Le Terrorisme d'Etat: un défi pour l'état de droit en droit international
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Faculté de droit
Le terrorisme d’État : un défi pour l ’état
de droit en droit international
Mémoire de Master présenté en vue de l’obtention du
Master en droit, orientation droit international et européen
par
Noura Kayal
Sous la direction du Professeur
Giovanni Distefano
Neuchâtel, Juillet 2014
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL ii
Sommaire A. Abstract iv
B. Sigles et Abréviations v
C. Bibliographie vii
D. Annexe xvi
I. Introduction 1
I.1. Sujet 1
I.2. Thèse 5
I.3 Définition 6
I.4. Limites 7
I.5 Approche 8
I.6. Historique du mémoire 10
II. Précisions Méthodologiques 13
II.1 Position de l’auteur 13
II.2 Sur le positivisme juridique en droit international 14
II.3 Processus subjectif, système objectif 18
III. Deux modèles de Souverainetés Libérales 22
III.1. Souveraineté Libérale 23
III.2. Cosmopolitanisme 24
IV In Abstracto 26
IV.1. Interrogations 26
IV.2 Proposition de définition 27
IV.3. Eléments Constitutifs 28
IV.3.A. Terreur 29
IV.3.B. Fins politiques (idéologiques […]) 30
IV.4 Distinctions 32
IV.4.A. Ratione Loci 32
IV.4.B. Ratione Materiae 35
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL iii
IV.4.C. Ratione Personae 37
IV.5. Conclusion préliminaire 39
V. Tentative de définition : le Supplice de Sisyphe 40
V.1 Niveau International 40
V.1.A. Au niveau du DIH 40
V.1.B Résolution 49/60 41
V.1.C Projet de Convention Général 42
V.1.D. Tragédie de l’ex Art.19 48
V.2 Au niveau national 49
V.2.A. Jugement TSL 49
VI. Conclusion 51
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL iv
A. Abstract Comment le terrorisme d’État peut-il être un défi pour l’état de droit en
droit international ? En analysant le concept de terrorisme d’État, en le poussant
à son paroxysme pour en voir toutes les implications possibles, nous voyons que
nous atteignons les limites du droit international. Le terrorisme d’État interne
repousse les limites de l’égalité formelle entre les États par le poids de la doctrine
de la responsabilité de protéger face au domaine réservé de l’État. Il marque
également les lacunes de protection du droit entre les cas de situations
d’urgences et l’application du droit des conflits armés internationaux. A l’autre
extrême, les actes de terrorisme externe sont des menaces pour la paix et la
sécurité internationales. Or, les actes de terrorisme d’État externe ne tombent
pas tous sous la définition de crime contre l’humanité ou de crime de guerre. A
un moment de l’histoire ou le recours à la menace ou à l’emploi de la force est
interdit, l’utilisation du terrorisme par l’État permet de continuer la guerre par
d’autres moyens. Ces constatations soulèvent des interrogations sur le contrôle
de validité des résolutions du Conseil de Sécurité, de l’utilisation de la légitime
défense contre des individus, ou encore de la justiciabilité des droits de l’Homme
à caractère péremptoire. Or, toutes ces interrogations sont controversées en
Droit International Public. Mais elles montrent une tension entre deux modèles de
souveraineté : une souveraineté où les droits fondamentaux de l’État sont au
centre des relations internationales, et une souveraineté où les droits
fondamentaux de l’individu sont au centre des interactions entre États. Ici se
trouve le titre : le terrorisme d’État est un défi pour la souveraineté libérale
internationale, car le concept soulève les manquements du droit international
pour son établissement en tant qu’état de droit.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL v
B. Sigles et abréviations
AG Assemblée Générale des Nations Unies
AFDI Annuaire français de droit international
AJIL American Journal of International Law
CAI Conflits armés internationaux
CANI Conflits armés non-internationaux
CDI Sixième Commission de l’Assemblée générale
sur le Droit International
CIJ Cour Internationale de Justice
CNU Charte des Nations Unies
Comité Spécial Comité spécial crée par la résolution 51/210 de
l’Assemblée générale, en date du 17 décembre
1996
CPA Cour permanente d’arbitrage
CPIJ Cour Permanente Internationale de Justice
CS Conseil de Sécurité des Nations Unies
DIDH Droits international des Droits de l’Homme
DIH Droit International Humanitaire
EJIL European Journal of International Law
HRW Human Right Watch
OUP Oxford University press
Projet d’articles Projet d’article dur la responsabilité des État s
pour fait internationalement illicite, 2001
Projet de convention générale Projet de convention générale sur le terrorisme
international, 16ème session, 8-12 avril 2013
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL vi
RCADI Recueil de cours de l’Académie de Droit
International de La Haye
RIAA Reports of International Arbitral Awards
StCIJ Statut de la Cour International de Justice
StCPI Statut de la Cour Pénale International
TPIY Tribunal Pénal International pour l’ex-
Yougoslavie
TPIR Tribunal Pénal International pour le Rwanda
TSSL Tribunal Spécial pour le Sierra Leone
TSL Tribunal Spécial pour le Liban
UN Nations Unies
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL vii
C. Bibliographie
Ouvrages Généraux :
J. Combacau, S. Sur, Droit International Public, 2012, (10ème éd.), Domat, Paris
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LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL viii
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LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL ix
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Rapport du Conseil de Sécurité
S/2004/616
Résolutions du Conseil de Sécurité
S/RES/1973 (2011)
S/RES/1970 (2011)
S/RES/2109 (2013)
S/RES/2118 (2013)
S/RES/2127 (2013)
S/RES/2139 (2014)
Agenda du Conseil de Sécurité
S/PV.7205
Résolution de l’Assemblée Générale
A/RES/2625 (XXV)
A/RES/49/60
A/RES/51/210
A/RES/51/229
A/RES/60/1
A/RES/68/119
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xi
Rapport du Comité Spécial
A/52/37 (1997)
A/55/37 (2000)
A/65/37 (2010)
A/68/37 (2013)
Sixième Comité
A/C.6/67/SR.23
A/C.6/60/INF/1
Déclaration du Secrétaire Général
A/63/677
Actes Unilatéraux
EU Council Regulation 269/2014, (17.03.2014)
White House Executive Orders 13660 (6.03.2014)
White House Executive Orders 13661 (17.03.2014)
White House Executive Orders 13662 (20.03.2014)
CIJ
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Projet Gabcikovo-Nagymaros, Hongrie c. Slovaquie, 25 septembre 1997, Recueil C.I.J. 1997
Différent Relatif à l’Immunité de juridiction d’un rapporteur spécial, avis consultatif, 29 avril 1999, Recueil C.I.J. 1999
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xii
Activités armées sur le Territoire du Congo, RDC c. Ouganda, 19 décembre 2005, Recueil C.I.J, 2005
Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide, Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro, 26 février 2007, Recueil C.I.J. 2007
CPIJ
Affaire du SS Lotus, France c. Turquie, 7 septembre 1927, Publications C.P.I.J. série A, n°10
Affaire relative à la juridiction territoriale de la Commission de l’Oder, Allemagne, Danemark, France, Suède, Tchécoslovaquie c. Pologne, 10 septembre 1929, publication C.P.I.J. série A, n°23
CPA
Affaire de l’île de Palmas, État s-Unis- Pays-Bas, Jugement du 4 avril 1928,
TPIY
Le Procureur c. Anto Furundzija ,10 décembre 1998, chambre de première instance, affaire n°TI-95-17/1-T (1999)
Le Procureur c. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj, Lahi Brahimaj, 3 avril 2008, Chambre de première instance, affaire n° IT-04-84-T (2008)
Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense contre l’exception préjudicielle d’incompétence, arrêt du 2 octobre 1995, devant la chambre d’appel, affaire n°IT-94-1-T
Le Procureur c. Dusko Tadic, chambre d’appel, jugement du 15 juillet 1999, affaire n°IT-94-1-A.
TSL
Décision préjudicielle sur le droit applicable : terrorisme, complot, homicide, commission, concours de qualifications, devant la chambre d’appel, jugement du16 février 2011, affaire n° STL-II-OIIIIAC/R176bls
TSSL
Le Procureur c. Charles Ghankay Taylor, chambre d’appel, jugement du 26 septembre, 2013, affaire n° SCSL-03-01-A-1389
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xiii
Sentence Arbitrale
Affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande/France), R.I.A.A., Vol. XX
CEDH
Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, requête n°14038/88
Loizidou c. Turquie, arrêt du 23 mars 1995, requête n°15318/89
McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, requête n°18984/91
Chypre c. Turquie, arrêt du 10 mai 2001, requête n°25781
Al-Adsani c. Royaume-Uni, arrêt du 21 novembre 2001, requête n°35763/97
CJEU
La Commission c. Kadi, arrêt du 18 juillet 2013, C-584/10 P
US Suprem Court
Hamdan v Rumsfeld, Secretary of Defense et al., décision du 29 juin 2006, 548 U.S. 557
Liste d’organisations terroristes
Gouvernement britannique :
https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/324603/20140627-List_of_Proscribed_organisations_WEBSITE_final.pdf Gouvernement canadien :
http://www.securitepublique.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cntr-trrrsm/lstd-ntts/crrnt-lstd-ntts-fra.aspx
Articles de presses
Al Jazeera :
http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2013/02/20132317737493423.html
BBC :
http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275 (Chronologie de la crise en Ukraine)
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xiv
http://www.bbc.com/news/uk-19647226 (sur l’empoisonnement d’Alexander Litvinenko)
Hurriyet :
http://www.hurriyetdailynews.com/israels-mentality-no-different-from-hitlers-turkish-pm-erdogan.aspx?pageID=238&nID=69145&NewsCatID=338
Le Monde :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/21/le-pari-de-la-guerre-hegelienne_1510543_3232.html?xtmc=lybie&xtcr=27 (Intervention en Libye)
Reuters :
http://www.reuters.com/article/2012/11/19/us-palestinians-israel-turkey-idUSBRE8AI0FH20121119
The Guardian :
http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/us-tech-giants-nsa-data
http://www.theguardian.com/world/2014/jun/23/us-justification-drone-killing-american-citizen-awlaki Rapport d’ONG
Amnesty International :
Syrie, déclaration du 1er août 2011 : http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/un-security-council-must-take-action-over-syria-bloodshed-2011-08-01
Human Right Watch :
Lybie, rapport du 19 février 2011 : http://www.hrw.org/news/2011/02/18/libya-security-forces-kill-84-over-three-days
Egypte pour l’année 2011 : http://www.hrw.org/world-report-2012/world-report-2012-egypt
Syrie, rapport du 13 mai 2014 : http://www.hrw.org/news/2014/05/13/syria-strong-evidence-government-used-chemicals-weapon
Site Internet
Projets du State Crime Initiative : http://statecrime.org/
plato.standford.edu
Discours
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xv
Report du discours d’Obama à la candidature pour la présidentielle du 24 juin 2007 :http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/06/24/AR2007062401046.html
Discours de Vladimir Poutine sur l’Intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, 18 mars 2014, en anglais : http://eng.kremlin.ru/news/6889
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xvi
D. Annexe
ANNEXE I : Liste des conventions internationales relatives au terrorisme
Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenus à bord des
aéronefs, signée à Tokyo le 14 septembre 1963,
Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronef, signée le 16
décembre 1970,
Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de
l’aviation civile, conclue à Montréal le 23 septembre 1971,
Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les
personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents
diplomatiques, adoptée à New York le 14 décembre 1973,
Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée à New York le 17
décembre 1979,
Convention sur la protection physique des matières nucléaires, adoptée à Vienne
le 26 octobre 1979,
Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports
servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la
répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signé à
Montréal le 24 février 1988,
Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de la
navigation maritime, signée à Rome le 10 mars 1988,
Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL xvii
fixes situées sur le plateau continental, fait à Rome le 10 mars 1988,
Convention sur le marquage des explosifs plastiques aux fins de détection,
signée à Montréal le 1er mars 1991,
Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif,
adoptée à New York le 15 décembre 1997,
Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme,
adoptée à New York le 9 décembre 1999,
Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire,
adoptée à New York le 13 avril 2005,
Amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires,
adopté à Vienne le 8 juillet 2005,
Protocole de 2005 à la Convention pour la répression d’actes illicites contre la
sécurité de la navigation maritime, adopté à Londres le 14 octobre 2005,
Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes
fixes situées sur le plateau continental, adopté à Londres le 14 octobre 2005
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 1
Justice, force. I l est juste que ce qui est
juste soit suivi, i l est nécessaire que ce qui est le
plus fort soit suivi. La just ice sans la force est
impuissante: la force sans la just ice est
tyrannique. […]
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût
fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.
Blaise Pascal1
I. Introduction
1. Sujet
Le désaccord. Quiconque se plonge dans la discipline du droit
international public sera d’abord frappé par la force des discours qui se
contredisent, se percutent, s’emmêlent. Difficile alors pour le néophyte d’y
percevoir un sens hors du brouhaha des théories. Au cœur du débat, la question
de la souveraineté, de sa forme et de ses contours. Là, un auteur affirmera le
pouvoir de l’anarchie dans le domaine internationale, le jeu des pouvoirs défini
par l’intérêt politique, et l’absence de morale universelle dans les actions
abstraites des États.2 Ici, un autre insistera sur la coopération, la nécessité du
commerce globalisé et le changement de fond opéré par la création d’institutions
internationales pour le concept de souveraineté.3 Là-bas, un autre parlera des
principes communs à l’humanité, fédérateur d’un système de gouvernance
globale au mode décisionnel à plusieurs niveaux.4 Plus loin, un dernier insistera
1 B. Pascal, Pensées, (P. Sellier éd.), 2000, Pocket, Paris pensées 298, Section V 2 H. Morgenthau, Politics Among Nations : The Struggle for Power and Peace, 1978, 5ème éd., Alfred A. Knopf, New York, pp.4-15 3 R. O. Keohane, Ironies of Sovereinty : the European Union and the United State, 2002 JCMS Vol. 40, N°4, pp.758-761 4 D. Held, Law of States, Law of peoples, Legal Theory vol. 8, 2002, Cambridge University Press, Cambridge, pp. 23-49.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 2
sur l’avènement d’un empire universel fondé sur la globalisation des modes de
production et la place du biopouvoir dans une société de contrôle créant des
forces capables de mener à une paix universelle.5
Qu’est-ce que le terrorisme d’État ? De prime abord, nous pourrions
penser à l’État autoproclamé de l’État islamique en Irak et au Levant, tenu par
une branche d’Al-Quaïda et reconnu comme étant un groupe terroriste par un
certain nombre d’État.6 Nous pourrions encore penser à l’attentat de Lockerbie,
ou encore à certaines pratiques de disparitions forcées. Si les exemples et les
définitions diffèrent, nous pouvons affirmer que le terrorisme d’État est aussi
vieux que le concept d’État lui-même. Il trouve sa naissance dans les révoltes
populaires et les guerres d’influences, en particulier après la séparation du
pouvoir de l’État laïque et du pouvoir religieux par les Traités de Westphalie en
1648 et le parachèvement de l’établissement d’État-nation par Napoléon
Bonaparte en Europe. Dans des circonstances de crises de la nation, ou
l’existence même de l’État est en péril, l’État est tenté d’invoquer la toute
puissance de sa souveraineté absolue pour lutter contre les ennemis de la
nation. Or, la nature de la souveraineté et des relations internationales s’est
quelque peu modifiée depuis l’émergence de la société des nations d’abord, puis
des Nations Unies.7 L’idée que l’État puisse user de tous les moyens nécessaires
pour assurer sa survie est de plus en plus contestée par la société civile à travers
les organisations de protections des droits des droits de l’Homme.8 Si le discours
de la société civile est clair et appelle au respect des droits de l’homme, il est
5 M. Hardt, T. Negri, Empire, 2000, Harvard University Press, Cambridge, pp. 183-190. 6 Entre autres, le gouvernement britannique : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/324603/20140627-List_of_Proscribed_organisations_WEBSITE_final.pdf, p.9, Ainsi que le gouvernement canadien : http://www.securitepublique.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cntr-trrrsm/lstd-ntts/crrnt-lstd-ntts-fra.aspx , consultés le 28 août 2014 7 D. Held, op. cit., p.5 8 Voir par exemple la déclaration d’Amnesty International concernant la Syrie avant le début de la guerre civile. Déclaration du 1er août 2011 : http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/un-security-council-must-take-action-over-syria-bloodshed-2011-08-01 consulté le 09.07.14
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 3
plutôt difficile de trouver un trait commun aux divers comportements et discours
des États et de la communauté internationale dans son ensemble.
