidature de l'Autriche pour une

adhésion à la Société des Nations après signature du Traité « dès qu'ils auront l'assurance que l'Autriche

disposera d'un gouvernement raisonnable et dès que ce gouvernement aura montré qu'il veut et peut

remplir ses obligations internationales57 ». L'actualité géopolitique transparaît dans le projet Renner-

53 Note de la délégation gouvernementale autrichienne au Président de la Conférence de la Paix, Zl. 501 ; disponible in : Bericht über die Tätigkeit der österreichischen Friedenskonferenz in St. Germain-en-Laye , Tome I, Deutschösterreichische Staatsdruckerei, Vienne 1919, supplément 20, p. 172.54 La Monarchie austro-hongroise dissoute après la défaite de la Première guerre mondiale forme une «union réelle» entre États. Il convient de distinguer l'«union réelle» de l'«union personnelle». Les deux formes d'union ont en ceci en commun que le chef d'un État est aussi le chef d'un autre État. Dans le cas de l'union réelle, l'identité de chef de l'État pour les États concernés est permanente et automatique : elle est fondée sur une constitution commune à ces États. Dans le cas de l'«union personnelle», cette identité est transitoire et plus accidentelle (par exemple, l'Empire de Charles Quint est une union de cette sorte). Lorsque la constitution centralise complétement la compétence en matière de relations internationales, l'«union réelle» est un sujet de droit international, tandis que les États la composant ne le sont pas. Tel est le cas de la « Double Monarchie » austro-hongroise. Cela est un des facteurs expliquant, avec la large modification de territoire et de population, la discontinuité internationale entre la Monarchie austro-hongroise et la République d'Autriche. Après la Première guerre mondiale, les puissances alliées considèrent pourtant l'Autriche et la Hongrie comme responsables de la guerre, d'où leur absence de statut de membre originaire de la Société des Nations.. 55 Note de la délégation gouvernementale autrichienne au Président de la Conférence de la Paix, Zl. 501 ; disponible in : op. cit. note 53, p. 172.56 Cf. par exemple la décision de l'assemblée nationale du 6 septembre 1919, avec pour enjeu la signature du Traité de Saint-Germain demandée par le chancelier d'État ; cf. aussi : Bericht über die Tätigkeit der österreichischen Friedenskonferenz in St. Germain-en-Laye, Tome II, Deutschösterreichische Staatsdruckerei, Vienne 1919, p. 628 et svtes.57 Note du Président de la Conférence de la paix au Président de la délégation gouvernementale autrichienne, Zl. 5331 ; disponible in : op. cit. note 53, p. 319.

94

Mayr, dont les commentaires de l'article 24 précisent que « l'adhésion à la S.D.N. et la représentation de

l'État à l'intérieur de celle-ci font parties des décisions souveraines de la République. Pour cette raison,

les actes de la politique extérieure énumérés se situent avant ceux relatifs aux principes de droit interne

relatifs à la répartition des compétences ; car ils n'entrent pas strictement ni dans les actes de l'autorité

gouvernementale centrale, ni dans ceux de la loi fédérale, ni dans la compétence d'application de la loi,

et pour cette raison ne peuvent pas être admis dans la troisième partie58 ».

C'est finalement le projet de Linz, et non le projet Renner-Mayr, qui est retenu comme base de travail de

l'Assemblée nationale constituante ; la Sous-commission de la Commission constitutionnelle lui donne

en effet la préférence en raison d'une structure mieux systématisée59. En raison peut-être de ce choix, le

futur article 9 B-VG n'attire guère l'attention de la Sous-commission au cours de ses débats. Ce n'est en

effet qu'à l'occasion de la troisième séance qu'il est mentionné, à la requête d'ailleurs du secrétaire d'État

Mayr, qui propose de le détacher de l'article 11 du projet de Linz60 et de le placer comme article

indépendant à sa suite. La Sous-commission accepte cette requête, avec une demande de modification

du social-démocrate Robert Danneberg61.

Dans la première composition de la future Loi constitutionnelle fédérale adoptée par la Sous-

commission, le futur article 9 prend la place d'article 12a, soit après la répartition des compétences entre

Fédération et Länder. Cependant, au cours des travaux de rédaction, dont peu de détails subsistent, il se

trouve situé avant celle-ci, ce qui semble en accord avec l'idée directrice du projet Renner-Mayr 62. Dès

lors, l'article 9 obtient sa position définitive au sein du titre premier de la Loi constitutionnelle fédérale,

parmi les dispositions générales, et avant les règles de répartition des compétence entre Fédération et

Länder (articles 10-15 B-VG63)64.

Deux aspects de l'histoire de la rédaction de l'article 9 B-VG apparaissent remarquables : aucun des

projets proposés ne l'a situé au même emplacement et son contenu n'a jamais été modifié. Les historiens

de la Constitution autrichienne avancent comme explications l'indifférence des partis politiques envers

le domaine de l'article 9 et la décision de l'introduire dans la Constitution manifestement prise

préalablement aux débats, pour les raisons géopolitiques déjà évoquées. Selon le témoignage apporté

par Hans Kelsen, l'article 9 B-VG est une imitation de l'article 4 de la Constitution du Reich allemand

du 11 août 191965. Presque tous les commentaires de l'article 9 B-VG par les auteurs autrichiens

58 Felix Ermacora (éd.), op. cit. note 48, spécialement p. 257.59 Cf. le protocole de la première séance de la sous-commission de la Commission constitutionnelle de l'Assemblée nationale constituante, in : Felix Ermacora (éd.), ibid., spécialement p. 270 et svtes.60 Felix Ermacora (éd.), ibid, p. 43 et svtes.61 Cf. le protocole de la troisième séance de la sous-commission de la Commission constitutionnelle de l'Assemblée nationale constituante, cf. Felix Ermacora (éd.), ibid., p. 288.62 Felix Ermacora (éd.), ibid., p. 257.63 Cf. Leopold Werner, « Die Kompetenzartikel der Bundesverfassung in der Rechtsprechung des Verfassungsgerichtshofes », JBl, 1960, p. 161 et svtes.64 Felix Ermacora (éd.), op. cit. note 48, p. 381 et p. 503.65 Hans Kelsen, Österreichisches Staatsrecht – ein Grundriß entwicklungsgeschichtlich dargestellt, Scienta, Tübingen

95

contiennent d'ailleurs, actuellement encore, une analyse de la formation de l'article 4 WRV.

γ. Comparaison entre l'historique de l'article 4 WRV et de l'article 9 B-VG

La formulation de l'article 9 B-VG présente de manière évidente une ressemblance avec celle de l'article

4 WRV (art. 4 WRV : « Die allgemeinen anerkannten Regeln des Völkerrechts gelten als bindende

Bestandteile des deutschen Reichsrechts. » ; Art. 9 B-VG : « Die allgemein anerkannten Regeln des

Völkerrechtes gelten als Bestandteile des Bundesrechtes. »). La comparaison entre leurs formulations ne

justifie sans doute pas un raisonnement par analogie, à l'issu duquel on pourrait déduire du contexte

plus connu du droit allemand le sens de l'article 9 B-VG dans le contexte du droit autrichien.

Cependant, une grande proximité chronologique et linguistique autorise certainement à rapprocher

l'histoire de leurs formations :

La formulation de l'article 4 WRV est fixée dès la première composition de la Constitution allemande 66,

et il en ira de même ultérieurement de l'article 9 B-VG. A travers l'adoption de cet article, le constituant

allemand poursuit un double objectif : d'une part, il veut montrer à l'extérieur que le Reich allemand

n'accorde pas moins de valeur au droit international que celle qui lui est attribuée dans le monde de la

Common Law, et par là espère mettre fin à certaines critiques67 ; d'autre part, il cherche à montrer, et ce

à l'encontre la doctrine juridique dominante de l'époque, que les règles généralement reconnues du droit

international ne sont pas exclusivement applicables immédiatement par les États dans le domaine des

relations inter-étatiques, mais qu'elles peuvent aussi s'adresser aux simples citoyens en tant que

1923, 256 p., p. 169 ; Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, « Kommentar zu Art. 9 », in : Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., p. 75. L'affirmation du Professeur Frank Schorkopf selon laquelle la rédaction de l'article 4 WRV se produit sous l'influence de l'Ecole de Vienne du droit international par l'intermédiaire du Ministre d'Empire Hugo Preuss, connaissance personnelle de Hans Kelsen, nous semble insuffisamment prouvée ; cf. Frank Schorkopf, op. cit. note 22, pp. 35-37. Plusieurs éléments factuels et de fond infirment cette assertion. De fait, la présence relevée d'une délégation autrichienne autour du Ministre d'Empire Hugo Preuss relève davantage du procédé habituel de la diplomatie que d'un échange théorique. Par ailleurs, ni Hans Kelsen, ni un de ses collaborateurs ne témoignent d'une telle influence sur la rédaction de l'article 4 WRV, alors qu'ils se sont pourtant intéressés à l'historique de l'article 4 WRV, l'article 9 B-VG étant une « imitation » de celui-ci. Sur le fond, il est vrai que le Ministre Hugo Preuss semble plus favorable qu'un certain nombre de ses compatriotes à l'ouverture de la Constitution allemande au droit international, mais rien n'indique que cela soit sous l'influence d'une «École de Vienne de la théorie du droit» encore à ses commencements. Hans Kelsen lui-même ne se prononce pas nettement pour une transformation du droit international en droit interne par une norme constitutionnelle proche de « international law is part of the law of the land ».66 Cf. Max Wenzel, Juristische Grundprobleme. 1. Der Begriff des Gesetzes – Zugleich eine Untersuchung zum Begriff des Staats und Problem des Völkerrechts, Dümmler, Berlin 1920, 521 p., p. 428 et svtes (avec citations des protocoles de la commission constitutionnelle du Reichstag) ; Alfred Verdross, « Reichsrecht und internationales Recht – Eine Lanze für Art. 3 des Regierungsentwurfes der deutschen Verfassung », Deutsche Juristenzeitung, vol. 24, 1919, p. 291 et svtes ; Alfred Verdross, Die Einheit des rechtlichen Weltbildes auf Grundlage der Völkerrechtsverfassung, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1923, 171 p., p. 111 et svtes ; Gustav Adolf Walz, Völkerrecht und staatliches Recht – Untersuchungen über die Einwirkungen des Völkerrechts auf das innerstaatliche Recht , Kohlhammer, Stuttgart, 1933, 503 p., p. 300 et svtes ; Gerhard Anschütz, Die Verfassung des Deutschen Reiches – ein Kommentar, 13ème éd., G. Stilke, Berlin, 1930, 678 p., p. 58 et svtes.67 Représentants du ministère des Affaires étrangères au sein du Comité constitutionnel, Protocole, 36ème séance, p. 11 ; cf. aussi intervention en assemblée plénière du Ministre d'Empire Hugo Preuss dans la première lecture du projet constitutionnel, rapport sténographique, p. 286.

96

destinataires68. La doctrine allemande conteste avec véhémence une telle conception de la normativité

du droit international, avec à l'appui plusieurs arguments, présents dès les débats relatifs à l'élaboration

de l'article 4 WRV :

Le droit international ne s'adresserait qu'aux États : « ainsi l'opinion a été avancée que le droit

international n'attribue des droits et des devoirs qu'aux États. Pour leurs sujets, ce ne serait qu'une res

inter alios acta. ». Il s'ensuit que, nécessairement, le contenu du droit international ne peut s'adresser

aux individus que par l'intermédiaire d'une loi fédérale, donc de manière indirecte. Un prolongement

nationaliste accompagne souvent cet argument : en important la norme « international law is part of the

law of the land », l'Allemagne se soumettrait au bon vouloir des États qui prétendent que seule leur

conception du droit international est valable69.

L'autre argument repose sur l'idée que les règles généralement reconnues du droit international

n'existent pas véritablement. Quelques-uns des protagonistes soutiennent en effet que les traités

constituent la source unique du droit international, et, plus spécifiquement, qu'il faudrait que les règles

généralement reconnues du droit international existent sous une forme juridique claire pour devenir

normatives envers les citoyens et les tribunaux70. Les défenseurs du futur article 4 WRV répliquent qu'il

n'est peut être pas possible d'identifier précisément ce qui est « généralement reconnu », mais qu'il reste

au moins possible d'affirmer que les normes internationales non reconnues par toutes les grandes

puissances, parmi lesquelles figure l'Allemagne, ne font pas partie des « règles du droit international

généralement reconnues »71. Ce débat aboutit à une sorte de compromis : « ce que le peuple allemand ne

reconnaît pas comme norme du droit international ne constitue pas pour lui un droit généralement

reconnu ; par contre, ce que le peuple allemand reconnaît peut être considéré comme du droit

international généralement reconnu. Ce qui attribue valeur juridique est ce que le peuple allemand lui-

même décide 72».

L'hostilité au futur article 4 WRV demeurait néanmoins telle, et ce malgré cette supposée « garantie

populaire », que la Commission constitutionnelle avait un instant décidé de remplacer le projet initial

par une disposition limitant la normativité du droit international aux relations entre le Reich allemand et

les autres États : « En matière de relations du Reich allemand avec les États extérieurs, les traités

internationaux, les règles généralement reconnues du droit international, ainsi que les décisions

unilatérales d'une organisation internationale en cas d'adhésion du Reich allemand, sont normatifs. 73 »

68 Protocole de la Commission constitutionnelle, 3ème séance, p. 8.69 Rapporteur Habe, Protocole de la Commission constitutionnelle, 3ème séance, p. 6.70 Opinions des membres Heinke et Delbruck, Protocole de la Commission constitutionnelle, 3ème séance, p. 7.71 Ministre d'Empire Hugo Preuss, Protocole de la Commission constitutionnelle, 3ème séance, p. 8. Selon Hugo Preuss, l'Allemagne en tant que Puissance peut s'opposer à la formation d'une « règle généralement reconnue du droit international » en ce que : « vielleicht nicht immer mit mathematischer Gewissheit sagen lässt, was "allgemein" anerkannt ist ; aber dass Regeln des Völkerrechts, die nicht von allen Grossmächten anerkannt sind, nicht allgemein anerkannte Regeln des Völkerrechts sind, darüber ist kein Zweifel. »72 Ministre d'Empire Eduard David, Protocole de la Commission constitutionnelle, 3ème séance, p. 9.73 Protocole, 4ème séance, p. 1.

97

Le représentant des affaires étrangères constate que cette nouvelle formulation vide le futur article 4

WRV du sens qu'il avait à l'origine, et qu'il est désormais superflu puisqu'il ne contient plus que des

évidences74. La deuxième lecture du projet marque le retour à la formulation initiale, à la suite des

interventions du ministère des affaires étrangères et de la chancellerie. Aussi, une publication du jeune

universitaire autrichien Alfred Verdross dans la revue Deutsche Juristenzeitung (DJZ), en faveur du

projet initial du gouvernement, y a entre-temps sans doute contribué75.

Un autre aspect du futur article 4 WRV occupe une place centrale dans le débat qui se déroule devant la

Commission constitutionnelle : à travers sa formulation, l'État allemand est sommé de suivre la pratique

anglo-américaine. Quelques auteurs disent toutefois qu'il ne s'agirait en vérité pas là d'une nouveauté, et

qu'on ne sortirait donc pas de la continuité avec la pratique déjà existante 76, étant donné que le

Reichsgericht fait traditionnellement référence au droit international en complément du droit allemand 77 78. Le représentant des affaires étrangères ajoute que le futur article 4 WRV n'apparaît nullement comme

une menace pour le « droit allemand », car la force dérogatoire dont sont dotées les règles généralement

reconnues du droit international apparaît de toute façon insuffisante pour ce faire :

« Dans la sphère juridique anglo-américaine aussi, la signification selon laquelle le droit

international brise le droit interne n'est pas attribuée aux principes énoncés ; bien plus, en l'état du droit,

le principe est interprété dans le sens suivant : lorsqu'il y a opposition claire entre le droit national avec

une ainsi-nommée règle généralement reconnue, le juge doit appliquer le droit national et c'est l'affaire

de l'État de mettre fin à l'opposition entre le droit interne et le droit international. Le principe gagne

surtout en importance dans les cas où le droit national ne prévoit rien à propos d'une question ou

manque de clarté ; dans ces cas, le droit national doit être interprété de telle manière à ce qu'une

74 Protocole, 36ème séance, p. 10 et svtes.75 Alfred Verdross, (1919), op. cit. note 66 ; Gustav Adolf Walz, op. cit. note 66, p. 302.76 Protocole, 36ème séance, p. 10 et svtes. Cet argument ne paraît pas rendre compte du droit positif, car le Reichsgericht applique immédiatement le droit international (mode d'applicabilité moniste au sens technique), et non sur le fondement d'un principe de droit interne « international law is part of the law of the land » (mode d'applicabilité médian).77 Gustav Adolf Walz, op. cit. note 66, p. 296 et svtes. 78 L'applicabilité interne du droit international général dépend surtout de la compétence des organes d'application du droit dans chaque cas en question. En Autriche, celle-ci est au moins partiellement réglementée à la même époque par l'article IX de la Loi introductive à la compétence juridictionnelle (Einführungsgesetz zur Jurisdiktionsnorm) du 1er août 1895. Cet article dispose que : « Art. IX. (1) Die Vorschriften der Jurisdiktionsnorm haben auch auf bürgerliche Rechtssachen Anwendung zu finden, welche

nach Völkerrecht der inländischen Gerichtsbarkeit unterstellt und nicht durch gesetzliche Vorschriften der Gerichtsbarkeit der ordentlichen Gerichte entzogen sind.

(2) Die inländische Gerichtsbarkeit erstreckt sich auf Personen, die nach Völkerrecht Immunität genießen, wenn und insofern sie sich den inländischen Gerichten freiwillig unterwerfen oder die Rechtssache ihre im Inland gelegenen unbeweglichen Güter oder ihre dinglichen Rechte an inländischen Liegenschaften anderer Personen zum Gegenstand hat.

(3) Wenn es zweifelhaft ist, ob die inländische Gerichtsbarkeit über eine Immunität genießende Person begründet oder die Immunität zugunsten einer Person anerkannt ist, so hat das Gericht hierüber die Erklärung des Bundesministeriums für Justiz einzuholen. »

98

opposition avec le droit international soit évitée : le principe a ici valeur de règle d'interprétation 79 ».

Le représentant de la chancellerie complète : « le principe de l'article 3 du Projet du gouvernement

[futur article 4 WRV] ne poserait problème que dans le cas où des prescriptions claires de loi allemande

pourraient être supprimées ou modifiées par le biais de règles internationales ; en d'autres termes que le

droit international brise le droit national.80 ». De l'avis dominant, la disposition constitutionnelle évite

toutefois par elle-même cette situation juridique, car elle transforme uniquement les règles

« généralement reconnues » du droit international. Il en résulterait l'exclusion de toute norme

internationale, même d'un principe général du droit international, qui contredit une norme claire du

droit allemand. La proposition d'un député de modifier la formulation du futur article 4 WRV en

spécifiant que les règles généralement reconnus du droit international sont des éléments qui complètent

le droit du Reich fait ensuite l'objet d'un rejet ; une telle insistance sur la primauté du droit national ne

paraît en effet aucunement nécessaire. La majorité de la Commission constitutionnelle se prononce

finalement pour la formulation initiale, celle de l'article 3 du Projet du gouvernement, devenu article 4

dans la rédaction définitive. En assemblée plénière, aucune délibération n'a lieu.

Le travail de la Commission constitutionnelle n'empêche pas la poursuite du débat relatif à la

signification de l'article 4 WRV sous la République de Weimar. L'introduction même de cet article est

alors globalement perçue comme une soumission inutile au vainqueur, ce qui provoque un rejet massif

de sa normativité81. Et même parmi ses partisans, les opinions divergent amplement quant à la force

dérogatoire des règles généralement reconnues du droit international par rapport à la réglementation

proprement interne82. Ce dernier débat s'ouvre au même moment en Autriche, où il n'a pas commencé

dès la rédaction de la Loi constitutionnelle, et où il s'inscrit dans un contexte moins tendu.

Les formulations de l'article 4 WRV et de l'article 9 B-VG présentent deux traits communs qui les

caractérisent incontestablement dans le contexte du début du XXe s. : ils constituent une adaptation de

la formule anglaise « international law is part of the law of the land » ; ils contiennent la même

expression « règles généralement reconnues du droit international » :

i. Une adaptation de la formulation « international law is part of the law of the land »

Tant en Allemagne qu'en Autriche, le constituant adopte intentionnellement la technique anglo-

américaine en matière de relation entre droit international et droit interne. Cela n'a pas manqué d'attirer

79 Protocole, 36ème séance, p. 10 et svtes (p. 13).80 Ibid, p. 11.81 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, p. 163.82 Gustav Adolf Walz, op. cit. note 66, p. 311 et svtes ; Walter Rudolf, Völkerrecht und Deutsches Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1967, 323 p., p. 240 et svtes ; Karl Josef Partsch, Die Anwendung des Völkerrechts im innerstaatlichen Recht, Überprüfung der Transformationslehre. Arbeiten der 1. Studienkommission der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht, C.F. Müller, Karlsruhe, 1964, 179 p., p. 60.

99

la critique de quelques auteurs, même contemporains83 : l'application du principe « international law is

part of the law of the land » – modèle des formulations employée dans l'art. 4 WRV et dans l'art. 9 B-

VG – s'observe certes largement dans la jurisprudence anglo-américaine, mais il ne serait pas possible

de séparer un tel mode d'applicabilité du droit international du contexte spécifique des systèmes

juridiques dits de Common law. Aussi, William Blackstone, sans doute à l'origine de cette formulation

(1769), ne ferait qu'exprimer l'unité entre le droit international et la common law84 telle qu'elle découle

de sa conception du droit naturel85. En droit anglais, la « common law » (au sens strict86) prime au

XVIIIe s. sur le droit produit par le monarque et le Parlement87 ; les juridictions appliquent alors le droit

international de manière immédiate et presque illimitée. Par la suite, toutefois, la relation hiérarchique

entre la common law et le droit législatif s'inverse, ce qui entraîne la perte de primauté du droit

international général. Dans le doute, le droit international cède désormais au profit du droit issu du

Parlement, y compris lorsqu'il est possible d'appliquer ce dernier conformément au droit international,

et ce, aussi bien en droit anglais qu'en droit américain88. Ces évolutions somme toute singulières

paraissent bien connus des auteurs allemands à l'époque de la rédaction des constitutions allemande et

autrichienne89.

Le constituant allemand importe ouvertement une technique étrangère ; par contraste, les raisons pour

lesquelles le constituant autrichien adopte le modèle anglo-américain, malgré toute sa spécificité, ne

sont pas déductibles des documents à disposition90. Il est parfois regretté que, par cette importation d'un

modèle étranger issu de surcroît d'une tradition juridique nettement divergente, la réglementation de la

relation entre droit international et droit interne ne paraît pas claire en droit autrichien, tandis qu'elle

semble complétement structurée dans les systèmes juridiques de Common law91.

83 Manfred Rotter, op. cit. note 22.84 Conventionnellement, on distinguera ici « la Common law », qui renvoie aux différents États dont la tradition juridique trouve son origine en Angleterre, de « la common law » qui est composante des systèmes juridiques internes des États dits de Common Law.85 William Blackstone, Commentaries on the Law of England, 4 tomes, Clarendon Press, Oxford 1769, tome 1, p. 67 et svtes.86 Par « common law au sens strict », on entend l'ensemble des « coutumes générales du Royaume » ; cf. William Blackstone, ibid., p. 63 et svtes.87 Albert Venn Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10ème éd., Macmillan & Co, Londres, 1965, 535 p., p. 60 ; Leo Gross, « Der Rechtsbegriff des Common Law und das Völkerrecht », ZÖR, vol. 11, 1931, p. 353 et svtes.88 Gustav Adolf Walz, op. cit. note 66, p. 275 et svtes ; Hersch Lauterpacht, Oppenheim's International Law, vol. 1, 8ème éd.., D. McKay, Londres, 1963, 1072 p., p. 41 et svtes ; Green H. Hackworth (éd.), Digest of International Law, 8 volumes, U.S. Dept. of State, Washington, 1940-1944, vol. 1, Washington, 1940, p. 24 et svtes.89 Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, C.L. Hirschfeld, Leipzig, 1899, 476 p., réédition Aalen 1958, 452 p., p. 153 et svtes. 90 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 166.91 Manfred Rotter, op. cit. note 22, spécialement pp. 10-11. Cf. aussi l'analyse développée par Hans R. Klecatsky : « Nach der herrschenden Meinung stellt Art. 9 B-VG keinen einmaligen, historischen Rezeptionsakt dar, sondern eine auf die jeweils entstehenden Normen des Völkergewohnheitsrechtes abzielende, ständig wirkende Transformationsnorm. Die Auffassung darüber, welchen Rang diese allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im Stufenbau der innerösterreichischen Rechtsquellen haben, ist völlig uneinheitlich. Weil aber davon neben vielen anderen ersten Problemen auch die Frage des derogatorischen Verhältnisses der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts zu den innerstaatlichen Rechtsvorschriften abhängt, so leuchtet ein, daß die Theorie von der dynamischen Rezeption nur deshalb kein Chaos bewirkt hat, weil ihr in der innerstaatlichen Praxis einfach niemand ernsthaft folgt . »

100

ii. L'origine de la formulation « règles généralement reconnues du droit international92 »

La formulation « règles généralement reconnues du droit international », commune à l'article 4 WRV et

à l'article 9 B-VG, n'est pas issue d'une terminologie juridique nationale propre, mais de celle du droit

international. A l'époque de la rédaction de la Constitution de Weimar et de la Loi constitutionnelle

fédérale autrichienne, la formulation « règle généralement reconnue du droit international » se trouve en

effet déjà présente dans la terminologie du droit international, surtout en matière de guerre maritime.

En 1907, les représentants de quarante-cinq États, c'est-à-dire à ce moment quasiment tous les États

souverains, participent à la Seconde conférence pour la paix de La Haye qui aboutit le 18 octobre à la

Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, mais aussi à d'autres textes

internationaux plus méconnus, parmi lesquels la Convention (XII) relative à l'établissement d'une Cour

internationale de prises. La Cour internationale de prises, qui n'a jamais été instituée à défaut du

quorum de ratifications93, est conçue comme une juridiction internationale qui peut être saisie par des

personnes privées ou des États neutres victimes d'un conflit armé dans le cadre d'un recours à l'encontre

les décisions des tribunaux de prises nationaux. Sa fonction consiste à contrôler la conformité par

rapport au droit international des captures de biens opérées sur mer94. La Cour internationale des prises

applique les traités internationaux qui lient le belligérant opérant la capture et l'État partie au litige ou

l'État dont le ressortissant est partie au litige (art. 7 al. 1) et, à défaut d'une telle réglementation

particulière, les « règles généralement reconnues du droit international » (art. 7 al. 295).

La référence aux « règles généralement reconnues du droit international », dont le contenu est

indéterminé et échappe à la volonté des États, constitue une des raisons de l'insuccès du projet de la

Cour internationale des prises96. En dépit de ce contexte défavorable, la Grande-Bretagne prend

l'initiative, à l'occasion de la Conférence navale de Londres en 1909, qui ne réunit que les grandes

; cf. « Die Bundesverfassungsnovelle vom 4 März 1964 über die Staatsverträge », JBl., 1964, p. 349 et svtes, spécialement p. 353.92 Frank Schorkopf, op. cit. note 22, spécialement pp. 37-40 ; Alexander Freiher Hold von Ferneck, « Die Londoner Seekriegsrechtkonferenz », Grünhuts Zeitschrift für Privat- und öffentliches Recht der Gegenwart , vol. 36, 1906, p. 301 et svtes.93 La doctrine international dominante y voit alors une atteinte à la souveraineté de l'État, car la Cour internationale des prises statue indépendamment de la volonté des États. Ainsi, selon Franz von Liszt : « Une norme [...] qui oblige un État bien qu'il ne l'ait pas reconnue comme une obligation ne peut provenir d'une puissance qui se situe au dessus de l'État. » ; cf. « Das Wesen des völkerrechtlichen Staatenverbandes und der Internationale Prisenhof », in : Festgabe der Berliner juristischen Fakultät für Otto von Gierke zum Doktorjubiläum 21. August 1910, tome 3, Internationales Recht, Strafrecht, Rechtsvergleichung, M. & H. Marcus, Breslau, 1910, 363 p., pp. 19-44, spécialement p. 36.Un Protocole additionnel en date 19 septembre 1910 est ajouté afin de remédier aux « difficultés d'ordre constitutionnel s'opposant à l'acceptation » de la Convention (XII), mais sans succès. 94 Aymé Berthon, La juridiction des prises maritimes et la cour internationale des prises, organisée par la 2e conférence de la Haye en 1907, A. Pedone, Paris, 1911, 251 p. ; Franz von Liszt, ibid.95 L'article 7 al. 2 est ainsi formulé : « A défaut de telles stipulations [conventionnelles particulières], la Cour applique les règles du droit international. Si des règles généralement reconnues n'existent pas, la Cour statue d'après les principes généraux de la justice et de l'équité. »96 Doctrine allemande : Franz von Liszt, op. cit. note 93 ; Emmanuel Ullmann, « Die Fortbildung des Seekriegsrechts durch die Londoner Deklaration vom 26. Februar 1909 », JöR, 1910, pp. 1-55.

101

puissances maritimes, de « déterminer les principes généralement reconnus du droit international »97.

L'objectif de la Grande-Bretagne consiste en réalité à remplacer le droit international coutumier par un

droit conventionnel conséquent. Ce projet de codification échoue, comme le montrent les annexes de la

Déclaration relative au droit de la guerre maritime en date du 26 février 1909 qui prévoient une durée

de validité limitée à douze ans, ainsi que des réserves des différents États. Au final, la Déclaration

relative au droit de la guerre maritime signée à Londres le 26 février 1909 précise à titre préliminaire

que : « Les Puissances Signataires sont d'accord pour constater que les règles contenues dans les

Chapitres suivants répondent, en substance, aux principes généralement reconnus du droit

international. »

Ces textes relatifs au droit international de la guerre maritime ne font peut-être pas partie des

dispositions centrales du droit international, mais la formulation de « règles généralement reconnue du

droit international » y apparaît déjà. La doctrine, alors très marquée par le souverainisme, a d'ailleurs

débattu, entre autres en Allemagne, des conséquences de l'adoption d'une telle formulation qui pourrait

justifier d'imposer des obligations internationales à l'État sans que sa volonté expresse soit requise. Il

n'est pas exclu que le constituant de Weimar, et par suite le constituant autrichien, s'en soient inspirés 98.

Pour le moins, la formulation n'est alors pas propre aux droits internes.

Tandis que les constitutions allemandes et autrichiennes introduisent dès 1919 une nouveauté, la

maxime « international law is part of the law of the land », la Constitution française, pourtant élaborée

plus tardivement, alors même que le modèle anglo-américain est déjà répandu en Europe continentale,

tend plutôt à la continuité.

b. Le maintien de la « tradition » dans la Constitution française

L’alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la République française, fidèle à ses

traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n'entreprendra aucune guerre

dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'un peuple. »

De prime abord, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 apparaît soit comme une

disposition centrale de la Constitution française qui vise à l'avènement d'un ordre politique d'Après-

guerre en obligeant constitutionnellement l'État à se comporter dans tous les cas conformément au droit

international, soit comme une déclaration de principe dénuée de valeur juridique.

97 Foreign Office (Great Britain), Proceedings of the International Naval Conference, held in London, December, 1908- February, 1909, H.M. Stationery Office/Harrison, 1909, 393 p. ; Charles Dupuis, Le droit de la guerre maritime d'après les conférences de La Haye et de Londres, A. Pedone, Paris, 1911, 621 p. ; Emmanuel Ullmann, ibid.98 Cela est déjà relevé dans les années 1920, cf. Wilhelm Schmöe, op. cit. note 22, spécialement pp. 28-30 ; Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 311 ; Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 167.

102

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le constituant introduit le texte au sein du Préambule de

la Constitution de 1946 à un emplacement modeste : le 14ème alinéa99. Ainsi, au moment même où les

Puissances alliées créent l'Organisation des Nations unies, il semble que le droit international général

importe moins au constituant français que certaines normes internes, dont les « principes fondamentaux

reconnus par les lois de la République » énoncés dès le premier alinéa du Préambule de la nouvelle

Constitution.

L'alinéa 14 reproduit intégralement le contenu de l'article 46 al.1 du projet de Constitution du 19 avril

1946. Cet article 46 se situait dans le «Titre premier» du projet de Constitution 100, non dans son

Préambule. Sa rédaction résultait de l'adoption d'un amendement du député M.R.P. Michel Devèze 101,

inspiré par le Préambule de la Constitution de 1848 qui contenait la formulation suivante : « [La

République française] respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la

sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la

liberté d'aucun peuple ». Le rejet par référendum du texte du 19 avril 1946 amène de nouveaux travaux

préparatoires, à l'occasion desquelles la disposition apparaît, reproduite à l'identique, en tant qu'article 4

du nouveau projet102. Toutefois, le 21 août 1946, l'universitaire et homme politique radical Paul Bastid,

indique en séance de la commission de la Constitution que : « Nous estimons que l'article 4 contient une

déclaration de principe qui devrait être transférée dans le Préambule »103. La Commission suit cette

proposition. Il est parfois affirmé que le déplacement ainsi opéré vers le Préambule, alors que la

disposition figure à l'origine dans le corps même de la Constitution, vise à éviter d'ouvrir un contrôle

juridictionnel de conformité des lois par rapport au droit international104. Un tel contrôle s'effectuerait à

travers la procédure de contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois, que le constituant envisage

à ce moment encore instituer105.

La deuxième phrase de l'alinéa 14, qui concerne spécifiquement le domaine du droit international

99 Le Préambule de la Constitution de 1946 compte, au total, dix-huit alinéas.100 Texte du projet de Constitution du 19 avril 1946. Maurice Duverger, Constitutions et documents politiques, 5ème éd., PUF, Paris, 1968, 656 p., pp. 124-137.101 Séance du 22 mars 1946102 Documents de l'Assemblée nationale constituante élue le 2 juin 1946 – Annexes aux procès verbaux des séances – Annexe n°II-350, séance du 2 août 1946, p. 297 (texte de l'article 4 – L'alinéa 1 de cet article comporte les deux phrases du futur alinéa 14).103 Séances de la commission de la Constitution, Compte rendus analytiques, 20 juin 1946 au 3 octobre 1946, séance du mercredi 21 août 1946, p. 309. 104 Cf. Robert Pelloux, « Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », Revue du droit public et de la science politique, vol. 63, 1947, pp. 390-396 ; cf. aussi par exemple l'analyse rétrospective du Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier dans ses conclusions sur : CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, conclusions publiées in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, spécialement p. 852.105 Le Comité constitutionnel finalement institué par la Constitution de 1946 (articles 91-93), après le rejet définitif d'une proposition d'amendement relative à l'établissement d'un contrôle juridictionnel des lois (Séance de la Commission de la Constitution : comptes-rendus analytiques, Paris 1946, spécialement p. 126 et p. 344), est largement considéré comme opérant un pseudo-contrôle de constitutionnalité. Sur le fondement de l'article 91 de la Constitution, le Comité constitutionnel dispose d'une compétence pour examiner « si les lois votées par l'Assemblée nationale supposent une révision de la Constitution », la « constitution » se limitant ici à ses titres Ier à X.

103

humanitaire, trouve son origine dans la Révolution française :

Le 22 mai 1790, l’Assemblée adopte un décret exprimant clairement l’idée de renoncer à la guerre

d'agression. Ce décret dispose : « Que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans

la vue de faire des conquêtes et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun

peuple »106 . La ressemblance entre ce texte, formulé dès la Révolution française, et le texte de l'alinéa

14 du Préambule de la Constitution de la IVe République semble évidente. Avec le décret du 22 mai

1790 commence une tradition dont l'inspirateur principal n'est autre que Robespierre et sa doctrine de la

guerre révolutionnaire. Dans le prolongement de ce décret, le titre VI de la Constitution du 3 septembre

1791 spécifie que : « La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire

des conquêtes, et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple 107 ». De même, sous

réserve de quelques différences rédactionnelles, le Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848

contient, en son paragraphe V, une disposition semblable108. L’alinéa 14, en sa deuxième phrase, se

présente donc comme un texte confirmatif d’un état du droit interne relativement constant, même s'il est

vrai que la pratique de l'État français n'y a pas toujours été conforme.

Par ailleurs, peut-on ici remarquer qu'en son contenu matériel, la norme impose la même obligation que

celle qui vaut actuellement dans le système juridique international. Tel n'est pas encore le cas à ses

origines : la guerre d'agression n'est pas prohibée avant le XXe siècle 109. Au moment de sa rédaction

initiale, dans la période révolutionnaire, le droit international permet en effet d'entreprendre une

conquête pour une « juste cause » ou, selon, contre un « ennemi juste »110. Ce n'est qu'ultérieurement

que le droit international prohibe la guerre d'agression, et la deuxième phrase peut désormais se

concevoir comme la confirmation d'une obligation internationale particulière déjà existante parmi les

«règles du droit public international». Pour autant, cette confirmation n'est potentiellement pas

dépourvue d'effet juridique puisque l'interdiction constitutionnelle de la guerre de conquête se

maintiendrait en cas de modification des règles du droit public international vers une permission de la

guerre d'agression111.

106 Cf. les références doctrinales supra note 10.107 Maurice Duverger, op. cit. note 100, p. 27108 Ibid, p. 90.109 Dans un article publié le 14 juillet 1928, Alphonse Aulard écrit de manière significative que : « le pacte Briand-Kellogg [convention interétatique qui met la guerre d’agression hors la loi], c’est la restauration du décret français du 22 mai 1790 » ; cf. « La guerre hors la loi, idée française », L’œuvre, samedi 14 juillet 1928, n° 4670, p. 1. La prohibition du recours à la force est désormais positivement prévue, sous réserve de la légitime défense ; cf. Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7ème édition, LGDJ, 2002, 1510 p., p. 879, n°574.110 Cf. inter alia pour une histoire du droit de la guerre : Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, présenté par Peter Haggenmacher, PUF, Paris, 2001, 363 p. L'auteur soutient que la guerre moderne, donc au moment de la Révolution française, est permise lorsqu'elle vise un « ennemi juste » (justus hostis).111 Une telle situation n'est nullement utopique puisque le « droit d'ingérence » se formant depuis les deux dernières décennies peut se concevoir comme une guerre d'agression. Une abondante littérature existe à ce propos, cf. notamment : Pierre-Michel Eisemann, « Devoir d'ingérence et non-intervention : de la nécessité de remettre quelques pendules à l'heure », Relations internationales et stratégiques, n° 3, 1991, pp. 67-75 ; Mario Bettati, Le droit d’ingérence. Mutation de l’ordre international, Odile Jacob, Paris, 1996, 398 p. ; Mario Bettati, « Ne tirez pas sur le droit d’ingérence ! », Politique internationale, n°87, 2000, pp. 447-461 ; Serge Sur, « Le Recours à la force dans l'affaire du Kosovo et le droit international », Notes de l'IFRI, n°22, Paris, 2000, 40 p. ; Christian Hillgruber,

104

Aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, le Constituant allemand a intentionnellement rédigé un

texte suffisamment déterminé pour qu'aucun doute ne soit émis quant à la normativité juridique de

l'article 25 LF. Il n'en va pas ainsi de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 9

B-VG.

2. Le problème de la normativité même des dispositions constitutionnelles

L'emplacement de l'alinéa 14 dans le Préambule de la Constitution de 1946, soit en dehors du corps du

texte de la Constitution du 4 octobre 1958, a suscité quelques doutes quant à sa normativité juridique

(a). Aussi, le contenu de l'alinéa 14, mais aussi de l'article 9 B-VG, peuvent donner l'impression d'être

trop vagues pour imposer des obligations juridiques (b).

a. Incertitude relative à l'emplacement de la norme dans le texte constitutionnel

Les doutes relatifs à la normativité juridique de l'alinéa 14 tiennent entre autres à une raison de forme :

il se situe dans un texte, le Préambule de la Constitution de 1946, dont le statut constitutionnel prête à

discussion. En effet, le renvoi à ce texte opéré par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 112

peut ne pas sembler suffisant pour lui attribuer valeur constitutionnelle. Néanmoins, on considérera ici

que le Préambule de la Constitution de 1946 est un texte constitutionnel, soit qu'il soit pourvu de ce

statut par la Constitution du 4 octobre 1958 elle-même, soit en conséquence de la « révolution

juridique »113 opérée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de sa décision Liberté d'association

« Humanitäre Intervention, Grossmachtpolitik und Völkerrecht », Der Staat, vol. 40, 2001, pp. 165-191 ; Olivier Corten, Le retour des « guerres préventives ». Le droit international menacé, Labor, bruxelles, 2003, 95 p. ; Olivier Corten, Le droit contre la guerre. L'interdiction du recours à la force en droit international contemporain, A. Pedone, Paris, 2008, 867 p.112 « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »113 Cf. notamment : Otto Pfersmann, « critique de la théorie des "contraintes juridiques" » in : Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats, Christophe Grzegorczyk (éds), Théorie des contraintes juridiques, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 2005, 203 p., pp. 123-142. Plus anciennement, cf. : Adolf Merkl, « Die Rechtseinheit des österreichischen Staates – Eine staatsrechtliche Untersuchung auf Grund der Lehre von der lex posterior », AöR, vol. 37, 1918, pp. 56-121 ; Adolf Merkl, « Das Problem der Rechtskontinuität und die Forderung des einheitlichen rechtlichen Weltbildes », ZÖR, 1926, pp. 497-527.Par « révolution juridique », on entend une modification du contenu de la norme suprême d’un système juridique en violation de son contenu normatif. La révolution juridique se caractérise donc comme la production d’une norme juridique en dehors de toute habilitation prévue par le système juridique en question. Le phénomène de révolution juridique entraîne une certaine rupture dans la continuité du système juridique. Il y a modification « normale » de la norme suprême d’un système juridique – et par là continuité historique avec celle-ci – aussi longtemps que les modifications de cette norme suprême se fondent sur les habilitations qu'elle prévoit. Là où cette chaîne remontant à la

105

(1971)114.

b. Incertitude relative au contenu de la norme

On peut aussi constater quelques incertitudes concernant le contenu des dispositions constitutionnelles

relatives au droit international général. La doctrine les considère parfois soit comme des déclarations de

principe (doctrine française), soit comme trop indéterminées pour être applicables (doctrine

autrichienne).

i. L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 lu comme une déclaration de principe

Au contraire de l'article 25 LF et de l'article 9 B-VG, l'alinéa 14 ne dispose pas explicitement de la

transformation du droit international général en droit interne115. Le Préambule de la Constitution de

1946 peut paraître ne contenir en matière internationale qu'une déclaration de principe, qui confirme

que « la France » se soumet naturellement au « respect du droit international public », sans pour autant

commander la transformation de ce droit international en droit interne. Et pourtant, dès lors que l'on

admet que le Préambule de la Constitution de 1946 est une composante de la Constitution, il faut aussi

admettre que son alinéa 14 fait partie des normes constitutionnelles.

A l'encontre de sa normativité juridique, il est parfois remarqué que, par contraste avec d'autres

dispositions du Préambule de la Constitution de 1946, l'alinéa 14 s'apparente à une déclaration de

principe. Et on trouve plusieurs arguments avancés par la doctrine en ce sens : soit l'obligation que

l'alinéa 14 pose reste extrêmement générale et trop vague, d'où s'ensuit qu'elle n'a en vérité

juridiquement pas de sens, soit l'intention poursuivie par son rédacteur ne consisterait pas à lui attribuer

norme suprême première s’interrompt, il y a « révolution » au sens juridique du terme. Une révolution politique peut se dérouler sans révolution juridique, comme l'illustrent la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne en 1933 et les transitions dites « démocratiques » dans quelques des États de l’ancien bloc soviétique après 1989 ; inversement, il peut y avoir révolution juridique sans révolution politique, comme le soutient une partie de la doctrine américaine à propos de crise de la nullification aux États-Unis (1828-1833) ; enfin, il peut y avoir révolution politique et révolution juridique, à l'instar de la Révolution française. L’existence d’une norme produite par révolution juridique est paradoxale : d’une part, la norme produite par révolution juridique est bien juridique en raison de son inclusion dans le système juridique qui lui préexiste ; d’autre part, elle est extra-juridique car dépourvue de fondement au sein même du système juridique auquel elle appartient. La possibilité de l’existence d’une norme valide produite par révolution juridique au sein du système juridique préexistant – sans destruction de celui-ci – n’échappe pas au paradoxe de Wittgenstein : « Notre paradoxe était le suivant : une règle ne pourrait déterminer notre manière d’agir, car toute manière d’agir peut être mise en concordance avec la règle… » ; cf. Philosophische Untersuchungen, 3ème éd., Blackwell publishing, 2001, I, § 201). 114 Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Cette décision peut être considérée comme une «révolution juridique» car le Conseil constitutionnel ajouterait au corpus constitutionnel des textes dont la valeur constitutionnelle n'est pas prévue (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, Préambule de la Constitution de 1946). La violation par le Conseil de sa compétence constitutionnelle – sa compétence se limite à application de la Constitution, et ne s'étend pas à la production de normes constitutionnelles – entraînerait en l'occurrence l'élargissement du corpus constitutionnel en dehors de la procédure autorisée (article 89 de la constitution réglementant la révision), c'est-à-dire par «révolution juridique».115 Cf. inter alia : Nguyen Quoc Dinh, « La Constitution de 1958 et le droit international », RDP, 1959, pp. 515-564, p. 518 ; Frank Moderne, « Existe-t-il des sources complémentaires de la Constitution dans la jurisprudence constitutionnelle française ? », LPA, n°127, 1992, p.7-15.

106

des effets juridiques116, soit l'alinéa 14 détermine une obligation impossible à réaliser, soit – dans le

prolongement de l'argument précédent – l'alinéa 14 est inéluctablement dépourvu d'effectivité.

L'apparence de déclaration de principe qui peut être prêtée à l'alinéa 14 ne suffit cependant pas à

démontrer qu'il ne s'agit pas d'une norme. L'alinéa 14 appartient à un texte déontiquement modalisé,

d'où résulte sa normativité. Le fait qu'il soit formulé de manière affirmative et non de manière

impérative s'avère sans pertinence : il en va de même de la plupart des énoncés juridiques.

Aussi, il est parfois dit que l'alinéa 14 ne serait autre chose qu'une constatation de fait : la France est une

république libérée de la volonté d'oppression et, en tant que telle, elle ne peut transgresser le droit

international. La présence de l'alinéa 14 au sein d'un texte normatif indique qu'il ne s'agit pourtant pas

d'une évidence factuelle d'ordre historique et politique. On peut tout de même remarquer qu'en 1963,

soit avant la jurisprudence Liberté d'association, un observateur étranger, le Professeur autrichien Ignaz

Seidl-Hohenveldern, relate que la Constitution française, à l'instar des constitutions américaine, suisse

ou néerlandaise, « ne contient pas de référence expresse au droit international coutumier, ce dernier

étant néanmoins appliqué par leurs juridictions »117.

(i.) Les doutes de la doctrine amplifiés par les hésitations initiales de la jurisprudence

Jusqu'aux années 1990, la normativité juridique de l'alinéa 14 paraissait d'autant plus douteuse que

l'ensemble des juridictions françaises – soit le juge judiciaire, le juge administratif et le juge

constitutionnel – semblaient l'ignorer, voire contestaient qu'un quelconque effet juridique puisse en

découler. La décision Maastricht I du Conseil constitutionnel, en date du 9 avril 1992 118, met fin aux

incertitudes de la doctrine :

C'est à l'occasion de l'affaire des Comores119, dans le contexte plus général du processus de

décolonisation, que des principes généraux du droit international, en l'occurrence le droit des peuples à

disposer d’eux-mêmes et le principe de l'intangibilité des frontières coloniales, ont été pour la première

fois invoqués devant le Conseil constitutionnel. Les faits sont les suivants : au référendum

116 Un des arguments soulevés pour démontrer le caractère non juridique de l'alinéa 14 est qu'il désigne la « République française » comme destinataire, soit une entité politique et non une entité juridique selon une certaine opinion. Dès lors, il ne s'agirait que d'une déclaration à des fins politiques. Cet argument paraît contestable : le terme « république », c'est-à-dire une forme d'organisation politique dans le langage naturel, est couramment employé dans les textes constitutionnels pour désigner l'État, autrement dit le système juridique interne. Comme le remarque le Professeur Otto Pfersmann : « Certains textes procèdent par contraction et substituent directement la qualification de l'organisation de l'État à l'État lui-même. En France par exemple, l'État porte le nom propre de "République française", la Constitution parlera de la "République" non pas pour désigner cette forme d'organisation en général, mais comme synonyme pour "État français", terme parfaitement admissible en théorie mais rendu problématique en raison des abus qu'il a connu sous la période de Vichy. » ; cf. « État et souveraineté », in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 31-46, p. 41.117 Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Transformation or Adoption of International Law into Municipal Law », ICLQ, vol. 12, 1963, pp. 88-124, p. 91. 118 Décision n°92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union Européenne (Maastricht I).119 Décision n°75-59 DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26 ; note Louis Favoreu, RDP, 1976, pp. 567-581 ; Louis Favoreu, Jean-Claude Maestre, « L’accession des Comores à l’indépendance », Annuaire des pays de l'océan Indien, 1975, pp.15-34.

107

d'autodétermination du 22 décembre 1974, Mayotte se désolidarise des trois autres îles de l'archipel des

Comores, largement favorables à l'indépendance. La Loi française du 3 juillet 1975 présuppose un statu

quo temporaire à propos de la question de l'appartenance de l'archipel dans son ensemble à la France

jusqu'à l'élaboration d'une Constitution rédigée sous la tutelle de la puissance coloniale. Par opposition

à ce projet, la Chambre des députés des Comores proclame unilatéralement l'indépendance de l'archipel

entier dès le 6 juillet. Le nouvel État comorien se trouve aussitôt admis, comme tel, en qualité de

membre de l'ONU. Politiquement impuissante devant la création du nouvel État, la France cherche à

obtenir le maintien dans la République de la seule île de Mayotte, pourtant dépourvue d'identité

juridique. La Loi du 31 octobre 1976 poursuit cet objectif : prenant acte de l'indépendance d'Anjouan,

de Moëli, et de la Grande Comore, elle annonce une nouvelle consultation d'autodétermination, limitée

à l'île de Mayotte. Les parlementaires de gauche contestent alors la conformité de la démarche du

législateur à l'alinéa 14, car elle porterait atteinte au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à leur

droit de conserver les frontières héritées de la colonisation. La réponse du Conseil Constitutionnel a

suscité de nombreux commentaires, en raison de son ambivalence :

« Considérant que l'île de Mayotte fait partie de la République française ; que cette constatation

ne peut être faite que dans le cadre de la Constitution, nonobstant toute intervention d'une instance

internationale et que les dispositions de la Loi déférée au Conseil Constitutionnel qui concernent cette

île ne mettent en cause aucune règle du droit public international » (considérant n°6, mes italiques).

La lecture de ce considérant ne fait pas l'unanimité parmi les commentateurs de la décision :

Une des lectures de ce considérant, partagée par Louis Favoreu120, insiste sur la « souveraineté ».

Le Conseil constitutionnel s'appuierait exclusivement sur la Constitution même, à l'exclusion de toute

référence au droit international121, et il se pourrait même que ce motif signifie que le juge

constitutionnel rejette toute applicabilité interne du droit international général122. On trouve cependant

une conception plus modérée de ce considérant au sein de la tendance doctrinale «souverainiste» :

comme le texte constitutionnel contient déjà le principe du droit des peuples à disposer d'eux-même,

toute référence à sa version internationale devient superflue123.

Un autre courant doctrinal d'«ouverture au droit international» propose une lecture inverse du

considérant124. Le juge constitutionnel se reconnaîtrait compétent pour opérer le contrôle de conformité

120 Louis Favoreu, Chron., RGDIP, 1976, p. 1001.121 David Ruzié, note, JDI 1976, p. 403.122 Claude Franck, note, AJDA 1976, p. 251.123 Léo Hamon, note, D. 1976, p. 539.124 Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », RGDIP, 1976, pp. 1001-1036.Louis Favoreu résume l'argumentation de ce courant de manière impartiale : « Cette interprétation très séduisante, repose essentiellement sur deux affirmations et un argument de texte. Tout d'abord, le Conseil constitutionnel a statué en droit international parce qu'il le devait et le pouvait : le Conseil constitutionnel a nécessairement appliqué une règle du droit international parce que la décolonisation a cessé d'être une question de droit interne et est désormais régie par le droit international ; le Conseil constitutionnel a pu faire prévaloir le droit international sur le droit interne, parce qu'à la différence du cas des traités, le principe de supériorité est ici posé sans restriction par le Préambule. L'argument de texte est plus troublant : en affirmant que les "dispositions de la loi déférée ... ne mettent en cause aucune règle du droit

108

de la loi par rapport au droit international, sur le fondement de l'alinéa 14, tout en concluant qu'il n'est

en l'espèce pas violé, soit qu'aucun principe du droit international n'est en vérité opposable à l'État

français du fait de son inexistence125, soit que la loi litigieuse n'entraîne en réalité aucune violation des

principes du droit international invoqués. Le Conseil constitutionnel admettrait donc désormais la

normativité interne de l'alinéa 14, duquel découlerait même l'inclusion des règles du droit public

international parmi les normes de référence du contrôle de constitutionnalité.

L'affaire des nationalisations apporte, de manière négative, quelques indications quant à la conception

du Conseil constitutionnel126. Les parlementaires de l'opposition, cette fois-ci de droite, invoquent une

violation du droit international général ; les nationalisations annoncées en 1981 n'iraient pas sans un

effet extra-territorial internationalement prohibé. Le Conseil constitutionnel ne décline pas sa

compétence, mais le contenu international des deux décisions nationalisations127, rédigées dans les

mêmes termes, semble accessoire :

« Considérant [...] que les limites éventuellement rencontrées dans l'exercice [des pouvoirs des

organes d'administration de sociétés ayant leur siège social en France] hors du territoire national

constitueraient un fait qui ne saurait restreindre en quoi que ce soit le droit du législateur de régler les

conditions dans lesquelles sont administrées les sociétés nationalisées. »

La doctrine s'attendait en l'occurrence à ce que le Conseil constitutionnel se prononce sur la question de

public international", le Conseil constitutionnel aurait accepté implicitement sa compétence dans la mesure où l'on peut admettre que "mettre en cause" est synonyme de «méconnaître». En fait, l'expression est souvent utilisée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et essentiellement dans deux situations : soit elle est un élément du couple "mise en cause - mise en œuvre" et elle a alors une signification précise comme critère de la répartition des compétences entre loi et règlement ; soit elle figure dans la formule finale des décisions pour indiquer qu'il est inutile ou sans objet en l'espèce, de vérifier la conformité du texte examiné à l'égard des autres règles constitutionnelles non invoquées ou discutées. C'est plutôt dans ce deuxième sens qu'elle paraît avoir été employée dans la décision du 30 décembre : la licéité de la démarche suivie par la France doit être envisagée dans le cadre des règles constitutionnelles françaises et il est donc sans objet de l'examiner au regard des règles du droit public international, du moins autres que celles reprises par la Constitution. On doit reconnaître cependant que l'expression est ici assez ambiguë et qu'il eût mieux valu ne pas l'employer. » ; cf. « Le Conseil Constitutionnel et le droit international », AFDI, 1977, pp. 95-126, p. 110. 125 L'existence des principes du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et d'intangibilité des frontières font alors l'objet d'une intense polémique dans la doctrine, cf. Karl Zemanek, « State Succession after Decolonization », RCADI, vol. 116, 1965, pp. 181-300.126 N°81-132. DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation, Rec. p. 31 ; n°82-139. DC du 11 février 1982 (2ème Loi de nationalisation), Rec. p. 31.127 Ibid. Cf. aussi les commentaires suivants : Pierre Avril, Jean Gicquel, Pouvoirs, 1982, n°21, p. 191 ; Jean-Marc Bischoff, RCDIP 1982, p. 349 ; Louis Favoreu, RDP 1982, p. 433 ; Jean Rivero, AJDA 1982, p. 377 ; L'affaire des nationalisations a été l'objet d'un ouvrage collectif spécial : Louis Favoreu (éd.), Nationalisations et Constitution, Economica, PUAM, coll. « Droit public positif », Paris et Aix-en-Provence, 1982, 388 p.

109

l'applicabilité interne du droit international128, mais le juge constitutionnel s'en est abstenu129. Le Conseil

qualifie en l'espèce l'extra-territorialité de « fait », ce qui implique qu'il n'est de toute façon pas question

de l'appliquer en tant que norme juridique. Néanmoins, « implicitement mais nécessairement »130, il

n'exclut pas non plus la possibilité d'une invocabilité du droit international général à l'encontre la loi. A

l'issue de l'affaire des nationalisations, le statu quo est maintenu : il ne s'agit ni d'une confirmation ni

d'une infirmation de cette invocabilité131.

(ii.) La décision Maastricht I, et l'admission par le Conseil constitutionnel de la normativité juridique de

l'alinéa 14

C'est à l'occasion de la décision Maastricht I132 que le Conseil constitutionnel applique pour la première

fois explicitement l'alinéa 14. Le Conseil est en l'espèce saisi par la procédure de l'article 54 de la

Constitution, sur requête du Président de la République, pour déterminer si, « compte tenu des

engagements souscrits par la France », une révision constitutionnelle doit précéder l'autorisation de

ratifier le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992. Le Conseil base son

appréciation sur l'alinéa 14, dont découlerait une obligation pesant sur la France de respecter le principe

pacta sunt servanda133:

« Sur le fait que l'Union européenne modifie des engagements internationaux antérieurs : […]

Considérant que le 14ème alinéa de la Constitution de 1946 […] proclame que la République française

128 Les circonstances sont les suivantes : la doctrine avait abondamment critiqué l'ambivalence de la décision Comores. Par ailleurs, les requêtes successives des députés et des sénateurs, ainsi que la consultation de l'universitaire Yvon Loussouarn annexée à la lettre de saisine, sont explicitement fondées sur la version selon laquelle la décision Comores manifeste l'«ouverture au droit international» du Conseil constitutionnel. Même le mémoire en défense des parlementaires socialistes ne conteste pas la compétence du Conseil constitutionnel de contrôler la conformité de la loi par rapport aux «règles du droit public international». Du point de vue de la politique juridique, vu les pressions, si le Conseil décide de décliner cette compétence, il ne peut le faire en l'occurrence qu'expressément, de la même manière qu'en matière de traités (n°74-54 DC, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19).129 La recevabilité par le Conseil constitutionnel de la requête des parlementaires ne signifie pas que celui-ci considère que les normes invoqués par ceux-ci, en l'espèce le principe du droit international obligeant l'État à limiter l'effet extra-territorial de nationalisations, sont applicables en l'espèce.La recevabilité dans le cadre du contentieux constitutionnel a priori n'est pas conditionnée par l'existence d'une norme de référence applicable en l'espèce. La question de recevabilité consiste seulement pour une juridiction à s'interroger sur l'admissibilité de la requête. La recevabilité n'est conditionnée que par la qualité du requérant, les conditions formelles et procédurales de la requête, ainsi que par la forme normative de l'acte attaqué. L'éventuelle disqualification de la « norme » de référence proposée relève du fond de la décision et non de la question de recevabilité. Au Conseil Constitutionnel, les questions sont traitées dans l'ordre compétence-recevabilité (ou parfois inverse), puis fond.130 Jean-Marc Bischoff, RCDIP 1982, p. 353. Ce considérant est à comparer avec celui de la décision I.V.G. (DC 74-54, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19) dans laquelle le Conseil Constitutionnel affirme clairement que le contrôle de conformité de la loi par rapport au traité « ne saurait s'exercer dans le cadre prévu à l'article 61 en raison de la différence de nature des deux contrôles ».131 Cf. notamment : n°80-116. DC du 17 juillet 1980, Convention franco-allemande additionnelle à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale, p. 36, RGDIP 1981 p. 202, note Charles Vallée ; 85-196. DC du 8 août 1985, Évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 64, AJDA 1985, note Léo Hamon, D. 1986, p. 45 note François Luchaire.132 N°92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. p.55.133 La décision Maastricht I se réfère aussi au principe coutumier de la personnalité juridique des organisations internationales. L'analyse porte toutefois surtout sur pacta sunt servanda car ce principe semble plus propre à constituer une norme de référence dans le cadre d'un contentieux constitutionnel. Le principe de la personnalité juridique des organisations internationales est largement utilisé par le juge administratif et le juge judiciaire pour délimiter leur propre compétence de juger ces sujets de droit international dans le respect du principe de l'immunité de juridiction.

110

"se conforme aux règles du droit public international" ; qu'au nombre de celles-ci figure la règle pacta

sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par eux de bonne

foi134 ».

Le Conseil exprime ainsi son habilitation à contrôler la conformité d'un traité international par rapport à

une « règle de droit public international ». De plus, il va même jusqu'à appliquer une telle norme, en

l'occurrence la coutume internationale pacta sunt servanda. A l'unanimité, la doctrine voit là une

admission enfin positive, pas seulement l'absence d'infirmation, de l'applicabilité du droit international

général par le Conseil constitutionnel135, ainsi que de son invocabilité136. La décision du 22 janvier

1999, relative au Statut de la Cour pénale internationale137, confirme ensuite la jurisprudence

Maastricht I. Le Conseil considère en l'espèce que le principe du droit international qui soustrait les

engagements internationaux relatifs aux droits de l’homme à la condition de réciprocité déroge à

l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose pourtant expressément que « les traités ou

accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle

des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.[mes

italiques] »

En comparaison du cas français, ce n'est que marginalement que la doctrine autrichienne a émis des

doutes quant à la normativité de l'article 9 B-VG. Aussi, ces doutes n'ont jamais atteint l'ampleur

connue sous la République de Weimar, à propos de l'article 4 WRV, nonobstant la ressemblance de

formulation.

ii. La théorie de l''indétermination excessive de l'article 9 B-VG

La normativité juridique de l'article 9 B-VG fait globalement l'objet d'un consensus dans la doctrine et

la jurisprudence autrichienne138. L'opinion contraire n'en est pas moins présente, et elle s'appuie sur la

trop grande indétermination du contenu de l'article 9 B-VG, qui constituerait une menace envers les

principes structurants le système juridique autrichien. Comme les règles généralement reconnues du

droit international sont produites dans la sphère du droit international par les États, leur procédure ne

satisferait pas aux exigences procédurales qui garantissent l'État de droit. Il en résulte, selon le

134 N°92-308. DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union Européenne (Maastricht I).135 Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des traités internationaux (art. 54 de la Constitution), le Conseil constitutionnel tend à ouvrir davantage son argumentation ainsi que le champ des normes de référence utilisables. Il s'ensuit qu'il demeure difficile de prévoir, à partir de la seule décision Maastricht I, si le contrôle de conformité a priori par rapport aux « règles du droit public international » s'étend aussi au contrôle de validité des lois. 136 Cf. notamment les thèses de doctorat suivantes : Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'État, Economica, 1996, 577 p., spécialement pp. 92-94 et pp. 406-446 ; Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p.137 N°98-408. DC, 22 janvier 1999, Cour pénale internationale, Rec. p. 29. 138 La Cour constitutionnelle expose déjà sa conception de l'article 9 B-VG dans une décision du 10 janvier 1931 (Slg. 1375 ; cf. Sammlung der Erkenntnisse und wichtigsten Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes, vol. 10, 1930/31, p. 195).

111

Professeur Manfred Rotter, que l'application des règles généralement reconnues du droit international

doit être au moins partiellement, si ce n'est totalement, conciliée avec le principe d'État de droit 139. Et

cela nécessite tant une classification claire de ces normes dans la hiérarchie des normes autrichienne

que l'institution d'organes qui rendent possible la transformation, à l'instar d'un sénat propre à la Cour

constitutionnelle, disposant d'une compétence pour les questions de droit international.

Au contraire de la Constitution allemande, la Constitution autrichienne n'a pas été modifiée après-

guerre afin de déterminer de manière suffisante la force dérogatoire du droit international général140. Le

Professeur Manfred Rotter constate que, ni la jurisprudence des juridictions suprêmes, ni la doctrine ne

parviennent à classifier les règles généralement reconnues du droit international dans la hiérarchie des

normes selon la force dérogatoire. Cette démarche échoue en raison de l'insuffisance de différenciation

opérée par l'art. 9 B-VG, et de l'absence d'autres critères de classification dans le système juridique

autrichien. Or, le principe de l'État de droit dont dispose l'article 18 al. 1 et 2 B-VG 141 conditionne

l'applicabilité d'une norme par sa force dérogatoire. L'article 9 B-VG se verrait donc dépourvu de la

capacité immédiate de transformer avec effets juridiques les règles généralement reconnues du droit

international en composantes du droit fédéral.

De tout cela, il s'ensuit que l'article 9 B-VG ne serait pas autre chose, toujours selon le Professeur

Manfred Rotter, qu'une « disposition programmatrice » (« Programmsatz »142), dont l'efficacité

dépendrait encore d'autres mesures de concrétisation143. L'article 145 B-VG, qui dispose que « la Cour

constitutionnelle connaît des violations du droit international public, conformément aux dispositions

d'une loi fédérale spéciale », se conçoit peut-être comme son complément procédural. Cependant,

aucune loi spéciale, pourtant explicitement annoncée, n'a jamais concrétisé cet article144. Le Professeur

Manfred Rotter ajoute que l'art. 145 B-VG pourrait servir de fondement à une loi établissant, par

exemple, la compétence d'une autorité administrative ou d'une juridiction pour interrompre une

procédure en cours lorsqu'il appartient à la Cour constitutionnelle de préalablement trancher une

139 Manfred Rotter, op. cit. note 22 ; cf. aussi pour un aperçu plus large de la position de l'auteur : Manfred Rotter, « Demokratie und Völkerrecht », in : Michael Fischer (éd.), Dimensionen des Rechts, Gedächtnisschrift für René Marcic, Duncker & Humblot, Berlin, 1974, 1232 p., p. 641 et svtes.Contra (avec une argumentation explicitement dirigée à l'encontre la position du Professeur Manfred Rotter) : Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769.140 Quelques auteurs appellent ainsi à la révision du texte même de l'article 9 B-VG vers davantage de détermination, à la manière de l'article 25 LF ; cf. inter alia : Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270., spécialement p. 266.141 L'article 18 alinéa 1 et 2 B-VG dispose : « (I) Toute mesure de l'administration publique doit se fonder sur la loi ; (II) Dans le cadre de son domaine d'action, toute autorité administrative peut prendre des règlements en se fondant sur les lois. ».142 Cf. déjà à propos de l'article 4 WRV, Alfred Verdross (1919), op. cit. note 66.143 Cf. aussi : Erwin Melichar, « Zur Wirkung der Suspension eines Staatsvertrages auf seine innerstaatliche Anwendbarkeit in Österreich », in: Kurt Ebert (dir), Festschrift Hermann Baltl zum 60. Geburtstag dargebracht von Fachkollegen und Freunden, Univ. Verl. Wagner, Innsbruck 1978, 594 p., pp. 349-356, spécialement p. 356. 144 Cf. inter alia, Bruno Simma, op. cit. note 140 ; Alexander Balthasar, « Art.145 B-VG – Die Verdrängte Kompetenz », ZÖR, vol. 64, 2009, pp. 23-51.

112

question de droit international. Quoiqu'il en soit, en l'absence de précisions législatives supplémentaires,

les effets juridiques de l'article 9 B-VG doivent en l'état actuel demeurer limités pour ne pas porter

atteinte au « principe de légalité » au sens strict145 qui structure le droit autrichien (article 18 al. 1 et 2

B-VG).

A l'encontre de l'argumentation du Professeur Manfred Rotter, il est souvent remarqué que la force

dérogatoire des règles généralement reconnues du droit international reste peut-être grandement

indéterminée par leur fondement constitutionnel, mais que l'article 9 B-VG contient tout de même une

détermination minimum, celle de « droit fédéral », supposé supérieur au « droit fédéré »146 147. Aussi,

cette situation d'indétermination relative n'est nullement exceptionnelle : les normes issues de

procédures internes soulèvent elles-mêmes souvent des difficultés de classification dans la hiérarchie

des normes en raison d'une indétermination constitutionnelle, y compris dans les systèmes juridiques

internes structurés par un principe de légalité strict (par exemple, la constitution ne spécifie pas le rang

dérogatoire de la forme normative «ordonnance» ou «arrêt»). Cela n'empêche pourtant aucunement leur

application par les organes internes. A notre sens, le principe d'État de droit, lui-même dans une large

mesure indéterminé148, ne suffit pas pour conclure à l'absence de normativité interne des règles

généralement reconnues du droit international149. Il est aussi possible de concevoir, à l'inverse du

Professeur Manfred Rotter, que l'article 9 B-VG constitue précisément une lex specialis qui autorise

l'application des règles généralement reconnues du droit international par les organes internes, et ce,

145 La littérature relative au « principe de légalité au sens strict » en droit autrichien est abondante. Dans une perspective d'explication historique, cf. notamment : Hans Kelsen, « Demokratisierung der Verwaltung » , ZfV, vol. 54, 1921, p. 5 et svtes ; Hans Kelsen, Vom Wesen und Wert der Demokratie, 2ème éd., J.C.B. Mohr, Tübingen, 1929 ; Heinz Schäffer, Verfassungsinterpretation in Österreich : eine kritische Bestandsaufnahme, Springer, Vienne/New York, 1971, 228 p. ; Theo Öhlinger, Das Problem des verwaltungsrechtlichen Vertrages, Anton Pustet, Salzbourg, 1974 ; Theo Öhlinger, « Die Verwaltung zwischen Gesetz und Billigkeit », ZfV, vol. 24, 1999, p. 678 et svtes ; Ewald Wiederin, « Grundlagen und Grundzüge staatlichen Verfassungsrechts: Österreich », in : Armin von Bogdandy, Pedro Cruz Villalón, Peter Huber (éds), Handbuch Ius Publicum Europaeum, vol I : Grundlagen und Grundzüge staatlichen Verfassungsrechts, C. F. Müller, Heidelberg, 2008, pp. 389-449 ; Harald Eberhard, « Das Legalitätsprinzip im Spannungsfeld von Gemeinschaftsrecht und staatlichem Recht », ZÖR, vol. 63, 2008, p. 49 et svtes.146 Dans le même sens : Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 117, p. 94, note 49. L'auteur se pose la question : « it may be open to doubt whether Article 9 did not refer to Federal Law merely in contradistinction to the law of the various Austrian Länder », pour conclure que l'article 9 B-VG opèrerait au minimum cette différenciation de la force dérogatoire : « in any event Art. 9 must also be understood in this sense ». Cf. aussi : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476, spécialement p. 454 ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht, Manz, Vienne, 1972, 872 p., p. 169 (note 31) . Déjà, dans les années 1920 : Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement pp. 318-319 ; Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 174 et p. 178.Contra, Manfred Rotter : « L'unique élément de désignation [que l'article 9 B-VG] contient relatif à la force dérogatoire de ces normes internationales est le terme "droit fédéral". La signification de ce terme n'est pas réductible par interprétation linguistique, historique, systématique ou encore téléologique. » ; cf. op. cit. note 22, spécialement p. 25.147 Quelques auteurs remarquent à ce propos que le principe « Bundesrecht bricht Landesrecht » '(« le droit fédéral brise le droit du Land ») ne vaut pas en droit autrichien ; cf. Edwin Loebenstein, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », in : Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155, spécialement p. 153. 148 Cf. l'analyse théorique du principe d'État de droit par le Professeur Otto Pfersmann ; cf. « Prolégomènes pour une théorie normativiste de l’État de droit », in : Olivier Jouanjan (éd.), Figures de l’État de droit, PU Strasbourg, Strasbourg, 2001, 410 p., pp. 53-78.149 Cf. infra : « La "menace pour la structure d'État démocratique" ».

113

dans le cadre plus global de l'État de droit150.

Par-delà les incertitudes relatives à la normativité de telle ou telle disposition constitutionnelle

nationale, une minorité de la doctrine met en doute la normativité de toute disposition constitutionnelle

qui habilite les organes internes à appliquer le droit international. En effet, les organes internes

disposeraient de la compétence d'appliquer le droit international indépendamment de toute norme

constitutionnelle, sur le fondement du droit international lui-même qui prévoirait déjà son applicabilité

interne. La disposition constitutionnelle de transformation ne pourrait donc être que déclaratoire

(théorie du superflu de la transformation du droit international en droit interne 151), et sa seule finalité

consisterait à rendre la relation entre le droit interne et le droit international plus évidente, afin que les

obligations internationales pesant sur l'État soient plus facilement réalisées dans le futur 152. Il est peut-

être vrai que l'applicabilité interne du droit international ne dépend pas nécessairement d'une disposition

constitutionnelle de transformation153. Il n'en reste pas moins que les normes constitutionnelles relatives

contiennent explicitement ou implicitement des spécifications quant à la normativité interne du droit

international général, donc qu'elles ont certainement des effets propres, parmi lesquels on pourra

trouver : l'attribution d'une force dérogatoire plus ou moins déterminée, la validité du droit international

général « en tant que droit interne », l'obligation pesant sur les organes internes de respecter le droit

international dans la sphère des relations internationales.

Les différentes dispositions constitutionnelles nationales paraissent donc bien imposer des obligations

juridiques à l'État eu égard au droit international général, ce qui implique que les organes de l'État,

autrement dit les organes internes, disposent d'une certaine compétence pour appliquer le droit

international. Reste à savoir de quelle façon, c'est-à-dire par quelles techniques parmi celles possibles,

150 Cf. inter alia : Ludwig Jordan, « Bemerkungen zu Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », ZÖR, 1928, pp. 453-459, spécialement p. 455.151 Cette conception peut découler de la lecture de certains passages de Hans Kelsen, ainsi lorsqu'il expose l'analyse suivante : « La prétendue transformation est […] ou superflue, ou bien elle n'est pas véritablement une transformation. Il n'existe pas de transformation au sens où l'entend la théorie qui affirme la nécessité absolue de cet acte, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de procédure consistant, après la création d'une norme internationale n'obligeant ou n'autorisant l'État "comme tel", et après l'entrée en vigueur de cette norme "pour les rapports extérieurs", à créer, selon les modes de l'ordre juridique interne et en vue d'obliger ou d'autoriser les organes et les sujets de l'État, une norme ayant un contenu identique, mais valable seulement "pour les rapports internes" de l'État » ; cf. « la transformation du droit international public en droit interne », RGDIP n° 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Ecrits français de droit international, PUF, 2001, 316 p., pp. 175-214, p. 213.152 Par exemple, Paul De Visscher, « Les tendances internationales des constitutions modernes », RCADI, vol. 80, 1952, pp. 511-578, p. 573 ; Pierre Lardy, La force obligatoire du droit international en droit interne, LGDJ, Paris, 1966, 279 p., p. 54 (« garantie de permanence et de stabilité ») ; Karin Oellers-Frahm, « Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht in der italienischen Verfassung », ZaöRV, vol. 34, 1974, pp. 330-350.. Il est à noter que certains écrits de Hans Kelsen paraissent aller en ce sens, la transformation du droit international en droit interne étant considérée comme «superflue».153 Cf. infra, « l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel »

114

les dispositions constitutionnelles nationales rendent le droit international général applicable par les

organes internes.

3. La classification des dispositions constitutionnelles nationales parmi les différents modes

d'applicabilité possibles

Les différents États objets de la comparaison, Allemagne, Autriche, France, pratiquent un ou plusieurs

modes d'applicabilité internes du droit international parmi ceux possibles. On se reportera ici utilement

au « tableau des modes d'applicabilité » exposé plus haut154.

Les formules « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes gelten als Bestandteile des

Bundesrechtes » (art. 9 B-VG) et « Die allgemeinen Regeln des Völkerrechtes sind Bestandteil des

Bundesrechtes » (art. 25 LF) présentent une proximité certaine avec « international law is part of the

law of the land ». Il en va autrement de la formulation de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de

1946, suivant lequel : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit

public international ». L'idée d'appartenance du droit international au droit interne, alors qu'elle est

centrale dans les dispositions constitutionnelles allemande et autrichienne, semble absente de l'alinéa

14.

α. L'article 25 LF et l'article 9 B-VG en tant que dispositions de transposition

i. L’article 25 LF constitue assurément une disposition de transposition des règles générales du droit

international en droit interne (transformation ipso iure ; mode d'applicabilité médian). L’intention

principale du Conseil parlementaire allemand, chargé de la rédaction de la Constitution allemande

d'après-guerre, consiste à modifier la formulation de l'ancien article 4 de la Constitution de Weimar,

considérée comme une source d'ambiguïtés, afin que le processus de transformation des règles

générales du droit international en droit interne ne soit clairement plus conditionné par une quelconque

transformation ad hoc. La Cour constitutionnelle fédérale évoque très tôt la « validité immédiate » des

règles générales du droit international provoquée par l’article 25 LF, sans « loi de transformation » [ad

hoc]155.

Sous la République de Weimar, puis sous le régime national-socialiste, la jurisprudence et la doctrine

dominante s'accordent à limiter le qualificatif de « généralement reconnues » aux seules normes

reconnues de manière évidente ou expresse par le Reich, donc à conditionner leur applicabilité interne

154 Cf. supra. : « Typologie des modes d'applicabilité ».155 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 23, p. 288 sqs. (316).

115

par une reconnaissance préalable par un organe allemand, de préférence le législateur 156. Le retrait de

cette reconnaissance entraîne la destruction interne de la norme internationale en question, et une loi du

Reich incompatible avec la norme «reconnue» suffit même à emporter le retrait de la reconnaissance et

son exclusion du système juridique allemand. Le droit international peut se « transformer » en droit

interne, pour autant et aussi longtemps qu'il est reconnu par l'Allemagne157 (mode d'applicabilité

dualiste au sens technique).

La suppression par le Conseil parlementaire du qualificatif de «reconnue» dans la formulation du

nouvel l'article 25 LF emporte l'unanimité de la doctrine et de la jurisprudence : la reconnaissance par

un acte interne de la République fédérale d'Allemagne ne conditionne désormais plus l’applicabilité

interne d’une règle générale du droit international158. La détermination des règles générales du droit

international destinées à être transformées en droit interne échappe à la sphère de compétence de la Loi

fondamentale, en ce sens que les principes du droit international règlent désormais seuls la production,

la modification, la transformation159, ainsi que la destruction des règles générales du droit international.

La perte de souveraineté de l'État allemand qui en résulterait a parfois, mais rarement, inquiété une

partie de la doctrine160. Il leur a été rétorqué que l'article 25 LF n'exclut pas que l'État allemand participe

dans la sphère internationale à la détermination des règles générales du droit international. La Cour

constitutionnelle fédérale remarque que la République fédérale d'Allemagne, par sa participation à la

Communauté internationale, continue à conditionner la production, la modification ou la transformation

du contenu des normes internationales bénéficiant d'une sphère de validité universelle 161. Cette

compétence de l'État allemand ne trouve pas son fondement dans le droit interne allemand, mais tient à

la structure même du droit international, en tant qu’ordre de coordination de l’égale souveraineté des

États. Il en va de même en matière de coutume particulière, pour autant que l'État allemand est

concerné et fait partie du cercle potentiel des destinataires. Le raisonnement se décompose ainsi : en

droit international, un État seul ne peut dans certaines circonstances empêcher la formation ou la

transformation d’une règle générale du droit international, mais il peut éviter d’être lié par cette norme

s’il se comporte comme un objecteur persistant162, c'est-à-dire s'il manifeste de manière claire et

constante son opposition à la norme en question dans le laps de temps pendant lequel elle est formée ou

156 Wolfgang Pigorsch, op. cit. note 27, p. 28. 157 Ernst Rudolf Huber, op. cit. note 28, p. 266.158 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (34) ; 16, p. 27 sqs. (33) ; 23, p. 288 sqs. (317) ; 31, p. 145 sqs. (177) ; cf. aussi la décision du 6 décembre 2006 (BVerfG, 2 BvM 9/03) ; Rudolf Geiger, « Zur Lehre vom Völkergewohnheitsrecht in der Rechtsprechung des Bundesverfassungsgerichts », AöR, vol. 103, 1978, pp. 382-407.159 On distinguera dans ce contexte la «modification» de la «transformation» : la «modification» concerne le contenu de la norme, tandis que la «transformation» concerne sa forme (par exemple, une coutume est transformée en traité par l'entrée en vigueur de ce dernier la codifiant).160 Pour un aperçu général de l'évolution idéologique de la doctrine allemande concernant l'ouverture de l'État au droit international, cf. Stephan Hobe, Der offene Verfassungsstaat zwischen Souveränität und Interdependenz, Duncker & Humblot, Berlin, 1998, 515 p. 161 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (344, 402).162 En droit international : C.I.J., Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes, 18 décembre 1951, Rec. p. 116 ; application par un organe interne : BVerfGE 36, p. 342 sqs. (389).

116

se modifie. L’article 25 LF, qui a pour effet de transformer la règle de l'objecteur persistant en droit

interne, n’interdit aucunement à l'État allemand d’adopter une telle attitude.

L’article 25 LF interdit par lui-même que la transformation d'une règle générale du droit international

valide soit conditionnée par un acte juridique interne, que ce soit la loi ou un acte administratif, y

compris gouvernemental. Il y a sur ce point rupture entre la Constitution de Weimar et la Loi

fondamentale de la République de Bonn.

ii. La justification de la transformation ipso iure opérée par l'article 9 B-VG

L'article 9 B-VG est une imitation de l'article 4 de la Constitution de Weimar 163. Ces articles n'ont

pourtant pas occasionné les mêmes débats doctrinaux dans les contextes nationaux respectifs. L'histoire

de l'article 4 WRV est en effet marquée par la question d'une éventuelle condition de reconnaissance des

« règles généralement reconnues du droit international » à travers une procédure internationale ou

interne, toujours mise en œuvre par les organes de l'État allemand ; la doctrine autrichienne n'aborde en

revanche quasiment pas ce problème. L'expression « règle généralement reconnues du droit

international », qui comprend la notion de « reconnaissance », renvoie simplement à un certain

ensemble de normes internationales, peu importe la position de l'État autrichien quant à celles-ci 164.

Plusieurs facteurs, dont certains relatifs au contexte politique et idéologique national, peuvent expliquer

cette divergence : 1. La polémique relative à la question de la reconnaissance des normes

internationales s'engage dès la rédaction de la Constitution de Weimar, tandis que le constituant

autrichien n'y prête guère attention ; 2. La doctrine autrichienne de l'après Première guerre mondiale se

singularise par une dominante nettement «internationaliste» (parmi les auteurs : Hans Kelsen, Alfred

Verdross, Josef Laurenz Kunz) ; au même moment, une tendance nationaliste se démarque déjà dans la

doctrine allemande165, pour laquelle la transformation ipso iure du droit international sans accord de

l'État porte dans chaque cas atteinte à la souveraineté du Reich allemand ; 3. De l'opinion même de la

163 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, op. cit. note 65, p. 75 ; Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 161 ; Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 309.164 L'argument principal avancé est qu'une telle condition de reconnaissance par l'Autriche priverait de sens l'article 9 B-VG. Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl développent ainsi l'analyse suivante : « L'interprétation du terme "général" [dans la formulation "règle généralement reconnue du droit international"] présente des difficultés, à savoir si une norme de droit international pour avoir valeur de "généralement reconnue" dans le sens de la Constitution doit aussi être reconnue par l'Autriche de manière expresse, ou si une reconnaissance par la majorité des sujets de droit international est déjà suffisante. Dans le cas de la première conception, une réception (Rezeption) expresse dans une forme générale serait superflue puisque l'acceptation (aufnahme) dans l'ordre juridique interne est déjà conséquente de la reconnaissance individuelle d'une norme du droit international. Par l'art. 9 B-VG, il doit être expliqué de manière évidente que toutes les normes qui ont ailleurs valeur de règle généralement reconnue du droit international, même si ce n'est pas le cas pour l'Autriche, sont aussi considérées par l'Autriche comme liantes et sont conséquemment acceptées dans l'ordre juridique interne puisque, du point de vue de la primauté de l'ordre juridique interne, c'est seulement par l'acceptation dans l'ordre juridique interne qu'une norme devient juridique. » ; cf. ibid, pp. 75-76. 165 Pour un aperçu historique de la «neutralisation» de l'article 4 WRV, cf. Peter C. Caldwell, op. cit. note 7.

117

doctrine autrichienne, la petite République d'Autriche créée après-guerre par le Traité de Saint-Germain

peut difficilement être considérée comme une Puissance, au contraire de l'Allemagne, et ce, quand bien

même cette dernière a aussi été, certes dans une mesure moindre, diminuée par le Traité de Versailles.

Dès lors, l'accord de l'État autrichien ne semble pas être requis pour que la qualité de règle

« généralement reconnue » du droit international soit attribuée à une norme internationale166.

Globalement, les théories de la doctrine autrichienne à propos de l'article 9 B-VG ont principalement

pour objet le rang des règles généralement reconnues du droit international, en présupposant que

l'article 9 B-VG entraîne à lui seul la transformation des règles généralement reconnues du droit

international en droit interne. De manière marginale, quelques doutes relatifs à la normativité même de

l'article 9 B-VG en tant que fondement de transformation du droit international dans le contexte du droit

autrichien ont tout de même été émis par Ludwig Jordan, qui admet toutefois que l'emploi du terme

« gelten » (« sont valides ») dans la formulation de l'article 9 B-VG les résout167. Ludwig Jordan dit que

la présence de l'expression « gelten » résulte d'une décision volontaire du législateur constitutionnel, en

vue d'exclure une application de l'art. 9 B-VG en tant que « disposition programmatrice », c'est-à-dire

qui ne deviendrait agissante qu'après la production de lois le concrétisant. De manière quasiment

unanime, la doctrine autrichienne insiste sur la transformation permanente et dynamique du droit

international opérée par le seul article 9 B-VG (« Dauernder Transformator »168)169. La norme

internationale se forme (et est détruite) de manière continue dans le droit international et est reprise de

manière continue par le véhicule de l'article 9 B-VG170 171. La Cour constitutionnelle considère de même

166 Cf. inter alia : Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement pp. 168-169 (avec aperçu critique) ; Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, spécialement p. 347. Contre la doctrine de la « Puissance », cf. Josef Kunz, op. cit. note 22, spécialement pp. 312-313 (l'auteur remarque que cet argument semble contraire au principe d'égale souveraineté des États).167 Ludwig Jordan, op. cit. note 150, p. 455.168 L'expression « Dauernder Transformator » est initialement formée par l'universitaire allemand Friedrich Giese ; cf. Die Verfassung des Deutschen Reichs vom 11. Aug. 1919, Heymann, Cologne, 1920, 456 p. Felix Ermacora parle de « transformation perpetuum mobile » ; cf. Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p., spécialement p. 354.169 Cf. inter alia, Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 317 et svtes ; Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 183 et svtes ; Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98, spécialement p. 73 ; Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193, spécialement p. 171 et svtes ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476, spécialement p. 453 ; Bruno Simma, op. cit. note 140, spécialement p. 266 ; Herbert Haller, Die Prüfung von Gesetzen, Springer, Vienne/New York, 1979, 295 p., spécialement p. 138.170 Hans René Laurer, op. cit. note 166, spécialement p. 347 et svtes ; Bruno Simma, ibid., spécialement pp. 257-270 (« dynamische Rezeption »).171 La possibilité d'une transformation statique, c'est-à-dire du seul droit international général valide au moment de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle fédérale, est parfois évoquée par la doctrine, mais non acceptée ; cf. Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement pp. 145-146 et 148-149. Il s'ensuivrait que les principes du droit international de formation récente ne bénéficieraient pas d'une transformation ipso iure en droit interne, à l'instar du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ou de la prohibition générale de la guerre d'agression. La formulation de l'article 9 B-VG semble plutôt ouverte à la transformation dynamique du droit international, étant donné qu'il ne différencie pas le droit international dans le temps. En outre, le modèle « international law is part of the law of the land » va aussi en ce sens, cf. Eberhard Menzel, Die englische Lehre vom Wesen der Völkerrechtsnorm, E. Märtin,

118

dans une décision en date du 10 janvier 1931 : « l'art. 9 B-VG se présente [...] comme une norme par

laquelle les règles généralement reconnus du droit international sont immédiatement transposées

(übertragen) dans le droit national172 ».

iii. La « reconnaissance » comme seule ambiguïté

Les doctrines et jurisprudences nationales s'accordent désormais pour considérer que l'article 9 B-VG et

l'article 25 LF opèrent ipso iure la transformation des normes internationales pertinentes en droit interne

(mode d'applicabilité médian). Par le passé, une réserve a été émise concernant une éventuelle condition

de reconnaissance (mode d'applicabilité dualiste au sens technique). Cette réserve n'est plus d'actualité :

elle tient aux différentes lectures de l'article 4 de l'ancienne Constitution de Weimar (art. 4 WRV), et

surtout à sa lecture nationaliste, qui n'a jamais connu de succès dans la doctrine autrichienne, à propos

de l'article 9 B-VG. L'analyse de la question de la «reconnaissance» n'en demeure pas moins

significative de l'évolution de la technique de transformation du droit international en droit interne.

Les difficultés relatives à la « reconnaissance » trouvent sans doute leur origine dans la polysémie du

terme : la «reconnaissance» est une notion présente et dans la doctrine de droit international, et dans la

doctrine de droit interne, mais sans que sa signification soit semblable. Aussi, les auteurs fondateurs de

la théorie dualiste utilisent au début du XXe s., y compris dans la période de rédaction des dispositions

constitutionnelles en question, une notion propre de «reconnaissance», qui concerne spécifiquement la

relation entre le droit international et le droit interne173. La notion de «reconnaissance» à laquelle

l'article 4 WRV et l'article 9 B-VG renvoient apparaît donc de prime abord incertaine. La

«reconnaissance» consisterait soit simplement en une connaissance certaine de la norme en question,

soit en une procédure juridique de nature indéterminée (interne ou internationale ?).

En outre, la question de la «reconnaissance» conduit à s'interroger sur l'organe habilité à «reconnaître». Breslau, 1942, 213 p. 172 Décision de la Cour constitutionnelle du 10 janvier 1931 (B25/30 ; Slg. 1375, p. 195) ; cf. aussi : Cour suprême, 10 mai 1950, Hoffmann g. Dralle-Fall, SZ, vol. 23, n°143, p. 459.173 Les auteurs représentatifs de la théorie dualiste distinguent souvent deux procédures de «reconnaissance» du droit international général par l'État : i. La procédure de reconnaissance peut concerner l'existence même du droit international général en son ensemble (mode d'applicabilité médian). La reconnaissance du droit international est dite « tacite » lorsqu'elle est prouvée par certaines actions de l'État, telles qu'envoyer ou recevoir des agents diplomatiques ou entrer en négociations internationales. La reconnaissance est dite « expresse » lorsque la constitution de l'État contient une norme disposant de la transformation du droit international en tant que composante du droit interne ou, plus généralement, que les organes internes d'application du droit sont tenus de s'y conformer (cf. par exemple, à propos du droit italien : Luigi Condorelli, « II "riconoscimento générale" delle consuetudini internazionali nella Costituzione Italiana », Rivista di diritto internazional, 1979, pp. 5-30);ii. La procédure de reconnaissance peut concerner chacune des normes du droit international général (procédure de reconnaissance ad hoc).La première conception de la «procédure de reconnaissance» ne se rattache pas au «dualisme au sens technique», mais s'apparente à la transposition (mode d'applicabilité médian). Les auteurs veulent alors insister sur le fait que c'est l'État qui détient la compétence pour reconnaître ou non le droit international. Seule la seconde conception de la procédure de reconnaissance exige que chacune des normes internationales soient reconnues par un acte interne spécifique pour acquérir force obligatoire en droit interne (mode d'applicabilité dualiste au sens technique).

119

La reconnaissance peut résulter d'un organe interne à l'État agissant dans la sphère interne, tel le

législateur approuvant la positivité d'une norme internationale, ou d'un organe de l'État agissant dans la

sphère des relations internationales, par exemple l'exécutif lorsqu'il prétend par un acte unilatéral de

l'État que telle ou telle norme est opposable ou non à l'État dont il est l'organe174. Il paraît aussi

envisageable que l'organe habilité à «reconnaître» une norme internationale ne soit pas même un organe

de l'État donné, mais une entité juridique externe, à l'instar d'une organisation internationale ou d'un

ensemble d'États étrangers ayant déjà procédés à la reconnaissance une norme dans la sphère

internationale et l'appliquant par l'intermédiaire de leurs juridictions en droit interne. Ceci explique la

démarche de certaines juridictions internes qui se livrent à une analyse de la jurisprudence des États

étrangers afin de vérifier que la norme internationale en question soit bien suffisamment «reconnue 175»

(cf. par exemple l'affaire célèbre Paquete Habana, The Lola devant la Cour suprême des États-Unis, en

date de 1900176).

En résumé, la question de la compétence en matière de «reconnaissance» se décompose ainsi : s'agit-il

d'une procédure internationale ou interne ? dans l'un ou l'autre cas, quel est l'organe compétent pour y

procéder ? Il n'est pas non plus à exclure que la notion de règles « généralement reconnues » du droit

international ne renvoie à aucune forme de reconnaissance spécifique, et il suffirait alors que la norme

en question soit « généralement » admise comme valide dans la pratique internationale.

La «doctrine de la reconnaissance» se partage entre une version s'appuyant sur la notion interne de

« reconnaissance » et une version s'appuyant sur les données du droit international :

(i.) L'extension de la procédure interne de reconnaissance aux normes internationales

En droit interne, on entend par «reconnaissance» (Anerkennung) une norme par laquelle un organe ou

une personne identifie par un certain acte juridique une situation, cet acte étant assorti d'effets juridiques

(une norme unilatérale). La reconnaissance se distingue de l'identification en ce qu'elle n'est pas

uniquement cognitive. La reconnaissance de la paternité d'un enfant naturel en offre un exemple : elle

constitue un acte juridique auxquels sont attachés certains effets juridiques déterminés concernant la

174 La distinction entre sphère interne et sphère internationale est relative, cf. infra « La relativité de la distinction entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État ».175 Selon la terminologie préalablement posée, le problème dans cette affaire concerne l'«identification» (une opération cognitive) et non la «reconnaissance» de la coutume internationale (un acte juridique). Cependant, la doctrine juridique dominante de la Première moitié du XXe s. confond souvent les deux notions, ce qui l'amène à conclure que les juridictions disposent d'une compétence pour «reconnaître» les normes internationales, c'est-à-dire pour déterminer leur applicabilité interne dans le cadre de la procédure juridictionnelle.176 The Paquete Habana, 175 U.S. 677, 686 (1900). En l'espèce, la Cour suprême identifie l'existence d'une coutume internationale prévoyant que les navires de pêche côtiers d'une certaine taille d'un État en guerre ne doivent pas être victimes du droit de prise de l'État belligérant. Pour identifier cette norme, la Cour suprême analyse la pratique des États depuis le XVe s. siècle ainsi que les décisions de la France, de la Hollande, de la Grande-Bretagne, de la Prusse, du Japon et des États-Unis en la matière. Cf. : William S. Dodge, « The Story of The Paquete Habana : Customary International Law as Part of Our Law », in : John E. Noyes, Laura A. Dickinson, Mark W. Janis (éds), International Law Stories, Foundation Press/Thomson/West, New York, 2007, 442 p., p. 175 et svtes.

120

relation patrimoniale entre le père et l'enfant. Aussi, un organe procède parfois à la reconnaissance de la

validité d’une norme appartenant à un système juridique tiers afin de l'appliquer au cas concret dont il

est saisi. En droit international privé, la loi étrangère développerait ainsi, pour autant qu'elle soit

reconnue par le juge, des effets juridiques internes sur les situations présentant une certaine extranéité.

L'opinion dominante de la doctrine allemande dans la période de Weimar relativement à la relation

entre le droit international et le droit interne suit le même schéma : la reconnaissance par un organe

étatique allemand d'une norme internationale est une condition préalable de son application interne,

ainsi qu'en amont de sa transformation, quelque soit par ailleurs le contenu de la norme

constitutionnelle en la matière. Cette opinion trouve sa justification théorique dans quelques écrits de

tendance dualiste qui défendent l'idée que le droit international n'est valide pour l'État que s'il est

«reconnu» par l'État en question177 178. Le droit international positif ne contient pourtant aucunement un

tel principe : la reconnaissance d'une norme par un État ne constitue pas en principe une condition pour

qu'elle soit pourvue d'une force obligatoire opposable à l'État en question. Par exemple, la création d'un

État le lie à tous les droits et obligations qui lui sont internationalement attribués, indépendamment de

la reconnaissance du droit international par l'État en question. Aussi, en droit international, rien n'oblige

à prouver qu'un État a consenti à une norme non conventionnelle pour conclure que, dans une situation

particulière, l'État en question a transgressé cette obligation ou qu'un État tiers a violé ses droits. La

doctrine dualiste ne correspond pas au droit positif lorsqu'elle voit une relation de nécessité entre la

reconnaissance d'une norme internationale par l'État et l'obligation pesant sur celui-ci de se conformer à

cette norme. Ceci dit, rien n'empêche l'État de conditionner la transformation de normes internationales

en droit interne par une procédure de reconnaissance. Il en est d'ailleurs autorisé par le droit

international qui est en principe indifférent au contenu du droit interne ; l'État est habilité à transformer

ou non les normes internationales en droit interne, qui plus est par une procédure de son choix.

Les partisans de la «théorie de la reconnaissance» trouvent un autre appui dans le texte de l'article 4

177 Remarquons que la théorie dualiste de la relation entre le droit international et le droit interne s'est en partie construite en s'inspirant du modèle du droit international privé ; cf. l'œuvre de Dionisio Anzilotti, dont les premiers écrits concernent ce domaine du droit, et qui s'en inspire par la suite pour analyser la relation entre le droit international et le droit interne, notamment dans : Il Diritto Internazionale Nei Giudizi Interni, Ditta N. Zanichelli, Bologne, 1905, 328 p. Pour un aperçu de l'évolution de la théorie de Dionisio Anzilotti, cf. Denis Alland, Anzilotti et le droit international public – Un essai, A. Pedone, Paris, 2012, 196 p. 178 Selon Paul Heilborn : « Die Tatsache, daß ein Völkerrechtssatz für alle übrigen Staaten gilt, ist demjenigen Staat gegenüber belanglos, welcher den Satz nicht anerkannt hat » ; cf/ Grundbegriffe des Völkerrechts, W. Kohlhammer, 1912, 110 p., p. 33. Cf. aussi : Heinrich Triepel, op. cit. note 89, p. 63 et svtes.Cette doctrine s'est même à une certaine période imposée dans la pratique anglaise, cette dernière étant pourtant marquée par une tradition de transformation ipso iure du droit international en droit interne. Judicial Committee of the Privy Council, 1938, Chung Chi Cheung v. The King [1938-1939] Ann. Dig. 9 (n° 87) : « It must always be remembered that, so far, as any rate, as the Courts of this country are concerned, international law has no validity save in so far as its principles are accepted and adopted by our own domestic law. There is no external power that imposes its rules upon our own code of substantive law or procedure. The Courts acknowledge the existence of a body of rules which nations accept amongst themselves. On any judicial issue, they seek to ascertain what the relevant rule is, and, having found it, they will treat it as incorporated into the domestic law, so far as it is not inconsistent with rules enacted by statutes or finally declared by their tribunals. »

121

WRV. La majorité de la doctrine allemande voit alors dans l'adjectif «reconnu», contenu dans

l'expression «règles généralement reconnues du droit international», une condition proprement interne

de la transformation des normes internationales en droit interne 179. Il appartiendrait ainsi à organe de

l'État allemand de reconnaître, soit par procédure internationale, telle une reconnaissance par le

gouvernement d'une obligation internationale liant l'État, soit par procédure interne, à l'instar d'une

approbation par l'organe législatif, la positivité de la norme internationale en question pour qu'elle soit

transformée en droit interne. La conception doctrinale de Carl Schmitt combine, à l'image de la doctrine

dominante, la théorie dualiste et une lecture de l'article 4 WRV insistant sur la notion de

«reconnaissance» :

« Quand une disposition légiconstitutionnelle prescrit que "les règles universellement180

reconnues du droit international" doivent être considérées "comme des éléments obligatoires" du droit

public interne (art. 4 WRV), cela veut dire que pour le contenu de certaines normes du droit

international (c’est-à-dire les règles universellement reconnues, c’est-à-dire par l’État qui décrète cette

disposition – donc des normes générales et non des pactes spécifiques) l’acte formel d’une

transformation (Umschaltung, Transformation) dans le droit public interne est entrepris d’une façon

générale. La transformation demeure le fait essentiel parce que c’est elle qui crée le fondement

juridique (auctoritatis interpositio) de la validité à l’intérieur de l’État.181 » (mes italiques).

Le commentaire de Carl Schmitt prête à controverse : l’article 4 WRV est incontestablement un

fondement de transformation, et par lui le « droit international » devient valide dans le système

juridique interne en tant que droit interne ; mais, à ses côtés, la reconnaissance constitue au plus une

condition procédurale de la transformation du droit international, et non son fondement premier, ce

dernier étant assurément l’article 4 WRV. Carl Schmitt s'en tient aussi à une conception restrictive de la

«reconnaissance» en tant qu'acte juridique auquel seul l'État auteur de la transformation procède, alors

qu’il est tout a fait possible d'en retenir une conception plus large incluant, entre autres, la simple

identification de la norme par un organe de l’État (chef de l’État, parlement...) ou par un organe

international (juridiction internationale, organisation internationale, un ensemble limité mais

représentatif d'États).

La principale objection à la « théorie de la reconnaissance » demeure contenue dans l'énoncé même de

l'article 4 WRV, puis de l'article 9 B-VG. La formulation « règles généralement reconnues du droit

international » ne trouve en effet son origine ni dans les textes juridiques internes, ni même dans la

179 cf. Wolfgang Pigorsch, op. cit. note 27, p. 28.180 La traduction est celle de Madame Lilyane Deroche. Elle ne semble pas tout à fait exacte car l'adjectif «allgemein» correspond au français «général». La langue allemande comprend un terme spécifique pour « universel », d'ailleurs courant dans la terminologie de droit international : « universell » (cf. par exemple, le titre de l'ouvrage de référence d'Alfred Verdross : Die Quellen des universellen Völkerrechts, Fribourg, 1973). 181 Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. Lilyane Deroche, PUF, Paris, 1993, 576 p., pp. 206-207.

122

terminologie utilisée spécifiquement par la doctrine nationale182. Il ne s'agit pas de la désignation

« interniste » d'un ensemble de normes internationales, mais d'une notion en provenance du droit

international lui-même. Le texte constitutionnel allemand, et à sa suite le texte constitutionnel

autrichien, reproduisent cette formulation alors courante en droit international. « Généralement

reconnues » signifie qu'il y a un consensus entre les diverses Puissances de la Communauté

internationale, ainsi que dans la doctrine spécialiste du droit international, à propos de la positivité des

normes ainsi qualifiées. La qualification de « généralement reconnue » ne dépendrait ainsi d'aucune

procédure de reconnaissance interne ou internationale, mais uniquement de l'opinion commune émise

dans une forme indéterminée.

(ii.) La « doctrine de la Puissance »

La formulation « règles généralement reconnues du droit international » n'est pas une création des

publicistes allemands à l'origine du texte de la constitution de Weimar, mais une formulation présente

dans le droit international. La formulation de « règles généralement reconnus du droit international »

fait partie des expressions habituelles pour désigner les principes du droit international à une époque, le

début du XXe s., où le droit conventionnel général n'est pas encore consistant183 et où seuls quelques

États bénéficient de la souveraineté. Dans la terminologie juridique l'expression de langue allemande

« die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts » résulte de la traduction184 des expressions

françaises « règles généralement reconnues du droit international » et « principes généralement

reconnus du droit international », que l'on trouve dans plusieurs traités internationaux classiques relatifs

au droit international humanitaire185.

Une partie de la doctrine allemande, consciente que l'expression « règles généralement reconnues du

droit international » s'inscrit avant tout un contexte international, développent dès la rédaction du texte

constitutionnel une doctrine propre visant à tout de même conditionner la transformation d'une norme

internationale en droit allemand à travers une procédure de reconnaissance opérée par l'État allemand 186.

182 «Interniste», c'est-à-dire suivant une catégorisation spécifiquement employée en droit interne pour désigner les normes du droit international général.183 Cf. supra introduction, « le concept de "droit international général" ».184 La langue internationale prédominante à la fin du XIXe s. et au début du XXe s. est le français. Les traités internationaux d'une certaine ampleur, la jurisprudence internationale ainsi que les travaux des auteurs de la doctrine considérés comme les plus éminents sont très souvent rédigés en français ou traduits dans la langue française pour leur publicité. On peut donc considérer que l'expression allemande est la traduction de l'expression française, et non l'inverse, même si elle apparaît dans les textes constitutionnels rédigés en langue allemande, non dans celui de la France. 185 La Convention (XII) relative à l'établissement d'une Cour internationale de prises signée à La Haye le 18 octobre 1907 prévoit en son article 7 al. 2 que : « A défaut de [...] stipulations [conventionnelles], la Cour applique les règles du droit international. Si des règles généralement reconnues n'existent pas, la Cour statue d'après les principes généraux de la justice et de l'équité » ; La Déclaration relative au droit de la guerre maritime signée à Londres le 26 février 1909 contient comme disposition préliminaire : « Les Puissances Signataires sont d'accord pour constater que les règles contenues dans les Chapitres suivants répondent, en substance, aux principes généralement reconnus du droit international. » 186 Cela est notamment rapporté par le Ministre d'Empire Hugo Preuss, cf. Protocole de la Commission

123

L'argumentation avancée repose sur l'idée suivante : l'Allemagne étant une Puissance, il s'ensuit que

toute norme internationale non reconnue par elle n'est pas «généralement reconnue». Par son action

dans la sphère internationale, l'État allemand détient donc la capacité de déterminer librement les

normes internationales destinées à être transformées en droit interne. La « doctrine de la Puissance »

trouve une limite nette : une fois un État lié par des normes internationales, il n'est en principe pas libre

de s'en délier, pas même par un acte unilatéral de protestation autorisé par le droit international.

Une autre limite de la « doctrine de la Puissance » se trouve dans la conception internationale de la

« reconnaissance » sur laquelle elle s'appuie. En droit international, la « reconnaissance » se définit

comme l'acte issue d'une procédure plus ou moins organisée visant à déterminer des faits qui, une fois

«établis», entraîne certaines conséquences juridiques187 (faits juridiques). La reconnaissance participe

dans la sphère internationale à la détermination de faits juridiquement pertinents variés tels que

l'existence d'un État, l'ouverture d'un conflit armé, le blocus, les délits internationaux, les titres

territoriaux... Et, à chacun de ces faits, le droit international attache un certain ensemble de

conséquences. La latitude de reconnaître ou de ne pas reconnaître est généralement attribué aux États

par le droit international, ce qui peut s'illustrer par le cas de l'État qui rejette en toute licéité le statut

étatique d'une entité satisfaisant pourtant aux conditions de la naissance d'un État. Toutefois, le plus

souvent, la non-reconnaissance entraîne seulement la limitation partielle de l'opposabilité d'une

situation de fait au sujet de droit international qui en est l'auteur. Le fait juridique développe en effet des

conséquences juridiques s'étendant à l'ensemble de ce que le droit international lui attache, peu importe

qu'une partie des sujets de droit international s'y opposent.

En outre, la reconnaissance désigne en droit international uniquement la procédure générale de

détermination des faits, et non des normes188. Même dans le droit international du début du XXe s.

pourtant fortement marqué par la souveraineté des États, la non-reconnaissance d'une norme

internationale déjà formée189 est dépourvue d'effets juridiques. La doctrine allemande souverainiste de la constitutionnelle, 3ème séance, p. 8.187 Conventionnellement, on distinguera l'«effet juridique» de la «conséquence juridique». Par «effet juridique», on entend un phénomène purement normatif : une norme juridique a des «effets juridiques» sur l'état du droit, c'est-à-dire qu'elle modifie les obligations, interdictions ou permissions présentes dans le système juridique (par exemple, suite à des troubles, une loi d'amnistie modifie les peines fixées par le juge). Un fait a des «conséquences juridiques» sur l'état du droit («être»/«devoir-être»). Par exemple, un meurtre a pour «conséquence juridique» la condamnation du coupable ; mais le fait (le meurtre) n'est qu'un élément conditionnant la production d'une norme (la condamnation du coupable), quant à elle fondée sur une norme plus générale (la loi qui prohibe l'homicide).On utilisera le terme de «conséquence» lorsqu'il est question de la relation entre la norme et le fait («devoir-être»/«être»), même si celle-ci n'a rien d'évident. Par exemple, le nombre de morts sur la route diminue (fait) en conséquence du durcissement de la législation (norme).188 Une telle détermination est accomplie sur le fondement de la norme internationale réglementant le fait juridique en question. Par exemple, la détermination du fait «traité» dépend du contenu de la norme internationale réglementant la procédure conventionnelle. De même, le fait d'«État» est déterminé relativement aux standards posés par le droit international, dont le principe d'effectivité. De plus, les conséquences juridiques de ces faits ne peuvent être déduites de la seule existence de ces faits, mais seulement de normes juridiques attribuant à ces faits un certain ensemble de conséquences juridiques '(la «validité» du traité, la positivité de l'«État» en tant que sujet du droit international).189 Les partisans allemands d'une théorie de la liberté pour l'État de ne pas reconnaître une norme internationale généralisent de manière excessive la (future) théorie de l'objecteur persistant, qui ne vaut en réalité que pour les normes coutumières en voie de formation.

124

République de Weimar surestime ainsi l'expression « généralement reconnues » dans la formulation

« règles généralement reconnues du droit international ». Cette formulation n'en demeure pas moins

relativement vague : elle ne renvoie ni à aucune forme normative propre au droit international (traité,

coutume...), ni de manière indifférenciée à l'ensemble du droit international non conventionnel. Alors

que d'autres formulations s'avéraient à l'époque envisageables (« principes du droit des gens190 »,

« règles générales du droit des gens191 », « droit international coutumier », etc.), le constituant de

Weimar a choisi d'adopter une formulation préservant potentiellement la souveraineté allemande

(« règles généralement reconnues du droit international »).

La polémique relative à la « reconnaissance », qui n'a jamais percé en Autriche, prend fin avec l'entrée

en vigueur la Loi fondamentale et son article 25. La question de la « reconnaissance » constituait la

seule réserve que l'on pouvait émettre à la transformation ipso iure du droit international en droit

interne. Il en va autrement en droit français, dont l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946

semble indéterminé quant à la transformation du droit international en droit interne.

β. L'indétermination de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 quant au mode

d'applicabilité

La formulation de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 est indéterminée quant à la

question du mode d'applicabilité : plusieurs significations sont actuelles. On analysera ici l'ensemble de

ces significations car il n'appartient pas à la doctrine de réduire l'état du droit en excluant certaines

solutions. La pluralité des solutions juridiquement pertinentes implique au final qu'aucune solution ne

doit être fixée par la doctrine. Le sentiment de manque dans la connaissance juridique ne doit pas être

comblé sous prétexte d'interprétation, sans quoi il est possible de porter atteinte à la constitution en

excluant des significations contenues dans celle-ci192.

Les lectures de l'alinéa 14 apparaissent d'autant plus nombreuses que la première phrase peut être

considérée indépendamment de la deuxième phrase ou qu'il peut être analysé en son intégralité (« La

République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle

n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la

190 Cf. par exemple le préambule de la Convention de La Haye (II) concernant les lois et coutumes de la guerre, 29 juillet 1899. 191 Cf. par exemple : article 2 de la Convention Genève pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne, 6 juillet 1906. 192 Heinz Schäffer, op. cit. note 145, p. 68 ; Michael Thaler, Mehrdeutigkeit und juristische Auslegung, Springer, Vienne/New York, 1982, 187 p. ; Otto Pfersmann, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître - L’interprétation de la Constitution », in : Fernand Mélin-Soucramanien (éd.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, Paris, 2005, 248 p., pp. 33-60.

125

liberté d'aucun peuple »).

On exposera les positions de la doctrine (i) et de la jurisprudence (ii) avant de procéder à une analyse

linguistique-synchronique193 du texte (iii).

i. Les multiples lectures proposées par la doctrine

La doctrine majoritaire actuelle, sans doute influencée par la globalisation du principe « international

law is part of the law of the land », considère que l'alinéa 14 constitue une norme de transposition du

droit international général, à l'instar de la plupart des normes constitutionnelles françaises ou étrangères

relatives à la relation entre le droit international et le droit interne 194. La doctrine ancienne,

historiquement plus proche de la rédaction de l'alinéa 14, le concevait de manière plus «nationale 195»196.

Dans tous les cas, l'idéologie semble avoir marqué la lecture doctrinale de l'alinéa 14 197 : opposition

entre «souverainisme» et «internationalisme» conduisant à la politisation de la distinction entre

«dualisme» et «monisme». L'analyse la plus sophistiquée des différentes lectures possibles de la norme

constitutionnelle a été développée par le Professeur Gérard Teboul, dans son article « alinéa 14 », qui

193 « Synchronique », c'est-à-dire dans l'état du langage au moment même de la rédaction de l'alinéa 14. 194 Cf. inter alia, pour un travail représentatif de la doctrine dominante : Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136. On peut constater que même les auteurs contemporains qui émettent des doutes quant à la normativité de l'alinéa 14 conçoivent difficilement qu'il pourrait avoir d'autres effets que de transposer les normes internationales en droit interne ; cf. inter alia, Serge Sur, « Progrès et limites de la réception du droit international en droit français », in : Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani (éds), droit international et droits internes, développements récents, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis (Colloque des 16-17-18 avril 1998) ; Emmanuel Decaux, « Déclarations et conventions en droit international », CCC, n°21 (Dossier : la normativité), janvier 2007, 8 p.195 Le terme «national» ne signifie pas ici nécessairement «souverainiste» mais propre à la France ou, négativement, non inspiré d'une pratique étrangère. La doctrine de Georges Scelle, par exemple, peut être considérée à plusieurs égards comme «nationale», tout en étant «internationaliste». 196 Remarquons que l'évolution de la doctrine italienne, à propos de la lecture de l'article 10 al. 1 de la Constitution de la République italienne, est marquée par la même tendance. Cf. inter alia : Luigi Condorelli, op. cit. note 173 ; Karin Oellers-Frahm, op. cit. note 152.197 La doctrine dominante, surtout en France, expose une conception dualiste de la relation entre droit international et droit interne largement fondée sur l'idéologique de la souveraineté. Est-ce que ce dogme-pourrait constituer une donnée juridique modifiant le contenu des systèmes juridiques positifs ?Le Professeur Otto Pfersmann développe l'analyse suivante: « la persistance d'un dogme politique est de toute évidence une donnée du contenu d'un ordre juridique en ce sens que nous pouvons concevoir une situation contrefactuelle où les croyances seraient différentes et les normes adoptées le seraient également. Pourtant ce n'est pas la croyance en un dogme qui en fait en tant que telle une donnée juridique. […]. Admettons la situation suivante : à un droit constitutionnel minimal viendrait se joindre un ensemble fortement articulé de croyances politiques concernant justement ce droit. Si maintenant une interprétation s'impose qui lit ces principes comme des règles juridiques, peut-on toujours les reléguer au rang de simples faits ? […]. Toute la question est de savoir à partir de quand il est possible de dire qu'une doctrine a pu s'imposer comme norme sans que les normes de production de normes l'aient explicitement prévu. A partir d'un certain seuil, deux interprétations paraissent possibles. Soit le droit constitutionnel matériel a été modifié de telle manière que la doctrine ou certaines croyances aient rang de normes constitutionnelles (révolution juridique) ; soit il faut considérer toutes les tentatives de faire de croyances politiques – articulées par la doctrine – des règles constitutionnelles comme des impostures au sens technique du terme. » ; cf. « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918 , PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-32, p. 323. L'analyse porte en l'occurrence sur la « sacralisation de la loi » par l'idéologie française de droit public, mais elle est par sa généralité extensible à la question de la souveraineté et, partant, à la relation entre droit international et droit interne dans le cadre du droit interne.

126

date de 2001198.

L'indétermination de l'alinéa 14 serait si forte que, dans la doctrine, chaque mode d'applicabilité

(dualiste au sens technique, «médian», moniste au sens technique) connaît des partisans. S'il ne nous

appartient pas d'exclure une lecture possible, l'évaluation des choix juridiquement admissibles demeure

le travail du juriste :

(i.) La première signification : mode d'applicabilité dualiste au sens technique (transformation ad hoc)

L’alinéa 14 peut être lu comme une disposition exigeant la transformation ad hoc : « La République

française se conforme aux règles du droit international public », de telle sorte qu'elle est tenue de

transformer ces normes, une par une, en droit interne, au moyen de procédures législatives ou

réglementaires, afin qu'elles deviennent applicables par les organes internes en tant que normes internes

(mode d'applicabilité dualiste au sens technique).

Cette lecture de l'alinéa 14 se trouve surtout dans la doctrine française de la IVe République, soit la plus

proche dans le temps de sa rédaction. En 1948, Jacques Donnedieu de Vabres dit que :

« [L'expression] "se conforme aux règles du droit public international" […] ne détermine pas

une intégration automatique dans le droit interne de l'ensemble du droit international. Elle dit

simplement que la République se conforme aux règles, ce qui lui laisse le choix de la façon de les

introduire dans son système et de les sanctionner.[…]. Le texte français de 1946 […] ne va […] pas

aussi loin que l'article 7 de la Constitution espagnole de 1931, qui disposait : "L'État espagnol

observera les règles universelles du droit international en les incorporant dans son droit national".

Cette dernière formule […] mentionne expressément la nécessité d'une incorporation […].

L'incorporation est constitutionnellement nécessaire pour l'État espagnol : il n'y a qu'une seule façon

pour celui-ci de se conformer à la loi internationale, c'est de l'incorporer dans son droit interne. Sur ce

point, la Constitution espagnole est beaucoup plus précise et complète que notre préambule.199 »

La lecture « dualiste au sens technique » de l'alinéa 14 appelle quelques observations :

La volonté du Constituant, d'après ce qui ressort des travaux préparatoires de la Constitution de

1946, ne consiste apparemment pas à conditionner l'applicabilité interne du droit international par des

actes internes200. On sait toutefois que les travaux préparatoires de production d'une norme – un état de

fait (Sein) – ne déterminent pas le sens de celle-ci – un état déontique (Sollen).

L'obligation de transformation ad hoc des normes internationales contredit l'expression « fidèle

à ses traditions » présente dans la première phrase de l'alinéa 14. En effet, la pratique de l'application

immédiate du droit international semble prédominante en matière de droit international général dans les

198 Gérard Teboul, « Alinéa 14 », in : Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (éds), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 p., pp. 327-356.199 Cf. op. cit. note 1, p.5.200 Gérard Teboul, « Le droit international non écrit et le juge administratif – quelques réflexions », RGDIP, 1991, pp. 321-369, spécialement p. 331-334.

127

Républiques antérieures à la IVe (monisme au sens technique). Il en en va ainsi de la pratique du juge

judiciaire qui appliquait, et applique d'ailleurs toujours, le droit international coutumier sans qu'un acte

interne transformant préalablement la norme internationale en question ne le justifie201. On pourrait

objecter qu'il ne s'agit sans doute pas là de la tradition constitutionnelle, mais de celle du juge judiciaire,

et que l'expression « fidèle à ses traditions » renvoie non pas au contentieux juridictionnel interne, mais

au comportement international de la France.

La pratique ancienne, aussi bien qu'actuelle, ne s'oriente pas vers une applicabilité du droit

international général conditionnée par la transformation ad hoc de chacune des normes en question, par

le biais d'un acte législatif, gouvernemental ou encore d'une décision juridictionnelle 202. Sous la IVe

République, quelques précédents donnent peut-être l'impression qu'il appartient aux organes internes de

vérifier que l'État français a bien reconnu la norme en question avant de l'appliquer 203, mais ces

décisions restent marginales et ne s'appuient aucunement sur le texte constitutionnel.

Une telle lecture de l'alinéa 14 n'explique pas sur quelle norme se fonde les organes internes lorsqu'ils

appliquent le droit international général, à moins d'admettre soit qu'ils l'appliquent volontairement en

vertu de la latitude propre dont ils bénéficient dans chaque cas concret, soit qu'ils agissent en violation

de leurs habilitations.

(ii.) La deuxième signification : mode d'applicabilité médian (transformation ipso iure)

La doctrine majoritaire actuelle tend de manière croissante à affirmer que l’alinéa 14 transforme ipso

iure le droit international en droit interne, autrement dit qu'il s'agit d'une disposition de transposition,

comme donc l'article 25 LF et l'article 9 B-VG. Sur le fondement de l'alinéa 14, les organes internes qui

composent l'État sont tenus de respecter l'ensemble des normes internationales, de la même façon qu'ils

sont tenus de respecter toutes les autres normes internes qui leur sont imposées. Cela présuppose que les

règles du droit public international soient ipso iure une composante du système juridique interne.

L'applicabilité interne du droit international général ne dépend pas ainsi de leur transformation, une à

une, par des actes internes, mais d'une norme interne générale : l'alinéa 14 en tant que disposition de

transposition (mode d'applicabilité médian).

Cette signification n'a en réalité rien d'évident : la formulation de l'alinéa 14 n'incite pas à conclure de

201 A propos du principe d'immunité de juridiction des États, cf. : Cass. Gouvernement espagnol c/ Casaux, 1849, Sirey 1849, I, col. 81 (en particulier col. 93) ; Trib. Civ. Seine, 3e chambre, 31 juillet 1878, Dientz c/ de la Jara, JDI 1878, pp. 500-501 (décision très significative quant à la relation entre autorité de la norme internationale non écrite et la loi interne, cf. § 2) ; Cass., ch. Rqtes, 23 janvier 1983, Hanukiew, Sirey 1933, I, p. 249.202 Pour ce qui est de la jurisprudence judiciaire sous la IVe République, cf. inter alia : Cour de Poitiers, 16 juin 1949, État roumain c. Delle Aricastre (à propos du principe d'immunité de juridiction des États) ; pour ce qui est de la jurisprudence administrative, cf. : CE, 23 octobre 1987, Nachfolger, RFDA 1987, n° 6, p. 969 (concl. Jean Massot, pp. 966-967) ; CE, 6 juin 1997, Aquarone, RGDIP 1997, p. 838 ( concl. Gilles Bachelier, p. 854). 203 A propos des affaires Myrtoon Steamship (concl. Heumann), Ignazio Messina (concl. Questiaux) et Mines de potasse d'Alsace (concl. Dandelot), cf. Gérard Teboul, op. cit. note 200, p. 343 (notes n°78, 79, 80).

128

manière incontestable qu'il entraînerait transposition de l'ensemble des règles du droit public

international en droit interne, d'une façon semblable à la maxime « international law is part of the law

of the land ». Pour autant que l'alinéa 14 soit bien une disposition de transposition, il ne paraît de plus

pas certain qu'il transpose toutes les règles du droit public international en toutes circonstances.

Plusieurs possibilités – des «sous-significations» – ont retenu l'attention de la doctrine :

La majorité de la doctrine dit que l'alinéa 14, à la manière de « international law is part of the

law of the land », transpose l'ensemble du droit international général en droit interne. Les Conseillers

Didier Chavaux et Thierry–Xavier Girardot conçoivent difficilement qu'il puisse en aller autrement :

« l'applicabilité de la coutume, comme élément du droit international, dans l'ordre interne découle

nécessairement d'une règle constitutionnelle. Or, cette règle se trouve énoncée, en ce qui concerne la

France, au 14ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946204 ».

Une autre opinion remarque la possibilité de circonscrire les effets juridiques de l'alinéa 14 à la

sphère des relations internationales (signification «interétatique»205), de sorte que les règles du droit

public ne seraient que partiellement transposées dans le système juridique interne, et ce afin de

réglementer les matières internationalement pertinentes. Cet effet limité de l'alinéa 14 correspondrait à

l'intention du constituant d'encadrer le comportement de la France dans ses relations avec les autres

États, et non au-delà de la sphère des relations internationales, c'est-à-dire dans ce qui est constitutif du

domaine de souveraineté de l'État. En ce sens, le Président de la Commission de la Constitution déclare,

durant la séance du 17 juillet 1946, qu'il faut « éviter [d'] insérer [le futur alinéa 14] parmi les textes

relatifs aux institutions, où le contrôle de la constitutionnalité lui serait applicable »206. Auparavant déjà,

le rédacteur de l'article 46 du projet d'avril, futur alinéa 14, insiste surtout sur la seule obligation pour la

France de respecter le droit international dans ses relations internationales 207. Aucune certitude ne se

dégage toutefois des travaux préparatoires, d'autant plus que la doctrine de Georges Scelle, très

influente après la Libération208, s'oppose à une conception du droit international réduite aux relations

interétatiques en affirmant que l'individu se situe au centre des préoccupations du droit international 209.

La transposition du droit international en droit interne pourrait aussi être partielle d'une autre

manière, en ce qu'elle se trouverait délimitée par l'accomplissement de l'objectif de conformité au droit

international. Il appartient à l'État de « se conforme[r] aux règles du droit public international », c'est-

204 Chronique sous CE, 6 juin 1997, Aquarone, AJDA 1997, p. 573, col. droite. 205 Cf. à propos de la signification «interétatique» : infra « analyse linguistique-synchronique ».206 Séance de la Commission de la Constitution, Comptes rendus analytiques, 20 juin 1946 au 3 octobre 1946, séance du mercredi 17 juillet 1946, p. 126.207 Cf. Gérard Teboul, op. cit. note 200 ; Gérard Teboul, op. cit. note 198, spécialement p. 332. 208 Cf. Olivier Dupéré, Le fédéralisme normatif en droit constitutionnel français : l'alinéa 15 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : (l'influence de la pensée juridique de Georges Scelle sur les constitutions françaises de 1946 et 1958), thèse de Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2010, 1279 p.209 Georges Scelle, Précis de droit des gens (Principes et systématique), tome I, Introduction, le milieu intersocial), Sirey, Paris, 1932 ; tome II, Droit constitutionnel international; les libertés individuelles et collectives; l'élaboration du droit des gens positif, Sirey, Paris, 1934 ; réimprimé sous le titre : Précis de droit des gens : principes et systématique, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1984, 880 p.

129

à-dire que les organes internes sont tenus d'appliquer les normes internationales uniquement lorsque de

leur non-application pourrait résulter une violation du droit international par l'État, cela afin d'éviter

celle-ci. Dès lors, rien n'empêche d'écarter l'application d'une règle du droit public international si

aucune violation du droit international n'en résulte en l'occurrence ; il s'ensuit donc une applicabilité

interne du droit international circonstanciée. Le Professeur Louis Dubouis fait observer en ce sens que

l'expression «se conforme» implique non pas la transformation intégrale des normes internationales en

droit interne, mais une obligation de ne pas violer le droit international coutumier pesant sur le juge :

« si la solution de la question de compétence ou de fond est conforme à celle qu'aurait dictée la coutume

internationale, elle n'est cependant pas, au dire du juge, dictée par celle-ci210 ».

(iii.) La troisième signification : mode d'applicabilité moniste au sens technique («application

immédiate»)

L'alinéa 14 pourrait enfin se concevoir comme la confirmation de la compétence des organes internes

d'appliquer le droit international immédiatement, c'est-à-dire en dehors d'un fondement constitutionnel

spécifique de transformation du droit international en droit interne. Autrement dit, l’application du droit

international général ne dépend pas de l’alinéa 14 ; elle se réalise en dehors de celui-ci en tant que

fondement. L’alinéa 14 se limite à constater que les organes internes bénéficient « traditionnellement »

d'une habilitation d'appliquer le droit international général, sans même que son applicabilité ne dépende

d'aucune norme interne spécifique, pas même de l'alinéa 14. L’'alinéa 14 n'en est pas pour autant

superflu, c'est-à-dire dépourvu de normativité, étant donné qu'il oblige les organes internes à maintenir

la pratique de l'application immédiate du droit international.

La pratique de l'application immédiate est traditionnellement, et encore actuellement, prédominante

dans les contentieux judiciaires et administratifs. Rien n'indique que le Constituant de la IVe

République ait exprimé l'intention de la modifier en introduisant l'alinéa 14 dans le Préambule.

ii. La jurisprudence divergente des juridictions suprêmes211

La pratique des juridictions suprêmes – Conseil constitutionnel, Conseil d'État, Cour de cassation – ne

210 Louis Dubouis, « L'application du droit international coutumier par le juge français », in : Paul Reuter, Ange Blondeau, Nicole Questiaux, Louis Dubouis, David Ruzié (éds), Application du droit international par le juge français, A. Colin, Paris, 1972, 126 p., p. 75 et svtes, p. 97. L'opinion de l'auteur paraît d'emblée discutable : rien ne justifie, eu égard à la formulation de la disposition constitutionnelle, que cette obligation s'adresse uniquement au juge à l'exclusion des autres organes d'application du droit.211 La littérature décrivant la jurisprudence relative à l'applicabilité du droit international général est abondante, cf. inter alia : Fred Pfloeschner, Les dispositions de la Constitution du 27 octobre 1946 sur la primauté du droit international et leur effet sur la situation des étrangers en France sous la IVe République, Droz, Genèce, 1961, 210 p. ; Denys de Béchillon, op. cit. note 136 ; Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136 ; Pierre-Marie Dupuy (éd.), Droit international et droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, Journées d’études de l’IHEI du 7 mai 1999, éd. Panthéon-Assas, 2001, 128 p. ; Gérard Teboul (1991), op. cit. note 200 ; Gérard Teboul, « Nouvelles réflexions sur le droit international non écrit dans la jurisprudence du juge administratif et du juge judiciaire français », RDP 2001, pp. 1109-1140.

130

présente pas d'uniformité quant au mode d'applicabilité du droit international général. L''explication

tient peut-être davantage à la compétence contentieuse propre à chacune d'elle qu'à des opinions

divergentes en ce qui concerne la significations de l'alinéa 14. Si le Conseil constitutionnel admet que la

validité interne des règles du droit public international trouve son fondement dans le seul alinéa 14 en

tant que disposition de transposition, les juridictions ordinaires suprêmes appuient leur jurisprudence

sur une autre signification de l’alinéa 14, qui ne semble pas plus incompatible avec la lettre même de la

Constitution :

(i.) Une application de l'alinéa 14 en tant que disposition de transposition par le Conseil constitutionnel

tenant à sa stricte compétence d'attribution

Le Conseil constitutionnel dispose d'une stricte compétence d'attribution : il n'est habilité à contrôler la

conformité d'une norme que par rapport à la seule Constitution (article 54 en matière de traités

internationaux ; article 61 et 61-1 en matière de lois). Il s'ensuit que le Conseil est dépourvu d'une

compétence pour opérer un contrôle de conformité par rapport au droit international général, à moins

qu'une violation d'une règle du droit public international ne soit aussi constitutive d'une violation de

l'alinéa 14, soit d'une norme constitutionnelle. En résumé, pour autant que le Conseil applique une

norme internationale en tant que norme de référence, il n'est habilité à le faire que sur le fondement

d'une norme constitutionnelle. L'exclusion de l'application immédiate du droit international découle

donc la compétence même du juge constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs occasions déjà, appliqué des règles du droit public international

en tant que normes de référence de son contrôle, ce qui implique qu'il admet que l'alinéa 14 leur attribue

une normativité interne. Cependant, rien n'indique dans sa jurisprudence que les effets de l'alinéa 14

s'étendent à la transposition de l'ensemble des normes internationales non conventionnelles en droit

interne212. En l'état actuel de la jurisprudence, seuls quelques principes internationaux ont effectivement

été invoqués dans le cadre du contentieux constitutionnel : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

et le principe de l'intangibilité des frontières coloniales213, le principe limitatif de l'effet extra-territorial

des nationalisations214, le principe pacta sunt servanda215. La jurisprudence du Conseil constitutionnel,

212 Le Conseil constitutionnel ne précise rien quant aux conditions et modalités d'application des « règles du droit public international ». En effet, la décision Maastricht I n'implique pas nécessairement que le Conseil envisage l’alinéa 14 comme une disposition de transposition. Une lecture «interétatique» de la jurisprudence du Conseil demeure possible : le juge constitutionnel se contente de vérifier que la France « se conforme aux règles générales du droit public international » dans la sphère internationale, c'est-à-dire que le comportement de l'État n'est pas en violation du droit international. L'application dans un cas particulier du principe pacta sunt servanda, qui est considéré comme un « principe de régulation » du droit international, n'implique pas que l'ensemble des «règles du droit public international» deviennent valides ipso iure dans le système juridique français. 213 N°75-59. DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p. 26 ; cf. aussi à propos du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, inter alia : n°85-196. DC du 8 août 1985, Évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 64.214 N°81-132.DC du 16 janvier 1982 (1ère Loi de nationalisation), Rec. p. 18 ; 81-139. DC du 11 février 1982 (2ème Loi), Rec. p. 31;215 N°92-308. DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union Européenne (Maastricht I) ; 98-408. DC, 22 janvier 1999, Cour

131

déjà peu prolixe en matière de relation entre droit international général et droit interne, se concentre

exclusivement sur la question de l'appartenance d'un certain ensemble de règles du droit public

international aux normes de référence du contrôle de constitutionnalité qu'il opère. L'alinéa 14 dispose

pourtant d'un potentiel beaucoup plus élevé dans le cadre du contentieux constitutionnel : il pourrait

amener le juge constitutionnel à censurer toutes les lois dont l'exécution entrainerait une violation du

droit international !

(ii.) Une jurisprudence des juridictions ordinaires s'inscrivant dans la continuité de la «tradition»

d'application immédiate

Le juge judiciaire, et dans une certaine mesure le juge administratif, appliquent traditionnellement

immédiatement le droit international général216 (mode d'applicabilité moniste au sens technique).

L'entrée en vigueur de l'alinéa 14 ne semble pas avoir changé l'état de la jurisprudence :

Dans son arrêt du 5 avril 1993 relatif à l'affaire Aquarone, la Cour administrative d'appel de

Lyon considère que « l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 n'est pas nécessairement

dépourvu de toute portée en droit interne »217. Saisi par la voie de la cassation218, le Conseil d'État suit

les conclusions de son commissaire de gouvernement, qui s'était prononcé en faveur de la continuité

avec l'arrêt Nachfolger219, à l'occasion duquel le Conseil d'État avait admis une certaine autorité interne

de la coutume internationale. Et le commissaire du gouvernement Gilles Bachelier écrit précisément

que : « Bien que votre décision Nachfolger ne mentionne pas la Constitution et son Préambule dans ses

visas, il nous semble que l'alinéa 14 permet en tout cas de justifier l'application directe en droit interne

d'une norme internationale non écrite »220. L'alinéa 14 ne ferait donc que confirmer et prouver, certains

diront « reconnaître », l'applicabilité du droit international général par les organes internes, sans pour

autant constituer son fondement221.

pénale internationale, Rec. p. 29. 216 Pour un historique de l'application du droit international par les juges ordinaires français, cf. généralement : Gérard Teboul, « À propos du droit international non écrit : présence du passé devant le juge français aux XIXe et XXe siècles », in: Bibliothèque de l'école des chartes, 1998, tome 156, pp. 155-171 ; Romain Rollin, Le droit international non écrit devant le juge français : contribution à l'étude comparée des jurisprudences du Conseil d'état et de la Cour de Cassation, Université Paul-Cézanne, Aix-Marseille, 2005, 407 p.217 C.A.A. Lyon (form. Plén), 5 avril 1993, M. Aquarone, AJDA 1993, p. 720.218 En l'espèce, aucune erreur de droit n'a été commise par la juridiction inférieure, soit la Cour d'appel. Les motifs de la juridiction administrative suprême dans l'affaire Aquarone sont les suivants : « ni [l'article 55 de la Constitution] ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes ; qu'ainsi, en écartant comme inopérant le moyen tiré par M. Aquarone de la contrariété entre la loi fiscale française et de telles règles coutumières, la cour administrative d'appel, qui a également relevé que la coutume invoquée n'existait pas, n'a pas commis d'erreur de droit » (Conseil d'État, 6 juin 1997, RGDIP 1997, pp. 838-839, spécialement p. 839). 219 CE, Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation.220 Concl. Gilles Bachelier, RGDIP 1997, pp. 840-863, spécialement p. 857. 221 Cf. notamment, Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136, spécialement p. 347 et svtes.La jurisprudence du Conseil d'État tend néanmoins depuis récemment à fonder l'application de la coutume internationale sur l'alinéa 14. Cf. CE, 14 octobre 2011, Mme Saleh : « Considérant qu'en vertu du quatorzième alinéa du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, "la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international" ; que l'article 1er de la loi du 9

132

La Cour de cassation applique le droit international immédiatement, sans non plus faire

référence à la Constitution. La célèbre affaire Barbie en offre une illustration. En l'espèce, le juge

judiciaire estime, sans se référer à l'alinéa 14, que : « en raison de leur nature, les crimes contre

l'humanité dont Barbie Klaus […] est inculpé en France, où ils auraient été commis, ne relèvent pas

seulement du droit interne français, mais encore d'un ordre répressif international auquel la notion de

frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères. 222 »

La jurisprudence, tant administrative que judiciaire, admet la possibilité d'appliquer le droit

international immédiatement. Et bien que les juridictions ordinaires ne le mentionnent que rarement

dans les motifs223, elles appliquent traditionnellement le droit international coutumier, au moins

apparemment dans les domaines suivants : immunités de juridiction et d'exécution des États étrangers et

des organisations internationales224, immunités diplomatiques225, continuité de l'État226, régime

international de la mer227, principes du droit international réglementant les traités internationaux 228. C'est

surtout dans le cadre de questions à titre incident que l'application du droit international coutumier

juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution prévoit que l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ; qu'il en résulte que la règle coutumière du droit public international d'immunité d'exécution des États, qui n'est écartée ni par cette loi ni par aucune autre disposition législative, s'applique dans l'ordre juridique interne. »222 Cass. crim, 6 octobre 1983, Bull. p. 610 ; JCP 1983, II, 20 107; RGDIP 1984, p. 507, note Charles Rousseau; JDI 1983, p. 779 ; cf. Leila Sadat Wexler, « The Interpretation of the Nuremberg Principles by the French Court of Cassation: From Touvier to Barbie and Back Again », Columbia Journal of Transnational Law, vol. 32, pp. 289-380.223 La jurisprudence en matière d'exécution de l'immunité de juridiction de l'État étranger offre un exemple. Le juge national ne motive sa propre incompétence par la coutume internationale elle-même ; il se limite généralement à déclarer que le recours n'est pas dirigé contre l'action d'un service public français mais contre celle d'une autorité étrangère (CE. 4 janv. 1964, Barriety de Barde, Rec, p. 5.), ou encore que le recours relève du contentieux d'un État devenu indépendant (CE. 31 mai 1963, Dame Millo, Rec, p. 342 ; 31 janv. 1964, Commune de Bougie c. consorts Erbaya et consorts Cohen-Solal, Rec, p. 72).224 La jurisprudence est extrêmement abondante, cf. notamment la table de jurisprudence réalisé par le Professeur Michel Cosnard, cf. La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des États , A. Pedone, Paris, 1996, 478 p., pp. 446-454.On peut citer à titre d'exemples : Dans la jurisprudence judiciaire : Cass. civ., 22 janvier 1849, DP, 1849, 1, p. 5 ; Cass. req., 5 mai 1885, S., 1886, 1, p. 353 ; Cass. civ., 21 janvier 1896, Clunet, 1896, p. 849 ; Cass., req., 5 février 1946, S., 1947, 1, p. 137 ; Cass. civ., 1, 25 février 1969 (Chemins de fer du Gouvernement iranien c/ sté Levant Express Transport), Bull. civ., 1, n° 86 et RCDIP, 1970, p. 98, note Pierre Bourel ; 19 mars 1976, Bull., I, n° 181 ; 18 novembre 1986, Bull., I, n° 267 ; 20 octobre 1987, Bull., I, n° 274 ; 2 mai 1990, Bull., I, n° 92 ; Cass. com., 19 mars 1979, Bull. 4, n° 104. Dans la jurisprudence administrative : CE, 29 juin 1951, Société Bonduelle, Rec, p. 376, JCJ, 1952-7032 note Michel Virally; Rec. p. 152. ; CE. 4 janv. 1964, Barriéty de Barde, Rec, p. 5.; CE, 4 mars 1970, Sieur Desdame, Rec. p. 152.225 Cf. par exemple : Trib. Grande Instance Seine, référé, 17 janvier 1964, AFDI, 1965, p. 970 ; Paris, 30 juin 1968, RCDIP, 1968, p. 478, note Pierre Bourel, AFDI 1968, p. 829.226 Cf. par exemple : Trib. civ. Seine, 9 décembre 1953 ; Paris 1er juin 1955. AFDI 1956, p. 747 obs. Luc Muracciole.227 Dans la jurisprudence judiciaire, notamment : Trib. civ. Tunis, 1er fév. 1907, JDI, 1908, p. 827; Bastia, 22 sept. 1931, JDI 1933, p. 401; Trib. corr. Dunkerque, 8 février 1936, RGDIP 1938, p. 486.Dans la jurisprudence administrative, notamment : CE, 30 mars 1966, Société Ignazio Messina et Cie, Rec. p. 258, RDP 1966, p. 789, concl. Nicole Questiaux ; CE, 7 fév. 1925, Compagnie royale néerlandaise de navigation à vapeur, Rec. p. 132.228 Par exemple :

- question de la validité d'un traité international malgré la survenance d'un état de guerre (CE Ass.,16 nov. 1956, Villa, Rec., p. 433) ;- question de la validité des accords en forme simplifiée (CE., Ass. 13 juil. 1965, Société Navigator, Rec., p. 422 concl. Fournier) ;

133

paraît quantitativement importante229.

Que l'alinéa 14 ne fonde l'applicabilité interne du droit international général, du moins selon la

jurisprudence des juridictions ordinaires, n'implique pas qu'il soit dépourvu de tout contenu normatif ; il

interdit en effet pour le moins à l'État et à ses organes de rompre avec leur tradition d'application

immédiate du droit international.

iii. Une analyse linguistique-synchronique ne permettant pas de conclure à une solution unique

« La République française230, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public

international. » Les expressions « fidèle à ses traditions » et « se conforme », bien que vagues, semblent

déterminer le mode d'applicabilité du droit international général. Elles appellent plusieurs

observations :

(i.) L'expression « fidèle à ses traditions » :

La «tradition» à laquelle se réfère l'alinéa 14 n'est aucunement spécifiée, ni par l'alinéa 14 lui-même, ni

ailleurs dans le texte constitutionnel. Et, dans l'indétermination, plusieurs significations du terme

«tradition» peuvent paraître pertinentes : une «tradition constitutionnelle» de respect global du droit

international (prohibition constitutionnelle de la violation du droit international), une «tradition de la

participation au droit international» qui consiste dans sa mise en œuvre active aussi bien dans la sphère

internationale que dans la sphère interne (obligation de concrétiser le droit international à toutes les

échelles), une «tradition républicaine» de la pratique du droit international favorable aux orientations

idéologiques de paix et de démocratie qu'emprunte la Communauté internationale, ou encore, une

tradition d'ordre plus technique, à l'instar de la «tradition juridictionnelle» de l'application immédiate du

droit international. Il n'est pas même à exclure que l'expression « fidèle à ses traditions » comprenne

l'ensemble de ces pratiques, d'autant plus que le terme « tradition » apparaît au pluriel dans l'alinéa 14.

L'ensemble des organes de l'État serait ainsi amené à conserver ces différents aspects de la pratique

française du droit international.

(ii.) L'expression « se conforme »

La conformité du comportement d'un État au droit international n'est pas nécessairement assurée par la

transposition du droit international dans le système juridique interne. Les États européens continentaux

se conforment en effet traditionnellement à leur obligations internationales par d'autres moyens, dont

l'«implémentation», c'est-à-dire la mise en œuvre du droit international par les organes internes en

229 En ce sens, Christian Dominicé, François Voeffray, op. cit. note 9, spécialement pp. 61-62.230 A propos de l'expression « République française », cf. supra note 116. Le terme désigne l'«État français» dans le contexte de la Constitution ; il s'agit du nom donné au système juridique interne français.

134

fonction des compétences qui leur sont constitutionnellement attribuées. En cela, la formulation « La

République française [...] se conforme aux règles du droit public international » n'implique pas

nécessairement que l'alinéa 14 soit une norme de transposition, même s'il reste vrai qu'elle ne l'exclut

pas non plus231.

On trouve dans la doctrine un autre argument, déjà évoqué, à l'encontre de la transformation des normes

internationales en composantes du droit interne sur le fondement de l'alinéa 14 : la sphère d'application

de l'alinéa 14 se limiterait au domaine des relations entre États (signification «interétatique»), l'alinéa 14

étant dès lors dépourvu d'effets sur le contenu du droit interne. Cette lecture apparaît d'autant plus

cohérente que la deuxième phrase, qui spécifie que la France « n'entreprendra aucune guerre dans des

vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple », concerne les

rapports entre États – même si rien n'exclut, au moins potentiellement, l'invocabilité de cette

prescription dans la sphère du droit interne232. Ainsi, la France est tenu de respecter l'ensemble du droit

international dans la sphère internationale (phrase 1 de l'alinéa 14) et, de surcroît, parmi ses obligations

relatives à son comportement international, la guerre d'agression lui est prohibée (phrase 2 de l'alinéa

14). L'alinéa 14 phrase 1 confirmerait donc dans la sphère interne la norme internationale au contenu

trivial qui oblige l'État français à respecter, dans ses rapports internationaux avec les autres États, les

normes internationales qui le lient233.

Au vu des travaux préparatoires, l'intention du rédacteur de l'article 46 du «projet d'avril 1946», futur

alinéa 14, consisterait surtout à insister sur la seule obligation pesant sur la France de respecter le droit

international dans ses relations internationales, ce qui passe par la prohibition du recours à la force 234.

Le député socialiste Pierre-Emmanuel Guillet, rapporteur de l'article 46, le présente en traitant

uniquement de sa dimension internationale235. L'intention du rédacteur du projet d'avril n'est en réalité

pas aussi univoque que cela236 : dès l'origine, l'influente vision unitaire de la relation entre droit

international et droit interne développée par Georges Scelle s'oppose à la conception d'une sphère

231 A propos de la constitution italienne, dont l'article 10 al. 1 comporte aussi la notion de «conformité» (« L’ordre juridique italien se conforme aux normes du droit international généralement reconnues »), cf. inter alia : Luigi Condorelli, op. cit. note 173 ; Karin Oellers-Frahm, op. cit. note 152.232 L'alinéa 14 deuxième phrase pourrait par exemple interdire le recours à la force par l'État français contre ses anciennes colonies pendant le processus de décolonisation.233 Charles Rousseau estime, à propos de nombreux textes parmi lesquels l 'alinéa 14, que les dispositions qu'ils contiennent sont « inutiles […] car elles énoncent une règle évidente qui trouve son fondement véritable dans l'ordre juridique international » ; cf. Droit international public, tome 1 – Introduction et sources, Sirey, Paris, 1970, 464 p., p. 47.234 Cf. Gérard Teboul (1991), op. cit. note 200, p. 329 ; Gérard Teboul, op. cit. note 198, spécialement p. 332.235 Assemblée nationale constituante, 2e séance du 11 avril 1946 : JO, p. 1724.236 Lors de la séance du 17 juillet 1946, Paul Coste Floret, rapporteur général de la Commission de la Constitution, précise que « [l'article 46] correspond à un texte que la proposition socialiste range parmi les articles de la Déclaration des droits ». Le Président de la Commission répond : « Nous avons voulu éviter de l'insérer parmi les textes relatifs aux institutions où le contrôle de constitutionnalité lui serait applicable. Des risques graves pourraient naître de là » (Comptes rendus analytiques, 20 juin 1946 au 30 octobre 1946, pp. 125-126). L'article 46 est considéré comme une norme de référence potentielle dans le contrôle de constitutionnalité, ce qui indique que les rédacteurs de la Constitution de 1946 n'ont pas une conception réduite de l'article 46 à ses seuls effets dans la sphère internationale.

135

internationale totalement déconnectée de la sphère domestique. Le député Pierre-Emmanuel Guillet est

lui-même l'auteur d'un rapport complémentaire déposé au nom de la Commission de la constitution

duquel ressort une vive critique de la conception absolue de la souveraineté. Et surtout, il convient de

distinguer l'intention du producteur de la norme, en l'occurrence le constituant, de la norme elle-même

qui a une existence propre (sa validité). Une sphère d'application de l'alinéa 14 beaucoup plus étendue

demeure ainsi envisageable, comprenant la sphère domestique de l'État.

De toutes les significations envisageables, la signification «interétatique» apparaît comme celle qui

restreint le plus la sphère d'application de l'alinéa 14, en la délimitant au comportement extérieur de

l'État français. Toutefois, la possibilité même d'une sphère d'application de l'alinéa 14 ainsi circonscrite

ne va pas de soi. En vertu de l'alinéa 14, certains organes de l'État – soit des organes internes – sont

tenus d'assurer un comportement de l'État conforme à ses obligations internationales. La détermination

des organes de l'État liés par l'alinéa 14 en sa signification «interétatique» devient rapidement

problématique : tous les organes de l'État, même les organes plutôt orientés vers la sphère domestique ,

sont en situation de contrevenir au droit international. Il en va par exemple ainsi d'une juridiction

judiciaire ne respectant pas les immunités internationales ou d'une administration saisissant les biens

d'un État étranger affectés à ses activités souveraines. Il s'ensuit qu'il est difficile d'imaginer comment

l'alinéa 14 pourrait être opérationnel dans le domaine des relations entre États tout en étant dépourvu

d'effets juridiques internes237. On le voit, la « République française » visée par l'alinéa 14 ne peut être

comprise comme autre chose que le système juridique de l'État en son ensemble238.

L'alinéa 14, en sa signification «interétatique», se montrerait de plus inapte à s'adapter aux évolutions

du droit international, qui régit de manière croissante le domaine des relations internes à l'État. Le

champ des normes internationales dites d'«effet direct», c'est-à-dire qui créent directement des droits et

obligations au bénéfice et à la charge des particuliers, tend en effet à s'étendre 239 ; et l'État est tenu de

respecter dans sa sphère interne ces droits et obligations internationalement créés en ouvrant, entres

autres, les voies de recours aux individus afin qu'ils puissent s'en prévaloir devant les juridictions

internes. La conformité du comportement de l'État aux règles du droit public international suppose donc

parfois que l'État modifie sa réglementation interne.

L'intention du constituant de 1946, par contraste avec celle des constituants allemand et autrichien

postérieurement à la Première guerre mondiale, ne consiste pas à changer la pratique ancienne du droit

international. De leurs côtés, les constituants allemand et autrichien introduisent dans leurs systèmes

juridiques nationaux le modèle anglo-américain de transformation ipso iure du droit international

237 Pour une approche plus théorique de ce problème, cf. infra : « La relativité de la distinction entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État ».238 Cf. aussi supra, note 116.239 Ce principe est certes codifié (article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités) mais il est encore valide en tant que norme internationale non écrite. Cf. C.P.J.I., 4 février 1932, avis consultatif, Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, série A/B n° 44, p. 24.

136

coutumier en droit interne, qui va devenir progressivement le mode d'applicabilité le plus répandu en

Europe ; le constituant français choisit de son côté la continuité avec la «tradition». Et il ne s'agit pas là

de la transformation ipso iure du droit international en droit interne, mais de son application au cas par

cas par les organes internes, dès lors qu'elle est estimée pertinente eu égard aux obligations

internationales de l'État. Toutefois, la formulation de l'alinéa 14 du Préambule de 1946 demeure ouverte

à la transformation ipso iure du droit international en droit interne, ne serait-ce que parce que le

processus de transposition peut sembler le plus à même de garantir dans la plupart des circonstances un

comportement de l'État conforme au droit international, quant à lui clairement exigé par l'alinéa 14.

B. Théorie de la transposition

La doctrine et la jurisprudence de chacun des États considèrent majoritairement que la disposition

constitutionnelle nationale constitue une norme de transposition, c'est-à-dire qu'elles a pour effet de

transformer ipso iure le droit international général en droit interne :

L'article 25 LF opère assurément une transposition, le rédacteur de la Loi fondamentale

allemande ayant intentionnellement cherché à produire un texte dépourvu d'ambiguïté sur ce point, afin

de faire cesser toute contestation. Et effectivement, dans les nombreux travaux relatifs à l'article 25 LF,

on trouve peu d'opinions allant dans un autre sens.

L'article 9 B-VG n'a jamais suscité de polémique de même ampleur que celle dont a fait l'objet

l'article 4 de la Constitution de la République de Weimar, alors qu'il en est pourtant l'imitation.

L'expression « règles généralement reconnues du droit international », dans laquelle la doctrine

souverainiste allemande lisait l'exigence d'une procédure de reconnaissance par l'État allemand, n'a

jamais été comprise autrement que comme désignant une sorte de normes internationales se transposant

en droit autrichien. A l'opposé du constituant allemand, le constituant autrichien n'a pas jugé opportun

de modifier cette expression suite à la Seconde guerre mondiale, ni d'ailleurs de spécifier la

classification du droit international général selon la force dérogatoire en droit interne, celle-ci

demeurant grandement indéterminée240.

L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 apparaît beaucoup plus indéterminée que

l'article 25 LF et l'article 9 B-VG quant au mode d'applicabilité. Et pourtant, la doctrine et la

jurisprudence soutiennent majoritairement qu'il emporte transposition du droit international en droit

240 A rebours d'une doctrine autrichienne depuis toujours majoritaire, le Professeur Manfred Rotter soutient qu'en raison de sa trop grande indétermination en ce qui concerne la classification des règles généralement reconnues du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire, l'article 9 B-VG n'a par lui-même pour effet de transposer celles-ci en droit autrichien. L'argumentation du Professeur Manfred Rotter ne s'appuie toutefois nullement, par contraste avec la doctrine allemande dominante sous la République de Weimar, sur une quelconque « théorie de la reconnaissance » ; cf. op. cit. note 22.

137

interne. Cela vaut néanmoins surtout pour la doctrine et la jurisprudence récentes, car telle n'est pas

l'opinion principalement émise immédiatement après sa rédaction241.

1. Caractérisation de la transposition

Les normes de transposition prévoient, dans un système juridique donné, la transformation en droit

interne de normes appartenant initialement à un système externe (a), ipso iure (b) et sous certaines

conditions (c).

a. Le système juridique externe auquel renvoie la norme de transposition varie :

Les normes transformées peuvent appartenir initialement à un système juridique délégataire – supérieur

– tel que le droit international (transposition verticale, par exemple État/droit international) ou à un

système juridique étranger (transposition horizontale, par exemple État/État étranger). La réception

dynamique du droit commercial anglais dans le droit interne de Singapour offre un exemple de

transposition horizontale : elle s’est poursuivie près de trente ans, de 1965, année de l’accès à

l’indépendance de Singapour, à 1993242.

La transposition peut être statique ou dynamique : il arrive que les normes transposées appartiennent à

un système juridique ayant cessé d'être dynamique, comme l'illustrent de nombreuses situations de

succession d'États actuelles et anciennes. En 403 av. J.-C., à la restauration de la démocratie athénienne,

un décret [constitutionnel] est adopté qui dispose que : « Les Athéniens se gouverneront d’après la

coutume des ancêtres [patrias], feront usage des lois [nomos] de Solon [594 av. J.-C], des poids et des

mesures établis par lui, et aussi des règlements de Dracon [621 av. J.C.] qui étaient précédemment en

vigueur243. » Plus récemment, le §. 2 de la Loi constitutionnelle de 1945 sur le rétablissement de la vie

juridique (Rechts-Überleitungsgesetz, R-ÜG)244, transpose provisoirement en droit interne autrichien les

lois et prescriptions allemandes antérieures à l'indépendance de l'Autriche, à l'exception des normes 241 Jacques Donnedieu de Vabres, op. cit. note 1 ; Lawrence Preuss, « Droit international et droit interne dans la Constitution française de 1946 », Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, 1951, pp. 199-221 ; Paul De Visscher, op. cit. note 152.242 Cf. Thomas R. Klötzel, « Zur anwendung englischen Rechts in Singapur », RIW 1995, p. 202 et svtes.243 Cité par Andocide, in : Discours sur les mystères, § 83.En l’espèce, les athéniens de 403 av. J.-C. ont partiellement, si ce n’est globalement, oublié le contenu normatif des « lois de Solon » et « règlements de Dracon », ancêtres héroïques. Il s'ensuit qu’il leur est – du moins selon les données actuelles relatives à l’état des connaissances des Anciens quant à leur passé – impossible d’identifier ces prescriptions devenues valides à nouveau. Pour Moses I. Finley, la référence au passé ancestral ne serait que «métaphorique» : « Il est clair qu’ici patrios signifie ancestral [au sens de] Thucydide ["traditionnel", au sens spécifique de "ce que nous faisons maintenant depuis un certain temps"] et désigne simplement le système de gouvernement avant la prise de pouvoir des Trente Tyrans, système défini ensuite comme celui "des lois de Solon et de Dracon" ; le mot ne comporte aucune connotation archaïque, n’implique pas le retour aux lois de 594 ou de 621 av. J.-C. ; il est employé de manière elliptique. Par les mots "les lois de Solon et de Dracon", le décret entend en effet la législation athénienne telle qu’elle existait en 403, dont quelques bribes remontaient effectivement aux anciens législateurs, mais dont la plus grande part était ou révisée, ou entièrement nouvelle, ayant été promulguée au cours des deux siècles qui ont suivi Solon » ; cf. « La Constitution des ancêtres », in : Mythe, mémoire, histoire, Flammarion, Paris, 1981, 270 p., pp. 209-252, p. 217. L’interprétation de Moses I. Finley semble toutefois incertaine, car les mots sont ambigus et nos connaissances linguistiques relativement limitées.244 StGBl 6/1945.

138

incompatibles avec une Autriche libre et démocratique ou d'un contenu typiquement national-socialiste.

Tandis que la transposition opérée par le § 2 R-ÜG consiste dans un acte, c'est un processus continu que

prévoit l'article 9 B-VG.

Aussi, il se peut que la norme de transposition soit de contenu négatif, au sens où elle interdit de

transformer dans le système juridique interne un ensemble de normes contenues dans un système

juridique externe245.

b. Ipso iure : la transformation des normes appartenant à un système juridique externe ne dépend

d'aucune procédure interne. Dès lors que les conditions exigées par la disposition de transposition sont

réunies, la transformation en droit interne des normes appartenant initialement au système externe

s'ensuit, sans que l’intervention d’un organe interne ne soit exigée, pas même pour identifier

formellement la norme en question. Il en va ainsi de l’article 25 LF qui transforme en droit interne un

ensemble de normes internationales, les «règles générales du droit international», sans conditionner

cette transformation par une procédure interne quelconque.

Il arrive, bien que rarement, que la constitution détermine une procédure spécifique attribuant à un ou

plusieurs organes la compétence d’identifier – par une opération de connaissance – les normes externes

concernées par une transformation en droit interne. L'article 100 al. 2 LF institue ainsi une procédure

juridictionnelle spéciale d'identification des « règles générales du droit international ». L’habilitation

d’un organe spécialement chargé de leur identification ne dispense pas les autres organes internes –

voire même les simples particuliers – de l’obligation de s'y conformer, et ce, même lorsque les normes

en question n’ont pas (encore) été identifiées par l’organe «spécialiste»246. Il convient en effet de

distinguer l'«identification» d'une norme de sa «production» : l'identification consiste dans un acte de

connaissance, ne conditionnant pas la validité de la norme en question, tandis que la production s'entend

de l'accomplissement d'un ensemble de faits conditionnant sa validité (le plus souvent une « procédure

formelle », parfois un processus – comme cela est le cas en matière coutumière).

c. Sous certaines conditions : En général, la disposition de transposition ne prévoit pas la transformation

en droit interne de toutes les normes du système juridique extérieur visé. Dans la plupart des cas, c'est

sous un certain ensemble de conditions qu'elle doit satisfaire que la norme externe est transposée dans

le système juridique transformateur. Ainsi, la Loi constitutionnelle de 1945 sur le rétablissement de la

245 Un exemple ancien : la norme, contenue dans la Torah et donc révélée postérieurement à la libération de l’esclavage en terre d'Égypte, qui interdit au peuple d’Israël de transposer les lois et coutumes égyptiennes ; cf. Moïse Maïmonide, Le Livre des commandements, L’Âge d’Homme, Paris, 1987, 449 p., p. 225. Sans entrer dans le détail, cette norme semble impliquer, dans le contexte d'après la sortie d'Égypte, qu'il appartient au peuple d'Israël de renouveler complétement le contenu du système juridique qui réglemente son comportement. Cette solution juridique paraît extrêmement rare, même lorsqu'il s'agit d'une succession d'État qui s'accompagne d'un changement d'idéologie du régime.246 A la différence de la « reconnaissance » qui se définit comme une identification normativement conditionnante, à travers un acte juridique.

139

vie juridique déjà évoqué écarte la transposition des normes allemandes de contenu typiquement

national-socialiste dans le droit autrichien d'après-guerre247. Les conditions de la transposition peuvent

aussi concerner la qualité même des normes visées : les « règles générales du droit international » de

l'article 25 LF doivent – cumulativement – appartenir actuellement au droit international, sous une autre

forme que le traité international en raison de la lex specialis de l'article 59 al. 2 LF, présenter un degré

de généralité suffisant, ce qui est supposé exclure la transformation de normes internationales

particulières, c'est-à-dire celles qui lient un ensemble délimité d'États ou dont l'objet consiste à

réglementer une matière technique.

2. La distinction entre la norme transposante et la norme transposée.

La norme transposée n'est formellement identique ni à la disposition de transposition (a), ni à la norme

d'origine dont elle est pourtant la reproduction à l'identique (b).

a. L'absence d'identité entre la norme transposée et la disposition de transposition

Habituellement, la validité des normes dans un système juridique résulte d'une procédure dans laquelle

interviennent les organes internes. La transposition est un autre mode de production : la transformation

des normes externes en droit interne s'opère ipso iure, c'est-à-dire sans procédure interne ou, autrement

dit, par une « procédure de production immédiate ». La disposition de transposition fonde la validité des

normes ainsi transformées en droit interne, et ne se confond pas avec celles-ci. Il s'ensuit que le postulat

avancé par quelques auteurs selon lequel il y aurait identité de rang dans la hiérarchie des normes entre

la « norme transposée » et la norme « qui transpose » prête à controverse248.

b. L'absence d'identité formelle entre la norme transposée et la norme d'origine

La norme transposée est supposée matériellement identique à la norme d'origine dont elle est la

reproduction249, mais elle n'en est pas formellement identique puisqu'elle trouve son fondement de

validité dans une norme interne250, soit la disposition de transposition.

La construction par le constituant français d'une formulation non issue de la terminologie du droit

247 Cf. inter alia, Leopold Werner, « Das Österreich vom 12 März 1938 und vom 27 April 1946 », JBl, vol. 68, 1946, p. 1 et svtes.248 Cf. par exemple, à propos de l'article 9 B-VG : Ernst C. Hellbling, op. cit. note 169, p. 71 et svtes. Les conclusions de l'auteur sont inséparables du postulat suivant, par ailleurs non justifié : en l'absence d'une détermination spécifique, une norme juridique externe transformée en norme du système juridique autrichien obtient le rang de la norme transformatrice.249 La question de l'identité de contenu est néanmoins problématique, entre autres en raison des différences structurelles entre droit international et droit interne (cf. infra : « Les modalités de l'application téléologique du droit international par les organes internes »). 250 Selon le Professeur Otto Pfersmann : « Si un système juridique intègre telle ou telle donnée d'un autre, celle-ci sera valide dans le système qui l'intègre, en tant que règle de ce système, en raison des règles de ce système qui ont permis cette opération et non en raison de la nature intrinsèque de la règle intégrée ou en vertu des règles du système dont elle provient » ; cf. « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », RIDC, vol. 53, 2001, pp. 275-288, spécialement p. 278.

140

international – les « règles du droit public international » – montre l'autonomie dont bénéficie les États

pour catégoriser les normes. Les textes constitutionnels autrichien et allemand contiennent quant à eux

les formulations de « règles généralement reconnues du droit international » et de « règles générales du

droit international », qui renvoient à une terminologie déjà présente dans des textes normatifs

internationaux. Cependant, ces formulations ne désignent pas une forme normative 251 existante dans la

sphère du droit international, c'est-à-dire une catégorie de normes internationales différenciée d'autres

catégories de normes internationales par des modalités de formation propres, comme il en va du traité

ou de la coutume. En droit autrichien et en droit allemand, une forme normative nouvelle résulte donc

des articles 9 B-VG et 25 LF qui déterminent pour un certain ensemble de normes un même mode de

formation : la transformation ipso iure ; et la forme normative ainsi créée s'appellera, respectivement,

« règle généralement reconnue du droit international » et « règle générale du droit international ». Cette

forme normative peut se dire sui generis, au sens où elle est différenciée à la fois des formes normatives

internationales (coutume, traités, principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, ius

cogens), et des autres formes normatives internes.

3. Validité en tant que droit interne ou validité internationale252 ?

Une tendance doctrinale, souvent relayée par la jurisprudence, soutient que les normes internationales

transformées en droit interne conservent dans la sphère interne leur qualité de norme internationale, peu

importerait donc que leur validité soit fondée sur une disposition constitutionnelle interne. Une

approche plus nuancée s'observe toutefois, qui admet la validité interne de ces normes, tout en affirmant

que leur normativité interne doit s'approcher le plus possible de leur normativité internationale.

a. Généalogie de la « théorie de la réception »

La « théorie de la réception », que l'on trouve déjà dans l'œuvre de Heinrich Triepel (1899), a, semble-t-

il, grandement marqué la doctrine et la jurisprudence allemandes. Heinrich Triepel dit à l'origine que :

« On ne peut naturellement parler d'une réception du droit international par le droit interne, que

quand le droit à recevoir est réellement du droit international […]. Il ne peut […] y avoir jamais

251 La « forme normative » est ainsi définie par le Professeur Otto Pfersmann : « En général [...], une norme de niveau supérieur ne se contente pas de déterminer les conditions de validité d'une unique norme de niveau inférieur (bien que cela ne soit pas exclu), elle énonce les conditions générales de production d'une catégorie de norme que l'on peut également appeler "forme normative". Ainsi, dans le système juridique français, la Constitution détermine les conditions de validité de la catégorie (ou forme) normative "loi", "loi organique", "loi référendaire", "loi de finances", "ordonnances de l'article 38", "règlement de l'Assemblée nationale" et d'autres encore. » ; cf. Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, p. 60.252 Il ne s'agit ici que d'étudier la doctrine de la réception dans la doctrine et la jurisprudence. Une analyse approfondie à propos de la normativité du droit international «en tant que tel» et ses effets juridiques sera présentée ultérieurement (cf. infra : « L'application du droit international "en tant que tel" (per se) »).

141

réception du droit international par l'État, quand le contenu de la règle étatique ne correspond pas

exactement au contenu de la norme internationale. Toute modification du droit […] exclut la notion de

réception juridique. […]. [Le] plus souvent, [les règles de l'État ayant une orientation internationale]

sont des ordres ou des autorisations aux individus ; elles ne sont donc pas indubitablement pas de pures

reproductions de règles internationales [ce raisonnement est justifié par le postulat dualiste de l'auteur

suivant lequel "une règle de droit international […] ne peut régir que des rapports d'État à État "]253 ». La

réception authentique du droit international ne peut que concerner le contenu de la norme, non sa

forme, étant donné que : « la réception entraîne pour les règles juridiques qui en sont l'objet leur

introduction dans l'édifice général du droit interne. Par la réception, la règle du droit international

devient règle du droit interne avec tous les effets qui y sont attachés.254 »

Une partie de la doctrine allemande contemporaine, partisane de l'ouverture de la Loi fondamentale au

droit international, est allée plus loin que Heinrich Triepel en élaborant une théorie de la réception qui

soutient que les normes internationales transformées en droit interne conservent leur qualité

internationale. Cette théorie n'a pas connu la même postérité en Autriche et en France, où on la trouve

tout de même intégrée à l'occasion dans la démarche analytique des doctrines nationales.

b. La « théorie de la réception » en droit allemand

i. L'élaboration d'une doctrine favorable à la normativité du droit international « en tant que tel »

La doctrine allemande est partagée quant à la normativité interne des « règles générales du droit

international ». L’article 25 LF «transforme»-t-il les règles générales du droit international en droit

interne proprement allemand (doctrine dite de la «transformation»)255 ou les réceptionne-t-il en leur

qualité de droit international, c'est-à-dire en tant que droit actuellement valide dans la sphère

internationale256 ? Karl Josef Partsch dit que l’article 25 LF – de même que l’article 59 al. 2 LF relatif

aux traités internationaux – est « dogmatiquement ouvert »257 à ces deux théories.

La démarche d'interprétation téléologique258 de la Loi fondamentale conduit une large partie de la

253 Heinrich Triepel, op. cit. note 15, pp. 166-167.254 Ibid. p. 170.255 La théorie de la «transformation» en tant que droit proprement allemand apparaît largement prédominante dans la doctrine allemande de l'époque de Weimar à propos de l'Article 4 WRV. Le débat commence déjà lors des délibérations constitutionnelles relatives à la rédaction de la disposition, comme le rapporte Josef L. Kunz : « Die Worte "gelten als" sind wohl gleichbedeutend mit "sind". Es ist ein Spitzfindigkeit, wenn in der 36. Sitzung dem Abg. Dr. Cohn, der die Fassung "sind" vorschlug, da das "gelten als" doch nur die Feststellung des "sind" sei, von Dr. v. Simson erwidert wurde, "daß mit dem Worte "sind" etwas nicht ganz Richtiges gesagt würde, da sie nicht Bestandteil des Reichsrechtes sind, sondern nur ebenso wie eine Bestimmung des deutschen Reichsrechtes angewendet werden sollen" » ; cf. op. cit. note 22, p. 314.256 Karl Josef Partsch, op. cit. note 82, p. 86 et suivantes. 257 Ibid, p. 45.258 La théorie de « l'interprétation téléologique », courante dans la doctrine allemande, consiste à affirmer que les normes juridiques poursuivent une certaine finalité, et qu'il revient aux organes d'application du droit de les appliquer de telle manière à accomplir cette finalité. Cette théorie semble discutable : une norme a une existence en soi, indépendamment d'une éventuelle finalité. Une norme peut certes en son contenu fixer des finalités (par exemple, la

142

doctrine à concevoir l’article 25 LF en fonction de la finalité qui lui serait assignée, en l'occurrence le

maintien en harmonie du droit proprement national, issu des procédures internes, avec le droit

international général. L'article 25 LF constituerait une mesure de prévention envers les transgressions

du droit international potentiellement réalisables par l'État fédéral, et il convient de le situer dans le

contexte plus large de la Loi fondamentale qui, globalement et aussi par son biais, « consacre

l’ouverture de la loi fondamentale au droit international »259 (Völkerrechtsfreundlichkeit). Il s'ensuit que

la signification de l’article 25 LF la plus appropriée est soit celle correspondant à la doctrine dite de

l'«exécution»260 («Vollzugslehre»), soit celle correspondant à la doctrine dite de l'«adoption»261

(«Adoptions» ou «Inkorporation»)262, mais en aucun cas celle dite de la « transformation ». Dans tous

les cas, la validité et le contenu de la norme applicable sur le fondement de l’article 25 LF demeure

inséparable de la validité et du contenu que le droit international en tant que tel lui attribue.

La doctrinale de la réception affirme que l'effet juridique de l'article 25 LF ne se limite pas à la

transposition du droit international général en droit interne. L’article 25 LF vise aussi les organes

internes – le législateur, les organes de l'exécutif, les juridictions – en les obligeant en toutes situations à

se conformer au droit international général, et ce, « dans le contexte du droit international ». Pour ainsi

faire, il appartient à ces organes d'appréhender les normes internationales avec les méthodes

instrumentales du droit international relatives à leur mode de formation, leur interprétation et leurs

effets juridiques. Cette série d'obligations découlant de l'article 25 LF se trouve ainsi justifiée : la seule

application des normes internationales « transformées » en droit interne – et non du droit international

« en tant que droit international » – provoque, de manière systématique, des risques d'atteinte au droit

international par les organes de l'État allemand. Certains auteurs vont même jusqu'à soutenir que le

droit international est pour cette raison à exécuter « en tant que tel » par les organes de l'État263, le

processus de transformation restant accessoire («Vollzugslehre»264). Cette théorie semble en opposition

avec la lettre de l'article 25 LF, qui spécifie que les règles générales du droit international « sont

composantes du droit fédéral ».

conformité du comportement de l'État par rapport au droit international), mais son existence même n'est pas conditionnée par cette finalité. De manière générale, l'existence d'une finalité n'est pas une condition d'existence de la norme, et il n'est pas nécessaire que le contenu d'une norme vise une certaine finalité. Cf. Otto Pfersmann, « Les options de l'interprète », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, spécialement pp. 90-92.259 Albert Bleckmann, op. cit. note 33, p. 137.260 Selon la doctrine dite de l'«exécution», les organes internes appliquent («exécutent») les normes internationales en tant que telles, sans que cela dépende de la production d'une norme interne transformant la norme internationale en question. L'«exécution» est réalisée par les organes internes d'application du droit pourvus d'une compétence appropriée, cf. Karl Josef Partsch, op. cit. note 82, p. 13 et svtes.261 Selon la doctrine dite de l'«adoption», les normes internationales sont transformées ipso iure en droit interne.262 Helmut Steinberger, « Allgemeine Regeln des Völkerrechts », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 173, pp. 525-570.263 Karl Josef Partsch, op. cit. note 82.264 Cf. infra : « Le fondement de l'application téléologique du droit international par les organes internes ».

143

ii. Une jurisprudence s'alignant sur la doctrine majoritaire

La Cour constitutionnelle fédérale soutient, depuis presque ses débuts, que l’article 25 LF réceptionne

les règles générales du droit international en la consistance propre qui leur est attribuée en droit

international265. Elles conserveraient ainsi leur qualité propre de normes internationales une fois

transposées dans le système juridique interne. Il semblerait que la jurisprudence tende ainsi à s'éloigner

de la lettre de l'article 25 LF, mais aussi de la structure de la Loi fondamentale : la présence même d’une

disposition de transformation du droit international en droit interne introduit par elle-même dans le

texte constitutionnel une sorte de séparation entre le système juridique international et le système

juridique interne, puisqu'elle implique que le droit international n'est pas d'application immédiate 266

(exclusion du mode d'applicabilité moniste au sens technique).

A l'occasion de décisions plus récentes, la Cour insiste sur la positivité d'un « ordre général

d’application du droit de l’article 25 LF sur le fondement duquel les règles générales du droit

international sont, en tant que telles, dans leur portée respective de droit international, partie intégrante

du droit objectif en vigueur dans la sphère de souveraineté de la République fédérale d'Allemagne »267.

Cette jurisprudence prolonge celle déjà relevable en matière de droit international conventionnel,

précédemment développée avec pourtant encore peut-être moins de raisons : la validité interne des

traités internationaux ne résulte en effet pas même de leur transformation ipso iure puisqu'une

procédure ad hoc est expressément exigée, soit la procédure législative déterminée par l'article 59 al. 2

LF. Cela n'a pas empêché les deux Sénats de la Cour constitutionnelle fédérale de se détourner, dès

1952, de la « théorie de transformation » valable antérieurement268. La Cour qualifie depuis les lois

d’approbation des traités fondées sur l’article 59 al. 2 LF de « dispositions spéciales d’application du

droit » (« spezielle Rechtanwendungsbefehle »)269 ; ces lois sont censées réceptionner le droit

conventionnel en sa qualité de droit international dans le système juridique allemand.

La normativité des règles générales du droit international « en tant que droit international » (per se) sur

le fondement de l'article 25 LF ne fait pas l'unanimité. L’article 25 LF, en spécifiant que ces normes sont

des « composantes du droit fédéral », différencie implicitement le droit international et le droit interne.

Il présuppose de la sorte que les normes internationales peuvent devenir une composante d’un autre

droit que le droit international lui-même.

265 BVerfGE 18, p. 441 sqs. (448) ; 46, p. 342 sqs. (363, 403).266 L'exclusion de l'application immédiate par la seule présence d'une disposition de transposition n'est en réalité pas évidente, cf. infra. « L'alternative entre l'applicabilité du droit international général sur le fondement constitutionnel et en dehors de celui-ci ».267 BVerfGE 46, p. 342 sqs (403) ; « [generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 GG, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts] als solche mit ihrer jeweiligen völkerrechtlichen Tragweite Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».268 BVerfGE 1, p. 372 sqs. (389) (Deuxième Sénat); BVerfGE 1, p. 396 sqs. (411) (Premier Sénat); BVerfGE 6, p. 309 sqs. (332).269 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244). Il en va de même pour les traités relevant de l'article 24 al. 1 LF, qui dispose que : disposant que : « La Fédération peut transférer, par voie législative, des droits de souveraineté à des institutions internationales. »

144

c. Une doctrine autrichienne partagée quant à la qualité internationale des normes transposées par

l'article 9 B-VG

Alfred Verdross remarque que, par la transformation, « la Constitution admet expressément les sources

primaires du droit international […] comme valides de la même manière que les sources internes270 ».

Rudolf A. Metall dit, quant à lui, que la transformation implique surtout que les autorités et les citoyens

autrichiens sont liés par le droit international de la même façon qu'ils sont liés par les normes internes,

et non que les normes transformées perdent à l'issue de ce processus leur qualité de droit

international271. Cette approche trouve son prolongement dans la jurisprudence, et la Cour suprême

considère dans une décision du 10 mai 1950 (affaire Hoffmann c Dralle272) que les règles généralement

reconnues du droit international, transformées en droit interne par l'article 9 B-VG, sont valides « en

leur version respective » (« in ihrer jeweiligen Fassung ») de droit international. Le Professeur Heribert

Franz Köck ajoute, à propos du texte de l'article 9 B-VG, que la formulation « sont valides comme »

(« gelten als »), et non simplement « sont » (« sind »), signifie qu'elles ne sont pas une composante du

droit fédéral, mais doivent être exécutées comme une telle composante273.

La possibilité même d'une réception du droit international « en tant que droit international » (per se) n'a

pas manqué de faire l'objet de controverses dans la doctrine autrichienne. Le Professeur Manfred Rotter

affirme ainsi que l'intégration de normes juridiques externes suppose une adaptation de ces normes à la

structure juridique les réceptionnant, puisque chaque système juridique se caractérise par une structure

propre et précise274. En cela, la disposition constitutionnelle prévoyant l'«intégration» – la

«transformation» en ce qui concerne spécifiquement le droit international – doit refléter la

différenciation opérée dans le système juridique auquel elle appartient. La capacité pour une norme de

développer des effets juridiques doit, dans tous les cas, être évaluée dans le contexte du système

juridique dans lequel elle est valide. Cette analyse, qui va jusqu'à contester la possibilité même de

l'intégration de normes externes, nous semble excessive : aucun principe constitutionnel n'interdit

d'intégrer des normes externes, mêmes si celles-ci semblent peu adaptées au contexte interne ;

simplement l'état du droit risque d'être plus complexe, peut-être même pour ainsi dire plus

« chaotique », en l'absence d'un processus préalable d'adaptation.

270 Alfred Verdross, « Welche Bedeutung haben zwischenstaatliche Verträge für die innerstaatliche Gesetzgebung », Verhandlungsschrift des 2. deutschen Juristentages in der Tschechoslowakei, Brünn, 1925, p. 232 et svtes, spécialement p. 235 (mes italiques). 271 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement pp. 175-178.272 SZ, vol. 23, n° 143, p. 459.273 Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement p. 757. Un tel argument est étranger à la doctrine autrichienne des années 1920 qui considère majoritairement, avec Hans Kelsen, que la validité est le mode d'existence d'une norme, de sorte qu'il n'y a pas de différence de signification entre le terme « gelten » et « sein » dans un énoncé normatif.274 Manfred Rotter, op. cit. note 22, spécialement p. 23 et svtes.

145

d. L'alinéa 14 du Préambule de 1946 en apparence plus ouvert à une normativité du droit international

général « en tant que tel »

La possibilité de la normativité du droit international « en tant que tel » sur le fondement de l'alinéa 14 a

peu été explorée par la doctrine et la jurisprudence française. La notion d'appartenance au droit interne

est pourtant absente de la formulation de l'alinéa 14, par contraste avec les formulations de l'article 25

LF et de l'article 9 B-VG. La formulation de l'alinéa 14 apparaît donc clairement plus ouverte à une

lecture en ce sens, d'autant plus que l'alinéa 14 n'en détermine pas moins assurément une obligation

pesant sur les organes de l'État de se conformer au droit international général. Si l'on écarte, pour les

besoins de l'analyse, la lecture qui conçoit l'alinéa 14 comme une disposition de transposition, deux

hypothèses se présentent :

Soit les normes internationales visées par l'alinéa 14 ne deviennent que partiellement des

composantes du droit interne, au sens où elles ne s'appliquent que négativement dans les cas où existe

un risque de violation du droit international. A l'opposé des autres normes internes générales (lois,

décrets, ordonnances...), les règles du droit public international ne seraient pas amenées à fonder

positivement d'autres normes plus concrètes, les organes internes étant toutefois tenus de les respecter

dans leurs activités. Les règles du droit public international n'interviendraient pas dans la hiérarchie des

normes selon l'ordre de production ; elles fondent en revanche éventuellement la destruction de normes

proprement internes susceptibles de provoquer une violation du droit international.

Soit l'alinéa 14 n'opère en rien la transformation des normes internationales qu'il vise, ce qui

n'empêcherait pas pour autant les organes d'application du droit de bénéficier de l'habilitation

d'appliquer le droit international en tant que tel, conformément à « la tradition de la République

française ». On rejoint là la lecture de l'alinéa 14 suivant laquelle il oblige constitutionnellement les

organes internes à maintenir la pratique d'application immédiate des normes internationales , autrement

dit du droit international « en tant que tel ».

La théorie de la réception du droit international « en tant que tel » soulève dans tous les cas la question

de la relation entre normativité internationale et normativité interne, dont la relation entre validité

internationale et validité interne constitue l'aspect premier. La version de cette théorie qui affirme que la

validité de la norme internationale transformée en droit interne demeure identique à la validité

internationale de la norme dont elle est la reproduction s'avère problématique pour des raisons

formelles. En revanche, rien n'empêche de concevoir que l'application interne de la norme en question

soit modulée afin de correspondre le plus possible à sa normativité internationale.

Les différents droits nationaux en question ne conditionnent pas la normativité interne d'une règle

146

générale du droit international par un acte interne particulier reproduisant son contenu normatif. Il

s'ensuit une amplification des difficultés d'identification la concernant : non formulée par un acte écrit

dans la sphère du droit international, elle ne l'est pas non plus dans la sphère du droit interne.

C. L'identification des règles générales du droit international

Trivialement, une norme internationale non écrite n’est pas formulée dans un acte juridique

international et les organes internes d'application du droit ne peuvent les identifier au moyen de

l’expression formelle de la volonté des sujets de droit. Les difficultés d'identification s'étendent à toutes

les formes normatives de droit international général : coutumes, principes généraux de droit reconnus

par les nations civilisées, ius cogens. Et, en particulier, l'identification de la coutume internationale – la

forme normative principale dans l'ensemble droit international général – s'opère par une démarche

complexe, pour plusieurs raisons liées les unes aux autres, mais qu'il demeure possible de distinguer275 :

i. Les difficultés d'identification portent tant sur l'existence même de la coutume internationale que sur

son contenu (sphère d'application, ensemble des obligations adressées aux différents acteurs). La

connaissance humaine en ce qui concerne le droit international apparaît en l'état actuel limitée, ce qui

résulte entre autres du fort degré de décentralisation du droit international 276. De plus, s'il semble

souvent difficile de prouver l'existence d'une norme donnée, la preuve de sa non-existence n'est pas non

plus toujours évidente (comment prouver que quelque chose n'existe pas ?).

275 Cf. généralement : Maarten Bos, « The Identification of Custom in International Law », GYIL, 1982, pp. 9-53 ; Robert Y. Jennings, « The Identification of International Law », in : Bin Cheng (ed), International Law : Teaching and Practice, Stevens, Londres, 1982, 287 p., pp. 3-9 ; Jörg Kammerhofer, « Uncertainty in the Formal Sources of International Law: Customary International Law and Some of Its Problems », EJIL,vol. 15, 2004, pp. 523–553. 276 En l’état actuel du droit, la norme suprême du droit international ne prévoit aucune norme habilitant un organe particulier à modifier son contenu. Suivant Hans Kelsen (1928) : « Si on se demande en quoi la théorie dominante du droit international – refusant la pensée de la civita maxima – conçoit une différence essentielle entre la communauté juridique internationale et la communauté constituée par un ordre juridique étatique unique – l’"État" –, on constate avant tout l’affirmation étonnante suivant laquelle la première, au contraire de la dernière, n’est pas organisée. Certains décrivent aussi pour la même raison – et non rarement – le droit international comme un "droit anarchique" [cf. Jellinek, Heilbronn]. […]. [Contre la théorie de l'anarchie du droit international : ] L’"anarchie" ne peut, du point de vue de la science juridique, désigner autre chose que manquant d’ordre […]. La communauté juridique internationale est […] une communauté juridique primitive et, en ce sens et uniquement en ce sens, non pas un "État". Elle est avant tout dénuée d’un organe particulier qui dispose d'une compétence pour former de manière continue l’ordre juridique constituant » ; cf. Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème éd., Scienta, Aalen, 1960, 320 p., pp. 257-258 et p. 260 (ma traduction). Le système juridique international n’est pas un système juridique organiquement centralisé en son degré hiérarchique le plus élevé, au sens où il n’existe aucun organe compétent pour modifier la norme suprême du droit international. Un tel organe ne peut se concevoir que comme un organe délégué par la Communauté internationale en son ensemble, à l'instar de la juridiction obligatoire de règlement des conflits internationaux que Hans Kelsen avait imaginée, et non comme la Communauté internationale en son ensemble, qui est identique – du point de vue de la science juridique – au droit international. Cf. Hans Kelsen, Peace Through Law, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1944 ; réédité en 2008 par Lawbook Exchange, New York, 155 p. ; Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la seconde guerre mondiale », RFDC, vol. 16, 1993, pp. 761-789 ; Cécile Tournaye, Kelsen et la sécurité collective, Université Panthéon-Assas (Paris II) – LGDJ, Paris, 1995, 121 p.

147

ii. Concernant la formation de la coutume internationale, il est difficile de distinguer les pratiques qui

consistent en de simples comportements des acteurs (la courtoisie entre diplomates en offre un

exemple) des comportements qui participent à la production d'une norme 277. La coutume est

initialement formé par un comportement effectif des sujets de droit, qui se transforme en un

comportement qui leur devient obligatoire. De telles inférences d'un état factuel vers un état normatif

s'observent certes habituellement dans les systèmes juridiques positifs, et il en va par exemple ainsi du

comportement factuel de l'organe législatif (délibération, vote...) qui aboutit à une loi. Toutefois,

s'agissant du « droit posé », à la différence du « droit spontané », le comportement factuel de l'organe,

qui consiste en l'accomplissement des états de fait prévus par les normes d'habilitation, oblige des sujets

de droit distincts de lui-même ; par exemple, «le législateur» oblige «les citoyens». Aussi, toujours dans

le cas du « droit posé », les comportements de l'organe qui relèvent d'une activité normative (par

exemple, le vote d'une loi par un organe parlementaire) demeurent séparés d'autres comportements

possibles du même organe (par exemple, les réunions informelles entre les différents groupes politiques

de l'organe parlementaire). La norme d'habilitation rend clairement possible l'opération de distinction

entre un comportement normatif et un autre comportement. En revanche, s'agissant du «droit spontané»,

le producteur de la norme occupe simultanément la position de destinataire de la norme, de sorte que le

comportement normatif d'un sujet de droit se distingue difficilement de son simple comportement

factuel lorsqu'il agit en tant que destinataire278. Ce qui vient d'être dit peut être illustré par la pratique

des États de soutien militaire aux groupes armés qui luttent pour la démocratie contre un régime

autoritaire : il pourra s'agir tant d'un comportement factuel de violation de la souveraineté de l'État que

277 Le Professeur Otto Pfersmann développe, à propos de ce problème d’identification du contenu du droit international, l'analyse suivante : « Le fait qu’il n’y ait pas de juge n’est pas identique avec la décentralisation totale qui ferait disparaître toute possibilité d’interpréter des comportements humains comme des processus de production et d’application ou de transgression des normes. […] Le propre d’un ordre décentralisé est de reposer sur un consensus diffus qui se manifeste par des réactions communes, en tout cas largement partagées. […]. Les producteurs et les destinataires de normes ne sont donc pas nécessairement confondus. Ils ne le sont que pour autant qu’ils respectent les normes qu’ils produisent. Mais il peut y avoir une minorité réfractaire, qui n’en est pas moins destinataire, sans véritablement participer au processus d’élaboration normative. Tous les producteurs sont destinataires mais tous les destinataires ne sont pas nécessairement producteurs. Il faut qu’un écart soit possible et il faut que la plupart des destinataires se conforment dans un nombre significatif de cas aux producteurs sinon il ne sera pas possible de parler de droit, ni même de droit international. [nouveau §]. Le problème que soulève la théorie de Kelsen [du droit international] est en quelque sorte une autre formulation du paradoxe de la règle chez Wittgenstein. Selon l’argument qu’il développe dans les Investigations philosophiques [I, § 201], il n’est pas possible de suivre une règle tout seul, parce que toute action sera conforme à une règle construite après coup. Mais il n’est pas non plus possible de "suivre" une norme collective qui ne serait que le résultat de toutes les actions violentes individuelles sans qu’il n’y ait aucune forme d’explicitation commune de la conduite à suivre. [nouveau §]. Ainsi le véritable problème du droit international, c’est son faible degré d’explicitation, ce ne peut être son extrême décentralisation. » ; cf. op. cit. note 276, pp. 788-789.278 Une partie de la doctrine en déduit que l'opinio juris ne constitue qu'un critère de distinction entre comportement normatif et comportement non normatif,, et non une condition de l'entrée en vigueur de la coutume. Il s'agit là d'un raccourci. En effet, même si l'on admet que l'opinio juris est bien un critère, cela n'exclut pas qu'il puisse aussi être une condition.La jurisprudence internationale s'oppose à une telle conception de l'opinio juris, et ce, malgré la formulation de l'article 38§1 b) du Statut de la C.I.J (« la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ») : C.I.J., arrêt, 20 février 1969, Plateau continental de la Mer du nord, Recueil 1969, p. 3, § 77 ; C.I.J., arrêt, 12 avril 1960, Droit de passage sur territoire Indien (Fond), Rec. 1960, pp. 16-144, spécialement, pp. 42-43 ; CIJ, Affaire du droit d'asile, Colombie c. Pérou, 20 novembre 1950, Rec. p. 266 et svtes, spécialement pp. 276-277.

148

d'un comportement normatif qui conduit le cas échéant à la création d'une coutume internationale

nouvelle (la permission pour les États de s'immiscer dans les affaires d'un autre État dans le cas où

l'enjeu est la démocratie, soit le « droit d'ingérence »).

iii. Les deux «éléments constitutifs»279 de la coutume, à savoir la pratique (élément dit « objectif ») et

l'opinio juris (élément dit « subjectif »), occasionnent chacun des difficultés d'identification propres :

La pratique requise (repetitio facti) pour qu'une nouvelle coutume internationale devienne

valide varie selon les circonstances280. Les difficultés concernant le seuil à partir duquel une pratique

suffisante est atteinte s'amplifient encore lorsqu'il s'agit de coutumes récentes, car le moment même où

la norme entre en vigueur, c'est-à-dire cesse sa formation, reste dans la plupart des cas très incertain, ce

qui pose de surcroît des problèmes de temporalité281.

Le constat de l'opinio juris sive necessatis ne s'opère qu'avec difficulté en raison de sa nature

dite subjective, et une partie de la doctrine va même jusqu'à mettre en doute toute démarche visant à le

prouver282. En outre, il semblerait que la force de l'opinio juris requise pour la formation d'une coutume

279 La doctrine apparaît partagée quant à la nature de ces «éléments». Il s'agirait soit de «critères», qui ont pour objet de prouver l'existence d'une coutume internationale (fonction cognitive) ; soit de «conditions», qui doivent être réunies pour que la norme se forme.280 En l'état du droit international, plusieurs éléments de la pratique requise peuvent varier selon les circonstances : durée minimale du comportement constant, quantité des occurrences requises (constance-continuité), uniformité (uniformité-concordance), etc. La Cour internationale de justice affirme que la durée n'est pas nécessairement le facteur prépondérant : « le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue pas en soi un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit international coutumier » (C.I.J., 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord). De même, toujours selon la Cour internationale de justice, la pratique requise n'est pas nécessairement uniforme: « Il […] paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les États y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle. Si un État agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur cette base » (C.I.J., 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (Nicaragua c. États-Unis, fond), Rec., 1986, p. 14, § 186).281 Le Professeur Serge Sur développe, à propos de la coutume, l'analyse suivante : « Et pourtant, il est permis de se demander si la règle coutumière n’est pas, en définitive, rien d’autre qu’une hypothèse. Elle peut être, par exemple, assertion doctrinale, élément ou conclusion d’un raisonnement juridictionnel. Mais où est la règle juridiquement et généralement obligatoire ?

- Observons d’abord que la coutume se révèle surtout par ses manques, ou à l’occasion de ses manques. Si en effet les relations qu’elle est censée régir se développent sans heurts, sans controverse et sans conflit, elle se confond avec elles. Les agents juridiques n’ont pas de raison de s’interroger sur le statut des pratiques qu’ils suivent habituellement, et qui suffisent à leur besoins. Ce n’est qu’en cas de contestations que le problème peut surgir, et témoigner au demeurant de l'incertitude sur l'existence ou le contenu de la règle. Si, au surplus, la difficulté est réglée par la négociation directe entre les intéressés, qui peut dire que la reconnaissance de la règle coutumière est le motif déterminant de l’accord ? Ne s’efface-t-elle pas derrière l’accord ponctuel, qui d’ailleurs ne sera peut être jamais rendu public ? On pourra bien, doctrinalement, dégager une ligne générale de conduite et lui attribuer le statut de règle coutumière, mais l’assertion sera sans autorité à l’égard des sujets de droit. Le Statut de la CIJ ne reconnaît la doctrine que comme un "moyen auxiliaire de détermination des règles de droit" et identifie de ce point de vue doctrine et jurisprudence.

- Quant à la jurisprudence ensuite, on a déjà souligné ses liens avec la coutume. Le juge constate – ou est censé constater - objectivement une règle qu’il applique au différend qui lui est soumis. Son extériorité est le garant de l’existence autonome de la règle – autonome par rapport à l’accord immédiat et ponctuel dans lequel elle s’épuise lorsqu’elle est appliquée directement par les États. » ; cf. « la coutume internationale, sa vie, son œuvre », Droits, 1986, pp. 111-124, p. 115. 282 Pour les organes d’application du droit, l’appréciation de l’existence de l’élément psychique semble presque impossible. Elle consiste en effet dans l’évaluation des sentiments ou des pensées des organes (des individus) qui ont

149

internationale soit devenu de plus en plus variable, du moins selon les observations les plus récentes de

la doctrine et de la jurisprudence. Ainsi, tandis que la formation des coutumes internationales

demeurerait en principe conditionnée par la réunion de la pratique et de l'opinio juris, celle des

coutumes relevant du domaine du droit international humanitaire résulterait désormais surtout de

l'opinio juris283. Une tendance doctrinale actuelle généralise ce phénomène, sans doute de manière

excessive, en affirmant que l'opinio juris s'analyse en l'état du droit comme la principale condition de

réalisé les comportements conditionnant – en tant que pratique – l'entrée en vigueur de la coutume. De plus, les phénomènes subjectifs pertinents ont eu lieu dans le passé, au moment de la formation de la coutume en question, d'où s'ensuit l'amplification des difficultés d'identification. En matière d’emploi des armes nucléaires, la Cour internationale de justice a estimé ne pouvoir tirer ni de la politique de la dissuasion nucléaire, ni du non-recours aux armes nucléaires une conclusion quelconque quant à l’existence d’une norme coutumière interdisant ou permettant le recours à la menace ou à l’emploi de telles armes car les motifs de ces comportements ne témoignent d’aucune opinio juris claire : « l’apparition en tant que lex lata, d’une règle coutumière prohibant spécifiquement l’emploi des armes nucléaires en tant que telles se heurte aux tensions qui subsistent entre, d’une part, une opinio juris naissante et d’autre part, une adhésion encore morte à la pratique de la dissuasion » (C.I.J., avis consultatif, 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires). Le Professeur Anthony D'Amato analyse les difficultés posées par l'identification de l'opinio juris à propos de l'affaire Lotus (C.P.I.J., 7 septembre 1927, France c/ Turquie (fond), Série A, n°10) : il serait difficile, si ce n'est impossible, de connaître les motifs des preneurs de décisions dans chacun des précédents exposés par la France lorsqu'ils renoncent à enclencher une procédure juridictionnelle pour collision de navires en haute mer (cf. The Concept of Custom in International Law, Cornell University Press, Ithaca, 1971, 328 p., spécialement p. 82.)Plus théoriquement, quelques observations de Hans Kelsen, qui a modifié à plusieurs reprises au cours de son œuvre sa conception de l'opinio juris, portent sur les difficultés soulevées par le subjectivisme de la coutume : « The distinction between action undertaken for reasons of expediency or convenience and actions undertaken because it is felt to be obligatory or right may prove very difficult to make. This is particularly so when the usage held constitutive of custom emerges in a relatively brief period and amid conditions of general instability. To be sure, the psychological element of custom, the opinio juris sive necessatis, may be inferred from the constancy and uniformity of state conduct. Indeed, in practice it appears that the opinio juris is commonly inferred from the constancy and uniformity of state conduct. But to the extent that it is so inferred it is this conduct and not the particular state of mind accompanying conduct that is decisive » ; cf. P.I.L., pp. 451-452. 283 La jurisprudence internationale semble adopter cette opinion à propos des principes de non-emploi de la force et de non-intervention : CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Rec., 1986, p. 112.Cf. inter alia : Richard B. Lillich, « The Growing Importance of Customary International Human Rights Law », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 25, p. 1 et svtes ; Jean-François Flauss, «La protection des droits de l’homme et les sources du droit international », in : Société française pour le droit international, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, actes colloque SFDI de Strasbourg, A. Pedone, 1998, Paris, pp. 48-79 ; Anthea Elizabeth Roberts, « Traditional and Modern Approaches to Customary International. Law : A Reconciliation », AJIL, vol. 95, 2001, pp. 757-791 ; Jan Wouters, Cedric Ryngaert, The Impact of Human Rights and International Humanitarian Law on the Process of the Formation of Customary International Law, Instituut voor Internationaal Recht, K.U. Leuven, Working Paper n° 121, février 2008, 21 p. Disponible sur : www.internationallaw.be. Pour une opinion contraire : Jack L. Goldsmith, Eric A. Posner, The Limits of International Law, Oxford University Press, Oxford, 2005, 262 p., spécialement pp. 132-133 ; Robert Y. Jennings, op. cit. note 275.La doctrine dominante développe souvent une argumentation de type moral en vue de justifier le fond : comme les États transgressent souvent les principes internationaux du droit international humanitaire, il faut que la condition de la pratique soit secondaire par rapport à celle de l'opinio juris pour que les obligations internationales menacées puissent persister. Il est certes exact que le droit international humanitaire se trouve dans de nombreuses circonstances violé, mais il peut sembler excessif d'affirmer que ces violations entraînent dans tous les cas la destruction des normes existantes. L'état habituel des relations internationales n'est, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et même pendant la période de la Guerre froide, pas celui de la guerre permanente, mais celui d'une paix relative : le principe de non-emploi de la force invoqué dans l'affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua paraît globalement respecté par les États ou, du moins, il n'est pas suffisamment violé pour que ces violations puissent s'analyser comme des comportements participant à la formation d'une coutume internationale nouvelle.Cela ne vaut cependant pas pour toutes les normes de droit international humanitaire, et notamment pas pour la plupart des normes de jus in bello. La chambre d'appel du T.P.I.Y., à l'occasion de son arrêt du 2 octobre 1995 relatif à l'affaire

150

formation de l'ensemble du droit international coutumier284.

iii. Last but not least, le contenu du principe du droit international qui prévoit le mode de formation des

coutumes285 est lui-même en l'état actuel incertain. Il n'est de plus nullement à exclure que ce principe

du droit international soit amené à se modifier suivant ses propres conditions 286 (regressum ad

infinitum). En effet, la norme d'habilitation prévoyant la formation du droit coutumier est elle-même

une composante du droit international coutumier susceptible d'être modifiée sur son propre fondement.

Il s'ensuit que l'identification du contenu normatif de ce principe pose structurellement certaines

difficultés, puisqu'il est constamment exposé à un éventuel changement de la pratique des États, sans

que l'on puisse avec certitude vérifier que ce comportement nouveau satisfait aux exigences qu'il

détermine relativement à sa propre modification.

1. La fonction d'identification

Les organes d'application du droit peuvent opérer un travail d'identification par l'observation du

comportement des États ainsi que, plus indirectement, en se référant à la jurisprudence internationale, à

la doctrine des « publicistes les plus qualifiés des différentes nations287 », aux traités internationaux (tout

Duško Tadić, dit que : « Avant de relever certains des principes et règles du droit coutumier qui sont apparus dans la communauté internationale pour réglementer la guerre civile, il convient d'élever une mise en garde sur le processus d'adoption des lois dans le domaine du droit des conflits armés. Quand on s'efforce d'évaluer la pratique des États en vue d'établir l'existence d'une règle coutumière ou d'un principe général, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de préciser le comportement effectif des troupes sur le terrain dans le but d'établir si elles respectent ou ignorent en fait certaines normes de conduite. Cet examen est considérablement compliqué par le fait que non seulement l'accès au théâtre des opérations militaires est normalement refusé aux observateurs indépendants (souvent même au CICR) mais aussi parce que les renseignements sur la conduite effective des hostilités sont dissimulés par les Parties au conflit ; pis encore, il est souvent recouru à la désinformation dans le but de tromper l'ennemi ainsi que l'opinion publique et les gouvernements étrangers. Lorsqu'on évalue la formation de règles coutumières ou de principes généraux, il convient par conséquent d'être conscient que, du fait du caractère intrinsèque de ce domaine, on doit s'appuyer essentiellement sur des éléments comme les déclarations officielles des États, les manuels militaires et les décisions judiciaires. » (IT-94-1-AR72, § 99).284 Cf. inter alia : Oscar Schachter, « New custom : power, opinio juris and contrary practice », in: Jerzy Makarczyk (éd.), Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century - Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski, Martinus Nijhoff, La Haye, 1996, 1008 p., pp. 531-540 ; Brian D. Lepard, Customary International Law : A New Theory with Practical Applications, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, 419 p.285 Hans Kelsen considère que la norme prévoyant la formation des coutumes est la norme fondamentale du droit international. Sa démonstration est la suivante : « To find the source of the international legal order, we have to follow a course similar to that which led us to the basic norm of the national legal order. We have to start from the lowest norm within international law, that is, from the decision of an international tribunal. If we ask why the norm created by such a decision is valid, the answer is furnished by the treaty in accordance with which the tribunal was instituted. If, again, we ask why this treaty is valid, we are led back to the general norm which obligates the states to behave in conformity with the treaties they have concluded, a norm commonly expressed by the phrase pacta sunt servanda. This […] is a norm of general international law, and general international law is created by custom constituted by acts of states. The basic norm of international law, therefore, must be a norm which countenances custom as a norm-creating fact, and might be formulated as follows : The States ought to behave as they have customarily behaved. » ; cf. P.I.L., p. 564.286 Par exemple, il se pourrait que, par une pratique constante de la Communauté internationale, l'opinio juris soit devenue une condition de la formation des coutumes alors qu'elle servait à l'origine uniquement à en prouver l'existence. Certains auteurs vont même plus loin en affirmant que l'opinio juris est devenue la principale condition de formation de la coutume, devant la praxis, dans les développements récents du droit international général ; cf. inter alia : Anthea Elizabeth Roberts, op. cit. note 283.287 L'expression est tirée de l'article 38 § 1 du Statut de la C.I.J.

151

particulièrement aux conventions de codification288), aux résolutions des organisations internationales,

aux décisions des juridictions étrangères289, aux notes diplomatiques ou encore à des sources

proprement internes telles que les lois, les décisions juridictionnelles et leurs travaux préparatoires.

L'ampleur du travail d'identification varie considérablement d'un État à l'autre et, à l'intérieur d'un

même État, d'un organe à l'autre. Par surcroît, la doctrine remarque parfois que les organes internes

tendent à employer les moyens d'identification qui servent au mieux les intérêts de l'État. Les organes

d'un État du Tiers-monde emploieront surtout les déclarations de l'ONU, tandis que les organes d'une

Puissance insisteront davantage sur la pratique dominante actuelle290.

En Allemagne, la procédure spéciale de l'article 100 al. 2 LF a conduit à la formation d'un corpus

jurisprudentiel ayant spécifiquement pour objet l'identification du droit international général291. En

Autriche et en France, le travail d'identification n'a pas connu développement semblable. En Autriche, il

relève surtout de l'organe exécutif, et les juridictions s'en tiennent généralement à quelques citations et

références, parfois extraites d'un seul ouvrage classique relatif au droit international. En France aussi,

les juridictions ne procèdent que rarement à une analyse approfondie. Globalement, la norme

internationale coutumière relative au cas d'espèce apparaît au mieux énoncée dans les motifs de la

288 Certaines coutumes internationales sont dites «codifiées» par diverses institutions sans que cette codification ne modifie l'état du droit, car il s'agit en l'occurrence d'une œuvre cognitive (cf. la mission de la Commission du droit international).289 Cf. inter alia : Eyal Benveniste, « Reclaiming Democracy : The Strategic Uses of Foreign and International Law by National Courts », AJIL, vol. 102, 2008, p. 241 et svtes.290 Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183, spécialement pp. 165-166. Plus loin, l'auteur observe le changement progressif de l'attitude des juridictions israéliennes en fonction des intérêts de l'État (p. 178).Un autre exemple : les États vaincus à l'issue de la Seconde guerre mondiale et reconnus coupables de crimes de guerre (Japon, Allemagne) ne s'accordent pas avec les États victimes sur le contenu du droit international général relatif aux modalités de réparation des crimes de guerre (cf. infra : « L'immunité de juridiction de l'État étranger et le droit au recours au juge des particuliers dans les cas de violations graves du droit international humanitaire »).291 Une telle procédure spéciale d'identification des normes du droit international général n'est que rarement prévue par les constitutions nationales. La Constitution hellénique du 9 juin 1975, en son article 100 §1 alinéa f, prévoit la compétence de la Cour spéciale supérieure sur les : « contestations concernant le caractère d'une règle de droit international comme généralement reconnue au sens de l'article 28, paragraphe 1 de la Constitution ». Cf. Althos G. Tsoutsos, « Verifying International Law in Greek Courts », International Lawyer, vol. 10, 1976, p. 557 et svtes. ; Emmanuel Roucounas, « L'intégration du droit international dans l'ordre juridique grec », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national , Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 287-316.Les Professeurs Christian Dominicé et François Voeffray affirment qu'« il est significatif à cet égard de constater que la jurisprudence en matière de droit international coutumier ne paraît véritablement abondante qu'�en Allemagne et en Grèce, où l�'identification de la coutume est facilitée par l'�existence d�'une procédure de �renvoi�, qui permet au juge de s�'adresser à une juridiction supérieure (Tribunal constitutionnel en Allemagne, Tribunal supérieur spécial en Grèce) pour l�'interroger sur l'�état du droit coutumier. » ; cf. op. cit. note 9, p. 58. Ce constat semble réducteur de l'état du droit : l'application du droit international coutumier se présente certes de manière plus manifeste dans les États qui prévoient une procédure d'identification obligatoire et centralisée, mais il ne s'ensuit pas nécessairement d'effet quantitatif. On peut ainsi relever que tous les corpus jurisprudentiels nationaux contiennent une quantité non négligeable de décisions relatives aux immunités de juridiction et d'exécution de l'État étranger, cf. la table de jurisprudence établi par le Professeur Michel Cosnard, op. cit. note 224. Dans le cas des immunités de l'État étranger, la doctrine réalise de manière constante un important travail de repérage des décisions internes les mettant en œuvre. Un travail d'une telle ampleur n'a pas été réalisé pour les autres coutumes internationales, même si quelques travaux s'en approchent : Lambertus Erades, Interactions between International and Municipal Law : A Comparative Case Law, Malgosia Fitzmaurice et Cees Flinterman – T.M.C. Asser Instituut, La Haye, 1993, 1037 p.

152

décision et, le plus souvent, la juridiction ne s'y réfère pas même pas, fût-elle déterminante pour l'issue

du litige292.

a. Les organes contribuant à l'identification

L’ensemble des organes internes d’application du droit participe à l’identification des normes

internationales non écrites, c'est-à-dire – suivant la classification propre à la science politique 293 – aussi

bien l'organe exécutif, que l’organe législatif ou l'organe juridictionnel :

i. La fonction des organes exécutifs apparaît cruciale en la matière, car ils occupent la position,

relativement aux autre organes de l'État, de principaux producteurs de normes internationales

coutumières en tant qu'ils orientent généralement le comportement international de facto de l'État (la

praxis)294. Et bien que la fonction de production des normes et la fonction d'identification des normes ne

soient aucunement identiques, la jurisprudence traditionnelle de chaque État estime que la compétence

de l'exécutif en matière de relations internationales justifie que le ministère des affaires étrangères

national participe à l’identification des normes internationales. On observe néanmoins une tendance

récente et globale d'autonomisation des juridictions eu égard aux appréciations de l'exécutif 295. En ce

sens, la résolution de Milan du 7 septembre 1993 de l'Institut de droit international relative à « L'activité

du juge interne et les relations internationales de l'État » recommande aux États l'abandon de la

procédure de renvoi à l'exécutif. Par la suite, la Cour européenne des droits de l'homme a

progressivement condamné la procédure de renvoi préjudiciel à l'exécutif pour les questions relevant du

droit international296. Pour cause, la procédure de renvoi préjudiciel à l'exécutif, adressée dans la plupart

des cas au ministère des affaires étrangères, s'accomplirait en violation du droit à un procès équitable

garanti par l'article 6 §1 de la Convention, et ce, au motif qu'elle prive le requérant d'un « tribunal de

pleine juridiction » dans la mesure où le juge est tenu de « suivre obligatoirement [l'avis de l'exécutif]

sans le soumettre à la critique ni à un débat contradictoire297 ».

292 L'abondante jurisprudence relative à l'immunité de juridiction de l'État étranger en offre une illustration ; pour une analyse détaillée, cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».293 La pertinence de la théorie de la séparation des pouvoirs pour la science juridique a été amplement critiquée par Hans Kelsen ; cf. inter alia : Das Problem des Parlamentarismus, W. Braumüller, Vienne, 1926, 44 p. La répartition des compétences entres les différents organes ne se caractérise pas par leurs fonctions, mais par leur habilitation à produire et à concrétiser certains ensembles de normes.294 Parmi les organes de l'État, l'exécutif n'est pas le seul organe participant à la production des normes du droit international (cf. infra : le « pouvoir extérieur » ). Le législateur et le juge participent également à la formation du droit coutumier. Ils contribuent aux changements de la pratique et de l’opinio juris de l’État (le législateur peut d'ailleurs aussi participer à la formation de principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées). De plus, le droit international ne désigne pas précisément un organe de droit interne auquel il appartient de produire les normes internationales. En droit international, le producteur de droit est l’État dans sa totalité. 295 Cf. inter alia, en ce qui concerne la situation juridique globale : Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72.296 Cf. inter alia : Cour EDH, 24 novembre 1994, Beaumartin c. France, série A n°296-B : à propos de l'interprétation des traités internationaux.297 Cour EDH, 13 février 2003, Chevrol c/ France, n° 49636-99.

153

ii. En dehors de l'exécutif, le législateur intervient en certaines circonstances, même si ce n'est que de

manière marginale, pour confirmer la positivité de normes auxquelles l'État est lié. Le cas de la

République de Weimar en offre une illustration remarquable : la lecture nationaliste de l'article 4 WRV a

conduit à la pratique d'une primo-compétence de l'organe parlementaire pour procéder à la

« reconnaissance » de chacune des normes internationales qui lie le Reich. Une telle procédure s'analyse

comme une identification de la norme internationale en question, dont dépend sa normativité interne 298.

iii. Chaque système juridique national contient un contentieux juridictionnel de l’identification. Celui-ci

est déterminé ou non par une disposition constitutionnelle spéciale, est organisé de manière plus ou

moins centralisé, et lie de manière plus ou moins étendue les organes d'application du droit non

juridictionnels. La Loi fondamentale allemande centralise la fonction d'identification par la procédure

juridictionnelle spéciale de l’article 100 al. 2 LF. Il en va autrement en droit autrichien et en droit

français : la décentralisation juridictionnelle – la coexistence de plusieurs juridictions suprêmes –

aboutit à une différenciation du traitement des données internationales.

L'identification du droit international par les organes de l'État ne s'opère pas dans tous les cas suivant les

critères de droit international et suivant la même méthode que celle employée par les organes

internationaux. Le droit interne peut attribuer à certains organes, tels l'exécutif ou une juridiction

centralisée, une compétence exclusive en matière d'identification, à laquelle se trouvent liés les autres

organes de l'État. L'obligation pesant sur les organes internes de suivre l'identification produite par un

organe centralisé apparaît problématique car c'est en l'occurrence une connaissance, donc erronée ou

non erronée, qui prend force obligatoire299.

b. Le contentieux de l'identification

α. En droit allemand, une fonction d’identification centralisée autour de la Cour constitutionnelle

fédérale

L’article 100 al. 2 LF dispose que : « Si, au cours d’un litige, il y a doute sur le point de savoir si une

règle du droit international fait partie intégrante du droit fédéral et si elle crée directement des droits et

298 La condition de «reconnaissance» de l'article 4 WRV apparaît d'autant plus ambigüe qu'il n'est pas déterminé si une simple identification par un organe de l'État réalisée dans des circonstances quelconque est suffisante ou si un ou plusieurs organes internes déterminés disposent d'une compétence discrétionnaire pour reconnaître ou non une norme internationale. Dans tous les cas, s'il est vrai que l'absence d'identification peut aboutir factuellement à une non-application, il est erroné de considérer que l'identification conditionne normativement l'applicabilité de la norme en question, à moins qu'existe une procédure obligatoire d'identification préalable (« reconnaissance »). 299 Ce problème présente quelques similitudes avec d'autres problèmes juridiques, tel celui posé par une norme imposant une certaine vision de l'histoire, à l'instar de l'interdiction du révisionnisme. Cf. inter alia, Thomas Hochmann, « Les limites à la liberté d'expression de l'"historien" en France et en Allemagne », Droit & Société, n° 69-70, 2008, pp. 527-548. On peut constater que l'obligation de se conformer à une certaine connaissance posée par un organe est une pratique juridique en réalité assez habituelle, à l'instar de l'obligation de respecter les faits définitivement «établis» par une juridiction.

154

obligations pour les individus (article 25), le tribunal doit soumettre la question à la décision de la

Cour constitutionnelle fédérale. »

En vertu de l’article 25 LF, chaque juridiction allemande bénéficie d'une habilitation à appliquer les

règles générales du droit international, mais se trouve aussi dans l'obligation de les respecter. Il s'ensuit

qu'il appartient à chaque juridiction d'identifier – en fonction de l'objet de la procédure – la sphère

d’application spatiale, temporelle, matérielle et personnelle de la règle générale du droit international

pertinente en l'espèce. Cette compétence générale des juridictions en matière d'identification des règles

générales du droit international trouve sa limite dans la procédure spéciale de l'article 100 al. 2 LF, dès

lors donc que survient un doute quant à la positivité même de la norme en question. La procédure

juridictionnelle de l'article 100 al. 2 LF ne vise pas à juger la norme en question, c'est-à-dire à évaluer la

pertinence de son application en l'espèce ; son objet consiste à vérifier son existence à travers une

démarche cognitive.

Le Professeur Christian Autexier dit que : « l’article 100 al. 2 LF qui fait de la Cour constitutionnelle

fédérale le juge de l’entrée d’une règle générale du droit international dans le droit fédéral suppose

implicitement une distinction des deux cercles, dont la conséquence acceptée peut être une différence

de traitement de la règle dans le for externe, pour les rapports entre États, et dans le for interne, pour les

rapports entre la puissance publique allemande et les sujets de droit relevant de sa compétence

territoriale 300». L'article 100 al 2 LF n'attribue pourtant pas à la Cour constitutionnelle fédérale, ni

explicitement, ni même implicitement, une quelconque compétence pour conditionner la transposition

des règles générales du droit international en droit allemand301 302. La compétence de la Cour se

circonscrit en effet à la seule identification de la norme internationale en question, dont elle n'a

d'ailleurs pas même le monopole303. Les règles générales du droit international valides sont transformées

en droit allemand indépendamment de la décision relative à leur identification, et la Cour est même

tenue de se fonder sur celles-ci dans l'ensemble de ses décisions – y compris celles relatives à

l'identification du droit international général304.

300 Christian Autexier, Introduction au droit public allemand, PUF, Paris, 1997, 384 p., p. 153.301 Dans le même sens que le Professeur Christian Autexier, cf. Walter Rudolf, « Incorporation of Customary International Law into Municipal Law », in : Grigory I. Tunkin, Rüdiger Wolfrum (éds), International law and municipal law : proceedings of the German-Soviet Colloquy on International Law at the Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, 4 to 8 May 1987, Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 210 p., pp. 24-40, en particulier p. 31.302 On retrouve ici une confusion habituelle de la doctrine juridique entre opération cognitive et opération normative des organes d'application du droit ; cf. inter alia : Otto Pfersmann, op. cit. note 192.Il demeure vrai que la procédure d'identification de l'article 100 al. 2 LF aboutit à la production d'une norme, c'est-à-dire d'une obligation, mais la Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (§ 31 al. 2) limite la force dérogatoire des normes ainsi produites à une simple valeur législative par , ce afin d'éviter que la Cour produisent des normes relatives aux règles générales du droit international qui prévalent sur les règles générales du droit international elles-mêmes. Cf. infra : « L'étendue de l'obligation des organes internes de respecter les décisions du juge constitutionnel ».303 Cf. la décision 2 BvR 793/07 en date du 20 janvier 2008 à propos de la question du droit d'ingérence.304 Certaines règles générales du droit international conditionnent la validité d'autres normes internationales. La Cour constitutionnelle fédérale est tenue de se référer au droit international lui-même, en son ensemble, pour identifier son contenu normatif.

155

A l'issue d'une «interprétation téléologique», la doctrine allemande rapporte que la finalité du modèle

procédural de l'article 100 al. 2 LF consiste dans la sécurisation de la « décision constitutionnelle

d'ouverture au droit international », dont l’article 25 LF ne serait qu'une des formalisations, et ce, par la

voie d'une procédure située au niveau juridictionnel le plus élevé305. A travers cette procédure,

l'application du droit international général par les organes internes, tant juridictionnels que non

juridictionnels306, tend à s'unifier. Il s'agit de poursuivre un double objectif : prévenir, voire supprimer

dans la mesure du possible, les atteintes au droit international par des juridictions allemandes, donc

indirectement par l'État allemand en son ensemble ; empêcher les décisions divergentes des juridictions

en vue d'assurer la sécurité juridique des particuliers.

i. L'admissibilité de la question

Les questions préjudicielles présentables devant la Cour constitutionnelle fédérale, et qui font

éventuellement l'objet d'un tri, concernent l’existence même d’une règle générale du droit international,

ainsi que sa généralité et sa «portée»307 (sphère de validité de la norme en question). Sont ainsi admises

les questions relatives à son caractère dit «souple» ou «contraignant»308, au sens où la norme en question

admet ou non des dérogations. Cela n'est pas sans lien avec le contenu du droit international lui-même,

qui prévoit tantôt une obligation de comportement totalement conforme de l'État à la réglementation

internationale pertinente, tantôt une obligation de comportement seulement globalement conforme. En

revanche, font l'objet d'un rejet les questions relatives aux normes qui consistent incontestablement en

autre chose qu'une «règle générale du droit international» (traités, droit étranger à appliquer en droit

interne sur le fondement d'une norme de renvoi...), ainsi que les questions qui portent sur le contrôle de

conformité d'actes juridiques internes, telles les lois309 et les décisions de juridictions, par rapport au

droit international général.

L’admissibilité de la question est aussi conditionnée par son caractère déterminant pour l'issue du litige

au principal. La Cour admet cependant, par exception, certaines questions dont dépendent la résolution

de décisions accessoires au cours d’une procédure contentieuse. Et on trouve parmi ces questions : la

305 Cf. inter alia : Eckart Klein, « Die Völkerrechtsverantwortung des Bundesverfassungsgerichts - Bemerkungen zu Art. 100 Abs. 2 GG », in : Volkerrecht und deutsches Recht : Festschrift fur Walter Rudolf zum 70. Geburtstag , C.H. Beck, Munich, 2001, pp. 293-304 (la Cour constitutionnelle fédérale est devenue « gardienne de l'ordre juridique international », p. 294).306 Pour les organes non juridictionnels, cette unification est indirecte étant donné qu'elle passe par le contrôle du juge qui dispose de la compétence de vérifier la légalité de l'ensemble des actes des organes non juridictionnels (à l'exception de la catégorie très réduite des actes de gouvernement).307 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 16, p. 27 sqs. (32) ; 18, p. 441 sqs. (448). La Cour constitutionnelle fédérale considère que, en certaines circonstances particulières, sa compétence peut aller jusqu'à vérifier la capacité de la norme d'agir en droit interne.308 La terminologie adoptée par la Cour constitutionnelle fédérale apparaît contestable, car toute norme juridique est par définition contraignante.309 La doctrine allemande est divisée quant à la compétence du juge constitutionnel de vérifier l'applicabilité des lois par la voie de la procédure de l’article 100 al. 2 LF en se fondant sur les règles générales du droit international. Suivant la jurisprudence constitutionnelle, cette habilitation existe de manière incidente, une fois le juge saisi, mais il ne peut en aucun cas s'agir de la question à titre principal.

156

fixation d’un délai, l'assignation adressée à un État étranger accusé qui a indiqué de manière claire qu’il

ne renonçait pas à son immunité de juridiction, la résolution de preuve si l’apport de preuve risque par

lui-même de provoquer une violation du droit international.

L'admissibilité de la question n'est aucunement lié à la situation du destinataire de la norme, peu

importe donc qu'il s'agisse exclusivement de l’État ou des individus auxquels le droit international

attribue directement des droits et obligations.

La présentation de la question devient obligatoire lorsque sa résolution est complexe. Le doute à

l'origine de la question se caractérise soit comme un doute subjectif émis par la juridiction saisie au

principal, soit comme un doute objectif sérieux. Le doute est déjà qualifié lorsque la juridiction

initialement saisie dévie sur ce point de la conception énoncée par un organe constitutionnel allemand,

par les juridictions allemandes de niveau supérieur, étrangères ou internationales, ou par la doctrine

exposée par les auteurs hautement qualifiés en droit international. En l'absence de doutes, les

juridictions inférieures procèdent par elles-mêmes à l'identification, ce qui peut être illustré par la

décision du Tribunal administratif fédéral (BVerwG) du 22 mars 1994, à l'occasion de laquelle la

juridiction affirme indubitablement inexistante la coutume internationale qui interdirait à l'État de

refouler un demandeur d'asile en provenance d'un pays en état de guerre civile310.

Lorsqu'une juridiction contrevient de manière délibérée à son obligation de poser une question

découlant de l’article 100 al. 2 LF, et que cela s'est avéré déterminant pour l'issue du litige dont elle est

saisie, la partie lésée se trouve atteinte dans son droit fondamental à un juge légal (gesetzlicher Richter),

dont elle bénéficie constitutionnellement (art. 101 al. 1 phrase 2 LF : « Nul ne doit être soustrait à son

juge légal. »).

ii. L'identification elle-même

L’échelle de vérification se compose de l'ensemble des «règles générales du droit international» au sens

de l’article 25 LF311, et en premier lieu des principes généraux du droit international en tant qu'ils

déterminent la production, la modification et la destruction des autres règles générales du droit

international. Au cours de la procédure de l'article 100 al. 2 LF, les chambres qui composent le

Parlement – le Bundestag et le Bundesrat – ainsi que le gouvernement fédéral bénéficient de l'occasion

d'exprimer leur position quant à la positivité de la règle générale du droit international en question, ou

d'une norme internationale qui lui est connexe, et ce, en adhérant à la procédure en toute situation.

310 ZaöRV 1996, pp. 471-472 : « Das Bundesverwaltungsgericht folgte der These der Kläger nicht, wonach ein auf Bürgerkriegsflüchtlinge erweiterter Flüchtlingsbegriff eine bereits vorhandene allgemeine Regel des Völkerrechts i.S.v. Art. 25 Satz 1 GG darstelle. Das Bundesverwaltungsgericht sah nicht genötigt, dem Bundesverfassungsgericht diese Frage gemäß Art. 100 abs. 2 GG vorzulegen, da es nicht zweifelhaft sei, dass es eine von der überwiegenden Mehrheit aller Staaten als rechtsverbindlich anerkannte allgemeine Regeln, welche die Abschiebung von Bürgerkriegsflüchtlingen verbiete, nicht gebe. »311 cf. inter alia : Matthias Ruffert, « Der Entscheidungsmaßstab im Normenverifikationsverfahren nach Art. 100 Abs. 2 GG », JZ 2001, p. 633 et svtes.

157

Les décisions prises par la Cour constitutionnelle fédérale sur le fondement de l'article 100 al. 2 LF

s'imposent dans le cadre du litige en cours, puis sont dotées en leur dispositif d'une simple force

législative (art. 31 al. 2 de la Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale). La Cour ne dispose donc pas de

la compétence de produire des normes relatives aux règles générales du droit international qui prévalent

sur les règles générales du droit international elles-mêmes

En droit allemand, la procédure spécifique de l’article 100 al. 2 LF oblige tout juge à procéder à une

identification du droit international général. En droit autrichien et en droit français, une telle procédure

centralisée n’a jamais été instituée, ce qui peut sans doute expliquer la pratique souvent hésitante des

juridictions en matière d'identification.

β. La décentralisation de l'identification en droit autrichien et en droit français

i. En droit autrichien, aucune centralisation procédurale ne s'oppose à une compétence de chaque

juridiction pour procéder à une identification propre du droit international. Les différentes juridictions

suprêmes – Cour constitutionnelle, Cour administrative, Cour suprême – participent donc dans leurs

domaines de compétences respectifs à l'identification du droit international, leurs appréciations à ce

propos n'étant de surcroît pas liantes, étant donné qu'elles n'appartiennent pas au dispositif des

décisions.

Aussi, l'exécutif constate parfois lui-même la validité de certaines coutumes internationales en vue

d'assurer leur application par les organes de l'État, juridictionnels ou non juridictionnels (notamment

administratifs). Avant l'entrée en vigueur des Conventions de Vienne relatives aux relations

diplomatiques et consulaires, le ministère des finances se référait ainsi au droit international coutumier,

et à l'art. 9 B-VG, en matière d'exemption d'impôt sur le revenu des membres des corps diplomatique

étrangers312. La compétence de l'exécutif demeure néanmoins limitée : la technique juridictionnelle de

renvoi au ministère fédéral des affaires étrangères pour un avis approprié s'avère en effet non conforme

au principe de la séparation des autorités judiciaires et administratives (art. 94 B-VG) 313, du moins s'il

en découle une obligation à destination du juge. C'est d'ailleurs sur ce fondement que l'article IX §3 de

la Loi introductive à la compétence juridictionnelle (Einführungsgesetz zur Jurisdiktionsnorm) du 1er

août 1895, qui contenait une obligation pesant sur le juge de renvoyer la question de sa propre

compétence au ministère fédéral de la justice en matière d'immunité des personnes, s'est vu annulé par

312 Décret du ministère fédéral des finances du 21 avril 1954, Zl 22/100, Journal officiel de l'administration financière autrichienne (Amtsblatt der österreichischen Finanzverwaltung) N° 88/1954, section 2 ; A propos de la ratification de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (BGBl N° 66/1966 et 67/1966), cf. le décret du ministère des finances du 19 mai 1968, Z. 254, 582-9 a 168, section 11.313 Cf. aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; cf. CEDH, 24 Novembre 1994, Beaumartin c. France : la technique de renvoi au gouvernement est contraire à l'article 6 §1.

158

la Cour constitutionnelle dans une décision du 14 octobre 1970314.

ii. La solution française est proche de la solution autrichienne : en raison de l'absence de spécifications

procédurales relatives à la fonction d'identification du droit international, chaque juridiction française

est habilitée à y procéder. Cette habilitation trouvait autrefois ses limites dans la compétence de l'organe

exécutif, traditionnellement titulaire – en tant qu'«organe extérieur» – d'une compétence propre en la

matière315. En ce qui concerne le droit international conventionnel, la solution ancienne consistait ainsi

dans la procédure du renvoi au gouvernement ; le juge était en effet tenu de renvoyer au ministère des

affaires étrangères toutes les questions relatives à la validité et à l'interprétation des traités

internationaux316. Le droit international général n'a cependant jamais fait l'objet d'une telle procédure, ni

par le passé317, ni actuellement318.

La procédure de l'article 100 al. 2 LF a conduit au développement de tout un corpus jurisprudentiel

relatif à l'identification du droit international général. Ce phénomène ne s'est pas étendu à l'Autriche et

à la France, où le travail de recherche effectué par les juridictions ne prend apparemment pas une telle

ampleur319.

314 VfSlg. 6278.315 Pour la justification de la procédure de renvoi ministériel, cf. notamment, Louis Dubouis, « Le juge administratif français et les règles de droit international », AFDI, 1971, pp. 9-60, plus particulièrement pp. 37-43.316 En matière de droit international conventionnel, la fonction d’identification relevait parfois de la compétence du gouvernement – et plus particulièrement du ministre des affaires étrangères – que les juridictions saisissaient alors par une procédure de renvoi (CE, 23 juillet 1823, Dame veuve Murat, Rec, p. 544 ; 3 sept. 1823, Rougemont, Rec, p. 675). Telle a été la pratique du Conseil d’État en matière d’interprétation des traités jusqu’à la jurisprudence GISTI (C.E., Ass. 29 juin 1990, GISTI ; cf. Marie-France Buffet-Tchakaloff, « L'interprétation des traités internationaux par le Conseil d'État », RGDIP, 1991, pp. 109-124). En l'état actuel de la jurisprudence administrative, le Conseil d’État n’exclut toujours pas la possibilité de solliciter l’avis du ministère des affaires étrangères, sans toutefois pour autant s'estimer lié par celui-ci. De même, la procédure de renvoi au gouvernement a existé en matière de contrôle de la régularité et de la « ratification d’un traité ou de l’approbation d’un accord » jusqu’à la jurisprudence Sarl du parc d’activités de Blotzheim du 28 décembre 1998 (Leb. p. 494, concl. Bachelier). Cette jurisprudence ancienne du Conseil d’État s'appuyait sur la distinction entre l’existence de la ratification et sa régularité. La juridiction administrative suprême se réservait certes le droit de contrôler la matérialité de la ratification, mais elle assimilait la ratification (ou l’approbation) à un acte de gouvernement qui échappe entièrement à tout contrôle de fond (CE, 5 février 1926, Dame Caraco, D. 1927.3.1. ; 16 novembre 1956, Villa, Leb. p. 433 ; 3 mars 1961, André et Société « Nicolas Caïmant », Leb. p. 154).317 L'absence d'une telle pratique tient, entre autres, à la confirmation tardive par le Conseil d'État de l'applicabilité de principe de ces normes dans le cadre du contentieux administratif, dans la période même où la procédure de renvoi au ministère des affaires étrangères décline en matière de traités internationaux. Aussi, un renvoi du juge administratif au gouvernement afin de vérifier qu'il s’estime lié par telle ou telle norme internationale n'aurait pas nécessairement été cohérent : en matière de droit international non conventionnel, le juge administratif n'est pas lié par une réglementation constitutionnelle attribuant une large compétence discrétionnaire à l'exécutif, comme celle régissant le domaine des traités internationaux (articles 52 à 55). Alors qu'en matière de traités internationaux, le juge interne ne s'estime traditionnellement pas compétent pour s'immiscer dans la sphère de compétence constitutionnellement réservée à l'exécutif, aucune répartition des compétences de cette sorte n'est relevable en matière de droit international général.318 Cf. notamment CE, 6 juillet 1997, Aquarone : « qu’ainsi en écartant comme inopérant le moyen tiré, par M. Aquarone, de la contrariété entre la loi fiscale française et [la coutume internationale], la Cour administrative d’appel avait relevé que la coutume internationale invoquée n’existait pas, n’a pas commis d’erreur de droit. ».319 Cf. par exemple, en droit français : CE, 22 novembre 1957, Myrtoon Steamship et Cie, D., 1958 p. 10. Le travail d'identification concernant l'angarie, c'est-à-dire du droit supposé pour une nation en guerre de réquisitionner des navires neutres dans ses eaux territoriales. est surtout réalisé par le Commissaire du gouvernement Claude Heumann dans ses conclusions, non dans le texte même de la décision.

159

2. Les critères d'identification

En l’absence de formalités d'insertion des normes internationales non écrites dans le système juridique

interne (publication au Journal officiel, procédure de transformation ad hoc ou tout autre acte interne),

il appartient aux organes internes de rechercher leurs critères320 d'identification dans les seuls critères

employés dans la pratique internationale, ce afin de vérifier leur validité internationale321.

Et cette pratique internationale n'est pas uniformisée. Les organes internationaux, entre autres

juridictionnels, recourent certes à quelques critères privilégiés, mais le droit international ne contient

pas pour autant des «critères normatifs», c'est-à-dire obligatoires. Il s'ensuit que l'élaboration des

instruments qui servent à identifier le droit international coutumier relève de la seule compétence des

organes d'application du droit. Le droit international manque d'organes centralisés et le contenu

normatif d'un système juridique aussi diffus n'est évaluable qu'à l'aide de critères très empiriques 322. Cet

état des choses demeure souvent déploré par la doctrine, surtout lorsqu'elle le compare aux procédés

utilisés pour l'identification des normes appartenant à un système juridique structuré de manière

fortement centralisé323.

Les organes d'application du droit international se trouvent ainsi amenés à produire des critères

d'identification propres pour chaque cas particulier. Les difficultés qui se présentent se distinguent tant

qualitativement que quantitativement de celles qui peuvent surgir à l'occasion du processus

d'identification des normes internes. Qualitativement : en droit interne, les difficultés d'identification

dans un cas concret ne portent pas principalement sur la norme elle-même, puisqu'elle est pré-donnée,

mais concernent surtout l'état de fait et sa qualification juridique ; en droit international coutumier,

l'identification du contenu même des normes soulève des difficultés, mais la qualification d'un état de

fait donné apparaît facilitée par la forte articulation entre la norme coutumière et le comportement

factuel en question. La différence quantitative découle de la masse d'informations que doit traiter un

320 Remarque terminologique : le «critère» est un instrument cognitif d'identification d'un objet, comme l'existence d'une norme, tandis que la «condition» est un élément normatif obligatoire pour l'existence d'une norme, telle la praxis qui constitue une des conditions de l'existence d'une coutume. A propos de cette distinction, cf. supra : « introduction générale ».321 Maarten Bos, op. cit. note 275.322 Otto Pfersmann, op. cit. note 276 ; Anthea Elizabeth Roberts, op. cit. note 283. Cf. aussi : Daniel Patrick O'Connell, International Law, vol. I, Stevens, Londres, 1965, 1434 p., pp. 15-20.323 Une grande partie de la doctrine, tout particulièrement celle qui se prononce pour une «constitutionnalisation» du droit international, soutient que ce problème d'identification du contenu du droit international coutumier doit être résolu par la formation en droit international d'une sécurité juridique comparable à celle garantie par la forme d'État de droit caractérisant les systèmes juridiques d'Europe occidentale. Une telle mission est notamment attribuée à l'ONU par l'art. 13 § 1 (a) de la Charte, sur le fondement duquel la Commission de droit international fut instituée. Néanmoins, de grandes incertitudes relatives aux critères d'identification du droit international persistent, qui tiennent entre autres aux fortes différences idéologiques qui marquent encore les relations internationales ainsi que la doctrine spécialiste du droit international, en particulier en ce qui concerne la question de la souveraineté de l'État.

160

organe d'application du droit en vue d'identifier une norme internationale coutumière. La célèbre

décision Paquete Habana, The Lola324 (1900) en offre une illustration : la Cour suprême des États-Unis

cherche en l'espèce à vérifier la positivité et le contenu d'une coutume internationale qui interdit à l'État

belligérant d'exercer son droit de prise sur les navires de pêche côtiers d'une certaine taille d'un autre

État en guerre. A cette fin, la Cour suprême se livre à une analyse de la pratique des États depuis le XVe

siècle, ainsi que des décisions de la France, de la Hollande, de la Grande-Bretagne, de la Prusse, du

Japon et des États-Unis en la matière. Le cercle des États souverains s'est considérablement étendu

depuis l'affaire Paquete Habana, The Lola, et il s'ensuit que, eu égard à la quantité d'informations325,

l'opération d'identification du contenu du droit international coutumier, et surtout de ses normes

universelles326, a continué de se complexifier. En outre, à la relative homogénéité idéologique des États

au XIXe siècle succède un pluralisme idéologique (libéralisme, protectionnisme, socialisme, tiers-

mondisme, islamisme), il est vrai certainement modéré par le processus de globalisation 327. La

prolifération des sujets du droit international ne constitue pas le seul facteur de l'accroissement de la

masse d'informations ; y contribue aussi la pratique de chaque État de documenter de manière de plus

en plus détaillée son comportement dans la sphère internationale328. Pour toutes ces raisons, la

possibilité même de prouver la positivité d'une coutume internationale rencontre le scepticisme d'une

partie de la doctrine. Feu Hermann Mosler et le Professeur Karl Zemanek critiquent ainsi l'institution

même de la procédure spéciale de l'article 100 al. 2 LF qui vise à constater la validité et la substance du

droit international coutumier329.

La pratique ne confirme toutefois pas l'appréhension des auteurs. La procédure de l'article 100 al. 2 LF

semble tout de même avoir contribué à l'élaboration en Allemagne d'un ensemble de critères

relativement performants en vue d'identifier le droit international coutumier (a), et les cas autrichien et

français renforcent, par la négative, cette impression (b).

324 The Paquete Habana, 175 U.S. 677, 686 (1900).325 Hersch Lauterpacht, The Development of International Law by the International Court, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, 430 p., p. 370 ; Volker Röben, « Proliferation of Actors », in : Rüdinger Wolfrum, Volker Röben (eds), Developments of International Law in Treaty Making, Springer, Berlin/Heidelberg/New York, 2005, 632 p., pp. 511-536.326 Il n'est généralement pas nécessaire de prouver la validité universelle d'une coutume internationale, mais uniquement sa valeur dans une sphère délimitée.327 Roozbeh (Rudy) B. Baker, « Customary International Law in the 21st Century : Old Challenges and New Debates », EJIL, vol. 21, 2010, pp. 173-204. 328 Karl Zemanek, « Die Bedeutung der Kodifizierung des Völkerrechtes für seine Anwendung », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich/Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 565-596, p. 570 ; Georges Abi-Saab, « La coutume dans tous ses États ou le dilemme du développement du droit international général dans un monde éclaté », Le droit international à l’heure de sa codification, Etudes en l’honneur de Roberto Ago, 4 volumes, volume 1, Giuffrè, Milan, 1987, 604 p., pp. 53-65.329 Hermann Mosler, « L'application du droit international public par les tribunaux nationaux », RCADI, vol. 91, 1957, pp. 619-711, p. 700 ; Karl Zemanek, ibid., p. 573.

161

a. L'uniformisation des critères d'identification dans la pratique allemande

α. Une identification fondée sur les critères du droit international

Par contraste avec la pratique de la « reconnaissance » par le Reich allemand sous l'ancienne

République de Weimar, les critères issus de la sphère internationale sont devenus les seuls appropriés en

matière de production, de modification, de transformation330 ou de destruction d’une règle générale du

droit international. La détermination de ces critères n'appartient aucunement à la sphère de compétence

de la Loi fondamentale, mais au droit international lui-même, puisque l’article 25 LF est supposé

réceptionner les règles générales du droit international en la consistance propre qui leur est attribuée par

le droit international331.

Ainsi en va-t-il des règles générales du droit international dont la forme normative internationale est

celle de « coutume internationale ». La Cour constitutionnelle fédérale fait observer que ces normes

sont « formées par une pratique générale et consolidée des États [praxis], avec la conviction juridique

qu'ils sont obligés par le droit international de faire ainsi [opinio juris]332 ». Et elle précise que : « ni

l'exercice permanent de la pratique étatique, ni la condition préalable subjective de la conviction

juridique ne doivent être remplis par tous les États. Il suffit que ces deux critères soient présents chez la

grande majorité représentative des États concernés par le contenu de ces règles, c'est-à-dire qui sont en

situation de prendre part de manière égale à la pratique justificative. »333

La Cour constitutionnelle fédérale, qui emprunte évidemment sa méthode d'identification des coutumes

internationales à la pratique internationale, l'affine encore334, avec pour objectif d'obtenir un résultat au

plus proche possible de l'état du droit international :

La jurisprudence de la Cour tend à s'appuyer sur les principes du droit international en matière

de formation du droit international coutumier, plutôt que sur une conception autonome et propre des

«règles générales du droit international». Ainsi, elle suivra les évolutions parfois complexes du principe

relatif à la durée de formation de la coutume internationale, qui se module en fonction des

circonstances, ou du principe déterminant le poids réciproque de la praxis et de l'opinio juris335.

330 On distinguera dans ce contexte la «modification» de la «transformation» : la «modification» concerne le contenu de la norme, tandis que la «transformation» concerne sa forme (par exemple, une coutume est transformée en traité par l'entrée en vigueur de ce dernier la codifiant).331 BVerfGE 18, p. 440 sqs. (448) ; 46, p. 342 sqs. (363, 403).332 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (367).333 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (35) ; 46, p. 342 sqs. (367).334 La conception annoncée par la Cour constitutionnelle fédérale de la «pratique» et de l'«opinio juris» dans l'arrêt précédemment cité paraît beaucoup moins complexe que celle valable en l'état du droit international. En effet, l a pratique requise est beaucoup moins univoque dans la sphère du droit international que ce que prétend la Cour (cf. infra, « la coutume ») et l'opinio juris pose certaines difficultés, car il serait dans certains circonstances permis de former des coutumes par violation de la lex lata (cf. infra. : « ex injuria jus non oritur »).335 Cf. la décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 6 décembre 2006 (BVerfG, 2 BvM 9/03) : « Eine allgemeine Regel des Völkergewohnheitsrechts ist eine Regel, die von einer gefestigten Praxis zahlreicher, aber nicht notwendigerweise aller Staaten (usus) in der Überzeugung einer völkerrechtlichen Verpflichtung (opinio juris sive necessitatis) getragen wird (vgl. Art. 38 Abs. 1 <b> des Statuts des Internationalen Gerichtshofs, BGBl II 1973 S. 503 ff.; BVerfGE 46, 342 <367>; 96, 68 <86 f.> m.w.N.). Das Element der Rechtsüberzeugung dient dazu, zwischen einer

162

La Cour s'intéresse aussi de plus en plus aux normes internationales qui ne consistent pas

formellement en des « coutumes »336. Les critères de la coutume (praxis et opinio juris) ne s'étendent en

effet assurément pas aux principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, ni même au ius

cogens, dont le mode de formation se distingue de la simple coutume en raison de la prévalence de

l'opinio juris sur la pratique.

β. La question de l'objecteur persistant

La Cour constitutionnelle fédérale souligne que la participation de la République fédérale d'Allemagne

à la Communauté internationale continue de conditionner la production, la modification ainsi que la

transformation des normes internationales bénéficiant d'une sphère de validité universelle 337. Et cela

n'est nullement problématique eu égard au contenu de l'article 25 LF : une telle compétence de

l'Allemagne ne trouve en effet pas son fondement dans d'éventuelles conditions propres déterminées par

le droit allemand, mais découle de la structure même du droit international en tant qu’ordre de

coordination de l’égale souveraineté des États. Il en va d'ailleurs de même en matière de coutume

particulière, pour autant que la République fédérale d'Allemagne fasse partie du cercle potentiel des

destinataires.

En droit international – et tel que celui-ci est appliqué par les organes allemands – un État seul ne

dispose généralement pas de la compétence d'empêcher la formation ou la transformation d’une règle

générale du droit international. En revanche, il demeure en principe autorisé à ne pas se lier à une

norme de cette sorte, et cela par un comportement d'objecteur persistant338, c'est-à-dire en manifestant

Praxis, die lediglich auf courtoisie beruht, und einer Rechtsregel zu unterscheiden. Bei der Ermittlung der Staatenpraxis ist auf das völkerrechtlich erhebliche Verhalten derjenigen Staatsorgane abzustellen, die kraft Völkerrechts oder kraft innerstaatlichen Rechts dazu berufen sind, den Staat im völkerrechtlichen Verkehr zu repräsentieren. Daneben kann sich eine solche Praxis aber auch in den Akten anderer Staatsorgane wie des Gesetzgebers oder der nationalen Gerichte bekunden, soweit ihr Verhalten unmittelbar völkerrechtlich erheblich ist (vgl. BVerfGE 46, 342 <367>). Dies gilt für Entscheidungen von Gerichten zumal dort, wo, wie im Bereich der gerichtlichen Immunität fremder Staaten, das innerstaatliche Recht den nationalen Gerichten die unmittelbare Anwendung von Völkerrecht gestattet (vgl.BVerfGE 46, 342 <367 f.>). Grundsätzlich allerdings sind richterliche Entscheidungen, wie auch die völkerrechtlichen Lehrmeinungen, als Hilfsmittel für die Ermittlung von Völkergewohnheitsrecht heranzuziehen (Art. 38 Abs. 1 <d> des Statuts des Internationalen Gerichtshofs; vgl. auch BVerfGE 96, 68 <87>) ». 336 BVerfGE 46, p. 342 ; cf. aussi la décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 6 décembre 2006 (BVerfG, 2 BvM 9/03) : « Allgemeine Regeln des Völkerrechts sind Regeln des universell geltenden Völkergewohnheitsrechts, ergänzt durch aus den nationalen Rechtsordnungen tradierte allgemeine Rechtsgrundsätze (vgl. BVerfGE 15, 25 <32 ff.>; 16, 27 <33>; 23, 288 <317>; 94, 315 <328>; 96, 68 <86>). Ob eine Regel eine solche des Völkergewohnheitsrechts ist oder ob es sich um einen allgemeinen Rechtsgrundsatz handelt, ergibt sich aus dem Völkerrecht selbst, welches die Kriterien für die Völkerrechtsquellen vorgibt ». Cf. infra, « les normes applicables selon leur forme normative de droit international ». 337 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (344, 402).338 En droit international : C.I.J., Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes, 18 décembre 1951, Rec. p. 116 ; application par le droit interne : BVerfGE 36, 342 sqs. (389). Cf. Jonathan I. Charney, « The Persistent Objector Rule and the Development of International Law », BYIL, vol. 56, 1985, pp. 1-24 ; David A. Colson, « How Persistent Must the Persistent Objector Be ? », Washington Law Review, vol. 61, 1986, p. 967 et svtes ; Pierre-Marie Dupuy, « A propos de l’opposabilité de la coutume générale : enquête brève sur l’objecteur persistant », in : Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Mélanges Michel Virally, A. Pedone, Paris, 1991, 511 p., pp. 257-272.

163

de manière claire et constante son opposition à la norme en question dans le laps de temps pendant

lequel elle se forme ou est transformée. L’article 25 LF n’interdit aucunement à la République fédérale

d'Allemagne d’adopter une telle attitude et ne l'oblige pas non plus en principe à se lier à une norme

internationale sans ou contre sa volonté. Il appartient ainsi aux organes internes d'application du droit de

vérifier que l'État allemand n'a pas manifesté un comportement d'objecteur persistant lors de la

formation d'une coutume internationale supposée lui être opposable.

b. La non-application du droit international général justifiée par les difficultés relatives à sa

connaissance : les pratiques autrichienne et française

Pour la doctrine, à quelques exceptions près339, les difficultés relatives à l'identification du droit

international général ne suppriment pas l'obligation constitutionnelle à charge des organes internes d'en

rechercher le contenu et de les appliquer. En effet, aucun principe n'autorise les organes internes à

écarter l'application d'une disposition constitutionnelle en raison d'un manque de connaissance, d'autant

plus qu'il est ici dans une large mesure possible de le combler.

En revanche, on argüe souvent du manque de connaissance du droit international général pour justifier

la pratique des organes internes de ne pas suffisamment motiver ses décisions en la matière, voire de

passer outre. Cela vaut aussi bien concernant la pratique autrichienne que française :

i. Le Professeur Manfred Rotter constate que même certains organes autrichiens disposant de moyens de

recherche élevés, telles la Cour constitutionnelle340 et la Cour administrative341, se bornent – surtout par

le passé342 – à faire des références à l'ouvrage classique de droit international d'Alfred Verdross (1964)343

en tant que source juridique344. Il est vrai que, parmi les juridictions, seule la Cour suprême procède à

une exploitation plus approfondie des sources de droit international345.

339 Manfred Rotter, op. cit. note 22, spécialement pp. 31-41. Le Professeur Manfred Rotter affirme que l'impossibilité pour les organes internes d'identifier le contenu du droit international coutumier vide de sens l'obligation constitutionnelle à charge des organes internes de l'appliquer. L'auteur conclut que, pour que l'article 9 B-VG devienne opérationnel, il faudrait confier l'identification du droit international général à un organe central, à l'instar d'un sénat propre à la Cour constitutionnelle pour les questions de droit international.340 Cf. par exemple, la décision de la Cour constitutionnelle du 15 octobre 1966 (Slg. 5382). 341 Cf. par exemple : VwSlg. 3212 (F)/1965. Cf. aussi, antérieurement, les décisions du 28 février 1962, Zl. 535/68 ; 6 février 1964, Zl. 262/1963.342 Plus récemment, en vue d'identifier le principe de droit fiscal international selon lequel l'État n'est compétent que pour imposer les faits avec lesquels il a une relation suffisamment étroite, la Cour constitutionnelle (G15/98 V9/98) se réfère dans une décision du 17 décembre 1998 à : Klaus Vogel, Doppelbesteuerungsabkommen – Kommentar, 3ème édition, C.H. Beck, Munich, 1996 ; Harald Schaumburg, Internationales Steuerrecht, O. Schmidt, Cologne, 1993, 911 p. ; Klaus Tipke, Joachim Lang, Steuerrecht, 16ème édition, Otto Schmidt, Cologne, 1998 ainsi qu'à Werner Doralt, Georg Ruppe, Grundriß des österreichischen Steuerrechts, II, 3ème éd., Manz, Vienne, 1996, 340 p.343 L'édition la plus récente est : Alfred Verdross, Völkerrecht, 5ème édition, Vienne, 1964, 690 p.344 Manfred Rotter, op. cit. note 22, spécialement p. 39.345 Par exemple : SZ 143/1950, SZ 226/1965. A propos de SZ 114/1948, SZ 226/1965, cf. notamment la critique thématique de : Ignaz Seidl-Hohenveldern, Internationales Konfiskations- und Enteignungsrecht, Walter de Gruyter / J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Berlin/Tübingen, 1952, 211 p.

164

Partant de l'observation de la pratique des juridictions autrichiennes, Heribert Franz Köck remarque que

l'identification du contenu du droit international selon les critères du droit international se réalise

pourtant couramment, avec certes plus ou moins de difficultés, par les organes internationaux ainsi que

par certaines juridictions étrangères346. Cette critique trouve aussi sans doute à s'appliquer au cas

français :

ii. Dans la pratique des organes internes français, l'absence de formalités annonçant l'entrée en vigueur

des normes internationales non écrites – elles ne sont en principe ni ratifiées, ni même publiées dans le

Journal officiel – heurte la tradition de l'écrit des organes internes, partagée par les juridictions 347. Par

contraste, les formalités d'insertion constituent une condition minimale de l'applicabilité interne des

traités, que le juge a d'ailleurs la compétence de relever d'office348. On pourra d'ailleurs remarquer que le

juge français tend à davantage appliquer la coutume internationale lorsqu'elle est incorporée dans une

convention de codification, même non transformée en traité international ou valide en tant que traité

auquel la France n'est pas partie349, que lorsqu'elle est seulement signalée par la doctrine spécialiste du

droit international.

Pour illustrer ce qui vient d'être dit, le Conseil d'État ne justifie ainsi pas suffisamment sa position

lorsqu'il considère exclu l'applicabilité interne de la Déclaration universelle des droits de l'homme au

motif qu'elle n'a pas été ratifiée et que sa publication au Journal officiel ne compense pas cette carence350. D'autres juridictions étrangères, dont la Cour constitutionnelle fédérale allemande, admettent une

consistance coutumière au moins partielle du contenu de la Déclaration universelle des droits de

l'homme, qui justifie une applicabilité interne spécifique351.

Le travail d'identification opéré par les juridictions françaises s'accroît néanmoins depuis que l'ensemble

des juridictions suprêmes s'accordent quant à son applicabilité interne de principe, soit depuis le début

de la décennie 1990352. On trouvera toutefois la démarche d'identification exposée dans les conclusions

346 Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement pp. 748-749.347 Aucune condition relative aux instruments de publication n'est expressément prévu par la Constitution française en matière de droit international général. Les normes internationales non conventionnelles sont appliquées par les organes français soit immédiatement, soit sur le fondement de l'alinéa 14 qui ne pose aucune formalité en préalable – à l'opposé l’article 55 de la Constitution. Cf. André Gervais, « Constatations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », AFDI, 1965, pp. 13-39, spécialement p. 25 et p. 33.348 L'article 55 de la Constitution fait référence aux traités et accords « régulièrement ratifiés ou approuvés » et précise de plus que leur suprématie sur la loi n'est acquise que « dès leur publication ».349 Le cas de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 en offre une illustration. La France n'y est pas partie mais les juridictions internes l'appliquent en grande partie sous une forme coutumière.350 CE 18 avril 1961, Elections de Nolay p. 189 ; confirmé par CE 23 nov. 1984, Roujanski et autres, p. 384, RGDIP 1987-2, Chron. Rousseau.351 BVerfGE 31, p. 229 — Schulbuchprivileg : « Nach Art. 27 der allgemeinen Erklärung der Menschenrechte der Vereinten Nationen vom 10. Dezember 1948 hätten die Urheber einen Anspruch darauf, daß ihre Vermögensinteressen aus literarischer oder künstlerischer Urheberschaft geschützt würden. Es handle sich hierbei um eine allgemeine Regel des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 GG. »352 La Cour de cassation applique traditionnellement, et de manière claire, les normes internationales non écrites. Les décisions Aquarone du Conseil d'État et Maastricht I du Conseil constitutionnel marquent ensuite l'évolution de la jurisprudence en la matière.

165

du rapporteur public devant le Conseil d'État353 (anciennement commissaire du gouvernement) ou dans

l'avis de l'avocat général à la Cour de cassation, et non dans le texte même de la décision.

Pour conclure sur les difficultés d'identification du droit international général, plusieurs observations

peuvent être avancées :

Il est certain que le processus d'identification des normes se trouve en relation avec leur

application. Trivialement, seule une certaine connaissance de la norme par les organes amenés à

l'appliquer rend son application possible. La doctrine constate souvent qu'un des principaux facteurs de

la non-application du droit international par les organes internes réside dans leur manque de

connaissance quant à son contenu. La résolution de Milan du 7 septembre 1993 de l'Institut de droit

international relative à « L'activité du juge interne et les relations internationales de l'État » contient en

ce sens le considérant suivant (n°4) : « aux fins d'une application correcte du droit international au sein

de chaque État selon les méthodes d'interprétation propres à ce droit, il convient de renforcer

l'indépendance des juridictions nationales à l'égard du pouvoir exécutif et de favoriser une meilleure

connaissance du droit international par ces mêmes juridictions.[mes italiques]354. »

De la comparaison entre les solutions nationales ressort que la connaissance du droit

international peut résulter de démarches institutionnelles différentes : contentieux juridictionnel spécial

de l'identification, procédure de renvoi au ministère des affaires étrangères, simple analyse de l'état du

droit international par les organes internes. Aussi, dans la pratique, les organes internes appliquent

souvent par habitus les principes généraux du droit international, c'est-à-dire sans procéder à une

analyse de l'état du droit international positif dans chaque cas, et parfois même sans s'y référer ; il en va

par exemple ainsi en matière de délimitation des frontières, d'immunité de juridiction de l'État étranger,

de règles relatives à la nationalité....

Il n'est pas exclu que des conséquences juridiques soient attachées aux incertitudes quant à la

positivité et au contenu exact des normes internationales. Elles pourront par exemple justifier en

certaines circonstances, lorsqu'un certain seuil se trouve en l'espèce atteint, que le contrôle de

conformité opéré par rapport à ces normes soit restreint, voire nul355.

353 Cf. par exemple l'analyse de la praxis et de l'opinio juris pour une supposée coutume internationale prévoyant l'exonération fiscale des pensions des fonctionnaires internationaux : Gilles Bachelier, Conclusions sur Conseil d'État, Assemblée, 6 juin 1997, M. Aquarone.354 Cf. Benedetto Conforti (rapporteur), « L'activité du juge interne et les relations internationales de l'État (Neuvième Commission) », Annuaire de I'Institut de droit international, vol. 65, tome 1, 1993, pp. 327-448 ; tome 3, p. 220 et svtes.Pour un aperçu critique de cette résolution : Eyal Benveniste, « Judges and Foreign Affairs ; A Comment on the Institut de Droit International's Resolution on « The Activities of National Courts and the International Relations of their State » », EJIL, vol. 5, 1994, p. 423 et svtes. Selon le Professeur Eyal Benveniste, le facteur principal de la non-application du droit international par le juge interne n'est pas la connaissance insuffisante de celui-ci, mais la structure du juge interne qui défend prioritairement les intérêts nationaux.355 Cf. par exemple : C.J.C.E., 16 juin 1998, Racke GmbH & Co, C-162/96, Rec. p. I-3655, § 57 : « en raison de la complexité des règles en cause et de l'imprécision de certaines notions auxquelles elles se réfèrent, le contrôle judiciaire

166

Toutes les normes internationales ne sont pas transposées en droit interne par les dispositions

constitutionnelles de l'article 25 LF, 9 B-VG et de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946.

En effet, ces dispositions constitutionnelles ne visent qu'un ensemble plus ou moins déterminé de

normes internationales, créant par là dans le cadre du droit interne une forme normative sui generis, qui

ne correspond ni à la totalité du droit international, ni à une catégorie de normes propre au droit

international (coutumes, principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, ius cogens...).

La spécification d'un certain ensemble de normes internationales par chaque disposition

constitutionnelle nationale s'analyse comme une condition de leur transposition interne.

II. Les conditions de l'applicabilité du droit international général

Les dispositions constitutionnelles autrichienne, allemande et française ne visent pas l'ensemble des

normes appartenant au droit international, mais uniquement celles constitutionnellement définies.

Les normes internationales transposées par l'article 9 B-VG et l'article 25 LF se dénomment «règles

généralement reconnues du droit international» et «règles générales du droit international». Si ces

formulations trouvent leur origine dans la terminologie du droit international, le droit interne n'en

conserve pas moins toute latitude pour faire référence ou non à de telles notions internationales.

Surtout, les dispositions constitutionnelles de l'article 9 B-VG et de l'article 25 LF créent une forme

normative interne propre, qui ne correspond à aucune forme normative déterminée du droit

international. En effet, les expressions de «règles généralement reconnues du droit international» et de

«règles générales du droit international» ne renvoient à aucune forme normative internationale, tels le

« traité » ou la « coutume », mais visent un certain ensemble de normes d'ailleurs assez vaguement

défini.

L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 renvoie, quant à lui, aux «règles du droit public

international». La formulation «règles du droit public international» caractérise la Constitution

doit nécessairement, en particulier dans le cadre d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, se limiter au point de savoir si le Conseil [en produisant l'acte dérivé en question] a commis des erreurs d'appréciation manifestes quant aux conditions d'application de ces règles »

167

française, elle n'est nulle part ailleurs relevable, et son adoption au lendemain de la Seconde guerre

mondiale résulte d'une position idéologique du constituant.

L'applicabilité interne des normes internationales est constitutionnellement conditionnée, à la fois

formellement (A) et matériellement (B).

A. Les conditions relatives à la forme normative de droit international

Les formulations nationales divergent certes («règles généralement reconnues du droit international»,

«règles générales du droit international», «règles du droit public international»), mais elles désignent

grosso modo les mêmes formes normatives internationales, tant négativement (1) que positivement (2).

1. Les normes exclues : traités internationaux, actes unilatéraux des organisations internationales et des

États, cas particulier des relations interfédérales, précisions relatives à l’usage du terme «public» dans

l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946

Les normes internationales exclues de la sphère d'application de l'article 9 B-VG, de l'article 25 LF et

de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 comprennent les normes écrites – entres autres

les traités – et certaines normes non écrites découlant d'un droit international particulier, à l'instar de

celui de l'Union européenne. L'exclusion ne se justifie parfois pas tant par la nature même de la norme

internationale en question (si l'on prend l'expression «règles générales du droit international»

littéralement, certains traités international pourraient être concernés), que par le principe lex specialis356.

La règle lex specialis derogat legi generali, principe constitutionnel commun aux différents systèmes

juridiques nationaux, écarte en effet l'application d'une norme plus générale si une norme plus spéciale

réglemente la même matière. Or, les réglementations constitutionnelles spéciales relatives aux traités

internationaux ou au droit originaire et dérivé des organisations internationales occupent la situation de

lex specialis par rapport à la disposition constitutionnelle plus générale qui concerne le droit

international général.

Se trouvent ainsi exclus : les traités internationaux (β), les actes unilatéraux des organisations

internationales (γ), les actes unilatéraux des États (δ.), les normes organisant les relations interfédérales

dans les États fédéraux (Allemagne et Autriche) (ε.). Aussi, il semblerait que l'alinéa 14 du Préambule

356 Dans le cas où il n'y a pas de collision entre la norme constitutionnelle générale relative au droit international et les réglementations constitutionnelles spéciales relatives au droit international particulier (traités internationaux, organisations internationales, etc.), la norme constitutionnelle générale est plus ou moins directement applicable à l'ensemble des normes internationales particulières (cf. infra. : « la relation entre règles générales du droit international et traités »).

168

de la Constitution de 1946 exclut expressément de sa sphère d'application les normes relevant du

domaine du «droit privé international» (α.).

α. L'opposition entre «droit public» et «droit privé» implicitement contenue dans l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946

A l'opposé de l'article 9 B-VG ou de l'article 25 LF, les normes auxquelles renvoient l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 sont les normes du «droit public international», et non

globalement les normes du «droit international»357. De la sorte, l'alinéa 14 semble introduire une

différenciation entre normes du « droit public international » et normes du « droit privé international » :

i. La notion de «droit public international» dans l'alinéa 14

La terminologie juridique française assimile habituellement la formule de «droit public international» à

celle de «droit international public». Ceci dit, en optant pour la formule «droit public international», les

rédacteurs du texte de l'alinéa 14 ont peut-être poursuivi l'objectif d'y intégrer un contenu idéologique

spécifique. L'idéologie politique et juridique française moderne insiste en effet traditionnellement, et

presque toutes tendances confondues, sur l'idée d'une séparation entre une sphère publique et une sphère

privée358.

