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DU DROIT D'INGÉRENCE À LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER Mario Bettati Outre-terre | Outre-Terre 2007/3 - n° 20 pages 381 à 389 ISSN 1636-3671 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2007-3-page-381.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bettati Mario, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 2007/3 n° 20, p. 381-389. DOI : 10.3917/oute.020.0381 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Outre-terre. © Outre-terre. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Facultés universitaires catholiques de Mons - - 193.190.244.7 - 27/11/2012 16h09. © Outre-terre Document téléchargé depuis www.cairn.info - Facultés universitaires catholiques de Mons - - 193.190.244.7 - 27/11/2012 16h09. © Outre-terre

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DU DROIT D'INGÉRENCE À LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER Mario Bettati Outre-terre | Outre-Terre 2007/3 - n° 20pages 381 à 389

ISSN 1636-3671

Article disponible en ligne à l'adresse:

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--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bettati Mario, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger »,

Outre-Terre, 2007/3 n° 20, p. 381-389. DOI : 10.3917/oute.020.0381

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Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger 1

Mario Bettati 2

Introduit par la résolution 43/131 de l’Assemblée générale de l’onu en 1988 puis par plus de 300 résolutions du Conseil de sécurité dans une vingtaine de conflits, le droit d’ingérence a été consacré par le sommet mondial des chefs d’État et de gouvernement. Le 16 septembre 2005, sous une nouvelle dénomina-tion: « la responsabilité de protéger ». Ils affirmaient :

(…) Nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisa-tions régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadé-quats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité.

Succès diplomatique et normatif incontestable, l’ingérence humanitaire a connu aussi de graves déconvenues sur le terrain. Son inapplication en Tchétché-nie, au Tibet, en Birmanie, ou au Kenya peut-être aussi au Darfour a laissé libre cours à des massacres qui pèseront longtemps sur la conscience des démocrates. Alors ? Vaine utopie ou innovation illusoire ? Un bilan s’impose aujourd’hui, dix-huit ans après le lancement du concept dont nous fûmes les promoteurs 3. Retenons pour l’instant que le droit d’ingérence comporte cinq éléments :

1) un principe de libre accès aux victimes des catastrophes naturelles et poli-tiques, pour les organismes porteurs de secours ;

2) un usage éventuel de la force pour protéger les convois humanitaires ;3) une intervention armée possible pour protéger les victimes face à leurs

1. Allocution d’ouverture du colloque de la Société française pour le droit international, La responsabilité de protéger, université Paris x Nanterre, 7 juin 2007. 2. Représentant spécial du Ministre des Affaires étrangères et européennes3. Cf. Mario Bettati, Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international , Paris, Odile Jacob, 1990.

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bourreaux ; 4) dans ces deux derniers cas, seule une résolution du Conseil de sécurité de

l’onu peut décider ou autoriser une opération de contrainte militaire ;5) enfin des poursuites judiciaires internationales à des fins préventives et

répressives s’organisent progressivement contre les responsables des crimes les plus graves.

Pour mettre fin aux fausses interprétations par ses détracteurs, il faut dire d’abord ce qui ne relève pas du droit d’ingérence. Il faut ensuite rappeler en quoi l’innovation qui fut introduite à la fin des années 1980 à l’initiative de la France et durant les années 1990 a constitué une mutation de l’ordre international. Enfin il convient de tenter de dresser un bilan sans complaisance de ses succès et de ses infortunes en recherchant leurs causes.

L’usage abusif de l’expression « droit d’ingérence » en dénature le sens

Diverses manœuvres visent à disqualifier le droit d’ingérence en lui attribuant des actions ou des inactions qui ne sauraient s’en réclamer.

Des actions illégitimes sont improprement attribuées au droit d’ingérence

D’abord les interventions armées unilatérales sont étrangères au concept. C’est donc par ignorance ou par malveillance qu’on a parfois qualifié les in-

terventions en Afghanistan et en Irak d’applications du droit d’ingérence. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’en est fallu de peu pour qu’on puisse valider ces actions à l’aune de ce droit. Il leur manquait cependant deux éléments fonda-mentaux.

1) Ni l’intervention en Afghanistan ni celle en Irak n’ont été autorisées ou légitimées par le Conseil de sécurité. La première, pure opération de police in-ternationale visait à capturer Ben Laden et les commanditaires présumés des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. La seconde avait officiellement pour objet de débusquer les armes de destruction massive que possédait ou était en train d’acquérir le gouvernement de Saddam Hussein.