En Egypte, les manifestants sont descendus dans la rue pour contester le
pouvoir du président Moubarak, à la tête de l’État depuis une trentaine d’année.
La réponse du président à ces manifestations a été violente, et a fait plus de 800
morts civils, la majorité ayant été tués entre les journées du 28 et du 29 janvier.9
Malgré ces événements, la question de l’Egypte n’a jamais été à l’ordre du jour
du Conseil de Sécurité pendant l’année 2011.10 En Libye, lorsque Kadhafi, alors
chef d’État depuis 41 ans, s’attaque à la population de manière indiscriminée en
utilisant des méthodes propres à créer la terreur, tel que les tirs à balles réelles
sur les manifestants,11 les États occidentaux interviennent12 en invoquant la
guerre humanitaire.13 Ailleurs, en Syrie, alors que Bachar El-Assad, au pouvoir
depuis 11ans,14 a utilisé et utilise encore des méthodes aux effets bien plus
dévastateurs, tel que l’utilisation d’armes chimiques contre la population civile,15
le Conseil de Sécurité n’a pris que des sanctions économiques.16
Alors, trois poids, trois mesures ? Pourtant, ces trois cas récents se
ressemblent furieusement. Ce sont des révoltes populaires, menées contre des
régimes autoritaires ayant aboli un certain nombres de libertés politiques par
l’instaurations de l’état d’urgence en place depuis de très nombreuses années,
dans un contexte de perte de pouvoir d’achat, d’augmentation du chômage dû à 9 Rapport HWR sur l’Egypte pour l’année 2011 : http://www.hrw.org/world-report-2012/world-report-2012-egypt consulté le 09.07.14 10 Agenda du CS 2011 : http://www.un.org/depts/dhl/resguide/scact2011_en.shtml consulté le 09.07.14 11 Rapport HRW du 19 février 2011: http://www.hrw.org/news/2011/02/18/libya-security-forces-kill-84-over-three-days consulté le 09.07.14 12 S/RES/1973 (2011) point 4 (protection de la population civile) 13 Ariel Colonomos, Le pari de la guerre hégélienne, in Le Monde, 21.04.2011. Consulté le 24.06.2014 :http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/21/le-pari-de-la-guerre-hegelienne_1510543_3232.html?xtmc=lybie&xtcr=27 14 40ans si on compte avec le régime d’Hafez el-Assad, son père 15 Rapport HRW du 13 mai 2014 : http://www.hrw.org/news/2014/05/13/syria-strong-evidence-government-used-chemicals-weapon, consulté le 09.07.14 16 S/RES/2139 (2014), S/RES/2118 (2013)
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 4
une population croissante et des pertes de valeurs dans les communautés
traditionnelles arabes au profit de l’individualisme.17 Au niveau international, ces
trois cas interviennent dans un monde multipolaire et multicivilisationnel,18 ou le
droit comme vecteur des valeurs européennes se délie, et laisse place à une
montée en puissance de la globalisation au niveau économique, mais aussi à
des valeurs politiques globalisées, telle que la démocratie.19 Comment expliquer
dès lors que des cas si semblables donnent des réponses si différentes ? La
réponse est à chercher dans la place que tient le concept de terrorisme d’État en
droit international.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un dernier mot sur cette pensée de
Blaise Pascale : les tensions entre la justice et la force prennent une cruelle
réalité en droit international. Elle révèle les manquements du droit international
pour la justice globale. Un pur raisonnement abstrait, un simple bon sens
atteignable par tout un chacun est suffisant pour se rendre compte qu’un État qui
terrorise une population, ce n’est pas normal. L’État, c’est avant tout
l’achèvement d’un contrat social d’une population, un être supérieur qui permet à
tout un chacun de vivre ensemble sans empiéter sur les libertés individuelles. En
se rattachant à une certaine frange des théoriciens du contrat social, il semble
contre-nature de voir l’État se retourner contre cette population qui lui procure
son pouvoir pour la terroriser.20 En de telle circonstance, le contrat social est
rompu et chaque individu reprend son pouvoir individuel, et avec, sa capacité à
utiliser la violence. L’origine du pouvoir de l’État est alors illégitime. La force sans
17 R. Labévière, Printemps, été et automne arabe, révolution et contre-révolutions post-globales, in Revue Internationale stratégique, 2011, Vol.3, N°83, p.75 18 S. Huntington, The Clash of Civilisation ? in Foreign Affairs vol.72 n°3, 1993, p.45-49 19 J.B.de Macedo, L.B. Pereira, J.O. Martins, J.T. Jalles, Globalization, Demaocraty and Developpement, NBER Working Paper N°19575, 2013, p.18 20 Justifiant dès lors le droit de résistance et le tyrannicide. Voir en particulier J. Locke, Deux Traités du Gouvernement, 1997, J. Vrin, Collection librairie philosophique, Paris, chap. 18, par. 209, ainsi que E. de Vattel, Le droit des Gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, 1983, Slatkine Reprint, Henri Dunant Institute, Genève, Tome 1, Livre 1, chap. IV, par. 51
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 5
la justice devient alors tyrannie, et la justice ne peut s’imposer, manque de force.
Si l’idée de justice sociale peut être atteinte assez facilement par le simple
raisonnement de la pensée, son avènement dans la société n’est possible que
par la force. Or, nous manquons de structures pour établir l’avènement d’une
telle justice en droit international .21 Mais un État ne se retourne pas forcement
contre sa propre population. Dans un monde caractérisé par l’identité culturelle
des populations, un État peut aussi chercher à terroriser d’autres populations
pour installer son pouvoir, ses valeurs morales ou sa culture. Or, ce serait
contraire à l’idée de démocratie que de faire prévaloir la force dans les questions
morales.
2. Thèse
L’auteur tient à montrer par ce mémoire que le concept de terrorisme
d’État n’a pas sa place dans le système du droit international. En bref, le
terrorisme d’État est un concept trop grand pour être utile en droit international
public. Au lieu de simplifier une réalité, il floute les contours de problèmes déjà
existants et déjà soulevés en droit international par la communauté
internationale. En clair, le terrorisme d’État est un concept extrêmement politique
qui peine à trouver une place dans l’ordre juridique international. La
décomposition du concept de terrorisme d’État permet de mettre en valeur
d’autres éléments de droit qui contiennent déjà certains éléments de crimes
politiques, mais qui sont soit plus spécifiques, tel que les violations graves aux
conventions de Genève, soit plus généraux, tel que les crimes contre l’humanité,
et donc plus adapté à la nature mouvante du droit international. Pour cette
raison, créer une catégorie spécifique de crime d’États qui regrouperait les
crimes politiques serait peu adapté. Même s’il ne peut rentrer dans le système,
l’analyse du concept de terrorisme d’État est intéressante car elle permet de voir
21 Sur les liens entre la justice globale et la souveraineté, voir en partiuclier T. Nagel, The problem of global justice, in Philosphy and Public Affairs 33, vol.2, 2005, pp.145-146
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 6
la cristallisation des conflits entre système et processus du droit international. On
voit émerger la tension entre une certaines volonté grandissante de protéger les
droits de l'Homme dits absolus,22 tel que l’interdiction de la torture ou le droit à la
vie - consacrés d'une certaine manière par la responsabilité de protéger ou les
interventions à buts humanitaires - et des concepts de droit international public
bien établis, tels que le principe de non-ingérence dans les affaires internes d'un
État, ou encore de l'égalité souveraine des États. Cet écart crée une
augmentation du différentiel entre les discours droits-de-l’hommiste et la
continuation de politiques réalistes. 23 Nous verrons en conclusion qu’une
définition négative du terrorisme d’État uniquement pour les actes de terrorisme
d’État pur, soit ceux se situant sur un État contre sa propre population et utilisant
des moyens qui lui sont directement imputables tout en restant sous le seuil du
CANI, et impliquant de graves violations au droits humains pourrait être
envisagé. Cependant, un tel concept marquerait un pas de plus vers une forme
de cosmopolitanisme. En cela, le terrorisme d’État est un défi pour l’état de droit
en droit international public, car il montre les crispations entre deux modèles de
souveraineté, et les efforts pour arriver à une justice globale.
3. Définition
Le terrorisme d'État se caractérise d'abord par une absence de définition
au niveau international. Comment accepter que l'État, qui a le monopole de la
violence légale, établisse la terreur en violation du droit, de manière illégitime, au
22 TPIY, Procureur c. Furundjiza (10 décembre 1998, affaire n°TI-95-17/1-T (1999) 38 International Legal Material 317), par. 144 23 Voir par exemple le discours de Vladimir Poutine sur l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014 : « Nous sommes réunis ici aujourd’hui au sujet d’une question qui est d’une importance vitale, d’une portée historique pour nous tous. Un référendum a été organisé en Crimée le 16 mars, dans le plein respect des procédures et des normes démocratiques internationales en vigueur. Plus de 82% de l’électorat a pris part au vote. Plus de 96% d’entre eux se sont prononcés en faveur de la réunification avec la Russie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. ». Discours retranscris en anglais sur http://eng.kremlin.ru/news/6889 Consulté le 09.07.14 Pour une chronologie de la crise entre l’Ukraine et la Russie, voir : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275, consulté le 09.07.14
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 7
sein de la population et à des fins politiques? Le projet de convention générale
des Nations-Unies sur le terrorisme, qui cherche à aboutir à une notion intégrale
du terrorisme, est entré au stade d'inertie dû à l'incapacité des négociateurs de
trouver un point d'entente, entre autre, sur la notion de terrorisme d'État. Comme
nous le verrons dans le chapitre V, la définition de terrorisme fournie par le projet
de convention générale24 est beaucoup trop imprécise. En l’absence de toute
définition consensuelle, nous préférons pour la présentation de ce mémoire cette
autre définition du terrorisme d’État, inspirée d’une résolution de l’AG sur les
mesures pour l’élimination du terrorisme25 formulée ainsi : les actes directement
ou indirectement imputable à un État, qui, a des fins politiques, sont conçus ou
calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personne ou chez
des particuliers. Comme nous le verrons, cette proposition de définition prête à
des confusions de genre. Mais convaincu que les définitions les plus simples
sont souvent les meilleures, et en l’absence de définition plus restrictive, nous
nous contenterons de celle-ci pour le présent mémoire.
La notion d’état de droit en droit international requiert cinq éléments : 1) la
norme selon laquelle personne n’est au dessus ni en dehors du droit, 2) le
respect des procédures et modes décisionnels démocratiques, 3) des formes de
restrictions légales au pouvoir exécutif (ici, le CS), 4) une forme de constitution,
et 5) l’idée que le monde n’est pas irrémédiablement injuste.26
4. Limites
Le thème du terrorisme d’État est immense. Il couvre de larges problèmes
de droit international public, certains nécessitant l’écriture de livres entier sur ce 24 Art.2 Projet de convention générale, 16ème session 25 A/RES/49/60, Annexe I.3 : « Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier; » 26 Sur les cinq critères, voir Crawford, Chance, Order, Change, 2013, RCADI N° 325, p.253, ainsi que S/2004/616 (rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit), par.6
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 8
seul problème. Pour des raisons de tailles, certains thèmes ne seront pas du tout
abordés. Nous préférons soulever les questions d’ordre général, sans soucis
d’exhaustivité. Pour cette raison, ce mémoire peut parfois sembler un peu
« léger » dans l’analyse, car il manque d’espace pour développer la force de son
argumentaire. Par exemple, les questions du financement ou de support du
terrorisme et la responsabilité conséquente à ces actions seront laissées de côté
pour des raisons de simplification. Il ne sera pas non plus fait mention d’acte de
terrorisme « privés » sans lien de rattachement effectif avec l’État. A l’autre
extrême du sujet, la question de l’actio popularis, de l’immunité de l’État ou
d’agent de l’État sera également laissée de côté, sauf dans la mesure où elle
nous permet de mieux comprendre l’évolution de la notion de terrorisme d’État
dans la justice transitionnelle et dans notre idée de tension entre modèles de
souverainetés. Mais cette légèreté est un choix, puisque nous avons préféré
nous en tenir à un argumentaire cohérent. Toutefois, chacune des questions
soulevées ici sera traitée plus en profondeur sur demande, et en particulier lors
de la soutenance de ce mémoire Enfin, chaque cas de terrorisme d’État est
unique, particulier, et nous nous refusons à réduire ce mémoire à une simple
énumération de cas. Aussi, plutôt que d’observer chaque cas de terrorisme
d’État, et de s’enfoncer dans un particularisme plus que malheureux, ce mémoire
a l’ambition d’expliquer par une théorie générale la place du concept du
terrorisme d’État dans le système de droit en droit international. De cette théorie
générale pourra être observé la somme des comportements particuliers. Un
concept théorique, mis à l’épreuve de la pratique et soumis au jugement de
l’histoire.
5. Approches
Cette approche déductive du concept s’explique avant tout par sa
complexité. Il n’y a pas d’angle simple lorsque l’on parle de crime politique. Ce
sujet aborde à la fois des questions juridiques sur l’état de droit en droit
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 9
international, politiques par la forme de la souveraineté, sociétales car les crimes
d’État déchirent le tissus social27 et philosophiques par ses implications sur la
nature humaine. 28 Pour réduire ces questions, nous avons cherché à
comprendre la place du terrorisme d’État dans l’ordre juridique internationale
aujourd’hui, et ce faisant, à exclure toute vision prophétique de la place qu’aurait
ce concept dans le processus du droit international pour des raisons morales.
Comme nous l’avons vu plus haut,29 il semble moralement juste de punir les
crimes politiques, car la source de la violence est illégitime. Mais si la quête d’un
idéal moral est compréhensible, elle ne peut en aucun cas se fonder logiquement
sur une série d’assertions factuelles. Comme l’a écrit David Hume, La moralité
excite nos passions, elle est un moteur pour nos actions ou nos retenues, mais
elle ne peut en rien être déduite logiquement des faits.30 Pour cette raison, nous
avons estimé qu’il était nécessaire de nous en garder à l’analyse des faits purs,
et d’éviter de tomber dans ce piège dans lequel sont tombé tant d’auteurs
écrivant sur les crimes d’États. Nous ne pouvons en rien inférer sur l’avenir du
concept de crime d’État, et encore moins parler de ce qui devrait être fait. Notre
approche tiendra du positivisme juridique et du libéralisme international,
positivisme juridique pour lesquelles certaines précisions seront faites au chapitre
suivant, et souveraineté libérale comme nous le verrons au chapitre 3. Cette
approche libérale et positiviste est une critique à une vision particulièrement
idéaliste31 ou abusivement créative32 que l’on retrouve chez certains auteurs.
