Le concept de "law schopping" (droit international privé, droit social, droit de l'environnement

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1 Chapitre 1 Le concept de « law shopping » (droit international privé, droit social et droit de l’environnement) Gilles LHUILIER Professeur des Universités Le terme « law shopping » émerge peu à peu comme catégorie de la doctrine internationaliste anglosaxone 1 . Le « law shopping », terme nouveau né de la contraction de « choix de la loi » et de « forum schopping » est alors à la loi applicable ce que le « forum shopping » est à la juridiction compétente : un « self-service » normatif. Définir un néologisme par un anglicisme peut paraître singulier, mais le terme « forum shopping » est, lui aussi, un terme anglais sans équivalent en français. Les Québécois utilisent certes le verbe « magasiner » pour le fait de choisir un tribunal comme on choisit d'entrer dans une boutique pour faire ses courses, désignant ainsi la possibilité qu'offre à un demandeur la diversité des règles de compétence internationale de saisir les tribunaux du pays le plus à même de rendre la décision la plus favorable à ses intérêts. Le « law shopping» aurait alors pour synonyme français le « magasin de la loi », ou le « marché de la loi »Si « choisir » la loi était évidemment déjà au cœur du droit international privé des affaires, ce traditionnel choix de la loi – loi d’autonomie –, en se transformant peu à peu en « law shopping » change aujourd’hui radicalement de signification sous l’influence des délocalisations. 1 Voir par exemple, E. A. O’Hara, L. E. Ribstein, The law market, Oxford University Press, 2009 ; E. Lestrade, Company Law Shopping and the Regulation of Companies in the European Union, in European Newsletter, jan. 4, 2009, vol. 2, 2009 ; J. Segan, Applicable Law ‘Shopping’? Rome II and Private Antitrust Enforcement in the EU, in Comp. L. J. , 2008 7(3), p. 251-260 ; E. Mathey , La société européenne : Les atouts du droit français face au « law shopping » européen », in Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe, 11 juill. 2005.

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Chapitre 1 Le concept de « law shopping » (droit international privé, droit social et droit de l’environnement)

Gilles LHUILIER Professeur des Universités

x Le terme « law shopping » émerge peu à peu comme catégorie de la doctrine internationaliste anglosaxone1. Le « law shopping », terme nouveau né de la contraction de « choix de la loi » et de « forum schopping » est alors à la loi applicable ce que le « forum shopping » est à la juridiction compétente : un « self-service » normatif. Définir un néologisme par un anglicisme peut paraître singulier, mais le terme « forum shopping » est, lui aussi, un terme anglais sans équivalent en français. Les Québécois utilisent certes le verbe « magasiner » pour le fait de choisir un tribunal comme on choisit d'entrer dans une boutique pour faire ses courses, désignant ainsi la possibilité qu'offre à un demandeur la diversité des règles de compétence internationale de saisir les tribunaux du pays le plus à même de rendre la décision la plus favorable à ses intérêts. Le « law shopping» aurait alors pour synonyme français le « magasin de la loi », ou le « marché de la loi »…

Si « choisir » la loi était évidemment déjà au cœur du droit international privé des affaires, ce traditionnel choix de la loi – loi d’autonomie –, en se transformant peu à peu en « law shopping » change aujourd’hui radicalement de signification sous l’influence des délocalisations.

1 Voir par exemple, E. A. O’Hara, L. E. Ribstein, The law market, Oxford University Press, 2009 ; E. Lestrade, Company Law Shopping and the Regulation of Companies in the European Union, in European Newsletter, jan. 4, 2009, vol. 2, 2009 ; J. Segan, Applicable Law ‘Shopping’? Rome II and Private Antitrust Enforcement in the EU, in Comp. L. J. , 2008 7(3), p. 251-260 ; E. Mathey , La société européenne : Les atouts du droit français face au « law shopping » européen », in Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe, 11 juill. 2005.

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Les délocalisations sont alors exemplaires de la profonde « mutation épistémologique, véritable révolution culturelle qui affecte les notions mêmes d’ordre juridique et de système de droit »2 dans les relations transnationales : nouveaux acteurs non étatiques, nouvelles techniques telles les clauses de conditionnalité ou les labels sociaux, nouveaux mécanismes économiques d’application du droit…3

On peut, en effet, définir une délocalisation comme une opération de fermeture d’un site de production et son transfert à l’étranger pour profiter de systèmes juridiques plus avantageux pour l’employeur4. Délocaliser, c'est donc, par un acte de gestion, déplacer une activité de production vers des pays étrangers que l’employeur choisit en fonction de la loi qui y est applicable : une technique de « law shopping ».

La délocalisation des lieux de production mais aussi de la circulation mondiale des produits" est donc seulement en apparence un simple acte de gestion, plus exactement un acte de licenciement de nature économique de salariés dans le pays d’origine puis des actes d’embauche de salariés résidant dans le pays d'accueil. Les délocalisations seraient alors, en apparence, une des raisons de la montée du chômage dans la majorité des pays développés. Dans certains cas l’entrepreneur peut vouloir rapprocher les lieux (ou pays) de fabrication ou de transformation des marchandises de leurs lieux (ou pays) de consommation. La délocalisation est alors un redéploiement spatial du centre de gravité économique des groupes, qui est lié à la dynamique des marchés ainsi qu’aux règles de droit qui limitent l’accès des produits à un marché s’il n’est pas produit sur le territoire de ce marché. Dans d’autres cas, l’entrepreneur peut aussi vouloir à l’inverse séparer les lieux (ou pays) de fabrication ou de transformation des marchandises de leurs lieux (ou pays) de consommation. C’est ce second type de délocalisation qui est souvent retenu comme désignant véritablement les délocalisations5. La délocalisation consiste alors dans la fermeture d’une unité de production

2 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (II), Le pluralisme ordonné, Seuil, 2006, p. 31. 3 Voir sur ces transformations : G. Teubner, Global law without a State ?, Aldershot, Brookfield, 1997 ; A. Fischer-Lescarno, G. Teubner, The vain search for legal unity in the fragmentation of global law, in Michigan Journal of International Law, 2004, pp. 999-145. 4 Sur la définition, voir J-H. Lorenzi, L. Fontagné, Désindustrialisation, délocalisation, conseil d’analyse économique, Doc. fr. 2004, et M.-A. Moreau, L’internalisation de l’emploi et de débat sur les délocalisations en France: perspectives juridiques, in Délocalisations, normes du travail et politique d’emploi, vers une mondialisation plus juste ? P. Auer, G. Besse, D. Méda (dir.), La Découverte, 2005, p. 177. 5 La mission interministérielle sur les mutations économiques, (MIME) réduit ainsi les délocalisations au déplacement d'une activité économique existante en France vers l'étranger, dont la production est ensuite importée en France ; d’autres phénomènes tels que, les localisations de la production et les investissements à l'étranger, qui constituent une des formes des investissements à l'étranger. Voir en ce sens, L. de Gime, in J.-H. Lorenzi, L. Fontagné, Désindustrialisation, délocalisation, conseil d’analyse économique, préc., p. 163. Une étude commandée par le Medef au cabinet d'audit KPMG a été réalisée en juin 2004 auprès de 212 PME dans les secteurs concernés par les délocalisations comme le BTP, les transports, la métallurgie ou la mécanique, reprend cette distinction entre « implantation à l'étranger d'activités qui auraient pu être localisées en France si celle-ci avait été aussi compétitive que le pays d'accueil », et « implantation dans le cadre d'une stratégie de développement vers des marchés de croissance ».

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nationale, l’ouverture de la production d’une unité à l’étranger et la réimportation de la production réalisée à l’étranger pour servir le marché national. Il s’agit de choisir un pays de production en raison du droit du travail applicable : profiter de coûts de production faibles dans un pays, et d’un pouvoir d’achat fort dans un autre. Et ces coûts sont principalement les coûts salariaux qui peuvent être entre de cinq fois moindres (Maroc) à quarante fois moindres (Inde) qu’en France. Pour les grands groupes internationaux, les États ne sont plus que des « centres de profit » ou business units c’est-à-dire des unités d’organisation, de travail ou de stratégie et de production, bref de simples « centres de coûts »6. Or réduire ces coûts par une délocalisation devient plus intéressant depuis une dizaine d’années en raison de la très forte diminution du coût du transport, de l’augmentation du niveau de formation de la main-d’œuvre dans certains pays du tiers-monde, ainsi que du développement des nouvelles technologies de l'information (NTIC). Voilà pourquoi cette comparaison des coûts sociaux induits par la loi est devenue pour les entreprises une pratique essentielle dans leur stratégie de production.

Les délocalisations sont donc moins un acte de gestion qu’une technique de choix de la loi. Cette nouvelle technique juridique dite du « law shopping » est une réaction de la pratique à l’évolution du droit international du travail. Car dans l’ensemble des pays industrialisés, la favor laboris a considérablement limité le champ de la loi d’autonomie. Le souci de protection des salariés a réalisé ce que les internationalistes nomment une « coloration » des règles de conflits de loi qui a mis fin à leur prétendue « neutralité »7 : la loi applicable à la relation de travail est en effet la loi du lieu d’exécution du contrat de travail, et subsidiairement la loi d’autonome si elle est plus favorable. Les entreprises ont alors développé des stratégies de contournement et « choisissent » désormais les pays où installer une usine en fonction de la loi sociale qui y est applicable. Le « choix d’un pays » par une entreprise est alors en fait synonyme de « choix de la loi » applicable à la relation de travail moins coûteuse socialement. La loi est alors intégrée au lieu de production.