2) Les deux situations auraient cependant justifié que l’on se référât à la no-tion. En effet, toutes les interventions antérieures conduites sous l’égide du droit d’ingérence l’ont été en réplique à une situation humanitaire alarmante ou à des violations graves des droits fondamentaux : génocides, crimes de guerre, crimes

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contre l’humanité. Or, précisément, l’Assemblée générale de l’onu avait dénon-cé sans ambages, quelques semaines avant chacune des deux opérations armées, les transgressions gravissimes des droits de l’homme et du droit humanitaire que le régime de Kaboul (résolution A/50/189 du 6 mars 1996) et celui de Bagdad (résolution A/55/115 du 20 décembre 2000) étaient en train de commettre.

Les opérations privées maquillées sont également sans rapport avec le con-cept. Certains rhéteurs ont affirmé que la pitoyable affaire de « l’Arche de Zoé » est le fruit emblématique du droit d’ingérence et des funestes dérives qu’il fa-vorise. Or non seulement il est impossible de trouver dans cette triste équipée les éléments de la définition de ce droit qu’on a donnée plus haut, mais les juges tchadiens ont montré que les activités en cause constituaient une ou plusieurs infractions de droit commun dépourvues de tout lien fondateur avec le droit hu-manitaire.

Des inactions regrettables accréditent l’idée d’un droit d’ingérence à deux vitesses

La pratique de « deux poids, deux mesures » est un autre argument que les procureurs du droit d’ingérence lui opposent. Ce droit serait l’apanage des pays riches de l’Otan au détriment des pays pauvres du Sud. Imagerie populaire sou-vent avancée par ceux qui font primer la souveraineté sur la souffrance, elle n’est pas sans fondement mais repose aussi sur une vision simplificatrice du principe et parfois falsificatrice de sa pratique.

La passivité de la communauté internationale épargne encore, il est vrai, de multiples coupables…

Tchétchénie, Tibet, Birmanie, Darfour, Kenya… l’impuissance de la commu-nauté internationale face aux violations des droits de l’homme et du droit human-itaire qui y sont commises révolte les militants des ONG et alimente les procès d’intention intentés aux promoteurs du droit d’ingérence. Ce dernier n’aurait finalement d’effectivité qu’à l’égard des petits États soumis au bon vouloir des puissances occidentales. Il est vrai que pour les autres, les rares mesures prises à l’égard des coupables demeurent très classiques lorsqu’elles sont prises, ce qui n’est pas toujours le cas : réprobations déclaratoires, sanctions économiques mesurées, pressions diplomatiques modérées, contre-mesures circonspectes…

… car faute d’accord du Conseil de sécurité, la communauté internationale de-meure inerte…

L’impunité des nombreux auteurs de crimes de guerre, de crimes contre

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l’humanité, de génocides est, on le sait, le fruit du clientélisme qui porte un des cinq membres permanents à brandir l’usage de son droit de veto pour s’opposer à toute mesure qui frapperait un de ses alliés, un de ses protégés ou un de ses « fé-aux ». Leurs alliances, quelle que soit l’indignation qu’elles provoquent, reposent sur des entrelacs d’intérêts économiques, stratégiques, politiques et culturels dont la force écarte toute référence à l’éthique universelle des droits de l’homme et de la démocratie. Le pétrole soudanais ne laisse pas la Chine indifférente aux inté-rêts de Khartoum ; le gaz birman opère de la même façon pour Moscou ou pour d’autres capitales concernées à l’égard de Rangoon. La laborieuse naissance de l’opération prévue au Darfour porte au pessimisme. Et pourtant…

Le bilan du droit d’ingérence demeure largement positif

Il suffit d’observer le nombre de pays qui participent aux opérations de main-tien de la paix ou plus généralement aux actions militaires décidées par le Conseil de sécurité et destinées à mettre un terme à des violences internes ou internation-ales, pour se convaincre qu’il ne s’agit en aucune façon d’interventions unilaté-rales néoimpérialistes diligentées par l’Otan. Enfin, on oublie aussi l’essor re-marquable des juridictions pénales internationales ou hybrides destinées à juger les auteurs des crimes les plus graves commis au cours de ces violences.

Lorsque la communauté internationale intervient, elle associe des gouvernements volontaires extrêmement divers

D’abord, les Nations unies s’efforcent depuis plusieurs années d’organiser une sous-traitance des interventions avec des organismes régionaux afin d’offrir une meilleure insertion des opérations dans le tissu géopolitique local. Si les ac-tions armées en Europe sont souvent menées avec une contribution de l’Otan, cette dernière est absente de l’initiative au Timor conduite par l’Australie et la Nouvelle-Zélande appuyées par des pays d’Asie du Sud-Est. Au Darfour, la mis-sion de l’Union africaine au Soudan (amis) était en charge de la situation, mais la faiblesse de ses moyens l’a conduite à se retourner vers l’onu pour demander l’appui des casques bleus.