Dans leurs quêtes de publications académiques et de recherches pour le meilleur
argument logique, nous avons l’impression qu’ils oublient de prendre du recul sur
27 P. Dumouchel, Le terrorisme entre guerre et crime ou de l’empire, in S.Courtois (dir.), Enjeux Philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, 2003, les presses de l’Université de Laval, Laval, pp.33-35 28 P. Dummouchel, idem. 29 supra p.3 30 D. Hume, A Treatise on human nature : a critical edition, (D.F. Norton, éd.), 2007, OUP, Oxford book 3, part 1 section 1, par. 3-6 31 Voir en particulier les projets du State Crime Initiative. Consulté le 26.06.14, http://statecrime.org/ 32 L. Westra, Faces of State Terrorism, 2012, Brill, Leiden-Boston
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 10
leurs affirmations et perdent ainsi toute crédibilité. Comme nous l’avons déjà
pointé du doigt, ce n’est pas parce que quelque chose est moralement juste qu’il
fait pour autant parti de ce qui est existant. Un doit est distinct de ce qui est.
Cette mince distinction du réalisme logique s’évanouit dans les normes de droits
de l’homme à caractère péremptoire, où une sorte de confusion magique avec le
jus cogens semble s’opérer, non seulement au niveau de la conscience collective
de l’humanité, mais aussi au niveau juridique.33
6. Historique de ce mémoire
Ce mémoire, rendu six mois plus tôt, aurait eu un angle d’approche très
différent de celui d’aujourd’hui. Il avait un peu cette vision très hégélienne, très
idéale, et quelque part très théorique, d’une fin de l’histoire possible en droit
international. Une vraie libération politique ! L’homme libre de la tyrannie,
responsable de son destin, conscient de la plénitude de sa liberté politique.34
Une révolution française au niveau mondial, dont l’aboutissement aurait été la
reconnaissance, enfin, de l’humanité dans son ensemble et des droits
inaliénables qui lui sont attachés. Mais cette vision lyrique du droit, exaltante,
s’est heurtée de plein fouet à l’actualité.
Le 22 février 2014, le mouvement Euromaïdan s’est emparé du pouvoir en
Ukraine, chassant le président élu Ianoukovitch. Même si cet événement de
trouble politique n’a pas atteint, à notre avis, le seuil35 de la terreur,36 la crise
politique qui a suivi avec la Russie a été une belle claque pour les idéaux que ce
33 A. Bianchi, Human Right and the magic of jus cogens, 2008, EIJIL vol.19 n°3, pp.494-495 34 A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel : leçons sur les phénoménologies de l’esprit, (R. Queneau publ.), 1979, Gallimard, Paris p.34-35 35 Voir Infra, chap. IV. 3. A 36 A noter que bien que l’Ukraine ne soit pas un État-parti à la CPI, le nouveau gouvernement ukrainien a déposé en vertu de l’art. 12. Par. 3 du Statut de Rome une déclaration de reconnaissance à la CPI pour de potentiels crimes commis pendant les troubles d’Euromaïdan (21.11.13-22.02.14). Documents disponibles sous http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/structure%20of%20the%20court/office%20of%20the%20prosecutor/comm%20and%20ref/pe-ongoing/ukraine/Pages/ukraine.aspx consulté le 09.07.14
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 11
mémoire véhiculait. Une semaine après la prise de Kiev par Euromaïdan, les
forces pro-russes contrôlaient Sébastopol, et s’apprêtait à mettre en place dans
l’urgence un référendum « démocratique ». Cependant, un référendum organisé
dans l’urgence ne peut pas garantir le libre choix des individus. Sous pression de
l’actualité et sans recul, le droit à la liberté de pensée et de conscience ne peut
pas être garanti, et cette condition est nécessaire pour affirmer le caractère
démocratique d’un référendum. Le 1er mars, le parlement russe approuvait la
requête de Vladimir Poutine d’envoyer des troupes en Ukraine, qualifiées de
troupes de « légitime défense».37 Le 18 mars, soit le lendemain des résultats du
référendum pro-russe organisé par le parlement de Sébastopol, Vladimir Poutine
a accepté d’annexer la Crimée à la Fédération de Russie dans un long discours.
Les termes utilisés dans ce discours sont particulièrement révélateurs : Poutine y
fait mention de « normes démocratiques internationales », de «droit à la
manifestation pacifique, à des procédures démocratiques et à des élections
pacifiques (en parlant d’Euromaïdan)», ou encore de « droit des nations à
l’autodétermination ».38
L’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, et le discours de
Vladimir Poutine du 18 mars sont révélateurs de deux choses. Premièrement, les
révolutions populaires provoquent des instabilités politiques. Tout amateur de
realpolitik aurait tort de se priver de cette occasion en or pour arranger ses
intérêts. C’est particulièrement vrai lorsque la poursuite de ces intérêts est
difficilement sanctionnable au niveau onusien,39 parce que le Conseil de Sécurité
est bloqué.40 La Russie faisant partie des cinq Puissances ayant le droit de veto,
37 Chronologie de la crise entre l’Ukraine et la Russie : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275, consulté le 09.07.14 38 Discours retranscris en anglais : http://eng.kremlin.ru/news/6889, consulté le 09.07.14 39 Des sanctions individuelles ont été prises par plusieurs pays, notamment les États-Unis (White House Executive Orders 13660 (6.03.2014), 13661 (17.03.2014) 13662 (20.03.2014)) et l’UE (EU Council regulation 269/2014, 17.03.2014). La Russie n’est pas membre de la CPI. Toutefois, nous estimons qu’il est trop tôt pour exprimer une opinion définitive. 40 L’Assemblée Générale ne pouvant faire usage de sa compétence subsidiaire, la question de l’Ukraine étant encore à l’ordre du jour du CS (voir S/PV.7205, 24.06.14).
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 12
elle n’a que peu de raison de se voir inquiétée par des qualifications telles que
« crime d’agression » ou « annexion du territoire ». Deuxièmement, les droits de
l’homme sont de puissants instruments de légitimation des politiques étrangères.
Le langage du droit des droits de l’homme n’est pas à l’écart de tout cynisme, et
le contenu des normes de droits de l’homme peut être appliqué avec une
circonspection qui tient beaucoup à la spécificité culturelle.
Gardant ces deux leçons russes en tête, ce mémoire a été profondément
modifié. D’une thèse de départ très favorable aux développements de la justice
transitionnelle, nous sommes passés à un mémoire très sceptique quant à
l’effectivité de telles mesures. C’est en fin de compte, une forme de contre-
argument au premier mémoire qui n’a pas été rendu. Mais si nous nous
rapprochons peut être plus aujourd’hui de l’apologie que de l’utopie, c’est
uniquement pour mieux appréhender la voie de l’intégrité humaine.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 13
L’Homme souhaite la Concorde : mais la
Nature, qui sait mieux ce qui est bon pour son
espèce, souhaite la Discorde.
Emmanuel Kant41
II. Précisions méthodologiques
1. Position de l’auteur
Il existe deux grandes forces dans l’univers. Les forces internes, qui
poussent à l’action et permettent une certaine stabilité dans le système, et les
forces externes, qui poussent au changement. Cette loi physique, universelle, à
la fois centripète et centrifuge, est reconnaissable partout. De manière
cosmogonique, les planètes tournent autour d’un axe qui leurs est propre. Dans
le même temps, un astre, un soleil, une force de gravité les entrainent
perpétuellement à se mouvoir autour de leurs orbites. Chaque période de ce
mouvement des planètes est appelé une révolution.
Prenons une pièce d’appartement maintenant. Lorsqu’on ouvre les fenêtres et les
portes et qu’il n’y a pas de vent, les fenêtres et la porte restent ouverts. Mais de
la même manière, l’air dans la pièce reste statique, il ne se renouvelle pas. Les
différentes particules de gaz ne bougent que très peu de leur environnement,
certaines rentrant, d’autres s’échappant peut être mais sous de faibles pressions.
A l’inverse, quand le vent souffle, soit la porte, soit la fenêtre se ferme sous la
poussée du vent effectuée contre la surface verticale. Cet effet peut être
augmenté par une large surface de la porte ou de la fenêtre et sa verticalité, ainsi
que par la puissance du vent. Un système reste stable de par ses forces internes
41 E. Kant, idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, in opuscules sur l’histoire, (S. Piobetta trad.), 1990, Flammarion, Paris, 4ème proposition
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 14
qui le pousse à se perpétuer, et change par la pression des mouvements
externes.
Cette entrée en matière plutôt physique, va nous permettre d’introduire
une métaphore utile. Imaginons le droit international comme un moteur, capable
de se supporter par lui même grâce à ses pistons, ses vis, ses roues : un
système construit par l’intelligence humaine pour le progrès. Mais pour
fonctionner, il a besoin d’un apport d’énergies externe, tel que du gaz, du diesel,
ou d’autres fluides que l’on comprime pour créer une tension dans une turbine.
C’est la décomposition chimique de ces éléments, ou alors leurs compressions
qui permettra de fournir l’énergie nécessaire au moteur pour tourner. Le système
est une construction humaine qui se soutient lui-même, l’apport d’énergie est le
moyen par lequel le système progresse. Ces deux éléments contiennent à la fois
des éléments objectifs, leur mode de fonction opérationnel, et subjectifs, dans les
choix qu’ils nécessitent. Ces éléments objectifs et subjectifs ne prennent pas la
même importance dans chacun des éléments : dans le système, l’objectivisme
est plus important, dans le sens ou il y a un nombre limité de méthodes pour
construire un moteur. Dans le processus, le subjectivisme est plus grand parce
qu’il y a un nombre illimité d’apport possible d’énergie. Processus et système
sont interdépendants. Selon le type d’apport d’énergie choisi, le moteur aura une
forme finale différente, et tous les types de moteurs n’ont pas été développés
pour tous les types d’énergies. Cette métaphore a évidemment ses limites, le
droit international ayant une nature mixte et non technique comme les sciences
dures, mais elle permet, nous l’espérons, de mieux comprendre la distinction que
nous effectuons entre processus et système en droit international.
2. Sur le positivisme juridique en droit international
L’établissement d’une théorie laisse forcement planer la question de la
vérification de celle-ci. Or, résoudre cette question en empirisme juridique relève
de la gageure. Comment apporter une preuve logique, objective, fiable et
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 15
démontrable quand l’objet d’étude n’est pas un objet simple, mais un objet mixte,
tirant ses lois à la fois du système international, des liens conflictuels que le droit
entretient avec la moralité, et de l’imprévisibilité des relations humaines ? Même
si la position de l’auteur relève du positivisme juridique, certaines considérations
propres au droit international sont à soulever ici.
Les droits des droits de l’homme ont historiquement toujours reposés sur
le droit naturel. La déclaration d’indépendance américaine se réfère directement
aux lois de la nature pour proclamer que tous les hommes sont égaux et qu’ils
possèdent un certain nombre de droits inaliénables.42 La déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen de 1789 énonce à son article 2 quatre droits naturels et
imprescriptibles du citoyen.43 Même si le texte de la déclaration précise que ces
droits ne sont pas attribués par l’Assemblée Nationale mais préexistant à toute
déclaration, cet instrument politique intègre des droits naturels dans le droit
positif national.44 De la même manière en droit international public, Grotius,
Pufendorf et Vattel, les grands théoriciens du droit des gens, se fondaient tous
sur le droit naturel pour expliquer les relations de droits entre nations.45 Pufendorf
nie même explicitement l’existence d’un droit positif en droit international. Pour
lui, l’accord entre État ne peut être assimilé à un fait volontaire émanant d’un
législateur souverain.46 Mais cette conception du droit international comme un
droit uniquement naturel, et donc « moral » ou « présumé » est à remettre dans
le contexte de l’époque. La notion de droit positif était alors conçue comme tout
le droit créé par des modes de créations formels et préétablis, reflétant
nécessairement un acte de volonté.47 Mais cette définition très restrictive de droit
42 Préambule de la déclaration d’indépendance américaine, 4 juillet 1776, §1-2 43 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Art.2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. » 44 F. Castberg, La philosophie du droit, 1970, Pedone, Paris, p. 98 45 F. Castberg, op.cit., p.113 46 S. Pufendorf, De jure naturae et gentium, 1688, Amsterdam, Livre II, Chapitre III, §23. A noter que cet avis n’est pas partagé par Vattel et Grotius qui voient dans le droit des gens la même distinction entre droit positif et droit naturel que dans le droit national. Voir. R. Ago, droit positif et droit international, in AFDI vol.3, 1957, p.17 47 R. Ago, op.cit., p.16
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 16
positif en droit international s’est étendue avec le temps. Aujourd’hui, admettre le
droit international comme un droit uniquement naturel reviendrait à nier la
normativité du droit international.
L’évolution du droit positif a fait un bond en avant au début du XXème
siècle. Cette période était marquée par une quête sans pareil de la connaissance
objective, influencée par le courant du positivisme logique né dans les
mathématiques par Frege, puis par Russell et Whitehead avec la parution du
Principa Mathematica. Cette quête de la connaissance purement logique et
objective s’est ensuite étendue aux sciences en générale avec la montée en
puissance du Cercle de Vienne dans les années 1920, pour finir enfin par le rejet
d’une logique scientifique appliquée au monde dans son ensemble par
Wittgenstein dans son Tractacus.48 La quête de la preuve en logique se fondait
sur la déduction logique.49 Elle se fonde sur des propositions simples, qui
reflètent une image du monde telle que nous nous le figurons.50 La formulation
logique de cette proposition va plus loin que sa forme logique apparente,51 mais
elle est dans le même temps réductible à un axiome, cet axiome portant en lui-
même la preuve tautologique de sa propre vérité.52 Chez Wittgenstein, cette
quête (et ce rejet) se basait sur le langage comme reflet du monde.53 Ce
contexte de quête logique est à ne pas négliger quand on aborde l’évolution du
droit positif au XXème siècle.
