Hommage à Bernard Juillerat - OpenEdition Journals

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Journal de la Société des Océanistes 130-131 | 2010 Hommage à Bernard Juillerat Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jso/5994 DOI : 10.4000/jso.5994 ISSN : 1760-7256 Éditeur Société des océanistes Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2010 ISBN : 978-2-85430-027-7 ISSN : 0300-953x Référence électronique Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010, « Hommage à Bernard Juillerat » [En ligne], mis en ligne le 31 décembre 2010, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jso/ 5994 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.5994 Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020. © Tous droits réservés

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Journal de la Société des Océanistes 

130-131 | 2010Hommage à Bernard Juillerat

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/jso/5994DOI : 10.4000/jso.5994ISSN : 1760-7256

ÉditeurSociété des océanistes

Édition impriméeDate de publication : 15 décembre 2010ISBN : 978-2-85430-027-7ISSN : 0300-953x

Référence électroniqueJournal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010, « Hommage à Bernard Juillerat » [En ligne], mis enligne le 31 décembre 2010, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jso/5994 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.5994

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SOMMAIRE

Dossier Hommage à Bernard Juillerat

Bernard Juillerat. Une passion du sujetDenis Monnerie et Pierre Lemonnier

Bibliographie et filmographie de Bernard JuilleratIsabelle Leblic

Remembering Bernard Juillerat. Visiting the Bánaro after Richard ThurnwaldMarion Melk-Koch

Bernard Juillerat. Lettres à un jeune ethnologuePhilippe Peltier

C’est l’Afrique qui a fait de Bernard Juillerat, océaniste renommé, un anthropologue…Jeanne-Françoise Vincent

À propos de l’exposition A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar between symbols andartifactsNicolas Garnier

Hommage à Bernard JuilleratUn interlocuteur des psychanalystesAndré Green

Flying away like a bird: An instance of severance from the parental abode(Iwolaqamalycaane, Yagwoia, Papua New Guinea)Jadran Mimica

Kinship, Ritual, CosmosAndrew Strathern et Pamela J. Stewart

Enfanter, est-ce bien « naturel » ? Rite, représentation, fantasme de l’engendrement dans unculte polynésienFrançoise Douaire-Marsaudon

Les Kanak et les rêves ou comment redécouvrir ce que les ancêtres n’ont pas transmis(Nouvelle-Calédonie)Isabelle Leblic

An end and a beginning for the gift?Marilyn Strathern

L’altérité de l’altérité ou la question des sentiments en anthropologieMonique Jeudy-Ballini

À propos de deux ouvrages de Bernard JuilleratGilles Bounoure

Ignames, enfants des hommes. Horticulture et reconduction du social à Wallis (Polynésieoccidentale)Sophie Chave-Dartoen

Rejoua aurantiaca. Bernard Juillerat et la botaniqueChristian Coiffier

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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The mother and her ancestral face. A commentary on Iatmul iconographyChristian Kaufmann

Symboles et figures, deux modes sociaux de signification. L’exemple de la Grande Maisond’Arama (Nouvelle-Calédonie)Denis Monnerie

Mythes et rites chez les AngaPierre Lemonnier

Miscellanées

Étude d’une grotte sépulcrale préservée de Nouvelle-CalédonieChristophe Sand et André-John Ouetcho

Écoutons les chants de TakuuGilles Bounoure

Mā’ohi Travellers before 1825 and new insights from shipping listsRhys Richards

Comptes rendus d'ouvrages

Pratique et théorie kanak de la souveraineté… 30 janvier 1936, Jean-Marie Tjibaou,4 mai 1989… de Hamid MokaddemIsabelle Leblic

Conversations calédoniennes. Rencontre avec Jacques Lafleur de Wallès KotraIsabelle Leblic

Calédonie, l’heure des choixdeJean-Loup VIVIERIsabelle Leblic

Vers une école multilingue dans les collectivités françaises d’Océanie et deGuyanecoordonnée par Jacques Vernaudon et Véronique FillolRaymond MAYER

Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes sous la direction deJean GuiartRaymond MAYER

Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie d'AlainBabadzanRaymond MAYER

Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation et résistance dans les mondescontemporainsdirigé par Natacha Gagné et Laurent JérômeIsabelle Leblic

La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissancedeNathalie MrgudovicRaymond MAYER

Die Société commerciale de l’Océanie (1876-1914). Aufstieg und Untergang derHamburger Godeffroys in Ost-Polynesien de Claus GOSSLERGilles Bounoure

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

2

James Cook and the Exploration of the Pacificdirigé par Adrienne L. KAEPPLERGilles Bounoure

Ethnographische Ergebnisse aus Melanesien, I. Reisebericht. Die polynesischenInseln an der Ostgrenze Melanesiens, II. Die westlichen Inseln des Bismarck-Archipels de THILENIUS GeorgGilles Bounoure

Trésors des îles Salomon. La collection Conru de Kevin Conru et Deborah WaiteGilles Bounoure

Reisen und Entdecken. Vom Sepik an den Main. Hintergründe einer AusstellungChristian Coiffier

Hunting the Collectors. Pacific Collections in Australian Museums, Art Galleries andArchives dirigé par Susan COCHRANE et Max QUANCHIGilles Bounoure

Tapa, étoffes cosmiques de l’Océanie dirigé par Laurent Guillaut et al.Raymond MAYER

Le bestiaire mélanésien. 100 représentationsde Didier ZanetteIsabelle Leblic

Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnesIsabelle Leblic

Géo 370 : dossier Nouvelle-CalédonieIsabelle Leblic

Canoes of the Grand Ocean coordonné par Anne Di Piazza et Erik PearthreeGilles Bounoure

Actes de la Société et Actualités

In memoriam Roger Curtis Green (1932-2009)Christophe Sand

Assemblée générale (exercice 2009)

Vient de paraître (septembre 2010)

Listes des ouvrages reçus

Catalogue des publications de la Sdo - 2010

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

3

Denis Monnerie et Pierre Lemonnier (dir.)

Dossier Hommage à BernardJuillerat

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Bernard Juillerat. Une passion dusujetDenis Monnerie et Pierre Lemonnier

« Une interprétation ou une théorie ne supporte le vieillissement que lorsqu’elle

fournit simultanément les matériaux bruts qu’elle analyse. » (Juillerat, 1993 : 178)

Photo 1. – Bernard Juillerat sur le terrain

(©Michèle Juillerat, nd)

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

5

1 De 1977 à 1982, Bernard Juillerat fut « secrétaire général adjoint responsable de la

revue » au sein du bureau de la Société des Océanistes. Dix-sept livraisons du présent

Journal témoignent des week-ends et des soirées que Michèle Juillerat et lui

consacrèrent à cette tâche aussi discrète qu’ingrate, qui va de la recherche d’articles à

la transformation de manuscrits moins parfaits que ne le pensent leurs auteurs en des

écrits « mis aux normes » d’une revue que l’on s’efforce de faire vivre. Manière de

rappeler d’entrée la dette de la Société des Océanistes à l’égard de Bernard – et de

présumer qu’à la différence de ces amis et collègues qui s’étonneront des quatre ans

écoulés entre sa disparition et l’hommage que nous lui rendons ici, il nous aurait sans

doute pardonné notre lenteur. Notre revue lui doit aussi un mémorable numéro spécial

sur le chamanisme (n° 56-57, 1977), pour lequel il sut réunir le concours de six éminents

collègues étrangers. C’est à la même époque qu’il eut la générosité de donner de son

temps et de sa patience pour animer au CNRS une « recherche coopérative sur

programme » (RCP 587 AMOC, Anthropologie du monde océanien contemporain,

1980-1987) puis proposer un « groupement de recherche » (GDR ITSO, Identité et

transformations des sociétés océaniennes, à partir de 1988) au sein desquels il réunit,

pour la première fois, et pour le bien commun, des chercheurs comptant parmi les plus

farouchement individualistes d’une profession qui n’en manque pas.

