Le Terrorisme d'Etat: un défi pour l'état de droit en droit international

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Faculté de droit Le terrorisme d’État : un défi pour l’état de droit en droit international Mémoire de Master présenté en vue de l’obtention du Master en droit, orientation droit international et européen par Noura Kayal Sous la direction du Professeur Giovanni Distefano Neuchâtel, Juillet 2014

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Faculté de droit

Le terrorisme d’État : un défi pour l ’état

de droit en droit international

Mémoire de Master présenté en vue de l’obtention du

Master en droit, orientation droit international et européen

par

Noura Kayal

Sous la direction du Professeur

Giovanni Distefano

Neuchâtel, Juillet 2014

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL ii  

Sommaire A. Abstract iv

B. Sigles et Abréviations v

C. Bibliographie vii

D. Annexe xvi

I. Introduction 1

I.1. Sujet 1

I.2. Thèse 5

I.3 Définition 6

I.4. Limites 7

I.5 Approche 8

I.6. Historique du mémoire 10

II. Précisions Méthodologiques 13

II.1 Position de l’auteur 13

II.2 Sur le positivisme juridique en droit international 14

II.3 Processus subjectif, système objectif 18

III. Deux modèles de Souverainetés Libérales 22

III.1. Souveraineté Libérale 23

III.2. Cosmopolitanisme 24

IV In Abstracto 26

IV.1. Interrogations 26

IV.2 Proposition de définition 27

IV.3. Eléments Constitutifs 28

IV.3.A. Terreur 29

IV.3.B. Fins politiques (idéologiques […]) 30

IV.4 Distinctions 32

IV.4.A. Ratione Loci 32

IV.4.B. Ratione Materiae 35

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL iii  

IV.4.C. Ratione Personae 37

IV.5. Conclusion préliminaire 39

V. Tentative de définition : le Supplice de Sisyphe 40

V.1 Niveau International 40

V.1.A. Au niveau du DIH 40

V.1.B Résolution 49/60 41

V.1.C Projet de Convention Général 42

V.1.D. Tragédie de l’ex Art.19 48

V.2 Au niveau national 49

V.2.A. Jugement TSL 49

VI. Conclusion 51

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL iv  

A. Abstract Comment le terrorisme d’État peut-il être un défi pour l’état de droit en

droit international ? En analysant le concept de terrorisme d’État, en le poussant

à son paroxysme pour en voir toutes les implications possibles, nous voyons que

nous atteignons les limites du droit international. Le terrorisme d’État interne

repousse les limites de l’égalité formelle entre les États par le poids de la doctrine

de la responsabilité de protéger face au domaine réservé de l’État. Il marque

également les lacunes de protection du droit entre les cas de situations

d’urgences et l’application du droit des conflits armés internationaux. A l’autre

extrême, les actes de terrorisme externe sont des menaces pour la paix et la

sécurité internationales. Or, les actes de terrorisme d’État externe ne tombent

pas tous sous la définition de crime contre l’humanité ou de crime de guerre. A

un moment de l’histoire ou le recours à la menace ou à l’emploi de la force est

interdit, l’utilisation du terrorisme par l’État permet de continuer la guerre par

d’autres moyens. Ces constatations soulèvent des interrogations sur le contrôle

de validité des résolutions du Conseil de Sécurité, de l’utilisation de la légitime

défense contre des individus, ou encore de la justiciabilité des droits de l’Homme

à caractère péremptoire. Or, toutes ces interrogations sont controversées en

Droit International Public. Mais elles montrent une tension entre deux modèles de

souveraineté : une souveraineté où les droits fondamentaux de l’État sont au

centre des relations internationales, et une souveraineté où les droits

fondamentaux de l’individu sont au centre des interactions entre États. Ici se

trouve le titre : le terrorisme d’État est un défi pour la souveraineté libérale

internationale, car le concept soulève les manquements du droit international

pour son établissement en tant qu’état de droit.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL v  

B. Sigles et abréviations

AG Assemblée Générale des Nations Unies

AFDI Annuaire français de droit international

AJIL American Journal of International Law

CAI Conflits armés internationaux

CANI Conflits armés non-internationaux

CDI Sixième Commission de l’Assemblée générale

sur le Droit International

CIJ Cour Internationale de Justice

CNU Charte des Nations Unies

Comité Spécial Comité spécial crée par la résolution 51/210 de

l’Assemblée générale, en date du 17 décembre

1996

CPA Cour permanente d’arbitrage

CPIJ Cour Permanente Internationale de Justice

CS Conseil de Sécurité des Nations Unies

DIDH Droits international des Droits de l’Homme

DIH Droit International Humanitaire

EJIL European Journal of International Law

HRW Human Right Watch

OUP Oxford University press

Projet d’articles Projet d’article dur la responsabilité des État s

pour fait internationalement illicite, 2001

Projet de convention générale Projet de convention générale sur le terrorisme

international, 16ème session, 8-12 avril 2013

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL vi  

RCADI Recueil de cours de l’Académie de Droit

International de La Haye

RIAA Reports of International Arbitral Awards

StCIJ Statut de la Cour International de Justice

StCPI Statut de la Cour Pénale International

TPIY Tribunal Pénal International pour l’ex-

Yougoslavie

TPIR Tribunal Pénal International pour le Rwanda

TSSL Tribunal Spécial pour le Sierra Leone

TSL Tribunal Spécial pour le Liban

UN Nations Unies

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL vii  

C. Bibliographie

Ouvrages Généraux :

J. Combacau, S. Sur, Droit International Public, 2012, (10ème éd.), Domat, Paris

P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit International Public, (8ème éd.) L.G.D.J., Paris, 2009

J.-M. Henckaerts, L. Doswald-Beck, Droit International Humanitaire Coutumier, Vol. I, 2006, Bruylant, Bruxelles

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Ouvrages

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H. Kelsen, Théorie pure du droit, Charles Eisenmann (trad,), 2010, Bruylant, Paris

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL viii  

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Recueil

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Rapport du Conseil de Sécurité

S/2004/616

Résolutions du Conseil de Sécurité

S/RES/1973 (2011)

S/RES/1970 (2011)

S/RES/2109 (2013)

S/RES/2118 (2013)

S/RES/2127 (2013)

S/RES/2139 (2014)

Agenda du Conseil de Sécurité

S/PV.7205

Résolution de l’Assemblée Générale

A/RES/2625 (XXV)

A/RES/49/60

A/RES/51/210

A/RES/51/229

A/RES/60/1

A/RES/68/119

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xi  

Rapport du Comité Spécial

A/52/37 (1997)

A/55/37 (2000)

A/65/37 (2010)

A/68/37 (2013)

Sixième Comité

A/C.6/67/SR.23

A/C.6/60/INF/1

Déclaration du Secrétaire Général

A/63/677

Actes Unilatéraux

EU Council Regulation 269/2014, (17.03.2014)

White House Executive Orders 13660 (6.03.2014)

White House Executive Orders 13661 (17.03.2014)

White House Executive Orders 13662 (20.03.2014)

CIJ

Plateau continental de la mer du nord, Allemagne c. Pays-Bas, 20 février 1960, Recueil C.I.J. 1960

Barcelona Traction, Light and Power Company Limited, Belgique c. Espagne, 2ème phase, 5 février 1970, Recueil C.I.J. 1970

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Projet Gabcikovo-Nagymaros, Hongrie c. Slovaquie, 25 septembre 1997, Recueil C.I.J. 1997

Différent Relatif à l’Immunité de juridiction d’un rapporteur spécial, avis consultatif, 29 avril 1999, Recueil C.I.J. 1999

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xii  

Activités armées sur le Territoire du Congo, RDC c. Ouganda, 19 décembre 2005, Recueil C.I.J, 2005

Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide, Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro, 26 février 2007, Recueil C.I.J. 2007

CPIJ

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Affaire relative à la juridiction territoriale de la Commission de l’Oder, Allemagne, Danemark, France, Suède, Tchécoslovaquie c. Pologne, 10 septembre 1929, publication C.P.I.J. série A, n°23

CPA

Affaire de l’île de Palmas, État s-Unis- Pays-Bas, Jugement du 4 avril 1928,

TPIY

Le Procureur c. Anto Furundzija ,10 décembre 1998, chambre de première instance, affaire n°TI-95-17/1-T (1999)

Le Procureur c. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj, Lahi Brahimaj, 3 avril 2008, Chambre de première instance, affaire n° IT-04-84-T (2008)

Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense contre l’exception préjudicielle d’incompétence, arrêt du 2 octobre 1995, devant la chambre d’appel, affaire n°IT-94-1-T

Le Procureur c. Dusko Tadic, chambre d’appel, jugement du 15 juillet 1999, affaire n°IT-94-1-A.

TSL

Décision préjudicielle sur le droit applicable : terrorisme, complot, homicide, commission, concours de qualifications, devant la chambre d’appel, jugement du16 février 2011, affaire n° STL-II-OIIIIAC/R176bls

TSSL

Le Procureur c. Charles Ghankay Taylor, chambre d’appel, jugement du 26 septembre, 2013, affaire n° SCSL-03-01-A-1389

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xiii  

Sentence Arbitrale

Affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande/France), R.I.A.A., Vol. XX

CEDH

Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, requête n°14038/88

Loizidou c. Turquie, arrêt du 23 mars 1995, requête n°15318/89

McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, requête n°18984/91

Chypre c. Turquie, arrêt du 10 mai 2001, requête n°25781

Al-Adsani c. Royaume-Uni, arrêt du 21 novembre 2001, requête n°35763/97

CJEU

La Commission c. Kadi, arrêt du 18 juillet 2013, C-584/10 P

US Suprem Court

Hamdan v Rumsfeld, Secretary of Defense et al., décision du 29 juin 2006, 548 U.S. 557

Liste d’organisations terroristes

Gouvernement britannique :

https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/324603/20140627-List_of_Proscribed_organisations_WEBSITE_final.pdf Gouvernement canadien :

http://www.securitepublique.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cntr-trrrsm/lstd-ntts/crrnt-lstd-ntts-fra.aspx

Articles de presses

Al Jazeera :

http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2013/02/20132317737493423.html

BBC :

http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275 (Chronologie de la crise en Ukraine)

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xiv  

http://www.bbc.com/news/uk-19647226 (sur l’empoisonnement d’Alexander Litvinenko)

Hurriyet :

http://www.hurriyetdailynews.com/israels-mentality-no-different-from-hitlers-turkish-pm-erdogan.aspx?pageID=238&nID=69145&NewsCatID=338

Le Monde :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/21/le-pari-de-la-guerre-hegelienne_1510543_3232.html?xtmc=lybie&xtcr=27 (Intervention en Libye)

Reuters :

http://www.reuters.com/article/2012/11/19/us-palestinians-israel-turkey-idUSBRE8AI0FH20121119

The Guardian :

http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/us-tech-giants-nsa-data

http://www.theguardian.com/world/2014/jun/23/us-justification-drone-killing-american-citizen-awlaki Rapport d’ONG

Amnesty International :

Syrie, déclaration du 1er août 2011 : http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/un-security-council-must-take-action-over-syria-bloodshed-2011-08-01

Human Right Watch :

Lybie, rapport du 19 février 2011 : http://www.hrw.org/news/2011/02/18/libya-security-forces-kill-84-over-three-days

Egypte pour l’année 2011 : http://www.hrw.org/world-report-2012/world-report-2012-egypt

Syrie, rapport du 13 mai 2014 : http://www.hrw.org/news/2014/05/13/syria-strong-evidence-government-used-chemicals-weapon

Site Internet

Projets du State Crime Initiative : http://statecrime.org/

plato.standford.edu

Discours

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xv  

Report du discours d’Obama à la candidature pour la présidentielle du 24 juin 2007 :http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/06/24/AR2007062401046.html

Discours de Vladimir Poutine sur l’Intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, 18 mars 2014, en anglais : http://eng.kremlin.ru/news/6889

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xvi  

D. Annexe

ANNEXE I : Liste des conventions internationales relatives au terrorisme

Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenus à bord des

aéronefs, signée à Tokyo le 14 septembre 1963,

Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronef, signée le 16

décembre 1970,

Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de

l’aviation civile, conclue à Montréal le 23 septembre 1971,

Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les

personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents

diplomatiques, adoptée à New York le 14 décembre 1973,

Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée à New York le 17

décembre 1979,

Convention sur la protection physique des matières nucléaires, adoptée à Vienne

le 26 octobre 1979,

Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports

servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la

répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signé à

Montréal le 24 février 1988,

Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de la

navigation maritime, signée à Rome le 10 mars 1988,

Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL xvii  

fixes situées sur le plateau continental, fait à Rome le 10 mars 1988,

Convention sur le marquage des explosifs plastiques aux fins de détection,

signée à Montréal le 1er mars 1991,

Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif,

adoptée à New York le 15 décembre 1997,

Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme,

adoptée à New York le 9 décembre 1999,

Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire,

adoptée à New York le 13 avril 2005,

Amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires,

adopté à Vienne le 8 juillet 2005,

Protocole de 2005 à la Convention pour la répression d’actes illicites contre la

sécurité de la navigation maritime, adopté à Londres le 14 octobre 2005,

Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes

fixes situées sur le plateau continental, adopté à Londres le 14 octobre 2005

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 1  

Justice, force. I l est juste que ce qui est

juste soit suivi, i l est nécessaire que ce qui est le

plus fort soit suivi. La just ice sans la force est

impuissante: la force sans la just ice est

tyrannique. […]

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût

fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Blaise Pascal1

I. Introduction

1. Sujet

Le désaccord. Quiconque se plonge dans la discipline du droit

international public sera d’abord frappé par la force des discours qui se

contredisent, se percutent, s’emmêlent. Difficile alors pour le néophyte d’y

percevoir un sens hors du brouhaha des théories. Au cœur du débat, la question

de la souveraineté, de sa forme et de ses contours. Là, un auteur affirmera le

pouvoir de l’anarchie dans le domaine internationale, le jeu des pouvoirs défini

par l’intérêt politique, et l’absence de morale universelle dans les actions

abstraites des États.2 Ici, un autre insistera sur la coopération, la nécessité du

commerce globalisé et le changement de fond opéré par la création d’institutions

internationales pour le concept de souveraineté.3 Là-bas, un autre parlera des

principes communs à l’humanité, fédérateur d’un système de gouvernance

globale au mode décisionnel à plusieurs niveaux.4 Plus loin, un dernier insistera

                                                                                                               1 B. Pascal, Pensées, (P. Sellier éd.), 2000, Pocket, Paris pensées 298, Section V 2 H. Morgenthau, Politics Among Nations : The Struggle for Power and Peace, 1978, 5ème éd., Alfred A. Knopf, New York, pp.4-15 3 R. O. Keohane, Ironies of Sovereinty : the European Union and the United State, 2002 JCMS Vol. 40, N°4, pp.758-761 4 D. Held, Law of States, Law of peoples, Legal Theory vol. 8, 2002, Cambridge University Press, Cambridge, pp. 23-49.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 2  

sur l’avènement d’un empire universel fondé sur la globalisation des modes de

production et la place du biopouvoir dans une société de contrôle créant des

forces capables de mener à une paix universelle.5

Qu’est-ce que le terrorisme d’État ? De prime abord, nous pourrions

penser à l’État autoproclamé de l’État islamique en Irak et au Levant, tenu par

une branche d’Al-Quaïda et reconnu comme étant un groupe terroriste par un

certain nombre d’État.6 Nous pourrions encore penser à l’attentat de Lockerbie,

ou encore à certaines pratiques de disparitions forcées. Si les exemples et les

définitions diffèrent, nous pouvons affirmer que le terrorisme d’État est aussi

vieux que le concept d’État lui-même. Il trouve sa naissance dans les révoltes

populaires et les guerres d’influences, en particulier après la séparation du

pouvoir de l’État laïque et du pouvoir religieux par les Traités de Westphalie en

1648 et le parachèvement de l’établissement d’État-nation par Napoléon

Bonaparte en Europe. Dans des circonstances de crises de la nation, ou

l’existence même de l’État est en péril, l’État est tenté d’invoquer la toute

puissance de sa souveraineté absolue pour lutter contre les ennemis de la

nation. Or, la nature de la souveraineté et des relations internationales s’est

quelque peu modifiée depuis l’émergence de la société des nations d’abord, puis

des Nations Unies.7 L’idée que l’État puisse user de tous les moyens nécessaires

pour assurer sa survie est de plus en plus contestée par la société civile à travers

les organisations de protections des droits des droits de l’Homme.8 Si le discours

de la société civile est clair et appelle au respect des droits de l’homme, il est

                                                                                                               5 M. Hardt, T. Negri, Empire, 2000, Harvard University Press, Cambridge, pp. 183-190. 6 Entre autres, le gouvernement britannique : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/324603/20140627-List_of_Proscribed_organisations_WEBSITE_final.pdf, p.9, Ainsi que le gouvernement canadien : http://www.securitepublique.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cntr-trrrsm/lstd-ntts/crrnt-lstd-ntts-fra.aspx , consultés le 28 août 2014 7 D. Held, op. cit., p.5 8 Voir par exemple la déclaration d’Amnesty International concernant la Syrie avant le début de la guerre civile. Déclaration du 1er août 2011 : http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/un-security-council-must-take-action-over-syria-bloodshed-2011-08-01 consulté le 09.07.14

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 3  

plutôt difficile de trouver un trait commun aux divers comportements et discours

des États et de la communauté internationale dans son ensemble.