Avec Kelsen, une norme est considérée comme positive dès le moment où
elle émane d’une source formelle du droit, la Grundnorm, un acte perceptible
dans le temps et dans l’espace, qui valide les normes de droit mais dont la
propre validité est indémontrable.54 Cette méthode scientifique en droit a été
48 L. Wittgenstein, Tractacus loico-philosophicus, 6.53 49 L. Wittgenstein, op. cit., 6.126-6.13 50 L.Wittgenstein, op. cit., 4.01 51 B. Russel, Méthode scientifique en philosophie, 1929, J. Vrin, Paris, pp.163-165 52 M. Black, A Companion to Wittgenstein’s « Tractacus », 1971, Cambridge University Press, Cambridge, p.337 53 L. Wittgenstein, op.cit., 54 H. Kelsen, Théorie pure du droit, p.33 ss. Pour l’impossibilité de démontrer la validité de la grundnorm, se référer au trilemme d’Agrippa sur l’impossibilité de la connaissance.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 17
poussée à l’extrême par les réalistes scandinaves. Chez Ross, la distinction
fait/valeur est centrale à sa philosophie du droit.55 Mais cette distinction a été a
juste titre fortement critiquée en droit national. Hart développe dans son Concept
of Law, une distinction fondamentale entre normes primaires et secondaires,
développée d’abord dans le droit national, puis étendue au droit international
avec un certain nombre de doutes quant à la possibilité de qualifier le droit
international de système juridique, en particulier dues à l’absence de norme
secondaire de reconnaissance, qui permet d’identifier les normes primaires56 Si
l’analogie entre le système de droit national et de droit international est possible
dans certain domaine, tel que l’a montré H. Lauterpracht dans son livre Private
Law Source and Analogy of International Law, l’analogie ne peut pas être
poussée trop loin. Le droit international doit traiter avec des problèmes
spécifiques à son domaine. L’absence de hiérarchie entre les sources du droit
international définie à l’art.38 (1) StCIJ – à savoir les conventions internationales,
la coutume internationale, les principes généraux de droit, et les décisions
judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés – est l’un des problèmes
pour lequel aucune analogie avec le droit national n’est possible. Nous tenons
toutes ces sources du droit international comme du droit positif, même si cette
affirmation a été contestée par certains auteurs. Charles de Visscher, par
exemple, tenait les principes généraux du droit comme la reconnaissance de
l’insuffisance du droit international positif.57 Nous nous permettons cependant de
garder cette question ouverte. Toutefois, nous tenons à préciser que les sources
de l’art. 38 (1) StCIJ ne sont pas constitutives, mais bien déclaratoires. 58 Cet
article n’est pas une liste exhaustive des sources du droit, elle n’exclut pas
l’interprétation d’autre sources, telles que les résolutions des organisations
55 E. Millard, Positivisme logique et réalisme juridique, p.181, in Analisi e Dirrito 2008, Jean-Yves Chérot et Eric Millard (éds.), 2009. 56 H.L.Hart, the concept of law, 3rd editions, Clarendon Law Series, OUP, 2012, pp.214-216 57 Cité dans F. Castberg, op.cit., p.115 58 G. Abi-Saab, Cours général de droit international public, 1987, RCADI 207 (VII), p.191
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 18
internationales, 59 ou encore les actes unilatéraux volitifs et non-volitifs des
États.60
3. Processus subjectif, système objectif
Si nous nous permettons ces remarques sur les sources du droit
international, c’est pour mettre l’accent sur l’idée qu’un objectivisme total sur le
système du droit en droit international est infondé. Les arguments en droit
international sont à l’extrême un débat sur le manque de concret du droit et sur
son manque de normativité 61 Mais dans la même mesure, admettre un
subjectivisme total du droit international reviendrait à nier totalement la
normativité du droit international en le rendant erratique. Sans structure, il est
difficile de porter un point de vue sur un objet.62 Ici se trouve l’origine de notre
distinction entre processus et système. Il nous semble nécessaire de développer
une méthodologie juridique qui permette de distinguer plus clairement le
processus subjectif du droit international de son système objectif. Autrement dit, il
faut faire une distinction entre ce qui tient du système et qui n’admet pas de
jugement de valeur autre que celui qui est admis au sein de la communauté
internationale, et ce qui tient du processus et qui admet des considérations de
particularismes locales. Mais il est bon de se rappeler ici de la mise en garde de
Charles De Visscher : une méthode techniquement logique ne peut s’affranchir
totalement du particularisme du contenu social des normes internationales, au
risque de déformer la réalité qu’elle prétend simplifier.63
Cette distinction faite entre processus et système part d’une constatation
de confusion chez de nombreux auteurs abordant la question des crimes d’États
et de la justice transitionnelle. Le terme de processus est entendu comme la 59 Par exemple de l’AG, telle que A/RES/2625, CIJ, Activités armées sur le Territoire du Congo, RDC –Ouganda, 19 décembre 2005, par. 162 60 Telle que les déclarations émanant des organes de l’État. Voir par exemple CIJ, Affaire des Essais nucléaires, jugement du 20 décembre 1974, §37-41 61 M. Koskienniemi, From Apology to Utopia, pp.458-459 62 G. Abi-Saab, op.cit., pp.39-40 63 C. De Visscher, Méthode et Système en Droit International, RCADI, 1973 (I), p.76
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 19
perception du droit international comme un système autoritaire décisionnel
disponible pour tous les preneurs de décisions dans un système décentralisé.64
Si la définition de Dame Rosalyn Higgins du processus du droit international nous
est fortement utile, nous ne pouvons conclure avec elle que le droit international
ne peut être conçu que comme un processus OU que comme un système, à
l’exclusion l’un de l’autre. 65 Le droit international est un processus ET un
système, mutuellement dépendant l’un de l’autre et avançant ensemble dans une
relation de revendications et contre-revendications. 66 Le processus du droit
international inclut nécessairement une forme de subjectivisme et d’implication
de valeurs de par la position de l’État qui observe le système normatif.
Typiquement, la formation de l’opinio juris d’un État est une manifestation du
subjectivisme dans le processus du droit. L’établissement d’une coutume en droit
international nécessite les deux éléments : la constante répétition d’une manière
donnée d’agir dans des circonstances données et la conviction d’observer une
norme juridique donnée.67 Cette conviction profonde d’être en face d’une règle
de droit ne peut en aucun cas être déduite du nombre de fois où la règle a été
observée.68
A l’inverse, une systématisation et une objectivisation de certaines normes
sont possibles. Cette distinction de systématisation ne peut pas être
nécessairement effectuée pour toutes les normes, mais il peut clairement l’être
pour les normes pour lesquelles un jugement de valeurs suffisamment
consensuel existe. Un tel consensus peut être admis lorsqu’une jurisprudence
faiblement contestée tranche une question de droit depuis longtemps. Un
exemple peut être donné ici, emprunté au droit fluvial : Dans l’Acte du Congrès
64 R. Higgins, Problems and process : International Law and how we use it, 1994, Clarendon Press, OUP, Oxford, p.2 65 R. Higgins, op.cit., p. vi 66 J. Crawford, Chance, Order, Change, General Course of Public International Law 2013, in Recueil de Cours de l’Académie de Droit International, Vol. 325, La Haye, p.22 67 CPIJ, Affaire du Lotus, série A, N°10, p.28 68 CIJ, Plateau continental de la mer du nord, opinion dissidente du juge Tanaka, pp.44-45, par. 77-78
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 20
de Viennes de 1815, l’art.109 parle d’une parfaite égalité entre tous les États sur
l’ensemble du parcours du fleuve - contre toutes velléités d’exclusion
commerciale comme c’était alors la norme. Cette idée a été largement confirmée
dans un arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationale, qui parle de
communauté d’intérêts de tous les États riverains du fleuve, créant une
communauté de droit.69 Dans l’Affaire du Projet Gabcìkovo-Nagymaros, la Cour
Internationale de Justice a rappelé ce principe de communauté de droit entre
États riverains, et l’a renforcé70 en citant la convention sur le droit relatif à
l’utilisation des cours d’eau pour des fins autres que la navigation.71 Dès lors, peu
de doutes sont permis quant au fait qu’une communauté d’intérêt existe entre
États riverains, et que cette communauté d’intérêts donne naissance à une
communauté de droit. Cette norme fait partie, de manière objective, du droit
international.
Ces deux exemples sont des cas extrêmes, et la majorité du droit se
trouve quelque part au croisement entre processus et système. Si cette
distinction permet de mieux distinguer le droit, elle permet également de mieux
en cerner les attaques. Les critiques face à l’absence de concret dans le droit
international sont des attaques faites au processus du droit, alors que les
critiques portant sur la normativité du droit sont des critiques sur le droit comme
un système de droit. Par exemple, la question de l’universalité du droit
international est une problématique qui touche le processus, parce qu’elle est le
résultat d’une multitude d’adaptations subjectives de la part des États aux
événements de l’histoire et la reconnaissance du droit international comme étant
liant.72 Elle a des implications dans le système du droit, car l’universalité du droit
international dans un monde ou le nombre de pays a augmenté, et ou en
69 CPJI, Affaire relative à la juridiction territoriale de la Commission de l’Oder, arrêt n°23, p. 27 70 CIJ, Affaire du projet Gabcikovo-Nagymaros, arrêt du 25 septembre 1997, par. 85 71 Convention des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Adopté le 21 mai 1997 (A/RES/51/229), art. 8 sur la communauté de droit entre États riverains. 72 J. Crawford,Chance, Order, Change, pp.238-239
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 21
conséquence les perspectives communes sont plus difficiles, a mené à la
fragmentation du droit international. Comme l’écrit Koskenniemi, la culture du
formalisme mène au choix entre le Scylla de l’Empire, ou le Charybde de la
fragmentation.73
73 M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations : The Rise and Fall of International Law 1870-1960, Hersch Lauterpacht Memorial Lecture, Cambridge University Press, 2004, p.504
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 22
La souveraineté, dans les relat ions entre
États, signif ie l ’ indépendance.
Max Huber74
III. Deux modèles de souverainetés l ibérales
L’idée derrière ce court chapitre est de présenter les deux modèles de
souverainetés entre lesquels une tension existe en droit international. Cette
tension, bien qu’étant une constante dans les relations internationales, est
exacerbée par notre époque. Après la décennie des années 1990 qui a vu croître
de nombreux développements favorables au droit des droits de l’Homme, les
années 2000 ont vu apparaître un brutal retour de la défense de la souveraineté
nationale, en dépit des droits humains. Cette crispation est particulièrement
visible dans les actions de contre-terrorisme. La surveillance accrue des citoyens
en dépit du respect dû à la sphère privée,75 le gel d’avoir financiers en dépit du
respect de certaines procédures légales,76 ou encore l’utilisation de drones pour
l’assassinat de citoyens américains en dehors du territoire américain en dépit du
droit à un jugement équitables77 sont autant de mises en balance entre l’intérêt
national et la liberté individuelle. Ces actions atteignent un tel niveau et une telle
fréquence que l’on peut légitimement se demander si certaines actions contre-
terroristes ne constituent pas en elles-mêmes des actes de terrorisme d’État.
Le libéralisme, c’est la possibilité de rechercher librement à former son
opinion, d’agir conformément à son opinion et de l’exprimer. La liberté d’opinion,
74 CPA, affaire de l’île de Palmas, États-Unis contre Pays-Bas, Jugement du 4 avril 1928, p.8 75 Voir en particulier les révélations faites par Edward Snowden sur les pratiques de la NSA : http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/us-tech-giants-nsa-data, consulté le 28.08.2014 76 CJUE, Commission c. Kadi, affaire C-584/10 P, 18 juillet 2013, par. 38 77 Assassinat d’ Al Awlaki au Yémen : http://www.theguardian.com/world/2014/jun/23/us-justification-drone-killing-american-citizen-awlaki, consulté le 28.08.2014
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 23
de conscience et de religion est à la base de la démocratie chez de nombreux
auteurs libéraux, tel que Kant,78 Mill,79 ou encore Locke80. Corollaire naturel à la
liberté d’opinion, la liberté de rechercher individuellement le développement de
ses idées de manières concrètes, par la recherche de son bien-être.81 Ces idées
sont à la base du développement des droits fondamentaux. L’individu tire ses
droits de son existence même en tant qu’Etre humain. Dans la même mesure,
l’État tire sa légitimité de sa simple existence en tant qu’État. 82 Là où la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 proclame « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »,83 la Résolution
2625 proclame « Les États sont juridiquement égaux ; chaque État jouit des
droits inhérents à la souveraineté»84 !
1. Souveraineté libérale
La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l’indépendance.
Cette souveraineté a deux effets : premièrement, elle exclut l’existence d’un
super-État, et deuxièmement, elle consacre l’égalité souveraine entre les État
s.85 Ce droits à l’égalité formelle des États (art.2(1) CNU) implique une distinction
entre la sphère publique internationale, qui est du domaine de tous, et la sphère
privée nationale, qui est du domaine privé, du domaine réservé à l’État (art.2(7)
CNU).86 La résolution 2625 sur les relations amicales et la coopération entre les
États est en cela foncièrement libérale : son préambule rappelle à quel point les
idéaux des Nations Unies se fondent sur les principes d’égalité, de justice, de
78 E. Kant, An answer to the question. « What is enlightement ? », Königsberg, 30th September 1784, p.2-3 79 J. S. Mill, On Liberty, 2001, Batoche Book, Kitchener, pp.18-25 80 J. Locke, A Letter on Toleration, 2010, Liberty Fund, Indianapolis, par. 5 ss 81 J. S. Mill, op.cit., p.52-55 82 M. Koskenniemi, From Apology to Utopia, p.199-200 83 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, art.1 84 A/RES/2625 (XXV), sur le principe de l’égalité souveraine entre les États point a) et b) 85 J. Combacau, S. Sur, Droit International Public, p.23 86 M. Koskenniemi, From Apology to Utopia, p.72
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 24
respect des droits fondamentaux de l’Homme,87 mais aussi les droits et devoir
des États de vivre dans des relations amicales et en entretenant des relations de
bon voisinage. La déclaration sur le principe d’égalité souveraine entre les États
ressemble même furieusement à une déclaration du droit des droits de l’Homme.
En particulier, le point e) attire notre attention : « Chaque État a le droit de choisir
de développer son système politique, social, économique et culturel ». Cette
affirmation reprend le droit individuel à la liberté de conscience, d’opinion et de
religion au niveau dont nous parlions plus haut. Ces éléments créent une forme
de « droits fondamentaux »88 des États. Ils permettent définitivement une forme
de libéralisme au niveau international, tout en sauvegardant tous les éléments
d’une souveraineté interne, externe et exclusive.
2. Cosmopolitanisme
Le cosmopolitanisme est entendu au sens que lui ont donné David Held,
et son extension à l’idée de justice par John Rawls. 89 Il repose sur sept
principes, qui sont la dignité égale entre tous, l’agence active, la responsabilité
personnelle, le consentement, la prise de décision collective, la subsidiarité, et
l’évitement des préjudices sérieux.90 En bref, le système du cosmopolitanisme
repose sur l’agence active politique des individus, à savoir leurs possibilités de
participer activement au développement de leurs intérêts sans interférer avec les
intérêts d’autres individus.91 Par l’agence active, ils gagnent la possibilité de se
regrouper en entités décisionnelles, capable d’effectuer des actions de
redistributions des richesses.92 Dans cette approche, l’État est le garant des
droits humains, en permettant le développement des droits civils et politiques par 87 A/RES/2625 (XXV), Préambule consid. 3 88 M. Koskenniemi, idem 89 Bibliographie séléctive : J. Rawls, Law of Peoples, 1993, in Critical Inquiry, Autumn 1993; A. Buchanan, Justice, Legitimacy and Self-determination : moral foundations for international law, 2004, O.U. P., Oxford. Voir aussi pour une critique du fairness de T. Frank : J. Tasioulas, International Law and the Limit of Fairness, 2002, EJIL. vol. 13, en particulier pp.994 ss 90 D. Held, Law of State, Law of People, op.cit. p.24 91 Idem, pp.25-26 92 Idem, pp.23ss
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 25
l’agence active, mais aussi dans une certaine mesure le développement des
droits sociaux, économiques et culturels, l’agence active ne pouvant pas se
développer sans un minimum vital.93 L’État serait aussi le garant d’une forme de
démocratie fédérale. Les décisions étant prises collectivement et au niveau
décisionnel le plus bas, pour permettre de coller au mieux à la volonté des
individus vivant sur le même territoire.94 Cette forme de souveraineté est aussi
une forme de souveraineté libérale, mais elle n’est pas exclusive, elle est
fédérative. Pour les questions de biens communs, telle que la protection de
l’environnement, les décisions doivent être prises au niveau décisionnel le plus
haut.95 Il permettrait aussi une forme d’égalité souveraine des États, mais mise
au service de la justice, des biens communs et des droits humains.