2 Parallèlement à cet engagement aussi désintéressé qu’efficace dans la vie de la

recherche océaniste à un moment crucial de son institutionnalisation en France,

Bernard Juillerat a produit une œuvre abondante, luxuriante même, forte de huit livres,

auxquels s’ajoutent trois ouvrages dirigés ou co-dirigés, cinquante-deux articles et

quarante-huit comptes-rendus qui, pour la plupart, constituent de brefs articles. Loin

de se contenter d’aborder avec originalité la majorité des domaines de la discipline

anthropologique, il a également renoué le dialogue avec la psychanalyse, tant de

manière théorique qu’à travers des études de cas minutieusement construites et

analysées. Partiellement écrite (1992) ou traduite en anglais (voir la bibliographie

établie par Isabelle Leblic pour ce volume), son œuvre a fait l’objet de multiples

commentaires, à la fois sous forme de recensions et lors des débats qu’il a initiés pour

exposer et défendre systématiquement les hypothèses ou points de vue qui étaient les

siens. C’est ce dialogue, d’autant plus dense et précis qu’il était proposé par un

chercheur que seule sa passion de la science faisait sortir de sa réserve naturelle, que

poursuivent la vingtaine de chercheurs qui lui rendent ici hommage.

Les multiples facettes d’un chercheur accompli

3 Initialement formé à Lausanne aux lettres et aux langues (anglais et espagnol), puis à

l’anthropologie, auprès de Roger Bastide, à la Sorbonne, Bernard Juillerat était d’abord

un homme de terrain et un praticien de l’enquête monographique sous toutes ses

formes. Ayant découvert l’Afrique alors qu’il était affecté à une école suisse de

Kinshasa, il réalise entre 1966 et 1968 une première enquête de seize mois chez les

montagnards Mouktélé du Nord Cameroun, avec l’aide du Fonds national de la

recherche scientifique suisse. Il soutient à Paris en 1969 une thèse de doctorat

d’ethnologie consacrée à l’organisation sociale des Mouktélé qui sera publiée en 1971

sous le titre Les bases de l’organisation sociale chez les Mouktélé (Nord-cameroun). Structures

lignagières et mariage. C’est comme africaniste qu’il a rejoint le CNRS au début des années

1970. Il s’est ensuite rendu chez les Yafar, un peuple de langue amanab du Haut Sépik

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de Nouvelle-Guinée, sur les conseils d’Alfred Gell qui menait alors ses propres travaux

chez les Umeda voisins, dans les Border Mountains, dans l’extrême ouest de ce qui

n’était pas encore l’État indépendant de Papouasie Nouvelle-Guinée (Juillerat, 1997

‘Yangis, Lacan…’ : 36). Il devait y effectuer cinq séjours entre 1970 et 1986. Il se rendit

ensuite chez les Bánaro du Bas Sépik (en 1989-1990), afin d’évaluer le travail pionnier

effectué par Richard Thurnwald en 1913 et 1915 à propos de cette société dans laquelle

le grand ethnologue allemand n’avait pourtant pas résidé ainsi que pour étudier une

société très différente des Yafar, mais sans doute parce que Thurnwald avait lui aussi

un intérêt pour les phénomènes psychologiques, comme le signale Marion Melk-Koch

dans ce volume. Dans les années 1990, il effectua plusieurs missions en Espagne, mais

sans retrouver la passion pour le terrain qu’il avait connue en Afrique et en Nouvelle-

Guinée.

4 La variété des thèmes abordés par Bernard Juillerat indique qu’il était de ces

anthropologues pour qui la démarche monographique s’impose comme premier

horizon d’enquête, dès lors qu’on ne sait a priori où se nichent les aspects les plus

spécifiques d’une société donnée. De la technologie de l’essartage (1983) aux transes

(1975), de l’étude des couleurs (1978) à l’analyse de la parenté (1977) et de l’histoire du

travail en plantation (1979) à l’ethnomusicologie (1993), en passant par l’ethnographie

et la théorisation des relations entre mythe et rite (1991) ou par l’étude des rapports de

production, aucune question anthropologique n’était étrangère à Bernard. Tout au long

de sa carrière, il a par ailleurs tiré parti de tout l’éventail des outils d’observation

disponibles : photographie, enregistrement sonore, cinéma. À ses écrits, ce passionné

de cinéma épris de photographie a ajouté trois films en 16 mm – un sur l’Afrique et

deux sur les Yafar –, plusieurs centaines de photographies1 et des collections d’objets

désormais conservés à la photothèque et dans les réserves du musée du quai Branly

ainsi qu’au National Museum and Art Galleryde Port Moresby – évoquées plus loin par

Nicolas Garnier. Et il y eut longtemps une vitrine « Groupe linguistique des Amanab »

au musée de l’Homme (voir photo dans Jeudy-Ballini et Juillerat, 2002 : 25).

5 Parallèlement à sa connaissance de l’histoire de la discipline et des dossiers

anthropologiques les plus récents, qui se lit constamment en filigrane de ses

propositions théoriques et qui s’explicite dans ses comptes rendus d’ouvrages, Bernard

Juillerat a réalisé une ethnographie qui, dans tous les domaines, fut minutieuse. Dans la

somme qu’il a consacrée aux Yafar – Les enfants du sang (1986) –, il a utilisé ses vastes

connaissances ethnographiques et théoriques pour montrer avec succès, comment

plusieurs points de vue (et divers domaines de la vie), imaginaires autant que matériels,

se renvoient les uns aux autres dans la vie quotidienne et rituelle d’un groupe humain.

La rigueur et la recherche de l’exhaustivité se lisent dans les domaines les plus variés :

plans de maisons et termes architecturaux (1986 :113, 116) ; exemples de toponymes

(1986 :151) ; inventaire des groupes domestiques (1986 : 118) ; horticulture, chasse et

élevage (1986 : 155-222) ; pérégrinations des Yafar (1986 : 38-45) ; plans de hameaux

(1986 : 49-53) ; échanges intertribaux (1986 : 226-234) ; analyse du mariage à partir

d’une étude de cas réels (1986 : 286-328) ; accusations de sorcellerie (1986 : 453-467),

etc.

6 Au-delà de cette très complète monographie, les écrits de Bernard recèlent nombre de

descriptions ethnographiques dont la finesse – la délicatesse même – charme le lecteur,

en même temps qu’elle comble sa curiosité ; au hasard : l’ethno-linguistique d’une

formule magique (1995 : 67-85) ou le récit de la mise à l’écart d’un malade (1997 : 78-79).

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Quiconque a pratiqué l’enquête de terrain peut s’identifier à lui, tout stupéfait de

rendre son salut militaire à un Yafar embringué dans une aventure millénariste, et

ressentir l’automatisme d’un geste dû à la fatigue, où se mêlent une pointe d’humour et

l’abandon d’un moment à l’absurde de la situation (1997 : 71). Et ceux qui ont redouté

une chute ou l’invisible présence d’un serpent tout en crapahutant dans un jardin

papou se voient, comme Bernard, chercher du pied la surface ferme et rassurante du

sol dissimulée sous le fouillis végétal du lieu (1999 : 196).

7 C’est sur cette ethnographie méticuleuse associée à une sensibilité vigilante que

Bernard Juillerat a fondé les développements théoriques qui ont construit sa renommée

internationale. Il a rappelé de la plus belle manière que la démarche – la découverte –

anthropologique est une quête de longue durée, faite d’allers-retours entre « terrain »

et « théorie ». Aux thèmes multiples de ses recherches, les articles ici rassemblés en son

hommage font écho, puisque chacune à sa façon, les dix-sept contributions du présent

volume abordent un ou plusieurs des domaines sur lesquels a porté la réflexion de

Bernard Juillerat.

8 Adepte du comparatisme, attentif à la théorisation, Bernard Juillerat fut un homme de

débat, tant pour proposer ses idées et interprétations aux commentaires de ses

collègues que pour s’élever contre des positions qui lui semblaient peu établies,

douteuses voire dangereuses. Nous rappellerons ici trois des discussions que Bernard a

marquées de ses interventions, en l’occurrence, trois thèmes par lesquels les

mélanésianistes ont alimenté la réflexion anthropologique générale de ces trente

dernières années : la question du rituel, du sens et de l’exégèse ; celle du sujet et de

l’anthropologie psychanalytique ; et celle des rapports avec l’histoire.