En Egypte, les manifestants sont descendus dans la rue pour contester le

pouvoir du président Moubarak, à la tête de l’État depuis une trentaine d’année.

La réponse du président à ces manifestations a été violente, et a fait plus de 800

morts civils, la majorité ayant été tués entre les journées du 28 et du 29 janvier.9

Malgré ces événements, la question de l’Egypte n’a jamais été à l’ordre du jour

du Conseil de Sécurité pendant l’année 2011.10 En Libye, lorsque Kadhafi, alors

chef d’État depuis 41 ans, s’attaque à la population de manière indiscriminée en

utilisant des méthodes propres à créer la terreur, tel que les tirs à balles réelles

sur les manifestants,11 les États occidentaux interviennent12 en invoquant la

guerre humanitaire.13 Ailleurs, en Syrie, alors que Bachar El-Assad, au pouvoir

depuis 11ans,14 a utilisé et utilise encore des méthodes aux effets bien plus

dévastateurs, tel que l’utilisation d’armes chimiques contre la population civile,15

le Conseil de Sécurité n’a pris que des sanctions économiques.16

Alors, trois poids, trois mesures ? Pourtant, ces trois cas récents se

ressemblent furieusement. Ce sont des révoltes populaires, menées contre des

régimes autoritaires ayant aboli un certain nombres de libertés politiques par

l’instaurations de l’état d’urgence en place depuis de très nombreuses années,

dans un contexte de perte de pouvoir d’achat, d’augmentation du chômage dû à                                                                                                                9 Rapport HWR sur l’Egypte pour l’année 2011 : http://www.hrw.org/world-report-2012/world-report-2012-egypt consulté le 09.07.14 10 Agenda du CS 2011 : http://www.un.org/depts/dhl/resguide/scact2011_en.shtml consulté le 09.07.14 11 Rapport HRW du 19 février 2011: http://www.hrw.org/news/2011/02/18/libya-security-forces-kill-84-over-three-days consulté le 09.07.14 12 S/RES/1973 (2011) point 4 (protection de la population civile) 13 Ariel Colonomos, Le pari de la guerre hégélienne, in Le Monde, 21.04.2011. Consulté le 24.06.2014 :http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/21/le-pari-de-la-guerre-hegelienne_1510543_3232.html?xtmc=lybie&xtcr=27 14 40ans si on compte avec le régime d’Hafez el-Assad, son père 15 Rapport HRW du 13 mai 2014 : http://www.hrw.org/news/2014/05/13/syria-strong-evidence-government-used-chemicals-weapon, consulté le 09.07.14 16 S/RES/2139 (2014), S/RES/2118 (2013)

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 4  

une population croissante et des pertes de valeurs dans les communautés

traditionnelles arabes au profit de l’individualisme.17 Au niveau international, ces

trois cas interviennent dans un monde multipolaire et multicivilisationnel,18 ou le

droit comme vecteur des valeurs européennes se délie, et laisse place à une

montée en puissance de la globalisation au niveau économique, mais aussi à

des valeurs politiques globalisées, telle que la démocratie.19 Comment expliquer

dès lors que des cas si semblables donnent des réponses si différentes ? La

réponse est à chercher dans la place que tient le concept de terrorisme d’État en

droit international.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un dernier mot sur cette pensée de

Blaise Pascale : les tensions entre la justice et la force prennent une cruelle

réalité en droit international. Elle révèle les manquements du droit international

pour la justice globale. Un pur raisonnement abstrait, un simple bon sens

atteignable par tout un chacun est suffisant pour se rendre compte qu’un État qui

terrorise une population, ce n’est pas normal. L’État, c’est avant tout

l’achèvement d’un contrat social d’une population, un être supérieur qui permet à

tout un chacun de vivre ensemble sans empiéter sur les libertés individuelles. En

se rattachant à une certaine frange des théoriciens du contrat social, il semble

contre-nature de voir l’État se retourner contre cette population qui lui procure

son pouvoir pour la terroriser.20 En de telle circonstance, le contrat social est

rompu et chaque individu reprend son pouvoir individuel, et avec, sa capacité à

utiliser la violence. L’origine du pouvoir de l’État est alors illégitime. La force sans

                                                                                                               17 R. Labévière, Printemps, été et automne arabe, révolution et contre-révolutions post-globales, in Revue Internationale stratégique, 2011, Vol.3, N°83, p.75 18 S. Huntington, The Clash of Civilisation ? in Foreign Affairs vol.72 n°3, 1993, p.45-49 19 J.B.de Macedo, L.B. Pereira, J.O. Martins, J.T. Jalles, Globalization, Demaocraty and Developpement, NBER Working Paper N°19575, 2013, p.18 20 Justifiant dès lors le droit de résistance et le tyrannicide. Voir en particulier J. Locke, Deux Traités du Gouvernement, 1997, J. Vrin, Collection librairie philosophique, Paris, chap. 18, par. 209, ainsi que E. de Vattel, Le droit des Gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, 1983, Slatkine Reprint, Henri Dunant Institute, Genève, Tome 1, Livre 1, chap. IV, par. 51

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 5  

la justice devient alors tyrannie, et la justice ne peut s’imposer, manque de force.

Si l’idée de justice sociale peut être atteinte assez facilement par le simple

raisonnement de la pensée, son avènement dans la société n’est possible que

par la force. Or, nous manquons de structures pour établir l’avènement d’une

telle justice en droit international .21 Mais un État ne se retourne pas forcement

contre sa propre population. Dans un monde caractérisé par l’identité culturelle

des populations, un État peut aussi chercher à terroriser d’autres populations

pour installer son pouvoir, ses valeurs morales ou sa culture. Or, ce serait

contraire à l’idée de démocratie que de faire prévaloir la force dans les questions

morales.

2. Thèse

L’auteur tient à montrer par ce mémoire que le concept de terrorisme

d’État n’a pas sa place dans le système du droit international. En bref, le

terrorisme d’État est un concept trop grand pour être utile en droit international

public. Au lieu de simplifier une réalité, il floute les contours de problèmes déjà

existants et déjà soulevés en droit international par la communauté

internationale. En clair, le terrorisme d’État est un concept extrêmement politique

qui peine à trouver une place dans l’ordre juridique international. La

décomposition du concept de terrorisme d’État permet de mettre en valeur

d’autres éléments de droit qui contiennent déjà certains éléments de crimes

politiques, mais qui sont soit plus spécifiques, tel que les violations graves aux

conventions de Genève, soit plus généraux, tel que les crimes contre l’humanité,

et donc plus adapté à la nature mouvante du droit international. Pour cette

raison, créer une catégorie spécifique de crime d’États qui regrouperait les

crimes politiques serait peu adapté. Même s’il ne peut rentrer dans le système,

l’analyse du concept de terrorisme d’État est intéressante car elle permet de voir

                                                                                                               21 Sur les liens entre la justice globale et la souveraineté, voir en partiuclier T. Nagel, The problem of global justice, in Philosphy and Public Affairs 33, vol.2, 2005, pp.145-146

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 6  

la cristallisation des conflits entre système et processus du droit international. On

voit émerger la tension entre une certaines volonté grandissante de protéger les

droits de l'Homme dits absolus,22 tel que l’interdiction de la torture ou le droit à la

vie - consacrés d'une certaine manière par la responsabilité de protéger ou les

interventions à buts humanitaires - et des concepts de droit international public

bien établis, tels que le principe de non-ingérence dans les affaires internes d'un

État, ou encore de l'égalité souveraine des États. Cet écart crée une

augmentation du différentiel entre les discours droits-de-l’hommiste et la

continuation de politiques réalistes. 23 Nous verrons en conclusion qu’une

définition négative du terrorisme d’État uniquement pour les actes de terrorisme

d’État pur, soit ceux se situant sur un État contre sa propre population et utilisant

des moyens qui lui sont directement imputables tout en restant sous le seuil du

CANI, et impliquant de graves violations au droits humains pourrait être

envisagé. Cependant, un tel concept marquerait un pas de plus vers une forme

de cosmopolitanisme. En cela, le terrorisme d’État est un défi pour l’état de droit

en droit international public, car il montre les crispations entre deux modèles de

souveraineté, et les efforts pour arriver à une justice globale.

3. Définition

Le terrorisme d'État se caractérise d'abord par une absence de définition

au niveau international. Comment accepter que l'État, qui a le monopole de la

violence légale, établisse la terreur en violation du droit, de manière illégitime, au

                                                                                                               22 TPIY, Procureur c. Furundjiza (10 décembre 1998, affaire n°TI-95-17/1-T (1999) 38 International Legal Material 317), par. 144 23 Voir par exemple le discours de Vladimir Poutine sur l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014 : « Nous sommes réunis ici aujourd’hui au sujet d’une question qui est d’une importance vitale, d’une portée historique pour nous tous. Un référendum a été organisé en Crimée le 16 mars, dans le plein respect des procédures et des normes démocratiques internationales en vigueur. Plus de 82% de l’électorat a pris part au vote. Plus de 96% d’entre eux se sont prononcés en faveur de la réunification avec la Russie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. ». Discours retranscris en anglais sur http://eng.kremlin.ru/news/6889 Consulté le 09.07.14 Pour une chronologie de la crise entre l’Ukraine et la Russie, voir : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275, consulté le 09.07.14

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 7  

sein de la population et à des fins politiques? Le projet de convention générale

des Nations-Unies sur le terrorisme, qui cherche à aboutir à une notion intégrale

du terrorisme, est entré au stade d'inertie dû à l'incapacité des négociateurs de

trouver un point d'entente, entre autre, sur la notion de terrorisme d'État. Comme

nous le verrons dans le chapitre V, la définition de terrorisme fournie par le projet

de convention générale24 est beaucoup trop imprécise. En l’absence de toute

définition consensuelle, nous préférons pour la présentation de ce mémoire cette

autre définition du terrorisme d’État, inspirée d’une résolution de l’AG sur les

mesures pour l’élimination du terrorisme25 formulée ainsi : les actes directement

ou indirectement imputable à un État, qui, a des fins politiques, sont conçus ou

calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personne ou chez

des particuliers. Comme nous le verrons, cette proposition de définition prête à

des confusions de genre. Mais convaincu que les définitions les plus simples

sont souvent les meilleures, et en l’absence de définition plus restrictive, nous

nous contenterons de celle-ci pour le présent mémoire.

La notion d’état de droit en droit international requiert cinq éléments : 1) la

norme selon laquelle personne n’est au dessus ni en dehors du droit, 2) le

respect des procédures et modes décisionnels démocratiques, 3) des formes de

restrictions légales au pouvoir exécutif (ici, le CS), 4) une forme de constitution,

et 5) l’idée que le monde n’est pas irrémédiablement injuste.26

4. Limites

Le thème du terrorisme d’État est immense. Il couvre de larges problèmes

de droit international public, certains nécessitant l’écriture de livres entier sur ce                                                                                                                24 Art.2 Projet de convention générale, 16ème session 25 A/RES/49/60, Annexe I.3 : « Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier; » 26 Sur les cinq critères, voir Crawford, Chance, Order, Change, 2013, RCADI N° 325, p.253, ainsi que S/2004/616 (rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit), par.6

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 8  

seul problème. Pour des raisons de tailles, certains thèmes ne seront pas du tout

abordés. Nous préférons soulever les questions d’ordre général, sans soucis

d’exhaustivité. Pour cette raison, ce mémoire peut parfois sembler un peu

« léger » dans l’analyse, car il manque d’espace pour développer la force de son

argumentaire. Par exemple, les questions du financement ou de support du

terrorisme et la responsabilité conséquente à ces actions seront laissées de côté

pour des raisons de simplification. Il ne sera pas non plus fait mention d’acte de

terrorisme « privés » sans lien de rattachement effectif avec l’État. A l’autre

extrême du sujet, la question de l’actio popularis, de l’immunité de l’État ou

d’agent de l’État sera également laissée de côté, sauf dans la mesure où elle

nous permet de mieux comprendre l’évolution de la notion de terrorisme d’État

dans la justice transitionnelle et dans notre idée de tension entre modèles de

souverainetés. Mais cette légèreté est un choix, puisque nous avons préféré

nous en tenir à un argumentaire cohérent. Toutefois, chacune des questions

soulevées ici sera traitée plus en profondeur sur demande, et en particulier lors

de la soutenance de ce mémoire Enfin, chaque cas de terrorisme d’État est

unique, particulier, et nous nous refusons à réduire ce mémoire à une simple

énumération de cas. Aussi, plutôt que d’observer chaque cas de terrorisme

d’État, et de s’enfoncer dans un particularisme plus que malheureux, ce mémoire

a l’ambition d’expliquer par une théorie générale la place du concept du

terrorisme d’État dans le système de droit en droit international. De cette théorie

générale pourra être observé la somme des comportements particuliers. Un

concept théorique, mis à l’épreuve de la pratique et soumis au jugement de

l’histoire.

5. Approches

Cette approche déductive du concept s’explique avant tout par sa

complexité. Il n’y a pas d’angle simple lorsque l’on parle de crime politique. Ce

sujet aborde à la fois des questions juridiques sur l’état de droit en droit

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 9  

international, politiques par la forme de la souveraineté, sociétales car les crimes

d’État déchirent le tissus social27 et philosophiques par ses implications sur la

nature humaine. 28 Pour réduire ces questions, nous avons cherché à

comprendre la place du terrorisme d’État dans l’ordre juridique internationale

aujourd’hui, et ce faisant, à exclure toute vision prophétique de la place qu’aurait

ce concept dans le processus du droit international pour des raisons morales.