357 La traduction officielle de la Loi fondamentale allemande a ajouté l’adjectif « public » aux «règles générales du droit international». Un tel ajout paraît contestable, l’expression de la Loi fondamentale étant «Völkerrecht» qui renvoie au droit international en son ensemble. La doctrine autrichienne affirme clairement, à propos de l'article 9 B-VG, que le terme « Völkerrecht » renvoie aussi au droit international réglementant la matière privée. Rudolf Aladár Metall dit dès 1921 que : « dürfen wir den Ausdruck "Völkerrecht" im art. 4 [WRV], art. 9 [B-VG] in seinem weitesten Sinn, dem des droit international public und privé verstehen. Gerade für Österreich, dessen internationales Privatrecht und internationales Verwaltungsrecht leider sehr im Argen sind, kann es von grossem Wert sein, durch extensive Auslegung des Art. 9 [B-VG] wenigstens für die Grundzüge seines internationalen Privat- und Verwaltungsrechtes, aber auch seines internationalen Straf- und Prozessrechtes eine rechtliche Grundlage zu schaffen » ; cf. op. cit. note 22, spécialement p. 172.358 La pensée politique et juridique française post-révolutionnaire a élaboré des constructions théoriques surévaluant largement la distinction entre «public» et «privé».La distinction entre le «public» et le «privé» est une donnée normative interne à un système juridique, et n’apparaît nullement comme une nécessité – ni sociale, ni normative. Le Professeur Michaël Stolleis constate ainsi l'absence de nécessité de la séparation entre public et privé, illustré par la situation juridique aux XVe et XVIe siècles : « Les sphères publique et privée, alors, n’étaient pas séparées. Il n’y avait pas de "querelle privée", car toute querelle était à la fois une affaire entre particuliers et une explication publique, dans et avec la collectivité. De même un fief acheté représentait pour son acquéreur un titre appréciable en argent, mais lui conférait en même temps une place dans la pyramide féodale, la macrostructure, en d’autres termes, qui formait en quelque sorte le cadre constitutionnel du monde féodal. La nécessité pour les contrats d’héritier féodaux d’être ratifiés par l’empereur illustre cet entrecroisement du "privé" et du "public". Le droit romain étant en principe partout applicable, il pénétrait de façon relativement égale les différentes sphères de la vie collective. Les premières formes d’institutions administratives et les organes de gouvernement n’y faisaient pas exception, bien au contraire : le droit romain y était particulièrement présent en tant que droit impérial (Kaiserliches Recht) avec son système de concepts clairs et partout compréhensibles » ; cf. Histoire du droit public en Allemagne, PUF, Paris, 1998, 654 p., p. 91. Une institution n’est «publique» que pour autant qu'un système juridique lui attribue cette qualité, à laquelle est attachée

169

A son encontre, le juriste Georges Scelle s'est constamment opposé à la distinction, selon lui par trop

radicale, entre «droit international public» et «droit international privé»359, au profit d'une subdivision

plus acceptable entre «droit privé international» et «droit public international». La conception théorique

de Georges Scelle se décompose ainsi : l'unité de la société internationale («civitas maxima»)

prédétermine l'unité du droit international ; dès lors, pour autant qu'il existe une division entre «droit

public» et «droit privé», ce ne peut être qu'à l'intérieur d'un droit international unitaire 360. De plus, le

droit international régit fondamentalement les relations entre individus, y compris la branche du droit

international relative aux relations entre gouvernements, dont la vocation ultime consiste en réalité à

faciliter les relations entre individus. Il s'ensuit qu'il apparaît artificiel de distinguer entre une branche

du droit international réglementant les relations entre gouvernements (le supposé «droit international

public») et une branche du droit international réglementant les relations entre individus (le supposé

«droit international privé»). Néanmoins, s'il est impropre de diviser le droit international selon une

sphère personnelle d'application (les gouvernements/les individus), une division selon la sphère

matérielle d'application reste envisageable («matière publique» correspondant au «droit public

international» / «matière privée» correspondant au «droit privé international»). Appréhendée de la sorte,

la formulation de «droit public international» adoptée par le Constituant de 1946 témoigne d'une

adhésion à la vision unitaire de la société internationale, mais aussi – par la négative – d'une volonté

d'exclure de la sphère d'application de l'alinéa 14 une subdivision de ce droit international total, en

l'occurrence le «droit privé international»361.

un certain ensemble d'effets normatifs (généralement, certains privilèges ou certains devoirs propres aux institutions publiques par rapport aux institutions «privées»). Un système juridique peut être basé sur la «justice privée» (les individus constituent tous des autorités dites «privées», éventuellement compétents pour déterminer leur propre mode de défense physique) ; des institutions comparables par leurs attributions peuvent être de nature privée dans un État et de nature publique dans l’État voisin (les compagnies des chemins de fer en Angleterre et en France) ; les individus considérés comme privés disposent, en général, au sein des systèmes juridiques positifs, de compétences en matière de sanction (légitime défense, les voies d’exécution en cas d’inexécution de certaines obligations contractuelles par un cocontractant ; en droit anglais et plus généralement au sein des systèmes juridiques de Common law, les citoyens bénéficient d'une large habilitation à procéder à l’arrestation d’un malfaiteur). Les seigneurs du Moyen âge disposent à titre privé (du moins selon les fondateurs de l'École des Annale d’histoire économique et sociale, mais cette qualification paraît anachronique) de compétences – celles de rendre justice, de prélever des redevances, de sanctionner les criminels, de mener la guerre (la faide étant la guerre interseigneuriale) – qui dans les systèmes juridiques modernes sont généralement attribuées à des organes «publics». La distinction public/privé ne semble pertinente que si : 1. Un système normatif donné attribue une telle qualité à certains organes assortie d'effets normatifs propres ; 2. Une doctrine donnée distingue conventionnellement « ce qui est public » et « ce qui est privé », et ce sans pour autant déformer la réalité l'objet décrit ; mais il reste probable qu’une telle démarche soit très faiblement pertinente, si ce n’est erratique, en ce qui concerne certains objets (entre autres : les sociétés primitives, la plupart des religions, les États pré-modernes).359 Suivant Georges Scelle, qui s'exprime ici avant même la rédaction du Préambule de la Constitution de 1946 : « les rapports entre particuliers sont l'essence de la communauté internationale », Droit international public – manuel élémentaire avec les textes essentiels, Domat-Montchrestien, Paris, 1944, 764 p., pp. 19-20. Le «droit international public», défini conventionnellement par l'auteur comme la totalité du droit international, prévoit – à l'instar de tout système juridique – nécessairement le comportement des simples particuliers, de sorte que lui soustraire un « droit international privé » constitue une erreur.360 A propos de cette conception, ses liens avec l'alinéa 14 et ses prolongements dans la doctrine plus récente, cf. Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7ème édition, LGDJ, 2002, 1510 p., pp. 35-36, n°4.361 Gérard Teboul, op. cit. note 198, spécialement p. 329.

170

Pour Jacques Donnedieu de Vabres, l'expression de «droit public international» témoignerait aussi de la

volonté d'exclure le «droit privé international» de la sphère d'application de l'alinéa 14, pour une autre

raison toutefois. L'auteur évoque une unité du « droit public », par-delà la séparation entre droit

international et droit interne :

« L'expression "droit public international" relègue au second plan la distinction du droit

international et du droit interne, elle tend à réduire son importance, à restituer au droit public son unité.

[...] Elle doit être interprétée comme un refus de faire de la distinction […] la summa divisio du droit,

comme marquant la volonté d'établir des liens plus intimes, une communication plus constante entre les

deux systèmes de droit362 ».

L'expression «droit public international» viserait ainsi exclusivement les matières supposées relevées

par nature du droit public.

ii. Une exclusion relative du droit international privé

L'exclusion du droit international privé de la sphère d'application de l'alinéa 14 emporte en réalité peu

d'incidences quant au contenu du droit applicable :

Les normes du droit international privé consistent soit en du droit interne, soit en du droit international363. Lorsqu'il s'agit de droit interne (loi, règlement ou jurisprudence), ce qui est le cas le plus fréquent,

leur application ne dépend aucunement de l'alinéa 14 : l'État intervient en effet dans une sphère de

compétence qui lui est propre364. Lorsqu'il s'agit de droit international, elles se présentent sous la forme

de traité ou sous la forme de droit international coutumier. En ce qui concerne les traités, l'article 55 de

la Constitution dispose de leur autorité en droit interne, ce qui exclut par lex specialis l'application de

l'alinéa 14. Et, en ce qui concerne les coutumes, leur domaine d'application apparaît en l'état actuel du

droit peu étendu en droit international privé. Surtout, les normes coutumières en question réglementent

presque toutes la condition des étrangers (clause de la nation la plus favorisée, protection des droits

acquis par les étrangers, normes relatives à la nationalité...) et se trouvent par là assimilées à des normes

du droit international public365. Seules les éventuelles normes internationales de lex mercatoria, dont la

362 Jacques Donnedieu de Vabres, op. cit. note 1, p. 6.363 Cf. Dominique Holleaux, Jacques Foyer, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Masson, Paris, 1987, 667 p., p. 12.364 En ce sens, l'analyse développée par le Professeur Geneviève Burdeau : « l'expression de "droit public international" se réfère manifestement aux procédés de création des normes établis par le droit international public et non pas au contenu des normes en question qui peuvent évidemment toucher des questions de droit privé. » ; cf. « République et supériorité des normes internationales », in : Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux (éds), La République en droit français, Economica, Paris, 1996, 360 p., pp. 291-307, p. 301. Cf. inter alia, à propos de la relation entre « droit international public » et « droit international privé » : John R. Stevenson, « The Relationship of Private International Law to Public International Law », Columbia Law Review, vol. 52, 1952, p. 561 et svtes ; Andreas F. Lowenfeld, « Public Law in the International Arena: Conflict of Laws, International Law, and Some Suggestions for their Interaction », RCADI, vol. 163, 1979, pp. 1-446 , spécialement p. 315.365 Cf. inter alia : Klaus Schurig, Kollisionsnorm und Sachrecht ; zu Struktur, Standort und Methode des internationalen Privatrechts, Duncker & Humblot, Berlin et Munich, 1981, 392 p., spécialement pp. 138-166 ; Dominique Holleaux, Jacques Foyer, Géraud de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, Paris, Masson, 1987, 667 pages, spécialement p. 101 et svtes ; Gabriele Scherer, Das internationale Privatrecht als globales System –

171

positivité même prête à controverse, semblent correspondre au «droit privé international» exclu de

l'alinéa 14366.

Ainsi, il semblerait que la restriction au «droit public international» prévue par l'alinéa 14 n'entraîne, en

conséquence de l'état du droit lui-même et non en tant que telle, quasiment pas d'effets juridiques 367.

β. L'exclusion de principe des traités internationaux (le problème du principe pacta sunt servanda)

Les normes internationales existent soit sous la forme de traités, soit sous la forme de normes non

conventionnelles368.

Le droit international général contient la norme coutumière pacta sunt servanda. Ce principe constitue

en droit international le fondement de validité des traités et, donc, de l'ensemble du droit international

conventionnel. Par effet récursif, la transformation de la norme pacta sunt servanda en droit interne, en

tant que règle générale du droit international, justifie potentiellement la transformation de l'ensemble du

droit international conventionnel dans la sphère du droit interne.

Cependant, les constitutions des États contiennent des dispositions spéciales en matière de

transformation du droit international conventionnel. Dans les différents droits internes, le principe lex

Rechtsvergleich und Rechtstheorie, VDM, Sarrebruck, 2008, 236 p.366 Cf. inter alia : Berthold Goldman, « Frontières du droit et lex mercatoria », Archives de philosophie du droit, 1964, pp. 177-192 ; Georges R. Delaume, « The Proper Law of State Contracts and the Lex Mercatoria : A Reappraisal », ICSID Review: Foreign Investment Law Journal, vol. 3, 1988, pp. 79-106 ; Berthold Goldman, « Nouvelles Réflexions sur la Lex Mercatoria », in: Etudes de droit international en l'honneur de Pierre Lalive, Helbing & Lichtenhahn, Bâle/Francfort-sur-le-Main, 1993, 790 p., pp. 241-255 ; Klaus Peter Berger, « The New Law Merchant and the Global Market Place », in : Klaus Peter Berger (éd.), The Practice of Transnational Law, Kluwer, La Haye/Londres/Boston, 2001, 228 p., pp. 1-22 ; Peer Zumbansen, « Lex Mercatoria : Zum Geltungsanspruch transnationalen Rechts », Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht, vol. 67, 2003, pp. 637-682.367 Cependant, il est aussi possible de concevoir que le «droit privé international» est pourvu d'une sphère d'application beaucoup plus étendue que celle que la doctrine lui prête habituellement. Carl Schmitt dit que :

« L'ordre patrimonial fait partie de l'ordre juridique international. [A propos de la succession d'États] Pour la pratique de la vie interétatique, c'est plus important que bien d'autres questions isolées, et cela détermine le véritable caractère juridique d'un changement territorial plus fortement que le langage, en apparence si absolu, de la souveraineté de l'État, plus fortement aussi que les séparations, en apparence si tranchées, entre intérieur et extérieur et entre public et privé. Le standard généralement admis du constitutionnalisme [de la Communauté inter-étatique] comme composante de l'ordre spatial agit plus fortement que toutes les constructions dualistes centrées sur l'État, avec leur fictive absence de relations entre intérieur et extérieur [Carl Schmitt in : Mélanges Georgios Streit, Athènes, 1939, réimpr. in : Positionen und Begriffe, Hambourg, 1940, p. 261]. C'est que, au dix-neuvième siècle, un changement territorial au sein du droit interétatique n'est que le changement d'un imperium de droit public, et non un changement de l'ordre économique et patrimonial. Un changement territorial étatique qui aurait entraîné en même temps un changement radical de l'ordre de la propriété dans le territoire concerné aurait sans doute été ressenti comme du bolchévisme. Tant que la prise d'un territoire étatique en vertu du droit des gens ne portait que sur la sphère de l'imperium, elle préservait en principe à l'intérieur du territoire la propriété foncière privée [le dominium ; sur le fondement du principe de droit international du respect des droits acquis de nature privée]. C'est là ce qui compte en pratique pour cette époque. Les traités de banlieue de Paris de 1919 [notamment celui de Versailles] comportaient de fortes atteintes à la propriété privée allemande, mais dans l'ensemble ils cherchaient néanmoins à s'en tenir en principe au standard constitutionnaliste, si bien que les défenseurs d'intérêts allemands purent facilement argumenter sur cette base. […]. La maxime cujus regio ejus economia ne présentait aucun danger, devant un système d'économie libre communément reconnu et partout semblable, parce que tous les États de la communauté du droit des gens restaient dans le cadre du même système économique », ; cf. Le nomos de la Terre, PUF, Paris, 2001, 363 p., p. 198.368 Ainsi que les actes dérivés des traités internationaux que l'on exclut provisoirement de l'analyse.

172

specialis exclut la validité interne des traités internationaux par une voie plus générale. Le principe

pacta sunt servanda n'est pas pour autant dénué d'effets juridiques, mais non directement, sur la validité

des traités internationaux. Il en résulte par exemple l'interdiction de ratifier des traités internationaux

incompatibles avec les engagements conventionnels antérieurs369 ou l'obligation de respecter le principe

de bonne foi370 371...

i. En ce qui concerne le droit allemand et le droit autrichien, un argument en défaveur de la validité

interne des traités internationaux sur le fondement de l'article 25 LF et de l'article 9 B-VG précède

l'argument lex specialis. La notion de « généralité », à laquelle renvoie les formulations de « règles

générales du droit international » et « règles généralement reconnues du droit international », semble en

effet écarter le droit international conventionnel de leur sphère d'application, puisque les traités sont

supposés particuliers, du moins à l'époque de la rédaction des dispositions constitutionnelles en question372. A quoi on peut précisément rétorquer que le droit international actuel se compose aussi de traités

internationaux généraux ; s'ajoute alors l'argument lex specialis :

En droit allemand, les traités de la Fédération ne sont pas visés par l'article 25 LF 373, étant donné

que leur transformation en droit interne se fonde sur les dispositions spéciales des articles 59 al. 1 et al.

2 LF374, parfois en combinaison avec l'article 24 al. 1 LF. Aussi, les traités des Länder (Article 32 al. 3

369 Le principe pacta sunt servanda maintient la validité d'engagements conventionnels anciens même s'ils se trouvent en conflit avec des engagements conventionnels postérieurs. Dans le cas où un État est lié par des obligations conventionnelles et que celles-ci entrent en collision avec les obligations créées par un traité international nouveau conclu avec un État tiers, le droit international offre à l'État une alternative : soit il accomplit les obligations du traité antérieur en violation du traité postérieur, soit il accomplit les obligations du traité postérieur en violation du traité antérieur. 370 En principe, la signature d'un traité international n'engage pas l'État. Une restriction à ce principe se trouve dans l'obligation de bonne foi qui consiste en ce que l'État qui a signé le traité est tenu de « s'abstenir d'actes qui priveraient le traité de son objet et de son but […] tant qu'il n'a pas manifesté son intention de ne pas [en] devenir partie » (art. 18, a de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969). Hans Kelsen soutient que l'obligation de bonne foi n'est pas une concrétisation de pacta sunt servanda : « For it is not the treaty which imposes this obligation upon the governments ; it is a norm of general international law different from the rule pacta sunt servanda which attaches this consequence to the act of signature. The obligation to do nothing in contravention of the terms of the treaty is different from the obligation to fulfil the treaty, which is the effect of the ratification » ; cf. P.I.L., pp. 467-468. Une partie de la doctrine part néanmoins d'une conception plus étendue de pacta sunt servanda : la bonne foi est une obligation qui a pour objet de garantir une certaine sécurité juridique, étant donné qu'elle interdit à l'État, pendant une certaine période, de se lier à un traité international contenant des obligations contraires à celui qu'il a signé. Le principe de bonne foi protège donc les États ayant ratifié un traité international du comportement États tiers qui ne l'ont que signé en rendant possible son exécution. Il s'ensuit que le principe de bonne foi n'est donc pas une concrétisation de pacta sunt servanda vis-à-vis des États simples signataires, mais vis-à-vis les États ayant ratifié le traité international : il leur attribue une permission d'opposer leur engagement international aux États tiers simples signataires.371 Cf. infra, « La relation entre règles générales du droit international et traités [dans le cadre du système juridique interne] ».372 La terminologie juridique traditionnelle oppose souvent le « droit international particulier » de forme conventionnelle au « droit international général », de forme coutumière ; cf. supra, « introduction ».373 Cf. la décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 6 décembre 2006 (BVerfG, 2 BvM 9/03) : « Nach einhelliger Auffassung bezieht sich Art. 25 GG dagegen nicht auf völkervertragliche Regelungen. Völkerrechtliche Verträge sind von den Fachgerichten selbst anzuwenden und auszulegen (vgl. BVerfGE 15, 25 <32 f., 34 f.>; 16, 27 <33>; 18, 441 <450>; 59, 63 <89>; 99, 145 <160>; Beschluss der 4. Kammer des Zweiten Senats des Bundesverfassungsgerichts vom 12. Dezember 2000 - 2 BvR 1290/99 -, JZ 2001, S. 975; stRspr). »374 Art. 59 al. 1 et al. 2 LF :« 1) Le Président fédéral représente la Fédération sur le plan international. Il conclut au nom de la Fédération les

173

LF) sont, quant à eux, transformés dans le droit du Land sur le fondement des dispositions particulières

à chaque droit constitutionnel de Land. Il n'empêche que la possibilité d'une transformation ipso iure

des traités en droit fédéral par voie indirecte, sur le fondement de la norme pacta sunt servanda valide

en droit fédéral en tant que règle générale du droit international , a été envisagée par la Cour

constitutionnelle fédérale. La Cour a en effet admis la positivité de cette coutume, tout en considérant

que sa sphère d'application se limite en principe aux relations entre États 375. Il en résulte une conception

originale de la normativité interne du principe pacta sunt servanda, puisqu'il serait de force obligatoire

sans pour autant être transformé – ou du moins sans développer tous ses effets – dans le système

juridique interne allemand376.

La lex specialis de l'art. 50 B-VG377 378 relative aux traités internationaux prive de même l'article

9 B-VG d'un effet de transformation des traités internationaux en droit interne autrichien. La doctrine

majoritaire constate que la Loi constitutionnelle fédérale différencie ainsi le droit international

conventionnel, y compris général, du droit international coutumier379 380. En revanche, remarque une

traités avec les États étrangers. Il accrédite et reçoit les représentants diplomatiques.2) Les traités réglant les relations politiques de la Fédération, ou relatifs à des matières qui relèvent de la compétence législative fédérale, requièrent l’approbation ou le concours des organes respectivement compétents en matière de législation fédérale, sous la forme d’une loi fédérale. Les dispositions régissant l’administration fédérale s’appliquent par analogie aux accords administratifs. »

375 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (178) ; cf. Hermann Molser, « Völkerrecht als Rechtsordnung », ZaöRV, vol. 36, 1976, pp. 6-47.376 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (178) ; BGH, décision du 5 juillet 1957, NJW RzW 1957, p. 361. Pour une décision plus explicite : BVerfG, 12 décembre 2000, 2 BvR 1290/99, JZ 2001, p. 975 (note Stefan Kadelbach) : les traités internationaux ne sont pas inclus parmi les normes visées par les articles 25 et 100 al. 2 LF.377 Article 50 al. 1 B-VG actuel : « La conclusion [sous-§1] des traités internationaux politiques, les autres traités uniquement s'ils modifient ou complètent une loi et ne relèvent pas du paragraphe 1 de l'article 16, […] requière l'approbation du Conseil national. »378 A propos de la transformation du droit conventionnel en droit autrichien, cf. notamment : Theo Öhlinger, Der völkerrechtliche Vertrag im staatlichen Recht, Springer, Vienne, 1973, 397 p. ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht, Manz, Vienne, 1972, 872 p., spécialement p. 168. L'article 50 B-VG a fait l'objet d'une révision le 4 janvier 2008 (BGBl I 2/2008) ; cf. Theo Öhlinger, « Art 50 B-VG: Die neue Integrationsbestimmung des österreichischen Bundesverfassungsrechts », in : Waldemar Hummer (éd.), Neueste Entwicklungen im Zusammenspiel von Europarecht und nationalem Recht der MitgliedstaatenEin Handbuch für Theorie und Praxis, Springer,Vienne/New York, 2010, 747 p., pp. 623-649.379 L'opinion apparaît largement dominante dans la doctrine, cf. inter alia : Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 311 ; Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, op. cit. note 65, spécialement p. 76 (à propos de l'article 9 B-VG : « concernant les traités internationaux, les dispositions des art. 10 § 2, 16, 49, 50 et 65 al. 1 comportent des dispositions particulières détaillées. ») ; Gustav Adolf Walz, op. cit. note 11, spécialement pp. 157-160 ; Rudolf Aladár Metall (1921), op. cit. note 22, spécialement pp. 172-174 ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p., spécialement pp. 167-168.Cf. aussi, avec une autre argumentation : Hans René Laurer, op. cit. note 166, spécialement pp. 352-353. Le Professeur Hans René Laurer ajoute un argument d'ordre systématique justifiant l'exclusion des traités internationaux de l'article 9 B-VG : la Constitution autrichienne « n'établit pas la validité d'une même source de droit international de deux manières différentes, ce qui entrainerait une concurrence entre les deux normes de transformation (adoption) ».Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement p. 747. Selon l'auteur, le terme « reconnues » dans l'article 9 B-VG ne vise pas les traités internationaux parce que ceux-ci « ne reconnaissent pas de normes, mais en posent » (l'auteur relaye ici une conception archaïque de la «reconnaissance» internationale : seuls les traités internationaux sont des normes nouvelles, les coutumes internationales ne faisant que confirmer des situations qui leur préexistent).380 Pour une opinion divergente, cf. : Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193 (analyse approfondie) ; cf. aussi plus anciennement : Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement pp. 313-314.

174

partie de la doctrine, les «règles généralement reconnues du droit international» contenues dans les

traités internationaux demeurent peut-être visées par l'article 9 B-VG, surtout lorsque les traités

internationaux en question ne font que codifier le droit international général381. La doctrine autrichienne

en vient donc à envisager la possibilité d'un double fondement de transformation en droit interne d'un

certain ensemble de dispositions conventionnelles.

ii. En raison de l'absence de référence à la « généralité », la formulation «règles du droit public

international» qui caractérise l'alinéa 14 paraît de prime abord plus ouverte à l'inclusion des traités

internationaux que ses homologues allemands et autrichiens. Cependant, la réglementation spéciale

relative aux traités internationaux contenue dans les articles 52 à 55 de la Constitution du 4 octobre

1958382 écarte aussi par lex specialis le traité de l'ensemble des normes applicables sur le fondement

l'alinéa 14383.

L'occasion d'appliquer le principe pacta sunt servanda s'est présentée au Conseil constitutionnel dans le

contexte de l'affaire Maastricht I384. Et, à la manière du juge constitutionnel allemand, le Conseil

considère que ce principe lie l'État français dans ses relations avec ses partenaires, c'est-à-dire qu'il

trouve avant tout vocation à s'appliquer dans la sphère des relations internationales. Pour autant, le

Conseil n'écarte pas dans son argumentation l'éventualité d'une applicabilité intégrale de pacta sunt

servanda dans la sphère du droit interne. Cette divergence de jurisprudence entre les juridictions

constitutionnelles nationales s'explique sans doute par les différences relatives à la transformation des

traités internationaux en droit interne : l'attribution de pleins effets au principe pacta sunt servanda en

droit allemand aurait en effet conduit à une transformation ipso iure des traités internationaux en droit

interne, et ce, alors même que l'article 59 al. 2 LF exige expressément une procédure législative ad hoc ;

il en va autrement en droit français, puisque la transformation des traités internationaux en droit interne

s'opère de toute façon ipso iure, par la voie de l'article 55 de la Constitution.

γ. L'exclusion des actes unilatéraux des organisations internationales

Dans le prolongement des traités internationaux, les constitutions nationales réglementent de plus en

381 Pour : Ernst C. Hellbling, op. cit. note 169, spécialement pp. 94-95 ; Robert Walter, op. cit. note 379, p. 167 et svtes (problème des traités internationaux ratifiés internationalement par l'Autriche mais non validés en droit interne par la procédure constitutionnelle, p. 168 note 24) ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement p. 145 (situation des États qui n'ont pas ratifié un traité international codifiant le droit international général). Contra : Ludwig Jordan, op. cit. note 150, spécialement p. 455. 382 La disposition principale en matière de validité interne des traités internationaux se trouve à l'article 55 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » 383 Cf. l'analyse détaillée développée par le Professeur Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136, spécialement pp. 365-390.384 92-308. DC du 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. p.55.

175

plus par voie spéciale la normativité interne des actes unilatéraux des organisations internationales :

En droit allemand, les actes unilatéraux des organisations internationales font l'objet de

dispositions constitutionnelles spécifiques (article 23 LF sur l'Union Européenne et article 24 LF sur les

Institutions Internationales), qui écartent par lex specialis l'application de la règle de l'article 25 LF.

A propos de l'article 9 B-VG, Josef L. Kunz relève dès 1922 que les actes unilatéraux des

organisations internationales ne consistent pas en des «règles généralement reconnues du droit

international» : « L'Autriche est évidemment, en tant membre de la Société des Nations, liée par son

Statut ainsi que par les normes qu'elle produit [...]. Comme ces normes sont seulement constitutives

d'un droit international particulier, elles ne sont pas composantes du droit fédéral sur le fondement de

l'article 9 B-VG »385 386. Une disposition spéciale relative au droit des organisations internationales,

située à l'article 9 al. 2 B-VG387, a depuis été introduite par révision constitutionnelle dans le système

juridique autrichien, sur le modèle de l'article 24 LF388.

La formulation «règles du droit public international» de l'alinéa 14 paraît ouverte aux actes

unilatéraux des organisations internationales, par exemple aux résolutions du Conseil de sécurité de

l'ONU. Néanmoins, comme la validité internationale des actes unilatéraux est fondée sur les traités

internationaux constitutifs des organisations internationales, souvent dénommés «statuts», leur

applicabilité interne trouve par suite son fondement dans les normes constitutionnelles relatives aux

traités internationaux389. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État relative au

droit de l'Union européenne attache ainsi traditionnellement le droit dérivé du traité originaire à l'article

55 de la Constitution390. Cet article ne prévoit pourtant que la transposition des normes primaires (les

385 Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 313 ; cf. aussi : Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372 (en raison de l'absence à l'époque d'une disposition constitutionnelle spéciale relative à l'adhésion de l'Autriche aux organisations internationales, l'auteur construit son analyse à partir de l'article 9 al. 1 B-VG).386 Au contraire de celles de l'ONU, les normes constitutives de la Société des Nations n'étaient pas considérées par la doctrine majoritaire comme des « règles généralement reconnues du droit international » en raison de la non-participation de certains des États souverains (États-Unis, Allemagne, Russie, Mexique et autres) ; cf. Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 313. Actuellement, à propos de la normativité interne des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU en droit Autrichien, cf. Ulrike Brandl, « Die Umsetzung der Sanktionsresolutionen des Sicherheitsrats im österreichischen Recht », ZÖR, vol. 54, 1999, pp. 161-218. 387 L'article 9 al. 2 B-VG a pour contenu depuis la révision constitutionnelle du 1er janvier 2008 (BGBl. I N° 2/2008) : « Durch Gesetz oder durch einen gemäß Art. 50 Abs. 1 genehmigten Staatsvertrag können einzelne Hoheitsrechte auf andere Staaten oder zwischenstaatliche Einrichtungen übertragen werden. In gleicher Weise können die Tätigkeit von Organen anderer Staaten oder zwischenstaatlicher Einrichtungen im Inland und die Tätigkeit österreichischer Organe im Ausland geregelt sowie die Übertragung einzelner Hoheitsrechte anderer Staaten oder zwischenstaatlicher Einrichtungen auf österreichische Organe vorgesehen werden. Dabei kann auch vorgesehen werden, dass österreichische Organe der Weisungsbefugnis der Organe anderer Staaten oder zwischenstaatlicher Einrichtungen oder diese der Weisungsbefugnis österreichischer Organe unterstellt werden. »388 Pour un aperçu historique de l'article 9 al. 2 B-VG, cf. Theo Öhlinger, Verfassungsrechtliche Aspekte eines Beitritts Österreichs zu den EG, Signum, Vienne, 1988, 94, spécialement p. 7 et svtes ; Stefan Griller, Die Übertragung von Hoheitsrechten auf zwischenstaatliche Einrichtungen, Springer, Vienne/New York, 1989, 558 p. 389 Cf. Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136, pp. 376-378.390 N°70-39 DC du 19 juin 1970, Rec. p. 15 ; n°77-90 DC du 30 décembre 1977, Rec. p.44 : CE Ass., 28 février 1992, S.A. Rothmans International France, S.A. Philip Morris France, Rec. p.81 (le juge administratif vise expressément l'article 55 de la Constitution) ainsi que : AJDA 1992, p. 214.Cf. Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136, pp. 369-375.

176

traités), non celles des normes dérivées de ces normes primaires (dites aussi « originaires »). Cela est

problématique : le principe d'«État de droit»391 interdit globalement aux organes d'application du droit

d'étendre la sphère d'application d'une norme relative à la production de normes au-delà de ce qui est

prévu par la constitution elle-même.

Dans tous les cas, les actes des organisations internationales dépourvus de valeur obligatoire

(résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU, soft law) ne font pas partie de l'ensemble des normes

visées par les différentes dispositions constitutionnelles nationales.

δ. L'exclusion des actes unilatéraux des États

La possibilité d'une applicabilité des actes unilatéraux des États sur le fondement de l'article 9 B-VG ou

de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 n'a pas été explorée par les doctrines et

jurisprudences nationales respectives.

En droit allemand, du moins selon la jurisprudence constitutionnelle, certains actes unilatéraux des

États seraient indirectement applicables sur le fondement de l’article 25 LF. Seuls sont toutefois

concernés les actes produits sur le fondement d’une norme coutumière ou conventionnelle

d’habilitation. Il en va ainsi des actes unilatéraux qui contribuent à délimiter la sphère de compétence

spatiale d'un État, et qui concrétisent en l'occurrence les principes du droit international valables en la

matière, tels ceux relatifs à l'étendue du territoire ou à la délimitation des espaces maritimes 392.

L'application interne des actes unilatéraux peut aussi s'opérer par la négative. En effet, certains effets

peuvent découler de violations du droit international par actes unilatéraux d'un État, à l'instar de la

suspension de l'applicabilité d'une règle générale du droit international dans la sphère internationale

même (principe tu-quoque du droit de la guerre, ius in bello). Aussi, les États renoncent généralement à

leur position juridique et à leur avoir-droit de droit international par la voie d'actes unilatéraux. Et si

l'article 25 LF n'implique pas dans tous les cas la transformation de tels actes unilatéraux en droit

interne, il conduit l’organe interne chargé de l'identification du droit international général à procéder à

l'examen des actes unilatéraux des États en vue de prouver la positivité même des règles générales du

droit international en question et rechercher leur sphère d'application393.

L'éventuelle applicabilité interne des actes unilatéraux sur le fondement des dispositions relatives au

droit international général s'opère par effet récursif, en ce sens qu'elle trouve sa justification dans les

données mêmes du droit international général.

391 Cf. pour une analyse théorique : Otto Pfersmann, « Prolégomènes pour une théorie normativiste de l’État de droit » in : Olivier Jouanjan (éd.), Figures de l’État de droit, PU Strasbourg, 2001, pp. 53-78.392 BVerfGE 40, p. 141, à propos de la Ligne Oder-Neisse .393 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (362).

177

ε. Le cas particulier des relations interfédérales394 en droit allemand et en droit autrichien395

En droit allemand, les principes relatifs aux relations mutuelles entre les différentes entités étatiques,

que ce soit entre le Bund et les Länder ou entre les Länder, n'appartiennent pas à la catégorie des

« règles générales du droit international ». Une conception traditionnelle admettant que le droit

international régit le domaine des relations interfédérales s'observe pourtant, largement relayée par

Heinrich Triepel dans son ouvrage classique Völkerrecht und Landesrecht (1899)396.

D'un point de vue historique, la situation de l'Autriche ne ressemble pas à celle de l'Allemagne. L'État

fédéral autrichien se présente comme une création contemporaine, postérieure à la Première guerre

mondiale, et souvent traitée d'artificielle, en raison de l'absence d'un passé de relations souveraines

entre les États fédérés qui composent le territoire actuel397. La Loi constitutionnelle fédérale délègue

tout de même, exceptionnellement, quelques compétences internationales aux entités fédérées (article

16 B-VG)398. En outre, l'article 15a alinéa 3 B-VG dispose que les « les principes du droit international

public régissant le droit des traités » réglementent en principe les accords entre la Fédération et les

Länder (alinéa 1), ainsi que les accords entre Länder (alinéa 2).

i. Aperçu historique des principes du droit international régissant le domaine des relations interfédérales

Sous la République de Weimar, la Cour d'État du Reich allemand (Staatsgerichtshof für das Deutsche

Reich) juge que la souveraineté de l'État ne repose pas entièrement sur le Reich 399 400. La Cour déduit de

l'autonomie normative dont bénéficient les Länder, et en particulier de leur compétence en matière de

production de lois et de conclusion de traités internationaux (art. 78 al. 2 WRV), que les principes

régissant le domaine des relations interfédérales entrent dans la catégorie des «règles généralement

reconnues du droit international» visées par l'article 4 WRV401, ou du moins sont assimilables à celles-

394 A propos du cas de la Suisse, cf. Rolf Lüden, Die Anwendung von Völkerrecht in interkantonalen Konflikten, Shaker, Aachen, 1996, 226 p. 395 Pour une comparaison entre fédéralisme allemand et autrichien, cf. Ewald Wiederin, Bundesrecht und Landesrecht: Zugleich ein Beitrag zu Strukturproblemen der bundesstaatlichen Kompetenzverteilung in Österreich und in Deutschland, Springer, Vienne, 1995, 477 p. (avec certains développements sur le droit international).396 Heinrich Triepel, op. cit. note 13.397 Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement pp. 299-303.398 Reinhard Rack, « Österreichs Länder und das Völkerrecht », AVR, vol. 27, 1989, pp. 31-44 ; Andreas Kiefer, « Republic of Austria », in : Hans Michelmann (éd.), Foreign Relations in Federal Countries, McGill-Queen's University Press, Montreal/Kingston, 2009, 432 p., pp. 66-90. Pour une comparaison entre droit allemand et autrichien : Heinz Peter Rill, Gliedstaatsverträge – Eine Untersuchung nach österreichischem und deutschem Recht, Springer, Vienne/New York, 1972, 711 p.399 Cf. l'affaire célèbre : Staatsgerichtshof für das Deutsche Reich, 17/18 juin 1927, Donauversinkungsfall (Wurtemberg et Prusse c. Bade)400 Cf. généralement à propos du statut international des Länder sous la République de Weimar : Max Fleischmann, « Die Völkerrechtliche Stellung des Reichs und der Länder », in : Gerhard Anschütz, Richard Thoma (éds), Handbuch des Deutschen Staatsrechts, tome 1, Tübingen 1930, pp. 209-224.401 Hans-Heinrich Lammers, Walter Simons, Die Rechtsprechung des Staatsgerichtshofs für das Deutsche Reich und

178

ci.

La jurisprudence de la Cour d'État du Reich allemand ne constitue pas une nouveauté, puisqu'elle

prolonge une pratique assurément antérieure à la République de Weimar402. La Cour d'appel de Lübeck,

agissant comme arbitre dans un litige entre la Prusse et le royaume de Saxe au sujet du chemin de fer

Berlin-Dresde, appliquait ainsi un principe du droit international pour «interpréter»403 le traité prusso-

saxon du 6 juillet 1872, en l'espèce qualifié de traité international 404, et ce, lors même que le IIe Reich

comprenant la Prusse et la Saxe se trouvait déjà constitué depuis le 16 avril 1871.

Cette conception des relations interfédérales est partagée Heinrich Triepel (1899), même s'il se montre,

au moins au départ, assez critique : « L'hypothèse que des éléments de droit international existent dans

le système juridique d'un État est très vraisemblable quand cet État est composé de collectivités qui

portent à bon droit le nom d'États. De là à soutenir que ce système juridique a reçu des règles du droit

international, il y a cependant un grand pas à faire405 ». Et cela vaut tant pour la Confédération de

l'Allemagne du Nord précédemment dissoute (1866-1871) que pour l'Empire allemand 406 qui lui

des Reichsgerichts auf Grund Art. 13 Abs. 2 der Reichsverfassung, 1929, 185 p., p. 178 (Donauversickerungsfall).402 Cf. par exemple au soutien de cette position : Joseph von Held, Die Verfassung des Deutschen Reiches vom staatsrechtlichen Standpunkt aus betrachtet, F.A. Brockhaus, Leipzig, 1872, 183 p., spécialement p. 3 et svtes (sous le n°4) ; Georg Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, Mohr/Siebeck, Tübingen, 1892, 348 p., p. 290 ; Guido Prestele, Die Lehre vom Abschlüsse völkerrechtlicher Verträge durch das Deutsche Reich und die Einzelstaaten des Reiches, C. Wolf & sohn, Munich, 1882, 97 p., p. 29 et svtes.Cette opinion tient pour beaucoup à la continuité historique avec l'ancien Empire. Par exemple : Nikolaus Thaddäus von Gönner, publiciste de l'Empire en 1800, concède que les «territoires allemands» sont « dans un état intermédiaire, ayant entre eux des rapports de droit international, et étant soumis à l'Empire en vertu du droit étatique. » ; cf. Entwicklung des Begriffs und der rechtlichen Verhältnisse deutscher Staatsrechtsdienstbarkeiten, Erlangen, Palm, 1800, 316 p., p. 18. Antérieurement, le philosophe Gottfried Wilhelm von Leibniz soutient que le droit international peut s'appliquer entre les États-membres d'un «État composé» : Codex juris gentium diplomaticus, Wolfenbüttel, 1747, prél. p. 8.403 Le principe du droit international dont il est question concerne, selon notre terminologie, les «modalités d'application du traité international», et non l'«interprétation».404 Décision arbitrale du 28 juin 1877, Annalen des deutschen Reichs, 1877, p. 993 et svtes.405 Heinrich Triepel, op. cit. note 15, p. 170.406 Ibid., extraits pp. 175-179. Plus précisément, à propos de la Confédération de l'Allemagne du Nord et de l'Empire allemand :« [Certes], La Confédération de l'Allemagne du Nord et l'Empire Allemand sont nés "par la voie du droit international". Leur fondation a été réalisée, ou du moins préparée par des actes, qui doivent être considérés comme appartenant au droit international [le Pacte du 18 août 1866 – initialement un traité international – est la norme fondatrice de la Confédération de l'Allemagne du Nord ; Les traités internationaux de novembre 1870 sont les normes fondatrices de l'Empire Allemand].[A propos de la Confédération de l'Allemagne du Nord] La Constitution de la Confédération de l'Allemagne du Nord est une loi d'État : c'est la loi fondamentale d'un État composé.[…]. La ["Constitution fédérale"] a essentiellement pour destination et pour portée, comme loi d'État, de limiter juridiquement le pouvoir de l'État supérieur vis-à-vis des pouvoirs des États subordonnés, et par des règles d'organisation, de déterminer la manière dont se forme la volonté de l'État supérieur, or il est impossible de considérer ces règles juridiques comme le contenu de normes de droit international [Remarque terminologique : Heinrich Triepel considère que la Confédération de l'Allemagne du Nord va au-delà – dans l'intégration des entités membres – d'une association internationale entre États, c'est-à-dire d'une "confédération" ; d'où le terme "Constitution fédérale" plutôt que "Constitution confédérale"]. Le texte de la Constitution a certainement été, pendant quelques temps, élément d'une Vereinbarung internationale. Mais il n'a pas été règle du droit international. […][La Constitution de la Confédération d'Allemagne du Nord] était la première Constitution d'un État composé, créé par la réunion de nombreux États [la constitution de la Confédération de l'Allemagne du Nord est adoptée le 16 avril 1867, et entre en vigueur le 1er juillet 1867] ; la Constitution de l'Empire, au contraire, est la Constitution modifiée d'un État composé existant, qui était forcé de changer sa Constitution par suite de l'augmentation du nombre de ses membres, résultat de l'entrée dans l'Union des États de l'Allemagne du Sud.[…] La Constitution de l'Empire, ou, pour mieux dire (afin de tenir compte des diverses rédactions dans les différents traités), l'ensemble du droit constitutionnel de l'Empire,

179

succède, soit le Deuxième Reich (1871-1918).

Heinrich Triepel écrit, spécifiquement à propos du Deuxième Reich, que le droit international n'est

absolument pas applicable à la relation verticale entre Empire et État membre, ni le droit international

lui-même, ni le droit international «réceptionné»407 dans le droit impérial. Et, pour cause, la vocation du

droit international se limiterait à réglementer les relations entre États qui bénéficient d'une égale

souveraineté, et non une relation de subordination entre États408. Cependant, toujours selon Heinrich

Triepel, le droit international général deviendrait applicable aux relations horizontales entre États

membres dès lors qu'une répartition des compétences explicitement déterminée par la constitution

fédérale fait défaut. L'auteur va encore plus loin : c'est alors en sa validité propre que le droit

international prévoit les relations entre États membres, et non en tant que droit international

réceptionné409. En résumé, le droit international général « en tant que tel » bénéficie d'une sphère de

tel qu'il existait au début de l'Empire allemand n'a jamais été, à un moment quelconque, avant de devenir droit constitutionnel, droit international objectif [le texte constitutionnel principal est du 16 avril 1871, modifié le 19 mars 1888]. »407 Cf. supra : « Généalogie de la "théorie de la réception" ».408 Ibid, extraits pp. 185-191 : « l'Empire a-t-il, dans les endroits de sa législation où, abstraction faite de ces normes d'organisation, il a réglé certains rapports juridiques entre lui et les États-membres, reçu des règles de droit international ?Cette question ne se confond pas avec celle de savoir, s'il est possible que le droit international soit appliqué dans les rapports entre l'Empire et les États particuliers, – non point un droit interne recevant du droit international, mais par un pur droit international. A cette question, on doit dès l'abord absolument et sans exception répondre par la négative. Le droit international ne peut exister qu'entre États coordonnés. Seules les relations de ces États peuvent faire l'objet d'une réglementation internationale. Par suite, tout rapport entre deux collectivités, dont l'une commande et l'autre obéit, est exclu de la sphère des rapports régis par des règles internationales. […]. Cela ne change rien, quand, comme dans l'Empire allemand, l'autorité fédérale ne s'exerce pas sur l'État subordonné en toutes les matières, quand, par suite d'un partage des compétences entre elle et lui sur certains points, elle lui abandonne une autorité qui ne peut pas être réduite sans une modification de la Constitution et qui est affranchie de tout contrôle de la part d'une autorité supérieure. […]. Ni pour des contrats [y compris les "traités" entre l'Empire et l'État fédéré constitutionnellement prévus], ni pour des rapports quelconques entre la puissance d'Empire et la puissance de l'État-membre n'intervient le droit international, et ne peut se former un nouveau droit international.[…].Par là aussi se trouve déjà solutionnée la seconde question soulevée plus haut. Si, entre l'Empire et l'État-membre il est impossible d'appliquer le droit international, par suite de ce que leurs rapports sont des rapports de subordination, on ne peut pas concevoir que l'Empire ait reçu des règles du droit dans la partie de son droit interne qui réglemente ses propres rapports avec les États particuliers. Cette opinion ne pourrait être admise qu'à la condition que les règles du droit international ne soient pas, malgré la réception, atteintes en leur essence, laquelle consiste à régler des rapports entre États coordonnés; – et c'est impossible. »409 L'argumentation avancée par Heinrich Triepel est la suivante (ibid, extraits pp. 195-200) : « L'Empire a-t-il utilisé des règles du droit international quand il a législativement réglé les rapports réciproques des États-membres ?[…] Une question préliminaire se présente : c'est celle de savoir si les relations réciproques des États particuliers allemands sont régis non seulement par le droit d'Empire mais aussi par le droit international ; si, en cette matière, des règles de pur droit international sont encore en vigueur, on devrait soigneusement les distinguer des règles du droit d'Empire empruntées au droit international. Au contraire de ce qu'on a fait pour la question posée ci-dessus des rapports entre l'Empire et l'État-membre, on doit répondre à cette question par l'affirmative.[…] On reconnaît généralement que les États particuliers allemands possèdent le droit de conclure des traités exactement dans la mesure où ils sont compétents, au-dessous et à côté de l'Empire, pour exercer leur puissance étatique dans la législation et l'exécution. […] La question se pose immédiatement de savoir quelles normes vont régir ces traités, quelles règles seront appliquées pour la conclusion, la légitimation des organes compétents des États, la date d'entrée en vigueur (signature ou ratification), l'interprétation. Puisque le droit d'Empire n'a évidemment édicté ici aucune règle – car il reste étranger aux matières en question –, il n'y a pas de doute que ce sont les règles généralement reconnues du droit international qui sont ici décisives. Il en est de même […] non seulement pour ces rapports, mais pour tous les rapports des États-membres entre eux, qui ne rentrent pas dans la compétence de l'Empire, bien que leur nombre ne soit pas très considérable.

180

compétence de principe pour réglementer les relations entre États membres. Et, en l'occurrence, il est

surtout amené à réglementer les matières suivantes : traités (principes du droit international régissant le

droit conventionnel), relations diplomatiques410 (par exemple, le principe de la nécessité de

l'exequatur), cessions de frontières et de servitudes. En raison de sa nature résiduelle, l'étendue

matérielle de la compétence du droit international général peut sembler marginale. Néanmoins,

formellement, la compétence de principe du droit international contient deux composantes relativement

larges : le droit international qui s'appliquait par le passé entre les futurs États membres de l'État fédéral

continue en principe de s'appliquer après la création de ce dernier et les États membres conservent une

compétence pour produire du droit international par des Vereinbarungen, ce droit international

particulier se disant « droit international allemand411 ».

ii. La supposée validité internationale des principes régissant le domaine des relations interfédérales 412

La positivité d'un droit international régissant, en tant que tel, le domaine des relations interfédérales

prête à discussion :

Au sein d’un État fédéral (Bundestaat), la répartition des compétences entre la Fédération (Bund

ou Oberstaat) et États fédérés (Gliedstaaten)413 est déterminée par une norme constitutionnelle de l’État

Le droit international a subsisté dans les relations entre États-membres. […]Ce droit est donc un droit international non reçu. Il ne devient pas non plus droit d'Empire, par suite de ce fait que la Constitution ou les lois de l'Empire en tiennent compte. Il n'est pas rare qu'une loi d'Empire déclare qu'elle se tient, pour certains faits, à la réglementation qu'en ont opéré les États-membres par voie de traités, ou qu'elle ne touche pas aux traités des États-membres. Dans ces cas, la loi d'Empire affirme qu'elle ne veut pas élever le contenu [du droit international inter-allemand] au rang de droit d'Empire. »410 Sous l'Empire, les États-membres sont encore habilités à s'envoyer et recevoir mutuellement des consuls. Il est vrai que cela n'est alors qu'une survivance quasi-folklorique de l'ancien droit. Pour un aperçu critique : Robert von Mohl, Encyclopädie der Staatswissenschaft, 2ème éd.., H. Laupp, Tübingen, 1872, p. 414 et svtes.411 Teutsches Völkerrecht.412 A propos de la relation médiate entre système juridique international et système juridique des États fédérés, cf. inter alia : Ivan Bernier, International Legal Aspects of Federalism, Longman, Londres, 1973, 308 p. ; Isabelle Hannequart, L'État fédéré en droit international, Atelier national reprod. th. Univ. Lille 3, Lille, 1992, 635 p. ; Bardo Fassbender, Der offene Bundesstaat – Studien zur auswärtigen Gewalt und zur Völkerrechtssubjektivität bundesstaatlicher Teilstaaten in Europa, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 2007, 495 p.Pour une approche théorique de la question : Hans Kelsen, PIL, pp. 260-261 ; Otto Pfersmann « La compétence internationale des entités non souveraines », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, pp. 38-39.413 A propos de l’impossibilité du « double degré de fédéralisme » suivant Hans Kelsen, cf. en particulier : Hans Kelsen, « Die Bundesexekution. Ein Beitrag zur Theorie und Praxis des Bundesstaates, unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Reichs- und der österreichischen Bundes-Verfassung » in : Zaccaria Giacometti, Dietrich Schindler (éds.), Festgabe für Fritz Fleiner zum 60.Geburtstag 24.Januar 1927, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), Tübingen, 1927, 431 p., pp. 127-187. L'auteur analyse la différence relative au degré de centralisation entre droit international et État fédéral à propos de l’«exécution fédérale» (Bundesexekution), qui est le droit de recours à la contrainte (guerre) de l’État fédéral dans les cas de manquement d’un État fédéré à ses obligations :« In diesem Zusammenhange muß die Frage erörtert werden, in welchem Verhältnis die Bundesexekution zu dem ihr so ähnlichen Krieg im Sinne des Völkerrechts steht. Man muß ihr wohl – wie üblich – zwischen Staatenbund und Bundesstaat unterscheiden, und im ersteren Falle wieder, ob die Bundesverfassung eine Bundesexekution statuiert, oder nicht. Im letzteren Falle kann auf Verletzung der Bundesverfassung seitens eines Gliedstaates nur durch Krieg des Bundes gegen den Gliedstaat, d.h. durch von allgemeinen Völkerrecht für Rechtsverletzung vorgesehenen Akt reagiert werden. Wenn die Bundesverfassung eine Bundesexekution vorsieht, so ist dies dahin zu deuten, daß die zum Bunde sich zusammenschließenden Staaten auf den Krieg als spezifische Reaktion gegen Verletzungen der Bundesordnung verzichten, auch wenn dieser Verzicht nicht ausdrücklich erklärt wird. Die Situation ist dann keine wesentliche andere als im Bundesstaate, dessen Verfassung eine Bundesexekution normiert. Durch einen derartigen Inhalt nähert sich der

181

fédéral. L’État fédéral se caractérise par le degré de relative autonomie constitutionnelle attribuée à

chacun des États membres (les «États fédérés»). En effet, l’État fédéré bénéficie d'une habilitation pour

produire sa propre constitution de manière exclusive, ce qui suppose que la Fédération est généralement

privée de toute compétence414 pour modifier la constitution des entités fédérées415. En dépit de cette

autonomie, l'adhésion d'un État à un État fédéral416 entraîne la discontinuité juridique entre le système

juridique de l'État «souverain» préexistant et le système juridique de l’État fédéré correspondant, peu

Bundesvertrag der Bundesstaatsverfassung. Zumal wenn man bedenkt, daß mit der Statuierung der Bundesexekution für den Fall der Verletzung der Bundesverfassung die Entscheidung darüber, ob der Unrechtsfall gegeben sei, einer bestimmten Instanz übertragen ist – in der Regel jenem Organ, das über die Bundesexekution zu entscheiden hat –; und daß somit gegenüber dem Rechtszustand in der Sphäre des allgemeinen Völkerrechts eine ausgesprochen zentralistische Modifikation eingetreten ist. », pp. 159-160.414 L’appartenance d’un État à un État fédéral entraîne généralement la limitation de l’habilitation de l’organe constituant de l’État adhérant, à moins que l’État adhérant soit habilité à produire ou conserver une constitution contenant des normes apparemment «contraires» à la constitution de l’État fédéral. Cette limitation de l’habilitation de l’organe constituant présente des degrés variables : 1. En certains cas, l’autonomie de l’organe constituant interne est extrêmement large : le constituant de l’État membre (et l’État membre en son ensemble) est habilité par la constitution fédérale à prévoir la sécession de l’ensemble de l’État par une procédure complètement interne ; 2. L’habilitation des organes constituants peut aussi être particulièrement limitée : le système juridique de l’État fédéral contient une procédure prévoyant la destruction des normes constitutionnelles de l’État membre non conformes au droit de la Fédération, ou encore, l’habilitation de l’organe constituant de l’État membre est limitée par un contrôle a priori de sa production normative – avant même l’entrée en vigueur de la norme (suivant l’article 195 de la Constitution de Francfort de 1848-1849, toute modification de la forme gouvernementale dans un État membre dépend de l’approbation de la puissance fédérative) ; 3. Une solution intermédiaire est relevable : la production ou le maintien d’une norme constitutionnelle d’un État membre contraire aux prescriptions de la Fédération n’est pas sanctionnée par son annulation, mais seulement par la privation de certains de ses effets juridiques (soit une norme constitutionnelle d’un État membre autorisant l’esclavage alors que l'esclave a été aboli par la Fédération : ses effets juridiques peuvent être limités par la prohibition du commerce d’esclave entre États membres, ou encore par la libération du statut d’esclave des fugitifs qui sont parvenus à quitter le territoire de l'État fédéré non abolitionniste).415 Les États fédérés disposent de la compétence de prévoir les modalités de modification de leur constitution. Habituellement, dans les systèmes juridiques des États fédérés contemporains, la procédure de révision de la constitution est de type législative. Cela n'est toutefois pas une nécessité, comme l'illustre les différentes procédures qui ont existé au cours de l’Histoire. Plusieurs exemples circonscrits au monde de langue allemande antérieur à la Première guerre mondiale (conventionnellement composé de l'Empire allemand et l’Empire austro-hongrois) : 1. La Constitution du Grand-duché de Bade, État-membre de l’Empire allemand (Cf. Constitution du Reich du 16 avril 1871.), en sa version modifiée par la loi constitutionnelle du 26 août 1904, prévoit une procédure de type législatif (§ 73 I): « Pour le vote valide sur des projets par lesquels la Constitution est complétée, expliquée ou modifiée, la présence minimale des trois quarts des membres est requise dans les deux chambres. [La Première chambre est composée de membres de la haute noblesse, de prélats et de représentants des corporations ; la Seconde chambre est composée de députés] » (ma traduction) ; 2. De même, la Constitution de Land du Duché de Carinthie – membre du Reich autrichien – promulguée le 30 décembre 1849 par l’Empereur François-Joseph Ier dispose que (§ 65) : « Les modifications de la Constitution de Land doivent d’abord être appelées par le Landtag et peuvent être demandées par celui-ci suivant la procédure législative ordinaire. Aux Landtage suivants, la présence d’au moins trois quarts de tous les députés et le consentement d’au moins deux tiers des présents sont requis pour une décision sur de telles modifications. » (ma traduction, cf. Constitution impériale pour l’Empire d’Autriche du 4 mars 1849) ; 3. La Constitution de Land du Royaume de Galicie-Lodomérie, membre de l’Empire d’Autriche, promulguée le 29 septembre 1850 conditionne sa propre modification par l’accord d’un organe de type non législatif (§ 82).416 Les modes de création d’un État fédéré sont les suivants : 1. Dans la configuration où l’État fédéral préexiste à l’État fédéré : l’adhésion d’un État à un État fédéral, la scission d’un État fédéré membre de l’État fédéral (par exemple, la séparation de la Virginie Occidentale de la Virginie lors de la guerre de Sécession, cf U.S. Supreme Court, State of Virginia v. State of West Virginia, 78 U.S. 39 k [1870]), la transformation d’une province autonome membre d’un État fédéral en un État fédéré (lorsque l’État fédéral se compose d’entités territoriales au statut juridique distinct, tel le Reich allemand du 16 avril 1871 composé principalement d’États fédérés, mais aussi de la province autonome dite «Alsace-Lorraine» ; cf. Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État (1920), t. 1, Dalloz, Paris, 2004, 835 p., p. 122 note 25 et p. 163 note 8.), l’annexion d’un État par une guerre de conquête... ; 2. Dans la

182

importe qu'une certaine identité demeure apparente417 (il s'agit, le plus souvent, d'une même sphère de

compétence territoriale). La norme qui fonde l'État fédéré – une norme fédérale – est autre que la norme

qui fondait l’entité juridique lui préexistant, c'est-à-dire une norme internationale particulière prévoyant

immédiatement l’existence d’un État «souverain».

Le droit international détermine lui seul, donc suivant ses propres conditions, les sujets auxquels

s'adressent immédiatement les normes internationales. Tant qu’une entité juridique ne bénéficie pas de

l’«immédiateté internationale»418, elle ne peut prétendre former un État au sens du droit international 419.

Le droit international attribue en principe la personnalité juridique au seul État fédéral, à l'exclusion de

ses démembrements, y compris les États fédérés, et ce, même lorsque la constitution fédérale leur donne

le nom d'«État». Il arrive toutefois que les États fédérés bénéficient, par exception, d'une personnalité

juridique internationale restreinte, à la condition que la constitution fédérale les dote d'une compétence

internationale propre et dans les limites ainsi-posées420. Dans la plupart des cas, la compétence

internationale des États fédérés dans leurs relations réciproques demeure largement limitée par la

constitution fédérale, tout particulièrement en matière de coercition internationale 421 (encore que rien

n'exclut que l'État fédéré conserve une certaine compétence en la matière par habilitation de l'État

fédéral422).

Formellement, les États fédérés ne se trouvent donc pas en principe dans la situation de destinataires

immédiats du droit international lui-même. Il est cependant autre chose d'admettre que la constitution

fédérale puisse en toute latitude autoriser, par voie explicite ou implicite, les États fédérés à continuer

leurs relations réciproques suivant le contenu du droit international général :

Le fameux « droit international allemand » qui réglemente les relations entre États fédérés ne

consiste sans doute pas dans du droit international en tant que tel, étant donné que la Constitution

fédérale interdit amplement à ses entités fédérés de se comporter en tant qu'État au sein de la configuration où l’État fédéral ne préexiste pas à l’État fédéré : la création d’un État fédéral par traité international ou constitution, la transformation d’un État unitaire en État fédéral...417 Parfois, la transformation de l’entité juridique préexistante en un État membre d’un État fédéral n’oblige pas cet État membre à produire par une certaine procédure une constitution nouvelle (la Prusse n’a pas produit une constitution nouvelle à la suite de son adhésion au Reich allemand). Dans cette situation, le système juridique fédéral prévoit par certains principes constitutionnels – implicites ou explicites – les conditions d’application de la constitution de l’État membre (par exemple, dans le cas de la Prusse, la destruction des normes constitutionnelles autorisant certains organes de cet État à déclarer la guerre).418 Cf. Otto Pfersmann, « État et souveraineté », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, pp. 31-46. L'«immédiateté internationale» est ainsi définie : « Il s'agit simplement du fait que l'État en tant que système juridique considéré globalement, n'est pas directement soumis à un autre État » (p. 35).419 C.I.J., avis, 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Rec. 1949, p. 178.: l’État est une entité « relevant (…) directement du droit international » 420 Cf. Hersch Lauterpacht, « Law of Treaties », Yearbook of the International Law Commission, vol. II, 1953, pp. 90-162, spécialement p. 139 ; Gerald Fitzmaurice, « Law of Treaties », Yearbook of the International Law Commission, 1956, vol. II, pp. 104-127 ; Humphrey Waldock, « Law of Treaties », Yearbook of the International Law Commission, vol. II, 1962, pp. 27-83, p. 36.421 Notamment : Heinrich Triepel, op. cit. note 15, pp. 200-201.422 Pour une analyse du droit de contrainte entre États fédérés au sein d'un État fédéral, cf. Hans Kelsen, op. cit. note 413.

183

Communauté internationale, c'est-à-dire au-delà de l'Empire lui-même 423. La compétence dont ils

disposent en vue d'organiser leurs relations réciproques suivant des normes propres – «le droit

international allemand» – ne s'analyse pas comme une compétence internationale, mais comme une

compétence interne à l'État fédéral.

L'ensemble des normes d'origine internationale réglementant en principe les relations entre États

fédérés s'apparente en réalité à une transposition du droit international dans le droit du Reich, assorti

d'un changement de son contenu. En effet, en plus de ne pas formellement consister dans du droit

international, le droit ainsi applicable connaît des modifications afin de l'adapter aux relations internes à

l'État fédéral. Le droit de se dégager par une décision unilatérale des obligations d'un traité

international, quand l'autre partie a violé les siennes, en offre une illustration. Ce droit devient en effet

inopérant dans le cadre des relations entre États membres, et ce, parce qu'un conflit de cette sorte doit

être résolu à travers la médiation de l'État fédéral, et non par la Communauté internationale au sein de

laquelle les États occupent simultanément la position de juges et de parties. Et, de même, l'ancien droit

international continue certes de régir les rapports de frontières et de voisinage, en ce qui concerne entre

autres les fleuves ou lacs frontières, parmi lesquels on trouve le Danube424 et le Lac de Constance, mais

avec un ensemble de limitations propres à l'État fédéral, dont l'interdiction des représailles entre États

membres en raison de violation des frontières ainsi-déterminées.

iii. Le rejet progressif de l'applicabilité du droit international « en tant que tel » aux relations

interfédérales sous la Loi fondamentale de 1949425

La Loi fondamentale allemande qualifie les Länder allemands de «sujets de droit international public».

423 On relève quelques exceptions, puisque certains États maintiennent des relations non médiatisées par l'État fédéral au sein de la Communauté internationale : la Bavière conserve le droit de légation et, avec le Wurtemberg, la capacité de conclure des traités importants. Cette compétence internationale des États membres est distincte de celle s'exerçant exclusivement à l'intérieur de l'État fédéral.424 A propos du Danube, cf. l'affaire célèbre : Staatsgerichtshof für das Deutsche Reich, 17/18 juin 1927, Donauversinkungsfall (Wurtemberg et Prusse c. Bade) :

« 1. Ein deutsches Land kann einem anderen Lande gegenüber die Durchsetzung von Reichsgesetzen nicht unmittelbar erzwingen ; die Durchsetzung ist Sache des Reichs.2. Die Anwendbarkeit des Völkerrechts im Verhältnis der deutschen Länder zueinander ist in gewissem Umfange anzuerkennen.3. Die Länder sind als selbständige Staaten, wenn auch unter starken Beschränkungen, bestehen geblieben.4. Die Gebietshoheit der einzelnen Staaten erleidet eine Einschränkung durch ihre Zugehörigkeit zur Völkerrechtsgemeinschaft. Dies gilt insbesondere für das Verhältnis der deutschen Länder untereinander.5. Kein Staat darf einen anderen in der Verwertung eines Wasserlaufes erheblich beeinträchtigen. »

Pour un aperçu géopolitique, cf. en langue française : Georg Lubenoff, « La question du Danube », Politique étrangère, n°5, 1938, pp. 468-488 ; dans la doctrine actuelle : Lucius Caflisch, « Essai de typologie des frontières fluviales », in : Bogdan Aurescu, Alain Pellet (éds), Actualité du droit des fleuves internationaux, A. Pedone, Paris, 2010, 308 p., pp. 17-51. 425 Cf. Robert Brockhaus, Wie weit gelten die Regeln des allgemeinen Völkerrechts für die Beziehungen von Einzelstaaten untereinander im Bundesstaat ?, 1964, R. Stehle, These Droit, Munster, 99 p. ; Michael Bothe, « L'application des règles du droit international public aux relations entre les États membres d'un État fédéral : le cas de la République fédérale d'Allemagne », in : Michael Bothe, Raúl E. Vinuesa (éds), International Law and Municipal Law German-Argentinian Constitutional Law Colloquium, Buenos Aires avril 1979 , Duncker & Humblot, Berlin 1982, 325 p., pp. 207-223.

184

Les États fédérés bénéficient en effet constitutionnellement d'un ensemble de compétences

internationales, et surtout du droit de conclure des traités internationaux dans les matières qui relèvent

de leur sphère de compétence législative propre, à l'exclusion toutefois des accords dits «politiques» 426.

En revanche, la Loi fondamentale ne spécifie rien quant à l'applicabilité du droit international général

aux relations horizontales entre Länder (dites «inter-étatiques») 427.

En 1951, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale s'inscrit dans la continuité de celle de

l'ancienne Cour d'État du Reich allemand : il n'est pas exclu que les relations entre Länder soient

réglementées, à titre subsidiaire, par les «règles générales du droit international» au sens du nouvel

article 25 LF428. Cependant, à l'occasion d'une décision ultérieure en date du 30 janvier 1973, la Cour

soutient que, désormais, la Loi fondamentale encadre intégralement l'ensemble des relations entre le

Bund et les Länder, ainsi qu'entre les Länder, et qu'il ne reste pas de vide juridique impliquant

l'application du droit international429. La nouvelle conception de la Cour affirme qu'un principe

constitutionnel non écrit de «courtoisie fédérale» (Bundestreue), considéré comme une concrétisation de

l'article 20 al. 1 LF (principe de l'«État de droit» fédéral), s'est substitué aux «règles générales du droit

international» en matière de relations interfédérales.

A la différence des constitutions anciennes, les normes prétendument internationales applicables aux

relations interfédérales n'ont en aucun cas, sous la Loi fondamentale de 1949, été considérées comme

composant un «droit international allemand» spécifique. La seule question soulevée se rapporte à

l'applicabilité des règles générales du droit international aux relations entre Länder, qu'il faut distinguer

de la question de l'appartenance du «droit international allemand» au droit international lui-même.

Les normes internationales visées par l'article 9 B-VG, l'article 25 LF et l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 ne se définissent pas seulement négativement, c'est-à-dire en grande partie par

exclusion des normes écrites du droit international. Certaines formes normatives propres au droit

international paraissent en effet privilégiées.

426 Cf. inter alia : Hans-Jürgen Papier, « Abschluß völkerrechtlicher Verträge und Föderalismus », DÖV, vol. 56, 2003, pp. 265-270.427 Pour une analyse détaillée, cf. Robert Brockhaus, op. cit. note 425.428 Cf. la décision du 23 octobre 1951 (affaire Südweststaat ; BVerfGE 1, p. 14) : les relations interfédérales ne peuvent être réglementées par les «règles générales du droit international» que dans la relation horizontale de Land à Land et lorsque ceux-ci agissent dans leur sphère de compétence propre.429 BVerfGE 34, p. 216 sqs. (231) – Coburg. Si l'article 25 LF prévoit certaines relations de droit international entre États, il ne fonde aucune relation juridique interfédérale. La réglementation constitutionnelle des relations entre Länder disposant du statut d'État-membre de l'État fédéral devrait être modifiée ou complétée pour que l'article 25 LF soit applicable aux relations interfédérales.

185

2. Les normes incluses

En droit international, les normes internationales non écrites se différencient selon leur mode de

formation. Ainsi, plusieurs formes normatives (ou «catégories de normes») composent le droit

international non écrit : coutumes, principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés, ius

cogens430. Or, les dispositions constitutionnelles relatives à la normativité interne du droit international

non écrit ne différencient pas les normes qu'elles visent selon leur nature431, autrement dit leur forme

normative propre dans la sphère internationale, mais renvoient à un certain ensemble de normes

internationales relativement indéterminé :

L’article 25 LF allemande dispose que les «règles générales du droit international» se

transposent globalement en droit interne, sans que les normes en question ne soient davantage

catégorisées. La doctrine autrichienne analyse souvent les « règles généralement reconnues du droit

international » de l'article 9 B-VG comme une forme normative interne sui generis432. L’alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 se réfère, quant à lui, de manière indifférenciée, à l’ensemble des

«règles du droit public international».

Cette indifférenciation amène à se demander à quel ensemble de normes internationales

renvoient les différentes expressions présentes dans les formulations des dispositions constitutionnelles

nationales. Il se pourrait que la transposition en droit interne concerne un certain assemblage des formes

normatives présentes en droit international, ou qu'elle soit plus spécifiquement réservée aux normes

internationales qui se caractérisent par l'une ou l'autre forme normative internationale. Plus

accessoirement, car il s'agit d'une question de terminologie et non de relation normative conditionnante,

on pourra aussi rapporter comment les organes internes appellent les normes internationales en

question, et surtout s'ils les distinguent suivant la catégorisation propre au droit international ou s'ils

maintiennent l'indifférenciation présente dans la formulation de la disposition constitutionnelle

nationale.

On analysera ici l'applicabilité interne des principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées (a) et des coutumes (b). La question du ius cogens, qui n'est pas avec certitude une forme

normative du droit international, puisqu'il est tantôt considéré comme du droit coutumier ou

conventionnel qualifié, tantôt comme une forme normative propre, fera l'objet d'un développement

ultérieur.

430 Cf. article 38 §1 du Statut de la C.I.J.431 L'expression «nature» est celle qu'emploie la doctrine dominante pour désigner une «forme normative» internationale (on parlera ainsi de «nature coutumière», «nature conventionnelle»...).432 Ludwig Jordan, op. cit.. note 150, spécialement p. 456. Cf. aussi : Felix Ermacora, op. cit. note 168, p. 351 et svtes ; Hans René Laurer, op. cit. note 166, spécialement pp. 344-345 ; Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement p. 746.

186

a. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées

Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées se forment initialement par

transposition de principes communs aux différents juridiques nationaux vers le droit international ( α.).

On a souvent remarqué que, à travers leur transformation en droit interne, ils effectueraient un retour

vers leur système juridique d'origine, parfois controversé en raison de son supposé caractère superflu

(β). Les jurisprudences et doctrine nationales s'accordent néanmoins actuellement pour admettre leur

normativité interne en tant que normes issues du droit international (γ).

α. Le mode de formation des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées

i. Les conditions de formation des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées

Reprenant les termes de l'article 38 §3 du Statut de la C.P.I.J., l'article 38 §1 [c] du Statut de la C.I.J.

dispose que la Cour applique « les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées »433

433 La qualité de forme normative propre des principes généraux de droit reconnus ne fait pas l'unanimité :Georges Scelle soutient qu'ils constituent une modalité de l'accord de volonté générateur de la norme

coutumière, donc qu'ils ne sont pas en eux-même une norme juridique ; cf. Droit international public, manuel élémentaire avec les textes essentiels, Domat-Montchrestien, Paris, 1944, 764 p., p. 400.

Selon Dionisio Anzilotti, théoricien du dualisme, l'article 38 dote seulement le juge international d'une habilitation conditionnelle pour recourir à des principes étrangers au contenu du droit international (Cours de droit international 1929, Paris, LGDJ, éd. Panthéon-Assas, 2004, 612 p.).

Hans Kelsen fait observer que ces principes « qui n'appartiennent pas au droit international positif, doivent probablement être tenus pour une source supplémentaire du droit international quand les deux autres – les conventions et la coutume – ne le sont pas » ; cf. « Théorie du droit international public », RCADI, 1953, III, vol. 84, pp. 1-203, p. 122. Toutefois, Hans Kelsen ajoute que que « it is doubtful whether such principles common to the legal orders of civilized nations exist at all, especially in view of the ideological antagonism which separates the communist from the capitalist, and the autocratic from the democratic legal systems » ; cf. P.I.L., pp. 539-540. En insistant sur les divergences idéologiques, Hans Kelsen surestime sans doute les divergences de contenu des droits positifs des différents États concernés. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés se forment par «extraction» des droits privés interne et, en matière privé, les «antagonismes» apparaissent faibles, les régimes socialistes n'ayant par exemple en réalité jamais abandonné ni la propriété privée, ni le contrat, ni la responsabilité civile et pénale.En l'état actuel du droit, un certain nombre de principes généraux de droit reconnus semblent clairement identifiables dans le droit international positif (à propos de l'application de principes généraux de droit reconnus à partir du XIXe s. jusqu'à l'Entre-deux-guerres par les juridictions internationales, cf. Alfred Verdross, « Les principes généraux de droit dans le système des sources du droit international public », in : Faculté de droit de Genève et Institut universitaire de hautes études internationales, Recueil d'études de droit international en l'hommage à Paul Guggenheim , A. Lesot, Genève, 1968, 901 p., pp. 521-530 ; Hersch Lauterpacht, Private law sources and analogies of international law, The Lawbook Exchange, Londres, 1927, 326 p., p. 60 et svtes). En outre, on trouve dans la plupart des traités relatifs au droit international, et ce jusqu'à la fin du XIXe s., l'idée que les principes du Corpus iuris civilis régissent le domaine des relations entre États ; cf. par exemple l'œuvre de Cornelius van Bynkershoek, Les deux livres des questions de droit public, dont le premier est sur la matiere des guerres, et le second sur des matieres de themes divers (1737), trad. Dominique Gaurier, Pulim, Limoges, 494 p. Josef L. Kunz dit que : « The creation of early international law was done by Catholic theologians, and later by lawyers based on Roman law. That explains why many rules of international law, some of them still valid today, are mere transplantations of norms of Roman private law into the international sphere » ; cf. « The Distinctiveness of the International Legal System : Comparison and Contrast », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 13-46, p. 17.La polémique relative à la positivité même des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées peut

187

(ci-dessous : « principe général de droit reconnu »). L'entrée en vigueur d'un tel principe dans la sphère

du droit international est conditionnée par la réunion de deux éléments au stade de sa formation :

Le principe général de droit reconnu doit préalablement exister sous forme de principe commun

aux systèmes juridiques nationaux, établi in foro domestico434. Peu importe que les systèmes juridiques

nationaux en question se caractérisent comme ceux de « nations civilisées435 », cette formule étant

désormais considérée comme désuète, puisque tous les États sont aujourd'hui appréciés comme tels 436.

Et il suffit que la plupart des systèmes juridiques internes contiennent un même principe, non tous. Il

s'ensuit que les principes propres à tel ou tel État sont écartés d'une transposition vers la sphère

internationale, de même que ceux qui n'appartiennent qu'à «certains systèmes de droit interne»437.

Charles de Visscher dit que les principes généraux de droit reconnus se forment par « un double

processus, d'abstraction d'abord, de généralisation ensuite, qui, dépouillant les règles du droit interne

des particularités dont les a revêtues une élaboration beaucoup plus poussée, permet, par un effet de

synthèse, de les ramener à leurs aspects les plus généraux et seuls vraiment universalisables 438 ». Le

principe ainsi formé ne reproduit donc pas exactement439 le contenu de la norme interne dont il dérive,

sembler désormais passée. Toutes choses égales par ailleurs, leur pratique constante et déjà ancienne dans la sphère internationale tend à montrer qu'un principe du droit international de forme coutumière prévoit leur validité internationale. 434 Le juge Tanaka dit que : « au départ, les principes généraux sont censés être des principes de droit privé dégagés grâce à la méthode de droit comparé et applicables par analogie à des questions de droit international » ; cf. C.I.J., 18 juillet 1966, Statut international du Sud-ouest africain, Rec. 1966, pp. 295-296. Cf. aussi : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Die Rolle der Rechtsvergleichung im Völkerrecht », in : Friedrich August von der Heydte, Ignaz Seidl-Hohenveldern, Stephan Verosta, Karl Zemanek (éds), Völkerrecht und zeitliches Weltbild – Festschrift für Alfred Verdross zum 70. Geburtstag, lus humanitas, Vienne, 1960, p. 253 et svtes.435 A propos de la notion de «nation civilisée» en droit international, cf. Josef Laurenz Kunz, « Zum Begriff der "nation civilisée" im modernen Völkerrecht », ZÖR, vol. 7, 1928, pp. 86-99.436 Initialement, la formule « reconnus par les nations civilisées » n'est pas la seule envisagée par le comité de juristes réuni en 1920 : le délégué des États-Unis Elihu Root propose celle d'« universellement reconnus », le délégué britannique Walter George Phillimore celle d'« acceptés par toutes les nations in foro domestico », et le délégué français Albert de la Pradelle celle de « à la base du droit national » ; cf. Procès-verbaux des séances du Comité des juristes, 16 juin-24 juillet 1920, La Haye, 1920. En 1945, la formule est reprise et Robert Jennings la justifie en précisant qu'elle vise les collectivités érigées en civitas, c'est-à-dire entre autres dotées d'un gouvernement capable de protéger les droits des étrangers (cf. « The Progress of International Law », BYIL, 1958, p. 334 et svtes, spécialement p. 352)Ultérieurement, la formule est dénoncée par le juge Ammoun comme « un legs de l'époque révolue du colonialisme » dans son opinion individuelle émise sous l'arrêt Plateau continental de la mer du Nord (C.I.J., 20 février 1969, Rec. 1969, p. 3). Le juge Ammoun cite au soutien de son argumentation : le soviétique Sergei Krylov qui avait déjà omis les termes «civilisées» dans son opinion dissidente sous l'arrêt Détroit de Corfou (C.I.J., 9 avril 1949, Rec. 1949 p. 4) et Wilfred Jenks qui les réfute dans son ouvrage en date de 1958 The Common Law of Mankind (CIJ, Rec. 1969, pp. 132-135).Il est vrai que, toutes choses égales par ailleurs, l'existence de cette formulation peut sembler vieillie au moment de la rédaction de l'article : quasiment l'ensemble du monde est alors de toute façon sous la domination juridique occidentale par le biais de la colonisation. La formulation ne semble dès lors qu'un résidu de l'idéologie dominante du siècle précédent. Néanmoins, quelques auteurs continuent de justifier la formule en approfondissant l'argumentation proposée par Robert Jennings. Antoine Fabre soutient ainsi le degré de civilisation se mesure en fonction de la protection effective des droits fondamentaux de la personne humaine assurée par l'État (cf. « Les principes généraux du droit, fonds commun du droit des gens », in : Faculté de droit de Genève, Institut universitaire de hautes études internationales, Recueil d'études de droit international en l'hommage à Paul Guggenheim, A. Lesot, Genève, 1968, 901 p., pp. 366-391, p. 371.)437 C.I.J., 18 juillet 1966, Sud-Ouest africain, Rec. 1966, p.47.438 Charles De Visscher, Théories et réalités en droit international public, A. Pédone, Paris, 1970, 468 p., spécialement p. 419.439 La non-identité formelle résulte simplement de ce que les normes en question n'appartiennent pas au même système juridique.

188

étant donné qu'il se trouve le moins concret possible dans la sphère du droit international. Quelques

principes généraux de droit reconnus ont tout de même un objet technique, ce qui n'exclut d'ailleurs pas

leur degré d'abstraction relativement élevé : égalité des parties devant le juge 440, neo judex in re sua,

respect de la chose jugée441, principe de l'estoppel442, principes relatifs à la conclusion, l'exécution et la

terminaison des traités internationaux443, principe de la répétition de l'enrichissement sans cause.

Aussi, seuls sont concernés les principes communs aux systèmes juridiques nationaux

transférables vers le système juridique international, ce qui implique une certaine compatibilité avec la

structure même du système juridique international. Les principes internes en question ne doivent ni se

trouver dépourvus de sens dans le contexte du droit international, ni se situer en contradiction avec ses

principes structurants444, parmi lesquels on trouve le principe d'égale souveraineté des États. La Cour

internationale de justice considère, par exemple, que lorsque le droit international « est appelé à

reconnaître des institutions du droit interne », en l'espèce les sociétés anonymes, cela n'aboutit pas à

« une analogie entre ses propres institutions et celles du droit interne et cela ne revient pas à faire

dépendre les règles du droit international des catégories de droit interne » (C.I.J., 5 février 1970,

Barcelona Traction Light and Power Company445). Le processus d'adaptation du principe commun aux

systèmes juridiques nationaux dans le contexte international ne va pas sans modifier le contenu de la

norme en question446, comme l'illustre le cas de l'abus de droit447. Le juge ou l'arbitre international

440 C.I.J., avis consultatif, 23 octobre 1956, jugements du Tribunal administratif de l'O.I.T. sur requêtes contre l'UNESCO, Rec. 1956, p. 77.441 Cf. opinion dissidente du juge Anzilotti dans l'arrêt rendu dans l'affaire d'interprétation des arrêts relatifs à l'Usine de Chorzow : C.P.I.J., 16 décembre 1927, Série AB, n°26, p. 27.442 C.I.J., 18 novembre 1960, Sentence arbitrale rendue par le Roi d'Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras/Nicaragua), Rec. 1960, p. 192.443 C.I.J., avis consultatif, 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Rec. 1951, p. 496. La Cour internationale de justice estime par exemple que selon une « conception directement inspirée de la notion de contrat [qui] conserve une valeur de principe indéniable [...] il est bien établi qu'un État ne peut, dans ses rapports conventionnels être lié sans son consentement ».444 En l'absence de critères formels, l'appréciation deviendrait assez subjective. Selon Arnold McNair, elle relève de la « politique juridique » ; cf. « The general principles of law recognized by civilized nations », BYIL, vol. 33, 1957, pp. 1-19. Par exemple, la Cour internationale de justice estime que c'est sur « une conception erronée » que, par analogie aux principes généraux du mandat en droit interne, l'Afrique du Sud soutient que le mandat international sur le territoire du Sud-Ouest Africain prend fin en raison de la disparition de la SDN (arrêt du 18 juillet 1966 Affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase., Rec. 1966, p. 6.).445 (Belgique/Espagne), Rec. 1970, p. 33.Autre exemple : C.I.J., 18 juillet 1966, Sud-Ouest africain, Rec. 1966, p. 33, à propos du degré d'ouverture de l'action devant la juridiction internationale. La Cour internationale de justice estime que, dans une situation de large droit d'action, elle « devrait admettre une sorte d'actio popularis ou un droit pour chaque membre d'une collectivité d'intenter une action pour la défense d'un intérêt public. Or, il se peut que certains systèmes de droit interne connaissent cette notion ; le droit international, tel qu'il existe actuellement, ne la reconnaît pas et la Cour ne saurait y voir l'un des principes généraux de droit mentionnés à l'article 38 §I c) de son statut. »446 Cf. généralement : Hersch Lauterpacht, op. cit. note 325, p. 158 et svtes.447 Cf. généralement les réserves du juge Anzilotti à propos de l'adaptabilité du principe de l'abus de droit au droit international : C.P.I.J., 4 avril 1939 (Exception préliminaire), Compagnie d'électricité de Sofia et de Bulgarie, Série A/B, n°77 (1939), p. 98.La Cour permanente de justice internationale retient une conception réduite du champ d'application de l'abus de droit. C.P.J.I., 25 mai 1926, Intérêts allemands en Haute Silésie Polonaise (Allemagne/Pologne), série A, n°7 : à propos d'un refus de se lier à un traité international, la Cour permanente de justice internationale admet seulement la possibilité d'abus de droit d'un État signataire dans la période précédant sa décision de ratifier ou de refuser de ratifier (cf. aussi : C.P.I.J., Ord., 6 décembre 1930, Zones franches du pays de Gex et de Savoie (France/Suisse), série A, n°24).

189

pratique dans l'opération d'identification des principes généraux de droit reconnus un examen au cas par

cas selon la méthode dite de « l'analogie »448.

ii. La relation entre les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées et les autres

formes normatives internationales

La doctrine n'a jamais dressé de liste complète des principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées, alors que leur nombre est sans doute restreint. Une des explications réside dans la

jurisprudence peu fixée449 des juridictions internationales de compétence générale (C.P.I.J. puis

C.I.J.450)451. Une jurisprudence plus approfondie relative aux principes généraux de droit reconnus s'est

Ultérieurement, la Cour internationale de justice considère qu'elle ne saurait s'y attarder sauf en cas d'abus manifeste (C.I.J., 18 décembre 1951, affaire anglo-norvégiennes des pêcheries, C.I.J., Rec. 1951, p. 142)448 Selon une partie de la doctrine, les juges internationaux disposent de la compétence de déterminer les principes généraux de droit reconnus, et non uniquement de les identifier. Le Professeur Jean-Yves De Cara développe ainsi l'analyse suivante : « En l'absence de règles conventionnelle ou coutumière formellement consenties par les États ou qui se sont dégagées de la pratique, en l'absence du législateur international, il revient au juge de "transporter" dans l'ordre international un principe général de droit découvert en droit interne et destiné à régir une situation ou un comportement analogue. […]. En recevant la faculté de découvrir et transposer des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, le juge est érigé en législateur. » ; cf. « Les principes généraux de droit au sens de l'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice », colloque sur Les dénominateurs communs entre les principes généraux du droit musulman et des droits des pays arabes et les principes généraux du droit français, Beyrouth, octobre 2001, 16 p. (p. 5 et p. 9). L'analyse prête à controverse à plusieurs égards : 1. Elle confond opération cognitive et opération normative. L'article 38 du Statut de la C.I.J. dispose lui-même que : la « Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique […] les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». La Cour internationale de justice apparaît donc certes compétente pour identifier et appliquer les principes généraux de droit reconnus, mais non pour les produire, et on peut supposer qu'il en va de même pour les autres juridictions internationales, la Cour internationale de justice n'étant pas la moindre d'entre elles ; 2. L'absence d'un organe «législatif» en droit international n'emporte pas nécessairement compétence d'un autre organe centralisé de type juridictionnel auquel il appartiendrait de «combler des lacunes» en opérant à un niveau central ; la structure du droit international est fondamentalement décentralisée et rien n'empêche une production des normes s'effectuant de manière décentralisée ; 3. L'auteur affirme que, comme les principes généraux de droit reconnus sont « abstraitement formulés », il faut « leur donner une consistance qui permettra de les mettre en œuvre utilement dans l'ordre international », et ceci relève de l'« office du juge international » (pp. 8-9) ; il est vrai que ces principes sont « abstraitement formulés », mais il convient de distinguer entre leur production et leur concrétisation par d'autres normes : le degré d'abstraction ne constitue aucunement un obstacle à la validité d'une norme et il ne semble pas non plus extraordinaire qu'une norme de contenu très abstrait et général soit amenée à être concrétisée par des normes plus techniques produites par les organes d'application du droit (tel est aussi le cas du juge interne qui applique le principe de droit civil de liberté contractuelle !).Pour une critique de la supposée compétence du juge international de production de principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, cf. Alain Pellet, Recherche sur les principes généraux du droit international, Thèse Paris II, 1974, 504 p.449 La terminologie des juridictions internationales apparaît fluctuante. Elles utilisent en effet certains termes tant pour désigner des coutumes que des principes généraux de droit reconnus, à l'instar des expressions «principe», «principe de droit international», «principe général», «principe cardinal». La doctrine affirme parfois que ces fluctuations relèvent d'un procédé rhétorique : par elles, le juge souligne un supposé caractère fondamental de la norme à laquelle il se réfère, tout en se dispensant de démontrer que les deux éléments constitutifs de la norme coutumière en question sont en l'espèce réunis ; cf. par exemple le commentaire de Pierre-Michel Eisemann, « L'arrêt de la CIJ du 27 juin 1986 (fond) dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci », AFDI, 1986, pp. 153-191, spécialement pp. 173-178. 450 La Cour internationale de justice ne s'est référée explicitement aux principes généraux de droit reconnus de l'article 38 que dans deux cas, et à chaque fois pour écarter l'existence du principe invoqué ou son applicabilité en l'espèce (C.I.J., 12 avril 1960, Droit de passage en territoire indien, Rec. 1960, p. 6 ; C.I.J., 18 juillet 1966, Statut international du Sud-ouest africain, Rec. 1966, p. 39)451 Il s'ensuit que c'est surtout la doctrine qui réalise le travail d'identification de cette catégorie de normes. Cf. par

190

toutefois développée dans les systèmes juridiques internationaux particuliers, tels ceux de la Convention

européenne des droits de l'homme ou de l'Union européenne452 453. Ainsi, la Cour de justice des

communautés européennes, devenue Cour de justice de l'Union européenne, applique de tels principes,

ou du moins des normes qui y ressemblent grandement454 (CJUE, 6 juin 2011, Miles e.a., affaire C-

196/09). Dans la terminologie propre au droit de l'Union européenne, l'expression « principe général du

droit » correspond en large partie, mais pas toujours très clairement455, à la forme normative « principes

généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». Pour des raisons formelles, il convient toutefois

exemple, une partie considérable de l'œuvre d'Alfred Verdross dont : « Les principes généraux de droit comme source du droit des gens », Annuaire de I'Institut de Droit International, vol. 37, 1932, pp. 283-328 ; op. cit. note 433 (1968) ; Plus récemment, cf. Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7ème éd., 2002, LGDJ, 1510 p., p. 533 : « on peut de façon pragmatique distinguer quelques grandes catégories :

a) principes rattachés à la conception générale du droit :- Abus de droit et principe de la bonne foi : C.I.J., Essais nucléaires, Rec. 1974, p. 268 et 473- Nul ne peut se prévaloir de sa propre faute : C.P.I.J., Usine de Chorzow, 1927, série A n°9, p.31- Toute violation d'un engagement comporte obligation de réparer le préjudice subi :C.P.I.J., Usine de Chorzow, 1927, série A n°9, p.21, et 1928, série A n°17, p.29.- Principes de sécurité juridique et du respect de la "confiance légitime" : C.J.C.E, 9 juillet aff. 10/69, Portelange c. Smith Corona, Rec. p. 309b) principes de caractère contractuel transposés à la matière des traités :- principe de l'effet utile : C.J.C.E., 29 nov. 1956, aff. 8/55, Rec. 1955-1956, p.291- principes relatifs aux vices du consentement et à l'interprétation- Force majeure : C.P.I.J., Emprunts serbes, série A n°20, p.39-40c) principes relatifs au contentieux de la responsabilité - principe de la réparation intégrale du préjudice : C.P.I.J., Wimbledon, 1923, série A n°1.- intérêts moratoires : C.P.I.J., Wimbledon, ibid.- exigence d'un lien de cause à effet entre le fait générateur de la responsabilité et le préjudice subi : C.P.I.J., Wimbledon, ibid.

d) principes de procédure contentieuse : leur transposition dans l'ordre international est pleinement justifiée par le degré de perfectionnement atteint par l'organisation juridictionnelle interne, sous réserve de la place réduite laissée aux individus.

- autorité de la chose jugée : C.I.J., Effets des jugements du T.A.N.U., Rec. 1956, p.61.- Nul ne peut être juge et partie : C.P.I.J., Frontières entre la Turquie et l'Irak, série B, n°12, p.32- égalité des parties : C.I.J., Jugements du TAOIT, Rec. 1956, p.85.- Respect des droits de la défense, dans la jurisprudence de la C.J.C.E.e) principes du respect des droits de l'individu :- protection des droits fondamentaux : C.J.C.E., aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, où la Cour déclare s'inspirer des « traditions constitutionnelles communes aux États membres » (Rec. p. 1125).- protection spécifique des droits des agents publics : Concl. Warner sur C.J.C.E., 15 juin 1976, aff. 110/75, Mills c. BEI, Rec. 1976, p.955.- principe général selon lequel les tribunaux doivent être établis par la loi : T.P.I. pour l'ex-Yougoslavie, 2 octobre 1995, IT-94-1-AR72, Tadic, par. 41-47.f) principes portant sur le régime des actes juridiques : outre les implications du principe de sécurité juridique évoqué plus haut, on peut relever dans la jurisprudence de la C.J.C.E. le recours à des principes relatifs à l'effet intertemporel des actes juridiques, au retrait des actes administratifs créateurs de droit, à la "balance des intérêts en présence" ».

452 Cf. déjà à propos de la C.E.C.A., cf. C.J.C.E., 12 juillet 1957, Dineke Algera, 7/56 et 3 à 7/57, Rec. p. 81. 453 Cf. inter alia : Paul Reuter, « Le recours de la CJCE à des principes généraux de droit communautaire », in : Mélanges offerts à Henri Rolin – Problèmes de droit des gens, Pedone, Paris, 1964, 536 p., pp. 263-283 ; Michael Akehurst, « The application of general principles of law by the Court of Justice of the European Communities », BYBL, 1981, pp. 29-52 ; Pierre Pescatore, Les principes généraux du droit en tant que source du droit communautaire, Rapport au 12e Congrès de la FIDE, Paris, 1986 ; Denys Simon, « Y-a-t-il des principes généraux du droit communautaire ? », Droits, 1991, pp. 73-86 ; Alain Pellet, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », Collected Courses of the. Academy of European Law, 1994, vol. 5, t. 2, pp. 193-271 ; Rebecca-Emmanuela Papadopoulou, Principes généraux du droit et droit communautaire, origines et concrétisation, Bruylant, Bruxelles, 1996, 319 p. ; Sigrid Jacoby, Allgemeine Rechtsgrundsätze – Begriffsentwicklung und Funktion in der Europäischen Rechtsgeschichte, Duncker & Humblot, Berlin, 1997, 319 p. ; Helmut Lecheler, « Der Beitrag der allgemeinen Rechtsgrundsätze zur

191

de distinguer deux catégories de « principes généraux du droit »456 : d'un côté, les « principes généraux

du droit » propres au droit de l'Union européenne, dont la validité découle uniquement des traités

constitutifs de l'Union européenne457 458; de l'autre côté, les « principes généraux du droit » dont la

validité se fonde sur le droit international lui-même, tout en étant applicables dans le système juridique

de l'Union, puisqu'il s'agit d'un sous-système juridique du droit international général. Seuls les derniers

sont authentiquement des « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».

Europäischen Integration », Zeitschrift für Europarechtliche Studien, vol. 3, 2003, pp. 337-352. Dans les domaine spéciaux de la fonction publique, cf. Hans-Heinrich Lindemann, Allgemeine Rechtsgrundsätze und europäischer öffentlicher Dienst, 1986, Duncker & Humblot, Berlin, 262 p. ; du droit international privé, cf. Axel Metzger, Extra legem, intra ius : allgemeine Rechtsgrundsätze im europäischen Privatrecht, Mohr Siebeck, Tübingen , 2009, 622 p. 454 La jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (ex-Cour de Justice des Communautés Européennes) présente une proximité avec celle des juridictions internationales classiques. Les principes généraux de droit reconnus identifiés par la Cour de justice se distinguent cependant en certains cas, mais non toujours, de ceux du droit international général, ce qui tient aux spécificités de la structure juridique même de l'Union européenne. Il est intéressant d'observer que certains principes généraux de droit reconnus appartenant au droit international général existent aussi en droit de l'Union européenne alors même que cette existence est douteuse eu égard à la structure du droit de l'Union européenne (par exemple, la responsabilité de l'État en cas de manquement, cf. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, affaires C-6/90 et C-9/90).455 La terminologie employée dans le cadre du droit de l'Union européenne n'est en réalité pas univoque. Les Professeurs Jean Boulouis et Roger-Michel Chevallier relèvent en 1996 quatre significations de l'expression «principes généraux du droit» en droit communautaire : 1. Les principes inhérents à tout système juridique organisé ; 2. Les principes déduits du droit des États-membres (techniquement proches des principes généraux de droit reconnus de l'article 38 C.I.J) ; 3. Les principes résultant de la nature propre aux communautés européennes ; 4. Les droits fondamentaux. Cf. : Grands arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes, tome 1, 6ème éd., Dalloz, Paris, 1994, 434 p., p. 91.456 Le juge de l'Union européenne tend à confondre dans une même expression – les «principes généraux du droit» – deux formes normatives en réalité différenciées ; il se réfère en effet de la même façon au droit international général qu'il applique dans certaines circonstances qu'au droit de l'Union européenne en tant que système juridique propre (cf. infra « Les principes généraux du droit communautaire »). L'affaire Francovich illustre une telle confusion, puisque la Cour de justice commence par rappeler la particularité du droit communautaire (« Le traité CEE a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s'impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique », cf. §. 31), pour s'appuyer par la suite sur un principe général du droit international qui permet de justifier l'engagement de la responsabilité de l'État en son ensemble en cas de manquement (« en l'absence d'une réglementation communautaire, c'est à l'ordre juridique interne de chaque État membre qu'il appartient de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice » ; §. 42) ; cf. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, affaires C-6/90 et C-9/90. 457 Le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne ne contient pas de référence générale aux «principes généraux du droit communautaire» à l'exception de l'article 215 (version originaire) qui fonde le régime de responsabilité extra-contractuelle de la Communauté sur les « principes généraux communs aux États membres ». La Cour de justice justifie la large application jurisprudentielle des «principes généraux du droit» par l'article 164 (version originaire) qui attribue à la Cour la charge d'assurer le respect du droit. La Cour de justice occupe ainsi une position centrale en matière d'identification de la «légalité communautaire».458 Lorsque le juge de l'Union européenne se fonde sur un «principe général du droit» propre à l'Union européenne, sa démarche reste proche de celle pratiquée dans le cadre du droit international général. Le juge de l'Union commence le plus souvent par constater une validité commune du «principe général du droit» en question dans les systèmes juridiques des États membres in foro domestico. Le «principe général du droit» européen doit aussi être apte à être transféré au sein du système juridique de l'Union européenne, ce qui suppose qu'il ne soit en contradiction ni avec les traités, ni avec la spécificité du système juridique de l'Union européenne. Il s'ensuit que le juge de l'Union évalue certains principes généraux de droit reconnus identifiés par d'autres juges internationaux comme non relevants en droit de l'Union européenne, ce dernier étant un système juridique propre, non intégralement assimilable au droit international (cf. Alain Pellet, op. cit. note 453 ; Theodor Shilling, « The Autonomy of the Community Legal Order : An Analysis of Possible Foundations », Harvard International Law Journal, vol. 37, 1996, pp. 389-409). La Cour de justice considère par

192

Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées se distinguent aussi des « principes

du droit international ». Il est vrai que le contenu des « principes du droit international » présente

parfois une ressemblance avec l'un ou l'autre principe bien connu du droit interne459 (principes pacta

sunt servanda460, de bonne foi, d'équité, d'égalité, d'interdiction du recours à la force461...), mais il s'agit

en réalité de coutumes, puisque leur processus de formation est dès l'origine coutumier462. La formation

d'un « principe du droit international » n'est en effet aucunement conditionnée par un élément autonome

du droit international, c'est-à-dire par leur contenu commun aux différents droits nationaux. La Cour

internationale de justice constate ainsi, à l'occasion de l'affaire Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua463, la forme coutumière des principes de prohibition de l'emploi de la force, de non-

intervention, de droit humanitaire, ainsi que de souveraineté. Les « principes (parfois généraux) du droit

international », dont la production ne s'effectue pas par extraction à partir du droit interne, se définissent

comme une coutume universelle, ou du moins largement généralisée464 (C.P.I.J., 7 septembre 1927,

exemple que le principe de réciprocité – qui implique entre autres l'exceptio non adempleti contractus – n'est pas transférable en droit de l'Union européenne ; un État membre ne dispose pas dans le cadre de l'Union de la compétence pour se faire justice à lui-même en raison de l'existence de procédures propres destinées à sanctionner un manquement de l'État (CJCE, 13 novembre 1964, Luxembourg et Belgique, affaire 90-91/63, rec. 1217).459 La terminologie n'est pas univoque, y compris dans la doctrine de droit international. Le Dictionnaire de la terminologie du Droit international constate en 1960 cinq significations de l'expression « principes du droit international ou du droit des gens » par (Sirey, Paris, 1960, 755 p., pp. 473-474) : 1. L'ensemble des normes juridiques qui régissent le domaine des relations internationales ; 2. Les normes supposées fondamentales du droit international qui n'ont ni valeur coutumière, ni valeur conventionnelle, soit les « usages établis entre nations civilisées, [les] lois de l'humanité, [les] exigences de la conscience publique » selon la formule des conventions de La Haye de 1899 et 1907 ; 3. Les normes les plus générales ou les plus importantes du droit international, indépendamment de leur forme normative, à l'instar de « toute violation d'un engagement comporte l'obligation de réparer », cf. CPIJ, 13 septembre 1928, Usine de Chorzow (Allemagne c/ Pologne), série A, n° 17, p. 29 ; 4. Les normes de gestion des relations internationales contemporaines : principes politiques et juridiques tels les cinq principes énumérés par le traité de Panch Sila en matière de coexistence pacifique et, par la suite, les principes contenus dans la Déclaration d'Helsinki, la Déclaration de Paris, les déclarations de l'Assemblée générale de l'ONU relatives aux relations amicales entre les États, à l'octroi de l'indépendance aux peuples colonisés ou à la souveraineté sur les ressources naturelles ; 5. Les principes communs aux grands systèmes de droit contemporains qui seraient applicables à l'ordre juridique international. La dernière signification paraît encore la plus proche de celle du principe général de droit reconnu ; Jules Basdevant indique en effet qu'il s'agit des « propositions premières consacrées par le droit interne des nations civilisées en tant qu'elles sont transportables à l'ordre juridique international. » (ibid. pp. 474-475). 460 Sentence arbitrale René-Jean Dupuis, 19 janvier 1977, Texaco-Calasiatic c. Lybie, JDI 1977, p. 350. 461 Pour une opinion contraire selon laquelle les principes du droit international humanitaire auraient forme normative de «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées», cf. Louis Henkin, « Human Rights and State « Sovereignty » », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 25, 1995-96, p. 31 et svtes. La théorie de Louis Henkin est critiquée de suite : Anthony D’Amato, « Human Rights as Part of Customary International Law : A Plea for Change of Paradigms », Georgia Journal of International and Comparative Law, vol. 25, 1995-96, p. 47 et svtes.462 Les Professeurs Jean Combacau et Serge Sur disent qu'« ils peuvent faire virtuellement partie du jus cogens, ou du droit coutumier. Ils sont aussi fréquemment reconnus par voie de traités, soit du fait de leur intégration dans la Charte des Nations Unies (les principes mentionnés au Chapitre I (art. 1 et 2) de la Charte), soit en raison d'une convention spéciale » (par exemple le traité du 27 janvier 1967 sur "les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation des espaces extra-atmosphériques") » ; cf. Droit international public, 5ème éd/, Montchrestien, Paris, 2001, 815 p., p. 108.463 CIJ, 27 juin 1986, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Nicaragua/États-Unis), Rec. 1986, p. 14.464 Le Professeur Denys de Béchillon expose l'analyse suivante (op. cit. note 136, p. 433 en note) : « - La notion de principe général du droit renvoie globalement à la signification d'une règle, à la norme elle-même et non aux actes qui la portent. Plus générales, plus principielles, plus fondamentales, plus humaines, plus justes, plus consensuelles que les autres, certaines normes mériteraient ainsi d'être spécifiées. Elles émergeraient directement de

193

Lotus465).

On la verra, la recherche d'indices relatifs à l'applicabilité interne des principes généraux de droit

reconnus par les nations civilisées dans la pratique des organes internes se heurte à un vocabulaire

hésitant. La confusion fréquente466 entre « principes généraux de droit reconnus » et « principes du droit

international » n'en constitue qu'un des aspects.

β. Le débat relatif à la normativité interne des principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées

La question de la normativité interne des principes généraux de droit reconnus a connu, par le passé, ses

partisans et ses détracteurs. Les arguments avancés par les uns et les autres prêtent chacun à discussion :

les premiers, partant d'une conception jusnaturaliste, affirment que ces principes composent l'essence du

droit international, et qu'ils ont donc tout particulièrement vocation à être appliqués par les organes

internes dans le contexte d'une ouverture du droit interne au droit international (i) ; à quoi il leur est

répondu que les principes généraux de droit reconnus préexistent de toute façon dans les systèmes

juridiques internes, de sorte que leur transformation en droit interne serait superflue (ii).

Le débat a surtout pris place en Allemagne, à propos de l'article 25 LF, avec des échos en Autriche et en

France :

i. Une conception jusnaturaliste en faveur de la normativité interne des principes généraux de droit

l'ordre juridique international sous le poids des nécessités qu'il impose, et refléteraient aussi l'éthique qu'il reflète. Formellement parlant, elles se trouvent donc véhiculées par les actes juridiques du droit international (traités, coutumes, principes généraux de droit). Sont fréquemment invoqués sous leur bannière des règles extrêmement générales, immédiatement matrices de normes plus concrètes (Pacta sunt servanda, non-agression, souveraineté) ou des principes seconds considérés comme relativement importants (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, bonne foi…). Du point de vue de ceux qui emploient ce concept, le principe général du droit, c'est un peu l'esprit du système juridique international.- La notion d'un principe général de droit ne renvoie, par contre, qu'à un mode de formation de la règle de droit, indépendamment de sa signification. Introduits à titre de source subsidiaire dans l'article 38 du Statut de la Cour, ces principes ont essentiellement pour fonction de combler un vide juridique. Dans un tel cas, le juge constate une convergence objective entre les normes élaborées par de nombreuses nations, d'où il induit un principe à proprement parler inter-national ».465 (France c/ Turquie), série A, n°10, pp. 16-17 : « Le sens des mots, principes du droit international, ne peut, selon leur usage général, signifier autre chose que le droit international tel qu'il est en vigueur entre toutes les nations faisant partie de la communauté internationale […] Principes en vigueur entre toutes les nations indépendantes et qui, partant, s'appliquent au même titre à toutes les parties contractantes ». Cf. aussi l'observation du Professeur René-Jean Dupuy dans la sentence arbitrale, Texaco-Calasiatic c. Lybie, 1977, JDI 1977, p. 350 et svtes.466 La confusion apparaît aussi dans la doctrine, les auteurs incluant parfois parmi les principes de l'article 38 §1 [c] les principes généraux du droit international (par exemple, André Blondel, « Les principes généraux du droit devant la C.P.I.J. et la C.I.J. », in : Faculté de droit de Genève, Institut universitaire de hautes études internationales, Recueil d'études de droit international en l'hommage à Paul Guggenheim, A. Lesot, Genève, 1968, 901 p., pp. 201-236). Ceci s'explique sans doute en partie par la généralité du texte de l'article 38 et par le vocabulaire fluctuant utilisé par la jurisprudence : « principes généraux du droit international », « principes généralement acceptés du droit international », « principes généralement reconnus du droit international », « principes bien connus », « principes de droit international », « règles établies ...

194

reconnus par les nations civilisées

Dès les débuts de la Loi fondamentale, une partie de la doctrine allemande soutient que la formulation

« règles générales du droit international », à défaut d'être plus précise en utilisant la catégorisation

proposée par l'article 38 §1 du Statut de la C.I.J., renvoie pour l'essentiel aux principes généraux de

droit reconnus par les nations civilisées. Le professeur de droit public Carlo Schmid, principalement

connu pour son travail d'élaboration de la Loi fondamentale, définit alors de la manière suivante le

processus de formation des normes visées par l'article 25 LF : « Ces règles seraient utilisées en tant

qu’applications utiles de la représentation générale du droit qui existe plus ou moins dans tous les États

civilisés. Elles sont issues d'un accord tacite des hommes de notre espace juridique occidental qui ne

voulaient pas vivre sous un certain niveau de civilisation juridique »467. La description par Carlo Schmid

de l'origine supposée des « règles générales du droit international » présente une proximité certaine avec

le mode de formation des « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés ». Aussi, elle

n'est pas sans rappeler l'œuvre du professeur autrichien Alfred Verdross qui développe, dès avant-guerre,

une influente conception extra-juridique de l'origine du droit international, dans laquelle les principes

généraux de droit reconnus occupent une situation centrale, en tant qu'ils reflètent les fondements

naturels du droit international468.

La lecture de la formulation « règles générales du droit international » défendue par Carlo Schmid

conduit en revanche à l'exclusion des normes coutumières internationales de la sphère d'application de

l'article 25 LF, étant donné que leur formation présuppose assurément l'existence d'une société

internationale déjà juridiquement organisée. De plus, le social-démocrate Carlo Schmid ajoute, avec le

chrétien-démocrate Adolf Süsterhenn, que, étant donné les règles générales générales du droit

international trouvent initialement leur fondement dans une «sphère morale», elles ne comprennent pas

de normes de type technique, de quoi résulte sans doute des difficultés de mise en œuvre dans la sphère

du système juridique interne469.

ii. La caractère superflu de la transposition des principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées dans le cadre du droit interne

La normativité des principes généraux de droit reconnus dans la sphère interne présente une certaine

curiosité : initialement extraits des systèmes juridiques nationaux, ces principes existent encore

467 JöR, vol. 1, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1951, p. 232 : « diese Regeln seien Nutzanwendung der allgemeinen Rechtsvorstellung, die mehr oder weniger in aller zivilisierten Staaten bestehen : ein stillschweigendes Übereinkommen der Menschen unseres abendländischen Rechtskreises, unterhalb eines bestimmten rechtlichen Zivilisationsstandes nicht leben zu wollen. »468 Alfred Verdross traite largement des principes généraux de droit reconnues par les nations civilisées, cf. inter alia : « Les principes généraux de droit comme source du droit des gens », Annuaire de I'Institut de Droit International, vol. 37, 1932, pp. 283-328 ; op. cit. note 433 ; Völkerrecht, 5ème éd., Springer, Vienne 1964, 690 p., p. 147 et svtes 469 Christian Tomuschat, « Die staatsrechtliche Entscheidung für die internationale Offenheit », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds.), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 172, pp. 483-524, p. 489.

195

matériellement sous une autre forme que celle de droit international, soit leur forme interne d'origine.

Cela a été remarqué par nombre d'auteurs allemands470, autrichiens471 ou français472, qui n'ont pas

manqué d'émettre un argument à l'encontre de leur transposition en droit interne : étant donné que le

système juridique interne contient déjà l'équivalent des principes généraux de droit reconnus du droit

international, leur transformation en droit interne devient superflue, ou seulement déclaratoire. C'est

assurément la doctrine allemande qui a le plus développé cet argument, avec détails à l'appui. Elle

remarque ainsi que les principes généraux de droit reconnus n'apparaissent pas seulement déjà dans la

législation interne ordinaire, comme en matière de contrat ou de responsabilité, mais aussi dans la Loi

fondamentale elle-même. Gerhard Schübbe cite, pour illustration, l’article 26 LF qui interdit à la

Fédération de préparer une guerre d'agression473. On peut néanmoins relever plusieurs contre-

arguments :

Les normes relatives aux relations internationales contenues dans les constitutions nationales,

dont l'interdiction du recours à la force ou de la guerre d'agression, ne reproduisent le plus souvent pas

des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, mais des principes du droit

international, autrement dit des coutumes universelles.

Les principes généraux de droit reconnus préexistent certes, pour ainsi dire « par nature », dans

les systèmes juridiques des États, mais leur validité internationale n'est aucunement identique à leur

validité interne d'origine (différenciation formelle). Aussi, le contenu de ces principes dans la sphère

internationale apparaît plus ou moins grandement différencié de leur contenu d'origine : les principes

relatifs aux effets des traités internationaux découlent d'une adaptation des principes relatifs aux effets

des contrats en droit interne, et il ne s'agit donc pas de leur reproduction à l'identique ; il en va de même

du régime de responsabilité de l'État en droit international, qui diverge significativement des régimes

internes de responsabilité se destinant aux particuliers (différenciation matérielle). Et puis, la sphère

d'application des principes internes s'étend aux relations entre particuliers, tandis que les principes

généraux de droit reconnus ont, en raison de leur transfert en droit international, plutôt vocation à régir

les relations entre États (différenciation personnelle).

Les dispositions constitutionnelles nationales attribuent une dimension particulière aux normes

internationales transposées en droit interne. L'article 25 LF en offre une illustration en les dotant d'un

rang supra-législatif474. Assimiler les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées aux

principes internes prétendument équivalents reviendrait à priver l'article 25 LF d'une partie de ses effets

470 Par exemple : Walter Rudolf, op. cit. note 82, spécialement p. 255 et svtes ; Walter Rudolf, op. cit. note 301, spécialement p. 33. 471 Robert Walter, op. cit. note 379, pp. 168-169.472 Florence Poirat, « Jurisprudence française en matière de droit international public », RGDIP, 2001, pp. 239-254473 Gerhard Schübbe, Wesen und Rang der allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 Grundgesetz, thèse, Münster, 1956, 306 p., p. 93.474 Siegfried Magiera, « Völkerrecht und Staatliches Recht », in : Eberhard Menzel, Knut Ipsen (éds.), Völkerrecht, C. H. Beck, Munich, 1990, 1132 p., p. 61 ; Frederick A. Mann, « Völkerrecht im prozess », SJZ 1950, p. 545 et svtes, spécialement p. 548.

196

juridiques.

iii. Les jurisprudences et doctrines nationales actuelles dans le prolongement de la classification

proposée dans le texte de l'article 38 §1 du Statut de la C.I.J.

Les doutes relatifs à la transposition en droit interne des principes généraux de droit reconnus par les

nations civilisées ont diminué au fur et à mesure que les doctrines et jurisprudences nationales ont

accepté leur caractère de forme normative internationale classique. A l'appui, il est remarqué que ces

principes prennent solennellement place à côté de la coutume internationale dans le texte de l'article 38

§1 du Statut de la Cour internationale de Justice475. Cette tendance s'observe dans chaque droit national :

Jusqu’à des décisions récentes, la Cour constitutionnelle fédérale allemande assimile l’ensemble des

normes internationales non écrites aux coutumes internationales, ce qu'elle justifie par la faible

incidence pratique des principes généraux de droit reconnus476. La jurisprudence n'opère alors pas de

distinction entre les coutumes internationales, parmi lesquelles on trouve les normes relatives aux

relations diplomatiques et consulaires ou aux immunités de l'État étranger477, qui présupposent

l’existence d’une Communauté internationale organisée, et les « principes de justice et de paix issus des

droits internes478 », dont le mode de formation est décrit par Carlo Schmid, qui comprennent entre

autres le «droit humanitaire de la guerre»479. Toutes ces normes se transposent en droit interne allemand

sur le fondement de l'article 25 LF.

La Cour constitutionnelle fédérale modifie sa jurisprudence par la suite, sans doute car une incohérence

devient de plus en plus manifeste480 : la formulation « règles générales du droit international » présente

475 Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p, spécialement p. 125 et svtes ; Wolfgang Pigorsch, op. cit. note 27 ; Frank Schorkopf, op. cit. note 22, p. 167 et svtes.476 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (33); 16, p. 27 sqs. (33); 23, p. 288 sqs. (317); 31, p. 145 sqs. (177); 66, p. 39 sqs. (64); BVerfG in: NJW 1988, p. 1462 (1463) : « Les principes généraux de droit sont dans la pratique de l’application du droit international sans importance ».477 BVerfGE 16, p. 27 sqs. (33); 46, p. 342 sqs. (364).478 La doctrine allemande soutient souvent que les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées comprennent des normes réglementant la paix, c'est-à-dire des normes du droit international humanitaire ; cf. Christian Tomuschat, op. cit. note 469, p. 489. Cette tendance de la doctrine nationale va à l'encontre de la doctrine majoritaire de droit international.479 BVerfGE 77, p. 170 sqs. (232).480 L'évolution la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale à propos de la différenciation qualitative des normes internationales tient aussi à la jurisprudence développée par la Cour de justice des Communautés européennes. La Cour de justice procède en effet progressivement à la protection des droits fondamentaux en se basant sur les «principes généraux du droit communautaires» et insiste constamment sur le « transfert de traditions constitutionnelles communes aux États membres » (parmi lesquels la République fédérale d'Allemagne) en droit communautaire, processus qui présente une certaine proximité avec la formation des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.En se référant aux «principes généraux du droit», la Cour de justice réplique d'ailleurs précisément à la jurisprudence Solange I de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (« Aussi longtemps que.. », BVerfGE 37, p. 271, Solange I ; la littérature sur la jurisprudence Solange I est extrêmement abondante. Cf. inter alia, parmi les publications en langue française : Rudiger Stotz, « La primauté du droit communautaire en Allemagne », RFDA, 1990, p. 957 et svtes). La jurisprudence Solange 1 conditionnait alors le renoncement au contrôle des actes dérivés du droit communautaire par le

197

dans l'article 25 LF ne rend peut-être pas compte de la différenciation qualitative des normes visées 481,

mais la Cour procède pourtant déjà à l'identification des coutumes internationales en se servant des

critères du droit international lui-même, soit plus précisément des critères relatifs à praxis et l'opinio

juris. Et rien ne justifie que la même méthode ne soit employée à propos des principes généraux de droit

reconnus, qui se caractérisent par mode de formation propre en droit international. A l'occasion de

l'affaire Kriegsfolgelasten II482, la Cour constate que ces principes occupent une fonction

«complémentaire» particulière dans le droit international, les distinguant par là de la coutume : « les

règles générales du droit international comprennent en premier lieu les coutumes universelles

complétées par les principes de droit international reconnus »483.

Dans des décisions plus récentes, la jurisprudence constitutionnelle s'approfondit encore, de manière à

correspondre davantage à l'état du droit international. Dans un arrêt du 21 mai 1987 484, la Cour

considère que, en vertu de l'article 25 LF, il est interdit aux autorités et juridictions allemandes

d'attribuer des effets juridiques internes à des actes d'États étrangers qui violent une règle générale de

droit international. En l'espèce, l'acte juridique litigieux est une condamnation prononcée à l'issue d'un

procès par contumace, qui avait eu lieu en Italie. Pour justifier sa décision, la Cour vise explicitement

l’obligation internationale de procédure minimale en matière pénale et l’interdiction adressée aux

organes internes de donner effets internes à des actes étrangers pris en violation du droit international.

D'après la Cour, ces normes, qui seraient initialement extraites des systèmes juridiques internes,

consistent apparemment en des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. Dans le

même arrêt, la juridiction précise que « les règles générales du droit international, dans le sens de

l'article 25 LF, sont constituées par le ius cogens, le droit international coutumier et les principes

généraux de droit »485, supprimant ainsi le qualificatif de «complémentaire» précédemment attaché aux

principes généraux de droit reconnus, ce qui peut sembler plus proche de la formulation de l'article 38

§1 du Statut de la C.I.J. qui ne situe pas ces principes parmi les suppléments de la coutume, mais à ses

côtés.

juge constitutionnel allemand à l'existence de garanties communautaires en matière de droits fondamentaux équivalentes à celles de la Loi fondamentale. A l'occasion de sa décision Solange II en date du 22 octobre 1986, la Cour constitutionnelle fédérale renonce largement à intervenir en pratique en matière de contrôle de l'effectivité des droits fondamentaux (cf. 2 BvR 197/83 ; BVerfGE 73, p. 339, ZaöRV n° 48, 1988, p. 77). Le texte de cette décision comprend une longue analyse des «principes généraux du droit» jusqu'alors identifiés et appliqués par la Cour de Justice des Communautés Européennes. 481 Cf. en ce sens : Michael Silagi, « Die allgemeinen Regeln des Völkerrechts als Bezugsgegenstand in Art. 25 GG und Art. 26 EMRK », EuGRZ, 1980, pp. 632-653, spécialement pp. 645-647 ; Rainer Hofmann, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV, vol. 49, 1989, pp. 41-60, spécialement pp. 41-47. 482 BVerfGE 23, p. 288; Kriegsfolgelasten II, § 91 : « il n'y a pourtant pas de coutume internationale, ni de ce droit complémentaire des principes généraux de droit reconnus, qui interdit de faire contribuer les étrangers au recouvrement des conséquences de guerre ».483 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317) : « Bei den allgemeinen Regel des Völkerrechts handelt sich in erste Linie um universell geltendes Völkergewohnheitsrecht, ergänzt durch anerkannte allgemeine Rechtsgrundsätze ».484 Chambre du deuxième Sénat, arrêt du 21 mai 1987 (2 BvR 1170/83).485 « Zu den Allegemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art.25 GG gehören das ius cogens, das Völkergewohnheitsrecht und die allgemeine Grunsätze ».

198

L'évolution de la jurisprudence autrichienne en la matière paraît moins complexe. La jurisprudence

autrichienne relative au droit international général s'appuie en effet largement sur l'œuvre d'Alfred

Verdross, qui lui sert d'auteur de référence. Or, Alfred Verdross s'est grandement employé à analyser les

principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, auxquels il a même consacré quelques

articles486. A sa suite, les juridictions autrichiennes distinguent parfois ces principes des coutumes

internationales. La Cour suprême considère ainsi, à l'occasion d'une décision en date du 27 juin 1989,

que « les règles généralement reconnues du droit international font partie du droit fédéral (art. 9 al. 1 B-

VG) ; y appartiennent le droit international coutumier ainsi que les principes généraux de droit

[reconnus]. Parmi ces derniers, on trouve aussi le respect des droits acquis. La privation de la propriété

privée étrangère est en principe uniquement autorisée avec compensation »487.

De même que la jurisprudence, la doctrine récente évoque de plus en plus souvent les principes de droit

reconnus par les nations civilisées, à côté des coutumes internationales, parmi les «règles généralement

reconnues du droit international»488. Dans tous les cas, rien ne s'oppose à leur validité interne sur le

fondement de l'article 9 B-VG, d'autant plus que la proximité entre les formulations « principes

généraux de droit reconnus » et « règles généralement reconnues » apparaît évidente489.

La notion de « règles du droit public international » présente dans l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 semble elle aussi bien comprendre les principes généraux de droit reconnus par les

nations civilisées. Aussi, l'application immédiate du droit international pratiquée par certains organes

internes, dont les juridictions ordinaires suprêmes, ne contrevient nullement à l'applicabilité interne de

ces principes. L'application immédiate s'étend en effet à l'ensemble des formes normatives

internationales, à moins qu'une spécification constitutionnelle en dispose autrement, tel l'article 55 en

matière de traités internationaux

Dans la pratique, les juridictions se montrent hésitantes quant au vocabulaire à employer 490. Les

486 Cf. supra note 468.487 Le principe du respect des droits acquis est souvent classifié parmi les principes de droit reconnus par les nations civilisées dans la doctrine et la jurisprudence internationale. Cf. Tribunal arbitral, sentence du 23 août 1958, Aramco c. Arabie Saoudite, ILR, vol. 27, p. 117. 488 Cf. inter alia : Hans René Laurer, op. cit. note 166, spécialement p. 353 ; Reinhard Rack, Das Völkerrecht im staatlichen Recht – Transformation und Adoption, Manz, Vienne, 1979, 107 p., p. 54 (l'auteur émet des doutes) ; Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement pp. 749-754 ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement p. 145. D'autres auteurs mentionnent des ensembles de normes qui correspondent pour partie aux principes généraux de droit reconnus. Pour Ignaz Seidl-Hohenveldern, la notion de « règles généralement reconnues du droit international » est extensive et comprend entre autres les règles généralement reconnues du droit international privé et du droit international administratif. Cf., op. cit. note 169, spécialement p. 454.489 Cf. déjà Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 22, spécialement p. 173.490 Cf. en ce sens : Odile Debbasch, « Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international », in : Mélanges en hommage à Jean Boulouis – L'Europe et le Droit, Dalloz, Paris, 1991, 556 p., pp. 139-180.

199

jurisprudences du Conseil constitutionnel491 et de la Cour de cassation492 contiennent peu d'indications

concernant principes généraux de droit reconnus. Le terme de «principe» apparaît dans quelques

décisions du Conseil d'État pour désigner des normes internationales non conventionnelles 493, mais reste

d'un usage général et imprécis :

Le Conseil d'État a utilisé l'expression «principe» à l'occasion de certaines affaires portant sur

des litiges internationaux. Dans l'affaire Nachfolger, qui concerne la destruction d’un navire étranger en

haute mer par la marine française494, le Conseil d'État conclut à la licéité de l'opération, après avoir

considéré qu'elle n'avait été opérée en violation d'« aucun principe de droit international ». En l'espèce,

le principe en question, la liberté de la haute mer, n'est pas rattachable à un quelconque principe

commun aux droits internes dont elle pourrait être l'extraction. Il s'agit clairement d'une coutume

internationale, d'autant plus que son objet consiste à réglementer un espace libre de souveraineté, et non

d'un principe général de droit reconnu.

L'affaire Paulin495 donne ensuite au Conseil d'État l'occasion de se référer délibérément aux

principes généraux de droit reconnu. En l'espèce, le requérant invoque le principe de l’exemption

fiscale sur la pension de retraite qu'il perçoit de la caisse commune des pensions du personnel des

491 Ce n'est qu'à une seule occasion que le Conseil a appliqué un principe général de droit reconnu, en l'occurrence la limitation des effets extra-territoriaux des nationalisations (n° 81.132 DC du 16 janvier 1982 (1e Loi de nationalisation), p. 18 ; 81-139.DC du 11 février 1982 (2e Loi), p. 31). Il s'agirait, selon une partie minoritaire de la doctrine, d'un des aspects d'un principe général de droit reconnu plus large, relatif à l'expropriation des étrangers (cf. Mustafa Kamil Yasseen, « Principes généraux de droit international privé », RCADI, 1965, pp. 383-470 ; Leo T. Kissam, Edmond K. Leach, « Sovereign Expropriation of Property and Abrogation of Concession Contracts », Fordham Law Rev.iew, vol. 28, 1959, pp. 177-240 ; Edouardo Jimenez De Arechaga, « State responsibility for the nationalization of foreign owned property », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 2, 1978, pp. 179-195). Cependant, en l'espèce, le Conseil ne dit rien de manière générale sur l'applicabilité des principes généraux de droit reconnus, et il n'identifie pas clairement la norme internationale en question comme un tel principe. 492 Contrairement à une jurisprudence relativement abondante en matière de coutume, il n’existe pas de références aux principes généraux de droit reconnus dans la jurisprudence judiciaire, même si rien n'exclut leur applicabilité.493 On relève quelques fluctuations dans la terminologie. Par exemple : CE, 29 janvier 1971, S. X…, p. 84 : le Conseil d’État se déclare incompétent pour évaluer la conformité d’un traité international aux «principes généraux du droit international» ; CE, 1er février 1978, Min. de l’Economie c. S. X…, p. 42 : le Conseil d’État relève l’absence de «principes de droit international» faisant de l’ambassade une parcelle de l’État accréditant ; CE, 27 septembre 1985 , France Terre d’Asile, p. 263 : le juge constate que l'acte attaqué est « non-contraire à un principe du droit international » (le « principe du droit international » semble renvoyer à l'ensemble du droit international général, y compris les principes généraux de droit reconnus) ; CE, 27 avril 1998, État de Sarre et autres : le juge se réfère à un «principe général du droit international public» en matière d'environnement pour une affaire de rejets d'effluents radioactifs transfrontaliers (violation non constatée). Dans la jurisprudence judiciaire, cet usage imprécis et hésitant de la terminologie trouve une origine lointaine : le Tribunal de cassation évoque le 16 Messidor an VII (S. 1791, p. 219-1) le « droit commun des puissances », la Cour de cassation employant le siècle suivant le terme de « principe du droit des gens » pour désigner la souveraineté des États (22 Janvier 1849, S. 1849. 1. p. 81 note Devill). 494 CE, sect., 23 octobre 1987, Sté. Nachfolger, Leb. p. 319 concl. Massot ; chron. Michel Azibert, Martine de Boisdeffre, AJDA, 1987, p. 725 . En l’espèce, une autorité administrative (le préfet maritime) ordonne la destruction un navire étranger abandonné, chargé d’explosifs et dérivant vers les côtes françaises, mais encore situé au-delà des eaux territoriales. Cette décision, même si elle semble être en violation de la liberté de la haute mer, correspond à la coutume internationale selon laquelle « Les États devront prendre toutes les mesures utiles pour empêcher la pollution des mers », y compris en haute mer, codifiée dans l'article 7 de la Déclaration de Stockholm adoptée en 1972 par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement. L'article 221 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 confirme ce droit extra-territorial des États en cas de pollution maritime. Cf. David Ruzié, « La destruction d'une épave en haute mer : problèmes de droit interne et de droit international », RFDA, 1988, pp. 345-349.495 CE, 28 juillet 2000, M. Paulin, Rec., p. 317.

200

Nations unies. Le principe de l'exemption fiscale est supposé non écrit, étant donnée qu'il n'a jamais fait

l'objet d'un traité spécial. Sans même examiner la positivité de la norme en question, la juridiction

conclut au caractère inopérant d’un tel moyen : « ni cet article (article 55) ni aucune autre disposition de

valeur constitutionnelle ne prescrit ni n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume

internationale ou même un principe général de496 droit international sur la loi en cas de conflit entre

d’une part, ces normes internationales et d’autre part, la norme législative interne ». Comme le juge ne

dispose pas de la compétence d'écarter la loi au profit du droit international, il lui est de toute façon

inutile de statuer quant à la positivité même de la norme invoquée497. Le juge administratif n'en étend

pas moins sa jurisprudence de principe Aquarone498, quant à elle relative aux coutumes, aux principes

généraux de droit reconnus par les nations civilisées, tout en distinguant assurément ces formes

normatives499.

En résumé, dans les différentes pratiques nationales, et à l'image de la jurisprudence Paulin, les organes

d’application du droit tendent à distinguer de manière croissante les principes généraux de droit

reconnus par les nations civilisées des autres formes normatives internationales.

Les doutes quant à la normativité interne des principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées ont en réalité cessé depuis que la polémique relative à la positivité même de cette forme

normative en droit international a pris fin500. Dès lors que rien ne s'oppose à leur validité dans la sphère

internationale, leur appartenance à l'ensemble de normes visées par la disposition constitutionnelle

nationale relative au droit international général semble en effet acquise.

Les normes non conventionnelles du droit international demeurent avant tout, ne serait-ce que

quantitativement, les normes coutumières. Et, si l'on admet généralement leur applicabilité interne, leur

nature conjoncturelle501, à l'opposé du ius cogens ou même des principes généraux de droit reconnus qui

présentent une stabilité certaine, en constitue peut-être un obstacle.496 Nos italiques.497 En dépit du motif du juge administratif relatif à la prévalence du droit interne, la décision Paulin ne paraît pas en violation du droit international. En effet, les immunités et les privilèges cessent en principe de bénéficier à leur titulaire dés la fin de leur fonction (principe accessorium sequirtus ; « l’accessoire suit le sort du principal »). A l'occasion de l’affaire Laperdrix et Penquer c/ Kouzou-boff et Belin, la Cour de Paris estime dans son jugement du 9 avril 1925 que « le principe de l’immunité diplomatique érigé dans l’intérêt des gouvernements et non dans celui des diplomates ne s’étend pas au-delà de la mission […]. la thèse contraire aboutirait au profit de l’agent diplomatique à une sorte de prescription et une irresponsabilité indéfinie ». Le Conseil d’État, en constatant préalablement que l’exemption à l’impôt sur la pension perçue ne peut être considérée comme un privilège nécessaire à l’exercice par le requérant de ses fonctions, vérifie la conformité de la décision par rapport au droit international, alors même qu'il prétend ne pas appliquer prioritairement celui-ci. 498 C.E., Ass., 6 juin 1997, Aquarone. La ressemblance entre les motifs apparaît évidente : « ni [l’article 55 de la Constitution] ni aucune autre disposition de nature constitutionnelle ne prescrit ni n’implique que le juge administratif ne fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes. » (Aquarone à comparer avec Paulin).499 Le Commissaire du gouvernement Arrighi de Casanova lorsqu’il vise les principes généraux de droit reconnus, en décrivant notamment leur mode de formation propre, utilise de manière systématique l’expression « principes généraux du droit international ».500 Cf. supra. note 433.501 Entre autres, le problème posé par la durée de la pratique conditionnant leur validité.

201

b. Les coutumes

La coutume internationale peut s'analyser comme la norme première du droit international :

formellement, il s'agit de la norme internationale de principe, étant donné qu'en l'absence d'un traité

pertinent dans la situation en question, une coutume internationale réglemente cette situation (y compris

par la permission502) ; matériellement, les principes généraux du droit international sont encore, pour la

plupart, de forme normative coutumière503. La normativité interne de la coutume sur le fondement des

dispositions constitutionnelles relatives au droit international général apparaît d'autant moins

contestable qu'elle occupe une place solennelle, à côté du traité international, dans le texte de l'article

38 §1 du Statut de la C.I.J.

α. Aperçu théorique de la coutume (internationale et interne)

Un système juridique peut contenir une norme d'habilitation, implicite ou explicite 504, qui attribue à

certains organes une compétence pour produire des normes coutumières. Par exemple, le droit féodal

habilite la communauté villageoise – le seigneur éventuellement exclu505 – à produire des coutumes

502 A propos de la complétude du système juridique international : Hans Kelsen, PIL, spécialement pp. 438-440 et pp. 527-530.503 Il est curieux de constater que certains auteurs, en raison du développement contemporain du droit international conventionnel mais aussi des débats à propos de la normativité de la coutume de droit interne, se montrent sceptiques quant à l'existence même de coutumes internationales (cf. inter alia : Julio A. Barberis, « la coutume est-elle une source du droit international ? » in : Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Mélanges Michel Virally, A. Pedone, Paris, 1991, 511 p., p. 43-52 ; Jack L. Goldsmith, Eric A. Posner, « A Theory of Customary International Law », University of Chicago Law Review, vol. 66, 1999, pp. 1113-1177). Cette opinion manque sans doute de perspective historique : les auteurs classiques considèrent même que la coutume constitue la norme principale du droit international, les traités internationaux n'intervenant que marginalement (cf. inter alia : Emmerich de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains , Londres, 1758 ; Theodor von Schmalz, Das europäische Völkerrecht, livre 3, Berlin, 1817 ; Heinrich Triepel, Die neuesten Fortschritte auf dem Gebiete des Kriegsrechts, Leipzig, 1894).504 Cf. l’opinion de Hans Kelsen : « Si, outre des lois écrites, un système juridique comprend des lois coutumières, si les organes d’application du droit et notamment les tribunaux doivent appliquer non seulement les lois générales créées par l’organe législatif – les lois écrites – mais aussi les lois générales établies par la coutume, alors on considère la coutume comme un fait créateur de droit au même titre que la législation. Cela n’est possible que si la législation, au sens matériel, institue la coutume comme procédure de création du droit de la même façon qu’elle institue la législation. A l’instar de la législation, la coutume doit être une institution constitutionnelle. Cela peut être prescrit par la constitution de manière expresse ; il arrive de même que la relation entre droit écrit et droit coutumier soit réglée de manière expresse. Dans sa totalité ou en partie, la constitution elle-même peut être de droit écrit – du droit coutumier. Ainsi, la coutume peut être un fait créateur de droit en vertu de la coutume même. Si un ordre juridique a une constitution écrite qui n’institue pas la coutume comme mode de création du droit, et s’il se compose néanmoins de droit écrit et de droit coutumier, alors outre les normes de la constitution écrite il doit exister des normes constitutionnelles non-écrites, une norme créée par la coutume selon laquelle les normes générales qui lient les organes d’application du droit peuvent être créées par la coutume. Tout comme le droit écrit, le droit coutumier règle sa propre création . » ; cf. Théorie générale de l’État et du droit, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, 518 p., pp. 180-181. 505 L’opinion de Karl Marx à propos du « droit coutumier des pauvres » présente, d'un point de vue historique, un certain intérêt : « Si les droits coutumiers nobles sont des coutumes contraires à la notion de droit raisonnable, les droits coutumiers de la pauvreté sont des droits contraires à la coutume du droit positif […]. Ces coutumes propres à la classe pauvre sont régies ainsi par un sens instinctif du droit ; leur racine est positive et légitime et la forme du droit coutumier est ici d’autant plus proche de la nature que l’existence même de la classe pauvre n’est jusqu’à présent qu’une simple coutume de la société civile qui n’a pas encore trouvé une position adéquate au sein de l’organisation consciente de

202

relatives à la répartition des terres en jachère, au ramassage du bois, à la propriété communale d'une

partie des terres ou du bétail ; de même, le droit international habilite les États à produire des coutumes

internationales pour régir un domaine matériel (selon le contenu) extrêmement large, si ce n'est

illimité506 : principes relatifs aux traités internationaux, principes relatifs à la répartition des territoires et

à leur exploitation, aux espaces lires de souveraineté, règles relatives à la nationalité, réglementation de

la guerre qui peut comprendre tant les permissions et prohibitions relatives à l'emploi d'armes pendant

les conflits armés que la protection des civils pendant ces mêmes conflits...

Les normes d’habilitation du système juridique en question déterminent les conditions de validité de la

coutume. Globalement, la coutume se forme par la réunion de deux éléments factuels507, qui constituent

ses conditions de validité : la pratique (i) et le sentiment de la force obligatoire de la norme (ii).

i. La pratique

La «pratique» (praxis, élément matériel) consiste dans la répétition prolongée et constante d’un même

comportement externe. Il peut s'agir d'un acte positif, c'est-à-dire une action (le fait pour les États de

pourchasser systématiquement les pirates), ou d'un acte négatif, c'est-à-dire une abstention (le fait pour

les villageois de ne jamais pénétrer dans tel recoin de la forêt ou le fait pour les États de ne pas

contrôler individuellement certains espaces telle la haute mer). C'est la norme d’habilitation du système

juridique en question qui fixe la durée minimale de ce comportement constant et la quantité des

occurrences requises (« constance-continuité »). A propos du droit international, la Cour internationale

de justice dit que : « le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue pas en soi un

empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit international coutumier » (C.I.J., 20 février

1969, Plateau continental de la mer du Nord). De même, une « uniformité-concordance » plus ou moins

importante des comportements successifs est requise, et ce, tant pour la validité même de la norme l’État. », article du 25 octobre 1842 à propos des débats relatifs à la loi sur le vol du bois, Rheinische Zeitung. Dans le cadre des systèmes juridiques pré-modernes, la « classe pauvre » bénéficie d'une habilitation pour produire des normes coutumières, qui appartiennent dès lors au droit positif. Toutefois, cette habilitation demeure limitée par les prérogatives féodales . Elle est ensuite totalement ou presque totalement supprimée sous les États modernes.Cf. aussi, dans un même sens, à propos de l'évolution de la Rome primitive : Walter Eder, « The political significance of the codification of law in archaic societies : an unconventional hypothesis », Kurt A. Raaflaub (éd.), Social Struggles in Archaic Rome, John Wiley & Sons, Berkeley/Los Angeles, 2008, 448 p., pp. 262-300.506 La sphère matérielle réglementée par les coutumes internationales apparaît même illimitée, étant donné que le droit international, dont les principes sont coutumiers, dispose lui-même d'une sphère de validité matérielle illimitée. Plus généralement, la sphère matérielle du droit international est – en tant que système juridique délégataire ultime – potentiellement illimitée : le droit international peut prévoir toutes sortes d'obligations à destination de l'État (y compris en matière politique), le principe de souveraineté n'étant qu'une « auto-limitation » prévue par le droit international lui-même. Cf. : Hans Kelsen, PIL, spécialement pp. 290-301.507 Le Professeur Otto Pfersmann décrit ainsi le mode de formation de la coutume : « La coutume n'est d'une manière générale qu'une modalité de production normative par comportements répétés et juridiquement pertinents, c'est-à-dire clairement visibles en tant qu'actes intentionnellement réalisés en vue d'une production de normes juridiques. Traditionnellement, on parle d'un élément objectif (les comportements) et d'un élément subjectif ou opinio necessitatis (la conscience de la pertinence juridique de ces comportements) ; en vérité, les deux ne peuvent qu'être objectifs car autrement la juridicité des actes ne serait pas reconnaissable. » ; cf. « Forme écrite et forme coutumière : une fausse opposition », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, pp. 75-76.

203

coutumière que pour son maintien en vigueur. En ce qui concerne le droit international, toujours selon

la Cour internationale de justice : « [Il] paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières,

que les États y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les

comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas

comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle. Si un État agit d’une manière

apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des

exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt

qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur

cette base » ; cf. C.I.J., arrêt, 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua.

ii. Le sentiment de la force obligatoire

Le «sentiment de la force obligatoire» (opinio juris sive necessatis, élément psychique) réside en ce que

les individus habilités à produire la norme soient convaincus qu’ils exécutent par leur comportement

une norme déjà valide508.

L'entrée en vigueur509 d'une norme coutumière se trouve conditionnée par la croyance des individus en

une norme – une interdiction, une permission ou une obligation – qui n’appartient pas encore au

système juridique positif. Si l'on prend en considération toutes les configurations juridiques possibles, et

pas uniquement celles valables dans les systèmes juridiques positifs contemporains, rien n'exclut que la

norme à laquelle s'attache une telle croyance en sa force obligatoire soit de toute sorte : morale (par

exemple, l'obligation pour les démocraties de mettre fin à des régimes dictatoriaux), religieuse (la

croyance que pénétrer sur un certain territoire offenserait des esprits), mais aussi juridique. Donc, de la

croyance en la positivité d'une norme juridique, même incorrecte eu égard à l'état du droit en vigueur,

pourrait résulter la formation d'une norme juridique. La possibilité même de ce phénomène a été

grandement contestée par une partie de la doctrine, en raison de son apparente irrationalité : la croyance

en quelque chose qui n’existe pas (une erreur) conditionne l’entrée en vigueur d’une norme – quelque

508 Une partie de la doctrine considère que l'opinio juris ne constitue pas une condition d'existence de la norme coutumière, mais un critère permettant de l'identifier ; cf. dans une littérature extrêmement abondante, le résumé de : Julio A. Barberis. « Réflexions sur la coutume internationale », AFDI, vol. 36, 1990, pp. 9-46. Cette opinion paraît discutable sur plusieurs points, entre autres : 1. Négativement, rien (ni sa nature subjective, ni sa supposée irrationalité) ne permet de conclure qu'il est impossible que l'opinio juris soit une condition de formation de la coutume ; 2. Même s'il était avéré que l'opinio juris ne constituait pas à l'origine une condition de formation de la coutume internationale, elle l'est devenue dans la période contemporaine à travers la pratique internationale dominante (cette pratique a pu entraîner la modification de la norme coutumière réglementant la formation des coutumes internationales.)509 La création d'une norme, c'est-à-dire l'attribution de sa validité dans un système juridique.

204

chose qui existe510. Et pourtant, ce phénomène ne semble nullement impossible 511. Pour illustrer ce qui

vient d'être dit, la conviction des villageois selon laquelle il est devenu juridiquement prohibé de

pénétrer dans tel ou tel recoin de la forêt, car le seigneur en aurait fait sa chasse gardée, peut aboutir à

un certain terme à l’entrée en vigueur d’une coutume qui interdit effectivement la traversée de cette

partie de la forêt, ou toute autre activité en ces lieux, assortie d'une sanction en cas de violation. Tout

dépend en réalité du contenu des normes d'habilitation relatives à la production du droit coutumier du

système juridique en question. En l'état du droit international, du moins selon la Cour internationale de

justice, seule la croyance en l’existence d’une obligation de type juridique permet l’entrée en vigueur

d’une norme coutumière : « Les États doivent […] avoir le sentiment de ce qui équivaut à une

obligation juridique. Ni la fréquence, ni même le caractère habituel des actes ne suffisent. Il existe

nombre d’actes internationaux, dans le domaine du protocole par exemple, qui sont accomplis presque

invariablement mais qui sont motivés par de simples considérations de courtoisie, d’opportunité ou de

tradition et non par le sentiment d’une obligation juridique » (C.I.J., 20 février 1969, Plateau

continental de la mer du Nord).

La doctrine n'a pas non plus manqué de s'interroger sur la possibilité même du phénomène suivant : la

violation d’une norme juridique pourrait conduire à sa destruction et sa substitution par une norme

coutumière nouvelle s’appliquant à la même situation, et ce, même lorsque cette violation n'est que

motivée par la croyance en la validité d'une autre norme. Hans Kelsen propose l'analyse suivante :

« Il existe de multiples façons de créer les normes juridiques : les normes générales par la

coutume ou la législation, les normes particulières par des actes juridictionnels, administratifs ou

juridiques. Le droit est toujours créé par un acte ayant pour but délibéré la création du droit, exception

faite des cas où le droit trouve son origine dans la coutume, c’est-à-dire dans une conduite généralement

observée, où la création du droit n’est pas un but consciemment poursuivi par les agents ; les agents

doivent toutefois considérer leurs actes comme étant conformes à une norme obligatoire, et non comme

une affaire de choix arbitraire. Telle est l’exigence de ce que l’on appelle opinio juris sive necessitatis.

Selon l’interprétation courante, les individus qui par leur conduite établissent la coutume créatrice de

droit doivent considérer que leurs actions sont déterminées par une règle de droit ; ils doivent croire

510 Cf. l’opinion de Hans Kelsen, à propos des coutumes internationales : « L’élément [psychique] correspond, en droit coutumier interne, à ce que la théorie du droit romain appelle opinio juris sive necessatis ; cela veut dire la conviction des individus qu’ils ne sont pas libres mais qu’ils sont obligés ou autorisés à accomplir les actes qui constituent la coutume créatrice du droit ; obligés ou autorisés par une norme supposée comme valable. La théorie dominante est d’avis qu’il s’agit ici (dans cette intention subjective des sujets dont les actes constituent la coutume internationale) de la réalisation de normes de droit international. Mais si les sujets, qui accomplissent ces actes, pensent qu’en les faisant ils exécutent déjà du droit positif, ils se trompent ; car ce droit ne se trouve encore que in statu nascendi. Le sens subjectif avec lequel l’acte se présente ne répond pas, pas encore, au sens objectif » ; cf. « Théorie du droit international coutumier », reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 61-84, p. 71.511 La croyance en une norme (relevant de l'«être») n'est pas la norme elle-même (relevant du «devoir-être»), de sorte qu'il ne peut y avoir entre eux de contradiction.

205

qu’ils obéissent à une obligation juridique ou exercent un droit subjectif. Cette doctrine est

inacceptable. Elle suppose que les individus concernés se fourvoient nécessairement : la règle juridique

étant créée par leur conduite elle ne peut déterminer cette conduite, du moins en tant que règle

juridique. Ils peuvent à tort se croire liés par une règle juridique, mais une telle erreur n’est pas

nécessaire pour constituer une coutume créatrice de droit. Il suffit que les individus agissant se

considèrent comme étant liés par une norme quelle qu’elle soit.512 ».

Il n'est pas exclu que la violation d’une norme juridique entraîne sa destruction et l’entrée en vigueur

d’une norme nouvelle partiellement ou totalement contraire513, pour autant que ce comportement

remplisse les conditions déterminées par les normes d'habilitation du système juridique en question. Le

droit d’ingérence en offre (éventuellement) une illustration dans le contexte du droit international

contemporain. La pratique régulière de guerres d’agression par certains États à l'encontre d’autres États

accusés de violer dans leur sphère de souveraineté un ensemble d'obligations – les droits de l'homme ou

le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – constitue initialement une transgression du droit

international, mais qui peut aboutir à la formation d’une coutume internationale nouvelle autorisant

l’exercice du droit d’ingérence.

Toutes ces incertitudes n'empêchent pas que la coutume internationale demeure une forme normative

internationale à côté d'autres, et qu'elle se trouve d'ailleurs principalement visée par les dispositions

constitutionnelles nationales relatives au droit international général :

β. La coutume, forme normative principalement visée par les dispositions constitutionnelles nationales

relatives au droit international général

Dans les doctrines autrichienne et française, on voit difficilement à quelles formes normatives font

référence les dispositions constitutionnelles nationales relatives au droit international général, si ce n'est

en premier lieu la coutume internationale (i.). En revanche, une tendance doctrinale allemande, qui

conçoit la Loi fondamentale comme manifestant une systématique, affirme que la fonction première de

512 Cf. Théorie générale de l’État et du droit, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, 518 p., p. 168. Également : « Cette théorie selon laquelle les actes constituant la coutume doivent être exécutés dans l’intention d’accomplir une obligation juridique ou d’exercer un droit (dans le sens technique du mot), c’est-à-dire d’exécuter une règle de droit déjà en vigueur, cette théorie est évidemment fausse. Car une telle interprétation de l’élément psychique dit opinio juris sive necessatis a pour conséquence que le droit coutumier ne peut prendre naissance que par une erreur des sujets constituant la coutume. C’est pourquoi quelques auteurs admettent que la prétention subjective avec laquelle les actes qui forment la coutume se présentent doit simplement être qu’ils réalisent des normes qui doivent devenir du droit, des commandements de la morale ou de la justice […]. La théorie qui considère l’élément psychique dit opinio juris sive necessatis comme essentiel à la formation de la coutume a pour conséquence une opinion souvent développée, selon laquelle, dans l’accomplissement des actes constituant la coutume, les sujets ne seraient pas libres comme le sont les parties contractantes lors de la conclusion d’un traité international, ou le législateur lors de l’édiction de la loi » ; cf. op. cit. note 510, p. 72.513 Cf. infra : « ex injuria jus non oritur ».

206

l'article 25 LF consisterait peut-être dans autre chose que de procéder avant tout à la transposition en

droit interne de normes aussi conjoncturelles qu'une partie conséquente des coutumes internationales

(ii.)

i. La conception globalisante des coutumes internationales à transposer en droit interne adoptée en

Autriche et en France

Le droit international non écrit se compose surtout de coutumes internationales, si bien doctrine et

jurisprudence les assimilent fréquemment :

Pour la doctrine autrichienne, l'article 9 B-VG vise principalement, si ce n'est exclusivement, ce qu'elle

dénomme «coutumes internationales» ou «droit international coutumier»514. Et il en va de même pour la

jurisprudence515. Dans la terminologie de la doctrine, l'expression «droit international coutumier» fait

parfois référence à l'ensemble du droit international non conventionnel, y compris principes généraux

de droit reconnus par les nations civilisées et ius cogens516. L'expression «coutumes internationales» ne

semble en revanche que désigner les normes internationales de forme normative éponyme.

L'applicabilité interne de la coutume internationale fait désormais l'unanimité dans la doctrine et la

jurisprudence françaises, que ce soit sur le fondement de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de

1946 ou par application immédiate du droit international, que pratiquent notamment juge judiciaire et

juge administratif.

Les organes internes appliquent souvent une coutume internationale en ne la désignant pas sous cette

appellation517, voire sans même faire référence à la norme en question, comme l'illustre l'abondant

contentieux du juge judiciaire en matière d'immunités de l'État étranger ou de succession d'États518. A

titre d'exemple, la Cour de cassation, à l'occasion de la célèbre affaire Klaus Barbie, se réfère à un

514 Cf. inter alia : Robert Walter, op. cit. note 379, p. 167 ; Manfred Rotter, op. cit. note 22, p. 31 ; Reinhard Rack, op. cit. note 488, spécialement p. 31 et svtes et 40 et svtes.515 Cf. par exemple la décision de la Cour administrative du 8 octobre 1997 (97/21/0374) : l'article 9 B-VG vise « seulement le type de source juridique du droit international coutumier ».516 Cela est notamment constaté par le Professeur Heribert Franz Köck, cf. op. cit. note 139, spécialement pp. 750-754. L'auteur regrette une telle terminologie : « Wenn Art. 9 B-VG. im Hinblick auf das nicht-vertragliche Völkerrecht nur vom Völkergewohnheitsrecht spricht, dann hat dieser Terminologie lediglich eine positivistische Auffassung ihren Niederschlag, für die sich alles Völkerrecht im Vertragsrecht und Gewohnheitsrecht erschöpft. » (p. 753).517 En dépit des fluctuations dans la terminologie, des références explicites à la « coutume » apparaissent tout de même dans la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative. Cf. dans la jurisprudence judiciaire : T.G.I. Seine, 17 janvier 1964, Consul général d'Argentine, AFDI 1965, p. 970 ; C.A. Rennes, 26 mars 1979, Rego Sanles, AFDI 1980, p. 822 et svtes. Il en va de même pour le Conseil d'État : C.E. Ass., 6 juin 1997, Aquarone ; CE, 28 juillet 2000, M. Paulin ; CE, section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres.518 Dans beaucoup de situations, le juge interne applique la coutume internationale sans même s'y référer. Il en va ainsi lorsque le juge est amené à prendre en considération la sphère territoriale de l'État français ou à appliquer les immunités d'États étrangers. Cette application régulière de la coutume peut s'analyser comme la persistance d'un état du droit plus ancien – sans doute antérieure à la révolution française, si ce n'est à l'État moderne. Cf. Gérard Teboul, op. cit. note 216.

207

«principe général de droit international»519, alors qu'il s'agit pourtant en l'espèce d'une coutume

internationale, qui prévoit que seules les infractions commises « au nom d’un État pratiquant une

politique d’hégémonie idéologique » sont constitutives d'un «crime contre l'humanité». Les

jurisprudences des différentes juridictions suprêmes continuent d'être marquées par quelques

singularités :

(i.) Si ce n'est que depuis récemment qu'il y fait explicitement référence, l'application de la coutume par

le juge administratif s'avère en réalité ancienne. C'est surtout lorsqu'il s'agit d'appliquer les coutumes à

titre incident que sa pratique apparaît constante520, par exemple en matière conventionnelle, lorsque la

coutume détermine les modalités d'application des traités internationaux que le juge administratif est

tenu d'appliquer521. Et il en va de même lorsqu'il est question de succession d'États, de délimitation du

territoire ou de compétence de l'État dans les espaces libres de souveraineté... L'application des

coutumes internationales à titre principal arrive plus tardivement, mais plus visiblement, étant donné

que la référence à la norme invoquée apparaît dans le texte de la décision, parmi les motifs. Le

«principe général de droit international» désigné par le Conseil d'État dans la décision Nachfolger522

s'analyse en réalité comme une coutume, en l'espèce relative à la liberté de la haute mer. A l'occasion de

sa jurisprudence ultérieure Aquarone, en date du 6 juin 1997, le Conseil d'État mentionne clairement la

«coutume» comme composante de l'ensemble des normes qu'il est habilité à appliquer523.

(ii.) La coutume internationale fait traditionnellement partie des normes de référence du juge judiciaire

dans toutes sortes de domaines524 : droit pénal (immunités525, garanties procédurales526...), immunités de

519 Arrêt du 6 octobre 1983, JCP 1983.II.20107.520 Cf. pour un état de la jurisprudence avant les références explicites au droit international non conventionnel : André Gervais, op. cit. note 347, spécialement pp. 20-25.521 CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748.522 CE, 23 octobre 1987, Nachfolger, RFDA 1987, p. 969523 C.E., Ass., 6 juin 1997, Aquarone, concl. Gilles Bachelier ; confirmant une décision de la Cour administrative d'appel de Lyon : CAA Lyon, 5 avril 1993, Leb. p. 439. Le considérant pertinent est le suivant : « Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 "les traités ou accords régulièrement ratifié, ou approuvés ont, dès leur publication. une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie " ; que ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrivent ni n’impliquent que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes ; qu’ainsi, en écartant comme inopérant le moyen tiré par M. Aquarone de la contrariété entre la loi fiscale française et de telles règles coutumières, la cour administrative d’appel, qui a également relevé que la coutume invoquée n’existait pas, n’a pas commis d’erreur de droit. » (mes italiques). Cf. aussi : CE, Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres (« règles coutumières du droit public international » ).524 Les références explicites à la coutume internationale sont depuis longtemps présentes dans la jurisprudence judiciaire. Dans une jurisprudence abondante, cf. par exemple T.G.I. de la Seine, 24 mai 1961, AFDI 1962, p. 962 ; T.G.I. de la Seine, 17 janvier 1964, AFDI 1965, p. 970.525 Cf. notamment Cass. crim., 13 mars 2001, n° 00-87.215, Bull. crim. n° 64, affaire Khadafi : « la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’état en exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un État étranger ». 526 En matière pénale, le principe de droit interne est celui de la protection la plus large possible de l'accusé. Il s'ensuit que les coutumes internationales peuvent soit modifier l'incrimination en faveur de l'accusé (par exemple, l'individu se

208

juridiction et d'exécution de l'État étranger527, principes du droit conventionnel528, pêche maritime529,

droit de la personne (état civil530, droit des étrangers531), et plus généralement droit international privé532.

La large applicabilité du droit international coutumier dans le contentieux judiciaire s'explique

historiquement : l'institution des juridictions judiciaires précède celle des juridictions de droit public et

la tradition judiciaire s'est formée à une époque où les traités internationaux sont plus marginaux que les

coutumes dans la sphère du droit international, surtout d'ailleurs en matière de relations entre les

particuliers533. Aussi, d'un point de vue politique, il a pu sembler admissible que le juge judiciaire règle

les litiges dont il est saisi sur le fondement d'une coutume internationale, étant donné qu'il s'agit

situait en haute mer et son comportement dans cet espace n'est pas incriminable suivant le droit international), soit accroître les garanties procédurales (par exemple, application du principe non bis in idem qui est une coutume internationale). Toutefois, à propos de l'affaire Argoud, la Cour de cassation considère que « l'accusé est sans qualité pour se prévaloir des règles du droit international public » (Cass. Crim. 4 juin 1964 ; JCP 1964, n° 13806; AFDI 1965, p. 935, note Alexandre Kiss).La Cour de cassation française s'oppose par ailleurs à une extension des incriminations pénales sur le fondement du droit international général. La Chambre criminelle de la Cour de cassation considère ainsi à l'occasion de l'affaire Aussaresse « qu'on ne saurait, à l'appui de poursuites, invoquer une coutume internationale qui, si elle peut, le cas échéant, guider l'interprétation d'une convention, ne peut, en tout état de cause, pallier son absence pour créer, ab initio, une incrimination » (17 juin 2003, Bull. p. 465; RGDIP 2004, p. 754, note Florence Poirat; p. 465; JCP 2003.II.10146, p. 1628, note Jean-François Roulot). Cf. dans la doctrine : Michel Massé, « Après Nuremberg et Eichman, entre Barbie et Touvier : les crimes contre l'Humanité », Revue Actes – Les cahiers d'action juridique n° 67-68, 1989, n° spécial Droit et Humanité, pp. 33-46 ; Leila Sadat Wexler, op. cit. note 222 ; Claire Finkenstein, « Changing Notions of State Agency in International Law : The Case of Paul Touvier », Texas International Law Journal, vol. 30, 1995, pp. 262-310.527 Dans une littérature abondante, cf. inter alia, généralement : Michel Cosnard, La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des États, A. Pedone, Paris, 1996, 478 p. ; cela concerne aussi le domaine monétaire et financier, cf. Jean-Pierre Mattout, « la saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF-France V, pp. 305-312. Pour une analyse approfondie, cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».528 Cf. les conclusions de l'avocat général Yves Chauvy sur l'arrêt Caisse autonome mutuelle de retraite des agents de chemins de fer à propos de l'interprétation des traités internationaux (Cass, Soc., 29 avril 1993, Gaz. Pal., 1994, Jurisprudence, p. 189, col. 2) : « Le juge judiciaire suivra les méthodes classiques du droit national et plus particulièrement international. Il y procédera conformément bien sûr au principe posé par le Code civil mais aussi et surtout conformément aux règles du droit international public. »529 La Cour de cassation, à l'occasion d'un arrêt en date du 7 juillet 1980, accepte implicitement la démarche de certains tribunaux qui, en matière de pêche maritime, examinent des arguments relevant du droit maritime coutumier (Cass. Crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim., 1980, p. 563). En l'espèce, la décision de la Cour de cassation aboutit à une extension de la compétence tribunaux inférieurs en matière d'applicabilité du droit international général. La compétence du juge judiciaire demeure néanmoins limitée par l'interdiction de se baser sur une coutume internationale nouvelle abrogeant un traité international.530 Cf. inter alia : Cass., 1re Civ., 4 juin 2009 (08-13.541) : « Si les copies ou extraits d’actes d’état civil établis à l’étranger doivent, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, être légalisés, la légalisation dans son acception actuelle peut être effectuée en France par le consul du pays où l’acte a été établi ». Cf. Pierre Chevalier, « La légalisation des actes de l'état civil étrangers : une exigence devenue coutumière », D. n° 29, 2009, pp. 2004-2007 ; Eric Fongaro, « La légalisation : coutume internationale ou pratique internationale ? », La Semaine juridique, édition notariale et immobilière, n° 37, 2009, pp. 16 -20.531 A propos de la protection diplomatique : Cass., 1re civ, 14 juin 1977, Société européenne d'études et d'entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie, Bull., 1977, vol. I, pp. 219-220.532 Cf. inter alia, quelques publications spécifiques dans une littérature abondante : Prosper Weil, « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52 ; Pierre-Yves Gautier, « La contrariété à l'ordre public d'une décision étrangère, échec à sa reconnaissance ou son exequatur», Liber amicorum Hélène Gaudemet-Tallon – Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Daloz, Paris, 2008, 839 p., pp. 437-445 ; 533 Avant la Première guerre mondiale, les traités ont surtout pour objet les relations inter-étatiques et non les relations entre particuliers.

209

d'affaires concernant des particuliers ; il en va autrement des juridictions de droit public, qui pourraient

être amenées à limiter les prérogatives des organes de l'État, et tout particulièrement du législateur et de

l'exécutif, par le biais du droit international coutumier534.

(iii.) Le Conseil constitutionnel ne désigne pas expressément le principe pacta sunt servanda, auquel il

se réfère dans la décision Maastricht I535, comme une «coutume internationale»536. Outre le principe

pacta sunt servanda537, peu de coutumes internationales ont été invoquées de manière significative

devant le juge constitutionnel. Il s'agit du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, du principe de

l'intangibilité des frontières coloniales et du principe limitatif de l'effet extra-territorial des

nationalisations. Le Conseil dénomme cette sorte de normes «principes généraux du droit public

international538», ce qui paraît proche de l'expression «principe général du droit international», qui

désigne une coutume universelle dans la terminologie de droit international, tout en conservant l'ordre

des mots présent dans l'expression «droit public international», quant à elle propre à l'alinéa 14. Les

quelques affaires qui ont été soumises au Conseil constitutionnel appellent plusieurs observations :

L'affaire relative au statut de l'île de Mayotte concerne la procédure de consultation de la

population organisée par l'État français par voie législative, qui se trouve contestée en raison de sa non-

conformité supposée aux principes coutumiers du droit international 539. En l'espèce, toutefois, le Conseil

estime que les dispositions de la Loi relative à l'autodétermination des îles des Comores « ne mettent en

cause aucune règle du droit public international540 ». Le principe du respect du droit des peuples à

disposer d'eux-mêmes invoqué, sans succès, à l'encontre de la loi litigieuse fait certainement partie du

droit international coutumier541. Les commentateurs de la jurisprudence du Conseil expliquent alors la

534 Cf. Romain Rollin, op. cit. note 216.535 N°92-308. DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union Européenne (Maastricht I).Avant la décision Maastricht I, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la normativité des coutumes internationales dans le cadre du contentieux constitutionnel contient peu d'indications. Deux explications alternatives étaient avancées : 1. L’absence d’application des coutumes tient à l'organisation du contentieux constitutionnel qui n'habilite qu'à invoquer des normes contenus dans le texte même de la Constitution, ou au moins à laquelle elle renvoie explicitement (à l'instar des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République) ; 2. Le Conseil constitutionnel dispose d'une compétence pour appliquer les coutumes ; simplement les normes coutumières invoquées devant le Conseil n'ont jamais trouvé à s'appliquer étant donné que, dans les différentes affaires qui lui ont été soumises, la violation du droit international est inexistante ou insuffisamment établie pour que des effets juridiques soient justifiables (par exemple, la censure de la loi non-conforme).536 Il en va de même de la coutume internationale de reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales dont il est aussi question en l'espèce.537 A propos des principes coutumiers régissant le droit conventionnel, cf. aussi la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale : principe de la non-application de l'exception d'inexécution pour les traités internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme (principe du droit international dérogeant à l'article 55 de la Constitution).538 Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale. On relève les expressions suivantes : «principe de droit international» (n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation) ; «droit international» (n° 82-139 DC du 11 février 1982, Loi de nationalisation). 539 75-59. DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26. 540 Nos italiques.541 Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes fait l'objet de plusieurs déclarations solennelles, dans les

210

rareté des cas d'application de la coutume internationale dans le contentieux constitutionnel par la

présence de dispositions constitutionnelles de contenu semblable aux coutumes internationales

pertinentes. Le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 contiendrait ainsi une réglementation

interne confirmative du droit international : « En vertu [...] de la libre détermination des peuples, la

République offre aux territoires d'Outre-Mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions

nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur

évolution démocratique ». Le Conseil bénéficie incontestablement d'une compétence pour appliquer une

telle disposition constitutionnelle, présente dans le texte constitutionnel même, tandis qu'il n'est au

mieux habilité à appliquer la coutume internationale qu'indirectement, par surcroît sur le fondement de

l'alinéa 14, qui impose une obligation d'ordre plus général. Et cependant, la conception constitutionnelle

française de la « libre détermination des peuples » diverge en réalité grandement du « droit des peuples

à disposer d'eux-mêmes » valable en droit international. En effet, la mise en œuvre d'une procédure de

référendum en vue de déterminer l'indépendance d'un peuple, décidée sur le fondement interne de la

« libre détermination des peuples », ne correspond aucunement au droit international, qui interdit de

conditionner l'accès à l'indépendance d'un peuple, même par procédure de référendum 542. L'opinion

doctrinale selon laquelle la Constitution contiendrait certaines normes qui constituent la reproduction de

principes généraux du droit international s'avère donc contestable543.

L'autre coutume internationale invoquée dans l'affaire Mayotte est le principe de l'intangibilité

des frontières, souvent présenté comme le complément inséparable du droit des peuples à disposer

d'eux-mêmes, parce qu'il protège l'intégrité territoriale de l'État, y compris de l'État nouveau résultant

du processus de décolonisation544. Toutefois, la positivité de ce principe ne fait pas l'unanimité : la

pratique postérieure à la Seconde guerre mondiale manquerait d'uniformité en ce sens, et, surtout, il

articles 2 et 55 de la Charte des Nations-Unies, ainsi que dans les préambules des deux pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme de 1966. La majorité des auteurs soutient que sa forme normative principale demeure coutumière, cf. C.I.J., avis consultatif, 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie, nonobstant la résolution 276 du Conseil de sécurité, Rec. 1971, p. 16. Cf. inter alia, Jean-François Guilhaudis, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, P.U. Grenoble, Grenoble, 1976, 226 p., spécialement p. 177 et svtes ; François Roch, « Réflexions sur l'évolution de la positivité du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en dehors des situations de décolonisation », RQDI, 2002, pp. 33-100.542 Selon la résolution 1954 (XV) du 14 décembre 1960 (Déclaration sur l'octroi d'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, 947ème Assemblée Plénière), le droit international général interdit à la puissance coloniale de conditionner l'octroi d'indépendance par quelque procédure que ce soit – y compris un référendum – et interdit toute réserve (article 5 de la résolution).543 Cf. André Oraison, « quelques réflexions critiques sur la conception française du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la lumière du différend franco-comorie sur l'île de Mayotte », Revue belge de droit international, 1983, pp. 687-690 ; Saïd Hassane Said Mohamed, « Le principe de l'indivisibilité de la République et le droit de certains territoires à faire sécession », Actes du VIIe Congrès français de droit constitutionnel des 25, 26 et 27 septembre 2008, 14 p., pp. 11-14.544 Cf. notamment, Karl Zemanek, « State Succession after Decolonization », RCADI, vol. 116, 1965, pp. 181-300. Le principe de l'intangibilité des frontières coloniales fonde une large part du droit institutionnel de l'ONU, mais ce dernier est relativement autonome du droit international général ; cf. A. N'Kolomba, « L'ambivalence des relations entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des États en droit international contemporain », in.: Le droit des peuples à disposer d'eux- mêmes. Méthodes d'analyse du Droit International – Mélanges offerts à Charles Chaumont, A. Pedone, Paris, 1984, 595 p., pp. 433-463.

211

contredirait parfois le principe d'autodétermination des peuples, dont il est pourtant censé être le

corollaire. Les peuples nouveaux issus de la colonisation n'ont en effet pas nécessairement hérité d'un

territoire formé sur des bases culturelles545. En l'espèce, le Conseil constitutionnel considère soit que la

coutume en question n'existe pas, soit qu'elle existe bien, mais que, en raison de son contenu trop

indéterminé, elle est inopposable à la loi en cause.

L'affaire des nationalisations apporte peu d'indications quant à la normativité interne des

coutumes internationales, et en l'espèce du principe relatif à l'effet extra-territorial des nationalisations.

Il n'est en effet d'abord pas certain qu'il s'agisse bien là d'une coutume, puisqu'il s'apparente aussi à un

principe général de droit reconnu par les nations civilisées. De plus, la doctrine apparaît partagée quant

au contenu du principe – limitation des effets extra-territoriaux ou prohibition de tout effet extra-

territorial546 ? – et sa positivité même continue de prêter à controverse 547. Car une opinio juris claire et

généralisée ne se vérifie pas, surtout dans la période qui précède la décision du Conseil constitutionnel548, et rien ne montre que les nationalisations françaises y contreviennent gravement.

La norme pacta sunt servanda à laquelle se réfère le Conseil constitutionnel dans la décision

545 Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, Intangibilité des frontières et espace étatique en Afrique, LGDJ, Paris, 1989, 255 p. Le principe de l'intangibilité des frontières coloniales pourrait aussi signifier – et cela est sa signification minimale – que les territoires des nouveaux États doivent être protégés contre les seules agressions venues de l'extérieur. 546 Les spécialistes du droit international privé soulignent que le principe limitatif de l'effet extra-territorial des nationalisations semble incertain sur plusieurs points : nature des biens concernés (corporels ou non, actifs ou actions), modalités d'application variable en fonction du caractère médiat ou immédiat de la nationalisation, légalité ou illégalité déterminée par le comportement compréhensif ou hostile de l'État opérant la nationalisation. A ce propos, cf. dans la littérature de l'époque de l'affaire nationalisations : François Boulanger, Les nationalisations en droit international privé comparé, Economica, Paris, 1975, 295 p., spécialement p. 207 et svtes ; Abd-el-Kader Boye, L'acte de nationalisation, Berger-Levrault, Paris, 1979, 213 p., spécialement p. 182 et svtes.547 Dans la doctrine française, estimant que cette norme existe à l'époque de l'affaire : Henri Batiffol, Paul Lagarde, Droit international privé, vol. 2, 7ème éd., LGDJ, Paris, 1983, 692 p. ; Yvon Loussouarn, « mémoire », reproduit in : Louis Favoreu (éd.), Nationalisations et Constitution, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1982, 388 p.. A l'opposé, ou très réservé : Berthold Goldman, « les décisions du Conseil Constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit international », JDI 1982, pp. 275-345, spécialement p. 318. En dehors du Conseil constitutionnel, la Cour de Cassation affirme qu'une mesure de nationalisation ne peut avoir d'effet que sur le territoire de l'État qui prend la mesure, ce qui est de plus d'ordre public (Cass. 20 Fev 1979, RCDIP 1979, p. 803, note Henri Batifol). Cette dernière affaire concerne une situation où ce n'est pas l'État français qui procède à une nationalisation et des précédents contraires existent en la matière (cf. Berthold Goldmann, ibid).Le problème de l'identification du principe relatif aux effets extra-territoriaux des nationalisations s'est aussi posé devant la Cour constitutionnelle autrichienne (cf. infra : « la protection du patrimoine des étrangers »). De façon plus générale, à propos de l'incertitude du droit coutumier en matière de nationalisations, cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 345 ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Le droit international des nationalisations », Actes du symposium sur le droit des nationalisations, Institut des Sciences juridiques du Développement (Paris V), Paris, 1979, 75 p., p. 6 et svtes.548 La décision du Conseil constitutionnel est parfois analysée comme un précédent coutumier (participant à la pratique internationale et révélant une opino juris) vers la formation d'une norme selon laquelle un «effet extra-territorial médiat» n'est pas illicite par lui-même, étant donné qu'il constitue un «fait» (en ce sens, Geneviève Burdeau, « La contribution des nationalisations françaises de 1982 au droit international des nationalisations », RGDIP, 1985, pp. 5-28, spécialement p. 26). Néanmoins, l'existence d'une opinio juris généralisée demeure contestable en raison des nombreux précédents opposés observables (Berthold Goldman, op. cit. note 547, spécialement p. 166).

212

Maastricht I549 est sans conteste de forme normative coutumière550 (sentence arbitrale René-Jean

Dupuis, 19 janvier 1977, Texaco-Calasiatic c. Lybie551). C'est cependant dans un contexte spécifique

que le Conseil applique cette coutume, à savoir le contrôle spécial de constitutionnalité des traités

internationaux (article 54 de la Constitution), et non le contrôle standard de constitutionnalité de la loi.

Et la jurisprudence ultérieure confirme l'application de pacta sunt servanda circonscrite à ce

contentieux spécial552. L'une des justifications avancées553 réside le caractère inapproprié de la coutume

internationale comme norme de référence dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi, et ce,

en raison de son fort potentiel de mutabilité554 555. En effet, l'entrée en vigueur de la loi se verrait ainsi

conditionné par des normes dont le contenu varie en fonction de la pratique des États, dans des espaces

de temps relativement courts.

En droit allemand, cette (éventuelle) réserve à l'applicabilité interne du droit international coutumier

s'étend au delà du contentieux constitutionnel, puisqu'elle pourrait empêcher la transposition en droit

interne des coutumes internationales qui ne présentent pas le caractère de « principes généraux du droit

international ».

549 N°92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union Européenne (Maastricht I). En dehors de la coutume pacta sunt sevanda, une coutume concernant la personnalité juridique des organisations internationales est aussi estimée applicable par le Conseil constitutionnel dans cette décision.550 Négativement car il ne peut s'agir d'une autre forme normative internationale, et notamment pas d'un principe général de droit reconnu par les nations civilisées, étant donné que le mode de formation même de ce dernier exclut toute norme dont l'objet initial consiste à régir le domaine des relations internationales. Historiquement, le principe pacta sunt servanda ne s'est pas formé par transposition dans le droit international du principe de droit interne selon lequel « les contrats lient les parties », mais de manière autonome, en tant que principe régulateur des relations entre États. 551 JDI 1977, p. 350. L'arbitre René-Jean Dupuis distingue «principes du droit international» et «principes généraux du droit». «Les principes du droit international» recouvrent l'ensemble du droit international et forment donc un ensemble plus vaste que «les principes généraux du droit» que l'auteur définit comme « certains principes communs aux systèmes juridiques des différents États du monde » et au système juridique international qui « contribuent avec d'autres éléments […] à former ce qu'il est convenu d'appeler les principes du droit international » (les « principes généraux du droit » sont assimilables aux principes généraux de droit reconnus).L'arbitre constate que le principe pacta sunt servanda est commun au droit libyen et au droit international. Il n'en fait pourtant pas application en tant que principal général de droit reconnu, et ce, alors même que la clause du contrat relative au droit applicable en l'espèce stipule expressément que ces principes sont applicables subsidiairement. La justification est la suivante : le principe pacta sunt servanda – de même que les principes de bonne foi, d'équité, d'égalité, interdiction du recours à la force, inviolabilité du territoire – est originellement issu du droit international lui-même et non du domaine in foro domestico des États, même s'il est possible d'identifier des normes au contenu équivalent en leurs seins.552 N°98-408. DC, 22 janvier 1999, Cour pénale internationale, Rec. p. 29 ; n° 2012-653. DC, 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire.553 Une autre justification réside dans l'objet interétatique de ce contentieux, qui fournirait un cadre approprié à l'application de l'alinéa 14 par le Conseil constitutionnel. Le juge constitutionnel dit en effet que la France est liée par pacta sunt servanda à ses partenaires, c'est-à-dire dans la sphère internationale, sans rien préciser sur ses éventuels effets internes.554 Le dynamisme du droit international coutumier contraste avec son caractère de norme de principe en droit international ; cf. C.I.J., 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord. Dans la doctrine, cf. déjà : Josef Laurenz Kunz, « Statisches und dynamisches Völkerrecht », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag, Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 217-251.555 Cf. infra, « Le problème du dynamisme du droit international général ».

213

ii. Une lecture de l'article 25 LF de plus en plus ouverte à la transposition de l'ensemble du droit

international coutumier

La Cour constitutionnelle fédérale admet dès ses débuts que l'article 25 LF vise au moins les coutumes

universelles556. En revanche, l'inclusion de la coutume «régionale», et à plus forte raison

«particulière»557, s'annonce plus problématique. A l'occasion de ses premiers arrêts, la Cour soutient que

l'article 25 LF concerne « surtout le droit coutumier universel et valide »558, et une jurisprudence

ultérieure supprime même l'adverbe «surtout» («vorwiegend»)559. L'argumentation de la Cour ne

s'appuie pas sur le texte de l'article 25 LF, mais s'inscrit dans une démarche d'ordre

historique/téléologique560 : les délibérations de l’Assemblée nationale constituante indiquent que

l'article 25 LF vise avant tout les normes reconnues par « la généralité de la société internationale »561 ;

dans l'esprit du Constituant, la finalité de cet article consiste surtout à transposer en droit allemand les

standards internationaux en matière de droits de l'homme, en vue de compléter les droits fondamentaux

et de les étendre aux étrangers lorsque seuls les allemands en sont bénéficiaires562 (création d'un «droit

des gens» ou «ius gentium»). Un argument d'ordre systématique s'y ajoute : les normes coutumières

particulières, «régionales», «locales», ou encore «spéciales563» paraissent peu adaptées au contexte de la

Loi fondamentale, en raison de leur nature conjoncturelle et de leur degré de généralité insuffisant.

Quelques décisions de la Cour vont encore en ce sens, ainsi lorsqu'elle dit récemment que : « les règles

556 Carlo Schmid défend une autre conception : les « règles générales du droit international » se limitent aux normes qui ont un contenu « moral » et non « technique ». L'auteur définit ainsi le processus de formation des règles visées par l'article 25 LF : « Ces règles seraient utilisées en tant qu’applications utiles de la représentation générale du droit qui existe plus ou moins dans tous les États civilisés. Elles sont issues d'un accord tacite des hommes de notre espace juridique occidental qui ne voulait pas vivre sous un certain niveau de civilisation juridique » ; cf. JöR, vol. 1, 1951, p. 232. Cette description de l'origine des «règles générales du droit» correspond à la catégorie des «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés». Il faut en revanche exclure la coutume internationale, étant donné qu'elle présuppose l'existence d'une société internationale juridiquement organisée (tandis que les principes généraux de droit reconnus sont extraits des droits internes des « nations civilisées »). Carlo Schmid suppose que les «règles générales» tiennent leur origine de la «sphère morale», de sorte qu'elles ne puissent pas comprendre des dispositions juridiques techniques, d'où une certaine difficulté d'application de ces normes dans les systèmes juridiques positifs.557 Walter Rudolf, op. cit. note 22, p. 435-437.558 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (33); 23 p. 288 sqs. (317) : « vorwiegend um universell geltendes Völkergewohnheitsrecht ».559 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (177). 560 La majorité de la doctrine allemande emploie les méthodes dites d'«interprétation littérale», d'«interprétation historique», d'«interprétation téléologique», et d'«interprétation systématique», et n'hésite pas à les combiner :

- l'«interprétation littérale» vise la lettre de la norme en question ;- l'«interprétation historique»' examine le but subjectif du producteur de la norme dans le contexte de historique

de sa création (travaux préparatoires...) ; - L'«interprétation téléologique» recherche une prétendue finalité objective de la norme en question ; les

organes internes sont tenus d'appliquer la norme de manière à accomplir ce qui paraît être sa fonction ;- L'«interprétation systématique» situe la norme en question dans sa relation avec d'autres normes et le système

juridique global ; 561 JöR, vol. 1, 1951, p. 233.562 Karl Doehring, « Die staatsrechtliche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL, vol. 32, 1974, pp. 7-48 ; Charalambos M. Tsiliotis, « Die allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 GG und die deutschen Grundrechte », European review of public law, Vol. 11, No. 3, 1999, pp. 1185-1235.563 A propos de la notion de « coutumes spéciales », cf. Anthony D'Amato, « The Concept Of Special Custom In International Law », AJIL, vol. 63, 1969, pp. 211-223.

214

générales du droit international concernent en premier lieu les coutumes universelles 564 » (2003).

Toutefois, la Cour n’exclut plus totalement que la sphère d'application de l'article 25 LF comprenne

aussi les coutumes particulières, voire bilatérales565. Et elle en fournit la justification suivante : les

normes coutumières régionales reposent, de même que les normes universelles en vigueur, sur un

consensus partagé par une communauté d’États, ce qui semble conforme à la volonté du Constituant

d'intégrer la République fédérale d'Allemagne dans une «société internationale pacifiée»566. L’article 25

LF se conçoit ainsi comme un instrument juridique par lequel le droit interne se conforme

immédiatement aux obligations internationales, sans passer par l'édiction d'une norme législative. Ce

point de vue fonctionnel aboutit à supprimer toute justification à la discrimination des coutumes

internationales régionales567.

Les doutes relatifs à la transposition du droit international coutumier particulier en droit interne

s'amplifient toutefois lorsqu'il est question des coutumes bilatérales. Le Professeur Christian Tomuschat

fait observer que la forme de la coutume bilatérale ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 25

LF, étant donné qu'il s'agit là de « figures du droit relativement indéterminées dans leur structure

dogmatique et qui n’ont pas été reconnues définitivement par une communauté d'États »568. Le défaut de

la coutume bilatérale réside dans la réciprocité : sa normativité dépend exclusivement du comportement

de l'unique État partenaire, de sorte que rien ne garantit sa persistance dans le cas d'une violation par cet

État. Et pourtant, le critère principal employé par la Cour constitutionnelle fédérale pour vérifier qu'une

coutume se situe parmi les «règles générales du droit international» au sens de l'article 25 LF tend à

devenir celui de la « persistante protection et conservation » de la norme en question depuis sa

création569, y compris lorsqu'elle est bilatérale. La Cour fait ainsi abstraction de la condition de

généralité, que l'article 25 LF paraît pourtant expressément exiger570.

On le constate : le juge constitutionnel allemand se réfère de plus en plus au droit international lui-

564 BVerfG, 2 BvR 1243/03, 5 novembre 2003, Jemenitischer Staatsekretär, § 55 « Bei den allgemeinen Regeln des Völkerrechts handelt sich in erster Linie um universell geltendes Völkergewohnheitsrecht ».565 A propos de l'existence même des coutumes bilatérales, cf. C.I.J., arrêt, 12 avril 1960, Droit de passage en territoire indien, Rec. C.I.J., 1960, p. 6 et svtes : « on voit difficilement pourquoi le nombre des États entre lesquels une coutume locale peut se constituer sur la base d'une pratique prolongée devrait être supérieur à deux. La Cour ne voit pas de raison pour qu'une pratique prolongée et continue entre deux États, pratique acceptée par eux comme régissant leurs rapports, ne soit pas à la base de droits et d'obligations réciproques entre ces deux États », p. 39. 566 Peter Häberle, « der kooperative Verfassungsstaat », in: Friedrich Kaulbach, Werner Krawietz (éds), Recht und Gesellschaft: Festschrift für Helmut Schelsky zum 65. Geburtstag, Duncker & Humblot, Berlin, 1978, 839 p., pp. 141-177.567 Selon la doctrine allemande majoritaire, pour autant que l'article 25 LF signifie «ouverture de la Loi fondamentale au droit international» («Völkerrechtsfreundlichkeit»), les coutumes régionales sont à inclure, au même titre que les coutumes universelles, parmi les «règles générales du droit international» au sens de l'article 25 LF. Cf. Albert Bleckmann, « Die Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 32, 1979, pp. 309-318 ; Mehrdad Payandeh, op. cit. note 33.Dans la jurisprudence, cf. : BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (121).568 Christian Tomuschat, op. cit. note 469.569 BVerfGE 15, p. 25 – Botschafgrundstück ; 16, p. 27 – Heinzugsreparatur in Botschaft; 46, p. 342 – Botschaftskonto; 66, p. 39 – Nachrüstung : « beharrliche Rechtsverwahrung von Anfang an. » 570 On le verra, d'autres arguments vont dans le sens d'une transposition des coutumes particulières sur le fondement de l'article 25 LF (infra : « La condition de généralité ou de caractère absolue »)

215

même, peut-être en dépit de l'article 25 LF qui continue pourtant de lui servir invariablement de norme

de référence. Le droit international ne différencie en effet pas les formes normatives qui le composent

selon leur degré de généralité, mais uniquement selon leur mode de formation (principes généraux de

droit reconnus par les nations civilisées, coutumes, ius cogens, traités internationaux...). Le juge

constitutionnel allemand utilise la même méthode que le juge international pour identifier une coutume

(« preuve de la pratique et de l’opinio juris »), et non des éléments propres au droit interne571. Aussi, il

emprunte de manière croissante la terminologie présente dans le droit international, comme l'illustre la

formule suivante : « Le ius cogens, le droit international coutumier et les principes généraux de droit

appartiennent aux règles générales du droit international au sens de l’article 25 LF »572.

La pratique des organes des différents États témoigne d'une tendance à rechercher la plus grande

correspondance possible entre les dispositions constitutionnelles relatives au droit international, qu'ils

sont dans l'obligation d'appliquer, et les données du droit international lui-même. Ainsi, il suffira qu'une

norme internationale soit valide en droit international sous une forme normative pertinente, en

l'occurrence coutume ou principe général de droit reconnu par les nations civilisées, pour qu'en résulte

sa transposition en droit interne. Certaines conditions relatives au contenu de la norme internationale en

question, et non à sa forme normative internationale, persistent toutefois.

B. Les conditions relatives au contenu de la norme internationale

Les dispositions constitutionnelles nationales relatives au droit international général ne visent pas

expressément des formes normatives internationales déterminées, mais elles spécifient vaguement le

contenu des normes internationales concernées : «règles généralement reconnues», «règles générales»,

«règles du droit public». On trouve de prime abord les conditions suivantes à leur applicabilité interne :

le caractère général, si ce n'est absolu, de la norme internationale en question (1) ; dans une certaine

mesure, ajoute la doctrine, le degré de sa compatibilité avec le droit national (2).

1. La condition de généralité et la condition de caractère absolu

En droit autrichien comme en droit allemand, il se pourrait que la généralité de la norme internationale

571 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363)572 « Zu den Allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art.25 GG gehören das ius cogens, das Völkergewohnheitsrecht und die allgemeine Grundsätze ».

216

constitue (a), aux termes des articles 9 B-VG et 25 LF, une condition de sa transposition en droit interne

(«règles généralement reconnues du droit international», «règles générales du droit international»).

Cependant, les organes internes d’application du droit se sont progressivement écartés de cette supposée

condition. A l’inverse, en droit français, la notion de «généralité» se trouve complètement absente de la

formulation de l'alinéa 14 («règles du droit public international»), mais le Conseil constitutionnel

substitue parfois dans sa jurisprudence l'expression de «règles du droit public international» par celle de

«principes généraux du droit public international573».

Par ailleurs, le caractère absolu de la norme (b) est de plus en plus pris en considération dans la

jurisprudence, surtout française, ce qui peut sembler curieux puisque, à l'opposé de l'Allemagne et de

l'Autriche, la France s'est internationalement opposée à la formation de normes de ius cogens574.

a. Le degré de généralité

La supposée condition de généralité pose une série de difficultés : i. Linguistiquement, les notions de

«règles généralement reconnue du droit international» et de «règles générales du droit international»

pourraient en réalité ne pas exclure les normes coutumières particulières ; ii. La notion de généralité est

indéterminée quant au degré de généralité (« paradoxe du sorite ») ; iii. Le droit international lui-même

comprend la norme générale lex specialis qui – transformée en droit interne – peut justifier l'application

des normes coutumières particulières (spéciales) dans les domaines qu'elles régissent («effet récursif»

du principe lex specialis du droit international dans le cadre du droit interne).

i. Analyse linguistique

Les «règles généralement reconnus du droit international» et les «règles générales du droit

international» se définissent à l'origine surtout négativement, par opposition au droit conventionnel. Il

s'ensuit que, eu égard au contexte qui a vu la formulation de chacune de ces expressions, la notion de

«généralité» apparaît vague. Et il n'est en particulier pas certain que la «généralité» exclut le droit

coutumier particulier.

La formulation «règles généralement reconnues du droit international», présente dans les constitutions

postérieures à la Première guerre mondiale (art. 4 WRV, art. 9 B-VG), n'est pas une construction

proprement interne, mais provient de la terminologie du droit international lui-même. La doctrine du

début du XXe s. distingue en effet habituellement le «droit international général» du «droit

international particulier»575. Et cette distinction connaît alors deux acceptions qui ne se recouvrent pas

573 Mes italiques, cf. décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale. 574 Cf. notamment : Olivier Deleau, « les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, vol. 15, 1969, pp. 7-23.575 Cf. aussi supra. introduction : « concept de "droit international général" ».

217

totalement576 : le terme «droit international général» désigne soit les normes internationales valides pour

l'ensemble des États, par opposition au «droit international particulier» qui désigne les normes

internationales liant uniquement certains États ; soit le terme «droit international général» englobe

l'ensemble du droit international coutumier, aussi bien général que particulier, le «droit international

particulier» renvoyant quant à lui au droit international conventionnel. L'ambivalence de ces

expressions résulte de l'histoire du droit international : antérieurement à la Charte de l'Organisation des

Nations Unies, ainsi qu'au mouvement de codification des principes du droit international, seul le droit

coutumier international contient clairement et avec consistance des normes qui s'adressent à l'ensemble

des États.

Jusque dans la période de l'après-guerre, la notion de «droit international général», comprenant

l'ensemble du droit international non écrit, de l'universel au plus particulier, s'oppose ainsi à celle de

«droit international conventionnel (ou particulier)». Dans ce contexte, la notion de «règles

généralement reconnus du droit international», ainsi que celle dérivée de «règles générales du droit

international»577, font partie des expressions qui désignent l'ensemble du droit international général, au

sens de « non conventionnel ». Cela est manifeste lorsque l'on examine la rédaction de l'article 7 alinéa

2 de la Convention (XII) relative à l'établissement d'une Cour internationale de prises, signée à La Haye

le 18 octobre 1907 : « A défaut de [...] stipulations [conventionnelles], la Cour applique les règles du

droit international. Si des règles généralement reconnues n'existent pas, la Cour statue d'après les

principes généraux de la justice et de l'équité ». Les «règles généralement reconnues du droit

international» visées par la Convention ne se réduisent sans doute pas aux seules normes de contenu

général, d'autant plus qu'il est prévu que des normes d'un degré de généralité encore plus élevé, les

«principes généraux de la justice et de l'équité», deviennent applicables par défaut.

Les notions de «règles généralement reconnues du droit international» et de «règles générales du droit

international» semblent en réalité indéterminées quant à la question de la généralité578 : il est possible

que ces notions désignent l'ensemble des normes internationale non conventionnelles, y compris donc

particulières, mais il n'en demeure pas moins vrai que, parfois, elles semblent renvoyer uniquement aux

principes du droit international, autrement dit aux normes internationales pourvues d'un degré de

généralité élevé579.

576 Cf. Wilhelm Schmöe, op. cit. note 22, spécialement pp. 26-28 ; Julio A. Barberis, op. cit. note 508, spécialement p. 23 et svtes ; Anthony D'Amato, op. cit. note 563 ; Gérard Cohen-Jonathan, « La coutume locale », AFDI, vol. 7, 1961. pp. 119-140 ; Grigory I. Tunkin, « Is General International Law Customary Law Only ? » , EJIL, vol. 4, 1994, pp. 534-541.577 L'évolution du texte constitutionnel allemand de «règles généralement reconnues du droit international» vers «règles générales du droit international» tient surtout à la volonté du constituant allemand de faire disparaître l'idée de «reconnaissance». Il ne s'agit apparemment pas pour le constituant d'insister sur une condition de «généralité».578 Les deux significations divergentes du terme «général» sont remarquées par Robert Walter à propos de l'article 9 B-VG ; cf. op. cit. note 379, p. 169. 579 L'expression «règles généralement reconnues du droit international» est parfois considérée comme de même sens que celle de «principes généralement reconnues du droit international». Par exemple, la Déclaration relative au droit de la guerre maritime signée à Londres le 26 février 1909 contient comme disposition préliminaire : « les Puissances Signataires sont d'accord pour constater que les règles contenues dans les Chapitres suivants répondent, en substance,

218

ii. Le « paradoxe du sorite580 »

La «généralité» affecte ici le raisonnement juridique car elle est vague.

Les systèmes normatifs contiennent des normes classifiables selon leur degré de généralité. Certaines

normes sont générales, c’est-à-dire qu’elles ne visent pas à régler une situation déterminée et qu’elles

sont susceptibles d’être concrétisées par des normes plus particulières à un nombre indéterminé

d'occurrences. Entre l'ensemble des normes de rang suprême d'un système juridique, la constitution par

exemple, et ses normes les plus concrètes, à l'instar d'un ordre d'un agent des forces de l'ordre, il existe

des normes devenant de plus en plus particulières (la loi, le règlement, la décision d'une juridiction...),

et ce, jusqu'à la norme la plus concrète581. L'ordre « arrête-toi ou je tire ! » qu’adresse un agent des

forces de l’ordre à un individu déterminé surpris en situation de flagrant délit de vol concrétise donc au

degré le plus particulier la loi prohibant le vol. Le degré de généralité d’une norme apparaît

extrêmement variable dans les systèmes juridiques positifs582.

aux principes généralement reconnus du droit international. » 580 Suivant le Professeur Otto Pfersmann : « une antinomie concerne le vague. Elle porte depuis l’Antiquité le nom de "sorite" : une graine de sable ne fait pas un tas (soros). Si un grain ne fait pas de tas, alors 1+1 ne fait pas de tas non plus. Si… n + 1 grains ne font pas un tas, alors (n+1) + 1 ne font pas un tas, etc., donc il n’y a pas de tas (ou l’inverse). Ce paradoxe est […] très puissant puisqu’il nous empêche de raisonner de manière cohérente sur des objets présentant des cas limites. Or un très grand nombre d’objets du discours juridique relèvent de cette catégorie. L’une des principales questions de la philosophie du langage et de la logique consiste par conséquent dans l’élimination de la sorite. On distingue plusieurs démarches. Les unes relèvent en quelque sorte du désespoir et affirment qu’il convient d’accepter la conclusion de l’argument : il n’y a ni table, ni tas, ni autres objets vagues, ce qui heurte profondément nos intuitions. Une deuxième stratégie est d’ordre épistémique et consiste dans l’identification du vague avec un défaut de savoir, mais elle se heurte elle aussi à de lourdes objections en tant qu’elle semble ignorer que le savoir puisse justement avoir pour objet que F est un prédicat vague. Une démarche qui paraît plus prometteuse part de l’idée que rien n’empêche de construire une théorie précise de l’imprécis. Ces conceptions sont parfois qualifiées d’"hyperévaluations" : on isole par délimitation exacte la "pénombre" intermédiaire, en distinguant strictement entre les cas auxquels ne s’applique pas le prédicat, les cas auxquels il s’applique, et le groupe intermédiaire pour lequel ne vaut ni l’un ni l’autre. Mais, objecteront les critiques, cela ne garantit nullement que les concepts grâce auxquels on établit ces frontières soient eux-mêmes libres de vague. On entre alors dans un cercle vicieux où l’on retrouve toujours du vague de degré supérieur. Certains proposent, enfin, de modifier les instruments logiques susceptibles de caractériser ce type de situations et de raisonner par rapport à lui. On quitte ainsi les logiques bivalentes pour des logiques à valeurs multiples et l’on assigne aux énoncés comportant des prédicats vagues des valeurs de vérité intermédiaire (par exemple, à "moitié vrai"). L’antinomie n’affecte évidemment pas les décisions mises en œuvre, mais elle met en cause la validité du raisonnement qui les sous-tend. Les cas limites posent toujours des problèmes particuliers et la discussion concernant le sorite montre à quel point il est difficile de les résoudre de manière définitivement satisfaisante. Il serait toutefois parfaitement irrecevable d’en tirer une conclusion sceptique et d’affirmer que toutes les décisions se valent. Même en l’absence d’une solution définitivement admise, il conviendra de rendre toujours le plus explicite possible les présupposés d’une décision et de fournir l'argument le plus développé en vue de sa justification. A l’inverse, le fait qu’un argument soit développé et paraisse convaincant ne constitue par pour autant une preuve de sa validité. » ; cf. « antinomies », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 67-70.pp. 67-68.581 Cf. Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783.582 Hans Kelsen propose une systématisation des degrés de généralité : « une norme est individuelle lorsque l’élément personnel et l’élément matériel du comportement sont posés comme obligatoires in concreto, c’est-à-dire comme constituant le comportement unique d’une seule personne individuellement déterminée, par exemple le commandement d’un père A adressé à un fils B : "ferme cette porte". Toutes les autres normes sont des normes générales, mais le caractère général peut avoir différents degrés :

1. Le père ordonne à ses fils B,C, D : "Maintenant, allez à l’école". Nous avons là un nombre déterminé d’adressataires déterminés individuellement in concreto, un nombre déterminé de comportements uniques identiques.

219

(i) La distinction entre «généralité» et «universalité»

La seule notion de «général» ne détermine pas à partir de quel degré une norme doit être considérée

comme «générale». Cette indétermination quant au degré de généralité explique que, par commodité, 'il

arrive que la doctrine583, voire la jurisprudence584, substitue dans leurs analyses le terme «universel» au

terme «général» lorsqu'il est question de la transformation du droit international général. Une telle

démarche paraît discutable : elle correspond à une réduction de la sphère d'application de la norme

constitutionnelle en question, étant donné que la notion d'«universel» s'entend assurément de manière

plus restreinte que celle de «général».

Par surcroît, la notion de «généralité» présente dans les articles 9 B-VG et 25 LF, mais aussi par le passé

dans l'art. 4 VRW, est d'autant plus indéterminée qu'elle n'a pas toujours la même signification dans la

terminologie de droit international. L'expression «droit international général» oppose certes en réalité

droit non conventionnel (supposé général) et droit conventionnel (supposé particulier) ; cependant,

dans une autre expression, celle de «coutume générale», la «généralité» renvoie bien aux normes d'un

degré de généralité élevé, et aucunement aux «coutumes particulières». Et, en partant de cette dernière

2. Un sous-officier adresse à vingt soldats alignés sur un rang le commandement suivant : "que trois hommes sortent des rangs !" Nous avons affaire ici à un nombre déterminé d’adressataires de la norme individuellement non déterminés, donc déterminés in abstracto, trois comportements déterminés in concreto identiques.

3. Le pape commande à tous les catholiques d’adresser à Dieu en un jour déterminé, à une heure déterminée, une prière déterminée. Il s’agit là d’un nombre indéterminé mais limité d’adressataires de la norme déterminés in abstracto, un nombre indéterminé mais limité de comportements déterminés in concreto identiques.

4. Tous les hommes doivent tenir les promesses qu’ils ont faites : c’est là un nombre indéterminé et illimité d’adressataires déterminés in abstracto, et un nombre indéterminé et illimité de comportements déterminés in concreto identiques.

5. Tous les hommes doivent se comporter comme Jésus le leur prescrit. Seule l’autorité qui pose la norme est déterminée in concreto, l’élément matériel des normes à observer n’est absolument pas déterminé : l’élément personnel est un nombre indéterminé, mais limité de sujets in abstracto.

6. On doit se comporter comme le prescrit une autorité donnée : seule l’autorité qui pose la norme est déterminée in concreto, l’élément matériel des normes à suivre n’est absolument pas déterminé ; l’élément personnel est un nombre indéterminé et illimité de sujets déterminés in abstracto. La norme 6 représente le degré le plus élevé du caractère général d’une norme […] Les normes 1 à 5 représentent les différentes étapes intermédiaires entre la norme individuelle et la norme plus générale » ; cf. « Note 10 », Théorie générale des normes, PUF, Paris, 1996, 664 p., p. 376.

583 Cf. Walter Rudolf, op. cit. note 22.L'expression « allgemeinen anerkannten Regeln des Völkerrechts » est parfois traduite par « règles universellement reconnues du droit international » (mes italiques), par exemple par Madame Lilyane Deroche in : Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. Lilyane Deroche, PUF, 1993, 576 p., p. 206. En dehors de la langue allemande, cela vaut aussi pour les nouvelles constitutions de l'Europe orientale. Par exemple, l'article 15 al. 4 de la Constitution de la Fédération de Russie est habituellement traduit par : « Les principes et normes universellement reconnus du droit international et les traités internationaux de la Fédération de Russie sont partie intégrante de son système juridique », alors même que la racine «Обще» renvoie à l'idée de généralité (« Общепризнанные принципы и нормы международного права и международные договоры Российской Федерации являются составной частью ее правовой системы. » ; soit « les principes et normes généralement reconnus du droit international et les traités internationaux de la Fédération de Russie sont partie intégrante de son système juridique »).584 La version de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande ne contredit pas l'art. 25 LF, mais insiste sur la notion d'universalité : « les règles générales du droit international comprennent en premier lieu les coutumes universelles complétées par les principes de droit international reconnus » ; cf. BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317).

220

signification de l'expression «généralité», incontestablement bien présente dans le contexte du droit

international, les doctrines nationales ont souvent déduit que la transformation opérée par les articles 9

B-VG et 25 LF ne concerne que les « coutumes générales », si ce n'est « universelles ».

La doctrine traditionnelle dit que constitue une «coutume générale» celle qui s'adresse potentiellement à

l'ensemble des États585. Il en va par exemple ainsi de celles relatives à la haute mer, aux immunités

diplomatiques et consulaires, à la conduite des hostilités, à l'espace aérien et spatial. Toutes ces

coutumes se présentent comme applicables à tout État. Cela ne signifie pas pour autant qu'elles

s'appliquent actuellement à tous les États. Les principes relatifs à la délimitation des espaces maritimes

ne s'appliquent par exemple pas à un État dépourvu de façade maritime, mais si cet État acquière par la

suite une telle façade, il en devient immédiatement586 destinataire. Dans la terminologie traditionnelle,

mais non dans la terminologie actuelle plus sensible aux degrés de généralité, le terme «général» revêt

souvent un sens identique ou presque identique à celui d'«universel» ; seules les coutumes

«universelles» se disent alors «générales», sans que soit pris en considération le degré de généralité de

la norme en question parmi les nombreux possibles. Une distinction entre «généralité» et «universalité»

s'avère pourtant incontestable : les coutumes «universelles» se caractérisent comme des normes

applicables positivement à l'ensemble des États, le principe pacta sunt servanda par exemple, tandis que

les coutumes «générales» sont celles applicables négativement à l'ensemble des États, en ce sens

qu'elles s'appliquent par principe dans la sphère internationale en l'absence d'une réglementation

conventionnelle ou coutumière particulière.

(ii) La question de la quantité des États concernés

La question de la «généralité» d'une norme internationale rejoint avant tout celle de la quantité des États

concernés par cette norme. Or, chaque moment historique offre un contexte particulier dans laquelle il

convient de la situer. Au moment de la rédaction des article 4 WRV et 9 B-VG, le nombre d'États

souverains, parmi lesquels figurent des puissances coloniales, demeure encore peu élevé. Le cercle des

États souverains s'est depuis considérablement étendu, à proximité actuellement des deux cents, de sorte

que les obstacles à la formation de coutumes universelles se sont corrélativement accrus.

A l'opposé des «coutumes générales», les «coutumes particulières» ne se destinent immédiatement qu'à

quelques États. En fonction de la quantité d'États concernés, on les dira «régionales», «locales», ou

encore «bilatérales». En revanche, le contenu matériel de la norme en question ne contribue pas tant à

son caractère général. Tandis les coutumes générales peuvent réglementer un objet technique, les

immunités fiscales des fonctionnaires internationaux par exemple, les coutumes particulières

585 Cf. inter alia, Myres S. McDougal (éd.), Studies in World Public Order, Yale University Press, New Haven, 1960, 1058 p., p. 15 ; Anthony D'Amato, op. cit. note 563.586 Le droit international de la mer est applicable de manière plus ou moins immédiate pour l'État dépourvu de façade maritime : obligation de respecter le droit des États tiers, droit des nationaux de l'État sur les espaces maritimes (navires de pêche...), éventuel droit de passage. A propos de la question de l'égalité des États en droit international, cf. inter alia, Hans Kelsen, PIL, spécialement pp. 243-244.

221

réglementent parfois un objet général. Le droit de la guerre local qui s'est formé entre l'Angleterre, les

États-Unis et le Japon dans la période qui clôt le shogunat, surtout valable en matière maritime, en offre

une illustration. Le contenu matériel des coutumes particulières peut être de toutes sortes : le droit

d'asile dans la sphère régionale de l'Amérique latine587, les droits dont bénéficient certains États dans la

sphère de compétence de principe d'un autre État (délimitation régionale du territoire maritime, ainsi

dite «servitude internationale»)...

iii. Lex specialis derogat legi generali

La règle lex specialis derogat legi generali, qui écarte l'application d'une norme plus générale si une

norme plus spéciale réglemente la même matière, est un principe appartenant au droit international

positif588. Et ce principe du droit international est amené à se transformer en droit interne, sur le

fondement de la disposition constitutionnelle relative au droit international général. Pour autant que lex

specialis développe ses pleins effets dans le cadre du droit interne 589, il fonde par effet récursif

l'applicabilité interne des normes internationales particulières (spéciales).

Le principe lex specialis concerne aussi la relation avec les États tiers. Si les normes particulières du

droit international n'ont pour primo-destinataires qu'un cercle délimité d'États, et non l'ensemble des

sujets du droit international, elles n'en forment pas moins une situation juridique que le reste des États

est tenu de respecter. En effet, un principe du droit international oblige les États à respecter les droits

acquis par les autres États. Ceux-ci se trouvent par exemple dans l'obligation de respecter l'intégrité

territoriale propre à chaque État590, elle-même fondée sur une norme plus générale du droit international

suivant laquelle les États ont droit à un certain territoire. A travers le principe lex specialis, le droit

international particulier lie indirectement l'ensemble des sujets du droit international.

L'argument lex specialis, en tant qu'il justifie l'applicabilité interne du droit international particulier, a

connu une certaine postérité, surtout dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale

allemande. A son encontre, la doctrine soutient parfois qu'il convient dans tous les cas de privilégier

l'application des normes générales du droit international. Car, en raison de leur large sphère

d'application, leur existence se démontrerait plus facilement, c'est-à-dire offrirait davantage de

certitude. Il n'en va cependant pas toujours ainsi : l'identification du contenu des principes du droit

587 C.I.J., arrêt, 20 novembre 1950, Affaire Haya de la Torre (Colombie c. Pérou), Rec. 1950, p. 276-277 588 dans une littérature abondante, cf. inter alia : Joost Pauwelyn, Conflict of Norms in Public International Law – How WTO Law Relates to other Rules of International Law, Cambridge University Press , Cambridge, 2003, 553 p. ; Erich Vranes, « Lex Superior, Lex Specialis, Lex Posterior – Zur Rechtsnatur der « Konfliktlösungsregeln » », ZaöRV, vol. 65, 2005, pp. 391-405.589 Les effets internes de lex specialis peuvent être comparés aux effets internes de pacta sunt servanda. Les effets de la norme pacta sunt servanda sont restreints en droit interne en raison des normes constitutionnelles spéciales relatives aux traités internationaux (cf. infra : « Le cas du principe pacta sunt servanda »). Il est possible, à titre d'hypothèse, qu'il en soit de même pour lex specialis, non en raison d'une autre norme constitutionnelle, mais en raison du fondement même de sa validité interne (art. 9 B-VG et art. 25 LF) prévoyant la seule transposition du droit international général.590 Le territoire d'un État donné est une norme particulière du droit international, en ce que ce dernier prévoit la sphère de compétence spatiale d'un seul sujet du droit international.

222

international soulève des difficultés extrêmement sérieuses au juriste, qui concernent d'ailleurs surtout

les principes les plus structurants du droit international591 (principe de souveraineté, principe

d'effectivité, pacta sunt servanda...). Il reste toutefois vrai que le processus d'identification des normes

coutumières particulières connait lui aussi des difficultés propres, liées à la nature plus dynamique –

moins structurelle – des normes en question, ainsi qu'à l'éventuelle confusion entre simple pratique et

positivité de la norme.

La notion de «généralité» présente dans les formulations de l'article 9 B-VG et de l'article 25 LF ne

contribue pas grandement à la spécification des normes internationales visées (α). En France, le Conseil

constitutionnel a construit l'expression «principes généraux du droit public international» en vue de

désigner les normes internationales qu'il applique sur le fondement de l'alinéa 14 du Préambule de

1946, et ce, nonobstant l'absence de toute référence à la «généralité» dans le texte même de l'alinéa 14

(β).

α. La neutralisation de la condition de généralité dans la doctrine et la jurisprudence : les cas autrichien

et allemand

L'article 9 B-VG apparaît davantage déterminé quant à la «généralité» que l'article 25 LF lorsqu'il vise

les « règles généralement reconnues », et non globalement les « règles générales ». Pourtant, il s'agit à

591 Cf. Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la seconde guerre mondiale », RFDC, vol. 16, 1993, pp. 761-789, spécialement pp. 786-789. Le problème de l'identification des principes du droit international peut être expliqué ainsi :La formation des normes internationales est largement relative au comportement effectif des États. Les États sont, globalement, simultanément, primo-producteurs et primo-destinataires du droit international, de sorte qu’il est difficile d’interpréter leur comportement en tant que processus de production d’une norme ou de transgression d’une norme (cf. infra, « ex injuria jus non oritur »). Il en va ainsi lorsqu’un État participe à la production d’une norme coutumière nouvelle transgressant la norme coutumière ou conventionnelle encore valide (par exemple, les parties à un conflit militaire emploient couramment et de manière assumée certaines armes dont l’usage est prohibé par traité international). Autre exemple : l’État dispose en principe en droit international d’une compétence propre pour évaluer si tel ou tel comportement d’un autre État constitue une faute pouvant donner lieu à représailles, y compris la guerre-sanction. Dans ces circonstances, il est parfois difficile d’évaluer si un État qui décide d'une guerre à l'encontre un autre État à titre de sanction agit dans le cadre de sa compétence internationale, ou s'il transgresse le droit international car la sanction se trouve en réalité disproportionnée par rapport à la faute commise. Le Professeur Otto Pfersmann affine cependant ainsi l'analyse :

« Le propre d’un ordre décentralisé est de reposer sur un consensus diffus qui se manifeste par des réactions communes, en tout cas largement partagées. […]. Les producteurs et les destinataires de normes ne sont donc pas nécessairement confondus. Ils ne le sont que pour autant qu’ils respectent les normes qu’ils produisent. Mais il peut y avoir une minorité réfractaire, qui n’en est pas moins destinataire, sans véritablement participer au processus d’élaboration normative. Tous les producteurs sont destinataires mais tous les destinataires ne sont pas nécessairement producteurs. Il faut qu’un écart soit possible et il faut que la plupart des destinataires se conforment dans un nombre significatif de cas aux producteurs sinon il ne sera pas possible de parler de droit, ni même de droit international. [nouveau §]. Le problème que soulève la théorie de Kelsen [du droit international] est en quelque sorte une autre formulation du paradoxe de la règle chez Wittgenstein. Selon l’argument qu’il développe dans les Investigations philosophiques [I, § 201], il n’est pas possible de suivre une règle tout seul, parce que toute action sera conforme à une règle construite après coup. Mais il n’est pas non plus possible de "suivre" une norme collective qui ne serait que le résultat de toutes les actions violentes individuelles sans qu’il n’y ait aucune forme d’explicitation commune de la conduite à suivre. [nouveau §]. Ainsi le véritable problème du droit international, c’est son faible degré d’explicitation, ce ne peut être son extrême décentralisation. » ; cf. ibid, pp. 788-789.

223

peu près du même ensemble de normes, du moins selon la doctrine et la jurisprudence (i) ; en effet, une

généralité insuffisante ne caractériserait qu'exceptionnellement le droit international non écrit (ii).

i. Les éléments constitutifs de la généralité

En droit autrichien, la condition de généralité est davantage abordée quantitativement, c'est-à-dire

relativement à l'étendue du cercle des États visées par la norme internationale en question (sphère

personnelle), que qualitativement, c'est-à-dire relativement au degré général et abstrait de son contenu

(sphère matérielle)592. Cela tient à la formulation de l'article 9 B-VG qui vise spécifiquement les normes

« généralement reconnues » du droit international. Ainsi, Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl

remarquent dès 1922 que :

« On est ici en présence d'une adoption (aufnahme) d'un droit international déjà valide ou à

venir dans la mesure où ces normes sont reconnues de manière générale. […]. Sont comprises, parmi les

règles généralement reconnues du droit international, les normes de l'ainsi-nommé droit international

"général", qui sont à différencier des normes internationales "particulières"593 ; ces normes ne sont pas

seulement celles qui sont nées par accord de tous les membres de la Communauté internationale, mais

aussi celles qui sont nées à partir de la conviction juridique commune par la voie de la pratique 594 ».

La doctrine autrichienne s'accorde sur le point suivant : l'universalité de la norme en question n'est

aucunement requise595, aussi car cela reviendrait à autoriser l'État autrichien à priver d'effets l'article 9

B-VG par une action d'opposition au droit international dans la sphère internationale même. Une quasi-

universalité reste tout de même souvent évoquée comme condition, surtout dans les écrits des années

1920596. Il suffirait pour cela que les Puissances internationales, dont la petite République d'Autriche ne

592 La distinction entre ces deux aspects de la généralité est soulignée par le Professeur Walter Rudolf dans des publications ayant principalement pour objet le droit allemand, mais traitant aussi du droit autrichien. Cf : Walter Rudolf, op. cit. note 22 ; Walter Rudolf, op. cit. note 301, spécialement p. 37 et svtes.Cf. aussi, plus anciennement, l'analyse approfondie de Rudolf Aladár Metall relative à la condition de «généralement reconnue», in : op. cit. note 22, spécialement p. 167 et svtes.593 Josef L. Kunz, op. cit. note 22, spécialement p. 311 et svtes.594 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, op. cit. note 65, spécialement pp. 76-77. Dans le même sens, cf. inter alia : Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 169, p. 452 : « une règle générale du droit international n'a pas à être reconnue de manière unanime par tous les États pour être considérée comme une "règle généralement du droit international" tombant sous l'article 9 de la Constitution ».595 Cf. inter alia : Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 169, spécialement p. 452 ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement pp. 144-145 ; Heribert Franz Köck, op. cit. note 139, spécialement p. 747.596 Ludwig Jordan, op. cit. note 150, spécialement pp. 453-454 ; Josef L. Kunz, op. cit. note 22, p. 313 (avec aperçu critique).Pour le Professeur Walter Rudolf, à l'issue d'une comparaison entre l'article 9 B-VG et l'article 25 LF, l'article 9 B-VG ne s'oppose pas à une transformation «par analogie» (c'est-à-dire en dehors de celui-ci mais similaire) des coutumes internationales particulières en droit interne. L'argument principal est le suivant : cette transformation ne porterait pas préjudice au monopole du législateur fédéral (art. 24 B-VG), puisqu'une valeur supra-législative du droit international général n'est pas prévue par la Loi constitutionnelle fédérale. Cf. Walter Rudolf, op. cit. note 22, spécialement pp. 441-442. L'argumentation paraît discutable, ne serait-ce que parce qu'il convient de distinguer la question du «lien» du législateur à une norme (une relation entre un «organe» et une «norme») de la question de la seule validité de la norme (une relation entre une «norme» et une «norme»).

224

fait pas partie, s'entendent quant à la force obligatoire d'une norme internationale. Actuellement, la

doctrine se contente de rappeler la «généralité», sans spécification supplémentaire, ce qui peut

s'expliquer par une re-configuration de la Communauté internationale marquée par la multiplication du

nombre d'États souverains – favorisant peu l'existence de normes universelles ou quasi-universelles.

Par contraste avec l'article 9 B-VG, mais aussi avec l'ancien article 4 WRV, l'article 25 LF semble à la

fois plus indéterminé et plus restrictif quant à la condition de généralité. En effet, de prime abord, les

normes internationales en question doivent présenter en leur intégralité un caractère général (« règles

générales »), et non pas seulement satisfaire à une « reconnaissance générale » (« règles généralement

reconnues »). Cependant, la Cour constitutionnelle fédérale allemande n'a développé à partir de là une

conception restrictive de la sphère des normes visées par l'article 25 LF597. Pour la Cour, organe chargé

du contentieux de l’identification des règles générales du droit international, ni le «niveau

d'abstraction», ni la «portée598» de la norme en question ne constituent des éléments constitutifs de la

généralité599. L'ensemble « règles générales du droit international » se compose peut-être

« premièrement les coutumes universelles valides dans le droit international »600, mais la condition de

généralité ne va pas jusqu'à impliquer l'exclusion des normes coutumières particulières de cet ensemble.

La Cour en fournit la justification suivante : la « généralité de la norme se réfère à sa validité et non à

son contenu601 ». Ce qui s'explique ainsi : même si la sphère d'application d'une norme internationale

peut être limitée matériellement, spatialement ou temporellement dans le cadre du droit international 602,

l'obligation de respecter les normes internationales particulières n'en vaut pas moins pour l'ensemble des

membres de la Communauté internationale, y compris les États qui n'en sont pas immédiatement les

destinataires. Dès lors, le sujet d'un système juridique se trouve dans l'obligation de respecter l'ensemble

des normes de ce système juridique (ainsi-dit «droit objectif»), de sorte que toute norme valide dans

celui-ci peut se dire «générale». Donc, pour l'État allemand, sujet du droit international, toutes les

normes internationales sont «générales». La signification du terme «général» dans l'article 25 LF diffère

597 L'évolution de la jurisprudence allemande à propos de la question de la «généralité» a déjà partiellement été analysée à propos de la forme normative «coutume internationale».598 «Tragweit». Ce terme se comprend ici comme l'étendue de la sphère d'application de la norme (spatiale, personnelle, temporelle, personnelle).599 Plus globalement, selon la Cour constitutionnelle fédérale, la généralité est indépendante du contenu de la norme internationale en question ; cf. la décision du 6 décembre 2006 (BVerfGE 118, p. 124 – Völkerrechtliche Notstandseinrede ; BVerfG, 2 BvM 9/03) : « Eine Regel des Völkerrechts ist dann allgemein im Sinne des Art. 25 GG, wenn sie von der überwiegenden Mehrheit der Staaten anerkannt wird (vgl. BVerfGE 15, 25 <34>). Die Allgemeinheit der Regel bezieht sich auf deren Geltung, nicht auf den Inhalt, wobei eine Anerkennung durch alle Staaten nicht erforderlich ist. Ebensowenig ist es erforderlich, dass gerade die Bundesrepublik Deutschland die Regel anerkannt hat. ». 600 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (317) ; 31, p. 145 sqs. (177).601 BVerfGE 117, p. 141 – Diplomatische Immunität ; BVerfGE 118, 124 – Völkerrechtliche Notstandseinrede : « Die Allgemeinheit der Regel bezieht sich auf deren Geltung, nicht auf den Inhalt, wobei eine Anerkennung durch alle Staaten nicht erforderlich ist. »602 C.I.J., 20 novembre 1950, droit d’asile, Colombie c. Pérou ; C.I.J., 27 août 1952, Ressortissants américains au Maroc (États-Unis/France), Rec. 1952, p. 176 ; C.I.J., 12 avril 1960, droit de passage en territoire indien (Portugal/Inde), Rec. 1960, p. 6.

225

en cela de la signification qu'il pourrait revêtir dans le contexte d'une autre disposition constitutionnelle,

quant à elle uniquement relative au droit interne. Un autre argument issu d'une interprétation

téléologique de la Loi fondamentale conforte souvent cette neutralisation de la condition de généralité :

comme le sens et la fonction de l’article 25 LF résident dans le respect par l’État fédéral de ses

obligations internationales et dans l'ouverture du droit allemand au droit international

(«Völkerrechtsfreundlichkeit»), les normes internationales particulières ne sauraient être exclues de la

transformation en droit interne opérée par l'article 25 LF.

Il en résulte que, en l'état de sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle fédérale estime que l’ensemble

du droit international non écrit se transpose en droit interne, à l’exception toutefois des normes

découlant d’une norme internationale particulièrement consentie par l'État fédéral.

ii. L’exclusion des règles coutumières qui se sont développées dans le cadre de normes particulièrement

consenties

Le développement relativement récent des systèmes juridiques régionaux a conduit la doctrine

allemande à s'interroger quant à la normativité interne des normes non écrites qui se forment parfois à

l'intérieur de ces systèmes. Or, ces normes s'avèrent assurément écartées, en raison d'un degré de

généralité insuffisant, d'une transposition en droit interne sur le fondement de l’article 25 LF. Le droit

non écrit des systèmes juridiques régionaux se développe en effet à partir603 d’une autre norme

internationale particulièrement consentie, et en particulier d’un traité604. Il en va ainsi du droit

coutumier de l'Union européenne qui dérive des traités originaires de l'Union européenne605 : la coutume

selon laquelle l’abstention ne constitue pas un obstacle à l’unanimité dans la procédure de décision du

Conseil des ministres ne satisfait par exemple pas à la condition de généralité ; et il en est de même de

la coutume suivant laquelle une procédure de consensus informelle peut se substituer dans certaines

situations à un vote formel. En dehors du droit de l'Union européenne, les modifications de contenu de

traités internationaux spécifiques par voie coutumière sont en principe dépourvues d’effets juridiques en

droit interne allemand. Outre un degré de généralité parfois insuffisant, les traités internationaux et les

normes qui en dérivent disposent de fondements spéciaux de validité en droit interne allemand, autres

que l'article 25 LF.

En droit français, on ne trouve nulle référence à la généralité dans le texte de l'alinéa 14 du Préambule

603 Il s'agit soit de normes de concrétisation du traité international, soit de normes modifiant celui-ci en des aspects spécifiques.604 Le développement d'un droit coutumier dans le cadre d'un traité international s'observe surtout pour les organisations internationales ; cf. généralement à ce sujet : Gérard Cahin, La coutume internationale et les organisations internationales, A. Pedone, Paris, 2001, 782 p. 605 A propos du droit coutumier formé dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme, cf. Frank Czerner, « Das völkerrechtliche Anschlusssystem der Art. Artikel 59 GG II 1, 25 und 24 I GG und deren Inkorporierungsfunktion zugunsten der innerstaatlichen EMRK-Geltung », EuR, n°5, 2007, pp. 537-563.

226

de la Constitution de 1946, mais la normativité interne des coutumes les plus générales paraît

privilégiée dans la pratique.

β. La construction de la notion de « principe général du droit public international » par le Conseil

constitutionnel français

L'alinéa 14 vise l'ensemble des «règles du droit public international», sans rien spécifier de plus quant à

leur degré de généralité. Et cependant, à l'occasion de la décision Traité portant statut de la Cour

pénale internationale du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel se réfère aux «principes généraux

du droit public international606». Cette expression présente une proximité certaine avec celle de

«principe général du droit international», qui désigne une coutume universelle dans la terminologie de

droit international, mais conserve tout de même dans l'ordre la formule « droit public international »

propre au texte de l'alinéa 14.

La raison de cette insistance sur la «généralité» est en réalité à rechercher dans l'organisation du

contentieux constitutionnel : seules les normes pourvues d'un haut degré de généralité présenteraient un

caractère adéquat pour servir de normes de référence au Conseil constitutionnel dans le cadre de son

activité de contrôle des lois et des traités internationaux607. Ainsi, un contrôle de la loi par rapport aux

normes internationales particulières, peu stables si on les compare avec les principes généraux du droit

international, reviendrait à conditionner l'entrée en vigueur de la loi par une exigence de conformité par

rapport à des normes au contenu peu prévisible608. Aussi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel

n'affirme nullement que le droit international non écrit particulier se trouve dépourvu de toute

applicabilité interne, mais que son application apparaît inappropriée dans le contexte du contentieux

constitutionnel. Une telle réserve ne se constate d'ailleurs pas dans les contentieux ordinaires, le Conseil

d'État et la Cour de cassation appliquant les normes internationales quel que soit leur degré de

généralité609.

L'ensemble des normes internationales générales comporte l'ensemble plus spécifique des normes de

ius cogens. Et, dans le prolongement de l'important débat relatif à la positivité du ius cogens

international, l'idée que les dispositions constitutionnelles relatives au droit international général

poursuivraient tout particulièrement l'objectif de transposer les normes internationales de caractère

606 Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale. 607 Cf. inter alia : Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 136, spécialement pp. 412-418.608 cf. infra, « l'appartenance des règles du droit public international au bloc de constitutionnalité ».609 Par exemple, les coutumes internationales dont il est question dans les affaires Nachfolger et Aquarone concernent réciproquement la loi du pavillon et le droit fiscal des fonctionnaires internationaux. Le juge administratif ne refuse pas en principe l'invocabilité de coutumes techniques. Le juge judiciaire applique, quant à lui, toutes sortes de coutumes internationales y compris dans des domaines techniques (protection diplomatique, cf. Cass., 1re civ, 14 juin 1977, Société européenne d'études et d'entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie , Bull., 1977, vol. I, pp. 219-220 ; droit de la pêche maritime, cf. Cass. Crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim., 1980, p. 563)

227

absolu a été émise dans les différentes doctrines nationales.

b. Les normes de ius cogens

Du ius cogens, il est tantôt dit qu'il s'agit de droit coutumier ou conventionnel qualifié, tantôt qu'il se

définit comme une forme normative propre du droit international, donc aux côtés de la coutume, du

traité, ou encore du principe général de droit reconnu par les nations civilisées. Quoiqu'il en soit, le ius

cogens se caractérise par « son caractère impératif et indérogeable », selon l'expression habituellement

utilisée par la doctrine, voire dans les traités internationaux610. Le terme «impératif» s'avère

problématique, étant donné qu'il en va de même de toute norme juridique. Le «caractère impératif»

signifie en réalité, dans ce contexte, que les normes de ius cogens obligent l'État, et ce, même sans ou

contre sa volonté611. Quant au «caractère indérogeable», il implique d'abord qu'une interdiction pèse sur

les États de déroger à ces normes par le biais de toute norme internationale contraire, le ius cogens

prévalant sur toute autre norme internationale. En outre, une violation même minime d'une obligation

de ius cogens suffit pour engager la responsabilité de l'État, et non une « gross and systematic

violation » comme l'exige souvent le droit international612.

Le ius cogens, s'il présente une grande proximité avec la coutume universelle lorsqu'il est de forme non

écrite, s'en distingue en ce que sa production ne résulte pas nécessairement de la volonté de l’ensemble

des États. Il se caractérise non seulement par des éléments de formation spécifiques (liant l'État même

610 Le célèbre article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 dispose : « Aux fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».611 Une forme normative se distingue avant tout d'une autre forme normative par son mode de formation. La formation du ius cogens, à l'opposé de la coutume, est tout à la fois relativement indépendante de la volonté des États et relativement indépendante de leur pratique. Il se pourrait donc qu'il s'agisse d'une forme normative internationale à part, et non d'une coutume et d'un traité qualifié.La Cour internationale de justice considère dans l'affaire Barcelona Traction que : « une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des États envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre État dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les États. Vu l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes. […] Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit international général […] ; d’autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel. » (arrêt, 5 juillet 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, Rec. 1970, p. 3). 612 Au contraire de ce qui est affirmé par une partie de la doctrine, le caractère «indérogeable» ne signifie pas que la norme n'est jamais violée par le comportement des États (cf. par exemple : Arthur A. Weisburd, « The Emptiness of the Concept of Jus Cogens, as Illustrated by the War in Bosnia-Herzegovina », Michigan Journal of International Law, vol. 17, 1995, p. 49 et svtes). Il y a dans ce raisonnement confusion entre la «norme» et le «fait» : la violation d'une norme n'est pas une contradiction-négation de la norme mais un fait auquel la norme attribue un certain ensemble de conséquences juridiques (entre autres, la sanction). Une norme qu'on ne pourrait que respecter peut d'ailleurs sembler absurde.

228

sans ou contre sa volonté613, poids réciproque de la pratique et de l'opinio juris614), mais aussi – une fois

entré en vigueur – par sa normativité (contenu indérogeable).

Les différentes appréciations des doctrines et jurisprudences nationales quant à la normativité interne du

ius cogens reflètent les hésitations relatives à son statut dans la sphère internationale :

α. « Approche classique » et « approche moderne » du ius cogens dans les doctrines et jurisprudences

autrichiennes et allemandes

La doctrine et la jurisprudence autrichienne615 évoquent surtout les normes de ius cogens dans leur

aspect d'indérogeabilité par rapport aux traités internationaux616 (cf. articles 53, 64 et 71 de la

Convention de Vienne du 23 mai 1969). Elles s'inscrivent en cela dans une approche «classique» du ius

cogens, qui se situe dans la lignée des écrits d'Alfred Verdross relatifs aux normes indérogeables du

droit international, dont les premières publications en ce sens datent déjà des années 1930617. La thèse

d'Alfred Verdross selon laquelle les traités internationaux ne peuvent déroger un certain ensemble de

normes «impératives» du droit international se trouve en outre reprise dans la Convention de Vienne sur

le droit des traités du 23 mai 1969. La doctrine nationale autrichienne ne paraît par la suite pas avoir été

grandement marquée par les importants débats doctrinaux qui opposent les partisans d'une conception

extensive du ius cogens, au-delà de la seule indérogeabilité par rapport aux traités internationaux, et les

détracteurs de l'existence même du ius cogens, car il serait attentatoire à la souveraineté de l'État. La

doctrine admet peut-être largement la positivité des normes de ius cogens, mais ces normes ne sont

généralement pas considérées comme relevant d'une forme normative propre, différente de la coutume.

Par contraste, la Cour constitutionnelle fédérale allemande estime que les normes de ius cogens font

partie des règles générales du droit international, tout en étant pourvues d'une forme normative

613 Les États sont incompétents pour se délier d'une norme de ius cogens en adoptant un comportement d'objecteur persistant. Cf. Hugh L. Thirlway, International Customary Law and Codification, Leyde, A.W. Sijthoff, 1972, 170 p., p. 110 ; Antonio Cassese, International law in a divided world, Clarendon Press, Oxford University Press, 1986, 429 p., p. 179 ; Theodor Meron, The Humanization of International, Martinus Nijhoff, Leiden/Boston, 2006, 551 p., spécialement p. 376 ; Olivier Barsalou, « La doctrine de l'objecteur persistant en droit international », Revue québécoise de droit international, vol. 19, n° 1, 2006, pp. 1-18.614 Le mode de formation du ius cogens n'est pas seulement spécifique par rapport à celui de la coutume internationale sur la question de la volonté de l'État, mais aussi sur le poids réciproque de la pratique et de l'opinio juris au moment de sa formation. Le poids de la pratique est en effet réduit, comme le montre par exemple l'existence d'une norme de ius cogens prohibant la torture alors que celle-ci est pratiquée à une amplitude non marginale, cf. inter alia : Anthea Elizabeth Roberts, op. cit. note 283.615 Dans la doctrine, cf. inter alia : Friedrich Berber, Lehrbuch des Völkerrechts, tome I – Allgemeines Friedensrecht, 1ère éd., C.H. Beck, Munich, 1960, 504 p., spécialement p. 439 et svtes ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement p. 154 ; Bruno Simma, op. cit. note 140, spécialement p. 269.Dans la jurisprudence, cf. : Cour constitutionnelle, 29 novembre 1985, Slg. 10705 (à propos du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes) ; Cour administrative, 23 mars 1999, VwSlg 15104 A. La jurisprudence de la Cour suprême relative ius cogens apparaît plus abondante, surtout dans le contexte des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme (Cour européenne des droits de l'homme, Charte de l'ONU), et non relativement à l'article 9 B-VG. Cf. par exemple la décision du 30 septembre 2008 (1Ob225/07f ).616 Cour suprême, 23 mai 1996, 6Ob2/96.617 Cf. déjà : Alfred Verdross, « Forbidden Treaties in International Law », AJIL, vol. 31, 1937, pp. 571-577.

229

spécifique618. La Cour n'évalue donc pas ces normes comme appartenant à la catégorie des coutumes

internationales et ce, parce que le mode de formation et de destruction des coutumes apparaît trop

conjoncturel («nachgiebig») pour que leur respect soit assuré en toutes situations619 620.

β. Le cas français : vers une applicabilité interne du ius cogens en dépit d'une position internationale de

l'État français à l'encontre de sa positivité même

Aucune conception dominante relative à la normativité interne du ius cogens ne se dégage du corpus

jurisprudentiel français :

L'invocabilité des règles du droit public international dans le cadre du contrôle a priori de la loi

équivaut à l'attribution d'une compétence au Conseil constitutionnel pour empêcher l'entrée en vigueur

d'une loi en raison d'un manque de conformité par rapport au droit international général (i). Cela n'est

pas toujours considéré comme souhaitable, en particulier lorsque les normes internationales de

référence sont conjoncturelles ou techniques, mais paraît plus acceptable dès lors qu'il s'agit de ius

cogens.

En l'état de la jurisprudence des juridictions ordinaires, l'admission de l'applicabilité interne du ius

cogens semble bien acquise, mais elle se heurte tout de même parfois à la position internationale de la

France qui avait refusé de ratifier la Convention de Vienne du fait précisément de son article 53 qui

définit le ius cogens621 (ii.).

i. Un contentieux constitutionnel en apparence ouvert à l'invocabilité du ius cogens

La sphère d'invocabilité des règles du droit public international dans le cadre du contentieux

constitutionnel se circonscrirait, selon le Conseil constitutionnel, à un certain ensemble de principes

structurants du droit international, soit les «principes généraux du droit public international 622». Et,

parmi ces principes, on trouve surtout : les principes relatifs au droit conventionnel, dont pacta sunt

servanda, et les principes relatifs à l'organisation de la Communauté internationale en États

(souveraineté de l'État, principe de l'égale souveraineté des États, principe du droit des peuples à

618 BVerfGE 18, p. 441 sqs. (448), à propos de l'interdiction du recours à la force, de l'interdiction du crime de génocide et de la torture et de la nécessité de protéger les principaux droits fondamentaux, qui vont de l’interdiction de l'esclave au droit de pratiquer librement sa religion dans la sphère privée. A ce propos, cf. notamment Jochen Abr. Frowein, Rolf Kühner, « Drohende Folterung als Asylgrund und Grenze für Auslieferung und Ausweisung », ZaöRV, vol. 43, 1983, pp. 537-565.Pour comparaison,à propos de l'interdiction internationale du génocide en droit australien relativement à la politique de l'État concernant les aborigènes ; cf. Andrew D. Mitchell, « Genocide, Human Rights Implementation and the Relationship between International and Domestic Law : Nulyarimma v. Thompson », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 3, 2000, pp. 362-383 ; Andrew D. Mitchell « Is Genocide a Crime Unknown to Australian Law? Nulyarimma v. Thompson », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 3, 2000, pp. 362-383.619 BVerfGE 18, p. 441; BFHE 124, p. 480 sqs. (487)620 Cf. aussi infra : « Le problème de l'indérogeabilité du ius cogens ».621 Cf. Olivier Deleau, op. cit. note 574.622 Cf. la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale

230

disposer d'eux-mêmes).

Avant le développement du corpus jurisprudentiel du Conseil constitutionnel relatif aux règles du droit

public international, Nguyen Quoc Dinh prédisait que le juge constitutionnel français serait amené à

censurer prioritairement la violation du ius cogens623. Cette évolution s'est heurtée à plusieurs obstacles,

la plupart d'ordre idéologique : 1. La France s'est fortement opposée à l'existence même du ius cogens,

de sorte qu'il est politiquement – mais non juridiquement624 – difficile de concevoir qu'il s'impose au

législateur national ; 2. La doctrine française a longtemps considéré le ius cogens comme négligeable, et

ce, tant quantitativement que qualitativement625. La doctrine nationale soulignait en effet que, d'une

part, il ne s'agit que de quelques droits de l’homme élémentaires, dont la prohibition de l'esclavage ou

de la torture, ou de larges consensus contemporains, tel le principe du droit des peuples à disposer

d'eux-mêmes ; et que, d'autre part, l'introduction du ius cogens parmi les normes de référence du

contrôle de constitutionnalité s'avérerait en pratique largement superflue, étant donné le texte même de

la Constitution contient déjà le plus souvent les obligations déterminées par les normes de ius cogens626.

L'argumentation traditionnelle de la doctrine prête à discussion. Pour autant que la positivité du ius

cogens soit avérée, ce en quoi consiste d'ailleurs actuellement l'opinion majoritaire de la doctrine

française, les normes de ius cogens lient les États, et ce, même sans ou contre leur volonté. Autrement

dit, le ius cogens est précisément opposable à un État quand bien même il ne consent pas à leur

formation627, et il fait donc partie des règles du droit public international que les organes de l'État

français ont constitutionnellement l'obligation de respecter (alinéa 14). Quant au second argument

reposant sur l'identité matérielle entre certains droits fondamentaux nationaux et les normes de ius

cogens, il suffit de remarquer à son encontre que la normativité du ius cogens diffère de celle des droits

fondamentaux nationaux correspondants. Ainsi, par contraste avec les droits fondamentaux, il demeure

dans tous les cas indérogeable, le droit international n'autorisant aucune limitation.

623 Nguyen Quoc Dinh, op. cit. note 124, spécialement p. 1030 ; cf. aussi Louis Favoreu, op. cit. note 124, pp. 110-111.624 Juridiquement, les normes de ius cogens sont opposables à un État même s'il ne consent pas à leur formation.625 Cf. inter alia : Michel Virally : « Réflexions sur le Jus cogens », AFDI, 1966, pp. 5-29 ; Charles de Visscher, « Positivisme et Jus cogens », RGDIP 1971, pp. 5-11 ; Prosper Weil, « Vers une normativité relative du droit international ? », RGDIP, 1982, pp. 5-47 ; Charles Chaumont : « Mort et transfiguration du Jus cogens », Melanges offerts a P.-F. Gonidec : l'État moderne, Horizon 2000 : aspects internes et externes , LGDJ, Paris, 1985, 543 p., pp. 469-479.626 Il est problématique d'affirmer que les textes constitutionnels reproduisent parfois le contenu des normes de ius cogens. En effet, la proximité ou la similitude de formulation n'empêche pas des différences de contenu entre la norme internationale et droit interne. Par exemple, le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » au sens du droit international interdit de conditionner l'accès à l'indépendance des peuples colonisés par une procédure quelconque, y compris une procédure de consultation par référendum, tandis que le principe de la « libre détermination des peuples » au sens du droit interne consiste à déterminer le sort des peuples par voie de référendum (article 53 de la Constitution, cf. affaires des Comores). 627 La formation des normes de ius cogens est relativement autonome de la volonté des États et dans certaines situations totalement indépendante de celle-ci ; cf. les références supra note 613, ainsi que : Robert Kolb, Théorie du jus cogens international : Essai de relecture du concept, PUF, Paris, 2001, 399 p. ; Roozbeh (Rudy) B. Baker, op. cit. note 327.

231

ii. Les hésitations des juridictions ordinaires quant à la normativité interne du ius cogens

Le juge judiciaire applique traditionnellement toutes les normes internationales, quel que soit leur

contenu. La Cour de cassation conçoit déjà la positivité de normes proches du ius cogens dans une

décision ancienne, en date des années 1920, à l'occasion de laquelle elle parle des « règles absolues du

droit public international » (14 mars 1923, S. 1923, p. 241). Actuellement, la question de l'applicabilité

interne du ius cogens se pose surtout dans les cas où l'auteur d'une violation de celui-ci bénéficie par

ailleurs d'une protection par immunité (immunité pénale des chefs d'État628, immunité de juridiction et

d'exécution de l'État étranger629). Curieusement, quelques décisions isolées du juge judiciaire

soutiennent que le ius cogens n'est pas devenu applicable en droit interne français, en raison du

comportement d'objecteur persistant qu'a manifesté la France à l'encontre de sa formation à la fin des

années 1960630. Globalement, le juge administratif applique indifféremment les normes les plus

générales du droit international631 et ses coutumes les plus particulières632.

La pratique des organes internes des différents systèmes juridiques nationaux s'oriente vers

catégorisation du droit international non conventionnel au plus proche possible de celle existante dans

le droit international lui-même. Les organes internes se contentent ainsi généralement de vérifier la

validité internationale de la norme en question sous une forme non écrite, en considérant qu'il s'agit là

de la principale condition de sa transposition en droit interne, peu importe que la disposition

constitution nationale exige de manière plus ou moins déterminée un certain contenu. Le degré de

compatibilité de la norme internationale en question avec les données du droit interne ne conditionne

628 Cf. affaire de l'attentat du DC 10 d'UTA mettant en cause le Colonel Khadafi, alors chef de l'État lybien (Cass. Crim., 13 mars 2001, Procureur général près de la Cour d’Appel de Paris c/ Association SOS Attentats et autres). Cf. aussi : CEDH, 4 oct. 2006, Association SOS Attentats & Béatrix de Boëry c. France, requête n°76642/01. L'affaire DC10 d'UTA connaît une suite devant la Cour de cassation concernant, non pas l'immunité pénale du chef de l'État, mais l'immunité d'exécution et de juridiction de l'État lybien (Grande Jamahiriya arabe libyenne) : Cass. 1ère civ., 9 mars 2011, pourvoi n°09-14743.629 A propos l'immunité de juridiction des États étrangers dans le cas de violation d'une norme de ius cogens, cf. infra : « L'immunité de juridiction de l'État étranger dans les cas de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire ».630 L’avocat général Jean-Yves Launay soutient, dans ses conclusions sur l'affaire DC 10 d'UTA, la validité du principe du droit international prohibant toute dérogation aux normes de ius cogens (Cass. Crim., 13 mars 2001, Procureur général près de la Cour d’Appel de Paris c/ Association SOS Attentats et autres, concl. Jean-Yves Launay, Gaz. Pal., 25-29 mai 2001, n° 145-149, pp. 27-39). Toutefois, « Pour sérieux que puissent paraître [les arguments] tirés d’un «jus cogens» supérieur […], ils se heurtent […] pour la France, du fait que notre pays n’a pas reconnu le concept de «jus cogens» tel que défini par la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, et que c’est la raison pour laquelle la France n’a pas adhéré à cette convention jusqu’à présent » (p. 31).631 Dans l'affaire Nachfolger, le principe général de la liberté de la haute mer est traité de la même manière que les coutumes internationales plus techniques en question (loi du pavillon, droits extra-territoriaux de l'État en cas de pollution maritime). Cf. CE, Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation.632 Dans les affaires Aquarone et Paulin, il est question de coutumes internationales relatives au droit fiscal : prohibition de la double imposition et principe de non discrimination par rapport aux anciens membres d’autres organisations internationales (Aquarone) ; privilèges et immunités des fonctionnaires internationaux en matière fiscale (Paulin). La non-application de ces normes dans les différents cas d'espèce soumis au juge n'est pas justifiée par leur caractère technique, Cf. André Faye, « Les sources non écrites du droit international devant le juge français : brèves réflexions sur l’arrêt du Conseil d’État du 28 juin 2000 Paulin », RIDC, 2002, pp. 309-315.

232

pas non plus sa transposition dans le système juridique national.

2. Le degré de compatibilité avec le droit interne

Il ne s'agit pas présentement d'examiner si le droit international cède devant le droit interne en cas

d'incompatibilité (cf. infra. « l'effet dérogatoire »), mais de vérifier que l'entrée en vigueur d'une règle

générale du droit international en droit interne n'est pas conditionnée par sa compatibilité avec le droit

interne. Ces deux problèmes sont distincts : le premier problème est relatif à la relation hiérarchique

selon la force dérogatoire ; le second problème est relatif à la validité même de la norme internationale

en question.

On le verra, les dispositions constitutionnelles nationales ne contiennent aucune indication allant dans

le sens d'une exigence de compatibilité avec les données du droit interne ; ainsi, les normes

internationales deviennent valides en droit interne par production constitutionnelle – dénommée en

l'occurrence « transposition » – quelque soit par ailleurs leur contenu :

En droit allemand, l'article 25 LF ne conditionne aucunement la transposition des règles générales en

droit international en droit interne par leur compatibilité avec les données du droit interne, pas même

avec les droits fondamentaux. Le problème de la compatibilité avec le droit interne n'est pas réglé a

priori, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur interne de la règle générale du droit internationale, mais une

fois celle-ci valide en droit interne, par le jeu de la relation selon la force dérogatoire avec les autres

normes internes. En ce sens, la Cour constitutionnelle fédérale considère que : « la Loi fondamentale

prévoit l'ouverture de l'ordre juridique interne au droit international [...] sous les formes d'un lien

contrôlé. La Loi fondamentale ne subordonne ni l'ordre juridique allemand au droit international, ni

n'attribue au droit international une primauté absolue sur le droit constitutionnel. » (BVerfGE 112, p. 1 –

Bodenreform III).

La doctrine autrichienne a parfois émis, certes de manière relativement marginale, l'opinion suivant

laquelle une exigence de compatibilité avec le droit interne conditionne la transposition des règles

généralement reconnues du droit international. Pour le Professeur Manfred Rotter, le problème de la

compatibilité de ces normes avec le droit interne prend une dimension générale : les principes

structurants du droit autrichien, tels le principe de l'État de droit ou le principe démocratique, s'opposent

à la transformation du droit international général en droit interne633. Les conclusions du Professeur

Heinz Peter Rill apparaissent moins étendues : seule une règle généralement reconnue du droit

international contraire à une disposition de rang supérieur (surtout constitutionnelle) qui lui est 633 Manfred Rotter, op. cit. note 22 ; Manfred Rotter, (1974), op. cit. note 139.

233

antérieure est à considérer comme « absolument nulle », c'est-à-dire non valide en droit interne sans

qu'une procédure de destruction soit pour cela requise634. Heinz Peter Rill justifie son propos ainsi :

comme aucune procédure de destruction des règles généralement reconnues du droit international

n'existe en droit interne, elles ne sont pas du tout amenées à être introduites dans le système juridique

interne si elles ne satisfont pas de manière suffisante à certaines exigences de conformité à la

Constitution.

Contre de telles positions, la plupart des auteurs autrichiens soutiennent que l'article 9 B-VG a

précisément primairement pour effet d'inclure le droit international général de manière globale dans la

« matière fédérale », peu importe à ce stade la question de la relation hiérarchique avec les autres

normes internes635.

La doctrine française présente des évolutions quant à la question de la condition de compatibilité avec

le droit interne. Anciennement, le Professeur Louis Dubouis, en vue de remédier à l'hostilité manifestée

par la doctrine et la jurisprudence à l'encontre de l'applicabilité interne du droit international général,

propose « de limiter cette consécration [l'incorporation dans l'ordre interne] aux règles qui ont fait

l'objet d'une acceptation tacite de la part des autorités nationales, celles-ci s'étant abstenues de protester

contre la coutume ou de la rejeter636 » (1971). Plus récemment, depuis les jurisprudences Maastricht I

(1992) et Aquarone (1997) qui contiennent des références explicites au droit international coutumier, la

doctrine française constate souvent, à l'instar du Professeur Alain Pellet, que : « en France, le

libéralisme avec lequel les normes coutumières sont accueillies est "compensé" par leur place moindre

dans la hiérarchie des normes internes637 ». En résumé, les incidences d'une éventuelle incompatibilité

avec le droit interne s'avèrent toutes relatives, puisque le droit international cède normalement devant le

droit interne. Les hésitations de la jurisprudence et de la doctrine quant à la question de la condition

compatibilité avec le droit interne appellent tout de même quelques précisions :

i. Auparavant, les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État donnaient l'impression

d'affirmer que seules les normes internationales non conventionnelles compatibles avec le droit interne

bénéficient d'une applicabilité interne :

En 1977, Louis Favoreu écrit que seules les règles du droit public international compatibles avec

la constitution sont invocables à l'encontre de la loi dans le cadre du contentieux constitutionnel 638. Et,

634 Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement p. 450-451.635 Cf. inter alia, synthétisant la doctrine le précédant : Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement pp. 151-153. 636 Louis Dubouis, op. cit. note 315, p. 35 ; cf. aussi : Louis Dubouis, op. cit. note 210 ; Louis Dubouis, « Droit international et juridiction administrative », Répertoire Dalloz Droit international, 1998, n°63 et 77, 16 p.637 Alain Pellet, « Vous avez dit "monisme" ? Quelques banalités de bon sens sur l'impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la française », in : Denys de Béchillon, Pierre Brunet, Véronique Champeil-Desplats, Eric Millard (éds), L'architecture du droit – Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, 1028 p., pp. 827-857638 Louis Favoreu, op. cit. note 124, p. 110.

234

si un droit se trouve doublement proclamé par «voie constitutionnelle» et par «voie internationale», le

juge constitutionnel appliquera naturellement la norme de forme constitutionnelle 639. Sinon, en

appliquant une coutume internationale incompatible avec la Constitution, le juge constitutionnel viole

sa propre compétence. En raison de sa stricte compétence d’attribution, le Conseil constitutionnel ne

dispose en effet pas de la compétence pour se prononcer sur la conformité de la Constitution elle-même

par rapport des normes non constitutionnelles, y compris internationales.

Et, de même que pèse sur le Conseil constitutionnel l'interdiction de contrôler la conformité de

la Constitution par rapport à une norme non constitutionnelle, il est en principe interdit au juge

administratif de contrôler la conformité d'une loi par rapport à une norme non législative («théorie de la

loi-écran»640). Il s'ensuit que l'applicabilité des normes internationales non conventionnelles par le juge

administratif se circonscrit aux situations où elles sont compatibles avec les normes législatives.

ii. Lorsque la doctrine française constate, par le passé, que les normes internationales non

conventionnelles ne sont pas applicables parce que les juridictions ne les appliquent pas, elle confond la

question de l'applicabilité et la question de l'invocabilité. Ces questions ne se recoupent pourtant pas

complétement : une norme peut être valide sans pour autant être invocable. Pour illustrer ce qui vient

d'être dit, les traités internationaux qui satisfont aux conditions exigées par l'article 55 de la Constitution

sont assurément valides en droit interne, sans que cela n'emporte leur invocabilité dans le cadre du

contentieux constitutionnel641. L'invocabilité d'une norme peut en effet être écartée dans le cadre de

certaines procédures spécifiques, entre autres au motif que la norme en question se trouve incompatible

avec des normes que l'organe saisi ne peut déroger, sans que son applicabilité de principe ne soit pour

autant mise en cause.

639 Les normes constitutionnelles supposées reproduire des coutumes internationales mentionnées par Louis Favoreu sont : l'interdiction de la guerre d'agression, le principe de non-intervention, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (pour la critique de cette supposée identité de contenu, cf. infra : « La délimitation du territoire national »). Cf. pour une illustration jurisprudentielle du raisonnement de Louis Favoreu en matière de droit d'asile : Décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, p. 30, Loi relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national d'immigration.640 La «Théorie de la loi-écran» n'est en vérité pas une théorie, mais un principe de contentieux administratif (d'un point de vue historique, ce principe résulte du dogme de souveraineté de la loi). Avant la révision constitutionnelle introduisant la question prioritaire de constitutionnalité, le juge administratif est incompétent pour contrôler la conformité de la loi à une autre norme, y compris les normes constitutionnelles. Le contrôle de conventionnalité (par rapport aux traités internationaux) constitue une exception à ce principe depuis la jurisprudence Nicolo (CE, 20 octobre 1989, Ass., Nicolo, Leb. p. 748).L'élargissement de la compétence contentieuse du juge administratif en matière d'invocabilité du droit international conventionnel est-elle susceptible de s'étendre au droit international non conventionnel ?Tel n’est pas l’état actuel du droit suivant le Conseil d'État en sa jurisprudence Aquarone confirmée par Paulin. Le Commissaire du gouvernement Patrick Frydmann affirme dans ses conclusions sur l’arrêt Nicolo que l’article 55 de la Constitution fonde la compétence exceptionnelle du juge administratif pour contrôler la loi par rapport aux traités internationaux. L'article 55 de la Constitution contiendrait une habilitation implicite au bénéfice du juge pour écarter la loi, même postérieure, au profit d'un traité. Le Conseil d'État soutient, dans sa jurisprudence Aquarone, qu'une telle habilitation implicite n'existe pas au profit du droit international général sur le fondement de l'alinéa 14, étant donné que celui-ci ne prévoit pas clairement une supériorité sur la loi.641 N° 74-54 DC, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19.

235

En plus de ne pas requérir de procédure interne, la transformation ipso iure du droit international en

droit interne s'opère indépendamment de toute exigence de conformité au contenu du droit interne, si ce

n'est à la disposition constitutionnelle de transposition qui lui sert de fondement. Dit autrement, le cas

de la transformation ipso iure du droit international en droit interne se caractérise par une validité

interne des normes internationales uniquement conditionnée par la disposition constitutionnelle de

transposition. Les normes internationales en question se situent donc à un niveau immédiatement

inférieur à la constitution dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production.

236

Section 2 : Le rang des règles générales du droit international selon la relation de production

(en tant que normes conditionnées)

La recherche de la classification des règles générales du droit international dans la hiérarchie des

normes «selon l'ordre de production»642 passe par l'analyse de leurs fondements juridiques, c'est-à-dire

des normes qui leurs sont supérieurs dans l'ordre de production. Cette relation hiérarchique ne préjuge

pas de la prévalence d'une norme ou de l'autre dans un cas déterminé, la supériorité selon l'ordre de

production n'entraînant aucune autre conséquence que celle que le droit positif lui attache effectivement643.

La validité de la forme normative644 «règle générale du droit international» dépend uniquement de la

constitution, et non d'autres normes internes inférieures à celle-ci (lois organiques, lois, ordonnances,

etc.). Néanmoins, la validité des règles générales du droit international en droit interne est aussi

conditionnée, par renvoi constitutionnel, par leur validité dans le système juridique international 645. Les

conditions singulières de la validité des règles générales du droit international dans le système juridique

interne, d'une part dépendante des données d'un autre système juridique, le droit international, d'autre

part devenant valides par transposition, donc sans procédure interne formelle, appellent quelques

observations :

α. Le cadre spécifique de la relation entre droit international et droit interne

En conditionnant la validité interne par la validité internationale, la constitution délègue d'une certaine

manière au droit international la détermination des « règles générales du droit international », ce qui

642 L'expression « hiérarchie des normes selon l'ordre de production » est équivalente à celle de « hiérarchie des normes selon le rapport de production ».643 Cf. supra, dans l'introduction générale, « La hiérarchie des normes ». 644 Selon le Professeur Otto Pfersmann : « Toute norme produite dans le système fera partie d'une famille ou forme juridique [en note de bas de page : Merkl (1931) introduit ici le terme de "forme d'énoncé juridique" (Rechtssatzform) pour ce que nous appelons "famille". Les termes sont synonymes]. Chaque procédure définit une forme et l'ensemble des normes relevant d'une forme constituent une famille. Chaque famille aura ensuite un double visage, une face de Janus, conditionnée et conditionnante à l'exception de la Norme fondamentale, uniquement conditionnante et de la dernière norme de sanction, uniquement conditionnée. [nv. §] En deuxième lieu, une famille peut déterminer plusieurs familles inférieures. La Constitution peut habiliter la production de "lois", de "règlements" concrétisant les lois, de "règlements" concrétisant la Constitution, de "décrets", etc. La "valeur" de ces différentes normes n'est juridiquement autre chose que l'ensemble de leurs conditions de production – et […] de destruction – respectives. » ; cf. « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324, p. 303.645 En ce sens, à propos du droit autrichien : Hans René Laurer, op. cit. note 166, spécialement pp. 344-345.

237

peut donner l'impression d'une supériorité du droit interne par rapport au droit international, à l'encontre

donc de la « primauté du droit international »646. Cependant, il convient de prendre en considération

d'autres données juridiques qui concernent la relation entre le droit international et le droit interne. Et,

préalablement à l'analyse, il faut évacuer les ambiguïtés relatives à l'expression «primauté du droit

international», qui connaît en réalité deux acceptions répandues dans la doctrine :

La signification théorique selon laquelle tous les systèmes juridiques internes sont conditionnés

en leur existence et, à un certain degré, en leur contenu par le droit international en tant que système

juridique supérieur («délégataire») ;

La signification selon laquelle, dans la pratique des juridictions (internationale ou interne), la

norme internationale bénéficie d'une primauté d'application par rapport à la norme interne avec laquelle

elle entre en collision ;

La première signification relève de la question de la hiérarchie selon l'ordre de production647 ; la

deuxième signification relève de la question de la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire.

La démarche qui consiste à déduire la supériorité du droit international par rapport au droit interne

d'une pratique des juridictions qui va dans le sens d'une prévalence du droit international s'avère ainsi

contestable. Et il en va de même, à l'inverse, lorsque la supériorité du droit interne par rapport au droit

international se démontre à partir de la seule constatation de la prévalence du droit interne sur le droit

international dans la pratique des juridictions. La pratique des juridictions, qui concerne surtout la

relation selon la force dérogatoire entre normes internationales et normes internes à l'occasion des

affaires qui sont portées devant elles, ne peut être considérée comme significative de l'ensemble de l'état

du droit648. De plus, les juridictions disposent de compétences limitées : la juridiction internationale est

destinataire d'une obligation d'appliquer le droit international, tandis que la juridiction interne est, de

son côté, tenue d'appliquer le droit interne (y compris le droit international transformé en droit interne).

La conception selon laquelle la relation hiérarchique entre le droit international et le droit interne se

révèle à travers leurs décisions confond technique et théorie649.

646 Cf. inter alia : Denis Alland, « Consécration d'un paradoxe : primauté du droit international sur le droit interne », RFDA, 1998, pp. 1094-1104 ; Florence Poirat, « Réception du droit international et primauté du droit interne, histoires de dualisme », RGDIP, 2000, p. 811 et svtes ; Anne Peters, « Supremacy Lost : International Law Meets Domestic Constitutional Law », Vienna Online Journal on International Constitutional Law, vol. 3, 2009, pp. 170-198 ; Alain Pellet, op. cit. note 637 ; 647 Plus précisément, de la relation hiérarchique entre systèmes juridiques (et non entre normes appartenant à même système juridique).648 Hans Kelsen critique une telle analyse quantitative (car il s'agit empiriquement d'évaluer le poids réciproque des cas dans lesquels le droit international prime sur le droit interne et dans lesquels le droit interne prime sur le droit international) ; cf. « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », RCADI, vol. 14, 1926, pp. 227-331, spécialement pp. 313-314.649 Le Professeur Otto Pfersmann rappelle que : « un énoncé théorique peut être vrai ou faux, une norme n'a aucune valeur de vérité, elle rend obligatoire, interdit ou permis tel ou tel comportement humain. Si l'on accepte cette définition théorique de la norme (ou de la règle), on ne peut en même temps interpréter le droit positif comme s'il s'agissait d'un discours théorique » ; cf. op. cit. note 644 ; p. 316.

238

β. Les formes normatives intervenant dans le processus de production des règles générales du droit

international

La relation de transposition650 se compose de trois éléments : la norme qui transpose (la disposition

constitutionnelle), les normes d'origine (des composantes du droit international général), la norme

transposée (les règles générales du droit international transformées en droit interne)651.

La norme constitutionnelle «qui transpose» est évidemment le fondement de validité des normes

transposées en droit interne (I). Le statut des normes d'origine dans le processus de transposition

soulève davantage de difficultés, parce que leur validité est de droit international et non de droit interne

(II). Deux hypothèses peuvent se concevoir : 1. Les normes d'origine ne sont en réalité pas des normes

mais sont à considérer comme des «faits», auxquels le fondement constitutionnel attache pour

conséquence la validité interne des normes transposées652 ; 2. La transposition s'analyse comme une

relation de délégation : dans le cadre de la transposition, mais uniquement dans ce cadre653, le droit

interne délègue au droit international la détermination d'un ensemble de normes lui appartenant 654. En

d'autres termes, le droit international occuperait, dans le cadre du processus de transposition des règles

générales du droit international en droit interne, la situation de sous-système 655 juridique du droit

interne.

650 Cf. supra, « théorie de la transposition ».651 Le Professeur Walter Rudolf remarque que la relation de transformation est composée de trois éléments : la norme transformatrice (transformator), la norme d'origine (transformandum), la norme transformée (transformat) (Analogie aux mathématiques) ; cf. op. cit. note 82, pp. 5-6.652 Cf. la thèse du Professeur Carlo Santulli : Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p., spécialement pp. 88-91.653 Dans la totalité du droit, les systèmes juridiques nationaux sont les systèmes juridiques délégués par le droit international (ou sous-systèmes juridiques du droit international). Le droit international autorise les États à prévoir la transposition de son contenu juridique, c'est-à-dire qu'il autorise l'État à inclure le contenu du droit international dans le cadre de son système interne. Dans le cadre de la transposition, le « droit international » peut s'analyser comme un sous-système juridique du droit interne, puisque ce droit international transformé en droit interne est conditionné par le droit interne et est dans la plupart des cas appliqué par les organes internes en tant que complément de la réglementation proprement interne. Cela ne va toutefois au-delà : le droit international en tant que tel demeure supérieur dans l'ordre de production au système juridique de l'État. Tandis que la destruction de l'État par le droit international aboutit à sa disparition, la destruction du droit international transformé en droit interne par l'État est dépourvue d'effets juridiques sur le droit international.654 Cf. inter alia : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., spécialement p. 443 et svtes ; Hans Kelsen, « Sovereignty and International Law », The Georgetown Law Journal, n°48, 1960, pp. 627-640, spécialement pp. 630-631 ; Hans Kelsen, PIL., spécialement p. 580. Cela est simplement une hypothèse formulée par Hans Kelsen.Hans Kelsen dit que la théorie moniste amène à formuler deux hypothèses alternatives : soit le système juridique international est le système juridique délégataire du système juridique interne («monisme à primauté de droit international», soit le système juridique interne est le système juridique délégataire du droit international («monisme à primauté de droit interne»). En vérité, il est envisageable que «monisme à primauté de droit international» et «monisme à primauté de droit interne» coexistent dans le droit positif, mais uniquement dans le sens suivant : dans la totalité du droit, le système juridique international est le système juridique délégataire du droit interne ; dans le cadre réduit du processus de transformation du droit international en droit interne, le système juridique interne est le système juridique délégataire du droit international. Cela n'est pas contradictoire parce que le droit international attribue aux États la liberté de la détermination du contenu du système juridique interne, de sorte que ceux-ci peuvent choisir ou non d'inclure dans leur système juridique interne le droit international transformé en droit interne. 655 A propos du concept de « sous-système », cf. introduction : « La relation entre un "système juridique" et ses "sous-systèmes juridiques" ».

239

I. La relation à la constitution

A titre préalable, il convient de rappeler que le cas de la France présente une singularité car, par

contraste avec l'Allemagne et l'Autriche, il n'est pas certain que l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 soit une disposition de transposition.

A. La constitution comme unique fondement interne de la validité des règles générales du droit

international

Dans le cadre de la technique de transposition (transformation ipso iure), la transformation des normes

internationales en droit interne n'est conditionnée par aucune procédure interne. En cela, et au contraire

de la plupart des formes normatives internes656, le seul fondement interne657 de leur validité interne est

la constitution. En d'autres termes, aucune forme normative intermédiaire n'intervient entre la

constitution et les normes internationales visées par la disposition constitutionnelle prévoyant leur

transformation ipso iure en droit interne, et notamment ni loi organique, ni simple loi. On pourra ainsi

parler de « production constitutionnelle ».

B. L'indétermination du contenu des normes internationales transformées en droit interne par la

disposition constitutionnelle de transposition

1. La reproduction du contenu d'une norme de droit international

Les normes proprement internes sont généralement fondées formellement, mais aussi matériellement658,

656 Le Professeur Otto Pfersmann démontre que même les lois internes ne sont pas uniquement fondées par la constitution en droit français : « Une norme peut déterminer les conditions de validité de plusieurs catégories [ou "forme normative"] de normes de rang inférieur. C'est à l'évidence le cas pour ce que nous avons appelé "Constitution" en France : elle règle la production de diverses formes normatives. Elles sont par hypothèse toutes inférieures à la Constitution, mais puisqu'elles sont différenciées par leur mode de production, on peut et on doit se demander quel sera le rapport entre ces différentes catégories. S'il existe des rapports entre elles, ils devront à leur tour être déterminés par la "Constitution" ou bien la "Constitution" devra au moins indiquer comment ces rapports pourront être établis et appliqués. Ainsi, la "Constitution" prévoit les "lois" mais aussi des "règlements d'Assemblée", or il apparaît que les règlements d'Assemblée sont en vérité supérieurs aux lois selon le rapport de production puisqu'ils contiennent des normes qui concernent les conditions de validité de la loi. Inférieurs à la "Constitution", ils ne se situent pourtant pas au même rang. », « La structure du système juridique », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, pp. 52-67, p. 61. 657 Abstraction faite du problème du droit international en tant que fondement juridique des règles générales du droit international.658 Dans le processus de concrétisation interne, la norme supérieure détermine souvent un certain contenu matériel qui doit être concrétisée par la norme de degré inférieur au contenu matériel plus particulier. Par exemple, une loi sur l'énergie nucléaire annonce des décrets d'application fixant les modalités d'application de la loi dans le même domaine matériel. Ces décrets vont obligatoirement être d'un contenu plus concret : normes environnementales, traitement des déchets nucléaires, interconnexion avec les autres sources d'énergie électrique... Il arrive qu'une norme interne ne prévoit pas de contenu matériel obligatoire pour la norme plus particulière : la concrétisation est purement formelle. Il en va par exemple ainsi lorsque la constitution autorise le législateur à réglementer dans tous les domaines.Alors que cette situation d'indétermination du contenu semble relativement rare en droit interne, elle est commune dans

240

sur une norme de degré supérieur. Il en va autrement des normes internationales transformées ipso iure

en droit interne, qui ne sont fondées que formellement sur une norme de degré supérieur. Comme leur

contenu n'est pas produit sur le fondement d'une habilitation attribuée à un organe interne659, à l'instar

des autres normes internes, leur validité interne dépend formellement d'une norme interne – la

disposition constitutionnelle de transposition –, mais le droit interne n'en prévoit aucunement le contenu

juridique.