Une anthropologie du rituel

9 Outre Naven (Bateson, 1936), régulièrement commenté et ré-analysé (cf. Houseman et

Severi, 1994 ; Silverman, 2001 pour une bibliographie récente) – y compris, d’ailleurs,

par Juillerat (1999, 2001 chapitre 9, prenant en compte les découvertes récentes de

Silverman), ou encore ici même, par Christian Kaufmann, de nombreux rituels

mélanésiens ont plus ou moins récemment fait l’objet de descriptions et d’analyses qui

ont marqué la discipline. Pour la seule Nouvelle-Guinée, citons les rites mortuaires des

Daribi (Wagner, 1973), l’analyse des cérémonies funèbres des Kaluli (Schieffelin, 1976 ;

Feld, 1979), les représentations funéraires de la dé-conception chez les Mekeo (Mosko,

1983), l’étude comparatiste des funérailles dans le Massim (Damon et Wagner, 1989),

l’étude du culte Ida des Umeda voisins des Yafar (Gell, 1975), les recherches sur les

cultes millénaristes de Madang (Lawrence, 1964) ou des Baining (Whitehouse, 1995), les

analyses des cultes de fertilité des Mountain Ok (Barth, 1975, 1987), ou encore les

nombreux travaux consacrés aux cultes masculins : ceux des Arapesh (Tuzin, 1980,

1997), des Gnau (Lewis, 1980), des Sambia (Herdt, 1981, 1987, 2003) et des Baruya

(Godelier, 1982). Avec pas moins de trois livres (Œdipe chasseur, 1991 ; Shooting the Sun,

1992 ; L’avènement du père, 1995) et une série de débats dans la section Correspondence de

Man en 1980-1981 et 1990, les écrits de Bernard Juillerat tiennent une place de choix au

palmarès de ces travaux qui ont chacun apporté un regard particulier et des

développements théoriques nouveaux sur le rituel. D’une part, du fait de son

interprétation psychanalytique des rites Gungwan et Yangis – sur laquelle on reviendra

plus loin –, mais aussi par sa participation à la controverse plus générale sur le sens des

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« religions mélanésiennes » et leur exégèse déclenchée par les commentaires de Ron

Brunton (1980) sur l’interprétation par Gell du rite Ida des Umeda, très proche de

Yangis.

10 Dans un article de Man où il corrélait l’« ordre » (au sens de cohérence) relatif de divers

systèmes religieux mélanésiens avec leur place dans les stratégies politiques des

groupes et des individus, Ron Brunton a reproché aux anthropologues de surévaluer ce

degré d’homogénéité2, alors même qu’il varie selon les sociétés considérées. Bien que

considérant finalement le rite de fertilité Ida des Umeda comme « possédant un

considérable degré de cohérence », Ron Brunton en présenta l’analyse par Alfred Gell

(1975) comme un exemple de ces travers « des » anthropologues – sans autre précision

– dont les postmodernes devaient faire ensuite leur miel : ne tenir compte ni des

difficultés qu’ils ont à obtenir des informations sur les systèmes religieux ni du

désintérêt éventuel de leurs informateurs pour ces questions ; conjecturer l’existence

d’un noyau dur de croyances et supposer que les membres d’une société y voient eux-

mêmes un ordre ; ignorer les éléments incohérents d’un système de sens, les opinions

divergentes selon les informateurs et les contradictions chez un même informateur ;

n’expliquer ni l’abandon de certains épisodes rituels ni l’adoption d’éléments nouveaux

dénués de sens ; etc.

11 Selon Ron Brunton, l’étude d’Alfred Gell était de surcroît représentative de ces

« modèles extérieurs » d’inspiration structuraliste construits par l’anthropologue en

l’absence de toute exégèse susceptible de guider ses pas (Brunton, 1980 : 117). Fort de

son expérience du culte Yangis, qu’il avait observé en 1976, et des heures de

commentaires qu’il venait de recueillir et d’analyser chez les Yafar, Bernard Juillerat fit

valoir son point de vue, à la fois contre celui, sans nuance aucune, de Ron Brunton, et

contre celui d’Alfred Gell pour qui le même rituel ne suscitait aucun commentaire de la

part des Umeda, dans une société pourtant de langue voisine, située à quatre heures de

marche des Yafar. Pour Bernard, le « désintérêt » apparent des informateurs pour le

sens des rituels est à mettre en relation avec leur souci de préserver un secret tel que,

selon les Yafar, « tous les hommes mourraient » si les femmes venaient à le connaître.

La parcellisation de ce savoir n’illustre aucune incohérence, mais au contraire une

caractéristique de systèmes de sens dont les éléments sont pensés comme devant être

mis en relation par les acteurs eux-mêmes. Bernard Juillerat rappelait également que ce

savoir secret qui lui fut confié sur le terrain fait l’objet d’une transmission

institutionnalisée entre des hommes appartenant aux deux moitiés chargées de tâches

complémentaires dans Yangis. Au-delà de la controverse sur l’existence d’une exégèse à

propos de Ida/Yangis, il insistait sur les insuffisances des « propriétés miraculeuses de

l’analyse structurale » reconstruite « à la maison » par Gell. À quoi sert, par exemple,

demandait Bernard Juillerat, de souligner la couleur rouge du corps des danseurs ipele

si on ignore que le mythe signale que c’est la couleur du sang de l’hémorragie qui tua

leur mère à leur naissance (1980 : 733) ?

12 Irrité par l’absence de nuance des propos respectifs d’Alfred Gell et de Ron Brunton, il

parla des « erreurs d’interprétation » commises par le premier et attribua le continuum

d’homogénéité relative des systèmes religieux mélanésiens proposé par Ron Brunton

aux différents niveaux de savoir ethnographique des anthropologues ! (1980 : 734). Pour

sa part, Alfred Gell opposa sa propre approche « sociologique » – traitant de mariage,

du cycle de vie, du leadership villageois – et, partant, reliée àla théorie anthropologique

générale, à celle de Bernard Juillerat, supposée enfermée dans une explication du rituel

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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par des aspects du mythe et « laissant de côté toute question analytique intéressante »

(Gell, 1980 : 736).

13 En dépit des échanges d’amabilités qui émaillent cette correspondence, Bernard Juillerat

convia par la suite Alfred Gell et huit autres collègues à commenter sa propre

interprétation de ce rituel pour en débattre dans un livre unique en son genre –

Shooting the Sun (1992). Dans sa lettre à Man, il n’avait fait qu’indiquer combien la prise

en compte de la glose, du secret et de l’empilement ou de la mise en relation des savoirs

changerait la vision anthropologique de Ida/Yangis. Dans l’ouvrage collectif dont il prit

l’initiative, il présentait pour la première fois son interprétation psychanalytique de

Yangis. Pour lui, ce rite est la mise en scène d’une histoire œdipienne mythique, secrète.

Il s’agit de la théâtralisation d’aspects fondamentaux de la constitution du cosmos où la

figure maternelle est présente à la fois comme terre-mère et dans le soleil qui est le

sein maternel. À la fin de Yangis, en une séquence cruciale bien que ne durant que

quelques minutes, les archers décochent leurs flèches vers le soleil après les avoir

d’abord pointées vers le sol, donnant à voir cet aspect important des significations du

rite. Yangis possède simultanément un plan totémique mettant en scène la naissance de

l’humanité et de la société à partir des deux espèces caractérisant les moitiés de la

société Yafar et qui sont les facettes totémiques masculine et féminine de l’Humain

dans ses processus de reproduction et de socialisation. Enfin, Bernard Juillerat insiste

sur le fait que « le processus émotionnel fondateur qui est à l’origine du rituel doit être

distingué de l’émotion induite en retour [par le rituel] sur l’individu » (1992 : 111).