Mais les délocalisations par les entreprises ont fait apparaître depuis dix ans des nouveaux comportements, les consommateurs se détournant parfois de produits réalisés à l’étranger dans des conditions parfois dégradantes et contraires à la dignité. Il s’agit de responsabiliser les 6 Voir La Tribune, 23 janv. 2006, p.1. « Carlos Ghosn s'apprête à une grande réorganisation géographique par centre de profit. Le constructeur doit consulter aujourd'hui les partenaires sociaux. Objectif : piloter l'entreprise par grandes régions du monde (France, Europe, Amérique latine...), avec des engagements clairs en matière de profits ». Voir aussi A. Supiot, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, 2005, p.220. 7 Sur les normes de conflit à coloration matérielle, voir H. Gaudemet-Tallon, L'utilisation des règles de conflit à caractère substantiel dans les conventions internationales, in Mélanges Loussouarn, 1994, p. 181 ; et plus spécialement en droit du travail, voir G. Lhuilier, Sur l'unification de la règle combinatoire de conflit de lois. Note sous les arrêts S.A. Banco Borges et IRMAO c/ Monsieur Francisco Da Cunha Pinto, Rép. Clunet, (JDI), n° 3, 1999, p.766-773.

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entreprises sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité, c’est-à-dire à organiser une véritable « responsabilité sociale des entreprises ». En particulier, elles doivent veiller aux conditions de travail dans lesquelles sont fabriqués les produits qu’elles commercialisent (travail des enfants, travail forcé, temps de travail, hygiène, sécurité, etc.). Rappelons que, selon le Bureau international du travail, un enfant sur huit soit au total 179 millions d’enfants dans le monde sont exposés aux pires formes du travail qui se rapprochent de l’esclavage. Ce sont alors les consommateurs qui vont faire du « law shopping » en optant pour des produits dont les conditions de production sont certifiées par des labels ou normes sociales, et qui décident d’acheter en fonction du droit social incorporé dans les produits. Il suffit, en effet, que le consommateur renonce à acheter les jouets conçus dans des « sweatshops » pour dissuader Majorette de délocaliser ou pour que cette entreprise examine attentivement les conditions de travail de ses fournisseurs. Dans le cas de l’extraction du diamant à l’air libre ou de l’industrie textile et du jouet en particulier, ce sont les consommateurs des pays « riches » qui commencent à avoir un rôle essentiel sur les conditions de production instaurées dans des usines situées dans des « pays émergents » en contrat avec des grandes marques mondiales. Les consommateurs étant aussi des consommateurs de produits financiers, des actionnaires ou des prêteurs en billets de trésorerie ou obligations, ils peuvent aussi décider « d’acheter » des entreprises qui respectent ce minimum social mondial qui tend à s’élaborer peu à peu. Les consommateurs sont désormais guidés dans leurs choix par des fonds d’investissement dits éthiques tels que le Dow Jones Sustainability Index ou le FTSE4Good Index, des agences de notation et des labels sociaux.

La nature juridique de ces nouveaux labels est très singulière, car ces normes sociales labélisées sont le plus souvent des compilations opérées par un organisme de droit privé de règles de droit social international telles les normes de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ces normes « labélisées » ont ainsi vocation à s’appliquer en raison de l’accord de l’entreprise qui demande le label, et non en raison de leur caractère obligatoire dans un ordre étatique ou international. Ces labels peuvent ainsi, cas fréquent, entraîner l’application de conventions OIT par des entreprises transnationales sur le sol de pays qui n’ont pas ratifié ces conventions ! Le contrôle de l’application par ces entreprises transnationales de textes intégrés dans les labels ne peut donc être laissé aux autorités nationales, ou à de simples cabinets privés, mais doit être réalisé, sur place, par des ONG. L’intérêt bien compris de l’entreprise est, en effet, de s’assurer que dans les pays de production ce minimum de règles sociales est appliqué et certifié pour s’en prévaloir lors de la vente

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de ses produits. Ce sont alors à la fois les consommateurs, les ONG et les entreprises qui instituent un véritable « sef-service normatif »8.

Le « law shopping », présente ainsi une double signification, soit un moyen pour les entreprises d’échapper au droit social d’un État (section XV) soit au contraire un nouveau mécanisme d’application du droit social intégré dans les produits et ce quel que soit le lieu où ils sont produits (section XVI).

SECTION I Le choix du lien de production en raison de la loi applicable

x Les délocalisations comme « law shopping » font l’objet d’un encadrement par la plupart des États. Le constat est cependant le même : les États sont impuissants contre le choix opéré, de plus en plus souvent par les groupes internationaux de sociétés, d’un lieu de production en raison de la loi sociale qui y est applicable, que leur réglementation des délocalisations prenne l’aspect d’un encadrement juridique (§ 1) ou économique (§ 2).

§1 L’encadrement juridique du law shopping x Les droits étatiques les plus défavorables aux délocalisations sont face à un dilemme. Le droit du travail français par exemple a élaboré une théorie de la rupture du contrat tout à fait originale. Il s’agit moins de l’exercice d’un droit de résiliation unilatérale d’un contrat à l’initiative de 8 La Commission européenne a publié un premier livre vert sur le sujet : Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, 18 juill. 2001, com (2001), 366, final ; puis une communication : Comm. Commission , 2 juill. 2002, concernant la responsabilité sociale des entreprises : une contribution des entreprises au développement durable, com (2002), 347, final . Voir aussi La responsabilité sociale des entreprises, in LPA, n° spéc., n° 41, 26 févr. 2004. Les technique de mise en ouvre de cette responsabilité repose en partie sur l’adoption par les entreprises de codes de conduite ou de recherche de labels sociaux (par exemple ceux du commerce équitable) ou écologiques, technique décrite par A. Sobczak ; Réseaux de sociétés et codes de conduite, Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, LGDJ, Bibl. dr. soc., 2002 ; mais aussi N. Caussé, La valeur juridique des chartes d’entreprise au regard du droit du travail français, Contribution à l’étude de l’aspect social et éthique de l’activité des entreprises, puam, 2000, préf. D. Berra ; J. Diller, Responsabilité sociale et mondialisation : qu’attendre des codes de conduite, des labels sociaux et des pratiques d’investissement ?, Rev. internat. trav., vol. 138 (1999), n° 2, 107. Sur cet élément du dispositif que sont les agences de notation sociale ; v. R. Beaujolin-Bellet et J.-Y. Kerbouc’h, La « notation sociale » des entreprises », in Regards croisés sur le droit social, SSL, n° spéc., n° 1065, 28 oct. 2002, 85 et s. Sur cette responsabilité sociale, voir l’analyse très critique de A. Supiot, Du nouveau au self-service normatif. La responsabilité sociale des entreprises, in Analyses juridiques et valeurs en droit social (mél. Pélissier), Dalloz 2004, p. 541. qui suggère cependant deux pistes pour accroître l’efficacité de ces nouvelles techniques normatives : d’une part, la création d’une responsabilité solidaire des entreprises, permettant de poursuivre la responsabilité de tous les bénéficiaires d’une opération économique et qui éviterait la dilution des responsabilités constatée dans les affaires de marées noires de l’Erika ou du Prestige, d’autre part, l’organisation de la traçabilité sociale du produit afin de faire peser la responsabilité sur celui qui met ce produit en circulation sur un marché.

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l’employeur ou du salarié, que d’une politique de lutte contre l’exclusion, dans l’intérêt de la collectivité. La sauvegarde de l’emploi est devenue une exigence de valeur constitutionnelle qui doit cependant se concilier avec la liberté d’entreprendre, autre valeur constitutionnelle. C’est en raison de ce cadre constitutionnel contradictoire que la loi (A) et la jurisprudence (B) ne peuvent lutter efficacement contre les délocalisations.

A. - La loi L’article L. 1233-3 du Code du travail tente une conciliation entre ces

valeurs constitutionnelles en définissant le licenciement économique comme licenciement non inhérent à la personne du salarié, une décision « consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». C’est ce « notamment » qui vise les réorganisations en vue de sauvegarder la compétitivité que sont, par exemple, les délocalisations. La loi de modernisation sociale a certes tenté de réduire ce pouvoir de l’employeur, son article 107 supprimant l’adverbe « notamment », et par voie de conséquence « interdisant » les délocalisations. Cet article a été déclaré contraire à la Constitution, comme portant atteinte à la liberté d’entreprendre9.

Voici pourquoi il n’est pas possible d’interdire les délocalisations comme le propose explicitement cette fois un projet de loi ainsi libellé : « Article 1er – À titre conservatoire, sont suspendues les opérations de délocalisation d'une entreprise de France dans un autre pays, membre ou non de la Communauté européenne, en cours à la date de promulgation de la présente loi.

Article 2 – Toute décision de suppression d'emploi liée à une opération de délocalisation est annulée ».