Comme nous l’avons vu plus haut,29 il semble moralement juste de punir les

crimes politiques, car la source de la violence est illégitime. Mais si la quête d’un

idéal moral est compréhensible, elle ne peut en aucun cas se fonder logiquement

sur une série d’assertions factuelles. Comme l’a écrit David Hume, La moralité

excite nos passions, elle est un moteur pour nos actions ou nos retenues, mais

elle ne peut en rien être déduite logiquement des faits.30 Pour cette raison, nous

avons estimé qu’il était nécessaire de nous en garder à l’analyse des faits purs,

et d’éviter de tomber dans ce piège dans lequel sont tombé tant d’auteurs

écrivant sur les crimes d’États. Nous ne pouvons en rien inférer sur l’avenir du

concept de crime d’État, et encore moins parler de ce qui devrait être fait. Notre

approche tiendra du positivisme juridique et du libéralisme international,

positivisme juridique pour lesquelles certaines précisions seront faites au chapitre

suivant, et souveraineté libérale comme nous le verrons au chapitre 3. Cette

approche libérale et positiviste est une critique à une vision particulièrement

idéaliste31 ou abusivement créative32 que l’on retrouve chez certains auteurs.

Dans leurs quêtes de publications académiques et de recherches pour le meilleur

argument logique, nous avons l’impression qu’ils oublient de prendre du recul sur

                                                                                                               27 P. Dumouchel, Le terrorisme entre guerre et crime ou de l’empire, in S.Courtois (dir.), Enjeux Philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, 2003, les presses de l’Université de Laval, Laval, pp.33-35 28 P. Dummouchel, idem. 29 supra p.3 30 D. Hume, A Treatise on human nature : a critical edition, (D.F. Norton, éd.), 2007, OUP, Oxford book 3, part 1 section 1, par. 3-6 31 Voir en particulier les projets du State Crime Initiative. Consulté le 26.06.14, http://statecrime.org/ 32 L. Westra, Faces of State Terrorism, 2012, Brill, Leiden-Boston

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 10  

leurs affirmations et perdent ainsi toute crédibilité. Comme nous l’avons déjà

pointé du doigt, ce n’est pas parce que quelque chose est moralement juste qu’il

fait pour autant parti de ce qui est existant. Un doit est distinct de ce qui est.

Cette mince distinction du réalisme logique s’évanouit dans les normes de droits

de l’homme à caractère péremptoire, où une sorte de confusion magique avec le

jus cogens semble s’opérer, non seulement au niveau de la conscience collective

de l’humanité, mais aussi au niveau juridique.33

6. Historique de ce mémoire

Ce mémoire, rendu six mois plus tôt, aurait eu un angle d’approche très

différent de celui d’aujourd’hui. Il avait un peu cette vision très hégélienne, très

idéale, et quelque part très théorique, d’une fin de l’histoire possible en droit

international. Une vraie libération politique ! L’homme libre de la tyrannie,

responsable de son destin, conscient de la plénitude de sa liberté politique.34

Une révolution française au niveau mondial, dont l’aboutissement aurait été la

reconnaissance, enfin, de l’humanité dans son ensemble et des droits

inaliénables qui lui sont attachés. Mais cette vision lyrique du droit, exaltante,

s’est heurtée de plein fouet à l’actualité.

Le 22 février 2014, le mouvement Euromaïdan s’est emparé du pouvoir en

Ukraine, chassant le président élu Ianoukovitch. Même si cet événement de

trouble politique n’a pas atteint, à notre avis, le seuil35 de la terreur,36 la crise

politique qui a suivi avec la Russie a été une belle claque pour les idéaux que ce

                                                                                                               33 A. Bianchi, Human Right and the magic of jus cogens, 2008, EIJIL vol.19 n°3, pp.494-495 34 A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel : leçons sur les phénoménologies de l’esprit, (R. Queneau publ.), 1979, Gallimard, Paris p.34-35 35 Voir Infra, chap. IV. 3. A 36 A noter que bien que l’Ukraine ne soit pas un État-parti à la CPI, le nouveau gouvernement ukrainien a déposé en vertu de l’art. 12. Par. 3 du Statut de Rome une déclaration de reconnaissance à la CPI pour de potentiels crimes commis pendant les troubles d’Euromaïdan (21.11.13-22.02.14). Documents disponibles sous http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/structure%20of%20the%20court/office%20of%20the%20prosecutor/comm%20and%20ref/pe-ongoing/ukraine/Pages/ukraine.aspx consulté le 09.07.14

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 11  

mémoire véhiculait. Une semaine après la prise de Kiev par Euromaïdan, les

forces pro-russes contrôlaient Sébastopol, et s’apprêtait à mettre en place dans

l’urgence un référendum « démocratique ». Cependant, un référendum organisé

dans l’urgence ne peut pas garantir le libre choix des individus. Sous pression de

l’actualité et sans recul, le droit à la liberté de pensée et de conscience ne peut

pas être garanti, et cette condition est nécessaire pour affirmer le caractère

démocratique d’un référendum. Le 1er mars, le parlement russe approuvait la

requête de Vladimir Poutine d’envoyer des troupes en Ukraine, qualifiées de

troupes de « légitime défense».37 Le 18 mars, soit le lendemain des résultats du

référendum pro-russe organisé par le parlement de Sébastopol, Vladimir Poutine

a accepté d’annexer la Crimée à la Fédération de Russie dans un long discours.

Les termes utilisés dans ce discours sont particulièrement révélateurs : Poutine y

fait mention de « normes démocratiques internationales », de «droit à la

manifestation pacifique, à des procédures démocratiques et à des élections

pacifiques (en parlant d’Euromaïdan)», ou encore de « droit des nations à

l’autodétermination ».38

L’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, et le discours de

Vladimir Poutine du 18 mars sont révélateurs de deux choses. Premièrement, les

révolutions populaires provoquent des instabilités politiques. Tout amateur de

realpolitik aurait tort de se priver de cette occasion en or pour arranger ses

intérêts. C’est particulièrement vrai lorsque la poursuite de ces intérêts est

difficilement sanctionnable au niveau onusien,39 parce que le Conseil de Sécurité

est bloqué.40 La Russie faisant partie des cinq Puissances ayant le droit de veto,

                                                                                                               37 Chronologie de la crise entre l’Ukraine et la Russie : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-26248275, consulté le 09.07.14 38 Discours retranscris en anglais : http://eng.kremlin.ru/news/6889, consulté le 09.07.14 39 Des sanctions individuelles ont été prises par plusieurs pays, notamment les États-Unis (White House Executive Orders 13660 (6.03.2014), 13661 (17.03.2014) 13662 (20.03.2014)) et l’UE (EU Council regulation 269/2014, 17.03.2014). La Russie n’est pas membre de la CPI. Toutefois, nous estimons qu’il est trop tôt pour exprimer une opinion définitive. 40 L’Assemblée Générale ne pouvant faire usage de sa compétence subsidiaire, la question de l’Ukraine étant encore à l’ordre du jour du CS (voir S/PV.7205, 24.06.14).

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 12  

elle n’a que peu de raison de se voir inquiétée par des qualifications telles que

« crime d’agression » ou « annexion du territoire ». Deuxièmement, les droits de

l’homme sont de puissants instruments de légitimation des politiques étrangères.

Le langage du droit des droits de l’homme n’est pas à l’écart de tout cynisme, et

le contenu des normes de droits de l’homme peut être appliqué avec une

circonspection qui tient beaucoup à la spécificité culturelle.

Gardant ces deux leçons russes en tête, ce mémoire a été profondément

modifié. D’une thèse de départ très favorable aux développements de la justice

transitionnelle, nous sommes passés à un mémoire très sceptique quant à

l’effectivité de telles mesures. C’est en fin de compte, une forme de contre-

argument au premier mémoire qui n’a pas été rendu. Mais si nous nous

rapprochons peut être plus aujourd’hui de l’apologie que de l’utopie, c’est

uniquement pour mieux appréhender la voie de l’intégrité humaine.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 13  

L’Homme souhaite la Concorde : mais la

Nature, qui sait mieux ce qui est bon pour son

espèce, souhaite la Discorde.

Emmanuel Kant41

II. Précisions méthodologiques

1. Position de l’auteur

Il existe deux grandes forces dans l’univers. Les forces internes, qui

poussent à l’action et permettent une certaine stabilité dans le système, et les

forces externes, qui poussent au changement. Cette loi physique, universelle, à

la fois centripète et centrifuge, est reconnaissable partout. De manière

cosmogonique, les planètes tournent autour d’un axe qui leurs est propre. Dans

le même temps, un astre, un soleil, une force de gravité les entrainent

perpétuellement à se mouvoir autour de leurs orbites. Chaque période de ce

mouvement des planètes est appelé une révolution.

Prenons une pièce d’appartement maintenant. Lorsqu’on ouvre les fenêtres et les

portes et qu’il n’y a pas de vent, les fenêtres et la porte restent ouverts. Mais de

la même manière, l’air dans la pièce reste statique, il ne se renouvelle pas. Les

différentes particules de gaz ne bougent que très peu de leur environnement,

certaines rentrant, d’autres s’échappant peut être mais sous de faibles pressions.

A l’inverse, quand le vent souffle, soit la porte, soit la fenêtre se ferme sous la

poussée du vent effectuée contre la surface verticale. Cet effet peut être

augmenté par une large surface de la porte ou de la fenêtre et sa verticalité, ainsi

que par la puissance du vent. Un système reste stable de par ses forces internes

                                                                                                               41 E. Kant, idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, in opuscules sur l’histoire, (S. Piobetta trad.), 1990, Flammarion, Paris, 4ème proposition

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 14  

qui le pousse à se perpétuer, et change par la pression des mouvements

externes.

Cette entrée en matière plutôt physique, va nous permettre d’introduire

une métaphore utile. Imaginons le droit international comme un moteur, capable

de se supporter par lui même grâce à ses pistons, ses vis, ses roues : un

système construit par l’intelligence humaine pour le progrès. Mais pour

fonctionner, il a besoin d’un apport d’énergies externe, tel que du gaz, du diesel,

ou d’autres fluides que l’on comprime pour créer une tension dans une turbine.

C’est la décomposition chimique de ces éléments, ou alors leurs compressions

qui permettra de fournir l’énergie nécessaire au moteur pour tourner. Le système

est une construction humaine qui se soutient lui-même, l’apport d’énergie est le

moyen par lequel le système progresse. Ces deux éléments contiennent à la fois

des éléments objectifs, leur mode de fonction opérationnel, et subjectifs, dans les

choix qu’ils nécessitent. Ces éléments objectifs et subjectifs ne prennent pas la

même importance dans chacun des éléments : dans le système, l’objectivisme

est plus important, dans le sens ou il y a un nombre limité de méthodes pour

construire un moteur. Dans le processus, le subjectivisme est plus grand parce

qu’il y a un nombre illimité d’apport possible d’énergie. Processus et système

sont interdépendants. Selon le type d’apport d’énergie choisi, le moteur aura une

forme finale différente, et tous les types de moteurs n’ont pas été développés

pour tous les types d’énergies. Cette métaphore a évidemment ses limites, le

droit international ayant une nature mixte et non technique comme les sciences

dures, mais elle permet, nous l’espérons, de mieux comprendre la distinction que

nous effectuons entre processus et système en droit international.

2. Sur le positivisme juridique en droit international

L’établissement d’une théorie laisse forcement planer la question de la

vérification de celle-ci. Or, résoudre cette question en empirisme juridique relève

de la gageure. Comment apporter une preuve logique, objective, fiable et

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 15  

démontrable quand l’objet d’étude n’est pas un objet simple, mais un objet mixte,

tirant ses lois à la fois du système international, des liens conflictuels que le droit

entretient avec la moralité, et de l’imprévisibilité des relations humaines ? Même

si la position de l’auteur relève du positivisme juridique, certaines considérations

propres au droit international sont à soulever ici.

Les droits des droits de l’homme ont historiquement toujours reposés sur

le droit naturel. La déclaration d’indépendance américaine se réfère directement

aux lois de la nature pour proclamer que tous les hommes sont égaux et qu’ils

possèdent un certain nombre de droits inaliénables.42 La déclaration des droits

de l’Homme et du citoyen de 1789 énonce à son article 2 quatre droits naturels et

imprescriptibles du citoyen.43 Même si le texte de la déclaration précise que ces

droits ne sont pas attribués par l’Assemblée Nationale mais préexistant à toute

déclaration, cet instrument politique intègre des droits naturels dans le droit

positif national.44 De la même manière en droit international public, Grotius,

Pufendorf et Vattel, les grands théoriciens du droit des gens, se fondaient tous

sur le droit naturel pour expliquer les relations de droits entre nations.45 Pufendorf

nie même explicitement l’existence d’un droit positif en droit international. Pour

lui, l’accord entre État ne peut être assimilé à un fait volontaire émanant d’un

législateur souverain.46 Mais cette conception du droit international comme un

droit uniquement naturel, et donc « moral » ou « présumé » est à remettre dans

le contexte de l’époque. La notion de droit positif était alors conçue comme tout

le droit créé par des modes de créations formels et préétablis, reflétant

nécessairement un acte de volonté.47 Mais cette définition très restrictive de droit

                                                                                                               42 Préambule de la déclaration d’indépendance américaine, 4 juillet 1776, §1-2 43 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Art.2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. » 44 F. Castberg, La philosophie du droit, 1970, Pedone, Paris, p. 98 45 F. Castberg, op.cit., p.113 46 S. Pufendorf, De jure naturae et gentium, 1688, Amsterdam, Livre II, Chapitre III, §23. A noter que cet avis n’est pas partagé par Vattel et Grotius qui voient dans le droit des gens la même distinction entre droit positif et droit naturel que dans le droit national. Voir. R. Ago, droit positif et droit international, in AFDI vol.3, 1957, p.17 47 R. Ago, op.cit., p.16

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 16  

positif en droit international s’est étendue avec le temps. Aujourd’hui, admettre le

droit international comme un droit uniquement naturel reviendrait à nier la

normativité du droit international.

L’évolution du droit positif a fait un bond en avant au début du XXème

siècle. Cette période était marquée par une quête sans pareil de la connaissance

objective, influencée par le courant du positivisme logique né dans les

mathématiques par Frege, puis par Russell et Whitehead avec la parution du

Principa Mathematica. Cette quête de la connaissance purement logique et

objective s’est ensuite étendue aux sciences en générale avec la montée en

puissance du Cercle de Vienne dans les années 1920, pour finir enfin par le rejet

d’une logique scientifique appliquée au monde dans son ensemble par

Wittgenstein dans son Tractacus.48 La quête de la preuve en logique se fondait

sur la déduction logique.49 Elle se fonde sur des propositions simples, qui

reflètent une image du monde telle que nous nous le figurons.50 La formulation

logique de cette proposition va plus loin que sa forme logique apparente,51 mais

elle est dans le même temps réductible à un axiome, cet axiome portant en lui-

même la preuve tautologique de sa propre vérité.52 Chez Wittgenstein, cette

quête (et ce rejet) se basait sur le langage comme reflet du monde.53 Ce

contexte de quête logique est à ne pas négliger quand on aborde l’évolution du

droit positif au XXème siècle.