14 Surtout, dans Shooting the Sun, la multiplicité des approches proposées par les différents

auteurs constituait en soi une réflexion théorique et méthodologique sur l’étude et

l’exégèse du rituel en général, y compris sous la forme d’une série d’interprétations

selon les approches favorites de chacun « plus complémentaires qu’exclusives les unes

des autres » (1992 : 285). Elle soulevait également la question des rapports entre des

faits universels de constitution et de structuration de la personne et des institutions. En

la matière, l’apport principal de Bernard Juillerat fut de mettre en avant la question du

sens du rituel pour les sujets membres d’une société donnée, au moment où elle

commençait d’être d’emblée évacuée des recherches sur le rituel. Pour une majorité de

spécialistes du rituel, le problème est d’expliquer en quoi il est un type d’action

particulier. Si celui-ci « dit » quelque chose, lit-on souvent désormais, il ne serait

qu’« un accessoire redondant de la règle sociale » (Houseman et Severi, 1994 : 164),

mais rien n’indique en quoi il est une façon spécifique et nécessaire d’exprimer,

interpréter, ou « moduler » (Gell, in Juillerat, 1992 : 142) celle-ci. Les recherches en

anthropologie cognitive, en particulier, considèrent comme démontrée, sans autre

forme de procès, l’inutilité de toute recherche de la signification d’un rituel, tant pour

les sujets qui le vivent que pour les anthropologues qui tentent de comprendre sa place

dans un système de sens (par exemple Humphrey et Laidlaw, 1994 : 192, 262). Sans

autre forme de procès, c’est-à-dire comme si ce débat relancé par Bernard Juillerat

n’avait pas existé. On comprend qu’il ait complété ses multiples travaux sur la prise en

compte du sujet et le rapprochement entre psychanalyse et anthropologie par une

critique exaspérée des prétentions et des raccourcis de l’anthropologie cognitive (2001 :

9-38).

15 Comme l’écrit ici André Green à propos de l’implication de Bernard Juillerat dans

l’approche psychanalytique, celui-ci ne faisait pas les choses à moitié : il « n’était pas de

ceux qui se contentent de quelques citations de Freud pour conclure rapidement à la

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pertinence d’une référence à la psychanalyse pour l’anthropologie ». C’est la genèse de

son approche d’anthropologie psychanalytique que nous voudrions retracer à grands

traits à partir de ses publications, dans les pages qui suivent.

De l’attention au psychique à l’anthropologiepsychanalytique

« Pionnier de l’anthropologie psychanalytique […] Géza Roheim […] s’est toujoursprésenté comme le seul ou le premier ethnologue qui ait adhéré totalement à lapsychanalyse. » (Dadoun, in Roheim, 1967 : 9)

16 Entre 1923 et 1931, Géza Roheim « fit du pays Somali, de l’Australie centrale

[Pitjentara], de l’île Normanby [en Nouvelle-Guinée] et des Indiens Yuma de l’Arizona

son champ de recherche » (ibid.). Autre pionnier de l’anthropologie psychanalytique,

Georges Devereux (1908-1985) travailla sur les Sedang Moï du Vietnam et les Indiens

Mohave du sud-ouest des États-Unis. L’influence de ce dernier se fit particulièrement

sentir en France dans les années 1960 et 1970 à travers son séminaire

d’ethnopsychiatrie de l’École pratique des hautes études, passage quasi obligé pour une

grande partie d’une génération d’anthropologues – dont beaucoup d’ailleurs ne

s’orienteront pas nécessairement vers l’anthropologie psychanalytique.

17 Le parcours initial de Bernard Juillerat ne semble pas se dérouler dans une continuité

directe à ces deux grands pionniers – qu’il citera ensuite dans nombre de ses textes.

Cependant, le lien avec Devereux se fait à travers Roger Bastide, qui fut son directeur

de thèse. En l’absence d’entretiens publiés donnant une vision argumentée par lui des

raisons de son orientation psychanalytique comme aboutissement théorique de ses

recherches en Océanie, l’étude d’un choix de publications dans les pages qui suivent,

considérées comme des jalons significatifs de ce développement de l’œuvre, servira de

guide pour une tentative de compréhension de ce parcours scientifique, de ce chemin

qui mena Bernard Juillerat vers l’anthropologie psychanalytique.

18 Intitulé Les bases de l’organisation sociale chez les Mouktélé (Nord-Cameroun). Structures

lignagères et mariage, l’ouvrage issu de sa thèse, publié en 1971, ne laisse guère présager

de l’évolution future de Juillerat. C’est un travail classique, bien délimité en son titre,

dont l’écriture claire et précise donne le ton de l’ensemble des textes à venir. Elle-

même spécialiste du Cameroun, Jeanne-Françoise Vincent nous présente dans ce

numéro les travaux de Juillerat dans ce pays. La conclusion est resserrée sur la

problématique de départ :

« [le] problème lignager [a été traité] sous deux plans distincts, bien que liés entreeux. Le premier, essentiellement diachronique, a permis de saisir le processushistorique par lequel […] les patrilignages se sont constitués et se sont scindés […] lesecond plan, plus synchronique, nous a conduit à un tableau général del’organisation segmentaire […] le groupement de plusieurs [segments] tshay en uneunité plus vaste se fait toujours par le truchement du territoire. » (Juillerat, 1971 :243-244)

19 Dans cette étude d’organisation sociale, les conclusions sur les relations d’affinité

entrouvrent un peu la porte à des considérations de relations inter-personnelles.

« Dans le cadre du régime matrimonial, les aspects les plus marquants sontl’importance occupée par la parenté cognatique dans le régime exogamique etl’instabilité du mariage […] [pour celui-ci on peut] distinguer la séparation due à desraisons externes et la séparation due à des causes internes, inhérentes au couple

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même (incompatibilité d’humeur) […] seul le second type de séparation [entraîne]une rupture définitive du mariage, tandis que le premier type [n’occasionne] le plussouvent qu’une séparation temporaire. » (Juillerat, 1971 : 244)

20 On trouve, dans le cours même de cette étude monographique, d’autres ouvertures sur

l’étude fine des relations inter-personnelles.

21 Dans le cadre de l’étude des processus qu’il nomme du plaisant néologisme de

courtisation – désignant « l’ensemble des comportements amoureux prémaritaux »

(1971 : 153) –, l’intérêt de Juillerat pour les langues et le langage, jamais démenti depuis

ses études à Lausanne jusqu’à ses dernières publications, se combine à une attention,

non aux « comportements psychologiques individuels, mais seulement [aux]

conventions que la société a créées pour résoudre la difficulté […] [car] la courtisation

suppose un problème de communication entre individus placés dans un contexte

psychologique particulier [...] Problème de communication, donc principalement de

langage » (ibid. : 156). Cette mise en perspective n’entame en rien la finesse de quelques

rares touches psychologiques disséminées dans les pages consacrées à la courtisation

(153-161).

« Cette grande réserve dans les comportements de langage [pour la courtisation enface à face] peut paraître contredire ce que nous avons dit […] concernant lesattitudes des groupes de jeunes sur les marchés et la facilité avec laquelle s’ynouent des intrigues. Nous pensons à ce propos qu’il faut distinguer les situationsindividuelles et les situations de groupe. Les conditions psychologiques et socialesdans lesquelles se trouve le jeune homme isolé à la recherche d’une [amie] môDasont tout autres que celles du même individu incorporé à un groupe. Dans cedernier cas, la bière de mil modifie en outre profondément le psychisme du groupe.Les intrigues qui en résultent ne sont souvent que passagères. Le mode decourtisation “en groupe” basé sur la compétition, le divertissement, la dépenseostentatoire et l’ivresse peut être considéré comme une forme d’affranchissementdes contraintes que suppose le mode de courtisation individuel. À la circonspectionet au tact dont est empreint le comportement de l’amant isolé s’opposent le franc-jeu et la quasi brutalité du comportement collectif. » (ibid. : 160)

22 Les plus belles lignes de cette étude de la courtisation sont sans doute celles où sont

décrites les rencontres chez la jeune fille, avec cet exemple de dialogue de libertinage

conventionnel :

[Lui :] « Lève-toi, sœur, et verse-moi de l’eau »[Elle : ] « Est-ce le diable qui me réveille ainsi ? »[Lui : ] « C’est moi, lève-toi et donne-moi de l’eau, te dis-je. Mon âme t’a suiviedepuis longtemps déjà ; c’est pourquoi je suis venu aujourd’hui. Vais-je la trouverchez toi ? Mes yeux te voient belle et mon esprit ne sait que faire, ma sœur […] »(ibid. : 157)

23 Ainsi, dans cette étude serrée des relations sociales, d’où n’émergent à propos de

relations inter-personnelles que quelques réflexions sur la psychologie des acteurs

sociaux, rien ou presque ne permet d’envisager la voie que va plus tard privilégier

Bernard Juillerat. Il faudra un nouveau terrain, océaniste, pour favoriser, très

progressivement nous allons le voir, son orientation vers l’anthropologie

psychanalytique. Après ces premiers travaux sur les Mouktélé viennent donc les

recherches en Papouasie Nouvelle-Guinée, dans le Sépik Occidental au nord des Border

Mountains.