Cette proposition de loi tendant à instaurer des mesures d'urgence pour lutter contre les délocalisations a été déposée à la présidence de l'Assemblée nationale le 4 février 2004 par le groupe communiste. Émanant d’un des derniers partis internationalistes, cette proposition est exemplaire de l’incompréhension de ce qu’est l’internationalisation de l’économie alors même que le droit reste étatique, national. En fait, ce parti exerce au Parlement sa très nécessaire fonction tribunitienne selon l’expression de Georges Lavau, exprimant les peurs de la plèbe, et parlant à la place des sans voix, c’est-à-dire des salariés10.

B. - La jurisprudence

x La jurisprudence a cherché à encadrer plus vigoureusement les délocalisations. La jurisprudence est déjà ancienne selon laquelle le seul

9 Cons. Const., 12 janv. 2002, n° 2002-455, JO 18 janv. 10 G. Lavau, A quoi sert le Parti communiste français ?, Paris, Fayard, 1981.

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souci d'économie, où le seul fait qu'un salarié coûte trop cher, ne saurait constituer, en l'absence de difficultés financières de l'entreprise, une cause économique de licenciement11. Le coût trop élevé du travail ne justifie pas un licenciement12, le désir d'accroître les bénéfices non plus et même la recherche d'une gestion plus rationnelle ne rend pas, en elle-même, régulière la restructuration si elle s'accompagne de licenciements13. La règle prétorienne est ainsi communément exprimée : le licenciement pour réaliser des économies n'est pas un licenciement économique. Les licenciements résultant d’une délocalisation ne sont donc justifiés que s’ils sont nécessaires pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Pour comprimer ses coûts fixes, l'entreprise ne doit pas d'abord, ne doit pas seulement, comprimer la masse salariale. L'entreprise doit démontrer que le maintien du site français dont l'activité est transférée sur un autre site à l'étranger mettrait en cause sa survie.

C’est l'affaire « Thomson-Vidéocolor » qui a contribué le plus fortement à la règle jurisprudentielle encore en vigueur14. Cette affaire concernait la fermeture d'un établissement français (à Lyon), filiale d'un groupe à dimension internationale, suivie du transfert de son activité partiellement en France (à Genlis) et essentiellement à l'étranger (à Belo Horizonte, Brésil). Des arrêts plus récents ont montré la volonté de la Cour de cassation d’encadrer strictement les délocalisations, sans changer en profondeur la double condition exigée par la règle jurisprudentielle de sérieux du motif économique et de sérieux des mesures de reclassement.

x Première condition : le sérieux du motif économique de restructuration

Les difficultés économiques invoquées à l’appui d’un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise15 en prenant en compte tant les sociétés situées sur le territoire national qu’à l’étranger16. Ce sont donc les difficultés économiques d’un secteur d’activité, dans un groupe, qui peuvent éventuellement justifier des licenciements. Voici qui est de nature à obliger l’employeur à examiner attentivement l’opportunité d’une telle délocalisation.

Ainsi, un licenciement (pour délocaliser) peut être considéré comme non motivé si l’entreprise française a des difficultés économiques, mais pas le

11 Cass. soc., 24 avr. 1990, D. 1990, IR p. 134, RJS 1990/6, n° 479 ; CA Paris, 16 mars 1992, 21e ch. A, RJS 1992/6, n° 724. 12 Cass. soc., 16 mars 1994, Dr. soc. 1994, p. 515, D. 1994, IR p. 93. 13 Cass. soc., 26 nov. 1996, Jur. soc. UIMM 1997, 604, p. 124 ; Cass. soc., 30 sept. 1997, D. 1997, IR, p. 223. 14 CA Paris, Dr. ouvrier 1997, p. 423, RPDS 1998, p. 125, refusant de s'incliner devant la Cour de cassation (Cass. soc., 5 avr. 1995, n° 93-42.690, Dr. soc. 1995, p. 482, note P. Waquet, JCP 1995, II, n° 22443, concl. Picca, Dr. ouvrier 1995, p. 281, note A. Lyon-Caen, D. 1995, jur. p. 503, note M. Keller ; adde G. Lyon-Caen, Sur le transfert des emplois dans les groupes multinationaux, Dr. soc. 1995, p. 489). 15 Cass. soc., 5 avr. 1995, n° 93-42.690, préc. 16 Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.571, Sprage France c/ Beauvais éta. Bull. civ. V, n°214.

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groupe, ou plus précisément, pas le secteur d’activité dont relève l’entreprise, dans le groupe. Cette solution a été critiquée par la doctrine : « cette solution est contestable car elle est contraire aux lois élémentaires de l’économie. Comment justifier que l’on impose à un chef d’entreprise, qui ne commet ni fraude ni erreur de gestion, de maintenir en activité un établissement qui enregistre chaque année des pertes importantes »17. La Cour de cassation a ainsi élaboré une règle très clairement hostile aux délocalisations.

x Seconde condition : le sérieux des mesures de reclassement Une fois la délocalisation justifiée, il faut encore que l’employeur

cherche à reclasser ses salariés. La recherche du reclassement des salariés est, en effet, une condition de la validité du licenciement qui, à défaut, est « dépourvu de cause réelle et sérieuse ». L'impossibilité de reclassement18, fût-ce par voie de modification substantielle19, est appréciée dans le cadre du groupe de « permutation » en France20 ou à l’étranger21. Qu’est ce qu’un groupe de « permutation » ? L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 12 juin 2002, Sarl c/ Raimond, en donne une vague idée : deux entreprises étant liées par un accord d’entreprise conférant aux salariés une identité de statut professionnel quelle que soit leur mobilité au sein du groupe, la Cour de cassation en a conclu que dans ces deux entreprises, la « permutation » de tout ou partie du personnel était possible, caractérisant ainsi l’existence d’un groupe au sein duquel l’employeur devait rechercher les possibilités de reclassement. Le groupe de « permutation » est donc un groupe où les sociétés ont des statuts du personnel proches ! Notons que la loi de modernisation sociale, qui a intégré dans la loi les solutions dégagées par la jurisprudence relative à l’obligation de reclassement, ne fait pas référence à cette restriction jurisprudentielle relative aux seuls groupes de « permutation ».

L’employeur doit aujourd’hui probablement rechercher s’il existe des emplois dans une société du groupe, même situé à l’étranger dès l’instant que la législation applicable localement n’empêche pas l’emploi d’étrangers22.

Cependant, pour échapper à ces règles, les grands groupes ont trouvé une solution simple : vendre un site à un repreneur qui n’est pas un groupe international et qui pourra donc éventuellement licencier : il pourra faire la preuve du motif économique plus facilement car le secteur d’activité sera

17 J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, précis Dalloz, 22e éd., 2004, p. 601. 18 Cass. soc., 1er avr. 1992, Dr. soc. 1992, p. 480 ; Cass. soc., 23 sept. 1992, Dr. soc. 1992, p. 922. 19 Cass. soc., 8 sept. 1992, Dr. soc. 1992, p. 626. 20 Cass. soc., 5 avr. 1995, préc. 21 Cass. soc., 30 mars 1999, RJS 5/99 n°644. 22 Cass. soc., 30 mars 1999, préc.

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plus étroit et ses obligations de reclassement seront plus faibles, le nombre de sociétés concernées par cette obligation étant moins important23.

L’efficacité de cette condition jurisprudentielle de recherche de reclassement a été récemment fortement réduite par un arrêt en date du 15 février 2006 de la Cour de cassation qui a affirmé qu’après l’annulation d’un licenciement pour nullité du plan social, l’obligation de réintégration résultant de la poursuite alors ordonnée du contrat de travail ne s’étend pas au groupe auquel appartient l’employeur24. La jurisprudence sociale était auparavant particulièrement restrictive s’agissant de reconnaître une impossibilité de réintégration25. L’affaire Wolber, société filiale de Michelin, avait cependant montré les limites de cette jurisprudence lorsque le Conseil des prud’hommes de Soissons avait ordonné la réintégration de salariés alors que l’usine où ils étaient employés avait fermé et le matériel de production détruit ou déménagé. Cette affaire avait justifié l’introduction d’un amendement à la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale afin de limiter l’obligation de réintégration consécutive à la nullité des licenciements économiques fondée sur la nullité du plan social26. Désormais la fin du premier alinéa de l’article L. 122-14-4 du Code du travail, dispose que « lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1235-10, il peut ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible. »

Désormais, lorsqu’une société a cessé définitivement son activité et que ses actifs ont été vendus, les juges peuvent valablement en déduire que la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leur licenciement, est devenue matériellement impossible27. Cette réforme législative consécutive à la jurisprudence Wobler a pour effet de vider de sanction les règles en matière de délocalisation, dès lors que l’entreprise délocalise totalement sa production. Cette solution a été critiquée par la doctrine, car « il n’y [aurait] aucune raison de considérer l’obligation de réintégrer comme moins exigeante que l’obligation de reclassement, au contraire. (…) La réintégration peut-elle dès lors être considérée comme impossible alors

23 Voir l’exemple de l’affaire « Perrier » et le commentaire de J.-E. Ray, Droit social, Droit Vivant, Lamy, 2005, p. 25O-251. 24 Cass. soc., 15 févr. 2006, n° 04-43.282, Bull. civ. V, n° 69. 25 V. toutefois Cass. soc., 25 juin 2003, nos 01-43.717, 01-44.722, Bull. civ. V, n° 1207, RJS 2003, n° 1146 ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-46.479, Bull. civ. V, n° 206, D. 2004, jur., p. 1761, note Julien, Dr. soc. 2003, p. 1024, obs. Waquet, RJS 2003, n° 1146. 26 G. Couturier, L’impossibilité de réintégrer, Dr. soc. 2005, p. 403. 27 Cass. soc., 15 juin 2005, D. 2005, IR, p. 1960, D. 2006, pan., p. 36, obs. Paulin, Dr. soc. 2005, p. 847, note Couturier, JSL 2005, n° 172-3, obs. M.-C. Haller, SSL 2005, n° 1221, p. 5, rapp. Bailly. – V. déjà Cass. soc., 25 juin 1998, JSL 1998, n° 21-9.