Avec Kelsen, une norme est considérée comme positive dès le moment où

elle émane d’une source formelle du droit, la Grundnorm, un acte perceptible

dans le temps et dans l’espace, qui valide les normes de droit mais dont la

propre validité est indémontrable.54 Cette méthode scientifique en droit a été

                                                                                                               48 L. Wittgenstein, Tractacus loico-philosophicus, 6.53 49 L. Wittgenstein, op. cit., 6.126-6.13 50 L.Wittgenstein, op. cit., 4.01 51 B. Russel, Méthode scientifique en philosophie, 1929, J. Vrin, Paris, pp.163-165 52 M. Black, A Companion to Wittgenstein’s « Tractacus », 1971, Cambridge University Press, Cambridge, p.337 53 L. Wittgenstein, op.cit., 54 H. Kelsen, Théorie pure du droit, p.33 ss. Pour l’impossibilité de démontrer la validité de la grundnorm, se référer au trilemme d’Agrippa sur l’impossibilité de la connaissance.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 17  

poussée à l’extrême par les réalistes scandinaves. Chez Ross, la distinction

fait/valeur est centrale à sa philosophie du droit.55 Mais cette distinction a été a

juste titre fortement critiquée en droit national. Hart développe dans son Concept

of Law, une distinction fondamentale entre normes primaires et secondaires,

développée d’abord dans le droit national, puis étendue au droit international

avec un certain nombre de doutes quant à la possibilité de qualifier le droit

international de système juridique, en particulier dues à l’absence de norme

secondaire de reconnaissance, qui permet d’identifier les normes primaires56 Si

l’analogie entre le système de droit national et de droit international est possible

dans certain domaine, tel que l’a montré H. Lauterpracht dans son livre Private

Law Source and Analogy of International Law, l’analogie ne peut pas être

poussée trop loin. Le droit international doit traiter avec des problèmes

spécifiques à son domaine. L’absence de hiérarchie entre les sources du droit

international définie à l’art.38 (1) StCIJ – à savoir les conventions internationales,

la coutume internationale, les principes généraux de droit, et les décisions

judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés – est l’un des problèmes

pour lequel aucune analogie avec le droit national n’est possible. Nous tenons

toutes ces sources du droit international comme du droit positif, même si cette

affirmation a été contestée par certains auteurs. Charles de Visscher, par

exemple, tenait les principes généraux du droit comme la reconnaissance de

l’insuffisance du droit international positif.57 Nous nous permettons cependant de

garder cette question ouverte. Toutefois, nous tenons à préciser que les sources

de l’art. 38 (1) StCIJ ne sont pas constitutives, mais bien déclaratoires. 58 Cet

article n’est pas une liste exhaustive des sources du droit, elle n’exclut pas

l’interprétation d’autre sources, telles que les résolutions des organisations

                                                                                                               55 E. Millard, Positivisme logique et réalisme juridique, p.181, in Analisi e Dirrito 2008, Jean-Yves Chérot et Eric Millard (éds.), 2009. 56 H.L.Hart, the concept of law, 3rd editions, Clarendon Law Series, OUP, 2012, pp.214-216 57 Cité dans F. Castberg, op.cit., p.115 58 G. Abi-Saab, Cours général de droit international public, 1987, RCADI 207 (VII), p.191

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 18  

internationales, 59 ou encore les actes unilatéraux volitifs et non-volitifs des

États.60

3. Processus subjectif, système objectif

Si nous nous permettons ces remarques sur les sources du droit

international, c’est pour mettre l’accent sur l’idée qu’un objectivisme total sur le

système du droit en droit international est infondé. Les arguments en droit

international sont à l’extrême un débat sur le manque de concret du droit et sur

son manque de normativité 61 Mais dans la même mesure, admettre un

subjectivisme total du droit international reviendrait à nier totalement la

normativité du droit international en le rendant erratique. Sans structure, il est

difficile de porter un point de vue sur un objet.62 Ici se trouve l’origine de notre

distinction entre processus et système. Il nous semble nécessaire de développer

une méthodologie juridique qui permette de distinguer plus clairement le

processus subjectif du droit international de son système objectif. Autrement dit, il

faut faire une distinction entre ce qui tient du système et qui n’admet pas de

jugement de valeur autre que celui qui est admis au sein de la communauté

internationale, et ce qui tient du processus et qui admet des considérations de

particularismes locales. Mais il est bon de se rappeler ici de la mise en garde de

Charles De Visscher : une méthode techniquement logique ne peut s’affranchir

totalement du particularisme du contenu social des normes internationales, au

risque de déformer la réalité qu’elle prétend simplifier.63

Cette distinction faite entre processus et système part d’une constatation

de confusion chez de nombreux auteurs abordant la question des crimes d’États

et de la justice transitionnelle. Le terme de processus est entendu comme la                                                                                                                59 Par exemple de l’AG, telle que A/RES/2625, CIJ, Activités armées sur le Territoire du Congo, RDC –Ouganda, 19 décembre 2005, par. 162 60 Telle que les déclarations émanant des organes de l’État. Voir par exemple CIJ, Affaire des Essais nucléaires, jugement du 20 décembre 1974, §37-41 61 M. Koskienniemi, From Apology to Utopia, pp.458-459 62 G. Abi-Saab, op.cit., pp.39-40 63 C. De Visscher, Méthode et Système en Droit International, RCADI, 1973 (I), p.76

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 19  

perception du droit international comme un système autoritaire décisionnel

disponible pour tous les preneurs de décisions dans un système décentralisé.64

Si la définition de Dame Rosalyn Higgins du processus du droit international nous

est fortement utile, nous ne pouvons conclure avec elle que le droit international

ne peut être conçu que comme un processus OU que comme un système, à

l’exclusion l’un de l’autre. 65 Le droit international est un processus ET un

système, mutuellement dépendant l’un de l’autre et avançant ensemble dans une

relation de revendications et contre-revendications. 66 Le processus du droit

international inclut nécessairement une forme de subjectivisme et d’implication

de valeurs de par la position de l’État qui observe le système normatif.

Typiquement, la formation de l’opinio juris d’un État est une manifestation du

subjectivisme dans le processus du droit. L’établissement d’une coutume en droit

international nécessite les deux éléments : la constante répétition d’une manière

donnée d’agir dans des circonstances données et la conviction d’observer une

norme juridique donnée.67 Cette conviction profonde d’être en face d’une règle

de droit ne peut en aucun cas être déduite du nombre de fois où la règle a été

observée.68

A l’inverse, une systématisation et une objectivisation de certaines normes

sont possibles. Cette distinction de systématisation ne peut pas être

nécessairement effectuée pour toutes les normes, mais il peut clairement l’être

pour les normes pour lesquelles un jugement de valeurs suffisamment

consensuel existe. Un tel consensus peut être admis lorsqu’une jurisprudence

faiblement contestée tranche une question de droit depuis longtemps. Un

exemple peut être donné ici, emprunté au droit fluvial : Dans l’Acte du Congrès

                                                                                                               64 R. Higgins, Problems and process : International Law and how we use it, 1994, Clarendon Press, OUP, Oxford, p.2 65 R. Higgins, op.cit., p. vi 66 J. Crawford, Chance, Order, Change, General Course of Public International Law 2013, in Recueil de Cours de l’Académie de Droit International, Vol. 325, La Haye, p.22 67 CPIJ, Affaire du Lotus, série A, N°10, p.28 68 CIJ, Plateau continental de la mer du nord, opinion dissidente du juge Tanaka, pp.44-45, par. 77-78

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 20  

de Viennes de 1815, l’art.109 parle d’une parfaite égalité entre tous les États sur

l’ensemble du parcours du fleuve - contre toutes velléités d’exclusion

commerciale comme c’était alors la norme. Cette idée a été largement confirmée

dans un arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationale, qui parle de

communauté d’intérêts de tous les États riverains du fleuve, créant une

communauté de droit.69 Dans l’Affaire du Projet Gabcìkovo-Nagymaros, la Cour

Internationale de Justice a rappelé ce principe de communauté de droit entre

États riverains, et l’a renforcé70 en citant la convention sur le droit relatif à

l’utilisation des cours d’eau pour des fins autres que la navigation.71 Dès lors, peu

de doutes sont permis quant au fait qu’une communauté d’intérêt existe entre

États riverains, et que cette communauté d’intérêts donne naissance à une

communauté de droit. Cette norme fait partie, de manière objective, du droit

international.

Ces deux exemples sont des cas extrêmes, et la majorité du droit se

trouve quelque part au croisement entre processus et système. Si cette

distinction permet de mieux distinguer le droit, elle permet également de mieux

en cerner les attaques. Les critiques face à l’absence de concret dans le droit

international sont des attaques faites au processus du droit, alors que les

critiques portant sur la normativité du droit sont des critiques sur le droit comme

un système de droit. Par exemple, la question de l’universalité du droit

international est une problématique qui touche le processus, parce qu’elle est le

résultat d’une multitude d’adaptations subjectives de la part des États aux

événements de l’histoire et la reconnaissance du droit international comme étant

liant.72 Elle a des implications dans le système du droit, car l’universalité du droit

international dans un monde ou le nombre de pays a augmenté, et ou en

                                                                                                               69 CPJI, Affaire relative à la juridiction territoriale de la Commission de l’Oder, arrêt n°23, p. 27 70 CIJ, Affaire du projet Gabcikovo-Nagymaros, arrêt du 25 septembre 1997, par. 85 71 Convention des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Adopté le 21 mai 1997 (A/RES/51/229), art. 8 sur la communauté de droit entre États riverains. 72 J. Crawford,Chance, Order, Change, pp.238-239

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 21  

conséquence les perspectives communes sont plus difficiles, a mené à la

fragmentation du droit international. Comme l’écrit Koskenniemi, la culture du

formalisme mène au choix entre le Scylla de l’Empire, ou le Charybde de la

fragmentation.73

                                                                                                               73 M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations : The Rise and Fall of International Law 1870-1960, Hersch Lauterpacht Memorial Lecture, Cambridge University Press, 2004, p.504

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 22  

La souveraineté, dans les relat ions entre

États, signif ie l ’ indépendance.

Max Huber74

III. Deux modèles de souverainetés l ibérales

L’idée derrière ce court chapitre est de présenter les deux modèles de

souverainetés entre lesquels une tension existe en droit international. Cette

tension, bien qu’étant une constante dans les relations internationales, est

exacerbée par notre époque. Après la décennie des années 1990 qui a vu croître

de nombreux développements favorables au droit des droits de l’Homme, les

années 2000 ont vu apparaître un brutal retour de la défense de la souveraineté

nationale, en dépit des droits humains. Cette crispation est particulièrement

visible dans les actions de contre-terrorisme. La surveillance accrue des citoyens

en dépit du respect dû à la sphère privée,75 le gel d’avoir financiers en dépit du

respect de certaines procédures légales,76 ou encore l’utilisation de drones pour

l’assassinat de citoyens américains en dehors du territoire américain en dépit du

droit à un jugement équitables77 sont autant de mises en balance entre l’intérêt

national et la liberté individuelle. Ces actions atteignent un tel niveau et une telle

fréquence que l’on peut légitimement se demander si certaines actions contre-

terroristes ne constituent pas en elles-mêmes des actes de terrorisme d’État.

Le libéralisme, c’est la possibilité de rechercher librement à former son

opinion, d’agir conformément à son opinion et de l’exprimer. La liberté d’opinion,

                                                                                                               74 CPA, affaire de l’île de Palmas, États-Unis contre Pays-Bas, Jugement du 4 avril 1928, p.8 75 Voir en particulier les révélations faites par Edward Snowden sur les pratiques de la NSA : http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/us-tech-giants-nsa-data, consulté le 28.08.2014 76 CJUE, Commission c. Kadi, affaire C-584/10 P, 18 juillet 2013, par. 38 77 Assassinat d’ Al Awlaki au Yémen : http://www.theguardian.com/world/2014/jun/23/us-justification-drone-killing-american-citizen-awlaki, consulté le 28.08.2014

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 23  

de conscience et de religion est à la base de la démocratie chez de nombreux

auteurs libéraux, tel que Kant,78 Mill,79 ou encore Locke80. Corollaire naturel à la

liberté d’opinion, la liberté de rechercher individuellement le développement de

ses idées de manières concrètes, par la recherche de son bien-être.81 Ces idées

sont à la base du développement des droits fondamentaux. L’individu tire ses

droits de son existence même en tant qu’Etre humain. Dans la même mesure,

l’État tire sa légitimité de sa simple existence en tant qu’État. 82 Là où la

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 proclame « Tous les

êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »,83 la Résolution

2625 proclame « Les États sont juridiquement égaux ; chaque État jouit des

droits inhérents à la souveraineté»84 !

1. Souveraineté libérale

La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l’indépendance.

Cette souveraineté a deux effets : premièrement, elle exclut l’existence d’un

super-État, et deuxièmement, elle consacre l’égalité souveraine entre les État

s.85 Ce droits à l’égalité formelle des États (art.2(1) CNU) implique une distinction

entre la sphère publique internationale, qui est du domaine de tous, et la sphère

privée nationale, qui est du domaine privé, du domaine réservé à l’État (art.2(7)

CNU).86 La résolution 2625 sur les relations amicales et la coopération entre les

États est en cela foncièrement libérale : son préambule rappelle à quel point les

idéaux des Nations Unies se fondent sur les principes d’égalité, de justice, de

                                                                                                               78 E. Kant, An answer to the question. « What is enlightement ? », Königsberg, 30th September 1784, p.2-3 79 J. S. Mill, On Liberty, 2001, Batoche Book, Kitchener, pp.18-25 80 J. Locke, A Letter on Toleration, 2010, Liberty Fund, Indianapolis, par. 5 ss 81 J. S. Mill, op.cit., p.52-55 82 M. Koskenniemi, From Apology to Utopia, p.199-200 83 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, art.1 84 A/RES/2625 (XXV), sur le principe de l’égalité souveraine entre les États point a) et b) 85 J. Combacau, S. Sur, Droit International Public, p.23 86 M. Koskenniemi, From Apology to Utopia, p.72

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 24  

respect des droits fondamentaux de l’Homme,87 mais aussi les droits et devoir

des États de vivre dans des relations amicales et en entretenant des relations de

bon voisinage. La déclaration sur le principe d’égalité souveraine entre les États

ressemble même furieusement à une déclaration du droit des droits de l’Homme.

En particulier, le point e) attire notre attention : « Chaque État a le droit de choisir

de développer son système politique, social, économique et culturel ». Cette

affirmation reprend le droit individuel à la liberté de conscience, d’opinion et de

religion au niveau dont nous parlions plus haut. Ces éléments créent une forme

de « droits fondamentaux »88 des États. Ils permettent définitivement une forme

de libéralisme au niveau international, tout en sauvegardant tous les éléments

d’une souveraineté interne, externe et exclusive.

2. Cosmopolitanisme

Le cosmopolitanisme est entendu au sens que lui ont donné David Held,

et son extension à l’idée de justice par John Rawls. 89 Il repose sur sept

principes, qui sont la dignité égale entre tous, l’agence active, la responsabilité

personnelle, le consentement, la prise de décision collective, la subsidiarité, et

l’évitement des préjudices sérieux.90 En bref, le système du cosmopolitanisme

repose sur l’agence active politique des individus, à savoir leurs possibilités de

participer activement au développement de leurs intérêts sans interférer avec les

intérêts d’autres individus.91 Par l’agence active, ils gagnent la possibilité de se

regrouper en entités décisionnelles, capable d’effectuer des actions de

redistributions des richesses.92 Dans cette approche, l’État est le garant des

droits humains, en permettant le développement des droits civils et politiques par                                                                                                                87 A/RES/2625 (XXV), Préambule consid. 3 88 M. Koskenniemi, idem 89 Bibliographie séléctive : J. Rawls, Law of Peoples, 1993, in Critical Inquiry, Autumn 1993; A. Buchanan, Justice, Legitimacy and Self-determination : moral foundations for international law, 2004, O.U. P., Oxford. Voir aussi pour une critique du fairness de T. Frank : J. Tasioulas, International Law and the Limit of Fairness, 2002, EJIL. vol. 13, en particulier pp.994 ss 90 D. Held, Law of State, Law of People, op.cit. p.24 91 Idem, pp.25-26 92 Idem, pp.23ss

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 25  

l’agence active, mais aussi dans une certaine mesure le développement des

droits sociaux, économiques et culturels, l’agence active ne pouvant pas se

développer sans un minimum vital.93 L’État serait aussi le garant d’une forme de

démocratie fédérale. Les décisions étant prises collectivement et au niveau

décisionnel le plus bas, pour permettre de coller au mieux à la volonté des

individus vivant sur le même territoire.94 Cette forme de souveraineté est aussi

une forme de souveraineté libérale, mais elle n’est pas exclusive, elle est

fédérative. Pour les questions de biens communs, telle que la protection de

l’environnement, les décisions doivent être prises au niveau décisionnel le plus

haut.95 Il permettrait aussi une forme d’égalité souveraine des États, mais mise

au service de la justice, des biens communs et des droits humains.