La validité interne des normes du droit international général est uniquement conditionnée formellement

par la constitution, si l'on ne prend en compte que les données normatives internes. La seule validité

internationale suffit pour entraîner la transformation de la norme internationale en norme interne, à

condition que la norme internationale en question corresponde à la forme normative

constitutionnellement déterminée de «règle générale du droit international», «règle généralement

reconnue du droit international», ou «règle du droit public international». L'absence de conformité à une

norme matérielle de la constitution, telle une liberté fondamentale, n'empêche pas son entrée en vigueur

interne, mais est seulement susceptible de faire obstacle à son application dans un cas déterminé, une

fois la norme internationale déjà valide en droit interne660.

En cela, le domaine matériel réglementé par les normes internationales transformées en droit interne

peut varier très amplement, si ce n'est de manière illimitée, puisque le droit international lui-même

dispose d'une sphère de compétence matérielle illimitée661.

2. La double validité selon le contenu662

Les normes du droit international général peuvent être, selon leur contenu, de deux formes normatives :

i. Une forme normative de droit international, dans lequel elles se différencient suivant leur mode de

production : coutumes, principes généraux de droit reconnus, ius cogens...

ii. Une forme normative globale de droit interne, en raison d'un mode de production uniformisé en droit

le cas la transformation du droit international en droit interne. Le droit interne ne détermine en effet pas habituellement un domaine matériel obligatoire pour les normes internationales destinées à être transformées en droit interne. 659 Dans le cas de la transformation ad hoc, la validité interne de la norme internationale dépend d'une certaine procédure pour laquelle un organe interne est compétent, et cet organe dispose souvent d'une certaine compétence pour moduler le contenu de la norme en question. La transformation ad hoc peut néanmoins aussi consister en une procédure de reconnaissance de la norme internationale. Et, dans le cas de la procédure de reconnaissance, un organe interne intervient pour attribuer une validité interne à la norme internationale en question, mais non pour déterminer son contenu. En d'autres termes, le contenu n'est pas reproduit par l'organe interne qui se borne dans ce cas à produire un acte de reconnaissance.660 Cf. l'analyse théorique du Professeur Otto Pfersmann à propos de la relation entre validité et conformité : « La non-conformité n'empêche pas la validité : pour qu'une norme soit valide, il faut et il suffit que les conditions de la procédure de production aient été respectées. Il n'est guère nécessaire que d'autres obligations éventuellement contenues dans l'ensemble des normes supérieures selon le rapport de production aient également été respectées. » ; cf. op. cit. note 644, p. 307. La question de la prévalence n'est pas une question de validité mais une question de relation selon la force dérogatoire par rapport aux autres normes de droit interne. 661 Hans Kelsen, PIL, spécialement p. 290 et svtes.662 On le verra, l'identité de contenu entre la norme internationale et la norme interne résultant de la transformation est en réalité grandement problématique ; cf. infra. « les modalités de l'application téléologique ».

241

interne, c'est-à-dire – le cas échéant – leur transposition en droit interne par voie constitutionnelle. Leur

différenciation par rapport aux autres formes normatives internes (lois, traités internationaux, décrets...)

résulte de ce mode de production propre. Comme ce mode de production concerne l'ensemble des

normes du droit international général, elles sont d'une même forme normative interne, et ce, même si

leur forme normative varie dans le droit international qui est leur système juridique d'origine. Leur

forme normative dans la sphère du droit interne pourra ainsi se dire sui generis : «règles générales du

droit international», «règles généralement reconnues du droit international» ou «règles du droit public

international».

C. La transposition comme processus immédiat

La transposition est un processus immédiat, au sens où aucune procédure interne n'intervient, ni pour

produire les normes en question, ni pour contrôler a priori leur conformité par rapport aux exigences les

concernant. Une norme est soit valide simplement parce qu'elle est une règle générale du droit

international, soit elle n'existe tout simplement pas en droit interne. Aucun délai temporel n'est requis

pour l'acquisition de la validité interne («synchronie» avec le droit international).

L'identification d'une règle générale du droit international par un organe interne n'est nullement une

condition de sa validité, mais elle est le moment où s'opère un calcul des défauts 663, c'est-à-dire que

l'organe interne évalue si la norme internationale en question satisfait à ses conditions internes de

validité telles que déterminées par la disposition constitutionnelle relative au droit international

général664.

II. Le problème de la relation au droit international général

La validité interne des règles générales du droit international est uniquement conditionnée, dans le

cadre du droit interne, par la constitution. Mais, la disposition constitutionnelle de transposition du droit

international en droit interne opère un renvoi au droit international, de sorte que la validité interne des

normes internationales concernées se trouve aussi conditionnée par leur validité internationale. Cela

663 Suivant le Professeur Otto Pfersmann : « Les conditions de validité sont des conditions nécessaires et suffisantes. Si elles ne sont pas respectées, la norme n'existe pas, si elles sont respectées, la norme existe. C'est l'observation de ces conditions que contrôle en premier lieu le juriste. Il étudie la présence cumulative de tous les éléments requis. L'examen de ces paramètres constitue [...] ce que l'on appelle un "calcul des défauts". » ; cf. « Le rapport de reproduction », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 116, pp. 59-65, spécialement p. 62.664 De manière marginale, quelques auteurs soutiennent néanmoins que la validité d'une règle générale du droit international est conditionnée, outre sa satisfaction aux conditions prévues par la disposition constitutionnelle relative à la transformation du droit international général en droit interne, par sa conformité à l'ensemble du droit constitutionnel qui lui antérieur. Comme aucune procédure a priori n'existe pour contrôler ceci, une norme de droit international général non conforme au droit constitutionnel sera simplement déclarée «absolument nulle». Cf. : Heinz Peter Rill, op. cit. note 634, spécialement p. 450-451.

242

amène une question : le droit international est-il, dans le cadre du système juridique interne, un sous-

système juridique auquel la constitution attribue la détermination d'une partie du droit interne, soit les

normes internationales transformées en droit interne ? Le problème est d'autant plus subtil que, dans la

totalité du droit, les systèmes juridiques internes se définissent comme des sous-systèmes juridiques du

droit international, ce dernier leur attribuant leur «souveraineté»665.

A. La validité interne dépendante de la validité internationale

1. La validité internationale comme unique condition formelle de la validité interne

Le système juridique interne est, dans la totalité du droit, un sous-système juridique du droit

international puisque ce dernier conditionne son existence et, dans une certaine mesure, son contenu

normatif.

Dans le cadre du processus de transformation du droit international en droit interne, mais uniquement

dans celui-ci, le «système juridique international» peut néanmoins s'analyser comme un sous-système

du droit national. Hans Kelsen conçoit ainsi que le système juridique national peut, dans la sphère

interne, s'analyser comme délégataire du droit international666. Le droit international transformé en droit

665 Le droit international moderne contient une norme qui attribue aux États la permission de prévoir l’ensemble des comportements possibles : le « principe de souveraineté ». Cette norme est-elle auto-contradictoire en ce sens qu’elle pose deux obligations contraires : celle pesant sur l’État de se conformer au droit international, y compris au principe de souveraineté, et celle qui permet aux États, selon ce même principe de souveraineté, de prévoir des comportements contraires au droit international ? i. La relation entre droit international et droit interne présente une certaine spécificité, relativement aux autres relations entre systèmes juridiques hiérarchisés, en ce que le droit international habilite largement les États à produire dans leur sphère interne des normes qui semblent contraires au contenu du système juridique international. Globalement, les contradictions entre droit international et droit interne ne sont qu'apparentes puisque le droit international permet aux États de produire, dans leur sphère de compétence domestique, de telles normes prétendument «contraires». On parlera d'«inconsistances normatives», autorisées par le droit international lui-même.Cette habilitation internationale extrêmement large trouve cependant quelques limites : le droit international conditionne l'existence même de l'État et, à un faible degré par comparaison aux autres relations hiérarchiques entre systèmes juridiques relevables (par exemple, la relation entre l'État fédéral et les États fédérés), son contenu juridique.ii. Le droit international conditionne la validité d'un système juridique interne ; il n'en va pas de même à l'inverse : l'État participe certes par son comportement à la formation des normes internationales, mais n'est par lui-même pas compétent pour conditionner la validité des normes internationales. Le droit international a des effets juridiques sur le droit interne, déjà parce qu'il prévoit l'existence de l'État ainsi que sa sphère de compétence, tandis qu'à l'inverse les normes internes sont dépourvues d'effet juridique sur le droit international. La participation de l'État à la formation des normes internationales est en effet premièrement règlementée par le droit international (principes du droit international relatifs à la formation des normes internationales), et secondairement par l'État (normes relatives à la répartition des compétences pour la procédure de ratification des traités, compétence du chef de l'État en matière internationale...).iii. Le fait d'analyser le droit d'un État comme pourvu d'un fondement propre et unique de validité est une vue de l'esprit, car : 1. le droit international conditionne l'existence et, à un certain degré, le contenu du droit interne ; 2. La séparation entre droit international et droit interne est une séparation relative comme le montre les limites de cette séparation dans la sphère du droit interne : application immédiate du droit international par les organes internes, mise en œuvre interne du droit international d'applicabilité directe, normativité interne du droit l'Union européenne – qui a pour fondement le droit international général – caractérisée par la primauté et l'applicabilité directe.666 Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., spécialement pp. 434-436 et pp. 444-445 ; Hans Kelsen, PIL, pp. 578-588.

243

interne agit dès lors, entre autres, en tant que complément du droit interne, par exemple en contribuant à

la délimitation les espaces nationaux, et donc indirectement à la détermination de la sphère de validité

spatiale des normes internes667. La doctrine remarque parfois que les formulations de l'article 9 B-VG et

de l'article 25 LF soulignent cela, à l'image de la formulation « international law is part of the law of

the land » qui est leur modèle, en disposant que le droit international général devient valide en tant que

« composante du droit fédéral », et non simplement en tant que « droit fédéral »668.

2. Le problème de la compétence de l'exécutif en matière de relations internationales comme

conditionnant la validité des règles générales du droit international

La production de la «norme d'origine» a lieu dans la sphère internationale. Et il s'ensuit que le droit

interne paraît avoir une faible emprise pour déterminer le contenu de la norme produite. Toutefois, une

partie de la doctrine souligne que le «pouvoir extérieur» de l'État, surtout la branche exécutive, conserve

une certaine compétence en matière de production et de destruction du droit international, ce qui

préserverait l'autonomie normative d'un l'État «souverain». Et il est vrai que le «pouvoir extérieur» peut

par son action participer à la production ou à la destruction des normes internationales s'adressant à

l'État ; il en va par exemple assurément ainsi lorsqu'il adopte un comportement d'objecteur persistant au

moment de la formation d'une coutume, qu'il procède à une dénonciation, ou encore qu'il change la

pratique de l'État avec l'intention de modifier le contenu d'une norme coutumière.

Cependant, cette analyse prête à controverse pour des raisons formelles : ce sont les principes du droit

international eux-mêmes qui déterminent dans la sphère internationale les modalités de production et de

destruction du droit international, et qui délimitent ainsi l'autonomie normative de l'État. La validité des

règles générales du droit international n'est conditionnée par l'action du «pouvoir extérieur» de l'État

que dans la mesure où cela est autorisé par le droit international général.

667 Hans René Laurer, op. cit. note 166, pp. 341-372.668 Edwin Loebenstein, op. cit. note 147, spécialement pp. 148-149. A propos de la formulation « gelten als » dans l'article 9 B-VG qui peut se traduire comme « sont valides comme » ; cf. supra note 273.

244

B. La question du droit de l'Union européenne en tant que système juridique partiellement intermédiaire

entre le droit international général et le droit interne669.

La réglementation directe du contenu du droit interne des États par le droit international n’est nullement

impossible en ce qu'elle dépend du contenu propre au droit international. En l'état actuel du droit positif,

le droit international exclut en principe l’immédiateté de ses propres normes, mais cela n’est pas le cas

669 Cf. à ce sujet : Abdelkhaleq Berramdane, « L’application de la coutume internationale dans l’ordre juridique communautaire », Cahiers de droit européen, 1999, pp. 253-279 ; Abdelkhaleq Berramdane, La hiérarchie des droits : droits internes et droits européen et international, l'Harmattan, Paris/Budapest/Turin, 2002, 272 p. ; Albert Bleckmann, « Die Position des Völkerrechts im inneren Rechtsraum der Europäischen Gemeinschaften. 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245

de certains systèmes juridiques internationaux, de type régional, prévoyant l'applicabilité immédiate –

non conditionnée par une médiation de l'État – de certaines normes dans les systèmes juridiques

délégués. Le droit supranational, à l’instar du droit de l'Union européenne (anciennement «droit

communautaire670»), se définit comme un droit international fort au sens où il conditionne davantage le

contenu de ses sous-systèmes juridiques – les États membres – que le droit international dit classique671.

Cependant, cela ne s'étend qu'aux secteurs qui relèvent de la compétence de l'organisation

supranationale en question. Et, en l’état actuel, c'est surtout dans les matières suivantes que le droit de

l'Union détermine, plus ou moins directement, le contenu des systèmes juridiques des États membres :

commerce, union douanière, concurrence... L'Allemagne et la France sont membres fondateurs de la

Communauté économique européenne (actuellement Union Européenne). L'Autriche y adhère en 1995.

Le droit de l'Union européenne, sur le fondement des traités originaires (Traité sur l'Union européenne,

Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne actuellement en vigueur), prévoit l'applicabilité

directe de certaines de ses normes dérivées dans les droits internes des États membres. L'applicabilité

directe d'une norme consiste en ce que la seule validité de la norme en droit de l'Union oblige de

manière indéterminé672 les organes internes à la concrétiser, et ce, peu importe que l'État n'ait pas

préalablement opéré la transformation de la norme en question en droit interne 673. La Cour de justice de

l'Union européenne ne bénéficie certes pas d'une habilitation pour détruire (par l’annulation) les normes

internes non-conformes au droit de l'Union, mais le juge suprême européen n'en dispose pas moins

d'une compétence pour sanctionner les États-membres en cas de non-conformité du droit interne,

notamment par la voie de la procédure du recours en manquement674. Par contraste avec la plupart des

Effect to Customary International Law through European Community Law, Université catholique de Louvain, Institute for International Law, Working Paper n° 25, Juin 2002, 49 p.Pour comparaison, à propos de la relation entre Convention européenne des droits de l'homme et droit international général, cf. Gérard Cohen-Jonathan, « Cour européenne des droits de l'homme et droit international général », AFDI, vol. 46, 2000, pp. 614-642.670 L'expression « droit de l'Union européenne » (ou « droit de l'Union ») est plus appropriée que celle de « droit communautaire » en l'état des traités fondateurs. Néanmoins, le terme « droit communautaire » reste dans l'usage, en dépit de la fin de la Communauté européenne.671 Pour une approche théorique de la spécificité de la «primauté» du droit de l'Union européenne, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 669.672 Les normes de l'Union ne détermine généralement pas leurs organes d'application dans le cadre du système juridique national (indétermination organique du droit de l'Union)673 Les règlements et les décisions sont, par définition, directement applicables (Article 288 TFUE). A propos des directives, d’après la Cour de Justice (arrêt du 10 avril 1989, Colson et Kaman 14/83) : « Les institutions nationales procèdent à la transposition en choisissant le cas échéant parmi les options laissées par la directive et en intégrant ces dispositions de manière à respecter la cohérence du droit interne. Cela implique l'obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires » ; Cf. aussi, CJCE, 4 février 1988, Murphy : « Dès l'entrée en vigueur de la directive, l'obligation de transposition impose à l'État membre l'obligation de ne pas prendre de norme contraire au contenu de celle-ci. De même, l'obligation de transposition a pour corollaire l'obligation d'interprétation conforme du droit national par les institutions nationales. »). Une obligation pesant sur l'État de produire des normes dans sa sphère interne existe également, mais marginalement, en droit international «classique». Par exemple, l’article 19 de la Constitution de l’OIT oblige les États membres à soumettre aux autorités compétentes les projets de convention, dans un délai déterminé.674 Articles 258, 259 et 260 TFUE (articles 169-171 du Traité de Rome du 25 mars 1957). Si le manquement est constaté par la Cour de justice, l'État incriminé se trouve dans l'obligation de prendre les mesures adéquates pour y remédier. Depuis l'adoption du Traité sur l’Union européenne à Maastricht, le juge de l'Union peut infliger une amende à l'État récalcitrant (art. 171 du Traité de Maastricht).

246

systèmes juridiques d'État fédéral, la sanction attachée à la production ou au maintien de normes non-

conformes ne consiste pas en la destruction de la norme dans la sphère du système juridique de l'État

membre. Cependant, contrairement au principe valable en droit international «classique», la norme de

sanction posée par la Cour de justice est directement applicable, de sorte que ses effets juridiques

peuvent s'étendre dans le système juridique interne des États membres, à travers par exemple une

obligation à destination des organes internes d'adapter la réglementation dans tel ou tel domaine,

conformément aux obligations de l'Union.

Une organisation internationale ou supranationale, en tant que sujet du droit international 675, occupe une

situation de destinataire de droits et obligations en provenance du droit international général 676. Le traité

constitutif de l'organisation internationale en question module ses droits et obligations internationaux :

une compétence pour conclure des traités internationaux instituée par son traité constitutif 677 oblige par

exemple l'organisation internationale à les respecter, suivant le principe du droit international pacta

sunt servanda. De même, une organisation internationale ne bénéficie du droit à l'intégrité territoriale

que pour autant que son traité constitutif lui attribue la compétence de gouverner un territoire défini,

différencié de celui de ses États membres.

Le droit de l'Union européenne est un système juridique délégué par le droit international général (un

sous-système du droit international général)678 (1). Ainsi, la question de l'applicabilité des normes

internationales non conventionnelles dans le système juridique de l'Union se pose de la même façon

qu'elle se pose pour la structure juridique traditionnelle qu'est l'État.

Le droit de l'Union est aussi le système juridique délégataire des États membres dans une certaine

sphère de compétence matérielle, dite les «matières communautaires»679. Et, dans cette sphère de

675 La personnalité juridique en droit international signifie la capacité d'être un destinataire de droits et obligations, de conclure des transactions juridiques tels les traités internationaux et de poursuivre ou d'être poursuivi juridiquement. La personnalité juridique d'une organisation internationale n'est nullement conditionnée par l'attribution expresse de cette qualité par son traité constitutif. A propos de la personnalité juridique internationale de l'Union européenne, cf. inter alia, dans une littérature abondante : Jan Klabbers, « Presumptive Personality: The European Union in International Law », in : Martti Koskenniemi (éd.), International Law Aspects of the European Union, Kluwer, La Haye, 1998, 324 p., pp. 231-253.676 C.I.J., 20 décembre 1980, avis consultatif, Interprétation de l'accord du 25 mars 1951 entre l'OMS et I'Egypte, Recueil 1980, p. 73 et svtes, § 37 : « L’organisation internationale est un sujet de droit international lié en tant que tel par toutes les obligations que lui imposent les règles générales du droit international, son acte constitutif ou les accords internationaux auxquels il est partie. » Dans une littérature abondante, cf. notamment : Albert Bleckmann, « Zur Verbindlichkeit des allgemeinen Völkerrechts für internationale Organisationen », ZaöRV, 1977, pp. 107-121; Eric David, « Le droit international applicable aux organisations internationales », in : Marianne Dony, Aline de Walsche (éds), Mélanges en hommage à Michel Waelbroeck, vol. 1, Bruylant, Bruxelles, 1999, 1740 p., pp. 3-22.677 En tant que sujet de droit international, une organisation internationale dispose par définition d'une compétence pour conclure des traités internationaux, étant donné qu'elle n'est sujet de droit international que si son traité constitutif lui attribue une telle compétence.678 A propos de l'absence de spécificité par nature du droit de l'Union européenne par comparaison avec d'autres sous-systèmes juridiques du droit international général, cf. Pierre-Marie Dupuy, « L’unité de l’ordre juridique international – Cours général de droit international public », RCADI, vol. 297, 2002, pp. 9-489 ; Pierre-Marie Dupuy, « Un débat doctrinal à l'ère de la globalisation: sur la fragmentation du droit international », European Journal of Legal Studies, vol. 1, n°1, 2007, pp. 1-19.679 Selon le Professeur Otto Pfersmann, le droit de l'Union européenne est « un système international régional fort au

247

compétence propre de l'Union européenne, quelques normes du droit international général restent

applicables ; elles ont en effet été conservées dans le système juridique de l'Union européenne malgré le

processus de communautarisation. Ces normes s'adressent aux États membres par l'intermédiaire du

droit de l'Union (2).

1. Le droit de l'Union européenne en tant que système juridique délégué par le droit international

a. L'applicabilité de principe du droit international général en droit de l'Union européenne

Les organes de l'Union ont tout au long de leur histoire appliqué le droit international général680. Ce

n'est toutefois que depuis l'affaire Opel Austria (1997), devant le Tribunal de première instance681, et

l'affaire Racke (1998), devant la Cour de justice682, que le juge communautaire se réfère explicitement

au droit international coutumier dans le cadre du contrôle de validité des actes dérivés des institutions.

Auparavant, le droit international général, s'il était en principe invocable, ne faisait pas partie de

l'ensemble des normes dont les juridictions contrôlent le respect 683. Il s'appliquait alors surtout à titre

sens où les normes produites dans ce système non seulement s'imposent aux différents sous-systèmes (les États membres), mais encore où certaines catégories d'entre elles s'imposent directement aux destinataires des sous-systèmes et même avant celles de ces sous-systèmes. Il s'agit donc simplement, pour les ordres nationaux, d'un cas d'autonomie sectoriellement très affaiblie ou même éliminée » ; cf. « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », RIDC, vol. 53, 2001, pp. 275-288, spécialement p. 278. 680 Nonobstant l'autonomie du droit de l'Union par rapport au droit international, cf. pour un aperçu historique : Christiaan Timmermans, op. cit. note 669.681 T.P.I.C.E. 22 janvier 1997, Opel Austria, T-115/94, Rec. II-39.682 C.J.C.E., 16 juin 1998, Racke GmbH & Co, C-162/96, Rec. p. I-3655, §§. 45 et 46. Le contrôle de conformité des acte dérivés par rapport aux «règles du droit international coutumiers» est alors restreint : « en raison de la complexité des règles en cause et de l'imprécision de certaines notions auxquelles elles se réfèrent, le contrôle judiciaire doit nécessairement, en particulier dans le cadre d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, se limiter au point de savoir si le Conseil [en produisant l'acte dérivé en question] a commis des erreurs d'appréciation manifestes quant aux conditions d'application de ces règles » (§ 57). Pour un aperçu critique : Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, op. cit. note 669, particulièrement pp. 20-25.En l'espèce, la norme internationale en question est rebus sic stantibus (« les choses demeurant en l'état »), codifiée à l'article 62 de la Convention de Vienne de 1969. La coutume rebus sic stantibus, exception au principe pacta sunt servanda, prévoit que le changement fondamental de circonstances justifie la cessation et la suspension d'engagements conventionnels sous conditions strictes ; cf. C.I.J., arrêts, 2 février 1973, Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande, Allemagne fédérale c. Islande), Rec. 1973, pp. 3-47 et 49-91, note Louis Favoreu, AFDI, vol. 19, 1973, pp. 272-289. 683 Selon la Cour de justice (1972) examinant sa propre compétence :

« Attendu qu'aux termes de l'article 177, alinéa 1, du traité C.E.E. [actuel article 267 TFUE], "la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, . . . sur la validité . . . des actes pris par les institutions de la Communauté" ; que la compétence de la Cour ainsi formulée ne comporte aucune limite quant aux causes sur la base desquelles la validité de ces actes pourrait être contestée ; que cette compétence s'étendant à l'ensemble des motifs d'invalidité susceptibles d'entacher ces actes, la Cour est tenue d'examiner si leur validité peut être affectée du fait de leur contrariété avec une règle de droit international ; que, pour que l'incompatibilité d'un acte communautaire avec une disposition de droit international puisse affecter la validité de cet acte, la Communauté doit d'abord être liée par cette disposition ; que, dans le cas où l'invalidité est invoquée devant une juridiction nationale, il faut en outre que cette disposition soit de nature à engendrer pour les justiciables de la Communauté le droit de s'en prévaloir en justice. »

Cf. C.J.C.E., 12 décembre 1972, International Fruit Company NV et autres contre Produktschap voor Groenten en Fruit, Affaires jointes 21 à 24-72, Rec. 1972, p. 1219, §§. 4-8.

248

incident, entre autres en matière de délimitation de la sphère de compétence territoriale des États

membres, ainsi que de l'Union elle-même (CJCE, 14 juillet 1976, Cornelis Kramer et autres684 ; CJCE,

27 septembre 1988, affaire dite « Pâtes de bois H »685). En effet, de manière globale, la Cour de justice

considère que : « les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit

international686 » (affaire Poulsen et Diva Navigation,1992).

Selon la jurisprudence, « les règles du droit coutumier international [...] lient les institutions de la

Communauté et font partie de l'ordre juridique communautaire687 ». Cela vaut pour l'ensemble du droit

international ; les normes de ius cogens (i) et les règles de solution de conflit de normes du droit

international (ii) en offrent une illustration :

i. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes s'est référé au ius cogens à propos

des sanctions établies par le Conseil de sécurité à l'encontre des entités terroristes dans le cadre du

chapitre VII. Après le rappel des « obligations des États membres au titre de la Charte des Nations

Unies », le Tribunal estime qu'« il est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité

des résolutions en cause du Conseil de sécurité au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public

international qui s'impose à tous les sujets de droit, y compris les instances de l'ONU, et auquel il est

impossible de déroger. […]. Au demeurant la Charte des Nations Unies elle-même présuppose

l'existence de principes impératifs de droit international, et notamment la protection des droits

fondamentaux de la personne humaine.[…]. Le droit international permet ainsi de considérer qu'il existe

une limite au principe de l'effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité : elles doivent

respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi

improbable soit-il, elles ne lieraient pas les États membres de l'ONU ni, dès lors, la Communauté.688 »

ii. Le droit international prévoit que le conflit entre une norme coutumière et une décision

d'organisation internationale n'advient que lorsque le litige oppose des États membres de l'organisation ;

les autres sujets de droit ne restent liés que par la coutume et seuls des actes juridiques compatibles

avec cette norme coutumière leur sont opposables. A l'occasion d'une affaire en matière de pêcheries

684 Affaires jointes 3/76, 4/76 et 6/76, Rec. p. 1279, spécialement §§ 30-33.685 C.J.C.E., 27 septembre 1988, A. Ahlström Osakeyhtiö et autres contre Commission des Communautés européennes, affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129/85, Rec. 1988, p. 5193, spécialement § 18 : « La compétence de la Communauté pour appliquer ses règles de concurrence […] est couverte par le principe de territorialité qui est universellement reconnu en droit international public. » Un autre principe du droit international est invoqué à l'occasion de l'affaire : « Lorsque deux États ont compétence pour édicter et pour exécuter des normes et que leurs normes aboutissent à ce qu'une personne se voit imposer des ordres contradictoires quant au comportement qu'elle doit adopter, chaque État serait tenu d'exercer sa compétence avec modération » (§ 19). Bien que la Cour de justice conclue dans l'affaire Pâtes de bois H à la conformité du droit communautaire avec ce principe du droit international, la doctrine voit parfois dans cet arrêt la première acceptation de l'invocabilité des normes internationales coutumières dans le cadre du contrôle de légalité des actes dérivés.686 C.J.C.E., arrêts du 24 novembre 1992, C-286/90, Rec. p. I-6019, point 9.687 C.J.C.E., 16 juin 1998, Racke GmbH & Co, C-162/96, Rec. p. I-3655, §. 46.688 T.P.I.C.E., 21 septembre 2005, aff. T-306/01, Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission, § 270 et svts.

249

maritimes (Crujeiras Tome, 1981689), la Cour de justice affirme que ce principe du droit international est

applicable aux relations entre États membres des Communautés européennes, ainsi qu'aux relations

avec les États tiers. En l'espèce, le requérant invoque une coutume internationale particulière permettant

aux pêcheurs espagnols d'exercer leur activité dans le Golfe de Gascogne. Cette coutume internationale

particulière semble alors avoir été abrogée par une nouvelle coutume générale, celle qui attribue aux

États la zone économique exclusive des 200 milles690. Selon la juridiction communautaire, la norme

communautaire doit respecter la nouvelle coutume internationale pour que la norme coutumière

antérieure devienne inopposable ; si tel est le cas, l'ancienne coutume internationale n'est pas utilement

invocable par les ressortissants des États tiers, espagnols en l'espèce 691, ni applicable par les juridictions

des États membres des Communautés européennes.

b. La répartition des compétences entre le droit de l'Union et le droit des États membres pour la

concrétisation du droit international

L'affaire Poulsen (1992) soulève la question de la répartition des compétences entre droit de l'Union et

droit des États membres en ce qui concerne la concrétisation du droit international692.

En l'espèce, un règlement communautaire693 réglemente la capture et le débarquement des ressources

halieutiques évoluant dans l'ensemble des eaux maritimes qui relèvent de la compétence territoriale des

États membres. Ce réglementent contient une disposition spéciale relative au saumon et à la truite de

mer (article 6 § 1) : même lorsque ces poissons ont été capturés en dehors des eaux relevant de la

compétence territoriale des États membres, il est obligatoire de les rejeter aussitôt à la mer et, par voie

de conséquence, interdit de les conserver ou d'en faire trafic.

En 1990, le navire Onkel Sam, battant pavillon panaméen, pêche du saumon dans l' Atlantique Nord, en

dehors des eaux relevant de la compétence territoriale des États membres. Alors que le navire se dirige

vers la Pologne, encore non membre de la Communauté, dans le but d'y vendre sa cargaison, son

capitaine décide de mettre le cap sur un port danois suite à des difficultés mécaniques aggravées par des

conditions météorologiques difficiles. Une fois amarré au port, le service danois de contrôle de la pêche

inspecte et enclenche une procédure à l'encontre du capitaine et du propriétaire du navire pour

contravention à la réglementation communautaire. Cette procédure aboutit devant une juridiction pénale

689 C.J.C.E., affaires jointes 180/80, 181/80 et 266/80, 8 décembre 1981, Crujeiras Tome ; Tome c. Procureur de la République, Yurrita ; Procureur général c. Arbelaiz-Ermazabel, Rec. 1981, p. 2961 et svtes. v. à ce sujet : Rafael Casado Raigon (éd), l'Europe et la mer (Europe and the sea) – Pêche, navigation et environnement marin, Bruylant, 2005, 522 pages690 La loi française correspond à cette coutume internationale en ce qu'elle prévoit une zone économique exclusive en-deçà de l'autorisation du droit international.691 L'Espagne est alors non membre de l'Union européenne (adhésion en 1986). 692 Arrêts du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C-286/90, Rec. p. I-6019.693 Règlement (CEE) n° 3094/86 du Conseil, du 7 octobre 1986, prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche (JO L 288, p. 1).

250

danoise, le Kriminal- og Skifteret i Hjoerring.

Les inculpés invoquent la coutume internationale d'immunité des navires d'État tiers en détresse 694, à

propos de laquelle la Cour de justice constate que : « aucun des règlements adoptés par le Conseil aux

fins d'instituer ou d'appliquer un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de

pêche ne contient de disposition qui permette à un bateau se trouvant dans une situation de détresse

d'échapper à l'interdiction695 ». La Cour de justice précise néanmoins ensuite que les États sont autorisés

à limiter l'interdiction provenant de l'acte communautaire, dans la mesure où les limites en question

concrétisent le droit international général : « la question des conséquences juridiques de la situation de

détresse ne concerne pas la détermination du domaine d'application de la réglementation

communautaire, mais la mise en œuvre696 de cette réglementation par les autorités des États membres.

Dans ces conditions, il appartient au juge national d'apprécier, conformément au droit international, les

conséquences juridiques qui découlent, pour l'application de l'article 6 §1, de la situation de détresse

dans laquelle s' est trouvé un bateau d'un État tiers.697 »

Le droit de l'Union participe donc, corrélativement au droit des États membres, à la concrétisation du

droit international général. Et, comme le système juridique de l'Union délègue aux États membres sa

propre concrétisation, il les oblige aussi à concrétiser le droit international général pertinent dans sa

sphère de compétence propre.

2. Le droit de l'Union européenne en tant que système juridique délégataire du droit national

En tant que composantes de l'Union européenne, les États sont amenés à appliquer le droit international

général par l'intermédiaire du droit de l'Union :

a. L'applicabilité par la négative des règles générales du droit international

La Cour de justice considère que les règles générales du droit international demeurent applicables aux

États en l'absence d'une réglementation spécifique de l'Union dans un domaine qui relève de la sphère

de compétence de l'Union européenne. Ainsi, selon la Cour de justice, dans l'affaire Factortame II

694 Le Professeur Joe Verhoeven soutient que la protection des navires en détresse prévue par le droit international général n'est en réalité pas aussi forte que celle supposée par la Cour de justice, et surtout son avocat général Tesauro : « La "situation de détresse" […] permet certes, coutumièrement, à un navire d'entrer dans un port sans l'autorisation à laquelle cette entrée […] est en principe subordonnée. Elle n'a pas pour effet de le soustraire de plein droit aux règles en vigueur, qui lui sont applicables comme elles le sont à tout autre navire dûment autorisé à pénétrer dans le port. » ; cf. « Abus, fraude ou habilité ? A propos de l’arrêt Poulsen (CJCE) » , in : La loyauté – Mélanges offerts à Etienne Cerexhe, Larcier, Bruxelles, 1997, 456 p., p. 407 et svtes, p. 411.695 C.J.C.E., 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C-286/90, Rec. p. I-6019, § 36.696 Dans la version anglaise, « implementation » (mes italiques).697 ibid., §§. 37-38.

251

(1991), en l'absence de normes communautaires spécifiques organisant l'immatriculation des bateaux :

« il appartient aux États membres de déterminer, conformément aux règles générales du droit

international, les conditions nécessaires pour permettre l'immatriculation d'un bateau dans leurs

registres et pour accorder à ce bateau le droit de battre leur pavillon, mais que, dans l'exercice de cette

compétence, les États membres doivent respecter les règles du droit communautaire 698 ».

Ultérieurement, à propos des règles d'acquisition et de perte de la nationalité, la Cour de justice soutient

à l'occasion de l'affaire Micheletti (1992) que : « la définition des conditions d'acquisition et de perte de

la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre,

compétence qui doit être exercée dans le respect du droit communautaire. Il n' appartient pas, par

contre, à la législation d'un État membre de restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un

autre État membre, en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette

nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité.699 »

La jurisprudence de la Cour de justice recouvre en réalité des situations juridiques distinctes700 :

i. Soit l'Union européenne dispose d'une compétence pour réglementer un certain domaine, mais aucune

réglementation spécifique n'a été produite. Alors, les règles générales du droit international deviennent

applicables sous certaines conditions, en tant que composantes du droit de l'Union européenne. Il y a ici

un processus de « double transformation » : transformation initiale en tant que composante du droit de

l'Union, dont découle une transformation en tant que droit interne par l'intermédiaire du droit de

l'Union.

ii. Soit l'Union européenne se situe en dehors de sa sphère de compétence : le droit international s'y

applique en tant que tel et les États, aussi bien que l'Union, sont dans l'obligation de s'y conformer. Très

souvent, le rappel par les organes de l'Union aux États membres de leurs obligations internationales

n'est pas une mise en œuvre du droit international par les organes de l'Union («normative»), mais une

simple analyse de l'état du droit («cognitive»). Le comportement des États demeure immédiatement

réglementé par le droit international.

La difficulté quant à l'identification du droit applicable dans un cas concret peut provenir des

interrelations entre la sphère de compétence du droit international et la sphère de compétence de

l'Union. Par exemple, l'Union est compétente en matière de libre circulation des personnes dans l'espace

qui lui est propre. Or, la libre circulation des personnes n'est pas sans lien avec les règles d'acquisition et

698 C.J.C.E., 25 juillet 1991, Factortame e.a., C-221/89, Rec. I. p. 3905, § 17.699 CJCE, 7 juillet 1992, Mario Vicente Micheletti et autres contre Delegación del Gobierno en Cantabria, Affaire C-369/90, Rec. 1992 p. I-04239, § 10.700 Certains auteurs affirment que les organes de l'Union appliquent le droit international général dans les cas de lacune du droit de l'Union ; cf. inter alia Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, Giving Effect to Customary International Law through European Community Law, Instituut voor Internationaal Recht, K.U. Leuven, Working Paper N° 25, Juin 2002, 49 p., particulièrement pp. 14-16. Cette assertion semble discutable : soit il n'y a pas compétence de l'Union et dans ce cas pas de lacune puisque la norme applicable n'est de toute façon pas du droit de l'Union ; soit il y a compétence de l'Union et les normes s'appliquant sont les normes du droit international général en tant que composantes du droit de l'Union.

252

de perte de la nationalité pour lesquelles l'Union reste incompétente.

b. Les principes généraux du droit communautaire

La doctrine assimile souvent les «principes généraux du droit communautaire», une forme normative

non écrite du droit de l'Union, aux règles générales du droit international, et tout particulièrement aux

principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées701. La relation entre ces normes ne fait

toutefois pas l'unanimité :

Selon les partisans de la «théorie de la transformation»702, une norme internationale coutumière

devient une norme de droit de l'Union sous l'appellation de «principe général du droit communautaire».

Toutes les caractéristiques propres aux normes de l'Union lui sont attribuées : «effet direct», primauté

d'application par rapport aux normes de droit interne... Aussi, cette norme bénéficie d'une primauté

d'application par rapport au droit de l'Union secondaire tel que défini par l'article 288 TFUE.

Pour d'autres auteurs, les principes généraux du droit communautaire se définissent comme

autonomes du droit international général703. La validité de ces normes dans le droit de l'Union n'est

nullement conditionnée par leur validité sous forme de coutume internationale (ou de principe général

de droit reconnu par les nations civilisées), et il ne s'agit donc aucunement de normes internationales

transformées en droit de l'Union. La validité et le contenu des principes généraux du droit

communautaire relèvent entièrement du droit de l'Union, indépendamment du contenu du droit

international.

Transition :

Le cas de la transformation ipso iure du droit international en droit interne (mode d'applicabilité

médian) se caractérise par une validité interne du droit international uniquement conditionnée par la

disposition constitutionnelle de transposition. Les règles générales du droit international se situent donc

à un niveau immédiatement inférieur à la constitution dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de

production. La classification des normes du droit international général dans la hiérarchie des normes

selon l'ordre de production s'envisage autrement lorsque les organes internes les appliquent

immédiatement (mode d'applicabilité moniste au sens technique), ce qui est une pratique que l'on

observe encore dans les systèmes juridiques nationaux. En effet, leur applicabilité ne se fonde pas alors

sur une disposition constitutionnelle prévoyant spécifiquement la transformation du droit international

701 Cf. supra, les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». 702 Cf. inter alia : Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, op. cit. note 669, particulièrement pp. 26-31.703 Cf. inter alia : Pieter Jan Kuijper, op. cit. note 669.

253

en droit interne. En l'absence d'une disposition constitutionnelle habilitant expressément les organes

internes à appliquer le droit international, l'application immédiate du droit international dans la sphère

du droit interne dépend surtout de l'étendue de leur compétence.

254

Chapitre 2

L'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de

transformation («application immédiate»)

L'«application immédiate»1 est l'application du droit international par les organes internes en dehors

d'un fondement constitutionnel disposant spécifiquement de la transformation du droit international en

droit interne (cf. « monisme au sens technique »). C'est le droit international lui-même qui autorise son

application immédiate par les organes internes, tout en laissant aux États la latitude de l'interdire

(section 1). Le mode traditionnel d'applicabilité du droit international dans les États européens

continentaux consiste dans le monisme au sens technique. L'application immédiate s'est

progressivement vue marginalisée à travers deux phénomènes : le développement du «principe de

légalité» dans les États contemporains qui conditionne l'applicabilité des normes par une procédure

interne déterminée et l'inclusion dans les textes constitutionnels de normes spécifiques prévoyant la

transformation du droit international en droit interne (section 2).

Section 1 : L'application immédiate du droit international par les organes internes sur le

fondement du droit international

L'application immédiate est autorisée par le droit international lui-même (I), qui prévoit pour condition

qu'elle ne doit pas être interdite par le droit interne (II).

1 Il convient de distinguer l'«application immédiate» du droit international par les organes internes et l'«applicabilité immédiate» du droit international qui constitue, avec l'«effet direct», une forme d'«applicabilité directe» du droit international (cf. infra : « l'applicabilité directe du droit international »). L'«applicabilité immédiate» du droit international est l'habilitation internationale adressée aux organes internes d'appliquer le droit international, y compris sans l'intermédiaire d'une norme interne fondant cette application.

255

I. Le principe du droit international : « Le droit international est applicable par les organes internes

d'application du droit à moins qu'une norme interne interdise cette application »

A. L'habilitation des organes internes à appliquer immédiatement le droit international

1. Énoncé du principe

Hans Kelsen remarque dans ses Principles of International Law qu'en principe « le droit international

requiert une transformation uniquement quand la constitution de l'État exige une telle transformation ».

Cette constatation est à situer dans le contexte de la critique de la doctrine dualiste (ou «pluraliste») :

« Si certains soutiennent que le droit interne et le droit international sont des systèmes juridiques

déconnectés2, ils devraient aussi soutenir qu'une norme de droit international ne peut pas être

immédiatement appliquée par les organes étatiques et que ces derniers, en particulier les juridictions, ne

peuvent appliquer directement que les normes de droit interne. Il s'ensuivrait que lorsqu'une norme de

droit international – par exemple, un traité – est à appliquer par les juridictions d'un État, cette norme

devrait d'abord être transformée en droit interne par un acte législatif créateur d'une loi3 ou d'une

ordonnance4 ayant le même contenu que le traité5. Cette conséquence de la théorie pluraliste ne

correspond pas à l'actuel contenu du droit positif : le droit international requiert une transformation

uniquement quand la constitution de l'État exige une telle transformation6.

Dès lors, il n'est possible de répondre à la question de la transformation nécessaire du droit

international en droit interne qu'à travers une analyse du droit national positif, et non par une doctrine

de la nature du droit international ou du droit national ou de leurs relations mutuelles. Lorsqu'elle déduit

une nécessité générale de la transformation de l'indépendance supposée du droit national par rapport au

droit international, la théorie pluraliste est en conflit avec le droit positif et cela prouve son

inadéquation.7 »

2 « Disconnected » (mes italiques)3 « Statute »4 « Ordinance »5 Tel est le contenu de la théorie dite de la «transformation» selon laquelle l'applicabilité d'une norme internationale par un organe interne est conditionnée par un acte de droit interne, puisque les organes de droit interne ne sont habilités qu'à appliquer certaines formes de droit interne (surtout la loi). La théorie de la transformation résulte clairement de l'idéologie de la souveraineté, suivant laquelle la volonté de l'État d'être lié au droit international doit toujours être manifeste.6 Mes italiques.7 Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., pp. 574-575 (ma traduction, mes italiques). L'œuvre de Hans Kelsen n'est pas univoque sur la question de l'application immédiate du droit international. Cf. pour comparaison : « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP n° 43, 1936, pp. 253-292, spécialement la conclusion (« La nécessité de la transformation ne résulte […] ni de la nature du droit international ni de celle du droit interne, mais uniquement des dispositions positives du droit interne. A défaut de ces dispositions, rien ne saurait s'opposer à l'application immédiate de la norme internationale. »). Cf aussi : Hans Kelsen, « La garantie

256

Le «principe de l'application immédiate» peut positivement se formuler ainsi : « Le droit international

est applicable par les organes internes d'application du droit à moins qu'une norme interne interdise

cette application ».

L'éventuelle interdiction interne peut prendre différentes configurations. Il pourra s'agir d'une norme

conditionnant directement l'applicabilité interne du droit international, par exemple une disposition

constitutionnelle qui exige une procédure de transformation ad hoc. Aussi, une telle interdiction pourra

résulter, et ce d'une manière plus indirecte, d'une limitation plus générale de l'habilitation des organes

internes, à l'instar d'une interdiction d'appliquer des normes externes au système juridique interne en

l'absence d'autorisation expresse, ou encore d'une obligation d'appliquer exclusivement les normes

issues d'une procédure interne légale («principe de légalité»).

2. Aperçu historique

Le principe de l'application immédiate appartient au droit international positif. La preuve de sa

positivité passe peut-être d'abord par une analyse historique. En effet, les États d'Europe continentale

appliquent anciennement le droit international sans fondement interne explicite le prévoyant. Ce n'est

que progressivement que la sphère d'application de ce principe a reculé, et ce, avec la souveraineté de

plus en plus forte des États et le phénomène du constitutionnalisme qui tend à réglementer l'application

du droit international dans la sphère interne. Il n'en demeure pas moins que l'application immédiate du

droit international par les organes interne persiste encore.

Le principe du droit international selon lequel les organes internes bénéficient d'une habilitation pour

appliquer immédiatement le droit international, à moins d'une interdiction interne, est de forme

normative coutumière8. Sa pratique par les organes internes s'observe constamment, en dépit des limites

se sont progressivement accrues. En droit médiéval, les organes internes des proto-États – les proto-

États étant les royaumes, les seigneuries, l'Église – se trouvent globalement dans l'obligation d'appliquer

prioritairement le droit du système juridique supérieur. Il s'agit du système qui répartit la compétence

juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, pp. 197-257, spécialement pp. 237-239 (« la constitution de la communauté internationale ne contient aucune norme qui donne à un organe étatique qualité pour appliquer les règles générales du droit international », p. 239 ; l'affirmation de l'auteur est toutefois à relativiser eu égard au le contexte de l'analyse qui a pour l'objet principal le contentieux constitutionnel) ; Hans Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », RCADI, vol. 14, 1926 , pp. 227-331.8 Certaines recherches dans des domaines spécialisés ont conduit à admettre une habilitation internationale au bénéfice des juridictions internes pour appliquer immédiatement le droit international en dehors d'un fondement constitutionnel interne de transformation. Par exemple, à propos de la compétence attribuée par le droit international aux juridictions nationales pour exercer un contrôle sur la licéité internationale des actes des États étrangers, cf. Prosper Weil, « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52, spécialement p. 19 et svtes. Par comparaison, en droit allemand, cette compétence des tribunaux est fondée sur l'article 25 LF, cf. Rainer Hofmann, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV, vol. 49, 1989, pp. 41-60 ; cf. aussi plus spécialement en matière administrative : Christoph Ohler, Die Kollisionsordnung des Allgemeinen Verwaltungsrechts – Strukturen des deutschen Internationalen Verwaltungsrechts, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2005, 405 p.

257

entre les différents proto-États, que l'on peut appeler « Communauté médiévale »9 10, par contraste avec

l'actuelle « Communauté internationale ». Les organes internes d'application du droit de chacun des

proto-États sont alors tenus de respecter dans tous les cas certaines des normes contenues dans le

système juridique supérieur de la Communauté médiévale, parmi lesquelles figurent les normes

relatives à la répartition générale des compétences entre «spirituel» et «temporel» ; il en ira par exemple

ainsi de l'interdiction adressée directement au seigneur séculier d'intervenir dans le domaine matériel de

compétence de l'Église, même à propos d'une affaire se déroulant géographiquement dans son fief.

Le principe de souveraineté limite par la suite l'application immédiate en attribuant une forte autonomie

normative aux États qui consiste, entre autres, en une compétence de faire obstacle à l'application du

droit international dans leur sphère interne. Néanmoins, la pratique dominante des organes internes

continue d'être l'application immédiate du droit international, et ce, jusqu'au moment où le principe de

souveraineté devient maximal, c'est-à-dire dans la période qui va de la deuxième moitié du XIXe s à la

première moitié du XXe s.. Une certaine pratique se maintient par la suite, surtout dans quelques États

(dont la France) et dans certains domaines, tant matériels (par exemple, le droit de la pêche maritime),

que formels (par exemple, dans les cas où la solution à un litige dont le juge interne est saisi requiert au

préalable que soit réglée une question de droit international 11). D'un point de vue historique, la

persistance du principe du droit international qui autorise son application immédiate par les organes

internes peut s'expliquer par deux facteurs : il ne semble pas contredire la souveraineté des États, étant

donné que ceux-ci bénéficient d'une compétence pour neutraliser l'application immédiate ; le principe

paraît commode car il complète les normes de référence des organes internes dans les domaines qui

dépassent le cadre des affaires domestiques, par exemple lorsqu'il s'agit de délimiter la sphère de

compétence territoriale de l'État par rapport aux autres États ou sa compétence dans les espaces libres

de souveraineté12.

B. La pratique des organes internes

Les organes internes d'application du droit appliquaient le droit international général avant

l'introduction de dispositions constitutionnelles spécifiques dans les constitutions nationales, et

9 On trouve aussi parfois l'expression « Communitas Chistiana » ; cf. Josef L. Kunz, « The Distinctiveness of the International Legal System : Comparison and Contrast », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 13-46, p. 17. L'expression « Communitas Chistiana » pourra aussi comprendre le monde arabo-islamique à la même époque. 10 Cf. inter alia : Christopher Harding, Chin L. Lim, « The significance of Westphalia : an archaeology of the international legal order », in : Christopher Harding, Chin L. Lim (éd.), Renegotiating Westphalia, Kluwer, La Haye, 1999, 393 p., pp. 1-23. On trouve aussi parfois l'expression11 Cf. infra, « la question incidente ».12 Cf. infra : « Le cas des principes généraux de délimitation des espaces nationaux ».

258

continuent pour partie de le faire :

On observe en effet une pratique de l''application immédiate du droit international coutumier aussi bien

par le passé dans les États européens continentaux13, avant l'introduction d'une disposition

constitutionnelle spécifique, qu'actuellement dans certains États dont la constitution ne prévoit toujours

pas la normativité interne du droit international général14. Comme le remarquent le juge Lambertus

Erades et le Professeur Wesley L. Gould, qui parviennent à peu près à la même conclusion que Hans

Kelsen au terme d'une vaste étude de cas, et indépendamment de l'analyse développée par ce dernier :

« The outstanding thing demonstrated by the judges of both the Netherlands and the United

States15 when confronted with cases dealing with customary international law is their willingness to

apply that law. Silence of Constitution and of most statutes in the one country and incomplete

authorization in the other did not leave the judges without a capacity to apply international custom. It

might be said that they took advantage of the absence of a direct prohibition in the written municipal

13 Cf. l'étude classique de Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, Leipzig, 1899, réédition Aalen 1958 ; Droit international et droit interne, traduit de l’allemand par René Brunet, A. Pédone, Paris, 1920, 448 p. Nonobstant la théorie dualiste soutenue, l'auteur relève de nombreux cas dans lesquels le droit international est appliqué immédiatement par les organes internes, cf. inter alia §§. 12-13 (« le droit interne ordonné par le droit international » et « suite »). Cf. aussi : Ruth Dorothee Masters, International Law in National Courts - A Study Of The Enforcement Of International Law In German Swiss French And Belgian Courts, Columbia University Press, New-York, 1932, 250 p. (une position théorique dans la continuité de celle de Heinrich Triepel, mais l'auteur fournit de nombreux exemples d'application immédiate du droit international) ; Ward N. Ferdinandusse, Direct application of international criminal law in national courts, TMC Asser Press/Cambridge University Press, New York/La Haye, 2006, 322 p., spécialement p. 148 et svtes.En droit français, l'application immédiate du droit international général par les juridictions aux XIXe et XXe s. est largement constatée par les spécialistes. Cf. Paul Challine, Le droit international public dans la jurisprudence française de 1789 à 1848, Domat-Montchrestien, F. Loviton & cie, Paris, 1934, 276 p. ; André Gervais, « Constatations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », AFDI, 1965, pp. 13-39, spécialement pp. 20-25 ; Gérard Teboul, « À propos du droit international non écrit : présence du passé devant le juge français aux XIXe et XXe siècles », in : Bibliothèque de l'école des chartes, 1998, tome 156, pp. 155-171. En droit allemand, cf. l'analyse de Ernst von Simson de l'Office allemand des affaires étrangères, exprimée lors de la 36ème séance du Comité constitutionnel, à propos de l'introduction de l'art. 4 dans la Constitution de Weimar : « Materiell wird hiermit kein großer Unterschied gegenüber dem bei uns geltenden Rechtszustand geschaffen. Schon jetzt ist in der Rechtsprechung des Reichsgerichtes anerkannt, daß das Völkerrecht berufen ist, die Lücken des nationalen Rechtes auszufüllen, und daß es von dem nationalen Richter anzuwenden ist, wenn der betreffende Völkerrechtssatz gewohnheitsrechtlich im Deutschen Reich rezipiert und dadurch deutsches Recht geworden ist. […]. Der Grundsatz hat hier den Wert einer Interpretationsregel. […]. Die Neuerung dieses Satzes liegt darin, daß die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts nicht nur die Staaten, sondern jene dem deutschen Richter Unterworfen direkt binden. »14 L'affaire Eichmann en offre une illustration. La Cour suprême d'Israël considère à propos du problème de sa propre compétence qu'il existe une alternative entre fonder celle-ci soit directement sur le droit international, soit sur le droit international transformé en droit interne : « International law surmounts these difficulties [...] by authorizing the countries of the world to meet out punishment for the violation of its provisions, which is effected by putting these provisions into operation either directly or by virtue of municipal legislation which has adopted and integrated them. [...]. Accordingly, in bringing the appellant to trial, it has functioned as an organ of international law and has acted to enforce the provision of that law through its own laws. » (mes italiques), Attorney-General (Israel) v. Eichmann (1962) 36 ILR 277, (affaire Eichmann).15 Selon le Professeur Wesley L. Gould, le droit américain ne contient pas la norme « international law is part of the law of the land ». Les organes étatiques américains appliquent le droit international en tant que tel, sans transformation du droit international général. Cf. Lambertus Erades, Wesley L. Gould, The Relation between International Law and Municipal Law in the Netherlands and in the United States – A Comparative Study, Leyde /New York, A.W. Sijthoff/Oceana, 1961, 510 p., p. 275 et svtes.

259

law to do what they wanted to do and felt they ought to do16 ».

En raison sans doute d'un manque d'approche formelle, les auteurs en viennent à affirmer que

l'application immédiate du droit international est surtout le fait des juges, et qu'elle repose pour

l'essentiel sur leur volonté. Plus systématiquement, le droit international contient une norme qui autorise

les organes internes à l'appliquer immédiatement, à moins que le droit interne ne l'interdise. La volonté

des organes internes d'application du droit intervient secondairement, puisqu'il s'agit de mettre en œuvre

autorisation du droit international. Les organes internes bénéficient en principe d'une compétence pour

appliquer ou ne pas appliquer le droit international immédiatement17.

Le droit français demeure manifestement ouvert à une application immédiate du droit international par

les organes internes, surtout parce que l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 ne semble

pas l'exclure. Nguyen Quoc Dinh constate que « l'application de la coutume internationale par les

juridictions judiciaires est conforme à leur pratique traditionnelle et constante, et ils le reconnaissent

ouvertement »18. La pratique de l'application immédiate ne concerne toutefois pas que les États dont la

constitution se trouve relativement indéterminée quant à la transformation du droit international en droit

interne ; elle s'est en effet aussi maintenue, dans une certaine mesure, dans la plupart des États dont la

constitution dispose clairement de la transformation.

Il convient de distinguer l'application immédiate du droit international par les organes internes – que

l'on trouve actuellement pratiquée aux Pays-Bas, mais aussi traditionnellement en France et en

Allemagne anciennement – du principe de droit interne, parfois de forme coutumière comme au

Royaume-Uni et en Suisse19, qui autorise les organes à appliquer le droit international par

l'intermédiaire de sa transformation ipso iure en droit interne, donc sur le modèle « international law is

16 Ibid, p. 294.17 Par exception, les organes internes sont parfois tenus d'appliquer le droit international suivant le droit international lui-même (infra. « l'applicabilité directe du droit international »).18 Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », RGDIP, 1976, pp. 1001-1036, p. 1034. Cf. aussi les analyses de : Lawrence Preuss, « Droit international et droit interne dans la Constitution française de 1946 », Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, 1951, pp. 199-221 ; Pierre Lardy, La force obligatoire du droit international en droit interne, LGDJ, Paris, 1966, 279 p. ; Geneviève Burdeau, « République et supériorité des normes internationales », in : Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux (éd.), La République en droit français, Economica, Paris, 1996, 360 p., pp. 291-307. Selon ces auteurs, la normativité des coutumes internationales et la compétence des organes internes pour les appliquer sous la constitution de 1946 ne dépend pas du contenu de son Préambule. 19 La Constitution fédérale suisse ne contient pas de norme relative à la relation entre droit international général et système juridique interne. La norme « international law is a part of the law of the land » existe néanmoins, du moins selon la doctrine et la jurisprudence. Dans la doctrine, cf. Christian Dominicé, « Le droit international coutumier dans l'ordre juridique suisse », in : Recueil de travaux publiés à l’occasion de l’Assemblée de la Société suisse des juristes, Genève du 3 au 5 octobre 1969, Georg, Genève, 1969, 235 p., pp. 11-35 ; Olivier Jacot-Guillarmod, « La primauté du droit international face à quelques principes directeurs de l'État fédéral dans l'ordre juridique suisse », Zeitschrift für schweizerisches Recht, vol. 104, 1985, pp. 383-428 ; Christian Dominicé, François Voeffray, « L'intégration du droit international dans l'ordre juridique suisse », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 529-570.Dans la jurisprudence, selon le Tribunal fédéral dans sa décision du 6 juin 1956 relative à l'affaire Royaume de Grece c. Banque Julius Bär & Cie : « En Suisse, les principes du droit des gens sont considérés comme du droit interne », BGE 82 I 75 (82); 61 I 259.

260

part of the law of the land ». La tradition dite continentale consiste dans l'applicabilité des coutumes

internationales par les organes internes en dehors de leur transformation en droit interne opérée par une

disposition constitutionnelle spécifique20. Les dispositions constitutionnelles apparues au XXe siècle

importent, du moins dans le cas de l'Allemagne, de l'Autriche ou encore de la Grèce, la tradition

constitutionnelle anglo-américaine21.

La doctrine ne réalise pas toujours la distinction entre application immédiate et transformation ipso iure

du droit international en droit interne. Les propos de Paul de Visscher en offrent une illustration:

« En ce qui concerne l'insertion du droit international coutumier dans l'ordre interne, les

systèmes en vigueur révèlent une grande identité de vues. En vertu des principes constitutionnels

énoncés, de manière expresse en Italie et en Allemagne, ou de manière tacite dans les pays anglo-

saxons, le juge interne est généralement habilité à faire application des normes du droit international

coutumier sans que soit exigé un acte formel et spécifique, de réception ou de transformation. Pour que

cette application judiciaire directe du droit international coutumier puisse se produire, il est nécessaire

que le litige soumis au juge interne relève de la compétence de celui-ci telle qu'elle est définie par le

droit interne et que la norme internationale vantée soit, par nature, directement applicable au fond du

litige ou qu'elle ait trait à une situation de fait ou de droit dont l'existence, en droit international,

conditionne l'applicabilité de la norme de droit interne régissant le fond du droit. Le principe

"international law is part of the law of the land", qui exprime la pratique judiciaire à laquelle nous nous

référons ici et dans lequel on est fondé à voir le moyen indispensable au service d'une obligation de

résultat découlant du droit international, est indubitablement une règle technique de l'ordre juridique

interne22. »

II. La limite du principe : la compétence de l'État d'interdire l'application immédiate

Les États sont libres d'interdire à leurs organes internes d'appliquer immédiatement le droit international

(A). Une telle interdiction peut s'étendre totalement ou partiellement (B).

A. Interdiction directe ou indirecte

L'éventuelle norme interne interdisant l'application immédiate du droit international ne se présente pas

20 Cf. inter alia : Karin Oellers-Frahm, « Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht in der italienischen Verfassung », ZaöRV, vol. 34, 1974, pp. 330-350, à propos notamment de la situation italienne sous le Statut Albertin ; Lawrence Preuss, op. cit. note 18, spécialement pp. 200-201.21 Cf. supra, « La question de la continuité avec la tradition constitutionnelle ancienne » (historique des normes constitutionnelles de l'article 9 B-VG et de l'article 4 WRV puis 25 LF). 22 Paul De Visscher, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 136, 1972, pp. 1-202, spécialement p. 29.

261

nécessairement comme une norme de formulation négative, qui prive explicitement les organes internes

d'une compétence de se fonder sur le droit international lui-même. Il peut aussi s'agir :

i. Soit d'une disposition constitutionnelle interne spécifique relative au droit international général qui

conditionne son applicabilité interne par une transformation préalable. Une telle disposition

constitutionnelle peut se dire exclusive, au sens où seules les normes internationales qu'elle transforme

en droit interne deviennent applicables par les organes internes.

ii. Soit d'une norme interne plus générale interdisant aux organes internes d'appliquer les normes

externes, à l'instar d'un principe de légalité strict qui conditionne l'applicabilité de toute norme par

l'accomplissement d'une procédure interne déterminée. Les organes internes sont limités dans

l'application immédiate du droit international par l'étendue de leur habilitation interne.

iii. Soit de normes au cas par cas. Un exemple classique se trouve dans l'interdiction législative ou

exécutive adressée aux autres organes internes de reconnaître un État étranger, et ce, alors même que

l'État en question satisfait en droit international aux conditions d'existence de l'État23.

B. L'étendue de l'interdiction :

1. Interdiction totale ou partielle

L'interdiction adressée aux organes internes d'appliquer immédiatement le droit international s'étend

plus ou moins largement. Il peut s'agir d'une interdiction totale ou d'une interdiction partielle

(«restriction»). L'interdiction totale peut résulter de l'interdiction constitutionnelle aux organes internes

d'appliquer toute norme non issue d'une procédure interne24. L'interdiction partielle, assez répandue

dans les systèmes juridiques positifs, peut se présenter sous plusieurs configurations : seuls certains

organes disposent d'une autorisation pour appliquer immédiatement le droit international (par exemple,

les juridictions), tandis que d'autres, soumis à un principe de légalité plus strict, se trouvent dépourvus

de cette habilitation (par exemple, les administrations) ; les organes internes disposent en principe de

l'autorisation d'appliquer immédiatement les normes internationales, mais celles-ci ne bénéficient pas

d'une prévalence sur les normes internes avec lesquelles elles entrent en collision, de sorte que le droit

international n'est en définitive que rarement appliqué25 ; l'applicabilité de certains ensembles de normes

internationales dépend d'un fondement constitutionnel spécifique (par exemple, les traités

internationaux), tandis que les autres formes normatives internationales sont librement applicables.

23 Cet exemple sera développé plus loin, in : « Les principaux objets de la question à titre incident ».24 La tradition scandinave, notamment, consiste à interdire aux organes internes toute application d'une norme externe au système juridique interne, c'est-à-dire non produite selon une procédure interne (« principe de légalité strict »).25 En ce sens, à propos des juridictions françaises : Lawrence Preuss, op. cit. note 18, spécialement pp. 203-204.

262

Hans Kelsen a parfois estimé que, comme les organes internes bénéficient d'une habilitation d'appliquer

immédiatement le droit international, la transformation des normes internationales en droit interne peut

être considérée comme superflue26. Toutefois, la possibilité que la constitution n'autorise les organes

internes qu'à appliquer les seules normes de forme interne peut justifier, « du point de vue du droit

interne uniquement27 », la transformation des normes internationales en droit interne. En d'autres

termes, la transformation des normes internationales n'est pas dans tous les cas superflue, puisqu'elle

autorise les organes internes à appliquer le droit international en lui attribuant une validité interne, y

compris donc lorsque le système juridique interne interdit de manière générale à ses organes d'appliquer

toute norme externe.

Une autre raison rend contestable le caractère superflu de la transformation opérée par les dispositions

constitutionnelles spécifiques. Il arrive que les organes internes disposent d'une compétence pour

appliquer immédiatement le droit international, mais celui-ci a souvent un effet dérogatoire interne si

faible qu'il n'est que rarement appliqué28. Or, les dispositions constitutionnelles de transformation

attribuent de manière plus ou moins déterminée une certaine force dérogatoire au droit international

(«supra-législative», «fédérale»...), ce en vertu de quoi les normes internationales ne cèdent pas à

26 Hans Kelsen développe l'analyse suivante, à propos des relations entre droit international et droit interne en matière de traités internationaux : « 1. La prétendue transformation, c’est-à-dire la reproduction du contenu du traité international dans l’une des formes spécifiques de l’ordre juridique interne, n’est pas nécessaire lorsque la norme du traité est techniquement parfaite et susceptible d’être immédiatement appliquée par les organes de l’État, pour autant que l’ordre juridique interne ne prescrive pas cette "transformation" soit directement, soit indirectement. La nécessité d’une transformation ne résulte en effet ni de la nature du droit international ni de celle du droit interne, mais uniquement des dispositions positives de l’ordre juridique interne. A défaut de ces dispositions, rien ne saurait s’opposer à l’applicabilité immédiate de la norme internationale créée par le traité, ni par conséquent à l’obligation ou l’autorisation immédiate, par cette norme, des organes ou des sujets de l’État. Dans ces cas, le traité international fait, au sein de l’ordre interne, fonction de loi. ; 2. La prétendue "transformation" ne devient nécessaire que lorsque l’ordre juridique interne en fait une condition pour que les organes et les sujets puissent être considérés comme juridiquement obligés ou autorisés à l’agissement qui fait le contenu de la norme du traité. Mais en ce cas, le fait d’édicter des normes de droit interne reproduisant le contenu du traité ne constitue pas à proprement parler une "transformation". Car cet acte ne constitue pas en ce cas la reproduction d’une norme qui aurait été déjà créée une première fois dans un autre domaine du droit, mais n’est que la continuation d’une procédure unique de création d’une seule et même norme. Car en ce cas, la création de la norme de droit interne constitue, également du point de vue du droit international, un élément constitutif essentiel de la procédure selon laquelle se forme, d’une manière valable pour le droit international, la volonté de contracter de l’État, ou si l’on préfère, la norme obligeant ou autorisant l’État. ; 3. La prétendue "transformation" est donc ou superflue, ou bien elle n’est pas une véritable transformation. Il n’existe pas de transformation au sens où l’entend la théorie qui affirme la nécessité absolue de cet acte, c’est-à-dire qu’il n’y pas de procédure consistant, après la création d’une norme internationale n’obligeant ou n'autorisant que l’État "comme tel", et après l’entrée en vigueur de cette norme "pour les rapports extérieurs", à créer, selon les modes de l’ordre juridique interne et en vue d’obliger ou d’autoriser les organes et les sujets de l’État, une norme ayant un contenu identique, mais valable seulement "pour les rapports internes" de l’État. » ; cf. « La transformation du droit international en droit interne », RGDIP, 1936, pp. 5-49 reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Ecrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., p. 213.27 Hans Kelsen, P.I.L., p. 294. L'expression « du point de vue du droit interne » peut paraître ambiguë par son caractère métaphorique. Elle peut prendre la tournure d'un anthropomorphisme puisqu'un système juridique est incapable d'avoir un « point de vue ». 28 Cf. déjà l'analyse du juriste allemand Erich Zweigert à propos des débats sur l'inclusion de l'article 4 dans la Constitution de Weimar lors de la 36ème séance du Comité constitutionnel : « Die praktische Tragweite der Vorschrift in erster Lesung stark überschätzt worden sei. Schon jetzt werden Lücken und Zweifel des innerstaatlichen Rechts auf Grund völkerrechtlicher Normen ergänzt […]. Bedenklich würde der Grundsatz nur sein, wenn aus ihm zu folgern wäre, daß ausdrückliche Vorschriften deutscher Gesetze durch das Völkerrecht aufgehoben oder abgeändert werden könnten, mit anderen Worten, daß Völkerrecht Reichsrecht bricht. »

263

chaque fois qu'elles entrent en collision avec une norme interne.

2. La limite de la limite : le cas de l'applicabilité directe du droit international

Dans le cadre de l'application immédiate, aucune norme constitutionnelle ne garantit une quelconque

prévalence des normes internationales en question sur la réglementation interne. Néanmoins, en certains

cas, les normes internationales semblent déroger au droit interne dans la pratique des organes internes.

Il en va ainsi lorsque le droit international est d'applicabilité directe, c'est-à-dire qu'il oblige les organes

internes à le concrétiser, peu importe que l'État n'ait pas préalablement opéré la transformation de la

norme internationale en question dans la sphère interne. Par exemple, en matière d'immunités de

juridiction et d'exécution de l'État étranger, le droit international général prévaut presque toujours sur le

droit interne, et ce, même lorsque rien de tel n'est explicitement prévu par la constitution (cf.

généralement infra, « Les variations de l'effet dérogatoire des normes du droit international suivant le

domaine matériel régi dans la pratique des organes internes »).

Section 2. L'alternative entre applicabilité du droit international général sur le fondement

constitutionnel de transformation et en dehors de celui-ci

Il est parfois affirmé que la présence d'une disposition constitutionnelle prévoyant spécifiquement la

transformation du droit international en droit interne exclurait par lex specialis une application

immédiate du droit international, c'est-à-dire en dehors du fondement constitutionnel de transformation29. Les organes internes se trouveraient ainsi dans l'obligation d'appliquer les seules normes

internationales transformées en droit interne. La justification est la suivante : dans la mesure où les

organes d'application du droit sont tenus de ne pas outrepasser leurs compétences constitutionnellement

délimitées, la disposition constitutionnelle de transformation constituerait le fondement exclusif de

29 Cf. l'opinion de Hans Kelsen : « La question est : les organes de l'État peuvent-ils appliquer le droit international uniquement quand il est transformé en droit interne ? La réponse à cette question dépend […] du contenu de l'ordre juridique national. Si ce dernier contient une disposition ayant pour effet que le droit international est à appliquer par les organes compétents de l'État, à l'instar des constitutions américaines, allemande et française, cette disposition doit être interprétée […] comme une transformation, celle-ci étant une transformation générale du droit international en droit interne. Une telle transformation est nécessaire […] si la constitution de l'État n'autorise les organes qu'à appliquer le droit national. » ; cf. P.I.L., p. 579 (ma traduction).Dans une note précédente, Hans Kelsen cite pour exemple l'article 25 LF. Hans Kelsen ajoute que : « parfois seul le droit international conventionnel, c'est-à-dire le droit créé par les traités internationaux auxquels l'État concerné est partie contractante, est délégué par le droit de cet État. Tel est le cas, par exemple, de l'article VI de la Constitution des États-Unis […]. Cf. aussi les dispositions des articles 26 à 28 de la Constitution française [Constitution du 28 octobre 1946] ». On peut noter que Hans Kelsen ne mentionne pas l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946.

264

l'applicabilité interne du droit international. En effet, la norme « tout ce qui n'est pas interdit est

permis » ne vaut pas pour les normes constitutionnelles d'habilitation30, d'où s'ensuivrait que les organes

internes ne disposent d'aucune autorisation pour appliquer les normes internationales sur un fondement

autre que celui constitutionnellement prévu.

A l'encontre de l'opinion que l'on vient d'exposer, il est de plus en plus souvent soutenu que la

disposition constitutionnelle de transformation pose seulement un mode d'applicabilité des normes

internationales, qui n'est en rien exclusif d'autres modalités d'application possibles. Autrement dit, la

disposition constitutionnelle de transformation consisterait uniquement en une garantie de l'application

du droit international parmi d'autres31. Une certaine alternative persisterait donc entre application du

droit international sur le fondement constitutionnel de transformation et en dehors de celui-ci.

I. Les configurations possibles

Empiriquement, on peut observer les configurations suivantes dans le rapport entre disposition

constitutionnelle de transformation et application immédiate du droit international :

i. La constitution ne contient pas de disposition de transformation du droit international général en droit

interne, sans pour autant interdire son application aux organes internes. L'exemple typique est celui du

droit néerlandais.

La Constitution des Pays-Bas ne contient aucune disposition relative à la normativité interne du droit

international non conventionnel, même si un ensemble normes constitutionnelles encadrent le

comportement de l'État dans la sphère internationale32. En l'absence de fondement constitutionnel

spécifique33, les organes internes d'application du droit sont autorisés, et souvent même obligés,

30 Le principe « tout ce qui n'est pas interdit est permis » n'est pas un contenu nécessaire des systèmes juridiques, mais une norme du droit positif, cf. Otto Pfersmann, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Allemagne : théorie, pratique et limites », in :Association française des constitutionnalistes, La révision de la Constitution, Journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1993, pp. 7-65, spécialement pp. 53-54 ; Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., spécialement pp. 483-528, p.502.31 Cet argument est très présent dans la littérature allemande dans le cadre de la doctrine de la «Völkerrechtsfreundlichkeit» de la Loi fondamentale, cf. infra. : « Le fondement de l'application téléologique du droit international par les organes internes ».32 Entre autres, son article 90 dispose que : « Le gouvernement favorise le développement de l'ordre juridique international. »33 En dehors de la constitution, les normes législatives internes prévoient parfois explicitement en certaines matières un renvoi au droit international coutumier. Le Juge Lambertus Erades cite plusieurs exemples : l'article 13a de l'acte de 1829 relatif à l'immunité de juridiction : « The jurisdiction of the courts and the execution of judgments and authentic deeds shall be limited by the exceptions recognised by international law » ; en droit humanitaire, l'article 38 du Code pénal militaire : « He who in time of war performs an action both within his competence and permitted by the laws of war is not subject of punishment ; nor is he subject to a punishment that would be contrary to any international agreement between the Netherlands and any foreign Power with which a state of war exists or contrary to any

265

d'appliquer les normes internationales non conventionnelles en tant que telles, et non en tant que droit

international transformé en droit interne34. Et, dans la jurisprudence, on trouve même d'abondantes

références aux normes coutumières35. Les juridictions néerlandaises acceptent leur invocabilité par les

individus, surtout contre les actes administratifs, mais aussi à l'encontre des lois et des traités

internationaux36, cela n'impliquant toutefois pas de prévalence du droit international coutumier sur ces

dernières formes normatives37.

ii. La constitution interdit aux organes internes d'appliquer le droit international si celui-ci n'est pas

provision enacted pursuant to such an agreement » ; en matière pénale, l'article 8 du Code pénal de 1886 : « The applicability of articles 1-7 shall be limited by the exceptions recognised by international law. ». Cf. Lambertus Erades, « International Law in the Netherlands Legal Order », in : H. E. Van Panhuys, W. P. Heere, J. W. Josephus Jitta, Swan Sik Ko, A. M. Stuyt (éds), International Law in the Netherlands, 3 volumes, Sitjhoff and Noordhoff/Oceana Publications, Alphen aan den Ryn (Pays-Bas)/New York, 1978–1980, vol. 3, 1980, 473 p., pp. 375-434, en particulier pp. 381-383.De telles normes s'analysent comme des normes spéciales qui attachent certains effets juridiques spécifiques au droit international coutumier. La réglementation spéciale n'exclut pas son applicabilité de principe par les organes internes d'application du droit. Le juge Lambertus Erades estime que : « these Articles must be considered as being no more than declaratory statements of the legislature, approving a pre-existing judicial practice in respect of the matters concerned. In other words, judicial practice crystallised into a rule of customary law enabling the Dutch courts to apply all rules of international customary law. Recognition of this custom by the legislature was declaratory and in no way constitutive. » ; cf. ibid. p. 383. 34 Ibid., pp. 388-389. cf. aussi : Herman Meijers, « On International Customary Law in the Netherlands », in : Ige F. Dekker, Harry H. G. Post (éds), On the Foundations and Sources of International Law, T.M.C. Asser, La Haye, 2003, 218 p., pp. 77-128.35 Ibid. L'ensemble de l'article du juge Lambertus Erades en contient l'illustration (op. cit. note 33).36 La Constitution du Royaume des Pays-Bas, en sa version du 17 février 1983, semble doter les traités internationaux d'une force dérogatoire supra-constitutionnelle en ses articles 91 et 94 : « 1. Le Royaume ne sera pas lié par des traités et ceux-ci ne seront pas dénoncés sans l’approbation préalable des États généraux. La loi détermine les cas où l’approbation est requise.2. La loi détermine la façon dont est donnée l’approbation, et elle peut prévoir la possibilité d’approbation tacite.3. Lorsqu’un traité comporte des dispositions qui dérogent à la Constitution ou contraignent à y déroger, les Chambres ne peuvent donner leur approbation qu’aux deux tiers au moins des voix exprimées.[…]Article 94. Les dispositions légales en vigueur dans le Royaume ne sont pas appliquées si leur application n’est pas compatible avec des dispositions de traités ou des décisions d’organisations de droit international public qui engagent chacun. »Une procédure est instituée qui autorise le législateur interne à lier l’État à des traités internationaux «contraires» à la Constitution du Royaume des Pays-Bas (art. 91 al. 3), et les organes internes sont dans tous les cas tenus de faire prévaloir les traités internationaux sur la réglementation interne, y compris constitutionnelle (article 94 ; cf. aussi, l’article 63 de la Constitution du Royaume des Pays-Bas en sa version de 1972 : « lorsque l’évolution de l’ordre juridique international l’exige, il pourra être dérogé dans une convention aux dispositions de la Constitution »).Le fondement de la prévalence des traités internationaux – produits par procédure internationale – par rapport à l’ensemble du droit produit par procédure interne se trouve dans la Constitution ; il est donc interne au système juridique lui-même. Il s'ensuit que la non-applicabilité de la Constitution ne peut être intégrale. En effet, même dans un cas extrême où l’ensemble du droit produit par procédure interne, y compris la Constitution elle-même, serait contraire à un traité international, le fondement de la prévalence du traité international en question se trouverait encore dans une norme interne, en l’occurrence l’ensemble de normes constitutionnelles relatives à la normativité interne des traités internationaux (articles 91 et 94).Plus théoriquement, Hans Kelsen dit, à propos de l'autolimitation des systèmes juridiques, que : « Allein, ein Normensystem kann sich nicht ändern. Der irreführende anthropomorphistische Ausdruck ist auf die Formel zu reduzieren : Die Rechtsordnung kann die Bedingungen enthalten, unter deren sie eine Aenderung erfahren kann. Mit Kompetenzhoheit begabt ist eine Ordnung, wenn ihre Abänderbarkeit auf der eigenen Bestimmung, d.h. auf einer Norm dieser Ordnung selbst beruht » ; cf. Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème éd., Scienta, Aalen, 1960, 320 p. , p. 48.

266

préalablement transformé en droit interne, soit par une procédure de transformation une par une des

normes internationales (transformation ad hoc), soit par transposition (transformation ipso iure).

Cette interdiction est dans presque tous les cas indirecte : elle résulte de l'obligation constitutionnelle

pesant sur les organes d'application du droit de n'appliquer que les normes internes, soit les normes

produites selon une certaine procédure interne. Ce principe de légalité strict38 s'observe actuellement

dans les États scandinaves39. La constitution de chacun des États scandinaves ne contient pas, de même

que celle des Pays-Bas, de disposition constitutionnelle prévoyant spécifiquement la transformation du

droit international en droit interne. En raison du principe de légalité strict, la solution est l'inverse de

celle des Pays-Bas : l'inapplicabilité de principe du droit international général par les organes internes

(mode d'applicabilité dualiste au sens technique).

Lorsque la constitution d'un État contient un principe de légalité strict, la présence d'une disposition

constitutionnelle de transformation équivaut à n'autoriser l'application du droit international que sur le

fondement de celle-ci, c'est-à-dire à interdire l'application immédiate du droit international. Il s'ensuit

que l'on trouve parfois dans la doctrine l'opinion selon laquelle la présence d'une disposition

constitutionnelle de transformation entraîne la limitation de l'ouverture du système juridique interne au

droit international40. Cela dépend en réalité aussi, outre le contenu spécifique de la constitution en

37 La Cour suprême (Hoge Raad) considère à l'occasion d'une décision du 13 janvier 1956, The Nyugat—Swiss Corporation Societe Anonyme Maritime el. Commerciale v. State (Kingdom of the Netherlands), que : « True, a Netherlands Court is generally not free to apply a provision of Dutch law on the ground of violation of such general principles [of international law] in so far as they have not been established in a treaty. But as it may not lightly be assumed that the Netherlands legislative authorities intended to deviate from the general principles of prize law, an interpretation of the Decrees in a sense incompatible with these principles would be permissible only if the text of the decrees compelled the court to interpret them in that sense. » ; cf. NJ 1956, n° 141, 24 ILR pp. 916-923.38 On distinguera le « principe de légalité strict » du « principe de légalité large », ce dernier étant plus ouvert. En droit allemand, le « principe de légalité » constitue ainsi un des principes structurants de la Loi fondamentale, mais l'étendue des normes incluses dans ce qui est à considérer comme « légal » est délimité plus largement (cf. notamment article 20 al. 3 LF : « Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit », mes italiques). On distinguera aussi le « principe de légalité strict » du « principe de légalité au sens strict » : ce dernier oblige à respecter une seule forme normative, celle de la loi, tandis que la sphère des normes que le «principe de légalité strict» oblige à respecter comprend également le plus souvent la constitution ainsi qu'éventuellement d'autres formes normatives internes, dont la procédure de production est constitutionnellement définie.39 Cf. inter alia : Edvard Hambro, « The Theory of Transformation of International Law into National Law in Norwegian Law », in : Salo Engel (éd.) avec la coopération de Rudolf A. Metall, Law, State, and International Legal Order: Essays in Honor of Hans Kelsen, University of Tennessee Press, Knoxville, 1964, 365 p., pp. 97-106 ; Carsten Smith, « International Law in Norwegian Courts », Scandinavian Studies in Law, vol. 12, 1968, pp. 151-201 ; Claus Gulmann, « The position of International Law within the Domestic Danish Legal Order », Nordisk tidskrift for international ret, vol. 52, 1983, pp. 45-52 ; Michael Bogdan, « Application of Public International Law by Swedish Courts », Nordic Journal of International Law, vol. 63, 1994, pp. 3-16 ; Frederick Harhoff, « Danemark/Denmark », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 151-182.40 Cf. inter alia : Giuseppe Barile, « Diritto internazionale e diritto interno, IIème partie : Rapporti fra sistemi omogenei ed eterogenei di norme internazionali ed interne », Rivista di diritto internazionale, vol. 40, 1957, pp. 26-102. L'auteur constate que la disposition constitutionnelle de transformation crée une « sharp dividing line » entre droit international et droit interne (p. 55). L'analyse du droit positif semble pour le reste contestable, ne serait-ce que parce que l'auteur considère que les États de tradition de Common law pratiquent un mode d'applicabilité moniste au sens technique. Il convient de distinguer entre le cas d'absence d’une norme constitutionnelle prévoyant l’applicabilité interne du droit international et le cas où existe un principe constitutionnel non écrit, à l'instar de la norme anglaise de type coutumière « international law is part of the law of the land » (cf. Chambre des Lords, Triquet c. Bath, 1764 ; William

267

matière de normativité du droit international, des principes structurants du système juridique interne, et

tout particulièrement du « principe de légalité » plus ou moins strictement conçu.

iii. La constitution contient une disposition spécifique relative à la normativité interne du droit

international général, mais qui ne fonde pas de manière exclusive son applicabilité par les organes

internes. On insistera ici sur les possibilités suivantes :

La disposition constitutionnelle entraîne spécifiquement la transformation du droit international

en composante du « droit interne objectif en vigueur ». Il devient ainsi applicable suivant les mêmes

modalités que l'ensemble du droit interne, sans pour autant que soit exclue une habilitation au bénéfice

des organes internes pour l'appliquer immédiatement. De par son contenu, le droit international se

trouverait de la sorte doublement applicable par les organes internes : sous une forme de droit interne,

en tant que composante du « droit interne objectif en vigueur », et sous une forme de droit international,

soit « en tant que tel ».

L'effet de la disposition constitutionnelle de transformation consiste surtout à attribuer une force

dérogatoire déterminée au droit international général par rapport aux autres normes proprement

internes. En d'autres termes, la disposition constitutionnelle ne conditionne pas tant l'applicabilité

interne du droit international – il est applicable même en son absence –, mais lui attribue plutôt une

certaine prévalence sur les normes internes dont il serait dépourvu dans le cadre de l'application

immédiate.

Dans ces différents cas, la disposition constitutionnelle de transformation apparaît comme un mode de

concrétisation du droit international général en droit interne parmi d'autres, nullement exclusif de

l'application immédiate du droit international par les organes internes.

II. L'application immédiate dépendante des principes structurants du système juridique interne

La disposition constitutionnelle prévoyant la transformation du droit international en droit interne

n'interdirait pas dans tous les cas une application du droit international général en dehors de son propre

fondement. En ce qui concerne le droit allemand et le droit autrichien, les dispositions

constitutionnelles de l'article 25 LF et de l'alinéa 9 B-VG semblent en elles-mêmes indéterminées quant

à cette question. Il demeure néanmoins possible d'aboutir à des conclusions, même incertaines, à travers

une contextualisation de ces normes dans la structure du système juridique interne.

La doctrine allemande majoritaire part de l'idée que la Loi fondamentale est «ouverte au droit

E. Butler, « International Law and Municipal Law : some reflections on British practice », in : William E. Butler (éd.), International Law and the International System, Martinus Nijhoff, Dordrecht/Boston/Lancaster, 1987, 208 p., pp. 67-76).

268

international41» («Völkerrechtsfreundlichkeit»). L'article 25 LF accomplirait la fonction de faciliter

l'application du droit international, tout en demeurant soumis au principe d'« ouverture du droit

international ». L'article 25 LF ne pourrait dès lors avoir pour effet d'exclure l'application immédiate du

droit international par les organes internes, car l'application immédiate consiste en une garantie

supplémentaire et complémentaire en vue du respect du droit international. Le Professeur Walter Rudolf

s'oppose ainsi à la transformation des coutumes internationales particulières sur le fondement de l'article

25 LF, tout en admettant qu'elles demeurent tout de même applicables par les organes internes dans le

cadre de l'application immédiate42.

La doctrine autrichienne insiste davantage sur le principe de légalité, sans doute parce qu'il est

strictement conçu en droit autrichien43. Un tel principe exclurait effectivement l'application de normes

externes au système juridique national44. Il s'ensuit que seule une disposition de transformation comme

l'article 9 B-VG peut fonder l'application du droit international général.

Le cas du droit français se présente assurément de manière différente, étant donné que l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 ne prévoit pas de manière déterminée la transformation du droit

international général en droit interne. La «tradition française», à laquelle fait référence l'alinéa 14,

comprend précisément l'application immédiate du droit international par les organes internes (cf.

jurisprudence Aquarone). L'alinéa 14 attacherait une valeur obligatoire à cette pratique, obligeant ainsi

les organes internes à maintenir ce mode d'applicabilité du droit international général45. Il est curieux de

41 Cf. inter alia généralement : Christian Tomuschat, « Die staatsrechtliche Entscheidung für die internationale Offenheit », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds.), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 172, pp. 483-524 ; Albert Bleckmann, « Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 49, 1996, pp. 137-145 ; Stephan Hobe, Der offene Verfassungsstaat zwischen Souveränität und Interdependenz, Duncker & Humblot, Berlin, 1998, 515 p. ; Jost Delbrück, « 50 Jahre Grundgesetz – 50 Jahre internationale Offenheit der Staatlichkeit », in : Robert Alexy, Joachim Laux (éd.), 50 Jahre Grundgesetz, Nomos, Baden-Baden, 2000, 86 p., pp. 65-86 ; Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502. 42 Walter Rudolf, « die innerstaatliche Anwendung partikulären Völkerrechts », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds.), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich-Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 435-448 ; Walter Rudolf, « Incorporation of Customary International Law into Municipal Law », in : Grigory I. Tunkin, Rüdiger Wolfrum (éds.), International law and municipal law : proceedings of the German-Soviet Colloquy on International Law at the Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, 4 to 8 May 1987, Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 210 p., pp. 24-40 suivi d'une discussion pp. 41-58., spécialement pp. 37-40. Cf. aussi, antérieurement à propos de l'article 4 WRV et dans le même sens : Wilhelm Schmöe, Art. 4 der Reichsverfassung und die anglo-amerikanische Rechtspräromie : « International is a part of common law » in Theorie and Praxis, thèse Göttingen, Baruth-Mark, Berlin 1927, 50 p., spécialement pp. 40-41.43 Cf. supra : « le problème de la normativité même des dispositions constitutionnelles » ; infra : « L'autorisation de concrétiser ("habilitation-permission") » ; infra : « la classification des règles générales du droit international selon la force dérogatoire ».44 Cf. inter alia : Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement pp. 75-76 (l'analyse n'est pas approfondie : « du point de vue de la primauté de l'ordre juridique interne, c'est seulement par l'acceptation dans l'ordre juridique interne qu'une norme devient juridique. [...]. L'art. 9 B-VG veut dire dans tous les cas si l'on s'en tient à sa formulation que des normes internationales qui ont valeur de partie constitutive de l'ordre juridique autrichien ont le caractère de lois fédérales et sont à exécuter (vollziehend) par des organes fédéraux ») ; Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42, spécialement pp. 24-31 (l'analyse porte précisément sur la relation de l'article 9 B-VG au principe de légalité).45 Cf. Gérard Teboul, « Alinéa 14 », in : Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (éds.), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 p., pp. 327-356.

269

constater que, en dépit d'une idéologie de sacralisation de la loi auparavant puissante en France (« la loi,

expression de la volonté générale »), le droit positif français n'apparaît pas le plus marqué par un

principe de légalité (sauf, singulièrement, lorsqu'il s'agit de la «théorie de la loi-écran» en principe

valable dans le contentieux administratif)46.

Digression empirique relative à la distinction entre «validité» et «applicabilité»:

Dans le cadre de l'«application immédiate», les normes internationales semblent applicables par les

organes internes sans pour autant être valides en droit interne, c'est-à-dire sans appartenir au système

juridique interne. La présente digression vise à apporter plusieurs précisions quant à la distinction entre

«validité» et «applicabilité».

Historiquement, la théorie de la hiérarchie des normes (Stufenbaulehre) est introduite par Adolf Merkl à

partir de la seule observation du système juridique de l'État («interne»)47. L'analyse circonscrite aux

données de ce seul système juridique conduit alors à l'affirmation suivante : les normes ne sont

applicables par les organes d'un système juridique que pour autant qu'elles y sont valides, c'est-à-dire se

fondent sur une autre norme contenue dans le système juridique en question. Par la suite, Hans Kelsen a

tendance à traiter la question de la hiérarchie des normes soit à l'intérieur d'un même système juridique

(de même que Adolf Merkl), soit à propos de la validité d'un sous-système juridique par rapport à un

système juridique qui le fonde48, c'est-à-dire de la relation hiérarchique entre systèmes juridiques

(relation système juridique délégué/système juridique délégataire). L'œuvre de l'auteur est par ailleurs

marquée par une incertitude portant sur les effets juridiques des normes du système juridique

délégataire dans le système juridique délégué. Dans la plupart de ses écrits, Hans Kelsen maintient

46 Louis Favoreu, « Légalité et constitutionnalité », CCC, n°3, 1997, pp. 73-81 ; Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds.), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324.47 Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz. Eine Betrachtung aus der Erkenntnistheorie des Rechts », JBl, n° 47, 1918, pp. 425-427, 444-447, 463-465, reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1091-1113 ; Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag , Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 252-294, reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p.,, pp. 1311-1361 ; Stanley L. Paulson, « Zur Stufenbaulehre Merkls in ihrer Bedeutung für die Allgemeine Rechtslehre », in : Robert Walter (éd.), Adolf J. Merkl, Werk und Wirksamkeit, Ergebnisse einer Internationalen Symposions in Wien (22.-23. März 1990), Manz, Vienne, 1990, 319 p., p. 93 et svtes.48 Par exemple, à propos de la création de l'État par le droit international : cf. inter alia : Hans Kelsen, « La naissance de l'État et la formation de sa nationalité : les principes ; leur application au cas de la Tchécoslovaquie », Revue de droit international, 3e année, vol. 4, 1929, pp. 613-641 ; plus généralement : Hans Kelsen, Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1920, 320 p.

270

l'idée selon laquelle l'applicabilité d’une norme par un organe présuppose sa validité au sein même du

système juridique dans lequel elle est appliquée ; l’applicabilité est logiquement conditionnée par

l'appartenance de la norme au système juridique lui-même49. Néanmoins, Hans Kelsen admet parfois, à

propos de la relation entre normes internationales et droit interne, que (1967) : « Strictly speaking, the

organ of a state can apply – apart from international law – only norms of its legal order50 ». Dans cette

version, les normes internationales sont applicables par les organes internes, quand bien même elles

n'appartiennent pas au système juridique de l'État. Et ce, car elles appartiennent au système juridique

qui lui est supérieur, en l'occurrence le droit international.

La distinction entre «validité» et «applicabilité» concevable dans le cadre de la relation hiérarchisée

49 Hans Kelsen, 1957, à propos du droit international privé (le droit international privé n'est pas ici notre propos mais ce texte contient l'argumentation de Hans Kelsen à propos l'absence de distinction entre applicabilité et validité, cf. commentaire en fin de note) : « L’État ne peut appliquer que son propre droit, ou, formulé d’une manière plus exacte, l’organe d’un État ne peut appliquer que les normes de son propre droit national. Car un individu n’est organe d’un certain État qu’en tant qu’il crée ou applique des normes de l’ordre juridique de cet État. La question de savoir à quel ordre juridique une norme juridique appartient se rapporte à sa base de validité. La base de validité de toutes les normes d’un ordre juridique national est la Constitution de la communauté constituée par cet ordre juridique, c’est-à-dire la Constitution de l’État du droit duquel il est question. Quand un juge, autorisé par une loi de son État applique – comme on dit – la norme tirée du droit d’un autre État, la raison de validité de la norme appliquée n'est pas la Constitution de cet autre État, mais la Constitution de l’État dont il est organe. Par conséquent, le juge applique, dans ce cas aussi, une norme de son propre État [nouveau paragraphe]. Si l’on veut décrire correctement ce que fait le législateur d’un État donné lorsqu’il édicte une règle de droit international privé, on doit dire qu’il édicte une norme dont le contenu est identique au contenu d’une norme d’un autre État. Au lieu de dire que le droit de l’État A autorise le juge à décider la demande en divorce d’un citoyen de l’État B selon la norme du droit de l’État B réglementant le divorce, il serait plus correct de dire qu’une loi de l’État A autorise le juge à décider la demande en divorce d’un citoyen de l’État B selon une norme du droit de l’État A, c’est-à-dire de son propre État, norme dont le contenu est identique au contenu d’une norme du droit de l’État B réglementant le divorce. La loi de l’État A ne détermine pas directement le contenu de la norme qui doit être appliquée par le juge ; elle détermine seulement l’État au droit duquel il faut se référer, soit l’État B, et autorise le juge à donner à la norme qu’il doit appliquer un contenu identique au contenu de la norme de l’État B qui réglemente le divorce. Bien que, conformément à la théorie traditionnelle, vous [Georges S. Maridakis] disiez qu’en vertu de la règle du droit international privé d’un certain État, c’est "le droit d’un autre État" qui doit être appliqué, vous affirmez cependant que cela ne signifie pas "que l’État manifeste sa volonté de ne pas appliquer sa propre législation", que "cela n’est pas dû à la volonté de l’État de ne pas appliquer sa propre loi…". Cette affirmation est correcte ; mais alors, ce n’est le droit d’un autre État, mais son propre droit que l’État applique. » ; cf. « Observations sur le rapport de Georges S. Maridakis : "le renvoi en droit international privé" », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 47, 2ème partie, 1957, pp. 115-125 ; disponible in : Charles Leben, Hans Kelsen : Ecrits français de droit international, PUF, 2001, pp. 309-316, p. 312 et svtes.L'analyse de Hans Kelsen porte ici sur le droit international privé, c’est-à-dire sur la question de la validité de normes d’un État tiers au sein d’un État donné (relation horizontale), mais la plupart de son argumentation paraît extensible à la relation entre le droit international et le droit interne (relation verticale). Concernant la relation entre le droit international et le droit interne, on peut formuler plusieurs objections à l'encontre de la théorie selon laquelle l’applicabilité d’une norme au sein d’un système juridique donné présuppose son appartenance à celui-ci :i. Le fondement de la validité de la norme posée par un organe interne d’application du droit est en premier lieu la norme qui dispose de sa compétence, autrement dit la norme formelle d’habilitation. Et celle-ci peut être une norme l’habilitant à appliquer des normes externes. La norme prévoyant l’applicabilité par un organe de normes externes constitue le fondement premier de la validité de la norme posée par l'organe en question, et non la norme «externe» au système juridique lui-même en question. En d’autres termes, la «base de validité» est d’abord l’habilitation de l’organe, qui est une norme interne au système juridique. Il s'ensuit que les normes posées sur le fondement de cette norme d’habilitation interne, à l'instar d'une décision du juge, appartiennent à ce système juridique, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la validité interne des normes matérielles à partir desquelles le juge détermine le contenu de sa décision.

271

entre droit international et droit interne apparaît à plusieurs égards problématique :

i. La possibilité de distinguer entre «validité» et «applicabilité» d'une norme dans le cadre du système

juridique de l'État

La «norme fondamentale» de l’État n’est que relativement la «constitution» de celui-ci51. Le droit

interne est lui-même conditionné par le droit international, son système juridique supérieur, de sorte que

la «constitution» ne fonde pas en vérité nécessairement l’ensemble des normes applicables par les

organes internes. L’existence de ces derniers se fonde d'ailleurs elle-même, certes indirectement, sur le

droit international qui attribue en principe aux États une autonomie organique complète, c 'est-à-dire

l'autorisation de déterminer librement les organes internes et la répartition des compétences entre ceux-

ci.

Hans Kelsen définit dans certains de ses écrits l’«ordre juridique de l'État» comme «ordre juridique

total52», ce qui le conduit à ne pas distinguer «applicabilité» et «validité» d’une norme au sein du

système juridique de l'État. En effet, une norme ne serait applicable que pour autant qu’elle est valide

dans l‘«ordre juridique total» qu’est l’État. En postulant que l’«ordre juridique de l'État» est total, le

raisonnement de Hans Kelsen fait ici abstraction de la relation hierarchisée qui existe entre droit

international (système juridique délégataire) et droit interne (système juridique délégué). Parallèlement,

la théorie pure du droit admet bien qu’une norme valide dans le système juridique d'un État (ici,

système juridique délégataire) puisse être simplement applicable au sein d’un «ordre juridique partiel»

ii. Dans ce passage, Hans Kelsen considère le système juridique de l'État comme un système juridique ontologiquement fermé : « un organe de l’État ne peut appliquer que les normes de son propre droit national ». On peut objecter, mais uniquement en ce qui concerne la relation entre droit international et droit interne, que l’État constitue un sous-système juridique du droit international. Et, en raison de cette relation hiérarchique, un certain effet des normes internationales (externes) sur le système juridique interne est envisageable, et ce, même si les normes internationales en question n'appartiennent pas au sous-système juridique de l'État. Au même titre, les normes de degré fédéral sont généralement applicables par les organes des États fédérés, sans pour autant appartenir à ces sous-systèmes juridiques de l’État fédéral. Dans le cas de la relation entre État fédéral et États fédérés, la norme qui attribue une compétence d’application du droit fédéral aux organes des États fédérés appartient clairement au système juridique délégataire, et non au système juridique délégué. Cela montre bien que les organes d’un système juridique n’appliquent pas nécessairement que les normes appartenant à ce système.La pensée juridique de Hans Kelsen ne paraît pas toujours totalement émancipée de l’idéologie de la souveraineté, en dépit des profondes critiques qu’il a formulé à son encontre. L’analyse de Hans Kelsen fait ici abstraction d’un de ses principaux postulats, celui de l’unité du droit. Ce postulat permet de concevoir qu’une norme d'un système juridique puisse avoir certains effets sur un autre système juridique, auquel elle n’appartient pas, si la relation entre les systèmes juridiques concernés est hiérarchisée.50 Hans Kelsen, P.I.L., p. 380 (mes italiques).51 La doctrine autrichienne n'a d'ailleurs pas de difficulté à affirmer que la Constitution autrichienne est fondée sur le Traité de Saint-Germain-en-Laye entré en vigueur le 16 juillet 1920. Cf. inter alia : Josef L. Kunz, « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, spécialement pp. 295-299.52 Par opposition à des « ordres juridiques partiels » : « Die Person des Staates ist nur in vergrößertem Maßstabe was jede andere juristische Person, aber auch jede physische Person ist : die Personifikation von Rechtsnormen. Während aber der Staat die Personifikation der Totalen Rechtsordnung ist, sind die andere juristischen und die sogenannten physischen Personen die Personifikationen von Teilrechtsordnungen, so die Gemeinde der Gemeindeordnung, die Aktiengesellschaft des Statutes usw. » ; cf. Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts, 2ème éd. (1928), Scienta, Aalen, 1960, 320 p., p. 20.

272

le composant (système juridique délégué)53.

ii. Le problème de l'applicabilité de normes n'appartenant pas au système juridique en question, mais à

un système juridique qui lui est supérieur.

Dans le cas d’une relation hiérarchisée entre systèmes juridiques, il est fréquent que le système

juridique délégataire prévoie l'applicabilité d'un certain ensemble de normes par les organes du système

juridique délégué sans que cette applicabilité ne soit conditionnée par leur transformation en normes du

système juridique délégué. Ceci peut être illustré par l'obligation qui s'adresse aux organes d’un État

fédéré d’appliquer le droit fédéral en certaines matières, sans que celui-ci soit pourvu d’une validité

«fédérée»54 ; de même, une société industrielle ou commerciale, que l'on peut analyser comme un

53 Hans Kelsen : « L’ordre juridique est un système de normes générales et de normes individuelles qui sont unies les unes aux autres par le fait que la création de chacune des normes qui appartiennent à ce système est réglée par une autre norme du système, et, en dernière analyse, par sa norme fondamentale. […]. La création d’une norme qui est réglée par une autre norme constitue une application de cette dernière. L’application du droit est en même temps création du droit. » ; cf. Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., pp. 314-315. La création d’un système juridique délégué est une application du droit du système juridique délégataire. En cela, les normes du système juridique délégataire peuvent continuer à être applicables dans le cadre du système juridique délégué sans pour autant être valides dans celui-ci. En résumé, le système juridique délégué ne règle pas la création des normes appartenant au système juridique délégataire, tandis que l'inverse est possible. 54 A propos de la relation entre État fédéral, Fédération et État fédéré, cf. supra « Le cas particulier des relations interfédérales en Allemagne et en Autriche ». Plus spécialement, pour une comparaison de la relation entre droit international/droit interne et de la triple relation État fédéral/Fédération/État fédéré ; cf. Hans Kelsen, op. cit. note 52, spécialement pp. 274-313 ; Hans Kelsen, « Die Bundesexekution. Ein Beitrag zur Theorie und Praxis des Bundesstaates, unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Reichs- und der österreichischen Bundes-Verfassung » in : Zaccaria Giacometti, Dietrich Schindler (éds.), Festgabe für Fritz Fleiner zum 60.Geburtstag 24.Januar 1927, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1927, 431 p., pp. 127-187 ; Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, p. 348 et svtes ; Joseph G. Starke, « The Primacy of International Law », in : Salo Engel (éd.) avec la coopération de Rudolf A. Metall, Law, State, and International Legal Order: Essays in Honor of Hans Kelsen, University of Tennessee Press, Knoxville, 1964, 365 p., pp. 307-316. Joseph G. Starke soutient que Hans Kelsen n'est pas allé assez loin dans la comparaison entre État fédéral et droit international et qu'il est aussi possible de décomposer le droit international en une triple relation : « The federal legal order may [...] be described as a normative pyramid with the federal constitution at the apex, and federal law and provincial law at each end of base. A similar structural relation occurs in the international legal order. International maw accordingly consists of two types of norms : (a) functional or constitutional norms, which condition norms of international law as well as norms of municipal law ; (b) norms dependant on such functional or constitutional norms ; a dichotomy identical with that considered above » (p. 315).Il est possible de concevoir une triple relation entre, conventionnellement, «le droit international total» (système juridique délégataire équivalent à l'«État fédéral»), «le droit international dérivé» (système juridique délégué équivalent à la «Fédération») et les «États également souverains» (systèmes juridiques délégués équivalents aux «États fédérés») :Le droit international total contient des principes juridiques qui lui sont propres, entre autres les normes relatives à sa propre modification (par exemple, la coutume internationale réglementant la production des coutumes internationales), les normes de répartition de compétences entre droit international et droit interne (par exemple, le principe de souveraineté), ainsi que les normes réglementant la sphère de compétence de ses sous-systèmes, c'est-à-dire le droit international dérivé et le droit interne des États membres de la Communauté internationale (les «États également souverains»). Le droit international dérivé a un contenu d’un degré de généralité grandement variable (coutumes universelles, traités bilatéraux, actes unilatéraux des États...). Le principe d’indifférence du droit international par rapport au droit interne des États n’est nullement constitutif d’un dualisme (au sens théorique) entre droit international et droit interne, mais constitue un principe de répartition des compétences entre le droit international dérivé et les droits internes. Le principe d'indifférence a pour effet de limiter fortement les effets d’un système juridique sur l’autre. D’un côté, les effets de la validité d'une norme interne sur le droit international dérivé sont limités, si ce n’est inexistants, comme le soutient la Cour permanente de justice internationale : « [Au] regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples faits, manifestations de la volonté et de l’activité des États, au même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives » (C.P.I.J., arrêt du 25 mai 1926, Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Allemagne c. Pologne, Série A, n°7, pp. 4-42, spéc. p. 19). D’un

273

système juridique délégué de l'État55, est tenue d'appliquer la législation de l'État en matière de contrats,

et ce, sans que celle-ci soit transformée en règlement interne à la société.

L’applicabilité des normes composant le système juridique délégataire par les organes du système

juridique délégué dépend des principes du système juridique délégataire, et varie suivant leur contenu

propre. Il n'est pas exclu qu'un principe de cette sorte pose l'obligation à destination des organes du

système juridique délégué d’appliquer les normes du système juridique délégataire (par exemple, dans

le cas d’une relation entre État fédéré et État fédéral). Il n'est pas non plus exclu que le système

juridique délégataire autorise le système juridique délégué à limiter, dans sa sphère interne,

l'applicabilité des normes contenues dans le système juridique délégataire lui-même ; en d'autres

termes, le système juridique délégataire peut prévoir une certaine fermeture dans sa relation avec le

système juridique délégué. Une telle fermeture juridiquement organisée s'observe dans la relation entre

droit internationational et droit interne. Il s'agit du principe d'indifférence : le droit international est en

principe indifférent par rapport au contenu du droit interne, de telle sorte que ce dernier bénéficie d'une

compétence pour déterminer librement les modalités par lesquelles il applique ses obligations

internationales.

iii. La relation entre «fondement de validité» et «fondement d’applicabilité»

La validité d’une norme dans un système juridique présuppose l’existence d’un fondement de validité

de celle-ci dans le système juridique concerné. Il est aussi possible de concevoir un fondement

d’applicabilité des normes qui attribue à un organe du système juridique concerné une compétence pour

appliquer certaines normes, internes ou externes à ce système juridique 56. La validité interne ne

autre côté, chaque État dispose d'une compétence pour prévoir librement le mode d'applicabilité du droit international en droit interne.La théorie de la triple relation dans le cadre de l'État fédéral a été amplement critiquée par la doctrine, cf. inter alia Olivier Beaud, « Hans Kelsen, théoricien constitutionnel de la Fédération », in : Carlos-Miguel Herrera (éd.), Actualité de Kelsen en France, LGDJ, Paris, 2000, 147 p., pp. 57-84. Le Professeur Olivier Beaud affirme que le problème tient à ce que l'«État global» (l'«État fédéral» en tant qu'il comprend aussi les systèmes juridiques délégués) résulte de la logique juridique et non de l'état du droit. Il est vrai que la conception kelsénienne introduit certaines difficultés, surtout lorsqu'il s'agit de distinguer les normes relevant proprement de l'«État fédéral» de celles relevant de la «Fédération». Cette critique est extensible à la conception ici ébauchée de la triple relation dans le cadre du droit international (de même, il est parfois difficile de distinguer les normes qui relèvent proprement du droit international total et celles qui relèvent du droit international dérivé). Il ne s'agit néanmoins que de difficultés cognitives et non de difficultés ontologiques : le manque de connaissance sur un objet n'implique pas que cet objet n'existe pas. 55 Au sein du système juridique de l'État, il existe des sous-systèmes juridiques (les personnes morales publiques ou de privées, les personnes physiques...). Raymond Carré de Malberg oppose en ce sens l’«ordre juridique de la communauté» et les «ordres juridiques particularistes» (Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation (1933), réédition Dalloz, Paris, 2007, 174 p.). L’autonomie normative des sous-systèmes juridiques est généralement faible (sauf dans certains cas, notamment celui des États fédérés dans le cadre d'un État fédéral, ou encore dans d'autres formes de décentralisation territoriale forte). Les normes du système juridique de l'État conditionnent leur existence en tant que système juridique, mais aussi, à un certain degré, les modalités de production des normes au sein de ces systèmes ainsi que le contenu des normes ainsi produites. Dans la plupart des cas, l’État conserve l’habilitation de sanctionner la non-conformité d'une norme du sous-système par rapport à la réglementation supérieure de l'État, y compris par l’annulation de la norme litigieuse au sein même du sous-système juridique concerné,. 56 Il existe une légère différence conceptuelle entre une définition de la validité uniquement basée sur l'appartenance et la définition kelsénienne de la validité. Pour Hans Kelsen, la validité est parfois conçue un «mode d’existence» (le

274

coïncide pas nécessairement avec l’applicabilité de la norme dans le système juridique interne : 1. Il

arrive qu'un organe interne ne soit pas habilité à appliquer des normes pourtant internes au système

juridique, la compétence de l'organe en question étant limitée57 (par exemple, il est interdit au juge

constitutionnel d'appliquer d'autres normes que la constitution elle-même58) ; 2. Inversement, un organe

interne peut bénéficier d'une habilitation pour appliquer des normes n’appartenant pas au système

juridique interne, mais à un système juridique supérieur à celui-ci. Cette dernière situation apparaît

clairement lorsqu'il s'agit de la relation entre État fédéral et État fédéré, ou lorsque les organes d'une

société – un sous-système de l'État – se trouvent dans l’obligation d’appliquer le droit de l'État, peu

importe que le statut de la société ne le spécifie pas.

En ce qui concerne la relation entre droit international et droit interne, l’applicabilité obligatoire du

droit international par les organes internes est très largement limitée par le principe de souveraineté qui

attribue une très large autonomie normative à l’État (mais le principe de souveraineté connaît lui-même

des limites, par exemple dans les cas d'applicabilité directe du droit international). L'application

immédiate du droit international par les organes internes trouve son fondement dans le principe du droit

international suivant lequel « le droit international est applicable par les organes internes d'application

du droit à moins qu'une norme interne interdise cette application ». Ce principe du droit international

est amené à être concrétisé par des normes de droit interne (processus d'«implémentation»). Par

exemple, positivement, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 peut se lire comme une

autorisation de l'application immédiate du droit international par les organes internes français. De

même, négativement, l'obligation constitutionnelle de n'appliquer que des normes issues de procédure

interne («principe de légalité strict») peut aussi se concevoir comme une concrétisation de ce principe

du droit international. Telle est la solution du droit autrichien, du moins en ce qui concerne «mode d'existence spécifique des normes»), tandis que la validité est ici de manière univoque définie comme un «mode d’appartenance». Ici, seule la validité de la norme fondamentale relève d’un «mode d’existence», en tant qu’elle détermine l’«appartenance» des normes dérivées au système normatif. Le Professeur Otto Pfersmann tend aussi à concevoir la validité comme un «mode d’appartenance» : « il existe une limite stricte entre la validité et la non-validité, c’est-à-dire entre ce qui est dans et ce qui est en dehors du système » ; cf. « norme », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 1079-1083, p. 781. Il est toutefois vrai que Hans Kelsen emploie aussi le concept d’«appartenance» à propos de la validité, mais surtout lorsque la démarche entreprise consiste à situer la norme dans un système juridique donné – non pour définir celle-ci. Cf. aussi : Otto Pfersmann, « Pour une typologie modale de classes de validité normative » in : Cahiers de philosophie politique et juridique de Caen, vol. 27, 1995, pp. 69-113.57 Une telle limite à l'habilitation de l'organe d'application du droit existe aussi en droit international, en ce sens que des organes internationaux sont susceptibles d'être limités dans leur compétence d'appliquer les normes internationales. Ainsi, la Cour internationale de justice estime dans son arrêt du 3 février 2006 relatif à l'affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Rwanda) « que le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend. Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit international général (jus cogens) et l'établissement de la compétence de la Cour : le fait qu'un différend porte sur le respect d'une norme possédant un tel caractère, ce qui assurément le cas de l'interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. [§ 64] »58 Ceci est notamment le cas du Conseil constitutionnel français (cf. article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; dans la jurisprudence, cf. notamment DC 74-54, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19)

275

l'administration et la justice judiciaire qui sont liés par un principe de légalité strictement conçu.

276

Titre 2 : La concrétisation des règles générales du droit international (en tant que

conditionnantes)

i. La concrétisation

La concrétisation est le processus qui consiste en ce que les normes les plus générales d'un système

juridique sont progressivement appliquées par des normes juridiques plus particulières. Entre les

normes du degré le plus général1 et les normes les plus particulières d'un système juridique2, divers

degrés de généralité sont possibles. Au fur et à mesure de la concrétisation, les normes concrétisant les

normes plus générales ont une sphère d'applicabilité (personnelle, matérielle, spatiale, temporelle) plus

étroitement délimitée.

En tant que normes d'un certain degré de généralité, les règles générales du droit international sont

amenées à être concrétisées.

ii. La distinction entre «implémentation» et «transformation»

Il convient de distinguer deux phénomènes de concrétisation des normes internationales3 : la

1 « L'ensemble des normes de rang suprême », cf. Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783, p. 780.2 « La norme la plus concrète commandant une action factuelle », ibid.3 La doctrine dualiste a tendance à oublier le phénomène d'«implémentation» pour se focaliser sur celui de la «transformation». La «transformation» s'avère en effet plus commode dans le cadre de la doctrine dualiste ; car la transformation ne met en cause la souveraineté de l'État, puisqu'elle dépend exclusivement de la disposition constitutionnelle de transformation, désormais présente dans la plupart des constitutions européennes. Pour un exposé classique de la distinction entre « transformation » et « implémentation » (en allemand : « durchführung » ; en anglais : « implementation »), cf. Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San

277

concrétisation des normes internationales transformées en droit interne et la concrétisation par l'État des

normes internationales en tant que telles («implémentation»).

ii.i. La concrétisation des normes internationales transformées en droit interne

La «transformation» se définit comme le processus par lequel une norme valide dans le système

juridique international devient valide dans le système juridique interne en tant que norme interne sur le

fondement soit d'une norme interne générale (par exemple, l'article 25 LF), soit d'une norme interne

particulière (un acte législatif ou réglementaire). Le droit international est en principe 4 indifférent au

contenu des systèmes juridiques internes5. En d'autres termes, suivant le droit international, les États

déterminent en principe librement le contenu du système juridique interne (« autonomie normative6 »),

y compris le mode d'applicabilité du droit international par les organes internes. La transformation du

droit international en droit interne n'est nullement une obligation internationale 7, mais un choix8 de

l'État. En cela, la transformation du droit international n'est pas une question de droit international, mais

de droit interne.

Une fois les normes du droit international transformées, elles existent en tant que composantes du

système juridique interne. Formellement, la norme interne qui résulte de la transformation n'est plus la

norme internationale elle-même, mais la reproduction de son contenu dans le droit interne. Elle prend

Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., spécialement pp. 291-294 ; Paul Guggenheim, Lehrbuch des Völkerrechts, vol. 1, Verlag für Recht und Gesellschaft, Bâle, 1947, 320 p., spécialement pp. 4-6 et pp. 32-38 ; Alfred Verdross, Bruno Simma, Universelles Völkerrecht, 3ème éd., Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 956 p., p. 538 et svtes. Par ailleurs, la doctrine allemande dite de l'«exécution («Vollzugslehre»), souvent évoquée par la doctrine sans pour autant être approfondie, paraît proche de celle de l'implémentation en ce que le droit international se trouve là appliqué en tant que tel, indépendamment de sa transformation, par les organes internes pourvus d'une compétence appropriée ; cf. Karl Josef Partsch, Die Anwendung des Völkerrechts im innerstaatlichen Recht, Überprüfung der Transformationslehre. Arbeiten der 1. Studienkommission der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht, C.F. Müller, Karlsruhe, 1964, 179 p., p. 13 et svtes.Remarque terminologique : le terme « implémentation » est une traduction de l'anglais « implementation ». Ce dernier terme est habituellement traduit en français par « mise en œuvre », mais aussi, dans des domaines techniques, par l'anglicisme « implémentation ». En raison de la technicité du problème, le terme « implémentation » semble plus approprié ici que celui plus vague de « mise en œuvre ».4 Le principe d’indifférence du droit international par rapport au contenu du droit interne est juridiquement limité par le droit international lui-même. Le droit international prévoit souvent – explicitement ou implicitement – des exceptions à ce principe : applicabilité directe, obligation pour les Etats de transposer un traité international dans leur système juridique interne si le traité international en dispose expressément ainsi, etc.5 L’indifférence du droit international par rapport au contenu du droit interne est normative (ce n'est pas une nécessité, ni naturelle, ni politique). Le droit international prévoit que les droits internes ont un contenu relativement indéterminé, cela n'impliquant pas pour autant que le droit interne est pourvu d’un «mode d’existence» distinct de celui du droit international. Au contraire, l’existence même et le contenu du droit interne – ne serait-ce que négativement par la large autorisation dont dispose les Etats pour déterminer leur contenu normatif interne – est conditionnée par le droit international. A propos du principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne, cf. infra, « l'application téléologique du droit international ».6 La très large autonomie normative de l'État constitue un des aspect du « principe de la souveraineté » des États du droit international.7 Par exception, le droit international oblige parfois l'État à transformer le droit international en droit interne dans certains cas d'«applicabilité immédiate» du droit international (cf. infra : « l'applicabilité directe du droit international »).8 Le terme « choix » est ici dépourvu de toute signification psychologique. Il ne s'agit notamment pas de l'expression d'une intention. Le « choix » est uniquement la détermination d'un possible parmi une multitude de possibles.

278

donc place parmi toutes les normes internes9 dont la généralité appelle concrétisation par des normes

plus particulières.

Les normes internationales transformées en droit interne ne paraissent pas tant différentes des autres

normes internes quant à leur normativité : conditionnées, en l'occurrence par un fondement

constitutionnel spécifique, elles conditionnent aussi d'autres normes plus particulières.

ii.ii. L'«implémentation»

Les normes du droit international sont pour la plupart des normes incomplètes, d'un degré de généralité

élevé, dont la concrétisation passe par des normes de droit interne. Il en va par exemple ainsi d'une

norme internationale qui s'adresse de manière générale aux « chefs de l'État », en omettant donc de

spécifier les autorités publiques et les individus en question. Il appartiendra au droit interne de

compléter le droit international en déterminant l'organe «chef de l'État» (un président de la république,

un roi), sa procédure de désignation (une élection au suffrage universel, les règles dynastiques de

dévolution de la couronne), ainsi que l'individu en question '(le Président X ou le Monarque Y).

Dans la pratique, les organes de l'État procèdent très souvent à la concrétisation des normes

internationales, sans que cela ne soit conditionné par leur transformation préalable dans le droit interne .

L'«implémentation» se définit comme la concrétisation par l'État d'une norme du droit international en

dehors de la transformation, et ce, par certaines procédures tant internes qu'internationales. Car

l'implémentation s'opère en effet à deux niveaux :

Un niveau international : l'État participe à la production de normes internationales, comme par

exemple à travers l'action de l'exécutif dans la sphère internationale qui décide d'adopter un

comportement ayant des conséquences sur les données du droit international, tel celui d'objecteur

persistant. Les organes étatiques concrétisent le droit international dans la sphère du droit international ;

ils participent ici, en tant que représentants de l'État, à la production du droit international.

Un niveau interne : l'État concrétise une norme internationale sans que cette concrétisation ne se

fonde sur une obligation interne (par exemple : une concrétisation de la prohibition internationale de la

piraterie maritime par une loi interne déterminant les modalités de la lutte contre la piraterie tel que

récemment en France10 ; une concrétisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes par une loi

statutaire sur l'outre-mer). Les organes internes concrétisent le droit international dans la sphère du droit

interne en dehors du processus de transformation du droit international, c'est-à-dire qu'ils complètent

par une réglementation plus particulière les obligations plus générales du droit international. Cette

concrétisation du droit international dans la sphère interne à l'État participe aussi, indirectement, à la

9 Seule « la norme la plus concrète commandant une action factuelle » n'est pas amenée à être concrétisée, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 1, p. 780.10 Le droit français contenait une législation ancienne relative à la piraterie : la Loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime. Cette loi est abrogée par la Loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit.

279

production du droit international. Très souvent, l'État tend à modifier son comportement par la

production de normes internes, et cela peut aboutir à la formation d'une nouvelle coutume internationale

(praxis modifiée).

ii.iii. La relation entre «implémentation» et «transformation»

Dans les États européens continentaux11, le droit international est traditionnellement quasi-

exclusivement concrétisé par implémentation, et non par transformation 12. A partir du début du XXe

siècle, l'introduction dans les constitutions de dispositions spécifiques de transformation modifie les

obligations des organes internes en matière de concrétisation du droit international. Auparavant, les

constitutions nationales ne contiennent, en ce qui concerne la relation avec le droit international, que

des normes déterminant le «pouvoir extérieur» de l'État 13.

Dans le cadre de l'implémentation, il n'existe pas d'obligation constitutionnelle qui pèse sur les organes

internes de compléter le droit international. Les organes internes produisent en effet librement des

normes qui complétent le droit international, en se fondant sur leurs compétences générales de droit

interne (par exemple, le législateur ne se trouve aucunement obligé de produire une législation sur la

répression de la piraterie maritime ; et, s'il le fait, c'est uniquement sur le fondement de son habilitation

constitutionnelle de produire des normes générales). Les organes internes d'application du droit

accomplissent les normes du droit international, y compris les obligations internationales de l'État, en

produisant – au cas par cas – des normes générales (dispositions constitutionnelles, lois, règlements,

etc.) ou des normes particulières (actes administratifs, décisions juridictionnelles, ordres militaires,

etc.).

11 La tradition anglo-américaine de transformation suivant le principe « international law is part of the law of the land » trouve une origine plus ancienne (cf. supra : « Le modèle anglais concernant le mode d'applicabilité des coutumes internationales »).12 Heinrich Triepel a déjà une certaine conscience de la distinction entre «transformation» et «implémentation» (1899) : « on ne peut naturellement parler d'une réception du droit international par le droit interne, que quand le droit à recevoir est réellement du droit international […]. Il ne peut […] y avoir jamais réception du droit international par l'État, quand le contenu de la règle étatique ne correspond pas exactement au contenu de la norme internationale. Toute modification du droit […] exclut la notion de réception juridique. Il est absolument impossible, bien qu'on le fasse très habituellement, – ce qui empêche de connaître exactement la véritable situation des choses – de désigner sous les appellations d'"acceptation" (Aufnahme), ou d'"appropriation" (Aneignung) ou d'"incorporation" (Einverleibung) des normes du droit international par la législation de l'État, le procédé par lequel l'État, pour obéir à un devoir qui s'impose à lui en vertu du droit international, ou pour remplir, à la suite d'une libre détermination, des "devoirs internationaux", édicte des règles de droit ayant un caractère juridique international [...]. Car le plus souvent ces règles sont des ordres ou des autorisations aux individus ; elles ne sont donc pas indubitablement de pures reproductions de règles internationales » ; cf. Droit international et droit interne, trad. René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p., pp. 166-167.13 Parmi les principales dispositions constitutionnelles relatives à la relation entre droit interne et droit international : L'article 6 de la Loi fondamentale de l'État du 21 décembre 1867 sur l'exercice du pouvoir gouvernemental et exécutif réglemente la répartition des compétences entre organes internes de la Monarchie austro-hongroise (Empereur, Reichsrat) en matière de ratification des traités internationaux ; l'article 11 de la Constitution du Reich allemand du 16 avril 1871 prévoit la répartition des compétences entre les organes internes en matière internationale (Empereur, Reichstag, Bundesrat), y compris pour la ratification des traités internationaux ; l'article 8 de la Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics réglemente la seule procédure de ratification des traités internationaux.

280

Par la transformation, les normes internationales deviennent des normes de droit interne parmi d'autres.

Le processus de concrétisation qui s'ensuit diffère de celui de l'implémentation : les organes

d'application du droit n'accomplissent plus les normes internationales en tant que telles, mais

concrétisent les normes internationales transformées en droit interne au même titre que toute norme de

droit interne. Et cela n'est pas sans incidences sur la compétence des organes internes. Ils peuvent ainsi

se trouver obligés de concrétiser ces normes devenues composantes du droit interne. Mais aussi, il peut

en résulter une autorisation de concrétiser le droit international, dont les organes internes ne

disposeraient sinon pas, en raison d'une obligation constitutionnelle de n'appliquer que les normes

appartenant au droit interne lui-même. Il en va par exemple ainsi dans le cas où les autorités

administratives ou les juridictions ne sont en principe habilitées par la constitution qu'à appliquer le

droit interne sous la forme de lois édictés par l'organe législatif ou de décrets produits par l'organe

exécutif compétent.

La transformation ne fait pas pour autant totalement cesser l'implémentation traditionnelle : les organes

étatiques continuent de concrétiser le droit international en dehors de toute transformation, comme par

exemple lorsque le constituant modifie la constitution afin de l'adapter à l'évolution du droit

international (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, droit international humanitaire, droit de

l'environnement, etc.). Par ailleurs, l'«applicabilité directe» du droit international peut se concevoir

comme une implémentation obligatoire14. Il semblerait en effet que l'État soit dans l'obligation de

concrétiser les normes internationales «directement applicables» en tant que telles, et non par

l'intermédiaire de leur transformation interne.

iii. La détermination des organes internes compétents

Le droit international général est, par son degré de généralité élevé, un droit incomplet qui attribue à

l'État en sa globalité sa concrétisation. Comme le droit international ne détermine pas habituellement

14 Hans Kelsen constate dans un bref passage que l'applicabilité directe peut s'analyser comme une implémentation du droit international : « une norme de droit international qui est applicable par les organes de l'État sans implémentation supplémentaire en droit national peut être appelée une norme self-executing » ; cf. P.I.L., p. 293. Le concept de « self-executing » utilisé par Hans Kelsen ne correspond pas exactement à la terminologie ici retenue, même s'il s'agit dans les deux cas d'une question d'applicabilité directe du droit international (cf. infra, « l'applicabilité directe du droit international »)/

281

les organes internes chargés de sa concrétisation15 16, l'État est libre de répartir les compétences entre les

divers organes internes pour la concrétisation du droit international ; et, de même, l'État est d'ailleurs

libre de répartir les compétences entre les organes internes dans la sphère de compétence qui lui est

propre («interne» ou «domestique»). La relation entre droit international et droit interne est hiérarchisée

parce que le droit international détermine la sphère de compétence de l'État, mais avec une forte

décentralisation organique. Comme on vient de l'observer, il appartient aux systèmes juridiques des

États d'établir les organes qui vont concrétiser tant les normes relevant de leur propre sphère de

compétence que les normes relevant du droit international (« indétermination organique » du droit

international17).

Les dispositions constitutionnelles transformant les normes internationales en droit interne ne

déterminent pas non plus par elles-mêmes des organes chargés de leur concrétisation. En l'absence d'une

détermination organique par ces normes constitutionnelles, il est possible de présupposer que la

concrétisation des normes du droit international transformées en droit interne doit se réaliser dans les

mêmes conditions que lorsqu'il s'agit de n'importe quelle norme interne, c'est-à-dire à travers la même

répartition des compétences que celle habituellement prévue par le droit interne.

Néanmoins, les constitutions nationales contiennent certaines normes attribuant des compétences

spécifiques à certains organes dans le domaine de la relation entre le droit international et le droit

interne. Parmi ces normes, on trouve sans aucun doute celles qui organisent un «pouvoir extérieur» (ou

«organes extérieurs»), mais aussi d'autres dispositions spécifiques, tel l'article 145 B-VG qui annonce

l'institution d'une procédure juridictionnelle spéciale chargée de l'application du droit international.

Curieusement, il semblerait que les organes chargés de l'implémentation des normes du droit

international général soient davantage déterminés par la constitution que les organes chargés de la

concrétisation des normes internationales transformées en droit interne.

15 Par ailleurs, comme le droit international est en principe indifférent aux qualifications de droit interne, il reste compétent pour qualifier par lui-même les organes internes d’application du droit. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi développé tout une jurisprudence sur la technique dite des « notions autonomes », dont les arrêts Engel (CEDH, 8 juin 1976, Engel et al. c/ Pays-Bas) et König (CEDH, 28 juin 1978, König c/ RFA) sont fondateurs. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la finalité consiste surtout à assurer une « unité d’interprétation » de la Convention : les normes européennes protectrices des droits de l’homme ne sauraient varier selon les qualifications juridiques propres aux droits nationaux. En l’espèce, le juge européen devait identifier la sphère d’application des notions, au caractère vague ou indéterminé, d’« accusations en matière pénale » (Engel) et de « droits et obligations de caractère civil » (König) de l’article 6 §1 Conv. EDH. 16 Par exception, le droit international détermine parfois les organes chargés de sa concrétisation. Par exemple, le « juge interne »', tel que défini par les différents droit internes, est juge de droit commun de l'Union européenne. 17 A propos des difficultés posées par l'indétermination organique dans le cadre du droit de l'Union européenne, cf. Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.

282

Chapitre 1

L'habilitation générale à concrétiser les normes transformées dans la sphère interne

En tant que composantes du droit interne, il semblerait de prime abord que les règles générales du droit

international transformées soient à concrétiser de la même façon que toute autre norme interne d'un

certain degré de généralité (par exemple, la loi ou le règlement). Cependant, la constitution est plutôt

indéterminée quant aux modalités de concrétisation de ces normes, alors qu'elle détermine souvent

davantage celles-ci pour d'autres formes normatives (par exemple, la constitution prévoit expressément

la concrétisation de la loi par voie réglementaire). Certains auteurs interprètent cette indétermination du

texte constitutionnel comme une limite à la concrétisation des règles générales du droit international 1.

D'autres opinions s'expriment toutefois plus souvent, affirmant que les règles générales du droit

international sont à concrétiser par analogie avec d'autres formes normatives internes2 (la constitution

ou la loi), ou encore d'une manière propre, en se conformant dans la mesure du possible à leur

normativité de droit international3. La question de la concrétisation des règles générales du droit

international est à contextualiser dans l'ensemble du système juridique interne, surtout en prenant

compte de ses principes structurants, et notamment eu égard au «principe de légalité» et à l'habilitation

des divers organes internes chargés de la concrétisation.

Généralement, les règles générales du droit international transformées en droit interne doivent être

concrétisées par les organes internes en tant que composantes du droit objectif en vigueur (section 1).

Une analyse spéciale relative à la compétence des juridictions internes montre que la concrétisation

dépend de l'habilitation des organes internes (section 2).

1 Cf. à propos du droit autrichien : Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42, spécialement pp. 24-31 2 Par exemple, dans la littérature allemande, l'opinion selon laquelle les règles générales du droit international sont assimilables à « la loi et [au] droit » de l'article 20 al. 3 LF qui dispose que « Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit ».3 Par exemple, dans la doctrine allemande, la théorie de l'«ouverture de la Loi Fondamentale au droit international» (Völkerrechtsfreundlichkeit)

283

Section 1 : Les règles générales du droit international en tant que composantes du «droit

objectif en vigueur»

Les constitutions nationales ne contiennent que peu de dispositions spécifiques relatives à la

concrétisation des normes internationales en tant que composantes du « droit objectif en vigueur4 »,

c'est-à-dire valides dans le système juridique interne. Les seules spécifications constitutionnelles

soulèvent d'ailleurs certaines difficultés d'interprétation :

En droit allemand, l'article 25 LF phrase 2, 2ème demi-phrase précise que les « [règles générales

du droit international] créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire

fédéral » (ci-dessous « article 25/2/2 LF »). L'article 25/2/2 LF fait soit référence à l'«effet direct» du

droit international, c'est-à-dire à la création de droits et obligations au bénéfice et à la charge des

particuliers par le droit international lui-même, soit se lit comme une obligation pesant sur les organes

internes de concrétiser les règles générales du droit international, et ce jusqu'à aboutir à la création de

droits et obligations à destination des particuliers ;

Dans la Constitution autrichienne, l'article 145 B-VG, qui dispose que « La Cour

constitutionnelle connaît des violations du droit international public, conformément aux dispositions

d'une loi fédérale spéciale », n'a jamais été concrétisé par la loi fédérale spéciale prévue ;

La Constitution française ne contient aucune disposition spécifique relative à la concrétisation

du droit international général et il n'est pas même déterminé que l'obligation de conformité de l'État aux

«règles du droit public international», posée par l'alinéa 14, emporte leur transformation en

composantes du « droit objectif en vigueur » national.

L'habilitation de concrétiser le droit international général consiste en une autorisation, une obligation

ou une interdiction (I) à destination des différents organes interne chargées de la concrétisation (II).

4 Le «droit objectif en vigueur» est une expression usuelle dans la doctrine et la jurisprudence. Le sens de cette expression est identique à celui de l'ensemble des normes contenues au sein d'un système juridique, c'est-à-dire au système juridique lui-même. L'expression souligne l'idée que les règles générales du droit international sont des composantes du système juridique interne, de la même manière que les normes de degré général issues d'une procédure proprement interne (constitution, loi, règlement, etc.). Cf. à ce propos, infra. : « L'invocabilité des règles générales du droit international en tant que composantes du "droit objectif en vigueur" ».

284

I. La modalisation de l'habilitation5 à concrétiser les règles générales du droit international

(autorisation, obligation, interdiction)

En l'absence de spécification constitutionnelle, plusieurs configurations relatives à la concrétisation des

règles générales du droit international peuvent dans l'abstrait se concevoir : les organes internes

d'application du droit disposent d'une autorisation pour concrétiser ces normes, puisqu'elles sont des

composantes du système juridique interne, et ce, sans aller jusqu'à une obligation de les concrétiser

(«habilitation-permission» des organes internes) ; en prévoyant la transformation des règles générales

du droit international, la constitution oblige implicitement les organes internes à les concrétiser afin

qu'elles soient pourvues d'un «effet utile» («habilitation-obligation» des organes internes) ; les organes

interne sont autorisés à ne pas concrétiser les règles générales du droit international, mais il leur est

interdit de produire des normes ne les respectant pas («habilitation-interdiction»).

La modalisation de l'habilitation dépend des principes structurants de chaque droit national, parmi

lesquels on trouve : le principe de légalité strict liant les organes internes d'application du droit aux

seules normes produites par procédure interne, présent dans la Constitution autrichienne ; le principe de

légalité large liant les organes internes à l'ensemble de « la loi et [du] droit » de l'article 20 al. 3 LF ; ou

encore, la présence d'un contrôle de normes a priori, c'est-à-dire précédant leur entrée en vigueur, ce qui

est le cas du contentieux constitutionnel français.

A. L'autorisation de concrétiser («habilitation-permission»)

Les règles générales du droit international ne sont pas dépourvues d'effet interne, car elles constituent

un fondement éventuel pour des normes plus concrètes dans la sphère du système juridique interne.

Leur transformation en droit interne entraîne une extension du champ des normes de degré général, que

les organes internes ont l'autorisation de concrétiser. Les organes internes disposent ainsi d'une

5 Les systèmes juridiques prévoient leurs propres normes de «production» de normes au sens le plus large, dites « habilitation ». La production «au sens large» inclut la production «au sens strict» (une production positive), la destruction (l’«annulation»., etc.), la modification (la «révision» des normes produites antérieurement, etc.). La norme d'habilitation statue une autorisation (permission), une interdiction ou une obligation de produire des normes. Par exemple :L'« habilitation-autorisation » : les individus disposent de l'autorisation de contracter (article 1134 du Code civil français : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ») ; le Parlement dispose de l'autorisation de légiférer (article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La loi est votée par le Parlement ») [La permission s'analyse comme l'interdiction pour les non-bénéficiaires de la norme d'entraver l'exécution de la permission par les bénéficiaires].L'« habilitation-interdiction » : le juge judiciaire français a l'interdiction de produire des normes générales impersonnelles (article 5 du Code civil français : prohibition des arrêts de règlement) ; les individus ont l'interdiction de produire un contrat ayant un objet illicite (vente de drogue, prostitution...).L'« habilitation-obligation » : le juge judiciaire français a l'obligation de produire une norme réglant le litige (art. 4 du Code civil français : interdiction du déni de justice).

285

compétence de concrétiser des normes d'un haut degré de généralité qui sont autres que les normes

typiquement internes telles la constitution ou la loi. De la sorte, la possibilité s'ouvre aux organes

internes de fonder les normes qu'ils produisent sur des normes qui ne sont pas issues d'une procédure

interne. Par exemple, le pouvoir exécutif pourra trouver un fondement dans les normes relatives à la

protection diplomatique des étrangers, et non uniquement dans les lois internes relatives au droit des

étrangers, en vue de régler un cas particulier6.

Dans l'ensemble des systèmes juridiques nationaux, la disposition constitutionnelle relative au droit

international général se lit au moins comme une autorisation de le concrétiser. Les justifications de

cette solution divergent toutefois de manière significative selon le système en question :

1. Une autorisation de concrétiser le droit international général largement conçue en droit allemand

a. Une autorisation incontestée de concrétiser le droit international général

En droit allemand, les organes internes disposent d'une autorisation générale de concrétiser les règles

générales du droit international. Leur «supériorité» sur les lois, expressément prévue par l'article 25/2/1

LF, implique assurément, mais non seulement7, que les organes internes bénéficient d'une habilitation

pour les concrétiser, au même titre que d'autres normes internes de degré général.

b. L'exemple de l'extension de l'étendue de la protection des droits de l'homme sur le fondement des

règles générales du droit international

Les règles générales du droit international fondent parfois une réglementation interne en matière de

droits de l'homme, dont la sphère d'application va au-delà de celle prévue par les seuls droits

fondamentaux.

Globalement, la protection des droits de l’homme que contient l’actuel droit international général se

présente comme moindre que celle qui découle de la Loi fondamentale8. Et cela vaut aussi bien

matériellement, c'est-à-dire en ce qui concerne l’étendue des droits protégés, que formellement, en ce

qui concerne les garanties des droits fondamentaux. La Loi fondamentale organise en effet les droits

6 A propos de la concrétisation nationale du principe de protection diplomatique, cf. notamment : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « La sentence du tribunal arbitral austro-allemand concernant la protection diplomatique », AFDI , 1972, pp. 323-327 ; Louis Dubouis, « La distinction entre le droit de l'État réclamant et le droit du ressortissant dans la protection diplomatique », RCDIP, 1978, pp. 615-640 ; Georg Ress, Torsten Stein (éds), Der diplomatische Schutz im Völker- und Europarecht, Nomos, Baden-Baden, 1996, 147 p. 7 La « supériorité » sur les lois prévue par l'article 25 phrase 2, 1ère demi-phrase LF concerne surtout la classification des règles générales du droit international selon la force dérogatoire. 8 Cf. Charalambos M. Tsiliotis, « Die allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 GG und die deutschen Grundrechte », European review of public law, Vol. 11, No. 3, 1999, pp. 1185-1235. Même en matière d'application des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, les organes d'application du droit allemand – aussi liés par la Loi fondamentale – garantissent aux individus une protection qui va au-delà de celle prévue par les organes internationaux compétents (par exemple, la Cour européenne des droits de l'homme).

286

fondamentaux manière structurée9. Un ensemble de normes assure leur protection, parmi lesquelles

figurent le principe d'État de droit, le principe dit de « réserve de la loi » (art. 19 al. 1 LF) et le

contentieux propre aux droits fondamentaux (art. 91 al. 1 4a LF). A l'opposé, le droit international

général ne protège pas l'individu dans tous les cas de violation des droits qui lui sont attribués par le

droit international lui-même. L’État, lorsqu’il s’occupe10 de ses propres membres, ne porte en principe

atteinte au droit international qu’à partir du moment où il pratique une politique de non-respect

systématique de ses obligations internationales (« gross and systematic violation of human rights11 »).

Le droit international n'attache en principe des conséquences qu'à une violation des droits de l’homme

exceptionnelle12, tandis que toutes les violations des libertés fondamentales devraient aboutir à une

sanction en droit interne.

Ces différences structurelles entre niveau interne et niveau international en ce qui concerne les droits

fondamentaux n'empêchent pas que l'article 25 LF se conçoit comme le fondement d'un complément à

leur protection sur le territoire de l'État fédéral allemand, mais aussi dans ses relations extérieures 13.

Dans la sphère de compétence spatiale de l'État allemand, les règles générales du droit international qui

protègent les libertés fondamentales développent en certaines circonstances des effets propres, distincts

de ceux qui découlent des droits fondamentaux internes ; il en va surtout ainsi lorsque un état de fait en

violation des droits fondamentaux est transfrontalier, c'est-à-dire se déroule pour partie en dehors du

territoire allemand, comme l'illustre par exemple l'application du principe non bis in idem14 en matière

de répression pénale. Aussi, les organes internes disposent, sur le fondement des règles générales du

droit international de l'article 25 LF, d'une autorisation de concrétiser les droits de l'homme qui va au-

delà des droits fondamentaux allemands, à travers une extension potentielle de leur sphère de

compétence personnelle (tout particulièrement au bénéfice des étrangers 15) et spatiale

(extraterritorialité). La Cour constitutionnelle fédérale, à l'occasion de sa décision du 14 juillet 1999

relative au secret des télécommunications (art. 10 LF), se livre à une analyse approfondie :

9 Robert Alexy, Theorie der Grundrechte, Nomos, Baden-Baden, 1985, 548 p. 10 Aussi bien par son activité de production de normes que par des activités non normatives, qui consistent toutes en de simples faits (la procédure de production d'une norme, distincte de la norme elle-même, s'analyse aussi comme un fait).11 Cf. inter alia : Marc Bossuyt, Koen De Feyter, Filip Reyntjens (éds), Out of the ashes: reparation for victims of gross and systematic human rights violations, Intersentia, Anvers, 2005, 522 p.12 Helmut Steinberger, « Judicial Protection of Human Rights at the National and International Level Report on the Federal Republic of Germany », in : Federico Carpi, Chiara Giovannucci Orlandi (éds), Judicial protection of human rights at the national and international level – International Congress on procedural law for the ninth centenary of the University of Bologna (September 22-24, 1988), Giuffrè, Milan, 1991, 1058 p., pp. 135-196.13 BVerfGE 112, p. 1 – Bodenreform III14 BVerfGE 65, p. 377, affaire Strafbefehl II en date du 7 décembre 1983 ; BVerfGE 56, p. 22, affaire RAF – Anschlag in Heidelberg II en date du 8 janvier 1981. Cf. généralement à propos du principe non bis in idem : Alec Barbey, De l'application internationale de la règle non bis in idem en matière répressive, thèse droit, Lausanne, 1930, 272 p. ; Kurt Markees, « Mehrfache territoriale Gerichtsbarkeit, ne bis in idem und Auslieferung », Schweizerisches Jahrbuch für internationales Recht, vol. 41, 1985, p. 121 et svtes. ; Helmut Epp, « Der Grundsatz "Ne bis in idem" im internationalen Rechtsbereich », ÖJZ, 1979, pp. 36-44..15 Karl Doehring, « Die staatsrechtliche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL, vol. 32, 1974, pp. 7-48 ; plus spécialement, à propos du droit d'asile : Ernst Reichel, Das staatliche Asylrecht « im Rahmen des Völkerrechts », Duncker & Humblot, Berlin, 1987, 236 p., spécialement p. 181 et svtes.

287

« Le point de départ pour répondre à la question de la validité spatiale de l'article 10 LF se

trouve dans l'article 1 al. 3 LF, qui détermine la sphère de validité des droits fondamentaux de manière

générale. Cette disposition prévoit un lien aux droits fondamentaux qui englobe le législateur, le

pouvoir extérieur et la jurisprudence. Toutefois, une définition concluante de la sphère de validité

spatiale des droits fondamentaux n'en découle pas tout à fait. La Loi fondamentale ne se contente en

effet pas de fixer l'ordre interne de l'État allemand, mais prévoit aussi les caractéristiques fondamentales

de sa relation avec la Communauté des États. La Loi fondamentale part en effet de la nécessité d'une

délimitation et de la coordination avec d'autres États et ordres juridiques. Il convient ainsi, d'une part, de

prendre en considération l'étendue de l'imputabilité et de la responsabilité d'organes de l'État allemand

afin d'établir la portée de leur lien aux droits fondamentaux (BVerfGE 66, p. 39 sqs. [57] ; 92, p. 26 sqs.

[47]). Et, d'autre part, le droit constitutionnel doit se synchroniser avec le droit international. Cela

n'exclut pas en principe la validité de droits fondamentaux pour des états de fait en relation avec

l'étranger. Bien davantage, la portée des droits fondamentaux doit être recherchée à partir de la Loi

fondamentale même, ce qui implique de prendre en considération l'article 25 LF. Il en résulte que,

suivant les normes constitutionnelles en question, il est possible que des modifications ou des

différenciations de leur portée soient admissibles ou obligatoires (BVerfGE 35, p. 58 sqs. [72], 92, p. 26

sqs. [41].16 »

2. L'article 9 B-VG comme lex specialis par rapport au principe de légalité au sens strict du droit

autrichien

Une des particularités du droit autrichien réside dans le principe de la légalité strictement conçu

(principe de légalité au sens strict). La Cour constitutionnelle déduit entre autres de ce principe

l'obligation pesant sur le législateur de réglementer l'activité de l'administration de façon très précise et

détaillée. Le législateur est tenu de réglementer lui-même toutes les questions essentielles et n'est pas

habilité à déléguer cela à l'administration elle-même, qui pourrait sinon réglementer par voie de décrets

ou à la discrétion de ses organes. Il est également admis par la doctrine et la jurisprudence que la loi

doit déterminer le comportement des autorités étatiques de manière suffisante 17. En particulier, une loi

doit être élaborée de manière à ce que la conformité du comportement d'une autorité juridique ayant

pris une décision puisse faire l'objet d'une évaluation18. Ainsi, le législateur doit rédiger la loi en des

termes qui rendent possible son application19, et elle doit contenir des éléments certains en vue de

rendre évaluable le comportement de l'autorité en question20. Dans la pratique, le principe de la légalité

16 BVerfGE 100, p. 313 sqs. (362 f.) 17 VfSlg 5636/1967, la Cour constitutionnelle n'a toutefois jamais formulé ce principe en tant que norme générale ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p., p. 394.18 VfSlg 4037/1961, 4414/1963.19 VfSlg 4037/1961 ; 4139/1962 , 4340/1962, 4862.1964 ; 5364/1966 ; 5636/1967.20 VfSlg 5078/1965.

288

fonde fréquemment l'annulation de lois inconstitutionnelles.

Le principe dit du « lien positif de l'application de la loi » se situe dans l'article 18 al. 1 et 2 B-VG.

Celui-ci dispose en effet que : « (1) Toute mesure de l'administration publique doit se fonder sur la loi ;

(2) Dans le cadre de son domaine d'action, toute autorité administrative peut prendre des règlements en

se fondant sur les lois. ». Il s'ensuit que toute autorité administrative est tenue de se fonder sur une

autorisation claire et précise pour la production d'un acte administratif21. Outre aux administrations, le

principe de légalité s'applique aussi tacitement à la justice judiciaire. Si l'article 18 B-VG vise

explicitement la seule l'administration, la soumission de la justice judiciaire à ce principe était en effet

évidente au moment de la rédaction de la Loi constitutionnelle, alors que cela se discutait encore en ce

qui concerne l'exécutif22.

La doctrine autrichienne soutient deux thèses opposées quant à la relation entre le principe de légalité et

l'article 9 B-VG : ou bien il est interdit aux administrations et à la justice judiciaire d'appliquer les

règles généralement reconnues du droit international, car celles-ci ne satisfont pas au principe de

légalité23 ; ou bien l'article 9 B-VG constitue une lex specialis qui autorise une application du droit

international général par les organes internes en dehors de l'article 18 B-VG24 :

La doctrine insiste parfois sur l'origine du principe du « lien positif de l'application à la loi ». Ce

principe trouverait son origine dans l'idée selon laquelle il appartient aux autorités administratives, mais

aussi la justice judiciaire, d'appliquer la volonté du peuple représentée par loi 25, et qu'elles ne doivent

donc pas s'attribuer de compétence législative. Or, il se pourrait qu'une telle compétence leur soit

potentiellement attribuée à travers l'article 9 B-VG, ce qu'il paraît souhaitable d'éviter. En effet, l'article

9 B-VG ouvrirait la possibilité aux autorités exécutives et administratives de déroger à la

réglementation législative en se fondant sur le droit international général, dont le contenu est de surcroît

apprécié par ces autorités mêmes. Cette argumentation s'appuie au moins partiellement sur un

fondement idéologique, en ce qu'elle ne parvient pas à séparer l'état du droit positif d'une idée politique,

en l'occurrence celle de la démocratie (cf. infra, « le problème de la menace pour la démocratie »).

21 Adolf Merkl, « Die Baugesetze der österreichischen Bundesverfassung », in : Hans R. Klecatsky, Die Republik Österreich — Gestalt und Funktion ihrer Verfassung, Herder, Vienne 1968, 352 p., pp. 77-105 ; Herbert Schambeck, Vom Sinnwandel des Rechtsstaates, Walter de Gruyter, Berlin, 1970, 38 p. ; Ludwig Adamovich, Ludwig Adamovich jr., Handbuch des österreichischen Verfassungsrechts, 6ème éd., Springer, Vienne, 1971, 582 p., p. 94 et svtes ; Robert Walter, op. cit. note 17, p. 390 et svtes.22 Cf. Heinz Schäffer, Verfassungsinterpretation in Österreich : eine kritische Bestandsaufnahme, Springer, Vienne/New York, 1971, 228 p. ; Otto Pfersmann, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Allemagne : théorie, pratique et limites » in :Association française des constitutionnalistes, La révision de la Constitution, Journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1993, pp. 7-65, note 75 ; Robert Walter, Heinz Mayer, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, Bundesverfassungsrecht, 10ème édition, Manz, Vienne, 2007, 850 p., § 572.Dans la jurisprudence : VfSlg 12185/1989.23 En ce sens, Manfred Rotter, op. cit. note 1.24 En ce sens, cf. notamment : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476, spécialement pp. 454-455 ; Edwin Loebenstein, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », in : Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155. 25 Cour administrative, Slg. NF 6035 A.

289

Pour d'autres auteurs, l'article 9 B-VG constitue une lex specialis par rapport au principe de

l'article 18 B-VG ; en d'autres termes, il s'agit d'une autorisation au bénéfice des autorités

administratives et judiciaires d'appliquer, outre la loi – ainsi que les traités internationaux –, le droit

international général26. La Cour constitutionnelle soutient ainsi dans sa décision du 10 janvier 1931

que : « l'art. 9 B-VG se présente [...] comme une disposition de compétence27 ». Cela suppose toutefois

que l'article 18 alinéa 1 et 2 B-VG ne soit pas indérogeable. La doctrine affirme en effet souvent que

l'article 18 B-VG contient les éléments normatifs centraux pour la « construction de l'État de droit », et

qu'il prend dès lors place parmi les principes structurants de la Constitution autrichienne, constitutifs de

l'«ordre fondamental de l'État28» («Staatsfundamentalordnung»). En tant que tel, l'art. 18 B-VG se

situerait au rang le plus élevé de la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire, ce qui emporterait

supériorité sur l'article 9 B-VG29. Toutefois, le contentieux constitutionnel autrichien, en l'absence d'une

compétence explicite de la Cour constitutionnelle30, ne contient pas de procédure de contrôle de la

conformité des dispositions formelles de la Loi constitutionnelle fédérale par rapport aux principes

constitutifs de «l'ordre fondamental de l'État». Toutes les normes de la constitution formelle,

constitutives ou non de « l'ordre fondamental de l'État », existent sur le même fondement de validité,

soit la Constitution provisoire de 191931. L'argumentation qui conduit à déclarer que l'article 9 B-VG est

contraire à la constitution, si ce n'est absolument nul, s'avère donc contestable.

En résumé, à défaut d'une détermination constitutionnelle de la force dérogatoire des règles

généralement reconnues du droit international, leur inclusion dans un vague « droit fédéral » par l'article

9 B-VG s'entend comme une habilitation au bénéfice des organes internes de les appliquer de la même

manière que les autres «matières fédérales» («Bundessache»32).

3. L'alinéa 14 comme fondement de normes produites en vue d'assurer un comportement de l'État

conforme au droit international

Le principe de légalité en droit constitutionnel français, plus indéterminé qu'en droit allemand et en

droit autrichien, apparaît largement défini33. Et il s'ensuit que l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 peut aisément se concevoir comme autorisant la production de toute norme interne

qui vise à assurer la conformité du comportement de l'État au droit international. Cela fait l'unanimité

26 Ludwig Jordan, « Bemerkungen zu Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », ZÖR, 1928, pp. 453-459, spécialement p. 455 ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 24, spécialement p. 455.27 VfSlg. 1375/1931.28 A propos de cette notion : Adolf Merkl, op. cit. note 21 ; Robert Walter, op. cit. note 17, p. 111.29 VfSlg. 1708/1948 ; 2455.1952.30 Felix Ermacora, « Die Bedeutung der Überprüfung von Bundesverfassungsgesetzen durch den österreichischen Verfassungsgerichtshof », JBl, vol. 75, 1953, p. 537 et svtes.31 Loi du 14 mars 1919 sur le Parlement (Volksvertretung), StGBl, n° 179.32 Edwin Loebenstein, op. cit. note 24, spécialement p. 152. 33 La définition du « principe de légalité » en France n'a pas manqué de provoquer les critiques d'une partie de la doctrine ; cf. Louis Favoreu, « Légalité et constitutionnalité », CCC, n°3, 1997, pp. 73-81.

290

dans la doctrine, et semble même accepté par les auteurs qui estiment que l'alinéa 14 n'est aucunement

une disposition de transposition du droit international général34.

Au stade de la procédure de production normative, le législateur se trouve davantage encadré que les

autres organes internes par un « principe de légalité », ou dit plus exactement en cette circonstance, par

le « principe de constitutionnalité ». En effet, l'entrée en vigueur des lois est conditionnée par leur

contrôle de conformité à la Constitution exercé par un organe tiers, le Conseil constitutionnel. L'objectif

d'un comportement de l'État conforme aux règles du droit public international pourra justifier, à

l'occasion de ce contrôle a priori, l'adoption d'une législation favorable au droit international, et ce,

quand bien même la conformité de la loi en question par rapport à d'autres normes constitutionnelles

prête à discussion (Décision n° 2010-612 DC du 5 août 2010, Loi portant adaptation du droit pénal à

l'institution de la Cour pénale internationale).

Il ressort de la comparaison que les différentes dispositions constitutionnelles nationales relatives au

droit international général consistent au moins dans une autorisation à disposition des organes internes

de le concrétiser. Vont-elles jusqu'à emporter obligation de les concrétiser ?

B. L'obligation de concrétiser («habilitation-obligation»)

L'obligation de concrétiser signifie que les organes internes doivent positivement produire des normes

internes afin de compléter les règles générales du droit international transformées en droit interne.

L'étendue de l'obligation de concrétiser peut varier de l'inexistence – la concrétisation sera à la

discrétion de chaque organe interne – à la totalité, ce qui dont il est peut-être question lorsque l'article

25/2/2 LF évoque la « création de droits et obligations » à destination des particuliers. Une obligation

partielle de concrétiser reste concevable ; il en ira par exemple ainsi s'il n'existe pas en principe

d'obligation de concrétiser les règles générales du droit international, sauf dans les matières

particulièrement réglementées par celles-ci, tel le domaine des relations internationales.

En général, les constitutions nationales n'obligent pas les organes internes à concrétiser les normes

internationales transformées en droit interne par des normes positives, en raison de l'absence de

spécification constitutionnelle. En effet, suivant un principe constitutionnel implicite, les organes

internes disposent de la plus large latitude pour produire ou ne pas produire une norme, à moins d'une

disposition déterminant spécifiquement une obligation positive de concrétiser (par exemple, l'article 16

alinéa 4 B-VG qui dispose que : « Les Länder sont tenus de prendre, dans leur domaine d'action

autonome, les mesures que requiert l'application des traités internationaux. »).

34 Cf. inter alia : Jacques Donnedieu de Vabres, « La Constitution de 1946 et le droit international », Dalloz, 1948, chron. pp. 5-8.

291

Néanmoins, il est souvent remarqué que les constitutions nationales obligent globalement l'État à se

conformer au droit international, et que cela ne peut se réaliser sans la concrétisation du droit

international à travers des réglementations positives produites par les organes internes (cf. infra,

l'application téléologique du droit international).

1. La présence incertaine d'une spécification quant à l'obligation de concrétiser dans l'article 25 LF

L'article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF dispose que les règles générales du droit international

« créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral » (ci-dessous,

« article 25/2/2 LF »). A contre-courant de la doctrine majoritaire, une partie de la doctrine soutient qu'il

s'agit là d'un ordre adressé aux organes internes de concrétiser les règles générales du droit

international, y compris celles d'un haut degré de généralité, et ce, jusqu'à ce qu'elles attribuent des

droits et obligations dans le chef des particuliers. La création de droits et obligations à destination des

particuliers exigée par l'article 25 LF se distinguerait ainsi de l'éventuel «effet direct» du droit

international, c'est-à-dire de la création de droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers

par le droit international lui-même. En d'autres termes, l''article 25/2/2 LF développerait des effets

juridiques autonomes du droit international général – et par suite de la première phrase de l'article – en

ce qu'il oblige les organes internes d'application du droit à concrétiser les normes internationales en

question, peu importe que le droit international lui-même ne rende pas cette concrétisation obligatoire.

L'obligation de concrétiser, jusqu'à créer des droits et obligations au bénéfice et à la charge des

particuliers, adressée aux organes internes, s'étendrait donc au-delà des obligations internationales.

Cette opinion doctrinale reste cependant minoritaire par rapport à celle qui voit en l'article 25/2/2 LF

une référence à l'effet direct tel que prévu par le droit international lui-même (cf. infra., l'effet direct des

normes du droit international général).

La doctrine minoritaire35 développe donc plusieurs arguments en ce sens :

Les normes internationales d'effet direct créent des droits et obligations à destination des

particuliers de nature internationaux, parfois même invocables par les particuliers dans la sphère

internationale, c'est-à-dire devant les juridictions internationales (Cour européenne des droits de

l'homme, juridictions arbitrales, Cour pénale internationale...). Lorsque la doctrine lit dans l'article

25/2/2 LF une référence à ce droit international d'effet direct, elle le réduit en réalité, étant donné qu'il

ne s'agirait alors que d'une confirmation de ce que le droit international contient déjà, à savoir

l'obligation qui pèse sur les organes internes de respecter ses normes d'effet direct. Et l’article 25/2/2 LF

en deviendrait d'autant plus superflu que : qualitativement, d'une part, le principe qui oblige l'État à

35 Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p. ; Christian Tomuschat, « Der Verfassungsstaat im Geflecht der internationalen Beziehungen », VVDStRL, vol. 36, 1978, pp. 7-58.

292

respecter les normes internationales d'effet direct en leur consistance propre découle déjà de la première

phrase de l'article 25 LF, puisqu'il s'agit assurément d'une règle générale du droit international ;

quantitativement, d'autre part, les normes internationales non conventionnelles d'effet direct paraissent

rares, par contraste avec le droit international conventionnel d'effet direct. De tout cela, il s'ensuit que

l'opinion de la doctrine majoritaire amène à concevoir l’article 25/2/2 LF comme dépourvu d'effets

juridiques.

Positivement, rien n'exclut que le principal effet juridique de l’article 25/2/2 LF réside dans la

production de droits et d'obligations proprement internes à destination de l’individu, au-delà donc des

droits et obligations directement créés par la norme internationale en question. Les partisans de

l'autonomie de l’article 25/2/2 LF insistent surtout sur la concrétisation des normes internationales qui

ont exclusivement les États comme destinataires dans la sphère internationale, mais qui par leur contenu

sont aptes à aboutir à des droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers. Et on trouvera

assurément des normes de cette sorte dans le domaine matériel du droit des étrangers 36 (protection

diplomatique, protection des droits acquis, interdiction de certaines discriminations) ou dans celui du

droit international humanitaire37 (protection des civils, sanctions contre les auteurs de crimes de

guerre...).

L'obligation ainsi-conçue de concrétisation des règles générales du droit international ne va pas

sans limites. En effet, l’article 25/2/2 LF ne peut impliquer que les normes internationales

exclusivement orientées vers les États soient concrétisées dans la sphère interne de telle façon à ce que

toute relation à la norme internationale d'origine soit perdue. Les normes internes qui concrétisent les

règles générales du droit international ne doivent ainsi ni modifier, ni élargir la sphère d'application des

normes internationales dans le cadre du droit interne jusqu'à aboutir à des contradictions matérielles

avec le contenu du droit international. Pour illustrer ce qui vient d'être dit, il ne faudrait pas que la

concrétisation interne des principes du droit international humanitaire qui prohibent les crimes de

guerre conduise à l'élaboration de procédures internes autorisant la poursuite d'individus protégés par

une immunité internationale. Une telle modification interne des effets des normes internationales

pourrait entraîner un comportement de l'État doublement fautif, par rapport à ses obligations

internationales évidemment, mais aussi par rapport à l'article 25 phrase 1 lui-même.

A l'opposé du droit allemand, l'obligation de concrétiser n'est déductible en droit autrichien et en droit

36 Josef Isensee, « Die staatsrechtliche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL 32, 1974, pp. 49-106 ; Karl Doehring, op. cit. note 15.37 Karl Doehring évoque l'exemple du droit de légitime défense du droit international qui est une « règle générale du droit international» au sens de l’article 25 LF ; cf. op. cit. note 35, p. 143. Selon Karl Doehring, l’interprétation selon laquelle le droit de légitime défense de l’État lie aussi directement l’individu est à « acquiescer totalement et on peut déduire de l’article 25 LF que l’individu est aussi désormais habilité à défendre l’État par le droit interne qui se soumet au droit internationa » ). Karl Doehring soutient donc qu'il n'est pas possible a priori d’exclure qu’une norme internationale, même initialement exclusivement orientée vers les États, puisse être d' «effet direct» pour l’individu.

293

français que de la formulation relativement indéterminée de la disposition constitutionnelle spécifique.

2. Une obligation de concrétiser dépendante de la transformation « en tant que composante du droit

interne » : les cas autrichien et français

La Loi constitutionnelle fédérale autrichienne précise que les normes internationales deviennent

composantes droit interne, d'où s'ensuit que les organes internes se trouvent dans l'obligation de les

concrétiser comme toute norme interne de degré général (a). L'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 se singularise par son indétermination quant au statut interne des « règles du droit

public international », de sorte que l'obligation de concrétiser pourrait rester dépendante des données du

droit international lui-même (b).

a. Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl soutiennent dans leur ouvrage classique relatif à la Loi

constitutionnelle fédérale qu'une certaine obligation de concrétiser résulte de la disposition

constitutionnelle de transformation : « l'art. 9 B-VG veut dire dans tous les cas, si l'on s'en tient à sa

formulation, que les normes de droit international qui ont valeur de partie constitutive de l'ordre

juridique autrichien [...] sont à exécuter (vollziehen) par des organes fédéraux38 ». La jurisprudence

récente, dont celle de la Cour constitutionnelle, s'aligne sur cette conception de l'article 9 B-VG

obligeant les organes internes à concrétiser de manière positive le droit international général dans la

mesure de leurs compétences39.

La question d'une telle obligation de concrétiser dépend aussi de l'organe qui en est le destinataire. Le

Professeur Manfred Rotter en conteste ainsi le caractère général, au moins en ce qui concerne le

législateur. Selon l'auteur, le lien positif du législateur au droit international général n'existerait que si le

rang constitutionnel des règles généralement reconnues du droit international, et non uniquement de

l'article 9 B-VG, était fixé par la Loi constitutionnelle fédérale, ou si l'article 9 B-VG lui-même

obligeait le législateur à respecter, dans son activité normative, leur statut de partie constitutive du droit

fédéral40. Et la Constitution autrichienne ne contiendrait pas d'indications en ce sens. Abstraction faite

de la situation du législateur, la doctrine autrichienne majoritaire considère actuellement que le droit

international général, « [non seulement autorise, mais aussi oblige] les individus et les organes de l'État,

y compris le juge, de manière immédiate, [...] sans que cela requière une codification supplémentaire

par le législateur de l'État »41. Cela est conforté par l'article 145 B-VG qui annonce une procédure

38 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement p. 76 ; cf. aussi, Edwin Loebenstein, op. cit. note 24, spécialement p. 152. 39 La Cour constitutionnelle considère dans sa décision du 14 décembre 2004 (B783/04) que : « Die österreichischen Staatsorgane haben die transformierten Regeln des Völkerrechts nach Maßgabe ihrer Zuständigkeit [...] zu vollziehen. » 40 Manfred Rotter, op. cit. note 1, spécialement p. 22.41 Edwin Loebenstein, op. cit. note 24, spécialement pp. 149-150.

294

juridictionnelle devant la Cour constitutionnelle en cas de violation du droit international, cette situation

pouvant être provoquée par une abstention dans la concrétisation du droit international.

b. L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 n'oblige pas expressément les organes à

concrétiser par des réglementations positives les règles du droit public international. La formulation de

l'alinéa – « La République française [...] se conforme aux règles du droit public international » – ne

paraît en effet pas impliquer d'obligations allant au-delà du droit international lui-même, et ce dernier

n'oblige pas en principe les organes internes à concrétiser les normes qu'il contient. Il en va toutefois

autrement lorsque, par exception, le droit international exige une concrétisation par les organes internes,

ce qui comprend les situations où les normes internationales sont directement applicable.

Aussi, la Constitution française ne désigne ni organe spécialement chargé de concrétiser le droit

international général, ni même un organe généralement obligé de concrétiser les normes d'un haut degré

de généralité. Aucune procédure n'ouvre non plus la possibilité d'obliger un organe interne à produire

une norme qui concrétise une règle du droit public international. Lorsqu'il exerce un contrôle a priori

des lois, le Conseil constitutionnel est éventuellement amené à censurer une loi dont l'exécution

constituerait un comportement de l'État non conforme au droit international ; cependant, son

habilitation ne s'étend pas à obliger positivement l'organe parlementaire à produire une loi de

concrétisation du droit international.

C. La concrétisation négative («habilitation-interdiction42»)

Les organes internes sont parfois obligés de contrôler au stade même de la procédure de production

d'une norme, c'est-à-dire avant même son entrée en vigueur, que la norme en question respecte bien les

normes de degré supérieur. Un tel contrôle s'exerce soit par l'organe lui-même, soit par un organe tiers,

par exemple dans le cadre d'un contrôle juridictionnel préventif (a priori).

La validité d'une norme est dans tous les cas conditionnée par le respect de la procédure de production

prévue par la norme d'habilitation (conditions formelles de la validité). Aux conditions formelles de la

validité, la constitution peut ajouter d'autres conditions de validité qui ne concernent pas directement la

42 Il ne s'agit pas ici de l'interdiction de concrétiser les règles générales du droit international, mais d'une interdiction de concrétiser d'autres formes normatives internes (normes constitutionnelles, lois, etc.) de manière non-conforme aux règles générales du droit international. En d'autres termes, les règles générales du droit international conditionne la validité interne d'autres normes, au stade même de leur production, et elles sont à prendre en compte dans le cadre du «calcul des défauts» de ces normes. Suivant le Professeur Otto Pfersmann : « Les conditions de validité sont des conditions nécessaires et suffisantes. Si elles ne sont pas respectées, la norme n'existe pas, si elles sont respectées, la norme existe. C'est l'observation de ces conditions que contrôle en premier lieu le juriste. Il étudie la présence cumulative de tous les éléments requis. L'examen de ces paramètres constitue la première base de ce que l' on appelle un "calcul des défauts". Il permet d'abord d'établir qu'une norme existe ou n'existe pas. » ; cf. « La structure du système juridique », in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème éd., Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 52-67, p. 62.

295

norme en question (par exemple, le respect de certaines libertés fondamentales). Il se pourrait ainsi que

les normes du droit international général soient érigées par la constitution en condition de validité des

normes de degré inférieur.

Les droits allemand et autrichien sont marqués par la question de la «force liante» du droit international

général vis-à-vis des organes internes, qui interdirait toute production de norme en violation de celui-ci

(1). En droit français, l'interdiction de violer les « règles du droit public international », que la

formulation de l'alinéa 14 ne semble aucunement exclure, se heurte au manque de contrôle (2).

1. Les organes internes « liés » par le droit international général en droit allemand et en droit autrichien

Tandis que la doctrine allemande insiste sur la «force liante» du droit international général (a), la

doctrine autrichienne a amplement critiqué une approche de sa normativité interne fondée sur la notion

de «lien», tout en admettant l'interdiction adressée aux organes internes de manquer aux règles

généralement reconnues du droit international dans le cadre de leurs activités (b).

a. Une conception sophistiquée de la « force liante » des règles générales du droit international en droit

allemand

α. L'affirmation du caractère «liant» des règles générales du droit international

En droit allemand, l'article 20 al. 3 lie les organes exécutif et judiciaire à « la loi et [au] droit » (art. 20

al. 3 LF : « Le pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire

sont liés par la loi et le droit »). Et les « règles générales du droit international » visées par l'article 25

LF, en tant que composantes du droit fédéral, prennent assurément place parmi les normes constitutives

de la « loi et [du] droit » au sens de l'article 20 al. 3 LF. Le lien d'un organe à une norme peut se

concevoir comme l'obligation à charge de l'organe de respecter les normes auxquelles il est lié en toutes

situations, y compris au stade de la production de normes, et ce, même lorsque les normes le liant ne

régissent pas directement le domaine dans lequel l'organe intervient en l'espèce.

La doctrine et la jurisprudence s'accordent pour considérer que l'article 25/2/1 LF, qui dispose de la

supériorité des règles générales du droit international sur la loi, emporte non seulement leur primauté

d'application par rapport à la forme normative «loi» (supériorité selon la force dérogatoire), mais aussi

le lien de l'organe législatif à celles-ci. La Cour constitutionnelle fédérale, à l'occasion de sa décision du

21 mai 1987, considère en ce sens que « l’article 25 oblige le législateur et l’exécutif allemand à

observer les règles générales du droit international43 » en toutes situations. En cela, il appartient au

43 « Art. 25 GG verpflichtet den deutschen Normgeber und anwender, die allgemeinen Regeln des Völkerrechts zu beachten » ; Décision de la deuxième chambre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 2 BvR 1170/83 ; NJW

296

législateur lui-même de vérifier le respect envers le droit international général de la loi qu'il est en train

de produire. De plus, la jurisprudence fait souvent observer que les dispositions de la Loi fondamentale

relatives à la répartition des compétences entre organes n'autorisent pas un usage du pouvoir contraire

au droit international44.

β. La sphère d'application de l'interdiction

L'interdiction adressée aux organes internes de produire des normes en violation des règles générales du

droit international s'étend, outre à la production de normes ordinaires, à certains domaines spéciaux :

i. Les règles générales du droit international en tant que limites aux « réserves de la loi » en matière de

droit des étrangers

Positivement, un des effets juridiques de l'article 25 LF consiste à étendre la sphère des bénéficiaires des

droits fondamentaux sur le territoire allemand au-delà de celle délimitée pour les droits fondamentaux

allemands au sens de l’article 116 al. 145 ; et ceci passe par l'inclusion des étrangers. La justification de

cette extension de la sphère d'application personnelle des droits fondamentaux réside dans le principe

du droit international qui exige des États une certaine égalité de traitement entre les nationaux et les

étrangers46. Négativement, l'article 25 LF limite certaines restrictions des libertés fondamentales qui

pourraient spécifiquement toucher les étrangers :

En principe, seule une norme de forme législative peut restreindre une liberté fondamentale

(principe dit de « réserve de la loi »47). L'article 19 al. 1 LF dispose en effet que : « Lorsque, d'après la

présente Loi fondamentale, un droit fondamental peut être restreint par une loi ou en vertu d'une loi,

cette loi doit valoir de manière générale et non seulement pour un cas particulier. La loi doit en outre

énoncer le droit fondamental avec indication de l'article concerné ».

Et, selon la jurisprudence constitutionnelle, une réglementation législative selon la nationalité

peut constituer une «raison valable» («Vernünftiger Grund») à une limitation du principe d’égalité48

1988, p. 1462 ; ZaöRV, vol. 48, 1988, p. 721.44 En matière de droit des traités : BVerfGE 74, p. 358 sqs. (370) : il n’est pas acceptable que le législateur – dans la mesure où il ne l’a pas clairement déclaré – déroge aux obligations internationales de la République fédérale d'Allemagne ou rende possible le manquement à de telles obligations. Concernant la Convention européenne des droits de l’homme : BVerfGE 35, p. 311 ; BVerfGE 82, p. 106 ; BVerfGE 82, p. 106 sqs. (120) ; BVerfGE 83, p. 119 sqs. (128) ; cf. notamment : Frank Hoffmeister, « Die europäische Menschenrechtskonvention als Grundrechtsverfassung und ihre Bedeutung in Deutschland », Der Staat, vol. 40, 2001, pp. 349-381. 45 Article 116 [Notion d'«Allemand», réintégration dans la nationalité allemande] : « (1) Sauf réglementation législative contraire, est Allemand au sens de la présente Loi fondamentale, quiconque possède la nationalité allemande ou a été admis sur le territoire du Reich allemand tel qu'il existait au 31 décembre 1937, en qualité de réfugié ou d'expulsé appartenant au peuple allemand, ou de conjoint ou de descendant de ces derniers. » 46 Karl Doehring, op. cit. note 35, p. 187.47 Cf. dans une large littérature : Vanessa Barbé, Le rôle du Parlement dans la protection des droits fondamentaux - Etude comparative Allemagne, France, Royaume-Uni, LGDJ, Paris, 2009, 542 p. ; Fritz Ossenbühl, « Vorrang und Vorbehalt des Gesetzes », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR II - Demokratie - Bundesorgane, C.F. Müller, Heidelberg, 1988, § 62, pp. 315-349.48 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (313) ; 30, p. 409 sqs. (413) ; 38, p. 128 sqs. (134) ; 72, p. 84 sqs. (89).

297

(article 3 al. 1 LF49), à condition toutefois – et aussi longtemps – qu'elle respecte les standards

minimums du droit international général50. Outre le principe d'égalité, les règles générales du droit

international limitent de manière générale l'étendue des réserves législatives qui réglementent la

jouissance des droits fondamentaux par les étrangers51. La Cour constitutionnelle fédérale estime en ce

sens que seules des «raisons lourdes» justifient une telle limitation des droits fondamentaux – celles-ci

pouvant d'ailleurs découler de la sphère internationale elle-même52 –, et que le principe de

proportionnalité doit de plus être strictement observé. Une limitation des libertés fondamentales dont

sont bénéficiaires les étrangers sera par exemple justifiable lorsque l'État allemand organise des

représailles contre l'État étranger dont ils sont les ressortissants, à condition toutefois que le droit

international lui-même autorise les représailles en œuvre.

ii. Actions d'organes étrangers sur le territoire allemand

L’article 25 LF oblige les organes de l'État allemand à s’abstenir de toute participation à une action

entreprise par un pouvoir étranger sur le territoire allemand qui pourrait aboutir à une violation du droit

international général se déroulant dans la sphère de validité spatiale de la Loi fondamentale53. La Cour

constitutionnelle fédérale s'exprime clairement en ce sens : « l'article 25 LF interdit aux autorités et

juridictions de la République fédérale d'Allemagne de donner des effets internes à des actes d'une

puissance souveraine non-allemande qui sont en violation d'une règle générale du droit international. 54 »

iii. Action des organes allemands à l'étranger

Selon la jurisprudence, les effets de l'article 25 LF s'étendent aussi en dehors du territoire allemand. Il

interdit ainsi aux organes de l'État allemand de contribuer de manière déterminante à un comportement

d’une puissance souveraine étrangère qui porte atteinte au droit international général, et ce, même

lorsque ce comportement a lieu en dehors du territoire fédéral55. Certaines limitations des effets

juridiques des règles générales du droit international apparaissent toutefois en ces circonstances. Car la

49 Art. 3 al. 1 LF : « tous les êtres humains sont égaux devant la loi ».50 BVerfGE 76, p. 1 sqs. (74).51 BVerwGE 72, p. 254 sqs. (261) ; 72, p. 283 ; 22, p. 66 sqs. (69).52 BVerfGE 38, p. 128 sqs. (134) ; 76, p. 143 ; 77, p. 1.53 A propos des pratiques antiterroristes des États-Unis d'Amérique sur le territoire allemand, les juridictions allemandes doivent vérifier, du moins selon la doctrine, qu'une telle coopération entre l'État fédéral allemand et la puissance étrangère est :« mit dem nach Art. 25 GG in der Bundesrepublik Deutschland verbindlichen völkerrechtlichen Mindeststandard und mit der öffentlichen Ordnung vereinbar sind ». Cf. notamment : BVerfG, NJW 1982, p. 1214; NJW 1987, p. 1726 (1727) BVerfG, NStZ-RR 2006, p. 149 (150); NStZ 2004, p. 308 (309); NJW 2001, p. 3110 ; dans la doctrine : Stefan Talmon, « Der Anti-Terror-Kampf der USA und die Grundrechte », in : Axel Kämmerer (ed), An den Grenzen des Staats, Duncker & Humblot, 2008, 266 p., pp. 75-100.54 « Behörden und Gerichten der Bundesrepublik Deutschland ist es kraft Art.25 GG verwehrt, gegen allgemeine Regeln des Völkerrechts verstoßenden Akten nichtdeutscher Hoheitsträger im Inland Wirkungen zu geben. » ; Décision de la deuxième chambre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 2 BvR 1170/83 ; NJW 1988, p. 1462 ; ZaöRV 48, 1988, p. 721. 55 BVerfGE 75, p. 1 sqs. (16, 18 ) ; 63, p. 332 sqs. (337).

298

protection des individus à l'encontre des comportements de la puissance publique allemande de cette

sorte relève premièrement des droits fondamentaux garantis par la Loi fondamentale. En effet, les

bénéficiaires des droits fondamentaux à l'étranger disposent déjà d'une protection sur le fondement de

l’article 2 al. 1 LF56 ou d’un droit fondamental spécial dans la situation où le comportement de la

puissance publique allemande, éventuellement en collaboration avec un État étranger, constitue une

violation des standards internationaux minimums en matière de droits de l’homme. Et cela demeure

valable même lorsqu'il s'agit d'actions commises par un simple individu agissant en tant qu'organe de

l'État allemand à l'étranger, à la condition que la violation du droit international réalisée par cet individu

soit celle d'une obligation qui s'adresse aux États, et non directement aux individus. Il en va par

exemple ainsi des normes du droit international humanitaire s'adressant aux États qui protègent civils et

autres vis-à-vis des agissements de simples soldats.

Plus généralement, l'article 25 LF étend la sphère d'application des droits fondamentaux en leur

attribuant une certaine extraterritorialité57. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, les droits

fondamentaux lient les pouvoirs publics allemands dans les situations où leur action produit des

conséquences en dehors de la sphère de souveraineté de la République fédérale d'Allemagne58.

b. Le caractère «liant» des règles généralement reconnues du droit international résultant de la

transformation opérée par l'article 9 B-VG

La différence entre l'article 9 B-VG et l'article 4 WRV, qui est son modèle, tient à l'absence du mot

«liant59» («bindend») dans la formulation. Alors que l'article 9 B-VG dispose que les « règles

généralement reconnues du droit international sont valides en tant que composantes du droit fédéral »,

l'article 4 WRV contenait la précision supplémentaire « en tant que composante liante du droit

fédéral ». A l'époque de la République de Weimar, certains juristes allemands attachent de l'importance

au terme « liant » contenu dans la formulation de l'article 4 WRV. Ainsi, selon Ernst von Simson de

56 Art. 2 al. 1 LF : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu'il ne viole pas les droits d'autrui ni n'enfreigne l'ordre constitutionnel ou la loi morale.» 57 A propos de l'obligation pour le soldat allemand de respecter les droits fondamentaux à l'étranger et dans les «espaces libres», cf. : Dieter Wiefelspütz, « Der Auslandseinsatz der Streitkräfte und die Geltung der Grundrechte », Unterrichtsblätter für die Bundeswehrverwaltung 2007, pp. 321-327 ; Dieter Weingärtner (éd.), Streitkräfte und Menschenrechte, Nomos, Baden-Baden, 2008, 187 p. ; Dieter Wiefelspütz, « Auslandseinsatz der Streitkräfte und Grundrechte », Neue Zeitschrift für Wehrrecht, 2008, pp. 89-102 ; Dieter Weingärtner (éd/), Die Bundeswehr als Armee im Einsatz - Entwicklungen im nationalen und internationalen Recht, Nomos, Baden-Baden, 2010, 229 p.. Cf. aussi dans la jurisprudence : BVerfGE 77, p. 170.58 BVerfGE 6, p. 290 sqs. (295) ; 57, p. 9 sqs. (23) ; 100, p. 313 sqs (362).Cette conception ne s'oppose pas au sens littéral de l'article 1 al. 3 LF [Dignité de l’être humain, caractère obligatoire des droits fondamentaux pour la puissance publique] qui ne fait pas la différence entre le lieu de l'action et le lieu de son accomplissement. Cf. inter alia : Markus Heintzen, Auswärtige Beziehungen privater Verbände : eine staatsrechtliche, insbesondere grundrechtskollisionsrechtliche Untersuchung, Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 299 p., p. 101 et svtes ; Josef Isensee, « Das Grundrecht als Abwehrrecht und als staatliche Schutzpflicht », in: Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR V – Allgemeine Grundrechtslehren, 2ème éd., C.F. Müller, Karlsruhe, 2000, § 115.59 La traduction est souvent « obligatoire », mais le terme de « liant », même s'il est plus inhabituel dans la terminologie juridique française, en est plus proche.

299

l'Office allemand des affaires étrangères, par celui-ci : « non seulement les États, mais aussi tous les

sujets allemands en sont directement les obligés »60.

Pour les auteurs autrichiens, le terme «liant» apparaît contestable, et pour le moins superflu, car toute

norme juridique est par définition «liante» (Ernst Hellbling rapporte que l'opinion de Hans Kelsen va

dans ce sens61). Et cela explique son éviction de la formulation de l'article 9 B-VG62.

La doctrine autrichienne majoritaire63, ainsi que la jurisprudence64, soutiennent que l'article 9 B-VG ne

pourrait se concevoir autrement que comme une interdiction adressée aux organes internes de ne pas

violer le droit international transformé en droit interne65. Alfred Verdross ajoute que l'article 9 B-VG ne

lie pas tellement les organes supérieurs de l'État, qui sont selon lui dans tous les cas visés par le droit

international, mais surtout les «autorités et citoyens»66. L'opinion d'Alfred Verdross a connu une certaine

postérité puisque, selon la Cour suprême, le droit international général lie non seulement

l'administration autrichienne, mais aussi les citoyens autrichiens et les étrangers qui résident en

Autriche67. Cette généralité du lien à l'article 9 B-VG se justifie de plus par la place de cet article dans

le texte constitutionnel, au Titre Ier, parmi les «dispositions générales», avant même l'article 10 avec

lequel commence la répartition des compétences entre la Fédération et les Länder68.

60 Protokolle des deutschen Verfassungsausschusses, 36ème session, p. 13.61 Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98.62 Josef L. Kunz, « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, p. 316 ; Gustav Adolf Walz, Die Abänderung völkerrechtsgemäßen Landesrechts; grundsätzliche Untersuchungen zum englischen, amerikanischen, deutschen und österreichischen Recht , Dümmler, Berlin, 1927, 174 p., p. 150 et p. 170 ; Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, spécialement p. 162. Contra : Ernst C. Hellbling, op. cit. note 61, spécialement pp. 71-72 (la signification de la disposition avec le terme «bindend» serait que l'ensemble des organes fédéraux, y compris le législateur constitutionnel, sont liés par le droit international général en tant que tel, ce qui n'est pas souhaitable).63 Cf. inter alia : Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement pp. 447-448 ; Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769, spécialement pp. 743-745.64 Dans la jurisprudence, la Cour constitutionnelle considère à l'occasion de sa décision du 14 décembre 2004 (B783/04) que : « Die österreichischen Staatsorgane haben die transformierten Regeln des Völkerrechts nach Maßgabe ihrer Zuständigkeit einzuhalten und zu vollziehen. » 65 En particulier, le Professeur Herbert Haller soutient que le législateur n'est pas habilité à délimiter l'effet de l'article 9 B-VG à sa discrétion, étant donné qu'il s'agit d'une disposition constitutionnelle ; cf. Die Prüfung von Gesetzen, Springer, Vienne/New York, 1979, 295 p., spécialement p. 138.66 Alfred Verdross, Die Einheit des rechtlichen Weltbildes auf Grundlage der Völkerrechtsverfassung, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1923, 171 p., spécialement p. 115 ; cf. aussi : Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 62, spécialement p. 175 et svtes ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 24, spécialement pp. 149-150.67 Cour Suprême, 31 mai 1950, 2 Ob 363, ÖJZ 5 (1950), Evidenzblatt n° 342, p. 336 (à propos du Deuxième Accord de Contrôle du 28 juin 1946, cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Le règlement de la propriété allemande en Autriche par le traité austro-allemand du 15 juin 1957 », AFDI, vol. 4, 1958, pp. 230-241).68 Heribert Franz Köck, op. cit. note 63, spécialement p. 764.

300

2. L'indétermination des organes auxquelles s'adressent une interdiction de violer le droit international

général en droit français

De par sa formulation, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 implique peut-être avant

tout une interdiction de produire des normes en violation du droit international. Cependant, les organes

auxquelles se destinent une telle interdiction sont indéterminés, de même d'ailleurs que les organes

chargés de son contrôle. Curieusement, c'est sans doute le législateur qui y paraît le plus certainement

soumis, et ce, à travers le contrôle de constitutionnalité a priori des lois opéré par le Conseil

constitutionnel.

Dans la pratique, le Conseil constitutionnel ne réalise toutefois que marginalement un contrôle en ce

sens. Cela tient, entre autres, à une volonté qui se manifestait à l'origine d'exclure l'alinéa 14 des normes

de référence d'un potentiel contrôle de constitutionnalité. Au cours de l'élaboration du texte de la

Constitution du 27 octobre 1946, la disposition qui devint l'alinéa 14 fut en effet déplacée du titre relatif

à la « souveraineté » vers le Préambule, ce précisément afin d'éviter un éventuel contrôle de

constitutionnalité des lois supposées contraires au droit international69. Mais, d'une part, il convient de

ne pas confondre l'intention du constituant (un «fait») avec la constitution elle-même (une «norme») ;

d'autre part, la structure de la Constitution du 4 octobre 1958 n'est pas analogue à celle du 27 octobre

1946 en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, l'ancien Comité constitutionnel étant

seulement chargé de vérifier que les lois votées par la Chambre des députés ne nécessitent pas une

révision de la Constitution. Aussi, last but not least, la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel

peut sembler insuffisante en ce qu'il n'a pas tiré toutes les conséquences de l'extension des normes de

références du contrôle de constitutionnalité qui résulte de sa propre décision Liberté d'association70 (16

juillet 1971) ; celle-ci aurait pu en effet amener le juge constitutionnel français à attribuer une sphère

d'applicabilité beaucoup plus étendue à l'alinéa 14, qui se présente avec certitude comme une

composante de l'ainsi-nommé «bloc de constitutionnalité».

On le voit, la concrétisation du droit international général dépend, outre du contenu constitutionnel

spécifique, de la compétence des différents organes pertinents. Quels sont au juste ces organes ?

69 Séances de la commission de la Constitution, Compte rendus analytiques, 20 juin 1946 au 3 octobre 1946, séance du mercredi 21 août 1946, p. 309. Cf. supra, « historique de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 ».70 Décision n° 71-44 DC. La décision Liberté d'association semble être une révolution juridique, c'est-à-dire une norme posée par un organe suprême (non soumis à un contrôle) en dehors de la compétence qui lui est attribuée ; cf. Otto Pfersmann, « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement pp. 224-225. Plus généralement, à propos la «révolution juridique», cf. supra note 113 dans « le problème de la normativité même des dispositions constitutionnelles ».

301

II. Les organes compétents

Au contraire de ce qui est soutenu par la doctrine traditionnelle, la concrétisation des normes

internationales n'est pas uniquement l'œuvre des organes auxquels est attribué un «pouvoir extérieur»,

mais potentiellement de tout organe interne71. Les constitutions nationales dissocient la compétence de

représenter l'État dans la sphère internationale et la compétence de concrétiser le droit international

dans la sphère interne. En tant que composantes du «droit objectif», la concrétisation des normes

internationales transformées en droit interne doit s'effectuer selon les mêmes modalités que les autres

normes internes.

La répartition des compétences pour la concrétisation des normes internationales transformées en droit

interne n'opère pas uniquement au niveau des organes centraux de l'État (A. la répartition des

compétences «horizontale»), mais aussi dans le cadre de la décentralisation72 territoriale de l'État (B. la

répartition des compétences «verticale»).

A. La répartition des compétences entre organes centraux (législatif, exécutif, juridictionnel)

En l'absence d'une spécification constitutionnelle73, la répartition des compétences pour la

concrétisation des normes internationales transformées en droit interne ne devrait pas se différencier de

celle valable en principe pour toute autre norme interne. Néanmoins, la doctrine fait souvent observer

que, dans la pratique, certains organes internes paraissent participer davantage à leur concrétisation, et

tout particulièrement l'exécutif et les organes administratifs qui lui sont subordonnés, que d'autres

organes, parmi lesquels figurent le législateur. Ce phénomène s'explique par plusieurs facteurs :

1. Le contenu de la norme

a. Le degré de généralité

Par le processus de transformation ipso iure, les normes du droit international général deviennent

valides en droit interne en tant que normes de contenu général. Comme elles se situent d'emblée parmi

les normes internes générales, leur concrétisation s'effectuera le plus souvent par les organes compétents

71 Cf. inter alia : Walter Leisner, « A propos de la répartition des compétences en matière de conclusion des traités dans la République fédérale d'Allemagne », AFDI, 1960. pp. 291-312.72 La décentralisation territoriale s'entend ici au sens large. Il s'agit de l'attribution de compétences normatives à des entités (États fédérés, régions, provinces, etc.) dont la sphère de compétence est spatialement délimitée dans le cadre d'un ensemble – une entité juridique – plus étendu.73 Il est parfois considéré que la deuxième phrase de l'article 25 LF s'interprète comme une réglementation de la concrétisation des règles générales du droit international (cf. infra : « l'"effet direct" »).

302

pour produire des normes particulières (administrations, juridictions, etc.), et non par les organes

disposant d'une compétence pour produire des normes générales (législateur, «pouvoir réglementaire»).

La concrétisation du droit international général au degré le plus particulier s'opère dans la plupart des

cas par les organes exécutifs et administratifs de l'État pertinents. Et les différents organes impliqués

apparaissent très diversifiés : gouvernement, autorités diplomatiques et consulaires, autorités

administratives, autorités militaires74, etc. Ces organes semblent intervenir davantage dans la

concrétisation du droit international que les juridictions. Il en va par exemple ainsi en ce qui concerne

les différends relatifs aux immunités diplomatiques et consulaires, qui se règlent généralement par les

moyens diplomatiques eux-mêmes. Les juridictions ne sont effectivement que rarement saisies de tels

différends, et encore moins lorsque ces différends sont de nature à troubler les relations entre le pays

d'accueil et le pays d'envoi. De même, la protection des étrangers s'exerce le plus souvent par la voie de

la protection diplomatique par l'État dont ils sont les ressortissants, et non à travers une procédure

juridictionnelle se déroulant dans l'État d'accueil75.

b. Le domaine matériel régi

Les domaines matériels régis par le droit international relèvent souvent en grande partie dans les

systèmes juridiques nationaux de la compétence de l'organe exécutif et des administrations qui lui sont

subordonnées. Et la sphère matérielle dans laquelle ces organes détiennent une compétence qui leur

permet de concrétiser en profondeur le droit international coutumier apparaît extrêmement vaste. Elle

comprend, dans la continuité de la tradition, le droit humanitaire (l'exécutif dispose généralement d'une

large compétence constitutionnelle en matière de guerre), la police maritime, le droit des étrangers, le

droit fiscal (exonération des diplomates et de leurs employés)...

2. La présence parallèle du processus d'implémentation

Un autre facteur qui explique la place prépondérante occupée par l'exécutif et les organes qui lui sont

subordonnés dans la pratique de la concrétisation du droit international tient au processus

d'implémentation :

Le processus de concrétisation des normes internationales transformées en droit interne se

confond souvent dans la pratique avec le processus d'implémentation, qui consiste dans la

concrétisation du droit international en tant que tel. Or, les modalités de l'implémentation diffèrent de

74 Cf. pour une illustration d'un haut degré de concrétisation, cf. Michel Voelckel, « Les nouvelles instructions navales françaises sur l'application du droit international en cas de guerre », AFDI, vol. 10, 1964. pp. 818-837.75 En l'absence d'obligation internationale à la charge de l'État d'assurer la protection de ses nationaux, les modalités de l'exercice de la protection diplomatique d'un État vis-à-vis de ses ressortissants varient considérablement d'un droit interne à l'autre. Tantôt, le droit interne oblige les organes étatiques à assurer la protection des ressortissants nationaux à l'étranger ; tantôt, le droit interne autorise les organes étatiques à exercer ou à ne pas exercer la protection diplomatique des nationaux. Cf. inter alia pour une analyse comparative des droits nationaux : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « La réparation des dommages subis par les nationaux à l'étranger à la suite de bouleversements politiques. Comparaison des solutions françaises et allemandes », RIDC, vol. 21, 1969, pp. 763-778, spécialement p. 765-768.

303

celles de la concrétisation des normes transformées, y compris en ce qui concerne les organes

concernés. En effet, les organes participant à l'implémentation sont avant tout ceux qui disposent d'une

certaine compétence internationale, donc tout particulièrement l'exécutif (cf. infra, « la relation entre

"implémentation" et "transformation" »).

Ce n'est pas sans difficultés que se distingue le processus de concrétisation par la voie de la

transformation de celui de l'implémentation. On observe que les juridictions internes demeurent souvent

imprécises, si ce n'est ambigües, quant à ce qui sert de fondement à leurs décisions, c'est-à-dire soit la

norme internationale transformée, soit la norme internationale en tant que telle. Il n'y a guère que la

jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui contient des indications en ce sens,

par exemple lorsque la Cour vise clairement l'article 25 LF comme fondement de l'application interne

du principe d'immunité de juridiction de l'État étranger76, la transformation fondant donc en l'occurrence

la concrétisation du principe du droit international en question. Par contraste, les autres juridictions

nationales se réfèrent habituellement de manière globale et indifférenciée au « droit international » en

matière d'immunités.

En principe, la concrétisation des normes internationales transformées en droit interne s'opère de la

même façon, et par les mêmes organes, que toute autre norme interne. Dans la pratique, les organes

internes centraux disposant d'une certaine compétence en matière internationale participent davantage

que les autres à ce processus. Et, comme les entités fédérés des États fédéraux disposent en général

d'une compétence plus ou moins étendue en matière internationale eu égard à celle de la Fédération, il

ne paraît pas improbable qu'il en aille de même.

B. La répartition des compétences dans le cadre de l 'État fédéral (répartition des compétences

«verticale»77)

La question de la compétence des États fédérés en matière de droit international coutumier occupe une

place tellement centrale dans le débat actuel aux États-Unis que cela mérite un bref détour (1). Dans les

États fédéraux que sont la République fédérale d'Allemagne et la République d'Autriche, aucune

discussion d'une telle ampleur ne s'observe aujourd'hui, et il est surtout remarqué que les disposition

constitutionnelles spécifiques transforment le droit international général en « droit fédéral », qu'il

incombe donc aux Länder de concrétiser de la même façon que toute matière fédérale (2).

76 BVerfGE 16, p. 27 - Iranische Botschaft ; BVerfGE 46, p. 342 - Philippinische Botschaft.77 On analysera ici seulement les cas de la République fédérale d'Allemagne et de la République d'Autriche, qui sont des États fédéraux. En raison des compétences constitutionnellement attribuées aux entités décentralisés, la décentralisation en droit français est insignifiante en ce qui concerne l'application du droit international coutumier.

304

1. La question de la compétence réservée des États fédérés en droit américain

La question de l'applicabilité des coutumes internationales par les États fédérés se trouve au centre des

préoccupations de la doctrine américaine actuelle78. Selon la position dite « moderne », le droit

internationale coutumier est du droit fédéral, et cela correspond aux dires de la Cour suprême dans

l'affaire The Paquete Habana (1900) : « International Law is part of our land »79. Néanmoins, une

opinion divergente, dite «révisionniste», s'appuie sur une autre décision de la Cour suprême, Erie

Railroad Co. v. Tompkins (1938)80, qui donne l'impression d'interdire aux juridictions fédérales de

continuer à appliquer le droit international sans autorisation du Congrès. Ainsi, selon les Professeurs

Curtis A. Bradley et Jack L. Goldschmith, le droit international coutumier n'est pas du droit fédéral à

moins que la branche politique de la Fédération en décide ainsi. La description de l'état du droit par ces

auteurs peut se résumer ainsi : « l'interprétation [du droit coutumier international] par une juridiction

fédérale ne lie pas la branche politique de la Fédération ainsi que les États [fédérés]81 ». Il s'ensuit que

les États fédérés disposent de la compétence pour transformer le droit international coutumier dans leurs

différents droits internes ; aussi, leurs organes internes, en particulier les juridictions, bénéficient d'une

habilitation à l'appliquer. Par surcroît, les juridictions fédérales sont tenues de suivre les juridictions

fédérées en matière d'application des coutumes internationales. La position de la doctrine dite

«révisionniste» repose globalement sur l'argument suivant : « [le droit coutumier international] ne

devrait pas être une source du droit pour les juridictions aux États-Unis à moins que le souverain

approprié, c'est-à-dire la branche politique de la Fédération ou l'organe de l'État fédéré approprié, en

décide ainsi.82 »

78 Cf. inter alia dans une littérature abondante : Philipp R. Trimble, « A Revisionist View of Customary International Law », UCLA Law Review, vol. 33, 1986, pp. 665-732 ; Arthur M. Weisburd, « State Courts, Federal Courts, and International Cases », Yale Journal of International Law, vol. 20, 1995, p. 1 et svtes ; Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, « Customary international Law as Federal Common Law – A Critique of the Modern Position. », Harvard Law Review, vol. 110, 1997, pp. 815-876 ; Harold Hongju Koh, « Is International Law Really State Law ? », Harvard Law Review, vol. 1111, 1998, pp. 1824-1861 ; Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, David H. Moore, « Federal Courts and the Incorporation of International Law », Harvard Law Review, vol. 111, 1998, pp. 2260-2275 ; Julian G. Ku, « Customary International Law in State Courts », Virginia Journal of International Law, 2001, pp. 265-337 ; Daniel H. Joyner, « A normative Model for the Integration of Customary International Law into United States », Duke Journal of Comparative & International Law, vol 11, 2001, pp. 133-156 ; Ernest A. Young, « Sorting Out the Debate Over Customary International Law », Virginia Journal of International Law, vol. 42, 2002, pp. 365-511 ; Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, David H. Moore, « Sosa, Customary International Law, and the Continuing Relevance of Erie », Harvard Law Review, vol. 120, 2007, p. 869 et svtes ; Anthony J. Bellia, Bradford R. Clark, « The Federal Common Law of Nations », Columbia Law Review, vol. 109, 2009, p. 1 et svtes ; Ernest A. Young, « Historical Practice and the Contemporary Debate Over Customary International Law », Columbia Law Review, vol. 109, 2009, pp. 31-41 ; Carlos M. Vázquez, « Customary international law as U.S. law: a critique of the revisionist and intermediate positions and a defense of the modern position », Notre Dame Law Review, vol. 86, 2011, pp. 1495-1634. 79 175 U.S. 677, 700, (1900) ; cf. aussi antérieurement : Swift v. Tyson, 41 U.S. 1 (1842).La position dite « moderne » est majoritaire. Cf. par exemple : Harold Hongju Koh, op. cit. note 78. L'auteur cite à l'appui plusieurs décisions de la Cour suprême, dont : Boyle v United Technologies S. Ct 487 US 500 [1988]. On trouve l'argument principal suivant : le droit international coutumier est du droit fédéral devant les juridictions fédérales car le domaine des relations internationales relève exclusivement de la compétence fédérale.80 304 U.S. 64 (1938).81 Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, op. cit. note 78, p. 870.82 Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, David H. Moore, « Federal Courts and the Incorporation of International Law », Harvard Law Review, vol. 111, 1998, pp. 2260-2275, p. 2260.

305

Dans sa jurisprudence récente, la Cour suprême tend plutôt à confirmer la position dite « moderne », en

considérant, par exemple dans l'affaire Sosa v. Alvarez-Machain83 (2004), que les juridictions fédérales

disposent d'une autorisation pour appliquer le droit international coutumier dans le cadre de l' Alien Tort

Statute, et ce, sans aucune autorisation expresse, ni par un organe de la Fédération, ni par un organe de

l'État fédéré concerné.

2. L'obligation de concrétiser le droit international général en tant que composant du « droit fédéral »

s'adressant aux Länder allemands et autrichiens

Alors que, sous la République de Weimar, doctrine et jurisprudence traitaient encore largement de la

question de la relation entre droit international général et droit des entités fédérées, la Loi fondamentale

qui entre en vigueur en 1949 fait disparaître sa relative complexité84 (α). D'un point de vue historique, la

République d'Autriche de 1920 est en elle-même dépourvue d'une tradition d'État fédéral, de sorte qu'en

l'absence d'une réglementation constitutionnelle spécifique (comme cela est d'ailleurs le cas en matière

de traités internationaux), l'éventuelle compétence propre des entités fédérées en matière de

concrétisation du droit international général n'a pas attiré de manière profonde l'attention de la doctrine

(β).

α. L'obligation incombant aux Länder allemands de concrétiser les règles générales du droit

international de la même façon que toute norme composante du « droit fédéral »

Il appartient aux Länder allemands de concrétiser les règles générales du droit international de la même

manière que l'ensemble du droit fédéral. Le principe « Le droit fédéral brise le droit du Land »

(« Bundesrecht bricht Landesrecht », art. 31 LF) limite aussi bien directement qu'indirectement

l'autonomie normative des Länder en matière internationale. Car les Länder se trouvent à la fois dans

l'obligation d'appliquer les règles générales du droit international elles-mêmes, en tant que composantes

du droit fédéral (art. 25 LF), et dans l'obligation d'appliquer le droit fédéral qui contient déjà à son

niveau des concrétisations de ces normes. Ignaz Seidl-Hohenveldern dit que les Länder conservent

néanmoins une compétence propre de concrétisation du droit international en raison du statut de

pouvoir extérieur qui leur est constitutionnellement attribué : « en vertu de l'art. 32 alinéa 3 LF les

Länder peuvent dans la mesure de leur compétence législative et avec l'assentiment du Gouvernement

Fédéral, conclure des traités avec les États étrangers. Si — en vertu d'un traité — les Länder peuvent

ainsi devenir titulaires de droits et devoirs de droit international public il ne paraît pas logique de leur

refuser des droits résultants du droit international coutumier »85. L'analogie proposée entre la répartition

des compétences valable en matière de traités internationaux (compétence spéciale de l'article 32 al. 3

83 542 U.S. 692 (2004) 84 Cf. supra : « Le cas particulier des relations interfédérales ». 85 Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Le plateau continental de la République fédérale d'Allemagne », AFDI., vol. 10, numéro 10, 1964, pp. 717-725, spécialement p. 721.

306

LF) et celle valable en matière de droit international coutumier n'apparaît cependant pas si évidente, ne

serait-ce que parce que le régime constitutionnel des traités internationaux (procédure de transformation

ad hoc, rang législatif...) est largement différencié de celui du droit international général.

Par ailleurs, les effets des règles générales du droit international peuvent prendre une ampleur non

négligeable sur le droit des Länder, par exemple en déterminant leur territoire : « Si une nouvelle règle

générale du droit international coutumier élargit le territoire de la R.F.A. elle-même sous la haute mer,

[elle élargit] en même temps et de la même façon aussi le territoire des Länder côtiers86 ». L'article 25

LF, combiné à l'obligation d'attribuer chaque parcelle du territoire allemand à un Land découlant de

l'article 79 al. 3 LF87, contribue à la détermination de la sphère de compétence des Länder.

β. La lecture de l'article 9 B-VG en tant que disposition de répartition des compétences entre la

Fédération et les Länder

La Cour constitutionnelle affirme, à l'occasion de sa décision du 10 janvier 1931, que l'article 9 B-VG

est présent dans la Constitution fédérale en tant que principe de répartition des compétences entre la

Fédération et le Land, établissant que les matières réglementées par les règles généralement reconnues

du droit international prennent place parmi les matières fédérales88. Josef L. Kunz remarque qu'il ne

s'agit là que d'un cas spécial de la relation entre droit fédéral et droit du Land, qui ne s'oppose pas à ce

que la répartition des compétences de principe – contenue dans les articles 10 et suivants B-VG – y

demeure globalement applicable89 90. Afin d'illustrer la situation juridique, Ludwig Jordan donne

l'exemple du paragraphe 1 de la Loi fédérale du 30 juillet 192591, qui dispose que les personnes qui sont

exemptées fiscalement suivant le droit international coutumier sont aussi exemptées des impôts de

Land, quand bien même le droit du Land ne contient aucune réglementation en ce sens92.

Parmi les organes participant à la concrétisation des normes internationales se trouvent les juridictions

internes, dont les décisions – une fois devenues définitives – sont pourvues de l'autorité indérogeable de

la chose jugée93. Les juridictions interviennent pour ainsi dire doublement dans la concrétisation du

86 Ibid. p. 723.87 « Toute révision de la présente loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Länder [….] est interdite ».88 VfSlg. 1375.89 Josef L. Kunz, op. cit. note 62, spécialement pp. 319-320. Cf. aussi, contra : Heribert Franz Köck, op. cit. note 63, spécialement pp. 767-768. Selon Heribert F. Köck, la position de l'article 9 dans le texte constitutionnel au Titre Ier, parmi les « dispositions générales », avant même les articles 10 et suivants qui répartissent les compétences entre la Fédération et les Länder, implique qu'il est lex specialis par rapport aux articles 11 et suivants, privant les Länder des compétences propres prévues par ceux-ci.90 Contrairement au droit allemand, le droit autrichien ne contient pas de principe général « Bundesrecht bricht Landesrecht » (« Le droit fédéral brise le droit du Land »). 91 BGBl. n° 288.92 Ludwig Jordan, op. cit. note 26, spécialement p. 457.93 Cf. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., pp. 322-324

307

droit international, par la production de normes particulières et, dans le cadre de leur activité de

contrôle, par la destruction des normes internes non-conformes au droit international. La destruction

d'une norme ne s'analyse en effet pas autrement que comme la production d'une autre norme, que l'on

peut dire « substitutive »94, et il s'agit bien en ce sens d'une concrétisation.

et pp. 355-360. 94 Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., spécialement pp. 483-528, spécialement p. 500.

308

Section 2 : La concrétisation limitée par les compétences contentieuses des juridictions :

l'articulation entre invocabilité et applicabilité

L’applicabilité des normes internationales dans le système juridique national n'implique pas

nécessairement leur invocabilité, c’est-à-dire la faculté pour un requérant95 de s’en prévaloir devant une

juridiction. Traditionnellement, l'invocabilité des normes internationales non conventionnelles est

limitée en droit interne par des principes contentieux : défaut de forme en raison de l'absence de

procédure écrite et de publication, «théorie» des actes de gouvernement, absence de création par les

normes du droit international de «droits publics subjectifs» conditionnant l'ouverture du recours, etc. Il

semblerait néanmoins que la tendance actuelle soit à une plus large invocabilité des normes

internationales non conventionnelles dans le contentieux juridictionnel interne96. Le phénomène

d'extension du contrôle juridictionnel relativement au droit international général s'observe non

seulement dans le cadre des affaires internes à l'État, c'est-à-dire relevant de sa sphère de compétence

interne au sens du droit international, mais aussi en matière de relations internationales (situations de

guerre à l'extérieur97, lutte contre le terrorisme98...).

Suivant le principe d'autonomie organique de l'État contenu dans le droit international, qui vaut aussi

pour la procédure juridictionnelle, l’applicabilité interne des normes internationales n’implique pas de

forme d’invocabilité précise et uniforme. Le contentieux des normes internationales en droit interne est

ainsi exclusivement conditionné par les normes internes relatives au contentieux juridictionnel : faculté

de se prévaloir de droits subjectifs issus des normes internationales, simple «contrôle de légalité» des

normes internes par rapport aux normes internationales transformées en droit interne, etc.

L'invocabilité des normes internationales non conventionnelles dépend de la forme interne de

95 Une réglementation propre relative au requérant existe pour chacun des contentieux juridictionnel. Il se peut ainsi que le recours soit ouvert aux particuliers ou à certains organes déterminés. Toutes sortes d'organes sont susceptibles de disposer d'un droit au recours : personnes morales de droit public, Parlement, État étranger, etc. L'«organe» désigne ici toute forme d'universitas (toute association d'individus suivant la terminologie de droit romain classique).96 A propos de l'évolution générale, cf. inter alia : Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183 ; Eyal Benvenisti, « Reclaiming Democracy : The Strategic Uses of Foreign and International Law by National Courts », AJIL, vol. 102, 2008, p. 241 et svtes ; Yuval Shany, « National Courts as International Actors: Jurisdictional Implications », Hebrew University International Law Research Paper, n°22, 2008, disponible sur : http://ssrn.com/abstract=1292056.Selon le Professeur Eyal Benvenisti, « references to foreign law and international law are being transformed from the shield that protected the government from judicial review to the sword by which the government's (or governments') case is struck down » ; cf. ibid. 2008, p. 243. 97 Par exemple, en droit anglais, l'affaire Al Skeini (2007) devant la Chambre des Lords (Al Skeini v. Secretary of State for Defense, [2007] U.K.H.L. 26) à propos du meurtre de six irakiens par les troupes britanniques à Bassorah en 2003.98 En droit anglais, cf. les décisions de la Chambre des Lords : A v. Secretary of State for the Home Dept., [2005] 2 A.C. 68 (affaire Belmarsh Prison) ; A v. Secretary of State for the Home Dept., [2006] A.C. 221 (affaire Torture Evidence) ; Secretary of State for the Home Dept v. JJ, [2007] U.K.H.L. 45 (affaire Control Orders) ; Secretary of State for the Home Dept v. MB, [2007] U.K.H.L. 46 (affaire Special Advocate).

309

contentieux juridictionnel (I) : en tant que « composantes du droit objectif en vigueur », elles font partie

des normes de référence du juge lorsqu'il procède à un «contrôle de légalité»99 («contentieux objectif»),

mais il est moins certain que ces normes soient créatrices de droits et des obligations invocables par les

particuliers dans le cadre d'un litige devant une juridiction interne («contentieux subjectif»). Par

exception, l'invocabilité des règles générales du droit international apparaît traditionnellement réduite

dans une sphère qu'elles semblent pourtant naturellement100 régir, celle des relations inter-étatiques (II).

I. L’invocabilité des règles générales du droit international dépendante des formes internes de

contentieux

L'analyse du contentieux des règles générales du droit international appelle au préalable plusieurs

précisions d'ordre terminologique, qui passent par quelques distinctions :

i. La distinction entre «contentieux objectif» et «contentieux subjectif»

La théorie du droit distingue traditionnellement deux modèles de contentieux101, qui sont le

«contentieux objectif» et le «contentieux subjectif» :

L'objet d'un «contentieux subjectif» consiste à résoudre un conflit entre parties au litige. Le contentieux

objectif se caractérise par plusieurs éléments qui lui sont typiques : les parties ont un intérêt à agir,

qu'elles doivent prouver (selon le contentieux en question, cette exigence peut varier en intensité, dans

un cas il s'agira d'un simple intérêt à agir, dans l'autre de la présence d'un droit subjectif...) ; la

procédure se déroule de manière contradictoire, les parties au litige se défendant par une série

d'arguments (procédure dite accusatoire) ; le juge est habilité à se prononcer en faveur d'une des parties

au litige, et à sanctionner le cas échéant la partie adverse, en ordonnant par exemple la réparation du

préjudice subi.

Le «contentieux objectif» se définit quant à lui souvent comme « le procès fait à une norme ». Il vise à

99 Le «contrôle de légalité» est à comprendre au sens large, la norme de référence n'étant pas nécessairement uniquement la forme normative « loi ». Toute forme normative interne (constitution, traités internationaux, lois, ordonnances, etc.) peut se trouver norme de référence dans le cadre d'un contrôle de légalité, cela dépendant des principes du contentieux juridictionnel engagé en l'espèce.100 Sur la critique d'une distinction par nature entre sphère (ou « domaine ») internationale et sphère interne, cf. infra : « La relativité de la distinction entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État ».101 Pour une classification plus systématique des contentieux (double distinction : abstrait/concret, objectif/subjectif) , cf. inter alia : Otto Pfersmann, « Classifications organocentriques et classifications normocentriques de la justice constitutionnelle en droit comparé », in : Robert Andersen (éd.), Mélanges en hommage à Francis Delpérée : itinéraire d'un constitutionnaliste, Bruylant, Bruxelles, 2008, 1790 p., pp. 1131-1145 ; Otto Pfersmann, « Le contrôle concret des normes législatives en Autriche », in : Le contrôle de constitutionnalité par voie préjudicielle : La saisine par les citoyens, PUAM, Paris, 2009, 262 p., pp. 91-107 ; Otto Pfersmann (2010), op. cit. note 70. Pour des raisons de simplification, on utilisera seulement, dans la présente démarche de description, la distinction globale entre « contentieux objectif » et « contentieux subjectif » .

310

la destruction, au sens large (annulation, modification, mise à l'écart ponctuelle), d'une norme en raison

de sa non-conformité par rapport à des normes supérieures. Le contentieux objectif contraste

grandement avec le contentieux subjectif, étant donné qu'il se caractérise par les éléments suivants :

l'absence de parties au litige, puisqu'il est souvent considéré que l'intérêt de l'État lui-même repose dans

la destruction des normes non conformes ; la procédure ne se déroule pas de manière contradictoire, ce

qui peut se manifester par l'absence de séparation entre «demandeur» et «défendeur», d'avocat...

(procédure dite inquisitoire) ; la décision du juge porte uniquement sur l'éventuelle destruction de la

norme non-conforme, et non sur la question de la réparation des dommages subis, ou autre mise en

œuvre de la responsabilité.

Le «contentieux objectif» et le «contentieux subjectif» se conçoivent comme des modèles. Et les

différents contentieux juridictionnels positifs contiennent souvent de multiples aspects qui relèvent

tantôt de l'un, tantôt de l'autre modèle. En général, il n'en demeure pas moins possible de classer par

approximation chaque procédure contentieuse comme «contentieux objectif», à l'instar du contentieux

administratif en droit français ou du recours en annulation en droit de l'Union européenne, ou comme

«contentieux subjectif», tels les divers contentieux judiciaires ordinaires dans les systèmes juridiques

nationaux.

ii. La distinction entre «bénéficiaire» et «titulaire»102

Le terme « destinataire » s'utilise pour davantage de situations que le terme « bénéficiaire ». Les

«destinataires» d'une norme se définissent comme l'ensemble des personnes (personnes physiques ou

morales et autres sujets de droit) auxquelles la norme s'adresse, c'est-à-dire permet, oblige ou interdit tel

ou tel comportement déterminé. Par «bénéficiaires» d'une norme, on entend seulement l'ensemble des

personnes auxquelles la norme en question adresse une permission d'agir103.

102 A propos des libertés fondamentales, cf. Otto Pfersmann, « Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux » in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Ferdinand Melin-Soucramanien, Otto Pfersmann, Joseph Pini, André Roux, Guy Scoffoni, Jérôme Tremeau, Droit des libertés fondamentales, 4ème éd., Dalloz, Paris, 2007, 610 p., spécialement p. 103 et svtes. Plus spécialement, en matière de relation entre droit international et droit interne : José Antonio Pastor Ridruejo, « Le droit international à la veille du vingt et unième siècle : normes, faits et valeurs : cours général de droit international public », RCADI, vol. 274, 1998, pp. 9-308, spécialement p. 109 et svtes ; Carlo Santulli, Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p., spécialement p. 239 et svtes. 103 La permission s'analyse comme une interdiction pour les non-bénéficiaires – ceux qui ne privilégient pas de la permission donnée – d'entraver l'exercice de cette permission destinée au bénéficiaire. Les non-bénéficiaires d’une permission donnée sont destinataires de la norme donnée en ce qu’elle consiste pour eux en une interdiction ou une obligation. Par exemple, la permission individuelle d’user, de jouir et de disposer d’un bien donné, soit le «droit de propriété» (du moins, en droit romain), équivaut à l’interdiction pour les tiers de faire de même pour ce bien donné ; de même, la norme disposant « toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts » (article 23 al. 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 qui n’est pas une norme juridique mais une résolution déclaratoire de principes) équivaut à l’interdiction pour l’employeur et, éventuellement, le législateur (au sens large) de produire des normes restreignant l’exercice de cette liberté.

311

Les «titulaires» se définissent comme l'ensemble des organes104 (personne physique, personne morale,

institutions de droit public) habilités à saisir une juridiction.

Le bénéficiaire d'un droit ne coïncide pas nécessairement avec le titulaire. En effet, le bénéficiaire d'un

droit n'est pas nécessairement habilité à s'en prévaloir pour saisir une juridiction. Il en va par exemple

ainsi des personnes physiques mineures, qui bénéficient assurément de nombreux droits, mais restent

incompétents pour saisir juridiction par eux-mêmes afin de les faire valoir. Inversement, un organe

habilité à saisir une juridiction n'occupe pas nécessairement une situation dans laquelle il bénéficie des

droits invoqués. Tel est le cas d'un organe administratif chargé de la défense des droits des citoyens qui

se trouve titulaire d'un large droit au recours en cas de violation de ceux-ci, sans pour autant bénéficier

des libertés destinées aux citoyens ; de même, dans le contentieux européen des droits de l'homme, les

États tiers à une situation donnée, qui concerne un autre État ou la relation entre d'autres États, n'en sont

pas moins titulaires d'un droit au recours juridictionnel (art. 33 Conv. EDH).

iii. La distinction entre «droit objectif» et «droit subjectif»

La doctrine oppose généralement le «droit objectif» au «droit subjectif»105. Et, si cette opposition se

montre théoriquement problématique, elle peut tout de même sembler commode pour décrire certains

104 L’«organe» est – au sens juridique à distinguer du sens biopolitique – un ensemble d’individus ou un individu unique soit bénéficiaire d’une certaine habilitation à produire (au sens large) une forme normative déterminée (parmi celles-ci : une loi constitutionnelle, un acte juridictionnel, un acte administratif, un contrat, une coutume), soit, plus largement, destinataire d’une norme déterminée d’un système juridique autorisant sa participation à la production normative (par exemple, l'organe habilité à saisir une juridiction). L’habilitation dont bénéficie l'organe pour produire une norme juridique n’est pas nécessairement totale, au sens où certains organes participent à la production d’une norme sans que leur intervention soit suffisante à la production de la norme en question (tel est le cas par exemple si le peuple, en tant qu’organe, est habilité par référendum à se prononcer sur l’adhésion à une organisation internationale, mais que cette dernière est aussi conditionnée, au dernier stade de la procédure, par l'approbation discrétionnaire du chef de l’État). En résumé, l’organe peut s'analyser comme la «personnification», plus ou moins étendue (un État, un Parlement, une famille...), d’un certain ensemble de normes juridiques. Il convient de distinguer la «personnification» de la «personnalité juridique». Dans les systèmes juridiques positifs, tous les organes ne bénéficient pas nécessairement d’une «personnalité juridique», celle-ci étant une situation juridique spécifique prévue par un système juridique à laquelle un ensemble d'effets juridiques sont attachés. Par exemple, le peuple constitue un «organe juridique» – un ensemble de normes juridiques comprenant certaines habilitations – mais non une «personne juridique» ; et le peuple en tant qu’organe juridique personnifie un certain état de choses (l'existence d'une collectivité d'une certaine ampleur). Autre exemple. Un individu bénéficie généralement, mais non nécessairement (à l’exclusion entre autres de l’esclave), d'une personnalité juridique (la «personne physique»). Même si un individu est dépourvu du statut de personne physique, il est néanmoins pourvu d'une «personnification juridique» en relation à un certain état des choses. Un esclave, dépourvu de «personnalité juridique», est une «personnification» car il consiste en un ensemble de normes (les droits et obligations de l’esclave) en relation avec un certain état des choses (en gros, mais l’identification plus précise de cet état des choses requiert une analyse sociologique : un individu dominé quasi-totalement par un unique autre, son maître, pour une durée indéterminée et par le moyen d’une violence plus ou moins directe). 105 Selon Georg Jellinek, « le droit subjectif est la puissance de la volonté humaine reconnue et protégée par l'ordre juridique dirigée vers un bien ou un intérêt » ; cf. System der subjektiven öffentlichen Rechte, 2ème éd., J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1905, 366 p., p. 44. La doctrine allemande dominante conçoit souvent ainsi le droit subjectif : le « droit public subjectif est […] le pouvoir juridique conféré par le droit public à un individu d'exiger de l'État, en vue de poursuivre la satisfaction de ses propres intérêts, un comportement déterminé. » ; cf. Hartmut Maurer, Droit administratif allemand, trad. Michel Fromont, LGDJ, Paris, 1994, 421 p., p. 156.

312

éléments de l'état du droit. Tandis que le «droit objectif» se définit comme l'ensemble des normes

composant un système juridique, le «droit subjectif» s'entend de l'ensemble des droits et obligations

dont les individus disposent en tant que destinataire ou titulaire106. La distinction paraît clairement

contestable107 : le droit subjectif n'est pas extérieur au droit objectif – et donc non opposable à ce dernier

– puisque le droit objectif contient l'ensemble des normes dont les individus disposent. De plus, il

apparaît difficile de distinguer les « droits subjectifs » d'un individu d'autres droits dont il est

destinataire sans pour autant que la qualité de « droits subjectifs » leur soit attribuée. La distinction

entre « droit objectif » et « droit subjectif » présente néanmoins un certain intérêt, car un individu n'est

le plus souvent pas compétent pour se prévaloir de l'ensemble des normes du «droit objectif», mais

seulement de certaines d'entre elles qui constituent «ses droits subjectifs». En conséquence, nous

entendons ici par «droit subjectif au sens technique» un droit que l'individu est habilité à invoquer pour

enclencher une procédure juridictionnelle par voie d'action.

L'utilité d'une conception du «droit subjectif» découle aussi de l'état du droit positif. Certains systèmes

juridiques positifs prévoient en effet qu'un individu ne dispose d'un droit au recours que pour autant

qu'un «droit subjectif» lui soit en l'occurrence attribué. La doctrine et la jurisprudence allemandes

recourent ainsi beaucoup à une notion de « droit subjectif » lorsqu'il s'agit d'analyser l'article 19 al. 4

première phrase LF : « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d'un

recours juridictionnel ». Globalement, les contentieux juridictionnels de droit public allemand et

autrichien sont davantage orientés vers un «système de droits subjectifs» que le contentieux de droit

public français.

La concrétisation qu'opère le juge dépend de l'étendue des normes qu'il est habilité à appliquer dans le

cadre de telle ou telle procédure contentieuse. Or l'invocabilité des règles générales du droit

international ne se présente pas de la même manière à l'occasion d'un « contentieux objectif » (A) qu'à

l'occasion d'un « contentieux subjectif » (B).

106 Dans la doctrine, les «droits subjectifs» désignent tantôt l'ensemble des droits dont sont destinataires l'individu, tantôt les droits dont il est titulaire, c'est-à-dire ceux qu'il a le droit d'invoquer à titre principal devant une juridiction. Un tel aléa résulte de la difficulté de distinguer entre les authentiques «droits subjectifs» de l'individu et les autres droits dont il est destinataire, mais sans pour autant qu'ils soient « ses droits subjectifs ». De plus, la doctrine se heurte souvent au problème suivant : un droit est-il «subjectif» car il est invocable par le particulier ou, à l'inverse, un droit est-il invocable par le particulier car il s'agit d'un «droit subjectif» ? Les définitions classiques du «droit subjectif» n'éliminent pas ce problème (cf. notes précédentes). 107 Cf. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., pp. 170-194.

313

A. L'invocabilité des règles générales du droit international en tant que composantes du « droit

objectif en vigueur »

Le droit international n’oblige en principe pas les États à transformer les normes internationales en droit

interne. Les constitutions nationales disposent néanmoins de la validité interne de ces normes par

processus de transposition. En tant que composantes du «droit interne objectif en vigueur», rien

n'empêche que les normes internationales deviennent des normes de référence du juge dans le cadre

d'un «contentieux objectif». Lors d'un tel contentieux, le juge détient donc la compétence de procéder à

une évaluation de la situation qui lui est soumise en prenant en considération ces normes, et de les

concrétiser, et ce, peu importe le droit des requérants de les invoquer. Cela vaut dans le cadre de deux

schémas procéduraux distincts :

Les normes internationales peuvent faire partie des normes de référence du litige à titre principal

(1). Tel est le cas, entre autres, lorsque les requérants cherchent à obtenir l'annulation d'une norme issue

d'une procédure interne en raison de sa non-conformité supposée au droit international général (par

exemple, une réglementation militaire qui ne respecterait pas les normes coutumières du droit

international humanitaire) ou lorsque le juge relève lui-même d'office l'applicabilité d'une norme

internationale qui apparaît déterminante pour l'issue de l'affaire qui lui est soumise.

Les normes internationales peuvent servir de normes de référence dans le cadre d'un litige porté

devant le juge, non pas en tant que normes pertinentes pour statuer sur la demande formulée à titre

principal, mais afin de résoudre une «question incidente»108 (2).

1. Le contentieux à titre principal

Si la qualité de « composantes du droit objectif en vigueur » apparaît largement admise dans les

différents droit nationaux, l'invocabilité des règles générales du droit international à titre principal

dépend grandement des principes qui organisent chacun des contentieux. Or ceux-ci varient grandement

d'un État à l'autre et, à l'intérieur d'un même État, d'un ordre de juridiction à l'autre.

a. La question d'un caractère concret suffisant de la norme internationale en question en droit allemand

La Cour constitutionnelle fédérale, à l'occasion de l'affaire Philippinische Botschaft109 en date du 13

décembre 1977, énonce ce qui constituerait le principe : « A l'intérieur du territoire fédéral de la

République fédérale d'Allemagne, le droit procédural fédéral autorise les parties privées – comme l'État

108 La question incidente peut être posée tant dans le cadre d'un « contentieux subjectif » que d'un « contentieux objectif ». Par elle-même, elle est assimilable à un « contentieux objectif » en miniature étant donné son objet consiste à évaluer l'état du droit, et non à régler le litige en question. 109 BVerfGE 46, p. 342 ; 65 ILR p. 146 et svtes. (trad. anglaise, Philippine Embassy Law Account Case).

314

étranger – à invoquer les règles générales du droit international selon les mêmes modalités que pour

toute autre loi abstraite, mais il oblige aussi les juridictions, dans le cas où elles ne sont pas invoquées

par les parties, à les prendre en considération par leur propre initiative. » Cela ne fait toutefois pas

l'unanimité dans la doctrine :

i. La doctrine de l'exigence d'un caractère self-executing, sa critique

S'il est certain que, par l'article 25 LF, les règles générales du droit international deviennent une

« composante du droit objectif en vigueur dans la sphère de souveraineté de la République fédérale

d'Allemagne110 », une tendance doctrinale111 soutient que seules les normes internationales self-

executing112 présentent le caractère de normes applicables par les organes internes, et tout

particulièrement par les juridictions. Les normes self-executing se définissent comme celles qui

s'adressent directement aux particuliers en leur conférant des droits et obligations invocables devant un

juge interne. Et il en découle l'argument suivant : seules ces normes seraient aptes à développer des

effets juridiques internes, car les autres normes internationales – qui régissent par nature le domaine des

relations entre États – se montrent inadaptées à une application dans la sphère domestique.

Cette opinion, certes minoritaire, ne paraît toutefois pas résister à une analyse du phénomène de la

transformation, à travers laquelle les normes internationales deviennent des normes internes parmi les

autres. Par analogie, l’absence de caractère self-executing d'une norme proprement interne n’implique

pas qu’elle ne soit pas applicable en tant que telle, et notamment dans le cadre d'un contentieux objectif.

Par exemple, le principe d’État social de la Loi fondamentale (art. 20 al. 1 LF) n'est pas par lui-même

créateur de droits subjectifs invocables par le particulier, mais il n'en résulte aucunement son exclusion

des normes du « droit objectif » que le juge allemand est habilité à appliquer113. Une fois transformées

en droit interne, la normativité des règles générales du droit international n'apparaît pas tant spécifique ;

il peut en effet en découler des droits et obligations au bénéfice ou à la charge des particuliers, ainsi que

d’autres effets juridiques, et ce, de manière directe ou indirecte, en fonction de la sphère d'application

personnelle et matérielle de la norme en question. En général, mais cela dépend de la procédure en

question, l'applicabilité d'une norme, tant interne qu'internationale, ne dépend pas de ce qu'elle soit

suffisamment concrète pour que les particuliers se trouvent en mesure de l'invoquer.

110 BVerfGE 46, p. 342 : « [generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 GG, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts] Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».111 Cf. inter alia : Karl Josef Partsch, Die Anwendung des Völkerrechts im innerstaatlichen Recht, Überprüfung der Transformationslehre. Arbeiten der 1. Studienkommission der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht, C.F. Müller, Karlsruhe, 1964, 179 p., p. 22 ; Albert Bleckmann, Grundgesetz und Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1975, 407 p., p. 279 et svtes.112 A propos de l'«effet direct» des normes internationales, cf. plus généralement infra : « l'applicabilité directe du droit international ».113 Cf inter alia : BVerfGE 103, p. 332 ; BVerfGE 102, p. 254 ; BVerfGE 45, p. 376.Pour une analyse théorique des droits fondamentaux « sociaux » en droit interne, cf. Otto Pfersmann, « La classification des droits et la question des droits "sociaux" ou "droits-créances" », in : Louis Favoreu et al., op. cit. note 102, pp. 113-117.

315

De tout cela, il s'ensuit que les juridictions sont généralement tenues d'appliquer toutes les règles

générales du droit international, indépendamment de leur caractère self-executing, et donc que la norme

en question confère des droits ou des obligations à un particulier par elle-même, ou seulement

indirectement à la suite de concrétisations – compléments, normes d'application – produites au terme de

procédures internes. Le problème du caractère self-executing concerne seulement le contenu spécifique

de la norme en question, ainsi que négativement, lorsqu'il ne s'agit pas d'une norme self-executing, de sa

concrétisation afin d'assurer son respect114. En ce sens, la jurisprudence admet résolument l'applicabilité

des règles générales du droit international dépourvues de ce caractère. Il en va ainsi du principe pacta

sunt servanda, qui n'attribue aucun droit subjectif au particulier, ni en droit international, ni par

l'intermédiaire de l'article 25/2/2 LF, mais qui devient par sa transformation une composante du droit

objectif obligeant les organes internes (BVerfGE 46, p. 342 : obligation de prendre en considération un

traité international liant la République fédérale d'Allemagne sur le fondement de ce principe).

Le droit international contient de nombreuses normes d'un haut degré de généralité qui, en raison de

l’absence de concrétisations dans la sphère internationale même (normes complémentaires techniques

ou autres concrétisations les adaptant à une application dans la sphère interne), ne se transforment pas

en des normes invocables par les particuliers, étant donné qu'elles ne sont pas constitutives de droits

subjectifs. L'état leges imperfectae de tels principes du droit international, relativement fréquent, ne les

prive pas de leur qualité de normes de références que le juge interne doit prendre en considération, car

elles n'appartiennent pas moins au droit objectif en vigueur. Il se peut que leur invocabilité par les

particuliers soit limitée à l'occasion d'un contentieux qui s'ouvre de manière subjective, ce qui est

d'ailleurs de principe en droit allemand115, mais une obligation de les appliquer pèse sur les juridictions,

quelle que soit la forme du contentieux en cours (objectif ou subjectif).

Quand, d'un côté, doctrine et jurisprudence insistent sur la qualité de composante du droit interne des

règles générales du droit international, en vue d'infirmer l'opinion suivant laquelle ces normes n'ont pas

vocation à réglementer des relations internes, elles contredisent apparemment l'affirmation qu'elles

défendent pourtant d'un autre côté, à savoir qu'elles sont valides « en tant que telles, dans leur portée

respective de droit international116 ». La conception majoritaire pourrait en effet conduire à une

conclusion curieuse : comme le principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne

est sans doute en droit international le principe central en ce qui concerne la « portée » des normes

internationales dans le droit des États, son application « en tant que tel » dans la sphère du droit interne

114 Une norme self-executing peut aussi être concrétisée par d'autres normes de degré moins général (une décision d'une juridiction ou autre organe d'application du droit, etc.). La différence entre les normes self-executing et les normes dénuées de ce caractère réside dans ce que, dans le premier cas, le droit international crée des droits et obligations dont sont bénéficiaires et titulaires les simples particuliers, tandis que, dans le second cas, seules des concrétisations internes qui complémentent le droit international attribuent de tels droits et obligations.115 Cf.« les règles générales du droit international et les "droits publics subjectifs" ».116 BVerfGE 46, p. 342 : « [generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 GG, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts] als solche mit ihrer jeweiligen völkerrechtlichen Tragweite Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».

316

justifierait en définitive, par effet récursif, la neutralisation de l'obligation pesant sur les organes

internes d'appliquer le droit international (cf. infra, « L'application téléologique des règles générales du

droit international par les organes internes »).

ii. L'obligation pesant sur les juridictions d'appliquer toutes les règles générales du droit international,

quelle que soit leur vocation supposée

Le juge allemand, sur le fondement de l’article 25 LF combiné à l'article 20 al. 3 LF, doit appliquer

toutes les règles générales du droit international en tant que droit objectif, lors même que celles-ci ne

réglementent pas directement le cas particulier qui lui est soumis. L'obligation d'appliquer le droit

international s'étend à toutes ces normes, des normes universelles d'un haut degré d'abstraction

jusqu'aux normes les plus concrètes, parmi lesquelles figurent celles de caractère self-executing117.

Aussi, la Cour constitutionnelle fédérale se fonde sur un principe du droit international d'un haut degré

de généralité, en l'occurrence le principe d'égale souveraineté des États118, pour se prononcer en matière

d'ingérence119 ou d'autodétermination des peuples120. Et il en va de même en ce qui concerne le statut de

l’Allemagne dans la Communauté internationale en son ensemble121 ou dans l'ex-Communauté

Européenne122. A l'occasion d'une autre affaire, la Cour vérifie que la mise en place de systèmes porteurs

équipés d’armes atomiques ne transgresse pas le principe du droit international d'interdiction de

l’emploi de la force123. En toutes ces espèces, les principes que la Cour appliquent paraissent surtout

régir le domaine des relations internationales – et il ne s'agit certainement pas de normes self-executing.

Outre l'appartenance de l'ensemble des règles générales du droit international au « droit objectif en

vigueur », d'autres arguments, plus spéciaux, contribuent à justifier l'obligation pesant sur le juge

allemand de toutes les appliquer :

La doctrine a quelquefois attiré l'attention sur le principe général du droit international,

transformé en droit interne par l'article 25 LF, qui oblige l'État à se comporter conformément au droit

international, y compris dans son comportement factuel124. Or, l'État peut, par son comportement

117 Les normes self-executing se situent en réalité à un niveau de généralité assez élevé : elles règlementent une pluralité de situations actuelles et potentielles, non pas un cas particulier. De plus, leur contenu matériel est souvent large, à l'exemple de la prohibition de la torture ou de l'esclavage. Toutefois, elles peuvent être considérées comme concrètes par comparaison aux principes du droit international parce qu'elles sont suffisamment complètes pour créer des droits et obligations invocables par le particulier. 118 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (402), affaire Philippinische Botschaft en date du 13 décembre 1977.119 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (400) ; BVerfGE 64, p. 1 sqs. (43), affaire National Iranian Oil Company en date du 12 avril 1983.120 BVerfGE 77, p. 137 sqs. (161), affaire Teso en date du 21 octobre 1987.121 BVerfGE 36, p. 1, affaire Grundlagenvertrag en date du 19 juin 1973 ; BVerfGE 37, p. 57 sqs. (64), affaire Haftebefehl in Berlin en date du 27 mars 1974; BVerfGE 77, p. 137 sqs. (153) ; BVerfGE 82, p. 316 sqs. (320), affaire Beitrittsbedingte Grundgestezänderungen en date du 18 septembre 1990 ; BVerfGE 83, p. 162, affaire Einigungsvertrag (Traité d'Unification) en date du 11 décembre 1990 ; BVerfGE 84, p. 90 sqs. (113), affaire Bodenreform I en date du 23 avril 1991 ; BVerfGE 84, p. 133, affaire Warteschleife en date du 24 avril 1991.122 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (242).123 BVerfGE 66, p. 39 sqs. (64) ; BVerfGE 77, p. 170 sqs. (232) concernant la conformité des moyens de guerre chimiques au droit international. 124 C.P.I.J., arrêt, 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Allemagne c. Pologne,

317

factuel, tant violer une norme internationale particulière (par exemple, une coutume particulière

délimitant le territoire maritime entre deux États riverains) qu'un principe d'un haut degré de généralité

(par exemple, le principe pacta sunt servanda). Il s'ensuit qu'il incombe au juge d'examiner la

possibilité d'une atteinte factuelle à une règle générale du droit international, et ce, quel que soit son

degré de généralité.

Toute règle générale du droit international peut faire l’objet d'une question préjudicielle devant

la Cour constitutionnelle fédérale (art. 100 al. 2 LF). La réduction des effets juridiques de l'article 25

phrase 1 LF à travers l'exclusion d'une partie des règles générales du droit international consiste non

seulement en une violation de l'article 25 LF, mais aussi en un manquement à l'obligation procédurale

pesant sur les juridictions imposée par l'article 100 al. 2 LF.

En droit allemand, la question de la compétence du juge pour concrétiser les règles générales du droit

international dans le cadre d'un contentieux objectif concerne surtout le contenu matériel de la norme

qu'il pourrait être amené à appliquer ; en droit autrichien, cette question se pose déjà au stade de la

procédure contentieuse, à savoir si les règles qui organisent chacune des procédures juridictionnelles

nationales autorisent l'organe « juge » à appliquer le droit international général.

b. La concrétisation des règles généralement reconnues du droit international par les juridictions limitée

par l'étendue de leurs compétences en droit autrichien

En droit autrichien, à côté des voies de recours de principe (α), l'article 145 B-VG annonce une

procédure spéciale en matière internationale (β). L'un comme l'autre n'ouvrent que peu de possibilités

de concrétisation des règles généralement reconnues du droit international par les juridictions.

α. Une organisation des voies de recours de principe ne favorisant pas la concrétisation du droit

international général par les juridictions

La doctrine et la jurisprudence considèrent unanimement les règles généralement reconnues du droit

international comme une composante du «droit objectif»125, mais cela n'implique pas nécessairement

qu'elles soient invocables devant le juge interne. Pour Rudolf A. Métall, en 1928, l'invocabilité du droit

international général devant la Cour constitutionnelle contre une loi fédérale est sans doute ouverte

pour inconstitutionnalité de la loi litigieuse, mais principalement par la voie de l'article 140 B-VG126.

Rec. série A, n°7, pp. 4-42, spécialement p. 19 (les normes internes sont de « simples faits ») ; CPJI, arrêt, 13 septembre 1928, Usine de Chorzow,, Rec. série A, n°17 (« fait internationalement illicite ») ; C.I.J., arrêt, 9 avril 1949, Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne c. Albanie), Rec. 1949, p. 4 (« fait internationalement illicite »).125 Edwin Loebenstein, op. cit. note 24, spécialement p. 151.126 Le Professeur Herbert Haller remarque d'abord que l'invocabilité des règles généralement reconnues du droit international en tant que normes de référence du contrôle juridictionnel de l'article 140 B-VG semble être conditionnée par leur rang constitutionnel, ce qui n'est admis ni par une partie de la doctrine, ni par la jurisprudence (VfSlg 2690/1954) en raison de l'indétermination de l'article 9 B-VG. Toutefois, l'auteur ajoute qu'une même solution est obtenue si une violation d'une règle généralement reconnue du droit international est considérée comme une violation de

318

Cette procédure autorise un gouvernement de Land à former une telle demande, mais en aucun cas les

simples particuliers, ainsi privés d'un recours leur permettant de faire valoir le droit international

général dans le cadre d'un contentieux objectif, « car un recours populaire n'est pas prévu et l'ordre

juridique autrichien est dépourvu d'un procureur (Staatsanwalt) ayant pour mission la protection de la

Constitution »127.

Outre l'article 140 B-VG, il est souvent remarqué que l'article 139 alinéa 1 ouvre également la

possibilité de se prévaloir des règles généralement reconnues du droit international, cette fois-ci contre

les règlements des autorités de la Fédération et des Länder128. Si les autorités publiques disposent

largement de ce recours devant la Cour constitutionnelle, il en va autrement des particuliers qui doivent

se trouver « directement lésé[s] dans [leurs] droits ». Les particuliers ne sont ainsi généralement que

titulaires des voies de recours habituelles devant les juridictions ordinaires, l'ouverture du recours

demeurant restreinte, étant donné que les règles généralement reconnues du droit international ne

constituent là encore pas avec certitude des droits subjectifs conditionnant la recevabilité de la requête

(art. 131 alinéa 1 B-VG en ce qui concerne la Cour administrative129). En outre, et peut-être surtout, car

cette limitation ne concerne pas que l'ouverture du recours, la Constitution attribue une compétence très

circonscrite aux juridictions ordinaires en matière de collision de normes. L'article 89 al. 1 B-VG

dispose en effet que : « Sauf disposition contraire du présent article, les tribunaux n'examinent pas la

validité des lois, règlements et traités internationaux promulgués en bonne et due forme ». Aussi, la

compétence de la Cour administrative pour connaître des recours contre les décisions d'autorités

administratives est même parfois contestée : l'article 145 B-VG, combiné à l'article 133 B-VG130,

attribuerait un monopole à la Cour constitutionnelle en matière de protection du droit international131 132.

l'article 9 B-VG ; elles seraient ainsi « indirectement du contenu constitutionnel et dès lors composantes des normes de référence du contrôle des lois ». Cf. Herbert Haller; op. cit. note 65, spécialement pp.137-141.127 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 62, spécialement pp. 180-181. 128 Cf. inter alia : Josef L. Kunz, op. cit. note 62, p. 319 ; Gustav Adolf Walz, « Das Verhältnis von Völkerrecht und staatlichem Recht nach nationalsozialistischer Rechtsauffassung », Zeitschrift für Völkerrecht VIII, 1934, pp. 145-154, spécialement p. 172 ; Ernst C. Hellbling, op. cit. note 61, spécialement p. 94 ; Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », 50 ZÖR, 1996, pp. 161-193, spécialement p. 181.129 Cf. la décision de la Cour administrative du 8 octobre 1997 (97/21/0374).130 L'article 133 B-VG dispose qu'« échappent à la compétence de la Cour administrative : 1. les affaires qui sont de la compétence de la Cour constitutionnelle ».131 Adolf Merkl, « Die Verfassungsgerichtsbarkeit in Österreich », Verwaltungsarchiv, vol. 38, 1933, p. 219 et svtes, spécialement p. 221. 132 Le Code de procédure pénale (Strafprozeßordnung) prévoit la compétence de la Cour suprême pour se prononcer sur le renouvellement de la procédure pénale dans les cas où une violation de la Convention européenne des droits de l'homme a été constatée par la Cour européenne des droits de l'homme (§§363a, 363b et 363c StPO). Cette compétence de la Cour suprême est contestée devant la Cour constitutionnelle : selon le requérant, elle porte atteinte à la compétence exclusive de la Cour constitutionnelle en matière de violations du droit international découlant de l'article 145 B-VG. Toutefois, la Cour constitutionnelle considère que : « Entgegen der Auffassung des Antragstellers wird der Verfassungsgerichtshof durch Art145 B-VG nämlich nicht zur Wahrnehmung jedweder Verletzung des Völkerrechts schlechthin berufen. Wie die Entstehungsgeschichte dieser Vorschrift [...] zeigt, liegt ihr die Intention zugrunde, den Verfassungsgerichtshof als Spezialstrafgericht zur Ahndung von völkerrechtswidrigen Handlungen einzelner zu berufen

319

β. Les éventuels effets juridiques de l'article 145 B-VG en l'absence de la loi fédérale spéciale supposée

le concrétiser

« La Cour constitutionnelle connaît des violations du droit international public, conformément aux

dispositions d'une loi fédérale spéciale ». La loi fédérale spéciale supposée concrétiser l'article 145 B-

VG n'a jamais été produite. En son absence, deux indéterminations marquent l'article 145 B-VG :

La première indétermination porte sur la matière (pénale ou non). La doctrine majoritaire réduit

souvent la procédure de l'alinéa 145 B-VG à la seule matière pénale 133 134 (« delicta juris gentum »135),

car telle semble avoir été l'intention du Constituant après les violations massives du droit international

humanitaire commises pendant la Première Guerre mondiale136. Néanmoins, le terme « violation »

(« Verletzung », parfois traduit par « manquement ») présent dans la formulation de l'article 145 B-VG

apparaît plus ouvert137. Dès 1922, soit peu après la rédaction de la Loi constitutionnelle fédérale, Josef

L. Kunz remarque que rien n'exclut clairement un domaine d'applicabilité de l'article 145 B-VG en

dehors de la matière pénale, c'est-à-dire étendu à l'ensemble du droit international138. Toutes sortes de

[...]. Eine solche Kompetenz ist dem OGH mit den §§363a, 363b und 363c StPO aber nicht verliehen worden, weshalb ein Verstoß dieser Vorschriften gegen Art145 B-VG nicht vorliegt » ; cf. décision B2468/97 du 16 octobre 1997.133 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement p. 280 ; Hans Kelsen, Österreichisches Staatsrecht – ein Grundriß entwicklungsgeschichtlich dargestellt, Scienta Verlag, Tübingen 1923, 256 p., p. 321 ; Georg Froehlich, Die Bundesverfassung der Republik Österreich nach dem Stand vom 1. August 1930, Manz, Vienne, 1930, 125 p., spécialement p. 324 ; Heinz Peter Rill, op. cit. note 63, spécialement p. 449 ; Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ÖZÖR 1970, pp. 341-372, spécialement p. 346. Pour une analyse détaillée : Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl 91, 1969, pp. 257-270. Le Professeur Bruno Simma remarque que la lecture de l'article 145 B-VG en tant que « compétence pénale spéciale de la Cour constitutionnelle » (« Sonderstrafgerichtsbarkeit ») est surtout partagée par les auteurs s'étant directement investis dans le travail de la sous-commission de la Commission constitutionnelle qui a élaboré la rédaction définitive de la disposition (spécialement p. 258).134 Une indétermination secondaire concerne, au sein de la lecture pénale, les individus ou les organes susceptibles d'être poursuivis sur le fondement de l'article 145 B-VG. Les opinions sur la question ne se recouvrent pas : pour Josef L. Kunz, l'article 9 B-VG exclut que les États étrangers soient incriminés par la Cour constitutionnelle dans le cadre de la procédure de l'article 145 B-VG, en raison du principe d'immunité de juridiction dont ils sont bénéficiaires (cf. op. cit. note 62, spécialement p. 322) ; pour Charles Eisenmann, l'article 145 B-VG vise avant tout les « organes exécutifs suprêmes » internes (nationaux), et ce, parce que l'article 145 B-VG est inclus dans le titre relatif à la « responsabilité juridique de tous les organes suprêmes […] pour les violations du droit dont ils pourraient se rendre coupables dans l'exercice de leur fonction » (cf. La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche, LGDJ, Paris, 1928, 363 p., spécialement p. 276 et svtes). Une autre difficulté souvent soulevée, surtout par la doctrine dans la période postérieure à la Première guerre mondiale, concerne la qualité des simples particuliers et des organes internes pour êtres destinataires d'obligations internationales, alors même qu'ils ne sont pas sujets de droit international. Pour Ignaz Seidl-Hohenveldern, la fonction de juger les simples individus semble de plus incompatible avec les fonctions habituellement confiées à la Cour constitutionnelle ; cf. op. cit. note 24, spécialement p. 475.135 Parmi les infractions pénales internationales susceptibles d'être poursuivies sur la base de l'article 145 B-VG, la doctrine autrichienne des années 1920 mentionne déjà : l'offense à un drapeau étranger, la violation du territoire d'un État étranger, le non-respect d'un sauf-conduit, la transgression de la neutralité, la rupture abusive d'un cessez-le-feu, les actes de guerre de soldats en violation du droit international ainsi que, à destination des simples particuliers, la piraterie et le trafic d'esclaves.136 Herbert Kier analyse l'article 145 B-VG comme manifestant une « idéologie de temps révolutionnaire », cf. Der österreichische Verfassungsgerichtshof im Rahmen der Verfassungspolitik: eine verfassungspolitische Untersuchung, Leuschner & Lubensky, 1928, 42 p., spécialement p. 26.137 Le terme « délit » (« Delikt ») - désignant plus clairement la matière pénale – est initialement proposé par le projet dit de Linz (art. 73 al. 4), mais est remplacé par « violation » par la sous-commission de la Commission constitutionnelle en sa 11ème séance du 25 août 1920. 138 Josef L. Kunz, op. cit. note 62, spécialement pp. 321-324 (les violations du droit international visées par l'article 145 B-VG sont aussi : « Übertretungen jener österreichischen Normen, welche erlassen sind, um völkerrechtlichen

320

manquements au droit international sont ainsi potentiellement sanctionnables, qu'ils soient le fait des

simples particuliers ou des organes de l'État (législateur, autorités administratives, etc.). Et la Cour

constitutionnelle détiendrait ainsi de manière globale une compétence de « garante du droit

international »139.

La seconde indétermination concerne la positivité de la procédure. L'applicabilité de la procédure de

l'article 145 B-VG est-elle conditionnée par la loi spéciale constitutionnellement prévue ? Deux

doctrines s'opposent sur ce point : la Constitution délimite strictement la compétence contentieuse de la

Cour constitutionnelle, de sorte que la procédure spéciale de l'article 145 B-VG n'est aucunement

applicable en l'absence de la loi spéciale constitutionnellement prévue140, et donc ne développe d'effets

ni d'une manière ni d'une autre ; la production de la loi spéciale en question consiste en une obligation

adressée législateur, mais non en une condition de l'applicabilité de l'article 145 B-VG, d'où s'ensuit

que, dans l'attente de cette production, la Cour constitutionnelle disposent déjà de certaines

compétences sur le fondement de l'article 145 B-VG141.

Curieusement, c'est peut-être davantage en ce qui concerne les sanctions autorisées qu'en ce qui

concerne les modalités procédurales que l'absence de production de la loi spéciale neutralise la mise en

œuvre de l'article 145 B-VG. En effet, la juridiction constitutionnelle ne dispose ni d'une compétence

pour prononcer des sanctions pénales en l'absence d'un texte clair (principe « nullum crimen sine lege »

en matière pénale142), ni d'une compétence pour opérer un contrôle de conformité des normes internes

par rapport aux obligations internationales de l'État dans le cadre de l'article 145 B-VG, étant donné

qu'une habilitation de cette sorte doit être expressément prévue par une disposition constitutionnelle

formelle143. En l'état actuel, la disposition constitutionnelle de l'art. 145 B-VG peut tout de même se

Verpflichtungen Österreich nachzukommen oder jener österreichischen Normen, die irgendwie völkerrechtlich von Belang sind, bei deren Erlassung sozusagen völkerrechtliche Erwägungen maßgebend waren, motivierend wirkten »). L'auteur est néanmoins globalement partisan d'une lecture pénale de l'article 145 B-VG et cite, pour comparaison, les dispositions clairement pénales de l'article I section 8 de la Constitution des États-Unis (« The Congress shall have Power […] to define and punish Piracies and Felonies committed on the high Seas, and Offences against the Law of Nations ») et de l'article 112 (2) de la Constitution suisse du 29 mai 1874 : « Le Tribunal fédéral, assisté du jury, lequel statue sur les faits, connaît en matière pénale : […] 2. Des crimes et des délits contre le droit des gens. »).139 Alexander Balthasar, « Art.145 B-VG – Die Verdrängte Kompetenz », ZÖR, vol. 64, 2009, pp. 23-51 (avec une argumentation détaillée pour une lecture ouverte de l'article 145 B-VG). Cf. dans des publications d'ordre plus général : Adolf Merkl, op. cit. note 131, spécialement p. 221 ; Ludwig Adamovich, Grundriss des österreichischen Verfassungsrechtes, Springer, Vienne, 1947, 379 p., spécialement p. 44 ; Felix Ermacora, Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p., spécialement p. 350 et svtes (la Cour constitutionnelle est «une juridiction de protection du droit international») ; René Marcic, Verfassung und Verfassungsgericht, Springer, Vienne, 1963, 212 p., p. 107 (concept de «Völkerrechtsstaat», c'est-à-dire d'«État de droit international»).Cf. aussi, avec une argumentation contra : Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement pp. 260-263. L'auteur soutient que le constituant a délégué au simple législateur la concrétisation de l'article 145 B-VG, et ce, parce que cette disposition est seulement à finalité pénale, et non d'ordre constitutionnel (p. 264). Cf. aussi l'opinion de la Cour constitutionnelle exprimée dans sa décision du 16 octobre 1997 (Slg. 14990/1997).140 La Cour constitutionnelle a affirmé à plusieurs reprises son incompétence pour se substituer au législateur afin d'accomplir l'article 145 B-VG ; cf. Slg. 2586/1953, 2880/1954, 5378/1966, 11874/1988, 12615/1991, 13130/1992, 14050/1995, 14990/1997.141 En ce sens, spécialement : Alexander Balthasar, op. cit. note 139.142 Cf. Josef L. Kunz, op. cit. note 62, spécialement pp. 321-324.143 Cf. Felix Ermacora, Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p., p. 84.

321

concevoir comme une obligation pesant sur la Cour constitutionnelle de sanctionner, ainsi

qu'éventuellement d'éviter, les manquements au droit international dans le cadre des voies de recours

déjà ouvertes. Le terme « connaître » (« erkennen ») dans la formulation de l'article 145 B-VG paraît

suffisamment indéterminé pour laisser cette possibilité ouverte.

Les contentieux juridictionnels français présentent, quant à eux, une invocabilité généralement plus

ouverte, mais qui ne débouche pas nécessairement sur la mise en œuvre du droit international général

par la juridiction saisie.

c. Une large invocabilité n'impliquant pas nécessairement la concrétisation par les juridictions

françaises

Les normes internationales non conventionnelles sont généralement – sous réserve de la forme de

contentieux – invocables devant les juridictions en tant que « droit objectif » (international ou

interne144), et ce, quel que soit leur effet – direct ou indirect145.

Cette large invocabilité n'implique pas que les juridictions les applique souvent, à titre principal, dans la

pratique. En effet, les juridictions ordinaires ne bénéficient pas de la compétence de les faire prévaloir

sur des normes avec lesquelles elles entrent en collision, d'où s'ensuit que leur application est souvent

écartée. Ceci explique qu'il est rare que le juge administratif français, dont la compétence contentieuse

principale est de type objectif146, contrôle directement la conformité de normes internes par rapport au

droit international général. Potentiellement, ces normes s'appliqueraient surtout lorsqu'une

«interprétation conforme147» peut s'opérer, c'est-à-dire dans la situation où, tout en étant en l'espèce

pertinentes, elles sont compatibles avec les normes qu'il appartient au juge d'appliquer prioritairement

(constitution, lois, traités internationaux). Il en résulte que rien n'empêche qu'elles prennent place parmi

les normes de référence supplémentaires du juge administratif lorsqu'il procède à un contrôle de

conformité des actes administratifs.

La situation du droit international général dans le cadre des contentieux des juridictions ordinaires se

résume ainsi : invocabilité ouverte, applicabilité réduite. Il en va de même dans le cadre du contentieux

144 Quel que soit le mode d'applicabilité en l'espèce. Dans le cadre de l'application immédiate du droit international, les normes internationales sont une composante objective du droit international (mode d'applicabilité moniste au sens technique pratiqué par la Cour de cassation et le Conseil d'État) ; dans le cadre du mode d'applicabilité médian, elles sont une composante du droit objectif français (Conseil constitutionnel).145 Dans l’affaire G.I.S.T.I., le Conseil d’État se prononce sur la distinction entre «effet direct» et «invocabilité» du traité explicitement proposée par le Commissaire du gouvernement, mais refusée par la juridiction administrative (C.E., Sect., 23 avril 1997, G.I.S.T.I., RFDA 1998, pp. 585-596). Cf. Ronny Abraham, « La notion d’effet direct des traités internationaux devant le Conseil d’État », Dalloz, 1998, p. 15 ; Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP 1998, pp. 203-244.146 Le recours pour excès de pouvoir s'analyse comme un contentieux de type objectif : le recours est en effet très ouvert aux particuliers (entre autres, et raison d'une condition d'intérêt pour agir appréciée très largement) et sa finalité consiste à contrôler la légalité d'un acte administratif par rapport aux normes qui lui sont supérieures.147 A propos de l'«interprétation conforme», cf. infra. « les modalités de l'application téléologique du droit international ».

322

du juge constitutionnel, mais pour des raisons plus conjoncturelles. Car, si le Conseil constitutionnel

admet désormais l'invocabilité du droit international non conventionnel, il demeure hésitant pour

exercer un contrôle de conformité a priori de la loi par rapport à des normes externes, et ce, d'autant

plus que ce contrôle ne se justifie que de manière indirecte, c'est-à-dire à travers l'alinéa 14 . Son corpus

jurisprudentiel relatif aux règles du droit public international n'apparaît en l'état que peu développé.

Peut-être, dans le futur, l'instauration par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 d'un

contentieux constitutionnel a posteriori – appelé la « question prioritaire de constitutionnalité » –

pourrait conduire à la création d'une obligation pesant sur les juridictions ordinaires d'exercer un

contrôle des lois par rapport au droit international général148. En effet, le juge constitutionnel, qui se

trouve uniquement pourvu d'une compétence d'attribution pour contrôler la conformité des lois par

rapport aux normes de la constitution formelle, pourrait déléguer aux juridictions ordinaires le contrôle

de la conformité des lois par rapport aux règles du droit public international elles-mêmes. L'alinéa 14,

qui semble ouvert à cette possibilité, constituerait le fondement de cette extension de la compétence du

juge ordinaire.

Mis à part en droit allemand, la compétence des juridictions d'appliquer le droit international général à

titre principal paraît étroitement délimitée, et ce, par un moyen ou un autre, que ce soit par l'ouverture

du recours ou par l'étendue de leur habilitation pour opérer un contrôle de conformité. Il en va

autrement lorsqu'elles concrétisent le droit international général par voie incidente.

2. La question incidente149

Le juge interne peut être amené à se prononcer sur une question incidente dont dépend l'issue du litige

au principal en question. Une telle question peut porter sur le droit international coutumier, en tant que

celui-ci détermine souvent des situations juridiques particulières pertinentes en l'espèce qui lui est

soumise. Par exemple, afin de résoudre le litige au principal, le juge interne opère une qualification

juridique en vérifiant l'existence d'un État ou d'une organisation internationale, en identifiant quels sont

les droits d'un État donné sur une portion de territoire, en examinant une situation de succession d'États,

en définissant la nature d'un conflit (s'il s'agit d'un conflit armé international, d'un conflit armé non

international ou de simples troubles internes), ou encore la licéité internationale d'un acte étranger150. A

148 Cf. infra « L'étendue de l'obligation des organes internes de respecter les décisions du juge constitutionnel ».149 La thèse de Madame Simonetta Stirling-Zanda est largement basée sur l'analyse de l'application du droit international non conventionnel à titre incident ; cf. L'application judiciaire du droit international coutumier : étude comparée de la pratique européenne, Schulthess, Zurich, 2000, 326 p., spécialement pp. 13-37. En droit allemand, cf. l'ouvrage spécialisé sur la question : Christoph Engel, Völkerrecht als Tatbestandsmerkmal deutscher Normen, Duncker & Humblot, Berlin, 1989, 361 p.150 Prosper Weil développe l'analyse suivante : « Le problème ici évoqué suppose, en premier lieu, que surgisse devant

323

moins d'une obligation procédurale spéciale, la solution à la question incidente n'est pas une norme ;

elle consiste dans l'identification par le juge d'une partie du droit applicable au litige151. La

concrétisation du droit international par le biais des questions incidentes se produit de manière plus ou

moins directe. Par exemple, dans le cas d'un conflit de normes entre deux traités internationaux valides

en droit interne applicables à un même cas, mais contraires152, le juge interne décide du traité applicable

à l'espèce en se fondant sur les principes du droit international (pacta sunt servanda, lex posterior, etc.).

Autre exemple : l'établissement d'un «fait international153», telles les frontières de l'État, est souvent

suivi de conséquences juridiques. Lorsque le juge interne constate une violation des frontières par un

particulier ou un organe interne, il concrétise le droit international en décidant que ce comportement

doit cesser, au motif que la sphère de compétence de l'État n'est pas respectée154. Le droit international

général détermine ainsi le contenu de normes internes produites par le juge interne.

le juge national la question de la conformité au droit international de l'acte d'un État étranger. Peu importe la nature juridique de cet acte : Constitution, loi, acte de l'Exécutif; il suffit qu'il émane d'un État étranger. […]. Il s'agit d'une question de fond relative à l'application d'un acte étranger qui commande la solution d'un litige sur lequel le juge national s'est préalablement reconnu compétent pour statuer, et non pas d'une question de recevabilité ou de compétence. La licéité internationale de l'acte étranger ne fait donc pas l'objet direct de l'action judiciaire mais constitue l'un des points dont la solution du litige va dépendre : la question posée s'analyse, en d'autres termes, comme une question incidente »; cf. « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52, p. 16. 151 Lors d'un litige au principal, objet du procès (voie d’action), une question incidente peut être soulevée, soit par le requérant (par voie d’exception), soit par le juge lui-même. Ou bien le juge est compétent (cas de la «question préalable»), ou bien le juge n'est pas compétent pour cela et va devoir surseoir à statuer et saisir l'autorité compétente (juridictionnelle ou non juridictionnelle) pour répondre à cette question incidente et attendre sa réponse pour reprendre le procès (cas de la «question préjudicielle»).La force juridique de la solution à la question juridique dépend des principes du contentieux juridictionnel en question. Elle peut être un simple motif ou une composante du dispositif de la décision. Dans le cas exceptionnel de la question préjudicielle, l'autorité saisie prend une décision pourvue d'une force obligatoire (cf. Clovis Callet, « La fonction juridictionnelle à l'épreuve de la question préjudicielle », Jurisdoctoria, n°6, 2001, pp. 17-43). Dans le cas de la question préalable, la solution du juge ne fait normalement que partie des motifs de la décision, non du dispositif, sauf dans le cas où la procédure par voie d'exception éventuellement enclenchée par le requérant doit aboutir à une décision du juge pourvue d'une force juridique (par exemple, la procédure d'« exception d'illégalité » devant le juge administratif français).152 Une norme dite « contraire » à une autre norme est une norme portant sur les mêmes actions et exigeant un résultat différent. Selon Hans Kelsen, un « conflit entre deux normes advient si par l'obéissance ou l'application d'une de ces normes, l'autre est nécessairement ou éventuellement violée. » ; cf. Hans Kelsen, « Derogation », in: Ralph A. Newman (éd.), Essays in Jurisprudence in Honor of Roscoe Pound, Greenwood, Westport (Conn.), 1962, 670 p., pp. 339-361, reproduit in: Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule, tome 2, Europa-Verlag, Vienne/Salzbourg 1968, 2409 p., pp. 1429-1442, p. 1438.153 La distinction traditionnelle entre les «faits internationaux» et les «normes» est très ambigüe et pose de sérieuses difficultés. Par exemple, la « frontière » peut s'analyser comme une norme, c'est-à-dire la délimitation obligatoire d'un espace sur lequel s'exerce une compétence. La frontière peut aussi s'analyser comme un simple fait (une barrière marquant la frontière) et ce fait ne sera juridiquement pertinent (un « fait juridique ») que si des conséquences juridiques lui sont attachées (par exemple, l'interdiction de franchir la barrière sans permission des autorités). De même, l'annexion d'un territoire peut s'analyser comme une norme : le droit pour un État d'exercer sa compétence sur une portion de terre acquise. L'annexion peut aussi s'analyser comme un fait : l'occupation légale ou illégale d'un espace par des forces armées.154 Cet exemple vaut aussi en droit de l'Union européenne, par exemple dans le domaine du droit maritime :

- à propos de la légalité d'un réglementant communautaire réglementant indirectement certains comportements en haute mer, cf. CJCE, 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C-286/90, Rec. p. I-6019 ;

- à propos de l'extension de la mer territoriale autorisée par le droit international général et sa mise en oeuvre par le Royaume-Uni par le Territorial Sea Act de 1987, cf. CJCE, 9 juillet 1991, Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, C-146/89, Rec. p. I-03533 :

324

L'application incidente du droit international général par les juridictions internes constitue une pratique

ancienne, qui trouve ses origines bien avant l'introduction des dispositions constitutionnelles relatives à

sa transformation en droit interne. Désormais, elle se fonde tantôt sur un principe du droit international

transformé en droit interne, tantôt immédiatement sur le droit international. Les applications du droit

international général à titre incident sont très souvent tacites, le juge interne ne faisant pas

explicitement référence à la norme internationale en question155.

