La Constitution : une arme efficace dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

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LA CONSTITUTION : UNE ARME EFFICACE DANS LE CADRE DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ? Carolina Cerda-Guzman P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2008/1 - n° 73 pages 41 à 63 ISSN 1151-2385 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-1-page-41.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cerda-Guzman Carolina, « La Constitution : une arme efficace dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ? », Revue française de droit constitutionnel, 2008/1 n° 73, p. 41-63. DOI : 10.3917/rfdc.073.0041 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 194.214.161.15 - 10/04/2014 17h50. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 194.214.161.15 - 10/04/2014 17h50. © P.U.F.

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LA CONSTITUTION : UNE ARME EFFICACE DANS LE CADRE DE LALUTTE CONTRE LE TERRORISME ? Carolina Cerda-Guzman P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2008/1 - n° 73pages 41 à 63

ISSN 1151-2385

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Revue française de droit constitutionnel, 2008/1 n° 73, p. 41-63. DOI : 10.3917/rfdc.073.0041

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La Constitution : une arme efficacedans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?*

CAROLINA CERDA-GUZMAN

Revue française de Droit constitutionnel, 73, 2008

Carolina Cerda-Guzman, allocataire de recherches à l’Université Montesquieu Bor-deaux IV-CERCCLE.

* Cet article est issu d’une contribution présentée lors du VIIe Congrès de l’Associationinternationale de droit constitutionnel qui s’est déroulé à Athènes du 11 au 15 juin 2007.Il a été honoré du prix Kassimatis du congrès de l’AIDC.

1. 11 mars 2007, « Camps destaca que la marcha supone “un sí a la libertad y a la Consti-tución” », http://www.lasprovincias.es/valencia/prensa/20070311/tema_dia/camps-destaca-marcha-supone_20070311.html

2. A. Garapon, « Les dispositifs anti-terroristes de la France et des États-Unis », Esprit,août-septembre 2006, p. 125.

3. J. Morange, Droits de l’homme et libertés publiques, PUF, coll. « Droit fondamental »,Paris, 3e éd., 1995, p. 91.

Lors de la 3e commémoration des attentats qui frappèrent la gared’Atocha le 11 mars 2004, Francisco Camps, le Président de la Genera-litat de Valence, a pu dire que : « la Constitution est l’instrument pouréradiquer définitivement toute activité terroriste »1. Bien que ces proposconcernent au premier chef l’Espagne, ils résument parfaitement l’en-semble des interrogations qui assaillent aujourd’hui un grand nombre desociétés démocratiques. Ces dernières sont, en effet, actuellementconfrontées au défi suivant : comment lutter efficacement contre le ter-rorisme sans trahir leurs propres valeurs ?

Ce défi renvoie en réalité à l’éternelle question de la « balance » entreliberté et sécurité. En fondant la société sur la base du sacrifice d’unepartie de la liberté individuelle en échange de la sécurité, Hobbes avaitpermis de mettre en exergue l’importance capitale de la sécurité. Cettedernière constitue le bien politique le plus « fondamental »2, puisquefaute de maintien de l’ordre public, régnerait alors la loi du plus fort,remettant ainsi en cause l’exercice concret des libertés3.

Pourtant, la sauvegarde de la sécurité peut-elle réellement justifierdes restrictions massives aux libertés fondamentales ? L’adage salus populi

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suprema lex s’impose-t-il systématiquement ? D’après le juge RobertJackson, la primauté de la sécurité est telle que les déclarations de droitscontenues dans les Constitutions ne peuvent en aucune mesure consti-tuer une entrave à l’anéantissement des différentes menaces à l’ordrepublic4. Cette analyse fondée sur la supériorité de l’urgence sécuritairefait nécessairement écho à la notion de « guerre juste » développée parCarl Schmitt. Selon ce dernier, la notion de « guerre juste » basée surune « juste cause » peut être invoquée pour légitimer un « droit à l’ur-gence » supérieur au droit positif 5. Dans le cadre de cette lutte contredes « ennemis injustes », les règles de procédure sont alors considéréescomme un handicap et seul un réflexe « d’auto-immunisation »6 per-mettrait de restaurer la sécurité.

Cependant, depuis Hobbes, la nature du Léviathan a changé. Suite auconstitutionnalisme et à la reconnaissance de droits fondamentaux, labalance entre liberté et sécurité s’était rééquilibrée. Les libertés fonda-mentales n’étaient plus conçues comme un simple objet de transactionmais comme un acquis indérogeable. Le traitement de la menace terro-riste remettrait-il à nouveau en cause cet équilibre ?

Une réponse négative s’impose car, dans le cas contraire, les libertésseraient détruites et les terroristes seraient alors parvenus à leurs fins.Mais une telle réponse implique une obligation pour les États de droitdémocratiques d’appréhender le phénomène terroriste par des instru-ments juridiques conformes à leurs principes fondamentaux et plus par-ticulièrement à leur texte fondateur : la Constitution, tel que le préco-nise donc Francisco Camps.

Pourtant, l’utilisation de la Constitution en tant que moyen de luttecontre le terrorisme paraît au premier abord relativement surprenante,essentiellement parce que « Constitution »7, et « terrorisme » sont deuxtermes a priori antinomiques.

Le terrorisme s’oppose radicalement à l’idée même de « Constitu-tion » puisqu’il vise à la remise en cause de l’ordre politique établi8. Leterrorisme est inconciliable avec le fait de vivre en société de manière

4. Il avait déclaré : « Nous ne pouvons laisser notre Constitution et notre sens de la pro-cédure devenir un pacte suicidaire ». Déclaration émise suite à l’affaire « Terminiello vs.Chicago », datant de 1949. Cf. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush unemenace pour le patriotisme américain », Esprit, juin 2002, p. 15.

5. Cf. L’analyse actualisée de l’œuvre de Carl Schmitt : J.-C. Monod, « Vers un droitinternational d’exception ? », Esprit, août septembre 2006, p. 173-193.

6. Cette notion a été développée par Jacques Derrida pour illustrer la tentation de cer-tains États d’introduire en leur sein de la violence pour lutter contre la violence ; ils s’ino-culeraient eux-mêmes le venin contre lequel ils luttent. Cf. J. Derrida, Voyous, Éd. Galilée,Paris, 2003.

7. Par « Constitution », l’auteur entend seulement traiter des Constitutions démocra-tiques. Ainsi, la question épineuse du terrorisme d’État ne sera pas traitée dans ces pages.

8. Cf. H. Ascensio, « Terrorisme et juridictions internationales », in Les nouvelles menacescontre la paix et la sécurité internationales. Journée franco-allemande de la Société française pour ledroit international, Éd. A. Pédone, Paris, 2004, p. 272.

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civilisée et c’est en cela qu’il est intrinsèquement illicite et inconstitu-tionnel. De plus, il est acquis que le terrorisme relève davantage de lasphère politique que de la sphère juridique9, car « les concepts et lajurisprudence glissent (…) sur cette forme de violence »10.

Cependant, suite à l’émergence d’un terrorisme mondial ou pourreprendre l’expression « schmittienne » suite au passage du « partisantellurique » au « partisan motorisé »11, il semblerait qu’une certaineforme de conciliation entre ces deux termes soit envisagée par les États,laquelle se concrétiserait notamment par la constitutionnalisation duterrorisme, comme en atteste la révision constitutionnelle portugaise de200112. L’utilisation de dispositions constitutionnelles pour lutter contrele terrorisme semble être de plus en plus considérée comme le moyen leplus efficace pour faire face à cette menace.

Cet intérêt pour le droit constitutionnel peut s’expliquer, notam-ment, par la liaison qu’il établit entre le droit national et le droit inter-national13 et du lien extrêmement ténu qu’entretiennent actuellementsécurité intérieure et sécurité extérieure14. Il semblerait que le droitinterne soit plus efficace dans le cadre de la lutte anti-terroriste que ledroit international classique. Comme le confirment de nombreux spécia-listes, le droit international, tel qu’il se présente actuellement, n’offrepas de réponse satisfaisante de ce point de vue, bien que depuis 1945 lenombre de normes juridiques traitant de cette question se soit accru15.Par exemple, le droit de la guerre n’est pas pleinement opérationnel,puisque que « la guerre conventionnelle passe au second plan »16. Deplus, les juridictions internationales ne contribuent qu’à la marge à larépression du terrorisme17. De fait, la responsabilité des États dans la

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9. X. Philippe, « Constitution et terrorisme en Afrique du Sud », AIJC, XIX, 2003, p. 11.10. F. Thuillier, « La menace terroriste : essai de typologie », Revue politique et parlemen-

taire, n° 1028, janvier-février-mars 2004, p. 37.11. Carl Schmitt, Théorie du partisan, trad. fr. M.-L. Steinhauser, Paris, Calmann-Lévy,

1972, rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs ».12. Loi constitutionnelle n° 1/2001 du 12 décembre 2001. Cf. R. Pereira, « Portugal-

Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection des droits fondamentaux », AIJC,XVIII, 2002, p. 305-318.