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qu’il y aurait des solutions dans le groupe (…) ? »28. Ainsi, ni la loi, ni la jurisprudence ne peuvent restreindre les délocalisations, car rien n’empêche un employeur de fermer un site qu’il veut délocaliser. Le droit rejoint le fait. Le droit s’est incliné devant l’économie.

§2 L’encadrement économique du law shopping x La réglementation juridique des délocalisations n’étant que de peu d’effet, une réglementation économique est de plus en plus utilisée par les États. Elle peut prendre deux formes : soit des sanctions (A), soit des incitations (B).

A. - Les sanctions économiques

x Les sanctions économiques contre les entreprises qui délocalisent ne peuvent avoir de fondement juridique. Seule la question de la restitution des aides publiques versées aux entreprises qui ensuite délocalisent a été très largement débattue en France, mais sans effet concret. Certes, l’article 5 de la proposition de loi nationale du 4 février 2004 déposée par le groupe communiste serait d’une application possible en France : « Les aides publiques sont supprimées aux entreprises qui ont procédé dans l'année précédente à des opérations de délocalisation à l'étranger ». Étrangement, le groupe communiste a été cherché le modèle de cette loi aux États-Unis, où une loi fédérale a été votée fin janvier 2004 interdisant aux services publics de traiter avec des prestataires qui délocalisent. L’administration américaine ne peut donc plus confier l’exécution de projets commandés par le gouvernement à une entreprise américaine qui sous-traiterait cette tâche à l’étranger. Depuis, plus de trente États américains ont introduit de telles lois. x Les difficultés d’application d’une telle loi sont pourtant évidentes : il est presque impossible de distinguer délocalisation comme simple acte de gestion et les délocalisations comme law shopping ! Ainsi, Richard Mamez, le directeur général de Majorette, le dernier fabricant français de voitures miniatures, qui a fermé son site de production français situé à Rillieux-la-Pape (Rhône) et a licencié 237 personnes pour s'installer en Thaïlande a justifié cette décision par deux raisons différentes : « D'une part le changement du marché avec la préférence actuelle pour les jeux électroniques et les jeux virtuels et d'autre part la mondialisation qui rend les coûts de production moins élevés au Moyen-Orient et surtout en Asie (…) Le coût de la main-d’œuvre est 15 fois mois cher en Asie qu'en France ».

28 G. Couturier, op. cit. Dr. soc. 2005, p. 403.

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x Reste le droit pénal. Mais de nombreux obstacles s’opposent à ce que l’entreprise qui délocalise, alors qu’elle a bénéficié d’aide étatique de soutien à l’emploi, puisse faire l’objet d’une sanction pénale. Un arrêt récent a ainsi rappelé que l’agent judiciaire du Trésor ne peut se constituer partie civile du chef d’abus de biens sociaux, le préjudice causé à l’État ayant versé des aides à une société, dont les dirigeants sont poursuivis pour avoir abusé des biens de ladite société, ne pouvant être qu’indirect29. Cette solution jurisprudentielle est constante pour l’abus de bien sociaux, la Cour de cassation interdisant, depuis plus de trente ans, l’action civile à toute autre personne que la société, jugée seule victime de l’infraction. Reste l’éventuelle qualification d’escroquerie, qui permettrait sans doute à l’État et aux collectivités territoriales de se constituer partie civile. x En France, il n’existe donc pas encore de sanctions, mais des incitations contre les délocalisations. La loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 a institué un crédit d’impôt sur les bénéfices pour les entreprises qui choisissent de relocaliser leurs activités en France. Les dépenses de personnel correspondant aux emplois ramenés en France sont prises en charge par l’État, la première année au taux de 50 % puis de façon dégressive pendant cinq ans.

B. - Les incitations économiques

x À défaut de sanctions, les États ou les entreprises peuvent intervenir dans cette « concurrence par le droit » entre pays ou entreprise pour que les groupes n’aient plus « intérêt » à délocaliser. Il suffit d’exonérer les entreprises du respect des règles de droit social dont le coût justifie la délocalisation. Deux cas très différents sont à distinguer, le « dumping social » étatique et le « dumping social » d’entreprise.

x Premier cas : le « dumping social » étatique ou dévaluation des normes sociales pour réduire l’écart des coûts économiques entre les standards sociaux nationaux

La loi de finances pour 2005, par exemple, dans le but de contribuer au maintien de l’activité, avait ainsi prévu d’accorder jusqu’en 2009 un crédit de taxe professionnelle de mille euros par an et par salarié aux entreprises installées dans des « zones de territoire exposées aux délocalisations et aux restructurations industrielles », qu’elles aient une activité industrielle ou une activité de recherche scientifique ou technique, de direction, d’études, d’ingénierie ou d’informatique. Une trentaine de bassins d’emploi qui connaissent les taux de chômage les plus élevés ou sont menacés de délocalisations sont répertoriés. Des « pôles de compétitivité » sont aussi créés, qui sont des combinaisons, sur un territoire donné, d’entreprises, de centres de recherche et de formation, engagés autour de projets communs

29 Cass. crim., 28 févr. 2006, n° 1327, FS-P+F.

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au caractère innovant. Ces pôles labellisés, bénéficient d’exonérations d’impôt sur les bénéfices et de taxe foncière sur les propriétés bâties. Pour les employés effectuant des activités de recherche et d’innovation, les entreprises sont exonérées de 50 % des cotisations sociales, selon leur taille. Mais un nombre très important d’autres aides publiques tendent à créer des zones franches sociales, des « paradis sociaux » qui visent à attirer les entreprises.

x Second cas : le « dumping social » d’entreprise ou dévaluation des normes sociales applicables dans une entreprise

L’entreprise Braun par exemple, est passée de 36 à 39 heures de travail sans compensation de salaire, pour éviter la délocalisation de l’activité. On peut ainsi considérer avec certains économistes que les délocalisations sont une « mise en concurrence des salariés » par les entreprises transnationales, qui vise à faire baisser les coûts sociaux pour les entreprises et ce dans des pays eux-mêmes développés. L’entreprise est alors elle-même à la source de la diminution des coûts sociaux.

Devant l’impuissance des États à lutter contre les délocalisations et la recherche par les entreprises de lieux de production où la protection sociale est plus faible et donc moins coûteuse, la société civile s’est organisée pour inventer de nouvelles techniques d’application du droit social, quel que soit le lieu de production.

SECTION II Le choix du produit en raison de la loi appliquée

L’inefficacité des politiques juridiques traditionnelles visant les entreprises justifie la recherche de nouvelles formes d’encadrement des localisations par l’économie. Mais les nouvelles techniques qui visent à faire respecter un minimum de droits sociaux par les entreprises quel que soit le lieu de production (§ 1) demandent encore à être perfectionnées (§ 2).

§1 L’élaboration de nouvelles techniques juridiques de law shopping

x Visant, cette fois les produits, ces politiques sont soit étatiques, et peu efficaces soit privées, et en plein développement. Elles prennent soit la forme de clauses de conditionnalité aux échanges commerciaux ou financiers (A) soit la forme de labels sociaux (B).