Les questions incidentes couvrent un large domaine matériel. Et le litige au principal qui suppose une

question incidente pourra entre autres porter sur : l'immunité d'une entité qui invoque sa personnalité

internationale en vue de se soustraire à la compétence des juridictions de l'État du for156, la validité

d'une nationalité, la validité d'un traité passé par l'État, la validité d'un contrat ou d'un titre de propriété

(par exemple, dans les cas d'une nationalisation internationalement illicite 157), ou encore la permission

des travailleurs de la mer d'exercer leur activité dans une zone maritime donnée. Plus précisément,

certaines matières (a) supposent souvent la résolution d'une question à titre incident, celles-ci ayant

surtout pour objet certaines normes du droit international (b) :

a. Les matières supposant la résolution d'une question à titre incident

« Dans quels domaines matériels peut être soulevée une question incidente relative au droit

international général ? »

Comme le droit international n'a pas de sphère de compétence matérielle limitée158, une question

incidente pourra être soulevée en toutes matières. Néanmoins, dans la pratique, les organes internes

d'application du droit se réfèrent surtout à certaines normes du droit international général, non

exhaustivement :

i. La validité des normes écrites du droit international159

En matière de traités internationaux, les organes internes d'application du droit se réfèrent au droit

155 La description de la jurisprudence administrative française par André Gervais en date de 1961 le souligne : le juge administratif de l'époque ne se réfère alors en aucun cas aux normes internationales coutumières, ce qui n'empêche pas que ses décisions apparaissent au final souvent conformes au droit international général ; cf. « Constatations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », AFDI, 1965, pp. 13-39, spécialement p. 21 et svtes.156 L'État du for est celui dont la juridiction est saisie à propos du cas d'espèce en question.157 Dans une littérature abondante, cf. notamment : Jan H. W. Verzijl, « The Relevance of Public and Private International Law Respectively for the Solution of Problems Arising from the Nationalization of Enterprises », ZaöRV, 1958, pp. 531-550 ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, Internationales Konfiskations- und Enteignungsrecht, Walter de Gruyter / J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Berlin/Tübingen, 1952, 211 p. ; Christopher Staker, « Public International Law and the Lex Situs Rule in Property Conflicts and Foreign Expropriations », BYIL, vol. 58, 1987, pp. 151-252.158 Cf. Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp. 290-301.159 Cf. généralement : Benedetto Conforti, Angelo Labella « Invalidity and Termination of Treaties: The Role of National Courts », EJIL, vol. 1, 1990, pp. 44–66.

325

international général pour vérifier leur validité ainsi que leurs modalités d'application160 161 (sanctions

dans le cas de violations des obligations conventionnelles, condition de réciprocité, conflit avec d'autres

normes conventionnelles162, applicabilité directe du traité international...). Dans les cas où l'application

d'un traité international liant l'État du for et un État étranger est demandée ou contestée devant une

juridiction, le juge doit éventuellement préalablement se prononcer sur la succession d'État 163, sur

l'extinction ou la suspension de l'applicabilité du traité en raison de sa violation par une des parties164 ou

du fait d'un changement fondamental de circonstances (clausula rebus sic stantibus) ou encore du fait

de la guerre165, sur l'exclusion de la réserve de réciprocité pour les traités relatifs aux droits de l'homme.

160 Plus généralement à propos de la question de l'applicabilité des principes internationaux réglementant le droit conventionnel en droit interne, cf. infra : « Les principes généraux du droit international déterminant la validité et les modalités d'application du droit international conventionnel ».161 De telles questions incidentes dans le domaine de la validité et des modalités d'application des traités internationaux existent non seulement dans le droit des États, mais aussi en droit de l'Union européenne. Selon la Cour de justice : « les règles du droit coutumier international portant sur la cessation et la suspension des relations conventionnelles en raison d'un changement fondamental de circonstances lient les institutions de la Communauté et font partie de l'ordre juridique communautaire. », ; cf. C.J.C.E., 16 juin 1998, Racke GmbH & Co, C-162/96, Rec. p. I-3655, §. 46.162 Par exemple, à l'occasion de l'affaire Cucicea-Lamblot, le Conseil d'État français a recours à des principes du droit international coutumier pour résoudre un conflit de normes entre deux traités internationaux qui en leur contenu – matériellement – sont contraires (CE, 25 octobre 2000, AJDA, 2001, p. 284, concl. Christine Maugüe). Le Commissaire du gouvernement Christine Maugüe soutient que : « dans le cadre de concours de plusieurs engagements internationaux, il y a lieu d’en définir les modalités d’application respectives conformément à leurs stipulations et en fonction des principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales. »163 A propos de la réunification allemande et de l'application du droit de la succession d'États aux traités internationaux liant la R.D.A., cf. Matthias Herdegen, « Völkerrechtliche Verträge der DDR », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 214, pp. 629-651.A propos des engagements conventionnels liant la République d'Autriche après la Première guerre mondiale, cf. Alfred Verdross, « Gelten die zwischen Österreich-Ungarn und Deutschland abgeschlossenen Staatsverträge weiter im Verhältnis zwischen Deutschland und der Republik Österreich ? », Deutsche Juristenzeitung, vol. 25, 1920, p. 601 et svtes. Après la Seconde guerre mondiale, les décisions des juridictions internes des différents États ne vont pas toujours dans le même sens : juridictions françaises (continuité d'États avec l'Autriche d'avant l'annexion), cf. Tribunal de Commerce de la Seine, 12 novembre 1954, Heller contre La soie de Paris, 1955, p. 166, note Jean-Baptiste Sialelli ; juridictions autrichiennes (solution de discontinuité), cf. Cour administrative, 16 février 1955, Amtliche Sammlung n° 1109 (F) 530 (à propos d'une convention de double imposition entre l'Autriche et les Pays-Bas conclue avant 1938), Cour administrative, 2 octobre 1956, n°3335/54 (à propos d'une convention de double imposition entre l'Autriche et le Reich allemand conclue en 1922).164 En droit français, où la condition de réciprocité est expressément prévue par l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, le juge administratif se réfère aux principes du droit international déterminant les modalités d'application de la réciprocité. A l'occasion de l'affaire Cheriet-Benseghir, le Conseil d'État estime que (CE 9 juillet 2010, rq. n° 317747) : « Considérant qu'aux termes du 14e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ; qu'au nombre de ces règles figure la règle pacta sunt servanda, qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ; qu'il appartient au juge administratif, lorsqu'est soulevé devant lui un moyen tiré de ce qu'une décision administrative a à tort, sur le fondement de la réserve énoncée à l'article 55, soit écarté l'application de stipulations d'un traité international, soit fait application de ces stipulations, de vérifier si la condition de réciprocité est ou non remplie ; qu'à cette fin, il lui revient, dans l'exercice des pouvoirs d'instruction qui sont les siens, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires étrangères et, le cas échéant, celles de l'État en cause, de soumettre ces observations au débat contradictoire, afin d'apprécier si des éléments de droit et de fait suffisamment probants au vu de l'ensemble des résultats de l'instruction sont de nature à établir que la condition tenant à l'application du traité par l'autre partie est, ou non, remplie. » 165 Par exemple, à propos de la caducité de traités bilatéraux du fait de la guerre :En droit français : CE, Ass. 16 nov. 1956, Villa, RDP 1957, p. 123, concl. Laurent ; Ailleurs : en droit suisse; cf.Christian Dominicé, « Le droit international coutumier dans l'ordre juridique suisse », in : Recueil de travaux publiés

326

Afin d'illustrer ce qui vient d'être dit, la Cour suprême autrichienne estime dans une décision de 1947166

que les Conventions de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 relatives au droit international

humanitaire sont dépourvues d'une valeur juridique interne en droit autrichien en raison de l'absence de

continuité juridique internationale entre la Double monarchie austro-hongroise et la République

autrichienne167.

Outre les traités internationaux eux-mêmes, le juge peut aussi se poser la question de la validité de leurs

actes dérivés, ce qui comprend les actes unilatéraux d'une organisation internationale.

ii. La compétence des organes internes d'application du droit

En certaines situations, il appartient au juge interne de vérifier la compétence des organes internes

d'application du droit. Et tel est le cas lorsque cette compétence dépend de la sphère de validité spatiale

du droit national telle que déterminée par le droit international. La sphère de compétence spatiale de

l'État comprend certes son territoire (sphère de souveraineté), mais s'étend aussi extra-territorialement,

car l'État dispose de certaines compétences en dehors de sa sphère de souveraineté qui varient en

fonction du statut juridique de l'espace en question (haute mer, espace aérien ou extra-atmosphérique,

territoire d'un État étranger, etc.)168 169. La question de la compétence spatiale peut concerner les actes

réalisés par l'ensemble des organes de l'État dans toutes sortes de circonstances : compétence des

autorités de police maritime lors des opérations en haute mer, compétence de l'exécutif pour la

à l’occasion de l’Assemblée de la Société suisse des juristes, Genève du 3 au 5 octobre 1969, Georg, Genève, 1969, 235 p., pp. 11-35, spécialement p. 23 ; en droit belge : Jean J.A. Salmon, « Le rôle de la Cour de cassation belge à l'égard de la coutume internationale », in : Miscellanea Ganshof van der Meersch : studia ab discipulis amicisque in honorem egregii professoris edita, Bruylant, Bruxelles, 1972, 1731 p., pp. 217-267, spécialement p. 233 et svtes.166 Décision en date du 1er octobre 1947, ÖJZ 2, 1947, n° 790, p. 521.167 Néanmoins, il semblerait que les Conventions de la Haye soient valides dans le système juridique autrichien en raison de leur publication (BGBl 381/1937) : cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 24, spécialement pp. 452-453. Cela n'est pourtant pas évident : la publication interne d'un traité international ne suffit pas à prouver que celui-ci est une norme valide en droit interne, et ce, d'autant plus qu'il ne l'est pas en droit international. Par ailleurs, Ignaz Seidl-Hohenveldern soutient que le droit de capture des belligérants contenu par ces Conventions est dans tous les cas une composante du droit fédéral autrichien, en tant que « règle généralement reconnue du droit international », sur le fondement de l'article 9 B-VG. A l'encontre de cette affirmation, on peut remarquer que la violation des Conventions de La Haye par les États a été massive, particulièrement pendant la Première guerre mondiale, mais pas uniquement, de sorte qu'il semble très incertain qu'une coutume internationale de même contenu se soit formée ou maintenue.168 Il en va de même en droit de l'Union européenne. Le corpus jurisprudentiel traitant de la territorialité est abondant et les juridictions communautaires se fondent très souvent sur le droit international général pour délimiter les sphères de compétence de l'Union (par exemple, arrêt de la Cour de justice du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, Rec. p. 5193). Parmi de telles décisions, la Cour de justice affirme dans l'affaire Poulsen et Diva Navigation, à propos du territoire maritime, que : « les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international et que, par conséquent, [l'article 6 du règlement n° 3094/86 interdisant certaines pratiques de pêche] doit être interprété, et son champ d'application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international de la mer » ; cf. CJCE, arrêts du 24 novembre 1992, C-286/90, Rec. p. I-6019, point 9) . Plus généralement, le Tribunal de première instance considère à l'occasion de l'affaire Gencor que le « principe de territorialité » constitue un « principe général de droit international public que la Communauté devrait respecter dans l‘exercice de ses compétences » ; cf. TPICE, 25 mars 1999, Gencor Ltd c. Commission, T-102/96, Rec. II p. 759, § 50. 169 Malgré cette applicabilité du droit international général en matière de compétence territoriale, le droit interne prévaut généralement sur le droit international dans la pratique des organes internes d'application du droit en cas de « conflit », mis à part une large partie du droit international maritime qui se caractérise par son applicabilité directe (cf. infra : « Le cas des principes généraux de délimitation des espaces nationaux »).

327

répression des crimes de guerre commis à l'étranger (question de l'ingérence), compétence des

juridictions de la République fédérale d'Allemagne pour les crimes commis sur le territoire de la

République démocratique d'Allemagne avant la Réunification.

Plus spécialement, la question de la compétence des organes internes d'application du droit pourra aussi

être soulevée non pas à propos de l'ensemble des organes de l'État, comme dans le cas de la sphère de la

compétence territoriale, mais uniquement à propos de certains organes de l'État en certaines

circonstances. Ainsi, la compétence des juridictions internes est limitée par la coutume internationale de

l'immunité de juridiction de l'État étranger. Et, dans les cas où le juge interne est tenu d'appliquer une

immunité de juridiction de l'État étranger, il doit, avant de s'estimer incompétent, vérifier que

l'immunité est invocable en l''espèce, ce qui présuppose notamment que la demande est bien formulée

par un État – ou éventuellement une organisation internationale – au sens du droit international

public170.

iii. La relation entre État et particuliers

Le droit international général contient des principes qui déterminent matériellement les rapports entre

particuliers et État ; les juridictions s'y réfèrent afin d'identifier les droits dont bénéficient les

particuliers dans un cas particulier.

Le droit international réglemente matériellement la relation juridique entre États et particuliers dans le

temps. Il en va ainsi dans les situations où une succession d'États modifie l'état du droit interne : l'État

successeur conserve, suivant le droit international coutumier, certaines obligations qui résultent des

actes de son prédécesseur171. Le juge interne doit recourir aux principes du droit international régissant

la succession d'États dans le cas où le litige au principal a pour objet l'application de telles obligations,

par exemple lorsque des particuliers nationaux ou étrangers demandent le maintien de droits acquis sous

l'État prédécesseur, tels un droit de propriété ou d'autres droits patrimoniaux172. Une jurisprudence

170 Cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».171 A propos de la jurisprudence belge, cf. Jean J.A. Salmon, op. cit. note 165, p. 235.172 A propos du maintien des droits acquis lors de la Réunification allemande, cf. : Rainer Arnold, « dix ans d'unité allemande : une évaluation constitutionnelle », RDP, 2000, p. 395-411 ; Dieter Blumenwitz, « Intertemporales und interlokales Verfassungskollisionsrecht », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 211, pp. 455-520 ; Georg Brunner, « Fortgeltung des Rechts der bisherigen DDR », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 210 ; Carsten Thomas Ebenroth, Günter Reiner, Roger Boizel, « Succession d’États et droit international privé », JDI, 1996, pp. 5-68 ; Wilfried Fiedler, « Die Kontinuität des deutschen Staatswesens im Jahre 1990 – Zur Einwirkung des Völkerrechts auf Verfassungslagen », AVR, vol. 31, 1993, pp. 333-352 ; Michel Fromont, « le principe de non rétroactivité des lois », AIJC, vol. 6, 1990, p. 321 et svtes ; Josef Isensee, « Staatseinheit und Verfassungskontinuität », VVDStRL, vol. 49, 1990, p. 39 et svtes ; Josef Isensee, « Rechstaat – Vorgabe und Aufgabe der Einung », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 210 ; Michaël Muller, « La jurisprudence constitutionnelle sur la Réunification allemande : problèmes de temporalités relatifs à la continuité et discontinuité de l’État en droit interne allemand », 2004, disponible sur internet ; Hans-Jürgen Papier, « Vergangenheitsbewältitung : Abwicklung, Ahndung, Entschädigung », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., 1997, § 213 ; Bodo Pieroth, « Der Rechtsstaat und die Aufarbeitung der vor-rechtsstaatlichen Vergangenheit », VVDStRL, vol. 51, 1992, pp. 9-176.

328

relative au maintien des droits acquis s'observe depuis longtemps dans les droits internes, à l'instar de

cet arrêt en date du 6 avril 1826 de la Cour de cassation française, à l'occasion duquel la juridiction dit

que, suivant « une coutume aussi ancienne qu'universelle, chez les peuples civilisés, et devenue une

maxime incontestable du droit des gens, [...] les faits, les actes, les contrats, les jugements intervenus

entre les habitants pendant l'occupation d'un pays conquis et revêtus du sceau de l'autorité publique (qui

n'est jamais censée défaillir dans les sociétés humaines) restent obligatoires et sont exécutoires après la

retraite du conquérant, comme ceux intervenus avant la conquête, à moins qu'il n'ait été contrairement

stipulé par des traités ou que, par des lois formelles, il n'ait été dérogé à l'usage consacré par le droit

public de l'Europe173 ».

De même, le droit international réglemente matériellement la relation entre État et particuliers dans

l'espace. Ainsi, les droits dont bénéficient les particuliers par rapport à l'État varient en fonction de

l'espace dans lequel les particuliers en question exercent leur activité, comme on peut le voir à propos

de la réglementation de la pêche qui diffère suivant que les travailleurs de la mer se situent en haute

mer, où la liberté est de principe, ou qu'ils exercent leur activité dans le territoire maritime de l'État du

for ou d'un État étranger.

iv. Les relations entre particuliers

Le «droit international privé» concerne l'ensemble des situations qui obligent, du fait d'une certaine

extranéité, les organes d'application du droit de l'État du for à appliquer des normes d'origine étrangère.

Il convient de distinguer deux configurations que l'on trouve dans le droit positif : 1. Le droit

international ne prévoit aucune obligation pour l'État, celui-ci étant libre d'édicter une réglementation

interne qui détermine l'application de normes étrangères dans les situations présentant une certaine

extranéité («droit international privé» interne) ; 2. L'État est obligé par le droit international général ou

particulier d'appliquer le droit d'un autre État dans certaines circonstances («droit international privé»

international)174. Une question incidente peut se poser en matière de « droit international privé », et ce,

aussi bien lorsqu'il est interne que lorsqu'il est international :

Dans le cadre du «droit international privé» interne, le juge applique doublement le droit

interne. La norme de renvoi à une norme étrangère est une norme de droit interne, le plus souvent une

loi, et la norme étrangère appliquée est devenue une norme interne incorporée par l'intermédiaire de la

norme de renvoi175. Même dans ce cadre qui semble proprement interne, il n'est absolument pas exclu

173 Affaire Viterbi contre Totti, Sirey, 1825-1827, Jurisprudence de la Cour de cassation, p. 314, col. 1.174 Pour un aperçu théorique, cf. inter alia : Gabriele Scherer, Das internationale Privatrecht als globales System – Rechtsvergleich und Rechtstheorie, VDM, Sarrebruck, 2008, 236 p. ; à propos du droit allemand : Jan Hecker, « Grundgesetz und horizontale Öffnungen des Staates », AÖR, vol. 127, 2002, pp. 291-322.175 La norme de droit étranger n'est pas «étrangère» formellement, mais uniquement par son contenu. Suivant Hans Kelsen, à propos de l'application par des organes d'un État donné du droit d'autres États : « The essential point of the problem seems to be the application of the law of one state by the organs of another state. But if the organs of a state, bound by the law of this state, applies the norm of a foreign law to a certain case, the norm applied by the organ becomes a norm of the legal order of the state whose organ applies it. The organ of a state, especially a court, is in

329

que des questions relatives au droit international général surviennent. Il en va par exemple ainsi lorsque

la norme de conflit de lois renvoie à un droit étranger indéterminé, qu'il incombe en l'espèce au juge

d'identifier en prenant en considération les principes du droit international relatifs à la création et la

destruction des États, ainsi qu'à leur sphère de compétence. Aussi, le juge est parfois amené à vérifier la

nationalité d'un individu176 ou la loi applicable au contrat litigieux, et ce, en examinant les différentes

successions d'États qui se sont produites en l'espèce. De plus, le juge interne vérifie souvent que la

norme étrangère à appliquer est conforme à l'«ordre public international177».

Le «droit international privé» international est en l'état actuel du droit surtout réglementé par

des traités internationaux particuliers entre États. Néanmoins, il subsiste certains principes coutumiers

matériels (principe du respect des droits acquis, lex mercatoria...) et surtout, des principes coutumiers

relatifs à la procédure juridictionnelle (res judicata, electa una via, ne bis in idem, lis alibi pendens). En

l'absence d'une norme internationale obligeant l'État à appliquer un droit étranger en telle ou telle

circonstance, le principe consiste en ce que l'État dispose de toute latitude pour appliquer sa

réglementation interne ou une réglementation étrangère. Par exception, le droit international général

oblige parfois l'État à attribuer des effets juridiques au droit d'un État étranger ou, à l'opposé, à le priver

d'effets juridiques, parce que la réglementation produite par l'État étranger se trouve en violation du

droit international178. Le juge interne met alors les obligations internationales de l'État en œuvre lorsqu'il

position to apply the norm of the law of another state only if bound to do so by the law of its own state, in the last resort by its written or unwritten constitution. The norm applied by the organ of the state is valid for the sphere of validity of the state's law only if its application is prescribed by the law. With reference to its reason of validity it is a norm of the legal system of that state. The rule obliging the courts of a state to apply norms of a foreign law to certain cases has the effect of incorporating the norms of the foreign law into the law of this state » ; cf. P.I.L., p. 379. La relation entre le droit d'un État et le droit d'un État étranger pose moins de difficultés que la relation entre droit international et droit interne. Dans le premier cas, la relation est une relation horizontale avec fermeture des systèmes juridiques internes étatiques les uns par rapport aux autres. Dans le cadre du « droit international privé », les normes d'origine étrangères appliquées par les organes étatiques ne peuvent donc être que des normes internes. La relation entre le droit international et le droit interne se présente différemment, car il s'agit d'une relation verticale, c'est-à-dire entre systèmes juridiques hiérarchisés. Par là, le droit international peut imposer aux États l'application de certaines normes, et la compétence d'un État pour conditionner l'application du droit international ne dépend que secondairement du droit étatique. En effet, le droit international attribue premièrement à l'État un certain ensemble d'obligations, mais aussi une certaine latitude pour sa concrétisation. Hans Kelsen ajoute plus loin, mais sans le démontrer : « Strictly speaking, the organ of a state can apply – apart from international law – only norms of its legal order. » (P.I.L., p. 380).176 Le droit applicable à une situation donnée est susceptible de varier selon la nationalité des individus, et l'identification de la nationalité peut conduire le juge à se prononcer sur des questions relatives à l'existence même d'un État ou à la succession d'État. Par exemple, au cours d'un litige, le Tribunal administratif supérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie estime, dans une décision en date du 14 février 1989, que : « Fehlt es danach dem ausgerufenen Staat Palästina derzeit jedenfalls am Staatsgebiet und an einer Staatsgewalt, so ist seine damit noch nicht existente Völkerrechtspersönlichkeit auch nicht dadurch entstanden, dass ihn ein beträchtliche Anzahl von Staaten bereits anerkannt hat » (OVG Münster, NVwZ 1989, p. 790 et svtes, Az. 18 A 858/87). A propos du droit allemand, cf. généralement : Rainer Pitschas, « Verfassungsrechtliche Vorgaben für das Staatsangehörigkeitsprinzip des Internationalen Privatrechts », in : Erik Jayme, Heinz-Peter Mansel (éds), Nation und Staat im Internationalen Privatrecht, C. F. Müller, Heidelberg, 1990, 398 p., pp. 93-124.177 Cf. inter alia, dans une littérature abondante : Theodor Veiter, Die Rechtsstellung des fremden- insbesondere des deutschen Privateigentums in Österreich, Braumüller, Vienne, 1958, 285 p ; Prosper Weil, op. cit. note 150 ; Rainer Hofmann, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV, vol. 49, 1989, pp. 41-60 ; Gunther Elbing, Zur Anwendbarkeit der Grundrechte bei Sachverhalten mit Auslandsbezug, Duncker & Humblot, Berlin, 1992, 332 p.178 Cf. Prosper Weil, op. cit. note 150 ; Simonetta Stirling-Zanda, L'application judiciaire du droit international coutumier : étude comparée de la pratique européenne, Schulthess, Zürich, 2000, 326 p., spécialement pp. 184-191.

330

constate qu'un individu a acquis la nationalité d'un autre État par acte de naturalisation ou, inversement,

lorsqu'il refuse l'abolition d'une société par une nationalisation internationalement illicite opérée par un

État étranger.

b. Les principaux objets de la question à titre incident

« Quelles sont les questions incidentes principalement posées ? »

Parmi d'autres, les questions incidentes relatives à la situation juridique internationale d'un État (α.) ou à

un conflit armé (β.) se présentent de manière récurrente dans les contentieux juridictionnels nationaux.

α. La situation juridique internationale d'un État

La qualification d'une situation juridique internationale relative à l'existence même d'un État (i.) ou à

une succession d'États (ii.) peut s'opérer de manière préalable, ce afin d'identifier le droit applicable à

un litige donné.

i. L'existence même d'un État

Les difficultés existent surtout dans les cas où la qualité de l'entité concernée est incertaine (i.i.) ou

lorsque l'État du for n'a pas reconnu, le plus souvent pour des raisons politiques, l'existence d'un État

nouveau, ou, inversement, lorsqu'il a reconnu un État en réalité internationalement inexistant (i.ii.). La

doctrine traditionnelle considère que le juge est, dans ces circonstances, tenu de suivre les appréciations

de l'exécutif, parce qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer dans des affaires relevant des pouvoirs

politiques.

i.i. Certaines entités revendiquent un statut étatique, ou du moins une certaine capacité internationale,

alors que ceux-ci paraissent incertains eu égard à l'état du droit international. Des prérogatives

internationales sont ainsi souvent revendiquées par les États fédérés179, ainsi que par les entités

disposant de certains attributs de la personnalité juridique internationale, parmi lesquelles on trouve les

179 En droit français, le juge civil assimile les États fédérés aux autres subdivisions territoriales des États en matière d'immunités de juridiction : Cour d'Appel de Paris, Ville de Genève c. Consorts de Civry, 19 juin 1894 ; Tribunal civil de la Seine, 11 décembre 1922, Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie c. Restrepo et département d'Antioquia ; Cour d'appel de Colmar, 1er juin 1928, État de Ceará c. Dorr ; Cass. Civ., 24 octobre 1932, État de Ceará c. Dorr et autres ; Cour d'appel de Poitiers, 26 juillet 1937, Rousse et Maber c. Banques étrangères et autres ; Cour d'appel de Paris, 5 novembre 1969, Neger c. Gouvernement du Land de Hesse.Généralement, à propos du bénéfice des immunités de juridiction par les États fédérés, cf. notamment : Julio A. Barberis, « Nouvelles questions concernant la personnalité juridique internationale », RCADI, vol. 179, 1983, pp. 145-187 ; Hans Van Houtte : « L'immunité de juridiction des États fédérés », Revue belge de Droit International, 1983, pp. 461-482 ; Hans Van Houtte, « The faded sovereignty of federated states and their immunity from jurisdiction », Notre Dame International Law Journal, 1983, pp. 1-19 ; Jolanta Kren Kostkiewicz, Staatenimmunität im Erkenntnis und im Vollstreckungsverfahren nach schweizerischem Rechts, Tämpfli, Berne, 1998, 624 p, spécialement pp. 352-355. Cf. aussi article 28 de la Convention européenne sur l'immunité des États signée à Bâle le 16 mai 1972. La Convention n'a pas été ratifiée par la France et seulement huit États y sont parties dont l'Allemagne et l'Autriche (de même que la Belgique, Chypre, le Luxembourg, les Pays Bas, le Royaume-Uni, la Suisse). La Convention européenne sur l'immunité des États est entrée en vigueur le 11 juin 1976.

331

États « semi-souverains »180 ou les États « artificiels » à l'instar de la Principauté de Sealand que le

Tribunal administratif de Cologne ne qualifie pas d'État dans une décision en date de 1978181, par les

États en voie formation182, par les gouvernements en exil183, ou encore par les mouvements de libération.

Le juge interne peut aussi être amené à se prononcer à titre incident sur le statut d'entités juridiques

telles que le protectorat184, le mandat185, ainsi que sur certaines situations juridiques internationales

spécifiques telles l'occupation186 de l'Allemagne187 ou de l'Autriche après leurs capitulations.

180 Les États « semi-souverains » sont des entités qui ne bénéficient pas en droit international de tous les attributs de la souveraineté ; une partie de ces attributs appartient donc à un autre État, le plus souvent en matière de relations internationales et de défense. On trouve de nombreuses illustrations dans les jurisprudences nationales :Tribunal civil de la Seine, 14 novembre 1934, Huttinger c. Société des chemins de fer du Congo, État du Congo et Minsitre des Colonies de Belgique : l'annexion du Congo en fait une partie intégrante de la Belgique, de telle sorte que toute action concernant celui-là vise et atteint celle-ci ; mais : Cass. 1e Civ, 21 novembre 1961, Montefiore c. Congo Belge : le juge judiciaire suprême casse un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 31 octobre 1956 dans lequel cette dernière applique le Traité de cession entre le Congo et la Belgique qui prévoit que le passif de la colonie passe intégralement à l'État belge ; la Cour de cassation estime cependant que la norme applicable en l'espèce n''est pas le Traité de cession, mais une loi belge postérieure qui dispose que l'ancienne colonie est responsable de la dette en question (note Paul Lagarde, RCDIP, 1962, pp. 329-338).Tribunal civil de la Seine, 12 mai 1934, De Bodinat : Après la Première guerre mondiale, la colonie allemande du Kamerun est partagée en deux territoires confiés à la France et au Royaume-Uni ; en dépit de cette situation de colonisation, le Cameroun est qualifié comme un État étranger par une juridiction française au motif que le Mandat C. de la Société des Nations ne prévoit pas la souveraineté de la France sur ce territoire.181 VG Köln, DVBl. 3 mai 1978, p. 510 et svtes (Fürstentum Sealand, Az. 9 K 2565/77) ; 80 ILR 683 p. 2 et svtes.La principauté de Sealand, dénommée par la tribunal administratif de Cologne « duché de Sealand », est une micronation, reconnue par aucun État membre de l'ONU, installée sur une ancienne plate-forme militaire (Fort Roughs) créée au large du Royaume-Uni par la Royal Navy lors de la Seconde guerre mondiale dans les eaux internationales de la mer du Nord. Le Tribunal administratif de Cologne considère que la principauté de Sealand ne satisfait pas à au moins plusieurs conditions de l'existence d'un État : à propos du territoire, une île artificielle n’est pas « un segment [naturel] de la surface de la Terre » et ne peut dès lors constituer le « territoire » d’un État ; à propos du peuple constitué des nationaux expatriés et de quelques individus chargés de la défense et de l'entretien de la plate-forme : « dans le cas du "Duché du Sealand" nous ne pouvons accepter qu’il existe un "peuple" dans le sens du droit international, puisqu’il n’y a pas entre ces personnes de vie communautaire. […]. Le devoir [d’un État] n’est pas seulement de promouvoir une association au sens large, dont le but serait le partage de passe-temps et d’intérêts communs. Un État doit plutôt viser le maintien d’une forme essentiellement permanente de vie communautaire, c’est-à-dire le partage d’une destinée commune. […] Ces "habitants" n’ont pas acquis leur "nationalité" dans le but de vivre ensemble et de mener les divers aspects de leur vie en commun ; au contraire, ils continuent à poursuivre leurs intérêts individuels en dehors du "Duché". […]. L’aspect partagé de leur association se limite à une petite partie de leur vie – c’est-à-dire les questions de commerce et d’impôts. Ce degré d’intérêts communs ne peut pas être considéré suffisant pour que soit reconnu là un "peuple" au sens entendu par le droit international. » 182 Par exemple, aux Pays-Bas, à propos d'une immunité de juridiction au bénéfice de la République des Moluques du Sud, admise en dépit de fortes incertitudes quant à l'existence même de l'État : Cour d'Appel d'Amstersdam, 8 février 1951, Koninklijke Paketvaart Maatschappij v. Republik Maloekoe Selatan, NJ 1951 n° 29, ILR 1950 n° 39 et 1954 p. 49.183 Les juridictions allemandes spéciales chargées de restituer les injustices commises par le national-socialisme considèrent que le gouvernement en exil de la Lettonie bénéficie, en tant que gouvernement légitime d'un État qui n'existe plus en fait, de l'immunité de juridiction de l'État étranger, justifiée par la non-reconnaissance par la République fédérale d'Allemagne de la situation d'annexion par l'U.R.S.S. : Cour des Restitutions pour Berlin (Rückerstattungsgericht für Berlin), 3 octobre 1953, RzW, vol. 4, 1953, p. 368, ILR 1957, pp. 180-182 ; Kammergericht of Berlin, 25 février 1955, JIR, vol. 7, 1957, pp. 397-400 ; Cour Suprême des Restitutions pour Berlin (Oberste Rückerstattungsgericht für Berlin), 10 juillet 1959. A propos de l'état du droit allemand en la matière, cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « State Immunity : Federal Republic of Germany », Netherlands Yearbook of International Law, vol. 10, 1979, pp. 55-72.Plus généralement, à propos du droit des gouvernements en exil : Stefan Talmon, Recognition of Governements in International Law with particular reference to government in exile, Clarendon, Oxford/New York, 1998, 397 p. 184 Dans la jurisprudence administrative française : CE. 12 mars 1915, Trauchessec, Rec, p. 79 ; CE, 18 avril 1947,

332

i.ii. La situation juridique devient singulière lorsque l'État en question n'est pas reconnu par l'État du for,

alors qu'il existe avec certitude en droit international. La non-reconnaissance d'un État constitue un

simple acte du gouvernement dans la sphère internationale, mais éventuellement pourvu d'effets

juridiques dans la sphère domestique de l'État. Il s'ensuit cette question classique dans la doctrine : la

non-reconnaissance lie-t-elle le juge interne ou le juge bénéficie-t-il, au contraire, d'une autonomie par

rapport aux évaluations de l'exécutif qui concernent l'état du droit international ? Il est aussi possible de

rencontrer la situation inverse, certes plus marginale, à savoir que l'État du for a reconnu un supposé

État étranger, mais que ce dernier n'existe en réalité pas en l'état du droit international188.

Par le passé, la doctrine et la jurisprudence soutenaient que les décisions de l'exécutif en matière de

reconnaissance des États liaient le juge, et que les simples appréciations de l'exécutif dans un sens ou

dans un autre pouvaient même parfois suffire à cela. Il était en effet remarqué que, dès lors que l'organe

exécutif est seul constitutif du «pouvoir extérieur de l'État» («auswärtiges Gewalt»), les autres organes

internes lui deviennent subordonnés en matière de droit international189. L'argument apparaît toutefois

primitif, en ce sens qu'il se base uniquement sur le lien d'organe à organe (la supposée «relation de

subordination»), et non sur la répartition des compétences telle que déterminée par les normes

constitutionnelles. Généralement, les constitutions nationales contemporaines différencient la

compétence de représenter l'État dans la sphère internationale attribuée au «pouvoir extérieur» et la

compétence d'appliquer celui-ci dans la sphère interne qui est quant à elle attribuée, en l'absence de

réglementation spécifique, à l'ensemble des organes internes de l'État, et ce, suivant les mêmes

modalités de répartition des compétences que celles valables pour toute autre normes interne. Et il

s'ensuit que les juridictions internes ne sont pas tenues de suivre les décisions de l'exécutif, que celles-ci

concernent les affaires internes ou internationales, en raison de la latitude dont elles disposent en vertu

Lemaigre-Dubreuil, Rec, p. 149; CE, 27 juillet 1951, Burnet, Rec, p. 435 ; CE, 2 novembre 1955, Dutuit, Rec, p. 515.185 Dans la jurisprudence administrative française : CE. 11 octobre 1929, Caussègue et Cot, Rec, p. 893; CE, 3 juillet 1931, Karl et Toto Samé, S. 1931-3-129, concl. Ettori ; CE, 28 juillet 1952, Finaly, Rec. p. 412; CE, 17 décembre 1956, Aziz Zabbal, Rec. p. 603; CE, 8 janvier 1959, Baladi, Rec. p. 17.186 A propos de la jurisprudence interne en matière d'occupation : Felice Morgenstern, « Judicial Practice and the Supremacy of International Law », BYIL, vol. 27, 1950, pp. 42-92 ; Benedetto Conforti, Angelo Labella, op. cit. note 159 ; Eyal Benvenisti, The International Law of Occupation, Princeton University Press, Princeton, 2004, 241 p. spécialement pp. 192-202.187 A propos du régime de l'occupation de l'Allemagne, cf. Josef L. Kunz, « The Status of Occupied Germany under International Law : A Legal Dilemna », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 233-275 ; Odile Debbasch, L'occupation militaire, LGDJ, Paris, 1962, p. 251 et svtes. Dans la jurisprudence française : CE. 29 juin 1951, Société Bonduelle, Rec, p. 376, JCP II. n° 7032, note Michel Virally ; CE. 24 février 1956, Dame Riefensthal, Rec. p. 605.188 Cf. entre autres, le cas de la Lettonie devant les juridictions allemandes, supra note 183. En droit italien, on trouve un abondant contentieux relatif à l'Ordre de Malte, lié à sa reconnaissance comme État souverain par l'État italien. L'Ordre de Malte bénéficie globalement des prérogatives d'un État souverain en droit italien : Cassazione, 13 mars 1935, Nanni e Pace c. Sovrano Militare Ordine di Malta, Rivista di diritto internazionale, 1935, p. 370 et svtes : « Malgré la perte de son territoire, l'Ordre a maintenu sa souveraineté au moins dans ses aspects formels et dans les rapports avec notre État » ; Cassazione, 14 juillet 1953, Ordine di Malta c. Soc. An. Commerciale, ZaöRV, 1956, p. 516 et svtes ; Cassazione, 5 novembre 1991, Rivista di diritto internazionale, 1992, p. 176 et svtes : en tant que sujet de droit international, l'Ordre de Malte n'est pas soumis aux dispositions fiscales italiennes et ses propriétés sur le sol italien bénéficient d'un statut extraterritorial !189 Cf. infra, « Les organes de l'État participant à la production du droit international général ».

333

d'une constitution garantissant leur indépendance («principe d'indépendance des juridictions»).

L'indépendance des juridictions par rapport aux prises de position gouvernementales dans les questions

internationales continue toutefois de varier suivant le système juridique national en question190.

Lorsqu'il s'agit de l'existence d'un État étranger, les juridictions internes ne sont généralement pas tenues

de suivre la position internationale de l'État, à moins cependant qu'existe une procédure spécifique, dans

le cadre du contentieux juridictionnel ou en dehors de celui-ci 191, qui autorise l'exécutif à lier les

juridictions. Une telle procédure consiste le plus souvent en la production d'un certificat192 :

Malgré l'existence traditionnelle – mais révolue193 – d'une procédure de renvoi préjudiciel au

gouvernement en matière de traités internationaux, les juridictions françaises ne sont aucunement liées

par sa position en matière de reconnaissance. A propos de l'État du Viêt-nam, alors non reconnu par

l'État français, la Cour d'appel de Paris constate dans un arrêt en date du 7 juin 1969194, concernant le

bénéfice d'une immunité de juridiction par cet État, que : « la personnalité d'un État étant fondée sur son

existence de fait, cette personnalité est tout à fait indépendante de sa reconnaissance par les autres

États ; laquelle n'est jamais que la constatation de cette existence de fait, de cette effectivité ». Dans la

même affaire, la Cour de cassation aboutit à la même solution dans son arrêt du 2 novembre 1971195, en

examinant surtout l'état de la relation internationale entre la France et le Viêt-nam, qui présente alors

déjà clairement une effectivité, et ce, nonobstant la persistance de la non-reconnaissance par la

190 Benedetto Conforti (rapporteur), « L'activité du juge interne et les relations internationales de l'État (Neuvième Commission) », Annuaire de I'Institut de Droit international, vol. 65, tome I, 1993, pp. 327-448 ; tome III, p. 220 et svtes.191 « Dans le cadre du contentieux juridictionnel », c'est-à-dire par voie de renvoi préjudiciel à l'exécutif ; « en dehors du contentieux juridictionnel », c'est-à-dire que les juridictions sont tenues de suivre les décisions de l'exécutif de forme proprement administrative produites en dehors de tout contentieux.192 En droit anglais, la jurisprudence dominante considère que le juge est autonome de l'exécutif. Une limite à ce principe existe : le juge interne est lié par les certificats du Foreign Office pour ce qui est de l'existence d'une « situation juridique », mais non pour ce qui est des effets juridiques de celle-ci sur les particuliers :Chambre des Lords, 18 mai 1966, Carl-Zeiss-Stiftung v. Rayner & Keeler, Ltd, [1966] 2 All E.R. 536 : en l'espèce, le juge doit se prononcer sur le statut de la firme Carl Zeiss Stiftung en droit anglais qui est régie par le droit de la République démocratique d'Allemagne. Le certificat du Foreign Office dit que le Royaume-Uni ne reconnaît la R.D.A., et seule l'U.R.S.S. est reconnue comme ayant autorité souveraine sur le territoire de la R.D.A. Le problème juridique soulevé porte sur l'existence d'une personnalité juridique de la firme concernée en droit anglais en vertu de laquelle elle serait titulaire du droit d'intenter une action en vue d'interdire à trois sociétés, deux britanniques et une allemande de l'ouest, d'utiliser le nom «Carl Zeiss». En l'espèce, la Chambre des Lords soutient que la R.D.A. est une sorte d'organisation subordonnée à l'U.R.S.S. bénéficiaire d'une très large autonomie interne, de sorte que le droit anglais attribue certains effets juridiques aux droits légitimement acquis sur le fondement de la réglementation est-allemande.A propos de la question du certificat dans les États de Common Law, cf. plus généralement : Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183, spécialement pp. 172-173.193 Cf. C.E., Ass. 29 juin 1990, GISTI ; cf. Marie-France Buffet-Tchakaloff, « L'interprétation des traités internationaux par le Conseil d'État », RGDIP, 1991, pp. 109-124.194 Affaire Clerget c. Représentation commerciale de la République du Viêt-nam ; cf. observations David Ruzié in : JCP 1969-II, n° 15954 ; note Pierre Bourel, RCDIP 1970, pp. 483-502 ; note Roger Pinto, JDI 1969, pp. 894-905. Cf. aussi l'affaire précédente relative au Viêt-nam à l'occasion de laquelle l'existence de cet État paraît déjà implicitement admise : Cour d'appel de Paris, 7 janvier 1955, Gugenheim c. État du Viêt-nam ; Cass. 1e civ., 19 décembre 1961, Gugenheim c. État du Viêt-nam.195 Cass. 1e civ., 2 novembre 1971, Clerget c. Représentation commerciale de la République du Viet-Nam ; cf. note Pierre Bourel, RCDIP 1971, pp. 312-313

334

France196.

Le juge interne autrichien est libre d'apprécier l'existence d'un État étranger, n'étant ni lié par la

reconnaissance internationale de l'État autrichien, ni par une procédure de certificat 197. Le principe de la

séparation de la justice et de l'administration s'oppose de manière générale à une procédure obligatoire

de renvoi devant l'exécutif (art. 94 B-VG). La Cour administrative nie ainsi, au terme d'une analyse qui

lui est propre, l'existence de la République turque de Chypre du Nord à l'occasion d'une décision du 25

juin 1997198. Dans une autre décision, en date du 1er juillet 1999, elle admet l'éventualité d'une

problématique nationalité palestinienne bénéficiant au requérant199. Il est vrai dans ce dernier cas que la

République d'Autriche reconnaît un État palestinien depuis novembre 1988200.

De même que la doctrine majoritaire actuelle201, la Cour constitutionnelle fédérale allemande

considère que la reconnaissance internationale d'un État n'est que déclarative, c'est-à-dire que

l'existence de l'État en question n'en dépend pas202. Cela s'étend aux actes de reconnaissance émanant du

«pouvoir extérieur» de la République fédérale d'Allemagne lui-même, auxquels la Cour ne s'estime pas

liée203. Dans la pratique, les juridictions allemandes tendent néanmoins le plus souvent à suivre les

196 Parmi les conditions de formation de l'État, la doctrine distingue habituellement deux modes d'effectivité : l'« effectivité dans la sphère interne » et l'« effectivité dans les relations internationales ». Tandis que la Cour d'Appel se réfère surtout sur à l'« effectivité dans la sphère interne », la Cour de cassation se réfère quant à elle surtout à l'« effectivité dans les relations internationales », lors même que son analyse se borne en l'espèce à la relation franco-viêtnamienne.197 Ignaz Seidl-Hohenveldern relève en 1977 l'existence d'une procédure qui autorise les juridictions à s'adresser au Ministère fédéral de la justice pour obtenir un certificat dans les cas où existe un doute sur une situation internationale. La procédure ne constitue en elle-même pas une obligation pesant sur les juridictions ; cependant, dès lors que le juge sollicite l'opinion du ministère, il est tenu de suivre celle-ci. En revanche, si le certificat est produit par le Ministère de la justice de sa propre initiative, le juge ne se trouve pas dans l'obligation de de s'y conformer. Cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Austria », in : Elihu Lauterpacht, John G. Collier (éds), Individual rights and the State in foreign affairs : an international compendium, Praeger, New York, 1977, 743 p., pp. 26-54. La procédure de certificat a depuis été abrogée, cf. l'analyse du Professeur Bruno Simma dans la discussion suivant l'article du Professeur Walter Rudolf : « Incorporation of Customary International Law into Municipal Law », in : Grigory I. Tunkin, Rüdiger Wolfrum (éds), International law and municipal law : proceedings of the German-Soviet Colloquy on International Law at the Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, 4 to 8 May 1987, Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 210 p., pp. 24-40, suivi d'une discussion pp. 41-58, spécialement p. 44.198 9Ob173/97z : « Nach der türkischen Besetzung des Nordostens der Republik Zypern im Krieg von 1974 wurde von der türkischen Seite zunächst der « Türkische Bundesstaat Zypern », 1983 sodann die "Türkische Republik Nordzypern" proklamiert, die nicht in das türkische Staatswesen eingegliedert ist, sondern sich als selbständiger Staat versteht. Die "Türkische Republik Nordzypern" wird aber außer von der Türkischen Republik international nicht anerkannt. Völkerrechtlich besteht die Republik Zypern unverändert weiter, wenn auch ihre territoriale Integrität seit Sommer 1974 verletzt ist ».199 95/21/1247 : « Die Proklamation des Staates Palästina sei im Jahr 1988 erfolgt, und es bestehe derzeit eine Teilautonomie im Gaza-Streifen und in Jericho seit 1994. Das Staatsoberhaupt des Staates Palästina sei seit 1989 Jasir Arafat. Die politischen Organe des Staates Palästina seien die Autonomiebehörde, der PLO-Exekutivrat und der PLO-Zentralrat. Derzeit sei der palästinensische Staat internationales Mitglied der "Arabischen Liga" und habe seit 1989 einen UNO-Beobachterstatus ».200 Cf. généralement à propos de la pratique de l'Autriche en matière de succession d'États : Armin Zelinka, Neuere österreichische Praxis im Recht der Staatennachfolge, thèse, Innsbruck, 1994, 268 p. 201 cf. Stefan Talmon, La non reconnaissance collective des États illégaux, A. Pedone, Paris, 2007, 115 p., spécialement p. 6 et svtes ; cf. aussi la dernière opinion de Hans Kelsen à propos du débat entre « théorie constitutive » et « théorie déclarative », P.I.L., spécialement pp. 389-395.202 BVerfGE 36, p. 1 – Grundlagenvertrag à propos de la R.D.A.203 Ibid, à propos de la R.D.A. non reconnue par la République fédérale d'Allemagne.

335

déclarations émanant du ministre des affaires étrangères204, par exemple dans les cas de la

Yougoslavie205, de Taïwan206, des bantoustans sud-africains207 ou encore de la Palestine208. Enfin, il est à

signaler que la question des effets juridiques de la non-reconnaissance de la République démocratique

d'Allemagne par la République fédérale est largement traitée par la Cour, y compris à l'occasion

d'affaires postérieures à la Réunification. La Cour considère globalement que la République

démocratique faisait tout de même partie des États souverains au sens du droit international209.

La tendance globale des juridictions internes consiste à s'autonomiser de la position gouvernementale210,

et ce, d'autant plus que la Cour européenne des droits de l'homme a condamné, en raison d'une violation

du droit à un procès équitable, la procédure de renvoi préjudiciel au gouvernement en matière de droit

international211, du moins lorsqu'il s'agit d'une obligation procédurale. Désormais, les juridictions ne

s'estiment plus liées par les actes de l'exécutif, même lorsque ce dernier a volontairement refusé de

reconnaître un État dans la sphère internationale212, mais fondent exclusivement leurs conclusions sur le

droit international général. Les juridictions nationales ne se sont par ailleurs pas alignées sur la doctrine

défendue par certains spécialistes du droit international, celle dite de la «théorie constitutive», selon

laquelle l'existence de l'État est conditionnée par sa reconnaissance internationale par les autres États.

La théorie constitutive, actuellement rejetée à l'exception de quelques auteurs 213, constituerait pourtant

204 Cf. généralement les nombreux exemples recueillis par le Professeur Stefan Talmon dans son ouvrage : Kollektive Nichtanerkennung illegaler Staaten : Grundlagen und Rechtsfolgen einer international koordinierten Sanktion, dargestellt am Beispiel der Türkischen Republik Nord-Zypern, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2006, 1052 p.205 Cf. la lettre du ministère des affaires étrangères en date du 10 février 1994, ZaöRV, vol. 56, 1996, pp. 1007-1008.206 Bundestagsdrucksache (BT-Drs. ; « circulaire parlementaire ») 11/6184 du 2 janvier 1990207 BT-Drs., 12/267 du 15 mars 1991.208 OVG Münster, NVwZ 1989, p. 790 et svtes, décision du 14 février 1989, Az. 18 A 858/87.209 Dans une jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale constitutionnelle abondante, cf. inter alia : BVerfGE 36, p. 1 ; BVerfGE 77, p. 137 ; BVerfGE 92, p. 277 – DDR-Spione ; BVerfGE 95, p. 96 – Mauerschützen ; BVerfGE 96, p. 68 – DDR-Botschafter ; BVerfGE 112, p. 3.210 En droit anglais, l'autonomie du juge eu égard à la position internationale de l'État trouve des origines relativement anciennes, cf. notamment : Chambre des Lords, 15 mai 1966, Carl-Zeiss-Stiftung v. Rayner & Keeler, Ltd., Degenhardt & Co., Ltd., and Carl-Zeiss-Stiftung (n° 2), [1967] 1 A.C. 853-978; [1966] 2 All ER 536-592; [1966] 3 WLR 125; [1967] RPC 497; (1966) 110 SJ 425. Dans une décision ultérieure de la Chambre des Lords (1977), Lord Denning précise dans un obiter dictum, à propos du cas de la République turque de Chypre du Nord : « If it were necessary to make a choice between […] conflicting doctrines, I would unhesitatingly hold that the courts of this country can recognise the laws or acts of a body which is in effective control of a territory even though it has not been recognised by Her Majesty's Government de jure or de facto : at any rate, in regard to the laws which regulate the day to day affairs of the people, such as their marriages, their divorces, their leases, their occupations, and so forth : and furthermore that the courts can receive evidence of the state of affairs so as to see whether the body is in effective control or not. », cf. Hesperides Hotels Ltd and Another v Aegean Turkish Holidays Ltd and Another [1977] QB 205, [1977] 3 WLR 656, [1978] 1 All ER 277, CA). 211 C.E.D.H., 24 novembre 1994, Beaumartin c/ France, req. n° 15287/89 (violation de l'art. 6 §1 Conv. E.D.H.) ; à propos de la procédure de renvoi préjudiciel au ministère des affaires étrangères pour «interprétation» des traités ; CEDH, 13 Février 2003, Chevrol-Benkeddach c/ France, req. n° 49636/99212 On trouve des jurisprudences anciennes à l'occasion desquelles l'existence d'un État étranger n'est pas admise par la juridiction – en dépit d'une existence internationale certaine – en raison de la non-reconnaissance par l'État du for : Cour d'appel de Liège (Belgique), 20 février 1931, Despa c. Union des Républiques soviétiques.213 Christian Hillgruber, Die Aufnahme neuer Staaten in die Völkerrechtsgemeinschaft – Das völkerrechtliche Institut der Anerkennung von Neustaaten in der Praxis des 19. und 20. Jahrhunderts, P. Lang, Francfort-sur-le-Main, 1998, 827 p. .

336

une solution de compromis, en ce sens qu'elle justifierait dans une certaine mesure la préservation du

«pouvoir de l'exécutif». En effet, selon la théorie constitutive, l'exécutif national dispose, au moins pour

partie, de la compétence de participer à la création d'un État étranger par son action dans la sphère

internationale, ce qui passe entre autres par les actes de reconnaissance qu'il peut ou non produire. La

pratique des juridictions internes ne va pas en ce sens ; elles basent presque toujours leur analyse sur la

«théorie déclarative», selon laquelle la création de l'État dépend surtout de son effectivité, ce en raison

du principe d'effectivité du droit international214. Cette démarche paraît cohérente : en l'état du droit

positif, la condition principale de l'existence de l'État consiste bien dans son effectivité, aussi bien

«interne» qu'«internationale» (dans ses relations internationales).

Outre l'existence même d'un État, les questions incidentes relatives à la situation internationale des

États portent aussi sur les cas de succession d'États, qui se présentent de manière plus ou moins

complexe.

ii. La succession d'États215

La succession d'États en question peut concerner tant la situation juridique de l'État du for (ii.i), que la

situation des États tiers (ii.ii.).

ii.i. Le droit de la succession d'États comme définissant la situation juridique internationale de l'État du

for

La question incidente soulevée devant la juridiction peut avoir pour objet la situation internationale de

l'État du for lui-même, qui est largement définie par les différentes successions d'États le concernant qui

ont abouti à délimiter de sa sphère de compétence actuelle.

En droit autrichien, la question de l'application par la Cour constitutionnelle du droit international de la

succession d'État se pose à la suite de la dissolution de la Double monarchie Austro-hongroise, dès la

214 Dans la jurisprudence, on trouve aussi une autre tendance suivant laquelle l'existence d'un État ne doit pas être attestée si son gouvernement est inconstitutionnel. Cette démarche est plus contestable car elle ne s'appuie ni sur le droit international lui-même, étant donné qu'il n'attribue pas en principe d'effets juridiques à l'inconstitutionnalité d'un gouvernement, ni même sur la position internationale de l'État du for. Cf. cf. inter alia : Jean Charpentier, La reconnaissance internationale et l'évolution du droit des gens, A. Pedone, Paris, 1956, 357 p. ; Joe Verhoeven, « Relations internationales de droit privé en l'absence de reconnaissance d'un État, d'un Gouvernement ou d'une situation », RCADI, vol. 192, 1985, pp. 19-232 ; Stefan Talmon, op. cit. note 201 ; Jean d’Aspremont, L’État non démocratique en droit international : Étude critique du droit international positif et de la pratique contemporaine, A. Pedone, Paris, 2008, 375 pAu Royaume-Uni, cf. Queen's bench division, Commercial Court, 6 février 1998, Sierra Leone Telecommunications Co Ltd v Barclays Bank plc [1998] 2 All ER 821 (QBD) : non-reconnaissance d'un changement de signatures pour prélever des fonds d'une banque par des individus nommés par un gouvernement non-constitutionnel qui s'est emparé du pouvoir par coup d'État.215 Cf. inter alia, à propos de la relation entre droit international et droit interne en matière de succession d'États : Daniel Patrick O'Connell, State Succession in Municipal Law and International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1967, vol. I, « Internal Relations », 592 p. ; vol. II, « International Relations », 430 p.

337

naissance de la République d'Autriche (portant brièvement le nom de Republik Deutschösterreich

jusqu'au Traité de Saint-Germain), à propos de la situation internationale du nouvel État autrichien lui-

même216. Ultérieurement, l'État autrichien constitué après la Seconde guerre mondiale est considéré par

la doctrine autrichienne, tant spécialiste du droit interne que du droit international 217, comme un État

nouveau, et ce, malgré la reproduction du texte constitutionnel de 1920. En effet, sa création se fonde

sur les traités internationaux postérieurs à la défaite du Troisième Reich, de sorte que la République

d'Autriche de 1945 ne constitue pas le successeur de l'ancienne République d'Autriche, qui a quant à

elle internationalement pris fin de manière définitive avec l'annexion de l'Allemagne. La doctrine

autrichienne apparaît en cela moins idéologique que la doctrine allemande ou française qui défendent

majoritairement de leur côté que les États actuels se situent en continuité juridique avec la République

de Weimar ou avec la Troisième République, qui n'auraient en réalité pas connues d'interruption en

raison de l'illégalité des régimes criminels intermédiaires ! Encore actuellement, il arrive aux

juridictions autrichiennes de se poser la question du statut de l'Autriche pendant l'annexion allemande,

surtout à propos de l'indemnisation des victimes218.

La jurisprudence allemande relative à la succession d'États de l'Allemagne elle-même est abondante219,

surtout à propos de la situation de la République démocratique d'Allemagne. Après la Réunification, la

Cour constitutionnelle fédérale soutient clairement, dans sa décision du 24 octobre 2004 220, que l'État de

la République démocratique était internationalement constituée, peu importe sa non-reconnaissance

216 Alfred Verdross, « La Cour constitutionnelle d'Autriche et le problème de la succession des États », Bulletin de I'Institut Intermédiaire International, vol. 7, 1922, pp. 20-21.. Dans une décision du 7 mai 1919 citée par l'auteur, la Cour constitutionnelle estime ainsi que : « Il n'y pas d'obligation générale pour la République d'Autriche de répondre aux demandes nées par rapport l'ancienne monarchie. De même, on ne peut déduire de principes du droit international que l'État germano-autrichien en tant que co-débiteur doit subvenir de manière indivise aux obligations de l'ancien État. La répartition des actifs et des passifs de l'État ayant disparu nécessite un constat au moyen d'un accord de droit international entre les États qui sont nés sur le territoire de l'ancienne monarchie, ceux-ci devant d'abord indiquer dans quelle mesure et sous quelles conditions une obligation de solidarité de ces États doit intervenir pour un État particulier par rapport à la dette globale ou encore dans la prise en charge de dettes particulières. ».Cf. aussi : Hans Kelsen, « Die staatsrechtliche Durchführung des Anschlusses Österreichs an das Deutsche Reich », ZÖR, vol. 6, 1927, pp. 227-331.217 Ernst C. Hellbling, Österreichische Verfassungs- und Verwaltungsgeschichte. Springer, Vienne, 1956, 552 p., p. 465 et svtes ; Waldemar Hummer, « Der internationale Status und die völkerrechtliche Stellung Österreichs seit dem Ersten Weltkrieg », in : Hanspeter Neuhold, Waldemar Hummer, Christoph Schreuer (éds), Österreichisches Handbuch des Völkerrechts, tome 1 : Textteil, 4ème éd., Vienne 2004, 1278 p, p. 572 et svtes ; Yitzhak Hans Klinghoffer, Les aspects juridiques de l'occupation de l'Autriche par l'Allemagne, Rio de Janeiro, Santo Antonio, 1943, 63 p. ; Heribert Franz Köck, « Ist der österreichische Staatsvertrag "obsolet"? Grundsätzliche Überlegungen zu Vertragserrichtung und Vertragsendigung nach Völkerrecht », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 75-115 ; Manfred Rotter, « The Austrian State Treaty - or What is Left of It », in: Wolfgang Benedek, Hubert Isak, Renate Kicker (éds), Development and Developing International and European Law. Essays in Honour of Konrad Ginther on the Occasion of his 65th Birthday, P. Lang, Francfort-sur-le-Main/Berlin/Berne/Bruxelles/New York/Vienne 1999, 799 p., pp. 725-739 ; Stephan Verosta, Die internationale Stellung Österreichs - eine Sammlung von Erklärungen und Verträgen aus den Jahren 1938 bis 1947, Manz, Vienne, 1947, 148 p.218 Décision de la Cour suprême du 9 novembre 2004 (10 ObS 119/04d), à propos de la déportation de la minorité slovène de Carinthie.219 Cf. inter alia : Dieter Blumenwitz, « Der deutsche Inlandsbegriff im Lichte des Staats- und Völkerrechts », in : Ingo von Münch (éd.), Staatsrecht – Völkerrecht – Europarecht: Festschrift für Hans-Jürgen Schlochauer zum 75. Geburtstag am 28. März 1981, Walter de Gruyter, Berlin/New York, 1981, 1023 p., pp. 25-44. 220 BVerfGE 112, p. 3 – Bodenreform III.

338

internationale par la République fédérale : « Avec la création de la R.D.A., un autre souverain au sens

du droit international [était constitué] sur le territoire du Reich allemand évacué par la force

d'occupation soviétique ». Cela n'a pas pour autant empêché le maintien d'une certaine unité de

l'Allemagne après la création, le 7 octobre 1949, de ce nouvel État différencié de la République

fédérale. A propos de l'acquisition de la nationalité ouest-allemande par un ressortissant est-allemand, la

Cour estime à l'occasion de l'affaire Teso, en date du 21 octobre 1987221, que :

« L'obligation de maintenir l'unité de la nationalité allemande (article 116 al. 1 et article 16 al. 1

LF), qui est une spécification normative contenue dans la Loi fondamentale de l'obligation de

réunification, fonde le principe suivant lequel la citoyenneté de la République démocratique

d'Allemagne a pour effet juridique, dans les limites de l'ordre public, l'acquisition de la citoyenneté de

la République fédérale d'Allemagne dans le système juridique de la République fédérale allemande.

[…]. L'argument décisif qui montre qu'il n'est pas contraire au droit international général […] d'inclure

aussi dans la citoyenneté allemande au sens de la Loi fondamentale les citoyens de la République

démocratique […] est le fait que la séparation de l'Allemagne n'est pas protégée par le droit à

l'autodétermination du peuple allemand. Au contraire, le peuple allemand dans sa majorité écrasante,

aussi bien dans la République fédérale d'Allemagne que dans la République démocratique d'Allemagne,

désire fermement surmonter la division de l'Allemagne de façon pacifique et restaurer l'unité complète

de l'État ».

En droit français, la question de la succession d'États après la Seconde guerre mondiale est presque

exclusivement traitée en partant du seul droit interne, qui exclut en principe la continuité entre le

régime d'occupation et la quatrième République (Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement

de la légalité républicaine sur le territoire continental222). Ultérieurement, le processus de

décolonisation entamé dans la période de l'Après-guerre se trouve à l'origine d'un grand nombre de

questions incidentes, qui portent sur les nombreux cas de succession d'États concernant l'État français

221 BVerfGE 77, p. 137 2 BvR 373/83 222 L'Ordonnance du 9 août 1944 dispose d'une discontinuité absolue entre le régime d'occupation et la République rétablie :« Article 1 : La forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n'a pas cessé d'exister ; Article 2 : Sont, en conséquence, nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels législatifs ou réglementaires, ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution, sous quelque dénomination que ce soit, promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu'au rétablissement du Gouvernement provisoire de la république française.Cette nullité doit être expressément constatée. »Dans la jurisprudence récente, cf. inter alia, à propos de la responsabilité de l'État français pour les actes commis sous le régime de Vichy : CE, Assemblée, 12 avril 2002, Papon ; note Emmanuel Aubin, « La responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs durant l’occupation », LPA, 28 mai 2002, p. 12 et svtes ; chronique Mattias Guyomar, Pierre Collin, AJDA, 2002, p. 423 et svtes ; chronique Michel Verpeaux, RFDC 2003, p. 55 et svtes. Cf. aussi : Trib. adm. Paris, 27 juin 2002, Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes, note Emmanuel Aubin, « Le régime de Vichy, la déportation des Juifs durant l'occupation et la République française ou la responsabilité administrative retrouvée », LPA, 29 octobre 2002 n° 216, p.15 et svtes ; TA Toulouse, 6 juin 2006, Consorts Lipietz, note Jean-Charles Jobart, « Les responsabilités de l'État et de la SNCF dans la déportation des Juifs ou des rapports du droit, du temps et de l'histoire », RDP, 2006, p. 1715 et svtes ;

339

lui-même223. Ces questions concernent surtout, d'une part, la délimitation de la sphère de compétence de

l'État français (par exemple, par rapport à l'Algérie224) et, d'autre part, l'identification de l'État auquel est

imputable tel ou tel comportement dans des circonstances de succession d'États (par exemple à propos

de Vanuatu225).

ii.ii. Les effets de successions d'États concernant des États tiers

Une question incidente peut porter sur les nouvelles modalités d'application d'un traité international

résultant d'une succession d'États qui concerne des États tiers. En droit français, le juge administratif se

réfère aux principes généraux de la succession d'États à propos des effets juridiques d'un transfert

conventionnel de territoire (CE, Section, 3 janvier 1947, Hospices civils de Chambéry226), des pouvoirs

de la puissance occupante en l'absence de traité de cession de territoire (CE, Section, 18 avril 1958,

Kempf227) ou avant l'entrée en vigueur d'un tel traité (CE, Section, 23 janvier 1958, Société Utrabois228).

En Autriche, les juridictions ont examiné à plusieurs reprises la situation internationale de la

République démocratique d'Allemagne, aussi bien avant qu'après la Réunification, ce afin d'identifier

l'état de ses obligations internationales conventionnelles229. Dans une décision du 8 novembre 1973230, le

Tribunal régional supérieur se réfère ainsi à une déclaration unilatérale de la République démocratique

en vue de vérifier sa qualité d'État partie à la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la

223 Cf. inter alia dans une littérature abondante : Cheikh Tidiane Thiam, Décolonisation et succession d'États en Afrique – contribution à l'étude de la succession à l'ordre juridique, thèse Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1989, 716 p. ; Evelyne Lagrange, « Les successions d'États : pratiques françaises », Louisiana Law Review, vol. 63, 2003, pp. 1187-1239 ; Maurice Flory, « Décolonisation et succession d'États », AFDI, 1966, pp. 577-593. Plus spécialement : Jean-Claude Gautron, « Sur quelques aspects de la succession d'États au Sénégal », AFDI, vol. 8, 1962, pp. 836-863 ; Suzanne Bastid, « La succession du Congo belge aux obligations de l'État indépendant du Congo devant la Cour de Paris », note sous C.A. Paris, 31 oct. 1956, R.U.F., 1957, pp. 356-375.224 Caducité de l'extension de la législation française aux anciens départements français d'Algérie (Oran, Alger, Constantine) depuis l'accession à l'indépendance de l'Algérie par les Accords d'Evian : T.G.I. de la Seine, 10e ch. correct., 22 juin 1966, ministère public c. Harivel, AFDI, 1966, pp. 817-818 ; Conseil d'État, 21 décembre 1966, De Hardies, Rec., 1966, p. 871 ; incompétence du juge français à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie : Conseil d'État, 16 juin 1967, Syndicat autonome des contributions directes d'Algérie, Rec. 1967 p. 690, AFDI 1968 p. 830.Cf. généralement : Charles Rousseau, « Accession de la République algérienne à l'indépendance. Modalités et conséquences juridiques. Problèmes de reconnaissance et de succession d'États», RGDIP, 1963, pp. 118-131/225 Сonseil d'État, sect., 5 octobre 1984, Russet, req. n° 51543 : Le Conseil d'État estime, suite à l'accession à l'indépendance des Nouvelles Hébrides (Vanuatu), que l'État français est responsable de la non-exécution d'une décision du Tribunal de Nouméa, prise alors que les Nouvelles-Hébrides étaient encore françaises, attribuant au requérant le droit d'être dédommagé pour avoir dû couper des palmiers sur sa propriété ; Conseil d'État, 27 septembre 1985, SA. Ballande Vanuatu, Rec. 1985, p. 680, RFDA, 1986, p. 273, note David Ruzié, AFDI 1986 p. 930 : responsabilité de l'État successeur, le Vanuatu (Nouvelles Hébrides), pour un acte fautif reproché à la France.226 Rec. p. 6.227 Rec. p. 213.228 Rec. p. 39.229 A propos des relations conventionnelles Autriche/RDA, cf. : Burkhard Hess, « Der Ausschluß österreichischer Berechtigter vom Vermögensgesetz, Besprechung der Entscheidung des österr. Verfassungsgerichtshofs vom 13.6.1992 zum Vermögensvertrag DDR-Österreich », Zeitschrift für Vermögens- und Immobilienrecht (VIZ), 1993, pp. 331-334. Cf. aussi sur le même traité, la jurisprudence allemande traitant de la relation juridique Autriche-RDA : arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 14 février 2003 (2 BvR 1867/00) suivant lequel la R.F.A. constitue le successeur de la R.D.A. en ce qui concerne les obligations internationales conventionnelles. cf. aussi plus généralement : Matthias Herdegen, op. cit. note 163.230 2 Ob 172/73

340

signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou

commerciale. La juridiction conclut en l'espèce négativement : « les membres de la R.D.A. ne

bénéficient d'aucune sécurité pour les frais juridiques s'ils se produisent en tant que requérants devant

les tribunaux autrichiens ».

Outre le maintien des obligations conventionnelles, les questions relatives à la succession d'États

peuvent toucher toutes sortes de matière, parmi lesquelles on trouve par exemple le droit de propriété

des locaux d'une ambassade231 ou la répartition de la propriété d'État entre les différents États concernés

par une situation de dismembratio232.

ii.iii. Le droit de la succession d'État par rapport aux particuliers233

Le droit de la succession d'États a directement des effets sur la relation entre États, mais aussi plus

indirectement sur le droit des particuliers, entre autres en matière de protection des droits privés qu'ils

ont acquis sous l'État prédécesseur234. Dans les situations de succession d’États, il est en principe

interdit à l’État successeur de porter atteinte à certains droits acquis235 antérieurement, c’est-à-dire sous

l’État prédécesseur, par les particuliers (« principe du respect des droits acquis de nature privée 236»). En

son avis consultatif du 10 septembre 1923, relatif à l'affaire des colons d’origine allemande dans les

territoires cédés par l’Allemagne à la Pologne, la Cour permanente de justice internationale énonce

que : « les droits privés, acquis conformément au droit en vigueur, ne deviennent point caducs à la suite

231 Cf. la décision de la Cour suprême autrichienne du 9 novembre 2004 à propos des droits exclusifs de la Fédération de Russie sur les locaux de l'ambassade de l'ancienne URSS à Vienne (5 Ob 152/04w).232 La Cour suprême autrichienne dit que : « Nach Völkergewohnheitsrecht ist Staatsvermögen im Falle einer "dismembratio" nach dem völkerrechtlichen Prinzip der "equity" aufzuteilen. » ; cf. les décisions du 17 décembre 1996 (4 Ob 2304/96v) et du 28 janvier 1997 (1 Ob 2313/96w). 233 Cf. inter alia, l'étude comparative de : Carsten Thomas Ebenroth, Günter Reiner, Roger Boizel, op. cit. note 172 ; cf. aussi : Alexander N. Makarov : « Les changements territoriaux et leurs effets sur le droit des particuliers », Annuaire de l'Institut de droit international, 1950, pp. 208-224.234 La protection des droits privés acquis par le droit international public est traitée par les auteurs classiques, par exemple : Emer de Vattel, Le droit des gens, ou principes de la loi naturelle, appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, éd. augm., Paris, Rio de Janeiro, 1830, t. II, p. 243, § 204 ; Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, présenté par Peter Haggenmacher, PUF, Paris, 2001, 363 p., spécialement pp. 197-201, p. 233. Cf. aussi généralement à propos de la propriété privée en droit international public : Rudolf L. Bindschedler, « La protection de la propriété privée en droit international public », RCADI, vol. 90, 1956, pp. 173-306.Le droit international protège uniquement les droits acquis par les particuliers dans la sphère privée (propriété, économie privée) dans le cadre d'une succession d'États (dominium). L'État successeur dans le cadre d'un changement territorial dispose en revanche d'une pleine compétence pour modifier les actes de l'autorité étatique de droit public ( imperium) commis par le l'État prédécesseur. Philippe-Antoine Merlin de Douai, procureur général près la Cour de cassation, rapporte que : « c'est un principe du droit des gens que, l'occupation d'un pays par droit de conquête venant à cesser, tous les actes de souveraineté et même de juridiction que le conquérant a faits, ou qui ont été faits en son nom, dans ce pays cessent avec elle » (Sirey, 1812-1814, Jurisprudence de la Cour de cassation, p. 90, col. 1). La Cour de cassation française considère de même que : « La retraite des armées napolitaines ayant fait cesser l'occupation du territoire, elle avait fait cesser la souveraineté de conquête et anéanti de plein droit tous les actes émanés de cette souveraineté instantanée et précaire » (ibid, colonne 3). Cf. : Gérard Teboul, « À propos du droit international non écrit : présence du passé devant le juge français aux XIXe et XXe siècles », in: Bibliothèque de l'école des chartes, 1998, tome 156, pp. 155-171, p. 158.235 La Cour permanente de justice internationale identifie clairement le principe du droit international protégeant les droits acquis à l'occasion de l'affaire certains intérêts allemands en Haute-Silésie Polonaise (arrêt, 25 mai 1926).236 L’expression«principe du respect des droits acquis de nature privée» se trouve dans l'œuvre de Carl Schmitt : Le nomos de la Terre, présenté par Peter Haggenmacher, PUF, Paris, 2001, 363 p., p. 197.

341

d’un changement de souveraineté.237 ».

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, à propos de la question du maintien

des droits acquis par les particuliers sous le régime de la République démocratique d'Allemagne,

correspond au droit international, et ce, quand bien même elle n'est pas directement fondée sur celui-ci :

En sa décision du 8 octobre 1996238, la Cour constitutionnelle fédérale – en se servant de

l’article 143 LF239 comme fondement – estime conforme à la Loi fondamentale la décision de la Cour

fédérale de justice relative à la Loi sur les questions patrimoniales en suspend (Gezetz zur Regelung

offener Vermögensfragen). En l'espèce, le requérant a vendu à bas prix – antérieurement à la

Réunification en septembre 1989 – l'immeuble qu'il possédait sur le territoire de l'ex-RDA, dans le but

d'obtenir une autorisation de la police de quitter le pays. Dès la chute du mur en novembre 1989, il

revient à Berlin et entreprend d’annuler son contrat de vente pour vice du consentement (violence).

Cette annulation devait entraîner, par application du Code civil de l'ex-RDA, la restitution de

l'immeuble vendu sous la contrainte. En effet, le Code civil de la RDA, à l'opposé de son équivalent

ouest-allemand, conditionne la validité du transfert de propriété par la validité du contrat de vente.

Cependant, la Loi sur les questions patrimoniales en suspend entre en vigueur – en même temps

que le Traité d’Unification, et avant que la décision de la Cour d'appel donnant satisfaction au requérant

acquiert force de chose jugée. Cette loi dispose que les anciens propriétaires ne sont pas habilités à

obtenir la restitution de leur bien s'il a entre-temps été acquis de «façon honnête» («in Redlicher

Weise») par un tiers (maintien des «droits acquis»). Il s'ensuit que la Cour fédérale de justice considère

dans sa décision du 3 avril 1992 que les règles du code civil de l'ex-RDA ne sont pas invocables par

l’ancien propriétaire, car cela aboutirait à retirer la propriété à quelqu'un l'ayant acquis en cette période

«de façon honnête».

Saisie de l'affaire, la Cour constitutionnelle fédérale estime dans sa décision Restitution und

Vertragsanfechtung (BVerfGE 95, 48) que c'est à juste titre que la Cour fédérale de justice a accordé la

priorité à la Loi sur les questions patrimoniales en suspens, au motif que seule cette dernière est

conforme au « principe constitutionnel de la protection de la confiance et des droits acquis ». En outre,

selon la Cour constitutionnelle fédérale, cette loi ne porte pas une atteinte excessive au droit de

propriété garanti par la Loi fondamentale, étant donné que son existence est expressément annoncée par

une disposition du Traité d'Unification – confirmée par l’article 143 LF.

β. Les conflits armés

Le juge interne est saisi d'un large contentieux directement ou indirectement relatif au droit des conflits

237 Rec., série B, n°6, p. 36.238 BVerfGE 95, p. 48 –Restitution und Vertragsanfechtung239 L'article 143 LF prévoit des dérogations temporaires aux dispositions de la Loi fondamentale qui consistent au maintien provisoire de la validité d'une partie du droit de la R.D.A. postérieurement à la Réunification allemande.

342

armés à la suite des deux guerres mondiales240, puis, il est vrai surtout dans le cas de la France,

conséquemment aux conflits coloniaux postérieurs. Le contentieux à t itre incident relatif au droit des

conflits armés s'est depuis quantitativement amoindri et son objet s'étend actuellement soit à certaines

persistances de l'Après-guerre (poursuite de criminels de guerre, demande d'indemnisation des crimes

commis par certains États) et du processus de décolonisation (relations de la Métropole avec d'anciens

territoires ou colonies, condominiums, territoires à statut particulier), soit aux conséquences juridiques

de conflits à l'étranger.

Les situations juridiques particulières des individus (i.) ainsi que les obligations de l'État (ii.) sont

modifiées par une situation de conflit armé :

i. Certaines normes internes attachent par elles-même certaines conséquences à un état de guerre, qui

consistent le plus souvent en une suspension des droits et obligations ordinaires241. En ce cas, le juge

interne se réfère souvent aux principes généraux du droit international pour constater préalablement un

éventuel état de guerre. Plusieurs affaires en offrent une illustration :

En droit français, l'ex-article 416-1 du Code pénal242 dispose que : « Les peines énoncées à

l'article 416 [prévoyant des sanctions contre les actes de discrimination] sont également applicables à

quiconque aura, par son action ou son omission et sauf motif légitime, contribué à rendre plus difficile

l'exercice d'une quelconque activité économique dans des conditions normales [par toute personne

physique ou morale] à raison de son origine, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou

supposée, à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion déterminée ». La Cour d'appel

d'Orléans, à propos d'une affaire qui se situe dans le contexte du boycott arabe visant Israël, doit estimer

si la relation entre Israël et les pays arabes se qualifie bien comme une « condition normale » (arrêt du 6

septembre 1993, LICRA c. Schmitt243). Le juge judiciaire opère en l'occurrence une interprétation

téléologique, c'est-à-dire selon l'intention supposée du législateur : « le législateur [de 1977] avait à

l'esprit le conflit israëlo-arabe » et, dès lors que ce conflit s'est maintenu depuis la rédaction de l'article,

« on ne peut en tirer la conséquence que l'infraction a eu lieue "dans des conditions normales", sauf à

considérer que l'état de guerre constitue la norme des relations internationales entre Israël et les États

240 Cf. notamment : David Ruzié, « Jurisprudence comparée sur la notion d'état de guerre », AFDI, 1959, pp. 396-410 ; Karl Doehring, « Das Friedensgebot des Grundgesetzes », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung - Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 173, pp. 687-710. Antérieurement aux guerres mondiales; cf. Dionisio Anzilotti, Il Diritto Internazionale Nei Giudizi Interni, Ditta N. Zanichelli, Bologne, 1905, 328 p. 241 Cf. notamment : Carl Schmitt (1922), Politische Theologie, Duncker & Humblot, Berlin, 2004, 70 p. ; Markus Trotter, Der Ausnahmezustand im historischen und europaischen Rechtsvergleich, Thèse de doctorat, Heidelberg, 1997, 221 p. ; Oren Gross, « The normless and exceptionless exception: Carl Schmitt's theory of emergency powers and the “norm-exception dichotomy” », Cardozo Law Review, vol. 21, 2000, pp. 1825-1868 ; John Ferejohn, Pasquale Pasquino, « The Law of Exception: A Typology of Emergency Powers », International Journal of Constitutional Law, vol. 2, 2004, pp. 210-239. 242 Les anciens articles 416 et 416-1 du Code pénal sont ses actuels articles 225-1, 225-2, 225-3 et 225-4.243 RGDIP, 1994, p. 755 et svtes ; note Geneviève Burdeau, pp. 760-768.

343

voisins ; que, bien au contraire, l'essence du droit international consiste à promouvoir la paix entre

États, ce qui revient à dire que les situations de conflit sont considérées comme anormales. » A

l'occasion d'une affaire antérieure en date du 6 avril 1948244, la Cour d'appel d'Orléans considère que

l'ordonnance du 21 avril 1945 relative à la nullité des actes de spoliation commis par l'ennemi vise

uniquement les transferts de propriété effectués en violation des « règles et usages du droit

international » tels que codifiés aux articles 53 et 55 de la Convention de la Haye IV du 18 octobre

1907245.

Le Tribunal social fédéral allemand (Bundessozialgericht) a été saisi d'une affaire concernant le

calcul d'une pension allemande auquel aurait peut-être droit un «détenu de l'ennemi» pendant la guerre

d'Espagne (décision du 14 décembre 1978246). Le droit à cette pension présuppose que l'Espagne soit à

ce moment juridiquement en guerre, ce qui amène le Tribunal social fédéral à se prononcer sur le statut

de la Guerre d'Espagne ainsi que sur l'intervention réalisée par l'Allemagne dans celle-ci. Le Tribunal

social fédéral soutient que la situation en Espagne n'est pas autre chose qu'une guerre civile et « ne

constitue pas en conséquence une guerre telle que définie par le droit international », qui qualifierait

comme telle uniquement les affrontements entre États – ou groupes d'États. Toujours selon le juge

national, l'Allemagne ne se trouve clairement pas alors en état de guerre, certains indices de celui-ci

n'étant pas relevables, parmi lesquels la rupture des relations diplomatiques avec la République

espagnole, la suspension du droit international général de la paix, ainsi que la volonté d'utiliser une

force distincte de celle des belligérants.

ii. Les conflits armés entraîne des conséquences sur les obligations internationales de l'État247,

notamment en ce qui concerne l'applicabilité des traités internationaux.

244 Cour d'Appel d'Orléans, 6 avril 1948, État français c. Etablissements Monmousseau, RCDIP, vol. 37, 1948, p. 311.245 « Article 53 : L'armée qui occupe un territoire ne pourra saisir que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l'État, les dépôts d'armes, moyens de transport, magasins et approvisionnements et, en général, toute propriété mobilière de l'État de nature à servir aux opérations de la guerre.Tous les moyens affectés sur terre, sur mer et dans les airs à la transmission des nouvelles, au transport des personnes ou des choses, en dehors des cas régis par le droit maritime, les dépôts d'armes et, en général, toute espèce de munitions de guerre, peuvent être saisis, même s'ils appartiennent à des personnes privées, mais devront être restitués et les indemnités seront réglées à la paix.Article 55 : L'État occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l'État ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l'usufruit. »246 BSGE 47, p. 263.247 Cf. inter alia : Cecil J. B. Hurst, « The Effect of War on Treaties », BYIL, 1921-1922, vol. 2, p. 37 et svtes ; James J. Lenoir, « The Effect of War on Bilateral Treaties, with Special Reference to Reciprocal Inheritance Treaty Provisions », Georgetown Law Journal, vol. 34, 1945-1946, p. 129 et svtes ; Richard Rank, Einwirkung des Krieges auf die Nichtpolitischen Staatsverträge, Svenska Institutet for Internationell Ratt, Uppsala, 1949 ; Richard Rank, « Modern War and the Validity of Treaties: A Comparative Study », Cornell Law Quarterly, vol. 38, 1952-53, partie 1, p. 321 et svtes, partie 2, p. 511 et svtes ; Arnold Duncan McNair, Arthur Desmond Watts, The legal effects of war, 4ème éd., Cambridge University Press, Cambridge 1966, 468 p. ; Secrétariat de la Commission du droit international, Les effets des conflits armés sur les traités : examen de la pratique et de la doctrine , A/CN.4/550, 2005, 106 p. ; Silja Voeneky, Die Fortgeltung des Umweltvölkerrechts in internationalen bewaffneten Konflikten, Springer, Berlin/Heidelberg/New York, 2001, 593 p.

344

Le contentieux juridictionnel allemand relatif aux effets de la guerre sur les traités internationaux

auxquels le Reich allemand était lié apparaît ainsi abondant248. En France, le Conseil d'État en son arrêt

du 5 août 1921, Sieur Goffart249, constate qu'un traité international est « rompu par la guerre ».

Ultérieurement, le juge administratif français, à l'occasion de l'affaire Sieur Villa en date du 16

novembre 1956250, considère qu'une convention d'établissement, c'est-à-dire un traité international

bilatéral déterminant l'entrée et la condition des ressortissants d'une des hautes parties contractantes sur

le territoire de l'autre, avait « cessé d'être applicable » à la suite de la déclaration de guerre de l'Italie à

la France. Le juge judiciaire français apprécie également l'applicabilité d'un traité international dans les

circonstances de guerre en se fondant sur le droit international général. La Cour de cassation estime

dans une décision du 9 juillet 1959, aussi à propos d'une convention d'établissement, « que, l'état de

guerre n'ayant pas existé entre la France et la Roumanie », le traité est « toujours en vigueur251 ».

Traditionnellement, le juge interne applique immédiatement le droit international à titre incident, dans

la mesure où une disposition interne n'interdit pas le recours aux principes du droit international (mode

d'applicabilité moniste au sens technique). Il s'ensuit, entre autres, qu'une réglementation interne qui

écarte de manière directe ou indirecte la responsabilité de l'État en raison des violations au droit

international commises par l'État prédécesseur, à l'exemple de l'Ordonnance du 9 août 1944 relative au

rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental français, pourra faire obstacle à

l'application des principes du droit international relatif à la succession d'États par le juge interne, et ce,

lors même que cette application ne serait qu'incidente. Cette limitation n'empêche pas que le droit

international détermine dans un grand nombre de cas les modalités d'application des normes internes, y

compris celles de contenu général ; il pourra en effet contribuer à la détermination de la sphère

d'applicabilité spatiale des lois ou prévoir les modalités de production ou de destruction des traités

internationaux concernés par une transformation dans la sphère interne. En résumé, dans certains

domaines, le droit international complète le droit interne, y compris constitutionnel, comme l'illustre la

délimitation du territoire, dans la mesure toutefois où il n'entre pas en collision avec la réglementation

proprement interne.

L'application immédiate du droit international par voie incidente ne s'effectue pas de manière

systématique ; il peut en effet en aller autrement, étant donné qu'elle ne découle aucunement d'une

relation nécessaire entre droit international et droit interne. Ainsi, la pratique du juge allemand tend à

248 Renata Sonnenfeld, « Succession and Continuation, A Study on Treaty Practice in Post-War Germany », Netherlands International Law Review, vol. 7, 1976, pp. 108-116. 249 Rec.1921, p. 833250 RDP, 1957, p. 125, concl. Laurent ; cf. aussi pour une décision antérieure du juge judiciaire : Tribunal de la Seine, 12 novembre 1954, Heller contre La soie de Paris, JDI, 1955, p. 166, note Jean-Baptiste Sialelli.251 Cass., 9 juillet 1959, Belard contre Demoiselle Gartenberg, Gaz. Pal. 1959, Jurisprudence, 2e semestre, p. 157 ; cf. aussi : Cass., ch. civile, 10 février 1948, Artel c. Seymano, RCDIP, vol. 37, 1948, p. 477.

345

fonder l'application du droit international général, y compris lorsqu'elle est incidente, sur l'article 25 LF,

(par exemple, en matière d'immunité de juridictions de l'État étranger 252), et non sur le droit

international lui-même.

L'invocabilité d'une norme internationale à titre principal ou à titre incident est étroitement liée au degré

d'objectivité, ou inversement de subjectivité, du contentieux. Schématiquement, lorsqu'il s'agit d'une

ouverture du recours de type objectif, toute norme internationale est invocable à titre principal, même si

le requérant n'a aucun intérêt particulier dans celle-ci ; le juge conserve de plus une compétence

d'appliquer le droit international général de manière incidente puisqu'il est une composante du « droit

objectif en vigueur ». En revanche, lorsqu'il s'agit d'une ouverture du recours de type subjectif, seules

les normes qui présentent un intérêt particulier pour le requérant sont invocables à titre principal,

comme par exemple les normes internationales d'effet direct pertinentes en l'espèce ; cependant, cela ne

prive pas pour autant le juge de son habilitation à appliquer le droit international général de manière

incidente.

B. La création de droits et obligations invocables par le particulier

i. Aperçu général

La qualité de composante du droit interne des normes du droit international général ne suffit pas à elle

seule pour attribuer aux particuliers le droit de les invoquer devant une juridiction interne.

L'invocabilité de ces normes par les particuliers est généralement admise s'il s'agit d'un contentieux de

type objectif, puisqu'elles sont une composante du système juridique interne auxquelles le juge est tenu

de se référer lorsqu'il opère un «contrôle de légalité» (entendu au sens large, la forme normative «loi»

n'étant pas nécessairement la norme de référence dans le cadre du « contrôle de légalité » en question).

Il n'est en revanche pas certain qu'elles attribuent aux particuliers des droits ou obligations leur ouvrant

le droit d'invoquer le droit international général dans le cadre d'un contentieux subjectif. Et cela est

d'autant plus vrai que la plupart des normes du droit international général sont d'un haut degré de

généralité et paraissent insuffisamment concrétisées.

En raison de l'organisation du contentieux juridictionnel propre à chaque système juridique national, il

existe de nettes divergences entre les différents États quant à l'invocabilité par les particuliers de ces

normes. Par surcroît, le degré d'ouverture du recours dans les cas où une violation d'une norme

252 L'immunité de juridiction des États étrangers est traditionnellement immédiatement appliquée par le juge interne, y compris pour résoudre les questions incidentes relatives au bénéfice de celle-ci (par exemple relative à la qualité d'État souverain de l'entité invoquant une immunité de juridiction). Il n'en va pas ainsi dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale : BVerfGE 16, p. 27 - Iranische Botschaft ; BVerfGE 46, p. 342 - Philippinische Botschaft.

346

internationale est invoquée par un particulier varie non seulement suivant l'État, mais aussi au sein d'un

même État suivant le contentieux en question (contentieux constitutionnel, contentieux administratif,

contentieux judiciaire, ou autre). Néanmoins, un problème apparaît partagé par toutes les doctrines et

jurisprudences nationales : la relation entre effet direct des normes internationales et titularité pour les

particuliers du droit de les invoquer.

ii. La relation entre invocabilité et effet direct du droit international.

Lorsque le droit international attache par exception un effet direct à certaines de ses normes, les

particuliers en sont destinataires indépendamment du contenu du droit interne (on pourra dire que les

individus se trouvent en l'occurrence primo-destinataires du droit international). Toutefois, les

particuliers ne deviennent pas pour autant nécessairement titulaires de ces droits253, c’est-à-dire qu’ils

253 Hans Kelsen soutient que l'absence d'une titularité de ces droits soulève de nombreuses difficultés. La question est en l'occurrence non de savoir si les individus peuvent en principe être les sujets de droits internationaux, mais de savoir sous quelles conditions ils le sont (surtout : la titularité de ces droits conditionne-t-elle leur existence même ?) :« In the absence [...] of any obligation on the part of the contracting parties to recognize the jurisdiction of a tribunal to which individuals have access in a case of a violation of their "rights" by a state, it is misleading to speak of rights being conferred upon individuals by treaty. On this view, the rights thereby conferred by the treaty are solely the rights of the contracting parties, that is, the rights of states. Nor is this conclusion altered by the fact that the purpose of the treaty is to protect certain interests of individuals by imposing limits on the treatment that states may accord to their own nationals.In opposition to the above view it has been urged that individuals may be considered the subjects of international rights though they are without the "faculty of independent actions to enforce these rights" : "The fact that the beneficiary of rights is not authorized to take independent steps in his own name to enforce them does not signify that he is not the subject of the law or that the rights in question are vested exclusively in the agency which possesses the capacity to enforce them. Thus, in relation to the current view that the rights of the alien within foreign territories are the rights of his state and not his own, the correct way of stating the legal position is not that the state asserts its own exclusive right but that it enforces, in substance, the right of the individual who, as the law now stands, is incapable of asserting it in the international sphere."[Lauterpacht, International Law and Human Rights (1910), 27, 54]. On this view, a treaty imposing obligations upon the contracting parties with respect to the treatment of their own nationals thereby confers international rights on individuals even though these individuals do not have independent access to a tribunal in the event their "rights" are violated by a state.Neither of this views are without certain difficulties. [...] It is quite true that there are a number of rules of international law the contents of which concern the individual and the protection of his interests. An example […] is the rule obligating states to accord a certain standard of treatment to alien within their territory. It does not follow, however, that because this rule protects the interest of individuals it thereby constitutes a right of individuals under international law. […]. The question when are individuals the subjects of international rights cannot be answered in terms of the interests of individuals protected by this law. Instead, the question can only be answered in terms of the manner in which – or the technique by which – these interests are protected. » ; cf. P.I.L., pp. 231-235.A notre sens, la non-titularité d'un droit n'est nullement un obstacle à la situation de destinataire de celui-ci. On trouve habituellement cette situation juridique en droit interne dans les cas de représentation légale. Il en va par exemple ainsi des mineurs qui sont destinataires de certains droits, que seuls leurs représentants légaux sont compétents pour invoquer – ou ne pas invoquer – devant une juridiction (inversement, il est aussi possible d'être titulaire d'un droit sans en être destinataire). La différence entre les normes internationales créant directement des droits pour les particuliers et les normes internationales ayant pour objet les droits des individus sans leur en attribuer directement réside dans ce que, dans le premier cas, les individus sont destinataires de droit indépendamment d'une médiation étatique, c'est-à-dire sans concrétisation étatique. Les particuliers se trouvent pour ainsi-dire en situation de primo-destinataire du droit international lorsque celui-ci est d'effet direct, peu importe qu'ils n'en soient pas titulaires. On trouve plusieurs configurations possibles de la relation destinataire/titulaire dans la sphère du droit international :

- L'individu se trouve destinataire de droits internationaux alors que la titularité des droits de l'individu est exercée par un État (aussi bien par un État dont ils sont ressortissants que par un État étranger protecteur). Le fait que l'État soit pourvu d'un pouvoir discrétionnaire pour invoquer ces droits, c'est-à-dire qu'il n'est pas obligé de les invoquer,

347

ne disposent pas nécessairement de la capacité juridique de les invoquer devant des organes

d’application du droit – en particulier devant les juridictions internationales254 ou internes255.

De manière générale, l’applicabilité des normes internationales au sein du système juridique interne

n’entraîne pas nécessairement leur invocabilité, c’est-à-dire la possibilité pour un particulier de s'en

prévaloir devant une juridiction interne. Le droit international d'effet direct, qui crée directement des

droits et des obligations au bénéfice et à la charge des particuliers256, semble occuper une situation

spécifique par rapport au restant du droit international. Il est en effet souvent supposé que les droits et

ne change rien à la situation de l'individu en tant que destinataire. De même, dans les systèmes juridiques nationaux, les représentants légaux disposent d'une certaine compétence pour invoquer ou non les droits des individus qu'ils représentent, ce qui n'empêche pas que ces derniers continuent à bénéficier de ces droits, y compris lorsqu'aucune procédure n'est enclenchée pour leur défense ;

- La réparation du préjudice subi par une violation de ses droits internationaux, ou la peine assortie à la violation de ses obligations internationales, ne s'adresse pas nécessairement directement à l'individu qui en est le destinataire. Il suffit que la violation d'un droit ou d'une obligation soit sanctionnée pour que ce droit ou cette obligation existe, indépendamment des modalités de sanction. Dans les systèmes juridiques positifs, une dissociation entre le destinataire de la norme et le destinataire de la sanction apparaît souvent, même dans les systèmes juridiques internes, comme l'illustrent les cas de sanction collective (par exemple : un individu viole une obligation qui lui est destinée et l'ensemble de la communauté à laquelle il appartient est sanctionnée ; une société industrielle et commerciale doit réparer le préjudice commis à une autre société par l'action fautive d'un seul individu) ou les cas où la réparation profite à une autre personne que la victime (par exemple : la violation de droits appartenant aux individus entraîne une réparation à l'État, et non aux victimes ; la réparation du préjudice lié à un génocide revient à des associations de défense des victimes, et non directement aux victimes). En l'état du droit positif, la dissociation entre l'auteur de la faute et le destinataire de la sanction est de principe en droit international (par exemple, l'ensemble de la population de l'État est destinataire d'une guerre sanctionnant une faute internationale accomplie par le seul chef d'État ; cf. Hans Kelsen, PIL, pp. 195-196 ). 254 Le droit international ne prévoit pas en principe la titularité internationale de droits par les particuliers. En d’autres termes, les particuliers ne disposent pas en principe de la compétence d'invoquer leurs droits devant une juridiction internationale, même s'ils sont directement destinataires de droits et obligations. Néanmoins, le droit international attribue parfois, et surtout par voie conventionnelle, le droit aux particuliers de poursuivre une procédure à l'encontre d'un État devant une juridiction interne ou internationale.Le droit international général ne prévoit pour les particuliers que des procédures d’action très réduites et les cas dans lesquels la participation du particulier à une authentique procédure juridictionnelle est permise restent exceptionnels : 1. La Convention de Washington du 20 décembre 1907 conclue entre les Républiques de Costa Rica, Guatelama, Honduras, Nicaragua et Salvador crée une éphémère (1907-1918) Cour de justice centre-américaine à laquelle les simples particuliers peuvent alors accéder, à condition d’avoir épuisé préalablement les voies de recours internes, cette dernière condition justifiant le rejet des quatre recours individuels dont la Cour fut saisie. ; 2. Le recours contentieux des particuliers devant la Cour européenne des droits de l’homme est direct sur le fondement de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 telle qu’amendée par le Protocole 11 (entré en vigueur le 1er novembre 1998) autorisant de plein droit l’individu à saisir la juridiction ; 3. La Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 prévoit une procédure indirecte : les particuliers ont le droit de saisir un organe d’instruction et de conciliation, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (art. 44), par une requête portant sur la violation par un des États parties des droits protégés par la Convention ; si cette voie de recours n’habilite pas les particuliers à saisir directement la juridiction internationale en tant que telle – la Cour interaméricaine des droits de l’homme –, elle aboutit, à l’issue d’une procédure complexe, à une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ; 4. Le droit de l’Union européenne – système juridique supranational divergeant du droit international général en matière de titularité des droits du particulier – contient un « système complet des voies de recours et de procédures » (CJCE, 2 déc. 1971, Zuckerfabrik Schöppensted) qui attribue aux simples particuliers la compétence de saisir les juridictions de l'Union. Même si les recours sont plus ou moins ouverts, en fonction notamment de l’intérêt pour agir du particulier en question (CJCE, 12 octobre 1978, Commission c. Belgique), ils permettent en principe au particulier de se prévaloir de ses droits directement attribués par le droit de l'Union. Suivant la logique de la Cour de justice, il convient de distinguer trois catégories : les recours contre les institutions de l’Union (recours en annulation, exception d’illégalité et recours en carence), les recours contre les États membres (recours en constatation de manquement) et le renvoi préjudiciel, ce dernier étant conditionné par l’épuisement des voies de recours internes. Pour un aperçu historique des procédures juridictionnelles ouvertes au particulier devant un juge international, cf. inter alia : Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp. 223-230.

348

obligations ainsi créés sont invocables par les particuliers, et ce, y compris à l'occasion d'un contentieux

subjectif interne.

ii.i. Les particuliers destinataires de droits et obligations internationaux

La Cour permanente de justice internationale, dans l’affaire des tribunaux de Dantzig (1928)257, affirme

qu'en principe les traités ne créent pas des droits et obligations invocables par les particuliers, tout en

admettant une exception dans le cas où l'intention des États –non présumée– consiste à leur attribuer un

effet direct. Cette conception de la Cour, reposant sur la volonté des États, est confortée par le fait que, à

l’époque de l'affaire, la doctrine soutient dans sa grande majorité que l’individu est exclu de la sphère

internationale258. Depuis, l'observation des phénomènes d'ouverture des systèmes juridiques internes au

droit international, de multiplication des traités internationaux et régionaux relatifs aux droits de

l’homme, d'émergence d'un droit supra-national fort – le droit de l'Union européenne – ont conduit la

doctrine et la jurisprudence à nuancer la théorie selon laquelle le contenu du droit international résulte

en son intégralité de la volonté des États souverains, qui occuperaient aussi la situation d'uniques

destinataires de principe du droit international259.

C'est l'intention des États qui conditionnerait l'effet direct d'une norme internationale. Or, l'«intention»

s'analyse comme un phénomène subjectif qui ne se manifeste pas toujours de manière visible , d'où

s'ensuit des difficultés d'identification. Les juridictions internationales ont progressivement enrichi – sur

une période relativement longue et à l'occasion de nombreuses affaires – les critères qui rendent l'effet

direct identifiable. Il n’est cependant pas toujours évident de cerner l’ensemble des critères proposés : la

précision de la norme invoquée, son objet (conférer des droits aux particuliers et non régir les relations

interétatiques), sa perfection (qu’elle soit applicable par elle-même sans mesures nationales

255 En certaines situations, les individus ne sont habilités par le droit international à invoquer des droits internationaux d'effet direct que par l'intermédiaire d'une procédure interne juridictionnelle ou non juridictionnelle. La Cour internationale de justice, à l'occasion de l'affaire LaGrand, estime que l'article 63 §1 de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires « crée des droits individuels » relatifs à l'information et à l'accès à la protection consulaire bénéficiant aux personnes détenues à l'étranger, mais ces droits sont à invoquer « devant la Cour par l'État dont la détenue a la nationalité. [§ 77] » ; cf. C.I.J., arrêt, 27 juin 2001, Convention de Vienne sur les relations consulaires (Allemagne c. États-Unis).256 A propos de l'«effet direct», cf. infra :« L'"effet direct" : droits et obligations destinés au particulier ».On admettra ici l'existence de normes internationales d'«effet direct» dénuées d'un caractère «self-executing», en ce sens que l'individu peut être directement destinataire de droits et obligations internationaux sans en être titulaire. L'effet «self-executing» d'une norme internationale suppose que soit attribué au particulier, outre les droits et obligations matériels, le droit d'invoquer la norme internationale en question (cf. aussi : note 253 et 262). 257 Avis de la Cour Permanente Internationale de Justice du 3 mars 1928 : « selon un principe de droit international bien établi, un accord international ne peut, comme tel, créer directement des droits et des obligations pour des particuliers. Mais on ne saurait contester que l'objet même d'un accord international, dans l'intention des Parties contractantes, puisse être l'adoption par les Parties de règles déterminées, créant des droits et des obligations pour des individus et susceptibles d'être appliqués par les tribunaux nationaux. »258 Cela est l'opinion de la théorie dualiste dominante, cf. les ouvrages classiques de : Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, C.L. Hirschfeld, Leipzig, 1899, 476 p., réédition Aalen 1958, 452 p. ; Droit international et droit interne, traduit de l’allemand par René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p. ; Dionisio Anzilotti, Il Diritto Internazionale Nei Giudizi Interni, Ditta N. Zanichelli, Bologne, 1905, 328 p. 259 Le Professeur Carlo Santulli, pourtant largement influencé par la doctrine dualiste classique dans sa thèse de doctorat, admet ainsi la possibilité d'un effet direct du droit international. Cf. op. cit. note 102, spécialement pp. 99-105.

349

supplémentaires de concrétisation), la recherche de l’intention des États parties et, en ce qui concerne

les normes écrites, les indices sémantiques présents dans la rédaction de la norme. Les juges

internationaux, de même qu'internes, utilisent la technique dite du faisceau d’indices260, avec cette

difficulté que les critères ne relèvent pas toujours des mêmes ordres de considération («subjectif» ou

«objectif», «littéral» ou «téléologique», etc.), tout en se superposant très largement.

La question de la corrélation entre effet direct de la norme internationale et ouverture du droit au

recours des particuliers qui en sont les destinataires n'a pas manqué d'attirer l'attention de la doctrine. Il

est parfois affirmé que, dans les cas où l'ouverture du recours est conditionnée par la violation d'un droit

subjectif, seules les normes internationales d'effet direct sont invocables par les particuliers, puisqu'elles

créent des «droits et obligations» de nature subjective, autrement dit « dans le chef du particulier ». A

l'opposé, la majorité de la doctrine remarque que le contentieux juridictionnel interne demeure en

principe autonome du droit international – en vertu du principe du droit international d'autonomie

organique de l'État – et qu'il n'y a en conséquence pas de relation nécessaire entre l'effet direct du droit

international et son invocabilité.

ii.ii. Les particuliers titulaires de droits et obligations internationaux

Suivant le droit international, la création par une norme internationale de droits et obligations au

bénéfice et à la charge des particuliers n’implique pas nécessairement une obligation pesant sur les

juridictions internes d'admettre leur invocabilité par les particuliers concernés. Les individus sont alors

simplement destinataires de la norme en question, et non titulaires de l'habilitation d’invoquer devant un

juge les droits et obligations créés par voie internationale. Il arrive toutefois que le droit international

oblige les États à prévoir des procédures contentieuses afin que certaines de ses normes, parmi

lesquelles des normes coutumières261, soient invocables par le particulier dans la sphère du droit interne

(cas des normes internationales dites self-executing262). 260 L'analyse est globale, en prenant en considération la satisfaction de chacun des critères ainsi que leur pertinence en l'espèce, mais sans pour autant que la non-satisfaction de l'un d'entre eux suffise à conclure à l'absence d'effet direct de la norme en question.261 De manière générale, à propos de la titularité par les individus de droits et obligations crées par le droit international coutumier, cf. Francesco Francioni, « The Right to Access to Justice in International Customary Law », in : Francesco Francioni (éd.), Access to Justice as a Human Right, Oxford University Press, Oxford, 2007, 244 p., pp. 47-51.262 Une partie de la doctrine définit l'«effet direct» par la titularité : la norme d'«effet direct» attribue au particulier un certain ensemble de droits et obligations, et l'habilite également à invoquer ces droits et obligations devant une juridiction, interne ou internationale (on utilisera dans la présente recherche le terme de normes «self-executing» pour désigner cette sorte de normes). Il est affirmé qu'il n'y aurait effet direct que dans la mesure où l'individu est habilité, en se fondant sur les droits et obligations qui lui sont internationalement attribués, à demander au juge de ne pas appliquer une norme étatique qui les transgresse ou à en contester la validité. L'autre partie de la doctrine définit l'«effet direct» uniquement par la destination des droits et obligations. A propos des difficultés soulevées par chacune de ces conceptions, cf. Hans Kelsen, P.I.L., pp. 231-235. Cf. aussi : Karel Vasak, « Was bedeutet die Aussage, ein Staatsvertrag sei self-executing ? » JBl, 1961, p. 621 et svtes ; Albert Bleckmann, Begriff und Kriterien der innerstaatlichen Anwendbarkeit völkerrechtlicher Verträge. Versuch einer allgemeinen Theorie des self-executing treaty auf rechtsvergleichender Grundlage, Duncker & Humblot, Berlin, 1970, 333 p. ; Carlos Manuel Vázquez, « The Four Doctrines of Self-Executing Treaties », AJIL, vol. 89, 1995, pp. 695-723.Conventionnellement, on retiendra ici la définition de l'«effet direct» par le seul destinataire. Toutes choses égales par ailleurs, des droits et obligations peuvent être attribués au bénéfice au particulier même s'il ne maîtrise pas les moyens

350

L'uniformité263 du droit international n'empêche pas la présence de grandes variations quant à

l'invocabilité de ses normes self-executing dans les différents contentieux juridictionnels internes.

Certaines limitations de l'invocabilité peuvent découler de normes techniques : condition de réciprocité

(les droits et obligations internationaux doivent également être garantis par les autres États liés par la

norme internationale en question), règles de recevabilité du recours contentieux («droit subjectif» à

invoquer la norme, intérêt pour agir...), ou encore, présence d'une réglementation interne qui justifie une

«interprétation restrictive»264 de la norme internationale en question, c'est-à-dire limitant sa sphère

d'applicabilité. Inversement, l’invocabilité des normes internationales en droit interne peut aussi aller

au-delà de l’invocabilité exigée par le droit international. Une partie considérable de la doctrine

allemande admet ainsi que l’art. 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF a pour effet d'ouvrir de manière

générale le recours aux particuliers, quelle que soit la violation du droit international général en

question.

En droit interne, les formes d’invocabilité des normes internationales dépendent donc du contentieux

interne, et ce dernier varie grandement d'un État à l'autre. Il n’y a pas même pas de corrélation

nécessaire entre l'effet direct d'une norme internationale et son invocabilité devant une juridiction

interne, et ce, aussi bien suivant le droit international lui-même que suivant le droit interne 265. Tandis

de les faire valoir. Par normes «self-executing», on entend les normes internationales dont le particulier est non seulement destinataire mais aussi titulaire eu égard à l'état du droit international lui-même. Une norme internationale d'«effet direct» mais non «self-executing» pourra aussi être invocable par le particulier dans le contentieux juridictionnel interne, peu importe qu'il n'existe pas d'obligation internationale à la charge de l'État de mettre en oeuvre une telle invocabilité, tout dépend dans ce cas de l'organisation du contentieux juridictionnel interne.On pourra comparer la terminologie ici adoptée avec celle relevée par le Professeur Eric David : « La règle est réputée autonome et complète lorsque son application n’est pas subordonnée à l’adoption de mesures particulières d’exécution ou d’adaptation par l’État (norme self-sufficient). Elle est réputée s’adresser directement à des particuliers lorsqu’elle confère à ceux-ci des droits et obligations qui peuvent être invoqués devant un juge interne (norme self-executing). » ; cf. « Opposabilité du droit international coutumier aux acteurs non-étatiques », in : Paul Tavernier, Jean-Marie Henckaerts (éds), Droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, actes du colloque organisé par le CICR et le CREDHO, Paris, 12 mars 2007, Bruylant, Bruxelles, 2008, 289 p., pp. 81-88, spécialement p. 82.263 Trivialement, les États liés par une même norme internationale sont destinataires des mêmes obligations internationales – modulées suivant leur sphère de compétence propre telle que déterminée par le droit international.264 En matière de traités, cf. la jurisprudence française relative à la répression pénale des violations graves des conventions de Genève de 1949, et en particulier : Cass., Crim., 26 mars 1996, Javor et autres, RGDIP 1996, p. 1083 et svtes. La Cour de cassation admet l’opposabilité de la Loi n°95-1 du 2 janvier 1995 qui met en œuvre la résolution 827 (1993) du Conseil de Sécurité des Nations unies relative à la poursuite des crimes commis en ex-Yougoslavie dans les États-membres de l'ONU ; mais, en s’en tenant aux termes de la loi du 2 janvier 1995, elle refuse d’admettre que les autorités publiques nationales sont tenues d’assurer l’effectivité des recherches et de l’instruction en France pour tous les crimes de ce type, quelle que soit la nationalité des auteurs et des victimes, et le lieu de ces crimes. Une partie de la doctrine y voit une «interprétation restrictive» de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, qui dispose que « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ».265 Une partie minoritaire de la doctrine considère qu'une norme internationale n'est adaptée à une transformation en droit interne que pour autant qu'elle crée des droits et obligations dans le chef des particuliers. Cette conception a fait l'objet de nombreuses critiques. On trouve dans la pratique des décisions juridictionnelles rendues à propos de litige entre particuliers, dans le cadre donc d'un contentieux subjectif, qui se fondent sur des coutumes internationales coutumières non créatrices de droits et obligations directement invocables par les particuliers. Plus généralement, le problème de la validité du droit international général dans le système juridique interne a un caractère autonome et distinct de celui de l'effet direct. En effet, la validité du droit international dans le système juridique interne relève du

351

que les différents contentieux de droit public allemand et autrichien (1) sont plus ou moins marqués par

la notion de « droit subjectif », qui limite de prime abord les recours visant à obtenir le respect du droit

international, le contentieux français paraît plus ouvert (2).

1. La création d'un droit subjectif ouvrant le recours principalement dépendante des données du droit

interne

La jurisprudence autrichienne n'exclut pas absolument, tout en demeurant réservé, que les règles

généralement reconnues du droit international puissent par elles-mêmes créer des droits subjectifs

ouvrant le droit au recours des particuliers (a). Par contraste, en droit allemand, la création de tels droits

subjectifs par le droit international général pourrait être expressément prévue par une spécification

constitutionnelle, celle de l'article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF (ci dessous, article 25/2/2 LF) (b).

a. Une conception restrictive de la création de droits subjectifs par voie internationale en droit

autrichien

La Cour constitutionnelle autrichienne estime de manière constante que les règles généralement

reconnues du droit international ne créent en aucun cas, même lorsqu'elles sont internationalement

pourvues d'effet direct, des droits subjectifs constitutionnellement protégés à destination des particuliers266 267. Selon la Cour constitutionnelle, les «droits constitutionnellement protégés» au sens de l'article

144 B-VG s'entendent de toutes les dispositions de la constitution au sens formel qui attribuent un droit

– dit prérogative – à un particulier, droit qui pourra dès lors être invoqué devant le juge

constitutionnel268 (les «droits fondamentaux» autrichiens). En l'état de la jurisprudence, un individu n'est

pas titulaire d'un droit au recours à l'encontre des autorités administratives par la voie de la procédure de

l'article 144 al. 1 B-VG en raison d'une violation supposée du droit international général, de la même

façon qu'il l'est dans le cas d'une violation de ses droits fondamentaux269.système juridique interne lui-même ; il en va autrement de l'effet direct qui relève premièrement du droit international qui détermine des droits et obligations dont sont destinataires et éventuellement titulaires les individus, et secondairement du droit interne auquel le droit international attribue une obligation de concrétiser ces droits et obligations, par exemple en obligeant l'État à prévoir un recours juridictionnel interne qui permet aux particuliers d'invoquer les droits et obligations ainsi créés.266 En une première décision en date du 10 janvier 1931, la Cour constitutionnelle estime que « des droits subjectifs destinés aux particuliers ne sont en aucun cas immédiatement fondés par [les règles généralement reconnues du droit international] » (Slg. 1375). En sa décision du 27 mai 1961, la Cour constitutionnelle renvoie à la décision du 10 janvier 1931 et réaffirme que l'article 9 B-VG ne fonde pas des droits subjectifs (Slg. 3950). Cf. aussi les décisions de la Cour constitutionnelle du 9 mars 1948 (Slg 1607), du 13 décembre 1948 (Slg. 1708), du 27 mai 1961 (Slg 3950), du 15 octobre 1966 (Slg 3518 et 3582), du 14 décembre 1974 (Slg 7448), du 27 juin 1975 (Slg 7608).267 Pour Edwin Loebenstein, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ne serait pas si claire, parce qu'il reste difficile de distinguer si la Cour constitutionnelle considère que les règles généralement reconnues du droit international ne créent pas de «droits subjectifs» au sens du droit constitutionnel ou si les normes internationales en question ne sont pas d'effet direct, ce qui est une question qui relève de l'état du droit international ; cf. op. cit. note 24, spécialement p. 151. 268 Cf. en langue française : Théo Öhlinger, « Objet et portée de la protection des droits fondamentaux – Cour constitutionnelle autrichienne » , RIDC, vol. 33, 1981. pp. 543-579.269 A l'encontre de la position de la Cour constitutionnelle, certains auteurs affirment que le recours de l'article 144 al. 1 B-VG est à ouvrir aux particuliers dans le cas d'une décision administrative contraire au droit international général, cf.

352

La jurisprudence de la Cour administrative apparaît en l'état plus ouverte à une invocabilité du droit

international général, ce à propos de l'article 131 alinéa 1 phrase 1 B-VG qui dote le particulier d'un

droit au recours devant elle sous la condition d'une violation prétendue de ses «droits subjectifs»

(ordinaires)270. Selon la Cour administrative, en sa décision du 8 octobre 1997271 : « [L'article 9 B-VG]

se réfère seulement au type de source juridique du droit international coutumier. Il n'est néanmoins pas

à exclure que le requérant puisse tirer des droits subjectifs au sens de l'article 131 al. 1 phrase 1 B-VG,

en vertu du droit international coutumier transformé en droit fédéral par l'article 9 al. 1 B-VG ». La

Cour administrative ajoute qu'une norme internationale ainsi invocable doit être créatrice d'un «droit

matériel».

2. Les effets de la spécification de l'article 25/2/2 LF quant à l'ouverture du recours en droit allemand

L'article 19 al. 4 phrase 1 LF dispose que : « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance

publique dispose d'un recours juridictionnel. » L'ouverture du recours juridictionnel aux particuliers en

droit allemand, y compris lorsqu'il s'agit d'un contentieux de droit public272, est de type subjectif,

comme donc en droit autrichien. Et, en contentieux administratif notamment, il appartient au particulier

de justifier de la jouissance d'un «droit public subjectif» pour que son recours devienne admissible.

Dans ce contexte, la spécification de l'article 25/2/2 LF – les règles générales du droit international

« créent directement des droits et des obligations » à destination des particuliers – pourrait conduire à

autoriser leur invocabilité.

a. La relation entre invocabilité et effet direct du droit international

Il est parfois affirmé que l'article 25/2/2 LF ne se lit pas autrement que comme une confirmation de

l'état actuel du droit international, qui prévoit déjà l'effet direct de certaines de ses normes ; aucun effet

juridique propre ne s'attacherait donc à l'article 25/2/2 LF, qui se trouverait ainsi superflu273. Cependant,

l'opinion majoritaire admet au moins un effet à l'article 25/2/2 LF, qui consiste précisément à attribuer

aux règles générales du droit international la qualité de droits subjectifs invocables par les particuliers

dans le contentieux juridictionnel interne.

Les règles générales du droit international ne correspondent aucunement, pour la plupart d'entre elles, à

des «droits publics subjectifs» selon les critères habituels du contentieux administratif allemand. Et, en

inter alia : Ernst C. Hellbling, op. cit. note 61, spécialement p. 94.270 Article 131 : « (1) Peut former un recours pour illégalité d'une décision de l'autorité administrative : 1. celui qui prétend être lésé dans ses droits par la décision prise, après épuisement des voies de recours ordinaires. » Les « droits subjectifs » invocables devant la Cour administrative ne sont pas équivalents aux « droits fondamentaux ».271 97/21/0374272 Cf. Stefan Kadelbach, Allgemeines Verwaltungsrecht unter europäischen Einfluss, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1999, 560 pages. L'auteur constate la divergence entre le contentieux communautaire, surtout de type objectif (inspiré du contentieux administratif français), et le contentieux administratif allemand, de type subjectif.273 Cf. Herrmann von Mangoldt, Franz Klein, «Art. 25 GG», in : Das Bonner Grundgesetz, Vahlen, Munich, 1957, 2717 p. ; Georg Dahm. Völkerrecht, vol. 1, Kohlhammer, Stuttgart, 1958, 730 p., p. 67.

353

effet, elles sont dans la plupart des cas d'un haut degré de généralité, régissent généralement le domaine

des relations entre États («horizontales»), et non celles entre les États et les particuliers («verticales»), et

leur contenu matériel ne semble le plus souvent pas apte à constituer un droit subjectif, à l'instar des

principes généraux du droit international tels pacta sunt servanda ou l'égale souveraineté des États.

Nonobstant ces caractères prédominants, le fondement spécial de l'article 25/2/2 LF autorise les

particuliers à les invoquer. La Cour constitutionnelle fédérale estime néanmoins que l'ouverture au

recours sur le fondement de l'article 25/2/2 LF ne s'étend pas à toutes les règles générales du droit

international :

« L'article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF implique que les règles générales du droit

international ont les mêmes effets juridiques pour ou contre les particuliers que le reste du droit interne,

et notamment la création de droits et obligations subjectifs à destination des particuliers, mais dans la

mesure seulement où leur contenu le permet274. »

Bien que l'invocabilité ne s'étende pas à l'ensemble du droit international général, elle va au-delà de la

sphère des normes d'effet direct telle que déterminée par le droit international lui-même. En effet,

certaines normes dépourvues d'effet direct en droit international deviennent tout de même, par leur

contenu, constitutives de droits subjectifs invocables par les particuliers en droit interne. On en trouve

de nombreuses illustrations dans les domaines du droit international humanitaire275, du droit des

étrangers, ou encore de la protection des droits patrimoniaux acquis276.

b. La procédure contentieuse du «recours constitutionnel de droit fondamental»

L’article 25 LF ne consiste pas formellement en un droit fondamental. Il s'ensuit qu'un recours

constitutionnel de droit fondamental n'est immédiatement recevable ni dans le cas d'une atteinte à

l’article 25 LF lui-même, ni dans le cas d'une atteinte aux règles générales du droit international en tant

que telles277 (art. 93 al. 1 4a LF278). Ces dernières ne font d'ailleurs pas partie de l’«ordre

constitutionnel» au sens de l’article 2 al. 1 LF279. Toutefois, il demeure possible qu'une relation avec une

règle générale du droit international conduise à la recevabilité du recours constitutionnel de droit

274 BVerfGE 15, p. 25 - Jugoslawische Militärmission.275 BVerwGE 9, p. 47 sqs. (49) ; 72, p. 241 sqs. (247). Cf aussi : BGHZ 169, 348.276 BVerfGE 112, p. 1 – Bodenreform III : « In der vom Grundgesetz verfassten staatlichen Ordnung kann es unabhängig davon, ob Ansprüche von Einzelpersonen schon kraft Völkerrechts bestehen, geboten sein, Völkerrechtsverstöße als subjektive Rechtsverletzungen geltend machen zu können. Dieser Grundsatz gilt jedenfalls für Konstellationen, in denen völkerrechtliche Regelungen einen engen Bezug zu individuellen hochrangigen Rechtsgütern aufweisen, wie das im völkerrechtlichen Enteignungsrecht der Fall ist. Die Institution des Eigentums trägt die private Zuordnung von vermögenswerten Gegenständen in sich, so dass der völkerrechtliche Schutz von Eigentumspositionen, z.B. durch ein Enteignungsverbot, zumindest in der Schutzwirkung subjektiv gerichtet ist, auch wenn sich der ursprüngliche Wille eher auf die objektive Einhaltung von gegenseitig anerkannten zivilisatorischen Mindeststandards bezogen hat. »277 BVerfGE 6, p. 389 sqs. (440).278 Article 93 al. 1 4a LF : « La Cour constitutionnelle fédérale statue sur les recours constitutionnels qui peuvent être formés par quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l'un de ses droits fondamentaux ou dans l'un de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33, 38, 101, 103 et 104 ».279 BVerfGE 56, p. 254 sqs. (256).

354

fondamental et, le cas échéant, à son admission280, et ce dans deux cas :

Lorsqu'il s'agit d'un recours dirigé à l'encontre d'une loi constitutive d'une «réserve de la loi»,

c'est-à-dire une loi ordonnant ou autorisant des interventions dans un droit fondamental, et que cette loi

porte potentiellement atteinte au droit international général. La primauté des règles générales du droit

international sur la loi dont dispose l'article 25 LF n'entraîne pas l'annulation de la loi litigieuse .

Cependant, la loi ne doit pas limiter le droit fondamental qu'elle vise dans la sphère propre de violation

de la règle générale du droit international en question281.

Lorsqu'il s'agit d'un recours dirigé contre un acte individuel d’application d'une loi, cette

dernière étant constitutive d'une «réserve de la loi» conforme au droit international. L'acte individuel282

litigieux, bien que fondé sur une loi conforme au droit international 283, porte atteinte par lui-même à une

règle générale du droit international. L'acte individuel n’est alors plus couvert par le fondement

constitutionnel autorisant l’intervention dans une liberté fondamentale – «la réserve de la loi» – et se

situe dès lors en violation du droit fondamental en question.

2. Une invocabilité peu dépendante du bénéfice de la norme en droit français

La Constitution française ne contient pas de spécification quant à l’invocabilité du droit international

non conventionnel par les particuliers, ce qui importe peut-être peu, car le contentieux juridictionnel

français ne s'est traditionnellement pas construit autour de la notion de « droit subjectif ». Cela

n'empêche pas que l'on trouve des indications relatives à la relation entre «effet direct» et «invocabilité»

dans les jurisprudences des différents juges suprêmes :

i. La distinction entre normes à «effet direct» et normes à «effet indirect»284 apparaît peu relevante

lorsqu'il s'agit d'un contrôle de légalité, à l'instar du recours pour excès de pouvoir à l'encontre des actes

administratifs285. Comme un tel contrôle a pour objet la solution d'un «conflit de normes», toutes les

normes internationales non conventionnelles sont invocables ; car, en effet, en tant que composantes du

droit objectif; elles se situent potentiellement en relation – conflictuelle ou non – avec d'autres normes.

Ceci dit, ce n'est que dans ses grands traits que le contentieux administratif français s'analyse comme

280 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300) ; 31, p. 145 sqs. (177).281 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300) ; 31, p. 145 sqs. (177).282 La condition de recevabilité est toujours qu’un acte de la puissance publique lié à la Loi fondamentale se trouve attaqué : BVerfGE 58, p. 1 sqs. (27, 34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 66, p. 39 sqs. (56) ; 77, p. 170 sqs. (232).283 Ceci est une illustration du paradoxe de concrétisation, cf. Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783.284 A propos de la distinction entre normes internationales d'«effet direct» et d'«effet indirect», cf. Gerrit Betlem, André Nollkaemper, « Giving Effect to Public International Law and European Community Law before Domestic Courts. A Comparative Analysis of the Practice of Consistent Interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589 ; cf. aussi, relativement à la possibilité même d'un effet direct du droit supranational en droit interne : Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.285 Le recours pour excès de pouvoir est une demande adressée au juge visant à l’annulation d’un acte administratif. Il est ouvert de plein droit contre tous les actes administratifs faisant grief, même s’il n’est prévu par aucun texte (CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’Agriculture c. Dame Lamotte).

355

«objectif»286, et il se pourrait que l'éventuel effet direct de la norme internationale en question

intervienne dans ses aspects les plus «subjectifs»287. L'ouverture du recours pour excès de pouvoir, bien

qu'il s'agisse assurément d'un contentieux de type objectif, exige ainsi tout de même un intérêt pour agir

du requérant, même minimal288. L'effet direct d'une norme internationale assurerait sans doute l'intérêt

pour agir du particulier agissant par la voie de ce recours289.

ii. L'énoncé de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, et tout particulièrement

l’expression « fidèle à ses traditions », semble impliquer l'invocabilité des coutumes internationales par

les particuliers. Telle est du moins la solution traditionnelle du juge civil290. Néanmoins, les particuliers

se sont trouvés privés, en quelques occasions, du droit d'invoquer une coutume internationale. A

l'occasion de l'affaire Argoud, l'accusé invoque, afin de se soustraire aux juridictions d'un État, de ce

qu'il a été arrêté irrégulièrement sur le territoire d'un autre État, en violation de la souveraineté de ce

dernier. La Cour de sûreté de l’État291 estime qu’un tel moyen est irrecevable, et ce au motif que : « la

mise en jeu des relations internationales n’intéresse que les relations d’État à État sans que les accusés

puissent prétendre y intervenir ». La Cour de cassation confirme par la suite que : « l'accusé est sans

qualité pour se prévaloir d'une infraction aux règles du droit international public 292». En dépit de son

apparente généralité, cet extrait du texte de la décision de la Cour de cassation ne s'avère en réalité pas

représentative de l'état de sa jurisprudence. En l'espèce, la Cour de cassation applique d'ailleurs un autre

principe du droit international – male captus, bene detentus – qui limite précisément le droit dont

bénéficie un individu pour invoquer l'irrégularité de son arrestation en vue de faire obstacle à sa

détention. La Cour de cassation considère que, en vertu de ce principe, « il appartient seulement au

gouvernement de l'État lésé d'en rendre plainte et d'en demander réparation. »

L'invocabilité du droit international général s'observe largement dans la jurisprudence du juge

judiciaire, dont le contentieux est pourtant de type subjectif : les simples particuliers paraissent titulaires

286 Le degré d’ouverture du recours en matière de contrôle de légalité des actes administratifs devant le juge administratif est plus étendu en droit français qu’en droit allemand ou autrichien qui conditionnent, en gros, l'ouverture du contentieux administratif par la violation d'un « droit (public) subjectif ».287 Un contentieux objectif sous une forme pure, sans même qu'un intérêt pour agir minimal soit à justifier (actio popularis), semble très rare dans les divers systèmes juridiques positifs. 288 L’«intérêt pour agir» du requérant constitue une condition de recevabilité du recours pour excès de pouvoir. S’agissant d’un «contentieux objectif», d’un «procès fait à l’acte», l’intérêt pour agir est apprécié de façon large par le juge administratif. La jurisprudence admet que cette condition est satisfaite dès lors que le requérant a un intérêt personnel, que celui-ci soit matériel ou moral, individuel ou collectif (cf. : CE Sect., 11 mars 1903, Lot : un fonctionnaire est lésé par la nomination d’une personne à un emploi auquel il peut prétendre ; CE, 25 avril 1934, Ligue nationale contre l’alcoolisme : l’intérêt de la Ligue contre l’alcoolisme est directement lésé par des décisions favorisant des bouilleurs de cru ; CE Ass., 25 janvier 1991, Confédération nationale des associations des familles catholiques : l’intérêt de la Confédération est directement lésé par la décision de reprise de la commercialisation d’une pilule abortive). 289 L'effet direct d'un traité international justifie l'invocabilité du traité en question, cf. l'arrêt récent : CE, Ass., 11 avril 2012, Gisti et FAPIL.290 Cf. supra : « La classification des dispositions constitutionnelles nationales parmi les différents modes d'applicabilité ».291 Cour de sûreté de l’État, 28 décembre 1963. Cf. Alexandre Charles Kiss, « Jurisprudence française relative au droit international. Année 1964 », AFDI, 1965, vol. 11, pp. 933-982, spécialement p. 935 et svtes. 292 Crim., 4 juin 1964, Argoud, Bull. crim., n°192, p. 420.

356

de droits ou d'obligations découlant du droit international, dont ils peuvent se prévaloir à l'occasion d'un

litige à l'encontre d'autres individus (applicabilité horizontale) ou à l'encontre l'État (applicabilité

verticale) ; les particuliers ne sont pas en principe privés du droit d'invoquer les normes internationales

dépourvues d'effet direct, comme on peut le constater en matière de privation de propriété d'étrangers

par expropriation, nationalisation ou encore confiscation293 ; le juge judiciaire concrétise surtout le droit

international d'effet direct dans certains domaines, dont le droit international pénal, qui détermine les

infractions pénales internationales imputables aux individus294.

iii. La révision de la Constitution du 23 juillet 2008 introduit un contentieux constitutionnel subjectif et

a posteriori devant le Conseil constitutionnel295. L'article 61-1 dispose désormais que : « lorsque, à

l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative

porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être

saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un

délai déterminé ». En l'absence d'un corpus jurisprudentiel relatif à la question, il est seulement possible

de supposer, par analogie avec les systèmes juridiques étrangers, que les règles du droit public

international ne constituent sans doute pas en elles-mêmes des « droits et libertés » invocables dans le

cadre du contentieux constitutionnel. Il n'est pas complétement exclu que, par exception, les droits au

bénéfice des particuliers créés par les normes internationales d'effet direct le soient sur le fondement de

l'alinéa 14.

Dans les différents systèmes juridiques internes, la titularité de « droits internationaux » par les

particuliers dépend des normes relatives à la recevabilité du recours, et celles ci varient grandement en

fonction du contentieux juridictionnel en question.

Les règles relatives à la recevabilité peuvent limiter l'application du droit international par les

juridictions. On vient de le voir à propos de la titularité des « droits internationaux » ; on peut aussi 293 Cass., ch. temporaire des expropriations, 9 juin 1966, Bull. cass., 1966, p. 56 ; JCP, 1966, n° 14, 814, note François Tricaud ; RDP, 1967, p. 385; RGDIP, 1967, p. 506. 294 Cf. inter alia : Crim., 6 octobre 1983, Barbie, Bull. Crim. n° 239 ; cf. pour une analyse globale : Claude Lombois, « Un crime international en droit positif français, l’apport de l’affaire Barbie à la théorie française du crime contre l’humanité », in : Roger Merle (éd.), Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Droit pénal contemporain, Cujas, Paris, 1989, 1008 p., pp. 367-388. Cf.. à propos de la jurisprudence de la Cour de cassation : Michel Massé, « Après Nuremberg et Eichman, entre Barbie et Touvier : les crimes contre l'Humanité », Revue Actes – Les cahiers d'action juridique n° 67-68, 1989, n° spécial Droit et Humanité, pp. 33-46 ; Leila Sadat Wexler, « The Interpretation of the Nuremberg Principles by the French Court of Cassation: From Touvier to Barbie and Back Again », Columbia Journal of Transnational Law, vol. 32, 1995, pp. 289-380 ; Claire Finkenstein, « Changing Notions of State Agency in International Law : The Case of Paul Touvier », Texas International Law Journal, vol. 30, 1995, pp. 262-310 ; Michel Massé, « La coutume internationale dans la jurisprudence de la Chambre criminelle, affaires Kadhafi et Aussarès », RSC 2003, p. 894 et svtes, spécialement pp. 896-897 (à propos de l'effet direct des coutumes internationales) ; Virgile Renaudie, L’articulation du droit international et du droit français : illustration par les responsabilités du militaire et de l’État en cas de commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Université de Limoges, Limoges, 2005. Cf. généralement : Antonio Cassese, Mireille Delmas-Marty (éds), Juridictions nationales et crimes internationaux, PUF, Paris, 2002, 673 p.295 Cf. pour une analyse systématique : Otto Pfersmann, « Le renvoi préjudiciel sur exception d'inconstitutionnalité – la nouvelle procédure de contrôle concret a posteriori selon les articles 61-1 et 62 de la Constitution », LPA, 2008, n° 254, pp. 103-110 ; Otto Pfersmann (2010), op. cit. note 70.

357

l'observer concernant l'incompétence du juge de procéder à l'évaluation d'un certain ensemble d'actes.

II. Les limites à l'invocabilité des règles générales du droit international dans la sphère des relations

entre États (notamment « théorie des actes de gouvernement »)

La doctrine traditionnelle (Heinrich Triepel, Dionisio Anzilotti et leurs successeurs) affirme d'une part

que le droit international réglemente exclusivement les rapports entre États, d'autre part que le juge

interne n'a pas à s'immiscer dans les affaires de l'exécutif, qui intervient dans la sphère des relations

internationales en tant qu'organe politique. Pour ces deux raisons, l'invocabilité du droit international

devant le juge interne est, toujours selon la doctrine traditionnelle, à exclure. Cela ne correspond pas à

l'état du droit positif actuel, même s'il est vrai que l'invocabilité du droit international devant le juge

interne reste encore parfois limitée en matière de relations internationales de l'État.

La doctrine distingue souvent deux sphères de compétence de l'État : l'une est la sphère des relations

internationales, l'autre est la sphère proprement interne. La théorie selon laquelle il existe une

distinction par nature entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne prête

à controverse : il s'agit non pas d'une distinction nécessaire, mais d'une distinction relative prévue par

certains principes appartenant aux systèmes juridiques positifs296. Comme en toutes matières297, la

constitution des États prévoit une certaine répartition des compétences en matière internationale, y

compris par des normes d'habilitation spécifiques (la compétence de tel ou tel organe pour déclarer la

guerre ou pour ratifier un traité international). Les constitutions nationales déterminent donc

généralement, suivant des modalités variables, une répartition des compétences entre sphère de

compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État, et la renforce éventuellement en

lui attachant des effets juridiques. Ainsi, le respect du «bloc de légalité298» par les organes

constitutionnellement compétents en matière de relations internationales (le «pouvoir extérieur») peut

ne pas être exigible par voie juridictionnelle.

Généralement, les organes constitutifs du «pouvoir extérieur» disposent d’un pouvoir discrétionnaire

considérable dans l’exercice de leurs fonctions internationales, limitant la compétence du juge interne

pour les contrôler (théorie dite des «actes de gouvernement»). Néanmoins, la tendance actuelle globale

296 Pour une critique détaillée de la théorie de la séparation « par nature » entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État, cf. infra. « La relativité de la distinction entre sphère de compétence internationale et sphère de compétence interne de l'État ».297 En l'absence de normes spécifiques relatives à une certaine matière, la répartition des compétences est celle de principe.298 «Légalité» est en l'occurrence à comprendre au sens large, c'est-à-dire comme comprenant d'autres formes normatives que celle de la «loi».

358

consiste en un approfondissement du contrôle juridictionnel sur les actes du «pouvoir extérieur299».

Tandis que les droits français et allemand s'inscrivent dans la tradition d'une limitation – voire d'une

absence – du contrôle juridictionnel lorsqu'il s'agit d'«actes de gouvernement» (A), le droit autrichien

s'en démarque et illustre ainsi une alternative possible (B).

1. La persistance de l'obligation de non-immixtion du juge dans la sphère des relations internationales

en droit français et en droit allemand

Tandis que la « théorie des actes de gouvernement » continue de marquer le droit français (a),

l'Allemagne a résolument admis – en raison sans doute du comportement de l'État pendant la Seconde

guerre mondiale – la possibilité de contrôler les actes du « pouvoir extérieur » par voie juridictionnelle,

mais avec quelques réserves (b).

a. Le maintien de la « théorie des actes de gouvernement » contrastant avec l'admission de plus en plus

large des recours à l'encontre des actes relatifs aux relations extérieures de l'État en droit français

L'ouverture du recours à l'encontre des normes produites par l'organe exécutif ou l'organe législatif dans

le cadre des relations internationales varie considérablement d'un contentieux juridictionnel à l'autre.

Alors que le contentieux administratif n'admet pas traditionnellement de recours à l'encontre d'un acte

administratif intervenant dans la sphère des relations internationales, en raison de l'ainsi dite «théorie300

des actes de gouvernement» (β), la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'applicabilité

du droit international général s'est historiquement formée à partir de l'obligation pesant sur législateur

de se comporter conformément au droit international dans le domaine des relations internationales de

l'État (α).

α. Le contrôle par le Conseil constitutionnel des actes du législateur relevant de la sphère des relations

internationales

En l'état actuel de son corpus jurisprudentiel, le Conseil constitutionnel s'est surtout référé à l'alinéa 14

du Préambule de la Constitution de 1946 en matière de relations internationales de l'État : respect du

droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le cadre du processus de décolonisation301, prohibition de

299 Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72 ; André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, 250 p. 300 Cette « théorie des actes de gouvernement » n'est en vérité pas une théorie, mais un principe du droit positif relatif à la compétence juridictionnelle concrétisant le principe plus général de séparation des pouvoirs.301 N° 75-59 DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26. D'autres décisions prises dans le cadre du processus de décolonisation sont à classifier – non dans la sphère des relations internationales – mais dans la

359

certains effets extra-territoriaux des nationalisations302, respect du principe pacta sunt servanda par

rapport à des engagements contractés avec des États tiers303, etc. Au contraire des juridictions ordinaires

plus anciennes, qui ne contrôlent pas traditionnellement l'action des organes dits politiques (législatif,

exécutif) dans la sphère des relations internationales, le Conseil constitutionnel considère dès ses

premières décisions relatives à des questions de droit international que l'alinéa 14 est une norme

l'autorisant à exercer un tel contrôle304.

En apparence, la jurisprudence du Conseil constitutionnel témoigne de sa lecture «interétatique» de

l'alinéa 14, au sens où l'objet de cette disposition consisterait surtout à réglementer le comportement de

la France dans la sphère des relations internationales. Il convient néanmoins de relativiser la séparation

ainsi réalisée entre sphère des relations internationales et sphère domestique. En effet, le contrôle opéré

par le Conseil constitutionnel vise dans tous les cas directement des normes internes, ou du moins

destinées à le devenir (lois et traités internationaux), de sorte que l'alinéa 14 développe à travers ce

contrôle ses effets dans la sphère domestique. Les «pouvoirs publics» ont ainsi, en l'état de la

jurisprudence du Conseil constitutionnel305, l’obligation de prendre en considération les règles du droit

public international, afin par exemple d'assurer une mise en œuvre interne des traités internationaux

conforme aux principes du droit international valables en la matière.

β. La «théorie des actes du gouvernement» dans le contentieux administratif

Le juge administratif s'estime incompétent pour contrôler certaines normes produites par l'organe

exécutif, les «actes de gouvernement»306. Cette incompétence du juge administratif se trouve en

sphère domestique de l'État, car elles ne mettent en cause aucun État tiers, par exemple : 85-196 DC du 8 août 1985, Evolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p.64. Cet exemple illustre la relativité de la distinction entre sphère des relations internationales et sphère domestique dans le cadre du processus de décolonisation.302 N° 81-132 DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; 82-139. DC du 11 février 1982, 2ème Loi de nationalisation.303 N° 92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union européenne (dite Maastricht I), Rec. p. 55 ; n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29.304 Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », RGDIP, 1976, pp. 1001-1036.305 L'article 62 de la Constitution attribue une autorité large aux décisions du Conseil constitutionnel : « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Le Conseil considère de manière contestable que l'autorité de la chose jugée « s'attache non seulement [au] dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (Décision 62-18 L du 16 janvier 1962, Loi d'orientation agricole ; cf. aussi plus récemment l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution). L'énoncé paraît au moins mal formulé car, par définition, un motif n'est pas normatif. Pour une critique approfondie, cf. Otto Pfersmann, « Relativité de l'autonomie ontologique, confirmation de l'autonomie disciplinaire institutionnelle, paradoxe de l'hétéronomie épistémologique », in : Bertrand Mathieu (éd.), 1958-2008 – Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Dalloz, Paris, 2008, pp. 527-544 ; Otto Pfersmann, « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement p. 241 et svtes. 306 A la suite la loi de 1872 opérant le passage de la justice retenue à la justice déléguée, le Conseil d'État abandonne le critère tiré du mobile politique (CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, Rec. p. 155). Depuis, la démarche du juge administratif visant à leur identification est devenue plus empirique (Michel Virally, « L’introuvable acte de gouvernement », RDP, 1952, pp. 317-358). Les actes de gouvernement se définissent désormais comme ceux «qui apparaissent comme des actes politiques en raison des matières dans lesquelles ils ont accomplies» (Professeur René

360

corrélation avec la compétence du pouvoir exécutif ; dans certains domaines, l'organe exécutif dispose

d'un pouvoir discrétionnaire particulièrement large, et le contrôle par le juge des normes produites par

l'exécutif dans ces domaines équivaudrait, selon la doctrine traditionnelle, à une limitation non fondée

de ce pouvoir discrétionnaire. Une version plus extrême de la doctrine traditionnelle affirme même

l'existence nécessaire des actes de gouvernement : les comportements de l'exécutif en certaines

matières, dont les affaires internationales, relèveraient par nature de sa compétence, et il s'ensuit que –

suivant une certaine conception de la séparation des pouvoirs – il n'appartiendrait aucunement aux

autres organes de l'État de s'immiscer dans ce domaine propre réservé à l'exécutif.

Lorsqu'il s'agit d'un acte de gouvernement relatif aux relations internationales, le juge ne contrôle ni sa

conformité par rapport au droit interne, ni sa conformité par rapport au droit international. Par exemple,

dans le cas où l'exécutif produit une déclaration de guerre, le juge ne contrôle ni sa conformité par

rapport aux normes internes réglementant la mise en œuvre de la guerre, telle une obligation

constitutionnelle d'obtenir l'autorisation parlementaire307, ni sa conformité par rapport au droit

international général (prohibition de la guerre d'agression, conditions de l'exercice du droit de

l'ingérence).

i. La persistance des actes de gouvernement en matière de relations internationales

La Constitution oblige l’ensemble des organes de la République à se conformer aux règles du droit

public international. De son côté, le législateur paraît dans la pratique tenu de respecter les «principes

généraux du droit public international» (décisions du Conseil constitutionnel Maastricht I, Statut de la

CIJ), en raison des modalités du contentieux constitutionnel qui habilite, entre autres, le juge

constitutionnel à vérifier a priori la conformité des lois par rapport à la Constitution. En revanche, les

normes produites par le pouvoir exécutif308 en matière de relations internationales ne semblent soumises

à aucun contrôle de conformité par rapport au droit international général. Le Commissaire du

gouvernement Bernard résume ainsi, certes de manière traditionnelle, l'état du contentieux administratif

: « l'activité diplomatique du gouvernement échappe au juge dans la mesure où elle s'exerce dans un

Chapus). En l'état du droit, les actes de gouvernement se divisent en deux catégories selon la matière : d’une part, les actes concernant les rapports du gouvernement avec les autres pouvoirs constitutionnels et, d’autre part, les actes relatifs aux rapports du gouvernement avec un État étranger ou avec une organisation internationale. La première catégorie, jusqu’alors très large, est – pour la première fois – réduite par l’arrêt du Conseil d’État du 21 janvier 2000, Président de l’Assemblée Nationale. Parmi les actes de gouvernement de cette catégorie, on trouve : le refus gouvernemental de présenter au Parlement un refus de loi (CE, 29 novembre 1968, Tallagrand, Rec. p. 659), des décrets soumettant au peuple un référendum (CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas, Rec. p. 553) ou portant dissolution de l’assemblée nationale (CE, 20 février 1989, Allain, Rec. p. 60).307 L'article 35 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». L'alinéa 1er n'a jamais été appliqué dans l'histoire de la Ve République car les opérations militaires menées par la France n'ont jamais été précédées par une déclaration de guerre. Pourtant, beaucoup d'entre elles sont qualifiables de « guerre » au sens de la Constitution et de « conflit armé international » au sens du droit international. Le non respect de la procédure constitutionnellement prévue tient pour beaucoup à l'absence de contrôle des normes produites par l'exécutif en la matière. 308 «Les actes administratifs pris par l'exécutif» dans la terminologie juridique française

361

cadre de droit international309 ». Cette incompétence de principe du juge administratif pour contrôler la

conformité des normes de l'exécutif par rapport au droit international peut entraîner un certain nombre

d'incidences sur la conformité du comportement de l'État au droit international, auquel oblige pourtant

l'alinéa 14. Car, l'exécutif occupe la situation, parmi l'ensemble des organes internes, de principal

producteur de normes dans la sphère internationale (compétences en matière de ratification des traités,

d'emploi de la force militaire, d'administration diplomatique...)310, ainsi que de principal exécuteur de

celles-ci dans la sphère domestique.

Le contentieux administratif se décrit traditionnellement comme un «contentieux interniste311»,

autrement dit non ouvert au droit international. Toutefois, la compétence du juge administratif pour

contrôler la conformité des actes de l'exécutif par rapport au droit international s'est progressivement

étendue312, même si certaines des normes qu'il produit – les actes de gouvernement – continuent de

bénéficier d'une immunité de contrôle :

L’arrêt du Conseil d’État du 29 septembre 1995, Association Greenpeace313, se prononce sur la décision

du Président de la République Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires314, et la rattache à la

conduite internationale de la France. C'est en effet, remarque le Conseil d'État, « en préalable à la

négociation d’un traité international » que la décision de procéder à une série d’essais nucléaires a été

prise. Le Conseil d'État souligne par la suite le contexte international : « ces essais avaient été

suspendus en avril 1992 au soutien d’une initiative diplomatique de la France portant sur le

désarmement nucléaire, et que ce moratoire avait été prolongé en juillet 1993 après que les principales

puissances nucléaires eurent elles-mêmes annoncé la suspension de leurs essais ». Ces éléments

conduisent la juridiction administrative suprême à conclure que « la décision attaquée n’est pas

détachable de la conduite des relations internationales et échappe par suite à tout contrôle

juridictionnel »315.309 Concl. sous CE. 30 mars 1966, Compagnie Générale d'énergie radioélectrique, RDP 1966, p. 779.310 Cf. infra : « "organes extérieurs" et "organes intérieurs" ». En droit international, c’est l’État dans sa globalité qui est le producteur de normes. L'ensemble des organes participent au comportement de l'État et donc, plus ou moins directement, à la formation du droit international. Néanmoins, c'est généralement l'organe exécutif qui – par une large habilitation interne (formation des traités, déclaration de guerre, etc.) – constitue le principal producteur de normes internationales parmi les organes internes. Non dans tous les cas cependant : certaines constitutions internes prévoient aussi une large participation parlementaire en matière de relations internationales. 311 Cf. notamment les publications antérieures à l'«ouverture» du contentieux administratif au droit international (arrêt Nicolo de 1989) : Claude Heumann, « Le contrôle juridictionnel du Conseil d'État sur l'application des traités diplomatiques », Etudes et Documents du Conseil d'État, 1953, n°7, p. 71 et svtes ; Michel Virally, op. cit. note 306, particulièrement, p. 343 et svtes ; Louis Dubouis, « Le juge administratif français et les règles de droit international », AFDI, 1971, pp. 9-60.312 Jacques Moreau, « Internationalisation du droit administratif français et déclin de l'acte de gouvernement », in : L'internationalisation du droit : mélanges en l'honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, Paris, 1994, 416 p., pp. 293-301.313 CE, Ass., 29 septembre 1995, Association Greenpeace Fr., Leb. p. 348. 314 En droit international, cette décision est un acte unilatéral des États. On peut estimer, eu égard à l'argumentation, que cette solution trouve aussi à s'appliquer en matière d’actes unilatéraux non écrits (par exemple, une déclaration orale d'un chef de l'État). 315 Cette motivation rattache clairement la décision attaquée à la jurisprudence relative aux actes de gouvernement pour lesquels le juge administratif s'estime incompétent. Ce refus n'est pas la réponse à une question de recevabilité, même si

362

En son arrêt du 5 juillet 2000, Mégret et Mékhantar, le Conseil d'État se prononce pour la première fois

à propos de l'annulation même d'un ordre d’entrée dans une guerre, en l'espèce la décision du Président

de la République annoncée à Berlin le 24 mars 1999 d’engager un corps de l’armée française dans les

opérations de l’OTAN menées contre la République fédérale de Yougoslavie316 (« Guerre du Kosovo »).

Le Conseil d'État estime que :

« la décision des autorités françaises d’engager des forces militaires en République fédérale de

Yougoslavie en liaison avec les évènements du Kosovo, ainsi que les décisions subséquentes fixant les

objectifs militaires et déterminant et répartissant les moyens mis en oeuvre ne sont pas détachables de la

conduite des relations internationales de la France ; que la juridiction administrative n’est dès lors pas

compétente pour connaître des requêtes 317 ».

De manière générale, l'invocabilité des principes généraux du droit international, à l'exemple du droit

international coutumier relatif au jus ad bellum et au jus in bello, apparaît réduite en contentieux

administratif dans le domaine qu'elles semblent pourtant le plus à même de régir, celui des relations

internationales.

ii. Les « actes détachables de la conduite des relations internationales de la France »

Le Conseil d'État a progressivement diminué l'étendue de l'ensemble des «actes de gouvernement pour

raison diplomatique»318 en autonomisant une catégorie d’ «actes détachables des relations

certaines décisions apparemment mal rédigées peuvent le laisser penser (CE, 3 mars 1961, André et société des tissages Nicolas Gaimant, Rec. p. 154 ; CE, sect. 13 juillet 1979, Coparex, Rec. p. 319). Il s’agit d’une question de compétence de la juridiction, comme l'illustrent de manière explicite plusieurs arrêts (CE, 2 février 1950, Radiodiffusion française c. Société de gérance et de publicité du poste de radiodiffusion Radio-Andorre, Rec. p. 652 ; CE, 19 février 1988, Société Robatel, AJDA 1988 p. 354 ; CE, Assemblée, 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et Gouverneur de la colonie Royale de Hong-Kong, Rec. p. 267). L'arrêt contient l’énoncé classique relatif aux actes de gouvernement et ne s'inscrit pas dans la dynamique d’extension du contrôle du juge sur la catégorie des actes de gouvernement. A propos de l'incompétence du Conseil d'État en matière d'«actes» accomplis par les autorités diplomatiques en vue de la protection des nationaux à l'étranger, la formulation adoptée est la suivante : « Ces questions se rattachent à l'exercice du pouvoir du Gouvernement dans les relations internationales ; ils ne peuvent pas être attaqués devant le Conseil d'État » (Conseil d'État 12 janvier 1976 Dupuy, Rec. p. 47 ; cf. également Conseil d'État 20 février 1953 Weiss, Rec. p. 87, à propos du refus de l'État français d'appuyer la candidature d'un Français à l'UNESCO).316 Cf. Maxime Reynaud, Les actes de gouvernement relatifs à la défense nationale – Un périmètre renouvelé qui les situe entre atteinte et soutien à l’État de droit, Institut d’Etudes Politiques de Lyon, Lyon, 2008, 115 p.317 Rec. 2000, p. 291318 On trouve parmi les décisions qualifiées d'«actes de gouvernement» par le juge administratif :

- les actes liés à la négociation, la conclusion ou l’application d’un traité international : acte de signature ou de ratification d’un traité international (CE, Sec. 1er juin 1951, Société des étains et wolfram du Tonkin, Rec. p. 312), inexécution de certaines clauses d’un traité international (CE, 16 mars 1961, Prince Sliman Bey, Rec. p. 179), décision de procéder ou non à la publication d'un traité international (CE, 4 novembre 1970, de Malglaive, Rec. p. 635), suspension de l’applicabilité d’un traité (CE, Ass., 18 décembre 1992, Préfet de la Gironde c. Mahmedi, Rec. p. 446 ; CE, 23 septembre 1992, GISTI, Rec. p. 346, dans le contexte de la guerre d'Irak) ;

- les actes se rattachant directement aux relations internationales de la France dans ses rapports avec les États tiers ou les organisations internationales : refus de saisir la Cour internationale de justice (CE, 9 janvier 1952, Gény, Rec. p. 19), mesure de soustraction de biens à l'ennemi pendant la guerre (CE, sect., 12 novembre 1949, Sohr, Rec. p. 473), exercice du droit d’agarie (CE, Sec., 22 novembre 1957, Myrtoon Steamship, Rec. p. 632), création d'une zone de sécurité en haute mer pendant des essais nucléaires (CE, Ass., 11 juillet 1975, Paris de la Bollardière, Rec. p. 423), ordre d’entrée dans une guerre (CE, 5 juillet 2000, Mégret et Mékhantar, Rec. 2000, p. 291) » ; Cette liste n’est pas exhaustive : on imagine difficilement que des comportements ou des actes des organes de l’État

363

internationales» pour lesquels le juge administratif s'estime compétent . Proposée par Paul Duez dès

1935319, le critère principal de la détachabilité est celui relatif à la «portée»320 de la norme en question.

Les actes «tournés vers l’ordre international» constituent des actes de gouvernement (par exemple, les

actes administratifs qui contribuent à la formation d'une norme internationale) ; tandis que les actes

«principalement tournés vers l’ordre interne»321 sont considérés comme détachables des relations

internationales (par exemple, une demande d'extradition de la part d'un gouvernement étranger qui se

poursuit à travers des actes administratifs nationaux s'adressant au particulier en question).

La distinction entre les actes «tournés vers l’ordre international» et les actes «principalement tournés

vers l’ordre interne» ne vas sans poser certaines difficultés. A l'occasion de l'affaire Greenpeace relative

à la reprise des essais nucléaires322, le Conseil d'État examine la portée de l'acte administratif litigieux à

partir de l’ensemble du contexte international pour conclure qu'il ne se détache pas de la conduite des

relations internationales de la France. Si la majorité de la doctrine considère que la décision du Conseil

d'État s'inscrit dans la continuité de sa jurisprudence relative aux actes de gouvernement 323, il est parfois

dit que le juge administratif prend insuffisamment en considération la finalité de la reprise des essais

nucléaires. Il est vrai, fait-on remarquer, que la décision de reprise des essais nucléaires peut sans doute

s'analyser comme un «préalable à la négociation d'un traité international» prohibant totalement les

contribuant à la formation de normes coutumières, comme par exemple ceux qui manifestent le comportement d’objecteur persistant, soient exclus de cette catégorie d’actes du gouvernement. Par ailleurs, certains des actes évoqués ci-dessus sont susceptibles de contribuer à la formation d’une norme coutumière (par exemple le refus de ratification d’un traité peut contribuer à former ou à maintenir une norme coutumière). 319 Paul Duez (1935), Les actes de gouvernement, Dalloz, Paris, 2006, 216 p, spécialement pp. 63-64 ; cf. aussi l'arrêt précurseur : CE, 29 juin 1924, Goldschmidt, Rec. p. 607. 320 Le terme est certes vague, mais l'expression est issue de la doctrine dominante et existe dans le droit positif en tant que critère. La «portée» signifie dans ce contexte l'étendue de la sphère d'application de la norme en question.321 Sur cette base, le Conseil d’État étend progressivement sa compétence contentieuse. En matière d'extradition, le Conseil d'État s'estime compétent pour contrôler les décrets d’extradition du gouvernement français (CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf, Rec. p. 534), les demandes d’extradition du gouvernement français à un gouvernement étranger (CE, Sect., 21 juillet 1972, Legros, Rec. p. 554), ainsi que le rejet par le gouvernement français d’une demande d’extradition issue d'un gouvernement étranger (CE, Ass., 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et gouvernement de la colonie royale de Hong Kong, Rec. p. 268). En d'autres matières, le Conseil d'État s'estime désormais compétent pour la destruction en haute mer par la marine nationale d'un navire abandonné (CE, Sec. 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation, Rec. p. 319), pour la mise en jeu de la responsabilité de l'État à raison d'une éventuelle insuffisance des mesures prises pour assurer la protection des membres d'une mission diplomatique (C.E., Sect. 29 avril 1987, Consorts Yener, Rec. p. 152), ou encore pour le site d'implantation du laboratoire européen de rayonnement (CE, Ass., 8 janvier 1988, ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire c. Communauté Urbaine de Strasbourg, Rec. p. 2). 322 CE, Ass., Association Greenpeace Fr., Leb. p. 348. A propos des essais nucléaires pratiqués par la France, cf. inter alia : Anthony A. D'Amato, « Legal Aspects of the French Nuclear Tests », AJIL, vol. 61, 1967, pp. 66-77 ; Marc Guillaume, « Les contentieux liés à la reprise des essais nucléaires français », AFDI, vol. 42, 1996, pp. 894-928 ; David Cumin, L'arme nucléaire française devant le droit international et le droit constitutionnel, CLESID – Université Jean Moulin Lyon 3, Lyon, 2000, révisée en 2005, 190 p. 323 La doctrine dominante approuve le maintien de la «théorie des actes de gouvernement» qui contribuerait à structurer la compétence du juge administratif. Cette «théorie» rendrait possible la distinction entre la «fonction gouvernementale» et la «fonction administrative» – la compétence du juge administratif étant limitée dans la sphère de la fonction gouvernementale (cf. notamment les notes du Professeur Jacques Moreau et du Professeur David Ruzié à propos de : CE Ass. 29 sept. 1995, Association Greenpeace France, in : respectivement : JCP 1996.II.22.582 ; RFDA 1996 p. 383). La théorie des actes de gouvernement résulterait de l’application des principes structurants du contentieux juridictionnel suivant lesquels le juge n'est compétent que pour contrôler les actes proprement internes, et non ceux qui se rattachent aux relations internationales de la France.

364

essais nucléaires, donc «tournée vers l'ordre international», mais sa finalité principale consiste plutôt

dans la modernisation de l’arme atomique française, ce qui peut sembler davantage «tourné vers l'ordre

interne»324.

Le critère de distinction selon la portée de l'acte apparaît en réalité dans une large mesure inopérant . La

distinction entre sphère des relations internationales et sphère domestique s'avère en effet toute relative :

les normes produites par les organes internes en matière internationale ont des effets juridiques sur le

droit interne au même titre que les normes orientées vers la sphère domestique. Ainsi, la décision de

reprise des essais nucléaires implique sa concrétisation par d'autres normes internes, tels des ordres

militaires, la mise en place d'une zone de sécurité... Le cas de la déclaration de guerre illustre de

manière classique la relativité la distinction entre sphère des relations internationales et sphère

domestique. S'il s'agit clairement d'un acte de droit international, la déclaration de guerre n’est

néanmoins pas dépourvue d’effets sur le droit interne (levée des troupes, état d'exception, etc.), qui

s'étendent à la situation juridique des sujets de droit interne (y compris les individus, et en particulier les

soldats).

iii. Les présupposés contestables de la « théorie des actes de gouvernement »

La théorie des actes de gouvernement se maintient globalement, et ce, malgré les critiques de la

doctrine325 et la réduction jurisprudentielle de sa sphère d'application. Selon plusieurs auteurs : « elle

s’explique fondamentalement par le souci du Conseil d’État de ne s’immiscer ni dans les relations entre

le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ni dans l’action diplomatique considérée comme une

prérogative exclusive et traditionnelle de l’exécutif »326. Des considérations similaires relatives à la

répartition des compétences – et parfois même au principe de séparation des pouvoirs327 – conduisent

d’autres juridictions suprêmes à de semblables solutions jurisprudentielles. Ainsi, la Cour suprême des

États-Unis s'estime en général incompétente pour contrôler les décisions prises dans le domaine de la

politique étrangère328 (par exemple, à propos de la dénonciation du traité de défense avec Taïwan : Cour

324 Cf. Jacques-Henri Stahl, Didier Chauvaux« Chronique générale de la jurisprudence administrative française », AJDA, 1995, p. 684 et svtes. Les auteurs remarquent par ailleurs qu'il faut rejeter le parallélisme opéré par le Conseil d'État suivant lequel la décision de reprise des essais nucléaires est à considérer comme un acte de gouvernement car l'ancienne décision d'arrêt des essais nucléaires l'était. Ces deux actes ne seraient pas nécessairement liés de la même manière aux relations internationales de la France : l'acte d'arrêt des essais nucléaires aurait par exemple pour finalité d'enclencher un processus de dénucléarisation d’autres États, tandis que l'acte de reprise poursuivrait l'objectif de moderniser l’arme atomique française.325 Aussi bien théoriques que pratiques étant donné que la «théorie des actes de gouvernement» limite le recours au juge ; cf. notamment, Moncef Kdhir, « La théorie de l'acte de gouvernement dans la jurisprudence du Conseil d'État relative aux relations internationales de la France, à l'épreuve du droit international », JDI, 200, pp. 1059-1084.326 Marceau Long, Prosper Weil, Guy Braibant, Bruno Genevois, Pierre Delvolvé, Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 11ème éd., 1996, 852 p., p. 21. 327 En tant que norme juridique ayant certains effets et non en tant qu'idéologie politique. L'existence même d'une authentique séparation des pouvoirs a fait l'objet de vives critiques (cf. la critique de Hans Kelsen notamment dans Das Problem des Parlamentarismus, W. Braumüller, Vienne, 1926, 44 p.), mais il n'est pas exclu que l'existence d'une norme disposant de la séparation des pouvoirs puisse avoir certains effets juridiques. 328 La Cour Suprême américaine dit que la «doctrine de l’acte du gouvernement» («The act of state doctrin») est : « une doctrine flexible qui a pour but de prévenir des jugements sur la légalité d’actes d’États étrangers qui pourraient

365

suprême, 13 décembre, 1979, Carter c. Goldwater329). Dans la sphère européenne, la Cour européenne

des droits de l'homme justifie dans sa jurisprudence les solutions nationales qui vont en ce sens, peu

importe qu'elles semblent contrevenir au droit de recours garanti par l'article 6 §1 de la Convention. Elle

affirme en effet dans sa décision du 14 décembre 2006, à propos de l'affaire Markovic relative à

l'intervention de l'État italien dans la guerre du Kosovo, que la limitation du droit au recours des

victimes de la conduite des hostilités par l'Italie est en l'espèce admissible, et ce, en raison de la théorie

des actes de gouvernement. Car, selon la Cour européenne européenne des droits de l'homme :

« l’impossibilité pour les requérants de poursuivre l’État découlait non pas d’une immunité mais des

principes régissant le droit d’action matériel en droit interne330 ».

Outre la distinction entre les normes relevant de la «sphère des relations internationales» et les normes

relevant de la «sphère domestique», la «théorie des actes de gouvernement» s'appuie aussi sur une autre

distinction, elle aussi problématique. Il s'agit de la distinction entre normes relevant de la «sphère

juridique» et normes relevant de la «sphère politique». Suivant cette distinction, les différends relevant

de la «sphère juridique» pourraient par nature être tranchés par une juridiction, tandis que les différends

relevant de la «sphère politique» échapperaient plus ou moins complètement à l'emprise du droit.

Pourtant, les décisions dites «politiques» sont réglementées juridiquement, aussi bien en droit interne

qu'en droit international331. Il est vrai que les systèmes juridiques positifs contiennent parfois des

spécifications normatives en ce qui concerne la matière dite «politique». Par exemple, la Loi

constitutionnelle fédérale autrichienne prévoit une procédure spéciale concernant les traités

internationaux dits politiques, en son article 50 al. 1 phrase 1 : « Les traités internationaux politiques

[ne peuvent être conclus qu'avec l'approbation du Conseil national]332 ». En droit international,

certaines catégories de différends relevant de la sphère dite « politique » échappent à la compétence des

juridictions internationales333 ; en droit interne, les organes d'application du droit dits «politiques», tels embarrasser l’exécutif américain dans la conduite des affaires étrangères », Liu v. Republic of China, 892 F. Cf. généralement : Albert Gastmann, « The Act of State Doctrine », in : Julius Stone, Robert K. Woetzel (éds), Toward a Feasible International Criminal Court, World Peace Through Law Center, Genève, 1970, 352 p., pp. 242-257. 329 United States Supreme Court, Carter v. Goldwater, 444 U.S. 996 (1979)330 CEDH, 14 décembre 2006, Markovic contre Italie, Req. n° 1398/03 ; cf. Lucius Caflisch, « Actes de gouvernement et droits de l'homme : l'affaire Markovic », in : Walter Kalin, Robert Kolb, Christoph A. Spenle (éds), International law, conflict and development : the emergence of a holistic approach in international affairs : - liber amicorum for Joseph Voyame, Martinus Nijhoff, Leyde, 2010, 650 p., pp. 135-167. 331 A propos du droit international en tant que réglementant les matières « politiques » : cf. Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp.525-530. Selon Hans Kelsen, la doctrine traditionnelle trouve son origine dans la croyance selon laquelle il existe des lacunes dans le droit.332 L'article 50 B-VG a été récemment modifiée par la révision constitutionnelle du 4 janvier 2008 (BGBl. I 2/2008). Cf. aussi pour comparaison, article 59 al. 2 phrase 1 LF : « Les traités réglant les relations politiques de la Fédération, ou relatifs à des matières qui relèvent de la compétence législative fédérale, requièrent l’approbation ou le concours des organes respectivement compétents en matière de législation fédérale, sous la forme d’une loi fédérale. » (mes italiques).333 Cf. généralement : Hersch Lauterpacht, « La théorie des différends non justiciables en droit international », RCADI, 1930, vol. 34, pp. 493-654, spécialement pp. 551-611 ; Hans Kelsen, « Compulsory Adjudication of International Disputes », AJIL, vol. 37, 1943, pp. 397-406 ; Louis B. Sohn, « Exclusion of Political Disputes from Judicial Settlement », AJIL, vol. 39, 1944, p. 694 et svtes ; André Beirlaen, « La distinction entre les différends juridiques et les

366

que le législateur et l'exécutif, disposent souvent d'un pouvoir discrétionnaire plus étendu que les autres

organes de l'État, ce qui peut aboutir à un contrôle juridictionnel moins profond, voire inexistant. Cela

ne signifie pas pour autant qu'une telle «sphère politique» n'est pas juridiquement réglée. Au contraire,

les systèmes juridiques positifs prévoient, avec de grandes variantes, des procédures propres aux

matières «politiques» plus ou moins différenciées de celles opérantes dans les matières techniques. En

droit international, le comportement de l'État en matière «politique» n'est généralement pas contrôlé par

les juridictions et il appartient aux États de juger par eux-mêmes du comportement des autres États et,

le cas échéant, de sanctionner un comportement estimé fautif par des représailles ou la guerre 334 ; en

droit interne, la constitution peut elle-même prévoir que le comportement de certains organes dits

«politiques» échappent au contrôle d'autres organes335. En d'autres termes, la constitution détermine une

certaine «séparation des pouvoirs» au sens juridique (non idéale mais réglementée par le droit positif).

La distinction entre domaine «politique» et domaine «juridique» apparaît d'autant plus ambigüe qu'il est

difficile d'en trouver les critères. Un critère purement organique semble peu approprié, car certaines

normes produites par les organes dit «politiques» ont un contenu très technique, éloigné de ce que l'on

entend habituellement par «politique». Le critère ne peut pas non plus être uniquement matériel :

l'étendue de la «politique» est très vaguement définie et il est possible de qualifier ou de ne pas qualifier

comme tels une large partie des comportements humains336 (par exemple, des mesures économiques

différends politiques dans la pratique des organisations internationales », Revue belge de droit international, 1975, pp. 405-441 ; Alain Pellet, « Le glaive et la balance – Remarques sur le rôle de la C.I.I. en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales », in : Yoram Dinstein (éd.), International Law at a Time of Perplexity - Essays in Honour of Shabtai Rosenne, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1989, 1056 p., pp. 539-566. 334 L'article 36 de la Charte de l'Organisation des Nations-Unies paraît représentatif de cette distinction entre une sphère « politique », pour laquelle le Conseil de sécurité est compétent, et une sphère « juridique » pour laquelle la Cour internationale de justice est compétente, sans que la compétence d'une autre juridiction ou des États eux-mêmes ne soit pour autant exclue : « Art. 36 :(1) Le Conseil de sécurité peut, à tout moment de l’évolution d’un différend de la nature mentionnée à l’art. 33 ou d’une situation analogue, recommander les procédures ou méthodes d’ajustement appropriées.(2) Le Conseil de sécurité devra prendre en considération toutes procédures déjà adoptées par les parties pour le règlement de ce différend.(3) En faisant les recommandations prévues au présent article, le Conseil de sécurité doit aussi tenir compte du fait que, d’une manière générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis par les parties à la Cour internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut de la Cour. »La Cour internationale de justice dit que : « Le Conseil a des attributions politiques; la Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes mais complémentaires à propos des mêmes évènements. » ; cf. arrêt du 26 nov. 1984, Compétence et recevabilité dans l'affaire des activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ États-Unis d'Amérique), Rec. p. 435.335 Par exemple, en droit français, le Conseil d'État s'estime incompétent pour les actes de l'exécutif relatifs à ses rapports avec le Parlement (CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens, à propos de la décision de recourir aux pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16 de la Constitution de 1958 dont la mise en œuvre entraîne une modification de la répartition des compétences entre exécutif et législatif). 336 En matière de traités internationaux, la position de la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans sa décision du 2 juillet 1952 à propos d'un accord commercial entre la France et l'Allemagne offre une illustration de ces difficultés (BVerfGE 1, p. 372 - Deutsch-Französisches Wirtschaftsabkommen) : « Un traité ne devient pas un traité politique […] simplement parce qu'il traite de manière générale d'affaires publiques, du bien de la communauté, ou encore des affaires de l'État. S'il en était ainsi, tout traité serait un traité politique. […]. [Pour être un traité politique], un traité doit directement affecter l'existence d'un État, son intégrité territoriale, son indépendance et sa position ou relative importance au sein de la Communauté des États. Tels le sont, avant tout, les alliances, les traités de garantie, les traités relatifs à la coopération politique, les traités de paix, les pactes de non-agression, les traités de neutralité et de

367

comme la construction d'une centrale nucléaire, des mesures fiscales, des mesures relatives aux libertés

fondamentales, la délimitation des frontières des États). Un critère souvent utilisé réside dans la «force

liante» de la norme en question ; même si les normes «politiques» n'ont pas une force liante moindre

que les normes «juridiques», une plus grande latitude pour ré-examiner le contenu des normes

«politiques» s'observe souvent dans le droit positif. Les États disposent par exemple généralement d'une

autorisation de dénoncer un traité international «politique» à travers une certaine procédure, souvent

déjà spécifiée par le traité international lui-même337.

La doctrine se montre de plus en plus réservée quant la «théorie des actes de gouvernement», et avance

principalement deux raisons338 : l'ambiguïté de la distinction entre «politique» et «juridique» rend

difficile sa mise en œuvre ; la « théorie des actes de gouvernement » limite le principe de légalité, ce qui

paraît de moins en moins admissible aux vues de l'évolution actuelle du droit. La résolution de Milan du

7 septembre 1993 de l'Institut de droit international relative à L'activité du juge interne et les relations

internationales de l'État recommande ainsi aux États en son article 2 : « Les juridictions nationales,

appelées à juger une question liée à l'exercice du pouvoir exécutif, ne devraient pas refuser d'exercer

leur compétence en raison de la nature politique de la question si cet exercice est soumis à une règle de

droit international. »

b. La limitation du contrôle juridictionnel exercé sur l'action politique du « pouvoir extérieur » en droit

allemand

De manière générale, les organes allemands sont tenus de se conformer aux règles générales du droit

international, y compris lorsqu'ils agissent dans la sphère des relations internationales. De prime abord,

rien ne semble donc exclure le principe d'une absence de limites du contrôle juridictionnel , même dans

le cas où il s'agit d'une question dite «politique»339.

Le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle fédérale sur les actes juridictionnels susceptibles

d’avoir un effet – juridique ou factuel – contraire aux normes internationales est total (α). En revanche,

le contrôle opéré sur les autres organes en situation d'agir dans la sphère internationale apparaît plus

limité (β).

désarmement, les traités d'arbitrage et autres accords internationaux similaires. » 337 Cf. par exemple, l'article 65 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.338 Benedetto Conforti, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 212, 1988, pp. 9-210 ; Louis Henkin, Foreign Affairs and the United States Constitution, 2ème éd., Oxford University Press, New York, 1997, 582 p. ; Thomas M. Franck, Political Questions/Judicial Answers : Does the Rule of Law Apply to Foreign Affairs ? Princeton University Press, Princeton, 1992, 208 p. ; Michael J. Glennon, Constitutional diplomacy, Princeton University Press, Princeton, 1990, 353 p ; Eyal Benvenisti, « Judges and Foreign Affairs ; A Comment on the Institut de Droit International's Resolution on « The Activities of National Courts and the International Relations of their State » », EJIL, vol. 5, 1994, p. 423 et svtes.339 BVerfGE 55, p. 349, affaire Rudolf Hess (2 BvR 419/80 en date du 16 décembre 1980). Cf. inter alia : Martin Kriele, « Recht und Politik in der Verfassungsrechtsprechung, Zum Problem des judicial self-restraint », NJW, vol. 29, 1976, pp. 777-78. Pour une comparaison entre le droit américain, marqué par une doctrine équivalente à celle des actes de gouvernement, et le droit allemand, cf. Thomas M. Franck, op. cit. note 338.

368

α. La vérification par la Cour constitutionnelle fédérale d’atteintes au droit international par les

juridictions internes

La Cour constitutionnelle fédérale s’est réservée le droit :

« Dans le cadre de sa compétence juridictionnelle, de veiller tout particulièrement à ce que des

atteintes au droit international qui reposent sur l’application fautive ou le non respect de normes

internationales par les juridictions allemandes et qui pourraient justifier l'engagement de la

responsabilité internationale de la République fédérale d'Allemagne soient, si possible, empêchées ou

supprimées. Cela peut exiger dans un cas particulier une vérification totale340 ».

En l'espèce, la Cour vise les traités internationaux au cours de la procédure contentieuse du recours

constitutionnel (Verfassungsbeschwerde341). Toutefois, la formulation adoptée est si générale qu'elle

semble aussi comprendre la vérification complète par la Cour du respect des règles générales du droit

international par les juridictions internes. En outre, la Cour se situe «dans le cadre de sa compétence

juridictionnelle» et, par là, se réserve aussi ce type de contrôle pour les autres formes de procédure de

contentieux constitutionnel.

La Cour constitutionnelle fédérale fait observer que le contrôle d'une décision juridictionnelle eu égard

au droit international général peut devenir total. Un tel contrôle ne se limite pas à vérifier que le juge

inférieur a délibérément ignoré une norme internationale ou a manqué de l'appliquer dans toute

l'étendue de sa «capacité de rayonnement»342 ; la profondeur du contrôle s'étend en effet au-delà, et se

compare à celle exercée en matière de respect des droits fondamentaux. La Cour s'appuie sur un

argument d'ordre téléologique pour justifier sa compétence aussi largement conçue : la finalité de sa

compétence en matière internationale consisterait, de manière globale, à empêcher ou à supprimer, si

possible, les atteintes au droit international.

β. L’obligation de retenue des organes juridictionnels343 (le «devoir de réserve»)

Lorsque les juridictions allemandes évaluent l'action des organes allemands non juridictionnels

compétents en matière internationale («auswärtige Gewalt»), elles sont tenues de se conformer à un

devoir de réserve avant de constater une violation du droit international. La Cour constitutionnelle

340 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78). La compétence de la Cour constitutionnelle s'étend au-delà de ce qui est prévue dans le cadre de la procédure spéciale de l'article 100 al. 2 LF (BVerfGE 18, p. 441 sqs. (450)).341 Article 93 al. 1 4a LF. Cf. inter alia en langue française : Armin Dittmann, « Le recours constitutionnel en droit allemand », trad. Otto Pfersmann, CCC, n° 10, 2001, p. 77 et svtes.342 BVerfGE 7, p. 198 sqs. (206) ; 25, p. 256 sqs. (263) ; 42, p. 143 sqs. (148) ; 73, p. 261 sqs. (269) ; 74, p. 257 sqs. (262).343 Dieter Blumenwitz, « Judicial Self-restraint und die verfassungsgerichtliche Überprüfung von Akten der auswärtigen Gewalt », DVBl, vol. 91, 1976, pp. 464-469 ; Klaus Stern, « Außenpolitischer Gestaltungsspielraum und verfassungsgerichtliche Kontrolle – Das Bundesverfassungsgericht im Spannungsfeld zwischen Judicial Activism und Judicial Restreint », Nordrhein-Westfälische Verwaltungsblätter, vol. 8, 1994, pp. 241-249 ; Juliane Kokott, « Kontrolle der auswärtigen Gewalt », DVBl, vol. 111, 1996, pp. 937-950.

369

fédérale344 estime par exemple – et de manière ferme – que l’approbation par l’Allemagne de

l’installation de systèmes porteurs d’armes nucléaires est conforme à la Constitution et qu'il ne lui

appartient pas d'en contrôler la conformité par rapport au droit international345. La Cour se limite en

l'espèce à vérifier que l’appréciation de légalité faite par le gouvernement lui-même n’est pas entachée

d’une violation flagrante du droit international. Dans une autre décision, la Cour constitutionnelle

fédérale précise que ses «explications» relatives à la validité de traités ne limitent pas le gouvernement

fédéral dans sa liberté d’action dans la sphère des relations internationales346.

On le voit, la « théorie des actes de gouvernement » n'a pas manqué de persister dans la pratique

allemande, il est vrai sans doute de manière moins assumée que dans la pratique française. Il en va

autrement en droit autrichien, et ce depuis anciennement, la Loi constitutionnelle fédérale de 1920 se

présentant en effet comme un contre-modèle en la matière.

2. Le contre-modèle autrichien

En droit autrichien, le principe de légalité tel que défini par l'article 18 al. 1 B-VG s'applique dans toute

son étendue aux organes chargés des relations extérieures de l'État («administration extérieure»

comprenant l'exécutif, auswärtige Verwaltung). Ces organes sont des «organe administratifs» contrôlés,

à l'instar des autres administrations internes, par voie parlementaire («Parlementasierung der

Außenpolitik») et juridictionnelle347. La latitude des organes chargés des relations extérieures a été

réduite postérieurement à la Première guerre mondiale dans la perspective de maintenir une paix

permanente. Et il s'ensuit qu'une théorie assimilable à celle des «actes de gouvernement» (ou judicial

self-restraint, ou encore, political question doctrine) n'a pas été développée par la doctrine et la

jurisprudence autrichiennes contemporaines.

Le cas du droit autrichien montre l'absence de différenciation par nature entre normes produites par les

organes internes relevant du domaine des relations internationales et normes produites par les organes

internes relevant du domaine domestique. Le contrôle de légalité des normes relevant du domaine des

relations internationales date déjà de la Loi constitutionnelle fédérale de 1920 et s'inscrit dans un cadre

plus général : la suppression des concepts politiques – considérées comme une source d'ambiguïté

inutiles – dans le texte constitutionnel même. Ainsi, le mot de «souveraineté» n'est pas présent dans la

344 BVerfGE 55, p. 349 sqs. (368) ; 77, p. 137 sqs. (167).345 BVerfGE 68, p. 1 — Atomwaffenstationierung.346 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (326).347 VfSlg 176/1923 ; cf. inter alia dans la doctrine : Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p. ; Theo Öhlinger, « Kontrolle der auswärtigen Gewalt 4. Länderbericht Österreich », in : Kay Hailbronner, Matthias Schmidt-Preuss, Udo Di Fabio (éds), Kontrolle der auswärtigen Gewalt : Verwaltung und Verwaltungsrecht zwischen gesellschaftlicher Selbstregulierung und staatlicher Steuerung, W. de Gruyter, Berlin/New York, 1996, 395 p., pp. 81-94, spécialement pp. 87-88.

370

Loi constitutionnelle fédérale et le terme «pouvoir» («Gewalt») est évité. On le verra : les organes de

l'État chargés des relations internationales sont considérés comme des organes d'application du droit

comme les autres en Autriche, tandis qu'en France et en Allemagne, ils forment le « pouvoir extérieur »

(«auswärtige Gewalt») de l'État pourvu de prérogatives propres.

Si certaines exceptions persistent, l'invocabilité des normes internationales devant une juridiction

interne dans le domaine qu'elles semblent le plus à même de régir, celui des relations internationales,

tend à être admise. Cette invocabilité du droit international ne se limite cependant pas aux normes qui

régissent le domaine des relations interétatiques. L'ensemble des normes internationales non

conventionnelles transformées en droit interne sont aussi des composantes du droit des États et, en tant

que telles, font partie des normes de référence du juge lorsqu'il procède à un «contrôle de légalité» (au

sens large). Ainsi, le juge interne dispose le cas échéant d'une compétence pour contrôler la conformité

d'une norme proprement interne (issue d’une procédure interne) par rapport au droit international

général. Les normes proprement internes peuvent d'ailleurs parfois avoir certaines conséquences sur le

droit international, notamment lorsqu'une décision d'un organe interne forme un acte unilatéral de l'État

dans la sphère internationale, qui oblige l'État en question envers des États tiers (par exemple, la

renonciation aux essais nucléaires348)349. Ici aussi, la distinction entre une invocabilité des normes

censées régir uniquement la sphère des relations entre États et une invocabilité des normes censées régir

uniquement la sphère interne à l'État paraît peu pertinente.

348 CIJ, arrêt, 20 décembre 1974 (fond), Affaires des essais nucléaires (Australie c. France), Rec. 1974, pp. 253-272, spécialement pp. 269-270. 349 Cf. Gian Carlo Venturini, « La portée et les effets juridiques des attitudes et des actes unilatéraux des États », RCADI, vol. 112, 1964, pp. 362-467 ; Carlo Santulli, op. cit. note 102, pp. 47-69.

371

Chapitre 2

L'implémentation des règles générales du droit international

Les normes internationales sont pour la plupart des normes incomplètes, d'un degré de généralité élevé,

devant être concrétisées par des normes de droit interne. L'implémentation se définit comme la

concrétisation du droit international par l'État suivant ce qui est prévu par le droit international lui-

même, ce dernier attribuant une certaine latitude à l'État en la matière. En général, l'État n'est pas obligé

d'implémenter le droit international, mais il le réalise néanmoins par la production de diverses normes

internationales ou internes mettant en œuvre le droit international (par exemple, la concrétisation de la

prohibition internationale de la piraterie maritime par une loi interne déterminant les modalités de la

lutte contre la piraterie tel que récemment en France 1 ou encore des mesures étatiques de sanction

contre un État violant de manière massive le ius cogens international). Le principe est que le droit

international ne détermine pas, du moins dans une certaine mesure, les modalités de sa propre

concrétisation par l'État, de sorte qu'il appartient à l'État lui-même d'en déterminer les modalités 2

(section 1. l'«applicabilité indirecte» du droit international). Par exception, l e droit international prévoit

dans certaines situations qu’il est «directement applicable», c’est-à-dire que les organes internes sont

dans l'obligation de l'appliquer dans la sphère de compétence de principe de l’État – sa sphère de

souveraineté, et ce, sans même qu’une norme interne prévoit de manière médiate son application

(section 2. l'«applicabilité directe» du droit international).

Le processus d'implémentation se déroule tant dans la sphère internationale que dans la sphère interne,

1 Loi relative à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer (n° 2011-13) du 5 janvier 2011.2 Suivant une classification classique, le droit peut réglementer une matière d'une manière positive, par une obligation de se comporter de telle et telle manière en cette matière, ou d'une manière négative, en interdisant de prévoir une obligation de se comporter de telle et telle manière en cette matière. Dans les systèmes juridiques contemporains, on trouve le plus souvent le principe : « tout ce qui n'est pas interdit est permis ». En l'absence d'une norme internationale obligeant l'État en une certaine matière, ce dernier dispose d'une latitude totale dans son comportement, de sorte que la matière concernée relève de sa sphère de compétence propre, c'est-à-dire interne. A propos de l'appartenance au droit positif du principe « tout ce qui n'est pas interdit est permis », cf. inter alia : Otto Pfersmann, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Allemagne : théorie, pratique et limites » in :Association française des constitutionnalistes, La révision de la Constitution, Journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1993, pp. 7-65, spécialement pp. 53-54.

372

d'où s'ensuit qu'il convient de relativiser dans ce cadre la distinction souvent faite entre ces deux

sphères. L'implémentation consiste dans la concrétisation par l'État – et par ses organes – d'une norme

internationale d'un degré plus général par certaines procédures, et ce, aussi bien dans la sphère

internationale que dans la sphère interne. Dans certains cas, la concrétisation du droit international est

purement interne, c'est-à-dire qu'elle n'a pas par elle-même d'effet sur le contenu du droit international

(par exemple, l'approbation parlementaire pour la ratification d'un traité international qui est une norme

interne par elle-même dépourvue d'effets juridiques sur le droit international 3) ; dans d'autres cas la

procédure étatique est simultanément interne et internationale, c'est-à-dire que la norme produite à son

issue a des effets juridiques sur le droit interne et sur le droit international. Il en va notamment ainsi de

certains actes unilatéraux de l'État, parmi lesquels on trouve la déclaration de guerre, qui développe des

effets non seulement en droit international (ouverture d'un conflit armé international, permission de

l'État visé par la déclaration de guerre de se prévaloir de la légitime défense, enclenchement du jeu des

alliances, applicabilité du droit international humanitaire spécifique aux conflits armés internationaux),

mais aussi en droit interne (levée des troupes, état d'exception, mise en œuvre de sanctions telles que le

boycott...).

Le droit international oblige et autorise les États en obligeant les individus en tant qu'organes de l’État.

Étant donné que l'État ne peut manifester son existence qu'à travers des actes accomplis par ses organes,

toute norme internationale s'adressant à l'État prévoit des actes qu'il appartient à certains organes de

l'État d'accomplir. Cependant, le droit international ne détermine pas dans tous les cas l'organe étatique

chargé d'accomplir les obligations et autorisations internationales (principe d'autonomie organique du

droit international). Il attribue donc aux systèmes juridiques internes une certaine latitude pour

déterminer les organes de l'État chargés de l'implémentation et, par voie de conséquence, les individus

agissant en tant qu'organes de l'État. Par exemple, dans la sphère internationale, le droit international

attribue aux États le choix de l'organe disposant du statut de «chef de l'État» en droit international (un

monarque, un président de la République, un chef d'assemblée parlementaire), ainsi que la

détermination de l'individu donné auquel est attribué ce statut. Et, de même, dans la sphère interne,

l'État détermine en toute liberté les organes chargés de mettre en œuvre l'extradition ou encore l'asile

(cf. la loi autrichienne du 4 janvier 2008 instituant une juridiction spéciale chargée du contentieux de

l'asile4), ces matières étant initialement réglementés dans le droit international par des principes

généraux ainsi que par des traités internationaux particuliers. En raison du principe d'indétermination

organique du droit international, l'État disposera du choix le plus large, avec une multitude de

possibilités, pour déterminer les organes compétents en matière d'extradition et d'asile : administration

3 Le droit international est normativement indifférent à la procédure interne aboutissant à la ratification d'un traité international. Cf. Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p.., pp. 292-293.4 Bundesgesetzes über den Asylgerichtshof (Asylgerichtshofgesetz - AsylGHG), BGBl. I 4/2008.

373

et/ou juridiction, organe général ou organe spécial...

Par exception seulement, le droit international s'adresse directement aux individus. Hans Kelsen

remarque, dès 1941, que le modèle traditionnel d'attribution indirecte de droits et obligations aux

particuliers change lorsque le droit international attribue directement des droits et obligations aux

particuliers («effet direct»), ce qui restreint – si ce n'est détruit – la séparation entre droit international et

droit interne5.

Section 1 : L'«applicabilité indirecte» des normes du droit international

Le droit international attribue aux États la compétence de déterminer les organes habilités à produire

des normes internationales (le «pouvoir extérieur»), c'est-à-dire bénéficiant d'une habilitation pour

concrétiser les principes du droit international dans la sphère internationale elle-même (I). Par ailleurs,

le droit international attribue aussi une certaine latitude à l'État pour concrétiser les normes

internationales, d'un degré de généralité souvent élevé, dans la sphère juridique interne (II).

Une certaine relation existe entre le niveau international et le niveau interne d'implémentation : la

concrétisation du droit international est dans de nombreux cas déterminée par une procédure interne à

l'État. En l'état du droit positif, certaines matières peuvent être réglementées simultanément par le droit

international et par le droit interne. Une norme du droit international peut en effet supposer une

implémentation par des normes de droit interne. Par exemple, le principe du droit international

obligeant l'État à faire une déclaration de guerre avant l'ouverture des hostilités ne peut être accompli

que par l'intermédiaire d'une norme de droit interne qui attribue à un certain organe la compétence de

déclarer une guerre. Il en va de même d'un traité d'extradition déterminant certaines conditions

d'extradition, qui ne peut s'accomplir qu'à travers des actes particuliers des organes administratifs ou

juridictionnels concrétisant les obligations conventionnelles pour chaque cas particulier qui leur est

soumis. Ou encore, une norme internationale oblige l'État à punir les comportements de piraterie mais

sans déterminer les peines encourues, de telle sorte que leur fixation relève de la compétence de l'État.

En résumé, les obligations internationales sont dans la plupart des cas d'un degré relativement général et

leur accomplissement passe par leur concrétisation par des organes internes de l'État6. Dans la situation

5 Hans Kelsen, Peace Through Law, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1944 ; réédité en 2008 par Lawbook Exchange, New York, 155 p., p. 96.6 Sauf dans le cas des normes self-sufficient du droit international : la norme internationale est autonome et complète lorsque son application est possible sans adoption de mesures particulières d’exécution ou d’adaptation par l’État. Le

374

où le droit interne contient déjà les normes par lesquelles l'accomplissement des obligations

internationales est possible, aucune implémentation supplémentaire n'est requise (par exemple, le droit

pénal interne général qui prévoit les peines pour vol, prise d'otage, meurtre... apparaît généralement

suffisant pour assurer la poursuite des pirates, sans qu'une réglementation spécifique supplémentaire ne

soit requise).

I. L'implémentation en tant que production de normes internationales par l'État

L'État en tant que sujet de droit international participe immédiatement à la production de normes

internationales. Seuls les organes étatiques constitutionnellement désignés (ainsi-nommé «pouvoir

extérieur»7) sont normalement chargés de la concrétisation du droit international (par exemple, les

organes représentants l'État ou ceux intervenant dans la procédure de ratification des traités

internationaux). Le droit international coutumier soulève sur ce point certaines difficultés, puisque la

pratique de l'État n'est pas seulement l'œuvre du «pouvoir extérieur» (A).

La concrétisation du droit international dans la sphère du droit international par des organes internes

auxquels la constitution attribue une compétence de «pouvoir extérieur» s'inscrit assurément dans la

tradition juridique. Les normes constitutionnelles déterminant un tel «pouvoir extérieur» préexistent

dans les constitutions des États européens continentaux – y compris les constitutions allemande,

autrichienne et française8 – aux dispositions constitutionnelles prévoyant la transformation du droit

terme de self-sufficient appartient à la terminologie actuelle du droit international ; auparavant, ces normes étaient souvent désignés par la doctrine comme «self-executing», par exemple dans la terminologie utilisée par Hans Kelsen. Le terme terme «self-executing» renvoie désormais plutôt à l'«effet direct» des normes internationales.7 En Autriche, le terme de « pouvoir extérieur » (« auswärtige Gewalt ») n'est que rarement adopté par la doctrine qui lui préfère celui d' « administration extérieure » (« auswärtige Verwaltung »). Il est vrai que, toutes choses égales par ailleurs, le terme d' « administration extérieure » peut sembler de prime abord plus approprié parce qu'il renvoie à un concept juridique, celui d' « administration », et non à un concept politique, celui de « pouvoir ». Néanmoins, le terme d' « administration extérieure » ne désigne dans la doctrine autrichienne que les organes exécutifs et ceux placés sous sa direction. Pour désigner la compétence du Parlement dans la sphère internationale, la doctrine autrichienne évoque la « parlementarisation de la politique extérieure » (« Parlamentarisierung der Außenpolitik »). Cf. Theo Öhlinger, « Kontrolle der auswärtigen Gewalt 4. Länderbericht Österreich », in : Kay Hailbronner, Matthias Schmidt-Preuss, Udo Di Fabio (éds), Kontrolle der auswärtigen Gewalt : Verwaltung und Verwaltungsrecht zwischen gesellschaftlicher Selbstregulierung und staatlicher Steuerung, Walter de Gruyter, Berlin/New York, 1996, 395 p., pp. 81-94, spécialement pp. 82-83 ; Raoul F. Kneucker, « Die Rolle der Bundesverwaltung in der Außenpolitik », in : Renate Kicker, Andreas Khol, Hanspeter Neuhold (éds), Außenpolitik und Demokratie in Österreich : Strukturen - Strategien - Stellungnahmen, Neugebauer, Salzbourg, 1983, 603 p., pp. 31-110. 8 Parmi les principales dispositions constitutionnelles relatives à la relation entre droit interne et droit international, on trouve : l'article 6 de la Loi fondamentale de l'État du 21 décembre 1867 sur l'exercice du pouvoir gouvernemental et exécutif réglemente la répartition des compétences entre organes internes de la Monarchie austro-hongroise (Empereur, Reichsrat) en matière de ratification des traités internationaux ; l'article 11 de la Constitution du Reich allemand du 16 avril 1871 prévoit la répartition des compétences entre les organes internes en matière internationale (Empereur, Reichstag, Bundesrat), y compris en ce qui concerne la ratification des traités internationaux ; l'article 8 de la Loi constitutionnelle française du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics réglemente la seule procédure de ratification des traités internationaux.

375

international en droit interne. Les dispositions constitutionnelle de transformation et plus généralement,

les normes obligeant d'une manière ou d'une autre les organes internes à respecter le droit international,

ne sont néanmoins pas dépourvues d'incidences sur l'organisation du «pouvoir extérieur» de l'État (B).

A. Les organes étatiques participant à la production du droit international général9

1. « Organes extérieurs » et « organes intérieurs »

9 La littérature allemande à propos du « pouvoir extérieur » tel que prévu par la Loi fondamentale est abondante, cf. inter alia : Wilhelm G. Grewe, « Die auswärtige Gewalt der Bundesrepublik », VVDStRL, vol. 12, 1954, pp. 129-178 ; Eberhard Menzel, « Die auswärtige Gewalt der Bundesrepublik », VVDStRL, vol. 12, 1954, pp. 179-220 ; Hermann Mosler, « Die auswärtige Gewalt im Verfassungssystem der Bundesrepublik Deutschland », in : Festschrift zum 75. Geburtstag von Carl Bilfinger, Carl Heymanns, Cologne/Berlin, 1954, pp. 243-299 ; Walter Leisner, « A propos de la répartition des compétences en matière de conclusion des traités dans la République fédérale d'Allemagne », AFDI, vol. 6, 1960. pp. 291-312 ; Bardo Fassbender, Kompetenzverteilung im Bereich der auswärtigen Gewalt, thèse, Münich, 1986, 320 p. ; Wilhelm G. Grewe, « Zum Verfassungsrecht der auswärtigen Gewalt », AÖR, vol. 112, 1987, pp. 521-543 ; María José Roca Fernández, « Le contrôle parlementaire et constitutionnel du pouvoir extérieur: étude comparée de l'état actuel de la question dans le droit allemand et espagnol », Revue européenne de droit public, vol. 12, 2000 , pp. 29-62 ; Hans-Joachim Cremer, : « Das Verhältnis von Gesetzgeber und Regierung im Bereich der auswärtigen Gewalt in der Rechtsprechung des Bundesverfassungsgerichts : eine kritische Bestandsaufnahme », in : Rudolf Geiger (éd.), Neuere Probleme der parlamentarischen Legitimation im Bereich der auswärtigen Gewalt, Nomos, Baden-Baden, 2003, 270 p., pp. 11-32 ; Christian Callies, « Auswärtige Gewalt », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IV – Aufgaben des Staates, 3ème éd., C.F. Müller, Heidelberg, 2006, 1333 p., § 83, pp. 589-632 ; Volker Röben, Außenverfassungsrecht : eine Untersuchung zur auswärtigen Gewalt des offenen Staates, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 570 p.A propos du droit autrichien, cf. inter alia : Josef L. Kunz, « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, spécialement pp. 304-309 ; Raoul F. Kneucker, op. cit. note 7 ; Hanspeter Neuhold, Internationaler Strukturwandel und staatliche Aussenpolitik : das österreichische Aussenministerium vor neuen Herausforderungen, Braumüller, Vienne/Laxenburg, 1993, 73 p.; Hanspeter Neuhold, Renate Kicker, Andreas Khol (éds), Aussenpolitik Und Demokratie in Osterreich: Strukturen, Strategien, Stellungnahmen – Ein Handbuch, W. Neugebauer, Salzbourg 1983, 603 p. ; Heribert Franz Köck, « Die Rolle des Parlaments in der Außenpolitik », in : Herbert Schambeck (éd.), Parlamentarismus und öffentliches Recht in Österreich – Entwicklung und Gegenwartsprobleme, tome 1, Duncker & Humblot, Berlin, 1993, 1654 p., p. 297 et svtes ; Christoph Grabenwarter, « Die Verteilung völkerrechtsbezogener Zuständigkeiten nach der österreichischen Bundesverfassung », ZÖR, vol. 48, 1995, pp. 79-120 ; Theo Öhlinger, op. cit. note 7 ; Ulrich Hufeld, « Graf Andrássy, der Außenminister der Habsburgermonarchie und der Außenminister der Europäischen Union. Eine historisch-rechtsvergleichende Miniatur », in : Klaus Beckmann, Jürgen Dieringer, Ulrich Hufeld (éds), Eine Verfassung für Europa, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2005, 612 p, pp. 1-20 ; Stefan Hammer, Peter Bußjäger (éds), Außenbeziehungen im Bundesstaat, Institut für Föderalismus, Vienne, 2007, 128 p.Pour une étude comparée concernant notamment l'Allemagne et l'Autriche : Bardo Fassbender, Der offene Bundesstaat – Studien zur auswärtigen Gewalt und zur Völkerrechtssubjektivität bundesstaatlicher Teilstaaten in Europa , J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 2007, 495 p.A propos du droit français : Jean-Paulin Niboyet, « La Constitution nouvelle et certaines dispositions de droit international », Recueil Dalloz, 1947, chronique, pp. 89-92 ; Boris Mirkine-Guetzévitch, Les Règles constitutionnelles et les relations internationales, I.H.E.I., Paris, 1952, 28 p. ; André Cocatre-Zilglien, « Constitution de 1958, droit international. Relations extérieures et politiques étrangères », AFDI, 1958, pp. 645-659 ; Nguyen Quoc Dinh, « La Constitution de 1958 et le droit international », RDP, 1959, pp. 515-564 ; Alain Pellet, « L'article 53 de la Constitution de 1958 - Le rôle du Parlement dans la procédure d'entrée en vigueur des traités et accords internationaux », in : François Luchaire, Gérard Conac (éds), La Constitution de 1958, 2ème éd., Economica, Paris, 1987, 1402 p., pp. 1005-1038 ; Hervé Ascensio, « Relations extérieures », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 650 p.Pour une étude comparée ayant pour objet l'Allemagne et la France, cf. Thomas Michael Pfeiffer, Verfassungsgerichtliche Rechtsprechung zu Fragen der Außenpolitik : ein Rechtsvergleich Deutschland – Frankreich, P. Lang, Francfort-sur-le-Main/Berlin/Berne, 2007, 423 p.

376

L'ensemble des organes de l'État participe, au moins potentiellement, à la production des normes

coutumières internationales : «pouvoir extérieur» de l'État («organes extérieurs»), mais aussi organes

étatiques ne représentant pas internationalement l'État (juridictions, administrations 10, voire

éventuellement simples individus).

La doctrine traditionnelle part souvent de l'idée que seul l'exécutif et les organes opérant sous ses

directives agissent, et sont capables d'agir, dans la sphère du droit international 11 ; se trouvent donc

exclus les actes des organes qui, dans les constitutions modernes, ne sont pas subordonnés à l'exécutif,

tels le parlement et les juridictions. Il semble pourtant pour le moins certain que le droit international

peut être violé par un acte législatif ou juridictionnel produit par un parlement ou une juridiction

agissant dans sa sphère de compétence. De même que les organes représentants l'État, ces organes

peuvent en réalité contribuer à la formation du droit international, que celui-ci soit coutumier, puisque

la coutume se forme par le comportement de l'ensemble de l'État, ou conventionnel, dans le cas par

exemple où la constitution exige une autorisation parlementaire pour la ratification d'un traité

international. Toutefois, que le droit international traite l'État comme une entité unique n'empêche pas

qu'une habilitation prépondérante soit souvent attribuée à l'exécutif en vue de la production de normes

internationales ; et il en va manifestement souvent ainsi en matière de traités internationaux12. Aussi,

l'exécutif étant l'organe étatique qui contribue le plus à la pratique internationale de l'État (diplomatie,

direction des forces armées, etc.), il intervient grandement dans la formation des coutumes

internationales13 ; et ce, d'autant plus que les diverses constitutions internes positives ne prévoient pas, à

l'inverse de ce qui s'observe souvent en ce qui concerne les traités internationaux 14, de procédure

parlementaire spécifique conditionnant la formation de telles normes internationales.

L'ensemble des organes de l'État participe, au moins potentiellement, à la production des normes

coutumières internationales. On peut néanmoins distinguer parmi les organes de l'État ceux qui

représentent l'État au plan international («pouvoir extérieur» ou «organes extérieurs»), et ceux dont la

10 Les autorités administratives participent à la pratique internationale de l'État, par exemple en matière de droit des étrangers.11 Cf. inter alia : Gian Carlo Venturini, « La portée et les effets juridiques des attitudes et des actes unilatéraux des États », RCADI, vol. 112, 1964, pp. 362-467.12 Cf. par exemple l'article 9 al. 3 proposé par le rapporteur spécial Gerald G. Fitzmaurice dans son Premier rapport sur le droit des traités (1956) : « Aucun État n'a l'obligation ou, au sens strict, le droit d'accepter comme authentiques sur le plan international les actes d'un autre État relatifs à un traité, à moins qu'il ne s'agisse d'actes de l'organe exécutif; toutefois, étant donné qu'un État est tenu d'accepter les actes qui ont ce caractère, ils lient nécessairement l'État dont ils émanent, lequel, les ayant accomplis par l'intermédiaire de son organe exécutif, ne peut plus contester leur authenticité internationale. », Annuaire de la Commission du droit international, vol 2, 1956, A/CN.4/101.13 Julian G. Ku, « Structural Conflicts in the Interpretation of Customary International Law »,, Santa Clara Law Review, 2005, vol. 45, pp. 857-875.14 Par exemple, l'article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. »

377

compétence se situe en principe dans la sphère domestique : le parlement, les juridictions et la majeure

partie de l'administration publique. L'action « intérieure » de ces derniers a des conséquences sur la

pratique internationale en tant qu'elle détermine le comportement d'ensemble de l'État.

L'analyse qui suit appelle d'abord une remarque terminologique. Aussi bien les organes «extérieurs» que

les organes «intérieurs» de l'État sont les organes «internes» de l'État. Dans tous les cas, l'État prévoit

leur existence et leur compétence15.

i. les «organes extérieurs» :

Les «organes extérieurs» de l'État sont directement16 investis dans la pratique internationale, de sorte

que leur action contribue à la modification et la création des coutumes internationales17. Par exemple,

en matière de protection diplomatique18, la Cour internationale de justice constate à l'occasion de

l'affaire Nottebohm19 que les «organes extérieurs» des États sont les producteurs de la norme suivant

laquelle un État n'est habilité à assurer la protection diplomatique d'un citoyen naturalisé que si la

nationalité accordée repose sur un lien réel entre l'individu et l'État protecteur. Il en va de même de la

norme internationale conditionnant l'exercice de la protection diplomatique par l'épuisement préalable

des voies de recours internes, celle-ci étant qualifiée de «règle bien établie du droit international

coutumier» par le juge international20.

ii. Les «organes intérieurs»

Il ne paraît pas possible de distinguer totalement une «pratique internationale» et une «pratique interne»

de l'État. La pratique internationale de l'État a certaines conséquences sur la pratique interne (par

exemple, la déclaration de guerre entraîne toutes sortes de conséquences internes) et la pratique interne

15 La doctrine oppose souvent «organes extérieurs» et «organes internes» (cf. pour exemple, Julio A. Barberis. « Réflexions sur la coutume internationale », AFDI, vol. 36, 1990, pp. 9-46, p. 31 et svtes). La terminologie semble mal posée d'un point de vue sémantique, étant donné que le terme «intérieur», et non celui d'«interne», s'oppose à celui d'«extérieur». Il en résulte d'éventuelles confusions liées au fait que les «organes extérieurs» pourraient ne pas être considérés comme des «organes internes», c'est-à-dire comme une une composante de l'État, alors qu'ils sont pourtant des organes constitués par le système juridique interne.16 Directement, c'est-à-dire dans la sphère internationale même (par exemple, le droit international attribue certaines compétences au chef de l'État, au corps diplomatique, etc.). Cela ne signifie pas que ces organes sont des organes internationaux puisqu'ils sont déterminés par l'intermédiaire de l'État. Les organes non extérieurs participent à la pratique internationale indirectement, c'est-à-dire en contribuant au comportement de l'ensemble de l'État.17 Max Sørensen, « Principes de droit international public », RCADI, vol. 101, 1960, pp. 1-254 ; Luigi Ferrari-Bravo, « Méthodes de recherche de la coutume internationale dans la pratique des États », RCADI, vol. 192, 1985, pp. 233-330.18 Edwin Borchard, The diplomatic Protection of Citizens Abroad or The Law of International Claims, The Banks Law, New York, 1915, 988 p.19 C.I.J., arrêt, 6 avril 1955, Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), Rec. 1955, p. 4 et svtes, particulièrement p. 22 ; cf. notamment : Suzanne Bastid, « L'affaire Nottebohm devant la Cour internationale de Justice », RCDIP, vol. 45, 1956, pp. 607-633.20 C.I.J., arrêt, 21 mars 1959, Interhandel (Suisse c. États-Unis d'Amérique), Rec. 1959, p. 6. La «règle de l'épuisement des voies de recours internes» est aussi dite «règle de l'épuisement des instances internes». A propos de la formation de ce principe du droit international, cf. Jean Chappez, La règle de l'épuisement des voies de recours internes, A. Pedone, Paris, 1972, 263 p.

378

de l'État a certaines conséquences internationales (par exemple, la nationalisation d'une grande société

entraîne des conséquences tant à l'intérieur de l'État qu'en dehors de sa sphère de compétence).

L'action des « organes intérieurs » de l'État (parlement, juridictions, majeure partie de l'administration

publique ou encore États fédérés le cas échéant) contribue à la pratique internationale de l'État. Cela n'a

rien d'exceptionnel, et la jurisprudence internationale relève d'ailleurs plusieurs cas d'une coutume

internationale principalement formée par leur action :

L'organe parlementaire apparaît, parmi les organes étatiques, comme le principal producteur du

principe du droit international de protection des droits privés acquis par les particuliers dans le contexte

d'une succession d'États21. Dans l'affaire Colons d'origine allemande domiciliés dans les territoires cédés

par l'Allemagne à la Pologne (1923), la Cour permanente de justice internationale fait observer que : «

Des droits privés, acquis conformément au droit en vigueur, ne deviennent point caducs à la suite d'un

changement de souveraineté. Personne ne nie que le droit civil allemand — tant matériel que formel —

n'a cessé de s'appliquer dans les territoires dont il s'agit. On ne saurait prétendre que, alors que la

législation survit, les droits privés acquis conformément à cette législation soient condamnés à périr.

Une telle assertion n'est basée sur aucun principe et serait contraire à l'opinion et à la pratique quasi

universelles.22 »

La pratique des juridictions internes23 se trouve à l'origine du principe du droit international

suivant lequel, en matière pénale, l’État est compétent non seulement dans le cas où les actes ont reçu

un commencement d'exécution sur son territoire (principe dit de «territorialité subjective»), mais aussi

dans le cas où les actes ont été commis hors de son territoire lorsqu'un des éléments constitutifs s'est

produit sur son territoire (principe dit de «territorialité objective»). La Cour permanente de justice

internationale dit, à propos de la formation de ce principe, que :

« Il est constant que les tribunaux de beaucoup de pays, même de pays qui donnent à

leur législation pénale un caractère strictement territorial, interprètent la loi pénale dans ce sens que les

délits dont les auteurs au moment de l'acte délictueux se trouvent sur le territoire d'un autre État,

21 C.P.J.I., avis consultatif, 10 septembre 1923, Colons d'origine allemande domiciliés dans les territoires cédés par l'Allemagne à la Pologne, série B, n° 6, pp. 36-38 ; C.P.J.I., arrêt, 25 mai 1926, Intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (Allemagne c. Pologne), série A, n° 7, p. 42 ; C.P.J.I., arrêt, 26 juillet 1927, Affaire relative à l'usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne), série A, n° 9, p. 27.22 C.P.J.I., avis consultatif, 10 septembre 1923, Colons d'origine allemande domiciliés dans les territoires cédés par l'Allemagne à la Pologne, série B, n° 6, pp. 36-38 23 A propos de la question de la création des normes coutumières par l'action des juridictions internes, cf. Hersch Lauterpacht, Private law sources and analogies of international law, The Lawbook Exchange, Londres, 1927, 326 p. ; Hersch Lauterpacht, « Decisions of Municipal Courts as a Source of International Law », BYIL, vol. 10, 1929, pp. 65-95 ; Hubert Lefebvre, Les rapports entre le droit international pénal et les droits pénaux internes, Université du droit et de la santé, Lille, 1981, 470 p. ; Pierre Mayer, « Droit international privé et droit international public sous l'angle de la notion de compétence », RCDIP, 1991, pp. 651-665 ; Emmanuel Paillard, La contribution des tribunaux internes à la formation et à la détermination du droit international général : l'exemple du droit de la compétence internationale de l'État, thèse, Paris, 2000, 430 p.

379

doivent néanmoins être considérés comme ayant été commis sur le territoire national, si c'est là que s'est

produit un des éléments constitutifs du délit et surtout ses effets.24 »

C'est peut-être dans le domaine du droit international privé que les juridictions internes contribuent le

plus à la formation du droit international coutumier25. Notamment, la Cour permanente de justice

internationale soutient dans l'affaire des emprunts serbes, relative en l'espèce à une obligation

contractée par l'État dans sa sphère domestique à l'égard de personnes de nationalité étrangère, que la

loi applicable au contrat ne saurait être déterminée qu'« en s'inspirant de la nature même des obligations

et des circonstances qui ont accompagné sa création26 ». Le juge international ajoute que : « c'est ce que

semblent devoir faire les tribunaux nationaux en l'absence de règles du droit national relatives à la

solution des conflits de loi27 ». Outre le domaine du droit international privé, les juridictions internes ont

aussi, par leur pratique, largement contribué au passage de la coutume internationale d'immunité de

juridiction absolue de l'État étranger vers celle de l'immunité de juridiction restreinte, c'est-à-dire

bénéficiant uniquement aux actes réalisés jure imperii par un État étranger, à l'exclusion de ceux

réalisés jure gestionis28 29. La doctrine spécialiste du droit international constate de manière quasi-

unanime que la tendance actuelle est à l'expansion de la participation des juridictions internes à la

production du droit international30.

Dans la plupart des cas, les changements de la pratique d'un État susceptibles d'aboutir à une

modification du droit international ne résultent pas exclusivement d'un de ses organes, mais d'une

certaine convergence de comportements de ses organes, et éventuellement même des particuliers qui

24 C.P.J.I., 7 septembre 1927, affaire du SS Lotus, série A, n° 10, p. 23.25 Selon la Cour permanente de justice internationale : « [Les règles de droit international privé] font partie du droit interne », à moins qu'elles soient « établies par des conventions internationales ou des coutumes et [auraient dans ce cas] le caractère d'un vrai droit international, régissant les rapports entre États » ; cf. C.P.J.I., arrêt, 22 juillet 1929, Emprunts serbes et brésiliens, série A, n° 20/21, p. 41.26 C.P.J.I., arrêt, 22 juillet 1929, Emprunts serbes et brésiliens, série A, n° 20/21, p. 41.27 Ibid.28 A propos de l'immunité de juridiction de l'État étranger, cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».29 En matière d'immunité de juridiction pénale, la Cour internationale de justice, à l'occasion de l'affaire du mandat d'arrêt 11 avril 2000 en date du 14 février 2002, « a examiné avec soin la pratique des États, y compris les législations nationales et les quelques décisions rendues par de hautes juridictions nationales, telle la Chambre des lords ou la Cour de cassation française. Elle n'est pas parvenue à déduire de cette pratique l'existence, en droit international coutumier, d'une exception quelconque à la règle consacrant l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité des ministres des affaires étrangères en exercice, lorsqu'ils sont soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité », Rec. 2002, § 58. 30 Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183 ; Benedetto Conforti (rapporteur), « L'activité du juge interne et les relations internationales de l'État (Neuvième Commission) », Annuaire de I'Institut de Droit international, vol. 65, tome I, 1993, pp. 327-448, tome III, p. 220 et svtes ; Eyal Benvenisti, « Judges and Foreign Affairs ; A Comment on the Institut de Droit International's Resolution on "The Activities of National Courts and the International Relations of their State" », EJIL, vol. 5, 1994, p. 423 et svtes ; Emmanuel Paillard, op. cit. note 23 ; André Nollkaemper, « The Role of Domestic Courts in the Case Law of the International Court of Justice », 5 Chinese Journal of International Law, 2006, pp. 301-322, spécialement pp. 303-304 ; Yuval Shany, Regulating Jurisdictional Relations Between National and International Courts, Oxford University Press, Oxford, 2007, 216 p. ; Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72.

380

contribuent eux aussi à la pratique globale de l'État en tant que ressortissants de celui-ci 31 (par exemple,

la pratique de groupes armés dans une guerre civile peut contribuer à la modification du droit

international humanitaire32 ou la pratique des marins-pêcheurs à celle des délimitations maritimes).

2. La relativité de la distinction entre la sphère de compétence internationale et la sphère de compétence

interne de l'État

En dehors de la sphère de compétence dite interne, un État dispose de certaines compétences externes

qui consistent, entre autres, à participer à la modification du contenu du droit international (traités,

coutumes...) ou à sanctionner un État auteur d’une violation du droit international par divers moyens,

parmi lesquels on trouve l'engagement de la responsabilité délictuelle de l’État fautif et les représailles

armées ou non armées33.

La distinction entre la sphère de compétence dite interne (ou intérieure) et la sphère de compétence dite

externe (ou extérieure) de l'État apparaît toute relative – ni naturelle, ni logique – au sens où :

i. La répartition entre sphère de compétence interne de l'État et sphère de compétence externe ne

résulte pas d'autre chose que du droit positif :

Les domaines qui relèvent de la sphère de compétence interne et de la sphère de compétence externe

sont délimités par le système juridique international, qui attache certains effets juridiques à cette

répartition des compétences. Certains domaines relèvent de la sphère de compétence interne de l'État et

celui-ci dispose alors d'un large pouvoir discrétionnaire (par exemple, le droit international humanitaire

laisse en principe à l'État une latitude presque totale pour réagir à l'encontre de troubles internes) ;

31 A propos de la participation des particuliers à la formation du droit international coutumier, cf. notamment : Lazare Kopelmanas, « Custom as a means of creation of international law », BYIL, 1937, pp. 127-151 ; Lazare Kopelmanas, « Essai d'une théorie des sources formelles du droit international », RDI, 1938, pp. 101-150 ; Rudolf Bernhardt, «Ungeschriebenes Völkerrecht», ZaöRV, vol. 36, 1976, pp. 50-76 ; Catherine Tinker, « The Role of Non-state Actors in International Law-Making During the UN Decade of International Law », ASIL Proceedings, vol. 89, 1995 ; Karsten Nowrot, « Legal Consequences of Globalization : The Status of Non-Governmental. Organizations. Under International Law », Indiana Journal of Global Legal Studies, vol. 6, 1999, pp. 579-645 ; Julie Mertus, « Considering Non-state Actors in the New Millennium : Toward Expanded Participation in Norm Generation and Norm Application », New York University Review of International Law and Policy, vol.32, 2000, pp.537-566.32 Cf. par exemple : Antonio Cassese, « The Spanish Civil War and the Development of Customary Law concerning Internal Armed Conflict », in : Antonio Cassese (éd.), Current Problems of International Law, Essays on U.N. Law and on the Law of Armed Conflict, Giuffrè, Milan,1975, 375 p., pp. 287-318.33 Cf. par exemple pour un aperçu de la doctrine traditionnelle, l'analyse de Monsieur Antonios Tzanakopoulos : « What is meant by "directionality" is whether a given international obligation addresses the state with respect to its actions towards other states, i.e. whether it prescribes or proscribes certain conduct exclusively on the international level, or whether it addresses the state with respect to taking certain conduct or guaranteeing certain results within its domestic jurisdiction. In the former instance the international obligation is «extrovert» or «outward-looking» : it addresses the state in its conduct on the international level towards other states. In the latter it is « introvert » or « inward-looking », it mandates conduct within the domestic jurisdiction. The prohibition of the use of force and the prohibition of intervention are obvious examples of outward-looking obligations, while obligations under human rights law, or under the law of immunity, are inward-looking obligations » ; cf. « Domestic Courts as the « Natural Judge » of International Law : A Change in Physiognomy », in : James Crawford, Sarah Nouwen (éds), Select Proceedings of the European Society of International Law (2010), vol. 3, Hart, Oxford, 2012, 418 p., pp. 155-168.

381

d'autres domaines relèvent de la sphère de compétence externe de l'État et les obligations

internationales qui s'imposent alors à lui sont à la fois plus nombreuses et plus déterminées (par

exemple, dans les cas de conflits armés non-internationaux et encore davantage dans le cas des conflits

armés internationaux)

Aussi, le droit interne peut contenir une délimitation entre «sphère de compétence interne» et «sphère

de compétence externe», à laquelle est attaché certains effets quant à la distribution des compétences

entre les différents organes internes. Il arrive, par exemple, que le domaine des relations internationales

soit attribué à l'exécutif par la constitution, ce qui peut exclure la compétence des autres organes

internes en la matière – ils ne seront ni habilités à déclarer la guerre, ni peut-être même à négocier un

traité international – et limiter leur compétence de contrôle en la matière. Et, suivant le droit interne en

question, le droit de procéder à des essais nucléaires peut aussi bien relever de la «sphère de

compétence interne» (dans notre exemple, compétence du législatif), car les essais ont lieu sur le

territoire même de l'État, que de la «sphère de compétence extérieure» de l'État (compétence de

l'exécutif), car leur fonction consiste à dissuader les autres États d'une agression 34. Dans tous les cas, il

s'agit d'une question de droit interne : la délimitation entre une «compétence interne» et une

«compétence externe» n'est pas autre chose qu'un principe de répartition des compétences entre les

différents organes internes.

ii. La distinction entre «sphère de compétence interne» et «sphère de compétence externe» de l'État

s'opère difficilement ; car sphère de compétence interne et sphère de compétence interne ne sont en

réalité pas strictement séparées, mais en relation l'une avec l'autre. Il en va par exemple ainsi en ce qui

concerne la désignation des individus chargés de représenter l'État dans les relations internationales

qu'il conduit. Le droit international habilite chacun des États à désigner – selon une certaine procédure

interne (sphère de compétence «interne» des États») – les organes étatiques représentants l'État (le chef

de l’État, les diplomates) au sein de la Communauté internationale (sphère de compétence «externe»

des États).

Plus largement, il semble inapproprié de définir le droit international comme le système juridique

réglementant les activités externes de l'État ainsi que les relations entre États, ce par opposition au droit

national qui réglemente les affaires internes (parfois dites «domestiques») de l'État. La doctrine affirme

ainsi parfois qu'une matière donnée est réglementée par le droit international parce qu'il s'agit d'une

affaire externe par nature ; tandis qu'une autre matière est réglementée par le droit interne parce qu'il

s'agit d'une affaire interne par nature. L'état de la répartition des compétences matérielles entre le droit

international et l'État dépend en réalité des données du droit positif. En effet, toute affaire interne de

34 Cf. en droit français, la décision du juge administratif relative à la reprise des essais nucléaires : CE, Ass., Association Greenpeace Fr., Leb. p. 348.

382

l'État peut devenir une affaire «externe», c'est-à-dire entre États, dès qu'un traité international ou toute

autre norme internationale la concernant entre en vigueur. Par exemple, la relation entre employeur et

employés est souvent considérée comme relevant typiquement de la sphère domestique de l'État ;

cependant, dès que l'État conclut un traité avec un autre État qui impose des obligations quant à cette

relation, ou encore adhère à une organisation internationale ou supranationale la réglementant au moins

partiellement, la relation de travail devient une affaire externe. Une affaire est donc à considérer comme

«externe» dès lors que c'est le droit international qui la réglemente, et, inversement, elle est à considérer

comme «interne», c'est-à-dire comme relevant de la sphère de compétence d'un seul État, dans le cas où

le droit national la réglemente exclusivement, ce qui implique que le droit international attribue

effectivement une telle latitude à l'État.

Il n'existe pas de matière relevant exclusivement par nature de la compétence interne de l'État, étant

donné le droit international peut potentiellement réglementer toutes les matières. Cela vaut même pour

les matières que l'on trouve typiquement dans la sphère de compétence de l'État, telles que la forme de

gouvernement, l'acquisition et la perte de la nationalité, la relation de travail, l'aide sociale, le droit

pénal et la procédure pénale, le droit civil et la procédure civile ou le droit fiscal. En l'état du droit

positif, le droit international réglemente d'ailleurs souvent ces matières par des normes particulières ou

à travers des organisations internationales. Par exemple, un État est tenu d'adopter une forme

républicaine de gouvernement par un traité international tels ceux de Versailles et de Saint-Germain-en-

Laye, qui s'adressèrent respectivement à l'Allemagne et à l'Autriche postérieurement à la Première

guerre mondiale ; autre exemple bien plus technique : une convention fiscale bilatérale règle des

problèmes de double imposition. De plus en plus souvent, le droit international contient des normes

réglementant les matières qui relèvent traditionnellement exclusivement de la compétence de l'État

(traités internationaux relatif aux libertés individuelles, au droit du travail, au droit international privé,

aux finances publiques...).

En l'état du droit international, l'État dispose certes en principe d'une compétence pour réglementer

toutes les matières – le principe de la sphère de compétence matérielle illimitée de l'État –, mais sa

compétence devient limitée dès que le droit international réglemente de manière positive35 une matière

déterminée. Et aussi bien des normes générales du droit international, entre autres celles de ius cogens,

que certaines de ses normes les plus particulières obligent l'État à se comporter d'une manière

déterminée dans certaines matières. La droit international tend d'ailleurs actuellement à restreindre

progressivement les matières qui, dans la période relativement récente où la souveraineté de l'État

atteignait son maximum, de la fin XIXe s. au début du XXe s., étaient exclusivement de la compétence

35 L'absence de réglementation de manière positive ne signifie pas que le droit international ne réglemente pas. Dans ce cas, le droit international réglemente de manière négative en autorisant l'État à se comporter librement. Cf. supra, note 2.

383

interne de l'État.

L'ensemble des organes internes, «extérieurs» ou «intérieurs», participe à la formation du droit

international coutumier. L'obligation constitutionnelle de respecter le droit international général déjà

existant pourrait encadrer leur pratique internationalement pertinente.

B. Les incidences de la transformation sur l'encadrement juridique du «pouvoir extérieur»36

Le «pouvoir extérieur», ainsi que les autres organes de l'État agissant dans la sphère internationale, ne

sont pas autre chose que des organes internes, de sorte qu'il leur est adressé une certaine obligation de

respecter les normes du système juridique interne, y compris les normes de droit international général

transformées en droit interne. En d'autres termes, les organes agissant dans la sphère internationale ont

par l'intermédiaire du droit interne une certaine obligation de respecter le droit international général

(1).

Par ailleurs, il est souvent affirmé que la transformation du droit international en droit interne entraîne

pour conséquence une modification de la répartition des compétences en droit interne (2). La doctrine

part du constat que le «pouvoir extérieur» de l'État crée des normes dans la sphère internationale qui

deviennent des composantes du droit interne par le processus de transformation ipso iure. Il s'ensuit que

le «pouvoir extérieur», surtout constitué par l'exécutif, est pourvu d'une compétence indirecte de

production de normes internes ; et ceci peut paraître peu compatible avec certains principes du droit

interne, tels que le principe de séparation des pouvoirs et le principe démocratique.

36 Cf. généralement : Thomas Giegerich, « Verfassungsgerichtliche Kontrolle der auswärtigen Gewalt im europäischatlantischen Verfassungsstaat: Vergleichende Bestandsaufnahme mit Ausblick auf die neuen Demokratien in Mittel- und Osteuropa », ZaöRV, vol. 57, 1997, pp. 409-564.La doctrine allemande a largement traité, y compris récemment, la question de l'encadrement du « pouvoir extérieur » : Wilfried Fiedler, « Auswärtige Gewalt und Verfassungsgewichtung », in : Ingo von Münch (éd.), Staatsrecht – Völkerrecht – Europarecht: Festschrift für Hans-Jürgen Schlochauer zum 75. Geburtstag am 28. März 1981 , Walter de Gruyter, Berlin/New York, 1981, 1023 p., pp. 57-77 ; Winfried Kluth, « Die verfassungsrechtlichen Bindungen im Bereich der auswärtigen Gewalt nach dem Grundgesetz », in : Rudolf Went, Wolfram Höflin, Ulrich Karpen, Martin Oldiges (éd.), Staat – Wirtschaft – Steuern, Festschrift für Karl Heinrich Friauf zum 65. Geburtstag , C.F. Muller, Heidelberg, 1996, 926 p., pp. 197-216 ; Kay Hailbronner, « Die Kontrolle der auswärtigen Gewalt », VVDStRL, vol. 56, 1997, pp. 7-34 ; Stefan Kadelbach, « Die Parlementarische Kontrolle der Regierungshandelns bei der Beschlußfassung in internationalen Organisation », in : Rudolf Geiger (éd.), Neuere Probleme der parlamentarischen Legimitation im Bereich der auswärtigen Gewalt, Nomos, Baden-Baden, 2003, 270 p., pp. 41-57 ; Rüdiger Wolfrum, « Die Kontrolle der auswärtigen Gewalt », VVDStRL, vol. 56, 1997, pp. 38-66 ; Gernot Biehler, Auswärtige Gewalt, Auswirkungen auswärtiger Interessen im innerstaatlichen Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2005, 351 p. ; Frank Schorkopf, Grundgesetz und Überstaatlichkeit : Konflikt und Harmonie in den auswärtigen Beziehungen Deutschlands, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 355 p.Dans la doctrine autrichienne, la question est notamment traitée dans : Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372. ; Theo Öhlinger, op. cit. note 7.Dans la doctrine française, la question de l'encadrement du « pouvoir extérieur » est surtout traitée dans la littérature relative aux actes de gouvernement (cf. supra : « Les limites à l'invocabilité des règles générales du droit international dans la sphère des relations entre États »)

384

1. La création d'obligations destinées aux organes étatiques agissant dans la sphère internationale

i. Distinction préliminaire

La transformation du droit international en droit interne a éventuellement pour effet de réglementer le

comportement des organes internes de l'État agissant dans la sphère internationale. La validité de

normes issues du droit international dans le système juridique interne modifie ainsi les obligations des

organes internes dans le cadre de l'implémentation du droit international. Les constitutions anciennes,

antérieures au XXe s., attribuaient sans aucun doute une large latitude au «pouvoir extérieur» de l'État

en matière de production de normes internationales ; son action semble désormais encadré par les

dispositions constitutionnelles prévoyant de manière générale une obligation de respecter le droit

international. Ces dispositions constitutionnelles peuvent en effet interdire un comportement des

organes de l'État en violation du droit international dans la sphère internationale, et ce, tant dans les cas

de simples comportements factuels que dans les cas de comportements normatifs (production de normes

internationales) :

Les comportements factuels de l'État sont de toutes sortes, et certains d'autres eux relèvent

immédiatement du droit international, par exemple lorsque l'État est engagé dans un conflit armé

international37 ou lorsqu'il agit en haute mer. La disposition constitutionnelle relative au droit

international général interdit des comportements de violation du droit international à l'ensemble de

l'État (guerre illicite par exemple), ce qui comprend des interdictions adressées à ses organes et même,

éventuellement, aux simples particuliers (prohibition des crimes de guerre ou du terrorisme par

exemple).

Les comportements normatifs de l'État se définissent comme ceux qui modifient l'état du droit

international. L'obligation constitutionnelle de respecter le droit international général peut interdire

toutes sortes de comportements qui visent à modifier l'état du droit international par violation de celui-

ci.

Lorsque l'on parle de «comportements factuels» et «comportements normatifs», il s'agit dans les deux

cas de «faits». Le «comportement normatif» se conçoit également comme un «fait», car il consiste en la

production d'une norme, qui est autre chose que la norme elle-même. L'opération de distinction entre

«comportements factuels» et «comportements normatifs» devient spécifique en ce qui concerne le droit

international coutumier ; car une simple pratique des États ne se distingue que difficilement d'une

pratique participant à la formation d'une nouvelle norme coutumière.

37 Dieter Wiefelspütz, « Der Auslandseinsatz der Streitkräfte und die Geltung der Grundrechte », Unterrichtsblätter für die Bundeswehrverwaltung 2007, pp. 321-327. Dans la jurisprudence, cf. l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale en date du 29 octobre 1987 dans l'affaire armes chimiques (BVerfGE 100, p. 303 sqs. (362)).

385

ii. L'extension du cercle des destinataires de l'obligation constitutionnelle de respecter le droit

international aux États étrangers

La doctrine admet parfois que l'obligation constitutionnelle de respecter le droit international dans la

sphère internationale peut aller au-delà de l'État lui-même, et ce, en obligeant aussi dans une certaine

mesure des organes étatiques étrangers38.

La concrétisation de l'obligation constitutionnelle de faire respecter le droit international par les États

étrangers semble surtout relever de la compétence des organes exécutif et législatif : évaluation de la

faute de l'État étranger, décision de représailles le cas échéant, normes internes de mise en œuvre de ces

représailles (organisation des contre-mesures, préparation de représailles armées). La compétence des

juridictions internes apparaît en revanche beaucoup plus circonscrite, ce en raison du principe général

du droit international d'immunité de juridiction de l'État étranger. Prosper Weil remarque, à propos de

l'étendue de la compétence des juridictions, que : « le problème du contrôle de la licéité internationale

[qui relève quant à lui de la compétence des juridictions] n'est pas toujours clairement séparé de celui

de l'immunité de juridiction. Certaines considérations d'opportunité se retrouvent, il est vrai, ici et là,

puisque aussi bien il s'agit dans les deux cas d'arbitrer entre les exigences antinomiques de la primauté

du droit et du respect de la souveraineté de l'État étranger.39 »

La transformation du droit international en droit interne étend de manière générale l'obligation de

respecter le droit international dans la sphère internationale (a) ; plus spécifiquement, elle pourrait bien

interdire aux organes internes de produire des normes internationales en contrevenant au droit

international lui-même, et ce, alors même que ce dernier ne prohibe sans doute pas dans tous les cas une

telle production normative (b).

a. L'étendue de l'obligation constitutionnelle de respecter le droit international dans la sphère

internationale

En droit autrichien et en droit allemand, la transformation suffit à entraîner l'obligation à charge des

organes internes de se conformer au droit international dans la sphère internationale (ɑ). Il semble en

aller autrement en droit français, et ce, bien que la formulation de l'alinéa 14 soit davantage tournée vers

38 Pour une étude comparée Allemagne, Autriche, Pays-Bas, cf. Wolf Okresek, « Hoheitsakte auf fremdem Staatsgebiet — Eine Betrachtung anhand praktischer Fälle », ZÖR, vol. 35, 1985, pp. 325-344. Cf. aussi, notamment : Georg Ress, « Le contrôle judiciaire des actes émanants d'un état étranger par le juge allemand », in : Michael Bothe, Raúl E. Vinuesa (éds), International Law and Municipal Law German-Argentinian Constitutional Law Colloquium, Buenos Aires avril 1979, Duncker & Humblot, Berlin, 1982, 325 p., pp. 35-50.39 Prosper Weil, « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52, p. 17.

386

la sphère internationale (β). L'obligation de se conformer au droit international dans la sphère

internationale justifie aussi très souvent des sanctions internes aux actes internationalement illégaux

commis par les États étrangers.

α. L'obligation de se conformer au droit international dans la sphère internationale découlant de la

transformation : les cas du droit autrichien et du droit allemand

La transformation du droit international en droit interne paraît de prime abord surtout orientée vers la

sphère interne. Toutefois, les organes de l'État agissant dans la sphère internationale demeurent, en tant

qu'organes internes soumis à un principe de légalité plus ou moins strictement conçu, destinataires de

l'obligation de respecter le droit international transformé en droit interne lorsqu'ils agissent en dehors de

la sphère de souveraineté de l'État. Il en va ainsi tant en droit autrichien (i.) qu'en droit allemand (ii.).

i. L'obligation de respecter le droit international général étendue à l'ensemble des organes internes par

l'article 9 B-VG

La doctrine autrichienne affirme de manière continue que l'État en son ensemble, dans ses relations

avec les autres États, a l'obligation de ne pas violer le droit international 40. L'article 9 B-VG est dans ce

cadre à concevoir comme une délégation à l'ensemble des autorités, y compris à celles qui agissent à

l'extérieur du territoire autrichien41, ainsi qu'aux citoyens, de la responsabilité de respecter le droit

international42. Il s'ensuit que les organes extérieurs qui représentent l'État en son ensemble dans la

sphère internationale ne sont plus les seuls organes internes destinataires du droit international, comme

cela était le cas auparavant, lorsque la Constitution de la Double Monarchie déterminait uniquement la

répartition des compétences en matière de relations extérieures43. Rudolf Aladár Metall constate ainsi en

40 Alfred Verdross, Die Verfassung der Völkerrechtsgemeinschaft, Springer, Vienne/Berlin, 1926, 228 p., spécialement p. 19, p. 118 et svtes, p. 164.41 A propos des forces armées autrichiennes, cf. dans la doctrine, à propos de l'encadrement juridique de leur déploiement dans le cadre de la KFOR (guerre du Kosovo) : Gerhard Scherhaufer, « Militärpolitische und rechtliche Aspekte von Auslandseinsätzen am Beispiel des österreichischen KFOR-Einsatzes », 24 p. (PDF), 2005, disponible sur : http://www.deutsches-wehrrecht.de/WR-Aufsaetze2.html ; plus généralement, cf. Wolf Okresek, op. cit. note 38 ; Gerhard Thallinger, Grundrechte und extraterritoriale Hoheitsakte. Auslandseinsätze des Bundesheeres und Europäische Menschenrechtskonvention, Springer, Vienne/New York, 2008, 426 p. Dans la jurisprudence, cf. par exemple la décision de la Cour administrative du 31 mai 1995 (95/12/0261) à propos d'un contingent autrichien armé participant à la Force des Nations Unies chargée d'observer le désengagement (FNUOD) sur le plateau du Golan : « Es ist davon auszugehen, daß das Abkommen zwischen der Bundesregierung der Republik Österreich und den Vereinten Nationen über den Dienst österreichischer Kontingente im Rahmen der Streitkräfte der Vereinten Nationen zur Erhaltung des Friedens in Zypern, BGBl 1966/60, nur für den Einsatzort Zypern gilt. Der VwGH vermag insbesondere nicht zu erkennen, daß der Inhalt dieses Abkommens auch nur teilweise als völkergewohnheitsrecht für die übrigen UNO-Einsätze Anwendung findet ». 42 Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, spécialement pp. 175-178.43 Article 1 de la Loi fondamentale de l'État du 21 décembre 1867 concernant les affaires communes à tous les pays de la monarchie autrichienne, et la manière de les traiter : « Les affaires suivantes sont déclarées communes aux royaumes et pays représentés dans le Reichsrat et aux pays de la couronne de Hongrie :

387

1928 le « passage d'une responsabilité collective à une responsabilité individuelle »44 ; l'auteur entend

par là que l'ensemble des destinataires du systèmes juridiques autrichien, y compris les simples

citoyens, sont désormais obligés par le droit international, et non plus les seuls organes qui représentent

l'ensemble de l'Autriche dans la sphère internationale. En outre, l'article 145 B-VG, qui dispose que « la

Cour constitutionnelle connaît des violations du droit international public », peut se concevoir, même

s'il n'a jamais été concrétisé par la loi fédérale spéciale prévue, comme une obligation pesant sur les

organes de l'État de ne pas commettre de violations au droit international dans la sphère internationale,

surtout si ces violations sont de nature pénale45.

L'article 9 B-VG peut aussi justifier que les actes d'États étrangers qui contreviennent au droit

international général soient sanctionnés à l'issue d'une procédure interne autrichienne. A propos de

l'acquisition de la nationalité du IIIe Reich par un membre de la minorité de langue allemande en Italie,

fondée en l'occurrence sur l'Accord italo-allemand relatif au transfert des populations du Haut-Adige du

21 octobre 1939, la Cour administrative considère que : « il est […] décisif de savoir si la naturalisation

[…] est en violation du droit international, dans quel cas elle est privée d'effets juridiques dans la sphère

juridique autrichienne. […] La circonstance que la naturalisation soit effectuée par un acte administratif

individuel n'implique pas nécessairement qu'elle corresponde aux règles généralement reconnues du

droit international. 46»

ii. Une jurisprudence allemande concevant largement l'obligation constitutionnelle de respecter le droit

international dans la sphère internationale

Selon la Cour constitutionnelle fédérale, l'article 25 LF, en combinaison avec les autres normes

constitutionnelles d'«ouverture au droit international», oblige les organes étatiques allemand, et même

dans une certaine mesure les organes étatiques étrangers, à respecter le droit international général dans

la sphère du droit international47. La Cour expose sa conception à l'occasion de sa décision du 26

octobre 2004 relative aux expropriations dans la zone d'occupation soviétique, en distinguant trois

sortes d'obligations48 :

« [L']obligation de respecter le droit international, découlant du fait que la Loi fondamentale est

a) Les affaires étrangères, y compris la représentation diplomatique et commerciale à l'étranger, de même que les traités internationaux. La sanction de ces traités, nécessaire aux termes de la Constitution, est réservée aux Corps représentatifs des deux parties de l'empire (au Reichsrat et à la Diète hongroise.) »44 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 42, spécialement p. 177.45 Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement p. 449 ; Hans René Laurer, op. cit. note 36, spécialement p. 346.46 Décision du 6 septembre 1995, 94/01/0787.47 A propos de la conduite de la guerre, cf. Peter Becker, « Rechtsschutz gegen verfassungswidrige Kriegsführung », in : Peter Becker, Reiner Braun, Dieter Deiseroth (éds), Frieden durch Recht ?, BWV, Berlin, 2010, 438 p., pp. 223-248. 48 BVerfGE 112,p. 1 – Bondenreform III . Cf. aussi la décision du Tribunal administratif fédéral à propos de la guerre en Irak : BVerwG, 2 WS 12.04 du 21 juin 2005 ; dans la doctrine : Nikolaus Schultz, « Was the War on Iraq Illegal? – The German Federal Administrative Court’s Judgement of 21st June 2005», German Law Journal, vol. 7, 2005, pp. 25-44.

388

ouverte au droit international, a trois éléments. Premièrement, les organes étatiques allemands sont

dans l'obligation de suivre les dispositions du droit international liant l'État allemand et, si possible, de

s'abstenir de les violer. Les conséquences légales de la violation de cette obligation dépendent de la

nature même de la disposition internationale en question. La Loi fondamentale elle-même règle certains

groupes de cas particuliers ; il peut ainsi notamment être inféré de l'article 25 phrase 2 LF que les règles

générales du droit international priment pour le moins sur les simples lois. Deuxièmement, le législateur

doit garantir pour le système juridique allemand que les violations au droit international commises par

ses propres organes étatiques puissent être réparées. Troisièmement, les organes étatiques allemands

peuvent aussi être obligés de faire respecter le droit international [...] dans leur domaine de

responsabilité dans la situation où d'autres États y portent atteinte.49 »

La Cour remarque dans la même décision qu'une telle obligation à destination des États étrangers n'est

pas nouvelle dans le système juridique allemand50. Il s'agit en effet d'un des principes du Code pénal

international (Völkerstrafgesetzbuch) de la République fédérale, en date du 26 juin 200251, qui

implémente l'essentiel de la réglementation internationale valable à l'encontre des individus qui ont agi

en tant qu'organe d'un État étranger. La République fédérale dispose aussi d'une compétence pour

procéder contre les navires étrangers, et ses propres navires, qui ont contrevenu à la réglementation

environnementale internationale, ce à l'occasion de leur escale dans un port allemand ; cette

compétence trouve son fondement dans l'article 218 de la Convention des Nations unies sur le droit de

la mer du 10 décembre 1982 transformée en droit allemand à l'issue d'une procédure législative 52. La

Cour observe qu'ainsi « la loi de la mer libre peut être exécutée à un niveau décentralisé ».

Potentiellement, l'obligation qui pèse sur les organes internes allemands de faire respecter le droit

international «dans leur domaine de responsabilité» peut justifier des engagements de l'État allemand à

l'étranger, et même l'exercice du droit d'ingérence, surtout lorsque l'État étranger en question viole le

ius cogens ; car il appartient à l'ensemble de la Communauté internationale, y compris à l'État allemand

et à ses organes, de faire respecter les obligations erga omnes du droit international53.

β. Une obligation de respecter le droit international dans la sphère internationale limitée par les

procédures de contrôle disponibles en droit français

L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 semble prévoir par lui-même, indépendamment de

49 2 BvR 955/00, 2 BvR 1038/01, § 93 (mes italiques).50 Ibid, § 94.51 BGBl 1994 II p. 1799. Cf. : Thomas Weigend, « Das Völkerstrafgesetzbuch – nationale Kodifikation internationalen Rechts », in : Otto Triffterer (éd.), Gedächtnisschrift für Theo Vogler, C.F. Müller, Heidelberg, 2004, 283 p., pp. 197-212.52 Article 218 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.53 Cf. Stefan Kadelbach, « Jus Cogens, Obligations Erga omnes and other Rules – The identity of Fundamental Norms », in : Christian Tomuschat, Jean-Marc Thouvenin (éds), The Fundamental Rules of the International Legal Order, Martinus Nijhoff/Brill, Leyde/Boston, 2006, 471 p., pp. 21-40 ; Christian J. Tams, Enforcing Obligations Erga Omnes in International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, 424 p.

389

la transformation en droit interne, une obligation générale pesant sur les organes étatiques de respecter

le droit international dans la sphère internationale : « La République française [...] se conforme aux

règles du droit public international54 ». Du point de vue juridique, la «République française» visée par

l'alinéa 14 ne peut se concevoir autrement que comme l'État français, c'est-à-dire une entité juridique ne

se distinguant pas de ses organes. Le Conseil constitutionnel ajoute que l'obligation de respecter le droit

international général ne consiste pas uniquement en une interdiction adressée aux organes étatiques de

transgresser le droit international, mais qu'elle justifie aussi des mesures positives telle l'adhésion à une

organisation internationale55. Le juge constitutionnel français se réfère aux alinéas 14 et 15 du

Préambule de la Constitution 1946 pour conclure, à propos du Traité portant Statut de la Cour pénale

internationale56, que le principe de souveraineté nationale ne s'oppose pas à ce que l'État français

participe à « des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et

d'assurer le respect de principes généraux du droit public international. »

Cependant, et bien que l'obligation posée par l'alinéa 14 paraisse claire, aucune procédure interne ne le

concrétise en prévoyant une sanction (destruction des normes produites, engagement de la

responsabilité de l'organe fautif) qui s'adresserait aux organes internes contrevenant au droit

international général. Bien au contraire, leur action dans la sphère internationale se trouve même

généralement couverte par une certaine immunité juridictionnelle interne, à savoir le principe de

contentieux juridictionnel dit «théorie des actes de gouvernement»57. Une tendance dans la

jurisprudence administrative s'observe toutefois depuis peu, consistant à engager la responsabilité de

l'État en cas de violation du droit international, surtout conventionnel, par le législateur 58. Plus

traditionnellement, le juge interne ordinaire sanctionne, dans la mesure de sa compétence 59, les actes

des États étrangers non conformes au droit international, sans pour autant imposer aux organes de l'État

du for une obligation positive d'intervenir internationalement afin de faire cesser les atteintes au droit

54 A comparer notamment avec l'article 29 al. 3 de la Constitution irlandaise du 1er juillet 1937 : « L'Irlande accepte les principes généraux du droit international comme règle de conduite dans ses relations avec les autres États ». Cf. inter alia l'analyse du juge Kearns dans la décision : High Court, 28 avril 2003, Horgan v. An Taoiseach, [2003] IEHC 64 (2003 No. 3739P).55 La conclusion d'un traité international qui transfère des compétences relevant de la sphère de souveraineté de l'État vers une organisation internationale en vue de remplir les objectifs constitutionnels relatifs au droit international, c'est-à-dire le respect des principes généraux de droit public international (décision n° 98-408 DC) ainsi que l'organisation et la défense de la paix et de la sécurité du monde (alinéa 15 du Préambule de la Constitution de 1946), est conforme à la Constitution pour autant qu'il ne porte pas atteinte « aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » ou qu'il ne contienne pas « une clause directement contraire à des principes ou règles de valeur constitutionnelle ». Cf. 92-308, 312 et 313 DC (Traité sur l'Union européenne) ; cf. aussi, n° 97-394 DC (décision du 31 décembre 1997, Traité d'Amsterdam) et n° 98-408 DC (décision du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale). Dans la doctrine : Jean Combacau, « La souveraineté internationale de l’État dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français », CCC, n°9, 2000, p. 113-118.56 N°98-408 DC du 2 janvier 1999.57 Cf. supra., « Les limites à l'invocabilité des règles générales du droit international dans la sphère des relations entre États ».58 Olivier Gohin, « La responsabilité de l'État en tant que législateur », RIDC, Vol. 50 n°2, 1998. pp. 595-610, spécialement p. 606 ; Ghislaine Alberton, « Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ? », AJDA, 2006, pp. 2155-2163. 59 Prosper Weil, op. cit. note 39.

390

international par ces États étrangers.

L'obligation constitutionnelle pesant sur les organes internes de respecter le droit international dans la

sphère internationale prend une configuration spécifique lorsqu'il s'agit de produire par leur action des

coutumes internationales. Cela peut s'expliquer par le contenu des normes d'habilitation du droit

international lui-même.

b. La mise en œuvre du principe ex injuria jus non oritur

Une partie considérable de la doctrine affirme que le droit international contient le principe ex injuria

jus non oritur : un comportement illégal ne pourrait être la source d'une nouvelle norme bénéficiant au

fautif60. Cette affirmation s'appuie souvent sur une considération d'ordre théorique : l'existence de tout

système juridique dépend nécessairement et logiquement de la positivité du principe ex injuria jus non

oritur61.

En vérité, ce principe apparaît fortement limité en droit international, si ce n'est inexistant. Le droit

international se caractérise, par contraste avec les systèmes juridiques nationaux62, comme un système

juridique décentralisé. Les États occupent simultanément la situation de primo-producteurs et de primo-

60 Cf. par exemple, Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1947, 442 p., p. 420 et svtes (« The principle ex injuria jus non oritur is one of the fundamental maxim of jurisprudence. An illegality cannot, as a rule, become a source of legal rights to the wrongdoer. ») ; cf. aussi l'analyse du Professeur Jörg Kammerhofer, « Uncertainty in the Formal Sources of International Law: Customary International Law and Some of Its Problems », EJIL,vol. 15, 2004, pp. 523–553, spécialement pp. 531-532.61 Cependant Hans Kelsen démontre que ce principe n'est nullement une nécessité logique : « The framing of a norm violating a higher norm may be a delict to which the legal order attaches a sanction. […] It is clear that the occurrence of a fact does not logically contradict the norm which makes it a delict. The delict is not in contradiction to law ; it is not a negation of law ; it is a condition determined by law. Thus there is no logical difficulty in acknowledging that valid legal norms may arise out of a delict. The principle ex injuria jus non oritur may belong to a given legal positive order, but does not necessarily do so. In its general form, it is not a logical but a political postulate. The creation of a valid constitution by a revolution or coup d'état is a clear proof of it. The making of a certain norm may – according to a higher norm – be a delict and expose its author to a sanction, but the norm itself may – again according to the higher norm – be valid, valid not only in the sense that it may remain valid as long as it is not annulled, but also in the sense that it may not be voidable merely because of its origin in a delict », ; cf. P.I.L., p. 568. Cf. aussi, Josef L. Kunz, « Revolutionary Creation of Norms of International Law », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 375-386.62 Les droits nationaux contiennent aussi, mais plus rarement, des restrictions au principe ex injuria jus non oritur. On se limitera à quelques exemples :En droit privé romain tardif, tel que décrit par le juriste Pomponius, le propriétaire « éjecté par la force armée est habilité à reprendre possession de sa terre, même s’il a obtenu originairement possession de celle-ci par la violence, la clandestinité ou sous un titre précaire. » (Digeste de Justinien, 48.16.1).Sous la Russie impériale, il est interdit aux serfs de s’enfuir de leur domaine, et les pomechiki (les aristocrates et les nobles propriétaires fonciers) sont habilités à les punir selon leur bon vouloir, ou presque. Mais si le serf parvient à s’enfuir durablement et arrive à rejoindre une communauté libre, il acquière éventuellement le statut de cosaque (« homme libre ») par lequel l’individu devient destinataire de droits et devoirs spécifiques (droit de participer à l’élection de l’ataman, droit de se rétribuer sur les prises de guerre, etc.). Ce changement de statut est organisé par le droit impérial russe lui-même ; cf. notamment : George Vernadsky, Medieval Russian Laws, Octagon Books, New York, 1947, 106 p.

391

destinataires du droit international, d'où s'ensuit qu’il est difficile d’interpréter leur comportement en

tant que processus de production d’une norme ou de transgression d’une norme. Et ceci est notamment

le cas lorsqu’un État participe à la production d’une norme coutumière nouvelle transgressant la norme

coutumière ou conventionnelle encore valide63 (par exemple, les parties d'un conflit militaire emploient

couramment et publiquement certaines armes dont un traité international prohibe l'usage). Les

restrictions au principe ex injuria jus non oritur en droit international sont liées au principe d'effectivité

du droit international : la formation des normes internationales est flexible car largement relative au

comportement effectif des États64.

En droit international, des comportements illégaux peuvent aboutir à la formation d'une nouvelle norme

bénéficiant au fautif. Un État peut violer une norme du droit conventionnel ou coutumier, et cette

violation peut aboutir à la formation d'un état du droit à son bénéfice. Il peut ainsi, par une pratique

récurrente de violation du droit international, contribuer à la formation d'une nouvelle norme

coutumière. Aussi, l'État fautif peut par cette voie acquérir une nouvelle situation juridique opposable

aux tiers. Le cas d'une annexion initialement illégale en offre une illustration. La guerre de conquête est

certes prohibée depuis l’interdiction générale de recours à la force (Pacte de Briand-Kellog de 1928 et

Charte des Nations-Unies), mais si l’État reste en possession d’une partie du territoire initialement

étranger et y établit sa souveraineté, il y a acquisition du territoire65, sans même qu’intervienne un traité

de paix en sa faveur. Et cela demeure valable lors même que des sanctions internationales telles que

l’engagement de la responsabilité de l’État auteur de cette violation 66 ou la nullité des actes passés en

violation de ces normes internationales67, si ce n’est le recours à la guerre-sanction, ont été, à un

63 Il n'y a pas dans cette situation de « contradiction normative ». La transgression d'une norme, y compris lorsqu'elle est à l'origine de la formation d'une norme nouvelle, est un « fait », c'est-a-dire qu'elle n'est pas en elle-même une norme contredisant la norme violée. De même, un voleur ne « contredit » pas la loi par son action : son comportement constitue «violation» de la loi, ce qui ne s'analyse nullement comme une «contradiction» avec la loi elle-même, qui est d'ailleurs amenée à être exécutée pour sanctionner le voleur.64 A propos de la relation entre principe d'effectivité et ex injuria jus non oritur, cf. Hans Kelsen, P.I.L., pp. 420-433.65 Hans Kelsen : « Si l’extension de l’efficacité d’un ordre juridique étatique à la sphère de validité territoriale d’un autre ordre juridique étatique, l’annexion effective du territoire d’un État par un autre État constitue une violation du droit international, l’État coupable s’expose […] aux sanctions prévues par le droit international général ou particulier. Toutefois, le fait que l’acte d’annexion soit illicite ne suffit pas à empêcher l’intégration du territoire annexé au territoire de l’État occupant, à condition que l’annexion soit fermement établie. Ex injuria oritur ; tout cela est une conséquence du principe d’effectivité qui prévaut en droit international » ; cf. Théorie générale de l’État et du droit, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, 518 p., p. 267.66 Cf. l’opinion de la Cour internationale de justice dans son avis consultatif du 21 juin 1971, à propos de l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud (point 118) : « L’Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d’avoir créé et prolongé une situation qui, selon la Cour, a été valablement déclarée illégale, est tenue d’y mettre fin. Elle a donc l’obligation de retirer son administration du territoire de la Namibie. Tant qu’elle laisse subsister cette situation illégale et occupe le territoire sans titre, l’Afrique du Sud encourt des responsabilités internationales pour violation persistante d’une obligation internationale. Elle demeure aussi responsable de toute violation de ses obligations internationales ou des droits du peuple namibien. Le fait que l’Afrique du Sud n’a plus aucun titre l’habilitant à administrer le territoire ne la libère pas des obligations et responsabilités que le droit international lui impose envers d’autres États et qui sont liés à l’exercice de ses pouvoirs dans ce territoire. C’est l’autorité effective sur un territoire, et non la souveraineté ou la légitimité du titre, qui constitue le fondement de la responsabilité de l’État en raison d’actes concernant d’autres États. » ; affaire relative aux conséquences juridiques pour les États de leur présence de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Rec. 1971, p. 54.67 Cf. l’opinion de la Cour internationale de justice dans son avis consultatif du 21 juin 1971, à propos de l’occupation

392

moment donné, annoncées. L’annexion des Pays Baltes par l’Union soviétique, dans le prolongement de

la Seconde guerre mondiale, résulte ainsi de la conquête de ces territoires, pourtant juridiquement non-

belligérants. Les principes du droit international n'échappent pas non plus à une modification par un

comportement fautif des États : par le passé, les juges belges et italiens, suivis progressivement par les

juges d'autres États, cessèrent d'appliquer le principe d'immunité de juridiction absolue de l'État

étranger, ce qui entraîna une modification de la pratique des États aboutissant en droit international au

principe d'immunité de juridiction restreinte68.

Les constitutions nationales semblent faire du respect du droit international une obligation interne.

Celle-ci consiste potentiellement en l'interdiction adressée aux organes de l'État de violer les obligations

internationales qui pèsent sur ce dernier, et ce, non seulement lorsqu'ils agissent dans la sphère interne,

mais aussi lorsqu'ils interviennent dans la sphère des relations internationales. Cela ne va pas sans poser

de difficultés :

i. La prohibition par les différents droit internes des violations du droit international par l'État

n'empêchent pas qu'elles demeurent possibles et aboutissent potentiellement à une modification de l'état

du droit. Quelle est la normativité interne des normes internationales ainsi produites ? Une alternative

se présente : soit l'interdiction constitutionnelle de violer le droit international a pour effet juridique

interne de faire obstacle à l'application des normes internationales produites fautivement ; soit il

appartient aux organes internes d'appliquer les normes internationales produites fautivement au même

titre que les autres normes internationales, entre autres sur le fondement du principe d'effectivité du

droit international transformé en droit interne («effet récursif» du droit international).

ii. Les organes étatiques ont parfois pour intention de modifier le droit international sans qu'une

modification par traité international ne semble réalisable, parce que certains États s'y opposent pour des

raisons politiques ou autres69 (une illustration en est la création d'un droit d'ingérence par voie

coutumière70). Le gouvernement, et parfois le parlement, peuvent délibérément décider de ne plus

de la Namibie par l’Afrique du Sud (point 122) : « S’agissant des traités bilatéraux en vigueur, les États membres doivent s’abstenir d’invoquer ou d’appliquer les traités ou dispositions des traités conclus par l’Afrique du Sud au nom de la Namibie ou en ce qui la concerne qui nécessitent une collaboration intergouvernementale active. Pour ce qui est des traités multilatéraux, la même règle ne peut s’appliquer à des conventions générales, comme les conventions de caractère humanitaire, dont l’inexécution pourrait porter préjudice au peuple namibien. » ; cf. ibid. p. 56.68 Actuellement, il est possible qu'une nouvelle modification du principe du droit international de l'immunité de juridiction des États étrangers résulte de la pratique des juridictions internes. Les États étrangers ne pourraient plus invoquer devant l'État du for l'immunité de juridiction en cas d’atteintes graves aux droits humains ou au droit humanitaire. La pratique nouvelle est initiée par les juridictions italiennes et grecques, cf. inter alia, dans une littérature abondante, : Stéphane Beaulac, Riccardo Pavoni, « L'immunité des États et le jus cogens en droit international – Étude croisée Italie/Canada », Revue juridique Thémis, vol. 43, 2009, pp. 491-529. Les auteurs souhaitent en l'occurrence une modification du droit international par violation de celui-ci, et affirment qu'il serait dès lors opportun que les juridictions canadiennes suivent avec quelques adaptations l'exemple italien.69 Cf. Oscar Schachter, « New custom : power, opinio juris and contrary practice », in: Jerzy Makarczyk (éd.), Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century - Essays in honour of Krzysztof Skubiszewski , Martinus Nijhoff, La Haye, 1996, 1008 p., pp. 531-540. ; Karol Wolfke, « Some reflections on kinds of rules and international law-making by practice », in: Jerzy Makarczyk (éd.), id., pp. 587-595.70 Dans une littérature abondante, cf. Antonio Cassese, « Ex iniuria ius oritur : Are We Moving towards International

393

respecter une norme internationale en indiquant les motifs justifiant un tel comportement ; et il en va

ainsi de la défense des droits de l'homme justifiant le droit d'ingérence, de la sécurité nationale et de

l'équilibre des Puissances justifiant la pratique d'essais nucléaires illégaux71, de la sécurité mondiale

justifiant la doctrine de la guerre préventive. Le juge interne, s'il est habilité à contrôler la conformité

par rapport à la constitution de telles normes72, peut être amené à se prononcer sur la primauté

d'application soit de la lex lata du droit international, soit la norme de droit interne qui a

potentiellement pour conséquence de la modifier.

Les doctrines et jurisprudences nationales contiennent peu d'indications quant à cette question ; elles

inclinent généralement tantôt vers l'une solution, tantôt vers l'autre, selon le contexte donné. Dans la

plupart des cas, si l'interdiction d'un comportement de production normative par violation du droit

international semble admise, le contrôle juridictionnel opéré sur un tel comportement demeure restreint

et la nouvelle norme internationale qui en résulte éventuellement n'est pas considérée comme non

valide.

α. La Cour constitutionnelle fédérale allemande affiche une conception orientée vers le respect du droit

international en toutes circonstances : les règles générales du droit international doivent être formées

par une pratique générale et consolidée des États, avec la conviction juridique que ce comportement est

légal73. La prohibition de comportements non conformes à la lex lata du droit international est liée au

« principe d'ouverture du droit international » ; car selon la Cour, dans sa décision du 26 octobre 2004

(BVerfGE 112, p. 1 – Bodenreform III) :

« La Loi fondamentale intègre l'État constitué par elle dans un ordre juridique international

préservant la paix et la liberté. […]. La Constitution insiste sur certaines institutions spécifiques de

coopération internationale et sur les sources du droit international (art. 23 al. 1, art. 24, art. 25, art. 26 et

art. 59 al. 2 LF). Dans ce cadre, la Loi fondamentale facilite la création du droit international avec

participation de la Fédération et assure l'effectivité du droit international déjà en vigueur. La Loi

fondamentale place de manière médiate les organes de l'État au service de la mise en œuvre du droit

international et réduit ainsi le risque d'une non-observance du droit international ».

Legitimation of Forcible Humanitarian Countermeasures in the World Community ? », EJIL, vol. 10, 1999, pp. 23-30. A propos du comportement des États-Unis d'Amérique vers une autorisation du droit d'ingérence, avec une mise en perspective historique et politique : cf. Jed Rubenfeld, « Unilateralism and Constitutionalism », New York University Law Review, vol. 79, 2004, pp. 1971-2028. 71 Cf. notamment à propos des essais français dans le Pacifique : Anthony A. D'Amato, « Legal Aspects of the French Nuclear Tests », AJIL, vol. 61, 1967, pp. 66-77.72 Les décisions du gouvernement ou du parlement en matière de relations internationales sont des normes (et non, comme le soutiennent certains, des « actes » factuels). Ces décisions sont prises sur un fondement constitutionnel et s'analysent en termes d'interdiction, de permission ou d'obligation (par exemple, une déclaration de guerre implique, entre autres, une obligation adressée aux forces armées nationales de se mobiliser, une permission pour l'État visé de se défendre par des moyens armés...). 73 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (367).

394

La Cour considère cependant que son contrôle devient restreint dès lors qu'il s'agit des comportements

internationaux des organes allemands : « La Cour constitutionnelle fédérale ne peut s'opposer à

l'évaluation de droit international de la position juridique de l'Allemagne par les organes de l'État

compétents que lorsqu'elle est, de manière flagrante, en violation du droit international 74 ». Il s'ensuit

qu'il est sans doute peu probable que la Cour contrôle de manière profonde l'action du «pouvoir

extérieur» s'il émet des arguments pertinents en faveur d'une action contrevenant au droit international,

mais s'orientant vers une évolution souhaitée, à l'exemple de l'exercice du droit d'ingérence.'

β. La doctrine autrichienne constate parfois que l'État autrichien est dépourvu d'une puissance politique

suffisante pour obtenir des modifications du droit international coutumier par son seul comportement 75.

La question de l'habilitation pour les organes internes de modifier le droit international par violation de

celui-ci s'est surtout posée en Autriche à propos de la destruction des traités internationaux par

modification coutumière (desuetudo). L'«administration extérieure» autrichienne est certainement liée

par le principe de légalité (article 18 al. 1 et 2 B-VG) aux traités internationaux transformés en droit

interne par la voie de l'article 50 B-VG, c'est-à-dire par procédure législative ; mais elle ne se trouve pas

liée de la même façon aux autres traités internationaux, dépourvus quant à eux d'une telle valeur

législative (art. 65 al. 1 B-VG : compétence du président fédéral pour ordonner qu'un tel traité

international soit exécuté par l'adoption de règlements).

Par ailleurs, l'Assemblée fédérale n'est pas une composante de l'«administration extérieure», alors même

qu'elle peut par son action législative contribuer à modifier la pratique internationale de l'État

autrichien. La littérature remarque que la procédure au moins potentielle de l'article 145 B-VG ouvre la

possibilité d'un contrôle juridictionnel par la Cour constitutionnelle en tant que « garante du droit

international » de l'action du législateur intervenant dans la sphère internationale76. Ignaz Seidl-

Hohenveldern soutient ainsi que la loi spéciale prévue par l'article 145 B-VG devrait autoriser la Cour

constitutionnelle à contrôler les lois édictées, mais aussi les traités internationaux nouvellement conclus

par l'Autriche, « en conflits avec les obligations internationales prioritaires de l'Autriche, car l'édiction

d'une telle législation constitue manifestement du droit international 77». Un tel contrôle ne serait

toutefois pas établi a priori, et le législateur resterait donc surtout susceptible d'être sanctionné une fois

74 BVerfGE 55, p. 349 sqs. (368) ; BVerfGE 77, p. 7 – Teso. 75 Cf. inter alia : Hans René Laurer, op. cit. note 36, spécialement p. 347.76 Edwin Loebenstein dit que l'article 145 B-VG instaure « une protection juridictionnelle de la conformité au droit international du législateur », cf. Hans Spanner, Edwin Loebenstein, Stephan Verosta, Rechtliche und politische Grenzen der Verfassungsgerichtsbarkeit, Manz, Vienne, 1964, 84 p., p. 31. Cf. aussi : Ludwig Adamovich, Grundriss des österreichischen Verfassungsrechtes, Springer, Vienne, 1947, 379 p., spécialement p. 44 ; Felix Ermacora, Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p., spécialement p. 350 et svtes (la Cour constitutionnelle est une « juridiction de protection du droit international ») ; René Marcic, Verfassung und Verfassungsgericht, Springer, Vienne, 1963, 212 p., p. 107 ; René Marcic,, « Die Menschenrechte und der Formalismus, Eine Antwort und ihre eigenständige Entfaltung », JBl, vol. 84, 1962, pp. 303-309.77 Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476, spécialement p. 475.