13. T. S. Renoux, « France-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection desdroits fondamentaux », AIJC, XVIII, 2002, p. 195-244.

14. F. Thuillier, « La menace terroriste : essai de typologie », article préc., p. 41.15. P. Tavernier, « Compétence universelle et terrorisme », in Les nouvelles menaces contre

la paix et la sécurité internationale. Journée franco-allemande de la Société française pour le droitinternational, Éd. A. Pédone, Paris, 2004, p. 237-252.

16. J.-C. Monod, « Vers un droit international d’exception ? », article préc., p. 173.17. Pour l’instant les juridictions internationales ne peuvent être saisies que de conten-

tieux marginaux, par exemple sur des affaires portant sur le partage des rôles en matière derépression ou sur la réparation de certains actes terroristes imputables à un État (commedans l’affaire de Lockerbie). Seules certaines juridictions internationales pourraient aller jus-qu’à juger des mesures prises par les États pour lutter contre le terrorisme (comme la Coureuropéenne des droits de l’homme) mais pour l’instant aucune n’est habilitée à juger un acteterroriste sans lien avec un conflit armé conventionnel. Cf. H. Ascensio, « Terrorisme etjuridictions internationales », article préc., p. 272 à 276.

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prise en charge d’un tel risque a été confirmée par l’exclusion de la luttecontre le terrorisme du statut de la Cour pénale internationale18. Ce rela-tif désintérêt du droit international classique pour la question terroristen’est d’ailleurs pas perçu comme négatif pour nombre de juristes. Parexemple, pour Hervé Ascencio, « l’élévation » du jugement des terro-ristes au niveau international porterait en elle un inconvénient majeur,qui serait celui de « placer violence étatique et violence privée sur lemême plan »19. Par conséquent, l’avènement d’un terrorisme internatio-nal semble, de manière étonnante, marquer le retour du modèle west-phalien, et donc de l’utilisation massive des normes internes, notammentla norme constitutionnelle.

Après le choix opéré par certains pays de passer par le droit constitu-tionnel pour lutter contre le terrorisme, l’heure est maintenant de s’in-terroger sur la pertinence d’un tel choix : la Constitution est-elle réelle-ment un outil efficace pour lutter contre le terrorisme ? Ou encore demanière plus précise : la Constitution permet-elle de trouver un justeéquilibre entre la nécessité de se prémunir contre les risques terroristeset l’exigence du respect des droits et libertés fondamentaux, y comprisceux des terroristes ?

I – LA CONSTITUTION : UNE ARME EFFICACE POUR GARANTIR LA SÉCURITÉ DES CITOYENS ?

En réponse à la menace terroriste latente, l’analyse des différentesexpériences permet de constater l’émergence d’une nouvelle tendance :celle du traitement accru du terrorisme par les constitutions nationales.Toutefois, cette tendance n’est pas généralisée. En effet, la grande majo-rité des pays lutte contre le terrorisme sans passer directement par letexte constitutionnel du fait du silence de leur Constitution, mais sur-tout du fait de l’inefficacité du texte constitutionnel pour assumer unetelle fonction.

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18. Ces infractions ne furent pas retenues, faute de consensus. Seuls les actes de terrorismeaccomplis dans le cadre d’un conflit armé conventionnel peuvent être poursuivis. Cf. Confé-rence diplomatique de plénipotentiaires des Nations-Unies sur la création d’une CourPénale Internationale, Rome, 15 juin-17 juillet 1998, Documents officiels, vol. II, A/Conf.183/13, p. 184 à 194 ; H. Ascensio, « Terrorisme et juridictions internationales », articlepréc., p. 272 et 279.

19. H. Ascensio, « Terrorisme et juridictions internationales », article préc., p. 277.D

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A – LE TRAITEMENT DU TERRORISME PAR LES CONSTITUTIONS

1 – La constitutionnalisation du terrorisme

La constitutionnalisation du terrorisme serait-elle en marche ? Pourl’instant, il serait difficile de pouvoir l’affirmer. Néanmoins, certains élé-ments permettent d’aller dans ce sens.

Certes, aucune Constitution ne définit le terrorisme. Cependant uncertain nombre de constitutions récentes mentionnent directement etexplicitement le mot « terrorisme », mais dans des buts assez différents.Deux voies semblent alors se dessiner : certaines démocraties visentessentiellement à constitutionnaliser la sanction assignée aux personnesaccusées de terrorisme, alors que d’autres cherchent à préciser le cadredans lequel doit s’inscrire la lutte préventive.

Concernant la constitutionnalisation de la sanction, deux pays peu-vent être cités.

Tout d’abord, le cas du Chili et de l’article 9 de sa Constitution20. Lamention du terrorisme dans le texte constitutionnel chilien est une nou-veauté de la Constitution de 1980 rédigée sous la dictature du généralAugusto Pinochet, qui fut préservée depuis le retour à la démocratie. Lebut de cette disposition est de condamner constitutionnellement le ter-rorisme du fait de son opposition radicale aux droits fondamentaux.Dans ce cadre, la Constitution fixe une liste, non exhaustive, de sanc-tions relativement lourdes. Ainsi, une personne accusée de terrorismepourra, pendant une durée de quinze ans, se voir interdire d’assumer uncertain nombre de charges (publiques ou privées), voire être condamnéeà la peine de mort. Par ailleurs le texte constitutionnel tient à préciser lanature de l’infraction terroriste. Cette dernière ne pouvant relever quedes délits de droit commun et non pas des délits politiques21.

Le Pérou se situe dans cette même perspective, puisque la Constitu-tion de 1993 prévoit également la peine de mort pour les personnes cou-pables d’actes terroristes (article 140 de la Constitution), tout commeelle refuse la qualification de délit politique aux actes terroristes (arti-cle 37 de la Constitution).

Bien que ces deux Constitutions ne fournissent pas une définition duterrorisme, elles se sont fixées pour mission de sanctionner gravement lesactes terroristes. La posture espagnole est, quant à elle, sensiblement dif-férente, puisqu’elle vise davantage à constitutionnaliser les méthodes delutte préventive contre les attaques terroristes.

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20. J. L. Cea Egaña, Derecho constitucional chileno, tomo 1, Textos universitarios, Edicionesde la Universidad católica de Chile, Santiago, 2001, p. 261-276.

21. Les conséquences d’une telle disposition seront abordées dans la partie suivante del’article.

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La Constitution espagnole est probablement l’un des premiers textesde ce type à envisager de manière explicite le phénomène terroriste22.Cependant, la particularité du texte ibérique ne se réduit pas à cetteseule précision. Ainsi, l’Espagne a souhaité consacrer constitutionnelle-ment la lutte préventive, à l’article 55-2, plutôt que de se limiter à uneénumération de sanctions. Cette solution présente de grands avantages,puisqu’elle fixe au législateur un cadre stable dans lequel intervenir : ilne pourra agir qu’à travers le vote d’une loi organique et ne pourra tou-cher qu’une liste de droits clairement établis, permettant ainsi, d’unepart, d’assurer une certaine sécurité aux citoyens et, d’autre part, de faci-liter la tâche du juge constitutionnel.

Ces trois exemples de constitutionnalisation ne sont pas les seuls,mais ils sont les plus significatifs, l’exemple portugais, précédemmentévoqué, se situant dans une position intermédiaire puisque le texteconstitutionnel vise à la fois à traiter les modalités de jugement des per-sonnes accusées de terrorisme (actuel article 207-1) comme à améliorerla lutte anti-terroriste en assouplissant les conditions d’entrée des forcespubliques dans les domiciles (article 34-3). Il arrive que d’autres paysmentionnent le terrorisme dans leur Constitution mais en lui attribuantune moindre portée. Par exemple, la Constitution du Brésil, dans sonarticle 4, précise uniquement que ses relations internationales serontguidées sur la base d’un certain nombre de principes, dont notamment,le refus du terrorisme.

Néanmoins, les cas de constitutionnalisation du terrorisme sont assezpeu nombreux. En réalité, la lutte contre le terrorisme passe davantagepar le biais de dispositions constitutionnelles d’une toute autre nature :celles qui encadrent les régimes d’exception.