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A. - Les clauses de conditionnalité

x Les clauses de conditionnalité dans les accords internationaux de commerce ou de coopération ont pour objet de subordonner l’accès d’un produit ou d’un service à un marché national ou transnational où ils pourront être vendus, à la réalisation d’objectifs en matière d’application du droit dans le pays où ils ont été produits. Plus généralement on désigne par ce terme les clauses qui subordonnent l’obtention d’un avantage (commercial, douanier, financier, de coopération…) par une partie bénéficiaire au respect de droits précisés spécifiquement par les parties contractantes dans une clause spéciale30. x Par exemple, la « clause sociale » est une clause de conditionnalité. Elle « conditionnerait » l’accès aux marchés organisés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au respect de certaines règles minimales de droit du travail. Ce projet de clause sociale est né de l’échec du droit international du travail. Certes les conventions de l’OIT couvrent un vaste champ (libertés fondamentales, 1957), conditions de travail (64-83) relations professionnelles (1981) inspection du travail (1947) et elles sont actuellement « toilettées » par le Bureau international du travail. Mais l’absence de mécanisme international de sanction rend l’application de ces normes très largement théorique. x L’idée de clause sociale pour pallier cette inapplication du droit social est ancienne31. Mais il faut dater le premier effort pour donner à ces clauses une portée réelle à la parution d’un article écrit au lendemain de la conférence de Marrakech par Michel Hansenne, le directeur général du Bureau international du travail. Celui-ci prenait les gouvernements se réclamant du libéralisme sur leur propre terrain en considérant la liberté syndicale comme une « garantie qui ne ferait que prolonger, sur le plan social, le principe de libre partenariat dont on entend se prévaloir dans les

30 Pour des exemples concrets, voir le libellé des « clauses droits de l’Homme » tel que reproduit dans E. Riedel et M., Will, Clauses relatives aux droits de l’Homme dans les accords extérieurs des communautés européennes, in Alston, P., (dir.), L’Union européenne et les droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 784-785. Plus généralement, sur les clauses de conditionnalité, voir, C. Musso, Les clauses « droits de l’Homme » dans la pratique communautaire, in Droits Fondamentaux, 2001, n°1 ; D., Delaplace, L’Union européenne et la conditionnalité de l’aide au développement in Revue trimestrielle de droit européen, 2001, n° 3 p.609 ; J.-L., Atangana Amougou, Conditionnalité juridique des aides et respect des droits fondamentaux, Afrilex 2001 n°2 ; A.-N., Sindzingre, Conditionnalités démocratiques, gouvernementalité et dispositif du développement en Afrique, in Mappa, S. (dir.), Développer par la démocratie? Injonctions occidentales et exigences planétaires, Paris, Éditions Karhala, 1995, p. 434 ; S., Bolle, La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France, Afrilex 2001, 2 p. 1 ; J. Rideau, Les clauses de conditionnalité ; droits de l’Homme dans les accords d’association avec la communauté européenne, in Christophe Tchakaloff, M.-F. (dir), Le concept d’association dans les accords passés par la Communauté : Essai de clarification, Bruxelles, Bruylant, 1999, 332, p. 153 E. ; Riedel et M., Will, Clauses relatives aux droits de l’Homme dans les accords extérieurs des Communautés européennes, in Alston, P. (dir.), L’Union européenne et les droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 756-757 ; M., Candela Soriano, L’Union européenne et la protection des droits de l’Homme dans la coopération au développement : le rôle de la conditionnalité politique, Rev. dr. Homme, 2002, n° 52 p. 875. 31 V. Duthu-Calvez, Les avatars de la clause sociale dans les règles du commerce international, Thèse Nantes, 2010.

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échanges commerciaux »32. Et il proposait que la reconnaissance de cette liberté fasse explicitement partie des engagements souscrits par les candidats à l’OMC. La clause sociale avait explicitement pour objet de conditionner le bénéfice de l’accès à un marché au respect de règles de l’OIT. Le débat sur cette clause a eu pour conséquence de faire prendre conscience de la force de ce que l’on nomme la conditionnalité internationale. x En effet, si la clause sociale est un échec dans les accords du GATT, les clauses de conditionnalité sont désormais présentes dans tous les grands accords de coopération entre l’Union européenne et la plupart des pays au monde. La convention « Afrique–Caraïbes–Pacifique–CEE » dite convention de Lomé du 28 février 1975 ne contenait à l’origine aucune clause relative aux droits fondamentaux. Il a fallut attendre Lomé II pour qu’une clause démocratique apparaisse, certes sans mécanisme de sanction. Lomé IV, le 15 décembre 1989, en son article 5, pose une esquisse de conditionnalité, et les institutions communautaires ont en effet interprété ce texte comme leur permettant de suspendre sa coopération en cas de violation des droits de l’Homme. Dans la récente renégociation des Accords de Lomé faite à Cotonou, désormais nommés Accords de Cotonou, les droits sociaux ont été introduits dans la clause démocratique. L’article 9.1 vise « le respect de tous les droits de l’Homme et des libertés fondamentales, y compris le respect des droits sociaux fondamentaux, la démocratie basée sur l’État de droit, et une gestion transparente et responsable des affaires publiques font partie intégrante du développement durable ». Mais l’accord de Cotonou ne prévoit toujours pas de mécanisme de règlement des litiges en cas de mise en jeu de la clause démocratique. C’est pourquoi en cas de litige sur l’exécution de la clause de conditionnalité c’est-à-dire de non-respect des droits fondamentaux qui conditionnent l’exécution du traité, les parties ont eu recours à des experts. Or ces experts sont souvent nommés par une seule des parties, l’Union européenne, et en tant que tels souvent contestés. Voici pourquoi l’organisation non gouvernementale Human rights certification – expertise et droits fondamentaux (HRC), a été créée, qui vise à être ce tiers au contrat de droit public qui, comme un expert, constate les éventuels manquements contractuels, et, comme un médiateur, cherche à obtenir un accord des parties au traité international33. Une nouvelle conception de la

32 M. Hansenne, Libération des échanges et progrès social. Comment appliquer la clause sociale, in Le Monde, 21 juin 1994. Sur la clause sociale, voir M. Hensenne, La dimension sociale du commerce international, Dr. soc. 1994, p. 839. 33 HRC est une association de droit français créée en avril 2004 par des professionnels de l'expertise juridique convaincus que l'évaluation des droits fondamentaux doit suivre une procédure rigoureuse et objective et que les progrès dans l'application effective de ces droits ne relèvent pas toujours d'une dénonciation publique mais nécessite au contraire parfois médiation et confidentialité. L'association HRC a pour objet de réaliser des rapports d'expertises sur la situation des libertés fondamentales – droits civils et politiques et droits économiques et sociaux – notamment en vue de certifier l'exécution des clauses « de conditionnalité » prévues dans les accords internationaux de coopération, d'association, de partenariat

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diplomatie s’esquisse, une diplomatie de la conditionnalité : échanges commerciaux contre respect des droits fondamentaux. Des récents exemples, notamment au Togo, permettent de penser que ce nouveau mode de régulation et d’application du droit peut être extrêmement efficace34. Bien que ponctuellement utilisé en matière de droits fondamentaux tels le respect des droits des prisonniers ou de respect du droit de vote, il manque encore une volonté politique européenne pour utiliser ces clauses de conditionnalité en matière de droits sociaux.

B. - Les labels sociaux

x Les labels sociaux et la certification sociale sont indissociables. La certification est en effet une opération consistant à faire attester, par un organisme tiers, la mise en place, au sein d'une entreprise, d'un système de management d'une dimension très spécifique de l'activité de l'entreprise : la qualité, les impacts environnementaux, les pratiques sociales35. Le système de gestion mis en place doit correspondre à une norme, c’est-à-dire un label par exemple ISO 9001 ou ISO 14001. La réalité de la pratique d’entreprise par rapport à cette norme doit être certifiée, ce qui suppose un suivi régulier, par un cabinet externe, des normes préétablies et des pratiques de l’entreprise. En France, il existe plusieurs organismes certificateurs : l'AFNOR, l'AFAQ, etc. La certification a d’abord été environnementale. Le label Forest stewardship council (FSC) a été créé, en 1993, par l'ONG internationale du même nom. Il a été ensuite mis en place et diffusé à l'initiative d'organisations de défense de l'environnement (WWF, World ressources institute.). Depuis, la certification est de plus en plus dite « équitable » et mélange respect de règles sociales et environnementales. Le label Max Havelaar, par exemple, certifie que les produits portant le label Max Havelaar sont issus du commerce équitable, c'est-à-dire qu'ils ont été produits et commercialisés selon les standards internationaux du commerce équitable. Les quatre labels du commerce équitable utilisés dans l'Union européenne sont Max Havelaar, Transfair, fairtrade mark et Rättvisemärkt. Les organismes d'homologation (dont le nom est identique à celui du label) sont tous affiliés au Fair trade mabelling organisations international, (FLO) qui assure la coordination internationale

entre États ou entre une organisation internationale et des États. En cas de manquements constatés, certifier la mise en œuvre des engagements pris par l'un des cocontractants pour y remédier. Certifier l'effectivité des codes de bonne conduite et autres labels éthiques des entreprises transnationales et d'une manière plus générale la compatibilité de leur activité et de celles de leurs sous-traitants avec les normes internationales relatives aux droits économiques et sociaux. De manière plus générale, réaliser toute mission en rapport avec les libertés fondamentales. Voir HRC – Expertise et droits fondamentaux, 73 boulevard de Sébastopol 75 002 Paris, France. Tél.: +33 1 53 00 93 93, fax: +33 1 55 80 57 11http://www.humanrightscertification.org. 34 Cf le site de HRC. 35 Sur la différence (très théorique) entre certification et labellisation, voir M. Capron, L’économie éthique privée à responsabilité des entreprises à l’épreuve de l’humanisation de la mondialisation, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, in Economie Ethique, n°°7, SHS-2003/WS/42.