395

la violation du droit international déjà accomplie78.

γ. Étant donné le contrôle minimum a priori opéré par le juge constitutionnel français en ce qui

concerne la conformité des lois par rapport au droit international général, la possibilité que le Parlement

français adopte une loi dont l'exécution contrevient à une coutume internationale n'est nullement à

exclure (par exemple, dans le contexte du processus de décolonisation encore d'actualité).

La norme coutumière en question pourra alors disparaître par perte d'effectivité, en raison d'un

comportement international fautif de l'État français. Une juridiction ordinaire saisie d’un litige né au

moment où la coutume en question a déjà disparu observerait simplement que cette norme n’est plus

valide, sans se prononcer sur la responsabilité du législateur – ou plus largement de l'État – du fait de la

violation du droit international préalablement réalisée79. La situation inverse est aussi possible : la

coutume internationale persiste, la loi adoptée autorisant dès lors des comportements des organes

internes qui contreviennent au droit international. En cas de maintien de la législation interne, le juge

interne sera le cas échéant saisi d'une collision entre une loi et une coutume internationale dont l'issue

dépend, outre la compétence du juge ordinaire d'écarter l'application d'une loi promulguée, de la

relation selon la force dérogatoire entre ces deux formes normatives telle que constitutionnellement

déterminée (cf. infra. : « La relation selon l'ordre de destruction avec les normes issues de procédures de

production internes »).

Outre la loi, les «actes administratifs» peuvent prévoir un comportement de l'État en violation de l'état

du droit international. Là encore, la juridiction exerce un contrôle peu approfondi, et ce tout

particulièrement si la norme administrative litigieuse est un acte de gouvernement. A l'occasion de

l'affaire de la reprise des essais nucléaires en 1995, la possibilité d'une modification du droit

international par une pratique de la France (un «précédent»), qu'une partie de la doctrine affirme

internationalement illicite, ne semble en l'occurrence nullement exclue 80 81. Le Conseil d'État français

décide en l'espèce que la décision du Président de la République n’est pas détachable de la conduite des

78 Cf. aussi la critique formulée par le Professeur Bruno Simma selon laquelle le contrôle par la Cour constitutionnelle de l'ensemble des actes de politique extérieure de l'Autriche sur la base de l'article 145 B-VG est de toute manière dépourvu d'effets juridiques internationaux : « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement p. 268. A l'encontre de cette opinion, on peut remarquer que, si les «effets juridiques» (c'est-à-dire strictement normatifs) de ce contrôle juridictionnel se limitent avec certitude à la sphère du droit interne, l'organisation d'un tel contentieux est néanmoins susceptible d'avoir certaines incidences sur le comportement international de l'État.79 La possibilité d'engager la responsabilité du législateur en cas de manquement au droit international – même ayant eu lieu dans le passé – est néanmoins de plus en plus admise, surtout dans les cas de violation d'un traité international, cf. Ghislaine Alberton, op. cit. note 58.80 Les essais nucléaires de 1995 sont intentionnellement pratiqués avant la conclusion d'un traité international ayant pour objet d'interdire de tels essais, ce qui constitue une situation particulière susceptible de servir de précédent à d'autres États ; cf. à propos des essais pratiqués par la France à partir de 1966, Anthony A. D'Amato, op. cit. note 71. 81 Pour la Commission du droit international, les essais nucléaires constituent en eux-mêmes « des activités qui ne sont pas interdites par le droit international » ; cf.« Projets d'articles sur la responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d'activités qui ne sont pas interdites par le droit international », Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session (2 mai – 22 juillet 1994), document A/49/10.

396

relations internationales de la France et échappe, par suite, à tout contrôle juridictionnel 82.

La transformation du droit international en droit interne limite, d'un côté, la latitude dont dispose le

«pouvoir extérieur» de l'État lorsqu'il agit dans la sphère internationale ; d'un autre côté, elle attache des

effets juridiques internes à la production de normes internationales par le «pouvoir extérieur», et ce, en

lui attribuant, pour ainsi dire, une compétence indirecte de production de normes internes.

2. Le problème de la répartition des compétences en droit interne

Une tendance doctrinale soutient qu'en raison de la transformation ipso iure du droit international

général en droit interne, les organes étatiques constitutifs du «pouvoir extérieur» outrepassent les

compétences qui leur sont attribuées83. L'argumentation s'appuie sur une certaine conception de la

répartition des compétences opérée par la constitution :

En l'absence de disposition constitutionnelle prévoyant la transformation ipso iure du droit

international en droit interne, le contenu du droit interne ne varie pas de manière dynamique en suivant

les modifications du droit international. Et il s'ensuit que le «pouvoir extérieur» de l'État, en tant qu'il

participe à la production normative internationale, ne modifie donc pas simultanément le droit interne

par l'intermédiaire du processus de transformation. La concrétisation du droit international s'effectue

alors uniquement par le processus d'implémentation ; et les modalités de l'implémentation ne différent

pas des modalités ordinaires de production normative constitutionnellement définies : le législateur

dispose de la compétence dans les matières relevant de sa compétence (par exemple, le droit pénal),

l'exécutif demeure principalement compétent pour appliquer les normes législatives, l'administration est

tenue de respecter les normes posées par le législateur et l'exécutif...

En revanche, si la constitution prévoit la transformation ipso iure des normes internationales en

droit interne, le «pouvoir extérieur», en participant à la production de normes internationales, contribue

aussi indirectement – par l'intermédiaire du processus de transformation – à modifier le contenu du droit

interne suivant des modalités extraordinaires, c'est-à-dire en dehors des procédures internes de principe

prévues par la constitution (procédure législative, procédure réglementaire...).

82 CE, Ass., 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, Leb. p. 347. 83 Cf. inter alia : Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42 ; Dana Burchardt, « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », Actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p. (format PDF) disponible sur : http://www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/15/275.pdf.Cf. généralement, la bibliographie dans infra : « La "menace pour la structure d'État démocratique" ».

397

En partant de ce constat, une grande partie de la doctrine fait observer que la transformation ipso iure

du droit international en droit interne attribue des pouvoirs excessifs aux organes chargés de concrétiser

le droit international dans la sphère internationale :

Georges Scelle remarque déjà, en 1934, que les compétences attribuées par le droit international

et le droit interne aux divers organes ne coïncident pas : l'organe exécutif est pourvu d'une plus large

compétence normative en droit international qu'en droit interne, tandis que l'organe parlementaire, qui

bénéficie généralement d'une compétence extrêmement large en droit interne, ne dispose que d'une

fonction normative limitée dans la sphère du droit international84. Il s'ensuit que la transformation du

droit international général en droit interne emporte certains problèmes de répartition des compétences

dans la sphère du droit interne. Les organes internes disposant de la compétence de production de droit

international la plus importante, c'est-à-dire le «pouvoir extérieur» dont la composante principale est

l'organe l'exécutif, participent indirectement, c'est-à-dire à travers le droit international, à la production

de normes internes susceptibles de prévaloir sur les autres normes internes. L'article 25 LF, qui dispose

que les règles générales du droit international « sont supérieures aux lois », en est certainement une

illustration.

Aussi, la doctrine souligne qu'il n'est pas exclu que les États étrangers, y compris non

démocratiques, participent à la formation de normes coutumières liant les États démocratiques ; ces

normes deviennent aussi des composantes du droit interne sur le fondement d'une disposition

constitutionnelle de transformation. La production de normes internes par des entités supposées

illégitimes n'a pas manqué d'être remarquée. Le Professeur Mattias Kumm résume ainsi l'opinion de la

doctrine majoritaire à propos de la relation entre coutume internationale et démocratie :

« Customary international law is generated by an ensemble of actors ranging from

democratically legitimate and illegitimate governments, unelected officials of international institutions,

judges and arbitrators, scholars and non-governmental organizations. Treaties, on the other hand, are

legitimate to the extent and exactly because they tend to require national legislative endorsement in

some form or another.85 »

En résumé, la doctrine dit que le «pouvoir extérieur», dont la composante principale est le pouvoir

exécutif, empièterait sur les compétences des autres organes internes, en particulier l'organe

parlementaire démocratiquement composé, ce à travers son comportement dans la sphère des relations

internationales. Un tel phénomène semblerait incompatible avec certains principes structurants du droit

84 Georges Scelle, Précis de droit des gens (Principes et systématique), tome II, Droit constitutionnel international; les libertés individuelles et collectives; l'élaboration du droit des gens positif, Sirey, Paris, 1934, 558 p., p. 452.85 Mattias Kumm, « Constitutional Democracy Encounters International Law : Terms of Engagement », New York University Public Law and Legal Theory Working Papers, n°47, 2006, 57 p., p. 14, disponible en format PDF sur : http://lsr.nellco.org/nyu_plltwp/47.A propos du problème de la menace pour la démocratie (« déficit démocratique » du droit international), cf. aussi infra, « La "menace pour la structure d'État démocratique" ».

398

interne, tels que la «séparation des pouvoirs», le «principe de légalité», l'«État de droit», ou encore, le

«principe démocratique». Cette analyse, qui relève peut-être davantage de la science politique que de la

science juridique, s'appuie en réalité davantage sur des considérations d'ordre idéologique que sur l'état

du droit :

i. Le producteur de la norme internationale n'est pas uniquement l'exécutif de l'État en question :

La doctrine traditionnelle part de l'idée que les actes de l'État dans la sphère internationale sont

uniquement ceux de l'exécutif ou des organes agissant sous ses directives. La définition traditionnelle

exclut les actes des organes qui, dans les constitutions modernes, ne sont pas subordonnés à l'exécutif,

tels le parlement et les juridictions. Une violation du droit international peut pourtant résulter d'un acte

législatif ou juridictionnel produit par un parlement ou une juridiction agissant dans sa sphère de

compétence. Et, de même, ces organes peuvent contribuer à la formation du droit international, que

celui-ci soit coutumier, puisque la coutume se forme par le comportement de l'ensemble de l'État, ou

conventionnel, par exemple lorsque la constitution conditionne la ratification d'un traité international

par une autorisation parlementaire préalable.

De plus, une norme internationale n'est que rarement produite par le comportement d'un seul État 86. Il

appartient généralement à plusieurs État de produire une norme internationale, de sorte qu'il semble

inapproprié d'imputer au seul exécutif d'un État le comportement de production d'une norme

internationale donnée. En droit international, la compétence du «pouvoir extérieur» d'un État apparaît

délimitée par la compétence des autres «pouvoirs extérieurs».

ii. La compétence du «pouvoir extérieur», prévue par la constitution elle-même, n'est pas en violation

d'autres principes de droit interne.

La doctrine affirme souvent que la transformation ipso iure des normes du droit international général en

droit interne conduirait à l'accroissement du pouvoir de certains organes compétents en matière de

relations internationales au-delà de ce qui est souhaité par la constitution. Il conviendrait donc de

limiter, si ce n'est supprimer, l''applicabilité interne de ces normes, en vue de ne pas entraîner de

violation des principes constitutionnels considérés comme les plus fondamentaux (séparation des

pouvoirs, État de droit, principe démocratique). Et pourtant, c'est la constitution elle-même qui

détermine la normativité interne du droit international général, de même d'ailleurs que la compétence

du «pouvoir extérieur», et ce, de la même façon qu'elle détermine le contenu des principes

prétendument «fondamentaux», au sens où ces derniers seraient nécessairement supérieurs.

86 Mis à part notamment les actes unilatéraux.

399

Néanmoins, il est vrai qu'il demeure possible que ces principes constitutionnels limitent la normativité

interne du droit international général. Notamment, les normes internationales en question pourraient ne

pas satisfaire à certaines conditions requises pour lier les particuliers ou certains organes. La

constitution peut par exemple prévoir que les normes ne lient les particuliers ou certains organes que

pour autant qu'elles ont été produites par la voie d'une procédure déterminée (un des aspects du

«principe de légalité»). Cela constitue d'ailleurs une des questions cruciales pour la doctrine

autrichienne, à savoir si le principe constitutionnel de légalité limite l'applicabilité interne du droit

international général, ou si l'article 9 B-VG constitue une lex specialis par rapport au principe de

légalité, autrement dit qu'il autorise les organes internes à appliquer les normes internationales bien

qu'elles n'aient pas été produites suivant la procédure de principe87.

iii. Le principe du droit international d'autonomie organique de l'État limite les modifications à la

répartition des compétences entre organes internes

Le droit international délègue aux États la compétence de sa concrétisation en attribuant une très large

autonomie organique aux États dans la sphère interne. En cela, aucune répartition des compétences

particulière au sein de l'État n'est exigée par le droit international. Il s'ensuit que les effets juridiques du

droit international général transformé en droit interne apparaissent quasiment88 nuls en matière de

répartition des compétence, n'allant pas au-delà de ce qui est obligatoire suivant le droit international

lui-même. Quelques principes du droit international participent tout de même parfois à la délimitation

des compétences des organes internes, ce qui peut être illustré par la délimitation de la sphère de

compétence spatiale des autorités administratives ou l'interdiction adressée aux juridictions internes de

juger un État étranger qui découle de la coutume internationale d'immunité de juridiction de l'État

étranger.

Les doctrines nationales envisagent surtout la question d'une éventuelle modification des compétences

entraînée par la transformation ipso iure des normes internationales en droit interne à propos des

supposées restrictions au principe de légalité qui en résulteraient. Ces restrictions au principe de légalité

87 En 1936, Hans Kelsen remarque, à propos des traités internationaux, que : « la prétendue "transformation" ne devient nécessaire que lorsque l'ordre juridique interne en fait une condition pour que les organes et les sujets puissent être considérés comme juridiquement obligés ou autorisés à l'agissement qui fait le contenu de la norme du traité. » ; cf. « la transformation du droit international public en droit interne » ; cf. RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214, p. 213. Il semble même que ce problème, déjà évoqué, est présent dans l'œuvre de Hans Kelsen même après son départ d'Autriche suite à l'Anschluss, cf.. P.I.L., p. 579.En résumé, suivant Hans Kelsen, la transformation du droit international en droit interne n'est pas superflue dès lors qu'elle a pour effet d'attribuer aux organes internes une habilitation à appliquer les normes internationales, ce qui présuppose qu'à défaut ils ne disposeraient pas d'une telle habilitation en raison d'un principe constitutionnel leur interdisant d'appliquer des normes qui ne sont pas produites selon une certaine procédure interne.88 Mais non totalement, surtout en matière de protection des États étrangers agissant dans la sphère de compétence de la République fédérale d'Allemagne (immunités, etc.).

400

s'analysent bien souvent comme une diminution de la compétence législative au profit du «pouvoir

extérieur» :

α. Le droit international général n’oblige en principe les sujets de droit international qu’à un

comportement conforme au droit international et non, notamment, à prévoir une répartition des

compétences déterminée89 au sein de l'État (principe d'indifférence organique du droit international). Il

s'ensuit que les règles générales du droit international transformées en droit allemand par l’article 25 LF

sont en elles-mêmes dépourvues d'effets juridiques sur la répartition des compétences en droit interne

telle que constitutionnellement déterminée (principes structurants tels le principe d'État de droit ou le

principe démocratique, habilitations propres attribuées aux différents organes internes). Cette absence

d'atteintes à la répartition des compétences vaut aussi bien dans les relations relevant de la sphère

domestique de l'État fédéral allemand – par exemple la relation entre Bund et Länder90 – que dans

l'organisation du «pouvoir extérieur» (auswärtige Gewalt). Ainsi, les règles générales du droit

international ne se substituent pas, en tant que fondement, à la loi dans la procédure d’autorisation

législative pour l’édiction de règlements par l'exécutif, dont dispose l’article 80 al. 1 LF91. Et, de même,

les règles générales du droit international ne dispensent pas de procédures législatives conformes au

principe d'État de droit en matière de production de sanctions internes visant les manquements au droit

international, à l'instar des sanctions pénales à l'encontre des individus ayant commis des délits

internationaux.

β. La doctrine autrichienne analyse, quant à elle, la question de la menace pour la démocratie de

manière formelle. Selon certains auteurs, la transformation des règles généralement reconnus du droit

international est susceptible de porter préjudice au monopole législatif de l'Assemblée fédérale (art. 24

B-VG) combinée au principe de légalité (art. 18 al. 1 et 2 B-VG) uniquement dans la mesure où les

normes internationales dérogent à la loi92, ce qui n'est qu'une possibilité étant donné l'indétermination de

l'article 9 B-VG quant à la force dérogatoire des normes qu'il transpose en droit interne. Il convient

aussi de relativiser la capacité du «pouvoir extérieur» de légiférer indirectement par voie internationale,

et ce, en raison de l'encadrement strict auquel est soumis l'«administration extérieure», y compris

l'exécutif. L'absence d'une ainsi dite «structure d'État de droit» de la Communauté internationale en son

89 Le droit international contient tout de même certaines obligations organiques minimales en matière de représentation de l'État, par exemple pour la conclusion de traités internationaux : cf. Hans Kelsen, « Contribution à la théorie de traité international », Revue internationale de la théorie du droit, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 121-172, spécialement §§. 13-20.90 BVerfGE 41, p. 88 sqs. (362).91 Article 80 al. 1 : « Le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou les gouvernements des Länder peuvent être autorisés par la loi à édicter des règlements. Cette loi doit déterminer le contenu, le but et l’étendue de l’autorisation accordée. Le règlement doit mentionner son fondement juridique. S’il est prévu dans une loi qu’une autorisation peut être subdéléguée, un règlement est nécessaire pour la délégation de l’autorisation. »92 Bruno Simma, op. cit. note 78, spécialement p. 267 (argumentation surtout développée à propos des traités en forme simplifiés - Executive Agreements) ; Walter Rudolf, « Die innerstaatliche Anwendung partikulären Völkerrechts », in : René Marcic, Hermann Mosler, Erik Suy, Karl Zemanek (éds), Internationale Festschrift für Alfred Verdross zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich-Salzbourg, 1971, 596 p., pp. 435-448, spécialement pp. 441-442.

401

ensemble est néanmoins parfois regrettée par la doctrine93.

γ. Depuis Raymond Carré de Malberg94, la doctrine française a en large partie abandonné une analyse

du droit interne basée sur le principe de légalité. La lecture de ce principe se résume dans la plupart des

cas à la «théorie de la loi-écran» qui interdit au juge ordinaire (judiciaire et administratif) de déroger

aux normes internes de forme législative95. Le souci de limiter une extension de compétence du

«pouvoir extérieur» par le biais du droit international transformé en droit interne se manifeste surtout

dans la critique de la «théorie des actes de gouvernement», qui soustrait l'exécutif agissant dans la

sphère internationale de tout contrôle juridictionnel96.

Les différentes solutions nationales indiquent que l'attribution de compétences à certains organes

internes en matière de relations internationales ne se conçoit pas autrement que comme une répartition

des compétences spéciale, qui déroge dans une certaine mesure à la répartition des compétences

générale.

L'implémentation du droit international dans la sphère internationale même suppose que l'État attribue à

certains de ses organes une compétence pour agir dans les matières internationales. Il n'en va pas

tellement autrement lorsqu'il s'agit d'implémenter le droit international à travers des normes internes,

puisque, là encore, la détermination des organes compétents pour concrétiser le droit international

revient à l'État.

II : L'implémentation en tant que mode de concrétisation traditionnel du droit international par l'État

dans sa sphère interne

En l'état du droit positif, certaines matières peuvent être réglementées simultanément par le droit

international et par le droit interne. Une norme du droit international peut supposer une implémentation

par des normes de droit interne. Par exemple, la norme internationale obligeant l'État à faire une

déclaration de guerre avant l'ouverture des hostilités ne peut être accomplie que par l'intermédiaire

d'une norme de droit interne attribuant à un certain organe la compétence de déclarer une guerre (par

93 Manfred Rotter, « Demokratie und Völkerrecht », in : Michael Fischer (éd.), Dimensionen des Rechts, Gedächtnisschrift für René Marcic, Duncker & Humblot, Berlin, 1974, 1232 p., p. 641 et svtes ; Manfred Rotter, op. cit. note 83, spécialement p. 37 et svtes.94 Raymond Carré de Malberg (1920), Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1, Dalloz, Paris, 2004, 835 p. ; t. 2, Dalloz, Paris, 2004, 638 p. ; Raymond Carré de Malberg (1933), Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation , réédition Dalloz, Paris, 2007, 174 p.95 Cf. Dana Burchardt, op. cit. note 83.96 Cf. supra « Les limites à l'invocabilité des règles générales du droit international dans la sphère des relations entre États ».

402

exemple, le chef d'État, avec ou sans autorisation parlementaire97). De même, dans une situation de

succession d'États, l'État successeur concrétise le principe international du respect des droits privés

acquis par les particuliers sous l'État prédécesseur par une série d'actes législatifs, administratifs ou

constitutionnels, ce afin de maintenir la situation patrimoniale des particuliers 98 (cessation des

confiscations opérées par l'État successeur pendant le processus de succession d'États, mise en œuvre du

principe «événement ancien, droit ancien» qui prohibe les effets rétroactifs du droit de l'État successeur

qui pourraient menacer la sécurité juridique des particuliers...). Les obligations internationales sont dans

la plupart des cas d'un degré relativement général et leur accomplissement passe par leur concrétisation

par des organes internes de l'État99. Dans la situation où le droit interne contient déjà les normes par

lesquelles l'accomplissement des obligations internationales est possible, aucune implémentation

supplémentaire n'est requise.

Le droit international ne détermine pas en principe les organes chargés de le concrétiser dans la sphère

interne de l'État (principe d'indétermination organique du droit international). Les normes

internationales délimitant la sphère de souveraineté de l'État peuvent être concrétisées par la

constitution elle-même (fixation du territoire, détermination des nationaux...), la loi, les normes

internationales transformées en droit interne100, ou des normes internes au cas par cas délimitant leur

propre sphère d'applicabilité (par exemple, un règlement administratif qui attribue une certaine

compétence territoriale aux autorités de police maritime agissant en matière de préservation de

l'environnement). Étant donné que le droit international est en principe indifférent au contenu du droit

interne, il se peut que le contenu des normes internes diverge de celui du droit international. Il arrive

donc par exemple, et sans que cela soit en tant que tel interdit par le droit international, que le droit

97 A propos de la participation du Parlement allemand à la déclaration de guerre, cf. inter alia : Andreas Gilch, Das Parlamentsbeteiligungsgesetz - Die Auslandsentsendung der Bundeswehr und deren verfahrensrechtliche Ausgestaltung, thèse, Université Julius-Maximilian, Wurzbourg, 2005, 269 p. ; Wolfgang Weiß, « Die Beteiligung des Bundestags bei Einsätzen der Bundeswehr im Ausland – eine kritische Würdigung des Parlamentsbeteiligungsgesetzes », NZWehrr 2005, pp. 100-116.98 Le corpus normatif allemand réglant la situation patrimoniale des ex-ressortissants de la R.D.A. après la Réunification allemande est imposant ; cf. inter alia, dans la doctrine : Georg Brunner, « Fortgeltung des Rechts der bisherigen DDR », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., 1997, § 210 ; Dieter Blumenwitz, « Intertemporales und interlokales Verfassungskollisionsrecht », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), id., § 211 ; Hans-Jürgen Papier, « Vergangenheitsbewältitung : Abwicklung, Ahndung, Entschädigung », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), id., § 213. Dans la jurisprudence, cf. inter alia les décisions suivantes de la Cour constitutionnelle fédérale : Bodenreform I, II et III BVerfGE 84, p. 90 ; BVerfGE 94, p. 12 ; BVerfGE 112, p. 1 (à propos de l'intangibilité des confiscations soviétiques réalisées à l'Est de 1945 à 1949) ; Restitution und Vertragsanfechtung (BVerfGE 95, p. 48) à propos de la Loi sur les questions patrimoniales en suspend disposant que les anciens propriétaires ne sont pas habilités à obtenir la restitution de leur bien si celui-ci a été entre-temps acquis de «façon honnête» (« in Redlicher Weise ») par un tiers.99 Sauf dans le cas des normes self-sufficient du droit international : la norme internationale est autonome et complète lorsque son application est possible sans adoption de mesures particulières d’exécution ou d’adaptation par l’État.100 L'opinion suivant laquelle la sphère de compétence de l'État est délimitée en droit interne par les normes internationales transformées en droit interne par une disposition constitutionnelle est défendue par le Professeur Hans René Laurer à propos du droit autrichien, et plus spécifiquement à propos des effets juridiques de l'article 9 B-VG ; cf. op. cit. note 36, spécialement pp. 353-363. Cf. aussi à propos du droit allemand : Dieter Blumenwitz, « Der deutsche Inlandsbegriff im Lichte des Staats- und Völkerrechts », in : Ingo von Münch (éd.), Staatsrecht – Völkerrecht – Europarecht: Festschrift für Hans-Jürgen Schlochauer zum 75. Geburtstag am 28. März 1981, Walter de Gruyter, Berlin/New York, 1981, 1023 p., pp. 25-44.

403

interne attribue des compétences à certaines de ces autorités qui s'étendent au-delà de la sphère de

compétence territoriale de l'État101. L'implémentation interne sera ici illustrée par le cas de la piraterie

maritime (A).

La concrétisation du droit international s'effectue traditionnellement par implémentation dans les États

européens continentaux. La présence dans les systèmes juridiques nationaux des normes internationales

transformées en droit interne, par l'intermédiaire des dispositions constitutionnelles de type

« international law is part of the law of the land », en a considérablement modifié les modalités (B).

A. La concrétisation du droit international par l'État en tant que complément du droit international

général : l'exemple de la lutte contre la piraterie maritime102

La piraterie maritime est une infraction ancienne du droit international coutumier103, codifiée par la

Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 entrée en vigueur en 1996104. Par son degré de

101 Cf. infra. « Le cas des principes généraux de délimitation des espaces nationaux ».102 La piraterie constitue un acte de criminalité de brigandage en haute mer. Les pirates sont des individus qui « en haute mer commettent des actes violents contre des personnes ou des biens par intérêt personnel, sans en avoir l'autorisation d'un gouvernement reconnu ou d'une autre puissance étatique reconnue. »103 La piraterie est traitée depuis des siècles comme un crime iure gentium. L'autorisation de poursuivre des pirates en haute mer par des navires militaires et l'autorisation de les amener en justice est une composante ancienne du droit international coutumier ; cf. inter alia : Paul Stiel, Der Tatbestand der Piraterie nach geltendem Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1905, 117 p. ; Gerhard Schlikker, Die völkerrechtliche Lehre von der Piraterie und den ihr gleichgestellten Verbrechen, thèse, Erlangen, 1907, 91 p., spécialement p. 5 ; Alexander Müller, Die Piraterie im Völkerrecht unter besonderer Berücksichtigung des Entwurfes der Völkerbundskommission und der Regierungsäußerungen, Ritter, Francfort-sur-le-Main, 1929, 80 p., spécialement p. 8 ; Norbert B. Wagner, « Pirata hostis generi humani – Zu den rechtlichen Grundlagen der Bekämpfung von Piraterie durch Seestreitkräfte », Humboldt Forum Recht, 2010, pp. 31-54.A l'occasion de l'affaire du Lotus, le juge John B. Moore se réfère dans son opinion individuelle au principe de compétence universelle appliqué dans les affaires de piraterie: « [Dans] le cas de ce qui est connu sous le nom de piraterie du Droit des Gens, il a été concédé une compétence universelle, en vertu de laquelle toute personne inculpée d'avoir commis ce délit peut être jugée et punie par tout pays sous la juridiction duquel elle vient de se trouver [...]. Bien qu'il y ait des législations qui en prévoient la répression, elle est une infraction de droit des gens; et étant donné que le théâtre des opérations du pirate est la haute mer où le droit ou le devoir d'assurer l'ordre public n'appartient à aucun pays, il est traité comme l'individu hors-la-loi, comme l'ennemi du genre humain- hostis humanis generis- que tout pays, dans l'intérêt de tous peut saisir ou punir » ; cf. C.P.I.J., 7 septembre 1927, série A n°10. 104 Les articles 100 à 107 et 110 de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 prévoient le régime juridique international de la piraterie et de sa répression. L'article 101 définit la piraterie :« On entend par piraterie l'un quelconque des actes suivants :a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé :

i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer;ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun État;

b) tout acte de participation volontaire à l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate;c) tout acte ayant pour but d'inciter à commettre les actes définis aux lettres a) ou b), ou commis dans l'intention de les faciliter. »L'article 110 permet à tout État, « s'il a de sérieuses raisons de soupçonner » qu'un navire donné se livre à la piraterie, de l'arraisonner en haute mer sans devoir solliciter l'accord de l'État du pavillon. La compétence de l'État est universelle (article 105) : « Tout État peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d'aucun État, saisir un navire ou un aéronef pirate, ou un navire ou un aéronef capturé à la suite d'un acte de piraterie et aux mains de pirates, et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l'État qui a opéré la saisie

404

généralité plus élevé que le droit conventionnel, le droit international général contribue encore à la

réglementation de la piraterie maritime en délimitant par exemple le domaine de la haute mer. En raison

de la répression internationale, dont celle menée par l'Union européenne, des activités de piraterie

maritime le long des côte somaliennes, la thématique a ressurgi dans l'actualité juridique 105.

D'un point de vue didactique, l'exemple de la lutte contre la piraterie maritime semble pertinent en vue

d'analyser l'implémentation du droit international, et ce, parce que sa concrétisation par les États

apparaît facilement identifiable. L'opération d'identification paraît en effet beaucoup plus difficile, si ce

n'est presque impossible, en ce qui concerne d'autres domaines plus larges du droit international. Par

exemple, la concrétisation du principe de la responsabilité internationale de l'État résulte de l'action de

toutes sortes d'organes étatiques (gouvernement, agents diplomatiques et consulaires, armée,

juridictions, etc.), par une multitude d'actes concernant tant la sphère des relations internationale que la

sphère domestique de l'État : négociations internationales, fixation de modalités d'indemnisation, mise

en œuvre éventuelle de représailles. Un embargo mené par un État à l'encontre un autre État à titre de

représailles suppose, par exemple, non seulement des mesures internationales prises par l'État, mais

aussi une réglementation interne posant des interdictions aux sociétés nationales ainsi qu'aux simples

particuliers106. La description de l'implémentation de certains principes du droit international se heurte

au problème de l'immensité des données juridiques.

On trouve dans les différents droits internes différentes sortes de normes qui réglementent la lutte contre

la piraterie maritime :

i. les normes spéciales de droit pénal et de procédure pénale prévoyant la répression de la piraterie

maritime ;

ii. les normes générales de droit pénal et de procédure pénale telles celles incriminant les

comportements de vol à main armé, de prise d'otage, de détournement de navire. Ces normes demeurent

applicables en l'absence d'une réglementation spéciale. Leur applicabilité à la piraterie maritime trouve

peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire, l'aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi ». 105 Cf. inter alia : Andreas von Arnauld, « Die moderne Piraterie und das Völkerrecht », AVR, vol. 47, 2009, pp. 454-480 ; Martin D. Fink, Richard J. Galvin, « Combating piracy off the coast of Somalia : Current legal challenges », Netherlands International Law Review, 2009, pp. 367-395 ; Andreas Fischer-Lescarno, Lena Kreck, « Piraterie und Menschenrechte », AVR, vol. 47, 2009, pp. 481-524 ; Andreas S. Kolb, Tim René Salomon, Julian Udich, « Paying Danegeld to Pirates - Humanitarian Necessity or Financing Jihadists », Max Planck Yearbook of United Nations Law, vol. 15, 2011, pp. 105-164 ; Doris König, « Der Einsatz von Seestreitkräften zur Verhinderung von Terrorismus und Verbreitung von Massenvernichtungswaffen sowie zur Bekämpfung der Piraterie : Mandat und Eingriffsmöglichkeiten », in : Deutsche Gesellschaft für Völkerrecht, Moderne Konfliktformen - Humanitäres Völkerrecht und privatrechtliche Folgen, C.F. Müller, Heidelberg, 2010, 422 p., p. 203 et svtes ; Doris König, « Piraterie vor der Küste Somalias und Strafverfolgung – Ein Schrecken ohne Ende? », Zeitschrift für öffentliches Recht in Norddeutschland, 2011, p. 153 et svtes ; Doris König, Tim René Salomon, « Private Sicherheitsdienste auf Handelsschiffen – Rechtliche Implikationen », PiraT-Arbeitspapier, 2011, 47 p. (format PDF) ; Eugene Kontorovich, « International Legal Responses to Piracy off the Coast of Somalia », ASIL Insights, vol. 13, 2009, http://www.asil.org/insights090206.cfm ; J. Ashley Roach, « Countering Piracy off Somalia: International Law and International Institutions », AJIL, vol. 104, 2010, pp. 397-416.106 Cf. Louis Dubouis, « L'embargo dans la pratique contemporaine », AFDI, vol. 13, 1967, pp. 99-152.

405

toutefois souvent ses limites dans la compétence territoriale ; car le droit pénal général interne n'est en

principe pas universellement applicable, et, en particulier, sa sphère spatiale ne s'étend pas

nécessairement à la haute mer.

iii. Le droit de la police maritime et le droit humanitaire (réglementation militaire, simples

commandements, etc.) réglementant la lutte contre la piraterie maritime ;

iv. Les normes internationales transformées en droit interne, aussi bien conventionnelles que

coutumières, directement ou indirectement relatives à la lutte contre la piraterie maritime ; et, dans cet

ensemble de normes, figurent entre autres les infractions internationalement incriminées, la compétence

universelle des États pour la répression de la piraterie en haute mer, la délimitation des espaces

maritimes ;

v. Plus récemment, les normes internes de concrétisation des opérations internationales de lutte contre

la piraterie maritime (résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU en date de 2008107, opération Atalante

de l'Union européenne de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden et dans l'Océan indien lancée le

10 novembre 2008108, ainsi que les décisions y faisant suite).

L'analyse des différents droits internes en matière de lutte contre la piraterie maritime montre toute la

latitude dont dispose les États dans la mise en œuvre du droit international général :

1. En droit français, le choix d'une loi spéciale

Le droit français contient une législation ancienne relative à la piraterie : la Loi du 10 avril 1825 pour la

sûreté de la navigation et du commerce maritime. Cette loi est abrogée par la Loi du 20 décembre 2007

relative à la simplification du droit. Outre cela, la Loi du 15 juillet 1994 détermine les modalités de

l'exercice par l'État de ses pouvoirs de contrôle en mer (loi n° 94-589).

Dans la législation ancienne, le «pirate» est celui qui commande à un navire ou appartient à un équipage

se livrant à une série d'actes, dont «des actes d'hostilité». Ces derniers consistent notamment à s'emparer

par fraude ou violence d'un bâtiment français ou à commettre « à main armée des actes de déprédation

107 La résolution 1816 du 2 juin 2008 autorise, pour une durée initiale de six mois, « [les] États qui coopèrent avec le Gouvernement de transition somalien à pénétrer dans les eaux territoriales de la Somalie, dans le but de réprimer la piraterie et le vol à main armée en mer ». Les États sont autorisés à « recourir à tous les moyens nécessaires » dans la limite « [des] dispositions du droit international concernant les actions en haute mer ». La résolution 1838 du 7 octobre 2008 et la résolution 1846 du 2 décembre 2008 prolongent successivement cette autorisation pour douze mois supplémentaires. La résolution 1851 du 16 décembre 2008 incite les États et les organisations régionales qui luttent contre la piraterie dans les eaux territoriales de la Somalie à créer « un mécanisme de coopération internationale pour servir de point de contact commun ». Pour cela, la résolution recommande de « créer dans la région un centre chargé de coordonner les informations ayant trait à la piraterie et aux vols à main armée au large des côtes somaliennes », ainsi que de conclure « [des] accords ou [des] arrangements spéciaux avec les États disposés à prendre livraison des pirates pour embarquer des agents des services de lutte contre la criminalité de ces pays [...] en vue de faciliter la conduite des enquêtes et des poursuites ».108 L'opération « EUNAVFOR Somalie - Opération Atalante » a été décidée par le Conseil de l'Union européenne à l'initiative de la présidence française de l'Union européenne (2008/851/Gasp ESVP-Operation EU MARFOR Atalante). Cette première opération navale de l'Union européenne s'inscrit dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

406

ou de violence envers des navires français ou des navires d'une puissance avec laquelle la France ne

serait pas en état de guerre » (art. 2 de la Loi du 10 avril 1825). La doctrine française estime depuis la

Convention de Montego Bay que la législation alors en vigueur n'est plus adaptée à l'état du droit

international109.

La législation française relative à la piraterie maritime a été récemment modifiée par la Loi relative à la

lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer (n° 2011-13) du 5 janvier

2011110 modifiant la loi du 15 juillet 1994, le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de la

défense. Pendant la période de transition, marquée par l'absence d'une réglementation spéciale,

certaines dispositions du droit pénal général étaient applicables aux comportements de piraterie

maritime, dans la limite cependant de leur sphère spatiale d'application. Le droit pénal général

incrimine toutes sortes d'atteintes à la vie ou aux biens, parmi lesquelles l'enlèvement, la séquestration,

la prise d'otage, le meurtre. Plus particulièrement, le seul fait de s'emparer ou de prendre le contrôle par

violence ou menace de violence d'un navire constitue une infraction punie de vingt ans de réclusion

criminelle (article 224-6 du Code pénal). L'intention du législateur consiste clairement dans

l'intensification des mesures de prévention et de répression à disposition des autorités françaises,

valables entres autres à l'occasion de la participation des forces armées nationales aux opérations

internationales et de l'Union européenne.

2. En droit allemand, la question du fondement interne de la lutte contre la piraterie maritime

La doctrine allemande s'est amplement interrogée quant au fondement juridique de l'intervention armée

de la République fédérale d'Allemagne dans le cadre de l'opération Atalante111. Le gouvernement fédéral

décide le 10 décembre 2008 de la participation de la Bundeswehr à l'opération Atalante, sous réserve de

l'accord du Bundestag112. Le Bundestag accède à sa demande par scrutin nominal le 19 décembre 2008.

Près de 1400 soldats allemands peuvent dès lors être déployés dans l'espace maritime s'étendant jusqu'à

500 miles nautiques devant la Côte de la Somalie et ses États voisins.

Selon la majorité de la doctrine, le fondement constitutionnel principal d'une telle participation de l'État

allemand à une opération de lutte contre la piraterie maritime se trouve dans l'article 24 al. 2 LF

109 Rapport sur le Projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer n° 369 (2009-2010) de M. André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères du Sénat, déposé le 30 mars 2010, disponible sur : http://www.senat.fr/rap/l09-369/l09-3691.pdf 110 JO n° 4 du 6 janvier 2011.111 Cf. inter alia : Juliane Kokott, « Integrationsbereitschaft. Deutschland in der internationalen Staatengemeinschaft », in : Brigitte Zypries (éd.), Verfassung der Zukunft: Ein Lesebuch zum 60. Geburtstag des Grundgesetzes, Vorwärts Buchverlag, Berlin, 2009, 181 p., pp. 96-111, spécialement p. 106 ; Doris König, Tim René Salomon, Thilo Neumann, Andreas S. Kolb, « Piraterie und maritimer Terrorismus als Herausforderungen für die Seesicherheit: Objektive Rechtsunsicherheit im Völker-, Europa- und deutschen Recht » , PiraT-Arbeitspapier, 2011, 70 p. (format PDF) ; Svenja Richartz, « Alte Gefahren in neuem Gewand. Die moderne Piraterie in rechtlicher Einordnung », ZfV, 2009, p. 391 et svtes ; Norbert B. Wagner, op. cit. note 103 ; Dieter Wiefelspütz, « Die Beteiligung der Bundeswehr am Kampf gegen Piraterie - Völkerrecht und Verfassungsrecht - », Neue Zeitschrift für Wehrrecht, 2009, pp. 133-150112 BT-Drs 16/11 337

407

disposant que : « Pour sauvegarder la paix, la Fédération peut adhérer à un système de sécurité

mutuelle collective ; elle consentira à cet effet aux limitations de ses droits de souveraineté qui

établissent et garantissent un ordre pacifique durable en Europe et entre les peuples du monde »,

éventuellement en combinaison avec l'article 87a al. 1 phrase 1 LF : « La Fédération établit des forces

armées pour la défense »113. L'opération Atalante est en l'occurrence fondée sur un mandat de l'Union

européenne, qui paraît quant à lui justifié par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 114.

Étant donné que le droit international général autorise les États à réprimer la piraterie en haute mer, il

est aussi affirmé par quelques auteurs que l'article 25 LF constitue un fondement suffisant à la lutte de

l'État allemand contre la piraterie maritime, et qu'il autorise même son intervention unilatérale115, et ce,

malgré toutes les limites posées par la Loi fondamentale à l'engagement des forces armées nationales 116.

La compétence des forces armées nationales en matière de lutte contre la piraterie maritime n'en

demeure pas moins contestable. En dehors d'une opération militaire internationale telle que l'opération

Atalante, les autorités nationales de police maritime disposent habituellement d'une compétence

exclusive pour appréhender les pirates dans les espaces libres de souveraineté, qui se fonde sur un

principe du droit international transformé en droit interne allemand par l'article 25 LF117. Ce principe est

en outre concrétisé en droit interne allemand par le §1 n°3d de la Loi de mission maritime

(Seeaufgabegesetz), qui dispose que : « dans le domaine de la circulation maritime en direction de la

haute mer, au-delà des eaux territoriales, la Fédération est tenue de remplir les obligations

internationales ou de tenir compte des compétences internationales de la République fédérale

d'Allemagne relatives aux missions des autorités et des fonctionnaires des services de police », ainsi que

par le §6 de la Loi sur la police fédérale (BpolG) qui ajoute que : « sans préjudice de l'attribution aux

113 L'article 87a al. 1 phrase 1 est à lui seul insuffisant car, bien que la notion de « défense » soit indéterminée dans la Loi fondamentale (cf. l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale en date du 12 juillet 1994, BVerfGE 90, p. 286 sqs. (355)), il est certain que la lutte contre la piraterie ne constitue pas en l'espèce un acte de défense du pays.114 Selon une opinion largement dominante dans la littérature allemande, l'Union européenne est devenue « un système de sécurité mutuelle collective ». 115 En ce sens, le Professeur Rüdiger Wolfrum dans une interview par Deutschlandradio Kultur en date du 10 décembre 2008 disponible sur : http://www.dradio.de/dlf/sendungen/interview_dlf/889159/ ; du même auteur : « Piraterie: Effizienter Einsatz des Weltrechtsprinzips oder internationale Gerichtsbarkeit, in: Recht – Wirtschaft – Strafe », in : Wolfgang Joecks, Heribert Ostendorf, Thomas Rönnau, Thomas Rotsch, Roland Schmitz (éds), Festschrift für Erich Samson zum 70. Geburtstag, C.F. Müller, Heidelberg, 2010, 844 p., pp. 219 – 229 ; cf. aussi le Professeur Jochen Frowein dans une interview au journal Der Spiegel en date du 26 novembre 2008, disponible sur : http://www.spiegel.de/politik/deutschland/0,1518,592618,00.html. Le Professeur Ulrich Fastenrath émet l'opinion extrème selon laquelle les opérations de lutte contre la piraterie entreprises le long des côtes somaliennes ne sont que policières dans le cadre du droit constitutionnel allemand, ne requérant dès lors pas même l'approbation du Bundestag (Parlamentsbeteiligungsgesetz) exigée pour les opérations militaires ; cf. « Ran an den Feind », FAZ du 19 juin 2008. Pour une opinion contraire, cf. inter alia : Michael Bothe, « Völkerrecht und Verfassungsrech »t, FAZ du 3 juin.2008 ; Andreas Fischer-Lescano, « Die Bundesmarine als Polizei der Weltmeere? », Iurratio, 2009, p. 14 et svtes ; 116 BVerfGE 90, p. 286 sqs. (381) ; cf. aussi l''arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale Awacs c. Turquie du 7 mai 2008 (BVerfG, NJW 2008, 2018 (2023)) : « Du reste, les engagements [armés] d'importance subalterne sur le plan politique peuvent aussi être soumis à la réserve parlementaire de droit constitutionnel (cf. aussi §4 ParlBG). ». La lutte contre la piraterie maritime peut incontestablement être qualifiée d'importance politique mineure.117 Reinach Brinkmann, Dirk Peters, « Herausforderung maritime Sicherheit », in: Andreas Zimmermann, Christian J. Tams (éds), Seesicherheit vor neuen Herausforderungen, Université de Kiel, Kiel, 2008, 141 p., pp. 43-67 ; Andreas Gilch, op. cit. note 97, p. 73 ; Juliane Kokott, op. cit. note 111, spécialement p. 106.

408

autres autorités ou aux forces armées, il appartient à la police fédérale sur mer de prendre, en dehors

des eaux territoriales allemandes, des mesures pour lesquelles la République fédérale d'Allemagne est

internationalement compétente » . L'engagement des forces armées peut sembler constitutionnellement

disproportionné, eu égard à son encadrement strict par la Loi fondamentale d'un côté et à un objectif

relativement mineur de l'autre côté ; car il s'agit de réprimer des actes commis par des particuliers

envers d'autres particuliers à des fins privées, dans une zone en l'occurrence éloignée du territoire

allemand.

3. L'absence d'une législation spécialement produite en droit autrichien

L'ancien Empire austro-hongrois punit sévèrement la piraterie maritime par la mort par pendaison,

quelque soit le degré de participation de l'individu inculpé (§ 490 du Code pénal militaire du 15 janvier

1855). Le pirate ne bénéficie pas alors des lois de la guerre protectrices de l'ennemi. Toutefois, lorsque

le pirate est appréhendé par une autre voie que la marine militaire, la législation pénale générale plus

douce lui devient applicable118 (§ 190 et svts du Code pénal du 27 mai 1852).

L'actuelle République d'Autriche n'est pas une puissance maritime, et ceci explique peut-être, de

manière factuelle, sa non-participation active aux opérations internationales récentes de lutte contre la

piraterie maritime119. Néanmoins, l'État autrichien coopère à la préparation de leur succès, et ce, en

veillant dans le contexte de l'opération Atalante à ce que les individus suspectés de piraterie livrés à des

États tiers pour des poursuites ultérieures soient traités dans le respect des standards minimums des

droits de l'homme, ce qui implique tout particulièrement l'absence de peine de mort120.

En dehors des opérations armées internationales, une réglementation spéciale relative à la piraterie

maritime est présente dans le droit autrichien contemporain à travers les articles 14 à 22 de la

Convention de Genève sur la haute mer du 29 avril 1958 et les articles 100 à 110 de la Convention de

Montego Bay, ces conventions étant entrées en vigueur en droit autrichien respectivement le 9 février

1974 (BGBl 246/1974) et le 13 août 1995 (BGBl 885/1995). La législation pénale générale demeure en

principe applicable aux cas de piraterie.

L'exemple de la piraterie maritime montre que l'opposition souvent rencontrée dans la littérature entre

un droit international bienveillant vis-à-vis des individus et un droit national plus répressif découle

souvent d'une conception idéologique. Les données du droit positif ne vont en effet pas toujours en ce

sens. La longue autorisation de la guerre décidée par quelques individus et se destinant à l'ensemble de

la population des État concernés en offre un autre exemple (cf. Hans Kelsen, Peace Through Law, The

118 Paul Stiel, op. cit. note 103, spécialement pp. 48-49.119 Dans le cadre d'affaires internes, La piraterie sévissant dans la Corne de l'Afrique est entres autres prise en compte par la Cour d'asile instituée en 2008, par exemple dans une décision du 23 octobre 2009 (n° de requête : B14 243316-5/2008). 120 Bericht des Bundesministers für europäische und internationale Angelegenheiten, Außenpolitischer Bericht 2008, 415 p., p. 29, 63 et 143.

409

University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1944).

L'implémentation du droit international par les États dans leur sphère interne s'effectue en principe

librement, suivant les données du droit interne en question. Aux côtés de l'implémentation

traditionnelle, la transformation contribue aussi désormais à la concrétisation du droit international dans

la sphère interne, ce qui ne va pas sans en modifier les modalités.

B. La relation entre «implémentation» et «transformation» en droit interne

Les États implémentent le droit international dans tous les cas, même en l'absence d'une norme

constitutionnelle relative à la normativité interne du droit international. Néanmoins, la présence d'une

telle norme en droit interne modifie les modalités de l'implémentation. Les organes internes sont alors

destinataires, en tant que composantes de l'État, non seulement d'une certaine obligation de respecter le

droit international en tant que tel, mais aussi d'une obligation plus directe de respecter les dispositions

constitutionnelles relatives à celui-ci.

1. L'absence de nécessité de la transformation en droit interne pour la concrétisation du droit

international

L'implémentation est la concrétisation du droit international par l'État suivant ce qui est prévu par le

droit international lui-même, qui attribue une certaine latitude à l'État en la matière. Dans le cadre de

l'implémentation, il n'existe pas d'obligation constitutionnelle pesant sur les organes internes de

compléter le droit international : les organes internes produisent librement des normes concrétisant le

droit international en se fondant sur leurs compétences générales de droit interne. Le législateur n'est

par exemple aucunement obligé de produire une législation sur la répression de la piraterie maritime et,

s'il le fait, c'est uniquement sur le fondement de sa compétence constitutionnelle de produire des normes

générales.

Dans la pratique des États, les organes internes concrétisent très souvent les normes internationales sans

que cela ne dépende de leur transformation en droit interne. Le processus de concrétisation du droit

international varie selon l'organe interne qui est amené à concrétiser la norme internationale en question

:

i. Lorsqu'il s'agit de l'organe gouvernemental, par exemple en matière de droit international humanitaire,

les normes internationales sont généralement appliquées indépendamment de leur transformation en

410

droit interne. La doctrine traditionnelle soutient que la transformation n'est pas requise pour autoriser

l'exécutif à mettre en œuvre le droit international parce que le gouvernement s'identifie à l'État, d'où

s'ensuit qu'il peut appliquer le droit international sans la médiation d'une norme interne, comme donc

s'il était l'ensemble de l'État. En réalité, la compétence du gouvernement en matière d'application du

droit international n'est qu'indirecte ; elle se fonde en effet sur les normes constitutionnelles

d'habilitation qui lui attribuent souvent une grande latitude dans la plupart des domaines simultanément

réglementés par le droit international et le droit interne (guerre, diplomatie, conclusion des traités

internationaux, situation des étrangers...). La transformation de la norme internationale ne semble

généralement pas non plus requise lorsqu'elle est destinée à être concrétisée par les organes

administratifs subordonnés au gouvernement, ce qui comprend les administrations diplomatiques et

consulaires, le gouvernement pouvant leur ordonner d'appliquer la norme en question par voie

hiérarchique.

ii. La concrétisation du droit international ne relève pas de la seule compétence de l'exécutif. En effet, la

constitution peut attribuer – et elle attribue souvent – une compétence à d'autres organes dans un

domaine où le droit international est amené à être complété par une réglementation interne. Il en va

ainsi lorsque le droit international contient une obligation ou une autorisation qu'il appartient à l'État de

mettre en œuvre dans un domaine qui relève, dans la sphère interne, de la compétence de l'organe

législatif. Et, là encore, la transformation d'une telle norme internationale en droit interne ne semble

nullement requise pour sa concrétisation, car les actes de législation qui concrétisent la norme

internationale en question se fondent déjà sur la compétence du législateur dans ce domaine. En

produisant la loi en question, l'État exerce simplement un droit international ou accomplit une

obligation internationale par l'action de l'organe législatif : l'organe compétent concrétise le droit

international, et ce, sans l'intermédiaire de sa transformation en droit interne (par exemple, une loi

concrétisant la prohibition internationale de la piraterie maritime). L'État ne «transforme» pas non plus

le droit international en droit interne par cette action du législateur, puisqu'il s'agit d'une mise en œuvre

du droit international dans la sphère interne par des normes internes au contenu plus concret, et non de

la reproduction du contenu du droit international opérée dans le cadre du processus de transformation.

Une telle implémentation du droit international par l'État s'observe même au niveau constitutionnel 121 :

tel est le cas d'une norme constitutionnelle déterminant matériellement le comportement international

121 Cf. Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502, spécialement pp. 477-478.

411

de l'État, par exemple en interdisant la guerre d'agression122, en prévoyant sa neutralité123, ou encore son

adhésion à des organisations internationales124. L'État concrétise ici le droit international dans sa

constitution, en effectuant un choix parmi les différentes possibilités autorisées par le droit

international.

iii. Pour le reste, la doctrine, surtout autrichienne, remarque parfois que seules les normes

internationales adressées aux organes juridictionnels et administratifs sont à transformer en droit interne

préalablement à leur application, et ce uniquement dans le cas où ces organes sont tenus par la

constitution à n'appliquer que les normes qui résultent de procédures internes125.

2. Les incidences de la transformation sur l'implémentation traditionnelle126

La transformation du droit international n'est pas une question de droit international, mais de droit

interne. Par la transformation, les normes internationales deviennent des normes de droit interne parmi

d'autres. Et cela a plusieurs incidences éventuelles, entre autres d'autoriser, voire d'obliger les organes

internes à concrétiser ces normes devenues internes. La concrétisation du droit international n'est dès

lors pas limitée par les éventuelles obligations constitutionnelles destinées aux organes internes de ne

122 Dans le cas de la France, la prohibition de la guerre d'agression prévue par l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 trouve des origines antérieures à la prohibition de la guerre d'agression par le droit international (cf. supra, historique de l'alinéa 14). A l'époque révolutionnaire où elle a été rédigée, la norme interne prohibant la guerre d'agression, alors même que celle-ci était encore permise par le droit international, était une concrétisation du droit international en ce que l'État français prévoit alors de se conformer à un comportement donné parmi plusieurs comportements permis.A propos du droit allemand, cf. inter alia : Karl Doehring, « Das Friedensgebot des Grundgesetzes », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung - Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 173, pp. 687-710 ; Udo Fink, « Der Begriff des äußeren Friedens im Grundgesetz », in : Jörn Ipsen, Edzard Schmidt-Jortzig (éds), Recht – Staat – Gemeinwohl, Festschrift für Dietrich Rauschning, Heymann, Munich/Cologne, 2001, 739 p., pp. 89-104 ; Martina Haedrich, « Friedensgebot und Grundgesetz », in : Hans J. Gießmann, Bernhard Rinke (éds), Handbuch Frieden, VS Verlag, Wiesbaden, 2011, 640 p., pp. 336-346. A propos du droit autrichien, cf. inter alia : Christoph Grabenwarter, « The Austrian Federal Constitution and Peace between States », ZÖR, vol. 51, 1996, p. 61-84.123 Cf. pour l'Autriche : Loi constitutionnelle du 26 octobre 1955 (Neutralitätsgesetz) pour la Neutralité autrichienne ainsi que l'art. 9a al. 1 B-VG (« neutralité permanente »). Selon la doctrine autrichienne, la neutralité est « à interpréter selon les critères du droit international », cf. Herbert Haller, Die Prüfung von Gesetzen, Springer, Vienne/New York, 1979, 295 p., spécialement p. 140. Cf. aussi : Alfred Verdross, « Les fondements de droit international de la neutralité permanente de la République Autrichienne », Archives Diplomatiques et Consulaires, vol. 24, 1959, p. 174 et svtes ; Alfred Verdross, Die immerwährende Neutralität der Republik Österreich, 2ème éd., Österreichischer Bundesverlag, 1966, 32 p. ; Stephan Verosta, Die dauernde Neutralität : Ein Grundriss, Manz, Vienne, 1967, 143 p. ; Kurt Ringhofer, Die österreichische Bundesverfassung, Verlag des Österr. Gewerkschaftsbundes, Vienne, 1977, 910 p., spécialement p. 27 et svtes ; Manfred Rotter, Die dauernde Neutralität, Duncker & Humblot, Berlin, 1981, 263 p. ; Rainer Lippold, « Strukturfragen der Verfassung am Beispiel der immerwährenden Neutralität Österreichs », ZÖR, 1991, pp. 295-318.124 Cf. à propos du droit autrichien : Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372. L'auteur remarque aussi que la délimitation constitutionnelle du territoire prévue par l'article 3 B-VG est à concevoir comme une implémentation du droit international général (spécialement pp. 355-363).125 Cf. supra : « L'application immédiate du droit international par les organes internes » ; « L'autorisation de concrétiser ("habilitation-permission") »126 On ne trouve que très peu d'analyses portant sur cette question ; cf. aussi : Heinz Peter Rill, op. cit. note 45, spécialement pp. 444-446.

412

concrétiser que les normes du système juridique de l'État lui-même. Car, en effet, il est possible que la

constitution d'un État autorise certains organes internes d'application du droit, telles les autorités

administratives ou les juridictions, à n'appliquer que le seul droit interne sous la forme de lois édictées

par l'organe législatif ou de décrets produits par l'organe exécutif compétent. Et, dans ce cadre, le droit

international ne pourra être appliqué par ces organes d'application du droit que s'il est préalablement

transformé en droit interne.

Section 2 : L'«applicabilité directe» du droit international général

i. Définition de l’«applicabilité directe»

Le droit international prévoit dans certaines situations qu'il est «directement applicable», c’est-à-dire

que les organes internes sont dans l'obligation de l'appliquer dans la sphère de compétence de principe

de l’État – sa sphère de souveraineté –, et ce, sans même qu’une norme interne le transformant ne

prévoit – de manière médiate – son application. L’applicabilité directe du droit international est une

exception au principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne et, en ce sens, une

limite au principe de la souveraineté de l’État. Le droit international directement applicable a des effets

juridiques sur le contenu du système juridique interne de l'État sans l'intermédiaire d'une norme

interne ; les organes internes visés par celui-ci127 se trouvent destinataires d'une obligation internationale

127 La situation des organes internes visés par le droit international d'applicabilité directe appelle plusieurs observations:

i. Le statut des organes directement chargés de mettre en œuvre le droit international d'applicabilité directeGlobalement, comme les normes internationales d'applicabilité directe sont encore à compléter par des normes d'exécution plus particulières, l'applicabilité directe du droit international présuppose un fondement interne habilitant les organes internes à les concrétiser. Le droit international d'applicabilité directe demeure donc organiquement indirect. Mais aussi, les organes internes sont tenus d'appliquer les normes internationales d'applicabilité directe, et ce,sans même l'intermédiaire d'une norme interne leur attribuant une valeur interne. Le droit international est en cela matériellement direct. Dit autrement, les obligations internationales pèsent directement sur les organes internes, même si leur habilitation relève en principe de la sphère de compétence propre à l'État. Les normes internationales d'applicabilité directe sont amenées à être concrétisées par les organes internes qui produisent alors des normes uniquement pourvues d'une validité interne (par exemple, une décision juridictionnelle condamnant un individu en raison de la violation d'obligations internationales d'effet direct, telle la prohibition du crime de guerre).Il se peut que, par exception, le droit international attribue directement une compétence formelle à un organe interne, comme par exemple le droit de saisir une juridiction internationale. L'organe interne peut ici être considéré, du moins partiellement, comme un organe de droit international au sens où il est directement habilité par le droit international (Georges Scelle a développé une conception extensive d'une telle compétence internationale des organes internes : « [la

413

de se conformer au contenu juridique du droit international lui-même.

ii. Aspect théorique

ii.i. Le dynamisme de la relation entre droit international et droit interne

Une exception au principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne ne paraît pas

si surprenante, car la relation entre droit international et droit interne est une relation dynamique.

L'indifférence du droit international par rapport au droit interne ne se présente elle-même que comme la

résultante d’une évolution historique – celle qui a conduit à la «souveraineté» des États. Le principe

d'indifférence du droit international par rapport au droit interne n’est nullement naturel, mais normatif ;

technique de l'institutionnalisme] consiste essentiellement à créer, pour l'exercice des fonctions juridiques essentielles de l'ordre international, des organes dont les membres sont ex officio dénationalisés, c'est-a-dire indépendants des gouvernants étatiques pour lesquels leurs décisions deviennent obligatoires » ; cf. « Quelques réflexions sur l'abolition de la compétence de guerre », RGDIP, 1954, pp. 5-22, p. 9). On trouve un double fondement de la compétence des organes internes dans le cas d'une habilitation internationale directe :i.i. D’une part, un fondement de droit interne qui attribue une certaine composition (statut, désignation des membres...) et une certaine compétence (juridictionnelle, administrative, législative...) aux organes d’application du droit. Ce fondement interne est lui-même fondé, certes indirectement, sur le droit international qui attribue aux États une autonomie institutionnelle (organique), c’est-à-dire la compétence de déterminer par eux-mêmes leurs organes d’application du droit. Les normes produites par les organes internes sont dans tous les cas pourvues d'une validité interne, même lorsqu'ils concrétisent une norme internationale d'applicabilité directe.i.ii. D’autre part, un fondement direct de droit international indifférent au contenu juridique des systèmes juridiques étatiques, et notamment à leur organisation institutionnelle. Le droit international, en tant que système juridique délégataire, peut attribuer certaines compétences propres à des organes de l'État différenciées de celles prévues par le seul droit interne.

ii. L’autonomie du droit international relativement à la détermination des destinataires du droit international d'applicabilité directeLe droit international définit de manière autonome ses destinataires – sans nécessairement faire référence au contenu du droit interne. Il s'ensuit que les organes de fait de l’État peuvent être visés par le droit international d'applicabilité directe. Parmi ceux-ci, on trouve les groupes armés dont le comportement est rattachable à celui d’un État donné selon le droit international ; ces groupes armés sont directement destinataires d'obligations internationales (C.I.J., 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua/États-Unis), Rec. 1986, p. 392). Les destinataires du droit international d'applicabilité directe peuvent aussi être des organes prévus par l'État, par exemple les banques centrales (à propos de l’insaisissabilité de certains de leurs avoirs telle que prévue par le droit international, cf. Jean-Pierre Mattout, « la saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », in : Hubert de Vauplane, Jean-Jacques Daigre (éds), Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF-France V, la Revue Banque, Paris 2009, 458 p., pp. 305-312).De même que le droit international détermine par lui-même les destinataires des normes d'applicabilité directe, il détermine aussi dans une certaine mesure les organes chargés de la concrétisation du droit international d'applicabilité directe – le principe demeurant qu'en l'absence d'une détermination spécifique, c'est à l'ensemble de l'État d'assurer sa concrétisation. Le droit international oblige ainsi souvent les organes internes – tels que déterminés par le droit international lui-même – à participer à l'implémentation des normes d'applicabilité directe. Par exemple, les juridictions et les administrations sont chargées d'assurer le respect des immunités de juridiction et d'exécution de l'État étranger.Le droit international est autonome des droits internes en matière de détermination des organes chargés de mettre en œuvre le droit international d'applicabilité directe. La jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l’homme, à propos de l'« autonomie des notions conventionnelles », en fournit un exemple bien connu. Est notamment qualifié de «tribunal» au sens de la Convention européenne des droits de l’homme tout organe dont la fonction juridictionnelle consiste à « trancher, sur les bases de normes de droit, à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence », ce qui comprend certains organes qualifiés d’administratif par le droit interne tels que les commissions administratives de contrôle de transaction financière (C.E.D.H., 22 octobre 1984, Sramek c/ Autriche, JDI, 1985, 1070, obs. Paul Tavernier.) ou le Conseil des marchés financiers – une autorité administrative indépendante – lorsqu’il exerce sa compétence de « sanction pénale » (C.E.D.H., 27 août 2002, Didier c/ France, JCP G, 2003, I, 108, chron. Frédéric Sudre).

414

et il peut donc en aller autrement. Le droit international, en tant que système juridique ultime, peut en

toute logique prévoir une limitation de la souveraineté de l'État, y compris en s’adressant directement

aux individus, c'est-à-dire sans que l’État ne soit nécessairement un intermédiaire de l’application du

droit international.

En l'état du droit, la façon dont s'effectue la concrétisation du droit international par l’État diffère

grandement suivant que les normes internationales en question soient ou non d'applicabilité directe, soit

deux régimes distincts :

Le régime de principe découle du principe d'indifférence du droit international par rapport au

droit interne. Les normes internationales n'ont pas par elles-mêmes d'effets juridiques sur le contenu du

droit interne. L’État peut certes prévoir leur transformation en droit interne, mais la validité des normes

ainsi transformées, fondée sur une norme interne, est alors proprement interne.

Par exception, le droit international peut réglementer, dans le cadre de son applicabilité directe, le

comportement des individus en faisant abstraction du contenu du droit interne. Le droit international, en

tant que système juridique supérieur au système juridique de l'État, peut prévoir de réglementer

directement le comportement des individus, ainsi que d'ailleurs celui des organes de l’État – qui ne

consistent en autre chose qu'une somme d’individus auxquels est attribué une certaine compétence. Les

normes directement applicables ont une validité de droit international – non de droit interne – et se

destinent aux organes de l’État déterminés par le droit international lui-même, voire à l'ensemble de

l'État. L’État n’est alors pas internationalement habilité à opposer au droit international la «fermeture»

de son système juridique interne128 – sa «souveraineté» –, mais est dans l'obligation d'appliquer le droit

international en tant que tel.

ii.ii. L’État en tant qu’exécutant du droit international

L’applicabilité directe n’exclut généralement pas une certaine médiation par l’État, mais cette médiation

n’est pas celle en principe prévue par le droit international. En principe, autrement dit en dehors de

l'applicabilité directe, la mise en œuvre du droit international («implémentation») s'effectue sur le

fondement du principe de souveraineté du droit international : l’État, sous-système juridique du droit

international, dispose d'une compétence pour réglementer de manière autonome l’ensemble des

128 La question de l’applicabilité directe du droit international relève premièrement du contenu du droit international lui-même et secondairement de celui du droit interne. Et pourtant, la doctrine et la jurisprudence conçoivent le plus souvent l’applicabilité directe du droit international non en tant que question relevant du droit international, mais en tant que question relevant exclusivement du droit interne. A titre d’exemple, parmi tant d’autres, Lord Olivier, à l'occasion de la décision de la Chambre des Lords Maclain v. Department of Trade and Industry, affirme que : « En tant que question de droit constitutionnel du Royaume-Uni, la prérogative royale contenant le droit de conclure des traités ne s’étend pas à la modification de la loi, à l’attribution de droits aux individus ou à la privation de droits dont ceux-ci jouissent en droit interne, sans une intervention du Parlement. Les traités ne sont pas self-executing, comme cela est parfois exprimé. Simplement, un traité n’est pas composante du droit anglais à moins que et jusqu’à ce qu’il soit incorporé dans le droit par le législateur » ([1989] 3 All ER 523, 531 ; 81 ILR, pp. 671, 684).

415

comportement internes. Il s'ensuit que l'État et ses organes bénéficient d'une large latitude pour

implémenter le droit international. Dans le cas de l’applicabilité directe, limite au principe de

souveraineté, l’État et ses organes129 participent à la mise en œuvre du droit international en tant

qu'«exécutants». Positivement, l’État participe par son comportement à l’exécution du droit

international en concrétisant les normes d'applicabilité directe aux degrés les plus particuliers, entre

autres par des décisions administratives individuelles et des décisions juridictionnelles. Aussi, la

participation à l’exécution du droit international comporte éventuellement, mais non dans tous les

cas130, un aspect négatif : l’État est tenu ne pas empêcher par son droit interne l’application directe du

droit international131.

129 L’exécution du droit international d’applicabilité directe par l’État peut résulter du comportement de production normative de l’un de ses organes, telle une juridiction interne. Un organe interne peut concurremment disposer de sa compétence interne de principe et d'une compétence spéciale que le droit international lui attribue. Par exemple, une juridiction interne peut être titulaire d’une compétence spéciale pour saisir une juridiction internationale ou supranationale par voie préjudicielle (par exemple, le droit des juridictions internes des États membres de saisir la Cour de justice de l'Union économique et monétaire ouest-africaine).Ce n'est qu'exceptionnellement que le droit international général attribue une habilitation internationale aux organes internes. Il en va autrement en droit de l'Union européenne . les juridictions nationales sont directement des organes du droit de l'Union chargés de sa concrétisation (« Le juge national, juge de droit commun européen »), de sorte qu'ils se trouvent dans l'obligation d'exécuter les normes de l'Union d'effet direct indépendamment du contenu du droit interne dans la même matière. La Cour de justice dit que : « le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique » (5 février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62, Rec. 1963, p. 3).130 L'applicabilité immédiate implique une telle obligation négative, mais non l'effet direct : 1. Dans le cas de l’immédiateté, l’État est dans tous les cas destinataire d'une telle obligation négative, étant donné qu'il s’agit précisément d’une obligation de correspondance du contenu juridique interne par rapport au contenu du système juridique international ; 2. Dans le cas de l’effet direct, l’État n’est pas dans tous les cas destinataire d'une telle obligation négative: c'est son comportement factuel – et non nécessairement le contenu de son système juridique – qui doit être conforme au droit international.131 Une réglementation internationale d'applicabilité directe dans une certaine matière n'empêche pas que l’État maintient parfois – si ce n’est produit – des normes internes au contenu contraire qui réglementent la même matière. Dans cette situation juridique, le droit international général prévoit généralement deux règles de solutions de conflits de normes :

i. Soit l’État est tenu de détruire – par l’abrogation ou l'annulation – les normes internes de contenu contraire au droit international d’applicabilité directe, sans pour autant prévoir des normes de substitution dans la même même matière, le droit international étant directement compétent pour réglementer cette matière. Telle est la solution du droit de l'Union européenne concernant l’application d'une partie de ses normes. La Cour de justice considère, à propos des règlements, que : « issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait […], en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposé un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même » (Flaminio Costa c. E.N.E.L., aff. 6/64, 15 juillet 1964). Toutefois, le droit de l'Union n'est pas compétent pour opérer par lui-même la destruction de la réglementation interne en question.ii. Soit les organes internes d’application du droit sont destinataires d'une obligation moins forte qui consiste à écarter l'application de la norme interne de contenu contraire au profit de la norme internationale d'applicabilité directe (primauté d'application). Cette solution est de principe en droit international général, mais aussi en droit de l'Union européenne. La Cour de justice estime ainsi depuis l’affaire Simmenthal, que : « [Le] juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel » ; cf. arrêt du 9 mars 1978, Aff. 106/77, Administration des finances de l’État c. Société anonyme Simmenthal, Rec., 1978, pp. 630-646, p. 646.

Si un État – ou un de ses organes dont le comportement est imputable à l’ensemble de l’État – ne fait pas ce qu’il est internationalement tenu de faire, c’est-à-dire en l'occurrence appliquer directement le droit international, il engage sa responsabilité, et ce, lors même que son action ou son abstention fautive sont prévues par une norme interne d’un rang quelconque (cf. C.P.I.J., 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de

416

iii. La distinction entre «effet direct» et «applicabilité immédiate»

Le droit international d'applicabilité directe se compose, d'un côté, des normes internationales d'«effet

direct» et, de l'autre côté, des normes internationales d'«applicabilité immédiate» («immédiateté») 132 :

L’«effet direct» du droit international consiste pour une norme du droit international à s’adresser aux

individus – simples particuliers ou personnes juridiques privées constituées par une pluralité d’individus

– sans médiation par le système juridique interne. Les normes internationales d'«effet direct» sont

directement créatrices de droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers. Le droit

international admet traditionnellement l'effet direct de certaines de ses normes, mais uniquement sous

des conditions strictes133.

L’«immédiateté» d’une norme internationale consiste en une obligation pesant sur l'État et ses organes

d'implémenter le droit international. L'applicabilité est dite «immédiate» parce que les organes internes

sont obligés de concrétiser le droit international, et ce, quand bien même celui-ci n'a pas été

préalablement transformé dans le système juridique interne par une norme interne. Par contraste avec

l'«effet direct», le droit international exclut traditionnellement l’«immédiateté» de ses normes ; car un

des aspects du principe général de la souveraineté réside dans la compétence intégrale dont disposent

les États pour prévoir le contenu juridique de leur système juridique interne.

langue polonaise dans le Territoire de Dantzig, Rec., Série A/B, n°44, pp. 4-44).132 La distinction entre «immédiateté» et «effet direct» apparaît clairement dans la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l'homme. La Cour, juridiction internationale, estime que l'«effet direct» d'une norme contenue dans la Convention européenne n'implique pas nécessairement son «applicabilité immédiate». A l'occasion de l'arrêt James et autres, la Cour présente de manière systématique l’applicabilité directe dans le contexte de la Convention européenne des droits de l’homme, en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure relative au droit au recours des individus (arrêt 21 février 1985, Rec. Série A, vol. 98, p. 47, § 84 ; cf. aussi arrêt Lithgow et autres, 8 juillet 1986, Rec., Série A, vol. 102, pp. 9-75, spécialement p. 74, §205.). La Cour européenne des droits de l’homme dit que :

« En vertu de l’article 13, "un individu qui de manière plausible se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention doit disposer d’un recours devant une "instance" nationale afin de voir statuer sur son grief et, s’il y a lieu, d’obtenir réparation" (arrêt Sylver et autres du 25 mars 1983, Série A n° 61, p. 42, § 113). Toutefois, "ni l’article 13 ni la Convention en général ne prescrivent aux États contractants une [façon] déterminée d’assurer dans leur droit interne l’application effective de toutes les dispositions de cet instrument" (arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotive, du 6 février 1976, série A n° 20, p. 18, § 50). Bien que non tenus d’incorporer la Convention à leur système juridique national, ils n’en doivent pas moins, aux termes de l’article premier et sous une forme ou une autre, y assurer à quiconque relève de leur juridiction la substance des droits et libertés reconnus (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 91, § 239). »Pour un aperçu de la distinction entre « applicabilité immédiate » et « effet direct », tous deux d'« applicabilité directe », dans le contexte du droit de l'Union européenne, cf. Sean Van Raepenbusch, Droit Institutionnel de L'Union et des Communautés Européenne, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2001, 633 p., spécialement p. 359 et svtes.133 C.P.I.J., 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig (Réclamations pécuniaires des fonctionnaires ferroviaires dantzikois passés au service polonais contre l’administration polonaise des chemins de fer), Rec. Série B, n°17, pp. 4-27. Cf. aussi la jurisprudence de l'Union européenne ; la Cour de justice considère qu'est directement applicable « un principe précis et inconditionnel suffisamment opérationnel pour être appliqué par un juge national et qui, dès lors, est susceptible de régir la situation juridique des particuliers. » ; arrêt du 20 novembre 2001, Jany et al., Affaire C-288/99.

417

iv. L'applicabilité directe du droit international non conventionnel

iv.i. L'identification d'un traité international d'applicabilité directe se fait surtout à travers son texte ; il

n'en va évidemment pas de même en ce qui concerne les coutumes internationales d'applicabilité directe

:

La doctrine et la jurisprudence ont largement traité la question de la preuve de l'applicabilité

directe d'un traité international. En ce qui concerne l'effet direct, il est estimé que ses critères consistent

en l'intention des parties de créer des droits et obligations à destination des particuliers («critère

subjectif») et en l'univocité et la précision suffisantes de la formulation du traité international en

question («critère objectif»). La preuve de l'applicabilité directe d'une coutume internationale semble

encore plus délicate : le critère objectif se trouve en ce cas inopérant ; le critère subjectif, qui ne va pas

déjà sans soulever quelques difficultés en ce qui concerne les traités internationaux en raison de son

aspect psychique, apparaît encore plus difficilement utilisable en ce qui concerne les coutumes. Car les

coutumes peuvent se former dans une échelle temporelle grandement variable, sans que l'intention des

États participants à leur formation ne se soit manifestée de manière claire.

Des coutumes internationales d'applicabilité directe existent pourtant, indépendamment des

difficultés relatives à leur preuve. C'est une erreur de raisonnement que de confondre l'existence d'une

norme (un problème normatif) et la preuve de celle-ci (un problème cognitif). En l'absence de textes

centralisés, l'applicabilité directe d'une coutume internationale peut d'ailleurs tout à fait se prouver par

la pratique uniforme et constante de la Communauté internationale en ce sens (par exemple, en matière

d'immunités de l'État étranger ou encore en matière de répression de la piraterie). En l'état du droit

international positif, les coutumes internationales d'applicabilité directe apparaissent en vérité

relativement nombreuses 134.

iv.ii. Une autre difficulté a trait à la distinction, parmi l'ensemble des coutumes internationales

d'applicabilité directe, de celles qui sont d'«effet direct» et de celles qui sont d'«applicabilité

immédiate». On trouve toutefois quelques critères de distinction pertinents :

Les normes d'effet direct visent dans tous les cas les particuliers, tandis que les normes d'applicabilité

immédiate ont généralement pour destinataires les États et leurs organes, mais aussi éventuellement les

particuliers ;

Au niveau de la concrétisation, les normes d'effet direct sont le plus souvent concrétisées – mais non

nécessairement – par les juridictions internes (dans la mesure où les individus occupent non seulement

134 La littérature à propos de l'«applicabilité directe» des coutumes internationale manque d'ouvrages systématiques. Mentionnons les articles suivants : Christian Dominicé, « L'Individu, la coutume internationale et le juge national », in : Mélanges dédiés à Robert Pelloux, L'Hermès, Lyon, 1980, 342 p. pp. 193-209 ; Eric David, « Opposabilité du droit international coutumier aux acteurs non-étatiques », in : Paul Tavernier, Jean-Marie Henckaerts (éds), Droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, actes du colloque organisé par le CICR et le CREDHO, Paris, 12 mars 2007, Bruylant, Bruxelles, 2008, 289 p., pp. 81-88.

418

la situation de destinataires, mais aussi de titulaires135 des droits et obligations d'effet direct), tandis que

les normes d'applicabilité immédiate, surtout lorsqu'il s'agit de coutumes, sont concrétisées en droit

interne dans une forme indéterminée (constitution, loi, actes administratifs, décisions juridictionnelles,

etc.).

iv.iii. Les coutumes internationales d'«effet direct»

Les coutumes internationales ne régissent pas uniquement les relations entre États 136 : en certaines

matières, elles prévoient directement le comportement des particuliers. Le droit international contient

deux sortes de coutumes internationales d'effet direct, si l'on utilise un critère historique :

a. Certaines coutumes internationales créant directement des droits et obligations existent

antérieurement à la période où l'État atteint une souveraineté maximale, soit du XIXe s. à la première

moitié du XXe s., et leur existence en tant que normes internationales d'effet direct a persisté. Il en va

notamment ainsi de coutumes internationales relatives au droit maritime137, au droit commercial (ainsi

dite ius mercatoria) et aux règles de conflit de loi qui s'appliquent aux relations transnationales entre

135 A propos de la distinction entre destinataire et titulaire, cf. supra « La concrétisation limitée par les compétences contentieuses des juridictions : l'articulation entre invocabilité et applicabilité ».136 Le droit international, qui a l'État pour primo-destinataire, s'adresse aussi aux individus, et ce, soit directement, à l'instar de l’interdiction d’organiser un génocide, de commettre des crimes contre l’humanité ou de guerre, soit plus indirectement, par l'intermédiaire des obligations que l'État impose aux individus dans le cadre de la concrétisation du droit international. Le destinataire d'un système juridique n'est pas nécessairement un de ses «sujets de droit» :

i. Un individu est susceptible d’être le destinataire des prescriptions d’un système juridique donné sans pour autant être un sujet de celui-ci, à l'exemple des individus qui sont plus ou moins directement destinataires de prescriptions du droit international sans pour autant être des sujets de droit international, ces derniers se limitant, en l’état actuel du droit positif, aux États et aux organisations internationales. ii. Le sujet d’un système juridique est formé par un individu ou une universitas (toute association d’individus) auquel le système juridique donné attribue une situation spécifique, en le dotant généralement de compétences normatives propres (les personnes physiques en tant que sujets de droit interne ont la capacité de contracter ; les États en tant que sujets de droit international ont la capacité de partie aux traités, cf. article 6 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). Le système juridique détermine des conditions pour l’accession, mais aussi la déchéance, au statut de sujet. Les prescriptions internationales relatives à l’accession au statut d’État telles celles relatives à la sécession, à la décolonisation (etc.) ou, inversement, à l’annexion (etc.) en offrent une illustration. iii. Le statut de sujet conditionnerait, pour un individu ou une universitas, l’appartenance à la communauté juridique afférente. Il s'ensuit que la doctrine classique considère que seuls les États et les organisations internationales appartiennent à la Communauté internationale, et non les individus. Cela ne signifie pas pour autant que les individus ne sont pas destinataires du droit international ; ils en sont en effet les destinataires indirects, non en tant que sujets mais en tant que destinataires ultimes des normes internationales.iv. Plus théoriquement, le sujet d’un système juridique n'est autre chose qu'un ensemble de normes – comprenant généralement des normes d’habilitation – équivalent à un sous-système juridique du système juridique premier (en droit international,les États et les organisations internationales sont des sous-systèmes juridiques ; en droit interne, les personnes juridiques, tant morales que physiques, constituent des sous-systèmes juridiques de l'État). L’existence de sujets d’un système juridique n’est nullement une nécessité. Il n'est pas exclu qu’un système juridique ne prévoie aucune situation juridique identifiable comme une sujétion, au sens où un système juridique peut n’attacher aucun effet normatif constituant à la situation spécifique d’un destinataire ou d’un ensemble de destinataires (par exemple, en l’état actuel du droit, les «peuples» ne sont nullement en tant que tels des sujets du droit international, bien que le droit international leur adresse des prescriptions spécifiques, comme le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes »).

137 A propos de leur application pat la juridiction administrative française, cf. Catherine Munsch, « Le Conseil d’État et le droit de la mer : quelques réflexions à propos de la jurisprudence récente de la Haute Assemblée », Annuaire du droit de la mer, 2000, pp. 225-243.

419

particuliers (domaine du droit international privé relevant du droit international lui-même). L'existence

de telles normes, parfois dénommées ius intra gentes, par opposition au ius inter gentes («droit des gens

interétatique»)138, est encore constatée par Emmerich de Vattel (1758) dans Le droit des gens139 et

William Blackstone dans ses Commentaries140(1769). L'application de ces coutumes internationales

d'effet direct par les organes internes s'est ensuite maintenue, et ce, même si ces derniers, dont les

juridictions, précisent rarement la nature de la norme appliquée. Le champ de ces coutumes s'est

néanmoins progressivement réduit par deux phénomènes juridiques : 1. Le droit interne a réglementé les

matières en question, il est dit que : « Domestic law absorbed the private-law elements of the law of

nations141 » 2. La codification conventionnelle du droit international : le contenu des droits et

obligations destinés aux individus existe encore généralement – mais non dans tous les cas 142 – sous une

forme désormais conventionnelle.

b. A la suite de la Seconde guerre mondiale, de nouvelles coutumes créant des droits et obligations à

destination des simples particuliers se sont formées, surtout dans le domaine des droits de l'homme

(protection des étrangers143), et plus particulièrement dans celui du droit international humanitaire144.

Dans ce dernier domaine, il arrive que des coutumes internationales soient créatrices d'obligations

pénales qui s'adressent directement aux individus145, et qui sont éventuellement en conflit avec le

138 Francisco Suárez, De Legibus ac Deo Legislatore, 1612, disponible in : Selections from three works of Francisco Suarez, S.J. : de legibus, ac deo legislatore, 1612 ; Defensio fidei catholicae, et apostolicae adversus anglicanae sectae errores, 1613 ; De triplici virtute theologica, fide, spe, et charitate, 1621 , Clarendon Press/Humphrey Milton, Oxford/Londres, 1944.139 Le titre intégral est : Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Londres, 1758, 2 vols. La doctrine contemporaine souligne que cet ouvrage marque une rupture, puisque, destiné aux souverains de l'Europe, il concerne presque uniquement les droits et obligations des États. Néanmoins, une partie conséquente de l'œuvre traite de la protection des étrangers (à l'exemple du droit des exilés et des bannis d'habiter quelque part, vol. 1, § 229 et svts ; plus généralement, vol. 1, livre 2, chapitre 8) et des marchands (exemple de l'usage international des lettres de change, vol. 1, § 109).140 William Blackstone, Commentaries on the Law of England, tome 4, Clarendon Press, Oxford 1769, 436 p., §§. 66-73.141 Curtis A. Bradley, Jack L. Goldschmith, « Customary international Law as Federal Common Law – A Critique of the Modern Position. », Harvard Law Review, vol. 110, 1997, pp. 815-876, spécialement p. 822.142 Il se peut que l'effet direct disparaisse car les États n'ont pas manifesté une telle intention lors de la procédure de production du traité international se substituant à la coutume.143 Le principe du standard minimum est de forme coutumière, cf. : Dionisio Anzilotti, « La responsabilité internationale des États à raison des dommages soufferts par des étrangers », in : Opere di Dionisio Anzilotti : Scritti di diritto internazionale pubblico, vol. 1, CEDAM, Padoue, 1956, 729 p., pp. 149-207 ; Alexandre Charles Kiss, « Conditions des étrangers en droit international et droits de l'homme », in : Miscellanea Ganshof van der Meersch : studia ab discipulis amicisque in honorem egregii professoris edita, Bruylant, Bruxelles, 1972, 1731 p., pp. 499-511 ; Richard B. Lillitch, « Duties of States Regarding the Civil Rights of Aliens », RCADI, 1978, vol. 161, pp. 329-442 ; Richard B. Lillitch, Stephen C. Neff, « Treatment of Aliens and International Human Rights Norms », GYIL, 1978, pp. 97-118 ; Richard Perruchoud, « L'expulsion en masse d'étrangers », AFDI 1988, pp. 677-693 ; à propos de l'applicabilité du droit international coutumier de protection des étrangers en droit américain : William S. Dodge, « The Constitutionality of the Alien Tort Statute : Some Observations on Text and Context », Virginia Journal of International Law, vol. 42, 2002, p. 687 et svtes.144 Cf. surtout : Eric David, op. cit. note 134. Pour un aperçu plus général du droit international humanitaire non conventionnel, cf. notamment : Jean-Marie Henckaerts, Louise Doswald-Beck, Customary International Humanitarian Law, 3 vol., Cambridge University Press, Cambridge, 2005 ; Theodor Meron, Human Rights and Humanitarian Norms as Customary Law, Clarendon Press, Oxford, 1989, 263 p.145 Cf. notamment : Kai Ambos, « Zur Bestrafung von Verbrechen im internationalen., nicht-internationalen und

420

principe existant dans la plupart des systèmes juridiques internes suivant lequel : « nullum crimen nulla

poena sine lege (loi écrite) ». Le processus de développement du droit international pénal146 s'adressant

au particuliers paraît dans l'ensemble relativement récent, mais il existe tout de même des coutumes

internationales anciennes147, généralement applicables dans d'autres circonstances que celles d'un conflit

armé, qui prévoient déjà des obligations de cette sorte. Et, notamment, l'infraction de piraterie maritime

trouve son origine dans le droit international coutumier148, et ce n'est que récemment qu'elle a fait l'objet

d'une codification par la Convention de Genève sur la haute mer du 29 avril 1958 (articles 14 à 22),

dont le contenu a été repris avec des modifications minimes par la Convention de Montego Bay du 10

décembre 1982 (articles 100 à 107) ; cette codification n'ayant d'ailleurs pas entraîné la destruction de

cette infraction en tant que coutume. La coutume internationale prohibant la piraterie est depuis

anciennement d'effet direct : la Haute Cour de l'Amirauté anglaise s'estime déjà compétente sur le

fondement du droit international pour incriminer les pirates avant même qu'une législation interne n'ait

internen Konflikt », in : Jana Hasse, Erwin Müller, Patricia Schneider (éds), Humanitäres Völkerrecht : politische, rechtliche und strafgerichtliche Dimensionen, Nomos, 2001, 597 p., Baden-Baden, pp. 325-353 ; M. Cherif Bassiouni, « Accountability for Violations of International Humanitarian Law and Other Serious Violations of Human Rights », in : M. Cherif Bassiouni (éd.), Post-Conflict Justice, Transnational Publishers, New York, 1041 p., pp. 3-54 ; Elies van Sliedregt, The Criminal Responsibility for Violations of International Humanitarian Law, TMC Asser Press, La Haye, 2003, 437 p. 146 La distinction terminologique entre «droit international pénal» et «droit pénal international» est fixée dans la doctrine par Georges Levasseur – s'inspirant de plusieurs auteurs – dans son article : « Les crimes contre l'humanité et le problème de leur prescription », JDI, vol. 93, 1966, pp. 259-284. Le « droit international pénal » relève de la sphère du droit international (infractions internationales), tandis que le « droit pénal international » est assimilable au droit international privé en ce qu'il relève de la sphère du droit interne. Le « droit pénal international » est applicable lorsqu'il existe un élément d'extranéité tenant à la nationalité de l'auteur ou de la victime, au lieu où l'infraction a été commise, ou encore au territoire sur lequel les conséquences de l'infraction se manifestent. De même qu'en droit international privé, ce sont des principes de « conflits de loi » et de « conflits de juridictions » qui réglementent le droit pénal international. Ces principes sont le plus souvent posés par le droit interne, mais le droit international contient parfois lui-même une réglementation conventionnelle ou coutumière en la matière, comme par exemple la norme coutumière non bis in idem.147 Outre la piraterie, la traite des esclaves constitue une infraction internationale ancienne dont la pénalisation par le droit international fût relativement lente. Cf. : Georges Scelle, « Une institution disparue, l'assiento », RGDIP, 1906, pp. 357-397 ; Georges Fischer, « Esclavage et droit international », RGDIP, 1957, pp. 71-101 ; A.Yasmine Rassam, « Contemporary Forms of Slavery and the Evolution of the Prohibition of Slavery and the Slave Trade under Customary International Law », Virginia Journal of International Law, 1999, pp. 303-352.148 Cf. dans une littérature abondante, l'ouvrage daté du début du XXe s. : Paul Stiel, Der Tatbestand der Piraterie nach geltendem Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1905, 117 p. Carl Schmitt explique la prohibition de la piraterie en haute mer par la formation des empires maritimes dans la période moderne (1950) : « La mer est libre. Cela signifie d’après le droit des gens moderne que la mer n’est pas un territoire étatique et qu’elle doit rester également ouverte à trois domaines d’activités humaines très différentes : la pêche, la navigation et la guerre. C’est du moins ce qui se lit en toutes lettres dans les manuels de droit des gens. Il est facile d’imaginer ce que devient dans la pratique ce droit égal à un libre usage de la mer lorsqu’il se produit une collision dans l’espace – par exemple quand le droit à l’exercice libre de la pêche ou le droit d’un État neutre à la navigation pacifique se heurtent au droit d’une forte puissance maritime de mener la guerre à sa guise. Alors une seule et même surface de la mer également libre pour ces trois activités doit être en même temps le théâtre et le champ d’action autant du travail pacifique que des opérations militaires d’une guerre navale moderne. Alors il est permis au paisible pêcheur de pêcher pacifiquement à l’endroit même où il est permis à la puissance navale de poser ses mines, et il est permis aux neutres de naviguer librement là même où il est permis aux belligérants de s’anéantir mutuellement au moyen de mines, de sous-marins et d’avions. [nouveau §]. Mais ceci a déjà trait à des problèmes propres à un état de complexité moderne. A l’origine, avant la fondation de grands empires maritimes, le principe de la liberté des mers signifie quelque chose de très simple. Il n’énonce en effet rien d’autre que ceci : la mer est un libre champ de pillage libre. Le brigand des mers, le pirate, pouvait y exercer son sinistre métier en bonne conscience. » ; cf. Le nomos de la Terre, présenté par Peter Haggenmacher, PUF, Paris, 2001, 363 p., p. 48.

421

pénalisé la piraterie149. Son effet direct semble bien hors de doute150 : l'infraction de piraterie ne peut

être commise que par des personnes privées et la sanction s'adresse exclusivement aux délinquants eux-

mêmes, c'est-à-dire qu'elle ne consiste pas en une sanction collective adressée à l'État dont les pirates

sont les ressortissants. La sanction en matière de piraterie présente le même caractère qu'une sanction

pénale de droit interne (personnalité de la peine), et non le caractère habituel de la sanction en droit

international (sanction collective, même si les agissements ne sont le fait que de quelques individus).

Outre la prohibition de la piraterie, d'autres obligations d'effet direct s'observent dans le droit

international général, certaines d'entre elles ayant fait l'objet d'une codification : l'utilisation illégale

d'un drapeau par un navire, les comportements injurieux de personnes privées à l'égard d'un État

étranger (agression d'un chef de l'État en déplacement sur un territoire étranger, insulte au drapeau ou à

d'autres emblèmes officiels, etc.), les crimes de guerre151, l'espionnage, etc. Dans tous ces cas, l'État

concrétise de telles obligations internationales par les décisions de ses juridictions punissant les

délinquants. Les juridictions appliquent en ces circonstances souvent leur propre droit interne, qui

correspond au contenu du droit international. L'obligation de s'abstenir de commettre ces délits est en

cela premièrement une obligation internationale s'adressant directement aux individus concernés, et

secondairement une obligation de droit interne.

Il est souvent affirmé que l'effet direct du droit international constitue un phénomène relativement

récent et valable uniquement pour les traités internationaux152. Le juge Story rappelle que : « [it] does

not follow... that because a principle cannot be found settled by the consent or practice of nations at

one time, it is to be concluded, that at no subsequent period the principle can be considered as

incorporated into the public code of nations.153 »

149 Cf. les références du Vicomte Sankey dans la décision du Judicial Committee of the Privy Council, 1943, In Re Piracy Jure Gentium, [1933-1934] Ann. Dig. 7 (n°89). La High Court of Admiralty exerce cette compétence avant même la législation de Henri VIII en date de 1536 dénommée An Act for the punishment of pirates and robbers of the sea. 150 Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp. 203-205.151 Du moins selon les conclusions du Tribunal de Nuremberg qui admet que le droit international peut, y compris par voie coutumière, obliger directement les individus et les sanctionner pénalement en raison de la violation des obligations ainsi posées (6 F.R.D. 69, 110 (1946)) :« It was submitted that international law is concerned with the action of sovereign States, and provides no punishment for individuals; and further, that where the act in question is an act of state, those who carry it out are not personally responsible, but are protected by the doctrine of the sovereignty of the State. In the opinion of the Tribunal, both these submissions must be rejected. That international law imposes duties and liabilities upon individuals as well as upon States has long been recognised. [après citation du juge Stone dans la décision de la Cour suprême dans l'affaire Ex Parte Quirin, 1942] Many other authorities could be quoted, but enough has been said to show that individuals can be punished for violations of international law. Crimes against international law are committed by men, not by abstract entities, and only by punishing individuals who commit such crimes can the provisions of international law be enforced…. The principle of international law, which under certain circumstances, protects the representatives of a state, cannot be applied to acts which are condemned as criminal by international law. The authors of these facts cannot shelter themselves behind their official position in order to be freed from punishment in appropriate proceedings. »152 Cf. Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP 1998, pp. 203-244.153 United States v. La Jeune Eugenie, 26 F. Cas. 832, 846 (C.C.D. Mass. 1822) (n° 15,551).

422

iv.iv. Les coutumes internationales d'«applicabilité immédiate»

Certaines coutumes internationales davantage situées dans la sphère des relations interétatiques, et en

particulier les immunités de juridiction et d'exécution de l'État étranger 154, sont applicables

immédiatement. L'«applicabilité immédiate» du droit international coutumier peut se concevoir comme

une obligation pour l'État de procéder à son implémentation. Aucune forme interne déterminée n'est

exigée par le droit international dans le cas de l'implémentation obligatoire des coutumes

internationales d'applicabilité immédiate155 : il pourra s'agir d'une norme générale, à l'instar une loi qui

organise tel ou tel contentieux juridictionnel interne en prenant en considération le principe

international d'immunité de juridiction et d'exécution de l'État étranger ; il pourra aussi s'agir de normes

particulières au cas par cas, par exemple des décisions d'incompétence du juge interne dans le cas où

une demande lui est adressée à l'encontre un État étranger, ou des décisions de refus d'une autorité

administrative pour procéder à la saisine des biens d'un État étranger. En dehors du cas des immunités

de l'État étranger, d'autres coutumes internationales sont parfois considérées comme immédiates , telles

celles relatives à la délimitation des frontières maritimes156. En résumé, certaines coutumes

internationales semblent bien d'applicabilité immédiate (droit de la mer, immunités des États étrangers),

mais sans qu'une forme interne déterminée les concrétisant ne soit obligatoire (une loi généralement

applicable aussi bien que des décisions juridictionnelles réglant les situations au cas par cas).

De manière générale, dans la plupart des cas où le juge interne a recours de manière manifeste à la

coutume internationale, c'est soit dans le cadre d'un contentieux objectif pour trancher une question

incidente, soit pour statuer sur un problème d'immunité de juridiction ou d'exécution. Le corpus

jurisprudentiel relatif à une question d'applicabilité immédiate de coutumes internationales apparaît

donc abondant dans les différents États157.

154 Cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».155 Le droit international particulier ou le droit supranational précisent parfois que la norme internationale doit être reproduite en droit interne d'une façon déterminée (par exemple, une directive de l'Union européenne doit être reproduite par une norme interne générale).156 Par exemple, dans sa décision du 28 avril 2005 sur la Loi relative à la création du registre international français, le Conseil constitutionnel français se base sur « les règles actuelles du droit de la mer » pour estimer « qu'un navire battant pavillon français ne peut être regardé comme constituant une portion du territoire français » (RGDIP 2005, p. 739, note Patrick Jacob; RFDC 2005, pp. 751-754, note Amandine Capitani ; PA, 19 juillet 2005, p. 3, note Jean-Éric Schoettl).157 Cf. la table de jurisprudence établie par le Professeur Michel Cosnard, La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des États, A. Pedone, Paris, 1996, 478 p., spécialement pp. 427-467.

423

I. L'«effet direct» : droits et obligations destinés au particulier158

L’«effet direct» consiste pour une norme du droit international à s’adresser aux individus –

généralement des simples particuliers – sans médiation par le système juridique de l'État. Les États

disposent néanmoins d'une certaine latitude pour concrétiser les normes internationales d'effet direct,

par exemple en attribuant aux individus le droit d'invoquer ces droits internationalement créés devant

les juridictions internes.

L'effet direct de certaines normes du droit international coutumier s'observe assurément dans le droit

positif. Il paraît cependant souvent difficile d'opérer la distinction entre les normes internationales

attribuant directement des droits et obligations aux particuliers («effet direct») et les normes obligeant

les États à en attribuer certains («effet indirect»)159. Et certains domaines font l'objet de controverses :

droit international humanitaire (droit international pénal, droit à réparation des victimes de dommages

de guerre160...), droits de l'homme dont ceux de ius cogens161 (prohibition de la torture162, de

l'esclavage...), droit des étrangers163, protection des droits privés acquis par les particuliers dans le cadre

des successions d'États164, droit au recours devant un juge165, droit international privé relevant de la

sphère du droit international166.

158 A propos de la relation entre effet direct et droit au recours devant une juridiction interne, cf. supra : « La création de droits et obligations invocables par le particulier »159 Cf. inter alia : Arthur Wegner, « Die Stellung der Einzelperson im gegenwärtigen Völkerrecht », in : Dimitrios S. Constantopoulos, Hans Wehberg (éds), Gegenwartsprobleme des internationalen Rechts und der Rechtsphilosophie, Festschrift für Rudolf Laun zu seinem 70. Geburtstag, Girardet, Hambourg, 1953, 777 p., p. 341-366 ; Georg Dahm, Die Stellung des Menschen im Völkerrecht unserer Zeit, J.C.B. Mohr, Tübingen, 1961, 40 p. ; Christian Dominicé, « Droits Individuels et Droits De L’Homme : Chevauchements et Différences », in : Laurence Boisson de Chazournes, Marcelo G. Kohen (éds), International law and the quest for its implementation – Le droit international et la quête de sa mise en oeuvre : liber amicorum Vera Gowlland-Debbas, Martinus Nijhoff, La Haye, 2010, 513 p., pp. 287-292.160 A propos du droit de réparation des particuliers en cas d'atteinte au droit international humanitaire, cf. généralement : Rudolf Dolzer, « The Settlement of War Related Claims: Does International Law Recognize a Victim’s Private Rights of Action? Lessons after 1945 », Berkeley Journal of International Law, vol. 20, 2002, pp. 296-341 ; Natalino Ronzitti, « Access to Justice and Compensation for Violations of the Law of War », in : Francesco Francioni (éd.), Access to Justice as a Human Right, Oxford University Press, Oxford, 2007, 244 p., pp. 95-134.Cf. aussi infra, « l'immunité de juridiction de l'État étranger dans les cas de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire ».161 Cf. Eckart Klein, « Menschenrechte und ius cogens », in : Jürgen Bröhmer, Roland Bieber, Christian Callies, Christine Langefeld, Stefan Weber, Joachim Wolf (éds), Internationale Gemeinschaft und Menschenrechte, Festschrift für Georg Ress zum 70. Geburtstag, Cologne, 2005, 1647 p., pp. 151-163. 162 A propos de cette controverse relative à la torture, cf. : Erika de Wet, « The Prohibition of Torture as an International Norm of jus cogens and Its Implications for National and Customary Law », EJIL, vol. 15, 2004, pp. 97-121 ; Rory Stephen Brown, « Access to Justice for Victims of Torture », in : Francesco Francioni (éd.), Access to Justice as a Human Right, Oxford University Press, Oxford, 2007, 244 p., pp. 205-235.163 Cf. notamment, à propos de l'extradition : John Dugard, Christine Van den Wyngaert, « Reconciling Extradition with Human Rights », AJIL, vol. 92, 1998, pp. 187-212. 164 A propos de ce problème, cf. inter alia l'étude comparative de : Carsten Thomas Ebenroth, Günter Reiner, Roger Boizel, « Succession d’États et droit international privé », JDI, 1996, pp. 5-68. 165 Francesco Francioni, « The Right to Access to Justice in International Customary Law », in : Francesco Francioni (éd.), Access to Justice as a Human Right, Oxford University Press, Oxford, 2007, 244 p., pp. 47-51.166 Cf. Klaus Schurig, Kollisionsnorm und Sachrecht ; zu Struktur, Standort und Methode des internationalen Privatrechts, Duncker & Humblot, Berlin et Munich, 1981, 392 p. ; Gabriele Scherer, Das internationale Privatrecht als globales System – Rechtsvergleich und Rechtstheorie, VDM, Sarrebruck, 2008, 236 p.

424

La doctrine dualiste des origines, dans la suite de Heinrich Triepel et de Dionisio Anzilotti, nie la

possibilité d'un effet direct du droit international, c’est-à-dire que le droit international puisse s’adresser

aux individus sans médiation par l’État. Son affirmation centrale est que le droit international et le droit

interne évoluent de manière déconnectée et se destinent par nature à des sujets différents. Le droit

interne serait seul habilité à régler le comportement des individus. Et, par opposition au droit interne, le

droit international s’adresserait exclusivement aux sujets de droit international (surtout les États)167 et

son contenu serait intégralement formé par leur intention souveraine. Dans son avis consultatif du 3

mars 1928, à propos de l’affaire dite de la compétence des Tribunaux de Dantzig, la Cour permanente

de Justice internationale se rallie à cette conception dualiste de la relation entre droit international et

droit interne168. L'autolimitation du droit international aux seuls États comme destinataires n’est

pourtant pas clairement identifiable et, si un tel principe du droit international a bien existé, c’est sans

doute à un moment déterminé de l’histoire du droit international où la sphère de compétence propre des

États internationalement prévue se trouvait au plus large169. Cela est une question de droit positif, dont

167 Selon cette doctrine traditionnelle, les normes internationales ne peuvent attribuer des droits et des obligations qu'aux États, et non aux individus. Le postulat même de cette doctrine apparaît contestable : les sujets du droit international sont, de même que les sujets du droit national, constitués par individus. Les États sont des sujets du droit international de la même manière que les personnes morales sont sujets du droit interne. Le principe du droit international suivant lequel seuls les États bénéficient de la personnalité juridique internationale ne signifie pas que les individus ne sont pas destinataires des normes internationales. Il signifie seulement que, en principe, les individus sont indirectement et collectivement, en tant qu'organes ou membres de l'État, destinataires du droit international. En prévoyant des droits et obligations au bénéfice et à la charge de l'État, le droit international ne détermine pas directement les individus qui par leur comportement sont susceptible d'accomplir ou de violer les prescriptions internationales, mais délègue la détermination de ces individus au droit interne (par exemple, l'interdiction de la guerre d'agression en droit international implique que les individus chargés de la force armée par le droit interne se trouvent dans l'obligation de ne pas envahir le territoire étranger avoisinant). Et, par exception, les individus peuvent aussi être directement destinataires des normes internationales dans le cas de l'effet direct. Cf. pour la critique de cette opinion doctrinale traditionnelle, notamment (dans une littérature abondante) : Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292. L'ensemble de l'œuvre de Hans Kelsen relative à la relation de système entre droit international et droit interne est marquée par cette critique.168 Série B, n°15-17. En l’espèce, à propos de l’applicabilité par les tribunaux de stipulations conventionnelles contenues dans un traité international (Beamtenabkommen, un accord sur les fonctionnaires) liant la Pologne et la Ville libre de Dantzig, l’État polonais soutient devant la Cour – entre autres choses – que « n’ayant pas été incorporées dans la législation interne polonaise », elles ne peuvent « créer directement des droits et obligations pour les individus intéressés ». La Cour permanente de justice internationale soutient que : « le point litigieux revient donc à ceci : le Beamtenabkommen, tel qu’il est, fait-il partie du complexe des dispositions qui régissent les rapports juridiques entre l’administration polonaise des chemins de fer et les fonctionnaires dantzikois passés à son service (contrat de service) ? La réponse à cette question dépend de l’intention des Parties contractantes. On peut facilement admettre que, selon un principe de droit international bien connu, le Beamtenabkommen, accord de droit international, ne peut, comme tel, créer directement des droits et obligations pour des particuliers. Mais on ne saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention des Parties contractantes puisse être l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits et obligations pour les individus,et susceptibles d’être appliqués par les tribunaux nationaux. Que telle ait été l’intention, dans le cas présent, c’est ce que l’on peut établir en se référant aux termes du Beamtenabkommen ». En résumé, la Cour permanente de justice internationale dit qu'un principe du droit international exclut en principe l'effet direct. Cependant, le droit international peut prévoir l’obligation à charge des parties à un traité international de le concrétiser au sein de leur système juridique interne, à condition que telle ait été l’intention des parties au traité en question.Pour un aperçu critique de la jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale, cf. Helmut Strebel, « Erzwungener, verkappter Monismus des Ständingen Internationalen Gerichtshofes ? Eine Entgegnung », ZaöRV, vol. 31, 1971, pp. 855-882.169 Cela dit, dans la même période que l’affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, la Commission générale des réclamations Mexique/État-Unis basait une de ses décisions sur l’effet direct du droit international (affaire Parker du

425

la réponse ne dépend pas d'une quelconque nature des relations entre le droit international et le droit

interne.

Le droit international peut réglementer directement, sans médiation par le système juridique interne, le

comportement des particuliers. Il arrive qu'un organe international soit chargé du contrôle du respect

des droits et obligations internationalement attribués aux individus, surtout lorsque ceux-ci leur sont

attribués par voie conventionnelle (par exemple, une juridiction internationale telle la Cour européenne

des droits de l'homme ou la Cour pénale internationale170). Néanmoins, dans la plupart des cas, le droit

international désigne uniquement les destinataires des droits et obligations internationalement attribués

(personnes physiques, personnes morales171), et non les organes chargés du contrôle du respect de ces

31 mars 1926) : « [il] est clair que le traité de 1923 [Convention du 8 septembre 1923 fondant la Commission générale des réclamations Mexique c. États-Unis] ne vise pas des réclamations dont les gouvernements seraient les titulaires, mais vise tout au long des réclamations privées de nationaux qui ont été endossées par leurs gouvernements respectifs. Dans certains cas, il a même été décidé la restitution d’un "bien ou droit*** au réclamant" (article IX du Traité) » ; cf. décision du 31 mars 1926, William A. Parker (United States of America) v. United Mexican States, R.S.A., vol. IV, pp. 35-41, p. 37 § 2.170 La Cour pénale internationale instituée par le Convention de Rome du 17 juillet 1998 est chargée du contentieux des violations graves au droit international humanitaire par les particuliers (crimes de génocide et d’agression, violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés, crimes contre l’humanité ou crimes définis par certains traités dès lors « qu’eu égard au comportement incriminé, ils constituent des crimes de portée internationale qui sont d’une exceptionnelle gravité » ; cf. Knut Dörmann (éd.), Elements of War Crimes under the Rome Statute of the International Criminal Court : Source and Commentary, Cambridge University Press, Cambridge, 2003, 524 p.). La juridiction ainsi créée est autonome et permanente, et dispose d’une personnalité juridique propre (art. 4). Cela étant, la compétence de la Cour pénale internationale est subsidiaire de celle des juridictions nationales – l’article 1 de la Convention de Rome du 17 juillet 1998 dispose qu’« elle est complémentaire des juridictions nationales » –, pour autant que les juridictions nationales remplissent leurs obligations conformément au droit international.De même, les normes d'effet direct du droit de l'Union européenne ont pour organes d’application et de contrôle ceux propres à l’Union européenne, c’est-à-dire les institutions et autres organes de l'Union. Là encore, les États membres conservent une certaine compétence en tant qu’organes délégués, notamment les juridictions internes qui bénéficient du statut de «juge de droit commun du droit de l'Union européenne». La situation des juges internes en tant qu’organes de l'Union a pourtant été contestée – au moins en apparence – par la Commission européenne des droits de l’homme qui est un organe de droit international :

« [La] Commission rappelle tout d’abord qu’elle est, il est vrai, incompétente ratione personae pour examiner des procédures et décisions des organes des Communautés européennes, celles-ci n’étant pas parties à la Convention [L’Union européenne n’est alors pas partie à la Convention européenne des droits de l’homme et, par conséquent, toute requête dirigée contre elle se heurte devant les organes de Strasbourg à l’incompétence de ces derniers ; cf. décision de la Commission européenne des droits de l’homme, 10 juillet 1978, req. N° 8030/77, Confédération Française Démocratique du Travail c. Communautés européeens, subsidiairement c. la Collectivité de leurs États membres et leurs États membres pris individuellement, Ann.C.E.D.H.,1978, vol. 21, pp. 531-539]. Cela ne signifie pas cependant qu’en accordant l’exequatur à la Cour européeenne de Justice les autorités allemandes compétentes aient agi comme des organes communautaires et échappent, dans cette mesure, au domaine où s’exerce le contrôle des organes de la Convention. Aux termes de l’article 1 de la Convention, les États membres sont responsables de tous les actes et omissions de leurs organes internes qui auraient violé la Convention, que l’acte ou l’omission en question soit effectué en application du droit ou des règlements internes ou des obligations internationales (Commission européenne des droits de l’homme, 9 février 1990, req. N° 3258/87, M & Co c. République fédérale d’Allemagne, Ann. CEDH., 1990, vol. 33, pp. 35-42, p. 51) ». La Commission européenne des droits de l’homme ne qualifie pas en l'espèce les juges internes d’«organes communautaires», même dans une situation où ceux-ci opèrent dans le cadre de leur compétence communautaire. Cette solution de la Commission européenne des droits de l’homme s’explique par sa compétence contentieuse s’étendant, mais aussi limitée, à l’ensemble des organes internes des États membres. Le statut de «juge de droit commun du droit communautaire» des juridictions internes n’entraîne pas la perte ou la suspension de leur statut interne, ne serait-ce que parce que leur existence même est fondée sur le droit interne des États membres.171 Le droit international ne prévoit généralement pas d’organes spécifiquement chargés d’exécuter ses normes d'effet direct (principe d'indétermination organique du droit international), si ce n’est les simples particuliers destinataires eux-mêmes dans leurs relations avec d’autres particuliers, ainsi qu'avec les États. Par exemple, l’obligation pesant sur les

426

droits. Sur le fondement du principe général du droit international suivant lequel l’État dispose en tant

que sujet du droit international d’une compétence de principe d’application du droit international, c'est

– en l’absence d’une habilitation spéciale du droit international – à l’État en son ensemble qu'il

appartient de concrétiser le droit international d'effet direct. En d'autres termes, il revient à l'État, c’est-

à-dire à ses différentes composantes, de garantir aux particuliers les droits qui leurs sont directement

attribués par le droit international et de les sanctionner lorsqu'ils ont contrevenu à leurs obligations

internationales. Cette application du droit international d'effet direct par des organes internes, c’est-à-

dire disposant fondamentalement uniquement d’une habilitation interne à produire le droit, suppose que

l’organe en question fasse dans une certaine mesure abstraction du contenu du droit interne en la

matière pour appliquer le droit international en tant que tel.

Les droits et obligations d'effet direct au bénéfice et à la charge des individus existent indépendamment

de toute médiation étatique. L’État demeure néanmoins compétent, de même que l’ensemble des sujets

de droit international, pour participer à la réalisation de ces droits et obligations par l’ensemble de son

comportement factuel, y compris par ses activités de production normative (par exemple, lorsqu’il s’agit

de diriger des forces armées dans le cadre d’un conflit en prenant en considération les droits et

obligations internationalement attribués aux soldats et aux civils ou lorsqu'il s'agit de contrôler le

respect du droit international d'effet direct par le juge interne). En résumé, il appartient à l’État lui-

même et ses composantes d'accomplir les «droits et obligations d'effet direct», et ce, bien qu'il n'en soit

pas le destinataire. L’État intervient ici en tant qu’exécutant du droit international, c’est-à-dire qu’il est

tenu de se comporter conformément au droit international en tant que sujet de droit international. Et une

telle exécution du droit international d'effet direct par l'État comprend en large partie une activité de

production normative172. Dans la plupart des cas, l'État est en effet autorisé, et parfois même obligé, de

concrétiser les normes d'effet direct par des normes internes, notamment lorsque les droits et obligations

internationalement créés doivent être complétés par des normes internes plus particulières pour être

accomplis. Il en va par exemple ainsi lorsque l'État adapte des procédures juridictionnelles internes afin

que les particuliers bénéficient de la possibilité d'opposer leurs droits internationalement créés à la

réglementation interne ou lorsqu'il crée une procédure pénale en vue d'incriminer les auteurs de

violation du droit international humanitaire. La médiation de l’État ne modifie en rien le caractère

d'«effet direct» de ces droits et obligations : elle est seconde par rapport à l’existence même de ces

droits et obligations attribués directement aux particuliers par le droit international. En bref, l’existence

même des droits et obligations internationalement créés dont sont destinataires les particuliers n’est pas

particuliers de ne pas commettre de violation grave au droit international humanitaire implique que les particuliers doivent s'abstenir de commettre un certain ensemble d'infractions envers d'autres particuliers (crimes de guerre...) ainsi qu'envers les États (sabotages entraînant des conséquences graves sur les infrastructures étatiques nécessaires à la survie de la population...). 172 Dans le cas de l'effet direct, le droit international qualifie cette activité de production normative de «simples faits». Le droit international demeure ainsi, conformément à un de ses principes généraux, indifférent aux effets internes de la réglementation interne qui met en œuvre l'effet direct.

427

conditionnée par une concrétisation interne, mais leur accomplissement en dépend très souvent.

Dans les différents droits internes, les droits et obligations internationalement attribués aux particuliers

sont souvent garantis par des normes internes au contenu proche, par exemple les libertés que la

constitution destine aux particuliers (droits fondamentaux) ou les dispositions pénales prohibant des

crimes internationaux. Il s'ensuit qu'il est souvent difficile de distinguer, parmi les décisions des organes

internes, celles qui concrétisent le droit interne déjà existant et celles qui appliquent du droit

international d'effet direct en tant que tel. De plus, les organes internes d'application du droit se heurtent

à des difficultés d'identification des coutumes internationales d'effet direct en raison de l'absence de

support écrit173 174. Il est vrai que, même lorsqu'il s'agit de normes conventionnelles, les normes

internationales n'apparaissent que rarement clairement d'effet direct175.

Néanmoins certaines décisions internes concrétisent manifestement des normes internationales

coutumières d'effet direct. Il en va peut-être principalement ainsi dans le domaine du droit international

pénal, tant en ce qui concerne l'imputabilité des crimes internationaux (crimes de guerre, piraterie

maritime...), qu'en ce qui concerne la procédure pénale (principe non bis in idem176, prohibition de la

torture177) ; on pourra l'observer dans les droits internes autrichiens et français (2). Le droit allemand

présente quant à lui une certaine singularité en raison de la spécification de l'article 25 phrase 2, 2ème

173 Le Professeur Hans R. Laurer dit que : « Le problème de la norme self-executing a d'abord été présenté dans le domaine des traités internationaux. La transposition dans le domaine du droit coutumier n'a été réalisée que récemment. Les règles relatives à l'applicabilité (self-execution) des traités sont cependant non relevantes dans le domaine coutumier. Cela tient au fait que les règles généralement reconnues du droit international [...] n'apparaissent pas dans certaines formulations linguistiques. Il faudrait que la proposition normative "idéelle" ("ideelle"), mais valable, soit d'abord formulée linguistiquement par la science du droit ou par l'organe concerné. C'est pour cette raison qu'on se réfère au but en recherchant si on peut lui attribuer des effets juridiques internes. Une telle démarche ne sera toutefois pas vraiment un succès compte tenu de la formation du droit coutumier qui n'est pas fixée » ; cf. op. cit. note 36, spécialement pp. 361-362.174 Le plus souvent, les organes internes d'application du droit identifient les normes internationales conventionnelles d'effet direct en utilisant les mêmes critères que les juridictions internationales (technique du faisceau d'indices : intention des États producteurs de la norme, formulation de la norme destinée aux individus, précisions des droits et obligations créés, etc. ; cf. C.P.J.I., avis du 3 mars 1928, Juridiction des tribunaux de Dantzig, Rec. Série B, n°17, pp. 4-27). La jurisprudence internationale insiste particulièrement sur l'intention des parties et celle-ci s'avère – en raison de sa subjectivité – difficile à prouver. Ces critères devraient s'appliquer par analogie aux normes internationales non conventionnelles. Toutefois, la démarche se heurte à des obstacles supplémentaires. En effet, comme la formation des normes coutumières n'est généralement pas accompagnée d'instruments (négociations, texte...), l'intention des parties n'apparaît que rarement de manière manifeste et il manque très souvent une formulation univoque de la norme en question.Les critères négatifs d'identification de l'effet direct paraissent plus appropriés en ce qui concerne le droit international général. Dans ses conclusions sur l’affaire G.I.S.T.I. (C.E., Sect., 23 avril 1997) le Commissaire du gouvernement Abraham base son argumentation sur le droit constitutionnel français pour conclure que les traités internationaux sont présumés produire des effets directs en droit interne, cette présomption devant céder dès lors qu'ils ont un objet inter-étatique – limité à la sphère internationale – ou une trop grande imprécision (R.F.D.A. 1997, conclusions Abraham pp. 585-596). Cette démarche, si elle peut conduire à apprécier l'effet direct au-delà de ce qui est prévu par le droit international lui-même, semble extensible au droit internationale coutumier.175 Cf. inter alia : Armin von Bogdandy, « Pluralism, direct effect, and the ultimate say : On the relationship between international and domestic constitutional law », International Journal of constitutional law, vol. 6, 2008, pp. 397-413.176 Selon le principe non bis in idem, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. 177 Cf. inter alia : Joseph G. Bergen, « Princz v. The Federal Republic of Germany : Why the Courts Should Find That Violating Jus Cogens Norms Constitutes an Implied Waiver of Sovereign Immunity », Connecticut Journal of International Law, vol. 14, 1999, p. 169 et svtes ; Erika de Wet, op. cit. note 162.

428

demi-phrase LF (ci-dessous article 25/2/2 LF), qui prévoit expressément un certain «effet direct» des

règles générales du droit international (1).

1. L'obligation constitutionnelle de concrétiser le droit international d'effet direct en droit allemand

L’article 25/2/2 LF fait l'objet d'une controverse : il est tantôt considéré comme simplement recognitif

du contenu du droit international général – et aussi de l'article 25 phrase 1 LF qui transforme déjà en

droit interne le droit international général relatif à l'effet direct –, tantôt comme une obligation de

concrétiser d'une manière spécifique les règles générales du droit international.

a. Remarque préliminaire : la sphère d'applicabilité personnelle de l'article 25/2/2 LF

L'article 25/2/2 LF dispose que les règles générales du droit international « créent directement des

droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral » ; il se destine aux «habitants du

territoire fédéral» et délimite donc une sphère personnelle d'applicabilité de l'effet direct conditionnée

spatialement. La doctrine dit que l’expression «habitant» ne désigne pas une sphère de destinataires

précise identifiable par le seul critère de domicile178 : l'article 25/2/2 LF se destine à tout individu pour

autant et aussi longtemps qu’il est soumis au système juridique en vigueur dans la sphère spatiale de

souveraineté de la République fédérale d'Allemagne. Et il s'ensuit que les droits et obligations de

l'article 25/2/2 LF pourront s'adresser à toute personne physique ou morale ou encore qualifiée de

quelque manière que ce soit d’entité juridique, allemand au sens de la Loi fondamentale ou étranger,

avec ou sans domicile ou établissement sur le territoire fédéral. L’obligation pesant sur les organes

internes de se conformer aux règles générales du droit international dans la sphère de compétence

spatiale interne – le territoire fédéral – découle, quant à elle, déjà de l’article 25 phrase 1 LF, qui

dispose que ces normes font partie du « droit fédéral ». L'article 25/2/2 LF ne détermine donc pas une

sphère d'applicabilité spatiale propre à l'effet direct du droit international général, qui se détacherait de

la première phrase.

b. L'autonomie de l'article 25/2/2 LF

La normativité même de l'article 25/2/2 LF ne fait l'unanimité. Une partie de la doctrine affirme qu'il est

dépourvu de sens en tant que norme juridique, car il ne fait que confirmer l'état du droit international 179.

178 Cf. inter alia : Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p. ; Stefan Hobe, Einführung in das Völkerrecht, 9ème éd., UTB, Tübingen, 2008, 680 p., spécialement pp. 237-238.179 Le Professeur Walter Rudolf soutient que seules les normes internationales d'applicabilité directe sont transposables en droit interne, cf. « Incorporation of Customary International Law into Municipal Law », in : Grigory I. Tunkin, Rüdiger Wolfrum (éds), International law and municipal law : proceedings of the German-Soviet Colloquy on International Law at the Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, 4 to 8 May 1987 , Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 210 p., pp. 24-40.suivi d'une discussion pp. 41-58.

429

La Cour constitutionnelle fédérale partage apparemment cette opinion, en ajoutant qu'il est aussi

confirmatif de la première phrase de l'article 25 LF : « Il est reconnu que l'article 25[2/2] LF n'a qu'un

caractère déclaratoire et sert seulement à la mise en évidence des choses. Les droits et obligations

directs de l'individu résultent déjà de l'intégration de la règle en droit fédéral par la première phrase 180 ».

Une autre lecture ne semble toutefois pas exclue, selon laquelle l'article 25/2/2 LF ne serait ni superflu

eu égard au contenu du droit international, ni dépourvu d'effets juridiques internes, en tant qu'il

autonomise le droit interne du droit international par une expansion proprement interne des effets du

droit international général :

α. Les arguments à l'encontre de l'autonomie de l'article 25/2/2 LF

Le principal argument à l'encontre d'un effet juridique propre de l’article 25/2/2 LF tient à l'état du droit

international qui prévoit déjà l'effet direct de certaines de ses normes : les règles générales du droit

international créent des droits et obligations à destination du particulier suivant les conditions

déterminées par le droit international lui-même, et non suivant des conditions propres au droit interne.

En ce sens, il a été remarqué que :

i. Les organes internes allemands sont tenus de se conformer au droit international qui crée directement

des droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers sur le fondement de l’article 25

phrase 1 LF, donc indépendamment de la phrase 2, 2ème demi-phrase. La Cour constitutionnelle fédérale

estime que cela concerne avant tout les droits de l’homme de valeur fondamentale181 auxquels le droit

international général attribue la qualité de droits subjectifs182. La protection de l'individu découlant de

l'article 25 phrase 1 LF apparaît déjà effective et complète, et l'article 25/2/2 LF n'entraînerait aucune

garantie supplémentaire.

ii. L’article 25/2/2 LF ne constitue pas une lex specialis dont résulterait des limitations aux droits

fondamentaux en dehors de la voie prévue par la Loi fondamentale (le principe de «réserve de la loi»).

Les normes internationales d'effet direct consistent éventuellement en des obligations auxquelles sont

assorties des sanctions plus ou moins déterminées directement adressées aux individus qui y

contreviennent. Il est généralement183 prévu par le droit international qu'il appartient aux organes

internes de mettre en œuvre de telles sanctions. La Cour constitutionnelle fédérale considère que

180 BVerfGE 15, p. 25 sqs (33) ; 18, p. 441 sqs. (448) ; 27, p. 253 sqs. (274) ; 41, p. 126 sqs. (160).181 Le terme de «droits fondamentaux» paraît assez approprié s'agissant des droits de l'homme garantis par le système juridique international, en ce qu'ils se situent à un haut degré hiérarchique, comme l'illustrent les droits de l'homme relevant du ius cogens ou le principe du droit international interdisant certaines dérogations aux traités relatifs aux droits de l'homme dans le cas où la réciprocité n'est pas satisfaite. A propos de l'existence de « droits fondamentaux » dans le droit international conventionnel, cf. Otto Pfersmann, « Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux » in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit des libertés fondamentales, 3ème éd., Dalloz, 2005, 576 p., pp. 71-118, spécialement pp. 90-93. Cette analyse s'applique aussi pour partie aux coutumes internationales, dans la limite où on se heurte ici à certaines difficultés concernant leur invocabilité (cf. supra.: « l'articulation entre invocabilité et applicabilité »). 182 BVerfGE 57, p. 9 sqs. (25) ; 59, p. 280 sqs. (283, 286 – les standards minimums en matière procédurale) ; 60, p. 253 sqs. (303) ; 63, p. 332 sqs. (337) ; 74, p. 358 sqs. (370) ; 75, p. 1 sqs. (19) ; 83, p. 119 sqs. (128). 183 Cela dépend du contenu de la norme internationale pertinente en l'espèce.

430

l'applicabilité interne des sanctions issues du droit international d'effet direct trouve ses limites dans une

autre norme constitutionnelle : pour fixer de telles sanctions, il est obligatoire de respecter les réserves –

dont quelques unes sont procédurales – de la Loi fondamentale garantissant l’État de droit184.

iii. La signification recognitive de l’article 25/2/2 LF apparaîtrait conforme à la finalité supposée de

l’article 25 LF, qui consiste à garantir l’harmonie entre droit international et droit interne. Une

application extensive des effets juridiques des normes internationales en droit interne – au-delà de ce

qui est exigé par le droit international lui-même – ne doit pas aboutir à ce que des prestations

(Leistungen) soient créées à la charge de l'État fédéral. En ce qui concerne plus spécifiquement le

contentieux juridictionnel185, l’article 25/2/2 LF confirme et garantit le droit pour l’individu de se

prévaloir devant une juridiction interne – quelle que soit la procédure en cours – de l’ensemble des

règles générales du droit international, même celles adressées exclusivement aux États, de la même

façon qu'il peut se prévaloir de tout autre droit objectif. L’article 25/2/2 LF n'ouvre pas davantage le

droit au recours des particuliers en leur attribuant des «droits publics» subjectifs supplémentaires, et ce,

parce que les garanties procédurales existantes s'avèrent déjà suffisantes eu égard aux obligations

internationales pesant sur l'État allemand.

β. Les arguments en faveur de l'autonomie de l’article 25/2/2 LF

L'article 25/2/2 LF se lit aussi parfois autrement, de manière autonome. A travers cette disposition, la

Loi fondamentale attribue davantage d'effets juridiques au droit international général que ce qui est

prévu par le droit international lui-même. Et cela est valable tant pour les relations entre les particuliers

et l'État (applicabilité dite «verticale»), que pour les relations entre particuliers (applicabilité dite

«horizontale») :

i. L'article 25/2/2 LF est amené à développer des effets juridiques autonomes du droit international, en

ce qu'il oblige les organes internes d'application du droit à concrétiser les règles générales du droit

international jusqu'à créer des droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers, peu

importe que le droit international lui-même n'oblige aucunement à une telle concrétisation. Il en irait

surtout ainsi des règles générales du droit international qui se destinent exclusivement aux États dans la

sphère juridique internationale, mais qui par leur contenu semblent aptes à aboutir à la création de

droits et obligations destinés au particulier : droit international des étrangers186, droit humanitaire

international187 188. En l'état actuel du droit international, ces normes ne créent le plus souvent pas de

184 En matière de pénalisation du crime de génocide : BVerfGE 37, p. 116 sqs. (126).185 L'opinion ici exposée ne correspond pas à l'état de la jurisprudence, cf. supra.: «l'articulation entre invocabilité et applicabilité».186 Cf. généralement à propos du statut des étrangers en droit allemand : Josef Isensee, « Die staatsrechtliche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL, vol. 32, 1974, pp. 49-106. Cf. aussi infra : « Le cas du droit des étrangers ».187 BVerwGE 9, p. 47 sqs. (49) ; 72, p. 241 sqs. (247). 188 A propos du droit à réparation des victimes de dommages liés à la guerre : Stefanie Schmahl, « Amtshaftung für Kriegsschäden », ZaöRV, vol. 66, 2006, pp. 699-718, spécialement p. 704.

431

droits et obligations dans le chef des simples particuliers, et encore moins dans le chef des individus qui

agissent en tant qu'organe de l'État, ce qui est entre autres le cas du soldat qui participe à un conflit armé189.

La Cour constitutionnelle fédérale ne semble pas exclure que le droit international de l’extradition 190 ou

de l’immunité de l’État étranger191 soient invocables sur le fondement de l’article 25/2/2 LF.

L'éventuelle application de l’article 25/2/2 LF en matière d'immunité de juridiction illustre bien son

autonomie : en droit international, l'immunité de juridiction de l'État étranger protège clairement l'État

et non les particuliers (la norme est d'«applicabilité immédiate» mais non d'«effet direct»), mais sa mise

en œuvre peut aboutir dans un cas d'espèce à la protection d'individus agissant en tant qu'organes de

l'État192. En développant dans la sphère interne les effets des normes internationales dont les États sont

les primo-destinataires, mais qui se destinent potentiellement aux individus par leur contenu, l'article

25/2/2 LF n'«agit pas à vide».

ii. L’article 25/2/2 LF est par lui-même dépourvu d'effets sur les relations juridiques entre particuliers ;

il oblige cependant les organes internes à concrétiser les droits et obligations internationalement créés

jusqu'à réglementer la relation horizontale entre particuliers. Il appartient aux organes internes de

prévoir l'applicabilité horizontale des règles générales du droit international en produisant des normes

de concrétisation à cette fin, ce qui comprend des normes de sanction en cas d'atteinte aux droits

horizontaux ainsi créés.

Les normes internationales d'effet direct protègent pourtant, de manière générale, uniquement les

particuliers envers l'État et ses organes, et non envers les autres particuliers. Il en va seulement

autrement dans quelques situations spécifiques, lorsque par exemple le droit international humanitaire

protège les simples particuliers vis-à-vis des groupes armés non étatiques. L'applicabilité horizontale

des normes d'effet direct du droit international dans la sphère interne s'étend donc généralement au-delà

des obligations du droit international lui-même. Et une telle extension apparaît problématique, car elle

emporte la limitation des droits des individus non bénéficiaires. Ainsi, l' 'invocabilité de normes

protégeant les étrangers – parmi lesquelles les coutumes internationales relatives à la protection des

investissement étrangers193 – par les étrangers à l'encontre des nationaux dans leurs relations réciproques

189 A propos de l'éventuelle création de droits et d'obligations à destination du simple soldat en droit interne allemand sur le fondement de l'article 25/2/2 LF, cf. Dieter Wiefelspütz, op. cit. note 37 ; Dieter Wiefelspütz, « Auslandseinsatz der Streitkräfte und Grundrechte », Neue Zeitschrift für Wehrrecht, 2008, pp. 89-102 ; Dieter Weingärtner (éd.), Streitkräfte und Menschenrechte, Nomos, Baden-Baden, 2008, 187 p.190 BVerfGE 15, p. 249 sqs. (251) ; 38, p. 398 sqs. (402); 50, p. 244 sqs. (248) ; 57, p. 9 sqs. (28) ; 59, p. 280 sqs. (282) ; 63, p. 332 sqs. (337) ; 64, p. 36 ; 64, p. 125 ; 75, p. 1 sqs. (18). 191 BVerfGE 16, p. 27 ;46, p. 342. 192 Selon la Cour constitutionnelle fédérale, à propos d'une affaire relative à l'immunité de juridiction d'un État étranger: « Dabei kann hier offen bleiben, ob und in welchen Fällen Art. 25 Satz 2 GG den Adressatenkreis solcher allgemeiner Regeln, die auf der Geltungsebene des Völkerrechts ausschließlich an Staaten oder sonstige Völkerrechtssubjekte, nicht aber unmittelbar auch an den privaten Einzelnen gerichtet sind, innerstaatlich erweitert, indem er zusätzlich subjektive Rechte oder Pflichten des privaten Einzelnen begründet oder verändert . » ; cf. BVerfGE 46, p. 342. 193 Parmi ces coutumes, on trouve le principe du traitement juste et équitable (TJE) : « il est prévu que les

432

limite potentiellement certains droits des nationaux194. L'article 25/2/2 LF n'en reste pas moins un

fondement possible de l'applicabilité horizontale du droit international dans le système juridique

allemand, sa formulation n'excluant pas une réglementation interne des relations entre particuliers qui

découlerait des règles générales du droit international. Dans une perspective historique, l'article 25 LF

vise après la Seconde Guerre mondiale à protéger les individus non seulement vis-à-vis de l'État, mais

aussi vis-à-vis des agissement d'autres individus, d'où la référence expresse dans sa phrase 2, 2 ème demi-

phrase aux «obligations» directement créées par le droit international général.

L'article 25/2/2 LF semble ouvert aux deux lectures :

Le texte lui-même ne s’oppose pas à une lecture orientée vers le droit international en vigueur.

L’attribution de droits et d’obligations au bénéfice et à la charge des particuliers par la médiation d’une

disposition constitutionnelle n’empêche pas que leur création relève premièrement du droit

international en tant que tel. L’histoire de la formation de l’article 25 LF contient d'ailleurs une

indication en ce sens : le Constituant cherche avant tout à annihiler la neutralisation de la normativité

interne du droit international général qui avait eu lieue sous la République de Weimar, ce qui passe par

l'attribution aux particuliers du droit d'invoquer le droit international en tant que tel, c'est-à-dire « dans

sa substance et sa portée ».

La lecture «autonome» de l’article 25/2/2 LF correspond peut-être davantage aux intentions des

rédacteurs de la Loi fondamentale, qui cherchent à obliger les organes internes à concrétiser

profondément un droit international général dont le haut degré de généralité pourrait faire obstacle, en

l'absence de concrétisations supplémentaires, à son application dans des cas particuliers195. Cependant,

un tel processus de concrétisation pourrait aboutir à une catégorisation artificielle des règles générales

du droit international dans le cadre du droit interne. La Cour constitutionnelle fédérale n'exclut pourtant

pas, dans sa décision Philippinische Botschaft du 13 décembre 1977, la possibilité d'une modification

de la sphère d'application des règles générales du droit internationale par l'article 25/2/2 LF, qui consiste

à inclure des individus dans le cercle des destinataires, et ce, quand bien même la norme en question se

investissements constitués par les nationaux d’une partie contractante sur le territoire de l’autre partie contractante jouissent d’un traitement juste et équitable, « en conformité des principes du droit international » » ; cf. Dominique Carreau, Pierre Juillard, Droit international économique, 3ème éd., Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 774 p., p. 447. Par là, les investissements étrangers bénéficient en principe d'une plus grande protection que les investissements des nationaux : « les États peuvent avoir des politiques différents à l’égard de leurs investisseurs nationaux ou même étrangers. Ils peuvent même mal traiter leurs nationaux. Le principe de non discrimination ne pourrait garantir aux investisseurs étrangers qu’une protection réduite. Il faut autre chose : en étalon de mesure, un de traitement unificateur et un filet de sécurité minimal qui garantissent aux investisseurs étrangers un traitement conforme au droit international. […]. TJE, dans son acception la plus élémentaire, constitue un principe au sens qu’on donne aux principes généraux de droit : c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin d’être prévu par un texte pour être appliqué par le juge ou l’arbitre » ; cf. Farhat Horchani, « Rapport introductif », in : Farhat Horchani, (éd.), Où va le droit d’investissement ? Désordre normatif et recherche d’équilibre, A. Pedone, Paris, 2006, 338 p., p. 15.194 Par analogie, en matière d'applicabilité horizontale des droits fondamentaux, la Loi fondamentale oblige en principe au respect du principe dit de « réserve de la loi».195 Christian Tomuschat, « Der Verfassungsstaat im Geflecht der internationalen Beziehungen », VVDStRL, vol. 36, 1978, pp. 7-58.

433

destine uniquement aux États dans la sphère internationale196. Il en résulterait une modification des

droits et obligations au bénéfice et à la charge des individus à travers des normes qui ne leur sont pas

originellement destinées197.

Quelle que soit la lecture, la garantie constitutionnelle des effets juridiques des règles générales du droit

international découle premièrement de l’article 25 première phrase LF198. Les effets juridiques propres

de l'article 25/2/2 LF s'étendent soit au-delà des obligations internationales, soit consistent en des

garanties procédurales supplémentaires au bénéfice des individus, qui peuvent d'ailleurs paraître

minimes par rapport à celles que la première phrase entraîne déjà, comme l'attribution d'un «droit public

subjectif» ouvrant – dans tous les cas d'effet direct du droit international – le droit au recours des

particuliers199.

2. Une obligation de concrétiser le droit international d'effet direct délimitée par l'habilitation de chaque

organe interne dans les pratiques autrichienne et française

En droit autrichien et en droit français, le droit international d'effet direct ne fait l'objet d'aucune

disposition constitutionnelle spécifique, le droit interne ne lui attachant donc pas par lui-même d'effets

juridiques spécifiques. On peut néanmoins remarquer que, dans un certain nombre de circonstances, les

coutumes internationales d'effet direct dérogent à la réglementation interne ordinaire pour régler

certaines affaires qui semblent particulièrement relever du domaine régi par le droit international.

Devant les juridictions, ceci est surtout le cas en matière pénale 200, lorsque le droit international se

trouve en l'espèce favorable à l'inculpé, par exemple les immunités pénales qui bénéficient aux chefs

d'État étrangers ou le principe non bis in idem. En revanche, la mise en œuvre du droit international

pénal d'effet direct se heurte au principe interne nullum crimen, nulla pœna sine lege lorsqu'il s'agit de

réprimer les infractions internationales201. Cela explique que le droit interne implémente très souvent le

196 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363). Toutefois, d'autres décisions de la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfGE 41, p. 126 sqs. (160) ; 27, p. 253 sqs. (273) ; 18, p. 441 sqs. (448)) nient que l’article 25/2/2 LF provoque une modification de destinataires – des États en tant que sujets du droit international vers le simple particulier – assortie d'effets juridiques en droit interne allemand. 197 Toutes choses égales par ailleurs, les notions de droit international sont autonomes des notions de droit interne, et cela peut poser des difficultés aux organes internes lorsqu'ils procèdent à l'identification des individus destinataires. Notamment, le cercle des destinataires visés par le droit international se distingue éventuellement du cercle des destinataires qualifié par une dénomination identique en droit interne. Ainsi, même si le droit international délègue en principe la compétence aux États de déterminer ses propres nationaux (C.P.J.I, avis consultatif du 7 février 1923, Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, série B, n° 4, p. 24 ; C.I.J, Arrêt du 6 avril 1955, Nottebohm, Rec. 1955, p. 23), la notion de «national» en droit international peut être plus largement définie qu'en droit interne, et elle pourra par exemple inclure les individus déchus de leur nationalité par un État pour des raisons raciales. 198 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363) ; 63, p. 343 sqs. (363, 373) l'action de l'article 25 LF en tant que lex specialis en matière de droit des étrangers ne dépend pas des droits et obligations internes produits par l’article 25/2/2 LF.199 Cf. supra, « La création de droits et obligations invocables par le particulier ».200 Cf. généralement : Ward N. Ferdinandusse, Direct application of international criminal law in national courts, TMC Asser Press/Cambridge University Press, New York/La Haye, 2006, 322 p.201 Cf. Walter Rudolf, op. cit. note 179, spécialement pp. 41-42.

434

droit international pénal matériel par une législation pénale interne qui ouvre la possibilité d'inculper les

auteurs d'infractions internationales. Dans cette configuration, l'application du droit international n'est

plus directe, étant donné que les organes d'application du droit se fondent principalement sur le droit

interne, mais sans pour autant contrevenir aux obligations internationales de l'État. Le droit

international autorise parfaitement cette situation juridique : il attribue aux États une certaine latitude

pour sa concrétisation, et ce, même en ce qui concerne ses normes d'effet direct. En effet, dès lors que le

droit interne contient déjà les normes par lesquelles l'accomplissement des obligations internationales

de l'État est possible, aucune implémentation supplémentaire n'est requise.

Par ailleurs, les principes généraux du droit international relatifs à l'effet direct du droit conventionnel

déterminent les conditions de l'effet direct des traités internationaux dans la sphère interne 202. Pour le

moins, il semblerait que le juge interne utilise les critères qui dérivent du droit international général en

vue de vérifier l'effet direct d'un traité international203.

Par contraste avec l'«effet direct» qui se destine aux particuliers, l'«applicabilité immédiate» s'adresse

directement à l'État et ses organes. Ces derniers ne sont aucunement habilités par le droit international à

se prévaloir du droit interne pour ne pas appliquer le droit international d'«applicabilité immédiate».

II. L'«applicabilité immédiate»

α. L'immédiateté du droit international

Une norme du droit international est «immédiatement applicable» lorsque le droit international oblige

les organes internes à la concrétiser, et ce, peu importe que la norme en question n'ait pas préalablement

été transformée en droit interne par une norme interne. Une version pour ainsi dire plus «faible» de

l'«applicabilité immédiate» est aussi souvent remarquée par la doctrine : les États sont destinataires de

l'obligation internationale de transformer en droit interne certaines normes appartenant au droit

international. En ce qui concerne le droit international coutumier, l'applicabilité immédiate apparaît

202 Cf. infra, « Les principes généraux du droit international déterminant la validité et les modalités d'application du droit international conventionnel ».203 Dans la doctrine française, cf. Denis Alland, op. cit. note 152 ; Bérangère Taxil, « Les critères de l'applicabilité directe des traités internationaux aux États-Unis et en France », RIDC, 2007, pp. 157-176. Dans la doctrine autrichienne : Bruno Binder, « Das Völkerrecht im österreichischen Staatsrecht », ZaöRV, vol. 35, 1975, pp. 282-340 ; généralement : Günther Winkler, « Zur Frage der unmittelbaren Anwendbarkeit von Staatsverträgen », JBl, 1961, p. 8 et svtes ; Thomas Buergenthal, « Self-Executing and Non-Self-Executing Treaties in National and International Law », RCADI, vol. 235, 1992, pp. 303-400.Dans la jurisprudence autrichienne, cf. par exemple la décision de la Cour suprême en date du 4 février 1960 (3Ob183/58 ; avec des références à l'état antérieur de la jurisprudence relative à l'effet direct) : le traité international en question « gibt dem einzelnen österreichischen Staatsbürger einen unmittelbaren, im Rechtsweg durchsetzbaren Anspruch gegen die Republik Österreich ».

435

surtout présente en matière d'immunités, notamment les immunités de juridiction de l'État étranger,

ainsi que dans d'autres domaines, mais de manière plus éparse, à l'instar du droit maritime (liberté de la

haute mer, droit du pavillon...).

Le droit international exclut en principe l’«immédiateté» de ses propres normes dans le système

juridique interne, et ceci constitue un des aspects du principe de souveraineté de l'État 204. Par exception,

une réglementation du contenu du droit interne des États par voie internationale est dans une certaine

mesure prévue par le droit international lui-même. On trouve deux sortes de normes considérées comme

d'applicabilité immédiate dans le droit international positif :

Les normes internationales «authentiquement» immédiates. Les organes internes sont tenus par le

droit international d'appliquer de telles normes, quand bien même elles n'ont pas fait l'objet d'une

transformation en droit interne. Il reste possible que l'État prévoit la validité interne de la norme

internationale «immédiate» en question par une quelconque norme interne de transformation, cette

dernière pouvant donner l'impression d'être superflue205.

Certaines normes internationales ont pour objet d’obliger les États à la production – ou à la

destruction – de normes internes, sans cependant aller jusqu’à une «authentique immédiateté». L’État

est dans l’obligation de transformer dans son système juridique interne une norme internationale

donnée, et ce, par un moyen de son choix (transformation ipso iure ou transformation ad hoc). C'est

parce que la norme en question n'a pas par elle-même d'effets juridiques sur le contenu du droit interne

qu'il ne s'agit pas d'une immédiateté «authentique» ; encore faut-il en effet qu'elle soit transformée en

droit interne. Toutefois, ces normes s’apparentent aux normes «authentiquement immédiates» en tant

qu'elles font exception au principe d’indifférence du droit international par rapport au droit interne206 :

le droit international met à la charge de l'État une obligation de production normative – ou au minimum

de commencement de production normative207 – qui s'étend à sa sphère interne. L’exemple classique de

ces normes internationales assimilables à des normes «immédiates» est celle des «conventions portant

loi uniforme208» dont l’initiative appartient très souvent aux organisations internationales (O.I.T., Union

204 Le système juridique délégataire (le droit international) a une compétence en principe grandement limitée pour réglementer le contenu du système juridique délégué (le droit interne). Par contraste, dans le cadre de la relation hiérarchique entre l’État au sens large (l'ensemble du système juridique national) et ses composantes (publiques ou privées), l’État au sens large réglemente directement et largement le contenu juridique des systèmes délégués (par exemple, en déterminant la réglementation interne aux collectivités territoriales ou aux sociétés).205 Le droit international ou supra-national prévoit parfois pour une même norme son applicabilité immédiate et l'obligation de la transformer en droit interne (par exemple, une fois le délai de transposition d'une directive de l'Union européenne expiré, l'obligation de la transposer est maintenue corrélativement à une certaine applicabilité immédiate dans la sphère du droit interne ; cf. CJCE, 6 mai 1980, Commission c/ Belgique, aff. 102/79, [1980] Rec. p. 01473).206 Alors que le contenu du système juridique interne est en principe libre, le droit international réglemente par là certains domaines. Cette réglementation n'est toutefois qu'indirecte : même si la responsabilité de l'État peut être engagée en raison du non-respect de l’obligation internationale de production d’une norme interne, l’effet de la validité de la norme internationale elle-même reste limitée à la sphère du droit international, c’est-à-dire qu’elle ne s’étend pas par le seul effet du droit international dans le cadre du système juridique interne de l’État destinataire.207 Tel est le cas de conventions portant loi uniforme qui obligent simplement l’État à engager la procédure de la production d’une norme.208 Le Professeur Carlo Santulli dit que : « La technique de la "loi uniforme" comporte trois variantes :1°. L’uniformisation affirmative : il s’agit des « conventions portant loi uniforme proprement dites » qui énoncent des

436

Européenne209...).

Les coutumes internationales d'applicabilité immédiate le sont généralement «authentiquement». Le

droit international général n'oblige pas à une forme normative interne déterminée pour la concrétisation

de ses normes «immédiates». A l'instar du principe d'immunité de juridiction et d'exécution de l'État

étranger, les États les concrétisent dans leur système juridique interne par toutes sortes de formes

normatives : normes générales (simples lois, lois relatives à l'organisation juridictionnelle qui

interdisent aux juridictions nationales de se saisir de certaines affaires mettant en cause un État

étranger) et/ou normes particulières, c'est-à-dire au cas par cas (décisions administratives de refus

d'exécuter une saisine de biens appartenant à un État étranger, décisions juridictionnelles

d'incompétence).

β. L'«immédiateté» dans les systèmes juridiques internes

La question de l’immédiateté du droit international relève premièrement du contenu du droit

règles que l’État doit reproduire telles quelles.2°. La classification des droits : par cette technique les stipulations internationales obligent l’État à produire des règles étatiques dont le contenu n’est que sommairement défini. Ainsi les conventions sur la répression des crimes particulièrement odieux obligent l’État à adopter des incriminations et à prévoir des peines pour les actes visés par le texte. Si l’incrimination est généralement définie par la convention, la peine doit être prévue par le législateur interne dans une marge plus ou moins large, voire dans l’indétermination totale, que lui laisse le traité.3°. L’uniformisation indéfinie : cette dernière variante est apparue récemment. Elle est illustrée par les obligations de droit communautaire qui, bien que ne visant pas le droit étatique, sont interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes comme impliquant pour l’État l’obligation d’éliminer les textes internes contraires et de ne pas en adopter de nouveaux qui seraient en contradiction avec les obligations communautaires. L’uniformisation est "indéfinie" au sens propre : le texte communautaire n’énonce pas des règles que l’État doit reproduire, mais (tel qu’interprété par la Cour de Luxembourg ) il oblige l’État à ne pas adopter certaines règles et à en éliminer d’autres. » ; cf. Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p. p. 116.209 La réglementation directe du contenu du droit interne des États par le droit international n’est nullement impossible car elle dépend du contenu propre au droit international. Et si le droit international général exclut en principe l’immédiateté de ses propres normes, il n'en va pas de même de quelques systèmes juridiques internationaux particuliers, de type régional, qui prévoient l'immédiateté de certaines de leurs normes dans les systèmes juridiques délégués. Tel est le cas du droit de l'Union européenne qui se distingue par là du droit international général, d’où son appellation de système juridique «supranational» (Le terme «supra» évoque dans le langage naturel des obligations plus fortes que celui d'«inter» ; cette terminologie peut être source d'ambiguïtés, étant donné que le droit international est lui aussi supérieur aux droits des États, de même d'ailleurs qu’aux droits «supranationaux» ; cf. Josef L. Kunz, « Supranational Organs », in : The changing Law of Nations – Essays on International Law, Ohio State University Press, Columbus, 1968, 970 p., pp. 600-611). Le droit de l'Union européenne, sur le fondement des traités originaires, prévoit la transformation directe – c’est-à-dire sur le seul fondement de la validité de la norme en droit de l'Union, indépendamment donc d'une quelconque norme interne de transformation – d'une partie de ses normes (dont les «règlements») dans les systèmes juridiques internes des différents États membres. En outre, le droit de l'Union prévoit l’obligation à charge des États membres de concrétiser certaines de ses normes, à l'instar de l'obligation de transposition des «directives». Les directives fixent des objectifs aux États qui sont tenus de produire des normes permettant la réalisation de ces objectifs (CJCE, 4 février 1988, Murphy : « Dès l'entrée en vigueur de la directive, l'obligation de transposition impose à l'État membre l'obligation de ne pas prendre de norme contraire au contenu de celle-ci. De même, l'obligation de transposition a pour corollaire l'obligation d'interprétation conforme du droit national par les institutions nationales. »). A propos des directives, la Cour de Justice dit clairement que : « Les institutions nationales procèdent à la transposition en choisissant le cas échéant parmi les options laissées par la directive et en intégrant ces dispositions de manière a respecter la cohérence du droit interne. Cela implique l'obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires » (10 avril 1989, Colson et Kaman, aff. 14/83) .

437

international lui-même mais aussi, secondairement, de celui du droit interne. Et, en l'état du droit

positif, la façon dont est concrétisé le droit international «immédiat» varie considérablement d’un

système juridique interne à l’autre, suivant les principes du droit interne en question210 : pratique d'une

implémentation par voie générale (par l'intermédiaire de la «loi» ou de «règlements»), par une multitude

de normes particulières (normes administratives, décisions juridictionnelles) , mise en œuvre du

« principe d'interprétation conforme au droit international » à chaque fois que cela est possible.

Toutefois, le droit international oblige parfois les États à attacher certains effets juridiques déterminés à

une norme «immédiate», qui peut consister en sa prévalence par rapport à la règlementation interne

valable dans le même domaine211.

Le domaine principal du droit international coutumier «immédiat» est certainement celui des

immunités. Les immunités attribuent certains droits aux États directement, ou plus indirectement en la

personne de ses agents : l'immunité des États soustrait à la compétence du juge interne (le juge du for)

des prétentions dirigées contre un État étranger212 ; les immunités diplomatiques permettent à des

personnes physiques d'échapper à la compétence du juge de l'État accréditaire, cela étant justifié par

leur qualité d'organe étatique, comme en témoigne l'habilitation dont bénéficie l'État d'envoi de lever

l'immunité ou d'y renoncer. Dès 1950, Lawrence Preuss constate à propos de la mise en œuvre du droit

international en droit français que : « l'application du droit international per se peut être rapidement

illustrée en renvoyant à la jurisprudence relative aux immunités des États étrangers 213 et des agents

diplomatiques qui, en France, n'ont pas de base législative ou en ont une si infime que le système tout

210 Cf. les analyses de plusieurs auteurs, dont certains sont allemands (les Professeurs Walter Rudolf, Rudolf Bernhardt, Michael Bothe) ou autrichien (le Professeur Bruno Simma), dans la discussion suivant l'article du Professeur Walter Rudolf, op. cit. note 179 (discussion pp. 41-58).211 La primauté du droit international d'applicabilité immédiate s'étend même éventuellement au droit constitutionnel. Les organes d’application du droit interne se trouveraient ainsi devant un conflit entre la constitution interne – le fondement de leur compétence – et les normes internationales «immédiates». Ce problème est central en droit de l'Union européenne qui combine applicabilité directe et primauté sur le droit interne ; cf. Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.Dans la jurisprudence, cf. la décision abondamment commentée du Conseil constitutionnel français à propos des directives communautaires : n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie numérique ; et ses commentaires : Jacques Arrighi de Casanova, « La décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 et la hiérarchie des normes », AJDA, 2004, pp. 1534-1537 ; Bertrand Mathieu, « Le Conseil constitutionnel conforte la construction européenne en s'appuyant sur les exigences constitutionnelles nationales », Dalloz, 2004, pp. 1739-1740 ; Pierre-Yves Monjal, « Le Conseil constitutionnel français et les directives communautaires : l'incompétence du juge suprême comme garantie de l'inopposabilité de la Constitution au droit communautaire ? », Revue du droit de l'Union européenne, 2004, pp. 509-522 ; Henri Oberdorff, « Le Conseil constitutionnel et l'ordre juridique communautaire : coopération et contrôle (à propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-496 du 10 juin 2004 relative à la loi pour la confiance dans l'économie numérique) », RDP, 2004, pp. 869-877.212 A propos de la mise en œuvre de l'immunité de juridiction de l'État étranger par les organes internes, cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».213 Parmi les organes juridictionnels, la Cour de cassation française, sur le fondement de la coutume internationale de l'immunité de juridiction des États étrangers, se prononce dès 1929 (Cour de cassation, Req. , 19 février 1929, D.P., 1929, 1, 73) pour l’insaisissabilité des actifs propriétés des banques centrales qui ne sont pas considérés comme affectés à des activités non souveraines – en distinguant parmi ceux-ci les actifs insaisissables, affectés aux activités souveraines (iure imperii), et les autres actifs saisissables (iure gestionis).

438

entier peut être considéré comme ayant une base coutumière.214 »215.

Outre le domaine des immunités, le droit international maritime semble parfois pourvu d'une

applicabilité «immédiate» en droit interne, surtout certaines de ses normes particulières, telles celles

relatives à la liberté de circulation en haute mer216, au droit du pavillon, à la réglementation de la

pêcherie maritime217, ou encore à la délimitation et à l'exploitation du plateau continental218.

Lorsque le droit international est d'applicabilité directe, il exige une certaine primauté d'application de

ses normes dans la sphère interne des États. L'applicabilité directe n'est toutefois pas le principe.

Généralement, l'effet dérogatoire des normes internationales dans la sphère interne dépend des données

du droit interne en question.

214 Lawrence Preuss, « Droit international et droit interne dans la Constitution française de 1946 », Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, 1951, pp. 199-221., p. 201.215 Le même phénomène est relevé par le Professeur Walter Rudolf à propos du droit allemand, cf. op. cit. note 179, spécialement pp. 41-42.216 A propos de la licéité de l'arraisonnement d'un navire étranger en haute mer, cf. CE, 30 mars 1966, Société Ignazio Messina et Cie, Rec, p. 258, RDP 1966, p. 789, concl. Nicole Questiaux ; cf. aussi antérieurement : CE, 7 fév. 1925, Compagnie royale néerlandaise de navigation à vapeur, Rec, p. 132). Dans l'affaire Ignazio Messina, la France est l'auteur d'actes de contrainte exercés en haute mer au cours des opérations en Algérie ; cf. Laurent Lucchini, « Actes de contrainte exercés par la France en Haute Mer au cours des opérations en Algérie (à propos de l'arrêt du Conseil d'État Société Ignazio Messina et Cie) », AFDI, vol. 12, 1966. pp. 805-821. En l'espèce, l'État français transgresse la coutume internationale selon laquelle, en temps de paix, un État n'est en droit d'exercer de pouvoir de police qu'à l'encontre de navires battant son pavillon, à l'exclusion donc des navires étrangers. Le Commissaire du gouvernement Nicole Questiaux remarque dans ses conclusions sur l'arrêt Ignazio Messina que : « Sans remonter à Grotius, disons que la France fut toujours du côté des tenants du mare liberum. [...]. [La France] s'est comportée, sauf en temps de guerre, comme si elle avait accueilli dans le droit interne, avec la portée d'un véritable principe général de droit, l'idée qu'elle n'exerçait pas sa souveraineté en haute mer sur des navires battant pavillon étranger. Il est certain que si un tel principe trouvait sa place dans le droit administratif son application ne poserait aucun problème dans les relations de la France avec les puissances étrangères ».217 En droit de l'Union européenne, cf. CJCE, 24 novembre 1993, Établissements Mondiet, Affaire C-405/92, Rec. P. 1-6133, spécialement §§ 13-15.A propos du droit de la pêcherie maritime, cf. généralement : Rafael Casado Raigon, Giuseppe Cataldi, Daniel Vignes, Le droit international de la pêche maritime, Bruylant, 2000, 616 pages ; Rafael Casado Raigon (éd.), l'Europe et la mer (Europe and the sea) – Pêche, navigation et environnement marin, Bruylant, Bruxelles, 2005, 522 pages.218 En ce sens : Georges Scelle « Plateau Continental et droit international», RGDIP, 1955, pp. 5-62 ; cf. aussi à propos du droit allemand : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Le plateau continental de la République fédérale d'Allemagne », AFDI, 1964, pp. 717-725.

439

440

Partie 2

L'effet dérogatoire des règles générales du droit international

A l'instar des autres formes normatives internes, une certaine position – plus ou moins déterminée – est

attribuée aux règles générales du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force

dérogatoire (titre 1 : la classification des règles générales du droit international selon la force

dérogatoire). Outre cela, leur effet dérogatoire1 est modulé dans le cadre du système juridique interne

par certains principes structurants de la relation entre droit international et droit interne. En d'autres

termes, les règles générales du droit international sont, dans les systèmes juridiques positifs, amenées à

bénéficier d'une primauté d'application accrue par rapport aux autres normes de droit interne ou,

inversement, à céder davantage que ce qui semble être initialement prévu. Cette modulation dépend de

principes qui structurent la relation entre le droit international et le droit interne, tels l'interdiction pour

l'État de se prévaloir d'une norme interne pour justifier d'un manquement au droit international 2 ou le

principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne 3 (titre 2 : L'application

téléologique des règles générales du droit international par les organes internes). Les contours de la

souveraineté de l'État seront ainsi davantage définis.

1 Suivant le Professeur Otto Pfersmann : « Habituellement, on considère comme "dérogatoire" ce qui constitue une exception par rapport à une règle générale. Ici on appellera ainsi le fait qu'une norme ne s'applique pas, au moins directement, sous l'effet d'une autre règle, soit que celle-ci la fasse définitivement disparaître, soit qu'elle en empêche provisoirement la concrétisation. » ; cf. « La notion moderne de constitution », in : Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 51-92, p. 65. Le terme « dérogatoire » n'est pas habituellement utilisé ainsi par la doctrine française, mais cette signification est largement présente dans la terminologie juridique de langue allemande ou de langue anglaise, parfois sous sa forme latine (derogatio).2 Principe dit « Alabama », cf. sentence arbitrale, 14 février 1872, Alabama (États-Unis/Royaume-Uni), R.A.I., vol. II. Cf. aussi : art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités adoptée le 22 mai 1969 : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ») ; C.P.I.J., avis consultatif, 21 février 1925, Echange de populations grecques et turques, série B, n°10.3 C.P.I.J., arrêt du 25 mai 1926, Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Allemagne c. Pologne, Rec. série A, n°7, pp. 4-42, spéсialement p. 19 ; cf. inter alia : Carlo Santulli, Le statut international de l’ordre juridique étatique : Étude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p.

441

442

Titre 1

La classification des règles générales du droit international selon la force dérogatoire

ɑ. Remarques terminologiques préliminaires1

Par une norme «contraire» à une autre norme, on entend une norme portant sur les mêmes actions et qui

exige un résultat différent. Hans Kelsen dit qu'un « conflit entre deux normes advient si par l'obéissance

ou l'application d'une de ces normes, l'autre est nécessairement ou éventuellement violée »2. Les

1 Pour un aperçu théorique de la « relation selon la force dérogatoire », cf. notamment : Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag, Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 252-294, reproduit Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1311-1361 ; Hans Kelsen, « Derogation », in : Ralph A. Newman (éd.), Essays in Jurisprudence in Honor of Roscoe Pound, Greenwood, Westport (Conn.), 1962, 670 p., pp. 339-361, reproduit Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule, tome 2, Europa-Verlag, Vienne/Salzbourg 1968, 2409 p., pp. 1429-1442 ; Robert Walter, Der Aufbau der Rechtsordnung, 1ère édition, Leykam, Graz 1964, 68 p., 2ème édition, Manz, Vienne, 1974, 68 p. ; Robert Walter, « Das Problem des Verhältnisses von Recht und Logik in der Reinen Rechtslehre », Rechtstheorie, vol. 11, 1980, pp. 299-314 ; Stanley L. Paulson, « Zur Stufenbaulehre Merkls in ihrer Bedeutung für die Allgemeine Rechtslehre », Robert Walter (éd.), Adolf J. Merkl, Werk und Wirksamkeit, Ergebnisse einer Internationalen Symposions in Wien (22.-23. März 1990) , Manz, Vienne, 1990, 319 p., p. 93 et svtes ; Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783 ; Otto Pfersmann, « La structure du système juridique », Louis Favoreu (coordonnateur), Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, André Roux, Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 52-67 ; Jörg Kammerhofer, « Unearthing Structural Uncertainty Through Neo-Kelsenian Consistency: Conflicts of Norms in International Law », Papers of the European Society of International Law, online, 2005, 25 p. (format PDF) ; Erich Vranes, « The Definition of "Norm Conflict" in International Law and Legal Theory », EJIL, vol. 17, 2006, pp. 395–418.Avec une critique de la conception française de la hiérarchie des normes : Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324.2 « [A] conflict between two norms occurs if in obeying or applying one norm, the other one is necessarily or possibly violated », cf. Hans Kelsen, op. cit. note 1, p. 1438. Hans Kelsen ajoute à la suite que : « [a conflict] is bilateral if in obeying or applying each of the two norms, the other one is (possibly or necessarily) violated. The conflict is unilateral if obedience to or application of only one of the two norms violates the other one. The conflict is a total one if one norm prescribes a certain behaviour which the other forbids (prescribes the omission of the behaviour). The conflict is a partial one if the content of one norm is only partially different from the other one. »A comparer avec la définition du Professeur Erich Vranes : « There is a conflict between norms, one of which may be

443

« règles de solution de conflit » – dites aussi « règles relatives à la dérogation » –, parmi lesquelles

figurent les principes matériels lex superior3, lex specialis, ou encore lex posterior4, sont des normes qui

appartiennent aux systèmes juridiques positifs, lors même que la constitution ne les prévoit

généralement pas de manière explicite. Hans Kelsen observe que : « [The fact that] a norm which

regulates derogation, taking place when norms are conflicting with each other, is usually not present as

an expressly formulated norm in a positive legal order [...] can be explained by the fact that the

legislator omits formulating expressly much which he silently presupposes and assumes to be self-

understood. [...] Their existence is taken for granted by the legislator […]. If this is the case, the

principles are positive legal norms. » Outre les « règles matérielles de solution de conflit », les systèmes

juridiques contiennent des « règles formelles de solution de conflit » qui habilitent tel ou tel organe à

régler un conflit par la prévalence d'une norme sur une autre (généralement le juge). Dans tous les cas,

conclut Hans Kelsen : « conflicts between norms remain unresolved unless derogating norms are

expressly stipulated or silently presupposed5. »

Dans les systèmes juridiques positifs, la non-conformité d'une norme par rapport une autre norme peut

aboutir à sa destruction totale («abrogation», «annulation», modification6) ou partielle (privation de son

effet normatif consistant en la suspension de son application pour un cas d'espèce)7. La norme qui

prévaut s'analyse comme une condition de destruction de la norme dite «inférieure» par un organe qui

dispose d'une telle compétence de destruction (un juge compétent à titre principal ou à titre incident

pour le contrôle de conformité des actes administratifs, des lois...). Elle est dite « supérieure en force

dérogatoire »8.

permissive, if in obeying or applying one norm, the other norm is necessarily or potentially violated . » ; cf. op. cit. note 1, p. 418. Cf. aussi : Ota Weinberger, Normentheorie Als Grundlage Der Jurisprudenz Und Ethik – Schriften Zur Rechtstheorie, Duncker & Humblot, Berlin, 1981, 208 p., spécialement pp. 98-99.3 A propos du principe lex superior, cf. supra, le « concept de "hiérarchie des normes" » dans l'introduction générale.4 Le principe lex specialis est lié au contenu des normes en questions ; le principe lex posterior à leur succession temporelle.Cf. inter alia, Adolf Merkl, « Die Rechtseinheit des österreichischen Staates – Eine staatsrechtliche Untersuchung auf Grund der Lehre von der lex posterior », AöR, vol. 37, 1918, pp. 56-121, reproduit in: Dorothea Mayer-Maly, Herbert Schambeck, Wolf-Dietrich Grussmann (éds), Adolf Julius Merkl – Gesammelte Schriften, tome 1 : Grundlagen des Rechts, Duncker & Humblot, Berlin, 1993, 656 p., pp. 169-225 ; Stanley L. Paulson, « On the status of the lex posterior derogating rule », Liverpool Law Review, vol. 5, 1983, pp. 5-18 ; Martti Koskenniemi, Function and scope of the lex specialis rule and the question of “self- contained regimes”, UN Doc. ILC(LVI)/SG/FIL/CRD.1/Add.1, 2004, 10 p. (format PDF) ; Erich Vranes, « Lex Superior, Lex Specialis, Lex Posterior – Zur Rechtsnatur der "Konfliktlösungsregeln" », ZaöRV, vol. 65, 2005, pp. 391-405.5 Hans Kelsen, op. cit. note 1, p. 1442 ; cf. aussi, Hans Kelsen, Théorie générale des normes, PUF, Paris, 1996, 664 p., spécialement pp. 285-303.6 La « modification » consiste en la destruction de la norme et sa substitution par une autre norme.7 La distinction entre « destruction totale » et « destruction partielle » soulève en réalité d'innombrables difficultés, cf. inter alia, Hans Kelsen, Théorie générale des normes, PUF, 1996, 664 p., spécialement pp. 139-150 (Chapitre 27 : « L'abrogation – suppression de la validité d'une norme par une autre norme »). Notamment, la suspension de l'application d'une norme peut s'analyser comme une invalidité provisoire de celle-ci, c'est-à-dire comme une modification de sa sphère temporelle d'application. Cf. aussi, Adolf Julius Merkl, op. cit. note 4 ; Ota Weinberger, Normentheorie Als Grundlage Der Jurisprudenz Und Ethik – Schriften Zur Rechtstheorie, Duncker & Humblot, Berlin, 1981, 208 p., spécialement p. 57 et svtes.8 Selon le Professeur Otto Pfersmann : « une norme est dite supérieure en "force dérogatoire" par rapport à une autre si elle contient des dispositions qui permettent de la priver de sa validité, donc de l'éliminer du système » ; cf. Louis

444

On analysera ici la « hiérarchie des normes selon la force dérogatoire », qui se distingue de la

« hiérarchie des normes selon l'ordre de production9 » ; et l'on parlera – conventionnellement – de

« rang dérogatoire » pour désigner la situation d'une norme dans la hiérarchie des normes selon la force

dérogatoire (abrégé «rang» lorsque le contexte de l'exposé ne prête pas à confusion). La hiérarchie des

normes selon la force dérogatoire ne coïncide pas nécessairement avec la hiérarchie des normes selon

l'ordre de production10. Pour illustrer ce qui vient d'être dit, les normes juridictionnelles (individuelles,

c'est-à-dire réglant les cas d'espèce) sont clairement des normes inférieures selon l'ordre de production,

puisqu'elles résultent de la concrétisation de plusieurs normes, dont la norme qui habilite le juge à les

produire ; mais le système juridique leur attribue une certaine supériorité dans la hiérarchie des normes

selon la force dérogatoire (« principe d'autorité de la chose jugée »). En étendant ce constat aux

décisions administratives, dont la force dérogatoire supérieure paraît moins évidente dans les systèmes

juridiques positifs actuels, Hans Kelsen remarque que :

« Le principe de droit positif de chose jugée ou décidée des décisions juridictionnelles et

administratives (qui ont la nature de normes individuelles) révèle qu'il peut y avoir des normes, qui –

par leur nature – sont non-abrogeables ; car une chose jugée ou décidée est une norme individuelle, dont

la validité ne peut être supprimée par une norme abrogatoire. Tel est le sens de la chose jugée ou

décidée. C'est une autre question de savoir si et dans quelle mesure l'institution de la chose jugée ou

décidée au sens strict du terme est effectivement statuée dans un certain ordre juridique11. »

β. Le problème des inconsistances normatives12

La relation entre normes selon l'ordre de production ne coïncide pas nécessairement avec la relation

selon la force dérogatoire. Alors même que les normes internationales déterminent la sphère de

compétence de l'État, c'est-à-dire du système juridique interne qui contient l'ensemble des normes

Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème éd., Dalloz, Paris, 2005, 941 p., p. 66.9 A propos de la situation des règles générales du droit international dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production, cf. supra : « le rang des règles générales du droit international selon la relation de production (en tant que normes conditionnées) ».10 Cf. Adolf Merkl, op. cit. note 1 ; Robert Walter, Der Aufbau der Rechtsordnung, 1ère édition, Leykam, Graz 1964, 68 p., 2ème édition, Manz, Vienne, 1974, 68 p.11 Hans Kelsen insiste par la suite sur la détermination de la force dérogatoire par le système juridique lui-même : « il n'en va pas ainsi si l'ordre juridique n'exclut pas complétement la possibilité d'une procédure pouvant déboucher sur la suppression de la validité d'une norme individuelle administrative ou juridictionnelle, c'est-à-dire si une telle procédure reste toujours possible, même sous des conditions restrictives ; il se pourrait par exemple qu'une décision juridictionnelle ou administrative, à laquelle est attachée l'autorité de chose jugée ou décidée, puisse être supprimée par un acte d'un organe législatif. Alors, la chose jugée ou décidée existe seulement dans un sens relatif, et non pas dans un sens strict, c'est-à-dire absolu, et cela ne signifie pratiquement guère autre chose que la nature exécutoire de la décision. » ; cf. op. cit. note 7, pp. 144-145.12 Pour un aperçu théorique des « inconsistances normatives », cf. Georg Henrik von Wright, « Is there a Logic of Norms ? », Ratio Juris, vol. 4, 1991, pp. 265-283 ; Otto Pfersmann, « antinomies », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 67-70 ; Otto Pfersmann, « Arguments ontologiques et arguments juridiques », in : Otto Pfersmann, Gérard Timsit (éds), Raisonnement juridique et interprétation, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001, 192 p., pp. 11-34.

445

internes, elles ne bénéficient pas généralement d'une primauté d'application dans le cadre du système

juridique interne. Il est vrai que, dans le cadre du droit interne, les normes internationales appliquées

par les organes internes consistent dans la plupart des cas en des normes internationales transformées en

droit interne, ce en raison de l'habilitation constitutionnellement délimitée des organes internes ; il ne

s'agit donc pas des normes internationales en tant que telles13.

La question de la classification des normes du droit international selon la force dérogatoire dans le

cadre du droit interne est une question de droit interne, non de droit international (i). Et cela est valable

tant dans le cas où elles bénéficient d'une primauté d'application par rapport à une norme interne que

dans le cas où elles cèdent devant une norme interne en collision (ii).

i. La compétence dont dispose en principe l'État en vertu du droit international pour déterminer la

relation selon la force dérogatoire entre le droit international et le droit interne dans sa sphère interne

En l'état du droit positif, on peut observer qu'une même matière peut être réglementée simultanément

par le droit international et le droit interne. Parfois, cette double réglementation paraît contradictoire,

dans le sens où le droit international exige un certain comportement tandis que le droit interne en exige

un autre apparemment contraire au premier (par exemple, le droit international interdit la pêche à la

baleine dans certains espaces, tandis que le droit national la permet dans ce même espace). Ces

contradictions sont en vérité admises par le droit lui-même, et l'on utilisera le terme d'«inconsistance

normative» pour désigner une telle situation, qui n'implique aucunement par elle-même l'invalidité

d'une des normes en contradiction14. Le droit international attribue en effet une très large compétence

aux États, dite «principe de souveraineté». En principe, c'est-à-dire en l'absence d'une norme

internationale leur interdisant spécifiquement tel ou tel comportement de production normative, les

États sont habilités à produire des normes qui réglementent toutes les matières possibles, y compris des

normes dont le contenu semble contraire à celui du droit international en la même matière. En d'autres

termes, la hiérarchie des normes selon l'ordre de production entre le droit international et le droit interne

autorise l'État à produire dans le cadre de son système juridique interne des normes de n'importe quel

13 Le problème dit du « double lien » (« double bind ») des organes internes par rapport au droit interne et au droit international est relevé par le Professeur André Nollkaemper, mais n'est pas résolu, en raison sans doute de l'abandon par l'auteur d'une analyse formelle au profit d'un traitement empirique (par ailleurs intéressant) s'appuyant sur la théorie de la « coopération-coordination » (cf. supra, « introduction ») ; cf. André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 24 février 2011, 250 p., spécialement pp. 13-15. Tout devient une question d'influence et de volonté subjective, à l'exemple de la question posée par l'auteur qui a tout d'un anthropomorphisme, en ce qu'elle suppose que le droit international soit doté de qualités humaines : « Can international law trust national courts to provide independent and impartial reviews of the legality of international obligations ? Or would that be disruptive for the international legal order ? » (p. 14).14 L'« inconsistance normative » ne signifie pas que l'une ou l'autre norme en « contradiction » est invalide. Deux normes peuvent très bien être en contradiction tout en étant valides car elles ont toutes deux été produites en respectant les habilitations formelles du système juridique en question. Pour que l'une d'entre elle soit privée de sa validité, encore faut-il qu'existe une procédure de contrôle de conformité à cette fin, et que cette procédure soit en l'occurrence enclenchée.

446

contenu15.

Et, une fois la norme interne valide, le droit international général ne contient pas non plus de procédure

générale de destruction des normes internes à l'État. Il s'ensuit que la non-conformité d'une norme de

droit interne par rapport au contenu droit international n'est en principe pas amenée à être sanctionnée

par sa destruction par voie internationale, c'est-à-dire par une norme internationale particulière qui

entraînerait des modifications du contenu du droit interne en touchant à la norme interne en question.

Une fois entrée en vigueur, une norme interne non-conforme au droit international demeure valide sur le

fondement même du droit international général, qui ne contient aucune procédure permettant d'aboutir

à l'annulation d'une telle norme interne. En principe16, une procédure de cette sorte n'existe que dans le

cadre du droit interne : les organes internes peuvent être habilités à écarter l'application d'une norme

interne valide, si ce n'est à la détruire définitivement, en raison de sa non-conformité par rapport une

norme internationale. Et cette compétence n'est autre chose qu'une compétence de droit interne : le droit

international n'oblige en effet en principe pas les États à prévoir de telles procédures de contrôle de la

conformité des normes internes par rapport aux normes internationales.

Le problème de la conformité des normes internes par rapport aux exigences internationales se présente

d'abord en termes de responsabilité, et non en termes de force dérogatoire. La force dérogatoire suppose

la validité mais introduit la possibilité d'une annulation, d'une modification ou d'une désapplication 17.

Or, le droit international ne contient aucune procédure pourvu de tels effets juridiques dans la sphère

interne de l'État, d'où s'ensuit qu'il relève de la compétence de l'État de prévoir ou non des procédures

permettant de faire prévaloir les obligations internationales sur le droit proprement interne. En

revanche, le droit international contient une autre solution de principe : l'engagement de la

responsabilité de l'État en cas d'exécution d'une norme interne qui aboutit à une violation du droit

international18. L'engagement de la responsabilité ne change toutefois rien en termes d'architecture des

systèmes juridiques, et elle n'empêche notamment pas les inconsistances normatives de persister.

Les inconsistances normatives ne caractérisent pas la relation entre le droit international et le droit

interne. Elles peuvent aussi exister, et persister, dans le cadre du seul droit interne 19. Il en va par

15 Edwin Loebenstein généralise cet état du droit positif, sans doute de manière excessive : « [Es gibt] keine Vorschrift des allgemeinen Völkerrechts, die den nationalen Staatsorgane befehlen oder auch nur erlauben würde, den Befehlen ihrer eigenen Staatsorgane, insbesondere den nationalen Gesetzen gegenüber, ungehorsam zu sein, wenn diese Gesetze widersprechen » ; cf. « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155, spécialement p. 147. 16 Sauf par exception dans le cadre de certains traités internationaux particuliers prévoyant une primauté d'application du droit conventionnel, cf. à propos du droit de l'Union européenne : Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.17Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., pp. 483-528, spécialement p. 501.18 Carlo Santulli, Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p.19 Pour une approche systématique de la question, cf. Hans Kelsen qui démontre que l'existence de conflits entre une

447

exemple ainsi d'une loi valide, car produite dans le respect de la procédure législative, mais qui se

trouve non-conforme aux libertés fondamentales constitutionnellement déterminées, et n'a jamais été

annulée à l'occasion d'un contrôle de constitutionnalité. Simplement, en ce qui concerne la relation

entre le droit international et le droit interne, la relation entre validité et conformité apparaît encore plus

faiblement déterminée : les normes internes sont valides en tant qu'elles ont été produites dans le

respect des normes formelles d'habilitation du système juridique interne, qui lui-même bénéficie d'une

habilitation de production normative extrêmement large définie par le droit international. Et, une fois la

norme interne valide, le droit international ne contient pas de procédure qui permet de la détruire en

raison de sa non-conformité au contenu normatif du droit international. Le principe général du droit

international qui n'exige pas la conformité des normes internes par rapport au contenu matériel du droit

international, tant en ce qui concerne leur production qu'en ce qui concerne leur destruction, est appelé

« indifférence du droit international par rapport au droit interne ». Il ne s'agit que d'une donnée

normative, et il pourrait donc en aller tout autrement, comme le montre actuellement l'exception de

l'applicabilité directe du droit international. Si la question de la classification des normes du droit

international selon la force dérogatoire dans le cadre du droit interne est avant tout d'une question de

droit interne, c'est parce que le droit international en dispose ainsi.

ii. La compétence de l'État en matière de relation selon la force dérogatoire entre le droit international et

le droit interne circonscrite à sa sphère interne

Seul l'État dispose en principe d'une compétence pour prévoir une procédure de destruction des normes

de droit interne, et cela inclut leur éventuelle annulation pour non-conformité au contenu du droit

international à l'issue d'un contrôle de conformité opéré par un organe juridictionnel. La transformation

des normes internationales en droit interne entraîne, au moins potentiellement, une autorisation au

norme interne (l'exemple choisi par l'auteur est en l'occurrence celui de la « loi ») et une norme internationale dans le cadre du droit interne ne se distingue pas d'autres conflits entre normes internes :

« Le conflit entre une norme internationale établie et une norme de droit interne est un conflit entre une norme supérieure et une norme inférieure. De tels conflits sont habituels en droit interne et ne menacent pas l'unité du système juridique étatique. Par exemple, la non-conformité d'une loi à la constitution ne signifie pas que celle-ci est non valide (« null and void ») ab initio. Cela signifie seulement que lorsqu'une juridiction compétente estime qu'une loi n'est pas conforme à certaines dispositions constitutionnelles, la loi peut alors être annulée provisoirement, c'est-à-dire uniquement en l'espèce, ou définitivement. Cela est fondé sur la compétence de la juridiction saisie ou d'une juridiction spéciale de priver de force la loi litigieuse. Mais, aussi longtemps que la norme litigieuse n'est pas détruite, elle conserve sa validité. La constitution est à interpréter en ce sens qu'une norme produite par l'organe législatif est à considérer comme valide aussi longtemps qu'elle n'a pas été annulée par la procédure prévue par la constitution. Dans le cas d'une norme législative valide mais non-conforme à la constitution, il n'existe pas de contradiction logique entre la constitution et la norme législative non-conforme. La non-conformité d'une norme inférieure à une norme supérieure signifie en réalité que la norme inférieure a été créée d'une telle manière, ou avec un tel contenu, qu'elle peut être détruite par une autre procédure que la procédure "normale" consistant dans sa modification par l'organe l'ayant produite. Aussi longtemps que la norme inférieure non-conforme n'a pas été détruite, elle demeure une norme valide sur le fondement même de la norme supérieure qui prévoit sa procédure de destruction. La signification de cette dernière est précisément de rendre possible sa destruction, ce qui présuppose que la norme non-conforme est valide tant que cette procédure n'a pas été accomplie. » ; cf. Principles of International Law, 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., pp. 567-568 (ma traduction).

448

bénéfice des juridictions internes pour annuler une norme interne en raison de sa non-conformité au

contenu du droit international. Les normes internationales deviennent en effet à travers leur

transformation une composante du droit interne parmi d'autres auxquelles la constitution peut attribuer,

ou non, une prévalence sur les autres normes internes ; et, de manière générale, un conflit de normes se

règlera alors suivant les mêmes « règles de solution de conflit » que celles valables en ce qui concerne

un conflit entre normes proprement internes.

Dans le cadre du droit interne, une force dérogatoire supérieure n'est pas nécessairement attribuée aux

normes internationales, et rien n'exclut qu'elles cèdent dans un cas de collision avec une norme interne

lorsque la constitution le prévoit. Cela ne signifie cependant pas pour autant que, dans la totalité du

droit, le droit international ne soit supérieur, y compris en force dérogatoire, au droit interne. Car le

droit international pourrait d'une part contenir, par exception, des normes spéciales qui prévoient la

destruction totale ou partielle des normes internes en raison de leur non-conformité au contenu droit

international (il est parfois ainsi soutenu qu'une norme interne en violation du ius cogens est ou devient

nulle20). D'autre part, et ce même si les normes internationales ne bénéficient pas par leur seule validité

internationale d'une force dérogatoire supérieure aux normes internes dans le cadre du système

juridique interne, le droit international dispose in fine de la compétence de détruire l'ensemble du

système juridique interne s'il ne satisfait plus aux conditions de l'existence de l'État telles

qu'internationalement prévues. Il en va ainsi lorsqu'un État est détruit par manque d'effectivité de son

ordre juridique ou est démembré de telle manière à ce qu'il n'y ait pas de continuité de sa personnalité

juridique, comme ce fut le cas de la Monarchie austro-hongroise par suite de sa défaite de 1918.

La transformation des règles générales du droit international en composantes du droit interne, au sein

duquel elles sont dotées d'une certaine force dérogatoire à la manière de toute norme interne, n'empêche

pas que leur normativité interne revêt quelques caractéristiques spécifiques liées à leur provenance

internationale.

γ. La spécificité des règles générales du droit international dans la classification selon la force

dérogatoire

Hans Kelsen affirme à plusieurs reprises dans son œuvre que la transformation du droit international en

droit interne serait dans une large mesure superflue, car elle n'accomplit en rien une obligation 20 Par exemple : Erika de Wet, « The Prohibition of Torture as an International Norm of jus cogens and Its Implications for National and Customary Law », EJIL, vol. 15, 2004, pp. 97-121. L'auteur se réfère à la décision Furundzija du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (10 décembre 1998, Le Procureur c/ Anto Furundzija, n° IT-95-17/1-T).

449

internationale :

« La prétendue "transformation" est [...] ou superflue, ou bien elle n’est pas une véritable

transformation. Il n’existe pas de transformation au sens où l’affirme la théorie qui affirme la nécessité

absolue de cet acte, c’est-à-dire qu’il n’y pas de procédure consistant, après la création d’une norme

internationale n’obligeant ou n'autorisant que l’État "comme tel" et après l’entrée en vigueur de cette

norme "pour les rapports extérieurs", à créer, selon les modes de l’ordre juridique interne et en vue

d’obliger ou d’autoriser les organes et les sujets de l’État, une norme ayant un contenu identique, mais

valable seulement "pour les rapports internes" de l’État.21 »

Les dispositions constitutionnelles de transformation n'apparaissent pourtant pas dans tous les cas

superflues, en ce qu'elles attribuent souvent – de manière plus ou moins déterminée – une force

dérogatoire aux normes internationales dans le système juridique interne 22. Les normes internationales

seraient sinon amenées à céder dans la plupart des cas de collision avec une norme interne, de sorte que

les organes internes ne les appliqueraient en définitive que rarement. A propos du droit conventionnel, il

est par exemple bien connu que l'article 55 de la Constitution française, qui dispose que « les traités

[…] ont […] une autorité supérieure à celle des lois », a rendu possible une large application interne du

droit international conventionnel, qui comprend le droit de l'Union européenne, et ce, en habilitant les

organes internes français à appliquer prioritairement les traités internationaux, et donc à laisser hors

d'application d'autres formes normatives internes, dont la loi23.

Les dispositions constitutionnelles relatives au droit international général ont souvent pour effet d'ouvrir

la compétence des organes internes, qui disposent sur leur fondement d'une compétence de faire

prévaloir les règles générales du droit international dont ces organes seraient sinon dépourvus (iii.). Le

contrôle de conformité par rapport au droit international général s'effectue par la voie des procédures

juridictionnelles de principe, car aucune procédure spéciale n'est prévue permettant de mettre en œuvre

leur prévalence sur les autres normes, mis à part potentiellement celle de l'article 145 B-VG (ii.).

La question du contrôle de conformité des règles générales du droit international par rapport aux

normes internes qui leur sont supérieures se pose aussi. Les règles générales du droit international

occupent apparemment une situation spécifique dans le système juridique interne : par contraste avec la

plupart des formes normatives internes, il ne semble pas exister de procédure qui permette de les priver

définitivement de leur validité (i.).

21 Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Ecrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214, p. 213 ; cf. aussi : Hans Kelsen (1967), P.I.L., spécialement pp. 293-294 et pp. 490-493. 22 Cf. à propos du système juridique autrichien : Robert Walter, « Der Stufenbau nach der derogatorischen Kraft im österreichischen Recht », ÖJZ, vol. 20, 1965, pp. 169-174.23 Cf. les célèbres décisions : Cass, 24 mai 1975, Administration des douanes c. Sté « Cafés Jacques Vabre » ; CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748. Cf. infra. « la « théorie de la loi-écran » dite encore « théorie de l'écran législatif » ».

450

i. La procédure de destruction du droit international général

Le système juridique national ne prévoit pas de procédure pour détruire intégralement et définitivement,

dans la sphère interne, une norme du droit international général non-conforme à des normes qui lui sont

supérieures24. Les organes internes disposent seulement dans cette circonstance de la compétence

d'empêcher sa concrétisation, en suspendant notamment son application au profit d'une autre norme.

i.i. Le problème de la destruction par le même organe que celui chargé de la production

La « procédure normale de destruction » consiste dans la destruction (y compris la modification) de la

norme du fait même de l'organe qui a produit la norme en question. Généralement25, l'organe habilité à

produire la norme dispose aussi de la compétence pour l'annuler ou la remplacer par une autre26.

La production des normes du droit international s'opère par un organes «externe 27» à l'État, c'est-à-dire

la Communauté internationale en son ensemble ou en partie. Le droit interne ne réglemente pas

l'habilitation de cet organe compétent pour la production des normes internationales, mis à part le

comportement du «pouvoir extérieur» national dans la mesure où il agit dans la sphère internationale en

tant que producteur de normes. Le «pouvoir extérieur» de l'État n'est néanmoins pas identique au

producteur de la norme internationale, et la production des normes internationales lui échappe d'ailleurs

24 Cela fait dire à certains auteurs qu'une norme du droit international général contraire à une disposition de rang supérieur qui lui est antérieure se trouve « absolument nulle », c'est-à-dire non valide sans qu'une procédure de destruction soit requise. Cf. : Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement p. 450-451. Contra : Edwin Loebenstein, op. cit. note 15, spécialement pp. 152-153.25 Mais non nécessairement, cf. Adolf Merkl, op. cit. note 4, spécialement p. 189 : « Nicht jeder, der etwas geschaffen hat, kann es wieder ungeschehen machen ».26 Le terme généralement utilisé est celui d'«abrogation». cf. Hans Kelsen, op. cit. note 7, spécialement pp. 139-150 ; Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783.L'habilitation de l'organe interne à détruire les normes qu'il a lui même produites est parfois limitée par certains principes. Par exemple, dans les systèmes juridiques positifs, la compétence des autorités administratives d'abroger par elle-même les décisions administratives individuelles créatrices de droits au bénéfice des particuliers est généralement très encadrée par des règles formelles de procédure ; il leur est parfois même interdit de procéder à une telle destruction, peu importe que les normes en question sont clairement non-conformes à des normes supérieures (cf., entre autres, le principe dit de la confiance légitime qui s'est développé en Allemagne à partir de 1949 à l'initiative du juge administratif pour limiter le pouvoir de l'administration de retirer ses décisions illégales ; ultérieurement, le juge constitutionnel allemand applique un tel principe aux lois modificatrices du droit en vigueur, aux revirements de jurisprudence ainsi qu’au retrait d'actes administratifs). Dans le cas où l'organe ne dispose pas de la compétence de détruire une norme non-conforme qu'il a produite, cette compétence est parfois attribuée à un organe tiers qui suivra une procédure propre (par exemple, une juridiction administrative spécialement compétente pour annuler des actes administratifs), dans la mesure où cette destruction est encore permise par le système juridique. 27 D'un point de vue théorique, il est aussi possible de considérer que, dans le cadre du processus de transformation mais uniquement dans ce cadre, le droit international est un sous-système juridique du droit interne (cf. supra, « les règles générales du droit international dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production »). La Communauté internationale constituerait un organe auquel le système juridique interne attribue la compétence de produire les règles générales du droit international amenées à compléter le droit interne.

451

largement28. En effet, si le « pouvoir extérieur » dispose dans certaines situations d'une compétence pour

s'opposer à la formation d'une coutume liant l'État par la voie d'un comportement d'objecteur persistant,

il n'est ni compétent pour s'opposer à la formation de toutes les normes internationales (ius cogens,

actes unilatéraux des organisations internationales), ni compétent pour délier l'État de normes

internationales déjà valides dont il ne pourra contribuer à la destruction qu'en respectant les conditions

fixées par le droit international (absence d'une telle procédure pour les normes de ius cogens,

engagement de la responsabilité de l'État dans le cas de la violation d'une norme internationale

coutumière déjà valide...).

De tout cela, il s'ensuit que la privation de validité des règles générales du droit international dans le

système juridique interne ne s'opère pas par « parallélisme des formes », la procédure de destruction

n'étant pas similaire à la procédure de production.

i.ii. La destruction par un organe distinct (juridiction ou encore dénonciation par l'exécutif ou le

législatif)

Les organes chargés de la production des normes ne sont généralement pas les seuls compétents pour

détruire les normes qu'ils ont produites. En effet, les systèmes juridiques positifs prévoient dans la

plupart des cas des procédures de destruction des normes qui diffèrent de celles qui déterminent leur

production ou leur modification (par exemple, non seulement l'administration, mais aussi le juge

administratif dispose d'une compétence pour détruire les normes administratives). Et, si les normes du

droit international général ne sont pas destructibles dans la sphère internationale par la voie d'une

procédure interne à l'État, rien n'empêche la destruction des normes internationales transformées en

droit interne – leur validité étant interne – à l'issue d'une procédure proprement interne, à l'instar d'une

procédure juridictionnelle. On observe toutefois que les organes d'application du droit chargés du

contrôle de conformité, dont les juridictions, ne s'estiment généralement pas compétents pour détruire

une norme internationale – par sa modification, son annulation totale ou partielle – et qu'ils procèdent

généralement à la seule suspension de l'application de la norme litigieuse dans des cas déterminés.

ii. La destruction des normes internes non-conformes aux règles générales du droit international

Le processus de transformation ipso iure et continu des règles générales du droit international, dont le

contenu est dynamique dans la sphère internationale, tend à rendre difficilement prévisible les cas de

28 Cf. inter alia : Christian Tomuschat, « Obligations Arising for States Without or Against Their Will », RCADI , vol. 241, 1993, pp. 199-374.

452

collision entre ces normes et des normes issues de procédure internes dans la sphère du système

juridique interne. La Cour constitutionnelle fédérale allemande le souligne à l'occasion de sa décision

Kriegsfolgelasten II : « Étant donné que les règles générales du droit international sont en constante

évolution, la quantité de collisions possibles entre droit international et droit interne n'est pas prévisible29. »

En l'état actuel des systèmes juridiques positifs, le contrôle juridictionnel de conformité des normes

internes par rapport au droit international général s'effectue par la voie des procédures contentieuses de

principe (contentieux constitutionnel, contentieux administratif). Il ne s'agit donc pas de procédures

spécialisées en matière internationale : la procédure de l''article 100 al. 2 de la Loi fondamentale

allemande ne concerne que l'identification des règles générales du droit international (une procédure

«cognitive»), et non le contrôle de conformité des normes internes par rapport à celles-ci ; l'article 145

de la Loi constitutionnelle fédérale autrichienne, qui n'a toujours pas été concrétisé par la « loi fédérale

spéciale » prévue, n'a en l'état pas conduit à l'institution une procédure spéciale de contrôle de

conformité des normes internes par rapport au droit international30.

L'application des règles générales du droit international dans le cadre du contentieux juridictionnel

apparaît largement admise lorsqu'elle est indirecte, ce qui arrive par exemple lorsqu'elles interviennent

dans la détermination de la la sphère de compétence de l'État ou de la validité et des modalités

d'application d'un traité international. Ceci peut s'expliquer par un faible risque de collision avec les

normes internes, étant donnée que les règles générales du droit international sont dans ce contexte

considérées comme complémentaires de la réglementation interne. Il en va autrement lorsqu'il s'agit de

contrôler la conformité des normes internes par rapport à ces règles. Les difficultés soulevées

concernent alors tant l'admissibilité même d'un contrôle de conformité des normes internes par rapport

au droit international général, que la profondeur du contrôleur exercé.

iii. Les incidences de leur éventuelle application immédiate

Un autre aspect rend le problème de la force dérogatoire des règles générales du droit international

spécifique : leur éventuelle application immédiate par les organes internes31 (« mode d'applicabilité

29 BVerfGE 23, p. 288 (§ 130).30 En ce sens, cf. inter alia : Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270 ; Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42. Mais, cf. l'opinion divergente de : Alexander Balthasar, « Art.145 B-VG – Die Verdrängte Kompetenz », ZÖR, vol. 64, 2009, pp. 23-51.31 On notera que le Professeur Gérard Teboul a essayé de classifier les normes du droit international général selon la force dérogatoire en droit français dans le cadre de leur application immédiate par les organes internes ; cf. « Alinéa 14 », Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (éds), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 pp. 327-356, spécialement p. 351-356. L'analyse développée par l'auteur, bien qu'intéressante, paraît inutilement compliquée, peut-être parce qu'elle ne prend pas en compte le principe selon lequel « Le droit international est applicable par les organes d'application du droit interne à moins qu'une norme interne interdise cette application » (cf. supra : « l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement

453

moniste au sens technique »). Leur effet dérogatoire dans le système juridique interne apparaît en effet

très variable lorsqu'il s'agit de les appliquer en tant que telles, c'est-à-dire en dehors de leur

transformation en droit interne par une norme interne. Le plus souvent, il s'agira d'un effet dérogatoire

minime, et ce, parce que les organes internes ne disposent d'aucune compétence pour faire prévaloir une

norme n'appartenant pas au système juridique interne sur une norme lui appartenant. Néanmoins, dans

la situation exceptionnelle d'une applicabilité directe du droit international, il semblerait – c'est du

moins ce qu'indique la pratique des organes internes – que les normes internationales pertinentes en

l'espèce tendent à prévaloir sur le droit interne (par exemple, en matière d'immunités de juridiction et

d'exécution de l'État étranger).

La détermination de la primauté d'application du droit international ou du droit interne dans le cadre du

système juridique national est en principe une question de droit interne. Selon le contenu du droit

interne en question, il arrive que les organes internes d'application du droit soient tenus de faire

prévaloir le droit international sur le droit interne ou, inversement, le droit interne sur le droit

international. Et cela peut même varier selon les organes au sein d'un même État : tel organe se trouvera

dépourvu de toute compétence pour appliquer prioritairement les normes internationales, et ce bien que

que la constitution prévoie expressément une obligation générale de respecter le droit international,

tandis qu'un autre organe, plus largement habilité, disposera d'une telle compétence32.

Au même titre que les autres normes internes, les règles générales du droit international sont dans une

certaine mesure classifiables dans la hiérarchie des normes internes selon la force dérogatoire (chapitre

1). Quelques problèmes spécifiques se posent en ce qui concerne la relation selon la force dérogatoire

entre normes internationales dans le cadre du système juridique interne (chapitre 2). En effet, le droit

interne ne détermine pas par lui-même la hiérarchie entre les différentes formes normatives de droit

international transformées en droit interne, sauf parfois entre la catégorie des « règles générales du droit

international » et la catégorie des « normes internationales conventionnelles ». Une telle hiérarchisation

existe pourtant dans le cadre du système juridique dont elles sont issues – le droit international – qui

différencie quant à lui les normes internationales en plusieurs formes normatives, parmi lesquelles on

trouve la coutume, le ius cogens (s'il s'agit bien d'une forme normative propre), le principe général de

droit reconnu par les nations civilisées, ainsi que le traité international.

constitutionnel de transformation ("application immédiate") »).32 Par exemple, en droit français, le Conseil d'État a longtemps été dépourvu d'une compétence pour faire prévaloir toute norme, y compris constitutionnelle ou internationale, sur la loi promulguée. D'autres organes, à l'instar du Conseil constitutionnel, ne sont pas limités de la même façon, leurs limitations pouvant toutefois être d'une autre sorte (le Conseil constitutionnel dispose d'une stricte compétence d'attribution qui l'oblige à appliquer uniquement la Constitution).

454

Chapitre 1

La relation selon la force dérogatoire entre les règles générales du droit international

et les normes issues de procédures de production internes

Introduction :

a. Le problème de l'indétermination des dispositions constitutionnelles

La spécificité de chacun des systèmes juridiques nationaux – allemand, autrichien et français – appelle

quelques remarques préliminaires. Les dispositions constitutionnelles relatives à la normativité interne

du droit international général sont plus ou moins indéterminées quant à la force dérogatoire des normes

internationales. La Loi fondamentale allemande apparaît la plus détaillée, étant donné qu'elle attribue

expressément aux règles générales du droit international une supériorité sur les lois. Par contraste, les

constitutions autrichienne et française paraissent vagues quant à la détermination de la force

dérogatoire.

Une telle indétermination implique une pluralité de solutions possibles. Suivant le Professeur Otto

Pfersmann, l’interprétation n'est autre chose que :

« l’opération cognitive consistant dans l’analyse de la signification des actes de langage

exprimant une norme ainsi que des manifestations d’une telle opération. L’interprétation d’une norme

n’a strictement aucune valeur normative puisqu’il ne s’agit pas, par définition, d’une opération de

production normative. Elle peut arriver au résultat qu’une norme est indéterminée lorsque sa

formulation est susceptible de plusieurs significations. L’indétermination ne s’oppose pas à la

normativité, elle détermine simplement une plus large habilitation, un plus large ensemble

d’obligations, de permissions, d’interdictions. Par contraste, l’application-production d’une norme sera

appelée "concrétisation" 1».

La pluralité des solutions possibles implique au final qu'aucune solution ne doit être définitivement

privilégiée : il n'appartient pas à la doctrine de choisir une des significations possibles alors que le texte

1 Otto Pfersmann, « De l’impossibilité de changement de sens de la constitution », in : Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet – L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, 966 p., pp. 353-374, spécialement pp. 356-357.

455

lui-même est à signification indéterminé2. Lorsque la doctrine choisit une lecture possible à l'exclusion

des autres, elle délivre une description réduite de l'état du droit. Dans le cas d'une norme indéterminée,

les organes d'application du droit sont certes amenés à appliquer une des possibilités, mais les

différentes significations possibles de la norme continuent d'exister ; l'opération à laquelle se livre

l'organe d'application du droit consiste à produire une norme nouvelle qui concrétise la norme

supérieure, et non à modifier la norme supérieure indéterminée en effaçant des significations possibles

de celle-ci3.

b. Les normes déterminant la force dérogatoire du droit international général :

Nonobstant l'éventuelle indétermination de la disposition constitutionnelle spécifique, les systèmes

juridiques nationaux contiennent tout de même certaines données qui contribuent, plus ou moins

directement, à la détermination de la force dérogatoire interne du droit international général :

i. On trouve quelques normes internes qui déterminent spécifiquement la force dérogatoire du droit

international général. Tel est le cas des dispositions constitutionnelles qui attribuent directement une

certaine force dérogatoire aux normes du droit international général (par exemple, l'article 25 LF qui

dispose explicitement que les règles générales du droit international « sont supérieures aux lois »), ainsi

que, plus indirectement, des normes internes habilitant les organes internes à faire prévaloir les normes

internationales sur la réglementation interne4 (par exemple, de manière au moins potentielle, l'article

145 B-VG).

ii. Certaines normes n'ont pas spécifiquement pour objet la force dérogatoire du droit international

général, mais consistent en une interdiction ou en une autorisation à destination des organes

d'application du droit ayant des effets sur la force dérogatoire du droit international général. Il en va par

exemple ainsi de l'interdiction adressée au juge administratif français d'écarter l'application de la loi au

profit d'une autre norme quelconque (la traditionnelle « théorie de la loi-écran »), d'où s'ensuit que les

2 Le sentiment de manque dans la connaissance juridique ne doit pas être comblé sous prétexte d'interprétation, sans quoi il est possible de porter atteinte à la constitution en excluant des significations contenues dans celle-ci. A propos de l'interprétation de la Constitution autrichienne, cf. Heinz Schäffer, Verfassungsinterpretation in Österreich : eine kritische Bestandsaufnahme, Springer, Vienne/New York, 1971, 228 p., p. 68 ; Michael Thaler, Mehrdeutigkeit und juristische Auslegung, Springer, Vienne/New York, 1982, 187 p.3 Cf. Otto Pfersmann, « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaître - L’interprétation de la Constitution », in : Fernand Mélin-Soucramanien (éd.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, Paris, 2005, 248 p., pp. 33-60 ; Otto Pfersmann, « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement pp. 241-247 ; Arthur Dyèvre, « Comprendre et analyser l’activité décisionnelle des cours et des tribunaux : l’intérêt de la distinction entre interprétation et concrétisation », Jus Politicum, n°4, 2010, 43 p. (en format PDF)/4 Une disposition constitutionnelle attribuant expressément une certaine force dérogatoire aux normes internationales peut signifier, entre autres, une habilitation au bénéfice des organes internes pour écarter l'application de la réglementation interne au profit des normes internationales en question. Par exemple, le Conseil d'État français n'a considéré que tardivement que l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, disposant de l'« autorité supérieure » des traités internationaux sur les lois, habilite le juge interne à faire prévaloir ces normes internationales sur la loi « contraire » (CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748).

456

normes internationales ne bénéficient pas – en principe – de la primauté d'application par rapport à la

loi dans le cadre du contentieux administratif5. En revanche, le juge administratif français dispose d'une

compétence de principe pour annuler tout acte administratif, de sorte que rien ne lui interdit de faire

prévaloir une norme internationale non conventionnelle sur un acte administratif avec lequel elle entre

en collision.

iii. Aussi, le droit international peut exiger la primauté d'application de certaines de ses normes dans la

sphère interne, dont celles directement applicables. Les organes internes se trouvent donc parfois

destinataires – à travers le droit international lui-même et à travers ce même droit international

transformé en droit international – d'une obligation d'appliquer prioritairement une partie du droit

international en vigueur6.

c. Quelques éléments préalables de comparaison

α. L'article 25 LF se présente, si on le compare avec les dispositions constitutionnelles autrichienne et

française, comme la norme la moins indéterminée en ce qui concerne la classification des normes du

droit international général selon la force dérogatoire. Le texte de l'article 25 LF précise que les règles

générales du droit international « sont supérieures aux lois », ce qui se lit sans doute en termes de force

dérogatoire. En outre, les règles générales du droit international sont une composante du droit fédéral

allemand et bénéficient, en tant que telles, de la primauté d'application du droit fédéral par rapport au

droit des Länder7.

5 Par exception, le Conseil d'État opère un contrôle de conformité de la loi par rapport aux traités internationaux depuis la décision Nicolo (ibid.).6 Cf. infra, les illustrations dans «Les variations de l'effet dérogatoire des normes du droit international suivant le domaine matériel régi dans la pratique des organes internes». Ce cas est subtil puisqu'il peut y avoir conflit entre l'applicabilité directe internationale et une interdiction constitutionnelle pesant sur les organes internes d'écarter l'application du droit interne au profit du droit international.7 La doctrine dit que l'attribution aux règles générales du droit international de la qualité de « droit fédéral» dont l’article 25 LF dispose implique que :

- Les règles générales du droit international participent à la priorité de validité et d’application que la Loi fondamentale attribue au droit fédéral par rapport aux droits des Länder (Article 31 LF) ;

- Les règles générales du droit international font partie de l’«ordre constitutionnel» au sens de l’article 2 al. 1 LF ;

- Les règles générales du droit international ont valeur de droit fédéral, et il s'ensuit qu'elles sont invocables dans les procédures qui prévoient qu’un moyen de droit ne peut être fondé que sur une atteinte portée au droit fédéral (par exemple §§ 137 al. 1 n°2 VwGO, 549 ZPO) ;

- Les règles générales du droit international ne sont considérées ni comme un droit étranger en matière de réglementation de la procédure juridique (par exemple § 293 ZPO) avec les effets juridiques correspondants en matière de charge de la preuve et d'identification de la norme applicable, ni comme du droit étranger au sens des normes de renvoi du droit de collision allemand (par exemple Art. 3 EGBG). Les règles générales du droit international font partie du domaine d’application du principe iura novit curia.

457

β. La Loi constitutionnelle fédérale autrichienne apparaît plus indéterminée quant à la force dérogatoire

du droit international général8. Les règles généralement reconnues du droit international sont, de même

qu'en droit allemand, une composante du droit fédéral (« Bundesrecht »), mais l'article 9 B-VG ne

contient pas davantage de spécification. De plus, le terme « Bundesrecht », seul élément relatif à la

force dérogatoire présent dans la formulation article 9 B-VG, semble lui-même équivoque. Ce terme

peut en effet désigner dans le contexte du texte de Loi constitutionnelle fédérale soit le « droit fédéral »

globalement, soit la « loi », et au sein de la « loi », soit uniquement la forme normative « simple loi

fédérale », soit l'ensemble formé par les « lois constitutionnelles » et les « simples lois fédérales »9.

D'une manière générale, la doctrine autrichienne s'est largement concentrée sur la question de la force

dérogatoire des règles généralement reconnues du droit international qui sont souvent considérées

comme de forme normative interne sui generis10 (ou « forme spéciale »11), autrement dit une forme

normative en soi à côté d'autres formes normatives internes tels les lois constitutionnelles fédérales, les

lois constitutionnelles des États fédérés, les lois fédérales, les lois des États fédérés, les traités,

différentes formes d'actes administratifs, les jugements.

γ. Le texte de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 ne contient aucun élément d'ordre

technique relatif à la force dérogatoire du droit international général, et une première lecture pourrait

donner l'impression qu'il est amené à prévaloir sur l'ensemble du droit interne, puisqu'il appartient à

l'ensemble de la « République française [de se conformer] aux règles du droit public international ». La

classification de ces normes dans la hiérarchie selon la force dérogatoire se heurte toutefois d'abord aux

incertitudes plus générales relatives à leur normativité interne. Une telle classification présuppose en

8 Robert Walter, « Der Stufenbau nach der derogatorischen Kraft im österreichischen Recht », ÖJZ, vol. 20, 1965, pp. 169-174 ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p. , spécialement pp. 169-170 ; Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement p. 266 ; Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769, spécialement p. 763 ; Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193, spécialement p. 174.Le problème de l'indétermination de l'article 9 B-VG est ainsi résumé par Edwin Loebenstein : « Der Begriff Bundesrecht ist nach Meinung des Verfassers ein umfassender, der offenbar das objektive Recht darunter versteht, und zwar ohne Rücksicht auf die Stufe. Dieser Begriff will sicherstellen, daß im Rahmen der bundesstaatlichen Zuordnung die Normen des allgemeinen Völkerrechts bundesrechtliche Normen sind, nicht mehr und nicht weniger ist damit ausgesagt. » ; cf. « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », in : Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155, spécialement p. 151. 9 Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98.10 La forme normative sui generis est affirmée par la doctrine dès les débuts de la Loi constitutionnelle fédérale, cf. inter alia : Ludwig Jordan, « Bemerkungen zu Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », ZÖR, 1928, pp. 453-459, spécialement p. 456. Cf. aussi, plus tardivement : Felix Ermacora, Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p, p. 351 et svtes.11 «Sonderform », cf. Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p., p. 170.

458

effet trivialement que les normes en question soient applicables par les organes internes dans la sphère

interne. Or, le texte de l'alinéa 14 revêt plusieurs significations possibles quant au mode d'applicabilité

interne des règles du droit public international. En outre, une partie des organes internes appliquent ces

normes immédiatement (mode d'applicabilité moniste au sens technique). Une analyse de la force

dérogatoire implique que l'on parte de l'une ou de l'autre de ces configurations, sans oublier pour autant

qu'une autre peut se présenter :

Le point de départ de l'analyse peut être la lecture de l'alinéa 14 selon laquelle cette disposition

transforme ipso iure les règles du droit public international en droit interne. On pourra alors se

demander si l'alinéa 14 les transforme en composantes du « bloc de constitutionnalité », donc en normes

de rang dérogatoire constitutionnel. Une autre possibilité consiste en ce que que l'alinéa 14 ne

transforme pas les règles du droit public international en normes constitutionnelles, mais que la force

dérogatoire des normes internationales en question soit tout de même équivalente à celle des normes

constitutionnelles. Et il en irait ainsi par voie indirecte :.une norme interne «contraire» aux règles du

droit public international se trouve, par voie de conséquence, «contraire» à l'alinéa 14, donc à une

disposition assurément constitutionnelle. D'autres possibilités restent concevables étant donné la grande

indétermination de l'alinéa 14, et l'on cherchera quelles sont les solutions juridiquement admissibles

lorsqu'il s'agit de le concrétiser.

Il convient aussi d'analyser la force dérogatoire du droit international général lorsque les

organes internes l'appliquent immédiatement, donc indépendamment de l'alinéa 14 comme fondement

(mode d'applicabilité moniste au sens technique). La force dérogatoire n'est alors ni déterminée par

l’alinéa 14, ni par aucune norme interne, si ce n'est par la latitude dont disposent les organes

d'application du droit pour faire prévaloir ou non le droit international sur le droit interne . L'application

immédiate du droit international général n'est actuellement exclue ni par le juge judiciaire, ni par le

juge administratif. A l'occasion de l'affaire Nachfolger, le juge administratif admet l’applicabilité du

droit international coutumier dans la sphère interne sans viser l’alinéa 1412. Ultérieurement, le

Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier affirme dans ses conclusions sur l’arrêt Aquarone

qu’« aucune disposition de la Constitution ne prescrit ou n’implique [que le juge admin istratif] fasse

prévaloir la coutume sur la loi »13.

Les solutions proposées par la suite en ce qui concerne la force dérogatoire englobent quasiment toutes

les possibilités envisageables.

12 CE, Sect., 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation 13 Concl. Gilles Bachelier sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, spécialement p. 859. Le Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier écarte clairement toute forme de raisonnement en termes de constitutionnalité de la loi (cf. notamment, s’agissant de la comparaison entre l’alinéa 14 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 10 de la Constitution italienne du 27 décembre 1947, p. 860).

459

En dehors du cas français, une certaine application immédiate du droit international semble s'être

maintenue dans les autres États, les organes d'application du droit ne la désignant cependant que

rarement comme telle. Il en va ainsi en Allemagne, où les organes d'application du droit disent

appliquer le droit international « en tant que tel ». Et même les organes d'application du droit

autrichiens, pourtant liés par un principe de légalité strict14, appliquent parfois le droit international

immédiatement, soit à titre incident, soit lorsqu'il s'agit de certaines coutumes internationales. Dans

l'ensemble des systèmes juridiques nationaux, l'effet dérogatoire du droit international général varie

aussi suivant le mode d'applicabilité du droit international général en œuvre (cf. infra : « L'application

téléologique des règles générales du droit international par les organes internes »).

La relation selon la force dérogatoire entre normes internationales et normes internes apparaît souvent

indéterminée par les dispositions constitutionnelles nationales spécifiques. La jurisprudence (section 1)

et la doctrine (section 2) en proposent diverses solutions, parfois présentées de manière exclusive. La

question de la force dérogatoire des règles générales du droit international est à contextualiser dans le

cadre de l'ensemble du système juridique interne, en prenant en considération ses principes structurants

(section 3).

14 Les organes internes autrichien, dont la Cour constitutionnelle, sont traditionnellement hostiles aux conceptions théoriques non justifiées par le contenu du droit positif (cf. András Jakab, « Two Opposing Paradigms of Continental European Constitutional Thinking : Austria and Germany », ICLQ, vol. 58, 2009, pp. 933-955). Le Professeur Théo Öhlinger constate, à propos de la réception en Autriche de certaines doctrines concernant les droits fondamentaux : « Les différentes théories juridiques des droits fondamentaux modifiant cette conception libérale n'ont eu aucune influence sur la jurisprudence autrichienne. Il s'agit des théories suivantes développées par exemple en R.F.A. : la théorie institutionnelle des droits fondamentaux, la théorie des valeurs, la théorie démocratique-fonctionnelle des droits fondamentaux et la théorie de l'État social. La jurisprudence autrichienne justifie sa réserve envers ces conceptions théoriques par le fait que la doctrine se montre également hostile à leur égard. Elle les considère seulement comme des propositions de politique constitutionnelle adressées au législateur constitutionnel. ; cf. « Objet et portée de la protection des droits fondamentaux – Cour constitutionnelle autrichienne », RIDC, vol. 33, 1981. pp. 543-579, p. 550. De même, la réception de la doctrine allemande en vogue de l'«ouverture au droit international de la Loi fondamentale » (« Völkerrechtsfreundlichkeit ») a été mitigée en Autriche.

460

Section 1 : La force dérogatoire selon la jurisprudence

Il convient de distinguer de manière nette deux aspects de la «jurisprudence»15 : l'application par les

juridictions d'une norme supérieure, à l'instar d'une disposition constitutionnelle qui attribue une

certaine force dérogatoire au droit international général (correspondant au dispositif) ; l'argumentation

des juridictions concluant à une classification des normes internationales en question dans la hiérarchie

des normes selon la force dérogatoire (correspondant aux motifs). L'aspect argumentatif de la

jurisprudence est similaire à la doctrine : sa finalité n'est autre que cognitive et sera donc approfondie

ultérieurement, avec l'exposé des opinions doctrinales. On peut cependant déjà relever que les

juridictions allemandes et autrichiennes motivent traditionnellement davantage leur décisions que les

juridictions françaises dont l'argumentation n'est parfois même pas visible, si ce n'est de manière

fragmentaire dans un document à part précédant la décision elle-même, les «conclusions» de l'avocat

général devant le juge judiciaire ou les «conclusions» du rapporteur public (ex-commissaire du

gouvernement) devant le juge administratif. Et l'on peut aussi observer, en ce qui concerne plus

spécifiquement le droit international général, que l'argumentation des juridictions autrichiennes paraît

plus lacunaire que dans d'autres domaines, surtout lorsqu'il s'agit de la Cour constitutionnelle et de la

Cour administrative, la Cour suprême motivant quant à elle davantage ses décisions.

L'analyse de la jurisprudence qui suit a pour objet les normes – particulières (« normes

juridictionnelles ») ou générales (« normes jurisprudentielles ») – posées par les juridictions qui

concrétisent les dispositions constitutionnelles relativement indéterminées quant au rang dérogatoire du

droit international général. L'exposé commence par la jurisprudence relative à la relation entre règle

générale du droit international et constitution (I), et continue par celle relative à la relation entre règle

générale du droit international et normes «infra-constitutionnelles» (II).

I. La relation selon la force dérogatoire entre règle générale du droit international et constitution

Dans la pratique, les juridictions allemandes et autrichiennes n'écartent pas l'application de la

constitution au profit des normes internationales en elles-mêmes. Les indications fournies par la

jurisprudence française sont plus éparses.

15 Selon le Professeur Otto Pfersmann : « Il convient [...] de distinguer strictement entre deux opérations que nous allons appeler respectivement "interprétation doctrinale" et "concrétisation organique". La motivation qui permet à l'organe de statuer dans un sens ou dans un autre relève de l'interprétation doctrinale, mais ce n'est pas elle qui en tant que telle, constitue la norme. Celle-ci constitue le résultat d'une concrétisation organique. […]. Lorsque le Parlement fait établir un rapport de commission sur la constitutionnalité d'un projet ou d'une proposition de loi, il fait un travail doctrinal, lorsqu'il vote la loi, il procède à une concrétisation organique ; lorsque le Conseil constitutionnel motive sa décision par des considérants, il fait œuvre de doctrine, il concrétise la constitution en décidant "la loi... n'est pas conforme à la Constitution" » ; cf. « L'architecture des constitutions formelles contemporaines », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème éd., Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 77-92, p. 88.

461

a. La prévalence de la constitution sur le droit international général en tant que composante du droit

fédéral selon les jurisprudences allemande et autrichienne

La Cour constitutionnelle fédérale allemande a affirmé à plusieurs reprises que les règles générales du

droit international ont en elles-mêmes, en tant que composantes du droit fédéral, un rang dérogatoire

intermédiaire, soit entre les simples lois et la constitution16, donc inférieur aux normes

constitutionnelles. On trouve à peu près la même affirmation dans la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle autrichienne, et ce à l'occasion d'une décision relative à la légalité de l'étatisation de

propriétés étrangères résultant de la Deuxième loi de nationalisation17 . Il est en l'occurrence estimé que

les règles généralement reconnues du droit international « sont réceptionnées [par l'art. 9] non pas

comme du droit constitutionnel fédéral mais comme du simple droit fédéral18 ». La Cour

constitutionnelle souligne dans son argumentation que l'article 145 B-VG n'a pas pour effet d'élever ces

normes au niveau de normes constitutionnelles, puisque la procédure spéciale prévue par celui-ci

annonce seulement un programme pour l'avenir.

Quelques décisions des juridictions suprêmes nationales ne vont cependant pas exactement dans le

même sens. La Cour constitutionnelle fédérale allemande insiste parfois sur le prétendu « principe

d'ouverture au droit international » (« Völkerrechtsfreundlichkeit »), considéré comme un principe

structurant de la Loi fondamentale, qui attribuerait aux règles générales du droit international un rang

équivalent, « à côté » (« neben ») de la Loi fondamentale19. La théorie d'un rang « à côté de la Loi

fondamentale » a été reprise par la Cour suprême autrichienne dans une décision isolée, et qui ne fournit

pas de justification détaillée, si ce n'est une brève comparaison avec l'article 25 LF20.

b. Les incidences de l'habilitation de chacune des juridictions suprêmes françaises sur leur conception

de la force dérogatoire du droit international général

α. Les limites de la compétence des juridictions internes lorsqu'il s'agit d'écarter l'application de la

Constitution au profit du droit international général

Il est certain que l'alinéa 14 n'autorise pas clairement les juridictions internes à écarter une disposition

constitutionnelle au profit du droit international général en cas de collision, mais il ne paraît pas non

plus l'interdire. Chaque juridiction suprême a développé une jurisprudence propre quant à la question de

la primauté du droit international, qui tient aussi aux limitations de leurs attributions contentieuses

16 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 37, p. 271 sqs. (278) ; 111, p. 307 sqs. (378).17 « 2. Verstaatlichungsgesetz », BGBl n° 81/1947.18 Décision du 24 juin 1954 ; Slg. 2680, p. 173. La Cour constitutionnelle est moins affirmative dans les décisions plus récentes, par exemple celle du 27 juin 1980 (Slg 8872).19 BVerfGE 6, p. 32 sqs. (37) ; 74, p. 129 sqs. (152) ; 80, p. 137 sqs. (153).20 OGH, 20 décembre 1988, 2Ob656/87.

462

respectives. Ainsi, le Conseil constitutionnel applique exclusivement le droit international général par

l'intermédiaire de l’alinéa 14, sans quoi le droit international général se trouverait absent de ses normes

de référence, étant donné qu'il n'est habilité qu'à appliquer les normes constitutionnelles («mode

d'applicabilité médian»). Quant au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ils appliquent le droit

international général immédiatement, avec des limitations qui tiennent à l'étendue de leur compétence

contentieuse (« mode d'applicabilité moniste au sens technique »).

Aucun organe, pas même le Conseil constitutionnel, n’est habilité par le droit interne à déroger à la

Constitution pour régler un cas particulier21. Le Conseil constitutionnel conçoit de surcroît le contrôle

de constitutionnalité comme une stricte compétence d’attribution22 : le contrôle de conformité des

normes internes qu'il opère trouve uniquement son fondement dans la Constitution du 4 octobre 1958

elle-même. Il s'ensuit que le juge constitutionnel ne s'estime pas habilité à conclure à la licéité d’une loi

inconstitutionnelle, mais conforme au droit international général. Et, plus généralement, le droit

international général ne prévaut pas sur le droit constitutionnel, au sens de l'ensemble des textes qui

forment la Constitution du 4 octobre 1958 (la « constitution au sens formel23 »).

21 La soi-disant « théorie » de la loi-écran est en réalité un principe du droit positif qui interdit au juge ordinaire d'écarter l'application de la « loi », même lorsque celle-ci n'est pas conforme à la « constitution au sens formel », c'est-à-dire à l'ensemble des textes normatifs formant la Constitution du 4 octobre 1958. Cette compétence de déroger à la constitution trouve elle-même son fondement dans un principe de la « constitution au sens matériel » (l'ensemble des normes relatives à la production de normes générales), évident à l'époque de la rédaction de la constitution, de sorte qu'il n'a pas été inclus dans le texte même : l'obligation pesant sur le juge ordinaire français de se conformer dans tous les cas à la « loi ». L'histoire de ce principe du droit positif est lié au dogme de la « souveraineté de la loi » qui est désormais en voie d'extinction. La doctrine considère souvent que le principe de la loi-écran résulte d'une « auto-restriction » du juge. Par exemple, Mademoiselle Dana Burchardt dit que la non-invocabilité traditionnelle des traités internationaux à l'encontre la loi devant le juge ordinaire n'est que « l'expression d'une autorestriction jurisprudentielle, niant un contrôle de conventionnalité et ne touchant pas directement à la hiérarchie formelle des normes. Cette non-invocabilité entraîne néanmoins une dominance législative de fait établissant, par ce choix jurisprudentiel, une hiérarchie des trois pouvoirs. » ; cf. « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p. (format PDF), p. 13. Cette analyse ne rend pas compte de l'état du droit positif : le principe de la loi-écran ne résulte pas d'une auto-limitation de la compétence du juge, mais de la limitation de sa compétence par un principe constitutionnel tellement évident à l'époque de la rédaction des textes constitutionnels qu'il n'a pas été prévu par une disposition explicite. La désignation du juge judiciaire comme simple « autorité », et non comme « pouvoir », par la Constitution du 4 octobre 1958, constitue un indice en ce sens, même s'il ne s'agit que de terminologie (cf. art. 66 al. 2 : « L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi »).22 L'affaire de la Convention franco-allemande additionnelle à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale n'apporte aucune donnée supplémentaire quant à la compétence du Conseil constitutionnel pour contrôler la conformité d'un traité international par rapport à un autre traité international (n°80-116 DC du 17 juillet 1980, p. 36 ; RGDIP 1981 p. 202 note Charles Vallée). Le Conseil est en l'espèce appelé à se prononcer sur la licéité d'un traité bilatéral dérogeant à un traité multilatéral. La question posée relève non seulement du droit international conventionnel (les dispositions de la convention-mère autorisent dans une certaine mesure la conclusion de traités bilatéraux), mais aussi du droit international coutumier (principes généraux relatifs au droit conventionnel, étant donné que la France n'est pas partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités). Le Conseil décline sa compétence, estimant qu'il « n'appartient pas au Conseil Constitutionnel (…) d'apprécier la conformité d'un accord international aux stipulations d'un traité ou accord international ». Ce déclinatoire de compétence est exclusivement motivé par la compétence du juge constitutionnel en matière de droit conventionnel (« traités ou accords ») et se situe dans la continuité de la jurisprudence I.V.G. relative au contrôle de conformité des lois par rapport aux traités internationaux (n°74-54 DC du 15 janvier 1975). Aucune référence n'est faite au droit international coutumier ni dans l'exposé des griefs invoqués, ni dans les motifs retenus.23 A propos de la distinction entre « constitution au sens matériel » et « constitution au sens formel », cf. Otto Pfersmann, « La définition de la constitution », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème

463

β. L'admission par le Conseil constitutionnel d'une équivalence de force dérogatoire, réservée aux

« principes généraux du droit public international »

Le Conseil constitutionnel semble admettre une force dérogatoire équivalente aux normes

constitutionnelles, il est vrai par voie indirecte. Il s'estime en effet compétent pour conclure à la non-

licéité d'une loi interne qui, non conforme au droit international général, est par là indirectement non

conforme à la Constitution en son alinéa 14 (cf. infra., la « théorie de la "constitutionnalité par

renvoi" »). Une position ferme ne se manifeste cependant pas encore dans son corpus jurisprudentiel, et

ce, d'autant plus que le Conseil a surtout exercé jusqu'à présent un contrôle de conformité des traités

internationaux par rapport aux règles du droit public international dans le cadre de la procédure spéciale

de l'article 54 de la Constitution24 (à l'occasion d'abord des décisions Maastricht I25 et Statut de la Cour

pénale internationale26).

En l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, seule une partie du droit international général,

et non toutes les « règles du droit public international », bénéficient apparemment d'une telle valeur

constitutionnelle. En effet, ce n'est que par rapport aux principes les plus généraux du droit international

que le Conseil contrôle la conformité des normes internes : « le respect de la souveraineté nationale ne

édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 68-77. La « constitution au sens formel » est définie comme « l'ensemble des normes de production de normes générales et abstraites » (p. 69) ; la « constitution au sens matériel » est l'ensemble des normes produites suivant « une procédure spécifique déterminant des normes explicitement qualifiées de « constitutionnelles » » (p. 72).24 L'article 54 de la Constitution française dispose que : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. » 25 N° 92-308 DC du 9 avril 1992, relative au Traité sur l'Union européenne (principe pacta sunt servanda).26 N° 98-408 DC du 22 janvier 1999, relative au Statut de Rome signé le 17 juillet 1998 instituant celle-ci. Le Conseil constitutionnel estime qu’en l'espèce « eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s’imposent à chacun des États parties indépendamment des conditions d’exécution par les autres parties : qu’ainsi la réserve de réciprocité mentionnée à l’article 55 de la Constitution n’a pas lieu à s’appliquer » (n° 98-408 DC, 22 janvier 1999, Cour pénale internationale, Rec. p. 29). Le Conseil se réfère ici à la règle du droit public international d’absence de condition de réciprocité pour certains traités internationaux, surtout ceux relatifs aux droits de l’homme. Formellement, le Conseil applique un principe du droit international dans le cadre du contrôle de constitutionnalité d'un traité international ; matériellement, il applique en l'espèce un principe du droit international relatif à la normativité des traités internationaux. Par ailleurs, le Conseil se réfère, de même que dans la décision Maastricht I, au principe du droit international pacta sunt servanda ; cependant, il s'agit en l'occurrence non de maintenir un comportement de l'État français conforme aux engagements internationaux contractés antérieurement, mais de vérifier que l'État français est en mesure de respecter le traité international qu'il est en voie de ratifier. Tant dans la décision Maastricht I que dans la décision sur le Traité portant Statut de la Cour pénale international, le juge constitutionnel précise le contenu de pacta sunt servanda : « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi » (considérant n°7 de la décision n°92-308 du 9 avril 1992, Traité sur l'Union européenne ; considérant n°32 de la décision n°98-408 DC du 22 janvier 1999). Cette description du principe pacta sunt servanda par le Conseil constitutionnel correspond à l'article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose: « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécutée par elle de bonne foi ». La Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 constitue en large partie une codification du droit international coutumier. Les principes coutumiers conservent leur validité sous leur forme normative coutumière malgré leur codification. Certains États, dont la France, n'ont pas ratifié la Convention de Vienne sur le droit de traité, de sorte que leurs organes internes appliquent exclusivement les principes coutumiers du droit international en matière de traités internationaux (cf. infra.: « Les principes généraux du droit international déterminant la validité et les modalités d'application du droit international conventionnel »).

464

fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions [de l'alinéa 14] du Préambule de la

Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue [...] d'assurer le

respect des principes généraux du droit international public27 ». La notion de « principes généraux du

droit public international » utilisée par le Conseil constitutionnel apparaît distincte de celle plus étendue

de « règles du droit public international », et présente une proximité terminologique certaine avec la

notion de « principes généraux du droit international » employée par la Cour internationale de justice, et

auparavant la Cour permanente de justice internationale, qui s'y réfèrent pour trancher les différends

internationaux28. Ces principes ne sont pas autre chose qu'une sorte de coutume internationale, ce qui

peut expliquer leur absence dans le texte de l'article 38 du Statut de la Cour internationale de justice qui

n'énumère que les formes normatives internationales différenciées selon leur mode de formation. Les

juridictions internationales entendent par « principes généraux du droit international international »

l'ensemble des coutumes universelles ou quasi-universelles, parmi lesquels on trouve : le principe dit de

« prééminence du droit international sur le droit interne » (CIJ, avis consultatif, 26 avril 1988,

Applicabilité de l'obligation de l'arbitrage29), le principe de prohibition de l'emploi de la force30, le

principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (CIJ, arrêt du 30 juin 1995, Timor oriental,

Portugal c/ Australie31), le principe pacta sunt servanda32, le principe de la non-application de

l'exception d'inexécution concernant les dispositions qui protégent les personnes humaines contenues

dans les traités à caractère humanitaire33. Les deux derniers principes évoqués font partie des rares

normes internationales auxquelles le Conseil constitutionnel s'est explicitement référé en tant que

normes de contrôle, respectivement dans ses décisions Maastricht I34 et Statut de la Cour pénale

internationale35. Le Conseil a même admis que ces principes – qui réglementent le droit international

27 N° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale (mes italiques).28 Le Conseil constitutionnel conserve néanmoins une terminologie qui lui est propre, soit l'ordre inhabituel des mots « droit public international », aussi présent dans l'expression « règles du droit public international » (alinéa 14), plutôt que la terminologie standard de « droit international public » .29 CIJ, avis consultatif du 26 avr. 1988, Applicabilité de l'obligation de l'arbitrage en vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'organisation des Nations unies, Rec. CIJ, 1988, p. 12 et svtes, spéc. p. 34, § 57.30 C.I.J., avis consultatif, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Rec. 1996, p. 226.31 Rec., 1995, p. 102, § 29.32 C.P.J.I., avis consultatif, 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine et de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, série A/B, n° 44, p. 24 ; C.I.J., arrêt, 25 septembre 1997, affaire relative au projet de Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Tchecoslovaquie), Rec. 1997, p. 7. 33 C.I.J., avis consultatif, 28 mai 1951, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Rec. 1951 p. 23. Ce principe général du droit international est codifié au cinquième paragraphe de la l'article 60 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Ce principe existe toujours sous forme coutumière, d'autant plus que certains États, dont la France, n'ont pas ratifié le texte.34 N° 92-308 DC du 09 avril 1992 ; considérant 7 : « Considérant que le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958, proclame que la République française "se conforme aux règles du droit public international" ; qu'au nombre de celles-ci figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. » 35 N° 98-408 DC du 22 janvier 1999. Suivant le Conseil constitutionnel, les engagements internationaux auxquels participe la France « en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international » peuvent « en particulier prévoir […] la création d'une juridiction permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ». Le Conseil estime dès lors qu'« eu égard à cet objet, les obligations nées de tels

465

conventionnel – puissent déroger à une norme constitutionnelle, en l'occurrence l'article 55 de la

Constitution qui organise la normativité interne des traités internationaux. Notamment, « la réserve de

réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer » aux traités

internationaux à caractère humanitaire36.

Il semblerait que seule une partie du droit international général, se caractérisant par son degré de

généralité, donc par son contenu en droit international37, bénéficie d'une force dérogatoire équivalente à

celle des normes constitutionnelles dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans le Bilan de

l'activité du Conseil constitutionnel pour l'année 1999, rédigé par le juge constitutionnel lui-même, il est

affirmé que la décision Traité portant Statut de la Cour pénale international « constitutionnalise les

principes généraux du droit international et confirme la constitutionnalisation de la règle pacta sunt

servanda déjà opérée par la décision Maastricht I du 9 avril 1992 ». La façon dont est formulé ce

constat prête à discussion, car le Conseil constitutionnel sous-entend là qu'il lui appartient de produire

des normes constitutionnelles, et ce, en procédant à leur « constitutionnalisation » ; ce constat n'en

demeure pas moins révélateur de l'éventuelle valeur constitutionnelle d'une partie du droit international

général.

γ. L'étendue de l'obligation des organes internes de respecter les décisions du Conseil constitutionnel

Les décisions du Conseil constitutionnel concernant le contrôle de conformité des normes internes par

rapport aux droit international général n'ont jusqu'à présent été produites qu'à l'issue du contrôle de

constitutionnalité a priori, c'est-à-dire avant que les normes litigieuses soient valides. Il paraît donc

difficile d'en tirer des conclusions quant à la prévalence du droit international général sur les normes

proprement internes déjà valides. Néanmoins, l'ensemble des organes internes sont tenus de respecter

les décisions du Conseil constitutionnel, y compris dans leurs «motifs»38. On pourrait dès lors y voir une

obligation pesant sur les organes internes, dont les juridictions ordinaires opérant un contentieux a

posteriori, d'écarter la réglementation interne au profit des « principes généraux du droit public

international » en cas de collision. La pratique des juridictions ordinaires ne va cependant pas en ce

sens, même si elles exercent parfois, à l'instar du Conseil constitutionnel, un contrôle de conformité des

traités internationaux par rapport aux principes généraux du droit international relatifs au droit

international conventionnel (cf. infra : « La relation entre règles générales du droit international et

traités »).

engagements s'imposent à chacun des États parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres États parties » et qu'« ainsi, la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer. »36 Ibid.37 Suivant la majorité des commentateurs de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le statut spécifique d'un certain ensemble de normes du droit international général dans la jurisprudence du juge constitutionnel tient à ce que leur applicabilité n'est pas conditionnée par la réciprocité dans la sphère internationale.38 Décision 62-18 L du 16 janvier 1962, Loi d'orientation agricole ; cf. aussi article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution . Cela est problématique car, par définition, les motifs sont uniquement argumentatifs et non normatifs.

466

Les commentateurs des différentes jurisprudences constitutionnelles nationales affirment souvent qu'une

présomption de compatibilité organise les relations entre le droit international général et la

constitution39. Toutefois, lorsqu'une norme internationale et une norme de la constitution «au sens

formel», c'est-à-dire une composante du texte même de la constitution, entrent en collision – leur sphère

d'application étant conjointe – la prévalence ira généralement à la norme de la constitution «au sens

formel» (par exemple, en matière de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le contentieux

constitutionnel français40). La prévalence sur les normes infra-constitutionnelles semble en revanche

plus admissible.

II. La relation selon la force dérogatoire entre règle générale du droit international et normes «infra-

constitutionnelles»

Par « normes infra-constitutionnelles», on entend celles qui se situent à un degré inférieur à la

constitution dans la hiérarchie des normes selon leur ordre de production : «loi» (A), puis normes

«infra-législatives» telles les décisions administratives ou juridictionnelles (B). Cette classification ne

préjuge pas de la relation selon la force dérogatoire, car une norme inférieure selon l'ordre de

production peut prévaloir sur les normes supérieures selon l'ordre de production (par exemple, un

«arrêt» d'une juridiction suprême auquel est attribué l'« autorité de la chose jugée »).

A. La relation entre règle générale du droit international et «loi»

La Loi fondamentale allemande est une des rares constitutions nationales – si l'on prend en compte

l'ensemble des constitutions des États européens41 – qui attribue expressément au droit international

général une prévalence sur les lois. Par contraste, ni la Constitution autrichienne, ni la Constitution

39 Cf. infra, «La résolution des "conflits" par la conciliation».40 On observe ici que le Conseil constitutionnel préfère nettement détourner le texte constitutionnel – par des méthodes d'interprétation discutables qui aboutissent à outrepasser sa compétence – que de recourir à la coutume internationale lorsqu’il y a risque d’incompatibilité. Dans sa jurisprudence relative à la décolonisation, le Conseil estime ainsi que l’article 53-3 de la Constitution autorise la sécession de territoires alors qu’il n’en permet manifestement que la cession (par exemple, Décision n°75-59 DC du 30 décembre 1975 relative aux Comores). La sécession de certains territoires outre-mer aurait pourtant pu être justifiée, en dehors des textes mêmes formant la « constitution au sens formel », par le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes tel que prévu par le droit international (cf. infra. « La délimitation du territoire national »).41 Cf. aussi par exemple l'article 8 phrase 1 de la Constitution slovène du 23 décembre 1991 : « Les lois et les autres actes juridiques réglementaires doivent être conformes aux principes du droit international généralement acceptés et aux traités internationaux qui obligent la Slovénie. » .

467

française ne contiennent de spécification en ce qui concerne la relation selon la force dérogatoire entre

le droit international général et la loi.

1. La « supériorité sur les lois » spécifiée par l'article 25 de la Loi fondamentale allemande

a. La distinction entre la « primauté sur la loi » et la « primauté sur le législateur »

La jurisprudence allemande tend à confondre la question de la relation entre normes avec celle de la

relation entre une norme et un organe :

α. La relation selon la force dérogatoire entre la forme normative «règle générale du droit international»

et la forme normative «loi»

La Loi fondamentale prévoit expressément que les règles générales du droit international « sont

supérieures aux lois ». Cette disposition concerne évidemment la relation entre normes, c'est-à-dire en

l'occurrence entre les formes normatives «règle générale du droit international» et «loi». Dans une

situation de collision entre une règle générale de droit international et une loi dans la sphère du droit

interne, la première prévaut sur la seconde (« vorgehen »)42. Et la Cour constitutionnelle fédérale dit que

cela correspond au droit international lui-même :

« Par l'incorporation à travers l'article 25 LF des règles générales du droit international dans le

droit fédéral avec primauté sur la loi, la Constitution applique une forme de droit fédéral qui est

appropriée à la conception du droit international général. Le but de la validité immédiate du droit

international consiste à éliminer le conflit avec le droit interne ou à assurer une application de ce

dernier conforme au droit international43 ».

L'argumentation de la Cour prête à controverse, car la prévalence du droit international dans le cadre du

système juridique interne ne correspond à aucune prétendue « conception » du droit international. Le

droit international est en principe indifférent au contenu du système juridique interne, y compris à sa

propre prévalence dans le cadre de celui-ci : la primauté d'application des règles générales du droit

international dans le système juridique allemand résulte en réalité uniquement de ses dispositions

constitutionnelles.

β. La relation entre la forme normative «règle générale du droit international» et l'organe «législateur»

La Cour constitutionnelle fédérale a adopté une conception étendue de la sphère d'application de

l'article 25, phrase 2, 1ère demi-phrase LF. Cette disposition ne prévoirait pas uniquement la relation

selon la force dérogatoire entre les deux formes normatives en question, mais aussi une relation entre

norme et organe : les règles générales du droit international lient aussi le législateur. Bien que la

42 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (316 ) ; 36, p. 342 sqs. (365) ; 37, p. 271 sqs. (278).43 BVerfGE 23, 288 sqs (316)

468

doctrine assimile souvent la «primauté sur la loi» et la « primauté sur le législateur », il convient de les

distinguer. Car la question de la « primauté sur le législateur » concerne surtout la relation selon l'ordre

de production, et non celle selon la force dérogatoire44.

Pour le juge constitutionnel allemand, la primauté de l'article 25 LF agit sur le «législateur»45, mais non

sur le «législateur fédéral constituant». La Cour part du constat que le législateur conserve en tant que

«pouvoir extérieur» constitutionnel une certaine compétence pour modifier le contenu des règles

générales du droit international et pour exécuter les représailles autorisées par le droit international en

des circonstances particulières, pour autant qu'il respecte les «raisons justificatives»46 du droit

international. La Cour remarque cependant que cette habilitation relève uniquement de la production et

de la concrétisation des règles générales du droit international par le législateur dans la sphère

internationale. Le législateur – en tant qu’organe interne et en raison de la primauté des règles générales

du droit international sur la loi prévue par l’article 25 LF – n'est pas habilité à exclure au moyen d’une

loi l’application des règles générales du droit international dans la sphère interne de la même manière

qu'il est peut-être habilité à le faire ailleurs, c'est-à-dire en ce qui concerne le droit international

conventionnel liant l’Allemagne, avec des effets juridiques internes toutefois limités47. En résumé, le

législateur est tenu dans son activité de production de la loi – la «législation» – de ne pas porter atteinte

aux règles générales du droit international.

b. Les effets juridiques de la primauté sur les lois contraires

La jurisprudence dit que la violation d'une règle générale du droit international n’est pas caractérisée si

la loi est conforme à la sphère de compétence propre qu'attribue le droit international aux États48. Il

s'ensuit que la violation du droit international général par une loi n’est pas sanctionnée dans tous les cas

par l’inconstitutionnalité ou la nullité de la loi litigieuse. La sanction juridictionnelle aux manquements

du droit international par des actes législatifs dépend des principes applicables dans le cadre de la

procédure juridictionnelle en cours, autrement dit de la compétence du juge saisi en l'espèce. Les

44 Il est vrai que la «primauté» de l'article 25 LF peut aussi se concevoir comme une primauté selon l'ordre de production, dans le sens où le législateur a l'obligation de concrétiser les règles générales du droit international ( cf. supra. « L'habilitation générale à concrétiser les normes transformées dans la sphère interne »). Une double lecture de la «primauté» de l'article 25 LF semble possible : prévalence des règles générales du droit international sur les lois contraires (supériorité selon la force dérogatoire) ; obligation pesant sur le législateur de concrétiser les règles générales du droit international (supériorité selon l'ordre de production). La conception de la supériorité selon l'ordre de production n'est pas exclusive de celle de la supériorité selon la force dérogatoire, et inversement.45 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; BVerfG, 1ère chambre du 2ème sénat, 21 mai 1987, N° 87/1, in NJW 1988, p. 1462 : « l'article 25 LF oblige le législateur et l’exécutif allemands à observer les règles générales du droit international ». 46 L'expression de « raisons justificatives » comme conditions de légalité de la guerre est issue de Hugo Grotius (1625) ; cf. Le droit de la guerre et de la paix, trad. Paul Pradier-Fodéré, PUF, Paris, 2005, 867 p. 47 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244).48 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78) ; Cela est hautement problématique parce que le droit international général autorise en principe les États à produire toutes normes internes, y compris en apparence contraires au droit international, de sorte qu'il n'y aurait en réalité – selon le raisonnement tenu – que r arement des atteintes au droit international par des normes internes (cf. infra., l' « application téléologique du droit international »)

469

manquements au droit international général sont globalement considérés par la jurisprudence comme

équivalents à des manquements à la Loi fondamentale.

2. Une jurisprudence peu fixée en Autriche et en France

Les jurisprudences autrichienne et française apparaissent peu fixées en ce qui concerne la relation selon

la force dérogatoire entre loi et droit international général, cela s'expliquant tant par l'indétermination

des dispositions constitutionnelles relatives que par la décentralisation juridictionnelle qui marque les

deux États.

α. La Cour constitutionnelle autrichienne estime que, par l'art. 9 B-VG, les règles généralement

reconnues du droit international ont un rang de « simple droit fédéral » dans la hiérarchie interne des

normes, et non un rang de « droit constitutionnel fédéral »49. Les arguments présentés par la Cour

constitutionnelle sont les suivants : d'une part, un tel rang semble suffisant pour éviter d'être accusé de

porter atteinte au droit international ; d'autre part, un rang supérieur ne pourrait leur être attribué que sur

le fondement de l'article 145 B-VG, mais celui-ci n'a encore d'effets juridiques étant donné que la loi

spéciale le concrétisant, annoncée par la Constitution elle-même50, n'a toujours pas été produite.

La supposition par la Cour constitutionnelle d'un rang peu défini de « simple droit fédéral » entraîne de

faibles incidences sur la jurisprudence des autres juridictions suprêmes autrichienne :

La Cour administrative ne s'est pas même prononcée sur le rang des règles généralement

reconnues du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire. En effet, elle a

constaté trivialement que, sur le fondement de l'art. 9 B-VG, les règles généralement reconnues du droit

international sont une partie constitutive du droit fédéral51. En certaines occasions toutefois, une relative

capacité de déroger leur a été admise en tant que lex specialis par rapport à des normes fiscales : avant

l'entrée en vigueur de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques 52 et de la

Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires53 codifiant les principes coutumiers

en la matière, l'exemption des impôts et des taxes bénéficiant aux membres des corps diplomatique

trouve son fondement dans l'article 9 B-VG54. La Cour administrative se réfère aussi aux principes

coutumiers relatifs à l'immunité de l'État étranger en matière de compétence des juridictions et autorités

49 Décision du 24 juin 1954 (Slg. 2680).50 Cf. Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement p. 266 ; mais aussi pour une opinion divergente plus récente : Alexander Balthasar, « Art.145 B-VG – Die Verdrängte Kompetenz », ZÖR, vol. 64, 2009, pp. 23-51.51 Décision du 6 février 1964, Zl. 262/63 ; décision du 3 juin 1964, Zl. 139/64 ; décision du 6 septembre 1995, VwSlg 14310 A/1995 ; décision du 8 novembre 1997, 97/21/0374 ; décision du 18 décembre 1997, VwSlg 14813 A/1997 52 BGBl n° 66/1966.53 BGBl n° 67/1966.54 Décision du 6 février 1964, Zl. 262/64 ; décision du 3 juin 1964, Zl. 139/64 ; décision du 29 janvier 1965, Zl. 202/63, Slg. 3213 (F).

470

administratives nationales sur les États étrangers55.

La jurisprudence de la Cour suprême, qui ne se réfère pas dans la plupart des cas à l'art. 9 B-VG

en matière internationale, paraît dépourvue d'approche systématique. La Cour suprême a pourtant déjà

affirmé, dans un obiter dictum relatif à l'acceptation d'une demande d'extradition, que : « la condition

préalable de toute extradition est, suivant les règles générales du droit international relatives à

l'extradition auxquelles l'article 9 B-VG attribue force de loi en tant que composantes du droit fédéral,

que l'infraction à la base de la procédure d'extradition ne doit pas seulement être jugée comme un acte

répréhensible par le droit de l'État sollicité (principe dit de la "norme identique") 56 ». Une décision

ultérieure contient cependant l'affirmation selon laquelle les règles généralement reconnus du droit

international « s'approchent d'un rang constitutionnel », ce qui est justifié par une brève analogie avec

l'article 25 LF57. Un rang dérogatoire supra-législatif semble ainsi ne pas être exclu.

β. En droit français, le juge ordinaire n'est en principe pas habilité à écarter l'application de la loi au

profit d'une autre forme normative58, d'où s'ensuit que droit international général ne prévaut pas sur la

loi dans le contentieux (ii). Cela tient aux compétences contentieuses du juge ordinaire, et non à la

relation selon la force dérogatoire en tant que telle entre ces deux formes normatives. En revanche, le

Conseil constitutionnel dispose d'une compétence de principe de contrôle de conformité des lois (i)

i. Le Conseil constitutionnel admet apparemment la valeur supra-législative des « principes généraux du

droit international »59, comme l'indique leur introduction en tant que normes de référence dans le cadre

du contrôle a priori de constitutionnalité des lois60 61. Le Conseil n'a toutefois jamais affirmé clairement

la valeur supra-législative de l'ensemble des «règles du droit public international», puisqu'il ne vise de

manière constante que les « principes généraux du droit public international ».

55 Décision du 13 janvier 1954, Zl. 1517/51, VwSlg 869 (F).56 Décision du 20 mars 1953 ; ÖJZ, 1953, vol. 8, Evidenzblatt n° 380, p. 466.57 OGH, 20 décembre 1988, 2Ob656/87.58 Le juge administratif et le juge judiciaire s'estiment certes compétent pour contrôler la conventionnalité des lois sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, mais il s'agit là d'une exception. Ce contrôle opéré par le juge ordinaire n'aboutit de plus qu'à la suspension de l'application de la loi litigieuse pour le cas d'espèce, et non à sa destruction définitive.59 Dans la pratique, dans la plupart des cas à propos desquels le Conseil constitutionnel s'est prononcé, le juge constitutionnel constate au final que la loi litigieuse n'est pas en violation du droit international. Il est possible d'imaginer que le Conseil constitutionnel s'opposerait à des situations où la violation du droit international par la seule loi est certaine. Il en irait par exemple ainsi d'une loi transgressant avec certitude la personnalité internationale des organisations internationales en autorisant des violations de son immunité.60 Un rang «législatif» serait dépourvu de sens dans le cadre du contrôle a priori des lois : par définition postérieure aux normes de référence dans le cadre de cette forme de contrôle, la loi prévaudrait dans tous les cas sur les normes de référence de même valeur en application du principe lex posterior.61 L'opinion doctrinale selon laquelle les normes internationales auraient, suite à la décision nationalisations, un rang législatif ou infra-législatif ne correspond pas à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La formule de la décision nationalisations selon laquelle les effets extra-territoriaux de la loi « ne sauraient restreindre en quoi que ce soit le droit du législateur » n'est pas liée à la question du rang du droit international général, mais à la nature factuelle de ses effets extra-territoriaux.

471

ii. La « théorie de la loi-écran »

En principe, le juge ordinaire ne dispose pas de compétence pour écarter l’application d’une norme

législative, lors même que la norme législative en question est non-conforme à une disposition

constitutionnelle («théorie de la loi-écran»62). La Cour de cassation63 et le Conseil d’État64 s'estiment

néanmoins par exception compétents pour contrôler la conformité des lois par rapport aux traités

internationaux, et ce, sur le fondement de l’article 55 de la Constitution qui ne leur attribue pas

expressément cette compétence, mais détermine uniquement l'«autorité supérieure» des traités sur les

lois65. Les juges ordinaires ont tardivement vu dans cette disposition constitutionnelle une habilitation

pour écarter la loi au profit du traité international66. L'exception contentieuse du contrôle de

conventionnalité des lois n'a pas été étendue au droit international général, l'alinéa 14 du Préambule de

la Constitution 1946 étant considéré comme trop indéterminé pour consister en une autre habilitation au

bénéfice du juge ordinaire67.

62 On est ici dans le cas d'une limite traditionnelle de la compétence du juge administratif héritée du « parlementarisme extrême » de la IIIe République. Le Professeur Otto Pfersmann décrit ainsi la situation juridique :« A cette compétence [du Parlement] de produire (et partant, de modifier ou de détruire en appliquant la même procédure) [la loi] ne s'oppose aucune compétence d'un autre organe d'annulation conditionnelle (il n'y a pas de contrôle des règles supérieures selon le rapport de production). Les organes d'application des règles ainsi produites vont donc bien contrôler que la production répond aux normes qui en déterminent la procédure, mais ils ne pourront que constater la validité ou la non-validité d'une norme, ils ne pourront pas annuler une règle pour non conformité à une règle qui ne concerne pas directement la validité. En d'autres termes, cette compétence de produire des lois, conférée au Parlement, est aussi la compétence de violer des règles concernant éventuellement le contenu de la loi. » ; cf. « Carré de Malberg et "la hiérarchie des normes" », in : Olivier Beaud, Patrick Wachsmann (éds), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, PU Strasbourg, Strasbourg, 1997, 345 p. pp. 295-324, p. 320. Cf. aussi à propos de l'ainsi dite « théorie de la loi-écran » : Otto Pfersmann, « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement p. 226.63 Cass, 24 mai 1975, Administration des douanes c. Sté « Cafés Jacques Vabre ».64 CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748.65 Pour une explication systématique du contrôle de conventionnalité des lois par les juridictions ordinaires : cf. Otto Pfersmann (2010), op. cit. note 62, spécialement p. 226.66 Néanmoins, l’article 55 n'est pas visé dans certains arrêts. Par exemple : CE, 24 septembre 1990, Boisdet, Leb. 251.67 La comparaison entre la rédaction de l'arrêt M. Sarran, M. Levacher et autres, dans lequel le juge administratif se prononce sur la question de la relation hiérarchique entre deux formes normatives (en l'espèce, constitution et traité international), et celle des arrêts Aquarone et Paulin, dans lesquels le juge administratif se prononce sur la question de sa propre compétence pour faire prévaloir une forme normative sur une autre (en l'espèce, une norme internationale non conventionnelle sur une loi), met en exergue la différence de problématique. A l'occasion de la première affaire, le juge administratif considère que « la suprématie […] conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas » aux normes constitutionnelles (CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran) ; dans les affaires Aquarone et Paulin, le juge considère qu'aucune norme constitutionnelle « ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir » une norme sur une autre (Conseil d'État, 6 juin 1997, Aquarone ; CE, 28 juillet 2000, M. Paulin ; mes italiques).Le Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier dit précisément que : « c'est cette habilitation [de l'article 55] qui fait défaut pour la norme non écrite du droit international » (C.E., Ass., 6 juin 1997, Aquarone, Leb., p. 206; concl. Bachelier; RFDA 1997, pp. 1068-1082 ; RGDIP 1997, pp. 840-863). Dans le même sens, le Professeur Denis Alland développe l'analyse suivante : « à l'heure actuelle et à l'égard des normes internes du rang au moins législatif, la place de la coutume internationale dans le droit français, faute d'être déterminée par un texte aussi précis que l'article 55 peut être ainsi résumée : elle existe, on la respecte, mais le juge n'est pas habilité à la faire prévaloir sur une loi contraire. En ce sens, l'absence d'une disposition constitutionnelle relative au droit international non écrit comparable à l'article 55 a incontestablement pour effet de "neutraliser" la coutume internationale » ; cf. « Jurisprudence Française en matière de droit international public », RGDIP 1997, pp. 1063-1067, p. 1067. Le Commissaire du gouvernement Dandelot va même plus loin dans ses conclusions sur C.E., sect., 18 avril. 1986, Les mines de potasse d'Alsace (Leb. 1986, p. 116) : « [l]'article 55 de la Constitution » est une interdiction pesant sur le juge administratif de procéder au contrôle de conformité des actes administratifs par rapport aux normes non conventionnelles du droit international « en ne prévoyant

472

Dans la tradition constitutionnelle française, la loi est une norme indérogeable, ce qui explique que les

juges ne sont pas en principe habilités à écarter son application au profit d'une autre norme68. Et cela

aboutit à la situation suivante, déjà décrite par le Professeur Serge Sur en 1979 :

« Quant à la coutume, à la différence des traités, elle est virtuellement intégrée, au titre du

Préambule, dans le bloc de constitutionnalité […] mais son application demeure largement à la

discrétion du Conseil. Rien ne l'empêche de déclarer une loi qui serait contraire à une "règle du droit

public international", même s'il n'y paraît pas pour l'instant très disposé. En revanche, les juridictions

ordinaires ne semblent pas pouvoir faire prévaloir la coutume sur la loi. Tout au plus peuvent elles, le

cas échéant, interpréter la législation dans le contexte des règles coutumières.69 ».

Étant donné que les juridictions ordinaires ne disposent pas d'une habilitation pour écarter l'application

de la loi au profit du droit international général, elles n'ont pas même à se prononcer sur la question de

la relation selon la force dérogatoire en tant que telle entre ces deux formes normatives 70. Une

prévalence des coutumes internationales sur la loi s'observe néanmoins parfois dans la pratique des

juridictions ordinaires, par exemple dans le domaine des immunités internationales, aussi celles qui

couvrent l'État étranger d'un recours juridictionnel que celles qui protègent le chef d'État étranger d'une

procédure pénale71. Les juridictions justifient peu une telle prévalence du droit international dans les

motifs de leurs décisions (cf. infra, « l'application téléologique du droit international »).

que l'applicabilité des "traités et accords" et sous réserve de réciprocité ». Ce raisonnement a contrario paraît problématique. L'article 55 constitue peut-être une lex specialis attribuant exclusivement une primauté d'application sur la loi aux traités internationaux, à l'exclusion des autres normes internationales dépourvues d'une telle force dérogatoire. Néanmoins, ce raisonnement ne vaut que par rapport à la loi : rien n'exclut la prévalence des normes internationales non conventionnelles sur les actes administratifs.Cf. aussi plus récemment : CE, Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres : « Considérant qu’en vertu du quatorzième alinéa du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ; que l’article 1er de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution prévoit que l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution ; qu’il en résulte que la règle coutumière du droit public international d’immunité d’exécution des États, qui n’est écartée ni par cette loi ni par aucune autre disposition législative, s’applique dans l’ordre juridique interne. » (n°329788, 329789, 329790 et 329791). 68 Cf. pour la description et la critique de cette tradition constitutionnelle française : Otto Pfersmann (1997), op. cit. note 62.69 Serge Sur, « L'application du droit international », in : Hubert Thierry, Jean Combacau, Serge Sur, Charles Vallée, Droit international public, 2ème éd., Montchrestien, Paris, 1979, 760 p., p. 190.70 Cela vaut aussi bien dans les cas d'antériorité que de postériorité de la norme internationale par rapport à la loi :Devant le juge ordinaire, la loi postérieure prime la norme internationale par l'habilitation limitée dont dispose l'organe juridictionnel pour écarter la loi au profit d'une autre norme, même constitutionnelle. Le juge judiciaire, tout comme le juge administratif, refusent en principe de contrôler la constitutionnalité de la loi et, par incidence, la conformité de la loi par rapport aux règles du droit public international liant la France sur le fondement de l'alinéa 14.Lorsque la loi est antérieure à la norme internationale, le juge administratif s'estime dépourvu de compétence pour écarter l'application de la loi au profit du droit international conventionnel En son arrêt Paulin – une confirmation de l’arrêt Aquarone – le Conseil d'État considère que l'alinéa 14 « ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes » (CE, 28 juillet 2000, M. Paulin).71 Cass., crim., 13 mars 2001, affaire Kadhafi, 00-87.215 « la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent […] faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger » ; cf. à propos de cette affaire : Carlo Santulli, « Coutume internationale et juge national : qui peut quoi ? A propos de l'immunité du chef de l'État étranger dans l'affaire Kadhafi », JDI, 2002, pp. 804-813.

473

L'absence d'habilitation d'écarter la loi au profit du droit international général n'empêche pas les

juridictions ordinaires d'énoncer leur opinion quant au rang dérogatoire de ce dernier. Et les juridictions

ordinaires ont sur ce point tendance à ne pas contredire l'indétermination constitutionnelle. La Cour

d'appel de Paris considère ainsi, de manière très générale, que « la France a, dans le Préambule de la

Constitution du 27 octobre 1946, […] consacré la force de la coutume internationale en droit interne 72 ».

Il en va de même en contentieux administratif. A l'occasion de l'affaire Aquarone, la Cour administrative

d'appel de Lyon avait émis une opinion relativement précise quant à la force dérogatoire même du droit

international général, sans avoir égard à l'indétermination constitutionnelle : « si l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 dont se prévaut M. Aquarone […] n'est pas nécessairement

dépourvu de toute portée en droit interne, il ne saurait, en revanche, avoir pour effet de conférer aux

règles coutumières ou même aux principes de droit international l'autorité supérieure à la loi que

l'article 55 de la Constitution confère dès leur publication aux seuls traités ou accords régulièrement

ratifiés ou approuvés73 ». Le Conseil d'État, dans la même affaire, ne se prononce pas sur le rang

dérogatoire en tant que tel des normes du droit international général, mais resitue la question dans le

contexte du contentieux administratif, et donc de la compétence du juge administratif : « [ni l'article 55

de la Constitution], ni aucune autre disposition de rang constitutionnel ne prescrit ni n'implique que le

juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux

normes74 ». L'instauration du contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois, auquel participent dans

une certaine mesure les juridictions ordinaires, pourrait aboutir à leur attribuer une habilitation pour

contrôler la conformité de la loi par rapport aux règles du droit public international, mais le corpus

jurisprudentiel est en l'état insuffisamment développé pour qu'une telle extension de la compétence du

juge ordinaire soit prévisible.

La capacité de déroger d'une forme normative dépend, outre les spécifications contenues dans les

normes supérieures qui lui attribue tel ou tel rang dérogatoire, des principes qui structurent le

contentieux juridictionnel national. Lorsque la norme litigieuse est inférieure à la loi dans la hiérarchie

des normes selon l'ordre de production, les juridictions ordinaires disposent souvent d'une certaine

compétence pour les détruire (au sens large, y compris par la désapplication provisoire) ; ceci peut

s'illustrer – le cas échéant – par la compétence des juridictions administratives en ce qui concerne les

actes administratifs.

72 CA Paris, ch. d'accusation, 2e section, 20 octobre 2000, n°A 1999-0591.73 CAA Lyon, 5 avril 1993, M. Aquarone, Leb. p. 439.74 CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, Leb. p. 206.

474

B. La relation entre règles générales du droit international et normes «infra-législatives»

Les corpus jurisprudentiels autrichien et français concernant la relation selon la force dérogatoire entre

droit international général et normes «infra-législatives» porte surtout sur les décisions

administratives75. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande contient des

indications plus larges, ce qui tient sans doute à ses nombreuses attributions contentieuses.

1. La mise en œuvre du principe lex superior selon la jurisprudence allemande

La jurisprudence allemande soutient que la primauté sur les lois dont l’article 25 LF dispose emporte

primauté des règles générales du droit international sur toutes les normes internes dites «infra-

législatives76» (principe lex superior). Les règles générales du droit international prévalent notamment

sur les normes de droit étranger77 qui s'appliquent en principe sur le territoire allemand dans une

situation relevant du droit international privé sur le fondement des normes internes législatives de

renvoi78 (cf. Einführungsgesetzes zum Bürgerlichen Gesetzbuche, Loi d'introduction du Code civil, dite

EGBGB).

La primauté générale sur les lois vaut aussi dans la relation de «norme» à «organe» : de même que le

législateur, les juridictions et l'exécutif sont tenus de respecter les règles générales du droit international

en raison de leur rang dans la hiérarchie des normes79. Ainsi, l'exécution des normes «infra-législatives»

doit être réalisée dans le respect du droit international général80.