1 – L’utilisation des régimes d’exception mentionnés dans la Constitution

Bien que dans de nombreuses Constitutions, le terme « terrorisme »ne soit pas directement mentionné, il existe dans ces textes des outilsexceptionnels pour agir en cas d’attaques terroristes. De manière géné-rale, dans ces régimes de crise, les garanties constitutionnelles subsistentmais elles sont réduites au strict minimum avec pour but ultime de res-taurer l’ordre dans l’État23. Ainsi, en cas de circonstances exceptionnelles,le texte constitutionnel fait volontairement pencher la « balance » en

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22. J. J. Solozabal Echavarria, « Espagne-Table ronde : lutte contre le terrorisme et pro-tection des droits fondamentaux », AIJC, XVIII, 2002, p. 151-160.

23. Ces régimes relèvent de ce que Schmitt appelait la « dictature du commissaire ». Cf.M. Weyembergh, « Le terrorisme et les droits fondamentaux de la personne. Le problème »,in Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, (dir.) E. Bribosia et A. Weyembergh, Bruy-lant, Bruxelles, 2002, p. 11-35.

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faveur de la sécurité, sans toutefois la faire totalement basculer. Cesrégimes, intitulés selon les pays, « état d’urgence », « de crise », « desiège », « de nécessité » (…), ne traitent pas directement du terrorismemais un attentat ou une série d’attentats pourraient justifier leur mise enœuvre.

Par exemple, en cas d’attaques terroristes, le Président de la Répu-blique française pourrait faire usage des pouvoirs exceptionnels prévus àl’article 1624. Ce régime permet de donner de manière temporaire latotalité des pouvoirs législatifs et réglementaires au chef de l’État. LaFrance dispose également de l’article 36 concernant l’état de siège quipermet de dessaisir les autorités civiles du pouvoir de police générale auprofit des autorités militaires mais uniquement en cas de péril imminentrésultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée.

De même l’Espagne a inséré dans sa Constitution plusieurs disposi-tifs distincts (article 116) : l’état d’alerte, l’état d’exception et l’état desiège. De son côté la Grèce compte également sur des dispositions spéci-fiques et générales pouvant s’appliquer aussi bien dans le cadre de lalutte préventive contre le terrorisme comme dans le cas d’une attaque25.

La loi fondamentale allemande prévoit également des mécanismes deprotection de l’intégrité de l’ordre constitutionnel26. Par exemple la lutteanti-terroriste pourrait, entre autres, fonder la limitation de certainsdroits fondamentaux, ou donner lieu à la déchéance de certains autresdroits. De plus, une attaque terroriste pourrait justifier la mise en placedes dispositions concernant l’état de nécessité intérieur et extérieur, défi-nis aux articles 91 et 115a de la Loi fondamentale. Néanmoins pourassurer l’applicabilité de ces mesures, certains hommes politiques, dontle ministre de l’Intérieur Wolfgang Schaüble27, proposent de redéfinirl’état de nécessité afin d’y inclure explicitement le terrorisme.

Sur un autre continent, l’Afrique du Sud, qui fut, elle aussi, touchéepar des attentats en 1999, dispose, dans son arsenal juridique, de dispo-sitions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence (article 37 de laConstitution) ou à l’état de défense nationale (article 203 de la Consti-tution). La particularité de la Constitution sud-africaine, et qui constitueun avantage intéressant pour bien des commentateurs28, réside dans les

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24. T. S. Renoux, « France-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection desdroits fondamentaux », article préc., p. 205.

25. K. Mavrias, « Grèce-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection des droitsfondamentaux », AIJC, vol. XVIII, 2002, p. 245-265.

26. C. Grewe et K.-P. Sommermann, « Allemagne-Table ronde : lutte contre le terro-risme et protection des droits fondamentaux », AIJC, XVIII, 2002, p. 71-90.

27. Diverses déclarations de Wolfgang Schaüble vont dans le sens d’une révision consti-tutionnelle. Cf. C. de Corbière, « L’Allemagne pourrait abattre un avion détourné », LeFigaro, 3 janvier 2007 ; P. Bocev, « Anti-terrorisme : Schaüble en veut toujours plus », Le Figaro, 20 avril 2007.

28. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », Esprit, août/sep-tembre 2006, p. 157.

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modalités d’instauration de cet état d’urgence. En effet, le mécanisme dece régime d’exception se fonde sur une gradation en deux temps. Ainsi,si la Constitution permet l’instauration de l’état d’urgence sur simplevote majoritaire à l’Assemblée nationale, celle-ci ne vaut cependant quepour une période de trois mois, au bout de laquelle toute prolongationdoit être votée par au moins soixante pour cent des membres de l’As-semblée. Un tel mécanisme est très intéressant car il permet à la foisd’agir rapidement, grâce au vote à la majorité simple, tout en permet-tant une certaine forme de contrôle et un certain droit de parole à l’op-position au moment du vote de la prolongation de l’état de défense.

Ainsi, de nombreuses Constitutions prévoient un cadre juridiqueparticulier pour gérer les situations de crise. Ces dispositions sont-ellespour autant efficaces ? Ou comme le formule si bien Marc-OlivierPadis : « l’état d’exception est-il le terme de la lutte anti-terroriste ? »29

L’utilité théorique de ce type de dispositions est certaine. Comme lerappelle Bruce Ackerman, ces dispositions exceptionnelles permettentavant tout et surtout d’ « empêcher nos dirigeants d’exploiter les pani-ques à venir »30, en fixant un cadre juridique réduisant les risques d’ar-bitraire. L’État de droit gagne à officialiser ces états d’exception.

Néanmoins, l’utilité de ces régimes n’est pas systématique.Certaines dispositions peuvent difficilement être utilisées dans le

contexte présent. Ce sont toutes celles qui créent un régime spécifiqueexclusivement pour les temps de guerre. Certes, certains dirigeants poli-tiques assimilent la lutte contre le terrorisme à une guerre, en se basantnotamment sur la Résolution 1368 du 12 septembre 2001 du Conseil desécurité des Nations-Unies31. Cependant, juridiquement, cette positionest fragile car dans le cadre d’un terrorisme mondialisé, il n’existe pasclairement de nation ennemie ou amie. Ce ne sont pas les États qui sefont la guerre, mais ce sont des groupes « a-territoriaux » qui mettent enpéril la sécurité des États. Par conséquent, l’utilisation de toute disposi-tion constitutionnelle qui modifie la répartition des compétences entemps de guerre est juridiquement contestable dans le cadre de la luttecontre le terrorisme.

En outre, comme l’a précisé Bruce Ackerman, il existe une « distinc-tion radicale entre les crises existentielles du XXe siècle et les menacesterroristes dont le XXIe siècle sera sans doute ponctué »32. Certes, les ter-roristes actuellement représentent une menace pour la souveraineté del’État, mais cette menace ne vise pas directement à installer un pouvoir

Carolina Cerda-Guzman48

29. M.-O. Padis, « Introduction. Sécurité et terrorisme : un défi pour la démocratie »,Esprit, août/septembre 2006, p. 69.

30. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », article préc., p. 151.31. C. Grewe et K.-P. Sommermann, « Allemagne-Table ronde : lutte contre le terro-

risme et protection des droits fondamentaux », article préc., p. 74.32. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », article préc., p. 155.

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étranger à la tête de l’État ou à opérer un véritable coup d’État, tel qu’ilse définissait à la fin du XXe siècle. Ainsi, si par exemple une attaque ter-roriste venait à frapper la France, il n’est pas sûr que l’article 16 ou l’ar-ticle 36 soient nécessairement utilisés et utilisables33.

Enfin, l’utilisation généralisée des régimes d’exception pose en elle-même quelques problèmes. Du fait du caractère permanent de la menaceterroriste, leur utilité n’est que très relative à moins que l’exception netende à devenir la règle, comme cela semble être le cas en Égypte34. Cepays a souffert, lui aussi, de nombreuses attaques terroristes. L’ampleurdu massacre de Luxor avait justifié en son temps l’établissement de l’étatd’urgence. Or depuis 1997, ce régime d’exception n’a eu de cesse qued’être reconduit par un vote du Parlement. Bien que lors de sa campagneprésidentielle, Hosni Moubarak, s’était engagé à remplacer cet état d’ur-gence par une législation anti-terroriste, ceci n’eut pas lieu et le Parle-ment égyptien dut, en mai 2006, reconduire à nouveau pour deux anscet état d’urgence. Ces multiples prorogations sont plus que contestablescar, d’une part, les faits manquent pour justifier ces prorogations, puis-qu’entre le massacre de 1997 et les attentats de Taba, en octobre 2004,il n’y a pas eu de terrorisme en Égypte. D’autre part, ces multiples pro-rogations attestent par elles-mêmes de leur inefficacité à éradiquer lesmenaces terroristes sur le territoire égyptien.