Ensuite, si l’on observe le nombre des États qui apportent leur contribution en personnel militaire ou policier aux opérations en cours, on constate qu’ils sont beaucoup plus nombreux que ceux qui siègent au Conseil de sécurité et comprennent de nombreux pays en développement. Ainsi, à la fin 2005, pour l’unLis (Sahara), ils sont 61, pour l’unmiL (Liberia), 59, la monuC (Congo), 56, l’OnuCi (Côte d’Ivoire), 50, l’unmik (Kosovo), 49, onub (Burundi), 47,

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la minustah (Haïti), 43… On voit mal comment des gouvernements qui n’approuveraient pas les décisions correspondantes et les jugeraient illégitimes apporteraient de manière aussi active et concrète une contribution à de telles opérations par l’envoi de contingents nationaux.

La liste des plus gros contributeurs en effectifs à la mission de l’onu en Ré-publique démocratique du Congo est révélatrice de cette adhésion des pays en développement ; les dix premiers fournisseurs de troupes sont : l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, l’Inde, le Maroc, le Népal, le Pakistan, le Sénégal, la Tunisie, l’Uruguay... Enfin les diverses opérations conduites en application du droit d’ingérence ont été saluées par les victimes secourues.

Le changement le plus profond apparaît au début de la dernière décennie du siècle au Conseil de sécurité. Jusque-là chargé du maintien de la seule paix internationale, le voici qui délibère sur des guerres civiles, ethniques, religieuses, tribales (Afghanistan, Albanie, Angola, Bosnie, Burundi, Croatie, Géorgie, Haïti, Haut-Karabakh, Kosovo, Kurdistan, Liberia, Mozambique, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Tadjikistan, Timor, Yémen). Il débat de plus en plus fréquemment de conflits internes et, pour fonder sa compétence, il affirme, au fil de plus de 300 résolutions, que la violation massive des droits de l’homme par un gouvernement constitue une menace ou une atteinte à la paix. Il exige alors successivement : l’arrêt de la répression et la libre distribution de l’aide humanitaire, puis décide l’accompagnement armé des secours, autorisant enfin l’intervention militaire multinationale pour arrêter un génocide ou arrêter des crimes contre l’humanité. Ses textes sont souvent votés à l’unanimité, ou à de fortes majorités, non seulement par ses cinq membres permanents, auxquels on attribue à tort les décisions, mais aussi par les non-permanents soit – par le jeu des renouvellements à raison de cinq par an – 100 États qui adoptent, dans les mêmes termes, des dispositions exigeant le respect des droits fondamentaux comme la fin des violences, et proclament le droit d’intervention.

Mais ces interventions sont plus difficilement envisageables en 2008. Aujourd’hui de telles opérations semblent beaucoup plus problématiques à mettre en place. Les atermoiements de la communauté internationale à l’égard du Darfour, de la Birmanie, du Tchad ou du Kenya traduisent la multiplicité des obstacles.

Obstacles politiques : La minuad (Darfour), par exemple, est en proie à une faiblesse qui retarde son entrée en fonction, en raison notamment des obstruc-tions que le gouvernement soudanais oppose à son déploiement et en raison des problèmes structurels qu’elle rencontre.

Obstacles techniques : sur les 26 000 casques bleus attendus au Darfour, seuls 9 000 hommes sont sur le terrain. Parmi les causes de ce déficit le manque de personnel qualifié disponible est un des plus complexes à résoudre. Ainsi, les

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contributeurs d’officiers de police à la minuad éprouvent des difficultés à assurer la formation des policiers avant leur déploiement. La pénurie de contingents à disposition a handicapé également la constitution de l’eufor à l’est du Tchad et au nord-est de la Centrafrique.

Obstacles financiers : les opérations de maintien de la paix se sont multi-pliées et leur financement pèse sur les budgets des États membres de l’onu. Le secrétaire général a réclamé un montant de 169 029 953 dollars US pour 6 opéra-tions auxquels il faudra ajouter 20 millions d’ici le 30 juin pour quatre autres.

L’essor des juridictions pénales internationales est une innovation majeure du droit d’ingérence

Qui aurait dit, il y a dix ans, que Slobodan Milosevic serait traduit devant le tribunal pénal international de la Haye ? Son décès prématuré a interrompu l’action judiciaire, sans en altérer l’importance de principe. Jean-Paul Akayesu, Jean Kambanda, Charles Taylor, Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan, Thomas Lubanga Dyilo… le sinistre cortège des criminels contre l’humanité passibles de condamnations s’amplifie.