24 L’étude par Bernard Juillerat de la possession chez les Yafar intitulée « Transe et

langage en Nouvelle-Guinée », fut publiée en deux parties dans le JSO (1975a et b). Il y

porte son attention sur des phénomènes de transe, aussi qualifiés de crise,

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comportement hystérique ou dissociation et décrits comme des symptômes, ou un

syndrome. Les deux articles présentent une étude de l’insertion dans l’institution et de

la récupération par la culture de phénomènes qu’il qualifie en leur état initial de

« sauvages », sans doute au sens de Claude Lévi-Strauss (1962a). Plus précisément il

étudie la « socialisation et [la] symbolisation de quelques symptômes. Mon propos est

de suivre plus particulièrement ici quelques-uns des symptômes de la dissociation dans

leur processus de récupération par la culture » (1975b : 388). Le premier article est

consacré à la « possession médiumnique » chez les Yafar. La passion du terrain, qui fut

– avec un goût pour les voyages – l’une des assises de la vocation anthropologique de

Juillerat (Michèle Juillerat, communication personnelle), y est illustrée par ses qualités

d’ethnographe, déjà manifestes dans ses travaux chez les Mouktélé et qui se trouvent

encore plus en évidence dans la description très fine et complète qu’il donne des

transes observées à Yafar. À nouveau, le langage est une composante centrale de son

étude et de sa réflexion.

« Outre un timbre et des intonations enfantines, le médium utilise un vocabulairespécial d’une cinquantaine de termes qui, se mêlant au lexique habituel,correspondent à des signifiés parmi les plus courants : aliments, animaux, positionsparentales […] cette langue des dieux (nabasa na mô)… n’est donc pas une languesecrète, [elle] n’a pas pour fonction de susciter un ésotérisme d’où les femmesseraient exclues, mais seulement de démarquer la présence divine par rapport aucontexte humain et d’authentifier la possession et la fonction médiumniques. Celexique spécial, connu de tous, est aussi bien utilisé par les interlocuteurs humainsque par les dieux eux-mêmes. » (1975a : 208)

25 Le second article a une portée comparatiste, resituant « le cas amanab [Yafar] dans le

cadre plus large des phénomènes de dissociation ou de transe rituelle observés en

Nouvelle-Guinée » (1975b : 379).

« [Les] échantillons [de la comparaison] ont été choisis dans la mesure où ilsillustrent chacun un stade différent dans le processus de contrôle progressif de ladépersonnalisation et où ils constituent une échelle […] postulant un changementqui ne se ferait pas au hasard, mais qui, partant du syndrome “sauvage”, tendraitdès le départ vers une récupération croissante de ce syndrome par la culture. Leprocessus de socialisation et de ritualisation est conçu comme contingent […]chaque société orientera le syndrome vers un domaine culturel différent (enfonction de ses préoccupations) ou l’intégrera peut-être dans un rituel religieuxpréexistant. » (1975b : 379-380)

26 La synthèse de Bernard Juillerat montre que la surdité, un sentiment de

refroidissement, l’agressivité et – largement développé dans sa présentation – un

rapport très particulier au langage, sont les symptômes principaux de ces dissociations.

« Selon ce qu’elle entend en faire, la société remodèle le syndrome en donnant plusou moins de place à chacun des symptômes et en les dotant d’un sens » (ibid. : 392)

27 Ce « sens » toutefois n’est pas, directement au moins, celui de la langue. Nous aimerions

en effet souligner ce qu’il considère comme « un phénomène constant » : l’association

de la crise avec une utilisation de la parole dans laquelle « le sujet évite de parler la

langue de son groupe » (ibid. : 391). Bernard pointe ici un phénomène largement

répandu en Océanie, des usages spécifiques de la parole étroitement associés à des

formes, spécifiques elles aussi, de sociabilité.

28 Pour les sources comparatistes de ces articles, les études ethnographiques sur la

Nouvelle-Guinée et l’Océanie sont privilégiées. Sur la quarantaine d’auteurs cités,

moins d’une dizaine le sont pour des ouvrages généralistes de psychiatrie ou de

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psychanalyse – trois d’entre eux écrits par des ethnologues, Roger Bastide, Georges

Devereux et Ioan Lewis. L’attention de Juillerat aux approches psychiatrique et

psychanalytique des phénomènes de dissociation se porte ici surtout sur des synergies

déjà établies entre l’ethnologie et ces deux disciplines. Ainsi, il reprend le dialogue

entre l’anthropologue Louis L. Langness et les psychiatres Steven Hirsch et Marc

Hollender à propos de la définition, puis du réajustement catégoriel, des crises negi negi

des Bena Bena. D’abord qualifiées par Langness de « psychose hystérique », elles

deviendront des « pseudo-psychoses », à l’incitation d’une publication ultérieure de

Hirsch et Hollender (Juillerat, 1975b : 383-385). Juillerat poursuit la réflexion de

Langness pour l’étendre au syndrome féminin genefafaili.

« Personnellement, et pour autant qu’on puisse en juger d’après la documentationsuccincte qui nous est donnée, il me semble très risqué de parler de folie pour unsyndrome totalement ritualisé et intégré au contexte funéraire. Le caractère auto-induit de l’attaque genefafaili, très proche semble-t-il de la transe des médiumsamanab [Yafar], paraît ici évident. » (ibid. : 385)

29 Il n’en reste pas moins que, dans ces deux articles, c’est surtout dans les notes de bas de

page que Juillerat développe ses idées en relation à la psychiatrie et la psychanalyse.

Ainsi la note 14 (ibid. : 386-387), où il réagit à une proposition par Mary Reay de

judiciarisation répressive du comportement de l’homme komugl des Kuma. La réaction

de Juillerat est au diapason des idées de contestation de la psychiatrie, assez répandues

au plan mondial dans les années 1960 et au début des années 1970 :

« pourquoi […] vouloir imposer à ces sociétés un système répressif propre àl’Occident (où il est d’ailleurs de plus en plus contesté), tandis qu’elles ontprécisément le moyen d’assimiler le syndrome sans le condamner et d’intégrer le“psychotique” sans l’isoler ? » (ibid.)

30 Alors même que l’attention au psychique y est centrale, l’approche de ces deux articles

diffère sensiblement de celle, plus proprement psychanalytique, qui deviendra sienne

un peu plus d’une décennie plus tard à partir des Enfants du sang. Pour comprendre les

différences, on se réfèrera à la synthèse que Juillerat propose des textes de 1975 dans

laquelle on peut percevoir l’influence des travaux de Bastide sur la façon dont Juillerat

traite des transes en Nouvelle-Guinée.

« Si l’on élargit le problème en ne plaçant plus le syndrome à l’origine du processusde réponses complémentaires, mais en l’incluant au centre d’un complexe plusvaste qui serait celui de la vie et de l’histoire sociale du groupe, il faut alorsconcevoir la crise initiale, “sauvage”, comme un accident, une “mauvaise réponse”ou une sorte de “corps étranger” que l’organisme social chercherait ensuite àidentifier et à neutraliser. Ce processus d’identification-assimilation peut êtreconsidéré comme le résultat d’un réflexe de défense du corps social contre ledanger que représente le syndrome en tant qu’élément allogène. La société chercheà vivre avec son syndrome en le mettant en circuit ou pour le moins en le plaçant“sur orbite” et en lui laissant ainsi sa marginalité sans le rejeter. » (1975b : 393)

31 Proposons de voir en ces lignes plus l’influence des travaux de certains psychiatres – et

anti-psychiatres – que celle, majeure, de la psychanalyse qui va ensuite marquer la

recherche sur les Yafar, et en particulier sur leurs mythes et le rituel Yangis.