93 Principe d’évitement des préjudices sérieux et d’amélioration des besoins urgents, Idem, pp.30 ss 94 Principe de subsidiarité, Idem, pp.28-29 95 Idem, p.45
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 26
Est Souverain celui qui décide de la
situation d’exception.
Carl Schmitt96
IV. In Abstracto
1. Interrogations
Qu’est-ce que le terrorisme d’État ? Il suffit de demander au quidam de la
rue pour avoir des éléments de réponses à cette question. Certains vous diront
que c’est la politique que mène actuellement Israël contre la bande de Gaza. Le
premier ministre turque, Tayyip Erdogan, semble d’ailleurs particulièrement
inspiré sur ce sujet, puisqu’il a qualifié l’État d’Israël d’ « État Terroriste » au
moins trois fois ces deux dernières années.97 Certains vous citeront le cas de la
prison de Guantánamo, où de nombreux détenus désespèrent de voir un jour
leurs cas jugés. Ils se rappelleront peut-être de la déclaration de Barack Obama,
pendant sa campagne pour la présidence, ou il annonçait déjà sa volonté de
restaurer l’Habeas Corpus98 et de fermer Guantanamo.99 D’autres, peut être plus
âgés, se souviendront de l’affaire de Lockerbie, ou se demanderont si les actes
de dictateurs tels que Pinochet sont des actes de terrorisme d’État. D’autres
encore, peut être plus savant, vous demanderont si ça a un rapport avec la
période de la terreur pendant la révolution française. Ces réponses, vagues,
96 C. Schmitt, Political Theology, Four Chapters on the Concept of Sovereignty, George Schwab (trans.), 2005, University of Chicago Press, Chicago, p.5 97 Ordre chronologique inversé : le 15 juillet 2014, le 4 février 2013 et le 19 novembre 2012 : http://www.hurriyetdailynews.com/israels-mentality-no-different-from-hitlers-turkish-pm-erdogan.aspx?pageID=238&nID=69145&NewsCatID=338; http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2013/02/20132317737493423.html; http://www.reuters.com/article/2012/11/19/us-palestinians-israel-turkey-idUSBRE8AI0FH20121119 consultés le 15.07.2014 98 Voir procédures minimales pour un procès équitable garanties par les Code américain de justice militaire UCMJ 10U.S.C.§801 et par l’art. 3 commun CG, US Suprem Court, Hamdan vs Rumsfeld, en particulier pp.70-72 99 Report du discours d’Obama du 24 juin 2007 : http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/06/24/AR2007062401046.html consulté le 10.06.2014
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 27
imprécises, diverses, que le public nous a offert, reflètent assez bien les
interrogations que nous pouvons nous faire sur la nature du terrorisme d’État.
2. Proposition de définition
L’intérêt de ce chapitre est de voir jusqu’où le concept de terrorisme d’État
peut être étendu en dehors des compromis nécessaires dans les négociations
internationales. Il permettra ainsi de juger de la taille potentielle du concept et du
droit applicable. Comme vu dans l’introduction, nous proposons de définir le
terrorisme d’État comme suit :
Les actes directement ou indirectement imputables à un État, qui, a des
fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public,
un groupe de personne ou chez des particuliers.
Cette définition, inspirée de manière large de la résolution 49/60100 de
l’Assemblée Générale, nous laisse le champ libre pour expliquer longuement
l’articulation du terrorisme d’État, les attaques frontales que pose sa définition
pour la souveraineté libérale et les questions cruciales qu’elles soulèvent en droit
international. Nous avons choisi de développer notre définition sur la base de la
déclaration car c’est la seule qui mette suffisamment en lumière les éléments
caractéristiques du terrorisme, même si l’ordre des mots semble mauvais. Deux
idées sont centrales dans le concept de terrorisme : la terreur qui donne son nom
au terrorisme, et l’élément politique ou idéologique du terrorisme, qui va être
central dans notre mémoire. Une reformulation plus correcte pour coller à l’ordre
des mots selon leurs importance dans le concept de terrorisme d’État serait peut-
être : Une terreur, qui à des fins politiques, à été conçue ou provoquée par des
actes directement ou indirectement imputables à un État dans le public, un
groupe de personne ou chez des particuliers. Mais une telle tournure de phrase
est à double tranchant : si elle a l’avantage de mettre l’élément de base comme
100 A/RES/49/60, en particulier du point I.3. Voir Infra Chap. V.I.A.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 28
sujet, elle implique aussi une controverse beaucoup plus grande. Selon une telle
phrase, c’est la terreur qui est conçue ou provoquée, ce qui impliquerait
nécessairement la volonté de l’État. Or, dire qu’une terreur a été provoquée
volontairement ou par « dol éventuel », reviendrait à concevoir le concept de
crime d’État, en opposition au terme de délit. Or l’idée qu’un État puisse
commettre un crime et être impliqué volontairement ou par dol éventuel dans une
forme de terreur est politiquement et juridiquement extrêmement controversée. 101 De plus, il n’y a aucune règle coutumière qui permettrait de connaître les
différents types de mens rea en droit international pénal.102 Mais pourquoi tant de
controverses ? La notion de terrorisme est intrinsèquement liée à la lutte pour le
pouvoir politique, que ce soit dans les cas de mouvements de libération nationale
ou de révolution interne. Mais dans les cas de terrorisme internationaux, la lutte
pour le pouvoir est une lutte pour l’établissement de valeurs, de cultures et de
morales.103 Aussi, le terrorisme est éminemment politique. Dans les cas de
terrorisme d’État, son analyse en droit international est encore complexifiée
parce qu’elle touche les trois composantes classiques de l’État, à savoir le
territoire, la population et le gouvernement. Le terrorisme d’État est une lutte pour
le contrôle du territoire, le soutien populaire et l’accès au gouvernement, de
manière assez claire pour le terrorisme d’État interne, et au travers de la lutte
pour le pouvoir et l’établissement d’une forme de moralité dans le terrorisme
d’État externe. En plus de ces trois caractéristiques en raison de la personne, du
lieu et de la matière, le terrorisme d’État se caractérise par les deux éléments
constitutifs intrinsèque à la notion de terrorisme : La terreur, et la motivation
politique.
3. Eléments constitutifs 101 Voir Infra. Chap. V.I .B 102 A. Cassese, International Criminal Law, 2008, OUP, Oxfrord (2nd edition), p.56 103 J.-P. Derriennic, Violence instrumentale et violence mimétique, in S.Courtois (dir.), Enjeux Philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, 2003, Les presses de l’Université de Laval, Laval pp.42-44
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 29
A. La Terreur
La foule ne connaît que des sentiments simples et extrêmes 104: l’amour,
la peur, la haine, l’espoir. La terreur, c’est la peur caractérisée. Une peur légitime,
provoquée par une atteinte ou une menace directe à sa vie, à son intégrité
corporelle ou celle de ses proches. Cette atteinte ou menace peut également être
portée à ses biens propres ou aux biens publics, pour autant que cette menace
soit suffisamment large ou symbolique pour créer cette peur caractérisée. La
peur engendrée chez l’individu créera une perte du contrôle de soi et de sa
capacité à penser de manière rationnelle. Cette perte de contrôle et de raison est
l’élément qui rend cette peur caractérisée, car elle provoque chez l’individu
menacé des réactions extrêmes pour se protéger soi-même, son entourage et
ses biens. Une peur extrême qui entraîne une lame de fond dans le
comportement des individus et les poussent vers des comportements extrêmes.
Ce sont des réactions à une menace de vie ou de mort. Ces comportements
extrêmes sont des réactions dépourvues de tout recul, et fait dans la précipitation
due à la situation d’urgence. Du fait de cette absence de recul, ces
comportements peuvent avoir des effets psychologiques et comportementaux
néfastes par ricochet sur d’autres personnes, qui auront été atteints par la
réaction du premier individu. La terreur est irrationnelle et contagieuse. De
manière imagée, elle aura sur une région le même effet qu’une pierre jetée dans
un lac, dont le mouvement des remous est très grand au centre et s’estompe en
cercle concentrique. Plus la population est proche de l’impact, plus elle sera
affectée par la terreur créée par celle-ci. Mais la population touchée par l’impact
de la terreur est uniforme. C’est une population qui partage une même vision
politique, une même idéologie, une même culture.105
104 G. Le Bon, Psychologie des Foules, 1905, Editions Felix Alcan, 9ème éd., Livre I Chapitre II Par. 4, p.34 105 S. Huntington, op. cit., pp. 39 ss
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 30
B. Fins politiques (idéologiques, philosophiques, religieux)
Ce qui nous amène immédiatement au deuxième aspect caractéristique
du terrorisme. Le terrorisme a des liens étroits avec le concept de politique. La
vision de Carl Schmitt du politique nous aide énormément à comprendre les
occasions dans lesquelles les actes de terrorisme d’État surgissent. Pour
Schmitt, le politique est la base de la souveraineté. Il est distinct du droit, de la
religion ou de l’économie qui lui sont des antithèses. 106 Le primat de la politique
se trouve dans la distinction ami/ennemi. 107 Le souverain est celui qui prend la
décision, qui peut établir cette limite, ce tracé net entre ses amis et ses ennemis.
Pour créer et appliquer une loi, il faut prendre une décision sur ce qui est
considéré dans le cercle de l’identité, et ce qui est rejeté de cette identité et de
ces valeurs. C’est de cette distinction uniquement que peut naître un ordre
juridique. C’est en créant une unité au sein de la population, en opposition à une
autre entité que la souveraineté éclot. En cela, la souveraineté est à la fois
interne, puisque seul le souverain peut prendre des décisions sur l’ensemble du
territoire sur lequel il exerce son pouvoir, et externe, puisqu’il le fait à l’exclusion
de tout autre souverain. Mais cette souveraineté n’est vraiment visible que dans
les cas d’exception et non dans les cas de routine. Dans les cas habituel, la
société semble gouvernée par une série de lois impersonnelles. Mais dans la
situation d’exception, la vraie face du pouvoir politique se révèle. Dans
l’exception seule le politique peut faire cette distinction entre ami et ennemi. C’est
dans les cas de crise, les situations exceptionnelles que le souverain va décider
quelle voie prendre pour le salut public.108 En cela, il crée le droit dans une
situation d’exception, et non pour les cas routiniers. Parce que le politique montre
106 C. Schmitt, The Concept of the Political, G. Schwab (trans), 2007, University of Chicago Press, Chicago, p.23 107 C. Schmitt, The Concept of the Political., p.26 108 C. Schmitt, Political Theology, p.6
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 31
sa force dans la distinction marquée entre ami/ennemi, tout droit édicté par le
souverain est une loi de situation.109
La lutte politique pour le pouvoir à travers le terrorisme est une lutte pour
la souveraineté, pour le pouvoir de décider qui est dans le cercle de l’identité, et
qui se retrouve rejeté de ce cercle au rang des ennemis de la nation, ceux contre
lesquels la construction de l’identité se fait. Or, la construction politique et
idéologique est intrinsèquement liée à la liberté d’opinion, de conscience et de
religion. Les questions de séparation de l’église et de l’État, de démocratie et de
contrat social proviennent de cette liberté d’opinion, de conscience et de religion.
Le souverain impose, à l’exclusion de tous les autres, qui se voient contraints
d’obéir à la vision du souverain, au risque de se retrouver au rang des ennemis.
Il faut déjà introduire ici une distinction entre les actes de terrorisme d’État
interne et externe. Les actes de terrorisme d’État interne sont une lutte pour le
maintien du pouvoir par le gouvernement. Ce sont typiquement de luttes propres
à déchirer l’unité sociale et l’identité de la foule, entre partisan et opposants au
gouvernement. Mais ces déchirements du corps social sont uniquement
possibles lorsqu’il existe déjà une fissure, une séparation dans le tissu social
entre ami et ennemi. Les ennemis ne sont alors plus en dehors de l’État, mais ils
cohabitent sur le même territoire.110 Dès lors, les assassinats politiques ne sont
plus considérés comme des meurtres par ceux qui les ont commis, car ils sont
légitimés par l’idée que l’assassiné n’est pas une victime, mais un ennemi.
Les cas de terrorisme d’État externe sont très différents. Ils constituent
une manière cachée de mener la guerre à une époque ou la guerre est interdite.
C’est un moyen de déstabilisation politique pour poursuivre la quête de ses
propres intérêts, au détriment de l’autre. C’est la continuation de la politique
quand la politique échoue à trouver une solution. Or, ces cas constituent des
menaces à la paix et à la sécurité internationale, et doivent être traité comme tel.
109 C. Schmitt, Politcal Theology, p.13-15 110 P. Dummouchel, op.cit. pp.34-35
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 32
Mais les chances d’aboutir à une définition consensuelle semblent faibles, et
risquent de prendre encore de longues années.