Depuis les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, aucune juridiction pénale n’avait été créée. Puis, toujours à l’initiative de la France, à partir des années 1990, un véritable « droit d’ingérence judiciaire » est à l’œuvre pour sanctionner les transgressions majeures du droit humanitaire.

L’acceptation d’un droit d’ingérence judiciaire

Il est vrai que l’intervention de la justice internationale comme facteur de sanction du droit humanitaire par les deux tribunaux internationaux pénaux (TPI) institués par le Conseil de sécurité est également une réelle nouveauté consécu-tive à l’émergence du nouveau principe.

Si l’on compare au jugement du Tribunal de Nuremberg qui a jugé les prin-cipaux responsables de la Shoah et qui avait condamné 19 coupables, le bilan du fonctionnement du TPIY (Yougoslavie) début 2008 est sensiblement plus élevé : 161 mises en accusation pour violations graves du droit international humani-taire, 45 individus en détention, 7 en liberté provisoire, 50 procédures en cours, 9 en appel, 26 en cours de procès ; 111 procédures sont closes : 9 acquittés, 53 condamnés, 27 transférés, 8 en attente de transfert, 16 ont purgé leur peine, 18 sont renvoyés devant des juridictions nationales. Enfin quatre accusés sont en fuite dont Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

Ni le Rwanda (qui siégeait au Conseil de sécurité lors de l’adoption du statut du TPIR mais a refusé d’adopter le statut de ce tribunal), ni l’ex-Yougoslavie (TPIY) n’ont accepté la création de ces juridictions qui leur ont été imposées

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comme décision du Conseil. Il s’agit bien d’une ingérence au service de la paix et de la justice. Plus récent et plus lent, le TPIR a un bilan plus modeste : 6 accusés sont en attente de procès, 27 en cours de procès, 3 en appel ; 23 procédures sont terminées ; 5 accusés ont été acquittés.

120 pays dont la France ont voté en faveur du statut de la CPI, sept pays ont voté contre (dont les États-Unis, Israël, la Russie, la Chine, l’Irak et la Qatar) et 21 se sont abstenus. Les premières affaires que la CPI doit juger concernent toutes l’Afrique : République démocratique du Congo, Ouganda, Darfour.

Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TPSSL) a été créé sur le fonde-ment de la résolution 1315 du Conseil de sécurité du 14 août 2000. Les Cham-bres extraordinaires du Cambodge (CHEC), chargées de la poursuite des crimes commis par les Khmers rouges, sont nées d’un accord bilatéral du 6 juin 2003. La Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine (CHBH) date de juillet 2002. La résolution 1272 du Conseil de sécurité des Nations unies, cré-ant l’Administration transitoire des Nations unies au Timor-Oriental (atnuto), donne à cet organisme le pouvoir d’exercer l’administration de la justice sur ce territoire ; ainsi, le 6 juin 2000, l’atnuto a mis en place une juridiction spéciale pour juger des violations graves des droits de l’homme commises pendant le conflit.

Une jurisprudence ciblée sur les principaux coupables

Certes on déplore toujours la protection dont bénéficient Karadzic et Mladic en Serbie, mais leur « cavale » ne doit pas occulter les condamnations importantes déjà prononcées. La jurisprudence est déjà riche. Quelques chiffres et quelques figures emblématiques illustrent la moisson de criminels arrêtés et jugés. Depuis sa création, le TPIY a inculpé 161 responsables et en a condamné 40. Les pour-suites engagées et les peines prononcées n’ont épargné ni les auteurs subalternes d’actes particulièrement cruels, ni les hauts responsables gouvernementaux qui les ont suscités ou les médias qui ont incité à les commettre.

Parmi les principaux procès conduits par le TPIR on retiendra ceux qui ont abouti à la condamnation de Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de Taba, à la prison à vie pour le massacre de 2000 Tutsi réfugiés dans le bureau communal de la ville ; de Jean Kambanda, premier ministre du gouvernement intérimaire, condamné à la réclusion à perpétuité, de George Ruggiu, journaliste et animateur de la Radio des Mille Collines, condamné à douze ans de prison. Des peines de prison à vie pour incitation à la haine ethnique ont été prononcées à l’encontre de trois responsables de la radio, la télévision et de la presse écrite. Des ministres, des militaires ont également été condamnés.