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des labels. Les organismes d'homologation fixent les critères à respecter pour qu'un produit puisse bénéficier du label commerce équitable. Harmonisés au niveau international, ces critères sont élaborés sur la base d'instruments internationaux tels que les conventions de l'OIT et les vingt et une recommandations inscrites à l'ordre du jour des Nations unies. Ces critères visent des domaines aussi divers que les conditions de travail, les contrôles visant à prévenir la contamination des cours d'eau et des eaux potables par les pesticides, la protection des écosystèmes naturels, etc. L'élaboration de critères spécifiques pour chaque produit précise ces normes générales et a pour objet de permettre la prise en compte des caractères propres aux systèmes de production et aux circuits de commercialisation. x Producteurs et opérateurs peuvent faire appel aux organismes d'homologation afin de solliciter pour leurs produits le bénéfice du label commerce équitable. Les marchandises importées sont fabriquées par des producteurs établis dans des pays en développement lorsque l'organisme d'homologation a recueilli des éléments probants attestant la conformité des marchandises en cause aux critères du commerce équitable régissant la production et la commercialisation desdites marchandises. Les producteurs et les importateurs dont il a été établi qu'ils respectent les critères du commerce équitable sont inscrits dans les registres internationaux prévus à cet effet. Sur l'emballage du produit figure le logo du commerce équitable, attestant que la production et la commercialisation du produit en cause respectent les critères qui régissent le commerce équitable. Ce logo vient s'ajouter à l'étiquetage informatif imposé par la réglementation en vigueur en ce qui concerne, par exemple, la catégorie de qualité et l'origine. Les commerçants qui souhaitent commercialiser des produits commerce équitable sont tenus de s'approvisionner auprès de producteurs homologués et de respecter eux-mêmes les exigences pertinentes en matière d'inspection en ce qui concerne leurs propres opérations commerciales. x Mais la certification est aujourd’hui plus spécifiquement sociale. La norme SA 8000 est la première norme qui labellise les entreprises en fonction de leur responsabilité sociale. Elle se base sur une évaluation de la qualité, tout comme l'ISO 9001, mais y adjoint des éléments de respect des droits de l'Homme fondés sur les règles de l'OIT, de l'United Nations convention on the rights of the child et de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Les principaux domaines de la SA 8000 sont le travail des enfants, le travail forcé, l’hygiène et la sécurité, la discrimination, le droit de réunion et de parole (syndicats), le temps de travail, la rémunération, le système de gestion. Elle permet aux entreprises d'évaluer selon ces critères, leurs propres sites de production, comme ceux de leurs fournisseurs et sous-traitants. La certification est assurée par des

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organismes accrédités à la norme SA 8000 tels que le Bureau Véritas qualité internationale (BVQI), DNV et SGS.

La norme OHSAS 18 001 (Occupational health and safety assesment series) vise à permettre à l’entreprise de maîtriser les risques d’accidents sur le lieu de travail. Les AA 1000 series (AA pour AccountAbility) lancés par l’Institut of social and ethical accountability (ISEA) en novembre 1999 ne proposent pas d’indicateurs prédéfinis mais des lignes directrices pour amener les entreprises et leurs parties prenantes à co-produire les indicateurs. Il s’agit en particulier de rendre compte (accounting) par le biais d’audit et de communication sur ses performances sociales et éthiques, en s’intéressant, en priorité, à la qualité du dialogue et à la participation des parties prenantes (stakeholders). x En décembre 2004, Jean-Louis Borloo annonçait la mise en place d’un « label responsabilité sociale » pour tous les centres d’appels intégrés et leurs sous-traitants. Ce label, initié par l’AFRC (Association française des relations clients) sous l’égide du ministère de l’Emploi s’obtient en respectant trois critères.

D’abord, les pratiques en ressources humaines (préalables à l’embauche, procédures d’accueil et d’intégration, suivi de carrière, intégration des handicapés, baromètre social, développement de l’employabilité…) ; ensuite, la politique de formation ; enfin, les conditions de travail proprement dites (évaluations des risques, respect des codes déontologiques sur la protection de la vie privée, éclairage, chauffage, temps de pause, espaces de repos, équipements téléphoniques, ergonomie du poste de travail…). Ce label « à la française » peut paraître un peu étrange car il certifie que l’entreprise a simplement respecté les lois et le Code du travail applicable sur le territoire français ! Mais cette labellisation s’applique à tous les acteurs des centres d’appels internalisés comme aux sous-traitants, éventuellement sur un autre territoire. Une autre singularité peut étonner : le cabinet privé Ernst & Young est « l’auditeur » social qui certifie que les entreprises respectent le label. Le 4 avril 2006, le comité de labellisation de l'AFRC a dévoilé le nom des premières entreprises à recevoir le tout nouveau « label de responsabilité sociale ». x Depuis 2002, les entreprises belges ont la possibilité de demander le bénéfice du label social national belge pour un ou plusieurs de leurs produits36. En accordant le label dans le cadre d’une procédure précise, les

36 L., 27 févr. 2002, visant à promouvoir la production socialement responsable, Moniteur Belge, 26 mars 2002 : « Art 3 1er. II est créé un label que les entreprises peuvent utiliser dans la promotion des produits qui répondent aux normes et critères fixés conformément au § 2. Le label est octroyé par le ministre sur avis contraignant du comité ou, le cas échéant, par une décision du conseil d'appel visé à l'article 9. § 2. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, les critères permettant d'octroyer le label. Ces critères comprennent au moins le respect des normes définies dans les conventions de base de l'Organisation internationale du travail et en particulier :

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pouvoirs publics belges entendent garantir auprès du consommateur le respect des principes de base de l’Organisation internationale du travail dans les filières de fabrication en Europe et dans les pays en développement. Ainsi, le label est apposé sur des produits et non sur des entreprises. Le label est limité aux principes de base de l’OIT avec toutefois une possibilité d’extension des critères de référence et d’articulation avec l’éco-label. La loi belge reconnaît la compétence des organes de certification publics nationaux sur la base des critères de référence précisés par la loi. Ainsi, le label social belge, bien plus complet que le label français, repose sur l’intervention de tiers qui garantissent le label : un comité d’avis comprenant les représentants des pouvoirs publics (ministères de l’Emploi, des Affaires économiques, de l’Économie sociale et de la Coopération au développement) et les représentants des parties prenantes est créé pour suivre le dispositif du label social. Les auditeurs qui permettent aux autorités belges d’accorder le label doivent être eux-mêmes certifiés selon les normes EN 45 004 et SA 8000. Le label est en effet octroyé pour une durée de trois ans sur base d’un audit réalisé dans toute la chaîne de production, de déclarations des sous-traitants et fournisseurs. La première compagnie à avoir reçu le label est la SMAP, une compagnie d’assurances mutualiste. L’octroi à des entreprises dont les filières de production sont presque exclusivement belges telle la SMAP pose certes une difficulté du point de vue de l’esprit de la loi. Cependant, la pratique montre que la demande d’octroi du label à des sociétés dont l’activité est principalement nationale s’accompagne nécessairement d’effets d’entraînement, puisque les sous-traitants et fournisseurs sont tenus de s’engager vis-à-vis de la firme donneuse d’ordres.

§2 Le perfectionnement des techniques de law shopping

x Ces exemples montrent les nombreux points communs de ces techniques de clauses de conditionnalité et de labels sociaux. Les actuelles expérimentations de labels (A) préfigurent la future unification de ces techniques (B).

1° l'interdiction du travail forcé (conventions nos 29 concernant le travail forcé ou obligatoire, 1930, et 105 sur l'abolition du travail forcé, 1957) ; 2° le droit à la liberté syndicale (convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948) ; 3° le droit d'organisation et de négociation collective (convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949) ; 4° l'interdiction de toute discrimination en matière de travail et de rémunération (conventions nos 100 sur l'égalité de rémunération, 1951, et 111 concernant la discrimination (emploi et profession, 1958) ; 5°l'âge minimum fixé pour le travail des enfants (convention n° 138 sur l'âge minimum, 1973), ainsi que l'interdiction des pires formes du travail des enfants (convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants, 1999) ».

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A. - L’expérimentation de nouvelles techniques de law shopping

x L’examen de la certification de ce produit très particulier qu’est le diamant permet de comprendre les limites et les enjeux de ces nouvelles techniques de law shopping. Une certification internationale très originale vise en effet à interdire que l’on puisse vendre des « diamants de guerre ». Les expressions « diamants de guerre » ou « diamants sanglants » ou diamants « de conflits » désignent des diamants bruts en provenance de régions contrôlées par des groupes rebelles, particulièrement en Afrique. La maîtrise de mines de diamants est, en effet, l’un des principales causes des guerres en Afrique, et le produit de la vente de ces diamants a souvent servi à l'achat d'armes et en conséquence, au financement et à la pérennisation de guerres civiles. D'après les diverses estimations, les diamants de conflits représentent entre deux et quatre pour cent de tous les diamants extraits. x À la fin des années 1990 des initiatives internationales ont tenté de limiter la vente de ces diamants. Mais l’histoire de ces initiatives explique en grande partie la faiblesse des contrôles internationaux qui justifie l’actuelle réforme en cours de gestation. Le Conseil de sécurité de l’ONU a en effet adopté la résolution 1173 du 12 juin 1998 et la résolution 1176 du 24 juin 1998, interdisant l'importation directe ou indirecte, sur le territoire de tous les États, de tout diamant provenant d'Angola qui n’est pas assujetti au régime du certificat d'origine établi par le gouvernement de l'Angola et imposant des sanctions financières à l'União nacional para a independência total de Angola (UNITA). Par la résolution 1237 du 7 mai 1999, le Conseil de sécurité a créé un groupe d'experts indépendants chargé de procéder à des enquêtes sur les violations qui seraient commises à l'égard des sanctions imposées par le Conseil de sécurité contre l'UNITA. À la suite de la publication du rapport du Groupe d'experts (document S-2000/203), le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1295 du 18 avril 2000, prenant note des recommandations du groupe et établissant une « instance de surveillance » chargée de recueillir des renseignements supplémentaires et d'examiner les pistes pertinentes relatives à toute violation présumée des sanctions, en vue d'améliorer l'application des mesures imposées à l'UNITA.