                                                                                                               93 Principe d’évitement des préjudices sérieux et d’amélioration des besoins urgents, Idem, pp.30 ss 94 Principe de subsidiarité, Idem, pp.28-29 95 Idem, p.45

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 26  

Est Souverain celui qui décide de la

situation d’exception.

Carl Schmitt96

IV. In Abstracto

1. Interrogations

Qu’est-ce que le terrorisme d’État ? Il suffit de demander au quidam de la

rue pour avoir des éléments de réponses à cette question. Certains vous diront

que c’est la politique que mène actuellement Israël contre la bande de Gaza. Le

premier ministre turque, Tayyip Erdogan, semble d’ailleurs particulièrement

inspiré sur ce sujet, puisqu’il a qualifié l’État d’Israël d’ « État Terroriste » au

moins trois fois ces deux dernières années.97 Certains vous citeront le cas de la

prison de Guantánamo, où de nombreux détenus désespèrent de voir un jour

leurs cas jugés. Ils se rappelleront peut-être de la déclaration de Barack Obama,

pendant sa campagne pour la présidence, ou il annonçait déjà sa volonté de

restaurer l’Habeas Corpus98 et de fermer Guantanamo.99 D’autres, peut être plus

âgés, se souviendront de l’affaire de Lockerbie, ou se demanderont si les actes

de dictateurs tels que Pinochet sont des actes de terrorisme d’État. D’autres

encore, peut être plus savant, vous demanderont si ça a un rapport avec la

période de la terreur pendant la révolution française. Ces réponses, vagues,

                                                                                                               96 C. Schmitt, Political Theology, Four Chapters on the Concept of Sovereignty, George Schwab (trans.), 2005, University of Chicago Press, Chicago, p.5 97 Ordre chronologique inversé : le 15 juillet 2014, le 4 février 2013 et le 19 novembre 2012 : http://www.hurriyetdailynews.com/israels-mentality-no-different-from-hitlers-turkish-pm-erdogan.aspx?pageID=238&nID=69145&NewsCatID=338; http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2013/02/20132317737493423.html; http://www.reuters.com/article/2012/11/19/us-palestinians-israel-turkey-idUSBRE8AI0FH20121119 consultés le 15.07.2014 98 Voir procédures minimales pour un procès équitable garanties par les Code américain de justice militaire UCMJ 10U.S.C.§801 et par l’art. 3 commun CG, US Suprem Court, Hamdan vs Rumsfeld, en particulier pp.70-72 99 Report du discours d’Obama du 24 juin 2007 : http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/06/24/AR2007062401046.html consulté le 10.06.2014

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 27  

imprécises, diverses, que le public nous a offert, reflètent assez bien les

interrogations que nous pouvons nous faire sur la nature du terrorisme d’État.

2. Proposition de définition

L’intérêt de ce chapitre est de voir jusqu’où le concept de terrorisme d’État

peut être étendu en dehors des compromis nécessaires dans les négociations

internationales. Il permettra ainsi de juger de la taille potentielle du concept et du

droit applicable. Comme vu dans l’introduction, nous proposons de définir le

terrorisme d’État comme suit :

Les actes directement ou indirectement imputables à un État, qui, a des

fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public,

un groupe de personne ou chez des particuliers.

Cette définition, inspirée de manière large de la résolution 49/60100 de

l’Assemblée Générale, nous laisse le champ libre pour expliquer longuement

l’articulation du terrorisme d’État, les attaques frontales que pose sa définition

pour la souveraineté libérale et les questions cruciales qu’elles soulèvent en droit

international. Nous avons choisi de développer notre définition sur la base de la

déclaration car c’est la seule qui mette suffisamment en lumière les éléments

caractéristiques du terrorisme, même si l’ordre des mots semble mauvais. Deux

idées sont centrales dans le concept de terrorisme : la terreur qui donne son nom

au terrorisme, et l’élément politique ou idéologique du terrorisme, qui va être

central dans notre mémoire. Une reformulation plus correcte pour coller à l’ordre

des mots selon leurs importance dans le concept de terrorisme d’État serait peut-

être : Une terreur, qui à des fins politiques, à été conçue ou provoquée par des

actes directement ou indirectement imputables à un État dans le public, un

groupe de personne ou chez des particuliers. Mais une telle tournure de phrase

est à double tranchant : si elle a l’avantage de mettre l’élément de base comme

                                                                                                               100 A/RES/49/60, en particulier du point I.3. Voir Infra Chap. V.I.A.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 28  

sujet, elle implique aussi une controverse beaucoup plus grande. Selon une telle

phrase, c’est la terreur qui est conçue ou provoquée, ce qui impliquerait

nécessairement la volonté de l’État. Or, dire qu’une terreur a été provoquée

volontairement ou par « dol éventuel », reviendrait à concevoir le concept de

crime d’État, en opposition au terme de délit. Or l’idée qu’un État puisse

commettre un crime et être impliqué volontairement ou par dol éventuel dans une

forme de terreur est politiquement et juridiquement extrêmement controversée. 101 De plus, il n’y a aucune règle coutumière qui permettrait de connaître les

différents types de mens rea en droit international pénal.102 Mais pourquoi tant de

controverses ? La notion de terrorisme est intrinsèquement liée à la lutte pour le

pouvoir politique, que ce soit dans les cas de mouvements de libération nationale

ou de révolution interne. Mais dans les cas de terrorisme internationaux, la lutte

pour le pouvoir est une lutte pour l’établissement de valeurs, de cultures et de

morales.103 Aussi, le terrorisme est éminemment politique. Dans les cas de

terrorisme d’État, son analyse en droit international est encore complexifiée

parce qu’elle touche les trois composantes classiques de l’État, à savoir le

territoire, la population et le gouvernement. Le terrorisme d’État est une lutte pour

le contrôle du territoire, le soutien populaire et l’accès au gouvernement, de

manière assez claire pour le terrorisme d’État interne, et au travers de la lutte

pour le pouvoir et l’établissement d’une forme de moralité dans le terrorisme

d’État externe. En plus de ces trois caractéristiques en raison de la personne, du

lieu et de la matière, le terrorisme d’État se caractérise par les deux éléments

constitutifs intrinsèque à la notion de terrorisme : La terreur, et la motivation

politique.

3. Eléments constitutifs                                                                                                                101 Voir Infra. Chap. V.I .B 102 A. Cassese, International Criminal Law, 2008, OUP, Oxfrord (2nd edition), p.56 103 J.-P. Derriennic, Violence instrumentale et violence mimétique, in S.Courtois (dir.), Enjeux Philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, 2003, Les presses de l’Université de Laval, Laval pp.42-44

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 29  

A. La Terreur

La foule ne connaît que des sentiments simples et extrêmes 104: l’amour,

la peur, la haine, l’espoir. La terreur, c’est la peur caractérisée. Une peur légitime,

provoquée par une atteinte ou une menace directe à sa vie, à son intégrité

corporelle ou celle de ses proches. Cette atteinte ou menace peut également être

portée à ses biens propres ou aux biens publics, pour autant que cette menace

soit suffisamment large ou symbolique pour créer cette peur caractérisée. La

peur engendrée chez l’individu créera une perte du contrôle de soi et de sa

capacité à penser de manière rationnelle. Cette perte de contrôle et de raison est

l’élément qui rend cette peur caractérisée, car elle provoque chez l’individu

menacé des réactions extrêmes pour se protéger soi-même, son entourage et

ses biens. Une peur extrême qui entraîne une lame de fond dans le

comportement des individus et les poussent vers des comportements extrêmes.

Ce sont des réactions à une menace de vie ou de mort. Ces comportements

extrêmes sont des réactions dépourvues de tout recul, et fait dans la précipitation

due à la situation d’urgence. Du fait de cette absence de recul, ces

comportements peuvent avoir des effets psychologiques et comportementaux

néfastes par ricochet sur d’autres personnes, qui auront été atteints par la

réaction du premier individu. La terreur est irrationnelle et contagieuse. De

manière imagée, elle aura sur une région le même effet qu’une pierre jetée dans

un lac, dont le mouvement des remous est très grand au centre et s’estompe en

cercle concentrique. Plus la population est proche de l’impact, plus elle sera

affectée par la terreur créée par celle-ci. Mais la population touchée par l’impact

de la terreur est uniforme. C’est une population qui partage une même vision

politique, une même idéologie, une même culture.105

                                                                                                               104 G. Le Bon, Psychologie des Foules, 1905, Editions Felix Alcan, 9ème éd., Livre I Chapitre II Par. 4, p.34 105 S. Huntington, op. cit., pp. 39 ss

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 30  

B. Fins politiques (idéologiques, philosophiques, religieux)

Ce qui nous amène immédiatement au deuxième aspect caractéristique

du terrorisme. Le terrorisme a des liens étroits avec le concept de politique. La

vision de Carl Schmitt du politique nous aide énormément à comprendre les

occasions dans lesquelles les actes de terrorisme d’État surgissent. Pour

Schmitt, le politique est la base de la souveraineté. Il est distinct du droit, de la

religion ou de l’économie qui lui sont des antithèses. 106 Le primat de la politique

se trouve dans la distinction ami/ennemi. 107 Le souverain est celui qui prend la

décision, qui peut établir cette limite, ce tracé net entre ses amis et ses ennemis.

Pour créer et appliquer une loi, il faut prendre une décision sur ce qui est

considéré dans le cercle de l’identité, et ce qui est rejeté de cette identité et de

ces valeurs. C’est de cette distinction uniquement que peut naître un ordre

juridique. C’est en créant une unité au sein de la population, en opposition à une

autre entité que la souveraineté éclot. En cela, la souveraineté est à la fois

interne, puisque seul le souverain peut prendre des décisions sur l’ensemble du

territoire sur lequel il exerce son pouvoir, et externe, puisqu’il le fait à l’exclusion

de tout autre souverain. Mais cette souveraineté n’est vraiment visible que dans

les cas d’exception et non dans les cas de routine. Dans les cas habituel, la

société semble gouvernée par une série de lois impersonnelles. Mais dans la

situation d’exception, la vraie face du pouvoir politique se révèle. Dans

l’exception seule le politique peut faire cette distinction entre ami et ennemi. C’est

dans les cas de crise, les situations exceptionnelles que le souverain va décider

quelle voie prendre pour le salut public.108 En cela, il crée le droit dans une

situation d’exception, et non pour les cas routiniers. Parce que le politique montre

                                                                                                               106 C. Schmitt, The Concept of the Political, G. Schwab (trans), 2007, University of Chicago Press, Chicago, p.23 107 C. Schmitt, The Concept of the Political., p.26 108 C. Schmitt, Political Theology, p.6

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 31  

sa force dans la distinction marquée entre ami/ennemi, tout droit édicté par le

souverain est une loi de situation.109

La lutte politique pour le pouvoir à travers le terrorisme est une lutte pour

la souveraineté, pour le pouvoir de décider qui est dans le cercle de l’identité, et

qui se retrouve rejeté de ce cercle au rang des ennemis de la nation, ceux contre

lesquels la construction de l’identité se fait. Or, la construction politique et

idéologique est intrinsèquement liée à la liberté d’opinion, de conscience et de

religion. Les questions de séparation de l’église et de l’État, de démocratie et de

contrat social proviennent de cette liberté d’opinion, de conscience et de religion.

Le souverain impose, à l’exclusion de tous les autres, qui se voient contraints

d’obéir à la vision du souverain, au risque de se retrouver au rang des ennemis.

Il faut déjà introduire ici une distinction entre les actes de terrorisme d’État

interne et externe. Les actes de terrorisme d’État interne sont une lutte pour le

maintien du pouvoir par le gouvernement. Ce sont typiquement de luttes propres

à déchirer l’unité sociale et l’identité de la foule, entre partisan et opposants au

gouvernement. Mais ces déchirements du corps social sont uniquement

possibles lorsqu’il existe déjà une fissure, une séparation dans le tissu social

entre ami et ennemi. Les ennemis ne sont alors plus en dehors de l’État, mais ils

cohabitent sur le même territoire.110 Dès lors, les assassinats politiques ne sont

plus considérés comme des meurtres par ceux qui les ont commis, car ils sont

légitimés par l’idée que l’assassiné n’est pas une victime, mais un ennemi.

Les cas de terrorisme d’État externe sont très différents. Ils constituent

une manière cachée de mener la guerre à une époque ou la guerre est interdite.

C’est un moyen de déstabilisation politique pour poursuivre la quête de ses

propres intérêts, au détriment de l’autre. C’est la continuation de la politique

quand la politique échoue à trouver une solution. Or, ces cas constituent des

menaces à la paix et à la sécurité internationale, et doivent être traité comme tel.

                                                                                                               109 C. Schmitt, Politcal Theology, p.13-15 110 P. Dummouchel, op.cit. pp.34-35

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 32  

Mais les chances d’aboutir à une définition consensuelle semblent faibles, et

risquent de prendre encore de longues années.