Dans un cas d'espèce, l'application d'une norme interne «infra-législative» non-conforme au droit

international général doit être écartée dans la seule étendue de sa contradiction matérielle avec la règle

75 La question de la relation selon la force dérogatoire entre les normes internationales non conventionnelles et les normes infra-législatives se pose aussi pour d'autres normes «infra-législatives» (normes juridictionnelles, par exemple celles prises en violation du principe d'immunité de juridiction de l'État étranger ; contrats entre particuliers appliquant certains principes du droit international relatifs au droit international privé, etc.), mais on ne trouve pas dans les jurisprudences autrichienne et française de systématique à ce propos. 76 «Infra-législatives», c'est-à-dire inférieures à la loi selon l'ordre de production (décisions administratives d'exécution, décisions juridictionnelles, etc.). La relation hiérarchique selon l'ordre de production ne correspond pas nécessairement à la relation hiérarchique selon la force dérogatoire (par exemple, un « arrêt » inférieur à la « loi » dans l'ordre de production lui est supérieur selon la force dérogatoire car il est constitutionnellement interdit à la « loi » de modifier un « arrêt »). Il s'ensuit qu'il n'est pas possible de déduire la classification des normes selon la force dérogatoire par inférence de la seule classification des normes selon l'ordre de production. Dans les systèmes juridiques positifs, la prévalence des normes supérieures dans l'ordre de production sur les normes inférieures dans l'ordre de production peut notamment être fondée sur le principe lex superior.77 Le «droit étranger» constitue en réalité un droit d'origine étrangère : sa validité est interne au système juridique du for puisqu'elle trouve son fondement dans les normes de renvoi contenues dans celui-ci. 78 BVerfGE 75, p. 1 sqs. (19) ; cf. inter alia : Rainer Hofmann, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV, vol. 49, 1989, pp. 41-60.79 BVerfGE 23, p. 88 sqs. (300) ; BVerfGE 31, p. 145 sqs. (177).80 BVerfGE 64, p. 1 sqs. (20) ; 75, p. 1 sqs. (18) ; BVerwGE 75, p. 285.La doctrine et la jurisprudence évoquent souvent une « interprétation conforme » aux règles générales du droit international. Il ne s'agit en réalité pas ici d'une « interprétation » (une opération cognitive), mais d'une obligation de concrétiser les normes « infra-législatives » en respectant le droit international. Cf. infra : « la résolution des "conflits" par la conciliation ».

475

générale du droit international qui réglemente la situation particulière. En cela, le droit interne «infra-

constitutionnel» n'est généralement pas sanctionné par la nullité, mais demeure applicable dans la

sphère où il n'est pas en conflit avec le droit international général. La violation d'une norme ius cogens

constitue une exception : la validité de l’acte juridique interne au contenu contraire au ius cogens est

« brisée » dans la sphère de souveraineté de l'État fédéral allemand81.

2. Le contrôle de conformité des décisions administratives par rapport au droit international général

dans les contentieux administratifs autrichien et français

On trouve deux questions semblables dans les jurisprudences administratives autrichienne et française :

celle, générale, de la prévalence du droit international général sur les normes administratives ; celle,

plus spécifique, de la compétence du juge de détruire (au sens large) une norme administrative produite

sur le fondement d'une loi (« écran législatif »).

α. La Cour administrative autrichienne exerce en principe sa compétence contentieuse de contrôle des

normes administratives dans le cadre d'un principe de légalité au sens strict ; l'article 130 al. 2 B-VG

définit ainsi l'étendue de sa compétence : « Il n'y a pas d'illégalité [d'une décision administrative] tant

que le législateur n'a pas fixé de réglementation contraignante concernant le comportement de

l'autorité administrative et tant que celle-ci a utilisé, dans l'esprit de la législation, son pouvoir

discrétionnaire ». Dans une jurisprudence peu définie, la Cour administrative paraît tout de même

admettre que n'est pas exclue l'illégalité d'une décision administrative en raison de sa non-conformité au

droit international général82, ce qui suppose que l'article 9 B-VG soit lex specialis par rapport à l'article

130 al. 2 B-VG.

La Cour constitutionnelle est quant à elle, lorsqu'elle exerce sa compétence administrative prévue par

l'article 139 B-VG, considérée comme compétente pour contrôler la conformité des règlements des

autorités de la Fédération et des Länder par rapport aux règles généralement reconnues du droit

international83.

β. La jurisprudence administrative française soutient que la relation selon la force dérogatoire entre les

81 BVerfGE 84, p. 90 sqs. (123) ; BGHZ 20, p. 4 sqs. (12) ; 25, p. 134 sqs. (140). La jurisprudence concerne surtout les actes d'origine étrangère supposés être réceptionnés en droit allemand par les normes législatives de renvoi en matière de droit international privé.82 Cf. par exemple, les décisions du 29 janvier 1965, en matière d'exemption fiscale des diplomates (VwSlg 3212 F/1965) ; 9 avril 1999 (97/19/0882) en matière de droit des étrangers.83 Cf. inter alia : Josef L. Kunz, « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, p. 319 ; Gustav Adolf Walz, Die Abänderung völkerrechtsgemäßen Landesrechts; grundsätzliche Untersuchungen zum englischen, amerikanischen, deutschen und österreichischen Recht, Dümmler, Berlin, 1927, 174 p., spécialement p. 172 ; Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9, spécialement p. 94 ; Alexander Balthasar, op. cit. note 8, spécialement p. 181.

476

normes administratives – les «actes administratifs» dans la terminologie juridique française – et le droit

international général ne dépend pas tant de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 que de

la volonté du juge84. Étant donné la pratique d'application immédiate du droit international général, son

éventuelle prévalence sur les actes administratifs ne découle pas de son rang dérogatoire supérieur dans

l'ainsi dite « pyramide des normes », mais de la compétence dont dispose le juge administratif pour faire

prévaloir toute norme juridique sur les actes administratifs, comme l'illustre la prévalence des normes

générales dont le juge administratif est lui-même le producteur (les «principes généraux du droit»85). Le

juge administratif est peut-être incompétent pour écarter l'application de la loi au bénéfice d'une norme

internationale non conventionnelle (principe de la loi-écran), mais il demeure pourvu d'une compétence

générale d'annulation des actes administratifs. Autrement dit, hormis présence d'une «loi-écran», le juge

administratif dispose dans tous les cas d'une compétence pour faire prévaloir toute norme sur un acte

administratif86. La doctrine majoritaire tend pour cette raison à considérer qu'il appartient au juge

administratif d'annuler les actes administratifs – quel que soit leur degré de généralité – non-conformes

au droit international général87.

Le Commissaire du gouvernement Bachelier fait observer, dans ses conclusions prononcées sur l’arrêt

Aquarone, qu'il n'est pas exclu que le juge administratif annule les actes administratifs non-conformes

au droit international général dans le cadre du contentieux de l'excès de pouvoir 88. Pour le moins, le

juge administratif accepte que les actes administratifs soient contestés par la voie du recours pour excès

84 Selon une partie minoritaire de la doctrine, en l'absence d'une compétence attribuée par la Constitution au juge administratif de faire prévaloir les normes internationales non conventionnelles sur les normes internes, y compris «infra-législatives», l'éventuelle annulation des actes administratifs en raison de leur non-conformité au droit international général trouve pour seul fondement l'autorisation générale dont dispose le juge administratif pour faire prévaloir toute norme, y compris les normes qu'il produit lui-même (par exemple, les « principes généraux du droit »), sur les actes administratifs. Ainsi, le contrôle de conformité des actes administratifs par rapport aux normes internationales serait uniquement fondée sur une norme jurisprudentielle posée par le juge administratif lui-même. Cf. inter alia : Didier Chauvaux, Thierry-Xavier Girardot, « chronique générale de la jurisprudence administrative française », AJDA, 1997, pp. 570-575 ; Gilles Bachelier, « Les règles non écrites du droit international public et le juge administratif » in : Pierre-Marie Dupuy (éd.), Droit international et droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, éd. Panthéon-Assas, Paris, 2001, 128 p., p. 41 et svtes ; Gérard Teboul, « Nouvelles réflexions sur le droit international non écrit dans la jurisprudence du juge administratif et du juge judiciaire français », RDP 2001, pp. 1109-1140, spécialement pp. 1133-1134 (à propos des « actes administratifs de caractère réglementaire »).85 CE. Sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. p.133 (droits de la défense) ; CE Ass., 25 juin 1948, Société du journal l'Aurore, Rec. p. 289 (non-rétroactivité des actes administratifs). 86 La possibilité d'attribuer aux principes du droit international une force dérogatoire équivalente à celles des « principes généraux du droit » (internes) est explorée par : Odile Debbasch, « Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international », in : Mélanges en hommage à Jean Boulouis – L'Europe et le Droit, Dalloz, Paris, 1991, 556 p., pp. 139-180., spécialement p. 167 et svtes.87 René Chapus, Droit administratif général, tome 1, 14ème éd., Montchrestien, Paris, 2000, 1400 p., p. 105.88 Cf. Concl. Gilles Bachelier sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, p. 862.Dans le cadre du contentieux de l'annulation, le Conseil d'État admet une certaine autorité des normes internationales non conventionnelles dès les arrêts France Terre d’Asile (CE, 27 septembre 1985, Rec. p. 263 à propos du droit d'asile) et Société les mines de potasse d'Alsace (CE, 18 avril 1986, Rec. p. 116 à propos de la pollution transfrontalière). Toutefois, les conseillers d'État Didier Chauvaux et Thierry-Xavier Girardot rapportent que ce n'est qu'à partir de l'arrêt Aquarone du 6 juillet 1997 que le juge administratif « écarte l'idée selon laquelle la coutume ne serait invocable que dans le cadre des litiges de plein contentieux et simplifie ainsi l'état du droit issu de la décision Nachfolger » ; cf. op. cit. note 84, p. 574.

477

de pouvoir au motif d'une violation du droit international général. Au plein contentieux, la

jurisprudence Nachfolger89 – dans laquelle le juge administratif affirme l'obligation de conformité des

actes administratifs au droit international général – apparaît constante.

A l'opposé des juridictions, lorsque la doctrine développe une analyse des données du droit positif, ce

n'est pas pour les appliquer ensuite. Il se pourrait donc que l'argumentation que la doctrine fournit

s'oriente moins vers la question de l'articulation entre force dérogatoire et compétence contentieuse.

Section 2. La force dérogatoire selon la doctrine

Les doctrines allemande et française (α.) présentent une analyse de la classification du droit

international général selon la force dérogatoire proche de celle que l'on trouve dans la jurisprudence,

surtout la doctrine française d'ailleurs, et ce, malgré un corpus jurisprudentiel national moins développé.

Par contraste, la doctrine autrichienne est parfois très éloignée des conceptions jurisprudentielles (β.).

α. Les doctrines allemande et française s'inscrivant dans la continuité de la jurisprudence

i. La doctrine française s'aligne souvent sur la jurisprudence en ce qui concerne la classification des

normes selon la force dérogatoire, quelle que soit la forme normative en question. Une telle description

du droit positif résulte d'une démarche qui paraît discutable : lorsqu'elles produisent une décision qui

concrétise une norme de haut degré de généralité, comme celle relative à la normativité interne du droit

international général, les juridictions n'effectuent qu'un choix parmi plusieurs solutions juridiquement

admissibles ; de plus, rien n'empêche qu'elles puissent commettre des erreurs dans leur argumentation

motivante. On le verra, une partie de la doctrine française exprime tout de même une conception

relativement indépendante de la jurisprudence.

Aussi, la doctrine dominante française tend à confondre la hiérarchie des normes selon l'ordre de

89 CE, 23 octobre 1987, Nachfolger : En plus l'annulation de l'acte administratif non-conforme, l'administration peut engager sa responsabilité en raison de la violation du droit international non conventionnel dans le cadre d'une procédure juridictionnelle de plein contentieux.

478

production et la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire90. Ainsi, une forme normative se

situeraient nécessairement à une place déterminée – entre deux autres formes normatives – dans la

«pyramide des normes globale», et ce, quand bien même la constitution ne prévoit rien de cette sorte.

Pour illustrer ce qui vient d'être dit, les normes internationales ne pourraient être qu'«infra-

constitutionnelles» et «supra-législatives», ou encore «infra-législatives» et «supra-décrétales» (etc.).

Néanmoins, il est souvent observé que leur force dérogatoire dépend aussi pour partie de la compétence

des organes d'application du droit de les faire prévaloir sur d'autres normes internes.

En France, les interrogations d'une partie de la doctrine concernant l'appartenance d'une partie du droit

international général au bloc de constitutionnalité, et parfois même sa supra-constitutionnalité,

contrastent avec l'opinion parfois émise selon laquelle les normes internationales non conventionnelles

sont assurément applicables en droit interne, mais cèdent devant toutes les normes internes, donc dès

lors qu'existe une réglementation interne dans le même domaine. De telles divergences doctrinales

trouvent souvent leur origine dans les divergences de jurisprudence des différentes juridictions

suprêmes, et ne s'appuient pas sur une analyse globale du système juridique interne.

ii. La doctrine allemande relative à la question de la force dérogatoire des règles générales du droit

international est abondante, de sorte qu'il paraît inapproprié d'en donner un aperçu uniforme.

Néanmoins, deux opinions majoritaires, qui s'inscrivent dans la continuité de la jurisprudence de la

Cour constitutionnelle fédérale, se dégagent : les règles générales du droit international occupent un

rang «à côté» (neben) de la Loi fondamentale91, ce qui peut sembler assez vague ; d'autres auteurs

considèrent que leur rang dérogatoire se situe entre la Constitution et la simple loi92.

β. La classification du droit international général dans la hiérarchie des normes selon la force

90 A propos de la « théorie française de la hiérarchie des normes », cf. la critique du Professeur Otto Pfersmann (1997) : op. cit. note 62, spécialement pp. 295-297. Le Professeur Otto Pfersmann constate que la doctrine française appréhende ainsi la théorie de la hiérarchie des normes : « La hiérarchie des normes est un rapport linéaire, c'est-à-dire que chaque norme est dans un rapport d'infériorité ou de supériorité par rapport à une catégorie de normes et une seulement. » (p. 296).91 Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p., p. 182 et svtes ; Walter Rudolf, Völkerrecht und Deutsches Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1967, 323 p., p. 267 et svtes ; Helmut Steinberger, « Allgemeine Regeln des Völkerrechts », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen , C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 173, pp. 525-570, spécialement n° 61; Christian Koenig, « Art. 25 », in : Herrmann von Mangoldt, Franz Klein, Christian Starck (éds), Kommentar zum Grundgesetz, tome 2, 5ème éd., Vahlen, Munich, 2005, n°90.92 Cf. inter alia : Klaus Stern, Das Staatsrecht der Bundesrepublik Deutschland, tome 1, Grundbegriffe und Grundlagen des Staatsrechts. Strukturprinzipien der Verfassung, 2ème éd., C. H. Beck, Munich 1984, 1111 p., p. 493 ; Rainer Hofmann, « Zur Bedeutung von Art.25 GG für die Praxis deutschen Behörden und Gerichte », in : Walther Fürst, Roman Herzog, Dieter C. Umbach, Festschrift für Wolfgang Zeidler, Walter de Gruyter, Berlin-New York, 1987, 1999 p., pp. 1885-1898 ; Christian Tomuschat, « Die staatsrechtliche Entscheidung für die internationale Offenheit », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen , C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 172, pp. 483-524, spécialement n°15 ; Hans D. Jarass, « Art. 25 », in : Hans D. Jarass, Bodo Pieroth (éds), Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland – Kommentar, 6ème éd., C.H. Beck, Munich, 2002, n°12.

479

dérogatoire, objet d'un débat doctrinal ininterrompu en Autriche

La doctrine autrichienne, traditionnellement indépendante des opinions jurisprudentielles, apparaît très

partagée quant à la classification des règles généralement reconnues du droit international selon la force

dérogatoire. Les opinions vont de l'absence de toute force dérogatoire de celles-ci (le Professeur

Manfred Rotter93) à leur valeur constitutionnelle (notamment : Josef Kunz94, Rudolf Aladár Metall95,

Ernst C. Hellbling96, Ludwig Adamovich97, Hans Spanner98, le Professeur Heribert F. Köck99). La théorie

la plus ancienne, souvent considérée comme standard, est celle du rang de simple loi fédérale (Hans

Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl en 1922100). De manière générale, la question de la force

dérogatoire du droit international général occupe une place centrale dans la littérature juridique

autrichienne, le débat ayant dans sa plus grande partie eu lieu à propos de cet aspect de la normativité

interne des règles généralement reconnue du droit international.

L'exposé commence par la doctrine relative à la relation entre règle générale du droit international et

constitution (I), et continue par la doctrine relative à la relation entre règle générale du droit

international et normes «infra-constitutionnelles» (II).

I. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et norme constitutionnelle

Les démarches différentes des doctrines nationales n'empêchent pas que les principales théories

relatives à la relation selon la force dérogatoire entre les règles générales du droit international et la

constitution sont à peu près communes, soit : la théorie de la «supra-constitutionnalité» (A), la théorie

de la constitutionnalité soit «par renvoi», soit «indirecte» (B), la théorie de la primauté « par nature » de

la constitution (C).

93 Manfred Rotter, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts im österreichischen Verfassungsrecht », ZÖR, vol. 27, 1976, pp. 1-42.94 Josef Kunz, op. cit. note 83.95 Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187.96 Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9.97 Ludwig Adamovich, Grundriss des österreichischen Staatsrechtes, Österr. Staatsdruckerei, 1927, Vienne, 647 p., p. 615 et svtes.98 Ludwig Adamovich, Hans Spanner, Handbuch des österreichischen Verfassungsrechts, 5ème éd., Springer, Vienne/New York, 1957, 485 p., p. 78 et svtes.99 Heribert Franz Köck, op. cit. note 8, spécialement p. 763.100 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement pp. 75-76. La théorie du rang de simple loi est encore soutenue actuellement par quelques auteurs, dont : Edwin Loebenstein, op. cit. note 8, spécialement p. 154.

480

A. La théorie de la «supra-constitutionnalité»

La théorie d'un rang dérogatoire «supra-constitutionnel» du droit international général dans le cadre du

système juridique interne, c'est-à-dire d'une valeur supérieure à l'ensemble du droit interne, y compris

constitutionnel, a principalement été analysée par la doctrine pour la rejeter 101. Il est vrai que, dans le

cadre du système juridique interne, la prévalence des normes internationales transformées en droit

interne sur certaines normes constitutionnelles ne peut être fondée que sur une disposition

constitutionnelle qui leur demeure supérieure102.

Le Professeur Agnès Roblot-Troizier résume ainsi la doctrine française relative à la question de la

supra-constitutionnalité du droit international dans la sphère du droit interne : « La Constitution, norme

suprême et souveraine dans l'ordre interne, peut faire le choix, par une sorte d'autolimitation, de la

primauté du droit international et du droit communautaire. N'est-ce pas là le sens de l'article 88-1 de la

Constitution qui consacre l'adhésion de la France aux Communautés et à l'Union européennes ? N'est-ce

pas là le sens de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 qui affirme que la République

française se conforme aux règles du droit public international ? En d'autres termes, le pouvoir

constituant peut souverainement reconnaître la prévalence des normes internationales et

communautaires sans que cette reconnaissance soit de nature à mettre en cause sa souveraineté. Mais,

souverain, le pouvoir constituant est également en mesure de limiter la primauté du droit international

et communautaire par une disposition constitutionnelle expresse propre à préserver l'identité

constitutionnelle de la France.103 »

La doctrine autrichienne ne traite pas de manière significative l'hypothèse d'une supra-constitutionnalité

des règles généralement reconnues du droit international dans le cadre du système juridique interne.

Celle-ci contredit la théorie de la hiérarchie des normes telle que développée par Adolf Merkl et Hans

Kelsen. La possibilité d'un rang dérogatoire supérieur de l'article 9 B-VG parmi les normes

101 Dans la doctrine spécialiste du droit international, certains auteurs partisans d'une version idéaliste de la théorie « moniste à primauté du droit international » ne conçoivent pas que la primauté du droit international puisse signifier autre chose que la prévalence du droit international sur l'ensemble du droit interne dans tous les cas, y compris sur les normes constitutionnelles dans le cadre du système juridique interne. Cf. inter alia dans une littérature abondante, l'analyse historique de Bruno Simma : « The Contribution of Alfred Verdross to the Theory of International Law », EJIL, vol. 6, 1995, pp. 33-54.102 Cf. à propos de la prétendue valeur supra-constitutionnelle attribuée aux traités internationaux par la Constitution du Royaume des Pays-Bas en sa version du 17 février 1983, supra : « l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation » (note de bas de page 36).103 Agnès Roblot-Troizier, « Réflexions sur la constitutionnalité par renvoi », CCC, n° 22, juin 2007, 19 p. (format PDF), p. 15 ; cf. aussi (avec de nombreuses références doctrinales) : Alain Pellet, « Vous avez dit "monisme" ? Quelques banalités de bon sens sur l'impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la française », in : Denys de Béchillon, Pierre Brunet, Véronique Champeil-Desplats, Eric Millard (éds), L'architecture du droit – Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, 1028 p., pp. 827-857.

481

constitutionnelles, ce qui ne correspond pas à la « supra-constitutionnalité », est en revanche largement

évoquée104. La doctrine majoritaire s'accorde à considérer que l'article 9 B-VG ne fait pas partie des

« principes structurants » (Baugesetz) du droit autrichien105 106, à la différence d'autres principes tels que

le principe d'État de droit, le principe libéral (l'existence des droits fondamentaux) ou le principe fédéral107. Rien n'indique néanmoins dans la Constitution autrichienne que les principes structurants prévalent

sur les autres dispositions constitutionnelles : le contentieux constitutionnel autrichien, en l'absence

d'une compétence expressément attribuée à la Cour constitutionnelle108, ne contient pas de procédure de

contrôle de la conformité des dispositions constitutionnelles de 1920 en sa version de 1929 par rapport

aux « principes structurants » de l'État109.

La doctrine allemande apparaît, certes de manière relative, la plus ouverte à l'idée d'une supra-

constitutionnalité des règles générales du droit international. Une tendance doctrinale, qui insiste sur

l'«interprétation historique» de la Loi fondamentale110, remarque que l'histoire de la formation de

l’article 25 LF révèle une volonté d'ouvrir au maximum le système juridique interne au droit

international, éventuellement jusqu'à assurer une valeur supérieure au droit international par rapport à

l'ensemble du droit constitutionnel interne111. Une décision isolée de la Cour constitutionnelle fédérale

104 La question de la « supra-constitutionnalité » est aussi soulevée en ce qui concerne les « règles généralement reconnues du droit international » elles-mêmes, et non l'article 9 B-VG. Le Professeur Herbert Haller remarque que certains principes s'opposent à une telle « supra-constitutionnalité » parmi lesquels la souveraineté de l'État, ainsi que la souveraineté du peuple de l'article 1 B-VG ; cf. Die Prüfung von Gesetzen, Springer, Vienne/New York, 1979, 295 p., spécialement p. 139.105 Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, spécialement p. 352 ; Manfred Rotter, op. cit. note 93, spécialement p. 30 ; Heribert Franz Köck, op. cit. note 8, spécialement pp. 765-767 ; Alexander Balthasar, op. cit. note 8, spécialement pp.176-179.106 L'article 9 B-VG n'appartient pas à l'«ordre fondamental constitutionnel» («verfassungsrechtliche Grundordnung») impliquant une révision totale de la constitution par la procédure alourdie (incluant référendum) de l'article 44 al. 3 B-VG ; cf. Herbert Haller, op. cit. note 104, spécialement p. 138 ; Edwin Loebenstein, op. cit. note 8, spécialement p. 153.Plus généralement, cf. Anna Gamper, Die verfassungsrechtliche Grundordnung als Rechtsproblem, Verlag Österreich, Vienne, 2000, 215 p.. A propos de la révision totale telle que prévue par la Loi constitutionnelle fédérale, cf. Otto Pfersmann, « La révision constitutionnelle en Autriche et en Allemagne : théorie, pratique et limites », in :Association française des constitutionnalistes, La révision de la Constitution, Journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992 , Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1993, pp. 7-65, spécialement pp. 40-48.107 Adolf Merkl, « Die Baugesetze der österreichischen Bundesverfassung », in : Hans R. Klecatsky, Die Republik Österreich — Gestalt und Funktion ihrer Verfassung, Herder, Vienne 1968, 352 p., pp. 77-105. Selon Adolf J. Merkl, les principes structurants sont uniquement : « die sich als wesenhafter Ausdruck eines weltanschaulichen oder politischen Gedankenkreises darstellen ».108 Felix Ermacora, « Die Bedeutung der Überprüfung von Bundesverfassungsgesetzen durch den österreichischen Verfassungsgerichtshof », JBl, vol. 75, 1953, p. 537 et svtes. 109 Toutes ces normes, constitutives ou non d'un principe structurant de l'État, existent sur le même fondement de validité, c'est-à-dire la Constitution provisoire de 1919 ; cf. Loi du 14 mars 1919 sur le Parlement (Volksvertretung), StGBl, n° 179.110 Suivant l'« interprétation historique », la signification d'une norme est déterminée par l'intention de ses producteurs au moment de sa formation (et il serait possible de connaître cette intention à travers par exemple les délibérations de l'Assemblée). C'est là une conception discutable, étant donné la norme a une validité en soi (une existence propre), indépendamment de l'histoire de sa formation.111 Cf. inter alia : Carl Friedrich Curtius, « Völkerrechtliche Schranken der Änderung des Grundgesetzes », DÖV 1955, p. 145 et svtes ; Eberhard Menzel, Völkerrecht, C.H. Beck, Munich/Berlin, 1962, 463 p., spécialement p. 64 ; Hauke Möller, Die verfassungsgebende Gewalt des Volkes und die Schranken der Verfassungsrevision : Eine Untersuchung zu

482

peut d'ailleurs être comprise en ce sens112.

La doctrine majoritaire113, et la Cour constitutionnelle fédérale114, font toutefois observer que la méthode

dite d’«interprétation historique» n'en représente qu'une parmi d'autres, telles l'«interprétation littérale»,

l'«interprétation systématique», l'«interprétation téléologique»115, censées aboutir à la découverte de la

prétendue « volonté objective du constituant116 ». Et il s'ensuit plusieurs arguments à l'encontre de la

supra-constitutionnalité du droit international général :

Primo, la notion générale de «loi» («gesetz») présente au sein de la Loi fondamentale n’inclut

pas dans tous les cas les normes composant la Loi fondamentale même117. L’article 25 LF dispose

seulement de la primauté des règles générales du droit international sur les « lois » («Gesetze»), non sur

la «Loi fondamentale» («Grundgesetz») ou le «droit constitutionnel fédéral»

(«Bundesverfassungsrecht»).

Secundo, l’article 25 LF n’est pas mentionné parmi les «principes intangibles» de l’article 79 al.

3 LF118, c'est-à-dire les principes constitutionnels indérogeables même par la voie d'une révision

constitutionnelle119 ; soit donc un argument issue d'une démarche d'«interprétation systématique» à

l'encontre de la valeur supra-constitutionnelle des règles générales du droit international120.

Tertio, les principes constitutionnels structurants d’État de droit et d'État démocratique, qui

conditionnent l’intervention de la puissance publique, ne doivent pas être écartés sur le fondement du

droit international général. Des «devoirs» qui s'imposent aux individus pourraient en effet découler des

Art. 79 Abs. 3 GG und zur verfassungsgebenden Gewalt nach dem Grundgesetz, thèse, Berlin, 2004, 279 p., spécialement pp. 186-188. L'argumentation du Professeur Eberhard Menzel a une base linguistique : le terme « loi » dans l'article 25 LF désigne « toute règle juridique » dans le sens de l'article 2 de la Loi introductive au Code civil (EGBG).112 BVerfGE 1, p. 208 sqs. (233).113 Cf. inter alia : Christian Tomuschat, op. cit. note 92, spécialement n°11 ; Mathias Herdegen, « Art. 25 », in : Theodor Maunz, Günter Dürig (éds), Kommentar zum Grundgesetz, C.H. Beck, Munich, 2000, n°7.114 BVerfGE 1, p. 208 sqs. (233).115 Dans une littérature abondante, cf. à propos de ces « méthodes d'interprétation » aussi pratiquées par la doctrine autrichienne : Heinz Schäffer, op. cit. note 2, spécialement pp. 61-69 ; Rainer Arnold, « Réflexions sur l'argumentation juridique en droit constitutionnel allemand », in : Otto Pfersmann, Gérard Timsit (éds), Raisonnement juridique et interprétation, publications de la Sorbonne, Paris, 2001, 191 p., pp. 49-86. 116 La Cour constitutionnelle fédérale dit, à propos de l'interprétation des « lois » : « Pour l'interprétation d'une norme législative, la volonté objective du législateur dans sa propre expression est décisive, ainsi qu'elle se situe dans les termes de la norme législative et dans le contexte duquel résulte la loi. » ; cf. BVerfGE 1, p. 299 ; 11, p. 126 ; 48, p. 246 sqs. (256). Pour une critique de la définition de la norme par la volonté, cf. Otto Pfersmann, « Le statut de la volonté dans la définition positiviste de la norme juridique », Droits, vol. 28, 1999, pp. 83-98.117 BVerfGE 6, p. 32 sqs. (38) ; 24, p. 184 sqs. (195).118 L’article 79 al. 3 LF, dite « clause d’éternité » (Ewigkeitsklausel), dispose que : « Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe du concours des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 [dignité de l’être humain, caractère obligatoire des droits fondamentaux pour la puissance publique] et 20 [fondements de l’ordre étatique, droit de résistance], est interdite ». 119 A propos des difficultés soulevées par l'article 79 al. 3 LF, cf. dans une littérature abondante : Otto Pfersmann, op. cit. note 106, spécialement pp. 53-58.120 En ce sens, cf. inter alia : Walter Rudolf, op. cit. note 91, p. 264 et svtes ; Bruno Simma, « Droit international coutumier et droit interne selon la Loi fondamentale », in : Michael Bothe, Raúl E. Vinuesa (éds), International Law and Municipal Law German-Argentinian Constitutional Law Colloquium, Buenos Aires avril 1979 , Duncker & Humblot, Berlin, 1982, 325 p., pp. 117-128., spécialement p. 121.

483

règles générales du droit international, sans que celles-ci ne satisfassent suffisamment aux garanties

procédurales exigées par le principe d’État de droit. Il en va par exemple ainsi dans le domaine du droit

des conflits armés – et tout particulièrement du ius in bello – des obligations subjectives destinées à

l’individu privé ainsi qu'à l’individu auquel est attribué une part de la puissance d’État, entre autres le

simple soldat, en matière de traitement des non-combattants, des prisonniers de guerre, des blessés 121.

La doctrine majoritaire soutient que l’application de telles normes – qui fondent potentiellement des

sanctions pénales adressées aux individus – doit être soumise au principes fondamentaux de l'État de

droit122, parmi lesquels figure le principe dit de «réserve de la loi». On peut objecter à cet argument que

l'article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF peut précisément être considéré comme lex specialis par

rapport à la procédure en principe requise, étant donné qu'il prévoit expressément la création

d'«obligations» à destination des individus à travers les règles générales du droit international. Et

d'ailleurs, le contexte de la rédaction de la Loi fondamentale est marqué par la constatation des crimes

commis par l'État national-socialiste, mais aussi par les simples nationaux allemands : de même qu'il

paraissait alors opportun d'établir un régime libéral capable de perdurer, il a pu sembler approprié

d'attribuer un maximum d'efficacité au droit international dans la sphère interne, peu importe que droit

international ne soit pas proprement démocratique123.

L'impossibilité d'une supra-constitutionnalité du droit international général transformé en droit interne

dans le cadre du droit interne ne signifie pas que le droit international en tant que tel n'est pas supérieur

à l'ensemble du système juridique interne. Le Professeur Otto Pfersmann analyse ainsi la situation

juridique : « Rien n'empêche toutefois qu'il existe des normes "supérieures" à la Constitution pour

autant qu'elles ne fassent pas partie du système juridique en question : elles sont, dans ce cas, non pas

des normes du système juridique au-dessus de la Constitution formelle, mais des normes ayant pour

destinataire le système en tant que tel. Elles ne seront qu'indirectement supérieures et non pas au sens

technique d'une supériorité hiérarchique. Ce qui est conceptuellement impossible, c'est que le même

système ait une constitution formelle et quelque chose au-dessus d'elle »124.

121 A propos des obligations à charge des soldats : Dieter Wiefelspütz, « Der Auslandseinsatz der Streitkräfte und die Geltung der Grundrechte », Unterrichtsblätter für die Bundeswehrverwaltung 2007, pp. 321-327 ; Dieter Wiefelspütz, « Auslandseinsatz der Streitkräfte und Grundrechte », Neue Zeitschrift für Wehrrecht, 2008, pp. 89-102 ; Dieter Weingärtner (éd.), Die Bundeswehr als Armee im Einsatz - Entwicklungen im nationalen und internationalen Recht, Nomos, Baden-Baden, 2010, 229 p.122 Notamment, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale de l’article 103 alinéa 2 LF. Concernant la relation entre le principe de sécurité juridique et les obligations internationales : BVerfGE 17, p. 306 sqs. (313) ; 47, p. 109 sqs. (121) ; 55, p. 159 sqs. (165) ; 64, p. 389 sqs. (393) ; 69, p. 35 sqs. (42).123 Cf. infra : « La "menace pour la structure d'État démocratique" ».124 Otto Pfersmann, « La "supra-constitutionnalité" », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème éd., Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 85-86, p. 85.

484

B. La théorie de la valeur constitutionnelle

La théorie de la valeur constitutionnelle des normes du droit international général se décline dans la

doctrine en deux variantes : soit les normes du droit international général sont transformées dans le

droit interne en tant que composantes de la constitution par l'intermédiaire de la disposition de

transposition (a. théorie de la « constitutionnalité par renvoi »), soit la violation d'une norme du droit

international général équivaut à la violation de la disposition constitutionnelle prévoyant son respect (b.

théorie de la « constitutionnalité indirecte »).

1. Théorie de la constitutionnalité «par renvoi»

La « théorie du renvoi » soutient que les dispositions constitutionnelles transformant ipso iure le droit

international général en droit interne sont des « normes de renvoi » : elles étendent le champ des

normes constitutionnelles à des normes qui sont initialement externes à la constitution. Il s'ensuit que

les normes internationales visées par le renvoi bénéficient en elles-mêmes d'une valeur

constitutionnelle. L'opinion affirmant la valeur constitutionnelle «par renvoi» du droit international

général se trouve émise dans les différentes doctrinales nationales. Elle présuppose que la norme

transformée soit réceptionnée au même rang que la norme transformatrice.

a. Aperçu théorique : la distinction entre la norme transformatrice et la norme transformée

De manière générale, au sein des systèmes juridiques positifs, la «norme qui réceptionne» n'est pas

identique à la «norme réceptionnée»125. Par exemple, la loi interne qui renvoie à un droit étranger, pour

réglementer certaines situations relevant de la sphère du droit international privé, n'est pas identique aux

normes dites étrangères appliquées par le juge interne. Autre exemple : dans le contexte d'une

succession d'États, une disposition constitutionnelle de transition n'est pas identique aux normes valides

dans le système juridique antérieur dont elle prévoit le maintien de validité à titre provisoire au sein du

nouveau système juridique126. Et il en va de même de la norme transformatrice du droit international

général en droit interne : elle n'est pas identique aux normes internationales par elle transformées.

125 Une terminologie générique est ici utilisée (« qui réceptionne »/« réceptionnée ») car le problème ne concerne pas que les normes internationales (spécifiquement à propos de celles-ci : « qui transforme » ou « transformatrice »/transformée »).126 Pour un aperçu sommaire, cf. Alexander Balthasar, Die österreichische bundesverfassungsrechtliche Grundordnung unter besonderer Berücksichtigung des demokratischen Prinzips – Versuch einer Interpretation. Springer, Vienne, 2006, 688 p., spécialement p. 84.

485

La différenciation apparaît particulièrement clairement dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de

production. La norme «qui réceptionne» fonde la validité des normes «réceptionnées» ; elle est donc

première tandis que les normes «réceptionnées» sont secondes. La différenciation est en revanche plus

subtile dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire :

i. La différenciation selon le «rang»

La doctrine aborde généralement le problème de la différenciation entre la norme «qui réceptionne» et

la norme «réceptionnée» sous l'angle du «rang» attribué à chacune de ces normes. Le rang de la norme

«réceptionnée» est soit inférieur, soit identique à celui de la norme «qui réceptionne» :

Par exemple, la norme «qui réceptionne» a valeur constitutionnelle, tandis que la norme «réceptionnée»

est inférieure en rang dans la hiérarchie des normes. En droit autrichien, le §. 2 de la Loi

constitutionnelle sur le rétablissement de la vie juridique en Autriche (« Rechts-Übergangsgesetz » – R-

ÜG) de 1945127 transpose les lois et prescriptions allemandes non constitutionnelles antérieures à

l'indépendance de l'Autriche au sein du système juridique autrichien en vigueur, à condition qu'elles

soient compatibles avec une Autriche indépendante et démocratique et qu'elles ne soient pas d'un

contenu typiquement national-socialiste. Selon la doctrine développée par la Cour constitutionnelle, le

rang attribué aux normes ainsi transposées est celui qui est requis pour leur valeur juridique en droit

autrichien128, c'est-à-dire suffisant pour leur assurer une applicabilité dans l'incommensurabilité

(« Inkommensurabilität ») de l'état du droit. La Cour constitutionnelle autrichienne a en certaines

occasions pris en considération la qualité de l'organe allemand ayant produit la norme129, ainsi que sa

valeur au sein du système juridique allemand de l'époque130, pour classifier les normes allemandes

transposées en droit autrichien. En aucun cas, ces normes n'ont été considérées comme ayant rang de

droit constitutionnel fédéral.

Le rang attribué aux normes «réceptionnées» peut aussi être identique à celui de la norme «qui

réceptionne». Il en va ainsi lorsque la norme «qui réceptionne» le prévoit explicitement, comme par

exemple l'article 149 al. 1 B-VG qui dispose de la transposition de plusieurs ensembles de normes à un

127 StGBl. 6/1945.128 VfSlg 1695/1948 ; 1765/1949 ; 2854/1955.129 Dans la jurisprudence, cf. VfSlg. 4620/1963 : « Die VO und die Durchführungs-Verordnung sind nun solche von einem Gemeindeorgan erlassene lokalpolizeiliche Vorschriften. Dies schließt es aus, ihnen, die übrigens auch in der reichsdeutschen Zeit nicht auf der Stufe eines formellen Gesetzes standen, den Rang eines Landesgesetzes zuzumessen » ; VfSlg. 5120/1965 : « Eine deutsche Norm, die auch in ihrem Bereich in keinem Fall als Gesetz gewertet werden konnte, weil der erlassenden Instanz die Fähigkeit zur Schaffung von Gesetzen abging, kann durch die Rezeption nicht in den Gesetzesrang erhoben werden ».Dans la doctrine, cf. Felix Ermacora, « Neue Wege bei der Prüfung von Verordnungen », JBl 1966, p. 541 et svtes ; Robert Walter, op. cit. note 11, p. 38 et svtes.130 VfSlg 4484/1963 : « Nur wurde diese Entschließung allerdings erst nach dem 13. März 1938 erlassen. Doch erging auch damals diese Entschließung aufgrund der zu diesem Zeitpunkt mit gleichem Wortlaut als reichsrechtliche Norm in Geltung stehenden Wiener Bauordnung. Sie war daher auch in diesem Zeitpunkt ein Durchführungsverordnung zur Wiener Bauordnung ».

486

rang de loi constitutionnelle131. Une autre possibilité est qu'il en soit ainsi de manière implicite : le rang

attribué aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » auxquels renvoie l'alinéa

1 du Préambule de la Constitution française de 1946, sans les déterminer plus précisément, est

apparemment constitutionnel, et ce, car le texte constitutionnel les mentionne entre les « droits et

libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 » et les « principes

particulièrement nécessaires à notre temps ». La doctrine française a élaboré la théorie dite du « bloc de

constitutionnalité » à partir de tels renvois présents dans la Constitution du 4 octobre 1958132.

ii. Une force dérogatoire non uniquement déterminée par l'attribution d'un rang

Le problème de la différenciation entre la «norme qui réceptionne» et la «norme réceptionnée» peut

aussi être traité en partant d'une autre prémisse. Dans la mesure où une norme «qui réceptionne» a pour

seul effet de réceptionner d'autres normes, dès lors que ces dernières sont privées de leurs effets

juridiques, la première l'est aussi, de sorte qu'il est possible de considérer qu'elles ont une force

dérogatoire identique. Par exemple, une loi dont l'objet consiste à régler les conflits de lois dans le

domaine du droit international privé cède corrélativement aux normes auxquelles elles renvoient, c'est-

à-dire le droit « étranger » pertinent en l'espèce ; la privation d'effet de ce dernier, justifiée par sa non-

conformité à principes du droit interne (dont la contrariété avec l'«ordre public national»133), équivaut en

effet à empêcher la concrétisation de la première. Ce raisonnement ne vaut que pour autant que la

norme «qui réceptionne» ne dispose que de la transposition des normes «réceptionnées» dans le système

juridique interne, donc qu'elle ne développe pas d'autres effets juridiques propres par ailleurs.

131 Le contenu de l'article 149 al. 1 B-VG est le suivant :« En plus de la présente loi, sont considérées comme lois constitutionnelles au sens du paragraphe 1 de l'article 44 les

textes suivants, sous réserve des modifications apportées par la présente loi : - Loi fondamentale de l'État du 21 décembre 1867, Journal officiel de l'Empire n° 142, relative aux droits généraux des citoyens dans les royaumes et les pays représentés au Conseil de l'Empire (note : l'article 8 a été abrogé, Journal officiel fédéral, BGBl n° 684/1988) ; - Loi du 27 octobre 1862, Journal officiel de l'Empire n° 88, sur la protection du domicile ; - Décision de l'Assemblée nationale provisoire du 30 octobre 1918, Journal officiel de l'État n° 3 ; - Loi du 3 avril 1919, Journal officiel de l'État n° 209, relative au bannissement et à la recupération du patrimoine de la Maison de Habsbourg-Lorraine ; - Loi du 3 avril 1919, Journal officiel de l'État n° 211, relative à l'abolition de la la noblesse, des ordres séculiers de chevaliers et de dames, et de certains titres et dignités ; - Loi du 8 mai 1919, Journal officiel de l'État n° 257, sur les armes et le sceau de la République d'Autriche allemande, sous réserve des modifications y apportées par les articles 2, 5 et 6 de la loi du 21 octobre 1919, Journal officiel de l'État n° 484 ; [Abrogé] - Section V de la IIIe partie du traité d'État de Saint-Germain du 10 septembre 1919, Journal officiel de l'État n° 303 de 1920 ; - Loi constitutionnelle du 30 novembre 1945, relative à l'application de la loi du 27 octobre 1862, Journal officiel de l'Empire n° 87, sur la protection de la liberté individuelle dans la procédure devant le Tribunal populaire, Journal officiel fédéral (BGBl.) numéro 6/1946. [Abrogé]. »

132 Cf. Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p.133 Pour un aperçu, cf. Erik Jayme, « Identité culturelle et intégration : le droit international privé postmoderne. Cours général de droit international privé », RCADI, 1995, vol. 251, pp. 9-268, spécialement pp. 223-245.

487

b. Les doctrines nationales favorables à la « théorie du renvoi »

De nombreux auteurs ont pris parti pour la théorie d'un rang constitutionnel «par renvoi» des normes du

droit international général : elles sont des composantes de la constitution pourvues en tant que telles

d'une valeur constitutionnelle. La « théorie du renvoi » ne porte pas le même nom dans les différentes

doctrines nationales, ce qui tient au contexte propre de sa création et aux différences de structure entre

les systèmes juridiques nationaux.

α. La théorie d'un rang équivalent ou « à côté » de la Loi fondamentale dans la doctrine allemande

Le Professeur Helmut Steinberger dit que l’absence d’indications contraires contenues dans l’article 25

LF laisse supposer une identité de rang hiérarchique entre l’article 25 LF lui-même et les règles

générales du droit international dont il prévoit la validité interne : « Certes, la norme qui dispose de

l’application d’autres normes peut attribuer à la norme à appliquer une place inférieure dans la

hiérarchie des normes. Toutefois, dans la mesure où il n’existe pas de repères concluants, il faut

présupposer une équivalence de rang entre les deux normes134 ». Cette opinion prête à discussion eu

égard à l'état du droit positif : en droit constitutionnel, en l'absence de toute spécification, le principe

relatif à la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire a généralement, mais il est vrai non

nécessairement, pour contenu que la norme qui fonde la validité d'autres normes conserve un rang

dérogatoire supérieur à celles-ci (principe lex superior)135.

La doctrine allemande est globalement partagé entre deux conceptions : soit les règles générales du

droit international se situent au même rang que l’article 25 LF qui les fonde, soit elles se situent entre

les lois fédérales et la Loi fondamentale, donc «sous» les normes constitutionnelles. L’article 25 phrase

1 1ère demi-phrase LF ne spécifie rien quant à la relation selon la force dérogatoire entre les règles

générales du droit international et la Loi fondamentale136. Et l'on trouve de nombreux arguments d'ordre

systématique en faveur de l'une ou de l'autre conception :

i. A l’encontre du rang dérogatoire constitutionnel des règles générales du droit international, la doctrine

134 Cf. op. cit. note 91, spécialement p. 558.135 Le principe lex superior n'est pas une nécessité au sein d'un système juridique. En effet, il est possible qu'une norme autre que celle du fondement de validité d'une norme donnée prévoie que les normes concrétisées sont égales ou supérieures selon leur force dérogatoire à leur fondement de validité. Par exemple, une norme constitutionnelle couvre les décisions du juge constitutionnel de l'autorité de la chose jugée, et ce, même si le juge a outrepassé son habilitation. Cela dépend aussi des métanormes du système juridique en question, c'est-à-dire des principes de degré supérieur qui déterminent les modalités d'application ou d'interprétation d'autres normes.136 Dans la jurisprudence, cf. d'un côté : BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) : les règles générales du droit international « dem deutschen innerstaatlichen Recht – nicht dem Verfassungsrecht – im Range vorgehen » (« priment sur le droit interne allemand – non sur le droit constitutionnel ») ; BVerfGE 37, p. 271 sqs. (279) : les règles générales internationales « nur dem einfachen Bundesrecht vorgehen » (« ne priment que sur le simple droit fédéral »). De l'autre côté : BVerwGE 47, p. 365 sqs. (378) et BVerwGE 52, p. 313 sqs. (333) : les règles générales du droit international ne priment pas sur le droit constitutionnel, un rang similaire n'étant toutefois pas exclu.

488

avance les arguments suivants :

Formellement, un rang constitutionnel des règles générales du droit international paraît

difficilement conciliable avec l’article 79 al. 1 phrase 1 LF qui détermine expressément une procédure

de révision de la Loi fondamentale137 ;

Organiquement, en ce qui concerne la répartition des compétences entre les différents organes

constitutionnels, un tel rang constitutionnel attribue au législateur les moyens de se fonder sur les règles

générales du droit international afin d'exercer un pouvoir – par voie de concrétisation du droit

international général – dans tous les domaines qui ne sont pas formellement réglementés par les normes

spéciales de la Loi fondamentale138. Le législateur tiendrait, au moins potentiellement, une position lui

permettant d'abuser de sa compétence, et cela pourrait même conduire à une révision de la «protection

effective des droits fondamentaux139» ;

On peut remarquer que la doctrine allemande n'évoque pas l'envisageable argument a contrario,

qui se formule ainsi : la Loi fondamentale, en disposant explicitement d'une primauté sur les lois, exclut

implicitement une primauté sur la Constitution. Il est vrai que cet argument ne peut s'appuyer ni sur la

formulation de l'article 25 LF elle-même, ni sur l'intention exprimée par le constituant.

ii. L'autre conception, à laquelle adhère dans une certaine mesure la Cour constitutionnelle fédérale,

soutient que les règles générales du droit international bénéficient d'un rang équivalent aux normes

constitutionnelles, dit «à côté» («neben») de la Loi fondamentale140, afin de souligner que l'article 25 LF

n'entraînerait pas pour autant leur inclusion parmi les normes du droit constitutionnel allemand en tant

que telles. L'argumentation est surtout construite de manière négative, soit une série d'objections

formulées à l'encontre des arguments exposés plus haut :

Une transformation, une modification ou un complément de la Loi fondamentale par les règles

générales du droit international ne paraissent pas incompatibles avec l’article 79 al. 1 phrase 1 LF. La

Loi fondamentale elle-même, à travers son article 25 en tant que lex specialis, constitue le fondement de

137 En ce sens, BVerfGE 47, p. 365 sqs. (378). L’article 79 al. 1 phrase 1 LF dispose : « la Loi fondamentale ne peut être modifiée que par une loi qui modifie ou complète explicitement son texte ». A propos des dispositions constitutionnelles allemandes relatives à la révision de la Loi fondamentale, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 106, spécialement pp. 49-64.138 Lorsqu'il existe une norme spéciale prévoyant des conditions supplémentaires, le principe lex specialis est applicable, de sorte que le législateur n'est pas habilité à se fonder sur une autre norme que la norme constitutionnelle spéciale en question.139 Cf. par analogie, la célèbre décision Solange II relative au droit communautaire (BVerfGE 73, p. 339) : « Solange die Europäische Gemeinschaft, insbesondere die Rechtsprechung des Gerichtshofs der Gemeinschaften einen wirksamen Schutz der Grundrechte gegenüber der Hoheitsgewalt der Gemeinschaften generell gewährleistet, der dem vom Grundgesetz als unabdingbar gebotenen Grundrechtsschutz im Wesentlichen gleich zu achten ist, zumal den Wesensgehalt der Grundrechte generell verbürgt, wird das BVerfG seine Gerichtsbarkeit über die Anwendbarkeit von abgeleitetem Gemeinschaftsrecht, das als Rechtsgrundlage für ein Verhalten deutscher Gerichte oder Behörden im Hoheitsgebiet der Bundesrepublik Deutschland in Anspruch genommen wird, nicht mehr ausüben und dieses Recht mithin nicht mehr am Maßstab der Grundrechte überprüfen; entsprechende Vorlagen nach Art. 100 I GG sind somit unzulässig. » (mes italiques).140 BVerfGE 6, p. 32 sqs. (37) ; 74, p. 129 sqs. (152) ; 80, p. 137 sqs. (153).

489

telles modifications141.

Les risques d'atteintes aux droits fondamentaux résultant d'une équivalence hiérarchique entre

règles générales du droit international et normes constitutionnelles deviennent difficilement justifiables

si l'on part du constat suivant : une norme de la Loi fondamentale qui, en tant que telle, se trouve en

violation du droit international général n’est pas relevable en l'état actuel du droit. De plus, le droit

international contient un principe qui habilite dans un cas exceptionnel, mais non systématiquement, les

États à écarter l’application d’une norme internationale. Il s'ensuit qu'il est en certaines circonstances

permis que la réglementation interne prévale sur une règle générale du droit international pourtant

pertinente en l'espèce, et ce, sur le fondement même de l’article 25 LF qui transpose le principe du droit

international qui adresse à l'État une autorisation de déroger au droit international dans des cas

particuliers142. Aussi, il ne demeure peut-être pas exclu qu'à l’avenir des règles générales du droit

international se forment qui soient incompatibles avec les « choix structurants » du système juridique

allemand, et en particulier avec les droits fondamentaux. Toutefois, la doctrine observe que l''État

fédéral allemand conserverait, en tant que destinataire potentiel, la possibilité de ne pas être lié par de

telles normes, en pratiquant un comportement d'objecteur persistant dans la sphère internationale. Le

Professeur Paul Kirchhof parle même d'une fonction de « négation de source internationale » 143, selon

laquelle il appartient aux organes allemands compétents en matière de production de normes

internationales (le «pouvoir extérieur») de préserver la Loi fondamentale144.

β. La théorie d'un rang de droit constitutionnel fédéral par renvoi et la théorie de l'analogie dans la

doctrine autrichienne

La théorie de la constitutionnalité par renvoi est présente dans la doctrine autrichienne dans une version

classique (i.) et dans une version modérée, dite « théorie de l'analogie » (ii.).

i.

La Constitution fédérale autrichienne est formellement dispersée. Une grande partie du droit

constitutionnel fédéral n'apparaît pas dans le corps du texte de la Loi constitutionnelle fédérale en sa

version de 1929, parfois présentée comme sa «loi-tronc145» («Stammgesetz»). Il en va ainsi de quelques

normes déterminées auxquelles l'article 149 al. 1 B-VG renvoie, dont la plus fameuse est sans doute l a

141 La Cour constitutionnelle fédérale accepte d'ailleurs de telles modifications de la Loi fondamentale – en dehors de l’article 79 al. 1 1ère phrase – sur le fondement de l’article 23 (relatif à l’Union européenne) et 24 al. 1 (relatif aux transferts de souveraineté aux institutions internationales) ; cf. BVerfGE 58, p. 1 sqs. (36) ; 73, p. 339 sqs. (374). 142 Cf. le raisonnement tenu par la Cour constitutionnelle fédérale dans : BVerfGE 111, p. 307 sqs. (319).143 Paul Kirchhof, « Rechtsquellen und Grundgesetz », in : Christian Starck (éd.), Festgabe aus Anlaß des 25jährigen Bestehens des Bundesverfassungsgerichts, tome 2, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1976, 559 p., pp. 50-107.144 A propos de l'encadrement du «pouvoir extérieur», cf. supra. « L'implémentation en tant que production de normes internationales par l'État ».145 L'expression « loi-tronc » est présente en langue française dans Theo Öhlinger, op. cit. note 14, spécialement p. 545.

490

Loi fondamentale de l'État sur les droits généraux des citoyens du 21 décembre 1867

(Staatsgrundgesetz, StGG). D'autres textes normatifs sont visés par l'article 149 al. 1 B-VG, parmi

lesquels on trouve : les lois sur la protection de la liberté individuelle et sur la protection du domicile de

1862, l'Arrêté de l'Assemblée nationale provisoire du 30 octobre 1918 prononçant la suppression de la

censure et la restitution totale des libertés d'association et de réunion, ainsi que le chapitre V de la IIIe

partie du Traité d'État de Saint-Germain qui porte sur les droits des minorités.

Techniquement, ces normes sont classifiées comme «lois constitutionnelles» par l'article 149 al. 1 B-

VG, qui est clairement une norme de «renvoi». Le mécanisme de l'article 149 al. 1 B-VG est familier à

la doctrine autrichienne et certains auteurs ont émis une conception extensive de ce mécanisme : les

normes «réceptionnées» auraient dans tous les cas, de manière analogue à l'article 149 al. 1 B-VG, le

même rang que la norme «qui réceptionne». Ainsi, selon Ernst Hellbling, les règles généralement

reconnues du droit international réceptionnées par l'article 9 B-VG seraient pourvues du même rang que

l'article 9 B-VG lui-même146. Cette argumentation paraît insuffisante, ne serait-ce que parce qu'il ne

semble aucunement exister – ni explicitement, ni implicitement – un tel principe d'identité de rang entre

la norme «qui réceptionne» et la norme «réceptionnée» dans la Constitution autrichienne. Et d'ailleurs,

si un tel principe existait, la classification explicite à un rang constitutionnel des normes auxquelles

renvoie l'article 149 al. 1 B-VG serait superflue.

D'autres auteurs, tels Josef Kunz147 et Rudolf A. Metall148, soutiennent dans les années 1920, soit à une

époque encore proche de la rédaction de la Loi constitutionnelle fédérale, que l'emplacement de l'art. 9

dans le texte de la Loi constitutionnelle fédérale, donc avant l'article 10 B-VG relatif à la répartition des

compétences au sein de l'État fédéral, est significatif d'un rang constitutionnel des règles généralement

reconnues du droit international. Cette argumentation, qui s'appuie sur la numérotation du texte

constitutionnel, semble depuis avoir été abandonnée.

ii.

Selon la théorie dite de l'analogie telle qu'exposée par Robert Walter, le rang d'une règle généralement

reconnue du droit international transformée en droit interne par l'art. 9 B-VG varie suivant la matière

concernée, en étant à chaque fois similaire à celui de la forme normative interne prévue pour

réglementer la même matière149. Dans le cas où les règles généralement reconnues du droit international

146 Cf. Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9, spécialement p. 92. La démonstration de l'auteur repose sur le postulat suivant, mais non justifié davantage : en l'absence d'une désignation spécifique, une norme juridique externe transformée en norme du système juridique autrichien obtient le rang de la norme transformatrice.147 Josef Kunz, op. cit. note 83, en particulier p. 318.148 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 95, en particulier p. 178.149 Selon Robert Walter : « Mangels anderer Anhaltspunkte kann es für die Zuordnung zu der einen oder anderen Form (d.h.) Bundesgesetzesrecht oder Bundesverfassungsrecht) nur auf den Inhalt der transformierten Regel ankommen. Welchen Rang eine solche Regeln einnimmt, richtet sich also danach, in welcher Form sie in der österreichischen Rechtsordnung erzeugt werden müßte » ; cf. op. cit. note 11, p. 170. Cf. aussi, du même auteur : Verfassung und gerichtsbarkeit, Manz, Vienne, 1960, 209 p., p. 131.

491

concernent des questions qui, suivant la Constitution fédérale, ne doivent être réglées que par une loi

constitutionnelle fédérale, leur rang est celui d'une loi constitutionnelle fédérale. Sinon, leur rang est

celui d'une loi simple. Une valeur suffisante à son application en cas de collision est ainsi attribuée au

droit international général. Edwin Loebenstein a ainsi qualifié la théorie de Robert Walter de « système

flexible » (« bewegliches System »)150.

Une telle conception est introduite Felix Ermacora151 qui se réfère lui-même à Ludwig Jordan, lequel

insiste sur la forme normative sui generis des règles généralement reconnues du droit international152.

La théorie de l'analogie est, outre chez Robert Walter, aussi développée par le Professeur Hans

Laurer153 : la fonction de l'art 9 B-VG est assimilable, sous réserve du délai prévu par l'article 15 al. 6 B-

VG154, à l'article 12 al. 1 B-VG155 qui dispose d'une certaine transposition du droit fédéral dans le droit

des États fédérés. La valeur des normes fédérales ainsi transposées dans le système juridique des États

fédérés est supérieure à celle de la législation de l'État fédéré réglementant la même matière. Par

analogie, la transposition des règles généralement reconnues du droit international dans le droit fédéral

s'effectue à un rang supérieur à la norme réglementant la même matière en droit fédéral, cette dernière

pouvant être une loi constitutionnelle fédérale, une simple loi fédérale ou une décision administrative 156.

150 Edwin Loebenstein, op. cit. note 8, spécialement p. 151.. 151 Felix Ermacora, op. cit. note 10, p. 352.152 Selon Ludwig Jordan : « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes sind weder "Verfassungsgesetze" noch "Bundesgesetze" im Sinne der Bundesverfassung, weil sie weder als solche bezeichnet noch verfasdsungsmäßig zustand bekommen sind. Sie bilden eine eigene – gesetzähnliche – Normentype, die mit anderen Normen in Konkurrenz tritt. » ; cf. op. cit. note 10, p. 456.153 Hans René Laurer, op. cit. note 105, pp. 351-352.Les conclusions du Professeur Hans Laurer diffèrent légèrement de celle du Professeur Robert Walter : tandis que pour Robert Walter, les règles généralement reconnues du droit international ont le même rang que les normes internes qui réglementent la même matière, pour le Professeur Hans Laurer, elles prennent place à un rang qui leur est immédiatement supérieur. Dans les deux cas, les règles généralement reconnues du droit international dérogent à la réglementation interne, soit par lex posterior (les règles généralement reconnues du droit international sont en permanence transformées en droit autrichien), soit par lex superior.154 L'article 15 al. 6 B-VG dispose : « Dans la mesure où seule la législation régissant les principes fondamentaux d'un domaine appartient à la Fédération, la mise en oeuvre des modalités d'application incombe, dans le cadre déterminé par la loi fédérale, au pouvoir législatif des Länder. La loi fédérale peut stipuler un délai pour la promulgation de lois d'application, qui ne peut, sans l'approbation du Conseil fédéral, être inférieur à six mois ni excéder un an. Si un Land ne respecte pas ce délai, la compétence pour la promulgation de la loi d'application passe de ce Land à la Fédération. L'adoption de la loi d'application par le Land abroge la loi d'application de la Fédération. Dans le cas où le législateur de la Fédération n'a pas fixé de principes fondamentaux, le législateur du Land peut régler librement ces matières. Dès lors que la Fédération a établi des principes, les dispositions législatives du Land devront être adaptées à cette loi-cadre dans un délai stipulé par le législateur fédéral. » 155 L'article 12 al. 1 B-VG dispose : « Dans les domaines suivants, le pouvoir législatif, en ce qui concerne les principes fondamentaux, revient à la Fédération et la promulgation de lois d'application ainsi que le pouvoir exécutif aux Länder : 1. assistance aux pauvres ; politique démographique, dans la mesure où elle ne relève pas des dispositions de l'article 10 ; centres de soins publics ; assistance aux mères, aux nourrissons et à la jeunesse; hôpitaux et hospices ; exigences sanitaires à poser à l'égard des stations ainsi que des centres et des équipements de cure ; ressources thermales et climatiques naturelles ; 2. institutions publiques pour la médiation extrajudiciaire de litiges ; 3. réforme agraire, en particulier opérations agraires et repeuplement ; 4. protection des plantes contre les maladies et les parasites ; 5. énergie électrique, dans la mesure où elle ne relève pas des dispositions de l'article 10 ; 6. droit du travail ainsi que protection des travailleurs et des employés, dans la mesure où il s'agit de travailleurs et employés des secteurs agricole et forestier. »156 L'analogie elle-même ne correspond pas complètement à l'état du droit : en dehors du délai fixé pour la concrétisation de la loi fédérale par le législateur fédéré, le législateur fédéral dispose en dernier ressort de la latitude de produire lui-même cette loi d'application ou non et, dans le cas de la modification d'un principe fondamental fédéral, de

492

Il s'ensuit, par exemple, qu'une simple loi fédérale n'est pas supposée déroger à une règle généralement

reconnue du droit international, étant donné que la norme internationale en question prend place à un

rang plus élevé que la simple loi fédérale à travers la transformation ipso iure opérée par l'article 9 B-

VG157.

γ. La théorie de l'appartenance au « bloc de constitutionnalité » dans la doctrine française

A la suite des décisions du Conseil constitutionnel désignant les principes généraux du droit

international comme normes de référence dans le contrôle juridictionnel qu'il opère, une partie

considérable de la doctrine s'est ralliée à la théorie de l'appartenance des règles du droit public

international, ou du moins de certaines d'entre elles, au « bloc de constitutionnalité »158. La doctrine

soutient désormais, et majoritairement, que ces normes appartiennent au bloc de constitutionnalité par

renvoi de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, et ce, au même titre par exemple que les

« principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » auxquels renvoie aussi le Préambule

de la Constitution de 1946159.

La présence de l'alinéa 14 dans le Préambule de la Constitution de 1946 incite en effet à le considérer

comme une norme de renvoi. Dans le même texte constitutionnel, l'alinéa 1er renvoie aux « principes

fondamentaux reconnus par les lois de la république » qui font quant à eux assurément partie « bloc de

modifier directement la loi de l'État fédéré (VfSlg. 5921/1969). Dans le cas des règles généralement reconnues du droit international, une telle procédure de concrétisation de celles-ci en cas de carence des organes fédéraux n'est pas une compétence explicitement attribuée au législateur constitutionnel. 157 Pour une partie de la doctrine, la question de la place de la norme internationale au même rang ou à un rang supérieur que la norme interne de référence est ouverte. Dans le premier cas, la norme internationale déroge à la norme interne (certains auteurs soulignent que cette règle ne résulte pas de la logique juridique, mais est une composante du droit positif, cf. Ewald Wiederin, « Gilt die Rex-posterior-Regel zwischen Bescheiden ? », ZfV, 1992, pp. 249-256, spécialement p. 249 ; Rudolf Thienel, « Derogation – Eine Untersuchung auf Grundlage der Reinen Rechtslehre », in : Robert Walter (éd.), Untersuchungen zur Reinen Rechtslehre II – Ergebnisse eines Wiener Rechtstheoretischen Seminars 1988, Manz, Vienne, 1988, 238 p., pp. 11-43) ; dans le second cas, la norme invalide simplement la norme interne litigieuse mais cela est conditionné par une procédure juridictionnelle d'annulation en ce sens (Alexander Balthasar, op. cit. note 8, spécialement p. 181). 158 Cf. surtout les décisions : n° 75-59 DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores ; n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; n° 81-139 DC du 11 février 1982, 2ème Loi de nationalisation ; n° 92-308 DC du 9 avril 1992 Maastricht I ; n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Statut de la Cour pénale internationale. Le terme de « principes généraux du droit public international » n'est que tardif dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, depuis la décision Statut de la Cour pénale internationale.159 Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », RGDIP, 1976, pp. 1001-1036 ; Franck Moderne, « Y a-t-il des sources complémentaires de la Constitution dans la jurisprudence constitutionnelle française ? », LPA, 1992, n° 121, p. 7 et svtes, spécialement p. 12 ; Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'État, Economica, Paris, 1996, 577 p., spécialement pp. 92-94 et pp. 406-446 ; Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 132, 688 p.

493

constitutionnalité »160. Il est ainsi remarqué que la structure du texte constitutionnel161 implique que les

règles du droit public international soient pourvues d'une valeur constitutionnelle caractérisée par leur

appartenance au bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel ne s'est toujours pas prononcé de

manière claire sur la question, mais les auteurs ont beaucoup spéculé à partir de quelques considérants

rédigés par le juge constitutionnel :

i. Une doctrine divisée dans le contexte des affaires Comores et Nationalisations

A l'occasion de l'affaire Comores, le Conseil constitutionnel estime que « l'île de Mayotte fait partie de

la République française ; que cette constatation ne peut être faite que dans le cadre de la Constitution,

nonobstant toute intervention d'une instance internationale, et que les dispositions de la loi […] qui

concernent cette île ne mettent en cause aucune règle du droit public international »162 (ci-dessous dit

«considérant n°6»). Quelques auteurs ont lu dans ce considérant l'intégration des règles du droit public

international parmi les normes ayant rang constitutionnel, le conseiller Ronny Abraham remarquant

alors qu'une « interprétation vraisemblable est que le Conseil a implicitement admis la valeur

constitutionnelle des "règles du droit public international" »163. Les décisions de 1982 du Conseil en

matière de nationalisations164 sont ensuite perçues comme une confirmation de la jurisprudence

Comores. Le Professeur Jean-Marc Bischoff constate à leur propos que « le droit international général

(par opposition au droit international conventionnel) se trouve intégré dans le "bloc de

constitutionnalité" dont le Conseil est chargé d'assurer le respect, et ceci par le biais textuel du

Préambule de la Constitution de 1946 »165.

160 Alinéa 1 du Préambule de la Constitution de 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »'. D'un point de vue historique, la création du « bloc de constitutionnalité », qui correspond à une extension des normes constitutionnelles au sens formel au delà du texte même de la Constitution du 4 octobre 1958, est décidée à propos d'une affaire concernant le principe de liberté d'association qui fait partie des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association).161 Cela présuppose que le texte du Préambule de la Constitution de 1946 soit caractérisé par une certaine cohérence. Ce n'est pas certain : le Préambule de la Constitution de 1946 peut aussi être considéré comme un assemblage de principes épars (normes de renvoi, droits économiques et sociaux dont certains sont des droits-créances, principes relatifs à la participation de la France à la Communauté internationale...). De surcroît, la supposée cohérence de l'ensemble du texte constitutionnel prête à discussion, celui-ci contenant une série de droits éventuellement contradictoires (une déclaration de droit dite de première génération de contenu « libéral » et une déclaration dite de deuxième génération comprenant des droits « économiques et sociaux »), dont la valeur constitutionnelle a été établie par une révolution juridique opérée par le Conseil constitutionnel (décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association).162 N° 75-59 DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. pp. 26-27 (considérant n°6) ; pour les explications relatives au contexte de cette décision, cf. supra. « Le problème de la normativité même des dispositions constitutionnelles ».163 Ronny Abraham, Droit international, droit communautaire et droit français, Hachette sup., coll. « PES », 1989, Paris, 223 p., spécialement p. 67. Cf. aussi auparavant : Nguyen Quoc Dinh, op. cit. note 159. 164 N° 81-132 DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; n° 82-139 DC du 11 février 1982, 2ème Loi de nationalisation).165 Note Jean-Marc Bischoff, RCDIP, 1982, p. 349 et svtes, spécialement p. 353.

494

Une autre tendance doctrinale, qui apparaît à ce moment majoritaire, rejette radicalement cette lecture

des décisions du Conseil constitutionnel. Elle affirme en effet que ces décisions témoignent à l'opposé

de l'hostilité du juge constitutionnel à l'égard de l'appartenance des règles du droit public international

au bloc de constitutionnalité. Louis Favoreu écrit dans son commentaire relatif à l'affaire des Comores

que les règles du droit public international n'ont pas par elles-mêmes valeur constitutionnelle, étant

donné que « la référence aux principes du "droit public international" que la République s'est engagée à

respecter, n'a de valeur que si la Constitution a consacré et aménagé ces principes ou s'ils ne sont pas

contraires à une disposition de la Constitution166 ». Le conseiller Bruno Genevois précise que : « la

motivation [du considérant n°6] signifie que le droit international n'est pas en cause lorsqu'il s'agit de

régler un problème qui est du seul ressort de la Constitution »167.

Il semblerait que l'un des principaux obstacles à l'appartenance des règles du droit public international

au bloc de constitutionnalité visées par l'alinéa 14 réside dans leur dynamisme. La doctrine française

insiste tout particulièrement sur la question de la réciprocité168. En ce qui concerne les traités

internationaux, l'article 55 de la Constitution dispose expressément qu'ils bénéficient d'une « autorité

supérieure à celle des lois [...], sous réserve, pour chaque […] traité, de son application par l'autre

partie ». La valeur infra-constitutionnelle des traités internationaux est souvent justifiée, tant par la

doctrine que par la jurisprudence, par leur relativité. Le caractère relatif et contingent du principe de la

supériorité des « traités et accords internationaux » sur les lois posé par l'article 55 de la Constitution

conduit ainsi le Conseil constitutionnel à les exclure des normes de référence du contrôle de

constitutionnalité des lois. Le Conseil remarque en ce sens que la réalisation de la condition de

réciprocité « peut varier selon le comportement du ou des États signataires du traité et le moment où

doit s'apprécier le respect de cette condition169 ». Par analogie, puisque le principe de réciprocité

166 Louis Favoreu, « Chronique constitutionnelle française – La décision du 30 décembre 1975 dans l'affaire des Comores », RDP 1976, pp. 557-581, spécialement p. 572. Cette opinion contraste avec celle exprimée par Nguyen Quoc Dinh qui soutient que les règles du droit public international ont une normativité dépendante du seul alinéa 14 : « Les termes du 6e considérant de cette décision impliquent la reconnaissance d'une "autonomie" de principe des règles internationales prises en considération, en ce sens qu'elles ne doivent pas nécessairement coïncider avec les règles constitutionnelles » ; cf. op. cit. note 159, spécialement p. 1032.167 Bruno Genevois, « Le droit international et le droit communautaire », in : Conseil Constitutionnel et Conseil d'État, Colloque des 21 et 22 janvier 1988 au Sénat, LGDJ, Paris, 1989, 536 p., pp. 191-218, spécialement pp. 207-208. Ultérieurement, le Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier, dans ses conclusions prononcées sur l'arrêt Aquarone, partage une opinion similaire : « le Conseil Constitutionnel ne [...] paraît pas avoir incorporé les règles du droit public international au bloc de constitutionnalité » ; cf. Concl. sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, p. 861.168 Cf. par exemple : Louis Favoreu, « Chronique constitutionnelle française – La décision du 30 décembre 1975 dans l'affaire des Comores », RDP, 1976, p. 557 et svtes. ; Louis Favoreu, « le Conseil Constitutionnel et le droit international », AFDI, 1977, pp. 95-126 ; Paul Lagarde, « La condition de réciprocité dans l'application des traités internationaux : son appréciation par le juge interne », RCDIP, 1975, pp. 25-44 ; Jean-François Lachaume, « Juridiction administrative et contrôle de réciprocité des traités et accords internationaux », RFDA, 1999, p. 937 et svtes ; Gérard Teboul, « Alinéa 14 », in : Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (éds), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 pp. 327-356, spécialement p. 339. Plus généralement, cf. Emmanuel Decaux, La réciprocité en droit international, LGDJ, Paris, 1980, 374 p.169 Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, Rec. p. 19.

495

s'applique aussi en droit international à la plupart des normes non conventionnelles 170, les règles du droit

public international ne bénéficieraient pas non plus d'une valeur constitutionnelle. Comme leur force

obligatoire dépend de la volonté d'autres États, elles paraissent de plus inadaptées aux exigences de la

souveraineté nationale. L'analogie proposée n'apparaît cependant pas pleinement convaincante : rien

n'indique d'une part que la Constitution traite de manière identique les traités internationaux et les

règles du droit public international ; et, d'autre part, le droit international général contient des normes

dont l'applicabilité aux État n'est pas conditionné par la réciprocité171. Il reste toutefois vrai que du

dynamisme du droit international découlerait une conséquence bien souvent non souhaitée : à l'opposé

des autres normes auxquelles renvoie la Constitution – en particulier les « principes fondamentaux

reconnus par les lois de la République »172 – le contenu des règles du droit public international n'est pas

figé, d'où s'ensuit que leur appartenance au bloc de constitutionnalité aurait pour effet juridique de

modifier, au moins potentiellement, en permanence le contenu normatif de la Constitution.

ii. L'appartenance des « principes généraux du droit public international » au bloc de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé quant à l'appartenance des règles du droit public

international au bloc de constitutionnalité. L'état actuel du corpus jurisprudentiel appelle tout de même

quelques observations : négativement, aucune décision du Conseil n'exclut expressément leur

appartenance au bloc de constitutionnalité173 ; positivement, postérieurement à la polémique doctrinale

170 Le principe de réciprocité du droit international est aussi applicable aux normes non conventionnelles. Cf. C.I.J., 22 juin 1971, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie : « un des principes fondamentaux régissant le rapport […] établi sur le plan international est qu'une partie qui renie ou ne remplit pas ses propres obligations ne saurait être considérée comme conservant les droits qu'elle prétend tirer de ce rapport » ( Rec., p. 16). Un certain nombre d'exceptions à ce principe sont relevables.171 Il en va notamment ainsi des normes de ius cogens, mais aussi d'autres normes du droit international général dont la violation par un État n'a pas pour effet de délier les autres États de l'obligation de les respecter, et ce, y compris dans leurs relations avec l'État fautif : droits de l'homme garantis par le droit international, certaines normes internationales d'un degré de généralité élevé (principe d'égale souveraineté des États, principes généraux prévoyant les modalités de production des normes internationales, etc.)172 Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont uniquement formés de principes issus de lois dont l'adoption est antérieure à la IVe République.173 Les décisions du 13 août 1993 (n° 93-325 DC) à propos de la Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, considérées par une partie de la doctrine comme manifestant la volonté du Conseil constitutionnel de ne pas inclure les règles du droit public international dans le bloc de constitutionnalité, ne paraissent pas suffisamment significatives (cf. inter alia : Denis Alland, « Droit constitutionnel et droit international, droit d'asile », RGDIP, 1994, p. 205 et svtes). Notamment, les considérants 2, 3 et 4 de la décision n'indiquent aucunement que le droit international général n'est pas susceptible d'appartenir au bloc de constitutionnalité ; le sous-titre : « sur les normes de constitutionnalité applicables au contrôle de la loi déférée » ne signifie pas en effet que les normes de constitutionnalité utilisées en l'espèce soient les seules normes dont la violation peut être invoquée à l'encontre de toute loi. En sa décision du 22 avril 1997 n° 97-389 DC, Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, le Conseil constitutionnel est saisi d'un moyen relatif à la violation des obligations internationales de la France : « le passeport est la propriété de l'État dont l'étranger est le national, si bien qu'aucune autorité française ne saurait le confisquer sans que la loi prévoyant une telle confiscation ait pour objet de violer sciemment les obligations internationales de la France visées par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et soit dès lors entachée de violation directe de l'article 55 de la Constitution » (lettre de saisine 27 mars 1997 par 60 députés). Le Conseil considère en l'espèce qu'est « inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de stipulations internationales souscrites par la France ». Le juge constitutionnel se

496

des années 70/80, le Conseil a à plusieurs reprises exercé le contrôle de constitutionnalité a priori des

traités internationaux en vérifiant leur conformité aux règles du droit public international (décision

Maastricht I174 et Statut de la Cour pénale internationale175).

La décision du 22 janvier 1999 relative au Traité portant statut de la Cour pénale internationale est

considérée par la doctrine comme un tournant dans jurisprudence du Conseil constitutionnel 176. Il

prendrait enfin position en faveur de l'appartenance au bloc de constitutionnalité d'une partie du droit

international général, en l'occurrence les « principes généraux du droit public international », donc en

différenciant aussi un ensemble défini de normes internationales propres à intégrer ce bloc de

constitutionnalité. Il est vrai qu'en raison de leur haut degré de généralité et de leur stabilité, les

« principes généraux du droit public international » semblent satisfaire davantage que les autres normes

internationales aux supposées conditions de constitutionnalité. En tant que normes structurantes du

système juridique international, ces principes ne sont que rarement modifiées dans la sphère

internationale ; et il apparaît donc peu probable que la Constitution soit en permanence modifiée par

voie internationale177. De plus, au contraire des normes internationales plus particulières, telles les

réfère en l'occurrence uniquement aux « stipulations internationales », c'est-à-dire aux traités internationaux, et ne se prononce pas sur l'appartenance du droit international non conventionnel au bloc de constitutionnalité.Dans les Tables analytiques 1959-2011 au 1er août 2001 de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel (2479 p. disponible sur internet), il est signalé que « le respect des règles du droit international public » est une exigence constitutionnelle à laquelle s'est déjà référé le Conseil constitutionnel : « Référence expresse au quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.(92-308 DC, 9 avril 1992, Journal officiel du 11 avril 1992, p. 5354, cons. 7 et 8, Rec. p. 55) » (p. 199).174 N° 92-308 DC du 9 avril 1992.Cf. aussi à propos du droit communautaire, la décision du 25 juin 1998 (n° 98-402 DC). Le Conseil constitutionnel – saisi d'une disposition législative contraire selon les requérants au « principe communautaire de la libre circulation des biens et des services au sein de l'Union européenne » – considère que « la disposition critiquée n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraver la libre circulation des véhicules » et qu'ainsi « le grief invoqué manque en fait ». L'argumentation du Conseil, même si elle aboutit en l'occurrence à un rejet, suppose l'invocabilité d'un « principe général du droit communautaire à l'encontre d'une loi. Néanmoins, la formulation ne suffit par elle-même pas à conclure à l'admission par le Conseil de l'appartenance d'un certain ensemble de normes du droit international général au bloc de constitutionnalité, d'autant plus que la norme en question appartient au droit communautaire (cf. Jean-Eric Schoettl, « commentaire de la décision n° 98-402 DC « dispositions d'ordre économique et financier » », AJDA 1998, p. 701 et svtes).175 N° 98-408 DC du 22 janvier 1999.176 Notamment : Noëlle Lenoir, « les rapports entre le droit constitutionnel français et le droit international à travers le filtre de l’article 54 de la Constitution » in : Pierre-Marie Dupuy (éd.), Droit international et droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, éd. Panthéon-Assas, Paris, 2001, 128 p., p. 19 et svtes, spécialement pp. 24-26 ; Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 132, spécialement pp. 406-429. Le Professeur Agnès Roblot-Troizier résume ainsi l'opinion dominante : « [l']accroissement des normes de référence du juge de la constitutionnalité s'explique […] par la multiplication des dispositions constitutionnelles renvoyant à une norme qui, bien que visée par la Constitution, reste extérieure au texte constitutionnel. Aux traités internationaux et aux lois organiques ou ordinaires déjà mentionnés et dont le nombre augmente quasiment à chaque révision constitutionnelle, il faut ajouter le renvoi à l'accord de Nouméa visé par les articles 76 et 77 de la Constitution et le renvoi aux actes de droit dérivé relatifs au mandat d'arrêt européen; il faut ajouter également la référence aux règles du droit public international qui figure à l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 puisque le Conseil constitutionnel lui reconnaît une portée nouvelle: il en déduit la constitutionnalisation de certains principes généraux du droit international au nombre desquels figurent la règle pacta sunt servanda [en note de bas de page : Déc. n° 92-308 DC du 9 avr. 1992, Traité sur l'Union européenne (dite Maastricht I), Rec. p. 55 et déc. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29.] » ; cf. op. cit. note 103.177 Cf. de manière générale, à propos du contenu plus ou moins statique du droit international : Josef Laurenz Kunz, « Statisches und dynamisches Völkerrecht », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag, Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 217-251.

497

coutumes internationales régionales ou locales, mais aussi les traités internationaux, leur applicabilité

ne dépend pas de la réciprocité : le non-respect des principes généraux du droit international par

quelques États étrangers n'est pas suffisant pour délier la France, seul le comportement de l'ensemble de

la Communauté internationale pouvant entraîner leur destruction.

En dépit de tout ce qui vient d'être dit, le conseiller Bruno Genevois résume ainsi l'opinion majoritaire

de la doctrine : la « promotion dont font l’objet les "principes généraux du droit public international"

emporterait davantage l’adhésion si son ancrage constitutionnel avait été clairement explicité »178. S'il

est vrai qu'aucune décision du juge n'affirme clairement l'appartenance des règles du droit public

international au bloc de constitutionnalité, les enjeux d'une telle déclaration sont peut-être surestimés.

La doctrine française, à l'origine de la théorie du «bloc de constitutionnalité 179», s'égare sans doute

quand elle analyse la constitution comme un ensemble de normes nécessairement uniforme (d'où

l'appellation « bloc de constitutionnalité »). Le Professeur Otto Pfersmann rappelle qu'il « peut

parfaitement exister, dans un système donné, une pluralité de couches de droit constitutionnel formel

hiérarchiquement ordonné180 ».

2. Théorie de la valeur constitutionnelle « indirecte »

Selon la théorie de la valeur constitutionnelle «indirecte» (ou «médiatisée»181), les règles générales du

droit international ont valeur constitutionnelle non en tant que composantes de la constitution, mais

parce que leur violation équivaut à la violation de la norme constitutionnelle exigeant leur respect.

L'organe compétent pour contrôler la conformité des normes par rapport à la constitution disposerait

178 Bruno Genevois, « Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international. A propos de la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 », RFDA, 1999, pp. 285-307, p. 293.179 Pour un aperçu de l'élaboration de la théorie du « bloc de constitutionnalité », cf. Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 103.180 Otto Pfersmann « La "supra-constitutionnalité" », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 85-86 ; cf. aussi : Otto Pfersmann, « La production des normes : production normative et hiérarchie des normes », in : Dominique Chagnollaud, Michel Troper (éds), Traité international de droit constitutionnel (II) : Distribution des pouvoirs, Dalloz-Sirey, Paris, 2012, 806 p., pp. 483-528, spécialement p. 508 et svtes (critique de la conception traditionnelle monomorphique de la constitution)181 Dans la doctrine juridique française, le terme «médiatisé» désigne habituellement un tel procédé, comme le remarque le Professeur Agnès Roblot-Troizier : « Bien qu'il n'utilise pas l'expression, la paternité de la notion de contrôle de constitutionnalité "médiatisé" revient au doyen Vedel. Cherchant à justifier la censure d'une loi ordinaire et d'un règlement d'une assemblée parlementaire comme contraires à une loi organique, l'éminent juriste souligne que le fondement de cette censure n'est pas en dernière analyse la méconnaissance de la loi organique, mais la méconnaissance de la Constitution [...]. Il y a en effet une violation "médiate" de la Constitution, et notamment de son article 46, par toute loi ordinaire ou tout règlement parlementaire qui méconnaît une loi organique; et cette violation médiate justifie que le Conseil constitutionnel en déclare l'inconstitutionnalité. L'idée d'une violation médiate de la Constitution, développée à propos de l'utilisation des lois organiques dans le contrôle de constitutionnalité, peut être systématisée à l'ensemble des normes de référence du contrôle de constitutionnalité dépourvues de valeur constitutionnelle. »; cf. op. cit. note 103.

498

aussi, de manière indirecte, de la compétence pour contrôler la conformité aux normes visées par les

dispositions constitutionnelles. La théorie de la valeur constitutionnelle «indirecte» soutient que la force

dérogatoire d'une norme transformée est similaire à celle de la norme qui transforme.

A l'encontre de la théorie de la constitutionnalité « indirecte », il a été remarqué qu'une différenciation

s'opère entre la norme qui transforme et la norme transformé. Les doctrines allemande (a) et

autrichienne (b) n'ont pas manqué de l'observer, étant donné que la disposition constitutionnelle

nationale attribue clairement une normativité interne propre au droit international général. Il en va

autrement en ce qui concerne l'alinéa 14 du Préambule de 1946 : il semblerait bien qu'il dispose par lui-

même que toute violation d'une règle du droit public international constitue aussi une violation à son

encontre (c).

a. La valeur constitutionnelle indirecte des règles générales du droit international confortée par le

principe d'ouverture du droit allemand au droit international

Selon une tendance doctrinale allemande, l’article 25 LF par lui-même – et non uniquement les règles

générales du droit international qu'il transpose – oblige à appliquer la Loi fondamentale conformément

au droit international. L'article 25 LF ne disposerait pas seulement de la transposition des règles

générales du droit international en droit interne, mais participerait aussi au principe plus général

organisant la relation entre le droit interne et le droit international, implicitement contenu dans la Loi

fondamentale182 et dénommé principe d'« ouverture du droit interne au droit international »

(« Völkerrechtsfreundlichkeit183 »). En cela, toute violation d'un principe du droit international, y

compris par une norme constitutionnelle, est une violation de l'article 25 LF en ce que celui-ci oblige de

manière globale l'État allemand au respect du droit international.

182 La Cour constitutionnelle fédérale énumère ainsi les différentes dispositions spécifiques de la Loi fondamentale démontrant l'existence d'un principe général implicite d' « ouverture au droit international » : « Das Grundgesetz hat die deutsche öffentliche Gewalt programmatisch auf die internationale Zusammenarbeit (Art. 24 GG) und auf die europäische Integration (Art. 23 GG) festgelegt. Das Grundgesetz hat den allgemeinen Regeln des Völkerrechts Vorrang vor dem einfachen Gesetzesrecht eingeräumt (Art. 25 Satz 2 GG) und das Völkervertragsrecht durch Art. 59 Abs. 2 GG in das System der Gewaltenteilung eingeordnet. Es hat zudem die Möglichkeit der Einfügung in Systeme gegenseitiger kollektiver Sicherheit eröffnet (Art. 24 Abs. 2 GG), den Auftrag zur friedlichen Beilegung zwischenstaatlicher Streitigkeiten im Wege der Schiedsgerichtsbarkeit erteilt (Art. 24 Abs. 3 GG) und die Friedensstörung, insbesondere den Angriffskrieg, für verfassungswidrig erklärt (Art. 26 GG). Mit diesem Normenkomplex zielt die deutsche Verfassung, auch ausweislich ihrer Präambel, darauf, die Bundesrepublik Deutschland als friedliches und gleichberechtigtes Glied in eine dem Frieden dienende Völkerrechtsordnung der Staatengemeinschaft einzufügen. » ; cf. BVerfGE 111, p. 307 – EGMR-Entscheidungen.183 Albert Bleckmann, « Die Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 32, 1979, pp. 309-318 ; Christian Tomuschat, op. cit. note 92 ; Albert Bleckmann, « Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 49, 1996, pp. 137-145 ; Stephan Hobe, Der offene Verfassungstaat zwischen Souveränität und Interdependenz, Duncker & Humblot, Berlin, 1998, 515 p. ; Jost Delbrück, « 50 Jahre Grundgesetz – 50 Jahre internationale Offenheit der Staatlichkeit », in : Robert Alexy, Joachim Laux (éd.), 50 Jahre Grundgesetz, Nomos, Baden-Baden, 2000, 86 p., pp. 65-86 ; Stefan Hobe, « Zur Öffnung der innerstaatlichen Rechtsordnung für das Völkerrecht und die internationale Zusammenarbeit in der jüngeren Rechtsprechung des Bundesverfassungsgerichts », in : Klaus Peter Berger, Georg Borges, Harald Herrmann, Andreas Schlüter, Ulrich Wackerbarth (éds.), Zivil- und Wirtschaftsrecht im Europäischen und Globalen Kontext, Festschrift für Norbert Horn zum 70 Geburtstag , Berlin, 2006, 1337 p., pp. 425-436 ; Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502.

499

Les organes internes sont tenus de régler les conflits de normes entre droit constitutionnel et droit

international – leur sphère d'application étant en l'occurrence conjointe – en appliquant le principe de la

«concordance» («Konkordanz») la plus large possible, ce qui est d'ailleurs aussi le principe valable en

matière de conflits entre normes constitutionnelles184. Une conciliation entre les normes en collision par

« réduction téléologique »185 de leur contenu – dont peut faire l'objet tant la norme constitutionnelle que

la norme internationale – n'est autorisée que dans les situations où leur sphère d’application est

commune et précisément délimitée, c'est-à-dire lorsque la contradiction paraît irréductible. Et même

alors, selon la Cour constitutionnelle fédérale, l'harmonie entre la Loi fondamentale et le droit

international général doit persister sur le fondement de l’article 1 al. 2 LF186 et du principe d'«ouverture

au droit international» dont l'article 25 LF ne serait que l'objectivation187. Une partie de la doctrine va

même jusqu'à affirmer que le principe d'«ouverture au droit international» est dans ces circonstances

amené à prévaloir sur les autres principes constitutionnels, et ce, en raison de la gravité des

conséquences d'une violation unilatérale de l'État allemand sur l'effectivité du droit international188.

Néanmoins, un manquement au droit international demeure par exception autorisé dans le cas où

l'application de la norme internationale en question aboutirait à une décision radicalement opposée aux

principes fondamentaux de la Loi fondamentale189.

b. La théorie de la restriction de l'étendue de la sphère d'application de l'article 9 B-VG comme

constitutive d'une violation de celui-ci

Plusieurs auteurs autrichiens soutiennent que la violation d'une règle généralement reconnue du droit

international est équivalente à une violation de l'article 9 B-VG :

Rudolf A. Metall dit que : « toute non reconnaissance [par un organe interne tel le législateur] d'une

norme du droit international général entraîne une restriction dans l'étendue de la sphère d'application de

l'art. 9 B-VG, toutes les normes du droit international général en vigueur ou à venir lui étant

fondamentalement soumises [...]. Le cadre extensif établi pour l'art. 9 B-VG ne peut être restreint que

d'une manière conforme à sa création [par une procédure de révision constitutionnelle]190 ». Certes, il

184 BVerfGE 67, p. 100 sqs. (143) ; 77, p. 1 sqs. (47).185 La norme n'est pas appliquée pleinement, mais uniquement de telle manière à ce que sa finalité supposée ne soit pas violée. A propos de la question de l' « interprétation conforme au droit international », cf. infra. « La résolution des « conflits » par la conciliation ».186 Suivant l'article 1 al. 2 LF : « […] Le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde. »187 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (161)La Cour constitutionnelle fédérale considère qu'il existerait implicitement dans la Loi fondamentale allemande un principe au contenu téléologique dont l'article 25 LF n'est qu'une concrétisation : l'ouverture du système juridique interne au droit international. Ce principe conditionnerait l'application des autres dispositions constitutionnelles qui doivent être conciliables avec l'objectif d'harmonisation du droit interne par rapport au droit international. 188 Mehrdad Payandeh, op. cit. note 183, spécialement p. 498.189 BVerfGE 111, p. 307 sqs. (319) : le « principe d'ouverture au droit international » n'a pas pour objectif une soumission inconditionnelle au droit international.190 Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 95, p. 179.

500

n'est possible de déroger à l'article 9 B-VG en tant que tel que par une loi constitutionnelle, mais il y a

dans la théorie ci-dessus soutenue une confusion entre l'article 9 B-VG lui-même et les normes qu'il

fonde, c'est-à-dire les règles généralement reconnues du droit international. Le présupposé que les

règles généralement reconnues du droit international sont identiques au contenu de l'art. 9 B-VG

apparaît contestable, comme le remarque le Professeur Manfred Rotter : l'article 9 B-VG est

simplement un «véhicule» («Vehikel») par lequel les règles généralement reconnues du droit

international deviennent partie constitutive du droit fédéral191. Une dérogation à une règle généralement

reconnue du droit international n'est pas une dérogation à l'article 9 B-VG lui-même, de par l'absence

d'identité de forme normative. Par analogie, une révision de la Loi fondamentale de l'État du 21

décembre 1867 relative aux droits généraux des citoyens ne constitue pas une révision de l'article 149

B-VG par lequel celle-ci est réceptionnée au rang constitutionnel192.

Ernst Hellbling se prononce aussi pour la valeur constitutionnelle « indirecte » des règles généralement

reconnues du droit international. L'auteur constate préalablement, aux termes d'une analyse linguistique,

qu'il manque à la Loi constitutionnelle fédérale une systématique linguistique appliquée de manière

conséquente193. Notamment, le terme « droit fédéral » (« Bundesrecht ») présent dans l'article 9 B-VG

semble plutôt désigner, dans le contexte de la Loi constitutionnelle fédérale, l'ensemble du système

juridique autrichien. Il s'ensuit que, en l'absence de détermination supplémentaire, il n'est pas possible

d'attribuer au terme « droit fédéral » une signification plus spécifique. Cela correspond de plus à

l'intention du législateur constitutionnel qui consiste à transformer globalement les règles généralement

reconnues du droit international dans le système juridique interne. L'auteur en conclut que « toute loi

interne, aussi bien une simple loi qu'une loi constitutionnelle » est contraire à l'article 9 B-VG si elle

n'est pas compatible avec une règle généralement reconnue du droit international, et dès lors non-

conforme à la Loi constitutionnelle fédérale dont l'article 9 fait incontestablement partie194.

c. L'alinéa 14 constitutif d'une habilitation de contrôler la constitutionnalité en prenant en considération

le droit international général

Si la théorie de l'appartenance des règles du droit public international au «bloc de constitutionnalité»

lui-même se heurte parfois à l'influente conception souverainiste de l'État, il en va autrement de la

191 Manfred Rotter, op. cit. note 93, spécialement p. 18.192 Cf. par exemple outre les anciennes modifications de 1920 (StGBl. 303/1920 ; BGBl. 1/1920) : BGBl 8/1974 ; BGBl. 262/1982 ; BGBl. 684/1988. 193 Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9, spécialement pp. 83-93. L'analyse linguistique consiste à comparer les termes « loi » (« gesetz »), législation (« gesetzgebung »), « loi constitutionnelle » (« Verfassungsgesetz »), « loi constitutionnelle fédérale » (« Bundesverfassungsgesetz »), « loi constitutionnelle de Land » (« Landesverfassungsgesetz »), « loi de Land » (« Landesgesetz »), « droit » (« Recht ») et « droit fédéral » (« Bundesrecht ») dans le contexte de l'ensemble de la Loi constitutionnelle fédérale.194 Dans l'argumentation d'Ernst C. Hellbling, la sphère d'application de l'art. 9 B-VG semble étendue à l'ensemble des normes internationales, y compris conventionnelles (op. cit. note 9).

501

théorie de leur valeur constitutionnelle « indirecte ». La formulation de l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 ne paraît nullement exclure qu'une violation du droit international général par

l'État français soit aussi à considérer, et dans tous les cas, comme une violation de la norme

constitutionnelle de l'alinéa 14, qu'il appartient le cas échéant au juge constitutionnel de sanctionner

dans le cadre de sa compétence contentieuse195. En résumé, une loi non-conforme aux règles du droit

public international se trouve, par voie de conséquence, contraire à la Constitution 196. Telle est

notamment l'opinion exprimée par les sénateurs auteurs du recours dans l'affaire Nationalisations :

comme le principe du comportement conforme de l'État au droit international « se trouve dans le

Préambule et qu'il ne comporte pas la condition de contrepartie qui figure à l'article 55, ce principe

apparaît comme général et absolu et s'impose au législateur ». Dès lors : « il est donc possible

d'invoquer à l'encontre d'une loi une règle de droit public international », étant donné qu'une « loi non

conforme aux règles du droit public international serait par là même contraire à la Constitution 197 ».

A l'occasion d'un contentieux juridictionnel, l'intensité de la force dérogatoire d'une norme dépend de

l'étendue de la compétence de l'organe chargé du contrôle de conformité. Or, le Conseil constitutionnel

français dispose d'une stricte compétence d'attribution qui l'oblige à exercer son contrôle par rapport

aux seules normes constitutionnelles. Il s'ensuit qu'il n'est habilité à sanctionner la violation d'une règle

du droit public international que dans la mesure où elle emporte aussi violation de l'alinéa 14. La

formulation de l'alinéa 14 ne paraît aucunement s'opposer à une telle possibilité : « La République

française [...] se conforme aux règles du droit public international ». La difficulté qui s'ensuit est que le

droit international définit spécifiquement ce qui consiste en un « comportement conforme » : un État est

en principe autorisé par le droit international lui-même à contenir des données normatives semblant

contraires au droit international (les « inconsistances normatives198 »), de sorte qu'il n'y a en soi pas de

195 Pour le Professeur Gérard Teboul, « cette nuance permet de mettre à l'écart (même si elle ne permet pas de résoudre) le problème de l'intégration des règles non écrites du droit des gens dans le groupe des normes de valeur constitutionnelle : l'obligation résultant de l'alinéa 14 n'a pas une supériorité relative, mais une supériorité absolue par rapport aux lois » ; cf. « Alinéa 14 », in : Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (éds), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 p., pp. 327-356, spécialement p. 340. 196 Cf. Didier Chauvaux, Thierry–Xavier Girardot, op. cit. note 84, p. 574 (« la logique de [la position du Conseil d’État] semble être qu’une loi contraire à une coutume serait contraire à la Constitution »). Cf aussi : Nguyen Quoc Dinh, « La jurisprudence française actuelle et le contrôle de la conformité des lois aux traités », AFDI, 1975, pp. 859-887, p. 870 ; Berthold Goldman, « les décisions du Conseil Constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit international », JDI 1982, pp. 275-345, p. 301 ; François Luchaire, Le Conseil constitutionnel, Economica, Paris, 1980, 435 p., p. 135 ; René Chapus, Droit administratif général, tome 1, 11ème éd., Montchrestien, Paris, 1997, 1282 p., p. 128. 197 Recours des sénateurs, disponible in : Louis Favoreu (éd.), Nationalisations et Constitution, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1982, 388 p., p. 305 ; cf. aussi : document original en date du 18 décembre 1981, 103 p., spécialement p. 79 ; disponible dans la base de données électronisée du Conseil constitutionnel sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/ccsaisine_senateurs_81132dcpdf.198 Hans Kelsen dit que : « Le droit international et le droit interne ne sont pas, pour dire ainsi, les parties d'un unique système juridique car ils peuvent, et dans les faits ils font ainsi, se contredire l'un et l'autre. Quand un État produit une loi [statute] qui est contraire à une norme internationale donnée, la norme interne peut néanmoins être considérée comme valide. Et, simultanément à la norme interne, la norme de droit international demeure valide. Pour les critiques de la théorie moniste, cette situation induit une contradiction logique [c'est-à-dire une contradiction dans la théorie qui n'est pas à même de décrire l'objet (la relation entre droit international et droit interne)]. S'il y avait là une contradiction logique, ils auraient immanquablement raison de conclure que le droit international et le droit interne ne forment pas un

502

transgression des principes du droit international lorsqu'aucun contrôle de conformité des normes

internes n'est effectué par rapport aux normes internationales199.

Par ailleurs, en l'état du corpus jurisprudentiel, il semblerait que la profondeur du contrôle exercé par le

juge constitutionnel français soit restreinte lorsqu'il s'agit d'une violation « indirecte » de la

Constitution. Le Conseil constitutionnel opère alors seulement un contrôle minimum de

constitutionnalité, autrement dit limité aux violations manifestes200. En outre, si le juge vérifie bien la

conformité par rapport aux règles du droit public international, celles-ci sont tout de même amenées à

céder lorsqu'elles entrent en collision avec une norme composante du droit constitutionnel formel.

L'explication en est la suivante : une norme constitutionnelle, de même rang que l'alinéa 14, peut limiter

la sphère d'application de ce dernier sur le fondement des principes lex posterior et/ou lex specialis. Et

dès lors qu'une norme constitutionnelle postérieure ou spéciale restreint l'alinéa 14 dans sa sphère

d'application, la violation d'une règle du droit public international dans la sphère dont il est question

n'entraîne plus de violation de la Constitution201. Par exemple, si la Constitution contient des mesures

spéciales à destination des peuples d'outre-mer qui ne correspondent pas à l'état du droit international

général, le champ d'application de l'alinéa 14 est restreint dans la sphère du droit des peuples à disposer

d'eux-mêmes.

C. La théorie de la primauté d'application de la constitution

Outre les arguments reposant sur la formulation même du texte constitutionnel relatif à la normativité

interne du droit international général, la doctrine recourt à plusieurs arguments systématiques variés à

l'encontre de sa valeur constitutionnelle : la théorie de la « norme originaire » (1), la « menace pour la

démocratie » (2), le dynamisme du droit international (3), la révision de la constitution par voie

unique système normatif. Mais la contradiction est seulement apparente. », ; cf. P.I.L., p. 565 (ma traduction, mes italiques).199 Cf. infra : « L'application téléologique des règles générales du droit international par les organes internes ».200 Cf. l'analyse du Professeur Agnès Roblot-Troizier, « Le contrôle de constitutionnalité médiatisé présente des caractéristiques qui lui sont propres et qui méritent de le distinguer d'un simple contrôle direct de la constitutionnalité. Par ailleurs, ce contrôle implique parfois que le Conseil constitutionnel opère un contrôle minimum de constitutionnalité. […]. Sur le fondement de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, la règle pacta sunt servanda a acquis une valeur constitutionnelle [déc. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29]. Or cette règle impose l'exécution de bonne foi des engagements internationaux; la violation de cette règle est donc révélée par une méconnaissance, de mauvaise foi, des engagements internationaux de la France. Par son objet même, le principe pacta sunt servanda, principe intégré aux normes constitutionnelles, concerne l'autorité et l'exécution des conventions internationales ; ainsi, sur son fondement, le Conseil constitutionnel pourrait exercer un contrôle minimum de conventionnalité consistant à sanctionner les violations les plus manifestes des conventions internationales auxquelles la France est partie: il censurerait alors la «mauvaise foi» du législateur adoptant une loi nettement et délibérément contraire aux traités ou accords en vigueur dans l'ordre interne. » ; cf. op. cit. note 103.201 La solution est ici identique à celle qui vaut en matière de traités : CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran (cf. Christine Maugüe, « L'arrêt Sarran, entre apparence et réalité », CCC, n°7, 1999). Cf. aussi, Cass. Plén., 2 juin 2000, Mlle Pauline Fraisse, note Xavier Prétot, « La Cour de cassation, la Constitution et les traités », RDP 2000, pp. 1037-1049.

503

internationale (4).

1. La théorie de la « norme originaire »

Suivant la théorie de la « norme originaire », la constitution prévaut nécessairement sur toute autre

normes puisqu'elle est leur source202. Ce postulat, en provenance de la théologie en ce qu'il consiste à

affirmer que « ce qui est originaire est supérieur et conserve sa supériorité », apparaît d’une pertinence

limitée lorsqu'il s'agit d'analyser les systèmes juridiques positifs203.

L'argumentation s'appuyant sur la « norme originaire » se trouve actuellement204 surtout dans la doctrine

française. Cette singularité s'explique sans doute par plusieurs facteurs : la « théorie française de la

hiérarchie des normes » ne conçoit pas la différenciation entre la hiérarchie des normes selon l'ordre de

production et la hiérarchie des normes selon l'ordre de destruction, d'où s'ensuit qu'elle considère

comme nécessaire, et bien que cela ne corresponde pas à l'état du droit positif, que la norme d'origine

l'emporte en toutes situations sur les autres normes205 ; plus généralement, l'idéologie de la souveraineté

demeure encore influente dans la doctrine juridique française, peut-être parce que l'État français n'a pas

été constitué ou considérablement modifié par voie de traités internationaux, comme ce fut le cas de

l'État autrichien et l'État allemand. De plus, la doctrine française insiste sur l'argument suivant :

l'insertion d’une norme constitutionnelle relative au droit international constitue en soi une preuve

suffisante de la prévalence nécessaire de la constitution sur le droit international206. Cet extrait de la

thèse de doctorat du Professeur Denys de Béchillon résume la position dominante de la doctrine

nationale :

202 Cf. la critique de la distinction entre « pouvoir constituant originaire » et « pouvoir constituant dérivé » réalisée par le Professeur Otto Pfersmann : « La théorie du pouvoir constituant », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème éd., Dalloz, Paris, 2005, 941 p., spécialement pp. 98-99.203 Le problème du caractère métaphorique de la théorie de la hiérarchie des normes (la norme « supérieure » fonde la norme « inférieure ») n'a pas échappé à la pensée des concepteurs de la théorie normativiste, cf. par exemple Hans Kelsen, Théorie générale des normes, PUF, Paris, 1996, 664 p., p. 344 et svtes. Cf. aussi supra : note 113 dans l' « introduction générale ».204 Par le passé, la théorie de la norme originaire apparaît très présente dans la doctrine allemande, et tout particulièrement sous la République de Weimar ; Carl Schmitt dit ainsi que : « Les juristes du droit positif, c’est-à-dire constitué et posé, se sont […] habitués de tout temps à ne prendre en considération que l'ordre établi et des événements qui s’inscrivent dans cet ordre établi, donc seulement le domaine de ce qui est bien réglé et déjà constitué, en particulier le système d’une légalité étatique déterminée. Ils tendent à écarter comme non juridique la question des événements qui fondent un ordre. Ils trouvent judicieux de ramener toute légalité à la constitution ou à la volonté de l’État conçu comme une personne. Quant à la question ultérieure de l’origine de cette constitution ou de la naissance de l’État, ils y répondent qu’ils acceptent les deux choses, l’apparition d’une constitution ou d’un État, comme une simple donnée, comme un fait. Aux époques de sécurité paisible, cette attitude a un certain sens pratique, notamment si l’on se rappelle que la légalité moderne est avant tout le mode de fonctionnement de la bureaucratie étatique. Celle-ci ne s’intéresse pas au droit de son origine, mais exclusivement à la loi de son fonctionnement. Pourtant, la doctrine des processus constituants et des formes d’un pouvoir constituant est susceptible elle aussi d’un examen scientifique d’ordre juridique. Il y a plusieurs genres de droit. Il n’y a pas que la légalité étatique, mais aussi un droit préétatique, extra-étatique et interétatique. » ; cf. Le nomos de la Terre, PUF, Paris, 2001, 363 p., p. 86.205 Cf. Otto Pfersmann (1997), op. cit. note 62, spécialement pp. 295-297.206 Cf. notamment : Alain Pellet, op. cit. note 103 (avec de nombreuses références doctrinales) ; Charles Lekeufack, Les sources internationales du pouvoir constituant: contribution à la théorie du pouvoir constituant, thèse Université de Paris 13, Paris, 2005, 423 p. (analyse critique de la doctrine française « souverainiste »).

504

« Jean Donnedieu de Vabres l’avait dit aux lendemains de 1946 : l’inscription constitutionnelle

de l’obligation faite "à la France" de "se conformer" au droit international vaut acte de souveraineté,

pas de soumission207. Parce qu’elle exprime une part, même lointaine, du pouvoir originaire, une

Constitution ne constate jamais qu’une norme préexistante s’impose à elle208. Quoiqu’elle en dise, elle

dispose seulement. Seule contrainte : la réalité des situations internationales, celle d’une frontière par

exemple. Mais en l’état où le pouvoir constituant s’en saisit, la frontière n’est pas une règle mais un fait209. Et c’est bien cela qui la rend intangible210. »

L'auteur ne part pas du constat que le droit international attribue précisément à l'État la compétence de

déterminer le contenu de sa constitution librement, ce qui comprend les éventuelles dispositions

constitutionnelles relatives au droit international211. De manière plus annexe, on peut objecter que, du

point de vue juridique, la «frontière» d'un État est une norme internationale particulière (un traité

international créant un État) ou un groupe de normes particulières (les coutumes internationales

bilatérales entre États riverains, les traités internationaux organisant la fin d'une guerre...) délimitant la

sphère de compétence spatiale de l'État en question.

2. La « menace pour la structure d'État démocratique »

Le droit international n'est pas créé par les organes internes habilités à produire des normes générales

selon des procédures constitutionnellement déterminées, dans le cadre de la structure interne d'État

démocratique. Il est surtout produit par un certain ensemble d'organes de l'État, dont la procédure de

désignation ne paraît pas la plus démocratique (le «pouvoir extérieur»), ainsi que par des organes

étatiques étrangers (les «pouvoirs extérieurs» étrangers). Une doctrine en vogue212 affirme que la

207 L’auteur renvoie à : Jacques Donnedieu de Vabres, « La Constitution de 1946 et le Droit international », D. 1948, p. 5.208 En note de bas de page : « Abstraction faite des règles procédurales et formelles de la révision, mais justement parce qu’elles se situent en amont de cette révision proprement dite ».209 En note de bas de page : « Preuve en est que, si l’État désire l’étendre, il devra imposer à un autre État une norme qui, à ses yeux ne sera pas juridique, mais issue d’un fait de force ».210 Denys de Béchillon, op. cit. note 159, p. 441.211 L’affirmation selon laquelle le «pouvoir constituant interne» est identique au «pouvoir originaire» prête à discussion. Le droit international ne détermine certes pas certains éléments tels que la forme de l’État (démocratique, autoritaire...), mais il conditionne l'existence de l'État – ainsi que sa sphère de compétence (y compris les « frontières ») – et à un certain degré, son contenu normatif interne. 212 Sur ce problème lié au « déficit démocratique » du droit international qui intéresse intensément la doctrine actuelle, cf. inter alia, avec des positions diverses : Eyal Benvenisti, « Reclaiming Democracy : The Strategic Uses of Foreign and International Law by National Courts », AJIL, vol. 102, 2008, p. 241 et svtes ; Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72 ; Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Demokratie als Verfassungsprinzip », , in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR II – Strukturen von Staat und Verfassung, 3ème éd., C.F. Müller, Heidelberg, 2004, 1079 p., pp. 887-953 ; Armin von Bogdandy, « Pluralism, direct effect, and the ultimate say : On the relationship between international and domestic constitutional law », International Journal of constitutional law, vol. 6, 2008, pp. 397-413 ; Armin von Bogdandy, Philipp Dann, Matthias Goldmann, « Developing the Publicness of Public International Law: Towards a Legal Framework for Global Governance Activities », German Law Journal, vol. 9, 2008, pp. 1375-1400 ; Karl Doehring,

505

structure démocratique de l'État se trouverait menacée par l'attribution d'une forte capacité de déroger

au droit international général : elle conduirait à la prévalence de normes non produites

démocratiquement sur les normes produites démocratiquement. Les auteurs en concluent que la force

dérogatoire du droit international général doit être restreinte au possible, si ce n'est considérée comme

nulle (en ce sens, à propos du droit autrichien, les analyses du Professeur Manfred Rotter213).

Cette argumentation prête à controverse : les dispositions constitutionnelles relatives à la transformation

du droit international en droit interne peuvent à l'inverse se concevoir comme des dispositions spéciales

prévoyant un mode de production sui generis de normes internes, différencié des procédures dites

«démocratiques»214. La transformation du droit international en droit interne consiste précisément en

une autorisation au bénéfice des organes internes dépourvus d'une compétence d'appliquer le droit

international en tant que tel – entre autres les juridictions internes liées par un principe de légalité strict

– de faire prévaloir, dans une certaine mesure fixée par la constitution, le droit international transformé

en droit interne sur les autres normes internes en cas de collision215.

« Demokratie und Völkerrecht », in : Hans-Joachim Cremer, Thomas Giegerich, Dagmar Richter, Andreas Zimmermann (éd.), Tradition und Weltoffenheit des Rechts, Festschrift für Helmut Steinberger, Springer, Berlin/Heidelberg/New York, 2002, 1483 p., pp. 127-136 ; Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 38, 2006, pp. 707-760 ; Stefan Kadelbach, « Demokratische Legitimation als Prinzip zwischenstaatlichen Handelns », in : Silja Vöneky, Cornelia Hagedorn, Miriam Clados, Jelena von Achenbach (eds), Legitimation ethischer Entscheidungen im Recht - interdisziplinäre Untersuchungen, Springer, Berlin, 2009, 351 p., pp. 147-172 ; Mattias Kumm, « Constitutional Democracy Encounters International Law : Terms of Engagement », in : Sujit Choudhry (éd.), The Migration of Constitutional Ideas, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, 458 p., pp. 256-293 ; Nikos Lavranos, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law: A Reply to Eyal Benvenisti and George Downs », EJIL, vol. 20, 2009, pp. 1005–1011 ; Niels Petersen, « The Reception of International Law by Constitutional Courts through the Prism of Legitimacy », ZaöRV, vol. 72, 2012, pp. 223-260 ; Christian Seiler, Der souveräne Verfassungsstaat zwischen demokratischer Rückbindung und überstaatlicher Einbindung, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2005, 432 p. ; Hélène Tourard, L'internationalisation des constitutions nationales, LGDJ, Paris, 2000, 724 p. ; Thomas A.J.A. Vandamme, Jan-Herman Reestman (eds), Ambiguity in the Rule of Law : the Interface Between National and International Legal Systems, Europa Law Publishing, Groningue, 2001, 175 p. ; Joseph H.H. Weiler, « The geology of international law – governance, democracy and legitimacy », ZaöRV, vol. 64, 2004, pp. 547-562 ; Rüdiger Wolfrum, « Legitimacy in International Law from a Legal Perspective: Some Introductory Considerations », in : Rüdiger Wolfrum, Volker Röben (eds), Legitimacy in International Law, Springer, Berlin, 2008, 420 p., pp. 1-24.213 Manfred Rotter, « Demokratie und Völkerrecht », in : Michael Fischer (éd.), Dimensionen des Rechts, Gedächtnisschrift für René Marcic, Duncker & Humblot, Berlin, 1974, 1232 p., p. 641 et svtes. ; op. cit. note 93 (1976). Dans la conclusion du dernier article, l'auteur résume ainsi sa position : « Ni la jurisprudence des juridictions suprêmes, ni la doctrine ne sont en mesure de classifier les règles généralement reconnues du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire. Une telle classification échoue par l'insuffisance de la différenciation propre à l'art. 9 B-VG et par l'absence d'autres critères de classification dans le système juridique autrichien. Suivant le principe de l'État de droit prévu par l'article 18 al. 1 et al. 2, la force dérogatoire d'une norme constitue la condition préalable à son applicabilité [le principe d'État en droit autrichien est lié à une certaine conception de la démocratie en ce qu'il exige une habilitation législative]. En cela, l'article 9 B-VG est dépourvu d'une capacité immédiate de transformer avec effets juridiques les règles généralement reconnues du droit international en partie constitutive du droit fédéral. L'article 9 B-VG est une "disposition programmative" dont l'efficacité est encore conditionnée par d'autres mesures de concrétisation » (p. 42, ma traduction).214 Cf. supra : « Les incidences de la transformation sur l'encadrement juridique du "pouvoir extérieur" »215 En ce sens : Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214, spécialement p. 213. Cf aussi, plus tardivement : Hans Kelsen (1967), P.I.L., p. 579. Dans le même sens, dans la doctrine contemporaine, cf. inter alia Dana Burchardt (2010), op. cit. note 21, spécialement p. 8.

506

3. Le problème du dynamisme du droit international général

Dans les différentes doctrines nationales, on trouve souvent l'idée que le droit international dit

«spontané»216 (par opposition au droit international dit «posé») serait par nature inapte à une valeur

constitutionnelle en raison de son dynamisme. Lui attribuer une capacité de déroger aux normes de la

constitution au sens formel entraînerait une instabilité inappropriée de celle-ci, et ce, d'autant plus que

les évolutions du droit international coutumier restent imprévisibles (problème de l'insécurité juridique).

La normativité d'une norme internationale n'est en effet pas fixée de façon abstraite et définitive, mais

demeure dans la plupart des cas dépendante de la situation internationale concrète, telle que la

satisfaction au principe de réciprocité217. De plus, le droit international dit «spontané» soulève de

sérieuses difficultés d'identification qui pourraient aboutir à une vision désunifiée du contenu des

normes de valeur constitutionnelle par les organes d'application du droit218.

Les doctrines nationales insistent tantôt sur la question de l'instabilité (a.), tantôt sur la question de

l'identification (b.) :

a. Les difficultés tenant au dynamisme du droit international général sont relevées par la Cour

constitutionnelle fédérale allemande à l'occasion de sa décision Kriegsfolgelasten II : « Comme les

règles générales du droit international sont en constante évolution, la quantité de collisions possibles

entre droit international et droit interne n'est pas prévisible. Le processus de modification du droit

fédéral par leur incorporation s'exécute en dehors des procédures législatives formelles

constitutionnellement prévues219 ». Selon la Cour, la procédure spéciale d'identification de l'article 100

al. 2 LF a pour fonction – dans le cadre de la systématique de la Loi fondamentale – de réduire les

risques :

« Le constituant a accepté les dangers découlant de l'incorporation des règles générales du droit

international au-dessus des lois pour les principes constitutionnels d'autorité du législateur et de la

216 Le terme « droit international spontané » désigne le même ensemble de normes que celui de « droit international non conventionnel ». Le terme « spontané » peut sembler inapproprié parce que la coutume est tout de même formée par un certain processus, sur le fondement d'un principe général du droit international.217 Cf. Josef Laurenz Kunz, « Statisches und dynamisches Völkerrecht », in : Alfred Verdross (éd.), Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen zum 50. Geburtstag, Springer, Vienne, 1931, 441 p., pp. 217-251 ; Bruno Simma, Das Reziprozitätselement in der Entstehung des Völkergewohnheitsrechts, Fink-Verlag, Munich-Salzbourg, 1970, 82 p. 218 A cet argument, il est possible d'objecter que cela n'est pas inhabituel dans le cadre du droit constitutionnel. Une large partie des normes propres constitutionnelles pose aussi des difficultés d'identification, parmi lesquelles on trouve les principes implicites contenus dans la constitution (règles de solution de conflit, principes généraux de la constitution au sens matériel déterminant les modalités d'application et d'interprétation des normes, etc.). Par ailleurs, de nombreuses dispositions constitutionnelles explicites posent de sérieuses difficultés d'interprétation de par leur caractère vague.219 BVerfGE 23, p. 288 (§130).

507

sécurité juridique. La procédure de l'article 100 al. 2 LF vise principalement à limiter jusqu'à un

minimum irréductible les dangers de l'incorporation du droit international pour l'autorité du législateur

et la sécurité juridique. [Certes], l'article 100 al. 2 LF sert à vérifier l'existence de normes et non à les

contrôler. [Néanmoins], la procédure de l'article 100 al. 2 LF remplace la procédure législative ; le

dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale a force de loi (Art. 94 al. 2 LF, §. 13 n°12

et § 31 al. 2 de la Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale). 220 »

b. Le dynamisme de la transformation du droit international général en droit interne, qui découle du

dynamisme du droit international lui-même, est examiné par la doctrine autrichienne à deux stades

distincts, celui de l'identification et celui de la dérogation :

Selon le Professeur Manfred Rotter, par contraste avec la Loi fondamentale allemande qui prévoit le

mécanisme de l'article 100 al. 2 LF : « L'article 9 B-VG ne prend pas suffisamment en considération les

difficultés liées à l'identification du droit international coutumier. Le contenu de la norme d'habilitation

du droit international prévoyant la formation des coutumes est lui-même difficilement identifiable, ce

qui amplifie les difficultés. Aussi, l'identification du droit international coutumier est lacunaire en raison

de certaines difficultés d'ordre purement technique. En vue d'unifier la pratique du droit international

autrichienne et de garantir un niveau minimum de sécurité juridique dans le domaine de l'application

interne du droit international, [proposition est faite] d'attribuer la compétence d'application du droit

international à un organe central221. » L'argumentation du Professeur Manfred Rotter surestime sans

doute les difficultés d'identification, d'une part car elles sont d'ordre cognitif et non normatif, d'autre

part car elles ne paraissent pas insurmontables.

En ce qui concerne la dérogation, quelques auteurs autrichiens conçoivent plutôt, et de manière

originale par rapport aux autres doctrines nationales, que le dynamisme de la transformation du droit

international général va dans le sens d'une valeur constitutionnelle, ou du moins supra-législative. Le

principe lex posterior qui pourrait s'appliquer au profit d'une loi postérieure à une règle généralement

reconnue du droit international doit être écarté, étant donné que les normes internationales demeurent

valides aussi longtemps que l'article 9 lui-même est valide et conservent, sans être affectées, leur valeur

de « composante du droit fédéral »222. Il s'ensuivrait que les règles généralement reconnues du droit

international sont toujours dérogatoires223.

c. Une partie de la doctrine française fait observer qu'un des principaux obstacles à l'appartenance des

220 Ibid., §131 et §134.221 Cf. op. cit. note 93, spécialement p. 42.222 Hans René Laurer, op. cit. note 105, spécialement pp. 347-351.223 Heribert Franz Köck, op. cit. note 8, spécialement pp. 760-763. Contra : Alexander Balthasar, op. cit. note 8, spécialement pp. 174-175 (l'article 9 B-VG lui-même est dérogeable de sorte que sa fonction de transformateur continu l'est aussi).

508

règles du droit public international au « bloc de constitutionnalité » réside dans leur dynamisme, auquel

participe le principe de réciprocité en droit international. Par contraste avec les autres normes

auxquelles renvoie la Constitution – à l'instar des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la

République »224 – le contenu des règles du droit public international n'est pas statique. Leur

appartenance au bloc de constitutionnalité aurait dès lors pour effet juridique de modifier, au moins

potentiellement, en permanence le contenu normatif de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel considère de manière constante, depuis sa décision du 15 janvier 1975 225, que

l'appartenance des normes au bloc de constitutionnalité est conditionnée par leur supériorité «absolue»

sur les lois, c'est-à-dire dans tous les cas. Cette condition justifie l'exclusion de l'appartenance des

traités internationaux au bloc de constitutionnalité : leur supériorité sur les lois dépend de la réciprocité

du comportement des États parties, et elle n'est donc que «relative» (article 55 de la Constitution). En ce

qui concerne les normes internationales non conventionnelles, on trouve deux conceptions doctrinales

opposées : soit elles ne satisfont pas non plus à la condition de supériorité absolue puisqu'elles lient la

France sous réserve de réciprocité, soit l'existence même d'une coutume présuppose la satisfaction à la

condition de réciprocité226. Ni l'une, ni l'autre de ces conceptions ne reflètent l'état du droit : à l'encontre

de la première, on peut remarquer que le principe de réciprocité ne vaut pas dans tous les cas en matière

de droit international non conventionnel227 (ius cogens, droit international relatif aux droits de

l'homme...) ; quant à la seconde, elle confond la formation de la norme et la norme elle-même : certes,

224 Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont uniquement formés de principes issus de lois dont l'adoption est antérieure à la IVe République, d'où leur caractère statique.225 Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse A propos des traités internationaux, le Conseil constitutionnel considère que la satisfaction à la condition de réciprocité prévue par l'article 55 de la constitution « peut varier selon le comportement du ou des États signataires du traité et le moment où doit s'apprécier le respect de cette condition ».226 Le Professeur Jacques Dehaussy remarque que la « condition de réciprocité, qui a suscité tant de débats pour l'applicabilité des traités internationaux, est sans pertinence en matière de règles de règles de droit international public général coutumier » ; cf. « Le statut de l'État étranger demandeur sur le for français : droit international coutumier et droit interne », JDI, vol. 118, 1991, pp. 109-129, p. 120. Le Professeur Serge Sur dit que la coutume internationale se caractérise par « son indifférence à la réciprocité, dans la mesure où la règle ne dépend pas, pour son existence ou son maintien, de son application ponctuelle par les autres sujets » ; « Sources du droit international – La coutume », JurisClasseur Droit international, fascicule 13, 1989, 87 p., spécialement p. 8.A propos de l'alinéa 14, les Professeurs Jean Combacau et Serge Sur remarquent que : « la réciprocité n'est pas mentionnée par le Préambule. Mais, elle est impliquée, sur le plan international, par la coutume elle-même » ; cf. Droit international public, Montchrestien, Paris, 1993, 821 p., p. 194.227 L'applicabilité de certaines normes est conditionnée par la réciprocité : coutumes bilatérales, coutumes multilatérales, etc. ; l'applicabilité d'autres normes n'est en aucun cas conditionnée par la réciprocité : ius cogens, droit international relatif aux droits de l'homme, ainsi que d'autres normes internationales d'un haut degré de généralité (principe d'égale souveraineté des États, principes prévoyant les modalités de production des normes internationales, etc.) ; généralement, la réciprocité est supposée concernant le droit international non écrit, étant donné que : 1. la formation même de la coutume est conditionnée par une pratique commune (qui peut disparaître, il est vrai, ultérieurement à son entrée en vigueur, ce qui peut éventuellement amener à la formation une nouvelle coutume par pratique commune) ; 2. L'applicabilité des coutumes internationales multilatérales est certes conditionné par la réciprocité, mais la coutume demeure valide et applicable si une quantité d'États suffisante continue de l'appliquer malgré les éventuelles dissidences (la non-application de la coutume multilatérale par un État donné suspend uniquement l'obligation pesant sur les autres États de l'appliquer dans leur relation réciproque avec l'État dissident, et les obligations coutumières continuent d'être opposables à ce dernier, du moins pendant une certaine durée) ; 3. les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées sont des normes universelles, ou très largement partagées, dont la non-application fautive par un État donné ne suspend pas l'applicabilité envers les autres États.

509

la validité même d'une coutume internationale suppose qu'au moment de sa formation les États se soient

comportés d'une même façon, mais une fois une coutume internationale devenue valide, il n'est

aucunement exclu qu'un des États lié par celle-ci ne la respecte plus.

Le droit international général contient des normes liant l'État de manière absolue (les normes de ius

cogens) et des normes ne le liant que de manière fortement relative, au sens où il suffit qu'un État

destinataire ne respecte plus la norme en question pour qu'elle ne soit plus opposable aux autres États

destinataires (par exemple, les coutumes bilatérales). Entre ces deux extrêmes, il existe des degrés

intermédiaires. Soit, par exemple, une norme internationale qui n'est plus respectée par un État donné

tandis qu'aucune menace ne pèse sur son existence car elle demeure appliquée par un certain ensemble

d'États. Dans une telle situation, il est interdit aux États liés par cette norme d'opposer la non-

satisfaction de la réciprocité, sauf envers l'État réfractaire. La France se trouvera par exemple autorisée

à suspendre l'application d'une coutume internationale bénéficiant à des ressortissants d'un État étranger

si, à l'égard des nationaux français vivant sur le territoire de cet État, la coutume en question est violée228.

L'absence de caractère définitif et absolu des règles du droit public s'opposerait, selon l'opinion

dominante, à leur appartenance au bloc de constitutionnalité229. L'inclusion dans le bloc de

constitutionnalité des normes qui lient l'État de manière absolue ( ius cogens) et des normes d'un degré

de généralité suffisamment élevé pour que leur existence ne soit pas menacée par des modifications

conjoncturelles du comportement des États (surtout les « principes généraux du droit international »)

demeure toutefois concevable. En se référant aux « principes généraux du droit public international », le

Conseil constitutionnel a sans doute emprunté une voie proche230. Le Conseil distingue ainsi un

ensemble « règles du droit public international » auxquelles la condition de réciprocité ne s'applique pas

; par leur stabilité et leur haut degré de généralité, elles ne heurtent pas la représentation communément

admise de ce que doit être une norme constitutionnelle.

Étant donné le dynamisme du droit international, son éventuelle appartenance au droit constitutionnel

implique des révisions de la constitution par voie internationale, donc en dehors des procédures de

principe expressément déterminées par celle-ci.

228 Gérard Teboul, note sous CAA Lyon, 5 avril 1993, M. Aquarone, AJDA 1993, p. 725 ; à comparer avec : concl. Gilles Bachelier sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, p. 862. Pour un exemple d'application juridictionnelle interne d'un «principe du droit des gens» codifié par la Convention de La Haye IV, cf. C.A Alger, 22 juillet 1915, JDI 1915, p. 906.229 Le Professeur Gérard Teboul remarque que des normes dépourvues d'une supériorité «absolue» sur les lois seraient ainsi insérées dans le bloc de constitutionnalité ; cf. « droit administratif et droit international », RDP, 1998, pp. 979-1000, spécialement pp. 992-993. Cf. aussi : Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 132, spécialement pp. 382-385.230 N° 98-408 DC du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale internationale

510

4. Le problème de la révision de la constitution par voie internationale

On trouve souvent l'opinion selon laquelle une révision de la constitution par voie internationale est

interdite parce que les dispositions constitutionnelles explicitement relatives à sa révision en

déterminent de manière exclusive les modalités231. L'attribution d'une valeur constitutionnelle aux

principes du droit international apparaît dès lors illicite, puisque cela reviendrait à autoriser la révision

de la constitution par une procédure non prévue par celle-ci.

Les constitutions autrichienne et allemande contiennent – ou contenaient – une procédure spéciale

autorisant la modification de la constitution par voie internationale, soit par traités internationaux

« modifiant la constitution » (anciennement art. 50 B-VG232)233, soit par délégation de compétences

« souveraines » à une organisation internationale (art. 24 al. 1 LF)234. L'idée que la constitution soit

révisable par voie internationale, y compris le cas échéant par coutume internationale, n'est donc pas

étrangère aux doctrines nationales. Tel n'est pas le cas de la doctrine française qui considère

231 Ce ne sont pas nécessairement des dispositions formelles explicites de la constitution qui déterminent les modalités de modification de la constitution. Certaines constitutions, telle celle du Royaume-Uni, prévoient par coutume (constitutionnelle) leur propre procédure de révision, et il se peut d'ailleurs même que cette procédure soit révisable par voie coutumière (par exemple, par une modification convergente de la praxis et l’opinio juris des organes constitutionnels, soit par exemple le monarque et le parlement). A propos du Royaume-Uni, la doctrine considère souvent que le mode principal de révision de la constitution n'est, non pas coutumier, mais un « vote à majorité simple du Parlement ». William Blackstone (1765) dit ainsi que le Parlement anglais « possède l’autorité souveraine et incontrôlable dans la confection, la restriction, l’abrogation, la résurrection et l’exposition des lois, concernant les matières de toutes les dénominations possibles, ecclésiastiques ou temporelles, civiles, militaires, maritimes ou criminelles : là étant l’endroit où ce pouvoir absolu despostique, qui, dans tous gouvernements, doit résider quelque part, est confié par la constitution de ces royaumes… Bref, il peut faire tout ce qui n’est pas naturellement impossible ; et c’est pourquoi certains n’éprouvent aucun scrupule à appeler son pouvoir, par une figure d’une témérité plutôt excessive, l’omnipotence du parlement. Ce qui est vrai, c’est que, ce que le parlement fait, aucune autorité sur terre ne peut le défaire (what the parliament doth, no authority upon earth can undo) » ; cf. Commentaries on the laws of England, 1765, tome 1, Clarendon Press, Oxford, 1769, 473 p. pp. 160-161. La traduction est de : Henri Lévy-Ullmann, Le système juridique de l’Angleterre, Editions Panthéon-Assas, Paris, 1999, 574 p., pp. 362-363.Lorsque la constitution contient une disposition formelle explicite relative à la révision, il est possible qu'elle soit exclusive. Mais encore faut-il que le droit constitutionnel contienne un principe – souvent implicite dans les systèmes juridiques positifs – suivant lequel la constitution délimite de manière stricte les compétences qu'elle attribue aux organes internes. Dans ce cas, le principe « tout ce qui n'est pas interdit est permis » ne vaudrait pas en droit constitutionnel en ce qui concerne les normes de compétence, entre autres celles relatives à la révision de la constitution. En ce qui concerne l'état du droit positif, l'évolution des systèmes juridiques contemporains par le processus de formalisation observable depuis la Révolution française montre l'introduction d'un principe de droit positif implicite ainsi formulable « les modalités de modification de la Constitution autres que celles prévues dans le texte même de la Constitution sont interdites », ou encore « Les procédures de révision de la Constitution explicitement prévues sont exclusives de tout autre mode de révision ».232 La procédure de révision de la constitution formelle par voie des traités internationaux a été récemment modifiée par la révision constitutionnelle du 4 janvier 2008 supprimant la procédure spéciale prévue par l'ex-article 50 al. 3 B-VG (BGBl I 2008, n° 1 et 2). Cf. inter alia : Philipp Lindermuth, « Das Recht der Staatsverträge nach der Verfassungsbereinigung – Eine verfassungsrechtliche Analyse der Neuregelung des Art 50 B-VG durch die Novelle BGBl I 2/2008 », ZÖR, vol. 24, 2009, pp. 299-333. 233 Le Professeur Otto Pfersmann remarque que « les traités représentent[...] quantitativement la part la plus importante du droit constitutionnel formel : [en 1992] 119 traités contiennent des normes modifiant la Constitution » ; cf. op. cit. note 106, p. 34. 234 Pour une étude comparative globale entre Allemagne et Autriche incluant la révision par voie internationale, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 106.

511

majoritairement que seules les procédures explicitement prévues par la Constitution, mais aussi de

nature à sauvegarder la « souveraineté nationale »235, autorisent une révision de la constitution.

En l'état du droit positif, les constitutions nationales ne contiennent pas de normes constitutionnelles qui

autorisent explicitement une révision de la constitution par la voie de la coutume ou de tout autre norme

non conventionnelle du droit international. Néanmoins, la doctrine s'accorde souvent pour considérer

que, dans le cadre du droit interne, le droit international général complète le droit constitutionnel

formel en délimitant notamment la sphère de validité de l'ensemble des normes internes (par exemple,

leur sphère de validité territoriale236). Une capacité de déroger de manière définitive aux normes

constitutionnelles, c'est-à-dire de remplacer celles-ci, leur est en revanche niée. De manière générale,

les doctrines nationales ne considèrent pas les dispositions constitutionnelles relatives au droit

235 Suivant la doctrine juridique classique, il existe nécessairement un organe qui, au degré hiérarchique le plus élevé d’un système juridique donné, dispose de la «compétence de la compétence» suprême. Cet organe, l’organe constituant, est compétent pour modifier – plus ou moins directement selon les modalités prévues par le système juridique en question – l’ensemble des prescriptions relatives à la compétence au sein de ce système juridique, y compris celles relatives à sa propre compétence. Selon certains, il s'ensuivrait que l’organe constituant dispose d’une habilitation juridique totale, si ce n’est dans les versions les plus extrêmes une omnipotence (normative et factuelle). Dans tous les cas, il est considéré comme occupant la position de « souverain national » :

Herbert L.A. Hart dit, à propos de la doctrine anglaise sur le Parlement : « Sous l’influence de la doctrine austinienne [de Austin, juriste anglais de la seconde moitié du XIXe s.] selon laquelle la loi est essentiellement le produit d’une volonté juridiquement illimitée, les anciens théoriciens de la constitution ont écrit que l’existence d’une législature [legislature] souveraine – au sens où celle-ci est libre à tout moment de son existence en tant que corps continu non seulement des limitations juridiques imposées ab extra, mais aussi de ses propres législations antérieures – est une nécessité logique. Que le Parlement soit souverain en ce sens peut maintenant [en l’état du droit] être regardé comme établi et le principe selon lequel aucun Parlement plus ancien ne peut lier ses "successeurs" en leur interdisant d’abroger sa propre législation constitue une part de la règle ultime de reconnaissance utilisée par les cours pour identifier les "règles de droit" [rules of law] valides. Cependant, il est important de voir qu’aucune une nécessité de la logique, et encore moins de la nature, ne dicte qu’un tel Parlement doive exister ; cela est seulement un arrangement parmi d’autres – concevables également – qui est parvenu à être accepté par nous comme le critère de la validité juridique. » ; cf. The Concept of Law, 2ème éd., Oxford University Press, New York, 1994, 307 p., p. 149 (ma traduction).

Le juriste allemand Carl Schmitt a produit une théorie qui distingue le « pouvoir constituant » – pourvu selon l'auteur d’une compétence totale – et le « pouvoir constitué » chargé quant à lui de modifier le contenu de la norme suprême et disposant d’une compétence limitée. Carl Schmitt écrit, dans Théorie de la Constitution (1927) : « le pouvoir constituant est la volonté politique dont le pouvoir ou l’autorité sont en mesure de prendre la décision globale concrète sur le genre et la forme de l’existence de l’unité politique dans son ensemble. C’est des décisions de cette volonté que procède la validité de toutes les prescriptions ultérieures des lois constitutionnelles. Ces décisions en tant que telles sont qualitativement différentes des normations légiconstitutionnelles prises sur son fondement. […]. Tout ce qui, sur le fondement de la constitution, survient en fait des lois constitutionnelles, et tout ce qui, sur le fondement des lois constitutionnelles, survient dans le cadre des compétences définies par les lois constitutionnelles, est par essence d’une autre nature qu’un acte du pouvoir constituant. […]. Il est particulièrement inexact de qualifier de pouvoir constituant le pouvoir de modifier des dispositions légiconstitutionnelles, pouvoir attribué et fixé par une loi constitutionnelle. Même la compétence de révision des lois constitutionnelles (par exemple, d’après l’art. 76 WRV) est, comme tout pouvoir découlant de lois constitutionnelles, une compétence réglée par la loi, c’est-à-dire limitée par principe. Elle ne peut sortir du cadre fourni par la réglementation légiconstitutionnelle, sur laquelle elle repose. […]. Même dans les États où une loi constitutionnelle peut entrer en vigueur par la procédure législative normale, comme en Angleterre en vertu de ce qu’on appelle la souveraineté du Parlement anglais, cette distinction reste valable. Il serait inexact de dire que l’Angleterre pourrait devenir une République soviétique par la grâce d’un "vote à la majorité simple du Parlement". » ; cf. Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. Lilyane Deroche, PUF, Paris, 1993, 576 p., pp. 211-212 et pp. 235-236. La théorie de Carl Schmitt consiste en vérité en une théorie de type théologique suivant laquelle l’organe originaire (le « pouvoir constituant ») dispose d’une compétence – factuelle et juridique – totale tandis que l’organe chargé des modifications de la constitution (un « pouvoir constitué ») est pourvu d’une compétence limitée. 236 Cf. par exemple, à propos de la constitution autrichienne : Hans René Laurer, op. cit. note 105, spécialement pp. 355-363.

512

international général comme un fondement de révision constitutionnelle (a) ; de manière singulière,

l'obligation pesant sur l'ensemble de la « République française » de respecter le droit international

général, vaut peut-être à l'égard de l'organe constituant français (b).

a. La question de l'exclusivité des procédures de révision explicitement prévues par la constitution dans

les doctrines allemande et autrichienne

Les doctrines allemande et autrichienne estiment majoritairement que le caractère non écrit du droit

international général ne suffit pas à justifier qu'il puisse entraîner des révisions de la constitution par

une voie autre que celle des procédures écrites explicitement déterminées.

α. Pour la majorité de la doctrine allemande237, les procédures de révision constitutionnelle

explicitement prévues par la Loi fondamentale, c'est-à-dire la procédure de principe de l'article 79 LF 238

et les procédures exceptionnelles de l'article 24 LF239 (transfert de souveraineté à une organisation

internationale) et de l'article 146 LF240 (révision totale), excluent d'autres modes de révision. Cette

conception doctrinale ne contredit pas le principe constitutionnel, commun à la plupart des systèmes

juridiques nationaux depuis le processus de formalisation du droit constitutionnel datant de la fin du

XVIIIe siècle, suivant lequel seules les normes explicites de révision contenues dans la constitution

habilitent à sa modification.

La rédaction définitive de l'article 25 LF ne supprime peut-être pas tous les doutes, mais l'intention du

constituant allemand consiste apparemment à éviter la possibilité d'une révision de la Constitution par

les règles générales du droit international. La Convention de Herrenchiemsee adopte initialement la

formulation suivante : « Les règles générales du droit international sont une composante du droit fédéral

237 Carl Friedrich Curtius, Die Schranken der Änderung des Grundgesetzes, thèse, Cologne, 1953, 132 p., spécialement p. 93 ; Carl Friedrich Curtius, op. cit. note 111 ; Hermann Trost, Änderungen des Grundgesetzes – Die beschlossenen und beantragten Änderungen des Grundgesetzes und ihre Bedeutung für die Fortentwicklung des Verfassungsrechts der Bundesrepublik Deutschland, thèse, Hambourg, 1963, 356 p., spécialement p. 259 ; Hauke Möller (2004), op. cit. note 111, spécialement pp. 186-188 ; Mehrdad Payandeh, op. cit. note 183, spécialement p. 496 ; Jörg Menzel, Internationales Öffentliches Recht : Verfassungs- und Verwaltungsgrenzrecht in Zeiten offener Staatlichkeit, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2011, 974 p., spécialement p. 435 et svtes.238 L’article 79 al. 1 et al. 2 LF dispose : « 1. La loi fondamentale ne peut être modifiée que par une loi qui en modifie ou en complète le texte. […]. Une telle loi doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat. Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe du concours des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 [dignité de l’être humain, caractère obligatoire des droits fondamentaux pour la puissance publique] et 20 [fondements de l’ordre étatique, droit de résistance], est interdite. ; 2. Une telle loi doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat. »239 Suivant l'article 24 al. 1 LF : « La Fédération peut transférer, par voie législative, des droits de souveraineté à des institutions internationales. » ; pour un commentaire, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 106, spécialement pp. 51-53.240 Suivant l'article 146 LF : « La présente Loi fondamentale, qui, l’unité et la liberté de l’Allemagne ayant été parachevées, vaut pour le peuple allemand tout entier, devient caduque le jour de l’entrée en vigueur d’une constitution adoptée par le peuple allemand en pleine liberté de décision. » ; cf. Otto Pfersmann, ibid., spécialement pp. 58-64.

513

(Bundesrecht) et créent directement des droits et obligations pour tous les habitants du territoire

fédéral241 ». Par la suite, le Comité général de rédaction dans sa proposition et le Comité principal dans

la formulation qu'il retient préfèrent l'expression «Bundesverfassungsrecht» («droit constitutionnel

fédéral») à celle «Bundesrecht», et ce, parce qu'il importe alors de garantir qu'une simple loi ne peut

mettre hors de vigueur les règles générales du droit international242. Tandis que les sociaux-démocrates

Carlo Schmid et Fritz Eberhard prennent parti pour une telle modification, le chrétien-démocrate

Hermann von Malgoldt s'y oppose, la considérant comme inutile243. Au final, une solution de

compromis est trouvée par l'abandon du terme «Bundesverfassungsrecht», remplacé par l'ajout de la

phrase : « Elles priment sur les lois »244. Ainsi, le législateur dispose toujours d'une compétence pour

éventuellement écarter l'application d'une règle générale du droit international, mais à travers la

procédure spécifique – à majorité qualifiée – de l'article 79 LF relatif à la révision constitutionnelle.

Une ambiguïté demeure néanmoins dans la rédaction définitive : le terme «Bundesrecht» n'exclut pas

nécessairement dans le contexte de la Loi fondamentale une valeur juridique constitutionnelle (par

exemple, le célèbre article 31 LF suivant lequel : « Bundesrecht bricht Landesrecht » ; « Le droit

fédéral prime sur le droit de Land »).

L'article 25 LF lui-même n'échappe pas à la possibilité d'une révision constitutionnelle. La doctrine

considère qu'il ne lie pas le législateur constitutionnel qui dispose de la compétence de le modifier, étant

donné qu'il n'est pas protégé par la clause d'éternité de l'article 79 al. 3 LF245.

β. L'idée que la constitution puisse être modifiée par voie internationale n'est pas étrangère à la doctrine

autrichienne, cela ayant été expressément prévu par la Loi constitutionnelle pour certains traités

internationaux (anciennement art. 50 al. 3 B-VG). L'absence d'une procédure formelle expressément

prévue l'est en revanche davantage. La Loi constitutionnelle fédérale conditionne le rang constitutionnel

d'une norme fédérale par le respect strict de règles de forme, parmi lesquelles figure – en principe – la

désignation expresse de la norme en question comme « constitutionnelle »246. Robert Walter objecte à

cela qu'une telle condition de respect des règles de formes a seulement un sens lorsqu'il s'agit de droit

241 « Die allgemeinen Regeln des Vôlkerrechts sind Bestandteil des Bundesrechts und erzeugen Rechte und Pflichten unmittelbar für alle Bewohner des Bundesgebietes » ; cf. Parlamentarischer Rat, Akten und Protokolle, tome 7, p. 147 et svtes.242 Parlamentarischer Rat, Akten und Protokolle, tome 7, p. 147 et svtes.243 Parlamentarischer Rat, Verhandlungen des Hauptausschusses, p. 328 et svtes.244 L'initiative en revient à Hermann von Malgoldt. Pour le vote de la formulation, cf. Parlamentarischer Rat, Verhandlungen des Hauptausschusses, p. 625.245 Par exemple : Christian Tomuschat, op. cit. note 92, spécialement n°11 ; Mathias Herdegen, op. cit. note 113.246 A propos de la loi, Art. 44 al. 1 B-VG : « Les lois constitutionnelles ou les dispositions constitutionnelles contenues dans des lois ordinaires ne peuvent être adoptées par le Conseil national que si la moitié au moins de ses membres sont présents et si elles recueillent une majorité des deux tiers des suffrages exprimés ; elles doivent être désignées expressément comme telles («loi constitutionnelle», «disposition constitutionnelle») ». A propos des traités internationaux, l'ancien article 50 al. 3 B-VG disposait que : « [...] [les] traités internationaux ou [les] dispositions contenues dans des traités internationaux [modifiant ou complétant la constitution] doivent être expressément désignés comme « portant modification de la constitution ». »

514

conventionnel («posé»), mais non en ce qui concerne le droit coutumier («spontané»)247. Cet argument

semble toutefois insuffisant : la nature non écrite des normes coutumières ne justifie pas qu'elles

privilégient d'une procédure propre pour modifier la constitution – non prévue par le texte même de la

constitution. Et, au contraire, la qualité de norme constitutionnelle ne peut être attribuée à une norme

coutumière que par sa mise en écrit ou par une révision par le constituant de l'article 9 B-VG qui

modifierait le terme « droit fédéral » en « droit constitutionnel fédéral ».

b. L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 en tant que mode alternatif de révision de la

Constitution

L'article 89 de la Constitution française paraît écarter toute révision constitutionnelle en dehors de son

fondement, sauf lorsque la Constitution prévoit explicitement une procédure de révision alternative, par

d'autres modalités248. L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 ne dispose pas apparemment

d'une telle procédure de révision constitutionnelle, ce qui n'empêche pas de s'interroger quant à sa

qualité de lex specialis autorisant la révision de la Constitution par voie internationale. En effet,

l'obligation générale qu'il pose, celle du respect du droit international, s'impose à l'ensemble de l'État, y

compris au niveau constitutionnel.

La doctrine émet souvent l'idée contradictoire selon laquelle, d'un côté, les «principes généraux du droit

public international» sont une composante en tant que tels du bloc de constitutionnalité, et que, d'un

autre côté, l'alinéa 14 qui fonde leur normativité interne ne détermine pas pour autant un mode de

révision de la Constitution. Les «principes généraux du droit public international» sont pourtant à

l'évidence des normes dynamiques dans la sphère internationale, de sorte que leur admission dans le

247 Robert Walter, op. cit. note 11, p. 171. Dans le même sens que Rober Walter : Hans René Laurer, op. cit. note 105, spécialement p. 347. Cf. aussi antérieurement : Rudolf Aladár Metall, op. cit. note 95, spécialement pp. 182-183 (l'article 44 al. 1 phrase 2 B-VG trouve à s'appliquer uniquement à la forme normative « loi », n'excluant pas ainsi la constitutionnalité des règles généralement reconnues du droit international) ; Gustav Adolf Walz, op. cit. note 83, spécialement p. 171 et svtes (la désignation d'une loi comme constitutionnelle prévue par l'article 44 al. 1 n'est pas un acte de volonté mais un acte de connaissance, de sorte que la valeur constitutionnelle d'une norme n'est pas ainsi conditionnée). Contra : Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement pp. 446-447.248 La formation de coutumes constitutionnelles par la pratique est néanmoins largement envisagée par la doctrine, cf. inter alia : Pierre avril, Les conventions de la constitution – Normes non écrites du droit politique , PUF, Paris, 1997, 202 p. Le Professeur Otto Pfersmann conteste – à propos du droit français – l’existence de modifications de la Constitution par une procédure non explicitement prévue par la celle-ci : « En France, l’existence d’une coutume constitutionnelle a été affirmée en vue de fournir une justification juridique des référendums constitutionnels initiés par le général de Gaulle sur le fondement de l’article 11 C. en 1962 et en 1969. Cette disposition ne concernant pas la production de droit constitutionnel, la "coutume constitutionnelle" a été invoquée par le doyen Georges Vedel comme fondement de son utilisation à cette fin. Cet argument n’est pas recevable parce que ce qui est ici en question n’est pas l’émergence d’une coutume particulière mais la licéité même d’un droit constitutionnel coutumier. La thèse était donc en vérité celle de l’existence d’une habilitation de production de droit constitutionnel formel par voie de coutume, c’est-à-dire une pétition de principe puisque ce que l’on devrait démontrer est postulé aux fins de cette démonstration. Or, une telle habilitation n’est identifiable nulle part dans le système français. Au contraire, la formalisation du droit constitutionnel français depuis 1791 montre précisément l’exigence de ne reconnaître comme tel et de manière exclusive que les normes posées selon les règles explicitement prévues à cet effet. » ; cf. « La constitution comme norme » in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 75-76.

515

bloc de constitutionnalité implique que la Constitution puisse ainsi être modifiée. Le Professeur Gérard

Teboul, qui semble plutôt favorable à la théorie de l'appartenance au bloc de constitutionnalité de ces

principes249, dit pourtant que :

« En créant, par l’article 89 de la Constitution, un mode spécifique de révision de la

Constitution, le pouvoir constituant a implicitement, mais clairement, laissé entendre, que la

Constitution ne pouvait pas faire l’objet de révision par voie de règles juridiques internationales non

écrites. Il aurait renoncé, par là même, à un monisme consacrant le primat du droit international sur la

loi constitutionnelle antérieure. Il faut ajouter que l’intention originelle du constituant fut de placer

l’acte constitutionnel à l’abri des négociations menées par les diplomates 250. Or il paraît conforme à

cette intention que le droit international coutumier – qui peut émaner de la pratique diplomatique – ne

prime pas la Constitution »251.

Une solution possible est que les « principes généraux du droit public international » modifient la

Constitution en tant que composante du bloc de constitutionnalité, mais seulement dans un champ

limité à leur compatibilité avec les normes formelles de la constitution. Cela justifierait aussi l'effet

dérogatoire exceptionnel de certaines normes internationales qui prévalent dans la pratique des organes

internes sur certains principes de droit interne, à l'instar de l'immunité de juridiction et d'exécution de

l'État étranger qui privent le particulier d'un droit au recours.

Aucun des arguments proposés par les différentes doctrines nationales à l'encontre de la valeur

constitutionnelle du droit international général ne suffit à convaincre de leur valeur constitutionnelle. Il

est vrai que, à l'inverse, aucun argument ne prouve non plus avec certitude leur valeur constitutionnelle.

Il se pourrait que la constitution détermine davantage la prévalence (ou non) du droit international sur

les normes infra-constitutionnelles.

II. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes « infra-

249 Gérard Teboul, op. cit. note 195, spécialement pp. 335-339.250 L’auteur se réfère à : Elizabeth Zoller, Droit des relations extérieures, PUF, Paris, 1992, 368 p., spécialement pp. 260-261.251 Gérard Teboul, op. cit. note 195, spécialement p. 352.

516

constitutionnelles »

Une tendance à situer les normes internationales par rapport à la loi s'observe dans les différentes

dispositions constitutionnelles relatives au droit international. La loi est par exemple la norme de

référence dans la formulation de l'article 55 de la Constitution française, à propos des traités

internationaux252, ou dans celle de l'article 25 LF. Et, de même, lorsque le rang dérogatoire d'une norme

est indéterminé dans le texte constitutionnel, comme c'est le cas du droit international général en droit

autrichien et en droit français, la démarche de la doctrine consiste principalement à rechercher celui-ci

par référence à la loi. La tendance de la doctrine à rechercher un supposé «rang» du droit international

dans la sphère du droit interne uniquement par rapport à la loi, cette dernière étant supposée être la

seule forme normative typique en droit interne, est critiquée par Adolf Merkl dès 1928 comme une

généralisation excessive et infondée253.

A. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et loi

La question de la relation entre «règle générale du droit international» et «loi» est réglée en droit

allemand par l'article 25 phrase 2 1ère demi-phrase LF : « Elles priment sur les lois ». En l'absence de

spécification constitutionnelle, les doctrines française et autrichienne cherchent à classifier les normes

du droit international général par rapport à la loi dans la hiérarchie des normes selon la force

dérogatoire.

Et, pour cela, un argument singulier qui mérite quelques observations apparaît de manière récurrente

dans les doctrines nationales : l'«analogie avec le traité international». Par synchronie avec le droit

international qui attribue en principe une même valeur juridique aux normes coutumières et aux normes

conventionnelles, le rang dérogatoire des coutumes internationales dans le cadre du droit interne serait

similaire à celui dont sont dotés les traités internationaux en vertu des dispositions constitutionnelles

formelles qui leur sont spécifiques. La théorie de l'analogie est soutenue par la jurisprudence de certains

États (entre autres, l'Espagne254 et la Suisse255) ainsi que par de nombreux auteurs256, dont Hans Kelsen 252 L'article 55 de la Constitution française dispose que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » (mes italiques).253 Adolf Merkl, Allgemeines Verwaltungsrecht, Springer, Vienne/Berlin, 1927, 400 p., spécialement p. 118 : « Es sei nur so viel angedeutet, daß die Gleichstellung des Völkerrechtes mit dem innerstaatlichen Gesetzesrecht eine unzulässige und unbegründete Verallgemeinerung wäre, die wohl nur durch die Vorstellung nahegelegt wird, daß das Gesetz die einzige typische Gestalt des innerstaatlichen Rechtes, die Rechtsquelle schlechthin sei. »254 Selon la jurisprudence espagnole, la disposition constitutionnelle assurant la primauté d'application des traités internationaux (art. 96 al. 1) bénéficie au droit international coutumier.255 Le juge suisse assimile le droit international non écrit au droit conventionnel qui bénéficie d'une primauté d'application sur le droit interne, à moins que le législateur fédéral y oppose expressément sa volonté.256 Cf. inter alia, : Serge Sur, « Progrès et limites de la réception du droit international en droit français », in : Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani (éds), droit international et droits internes, développements récents, Rencontres

517

qui en livre une version élaborée dès 1928 à propos du contrôle de conformité des normes internes par

rapport aux normes internationales257. Hans Kelsen part du constat qu'il n'existe « aucune objection

sérieuse » à l'« annulation des lois [...] contraires aux traités ». Et une même solution serait à retenir en

cas de « violation d'une règle de droit international général, à supposer que la Constitution reconnaisse

expressément ces règles générales, c'est-à-dire les intègre dans l'ordre étatique, sous la dénomination de

règles "généralement reconnues" du droit international ». Leur prévalence se justifie ainsi : « c'est la

volonté de la Constitution que ces normes soient respectées aussi par le législateur [...] ; leur réception

signifie qu'elles ne peuvent être écartées par une loi ordinaire. »

Un grand nombre d'auteurs nationaux défendent actuellement la théorie de l'analogie entre le droit

international conventionnel et le droit international non conventionnel. Le plus souvent, les dispositions

formelles de la constitution concernant les traités internationaux sont davantage détaillées que celles

concernant les règles générales du droit international, de sorte que l'analogie s'applique aux dernières.

L'opinion exprimée par le Conseiller d'État Gilles Bachelier, à propos de la normativité du droit

international général en droit français, va par exemple en ce sens : « Le souci d'une harmonie entre les

sources conventionnelles et les sources non écrites du droit international recommande de retenir une

solution identique258 ». L'argument de l'analogie se trouve aussi dans un sens inverse dans la doctrine

allemande : la prévalence des traités internationaux sur la loi est ainsi justifiée, alors qu'elle semble

pourtant être exclue par la Loi fondamentale qui conditionne leur transformation en droit interne par

une procédure législative259.

La théorie de l'analogie prête en réalité en controverse. Le droit international n'oblige en aucun cas les

États à appliquer dans leur sphère domestique les normes coutumières et les normes conventionnelles

de manière semblable. Surtout, rien n'indique qu'existe dans la constitution un principe de synchronie

du droit interne avec les règles de solution de conflit valables en droit international 260. A l'opposé, les

constitutions nationales prévoient souvent expressément une normativité différenciée du droit

internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis (Colloque des 16-17-18 avril 1998), A. Pedone, Paris, 1998, 318 p., pp. 227-243 ; Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, Giving Effect to Customary International Law through European Community Law, Université catholique de Louvain, Institute for International Law, Working Paper n° 25, Juin 2002, 49 p., spécialement pp. 44-46 ; Moncef Kdhir, « Le juge français et le droit international non écrit », RDP, 2003, pp. 1581-1606, spécialement pp. 1597-1598 ; Philip Kunig, « Völkerrecht und staatliches Rechts », in : Wolfgang Vitzthum (éd.), Völkerrecht, 4ème édition, Walter de Gruyter, Berlin, 2007, 761 p., pp. 86-166, spécialement p. 131 et svtes ; Hans René Laurer, op. cit. note 105, p. 372 (analogie de certaines « règles généralement reconnues du droit international » avec les traités inter-étatiques).257 Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, pp. 197-257, spécialement pp. 236-238. La solution ici proposée par Hans Kelsen diffère de celle soutenue antérieurement dans l'ouvrage réalisé en collaboration avec Georg Froehlich et Adolf Merkl : op. cit. note 100, spécialement pp. 75-76.258 Concl. Gilles Bachelier sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes, p. 854.259 La jurisprudence admet généralement la différenciation hiérarchique entre « règles générales du droit international » et « traités », par exemple BVerfGE 100, p. 266 sqs. (269). Néanmoins, le principe d'ouverture au droit international commande une certaine synchronie avec l'état du droit international qui tend à l'attribution d'une force dérogatoire aux traités internationaux équivalente à celle des règles générales du droit international : BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (121). La doctrine justifie souvent cela par la théorie de l'analogie, cf. : Philip Kunig, op. cit. note 256 ; Mehrdad Payandeh, op.cit. note 183 ; Dana Burchardt, op. cit. note 21.260 Cf. infra. « la relation hiérarchique entre normes internationales dans le cadre du système juridique interne ».

518

international conventionnel et du droit international non conventionnel.

Les doctrines autrichienne (1) et française (2) ont toutes deux chercher à situer le droit international

général par rapport à la loi dans la classification des normes selon la force dérogatoire.

1. La théorie du rang de simple loi fédérale et la « théorie de la mezzanine » dans la doctrine

autrichienne

De manière désormais classique, la doctrine autrichienne se prononce souvent pour un rang législatif

des règles généralement reconnues du droit international (a). Ultérieurement, certains auteurs ont

élaboré la théorie d'un rang intermédiaire, « supra-législatif » et « infra-constitutionnel », parfois

dénommée « théorie de la mezzanine » (b).

a. La théorie du rang de simple loi fédérale est la plus ancienne, en ce qu'elle apparaît déjà en 1922 dans

le Commentaire de la Loi constitutionnelle fédérale par Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl

(« Commentaire de 1922 »), mais sans être appuyée par une justification précise. Elle se trouve énoncé

dans le passage suivant, d'ailleurs amplement discuté par la doctrine autrichienne par la suite : « L'art. 9

B-VG veut dire dans tous les cas, si l'on s'en tient, à sa formulation que les normes du droit

international, qui sont valides en tant que partie constitutive de l'ordre juridique autrichien, ont le

caractère de lois fédérales ("Bundesgesetze")261 ». Plusieurs explications de cette affirmation ont été

proposées par la doctrine autrichienne, et ce, bien qu'elle n'ait pas été confirmée par les auteurs mêmes

du Commentaire de 1922 dans leur œuvre postérieure :

Le Professeur Heinz Peter Rill suppose que l'affirmation de Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf

Merkl repose sur l'utilisation du terme «droit fédéral» («Bundesrecht») dans l'art. 9 B-VG, qu'il faut

distinguer du terme «droit constitutionnel fédéral» (Bundesverfassungsrecht)262. Néanmoins, comme le

remarque Ernst Hellbling, la formulation du Commentaire de 1922 ne permet pas de conclure que ses

auteurs estiment que les règles généralement reconnues du droit international ont le rang de simples

lois, car le terme «Bundesgesetz» désigne sémantiquement dans l'œuvre en question aussi bien les lois

constitutionnelles fédérales que les simples lois fédérales263. Si l'argument d'Ernst Hellbling paraît

pertinente d'un point de vue linguistique, il est à infirmer dans le contexte du Commentaire de 1922. Par

comparaison avec d'autres extraits du Commentaire264, on constate en effet que Hans Kelsen, Georg

Froehlich et Adolf Merkl emploient l'expression «loi» tant pour désigner uniquement les simples lois

261 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, op. cit. note 100, p. 76.262 Heinz Peter Rill, op. cit. note 247, spécialement p. 442.263 Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9, spécialement p. 74.264 Cf. par exemple, le commentaire de l'article 44 B-VG.

519

fédérales que pour désigner de manière générale l'ensemble formé par les lois constitutionnelles et les

simples lois fédérales. Les lois de rang constitutionnel isolément sont quant à elles invariablement

désignées par le terme de « lois constitutionnelles » (Verfassungsgesetze)265.

Ignaz Seidl-Hohenveldern propose une explication beaucoup plus univoque, mais aussi contestable, de

la théorie du rang de simple loi. L'auteur s'appuie principalement sur un argument d'ordre négatif, en ce

sens qu'il se base sur l'absence de rang constitutionnel : « Hence a Federal law may depart from these

rules without having to be adopted with the qualified majority required for "constitutional law", i.e.

Laws amending the constitution266 ». Le restant de l'argumentation de l'auteur repose surtout sur la

jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, qui ne fournissent pas non plus

beaucoup de justication, et non sur la Constitution autrichienne elle-même267.

Globalement, il paraît discutable de déduire un caractère de simple loi de l'absence de caractère

constitutionnel des règles généralement reconnues du droit international ; d'autres configurations restent

en effet possibles dans l'indétermination constitutionnelle. La théorie du rang de simple loi fédérale

apparaît excessivement réductrice de l'état du droit268.

b. L'ainsi-nommée « théorie de la mezzanine » est résumée par le Professeur Heinz Peter Rill (1960):

« les règles générales du droit international sont situées sous les normes constitutionnelles et, par contre,

situées au-dessus des simples lois269 ». Et l'auteur expose l'argumentation suivante : d'une part, l'emploi

de l'expression «droit fédéral» dans l'art. 9 B-VG exclut qu'un rang constitutionnel leur soit attribué270 ;

d'autre part, les normes constitutionnelles, dont l'article 9 B-VG, sont des normes qui lient l'ensemble

des organes «subordonnés» au constituant parmi lesquels figure, en premier lieu, le simple législateur.

Pour le Professeur Heinz Peter Rill, la «subordination»271 du simple législateur aux règles généralement

reconnues du droit international paraît évidente. Cela ne va pourtant pas de soi : le législateur est avant

tout lié par les normes formelles de la Constitutionnelle, c'est-à-dire celles relatives à la procédure de

production de normes, et non nécessairement aux autres normes constitutionnelles 272. En ce sens,

l'existence même de l'article 145 B-VG qui dispose que « la Cour constitutionnelle connaît des

violations du droit international public, conformément aux dispositions d'une loi fédérale spéciale »

265 Hans Kelsen, Georg Froehlich, Adolf Merkl, op. cit. note 100, spécialement p. 121 et svtes.266 Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476, spécialement p. 454.267 Il en va de même de l'argumentation des Professeurs Ludwig Adamovich et Hans Spanner qui affirment le rang de simples lois fédérales : op. cit. note 98, p. 79 et svtes.268 Cf. Adolf Merkl, Allgemeines Verwaltungsrecht, J. Springer, Vienne/Berlin, 1927, 400 p., spécialement p. 118.269 Heinz Peter Rill, op. cit. note 247, spécialement p. 450.270 Cette signification de l'expression « droit fédéral » est discutable dans le contexte de la Loi constitutionnelle fédérale, la terminologie de celle-ci n'étant pas univoque.271 « nachgeordnet ». Cette terminologie est contestable car la subordination s'entend d'une relation d'organe à organe, et non de norme à organe ; cf. Robert Walter, op. cit. note 11, p. 170.272 Dans les systèmes juridiques positifs, les normes législatives sont ainsi très souvent valides sans pour autant être conformes à l'ensemble des normes dites «supra-législatives».

520

montre que l'obligation du législateur de se conformer au droit international n'est pas à présumer.

Par ailleurs, la base argumentative du Professeur Heinz Peter Rill s'avère problématique. A l'instar

d'autres auteurs, le Professeur Heinz Rill ne fait pas la différence entre « la norme qui transforme » et la

« norme qui est transformée » lorsqu'il soutient que le législateur est lié par les règles généralement

reconnues du droit international de la même façon qu'il est lié par l'article 9 B-VG. En outre,

l'incompétence du législateur pour conditionner par des actes individuels la transformation des règles

généralement reconnues du droit international prévue par l'article 9 B-VG n'implique pas qu'elles

prévalent sur la simple loi. Le Professeur Heinz Peter Rill confond la relation entre une norme et un

organe – l'appartenance des règles généralement reconnues du droit international au droit fédéral

échappe à la volonté du législateur – et la relation selon la force dérogatoire entre formes normatives,

c'est-à-dire entre règles généralement reconnues du droit international et simples lois273. La hiérarchie

des normes selon l'ordre de production est à distinguer de la hiérarchie des normes selon la force

dérogatoire. L'incompétence d'un organe (le législateur) pour produire une norme (les règles

généralement reconnues du droit international) n'implique pas que les normes dont il a la compétence

de production (les lois) sont amenées à céder en cas de collision avec les normes qui lui échappent. La

doctrine autrichienne n'a pas manqué de critiquer une telle démarche : le Professeur Hans Laurer

observe que la confrontation de formes normatives est un progrès de la connaissance théorique de la

hiérarchie des normes, les questions de relation hiérarchique devant désormais se poser non à partir des

relations entre organes274, mais à partir des relations entre normes275.

2. La doctrine française en recherche d'indications nettes

Ni l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, ni aucune autre disposition constitutionnelle

formelle, ne spécifie explicitement la force dérogatoire dont sont dotées les «règles du droit public

international» envers la «loi». Dans l'indétermination constitutionnelle, la doctrine française suit une

démarche qui prête à plusieurs égards à discussion :

La doctrine majoritaire considère, en prenant pour fondement une lecture discutable de la

théorie de la hiérarchie des normes, qu'une forme normative occupe nécessairement une place

273 Cf. l'analyse suivante développée par le Professeur Heinz Peter Rill : « Eine Überordnung über die einfachen Gesetze und somit eine Einordnung zwischen Verfassungsstufe und einfach-gesetzlichen Rang ist […] denkbar. Sie hängt davon ab, ob die Verfassung die Bindung des einfachen Gesetzgebers ausschließt » ; cf. op. cit. note 247, spécialement p. 447.274 Celles-ci décrivent au mieux d'éventuelles relations de subordination, cf. Otto Pfersmann (1997), op. cit. note 62, spécialement pp. 304-305. L'auteur observe que : « Il se peut se faire qu'une norme habilite un organe à imposer des obligations ou à conférer des habilitations à un autre organe et l'on pourra dire que en ce sens ce dernier sera subordonné au premier. En ce sens on pourra établir une "hiérarchie des organes" qui sera un sous-produit, d'ailleurs fort peu explicatif, de la hiérarchie des normes et non l'inverse. Le point principal est [...] que l'organe n'est pas opposable à la norme – il n'est que l'autorisation d'en édicter – et que c'est uniquement une norme qui crée les conditions de validité pour une autre norme », p. 305).275 Hans René Laurer, op. cit. note 105, spécialement p. 170.

521

déterminée entre deux autres formes normatives dans la « pyramide des normes »276. Une forme

normative se trouverait par exemple nécessairement « infra-législative et supra-décrétale » (cas des

principes généraux du droit posés par le juge administratif) ou encore « supra-législative et infra-

constitutionnelle » (cas des traités internationaux)... La doctrine française n'opère pas la distinction

entre hiérarchie des normes selon l'ordre de production et la hiérarchie des normes selon la force

dérogatoire, qui ne coïncident en réalité pas toujours dans les systèmes juridiques positifs.

De plus, la démarche habituelle de la doctrine française consiste à commencer par décrire la

jurisprudence pour aboutir à des conclusions sur l'état du droit. Ainsi, la jurisprudence du juge

administratif selon laquelle les normes internationales non conventionnelles ne prévalent pas sur la loi

dans le cadre du contentieux administratif a été abondamment commentée, et tout particulièrement à la

suite de l'arrêt Aquarone en date du 6 juin 1997277.

a. Une doctrine française s'appuyant sur les indications éparses données par la jurisprudence

A l'occasion de l'affaire Aquarone, le Conseil d'État considère dans ses motifs que : « ni [l'article 55 de

la Constitution] ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le

juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux

normes »278. Une partie de la doctrine affirme qu'on peut déduire de cette jurisprudence l'attribution d'un

rang «infra-législatif» aux normes internationales non conventionnelles dans la «pyramide des normes»

nationale279, ce que confirmerait d'ailleurs la récente jurisprudence Mme Saleh280. Ce constat ne tient pas

276 Lorsque Hans Kelsen évoque la « pyramide », il désigne la hiérarchie des normes selon l'ordre de production, tandis que la pyramide des normes à laquelle se réfère la doctrine française correspond plutôt à la hiérarchie selon la force dérogatoire ; cf. Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, 463 p., p. 299.277 CE, 6 juin 1997, M. Aquarone ; cf. inter alia : Didier Chauvaux, Thierry-Xavier Girardot, op. cit. note 84 ; Denis Alland, « La coutume internationale devant le Conseil d’État : l’existence sans la primauté », RGDIP 1997, pp. 1053-1067 ; Gérard Teboul, « la coutume internationale ne peut prévaloir sur une loi ordinaire française lorsqu'elle entre en conflit avec elle au sens de l'article 55 de la Constitution », Semaine juridique, 1997, n° 45/46, p. 496 et svtes ; Louis Dubouis, « Droit international et juridiction administrative », Répertoire Dalloz Droit international, 1998, 16 p., n° 63 et 77; Serge Sur, op. cit. note 256.Cf. aussi C.E., 28 juillet 2000, Paulin, Leb., p. 317 ; note Gilbert Tixier, D., 2000, p. 411 et svtes ; note Florence Poirat, RGDIP, 2001, p. 239 et svtes ; concl. Arrighi de Casanova, Droit fiscal, 2001, p. 357 et svtes.278 Ibid.279 Certaines analyses de l’arrêt Aquarone concluent que la loi prévaut dans la « pyramide des normes » sur la coutume internationale, c'est-à-dire que la coutume internationale se trouve à un « rang infra-législatif »., suivant la terminologie de la doctrine dominante. Cf. Didier Chauvaux, Thierry-Xavier Girardot, op. cit. note 84, spécialement p. 574 ; Franck Moderne, « Actualité des principes généraux du droit », RFDA 1998, pp. 495-518, spécialement p. 514. Cf. aussi de nombreux manuels généraux de droit administratif.280 CE, Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres : « la règle coutumière du droit public international d’immunité d’exécution des États, qui n’est écartée ni par cette loi ni par aucune autre disposition législative, s’applique dans l’ordre juridique interne » (n°329788, 329789, 329790 et 329791).

522

compte de ce que la jurisprudence Aquarone concerne avant tout la compétence du juge administratif de

faire prévaloir ou non une coutume internationale sur une autre norme dans un cas donné, et non pas

tant le rang dérogatoire des coutumes internationales en tant que tel.

Parallèlement, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, autres juridictions suprêmes, ont

développé des jurisprudences qui divergent plus ou moins grandement de celle du Conseil d'État quant à

la force dérogatoire dont est doté le droit international général. Le suivisme pratiqué par la doctrine281

conduit à une conception dissociée de la question, qui contredit les prémisses mêmes du raisonnement

que la doctrine tient habituellement : les normes internationales en question seraient ainsi à la fois

«supra-décrétales» et «infra-législatives» (Conseil d'État) et «supra-législatives» et «infra-

constitutionnelles» (Conseil constitutionnel, parfois Cour de cassation). Quelques auteurs ont

néanmoins élaboré une analyse plus sophistiquée en prenant en considération les habilitations des

différentes juridictions chargées d'un contrôle de conformité. Le Professeur Gérard Teboul dit ainsi que

l'intention du constituant consiste à autoriser un contrôle de conformité de la loi non promulguée par

rapport au droit international général, opéré par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contentieux

constitutionnel a priori, tout en préservant le primat de la loi promulguée, garanti par l'interdiction

adressée au juge ordinaire de déroger à la loi par le biais du droit international général282.

Lorsque la doctrine cherche à classifier le droit international général dans la hiérarchie des normes

selon la force dérogatoire en s'appuyant sur la jurisprudence, elle se heurte à une difficulté

supplémentaire : le juge ordinaire applique immédiatement le droit international général immédiate,

c'est-à-dire indépendamment de l'alinéa 14283 (mode d'applicabilité «moniste» au sens technique). Il

s'ensuit que les juridictions ordinaires ne bénéficient pas de l'éventuelle habilitation constitutionnelle les

autorisant à faire prévaloir le droit international sur la loi. Le juge ordinaire ne dispose en effet pas de la

compétence pour écarter l'application de la loi, à moins d'une habilitation constitutionnelle expresse (à

propos de l'article 55 de la Constitution comme attribuant une telle compétence en matière de droit

international conventionnel, cf. CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo284). De plus, l'application immédiate

pratiquée par le juge ordinaire le conduit à surtout contrôler la conformité d'une réglementation interne

par rapport au droit international dans une situation de risque concret de violation du droit international

par l'État dans la sphère internationale (y compris par l'action du législateur), et non dans tous les cas de

collision « objective » entre normes. La sphère d'application du droit international en tant que tel

apparaît donc plus étroite que celle du droit international transformé en droit interne que les organes

internes sont tenus d'appliquer comme toute norme interne.

281 Cf. par exemple : Romain Rollin, Le droit international non écrit devant le juge français : contribution à l'étude comparée des jurisprudences du Conseil d'état et de la Cour de Cassation , Université Paul-Cézanne, Aix-Marseille, 2005, 407 p.282 Gérard Teboul, op. cit. note 195, spécialement p. 351.283 Pour une (rare) tentative d'analyser la force dérogatoire du droit international en prenant en considération les divers modes d'applicabilité pratiqués par les juridictions internes, cf. Gérard Teboul, ibid., spécialement pp. 342-356. 284 Leb., p. 748

523

b. Les tentatives de classification en dehors des données jurisprudentielles

Les auteurs moins attachés à la jurisprudence concluent souvent à un rang «supra-législatif» et «infra-

constitutionnel» des règles du droit public international. Plusieurs arguments semblent aller en ce sens :

Le rang dérogatoire des règles du droit public international est supposé similaire à celui des

traités internationaux dans le sphère du droit interne, soit «supra-législatif» (article 55 de la

Constitution), et ce, par synchronie («harmonie») avec le droit international. De nombreux auteurs de

toutes tendances soutiennent la théorie de l'analogie285, en remarquant souvent que le principe lex

posterior derogat priori du droit international, qui vaut lorsqu'il s'agit d'une relation entre coutume et

traité, témoigne d'une certaine égalité hiérarchique entre ces deux formes normatives.

La «méthode objective d'interprétation»286 de la Constitution – et notamment de l'alinéa 14 –

conduirait à réfuter la valeur «infra-législative» du droit international général. On trouve deux

arguments avancés en ce sens, l'un relatif à la relation entre norme et organe, l'autre relatif au conflit de

normes : d'une part, l'obligation de se conformer aux règles du droit public international prévue par

l'alinéa 14 s'étend à l'ensemble des organes internes, sauf éventuellement au législateur constitutionnel,

ce qui comprend donc l'organe législatif287 ; d'autre part, « une loi contraire à une coutume serait

contraire à la Constitution288 », et ce dans tous les cas289. Quelques auteurs affirment que le droit

international général se situe au même rang que la loi290, voire au même rang que le traité, en s'appuyant

sur un argument d'ordre négatif : la Constitution n'exclut nullement une telle possibilité. L'opinion selon

laquelle aucune relation hiérarchique entre «règle du droit public international» et «loi» n'est déductible

de l'alinéa 14 lui-même, en raison de son indétermination, ne semble que rarement émise291.

285 Cf. inter alia : Serge Sur, op. cit. note 256 ; Louis Dubouis, op. cit. note 277, spécialement p. 15, n°80 ; Moncef Kdhir, op. cit. note 256, spécialement pp. 1597-1598. Pour une opinion contraire détaillée, cf. Gérard Teboul, op. cit. note 84, notamment pp. 1118-1122.286 A propos de la distinction entre «méthode objective d'interprétation» et «méthode subjective d'interprétation», telle que conçue par la doctrine dominante française (qui n'est d'ailleurs pas uniforme), cf. inter alia : Bertrand Gelot, Finalités et méthodes objectives d'interprétation des actes juridiques – Aspects théoriques et pratiques, LGDJ, Paris, 2003, 400 p. (droit privé) ; Michel Troper, « interprétation », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, 1649 p., spécialement pp. 843-847, spécialement pp. 844-845. , Globalement, la méthode « objective d'interprétation » se trouve proche de celle visant à rechercher la « volonté objective » du producteur de la norme, présente dans la doctrine allemande.287 Cf. l'argumentation développée par le Professeur Denys de Béchillon ; cf. op. cit. note 159. La faiblesse de la thèse de l'auteur consiste à ne pas concevoir que l'organe est – du point de vue de la science juridique – uniquement un ensemble de normes d'habilitation. Il s'ensuit que la soi-disant relation hiérarchique entre « norme » et « organe » s'analyse fondamentalement comme une relation de « norme » à « norme ».288 Didier Chauvaux, Thierry–Xavier Girardot, op. cit. note 84, p. 574.289 Le Professeur Gérard Teboul dit que : « afin d'éviter toute difficulté, on peut retenir la lecture de l'alinéa 14 selon laquelle une loi contraire aux règles non écrites du droit des gens est, par voie de conséquence, contraire à la Constitution - qui conduit à mettre à l'écart […] la question du rang hiérarchique du droit international général. » ; cf. op. cit. note 195, spécialement p. 345.290 Par exemple, Jean-François Lachaume, « Jurisprudence française relative au droit international (1997) », AFDI 1998, pp. 663-705, p. 677.291 Mais, cf. Emmanuel Paillard, La contribution des tribunaux internes à la formation et à la détermination du droit international général : l'exemple du droit de la compétence internationale de l'État, thèse, Paris, 2000, 430 p.,

524

Les auteurs qui pratiquent la «méthode subjective d’interprétation»292 font observer que

l'intention du Constituant consisterait à auto-limiter la Constitution elle-même relativement au droit

international293. Par raccourci, il en est déduit que l’objectif de l'alinéa 14 ne peut en aucun cas être

d'attribuer au droit international général un rang inférieur à la loi294.

Étant donné la formulation de l'alinéa 14, la prévalence relative des règles du droit public international

sur la loi paraît une solution juridiquement admissible. La prévalence serait relative, au sens où elle se

limiterait aux seuls cas où l'application de la loi emporte un comportement de l'État non conforme au

droit international dans la sphère internationale, cette situation étant clairement constitutive d'une

violation de l'alinéa 14 lui-même.

Les doctrines autrichienne et française se montrent très partagées quant à la force dérogatoire dont est

doté le droit international général envers la loi. Elles s'accordent en revanche à affirmer leur prévalence

sur les normes infra-législatives, bien que celle-ci ne soit pas toujours si évidente

B. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes « infra-législatives »

La doctrine ne traite que brièvement la relation selon la force dérogatoire entre normes du droit

international général et normes dites «infra-législatives», c'est-à-dire inférieures à la loi selon l'ordre de

production (décisions administratives et juridictionnelles notamment). La doctrine considère dans la

plupart des cas que les normes internationales non conventionnelles, dans la mesure où elles prévalent

sur la loi, prévalent aussi sur les normes inférieures à la loi dans l'ordre de production. Une telle

application du principe lex superior n'a pourtant rien d'évident : les normes infra-législatives bénéficient

en effet parfois d'une primauté d'application par rapport aux normes plus générales, y compris la loi,

surtout lorsqu'elles règlent un cas d'espèce particulier (arrêts revêtus de l'autorité de la chose jugée,

décisions administratives exécutoires).

La doctrine allemande n'incite guère à un approfondissement sur ce point. Elle s'accorde, avec la

spécialement p. 56.292 La méthode d'«interprétation subjective» repose sur la volonté de l'auteur de la norme. La doctrine pratique l'«interprétation historique» qui consiste à rechercher l'intention du constituant, celle-ci étant supposée participer du contenu de la norme. La méthode dite de l'«interprétation subjective» risque la confusion entre la volonté (un phénomène d'ordre psychologique relevant du «fait») et la norme elle-même (un «devoir-être»). Cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 116.293 Dans une littérature abondante, cf. inter alia : Gérard Teboul, op. cit. note 84, spécialement pp. 1118-1122. et pp. 1135-1136 ; Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 132, spécialement pp. 358-360.294 Gérard Teboul, op. cit. note 195, spécialement p. 348.

525

jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, sur la prévalence des règles générales du droit

international sur les normes «infra-législatives», c'est-à-dire surtout les normes posées par les

administrations295 et les juridictions ordinaires, déductible de l'article 25 phrase 2 LF296. La doctrine

française analyse aussi brièvement la question, mais quelques interrogations sont présentes, qui tiennent

à certaines incertitudes jurisprudentielles, surtout en ce qui concerne la possibilité d'annulation des actes

administratifs non-conformes au droit international général297.

La doctrine autrichienne s'accorde presque unanimement à considérer que les règles généralement

reconnues du droit international prévalent sur les normes « infra-législatives », la justification n'étant

cependant pas univoque298. Au contraire d'autres normes juridiques prévoyant la transposition de normes

extérieures299, l'art. 9 B-VG est fortement indéterminé quant au rang des règles généralement reconnues

du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire, c'est-à-dire qu'il

différencie peu leur force dérogatoire. L'unique élément de désignation qu'il contient est le terme «droit

fédéral», mais la signification de ce terme n'est pas réductible par une quelconque « interprétation »

(linguistique, historique, systématique ou encore téléologique). Quelques auteurs ont suggéré une

analogie avec la jurisprudence développée par la Cour constitutionnelle à propos de l'interprétation du §

2 de la Loi constitutionnelle sur le rétablissement de la vie juridique (Rechts-Überleitungsgesetz)300 qui

dispose de la transposition des lois et prescriptions allemandes antérieures à l'indépendance de

l'Autriche dans le système juridique autrichien. Selon la Cour constitutionnelle, le rang attribué aux

normes ainsi transposées est celui qui est nécessaire pour leur conférer valeur juridique en droit

autrichien301, c'est-à-dire suffisant pour leur assurer une applicabilité dans l'incommensurabilité de l'état

295 Au sens large, y compris l'exécutif.296 Cf. par exemple la courte remarque du Professeur Helmut Steinberger, op. cit. note 91, spécialement p. 552.297 Dans l'abondante littérature relative à cette question dans la doctrine française, la démarche consiste le plus souvent à analyser premièrement la relation selon la force dérogatoire entre loi et norme internationale non conventionnelle pour en déduire, secondairement, la relation selon la force dérogatoire entre acte administratif et norme internationale non conventionnelle. Cette dernière relation n'est en tant que telle que brièvement traitée. Cf. inter alia : André Gervais, « Constatations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », AFDI, 1965, pp. 13-39 ; Louis Dubouis, « Le juge administratif français et les règles de droit international », AFDI, 1971, pp. 9-60 ; Gérard Teboul, « Le droit international non écrit et le juge administratif – quelques réflexions », RGDIP, 1991, pp. 321-369 ; Gérard Teboul, « Le droit administratif et le droit international, aspects récents de droit formel », AJDA, n° spécial, 1995, pp. 43-65 ; Gérard Teboul (1998), op. cit. note 229 ; Etienne Picard, « Les rapports entre le Droit international public et la Constitution selon la jurisprudence du Conseil d'État », Revue administrative, n°spécial, 1999, pp. 15-50 ; Gérard Teboul (2001), op. cit. note 84.298 Cf. inter alia, Robert Walter relève ainsi une difficulté à propos de la relation selon la force dérogatoire entre règles généralement reconnues du droit international et règlements : « Die Gleichstellung mit den Verordnungen scheidet im Hinblick auf deren regelmäßig eingeschränkten Regelungsbereich (Art. 18 Abs. 2 B-VG) » ; cf. op. cit. note 11, spécialement pp. 169-170.299 Par exemple, l'article 149 al. 1 B-VG prévoit la transposition de diverses normes à un rang dérogatoire de loi constitutionnelle. D'autres normes réglementent la transition de l'État autrichien en transposant des normes externes : la Loi constitutionnelle de transition de 1929 (Verfassungsübergangsgesetz), cf. BGBl 368/1925 ; la Loi constitutionnelle de 1945 sur la remise en vigueur de la Loi constitutionnelle en sa version de 1929 (Verfassungs-Überleitungsgesetz), StGBl 4/1945 ; la Loi constitutionnelle de 1945 sur le rétablissement de la vie juridique (Rechts-Überleitungsgesetz), StGBl 6/1945.300 Cf. inter alia : Heinz Peter Rill, op. cit. note 247, spécialement pp. 447-448 ; Heribert Franz Köck, op. cit. note 8, spécialement pp. 759-760.301 VfSlg. 1695/1948, 1765/1949, 2854/1955.

526

du droit. L'analogie proposée entre les normes de droit interne allemand et les règles généralement

reconnues du droit international trouve toutefois une limite nette : tandis que les premières forment un

complexe normatif immuable et statique, les règles généralement reconnues du droit international

appartiennent à un système juridique autonome et dynamique. La transposition opérée par l'art. 9 B-VG,

à l'opposé de celle qui résulte du § 2 de la Loi constitutionnelle sur le rétablissement de la vie juridique,

n'est pas un acte, mais un processus continu. De plus, la Cour constitutionnelle autrichienne a à

plusieurs occasions pris en considération la qualité de l'organe allemand ayant produit la norme ainsi

que sa valeur au sein du système juridique allemand afin de classifier les normes allemandes

transposées en droit autrichien302. Une telle démarche semble plus difficilement réalisable lorsqu'il est

question du droit international général.

1. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes administratives

Le terme de «norme administrative», qui englobe décisions des organes exécutifs et administratifs, peut

paraître préférable à celui d'«acte administratif». Le terme «acte» est en effet ambigu dans la

terminologie juridique en ce qu'il désigne tantôt un fait – un acte de volonté – qui conditionne

l'existence de la norme (suivant la distinction classique entre «fait juridique» et «acte juridique»), tantôt

la norme elle-même.

Les doctrines nationales considèrent globalement que le droit international général prévaut sur les

normes administratives ; quelques doutes persistent néanmoins en certaines circonstances, soit lorsque

la norme administrative en question a été produite sur le fondement d'une habilitation

constitutionnellement déterminée (doctrine autrichienne), soit lorsqu'une loi s'interpose entre la norme

internationale pertinente et la norme administrative litigieuse (doctrine française) :

a. De manière unanime selon la doctrine allemande, la primauté des règles générales du droit

international dont dispose l'article 25 phrase 2 LF emporte primauté sur l'ensemble des normes

administratives allemandes, aussi bien celles posées par l'administration que par l'exécutif, régissant

uniquement les comportements à l'intérieur du territoire allemand ou régissant des comportements hors

de la sphère de souveraineté de l'Allemagne303.

302 Cf. les références supra note 127 et 128.303 Klaus Stern, Das Staatsrecht der Bundesrepublik Deutschland, tome III/1, Allgemeine Lehren der Grundrechte, C.H. Beck, Munich, 1988, 1643 p., p. 1232 ; Peter Badura, « Der räumliche Geltungsbereich », in : Detlef Merten, Hans-Jürgen Papier (éds), Handbuch der Grundrechte in Deutschland und Europa, tome II: Grundrechte in Deutschland - Allgemeine Lehren I, C.F. Müller, Heidelberg, 2006, 1462 p., § 47, n°14.

527

b. La doctrine autrichienne conçoit très majoritairement l'article 9 B-VG comme une habilitation au

bénéfice des organes internes d'appliquer le droit international général. Cela semble au moins impliquer

une prévalence des règles généralement reconnues du droit international sur les normes administratives,

sans quoi le droit international général ne serait jamais appliqué lorsqu'il entre en collision avec d'autres

normes. Néanmoins, on trouve parfois l'affirmation selon laquelle la classification des règles

généralement reconnues du droit international par rapport aux normes administratives demeure au

moins partiellement indéterminée. Ainsi, pour le Professeur Manfred Rotter, rien n'indique que les

premières bénéficient d'une primauté d'application par rapport aux secondes lorsque la norme

administrative en question est générale (surtout, les règlements d’application des lois)304. L'auteur

justifie son propos de la façon suivante : les normes administratives générales sont protégées par la

compétence constitutionnelle («fondamentale») des autorités administratives de produire des normes

générales (art. 18 al. 2 B-VG).

c. La doctrine et la jurisprudence françaises soutiennent que les normes internationales non

conventionnelles prévalent sur les «actes administratifs» dans le cadre du contentieux administratif 305.

Cependant, et de même qu'en ce qui concerne les traités antérieurement à la jurisprudence Nicolo306, le

juge administratif est considéré comme incompétent pour annuler un règlement administratif produit en

application d'une loi «contraire» au droit international général. La loi, en tant que fondement direct de

l'acte administratif litigieux, «fait écran», c'est-à-dire qu'elle protège l'acte administratif la concrétisant

d'un contrôle de conformité par rapport à une norme non-législative.

2. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes des juridictions

ordinaires307

Parmi les normes posées par les juridictions, on distinguera ici – de manière conventionnelle – les

« normes juridictionnelles », celles réglant un litige particulier, et les « normes jurisprudentielle », dont

le contenu est général (il en va par exemple ainsi des « principes généraux du droit » en droit

administratif français).

304 Manfred Rotter, op. cit. note 93, spécialement p. 28305 Cf. avant même la jurisprudence Aquarone : Gérard Teboul (1991), op. cit. note 297. Cf. aussi, l'ouvrage faisant autorité en droit administratif : René Chapus, op. cit. note 87., p. 136.306 CE, Ass. 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, concl. Frydman (commentaire dans GAJA) : supériorité du traité sur la loi même postérieure.307 Les normes posées par les juridictions ordinaires sont différenciées de celles posées par le juge constitutionnel dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production : les décisions du juge ordinaire concrétisent souvent la loi – elles sont « infra-législatives » – tandis que celles du juge constitutionnel concrétisent uniquement la constitution.

528

a. Les normes jurisprudentielles

Dans les systèmes juridiques nationaux, les normes internationales prévalent généralement sur les

normes jurisprudentielles, c'est-à-dire les normes de degré général posées par les juridictions ordinaires,

sur le fondement du principe lex superior. Les normes jurisprudentielles des juridictions ordinaires ne

bénéficient pas de la protection de l'« autorité de la chose jugée » attribuée aux normes juridictionnelles.

b. Les normes juridictionnelles

Par « normes juridictionnelles », on entend les normes particulières posées par le juge qui tranchent un

litige déterminé308. La primauté d'application du droit international général par rapport aux normes

juridictionnelles ordinaires semble en principe exclue par le principe dit de l'autorité de la chose jugée,

qui dote les normes définitives du juge ordinaire d'une force quasi-indérogeable309.

Globalement, on peut distinguer deux situations : pendant le déroulement de la procédure

juridictionnelle, le droit international général prévaut sur les décisions des juridictions non définitives,

c'est-à-dire à l'encontre desquelles est encore ouvert un recours devant une juridiction supérieure ; une

fois la décision juridictionnelle pourvue de l'autorité de la chose jugée, elle devient quasi-indérogeable,

et ce, même par des normes supérieures selon l'ordre de production (notamment la loi).

i. Pendant le déroulement de la procédure juridictionnelle :

Les différentes doctrines nationales estiment de manière générale que les règles générales du droit

international prévalent sur les normes juridictionnelles non définitives. En d'autres termes, une

juridiction supérieure peut être amenée à détruire la décision d'une juridiction qui lui est inférieure si

cette décision apparaît non-conforme à une norme du droit international général :

En droit allemand, l’article 20 al. 3 LF lie le pouvoir judiciaire « au droit et à la loi », ceux-ci

comprenant les règles générales du droit international qui sont une composante du «droit fédéral».

Aussi, les règles générales du droit international prévalent sur les normes organisant le contentieux

juridictionnel310, ce qui vaut notamment lorsqu'il est question de la mise en œuvre du principe

308 La « norme juridictionnelle » posée par le juge peut aussi être d'un degré général : par exemple, l'annulation d'un « acte administratif de caractère réglementaire » (de contenu général) est une norme générale étant donné qu'il s'agit d'une réglementation négative. Toutefois, une telle « norme juridictionnelle » peut aussi être dite particulière, au sens où elle règle un litige déterminé (par exemple, un recours en annulation contre un acte administratif litigieux). 309 Hans Kelsen, Théorie générale des normes, PUF, Paris, 1996, 664 p., pp. 144-145. L'indérogeabilité des normes pourvues d'une autorité de la chose jugée n'est pas une nécessité, mais seulement une donnée des systèmes juridiques positifs. Par exemple, la force dérogatoire des arrêts est susceptible d'être limitée par une constitution autorisant dans une certaine mesure des validations législatives a posteriori (en droit administratif, remettre en vigueur par la loi un acte administratif annulé par le juge administratif ).310 Philip Kunig, Robert Uerpmann-Wittzack, Übungen im Völkerrecht, 2ème éd., Walter de Gruyter, Berlin/New-York, 2006, 303 p., spécialement p. 249 et svtes.

529

d'immunité de juridiction de l'État étranger311. Outre la primauté générale des règles générales du droit

international sur les décisions juridictionnelles non définitives, l'article 100 al. 2 LF prévoit une

procédure spéciale centralisée devant la Cour constitutionnelle fédérale qui garantit leur respect par les

juridictions ordinaires.

Pour la doctrine autrichienne, dans la mesure où l'article 9 B-VG « se présente [...] comme une

disposition de compétence312 », c'est-à-dire qu'il participe à la détermination des compétences des

organes internes, une décision juridictionnelle non définitive en violation du droit international général

est à annuler. Les nombreux textes qui organisent les différents contentieux juridictionnels ne

contiennent pas de dispositions spéciales qui précisent davantage les modalités de l'annulation, de sorte

que c'est à travers la procédure contentieuse de principe qu'elle pourra s'effectuer.

La doctrine française considère aussi que les normes internationales non conventionnelles prévalent sur

les normes juridictionnelles non définitives313. Et cela est notamment manifeste dans le cas de

l'immunité de juridiction de l'État étranger, comme le relève une abondante littérature314. Néanmoins,

l'opinion est parfois émise que, dans l'indétermination constitutionnelle, le juge est habilité en certaines

circonstances à assumer une violation du droit international315.

ii. La norme juridictionnelle définitive :

Les constitutions nationales interdisent, par le principe de l'autorité de la chose jugée, la destruction des

décisions définitives des juridictions316 («arrêt» d'une juridiction suprême, normes des juridictions

inférieures après épuisement du délai de recours...).

Toutefois, l'État en sa globalité est susceptible d'intervenir pour réparer une violation du droit

international provoquée par une décision juridictionnelle. Et il en va ainsi lorsque des négociations

311 BVerfGE 16, p. 27 sqs. (33) – Iranische Botschaft.312 Cour constitutionnelle, décision du 10 janvier 1931, Slg. 1375.313 Denys de Béchillon, op. cit. note 159.314 Cf. par exemple : Michel Cosnard, La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des États, A. Pedone, Paris, 1996, 478 p.A propos des immunités de l'État étranger, cf. plus généralement infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger ».315 Cf. Louis Dubouis, op. cit. note 297, spécialement pp. 31-36. Cf. aussi CE, 30 mars 1966, Ignazio Messina : l’irresponsabilité de l’État français est justifiée par la qualification de son comportement en tant qu'opération militaire, alors qu’il s’agit en l'espèce, suivant les principes du droit international, d’une opération interne de maintien de l’ordre.316 Suivant le Professeur Otto Pfersmann : « Une norme sera dite "supérieure en force dérogatoire" par rapport à une autre si elle contient des dispositions qui permettent de la priver de sa validité, donc de l'éliminer du système. Ainsi, en France, la "Constitution" permet de remplacer une loi par une autre, une "loi organique" par une autre, un "règlement d'Assemblée" par un autre. En revanche la "loi" ne permet pas de substituer un "jugement" devenu définitif à un autre, et d'ailleurs, la "loi" ne peut pas le faire non plus en raison d'une interdiction "constitutionnelle". La "Constitution" est donc supérieure à la "loi" puisque c'est grâce à elle qu'une loi peut en remplacer une autre, mais la loi n'est pas supérieure à l'"arrêt" puisque la Constitution le lui interdit. » ; cf. « La structure du système juridique », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p., pp. 52-67, p. 66.

530

diplomatiques sont engagées pour donner réparation aux victimes d'une violation du droit international

par une juridiction interne, à l'exemple d'un État étranger dont les avoirs ont été saisis sur le fondement

d'une décision juridictionnelle devenue définitive317. En raison de l'interdiction constitutionnelle de

modifier les décisions juridictionnelles pourvues de l'autorité de la chose jugée, cela n'aboutit en aucun

cas à la destruction de la norme juridictionnelle en question.

Section 3 : La force dérogatoire dans le contexte de la structure du système juridique interne

La force dérogatoire du droit international général dans le cadre du droit interne dépend évidemment du

contenu plus ou moins déterminé de la disposition constitutionnelle qui lui est relative . D'autres

données juridiques intervenant dans la détermination de sa force dérogatoire sont aussi à prendre en

considération : mode d'applicabilité du droit international pour lequel l'État a opté, compétence des

organes internes chargés du contrôle de conformité telle que délimitée par les principes structurants du

droit interne : État de droit, principe de légalité plus ou moins strict, « ouverture du droit interne au

droit international ». Une certaine relation entre ces deux éléments s'observe : les dispositions

constitutionnelles prévoyant la transformation ipso iure du droit international général en droit interne

sont, d'une manière générale, à interpréter comme une autorisation adressée aux organes internes de

l'appliquer. Et cette autorisation serait dépourvue de sens si la force dérogatoire du droit international

lui faisait dans tous les cas défaut, autrement dit s'il était dépourvu d'une force dérogatoire suffisante

pour prévaloir sur les normes internes avec lesquelles il entre en collision. La compétence des organes

internes, y compris des juridictions chargés du contrôle de conformité, pour faire prévaloir le droit

international général sur la réglementation interne dépend de l'étendue de leur compétence qui est

délimitée par les principes structurants du droit interne.

La relation entre mode d'applicabilité et compétence des juridictions se constate positivement par

l'extension de la compétence des juridictions internes pour opérer un contrôle de conformité des normes

internes par rapport au droit international général sur le fondement de la disposition constitutionnelle

prévoyant sa transformation ipso iure (I), et négativement, parce que le droit international général a

tendance à céder lorsqu'il est appliqué immédiatement (II).

317 Cf. par exemple : Jean-Pierre Mattout, « la saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », in : Hubert de Vauplane, Jean-Jacques Daigre (éds), Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF-France V, la Revue Banque, Paris 2009, 458 p., pp. 305-312.

531

I. La compétence des juridictions internes de contrôler la conformité des normes internes par rapport

au droit international général

La compétence des juridictions internes pour faire prévaloir les normes internationales sur le droit

interne est limitée par leur compétence contentieuse. Alors que le juge ordinaire est traditionnellement

tenu de ne pas écarter l'application de la loi, même non-conforme au droit international (B), le juge

constitutionnel a été spécialement institué pour contrôler les normes législatives (A). L'habilitation de

ce dernier ouvre la possibilité d'une extension du contrôle de conformité des normes internes (surtout

législatives) par rapport au droit international, et ce, quand bien même le juge constitutionnel n'a

initialement pas été spécialement créé pour assurer celui-ci. Tout dépend des principes qui structurent le

contentieux juridictionnel dans les systèmes juridiques nationaux, y compris les principes qui organisent

la relation entre juridictions suprêmes. Et, bien que le modèle européen (dit aussi «autrichien»318) de

contentieux constitutionnel soit partagé par l'Autriche, l'Allemagne et la France, des différences

d'ampleur sont observables en ce qui concerne la compétence attribuée aux juridictions internes pour

contrôler la conformité des normes internes par rapport au droit international général.

A. Les incidences des prescriptions relatives à la justice constitutionnelle

Certaines prescriptions relatives au contentieux constitutionnel, aussi bien générales (1) que spéciales

(2), ont des incidences globales sur le contrôle de conformité des normes internes par rapport au droit

international général. Les modalités du contentieux constitutionnel divergent considérablement d'un

système juridique national à un autre.

1. L'étendue de l'obligation des organes internes de respecter les décisions du juge constitutionnel

Alors que, dans la ligne de la tradition européenne continentale, l'autorité de la chose jugée n'est

attribuée qu'aux dispositifs des arrêts de la Cour constitutionnelle autrichienne 319 et de la Cour

318 Dans une littérature abondante, cf. inter alia : Charles Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche, LGDJ, Paris, 1928, 363 p. ; Otto Pfersmann, « Classifications organocentriques et classifications normocentriques de la justice constitutionnelle en droit comparé », in : Robert Andersen (éd.), Mélanges en hommage à Francis Delpérée : itinéraire d'un constitutionnaliste, Bruylant, Bruxelles, 2008, 1790 p., pp. 1131-1145 ; Otto Pfersmann (2010), op. cit. note 62.319 En principe, l'effet obligatoire d'une décision de la Cour constitutionnelle est limité au cadre de l'affaire en question.

532

constitutionnelle fédérale allemande320, les décisions du Conseil constitutionnel français bénéficient

d'une telle autorité non seulement dans leur dispositif mais aussi dans leurs motifs. Le contentieux

constitutionnel français se rapproche ainsi d'un contentieux juridictionnel de common law dans lequel

s'applique le principe de la force obligatoire du ratio decidendi321 des juridictions supérieures322.

Dans tous les systèmes juridiques nationaux, les décisions du juge constitutionnel sont indérogeables en

leur dispositif. Le cas français appelle plusieurs observations :

i. La relation conflictuelle entre un « ratio decidendi » du juge constitutionnel et une « règle du droit

public international »

Par le principe du ratio decidendi, la probabilité d'un conflit entre une norme non conventionnelle du

droit international et une décision de justice constitutionnelle se trouve augmentée. L'affaire Mayotte323

Toutefois, l'article 138 al. 2 B-VG lui attribue une compétence pour « interpréter avec force obligatoire ». Selon Félix Ermacora, la Cour constitutionnelle disposerait ainsi d'une compétente pour « interpréter avec force obligatoire certaines dispositions de la Constitution fédérale (article 138 al. 2 B.-VG) […]. la Cour doit déterminer, sur requête du gouvernement fédéral ou des gouvernements des États membres, si la réglementation d'une matière donnée, matière du domaine du législatif ou de l'exécutif, est du ressort de l'État fédéral ou des États membres. La décision prévient un conflit d'attributions, parce qu'elle est rendue avant qu'un acte émanant de l'autorité publique ait acquis son efficacité juridique. Au cours d'une telle procédure, la Cour constitutionnelle a qualité pour interpréter certaines normes de droit constitutionnel au moyen d'un principe général du droit. Une telle interprétation, préalable à tout litige, doit être publiée dans le bulletin fédéral des lois (Bundesgesetzblatt) et a la portée d'une norme à effet généralement obligatoire. » ; cf. « Cour constitutionnelle autrichienne », RIDC, vol. 33, 1981, pp. 417-430, p. 421. L'article 138 al. 2 B-VG ne vise qu'un domaine spécial, la répartition des compétences entre Fédération et États fédérés.320 La Cour constitutionnelle fédérale allemande dispose d'une certaine compétence pour poser des normes jurisprudentielles. Selon la doctrine allemande, les règles générales du droit international obligent l’ensemble des organes de l'État fédéral, y compris la Cour constitutionnelle fédérale. Il s'ensuit que les règles générales du droit international priment notamment sur les normes jurisprudentielles posées par la Cour constitutionnelle fédérale, par exemple le principe de confiance légitime (Vertrauensschutz ; cf. BVerfGE 30, p. 392 sqs. (401)).Un conflit entre norme juridictionnelle de la Cour constitutionnelle fédérale et norme du droit international général est considéré comme improbable en raison de la procédure d'identification des règles générales du droit international de l'art. 100 al. 2 LF, sauf dans les situations où la Cour constitutionnelle fédérale procède à une mauvaise identification de l'état du droit international ou fait prévaloir une norme de la constitution formelle sur une règle générale du droit international. Une fois la décision de la Cour constitutionnelle fédérale tranchant le litige devenue définitive, elle est indérogeable en son dispositif.321 La définition faisant autorité du ratio decidendi est : «[the] point in a case which determines the judgment» ; cf. Henry Campbell Black (éd.), Black's Law Dictionary, 5ème éd., 1979, p. 1135. A comparer avec la formulation du Conseil constitutionnel : « aux termes de l'article 62 in fine de la Constitution : "les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles" ; que l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (mes italiques), Décision n° 62-18 L du 16 janvier 1962. 322 Décision 62-18 L du 16 janvier 1962, Loi d'orientation agricole ; cf. aussi désormais article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution . Cela est problématique car, par définition, les motifs sont uniquement argumentatifs et non normatifs. Pour une critique approfondie, cf. Otto Pfersmann (2010), op. cit. note 62, spécialement p. 241 et svtes. 323 Décision 75-59 DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26.Dans l'affaire Mayotte, les députés auteurs de la saisine constatent que, pour la France, l'État des Comores est formé du territoire de l'archipel des Comores « amputé de l'une de ses îles », celle de Mayotte. Les députés contestent la position internationale de la France : « l'opinion publique internationale ne semble pas avoir admis » la séparation de Mayotte de l'État des Comores puisque « pour la plupart des États étrangers, le nouvel État Comorien procède de l'ancien archipel français des Comores constitué en 1889 et jamais remis en cause depuis cette date. ». Les frontières coloniales sont celles de l'ensemble de l'archipel, y compris Mayotte : « il apparaît que la République française n'a jamais remis en cause l'unité territoriale de l'archipel des Comores tandis que l'opinion publique internationale a constamment considéré que les quatre îles des Comores formaient un territoire unique dépendant de la République française et administré, en dernier lieu, dans les conditions prévues par les articles 72 et suivants de la Constitution » ; cf. le texte de la saisine, in :

533

soumise au Conseil constitutionnel en offre un exemple. Tandis que le droit international général oblige

les États colonisateurs à respecter le principe d'intangibilité des frontières issues de la colonisation dans

le cadre du processus de décolonisation, le Conseil constitutionnel décide en l'espèce qu'une loi

disposant clairement de la sécession partielle d'une ancienne colonie est conforme à la constitution

(dispositif) et que les mesures l'organisant « ne mettent en cause aucune règle du droit public

international » (motifs). Toutes sortes de questions relatives à cette situation peuvent arriver devant le

juge ordinaire : nationalité des habitants du territoire illicitement maintenu dans l'État français, droit de

vote, réglementation de la fiscalité... Les organes internes d'application du droit saisis de telles

questions ont soit à faire prévaloir l'évaluation du juge constitutionnel, qui apparaît erronée en ses

motifs, soit la règle du droit public international authentique. La contradiction semble irréductible.

Lorsque la norme de justice constitutionnelle est juridictionnelle (par exemple, le juge constitutionnel

conclut à l'appartenance d'un territoire d'outre-mer à l'État français), les organes internes sont tenus

d'écarter la norme internationale contraire à son profit. L’article 62 de la Constitution oblige

expressément les organes d'application du droit à respecter la chose jugée par le Conseil

constitutionnel : « Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles

s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles . ». En

revanche, s'il s'agit d'un ratio decidendi, la relation selon la force dérogatoire entre ces supposées

« normes » de justice constitutionnelle et le droit international général reste apparemment indéterminée

en l'absence de spécifications constitutionnelles324.

ii. L'autorisation indirecte au Conseil constitutionnelle de fonder un contentieux juridictionnel ordinaire

de contrôle de conformité aux règles du droit public international

Les ratio decidendi du Conseil constitutionnel ne concernent pas que le droit matériel : elles peuvent

aussi intervenir en matière de droit formel, par exemple à propos de la répartition des compétences

entre loi et règlement. En cela, il paraît envisageable qu'à l'avenir le Conseil constitutionnel estime dans

ses «motifs» que les juridictions ordinaires disposent, par exception au principe de la « loi-écran »,

d'une compétence pour contrôler la conformité des lois par rapport aux règles du droit public

international. L'argument principal pourrait consister à admettre que l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 attribue aux juridictions ordinaires une telle habilitation, de la même façon que

RDP 1976, pp. 576-577.324 Suivant l'article 23-2 de la loi organique du 10 décembre 2009 concrétisant la procédure de contrôle a posteriori des lois instituée par l'article 61-1 de la Constitution (« question prioritaire de constitutionnalité ») : « [Le Conseil constitutionnel] statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : [condition n°2] Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ». La loi organique n'indique rien sur la relation selon la force dérogatoire entre les règles du droit public international, dont le respect est expressément exigé par l'alinéa 14, et les ratio decidendi du Conseil constitutionnel.

534

l'article 55 de la Constitution en matière de traités internationaux325. Cette évolution semble d'autant

plus probable que les juridictions ordinaires participent désormais, même si ce n'est qu'en tant

qu'organes de saisine du Conseil constitutionnel, au contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois

institué par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (nouvel art. 61-1 de la Constitution).

2. Les procédures spéciales «internationales» de l'article 100 al. 2 LF et de l'article 145 B-VG

En gros, les décisions des juridictions constitutionnelles allemandes et autrichiennes lient uniquement

les organes en leur dispositif, qui règle un cas d'espèce déterminé. Mais, en parallèle, les contentieux

constitutionnels spéciaux relatifs au droit international prévus par l'article 100 al. 2 LF et l'article 145 B-

VG peuvent potentiellement aboutir à des décisions d'un contenu général liant l'ensemble des organes

internes. Mis à part leur objet international, ces procédures présentent peu de ressemblances : l'article

100 al. 2 LF établit un recours par voie d'exception qui ne vise qu'à l'identification des règles générales

du droit international ; quant à l'article 145 B-VG, il semble annoncer une procédure autonome à l'issue

de laquelle les éventuelles violations au droit international sont sanctionnées.

a. La procédure d'identification de l'article 100 al. 2 LF

L'opinion selon laquelle la transformation des règles générales du droit international en droit allemand

est conditionnée par les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, sur le fondement de l'article 100

al. 2 LF qui lui attribue une compétence propre en matière internationale, prête à controverse326. La

Cour ne dispose, dans le cadre de l’article 100 al. 2 LF, que d'une compétence en ce qui concerne

l'identification du droit international général. Or, l'article 25 LF opère la transformation des normes 325 Le Conseil constitutionnel n'assimile pas en l'état de sa jurisprudence l'article 55 de la Constitution et l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 :A l'occasion de l'affaire Comores, le Conseil constitutionnel n'assimile pas les « règles du droit public international » aux traités internationaux dans le cadre du contentieux constitutionnel, et ce, au profit des premières. En effet, peu auparavant, saisi d'un moyen tiré de la violation d'un traité dans l'affaire I.V.G., le Conseil constitutionnel s'estime incompétent pour contrôler la conformité des lois par rapport aux traités internationaux : « il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international » (DC 74-54 du 15 janvier 1975, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, Rec. p. 19). La décision Comores ne va pas dans le même sens : le juge constitutionnel admet, du moins selon certains de ses commentateurs, l'éventualité de sa compétence contentieuse en matière contrôle de conformité de la loi par rapport aux règles du droit public international (cf. par exemple Nguyen Quoc Dinh, op. cit. note 159).La jurisprudence constitutionnelle semble par là soutenir que la Constitution organise une différenciation de régime nette entre forme écrite et forme non-écrite du droit international. Un argument en ce sens réside dans l'absence de toute référence constitutionnelle à la condition de réciprocité en matière de « règles du droit public international », alors même que la réciprocité s'oppose à l'invocabilité des traités internationaux dans le cadre du contentieux constitutionnel (en raison du caractère relatif des traités internationaux). Cf. Claude Franck, « le Conseil Constitutionnel et les règles de droit international », RGDIP, 1975, pp. 1070-1090 ; Claude Blumann, « L'article 54 de la Constitution et le contrôle de la constitutionnalité des traités en France », RGDIP, 1978, pp. 537-618.326 Cette opinion est par exemple émise par le Professeur Christian Autexier ; cf. Introduction au droit public allemand, PUF, Paris, 1997, 377 p., p. 153.

535

internationales en droit allemand indépendamment du processus juridictionnel d’identification. La Cour

a d'ailleurs l’obligation de respecter les règles générales du droit international dans l'ensemble de ses

décisions – y compris celles relatives à l'identification du droit international général par la voie de la

procédure spéciale de l'article 100 al. 2 LF327. Une fois la décision posée par le juge à l'issue de cette

procédure, elle est dotée de la force de la loi (§ 31 al. 2 de la Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale).

On aboutit donc ici à la production par procédure juridictionnelle d'une connaissance portant sur le droit

international dépourvue de l'autorité indérogeable de la chose jugée. Dans le cas d'une modification du

droit international lui-même, les organes internes disposent ainsi de l'autorisation de faire prévaloir la

nouvelle règle générale du droit international, d'une valeur supra-législative, sur l'ancienne règle

générale du droit international, et ce, peu importe que cette dernière ait été précédemment identifiée ou

non par la Cour constitutionnelle fédérale à travers la procédure de l'article 100 al. 2 LF.

b. La procédure de sanction pour violation du droit international de l'article 145 B-VG

La classification des règles généralement reconnues du droit international n'est pas déductible de l'art. 9

B-VG lui-même, en raison de son indétermination. Cependant, il reste envisageable que le système

juridique autrichien contienne des normes prévoyant la destruction des normes non conformes au droit

international. A partir de ces « normes de destruction », une classification des règles généralement

reconnues du droit international dans la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire deviendrait

possible328. De telles normes spécifiques n'existent toutefois pas dans le système juridique autrichien, et

la seule norme susceptible de procurer des indications est l'article 145 B-VG 329, qui est parfois analysée

comme une « clause de primauté de rang par voie procédurale »330. 327 La Cour constitutionnelle fédérale est tenue de se fonder sur les principes du droit international lui-même, en son ensemble, pour identifier son contenu normatif. Cf. inter alia : Matthias Ruffert, « Der Entscheidungsmaßstab im Normenverifikationsverfahren nach Art. 100 Abs. 2 GG », JZ 2001, p. 633 et svtes.328 Une telle démarche est systématisée par la doctrine autrichienne. Ainsi, selon Robert Walter, pour classifier une norme selon la force dérogatoire, il faut partir de la description des normes de production et des normes de destruction qui lui sont relatives, que ces normes soient explicites ou implicites, puisque la force dérogatoire d'une norme n'est dans la plupart des cas pas suffisamment positivée. Cf. Robert Walter, Der Aufbau der Rechtsordnung, 1ère édition, Leykam, Graz 1964, 68 p., p. 59 ; Robert Walter, « Der Stufenbau nach der derogatorischen Kraft im österreichischen Recht », ÖJZ, vol. 20, 1965, pp. 169-174.329 L'article 145 B-VG vise l'ensemble du droit international et non uniquement les règles généralement reconnues du droit international : les traités internationaux et les coutumes particulières semblent compris parmi un tel « droit international » (Josef L. Kunz, op. cit. note 83, spécialement p. 321). Une certaine différenciation existe donc entre l'article 9 et l'article 145 B-VG relativement aux normes de référence, cela n'excluant pas que l'article 145 B-VG participe à la détermination du rang des règles généralement reconnues du droit international. Certains auteurs considèrent même que l'article 145 B-VG se trouve en combinaison étroite avec l'article 9 B-VG dans la structure de la Loi constitutionnelle fédérale, et vise par là surtout les règles généralement reconnues du droit international, cf. inter alia : Ludwig Adamovich, op. cit. note 97, spécialement p. 44 ; Felix Ermacora, op. cit. note 10, spécialement p. 350 et svtes. 330 « Prozessualen Vorrangsklausel » ; cf. Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement p. 266. Cf. aussi l'argumentation développée par la Cour constitutionnelle dans sa décision du 15

536

La loi fédérale spéciale expressément prévue par cet article et conditionnant son applicabilité n'a pas

encore été promulguée, de sorte qu'il n'est actuellement toujours pas possible de déterminer si l'article

145 B-VG est toujours destiné, comme cela semble être l'intention du législateur constitutionnel

historique telle que reportée par le Professeur Bruno Simma331, à fonder une compétence pénale

spéciale dans les affaires internationales en extension de l'ordre juridique pénal classique (delicta juria

gentium), ou s'il est désormais destiné à attribuer à la Cour constitutionnelle une compétence plus

générale, telle que constater et éventuellement suspendre l'ensemble des atteintes au droit international332. Dans le premier cas, la concrétisation de l'article 145 B-VG ne contribuerait que peu à la

classification des règles généralement reconnues du droit international, car sa sphère d'application se

limiterait au droit international humanitaire, qui apparaît à plusieurs égards spécial en droit

international, notamment en ce qu'il est très souvent d'effet direct pour l'individu et que les États sont

dans l'obligation de menacer de sanctions lorsqu'il est violé. Dans le second cas, la loi fédérale

concrétisant l'article 145 B-VG contiendrait certaines données supplémentaires relatives à la force

dérogatoire du droit international général. Jusqu'à la promulgation d'une telle loi, l'article 145 B-VG en

tant que tel semble insuffisant pour inférer des conclusions sur la force dérogatoire des règles

généralement reconnues du droit international. Le Professeur Hans René Laurer ajoute à cela que

l'éventuelle compétence de la Cour constitutionnelle fédérale d'annuler des lois sur le fondement de

l'article 145 B-VG est pour l'instant à exclure en raison de l'absence d'une procédure concrétisant celui-

ci333. En effet, l'article 140 al. 3 B-VG conditionne la compétence d'annulation des lois du juge

constitutionnel autrichien par certaines exigences procédurales : « La Cour constitutionnelle ne peut

annuler une loi pour inconstitutionnalité que dans la mesure où son annulation a été expressément

demandée ou dans le cas où la Cour constitutionnelle devrait l'appliquer dans une affaire en instance

devant elle ».

B. Les limitations de l'habilitation des juridictions ordinaires

Sur le fondement du principe de légalité, parfois conçu par la doctrine comme un corollaire du principe

démocratique (« souveraineté de la loi » démocratiquement votée), les juridictions ordinaires ne

disposent souvent pas de la compétence d'écarter l'application de la loi, et ce, même si la loi en question

octobre 1953 (Slg. 2586/1953).331 Cf. Bruno Simma, ibid., spécialement p. 258. Pour une opinion divergente, cf. inter alia : Alexander Balthasar, « Art.145 B-VG – Die Verdrängte Kompetenz », ZÖR, vol. 64, 2009, pp. 23-51.332 Selon les Professeurs Ludwig Adamovich et Hans Spanner, l'article 145 B-VG est ouvert à une telle possibilité, y compris à la sanction d'actes du législateur en violation du droit international ; cf. op. cit. note 98, spécialement p. 80. Dans le même sens : Felix Ermacora, op. cit. note 10, p. 355.333 Hans René Laurer, op. cit. note 105, spécialement p. 346.

537

apparaît non-conforme à une norme d'une autre forme normative, y compris internationale 334. Tandis

qu'en droit allemand, la primauté sur les lois expressément prévue par l'article 25 phrase 2 LF est

unanimement considérée comme emportant habilitation au bénéfice des juridictions ordinaires de faire

prévaloir les règles générales du droit international sur la loi et, par incidence, sur les normes

administratives fondées sur celle-ci, la compétence du juge ordinaire français (1) et autrichien (2) pour

cela ne paraît pas certaine.

1. Le principe de la « loi-écran » en droit français

Il est parfois affirmé que le pouvoir constituant a attribué de manière exclusive au Conseil

constitutionnel la compétence d’écarter la loi au profit du droit international non conventionnel 335 : en le

dotant d'une compétence spéciale en matière de contrôle de constitutionnalité de la loi, le pouvoir

constituant prive implicitement les juridictions ordinaires de la compétence de se prononcer sur la

conformité d’une loi par rapport à toute autre norme, y compris les règles du droit public international.

Seuls les traités internationaux font exception à ce principe dit de la « loi-écran » qui concerne les

juridictions ordinaires. L'article 55 de la Constitution attribue en effet au juge ordinaire une compétence

pour écarter l'application d'une loi (mais non pour l'annuler) au profit d'un traité international contraire336. Mais le droit international non conventionnel ne bénéficie pas d'une extension de ce régime, comme

le souligne le Conseil d'État dans son arrêt Aquarone, confirmé par Paulin337. Seules les normes

internationales dites «supplétives», c'est-à-dire celles qui ne contredisent pas la loi tout en réglementant

des domaines dans lesquels la loi est incomplète338, sont amenées à être appliquées par le juge

administratif. On le voit : la jurisprudence du juge administratif semble davantage liée à ses attributions

contentieuses qu’au rang dérogatoire même des normes internationales non conventionnelles.

Dans la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, la distinction entre les indications relatives à la

question du rang dérogatoire même du droit international général et les indications relatives à la

compétence contentieuse des juridictions en question soulève des difficultés. Le maintien du principe de

334 Dans une littérature abondante relative à cette limitation de la compétence du juge ordinaire, cf. l'analyse comparative (Allemagne, France, Suisse) de Mademoiselle Dana Burchardt à propos du contrôle de conformité des lois par rapport aux normes internationales par le juge ordinaire : op. cit. note 21, spécialement p. 13 et svtes. 335 cf. inter alia : Denys de Béchillon, op. cit. note 159. La démarche «interprétation subjective», qui repose sur l'intention du Constituant, est problématique : il convient de distinguer l'intention du Constituant (un « fait » psychique) du contenu de la Constitution elle-même (une « norme »). Par ailleurs, la prohibition adressée au juge ordinaire d'écarter l'application de la loi au profit d'une autre forme normative (principe de « la loi-écran ») est antérieure à la création d'une juridiction constitutionnelle spécialisée chargée du contrôle de constitutionnalité des lois. Il s'ensuit que ce principe peut être considéré comme relativement autonome par rapport à la question de l'institution d'une juridiction spécialisée.336 Cass, 24 mai 1975, Administration des douanes c. Sté « Cafés Jacques Vabre » ; CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748. Cf. supra. les autres observations sur la « théorie de la loi-écran » dite encore « théorie de l'écran législatif ».337 CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, in : RGDIP, 1997, p. 840 et svtes ; CE, 28 juillet 2000, M. Paulin. L'opinion ici émise est notamment défendue par : Didier Chauvaux, Thierry-Xavier Girardot, op. cit. note 84, p. 574 ; Franck Moderne, op. cit. note 279, spécialement p. 514 ; Gérard Teboul , op. cit. note 195, spécialement pp. 352-353.338 Les normes du droit international général peuvent notamment compléter la loi dans la détermination de sa sphère d'application matérielle, spatiale, personnelle ou temporelle.

538

la loi-écran en ce qui concerne le droit international général tient au moins en partie au maintien de la

pratique de son application immédiate par les juridictions ordinaires (mode d'applicabilité moniste au

sens technique), qui contraste avec celle du Conseil constitutionnel qui se fonde quant à lui sur l'alinéa

14 du Préambule de la Constitution de 1946 (mode d'applicabilité médian). Un éventuel contrôle de

conformité des lois par rapport aux règles du droit public international opéré par le juge ordinaire sur le

fondement de l'alinéa 14 ne semble ainsi pas d'actualité. Néanmoins, une unification du contentieux des

règles du droit public international opérée par le juge constitutionnel, dont les décisions font autorité sur

l'ensemble des juridictions, ne paraît pas non plus complètement exclue pour l'avenir339.

2. Le principe de légalité au sens strict s'imposant au juge autrichien

A la manière du juge français, le juge autrichien est rigoureusement incompétent dans le cadre du

contrôle des normes administratives pour écarter l'application de la loi, et ce, même lorsque la loi en

question est contraire à une norme «supérieure». Cela tient au principe de légalité au sens strict qui

oblige l'administration à agir exclusivement sur le fondement des lois (article 18 al. 1 et 2 B-VG) et à

l'organisation corrélative du contentieux administratif qui délimite formellement, par un ensemble de

normes constitutionnelles et législatives, la compétence des juridictions (cf. entre autres l'article 89 B-

VG)340. La procédure de principe est la suivante : une norme administrative peut être contestée devant la

Cour administrative au motif qu'elle porte atteinte à un droit subjectif public. La Cour constitutionnelle

dispose aussi d'une large compétence d'exception en matière administrative (art. 144 al. 1 B-VG)

excluant la compétence de la Cour administrative (art. 133 al. 1 B-VG) : contrôle des normes

administratives particulières (Bescheide) portant atteinte à un droit subjectif constitutionnellement

protégé ou prises en application d'un règlement non-conforme à la loi (art. 144 B-VG), ainsi que

contrôle des normes administratives générales dites «Verordnungen», c'est-à-dire «règlements

administratifs»341 (art. 139 B-VG).

Aucun texte ne prévoit expressément la compétence des juridictions pour contrôler la conformité des

normes administratives par rapport aux règles généralement reconnues du droit international. Au

contraire, certaines dispositions semblent même limiter la compétence des juridictions au contrôle de

conformité par rapport à la seule «loi», définie comme un acte du parlement publié au journal officiel

339 La question des effets de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la compétence du juge ordinaire en matière de règles du droit public international est déjà explorée, avant même la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 instituant un contrôle a posteriori des lois, par le Professeur Gérard Teboul : op. cit. note 84, spécialement pp. 1137-1140.340 Le contentieux administratif devant la Cour administrative et la Cour constitutionnelle est organisé par la Loi constitutionnelle fédérale, ainsi que par la Loi fédérale sur la Cour administrative («Verwaltungsgerichtshofsgesetz 1985») et la Loi fédérale sur la Cour constitutionnelle («Verfassungsgerichtshofsgesetz 1953»). En plus, des règlements intérieurs adoptés sur le fondement de ces lois fédérales en précisent les modalités.341 L'article 18 al. 2 B-VG attribue une autorisation fondamentale à l'administration : « Dans le cadre de son domaine d'action, toute autorité administrative peut prendre des règlements en se fondant sur les lois . » La compétence de la Cour constitutionnelle s'explique par la caractère général des normes en questions, qui peuvent être considérées comme des « lois au sens matériel ».

539

(article 130 al. 2 B-VG relatif à la Cour administrative : « il n'y a pas d'illégalité tant que le législateur

n'a pas fixé de réglementation contraignante concernant le comportement de l'autorité administrative

et tant que celle-ci a utilisé, dans l'esprit de la législation, son pouvoir discrétionnaire »). De plus, les

règles généralement reconnues du droit international ne sont pas, selon une jurisprudence constante de

la Cour constitutionnelle, des droits subjectifs constitutionnellement protégés342 («libertés

fondamentales»), d'où s'ensuit qu'un contrôle des normes administratives par rapport à la Constitution

elle-même, dont l'article 9 B-VG est une composante, est exclu en l'état actuel de la pratique. Beaucoup

d'incertitudes caractérisent le contrôle juridictionnel de conformité des normes administratives par

rapport aux règles généralement reconnues du droit international, la doctrine s'accordant tout de même

sur la possibilité d'un contrôle des règlements devant la Cour constitutionnelle par la voie de la

procédure de l'article 139 al. 1343.

II. La force dérogatoire du droit international général dans le cas de son application en dehors du

fondement constitutionnel de transformation

En l'absence d'une transformation du droit international en droit interne constitutionnellement prévue,

certains organes internes (surtout administratifs et juridictionnels) sont dépourvus, en raison du principe

de légalité, d'une compétence de faire prévaloir le droit international général lorsqu'il entre en collision

avec une norme interne.

Le droit international habilite les organes internes à appliquer les normes internationales

immédiatement, c'est-à-dire en dehors d'un fondement constitutionnel de transformation, à la condition

que l'État n'interdise pas une telle application (mode d'applicabilité moniste au sens technique). Cela

s'étend à la force dérogatoire : les organes internes appliquant immédiatement le droit international ne

bénéficient pas d'une autorisation d'écarter l'application de la réglementation interne à son profit qu'en

l'absence d'interdiction par le droit interne344 345. L'éventuelle autonomie des organes internes envers la

disposition constitutionnelle prévoyant la transformation du droit international en droit interne n'étend

donc pas pour autant leur habilitation au-delà de ce qui est généralement prévu par la constitution. Les

342 Depuis une décision en date du 10 janvier 1931, la Cour constitutionnelle estime constamment que « des droits subjectifs destinés aux particuliers ne sont en aucun cas immédiatement fondés par [les règles généralement reconnues du droit international] » (Slg. 1375).343 Cf. inter alia : Josef L. Kunz, op. cit. note 83, p. 319 ; Gustav Adolf Walz, op. cit. note 83, spécialement p. 172 ; Ernst C. Hellbling, op. cit. note 9, spécialement p. 94 ; Alexander Balthasar, op. cit. note 8, spécialement p. 181.344 Ceci explique que la doctrine constate souvent que le juge refuse d'appliquer le droit international dans tous les cas où il estime que cette application pourrait porter atteinte aux « intérêts nationaux ». Cf. inter alia, Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183.345 La positivité de ce principe est montrée supra: « l'application immédiate du droit international ».

540

juridictions nationales appliquant immédiatement le droit international général s'estiment ainsi dans

presque tous les cas incompétentes pour faire prévaloir celui-ci sur la plupart des normes internes

générales, dont la constitution, mais aussi la loi (à l'instar du Conseil d'État français).

En résumé, la force dérogatoire du droit international général dans le contexte de son application

immédiate apparaît considérablement limitée par l'ensemble des normes internes obligeant les

juridictions internes à appliquer prioritairement les normes du droit interne. Ceci explique que la

doctrine dominante considère souvent que la transformation du droit international en droit interne est

plus apte à garantir le respect du droit international par l'État. Les dispositions constitutionnelles de

transformation consistent non seulement en une habilitation (implicite346) adressée aux organes internes

d'appliquer le droit international, mais contiennent aussi souvent une détermination de sa force

dérogatoire (« composantes du droit fédéral », « primauté sur la loi »...).

Lorsque le droit international est par exception d'applicabilité directe, davantage de difficultés se posent

encore quant à son effet dérogatoire interne. On peut conjecturer que la norme internationale

d'applicabilité directe peut déroger, sur le fondement du droit international lui-même, aux normes

internes, y compris constitutionnelles. Cela demande toutefois à être vérifié par les données du droit

positif. Le Professeur Otto Pfersmann fait observer que : « des normes qui ne sont pas directement

applicables ne peuvent prévaloir que de manière indirecte, c'est-à-dire entraîner une obligation de

concrétisation par des normes nationales; et l'on revient alors au cas de la primauté classique. Et des

normes qui seraient directement applicables, mais dépourvues de primauté ne seront pas directement

appliquées parce qu'elles ne peuvent prévaloir sur des normes avec lesquelles elles entrent en collision.

Toute véritable application directe d'une norme (et non une norme dont l'application directe serait

simplement possible) suppose qu'en effet il n'y ait pas d'autre norme contraire dont l'application directe

est également possible et qui soit plus forte347 ».

On le verra : l'effet dérogatoire du droit international général dans le contexte de son application

immédiate se trouve restreint lorsqu'il n'y a pas de risque de l'engagement de la responsabilité de l'État,

mais son intensité peut s'élever dès lors que la seule violation de la norme internationale en question

aboutirait à une violation grave du droit international (surtout le ius cogens et les normes d'applicabilité

directe).

346 Les normes constitutionnelles ne prévoient pas explicitement une telle habilitation des organes internes. Simplement, en transformant le droit international en droit interne, elles obligent les organes internes à traiter les normes internationales de la même façon que toute autre norme interne.347 Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.

541

Chapitre 6

La relation hiérarchique entre normes internationales

dans le cadre du système juridique interne

α. Remarques préliminaires à propos de la hiérarchie des normes en droit international

Le droit international, à l'instar de tout système juridique, contient une hiérarchie des normes selon

l'ordre de production, chaque norme étant fondée sur une norme de degré supérieur1. Le droit

international contient des principes conditionnant la validité ainsi que les modalités d'application des

autres normes : principes relatifs à la formation des autres normes, principe d'égale souveraineté des

États2, principe d'effectivité3...

La hiérarchie des normes selon l'ordre de destruction paraît moins visible en droit international qu'au

sein des systèmes juridiques internes en raison de l'existence d'un principe général du droit international

suivant lequel il n'existe pas de différence de «valeur» entre les principales formes normatives, surtout

entre coutumes et traités. Ce manque de visibilité n'est toutefois qu'apparent4 : la hiérarchie des normes

1 Cf. inter alia, dans une littérature abondante : Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd. révisée et éditée par Robert W. Tucker, The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., p. 564.2 Par le « principe d'égale souveraineté des États », ceux-ci participent en principe en tant qu'égaux à la production des normes du droit international. Cf. Bardo Fassbender, « Die souveräne Gleichheit der Staaten – ein angefochtenes Grundprinzip des Völkerrechts », Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 43, 2004, pp. 7-13 ; Juliane Kokott, « Souveräne Gleichheit und Demokratie im Völkerrecht », ZaöRV, vol. 64, 2004, pp. 517-533.3 L'entrée en vigueur de certaines normes internationales est conditionnée par une certaine effectivité (entre autres : coutumes internationales, norme particulière de création d'un État par voie non conventionnelle). Cf. : Robert W. Tucker, « The principle of effectiveness in International Law », in : George A. Lipsky (éd.), Law and Politics in the World Community, Essays on Hans Kelsen's pure theory and related problems in International Law, University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1953, 373 p., pp. 31-48 ; Heike Krieger, Das Effektivitätsprinzip im Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 2000, 521 p.4 Ce manque de visibilité de la hiérarchie conduit la doctrine dominante en France à affirmer qu'elle n'existe pas. Par exemple, le Professeur Emmanuel Decaux affirme que : « Le droit international classique ne connaît pas de hiérarchie des sources, que ce soit au sein des sources conventionnelles – entre un traité multilatéral ou un un traité bilatéral, une convention "générale" ou une convention "spéciale" pour reprendre le vocabulaire de l'article 38 – ou au sein des sources coutumières, pas plus qu'entre sources coutumières et conventionnelles... » ; cf. « Déclarations et conventions en droit international », CCC, n°21, 2007, 8 p., p. 2. Cf. aussi, globalement dans le même sens (mais nuancé en raison de l'apparition des normes de ius cogens) : Juan-Antonio Carrillo Salcedo, « Reflections on the Existence of a Hierarchy of Norms in International Law », EJIL, vol. 8, 1997, pp. 583-595. Cette conception théorique ne permet pas d'expliquer à partir de quels fondements sont résolus les conflits de normes en droit international.

542

selon l'ordre de destruction s'avère aussi moins complexe en droit international qu'en droit interne

puisque les formes normatives y sont quantitativement moins nombreuses et les relations entre organes

plus primitives, notamment en raison de l'absence d'organes spécialisés chargés de la destruction de

normes (entre autres, absence d'un juge international chargé de contrôler la conformité des normes

particulières par rapport aux normes générales). Et, dans ce contexte juridique, certains éléments qui

participent à la hiérarchie des normes selon l'ordre de destruction apparaissent clairement identifiables :

le degré de généralité d'une norme par rapport à une autre (principe lex specialis), la succession

temporelle des normes (principe lex posterior), l'indérogeabilité de certaines normes (ius cogens).

La doctrine insiste souvent sur plusieurs exemples d'organisation hiérarchique entre normes

internationales, concernant tant leur production que leur destruction :

i. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ont en principe un caractère

second. L’organe d'application du droit (juge international, État...) n'y recourt qu'à défaut d'une autre

norme pertinente ; dans la hiérarchie selon l'ordre de destruction, les principes généraux de droit

reconnus ne prévalent pas en principe sur les autres normes internationales.

ii. Les normes de ius cogens bénéficient d'une prévalence totale sur les autres formes normatives –

conventionnelle ou coutumière5 –, c'est-à-dire qu'elles sont supposées être indérogeables. L'article 64 de

la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 en dispose clairement ainsi en ce qui concerne

spécifiquement leur rapport aux normes conventionnelles : « Si une nouvelle norme impérative du droit

international survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin 6. »

Par ailleurs, les normes internationales relatives aux droits de l'homme, y compris conventionnelles,

sont uniquement dérogeables dans certaines situations spécifiques7.

5 Le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie estime dans l'affaire Furundzija (1998) que « la répulsion universelle » suscitée par la torture « a donné lieu à toute une série de règles conventionnelles et coutumières ayant une place élevée dans le système normatif international, une place comparable à celle d'autres principes, comme la prohibition du génocide, de l'esclavage, de la discrimination raciale, de l'agression, de l'acquisition de territoires par la force et de la suppression par la force du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'interdiction de la torture présente [des] traits importants qu'elle partage probablement avec les autres principes généraux protégeant les droits fondamentaux de l'homme. En raison de l'importance des valeurs qu'il protège, ce principe est devenu une norme impérative ou jus cogens, c'est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier "ordinaire". La conséquence la plus manifeste est que les États ne peuvent déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n'ont pas la même valeur normative » ; cf. IT-95-17/1-T, jugement de la chambre de première instance, 10 décembre 1998, §§ 143-157. Dans le même sens, Cour européenne des droits de l'homme, aff. Al-Adsani, arrêt du 21 novembre 2001.6 Les normes de ius cogens bénéficient d'une primauté d'application non fondée sur le principe lex superior. Les normes de ius cogens se situent dans la hiérarchie des normes selon l'ordre de production en-deça des normes les fondant (principe du droit international prévoyant leur validité), mais bénéficient d'une prévalence sur l'ensemble du droit international en cas de conflit. Cf. Erich Vranes, « Lex Superior, Lex Specialis, Lex Posterior – Zur Rechtsnatur der "Konfliktlösungsregeln" », ZaöRV, vol. 65, 2005, pp. 391-405, p. 400.7 Ian Seiderman, Hierarchy in International Law : the Human Rights Dimension, Intersentia, Anvers, 2001, 335 p. ; Bardo Fassbender, « Der Schutz der Menschenrechte als zentraler Inhalt des völkerrechtlichen Gemeinwohls », EuGRZ, vol. 30, 2003, pp. 1-16 ; Olivier de Frouville, L'intangibilité des droits de l'homme en droit international, régime conventionnel des droits de l'homme et droit des traités, A. Pedone, 2004, 561 p.

543

iii. La soft law ou «droit mou» n’est en vérité pas du droit, car elle est dépourvue d'un fondement de

validité en droit international8. Mais la soft law – à travers certaines incidences difficilement prévisibles

sur la pratique des États – peut contribuer au processus de formation d'une norme internationale

coutumière, voire de ius cogens. Il en irait par exemple ainsi de la soft law relative à la bioéthique9.

iv. L'article 103 de la Charte des Nations-Unies prévoit qu'« en cas de conflit entre les obligations des

membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre

accord international, les premières prévaudront ». L'applicabilité de cette norme se trouve limitée à la

sphère des États membres, tout en étant potentiellement universelle10 .

Aussi, le droit international contient des « règles de solution de conflit »11. Celles-ci réglementent les

éventuels conflits entre normes internationales de même «valeur», c'est-à-dire entre normes

conventionnelles, entre normes coutumières ou encore entre norme conventionnelle et norme

coutumière. Parmi les règles de cette sorte, on trouve entre autres les principes généraux specialia

8 L'analyse développée par Prosper Weil prête à discussion : « Le fait qu’une règle soit soft ou hard n’affecte certes en rien son caractère normatif : une règle conventionnelle ou coutumière peut être peu contraignante […]. Une norme permissive est une norme comme une autre, et seule une autre peut abroger une autre norme : accorder à certaines résolutions une valeur permissive ou abrogatoire c’est, sans le dire, leur reconnaître une valeur normative pleine et entière » ; cf. « Vers une normativité relative du droit international ? », RGDIP, 1982, pp. 5-47, p. 9 et p. 11). L’analyse de Prosper Weil semble reposer sur une confusion entre contenu de la soft law (effectivement déontiquement modalisé sous la forme permissive) et leur nature normative juridique qui est inexistante (le caractère soi-disant permissif des règles de soft law ne lie pas non plus les États). Dans le même sens que Prosper Weil, cf. plus récemment : Hartmurt Hilgenberg, « Soft Law im Völkerrecht », Zeitschrift für europarechtliche Studien, vol. 1, 1998, pp. 81-102 ; avec une démarche critique : Bruno Simma, « A Hard Look at Soft Law », American Society of International Law Proceedings, vol. 82, 1991, pp. 377-381. Le Professeur Emmanuel Decaux expose sans doute une analyse plus correcte du «droit déclaratoire», en acceptant qu'un tel phénomène participe à la formation de normes internationales, mais se distingue de la validité juridique du droit international : « La référence aux "valeurs communes" des Nations unies [se manifestant notamment dans les déclarations de l'Assemblée générale] vient ainsi éclairer le développement du droit international public, en traduisant une opinio juris collective. Alors que les normes conventionnelles ne concernent que les États parties et que les normes coutumières peuvent être récusées par un "objecteur persistant", le droit déclaratoire marque un consensus politique qui engage moralement tous les États, à défaut de les lier juridiquement. » ; cf. op. cit. note 4, p. 5.9 Cf. Sandrine Maljean-Dubois, « Bioéthique et droit international », AFDI, vol. 46, 2000. pp. 82-110.10 Sauf éventuellement modification par voie coutumière, mais cela pose des difficultés car la formation d'une telle coutume s'effectuerait en violation de l'obligation de l'article 103 de la Charte des Nations Unies. Selon la Cour internationale de justice, l'universalité de l'organisation lui confère un statut particulier : « cinquante États, représentants une très large majorité des membres de la communauté internationale, avaient le pouvoir de créer une entité possédant une personnalité internationale objective – et non pas simplement une personnalité reconnue par eux seuls. » ; cf. avis du 11 mai 1949 [fond], Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Rec., 1949, p. 22. 11 Cf. inter alia : Wladyslaw Czapliński, Gennady Danilenko « Conflicts of Norms in International Law », Netherlands Yearbook of International Law, 1990, pp. 3-42 ; Jean Combacau, Denis Alland, « Primary and Secondary Rules in the Law of State Responsibility : Categorizing International Obligations », Netherlands Yearbook of International Law, vol. 16, 1995, pp. 81-109 ; Joost Pauwelyn, Conflict of Norms in Public International Law – How WTO Law Relates to other Rules of International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 2003, 553 p. ; Martti Koskenniemi, Function and scope of the lex specialis rule and the question of “self-contained regimes”, UN Doc. ILC(LVI)/SG/FIL/CRD.1/Add.1, 2004, 10 p. (format PDF) ; Erich Vranes (2005), op. cit. note 6 ; Erich Vranes, « The Definition of "Norm Conflict" in International Law and Legal Theory », EJIL, vol. 17, 2006, pp. 395–418 ; Jörg Kammerhofer, « Unearthing Structural Uncertainty Through Neo-Kelsenian Consistency: Conflicts of Norms in International Law », ESIL Research Forum on International Law: Contemporary Issues, online, 2005, 25 p. (format PDF) ; Jörg Kammerhofer, « Kelsen – Which Kelsen? A Reapplication of the Pure Theory to International Law », Leiden Journal of International Law, vol. 22, 2009, pp. 225-249 ; Tomer Broude, Yuval Shany (éds), Multi-Sourced Equivalent Norms in International Law, Hart, Oxford, 2011, 344 p..

544

generalibus derogant («les normes spéciales dérogent aux normes générales»12) et lex posterior priori

derogat («la norme postérieure l’emporte sur la norme antérieure»13). En l'absence d'une telle

réglementation applicable à l'espèce, le droit international habilite certains organes internationaux à

trancher un litige (les différentes juridictions internationales, mais aussi l'État dans sa fonction de «juge

international»14). Un autre principe du droit international consiste dans la liberté de comportement de

l'État en l'absence d'une norme coutumière ou conventionnelle imposant une obligation à sa charge

(« tout ce qui n'est pas interdit est permis »)15.

β. Le problème de la synchronie entre le droit interne et le droit international

Est-ce que les organes internes d’application du droit appliquent, dans le cadre du droit interne, les

mêmes règles de solution de conflit entre normes internationales que celles valables dans le cadre du

droit international lui-même ? Cette question conduit à analyser le synchronisme entre le droit interne et

le droit international.

Une partie de la doctrine soutient que la logique commande que les mêmes règles de solution de

conflits soient applicables. Cependant, cela ne correspond pas dans tous les cas à l'état du droit positif.

Comme la doctrine l'observe souvent, les constitutions nationales prévoient, généralement par des

12 Dans les situations concrètes, la norme internationale particulière, tant conventionnelle que coutumière, prévaut sur les normes internationales générales. En l'absence d'une norme particulière régissant l'espèce, les normes générales du droit international sont applicables. Ce principe n'implique pas la supériorité hiérarchique de la norme spéciale sur la norme générale, mais uniquement des sphères d'applicabilité distinctes : la norme générale s'applique en principe et la norme spéciale régit des cas déterminés. 13 La norme lex posterior a un effet relatif : pour un État donné, une norme internationale nouvelle prime certes sur la norme internationale qui lui est antérieure, mais cette dernière se maintient dans la relation avec les États tiers, c'est-à-dire les États non liés par la norme nouvelle. On en trouve de nombreuses illustrations dans le droit positif : les États peuvent ne pas avoir ratifié un traité international nouveau ou s'être opposés à la formation d'une coutume internationale par une pratique d'objecteur persistant, la réglementation antérieure leur restant opposable ; ou encore, une norme particulière s'est formée entre quelques États, mais une norme plus générale avec des obligations différentes leur demeure opposable par les États tiers (ou inversement). Par exemple, la Grande-Bretagne proteste contre le Traité de San Stefano conclu le 3 mars 1978 entre la Russie et la Turquie. La protestation est ainsi justifiée : ce traité international contredit plusieurs traités qui lui sont antérieurs, et tout particulièrement le Traité de Paris du 30 mars 1856 et le Traité de Londres du 13 mars 1871 relatifs à la Mer Noire. Toutefois, cela n'implique pas pour autant l'invalidité du Traité de San Stefano : une nouvelle réglementation internationale est valable dans la relation réciproque entre Russie et Turquie, les obligations issues des traités internationaux antérieurs leur demeurant opposables dans leurs relations avec les États tiers. 14 Michel Virally dit que : « Le droit ultime de l'État est celui de poursuivre, par tous les moyens autorisés par le droit international, l'exécution des obligations des autres États à son égard (droit d'autoprotection ou de self-help). En l'absence de contrôle de l'appréciation subjective du droit, c'est là un pouvoir redoutable, puisque l'État est à la fois juge et partie, et qui risque de susciter des différends difficiles à surmonter, dès lors qu'aucun État ne peut faire prévaloir juridiquement son appréciation sur celle d'un autre. » ; cf. « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 183, 1983, pp. 25-382, p. 8315 Par ce principe, il n'existe pas de lacune en droit international. cf. Hans Kelsen, P.I.L., pp. 438-440 ; pour un aperçu théorique du problème de la lacune, cf. : Otto Pfersmann, « lacunes et complétude », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 911-913.

545

disposions constitutionnelles explicites, une réglementation différenciée des normes internationales

suivant leur forme normative16. Par exemple, la constitution attribue par une disposition

constitutionnelle spécifique un rang interne déterminé au traité international, différencié de celui

qu'attribue une autre disposition constitutionnelle au droit international général, soit supérieur

(Constitution française selon une partie de la doctrine), soit inférieur (Loi fondamentale allemande 17).

Ou encore, le juge constitutionnel est habilité à contrôler la conformité des lois par rapport aux

principes du droit international, mais non par rapport au traité international (Conseil constitutionnel

français). La doctrine actuellement dominante affirme qu'il convient de rejeter une telle réglementation

différenciée de la normativité interne des normes qui composent le droit international, et ce, parce

qu'elle aboutit à une «contradiction» (ou «incompatibilité») du droit national avec le droit

international18. Cette analyse prête à discussion eu égard à l'état du droit positif : puisque le droit

international est en principe indifférent au contenu du droit interne, le droit interne n'est pas tenu de

reproduire à l'identique le contenu du droit international.

Néanmoins, il demeure légitime de se demander si, en l'absence d'une réglementation constitutionnelle

formelle, les règles de solution de conflits entre normes valables en droit international s'appliquent, par

synchronie, aux conflits entre normes internationales qui se présentent dans le cadre du droit interne. En

effet, les règles de solution de conflits du droit international ne correspondent pas dans tous les cas à

celles habituellement appliquées en matière de relations entre normes internes. Même des principes

apparemment similaires, tels lex posterior ou lex specialis, n'ont ni la même sphère d'application, ni

nécessairement les mêmes effets dans le système juridique international et dans le système juridique

interne19. Par exemple, en droit international, la nouvelle réglementation d'un domaine matériel par la

voie d'un traité international n'aboutit pas nécessairement à l'abrogation de la norme coutumière qui

16 Cf. inter alia : Alfred Verdross, Bruno Simma, Universelles Völkerrecht, 3ème éd., Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 956 p., p. 549 ; Antonio Cassese, « Modern Constitutions and International Law », R.C.A.D.I. 192, 1985-III, p. 331 et svtes. ; Philip Kunig, « Völkerrecht und staatliches Rechts », in : Wolfgang Vitzthum (éd.) et alii, Völkerrecht, 4ème éd., De Gruyter, Berlin, 2007, 761 p., pp. 86-166 ; Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », University of Illinois College of Law, Law and Economics Working Papers, n°55, 2006, 65 p., disponible sur http://law.bepress.com/uiuclwps/papers/art55 ; Tom Ginsburg, Zachary Elkins, Svitlana Chernykh, « Commitment and Diffusion: How and Why National Constitutions Incorporate International Law », University of Illinois Law Review, 2008, pp. 201-238.17 Les règles générales du droit international sont dotées d'une valeur supra-législative (art. 25 LF), tandis que les traités sont vraisemblablement de valeur législative (cela étant déductible de la procédure législative de l'article 59 al. 2 LF). 18 Cf. par exemple : Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p., p. 466 et svtes ; Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502 ; Dana Burchardt, « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p. (format PDF) ; Charles-Edouard Delvallez, Le juge administratif et la primauté du droit communautaire, L'Harmattan, Paris, 2011, 358 p., spécialement pp. 79-83. Cf. aussi Emmanuel Decaux, op. cit. note 4 (l'auteur critique ainsi la jurisprudence du Conseil d'État français : « Manifestement l'approche qui domine la jurisprudence récente du Conseil d'État aboutit à écarteler le "droit public international", en donnant une valeur supra-législative aux normes conventionnelles et une valeur infra-législative aux normes coutumières. Mais ne s'agit-il pas d'une vision par trop statique, qui ignore la dialectique qui est à l'œuvre au sein du droit international ? »).19 Cf. inter alia : Erich Vranes, « The Definition of "Norm Conflict" in International Law and Legal Theory », EJIL, vol. 17, 2006, pp. 395–418.

546

réglementait auparavant exclusivement ce domaine20.

La synchronisation du droit interne avec le droit international résulte parfois de l'application immédiate

du droit international par les organes internes21 (mode d'applicabilité moniste au sens technique). Aussi,

les organes internes opèrent souvent une réduction téléologique de la réglementation constitutionnelle

explicite relative au droit international en vue de synchroniser le droit interne avec le droit international.

Et ceci est le plus souvent justifié par un prétendu principe constitutionnel implicite plus général qui

obligerait à mettre le droit interne en conformité avec le droit international, tel le « principe d'ouverture

au droit international » élaboré par la jurisprudence et la doctrine allemandes.

Remarque terminologique : on utilisera le terme de «synchronie22» (adjectif : «synchrone») pour

désigner la similitude de contenu entre le droit international lui-même et le droit international

transformé en droit interne. La doctrine emploie souvent le terme d'«harmonie », ce qui peut sembler

acceptable, pour autant que l'absence d'«harmonie» n'est pas considérée comme une faute, mais comme

le constat d'un certain état du droit. Le terme «synchronie», plus technique, pourra néanmoins paraître

préférable.

Une seule forme normative interne23 («règle généralement reconnue du droit international», «règle

générale du droit international», «règle du droit public international») renvoie à plusieurs formes

normatives internationales (coutume, principe général du droit «reconnu par les nations civilisées», ius

cogens). En l'absence de détermination par une disposition constitutionnelle spécifique de leurs

relations réciproques, le droit interne règle celles-ci de manière similaire au droit international (section

20 C.I.J., compétence, 10 mai 1984, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Rec. p. 421 : « le fait que les principes […] sont codifiés ou incorporés dans les conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à l'égard des pays qui sont parties aux dites conventions ».21 Ce phénomène est un de ceux qui caractérisent la théorie actuellement en vogue dite de « consistent interpretation » du droit international par les organes internes, cf. inter alia : Gerrit Betlem, André Nollkaemper, « Giving Effect to Public International Law and European Community Law before Domestic Courts. A Comparative Analysis of the Practice of Consistent Interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589 ; Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p. ; Anne Peters, « Supremacy Lost : International Law Meets Domestic Constitutional Law », Vienna Online Journal on International Constitutional Law, vol. 3, 2009, pp. 170-198 ; Antonios Tzanakopoulos, « Domestic Courts as the "Natural Judge" of International Law : A Change in Physiognomy », in : James Crawford, Sarah Nouwen (éds), Select Proceedings of the European Society of International Law (2010), vol. 3, Hart, Oxford, 2012, 418 p., pp. 155-168.22 L'aspect temporel (auquel renvoie le terme de «synchronie») paraît pertinent pour décrire le phénomène de similitude de contenu entre droit international et droit interne, étant donné qu'il ne s'agit pas seulement de similitude à un instant donné (statique) mais d'une évolution parallèle (dynamique).23 Le Professeur Otto Pfersmann observe que la relation selon la force dérogatoire peut aussi exister à l'intérieur d'une même forme normative (ou « catégorie normative ») ; « Une telle construction peut également jouer à l'intérieur d'une seule catégorie normative où il n'y a, par hypothèse, aucune hiérarchie selon l'ordre de production. Une norme relevant de la catégorie Cᵢ (par exemple une loi) dira alors que si plusieurs normes de cette catégorie (plusieurs lois) rendent obligatoires, permis ou interdites des comportements qui ne sont pas simultanément réalisables, alors l'une d'elle seulement, répondante à certaines propriétés{P1, …, Pn} (par exemple celle qui a été produite plus tôt ou celle qui a été produite plus tard) s'appliquera. » ; cf. « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783, pp. 781-782.

547

1).

En droit international, un ensemble de principes généraux règlent la production, l'application et la

destruction des traités. En raison de la présence de dispositions constitutionnelles spéciales relatives à la

normativité interne des traités, la réglementation interne du droit conventionnel ne découle pas

uniquement des principes du droit international pertinents dans la sphère internationale . La pratique des

organes internes tend néanmoins à admettre que ces principes complètent les dispositions

constitutionnelles formelles relatives au droit international conventionnel, voire y dérogent lorsque leur

application aboutiraient à des solutions qui ne se trouvent pas synchrones avec l'état du droit

international (section 2)

Section 1 : La relation entre normes internationales non conventionnelles

De manière générale, il semble que le droit interne attache des effets juridiques propres aux différentes

normes internationales non conventionnelles eu égard à leur forme normative de droit international, et

ce, bien que la constitution les classifie dans une catégorie de normes unique et globale. En l'absence

d'une réglementation constitutionnelle spécifique, les principes généraux du droit international relatifs à

la dérogation s'appliquent dans le cadre du droit interne aux principes généraux de droit reconnus par

les nations civilisées (I), au ius cogens (II) et aux coutumes internationales (III).

I. Le caractère supplétif des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées

Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées sont mentionnés par l’article 38 §1 c.

du Statut de la C.I.J., à côté de la coutume, parmi les «sources24» du droit international (ci-dessous,

24 Le terme «source» est une expression très ambigüe : tantôt les «sources» sont les normes elles-mêmes en tant qu'elles fondent une autre norme (par exemple, les contrats ont pour «source» la loi), tantôt des éléments de procédure ayant certaines conséquences sur la formation d'une norme, à l'instar d'un acte juridique ou d'un fait juridique (la «source» d'un contrat est alors le consentement des parties). En d'autres circonstances, le terme de «source» peut aussi désigner le fondement de validité du droit et tout particulièrement son fondement de validité ultime supposé (par exemple, Dieu ou la société), ou encore tout ce qui peut exercer une influence non purement juridique sur l'état du droit (les normes morales, les principes politiques, la doctrine juridique...).

548

« principe général de droit reconnu »). Originellement extrait du système juridique interne25, l'entrée en

vigueur du principe général de droit reconnu en droit international est conditionnée par son existence

commune à l’ensemble des «ordres juridiques» in foro domestico et par son adaptabilité au système

juridique international26. Ce mode de formation conduit la doctrine à soutenir que les principes

généraux de droit reconnus produisent des effets juridiques réduits en droit interne étant donné que, par

nature, ils préexistent déjà en son sein. Le plus souvent, il suffirait donc qu'une juridiction se fonde sur

le principe tel qu'il existe en droit interne afin de résoudre le litige qui lui est soumis 27. Cet argument

semble discutable sur plusieurs points : 1. Formellement, il n'est pas exclu que le principe général de

droit reconnu soit supérieur dans la hiérarchie des normes à la norme interne prétendument semblable,

ce qui pourra d'ailleurs en certaines circonstances déterminer l'issue d'un litige ; 2. Matériellement, le

contenu du principe général de droit reconnu diffère du contenu du principe de droit interne à partir

duquel il est extrait. En effet, ses destinataires sont en principe les sujets de droit international, et non

les simples particuliers. Tandis que le principe originaire de droit interne ne vise pas le comportement

de l'État, le principe général de droit reconnu par les nations civilisées participe à la réglementation

opposable à l'État.

Le corpus jurisprudentiel interne relatif aux principes généraux de droit reconnus par les nations

civilisées se montre en l'état insuffisant pour tirer des conclusions systématiques quant à leurs éventuels

effets juridiques propres. Le juge interne les distingue certes des coutumes internationales, mais cela

n'est presque dans tous les cas que déclaratif28. Cela peut s'expliquer par leur fonction supplétive : les

25 La confusion entre «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées» et «principes généraux du droit international» apparaît couramment. Le «principe général du droit international» n'est pas une forme normative à part, mais une coutume abstraite et générale (par exemple, le principe du droit des peuple à disposer d’eux mêmes).26 Les principes généraux de droit reconnus sont transposés vers le système juridique international par analogie en trois phases : abstraction (dépouillement des principes), généralisation et implantation (y compris adaptation) au sein du système international ; cf. Prosper Weil, « Le droit international en quête de son identité – Cours général de droit international public », RCADI, vol. 237, 1992, pp. 9-370, spécialement pp. 146–147.27 Cf. par exemple l'opinion de : Walter Rudolf, Völkerrecht und Deutsches Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1967, 323 p., spécialement p. 255 et svtes ; Robert Walter, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p., pp. 168-169 ; Odile Debbasch, « Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international », in : Mélanges en hommage à Jean Boulouis – L'Europe et le Droit, Dalloz, Paris, 1991, 556 p., pp. 139-180, spécialement pp. 148-149 ; Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'État, Economica, Paris, 1996, 577 p., spécialement pp. 92-94 et pp. 406-446.28 Dans la jurisprudence allemande : cf. BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317) ; BVerfG 2 BvR 1243/03. Dans la jurisprudence française : la juridiction administrative considère que les principes généraux de droit reconnus ne sont en aucune manière visés par l’article 55 de la constitution, et que leurs modalités d'application sont assimilables à celles de la norme coutumière. Le Commissaire du gouvernement Gilles Bachelier annonce cette solution dans ses conclusions sur l’arrêt Aquarone : « la réponse que vous donnerez au présent litige préfigurera probablement celle qui pourrait être la votre à propos de ces principes » (C.E., Ass., 6 juin 1997, Aquarone, Leb., p. 206, Rec. 1997, p. 206 et svtes, p. 219). Le Commissaire du gouvernement Jacques Arrighi de Casanova confirme dans ses conclusions sur l’arrêt Paulin : « dans la mesure où les principes généraux du droit ne sont pas mentionnés dans [l'article 55], la solution vaut aussi, nécessairement, pour eux » (CE, 28 juillet 2000, Paulin, D. 2001, Rec. p. 317 ; Droit fiscal, 2001, p. 357, concl. Jacques Arrighi de Casanova). Cf. généralement : Charles-Edouard Delvallez, Le juge administratif et la primauté du droit communautaire, L'Harmattan, Paris, 2011, 358 p., spécialement pp. 79-83.Néanmoins, il se pourrait, selon le Conseil d'État, que les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées prévalent sur les coutumes internationales en droit interne : « ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume ou même un principe général de droit international sur la loi ». L’expression « même » utilisée signifierait, selon certains commentateurs, que

549

principes généraux de droit reconnus sont généralement applicables en l'absence d'une norme

internationale d'une autre forme normative réglementant le comportement en l'espèce, de sorte qu'ils ont

vocation à ne valoir qu'en tant que normes complémentaires (a). Cependant, il semblerait que ces

principes consistent aussi parfois en des normes autonomes susceptibles de déroger aux autres normes

internationales (b).

a. La fonction supplétive

Selon la Cour internationale de justice, les principes généraux de droit reconnus « permettent d'étendre

au maximum le domaine du droit judiciairement applicable29 ». Cette fonction supplétive se

manifesterait surtout dans les situations suivantes : éviter le non liquet30 (i) et étendre l'application du

droit à des domaines nouveaux (ii).

i. A défaut d'une autre norme internationale – coutumière ou conventionnelle – pertinente en l'espèce, il

appartient au juge d'appliquer les principes généraux de droit reconnus en tant que normes supplétives .

La Cour permanente de justice internationale fonde prioritairement ses décisions sur une norme

conventionnelle ou coutumière. A l'occasion de l'affaire du vapeur Wimbledon, la Cour estime ainsi à

l'encontre la position de l'Allemagne, qui défend que le droit de passage dans un canal international

s'analyse comme une servitude, qu'elle « n'a pas à prendre parti dans la question, d'ailleurs très

controversée, de savoir s'il existe vraiment dans le domaine du droit international, des servitudes

analogues au droit privé.31 »

le juge administratif considère que le principe général de droit reconnu est de valeur supérieure à celle de la coutume. 29 C.I.J., 18 juillet 1966, Statut international du Sud-ouest africain, Rec. 1966, p. 39.30 Il est vrai que les principes généraux de droit reconnus concourent à la complétude du système juridique international, mais uniquement matériellement, c'est-à-dire en son contenu. Leur applicabilité par le juge international en vue d'éviter le non liquet n'est nullement une nécessité pour la complétude du droit international puisque des normes formelles, c'est-à-dire de compétence, existent de toute façon en l'absence de normes matérielles. On pourrait en effet imaginer que, en l'absence d'une norme matérielle applicable à l'espèce, le juge se fonde uniquement sur sa compétence discrétionnaire (même en l'absence d'une compétence juridictionnelle, un autre principe de droit international attribue aux États eux-mêmes la compétence pour trancher un différend ; cf. Denis Alland, Justice privée et ordre juridique international. Étude théorique des contre-mesures en droit international public, A. Pedone, Paris, 1994, 503 p.). En résumé, le droit international est dans tous les cas complet, avec ou sans les principes généraux de droit reconnus censés assurer sa complétude. Dès lors, on peut considérer que les principes généraux de droit reconnus lient les juridictions internationales en tant que normes matérielles diminuant leur latitude d'appréciation discrétionnaire (et non l'inverse : le juge ne détermine pas le contenu de ces principes généraux de droit reconnus pour les appliquer en l'absence d'une autre norme pertinente). 31 C.P.I.J., arrêt, 17 août 1923, Vapeur Wimbledon (France/Allemagne), série A, n°1, p. 24.De même, La Cour internationale de justice, à l'occasion de l'affaire du droit de passage sur territoire indien, écarte l'application du principe général de droit reconnu relatif à la servitude au profit d'une coutume locale, en estimant néanmoins que : « les droits internes des nations civilisées sont unanimes à reconnaître que le titulaire d'un fonds enclavé a le droit, pour y accéder, de passer par les fonds intermédiaires […] il est rare de trouver un principe dégageant plus manifestement de la pratique universelle des États in foro domestico et répondant plus parfaitement aux exigences de l'article 38 §1, litt. c) du statut de la Cour » (C.I.J., 12 avril 1960, Droit de passage en territoire indien, Rec. 1960, pp. 11-12).A propos de l'applicabilité des principes généraux de droit reconnus aux contrats d'État, cf. Prosper Weil, « Principes généraux du droit et contrats d'État », in : Le droit des relations économiques internationales : études offertes à

550

ii. A travers les principes généraux de droit reconnus, certains domaines nouveaux du droit international

sont réglementés en l'absence de normes matérielles pertinentes d'une autre forme – conventionnelle ou

coutumière. Le régime de la fonction publique internationale en offre une illustration32. Les tribunaux

administratifs internationaux fondent leurs décisions sur des principes issus du droit administratif et du

droit judiciaire des États in foro interno, tant relatifs à la procédure qu'au fond : obligation de motiver,

non rétroactivité, révocabilité d'un acte administratif pendant un délai raisonnable, principe

hiérarchique. La Cour internationale de justice a par ailleurs identifié, sans se référer à l'article 38 du

Statut, le principe selon lequel les organisations internationales disposent d'une compétence pour créer

leurs propres tribunaux33, et le principe selon lequel les tribunaux ainsi créés sont responsables pour les

dommages causés par leur actes34. Outre le domaine du droit interne aux organisations internationales,

on observe aussi la positivité de principes généraux de droit reconnus en matière environnementale 35 ou

en matière pénale36.