Le 1er décembre 2000, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté à l'unanimité une résolution sur le rôle des diamants dans les conflits, tendant à briser le lien entre le négoce illicite des diamants bruts et les conflits armés afin de contribuer à la prévention et au règlement des conflits (A/RES/55/56). L'Assemblée générale a reconnu que le trafic de diamants contribuait de façon déterminante à prolonger des conflits sanglants dans certaines régions de l'Afrique. En Angola et en Sierra Leone, les diamants provenant des zones de conflit servaient à financer

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l'União nacional para a independência total de Angola (UNITA) et le Revolutionary united front (RUF).

À l’initiative de l’Afrique du sud, soutenu par l’ONU, une négociation multilatérale appelée « Processus de Kimberley » a alors élaboré un système international de contrôle des diamants de guerre, adopté à Interlaken lors de la Conférence ministérielle du 5 novembre 2002 par trente-six États ainsi que par la Communauté européenne. Le processus de Kimberley a instauré un système international de certification des diamants afin d'empêcher l'accès des diamants dits « de conflits » aux marchés légaux, la certification nationale ayant montré ses limites en Angola.

Le « processus de Kimberley » met concrètement en œuvre un processus mixte dit de conditionnalité et de certification. Depuis le premier janvier 2003, l'importation, l'exportation, l'entrée en entrepôt douanier et la sortie d'entrepôt douanier de diamants bruts ne sont possibles que si ces derniers sont accompagnés d'un certificat infalsifiable de leur provenance. Un diamant ne peut donc plus être vendu sans son certificat « Kimberley ». Le commerce des diamants bruts n'est ainsi autorisé que sous le contrôle des États participant au système de certification. Chaque pays est cependant responsable de ce qu’il affirme, son certificat étant considéré comme présumé véritable et il n’y a pas de système obligatoire d’inspection – ni organisé par les autres membres du processus de Kimberley, ni réalisé par des inspecteurs internationaux indépendants –, ce que les ONG considèrent comme la principale faiblesse du système. Il existe, certes, un système de contrôle par tous les membres du Processus de Kimberley au cours de leur plénière annuelle, mais celui-ci ne peut être déclenché qu’en présence seulement de « signes crédibles de l'inobservation importante du régime international de certification »37. x Mais, faille du système, la certification est faite par les États qui sont ceux qui profitent des diamants de guerre. Cette restriction explique que ce mécanisme de contrôle n’a été appliqué qu’une fois, au printemps 2004, la République Démocratique du Congo ayant été exclue du processus de Kimberley. Le Congo a finalement été exclu en juillet 2009 du processus de Kimberley, pour n'avoir pas pu justifier l'écart entre sa faible production (50 000 carats par an) car la production nationale congolaise est essentiellement artisanale et ses exportations, estimées entre 3 et 5 millions de carats ! Voici qui donne une idée du volume réel des importations frauduleuses de pays voisins comme la Centrafrique, la RDC ou l'Angola ainsi qu’une exacte idée de la valeur actuelle de ces certificats « blood less »…

37 In, Éléments essentiels d'un système international de certification des diamants bruts, Document de travail du Processus de Kimberley, n° 1/2002, 20 mars 2002.

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x Une réforme de ce système de certification s’impose donc avec évidence. Lors de la dernière conférence internationale de diamants, ouverte le lundi 15 novembre 2004 à Anvers (Belgique), la question du contrôle a été évoquée. Depuis, le constat fait par les Etats et les ONG est unanime : les mécanismes de contrôle instaurés par le processus de Kimberley doivent être réformés. Les solutions proposées sont toutefois opposées. D’une part, les 15 et 16 novembre 2004, à Brazzaville, au Congo, des représentants d'Angola, de Centrafrique, de la République démocratique du Congo (RDC), du Congo et du Gabon assistaient à un sommet des pays d'Afrique centrale, et ont exprimé leur intention de créer un organisme de contrôle efficace. Dans leur déclaration commune, ils se sont engagés à « contrôler avec efficacité le commerce des diamants bruts en Afrique centrale afin de juguler la contrebande et la fraude transfrontalière sous toutes ses formes ». Cette déclaration commune est présentée comme la première étape vers la mise en place d'une « organisation africaine du diamant », un nouvel organisme sera placé sous la tutelle de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC), et permettra l'harmonisation graduelle des politiques de lutte contre le trafic de diamants. D’autre part, Amnesty international et global witness, une ONG britannique, ont rendu publique une enquête le 18 octobre 2004 révélant la faible portée de l’engagement pris par les industriels du diamant de se conformer à un système d’autorégulation visant à empêcher le commerce des diamants provenant de zones de conflit. En effet, l'industrie internationale du diamant réunie à Anvers le 19 juillet 2000 avait pris certaines mesures, comme l'adoption par le Congrès mondial du diamant, d'une résolution afin de lutter contre la commercialisation des diamants de la guerre. L’enquête vise les détaillants des États-Unis et du Royaume-Uni, qui ne respectent toujours pas cette résolution. Selon les engagements pris par les industriels du diamant, ceux-ci devaient donner des garanties écrites et mettre en œuvre un code de conduite, destiné à soutenir le système international de certification prévu par le processus de Kimberley visant à bloquer le commerce de diamants en provenance des zones de conflit. Global witness – Partenariat Afrique Canada a par ailleurs réalisé une étude à la même époque, intitulé « La clé de Kimberley : contrôles internes des diamants. Sept études de cas » montrent qu’en dépit de « pratiques exemplaires », la véritable faiblesse du processus de Kimberley réside dans la relative inefficacité des « certificats » qui ne permettent pas de retracer les diamants depuis leurs points d’exportation jusqu’à l’endroit où ils ont été extraits, de façon à s’assurer qu’aucun diamant « de guerre » n’a été ajouté à la chaîne légale de production et de vente de diamants. Global witness recommande notamment dans ce rapport que des institutions internationales indépendantes soient associées au processus de certification.

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x Pour sa part, HRC estime qu’un mécanisme unique de labellisation et de conditionnalité peut aujourd’hui voir le jour. HRC a ainsi proposé aux partenaires du processus de Kimberley de travailler dans deux directions différentes.

En premier lieu Kimberley devrait aider à l’élaboration des systèmes nationaux et corporatifs de certification. HRC suggère de travailler à ce processus de certification en proposant au Conseil du diamant une « Norme sociale diamant » mondiale qui prenne en compte certes l’origine « blood less » des diamants, qui est une condition à leur commercialisation organisée et sanctionnée actuellement par le mécanisme de Kimberley, mais aussi les conditions de travail dans les mines de diamants et dans les ateliers de taille de diamants.

En second lieu, Kimberley devrait, pour réformer son système de certification et de contrôle des engagements des États, s’inspirer des expériences récentes d’ONG qui désormais certifient la réalisation d’engagements pris par des Etats dans le cadre d’accords de coopération, à l’imitation des missions réalisées par HRC pour la certification de la réalisation d’accords internationaux, tels les accords de Lomé – Cotonou. Ces expériences ont montré la nécessité de prévoir certification, c’est-à-dire contrôle d’écart par rapport à une norme, mais aussi médiation en cas de divergences. x Quant au contrôle, un système de labellisation doit prendre en compte la particularité du produit à certifier. Ainsi, un système de certification doit être une procédure de « traçabilité » des diamants d’une raisonnable fiabilité. Un tel système doit prendre en compte trois aspects différents. D’une part, l’organisation économique de l’ensemble de la filière diamant doit être rationalisée par les États producteurs, en s’inspirant des très réelles réussites déjà mises en œuvre par certains pays africains. C’est, par exemple, la création d’une bourse nationale du diamant, dont acheteurs et vendeurs sont agréés, après enquêtes, et dont les transactions sont faites en devises sur un compte d’un établissement financier national. C’est, par exemple, la création d’un organisme autonome chargé d’organiser la production minière artisanale en créant des coopératives, afin de canaliser cette production dans le secteur officiel. D’autre part, il s’agit de créer des organismes indépendants de petite taille, permettant à des inspecteurs travaillant par deux – un inspecteur national, un inspecteur international – de contrôler et surveiller les bureaux d’achat et les acheteurs, l’exploitation artisanale, la contrebande. Enfin, il conviendrait de nommer un bureau de certification internationale pour harmoniser et aider les régulations nationales mises en place, notamment en créant un contrôle par analyse géologique ponctuelle pour certifier et valider le système de contrôle national mis en place.