La Cour pénale internationale commence à agir dans le même sens pour ceux des États qui auront accepté son statut. Elle a conduit son premier procès à

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l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo, chef présumé d’une milice en République démocratique du Congo, accusé d’avoir procédé à l’enrôlement et à la conscrip-tion d’enfants âgés de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités. Dans une autre affaire liée à la situation en République démocra-tique du Congo, Germain Katanga a été remis à la Cour le 18 octobre 2007. En ce qui concerne le Darfour au Soudan – une situation renvoyée à la Cour par le Conseil de sécurité de l’onu – une chambre de trois juges a délivré, en mai 2007, des mandats d’arrêt à l’encontre de Ahmad Harūn et Ali Kushayb tous deux re-cherchés pour répondre de plus de quarante chefs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, dont le meurtre, la persécution, des transferts forcés de populations, des attaques contre des civils, le pillage et la destruction ou la saisie de biens de l’ennemi.

Le TPSL a inculpé Charles Taylor le 7 mars 2003. L’acte d’accusation porte sur le crime contre l’humanité, la violation de l’art. 3 commun des conventions de Genève ainsi que du protocole additionnel II et d’autres violations graves du droit international humanitaire. Parmi les inculpés figurent également Foday San-koh, mort le 30 juillet 2003 ; Johnny Paul Koroma, déclaré mort le 1er juin 2003 ; Samuel Hinga Norman ; Sam Bockarie, déclaré mort le 6 mai 2003 ; Issa Sesay ; Morris Kallon ; Alex Brima ; Augustine Gbao ; Brima Kamara.

La consécration de la responsabilité de protégerDans le jargon des Nations unies on l’appelle désormais la « R2P » acronyme

dont la vertu est de se lire de la même façon en anglais et en français.À l’onu : À la fin des années 1990 le secrétaire général des Nations unies

invitait les États membres à réfléchir sur les contradictions qui pouvaient surgir entre les exigences de la souveraineté et les violations massives et systématiques des droits de l’homme. En réponse à cet appel, le gouvernement du Canada et un groupe de grandes fondations annonçaient à l’Assemblée générale en septem-bre 2000 la création d’une commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États. Elle présentait son rapport, approuvé à l’unanimité de ses douze membres, signé par Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, le 30 septem-bre 2001. Son texte de 71 pages a servi de base à l’élaboration et à l’adoption des § 138 et 139 du document final de New York du 16 septembre 2005. Dans le même sens, la résolution 1674 du Conseil de sécurité sur le renforcement des efforts de protection des civils en période de conflit armé, particulièrement des femmes et des enfants, ainsi que la responsabilité d’accompagnement de la com-munauté internationale.

À l’OIF : La Francophonie s’est prononcée à diverses reprises en faveur de la R2P. Dans sa déclaration de Ouagadougou puis dans celle de Saint-Boniface le 14 mai 2006.

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389Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger

Les développement conceptuels

Il convient d’étudier les voies et moyens de faire progresser l’aspect normatif du document final du sommet mondial de septembre 2005. En proclamant les principes de mise en œuvre que le Conseil de sécurité devrait avoir à l’esprit pour justifier l’usage de la force. La R2P devrait être opérationnelle en tenant compte de :

- la gravité des périls : il faut raisonnablement craindre des atteintes ou des préjudices irréversibles et irrémédiables ;

- la finalité strictement humanitaire de l’intervention : il faut qu’elle vise à empêcher les dommages, les souffrances et les pertes humaines ;

- son caractère de dernier recours après l’épuisement des moyens pacifiques préalables ;

- sa soumission au principe de proportionnalité : les moyens militaires dé-ployés devront être adaptés à la finalité salvatrice et comporter des règles d’engagement appropriées ;

- son déclenchement et la conduite des opérations reposeront sur le principe de bonne gouvernance de manière à éviter l’enlisement et l’échec (mobilisation de moyens matériels et humains suffisants et véloces en réserve).

Ces principes pourraient être proposés à la prochaine Assemblée générale des Nations unies, puis au Conseil de sécurité.

Les développements institutionnels

Le Centre mondial pour la responsabilité de protéger à New York a été lancé le 14 février 2008 parrainé par le Canada, les Pays-Bas et le Rwanda. M. Edward Luck en assure la gestion en qualité de conseiller spécial du secrétaire général. Ce centre sera hébergé à l’Institut Ralph Bunch de l’Université de New York. Des centres régionaux sont prévus : un en Afrique à Accra au Ghana, un en Europe au sein de l’institut norvégien pour les Affaires étrangères et un dans le Pacifique en Australie à l’université du Queensland. En Asie, un autre centre a été lancé à Bangkok le 20 février. Le ministre français des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, a annoncé que la France pourrait contribuer à hauteur de 500 000 euros au budget de l’institution. Un centre à Paris sera hé-bergé à Science Po.

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