Il faudrait donc penser à créer des régimes d’exception davantagespécialisés, qui adapteraient les pouvoirs selon les facteurs déclenchantsde la crise, comme le recommande Bruce Ackerman35. La spécificité duterrorisme mondial induit la création de nouveaux pouvoirs de l’Étatmais également de nouvelles limites à ceux-ci. Ces développements per-mettent néanmoins de conclure à une certaine prise en charge, par laConstitution, du traitement de la menace terroriste. Cette attitude est-elle généralisable ?

B – LA CONSTITUTION : UN OUTIL RELATIVEMENT PEU UTILISÉ CAR PEU UTILE ?

1 – Le silence de certaines Constitutions

La majorité des Constitutions actuellement en vigueur ne mentionnepas le « terrorisme » dans leur texte et les exemples sont trop nombreuxpour pouvoir les citer : Suisse, France, États-Unis, Italie, Japon… Cephénomène n’est pas en soi particulièrement surprenant étant donné le

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 49

33. T. S. Renoux, « France-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection desdroits fondamentaux », article précité, p. 205.

34. T. Salaün, « L’Égypte prolonge l’État d’urgence », Le Figaro, 2 mai 2006.35. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », article préc., p. 150-164.

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caractère relativement marginal du terrorisme en comparaison avecd’autres formes de violence36. Mais plus encore, de nombreuses Constitu-tions ne disposent pas d’articles consacrés aux régimes d’exception. Cedouble constat vient alors fortement nuancer la thèse de la constitution-nalisation de la lutte contre le terrorisme.

En effet, un exemple intéressant de ce type de « Constitution silen-cieuse » peut être fourni par la Constitution belge. Comme le résumentparfaitement Francis Delpérée et Marc Verdussen, cette Constitutionsemble se baser sur un « postulat de confiance »37 fondé sur l’idée selonlaquelle la Constitution est faite pour des peuples heureux et sans his-toire, refusant, par conséquent, toute « clause d’extraconstitutionna-lité ». Ainsi, son article 187 est formel : « La Constitution ne peut êtresuspendue en tout ni en partie », quels que soient les problèmes rencon-trés, les autorités publiques ont la charge d’appliquer toutes les disposi-tions de la Constitution.

Néanmoins, même si certains textes constitutionnels ne mentionnentpas l’existence de régimes d’exception, ils ne les prohibent pas. Ainsi, enl’absence de disposition constitutionnelle explicite, certains États se fondent sur une habilitation implicite de la Constitution pour pouvoiragir contre le terrorisme, risquant ainsi de laisser place à des formesd’arbitraire.

C’est actuellement la solution retenue par les États-Unis, qui ne dis-posent pas de régime d’exception clairement inscrit dans la Constitu-tion38, seule la situation de guerre étant envisagée. Cette absence deconsécration constitutionnelle des régimes d’exception est liée à laconception américaine de ce type de régime, selon laquelle ils relèventdavantage de la common law que des fonctions constitutionnelles. Ainsi,il est admis que la Constitution américaine octroie implicitement auCongrès (par l’article 1, § 9) le pouvoir de prendre des mesures pour res-taurer l’ordre, telle que la suspension du writ d’habeas corpus, ou la décla-ration de la loi martiale, comme ce fut le cas lors des jeunes années de cepays40. Dans le cadre de la menace actuelle, la méthode retenue par lesautorités américaines relève de la même logique. Ainsi, trois jours aprèsles attentats du 11 septembre 2001, le Président G. W. Bush proclamal’état d’urgence nationale (National Emergency) et invoqua divers pouvoirs

Carolina Cerda-Guzman50

36. F. Thuillier, « La menace terroriste : essai de typologie », article préc., p. 37 et 38.37. F. Delpérée et M. Verdussen, « Belgique-Table ronde : lutte contre le terrorisme et

protection des droits fondamentaux », AIJC, XVIII, 2002, p. 91-110.38. C. Vroom, « États-Unis-Table ronde : lutte contre le terrorisme et protection des

droits fondamentaux », AIJC, XVIII, 2002, p. 161-193.39. K. L. Scheppele, « North American emergencies : The use of emergency powers in

Canada and the United States », article préc., p. 214.40. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-

tisme américain », article préc., p. 11 ; K. L. Scheppele, « North American emergencies : Theuse of emergency powers in Canada and the United States » article préc., p. 215.

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législatifs spéciaux, votés par le Congrès, dont le USA Patriot Act, lequelfut voté le 25 octobre 2001 avec à peine un vote contre au Sénat et 66 àla Chambre des Représentants41. Les différents textes législatifs et régle-mentaires pris dans le cadre de la lutte anti-terroriste ne sont donc pasbasés sur une habilitation constitutionnelle explicite, mais sur ce que lesauteurs appellent la doctrine de l’unitary executive42 qui justifie des pou-voirs exceptionnels du Président en tant que chef des armées. De cettecompétence implicite découle ainsi la création des commissions mili-taires, mises en place notamment par les Military Orders de 2001.

Néanmoins, la validité de cette théorie de l’habilitation implicite aété relativement remise en cause par la Cour Suprême, suite à l’affaireHamdan vs. Rumsfeld du 29 juin 200643. En effet, dans cette décision,5 juges sur 3 ont considéré que les commissions militaires n’étaientautorisées ni par une loi fédérale ni exigées par une nécessité militaire.Ainsi ce pouvoir exécutif en la matière n’est pas sans limites. Il doit res-pecter le but ultime de l’habilitation : seules les mesures nécessaires à larestauration de l’ordre sont autorisées, comme l’a rappelé la CourSuprême.

De par ces quelques exemples, il est possible de constater que mêmesi par ses formes, le terrorisme est un phénomène ancien, son apparitiondans les normes constitutionnelles est rare, tout comme les moyensconstitutionnels de lutte contre de telles menaces.

2 – L’inadéquation des mesures constitutionnelles au profit des mesures législatives

Le fait que certaines constitutions ne mentionnent pas le terrorismeou ne prévoient pas de régimes spécifiques à utiliser en cas de crise graveconduit à s’interroger sur l’utilité de telles procédures.

Force est de constater que l’inscription au sein même de la Constitu-tion du terme « terrorisme » pose problème et certains auteurs refusentmême la qualification de normes constitutionnelles à ces dispositions.Par exemple au Chili, le professeur Pablo Ruiz-Tagle Vial44 s’interrogesur l’utilité d’une telle disposition dans la Constitution, pas uniquementparce que le Chili n’est pas un pays directement concerné par le terro-

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 51

41. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-tisme américain », article préc., p. 6.

42. L’auteur de cette théorie est John Yoo, l’un des principaux conseillers juridiques del’Administration Bush. Cf. J.-C. Monod, « Vers un droit international d’exception ? »,article préc., p. 192 ; C. Walker, « The treatment of foreign terror suspects », The ModernLaw Review, vol. 70, n° 3, mai 2007, p. 429.

43. 126 S. Ct. 2749.44. P. Ruiz-Tagle Vial, « Derechos fundamentales y terrorismo », in R. Cristo et P. Ruiz-

Tagle Vial, La Répública en Chile. Teoría y práctica del constitucionalismo republicanol, EdicionesLom, Santiago, Chile, 2006, p. 279-295.

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risme international mais surtout parce qu’il se demande si ces disposi-tions ne feraient pas plutôt partie d’une législation appartenant à unrang hiérarchique inférieur. Pour justifier ces propos il se fonde sur l’ab-sence de définition constitutionnelle du terrorisme. Selon cet auteur,l’existence d’une définition législative45 et non pas constitutionnelle duterrorisme reviendrait à limiter la valeur de l’article 9 de la Constitutionet à le subordonner à une norme de rang inférieur. Bien que cette analysen’emporte pas l’adhésion de tous, elle illustre tout du moins les critiquespouvant être formulées à l’encontre de l’inscription du terrorisme dansun texte constitutionnel.

Des problèmes relevant du même ordre se rencontrent également enEspagne où des doutes sont émis à l’encontre de l’opportunité d’une tellemesure constitutionnelle. Pour Juan José Solozabal Echavarria46, l’ins-cription d’une réglementation visant à suspendre individuellement desdroits dans le Code de procédure pénale, tel qu’il résulte d’une loi orga-nique de 1988, pose problème, notamment du fait de l’absence de men-tion, dans le Code, du contrôle parlementaire de la suspension, en dépitde l’exigence constitutionnelle.