Berthold Goldman, Litec, Paris, 1982, 427 p., pp. 387-414, spécialement p. 396.32 Cf. David Ruzié, Les fonctionnaires internationaux, A. Colin, Paris, 1970, 95 p. ; Chittharanjan F. Amerasinghe, The law of international civil service, vol. 2, as applied by international administrative tribunals, Clarendon, Oxford, 1988, 584 p ; Société française pour le droit international, Le contentieux de la fonction publique internationale, A. Pedone, Paris, 1996, 262 p.33 C.I.J., avis consultatif, 13 juillet 1954, Effets des jugements du T.A.N.U. accordant indemnités, Rec. 1954, p. 57 : la Cour internationale de justice estime que suivant les « principes de droit généralement reconnus », une décision juridictionnelle a force de chose jugée entre les parties. L'Assemblée générale de l'ONU n'est dès lors pas compétente pour réviser le jugement du tribunal administratif opposant en l'espèce des parties qui ne sont pas des États (le fonctionnaire demandeur et le Secrétaire général de l'ONU)34 C.I.J., 20 juillet 1962, avis consultatif, Certaines dépenses des Nations-Unies, Rec. 1962, p. 151 : la Cour internationale de justice estime que si une dépense est faite conformément au but de l'organisation internationale, elle est une dépense de l'organisation même si l'action a été entreprise par un organe non habilité à le faire. La Cour internationale de justice constate ici que le droit interne comme le droit international contiennent des situations où une personne morale de droit privé ou de droit public peut être liée par des tiers du fait d'un acte ultra vires de l'un de ses agents.35 C.P.I.J., ordonnance, 20 août 1929, Commission internationale de l'Oder ; C. I. J., arrêt, 25 septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), Rec. 1997, p. 7.36 La positivité de principes généraux de droit reconnus en matière pénale prête à discussion : Le Tribunal pénal de l'ex-Yougoslavie estime que les principes du droit interne ne sont pas tous aptes à être transposés en droit international : « les points de vue ou les approches judiciaires internes doivent être maniés avec la plus extrême prudence au plan international, de crainte de ne pouvoir tenir compte des conditions uniques de la procédure internationale » ; cf. arrêt, 29 octobre 1997, Blaskic. Les « principes généraux du droit pénal » énumérés par le Statut de la Cour pénale internationale, proches de ceux valables en droit interne (nulla poena sine lege, nullum crimen, imprescriptibilité, responsabilité individuelle...), ne seraient ainsi pas généralisables à l'ensemble du droit international. En effet, il ne s'agit pas en l'occurrence de reproductions dans le texte du traité de principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées – initialement extraits des systèmes juridiques internes – qui auraient déjà été valables en droit international. La validité internationale de ces « principes généraux du droit pénal » trouve pour seul fondement le Statut de la Cour pénale internationale, soit un traité international particulier, et leur sphère d'application ne s'étend pas au-delà. Les difficultés relatives à l'adaptabilité des principes internes du droit pénal à la sphère internationale avaient déjà été remarqués par Hans Kelsen, et ce, dès la Seconde Guerre mondiale. Hans Kelsen dit que la responsabilisation pénale de l'individu n'est nullement exclue dans le cadre du droit international, mais elle suppose une technique de spécification particulière distincte de celle du droit interne. Cf. notamment : Hans Kelsen, « Collective and individual responsibility in international law with particular regard to punishment of war criminals », California Law Review, vol. 31, 1943, pp. 530-571 ; Hans Kelsen, « The rule against ex post facto laws and the prosecution of Axis War Criminals », The Judge Advocate Journal, vol. 2, n°3, 1945, pp. 8-12.

551

b. L'autonomie des principes généraux de droit reconnus

L'applicabilité des principes généraux de droit reconnus ne dépendrait pas toujours, selon les

observations de la doctrine, de l'absence d'une autre norme pertinente pour le cas d'espèce37. Ces

principes – produits de manière sui generis par extraction des droits internes – prennent place parmi les

formes normatives autonomes du droit international dans le texte de l'article 38 du Statut de la C.I.J.38.

Cet article ne conditionne d'ailleurs aucunement leur positivité, sans doute largement antérieure39, mais

constate leur validité en droit international et oblige le juge international à les appliquer. La pratique

actuelle des juridictions internationales et supra-nationales, à l'instar de la Cour de justice de l'Union

européenne, de les appliquer, et ce, peu importe la présence d'une habilitation conventionnelle

spécifique40, témoigne de leur autonomie.

Les jurisprudences nationales insistent souvent sur la fonction supplétive des principes généraux de

droit reconnus par les nations civilisées : il s'agirait de normes destinées à assurer « la plénitude de

l’ordre juridique international »41, en contribuant à la détermination des modalités d’application des

normes internationales42. La Cour constitutionnelle fédérale allemande fait ainsi observer que : « les

règles générales concernent en premier lieu le droit coutumier universel valide, complété par les

principes généraux de droit reconnus »43.

37 Par ailleurs, rien n'exclut que le principe général de droit reconnu participe à la formation d'une autre norme internationale ou, plus radicalement, soit transformé en une norme conventionnelle ou coutumière, voire de ius cogens. La transformation du principe général de droit reconnu a pour effet juridique la perte de sa qualité propre, du moins pour les États liés par la norme coutumière ou conventionnelle nouvelle. Il en va par exemple ainsi du principe obligeant à indemniser en cas d'expropriation de biens étrangers ou de certains principes d'interprétation des traités codifiés par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.38 La positivité des principes généraux de droit reconnus précède celle de la Cour permanente de justice internationale et demeure autonome par rapport à la codification de l'article 38 du Statut de la C.I.J. ; cf. à propos de l'histoire de ces principes : Alain Pellet, Recherche sur les principes généraux du droit international, Thèse Paris II, 1974, 504 p.39 Leur application par les commissions mixtes anglo-américaines constituées par les traités Jay témoigne de leur positivité dès 1794. En raison de la pratique constante de ces principes généraux de droit reconnus, on peut supposer qu'un principe coutumier du droit international s'est formé, à un moment inconnu en l'état de nos connaissances, sur le fondement duquel ils sont dotés d'une force obligatoire (sont valides), en tant que forme normative propre, au sein du système juridique international.40 La doctrine considère souvent que les principes généraux de droit reconnus ne sont pas autonomes parce que, dans la plupart des cas, l'arbitre ou le juge international les applique sur le fondement d'une norme spécifique d'autorisation conventionnelle (par exemple, sentence Sapphire International Petroleum Ltd c. NIOC, 1963 : les parties à un contrat international, en se référant à des principes généraux telle la bonne foi, manifestent « leur volonté de se soustraire à une législation déterminée et de faire appel aux règles du droit, fondées sur la raison, commune aux nations […] consacrées comme source de droit par l'article 38 du statut de la Cour » ; cf. ILR, vol. 35, p. 136). Ce raisonnement est contestable : il convient en effet de distinguer l'étendue des normes de référence auxquelles un organe chargé de trancher les litiges est habilité à recourir et l'ensemble des normes valides au sein du système juridique en question (une norme pouura par exemple être valide sans être applicable par un organe donné en raison son habilitation restreinte).41 Prosper Weil, « Cours général de droit international public », RCADI, vol. 237, 1992, pp. 9-370., p. 209.42 En ce sens, cf. Béla Vitanyi, « les positions doctrinales concernant le sens et la notion de "principes généraux reconnus par les nations civilisées" », RGDIP, 1982, pp. 48-116.43 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317) ; BVerfG 2 BvR 1243/03 : « Bei den allgemeinen Regeln des Völkerrechts handelt es sich in erster Linie um universell geltendes Völkergewohnheitsrecht, ergänzt durch anerkannte allgemeine Rechtsgrundsätze. »

552

Le caractère autonome de principe généraux de droit reconnus se manifeste toutefois occasionnellement

dans les jurisprudences nationales, qui plus est avec admission de leur effet dérogatoire 44. A plusieurs

reprises déjà, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a appliqué ces principes de manière

autonome, et notamment le principe de standards minimaux en matière de procédure pénale45. Le

Conseil d’État français, en son arrêt Zaidi du 21 avril 200046, considère qu’en cas de concours de

plusieurs engagements internationaux, la détermination de leurs modalités d’application résulte des

« principes de droit coutumier » relatifs au droit conventionnel. L'expression « principes du droit

coutumier » employée par la juridiction administrative française englobe au moins partiellement les

principes généraux de droit reconnus, étant donné que quelque uns parmi ceux-ci, initialement extraits

des principes internes valables en matière d'engagements conventionnels, participent à la

réglementation des modalités d'application des traités internationaux (par exemple, la situation de force

majeure, cf. C.P.I.J., 22 juillet 1979, Emprunts serbes, série A n°20, pp.39-40 ; ou encore le principe

selon lequel « Nul ne peut se prévaloir de sa propre faute », cf. C.P.I.J., Usine de Chorzow, 1927, série A

n°9, p. 31).

En résumé, les organes internes semblent appliquer les principes généraux de droit reconnus eu égard à

leurs caractéristiques supposées de droit international47. Dans le cadre du droit interne, la force

dérogatoire dont ils sont dotés par rapport aux autres normes internationales ne va ni au-delà, ni en-

deçà, de celle qui leur est attribuée dans le cadre du droit international lui-même.

II. Le problème de l'indérogeabilité du ius cogens

En droit international, les normes de ius cogens ne sont pas des normes supérieures selon l'ordre de

production, puisqu'il s'agit de normes matérielles (prohibition du génocide, de la torture48, de la traite

44 Le Professeur Emmanuel Decaux dit même que « les "principes généraux de droit", passant par-dessus la tête des conventions, risquent, grâce au juge international, de se retrouver au sommet de la hiérarchie des normes internationales » ; cf. op. cit. note 4, p. 6.45 Décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 21 mai 1987, 2 BvR 1170/83. Cf. aussi, en matière de droit des étrangers : Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, C. Heymann, Cologne/Berlin, 1963, 205 p. , spécialement p. 125 et svtes.46 CE, 21 avril 2000, Zaidi, RFDA 2000, Rec. p. 707.47 A propos du droit français, cf. Odile Debbasch, op. cit. note 27.Suivant Robert Walter, un rang différencié de celui des coutumes internationales pourrait être attribué aux principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées en droit interne autrichien ; cf. op. cit. note 27, p. 169 (note 27). 48 Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie considère dans l'affaire Furundzija (1998) que « la répulsion universelle vis-à-vis de la torture a donné lieu à toute une série de règles conventionnelles et coutumières ayant une place élevée dans le système normatif international, une place comparable à celle d'autres principes, comme la prohibition du génocide, de l'esclavage, de la discrimination raciale, de l'agression, de l'acquisition de territoires par la force et de la suppression par la force du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'interdiction de la torture présente [des] traits importants qu'elle partage probablement avec les autres principes généraux protégeant les droits fondamentaux de l'homme » ; cf. décision du 10 décembre 1998, Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-

553

d'esclaves...) qui trouvent leur fondement dans un principe du droit international formel (celui prévoyant

leurs conditions de formation). En revanche, elles sont supérieures en force dérogatoire (caractère

indérogeable)49.

Les normes de ius cogens se différencient des normes coutumières par leur caractère indérogeable. En

tant que telles, les normes de ius cogens sont supposées bénéficier d'une prévalence totale sur les autres

normes internationales50, mais aussi, du moins selon une partie de la doctrine contemporaine, sur

l'ensemble du droit interne51. Et si, dans le cadre du droit interne, la prévalence des normes de ius

cogens sur les autres normes internationales semble en effet acquise, sauf peut-être en droit français en

raison de l'opposition initiale de l'État français à la formation de normes internationales liant les États

indépendamment de leur volonté ; il en va en revanche autrement de l'indérogeabilité des normes de ius

cogens dans leur relation avec les autres normes internes qui apparaît davantage problématique, car elle

dépend là des données constitutionnelles relatives à la normativité interne du droit international

général.

17/1-T.49 Suivant l'article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 : « Aux fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. » Cette situation juridique des normes de ius cogens soulève d'innombrables difficultés, et n'a manqué de provoquer l'intérêt de la doctrine récente : cf. inter alia : Stefan Kadelbach, Zwingendes Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1992, 383 p. ; Christian J. Tams, « Schwierigkeiten mit dem Ius Cogens », Archiv des Völkerrechts 40, 2002, pp. 331-349 ; Andreas L. Paulus, « Jus cogens in a time of hegemony and fragmentation », Nordic Journal of International Law, vol. 74, 2005, pp. 41-71 ; Stefan Kadelbach, « Jus Cogens, Obligations Erga omnes and other Rules – The identity of Fundamental Norms », in : Christian Tomuschat, Jean-Marc Thouvenin (éds), The Fundamental Rules of the International Legal Order, Martinus Nijhoff/Brill, Leyde/Boston, 2006, 471 p., pp. 21-40 ; Michael J. Glennon, « De l'absurdite du droit imperatif », RGDIP, vol. 110, 2006, pp. 529-536 ; Carlo Focarelli, « Promotional Jus Cogens: A Critical Appraisal of Jus Cogens' Legal Effects », Nordic Journal of International Law, vol. 77, 2008, pp. 429-459 ; Ulf Linderfalk, « Normative Conflict and the Fuzziness of the International ius cogens Regime », ZaöRV, vol. 69, 2009, pp. 961-977 ; Christian J. Tams, Enforcing Obligations Erga Omnes in International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 2010, 424 p.50 Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie estime, à l'occasion de l'affaire Furundzija (1998), qu'« une norme impérative ou jus cogens [est] une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier "ordinaire". La conséquence la plus manifeste est que les États ne peuvent déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n'ont pas la même valeur normative » ; cf. décision du 10 décembre 1998, Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T.. L'immunité de juridiction de l'État étranger semble néanmoins déroger en l'état actuel du droit au droit au recours au juge des particuliers en cas de violation du ius cogens (cf. infra : « Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger »)51 La doctrine suisse s'interroge sur la capacité des normes de ius cogens à limiter la révision de la constitution ; cf. Pascal Arnold, « Ius cogens als materielle Schranke der Verfassungsrevision », in : Thomas Fleiner, Peter Forster, Alexander Misic, Urs Thalmann (éds), BV-CF 2000 : Die neue schweizerische Bundesverfassung / La nouvelle Constitution suisse, Helbing & Lichtenhahn, 2000, 272 p., pp. 53-69. Par ailleurs, certains auteurs allemands ont envisagé une supra-constitutionnalité des normes de ius cogens, par exemple : Ingolf Pernice, « Art. 25 », in : Horst Dreier (éd.), Grundgesetz Kommentar, 2ème éd., J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2006.Il est vrai que la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 concrétise spécifiquement le ius cogens par une obligation de le respecter dans le cadre d'une révision constitutionnelle (art. 193 al. 4 à propos de la révision totale ; art. 194 al. 2 à propos de la révision partielle ; art. 139 al. 3 à propos de l'initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution).

554

α. La prévalence du ius cogens en droit allemand et en droit autrichien

La République fédérale d'Allemagne52 et la République d'Autriche ne se sont à aucun moment opposées,

dans la sphère internationale, à la formation d’un droit international indérogeable. Les jurisprudences

nationales fournissent relativement peu d'indications quant à la prévalence du ius cogens, ce qui

s'explique pour partie par la faible quantité de cas concrets de violation avérée du ius cogens.

i. La jurisprudence allemande affirme de manière constante que l’article 25 LF ouvre le droit interne

aux normes internationales dans « leur portée respective de droit international »53, cela impliquant,

selon le juge constitutionnel allemand, que le ius cogens forme une catégorie de normes différenciée de

la coutume, parmi les «règles générales du droit international» de l'article 25 LF54.

Et, dans une situation de conflit de normes, la Cour constitutionnelle fédérale applique prioritairement

le ius cogens sur les autres normes internationales, cela dès sa décision du 7 avril 196555, soit à un

moment où la positivité et le contenu même de ces normes semblent encore incertains dans le droit

international lui-même56. Le juge constitutionnel allemand constate alors l'indérogeabilité57 de certains

«droits élémentaires» du droit international («elementare Rechte»58) dans la sphère du droit

international. En l'espèce, la Cour considère que le principe selon lequel les étrangers ne sont pas tenus

de participer à la couverture des réparations de guerre n’est pas une telle norme de ius cogens.

Aussi, la Cour s'est à plusieurs occasions prononcée sur les effets juridiques internes d’actes juridiques

commis à l’étranger par des sujets étrangers qui transgressent les normes de ius cogens, à l'instar de

décisions de juridictions étrangères. Ces actes juridiques sont considérés comme nuls dans le système

juridique allemand, et cette nullité s'étend sur l'ensemble du territoire allemand59. Une telle nullité

trouve son fondement dans le principe de l’«ordre public60 allemand», c’est-à-dire un ensemble de

principes essentiels et indérogeables de la Loi fondamentale en matière de droits fondamentaux61,

52 Christian Hillgruber, « Dispositives Verfassungsrecht, zwingendes Völkerrecht ; Verkehrte juristische Welt ? », JöR, vol. 54, 2006, pp. 57-94.53 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (31) ; 16, p. 27 sqs. (32) ; cf. Hermann Mosler, Das Völkerrecht in der Praxis der deutschen Gerichte, C. F. Müller, Karlsruhe, 1957, 48 p. , spécialement p. 40 et svtes. 54 BVerfGE 18, p. 441 sqs. (448) ; cf. Rainer Hofmann, « Zur Bedeutung von Art.25 GG für die Praxis deutschen Behörden und Gerichte », in : Walther Fürst, Roman Herzog, Dieter C. Umbach, Festschrift für Wolfgang Zeidler, Walter de Gruyter, Berlin-New York, 1987, 1999 p., pp. 1885-1898., spécialement p. 1889.55 BVerfGE 18, p. 441 – AG in Zürich.56 L'entrée en vigueur de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 est postérieure. La Cour constitutionnelle fédérale s'appuie sur la doctrine pour démontrer l'existence de normes internationales dites « contraignantes », et notamment sur Alfred Verdross qui lui sert alors d'auteur de référence (Völkerrecht, 5ème éd., Springer, Vienne 1964, 690 p., spécialement p. 130).57 La Cour constitutionnelle fédérale utilise le terme de « contraignant » (pour une critique de cette terminologie, cf. supra « La condition de généralité, la condition de caractère absolue »).58 Cf. Eckart Klein, « Menschenrechte und ius cogens », in : Jürgen Bröhmer, Roland Bieber, Christian Callies, Christine Langefeld, Stefan Weber, Joachim Wolf (éds), Internationale Gemeinschaft und Menschenrechte, Festschrift für Georg Ress zum 70. Geburtstag, Cologne, 2005, 1647 p., pp. 151-163. 59 La question d'une telle nullité est quantitativement importante en matière de propriété privée à l'étranger : BVerfGE 84, p. 90 sqs. (123) ; BGHZ 20, p. 4 sqs. (12) ; 25, p. 134 sqs. (140). 60 En français dans le texte allemand. 61 BVerfGE 57, p. 9 sqs. (23) ; 59, p. 280 sqs. (282) ; 60, p. 348 sqs. (355) ; 63, p. 107 sqs. (206).

555

auxquels s'ajoute le ius cogens («ordre public international»)62.

La doctrine allemande constate que les normes de ius cogens ne sont autres que des droits matériels à

destination des individus qui, par leur contenu, leur sont déjà attribués à travers les droits fondamentaux

internes63. De plus, la protection constitutionnelle des droits fondamentaux va généralement64 au-delà de

celle établie par le droit international en ce qui concerne le ius cogens, qui est d'un contenu plus

«élémentaire». Il s'agit là d'une des explications du corpus jurisprudentiel peu développé en matière de

ius cogens : les organes internes se réfèrent premièrement aux droits fondamentaux internes – ce qui

apparaît dans la plupart des cas suffisant pour la protection des droits fondamentaux – et seulement

secondairement au droit international de ius cogens, surtout lorsque la situation qui leur est soumise

s'est pour partie produite en dehors de la sphère de souveraineté de l'État allemand65.

ii. La pratique autrichienne n'offre pas non plus beaucoup d'illustrations, ce qui n'empêche pas que la

question de la prévalence du ius cogens a fait l'objet de discussions :

Les cas d'application du ius cogens en tant que tel semblent rares en droit interne autrichien, ce qui peut

s'expliquer par la neutralité de l'État autrichien qui le conduit à peu s'impliquer dans des affaires

internationales mettant en cause des normes de ius cogens. Le potentiel du ius cogens en tant que

fondement de la destruction des traités internationaux qui ne lui sont pas conformes, dans le cadre des

procédures juridictionnelles des articles 140a66 ou 145 B-VG, est parfois évoqué par la doctrine67 et la

jurisprudence68. Le Professeur Bruno Simma remarque néanmoins que, dans un tel cas, la Cour

62 BVerfGE 75, p. 1 sqs. (19), à propos du principe ne bis in idem ; BGHZ 59, p. 82 ; BGH in : RIW 1986, p. 816 à propos d’exigences minimums de droit procédural pour les jugements d’arbitrage étrangers.63 Cf. inter alia : Jochen Abr. Frowein, « Die Verpflichtungen erga omnes im Völkerrecht und ihre Durchsetzung », in: Rudolf Bernhardt, Wilhelm Karl Geck, Günther Jaenicke, Helmut Steinberger (éds), Völkerrecht als Rechtsordnung - Internationale Gerichtsbarkeit – Menschenrechte, Festschrift für Hermann Mosler, Springer, Berlin, 1983, 1057 p. pp. 241-262 ; Eckart Klein, op. cit. note 58 ; Christian Tomuschat, « Reconceptualizing the Debate on Jus Cogens and Obligations Erga Omnes – Concluding Observations », in : Christian Tomuschat, Jean-Marc Thouvenin (éds), The fundamental rules of the international legal order: Jus Cogens and obligations erga omnes, 2006, Martinus Nijhoff, Leyde, 474 p., pp. 425-436.64 Mais non nécessairement, car les normes de ius cogens restent dans tous les cas indérogeables, tandis qu'un droit fondamental interne, par ailleurs existant sous forme de norme de ius cogens, peut être limité dans sa concrétisation par une procédure interne telle que la réserve de la loi (supposons, par exemple, une loi de lutte contre le terrorisme autorisant certains moyens de torture dans des cas d'extrême urgence et gravité). A propos de la torture, cf. Erika de Wet, « The Prohibition of Torture as an International Norm of jus cogens and Its Implications for National and Customary Law », EJIL, vol. 15, 2004, pp. 97-121. 65 Cf. Hans Stoll, « Völkerrechtliche Vorfragen bei der Anwendung ausländischen Rechts », BDGV, vol. 4, 1961, pp. 131-163 ; Gunther Elbing, Zur Anwendbarkeit der Grundrechte bei Sachverhalten mit Auslandsbezug, Duncker & Humblot, Berlin, 1992, 332 p. ; Rainer Hofmann, Grundrechte und grenzüberschreitende Sachverhalte, Springer, Berlin/Heidelberg, 1994, 374 p. ; Dagmar Coester-Waltjen, Herbert Kronke, Juliane Kokott, Die Wirkungskraft der Grundrechte bei Fällen mit Auslandsbezug : Referate und Thesen, C.F. Müller, Heidelberg, 1998, 154 p.66 Article 140a B-VG : « (1) La Cour constitutionnelle statue sur la légalité et la constitutionnalité des traités internationaux. [...] »67 Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement pp. 268-269.68 Cour constitutionnelle, 29 novembre 1985, Slg 10705 (à propos du principe des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, supposé être une composante du ius cogens) ; Cour suprême, 23 mais 1996, 6Ob2/96.

556

constitutionnelle ne pourrait que constater la nullité du traité international en question, puisque la

violation d'une norme de ius cogens entraîne déjà la nullité de la norme litigieuse dans la sphère

internationale69, sans qu'une procédure de destruction soit requise.

β. L'opposition de la République française au ius cogens par le passé, facteur de doutes quant à sa

prévalence dans la pratique interne

La question de l'indérogeabilité du ius cogens a été posée à plusieurs reprises à la Cour de cassation.

Dans l'affaire relative à l'attentat du 19 septembre 1989 dit DC-10 UTA, tranchée par un arrêt de la Cour

de cassation en date du 13 mars 200170, une coutume internationale entre en collision avec une norme

de ius cogens. En l'espèce, la coutume est le principe d'immunité de poursuites du chef de l'État en

exercice devant les juridictions pénales d’un État étranger, invoquée au bénéfice du chef d'État lybien

Mouammar Kadhafi auquel le crime est imputé ; la norme de ius cogens en question prohibe les actions

terroristes, ici l'explosion d'un avion de ligne sur ordre d'un chef d'État.

Le juge judiciaire français se trouve devant l'alternative suivante : soit la coutume internationale71

empêche la poursuite du chef de l'État auteur d'une violation du ius cogens ; soit la norme de ius cogens

déroge à la protection coutumière du chef de l'État.

L’avocat général Jean-Yves Launay propose dans ses conclusions de maintenir l'immunité de

juridictions du chef de l'État en raison d'incertitudes relatives au ius cogens. La norme de ius cogens en

question soulèverait en effet des difficultés d'identification : « il serait […] audacieux, pour ne pas dire

inconséquent, de prétendre qu’il existe déjà, d’ores et déjà, en vertu d’un "jus cogens", […] une

exception à l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers pour certains crimes considérés comme

d’une exceptionnelle gravité au regard du droit international, alors qu’il reste, de surcroît, à définir les

crimes susceptibles d’être retenus comme tels »72. De plus, il n'est pas même certain que la République

française soit destinataire de normes de ius cogens, étant donné qu'elle a constamment refusé d’être liée

par cette nouvelle sorte de normes «absolues et indérogeables», ce qui caractérise clairement un

69 Bruno Simma, op. cit. note 67, spécialement p. 269.70 Cass. crim., 13 mars 2001, Procureur général près la Cour d'appel de Paris c/ Association SOS attentats et autres, n° 00-87.215, Bull. crim. n° 64. Cf. Florence Poirat, « Immunité de juridiction pénale du chef d’État étranger en exercice et règle coutumière devant le juge judiciaire », RGDIP, vol. 105, 2001, p. 473 et svtes ; Carlo Santulli, « Coutume internationale et juge national : qui peut quoi ? A propos de l'immunité du chef de l'État étranger dans l'affaire Kadhafi », JDI, 2002, pp. 804-813 ; Jean-François Roulot, « La coutume du droit international pénal et l'affaire «Kadhafi» », D. 2001, pp. 2631-2633. Cf. aussi plus généralement : Martin Gallié, Hélène Dumont, « La poursuite de dirigeants en exercice devant un forum international pour des crimes internationaux – le cas de la France », Revue québécoise de droit international, vol. 18.2, 2005, pp. 39-64. 71 La Cour de cassation qualifie clairement la norme en question de «coutume internationale» dans son arrêt du 13 mars 2001: « Attendu que la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’État en exercice puissent, en l’absence des dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger ». La norme entrant en l'espèce en conflit avec la norme de ius cogens est une norme coutumière et non une norme conventionnelle. En cela, le conflit de normes n'entre pas dans ceux réglementés par les articles 53 et 64 de la convention de Vienne sur le droit des traités (norme conventionnelle s’opposant à une norme internationale de ius cogens). 72 Concl. Jean-Yves Launay, GP mai-juin 2001, I, pp. 772-777.

557

comportement d'objecteur persistant.

L'argumentation, si elle semble contestable en ce qu'un État n'est précisément pas habilité à rejeter le

ius cogens73, s'appuie uniquement sur les données du droit international74. En l'espèce, la Cour de

cassation suit les conclusions de l'avocat général, ce qui témoigne d'une certaine synchronie avec le

droit international : « en l’état du droit international, le crime dénoncé, quel qu’en soit la gravité ne

relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en

exercice ». Cette affaire peut sembler typique du traitement du droit international par le juge ordinaire

français : d'un côté, le juge applique le droit international « en tant que tel » ; de l'autre côté, il

surestime, entre autres par idéologie souverainiste, la volonté de l'État à laquelle il accorde des

conséquences juridiques dont elle est en réalité dépourvue dans la sphère du droit international.

III. Les « règles de solution de conflit » entre normes coutumières

En l'état des systèmes juridiques nationaux positifs, aucune norme interne ne justifie de ne pas appliquer

au sein du système juridique interne les mêmes « règles de solution de conflit » qu'au sein du système

juridique international en cas de conflit entre normes coutumières75, notamment lorsqu'elles se

succèdent dans le temps (principe lex posterior prévoyant la primauté de la norme la plus récente) ou

encore lorsqu'une norme coutumière spéciale déroge à une coutume d'un contenu plus général (lex

specialis). En résumé, les principes du droit international relatifs à la dérogation semblent applicables

73 Theodor Meron, The Humanization of International, Martinus Nijhoff, Leyde/Boston, 2006, 551 p., spécialement p. 376. 74 La requête formée devant la Cour européenne des droits de l'homme dans la même affaire n'a pas abouti, ce qui tend à confirmer que la décision de la Cour de cassation ne se trouve pas par elle-même en violation du droit international. La Cour européenne radie du rôle la requête déposée par l’association SOS Attentats et la soeur d’une des victimes de l’attentat, au motif qu'un accord d’indemnisation conclu avec les autorités libyenne en date du 9 janvier 2004 est constitutif d'une réparation pour les familles des victimes (Cour européenne des droits de l'homme, 4 octobre 2006, SOS Attentats et Béatrix de Boëry contre la France, requête n°76642/01).En l'espèce, le recours est formé devant la Cour européenne des droits de l'homme par invocation de l'article 6§1 de la Convention : les requérants s'estiment privés d'un droit au juge de par l'immunité persistante du chef de l'État. Toutefois, selon le gouvernement français : « grâce à l'action diplomatique engagée à cette fin, les requérantes ont obtenu une réparation [non juridictionnelle par le biais d'un accord prévoyant une forte indemnisation des familles des victimes financée par l'État lybien] ; La France aurait ainsi fait en sorte que les règles du droit international n'aient pas pour conséquence l'altération du droit matériel des victimes. […]. le droit international coutumier, ainsi que l'a confirmé la Cour internationale de justice, impose aux États de respecter le principe de l'immunité de juridiction des chefs d'États étrangers en exercice : il s'agit là d'une obligation. […]. La restriction du droit d'accès à un tribunal […] était proportionnée au but poursuivi. » (§ 17 ; §§ 20-21). L'État français se défend en se référant au droit international lui-même : la réparation du préjudice par cet accord est en droit international «un fait», au même titre qu'un jugement interne, et il est dès lors indifférent que cette obligation de réparation se réalise par une procédure juridictionnelle ou par une action diplomatique. La Cour européenne des droits de l'homme donne raison à l'État français. 75 Cf. Erich Vranes (2005), op. cit. note 6 ; Erich Vranes (2006), op. cit. note 19 ; Michael Byers, Custom, Power and the Power of Rules: International Relations and Customary International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1999, 250 p.

558

sans restriction par les organes internes dans le cas où le «conflit» se situe entre normes internationales

de la même forme normative.

Globalement, les organes internes du droit synchronisent leurs solutions avec l'état du droit

international:

α. L'article 25 LF et l'article 9 B-VG en tant que transformateurs des règles de solution de conflit du

droit international

L’article 25 LF transpose en droit interne les règles de solution de conflit du droit international « dans

leur portée respective de droit international76 », y compris donc les principes lex posterior priori

derogat et specialia generalibus derogant qui sont les principales normes réglant les conflits entre

normes de forme coutumière dans la sphère internationale. En outre, le principe du droit international

habilitant les États à écarter l’application de certaines normes coutumières «en certaines circonstances

particulières» est aussi valide en droit interne allemand. A plusieurs occasions, la Cour constitutionnelle

fédérale a ainsi estimé que l'application d'une coutume internationale est en l'espèce suspendue pour des

raisons qui tiennent au droit international général lui-même : mise en œuvre du droit individuel ou

collectif de légitime défense77, représailles justifiées par le droit international78, absence de réciprocité

lorsqu'elle est exigée ou autorisée par le droit international7980.

L'article 9 B-VG agit de même que l'article 25 LF en tant que « transformateur continu » (« Dauernder

Transformator »). La validité internationale des coutumes internationales reste, aussi bien au stade de la

production que de la destruction, indépendante de l'article 9 B-VG qui a pour seul effet de transformer

ces normes en tant que composantes du droit fédéral de manière dynamique, c'est-à-dire suivant les

modifications du droit international lui-même81.

β. La synchronie avec l'état du droit international coutumier illustrée par la pratique française en

matière de pêche maritime

La jurisprudence du juge judiciaire français relative à l'exercice de la pêche maritime par des

ressortissant espagnols82 met en œuvre diverses normes internationales coutumières régissant la

76 BVerfGE 46, p. 342 sqs (403)77 BVerfGE 66, p. 39 sqs. (64) ; 77, p. 170 sqs. (232).78 Cf. Christian Tomuschat, « Repressalie und Retorsion – Zu einigen Aspekten ihrer innerstaatlichen Durchführung », ZaöRV, vol. 33, 1973, pp. 179-221. 79 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300, 305).80 A propos du principe de réciprocité applicable au droit international coutumier, cf. inter alia : Bruno Simma, Das Reziprozitätselement in der Entstehung des Völkergewohnheitsrechts, Fink, Munich/Salzbourg, 1970, 82 p. 81 Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, spécialement pp. 347-351.82 Sur l'ensemble de l'état du droit relatif aux affaires de la pêche maritime des ressortissants espagnols, cf. notamment : Christian Philip, « Pêche : droit des pays tiers » (note sous les arrêts du 8 décembre 1981 de la C.J.C.E. dans les affaires jointes 180/80, 266/80 et 181/80), AFDI, 1981, pp. 322-329 ; Patrick Daillier, « Le régime de la pêche maritime des ressortissants espagnols sous juridiction des États membres de la CEE (1977-80) », Revue du marché commun, vol. 256, 1982, pp. 187-192 ; Roger Jeannel, « L'incident de pêche franco-espagnol du 7 mars 1984 dans le golfe de Gascogne »,

559

compétence de l'État dans l'espace maritime.

La Cour d'appel de Rennes est saisie de l'affaire Rego Sanles83. En l'espèce, un pêcheur espagnol est

surpris en train d'exercer son activité dans la zone économique exclusive française des 188 miles

marins, dans le Golfe de Gascogne, sans être titulaire d'une licence délivrée par la C.E.E. 84, ce qui est

interdit aux étrangers par la loi française n° 76-655 du 16 juillet 1976 et son décret d'application du 11

février 1977 créant une zone économique au large des côtes du territoire de la République. Le pêcheur

espagnol conteste la compétence de l'État français de légiférer dans cet espace maritime. L'état du droit

international est alors le suivant : la Convention de Genève du 29 avril 1958 codifiant le droit coutumier

de la mer prévoit que l'État riverain ne dispose d'aucun droit au-delà d'une bande adjacente à son

territoire et dont la largeur ne doit pas excéder 12 milles marins. Cependant, ce principe de la

Convention de Genève sur la haute mer est abrogé dans un délai relativement bref par une nouvelle

coutume internationale, celle de la zone économique exclusive des 200 milles 85. Par ailleurs, une autre

coutume internationale particulière permettait aux pêcheurs espagnols d'exercer leur activité dans le

Golfe de Gascogne. De même que la coutume générale codifiée par la Convention de Genève, cette

coutume particulière a été abrogée par la nouvelle coutume internationale.

La Cour d'appel de Rennes fonde sa décision premièrement sur le droit international général lui-même

et, secondairement, sur le droit interne, pour constater au final la conformité de ce dernier au droit

international. La juridiction judiciaire observe que : « le droit de Genève est abrogé par la pratique

généralisée des zones économiques exclusives de 188 milles86, pratique au demeurant suivie par

l'Espagne, qui, depuis février 1978, a créé sans solliciter l'avis de qui que ce fût, sa propre zone

économique. » La Cour d'appel de Rennes approfondit son analyse en décelant les deux conditions de la

formation de la coutume, praxis et opinio juris87 :

En ce qui concerne l'élément matériel, le juge rappelle que « la plupart des pays se sont attribués

une zone maritime, dans laquelle ils se réservent toutes possibilités d'autoriser ou d'interdire la pêche

aux sujets des États étrangers ». A propos de la durée brève de la pratique des États, la Cour d'Appel de

AFDI, 1986, pp. 736-740 ; Gilbert Apollis, « La réglementation des activités halieutiques dans l'Acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal à la C.E.E. », AFDI, 1986, pp. 837-867 ; R.R. Churchill, N.G. Foster, « European Community Law and Prior Treaty Obligations of Member States: The Spanish Fishermen's Cases », ICLQ, vol. 36, 1987, p. 504 et svtes ; Yves Rodriguez, Hélène Ruiz Fabri, Les Droits des pêcheurs espagnols dans l'Europe bleue, Presses Universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 1995, 328 p. 83 C.A. Rennes, 26 mars 1979, Rego Sanles, J.D.I. 1980, p. 854 ; cf. aussi l'affaire précédente : C.A. Rennes, 9 mai 1978, Martinez Queiruga. A propos des deux affaires, cf. Charles Vallée, « Sur quelques poursuites engagées contre des pêcheurs espagnols ayant pratiqué la pêche dans les eaux territoriales ou dans la zone économique de la France », RGDIP, 1979, pp. 220-245. 84 L'Espagne n'est au moment des faits pas encore membre de la C.E.E., de telle sorte que les pêcheurs espagnols ne sont pas protégés par le principe de non-discrimination entre ressortissants communautaires.85 La loi française prévoit une zone économique exclusive (188 milles), en-deçà de l'autorisation de droit international prévue par la nouvelle coutume internationale (200 milles).86 le juge confond ici les données de loi française (188 milles) et de la coutume internationale (200 milles).87 La nouvelle coutume internationale est alors déjà identifiée par la doctrine. Ainsi, selon le Professeur Jean-Pierre Queneudec : « le quasi-consensus auquel est parvenue en ce domaine l'actuelle Conférence sur le droit de la mer a fini par produire une règle de nature coutumière trouvant désormais sa traduction dans une pratique assez largement concordante » ; cf. « Chronique du droit de la mer », AFDI, 1977, pp. 730-744, spécialement p. 739.

560

Rennes adopte la position avancée par la Cour internationale de justice, à l'occasion de l'affaire du

Plateau continental de la mer du Nord88, selon laquelle la répétition d'un comportement sur un temps

bref devient suffisante si ce comportement est fréquent et uniforme, ce qui est bien le cas en l'espèce. La

Cour d'Appel de Rennes joint des observations théoriques à cette argumentation : « le fait ayant ainsi,

comme toujours précédé le droit, il est apparu vers 1970 que le droit de Genève devait être remplacé »

et que la nouvelle coutume internationale fait partie « d'un droit coutumier, très vite bâti, parce que

l'histoire s'accélère ».

La présence de l'élément psychique paraît aussi certaine : « un consentement général pour

reconnaître aux États pourvus d'un littoral des droits exclusifs sur une zone de 188 milles, au-delà des

12 milles de la mer territoriale » suffit à la formation d'une nouvelle norme internationale, étant donné

que « l'absence d'un traité formel […] s'explique uniquement par un défaut provisoire d'entente sur le

statut des fonds marins au-delà de la zone économique ».

L'entrée en vigueur de la coutume internationale nouvelle entraîne non seulement l'abrogation du

principe de la Convention de Genève du 29 avril 1958 sur la pêche et la conservation des ressources

biologiques de la haute mer, mais aussi celle de la coutume locale relative au droit des pêcheurs

espagnols dans le Golfe de Gascogne : « cette coutume, si coutume il y a, a été remplacée par une autre,

d'une force et d'une étendue bien plus grandes. »

Tous ces éléments conduisent la Cour d'appel de Rennes à conclure à la conformité du droit interne au

droit international, l'État français disposant de la plus large compétence pour l'« exercice des droits

souverains à l'intérieur de la zone économique ».

Saisie d'un pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, la chambre criminelle de la

Cour de cassation l'annule; par sa décision du 7 juillet 1980 89, non pour une violation sur le fond des

normes applicables en l'espèce, parmi lesquelles figurent les règles de solution de conflits du droit

international, mais au motif du non respect par le juge du fond de l'habilitation qui lui est attribuée. La

Cour de cassation affirme en effet qu'il n'« appartient [au juge ordinaire] de se prononcer sur le maintien

en vigueur d'une convention internationale non dénoncée ». Les commentateurs de l'époque approuvent

largement cette solution, en estimant que dès lors qu'un traité international ratifié par la France et publié

n'a pas été expressément dénoncé, le juge interne est tenu de s'en remettre au gouvernement pour se

prononcer sur le maintien des obligations conventionnelles à l'égard de l'État français90.

L'affaire relève aussi, outre du droit international général, du droit communautaire dont certains

règlements91 prévoient la «communautarisation» du droit de la pêche, en fixant notamment l'obligation

d'une licence de pêche aux navires battant pavillon espagnol exerçant leurs activités dans la zone

88 C.I.J., 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord, Rec. 1969, p. 389 Cass. crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim. 1980, p. 563 ; Gaz. pal. 1981, I, p. 106, note P.L.G.90 Cf. notamment : Jean-François Lachaume, « jurisprudence française concernant le droit international public – Année 1980 », AFDI, vol. 27, 1981. pp. 800-854, p. 803.91 Les règlements n° 2160/77, 1744/78 et 1719/80 du Conseil des Communautés fixant certaines mesures intérimaires de conservation et de gestion des ressources de pêche applicables aux navires battant pavillon de l'Espagne.

561

comprise entre 12 et 200 milles marins des lignes de base des États membres de la C.E.E.. La Cour de

cassation demande, par la voie de la procédure du renvoi préjudiciel, à la Cour de justice des

Communautés européennes de se prononcer sur l'opposabilité aux ressortissants extra-communautaires

de la réglementation communautaire applicable en l'espèce. Suivant le droit international, le conflit

entre une norme coutumière et une décision d'organisation internationale n'existe que dans les cas où le

litige oppose des États membres de l'organisation : les autres sujets de droit ne sont liés que par la

coutume et seuls des actes juridiques compatibles avec cette norme coutumière leur sont opposables. Et,

dans sa décision du 8 décembre 1981, Crujeiras Tome92, la Cour de justice se fonde sur ce principe du

droit international dans le cas de la relation avec un État tiers. Selon la juridiction communautaire, la

norme coutumière antérieure ne devient inopposable que pour autant que la réglementation

communautaire soit conforme à la nouvelle norme internationale coutumière ; si tel est bien le cas,

l'ancienne norme coutumière n'est pas utilement invocable par les ressortissants des États tiers.

En l'état des droits positifs nationaux, rien n'empêche l'application par les organes internes des « règles

relatives à la dérogation » du droit international dans les cas de conflits entre normes internationales

non conventionnelles. En revanche, la synchronie du droit interne avec le droit international apparaît

souvent limitée lorsqu'il s'agit d'un conflit entre une norme internationale non conventionnel et un traité

international, et ce, en raison d'une réglementation constitutionnelle différenciant le droit international

général et le droit international conventionnel.

Section II. La relation entre les règles générales du droit international et les traités

α. Les principes généraux du droit international réglementant le droit conventionnel

Le droit international conventionnel est réglementé par un ensemble de principes généraux du droit

92 D'autres décisions relatives à l'activité des pêcheurs espagnols dans la zone économique française sont jointes : C.J.C.E., affaires jointes 180/80, 181/80 et 266/80, 8 décembre 1981, Crujeiras Tome ; Tome c. Procureur de la République, Yurrita ; Procureur général c. Arbelaiz-Ermazabel ; Rec. 1981, p. 2961 et svtes. A propos des circonstances d'espèce, cf. Christian Philip, op. cit. note 82.

562

international : principes relatifs à la production, l'application et la destruction des traités

internationaux93, dont pacta sunt servanda, principes réglementant les conflits de normes, aussi bien

entre traités internationaux qu'entre traité et norme non conventionnelle94, principes relatifs à la

situation des États tiers95, principes relatifs à la responsabilité, principes relatifs à l'applicabilité

directe96, régime spécial des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme97, etc.

L'application des normes internationales non conventionnelles en tant que principes réglementant le

droit conventionnel est particulièrement visible dans le cas de la France 98 qui, contrairement à

l'Allemagne99 et à l'Autriche, n'a pas ratifié la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai

1969100. Par ailleurs, l'Union européenne applique aussi les principes généraux du droit international

pour la réglementation du droit conventionnel101. Et le droit international non conventionnel demeure

93 Cf. inter alia, dans une littérature immense : Georges Berlia, « Contribution à l'interprétation des traités », RCADI, vol. 114, 1965, pp. 283-333 ; Ludwik Ehrlich, « L'interprétation des traités », RCADI, vol. 24, 1928, pp. 1-145 ; Taslim 0. Elias, « Problems concerning the validity of treaties », RCADI, vol. 134, 1971, pp. 333-416 ; Francis G. Jacobs, Shelley Roberts (éds), The Effect of Treaties in Domestic Law, Sweet & Maxwell, Londres, 1987, 288 p. ; Hans Kelsen, P.I.L., spécialement pp. 454-506 ; Alfred Verdross, « Forbidden Treaties in International Law », AJIL, vol. 31, 1937, pp. 571-577.94 Cf. inter alia : Hans Aufricht, « Supersession of Treaties in International Law », Cornell Law Quarterly, vol. 37, 1951-52, pp. 655-698 ; ; Richard R. Baxter, « Treaty and Custom », RCADI, vol. 129, 1970, pp. 25-106 ; Tomer Broude, Yuval Shany (éds), Multi-Sourced Equivalent Norms in International Law, Hart, Oxford, 2011, 344 p. ; Yoram Dinstein, « The interaction between customary international law and treaties », RCADI, vol. 322, 2006, pp. 243-428 ; Wolfram Karl, Vertrag und spätere Praxis im Völkerrecht, Springer, Berlin/Heidelberg 1983, 438 p. ; Wilfred Jenk, « Conflict of Law-Making Treaties », BYIL, vol. 30, 1953, pp. 401-453 ; Wilhelm Heinrich Wilting. Vertragskonkurrenz im Völkerrecht. Carl Heymanns, Cologne/Berlin/Bonn/Munich, 1996, 266 p. ; Manfred Zuleeg, « Vertragskonkurrenz im Völkerrecht, Teil I: Verträge zwischen souveränen Staaten », GYIL, 1977, pp. 246-276 ; Manfred Zuleeg, « Vertragskonkurrenz im Völkerrecht. Teil II : Verträge zwischen beliebigen Völkerrechtssubjekten », GYIL, 1984, pp. 367-38595 Philippe Cahier, « Le problème des effets des traités à l'égard des états tiers », RCADI, vol. 143, 1974, pp. 589-736. 96 Cf. inter alia : Karel Vasak, « Was bedeutet die Aussage, ein Staatsvertrag sei self-executing ? » JBl, 1961, p. 621 et svtes ; Joe Verhoeven, « La notion d'applicabilité directe du droit international », Revue belge de droit international, 1980, pp. 243-264 ; Thomas Buergenthal, « Self-Executing and Non-Self-Executing Treaties in National and International Law », RCADI, vol. 235, 1992, pp. 303-400 ; Karl Kreuzer, « Die unmittelbare Anwendbarkeit völkerrechtlicher Verträge », JA 1998, p. 731 ; Albert Bleckmann, « Self-executing Treaty Provisions », in : Rudolf Bernhardt (déd.), Encyclopedia of Public International Law, tome 4, North-Holland Elsevier, Amsterdam, 2000, pp. 374-377 ; Carlos Manuel Vázquez, « The Four Doctrines of Self-Executing Treaties », AJIL, vol. 89, 1995, pp. 695-723.97 Cf. inter alia : Ian Seiderman, op. cit. note 7 ; Oona Hathaway, « Do Human Rights Treaties Make a Difference ? », Yale Law Journal, vol. 111, 2002, pp. 1935-2042.98 A propos de l'applicabilité des normes de la Convention de Vienne sur le droit des traités à l'État français, cf. notamment : Julien Cazala, « Le résultat manifestement absurde ou déraisonnable de l'interprétation dans l'affaire de l'apurement des comptes (Pays-Bas c. France) », AFDI, vol. 50, 2004. pp. 624-652, spécialement pp. 626-637.99 Cf. spécialement à propos des effets en droit interne allemand de la Convention de Vienne sur le droit des traités : Georg Ress, « Verfassungsrechtliche Auswirkungen der Fortentwicklung völkerrechtlicher Verträge », in : Walter Fürst, Roman Herzog, Dieter C. Umbach (éds), Festschrift für Wolfgang Zeidler, Walter de Gruyter, Berlin/New York, 1987, 1999 p., pp. 1775-1797.100 Olivier Deleau, « les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, 1969, p. 7 et svtes.101 A propos de l'applicabilité des normes contenues dans la Convention de Vienne en droit de l'Union européenne : Dans la doctrine, cf. inter alia : Philippe Manin, « The European Communities and the Vienna Convention on the Law of Treaties between States and International Organisations or between International Organisations », Common Market Law Review, vol. 24, 1987, pp. 457-481 ; Pieter J. Kuiper, « The Court and the Tribunal of the EC and the Vienna Convention on the Law of Treaties 1969 », Legal Issues of Economic Integration, 1998, pp. 1-23 ; Jan Klabbers, « Re-inventing the Law of Treaties: the Contribution of the EC Courts », Netherlands Yearbook of International Law, 1999, pp. 45-74.Dans la jurisprudence, cf. notamment : CJCE, 27 février 1962, Commission c/ République italienne, aff. 10/61, Rec. p. 1

563

même, au moins partiellement, applicable aux États parties à la Convention de Vienne sur le droit des

traités, étant donné que le « traité des traités102 » n'a pas eu pour effet de l'abroger totalement. Il arrive

ainsi que les principes non conventionnels du droit international coexistent avec la Convention de

Vienne, et ce, même lorsque leur sphère d'application est conjointe (par exemple, l'effet du ius cogens

sur les traités internationaux non-conformes, les principes relatifs à l'applicabilité directe, pacta sunt

servanda). La Cour internationale de justice dit que « les règles du droit international conservent une

existence et une applicabilité autonome par rapport à celles du droit international conventionnel, lors

même que les deux catégories de droit ont un contenu identique.103 » ; de plus « le fait que les principes

[…] sont codifiés ou incorporés dans les conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent

d'exister et de s'appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à l'égard des pays qui sont

parties aux dites conventions104 ».

Les constitutions nationales contiennent toutes une réglementation spécifique relative au droit

international conventionnel par laquelle il est différencié, dans le cadre du droit interne, du droit

international général (les dispositions constitutionnelles principales relatives aux traités internationaux

étant l'article 50 B-VG, l'article 59 LF et l'article 55 de la Constitution française). A travers les

dispositions constitutionnelles spécifiques, la constitution détermine parfois des principes relatifs aux

traités internationaux différenciés de ceux du droit international : attribution d'un rang dérogatoire

propre aux traités internationaux, qui les différencie des coutumes malgré leur équivalence de principe

en droit international105, application des traités internationaux conditionnée par la réciprocité...

; CJCE, 26 octobre 1982, Hauptzollamt Mainz contre CA Kupferberg & Cie KG aA, aff. 104/81, Rec. 3641, §18 ; CJCE, 19 octobre 1989, Hoesch AG et RFA c. Bergrohr GmbH, aff. 142/88, Rec., p. 3413, spécialement §30 : principe d'exécution de bonne foi des traités conclus par la Communauté ; Plus généralement, à propos des normes internationales en tant que principes du droit conventionnel dans la sphère du droit de l'Union européenne : Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, Giving Effect to Customary International Law through European Community Law, Université catholique de Louvain, Institute for International Law, Working Paper n° 25, Juin 2002, 49 p, particulièrement pp. 31-44. Par exemple, à propos du principe du droit international déterminant les conditions de l'effet direct des traités internationaux, cf. CJCE, 30 septembre 1987, Meryem Demirel contre Ville de Schwäbisch Gmünd : « une disposition d' un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'a l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise, qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur. » (aff. 12/86, Rec. 1987, p. 3719, §14).102 Cf. Richard Kearney, Robert Dalton, « The Treaty on Treaties », AJIL, 1970, pp. 495-561.103 C.I.J., arrêt du 27 juin 1986, Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), Rec. 1986, p. 14 sqs. (p. 96) : les États-Unis d'Amérique sont liés par les principes de non-emploi de la force et de non intervention par la Charte de l'ONU ainsi que par le droit international coutumier. Plus généralement, un sujet de droit international peut être lié par une obligation internationale de même contenu simultanément par un traité international et une norme coutumière. Cf. Arthur M. Weisburd, « Customary International Law : The Problem of Treaties », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 21, 1988, pp. 1-46 ; Gary L. Scott, Craig L. Carr, « Multilateral Treaties and the Formation of Customary International Law », Denver Journal of International Law and Policy, vol. 25, 1996, pp. 71-93.104 C.I.J., compétence, 10 mai 1984, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Rec. p. 421.105 A propos du droit international, cf. généralement Tomer Broude, Yuval Shany (éds), op. cit. note 94. Cf. aussi : Michael Akehurst, « The hierarchy of the sources of international law », BYIL, vol. 47, 1974-1975, pp. 273-285, spécialement p. 275 ; Wolfram Karl, op. cit. note 94, p. 86 ; Alfred Verdross, Bruno Simma, Universelles Völkerrecht, 3ème édition, Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 956 p., p. 332.

564

β. La synchronisation du droit interne avec le droit international en dépit de la différenciation

constitutionnelle

La réglementation constitutionnelle spécifique aux traités internationaux restreint souvent la synchronie

du droit interne avec le droit international. Elle peut notamment empêcher une résolution des conflits

entre coutumes et traités correspondant à celle du droit international, en raison des rangs dérogatoires

différenciés dont ces formes normatives sont constitutionnellement dotées106. Néanmoins, en l'absence

spécifications constitutionnelles en matière conventionnelle, on peut supposer que ce sont les principes

généraux du droit international relatifs au droit conventionnel qui réglementent la normativité des

traités dans le système juridique interne. De plus, certaines prescriptions constitutionnelles relatives aux

traités internationaux peuvent être considérées comme des renvois au droit international général, plutôt

que comme des exigences propres au droit interne. Par exemple, la « condition de réciprocité »

expressément prévue par l'article 55 de la Constitution française en matière de traités internationaux

peut être considérée comme un renvoi au principe de réciprocité du droit international, qui contribue à

la détermination de la validité et de l'opposabilité des traités internationaux107. On le verra : la pratique

des organes internes tend à faire converger, de manière plus ou moins justifiée, les solutions du droit

interne vers celles pertinentes eu égard à l'état du droit international.

Il s'agit donc d'analyser, en termes de « calcul des défauts », les effets que développe la normativité

proprement internationale des traités dans la sphère du droit interne, c'est-à-dire d'évaluer comment leur

satisfaction aux exigences déterminées par les principes généraux du droit international les concernant

interfère sur leur normativité interne.

A des fins de discernement, l'analyse de la hiérarchie selon l'ordre de destruction sera présentement

précédée par celle de la hiérarchie selon l'ordre de production. Le constat préalable est le suivant : les

principes généraux du droit international fondent la validité des traités internationaux dans le cadre du

droit interne, en tant que ces principes complètent les dispositions constitutionnelles spécifiques

relatives à la transformation du droit international conventionnel (I). Et, de même que les principes

généraux du droit international sont supérieurs aux traités internationaux selon l'ordre de production

dans le cadre du droit interne, ils le sont généralement selon la force dérogatoire, et ce, par synchronie

106 Cf. John K. Setear, « Treaties, Custom, Iteration, and Public Choice », Chicago Journal of International Law, vol. 5, 2005, pp. 715-736. 107 La condition de réciprocité est déjà appliquée par les juridictions internes françaises antérieurement à la Constitution du 4 octobre 1958. Par exemple, les juridictions internes estiment que la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre n'est pas applicable vis-à-vis du Reich allemand pendant la Première Guerre mondiale, en raison des violations du droit international humanitaire en général, et de la Convention de la Haye de 1907 en particulier, commises par le Reich : Tribunal civil de la Seine, 18 Mai 1916, Daude c. Faber et Wilmolh, JDI 1916, p. 1303; Conseil de Guerre de Paris, 18 Juin 1919, Kirgis, Kaltenbach, Toqui, Thomas et autres, JDI 1919, p. 737.Cf. dans la doctrine : Paul Lagarde, « La condition de réciprocité dans l'application des traités internationaux : son appréciation par le juge interne », RCDIP, 1975, pp. 25-44.

565

du droit interne avec le droit international108 (II).

I. Les principes généraux du droit international déterminant la validité et les modalités d'application

du droit international conventionnel

A. Le droit international général en tant que complément des dispositions constitutionnelles formelles

relatives aux traités internationaux

Les constitutions nationales contiennent toutes, même si cela n'est nullement une obligation de droit

international, une disposition spéciale quant à la transformation des traités internationaux en droit

interne. Les normes constitutionnelles relatives aux traités internationaux n'établissent pas seulement la

procédure de transformation du traité international en droit interne, mais fixent aussi plus ou moins

profondément certaines modalités de leur application dans la sphère interne (éventuellement :

satisfaction de la condition de réciprocité, différenciation de régime entre «traités politiques» et «traités

non politiques», régime spécial des traités d'institution ou d'adhésion à une organisation internationale).

La réglementation constitutionnelle pourra néanmoins sembler incomplète, et ce, tant au stade de

l'entrée en vigueur du traité international qu'au stade de son application interne :

La procédure de production du traité international dans la sphère internationale est généralement

explicitement réglementée par la constitution, qui détermine une procédure propre comprenant

notamment la désignation des organes nationaux compétents en matière de négociation, de signature, de

ratification (par exemple le chef de l'État, sous condition d'une approbation parlementaire). Tous les

aspects de la procédure internationale d'entrée en vigueur des traités internationaux ne sont pour autant

pas nécessairement prévus, de sorte que la procédure constitutionnelle est amenée à être complétée par

les principes du droit international (entre autres : capacité des parties, régularité du consentement). En

résumé, dans la hiérarchie interne des normes selon l'ordre de production, les traités internationaux ont

pour fondement de validité interne la disposition constitutionnelle explicite relative à leur

transformation, complétée par l'ensemble des normes du droit international général réglementant le

droit international conventionnel, soit le principe pacta sunt servanda ainsi que d'autres normes plus

techniques (procédure formelle, vices du consentement...)109.

108 Cf. Benedetto Conforti, Angelo Labella, « Invalidity and Termination of Treaties: The Role of National Courts », EJIL, vol. 1, 1990, pp. 44–66.109 Ces normes ont certes été largement codifiées par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités

566

Les principes relatifs à l'application du traité international ne sont pas en leur intégralité fixés

par la constitution elle-même, alors que la concrétisation des obligations conventionnelles suppose

parfois de recourir à de telles normes générales (principes dits d'interprétation110, principes relatifs à

l'applicabilité directe111, principe de l'effet relatif112, obligation de bonne foi113, règles de solution de

conflit entre normes conventionnelles114, suspension de l'application des traités internationaux115, etc.).

Par exemple, l'État successeur aux obligations conventionnelles dans le cadre d'une succession d'États

est à désigner suivant les principes du droit international de la succession d'États, ou encore certaines

mais subsistent sous leur forme coutumière. De plus, certains États, dont la France, n'ont pas ratifié la Convention de Vienne.110 Le juge administratif français recourt aux principes codifiées aux articles 31 et 33 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 (non ratifié par la France) pour les questions dites d'interprétation. Le Commissaire du gouvernement Ronny Abraham écrit, dans ses conclusions sur l'arrêt G.I.S.T.I. : « Le juge [...] n'est pas inapte à mettre en œuvre les techniques d'interprétation résultant des principes généraux du droit international public et rappelées par les articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités » (CE, 29 juin 1990, AJDA, 1990, p. 626). De même, selon le Commissaire du gouvernement Frédéric Scanvic dans ses conclusions sur l'arrêt Madame Josefa Bouilliez : « II y a lieu de se référer aux techniques résultant des principes généraux du droit international public tels que rappelés dans les articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités » ; cf. CE., 29 janvier 1993, RFDA 1993, p. 798. Par ailleurs, devant le juge judiciaire, l'avocat général Yves Chauvy remarque dans ses conclusions sur l'arrêt Caisse autonome mutuelle de retraite des agents de chemins de fer que : « le juge judiciaire suivra les méthodes classiques du droit, national et plus particulièrement international. Il y procédera conformément bien sûr au principe posé par le Code civil mais aussi et surtout conformément aux règles du droit international public. Dans l'application des usages internationaux [...], le juge se référera aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne » ; cf. soc, 29 avril 1993, Gaz. Pal., 1994, p. 189).111 A propos de l'applicabilité directe des traités internationaux dans le cadre du droit interne, cf. généralement :: Thomas Buergenthal, op. cit. note 96. A propos des différents systèmes juridiques nationaux, cf. : Günther Winkler, « Zur Frage der unmittelbaren Anwendbarkeit von Staatsverträgen », JBl, 1961, p. 8 et svtes ; Albert Bleckmann, Begriff und Kriterien der innerstaatlichen Anwendbarkeit völkerrechtlicher Verträge. Versuch einer allgemeinen Theorie des self-executing treaty auf rechtsvergleichender Grundlage, Duncker & Humblot, Berlin, 1970, 333 p. ; Bruno Binder, « Das Völkerrecht im österreichischen Staatsrecht », ZaöRV, vol. 35, 1975, pp. 282-340 ; Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP 1998, pp. 203-244 ; Bérangère Taxil, « Les critères de l'applicabilité directe des traités internationaux aux États-Unis et en France », RIDC, 2007, pp. 157-176.112 En principe, les traités ne produisent pas d'effets à l'égard des États tiers. Le principe de l'effet relatif des traités est appliqué par le juge administratif français à l'occasion d'une affaire relative aux services français d'occupation en Autriche. Dans un arrêt Compagnie de développement agricole et industriel (C.E., section, 30 novembre 1962, Rec. Leb., 1962, p. 645), le Conseil d'État français estime que : « l'Autriche n'était pas tenue de rendre à la Hongrie les biens d'origine hongroise trouvés à la fin de la guerre sur son territoire en vertu des stipulations imposées à ses signataires par le traité de paix avec la Hongrie du 10 février 1947, dès lors qu'elle-même n'avait pas signé ce traité et n'y avait pas adhéré ». Suivant le Conseil d'État, le gouvernement français ne peut dès lors pas prétendre avoir été habilité à agir pour le compte de l'État autrichien dans le cadre de l'exécution du traité de paix.113 Le corpus jurisprudentiel autrichien en matière de droit international conventionnel contient plusieurs décisions se référant au principe de la bonne foi :Cour administrative, 11 décembre 2003, 99/14/0081 : « Zu den durch Art 9 B-VG rezipierten allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts gehört vor allem der Grundsatz der Vertragstreue. Es müssen daher die innerstaatlichen Rechtsnormen so ausgelegt werden, daß sie mit den zwischenstaatlichen Verpflichtungen Österreichs nicht in Widerspruch geraten (Hinweis Klecatsky/Morscher, Das österreichische Bundesverfassungsrecht 3, E 3 zu Art 9 B-VG). ». Cf. aussi, la décision du 24 novembre 1994, 94/16/0182 (VwSlg 6943 F/1994).Cf. aussi, antérieurement : Cour administrative, 18 décembre 1997, 97/11/0274 (VwSlg 14813 A/1997): « Schon die Bedachtnahme auf die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes, die gemäß Art 9 Abs 1 B-VG als Bestandteile des Bundesrechtes gelten und zu denen der Grundsatz, daß Verträge nach Treu und Glauben zu erfüllen sind, gehört (vgl. die Präambel und Art 26 des WrÜbk über das Recht der Verträge), verbietet es, § 7 ZustG [Zustellgesetz] den Inhalt beizumessen, daß damit auch Verstöße gegen in Staatsverträgen enthaltene ausdrückliche Zustellverbote und damit unerlaubte Eingriffe in die Hoheitsrechte eines anderen Staates saniert werden und sohin jedenfalls innerstaatlich sanktionslos bleiben. » 114 Le Commissaire du gouvernement Christine Maugüe écrit dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'État français

567

dispositions d'un traité international sont créatrices de droits et d'obligations au bénéfice et à la charge

les particuliers («effet direct») sur le fondement du droit international général.

Dans une situation où les prescriptions constitutionnelle relatives au droit international conventionnel

ne «correspondent» pas au droit international général, il appartient aux organes internes de les

considérer comme lex specialis prévalant sur les principes généraux du droit international dans le cadre

circonscrit du droit interne. La condition de réciprocité de l'article 55 de la Constitution française en

offre une illustration : elle est censée valoir pour l'ensemble des traités internationaux, y compris ceux

en matière de droits de l'homme, lors même que cela ne «correspond» pas à l'état du droit international

codifié à l'article 60 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969. Et pourtant, dans les systèmes

juridiques internes, les organes d'application du droit écartent souvent l'application de telles

prescriptions constitutionnelles dans leur pratique, ce qui trouve sa justification dans la synchronie avec

le droit international116.

B. Le cas du principe pacta sunt servanda

En droit international, c'est le principe général pacta sunt servanda qui fonde la validité des traités

internationaux117. Et, dans le cadre du système juridique interne, une tension paraît manifeste entre,

d'une part, la disposition constitutionnelle prévoyant spécifiquement la transformation des traités

internationaux en droit interne et, d'autre part, le principe pacta sunt servanda qui, via sa transformation

en droit interne, fonde potentiellement la validité interne des traités internationaux.

Cucicea-Lamblot : « dans le cadre de concours de plusieurs engagements internationaux, il y a lieu d’en définir les modalités d’application respectives conformément à leurs stipulations et en fonction des principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales » ; cf. CE, 25 octobre 2000, AJDA, 2001, p. 284. 115 En droit autrichien : Erwin Melichar, « Zur Wirkung der Suspension eines Staatsvertrages auf seine innerstaatliche Anwendbarkeit in Österreich », in: Kurt Ebert (dir), Festschrift Hermann Baltl zum 60. Geburtstag dargebracht von Fachkollegen und Freunden, Univ. Verl. Wagner, Innsbruck 1978, 594 p., pp. 349-356. 116 Les juridictions françaises ont estimé à plusieurs reprises que la condition de réciprocité de l'article 55 de la Constitution est suspendue dans le cas des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ; il s'agit là d'une dérogation à une disposition constitutionnelle formelle (art. 55 de la Constitution) sur le fondement d'un principe général du droit international. Cf. notamment : CE Ass., 21 décembre 1990, Confédération nationale des familles catholiques ; décision du Conseil constitutionnel n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29.A propos de la pratique des juridictions françaises sur cette question, cf. inter alia : Carine Laurent-Boutot, La Cour de cassation face aux traités internationaux protecteurs des droits de l’Homme, thèse, Université de Limoges, 2006, 563 p., spécialement pp. 313-315.117 Cf. Hans Kelsen, « Contribution à la théorie du traité international », Revue internationale de la théorie du droit, 1936, pp. 253-292 ; Alfred Verdross, « Le fondement du droit international », RCADI, vol. 16, 1927, pp. 247-323. Hans Kelsen démontre que pacta sunt servanda est certes le fondement de validité des traités internationaux, mais non la norme fondamentale du droit international. En effet, ce principe coutumier du droit international est lui-même fondé sur une norme habilitant les États à produire des coutumes.Pour comparaison, Carl Schmitt propose une conception factuelle de la validité des traités internationaux : « La force obligatoire d'un engagement juridique international d'États souverains ne peut résider dans la problématique d'auto-obligation de souverains qui se réservent leur liberté, mais repose sur l'appartenance commune à un espace circonscrit, c'est-à-dire sur l'effet englobant d'un ordre spatial concret. » ; cf. Le nomos de la Terre, PUF, Paris, 2001, 363 p., p. 223.

568

Aussi, le principe pacta sunt servanda pourrait attribuer, de manière indirecte, une force dérogatoire

aux traités internationaux différenciée de celle dont ils sont dotés par la disposition constitutionnelle qui

leur est spécifique, étant donné qu'une violation d'un traité international serait aussi constitutive d'une

violation du principe pacta sunt servanda.

Si le problème de la normativité interne du principe pacta sunt servanda se pose à peu près dans les

mêmes termes dans les différents droits nationaux; les doctrines et jurisprudences nationales ont

développé des analyses divergentes :

1. La sphère d'application restreinte du principe pacta sunt servanda en droit allemand118

Le principe pacta sunt servanda n'est pas considéré comme le fondement de validité des traités

internationaux en droit interne, bien qu'il soit unanimement admis que l'article 25 LF opère sa

transformation en droit interne. La Cour constitutionnelle fédérale justifie sa sphère d'application

restreinte dans le cadre du droit interne par la présence de la réglementation spéciale de l'article 59 al. 1

et al. 2 LF, parfois en combinaison avec l'article 24 al. 1 LF119.

Le principe pacta sunt servanda n'en demeure pas moins une composante du droit interne, non

nécessairement dépourvu de tout effet juridique interne. Une partie de la doctrine allemande soutient

qu'une loi portant atteinte à un traité international est à considérer comme non relevante (unbeachtlich)

en droit interne, sinon nulle, lorsqu'en résulte une violation du principe supra-législatif pacta sunt

servanda (article 25 phrase 2 LF)120. Pour d'autres, dont la Cour constitutionnelle fédérale, la

réglementation constitutionnelle autonome en matière de transformation des traités s’oppose en tant que

lex specialis à un tel effet de pacta sunt servanda : l'article 59 al. 2 LF dote les traités internationaux

d'un rang législatif, étant donné qu'il dispose d'une procédure de transformation ad hoc des traités

internationaux par la voie d'un acte législatif121. Et cependant, le principe pacta sunt servanda justifie

dans une certaine mesure, y compris pour la Cour constitutionnelle fédérale, des dérogations

conventionnelles à des normes législatives, même postérieures ou spéciales. L'argument est le suivant :

le principe pacta sunt servanda participe au principe d'ouverture de l'ordre juridique allemand au droit

international122 qui interdit de manière globale toute violation par une norme interne, même législative,

118 Cf. Werner Stumpfe, Die allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland vom 23. Mai 1949 und der Satz "pacta sunt servanda" , thèse, Zurich, 1963, 93 p. ; Georg Dahm, Jost Delbrück, Rüdiger Wolfrum, Völkerrecht, tome 1, partie 1 «Die Grundlagen – Die Völkerrechtssubjekte», 2ème éd., de Gruyter, Berlin/New-York, 1988, 575 p., spécialement pp. 119-121 ; Ulrich Fastenrath, « Inhaltsänderung völkerrechtlicher Verträge ohne Beteiligung des Gesetzgebers – Verfassungsrechtliche Zulässigkeit und innerstaatliche Wirkung », in : Rudolf Geiger (éd.), Völkerrechtlicher Vertrag und staatliches Recht vor dem Hintergrund zunehmender Verdichtung der internationalen Beziehungen, Nomos, Baden-Baden, 2000, 224 p., pp. 93-116.119 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (178).120 Theodor Schilling, Rang und Geltung von Normen in gestuften Rechtsordnungen, 1994, Berliner Wissenschafts-Verlag, Berlin, 689 p., p. 447 et svtes.121 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 31, p. 145 sqs. (177).122BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (121) « Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit »

569

de l'ensemble du droit international, y compris conventionnel123. En résumé, selon Theodor Maunz, le

principe pacta sunt servanda implique dans le cadre du droit interne que « les traités internationaux

peuvent certes être violés, mais ne doivent pas l'être.124 »

2. La question de la modulation de la normativité interne des traités internationaux par pacta sunt

servanta discutée par la doctrine et la jurisprudence autrichiennes

En raison de la procédure législative prévue, l'article 50 al. 1 B-VG amène les traités internationaux au

rang de simple loi fédérale. Selon le Professeur Alexander Balthasar, dont l'opinion semble marginale

dans la doctrine autrichienne, une loi postérieure qui contredit un traité international serait tout de

même annulable par la Cour constitutionnelle dans le cadre de la procédure de l'article 140 al. 1 B-VG,

parce qu'elle se trouve en violation du principe pacta sunt servanda transformé en droit interne sur le

fondement de l'article 9 B-VG125. Contrairement à l'opinion dominante, les articles 9 et 50 B-VG ne

seraient dès lors pas des dispositions en concurrence, mais des dispositions complémentaires dans le

processus de synchronisation du droit interne au droit international.

La Cour suprême, à l'occasion de sa décision du 31 mai 1950 (2 Ob 363)126, estime que le Deuxième

accord de contrôle interallié de l'Autriche du 28 juin 1946127 est pourvu d'une valeur obligatoire pour les

citoyens autrichiens à titre individuel. Elle affirme en effet que l'« interdiction prononcée dans les

article 1 (b) et art. 5 (IV) de disposer des biens sans l'autorisation du Conseil allié lie aussi bien le

gouvernement autrichien et ses organes, dont toutes les autorités autrichiennes, que les citoyens

autrichiens128 ». La Cour suprême recherche un fondement à la transformation du Deuxième accord de

123 Cf. Robert Pfeffer, Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht – Eine kritische Betrachtung alter und neuer Lehren unter besonderer Berücksichtigung der Europäischen Menschenrechtskonvention, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2009, 254 p., spécialement pp. 170-171 ; cf. aussi infra : « La relation selon la force dérogatoire entre normes internationales non conventionnelle et traités internationaux dans le cadre du système juridique interne ».124 Theodor Maunz, « Art. 25 », in : Theodor Maunz, Günter Dürig, Kommentar zum Grundgestz, C.H. Beck, Munich, 1985, §20.125 Alexander Balthasar, « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193, spécialement p. 182 et svtes. Cette affirmation présuppose que les règles généralement reconnues du droit international soient supra-législatives, ce qui est la position défendue par l'auteur qui est partisan de la « théorie de l'analogie ». Le Professeur Alexander Balthasar soutient même que le principe pacta sunt servanda – et indirectement les traités internationaux (cf. VfSlg 12384) – dérogent aux normes constitutionnelles simples, étant donné que ce principe du droit international est transformé au degré qui leur est immédiatement supérieur dans la hiérarchie des normes, sous réserve de la lex specialis de l'article 140a B-VG établissant une procédure de contrôle de constitutionnalité des traités internationaux.126 ÖJZ 5 (1950), Evidenzblatt n°342, p. 336.127 Le Deuxième accord de contrôle interallié concernant l'Autriche du 28 juin 1946 étend largement la souveraineté autrichienne par rapport au Premier accord de contrôle interallié du 4 juillet 1945 qui disposait que toute mesure législative doit être soumise aux forces alliées. Le texte est disponible dans : Amtliche Wiener Zeitung du 29 juin 1946 ; Stephan Verosta, Die internationale Stellung Österreichs - eine Sammlung von Erklärungen und Verträgen aus den Jahren 1938 bis 1947, Manz, Vienne, 1947, 148 p., p. 104 ; Ludwig Adamovich, Die Bundesverfassungsgesetze samt Ausführungs - und Nebengesetzen, Österreichische Staatsdruckerei, Vienne, 1948, 749 p., p. 6 et svtes.128 La Cour suprême se réfère à Ludwig Adamovich : Grundriss des österreichischen Verfassungsrechtes, 4ème éd., Springer, Vienne, 1947, 379 p., p. 42 et svtes. L'auteur traite de cette question dans le chapitre « Le statut juridique international de Autriche » qui contient deux sous-chapitres successifs relatifs à la relation de l'Autriche avec les puissances d'occupation et à l'article 9 B-VG.

570

contrôle dans le système juridique autrichien, qu'elle trouve dans l'article 9 B-VG. Ce traité n'entre

pourtant pas directement dans la sphère d'application de l'article 9 B-VG, étant donné qu'il ne s'agit ni

de droit international général, ni même une codification de celui-ci129. En effet, sa valeur juridique est, à

l'époque, fondée sur la compétence internationale dont bénéficie les forces alliées sur le territoire

occupé militairement, et son objet consiste à réglementer la relation entre les forces d'occupation et les

autorités étatiques installées en territoire occupé130. Le Deuxième accord de contrôle interallié est alors

une composante de la Constitution autrichienne au sens matériel, en ce qu'il détermine quelques

principes de répartition des compétences valables en droit interne autrichien, parmi lesquels la valeur

obligatoire des recommandations des autorités alliées adressées aux autorités autrichiennes 131. Il déroge

à quasiment l'ensemble du droit autrichien, y compris à la Loi constitutionnelle fédérale qui a été remise

en vigueur par la Loi constitutionnelle transitoire de 1945132. Une telle force dérogatoire lui est attribuée

par l''article 3 de la Proclamation d'indépendance de l'Autriche133 du 27 avril 1945134. Sur ce fondement,

la Cour constitutionnelle rejette en permanence sa compétence en matière de contrôle des décisions

prises par les forces d'occupation et renvoie dans tous les cas les personnes concernées vers les

procédures spécialement instituées par les autorités alliées135. La justification fournie par la Cour

suprême à la valeur juridique interne du Deuxième accord de contrôle interallié, c'est-à-dire l'article 9

B-VG pour fondement, apparaît problématique, et s'apparente en réalité à une petitio principii. La

valeur juridique interne du Deuxième accord de contrôle interallié ne dépend en effet ni de l'article 9 B-

VG, ni d'aucune autre disposition de la Loi constitutionnelle fédérale ; à l'inverse, le fondement de la

validité de la Loi fédérale autrichienne est l'autorisation des forces d'occupation.

3. Le principe pacta sunt servanda en tant que complément de l'article 55 de la Constitution selon la

jurisprudence du Conseil constitutionnel français

La jurisprudence française considère de manière constante que la disposition constitutionnelle

spécifique de l'article 55 de la Constitution fonde la validité interne des traités internationaux, et non le

principe pacta sunt servanda. Le principe pacta sunt servanda complète toutefois l'article 55 en

129 Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Relation of International Law to Internal Law in Austria », AJIL, vol. 49, 1955, pp. 451-476., p. 455.130 Jusqu'à l'entrée en vigueur de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre signée le 12 août 1949 (BGBl 155/1953), cette relation est réglementée par la Convention (IV) de la Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907, ainsi que par le droit international coutumier. 131 Cf. par exemple les articles 1, 2 (c), 5, 8.132 StGBl 4/1945 (Verfassungs-Überleitungsgesetz).133 StGBl 1/1945. Art. III: « Pour la mise en œuvre de cette déclaration est mis en place un gouvernement provisoire auquel participe toutes les directions des partis anti-fascistes. Les pleins pouvoirs législatif et exécutifs lui sont attribués sous réserve des droits des puissances occupantes » (ma traduction).134 Cf. notamment Robert Walter, op. cit. note 27, p. 26 ; cf. aussi la Mémorandum du Conseil allié sur le gouvernement provisoire du 10 octobre 1945, disponible in : Stephan Verosta, op. cit. note 127, p. 97 et svtes.135 Cf. par exemple : VfSlg. 1529/1947, 1592/1947, 1599/1947, 1611/1948. Pour une brève analyse critique de la situation juridique de l'Autriche par rapport aux Alliés, cf. Alfred Verdross, op. cit. note 56, p. 360. Alfred Verdross qualifie la relation juridique entre les puissances occupantes et l'Autriche de « quasi-protectorat collectif ».

571

ajoutant des conditions à la validité interne des traités. Les décisions faisant explicitement référence au

principe pacta sunt servanda sont en l'état du corpus jurisprudentiel surtout celles du Conseil

constitutionnel136 :

A l'occasion de sa décision n°92-308 du 9 avril 1992, Traité sur l'Union européenne, dite Maastricht

I137, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité d'un traité international au principe pacta

sunt servanda, par la voie de la procédure de contrôle de constitutionnalité des engagements

internationaux prévue par l'article 54 de la Constitution138. Le juge constitutionnel fait dans le texte de

la décision explicitement référence à ce principe : « le quatorzième alinéa du Préambule de 1946

proclame que la République française "se conforme aux règles du droit public international" ; […] au

nombre de ces règles figure la règle pacta sunt servanda » (septième considérant). En l'espèce, la

ratification du Traité de Maastricht dont il est question pourrait – potentiellement – entraîner la

violation de traités internationaux antérieurs et donc, indirectement, du principe pacta sunt servanda qui

oblige les États à respecter l'ensemble de leurs engagements internationaux conventionnels. Une telle

136 Cf. Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 18, spécialement pp. 418-429.En ce qui concerne le juge ordinaire : cf. dans la jurisprudence judiciaire : Cour d'appel d'Aix, 9 février 1943, S.N.C.F. c. Chavannes ; dans la jurisprudence administrative : CE 9 juillet 2010, Cheriet-Benseghir (« Considérant qu'aux termes du 14e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ; qu'au nombre de ces règles figure la règle pacta sunt servanda, qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » , à comparer avec les motifs du Conseil Constitutionnel). 137 N° 92-308 DC du 9 avril 1992. 138 Le Conseil constitutionnel s'est aussi référé à plusieurs reprises de manière plus ou moins explicite au principe pacta sunt servanda dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori des lois (article 61 de la Constitution) : La question de la conformité d'une loi interne au principe pacta sunt servanda est posée au Conseil constitutionnel à propos d'une disposition législative obligeant les nationaux français à réaliser leur service national en France, lors même qu'ils bénéficient simultanément de la nationalité d'un autre État, dans le cas où ils résident habituellement sur le territoire français. Selon les députés à l'origine de la saisine du Conseil, cette disposition législative est en violation d'un traité franco-algérien de 1983 qui laisse aux individus ayant la nationalité des deux États le libre choix de l'État pour lequel ils ont à s'acquitter de leurs obligations de service national (n°93-321 DC du 20 juillet 1993, Loi réformant le code de la nationalité). Comme le Conseil s'estime, dans le prolongement de sa jurisprudence constante, non compétent pour contrôler la conformité d'une loi par rapport à un traité international (n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'Interruption volontaire de grossesse), les députés à l'origine de la saisine invoquent le principe pacta sunt servanda qui est une «règle du droit public international» au sens de l'alinéa 14. Le Conseil doit donc se prononcer sur sa compétence pour contrôler indirectement la conventionnalité de la loi, par l'intermédiaire de l'alinéa 14. Le Conseil constitutionnel constate en l'occurrence qu'il « appartient aux divers organes de l'État de veiller dans le cadre de leurs compétences respectives à l'application des conventions internationales », et que ces mêmes organes sont dans l'obligation de faire prévaloir les traités internationaux sur la loi : « le respect de la règle édictée à l'article 55 de la Constitution s'impose même dans le silence de la loi. ». Les organes internes d'application du droit sont tenus d'appliquer par eux-mêmes les dérogations conventionnelles à la loi, de telle sorte « qu'il ne saurait résulter de la disposition contestée une méconnaissance du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ». Le raisonnement tenu par le Conseil se décompose ainsi : la loi constitue la norme de principe que les organes d'application du droit doivent toutefois écarter dans les cas où un traité international contraire trouve à s'appliquer ; la loi ne peut dès lors pas par elle-même être en violation du principe pacta sunt servanda.Le Conseil constitutionnel se réfère aussi à la norme pacta sunt servanda en tant que norme de valeur constitutionnelle à l'occasion de sa décision n°98-399 DC du 3 mai 1998, Loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile (Rec. p. 245). Le Conseil estime, sur le fondement du principe de la souveraineté nationale prévu par l'article 3 de la Déclaration de 1789 et l'article 3 de la Constitution, que « ne sauraient être confiées à des personnes de nationalité étrangère, ou représentant un organisme international, des fonctions inséparables de l'exercice de la souveraineté nationale », mais qu'il peut, sur le fondement des alinéa 14 et 15 du Préambule de la Constitution de 1946, « être dérogé à ce principe dans la mesure nécessaire à la mise en œuvre d'un engagement international de la France et sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

572

normativité interne du principe pacta sunt servanda ne va pas sans soulever de difficultés quant aux

futures relations internationales de l'État. En effet, son application intégrale dans le cadre du contrôle a

priori des traités internationaux conduirait à une quasi-interdiction constitutionnelle pesant sur l'État

français de participer à tout engagement international nouveau, étant donné que l'État se trouve déjà lié

par une grande quantité de traités internationaux dans toutes sortes de matières. Et il s'ensuit que la

probabilité qu'un traité international nouveau soit «contraire» à des engagements conventionnels déjà

contractés apparaît élevé. Pour cette raison, le Conseil précise que le traité international dont il opère le

contrôle doit être délimité dans sa sphère d'application « en fonction des engagements internationaux

que ce traité a pour objet de modifier ou de compléter » (considérant n°8). Une telle délimitation de la

sphère d'application du traité international nouveau ne doit néanmoins pas le dénaturer : « tout traité en

vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. » En résumé, le Conseil dit que les

organes internes d'application du droit sont tenus de concrétiser le traité international nouvellement

conclu sans en dénaturer le sens, tout en évitant de transgresser les obligations conventionnelles

précédemment contractées. En vue de centraliser le contrôle du respect de pacta sunt servanda, le

Conseil s'attribue une compétence spécifique : « Il appartient au Conseil constitutionnel, saisi au titre de

l'article 54 de la Constitution, d'un traité qui modifie ou complète un ou plusieurs engagements

internationaux déjà introduits dans l'ordre juridique interne de déterminer la portée du traité soumis à

son examen ». Dans le contexte de la décision Maastricht I, la question est celle du maintien d'un

comportement de l'État français conforme aux engagements internationaux contractés antérieurement.

La décision n°98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant Statut de la Cour pénale internationale,

donne l'occasion au Conseil constitutionnel d'examiner d'une toute autre manière la conformité du

comportement de l'État français au principe pacta sunt servanda. Il s'agit en l'occurrence de vérifier que

l'État français est en mesure de respecter dans l'avenir le traité international qu'il est en voie de ratifier.

En l'espèce, le Statut de la Cour pénale internationale dispose du principe de complémentarité entre la

juridiction pénale internationale et les juridictions criminelles nationales. Globalement, une affaire est

irrecevable devant la Cour pénale internationale dès lors qu'un État compétent s'est déjà saisi de l'affaire

(articles 17 et 20 du Statut). Par exception, la juridiction internationale devient compétente, alors même

que les juridictions nationales ont déjà exercé leur compétence, dans les cas où se manifeste un manque

de volonté de la part de l'État en question soit d'enclencher les poursuites, soit de les faire aboutir, ou

encore lorsque l'État se trouve dans l'incapacité d'opérer de telles poursuites en raison de l'effondrement

ou de l'indisponibilité de son appareil judiciaire. Ces exceptions au principe de complémentarité

constituent des limitations organiques à la souveraineté nationale, puisqu'un organe international est

habilité à se saisir d'affaires qui relèvent en principe de la sphère de compétence de l'État. A ce propos,

le Conseil constitutionnel considère que : « les stipulations du traité qui apportent des restrictions au

principe de complémentarité de la Cour par rapport aux juridictions criminelles nationales, dans les cas

573

où l'État partie se soustrairait délibérément aux obligations nées de la convention, découlent de la règle

pacta sunt servanda, en application de laquelle tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté

par elles de bonne foi ; que ces dispositions fixent limitativement et objectivement les hypothèses dans

lesquelles la Cour pénale internationale pourra se déclarer compétente ; que, par suite, elles ne

méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » (considérant 32).

En résumé, le Conseil estime que la Constitution elle-même autorise une auto-limitation de la

compétence nationale : une violation même seulement potentielle du principe pacta sunt servanda par

l'État justifie un transfert de compétence vers une entité internationale.

Le principe pacta sunt servanda ne fonde apparemment pas la validité des traités internationaux dans

les différents systèmes juridiques nationaux, ce qui n'empêche pas qu'il soit pourvu d'effets juridiques

internes, tout particulièrement en participant à la détermination de l'effet dérogatoire des traités

internationaux, soit par rapport à la loi, soit par rapport à d'autres traités internationaux.

II. La relation selon la force dérogatoire entre les normes internationales non conventionnelles et les

traités internationaux dans le cadre du système juridique interne

De même que le droit international contient des principes généraux relatifs à la production des traités

internationaux, il contient des principes relatifs à leur destruction139. Les constitutions nationales

contiennent quant à elles généralement une réglementation spéciale de la normativité des traités

internationaux en droit interne, différenciée de celle prévue par les principes du droit international dans

la sphère du droit international, y compris en ce qui concerne leur destruction 140. En particulier, la

constitution attribue souvent un rang dérogatoire propre aux traités internationaux les différenciant des

coutumes, malgré leur équivalence de principe en droit international141. Outre cela, le droit interne

détermine éventuellement des modalités de destruction des traités internationaux dans la sphère du droit

interne différentes de celles dont dispose le droit international général : le droit interne peut par

139 Outre la littérature générale relative aux conflits de normes dans le cadre du droit international précitée, cf. spécialement : Oliver J. Lissitzyn, « Treaties and Changed Circumstances (Rebus Sic Stantibus) », AJIL, vol. 61, 1967, pp. 895-922 ; Francesco Capotorti, « L'extinction et la suspension des traités », RCADI, vol. 134, 1971, pp.417-588 ; Stanislaw E. Nahlik, « The Grounds of Invalidity and Termination of Treaties », AJIL, vol. 65, 1971, pp. 736-756.140 Pour une analyse comparative du régime différencié du traité international et du droit international coutumier en droit interne (notamment : États-Unis, Allemagne, Russie, Pays-Bas), cf. Tom Ginsburg (2006), op. cit. note 16.141 Le Professeur Emmanuel Decaux dit, à propos de la jurisprudence du juge administratif français : « Manifestement l'approche qui domine la jurisprudence récente du Conseil d'État aboutit à écarteler le "droit public international", en donnant une valeur supra-législative aux normes conventionnelles et une valeur infra-législative aux normes coutumières. » ; cf. op. cit. note 4, p. 5.

574

exemple exiger une procédure de dénonciation du traité international par l'État pour sa destruction,

alors même que le droit international général prévoit d'autres possibilités de destruction142 ; l'abrogation

d'un traité international par une coutume internationale nouvelle n'est pas admise dans le cadre du droit

interne, tandis qu'elle est de principe en droit international143 ; ou encore, le droit interne contient un

contentieux spécial de contrôle de conformité du traité international (par exemple, l'article 140a B-VG),

qui ne connaît évidemment pas d'équivalent dans la sphère internationale.

Le plus souvent, c'est sur deux points que les constitutions nationales instituent une réglementation de la

destruction des traités internationaux différenciée du droit international général : les principes de droit

interne réglementant la destruction du droit international conventionnel ne correspondent pas aux

principes généraux du droit international pertinents en la matière ; la relation selon la force dérogatoire

entre coutumes internationales et traités internationaux en droit interne ne correspond pas à celle du

droit international. En ce qui concerne la relation selon la force dérogatoire entre la coutume et le traité,

l'état du droit international paraît globalement144 le suivant : une norme coutumière peut se substituer

partiellement ou totalement à une norme conventionnelle antérieure, ou inversement, suivant la règle de

solution de conflit lex posterior. Le principe lex specialis règle également cette relation : les traités

internationaux ont dans la plupart des cas pour objet, sauf ceux codifiant le droit international

coutumier (à l'instar de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969), d'instituer

entre les parties une réglementation particulière différenciée de celle qui résulte du droit international

général (par exemple, en matière de circulation des marchandises et des personnes, d'exequatur145, de

double imposition). Le traité international devient dès lors, en tant que lex specialis, la norme

applicable au domaine qu'il réglemente ; aucun principe du droit international n'interdit toutefois des

modifications ultérieures de ce traité par voie coutumière.

La présence d'une réglementation interne spécifique relative à la normativité des traités internationaux

désynchronise le contenu du droit interne par rapport au contenu du droit international. Le droit

international n'interdit d'ailleurs nullement cet état du droit interne, puisqu'il est en principe indifférent

au contenu du droit interne. Le cas de la ratification de la Convention de Vienne sur le droit des traités

par la République fédérale d'Allemagne offre une illustration de désynchronisation. En droit interne

allemand, le contenu matériel de la Convention de Vienne, c'est-à-dire les principes généraux du droit

international en matière de traités internationaux, a rétrogradé d'un rang «supra-législatif» vers un rang

«législatif» à l'issue de sa ratification dans la sphère internationale et de sa transformation en droit

142 A propos de la pratique ancienne de l'État français, cf. Alexandre-Charles Kiss, « L’extinction des traités dans la pratique française », AFDI, 1959. pp. 784-798.143 Cf. par exemple l'affaire suivante dont est saisie la Cour de cassation française : Cass. crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim. 1980, p. 563 ; Gaz. pal. 1981, I, p. 106, note P.L.G.144 L'état du droit international est dans le détail plus subtil. Par exemple, la codification d'une coutume internationale par traité international n'a pas nécessairement pour effet la destruction de la norme coutumière qui lui est antérieure (C.I.J., compétence, 10 mai 1984, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Rec. p. 421).145 L'exequatur est une procédure visant à donner dans un État force exécutoire à un jugement rendu à l'étranger.

575

interne, opérée par le législateur allemand à travers la procédure déterminée par l’article 59 al. 2 LF.

Afin d'éviter des conséquences de cette sorte, les organes internes d'application du droit appliquent soit

immédiatement le droit international, soit opèrent une réduction téléologique des dispositions

constitutionnelles relatives au droit international, en les resituant dans le cadre de pri ncipes

constitutionnels plus généraux, tel que le « principe d'ouverture au droit international »

(« Völkerrechtsfreundlichkeit ») de la Loi fondamentale allemande qui est supposé commander une

certaine synchronie entre le droit interne allemand et le droit international.

Si le cas allemand montre de manière claire la tendance des organes internes à prendre en considération

l'état du droit international lui-même, parfois en dépit de la réglementation constitutionnelle (A), on

trouve des solutions proches en droit autrichien et en droit français (B), mais peut-être davantage

justifiées eu égard aux données de la constitution.

A. La force dérogatoire interne des traités internationaux modulée par l'exigence de conformité à l'état

global du droit international selon la doctrine et la jurisprudence allemandes

En principe, les règles générales du droit international bénéficient d'une valeur supra-législative, tandis

que les traités internationaux sont dotés d'une simple valeur législative, étant donné que leur

transformation en droit interne résulte de la procédure législative exigée par l’article 59 al. 2 LF 146.

Cependant, la force dérogatoire des traités internationaux semble en l'état du droit positif «quasi-

équivalente»147 à celle des règles générales du droit international, en ce qu'ils peuvent déroger à ces

dernières (1), et qu'ils bénéficient généralement d'une primauté d'application par rapport à la loi (2).

1. La dérogation conventionnelle aux règles générales du droit international

La Cour constitutionnelle fédérale considère que :

« Par l'article 25 LF, les règles générales du droit international deviennent une composante du

droit fédéral dans la limite de leur contenu respectif et de leur sphère d'application ( cf. BVerfGE 15, p.

146 BVerfGE 100, p. 266 sqs. (269). Cf. inter alia : Philip Kunig, op. cit. note 16.La Cour constitutionnelle fédérale dit que cette différenciation entre formes normatives internationales dans le cadre du droit interne démontre l'autonomie du droit allemand par rapport au droit international (BVerfGE 111, p. 307 (2004 – Görgülü) : « Das Grundgesetz ist […] nicht die weitesten Schritte der Öffnung für völkerrechtliche Bindungen gegangen. Das Völkervertragsrecht ist innerstaatlich nicht unmittelbar, das heißt ohne Zustimmungsgesetz nach Art. 59 Abs. 2 GG, als geltendes Recht zu behandeln und – wie auch das Völkergewohnheitsrecht (vgl. Art. 25 GG) – nicht mit dem Rang des Verfassungsrechts ausgestattet. Dem Grundgesetz liegt deutlich die klassische Vorstellung zu Grunde, dass es sich bei dem Verhältnis des Völkerrechts zum nationalen Recht um ein Verhältnis zweier unterschiedlicher Rechtskreise handelt und dass die Natur dieses Verhältnisses aus der Sicht des nationalen Rechts nur durch das nationale Recht selbst bestimmt werden kann; dies zeigen die Existenz und der Wortlaut von Art. 25 und Art. 59 Abs. 2 GG. Die Völkerrechtsfreundlichkeit entfaltet Wirkung nur im Rahmen des demokratischen und rechtsstaatlichen Systems des Grundgesetzes. » 147 Ou, dit plus précisément, « équivalente si un certain ensemble de circonstances sont réunies ».

576

25 sqs. [31], 16, p. 27 sqs. [32]). L'article 25 LF ouvre l'ordre juridique allemand à la condition qu'elles

soient valides en droit international […]. Dans les relations avec des États spécifiques, il se peut que les

règles générales du droit international soient restreintes par des réglementations conventionnelles.

L'article 25 LF n'interdit pas l'existence de traités conclus de manière licite, même s'ils ne correspondent

pas pleinement aux règles générales du droit international. Le droit international coutumier est, de

manière consistante, flexible. Le droit international général ne contient pas de prescription suivant

laquelle les normes coutumières du droit international général priment en principe sur les stipulations

des traités internationaux. Le droit international conventionnel prime sur le droit international

coutumier en tant que réglementation postérieure et spéciale, pour autant que les États parties le

prennent en considération.148 ».

En résumé, il n'existe pas, sauf exception à l'instar d'une violation du ius cogens149, de traités

internationaux particuliers qui ne correspondent pas aux règles générales du droit international, étant

donné qu'un principe général du droit international autorise précisément les États à conclure des traités

internationaux dérogeant aux autres coutumes internationales. Il s'ensuit, selon la Cour, que le droit

conventionnel peut déroger au droit international coutumier dans la sphère du droit interne sur le

fondement même d'un principe du droit international transformé en droit interne par l'article 25 LF, peu

importe donc leur différenciation hiérarchique interne, .

La Cour constitutionnelle fédérale n'envisage pas en l'occurrence le problème du droit international

général qui demeure valide en tant que tel, simultanément à des traités internationaux entrés en vigueur

postérieurement qui réglementent la même matière150. Dans la situation où un traité reproduit le contenu

de normes coutumières, il est admis que ces dernières conservent tout de même leur validité interne en

tant que «règles générales du droit international» visées par l'article 25 LF. Karl Doehring fournit la

justification suivante au maintien de la validité de la norme sous sa forme coutumière : lorsqu'un traité

international contient un principe du droit international, il est sur ce point uniquement de nature

déclarative151. Au cours d’un litige, la forme conventionnelle sera peut-être premièrement appliquée,

mais rien n'exclut que les deux formes de norme au contenu matériel identique soient aussi appliquées

l’une à côté de l’autre, en conservant leurs modalités d’application spécifiques. La Cour constitutionnel

fédérale précise que le fondement de l’application de ces normes est alors concurremment l’article 25

LF et l’article 59 al. 2 LF152.

Globalement, les modalités d'application du droit international conventionnel et du droit international

148BVerfGE, 18, p. 441 sqs. (448).149 Ibid. Suivant la Cour constitutionnelle fédérale, la violation d'une norme de ius cogens par un traité international entraîne la nullité de ce dernier, comme cela est prévu par la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (art. 64 et 71). Cf. BVerfG, 12 décembre 2000, 2 BvR 1290/99, JZ 2001, pp. 975-976 ; BVerfG 26 octobre 2004, 2 BvR 955/00, DVBl, 2005, pp. 175-183 : « la conséquence juridique de la nullité n'est prescrite que dans la mesure où des obligations conventionnelles concernent des actions prohibées par une norme impérative. »150 C.I.J., compétence, 10 mai 1984, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Rec. p. 421151 Karl Doehring, op. cit. note 45, p. 130.152 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 31, p. 145 sqs. (178) ; 41, p. 88 sqs. (120).

577

non conventionnel tendent à converger dans la sphère interne selon la jurisprudence allemande. La Cour

constitutionnelle fédérale soutient que les règles générales du droit international bénéficient d’une

validité «immédiate» dans le système juridique interne, avec cependant leur «portée respective»153 de

droit international. Et, dès avant le développement de cette jurisprudence en matière de droit

international général, la Cour avait rompu avec l'ainsi dite «thèse de transformation» des traités

internationaux154. Les lois d’approbation des traités sont depuis qualifiées de « dispositions spéciales

d’application du droit »155 : la Cour estime que ces lois réceptionnent le droit conventionnel dans le

système juridique interne en sa qualité de droit international. De tout cela, il résulte que les conflits

entre normes internationales sont préférentiellement réglés suivant les principes propres au droit

international, donc indépendamment de la différenciation opérée par la Constitution entre la normativité

des traités internationaux et la normativité des règles générales du droit international. La position du

juge constitutionnel allemand paraît sur ce point s'approcher d'un « monisme au sens technique », au

sens où il s'agit d'appliquer le droit international immédiatement, au plus proche possible de l'état du

droit international.

2. La force dérogatoire des traités internationaux dans le cadre du droit interne déterminée par le

« principe d'ouverture de l'ordre juridique allemand au droit international »

La jurisprudence constitutionnelle allemande considère que l'ensemble des dispositions

constitutionnelles explicites relatives au droit international constituent la manifestation d'un principe

principe constitutionnel implicite général relatif à la relation entre le droit international et le droit

interne : le principe d'ouverture de l'ordre juridique allemand au droit international 156 (« Grundsatz der

Völkerrechtsfreundlichkeit »). Sur ce fondement, la Cour constitutionnelle fédérale estime que les

atteintes au droit international qui peuvent entraîner l'engagement de la responsabilité internationale 157

de l’Allemagne doivent, si possible, être évitées. Et, dès lors, la violation par une norme allemande

quelconque d'un traité international devient aussi grave que la violation d'une règle générale du droit

international158. La Cour dit ainsi que les « lois [...] doivent être créées et appliquées de manière

compatible avec les obligations internationales de la République fédérale d'Allemagne, et ce même

lorsqu'elles sont édictées postérieurement à un traité international en vigueur, car on ne peut assumer

que le législateur dévie de ces obligations internationales ou en rende possible la violation, à moins qu'il

153 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363, 403).154 BVerfGE 1, p. 372 sqs. (389). BVerfGE 1, p. 396 sqs. (411) ; BVerfGE 6, p. 309 sqs. (332).155 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244).156 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (121).157 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34). La Cour doit tout particulièrement veiller à ce que : « les atteintes au droit international qui reposent sur l’application fautive ou le non-respect des normes du droit international par des tribunaux allemands et qui pourraient fonder une responsabilité internationale de la République fédérale d'Allemagne soient, si possible, évitées ou supprimées »).158 Pour une opinion contraire, cf. Georg Ress, « Wechselwirkungen zwischen Völkerrecht und Verfassung bei der Auslegung völkerrechtlicher Verträge », BDGV, vol. 23, C.F. Müller, Heidelberg, 1982, pp. 7-59.

578

en a clairement manifesté l'intention159 ».

En raison de la procédure législative de transformation ad hoc des traités internationaux en droit interne

exigée l'article 59 al. 2 LF, on pourrait supposer que la relation selon la force dérogatoire entre la loi et

le traité dépende des règles de solution de conflit de normes qui s'appliquent en principe aux conflits

entre normes internes de même rang et de même provenance organique, parmi lesquels figurent lex

posterior derogat legi priori et lex specialis derogat legi generali. Toutefois, dans la pratique, les

juridictions ont rarement admis qu’une loi postérieure ou spéciale écarte l'application des dispositions

d’un traité en vigueur. Les règles de solution de conflit de normes internes ne sont en effet pas

appliquées au détriment des traités internationaux, et ce sur le fondement du supposé principe

d’ouverture de l’ordre juridique allemand au droit international160. De plus, le traité peut être considéré

comme lex specialis non concerné par les modifications ordinaires de la législation, d'autant plus que le

législateur ajoute fréquemment aux lois qui sont potentiellement contraires à des normes

conventionnelles des recommandations explicites en ce sens (dites « Unberührtheitsklauseln »).

La dérogation aux traités internationaux par norme législative se trouve au final largement limitée. La

primauté d'application du droit international par rapport à la loi s'étend aux traités internationaux qui

bénéficient dans la pratique des organes internes d'une force dérogatoire proche de celle des règles

générales du droit international.

B. La relation entre traités et coutumes déterminée par leurs forces dérogatoires internes respectives,

hormis le cas de l'abrogation définitive de l'une par l'autre dans la sphère internationale : les pratiques

autrichienne et française

Dans la pratique, les organes internes, tant autrichiens (1) que français (2), s'appuient sur les différents

fondements constitutionnels relatifs à la normativité du droit international, ce qui peut les conduire à

écarter dans un cas concret un traité au profit d'une coutume, ou inversement, et ce même si cela ne

correspond pas en l'occurrence à l'état du droit international. Il en va cependant autrement lorsque l'une

des normes en question a été définitivement détruite dans la sphère internationale par l'entrée en vigueur

de l'autre norme, car son abrogation dans la sphère internationale entraîne alors la perte de sa validité

interne.

159 BVerfGE 74, 358 – Unschuldsvermutung 160 Theodor Schilling, Rang und Geltung von Normen in gestuften Rechtsordnungen, 1994, Berliner Wissenschafts-Verlag, Berlin, 689 p., p. 447 et svtes ; Christian Hillgruber, « Die Fortentwicklung völkerrechtlicher Verträge als staatsrechtliches Problem : Wie weit trägt der Rechtsanwendungsbefehl des Zustimmungsgesetzes nach Art. 59 Abs. 2 Satz 1 GG ? », in : Josef Isensee, Helmut Lecheler (éds), Freiheit und Eigentum, Festschrift für Walter Leisner zum 70. Geburtstag, Duncker & Humblot, Berlin, 1999, 1058 p., pp. 53-74 ; Rudolf Geiger, Grundgesetz und Völkerrecht, 3ème édition, C.H. Beck, Munich, 2008, 480 p., p. 161 ; Mehrdad Payandeh, op. cit. note 18.

579

1. La doctrine autrichienne est partagée sur la question de la relation selon la force dérogatoire entre les

traités internationaux et les règles généralement reconnues du droit international. Pour la doctrine

majoritaire, le droit international général cède devant les dispositions contraires des traités

internationaux transformés par la voie de l'article 50 B-VG161. Néanmoins, il semble que la destruction

des traités dans la sphère internationale par modification coutumière n'est pas dépourvue d'effets

juridiques internes, du moins selon la jurisprudence :

Dans une décision rendue le 13 mars 1973162, la Cour constitutionnelle autrichienne estime qu'un traité

commercial en date du 12 avril 1930 conclu entre la République d'Autriche et le Reich allemand,

prévoyant une clause de la nation la plus favorisée en matière de propriété privée des particuliers, est

abrogé – aussi bien en tant que droit international qu'en tant que composante du droit interne autrichien

– par une coutume internationale particulière postérieure. Quand bien même le traité international en

question serait resté valide après la succession d'États de 1945 en raison d'une supposée continuité de la

personnalité juridique internationale entre l'État antérieur à l'annexion par l'Allemagne et l'actuelle

République d'Autriche, il est détruit par une pratique divergente et l'absence d'opinio juris des États

concernés. La Cour constitutionnelle évoque à propos de cette affaire explicitement la desuetudo du

traité international, qui est défini par la doctrine comme la « modification d'un traité par voie de

pratique subséquente aboutissant à l'émergence d'une règle coutumière 163 ».

2. Le cas français montre que la résolution des conflits de normes ne dépend pas seulement des règles

de solution de conflit matérielles (a), mais aussi des règles de solution de conflit formelles (b).

a. Les règles de solution de conflit matérielles

La doctrine et la jurisprudence françaises affirment presque à l'unanimité que les traités sont dotés d'un

rang dérogatoire «supra-législatif» et «infra-constitutionnel» dans la sphère du droit interne164.

161 Ludwig Jordan, « Bemerkungen zu Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », ZÖR, 1928, pp. 453-459, spécialement p. 455 ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 129, spécialement p. 455. Pour une opinion contraire : Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, spécialement pp. 181-183.162 VfSlg. 7014 ; JBl 1974, 86-90 ; affaire Amend c. Land du Tyrol. A propos de cette affaire, cf. Bruno Simma, « Termination and Suspension of Treaties: Two Recent Austrian Cases », GYIL, vol. 21, 1978, pp. 74-96. , spécialement p. 90 et svtes. 163 Giovanni Distefano, « La pratique subséquente des États parties à un traité », AFDI, vol. 40, 1994. pp. 41-71, spécialement p. 67. Cf. aussi antérieurement : Friedrich Berber, Lehrbuch des Völkerrechts, tome I – Allgemeines Friedensrecht, 2ème éd., C.H. Beck, Munich, 1975, 515 p., p. 492.164 La jurisprudence la plus commentée est celle du Conseil d'État, surtout : C.E., 20 octobre 1989, Ass., Nicolo, Leb. p. 748 (rang « supra-législatif ») ; C.E., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher e.a., Leb. p. 368 (rang « infra-constitutionnel »). Dans une doctrine abondante, cf. inter alia : Jean-François Flauss, « Le rang du droit international dans la hiérarchie des normes en droit français », LPA, 10 juillet 1992, n° 83, p. 16 et 15 juillet 1992, n°85, pp. 17-24 ; Denys de Béchillon, op. cit. note 27 ; Geneviève Burdeau, « République et supériorité des normes internationales », in : Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux (éds), La République en droit français, Economica, Paris, 1996, 360 p., pp. 291-307 ; Denis Alland, « Le droit international « sous » la Constitution de la Ve République », RDP, n° spécial, Les 40 ans de la Ve République, 1998, pp. 1659-1670 ; Denis Alland, « Consécration d'un paradoxe : primauté du droit international

580

L'attribution en droit interne d'un rang dérogatoire aux traités différencié de celui des coutumes ne

correspond apparemment pas au principe lex posterior qui règle en droit international la relation entre

les traités internationaux et les coutumes internationales, et dont l'alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946 commande le respect par les organes internes.

A l'occasion d'une situation de conflit entre un traité international et une coutume internationale dans la

sphère du droit interne, deux règles de solution de conflits de normes matérielles susceptibles de

conduire à des solutions contraires semblent pertinentes : le principe lex superior qui prévoit que la

norme supérieure dans l'ainsi dite «pyramide des normes» prévaut sur la norme inférieure, mais

l'indétermination du rang dérogatoire du droit international général contraste en l'occurrence avec la

détermination du rang dérogatoire des traités ; le principe lex posterior, tel qu'issu du droit international,

suivant lequel la norme postérieure prévaut sur la norme qui lui est antérieure.

La difficulté relative à la règle de solution de conflits de normes applicable s'avère persistante : d'un

côté, le principe lex superior semble implicitement prévu par la Constitution même, mais sa mise en

œuvre se heurte à l'indétermination relative à la relation hiérarchique entre les normes en question ; de

l'autre côté, le principe lex posterior tel qu'issu du droit international n'a pas en apparence de valeur

constitutionnelle, étant donné qu'il n'est pas identique au principe constitutionnel implicite lex posterior,

sans qu'il soit pour autant exclu qu'il puisse prévaloir en tant lex specialis qui régit le domaine des

conflits entre normes internationales. La jurisprudence des juridictions ordinaires française a plutôt

tendance à considérer que, en présence d'un conflit entre deux règles de solution de conflits de normes,

la norme la plus spéciale prévaut. En cela, l’absence d'une hiérarchie expressément déterminée dans la

sphère du droit interne entre traité international et coutume internationale conduit le juge judiciaire à

faire prévaloir la norme la plus récente165, ce qui n'empêche pas qu'il tente souvent par ailleurs de

rattacher la norme coutumière applicable en l'espèce à un fondement conventionnel166.

sur le droit interne », RFDA, 1998, pp. 1094-1104 ; Serge Sur, « Progrès et limites de la réception du droit international en droit français », in : Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani (éds), Droit international et droits internes, développements récents, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis (Colloque des 16-17-18 avril 1998), A. Pedone, Paris, 1998, 318 p., pp. 227-243 ; Jörg Gundel, « Der Status des Völkerrechts in der französischen Rechtsordnung nach der neueren Rechtsprechung des Conseil d'État : Von der Öffnung zum Rückzug? », AVR, vol. 37, 1999, p. 438 et svtes ; Pierre-Marie Dupuy (éd.), Droit international et droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, éd. Panthéon-Assas, Paris, 2001, 128 p. ; Monique Chemillier-Gendreau, « Sur les rapports du droit interne et du droit international dans l'ordre constitutionnel », in : Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet – L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Dalloz 2003, 966 p., p. 105 et svtes ; Baptiste Bonnet, « Le Conseil d'État, la Constitution et la norme internationale », RFDA, 2005, pp. 56-68.165 C.A. Rennes, 26 mars 1979, Rego Sanles, A.F.D.I. 1980, p. 822 et svtes ; Cass. crim, 6 octobre 1983, Barbie, JCP 1983.II.20107 ; dans un sens contraire : Cass. crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim. 1980, p. 563 (la solution de cette affaire est toutefois justifiée non par des règles de solution de conflit matérielles, mais par une règle de solution de conflit formelle supposée interdire au juge ordinaire « de se prononcer sur le maintien en vigueur d'une convention internationale non dénoncée »).166 Dans l’affaire Klaus Barbie la Cour de cassation justifie ainsi l'applicabilité des coutumes internationales prohibant les crimes contre l'humanité : « En raison de la nature de ces crimes, ces dispositions sont conformes aux principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, auxquels se réfèrent l’article 15 § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 7 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ; elles résultent de traités internationaux régulièrement intégrés à l’ordre juridique interne et ayant une autorité supérieure à celle des lois en vertu de l’article 55 de la Constitution » ; cf. Cass. crim, 6 octobre 1983, JCP 1983.II.20107.

581

b. Les règles de solution de conflit formelles

La résolution des conflits entre les traités et les coutumes dans la sphère du droit interne ne dépend pas

uniquement des règles de solution de conflit matérielles (lex superior, lex posterior, lex specialis), mais

aussi des règles de solution de conflit formelles. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en offre

une illustration :

En raison de sa compétence contentieuse, la juridiction constitutionnelle française applique les

«principes généraux du droit public international»167, mais non les traités internationaux168, en tant que

normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Il s'ensuit que, dans le cadre du contrôle de

constitutionnalité, mais uniquement dans celui-ci, étant donné que le juge ordinaire est habilité à faire

prévaloir les traités internationaux sur la loi169, seules les normes visées par l'alinéa 14 prévalent sur la

loi. Une synchronisation accrue entre droit international et droit interne semble désormais devenue

possible à travers l'unification du contentieux juridictionnel telle qu'elle résulte de l'institution du

contrôle constitutionnel a posteriori des lois auquel participent les juridictions ordinaires (révision

constitutionnelle du 23 juillet 2008 créant l'article 61-1 de la Constitution). Dans ce cadre, il reviendrait

éventuellement aux juridictions ordinaires de contrôler la conformité des lois par rapport aux traités

internationaux sur le fondement de l'article 55 de la Constitution puis, dans la même affaire, au Conseil

constitutionnel de contrôler la conformité de celles-ci par rapport aux règles du droit public

international de l'alinéa 14.

De manière générale, le calcul des défauts des normes dans la sphère du droit international connaît des

incidences sur leur calcul de défauts dans la sphère du droit interne. Si une norme internationale ne

satisfait plus aux exigences concernant sa validité internationale, on voit difficilement comment elle

pourrait encore satisfaire aux exigences concernant sa transformation en droit interne, donc sa validité

interne. Cela peut expliquer que la pratique des organes internes, qui identifient les données du droit

international en vue d'identifier les données du droit interne résultant du processus de transformation,

s'oriente vers une application du droit international « en l'état », nonobstant les différenciations de

traitement des normes internationales déterminées par la constitution. Il en ira cependant autrement

lorsque la constitution contient des exigences formelles strictes concernant l'une ou l'autre des formes

normatives internationales, qui suppose un traitement interne clairement différencié.

167 N° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29.168 N°74-54 DC du 15 janvier 1975, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19.169 Cass, 24 mai 1975, Administration des douanes c. Sté « Cafés Jacques Vabre » ; CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748. Cf. supra : « la "théorie de la loi-écran" dite encore "théorie de l'écran législatif" ».

582

Conclusion : les règles générales du droit international et le droit des organisations internationales et

supranationales

Dans le système juridique des États, il peut y avoir conflit entre normes du droit international général et

normes produites par les organisations internationales ou supranationales, ces dernières étant même

parfois de forme coutumière170. En l'absence d'une disposition constitutionnelle spéciale déterminant la

force dérogatoire des normes dérivées des organisations internationales ou supranationales171, celles-ci

ont généralement, dans le cadre du système juridique interne, une force dérogatoire équivalente à celle

des traités internationaux sur lesquels elles sont fondées172.

Le cas du droit de l'Union européenne est original en ce que, suivant le Professeur Otto Pfersmann : « la

primauté européenne est pour certains actes directement dérogatoire, c'est-à-dire que, dans certaines

hypothèses, la norme communautaire ne fixe pas simplement une obligation pour les États membres,

mais rend en tant que telle inapplicable une norme interne portant sur les mêmes actions et exigeant un

résultat différent et que l'on qualifie habituellement de "contraire" 173». Dans une situation de conflit

entre une norme dérivée de l'Union européenne et une norme internationale non conventionnelle, les

170 Cf. généralement à ce sujet : Gérard Cahin, La coutume internationale et les organisations internationales, A. Pedone, Paris, 2001, 782 p. 171 Cf. à propos du droit français : Agnès Roblot-Troizier, op. cit. note 18 (avec de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles) ; Thibaut de Berranger, « alinéa 15 », in : Gérard Conac, Xavier Prétot, Gérard Teboul (eds.), Le Préambule de la Constitution de 1946 : histoire, analyse et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, 467 p., pp. 357-380. A propos du droit allemand, cf. inter alia : 1. généralement : Frank Schorkopf, Grundgesetz und Überstaatlichkeit : Konflikt und Harmonie in den auswärtigen Beziehungen Deutschlands, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2007, 355 p. (avec une ample bibliographie) ; 2. spécialement : a) à propos du droit de l'Union européenne (dans une littérature abondante) : Matthias Cornils, « Art. 23 Abs. 1 GG : Abwägungsposten oder Kollisionsregel ? », AÖR, vol. 129, 2004, pp. 336-377 ; b) à propos de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 : Karl Doehring, « Europäische Menschenrechstkonvention ohne Verfassungsrang », in : Klaus Grupp, Ulrich Hufeld (eds), Recht – Kultur – Finanzen, Festschrift für Reinhard Mußgnug zum 70. Geburtstag am 26 Oktober 2005, C. F. Müller, Heidelberg, 2005, 706 p., pp. 305-310 ; Hans-Jürgen Papier, « Umsetzung und Wirkung der Entscheidungen des Europäischen Gerichtshofes für Menschenrechte aus der Perspektive der nationalen deutschen Gerichte », EuGRZ, vol. 33, 2006, pp. 1-3 ; Frank Czerner, « Das völkerrechtliche Anschlusssystem der Art. Artikel 59 GG II 1, 25 und 24 I GG und deren Inkorporierungsfunktion zugunsten der innerstaatlichen EMRK-Geltung », EuR, n°5, 2007, pp. 537-563 ; c) à propos des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU : Thomas Bruha, Markus Krajewski, « Funktionswandel des Sicherheitsrates als Verfassungsproblem », Vereinte Nationen, vol. 46, 1998, pp. 13-18 ; Mehrdad Payandeh, « Rechtskontrolle des UN-Sicherheitsrates durch staatliche und überstaatliche Gerichte », ZaöRV, vol. 66, 2006, pp. 41-71. A propos du droit autrichien, cf. inter alia : 1. généralement : Felix Ermacora, Waldemar Hummer, « Völkerrecht, Recht der Europäischen Union, und Landesrecht », in : Hanspeter Neuhold, Waldemar Hummer, Christoph Schreuer (eds.), Österreichisches Handbuch des Völkerrechts, tome 1 : Textteil, 4ème éd., Vienne 2004, 1278 p, pp. 228-232, pp. 111-132 ; 2. spécialement : Josef Hlavač, « Zur innerstaatlichen Verbindlichkeit internationaler Arbeitsübereinkommen », Das Recht der Arbeit, 1952, pp. 19-23 ; Ulrike Brandl, « Die Umsetzung der Sanktionsresolutionen des Sicherheitsrats im österreichischen Recht », ZÖR, vol. 54, 1999, pp. 161-218. 172 A propos des organisations internationales, la doctrine allemande considère que les organes internes allemands ne sont pas liés par les décisions des juridictions étrangères, internationales ou d’arbitrage sur le fondement d’une « règle générale du droit international ». Une telle relation découle uniquement des traités eux-mêmes (par exemple, l'article 53 Conv.E.D.H ou l'article 59 du Statut de la C.I.J.) ou du droit de collision interne allemand (§ 328 ZPO).Par exception, il se peut que la validité interne des normes produites par les organisations internationales soit fondée non sur l'article 59 al. 2 LF, mais sur des normes constitutionnelles spéciales – en particulier l'article 24 LF qui autorise des transferts de souveraineté à des « institutions internationales ». 173 Otto Pfersmann, « La primauté : double, partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », CCC, n° 18, 2005, pp. 138-141.

583

premières dérogent quasiment dans tous les cas174 au droit international général, et ce, alors même que

les principes généraux du droit international sont supérieurs au droit de l'Union européenne dans la

hiérarchie des normes selon l'ordre de production175. Dans une autre configuration, le droit international

général bénéficie aussi souvent, de manière indirecte, de la force dérogatoire du droit de l'Union

européenne dans les droits internes, puisque certaines normes dérivées de l'Union européenne en sont la

concrétisation176.

174 Cf. pour illustration : Eugène Schaeffer, « Monisme avec primauté de l'ordre juridique communautaire sur le droit international », Annuaire de droit maritime et aérien, 1993, pp. 565-589. 175 Cf. supra : « La question du droit de l'Union européenne en tant que système juridique partiellement intermédiaire entre le droit international général et le droit interne »176 Cf. inter alia : Vaughan Lowe, « Can the European Community Bind the Member States on Questions of Customary International Law ? », in : Martti Koskenniemi (éd.), International Law Aspects of the European Union, Kluwer, La Haye, 1998, 324 p., pp. 149-168 ; Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, op. cit. note 101.

584

Titre 2

L'application téléologique des règles générales du droit international

par les organes internes

En certaines situations, en droit international comme en droit interne 1, la sanction à la non-conformité

d'une norme consiste non en sa destruction (notamment par annulation), mais en une sanction

personnelle s'adressant à l'organe qui l'a créée. Cette situation juridique est relativement habituelle en

droit international. L'État est certes libre de produire des normes dans sa sphère interne 2, mais si le

comportement de l'État en son ensemble, c'est-à-dire aussi bien son comportement de production de

normes3 que ses autres comportements, n'est pas conforme au droit international, l'État devient 1 Dans le cadre des systèmes juridiques internes contemporains, qui se distinguent là en leur contenu des systèmes juridiques dits « primitifs » (dont le droit international), la tendance consiste à sanctionner la non-conformité d'une norme par la destruction de la norme en question. On continue tout de même à trouver des cas de sanction personnelle envers l'organe qui a produit la norme « non-conforme » dans les systèmes juridiques internes contemporains. Par exemple, au sein du système juridique d’un État fédéral, la violation de la constitution fédérale par un État fédéré ou un ensemble d’États fédérés, mais aussi la violation de la constitution fédérale par la Fédération lorsqu'elle outrepasse ses compétences, peut éventuellement être sanctionnée par une guerre à l'encontre de l'entité fautive (à propos de la Bundesexekution, cf. Hans Kelsen, « Die Bundesexekution. Ein Beitrag zur Theorie und Praxis des Bundesstaates, unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Reichs- und der österreichischen Bundes-Verfassung », in : Zaccaria Giacometti, Dietrich Schindler (éds), Festgabe für Fritz Fleiner zum 60.Geburtstag 24.Januar 1927, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1927, 431 p., pp. 127-187). 2 Certains auteurs affirment que l'on trouverait dans le droit international positif le principe suivant : « Although there is, in principle, no obligation under international law to make the rules of international law invocable before domestic courts, once the invocability is accepted, the domestic court is under an international obligation to apply the rule of (customary) international law correctly » ; cf. Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, Giving Effect to Customary International Law through European Community Law, Université catholique de Louvain, Institute for International Law, Working Paper n° 25, Juin 2002, 49 p., p. 25.Aucun élément du doit positif ne confirme l'existence d'un tel principe du droit international : une transformation erronée du droit international par les États ne semble nullement être prohibée en elle-même par le droit international général.3 Il convient de distinguer le comportement de production de la norme de la norme elle-même. Le comportement de production de normes n'est pas une norme mais une condition de formation de la norme. A propos de cette distinction, cf. inter alia : Hans Kelsen, « La théorie juridique de la convention », Archives de philosophie de droit, 1940, pp. 33-70. Hans Kelsen développe en l'occurrence cette analyse à propos des contrats : il faut distinguer l'« acte juridique », comportement factuel conditionnant l'existence de la convention (par exemple, l'expression de la volonté), de la convention elle-même qui est une norme.

585

internationalement sanctionnable. Afin d'éviter une telle situation, les organes internes appliquent

souvent le droit international de manière à éviter un manquement international de l'État (« application

téléologique du droit international »).

L'analyse de l'application téléologique du droit international appelle plusieurs observations

préliminaires, relatives tant aux données du droit international (α) qu'à celles du droit interne (β) :

α. Les obligations internationales de l'État eu égard au principe d'indifférence du droit international

par rapport au droit interne

i. Le droit international est en principe indifférent par rapport au contenu du droit de l'État, de telle sorte

que le droit international ne détermine pas de technique par laquelle les États doivent respecter leurs

obligations internationales. Les États sont tenus de se comporter conformément au droit international,

mais les moyens par lesquels ils doivent satisfaire cette obligation de conformité sont en principe

indéterminés.

ii. L’indifférence du droit international par rapport au contenu du droit de l'État est normative, et non

naturelle, ni idéale. Le droit international prévoit le contenu relativement indéterminé des droits

étatiques internes (autonomie normative de l'État), cela ne signifiant pas pour autant que le droit interne

soit doté d’un mode d’existence distinct de celui du droit international. Au contraire, l’existence même

et le contenu du système juridique interne – ne serait-ce que négativement, de par la large autorisation

dont disposent les États de prévoir leur contenu normatif interne – sont conditionnés par le droit

international.

iii. Le droit international lui-même limite juridiquement le principe d’indifférence du droit international

par rapport au contenu du droit interne. Un certain ensemble de principes du droit international

autorisent en effet des exceptions au principe d'indifférence, parmi lesquelles on trouve l'applicabilité

directe du droit international.

iv. Le principe d’indifférence du droit international par rapport au droit interne signifie aussi que le droit

international prévoit globalement l’existence du système juridique interne en ne différenciant pas dans

la sphère interne de l’État ce qui relève d’une part de comportements normatifs, d’autre part de simples

comportements factuels4. En cela, le droit international ne prévoit en principe que la validité globale du

4 Selon l'article 2 du Projet de la Commission du droit international sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite supposé codifier le droit international général (résolution 56/83 de l’Assemblée générale en

586

système juridique étatique et n’attribue pas une qualité propre aux normes valides dans la sphère

domestique de l’État. Et il s'ensuit une validité des normes internes de l’État proprement étatique, et

non internationale. En principe, le droit international n'attache ni conditions particulières, ni effets

particuliers, à la validité d’une norme du droit interne5.

La Cour permanente de justice internationale, à l'occasion de son arrêt du 25 mai 1926, Affaire relative

à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), dit que : « [Au] regard du droit

international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples faits, manifestations de

la volonté et de l’activité des États, au même titre que les décisions judiciaires ou les mesures

administratives6 ». La Cour identifie en l'occurrence un des aspects du principe d’indifférence du droit

international par rapport au droit interne7 qui consiste en ce que le droit international traite le droit

interne des États comme un simple comportement étatique, ne se différenciant pas d’autres activités

étatiques non normatives. Le droit international ne conditionne pas en principe la validité et le contenu

des normes internes, mais c’est l’ensemble du comportement étatique – au sens du droit international,

soit comprenant aussi bien la pratique de l'État que le droit interne – qui est susceptible d’être

sanctionné en cas de violation du droit international.

Le droit international attribue une validité à l'ensemble du système juridique interne, et ce dernier

attribue une validité aux normes internes. Le droit international fonde donc indirectement les normes

qui composent le droit interne. Leur qualification en tant que « simples faits » signifie que le droit

international y est indifférent, c'est-à-dire négativement qu'il ne prévoit pas la composition du système

juridique interne (procédure de production et de destruction, contenu matériel, etc.), et positivement

date du 12 décembre 2001) : « il y a fait internationalement illicite de l'État lorsque : - un comportement consistant en une action ou une omission est attribuable, d'après le droit international, à l'État, et, - que ce comportement constitue une violation d'une obligation internationale ». Cf. inter alia à propos des difficultés de la codification : Pierre-Marie Dupuy, « Reviewing the difficulties of codification: on Ago's classification of obligations of means and obligations of result in relation to state responsibility », EJIL, vol. 10, 1999, pp. 371-385. 5 L'affirmation suivant laquelle les normes internes constituent de simples « faits » en droit international signifie en vérité, entre autres, que les organes internationaux ne sont pas tenus de prendre en considération les normes internes (cf. C.P.I.J., arrêt du 25 mai 1926, Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Allemagne c. Pologne, Rec. C.P.I.J. Série A, n°7, pp. 4-42, spéс. P. 19).6 C.P.I.J., arrêt du 25 mai 1926, Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Allemagne c. Pologne, Rec. Série A, n°7, pp. 4-42, spéс. p. 19. Cf. aussi : C.P.I.J., arrêt, 17 août 1923, Vapeur «Wimbledon», série A, n° 1, pp. 29-30 ; C.P.I.J., arrêt, 7 septembre 1927, Lotus, série A, n° 10, p. 24; C.P.I.J., ordonnance, 6 décembre 1930, Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, série A, n° 24, p. 12 ; C.P.I.J., arrêt, 7 juin 1932, Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, série A/B, n° 46, p. 167; C.I.J., arrêt, 18 décembre 1951, Pêcheries norvégiennes, Rec. 1951, p. 132 ; C.I.J., arrêt, 6 avril 1953, Nottebohm (exceptions préliminaires), Rec. 1953, p. 123 ; C.I.J., arrêt, 28 novembre 1958, Application de la Convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs, Rec. 1958, p. 67; C.I.J., avis consultatif, 26 avril 1988, Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en vertu de la section 21 de l'Accord du 26 juin 1947 relatif au Siège de l'Organisation des Nations Unies, Rec. 1988, pp. 34-35, par. 57.7 Cf. à ce sujet, la thèse de doctorat du Professeur Carlo Santulli : Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p.. Cf. aussi : Daniel Thürer, « Völkerrecht und Landesrecht : Thesen zu einer theoretischen Problemumschreibung », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht, vol. 9, 1999, pp. 217-224 ; André Nollkaemper, « The Role of Domestic Courts in the Case Law of the International Court of Justice », Chinese Journal of International Law, vol. 5, 2006, pp. 301-322.

587

qu'il attache aux normes internes les mêmes conséquences sur le droit international qu'à l'ensemble des

comportements relevant de la sphère de compétence interne de l'État.

v. Le principe d’indifférence du droit international par rapport au droit interne ne fait pas obstacle à ce

que le droit international prévoie largement et profondément les obligations de l’État. L’obligation de

comportement conforme de l’État au droit international s'étend en effet largement, parce qu’elle

concerne l'ensemble des comportements étatiques et non uniquement ceux relatifs à la validité interne

de telle ou telle norme, et profondément, étant donné que la transformation des normes internationales

en droit interne n’est pas dans tous les cas suffisante pour garantir la conformité du comportement de

l’État à ses obligations internationales : encore faut-il que la pratique de l’État y soit conforme. Une

tendance doctrinale, qui prétend s'inscrire dans la lignée du « monisme à primauté de droit

international », affirme que le principe dit «Alabama8», suivant lequel les États ne peuvent invoquer leur

droit interne pour justifier une violation du droit international, s'accompagne d'une d'implication

positive : les normes internationales doivent prévaloir sur le droit interne dans le cadre du droit interne.

Le droit positif ne contient pourtant pas de données en ce sens, et on ne trouve guère qu'une implication

négative de ce principe : l'interdiction pesant sur l'État de manquer à ses obligations internationales,

même dans le cas où le contenu de son droit interne s'y oppose.

vi. Quel est le comportement étatique visé par le droit international ? Il s’agit du comportement de

l’État tel que prévu par le droit international. L'État est concurremment défini en droit international par

la technique de qualification des faits, ce qui suppose que l'État lui-même est parfois considéré comme

un «fait»9, et par le «principe de souveraineté», qui est une norme d'habilitation du droit international

impliquant une relation juridique entre un système juridique délégataire et un système juridique

délégué. L'État, en tant que sujet du droit international, est un système juridique relativement centralisé

8 S.A., 14 septembre 1872, Alabama (États -Unis c. Royaume-Uni), R.A.I., vol. 2, p. 780. Cf. aussi : C.P.I.J., avis consultatif, 21 février 1925, Échange de populations grecques et turques, série B, n° 10 ; C.P.I.J., avis consultatif, 31 juillet 1930, « Communautés » gréco-bulgares, série B, n°17 ; C.P.I.J., avis consultatif, 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais à Danzig, série A/B, n°44, p. 24. Cf. généralement : Pierre-Marie Dupuy, « Relations between the International Law of Responsibility and Responsibility in Municipal Law », in : James Crawford, Alain Pellet, Simon Olleson (éds), The Law of International Responsibility, Oxford University Press, Oxford, 2010, 1373 p., pp. 173-183. 9 L'État « en tant que fait » se conçoit comme un ensemble d'individus présentant une certaine structure. « En tant que fait », l'État constitue une condition de formation de certaines normes internationales, parmi lesquelles on trouve les normes déterminant sa propre sphère de compétence en tant que personnalité juridique (sur le fondement du principe d'effectivité du droit international) et les normes de sanction qui lui sont adressées lorsqu'il transgresse le droit international. La possibilité qu'un système juridique traite ce qui semble être un même objet concurremment comme un « fait » et comme un « un ensemble de normes » ne doit pas surprendre. En droit interne, l'individu est en effet un « fait » auquel le système juridique attribue une « personnalité juridique », c'est-à-dire un ensemble d'habilitations, telles contracter ou saisir une juridiction. Il convient ici de distinguer le « fait », qui constitue une condition de formation de la « norme » (par exemple, l'existence d'individus ou d'une communauté d'individus juridiquement pertinente), de la « norme » elle-même (par exemple, la « personnalité physique » ou la « personnalité morale de l'État »).Pour une analyse théorique du « fait », cf. Otto Pfersmann, « fait », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 695-678.

588

inférieur uniquement au droit international10 :

Formellement, l’État est un système juridique dont la sphère de compétence est délimitée par le droit

international. L’étendue – la sphère de compétence – d’un État telle que déterminée par le droit

international ne correspond pas dans tous les cas à celle prévue par le droit interne en question (par

exemple, lors du processus de décolonisation, la sphère de compétence territoriale

constitutionnellement délimitée d'un État peut comprendre des entités qui s'en sont pourtant séparées en

droit international, sur le fondement du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes).

Matériellement, le comportement étatique comprend l’ensemble des comportement qui lui sont

imputables11 : comportements normatifs ou simples comportements factuels, action ou abstention,

comportements réalisés par un organe étatique ou par des acteurs privés dont le comportement est

rattachable à celui de l’État en question (population civile de l’État en son ensemble, groupes armés

agissant sur un territoire étranger dirigés par un État tiers au conflit, simples ressortissants nationaux...).

vi. Par le principe d'indifférence par rapport au droit interne, qui est de forme coutumière, le droit

international autorise la «fermeture» du système juridique interne par rapport aux normes

internationales. Il s'ensuit que l’État bénéficie en principe de toute latitude pour prévoir une plus ou

moins grande «ouverture» du système juridique interne au droit international, par exemple en

choisissant la transformation ipso iure d'un certain ensemble de normes internationales en droit interne

au moyen d'une disposition constitutionnelle explicite ou, à l'opposé, en n’attachant aucun effet

juridique interne déterminé à la validité d’une norme dans la sphère du droit international.

β. L'incidence du choix de la transformation sur la conformité du comportement de l'État au droit

international :

i. L'éventuelle transformation ipso iure du droit international en droit interne opérée par la constitution

n’est pas à elle seule suffisante pour assurer la conformité du comportement de l’État au droit

international. D'une part, le droit international exige en principe un comportement global – y compris

factuel – de l’État conforme, donc encore faut-il que l’État réalise, dans les faits, ses obligations

10 Cf. dans une littérature abondante : Joseph G. Starke, « The Primacy of International Law », in : Salo Engel (éd.) avec la coopération de Rudolf A. Metall, Law, State, and International Legal Order: Essays in Honor of Hans Kelsen, University of Tennessee Press, Knoxville, 1964, 365 p., pp. 307-316 ; Joe Verhoeven, « L’État et l’ordre juridique international – Remarques », RGDIP, 1978, pp. 749-774 ; Julio A. Barberis, « Nouvelles questions concernant la personnalité juridique internationale », RCADI, vol. 179, 1983, pp. 145-187.11 Cf. inter alia, dans une littérature abondante : Pierre-Marie Dupuy, « Le fait générateur de la responsabilité internationale des États », RCADI, vol. 188, 1984, pp. 9-134 ; Eric Wyler, « Quelques réflexions sur la réalisation dans le temps du fait internationalement illicite », RGDIP, 1991, pp. 881-910 ; Pierre-Marie Dupuy (1999), op. cit. note 4 ; André Nollkaemper, « Constitutionalization and the Unity of the Law of International Responsibility », Indiana Journal of Global Legal Studies, vol. 16, 2009, pp. 535-563.

589

internationales ; d'autre part, la validité d'une norme internationale transformée en droit interne, qui

trouve son fondement dans une norme interne, n’est pas formellement identique à sa validité

internationale, quant à elle fondée sur une norme internationale, et il s'ensuit que le droit international

transformé en droit interne n’est pas le droit international «en tant que tel » (per se), sa validité étant

conditionnée par une norme interne qui lui reste supérieure dans la hiérarchie interne des normes selon

l'ordre de production.

ii. L’obligation générale de conformité de l’État au droit international n 'est que rarement prévue de

manière explicite par une disposition constitutionnelle nationale, même si l'alinéa 14 du Préambule de

la Constitution de 1946 peut, en raison de sa formulation générale, faire l'objet d'une telle lecture : « La

République française, fidèle à ses traditions, se conforme12 aux règles du droit public international ».

Dans la plupart des cas, les constitutions nationales contiennent seulement, parmi leurs normes

formelles, des dispositions spéciales relatives au droit international, à l'instar d'un ensemble de

dispositions constitutionnelles relatives à la normativité interne des traités internationaux ou des règles

générales du droit international, et non une obligation générale de conformité au droit international.

γ. Définition de l'application téléologique

Le droit international ne prévoit pas en principe d'obligation pesant sur l'État de transformer les normes

internationales en droit interne, mais oblige celui-ci de manière globale à se comporter conformément à

ses obligations internationales. Et, dans le cadre du système juridique interne, deux procédés qui

attribuent un certain effet dérogatoire au droit international pourront être distingués : la «transformation

formelle» du droit international en droit interne et l'«application téléologique» du droit international. A

travers la «transformation formelle», les normes issues du droit international deviennent des normes

internes parmi d'autres, sur le fondement de normes internes disposant spécifiquement qu'elles sont des

« composantes du droit interne » (disposition de transposition, procédure de transformation ad hoc...), et

rien n'indique que leurs modalités d'application diffèrent alors de celles des autres normes internes. Par

l'«application téléologique», les organes internes sont tenus se conformer dans leur comportement aux

obligations internationales afin que le comportement global de l’État soit le plus possible conforme au

droit international, ce qui implique, entre autres, d'écarter dans certains cas l'application de normes

internes.

La pratique contemporaine des organes internes tend à privilégier une application téléologique du droit

international par rapport au simple respect des dispositions «formelles» de la constitution, ce qui ne va

pas sans soulever le problème du fondement d'une telle habilitation d'appliquer téléologiquement le

12 Cette lecture peut ainsi être formulée « L'État doit conformer l'ensemble de son comportement, normatif ou non normatif, aux obligations du droit international général. »

590

droit international (chapitre I). Pour la doctrine actuellement dominante13, l'effectivité accrue du droit

international est surtout la résultante d'un activisme juridictionnel poursuivant un objectif de conformité

du droit interne au droit international, mais ce phénomène peut s'expliquer de manière plus formelle par

les modalités de mise en œuvre de l'application téléologique du droit international par les organes

internes (chapitre II).

13 Cf. inter alia dans une littérature abondante : Friedrich Kratochwil, « The Role of Domestic Courts as Agencies of the International Legal Order », in: Richard Falk, Friedrich Kratochwil, Saul H. Mendlovitz (éds), International Law, A Contemporary Perspective, Westview, Boulder/Londres, 1985, 715 p., pp. 236–263 ; Henry G. Schermers, « The Role of Domestic Courts in Effectuating International Law », Leiden Journal of International Law, vol. 3, 1990, p. 77-85 ; Jonathan Turley, « Dualist Values in the Age of International Legisprudence », Hastings Law Journal, vol. 44, 1993, p. 185 et svtes ; Robert Y. Jennings, « The Judiciary, International and National, and the Development of International Law », ICLQ, vol. 45, 1996, pp. 1-12 ; Karen Knop, « Here and There: International Law in Domestic Courts », New York University Journal of International Law and Policy, vol. 32, 2000, pp. 501-535 ; Thomas A.J.A. Vandamme, Jan-Herman Reestman (eds), Ambiguity in the Rule of Law : the Interface Between National and International Legal Systems, Europa Law Publishing, Groningue, 2001, 175 p. ; Gerrit Betlem, André Nollkaemper, « Giving Effect to Public International Law and European Community Law before Domestic Courts. A Comparative Analysis of the Practice of Consistent Interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589 ; Carsten Lutz, Kompetenzkonflikte und Aufgabenverteilung zwischen nationalen und internationalen Gerichten : erste Bausteine einer Weltgerichtsordnung , Duncker & Humblot, Berlin, 2003, 231 p. ; André Nollkaemper (2006), op. cit. note 7 ; Pierre-Marie Dupuy, « L’Unité d’Application du Droit International à l’Echelle Globale et Responsabilité des Juges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, p. 21 et svtes ; Mattias Kumm, « Constitutional Democracy Encounters International Law : Terms of Engagement », in : Sujit Choudhry (éd.), The Migration of Constitutional Ideas, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, 458 p., pp. 256-293 ; Mayo Moran, « Shifting Boundaries: The Authority of International Law », in : Janne Nijman, André Nollkaemper (eds), New Perspectives on the Divide Between National and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2007, 380 p., pp. 163-191 ; Anne Peters, « Supremacy Lost : International Law Meets Domestic Constitutional Law », Vienna Online Journal on International Constitutional Law, vol. 3, 2009, pp. 170-198 ; Yuval Shany, « National Courts as International Actors: Jurisdictional Implications », Hebrew University International Law Research Paper, n°22, 2008, disponible sur : http://ssrn.com/abstract=1292056 ; Fiona de Londras, « Dualism, Domestic Courts, and the Rule of International Law », in : Mortimer Sellers, Tadeusz Tomaszewski (éds), The Rule of Law in Comparative Perspective, Springer, Dordrecht/Heidelberg/Londres/New York, 2010, 253 p., pp. 217-244 ; André Nollkaemper, « The Rapprochement between the Supremacy of International Law at International and National Levels », in : Hélène Ruiz Fabri, Rüdiger Wolfrum, Jana Gogolin (éds), Select Proceedings of the European Society of International Law, vol. 2 (2008), Hart, Oxford, 2010, 765 p., pp. 239-254 ; André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 24 février 2011, 250 p. ; Antonios Tzanakopoulos, « Domestic Courts as the "Natural Judge" of International Law : A Change in Physiognomy », in : James Crawford, Sarah Nouwen (éds), Select Proceedings of the European Society of International Law (2010), vol. 3, Hart, Oxford, 2012, 418 p., pp. 155-168.

591

Chapitre 1

L'obligation générale de conformité au droit international en droit interne

L'effet dérogatoire des différentes normes internationales non conventionnelles ne semble pas uniforme

dans la pratique interne. Une pratique convergente des organes internes des différents États qui tend à

faire correspondre l'effet dérogatoire de ces normes à l'étendue des exigences du droit international

concernant le comportement conforme de l'État apparaît en effet manifeste. En particulier, plus une

violation au droit international par l'État est possible et grave, plus les organes internes écartent

l'application des normes internes qui pourrait aboutir à une telle violation. Une analyse empirique

montre qu'une telle pratique des organes internes présente un caractère trop récurrent («systématique»)

pour être imputée à la seule volonté des organes d'application du droit (section 1).

Les constitutions nationales ne contiennent généralement pas de normes qui autorisent explicitement les

organes internes à une application différenciée des normes internationales en fonction de la probabilité

de violation du droit international lui-même. Il en découle la question du fondement de l'habilitation à

appliquer téléologiquement le droit international (section 2). La doctrine émet plusieurs hypothèses à ce

propos : un fondement international par un principe du droit international qui obligerait les organes

internes à appliquer le droit interne de manière compatible avec les obligations internationales de l'État

(notamment, la version internationale de la théorie dite de la « consistent interprétation »1) ; un

fondement interne, soit par un principe constitutionnel implicite (par exemple, en droit allemand, le

« principe d'ouverture au droit international »), soit par effet récursif du droit international général

transformé en droit interne puisque, parmi les normes internationales devenues composantes du droit

interne, on trouve certains principes généraux qui pourraient justifier la non-application du droit

international par un organe interne (principe d'indifférence du droit international), ou à l'extrême opposé

son indérogeabilité (applicabilité directe, ius cogens).

1 Cf. Gerrit Betlem, André Nollkaemper, « Giving Effect to Public International Law and European Community Law before Domestic Courts. A Comparative Analysis of the Practice of Consistent Interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589 ; Pierre-Marie Dupuy, « L’Unité d’Application du Droit International à l’Echelle Globale et Responsabilité des Juges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, p. 21 et svtes. Même si la plupart des auteurs demeurent incertains quant à la positivité d'un principe du droit international obligeant les organes internes à une « interprétation conforme » du droit international, les internationalistes s'accordent pour constater qu'une pratique relativement uniforme des États est observable, qui pourrait éventuellement contribuer à la formation d'une coutume internationale en ce sens.

592

Section 1 : Les variations de l'effet dérogatoire des normes du droit international suivant le

domaine matériel régi dans la pratique des organes internes

L'effet dérogatoire d'une norme internationale dans la sphère du droit interne ne paraît pas

exclusivement déterminé par la force dérogatoire qui est constitutionnellement attribuée à sa forme

normative (à l'instar du rang dérogatoire «supra-législatif» de la forme normative «règle générale du

droit international» dont dispose l'article 25 LF). L'observation de la pratique des organes internes

conduit à constater que l'effet dérogatoire varie aussi suivant le contenu de la norme internationale en

question.

De manière générale, parmi les normes internationales transformées en droit interne, les coutumes d'un

haut degré de généralité prévalent rarement sur le restant du droit interne, comme par exemple le

principe général du droit international du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », tandis que

d'autres coutumes plus concrètes – surtout celles de caractère technique – prévalent dans la plupart des

cas sur les normes internes «contraires»2. Il en va ainsi des coutumes relatives aux différentes

immunités internationales, aussi bien celles de juridiction et d'exécution de l'État étranger que celles qui

bénéficient au chef de l'État ou aux agents diplomatiques et consulaires. Toutes ces coutumes prévalent

traditionnellement et généralement sur la plupart des normes internes avec lesquelles elles entrent

collision.

Outre les variations de l'effet dérogatoire suivant le degré de généralité de la norme internationale en

question, les normes internationales non conventionnelles s'avèrent aussi plus ou moins dérogatoires par

rapport aux normes de droit interne suivant le domaine matériel qu'elles régissent3. Et il est possible par

une démarche empirique de les classifier en fonction de l'intensité de leur effet dérogatoire, ici dans

l'ordre décroissant et sans être exhaustif : immunités, coutumes relatives aux «espaces libres» (liberté de

navigation en haute mer...), principes du droit international en matière financière telle la prohibition de

2 Ceci peut être considéré comme une illustration du paradoxe de concrétisation qui consiste en ce que les normes inférieures dans l'ordre de production – plus particulières – sont susceptibles d’être valides tout en étant non-conformes à des normes de degré supérieur – plus générales – et même, éventuellement, de prévaloir sur ces normes de degré supérieur pour régler les cas concrets. Cf. Otto Pfersmann, « hiérarchie des normes », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 779-783, spécialement pp. 780-781.3 Mademoiselle Dana Burchardt soutient que les variations de l'effet dérogatoire des normes internationales dans la sphère du droit interne seraient relatives à leur « valeur matérielle ». L'auteur part du constat suivant : les normes relatives au droits de l'homme auraient davantage d'effet dérogatoire que les normes internationales plus techniques. L'analyse s'appuie surtout sur l'observation de l'effet dérogatoire des traités internationaux et tend à se réduire à une comparaison entre les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et les autres traités internationaux. La conclusion de l'auteur semble plausible en ce qui concerne les traités internationaux, d'autant plus que les traités relatifs aux droits de l'homme bénéficient d'un régime spécial en droit international. Le même phénomène ne se constate pas en revanche en ce qui concerne les normes coutumières. Cf. Dana Burchardt, « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p.

593

la faillite des États, normes relatives au droit des étrangers, et, parmi celles-ci, la protection des droits

patrimoniaux apparaît plus forte que celle des libertés fondamentales, normes délimitant les espaces

nationaux (frontières terrestres, eaux territoriales, réglementation de l'espace aérien), normes relatives

aux conflits armés (droit international humanitaire), principes du droit international relatifs à

l'environnement4.

On illustrera dans la présente recherche l'effet dérogatoire variable du droit international général suivant

le domaine matériel régi par la pratique des organes internes en matière d'immunité de juridiction de

l'État étranger (I), de droit international des étrangers (II) et de délimitation des espaces relevant de la

compétence nationale (III).

I. Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger

Une littérature spécialisée abondante5 témoigne du large respect par les organes internes du principe

4 Cf. Daniel Bodansky, Jutta Brunnée, « The Role of National Courts in the Field of International Environmental Law », Review of European Community and International Environmental Law, vol. 7, 1998, pp. 11-20, 57-62, réédité en tant qu'introduction dans : Michael Anderson, Paolo Galizzi (éds), International Environmental Law in National Courts, British Institute of International and Comparative Law, Londres, 2002, 246 p., p. 1 et svtes. L'effet dérogatoire relativement faible du droit international de l'environnement dans le cadre du droit interne peut dans une certaine mesure s'expliquer par le contenu du droit international lui-même ; cf. Kamal Hossain, Subrata R. Chowdhury (éds), Permanent Sovereignty Over Natural Resources in International Law : Principle and Practice , Pinter, Londres, 1984, 194 p. ; Martina Haedrich, « Internationaler Umweltschutz und Souveränitätsverzicht », Der Staat, vol. 39, 2000, pp. 547-569 ; Wolfgand Durner, Common Goods : Statusprinzipien von Umweltgütern im Völkerrecht, Nomos, Baden-Baden, 2001, 356 p. ; Rudiger Wolfrum, Nele Matz, Conflicts in International Environmental Law, Springer, Berlin/Heidelberg, 2003, 224 p. ; Jorge E. Viñuales, « Conflits normatifs en droit international : normes environnementales vs. protection des investissements », in : Le droit international face aux enjeux environnementaux, A. Pedone, Paris, 2010, 490 p., pp. 407-428.5 Le principe international de l'immunité de l'État étranger a fait l'objet d'une littérature abondante :

i. Pour une approche globale et théorique : cf. Frederick Alexander Mann, « The doctrine of Jurisdiction in International Law », RCADI, vol. 111, 1964, pp. 9-162 ; Hans Kelsen, Principles of International Law (P.I.L.), 2ème éd., The Johns Hopkins University, New York/Chicago/San Francisco/Toronto/Londres, 1967, 602 p., pp. 357-361.ii. On mentionnera quelques publications plus spécialisées : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Neue Entwicklungen im Recht der Staatenimmunität », Otto Sandrock (éd.), Festschrift für Günther Beitzke zum 70. Geburtstag am 26. April 1979, Walter de Gruyter; Berlin/New-York, 1979, 1115 p., pp. 1018-1101 ; James Crawford, « International Law and Foreign Sovereigns: Distinguishing Immune Transactions », BYIL, 1983, pp. 75-118 ; Christoph H. Scheurer, State Immunity : some recent developments, Grotius, Cambridge, 1988, 200 p. ; Didier Nedjar, « Tendances actuelles du droit international des immunités des États », JDI, 1997, pp. 50-102 ; Isabelle Pingel-Lenuzza, Les immunités des États en droit international, Bruylant, Bruxelles, 1998, 442 p. ; Florence Poirat, « Les immunités des sujets de droit international – États et organisations internationales », in : Joe Verhoeven (éd.), Le droit international des immunités : contestation ou consolidation ?, Larcier, Bruxelles, 2004, 283 p., pp. 11-60 ; Ernest K. Bankas, The state immunity controversy in international law : Private suits against sovereign states in domestic courts, Springer, Heidelberg, 2005, 541 p.

De même, on trouve une doctrine abondante en ce qui concerne l'application interne de l'immunité de juridiction de l'État étranger, y compris dans une démarche comparative : cf. inter alia : Günter Dressler, L'immunité de juridiction et d'exécution des États étrangers devant la juridiction nationale, Thèse droit, Genève, 1978, 235 p. ; Manfred Malina, Die völkerrechtliche Immunität ausländischer Staaten im zivilrechtlichen Erkenntnisverfahren, thèse, Marbourg, 1978, 273 p. ; Ulrich von Schönfeld, Die Staatenimmunität im amerikanischen und englischen Recht, Duncker & Humblot, Berlin, 1983, 180 p. ; Michel Cosnard, La soumission des États aux tribunaux internes face à la théorie des immunités

594

d'immunité de juridiction de l'État étranger, auquel semble attribué en droit interne une quasi-

indérogeabilité.

i. Définition :

L'«immunité de juridiction des États étrangers» soustrait l'État étranger bénéficiaire à la compétence des

juridictions nationales, dites «du for». L'«immunité de juridiction» des États étrangers6, de forme

coutumière7, protège avec l'«immunité d'exécution»8 9 10 l'État étranger de certaines procédures internes.

des États, A. Pedone, Paris, 1996, 478 p. ; Gerhard Hafner, Marcelo G. Kohen, Susan Breau (éds), La pratique des États concernant les immunités des États, Martinus Nijhoff, Leide/Boston, 2006, 751 p.6 En dehors des États étrangers, l'immunité de juridiction bénéficie aussi, par un processus d'extension coutumier, aux organisations internationales. Cf. Antonio Cassese, « L'immunité de juridiction civile des organisations internationales dans la jurisprudence italienne », AFDI, vol. 30, 1984, n°30, pp. 556-566 ; Florence Poirat (2004), op. cit. note 5.7 On relève certes une Convention européenne sur l'immunité des États, signée à Bâle le 16 mai 1972 entre les États membres du Conseil de l'Europe, mais elle n'a pas été ratifiée par la France et seulement huit États y sont parties, dont l'Allemagne et l'Autriche (de même que la Belgique, Chypre, le Luxembourg, les Pays Bas, le Royaume-Uni, la Suisse). La Convention est tout de même entrée en vigueur le 11 juin 1976. En droit français, la Cour de cassation française refuse d'accorder aux traités internationaux relatifs aux immunités de l'État étranger une quelconque autorité sur la « pratique judiciaire française », « en l'absence de traité auquel la France est partie » (Cass. Civ. 1, 16 déc. 2003, Bucheron, Bull. Civ. I, n°258, p. 206). En ce qui concerne l'Allemagne et l'Autriche, le droit international coutumier en matière d'immunité des États demeure valide vis-à-vis des États tiers à ce traité international, c'est-à-dire dans la plupart des situations.Cf., plus récemment, la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens en date du 2 décembre 2004 (non encore entrée en vigueur). Cf. dans la doctrine : Robin Falk Lengelsen, Aktuelle Probleme der Staatenimmunität im Verfahren vor den Zivil- und Verwaltungsgerichten Unter besonderer Berücksichtigung des «UN-Übereinkommens über die Immunität der Staaten und ihres Vermögens von der Gerichtsbarkeit», P. Lang, Francfort-sur-le-Main/Berlin/Berne/Bruxelles/New York/Oxford/Vienne, 2011. 224 p.. En droit interne autrichien, cf. la décision du Conseil fédéral autrichien du 27 avril (615/BNR) disponible sur : http://www.parlament.gv.at/PAKT/VHG/XXII/I/I_01161/8 L'« immunité d'exécution » soustrait l'État étranger bénéficiaire de toute mesure contraignante administrative ou judiciaire contre la propriété d'un autre État résultant de l'application d'un jugement ou d'une décision prise pour sanctionner la faute d'un individu agissant en tant qu'organe d'un autre État.9 Au niveau procédural, l'immunité de juridiction et l'immunité d'exécution entretiennent une certaine relation : dans le cadre d'une action à titre principal d'un créancier à l'encontre d'un État étranger débiteur, le juge interne pourra être incompétent – sur le fondement de l'immunité de juridiction – pour prononcer une contrainte administrative ou judiciaire à l'encontre d'un État étranger. L'affaire General National Maritime Transport Company c. Marseille Frêt, qui oppose devant la Cour de cassation française l'État lybien et une compagnie maritime marseillaise, en offre une illustration (Cass., 1e Civ., 4 février 1986, G.N.M.T.C. c. Marseille Frêt, RCDIP 1986, pp. 718-723). En l'espèce, le juge lybien ordonne initialement la saisie d'un navire appartenant à la société française alors qu'il mouille à Tripoli. La Compagnie maritime marseillaise demande en représailles la saisie d'un navire d'une société nationale lybienne lors d'une escale dans un port français. La Cour de cassation estime que la saisie opérée par l'État lybien relève du jus imperii et ordonne la main-levée de la saisie sur le fondement de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'État lybien.10 Contrairement à l'immunité de juridiction, la mise en œuvre interne de la coutume internationale d'immunité d'exécution varie grandement d'un État à l'autre. Ces variations ne concernent pas la matière – dans tous les cas, les États bénéficient de l'immunité d'exécution –, mais la procédure. Les différences nationales tiennent à la manière dont chaque État organise les procédures internes administratives et judiciaires d'exécution, en l'occurrence toutes autorisées par le droit international général, qui attribue en principe une large autonomie organique aux États.Les différences entre les systèmes juridiques internes deviennent très manifestes lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre les principes relatifs à la compétence juridictionnelle qui s'appliquent en cas d'absence physique du défendeur – en particulier de ses biens ou de ses avoirs (les fonds) – sur le territoire du for. En droit allemand et en droit autrichien, le principe de compétence des juridictions est celui du forum patrimonii appliqué à l'encontre d'un État étranger : la seule présence de biens entraîne la compétence d'un organe juridictionnel national sur le fond de l'affaire, peu importe que la procédure n'aboutisse pas nécessairement à une saisie ou injonction ; En droit français, le principe de compétence des juridictions nationales est celui du forum arresti : la compétence juridictionnelle se trouve conditionnée par la présence de fonds saisissables sur le territoire du for et se limite à ses fonds, c'est-à-dire ne doit pas aller au delà de la valeur des

595

Les immunités de l'État étranger se distinguent d'autres immunités internationales, telle l'immunité de

juridiction des agents diplomatiques et des agents consulaires11.

Par leur objet même, les immunités internationales de l'État étranger sont amenées à être concrétisées

par des décisions internes. Dans le cadre de la procédure interne, c'est au stade de la recevabilité d'une

demande formulée à l'encontre d'un État étranger que s'effectue la mise en œuvre de son immunité de

juridiction. L'État étranger évite ainsi une situation de défendeur devant le juge du for, la demande étant

bloquée in limite litis, et 'il bénéficie donc d'une exemption totale de juridiction.

fonds saisissables sur le territoire du for (A propos de la distinction entre forum patrimonii et forum arresti, cf. généralement : Lawrence Collins, « Provisional and protective measures in international litigation », RCADI, vol. 234, 1992, pp. 9-238, spécialement p. 32 et svtes).La jurisprudence autrichienne apparaît davantage marquée par le principe du forum patrimonii appliqué à l'encontre de l'État étranger que la jurisprudence allemande (à propos de la jurisprudence allemande, cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « State Immunity : Federal Republic of Germany », Netherlands Yearbook of International Law, vol. 10, 1979, pp. 55-72 ; Sarina Jegutidse, « Zur Staatenimmunität in der Zwangsvollstreckung », in : Wolfgang Knippel (éd.), Verfassungsgerichtsbarkeit im Land Brandenburg : Festgabe zum 10jährigen Bestehen des Verfassungsgerichts des Landes Brandenburg, Nomos, Baden-Baden, 2003, 217 p., pp. 23-28). Cela tient à ce que, à l'origine, les décisions juridictionnelles autrichiennes n'ont pas pour effet d'ordonner des mesures d'exécution sur leur seule base, de sorte que l'État étranger peut bénéficier de l'immunité d'exécution en tant que telle – détachée de l'immunité de juridiction – pour ses fonds présents sur le territoire autrichien (Cour suprême, 6 août 1958, 6 Ob 126/58). Depuis l'introduction de la permission d'exécuter la décision juridictionnelle sur sa seule base, une condition à la compétence juridictionnelle forum patrimonii est apparue dans la jurisprudence de la Cour suprême, et ce, en vue de ne pas aboutir à d'éventuelles violations de l'immunité d'exécution. Ainsi, les fonds qui justifient la compétence forum patrimonii doivent être susceptibles d'être l'objet d'une saisie, ce qui exclut les fonds protégés par l'immunité d'exécution (Cour suprême, 13 janvier 1988, 3Nd511/87 ; Cour suprême, 23 février 1988, 5 Nd 509/87 ; Cour suprême, 14 avril 1988, 7 Nd 502/88). Cette limitation n'a pas empêché le maintien du principe du forum patrimonii : la recevabilité de la demande principale n'est pas conditionnée par la présence des fonds sur le territoire du for et le montant de la demande n'est pas limité par la valeur des avoirs sur ce même territoire.En droit français, le principe de compétence des juridictions nationales consiste traditionnellement dans le forum arresti (cf. inter alia, Hervé Synvet, « Quelques réflexions sur l’immunité d’exécution de l’État étranger », JDI, 1985, pp. 865-887 ; pour une comparaison avec le droit des États-Unis : Paul Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain – cours général de droit international privé », RCADI, vol. 196, 1986, pp. 9-238). La Cour de cassation, à l'occasion d'un arrêt en date du 6 novembre 1979, dit que le juge interne dispose de la compétence de statuer sur l'existence d'une créance invoquée par le demandeur à condition qu'il y ait présence de fonds du débiteur saisissables sur le territoire du for, autrement dit que le juge français dispose d'une compétence sur le fond du litige chaque fois que le débiteur possède en France des biens susceptibles de faire l’objet d’une voie d’exécution (Cass. 1e Civ, affaire Nassibian, JDI 1980, p. 95, rapp. André Ponsard ; RCDIP 1980, p. 588, note Couchez). Ce principe de compétence du juge interne français s'appliquant à l'origine uniquement aux particuliers se trouve étendu aux États étrangers par une décision de la Cour de cassation en date du 18 novembre 1986, à propos d'une banque agissant pour le compte de l'État camerounais (Cass. Civ. 1, 18 novembre 1986, Banque camerounaise du développement, RCDIP 1987, p. 773, note Horatia Muir Watt, JDI 1987, p. 632, note Philippe Kahn). Si un État étranger est en cause, il reste une limite à la compétence du juge interne : la question principale ne doit pas relever, eu égard aux normes internationales relatives aux conflits de juridiction, de la compétence exclusive d'une autre juridiction. La Cour de cassation abandonne ultérieurement le principe du forum arresti : elle estime désormais que si le juge français dispose de la compétence d’apprécier le principe d’une créance à l’occasion de la procédure d’exécution dont il est saisi, il ne dispose pas de la compétence de se prononcer sur le fond même de cette créance dès lors que sa compétence n’est pas fondée sur un autre principe de compétence internationale (Cass. Civ. 1, 17 janvier 1995, Cobenan, JCP 1995, n° 22430, note H. Muir Watt ; RCDIP 1996, p. 133, note Y. Lequette ; Cass. Civ., 11 février 1997, Sté Strojexport, Bull. n°47, p. 30). 11 Les immunités des agents diplomatiques et consulaires résultent de conventions internationales codifiant des coutumes alors existantes : l'immunité des agents diplomatiques – une immunité complète – est prévue par l'article 31 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques ; l 'immunité des agents consulaires – une immunité partielle – est prévue par l'article 43 de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires. Les immunités diplomatiques et consulaires contiennent un ensemble de privilèges ou de prérogatives libérant des individus déterminés d'obligations communes : inviolabilité personnelle dont jouissent les agents diplomatiques et consulaires, franchise des locaux d'ambassade ou de consulat, exemptions fiscales...

596

ii. Fondement international

La doctrine présente traditionnellement l''immunité de juridiction des États étrangers comme une

concrétisation du principe d'égale souveraineté des États. Sur le fondement du principe d'égale

souveraineté des États12, un État ne disposerait pas de la compétence de s'ériger en juge d'un autre État

sans son consentement pour un acte accompli dans l'exercice de sa souveraineté (« Par in parem non

habet juridictionem » ; « les pairs n'ont pas juridiction l'un sur l'autre »). A l'occasion d'un arrêt de la

Cour de cassation en date du 22 janvier 1849 (Gouvernement espagnol c/ X...), le juge judiciaire

français livre l'analyse suivante :

« Attendu que l'indépendance réciproque des États est l'un des principes les plus

universellement reconnus du droit des gens ; que, de ce principe, il résulte qu'un Gouvernement ne peut

être soumis, pour les engagements qu'il contracte, à la juridiction d'un État étranger ; qu'en effet le droit

de juridiction qui appartient à chaque Gouvernement pour juger les différends nés à l'occasion des actes

émanés de lui est un droit inhérent à son autorité souveraine qu'un État ne saurait s'attribuer, sans

s'exposer à altérer leurs rapports respectifs ; [...] Attendu d'ailleurs qu'avec quelque personne qu'un État

traite, cette personne, par le seul fait de l'engagement qu'elle contracte, se soumet aux lois [...] et à la

juridiction administrative ou judiciaire de cet État.13 ».

Plus récemment, la Cour européenne des droits de l'homme soutient que le principe de l'immunité de

juridiction de l'État étranger ne fait « qu'observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et

les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté d'un autre État14 ».

Le supposé principe de limitation de compétence d'un État par rapport à un autre État n'est en réalité pas

général dans le droit positif, mais s'applique surtout aux juridictions internes de l'État. En résumé, un

État ne dispose pas de l'autorisation de juger par l'intermédiaire de ses propres juridictions internes un

autre État, à moins que cet État y consente expressément. Hormis cette interdiction, l'État demeure

habilité à en juger un autre dans la sphère du droit international lui-même. Et tel est le cas lorsqu'un État

a violé les droits d'un autre État et que ce dernier réagit par des représailles, parfois même par la guerre,

qui constituent les sanctions de principe du droit international.

Le principe d'immunité de juridiction est quasiment indérogeable dans la sphère du droit interne, même

12 Pour une critique du principe d'égale souveraineté des États, cf. Hans Kelsen (1967), P.I.L., pp. 247-248 ; plus récemment : Bardo Fassbender, « Die souveräne Gleichheit der Staaten – ein angefochtenes Grundprinzip des Völkerrechts », Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 43, 2004, pp. 7-13.13 Cf. Cass. civ., 22 janvier 1849, DP, 1849, 1, p. 5 ; Cass. req., 5 mai 1885, S., 1886, 1, p. 353 ; Cass. civ., 21 janvier 1896, Clunet, 1896, p. 849. 14 CEDH, arrêts du 21 novembre 2001, Al-Adsani c/ Royaume-Uni (req. 35763/97, spécialement §54) ; Fogarty c. Royaume-Uni (req 37112/97) ; McElhinney c. Irlande ( req. 31253/96).

597

si la pratique des juridictions internes a parfois contribué à une réduction de sa sphère d'application,

anciennement dans le passage de l'immunité absolue à l'immunité restreinte (A), actuellement par la

formation d'une exception au principe d'immunité de l'État étranger dans le cas d'une violation flagrante

du droit international des droits de l'homme15 (B). On observe une certaine constance du bénéfice de

l'immunité par l'État étranger, cette immunité lui étant accordée presque dans tous les cas où il en fait la

demande devant l'État du for, et ce, quelque soit le contenu du droit interne de ce dernier.

A. L'évolution de l'«immunité absolue» vers l'«immunité restreinte» :

Jusqu'au XXe siècle, l'immunité de juridiction de l'État étranger est dite « absolue », sans qu'il soit fait

de distinction en fonction de la nature des actes de l'État étranger en question devant les juridictions

internes. La modification du droit international de l'immunité absolue vers l'immunité restreinte est

historiquement liée à l'extension des activités de l'État – au sens du droit administratif interne – dans des

domaines dans lesquels il n'intervenait auparavant que peu, c'est-à-dire surtout dans le domaine

économique16 17. Les États adoptent de plus en plus des comportements d'entrepreneurs ou de

commerçants, donc assimilables à ceux d'une personne privée, ce qui n'empêche pas qu'une partie de

ces activités économiques nouvelles soient considérées comme indispensables à la souveraineté

nationale. La protection économique des partenaires économiques de l'État devient un enjeu qui conduit

à une modification de la pratique des États vers une restriction de l'immunité18. Et il s'ensuit qu'un

15 Cf. généralement : Christian Appelbaum, Einschränkungen der Staatenimmunität in Fällen schwerer Menschenrechtsverletzungen : Klagen von Bürgern gegen einen fremden Staat oder ausländische staatliche Funktionsträger vor nationalen Gerichten, Duncker & Humblot, Berlin, 2007, 332 p.16 Pour une approche historique, cf. Georges R. Delaume, « Economic Development and Sovereign Immunity », AJIL, 1985, pp. 319-346 ; Oliver Dörr, « Staatliche Immunität auf dem Rückzug ? », AVR, vol. 41, 2003, pp. 201–219 ; Claude Emanuelli, « L'immunité souveraine et la coutume internationale : de l'immunité absolue à l'immunité relative ? », Annuaire canadien de droit international, 1984, pp. 26-97. Plus anciennement, cf. Charles Carabiber, « De quelques aspects nouveaux de l'immunité de juridiction des États », RCDIP, 1938, pp. 369-393.17 Le cas des immunités de l'État illustre de manière manifeste la relativité de la séparation entre le droit international et le droit interne : le droit interne n'est pas traité par le droit international comme un « simple fait » et, au contraire, les bénéficiaires de l'immunité de l'État (représentants de l'État, services centraux de l'État) doivent être qualifiés en tant que tels en droit international, et ce, eu égard au contenu du droit interne. Si cette délégation du droit international au droit interne est relativement habituelle en ce qui concerne la désignation des représentants de l'État (les chefs d'État, de gouvernement et de département ministériels et les diplomates auxquels le droit international attribue souvent des compétences ainsi que des privilèges), elle paraît plus originale en ce qui concerne les services centraux de l'État (le gouvernement, les forces armées et de police, les agences ou organismes ne disposant pas de personnalité juridique distincte de celle de l'État en droit interne ou contrôlés par le gouvernement, les fonctionnaires de l'État), dont l'organisation peut varier grandement d'un État à l'autre.18 Certains auteurs soutiennent que l'immunité absolue n'a jamais existé, étant donné que l'on trouve quelques exceptions, et ce, avant même la restriction définitive du champ l'immunité de juridiction de l'État étranger ; cf. : Oliver Lissitzyn, « Sovereign Immunity as a Norm of International Law », in : Wolfgang Gaston Friedmann, Louis Henkin, Oliver James Lissitzyn (éds), Transnational law in a changing society : essays in honor of Philip C. Jessup , Columbia University Press, New York, 1972, 324 p., pp. 188-201 ; Gamal Moursi Badr, State Immunity : An Analytical and Prognostic, Martinus Nijhoff, La Haye, 1984, 248 p. ; Isabelle Pingel-Lenuzza (1998), op. cit. note 5. Il est vrai que dans la jurisprudence ancienne, l'immunité de juridiction des États ne semble pas toujours absolue : Cour de Cassation Florence, 25 juillet 1886, AJIL 1932, vol. 26 ; Tribunal fédéral suisse, 13 mars 1918, ATF 44 I 49 ; Cour suprême

598

régime différencié s'est formé en droit international général entre, d'un côté, les actes jure gestionis,

assimilables à des actes de droit privé et non couverts par l'immunité de juridiction, et, de l'autre côté,

les actes jure imperii, c'est-à-dire les « actes accomplis dans l'exercice de l'autorité souveraine de

l'État »19, y compris en matière économique, encore couverts par l'immunité de juridiction. La

restriction du domaine d'application de l'immunité ne concerne pas toutes les matières. La Cour

européenne des droits de l'homme estime par exemple que la pratique ne démontre aucun recul des

immunités de l'État étranger en cas de demande en réparation pour crime de guerre (CEDH, Al-Adsani

c. Royaume-Uni, 21 novembre 200120; CEDH, 12 Décembre 2002, Kalogeropoulou et autres c. Grèce

et Allemagne).

La pratique des juridictions internes des différents États correspond à l'évolution de l'immunité de

juridiction de l'État en droit international, qui est progressivement limitée aux actes accomplis jure

imperii par opposition aux actes accomplis jure gestionis. L'immunité de juridiction est quasi-

autrichienne, 10 mai 1950, Hoffmann c. Dralle, SZ, vol. 23, n°143 (plusieurs cas de décisions autrichiennes antérieures à la Seconde guerre mondiale contraires au principe d'immunité absolu citées dans le texte de la décision). La position de la doctrine dépend en réalité de la conception du terme «absolue» qu'elle adopte : soit le terme «absolu» est relatif à la sphère matérielle dans laquelle s'applique l'immunité de juridiction, c'est-à-dire aux comportements de l'État bénéficiant de cette immunité ; soit le terme «absolu» est relatif à la constance de la procédure par laquelle un État étranger prétend, puis bénéficie, de l'immunité devant l'État du for (on dira alors que l'immunité est «absolue» si le bénéfice de celle-ci est systématiquement accordée à l'État étranger lorsqu'il en fait la demande à l'État du for) :

La conception relative à la sphère matérielle paraît appropriée dans une perspective historique. En effet, la limitation de l'immunité de juridiction peut s'analyser comme le passage d'une « immunité absolue » vers une « immunité restreinte », et ce, à travers l'exclusion progressive des actes accomplis jure gestionis. Néanmoins, le terme «absolu» reste ambigu car l'ensemble de l'État – en tant que système juridique comprenant aussi les particuliers relevant de sa sphère de compétence personnelle (nationaux) – n'a jamais bénéficié de cette immunité ; seuls sont bénéficiaires les organes auxquels est attribuée la qualité de publics, c'est-à-dire tout organe dans lequel intervient directement l'État et tout service habilité à se prévaloir des prérogatives de l'État.

La conception relative à la constance de la procédure semble moins pertinente dans une perspective historique ; elle ne dit pas en effet pas grand chose de la transition de l'immunité absolue vers l'immunité restreinte. L'«automaticité» souvent constatée entre la demande d'un État dans la sphère internationale et ses effets juridiques dans la sphère de l'État du for, au sens où le juge interne applique l'immunité de juridiction de manière systématique, n'en est pas moins un phénomène juridique remarquable, qui rend manifeste une relation organique plus étroite entre le droit international et le droit interne que celle souvent supposée. Rien n'exclut toutefois que le droit puisse – en fonction des circonstances – être transgressé, de sorte qu'il est probable que le principe d'immunité de juridictions n'ait pas été respecté «absolument», c'est-à-dire dans tous les cas, par les juges internes.19 L'expression « actes accomplis dans l'exercice de l'autorité souveraine de l'État » est présente dans les textes du droit international, entre autres dans la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens adoptée par l'Assemblée générale en 2004 (non encore en vigueur), qui fait référence à « l'habilitation à accomplir des actes dans l'exercice de l'autorité souveraine de l'État » (Article 2 § 1 b.). 20 Néanmoins, six juges expriment à propos de cette affaire une opinion dissidente selon laquelle, dans une situation d'antinomie entre un principe coutumier visant à protéger l'État, en l'espèce celui de l'immunité de l'État, et une norme de ius cogens visant à protéger les droits fondamentaux des particuliers, en l'espèce l'interdiction des crimes internationaux, le second principe doit prévaloir sur le premier. A propos de cette décision, cf. notamment : Klaus Ferdinand Gärditz, « Staatenimmunität, ius cogens und das Recht auf Zugang zu einem Gericht », in : Christian Maierhöfer, « Der EGMR als “Modernisierer” des Völkerrechts? - Staatenimmunität und ius cogens auf dem Prüfstand », Europäische Grundrechtezeitschrift, vol. 29, 2002, pp. 391-398 ; Markus Rau, « After Pinochet: Foreign Sovereign Immunity in Respect of Serious Human Rights Violations - The Decision of the European Court of Human Rights in the Al-Adsani Case », German Law Journal, 2002, disponible sur : http://www.germanlawjournal.com/article.php?id=160 ; Jörg Menzel, Tobias Pierlings, Jeannine Hoffmann (éds), Völkerrechtsprechung – ausgewählte Entscheindungen zum Völkerrecht in Retrospektive, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2005, 900 p., p. 434 et svtes ; Christian Tams, « Schwierigkeiten mit dem Ius Cogens. Anmerkungen zum Urteil des Europäischen Gerichtshofes für Menschenrechte im Fall Al-Adsani gegen Vereinigtes Königreich vom 21. November 2001 », AVR, vol. 40, 2002, pp. 331-349.

599

indérogeable pour les actes commis jure imperii par l'État étranger, quand bien même elle est parfois

écartée pour éviter un déni de justice lorsqu'elle prive le demandeur de toute possibilité d'agir en justice

à l'encontre d'un État ou d'une organisation internationale21.

1. Une application du droit de l'immunité de juridiction de l'État étranger à la fois immédiate et

prioritaire dans la pratique française

La Cour de cassation française, dont le corpus jurisprudentiel relatif à l'immunité de juridiction apparaît

ancien et développé22, applique, dès deux arrêts des 19 février 192923 et 15 décembre 193624, à propos

d'actes de commerce passés par la représentation commerciale de l'URSS en France, le principe de

l'immunité de juridiction restreinte aux seuls «actes d'autorité» (jure imperii). Déjà, selon la Cour de

cassation25, alors que l'état du droit international est encore incertain, seuls les «actes d'autorité» qui

manifestent la souveraineté de l'État étranger bénéficient de l'immunité de juridiction, à la différence

des «actes de gestion» (« jure gestionis »), qui sont quant à eux assimilables aux actes accomplis par de

simples particuliers. Cette différenciation « sur la nature de l'activité et non sur la qualité de celui qui

l'exerce » est ensuite constamment appliquée par le juge judiciaire26, non seulement en ce qui concerne

les activités commerciales, mais aussi en ce qui concerne les actes civils.

21 Dans la jurisprudence française, cf. CA Paris, 7 octobre 2003, Gaz. Pal. 2005 n°15 p. 2 ; Cass., Soc., 25 janv. 2005, Banque Africaine du Développement (en l'espèce, un litige oppose un ancien salarié à une organisation internationale qui se prévaut de son immunité de juridiction mais qui « n'avait pas institué en son sein un tribunal ayant compétence pour statuer sur des litiges de cette nature »). L'état du droit international apparaît incertain : il se pourrait que l'exclusion de l'immunité de juridiction soit admise dans cette situation. En effet, l'immunité de juridiction est pour partie justifiée par la possibilité dont dispose le particulier de recourir aux juridictions de l'État inculpé. En ce sens, dans la jurisprudence française : Cass., Soc., 11 février 2009, à propos d'un litige opposant l'UNESCO à l'un de ses anciens salariés : une organisation internationale ayant institué en son sein un recours juridictionnel présentant des garanties d'impartialité et d'équité se conforme aux exigences de l'ordre public international et bénéficie dès lors d'une immunité de juridiction. Dans la jurisprudence autrichienne, cf. la décision de la Cour constitutionnelle du 14 décembre 2004 (Slg. 17415), à propos du Comité d'arbitrage pour la restitution en nature («Schiedsinstanz für Naturalrestitution») chargée de la réparation des victimes du national-socialisme (le texte de la décision comprend des références à la jurisprudence étrangère en la matière).22 La Cour de cassation se réfère, à propos de l'immunité de juridiction, aux «principes universellement reconnues du droit des gens» (Cass. civ., 22 janvier 1849 (Gouvernement espagnol c/ X...), DP 1849, 1, p. 5 et S., 1849, 1, p. 81), à la «courtoisie internationale» (Cass. civ., 1, 2 novembre 1971 (pourvoi n° 69-14.100) Bull., I, n° 278), ou encore aux «règles de droit international public gouvernant les relations entre États» (Cass. civ., 1, 4 février 1986, Bull. civ., I, n° 7 ; 20 octobre 1987, Bull. civ., I, n° 274).23 Cass., req., 19 février 1929 ; DP, 1929, 1, p. 73, note René Savatier. 24 Cass., req., 15 décembre 1936 ; RCDIP, 1937, p. 710. 25 Le conseiller Castets écrit dans son rapport concernant une décision de la Cour de cassation en date du 5 février 1946 : « L'État agit tantôt comme souverain en vertu de sa supériorité politique appelée "puissance publique", tantôt comme non souverain suivant les données du droit privé, en se plaçant sur le pied d'égalité avec un particulier. En conséquence, l'immunité joue pour les actes de souveraineté de l'État, elle reste étrangère "aux actes de simple gestion ordinaire". » ; cf. Cass., req., Procureur général de la Cour de cassation c/ X... et autres, S. 1947, 1, p. 137).26 Cf. par exemple : Cass., req., 5 février 1946, S., 1947, 1, p. 137 ; Cass. civ., 1, 25 février 1969, Chemins de fer du Gouvernement iranien c/ sté Levant Express Transport, Bull. civ. 1, n° 86 et RCDIP, 1970, p. 98, note Bourel ; 19 mars 1976, Bull., I, n° 181 ; 18 novembre 1986, Bull., I, n° 267 ; 20 octobre 1987, Bull., I, n° 274 ; 2 mai 1990, Bull., I, n° 92 ; Cass. com., 19 mars 1979, Bull. 4, n° 104.

600

L'opération de distinction entre les actes jure imperii et les actes jure gestionis par une juridiction

interne qui se pose la question de sa propre compétence suppose non seulement l'identification du

contenu du droit international, qui contient les principes généraux relatifs à l'immunité de juridiction,

mais aussi celle du droit de l'État étranger dont sont issus les actes litigieux 27. Et, si la Cour de cassation

française applique globalement le droit international des immunités de juridiction, elle utilise des

critères autonomes pour distinguer les «actes d'autorité» et les «actes de gestion»28, l'opération cognitive

de distinction n'étant donc pas réalisée de la même façon que dans la pratique internationale. La Cour

de cassation s'inscrit en effet dans une certaine tradition nationale29, et adopte une terminologie typique

du droit administratif français, par exemple à propos de l'affaire Sté Levant Express Transport30:

« Attendu que les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre et pour leur compte

ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige constitue un acte

de puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt du service public ; d'où il suit qu'après avoir

justement énoncé que cette immunité est fondée sur la nature de l'activité et non sur la qualité de celui

qui l'exerce, la cour d'appel a [...] justifié sa décision ».

Afin d'identifier les «actes d'autorité» bénéficiant de l'immunité de juridiction, la Cour de cassation

vérifie qu'il s'agit bien d'actes de «puissance publique» ou d'actes «accomplis dans l'intérêt d'un service

public». Le juge judiciaire s'inspire de deux critères habituellement utilisés en matière de délimitation

des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire 31 :

Le critère dit «objectif» ou «formaliste» concerne la nature de l'acte litigieux et sa procédure de

production. L'immunité de juridiction est supposée existante dès lors que l'acte litigieux comporte des

«clauses exorbitantes du droit commun», et inexistante dans les cas où l'État agit dans les formes du

droit privé32.

27 Cf. Jacques Dehaussy, « Le statut de l'État étranger demandeur sur le for français : droit international coutumier et droit interne », JDI, vol. 118, 1991, pp. 109-129.28 Cette démarche n'a normativement pas pour effet de restreindre l'application du droit international de l'immunité de juridiction puisque l'opération de distinction entre les « actes d'autorité » et les « actes de gestion » est une opération cognitive, et non normative ; en d'autres termes, il s'agit d'appliquer des « critères », et non des « conditions ».29 Une telle identification de la coutume internationale est depuis longtemps encouragée par certains membres de la doctrine. Charles Freyria propose ainsi comme critère d'identification une analogie avec la répartition des compétences valable en droit français entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives ; cf. « Les limites de l'immunité de juridiction et d'exécution de l'État étranger », RCDIP, 1951, pp. 207-225 & 449-470). Cette démarche s'inscrit dans une mouvance plus large qui aspire à modifier l'état du droit international en restreignant l'immunité de juridiction par une norme coutumière nouvelle suivant laquelle les États étrangers doivent être soumis à la juridiction des tribunaux du for dans les mêmes conditions que l'État local ; cf. Hersch Lauterpacht, « The Problem of Jurisdictional Immunities of Foreign States », BYIL, vol. 28, 1951, pp. 220-272., spécialement pp. 234-237.30 Civ., 1, 25 février 1969, Bull. n° 86, p. 64 ; RCDIP 1970, p. 98, note Pierre Bourel. 31 Le juge judiciaire recourt au cas par cas à ces différents critères. Selon le cas concret qui lui est soumis, le juge judiciaire emploie uniquement le premier critère (Cass., req., 5 février 1946, S., 1947, I, p. 137 ; Cass. civ., 1, 8 décembre 1964, JCP, 1966.II.14571 ; 2 mars 1966, JCP, 1966.II.14831), uniquement le second critère (Cass. civ., 1, 19 décembre 1961, JCP, 1962.II.12489 ; Cour d'appel de Paris 7 octobre 1988, D., 1989, sommaire, p. 204), ou encore cumulativement les deux critères (Cour d'appel de Paris, 16 mars 1960, JDI, 1962, p. 132 ; 7 février 1962, JDI, 1962, p. 1016).32 Par analogie, le principe applicable en matière de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge

601

Le critère dit «finaliste» porte sur le but poursuivi par l'auteur de l'acte : seuls les actes

poursuivant un but d'intérêt public organiquement rattachables à un service public bénéficient de

l'immunité de juridiction33.

Le recours à de tels critères issues d'une tradition nationale propre soulève quelques difficultés de

contextualisation, concernant l'adaptabilité au droit interne de l'État étranger en question. Il s'est ensuivi

l'élaboration de tout un corpus jurisprudentiel spécifiant les critères de l'immunité de juridiction de

l'État étranger34.

2. Une prévalence de l'immunité de juridiction de l'État étranger justifiée par les dispositions

constitutionnelles de transformation en droit allemand et droit autrichien

Tant en droit autrichien (a) qu'en droit allemand35 (b), l'immunité de juridiction de l'État étranger

judiciaire exposé dans : CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « aide et protection », Rec. 417.33 Par analogie, le principe applicable en matière de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire exposé dans : CE, 31 juillet 1912, Granits Porphyroïdes des Vosges, Rec. 909, concl. Blum34 La doctrine a largement critiqué le recours à ces critères issus du droit administratif interne. Certes, la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif en droit interne soulève des difficultés proches de celle de la distinction entre les actes relevant des «actes d'autorité» («jure imperii») et les actes relevant des «actes de gestion» («jure gestionis»). Toutefois, on se heurte à quelques doutes qui concernent l'adaptabilité d'un principe de répartition de compétence juridictionnel interne à des systèmes juridiques externes ; et ces doutes apparaissent tant matériels que formels. D'une part, la tradition française de distinction entre «actes d'autorité» et «actes de gestion» se trouve, par son contenu, autonome du droit international ainsi que des droits internes étrangers dont il s'agit d'identifier le contenu. D'autre part, l'immunité de juridiction de l'État étranger est un principe du droit international applicable aux relations entre États, et justifié par la séparation des souverainetés, tandis que la répartition des compétences entre juge judiciaire et juge administratif relève, selon l'expression du Conseil constitutionnel (décision n° 86-224 DC), de la « conception française de la séparation des pouvoirs ». Les différentes jurisprudences nationales fournissent des indications supplémentaires :

La Cour de cassation précise ainsi, à propos du critère dit « objectif » ou « formaliste », que les clauses exorbitantes du droit commun ne sont significatives d'une immunité de juridiction que pour autant qu'elles se rattachent aux prérogatives de puissance publique de l'État étranger et qu'elles aient un lien avec l'activité exercée (Cass. civ., 1, 8 décembre 1964, Bull., I, n° 548 ; 2 mars 1966, Bull., I, n° 152).

La jurisprudence a progressivement défini, en s'appuyant sur le critère finaliste, le domaine matériel des « actes accomplis dans un but d'intérêt public » auxquels l'immunité de juridiction s'applique. Positivement, le juge judiciaire a fait application à plusieurs reprises de l'immunité de juridiction pour des actes en matière administrative (marchés de fournitures ou de travaux, actes de nationalisation ou de réquisition, exécution de traités internationaux, emprunts émis par un État étranger), pour certains actes de matière civile telles les actions réelles mobilières ou immobilières (Cass. civ., 6 juillet 1954, D., 1955, p. 633, note Jean L'Huillier). Négativement, toujours en matière civile, le juge judiciaire estime que les activités de commerce (Cass., req., 19 février 1929, DP, 1929, 1, 73, note Jean Sabatier ; cass. civ., 1, 2 juillet 1951, Gaz. Pal., 1952, 1, 44 ; 25 février 1969, Bull. n° 86, RCDIP, 1970, p. 98, note Pierre Bourel ; 18 novembre 1986, Bull., I, n° 267 ; Cass. com., 19 mars 1979, Bull. 4, n° 104), les matières successorales (Poitiers, 16 juin 1949, RCDIP, 1951, p. 660, note Yvon Loussouarn) et le droit social se situent en dehors du champ d'application de l'immunité de juridiction. En matière de droit social, on trouve une jurisprudence abondante quant à la question du licenciement de salariés d'un État étranger : le juge judiciaire applique l'immunité de juridiction uniquement dans les cas où les fonctions confiées au salarié lui confèrent « une responsabilité particulière » dans l'exercice du service public relevant de la compétence de l'État étranger en France (non application de l'immunité : Cass. civ., 1, 12 juin 1990, Bull., I, n° 155 et RCDIP 1990, p. 142, note Pierre Bourel, Cass. soc., 2 avril 1996, Bull. n° 132; Cass. civ., 1, 11 février 1997, Bull., I, n° 49 et RCDIP 1997, p. 333, note Horatia Muir Watt, Cass. soc., 10 novembre 1998, Bull. n° 479, D., 1999, I, p. 157, note M. Michel Menjucq ; application de l'immunité : Cass. soc., 18 juillet 2000, pourvoi n° 97-45.377, Cass. soc., 9 octobre 2001, pourvoi n° 98-46.214, Cass., mixte, 20 juin 2003, pourvoi n° 00-45.630).35 Cf. Wilfried Schaumann, Die Immunität ausländischer Staaten nach Völkerrecht und deutschem Zivilprozessrecht , C.F. Müller, Karlsruhe, 1968, 336 p. ; Ludwig Gramlich, « Staatliche Immunität und Zugriff auf iranische Konten in der Bundesrepublik », NJW, vol. 34, 1981, p. 2618 et svtes ; Helmut Steinberger, « Zu neueren Entwicklungen im Bereich der völkerrechtlichen Staatenimmunität », in : Bernd Rüthers, Klaus Stern (éds), Freiheit und Verantwortung im

602

prévaut dans la pratique sur la réglementation interne, y compris dans certaines circonstances sur celle

relative à l'organisation de la procédure contentieuse. A la différence de la pratique française, les

juridictions nationales tendent actuellement à justifier son application par les dispositions

constitutionnelles de transformation, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé..

a. En Autriche, le principe d'immunité de juridiction de l'État étranger se trouve à l'origine d'un vaste

corpus jurisprudentiel36, ce qui témoigne d'une certaine singularité par rapport à la plupart des principes

généraux du droit international régissant d'autres domaines qui n'ont pas connu de tels développements

internes37. La décision de référence est rendue à propos de l'affaire Hoffmann contre Dralle (10 mai

1950), à l'occasion de laquelle la Cour suprême distingue pour la première fois les actes iure gestionis

des actes iure imperii, en constatant que le principe d'immunité de juridiction absolu n'est désormais

plus « généralement reconnu »38. La Cour suprême opère la distinction selon les critères du droit

international lui-même : « la qualification d'un acte en tant que souverain ou en tant que relevant des

affaires de droit privé n'est pas déterminée suivant le droit interne, mais suivant le droit international

général39 ». Les juridictions autrichiennes visent dans les différentes affaires les principes généraux du

droit international relatifs à l'immunité des États étrangers comme fondements de leurs décisions, ce qui

indique un rattachement à l'article 9 B-VG40 41.

b. C'est plus tardivement, dans une décision en date du 30 avril 1963, que la Cour constitutionnelle

fédérale allemande opère clairement la distinction entre les actes de puissance publique («acta iure

Verfassungsstaat, C.H. Beck, Munich, 1994, 564 p., pp. 451-469 ; Philip Kunig, Robert Uerpmann-Wittzack, Übungen im Völkerrecht, 2ème éd., Walter de Gruyter, Berlin/New-York, 2006, 303 p., spécialement p. 249 et svtes. 36 Cf. ne serait-ce que celui de la Cour suprême : 10 mai 1950, 1 Ob 167/49 ; 17 mai 1950, 1 Ob 622/49 ; 7 juin 1950, 1 Ob 130/50 ; 30 juin 1950, 2 Ob 21/48 ; 5 juillet 1950, 2 Ob 448/50 ; 11 juin 1952, 1 Ob 264/52 ; 10 février 1961, 2 Ob 243/60 ; 14 février 1963, 5 Ob 343/62 ; 29 avril 1970, 5 Ob 56/70 ; 30 avril 1986, 3 Ob 38/86 ; 14 juin 1989, 9 ObA 170/89 ; 21 novembre 1990, 9 ObA 244/90 ; 11 juin 1992, 7 Ob 627/91 ; 15 septembre 1992, 1 Ob 28/92 ; 25 août 1998, 1 Ob 100/98g ; 11 juin 2001, 8 ObA 201/00t ; 14 mai 2001, 4 Ob 97/01w ; 28 août 2003, 2 Ob 156/03k ; 1er décembre 2005, 6 Ob 150/05k ; 16 juillet 2008, 16 Ok 3/08 ; 24 septembre 2008, 2 Ob 32/08g ; 24 novembre 2011, 1 Ob 237/11a.37 La Cour constitutionnelle allemande se réfère ainsi à la jurisprudence autrichienne pour identifier le contenu du droit international en matière d'immunités de l'État étranger dans son arrêt du 13 décembre 1977, Philippinische Botschaft, (BVerfGE 46, p. 342).38 Cour suprême, 10 mai 1950, Hoffmann g. Dralle-Fall, SZ, vol. 23, n°143 (à propos d'une entreprise d'État tchécoslovaque en raison de son expropriation en 1945). La Cour suprême expose dans sa décision un état de la jurisprudence autrichienne en matière d'immunité de l'État étranger, et elle fait même en l'occurrence référence à des décisions antérieures à 1900. Cf. aussi la décision de la Cour suprême du 10 février 1962, JBL 1962, p. 43 et svtes.39 Décision du 24 septembre 2008, 2 Ob 32/08g 40 Cf. aussi, en dehors de la jurisprudence de la Cour suprême ; les décisions du 13 janvier 1954 de la Cour administrative, Zl. 1517/51, Slg. 869 (F) ; la décision du 14 décembre 2004 de la Cour constitutionnelle (B783/04)41 Le fondement de l'immunité des États étrangers fait néanmoins l'objet de controverses : l'Autriche est un des rares États à avoir ratifié, et même publié dans la sphère interne (BGBl. 432/1976), la Convention européenne sur l'immunité des États, signée à Bâle le 16 mai 1972. Toutefois, la sphère de validité de ce traité international reste limitée à huit États. Cf. aussi la décision de la Cour suprême du 24 novembre 2011 (1 Ob 237/11a) qui vise les principes généraux du droit international, excluant de manière explicite l'applicabilité du droit conventionnel en la matière.

603

imperii») et les actes de gestion pour lesquels l'État agit en simple particulier («acta iure gestionis») 42.

La Cour ajoute que les critères de distinction pertinents se trouvent dans le droit international lui-

même :

« La délimitation entre les actes iure imperii et les actes iure gestionis peut […] s'avérer

douteuse dans un cas particulier et ne se laisse décrire de manière générale que difficilement. Une telle

délimitation ne doit pas être cédée […] aux ordres juridiques internes. […]. Si l'identification des actes

iure imperii ou iure gestionis repose uniquement sur le critère formel de la "loi du for" (lex fori), qui

qualifie certains actes de "publics" ou "privés", la réglementation internationale relative à leur

délimitation devient en définitive vide de sens et dépourvue de caractère juridique. En effet, un tel

procédé reviendrait en pratique à attribuer aux États du for la compétence d'accorder ou non l'immunité.

On aboutirait ainsi à des solutions différentes pour chaque État, en oubliant de plus les raisons qui ont

conduit à la distinction entre les actes iure imperii et les actes iure gestionis. La différenciation entre ces

actes résulte avant tout de l'extension de l'action étatique au domaine de la vie économique et sociale.

Leur délimitation doit donc s'accomplir suivant l'appartenance objective d'un acte de l'État étranger au

domaine de sa souveraineté ou au domaine de ses activités économiques privées. Cette conception sert

déjà de fondement aux décisions des juridictions allemandes depuis la fin de la Seconde guerre

mondiale ».

Par contraste avec la pratique prédominante des juridictions internes européennes, qui consiste dans

l'application immédiate de l'immunité de juridiction des États étrangers, les juridictions allemandes se

réfèrent explicitement au fondement constitutionnel de l'article 25 LF, censé en constituer le fondement

exclusif43. Cette application dépendante d'un fondement interne n'empêche pas que le corpus

jurisprudentiel actuel en la matière n'indique pas de dérogation au principe d'immunité de juridiction de

l'État étranger. Et cela demeure valable lorsque les actes de souveraineté en question se trouvent en

relation directe avec une violation grave de droits de l'homme par l'État étranger, ce qui peut pourtant

paraître non-conforme à certains droits fondamentaux allemands44.

42 BVerfGE 16, p. 27 - Iranische Botschaft43 Cf. BVerfGE 46, p. 342 - Philippinische Botschaft (à propos de l'immunité d'exécution mais le raisonnement est extensible à l'immunité de juridiction). Parmi une jurisprudence abondante, surtout des juridictions inférieures, cf. : BGH, 1er octobre2009, VII ZB 37/08 ; Bundesarbeitsgericht, 1er juillet 2010, 2 AZR 270/09 44 Wolfgang Cremer, « Entschädigungsklagen wegen schwerer Menschenrechtsverletzungen und Staatenimmunität vor nationaler Zivilgerichtsbarkeit », AVR, vol. 41, 2003, pp. 137-168

604

B. L'immunité de juridiction de l'État étranger déroge au droit au recours au juge des particuliers même

dans les cas de « violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations

graves du droit international humanitaire »45

L'immunité cesse-t-elle en cas de « violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et

de violations graves du droit international humanitaire »46 par un État étranger ? Cette question amène à

rechercher les éventuelles limites de l'immunité de juridiction de l'État étranger, en droit international

ainsi que dans les droits nationaux, dans le cas par exemple de crime de guerre ou de violation d'une

norme de ius cogens47.

Les comportements de violations graves du droit international, parce qu'ils sont généralement réalisés

par un État dans l'exercice de sa puissance publique, sont presque dans tous les cas qualifiables d'actes

iure imperii : le principe de l'immunité de juridiction les couvre donc traditionnellement. En ce sens, la

Cour européenne des droits de l'homme, juge international, estime que l'immunité d'État étranger,

comme limitation du droit au juge, tend à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de

proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (C.E.D.H., 18 février 2000, Waite et Kennedy

c. Allemagne, req. 26083/94).

45 Il s'agit de l'expression retenue par la Résolution 60/147 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 2005, relative aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.Bibliographie spéciale : Christian Appelbaum (2007), op. cit. note 15 ; Ernest K. Bankas (2005), op. cit. note 5 ; Stéphane Beaulac, Riccardo Pavoni, « L'immunité des États et le jus cogens en droit international – Étude croisée Italie / Canada », Revue juridique Thémis, vol. 43, 2009, pp. 491-529 ; Andréa Bianchi, « Denying State Immunity to Violators of Human Rights », ZÖR, vol. 46, 1994, pp. 195-229 ; Andréa Bianchi, « L’immunité des États et les violations graves des droits de l’homme : la fonction de l’interprète dans la détermination du droit international », RGDIP, 2004, pp. 63-101 ; Marc Bossuyt, Koen De Feyter, Filip Reyntjens (éds), Out of the ashes: reparation for victims of gross and systematic human rights violations, Intersentia, Anvers, 2005, 522 p. ; Jürgen Bröhmer, State Immunity and the Violation of Human Rights, Martinus Nijhoff, La Haye, 1997, 242 p. ; Wolfgang Cremer (2003), op. cit. note 44 ; Antonio Cassese, Mireille Delmas-Marty (éds), Juridictions nationales et crimes internationaux, PUF, Paris, 2002, 673 p. ; Rudolf Dolzer, « The Settlement of War Related Claims: Does International Law Recognize a Victim’s Private Rights of Action? Lessons after 1945 », Berkeley Journal of International Law, vol. 20, 2002, pp. 296-341 ; Oliver Dörr (2003), op. cit. note 16 ; Paola Gaeta, « Are Victims of Serious Violations of International Humanitarian Law Entitled to Compensation ? », in : Orna Ben-Naftali (éd.), International Humanitarian Law and International Human Rights Law, Oxford University Press, Oxford/New York, 2011, 480 p., pp. 305-327 ; Maria Gavouneli, State immunity and the Rule of Law, Ant. N. Sakkoulas, Athènes, 2001, 222 p. ; Burkhard Heß, « Staatenimmunität bei Menschenrechtsverletzungen », in : Reinhold Geimer (éd.), Wege zur Globalieserung des Rechts – Festschrift für Rolf A. Schütze zum 65. Geburtstag, C.H. Beck, Munich, 1017 p., pp. 269-285 ; Beatrix Real, Staatenimmunität und Menschenrechte. Die Durchsetzung von Wiedergutmachungsansprüchen nach der Verletzung von Menschenrechten, Logos, Berlin, 2004, 314 p. ; Natalino Ronzitti, « Access to Justice and Compensation for Violations of the Law of War », in : Francesco Francioni (dir.), Access to Justice as a Human Right, Oxford University Press, Oxford, 2007, 244 p., pp. 95-134 ; Bruno Zehnder, Immunität von Staatsoberhäuptern und der Schutz elementarer Menschenrechte, Nomos, Baden-Baden, 2002, 166 p.46 Ci-dessous, « violations graves du droit international ».47 Il existe encore beaucoup d'incertitudes relatives aux normes internationales relevant du ius cogens. Seules quelques normes le sont clairement, parmi lesquelles on trouve la prohibition du génocide, de la traite d'esclaves et de l'apartheid. Certains doutes existent quant à l'appartenance des crimes de guerre au ius cogens, mais la doctrine tend de plus en plus à les considérer comme telles, d'autant plus que la pratique des États en la matière s'est considérablement modifiée en ce sens (cas de l'ingérence d'États tiers dans la sphère de souveraineté d'un État afin de lutter contre des crimes de guerre).

605

L'immunité de juridiction limite non seulement le droit de recours au juge des particuliers, mais aussi,

indirectement48, leur droit à réparation lorsqu'ils ont été victimes de violations graves du droit

international du fait de l'agissement d'un État étranger49. La Cour européenne des droits de l'homme, en

dépit d'une jurisprudence habituellement orientée vers la protection du droit au recours fondée sur

l'article 6 de la Convention (droit à un procès équitable), considère que même une violation

particulièrement grave du droit international par l'État étranger n'écarte pas le bénéfice de l'immunité de

juridiction (CEDH, Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001 ; Kalogeropoulou et a. c. Grèce, 12

décembre 2002). Et si cette limitation du droit au recours est en l'occurrence admissible, c'est parce que

le droit international prévoit une autre procédure traditionnelle interétatique, la protection diplomatique50, soit une procédure non-juridictionnelle qui ouvre la possibilité de réparer les dommages causés par

un État étranger à des ressortissants nationaux dans le contexte d'infractions pénales internationales.

Les organes respectent habituellement le principe de l'immunité de juridiction des États étrangers, lors

même qu'il est question d'une violation grave du droit international (a). Néanmoins, à rebours de la

position de la Cour européenne des droits de l'homme et de la pratique dominante, tant internationale

qu'interne, quelques juridictions internes soutiennent désormais que le principe d'immunité de

juridiction doit céder dans les cas de violation par un État étranger d'une norme de ius cogens (b).

48 La privation du droit au juge dans le cas de l'immunité de l'État étranger entraîne indirectement une privation du droit à la réparation, dans la mesure où le juge est le seul organe habilité à ordonner cette réparation. Une telle privation du droit au recours juridictionnel n'est souvent pas totale, puisqu'il se peut que le particulier conserve la possibilité de recourir au juge de l'État ayant violé ses droits. Les droits du particulier, et leur mise en œuvre, dépendent alors du contentieux interne de l'État auteur de la violation (admissibilité du recours, possibilité d'engager la responsabilité de l'État...). Par ailleurs, d'éventuelles réparations de l'individu peuvent être obtenues à travers une procédure non juridictionnelle, à l'instar de la conclusion par voie diplomatique d'un accord relatif à l'indemnisation des victimes conclu entre l'État protecteur des victimes et l'État auquel les violations sont imputables (C.E.D.H., 4 octobre 2006, SOS Attentats et Béatrix de Boëry contre la France, requête n°76642/01).49 A propos de la réparation au particulier d'atteintes au droit international humanitaire, cf. notamment : Résolution 60/147 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 2005 relative aux principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.Dans la doctrine, cf. : Rudolf Dolzer (2002), op. cit. note 45 ; Emanuela-Chiara Gillard, « Reparation for Violations of International Humanitarian Law », International Review of the Red Cross, vol. 85, 2003, pp. 529-555 ; Bernhard Graefrath, « Schadensersatzansprüche wegen Verletzung humanitären Völkerrechts », Humanitäres Völkerrecht – Informationsschriften, 2001, p. 110 et svtes ; Wolfgang Heintschel von Heinegg, « Entschädigung für Verletzungen des humanitären Völkerrechts », BDGV, vol. 40, 2003, pp. 1-56 ; Burkhard Heß, « Kriegsentschädigungen aus kollisionsrechtlicher und rechtsvergleichender Sicht », BDGV, vol. 40, 2003, pp. 107-212 ; Riccardo Pisillo Mazzeschi, « Reparation Claims by Individuals for State Breaches of Humanitarian Law and Human Rights : An Overview », Journal of International Criminal Justice, vol. 1, 2003, pp. 339-347 ; Albrecht Randelzhofer, Christian Tomuschat (éds), State Responsibility and the Individual : Reparation in Instances of grave Violations of Human Rights , Martinus Nijhoff, La Haye, 1999, 320 p. ; Ana Salado-Osuna, « The Victims of Human Rights Violations in Armed Conflicts: The Right to Justice, Truth and Compensation », in : Pablo Antonio Fernández-Sánchez (éd.), The new Challenges of Humanitarian Law in Armed Conflicts – in honour of Professor Juan Antonio Carrillo Salcedo , Martinus Nijhoff, La Haye, 2005, 366 p., p. 315 et svtes ; Elke Schwager, « The Right to Compensation for Victims of an Armed Conflict », Chinese Journal of International Law, vol. 4, 2005, pp. 417-439 ; Christian Tomuschat, « Reparation for Victims of Grave Human Rights Violations », Tulane Journal of International and Comparative Law, vol. 10, 2002, pp. 157-184 ; Liesbeth Zegveld, « Remedies for Victims of Violations of International Humanitarian Law », International Review of the Red Cross, vol. 85, 2002, pp. 497-527. 50 C.P.J.I., 30 août 1924, Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine, série A n°2, p. 11. Cf. infra : « La protection générale des étrangers ».

606

a. Une position dominante des juridictions internes favorable au maintien de l'immunité de juridiction

de l'État étranger quelle que soit la gravité de la violation du droit international qui lui est imputée

La jurisprudence de la Cour de cassation française offre un exemple typique de la position dominante

des juridictions nationales. Le juge judiciaire français applique dans tous les cas prioritairement le

principe d'immunité de juridiction de l'État étranger, peu importe que des violations graves du droit

international soient ou non imputées à l'État en question. En matière de crime de guerre, la Cour de

cassation confirme ainsi une décision de cour d'appel qui avait retenu l'immunité de juridiction de l'État

allemand au motif que « le fait de contraindre des déportés, en territoire ennemi, à travailler dans le

cadre de l'économie de guerre avait été accompli à titre de puissance publique » (Civ. 1, 2 juin 2004,

Gimenez-Exposito c. RFA). Une conception rétroactive du principe de l'immunité restreinte par le juge

judiciaire français se remarque en l'espèce : le principe de droit international applicable au moment de

l'accomplissement des faits, c'est-à-dire pendant la Seconde Guerre mondiale, s'avère alors proche de

l'immunité absolue, et non de l'immunité restreinte51. A propos de faits plus récents, en l'espèce l'attentat

du 19 septembre 1989 dit DC-10 UTA imputable pour partie à l'État lybien52, la Cour de cassation

affirme dans son arrêt en date du 9 mars 201153 que: « la Jamahiriya [l'État lybien] pouvait opposer une

immunité de juridiction dès lors que la nature criminelle d'un acte de terrorisme ne permet pas, à elle

seule, d'écarter une prérogative de souveraineté » ; et que même « le risque de déni de justice à

l’étranger […] ne peut en aucun cas faire fléchir une règle par laquelle le droit français interdit aux

tribunaux français de connaître d'un litige ».

b. L'éventualité d'une modification de l'état du droit par voie coutumière

D'autres juridictions internes s'estiment moins liées par le principe de l'immunité de juridiction dans le

cas de crimes internationaux d'une particulière gravité54. Pour celles-ci, la violation d'une norme de ius

51 Le droit international lui-même ne prohibe pas généralement la rétroactivité ; cf. James T. Woodhouse, « The Principle of Retroactivity in International Law », Transactions of the Grotius Society, vol. 41, 1955, pp. 69-89. En l'espèce, cela ne change d'ailleurs rien à la solution du litige.52 Cf. aussi à propos de l'immunité du chef d'État de la Lybie dans la même affaire : Cass. crim., 13 mars 2001, Procureur général près la Cour d'appel de Paris c/ Association SOS attentats et autres, n° 00-87.215, Bull. crim. n° 64.53 Cass. 1ère civ., 9 mars 2011, pourvoi n°09-14743.54 Les juridictions italiennes se sont estimées compétentes dans une série de décision relatives à l'indemnisation de victimes de guerre pour condamner l'État allemand malgré l'immunité de juridiction dont il bénéficie :- Cour de cassation, Luigi Ferrini c. République Fédérale d'Allemagne, 6 novembre 2003, aff. 5055/04 : en l'espèce, un italien avait été déporté en Allemagne par les forces armées allemandes lors de l’occupation de l’Italie, où il est alors soumis au travail forcé entre 1944 et 1945 dans une usine de munitions ; cf. Andréa Bianchi, « Ferrini v. Federal Republic of Germany. Italian Court of Cassation, March 11, 2004 », AJIL, 2005, pp. 242-248 ; Pasquale De Sena, Francesca De Vittor, « State Immunity and Human Rights : The Italian Supreme Court Decision on the Ferrini Case », EJIL, vol. 16, 2005, pp. 89-112.- Cour de cassation, Max Josef Milde, 13 janvier 2009, aff. 1072/2008 : en l'espèce, un officier allemand est reconnu coupable d’avoir participé au meurtre de 203 civils, dont des femmes et des enfants, au cours d'un massacre ayant eu lieu le 29 juin 1944 dans les communes italiennes de Civitella, Cornia et S. Pancrazio. Les juridictions grecques ont condamné l'Allemagne dans des circonstances proches, mais en renonçant à ordonner l'exécution du jugement (Tribunal de Livadia, 30 octobre 1997, Préfecture de Voiotia c. RFA, aff. 137/1997, AJIL 2001,

607

cogens par un État impliquerait de sa part une renonciation tacite à son droit de se prévaloir de

l'immunité de juridiction. Un autre argument souvent avancé est plus formel : le droit international de

ius cogens, en raison de son indérogeabilité, prévaut sur toutes les autres coutumes internationales, y

compris l'immunité de juridiction des États étrangers55. La limitation de l'effet dérogatoire de la

coutume internationale d'immunité de juridiction apparaît dans tous les cas justifiée par l'état du droit

international lui-même : le juge écarte son application sur le fondement d'une norme internationale de

ius cogens56, et non sur le fondement de la violation de droits fondamentaux internes.

L'État allemand s'oppose internationalement à une nouvelle pratique des États étrangers en ce sens

(surtout l'Italie et la Grèce). Suite à sa condamnation à indemniser des victimes de la Seconde Guerre

mondiale par des juridictions italiennes57, il introduit en effet le 23 décembre 2008 une instance devant

la Cour internationale de justice contre l'Italie pour non respect de son immunité de juridiction dont il

bénéficie en tant qu'État souverain58. La juridiction internationale, dans son arrêt du 3 février 2012,

Immunités juridictionnelles de l'État, Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant) , suit une ligne

conservatrice en donnant raison à l'Allemagne au motif que la pratique nouvelle de certains États se

trouve en l'occurrence insuffisante pour entraîner une modification de l'état du droit international

coutumier.

Toujours dans le contexte des crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale, les

juridictions grecques, se fondant sur le droit international humanitaire, et notamment la Convention IV

de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, ont elles aussi condamné

l'Allemagne à une réparation de trente millions de dollars, tout en renonçant à ordonner l'exécution du

jugement à défaut d'un pouvoir de coercition (imperium) sur les autorités allemandes (Tribunal de

Livadia, 30 octobre 1997, Préfecture de Voiotia c. RFA59; Áreios Págos, 4 mai 2000, Préfecture de

Voiotia c. RFA60). En l'espèce, les ressortissants grecs avaient engagé une action à l'encontre de l'État

allemand en raison d'exactions commises par des soldats allemands le 10 juin 1944 dans le village de

Distomo, près de Delphes.

vol. 95 p. 198; Áreios Págos, 4 mai 2000, Préfecture de Voiotia c. RFA, aff. 11/2000). 55 Cour de cassation, Luigi Ferrini c. République Fédérale d'Allemagne, 6 novembre 2003, aff. 5055/04, §9.1.56 Les juridictions estiment dans différentes affaires le ius cogens applicable à des faits commis pendant la Seconde Guerre mondiale, soit antérieurement aux articles 53 et 64 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités (1969 et 1986) codifiant l'existence du ius cogens. Pour une partie de la doctrine, il s'agit là d'une application rétroactive du ius cogens. D'autres soutiennent que certaines normes de ius cogens sont déjà valides au moment de la commission des infractions, et même avant la Seconde Guerre mondiale, et qu'il n'y aurait dès lors pas rétroactivité ; cf opinion dissidente du juge Cançado Trindade (§§140-153) dans l'affaire : C.I.J., ordonnance, 6 juillet 2010, Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie).57 Cf. notes précédentes.58 Cf. le communiqué de presse relatif à la demande de l'Allemagne : http://www.icj-cij.org/docket/files/143/14924.pdf59 Aff. 137/1997 ; cf. Ilias Bantekas, « Case Report : Prefecture of Voiotia v. Federal Republic of Germany », AJIL, vol. 92, 1998, p. 765 et svtes.60 Aff. 11/2000 ; Maria Gavouneli, Ilias Bantekas, « Case Report : Prefecture of Voiotia v. Federal Republic of Germany », AJIL, vol. 95, 2001, p. 198 et svtes.

608

Les juridictions allemandes avaient elles aussi été saisies de l'affaire Distomo61. Dans une première

phase de procédure antérieure aux décisions des juridictions grecques, les requérants échouent devant

les juridictions allemandes à obtenir réparation de l'État allemand : ni le droit international, ni le droit

interne relatifs à la responsabilité ne constituent des bases suffisantes pour engager la responsabilité de

l'État allemand en raison de faits commis en 194462. Dans une seconde phase, les requérants visent de

plus la reconnaissance des décisions des juridictions grecques sur l'affaire, afin que leur soit attribuée

force exécutoire devant les juridictions allemandes. Cependant, dans sa décision du 26 juin 2003, la

Cour fédérale allemande estime qu'une force exécutoire ne doit pas être attribuée aux décisions

grecques parce qu'elles ont été prises en violation du principe de l'immunité de juridiction de l'État

étranger qui s'applique en matière d'actes relevant du iure imperii63. Les requérants poursuivent le

contentieux à l'encontre de l'État allemand par la voie d'un recours constitutionnel devant la Cour

constitutionnelle fédérale en se fondant sur l'article 93 al. 1 4a LF64, en combinaison avec les Sections

13 (8), 90-95 BVerfGG. Parmi d'autres arguments, les requérants soutiennent que les juridictions

ordinaires ont violé l'article 100 al. 2 LF en n'adressant pas à la Cour constitutionnelle fédérale la

question de l'existence d'une règle générale du droit international attribuant un droit à la réparation aux

victimes des conflits armés.

A l'occasion de sa décision du 15 février 200665, la Cour constitutionnelle fédérale allemande se

prononce pour la première fois sur la question de l'applicabilité des principes relatifs à l'engagement de

la responsabilité de l'État dans le domaine du droit international humanitaire. Son argumentation se

développe ainsi :

i. La Cour affirme que les juridictions allemandes ne sont pas tenus de reconnaître les décisions des

juridictions grecques parce qu'elles transgressent le principe international d'immunité de juridiction de

l'État étranger. La coutume internationale de l'immunité de juridiction prévaut sur le principe de droit

61 On trouve une littérature abondante à propos de l'affaire Distomo, cf. notamment : Andreas Auer, « Staatenimmunität und Kriegsfolgen am Beispiel des Falles Distomo - Anmerkung zur Entscheidung des Obersten Sondergerichts vom 17. September 2002, Bundesrepublik Deutschland vs Miltiadis Margellos », ZÖR, 2006, pp. 449-462 ; Hans-Peter Folz, « Staatenimmunität und Kriegsfolgen am Beispiel des Falles Distomo - Zum Umgang mit Ius Cogens », ZÖR, 2006, pp. 477-496 ; Elisabeth Handl, « Staatenimmunität und Kriegsfolgen am Beispiel des Falles Distomo », ZÖR, 2006, pp. 433-448 ; Tanja Marktler, « Staatenimmunität und Kriegsfolgen am Beispiel des Falles Distomo - Anmerkungen zur Entscheidung des EGMR vom 12. Dezember 2002, Kalageropoulou und andere vs Griechenland und Deutschland », ZÖR, 2006, pp. 463-476 ; Markus Rau, « State Liability for Violations of International Humanitarian Law : The Distomo Case Before the German Federal Constitutional Court », German Law Journal, vol. 7, 2006, pp. 701-720. 62 Landgericht Bonn, 23 juin 1997, 1 O 358/95 ; Oberlandesgericht Köln, 27 août 1998, 7 U 167/97 ; BGH, 26 juin 2003, NJW, vol. 56, 2003, p. 3488 et svtes. Cf. notamment : Sabine Pittrof, « Compensation Claims for Human Rights Breaches Committed by German Armed Forces Abroad During the Second World War: Federal Constitutional Court Hands Down Decision in the Distomo Case », German Law Journal, vol. 5, 2004, pp. 15-21.63 BGH, 26 juin 2003, NJW, vol. 56, 2003, pp. 3488-3489.64 L'article 93 al. 1 4a LF dispose que : « La Cour constitutionnelle fédérale statue [...] sur les recours constitutionnels qui peuvent être formés par quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l'un de ses droits fondamentaux ou dans l'un de ses droits garantis par les articles 20 al. 4 , 33, 38, 101, 103 et 104 ». 65 2 BvR 1476/03.

609

interne66, éventuellement aussi garanti par la Convention européenne des droits de l'homme 67, suivant

lequel les individus bénéficient d'un droit à la reconnaissance d'un jugement étranger. Par là, la Cour

constitutionnelle fédérale adhère clairement à la position selon laquelle, en droit international, il n'existe

pas d'exception au principe d'immunité de juridiction pour les actes réalisés ius imperii par un État

étranger.

ii. A propos du droit à la réparation des victimes de guerre, la Cour estime que l'article 3 de la

Convention de la Haye IV du 18 octobre 1907 ne crée pas directement des droits au bénéfice des

particuliers, autrement dit qu'il est dépourvu d'effet direct. Cet article dispose que : « la Partie

belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s'il y a lieu. Elle sera

responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée ». Selon la Cour, la

Convention de la Haye IV fait référence au principe traditionnel de la responsabilité de l'État qui n'est

applicable qu'entre États68. Et même s'il reste possible de concevoir un tel effet direct de ce traité datant

d'avant la Première Guerre mondiale69, la pratique des États s'est considérablement modifiée depuis

dans un sens contraire, surtout dans les périodes postérieures aux conflits mondiaux. La Cour n'examine

66 Ce principe est garanti avec de fortes limites par la Section 328 du Zivilprozessordnung.67 A propos d'une éventuelle garantie de la reconnaissance des jugements étrangers sur le fondement de l'article 6§1 CEDH, cf. notamment : Franz Matscher, « Die Einwirkungen der EMRK auf das Internationale Privat- und zivilprozessuale Verfahrensrecht », in : Franz Matscher, Ignaz Seidl-Hohenveldern (éds), Europa im Aufbruch – Festschrift Fritz Schwind zum 80. Geburtstag, Manz, Vienne, 1993, 340 p., pp. 71-85, plus particulièrement pp. 82-83.68 Cf. aussi : Cour constitutionnelle fédérale, 28 juin 2004, NJW, vol. 57, 2004, pp. 3257-3258, à propos d'anciens détenus militaires italiens ; Cour constitutionnelle fédérale, 26 octobre 2004, Sowjetische Besatzungszone (zone d'occupation soviétique), NJW, vol. 58, 2005, pp. 560-564, à propos d'expropriations entre 1945 et 1949. Dans l'arrêt relatif aux expropriations dans la zone soviétique, une des questions posées à la Cour constitutionnelle fédérale concerne l'obligation pesant sur les organes allemands de faire respecter le droit international dans leurs domaines de responsabilité lorsqu'un État étranger non lié par la Loi fondamentale en commet une violation. Tel aurait été selon l'opinion dominante le cas de l'URSS lorsqu'elle procédait à des expropriations prohibées par le droit international dans sa zone d'occupation située sur le territoire allemand. Les organes allemands sont-ils tenus de faire cesser ou de réparer une telle violation du droit international par un État tiers ? La Cour constitutionnelle fédérale fait en l'occurrence référence au projet d'articles sur la responsabilité de l'État pour faits internationalement illicites adoptée par la Commission du droit international en 2001, et tout particulièrement à son article 41 relatif aux« conséquences particulières d'une violation grave d'une obligation » relevant du ius cogens. L'article contient une obligation positive, celle pour les États de coopérer afin de mettre fin une violation grave du droit international (obligation dite «de solidarité» ; cf. Andrea Gattini, « A Return Ticket to “Communitarisme”, Please », EJIL, vol. 13, 2002, p. 1181-1199, plus particulièrement p. 1185), et une obligation négative, qui consiste à ne pas « reconnaitre comme licite une situation créée par une violation grave [...], ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation » (obligation dite d'«isolation», idem p. 1188).Plus récemment, à propos de la guerre du Kosovo : Oberlandesgericht de Cologne, 28 juillet 2005, affaire du pont de Varvarin, NJW, vol. 58, 2005, pp. 2860-2861. Cf. à propos de cette décision : Stefanie Schmahl, « Amtshaftung für Kriegsschäden », ZaöRV, vol. 66, 2006, pp. 699-718.La jurisprudence allemande relative à l'effet direct de l'article 3 de la Convention de la Haye IV du 18 octobre 1907 est partagée par les juridictions américaines, cf. : US District Court, Central District, California, Handel v. Artukovic, 601 F Supp. 1421 (1985) ; US Court of Appeals, Fourth Circuit, 16 Juin 1992, Goldstar (Panama) SA v. United States, ILR, vol. 96, 1992 ; US District Court for the District of Colombia, 813, F. Supp. 22 (1992) ; US Court of Appeals for the District of Columbia, 307 US App DC 102, 26 F.3d 1166 (1994), Princz v. Federal Republic of Germany. Il en va de même au Japon, cf. Shin Hae Bong, « Compensation for Victims of Wartime Atrocities. Recent Developments in Japan’s Case Law », Journal of International Criminal Justice, vol. 3, 2005, pp. 187-206. 69 Pour une opinion contraire : Frits Kalshoven, « State Responsibility for Warlike Acts of the Armed Forces. From Article 3 of Hague Convention IV to Article 91 of Additional Protocol I and Beyond », ICLQ, 1991, pp. 827-858. Selon l'auteur, dont l'argumentation s'appuie sur les travaux préparatoires, l'intention consiste à l'origine à créer un droit individuel à la réparation.

610

aucunement l'éventualité de la formation d'une nouvelle coutume internationale, plus récente encore,

ouvrant le droit à réparation des particuliers, pourtant amplement commentée par la doctrine

internationaliste. Le juge constitutionnel allemand remarque que le droit à réparation s'adresse

ultimement aux particuliers, par l'intermédiaire du droit à réparation de l'État lésé70, ce qui peut sembler

en l'occurrence réducteur de l'article 25 phrase 2 LF, qui dispose expressément que les règles générales

du droit international « créent directement des droits » au bénéfice des particuliers. La Cour fonde donc

sa décision sur une règle générale du droit international traditionnelle, selon elle toujours d'actualité :

les réparations secondaires71 qui s'adressent aux particuliers, dont l'indemnisation, relèvent uniquement

de la compétence de l'État. En procédant à une réparation générale des dommages de guerre, ainsi qu'à

travers les accords bilatéraux prévoyant l'indemnisation des victimes des injustices de l'Allemagne

nationale-socialiste par l'intermédiaire des États dont ils sont les nationaux, l'État allemand serait

advenu à une situation satisfaisante eu égard à ses obligations internationales (« Zustand näher am

Völkerrecht72 »). Par ailleurs, la Cour constitutionnelle fédérale n'admet pas une quelconque

rétroactivité du droit international : les changements dans le droit international ayant eu lieu depuis

1944 ne sont donc pas pertinents en l'espèce, quand bien même ils seraient en faveur des victimes 73.

iii. La Cour soutient que les juridictions inférieures n'étaient en l'espèce pas tenues de lui transmettre,

par la voie de la procédure de l'article 100 al. 2 LF, la question de la positivité de la règle générale du

droit international imposant un droit exécutoire à la compensation au bénéfice des victimes des conflits

armés, au motif qu'il n'existerait pas de «doute objectif», aussi bien dans la jurisprudence que dans la

doctrine, quant à la non-existence d'une norme d'un tel contenu. Et pourtant, depuis le début des années

1990, la question du droit individuel à réparation a été de plus en plus traitée par la doctrine, dont une

partie importante admet désormais la positivité. Aussi, la Commission des droits de l'homme des

Nations unies considère dans sa résolution 2005/3574 §11, soit antérieurement à l'affaire Distimo, que :

« les recours contre les violations flagrantes du droit international relatif aux droi ts de l’homme et les

violations graves du droit international humanitaire comprennent le droit de la victime aux garanties

suivantes, prévues en vertu du droit international : […] (b) Réparation adéquate, effective et rapide du

préjudice subi ». L'argumentation de la Cour constitutionnelle fédérale apparaît cependant plus

nuancée, dans la mesure où elle estime que l'absence de doute porte sur un principe du droit

international obligeant rétroactivement l'État à réparer individuellement les victimes de ses agissements

pendant 'un conflit armé, soit en l'espèce au moment du massacre de Distimo. La Cour conserve la

70 2 BvR 1476/03, §§ 20-21.71 Les réparations secondaires sont celles qui s'adressent aux particuliers, tandis que les réparations premières sont celles qui s'adressent aux États dont les particuliers concernés sont les ressortissants.72 2 BvR 1476/03, § 30.73 2 BvR 1476/03, § 22. A l'occasion de l'affaire du pont de Varvarin, l'Oberlandesgericht de Cologne doit identifier le contenu du droit international pendant la guerre du Kosovo (décision du 28 juillet 2005, NJW, vol. 58, 2005, pp. 2860-286). A propos de la positivité dans une période plus récente d'un droit individuel à réparation d'effet direct : Stefanie Schmahl, op. cit. note 68, spécialement pp. 703-705.74 Cf. note 45.

611

position qu'elle soutenait dans l'affaire dite du travail forcé («Zwangsarbeit») en date du 13 mai 199675,

à l'occasion de laquelle elle avait alors rappelé que, dans la période comprise entre 1943 et 1945, seuls

les États sont habilités à se plaindre de violations du droit international.

La pratique interne des différents États témoigne que l'immunité de juridiction de l'État étranger semble

presque indérogeable, et cela tient sans doute en grande partie à l'état du droit international lui-même :

il s'agit d'une norme d'applicabilité directe adressant une obligation à un organe interne déterminé, soit

les juridictions, et la responsabilité internationale de l'État peut être engagée pour tout manquement,

même minime. Le cas du droit des étrangers offre un exemple d'intensité de l'effet dérogatoire moindre.

II. Le cas du droit des étrangers

Le droit international coutumier régit encore largement le domaine du droit des étrangers, malgré la

présence de nombreux traités internationaux particuliers, notamment en matière patrimoniale à propos

de l'établissement ou de la protection des investissements étrangers.

Les normes internationales coutumières réglementant le droit des étrangers sont des normes inter-

étatiques, au sens où leur violation aboutit à la responsabilité internationale d'État à État. Le plus

souvent, les coutumes internationales en matière de droits des étrangers consistent en une «obligation de

résultat» à la charge de l'État, c'est-à-dire que l'État est tenu d'en assurer une application effective

globale, mais non en une «obligation de moyen» exigeant une mise en œuvre par des mesures internes

déterminées76. Ainsi, une violation minime ou isolée du droit des étrangers n'est en principe pas

constitutive d'une violation du droit international.

Toutefois, certaines coutumes internationales attribuent de manière précise et complète certains droits

aux étrangers, qui s'analysent surtout comme des interdictions destinées à l'État : interdiction du déni de

75 BVerfGE 94, p. 315.76 Article 22 du projet de la Commission du droit international sur la responsabilité des États (1977, vol. 1, p. 283) : « Lorsqu’un comportement d’un État a créé une situation non conforme au résultat requis de lui par une obligation internationale concernant le traitement à réserver à des particuliers étrangers, personnes physiques ou morales, mais qu’il ressort de l’obligation que ce résultat ou un résultat équivalent peut néanmoins être acquis par un comportement ultérieur de l'État, il n’y a violation de l’obligation que si les particuliers intéressés ont épuisé les recours internes efficaces leur étant disponibles sans obtenir le traitement prévu par l’obligation ou, au cas où cela n’était pas possible, un traitement équivalent. »Plus généralement, à propos de la distinction entre « obligation de résultat » et « obligation de moyen » en droit international qui a été soumise à vives critiques, cf. : Jean Combacau, « Obligations de résultat et obligations de comportement : quelques questions et pas de réponse », in : Le droit international : unité et diversité – Mélanges offerts à Paul Reuter, A. Pedone, Paris, 1981, 582 p., pp. 181-204 ; Jean Combacau, Denis Alland, « Primary and Secondary Rules in the Law of State Responsibility : Categorizing International Obligations », Netherlands Yearbook of International Law, vol. 16, 1995, pp. 81-109 ; Pierre-Marie Dupuy, « Reviewing the difficulties of codification: on Ago's classification of obligations of means and obligations of result in relation to state responsibility », EJIL, vol. 10, 1999, pp. 371-385.

612

justice, d'être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits (principe non bis in idem), de la

détention sans procédure judiciaire77, de l'expropriation sans indemnités, des mauvais traitements. De

telles normes sont souvent considérées comme pourvues d'un «effet direct». Par là, le juge interne

dispose éventuellement d'une compétence – en fonction de l'habilitation qui lui est attribuée par le droit

interne – pour faire prévaloir les droits bénéficiant aux individus étrangers sur une norme interne

«contraire» dans une situation d'atteinte concrète, ainsi que pour ordonner une réparation.

En l'absence d'un «effet direct» du droit international, la protection générale des libertés des étrangers

en droit interne sur le fondement du droit international général ne semble pas prévaloir dans la sphère

du droit interne : elle cède dans la plupart des cas de collision avec une norme interne «contraire» (A).

Tel n'est cependant pas le cas en matière de droits patrimoniaux acquis par les étrangers, ceux-ci

dérogeant largement aux dispositions internes, surtout lorsqu'une atteinte à ces droits est possible par

expropriation et plus particulièrement par nationalisation (B).

A. La protection générale des étrangers

Le droit international général n'impose pas en principe aux États d'obligations concernant le traitement

de ses propres citoyens, c'est-à-dire que le système juridique national n'est pas limité par le droit

international en matière de droits qu'il attribue ou non aux individus citoyens de l'État78. Par exception,

le droit international particulier, surtout à travers des traités spéciaux, peut obliger l'État à leur attribuer

certains droits et à garantir leur protection. Le principe est autre pour les étrangers : le droit

international oblige l'État à protéger les individus se situant sur son territoire, mais qui appartiennent en

tant que citoyens à un autre État79.

Le droit international n'oblige pas l'État à admettre les étrangers sur son territoire 80, mais il oblige l'État

77 La positivité même de la coutume internationale interdisant la détention sans procédure judiciaire est devenue contestable en raison de la violation massive par les États dont elle a été l'objet, notamment par l'envoi des étrangers en situation irrégulière dans des centres de rétention sur simples décisions administratives (changement de la praxis) ; cf. inter alia : Olivier Lecucq (éd.), La rétention administrative des étrangers entre efficacité et protection, L'Harmattan, Paris, 2011, 281 p.78 On constate cependant quelques exceptions. La Cour de justice des Communautés européennes en remarque une à l'occasion de l'affaire Van Duyn : « un principe de droit international, que le traité CEE ne peut pas être censé méconnaître dans les rapports entre les États membres, s'oppose à ce qu'un État refuse à ses propres ressortissants le droit d'avoir accès à son territoire et d'y séjourner » ; cf. arrêt, 4 décembre 1974, Yvonne van Duyn/Home Office, affaire 41-74, Rec. 1974, p. 1337, § 22.79 Cf. de manière générale, l'analyse classique d'Alfred Verdross, « Règles internationales concernant le traitement des étrangers », RCADI, vol. 37, 1931, pp. 323-412. 80 Cf. par exemple, la décision de la Cour suprême des États-Unis en date du 18 janvier 1892 dans l'affaire Nishimura Ekiu v. United States, 142 U.S. 651 (1892) : « It is an accepted maxim of international law, that every sovereign nation has the power, as inherent in sovereignty and essential to self-preservation, to forbid the entrance of foreigners within its dominions, or to admit them only in such cases and upon such conditions as it may see fit to prescribe ».Par ailleurs, à propos du droit de séjour des étrangers, cf. Christine Langenfeld, « Menschenrecht auf Aufenthalt? : neue Entwicklungen im Recht zur Ausweisung von "verwurzelten" Ausländern », in : Staatsrecht und Politik – Festschrift für Roman Herzog zum 75. Geburtstag, C.H. Beck, Munich, 2009, 582 p., pp. 247-264. A propos de la mise en œuvre dans les systèmes juridiques internes du droit international d'entrée et de séjour, cf. notamment l'étude comparée du Professeur Maja Kirilova Eriksson : Das Aufenthaltsrecht von Ausländern : die Regelung der Einreise und des

613

à respecter un certain «standard minimum de civilisation» dans leur traitement dès lors que les étrangers

se situent sur son territoire81. L'État doit garantir à ces individus un minimum de droits et ne doit pas

leur imposer certaines obligations. Notamment, le droit international général oblige l'État à garantir au

moins une égalité avec ses propres citoyens en matière de protection du patrimoine et même, dans

certaines situations, une sûreté du patrimoine plus forte que celle de ses propres citoyens (par exemple,

à l'occasion d'une nationalisation). Cela ne signifie pas que l'État est tenu d'attribuer aux étrangers une

protection égale à celle de ses citoyens dans toutes les matières : un ensemble de restrictions sont

autorisées, comme la privation de certains droits politiques, la limitation du droit à la vie familiale 82,

l'interdiction de l'accès à certaines professions83, ou même, en matière patrimoniale, l'interdiction de

l'accès à la propriété sur le territoire national.

En résumé, le droit international attribue en principe une large compétence aux États pour réglementer

le droit des étrangers sur son territoire, comme le montre la réglementation internationale et interne

relative au droit d'asile84 et à la protection diplomatique85. Ainsi, une partie considérable du droit des

étrangers est constitutionnellement réglementée en Autriche par la révision constitutionnelle du 4

janvier 2008 instituant une procédure spéciale en matière d'asile devant la nouvelle Cour d'asile (article

129c et svts B-VG86). Le législateur constitutionnel autrichien n'a pas manifesté l'intention de rattacher

cette procédure aux dispositions constitutionnelles relatives au droit international général, c'est-à-dire

l'article 9 B-VG ainsi que l'article 145 B-VG, ce dernier attribuant pourtant déjà une compétence

spéciale à la Cour constitutionnelle en matière internationale.

Chaque État dispose du droit de protéger ses propres citoyens contre les atteintes aux normes

internationales relatives au traitement des étrangers imputables aux États tiers. En droit international, il

Aufenthaltes von Ausländern nach geltendem Völkerrecht und dem Recht Schwedens, der Schweiz und der Bundesrepublik Deutschland, Almqvist & Wiksell Internat, Stockholm, 1984, 237 p. 81 C.P.I.J., arrêt du 30 août 1924, concessions Mavrommatis en Palestine, série A n°2 ; C.I.J., arrêt 6 avril 1955, Notteböhm (Liechstenstein/Guatelama), Rec. 1955, p. 4 ; C.I.J., arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction Light and Power Company (Belgique/Espagne), Rec. 1970, p. 3 ; C.I.J., arrêt du 24 mai 1980, Personnel diplomatique et consulaire à Téhéran, Rec. 1980, p. 3.En droit interne, cf. par exemple à propos de l'interdiction de certaines discriminations : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Du droit d'interner des étrangers selon la jurisprudence autrichienne », AFDI, volume 2, 1956. pp. 516-519.82 Ralph Scheer, Der Ehegatten- und Familiennachzug von Ausländern : eine Untersuchung zur Rechtslage nach Völkerrecht, nach Europarecht und nach ausgewählten nationalen Rechtsordnungen, P. Lang, Francfort-sur-le-Main/Berne, 1994, 476 p. 83 Cf. à propos la mise en œuvre de la liberté économique des étrangers en droit interne allemand : Heinz Rosenbauer, Die wirtschaftliche Betätigungsfreiheit des Ausländers in der Bundesrepublik, thèse, Wurzbourg, 1963, 123 p.84 En droit allemand, cf. inter alia : Ernst Reichel, Das staatliche Asylrecht « im Rahmen des Völkerrechts », Duncker & Humblot, Berlin, 1987, 236 p., spécialement p. 181 et svtes ; Julia Duchrow, « Flüchtlingsrecht und Zuwanderungsgesetz unter Berücksichtigung der so genannten Qualifikationsrichtlinie », Zeitschrift für Ausländerrecht, vol. 24, 2004, pp. 339-346. En droit français : Catherine Teitgen-Colly , Denis Alland, Traité du droit de l'asile, P.U.F., Paris, 2002, 693 p.85 A propos de la protection diplomatique telle qu'exercée par la République autrichienne, cf. les décisions de la Cour constitutionnelle : Slg 8872/1980, 9290/1981, 12.203/1989.86 BGBl. I 1/2008 ; cf. aussi la loi fédérale relative à la Cour d'asile : BGBl I 4/2008, modifiée par BGBl 147/2008.

614

s'agit d'un droit de l'État et non de ses propres citoyens87, ce droit n'étant d'ailleurs invocable par l'État

que pour protéger ses propres citoyens88. Il s'ensuit qu'un individu apatride n'est pas protégé par le droit

international général89. Le droit d'un citoyen à la protection diplomatique par son État dépend du droit

interne de l'État dont il est ressortissant, de sorte que ce dernier dispose de toute latitude pour faire

valoir la protection diplomatique à l'égard de ses ressortissants90 91. En dépit de cette compétence

exclusive de l'État dont il est ressortissant pour la demande en réparation, il appartient au citoyen

victime en tant qu'étranger d'une violation du droit international d'user de tous les moyens légaux

internes à sa disposition dans l'État responsable de la violation du droit international avant que l'État

87 C.P.J.I., 30 août 1924, Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine, série A n°2, p. 11 : « C'est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l'État à protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre État, dont ils n'ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires. En prenant fait et cause pour l'un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur, l'action diplomatique ou l'action judiciaire internationale, cet État fait, à vrai dire, valoir son droit propre, le droit qu'il a de faire respecter en la personne de ses ressortissants le droit international. »Cf. aussi C.I.J., 5 février 1970, Affaire de la Barcelona Traction, Rec., 1970, pp. 4-51, p. 44: « Dans les limites fixées par le droit international, un État peut exercer sa protection diplomatique par les moyens et dans la mesure qu'il juge appropriés, car c'est son droit propre qu'il fait valoir. »Cf. à ce sujet : Edwin Borchard, The diplomatic Protection of Citizens Abroad or The Law of International Claims, The Banks Law, New York, 1915, 988 p. ; Louis Dubouis, « La distinction entre le droit de l'État réclamant et le droit du ressortissant dans la protection diplomatique », RCDIP, 1978, pp. 615-640 ; Georg Ress, Torsten Stein (éds), Der diplomatische Schutz im Völker- und Europarecht, Nomos, Baden-Baden, 1996, 147 p.88 La Commission mixte de réclamations germano-américaines (Mixed Claims Commission, United States and Germany) considère, à l'occasion de l'affaire Nationality of claims en date 31 octobre 1924, [1923-1924], Ann. Dig. 2 (n° 100), que : « Only the injured nation will be heard to assert a claim against another nation. Any other rule would open wide the door for abuses and might result in converting a strong nation into a claim agency in behalf of those who after suffering injuries should assign their claims to its nationals or avail themselves of its naturalization laws for the purpose of procuring its espousal of their claims. »89 Commission spéciale de réclamations américo-mexicaine, (Special Claims Commission, United States and Mexico), The United Mexican States, [1931-1932] Ann. Dig. 6 (n° 115) : « A State […] does not commit an international delinquency in inflicting an injury upon an individual lacking a nationality, and consequently, no State is empowered to intervene or complain on his behalf either before or after the injury. » . Cf. à ce sujet : Michel Verwilghen, « Les conflits de nationalité (apatridie et double nationalité) », RCADI, vol. 277, 1999, pp. 9-480. 90 Ce principe du droit international est appliqué par les juridictions internes. La décision interne la plus célèbre se trouve dans la jurisprudence suisse ; le Tribunal fédéral considère, à l'occasion de l'affaire Gschwind en date 14 octobre 1932(Ann. Dig. 6, n° 120), que : « étant donné qu'en intervenant auprès d'un gouvernement étranger, en raison d'une violation du droit des gens, l'État fait valoir son droit propre, il est exclu que naisse un rapport de mandat du fait que l'État décide d'agir et fait part de son intention à son ressortissant lésé. »Ce principe est plus tardivement appliqué par la Cour de cassation française : Civ. 1ère, 14 juin 1977, Société européenne d'études et d'entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie, Bull. 1977, vol. I, pp. 219-220.91 La Cour administrative autrichienne considère dans une décision du 22 septembre 1955 (n° 714/55/2) que l'État autrichien n'est pas tenu de protéger un de ses ressortissants, ancien combattant des Brigades internationales d'Espagne, interné en France de février 1939 à juillet 1940 : « Selon les dires de l'intéressé, il a franchi la frontière française en février 1939 comme membre de la Brigade internationale — donc, d'une unité militaire étrangère. La France — puissance neutre dans la guerre civile espagnole — fut donc obligée en vertu des dispositions du droit international public (Art. 11 du règlement de la Haye sur la neutralité sur terre) de désarmer les troupes des belligérants franchissant sa frontière et de les interner (cf. Verdross, Völkerrecht 1955, p. 408) ainsi que par exemple la Suisse devait agir à l'égard des membres d'unités militaires des belligérants ayant franchi sa frontière au cours de la deuxième guerre mondiale. Si la République française était obligée en vertu des seuls principes généralement reconnus du droit des gens d'interner les membre de la Brigade internationale espagnole ayant pénétré sur son territoire, il est superfétatoire de chercher à prouver en plus, comme le prétendait le demandeur, que la France avait agi en vertu d'un accord secret conclu avec le Reich allemand. L'observation d'une obligation générale du droit international ne peut en aucun cas être considérée comme une aide aux tendances de persécution du Reich allemand. », trad. Ignaz Seidl-Hohenveldern ; cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, op. cit. note 81, spécialement pp. 518-519.

615

dont il est ressortissant soit autorisé à enclencher une procédure internationale92.

En plus d'une réglementation de l'Union européenne régissant désormais largement le domaine du droit

des étrangers93, les systèmes juridiques positifs nationaux contiennent tous une réglementation concrète

et détaillée en la matière94. Dans la pratique interne des différents États, la réglementation de l'Union

européenne et la réglementation proprement interne prévalent dans la plupart des cas sur les principes

du droit international protégeant le droit des étrangers, et ce, même dans des cas où une atteinte aux

droits de l'homme par des mesures internes semble flagrante95. Et l'on trouvera souvent la justification

suivante à l'appui : la « contradiction » avec le droit international général n'est en réalité qu'apparente

puisque le droit international lui-même attribue en principe aux États une large latitude pour

réglementer le comportement des étrangers.

B. La protection du patrimoine des étrangers

Dans la pratique interne, les dispositions internes concrètes relatives au droit des étrangers prévalent

généralement sur les principes généraux du droit international qui organisent leur protection. Il en va

cependant autrement en matière de droits patrimoniaux acquis par les étrangers, surtout lorsqu'une

atteinte à ceux-ci est possible par expropriation, et plus particulièrement encore par nationalisation. Au

sein des différents systèmes juridiques internes, un large corpus jurisprudentiel s'est développé

concernant la protection patrimoniale des étrangers par le droit international96. La protection effective

92 Tribunal arbitral, 1876, William J. Blumhardt v. Mexico, disponible in : John Bassett Moore, History of International Arbitrations, vol. 3, 1895, 3146: 2424 ; Tribunal arbitral, 19 mars 1925, owner of The R.T. Roy (United States v. Great Britain), AJIL, vol. 19, 1925, pp. 800-803 ; Commission arbitrale, 6 mars 1956, The Ambatelios Claim (Greece, United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland), Recueil des sentences arbitrales, vol. 12, pp. 83-153. Cf. généralement : Jean Chappez, La règle de l’épuisement des voies de recours internes, A. Pedone, Paris, 1972, 372 p. 93 Cf. de manière générale : Andrew Geddes, Immigration and European integration. Beyond fortress Europe? 2ème éd.. Manchester University Press, Manchester, 2008, 232 p.94 Cf. à propos du droit français : Christel Cournil, Le statut interne de l’étranger et les normes supranationales, L’Harmattan, Paris, 2005, 740 p. ; Emmanuelle Saulnier-Cassia, Vincent Tchen (éds), Unité du droit des étrangers et égalité de traitement –Variations autour des mutations d'une police administrative, Dalloz, Paris, 2009, 157 p. ; à propos du droit allemand : Karl Doehring, « Die staatsrechtliche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL, vol. 32, 1974, pp. 7-48.95 Cf. Sylvie Saroléa, Droits de l’homme et migrations: De la protection du migrant aux droits de la personne migrante, Bruylant, Bruxelles, 2006, 718 p. 96 A propos du droit international général relatif à la protection du patrimoine des étrangers, cf. inter alia dans une littérature abondante : Ignaz Seidl-Hohenveldern, Internationales Konfiskations- und Enteignungsrecht, Walter de Gruyter / J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Berlin/Tübingen, 1952, 211 p. ; Dionisio Anzilotti, « La responsabilité internationale des États à raison des dommages soufferts par des étrangers », in : Opere di Dionisio Anzilotti : Scritti di diritto internazionale pubblico, vol. 1, CEDAM, Padoue, 1956, 729 p., pp. 149-207 ; Karl-Heinz Böckstiegel, Die allgemeinen Grundsätze des Völkerrechts über Eigentumsentziehung, Walter de Gruyter, Berlin, 1963, 158 p. ; Gode Hartmann, Nationalisierung und Enteignung im Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1977, 212 p. ; Jacques Barde, La Notion de droits acquis en droit international public, Publications universitaires de Paris, Paris, 1981, 349 p. ; Farhat Horchani (éd.), Où va le droit d’investissement ? Désordre normatif et recherche d’équilibre, A. Pédone, Paris, 2006, 337 p. ; Ursula Kriebaum, Eigentumsschutz im Völkerrecht : eine vergleichende Untersuchung zum internationalen Investitionsrecht sowie zum Menschenrechtsschutz, Duncker & Humblot, Berlin 2008, 623 p.

616

du droit des étrangers en matière patrimoniale observable dans la pratique des organes internes paraît

d'autant plus curieuse que le contenu du droit international en la matière a longtemps été incertain, tant

en ce qui concerne son existence même qu'en ce qui concerne ses modalités d'application. En l'absence

d'un traité particulier97, c'est le droit international coutumier qui réglemente les conditions de

l'expropriation des étrangers.

L'état du droit international ne fait l'unanimité dans la doctrine. Le point de vue traditionnel, toujours

défendu par une partie de la doctrine, dit que l'expropriation des ét rangers n'est pas en elle-même une

violation du droit international, à la condition toutefois qu'elle soit justifiée par des « intérêts d'ordre

public » et qu'elle soit accompagnée d'une « compensation prompte, adéquate et effective ». Et la

doctrine traditionnelle va jusqu'à affirmer que, lors même que les étrangers sont discriminés par rapport

aux nationaux, l'expropriation des étrangers ne constitue pas un manquement au droit international,

dans la mesure où les conditions pré-cités se trouvent satisfaites. L'exactitude du point de vue

traditionnel prête à discussion, d'autant plus qu'il est possible que le contenu du droit international lui-

même se soit modifié en la matière depuis la seconde partie du XXe siècle, en raison de la pratique des

nationalisations opérées par la plupart des États afin d'instaurer l'État providence (praxis nouvelle). La

condition de satisfaire à des « intérêts d'ordre public » semble avoir quasiment disparu, car toute

nationalisation est supposée remplir une telle fonction. Aussi, la pratique des États relative à la

condition d'une « compensation prompte, adéquate et effective » s'est avérée disparate. Après la

Seconde Guerre mondiale, la condition de « promptitude » ne signifie apparemment plus qu'une

obligation de compenser de manière immédiate pèse sur les États, et les conditions d' « adéquation et

d'effectivité » ne semblent plus obliger à une compensation totale. Pour une partie de la doctrine,

l'expropriation des étrangers n'est plus même conditionnée par une compensation en droit international,

de sorte que la confiscation ne serait plus internationalement prohibée. Cette affirmation paraît

cependant excessive : presque tous les États continuent à reconnaître en principe l'obligation de

compenser, et la tendance dans la pratique récente consiste même à renforcer la protection des

étrangers. Néanmoins, il n'existe pas de pratique suffisamment uniforme des États qui permette

d'identifier clairement ce qui est constitutif d'une « raisonnablement prompte et raisonnablement

adéquate compensation ». En l'état actuel du droit, deux éléments seulement apparaissent certains :

l'obligation de compensation et l'interdiction d'une expropriation discriminatoire vis-à-vis des étrangers.

La pratique interne de protection contre les atteintes aux droits patrimoniaux des étrangers revêt deux

aspects : la protection des étrangers par rapport aux actes de l'État lui-même (1) et la protection des

97 Par exemple, l’Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques sur la promotion et la protection réciproques des investissements conclu le 4 juillet 1989. Ce traité international lie toujours la France et la Fédération de Russie, successeur de l'URSS. Il interdit aux Parties contractantes d’adopter sur leurs territoires et dans leurs zones maritimes des mesures visant à l’expropriation ou à la nationalisation de la propriété des investisseurs étrangers, ainsi que d’autres mesures ayant pour but la privation des investisseurs de leurs placements de capitaux, dans le cas où de telles mesures de privation ne sont pas justifiées par des intérêts d’ordre public et sous réserve qu'elles ne soient pas de nature discriminatoire

617

nationaux contre les atteintes commises par un État étranger (2).

1. La protection des étrangers par rapport aux actes de l'État lui-même

Nonobstant un état droit international incertain, la pratique des organes internes tend à protéger

davantage les étrangers que les nationaux des expropriations, surtout dans les cas de nationalisation. Il

semble ici que le droit international général fonde dans la sphère du droit interne une dérogation au

principe interne de non-discrimination.

Plus généralement, les différentes jurisprudences nationales indiquent une certaine prévalence du droit

international général lorsqu'il s'agit de protéger les droits patrimoniaux des étrangers par rapport aux

actes de l'État lui-même, ce qu'illustrent les jurisprudences françaises et autrichiennes en matière de

nationalisations (a) et la jurisprudence allemande en matière de confiscations opérées sur le territoire de

la République démocratique d'Allemagne (b) :

a. Les jurisprudences française et autrichienne relatives aux nationalisations

La France (α) et l'Autriche98 (β) ont, à l'instar de la plupart des États, procédé à une série de

nationalisations qui ont donné lieu à un contentieux relativement abondant :

α. A l'occasion d'une décision du 20 février 197999, la Cour de cassation française affirme qu'une mesure

de nationalisation ne peut avoir d'effet que sur le territoire de l'État qui prend la mesure, en vertu du

principe dit du « caractère strictement territorial des nationalisations ». Positivement, ce supposé

principe de droit international autorise tout État à nationaliser les biens situés sur son territoire, sous

réserve des exigences relatives à l'indemnisation. Négativement, il interdit à l'État de nationaliser des

biens situés hors de son territoire, et ce, peu importe que la nationalisation respecte par ailleurs les

exigences d'indemnisation (« prohibition des effets extra-territoriaux des nationalisations »).

L'affaire relative aux lois de nationalisations en date du 16 janvier 1982 100 donne l'occasion au Conseil

constitutionnel de se prononcer sur la question des effets extra-territoriaux des nationalisations : « les

limites éventuellement rencontrées […] hors du territoire national […] constitueraient un fait qui ne

saurait restreindre en quoi que ce soit l'exercice de la compétence dévolue au légis lateur. ». En

constatant l'existence d'un état de fait restreignant nécessairement la portée d'une nationalisation, le

Conseil semble douter de la positivité d'une norme qui prohibe les effets extra-territoriaux des

nationalisations101. Dans la même affaire, les sénateurs auteurs de la saisine invoquent aussi l'exigence

98 Généralement, à propos de la protection du patrimoine des étrangers en droit autrichien, cf. Theodor Veiter, Die Rechtsstellung des fremden- insbesondere des deutschen Privateigentums in Österreich, Braumüller, Vienne, 1958, 285 p. ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Le règlement de la propriété allemande en Autriche par le traité austro-allemand du 15 juin 1957 », AFDI, vol. 4, 1958, pp. 230-241.99 Civ. I, 20 février 1979, Bull. civ. I, n°65, p. 53.100 N° 81-132 DC du 16 janvier 1982101 Cf. Berthold Goldman, « les décisions du Conseil constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit

618

du « versement d'une indemnité "prompte, adéquate et effective" selon la formule retenue par la

doctrine et la pratique des cours et tribunaux internationaux102 ». En l'espèce, le Conseil n'affirme rien à

propos d'un éventuel manquement à l'obligation internationale d'indemnisation, celle-ci n'étant

certainement pas caractérisée en l'espèce, étant donné que le législateur organise expressément un

régime spécial de protection des investissements étrangers qui consiste simplement à exclure leur

nationalisation.

β. La Cour constitutionnelle autrichienne s'est déjà contredit sur le contenu même du droit international

coutumier. A propos de l'expropriation, la Cour constitutionnelle estime initialement, dans sa décision

relative à la Deuxième loi de nationalisation, que la promesse d'un dédommagement suffit à emporter sa

conformité au droit international (VfSlg 2681/1954), mais change son opinion par la suite en

considérant que le droit international oblige à un dédommagement immédiat et effectif (VfSlg

5382/1966). Dans ces affaires, la Cour constitutionnelle n'examine pas même si une nouvelle norme de

droit international coutumier réglementant l'expropriation s'est formée ou est en voie de formation 103.

Dans sa décision du 24 juin 1954104, la Cour constitutionnelle constate que la norme suivant laquelle un

étranger ne saurait être privé de sa propriété que contre une juste indemnité est une règle généralement

reconnue du droit international applicable sur le fondement de l'art. 9 B-VG. Ce principe paraît

toutefois limité dans son étendue étant donné que, selon la Cour constitutionnelle, le droit international

n'exige pas le paiement immédiat de l'indemnité. Surtout, les règles généralement reconnues du droit

international n'ont, selon la jurisprudence constitutionnelle, qu'une valeur de « simple droit fédéral ». En

l'état du droit, un étranger privé de sa propriété sans indemnité par une loi n'aurait que peu de chance de

contester sa constitutionnalité en invoquant la garantie générale de la propriété privée. En effet, l'article

5 de la Loi fondamentale du 21 décembre 1867105 (« La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé international », JDI 1982, pp. 275-345. Dans le même sens, Feu Nguyen Quoc Dinh et Monsieur Claude Franck écrivent que : « la règle selon laquelle les nationalisations sont insusceptibles de produire effet au-delà des limites du territoire de l'État qui y procède est, certes, d'application universelle. Mais le fait que le droit de tous les pays le consacr e ne suffit pas, pour autant à en faire un principe du droit public international » ; cf. JCP, 1982.II.n°19788. Cf. plus généralement : Louis Favoreu (éd.), Nationalisations et Constitution, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1982, 388 p. ; Louis Favoreu, « Les décisions du Conseil constitutionnel dans l'affaire des nationalisations », RDP, 1982, pp. 377-433.102 Lettre de saisine par 60 sénateurs du 18 décembre 1981, 103 p., p. 61.103 La jurisprudence de la Cour administrative est plus univoque. A l'occasion d'une décision du 13 mars 1983 (82/17/011714), elle décrit ainsi l'état du droit international, avec des références à la pratique contemporaine des États : « Nach dem Grundsatz der Achtung der Privatrechte ist eine Wegnahme ausländischen Privateigentums ohne Entschädigung (Konfiskation) verboten. Hingegen ist nach allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts die Einziehung ausländischen Privateigentums gegen eine angemessene Entschädigung (Enteignung) grundsätzlich zulässig, so weit solche Maßnahmen im öffentlichen Interesse vorgenommen werden und nicht zwischen den Angehörigen verschiedener Staaten differenzieren. Für die Geltendmachung der Entschädigungsforderungen sind verschiedene Methoden denkbar. In der Praxis hat sich insbesondere in der Zeit nach dem zweiten Weltkrieg die Methode der Globalentschädigungsabkommen durchgesetzt. Deren Sinn entspricht es, dass mit der Bezahlung der Summe sämtliche Ansprüche als endgültig erledigt betrachtet werden. Sie werden also vernichtet und bestehen auch nach dem öffentlichen oder dem Zivilrecht der beteiligten Staaten nicht mehr. »104 VfSlg. 2680.105 RGBl n° 142/1867 maintenue en vigueur par l'art. 149 B-VG.

619

de sa propriété contre sa volonté que dans les cas et les formes prévues par une loi ») protège

uniquement la propriété par l'obligation de procédure législative pour procéder à la privation, et non par

le droit à indemnité (décision du 10 octobre 1953, VfSlg 2572/1953).

b. La jurisprudence allemande relative aux expropriations opérées sur le territoire de la République

démocratique d'Allemagne

La déclaration commune des gouvernements de la R.F.A. et de la R.D.A. du 15 juin 1990 spécifie

l'irrévocabilité des expropriations soviétiques réalisées à l'Est de l'Allemagne de 1945 à 1949

(« Déclaration commune sur la réglementation des questions patrimoniales en suspend »). Cette

irrévocabilité, confirmée par l'article 41 du Traité d’unification du 31 août 1990106 («Zwei- plus- Vier-

Vertrag») et l'article 143 al. 3 LF107, a été évaluée conforme à la Loi fondamentale par la Cour

constitutionnelle fédérale, dans deux décisions en date du du 23 avril 1991 (BVerfGE 84, p. 90 –

Bodenreform I) et du 18 avril 1996 (BVerfGE 94, p. 12 – Bodenreform II). Le principal problème

soulevé concerne alors la compatibilité de ces confiscations devenues définitives avec les clauses

d'éternité de l'article 79 al. 3 LF.

Plus accessoirement, les expropriations opérées pendant la période 1945-1949 n'ont pas seulement

touché les ressortissants allemands, mais aussi des étrangers qui disposaient avant 1945 de biens dans le

territoire correspondant à celui de la République démocratique d'Allemagne. En raison de la persistance

des expropriations après la Réunification allemande, la violation du droit international protégeant les

étrangers devient imputable à la République fédérale d'Allemagne, qui succède aux obligations

internationales de la République démocratique108. Le Tribunal administratif fédéral est ainsi saisi d'une

affaire concernant de grands propriétaires fonciers sud-africains dans le Mecklembourg. En l'espèce, les

requérants n'ont pas été expropriés par des actes de souveraineté de l'Union des républiques socialistes

soviétique dans ses prérogatives de puissance occupante, mais par les autorités est-allemandes dans le

cadre d'une réforme agraire. Dans sa décision du 13 février 1997109, le Tribunal administratif fédéral,

après avoir constaté que la réglementation spéciale concernant les expropriations soviétiques n'est pas

applicable en l'espèce, conclut que rien ne s'oppose à la mise en œuvre du principe de restitution des

avoirs étrangers expropriés.

106 L'article 41 §.1 du Traité d'Unification dispose que : « I. La Déclaration commune du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et du gouvernement de la République démocratique allemande en date du 15 juin 1990 sur la réglementation des questions de propriété en suspens (annexe III) sera une partie intégrante du présent Traité. » 107 L'art. 149 al. 3 LF constitue une disposition de transition : « [...] L'article 41 du traité d'Union et les règles prises pour sa mise en oeuvre sont [...] applicables, même lorsqu'ils prévoient que des atteintes à la propriété sur le territoire mentionné à l'article 3 dudit traité ont un caractère définitif. »108 Cf. inter alia, à propos des obligations internationales conventionnelles ainsi contractées par la République fédérale d'Allemagne, Matthias Herdegen, « Völkerrechtliche Verträge der DDR », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 214, pp. 629-651.109 BVerwG, décision du 13 février 1997, 7 C 50.95

620

On le voit : les différentes jurisprudences nationales indiquent une tendance à protéger en toute sortes

de circonstances les droits patrimoniaux des étrangers lorsque leur violation potentielle ou actuelle est

imputable à l'État lui-même. En outre, les juridictions nationales écartent aussi souvent les

expropriations ou nationalisations étrangères qui contreviennent au droit international.

2. La compétence des juridictions internes d'écarter les effets d'une expropriation ou nationalisation

étrangère en raison de la violation commise envers le droit international

La question de savoir si un État est autorisé ou non à contrôler les actes d'un État étranger et, le cas

échéant, à les écarter lorsqu'ils sont en violation du droit international fait l'objet d'une littérature

abondante portant surtout sur les effets extra-territoriaux des confiscations, nationalisations et

expropriations de toutes sortes110. L'ampleur de ces phénomènes a diminué pendant la période

contemporaine dite de Pax americana, mais la récente crise financière pourrait provoquer un regain

d'intérêt.