4. Distinctions

A. Ratione Loci

La distinction en raison du lieu de la commission de l’acte est peut-être la

distinction la plus simple pour nous permettre de différencier les divers cas de

terrorisme d’État et les problèmes qu’il soulève. Si l’État A a provoqué une

attaque terroriste sur son propre territoire, le territoire A, c’est un acte de

terrorisme interne. Le DIDH s’applique dans les limites de l’état d’urgence. Si

tous les traités des droits de l’homme prévoient les cas d’état d’urgence, elle

précise toujours quels sont les droit indérogeables. Par exemple, dans le pacte

ONU II, il n’est en aucun cas 111 permis de déroger aux droit à la vie, à

l’interdiction de la torture, à la prohibition de tenir une personne en esclave ou en

servitude, à l’interdiction de privation de liberté pour non-exécution d’un contrat,

au respect du principe de la légalité (nullum crimen sine lege praevia), au droit à

la personnalité juridique et finalement au droit à la liberté de pensée, de

conscience et de religion.112 Le DIH s’appliquent également dans les limites du

droit applicable aux CANI selon le cas d’espèce. Les cas de terrorisme interne

sont des cas de déchirement du tissu social et de lutte pour le pouvoir.113 Ces

problèmes éminemment politiques, et extrêmement liés avec le domaine réservé

de l’État (Art.2 (7) CNU) et l’égalité formelle des États (art.2 (1) CNU) posent des

problèmes sur deux points : Premièrement, l’absence de droit protégeant la

population civile entre les situations d’urgences - de dérogeabilité aux DIDH à

l’exception des droits absolus – et l’applicabilité des normes de DIH114 aux

                                                                                                               111 Art.4.2 Pacte ONU II 112 Respectivement art. 6, 7, 8 (1,2), 11, 15, 16, 18 du Pacte ONU II 113 Voir Supra Chap. IV.3.B. 114 Seuil de l’Art. 3 commun CG « En cas de conflit armés ne présentant pas un caractère international » selon l’intensité de la violence et l’organisation des parties. TPIY , affaire Haradinaj, 3 avril 2008, par. 49. Seuil plus élevé pour l’application du PAII de l’organisation des

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 33  

situations de conflits internes. Cette situation de vide normatif pour la protection

des civils dans les droits humains a été mise en évidence par Theodor Meron

(connu par la suite comme « Meron’s Gap »). 115 Ce vide normatif demeure

aujourd’hui, car en situation de péril pour la survie de l’État, la volonté manque

pour protéger plus les droits humains. Deuxièmement, l’application de l’idée de la

responsabilité de protéger, qui se déroule en trois étapes.116 L’État est tenu de

protéger sa population des cas de génocide, de crime contre l’humanité, de crime

de guerre ou de nettoyages ethniques. La communauté internationale est tenue

de coopérer avec l’État pour le respect de son obligation primaire. Mais si l’État

échoue dans sa responsabilité de protéger ses propres citoyens, la communauté

internationale reprend la responsabilité d’intervenir pour protéger les citoyens de

l’État à travers des instruments tels que les gels des avoirs, interdictions de

voyager, ou encore interdictions d’exportations de certains biens En dernier

recours, l’intervention militaire est envisagée..117 A ce jour, un certain nombre de

décision du Conseil de Sécurité ont été prises en respect de la doctrine de la

responsabilité de protéger, en vertu du chapitre VII CNU. Toutefois, nous

pouvons nous demander en vertu de quel titre le Conseil de Sécurité agit, et si

nous sommes toujours bien dans le cadre du chapitre VII CNU. En agissant pour

la protection des droits humains, le Conseil de Sécurité semble agir pour

défendre des valeurs universelles. Mais les acteurs de la communauté

internationale doivent agir également pour la défense de ces valeurs pour

qu’elles puissent porter le titre d’universel. Cette recherche d’un terrain commun

pour les droits humains est un défi actuel. Toutefois, le Conseil de Sécurité s’est

toujours bien gardé, dans sa pratique, d’énoncer les droits humains comme une

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         groupes armés et du territoire (art.1.1 PAII). Voir en général S. Vité, Typologie juridique des conflits armés en droit international et humanitaire : concepts juridiques et réalités, article disponible sous http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-873-vite-fre.pdf consulté le 10.06.2014 115 Voir T. Meron, Towards a Humanitarian Declaration on Internal Strife, AJIL 1984 vol.78, n°4, pp.859-868 116 A/RES/60/1 par. 138-140 117 Pour la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, voir rapport d’implémentation du SG Ban-Ki Moon, A/63/677

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 34  

base de son action, et par omission, de permettre aux auteurs de préciser ce

point. 118 Ces résolutions sur la responsabilité de protéger ne concernent

aujourd’hui que des cas africains,119 et les tentatives faites pour l’exporter sur

d’autres continents, comme dans le cas de la Syrie, se sont opposés à de fortes

résistances de la part de la Russie et de la Chine. Ces résistances montrent une

tension entre la volonté de protéger les droits humains et la volonté de protéger

la souveraineté des États.

L’autre cas, si l’État A a provoqué un acte de terrorisme sur l’État B, c’est

un acte de terrorisme externe. Ces cas sont, pour paraphraser Clausewitz, la

continuation de la guerre par d’autres moyens, à un moment où le recours à la

menace ou à l’emploi de la force a été interdit par la Charte des Nations Unies

(Art.2(4) CNU, conjugué avec le Chapitre 7 CNU). Dans ces cas-là, l’acte de

terrorisme est une atteinte ou une menace à la paix et à la sécurité

internationales. Ce sont ces cas là uniquement qui sont expressément visés par

la résolution 49/60 de l’Assemblée Générale, par le projet de convention

générale et par les conventions spéciales sur le terrorisme, à l’exclusion des cas

de terrorisme interne. Cette distinction entre les cas de terrorisme interne et les

cas de terrorisme externe est extrêmement importante, car la question de la

responsabilité de l’État, du droit applicable, et de ses effets politiques sur la

population ne sont pas les mêmes.120 Si l’acte de terrorisme ne se situe ni sur

l’État A, ni sur l’État B, mais sur un territoire proto-étatique, ou moins

probablement sur un espace non-approprié (telle la haute-mer), ou sur une terra

nullius, alors le droit applicable dépendra plus encore de la situation d’espèce,

mais ils seront assimilés à des actes de terrorisme d’État externe, avec les

mêmes conséquences.

                                                                                                               118 A. Bianchi, ad-hocism and the rule of law,, in EJIL, 2002, vol.13 n°1, pp. 267-268 119 Pour l’intervention armée en Libye, voir en particulier S/RES/1973 (2011) par.4-5. Sur la Lybie, voir également S/RES/1970 (2011), Autres cas (non-exhaustif) : Soudan/Sud-Soudan : S/RES/2109 (2013) par. 19-23, République Centrafricaine S/RES/2127 (2013). par. 17-27 120 Voir Supra, Chap. IV.3.B.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 35  

B. Ratione Materiae

La deuxième distinction sur le droit applicable et la responsabilité de l’État

est selon le moyen utilisé par l’État pour commettre son acte terroriste. Les

moyens utilisés peuvent être divers, et passer de l’utilisation d’attaques

terroristes à l’explosif, aux tirs à balles réelles sur des manifestants par des

snipers, ou à l’utilisation de moyens chimiques ou bactériologiques contre une

population. La liste de moyens potentiellement utilisables ne peut pas être

exhaustive. Sur ce point, nous rejoignons le jugement du Tribunal Spécial pour le

Liban sur le droit applicable.121 Pour cette raison, la question de la distinction en

raison de la matière n’est importante dans le terrorisme d’État que dans la

mesure où elle permet de mieux distinguer les liens de rattachements effectifs du

moyen utilisé à l’action de l’État. Il faut que l’État soit directement ou

indirectement responsable pour que l’on puisse parler de responsabilité de l’État.

Un État est directement responsable dans le cas ou l’acte est effectué par un

organe de l’État, que celui ci soit un organe législatif, exécutif (ce qui implique les

actes des forces armées, y compris dans leurs actions ultra vires), 122 ou

judiciaire, pour autant qu’ils soient effectués dans le cadre de leur fonction

(articles 4(1) et art. 7 Projet d’article sur la responsabilité des États). C’est une

règle de droit coutumier que d’admettre que tous les actes des organes de l’État

doivent être regardées comme des actes directement imputables à l’État.123 La

responsabilité de l’État est dans ce cas là illimitée, peu importe que la violation

de l’obligation soit une violation d’ordre primaire ou secondaire.124 Dans les cas

de responsabilité indirecte, le projet d’article reprend également la question de

l’organe de facto à l’art. 8, et la question de l’attribution des actes d’individus et

groupements d’individus à un État par l’art.4 tel qu’interprété par la Cour

                                                                                                               121 TSL, jugement sur le droit applicable par le Tribunal, jugement du 16 février 2011, STL-II-OIIIIAC/R176bls en particulier par. 125-138 122 J. Crawford, State responsability : the general part, 2013, Cambridge University Press, Cambridge, pp.119-120 123 CIJ, Différent Relatif à l’Immunité de juridiction d’un rapporteur spécial, par. 62 124 J. Crawford, State Responsability, pp.117-118

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 36  

internationale de Justice dans son arrêt su l’application de la Convention sur le

Génocide.125 Pour autant que le lien de rattachement soit prouvé, l’État encourt

ensuite la même responsabilité pour un organe de facto que pour un organe

législatif, exécutif ou judiciaire. Un long débat a eu lieu au sein des tribunaux

internationaux pour savoir si le lien de rattachement devait être considéré comme

un lien de rattachement global ou effectif. Le critère est important, car un critère

de rattachement global est un lien de rattachement moins fort, et en

conséquence il est plus facile d’admettre un organe de facto à un État. Dans

l’affaire Tadic, le TPIY a estimée que pour qu’un lien de rattachement global soit

établi, il suffit que l’État « joue un rôle dans la coordination, ou la planification des

actions»126 Cette aide doit aller au-delà de la simple aide financière, de la

fourniture de matériel ou d’équipement. Mais la Cour internationale de Justice a

vite contredit le TPIY, en revenant au critère qu’elle a elle-même établi dans

l’arrêt Nicaragua du contrôle effectif, créant une substitution de pouvoir entre le

groupe armé et l’État qui le contrôle.127 Dans un second arrêt, bien qu’elle ait

admis que le critère de rattachement global pouvait être « pertinent et adéquat »

pour permettre de qualifier un conflit armé,128 la Cour internationale de Justice le

rejette pour ce qu’elle implique dans la responsabilité des États, car elle étend

trop le comportement que les organes de l’État doivent avoir et la responsabilité

qui en découle. 129 La Cour internationale de Justice confirme le critère du

contrôle effectif de l’arrêt Nicaragua, qui exclut la participation à l’organisation, à

la formation, à l’équipement, au financement et à l’approvisionnement, ainsi que

le choix et la planification des attaques militaires n’étaient pas suffisants pour

                                                                                                               125 CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 385-395, en particulier par.390 ss 126 TPIY, Tadic, jugement du 15 juillet 1999, par. 137. 127 CIJ, Activité armés sur le territoire du Congo, jugement du 19 décembre 2005, par. 173-178 128 Dans le cas de la détermination de la nature du conflit entre CAI et CANI : CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 404. 129 CIJ, Application de la Convention sur la prévention et la répression du crime de Génocide (Bosnie-Herzégovine c. Monte-Negro), par. 406

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 37  

établir une responsabilité étatique.130 Pour que nous puissions établir un lien

effectif et le rattachement a un organe de facto au sens de l’art.8 du Texte

d’articles, il faut donc que a) le groupe non-étatique ait été crée par l’État, ou que

b) la fourniture d’assistance de l’État excédait le financement et l’entraînement,

ou que c) qu’un degré de contrôle complet était exercé de fait, ou si d) l’État a

choisi, installé ou payé le leader politique.131

Dans les autres cas ou l’acte de terrorisme d’État n’a pas été fait par un

organe matériel de l’État, ou par un organe de facto, la personne demeure

individuellement responsable pour les crimes commis. Dans tous les cas, la

responsabilité de l’État et la responsabilité pénale individuelle de l’agent ou

organe de l’Etat ayant commis le crime sont parallèles, l’une pouvant être

engagée indépendamment et sans préjudice de l’autre (Art. 58 du projet

d’article). L’État peut toutefois être tenu pour responsable pour un manquement à

la diligence due face a des actes d’acteurs non-étatiques. Toutefois, on ne pourra

pas dans ces cas là parler de terrorisme d’État.

C. Ratione Personae

La dernière distinction est selon la population visée par les actes de

terrorisme d’État. Cette population est toujours une population civile, sans quoi

l’acte de terrorisme perd sa qualification. Si c’est un membre des forces armées

ou un combattant irrégulier, le DIH s’applique. Il n’est pas nécessaire que la

population visée soit touchée dans son ensemble. Une seule personne peut être

victime de l’attentat terroriste, pour autant que l’attaque de cette personne ait un

effet de progression de l’idéologie politique et un effet de progression de la

terreur au sein de ceux qui partagent la même idéologie que la personne

assassinée.

                                                                                                               130 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, jugement de 1986, par. 115 131 J. Crawford, State Responsability, p.125

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 38  

Cette personne peut être un national de l’État A ou un apatride ayant son

domicile ou résidence habituelle dans un État A.132 On parlera dans ces cas là de

terrorisme interne pur. La question de leur analogie avec les conflits armés non-

internationaux est extrêmement controversée et revient à la question du seuil de

l’art. 3 commun et de la différence entre les troubles et tensions internes. Or,

cette distinction reste et demeure floue. Même si certains éléments de réponses

existent - telle l’utilisation de l’armée contre des manifestations par exemple – ces

critères ne sont pas absolus et méritent d’être déterminés selon le cas d’espèce.

Si la population attaquée par l’État A et sur le territoire A est d’une

nationalité B ou un apatride ayant sa résidence habituelle sur un territoire B, nous

considérerons cela comme des actes de terrorisme interne externalisé. Ce point

soulève nécessairement la question du droit des minorités.

Si la population attaquée par l’État A sur le territoire de B est une

population A, nous parlerons de terrorisme externe internalisé. Ces cas doivent

être considérés comme les actes de terrorisme interne externalisé. Ils ont

l’avantage de fournir un lien de rattachement effectif avec un autre État par le lieu

de la commission de l’acte pour la détermination du for en cas de jugement. On

se rappellera ici du spectaculaire cas d’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko,

opposant russe à Vladimir Poutine, au polonium à Londres. La Russie a toujours

niée son implication, mais elle s’est dans le même temps rétractée de toute

enquête. Jusqu’à récemment, les autorités britanniques hésitent à ouvrir une

procédure publique pour élucider les circonstances de son empoisonnement.133

Enfin, si la population attaquée par l’État A sur le territoire de B est une

population B (ou C), nous parlerons de terrorisme d’État externe pur. Ces cas

peuvent potentiellement être qualifiés de menace contre la paix et la sécurité

internationales par le Conseil de Sécurité. Il faut relever le fait que les actes de

terrorisme d’État externe sont très difficiles à prouver. Le recours à la force étant                                                                                                                132 En respect de la Convention relative au Statut des apatrides du 28 septembre 1954, à l’exclusion des cas prévus par l’art.2. 133 http://www.bbc.com/news/uk-19647226, consulté le 10.06.2014.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 39  

interdit - sauf dans les cas de légitime défense ou d’opération en vertu du

chapitre 7 CNU – les actes de terrorisme d’État externe entretiennent des liens

étroits avec le secret d’État. Dans l’affaire du Rainbow Warrior, les deux

protagonistes de l’explosion du bateau de Greenpeace dans le port d’Auckland

en Nouvelle-Zélande, en route pour les atolls en guise de protestation contre les

essais nucléaires français, étaient deux agents du service secret français. Leur

mission accomplie, les deux agents du service français ont été retirés du pouvoir

de la Nouvelle-Zélande sans le consentement de celui-ci, provoquant une longue

dispute entre les deux États.134

5. Conclusion préliminaire

La définition des actes de terrorisme d’État, poussé jusqu’au bout du

raisonnement, finit par englober tous les actes provoquant une terreur dans une

population civile, effectués à des fins politiques par un État. C’est un concept qui

peut être étendu plus qu’il n’est raisonnable. Pour cette raison, aborder la

question du terrorisme dans sa globalité est un réel problème, car le droit

applicable varie énormément selon la situation du cas d’espèce. De plus, le

concept finit par englober tous les assassinats politiques.

Les deux éléments caractéristiques du terrorisme d’État sont des éléments

subjectifs : la terreur, et le politique. Sans ces deux éléments subjectifs, le

terrorisme d’État finit par englober tous les cas de violations envers les droits

humains à caractères péremptoires. Ces éléments semblent expliquer les

problèmes que rencontre la communauté internationale dans leurs tentatives de

définition du concept de terrorisme d’État.

                                                                                                               134 Voir Sentence Arbitrale du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande/France), R.I.A.A, Vol. XX., pp. 244 ss, ainsi que:l’opinion séparée de Sir Kenneth Keith p.283, par. 33ss

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 40  

C’est qu’en vérité le chemin importe peu, la

volonté d’arr iver suff i t à tout.