On constate donc que le principe même de la constitutionnalisationdu terrorisme pose problème. L’utilité de cette méthode serait donc àrelativiser.

L’analyse de la pratique actuelle des États dans ce domaine confirme,en réalité, un relatif désintérêt à l’égard de la norme constitutionnellepour gérer la menace terroriste, et ce au profit de la loi.

La loi est, en premier lieu, incontournable pour l’exécution des sanc-tions constitutionnelles. Prenons l’exemple péruvien déjà mentionné. Bienque la peine capitale pour terrorisme soit mentionnée par la Constitution,elle ne figure par dans le Code pénal, et il est donc nécessaire de voter uneloi pour son application. Un tel projet de loi a déjà été discuté devant leParlement et a pour l’instant toujours été rejeté, comme en atteste le pro-jet de loi déposé par le Président de la République le 11 novembre 2006et qui fut rejeté, le 3 janvier 2007, par 49 voix contre 26.

En outre, étant donné la relative inefficacité des régimes d’exceptiondans la lutte préventive, les autorités publiques sont dans l’obligation depasser par la loi pour prévenir les attaques terroristes. Par exemple, lesautorités françaises fondent notamment leur action sur la loi n° 2006-64du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme47.

Carolina Cerda-Guzman52

45. Dans le cas du Chili, le terrorisme est défini par une loi votée à la majorité qualifiée :la loi n° 18.314 de 1984, modifiée par la loi n° 18.825 de 1989 et par la loi n° 19.055 de1991.

46. Solozabal Echavarria, « Espagne - Table ronde : lutte contre le terrorisme et protec-tion des droits fondamentaux », article préc., p. 152.

47. F. Rolin et S. Slama, « Les libertés dans l’entonnoir de la législation anti-terroriste »,AJDA, 2006, p. 975.

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De même, la Grande-Bretagne compte sur un arsenal législatifimportant, composé essentiellement du Anti-terrorism, Crime and SecurityAct du 14 décembre 2001 et du Prevention Security Act du 11 mars 2005.

Ces législations d’exception présentent l’avantage pour les États deproduire quasiment les mêmes effets que la proclamation d’un régimed’exception sans emporter avec elles la lourdeur de la procédure et toutleur aspect symbolique.

L’adoption de législations spécifiques à la lutte anti-terroriste est, enréalité, fortement impulsée par l’Union européenne dans le but de « gom-mer les profondes disparités législatives entre les États membres »48.

Par exemple, la Belgique, qui jusqu’alors avait opté pour une luttebasée sur des textes législatifs généraux49, dut adopter la première loi dece type. Ainsi, le 11 décembre 2003, la Chambre parlementaire belgevota une loi sur les infractions terroristes50, faisant suite à la décision-cadre du 13 juin 2002 du Conseil de l’Union européenne51.

L’Afrique du Sud a également connu une évolution semblable. Alorsque jusqu’en 2003, Xavier Philippe pouvait affirmer qu’en Afrique duSud, « la répression des actes terroristes n’a […] pas fait l’objet d’unelégislation spéciale ou plus exactement s’est simplement inspirée durégime de droit commun pour réprimer les actes terroristes »52, cetteaffirmation est aujourd’hui fausse. A l’image des autres pays, l’Afriquedu Sud a sauté le pas et a établi une législation anti-terroriste clairementactive, à travers le vote, en 2004, du Protection of Constitutional DemocracyAgainst Terrorist and Related Activities Act53.

De manière générale il semblerait que la Constitution ne soit pasl’arme la plus utilisée. Elle n’est pas considérée, par la globalité des Étatscomme étant le meilleur moyen juridique pour lutter contre le terro-risme. Cette désaffection de l’arme constitutionnelle s’est faite au profitde la législation (spécifique ou commune), perçue comme étant plusréactive et adaptable, permettant ainsi de faire davantage œuvre depragmatisme54.

Nonobstant, un autre problème surgit alors : celui de la protectiondes droits inscrits dans la Constitution par rapport à ces législationsd’exception.

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 53

48. L. Benoit, « La lutte contre le terrorisme au cœur du développement de liberté, desécurité et de justice », RRJ, n° 2, 2003, p. 975.

49. F. Delpérée et M. Verdussen, « Belgique-Table ronde : lutte contre le terrorisme etprotection des droits fondamentaux », article préc.

50. Loi promulguée le 19 décembre 2003.51. Décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. DC 2002/475/

JAI, in JOCE, n° L 164 du 22 juin 2002, p. 3 et s.52. X. Philippe, « Constitution et terrorisme », article préc., p. 12.53. Act n° 33, 2004.54. A. Garapon, « Les dispositifs anti-terroristes de la France et des États-Unis », article

préc., p. 133.D

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II – LA CONSTITUTION : UN REMPART TOUJOURS SOLIDE CONTRELES ATTEINTES AUX DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX ?

La multiplication des législations anti-terroristes place au cœur dudébat le rôle de la Constitution en tant que moyen juridique permettantde garantir le respect des droits et libertés de chacun à toute époque, ycompris les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes.

A – LE RESPECT DE L’INTANGIBILITÉ DE CERTAINS DROITS ET LIBERTÉS

1 – Des Constitutions excluant toute atteinte aux droits et libertésfondamentaux des citoyens même en cas d’attaque terroriste

La question que soulève actuellement la menace terroriste au sein desÉtats démocratiques est celle de la réalité du caractère fondamental desdroits reconnus dans leur Constitution. L’analyse de quelques constitu-tions permet de constater qu’une partie d’entre elles consacre un certainnombre de droits strictement indérogeables, en ce sens que l’exercice deces droits ne peut être totalement supprimé ou suspendu, même sous unrégime d’exception.

Par exemple, la Constitution sud-africaine55, à l’image d’autresConstitutions, énumère un certain nombre de principes indérogeables(ceux figurant à l’article 37 de la Constitution)56.

De même la Loi fondamentale allemande précise qu’y compris sous lerégime de l’état de défense, les droits fondamentaux ne peuvent être sus-pendus. Cette permanence des droits fondamentaux est également confir-mée par l’article 115g qui garantit expressément le statut de la Courconstitutionnelle allemande en temps d’état de nécessité. Ce type de dis-position atteste donc que « le droit constitutionnel allemand est […]dominé par la volonté de maintenir, dans la mesure du possible, toutes lesgaranties de l’État de droit, notamment les droits fondamentaux »57.

L’indérogeabilité de certains droits, dont le droit à la vie, a été confir-mée par la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision du15 février 200658. En effet, par cette décision, la Cour constitutionnellea frappé d’inconstitutionnalité la loi sur la sécurité de l’aviation alle-

Carolina Cerda-Guzman54

55. X. Philippe, « Les clauses de limitation et d’interprétation des droits fondamentauxdans la Constitution sud-africaine de 1996 », in La communicabilité entre les systèmes juridiques.Liber amicorum Jean-Claude Escarras, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 897-926.

56. X. Philippe, « Constitution et terrorisme », article préc., p. 17.57. C. Grewe et K.-P. Sommermann, « Allemagne-Table ronde : lutte contre le terro-

risme et protection des droits fondamentaux », article préc., p. 75.58. 1 BvR 357/05, 15 février 2006.

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mande, qui permettait de donner au ministre de la Défense le pouvoird’abattre des avions civils si, selon les circonstances, il était admis quel’avion « était employé à la seule fin de nuire à des vies humaines ». Ladéclaration d’inconstitutionnalité fut notamment fondée sur le respectdu droit à la vie de tous, y compris des personnes se situant dans l’avion.

De telles clauses constitutionnelles se retrouvent également dans laConstitution péruvienne, concernant les règles relatives à l’état de siège(article 137 de la Constitution de 1993). En outre, l’article 200 de cetteConstitution précise que, même en temps de régime d’exception, lesprocédures d’habeas corpus et d’amparo ne peuvent être suspendues.

Dans un registre différent mais relevant du même esprit, un certainnombre de constitutions prohibent toute création de tribunaux d’excep-tion. De telles interdictions ne permettent pas à proprement parler degarantir l’exercice de certains droits fondamentaux, mais elles permet-tent de protéger les citoyens de tout risque de dérive en temps de crise.Ainsi, ce type de disposition préserve les citoyens de la création de juri-dictions ad hoc à la base constitutionnelle incertaine, tels que les tribu-naux militaires établis par le Président George W. Bush sur la base duMilitary Order du 13 novembre 2001. Peuvent par exemple être citées, laConstitution sud-africaine ou la Constitution allemande (article 101).De même la Constitution belge précise à son article 146 qu’ « il ne peutêtre créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelquedénomination que ce soit »59.