4. Distinctions
A. Ratione Loci
La distinction en raison du lieu de la commission de l’acte est peut-être la
distinction la plus simple pour nous permettre de différencier les divers cas de
terrorisme d’État et les problèmes qu’il soulève. Si l’État A a provoqué une
attaque terroriste sur son propre territoire, le territoire A, c’est un acte de
terrorisme interne. Le DIDH s’applique dans les limites de l’état d’urgence. Si
tous les traités des droits de l’homme prévoient les cas d’état d’urgence, elle
précise toujours quels sont les droit indérogeables. Par exemple, dans le pacte
ONU II, il n’est en aucun cas 111 permis de déroger aux droit à la vie, à
l’interdiction de la torture, à la prohibition de tenir une personne en esclave ou en
servitude, à l’interdiction de privation de liberté pour non-exécution d’un contrat,
au respect du principe de la légalité (nullum crimen sine lege praevia), au droit à
la personnalité juridique et finalement au droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion.112 Le DIH s’appliquent également dans les limites du
droit applicable aux CANI selon le cas d’espèce. Les cas de terrorisme interne
sont des cas de déchirement du tissu social et de lutte pour le pouvoir.113 Ces
problèmes éminemment politiques, et extrêmement liés avec le domaine réservé
de l’État (Art.2 (7) CNU) et l’égalité formelle des États (art.2 (1) CNU) posent des
problèmes sur deux points : Premièrement, l’absence de droit protégeant la
population civile entre les situations d’urgences - de dérogeabilité aux DIDH à
l’exception des droits absolus – et l’applicabilité des normes de DIH114 aux
111 Art.4.2 Pacte ONU II 112 Respectivement art. 6, 7, 8 (1,2), 11, 15, 16, 18 du Pacte ONU II 113 Voir Supra Chap. IV.3.B. 114 Seuil de l’Art. 3 commun CG « En cas de conflit armés ne présentant pas un caractère international » selon l’intensité de la violence et l’organisation des parties. TPIY , affaire Haradinaj, 3 avril 2008, par. 49. Seuil plus élevé pour l’application du PAII de l’organisation des
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 33
situations de conflits internes. Cette situation de vide normatif pour la protection
des civils dans les droits humains a été mise en évidence par Theodor Meron
(connu par la suite comme « Meron’s Gap »). 115 Ce vide normatif demeure
aujourd’hui, car en situation de péril pour la survie de l’État, la volonté manque
pour protéger plus les droits humains. Deuxièmement, l’application de l’idée de la
responsabilité de protéger, qui se déroule en trois étapes.116 L’État est tenu de
protéger sa population des cas de génocide, de crime contre l’humanité, de crime
de guerre ou de nettoyages ethniques. La communauté internationale est tenue
de coopérer avec l’État pour le respect de son obligation primaire. Mais si l’État
échoue dans sa responsabilité de protéger ses propres citoyens, la communauté
internationale reprend la responsabilité d’intervenir pour protéger les citoyens de
l’État à travers des instruments tels que les gels des avoirs, interdictions de
voyager, ou encore interdictions d’exportations de certains biens En dernier
recours, l’intervention militaire est envisagée..117 A ce jour, un certain nombre de
décision du Conseil de Sécurité ont été prises en respect de la doctrine de la
responsabilité de protéger, en vertu du chapitre VII CNU. Toutefois, nous
pouvons nous demander en vertu de quel titre le Conseil de Sécurité agit, et si
nous sommes toujours bien dans le cadre du chapitre VII CNU. En agissant pour
la protection des droits humains, le Conseil de Sécurité semble agir pour
défendre des valeurs universelles. Mais les acteurs de la communauté
internationale doivent agir également pour la défense de ces valeurs pour
qu’elles puissent porter le titre d’universel. Cette recherche d’un terrain commun
pour les droits humains est un défi actuel. Toutefois, le Conseil de Sécurité s’est
toujours bien gardé, dans sa pratique, d’énoncer les droits humains comme une
groupes armés et du territoire (art.1.1 PAII). Voir en général S. Vité, Typologie juridique des conflits armés en droit international et humanitaire : concepts juridiques et réalités, article disponible sous http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-873-vite-fre.pdf consulté le 10.06.2014 115 Voir T. Meron, Towards a Humanitarian Declaration on Internal Strife, AJIL 1984 vol.78, n°4, pp.859-868 116 A/RES/60/1 par. 138-140 117 Pour la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, voir rapport d’implémentation du SG Ban-Ki Moon, A/63/677
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 34
base de son action, et par omission, de permettre aux auteurs de préciser ce
point. 118 Ces résolutions sur la responsabilité de protéger ne concernent
aujourd’hui que des cas africains,119 et les tentatives faites pour l’exporter sur
d’autres continents, comme dans le cas de la Syrie, se sont opposés à de fortes
résistances de la part de la Russie et de la Chine. Ces résistances montrent une
tension entre la volonté de protéger les droits humains et la volonté de protéger
la souveraineté des États.
L’autre cas, si l’État A a provoqué un acte de terrorisme sur l’État B, c’est
un acte de terrorisme externe. Ces cas sont, pour paraphraser Clausewitz, la
continuation de la guerre par d’autres moyens, à un moment où le recours à la
menace ou à l’emploi de la force a été interdit par la Charte des Nations Unies
(Art.2(4) CNU, conjugué avec le Chapitre 7 CNU). Dans ces cas-là, l’acte de
terrorisme est une atteinte ou une menace à la paix et à la sécurité
internationales. Ce sont ces cas là uniquement qui sont expressément visés par
la résolution 49/60 de l’Assemblée Générale, par le projet de convention
générale et par les conventions spéciales sur le terrorisme, à l’exclusion des cas
de terrorisme interne. Cette distinction entre les cas de terrorisme interne et les
cas de terrorisme externe est extrêmement importante, car la question de la
responsabilité de l’État, du droit applicable, et de ses effets politiques sur la
population ne sont pas les mêmes.120 Si l’acte de terrorisme ne se situe ni sur
l’État A, ni sur l’État B, mais sur un territoire proto-étatique, ou moins
probablement sur un espace non-approprié (telle la haute-mer), ou sur une terra
nullius, alors le droit applicable dépendra plus encore de la situation d’espèce,
mais ils seront assimilés à des actes de terrorisme d’État externe, avec les
mêmes conséquences.
118 A. Bianchi, ad-hocism and the rule of law,, in EJIL, 2002, vol.13 n°1, pp. 267-268 119 Pour l’intervention armée en Libye, voir en particulier S/RES/1973 (2011) par.4-5. Sur la Lybie, voir également S/RES/1970 (2011), Autres cas (non-exhaustif) : Soudan/Sud-Soudan : S/RES/2109 (2013) par. 19-23, République Centrafricaine S/RES/2127 (2013). par. 17-27 120 Voir Supra, Chap. IV.3.B.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 35
B. Ratione Materiae
La deuxième distinction sur le droit applicable et la responsabilité de l’État
est selon le moyen utilisé par l’État pour commettre son acte terroriste. Les
moyens utilisés peuvent être divers, et passer de l’utilisation d’attaques
terroristes à l’explosif, aux tirs à balles réelles sur des manifestants par des
snipers, ou à l’utilisation de moyens chimiques ou bactériologiques contre une
population. La liste de moyens potentiellement utilisables ne peut pas être
exhaustive. Sur ce point, nous rejoignons le jugement du Tribunal Spécial pour le
Liban sur le droit applicable.121 Pour cette raison, la question de la distinction en
raison de la matière n’est importante dans le terrorisme d’État que dans la
mesure où elle permet de mieux distinguer les liens de rattachements effectifs du
moyen utilisé à l’action de l’État. Il faut que l’État soit directement ou
indirectement responsable pour que l’on puisse parler de responsabilité de l’État.
Un État est directement responsable dans le cas ou l’acte est effectué par un
organe de l’État, que celui ci soit un organe législatif, exécutif (ce qui implique les
actes des forces armées, y compris dans leurs actions ultra vires), 122 ou
judiciaire, pour autant qu’ils soient effectués dans le cadre de leur fonction
(articles 4(1) et art. 7 Projet d’article sur la responsabilité des États). C’est une
règle de droit coutumier que d’admettre que tous les actes des organes de l’État
doivent être regardées comme des actes directement imputables à l’État.123 La
responsabilité de l’État est dans ce cas là illimitée, peu importe que la violation
de l’obligation soit une violation d’ordre primaire ou secondaire.124 Dans les cas
de responsabilité indirecte, le projet d’article reprend également la question de
l’organe de facto à l’art. 8, et la question de l’attribution des actes d’individus et
groupements d’individus à un État par l’art.4 tel qu’interprété par la Cour
121 TSL, jugement sur le droit applicable par le Tribunal, jugement du 16 février 2011, STL-II-OIIIIAC/R176bls en particulier par. 125-138 122 J. Crawford, State responsability : the general part, 2013, Cambridge University Press, Cambridge, pp.119-120 123 CIJ, Différent Relatif à l’Immunité de juridiction d’un rapporteur spécial, par. 62 124 J. Crawford, State Responsability, pp.117-118
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 36
internationale de Justice dans son arrêt su l’application de la Convention sur le
Génocide.125 Pour autant que le lien de rattachement soit prouvé, l’État encourt
ensuite la même responsabilité pour un organe de facto que pour un organe
législatif, exécutif ou judiciaire. Un long débat a eu lieu au sein des tribunaux
internationaux pour savoir si le lien de rattachement devait être considéré comme
un lien de rattachement global ou effectif. Le critère est important, car un critère
de rattachement global est un lien de rattachement moins fort, et en
conséquence il est plus facile d’admettre un organe de facto à un État. Dans
l’affaire Tadic, le TPIY a estimée que pour qu’un lien de rattachement global soit
établi, il suffit que l’État « joue un rôle dans la coordination, ou la planification des
actions»126 Cette aide doit aller au-delà de la simple aide financière, de la
fourniture de matériel ou d’équipement. Mais la Cour internationale de Justice a
vite contredit le TPIY, en revenant au critère qu’elle a elle-même établi dans
l’arrêt Nicaragua du contrôle effectif, créant une substitution de pouvoir entre le
groupe armé et l’État qui le contrôle.127 Dans un second arrêt, bien qu’elle ait
admis que le critère de rattachement global pouvait être « pertinent et adéquat »
pour permettre de qualifier un conflit armé,128 la Cour internationale de Justice le
rejette pour ce qu’elle implique dans la responsabilité des États, car elle étend
trop le comportement que les organes de l’État doivent avoir et la responsabilité
qui en découle. 129 La Cour internationale de Justice confirme le critère du
contrôle effectif de l’arrêt Nicaragua, qui exclut la participation à l’organisation, à
la formation, à l’équipement, au financement et à l’approvisionnement, ainsi que
le choix et la planification des attaques militaires n’étaient pas suffisants pour
125 CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 385-395, en particulier par.390 ss 126 TPIY, Tadic, jugement du 15 juillet 1999, par. 137. 127 CIJ, Activité armés sur le territoire du Congo, jugement du 19 décembre 2005, par. 173-178 128 Dans le cas de la détermination de la nature du conflit entre CAI et CANI : CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 404. 129 CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 406
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 37
établir une responsabilité étatique.130 Pour que nous puissions établir un lien
effectif et le rattachement a un organe de facto au sens de l’art.8 du Texte
d’articles, il faut donc que a) le groupe non-étatique ait été crée par l’État, ou que
b) la fourniture d’assistance de l’État excédait le financement et l’entraînement,
ou que c) qu’un degré de contrôle complet était exercé de fait, ou si d) l’État a
choisi, installé ou payé le leader politique.131
Dans les autres cas ou l’acte de terrorisme d’État n’a pas été fait par un
organe matériel de l’État, ou par un organe de facto, la personne demeure
individuellement responsable pour les crimes commis. Dans tous les cas, la
responsabilité de l’État et la responsabilité pénale individuelle de l’agent ou
organe de l’Etat ayant commis le crime sont parallèles, l’une pouvant être
engagée indépendamment et sans préjudice de l’autre (Art. 58 du projet
d’article). L’État peut toutefois être tenu pour responsable pour un manquement à
la diligence due face a des actes d’acteurs non-étatiques. Toutefois, on ne pourra
pas dans ces cas là parler de terrorisme d’État.
C. Ratione Personae
La dernière distinction est selon la population visée par les actes de
terrorisme d’État. Cette population est toujours une population civile, sans quoi
l’acte de terrorisme perd sa qualification. Si c’est un membre des forces armées
ou un combattant irrégulier, le DIH s’applique. Il n’est pas nécessaire que la
population visée soit touchée dans son ensemble. Une seule personne peut être
victime de l’attentat terroriste, pour autant que l’attaque de cette personne ait un
effet de progression de l’idéologie politique et un effet de progression de la
terreur au sein de ceux qui partagent la même idéologie que la personne
assassinée.
130 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, jugement de 1986, par. 115 131 J. Crawford, State Responsability, p.125
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 38
Cette personne peut être un national de l’État A ou un apatride ayant son
domicile ou résidence habituelle dans un État A.132 On parlera dans ces cas là de
terrorisme interne pur. La question de leur analogie avec les conflits armés non-
internationaux est extrêmement controversée et revient à la question du seuil de
l’art. 3 commun et de la différence entre les troubles et tensions internes. Or,
cette distinction reste et demeure floue. Même si certains éléments de réponses
existent - telle l’utilisation de l’armée contre des manifestations par exemple – ces
critères ne sont pas absolus et méritent d’être déterminés selon le cas d’espèce.
Si la population attaquée par l’État A et sur le territoire A est d’une
nationalité B ou un apatride ayant sa résidence habituelle sur un territoire B, nous
considérerons cela comme des actes de terrorisme interne externalisé. Ce point
soulève nécessairement la question du droit des minorités.
Si la population attaquée par l’État A sur le territoire de B est une
population A, nous parlerons de terrorisme externe internalisé. Ces cas doivent
être considérés comme les actes de terrorisme interne externalisé. Ils ont
l’avantage de fournir un lien de rattachement effectif avec un autre État par le lieu
de la commission de l’acte pour la détermination du for en cas de jugement. On
se rappellera ici du spectaculaire cas d’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko,
opposant russe à Vladimir Poutine, au polonium à Londres. La Russie a toujours
niée son implication, mais elle s’est dans le même temps rétractée de toute
enquête. Jusqu’à récemment, les autorités britanniques hésitent à ouvrir une
procédure publique pour élucider les circonstances de son empoisonnement.133
Enfin, si la population attaquée par l’État A sur le territoire de B est une
population B (ou C), nous parlerons de terrorisme d’État externe pur. Ces cas
peuvent potentiellement être qualifiés de menace contre la paix et la sécurité
internationales par le Conseil de Sécurité. Il faut relever le fait que les actes de
terrorisme d’État externe sont très difficiles à prouver. Le recours à la force étant 132 En respect de la Convention relative au Statut des apatrides du 28 septembre 1954, à l’exclusion des cas prévus par l’art.2. 133 http://www.bbc.com/news/uk-19647226, consulté le 10.06.2014.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 39
interdit - sauf dans les cas de légitime défense ou d’opération en vertu du
chapitre 7 CNU – les actes de terrorisme d’État externe entretiennent des liens
étroits avec le secret d’État. Dans l’affaire du Rainbow Warrior, les deux
protagonistes de l’explosion du bateau de Greenpeace dans le port d’Auckland
en Nouvelle-Zélande, en route pour les atolls en guise de protestation contre les
essais nucléaires français, étaient deux agents du service secret français. Leur
mission accomplie, les deux agents du service français ont été retirés du pouvoir
de la Nouvelle-Zélande sans le consentement de celui-ci, provoquant une longue
dispute entre les deux États.134
5. Conclusion préliminaire
La définition des actes de terrorisme d’État, poussé jusqu’au bout du
raisonnement, finit par englober tous les actes provoquant une terreur dans une
population civile, effectués à des fins politiques par un État. C’est un concept qui
peut être étendu plus qu’il n’est raisonnable. Pour cette raison, aborder la
question du terrorisme dans sa globalité est un réel problème, car le droit
applicable varie énormément selon la situation du cas d’espèce. De plus, le
concept finit par englober tous les assassinats politiques.
Les deux éléments caractéristiques du terrorisme d’État sont des éléments
subjectifs : la terreur, et le politique. Sans ces deux éléments subjectifs, le
terrorisme d’État finit par englober tous les cas de violations envers les droits
humains à caractères péremptoires. Ces éléments semblent expliquer les
problèmes que rencontre la communauté internationale dans leurs tentatives de
définition du concept de terrorisme d’État.
134 Voir Sentence Arbitrale du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande/France), R.I.A.A, Vol. XX., pp. 244 ss, ainsi que:l’opinion séparée de Sir Kenneth Keith p.283, par. 33ss
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 40
C’est qu’en vérité le chemin importe peu, la
volonté d’arr iver suff i t à tout.