L’incertitude des notions qui apparaît dans l’usage de guillemets va, dans la suite de

l’œuvre, laisser la place à l’usage de concepts établis par la psychanalyse. Surtout, à

cette première approche où la psychanalyse contribue à éclairer la transe, phénomène

décrit comme étant de l’ordre du syndrome et au fond marginal, va succéder une

démarche beaucoup plus ambitieuse où la psychanalyse occupe une place désormais

centrale puisqu’elle sera mobilisée pour interroger les tréfonds « infrasociaux » de

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l’organisation et de la formation de traits fondamentaux de la société et de la culture

yafar.

32 Après une longue série d’articles sur les Yafar aux sujets très divers (voir la

bibliographie), la parution en 1986 de Les enfants du sang : société, reproduction et

imaginaire (1986), monographie très complète et détaillée, fonde la problématisation de

l’ensemble de l’ethnographie constituée par Juillerat. Dans une conversation, il disait

s’être orienté vers la psychanalyse en raison du caractère œdipien des mythes yafar (en

2000 ; Agnès Clerc-Renaud, communication personnelle) ce que confirment les lettres à

Philippe Peltier publiées dans ce numéro. Dans Les enfants du sang, on le voit se tourner

vers la psychanalyse, posant de nombreux jalons ethnographiques et interrogations

ouvrant sur cette approche. À propos des mythes, mais aussi du non-dit yafar

entourant la reproduction et la figure maternelle en particulier et de nombreux autres

aspects de la société. Dès l’introduction, remarquant qu’il existe « d’excellentes et rares

recherches d’ethnopsychanalyse », il souligne aussi que :

« quelques psychanalystes anthropologues s’obstinent à négliger les facteurssociaux et historiques, alors que les spécialistes de la parenté ou du pouvoir nedisent mot des représentations psychiques ; d’autres encore entendent toutexpliquer à partir d’une nébuleuse postjungienne où l’homme, détaché de toutcontexte matériel, est réduit à son imaginaire. » (1986 : 10)

33 Au fil de l’ouvrage, Juillerat cite Gérard Mendel, Erich Fromm, André Green, Julia

Kristeva, Roger Bastide – mais aussi l’inclassable Gaston Bachelard. Ainsi, dans le cadre

de cette monographie classique, la réflexion à partir de la psychanalyse progresse par

touches discrètes mais fermement appliquées, de façon cumulative. La brève conclusion

met en place les lignes de force de son programme d’analyse du monde yafar.

L’influence de Bastide y est explicite.

« [Ce dernier] a montré qu’une psychanalyse de la culture n’équivalait nullement àune réduction du social au psychique, mais demandait de dégager les “lois detransformation” qui ont permis à la structure psychique de se reproduire dans lastructure socio-culturelle. En ce qui concerne les Yafar, on a vu à quel pointl’ensemble conceptuel construit à partir des structures infrasociales est récurrent àde multiples niveaux du système. […] Structures de groupes, systèmes d’alliance,formes de “l’initiation” des garçons, essaimage des clans, transmission des droitsfonciers, rituels de protection de la personne ou de reproduction des unitéstotémiques, etc. : tous ces dispositifs font référence à la filiation (agnatiqueinstitutionnelle ou utérine), à la relation à la mère, réelle ou mythique, à latransgression œdipienne et à sa régulation, à l’inversibilité temporelle de l’ordresocial, au rapport transcendant avec les ‘sangs’ masculins ou féminin. » (1986 : 514)

34 La perspective, comme l’ambition théorique, s’affirment ici bien plus larges et

fondamentales que dans les études sur la transe. Il ne s’agit plus seulement d’une

réflexion sur l’intégration, ou la « mise sur orbite » d’un syndrome personnel de

dissociation par les sociétés et les cultures. Ayant appréhendé que, de façon

généralisée, l’ensemble conceptuel yafar est élaboré à partir de structures psychiques

infrasociales, Juillerat entend mettre au jour des lois par lesquelles la structure

psychique se reproduirait dans la structure socioculturelle. Plus tard, il écrira que :

« l’anthropologie peut être qualifiée de psychanalytique quand l’utilisation deconcepts freudiens ouvre de nouvelles voies à l’interprétation des faits sociaux etdes contenus culturels. C’est le cas lorsque les fonctions et représentationspsychiques opérant chez la plupart des individus, tout particulièrement celles quisont inconscientes, se traduisent par des productions collectives. » (2004 : 158)

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35 Le programme psychanalytique de Juillerat annoncé dans Les enfants du sang est mis en

œuvre dès 1988, avec un article intitulé « “Une odeur d’homme” : évolutionnisme

mélanésien et mythologie anthropologique à propos du matriarcat » (repris dans Penser

l’imaginaire), qui sera suivi de bien d’autres, et de quatre livres où culminent cette

réflexion trop tôt interrompue. C’est d’abord, en 1991, Œdipe chasseur : une mythologie du

sujet en Nouvelle-Guinée, préfacé par le psychanalyste André Green. Puis Shooting the Sun.

Suit, en 1995, L’avènement du père. Rite, représentation, fantasme dans un culte mélanésien

qui présente une description détaillée du rite Yangis des Yafar et son analyse en termes

psychanalytiques. Puis, en 2001, Penser l’imaginaire, qui rassemble des Essais

d’anthropologie psychanalytique, dont certains d’humeur polémique, comme celui, inédit,

ouvrant l’ouvrage, qui traite de façon très incisive de « La dérive cognitiviste en

anthropologie ». Confronter son approche psychanalytique à d’autres terrains

(Juillerat, Bidou et Galinier, 2005) et à d’autres démarches anthropologiques qu’il

considère comme scientifiquement pertinentes et fondées sur une ethnographie fiable

et détaillée a été l’une des préoccupations de Juillerat. On trouvera dans ses nombreux

comptes-rendus de lecture de multiples suggestions dans ce sens.

36 Mais c’est avec la publication, en 1992, de Shooting the Sun. Ritual and meaning in West

Sepik que cette démarche prend forme de façon rigoureuse et surtout systématique. Ce

livre présente une première interprétation des significations du rituel Yangis des Yafar

– thème qui sera abondamment développé dans L’avènement du père – mais, surtout, il la

confronte avec l’interprétation qu’Alfred Gell donne de Ida, le rituel Umeda

correspondant à Yangis. Après le débat avec Ron Brunton et Alfred Gell dans les

colonnes de Man en 1980, ce livre reprend de façon beaucoup plus substantielle et

précise les écarts (i) entre Ida et Yangis, (ii) entre les approches anthropologiques

d’Alfred Gell et de Bernard Juillerat. La confrontation, apaisée, de deux des

anthropologues les plus créatifs de leur génération vaut à elle seule le détour. Mais le

livre comporte aussi une série de chapitres écrits par des psychanalystes – André

Green, François Manenti – et des anthropologues de premier plan – Marilyn Strathern,

Roy Wagner, Richard Werbner, Donald Tuzin, Andrew Strathern – ce qui lui donne une

place à part dans les publications océanistes des dernières décennies. À travers l’accent

mis sur les significations des rituels et sur la pertinence de l’approche psychanalytique,

on retrouve l’intérêt de Juillerat pour le langage, un langage dont il montre le dialogue

constant avec des formes d’expression non verbales. En effet, l’étude du rituel Yangis

amène Juillerat à développer un questionnement approfondi autour des significations

non verbales, dans les actes et les objets en particulier. Là, d’autres nœuds se resserrent

avec la psychanalyse :

« comme je l’ai suggéré, la motivation du rite est à la fois dans l’actuation et dans lesens, ou plus exactement dans l’actuation du sens. André Green se réfère souvent àWinnicott et j’ai aussi tenté de recourir à la notion d’espace potentiel à propos durite. En ethnologie, il convient cependant d’apporter une mise au point. L’espacerituel est un lieu transitionnel entre le dedans et le dehors (Winnicott, 1975 : 146),participant de l’idée de limite définie par André Green, mais il tient davantage dugame en ce que son déroulement est connu d’avance, fixé par la culture, tout enréservant une part de play , de créativité par l’expérience psychique renouvelée(individuelle et collective) vécue par les acteurs. À la fois dedans et dehors, le riteintroduit dans son espace-temps transitionnel des objets empruntés au mondeextérieur (plantes magiques, objets de culte) pour qu’il y signifient quelque chosedu domaine tant culturel qu’intra-psychique, puis il les en écarte à nouveau. Ces

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objets matériels à chaque fois (re)trouvés sont intégrés aux règles du jeu, mais leursmises en acte successives en font à chaque fois des objets (ré)inventés. » (2002 : 47)

37 Sous cet éclairage, le rite est conçu comme un contexte spécifique où les significations,

des objets en particulier, effectuent des va-et-vient entre personnes, culture et société.