De telles dispositions attestent de la capacité prospective de certainesconstitutions pour assurer les garanties minimales de tout un chacun,quelque soit l’époque. Cependant, de telles clauses ne sont pas prévuespar toutes les constitutions. Certaines prévoient même la possibilité, entemps de crise, de suspendre des procédures considérées comme fonda-mentales, à l’image de la Constitution américaine et de la section 9 deson article premier, qui autorise la suspension du privilège de l’ordon-nance d’habeas corpus en cas de rébellion ou d’invasion et si la sécuritépublique l’exige. En outre, une autre question se pose : celle de l’exis-tence de droits à l’égard des personnes soupçonnées de terrorisme.

2 – La reconnaissance de certains droits à l’égard de toutes les per-sonnes y compris les personnes soupçonnées de terrorisme

L’épineuse question de la reconnaissance de droits à l’égard des per-sonnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes est, la plupart

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 55

59. Cette disposition constitue une tradition en Belgique puisqu’elle n’est pas une nou-veauté issue de la révision de 1994 mais elle était déjà présente à l’article 94 de la Consti-tution du 7 février 1831. Cf. H. Vanderberghe, « Une Constitution des droits et libertés »,Revue belge de droit constitutionnel, n° 1, 2006, p. 7.

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du temps, réglée par les États par la création de deux ordres juridiques,un relatif aux nationaux et un autre relatif aux étrangers.

Néanmoins, quelques pays parviennent, pour l’instant, à éviterd’opérer ce type de dichotomie et accordent certains droits à tous.

Ainsi, certaines législations n’opèrent pas de distinction radicaleentre les mesures relatives aux étrangers et celles concernant les natio-naux, comme l’illustre la législation sud-africaine60, seule la question del’extradition étant propre à la situation des étrangers.

La situation de la Belgique est également à souligner puisqu’il estconstitutionnellement reconnu que sur ce territoire, les ressortissantsétrangers en situation régulière peuvent également revendiquer le droità la « protection des personnes et des biens »61.

Il convient également de rappeler qu’aux États-Unis, tous les étran-gers en situation régulière bénéficient du même droit au due process of lawque les citoyens américains62. En revanche, un étranger en situation irré-gulière ou sujet à l’expulsion ne bénéficie que d’un droit limité au dueprocess of law.

Face à ces différentes distinctions de statut, les juges américains ontété conduits à réaffirmer de manière solennelle les garanties minimalesdes droits procéduraux des détenus suspectés d’actes terroristes. Concer-nant les terroristes étrangers, la décision de la Cour Suprême américainedu 28 juin 2004, Rasul vs. Bush63, demeure actuellement la référence caril y était question du régime applicable aux détenus de Guantanamo.Selon le Military Order du 13 novembre 2001, ces personnes devaientêtre jugées par des commissions militaires extraordinaires selon une pro-cédure ne remplissant pas les exigences posées par le principe constitu-tionnel du due process. Le problème posé était celui de la compétence destribunaux américains pour traiter ce type de requêtes. Or, d’après unprécédent datant de 1950 (Johnson vs. Eisentrager64), les tribunaux améri-cains n’étaient pas reconnus comme compétents pour connaître des griefsprovenant d’étrangers détenus en dehors du territoire américain. La CourSuprême va, cependant, décider d’écarter ce précédent. Pour cela, la plushaute Cour nord-américaine va considérer que la prison de Guantanamo,bien que ne se situant pas sur un territoire où les États-Unis disposentde la souveraineté ultime, se situe sur un territoire relevant de la com-pétence pleine et exclusive des États-Unis. Cette précision juridique va

Carolina Cerda-Guzman56

60. X. Philippe, « Constitution et terrorisme », article préc., p. 24.61. F. Delpérée et M. Verdussen, « Belgique-Table ronde : lutte contre le terrorisme et

protection des droits fondamentaux », article préc., p. 97 ; H. Vanderberghe, « Une Consti-tution des droits et libertés », article préc., p. 5.

62. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-tisme américain », article préc., p. 12 ; C. Vroom, « États-Unis-Table ronde : lutte contre leterrorisme et protection des droits fondamentaux », article préc., p. 177.

63. 542 U.S. 466.64. 339 U.S. 163.

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permettre à la Cour Suprême de se reconnaître compétente pour statuersur de telles demandes et donc de faire application de la loi fédérale d’ha-beas corpus qui, dans le cas présent, implique la reconnaissance d’un droitd’accès aux tribunaux au profit de personnes étrangères retenues à Guan-tanamo et accusées d’actes terroristes.

Lors de l’affaire Hamdan, précitée, du 29 juin 2006, la Cour Suprêmea confirmé cette tendance, en mettant en cause la légalité des tribunauxmilitaires instaurés par l’Administration Bush et en imposant le respectde l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949.Ainsi, la Cour Suprême en a conclu qu’aucune commission militaire nepouvait juger Salim Ahmed Hamdan.

Les juges britanniques sont allés encore plus loin que les juges amé-ricains en sanctionnant une partie de la législation anti-terroriste. Dansleur décision A and others vs. Secretary of State for the Home Department65, endate du 16 décembre 2004, les Law Lords ont refusé de reconnaître unpouvoir absolu à l’égard de l’exécutif pour placer en détention indéter-minée des étrangers soupçonnés d’activités terroristes, et ce malgré leurqualification de « suspected international terrorist ». Cet arrêt, considéré parles commentateurs comme étant l’un des plus importants de ces cin-quante dernières années, a en effet conduit les Law Lords à considérer quele pouvoir accordé à l’administration britannique était disproportionné,au regard de l’urgence invoquée et donc incompatible avec les exigencesformulées dans la Convention européenne des droits de l’homme. Lesjuges ont certes admis l’existence d’une situation de « danger publicmenaçant la vie de la Nation » tel que le précise l’article 15 de laConvention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, les atteintesaux droits étaient disproportionnées et la sélectivité du pouvoir dedétention en fonction de la nationalité des suspects allait à l’encontre desdispositions des articles 14 et 15 de la Convention européenne des droitsde l’homme.

De cette décision, au moins deux enseignements peuvent être tirés.Tout d’abord, elle permet de montrer que la distinction entre nationauxet étrangers dans la reconnaissance des droits ne peut être totale et abso-lue. Ensuite, cet arrêt confirme la fonction essentielle des juges en cestemps de crise, puisqu’il confirme l’idée selon laquelle le contrôle judi-ciaire doit être autant plus strict que l’atteinte à la liberté individuelleest importante.

Toutefois, si l’on examine la globalité des expériences étrangères,cette posture reste encore assez isolée. Pour le moment la balance judi-ciaire entre la sécurité et la liberté tend à pencher du côté de la sécurité.

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65. [2005] UKHL 71.D

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B – DES DROITS ET LIBERTÉS FINALEMENT PEU PROTÉGÉS

1 – Une jurisprudence constitutionnelle permissive à l’égard desatteintes aux droits et libertés des citoyens

Suite à la multiplication des attaques terroristes, de nombreux paysvont élaborer une législation sensiblement attentatoire aux droits etlibertés fondamentaux de chacun.

Le principal danger de ces législations réside dans le manque declarté de la définition de l’acte terroriste. Comme il a déjà été dit, lesconstitutions ne fournissent jamais de précision à ce sujet. Par consé-quent, cet aspect relève, dans la plupart des cas, de la compétence dulégislateur, lequel n’est pas toujours le plus à même d’effectuer une telletâche. Or donner une définition trop large et floue de l’acte terroristeconduit à restreindre les droits et libertés d’un trop grand nombre depersonnes. De plus, le manque de clarté de la définition d’une telle fautea également des incidences dans l’application de la sanction, puisquecomme le rappellent Constance Grewe et Renée Koering-Joulin, « sil’on veut que la peine prononcée soit en adéquation avec le comporte-ment prohibé, il faut que celui-ci soit appréhendé dans sa vérité »66.D’où l’importance du contrôle du juge sur ce type de qualification.