Albert Camus135
V. Tentative de définit ion par la communauté
internationale: le supplice de Sisyphe
1. Au niveau international
A. Au niveau du DIH
L’emploi de la terreur est en tout temps interdit contre la population civile
dans les conflits armés, que ceux-ci possèdent un caractère international ou non-
international.136 Cette règle ressort du principe général de distinction entre civils
et combattants. Dans les conflits armés internationaux, le crime de terreur est
aux rangs des crimes de guerre, comme il en ressort du Statut du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda à l’art. 4(d), du Statut du Tribunal Spécial pour le
Sierra Leone à l’art.3 (d). Sur ce point, il est particulièrement intéressant de voir
que Charles Taylor, ancien président du Libéria, a été condamné pour terrorisme
dans son jugement, confirmé en appel.137 Le Statut de Rome n’inclut pas in
nomine la terreur, mais punit les attaques intentionnelles contre des populations
civiles à l’art. 8.2.b)ii) (crime de guerre) et les attaques généralisées ou
systématiques pour des motifs politiques à l’art.7.1.h) (crime contre l’humanité).
Toutefois, tous les actes terroristes effectués par des États ne caractérisent pas
forcément des crimes de guerres ou ne sont pas forcément fait dans le cadre
d’une attaque systématique et généralisée. Ainsi, certains actes échappent à la
135 A. Camus, Le mythe de Sisyphe, 1985, Gallimard, collection Folio p.70 136 J.-M. Henckaerts, L. Doswald-Beck, Droit International Humanitaire Coutumier, Vol. I, 2006, Bruylant, Bruxelles, p.10, Règle 2. Art. 3(1) Commun CG, Art. 51(2) PAI, Art. 13(2) PAII. 137 TSSL, Charles Taylor, jugement en appel du 26.09.2013, SCSL-03-01-A-1389, Count 1
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 41
juridiction de la Cour.138 Dans le cas de conflit armés non-internationaux, la Cour
Pénale Internationale punit aussi au titre de violation à l’art 3 commun des
conventions de Genève au titre de crime de guerre (art.8.2.e.i)
La définition du terrorisme d’État qui fait tant débat au niveau international
se pose donc uniquement pour les cas de terrorisme d’État en temps de paix,
dans le cadre du DIDH et en relation avec le DIH.
B. La Résolution 49/60 de l’Assemblée Générale
A ce jour, cette résolution sur les mesures visant à éliminer le terrorisme
international est le document des Nations Unies le plus progressiste en matière
de terrorisme, plus progressiste même que le projet de convention générale sur
le terrorisme, qui peine à trouver un consensus au sein des États. Plus
précisément, la définition donnée au chapitre précédent est tirée d’une
conjonction des éléments suivants (emphase de l’auteur)
• Préambule considérant 3 : « Profondément troublée par la persistance, dans le monde
entier, d’actes de terrorisme international sous toutes ses formes et manifestations, y
compris ceux dans lesquels des États sont impliqués directement ou indirectement qui
mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les
relations internationales et peuvent compromettre la sécurité des États,
• Préambule considérant 8 : « Convaincue également que la répression des actes de
terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des États sont impliqués
directement ou indirectement, est un élément indispensable au maintien de la paix et de
la sécurité internationales[…]»
• Point I.3 : Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour
provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont
injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique,
philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer
pour les justifier
138 H. El Amine, Pourquoi la Cour Pénale Internationale n’est-elle pas compétente en matière de terrorisme international ? in M.J. Glennon, S. Sur (dir.) Terrorisme et Droit International, 2008, Académie de droit International de La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden/Boston, p.259
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 42
• Point II.4:Les États, guidés par les buts et principes de la Charte des Nations Unies et
d’autres dispositions applicables du droit international, doivent s’abstenir d’organiser ou
de fomenter des actes de terrorisme sur le territoire d’autres États, d’aider à les
commettre ou d’y participer, ou de tolérer ou encourager sur leur territoire des activités
visant à l’exécution de tels actes
• Point II.5.a) : sont instamment priés de prendre des mesures efficaces et résolues, […] et
en particulier : a) De s’abstenir d’organiser, de fomenter, de faciliter, de financer,
d’encourager ou de tolérer des activités terroristes et de prendre les mesures pratiques
voulues pour que leur territoire ne serve pas à des installations ou à des camps
d’entraînement de terroristes, ni à la préparation ou à l’organisation d’actes terroristes à
l’encontre d’autres États ou de leurs ressortissants;
C. Le Projet de Convention Générale
Le projet de convention générale sur le terrorisme139 est actuellement au
stade d’inertie. Le comité spécial, créé comme un groupe de travail de la CDI,140
n’a même pas prévu de séance pour 2014. Le comité spéciale, estimant que
beaucoup plus de temps était nécessaire pour résoudre les problèmes qui
n’avaient pas été résolu à ce jour, à demandé à l’Assemblée générale de
transmettre le rapport à la CDI pour l’élaboration d’un projet de convention,141 ce
que l’Assemblée Générale a fait.142 Mr Perera, chef du comité spécial, a même
expressément fait état des frustrations entre les appels à une convention
générale et le manque apparent de volonté politique pour aboutir à une telle
convention.143 Les principaux domaines de contentieux irrésolus sont la définition
du terrorisme d’État, son champ d’application et la relation entre le projet de
convention général et les conventions sectorielles de terrorisme.144 Or, se poser
la question du terrorisme d’État, c’est se poser la question du champ
139 Sans précisions, le terme de projet de convention général renvoi systématiquement au rapport de la 16ème session (2013), A/68/37. 140 A/RES/51/210, III, par. 10 141 A/68/37, par. 12. 142 A/RES/68/119, par. 24 143 A/C.6/67/SR.23, par. 41 144 M. Hmoud, Negotiating the draft comrpehensive convention, in Journal of International Criminal Justice 4, 2006, OUP, p.1032
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 43
d’application d’une définition qui n’est même pas consensuelle. En l’état, le projet
de convention générale définit le terrorisme comme suit (emphase ajoutée par
l’auteur):
Art ic le 2
1. Commet une infraction au sens de la présente Convention quiconque cause par quelque
moyen que ce soit, illicitement et intentionnellement :
a) La mort d’autrui ou des dommages corporels graves à autrui;
b) De sérieux dommages à un bien public ou privé, notamment un lieu public, une installation
gouvernementale ou publique, un système de transport public, une infrastructure, ou à
l’environnement; ou
c) Des dommages aux biens, lieux, installations ou systèmes mentionnés à
l’alinéa b) du paragraphe 1 du présent article, qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes
économiques considérables; lorsque le comportement incriminé, par sa nature ou son contexte, a
pour but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation
internationale à faire ou à ne pas faire quelque chose.
2. Commet également une infraction quiconque menace sérieusement et de manière crédible de
commettre une infraction visée au paragraphe 1 du présent article.
3. Commet également une infraction quiconque tente de commettre une infraction visée au
paragraphe 1 du présent article.
4. Commet également une infraction, quiconque :
a) Se rend complice d’une infraction visée aux paragraphes 1, 2 ou 3 du présent article; ou
b) Organise la commission d’une infraction visée aux paragraphes 1, 2 ou 3 du présent article ou
donne l’ordre à d’autres personnes de la commettre; ou
c) Contribue à la commission d’une ou plusieurs des infractions visées aux paragraphes 1, 2 ou
3 du présent article par un groupe de personnes agissant de concert. La contribution doit être
délibérée et faite :
i) Soit pour faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, lorsque l’activité ou le
dessein implique la commission d’une infraction visée au paragraphe 1 du présent article;
ii) Soit en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre une infraction visée au
paragraphe 1 du présent article.145
145 A noter également la proposition du Nicaragua d’inclure un alinéa 4 e) qui reprendrait en substance les questions de contrôle ou direction effectif de groupes armés non-étatique. Cette
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 44
Le problème de cet article réside dans le sens que l’on donne à
quiconque. Est-ce que quiconque inclut toute personne146 sans distinction? Sur
ce point, les négociations deviennent subtiles : les actes de terrorismes
individuels venant de personnes rattachées à un groupe idéologique, sans lien -
aussi tenu soit-il – avec un État posent déjà tant de problème à définir ! Les États
du Tiers-Monde, fiers de leurs victoires sur le colonialisme ont toujours demandé
à ce qu’en soit expressément exclues la lutte pour l’autodétermination et les
actions des mouvements de libération nationale. Mais à l’inverse, d’autres États
souhaitaient que les actes des mouvements de libération nationale soit inclus
dans le projet de convention générale147 Si le manque de volonté politique existe
pour résoudre cette question, elle est encore plus frappante lorsque la question
de l’inclusion d’acte de l’État ou d’agent de l’État pour terrorisme est invoquée.
C’est une chose de définir les actes de terrorismes possibles par les individus se
rattachant à une idéologie propre, c’en est une autre de définir les actes
attribuables à des agents de l’États qui constituent des actes de terrorisme.148
Sur cette question, le préambule nous rappelle que les actes qui se situent dans
le cadre du DIH ne sont pas couverts par le projet de convention général, et que
le projet de convention général ne rend pas licite des actes par ailleurs illicites.
L’article 3 du projet de convention général est supposé nous éclairer sur les liens
entre le terrorisme d’État et le DIH. Or, c’est précisément l’un des articles qui a
fait tellement débat au sein du comité spécial que la question a été laissée en
suspens. Dans la première version du projet de convention générale, l’article 3
excluait la mise en place d’explosif par les forces militaires de l’État en liens avec
déclaration reprend le jugement CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, jugement du 27 juin 1986, par. 115 146 Voir rapport du Comité spécial, 1ère session (1997) A/52/37, Annexe I. A. p.5, art.2. 147 M. Hmoud, op.cit., p.1034 148 C’est encore une autre question que de l’ouvrir aux actes non d’une personne, mais par exemple d’une organisation tel que le prévoit l’art. 9 du présent projet de convention générale. Sur déclaration, les États peuvent étendre le champ ratione materiae de l’art.2. Voir rapport du Comité spécial, 14ème session (2010) A/65/37 point 16 b) p.15
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 45
leurs fonctions officielles.149 L’actuel article 3150 se lit comme suit (emphase de
l’auteur) :
Art ic le 3
1. Aucune disposition de la présente Convention ne modifie les autres droits, obligations et
responsabilités qui découlent pour les États, les peuples et les individus du droit international, en
particulier les buts et principes de la Charte des Nations Unies, et du droit international
humanitaire.
2. Les activités des forces armées en période de conflit armé, au sens du droit international
humanitaire, qui sont régies par ce droit, ne sont pas régies par la présente Convention.
3. Les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions
officielles, en tant qu’elles sont régies par d’autres règles de droit international, ne sont pas non
plus régies par la présente Convention.
4. Aucune disposition du présent article n’excuse ni ne rend licites des actes par ailleurs illicites et
n’empêche pas davantage l’exercice de poursuites sous l’empire d’autres lois. Les actes qui
correspondraient à une infraction définie à l’article 2 de la présente Convention demeureraient
punissables conformément à ces lois.
5. La présente Convention est sans préjudice des règles de droit international applicables en cas
de conflit armé, en particulier des règles applicables aux actes considérés comme licites en droit
international humanitaire.
L’article 2 et l’article 3 sont liés. Si l’article 1 est construit sur une logique
de l’inclusion, l’article 3 est fondé sur une logique de l’exclusion.151 Nous pouvons
à juste titre nous poser la question du champ d’application de cet article. Il dit ce
que le projet de convention générale sur le terrorisme ne modifie pas, et ne
précise pas ce qu’il modifie. L’exclusion de la notion de terrorisme d’État du
champ du DIH semble claire, et ressort de la conjonction entre la proposition du
préambule, de l’alinéa 2 et de l’alinéa 5, qui est assez typiquement une clause
sans préjudice. Cette distinction ressort du caractère sui generis du DIH, et de la
149 Voir rapport du Comité spécial, 1ère session (1997), A/52/37, Annexe I. A. p.6, art,3 150 Tel que proposé par le bureau pour examen. Anciennement art.18 151 A/68/37, Annexe III, résumé des déclarations de la coordinatrice, par. 12
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 46
volonté de le préserver à l’identique.152 D’aucune manière le projet de convention
générale ne rend licites des actions que le DIH rend illicites, ni ne rend illicites
des actes qui ne sont pas illicites dans le DIH.153 L’alinéa 1 précise que le projet
de convention générale ne modifie pas les autres droits et obligations du droit
international public, ce qui implique qu’il est supposé en ajouter. L’alinéa 3 exclut
également les actions menées par les forces armées tant qu’elles sont menées
dans le cadre de leurs activités, pour autant que ces comportements soient régis
par d’autres règles de droit. Elle cherche à déterminer le droit applicable en
temps de paix. Mais cette exclusion semble bien large, et nous avons de la peine
à voir exactement à quoi elle correspond. Est-ce que cela inclut uniquement les
principes généraux du droit ou la protection des agents de l’État ? In fine, cette
exclusion semble extrêmement large, parce que bien trop indéfinie. Elle peut
s’étendre jusqu’à l’application extraterritoriale du DIDH en raison du pouvoir des
agents officiels de l’État dans l’exercice de leurs missions sur une personne, sur
un territoire,154 ou en raison de la nature du droit garanti, tel que l’interdiction de
la torture,155 la garantie de certaines procédures judiciaires,156 et le droit à la vie,
pour lesquels un agent de l’État possède à la fois l’obligation négative de
respecter les droit humains, et l’obligation positive de tout faire pour faire
respecter le droit à la vie.157 L’alinéa 3 viserait à exclure du champ du projet de
convention générale l’applicabilité territoriale et extraterritoriale des droits 152 A/68/37, Annexe III, résumé des déclarations de la coordinatrice, par.14, 17, 29 153 Voir la proposition pour la facilitation des discussions des Amis du président du groupe de travail A/C.6/60/INF/1 154 Selon les champs d’applications de la convention : Pacte ONU II : art. 2(1) Droit reconnus sur l’ensemble du territoire et sur l’ensemble des personnes sous sa juridiction. Pour le pacte ONU II, voir en général T. Meron, Extraterritoriality of Huma Right Treaties, in AJIL vol.89, n°1 (jan) 1995, pp.78-82. Autres conventions Convention Interamaricaine art. 2 : toute personnes relevant de leurs compétence, CEDH art.1 : toute personne relevant de leur juridiction. Pour l’application extraterritoriale de la CEDH, voir en particulier Loizidou vs Turique, 23 mars 1995, par. Et Chypre vs Turquie, 10 mai 2001. Charte Africaine : art.1 reconnaissent les droits devoir et libertés et s’engagent à les appliquer (dans tous les cas, restent tenus par le pacte ONU II si ratifié). 155 Sur l’applicabilité extra-territorial de l’Art. 3 CEDH, voir Soering vs United Kingdom (death row phenomena) par.100-111, ainsi qu’Al-Adsani vs Royaume-Uni, par. 39, qui confirme le jugement de Soering sur l’applicabilité extra-territorial de l’art.3 156 Pacte ONU II : art. 6, 14, 15. CEDH art.5, 6, 7. Sur l’immunité de juridiction d’un État face à l’art 6, voir Al-Adsani vs Royaume-Uni, par.52-67 157 Limité par la peine de mort ou autre cas nécessaires. Voir par exemple CEDH art.2(2), et McCann vs United Kingdom, par.195-214
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 47
humains aux forces armées de l’État dans leurs fonctions officielles. Une telle
exclusion reviendrait à exclure les actes des forces armées du champ
d’application de la convention sauf dans les cas où la personne n’est pas sous sa
juridiction ou sur son territoire. Cette exclusion semble extrême, mais elle pourrait
avoir l’effet bénéfique de mieux reconnaître l’applicabilité extraterritoriale des
droits humains par les forces armées d’un État. L’alinéa 4 est construit comme un
rappel à la responsabilité des États. Les actes étatiques punissables selon
d’autres branches du DIP, tel que le DIH et le DIDH, restent punissables à
l’identique, selon les principes de la compétence universelle et des devoirs158 du
aut judicare aut dedere. Même si les agents de l’État peuvent jouir d’une
immunité ratione materiae ou/et ratione personnae –selon les cas – elle n’est pas
pour autant synonyme d’impunité. Mais cette définition globale du terrorisme, à la
fois par l’inclusion et par l’exclusion, nous aide peut être à définir ce que n’est
pas le terrorisme d’État. Mais il ne nous aide pas à définir ce qu’est le terrorisme
d’État. D’ailleurs, le terrorisme d’État interne pur est directement exclu du champ
d’application du projet de convention générale à son art. 5. De facto, en refusant
d’inclure les actes perpétrés par l’État sur son territoire et contre sa population,
c’est déjà un aveu d’échec. Comment admettre un projet de convention générale
sur le terrorisme qui exclut une forme de terrorisme ? Elle n’est alors plus
générale, mais déjà spéciale ! Cette constatation est plutôt malheureuse, puisque
de nombreux États ont exprimé et répété l’idée que le terrorisme d’État était la
pire forme de terrorisme, et une menace constante pour la paix et la sécurité
internationales.159 Cette idée est même clairement énoncée dans le préambule
de l’actuel projet de convention générale.160 Mais avant d’aller plus loin, il est
intéressant de s’arrêter un peu sur la question de la responsabilité internationale
des États pour crime. Sur ce point, il est intéressant de faire un détour par
158 Devoirs rappelés par CIJ, affaire Lockerbie, 159 Voir entre autre le rapport A/55/37, par. 16 (résumé des débats) : « Il a également été dit que le terrorisme d’État était la forme de terrorisme la plus dangereuse ». 160 A/68/37, préambule, 7ème considérant pour le financement du terrorisme, 8ème considérant pour l’implication directe ou indirecte de l’État.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 48
l’ancien article 19 du projet sur la responsabilité des États, et des raisons de son
insuccès.