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x Quant à la médiation, les éventuelles divergences entre les participants au processus de Kimberley relatives à la réalisation des objectifs, doivent pouvoir faire l’objet d’une procédure faisant appel à un tiers pour certifier la réalisation – ou la non-réalisation – de ces objectifs. Les accords de conditionnalité sont en effet de plus en plus souvent mis en œuvre en faisant appel à ces tiers qui facilitent la réalisation de ces accords. HRC a ainsi réalisé une mission au Togo destinée à vérifier l'application de l'engagement 2.2 des accords intervenus entre l'Union européenne et la République togolaise le 14 avril 2004 et ce, dans le cadre de l'article 96 de l'accord de Cotonou. Le rapport définitif de cette mission - confidentiel - a été remis aux autorités togolaises et européennes le 7 septembre 2004. La presse officielle togolaise et la presse d'opposition ont évoqué les conditions de cette mission et un même constat a été fait : la démarche visant à proposer une expertise indépendante et confidentielle dans le cadre de l'accord de Cotonou s'est révélée bien fondée, utile et efficace. Une autre mission, un an plus tard, entre les mêmes parties, a été réalisée. La médiation et l'expertise dans le cadre de l'évaluation de l'effectivité des droits fondamentaux commencent ainsi à s’institutionnaliser.

B. - L’unification des techniques de conditionnalité et de labellisation

x Les techniques de conditionnalité et de labels sociaux tendent à fusionner. En premier lieu, les acteurs de ces techniques sont les mêmes. La conditionnalité et les labels sociaux sont de plus en plus organisés par des États ou des organisations internationales de droit public, en associant des tiers, ONG ou experts, dans le contrôle du respect des normes par les entreprises. Des acteurs privés tels HR. ou la FIDH participent à l’élaboration et au contrôle de clauses de conditionnalité publiques mais aussi de labels sociaux privés. De grands cabinets privés de certification technique ou comptable certifient des clauses de conditionnalité publique tel le système français mais aussi des labels privés. Apparaît ainsi un triangle dont les angles sont constitués des États ou des organisations internationales de droit public, d’ONG ; d’expert privés ou de cabinets d’audit. x En second lieu, le mode d’élaboration des normes à respecter tend à se ressembler. Qu’il s’agisse d’une clause de conditionnalité introduite dans des accords internationaux de coopération ou de labels privés, voir de labels créés par la loi, ces normes ont toutes un fondement contractuel. Certes, le plus souvent ces normes sont matériellement des normes de l’OIT ; mais formellement ces règles sont des règles contractuelles.

Soit les États s’engagent, lors d’un accord de coopération, à appliquer ces règles. Soit les entreprises s’engagent, auprès de l’organisme

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gestionnaire du label, à appliquer ces règles pour bénéficier d’un label social ou faire apposer un label social sur un produit qu’elle réalise ou distribue.

Soit, les entreprises s’engagent à respecter ces règles pour pouvoir contracter avec une entreprise qui, elle-même, s’est engagée à respecter ces normes auprès de l’organisme gestionnaire du label.

Dans tous les cas ces règles peuvent alors trouver à s’appliquer dans des pays qui n’ont pas introduit ces règles OIT en tant que telles dans leur droit positif. x En troisième lieu, le rôle des tiers experts apparaît essentiel soit pour négocier ces clauses ou labels privés, soit pour en contrôler l’application par les États ou les entreprises. Par exemple, certaines ONG, désignées par les parties comme expert pour examiner l’éventuelle non-réalisation de clauses de conditionnalité, ont été amenées à préciser la signification des termes souvent très succincts de ces clauses en renvoyant à des accords internationaux auxquels l’une des parties n’avait pas adhéré. Ce faisant, ces experts donnent une certaine portée positive comme « raison écrite » à ces accords alors même que ces accords n’engagent pas les États en cause. Autre exemple, l’absence d’experts tiers crédible a enlevé toute portée à certains labels. x En quatrième lieu, il n’est plus possible de distinguer clauses de conditionnalité entre personnes publiques et labels d’origine privée. Les exemples privés de labels tels Max Havelaar ont en effet inspiré des labellisations étatiques, tel le label Belge. Et l’élaboration d’un label social européen semble, à terme, inéluctable. Déjà, l’Union européenne s’interroge sur les moyens qu’elle a de peser, comme consommatrice, sur les pratiques sociales, lors de ses appels d’offres38. Le Livre vert de la commission en date du 18 juin 2001 peut être interprété comme le premier pas vers la création d’une norme sociale européenne qui soit une « contractualisation » des normes OIT et de normes européennes. Sur la méthode d’élaboration d’un tel label, le caractère négocié des normes et l’importance des organismes certificateurs sont les deux points le plus souvent mentionnés comme essentiels39. Les entreprises qui

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Voir la Communication interprétative de la Commission sur le droit communautaire applicable aux marchés publics et les possibilités d’intégrer des aspects sociaux dans lesdits marchés en date 15 octobre 2001. 39 Voir par exemple, « L’élaboration de labels sociaux négociés entre partenaires sociaux et comprenant un système de contrôle et d’audits indépendants est une piste particulièrement prometteuse. L’OIT, Organisation internationale du travail, pourrait jouer un rôle important dans ce système de certification, notamment en matière d’accréditation des cabinets d’audit, voire de contrôle du contenu des codes de conduite et de leur application. En outre, la valorisation des entreprises multinationales par les marchés, non plus sur la seule base d’un rapport financier mais sur celle d’un rapport social et environnemental, est une évolution récente qui ouvre des perspectives très intéressantes, notamment concernant l’investissement éthique dont le développement devrait être soutenu. Il revient aux organisations internationales, en dialogue avec les partenaires économiques et sociaux, de faciliter l’élaboration des labels. Les États doivent soutenir leur utilisation. Enfin, la transparence de l’ensemble des processus de

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demanderaient à bénéficier du label que l’on pourrait nommer « NECS » (norme européenne de certification sociale) s’engageraient à faire respecter à leurs co-contractants à l’étranger ou à respecter elles-mêmes à l’étranger ces normes40. Ce grand marché qu’est l’Europe serait alors l’un des vecteurs de l’application du droit social dans le monde. x Il existe ainsi, à la fois, une histoire du « law shopping », un cadre théorique, et une expertise concrète développée notamment par des experts et des ONG spécialisés. Reste à donner à ces expériences une véritable dimension internationale et plus particulièrement européenne. x Par la certification, les entreprises transnationales vont veiller à l’application par les entreprises privées de normes sociales protégeant les droits de la personne au travail, et ce dans des pays qui n’ont pas adhéré aux principaux actes internationaux du droit international du travail ou qui ne respectent pas ces normes internationales. Par la labellisation, les consommateurs sont le moteur de l’application de ces droits par les entreprises. La généralisation du « law shopping » transforme ainsi le droit social désormais intégré aux produits.

Les simples citoyens dans leur vie quotidienne, les associations, les ONG deviennent ainsi les acteurs de ce « réenchantement » du politique tant attendu41. Cette transformation de l’ordre juridique national en un ordre supranational dit par certains « alternational »42 est en effet un « retour au politique ». Et ce retour prend des voies qui étonnent. La « main invisible » du marché est désormais au service du droit43 réalisant un basculement des sources du droit, une transformation des modes de création du droit.

Les groupes de société recherchant leur seul intérêt sont désormais conduits par une « main invisible »44 à appliquer et faire appliquer un minimum de droits sociaux partout dans le monde.

production et des mécanismes de contrôle est une condition sine qua non de la validité de ces labels », HCCIDH, Avis, ass. plén., 10 juill. 2001. 40 « Il devient aussi de plus en plus nécessaire de débattre de la valeur et de la pertinence - dans le cadre du marché intérieur et des obligations internationales - des actions des pouvoirs publics visant à améliorer l'efficacité des labels sociaux et des éco-labels. Ces actions incluent par exemple un soutien à l'information et la sensibilisation sur le thème des conditions de travail, la promotion de bonnes pratiques grâce au parrainage des prix décernés aux entreprises, l'aide aux partenariats pluripartites, l'élaboration de normes de label social et le recours aux marchés publics et aux incitations fiscales pour favoriser les produits porteurs de label », Livre vert, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Commission, 18 juin 2001, p. 21. Voir aussi Rapp. inf AN, n° 3467, déc. 2006., Chatal Brunel, sur « les délocalisations » qui préconise la création d’une certification sociale au niveau européen. 41 A. Wanlin, Les ONG en Europe: Facteur « d’européanisation » de la société civile, in Synthèse, 2002, n° 35, p. 2. 42 M. Delmas-Marty, op. cit. supra, p. 281, et P. Lamy, A. Pellet, M. Delmas Marty, Droit commun, gouvernance mondiale et « laboratoire européen », Le débat, 2006. 43 Voir A. Elliot, Sanctions : les armes de la paix in Politique internationale, 1992, n° 57, p. 151-160 ; M.-H., Labbé, L’arme économique dans les relations internationales, coll. Que sais-je?, PUF, 1994. 44 « À la vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que

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cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. » Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, (1776) éd. Flammarion, 1991, Livre IV, ch. 2.