Il est vrai que cette exigence de clarté de la loi, notamment pénale,est une exigence déjà consacrée par plusieurs constitutions ou plusieursjuges constitutionnels dans le monde67. Cependant, si l’on prend, parexemple, le cas français, le contrôle est pour l’instant relativement déce-vant68. Concernant la première loi de ce type du 9 septembre 1986, lejuge constitutionnel a davantage affirmé que démontré la clarté de la loi,tout comme ce fut le cas pour la loi pour la sécurité intérieure de 2003ou pour la loi dite « Perben II » du 2 mars 2004. Ces mêmes problèmesde clarté de la loi se retrouvent en Allemagne où les formulations deslégislations anti-terroristes demeurent imprécises69.

Un des autres dangers potentiels avec ce type de législation résidedans la faiblesse des motivations requises pour justifier les atteintesréelles aux droits et libertés. Par exemple, dans le USA Patriot Act, il suf-

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66. C. Grewe et R. Koering-Joulin, « De la légalité de l’infraction terroriste à la propor-tionnalité des mesures anti-terroristes », in Libertés, justice, tolérance. Mélanges en hommage audoyen Gérard Cohen-Jonathan, volume II, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 899.

67. Dans le cas français, le Conseil constitutionnel a clairement érigé en principe la clartéde la loi en se fondant sur l’article 34 de la Constitution. Cf. considérant 9 de la décisionn° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, « Loi de modernisation sociale ». Dans le cas allemandcette exigence découle directement du principe de sécurité juridique formulé à l’article 103,alinéa 2 de la Loi fondamentale.

68. C. Grewe et R. Koering-Joulin, « De la légalité de l’infraction terroriste à la propor-tionnalité des mesures anti-terroristes », article préc.

69. C. Grewe et K.-P. Sommermann, « Allemagne-Table ronde : lutte contre le terro-risme et protection des droits fondamentaux », article préc., p. 84.

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fit d’invoquer « les nécessités d’une enquête criminelle » pour autoriserla mise en œuvre de dispositifs exceptionnels de surveillance ou de per-quisitions, alors qu’auparavant les exigences étaient plus strictes.

Cette flexibilisation des standards est un phénomène présent dans denombreux pays. Malheureusement, dans ce domaine, le contrôle desjuges constitutionnels est assez fluctuant70. Certes les autorités n’ont pascarte blanche mais le contrôle effectué par les juges a souvent penché enfaveur de la sécurité et non pas en faveur de la protection indéfectible desdroits et libertés des citoyens. En dépit d’un contrôle de proportionna-lité, les juges arrivent souvent à la même conclusion : les atteintes sontjustifiées dans le contexte de la lutte contre la menace terroriste interna-tionale. Seules les restrictions manifestement excessives ou l’absencetotale de garanties procédurales se verront censurées.

Cet état de fait est d’ailleurs clairement établi aux États-Unis,puisque l’on sait depuis le précédent établi par l’affaire Youngstown,datant de 1952, que les tribunaux opèrent un contrôle moins poussé àl’égard de l’exercice des pouvoirs d’urgence quand le Président agit surla base d’une autorisation du Congrès71, faisant acte de ce que certainsappellent le « devoir de déférence des Cours face aux autorités poli-tiques ». Ceci démontre les limites inhérentes du contrôle de propor-tionnalité tel qu’il est pratiqué, puisqu’il conduit le juge à se fonder surdes spéculations pour formuler une réponse lourde de conséquences. Faceà des dispositifs anti-terroristes d’envergure, le rôle des juges nationauxest donc appelé à évoluer.

2 – La difficile reconnaissance de droits à l’égard des étrangers présumés terroristes et ses incidences

Si les juges parviennent difficilement à défendre l’exercice de tous lesdroits des citoyens, la question des droits des terroristes présumés, qui plusest étrangers, pose encore plus de problèmes. En effet, « faut-il accorderaux terroristes la protection d’un droit qu’ils récusent ? »72. Cet argument,souvent avancé pour justifier d’importantes restrictions aux droits despersonnes accusées de terrorisme, repose cependant sur une analyse erro-née de la situation. Comme l’a clairement démontré Ronald Dworkin73,

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 59

70. Pour une analyse de la jurisprudence française et allemande, voir par exemple l’articlede C. Grewe et R. Koering-Joulin, cité plus haut, p. 904.

71. Cf. G. Scoffoni, « Les juges et la Constitution des États-Unis à l’épreuve du terro-risme international », in Constitution et finances publiques. Études en l’honneur de Loïc Philip,Economica, Paris, 2005, p. 219-236.

72. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-tisme américain », article préc., p. 11 ; T. S. Renoux, « France-Table ronde : lutte contre leterrorisme et protection des droits fondamentaux », article préc., p. 212.

73. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-tisme américain », article préc., p. 11 et 12.

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un tel argument n’est valable qu’à l’encontre de personnes ayant été for-mellement et clairement reconnues coupables d’actes terroristes. Or,pour l’instant, ces limitations à la jouissance de certains droits et liber-tés touchent toute personne soupçonnée de participation à une entrepriseterroriste.

Ainsi, les États s’accordent de manière quasiment unanime pourrefuser aux terroristes le caractère de condamnés politiques74. Soit, cetteprécision est apportée par le texte constitutionnel lui-même75, soit ellepeut découler d’une jurisprudence constitutionnelle ou administrative76.

Cette position se confirme y compris au niveau conventionnelpuisque, par exemple, l’application de la Convention européenne deStrasbourg depuis le 22 décembre 1987 traduit une tendance lourde dedépolitisation des infractions terroristes77.

Ce refus de qualification politique des infractions terroristes est lié aufait que les infractions politiques ont longtemps été considérées commeétant des infractions plus nobles que celles de droit commun et ont doncfait l’objet d’une plus grande clémence78. Cette précision à une incidencetoute particulière pour les personnes étrangères présumées d’avoir com-mis des actes terroristes, puisque normalement le droit extraditionnelclassique impose le refus d’une extradition si celle-ci est demandée dansun but politique, comme l’avait reconnu la France suite à l’arrêt Koné duConseil d’État du 3 juillet 199679. Ainsi en refusant une telle qualifica-tion, les États cherchent volontairement à restreindre l’étendue desdroits et des garanties généralement attachées à ce type de statut80.

Cette restriction des droits des terroristes par les normes constitu-tionnelles ou législatives va de pair avec une jurisprudence relativementpeu généreuse de ce point de vue. Bien que l’on reconnaisse quelquesdroits aux personnes accusées d’actes terroristes, comme la possibilitéd’accéder aux tribunaux (comme l’a précisé la jurisprudence Rasul de la

Carolina Cerda-Guzman60

74. T. S. Renoux, « Juger le terrorisme ? », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 14, 2003,p. 102-114.

75. Comme c’est le cas pour le Chili. Cf. article 9 de la Constitution chilienne de 1980.76. En France, il est possible de mentionner la jurisprudence du juge administratif : CE,

7 juillet 1978, Croissant, Rec. Lebon, p. 292 ; CE, 9 mai 1994, Bracci, Rec. Lebon, p. 226 ; CE, 24 février 1995, Persichetti, Rec. Lebon, p. 104.

77. Tendance confirmée par la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêteuropéen et aux procédures de remise entre États membres. DC 2002/584/JAI, in JOCE,n° L 190 du 18 juillet 2002, p. 1 et s.

78. Cf. Karine Roudier, « Le droit constitutionnel et la légalité de l’infraction de terro-risme », communication au VIe Congrès français de droit constitutionnel, Congrès de Mont-pellier, 9, 10, 11 juin 2005.

79. CE, Ass., 3 juillet 1996, « Koné », Rec. Lebon, p. 255.80. Cf. Louis Joinet, « L’internationalisation des régimes d’exception. Expression d’un

nouvel ordre répressif mondial », Pouvoirs, « Les pouvoirs de crise », n° 10, 1979, p. 95-103 ; Robert Schmelck et Georges Picca, « L’État face au terrorisme », Pouvoirs, « Les pou-voirs de crise », n°10, p. 53-64 ; C. Grewe et R. Koering-Joulin, « De la légalité de l’infrac-tion terroriste à la proportionnalité des mesures anti-terroristes », article préc., p. 891-916.

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Cour Suprême), il convient tout de même de préciser que ces droits nesont pas aussi substantiels que ce que l’on pourrait croire. Ainsi, si lesterroristes détenus à Guantanamo peuvent invoquer le principe du dueprocess, du fait de leur situation, ce principe implique seulement pour euxle droit à une audience contradictoire devant une autorité décisionnelleneutre qui leur permette de contester les faits reprochés. Par ailleursdans sa décision, la Cour ne précise pas la nature et l’étendue des droitsque ces personnes soupçonnées d’actes terroristes pourraient invoquer.