Albert Camus135

V. Tentative de définit ion par la communauté

internationale: le supplice de Sisyphe

1. Au niveau international

A. Au niveau du DIH

L’emploi de la terreur est en tout temps interdit contre la population civile

dans les conflits armés, que ceux-ci possèdent un caractère international ou non-

international.136 Cette règle ressort du principe général de distinction entre civils

et combattants. Dans les conflits armés internationaux, le crime de terreur est

aux rangs des crimes de guerre, comme il en ressort du Statut du Tribunal Pénal

International pour le Rwanda à l’art. 4(d), du Statut du Tribunal Spécial pour le

Sierra Leone à l’art.3 (d). Sur ce point, il est particulièrement intéressant de voir

que Charles Taylor, ancien président du Libéria, a été condamné pour terrorisme

dans son jugement, confirmé en appel.137 Le Statut de Rome n’inclut pas in

nomine la terreur, mais punit les attaques intentionnelles contre des populations

civiles à l’art. 8.2.b)ii) (crime de guerre) et les attaques généralisées ou

systématiques pour des motifs politiques à l’art.7.1.h) (crime contre l’humanité).

Toutefois, tous les actes terroristes effectués par des États ne caractérisent pas

forcément des crimes de guerres ou ne sont pas forcément fait dans le cadre

d’une attaque systématique et généralisée. Ainsi, certains actes échappent à la

                                                                                                               135 A. Camus, Le mythe de Sisyphe, 1985, Gallimard, collection Folio p.70 136 J.-M. Henckaerts, L. Doswald-Beck, Droit International Humanitaire Coutumier, Vol. I, 2006, Bruylant, Bruxelles, p.10, Règle 2. Art. 3(1) Commun CG, Art. 51(2) PAI, Art. 13(2) PAII. 137 TSSL, Charles Taylor, jugement en appel du 26.09.2013, SCSL-03-01-A-1389, Count 1

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 41  

juridiction de la Cour.138 Dans le cas de conflit armés non-internationaux, la Cour

Pénale Internationale punit aussi au titre de violation à l’art 3 commun des

conventions de Genève au titre de crime de guerre (art.8.2.e.i)

La définition du terrorisme d’État qui fait tant débat au niveau international

se pose donc uniquement pour les cas de terrorisme d’État en temps de paix,

dans le cadre du DIDH et en relation avec le DIH.

B. La Résolution 49/60 de l’Assemblée Générale

A ce jour, cette résolution sur les mesures visant à éliminer le terrorisme

international est le document des Nations Unies le plus progressiste en matière

de terrorisme, plus progressiste même que le projet de convention générale sur

le terrorisme, qui peine à trouver un consensus au sein des États. Plus

précisément, la définition donnée au chapitre précédent est tirée d’une

conjonction des éléments suivants (emphase de l’auteur)

• Préambule considérant 3 : « Profondément troublée par la persistance, dans le monde

entier, d’actes de terrorisme international sous toutes ses formes et manifestations, y

compris ceux dans lesquels des États sont impliqués directement ou indirectement qui

mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les

relations internationales et peuvent compromettre la sécurité des États,

• Préambule considérant 8 : « Convaincue également que la répression des actes de

terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des États sont impliqués

directement ou indirectement, est un élément indispensable au maintien de la paix et de

la sécurité internationales[…]»

• Point I.3 : Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour

provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont

injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique,

philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer

pour les justifier

                                                                                                               138 H. El Amine, Pourquoi la Cour Pénale Internationale n’est-elle pas compétente en matière de terrorisme international ? in M.J. Glennon, S. Sur (dir.) Terrorisme et Droit International, 2008, Académie de droit International de La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden/Boston, p.259

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 42  

• Point II.4:Les États, guidés par les buts et principes de la Charte des Nations Unies et

d’autres dispositions applicables du droit international, doivent s’abstenir d’organiser ou

de fomenter des actes de terrorisme sur le territoire d’autres États, d’aider à les

commettre ou d’y participer, ou de tolérer ou encourager sur leur territoire des activités

visant à l’exécution de tels actes

• Point II.5.a) : sont instamment priés de prendre des mesures efficaces et résolues, […] et

en particulier : a) De s’abstenir d’organiser, de fomenter, de faciliter, de financer,

d’encourager ou de tolérer des activités terroristes et de prendre les mesures pratiques

voulues pour que leur territoire ne serve pas à des installations ou à des camps

d’entraînement de terroristes, ni à la préparation ou à l’organisation d’actes terroristes à

l’encontre d’autres États ou de leurs ressortissants;

C. Le Projet de Convention Générale

Le projet de convention générale sur le terrorisme139 est actuellement au

stade d’inertie. Le comité spécial, créé comme un groupe de travail de la CDI,140

n’a même pas prévu de séance pour 2014. Le comité spéciale, estimant que

beaucoup plus de temps était nécessaire pour résoudre les problèmes qui

n’avaient pas été résolu à ce jour, à demandé à l’Assemblée générale de

transmettre le rapport à la CDI pour l’élaboration d’un projet de convention,141 ce

que l’Assemblée Générale a fait.142 Mr Perera, chef du comité spécial, a même

expressément fait état des frustrations entre les appels à une convention

générale et le manque apparent de volonté politique pour aboutir à une telle

convention.143 Les principaux domaines de contentieux irrésolus sont la définition

du terrorisme d’État, son champ d’application et la relation entre le projet de

convention général et les conventions sectorielles de terrorisme.144 Or, se poser

la question du terrorisme d’État, c’est se poser la question du champ

                                                                                                               139 Sans précisions, le terme de projet de convention général renvoi systématiquement au rapport de la 16ème session (2013), A/68/37. 140 A/RES/51/210, III, par. 10 141 A/68/37, par. 12. 142 A/RES/68/119, par. 24 143 A/C.6/67/SR.23, par. 41 144 M. Hmoud, Negotiating the draft comrpehensive convention, in Journal of International Criminal Justice 4, 2006, OUP, p.1032

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 43  

d’application d’une définition qui n’est même pas consensuelle. En l’état, le projet

de convention générale définit le terrorisme comme suit (emphase ajoutée par

l’auteur):

Art ic le 2

1. Commet une infraction au sens de la présente Convention quiconque cause par quelque

moyen que ce soit, illicitement et intentionnellement :

a) La mort d’autrui ou des dommages corporels graves à autrui;

b) De sérieux dommages à un bien public ou privé, notamment un lieu public, une installation

gouvernementale ou publique, un système de transport public, une infrastructure, ou à

l’environnement; ou

c) Des dommages aux biens, lieux, installations ou systèmes mentionnés à

l’alinéa b) du paragraphe 1 du présent article, qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes

économiques considérables; lorsque le comportement incriminé, par sa nature ou son contexte, a

pour but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation

internationale à faire ou à ne pas faire quelque chose.

2. Commet également une infraction quiconque menace sérieusement et de manière crédible de

commettre une infraction visée au paragraphe 1 du présent article.

3. Commet également une infraction quiconque tente de commettre une infraction visée au

paragraphe 1 du présent article.

4. Commet également une infraction, quiconque :

a) Se rend complice d’une infraction visée aux paragraphes 1, 2 ou 3 du présent article; ou

b) Organise la commission d’une infraction visée aux paragraphes 1, 2 ou 3 du présent article ou

donne l’ordre à d’autres personnes de la commettre; ou

c) Contribue à la commission d’une ou plusieurs des infractions visées aux paragraphes 1, 2 ou

3 du présent article par un groupe de personnes agissant de concert. La contribution doit être

délibérée et faite :

i) Soit pour faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, lorsque l’activité ou le

dessein implique la commission d’une infraction visée au paragraphe 1 du présent article;

ii) Soit en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre une infraction visée au

paragraphe 1 du présent article.145

                                                                                                               145 A noter également la proposition du Nicaragua d’inclure un alinéa 4 e) qui reprendrait en substance les questions de contrôle ou direction effectif de groupes armés non-étatique. Cette

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 44  

Le problème de cet article réside dans le sens que l’on donne à

quiconque. Est-ce que quiconque inclut toute personne146 sans distinction? Sur

ce point, les négociations deviennent subtiles : les actes de terrorismes

individuels venant de personnes rattachées à un groupe idéologique, sans lien -

aussi tenu soit-il – avec un État posent déjà tant de problème à définir ! Les États

du Tiers-Monde, fiers de leurs victoires sur le colonialisme ont toujours demandé

à ce qu’en soit expressément exclues la lutte pour l’autodétermination et les

actions des mouvements de libération nationale. Mais à l’inverse, d’autres États

souhaitaient que les actes des mouvements de libération nationale soit inclus

dans le projet de convention générale147 Si le manque de volonté politique existe

pour résoudre cette question, elle est encore plus frappante lorsque la question

de l’inclusion d’acte de l’État ou d’agent de l’État pour terrorisme est invoquée.

C’est une chose de définir les actes de terrorismes possibles par les individus se

rattachant à une idéologie propre, c’en est une autre de définir les actes

attribuables à des agents de l’États qui constituent des actes de terrorisme.148

Sur cette question, le préambule nous rappelle que les actes qui se situent dans

le cadre du DIH ne sont pas couverts par le projet de convention général, et que

le projet de convention général ne rend pas licite des actes par ailleurs illicites.

L’article 3 du projet de convention général est supposé nous éclairer sur les liens

entre le terrorisme d’État et le DIH. Or, c’est précisément l’un des articles qui a

fait tellement débat au sein du comité spécial que la question a été laissée en

suspens. Dans la première version du projet de convention générale, l’article 3

excluait la mise en place d’explosif par les forces militaires de l’État en liens avec

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         déclaration reprend le jugement CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, jugement du 27 juin 1986, par. 115 146 Voir rapport du Comité spécial, 1ère session (1997) A/52/37, Annexe I. A. p.5, art.2. 147 M. Hmoud, op.cit., p.1034 148 C’est encore une autre question que de l’ouvrir aux actes non d’une personne, mais par exemple d’une organisation tel que le prévoit l’art. 9 du présent projet de convention générale. Sur déclaration, les États peuvent étendre le champ ratione materiae de l’art.2. Voir rapport du Comité spécial, 14ème session (2010) A/65/37 point 16 b) p.15

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 45  

leurs fonctions officielles.149 L’actuel article 3150 se lit comme suit (emphase de

l’auteur) :

Art ic le 3

1. Aucune disposition de la présente Convention ne modifie les autres droits, obligations et

responsabilités qui découlent pour les États, les peuples et les individus du droit international, en

particulier les buts et principes de la Charte des Nations Unies, et du droit international

humanitaire.

2. Les activités des forces armées en période de conflit armé, au sens du droit international

humanitaire, qui sont régies par ce droit, ne sont pas régies par la présente Convention.

3. Les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions

officielles, en tant qu’elles sont régies par d’autres règles de droit international, ne sont pas non

plus régies par la présente Convention.

4. Aucune disposition du présent article n’excuse ni ne rend licites des actes par ailleurs illicites et

n’empêche pas davantage l’exercice de poursuites sous l’empire d’autres lois. Les actes qui

correspondraient à une infraction définie à l’article 2 de la présente Convention demeureraient

punissables conformément à ces lois.

5. La présente Convention est sans préjudice des règles de droit international applicables en cas

de conflit armé, en particulier des règles applicables aux actes considérés comme licites en droit

international humanitaire.

L’article 2 et l’article 3 sont liés. Si l’article 1 est construit sur une logique

de l’inclusion, l’article 3 est fondé sur une logique de l’exclusion.151 Nous pouvons

à juste titre nous poser la question du champ d’application de cet article. Il dit ce

que le projet de convention générale sur le terrorisme ne modifie pas, et ne

précise pas ce qu’il modifie. L’exclusion de la notion de terrorisme d’État du

champ du DIH semble claire, et ressort de la conjonction entre la proposition du

préambule, de l’alinéa 2 et de l’alinéa 5, qui est assez typiquement une clause

sans préjudice. Cette distinction ressort du caractère sui generis du DIH, et de la

                                                                                                               149 Voir rapport du Comité spécial, 1ère session (1997), A/52/37, Annexe I. A. p.6, art,3 150 Tel que proposé par le bureau pour examen. Anciennement art.18 151 A/68/37, Annexe III, résumé des déclarations de la coordinatrice, par. 12

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 46  

volonté de le préserver à l’identique.152 D’aucune manière le projet de convention

générale ne rend licites des actions que le DIH rend illicites, ni ne rend illicites

des actes qui ne sont pas illicites dans le DIH.153 L’alinéa 1 précise que le projet

de convention générale ne modifie pas les autres droits et obligations du droit

international public, ce qui implique qu’il est supposé en ajouter. L’alinéa 3 exclut

également les actions menées par les forces armées tant qu’elles sont menées

dans le cadre de leurs activités, pour autant que ces comportements soient régis

par d’autres règles de droit. Elle cherche à déterminer le droit applicable en

temps de paix. Mais cette exclusion semble bien large, et nous avons de la peine

à voir exactement à quoi elle correspond. Est-ce que cela inclut uniquement les

principes généraux du droit ou la protection des agents de l’État ? In fine, cette

exclusion semble extrêmement large, parce que bien trop indéfinie. Elle peut

s’étendre jusqu’à l’application extraterritoriale du DIDH en raison du pouvoir des

agents officiels de l’État dans l’exercice de leurs missions sur une personne, sur

un territoire,154 ou en raison de la nature du droit garanti, tel que l’interdiction de

la torture,155 la garantie de certaines procédures judiciaires,156 et le droit à la vie,

pour lesquels un agent de l’État possède à la fois l’obligation négative de

respecter les droit humains, et l’obligation positive de tout faire pour faire

respecter le droit à la vie.157 L’alinéa 3 viserait à exclure du champ du projet de

convention générale l’applicabilité territoriale et extraterritoriale des droits                                                                                                                152 A/68/37, Annexe III, résumé des déclarations de la coordinatrice, par.14, 17, 29 153 Voir la proposition pour la facilitation des discussions des Amis du président du groupe de travail A/C.6/60/INF/1 154 Selon les champs d’applications de la convention : Pacte ONU II : art. 2(1) Droit reconnus sur l’ensemble du territoire et sur l’ensemble des personnes sous sa juridiction. Pour le pacte ONU II, voir en général T. Meron, Extraterritoriality of Huma Right Treaties, in AJIL vol.89, n°1 (jan) 1995, pp.78-82. Autres conventions Convention Interamaricaine art. 2 : toute personnes relevant de leurs compétence, CEDH art.1 : toute personne relevant de leur juridiction. Pour l’application extraterritoriale de la CEDH, voir en particulier Loizidou vs Turique, 23 mars 1995, par. Et Chypre vs Turquie, 10 mai 2001. Charte Africaine : art.1 reconnaissent les droits devoir et libertés et s’engagent à les appliquer (dans tous les cas, restent tenus par le pacte ONU II si ratifié). 155 Sur l’applicabilité extra-territorial de l’Art. 3 CEDH, voir Soering vs United Kingdom (death row phenomena) par.100-111, ainsi qu’Al-Adsani vs Royaume-Uni, par. 39, qui confirme le jugement de Soering sur l’applicabilité extra-territorial de l’art.3 156 Pacte ONU II : art. 6, 14, 15. CEDH art.5, 6, 7. Sur l’immunité de juridiction d’un État face à l’art 6, voir Al-Adsani vs Royaume-Uni, par.52-67 157 Limité par la peine de mort ou autre cas nécessaires. Voir par exemple CEDH art.2(2), et McCann vs United Kingdom, par.195-214