Ici encore, on remarque la place centrale donnée aux formes d’inscription du sujet dans

la société et la culture.

38 Les ouvrages d’anthropologie psychanalytique de Juillerat sont d’une grande clarté. La

qualité de leur argumentation contribue largement à leur force de conviction. Leur

valeur ethnographique n’est pas moindre et c’est là le fil le plus constant de son œuvre.

Mais cette problématique dominante de la dernière partie de l’œuvre ne doit pas faire

oublier les autres thèmes abordés par Juillerat.

Un anthropologue historien, mais hors des modes etdes dogmatismes

39 Par son refus de céder aux modes, Bernard Juillerat tient également une place à part

dans le paysage des recherches sur la Mélanésie au cours des quarante dernières

années. Par exemple, il est resté discret sur le statut de l’observateur ou la New

Melanesian Ethnography, s’en tenant, si l’on ose dire, à une approche monographique

classique des Yafar, avec le talent et les résultats que l’on sait. Il est de même resté à

distance des oukases sur la subjectivité de l’anthropologue et n’a guère utilisé la notion

de partible person. Il a souvent égratigné le structuralisme et on a vu qu’il a condamné

l’anthropologie cognitive. Il est cependant essentiel de noter que, dans tous les cas, ce

ne fut ni par désintérêt ni du fait d’une condamnation a priori que Bernard Juillerat ne

s’est pas investi dans ces thèmes, pourtant bien présents dans l’anthropologie du

moment. Sa position a toujours été mûrement réfléchie et, à cet égard, la façon dont il a

traité l’histoire nous paraît exemplaire de la façon dont il a pu aborder un sujet sans se

conformer aux injonctions comminatoires de certains spécialistes des sciences sociales.

40 Bernard Juillerat a parlé de l’histoire dans au moins quatre registres : à propos de sa

part dans les transformations économiques et sociales des sociétés de Nouvelle-Guinée

avant le contact (in Godelier et Strathern,1991); dans sa réévaluation des travaux de

Richard Thurnwald chez les Bánaro ; dans son approche des bouleversements

intervenus chez les Yafar depuis leur découverte des Blancs ; et à propos des rapports

entre histoire et anthropologie en général, à l’occasion des débats ouverts par

l’« anthropologie historique de l’Océanie ».

41 Comme d’autres chercheurs, Bernard Juillerat a utilisé l’opposition entre « Big men » et

« Grands hommes » proposée par Maurice Godelier et Marylin Strathern dans Big Men

and Great Men: Personifications of power in Melanesia(1991) pour la contraster avec une

configuration politico-économique n’entrant dans aucune de ces deux catégories, ici

celle des Yafar. Dans « Complementarity and rivalry: two contradictory principles in

Yafar society » (1991), il décrit et analyse un cas intermédiaire entre les deux pôles

dans laquelle les experts rituels ne sont ni des Big men ni des Grands hommes –

notamment du fait de la coexistence chez les Yafar de charges rituelles héréditaires et

de statut acquis comme celui des médiums –, mais tiennent néanmoins de l’un de ces

statuts d’hommes « influents » que l’anthropologie de la région peine à cerner.

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42 Appliqué aux Yafar, le terme Big man est volontairement abusif et, si Bernard Juillerat

l’accole à des personnages ne manipulant aucune richesse matérielle, c’est pour

expliquer que des formes de rivalité, de pouvoir « achieved » peuvent se mettre en place

à propos de situations dans lesquelles la manipulation de ces richesses ne joue aucun

rôle. En l’occurrence, des formes de rivalité et de lutte pour le prestige entre des

hommes éminents (initiateur de fission de hameau, responsable de culte de type

millénariste) qui jouent sur des contradictions sociales pour se distinguer. On est loin

des « systèmes de Big men » ou des cycles d’initiations complexes, « socialement plus

élaborés » (1991 : 141), mais il y a néanmoins lieu de s’interroger sur les

transformations sociales conduisant, hors de toute manipulation de richesses, à la

détention d’une ébauche d’autorité susceptible de passer de la sphère rituelle à la

sphère politique par un effet cumulatif (1991 : 132-133). Chez les Yafar, il existe une

complémentarité entre les charges qui reviennent à quelques-uns – expert rituel,

leader politique, responsabilité dans le culte du cargo Wes apparu chez eux en 1981.

Mais, au sein de chacune de ces sortes de spécialités, les hommes rivalisent entre eux,

sans que l’on soit pour autant dans un système à « Big men » ni à « Grands hommes »

(1991 : 140).

43 C’est dans ce contexte, par rapport à l’histoire et à l’ethnographie des Yafar, que

Bernard Juillerat s’est refusé d’interpréter la mise en place d’une ébauche de pouvoir et

des stratégies qui l’entourent et, plus largement, de processus de complexification

sociale, comme le seul résultat de différences structurales – comme l’opposition

soulignée par Maurice Godelier autour de ces deux grands types d’institution sociale

pesant lourdement sur la vie collective que sont les initiations masculines et les grands

échanges cérémoniels de richesses. Pour lui, tant un système élaboré d’initiations

masculines qu’un ensemble d’échanges cérémoniels étaient peut-être les résultats de

processus où l’histoire joue son rôle. En l’occurrence, un rite comme Yangis (qu’il

qualifie de « pseudo-initiation ») aurait présenté peu de possibilités de transformation

en des initiations masculines (1991 : 141).

44 Bernard Juillerat fut également historien des disciplines et des recherches scientifiques.

Par ses écrits sur les rapports entre psychanalyse et anthropologie déjà évoqués,

d’abord, mais aussi sur l’histoire de l’anthropologie de la Mélanésie, avec la recherche

mêlant enquête de terrain et travail sur archives qu’il a mené à propos de Richard

Thurnwald. Rappelons simplement que Bernard Juillerat choisit d’aller chez les Bánaro

à la fois parce qu’il s’agissait a priori d’une société du Sépik fort différente des Yafar, et

parce que nul n’y était retourné enquêter depuis 1915, malgré la complexité décrite par

l’ethnologue allemand – notamment un système de parenté à moitiés, des rites

d’initiation (masculine et féminine) associés à des échanges institutionnalisés de

partenaires sexuels. L’enquête de terrain de Bernard Juillerat devait montrer que 75

ans de contacts coloniaux et missionnaires avaient suffi à détruire la société bánaro

ancienne jusqu’à en effacer le souvenir de la plupart des mémoires, mais, tirant le

maximum de la mémoire des informateurs et de sa confrontation du modèle de

Thurnwald avec sa propre enquête, c’est une ethnographie contemporaine des Bánaro

qu’il a esquissée dans La révocation des Tambaran (1993) faisant une large place à

l’ethnohistoire. C’est l’occasion d’une mise en cause de l’ethnographie pratiquée loin du

terrain, avec des informateurs peu fiables – et guère consentants dans le cas Bánaro –,

et de remarques sur l’impatience théorique de Richard Thurnwald. Il s’est également

attaché à replacer la recherche de Thurnwald, l’un des plus grands ethnologues de son

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temps, dans la tradition intellectuelle particulière au sein de laquelle il a fait œuvre

originale, y compris en adoptant une démarche fonctionnaliste qui faisait une large

place aux facteurs historiques.