Selon Prosper Weil, le droit international général autorise les organes internes à écarter les actes des

États étrangers en violation du droit international et les oblige de surcroît à refuser la reconnaissance de

ces actes, à condition que la norme internationale violée en question soit suffisamment claire et précise111. La jurisprudence interne, qui concerne le plus souvent la protection des nationaux à l'encontre les

atteintes commises par un État étranger, apparaît en réalité très incertaine, notamment en ce qui

concerne le contenu droit international :

110 Spécialement à propos de la protection des nationaux par rapport à des actes d'État étranger touchant à leur propriété privée, cf. inter alia : Ignaz Seidl-Hohenveldern (1952), op. cit. Note 96 ; Georg Dahm, « Völkerrechtliche Grenzen der inländischen Gerichtsbarkeit gegenüber ausländischen Staaten », in : Festschrift für Arthur Nikisch : zum 70. Geburtstag am 25.11.1958, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1958, 361 p., pp. 154-183 ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, « La réparation des dommages subis par les nationaux à l'étranger à la suite de bouleversements politiques. Comparaison des solutions françaises et allemandes », RIDC, vol. 21, 1969, pp. 763-778 ; Prosper Weil, « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52 ; Georges E. Glos, « The Effect of Foreign Decrees of Expropriation in the Courts of the Forum », South Texas Law Review, vol. 19, 1978, p. 241 et svtes. 111 Prosper Weil, op. cit. note 110, spécialement p. 46 et svtes. La question de la compétence des organes internes de contrôler les actes des États étrangers internationalement illicites se distingue de celle de l'immunité de juridiction de l'État étranger. Prosper Weil expose l'analyse suivante : « Tandis que l'immunité entraîne une exemption de juridiction, [le problème de la compétence des juridictions nationales pour exercer un contrôle sur la licéité internationale des actes des États étrangers] met en cause la détermination de la règle applicable au fond : le juge doit-il faire application de l'acte étranger sans contrôler au préalable sa licéité internationale, lui accordant ainsi une présomption de régularité, ou bien lui appartient-il de subordonner cette application à une vérification préalable de sa conformité au droit international ? Le problème de la licéité internationale de l'acte étranger peut d'ailleurs apparaître alors même que ne se pose aucune question d'immunité : ainsi lorsque l'État étranger s'est porté demandeur devant le juge national, renonçant par là-même à toute immunité de juridiction [...]; ou lorsque le caractère purement commercial de l'activité litigieuse de l'État défendeur fait obstacle à l'immunité de juridiction mais que la question demeure entière du contrôle de la licéité internationale de l'acte étranger par le juge saisi ; ou encore lorsque le procès oppose deux personnes privées (par exemple le propriétaire dépossédé et l'acheteur d'un bien frappé de saisie) sans que l'État étranger soit partie à l'instance. » (p. 17).

621

Les juridictions françaises se réfèrent le plus souvent à l'«ordre public» national pour justifier la

privation d'effets sur le territoire national des actes d'États étrangers de confiscations, nationalisations et

expropriations de toutes sortes qui portent atteinte au droit de propriété des individus visés 112. Le juge

interne applique le même traitement à tous les actes d'États étrangers de privation de propriété sans

indemnités équitables, donc sans opérer de distinction entre ceux visant des non-nationaux113, qui

contreviennent aux principes du droit international relatifs aux droits des étrangers, et ceux visant

uniquement les nationaux de l'État étranger114, que le droit international autorise. Ce n'est que rarement

que les juridictions internes font état de la violation par certains actes d'États étrangers du droit

international en tant que tel, par exemple à propos de mesures algériennes de dépossession considérées

comme «contraires à l'ordre public international en droit français»115.

En droit allemand, le fondement le plus concret de la privation d'effets des actes des États étrangers qui

portent atteinte au droit de propriété des individus se trouve actuellement dans l'article 6 de la Loi

introductive au Code civil allemand dans sa version du 21 septembre 1994 (EGBGB). Cet article

dispose que : « Une norme juridique d'un autre État n'est pas applicable si son application aboutit à un

résultat qui est évidemment inconciliable avec des principes essentiels du droit allemand. En

particulier, elle n'est pas applicable si son application est inconciliable avec les droits fondamentaux ».

L'article 6 remplace l'ancien article 30 EGBGB qui excluait l'application d'une loi étrangère contraire

aux bonnes mœurs ou à l'objet (Zweck) des lois allemandes, c'est-à-dire posait la traditionnelle

condition de conformité à l'«ordre public»116. En dépit de sa formulation vague, la jurisprudence

allemande considère initialement que l'ancien article 30 EGBGB constitue le principal fondement, si ce

n'est le fondement exclusif, de la privation d'effets des actes étrangers117. Ainsi, le Landgericht de

Hambourg dans sa décision du 22 janvier 1973 relative aux nationalisations chiliennes de l'industrie du

cuivre dit clairement que : « En droit international contemporain, aucun principe suivant lequel une

juridiction interne est obligée par le droit international de considérer comme absolument nul un acte

112 Cf. par exemple à propos de la Loi chilienne portant nationalisation des entreprises américaines de cuivre : TGI Paris, 29 novembre 1972, Corporacion del Cobre c/ Société Braden Copper Corporation et Société Le Groupement d'importation des métaux, JDI 1973, p. 227 et svtes, note Philippe Kahn.113 Cass., 1re Ch., 23 avril 1969 (série d'arrêts), Bull. civ., 1969, I, p. 109 et svtes : les mesures de privation de propriété visant des ressortissants étrangers par l'Algérie sont en violation de l'ordre public.114 Cass. Req., 5 mars 1928, État russe c. Ropit, Clunet, 1928, p. 614 ; Revue de droit international privé, 1929, p. 288, note Jean-Paul Niboyet : certaines mesures de privation de propriété prises à l'égard de ses propres ressortissants par l'Union soviétique sont en violation de l'ordre public.115 T.G.I. Le Mans, 23 juin 1969, Gazette du Palais, 1969, II, p. 262; AFDI, 1970, p. 912116 Cf. Sybille Brüning, Die Beachtlichkeit des fremden ordre public, Duncker & Humblot, Berlin, 1997, 313 p.117 Dans la doctrine, cf. Frederick Alexander Mann, « Völkerrechtswidrige Enteignungen vor nationalen Gerichten », NJW, 1961, p. 705 et svtes ; Frederick Alexander Mann, « Nochmals zu völkerrechtswidrigen Enteignungen vor deutschen Gerichten », in : Hans-Martin Pawlowski, Günther Wiese, Günther Wüst (éds), Festschrift für Konrad Duden zum 70. Geburtstag, C.H. Beck, Munich, 1977, 800 p., pp. 287-305.Dans la jurisprudence, cf. notamment : OLG Brême, 21 août 1959, affaire des tabacs indonésiens, AVR tome 9 (1961/62), 318, commentaire in : Fritz Münch, « das Sumatra-Tabak- Urteil des Hanseatischen OLG Bremen », Jahrbuch fur Internationales Recht, vol. 9, 1959/60, pp. 84-95 ; LG Hambourg, 22 janvier 1973, Chile Kupfer-Fall, Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht , vol. 37, 1973, p. 579.

622

souverain d'un État étranger en violation du droit international n'est généralement reconnu »118. Depuis

récemment, la doctrine et la jurisprudence s'accordent désormais pour considérer que l'article 25 LF,

concurremment avec l'article 6 EGBGB, autorise si ce n'est oblige les organes internes allemands à

priver d'effets internes les actes d'États étrangers en violation des principes du droit international

protégeant la propriété des étrangers119. La Cour constitutionnelle fédérale estime en ce sens, à

l'occasion de sa décision Bodenreform III en date du 26 octobre 2004120 relative aux expropriations dans

la zone d'occupation soviétique, qu' « [il] existe une règle générale du droit international qui interdit la

privation de propriété par la puissance occupante ; il est en contrepartie commandé à la République

fédérale d'Allemagne de restituer les effets juridiques des expropriations des ressortissants allemands

qui sont contraires au droit international dans la mesure du possible pour la République fédérale.

[...]. Les organes étatiques allemands peuvent aussi être obligés de faire respecter le droit international

[...] dans leur domaine de responsabilité si d'autres États y portent atteinte ».

Quant à la Cour suprême autrichienne, elle soutient, dans deux décisions en dates du 19 novembre 1958121 et du 22 décembre 1965122, qu'aucun principe n'autorise une juridiction à écarter une nationalisation

étrangère au motif qu'elle violerait le droit international. Néanmoins, la Cour suprême ne qualifie pas

l'expropriation sans dédommagement – une confiscation – d'un patrimoine à l'étranger comme titre d'un

transfert de propriété123. L'appréciation de la Cour suprême se fonde en l'occurrence davantage sur

l'«ordre public» autrichien que sur le droit international lui-même124.

En matière de droit des étrangers, les organes internes écartent généralement le droit international

coutumier au profit de la réglementation interne particulière pertinente lorsqu'ils entrent en collision,

sauf lorsqu'il s'agit de protection du patrimoine. L'exemple de la délimitation des espaces nationaux

montre que, dans la pratique, c'est parfois presque dans tous les cas que les coutumes internationales

cèdent devant les dispositions internes spéciales.

118 LG Hambourg, 22 janvier 1973, Chile Kupfer-Fall. L'affaire est abondamment commentée : Peter Behrens, « Rechtsfragen im chilenischen Kupferstreit », Rabels Zeitschrift für ausländisches und intermationales Privatrecht, vol. 37, 1973, pp. 394-434 ; Karl M. Meessen, « Die Verstaatlichung des Kupferbergbaus in Chile vor deutschen Gerichten », AWD, 1973, pp. 177-181 ; Seymour J. Rubin (coordinateur), « Recovering Confiscated Assets and Capturing Sanctioned Goods : Extant and Prospective Remedies », American Society of International Law Proceedings, 1973, p. 71 et svtes ; Orrego Vicuna, « Some International Law Problems Posed by the Nationalization of the Copper Industry by Chile », AJIL, 1973, pp. 711-727 ; Eckart Wehser, « Völkerrechtswidrige Verstaatlichung der Kupferminen in Chile ? », Juristen Zeitung, vol. 29, 1974, p. 117 et svtes ; Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Chilean Copper Nationalization Cases before German Courts », AJIL, 1975, pp. 110-119.119 Cf. Rainer Hofmann, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV, vol. 49, 1989, pp. 41-60 ; Matthias Herdegen, « Die extraterritoriale Wirkung der Enteignung von Mitgliedschaftsrechten an Gesellschaften der Bundesrepublik Deutschland », ZGR, 1991, pp. 547-571.120 BVerfGE 112, p. 1 – Bodenreform III 121 AWD, 1959, p. 128 ; cité par Frederick Alexander Mann (1961), op. cit. note 117, pp. 708-709122 ÖJZ, 1966, 204123 SZ 114/1948 ; 255/1951 ; 156/1951 ; 55/1966. Néanmoins, la Cour suprême estime qu'il n'y a pas reprise du titre de propriété après séparation et expédition du bien à l'Autriche puis confiscation par celle-ci, comme en l'espèce à propos de bois abattu (SZ 266/1965). 124 SZ 114/1948 ; 255/1951.

623

III. Le cas des principes généraux de délimitation des espaces nationaux

En droit international, les principes généraux de délimitation des espaces sont pour la plupart

coutumiers ; ce n'est en effet que depuis récemment que quelques traités internationaux d'un contenu

relativement général contiennent des principes en la matière125. Le droit international général est

souvent concrétisé par des traités internationaux particuliers qui réglementent des cas plus concrets, à

l'instar des traités fixant les frontières après-guerre ou des traités réglementant des espaces particuliers

tels les enclaves, les canaux et fleuves internationaux.

Mis à part une éventuelle applicabilité directe du droit international, qui caractérise sans doute une

partie du droit international coutumier réglementant les espaces maritimes, les principes généraux du

droit international relatifs à la délimitation de la sphère de compétence spatiale de l'État (frontières,

mer, air, espace extra-atmosphérique...) ne prévalent pas, dans la pratique, dans la sphère interne à

l'État. Ils cèdent en effet dans la plupart des cas de collision avec une norme interne «contraire», surtout

lorsque la norme interne en question prévoit une sphère de compétence spatiale de l'État s'étendant au-

delà de ce qui est prévu par le droit international. Et cela s'observe tant en matière de délimitation du

territoire national lui-même (A), que lorsqu'il est question de la sphère de validité des normes internes,

et en particulier en ce qui concerne des situations complexes telles celles qui présentent une certaine

extra-territorialité126 (B). En résumé, le droit interne autorise généralement l'État à outrepasser la sphère

de compétence spatiale qui lui est attribuée par le droit international.

A. La délimitation du territoire national

Les questions relatives à la délimitation du territoire national lui-même se sont surtout posées dans le

contexte de la décolonisation (1), ainsi que pour certains cas particuliers telle la situation de l'ancienne

République démocratique d'Allemagne (R.D.A.) (2). Le cas du droit autrichien présente une singularité

par rapport aux autres droits nationaux : la délimitation du territoire national est constitutionnalisée par

125 Entre autres, la Convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944 ou encore la Convention de codification du droit de la mer de Montego Bay du 10 décembre 1982.126 Cf. notamment à propos du droit de l'extra-territorialité qui traverse des domaines très divers : Prosper Weil, op. cit. note 110 ; Georg Ress, « State Responsibility for Extraterritorial Human Rights Violations – the Case of Bankovic », Zeitschrift für Europarechtliche Studien 6, 2003, pp. 73-89 ; Rudolf Dolzer, « Extraterritoriale Anwendung von nationalem Recht aus der Sicht des Völkerrechts », Bitburger Gespräche, 2003, pp. 71-90 ; Yann Kerbrat, L'applicabilité extraterritoriale des règles internes relatives à l'activité internationale des entreprises : étude de droit international public, Université Panthéon-Assas, Paris, 2001, 549 p. ; Gerhard Thallinger, Grundrechte und extraterritoriale Hoheitsakte. Auslandseinsätze des Bundesheeres und Europäische Menschenrechtskonvention, Springer, Vienne/New York, 2008, 426 p. ; Guillaume Grisel, Application extraterritoriale du droit international des droits de l'homme, Helbing & Lichtenhahn/Bruylant /LGDJ, Bâle/Bruxelles/Paris, 2010, 466 p.

624

l'article 3 B-VG127. En l'état actuel du droit, le territoire fédéral est quasi-exclusivement128 délimité par

une série de lois constitutionnelles relatives aux frontières129, ainsi que par des traités internationaux

conclus avec les États riverains qui ont été approuvés explicitement comme « modifiant la

Constitution » par la voie de l'ancienne procédure de l'article 50 al. 3 B-VG130.

1. Le processus de décolonisation en droit français

La prévalence de la norme interne par rapport au droit international en matière de délimitation du

territoire lui-même apparaît manifeste dans le cas de la France131 qui, au contraire de l'Allemagne132 ou

127 Art. 3 al. 2 B-VG : « Une modification du territoire fédéral qui représente en même temps une modification du territoire d'un Land, ainsi qu'une nouvelle délimitation d'un Land au sein du territoire fédéral ne peuvent s'effectuer - hormis les traités de paix - que sur la base de lois constitutionnelles concordantes de la Fédération et du Land dont le territoire est redélimité. »128 Le Professeur Hans Laurer soutient que les règles généralement reconnues du droit international participent aussi à la délimitation du territoire fédéral autrichien, étant donné qu'elles contiennent les principes de répartition de la compétence spatiale entre États applicables aux traités internationaux particuliers déterminant les frontières. Il s'ensuit qu'elles se trouveraient, du moins dans l'ordre de production, supérieures aux réglementations conventionnelles plus concrètes. Cf. « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, spécialement pp. 355-363.129 cf. inter alia : BGBl I 1997/40 (Slovénie) ; BGBl I 2004/117, BGBl III 2004/112 (République Tchèque) ; BGBl I 2004/120 BGBl. III, 2004/126(Allemagne) ; BGBl 1972/331 (Suisse) ; BGBl 1990/656 (Hongrie).130 L'article 50 al. 3 B-VG, encore en vigueur au moment de la ratification des traités internationaux établissant les frontières de l'Autriche, exigeait une décision d'approbation par le législateur constitutionnel (art. 44 al. 1 B-VG) « s'il s'agit d'un traité qui modifie ou complète du droit constitutionnel ». Il est ajouté que : « de tels traités ou de telles dispositions contenues dans les traités doivent être explicitement désignés comme "modifiant la constitution" ».131 Généralement, à propos du droit français relatif à l'Outre-mer et ses relations au droit international, cf. : Véronique Bertile, « La notion de «populations d’outre-mer» », in : Ferdinand Mélin-Soucramanien (éd.), L’outre-mer français : un «modèle» pour la République ? Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2008, 181 p., pp. 61-77 ; Alain Boyer, Le statut constitutionnel des territoires d’outre-mer et l’État unitaire. Contribution à l’étude des articles 74, 75, 76 de la Constitution du 4 octobre 1958, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1998, 301 p. ; Fabien Brial, Décentralisation territoriale et coopération internationale : le cas de l’outre-mer français, L’Harmattan, Paris, 1997, 350 p. ; Jean-Claude Douence, « État de droit et droit d'outre-mer », in : Jean-Yves Faberon (éd.), Le Régime législatif de la Nouvelle-Calédonie : territoires d'outre-mer et État de droit, Dalloz, Paris, 1994, 103 p., p. 19 et svtes ; Jean-Claude Douence, « Le Conseil constitutionnel et la prohibition de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre », in : Renouveau du droit constitutionnel : mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, Dalloz, Paris, 2007, 1783 p., pp. 1209-1218 ; Valérie Goesel-Le Bihan, « La participation des départements et régions d’outre-mer à la conclusion des accords internationaux : essai d’analyse générale », RFDC, vol. 65, 2006, pp. 3-11 ; Valérie Goesel-Le Bihan, « Le Conseil constitutionnel et la conclusion des accords internationaux par les collectivités ultra-marines : un exemple de réserves contestables », RFDC, vol. 66, 2006, pp. 375-386 ; Olivier Gohin, « L’action internationale de l’État outre-mer », AJDA, 2001, pp. 438-443 ; Félicien Lemaire, La République française et le droit d’autodétermination, thèse, Université de Bordeaux I, 1994, 788 p. ; Ferdinand Mélin-Soucramanien, « Les politiques françaises de décolonisation - L’émergence d’une politique de décolonisation par différenciation en Nouvelle-Calédonie », in : Mélanges offerts au Doyen Charles Cadoux, PUAM, Aix-en-Provence, 1999, 438 p., pp. 205-212 ; Alain Moyrand, Anthony H. Angelo, « International Law Perspectives on the Evolution in Status of the French Overseas Territories », Revue juridique polynésienne, vol. 5, 1999, pp. 49-68 ; André Oraison, « La présence française en Océan Indien et en Antarctique. (Les décolonisations conformes au droit international de la décolonisation: le cas des Terres Australes et antarctiques françaises et le cas de l’île de la Réunion) », Revue juridique et politique Indépendance et Coopération, 1999, pp. 205-211 ; Jeanne Page, Du partage des compétences au partage de souveraineté : des territoires d’outre-mer aux «pays d’outre-mer», thèse, PUAM Aix-en-Provence, 2001, 626 p. ; Yves-Louis Sage, « Legislation of French Overseas Territories », Victoria University of Wellington Law Review, 1993, p. 18 et svtes.132 A propos de l'histoire du droit colonial allemand ultra-marin, cf. : Daniel Kahn, Bruno Simma, « Die koloniale Grenzziehung in Afrika im Lichte der Verfassungsrechtsordnung des deutschen Kaiserreichs », in: Wolfgang Benedek, Hubert Isak, Renate Kicker (éds), Development and Developing International and European Law. Festschrift für Konrad Ginther, P. Lang, Francfort-sur-le-Main, 1999, 725 p., pp. 151-174 ; Stefan Talmon, « Das Kolonialverfassungsrecht des deutschen Kaiserreichs vor dem Internationalem Gerichtshof », AöR, vol. 40, 2002, pp. 17-53.

625

de l'Autriche133, conserve des parties de territoire situées outre-mer134, que l'on peut caractériser – au

moins du point de vue de la science historique135 – comme des survivances de la colonisation. Et, en

matière de décolonisation, des violations du droit international par l'État français sont constatables, du

moins si l'on admet que la Résolution de l'Assemblée générale 1954 (XV) du 14 décembre 1960 136 est

significative de l'état du droit positif : le droit international général interdit à la puissance coloniale de

conditionner l'octroi d'indépendance par quelque procédure que ce soit – y compris un référendum – et

interdit toute réserve (article 5 de la Résolution) ; aussi, le droit international général interdit de porter

atteinte à l'intégrité territoriale héritée des frontières coloniales.

La Constitution française prévoit au troisième alinéa de l'article 53 « le consentement des populations

intéressées » en cas de cession, échange ou adjonction de territoire, mais non de sécession137. La

sécession n'est autorisée par l'article 76 de la Constitution que dans un délai de quatre mois à compter

de la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958138. A propos d'un projet de loi organisant une

consultation de la population de la Côte française des Somalis en date de 1966, le professeur René

Capitant139 développe pourtant l'idée que les territoires d'outre-mer n’ont pas perdu leur droit à la libre

détermination à l’expiration du délai de quatre mois constitutionnellement prévu, mais qu'il trouve

désormais son fondement dans l’article 53 de la Constitution qui en fixe la procédure. René Capitant

ajoute que deux conditions doivent être satisfaites : le vote par le Parlement d’une loi autorisant la

sécession d'une part, et, d'autre part, le consentement des populations intéressées exprimé à travers une

procédure de consultation (« doctrine Capitant »). Bien que contraire au texte même de la Constitution

du 4 octobre 1958140, les organes exécutifs et législatifs prennent parti pour cette doctrine, qui conduit

133 A l'exception de quelques possessions dans le monde indien dans de courtes périodes au XVIIIe siècle (comptoirs, Îles Nicobar), l'histoire coloniale ultra-marine de l'Empire austro-hongrois semble marginale comparée à celle des autres puissances européennes. D'un point de vue juridique, la République d'Autriche n'est d'ailleurs pas le successeur de l'Empire austro-hongrois.134 Le territoire ultra-marin comprend des parties situées dans l’Atlantique Nord (Saint-Pierre et Miquelon), dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Walis et Futuna, Clipperton) en Amérique du Sud (Guyane), dans la mer des Caraïbes (Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy), dans l’Océan Indien (Réunion, Mayotte, Glorieuse, Tromelin, Saint Paul et Amsterdam, Kerguelen, Crozet, Juan de Nova, Bassas da India, Europa) et en Antarctique (Terre Adélie).135 Pour un aperçu juridique général de la relation entre droit international et droit interne dans le cadre du processus de décolonisation, cf. : Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Dekolonisierung, Politik und positives Recht », JZ, vol. 19, 1964, p. 489 et svtes.136 Déclaration sur l'octroi d'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, 947ème Assemblée Plénière.137 La sécession est un phénomène juridique distinct des autres mutations territoriales prévues au dernier alinéa de l’article : d'une part, la cession, l’échange et l’adjonction présupposent l’existence de deux États entre lesquels se réalise le transfert de territoire de l’un vers l’autre ; d'autre part, la cession, l’échange et l’adjonction concernent une partie du territoire national des États concernés, et non à la totalité du territoire national d’au moins l’un des États concernés.138 L'article 76 dans la version originelle de la Constitution du 4 octobre 1958 a le contenu suivant : « Les territoires d'Outre-Mer peuvent garder leur statut au sein de la République. S'ils en manifestent la volonté par délibération de leur assemblée territoriale prise dans le délai prévu au premier alinéa de l'article 91, ils deviennent soit départements d'Outre-Mer de la République, soit, groupés ou non entre eux, États membres de la Communauté. » 139 Rapport rédigé par René Capitant au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale dont il est alors le Président ; Document n°2199, Annexe au procès-verbal de la séance de l’Assemblée nationale du 30 novembre 1966.140 Cette décision a été fortement critiquée d'un point de vue juridique : Claude Blumann, « L’article 54 de la constitution et le contrôle de constitutionnalité », RGDIP, 1978, pp. 537-618 ; Louis Favoreu, « Chronique constitutionnelle française », RDP, 1975, pp. 557-581 ; Louis Favoreu, « le Conseil Constitutionnel et le droit

626

entre autres au référendum de 1962 pour l'Algérie141. Et, de même, le juge constitutionnel estime

l'article 53 applicable aux cas de sécession en sa décision du 30 décembre 1975 relative aux Comores :

« les dispositions de cet article doivent être interprétées comme étant applicables, non seulement dans

l’hypothèse où la France céderait à un État étranger ou bien acquerrait de celui-ci un territoire, mais

aussi dans l’hypothèse où un territoire cesserait d’appartenir à la République pour constituer un État

indépendant ou y être rattaché ». Des référendums142 sur un tel fondement ont lieu aux Comores en

1974, à Mayotte en 1976, à Djibouti en 1967 et 1977, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie en 1988 et 1998.

Suite aux critiques émises par la doctrine, le Conseil constitutionnel se réfère, à partir de sa décision du

2 juin 1987 relative à la la Nouvelle-Calédonie143, au principe de libre détermination contenu dans le

Préambule de la Constitution de 1958 qui justifie désormais, en combinaison avec l'article 53 alinéa 3,

le droit à la sécession.

Sans exclure une éventuelle applicabilité du droit international, le Conseil constitutionnel se base sur le

droit interne de l'autodétermination pour conclure que les différentes procédures d'autodétermination

organisées par le législateur ne transgressent pas droit international. Selon le juge constitutionnel, une

procédure de sécession ne peut se fonder que sur le droit français, étant donné que la France n'est plus

une puissance coloniale144. Et pourtant, le comportement de l'État français semble bien

internationalement illicite : tandis que le droit international interdit aux États de conditionner l'accès à

l'indépendance de leurs colonies par une procédure de référendum, le droit français prévoit

systématiquement une procédure de cette sorte. L'argument suivant lequel la France n'est plus une

puissance coloniale paraît difficilement admissible : le processus colonial se définit relativement au

passé, et non relativement à la situation présente des peuples et espaces concernés. L'accès à une pleine

citoyenneté française au bénéfice des individus appartenant aux peuples colonisés n'efface pas en droit

international l'existence du processus colonial antérieur.

Le corpus jurisprudentiel du Conseil constitutionnel relatif à l'Outre-mer est vaste, notamment en ce qui

international », AFDI, 1977, pp. 95-126 ; Claude Franck, « Note sous décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1975 », AJDA, 1976, pp. 249-252 ; Didier Linotte, « Note sur la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1975 », Gazette du Palais, 16-17 juillet 1976, p. 5 et svtes ; Jean-Claude Maestre, « L’indivisibilité de la République et l’exercice du droit à l’autodétermination », RDP, 1976, pp. 431-461 ; Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », RGDIP, 1976, pp. 1001-1036 ; David Ruzié, note, JDI, 1976, pp. 392-405.141 Les circonstances apparaissent néanmoins en l'espèce particulières et il est parfois affirmé que ce référendum se justifie par un état de nécessité.142 Les modalités d'exercice de la consultation soulèvent quelques difficultés, cf. Saïd Hassane Said Mohamed, « Le principe de l'indivisibilité de la République et le droit de certains territoires à faire sécession », Actes du VIIe Congrès français de droit constitutionnel des 25, 26 et 27 septembre 2008, 14 p.143 N° 87-226 DC du 2 juin 1987, Loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l'alinéa premier de l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie.144 N° 75-59 DC du 30 décembre 1975 ; n° 87-226 DC du 2 juin 1987.

627

concerne les situations de Mayotte145, de la Nouvelle-Calédonie146 ou encore de la Polynésie française147.

Dans tous les cas, le juge constitutionnel fait prévaloir un certain ensemble de dispositions

constitutionnelles formelles, mais inappropriées ou vagues148, sur des règles de droit public international

pourtant pertinentes et potentiellement applicables en tant que lex specialis.

2. Autres situations territoriales particulières

Outre le cas du processus de décolonisation, certaines situations particulières illustrent les difficultés

145 A propos de Mayotte, cf. la décision déjà commentée n° 75-59 DC du 30 décembre 1975 ; pour des décisions récentes ne contenant pas de références au droit international : Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000 ; n° 2009-587 DC du 30 juillet 2009 ; n° 2010-619 DC du 2 décembre 2010.Cf. André Oraison, « Quelques réflexions critiques sur la conception française du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la lumière du différend franco-comorie sur l'île de Mayotte », Revue belge de droit international, 1983, pp. 687-690 ; Olivier Gohin, « L’indépendance des Comores et le précédent de Mayotte », in : Jean-Yves Faberon (éd.), L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie – L’évolution de la France avec ses collectivités périphériques, La Documentation française, Paris, 1997, 276 p., pp. 67-81 ; François Luchaire, « Le Conseil constitutionnel et la consultation de la population de Mayotte », Revue juridique et politique Indépendance et Coopération, 2000, pp. 243-257 ; André Oraison, « Nouvelles réflexions sur la conception française du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la lumière du "cas mahorais" : les problèmes juridiques et politiques posés à Mayotte sur le plan interne et au niveau international après le vote de la loi organique du 21 février 2007 », Revue Juridique de l'Océan Indien, 2009, pp.121-192.146 A propos de la Nouvelle-Calédonie, cf. notamment les décisions : n° 85-196 DC du 8 août 1985 et n° 85-197 DC du 23 août 1985 relatives à la Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie ; n° 87-226 DC du 2 juin 1987 ; n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie. Dans L'affaire néo-calédonienne n°85-196 DC (Évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p.64), la constitutionnalité de la loi est mise en cause au motif d'une violation des « principes du droit international public, et notamment la résolution de l'Assemblée Générale des Nations-Unies du 14 décembre 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », laquelle « proscrit toute condition ou réserve au moment du transfert de souveraineté ». Le Conseil constitutionnel considère en l'espèce : « que la loi se borne à formuler une déclaration d'intention sans contenu normatif et que, s'agissant d'un objectif que le législateur se fixe à lui-même en vue de dispositions législatives ultérieures, il ne saurait en l'état être comme tel susceptible de censure constitutionnelle. »Cf. Guy Agniel, « L’expérience statutaire de la Nouvelle-Calédonie», in : Jean-Yves Faberon (éd.), L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie – L’évolution de la France avec ses collectivités périphériques, La Documentation française, Paris, 1997, 276 p., pp. 41-57 ; Daniel Dormoy, Frédéric Touboul, « Le droit international et l’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie », in : Jean-Yves Faberon (éd), id.., p. 25 et svtes ; Michel Levallois, « Le droit d’outre-mer et le défi de la décolonisation : le cas de la Nouvelle-Calédonie », in : Jean-Yves Faberon (éd.), id.., pp. 162-166 ; Guy Agniel, « La Nouvelle-Calédonie et l'élaboration du droit international », Revue juridique de l'environnement, n° spécial 2007, pp. 25-324. 147 N° 84-177 DC du 30 août 1984, Loi relative au statut du territoire de la Polynésie française, et notamment son article 10 ; n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française ; n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d' autonomie de la Polynésie française ; Cf. notamment : François Luchaire, « L'autonomie de la Polynésie française devant le Conseil constitutionnel », RDP 1996, pp. 953-990 ; Mickaël Fidèle, L'évolution statutaire des collectivités d'outre-mer : l'exemple de la Polynésie française, thèse, Aix-Marseille III, 2009, 473 p.148 Dans sa décision du 4 mai 2000 (n° 2000-428) à propos de Mayotte, le juge constitutionnel estime, sans faire de référence explicite au droit international, que le problème du droit des peuples à disposer d'eux-même est réglé par la Constitution elle-même qui annonce en l'alinéa 2 de son Préambule : « En vertu de ces principes [énumérés à l'alinéa 1] et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique » ; et que dès lors, selon le Conseil constitutionnel : « la Constitution de 1958 a distingué le peuple français des peuples des territoires d'outre-mer, auxquels est reconnu le droit à la libre détermination et à la libre expression de leur volonté », ce qui justifie le maintien de Mayotte dans l'État français à la condition qu'une telle volonté ait été exprimée par le peuple Mahorais. On constate une même prévalence du droit interne sur le droit international général dans le cas de la Nouvelle-Calédonie. Les soixante députés et soixante sénateurs requérants devant le Conseil constitutionnel soutiennent que l'article 1er de la Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, qui annonce que les populations de Nouvelle-Calédonie

628

relatives à la délimitation de l'espace national149, par exemple celle de l'ancienne République

démocratique d'Allemagne non reconnue internationalement par la République fédérale150.

En droit allemand, la situation de la République démocratique d'Allemagne a soulevé une série de

problèmes relatifs à la délimitation de la sphère de validité territoriale. Par la Réunification de

l'Allemagne, la République fédérale d'Allemagne (R.F.A.) conserve une identité juridique en tant que

sujet de droit international. La continuité juridique de l'État allemand en droit international s'étend à

plusieurs époques constitutionnelles et ses origines seraient à rechercher dans la Confédération des

États allemands du Nord de 1867. La majorité des auteurs dit que la République démocratique

d'Allemagne interrompt par son adhésion à la République fédérale une tentative de sécession – et se

conforme par là à ses obligations internationales151 ; la réunification de l'Allemagne équivaut donc à la

seront appelées à se prononcer simultanément sur l'indépendance et sur « l'association avec la France », n'est pas conforme aux principes du droit international public et à la résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 14 décembre 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux qui prohibe toute condition ou réserve « au moment du transfert de souveraineté ». Le Conseil, à l'occasion de sa décision du 8 août 1985 (n° 85-196 DC), n'estime pas nécessaire de recourir au droit international dans son argumentation qui porte surtout sur le pouvoir discrétionnaire du législateur, lequel « n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ». Cette absence de référence au droit international s'avère significative, du moins selon Feu Louis Favoreu et le Professeur Loïc Philip qui remarquent que : « Il en va différemment lorsque la règle constitutionnelle n'existe pas et que la règle internationale peut la suppléer. Ainsi, si la Constitution française n'avait pas aménagé dans l'article 53 la mise en œuvre du principe de libre détermination des peuples en droit interne, il aurait pu être fait appel directement au droit international » ; cf. Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Sirey, Paris, 1991, 856 p., p. 662.149 Outre le cas de la R.D.A. ici traité, cf. aussi parmi d'autres : 1. Le fleuve international Danube dont la source se situe en Allemagne et qui traverse l'Autriche, cf. Karl Zemanek, Die Schiffahrtsfreiheit auf der Donau und das künftige Regime der Rhein-Main-Donau-Großschiffahrtsstrasse : eine völkerrechtliche Untersuchung, Springer, Vienne, 1976, 73 p. ; Ulrich Fastenrath, Bruno Simma, « Die Rhein-Main-Donau-Verträge. Rechtliche Würdigung der vertraglichen Grundlagen des Rhein-Main-Donau-Kanals», DVBl, 1983, pp. 8-20 ; Jens Baldtschun, Der Status der Donauschifffahrt im Falle bewaffneter Konflikte, Duncker & Humblot, Berlin, 2006, 314 p. ; 2. La ligne Oder-Neisse, cf. Bruno Simma, Alfred Verdross, Rudolf Geiger, Territoriale Souveränität und Gebietshoheit. Zur völkerrechtlichen Lage der Oder-Neiße-Gebiete, Kulturstiftung der Deutschen Vertriebenen, Bonn, 1980, 152 p. ; 3. Le Lac de Constance, cf. Daniel Khan, Bruno Simma, « Der Staatsvertrag von Saint-Germain und die österreichische Staatsgrenze auf dem Bodensee », ZÖR, 1993, pp. 211-250 ; Claudius Graf-Schelling, Die Hoheitsverhältnisse am Bodensee, Schulthess, Zurich, 1978, 124 p. ; 4. L'Antarctique, cf. Bruno Simma, « The Antarctic Treaty as a Treaty Creating an "Objective Regime" », Cornell International Law Journal, 1985-86, pp. 189-209 ; André Oraison, « Les répercussions du statut international du continent Antarctique sur le statut interne des Terres Australes et Antarctiques Françaises : les limitations de la souveraineté de la France sur une collectivité territoriale atypique de la République régie par la loi ordinaire du 21 février 2007, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer », Revue de droit international de sciences diplomatiques et politiques, vol. 85, 2007, pp. 159-212. On trouve en réalité de nombreuses difficultés relatives à la délimitation juridique du territoire, lors même que celle-ci est initialement déterminée par des traités internationaux ; cf. à propos de la situation actuelle de l'Allemagne : Daniel-Erasmus Khan, Die deutschen Staatsgrenzen: rechtshistorische Grundlagen und offene Rechtsfragen, Mohr Siebeck, Tübingen, 2004, 744 p. 150 A propos de l'ainsi dite « reconnaissance de fait », cf. BVerfGE 36, p. 1 — Grundlagenvertrag. Dans une littérature abondante, cf. généralement, antérieurement à la Réunification : Kay-Michael Wilke, Bundesrepublik Deutschland und Deutsche Demokratische Republik – Grundlagen und ausgewählte Probleme des gegenseitigen Verhältnisses der beiden deutschen Staaten, Duncker & Humblot, Berlin, 1976, 351 p. ; Bruno Simma, « Legal Aspects of Intra-(East-West)German Relations », Chinese Yearbook of International Law and Affairs, vol. 4, 1984, pp. 148-163. Cf. aussi l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 31 juillet 1973 à propos de l'admission des deux États allemands à l'ONU (BVerfGE 36, p. 1 – Grundlagenvertrag). Le juge constitutionnel dit que : « Aucun organe constitutionnel de la République fédérale d’Allemagne n’a le droit d’abandonner le but politique d’une restitution de l’unité étatique de l’Allemagne, tous les organes constitutionnels sont obligés de poursuivre une politique visant à cette fin. »151 Cf. Josef Isensee, « Staatseinheit und Verfassungskontinuität », VVDStRL, vol. 49, 1990, p. 39 et svtes.

629

réalisation de l'unité internationale de l'État. Une partie de la doctrine fait cependant observer que les

conditions d’existence d’un État nouveau avaient été en l’espèce réunies. En droit international, la

Réunification a pour effet juridique de détruire l'ensemble des attributs étatiques dont la R.D.A.

disposait et de transmettre les droits et obligations de la R.D.A. envers les autres sujets de droit

international à la République fédérale. A ce propos, la Cour constitutionnelle fédérale a admis à

plusieurs reprises que la R.D.A. a disparu en tant que sujet de droit (BVerfGE 84, p. 133 sqs. (147); 85,

p. 360 sqs. (373); 88, p. 384 sqs. (405)), ce qui implique qu'elle a bien été un tel sujet.

En dépit d'une réglementation spéciale « germano-allemande »152 – se différenciant du droit

international général – de la relation juridique entre République fédérale d'Allemagne et ressortissants

de la République démocratique, le principe en droit interne de la République fédérale est que le

territoire est-allemand constitue un territoire étranger. L'affaire pénale relative à l'espionnage pratiquée

par la R.D.A. en R.F.A., qui aboutit à une décision de la Cour constitutionnelle en date du 15 mai 1995153 dite DDR-Spionage, en offre une illustration. En l’espèce, la Cour doit évaluer si les activités

d'espionnage menées par les agents de l'ex-R.D.A. contre la République fédérale avant le 3 octobre

1990 sont ou non punissables. La Cour admet dans sa décision la constitutionnalité des dispositions du

Code pénal réprimant les activités d'espionnage – y compris celles commises par des étrangers sur un

territoire étranger, c'est-à-dire en l'occurrence les activités d'espionnage de ressortissants est-allemands

sur le territoire de la République démocratique. La Cour justifie sa décision par plusieurs motifs :

i. Les dispositions du Code pénal réprimant l’espionnage ne contreviennent pas aux règles générales du

droit international que les organes d’application du droit de la République fédérale sont tenus de

respecter suivant l'article 25 LF. Le droit international relatif à la succession d'États ne prohiberait en

effet pas une répression de l'espionnage par l'État absorbant dirigée à l'encontre de la pratique des

services de renseignement de l'État disparu.

ii. La mise en œuvre de ces normes pénales contre les espions de l'ex-RDA ne viole pas non plus les

autres dispositions de la Loi fondamentale. En particulier, elle ne contrevient pas à : 1. L'égalité entre

les espions de la République fédérale d'avant 1990 (bien qu'ils ne puissent plus être punis par l'ex-RDA

152 BVerfGE 77, p. 137 — Teso : à propos de la nationalité des ressortissants de la République démocratique d'Allemagne. Cf. généralement à propos du droit « germano-allemand » : Dieter Blumenwitz, « Intertemporales und interlokales Verfassungskollisionsrecht », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR IX – Die Einheit Deutschlands, Festigung und Übergang, C.F. Müller, Karlsruhe, 1997, 1346 p., § 211, pp. 455-520.153 BVerfGE 92, p. 277 — DDR. Une littérature abondante commente l'ensemble de l'affaire « espionnage de la R.D.A. » : Ulfrid Neumann, « Strafrechtliche Verantwortlichkeit für die DDR-Spionage gegen die Bundesrepublik », in : Ernst-Joachim Lampe (éd.), Arbeitskreis Strafrecht, tome 2 : Die Verfolgung von Regierungskriminalität der DDR nach der Wiedervereinigung, C. Heymann, Cologne, 1993, pp. 161 – 171 ; Bernd Schünemann, « Strafrechtliche Verantwortlichkeit für die DDR-Spionage gegen die Bundesrepublik Deutschland nach der Wiedervereinigung », in : Ernst-Joachim Lampe (éd.), id., pp. 173-191 ; Helmut Kreicker, « DDR-Spionage », in : Albin Eser, Jörg Arnold (éds), Strafrecht in Reaktion auf Systemunrecht, tome 2 : Deutschland, iuscrim, Fribourg-en-Brisgau, 2000, 662 p. pp. 277-328 ; Ernst-Joachim Lampe, « Die strafrechtliche Aufarbeitung der DDR-Spionage », in : Festschrift aus Anlaß des fünfzigjährigen Bestehens von Bundesgerichtshof, Bundesanwaltschaft und Rechtsanwaltschaft beim Bundesgerichtshof, C. Heymann, Cologne 2000, 863 p., pp. 449 – 473 ; Ivo Thiemrodt, Strafjustiz und DDR-Spionage : zur Strafverfolgung ehemaliger DDR-Bürger wegen Spionage gegen die Bundesrepublik, Spitz, Berlin, 2000, 376 p.

630

qui a disparu) et les espions de la RDA (bien qu'ils puissent être poursuivis très facilement du fait de la

disparition de l’État qui les protégeait) ; 2. Le principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois

pénales de l'article 103 LF : avant même le 3 octobre 1990, les espions de l'ex-RDA sont déjà

susceptibles d'être condamnés par les tribunaux ouest-allemands sur le fondement du Code pénal,

l'espionnage étant précisément une des infractions réprimées par le Code pénal même lorsqu'il est le fait

d'un étranger agissant à l'étranger.

La majorité des juges admet néanmoins que les circonstances particulières de la Réunification entraîne

une obligation à la charge des autorités judiciaires de ne pas poursuivre les espions de l'ex-R.D.A., du

moins ceux qui ont exercé leur activité exclusivement sur le territoire de l'ex-R.D.A. ou sur celui d'un

État-tiers. Plus spécifiquement, la Cour constitutionnelle fédérale estime contraire au «principe de

proportionnalité» l’engagement de poursuites contre des agents qui étaient au service d'un État reconnu

par la R.F.A. et qui, jusqu'en 1990, étaient assurés de l'impunité s'ils ne pénétraient pas sur le territoire

de la République fédérale ou de ses alliés. La Cour fonde aussi son argumentation sur la nature ambigüe

de l'espionnage : encouragé par l'État pour lequel il est exercé, l’espionnage est une activité criminelle

pour l'État qui en est la victime. Le principe de proportionnalité s'applique aussi aux espions de l'ex-

R.D.A. ayant agi sur le territoire de la République fédérale ou de ses alliés : il en découle une obligation

de modération se destinant aux autorités judiciaires valable aussi bien pour l'appréciation de

l'opportunité des poursuites (le principe allemand de la légalité des poursuites ne s'applique pas à

l'espionnage), que pour la constatation de culpabilité ou la fixation de la peine.

B. La sphère d'applicabilité spatiale des normes internes

La question de la sphère de validité des normes d'un système juridique n'est pas séparable de celle de la

sphère de validité de l'ensemble du système juridique154. Notamment, une norme interne est au moins

valide dans la sphère de souveraineté de l'État. Il arrive cependant qu'une situation soit complexe, par

exemple lorsqu'il s'agit de rattacher un comportement ayant eu lieu dans un espace international à un

espace national déterminé, ou encore, plus généralement, en raison de l'extra-territorialité de faits

juridiquement pertinents en l'espèce.

Outre la délimitation de l'espace lui-même, les organes d'application du droit d'un État se trouvent

parfois dans l'obligation de poser de manière incidente la question de leur propre compétence dans

l'espace en question. Il se peut en effet que des comportements – aussi bien des faits juridiques que des

154 Cf. Hans René Laurer, op. cit. note 128. L'auteur est partisan d'une délimitation globale de la sphère de validité spatiale du système juridique autrichien par les règles généralement reconnues du droit international qui a pour incidence de délimiter aussi la sphère de validité spatiale de chacune des normes le composant, spécialement pp. 355-363. Cf. aussi, déjà à propos de l'article 4 WRV : Wilhelm Schmöe, Art. 4 der Reichsverfassung und die anglo-amerikanische Rechtspräromie : « International is a part of common law » in Theorie and Praxis, thèse, Göttingen, Baruth-Mark, Berlin 1927, 50 p., spécialement pp. 41-42.

631

actes juridiques – soulèvent des difficultés quant à leur rattachement à un espace déterminé, surtout

lorsque le comportement en question a lieu dans un espace frontalier ou dans un moyen de transport en

direction ou en provenance du territoire de l'État du for, telles les infractions commises à bord d'un

bateau ou d'un train, ou encore dans une zone de transit aéroportuaire. Dans de tels cas, les organes

internes d'application du droit font souvent prévaloir les normes internes concrètes sur les principes du

droit international. La Cour suprême autrichienne considère par exemple dans une décision du 15

octobre 1981155, à propos de stupéfiants trouvés en zone de transit de l'aéroport de Vienne-Schwechat,

que cette zone « n'est pas extra-territoriale » au motif de « son inclusion dans la sphère de compétence

de l'Autriche dans le doute ». Le rattachement à la compétence autrichienne est largement conçu en

matière de trafic de stupéfiants, à tel point qu'il peut paraître en violation des principes de territorialité

et de nationalité du droit international156 ; la Cour suprême affirme ainsi à l'occasion d'une autre affaire

en matière de stupéfiants que : « l'importation de stupéfiants est accomplie dès le survol de la frontière

autrichienne, une fois dans l'espace aérien autrichien »157, ce qui semble discutable eu égard à l'état du

droit international.

En matière spatiale, le droit international général est souvent conçu comme un complément du droit

interne, susceptible en particulier de contribuer à la délimitation de la sphère de validité des normes

internes, mais ne dérogeant pas aux réglementations spéciales d'origine interne158.

En conclusion, les variations de l'intensité de l'effet dérogatoire du droit international dans la sphère

juridique interne paraissent tenir à plusieurs facteurs :

i. La doctrine suppose souvent que l'effet dérogatoire interne du droit international dépend de la

conformité des normes internationales en question avec un certain ensemble de principes du droit

interne, surtout avec ses principes structurants (dont le principe démocratique et le principe d'État de

droit) et les libertés fondamentales. La pratique des organes internes ne le corrobore pas : quelques

coutumes prévalent bien qu'elles soient «contraires» aux libertés fondamentales, à l'instar des

immunités qui limitent assurément le droit d'accès à une juridiction, tandis que d'autres coutumes

internationales vont dans un même sens que les libertés fondamentales, mais leur application est écartée

au profit de réglementations internes particulières portant sur les cas concrets (par exemple, en matière

de protection des libertés fondamentales des étrangers) ;

155 13 Os 84/81.156 Cf. généralement, à propos de la compétence de l'Autriche en matière pénale dans des situations d'extranéité, la décision de la Cour administrative du 26 mars 2008 (VwSlg 17405 A/2008, avec des références à l'état du droit international).157 Décision de la Cour suprême du 13 novembre 1979 (9 Os 98/79).158 Josef L. Kunz évoque ainsi la « subsidiarité » du droit international général ; cf. « Völkerrechtliche Bemerkungen zur österreichischen Bundesverfassung », Annalen des Deutschen Reichs, vols. 54/55, 1921/22, pp. 295-324, p. 317 ; cf. aussi à propos de l'article 4 WRV : Wilhelm Schmöe, op. cit. note 154, spécialement pp. 41-42 (l'article 4 WRV est un complément à l'article 2 délimitant l'espace territorial allemand).

632

ii. Il se pourrait que l'effet dérogatoire interne des normes internationales soit lié au contenu du droit

international lui-même. Il semble en aller par exemple ainsi lorsque le droit international est

d'applicabilité directe : l'obligation pesant sur les organes internes d'appliquer prioritairement la norme

internationale par rapport à une réglementation interne «contraire» trouverait son fondement dans le

droit international lui-même. Et, dans la pratique des organes internes, on constate que, parmi les

coutumes internationales d'applicabilité directe, celles d'«applicabilité immédiate» dérogent davantage à

la réglementation interne que celles d'«effet direct», c'est-à-dire les coutumes qui attribuent directement

des droits et obligations au bénéfice et à la charge des particuliers. L'État concrétise la norme

internationale «immédiatement applicable» soit par une réglementation interne générale (par exemple,

une loi interne), soit au cas par cas dans les situations où l'application de la norme internationale par un

organe interne est directement exigée par le droit international. Ce qui vient d'être dit peut être illustré

par le cas des immunités de l'État étranger : les États ont le choix entre produire une norme générale

réglementant les procédures internes (par exemple, une loi qui oblige les juridictions à se dessaisir d'une

affaire lorsqu'elle met en cause un État étranger) ou autoriser les organes internes à appliquer le droit

international de manière immédiate au cas par cas.

iii. Une obligation générale d'appliquer téléologiquement le droit international, c'est-à-dire de telle

manière à éviter un manquement international de l'État, pèserait sur les organes internes. Elle permet

entre autres d'expliquer la quasi-indérogeable 'de l'immunité de juridiction de l'État étranger : par

contraste d'autres coutumes internationales, une violation unique et sans extrême gravité de l'immunité

de l'État étranger est suffisante pour entraîner l'engagement de la responsabilité internationale de l'État,

comme le montre le recours intenté devant la Cour internationale de justice par l'État allemand contre

l'État italien en raison de la violation de son immunité d'État par les juridictions italiennes dans le

contexte de l'affaire Ferrini159.

L'obligation d'appliquer téléologiquement le droit international explique peut-être la pratique des

organes internes, qui tantôt font prévaloir le droit international général, tantôt écartent son application,

mais son fondement ne fait pas l'unanimité.

159 Pour le moins, la violation de l'immunité d'un État par les juridictions internes d'un autre État dans un cas particulier autorise en droit international la victime à ne plus appliquer le principe d'immunité de l'État étranger dans leurs relations réciproques, c'est-à-dire a pour effet de restreindre le champ d'application du principe d'immunité de juridiction de l'État étranger.

633

Section 2 : Le fondement de l'application téléologique du droit international par les organes

internes

L’État réalise160 en droit interne son obligation de conformité au droit international à travers deux

procédés généraux que l'on peut distinguer – même s'ils se recoupent très souvent :

Par la «transformation formelle», les normes issues du droit international deviennent des composantes

du droit interne parmi d'autres, sur le fondement de normes internes disposant spécifiquement de leur

validité en tant que normes internes (disposition de transposition, procédure de transformation ad

hoc...).

Les différents organes de l’État sont tenus de se conformer, dans leur comportement, aux obligations

internationales afin que le comportement global de l’État soit le plus possible conforme au droit

international («application téléologique»). Une telle obligation adressée aux organes de l’État suppose

l’existence d’un principe de droit interne habilitant les organes, y compris dans l’exercice de leur

compétence normative, à agir de manière à se conformer au droit international (cela est une des lectures

possibles de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « La République

française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. »)

Cette distinction appelle plusieurs observations :

α. Eu égard aux exigences du droit international, l'«application téléologique» peut paraître plus apte que

la «transformation formelle» à assurer un comportement conforme de l'État161. En effet, le droit

international oblige les États à se conformer factuellement aux obligations qu'il leur adresse, mais ne les

oblige pas en principe à transformer les normes internationales en composantes du système juridique

interne. Surtout, la transformation des normes internationales en droit interne ne conduit pas

nécessairement à un comportement de l’État conforme au droit international : 1. Il arrive que le contenu

du droit international transformé en droit interne ne corresponde pas au droit international lui-même, le

droit interne ne reproduisant pas exactement le contenu du droit international (par exemple, lorsque la

synchronie entre droit interne et droit international fait défaut parce que la transformation d'un ensemble

de normes internationales requiert, à la différence des autres, une procédure interne ad hoc) ; 2. Le droit

international transformé en droit interne ne prévaut pas sur les normes internes supérieures en rang

dérogatoire, de sorte qu'il n'est pas nécessairement appliqué en cas de collision ; 3. La normativité

160 On utilise ici le terme « réalise », et non celui de « concrétise », parce que le comportement factuel de l'État se trouve aussi compris ; il ne s'agit pas uniquement d'une question relative au contenu du système juridique interne positif (normatif).161 Cf. déjà : Helmut Strebel, « Das Völkerrecht als Gegenstand von Verweisungen und Begriffsübernahmen, von Kollisionsregeln und Rezeption im nationalen Recht », ZaöRV, vol. 28, 1968, pp. 503-522.

634

interne des normes internationales transformées se différencie de leur normativité internationale

d'origine : elles ne sont pas applicables par les organes internes «dans le contexte du droit

international», mais dans celui du droit interne «en tant que composantes du droit objectif en vigueur».

Et pourtant, les constitutions des systèmes juridiques internes positifs prévoient généralement de

manière expresse la «transformation formelle» du droit international en droit interne, tandis que

l'«application téléologique» se trouve rarement posée sous une forme claire et générale dans les textes

constitutionnels. Il n'empêche que, dans la pratique, les organes internes appliquent souvent

téléologiquement le droit international, au cas par cas, et surtout lorsqu'un comportement des organes

internes conforme au seul droit interne pourrait aboutir à une violation flagrante du droit international.

β. La distinction entre «transformation formelle» et «application téléologique» constitue un schéma

d'analyse. En effet, dans les systèmes juridiques internes positifs, «transformation formelle» et

«application téléologique» du droit international se confondent pour partie :

Négativement, la transformation n’exclut pas nécessairement une application de la norme internationale

transformée en droit interne «dans le contexte du droit international». Ainsi, si l'article 25 LF dispose

clairement de l'appartenance des règles générales du droit international au système juridique interne,

elles « font partie du droit fédéral », la Cour constitutionnelle fédérale n'en soutient pas moins leur

normativité demeure spécifique, étant donné qu'il existe un « ordre général d’application du droit de

l’article 25 LF sur le fondement duquel les règles générales du droit international sont, en tant que

telles, dans leur portée respective de droit international162, partie intégrante du droit objectif en vigueur

dans la sphère de souveraineté de la République fédérale d'Allemagne »163.

Positivement, l'application téléologique du droit international résulte soit d'une norme interne

d'habilitation explicite ou implicite attribuant aux organes internes la compétence d'écarter la

réglementation interne au profit des normes internationales dans les situations de risque d'une violation

du droit international lui-même par l'État ou d'une violation du droit international déjà avérée, soit de la

pratique des organes internes qui conçoivent – de manière discutable – la disposition constitutionnelle

de transformation comme une autorisation d'éviter par tous moyens les violations du droit international

par l'État.

En résumé, l'éventuelle compétence générale au bénéfice des organes internes d'appliquer

téléologiquement le droit international (I) se trouve dans une certaine mesure en concurrence avec les

normes constitutionnelles disposant explicitement de la transformation du droit international en droit

interne (II).

162 Mes italiques.163 BVerfGE 46, p. 342 sqs (403) ; « generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 LF, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts als solche mit ihrer jeweiligen völkerrechtlichen Tragweite Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».

635

I. L'habilitation des organes internes à l'application téléologique du droit international

L'application téléologique du droit international suppose que les organes internes soient destinataires

d'une obligation de se conformer dans leur comportement aux obligations internationales, afin que le

comportement global de l’État soit le plus possible conforme au droit international. Cette obligation

peut aussi s'analyser de manière négative, soit comme une interdiction, qui consiste à ne pas entraîner,

voire à empêcher, par son comportement les atteintes droit international.

La doctrine a émis quelques hypothèses quant au fondement de l'application téléologique du droit

international : outre un éventuel fondement dans le droit international lui-même (B), on trouve plusieurs

fondements internes possibles (A), parmi lesquels un principe constitutionnel explicite ou implicite (1),

ou encore un effet récursif de la transformation d'un certain ensemble de principes du droit international

en droit interne (2).

A. Une habilitation prévue par le droit interne ?

L'obligation générale adressée aux organes de l’État d'appliquer téléologiquement le droit international

suppose l’existence d’un principe de droit interne obligeant les organes internes à agir de manière à ne

pas violer le droit international, y compris dans l’exercice de leur compétence normative. Un tel

principe de droit interne est soit prévu par une norme constitutionnelle (1), soit par le principe du droit

international transformé en droit interne suivant lequel il n'existe pas, à charge de l'État, d'obligation de

transformation du droit international en droit interne, mais une obligation globale de comportement

conforme, c'est-à-dire le principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne (2).

1. Un fondement constitutionnel explicite ou implicite

Le fondement constitutionnel de l'application téléologique du droit international peut être explicite (a)

ou implicite (b).

a. Le cas du fondement constitutionnel explicite

Dans la plupart des cas, les constitutions nationales ne contiennent pas explicitement un principe

obligeant l’ensemble de l’État à un comportement conforme au droit international. Seule l a

transformation de certains ensembles de normes internationales est prévue, c’est-à-dire l’appartenance

636

du droit international au droit interne « en tant que droit interne ». Il en va par exemple ainsi, en ce qui

concerne le droit international général, des dispositions constitutionnelles suivantes : 1. L’article 28 al.

1 de la Constitution grecque prévoit que : « Les règles générales du droit international généralement

reconnues […] font partie intégrante du droit hellénique interne et priment toute disposition de loi

contraire. L’application des règles du droit international […] à l’égard des étrangers est toujours

soumise à la condition de réciprocité164 » ; 2. L’article 8 al. 1 de la Constitution portugaise dispose

quant à lui que : « Les normes et les principes du droit international général ou commun font partie

intégrante du droit portugais165 » ; 3. En droit anglais, le principe constitutionnel coutumier est ainsi

décrit par William Blackstone : « The law of nations, wherever any questions arises which is properly

the object of its jurisdiction, is here adopted in its full extent by the common law, and it is held to be a

part of the law of the land.166 ». L'article 9 B-VG autrichien et l'article 25 LF allemand illustrent aussi la

catégorie des dispositions constitutionnelles prévoyant principalement, si ce n'est uniquement, la

transformation du droit international en droit interne. Néanmoins, la doctrine autrichienne considère

parfois, par interprétation téléologique, que l'article 9 B-VG pose à lui seul une obligation adressée aux

organes internes, y compris au législateur, d'« assurer un comportement de la République autrichienne

conforme au droit international »167.

Le contenu de la constitution d’autres États, minoritaires par rapport à ceux qui ont opté pour la

transformation, n'est pas orienté vers l’appartenance du droit international au droit interne. Les

dispositions constitutionnelles de ces États, étant donnée qu'elles ont pour objet la relation globale entre

l’État et le droit international, paraissent bien souvent vagues, d'où s'ensuit certaines difficultés

d'interprétation168. On trouve parmi de telles dispositions : 1. L’alinéa 14 du Préambule de la

Constitution de 1946, phrase 1, auquel renvoie la Constitution française actuellement en vigueur, qui

164 Cf. inter alia : Arghyrios A. Fatouros, « International Law in the New Greek Constitution », AJIL, vol. 70, 1976, pp. 492-506 ; Althos G. Tsoutsos, « Verifying International Law in Greek Courts », International Lawyer, vol. 10, 1976, p. 557 et svtes ; Emmanuel Roucounas, « L'intégration du droit international dans l'ordre juridique grec », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 287-316.165 Cf. inter alia : Gomes Canotilho, José Joaquim, « Offenheit vor dem Völkerrecht und Völkerrechtsfreundlichkeit des portugiesischen Rechts », AÖR, vol. 34, 1996, pp. 47-71.166 Commentaries, IV, Chapitre 5.167 Cf. inter alia : Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, spécialement p. 448. Cf. aussi : Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98, spécialement p. 73.168 Le Professeur Otto Pfersmann analyse l’«interprétation» comme : « l’opération cognitive consistant dans l’analyse de la signification des actes de langage exprimant une norme ainsi que des manifestations d’une telle opération. L’interprétation d’une norme n’a strictement aucune valeur normative puisqu’il ne s’agit pas, par définition, d’une opération de production normative. Elle peut arriver au résultat qu’une norme est indéterminée lorsque sa formulation est susceptible de plusieurs significations. L’indétermination ne s’oppose pas à la normativité, elle détermine simplement une plus large habilitation, un plus large ensemble d’obligations, de permissions, d’interdictions. Par contraste, l’application-production d’une norme sera appelée "concrétisation" » ; cf. « De l’impossibilité de changement de sens de la constitution », in : Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet – L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, 966 p., pp. 353-374, spécialement pp. 356-357.

637

dispose que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public

international. » ; à première lecture, on peut y voir une obligation constitutionnelle adressée à l’État et

ses organes d’adopter un comportement conforme au droit international, et ce, sans pour autant passer

par une transformation du droit international en droit interne ; 2. L’article 10 de la Constitution italienne

de 1948, qui prévoit quant à lui que « l’ordre juridique italien se conforme aux règles du droit

international généralement reconnues» ; l’obligation de conformité au droit international semble ici

moins étendue qu'en droit français, puisqu'elle concerne seulement le contenu formel du droit interne, et

non le comportement de l’État en son ensemble, y compris donc factuel169.

La Constitution française, si elle ne dispose pas explicitement de la transformation du droit international

général en droit interne, contient au moins une prescription d'ordre général : l'obligation pesant sur

l'ensemble de l'État de se conformer au droit international. Il n'est pas à exclure que l'alinéa 14 habilite

les organes internes à empêcher l'application d'une réglementation interne dans un cas concret afin

d'éviter une violation actuelle ou potentielle du droit international par l'État. La jurisprudence du

Conseil constitutionnel paraît d'ailleurs parfois s'orienter en ce sens, par exemple lorsqu'il considère à

l'occasion de l’affaire des nationalisations qu'il convient de ne pas porter atteinte aux avoirs

étrangers170. Aussi, l'alinéa 14 justifie des mesures positives en vue d'assurer le respect du droit

international par l'État, comme le souligne le Conseil à propos de l'institution de la Cour pénale

internationale171 : les traités conclus par la France « en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde

et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international » peuvent, malgré certaines

restrictions à la souveraineté nationale, « en particulier prévoir la création d'une juridiction permanente

destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les

atteintes les plus graves qui leur seraient portées et compétente pour juger les responsables de crimes

d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ».

169 Cf. notamment : Giovanni Pau, « Le norme di diritto internazionale e le garanzie costituzionalidélia loro observanza », Rivista di diritto intemazionale, 1968, pp. 249-272. L'article 10 de la Constitution italienne peut être interprété comme une garantie directe du contenu du droit international général, non nécessairement comme un instrument de sa transformation ipso iure en droit interne. Cf. aussi : Antonio La Pergola, Costituzione e adattamento dell'ordinamento interno al diritto internazionale, A. Giuffrè, Milano, 1961, 450 p. ; Karin Oellers-Frahm, « Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht in der italienischen Verfassung », ZaöRV, vol. 34, 1974, pp. 330-350 ; Luigi Condorelli, « II "riconoscimento generale" delle consuetudini internazionali nella Costituzione Italiana », Rivista di diritto internazional, 1979, pp. 5-30 ; Giuseppe Castaldi, « Rapporti tra norme internazionali e norme interne », Digesto delle discipline pubblicistiche, vol. 12, 1997, pp. 391-411.Cf. à ce propos la décision de la Cour de cassation italienne : Corte di Cassazione (Sezioni Unite), 20 Avril 1998, Canada/Cargnello, n°4017. La Cour de cassation considère que la disposition constitutionnelle de l'article 10 entraîne la prévalence du droit international coutumier sur le « droit interne ordinaire inconsistant ». 170 N°81-132. DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; n°82-139. DC du 11 février 1982 (2ème Loi de nationalisation).171 N° 98-408. DC du 22 janvier 1999

638

b. Le cas d'une habilitation implicite

L'habilitation-obligation adressée aux organes internes d'empêcher la concrétisation de normes internes

afin d'éviter une violation du droit international par l'État est envisagée par la doctrine allemande dite de

l'« ouverture de l'ordre juridique allemand au droit international172 » (« Völkerrechtsfreundlichkeit »,

parfois traduit «bienveillance au droit international»). La jurisprudence constitutionnelle déduit de

l'ensemble des dispositions explicites de la Loi fondamentale relatives au droit international, soit le

complexe normatif des articles 23 à 26 LF ainsi que le Préambule et l'article 59 al. 2 LF, un principe

constitutionnel autonome régissant de manière générale le domaine de la relation entre le droit

international et le droit interne, dit « Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit »173.

La compétence des organes internes d'appliquer téléologiquement le droit international; c'est-à-dire de

telle manière à éviter une violation du droit international par l'État allemand, constituerait un des

aspects du principe d'ouverture de l'ordre juridique allemand au droit international. Notamment, la Cour

constitutionnelle fédérale affirme qu'elle a pour mission « dans le cadre de sa compétence

juridictionnelle, de veiller tout particulièrement à ce que des atteintes au droit international qui reposent

sur l’application fautive ou le non respect de normes internationales par les juridictions allemandes et

qui pourraient justifier l'engagement de la responsabilité internationale de la République fédérale

d'Allemagne soient, si possible, empêchées ou supprimées174 », et ce, alors même qu'aucune norme de la

Loi fondamentale ne lui attribue explicitement une telle compétence. Une partie de la doctrine va même

jusqu'à soutenir que, dans une situation de collision avec d'autres principes constitutionnels, c'est le

principe d'ouverture au droit international qui doit prévaloir, en raison des conséquences graves d'un

manquement unilatéral de l'État allemand à ses obligations internationales, aussi bien pour l'État

allemand lui-même, dont la responsabilité internationale pourrait être engagée, que pour l'effectivité du

droit international175. La Cour constitutionnelle fédérale ne partage toutefois pas cette opinion :

172 Cf. inter alia, la synthèse opérée par Monsieur Mehrdad Payandeh : « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502.. Cf. aussi : Albert Bleckmann, « Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, vol. 49, 1996, pp. 137-145 ; Jost Delbrück, « 50 Jahre Grundgesetz – 50 Jahre internationale Offenheit der Staatlichkeit », in : Robert Alexy, Joachim Laux (éd.), 50 Jahre Grundgesetz, Nomos, Baden-Baden, 2000, 86 p., pp. 65-86 ; Bardo Fassbender, Der offene Bundesstaat – Studien zur auswärtigen Gewalt und zur Völkerrechtssubjektivität bundesstaatlicher Teilstaaten in Europa, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 2007, 495 p. ; Thomas Giegerich (éd.), Der "offene Verfassungsstaat" des Grundgesetzes nach 60 Jahren – Anspruch und Wirklichkeit einer großen Errungenschaft, Duncker & Humblot, Berlin, 2010, 388 p. ; Stephan Hobe, Der offene Verfassungsstaat zwischen Souveränität und Interdependenz, Duncker & Humblot, Berlin, 1998, 515 p. ; Stefan Hobe, « Zur Öffnung der innerstaatlichen Rechtsordnung für das Völkerrecht und die internationale Zusammenarbeit in der jüngeren Rechtsprechung des Bundesverfassungsgerichts », in : Klaus Peter Berger, Georg Borges, Harald Herrmann, Andreas Schlüter, Ulrich Wackerbarth (éds), Zivil- und Wirtschaftsrecht im Europäischen und Globalen Kontext, Festschrift für Norbert Horn zum 70 Geburtstag, De Gruyter, Berlin, 2006, 1337 p., pp. 425-436 ; Theodor Schweisfurth, « Die verfassungsgerichtlich eingetrübte Völkerrechtsfreundlichkeit des Grundgesetzes », Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht, vol. 24, 2005, pp. 1261-1266 ; Christian Tomuschat, « Die staatsrechtliche Entscheidung für die internationale Offenheit », in : Josef Isensee, Paul Kirchhof (éds), HStR VII - Normativität und Schutz der Verfassung Internationale Beziehungen, C.F. Müller, Karlsruhe, 1992, 1006 p., § 172, pp. 483-524.Pour comparaison, dans la doctrine portugaise, cf. Gomes Canotilho, José Joaquim, op. cit. note 165.173BVerfGE 6, p. 309 sqs. (362) ; 18, p. 112 sqs. (112) ; 63, p. 343 sqs. (370) ; 111, p. 307 sqs. (317)174 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78) 175 Theodor Schilling, Rang und Geltung von Normen in gestuften Rechtsordnungen, 1994, Berliner Wissenschafts-

639

« l'ouverture au droit international ne développe ses effets que dans le cadre du système démocratique et

d'État de droit issu de la Loi fondamentale 176».

Le principe constitutionnel d'ouverture au droit international est une construction jurisprudentielle de la

Cour constitutionnelle fédérale qui vise à développer la mise en œuvre effective des obligations

internationales par l'État allemand, y compris au-delà de ce qui est expressément prévu par la Loi

fondamentale. Il ne repose en vérité sur aucun fondement formel, mais résulte d'une généralisation sans

doute excessive de dispositions constitutionnelles spécifiques. Pour comparaison, un tel principe n'est

pas accepté par la doctrine autrichienne. Celle-ci relève, certes seulement depuis récemment, la

possibilité de l'« ouverture au droit international » de la Loi constitutionnelle fédérale177 par le complexe

des dispositions relatives au droit international (articles 9, 16, 49, 50, 65, 66, 140a et 145 B-VG), mais

remarque qu'il manque une normativité unifiée du droit international en droit interne, entre autres à

propos de la question de la force dérogatoire interne des différentes formes normatives

internationales178. L'expression «Völkerrechtsfreundlichkeit» caractérise peut être le système juridique

autrichien179, mais il ne s'agit en aucun cas d'un principe du droit positif.

2. Le cas de l'«effet récursif» du droit international

Suivant les principes du droit international transformés en droit interne eux-mêmes, la transformation

du droit international en droit interne est superflue. Dès lors, une application téléologique du droit

international, plus proche des exigences du droit international, est à privilégier par rapport une

application du droit international transformé en droit interne, c'est-à-dire « en tant que composant du

droit interne ». Un problème de fondement est ici visible : la transformation du droit international en

droit interne est superflue sur le fondement même de principes du droit international transformés en

droit interne.

Verlag, Berlin, 689 p., p. 447 et svtes.176 BVerfGE 111, p. 307 sqs. (318) — EGMR-Entscheidungen177 L'expression « Völkerrechtsfreundlichkeit » à propos du droit autrichien est déjà présente chez Hans R. Klecatsky, en 1964 ; cf. « Die Bundesverfassungsnovelle vom 4 März 1964 über die Staatsverträge », JBl, 1964, p. 349 et svtes, spécialement p. 356. Elle se répand dans la doctrine plus récente, cf. par exemple : Ernst C. Hellbling, « Die Ausstrahlung des Völkerrechtes auf die österreichische Bundesverfassung », in : Adolf Merkl, Alfred Verdross, René Marcic, Robert Walter (éds), Festschrift für Hans Kelsen zum 90. Geburtstag, F. Deuticke, Vienne, 1971, 326 p., p. 53 et svtes ; Heribert Franz Köck, « Das allgemeine Völkerrecht : Die "allgemein anerkannten Regeln" des Art. 9 B.-VG », in : Herbert Schambeck (éd.), Österreichische Bundes-Verfassungsgesetz und seine Entwicklung, Duncker & Humblot, Berlin, 1980, 800 p., pp. 739-769, spécialement pp. 766-767.178 Edwin Loebenstein, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », in : Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155, spécialement p. 148.179 Pour Alfred Verdross, la Loi constitutionnelle fédérale va dans le sens du « monisme modéré » (« gemäßigt Monismus ») en ce que la primauté des normes internes est atténuée par le complexe normatif de la Loi constitutionnelle fédérale relatif au droit international ; cf. inter alia : Herbert Miehsler, « Alfred Verdroß' Theorie des gemäßigten Monismus und das BVG vom 4. März 1964, BGBl, Nr. 59 », JBl, 1965, p. 566 et svtes.

640

Le droit international n’oblige pas en principe les États à transformer en leur sphère interne les normes

qui lui sont propres, de sorte que leur transformation en droit interne par l’État peut être considérée

comme superflue180. Le principe directeur du droit international sur cette question est le principe

d'indifférence du droit international par rapport au droit interne, qui autorise entre autres les États à

déterminer librement le contenu du système juridique interne, indépendamment de l'état du droit

international. Une application interne intégrale du principe international d'indifférence du droit

international par rapport au droit interne – qui fait partie du droit interne sur le fondement de la

disposition constitutionnelle transformant le droit international général en droit interne – aboutirait à

neutraliser l'ensemble des dispositions constitutionnelles prévoyant la transformation du droit

international en droit interne, y compris donc son propre fondement de validité interne.

D'autres principes du droit international modulant, en tant que composants du droit interne, les effets de

la transformation du droit international en droit interne paraissent plus appropriés que le principe

d'indifférence à une application interne. Et tel est le cas d'un principe général du droit international qui

permet en principe aux États des violations minimes du droit international, en ce sens qu'une violation à

une obligation internationale n'est pas constituée tant qu'elle n'atteint pas un certain seuil fixé par le

droit international lui-même (par exemple, le seuil de gross and systematic violation en matière de

droits de l'homme181). La Cour constitutionnelle fédérale allemande estime ainsi que, par exception,

certains manquements au droit international par l'État allemand restent permis sur le fondement même

du droit international182183. Un autre principe du droit international pertinent réside dans la «compétence

d'auto-appréciation» de l'État dans la sphère internationale ; son contenu se formule ainsi : « il

appartient à chaque État d’apprécier, raisonnablement et de bonne foi, les situations et les règles qui le

mettent en cause 184», c'est-à-dire que l'État se trouve en principe à la fois juge et partie.

Globalement, l'ensemble des principes du droit international susceptibles de moduler les effets de la

transformation du droit international en droit interne justifie une application téléologique du droit

international par les organes internes. La sphère d'application interne des normes internationales

transformées en droit interne est ainsi restreinte aux seuls cas de violation actuelle ou potentielle du

droit international lui-même, et ce sur le fondement de certains principes du droit international

transformés en droit interne. La pratique des organes internes correspond dans une large mesure à une

180 Cf. notamment, Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214.181 Cf. inter alia : Marc Bossuyt, Koen De Feyter, Filip Reyntjens (éds), op. cit. note 45.182 BVerfGE 111, p. 307 sqs. (319), à propos de la Cour européenne des droits de l'homme.183 L'affirmation de Monsieur Mehrdad Payandeh à propos du principe constitutionnel d'«ouverture au droit international» prête, en raison de ce principe du droit international, à controverse : « Jedes Zurücktreten des Verfassungsprinzips der Völkerrechtsfreundlichkeit bedingt eine Rechtsverletzung im völkerrechtlichen Außenverhältnis, so dass an die Rechtfertigung der Verletzung einer völkerrechtlichen Verpflichtung hohe verfassungsrechtliche Anforderungen zu stellen sind » ; cf. op. cit. note 172, spécialement p. 500. 184 SA, 16 novembre 1957, affaire du Lac Lanoux (France/Espagne), RGDIP, 1958, p. 79 et svtes. Cf. aussi : C.I.J., 24 mai 1980, personnel diplomatique et consulaire américain à Téhéran, Rec. p. 3 et svtes ; C.I.J., avis, 28 mai 1951, Les Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, Rec. p. 15.

641

telle conception, même si elle apparaît rarement exprimée par ceux-ci. En effet, les organes internes

appliquent surtout les normes internationales lorsqu'existe un risque de violation réel du droit

international lui-même par l'État, et non dans tous les cas où existe, dans un même domaine matériel,

une prétendue concurrence entre les normes internationales et la réglementation interne.

On le voit ici : si, d'un côté, l'application téléologique du droit international par les organes internes

suppose que le droit international prévaut sur les normes internes dans les situations de violation

actuelle ou potentielle du droit international lui-même par l'État, elle peut, d'un autre côté, aller en-deçà

des effets juridiques internes provoqués par la transformation, en emportant la restriction de la sphère

d'application du droit international dans le cadre du droit interne.

B. Une habilitation prévue par le droit international ?

Une partie de la doctrine affirme que les organes internes sont habilités par le droit international lui-

même à écarter l'application de normes internes lorsqu'elle aboutirait à une violation du droit

international par l'État dans la sphère internationale (1). De manière générale, du point de vue du droit

international185, l'application téléologique du droit international peut sembler plus appropriée pour la

réalisation du droit international que la transformation du droit international en droit interne (2).

1. La question de la compétence internationale des organes internes d'empêcher les violations du droit

international par l'État

Deux arguments en faveur d'une compétence internationale des organes internes d'empêcher les

violations du droit international par l'État sont couramment invoqués par une doctrine qui tend d'ailleurs

à devenir majoritaire : la responsabilité de l'État en cas de violation du droit international par ses

organes internes (a) et le statut international des organes internes, entre autres la question du « juge

interne, juge de droit international » (b).

a. La doctrine de la responsabilité de l'État

Pour une partie de la doctrine, l'obligation pesant sur les organes internes d'empêcher l'application de

normes internes si celle-ci aboutit à la violation de normes internationales découlerait de la structure

185 Cette formulation risque un anthropomorphisme, parce qu'elle suppose que le « système juridique international » (ou tout autre système juridique) est pourvu de qualités humaines, et en l'occurrence de la « vision ». On l'utilise ici de manière didactique, pour mettre en avant une affirmation que l'on rencontre souvent dans la doctrine selon laquelle un système juridique poursuit des finalités qui lui sont propres.

642

même de la relation entre droit international et droit interne. Comme en principe « un État ne saurait

invoquer vis-à-vis d'un autre État sa propre Constitution [ou toute autre norme interne186] pour se

soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur 187 », les

organes internes ont nécessairement à écarter la réglementation interne lorsqu'elle exige un

comportement en violation du droit international188. La majorité des auteurs admettent néanmoins que

l'interdiction pour l'État de se prévaloir des dispositions de son droit interne pour justifier d'une

violation au droit international n'équivaut pas à une obligation adressée aux organes internes

d'empêcher l'application de normes internes si celle-ci aboutit à une violation du droit international 189.

En raison de la décentralisation organique qui caractérise la relation entre le droit international et le

droit interne, une violation du droit international est, en tant que telle, dépourvue d'effets juridiques sur

le droit interne et engage uniquement les conséquences que le droit international lui attache dans la

sphère internationale en termes de responsabilité globale de l'État (« primauté indirecte » du droit

international général). La responsabilité internationale de l'État n'implique aucunement que certains

organes internes déterminés soient destinataires d'obligations internationales à satisfaire. En résumé,

selon Hans Kelsen : « la validité du droit international est indépendante de son applicabilité par les

organes de l'État. Si les organes de l'État ne l'appliquent pas parce qu'ils n'y sont pas autorisés par le

droit national, l'État est responsable relativement au droit international en vigueur des violations de

celui-ci190 ». Une norme posée par un organe interne « ne correspondant pas » au droit international

demeure valide sur le fondement même du droit international, parce que celui-ci attribue en principe à

l'État la compétence de déterminer librement le contenu du système juridique interne, sans prévoir de

procédure de destruction des normes internes prétendument «non-conformes»191.

186 Mon ajout, cf. article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ».187 C.P.I.J., avis consultatif, 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais à Danzig, série A/B, n°44, p. 24. Ce principe est parfois dit « Alabama », en référence à la sentence arbitrale plus ancienne : S.A., 14 septembre 1872, Alabama (États-Unis c. Royaume-Uni), RAI, vol. 2, p. 780.188 Cf. inter alia : Hans René Laurer, op. cit. note 128, spécialement p. 347 ; Frederick Alexander Mann, « The consequences of an international wrong in international and municipal law », BYIL., vol. 48, 1976-77, pp. 1-65 ; Luzius Wildhaber, Stephan Breitenmoser, « The Relationship Between Customary International Law and Municipal Law in Western European Countries », ZaöRV, vol. 48, 1988, pp. 163-207, spécialement pp. 165-169189 Parmi les auteurs représentant la doctrine majoritaire, on trouve : Pierre-Marie Dupuy, op. cit. note 1 ; André Nollkaemper, « Internationally Wrongful Acts in Domestic Courts », AJIL, vol. 101 2007, pp. 760-799.190 Hans Kelsen, P.I.L., p. 579. Le Professeur Otto Pfersmann ajoute, à propos de la situation du droit interne : « Rien n'empêche […] qu'il existe des normes "supérieures" à la Constitution pour autant qu'elles ne fassent pas partie du système juridique en question : elles sont, dans ce cas, non pas des normes au-dessus de la Constitution formelle [c'est-à-dire supra-constitutionnelles], mais des normes ayant pour destinataire le système en tant que tel » ; cf. « La « supra-constitutionnalité » », in : Louis Favoreu (coordonnateur) et alii, Droit constitutionnel, 8ème édition, Dalloz, Paris, 2005, 941 p, pp. 85-86.191 Hans Kelsen relève déjà la possibilité de la validité de normes internes « ne correspondant pas » au droit international : « Le conflit entre une norme établie de droit international et une norme de droit interne est un conflit entre une norme supérieure et une norme inférieure. De tels conflits ont lieu au sein de l'ordre juridique national sans que l'unité de cet ordre ne soit menacé. Un exemple typique est celui d'une supposée "loi inconstitutionnelle". Qu'une loi soit "inconstitutionnelle" ne signifie pas qu'elle soit nulle et non valide ab initio. Cela signifie seulement que si une juridiction compétente constate qu'une loi n'est pas en conformité avec certaines dispositions de la constitution, cette loi peut être annulée. Cette annulation s'applique soit uniquement lors d'un litige relatif à un cas concret dont est saisi une

643

Aussi, quelques auteurs affirment l'existence d'une obligation internationale restreinte pour les organes

internes d'empêcher l'application de normes internes si celle-ci aboutit à une violation du droit

international : le principe dit d'«interprétation conforme au droit international» (en anglais, «consistent

interpretation»)192. Ce principe est ainsi défini par les Professeurs Gerrit Betlem et André Nollkaemper :

« La principale doctrine utilisée par les juridictions internes pour garantir un effet au droit international

est celle dite d'interprétation conforme. Le principe d'interprétation conforme est celui qui exige des

juridictions internes d'interpréter le droit national conformément à une norme du droit international, en

juridiction – cette dernière étant habilitée à ne pas appliquer la loi en cette situation, soit lorsque la juridiction concernée ou une juridiction spéciale est habilitée à mettre la loi hors de force. Il convient d'interpréter la constitution comme disposant qu'une loi édictée par l'organe législatif doit être considérée comme valide aussi longtemps qu'elle n'a pas été annulée selon la voie prévue par la constitution. En cela, aussi longtemps qu'elle n'a pas été annulée, il n'existe pas de contradiction logique entre la constitution et la supposée loi inconstitutionnelle. Qu'une norme inférieure "ne corresponde pas" à une norme supérieure signifie en réalité que la norme inférieure a été créée d'une telle manière ou avec un tel contenu que, selon la norme supérieure, elle peut être abrogée d'une autre manière que la voie habituelle [la voie habituelle consiste en la destruction de la norme par l'organe même l'ayant produite] ; mais, aussi longtemps que la norme inférieure n'est pas abrogée, elle demeure une norme valide, et cela suivant la norme supérieure elle-même. Le sens de la norme supérieure consiste en effet à rendre possible son abrogation.Toutefois, le fait qu'une norme supérieure détermine la création ou le contenu d'une norme inférieure peut aussi seulement signifier que l'organe qui crée la norme inférieure "ne correspondant pas" à la norme supérieure doit être personnellement sanctionné. Dès lors, la norme créée par l'organe responsable ne va pas être abrogé. Dans les deux cas, il n'y a pas de contradiction logique entre la norme supérieure et la norme inférieure qui ne "correspond pas" à la première. L'illégalité d'une norme signifie la possibilité d'abroger la norme ou d'infliger une sanction à l'organe créateur de la norme.[…].[A propos de la relation entre le droit international et le droit interne]. L'État est obligé par le droit international à attribuer un certain contenu à ses normes, au sens où si l'État édicte des normes avec un autre contenu, il est susceptible d'être internationalement sanctionné [En note : "il s'agit de la signification du principe habituellement formulé dans les décisions juridictionnelles selon lequel un État ne peut invoquer son droit national pour justifier d'une violation au droit international. Cf. l'affaire Traitement des nationaux polonais"]. Une norme qui, pour ainsi dire, est produite en "violation" du droit international général demeure valide suivant le droit international général. Le droit international général ne contient aucune procédure par laquelle les normes de droit national qui sont "illégales" (eu égard au droit international) peuvent être abolies. Une telle procédure ne peut être établie que par du droit international particulier ou par du droit national.Si le contenu des normes de l'ordre juridique national est déterminé par le droit international, c'est dans un sens alternatif uniquement. La validité de normes dont le contenu est autre que celui prescrit n'est en effet pas exclu. Ces normes ne sont discriminées que pour autant que l'acte de les produire est constitutif d'un délit international. Cependant, ni le délit international consistant en la production de la norme, ni la norme elle-même, ne sont en contradiction logique avec le droit international, de même d'ailleurs que les supposées lois inconstitutionnelles ne sont pas en contradiction logique avec la constitution. Et, de même que la validité de lois inconstitutionnelles n'affecte pas l'unité de l'ordre juridique national, la validité d'une loi nationale "violant" le droit international n'affecte pas l'unité du système juridique comprenant le droit international et le droit interne. Les partisans de la théorie pluraliste se trouvent dans l'erreur quand ils pensent qu'il est possible de démontrer l'absence d'unité entre droit international et droit interne par les éventuelles contradictions entre les deux. » ; cf. P.I.L., pp. 565-569.La démonstration de Hans Kelsen peut être approfondie par la distinction entre « antinomie explicative » et « antinomie normative » en droit telle que décrite par le Professeur Otto Pfersmann : « Si l'on distingue les antinomies explicatives (relevant du raisonnement juridique) des antinomies normatives (internes à un système de normes), alors les premières sont de véritables antinomies et marquent un défaut de raisonnement ou un défaut de construction dans la théorie du raisonnement, mais elles ne sont pas spécifiques au droit, car il s'agit juste de l'application du raisonnement à un certain domaine. En revanche, les ordres normatifs ne contiennent pas à proprement parler d'antinomies parce que ce ne sont pas des théories ou des raisonnements, mais des ensembles d'obligations, de permissions et d'interdictions et parce que ces normes ne sont pas dérivées des autres par des opérations logiques mais par des actes de production. De tels systèmes peuvent contenir des éléments incohérents au sens où deux ou plusieurs normes prescrivent des comportements irréalisables simultanément. Dans ce cas, il s'agit d'une production normative irrationnelle et l'analyse de cette situation à l'aide du raisonnement n'a rien d'antinomique. » ; « antinomies », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 67-70, p. 69.192 Cf. inter alia : Felice Morgenstern, « Judicial Practice and the Supremacy of International Law », BYIL, vol. 27,

644

vue d'assurer qu'un effet est donné à la norme internationale en question193. » La théorie d'un fondement

international du principe d'«interprétation conforme» apparaît toutefois contestable : il ne s'agit sans

doute pas d'un principe du droit international lui-même, mais plutôt d'un principe existant dans les

différents systèmes juridiques internes et qui se développe d'une manière assez convergente en leur sein

(cf. infra, le « principe d'interprétation conforme au droit international »).

b. La doctrine du statut international des organes internes

La doctrine selon laquelle les organes internes bénéficient d'un certain statut international leur attribuant

directement un certain ensemble de responsabilités internationales est surtout développée à propos du

juge interne194. On trouve le résumé de cette doctrine actuellement en vogue, qui s'inspire grandement

des écrits plus anciens de Georges Scelle, dans l'affirmation : « le juge interne, juge de droit

international ».

La doctrine remarque de manière préliminaire que, en l’absence d’un juge international à juridiction

obligatoire, le contentieux relatif à l’application et à l’exécution du droit international par l'État

s’effectue devant le juge national. Les juges nationaux ne sont certes pas nécessairement spécifiquement

habilités par les droits internes à résoudre les conflits entre le droit interne et le droit international, mais

une telle habilitation pourrait découler du droit international lui-même. Et celui-ci prévoit notamment

1950, pp. 42-92, spécialement pp. 85-86 ; opinion individuelle du juge Hersch Lauterpacht dans la décision : C.I.J., 6 juillet 1957, Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), Rec. 1957, pp. 40-41.193 Gerrit Betlem, André Nollkaemper, op. cit. note 1, p. 571 (ma traduction et mes italiques).194 A propos de la question du juge interne en tant que juge international : i. On trouvera un aperçu théorique dans : Lazare Kopelmanas, « La théorie du dédoublement fonctionnel et son utilisation pour la solution du problème dit des conflits des lois », in : La technique et les principes du droit public – Etudes en l'honneur de Georges Scelle, LGDJ, Paris, 1950, 913 p., pp. 753-803 ; Georges Scelle, « Le phénomène juridique du dédoublement fonctionnel », in : Walter Schätzel, Hans Jurgen Schlochauer (éds), Rechtsfragen der Internationalen Organisation: Festschrift fϋr Hans Wehberg, V. Klostermann, Francfort-sur-le-Main, 1956, 408 p., pp. 324-342 ; Antonio Cassese, « Remarks on Scelle's Theory of « Role Splitting » (dédoublement fonctionnel) in International Law », EJIL, 1990, pp. 210-231.ii. Les études doctrinales s'avèrent nombreuses, cf. inter alia : Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183 ; Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72 ; Richard A. Falk, The Role of Domestic Courts in the International Legal Order, Syracuse University Press, Syracuse, 1964, 184 p. ; Harold Hongju Koh, « Bringing International Law Home », Houston Law Review, vol. 35, 1998, pp. 623-681 ; André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, 250 p. ; Yuval Shany, Regulating Jurisdictional Relations Between National and International Courts, Oxford University Press, Oxford, 2007, 216 p. ; Yuval Shany, « National Courts as International Actors: Jurisdictional Implications », Hebrew University International Law Research Paper, n°22, 2008, 35 p. (format PDF), disponible sur : http://ssrn.com/abstract=1292056 ; Yuval Shany, « Dédoublement fonctionnel and the Mixed Loyalties of National and International Judges », in : Filippo Fontanelli, Giuseppe Martinico, Paolo Carrozza (eds), Shaping Rule of Law through Dialogue – International and Supranational Experience , Europa Law Publishing, Groningue, 2010, 433 p., p. 27 et svtes ; Henry G. Schermers, « The Role of Domestic Courts in Effectuating International Law », Leiden Journal of International Law, vol. 3, 1990, p. 77-85 ; Antonios Tzanakopoulos, « Domestic Courts as the "Natural Judge" of International Law : A Change in Physiognomy », in : James Crawford, Sarah Nouwen (éds), Select Proceedings of the European Society of International Law (2010), vol. 3, Hart, Oxford, 2012, 418 p., pp. 155-168.

645

qu’un État ne peut invoquer les particularités de son organisation constitutionnelle pour se soustraire à

ses obligations internationales (principe dit «Alabama»195). Les juges internes sont juges du

comportement de l’État par rapport au droit international et se trouvent, en tant que tels, dans une

situation similaire à celle des juges internationaux196. Il en va par exemple ainsi lorsque le juge interne

décide que la suspension de l’application d’une norme internationale par l’État est justifiée eu égard aux

principes du droit international. La doctrine du « juge international, juge de droit interne » accepte une

réserve : l'habilitation dont bénéficie le juge interne pour régler les litiges entre États demeure limitée

par sa compétence, telle que déterminée par le droit interne, cette délimitation interne ne supprimant

toutefois pas pour autant son statut international. Le principe de l'épuisement des voies de recours offre

une illustration de la compétence du juge interne en tant que juge international ; le Professeur Pierre-

Marie Dupuy le décrit ainsi : « cette institution traditionnelle met en œuvre un processus procédural

permettant aux juridictions internes de faire respecter par leur propre État les obligations internationales

auxquelles il est tenu. Elles peuvent ainsi lui éviter l’invocation et la mise en œuvre de sa responsabilité

internationale.197 »

Cependant, la validité des normes produites par les organes internes, y compris dans leur fonction de

concrétisation du droit international, est purement interne. Notamment, le droit international traite en

principe les décisions des juridictions internes comme de « simples faits », qui participent à l'ensemble

du comportement étatique198. Cela ne signifie pas que l'ensemble du comportement de l'État soit

indifférencié : le droit international attache certaines conséquences à des « faits » spécifiques, à l'instar

de l'épuisement des voies de recours interne. La qualification par le droit international des normes

internes comme de « simples faits » n'implique ni que celles-ci sont des faits, ni qu'il n'existe aucune

195 S.A., 14 septembre 1872, Alabama (États-Unis c. Royaume-Uni), RAI, vol. 2, p. 780. Cf. aussi Sentence arbitrale, Bunch, 26 juillet 1875, Montijo (États-Unis c. Colombie), RAI vol. 3, p. 663 ; C.P.I.J., avis consultatif., 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais et autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, série A/B, n°44 : « si d’une part, d’après les principes généraux relativement admis, un État ne peut, vis-à-vis d’un autre État, se prévaloir des dispositions constitutionnelles de ce dernier, mais seulement du droit international et des engagements internationaux valablement contractés, d’autre part, et inversement, un État ne saurait invoquer vis-à-vis d’un autre État sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou le traité en vigueur ».196 Ces conclusions se trouvent proches de celles de Georges Scelle in : op. cit. note 194. Georges Scelle dit que : « Ce phénomène pourra se définir ainsi : les agents dotés d'une compétence institutionnelle ou investis par un ordre juridique utilisent leur capacité « fonctionnelle » telle qu'elle est organisée dans l'ordre juridique qui les a institués, mais pour assurer l'efficacité des normes d'un autre ordre juridique privé des organes nécessaires à cette réalisation, ou n'en possédant que d'insuffisants » (ibid. p. 331). A propos plus spécifiquement de la relation entre droit international et droit interne : « dans l'ordre interétatique, où il n'existe pas de gouvernants et agents spécifiquement internationaux, les agents et gouvernants étatiques qui les remplacent sont investis d'un double rôle. Ils sont agents et gouvernants nationaux lorsqu'ils fonctionnent dans l'ordre juridique étatique ; ils sont agents et gouvernants internationaux lorsqu'ils agissent dans l'ordre juridique international. C'est ce que nous appellerons la loi fondamentale du dédoublement fonctionnel » ; cf. « Règles générales du droit de la paix », RCADI, vol. 46, 1933, pp. 327-703, p. 358. Cf. aussi, à ce propos, les écrits du Professeur Pierre-Marie Dupuy, disciple de Georges Scelle, op. cit. note 1 (2007).197 Pierre-Marie Dupuy, « The Unity of Application of International Law at the Global Level and the Responsibility of. Judges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, pp. 1-27, spécialement p. 6 ; cf. plus généralement : Jean Chappez, op. cit. note 92.198 André Nollkaemper, « The Role of Domestic Courts in the Case Law of the International Court of Justice », Chinese Journal of International Law, vol. 5, 2006, pp. 301-322 ; Dana Burchardt (2010), op. cit. note 3.

646

relation normative entre la validité de droit international et la validité de droit interne. Le droit

international attribue en effet une validité à l'ensemble du système juridique interne et ce dernier

attribue une validité aux normes internes. Le droit international fonde donc indirectement les normes

composant le droit interne. Leur qualification en tant que « simples faits » signifie que le droit

international y est indifférent, c'est-à-dire négativement, qu'il ne prévoie pas la composition du système

juridique interne (procédure de production et de destruction, contenu matériel, etc.), et, positivement,

qu'il attache les mêmes conséquences sur le droit international aux normes internes qu'à l'ensemble des

comportements relevant de la sphère de compétence interne de l'État.

Le prétendu statut international du juge interne ne lui attribue pas en principe – sauf dans une certaine

mesure lorsque le droit international est d'applicabilité directe – de compétence pour faire prévaloir une

norme internationale sur une norme interne, ni dans les situations de violation du droit international

actuelle ou potentielle par l'État, ni même dans les situations où sa propre décision pourrait provoquer

par elle-même une violation par l'État du droit international (par exemple, une violation du principe du

droit international ne bis in idem ou du principe d'immunité de juridiction de l'État étranger ).

2. L'efficacité de l'application téléologique du droit international par les organes internes pour la

conformité du comportement de l'État au droit international

La transformation du droit international en droit interne est parfois considérée comme superflue pour

conformer le comportement de l'État au droit international (a), et il semblerait que l'obligation générale

pour les organes internes d'empêcher les violations du droit international par l'État corresponde

davantage aux principes structurants de la relation entre droit international et droit interne (b).

a. Le caractère superflu de la transformation du droit international en droit interne suivant le droit

international lui-même

Le droit international n’oblige pas en principe les États à transformer en leur sphère de compétence

interne les normes qui lui sont propres, d'où s'ensuit que leur transformation par l’État est parfois

considérée comme superflue. De plus, la transformation des normes internationales en droit interne

n’est généralement pas suffisante à assurer un comportement de l’État conforme au droit international,

comme le montrent les observations suivantes :

i. Fondamentalement, la transformation des normes internationales en droit interne n’entraîne pas

nécessairement un comportement factuel de l’État conforme au droit international. En d'autres termes,

la transformation du droit international en droit interne est par elle-même insuffisante pour garantir la

647

conformité du comportement de l'État au droit international199, étant donné que les modifications du

contenu du système juridique interne qui découlent de la transformation ont des conséquences sur le

comportement effectif de l'État qui sont difficilement prévisibles.

ii. Le contenu du droit d’origine international transformé en droit interne peut matériellement200 ne pas

correspondre à l'état du droit international lui-même :

Les systèmes juridiques des États ne contiennent généralement pas de disposition globale prévoyant la

transformation ipso iure de l'ensemble du droit international, mais un ensemble de normes spéciales

conditionnant sa transformation suivant des modalités diverses (transformation ipso iure, procédure de

reconnaissance, procédure législative) relatives à la forme normative de la norme internationale en

question (traité international, coutume internationale, acte unilatéral d'une organisation internationale...)

ou à son contenu normatif (degré de généralité, compatibilité avec le droit interne...). En outre, la

transformation ad hoc entraine un décalage temporel, la validité interne de la norme internationale étant

nécessairement postérieure à la validité de la norme dont elle est la reproduction.

La transformation du droit international en droit interne peut même parfois conduire à une violation du

droit international par l'État, par exemple lorsque les organes d'un État produisent une norme concrète

sur le fondement d'un traité international transformé en droit interne, alors même que ce traité a été

modifié dans la sphère internationale par une coutume internationale de contenu contraire, quant à elle

non transformée en droit interne201.

iii. Le fondement des normes internationales transformées en droit interne est une disposition de la

constitution formelle, de telle sorte que leurs modalités d'application sont déterminées de la même

manière que celle d'autres formes normatives internes ordinaires (lois, règlements...). En particulier, la

constitution attribue souvent un rang dérogatoire hiérarchique fixe aux normes internationales

transformées en droit interne, nonobstant leur dynamisme autonome dans la sphère internationale202.

199 L’État et ses organes peuvent ne pas avoir les moyens d’appliquer le droit international transformé en droit interne pour des raisons factuelles, par exemple lorsque l’État ne contrôle pas l’ensemble du territoire qui lui est attribué par le droit international, ou encore lorsque les organes d’application du droit sont dans l'ignorance du contenu du droit international.200 Le droit international transformé en droit interne est dans tous les cas formellement différencié du droit international lui-même étant donné qu'ils appartiennent à des systèmes juridiques différents.201 Cf. par exemple la décision de la Cour de cassation française : Cass. crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim. 1980, p. 563 ; Gaz. pal. 1981, I, p. 106, note P.L.G.. 202 Le plus souvent, suivant le contenu du système juridique interne positif, les normes internationales transformées en droit interne ne priment ni sur la norme interne suprême (la constitution), ni éventuellement sur d’autres normes de degré supérieur (surtout les lois). Il est néanmoins envisageable qu’un système juridique interne donné prévoie une primauté d’application du droit international transformé en droit interne sur la constitution, comme c'est le cas dans le système juridique des Pays-Bas en matière de traités internationaux (articles 91 et 94 de la Constitution du Royaume des Pays-Bas en sa version du 17 février 1983), ou dans celui de certains États membres de l’Union européenne qui ont de plus en plus tendance à prévoir dans leur constitution une primauté d’application du droit de l'Union sur l’ensemble du droit interne, y compris sur le droit constitutionnel. Une telle situation apparaît curieuse puisqu'une norme dont la validité dépend d'une autre norme – en l'occurrence, la constitution – bénéficie d'une primauté d'application sur celle-ci (ou du moins certaines de ses dispositions). Cette situation s’analyse ainsi : la norme constitutionnelle prévoyant la primauté des normes internationales sur la constitution elle-même oblige les organes d’application du droit à empêcher l’application de certaines dispositions constitutionnelles en collision avec les normes internationales en question. Mais, est-ce que les normes internationales transformées en droit interne priment aussi sur la disposition constitutionnelle

648

Plus généralement, les modalités d’application des normes internationales deviennent généralement, par

le processus de transformation, similaires à celles de toute norme interne, donc différenciées de celles

pertinentes dans la sphère internationale. Carl Schmitt insiste ainsi, à propos de l’article 4 de la

Constitution de Weimar, sur leur validité «en tant que droit interne» : « La transformation demeure le

fait essentiel parce que c’est elle qui crée le fondement juridique (auctoritatis interpositio) de la validité

à l’intérieur de l’État. [...] Ces règles deviennent ainsi des lois ordinaires internes, et non des lois

constitutionnelles ou même un élément de la constitution203 ». Gustav Adolf Walz remarque plus

précisément, en 1933, soit à la fin de la période de Weimar : « C'est pourquoi l'effet juridique de ces

normes revêtues d'une apparence internationale n'est plus purement de droit international, mais plutôt

de caractère interne204 »

b. Le droit international présuppose-t-il une obligation générale pour les organes internes d'empêcher

les violations du droit international ?

En principe, le droit international est indifférent au contenu du droit interne, y compris à celui relatif à

l’applicabilité du droit international dans la sphère de compétence des États 205. La relation entre le droit

international et le droit interne est normative, de sorte qu'aucun procédé n'est logiquement ou

naturellement présupposé pour la réalisation par l'État de ses obligations internationales.

Le droit international n’oblige pas en principe les États à transformer son contenu juridique en droit

interne. Et pourtant, le choix constitutionnel consiste majoritairement, dans les systèmes juridiques

contemporains, à introduire des normes constitutionnelles qui disposent de la transformation du droit

international en droit interne. La doctrine dominante constate que l’État se conforme en pratique

davantage au droit international par la transformation du droit international en droit interne, déterminée

par des dispositions constitutionnelles d'une certaine technicité, que par une clause constitutionnelle

prévoyant leur transformation interne ainsi que leur primauté sur la constitution ? Il convient ici de distinguer la hiérarchie des normes selon l'ordre de production et la hiérarchie des normes selon la force dérogatoire. La norme constitutionnelle conserve en permanence sa supériorité – en tant que fondement de validité – dans la hiérarchie selon l'ordre de production. Et, dans un cas de conflit entre cette norme constitutionnelle et une norme internationale, la norme fondant la décision de l'organe d'application du droit n'est autre que la norme constitutionnelle lui attribuant une compétence de faire prévaloir le droit international sur l'ensemble des normes constitutionnelles. 203 Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. Lilyane Deroche, PUF, Paris, 1993, 576 p., pp. 206-207.L'opinion exprimée par Carl Schmitt rejoint celle de la majorité de la doctrine allemande sous la République de Weimar. Cf. à ce propos : Wolfgang Pigorsch, Die Einordnung völkerrechtlicher Normen in das Recht der Bundesrepublik Deutschland – Eine Studie zu den Artikeln 25, 59 und 79 des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland vom 23. Mai 1949, Hansischer Gildenverlag – Joachim Heitmann & Co, Hambourg, 1959, 135 p.., spécialement p. 28.204 Gustav Adolf Walz, Völkerrecht und staatliches Recht – Untersuchungen über die Einwirkungen des Völkerrechts auf das innerstaatliche Recht, Kohlhammer, Stuttgart, 1933, 503 p., p. 245.205 Par exception, le droit international oblige parfois les États à transformer leur contenu juridique (cas de l' « applicabilité immédiate » du droit international) et, dans certains cas, le droit international oblige de surcroît les États à appliquer le droit international dans leur sphère interne conformément au droit international, c’est-à-dire « dans le contexte du droit international » (par exemple, tel ou tel traité international institue une juridiction internationale chargée de contrôler son uniformité d’application par les organes internes d’application du droit).

649

obligeant de manière générale l'État à se conformer au droit international206, à l'instar de l'alinéa 14 du

Préambule de la Constitution de 1946 ou de l'article 10 de la Constitution italienne, ou que par l'absence

de toute disposition constitutionnelle relative au droit international. Cette dernière possibilité trouve

cependant des partisans dans la doctrine : un prétendu « monisme à primauté de droit international » ne

serait réalisé qu'à travers une configuration où le droit international prime sur les normes internes dans

la sphère interne à l'État par sa seule force normative internationale (per se), sans que son application ne

soit conditionnée par aucune disposition constitutionnelle207. Cette analyse reflète une illusion ou un

souhait, non l'état du droit positif.

II. La concurrence de fondements internes d'application du droit international général

Le fondement de l'application téléologique du droit international général par les organes internes est

tantôt conçu comme différencié du fondement de la transformation du droit international en droit

interne, de sorte qu'il pourrait y avoir concurrence entre ces fondements d'application du droit

international (A), tantôt comme inclus dans celui-ci208 (B).

A. Le fondement de l'application téléologique du droit international autonome de la transformation du

droit international en droit interne

Outre une disposition constitutionnelle générale explicite ou implicite imposant à l'État une l'obligation

de conformité au droit international (alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 dans la

Constitution française ou « principe d'ouverture au droit international »), la question d'une application

du droit international autonome de sa transformation s'est posée dans le cadre de la « théorie dite de

l'exécution » (Vollzugslehre).

La doctrine allemande dominante conçoit de manière récurrente trois voies possibles à travers

206 Antonio Cassese, « Modern Constitutions and International Law », R.C.A.D.I. 192, 1985-III, p. 331-475 ; Thomas M. Franck, Arun K. Thiruvengadam, « International Law and Constitution-Making », 2 Chinese Journal of International Law, 2003, pp. 467-518 ; 207 Cf. l'argumentation développée par Monsieur Robert Pfeffer : Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht – Eine kritische Betrachtung alter und neuer Lehren unter besonderer Berücksichtigung der Europäischen Menschenrechtskonvention, Mohr Siebeck, Tübingen, 2009, 254 p., spécialement pp. 81-143. 208 Selon Hans Kelsen, les dispositions constitutionnelles prévoyant la transformation du droit international en droit interne consistent principalement en une habilitation au bénéfice des organes internes pour appliquer le droit international et, éventuellement, le faire prévaloir sur une réglementation interne « contraire ». Cf. Hans Kelsen, « La transformation du droit international public en droit interne », RGDIP, vol. 43, 1936, pp. 253-292, reproduit in : Charles Leben (éd.), Hans Kelsen : Écrits français de droit international, PUF, Paris, 2001, 316 p., pp. 175-214, p. 213 ; Hans Kelsen (1967), P.I.L., p. 579.

650

lesquelles l'État réalise son obligation de conformité au droit international 209. Les deux voies que la

doctrine considère comme principales relèvent en réalité du même procédé de transformation du droit

international en droit interne : l'ainsi dite « théorie de la transformation » (Transformationslehre) par

laquelle les normes internationales sont transformées une par une en droit interne par le moyen d'actes

internes (correspondant au « mode d'applicabilité dualiste au sens technique »), et l'ainsi dite « théorie

de l'adoption » (Adoptionslehre) par laquelle les normes internationales valides sont transformées ipso

iure en droit interne sur le fondement d'une disposition constitutionnelle de transposition (correspondant

au « mode d'applicabilité intermédiaire »). La troisième voie, dite d'«exécution» (Vollzugslehre) est

généralement évoquée par la doctrine, à côté des deux autres, tout en paraissant marginale, car elle ne

fait que rarement l'objet d'une analyse approfondie210.

La théorie de l'exécution est initialement élaborée par la première Commission d'études de la Société

allemande de droit international dans les années 1960211, surtout, mais non exclusivement, à propos du

droit conventionnel, dont la validité en droit interne est constitutionnellement conditionnée par une

procédure de transformation législative. La théorie de l'exécution soutient qu'une transformation du

droit international en droit interne n'est pas nécessaire pour l'application du droit international par les

organes internes, étant donné qu'ils disposent de la possibilité d'exécuter purement et simplement le

droit international. En d'autres termes, l'exécution de la norme internationale par un acte des organes

internes ne dépend d'aucune disposition interne : la norme internationale en question n'est pas

reproduite en droit interne, et les organes internes sont tenus de l'appliquer « dans le contexte du droit

international », sans que soient modifiés son fondement de validité (international) et sa sphère

d'application (déterminée par le droit international lui-même). La Commission conclut que

l'«exécution» est plus adaptée que la «transformation» à la structure de la relation entre le droit

international et le droit interne, sans pour autant être incompatible avec certains principes

constitutionnels, dont celui de l'État de droit, puisqu'il s'agit surtout de compléter la transformation du

droit international en droit interne qui est considérée comme « lacunaire », surtout en matière de traités

209 Cf. inter alia : Walter Rudolf, Völkerrecht und Deutsches Recht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen 1967, 323 p., spécialement p. 150-171 ; Karl Doehring, Völkerrecht : Ein Lehrbuch, 2ème édition, C.F. Müller, Heidelberg, 2004, 556 p. ; Philip Kunig, « Völkerrecht und staatliches Rechts », in : Wolfgang Vitzthum (éd.), Völkerrecht, 4ème édition, Walter de Gruyter, Berlin, 2007, 761 p., pp. 86-166 ; Rudolf Geiger, Grundgesetz und Völkerrecht, 5ème édition, C.H. Beck, Munich, 2010, 390 p.210 Cf. comme ouvrage de référence : Karl Josef Partsch, Die Anwendung des Völkerrechts im innerstaatlichen Recht, Überprüfung der Transformationslehre. Arbeiten der 1. Studienkommission der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht, C.F. Müller, Karlsruhe, 1964, 179 p., p. 13 et svtes. Cf. aussi les développements ultérieurs suivants (surtout à propos des traités internationaux) : Gerhard Boehmer, Der völkerrechtliche Vertrag im deutschen Recht, C. Heymanns, Cologne 1965, 115 p. ; Albert Bleckmann, Grundgesetz und Völkerrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1975, 407 p., spécialement pp. 285-291 ; Eckart Klein, « Anmerkung zu BVerfG, Beschluss v. 14.10.2004–2BvR 1481/04 », JZ 2004, pp. 1171-1178 (critique de la position de la Cour constitutionnelle fédérale, celle-ci combinant « théorie de la transformation » et « théorie de l'exécution ») ; Mehrdad Payandeh, op. cit. note 172, spécialement pp. 474-475.Dans la doctrine autrichienne, cf. Edwin Loebenstein, op. cit. note 178, spécialement pp.149-150.211 L'ouvrage de Karl Josef Partsch en est le compte-rendu : op. cit. note 210.. Cf. aussi certaines thèses antérieures qui peuvent sembler proches, telle celle de la « Geltungserstreckung » : Gustav Adolf Walz (1933), op. cit. note 204, spécialement, p. 218.

651

internationaux.

En résumé, selon la métaphore du Professeur Rudolf Geiger, la théorie de l'exécution « repousse la

cuirasse de la souveraineté »212. La théorie de l'«exécution», issue d'une idéologie favorable au droit

international proche du prétendu « monisme à primauté de droit international »213, ne permet en réalité

pas de rendre compte de l'état du droit positif. Globalement214, elle ne correspond ni à l'état du droit

international, qui ne commande pas une telle « exécution » du droit international par les organes

internes, parce que seul l'État en tant que sujet international est en principe immédiatement destinataire

des obligations internationales, ni à l'état des droits internes – et en particulier du système juridique

allemand qui contient plusieurs dispositions constitutionnelles formelles réglementant spécifiquement la

transformation du droit international en droit interne (principalement les articles 25 et 59 al. 2 LF).

B. Inclusion de l'application téléologique dans la transformation

En l'état des systèmes juridiques positifs, l'obligation adressée aux organes internes d'empêcher les

violations du droit international par l'État est rarement première. Généralement, le fondement de

l’applicabilité interne des normes internationales est une norme constitutionnelle qui dispose de leur

transformation, c’est-à-dire de leur appartenance au droit interne en tant que « composantes du droit

interne ». Il s'ensuit que les organes internes sont de prime abord supposés appliquer les normes

internationales « dans le contexte du droit interne ». Cela n'empêche pas que les organes internes

bénéficient d'une habilitation d'appliquer le droit international transformé en droit interne « dans le

contexte du droit international », afin d'empêcher les violations du droit international par l'État. En effet,

secondairement, c'est l'«effet récursif» du droit international dans la sphère interne qui justifie

principalement l'application téléologique du droit international par les organes internes, sur le

fondement donc des principes généraux du droit international transformés en droit interne.

L'application téléologique peut aboutir à des effets juridiques du droit international soit en deçà (1), soit

au-delà des effets juridiques découlant de la transformation « dans le contexte du droit interne » (2).

212 Rudolf Geiger, op. cit. note 209, p. 140.213 L'influence de l'idéologie sur la théorisation de la relation entre le droit international et le droit interne par la doctrine allemande est déjà relevée par : Carl Friedrich Ophüls, Das Problem der unmittelbaren innerstaatlichen Anwendbarkeit (self-executing) von Bestimmungen völkerrechtlicher Verträge und seine Anwendung auf die Gemeinschaftsverträge – Bericht von der Wissenschaftlichen Gesellschaft für Europarecht, Hamburg , W.E.J. Tjeenk Willink, Deventer, 1963, 31 p., p. 5. 214 Néanmoins, une certaine version de la doctrine de l'«exécution», proche de l'«implémentation», correspond davantage à l'état du droit positif. Selon celle-ci, les normes internationales en tant que telles sont amenées à être concrétisées par des «ordres d'exécution» des organes internes, sans qu'une transformation de la norme internationale en droit interne soit nécessaire. Les «ordres d'exécution» – comme toute autre norme interne – doivent alors satisfaire aux conditions de validité prévues par le système juridique interne. Cf. Karl Josef Partsch, op. cit. note 210, p. 147. La doctrine allemande de l'«exécution» paraît en réalité trop inconsistante pour analyser l'implémentation de manière systématique.

652

1. La réduction fonctionnelle des dispositions constitutionnelles formelles prévoyant la transformation

du droit international en droit interne

En ce qui concerne l'étendue de la sphère d'application, les effets juridiques de l'application téléologique

du droit international sont en-deçà de ceux qui découlent de la transformation « dans le contexte du

droit interne ». En effet, l'application téléologique implique une application du droit international

limitée aux seuls cas où sa non-application pourrait aboutir à une violation du droit international par

l’État. Ainsi, la Cour constitutionnelle allemande considère que toutes les possibilités d’une

« interprétation conforme » au droit international de l’acte juridique interne dont il est question doivent

être épuisées avant de constater une atteinte à une règle générale du droit international215. La démarche

du juge constitutionnel allemand ne consiste pas exclusivement à opposer la norme internationale et la

norme interne réglementant un même domaine matériel, qui pourront souvent paraître «contraires» ;

elle consiste aussi à vérifier, dans le contexte global, que l’acte juridique interne litigieux respecte les

autorisations souvent larges fixées par le droit international général ou particulier.

L'application téléologique entraîne éventuellement une restriction des effets juridiques de la

transformation. Elle implique en effet que seules les normes internes qui conduisent actuellement ou

potentiellement à une violation concrète du droit international par l’État soient amenées à être détruites

en raison de leur non-conformité au droit international. Et il s'agira le plus souvent de normes internes

particulières, à l'instar d'un refus d'immunité ou d'une décision de nationalisation, et non des

réglementations internes générales qui, en tant que telles, ne portent pas atteinte au droit international.

De telles restrictions sont néanmoins souvent limitées par le maintien parallèle d'une applicabilité du

droit international transformé en droit interne « dans le contexte du droit interne ». L’opinion dominante

de la doctrine allemande va en ce sens, en affirmant que l'article 25 LF ouvre la possibilité de contrôler

les normes internes par rapport au droit international non seulement par l'évaluation des conséquences

concrètes de la réglementation interne eu égard aux obligations internationales de l'État, mais aussi dans

le cadre d'un contentieux objectif classique.

2. L'extension de l'habilitation des organes internes par l'application téléologique ?

En ce qui concerne l'effet dérogatoire du droit international, les effets juridiques d'une application

téléologique intégrale du droit international sont supposés se situer au-delà de ceux découlant de la

transformation du droit international « dans le contexte du droit interne ». L'application téléologique

implique en effet d'empêcher l'application de toute norme interne dans tous les cas de violation actuelle

ou potentielle du droit international par l'État.

215 BVerfGE 64, p. 1 sqs. (20).

653

Les organes internes d’application du droit conçoivent ainsi parfois leur propre compétence de manière

extensive, afin de ne pas mettre l’État en situation de violation du droit international. Tel est le cas de la

Cour constitutionnelle fédérale allemande qui estime que les règles générales du droit international,

ainsi que les traités internationaux, « autorisent l'extension de son contrôle » afin d'empêcher ou de

supprimer les manquements au droit international qui pourraient justifier l'engagement de la

responsabilité internationale de l'État allemand216.

216 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78)

654

Chapitre 2

Les modalités de l'application téléologique du droit international par les organes internes

En droit international, un des aspects du principe dit de la «prééminence du droit international»1

consiste à interdire à un État de manquer à ses obligations internationales en invoquant son droit

interne, même de rang constitutionnel2. Les États ont la possibilité de se conformer au droit

international par au moins deux procédés internes cumulables3 :

1 C.I.J., 26 avril 1988, Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’Accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’O.N.U., Rec. p. 12 : « le principe fondamental en droit international de la prééminence de ce droit sur le droit interne ».2 Ce principe du droit international, qui vaut en matière de traités (art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités), vaut aussi en tant que principe du droit international en matière de droit international non conventionnel. A l'occasion de l’affaire du Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, la Cour permanente de justice internationale constate que : « d’après les principes généralement admis, […] un État ne saurait invoquer vis-à-vis d’un autre État sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur » (CPIJ, 4 février 1932, Série A/B, Rec. p. 24).Le prétendu «monisme à primauté du droit international» défendu par une tendance doctrinale généralise de manière contestable le « principe de prééminence du droit international sur le droit national », tel que valable dans le cadre de la relation générale entre le droit international et le droit interne, à la situation hiérarchique du droit international dans le cadre du droit interne. Cf. dans un tel sens avec des opinions plus ou moins radicales : Georges Scelle, Manuel de droit international public, Domat-Montchrestien, Paris, 1948, 1008 p., spécialement p. 21 (« Völkerrecht bricht Landesrecht »). ; Alfred Verdross, Bruno Simma, Universelles Völkerrecht, 3ème éd., Duncker & Humblot, Berlin, 1984, 956 p., § 73 ; Krystyna Marek, « Les rapports entre le droit international et le droit interne à la lumière de la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale », RGDIP, 1962, pp. 260-298 (« malgré son credo dualiste, la Cour a été amenée à examiner la conformité du droit interne avec le droit international, à proclamer la primauté de ce dernier, à atteindre une règle de droit interne, déclarée non conforme au droit international, dans sa validité interne, à faire pénétrer le droit international dans le droit interne avec effet prépondérant et, finalement, à appliquer le droit interne comme norme applicable au litige international », car « elle y a été contrainte par les nécessités de sa fonction. […]. Trop souvent, la théorie s’est réduite à des mots qui ne correspondaient pas aux réalités. Et ce n’est pas le nom – Schall und Rauch – qui importe, mais précisément les réalités juridiques », spécialement p. 298). Cf. aussi dans des études plus particulières : Alfred Verdross, « Staatliches Recht und Völkerrecht – Die Stellung der neuen deutschen und osterreichischen Verfassung zum Völkerrecht », Schweizerische Juristenzeitung, vol. 17, 1920, p. 246 et svtes ; Ernst C. Hellbling, « Art. 9 B-VG einmal einfach gesehen », in : Max Imboden, Friedrich Koja, René Marcic, Kurt Ringhofer, Robert Walter (éds), Festschrift für Adolf Merkl zum 80. Geburtstag, W. Fink, Munich – Salzbourg, 1970, 525 p., pp. 71-98, spécialement p. 73 et p. 91 et svtes ; Olivier Jacot-Guillarmod, « Fondements juridiques internationaux de la primauté du droit international dans l'ordre juridique suisse », Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins, vol. 120, 1984, pp. 227-244.3 Cf. déjà, l'analyse suivante qui part d'une analogie avec le droit international privé : Helmut Strebel, « Das Völkerrecht als Gegenstand von Verweisungen und Begriffsübernahmen, von Kollisionsregeln und Rezeption im nationalen Recht », ZaöRV, vol. 28, 1968, pp. 503-522. L'auteur dit que la méthode par laquelle le droit international s'applique uniquement aux « faits relevants » dans la sphère interne mène à de meilleurs résultats que la méthode dite de « transformation » qui attribue simplement un rang aux normes internationales dans la hiérarchie des normes. Le droit international est ainsi appliqué suivant ses propres conditions, et écarte seulement provisoirement l'application de la réglementation nationale en conflit, ne conduisant pas à son annulation, quel que soit par ailleurs le rang hiérarchique de la norme interne en

655

Les constitutions internes peuvent attribuer aux normes internationales transformées en droit interne un

rang dérogatoire supérieur aux normes de droit interne, soit une primauté d'application par rapport aux

normes internes. Un tel procédé paraît en lui-même limité, puisque c'est toujours en vertu de la

constitution que le droit international pourra prévaloir sur d'autres normes internes.

Dans la limite de leurs compétences fixées par la constitution, les organes internes d’application du

droit peuvent appliquer le droit international de telle manière à empêcher que l'État en son ensemble ne

soit en situation de violation du droit international dans la sphère internationale (« application

téléologique » du droit international). Étant donné que le droit international n'oblige en principe qu'à la

conformité des faits – et non des normes4 – à son contenu normatif5, il appartiendrait avant tout aux

organes internes d’application du droit d’empêcher dès que possible une situation de violation actuelle

ou potentielle du droit international. Parmi les organes internes, ceux qui agissent au degré le plus

concret de la production des normes – c'est-à-dire ceux qui sont les plus proches des « faits » – semblent

les mieux placés pour assurer une telle mission.

Quelques principes spécifiques caractérisent l'application téléologique du droit international (section 1).

Dans le cadre du contrôle du respect du droit international par les juridictions internes, l'application

téléologique du droit international, déjà délimitée par les habilitations internes, se heurte à certains

principes structurants de la relation entre droit international et droit interne (section 2).

Section 1 : Les principes spécifiques à l'application téléologique du droit international

Les principes les plus remarquables de l'application téléologique du droit international sont l'application

du droit international « en tant que tel » (I) et certaines règles de solution de conflit, parmi lesquelles on

trouve le principe dit d' « interprétation conforme » au droit international (II).

question.4 Les normes internes sont aussi constitutives d'un « fait » au sens du droit international ; cf. Carlo Santulli, Le statut international de l’ordre juridique étatique : Etude du traitement du droit interne par le droit international, A. Pedone, Paris, 2001, 540 p., spécialement pp. 259-2665 C.P.I.J., 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, série A, n°7.Hans Kelsen relève déjà la possibilité de la validité de normes internes « ne correspondant pas » au droit international ; cf. P.I.L. (1967), pp. 565-569 (traduction d'extraits en note supra « La doctrine de la responsabilité de l'État »).

656

I. l'application du droit international « en tant que tel » (per se)

La doctrine insiste souvent sur la distinction entre l'application du droit international « en tant que tel »

et l'application du droit international « en tant que droit interne », mais la terminologie apparaît en

réalité fluctuante et les incidences ne sont pas précisées6. Les Professeurs Christian Dominicé et

François Voeffray disent qu'il convient de distinguer entre l'«incorporation», par laquelle les normes

internationales conservent leur « nature internationale », et l'ainsi dite «transformation7», par laquelle

les normes internationales « subissent un processus de "transmutation" au terme duquel elles perdent

leur identité internationale et sont converties en règles nationales parallèles, identiques dans leur

contenu à la règle internationale8 ». Le terme d'«incorporation» semble peu approprié puisque, au

contraire du sens voulu par les auteurs, il renvoie métaphoriquement à l'idée d'appartenance au «corps»

de droit interne. En dépit de la terminologie initialement posée, les auteurs utilisent par la suite, dans

l'analyse qu'ils développent, les deux termes de manière indifférente, ce qui est sans doute significatif

des difficultés soulevées par une telle distinction.

L'affirmation d'une identité entre la norme internationale elle-même et la norme internationale telle

qu'applicable par les organes internes prête à discussion (A). Les effets propres en droit interne d'une

application du droit international « en tant que tel » se manifestent de surcroît de manière vague (B).

C'est actuellement la doctrine allemande, relayant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale,

qui expose l'analyse la plus approfondie en ce qui concerne la possibilité même de l'application interne

du droit international « en tant que tel ».

A. Le problème de l'identité de la norme

Gerald Fitzmaurice, ainsi qu'une partie considérable de la doctrine, affirme que le droit international

n'est pas applicable « en tant que tel » (per se) dans le système juridique interne, et ce parce que les

organes internes disposent d'une compétence sur le fondement du droit interne, et non sur celui du droit

6 Cf. par exemple : Bruno Simma, « Droit international coutumier et droit interne selon la Loi fondamentale », in : Michael Bothe, Raúl E. Vinuesa (éds), International Law and Municipal Law German-Argentinian Constitutional Law Colloquium, Buenos Aires avril 1979, Duncker & Humblot, Berlin, 1982, 325 p., pp. 117-128, p. 124 ; Theodor Schweisfurth, Völkerrecht, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 2006, 656 p., p. 201.7 La terminologie ici adoptée n'est pas identique à celle posée par ces auteurs : on utilisera le terme de « transformation » dans tous les cas, en précisant, lorsque cela est opportun, si le droit international doit être appliqué « en tant que tel » ou « en tant que droit interne ». 8 Christian Dominicé, François Voeffray, « L'application du droit international général dans l'ordre juridique interne », in : Pierre-Michel Eisemann (éd.), L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national, Kluwer, La Haye/Londres, 1996, 587 p., pp. 51-62, p. 53.

657

international9. Certes, la transformation entraîne une différenciation entre les normes internationales et

leurs reproductions dans la sphère interne, dont la forme est interne. Cependant, il se pourrait que les

dispositions constitutionnelles de transformation obligent les organes internes à appliquer le droit

international ainsi transformé de la manière la plus proche possible de leur contexte international, soit

implicitement, soit par effet récursif des principes généraux du droit international transformés en droit

interne. Aussi, mais il s'agit là d'une autre configuration, les organes internes d'application du droit

appliquent parfois immédiatement le droit international, donc le droit international « en tant que tel »10.

Le problème de l'identité de la norme se décompose en plusieurs sous-problèmes :

1. Le problème de l'identité formelle de la norme

La norme internationale transformée en droit interne est produite sur le fondement d'une norme interne,

de sorte qu'elle appartient au système juridique interne. Et il en résulte une validité différente de la

validité de la norme du droit international lui correspondant, soit une absence d'identité formelle. Cela

est admis par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, et ce, quand bien même elle conçoit aussi la

possibilité d'une application interne du droit international « en tant que tel ». Sa doctrine se résume dans

la formulation suivante, qui donne peut-être l'impression d'être équivoque : il existe un « ordre général

d’application du droit de l’article 25 LF sur le fondement duquel les règles générales du droit

international sont en tant que telles, avec leur portée respective de droit international, partie intégrante

du droit objectif en vigueur dans la sphère de souveraineté de la République fédérale d'Allemagne »11.

2. Le problème de l'identité de contenu de la norme.

Heinrich Triepel constate dès 1899, à propos du processus de transformation, que : « dans l'immense

majorité des cas […], la loi interne12 dépendra certes et doit dépendre d'une règle de droit international,

mais elle doit mettre au jour une règle juridique dont le contenu n'est pas le même ; il ne s'agit pas dans

une telle appropriation d'une réception13, mais d'une reproduction sous forme modifiée.[…] L'admission

du droit international, sans modification de son contenu, dans les cadres du droit interne est possible et

se produit – mais dans une très faible mesure14 ». Heinrich Triepel admet donc la possibilité d'une

reproduction à l'identique de la norme internationale en droit interne, dans la mesure toutefois où elle ne

9 Gerald Fitzmaurice, « The General Principles of International Law Considered from the Standpoint of the Rule of Law », RCADI, vol. 92, 1957, pp. 1-227, spécialement pp. 70-80. Plus récemment, cette affirmation est centrale dans la thèse de doctorat du Professeur Carlo Santulli : op. cit. note 4.10 Cf. supra : « l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation ».11 BVerfGE 46, p. 342 sqs (403) ; « [generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 GG, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts] als solche mit ihrer jeweiligen völkerrechtlichen Tragweite Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».12 La notion de « loi interne » renvoie ici à la « norme internationale transformée ».13 La réception est ainsi définie par l'auteur : « Il ne peut […] y avoir jamais réception du droit international par l'État, quand le contenu de la règle étatique ne correspond pas exactement au contenu de la norme internationale. Toute modification du droit […] exclut la notion de réception juridique » , p. 167 (cf. référence note suivante).14 Heinrich Triepel, Droit international et droit interne, trad. René Brunet, A. Pedone, Paris, 1920, 448 p., p. 111.

658

concerne que le contenu de la norme transformée au droit interne, et non la forme de la norme.

Cependant, il ne paraît pas évident que la reproduction à l'identique de la formulation de la norme

internationale suffise à maintenir l'identité de contenu. En effet, si rien n'exclut qu'on puisse formuler de

la même manière la norme internationale en question en droit international et en droit interne, son

contenu normatif se modifie tout de même puisque qu'elle ne prévoira pas les mêmes droits et

obligations dans la sphère interne que ceux qu'elle prévoit originellement dans la sphère internationale 15

16. La modification de la sphère d'application personnelle des normes internationales en offre un

exemple. Tandis que la norme internationale a pour destinataire immédiat un ensemble d'États

souverains, la norme interne correspondante s'adresse immédiatement aux organes internes ainsi qu'aux

particuliers d'un seul des États destinataires de la norme internationale en question17 18.

B. La distinction entre les effets juridiques d'une application des normes internationales « en tant que

telles » (per se) et les effets juridiques d'une application des normes internationales « en tant que droit

interne »

La différenciation entre la norme interne et la norme internationale dont elle est la reproduction

n'empêche pas qu'il reste possible pour un organe interne de l'appliquer de manière à s'éloigner le moins

possible de sa normativité internationale d'origine (2). La possibilité pour l'organe interne de l'appliquer

de manière autonome du droit international, c'est-à-dire « dans le contexte du droit interne », n'est pas

non plus à exclure (1). Dans l'indétermination du texte constitutionnel, la pluralité des solutions

possibles implique au final qu'aucune solution ne doit être fixée par la doctrine, car cela reviendrait à

réduire les possibilités autorisées par la constitution19.

15 Pour certains auteurs de tendance dualiste, cela rend même en principe la transformation des normes internationales en droit interne impossible : seules les normes déjà destinées dans la sphère internationale à « causer des effets juridiques en droit interne »' sont aptes à une telle transformation. Cf. Walter Rudolf, « Incorporation of Customary International Law into Municipal Law », in : Grigory I. Tunkin, Rüdiger Wolfrum (éds), International law and municipal law : proceedings of the German-Soviet Colloquy on International Law at the Institut für Internationales Recht an der Universität Kiel, 4 to 8 May 1987, Duncker & Humblot, Berlin, 1988, 210 p., pp. 24-40, spécialement pp. 28-29.16 Cf. généralement : Helmut Strebel, op. cit. note 3.17 En ce sens, cf. inter alia : Edwin Loebenstein, « Die allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechts und das staatliche Verfassungsrecht », in : Alois Mock, Herbert Schambeck (eds), Verantwortung in unserer Zeit – Festschrift für Dr. Rudolf Kirchschläger, Österr. Staatsdruckerei, Vienne, 1990, 278 p., pp. 143-155, spécialement pp.149-150.18 Sous réserve de la question de l'applicabilité médiate des normes internationales transformées en droit interne aux États tiers dans le cadre du droit interne ; cf. généralement inter alia : Georg Dahm, « Völkerrechtliche Grenzen der inländischen Gerichtsbarkeit gegenüber ausländischen Staaten », in : Festschrift für Arthur Nikisch : zum 70. Geburtstag am 25.11.1958, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), Tübingen, 1958, 361 p., pp. 154-183.19 Heinz Schäffer, Verfassungsinterpretation in Österreich : eine kritische Bestandsaufnahme, Springer, Vienne/New York, 1971, 228 p., p. 68.

659

1. Caractérisation de l'application du droit international « en tant que droit interne »

La norme internationale est applicable en droit interne comme toute norme de droit interne, pour toutes

les situations internes, y compris celles pour lesquelles le droit international n'impose pas d'obligation.

Dans le « contexte du droit interne », la norme en question peut être pourvue d'effets juridiques éloignés

de ceux de la norme internationale lui correspondant en droit international, et ce, même si elle n'en est

que la reproduction interne (identique dans sa formulation).

Soit la norme internationale « l'État dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour les troubles internes ». Sa

reproduction par transformation dans le contexte interne, sous la seule formulation « l'État dispose d'un

pouvoir discrétionnaire pour les troubles internes », devient, une fois détachée du contexte de droit

international, susceptible de prévaloir sur d'autres normes internes qui ont quant à elles pour objet

d'encadrer l'intervention de l'État dans la répression des troubles internes. Le cas de la protection

diplomatique offre un autre exemple. Le droit international oblige de manière générale les États à

respecter certains standards minimums de traitement des étrangers. Cependant, la garantie de ces

standards constitue, dans le cadre de la protection diplomatique, un droit de l'État dont ils sont les

ressortissants, et non des individus eux-mêmes se situant sur un territoire étranger. Et l'État est autorisé

à renoncer à l'exercice d'un tel droit20, soit par décision expresse21, soit en ne s'en prévalant pas en cas de

violation. La transformation « dans le contexte du droit interne » du principe du droit international

imposant un standard de traitement minimum des étrangers a éventuellement pour effet juridique de

modifier le contenu juridique du droit interne en ouvrant de manière systématique des voies de recours

juridictionnelles à disposition des étrangers à l'encontre l'État, et ce, alors même que le droit

international général n'oblige aucunement à une telle protection22. Il est aussi envisageable que des

voies de recours soient ouvertes aux citoyens de l'État afin de l'obliger à protéger leurs intérêts à

l'étranger par la voie de la protection diplomatique. La Cour constitutionnelle autrichienne considère

néanmoins dans une décision du 27 juin 198023, à propos d'un traité international conclu entre l'Autriche

et la Pologne réglementant l'indemnisation des ressortissants autrichiens pour les confiscations subies,

qu'aucune obligation de protéger ses citoyens d'une manière déterminée en matière de droits privés

acquis ne pèse sur l'État autrichien, sans quoi l'État « serait obligé d'obtenir un résultat spécifique ».

20 Selon Hans Kelsen (1966) : « It can hardly be denied that states may by a valid treaty renounce in their mutual relations the right of exercising protection over their own citizens, a right conferred upon them by international law » ; cf. P.I.L., p. 483. L'état du droit international n'a pas changé ; on ne relève en effet actuellement aucune norme de ius cogens, susceptible de prévaloir sur le droit conventionnel, qui obligerait les États à ne pas renoncer à protéger leurs propres citoyens.21 Tel est le cas, par exemple, lorsque l'État renonce à protéger certains de ces citoyens indésirables pour des raisons politiques (cas des émigrés ayant pris parti dans une guerre civile ou un processus révolutionnaire pour le vaincu ; pour illustration, cf. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « Du droit d'interner des étrangers selon la jurisprudence autrichienne », AFDI, volume 2, 1956. pp. 516-519).22 A propos de ce problème en matière de droit des étrangers, cf. supra « Le cas du droit des étrangers » ; cf. aussi généralement : Louis Dubouis, « La distinction entre le droit de l'État réclamant et le droit du ressortissant dans la protection diplomatique », RCDIP, 1978, pp. 615-640. 23 VfSlg. 8872.

660

Les organes internes ne privilégient habituellement pas une application du droit international transformé

en droit interne « dans le contexte du droit interne »24. De manière générale, les normes internationales

sont appliquées de la manière la plus proche possible de ce qui est exigé, ou permis, par le droit

international lui-même.

2. La restriction des effets de la transformation par l'application du droit international « en tant que tel »

Le principe de l'application du droit international « en tant que tel » est souvent présenté par la doctrine

comme opérant une extension de la sphère d'application des normes internationales dans la sphère du

droit interne. Il n'en va pourtant pas nécessairement ainsi. En effet, la sphère d'application de la norme

internationale transformée en droit interne, mais tout de même applicable « en tant que norme

internationale », tend en réalité à se restreindre aux situations internationalement pertinentes, donc

lorsqu'il s'agit d'empêcher une violation actuelle ou potentielle du droit international par l'État. Et il

s'ensuit la mise à l'écart des effets surérogatoires – « au-delà de ce qui est obligatoire » en l'état du droit

international – qui pourraient potentiellement résulter de la transformation du droit international en

droit interne. Par exemple, dans le cas du droit des étrangers, cela aboutit à ce que les autorités

administratives demeurent compétentes pour décider à leur discrétion de l'expulsion des étrangers 25, ou

encore que les autorités diplomatiques conservent leur autorisation de refuser la protection des

nationaux à l'étranger26. L'exécution de décisions individuelles prises sur de tels fondements ne

constitue en effet aucunement une violation du droit international.

Le seuil de proximité atteignable varie selon la norme internationale en question. Certains principes

structurants du droit international paraissent peu adaptés, une fois transformés en droit interne, à une

application « en tant que droit interne ». Tel est le cas du principe pacta sunt servanda qui, par

transformation en droit interne, pourrait constituer un fondement à la validité interne des traités

internationaux, en concurrence donc avec les dispositions constitutionnelles formelles relatives à la

normativité interne des traités27. Il en va de même du principe d'indifférence du droit international par

rapport au droit interne : il ne peut se concevoir « dans le contexte du droit interne » comme une

autorisation d'écarter l'application des normes internationales, étant donné que cela priverait de sens les

dispositions constitutionnelles prévoyant expressément la transformation du droit international en droit

24 Le cas de l'article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase LF soulève sur ce point des problèmes particuliers ; une certaine position doctrinale affirme en effet qu'il convient de re-contextualiser l'effet direct des « règles générales du droit international » dans le cadre du droit interne. 25 Telle est la solution traditionnelle du Conseil d'État français ; cf. Muriel Vigroux-Echegut, « Le contrôle de la qualification juridique des faits dans le contentieux de l'expulsion des étrangers », Revue trimestrielle des droits de l'homme, 2000, pp. 479-502. Le juge administratif exerce anciennement uniquement un contrôle minimum sur la légalité des décisions d'expulsion des étrangers (CE, 24 octobre 1952,' Eckert, Rec. p. 467; 18 mars 1955 Hamou Ben Brahim, Rec. p. 168)26 Cf. en droit administratif français : CE. 9 janvier 1952, Gény, Rec. p. 19.27 Friedrich Berber, Lehrbuch des Völkerrechts, tome I – Allgemeines Friedensrecht, 2ème éd., C.H. Beck, Munich, 1975, 515 p., p. 100.

661

interne.

Rien n'exclut la possibilité d'une application cumulative du droit international « en tant que tel » et « en

tant que droit interne ». La Cour constitutionnelle fédérale allemande privilégie ainsi cette solution dans

la perspective d'assurer une application maximale du droit international dans la sphère interne. Le

contentieux juridictionnel allemand est simultanément ouvert à un contrôle de conformité des normes

internes par rapport au droit international lui-même, ce qui pose la question des conséquences concrètes

de l'application des normes internes relativement aux obligations internationales de l'État, et à un

contrôle de conformité classique des normes internes par rapport aux normes internationales « en tant

que composantes du droit objectif en vigueur »28. Dans le cadre d'un tel contrôle de conformité par

rapport au droit international, les normes internes litigieuses sont susceptibles d'être annulées dans

toutes sortes de situations où elles ne « correspondent » pas aux données du droit international, ce qui

va au-delà de ce qui est exigé par le droit international lui-même, qui est en principe indifférent au

contenu du droit interne.

Outre l'application du droit international « en tant que tel », certaines règles de solution de conflit se

rattachent à l'application téléologique du droit international.

II. Les règles de solution de conflit propres à l'application téléologique du droit international

Certaines règles de solution de conflit caractérisent l'application téléologique du droit international :

positivement, la plupart des prétendus conflits entre droit international et droit interne dans la sphère du

droit interne peuvent être résolus par conciliation, en l'occurrence dénommée par la doctrine dominante

28 Cf. BVerfGE 18, p. 448 ; BVerfGE 23, p. 316 : « procédure de la transformation du droit interne par le droit international public incorporé en droit fédéral ».Cf. aussi plus récemment BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363) : « Aus Ziel und Zweck der Art. 25, 100 Abs. 2 GG ergibt sich indes, daß über diese Art allgemeiner Regeln hinaus für ein Vorlageverfahren auch jene allgemeinen Regeln des Völkerrechts in Betracht kommen, die nach ihrem Regelungsgehalt und Adressatenkreis subjektive Rechte oder Pflichten des privaten Einzelnen auf der Ebene des Völkerrechts nicht begründen oder verändern, sondern sich dort ausschließlich an Staaten oder sonstige Völkerrechtssubjekte richten. Kraft des generellen Rechtsanwendungsbefehls, den Art. 25 Satz 1 GG erteilt hat, sind auch diese Art allgemeiner Regeln des Völkerrechts in ihrer jeweiligen Tragweite als Bestandteil des Bundesrechts mit Vorrang vor den Gesetzen von allen rechtsetzenden und rechtsanwendenden Organen der Bundesrepublik Deutschland als Normen objektiven Rechts zu beachten und je nach Maßgabe ihres Tatbestands und Regelungsgehalts anzuwenden. Der private Einzelne - wie der fremde Staat - kann sich im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland im Rahmen des jeweiligen Verfahrensrechts auch auf diese allgemeinen Regeln des Völkerrechts ebenso "berufen" wie auf sonstiges objektives Recht, wiewohl sie in diesem Rahmen auch ohne solche Berufung von Amts wegen zu beachten sind. Sie können sich - je nach ihrem Inhalt und in der Regel als Vorfrage - auf das rechtliche Begehren des Einzelnen als objektives Recht auswirken und damit entscheidungserheblich sein. In diesem Sinne können auch sie Rechtswirkungen für und gegen den Einzelnen erzeugen. »

662

« interprétation conforme au droit international » (B) ; négativement, c'est-à-dire en l'absence de

possibilité d'une conciliation, la seule suspension de l'application des normes internes « ne

correspondant pas » au droit international – et non leur destruction définitive par annulation – est dans

la plupart des cas suffisante pour assurer un comportement de l'État conforme au droit international (B).

A. La résolution des « conflits » par la conciliation (démarche positive)

La doctrine dominante présente le principe d'« interprétation conforme au droit international », parfois

dite « interprétation compatible » (« völkerrechtskonform Auslegung » ; en anglais : « interpretation

favouring international law » ou « consistent interpretation »), comme ouvrant la voie d'une

conciliation entre le droit international et le droit interne dans la sphère du droit interne.

1. Définition du principe dit d'« interprétation conforme au droit international »

Selon les Professeurs Gerrit Betlem et André Nollkaemper, « le principe d'interprétation conforme est

celui qui exige des juridictions internes d'interpréter le droit national conformément à une norme du

droit international, en vue d'assurer qu'un effet est donné à la norme internationale en question 29 ». Les

Professeurs Christian Dominicé et François Voeffray le définissent plus brièvement : lorsqu'une

« disposition [interne] se prête à plusieurs significations, elle sera interprétée de manière conforme au

droit international30 ».

L'obligation d'« interprétation conforme au droit international » ne relève pas en vérité de

l'interprétation31. Elle signifie que si un organe interne a l'obligation d'appliquer prioritairement le droit

interne sur le droit international, il doit si possible appliquer le droit interne de manière à ne pas violer

le droit international ou, du moins, à en minimiser la violation 32. Cela s'analyse en une restriction du

pouvoir discrétionnaire des organes internes dans la concrétisation des normes internes. Si un organe

interne dispose du choix entre plusieurs possibilités pour concrétiser une norme de droit interne, il est

29 Gerrit Betlem, André Nollkaemper, « Giving Effect to Public International Law and European Community Law before Domestic Courts. A Comparative Analysis of the Practice of Consistent Interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589, p. 571 (ma traduction).30 Christian Dominicé, François Voeffray, op. cit. note 8, p. 55.31 A comparer avec le « principe d'interprétation conforme à la constitution » tel que décrit par le Professeur Otto Pfersmann : « The so-called interpretation in conformity […] consists in the ruling that a legislative provision which has at least two meanings is considered to be constitutional under one (or more) meaning(s) and not under another meanings (or meanings). […]. This technique supposes indeed interpretation in order to verify the various meanings of the relevant provisions, but its very operation consists in a partial annulment and in certain cases the substitution by alternative provisions. It hence is not review, but alternative law-making. » ; cf. « Concrete Review as Indirect Constitutional Complaint in French Constitutional Law : A Comparative Perspective », European Constitutional Law Review, vol. 6, 2010, pp. 223-248, spécialement p. 225 note 7. 32 Dans le même sens : Mehrdad Payandeh, « Völkerrechtsfreundlichkeit als Verfassungsprinzip », JöR, vol. 57, 2009, pp. 465-502, spécialement p. 485 et svtes.

663

tenu de choisir la solution qui entraîne la moindre violation du droit international. Le principe pourra

alors se formuler ainsi : « Le droit international est appliqué si possible, mais il est appliqué

secondairement par rapport au droit interne ».

2. Le fondement de l'« interprétation conforme au droit international »

La plupart des systèmes juridiques internes semblent contenir le principe d'« interprétation conforme au

droit international »33. Lawrence Preuss constate dès 1950 que : « les tribunaux français adoptent la

règle apparemment universelle que le droit international doit être interprété en présumant que le

législateur n'a pas l'intention de violer les obligations internationales34 ». Suivant les observations de la

doctrine dominante, l'existence d'un principe d'« interprétation conforme au droit international » ne

semble que marginalement lié aux normes constitutionnelles relatives au droit international : rien

n'interdit sa mise en œuvre lorsque la constitution limite par ailleurs l'applicabilité ou l'effet dérogatoire

des normes internationales. La question est dès lors celle du fondement de l'obligation d'«interprétation

conforme au droit international».

Une partie de la doctrine soutient qu'il existe une pré-donne selon laquelle un État ne veut pas

intentionnellement que ses normes internes soient en violation du droit international

(« Völkerrechtsfreundlichkeit »). Une présomption de compatibilité organise la relation entre le droit

international et le droit interne. Même si les organes internes d'application du droit sont tenus

d'appliquer prioritairement le droit interne, « une norme de droit interne, qui semble de manière

ostensible être en conflit avec une norme de droit international doit, si possible, être toujours interprétée

de manière à éviter un tel conflit »35. Il s'agit sans doute là d'une simplification excessive de l'état du

33 Cf. inter alia pour une comparaison entre le système juridique des Pays-Bas et du Royaume-Uni : Gerrit Betlem, André Nollkaemper, op. cit. note 29. Cf. aussi spécialement à propos du droit de l'Union européenne : Jan Wouters, Dries Van Eeckhoutte, Giving Effect to Customary International Law through European Community Law, Université catholique de Louvain, Institute for International Law, Working Paper n° 25, Juin 2002, 49 p., spécialement p. 47 ; spécialement à propos du droit français : Sophie Laugier-Deslandes, Les méthodes d'interprétation du juge français face au droit international, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2001, 640 p. ; spécialement à propos du droit allemand : Rudolf Bernhardt, « Völkerrechtskonforme Auslegung der Verfassung ? : verfassungskonforme Auslegung völkerrechtlicher Verträge ? », in : Hans-Joachim Cremer, Thomas Giegerich, Dagmar Richter, Andreas Zimmermann (éd.), Tradition und Weltoffenheit des Rechst, Festschrift für Helmut Steinberger, Springer, Berlin/Heidelberg/New York, 2002, 1483 p., pp. 391-400 ; le Professeur Alexander Balthasar soutient que le principe d'interprétation conforme est transformé en droit interne autrichien par l'article 9 B-VG ; cf. « Pacta sunt servanda – Zur innerstaatlichen Relevanz von durch Staatsverträge eingegangene Verpflichtungen Österreichs », ZÖR, vol. 50, 1996, pp. 161-193., spécialement pp. 169-171 (à propos des traités internationaux).34 Lawrence Preuss, « Droit international et droit interne dans la Constitution française de 1946 », Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, 1951, pp. 199-221, pp. 203-204.35 Suivant Hersch Lauterpacht : « A rule of municipal law, which ostensibly seems in conflict with the Law of Nations, must […] if possible, always be interpreted as to avoid such conflict. » ; cf. Lassa Oppenheim, Hersch Lauterpacht, International Law : a treatise, vol. 1 : Peace, 8ème éd., D. McKay, Londres/New York/Toronto, 1955, 1072 p., p. 45, § 23. Cf. aussi inter alia : Stephane Beaulac, « Westphalia, Dualism and Contextual Interpretation: How to Better Engage International Law in Domestic Courts », EUI Working Paper, MWP 2007/03, disponible sur : https://papyrus.bib.umontreal.ca/jspui/bitstream/1866/3083/1/MWP_2007_03.pdf ; Gerrit Betlem, « The Doctrine of Consistent Interpretation—Managing Legal Uncertainty », Oxford Journal of Legal Studies, vol. 22, 2011, pp. 397-418 ;

664

droit, qui reste néanmoins significative d'une certaine composante de celui-ci.

La doctrine s'accorde globalement à considérer que le principe d'« interprétation conforme au droit

international » ne découle pas de l'applicabilité directe du droit international. En d'autres termes, le

principe d'« interprétation conforme au droit international » n'est pas fondé sur le droit international lui-

même, mais sur une norme de droit interne36 ; l'effet du droit international est donc dit indirect, soit par

l'intermédiaire d'un principe de droit interne37. Plusieurs normes de droit interne sont susceptibles de

fonder un tel principe d'« interprétation conforme au droit international » :

i. Le principe d'« interprétation conforme au droit international » peut résulter de la compétence

discrétionnaire des organes d'application du droit. En l'absence d'autres obligations internes prioritaires,

les organes d'application internes choisissent de se conformer au droit international dans la mesure de

ce qui est permis. Le principe d'« interprétation conforme au droit international » ne serait pas ainsi une

obligation juridique, mais la conséquence de la bienveillance des organes internes d'application du droit

envers le droit international.

ii. L'« interprétation conforme au droit international » pourrait trouver son fondement dans une norme

constitutionnelle explicite ou implicite qui oblige de manière plus ou moins déterminée les organes

internes à appliquer le droit international. Même dans les situations où les organes d'application du droit

produisent des normes indépendamment du droit international, certains effets juridiques de l'obligation

constitutionnelle de respecter celui-ci se maintiennent. En ce sens, la Cour constitutionnelle fédérale

allemande soutient clairement, à l'occasion d'un arrêt en date du 19 septembre 200638, que l'obligation

André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, 250 p.36 L'opinion contraire selon laquelle il existe une obligation internationale d' « interprétation conforme » semble être soutenue par le juge Hersch Lauterpacht dans son opinion individuelle exprimée à propos de l'affaire Certains emprunts norvégiens : « Je ne puis considérer comme certain qu'en admettant que la législation norvégienne en la matière soit contraire au droit international dans la mesure où elle touche aux étrangers. aucun recours n'est possible en droit norvégien. Il existe une tendance dans la pratique des tribunaux de nombreux États à regarder en quelque sorte le droit international comme partie du droit interne, ou comme rentrant légitimement dans la notion nationale d'ordre public. Bien que le Gouvernement norvégien ait reconnu qu'en aucun cas un tribunal norvégien ne peut écarter une loi norvégienne pour le motif qu'elle est contraire au droit international, il a affirmé la possibilité qu'un tribunal norvégien estime que le droit international fait partie du droit du Royaume, au point qu'il faille, si possible, interpréter la loi norvégienne en question de manière à ne pas lui imputer l'intention ou l'effet de violer le droit international. » ; cf. C.I.J., 6 juillet 1957, Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), Rec. 1957, pp. 40-41). Cf. aussi : Felice Morgenstern, « Judicial Practice and the Supremacy of International Law », BYIL, vol. 27, 1950, pp. 42-92, spécialement pp. 85-86.37 Cette distinction appelle des précisions : la mise en œuvre interne de l'«applicabilité directe» du droit international suppose aussi généralement une norme interne habilitant les organes internes à concrétiser le droit international général. L'effet du droit international reste organiquement indirect. Mais, dans le cas de l'«applicabilité directe», les normes internationales sont obligatoires pour ces organes sans l'intermédiaire d'une norme de droit interne leur attribuant une valeur interne. Le droit international est ici, contrairement au cas de l'«interprétation conforme au droit international», matériellement direct. 38 BVerfG, 2 BvR 2115/01 en date du 19 septembre 2006 : « Es ist Ausdruck der Völkerrechtsfreundlichkeit des Grundgesetzes, dass dieses nach Möglichkeit so auszulegen ist, dass ein Konflikt mit völkerrechtlichen Verpflichtungen der Bundesrepublik Deutschland nicht entsteht ». On trouve une abondante jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande en ce qui concerne l'obligation d'interprétation conforme : BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34); 59, p. 63 sqs. (89); 64, p. 1 sqs. (20); 74, p. 358 sqs. (370) ; 111, p. 307 sqs. (317).

665

d'«interprétation conforme» au droit international découle du principe constitutionnel implicite

d'ouverture du droit allemand au droit international : « un des aspects de l'ouverture de la Loi

fondamentale au droit international est que la Constitution doit être interprétée autant que possible de

sorte que ne se forme pas un conflit avec les obligations internationales de la République fédérale

d'Allemagne ». Cela vaut aussi de manière inverse pour les lois ordinaires, qui cèdent en principe en cas

de collision avec le droit international général en droit allemand (article 25, phrase 2 LF), mais dont

l'application ne doit être empêchée que dans le cas où aucune autre solution n'est possible eu égard aux

obligations internationales de l'État39.

3. Le principe d'« interprétation conforme au droit international » en tant que mécanisme d'évitement

des conflits

La doctrine présente souvent le principe d'« interprétation conforme au droit international » comme un

« mécanisme d'évitement des conflits »40. Ainsi, Mademoiselle Dana Burchardt remarque que : « Pour

empêcher des normes nationales et internationales d'entrer en conflit, les autorités qui appliquent une

des normes en question vont tout d'abord essayer d'assurer la compatibilité des règles concernées en

recourant à l'interprétation »41. En raison de la structure de la relation entre droit international et droit

interne, une telle démarche dite d'« interprétation conforme » ne semble en réalité pas nécessaire pour

opérer une prétendue conciliation entre le droit international et le droit interne.

Dans la plupart des cas, le «conflit» entre une norme interne et une norme internationale n'est

qu'apparent. Le droit international n'oblige en principe pas les normes internes elles-mêmes à être

conformes au contenu du droit international, et il s'ensuit que le «conflit» entre une norme interne et le

droit international lui-même n'existe pas généralement42. Cela n'empêche pas pour autant l'existence en

droit interne d'une obligation surérogatoire d'« interprétation conforme au droit international ».

39 BVerfGE 74, p. 358 - Unschuldsvermutung (arrêt en date du 26 mars 1987). 40 Dana Burchardt, « La primauté sous réserve – une analyse comparative de la hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes », actes du VIIIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel – Mexico, 6-10 décembre 2010, 20 p. (format PDF), p. 11.41 Ibid. pp. 11-12.42 Le droit international ne contient pas de procédure de contrôle de conformité des normes de droit internes par rapport aux normes internationales. Dans le cas où une décision interne aboutit à une violation du droit international, le droit international sanctionne l'État par l'engagement de sa responsabilité internationale, et non par la destruction de la norme interne prétendument « contraire ». Cette situation s'analyse ainsi : la norme interne n'est pas en tant que telle en violation du droit international ; c'est le comportement de l'État éventuellement prévu par la norme interne prétendument « contraire » qui constitue une violation du droit international. Cf. C.P.J.I., arrêt, 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond) (Allemagne/Pologne) : « la Cour n'est certainement pas appelée à interpréter la loi polonaise comme telle ; mais rien ne s'oppose à ce qu'elle se prononce sur la question de savoir si, en appliquant ladite loi, la Pologne agit ou non en conformité avec les obligations que la Convention de Genève lui impose envers l'Allemagne » ; Rec. série A, n° 7, p. 19. Cf. aussi : C.P.I.J., arrêt, 26 mars 1925, affaire des Concessions Mavrommatis à Jérusalem, Rec., série A, n° 5, p. 29 ; C.P.I.J., arrêt, 28 février 1939, Chemin de fer Panevezys- Saldutiskis, Rec., série A/B, n° 76, p. 18 ; C.I.J., arrêt, 20 juillet 1989, Elletronica Sicula, Rec. 1989 p. 51 ; C.I.J., arrêt, 14 février 2002, Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, Rec. 2002, pp. 27-30.

666

Le droit interne peut quant à lui exiger la conformité des normes internes par rapport au contenu

normatif du droit international, et rien n'exclut la possibilité d'un «conflit» entre une norme

internationale transformée en droit interne et une autre norme de droit interne. La positivité de ce

«conflit» dans la sphère du droit interne dépend de la transformation du principe d'indifférence du droit

international en droit interne. Si ce principe formel du droit international est transformé dans toute son

étendue en droit interne, il en résulte l'évacuation de la plupart des «conflits» entre normes

internationales transformées en droit interne et autres normes internes. En effet, dans cette

configuration, le principe d'indifférence, en tant que composante du droit interne, écarte par effet

récursif une éventuelle obligation de conformité des normes de droit interne par rapport aux normes

internationales, même transformées en droit interne. Il en va autrement si le principe d'indifférence du

droit international n'est pas transformé en droit interne ou ne l'est que de manière restreinte : la

probabilité d'un conflit devient beaucoup plus élevée, étant donné que le contenu d'une norme interne

doit être conforme au contenu de l'ensemble des normes internationales qui réglementent le même

domaine d'application que la norme interne en question. Par ailleurs, un autre principe du droit

international apparaît aussi limitatif du nombre de conflits : le droit international n'oblige en principe

qu'à une situation interne globalement conforme au droit international, à l'instar, entre autres, du seuil

de consistent pattern de violation des droits de l'homme. Une violation isolée du contenu du droit

international dans un cas particulier n'est en principe pas prohibée par le droit international, de sorte

qu'il existe sur le fondement du droit international lui-même une certaine autorisation pour les organes

internes de lui déroger occasionnellement.

Le problème des conflits potentiels entre normes internationales et normes internes est lié aux effets de

la norme constitutionnelle qui dispose de la transformation du droit international en droit interne : soit

cette norme transforme le droit international en droit interne « dans le contexte du droit international »,

ce qui limite grandement les possibilités de conflits, étant donné que les principes formels du droit

international (principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne et plus largement

le principe de souveraineté de l'État) n'obligent pas l'État à appliquer les normes internationales au

détriment de ses normes internes ; soit la norme constitutionnelle transforme le droit international en

droit interne « dans le contexte du droit interne » : la réglementation constitutionnelle restreint les effets

juridiques internes des principes du droit international limitatifs de l'effet dérogatoire du droit

international, et les normes internationales doivent dès lors être appliquées suivant les mêmes modalités

que les autres normes internes.

4. principe d'« interprétation conforme au droit international » ordinaire et extra-ordinaire

Le principe d'« interprétation conforme au droit international » connaît une variante ordinaire et une

variante extra-ordinaire :

667

i. En sa variante ordinaire, le principe d'« interprétation conforme au droit international » consiste en ce

que, en plus d'appliquer leur obligations internes habituelles, les organes d'application du droit doivent

aussi appliquer les normes internationales. Entre plusieurs solutions possibles, ils sont tenus de

privilégier celle qui respecte le plus le droit international43.

Le principe d'« interprétation conforme » ne paraît ici nullement original. Il s'analyse comme une

obligation de conformité, premièrement à la norme interne en question, puis secondairement au droit

international. La seule caractéristique de l'« interprétation conforme » qui la distingue d'une simple

relation entre normes réglementée par le principe lex superior tient à son aspect téléologique : il s'agit

d'empêcher une violation du droit international par l'État lui-même, et non pas uniquement de la

prévalence d'une forme normative sur une autre. La Cour suprême autrichienne considère que : « les

règles généralement reconnues du droit international doivent être prises en compte dans tous les cas,

également pour l'évaluation des questions juridiques internes (interprétation). Le juge, en tant qu'organe

administrateur de l'État, doit veiller à ce que la décision ne soit pas seulement conforme au droit

interne, mais aussi aux obligations internationales de l'État44. »

ii. En sa variante extra-ordinaire, le « principe d'interprétation conforme au droit international » opère

dans les situations d'applicabilité directe du droit international. Les organes internes d'application du

droit cherchent d'abord par la technique dite d'« interprétation conforme au droit international » à

appliquer simultanément leurs obligations internes et internationales. Si cela s'avère impossible,

l'application prioritaire de la norme internationale en question est alors envisagée par les organes

internes (par exemple, en matière d'immunités de juridiction de l'État étranger).

B. La suspension de l’application des normes internes susceptibles d'aboutir à une violation des

obligations internationales de l'État (démarche négative)

L'application téléologique du droit international par les organes internes, c'est-à-dire de manière à

43 Le Conseil d'État français est réputé pratiquer une telle « interprétation conforme au droit international », cf. Conseil d'État, 3 juillet 1996, Moussa Koné. Le Professeur Louis Dubouis écrit, à propos de cette affaire qui voit un principe fondamental reconnu par les lois de la République prévaloir sur un traité international particulier : « Si le Conseil d'État tourne ainsi le dos à l'interprétation fondée sur les principes du droit international, c'est en réalité pour trancher un conflit entre un traité et une norme constitutionnelle. En réalité sous couvert de l'interprétation, le Conseil d'État établit une réserve de constitutionnalité. Il exerce un contrôle de constitutionnalité au fond. » ; cf. « Droit international et juridiction administrative », Répertoire Dalloz Droit international, 1998, n°63 et 77, 16 p.. Cf. aussi : Moncef Kdhir, « Le juge français et le droit international non écrit », RDP, 2003, pp. 1581-1606, spécialement pp. 1598-1599.44 Décision du 30 août 1984, 6Ob738/83. Cf. aussi les motifs de la Cour administrative dans une décision en date du 28 février 1962 (Zl. 535/68) : « Il résulte [de l'article 9 B-VG] que les lois internes, à moins que leur formulation ne prévoie expressément le contraire, doivent être interprétées de manière à ne pas être incompatibles avec les obligations internationales de l'Autriche ».

668

empêcher une violation actuelle ou potentielle du droit international, se caractérise souvent par une plus

grande flexibilité que la seule transformation du droit international en droit interne « dans le contexte du

droit interne ». Entre autres, dans le cadre de l'application téléologique du droit international,

l'annulation (définitive) des normes internes « ne correspondant pas » au droit international n'est pas

toujours requise, étant donné que la suspension (provisoire) de leur application est dans la plupart des

cas suffisante en vue d'assurer un comportement de l'État conforme au droit international.

Le Professeur Bruno Simma relève à propos du droit allemand que : « si le droit national est

incompatible avec les règles générales [du droit international], le droit national correspondant ne

devient pas nul mais n'est pas applicable dans le cas concret ; de cette façon, la règle du droit

international se fait valoir. Cette particularité (en général, en cas de conflit, la norme inférieure est

nulle) est liée au fait que les règles générales ne sont pas établies une fois pour toute, mais qu'elles

changent et sont incorporées en droit interne avec leur contenu respectif45 ». Le constat du Professeur

Bruno Simma appelle quelques nuances : il est vrai que la suspension de l'application normes internes

générales est souvent suffisante pour «faire valoir» le droit international, mais il n'en demeure pas

moins que certaines normes internes concrètes supposent une sanction par annulation, et ce, parce

qu'elles sont uniquement destinées à être exécutées dans un cas particulier, en violation du droit

international (par exemple, telle ou telle décision administrative organisant la saisine des avoirs

souverains d'un État étranger). L'explication avancée par le Professeur Bruno Simma de l'absence de

destruction définitive des normes internes en cas de «contrariété» avec le droit international paraît aussi

discutable : le dynamisme du droit international ne lui est pas spécifique, mais caractérise également le

droit interne ordinaire46. Une explication plus appropriée tient à ce que, en principe, le droit interne n'est

pas contraire par lui-même à une norme internationale applicable «en tant que telle», ce qui justifie

l'absence de destruction définitive de la norme interne « ne correspondant pas » au droit international.

Dans le contexte de la doctrine autrichienne, l'affirmation radicale du Professeur Hans René Laurer

selon laquelle une norme interne «contredisant» une norme internationale coutumière qui lui est

antérieure doit être considérée comme «absolument nulle47», c'est-à-dire dénuée de toute validité sans

même de procédure de destruction, a été largement rejetée48. L'absence dans l'ordonnancement juridique

d'une procédure contentieuse aboutissant à la suspension des normes fautives conduit la plupart des

45 Bruno Simma, op. cit. note 6, p. 122.46 De même que tout système juridique, cf. Otto Pfersmann, « temporalité et conditionnalité des systèmes juridiques », Revue de la Recherche Juridique – Droit prospectif, 1994, pp. 221-243, spécialement pp. 226-227.47 Hans René Laurer, « Der Beitritt Österreichs zu internationalen Organisationen als Problem der innerstaatlichen Normerzeugung », ZÖR, 1970, pp. 341-372, spécialement p. 179.48 Cf. tout particulièrement avec des développements relatifs à la théorie de la nullité absolue : Alexander Balthasar, op. cit. note 33, spécialement pp. 179-181. Le Professeur Herbert Haller émet aussi plusieurs arguments contre la nullité absolue de la loi non-conforme au droit international général : la nullité de la loi en raison de sa non-conformité à une règle généralement reconnue du droit international entraînerait des conséquences plus graves que sa non-conformité à une norme de rang constitutionnel, qui se trouve pourtant à un degré supérieur ; la nullité absolue de la loi porte atteinte à la sécurité juridique telle qu'organisée par le « système de contrôle de la loi » ; cf. Die Prüfung von Gesetzen, Springer, Vienne/New York, 1979, 295 p., spécialement p. 140.

669

auteurs à admettre qu'une norme interne «ne correspondant pas» au droit international général reste

valide jusqu'à son annulation par la voie des procédures des articles 139 al. 1 et 140 al. 1 B-VG49.

La possibilité de seulement suspendre une norme dont l'exécution aboutit actuellement ou

potentiellement à une violation du droit international par l'État dépend de la compétence de l'organe

chargé du contrôle. Ceux-ci ne disposent parfois pas de la compétence de moduler l'application d'une

norme, mais sont uniquement habilités à annuler les normes «non-conformes». Il en va par exemple

ainsi de la Cour administrative et de la Cour constitutionnelle en Autriche, dont l'habilitation en matière

administrative se limite à approuver ou casser une norme administrative litigieuse. Inversement, les

juridictions autrichiennes sont dépourvues de toute compétence d'annulation des règles généralement

reconnues du droit international. Dès 1928, le juriste autrichien Rudolf A. Metall affirme qu'il est

opportun de ne pas attribuer à la Cour constitutionnelle une compétence pour contrôler la

constitutionnalité d'une coutume internationale, car cela pourrait conduire à « prononcer la "contrariété

à la constitution" du droit international général, ce qui est à comprendre aussi à l'inverse comme la non

conformité de la constitution au droit international, avec toutes les conséquences juridiques et politiques

non souhaitables que cela implique50 ».

Section 2 : La conformation du comportement de l'État au droit international par le

contentieux juridictionnel interne

L'application téléologique du droit international dépend largement de la compétence des organes

internes :

i. L'application téléologique du droit international est fondée sur une norme ou un ensemble de normes

habilitant les organes internes du droit à faire prévaloir – dans les situations où existe une violation

actuelle ou potentielle du droit international – le droit international sur le droit interne. Il se peut que le

comportement conforme au droit international exigé soit en violation d'autres normes internes. Un tel

49 Heinz Peter Rill, « Der Rang der allgemein anerkannten Regeln des Völkerrechtes in der österreichischen Rechtsordnung », ZÖR, vol. 10, 1959/1960, pp. 439-451, p. 451 (la loi non-conforme à une règle généralement reconnue du droit international demeure valide jusqu'à son annulation par la procédure de l'article 140 al. 1 B-VG) ; Edwin Loebenstein (1990), op. cit. note 17 (à propos de l'article 145 B-VG). Contra : Felix Ermacora, Der Verfassungsgerichtshof, Styria, Graz/Vienne/Cologne, 1956, 414 p., spécialement p. 351 et svtes (possibilité qu'une norme interne « contraire » se substitue à une règle généralement reconnue du droit international par suspension ou par superposition).50 Rudolf Aladár Metall, « Das allgemeine Völkerrecht und das innerstaatliche Verfassungsrecht – Zur Auslegung des Art. 9 der österreichischen Bundesverfassung », Zeitschrift für Völkerrecht, vol. 14, 1928, pp. 161-187, p. 180.

670

conflit de normes doit être résolu par les organes d'application du droit sur le fondement des

dispositions internes spécifiquement relatives au droit international, mais dépend aussi de la

compétence plus générale de l'organe d'application du droit en question telle que délimitée, entre autres,

par le principe constitutionnel de légalité51.

ii. Le principe de l'application téléologique diffère de la transformation du droit international en droit

interne : il consiste en une injonction aux organes internes d'application du droit de ne pas violer le droit

international, quel que soit le contenu du droit interne par ailleurs. Il est ainsi possible de trouver dans le

droit positif le conflit de normes suivant : l'organe interne est tenu d'appliquer le seul droit interne – ce

qui est susceptible d'entraîner une violation du droit international –, et ce, sans pour autant violer les

obligations internationales de l'État, que celles-ci soient ou non transformées en droit interne par une

disposition constitutionnelle spécifique.

Les juridictions internes sont chargées d'empêcher les violations actuelles ou potentielles du droit

international par l'État. Celles-ci ne semblent pas dans tous les cas en être capables, soit que la violation

du droit international soit déjà dans une certaine mesure accomplie (I), soit que la violation du droit

international par l'exécution d'une norme interne ne soit pas prévisible au moment où l'organe de

contrôle est saisi de la norme litigieuse (II).

I. Un contrôle juridictionnel généralement postérieur à la violation

La doctrine dominante actuelle affirme que la conformation du comportement de l'État s'effectue

globalement a priori, par un juge interne de plus en plus ouvert au droit international (A). En raison de

l'organisation du contentieux juridictionnel, le juge interne est pourtant souvent saisi d'une affaire une

fois la violation du droit international déjà accomplie par l'État (B).

A. La théorie du contrôle préventif dans le cadre de la « rule of law internationale »

Selon la théorie de la « rule of law internationale52 », le juge interne dispose de la compétence de faire

51 Entre autres, certains organes juridictionnels n'étant pas spécialement des juridictions constitutionnelles ne disposent pas de la compétence d'écarter l'application de dispositions constitutionnelles au profit d'une norme internationale, ou même de la compétence d'écarter l'application d'une loi au profit d'une norme internationale (tel est le cas, au moins en son ancienne jurisprudence, du Conseil d'État français, ceci étant justifié pat la « théorie de la loi écran »)52 L'expression anglaise « International Rule of Law » est ainsi traduite en français par la doctrine : cf. Robert Kolb, « Mondialisation et droit international », Relations internationales, 2005, vol. 123, pp. 69-86 ; Pierre-Marie Dupuy, « Un débat doctrinal à l'ère de la globalisation: sur la fragmentation du droit international », European Journal of Legal Studies, vol. 1, n°1, 2007, pp. 1-19, spécialement p. 3. Une autre traduction, présente dans les résolutions de l'ONU en leur version française, est celle d'«État de droit international» ; cf. la résolution de l'Assemblée générale du 24 octobre

671

respecter le droit international par l'État en toutes situations, y compris à titre préventif, et ce, lors

même qu'aucune autorisation spécifique constitutionnelle, législative ou réglementaire en ce sens n'est

relevable53. Un principe d'une telle ampleur ne semble en réalité être valide ni dans le cadre du droit

international, ni dans le cadre du droit interne, la plupart des auteurs favorables à cette théorie

s'accordant d'ailleurs à considérer que le principe de la « rule of law internationale » se trouve encore en

voie de formation54.

Empiriquement, on peut constater que les décisions des juridictions internes relatives aux affaires

internationales de l'État «correspondent» souvent au droit international, sans pour autant être fondées

sur la réglementation internationale55. Quelques auteurs, partisans de la doctrine dite «pluraliste»,

actuellement majoritaire dans l'espace anglo-américain, déduisent, à partir de l'observation de la

jurisprudence, que l'application du droit international général par les organes internes est assimilable à

l'application des normes de droit étranger dans le cadre du droit international privé56 (« règles de conflit

de lois »). La doctrine pluraliste constate en effet que les organes internes ont tendance à suivre les

normes externes qui correspondent à leur système juridique «ordinaire»57, soit qu'elles ne soient pas

2005 - Document final du Sommet mondial de 2005 (A/RES/60/1 [134]) et la résolution de l'Assemblée générale du 15 janvier 2009 dite L'état de droit aux niveaux national et international (A/RES/63/128). La traduction «État de droit international» n'apparaît pas complètement satisfaisante parce que le droit international ne porte pas le nom d'« État ».53 Mattias Kumm, « International Law in National Courts : The International Rule of Law and the Limits of the Internationalist Model », Virginia Journal of International Law, vol. 44, 2003, pp. 19-32.54 Cf. inter alia : Simon Chesterman, « An International Rule of Law ? », American Journal of Comparative Law, vol. 56, 2008, pp. 331-361 ; Fiona de Londras, « Dualism, Domestic Courts, and the Rule of International Law », in : Mortimer Sellers, Tadeusz Tomaszewski (éds), The Rule of Law in Comparative Perspective, Springer, Dordrecht/Heidelberg/Londres/New York, 2010, 253 p., pp. 217-244 ; André Nollkaemper, National Courts and the International Rule of Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, 250 p. ; Gianluigi Palombella, « The Rule of Law Beyond the State : Failures, Promises and Theory », International Journal of Constitutional Law, vol. 7, 2009, pp. 442-467. 55 Cf. les exemples suivants dans la jurisprudence française :CE, 20 mai 1955, Sté Lucien Joseph et Cie, Rec, p. 276, Revue générale de l'air, 1958, p. 63, note Paul de Geouffre de Lapradelle : annulation de l'interdiction, afin d'éviter la propagation d'une épidémie, de tout trafic maritime ou aérien entre Madagascar et l'île Maurice. Le Conseil d'État ne se réfère pas en l'espèce au droit international réglementant les espaces aérien et maritime, mais uniquement aux limites des pouvoirs de police de l'autorité française qui a pris la mesure. Le juge administratif applique un principe traditionnel du droit administratif : seul un péril imminent et d'une particulière gravité peut justifier une interdiction complète de l'exercice d'une liberté reconnue aux citoyens.Cour d'Appel de Paris, 20 avril 1916, Geoffroy et Delore c. Compagnie d'assurance maritime La Bulgaria et autres (Sirey, Rec. gén., 1920, Pt. II, p. 17). Selon la Cour d'Appel de Paris, les décrets de 1914 et 1915 interdisant les relations commerciales avec les nations ennemies ne les privent pas d'un droit au recours devant une juridiction française : « D'une façon générale, le droit d'ester en justice doit être mis au nombre des droits naturels dont l'étranger jouit en France, en dehors de toute disposition expresse de la loi et de toute stipulation internationale ». En référence à l'article 23 (h) de l'annexe de la Convention de la Haye IV du 18 octobre 1907, non applicable en l'espèce mais codifiant une coutume internationale interdisant « de déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice, les droits et actions des nationaux de la Partie adverse », la Cour d'Appel de Paris estime que « pour l'interprétation d'un texte nouveau, on doit toujours se reporter aux lois existantes et aux principes généraux du droit, qui resteront applicables, si une modification ou restriction précise n'y a pas été apportée, […] un décret, né de circonstances exceptionnelles, et qui fait échec à ces principes, doit être appliqué stricto sensu ; […] il faut se garder d'en élargir les termes et d'en étendre les conséquences. »56 Paul Schiff Berman, « Global Legal Pluralism », Southern California Law Review, vol. 80, 2007, pp. 1155-1237, spécialement pp. 1169-1170.57 Cf. inter alia, dans une littérature extrêmement abondante : Klaus Günther, « Legal pluralism or uniform concept of law? Globalisation as a problem of legal theory », No Foundations, vol. 5, 2008, pp. 5-21 ; Gunther Teubner, « Neo-spontanes Recht und duale Sozialverfassungen in der Weltgesellschaft? », in : Dieter Simon, Manfred Weiss (éds), Zur Autonomie des Individuums – Liber amicorum für Spiros Simitis, Nomos, Baden-Baden, 2000, 527 p., pp. 437-453 ;

672

étrangères aux conceptions du droit interne, soit qu'elles soient les plus aptes à satisfaire les intérêts de

l'État58. Et certains auteurs ajoutent que, comme le système juridique interne est de plus en plus

globalisé, les organes internes choisissent presque toujours de se conformer à certains standards

transnationaux qui formeraient un «droit commun», au-delà de la séparation verticale entre le droit

international et le droit interne et de la séparation horizontale entre les différents États59 (théorie de la

« rule of law internationale »).

Il serait irréaliste de nier qu'il existe une certaine relation entre le processus de globalisation et la

pratique actuelle des organes internes témoignant d'une plus grande ouverture au droit international.

Cependant, l'analyse dominante confond la sociologie et la psychologie des acteurs juridiques avec la

question de la relation entre systèmes juridiques60. En dépit de son syncrétisme méthodologique, une

partie importante de la doctrine défend une telle démarche, dont le Professeur Pierre-Marie Dupuy qui

expose l'analyse suivante : « Pour le juge interne, y compris dans les pays ayant pourtant

constitutionnellement opéré un choix en faveur du monisme [au sens technique], il finit généralement

par consentir à respecter la primauté de la norme internationale sur la norme interne; mais il a d’abord

naturellement tendance à n’appliquer la règle internationale que lorsqu’elle trouve une concordance ou

un équivalent dans son droit interne ; c’est ce dernier, non le droit international, qu’il est d’abord

préparé, techniquement mais aussi idéologiquement et psychologiquement, à appliquer et à faire

respecter.61 »

Peer Zumbansen, « Transnational Legal Pluralism », Transnational Legal Theory, vol. 10, 2010, pp. 141-189.58 Cf. inter alia, Eyal Benvenisti, George W. Downs, « National Courts, Domestic Democracy, and the Evolution of International Law », EJIL, 2009, vol. 20, pp. 59-72 ; Tom Ginsburg, « Locking in Democracy: Constitutions, Commitment and International Law », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 38, 2006, pp. 707-760. 59 Cf. inter alia, Jenny S. Martinez, « Towards an International Judicial Systems », Stanford Law Review, vol. 56, 2003, pp. 429-529 ; Anne-Marie Slaughter, « A Global Community of Courts », Harvard International Law Journal,vol. 44, 2003, pp. 191-219 ; Lars Viellechner, « The Network of Networks : Karl‐Heinz Ladeur’s Theory of Law and Globalization », German Law Journal, vol. 10, 2009, pp. 515-536. 60 Pour une opinion critique, cf. Yuval Shany, « National Courts as International Actors: Jurisdictional Implications », Hebrew University International Law Research Paper, n°22, 2008, 35 p. (format PDF), disponible sur : http://ssrn.com/abstract=1292056.Le Professeur Yuval Shany dit que : « To my mind, national courts are often applying international law not as a result of complicated strategic considerations or comparative analysis of national and international norms, but simply because they regard the application of international law as deriving from their constitutional role as guardians of the rule of law. In other words, national judges sometimes extend the notion of the rule of law – the protection of which they are entrusted with – in a way that encompasses international law norms within its scope of application. The sense of duty to apply international law is quite apparent in cases where courts cite domestic law renvoi provisions that explicitly direct them to apply international law. Still, one may find in other cases judicial statements indicative of a deep commitment to apply international norms on the basis of domestic legal doctrines (such or interpretative presumptions seeking to conform domestic law to international law or the automatic incorporation of custom into domestic law) or, more generally, core liberal principles » (pp. 9-10, fichier PDF). Même si cette analyse relaye certaines explications d'ordre psychologique, à l'instar du « sens du devoir » du juge interne, elle s'appuie globalement sur des données juridiques – les obligations du juge interne eu égard au droit international transformé en droit interne – et non sur des spéculations extra-juridiques.61 Pierre-Marie Dupuy, « L’Unité d’Application du Droit International à l’Echelle Globale et Responsabilité des Juges », European Journal of Legal Studies, vol. 1, 2007, p. 21 et svtes, p. 24.

673

Le phénomène de l'extension du contrôle juridictionnel interne du respect par l'État du droit

international peut être expliqué juridiquement par plusieurs facteurs, parmi lesquels :

La sphère des normes internationales d'applicabilité directe qui ont pour destinataires les

organes internes, dont les juridictions, tend à s'étendre, et ce, en vertu de la formation de normes

coutumières communes liées à une pratique des États qui converge de manière croissante dans le

contexte de la globalisation (entre autres, dans les domaines des droits de l'homme et du droit

international privé) ;

Le contrôle de conformité des normes internes par rapport à la constitution, y compris donc aux

dispositions constitutionnelles relatives au droit international, s'est élargi dans la période contemporaine

;

Aussi, la réglementation proprement interne peut conduire à des décisions des juridictions

internes « qui correspondent » aux standards du droit international général62. En particulier, certains

principes vagues de droit interne interviennent souvent dans les affaires internationales dont le juge

interne est saisi. Il en va ainsi lorsque le juge interne justifie ses décisions par des considérations

d'«ordre public» (de manière similaire, dans les États de tradition de Common law, le juge base souvent

ses conclusions sur la «public policy» ou sur le principe de «comity63»). Dans le domaine du droit

international privé, les juges internes des différents États continentaux se réfèrent à un «ordre public

national» ou à un «ordre public international national»64 pour écarter l'application des normes

62 De manière générale, les organes d'application prennent très souvent des décisions « correspondant » à l'état du droit international, non sur le fondement du droit international en tant que tel, ni même sur le fondement du droit international transformé en droit interne, mais sur la base soit de normes internes (constitution, loi, règlements, etc.) qui sont la concrétisation de normes internationales plus générales (par exemple, celles limitant la compétence territoriale des autorités de l'État).63 Le principe de comity est souvent décrit comme un principe de courtoisie réciproque. Dans la sphère des relations internationales, il est applicable en matière de reconnaissance des décisions des juridictions étrangères : une validité leur serait attribuée par simple échange de courtoisie entre nations ou entre juridictions, non sur le fondement d'une coutume internationale. Cf. inter alia, Hessel N. Yntema, « The Comity Doctrine », Michigan Law Review, vol. 65, 1966, pp. 1-8 ; Joel R. Paul, « Comity in International Law », Harvard International Law Journal, vol. 32, 1991, pp. 1-79 ; Yuval Shany, Regulating Jurisdictional Relations Between National and International Courts, Oxford University Press, Oxford, 2007, 216 p. ; Joel R. Paul, « The Transformation of International Comity », Law and Contemporary Problems, vol. 71, 2008, pp. 19-38.Cf. par exemple : CJCE, 11 novembre 1981, IBM/Commission, Aff. 60/81, Rec. p. 2639, §4 : le requérant « soutient enfin que les actes attaqués enfreignent la règle de "courtoisie" (comity) et de non-ingérence du droit international, règle que la commission aurait dû prendre en considération avant d'adopter les actes en question, le comportement incriminé [du requérant] se situant essentiellement en dehors de la Communauté, et notamment aux États-Unis d'Amérique où il fait également l'objet de procédures judiciaires. » 64 Le juge interne, ainsi que la doctrine, se réfèrent parfois à un obscur « ordre public international français » ou encore à un « ordre public international allemand »... Le terme ne semble pas dans tous les cas renvoyer à la question du respect du droit international. La Cour de cassation française dit que l'ordre public international français comprend « l’ensemble des principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue » (Civ., 25 mai 1948, Lautour). Cf. inter alia : Pierre Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Revue de l'arbitrage, 1986, pp. 329-374 ; Delphine Archer, Impérativité et ordre public en droit communautaire et droit international privé des contrats (étude de conflits de lois), thèse, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2006, 646 p.A propos du droit allemand, cf. inter alia : Günther Jaenicke, « Zur Frage des internationalen ordre public », BDGV, vol. 7, 1967, pp. 77-132 ; Albert Bleckmann, « Sittenwidrigkeit wegen Verstoßes gegen den ordre public international », ZaöRV, 1974, pp. 112-132 ; Dieter Schütz, Der internationale ordre public – Der Ausschluss völkerrechtswidrigen fremden Rechts im Internationalen Privatrecht der Bundesrepublik Deutschland, P. Lang, Francfort-sur-le-

674

étrangères internationalement illicites65. La Cour de cassation française considère ainsi le «principe de

souveraineté» des États comme d'«ordre public» en matière de territorialité des nationalisations 66. La

Cour suprême autrichienne recourt aussi à une telle conception de l'ordre public, en constatant par

exemple que le principe de non-rétroactivité des lois n'est pas d'ordre public parce qu'aucune règle

généralement reconnue du droit international n'interdit une telle rétroactivité67.

En réalité, l'état des systèmes juridiques internes positifs «correspond» globalement à l'état du droit

international, ce qui minimise les possibilités de violation du droit international par l'État. Cela ne

supprime pas pour autant toute possibilité de violation du droit international par l'État, étant donné que

le droit international lui-même exige un comportement factuel de l'État conforme, et non un contenu

normatif globalement conforme. Il demeure cependant difficile d’imaginer qu’un État puisse réaliser ses

obligations internationales sans la moindre réglementation interne afférente, à moins que la situation

factuelle de l’État se trouve déjà conforme au droit international – y compris à des obligations

nouvellement posées par celui-ci (par exemple, un ensemble d'États parties d'un traité international qui

oblige à la réduction de l’émission de gaz à effet de serre bénéficient déjà d'une situation conforme en

raison de leur économie en voie de désindustrialisation avancée). Dans la plupart des cas, la réalisation

des obligations internationales passe par une certaine réglementation interne, sa forme étant

indéterminée par le droit international. Par exemple, un traité international qui oblige à la réduction de

l’arsenal nucléaire pourra être réalisé par l’État destinataire tant par l’intermédiaire d’une norme

générale, à l'instar de la transformation du traité international en question en droit interne sous une

forme législative, que par de simples ordres particuliers produits par l'état-major de l'armée, si ce n’est

les deux cumulativement par voie de concrétisation (la transformation du traité international en droit

interne a pour effet d’obliger l’état-major de l’armée à ordonner aux spécialistes du nucléaire de

neutraliser une partie des stocks d'armes nucléaires)68.

Main/Berne/Nancy/New York, 1984, 180 p. ; Friederike Pentzlin, Der universelle Ordre public im Wirtschaftsrecht als ein Ordnungsprinzip des innerstaatlichen Rechts, Herbert Utz, Munich/Florence, 1985, 185 p. ; Andreas Spickhoff, Der ordre public im Internationalen Privatrecht, thèse Götiingen, Nomos, Neuwied/Francfort-sur-le-Main, 1989, 314 p.65 Cf. inter alia, dans une littérature abondante : Prosper Weil, « Le contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des États étrangers », AFDI, 1977, pp. 9-52 ; Eyal Benvenisti, « Judicial Misgivings Regarding the Application of International Norms: An Analysis of Attitudes of National Courts », EJIL, vol. 4, 1993, p. 159-183.Plus spécifiquement, à propos de l'exequatur : Romuald di Noto, « L’ordre public international en droit internationaux privés français et allemand », décembre 2008, disponible sur : http://www.legavox.fr/blog/romuald-di-noto/ordre-public-international-droit-internationaux-3168.htm (date de publication : 8 septembre 2010).66 Cass. civ., 1re, 20 février 1979, RCDIP, 1979, p. 803, note Henri Batiffol ; JCP 1979, II, 19147, concl. Pierre Gulphe.67 Cour suprême, décision du 20 janvier 1972 (6Ob323/71; 6Ob177/72), à propos de la détermination de paternité d'un enfant illégitime suivant la législation allemande.68 Pour un cas proche, à propos de l'implémentation en droit interne de la décision de l'OTAN du 14 décembre 1979 de stationner des missiles nucléaires cruise sur le territoire des États membres, cf. : Pieter .J. Kuyper, Karel C. Wellens, « Deployment of cruise missiles in Europe : The legal battles in the Netherlands, the Federal Republic of Germany and Belgium », Netherlands Yearbook of International Law, vol. 18, 1987, pp. 145-228. Un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale en date du 18 décembre 1984 a été prononcé sur l'affaire, cf. BVerfGE 68, p. 1 – Atomwaffenstationierung.

675

B. La compétence des juridictions internes dans le cas d'une violation du droit international par l'État

déjà établie

Dans les systèmes juridiques positifs, l'organisation du contentieux juridictionnel interne est de manière

générale davantage structurée par des procédures ouvrant la possibilité d'une sanction ou d'une

réparation en raison de la violation d'une norme que par des procédures prévenant l'atteinte à la norme

en question. Les juridictions internes semblent en cela peu aptes à empêcher les violations du droit

international par l'État, puisqu'elles sont souvent saisies d'une question de conformité du comportement

de l'État par rapport au droit international une fois les agissements de l'État dans la sphère internationale

déjà accomplis. L'aspect répressif du contrôle de l'atteinte au droit international trouve une illustration

manifeste dans l'article 145 B-VG, qui annonce une procédure juridictionnelle spéciale dont l'objet

principal semble les violations au droit international déjà établies : « La Cour constitutionnelle connaît

des violations du droit international public [...] »69. Le Professeur Bruno Simma remarque qu'une telle

procédure est insuffisante pour garantir un comportement de l'État conforme au droit international

souhaitée une partie de la doctrine (doctrine du « Völkerrechtsstaates »70), d'autant plus que –

strictement interne – elle resterait dépourvue d'effets juridiques sur le droit international lui-même 71.

La prédominance des procédures répressives dans les systèmes juridiques nationaux n'est néanmoins

que schématique puisque le contrôle juridictionnel préventif demeure possible dans un certain nombre

de situations éclectiques, parmi lesquelles on trouve : le contrôle a priori de principe (Conseil

constitutionnel français), le simple contentieux objectif se déroulant avant tout comportement fautif de

l'État dans la sphère internationale, la mise en œuvre du principe de l'immunité de juridiction des États

étrangers qui est du ressort même des juridictions internes.

Dans le contexte d'un contrôle juridictionnel exercé une fois la violation du droit international par l'État

déjà accomplie72, on peut distinguer deux situations :

i. L'atteinte établie au droit international est encore en cours : la cessation de l'atteinte au droit

international reste encore possible, mais la juridiction interne ne dispose pas nécessairement de la

compétence pour ce faire, soit qu'elle n'est pas habilitée à ordonner un certain comportement à l'organe

69 Les commentateurs de la Loi constitutionnelle fédérale Hans Kelsen, Georg Froehlich et Adolf Merkl conçoivent une telle procédure, alors même qu'elle ne vise que les violations du droit international déjà établies, comme « conséquente à la disposition de l'article 9 B-VG » ; cf. Die Bundesverfassung vom 1. Oktober 1920, Deuticke, Vienne, 1922, 535 p., spécialement pp. 75-76, p. 280.70 «État de droit international», cf. inter alia : René Marcic, « Das beredte Schweigen der Verfassung », in : Anton Burghardt (éd.), Im Dienste der Sozialreform, Festschrift für Karl Kummer, Verlag der Berichte zur Kultur und Zeitgeschichte, Vienne, 1965, 535 p., p. 403 et svtes, spécialement p. 409.71 Bruno Simma, « Probleme um den Art. 145 B-VG », JBl, vol. 91, 1969, pp. 257-270, spécialement p. 268.72 La question du moment où une violation du droit international se trouve accomplie par l'État pose d'innombrables difficultés à la doctrine spécialiste du droit international ; cf. inter alia : Jean Salmon, « Le fait étatique complexe : une notion contestable », AFDI, 1982, pp. 709-738 ; Eric Wyler, « Quelques réflexions sur la réalisation dans le temps du fait internationalement illicite », RGDIP, 1991, pp. 881-910.

676

auteur de la violation au droit international, soit que les normes internationales en question cèdent

devant des normes internes qui autorisent une telle atteinte au droit international. Ainsi, la Cour

constitutionnelle fédérale allemande s'estime compétente pour supprimer les atteintes au droit

international provoquées par les juridictions inférieures, mais elle ne généralise pas une telle

compétence envers l'ensemble des organes internes et les simples particuliers, qui peuvent pourtant

également être les auteurs d'atteintes au droit international imputables à l'État allemand 73 ; aussi, la Cour

constitutionnelle fédérale allemande réserve la prévalence aux principes fondamentaux de la

Constitution (mais non à toutes les normes constitutionnelles) sur le droit international74.

ii. L'atteinte établie au droit international est entièrement consommée : la question porte dans ce cas

précis sur la compétence du juge interne pour prononcer des réparations en faveur de la victime en

raison de la violation du droit international réalisée par l'État du for. En général, ces réparations ne sont

pas décidées par voie juridictionnelle75, mais par une autre voie, surtout par l'exécutif dans le cadre de

son action diplomatique. Le Professeur Louis Dubouis soutient que le juge interne conserve néanmoins

une certaine compétence :

« La soumission de l'Exécutif au droit international donne une mesure à peu près fidèle du respect

par la France de la règle internationale. C'est à l'Exécutif qu'incombe pour l'essentiel la conduite des

relations internationales et donc la responsabilité de l'exécution correcte par tous les sujets de l'ordre

juridique français des rapports établis avec les autres sujets du droit des gens. La décision du juge

administratif doit normalement permettre de redresser la violation du droit international imputable à

l'administration. A défaut, les voies de recours internes épuisées, l'État devient passible de sanctions

internationales : mise en jeu de sa responsabilité internationale [...]. Une juridiction nationale ne saurait

demeurer indifférente à cette éventualité76 ».

Dans la pratique, les juridictions internes accordent souvent, mais non de manière systématique, des

réparations aux particuliers qui sont victimes d'une violation du droit international par l'État du for. Il en

va plus rarement ainsi lorsque la victime est un État tiers : la procédure visant à leur réparation est

généralement effectuée dans la sphère internationale elle-même, notamment par voie diplomatique.

En raison de l'organisation du contentieux juridictionnel, le contrôle exercé par les juridictions ne suffit

pas toujours à empêcher une violation du droit international par l'État. L'application téléologique du

droit international suppose une application restreinte aux situations internationalement pertinentes, et

ce, alors même que les juridictions n'ont pas toujours connaissance des comportements factuels ou

normatifs de l'État qui portent atteinte, ou risquent de porter atteinte, au droit international.

73 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78).74 BVerfGE 111, p. 307 sqs. (319)75 cf. à propos du droit français : Ghislaine Alberton, « Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ? », AJDA, 2006, pp. 2155-2163. 76 Louis Dubouis, « Le juge administratif français et les règles de droit international », AFDI, 1971, pp. 9-60, p. 10.

677

II. Un contrôle restreint aux situations où il existe une possibilité concrète de violation des

obligations internationales de l'État

Le plus souvent, le droit international prévoit que le comportement des sujets de droit international doit

être globalement conforme aux obligations internationales en leurs seuls résultats. Dès lors, le droit

interne en tant que tel n’est pas susceptible de porter atteinte par sa simple existence au droit

international77. Seuls les résultats de son application dans un cas particulier peuvent ne pas être

conformes au droit international, et seule une norme interne particulière provoquant directement des

effets contraires au droit international constitue une atteinte concrète au droit international par une

norme de l’État (par exemple, une loi au sens formel disposant de la saisine d'avoirs souverains

étrangers).

Les atteintes au droit international par une réglementation interne ne sont en principe que potentielles,

car elles découlent non de la norme interne litigieuse elle-même mais de l'exécution de celle-ci (A).

Dans le cas d'une violation du droit international seulement potentielle, il appartient aux juridictions

internes d'évaluer la probabilité d'une atteinte au droit international en raison d'une norme interne

litigieuse avant de conclure à la privation d'effets de la norme en question (B).

A. Le problème de l'atteinte concrète au droit international dans le cas d'une violation seulement

potentielle à celui-ci

L'application téléologique du droit international exige l'application du droit international dans les seules

situations de violation concrète du droit international par l'État. Selon les circonstances d’espèce, les

organes internes sont parfois amenés à exclure une application du droit international non pertinente eu

égard aux obligations internationales de l’État ou, à l'inverse, à les faire prévaloir sur la réglementation

interne lorsqu'un risque de violation est relevable.

Le Conseil constitutionnel français tend ainsi à vérifier la conformité des normes internes par rapport

aux règles du droit public international, non pas abstraitement, mais uniquement dans les situations où

la responsabilité internationale de la France pourrait être engagée du fait de la violation du droit

international. A l'occasion de sa décision relative à l'affaire des Comores78, le Conseil affirme qu'une

77 Alfred Verdross, Völkerrecht, 5ème édition, Springer, Vienne 1964, 690 p., p. 382.78 Les faits sont les suivants : au référendum d'autodétermination du 22 décembre 1974, Mayotte se désolidarise des trois autres îles de l'archipel des Comores, largement favorables à l'indépendance, et manifeste ainsi une intention de demeurer française. Tout le problème réside alors dans l'absence d'identité juridique de Mayotte, et dans l'interdiction

678

violation du droit international général imputable à l’État français n'est pas caractérisée, même si celui-

ci organise en l'occurrence un référendum relatif à l'indépendance sur la seule île de Mayotte, au risque

d'une violation du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et du principe d'intangibilité

des frontières héritées de la colonisation. Le Conseil constitutionnel considère en effet que la partie de

l'archipel des Comores en question « fait partie de la République française ; que cette constatation ne

peut être faite que dans le cadre de la Constitution, nonobstant toute intervention d'une instance

internationale, et que les dispositions de la loi […] qui concernent cette île ne mettent en cause aucune

règle du droit public international »79. Et, de même, les autres juridictions suprêmes françaises, Cour de

cassation et Conseil d'État, semblent faire prévaloir le droit international sur une réglementation interne

litigieuse dans les seules situations où le risque d'une violation du droit international par l'État français

est avéré80.

L'atteinte concrète au droit international par l'État n'est pas seulement caractérisée lorsque la violation

du droit international est déjà actuelle, mais aussi dans le cas où il existe un risque sérieux que la mise

en œuvre de la norme interne en question aboutisse à une violation du droit international, l'atteinte au

droit international n'étant ici que potentielle. Comme le droit international n'exige en principe qu'un

comportement factuel conforme au droit international, c'est seulement à partir de l'exécution des normes

que l'atteinte au droit international est consommée. Le processus de mise en œuvre du droit interne peut

être interrompu avant même une telle exécution, entre autres par le biais d'un contrôle juridictionnel 81.

B. La prévisibilité de l'atteinte au droit international

Les organes internes appliquent le droit international de manière à ne pas violer les obligations de

l’État, ce qui suppose une analyse des incidences factuelles des normes qu’ils produisent ou contrôlent,

puisque le droit international exige un comportement factuel de l'État globalement conforme.

L'incidence factuelle des normes est difficilement prévisible, ce qui peut s'expliquer par l'ainsi dite

supposée d'une césure touchant les quatre îles du T.O.M. comorien (principe international d'intangibilité des frontières héritées de la colonisation). La loi postérieure au référendum du 3 juillet 1975 vise à aménager la situation, mais elle prévoit le maintien provisoire de l'appartenance à la France de l'archipel dans son ensemble, et ce, jusqu'à l'élaboration d'une constitution rédigée sous la tutelle de la puissance coloniale. Opposée à ce projet, la Chambre des députés des Comores proclame unilatéralement le 6 juillet l'indépendance de l'archipel entier. Le nouvel État comorien est aussitôt admis, comme tel, en qualité de membre de l'ONU. Excepté le recours à la force armée, la France ne peut tenter en ces circonstances qu'un maintien de l'île de Mayotte par un stratagème politique. La Loi du 31 octobre 1976 poursuit cet objet : reconnaissant l'indépendance d'Anjouan, de Moëli, et de la Grande Comore, elle prévoit une nouvelle consultation d'autodétermination circonscrite à l'île de Mayotte. Cette loi est déférée au Conseil constitutionnel à la demande de parlementaires de gauche.79 N° 75-59 DC du 30 décembre 1975 (considérant n°6) ; mes italiques.80 Cf. les nombreux exemples mentionnés par : Romain Rollin, Le droit international non écrit devant le juge français : contribution à l'étude comparée des jurisprudences du Conseil d'état et de la Cour de Cassation, thèse, Université Paul-Cézanne, Aix-Marseille, 2005, 407 p.81 En droit allemand : BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78) : les violations du droit international sont à « supprimer » mais aussi à « empêcher » par la Cour constitutionnelle fédérale.

679

« Loi de Hume »82. Hans Kelsen critique ainsi la fonction prédictive qu'une partie de la doctrine prête à

la science juridique : « [les lois créées par les autorités juridiques] ne contiennent pas d’information

destinées à notre intelligence mais des impératifs destinés à notre volonté. Certes, les propositions dont

se sert la science normative du droit pour décrire le droit contiennent une information destinée à notre

intelligence. Mais loin de nous indiquer ce que les membres de la société feraient, ils nous indiquent ce

qu’ils devraient faire – en vertu des normes juridiques.83 » La question qui se pose ici aux organes

chargés du contrôle consiste à évaluer si une norme interne litigieuse aura pour conséquence une

violation du droit international par l'État, c'est-à-dire un comportement factuel de l'État non conforme

au droit international.

La difficulté d'évaluer une violation seulement potentielle au droit international se pose aussi à un autre

niveau : à partir de quel degré de probabilité d'atteinte au droit international une norme interne litigieuse

doit-elle être censurée par l'organe de contrôle ? Le risque d'une atteinte au droit international peut aller

de l'infime au presque certain, en passant par le simplement possible et le probable. Globalement, on

peut considérer que plus une norme internationale est particulière, c'est-à-dire en un certain sens

« proche des faits », plus l'évaluation de la probabilité d'une atteinte au droit international augmente en

précision. Par exemple, les conséquences d'une décision administrative de saisine des avoirs souverains

d'un État étranger ou d'une décision juridictionnelle relative à l'extradition d'un ressortissant étranger

paraissent, eu égard aux obligations internationales de l'État, clairement évaluables. Toutefois, une

norme interne générale peut aussi avoir de manière manifeste un fort potentiel d'atteinte au droit

international, à l'exemple d'une loi qui attribue aux forces armées nationales de larges prérogatives dans

les espaces libres de souveraineté, d'une loi qui organise la sécession des territoires coloniaux par des

procédures non autorisées par le droit international, ou encore d'une loi qui discrimine les étrangers de

manière grave et flagrante.

La question du degré de probabilité de l'atteinte au droit international ne concerne pas exclusivement le

contentieux subjectif, c'est-à-dire lorsqu'il est question d'une atteinte aux droits et obligations des

particuliers ou d'un État étranger dans une situation particulière ; elle peut aussi se poser à l'occasion

d'un contentieux objectif, dont l'objet est uniquement une « relation de norme à norme ». Ainsi, l'alinéa

14 du Préambule de la Constitution de 1946, tel qu'appliqué par le Conseil constitutionnel français dans

le cadre du contentieux constitutionnel a priori des lois, est souvent considéré par la doctrine comme un

« objectif à valeur constitutionnel »84, autrement dit une « finalité assignée au législateur », et non un

82 La distinction logique entre « être » et « devoir être » repose sur le fait qu'on ne peut tirer de prémisses normatives une conclusion descriptive et inversement (« Loi de Hume »). « Ce qui doit être » ne se réalise pas nécessairement (dans les faits, le voleur n'est pas puni alors qu'il est interdit de voler) et « ce qui est » ne produit pas nécessairement une norme (par exemple, le fait de voler ne produit pas la norme selon laquelle « il est permis de voler » ou le fait de mentir ne produit pas la norme selon laquelle « il est permis de mentir » ou, inversement, « il est interdit de mentir »).83 Hans Kelsen, Théorie générale de l’État et du droit, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, 518 p., p. 218 (mes italiques). 84 Agnès Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française - Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Dalloz-Sirey, Paris, 2007, 688 p., spécialement pp. 416-418.

680

droit fondamental invocable par les individus.

En droit autrichien et en droit français, l'application téléologique du droit international général se

combine bien avec l'indétermination de son rang dérogatoire. Le droit international serait amené à

prévaloir sur la réglementation interne, même éventuellement de rang constitutionnel, uniquement dans

les cas où un risque concret d'atteinte au droit international dans la sphère internationale est relevable 85 86. En raison de la deuxième phrase de l'article 25 LF qui détermine une normativité interne propre aux

règles générales du droit international, c'est-à-dire la prévalence sur les lois et la création de droits et

obligations au bénéfice et à la charge des particuliers, le droit allemand tend davantage vers une

application du droit international général relativement indépendante des données du droit international

en tant que tel.

La pratique des organes internes en matière de droit international général est souvent considérée

comme marginale par la littérature, en particulier en Autriche et en France, mais aussi dans tous les

États qui ne contiennent pas de réglementation constitutionnelle détaillée en la matière 87. On trouve

habituellement parmi les facteurs exposés : le manque de connaissance du droit international, le vague

des dispositions constitutionnelles et la souveraineté de l'État. L'application téléologique du droit

international par les organes internes, c'est-à-dire uniquement dans les cas d'atteinte concrète au droit

international, en est une autre explication possible qui repose sur la flexibilité du droit international lui-

même.

85 En ce sens, l'arrêt du Conseil d'État français : CE, Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres.(à propos de l'immunité d'exécution de l'État étranger). La responsabilité sans faute de l’État français peut être engagée en raison de l'application d'une coutume internationale portant préjudice à un administré (en l'espèce, immunité d'exécution de l'État étranger bénéficiant au Koweït). L'application de l'immunité d'exécution est en l'espèce justifiée par l'obligation constitutionnelle de respecter le droit international général prévue par l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946. 86 Cf. la « théorie de l'analogie » développée par la doctrine autrichienne dont un des arguments est qu'un « effet utile » doit être attribué au droit international général sur le fondement de l'article 9 B-VG (cf. infra : « La force dérogatoire selon la doctrine »).87 On trouve beaucoup plus rarement – si ce n'est jamais – de cette constatation dans la doctrine de Common law,, en raison sans doute d'une assimilation plus profonde du principe « international is part of the law of the land » dans la structure des systèmes juridiques nationaux ; cf. la bibliographie spéciale relative aux États de Common law en fin d'ouvrage.

681

682

Conclusion

La « souveraineté » de l'État est la résultante d'un processus historique. L'idée de la souveraineté de

l'État, telle que développée par Jean Bodin et Thomas Hobbes, dans les premiers temps de la Modernité,

trouve son modèle dans la cité-État grecque indépendante (polis) et dans l'Empire romain « universel ».

Malgré la large autonomie normative des cités grecques, un système juridique régional leur est

cependant supérieur : le droit panhellénique qui réglemente, entre autres, la guerre, le droit de la guerre

divergeant d'ailleurs suivant qu'elle soit interne au monde hellénique ou dirigée contre le barbare, et les

alliances entre cités – tribut, droit d'ingérence de la cité-mère (métropolis) sur ses colonies... Le récit par

Thucycide de la Guerre du Péloponnèse constitue une illustration des relations juridiquement organisées

entre cités, qui contraste avec l'idéalisation de la polis autarcique1. Par ailleurs, le cas du droit romain est

propre, puisqu'au fur et à mesure de l'extension de l'Empire sur le « monde connu », un droit qui lui

serait supérieur, c'est-à-dire déterminant sa sphère de compétence, devient de plus en plus difficilement

identifiable2. Les États modernes ne se sont cependant pas, même lorsqu'ils sont devenus des puissances

impériales, trouvés dans une situation semblable, comme en témoignent les nombreux changements

territoriaux, disparitions et créations d'Etats opérés sur le fondement du droit international, aussi bien

dans le cas d'Empires continentaux que dans celui d'Empire coloniaux ultra-marins depuis la première

mondialisation (XVe – XVIIIe s.) jusqu'à l'actuelle, que dans le cas des autres États quelque soit leur

puissance.

Un manque d'effectivité est pourtant souvent reproché au droit international, allant jusqu'à affirmer qu'il

1 Cf. la Politique d'Aristote.2 Les études générales relatives à la relation entre « droit international » et droit romain se concentrent ainsi surtout sur les périodes de la Rome archaïque et de la République. Cf. par exemple : Alan Watson, International Law in Archange Rome – War and Religion, John Hopkins UP, Baltimore/Londres, 1993, 100 p. ; Guido Fusinato, « Le droit international de la République romaine », Revue de droit international, 1885, p. 278-296. Néanmoins, certaines études spéciales montrent la positivité d'un droit international au moment de l'Empire, notamment à propos de la mer qui est sans maître, du moins selon l'œuvre justinienne ; cf. inter alia : Percy Thomas Fenn, The origin of the right of fishery in territorial waters, Harvard University Press, Cambridge, 1926, 245 p.

683

ne serait pas en réalité un système juridique3 4, ou du moins un système juridique supérieur à celui des

États5. La doctrine explique ce manque d'effectivité par plusieurs facteurs : souveraineté irréductible de

l'Etat, absence de structure centralisée du droit international, insuffisance de la puissance coercitive

internationale6, fragmentation de la Communauté internationale, anarchie normative. Il convient en

réalité ici de distinguer deux aspects de l'« effectivité » : l'effectivité du droit international en tant que

condition de sa juridicité, qui s'analyse comme une condition factuelle de sa positivité, et le principe

d'effectivité en tant que composante du droit international, qui est une norme du droit international :

En effet, l'effectivité du droit international n'est pas menacée par la « souveraineté » des États

puisque le principe de souveraineté est lui-même une composante du droit international positif.

L'autonomie des États ne signifie pas que le droit international manque d'effectivité, mais que les

principes le composant, qui s'adressent aux États, sont surtout permissifs7.

3 On distinguera l'«effectivité» de l'«efficacité». L'«efficacité» renvoie à l'idée qu'une norme – ou un système juridique en son ensemble – est techniquement satisfaisant pour accomplir un objectif déterminé. L'«effectivité» signifie simplement que ses destinataires se comportement grosso modo de manière conforme à ses prescriptions. Par exemple, on dira d'une certaine réglementation pénale prohibant le terrorisme qu'elle est efficace parce que, par la procédure qu'elle autorise, elle permet d'appréhender avec facilité les suspects. On dira qu'elle effective lorsque les actes de terrorisme prohibés sont relativement rares – quel qu'en soient les raisons.4 L’effectivité grosso modo est une condition externe de la juridicité d'un système normatif : elle n'est pas une composante de ce système normatif, mais la qualité juridique du système en question en dépend. L'effectivité grosso modo signifie que, dans les faits, les destinataires se comportent globalement – non nécessairement dans tous les cas – conformément aux prescriptions du système normatif en question. Par contraste, les systèmes normatifs non juridiques apparaissent relativement indépendants de toute effectivité, à l'instar des systèmes normatifs moraux ; l'effectivité grosso modo caractérise ainsi les systèmes juridiques, comme le remarque le Professeur Otto Pfersmann : « Les systèmes juridiques sont les systèmes normatifs qui relient le plus possible le normatif et le factuel. » ; cf. « temporalité et conditionnalité des systèmes juridiques », Revue de la Recherche Juridique – Droit prospectif, 1994, pp. 221-243, p. 222.5 Avec des positions plus ou moins radicales, cf. Charles De Visscher, Théories et réalités en droit international public, A. Pedone, Paris, 1970, 468 p. ; Georges Abi-Saab, « La coutume dans tous ses États ou le dilemme du développement du droit international général dans un monde éclaté », Le droit international à l’heure de sa codification, Etudes en l’honneur de Roberto Ago, 4 volumes, volume 1, Giuffrè, Milan, 1987, 604 p., pp. 53-65 ; Andreas Hasenclever, Peter Mayer, Volker Rittberger, Theories of International Regime, Cambridge University Press, Cambridge, 1997, 264 p. ; Juan-Antonio Carrillo Salcedo, « Reflections on the Existence of a Hierarchy of Norms in International Law », EJIL, vol. 8, 1997, pp. 583-595 ; Michael Byers, Custom, Power and the Power of Rules: International Relations and Customary International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1999, 250 p. ; Jean Combacau, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de philosophie du droit, 1986, pp. 85-105 ; Denis Alland, « Droit international public », in : Denis Alland, Stéphane Rials (éds), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, 1649 p., pp. 497-503 ; Jack L. Goldsmith, Eric A. Posner, The Limits of International Law, Oxford University Press, Oxford, 2005, 262 p. ; Mathias Herdegen, « Asymmetrien in der Staatenwelt und dir Herausforderungen des « konstruktiven Völkerrechts » », ZaöRV, vol. 64, 2004, pp. 571-582 ; Wolfgang Graf Vitzthum, « Die herausgeforderte Einheit der Völkerrechtsordnung », in : Dicke Klaus, Stephan Hobe, Karl-Ulrich Meyn, Anne Peters, Eibe Riedel, Hans-Joachim Schütz, Christian Tietje (éds), Weltinnenrecht – Liber amicorum Jost Delbrück, Duncker & Humblot, Berlin, 2005, 945 p., pp. 849-864 ; Mathias Herdegen, « Das "konstructive Völkerrecht" und seine Grenzen : die Dynamik des Völkerrechts als Methodenfrage », in : Pierre-Marie Dupuy, Bardo Fassbender, Malcolm N. Shaw, Karl-Peter Sommermann (éds), Völkerrecht als Wertordnung – Common Values of International Law, Festschrift für Christian Tomuschat, Engel, Kehl, 2006, 1184 p., pp. 899-911 ; Olivier Corten, Le discours du droit international. Pour un positivisme critique, A. Pedone, Paris, 2009, 352 p.6 Les représailles, c'est-à-dire des « interventions partielles dirigées contre un autre État », sont unanimement considérées comme une sanction internationale ; le cas de la guerre – une « intervention violente et illimitée »' – s'avère plus problématique, étant donné qu'il peut certes s'agir d'une sanction, mais aussi d'un délit. Cf. Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la Seconde Guerre mondiale », RFDC, 16, 1993, p. 761-789, spécialement pp. 780-789.7 Le droit peut avoir un contenu quelconque, y compris ceux-ci : 1. une forte permissivité envers ses destinataires qui peut consister en une autonomie normative extrêmement large ; le principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne en offre une illustration : il permet aux États de produire des normes de tout contenu, y compris

684

De plus, globalement, le droit international se caractérise par sa flexibilité8, aussi bien au niveau

de sa concrétisation par les sous-systèmes juridiques nationaux qu'au niveau de sa propre production

normative, la validité d'une grande partie de son contenu étant conditionnée par un principe d'effectivité 9

: coutumes internationales formées par la pratique, sphère de compétence10, existence même11 des

principaux sujets du droit international, c'est-à-dire les États.

La flexibilité du droit international n'empêche pas que ses principes structurants, c'est-à-dire

des normes qui sont apparemment contraires au droit international (les « inconsistances normatives » autorisées par le droit international) ; 2. un comportement relativement libre y compris la permission d’agir par la violence, et ce, même dans une situation qui ne correspond juridiquement ni à une sanction, ni à un délit ; il en va par exemple ainsi lorsque le maître bénéficie du droit de faire violence à son esclave sans justification ou lorsque les États bénéficient de l'autorisation d'enclencher une guerre d'agression. Pour une discussion critique à propos de la possibilité même d'actes de violences qui ne soient ni des sanctions, ni des délits, cf. : Otto Pfersmann, ibid. 8 Le constat habituel du manque d'effectivité du droit international tient davantage à des difficultés d'identification du contenu du droit international valide qu’à l’effectivité du droit international elle-même. Ces difficultés d'identification s’expliquent en large partie par le contenu coutumier du droit international. Une autre difficulté tient à la démarche sui-vie par la doctrine qui prend souvent en compte davantage les normes matérielles du droit international – telles celles relatives au droit de la guerre, celles relatives aux droits de l’hommes, ou encore celles produites par les organisations internationales – que ses normes formelles de répartition des compétences (principe de souveraineté de l’Etat, principe d'effectivité, pacta sunt servanda...). Il s'ensuit une vision parfois déformée du droit international : si les normes for-melles – qui sont les principes structurants du droit international – ont une effectivité certaine, il en va autrement des normes matérielles qui apparaissent beaucoup plus conjoncturelles, sans doute parce qu'elles sont modifiables par des procédures peu lourdes ; ainsi, un traité international de droit humanitaire peut toujours être modifié par voie coutu-mière, c'est-à-dire par la pratique des États.9 On se heurte ici à un autre problème, celui du paradoxe de la règle formulé par Wittgenstein. L'État se trouve à la fois producteur et destinataire de la norme internationale («double identité» de l'État), de telle sorte qu’une violation de la norme en question peut consister en un processus de modification de celle-ci. Le Professeur Otto Pfersmann remarque que le problème théorique soulevé par la double identité de l'État est « en quelque sorte une autre formulation du paradoxe de la règle chez Wittgenstein ["Notre paradoxe était le suivant : une règle ne pourrait déterminer notre manière d’agir, car toute manière d’agir peut être mise en concordance avec la règle…"]. Selon l’argument qu’il développe dans les Investigations philosophiques [I, § 201], il n’est pas possible de suivre une règle tout seul, parce que toute action sera conforme à une règle conduite après coup. Mais il n’est pas non plus possible de "suivre" une norme collective qui ne serait que le résultat de toutes les actions violentes individuelles sans qu’il n'y ait aucune forme d’explicitation commune de la conduite à suivre. [nouveau §]. Ainsi le véritable problème du droit international, c’est son faible degré d’explicitation, ce ne peut être son entière décentralisation » ; op. cit. note 6, p. 789.La flexibilité du droit international n'empêche pas que ses principes structurants tendent à perdurer sur de vastes périodes. Et une analyse portant sur les données du droit positif permet de les identifier. Le principe d'effectivité est lui-même une composante du droit international positif, de sorte que c'est toujours sur le fondement d'un principe formel du droit international que s'opèrent les modifications du droit international, y compris celles qui résultent de la violation d'une réglementation matérielle du droit international.10 Carl Schmitt dit, spécifiquement à propos de la sphère de compétence spatiale de l'État, qu'« il semblerait que la souveraineté étatique, dont on sait qu’elle s’accompagne de la puissance organisée de l'État s’exerçant de façon effective sur une surface délimitée, s’étend d’elle-même au domaine couvert à tout instant par son pouvoir étatique effectif. En ce sens, la logique d’un droit des gens interétatique d'États souverains voudrait que toute occupation militaire effective d’un territoire par un État entraîne changement immédiat de souveraineté sur le territoire occupé, à moins que l'État occupant, en vertu de sa propre volonté souveraine, ne souhaite ce changement de souveraineté non pour soi-même, mais pour un autre souverain » ; cf. Le nomos de la Terre, PUF, Paris, 2001, 363 p., pp. 200-201En ce qui concerne la sphère de compétence personnelle, l'État ne dispose pas en principe de la compétence pour prévoir le comportement des individus qui ne se situent en aucune manière – ni actuellement, ni potentiellement – sous son contrôle effectif, et il en va ainsi des individus à la fois situés hors territoire étatique et non-nationaux. Le droit positif contient toutefois des exceptions, parmi lesquelles on trouve les infractions internationales, dont la piraterie maritime, et le développement d'une compétence universelle des juridictions internes (cf. Gilbert Guillaume, « La compétence universelle, formes anciennes et nouvelles », in : Mélanges offerts à Georges Levasseur – Droit pénal, droit européen, Litec, Paris, 1992, 488 p., p. 37 et svtes).La sphère de compétence temporelle est aussi délimitée par le principe d'effectivité du droit international, comme le montre, dans le cadre d'une succession d'États, l'interdiction pesant sur l'État de porter atteinte aux droits privés par les

685

ceux relatifs à la répartition des compétences, sont depuis l'affirmation des États « souverains », soit

autour du XVIIe s.12, relativement stables. Il en va ainsi du principe d'effectivité, du principe pacta sunt

servanda, des principes relatifs à la détermination de la sphère de compétence de l'État, y compris son

autonomie organique13 et sa compétence exclusive sur son territoire, du principe d'égale souveraineté

des États14, des principes constitutifs d'espaces libres de souveraineté15. D'un point de vue historique, la

stabilité de ces principes, qui ne sont aucunement naturels, manifeste l'unité de la période historique de

l'Époque moderne.

particuliers sous l'État prédécesseur. A l'occasion de son avis consultatif du 10 septembre 1923 – affaire des colons d’origine allemande dans les territoires cédés par l’Allemagne à la Pologne, la Cour permanente de justice internationale énonce que : « les droits privés, acquis conformément au droit en vigueur, ne deviennent point caducs à la suite d’un changement de souveraineté. » ; série B, n°6, p. 36.En l'état actuel du droit, la sphère de compétence matérielle de l'État est en principe illimitée par le droit international. Une limitation internationale de la sphère de compétence matérielle de l'État n'en reste pas moins imaginable, et elle a d'ailleurs historiquement existé, comme l'illustre, au Moyen Âge, l'incompétence des États laïques en matière spirituelle, qui relevait alors de la sphère de compétence de l'Église.11 Le principe d'effectivité réglemente en principe – outre la voie conventionnelle – la création et la destruction des États. Cf. Hans Kelsen, « La naissance de l'État et la formation de sa nationalité : les principes ; leur application au cas de la Tchécoslovaquie », Revue de droit international, vol. 4, 1929, pp. 613-641 ; James Crawford, The Creation of States in International Law, 2ème éd., Oxford University Press, New York, 2007, 870 p.12 Le Traité de Westphalie de 1648 est souvent analysé comme le tournant, la doctrine allant jusqu'à parler d'une « Ère westphalienne » qu'il ouvre. Le poids de ce traité semble en réalité surestimé : 1. Les États prétendument souverains à l'issue du Traité de Westphalie le sont sur le fondement d'un traité international ; 2. La plupart de ces États demeurent membres du Saint-Empire romain germanique qui est leur système juridique supérieur immédiat (« immédiateté impériale ») !Le Traité de Westphalie marque plutôt une étape dans un processus plus large de modification du droit international par voie coutumière vers une autonomie de plus en plus large de l'État. Cf. inter alia : Christopher Harding, Chin L. Lim, « The significance of Westphalia : an archaeology of the international legal order », in : Christopher Harding, Chin L. Lim (éd.), Renegotiating Westphalia, Kluwer, La Haye, 1999, 393 p., pp. 1-23.13 Le principe d'autonomie organique de l'État est peut-être, à côté du principe de compétence exclusive de l'État sur le territoire, le principe qui caractérise le plus le système juridique international moderne, puisqu'il met fin à la compétence de l'Église dans la sphère domestique de l'État (sécularisation) ainsi que, plus accessoirement, à la prohibition de la tyrannie, qui était un principe valable dans les Temps médiévaux. Cf. Harold J. Berman, Law and Revolution II : The Impact of the Protestant Reformations on the Western Legal Tradition, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts)/Londres, 2003, 522 p.Carl Schmitt dit, à propos de la prohibition de la tyrannie : « Dans les constructions juridiques des romanistes des XIVe et XVe siècles, l’union d’un empire chrétien et d’une royauté territoriale, dont procède l’œuvre d’un kat-echon [une force qui retient la fin du monde], était déjà complétement oubliée. Bartole et tous les autres juristes et publicistes italiens du XIVe siècle ne savent plus que l’empereur a cette mission de kat-echon. Ils ont même oublié ce fait d’histoire: au regard des cités de l’Italie septentrionale et centrale il était non seulement empereur romain, mais d’abord roi d’Italie. La dissolution de ces concepts spatiaux annonce la dissolution générale de l’ordre médiéval. Néanmoins, même la doctrine des civitates superiorem non recognoscentes indépendantes conservait d’importants vestiges d’une unité globale représentée par le pape et l’empereur. En particulier, l’empereur restait encore, même au XIVe siècle, le gardien du droit et de la liberté de ces civitates indépendantes. Il avait encore pour mission de mettre hors d’état de nuire les ennemis du droit et de la liberté d’une civitas, en particulier un tyran. » ; cf. op. cit. note 10, p. 68.14 Emmerich de Vattel remarque le principe d'égalité souveraineté des États dès 1758 : « Un Nain est aussi bien un homme, qu'un Géant : Une petite République n'est pas moins un État souverain que le plus puissant Roïaume » ; cf. Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains , 2 volumes, Londres, 1758, préliminaires, § 18. L'auteur simplifie néanmoins l'état du droit. En effet, il énumère par la suite différentes catégories d'États qu'il considère « également souverains », mais qui se trouvent en réalité dans des situations juridiques très différentes : Les « États liés par des Alliances inégales », les « États liés par des Traités de Protection », les « États Tributaires », les « États Feudataires » (les « Nations germaniques »), « Deux États soumis au même Prince » (cas de l'union personnelle), les « États formant une République Fédérative » (l'auteur cite comme exemple historique les cités grecques et comme exemples contemporains les « Provinces-Unies des Pays-bas » et les « Membres du Corps Helvétique ») . Le principe d'égale souveraineté s'est progressivement développé jusqu'à présent. Il y a encore peu, voire actuellement, dans le cadre du processus de décolonisation, le droit international comprenait et comprend encore des États « semi-

686

D'autres principes généraux du droit international sont plus conjoncturels : principes relatifs à la guerre,

tant en matière de droit à la guerre (jus ad bellum) que de droit dans la guerre (jus in bello), principe du

droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'Union européenne est souvent présentée comme une

nouveauté radicale, alors qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un processus contemporain, celui de la

formation d'organisations internationales. De même que les autres organisations internationales, elle

exerce ses compétences dans le cadre des principes structurants du droit international16 et n'a que peu

d'incidences sur leur contenu17. En revanche, sa principale originalité, c'est-à-dire la combinaison entre

primauté et applicabilité directe, est significative du recul du principe d'indifférence du droit

international par rapport au droit interne.

Le principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne connaît une évolution

souverains » qui sont des entités ne disposant pas en droit international de tous les attributs de la souveraineté : mandats, protectorats...15 Pour un aperçu historique du droit des espaces libres de souveraineté, cf. Carl Schmitt, op. cit. note 10.16 Monsieur András Jakab dit que : « [un] nouveau défi à la souveraineté juridique internationale traditionnelle [...] est l’intégration européenne. Au regard des États membres de l'UE, il n'est plus plausible de parler du concept traditionnel de souveraineté, du fait que le droit communautaire, de façon évidente, intervient fortement dans les relations interétatiques des États membres, mais également du fait qu’il se considère lui-même comme une autorité originelle (non déléguée). » ; cf. « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », Jus Politicum, vol. 1, 2008, 26 p., p. 13. L'activisme juridique de l'Union européenne n'implique pas un changement radical. Les deux aspects les plus marquants du droit de l'Union, primauté et applicabilité directe, s'analysent comme un recul supplémentaire du principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne. Le droit de l'Union européenne est, à l'instar de toute organisation internationale, un système juridique délégué et un système juridique délégataire ; il s'agit en effet d'un système juridique délégué par le droit international général (un sous-système du droit international général) et d'un système juridique délégataire par rapport aux Etats membres. La structure de l'Union européenne s'apparente à d'autres systèmes juridiques intermédiaires régionaux forts qui présentent la particularité de s'adresser directement aux destinataires des systèmes juridiques délégués, à l'instar de la Ligue de Délos. La Ligue de Délos était un système juridique intermédiaire entre le droit pan-hellénique et le droit des cités membres. Parmi les obligations qu'elle prévoyait, on trouve : l'alliance militaire, l'obligation pour les cités membres d'utiliser les monnaies et unités de poids et de mesures athéniennes, l'obligation de fournir des navires de guerre ou de verser un tribut à la Ligue (une forme d'intégration économique dans une société où l'économie est axée sur le don), l'obligation de recevoir des clérouques (soldats-citoyens formant une garnison) en cas de non-satisfaction des obligations précédentes. Ces obligations lient les cités membres en leur ensemble, mais aussi directement les simples citoyens ; cf. par exemple, le serment individuel obligatoirement prêté par tous les habitants de Chalcis : « Je ne me séparerai du peuple des Athéniens [ni de ses alliés] par aucune ruse ni manœuvre, ni en paroles ni en action, et je n’obéirai point à quiconque se séparerait d’eux ; si quelqu’un pousse à la défection, je le dénoncerai aux Athéniens », cité par Paul Foucart dans : « Décret des Athéniens relatif à la ville de Chalcis », Revue archéologique, avril 1877, pp. 242-262). La sanction assortie à la rébellion ou à la défection d'une cité est la guerre et la réintégration de force dans la Ligue ; d'autres sanctions sont dirigées directement vers les individus, notamment pour les faits suivants : connivence avec l’ennemi, trahison, manœuvres ayant pour objet d’empêcher le paiement du tribut. 17 La doctrine récente à propos d'une éventuelle constitution internationale qui pourrait être formée par le biais des organisations est immense, cf. inter alia : Bardo Fassbender, « The United Nations Charter As Constitution of the International Community », Columbia Journal of Transnational Law, vol. 36, 1998, pp. 529-619 ; Brun-Otto Bryde, « Konstitutionalisierung des Völkerrechts und Internationalisierung des Verfassungsrechts », Der Staat, vol. 42, 2003, pp. 61-75 ; Bardo Fassbender, « Die Souveränität des Staates als Autonomie im Rahmen der völkerrechtlichen Verfassung », in : Heinz-Peter Mansel, Thomas Pfeiffer, Herbert Kronke, Christian Kohler, Rainer Haufmann (éds), Festschrift für Erik Jayme, Sellier, Munich, 2004, 1849 p., pp. 1089-1101 ; Stefan Kadelbach, Thomas Kleinlein, « Überstaatliches Verfassungsrecht : Zur Konstitutionalisierung im Völkerrecht », AVR, vol. 44, 2006, pp. 235-266.La constitution de la Communauté international est plutôt à rechercher dans ses principes structurants. Il s'agit en effet de normes de répartition des compétences qui forment une « constitution internationale ». La volonté de « constitutionnaliser » le droit international relève en vérité d'une volonté politique ou morale.

687

complexe. Peu de traces en sont relevables dans la doctrine antérieure à la fin du XIXe s., la plupart des

auteurs classiques mêlant le droit international et le droit interne dans leurs ouvrages relatifs au « droit

des gens », ce qui est sans doute liée à une inter-relation peu contestée entre le contenu de ces systèmes

juridiques18. Si l'autonomie organique de l'État est admise par la doctrine19, la réglementation matérielle

internationale semble directement applicable dans leur sphère domestique, par exemple en matière de

droit commercial, de droit des étrangers, de jus in bello, de droit maritime. De même, la pratique des

organes internes tend à une application immédiate du droit international20. En dépit du manque

d'indications claires, la formation du principe d'indifférence du droit international par rapport au droit

interne peut tout de même être restituée à partir des écrits juridiques21 : la doctrine des débuts décrit un

« droit des gens » global qui ne sépare pas ce qui s'adresse aux individus (intra gentes) et ce qui

s'adresse aux États (inter gentes)22. Au fur et à mesure, cette différenciation s'amplifie23 jusqu'à aboutir à

la conception d'un droit international qui s'adresse exclusivement aux États à l'exclusion des individus

eux-mêmes, dont le comportement est entièrement de la compétence domestique de l'État 24. Même s'il

18 Cela s'étend sur une longue période, cf. inter alia dans l'ordre chronologique : Bartole de Sassoferrato, De regimini civitatis, De tyranno, De statutis, Diego Quaglioni (éd.), L. S. Olschki, Florence, 1983, 257 p. ; Jacques de Révigny, Lectura super prima et secunda parte codicis, ad. C.7.33.12, faussement attribué à Bartole par l’éditeur du XVIe s., 1519, Paris, fol. 344 v. ; Balde de Ubaldis, Super usibus feudorum interpretatio, Pavie, 1495 ; Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix (1625), trad. Paul Pradier-Fodéré, PUF, Paris, 2012, 888 p. ; Richard Zouche (1650), Iuris et iudicii fecialis, sive iuris inter gentes, et quaestionum de eodem explicatio, 2 volumes, Carnegie Institution of Washington, Washington D.C., 1911, 270 p. (l'auteur analyse plus de 200 thèmes qui ne relèvent pas de la sphère matérielle du droit international contemporain) ; Cornelius van Bynkershoek ; cf. Les deux livres des questions de droit public, dont le premier est sur la matiere des guerres, et le second sur des matieres de themes divers (1737), trad. Dominique Gaurier, Pulim, Limoges, 494 p. ; Emmerich de Vattel (1758), op. cit. note 14.A la fin du XIXe s. encore, le juriste anglais John Westlake soutient l'existence d'une personnalité juridique internationale des individus, restreignant corrélativement la souveraineté des États ; cf. Chapters on the principles of international law (1894), Bibliolife, Charleston, 2009, 275 p.19 Pour Emmerich de Vattel (1758) : « [La] Nation est en plein droit de former elle-même sa Constitution, de la maintenir, de la perfectionner, & de régler à sa volonté tout ce qui concerne le Gouvernement. [...] S'il s'élève dans l’État des contestations sur les Loix fondamentales, sur l’administration publique, sur les droits des différentes Puissances qui y ont part, il appartient uniquement à la Nation d'en juger & de les terminer conformément à sa Constitution politique. » ; cf. op. cit. note 14 (vol. 1, livre 1, chapitre 3, § 31 et § 36.20 Cf. inter alia : Georg-Friedrich von Martens, Erzählungen merkwürdiger Fälle des neueren europäischen Völkerrechts in einer praktischen Sammlung von Staatsschriften aller Art in deutscher und französischer Sprache, Philipp Georg Schröder, Göttingen, 1800, 381 p.21Cf.. Wilhelm G. Grewe, Epochen der Völkerrechtsgeschichte, Nomos, Baden-Baden, 1984, 897 p. ; Marie-France Renoux-Zagamé, « La disparition du droit des gens classique », Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, pp. 23-53 ; Emmanuelle Jouannet, Emer de Vattel et l'émergence doctrinale du droit international classique, A. Pedone, Paris, 1998, 490 p.22 La distinction entre « jus intra gentes » et « jus inter gentes » est attribuée à Francisco Suárez ; cf. : De Legibus ac Deo Legislatore, 1612, disponible in : Selections from three works of Francisco Suarez, S.J. : de legibus, ac deo legislatore, 1612 ; Defensio fidei catholicae, et apostolicae adversus anglicanae sectae errores, 1613 ; De triplici virtute theologica, fide, spe, et charitate, 1621, Clarendon Press/Humphrey Milton, Oxford/Londres, 1944.23L'œuvre de Emmerich de Vattel (1758) est souvent considérée comme le tournant vers la conception contemporaine du droit international, en ce qu'elle prend surtout pour objet – mais non exclusivement – les relations inter-étatiques ; cf. op. cit. note 14. La distinction entre jus intra gentes et jus inter gentes demeure néanmoins relative, par exemple lorsque l'auteur traite des droits et obligations des étrangers dans le livre « De la Nation considérée dans ses relations avec les autres » (tome 1, livre 2, chapitre 8)24 Cf. inter alia, avec beaucoup de nuances : August Wilhelm Heffter, Das europäische Völkerrecht der Gegenwart : auf den bisherigen Grundlagen, E.H. Schroeder, Berlin, 1867, 487 p. ; Johann Caspar Bluntschli, Das moderne Völkerrecht der civilisirten Staten als Rechtsbuch dargestellt, 3ème éd., C.H. Beck, Nördlingen, 1878, 520 p. (le livre 5 est relatif à la relation entre l'État et le simple particulier, pp. 209-229) ; Franz von Liszt, Das Völkerrecht systematisch dargestellt, O. Haering, Berlin, 1898, 254 p.

688

n'est pas certain que la doctrine rende pleinement compte du droit positif, le principe d'indifférence du

droit international par rapport au droit interne apparaît accompli dans toute son étendue à la fin du XIXe

s. et au début du XXe s., c'est-à-dire au moment où les deux principales théories antagonistes de la

relation entre droit international et droit interne sont construites, soit le « dualisme » puis le

« monisme ». Il s'est depuis réduit par l'émergence du droit international d'applicabilité directe et du ius

cogens, ainsi que par la formation de droits internationaux particuliers supranationaux, surtout celui de

l'Union européenne.

Les incidences de ce contexte juridique, marqué par le principe d'indifférence du droit international par

rapport au droit interne, divergent selon la théorie en question. La théorie dualiste affirme ainsi la

séparation complète entre le droit international et le droit interne. Contrairement à ce qui est parfois

soutenu, la théorie dualiste n'est peut être pas tant lié à l'idéologie souverainiste de ses auteurs qu'à une

généralisation excessive de l'état du droit international alors en vigueur. Du côté de la théorie moniste,

dans sa version viennoise, la théorie du droit est au départ surtout élaborée à partir des données du droit

interne25. C'est peut-être le principe d'indifférence du droit international qui a rendu cela possible, en tant

qu'il isole le droit interne du droit international, réduisant ainsi la complexité du premier et ouvrant la

possibilité d'une explication fondée sur une systématique. Les difficultés sont survenues par la suite

lorsqu'il a fallu rendre compte simultanément de la hiérarchie des normes dans un système juridique et

de la hiérarchie entre systèmes juridiques : la construction de la théorie de la hiérarchie des normes à

partir des seules données du droit interne – la « constitution » étant conçue comme la norme

fondamentale26 – peut sembler difficilement conciliable avec la positivité d'un système juridique

supérieur à l'État27. L'exigence, ainsi résumée par Adolf Merkl, demeure néanmoins la suivante : « Si

25 Pour un aperçu historique de la construction de la théorie de la hiérarchie des normes, cf. Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l'œuvre d'Adolf Merkl », RDP, vol. 45, 1928, pp. 668-696 ; Stanley L. Paulson, « Zur Stufenbaulehre Merkls in ihrer Bedeutung für die Allgemeine Rechtslehre », in : Robert Walter (éd.), Adolf J. Merkl, Werk und Wirksamkeit, Ergebnisse einer Internationalen Symposions in Wien (22.-23. März 1990) , Manz, Vienne, 1990, 319 p., p. 93 et svtes ; Gabriele Kucsko-Stadlmayer, « Der Beitrag Adolf Merkls zur Reinen Rechtslehre », in : Robert Walter (éd.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Manz, Vienne, 1992, 172 p., p. 107 et svtes ; Heinz Mayer, « Die Theorie des rechtlichen Stufenbaus », in : Robert Walter (éd.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Manz, Vienne, 1992, 172 p., p. 37 et svtes ; Andràs Jakab, « Problèmes de la Stufenbaulehre. L'échec de l'idée d'inférence et les perspectives de la théorie pure du droit », Droit et Société, vol. 66, 2008, pp. 411-450. 26 A propos de la distinction entre « constitution au sens logique » et « constitution du droit positif », cf. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2ème éd., Dalloz, Paris, 1962, 463 p., spécialement pp. 261-273. Cf. aussi : Alfred Verdross, « Zum Problem der Rechtsunterworfenheit des Gesetzgebers », JBl, 1916, pp. 471-473 et 483-486 ; Hans Kelsen, « Die Funktion der Verfassung », Forum XI, vol. 132, 1964, pp. 583-586 ; reproduit in : Hans R. Klecatsky, René Marcic, Herbert Schambeck (éds), Die Wiener Rechtstheoretische Schule : Schriften von Hans Kelsen, Adolf Merkl, Alfred Verdross, Europa-Verlag, Vienne-Salzbourg, 1968, 2409 p., pp. 1971-1979 ; Robert Walter, « Entstehung und Entwicklung des Gedankens der Grundnorm », in : Robert Walter (éd.), Schwerpunkte der Reinen Rechtslehre, Manz, Vienne, 1992, 172 p., pp. 47-59.27 Pour certains auteurs, la théorie moniste aurait là abouti à une impasse. Monsieur Andràs Jakab dit ainsi que : « Pour résoudre la question des rapports entre le monisme et la hiérarchie des normes, on peut émettre l’hypothèse que le monisme ne serait pas nécessairement attaché à la Stufenbaulehre : il serait alors possible de travailler avec les normes fondamentales de chacun des ordres juridiques nationaux et de résoudre la question de l’origine de la validité du droit ou encore celle de l’unité de l’ordre juridique. Ainsi, le point de vue dualiste serait également parfaitement compatible avec la Stufenbaulehred » ; cf. op. cit. note 25, spécialement p. 428.A notre sens, un des principaux obstacles à une théorie unifiée du droit, c'est-à-dire capable de rendre compte à la fois de la hiérarchie des normes dans un système juridique déterminé et de la hiérarchie entre systèmes juridiques, est la définition de la validité en tant que « mode d'existence » souvent retenue par Hans Kelsen. Une définition de la validité

689

l’on veut présenter le chaos des formes juridiques comme une somme de phénomènes cohérents, comme

un système à part entière, comme un cosmos du droit, [...] on doit alors montrer qu’il est le résultat

d’une origine commune28 ».

La doctrine actuelle se heurte à une complexification croissante des systèmes juridiques, grandement

liée à de nouvelles inter-relations entre systèmes juridiques, peut être moins inédites que ce que l'on

croit, à l'instar de l'applicabilité directe du droit international ou supra-national qui s'analyse comme une

restriction du principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne. Dans ce contexte,

la construction d'une théorie unifiée du droit, c'est-à-dire capable de rendre compte à la fois de la

hiérarchie des normes dans un système juridique déterminé et de la relation hiérarchique entre systèmes

juridiques, passe aussi par une récapitulation historique. Les universitaires du XIIIe et XIVe s. analysent

les données du droit positif en termes de rapports juridiquement organisés entre systèmes29. La théorie

moniste est souvent présentée comme une nouveauté, aspirant à présenter un « cosmos juridique »

unifié30 ; alors qu'au contraire, elle s'inscrit dans la tradition de la science juridique, par contraste avec la

théorie dualiste qui ne s'est construite qu'à partir de l'idéologie moderne de la souveraineté31.

par l'« appartenance » à un système juridique donné semble plus optimale, car elle permet d'analyser la différenciation entre systèmes juridiques. Une norme appartient ainsi au système juridique international sans pour autant être valide en droit interne ou, à l'inverse, une norme appartient au système juridique interne sans pour autant être valide en droit international. Comme le système juridique international est le système juridique supérieur, les normes qui lui appartiennent peuvent avoir certains effets juridiques sur le système juridique de l'État, même si elles n'en sont pas une composante. Et cela n'entrave pas pour autant l'analyse de la hiérarchie des normes à l'intérieur du système juridique de l'État, étant donné son objet n'est autre que la relation entre les normes appartenant à ce système juridique. 28 Adolf Merkl, Die lehre von der rechtskraft entwickelt aus dem rechtsbegriff : Eine rechtstheoretische untersuchung , F. Deuticke, Vienne, 1923, 302 p., p. 210.29 Cf. par exemple, la discussion à propos de la situation juridique du Royaume de France par rapport au Saint-Empire romain germanique, alors censé être un système juridique supérieur par rapport aux différents royaumes :

D’après Jacques de Révigny (mort en 1296) : « Certains disent que la France est exemptée de l’Empire ; cela est impossible juridiquement. Que la France est sujet de l’Empire, vous l’avez en C.I.27.2, 2 [référence au locus classicus qui est l’argumentation juridique suivant laquelle les rois de France et d’Espagne sont sujets de l’empereur]. Si le roi de France ne le reconnaît pas, cela m’est indifférent. », cité en latin par Eduard Maurits Meijers ; cf. Etudes d’histoire du droit, vol. 3, Universitaire Pers Leiden, Leyde, 1959, 323 p., p. 192.

Pour Balde de Ubaldis (mort en 1400), la réponse n'est pas certaine en raison du principe d'effectivité : « Je réponds que tous sont sujets [de l’Empire] de iure et de mérite ; mais tous ne sont pas sujets par la coutume ; et par là pèchent comme le roi de France et plusieurs autres rois (…) et il est possible que le royaume de Francie ne soit pas subordonné à l’Empire romain, qu’il n’en soit pas la possession, car l’Empire n’est pas universel, mais il est une chose de dire universel et l’autre intègre. » ; cf. Super usibus feudorum interpretatio, Pavie, 1495, 2.53. 30 Jochen von Bernstorff, Der Glaube an das universale Recht. Zur Völkerrechtstheorie Hans Kelsens und seiner Schüler, Nomos, Baden-Baden, 2001, 233 p. András Jakab, « La doctrine kelsenienne du droit international : Entre l'épistémologie et la politique », Droits, 2007, pp. 209-222 (avec de nombreuses références). A projet de la relation entre le projet descriptif de Hans Kelsen – la Théorie pure du droit – et son projet politique qui aspire au maintien le plus efficace de la paix, cf. Otto Pfersmann, op. cit. note 6.31 Selon Carl Schmitt, la « souveraineté » est un « concept théologique sécularisé » ; cf. Théologie Politique, trad. Jean-Louis Schlegel, Gallimard, Paris, 1988, 182 p.. Il se pourrait cependant que la rupture entre la pensée juridique médiévale et la pensée juridique moderne « souverainiste » soit plus grande encore. En effet, la pensée médiévale apparaît dans un certain sens davantage « positiviste » en sa démarche, puisqu'elle conçoit les forces spirituelles comme des forces agissantes dans le monde, qui participent ainsi de manière dynamique à la production de normes juridiques ; cf. la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin ainsi que la démarche adoptée durant la même période en Andalousie par les jurisconsultes musulmans et juifs, par exemple par Moïse Maïmonide dans son Livre des commandements. L'idéologie moderne de la « souveraineté » amène en revanche à une conception du droit positif prétendument plus réaliste, mais incapable de rendre compte de son dynamisme.

690

Bibliographie

1. Bibliographie relative au droit allemand 692

2. Bibliographie relative au droit autrichien 700

3. Bibliographie relative au droit français 705

4. Bibliographie relative aux États de Common Law1 710

5. Bibliographie générale relative au droit international (ainsi qu'au droit de l'Union européenne)

714

6. Bibliographie spéciale relative à la relation entre systèmes juridiques (généralités dont la «souveraineté» et «monisme/dualisme», études comparatives, autres droits nationaux)

728

7. Théorie générale du droit et varia (ouvrages juridiques généraux, classiques du droit, histoire du droit, philosophie politique)

742

Remarque : l'ordre alphabétique ne tient pas compte des particules du nom patronymique 'de', 'van' et 'von'.

1 Étant donné la richesse de la recherche en matière de relation entre droit international coutumier et droit interne dans les Etats de Common Law, une bibliographie spéciale leur est attribuée.

691

1. Bibliographie relative au droit allemand

1.1. Ouvrages

Robert ALEXY, Theorie der Grundrechte, Nomos, Baden-Baden, 1985, 548 p.

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Robert WALTER, Österreichisches Bundesverfassungsrecht - System, Manz, Vienne, 1972, 872 p.

Robert WALTER, Heinz MAYER, Gabriele KUCSKO-STADLMAYER, Bundesverfassungsrecht, 10ème éd., Manz, Vienne, 2007, 850 p.

Max WENZEL, Juristische Grundprobleme. 1. Der Begriff des Gesetzes – Zugleich eine Untersuchung zum Begriff des Staats und Problem des Völkerrechts, Dümmler, Berlin 1920, 521 p.

Ewald WIEDERIN, Bundesrecht und Landesrecht: Zugleich ein Beitrag zu Strukturproblemen der bundesstaatlichen Kompetenzverteilung in Österreich und in Deutschland, Springer, Vienne, 1995, 477 p.

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746

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONSSOMMAIRE

INTRODUCTION 1

§ 1. Objet de l'étude 3

A. Délimitation de l'objet de la recherche : ce qui est exclu 3

B. Délimitation de l'objet de la recherche : ce qui est inclus 5

§ 2. Outils d'analyse 8

A. Méthode analytique 81. normativiste 92. comparative 103. descriptive 11

B. Concepts 131. Concepts relatifs à la relation entre le droit international et le droit interne 152. Concepts généraux 29

§ 3. État de la recherche 36

A. Monographies récentes 37

B. Apport à la recherche 391. Apport théorique 39 a. Pour une conception unifiée du droit 39 b. Un approfondissement de la théorie moniste : 492. Apport relatif au droit positif 51

§ 4. Thèse proposée 54

A. Problématique 54

B. Énoncé de la thèse 56

C. Présentation du plan 56

747

PREMIÈRE PARTIE :LE PROBLÈME DE LA TRANSFORMATION

DES RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT INTERNATIONAL

TITRE 1 :LA RELATION ENTRE LA VALIDITÉ INTERNATIONALE ET

LA VALIDITÉ INTERNE (SELON L'ORDRE DE PRODUCTION)

Introduction au titre : 61

a. Les différentes acceptions des termes «monisme» et «dualisme» comme manifestant une confusion entre théorie et technique

62

b. Typologie des modes d'applicabilité du droit international dans la sphère du droit interne 68

α. Précisions terminologiques 68 β. Tableau des modes d'applicabilité 71

γ. Le modèle anglais concernant le mode d'applicabilité des coutumes internationales 75

Chapitre 1 : Le fondement constitutionnel de la transformation des règles générales du droit international en droit interne 82

Section 1 : Les techniques de transformation 82

I. Le mode d'applicabilité 82A. Les significations possibles du fondement constitutionnel quant au mode d'applicabilité 831. La question de la continuité par rapport à la tradition constitutionnelle ancienne 832. Le problème de la normativité même des dispositions constitutionnelles 105 a. Incertitude relative à l'emplacement de la norme dans le texte constitutionnel 105 b. Incertitude relative au contenu de la norme 1063. La classification des dispositions constitutionnelles nationales parmi les différents modes d'applicabilité

possibles115

B. Théorie de la transposition (transformation ipso iure du droit international en droit interne) 1371. Caractérisation de la transposition 1382. La distinction entre la norme transposante et la norme transposée 1403. Validité en tant que droit interne ou validité internationale ? 141C. L'identification des règles générales du droit international 1471. La fonction d'identification 151

748

a. Les organes contribuant à l'identification 153 b. Le contentieux de l'identification 1542. Les critères d'identification 160

II. Les conditions de l'applicabilité du droit international général 167A. Les conditions relatives à la forme normative de droit international 1681. Les normes exclues : traités internationaux, actes unilatéraux des organisations internationales et des États, cas particulier des relations interfédérales, précisions relatives à l’usage du terme «public» dans l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 1682. Les normes incluses 186 a. Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés 187 b. Les coutumes 202

α. Aperçu théorique de la coutume (internationale et interne) 202β. La coutume, forme normative principalement visée par les dispositions constitutionnelles nationales relatives au droit international général

206

B. Les conditions relatives au contenu de la norme internationale 2161. La condition de généralité et la condition de caractère absolu 216 a. Le degré de généralité 217 b. Les normes de ius cogens 2282. Le degré de compatibilité avec le droit interne 233

Section 2 : Le rang des règles générales du droit international selon la relation de production (en tant que normes conditionnées) 237

I. La relation à la constitution 240A. La constitution comme unique fondement interne de la validité des règles générales du droit international 240B. L'indétermination du contenu des normes transformées en droit interne par la norme constitutionnelle de transposition 240 1. La reproduction du contenu d'une norme de droit international 240 2. La double validité selon le contenu 241C. La transposition comme processus immédiat 242

II. Le problème de la relation au droit international général 242A. La validité interne dépendante de la validité internationale 2431. la validité internationale comme unique condition formelle de la validité interne 2432. Le problème de la compétence de l'exécutif en matière de relations internationales comme conditionnant la validité des règles générales du droit international 244B. La question du droit de l'Union européenne en tant que système juridique partiellement intermédiaire entre le droit international général et le droit interne 2451. Le droit de l'Union européenne en tant que système juridique délégué par le droit international 248 a. L'applicabilité de principe du droit international général en droit de l'Union européenne 248 b. La répartition des compétences entre droit de l'Union européenne et droit des États membres pour la concrétisation du droit international 250

749

2. Le droit de l'Union européenne en tant que système juridique délégataire du droit interne 251 a. L'applicabilité par la négative des règles générales du droit international 251 b. Les « principes généraux du droit communautaire » 253

Chapitre 2 : l'applicabilité du droit international général en dehors du fondement constitutionnel de transformation («application immédiate»)

255

Section 1 : L'application immédiate du droit international par les organes internes sur le fondement du droit international 255

I. Le principe du droit international : « Le droit international est applicable par les organes internes d'application du droit à moins qu'une norme interne interdise cette application » 256

A. L'habilitation des organes internes à appliquer immédiatement le droit international 256B. La pratique des organes internes 258

II. La limite du principe : la compétence de l'État d'interdire l'application immédiate 261A. Interdiction directe ou indirecte 261B. L'étendue de l'interdiction 2621. Interdiction totale ou partielle 2622. La limite de la limite : le cas de l'applicabilité directe du droit international 264

Section 2 : L'alternative entre applicabilité du droit international général sur le fondement constitutionnel et en dehors de celui-ci 264

I. Les configurations possibles 265

II. L'application immédiate dépendante des principes structurants du système juridique interne 268

Digression empirique relative à la distinction entre «validité» et «applicabilité» 270

750

TITRE 2 LA CONCRÉTISATION DES RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT INTERNATIONAL

(EN TANT QUE CONDITIONNANTES)

Introduction au titre : 277i. La concrétisation 277ii. La distinction entre «implémentation» et «transformation» 277 ii.i. La concrétisation des normes internationales transformées en droit interne 278 ii.ii. L'«implémentation» 279 ii.iii. La relation entre «implémentation» et «transformation» 280iii. La détermination des organes internes compétents 281

Chapitre 1 : L'habilitation générale à concrétiser les normes transformées dans la sphère interne 283

Section 1 : Les règles générales du droit international en tant que composantes du droit objectif en vigueur 284

I. La modalisation de l'habilitation à concrétiser les règles générales du droit international (autorisation, obligation, interdiction) 285

A. L'autorisation de concrétiser (« habilitation-permission ») 285B. L'obligation de concrétiser (« habilitation-obligation ») 291C. La concrétisation négative (« habilitation-interdiction ») 295

II. Les organes compétents 302A. La répartition des compétences entre organes centraux (législatif, exécutif, juridictionnel) 302B. La répartition des compétences dans le cadre de l'État fédéral (répartition des compétences « verticale ») 304

Section 2 : La concrétisation limitée par les compétences contentieuses des juridictions : l'articulation entre invocabilité et applicabilité 309

I. L’invocabilité des règles générales du droit international dépendante des formes internes de contentieux 310

A. L'invocabilité des règles générales du droit international en tant que composantes du « droit objectif en vigueur » 3141. Le contentieux à titre principal 3142. La question incidente 323 a. Les matières supposant la résolution d'une question à titre incident 325

751

b. Les principaux objets de la question à titre incident 331B. La création de droits et obligations invocables par le particulier 346

II. Les limites à l'invocabilité des règles générales du droit international dans la sphère des relations entre États (notamment « théorie des actes de gouvernement ») 358

Chapitre 2 : L'implémentation des règles générales du droit international 372

Section 1 : L' « applicabilité indirecte » des normes du droit international 374

I. L'implémentation en tant que production de normes internationales par l'État 375A. Les organes étatiques participant à la production du droit international général 3761. « organes extérieurs » et « organes intérieurs » 3762. La relativité de la distinction entre la sphère de compétence internationale et la sphère de compétence interne de l'État 381B. Les incidences de la transformation sur l'encadrement juridique du « pouvoir extérieur » 3841. La création d'obligations destinées aux organes étatiques agissant dans la sphère internationale 385 a. L'étendue de l'obligation constitutionnelle de respecter le droit international dans la sphère internationale

386

b. La mise en œuvre du principe ex injuria jus non oritur 3912. le problème de la répartition des compétences en droit interne 397

II. L'implémentation en tant que mode de concrétisation traditionnel du droit international par l'État dans sa sphère interne 402

A. La concrétisation du droit international par l'État en tant que complément du droit international général : l'exemple de la lutte contre la piraterie maritime 404B. La relation entre « implémentation » et « transformation » en droit interne 4101. L'absence de nécessité de la transformation en droit interne pour la concrétisation du droit international 3102. Les incidences de la transformation sur l'implémentation traditionnelle 312

Section 2 : l'« applicabilité directe » du droit international général 413

I. L' « effet direct » : droits et obligations destinés au particulier 424

II. L' « applicabilité immédiate » 435

752

DEUXIÈME PARTIE :L'EFFET DÉROGATOIRE DES

RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT INTERNATIONAL

TITRE 1 : LA CLASSIFICATION DES RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT INTERNATIONAL

SELON LA FORCE DÉROGATOIRE

Introduction au titre : 443

ɑ. Remarques terminologiques préliminaires 443β. Le problème des inconsistances normatives 445

i. La compétence dont dispose en principe l'État en vertu du droit international pour déterminer la relation selon la force dérogatoire entre le droit international et le droit interne dans sa sphère interne

446

ii. La compétence de l'État en matière de relation selon la force dérogatoire entre le droit international et le droit interne circonscrite à sa sphère interne

448

γ. La spécificité des règles générales du droit international dans la classification selon la force dérogatoire 449

i. La procédure de destruction du droit international général 451

i.i. Le problème de la destruction par le même organe que celui chargé de la production 451

i.ii. La destruction par un organe distinct (juridiction ou encore dénonciation par l'exécutif ou le législatif)

452

ii. La destruction des normes internes non-conformes aux règles générales du droit international 452 iii. Les incidences de leur éventuelle application immédiate 453

Chapitre 1 : La relation selon la force dérogatoire entre les règles générales du droit internationales et les normes issues de procédures de production internes

455

Section 1 : La force dérogatoire selon la jurisprudence 461

I. La relation selon la force dérogatoire entre règle générale du droit international et constitution 461

II. La relation selon la force dérogatoire entre règle générale du droit international et normes « infra-constitutionnelles » 467

A. La relation entre règle générale du droit international et « loi » 467B. La relation entre règles générales du droit international et normes « infra-législatives » 475

753

Section 2 : La force dérogatoire selon la doctrine 478

I. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et norme constitutionnelle 480

A. La théorie de la « supra-constitutionnalité » 481B. La théorie de la valeur constitutionnelle 4851. Théorie de la « constitutionnalité par renvoi » 4852. Théorie de la valeur constitutionnelle « indirecte » 498C. La théorie de la primauté d'application de la constitution 5031. La théorie de la « norme originaire » 5032. La « menace pour la structure d'État démocratique » 5053. Le problème du dynamisme du droit international général 5064. Le problème de la révision de la constitution par voie internationale 510

II. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes « infra-constitutionnelles » 516

A. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et loi 517B. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes « infra-législatives »

525

1. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes administratives 5272. La relation selon la force dérogatoire entre norme internationale et normes des juridictions ordinaires 528

Section 3. La force dérogatoire dans le contexte de la structure du système juridique interne 531

I. La compétence des juridictions internes de contrôler la conformité des normes internes par rapport au droit international général 532

A. Les incidences des prescriptions relatives à la justice constitutionnelle 5321. L'étendue de l'obligation des organes internes de respecter les décisions du juge constitutionnel 5322. Les procédures spéciales « internationales » de l'article 100 al. 2 LF et de l'article 145 B-VG 535B. Les limitations de l'habilitation des juridictions ordinaires (principe de la loi-écran, principe de légalité strict) 537

II. La force dérogatoire du droit international général dans le cas de son application en dehors du fondement constitutionnel de transformation 540

Chapitre 2 : la relation hiérarchique entre normes internationales dans le cadre du système juridique interne

542

Section 1 : la relation entre normes internationales non conventionnelles 548

I. Le caractère supplétif des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées 548

II. Le problème de l'indérogeabilité du ius cogens 553

754

III. Les « règles de solution de conflit » entre normes coutumières 558

Section II : La relation entre les règles générales du droit international et les traités 562

I. Les principes généraux du droit international déterminant la validité et les modalités d'application du droit international conventionnel 566

A. Le droit international général en tant que complément des dispositions constitutionnelles formelles relatives aux traités internationaux 566B. Le cas du principe pacta sunt servanda 568

II. La relation selon la force dérogatoire entre les normes internationales non conventionnelles et les traités internationaux dans le cadre du système juridique interne 574

Conclusion : les règles générales du droit international et le droit des organisations internationales et supranationales

583

TITRE 2 : L'APPLICATION TÉLÉOLOGIQUE DES RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT INTERNATIONAL PAR LES ORGANES INTERNES

Introduction au titre : 585

α. Les obligations internationales de l'État eu égard au principe d'indifférence du droit international par rapport au droit interne

586

β. L'incidence du choix de la transformation sur la conformité du comportement de l'État au droit international

589

γ. Définition de l'application téléologique 590

Chapitre 1 : l'obligation générale de conformité au droit international en droit interne 592

Section 1 : Les variations de l'effet dérogatoire des normes du droit international suivant le domaine matériel régi dans la pratique des organes internes (analyse empirique) 593

I. Le cas de l'immunité de juridiction de l'État étranger 594A. L'évolution de l' « immunité absolue » vers l' « immunité restreinte » : 598B. L'immunité de juridiction de l'État étranger déroge au droit au recours au juge des particuliers même dans les cas de « violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire »

605

755

II. Le cas du droit des étrangers 612A. La protection générale des étrangers 613B. La protection du patrimoine des étrangers 616

III. Le cas des principes généraux de délimitation des espaces nationaux 624A. La délimitation du territoire national 624B. La sphère d'applicabilité spatiale des normes internes 631

Section 2 : Le fondement de l'application téléologique du droit international par les organes internes 634

I. L'habilitation des organes internes à l'application téléologique du droit international 636A. Une habilitation prévue par le droit interne ? 6361. Un fondement constitutionnel explicite ou implicite 636 a. Le cas du fondement constitutionnel explicite 636 b. Le cas d'une habilitation implicite 639 c. Le cas de l' « effet récursif » du droit international 640B. Une habilitation prévue par le droit international ? 6421. La question de la compétence internationale des organes internes d'empêcher les violations du droit international par l'État 642 a. La doctrine de la responsabilité de l'État 642 b. La doctrine du statut international des organes internes 6452. L'efficacité de l'application téléologique du droit international par les organes internes pour la conformité du comportement de l'État au droit international 647 a. Le caractère superflu de la transformation du droit international en droit interne suivant le droit international lui-même 647 b. Le droit international présuppose-t-il une obligation générale pour les organes internes d'empêcher les violations du droit international ? 649

II. La concurrence de fondements internes d'application du droit international général 650A. Le fondement de l'application téléologique du droit international autonome de la transformation du droit international en droit interne 650B. Inclusion de l'application téléologique dans la transformation 6521. La réduction fonctionnelle des dispositions constitutionnelles formelles prévoyant la transformation du droit international en droit interne 6532. L'extension de l'habilitation des organes internes par l'application téléologique ? 653

Chapitre 2 : Les modalités de l'application téléologique du droit international par les organes internes

655

Section 1 : Les principes spécifiques à l'application téléologique du droit international 656

756

I. L'application du droit international « en tant que tel » (per se) 657A. Le problème de l'identité de la norme 657B. La distinction entre les effets juridiques d'une application des normes internationales « en tant que telles » (per se) et les effets juridiques d'une application des normes internationales « en tant que droit interne » 6591. Caractérisation de l'application du droit international « en tant que droit interne » 6602. La restriction des effets de la transformation par l'application du droit international « en tant que tel » 661

II. Les règles de solution de conflit propres à l'application téléologique du droit international 662

A. La résolution des « conflits » par la conciliation (démarche positive ; « interprétation conforme au droit international ») 663B. La suspension de l’application des normes internes susceptibles d'aboutir à une violation des obligations internationales de l'État (démarche négative) 668

Section 2 : La conformation du comportement de l'État au droit international par le contentieux juridictionnel interne 670

I. Un contrôle juridictionnel généralement postérieur à la violation 671A. La théorie du contrôle préventif dans le cadre de la « rule of law internationale » 671B. La compétence des juridictions internes dans le cas d'une violation du droit international par l'État déjà établie 676

II. Un contrôle restreint aux situations où il existe une possibilité concrète de violation des obligations internationales de l'État 678

A. Le problème de l'atteinte concrète au droit international dans le cas d'une violation seulement potentielle à celui-ci 678B. La prévisibilité de l'atteinte au droit international 679

CONCLUSION GÉNÉRALE 683

BIBLIOGRAPHIE 691

TABLE DES MATIÈRES 747

757