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 47  

humains aux forces armées de l’État dans leurs fonctions officielles. Une telle

exclusion reviendrait à exclure les actes des forces armées du champ

d’application de la convention sauf dans les cas où la personne n’est pas sous sa

juridiction ou sur son territoire. Cette exclusion semble extrême, mais elle pourrait

avoir l’effet bénéfique de mieux reconnaître l’applicabilité extraterritoriale des

droits humains par les forces armées d’un État. L’alinéa 4 est construit comme un

rappel à la responsabilité des États. Les actes étatiques punissables selon

d’autres branches du DIP, tel que le DIH et le DIDH, restent punissables à

l’identique, selon les principes de la compétence universelle et des devoirs158 du

aut judicare aut dedere. Même si les agents de l’État peuvent jouir d’une

immunité ratione materiae ou/et ratione personnae –selon les cas – elle n’est pas

pour autant synonyme d’impunité. Mais cette définition globale du terrorisme, à la

fois par l’inclusion et par l’exclusion, nous aide peut être à définir ce que n’est

pas le terrorisme d’État. Mais il ne nous aide pas à définir ce qu’est le terrorisme

d’État. D’ailleurs, le terrorisme d’État interne pur est directement exclu du champ

d’application du projet de convention générale à son art. 5. De facto, en refusant

d’inclure les actes perpétrés par l’État sur son territoire et contre sa population,

c’est déjà un aveu d’échec. Comment admettre un projet de convention générale

sur le terrorisme qui exclut une forme de terrorisme ? Elle n’est alors plus

générale, mais déjà spéciale ! Cette constatation est plutôt malheureuse, puisque

de nombreux États ont exprimé et répété l’idée que le terrorisme d’État était la

pire forme de terrorisme, et une menace constante pour la paix et la sécurité

internationales.159 Cette idée est même clairement énoncée dans le préambule

de l’actuel projet de convention générale.160 Mais avant d’aller plus loin, il est

intéressant de s’arrêter un peu sur la question de la responsabilité internationale

des États pour crime. Sur ce point, il est intéressant de faire un détour par

                                                                                                               158 Devoirs rappelés par CIJ, affaire Lockerbie, 159 Voir entre autre le rapport A/55/37, par. 16 (résumé des débats) : « Il a également été dit que le terrorisme d’État était la forme de terrorisme la plus dangereuse ». 160 A/68/37, préambule, 7ème considérant pour le financement du terrorisme, 8ème considérant pour l’implication directe ou indirecte de l’État.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 48  

l’ancien article 19 du projet sur la responsabilité des États, et des raisons de son

insuccès.

D. La tragédie de l’ex art.19

Le projet d’article de responsabilité des États de 1976, tel qu’adopté par la

CDI la même année est une révolution inachevée. Si le projet d’article ne parle

que des actes illicites, excluant ainsi tous les dommages simples de son champ

d’application, il manque à faire la distinction entre crime et délit dans la

responsabilité des États. Le crime international était défini comme une violation

par un État d’une obligation si essentielle pour la sauvegarde d’intérêts

fondamentaux que cette violation est reconnue comme un crime par la

communauté dans son ensemble. L’idée était d’instituer une responsabilité de

l’État pour les obligations erga omnes161, et de permettre à tous les États de

poursuivre un autre État pour ces violations si graves pour la communauté

internationale (l’actio popularis). Nous admettons avec Crawford l’idée qu’un

crime ne peut être puni sans loi ou norme,162 et que d’admettre la notion de crime

aurait dû avoir comme corollaire nécessaire la définition de ces crimes erga

omnes.163 Pourtant, la non-admission de la notion de crime conduit de facto à ne

pas promouvoir de révolution dans le domaine des garanties procédurales.

Admettre la notion de crime aurait poussé la communauté internationale à

admettre un plus grand développement de notion telle que le due process. Au

final, entre la question de l’établissement de crime par rapport aux délits, on pose

la question de la judiciabilité du jus cogens. Mais le jus cogens est indéfini, et la

question de leur justiciabilité est controversée. La perte de la notion de crime

d’État constitue une tragédie pour l’établissement du terrorisme d’État, car ces

actes ne sont pas tous couverts par la notion de crime contre l’humanité, mais                                                                                                                161 CIJ, Barcelona Traction, Light and Power Company Limited, 1970, par.33 162 Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense contre l’exception préjudicielle d’incompétence, arrêt du 2 octobre 1995, affaire n°IT-94-1-T, par. 143 163 J. Crawford, The International Law Commission’s article on state responsability : introduction, text and commentary, Cambridge University Press, 2002, p.18

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 49  

constituent tous des violations graves aux droits humains. Pour cette raison, la

perte de l’art. 19 est une tragédie pour le terrorisme d’État et le développement

du droit international comme un système de droit.

2. Au niveau national

A. Le Jugement du Tribunal Spécial pour le Liban

L’établissement même du TSL est une forme de retour en arrière dans le

ad-hocisme auquel la Cour Pénale International était censé mettre fin. Mais dans

la situation d’espèce, l’assassinat politique ne serait pas tombé dans la catégorie

des crimes contre l’humanité dû à l’absence du caractère « systématique et

répétées » de l’attaque.164 Le TSL est le premier Tribunal Spécial à juger de cas

de terrorisme. La spécificité du TSL est de juger selon le droit libanais, et

d’appliquer la définition de terrorisme du Code Pénal Libanais.165 Dans son

jugement sur l’applicabilité du terrorisme, le Tribunal Spécial sur le Liban a admis

le terrorisme comme un crime international. Ce raisonnement ne peut nous

satisfaire. Déjà, parce que dans l’arrêt de la Cour internationale de Justice sur le

Génocide en Bosnie, la Cour a clairement rappelé que ce n’était pas du ressort

d’une Cour spéciale que de s’intéresser aux questions de droit international

public. Nous pouvons donc douter de la validité de cette appellation de terrorisme

comme un crime international. De plus, le crime d’agression a mis plus de 100

ans avant de trouver une définition consensuelle on sein de la communauté

internationale. Le crime de terrorisme est encore très loin de trouver un tel

consensus. Enfin, nous pouvons critiquer l’utilisation du code pénal libanais pour

établir un crime international. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, certaines

analogies de droit privé tiennent la route. D’autres sont absurdes et sans

fondement. Tel est le cas pour le terrorisme, car tous les codes pénaux ne

                                                                                                               164 A noter que les crimes contre l’humanité peuvent être commis en temps de paix , art. 1.b) Convention sur l’imprescribilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité adoptée par A/RES/2391 (XXIII) du 26 novembre 1968. 165 Voir Jugement du TSL du 16 février 2011, STL-II-OIIIIAC/R176bls en particulier par. 81

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 50  

punissent pas le terrorisme en tant que crime caractéristique. A l’inverse, tous les

codes civils contiennent la notion de pacta sunt servanda. De la même manière,

tous les codes punissent les actes criminels, ce qui justifie l’acceptation du crime

de guerre, mais le terrorisme est un acte particulier, que tous les États ne

punissent pas nécessairement. Le manque d’analyse sur la formation de l’opinio

juris sur ce point par le tribunal spécial rend sa qualification de l’acte de

terrorisme comme un crime international instable.166 Pour cette raison d’analogie

avec le droit privé surtout, la constatation de crime de terrorisme comme un

crime international ne nous convainc pas. De plus, ce jugement ne nous mène

pas encore vers une responsabilité de l’État, que ce soit à titre de due diligence

de la part de l’État Libanais, ou de responsabilité pour l’implication d’États

étrangers dans la planification de cette attaque.

Toutefois, nous ne rejetons la définition du terrorisme par le TSL dans son

entier. Nous sommes seulement critiques envers la méthode qui pousse le TSL à

affirmer de but en blanc avoir donné une définition internationale du terrorisme.

Nous sommes d’accord avec le fond de la définition de terrorisme, mais non sur

la méthode, qui nous pousse à rejeter l’utilisation de la définition du TSL comme

étant absolue. Dû à l’absence d’universalité de cette décision, nous avons

préféré utiliser des critères propres au terrorisme d’État. Ce point sera abordé

plus en profondeur lors de la soutenance.

                                                                                                               166 Voir STL-II-OIIIIAC/R176bls, par. 104ss

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 51  

Oui, ce n’est que par la violence qu’on peut

en parei l cas rétabl ir la paix et faire régner la

just ice.

Jean-Paul Marat167

VI. Conclusion

Parler de terrorisme d’État, c’est parler de collision frontale entre les droits

fondamentaux de l’État et les droits fondamentaux de l’Individu, entre le principe

d’égalité souveraine entre les États et celle d’égalité entre les Hommes. Le

terrorisme d’État est un concept bien trop grand, bien trop large pour être défini

simplement. De manière objectivée, soit en retirant les éléments de « terreur » et

de « fin politique » pour ne garder que le squelette des violations graves aux

droits humains, le terrorisme d’État est couvert en partie par les crimes de guerre

et les crimes contre l’humanité tels que définis dans le Statut du Tribunal Militaire

de Nuremberg et dans le Statut de la Cour Pénale Internationale. Ces crimes

sont imprescriptibles, et ont l’avantage de couvrir les situations en temps de paix

- pour les crimes contre l’humanité - comme en temps de guerre. Mais ces

crimes ne couvrent pas toutes les possibilités, et des lacunes dans la justiciabilité

des crimes politiques se fait largement ressentir par l’absence de l’ancien art.19

du Projet sur la Responsabilité des États pour actes illicites. Cet article avait le

mérite de poser les mêmes problèmes pour l’état de droit en droit international

que ceux que posent le terrorisme d’État, à savoir 1) le fait que les violations

graves aux droits humains ne sont pas proprement définie (principe sine lege),

bien qu’elles semblent inclure définitivement le droit à la vie, l’interdiction de la

torture et certains droits procéduraux ; 2) Qu’il manque d’instruments

                                                                                                               167 MARAT, J.-P., Observations de l’Ami du Peuple, L’Ami du Peuple, N°635, 20 Avril 1792, in MARAT, J.-P., Œuvres Politiques, 1789-1793, Texte et Guide de lecture établis par Jacques de Cock et Charlotte Goëtz, Tome VII, Pôle Nord, Bruxelles, 1995, ISBN 2 – 930040 – 10 – 6.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 52  

procéduraux pour investiguer sur ces crimes, ou que ces instruments

procéduraux soient le résultat d’une justice globale à deux vitesses ; 3) qu’il

devrait y avoir des garanties procédurales suffisantes pour permettre un

jugement dénudé d’arbitraire ; 4) un moyen de fournir un dédommagement

approprié pour les crimes erga omnes qui satisfassent l’ensemble de la

communauté internationale ; 5) un moyen d’expiation satisfaisant pour les crimes

erga omnes.168

Ces problèmes sont des problèmes systémiques du droit international. Il

n’y a que peu de doutes possibles sur l’idée que le terrorisme d’État existe dans

la vision subjective du droit international par les États, vu le nombre de

qualifications dans les résolutions d’organisations internationales, et en particulier

de l’Assemblée Générale de l’ONU, son seul organe résolument démocratique.

De plus, un certain nombre de déclarations unilatérales et de jugements

internationaux corroborent cette vision qu’une forme de terrorisme d’État existe.

Mais au jour d’aujourd’hui, son intégration et sa reconnaissance en tant que

concept de droit poseraient des problèmes fondamentaux pour le système de

droit.

Sur ce point, nous retrouvons notre titre : le terrorisme d’État est un défi

pour l’état de droit en droit international. Comme nous l’avons vu en Introduction,

l’état de droit requiert cinq éléments, et chacun d’entre eux est défié directement

par un cas de terrorisme d’État. Premièrement, la norme selon laquelle personne

n’est au dessus ni en dehors du droit est bloquée par le droit de veto des cinq

membres permanents du Conseil de Sécurité, qui de facto sont au dessus des

lois quant on aborde la question de la menace ou de l’emploi de la force.

Deuxièmement, la norme du respect des procédures et des modes décisionnels

                                                                                                               168 Voir J. Crawford, The International Law Commission’s article on state responsability : introduction, text and commentary, p.18

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 53  

démocratiques est une question délicate, et changeante. Plus de poids est donné

aujourd’hui à la formation démocratique du droit international,.169 Mais la question

de l’intervention armée dans la responsabilité de protéger est typiquement un

point sur lequel le manque de démocratie dans la communauté internationale se

fait ressentir. Le changement de régime qui a suivi l’opération armée en Lybie est

à maints égards anti-démocratique et porte atteinte à l’état de droit.

Troisièmement, il faut des formes de restrictions légales au pouvoir du Conseil de

Sécurité. Or, la Cour international de Justice a toujours refusé de vérifier la

validité des résolutions du Conseil de Sécurité,170 poussant parfois d’autres

Cours à répondre à sa place, ce qui met en péril le système du droit de la Charte,

dû à la fragmentation du droit international par les interprétations emplies de

spécificités régionales.171Quatrièmement, il faut une forme de constitution, et

l’idée de la Charte des Nations Unies comme une Constitution Globale est

suffisamment controversée pour ne pas avoir besoin de nous étendre ici. Enfin,

l’affirmation selon laquelle nous ne vivons pas dans un monde juste est très

probablement l’affirmation la moins controversée de ce mémoire. S’il est vrai que

l’établissement de la Cour Pénale Internationale a été un grand pas en avant

pour l’établissement de la justice selon l’état de droit, elle ne met pourtant pas fin

au ad-hocisme des tribunaux spéciaux, ni ne garanti une justice pour tous.

Peu de concepts en droit international ont le mérite de soulever des

questions aussi complexes sur les tous les aspects du maintien de la paix, et sur

les fondements du droit international et de la justice globale, mais celui-ci apporte

particulièrement peu de réponse. Lorsque l’on va au bout de l’analyse du

concept, nous arrivons à la limite du droit international sur tous les points. Dans

le jus ad bellum, le terrorisme d’État questionne la licéité de l’emploi de la

                                                                                                               169 W. M. Reisman, The Quest for World Order and Human Dignity in the Twenty-first Century : Constitutive Process and Individual Commitment, General Course on Public International Law, 2010, RCADI 351, Brill, Leiden-Boston, pp.155-167 170 CIJ, affaire Lockerbie, par.154 171 CJUE, Commission c. Kadi, affaire C-584/10 P, 18 juillet 2013,.

LE  TERRORISME  D’ÉTAT  :  UN  DEFI  POUR  L’ETAT  DE  DROIT  EN  DROIT  INTERNATIONAL 54  

légitime défense contre des individus.172 Dans le jus in bello, le terrorisme d’État

questionne la notion de combattant. Dans le droit de la responsabilité des États, il

questionne la justiciabilité des droits humains à caractère péremptoire. Ouvrir le

concept de terrorisme d’État, c’est ouvrir la boîte de Pandore pour constater que

le droit international est encore loin de l’état de droit. Le terrorisme est une notion

politique, dénuée de toute implication juridique et mérite assez peu de

considération en droit. Mais en droit international, beaucoup de choses sont

accomplies par la seule volonté des États. Comme Sisyphe qui chaque jour roule

sa pierre à bout de bras jusqu’en haut de la montagne, pour qu’au bout de sa

peine, enfin, presque au sommet, il voit l’entier de son effort retomber en bas de

la vallée. Pourtant, cette absurde destinée rends Sysiphe heureux chez Camus.

Pour lui, la volonté d’arriver suffit à tout.173 Le terrorisme d’État, comme concept

de droit international, possède toutes les couleurs grecques des héros de

l’absurde.

                                                                                                               172 Voir CIJ, Activité armés sur le territoire du Congo, par. 168 173  A. Camus, Le mythe de Sisyphe, 1985, Gallimard, collection Folio p.70