D. La tragédie de l’ex art.19
Le projet d’article de responsabilité des États de 1976, tel qu’adopté par la
CDI la même année est une révolution inachevée. Si le projet d’article ne parle
que des actes illicites, excluant ainsi tous les dommages simples de son champ
d’application, il manque à faire la distinction entre crime et délit dans la
responsabilité des États. Le crime international était défini comme une violation
par un État d’une obligation si essentielle pour la sauvegarde d’intérêts
fondamentaux que cette violation est reconnue comme un crime par la
communauté dans son ensemble. L’idée était d’instituer une responsabilité de
l’État pour les obligations erga omnes161, et de permettre à tous les États de
poursuivre un autre État pour ces violations si graves pour la communauté
internationale (l’actio popularis). Nous admettons avec Crawford l’idée qu’un
crime ne peut être puni sans loi ou norme,162 et que d’admettre la notion de crime
aurait dû avoir comme corollaire nécessaire la définition de ces crimes erga
omnes.163 Pourtant, la non-admission de la notion de crime conduit de facto à ne
pas promouvoir de révolution dans le domaine des garanties procédurales.
Admettre la notion de crime aurait poussé la communauté internationale à
admettre un plus grand développement de notion telle que le due process. Au
final, entre la question de l’établissement de crime par rapport aux délits, on pose
la question de la judiciabilité du jus cogens. Mais le jus cogens est indéfini, et la
question de leur justiciabilité est controversée. La perte de la notion de crime
d’État constitue une tragédie pour l’établissement du terrorisme d’État, car ces
actes ne sont pas tous couverts par la notion de crime contre l’humanité, mais 161 CIJ, Barcelona Traction, Light and Power Company Limited, 1970, par.33 162 Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense contre l’exception préjudicielle d’incompétence, arrêt du 2 octobre 1995, affaire n°IT-94-1-T, par. 143 163 J. Crawford, The International Law Commission’s article on state responsability : introduction, text and commentary, Cambridge University Press, 2002, p.18
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 49
constituent tous des violations graves aux droits humains. Pour cette raison, la
perte de l’art. 19 est une tragédie pour le terrorisme d’État et le développement
du droit international comme un système de droit.
2. Au niveau national
A. Le Jugement du Tribunal Spécial pour le Liban
L’établissement même du TSL est une forme de retour en arrière dans le
ad-hocisme auquel la Cour Pénale International était censé mettre fin. Mais dans
la situation d’espèce, l’assassinat politique ne serait pas tombé dans la catégorie
des crimes contre l’humanité dû à l’absence du caractère « systématique et
répétées » de l’attaque.164 Le TSL est le premier Tribunal Spécial à juger de cas
de terrorisme. La spécificité du TSL est de juger selon le droit libanais, et
d’appliquer la définition de terrorisme du Code Pénal Libanais.165 Dans son
jugement sur l’applicabilité du terrorisme, le Tribunal Spécial sur le Liban a admis
le terrorisme comme un crime international. Ce raisonnement ne peut nous
satisfaire. Déjà, parce que dans l’arrêt de la Cour internationale de Justice sur le
Génocide en Bosnie, la Cour a clairement rappelé que ce n’était pas du ressort
d’une Cour spéciale que de s’intéresser aux questions de droit international
public. Nous pouvons donc douter de la validité de cette appellation de terrorisme
comme un crime international. De plus, le crime d’agression a mis plus de 100
ans avant de trouver une définition consensuelle on sein de la communauté
internationale. Le crime de terrorisme est encore très loin de trouver un tel
consensus. Enfin, nous pouvons critiquer l’utilisation du code pénal libanais pour
établir un crime international. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, certaines
analogies de droit privé tiennent la route. D’autres sont absurdes et sans
fondement. Tel est le cas pour le terrorisme, car tous les codes pénaux ne
164 A noter que les crimes contre l’humanité peuvent être commis en temps de paix , art. 1.b) Convention sur l’imprescribilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité adoptée par A/RES/2391 (XXIII) du 26 novembre 1968. 165 Voir Jugement du TSL du 16 février 2011, STL-II-OIIIIAC/R176bls en particulier par. 81
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 50
punissent pas le terrorisme en tant que crime caractéristique. A l’inverse, tous les
codes civils contiennent la notion de pacta sunt servanda. De la même manière,
tous les codes punissent les actes criminels, ce qui justifie l’acceptation du crime
de guerre, mais le terrorisme est un acte particulier, que tous les États ne
punissent pas nécessairement. Le manque d’analyse sur la formation de l’opinio
juris sur ce point par le tribunal spécial rend sa qualification de l’acte de
terrorisme comme un crime international instable.166 Pour cette raison d’analogie
avec le droit privé surtout, la constatation de crime de terrorisme comme un
crime international ne nous convainc pas. De plus, ce jugement ne nous mène
pas encore vers une responsabilité de l’État, que ce soit à titre de due diligence
de la part de l’État Libanais, ou de responsabilité pour l’implication d’États
étrangers dans la planification de cette attaque.
Toutefois, nous ne rejetons la définition du terrorisme par le TSL dans son
entier. Nous sommes seulement critiques envers la méthode qui pousse le TSL à
affirmer de but en blanc avoir donné une définition internationale du terrorisme.
Nous sommes d’accord avec le fond de la définition de terrorisme, mais non sur
la méthode, qui nous pousse à rejeter l’utilisation de la définition du TSL comme
étant absolue. Dû à l’absence d’universalité de cette décision, nous avons
préféré utiliser des critères propres au terrorisme d’État. Ce point sera abordé
plus en profondeur lors de la soutenance.
166 Voir STL-II-OIIIIAC/R176bls, par. 104ss
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 51
Oui, ce n’est que par la violence qu’on peut
en parei l cas rétabl ir la paix et faire régner la
just ice.
Jean-Paul Marat167
VI. Conclusion
Parler de terrorisme d’État, c’est parler de collision frontale entre les droits
fondamentaux de l’État et les droits fondamentaux de l’Individu, entre le principe
d’égalité souveraine entre les États et celle d’égalité entre les Hommes. Le
terrorisme d’État est un concept bien trop grand, bien trop large pour être défini
simplement. De manière objectivée, soit en retirant les éléments de « terreur » et
de « fin politique » pour ne garder que le squelette des violations graves aux
droits humains, le terrorisme d’État est couvert en partie par les crimes de guerre
et les crimes contre l’humanité tels que définis dans le Statut du Tribunal Militaire
de Nuremberg et dans le Statut de la Cour Pénale Internationale. Ces crimes
sont imprescriptibles, et ont l’avantage de couvrir les situations en temps de paix
- pour les crimes contre l’humanité - comme en temps de guerre. Mais ces
crimes ne couvrent pas toutes les possibilités, et des lacunes dans la justiciabilité
des crimes politiques se fait largement ressentir par l’absence de l’ancien art.19
du Projet sur la Responsabilité des États pour actes illicites. Cet article avait le
mérite de poser les mêmes problèmes pour l’état de droit en droit international
que ceux que posent le terrorisme d’État, à savoir 1) le fait que les violations
graves aux droits humains ne sont pas proprement définie (principe sine lege),
bien qu’elles semblent inclure définitivement le droit à la vie, l’interdiction de la
torture et certains droits procéduraux ; 2) Qu’il manque d’instruments
167 MARAT, J.-P., Observations de l’Ami du Peuple, L’Ami du Peuple, N°635, 20 Avril 1792, in MARAT, J.-P., Œuvres Politiques, 1789-1793, Texte et Guide de lecture établis par Jacques de Cock et Charlotte Goëtz, Tome VII, Pôle Nord, Bruxelles, 1995, ISBN 2 – 930040 – 10 – 6.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 52
procéduraux pour investiguer sur ces crimes, ou que ces instruments
procéduraux soient le résultat d’une justice globale à deux vitesses ; 3) qu’il
devrait y avoir des garanties procédurales suffisantes pour permettre un
jugement dénudé d’arbitraire ; 4) un moyen de fournir un dédommagement
approprié pour les crimes erga omnes qui satisfassent l’ensemble de la
communauté internationale ; 5) un moyen d’expiation satisfaisant pour les crimes
erga omnes.168
Ces problèmes sont des problèmes systémiques du droit international. Il
n’y a que peu de doutes possibles sur l’idée que le terrorisme d’État existe dans
la vision subjective du droit international par les États, vu le nombre de
qualifications dans les résolutions d’organisations internationales, et en particulier
de l’Assemblée Générale de l’ONU, son seul organe résolument démocratique.
De plus, un certain nombre de déclarations unilatérales et de jugements
internationaux corroborent cette vision qu’une forme de terrorisme d’État existe.
Mais au jour d’aujourd’hui, son intégration et sa reconnaissance en tant que
concept de droit poseraient des problèmes fondamentaux pour le système de
droit.
Sur ce point, nous retrouvons notre titre : le terrorisme d’État est un défi
pour l’état de droit en droit international. Comme nous l’avons vu en Introduction,
l’état de droit requiert cinq éléments, et chacun d’entre eux est défié directement
par un cas de terrorisme d’État. Premièrement, la norme selon laquelle personne
n’est au dessus ni en dehors du droit est bloquée par le droit de veto des cinq
membres permanents du Conseil de Sécurité, qui de facto sont au dessus des
lois quant on aborde la question de la menace ou de l’emploi de la force.
Deuxièmement, la norme du respect des procédures et des modes décisionnels
168 Voir J. Crawford, The International Law Commission’s article on state responsability : introduction, text and commentary, p.18
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 53
démocratiques est une question délicate, et changeante. Plus de poids est donné
aujourd’hui à la formation démocratique du droit international,.169 Mais la question
de l’intervention armée dans la responsabilité de protéger est typiquement un
point sur lequel le manque de démocratie dans la communauté internationale se
fait ressentir. Le changement de régime qui a suivi l’opération armée en Lybie est
à maints égards anti-démocratique et porte atteinte à l’état de droit.
Troisièmement, il faut des formes de restrictions légales au pouvoir du Conseil de
Sécurité. Or, la Cour international de Justice a toujours refusé de vérifier la
validité des résolutions du Conseil de Sécurité,170 poussant parfois d’autres
Cours à répondre à sa place, ce qui met en péril le système du droit de la Charte,
dû à la fragmentation du droit international par les interprétations emplies de
spécificités régionales.171Quatrièmement, il faut une forme de constitution, et
l’idée de la Charte des Nations Unies comme une Constitution Globale est
suffisamment controversée pour ne pas avoir besoin de nous étendre ici. Enfin,
l’affirmation selon laquelle nous ne vivons pas dans un monde juste est très
probablement l’affirmation la moins controversée de ce mémoire. S’il est vrai que
l’établissement de la Cour Pénale Internationale a été un grand pas en avant
pour l’établissement de la justice selon l’état de droit, elle ne met pourtant pas fin
au ad-hocisme des tribunaux spéciaux, ni ne garanti une justice pour tous.
Peu de concepts en droit international ont le mérite de soulever des
questions aussi complexes sur les tous les aspects du maintien de la paix, et sur
les fondements du droit international et de la justice globale, mais celui-ci apporte
particulièrement peu de réponse. Lorsque l’on va au bout de l’analyse du
concept, nous arrivons à la limite du droit international sur tous les points. Dans
le jus ad bellum, le terrorisme d’État questionne la licéité de l’emploi de la
169 W. M. Reisman, The Quest for World Order and Human Dignity in the Twenty-first Century : Constitutive Process and Individual Commitment, General Course on Public International Law, 2010, RCADI 351, Brill, Leiden-Boston, pp.155-167 170 CIJ, affaire Lockerbie, par.154 171 CJUE, Commission c. Kadi, affaire C-584/10 P, 18 juillet 2013,.
LE TERRORISME D’ÉTAT : UN DEFI POUR L’ETAT DE DROIT EN DROIT INTERNATIONAL 54
légitime défense contre des individus.172 Dans le jus in bello, le terrorisme d’État
questionne la notion de combattant. Dans le droit de la responsabilité des États, il
questionne la justiciabilité des droits humains à caractère péremptoire. Ouvrir le
concept de terrorisme d’État, c’est ouvrir la boîte de Pandore pour constater que
le droit international est encore loin de l’état de droit. Le terrorisme est une notion
politique, dénuée de toute implication juridique et mérite assez peu de
considération en droit. Mais en droit international, beaucoup de choses sont
accomplies par la seule volonté des États. Comme Sisyphe qui chaque jour roule
sa pierre à bout de bras jusqu’en haut de la montagne, pour qu’au bout de sa
peine, enfin, presque au sommet, il voit l’entier de son effort retomber en bas de
la vallée. Pourtant, cette absurde destinée rends Sysiphe heureux chez Camus.
Pour lui, la volonté d’arriver suffit à tout.173 Le terrorisme d’État, comme concept
de droit international, possède toutes les couleurs grecques des héros de
l’absurde.
172 Voir CIJ, Activité armés sur le territoire du Congo, par. 168 173 A. Camus, Le mythe de Sisyphe, 1985, Gallimard, collection Folio p.70