En outre, même lorsque la jurisprudence reconnaît des droits auxétrangers, comme ce fut le cas grâce à la décision de la Cour Suprêmeprécitée du 29 juin 2006, cette jurisprudence est mise à mal par les pou-voirs publics. Ainsi, en conséquence directe de la sanction de la CourSuprême, George W. Bush a promulgué, le 17 octobre 2006, le MilitaryCommissions Act dont le but est d’ancrer dans la légalité le système descommissions militaires. En effet, suite à la décision du 29 juin 2006,l’administration avait deux possibilités : soit appliquer les règles mini-males de procédure dans ces commissions, soit demander au Congrès unevalidation des mesures réglementaires. L’administration a opté pour lamesure la plus liberticide. Ce choix va également dans le sens du Detainee Treatment Act de 2005 qui interdit aux étrangers présumés ter-roristes détenus, notamment sur la base de Guantanamo de faire usagede l’habeas corpus et donc de défendre leurs droits devant la justice81.Comme le confirme l’analyse d’Antoine Garapon82, l’administrationnord-américaine reste encore très attachée à cette distinction entreinterne et international, entre nationaux et étrangers, alors même qu’elledevient de plus en plus obsolète du fait de l’internationalisation crois-sante du terrorisme83.

La portée de la reconnaissance de droits à l’égard des présumés terro-ristes étrangers est aujourd’hui cruciale. Non seulement parce que toutun chacun doit pouvoir bénéficier de droits indérogeables, et notammentde la garantie du non usage de la torture, mais aussi parce qu’aujour-d’hui on constate l’émergence d’une nouvelle tendance : celle qui vise àla fin de la distinction du régime applicable aux nationaux et aux étran-gers soupçonnés d’avoir commis des actes terroristes.

Il aurait été possible de penser que la fin d’une telle distinctionaurait pu jouer en faveur des seconds, c’est-à-dire à la reconnaissance de

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 61

81. Cette loi ne s’appliquait pas pour le cas Hamdan, car l’affaire était antérieure à la loi.Or le juge Stevens a indiqué dans la décision que cette loi de 2005 ne visait pas à être appli-quée rétroactivement.

82. L’obstination américaine à vouloir croire que la qualification même de terrorisme nevaut que pour l’extérieur est parfaitement expliquée par Antoine Garapon dans son articleprécité, p. 136 et 140.

83. Comme en attestent les attentats de Londres 7 juillet 2005 qui ont été perpétrés parquatre citoyens britanniques. Cf. C. Walker, « The treatment of foreign terror suspects »,article préc., p. 428.

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nouveaux droits en faveur des étrangers. Or, malheureusement, l’évolu-tion est tout à fait contraire. Le régime des nationaux tend de plus enplus à se rapprocher de celui des étrangers.

Pour illustrer cette évolution, il sera ici citée la décision de la CourSuprême américaine du 28 juin 2004 : Hamdi vs. Rumsfeld 84. Dans cetteaffaire il était question d’un citoyen américain capturé en Afghanistan etdétenu pour une durée indéterminée. Or, sur la base du USA Patriot Act,l’administration était explicitement autorisée à ne placer uniquement endétention que des suspects étrangers. Ainsi, il semblait que le cadre juri-dique établissait une distinction entre les nationaux et les étrangers enfaveur des premiers. Or cette distinction n’a été que faiblement consa-crée par la Cour Suprême. Bien que 8 juges sur 9 se sont entendus pourimposer une certaine forme de limitation au pouvoir exécutif concernantle placement en détention des citoyens américains, 5 juges sur 9 ontreconnu une compétence en faveur de l’exécutif pour placer en détentiondes citoyens américains en se fondant sur une résolution commune adop-tée par le Congrès.

La plus récente législation britannique confirme clairement cette ten-dance. L’adoption, le 11 mars 2005, du Prevention of Security Act85 conduitde manière indiscutable à l’extension à l’ensemble de la population dedispositions d’exception qui auparavant ne concernaient que les étran-gers. En effet, cette loi, qui modifie la partie IV de l’Anti-terrorism Crimeand Security Act de 2001, tire les conséquences de la décision suscitée dela Chambre des Lords du 16 décembre 2004, non pas dans le sens d’unerestriction des atteintes aux étrangers mais dans le sens d’une généralisa-tion de ces restrictions à tous, sans discrimination basée sur la nationa-lité. Ainsi, comme le résume Jean-Claude Paye, cette loi « généralise lasuspension du droit aux nationaux. Elle met fin à un double systèmed’organisation juridique : État de droit pour les nationaux et violencepure pour les étrangers »86.

Une des questions induites par cette généralisation de la législationd’exception ne concerne pas directement les terroristes mais les per-sonnes soupçonnées à tort de tels actes87, qui sont en réalité les princi-pales victimes d’un régime d’urgence88. Bruce Ackerman propose ainsi

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84. 542 U.S. 507. Cette loi a été confirmée par le Immigration, Asylum and Nationality Actde 2006, dont les sections 56 et 57 assouplissent les conditions de perte de la nationalitébritannique.

85. J.-C. Paye, « The Prevention Security Act britannique du 11 mars 2003 », Revue tri-mestrielle des droits de l’homme, n° 63, 1er juillet 2005, p. 635-647.

86. J.-C. Paye, « The Prevention Security Act britannique du 11 mars 2003 », article pré-cité, p. 645.

87. Comme le rappelle Ronald Dworkin, « Parmi les procédures proposées, on ne doitpas se demander si les coupables ont droit aux garanties habituelles mais ce qu’il en est desinnocents ». R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour lepatriotisme américain », article préc., p. 12.

88. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », article préc., p. 163.D

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l’instauration, dans la Constitution, de mesures permettant de réparer lesdommages de telles accusations. En plus de compenser les dommagessubis, ces mesures auraient l’avantage de cantonner un peu plus l’actiondes autorités, les invitant ainsi, à se concentrer « sur ce qui est le plusvital dans une démocratie »89.

En conclusion, bien qu’il serait très exagéré de dire que la Constitu-tion s’est vidée de son utilité, il serait également naïf de penser qu’elleest actuellement en mesure de protéger les droits de tous à toute époque.Face à cette « arme invisible, anonyme, omniprésente »90, les États dis-posent d’un ample arsenal juridique. Si la loi a pour elle l’avantage del’adaptabilité et de l’efficacité, la Constitution ne doit pas être une solu-tion à écarter dans l’absolu. L’inscription du terrorisme dans les Consti-tutions permettrait de replacer au centre du débat le rôle de l’État, maisà la seule condition que les contours d’une telle notion soient définisdans le texte lui-même. Les normes internationales peuvent égalementconstituer une solution à moyen terme. En effet, si l’on compare la juris-prudence britannique et la jurisprudence nord-américaine91, on remarqueque la première est plus protectrice des droits des citoyens. Ce résultatest-il seulement dû à la force obligatoire de la Convention européennedes droits de l’homme ? Une analyse approfondie de cette question per-mettrait de fournir de nouvelles pistes de réflexions concernant lesmoyens juridiques de protection des droits fondamentaux, et de repen-ser certaines de nos institutions, notamment le rôle actuel des Coursconstitutionnelles.

Dans cette optique, l’analyse de Ronald Dworkin pourrait constituerune base de réflexion intéressante. Pour contourner la question de la« balance » entre liberté et sécurité, cet auteur propose de la supprimer92

pour mieux se placer sur le plan de la justice. Ainsi, il considère que :« Il ne faut pas nous demander ce que pèsent, dans la balance, nos inté-rêts, mais ce qu’exige la justice, même au prix de nos intérêts, pour traiter correctement les autres »93, c’est à ce prix que la condition del’homme en tant qu’homme sera respectée.

La Constitution, une arme efficace contre le terrorisme ? 63

89. B. Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », article préc., p. 163.90. C’est en ces termes que Bakounine définissait le terrorisme. Cité par F. Thuillier, « La

menace terroriste : essai de typologie », article préc., p. 46.91. S. Papapolychroniou, « Le juge constitutionnel, garant de la liberté individuelle dans

le contexte de la lutte contre le terrorisme », communication au VIe Congrès de droit consti-tutionnel, Congrès de Montpellier, 9, 10, 11 juin 2005.

92. Image considérée également comme réductrice selon A. Garapon. Cf. son article pré-cité, « Les dispositifs anti-terroristes de la France et des États-Unis », p. 125.

93. R. Dworkin, « L’après 11 septembre. George W. Bush une menace pour le patrio-tisme américain », article préc., p. 17.

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