45 L’irruption de la modernité chez les Yafar est un autre domaine où l’aisance de

Bernard Juillerat à travailler simultanément sur des sources historiques et à partir de

ses enquêtes de terrain fit merveille. Consacrées aux transformations rapides de la vie

des Yafar au fur et à mesure de ses cinq séjours, entre juin 1970 et fin 1986. Les pages de

« My poor border dwellers » (1997 ; également publiées en anglais dans Oceania [1993 :

59-88]), sont parmi les plus belles et les plus fines que compte la littérature

ethnologique. Tout y est : la description précise des diverses manifestations matérielles

de la modernité, la complexité d’une société qui se délite et même quelques lignes de ce

regard de l’ethnologue sur lui-même dont Bernard Juillerat a dénoncé les excès (2001 :

9-10). Il rend ainsi compte de la distante présence missionnaire, de la vie des hommes

yafar dans les plantations de coprah et de l’émerveillement de ceux restés au pays

devant ce qu’ils en rapportèrent : sandales, t-shirts, guitare et une nouvelle langue, le

Tok Pisin. Il parle de la construction de la route désenclavant le territoire yafar ou de la

découverte par les Yafar du ravitaillement des soldats australiens de passage. Il raconte

l’arrivée des lointains échos de la démocratie au moment de la préparation de

l’Indépendance, l’introduction d’un fusil de chasse, la visite d’anciens ennemis, l’école,

la fin du culte Yangis, le dépôt de secrets dans les carnets de l’enquêteur, les

balbutiements des cultures de rente. Dans cet article aussi bref que détaillé, il relate

aussi les épidémies, l’embrigadement des Yafar et les promesses de résurrection des

morts dans le culte millénariste Wes, la mort de May Promp – l’incomparable « ami,

informateur et contradicteur » (1986 : 15) –, et même les inquiétudes de

l’anthropologue et sa tristesse devant un monde bouleversé et menacé : au début des

années 1990, « Yafar ne répondait plus » (1997 : 81). En vérité, on ne saurait résumer la

richesse de cet article qui, à lui seul, condense les qualités d’ethnographe de Bernard

Juillerat, la finesse de ses analyses de phénomènes complexes et sa sensibilité d’homme

de terrain – avec ce mélange d’amitié, d’angoisse et de responsabilités que chacun

reconnaîtra.

46 Fait remarquable, on ne trouvera dans ces pages aucune référence à l’« invention de la

tradition » ou à la « manipulation des agents de la modernité » et tout juste une

allusion aux problématiques que les tenants de l’« anthropologie historique de

l’Océanie » exigèrent un temps de voir partout traiter par les anthropologues, comme

la vie urbaine, les migrations ou la politique électorale (par exemple Carrier 1992 : 7).

Sur ce point comme sur d’autres (l’anthropologie cognitive, par exemple), Bernard

Juillerat associa une prise en compte du problème en question, ici, la modernité, à une

critique très argumentée et virulente des positions extrémistes du moment.

47 Publiée sous la forme d’un « À propos » dans L’Homme, « L’histoire en morceaux »

(1999) fut l’une des rares réactions aux excès et au dogmatisme du livre de Nicholas

Thomas, Hors du temps (1998), au moins en français (sur ce point, voir Lemonnier, 1999).

Après avoir résumé les arguments du livre et souligné les difficultés de Nicholas

Thomas à définir des changements sans « temporaliser les variantes entre cultures »

(1999 : 168-167), Bernard Juillerat a successivement rappelé l’impossibilité de faire

« une histoire à long terme pour des sociétés qui ne connaissent pas l’écriture » (1999 :

168) ; l’erreur de prendre l’irruption des Européens comme un « changement comme

les autres » qu’il est possible d’« inscrire dans la continuité de l’histoire précoloniale »

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

19

alors qu’il s’agit « d’un raz-de-marée planétaire qui restera un fait unique dans

l’histoire de l’humanité » (1999 : 169) ; enfin et surtout, Bernard Juillerat reprochait à

Thomas ce « paradoxe » qui « consiste à se convaincre que les études synchroniques de

systèmes sociaux sont secondaires par rapport aux approches historiques, sans

comprendre que celles-ci se fondent sur des études synchroniques d’autrefois » (1999 :

170).

48 Répondant avec agacement et fermeté aux oukases de Thomas – qui rejoignent ici ceux

d’Alban Bensa (1996), Aletta Biersack (1991) ou James Carrier (1992) –, Bernard Juillerat,

homme de terrain s’il en fut, dénonce le « procès d’intention » (1999 : 170) de l’auteur

de Hors du temps envers l’ethnographie et l’analyse anthropologique. Il rappelle le

désarroi, « les frustrations » et les efforts de l’ethnographe pour remonter le passé, là

où n’existe aucune source historique permettant de le faire. Visant directement la

tentative de Nicholas Thomas de rendre compte de l’histoire de la Polynésie dans la

longue durée, Bernard Juillerat se demandait s’il ne « vaut pas mieux analyser (les)

réponses à l’influence occidentale saisies sur le vif que de se risquer à des

reconstitutions hasardeuses sur les grandes étapes évolutives des systèmes

sociaux … ? » (1999 : 170). Rejoignant Lévi-Strauss (sans le vouloir ?), il plaidait pour des

recherches parallèles « laissant chacun, anthropologue et historien, faire son travail »

(1999 : 170)3. Bernard Juillerat plaide pour une observation de la durée dans le présent

du terrain ethnographique :

« C’est le temps de l’observation par excellence, où l’histoire se fait sous nos yeux,dans le laps de temps d’une vie d’ethnologue. » (1999 : 171)

Présentation des articles

49 Ce numéro spécial du Journal de la Société des Océanistes en hommage à notre regretté

collègue Bernard Juillerat s’ouvre avec deux textes évoquant des collaborations

scientifiques de ce dernier. Dans « Remembering Bernard Juillerat. Visiting the Bánaro

after Richard Thurnwald », Marion Melk-Koch raconte ses échanges avec Juillerat à

propos des travaux de Richard Thurnwald et, en particulier, de ses notes de terrain qui,

en raison des nombreux voyages – parfois forcés – de l’anthropologue berlinois, sont

dispersées dans le monde entier. Juillerat a en effet revisité les Bánaro de Papouasie

Nouvelle-Guinée dans La révocation des Tambaran (1993). Il a préparé son terrain par des

recherches des sources anciennes à Berlin, ce qui fut l’origine d’échanges d'abord

épistolaires, puis de deux rencontres personnelles entre Marion et Bernard. Ce texte

évoque les péripéties de la recherche des archives anthropologiques et les surprises

réservées par une société, effleurée par Thurnwald en 1913 et revisitée par Juillerat en

1989 et 1990.

50 Dans « Lettres à un jeune ethnologue », Philippe Peltier publie quatre lettres tirées d’un

échange de correspondance avec Juillerat pendant son second terrain dans le Sépik.

Chercheur expérimenté, celui-ci réagit aux notes de terrain que lui a confiées Peltier.

Née d’un désir de donner à entendre à nouveau la voix de Bernard Juillerat, cette

publication d'un autre aspect de son activité épistolaire nous renseigne aussi bien sur

sa manière de mener les entretiens que sur son appréciation du milieu ethnologique

parisien ainsi que sur de multiples choses encore, petites ou grandes, qui font les

échanges entre collègues engagés sur un terrain proche.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

20

51 Avant de devenir spécialiste de l'Océanie, Juillerat avait travaillé au Cameroun, chez les

Mouktélé, où il fut l’un des pionniers de l'ethnologie dans la région reculée des Monts

Mandara. Le contexte de ses travaux dans cette partie de l'Afrique nous est présenté

par sa collègue Jeanne-Françoise Vincent dans un article qui présente de façon détaillée

et souvent comparatiste les descriptions et analyses du jeune Juillerat dont les

recherches africanistes se caractérisaient déjà par leur minutie ethnographique et leur

honnêteté intellectuelle.

52 D’août à novembre 2008, le Musée de Port Moresby a présenté une exposition intitulée

A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar between symbols and artifacts. Une partie de la

collection rassemblée par Bernard Juillerat et donnée au musée en 1974 y était

présentée au public. Cette exposition, qui montre le rayonnement du travail de Juillerat

dans le pays où il effectua ses terrains océaniens, est présentée ici de façon détaillée par

Nicolas Garnier et sert de point de départ à une réflexion sur le rôle d'un musée comme

celui de Port Moresby. Il est au confluent de la culture que les habitants de Papouasie

Nouvelle-Guinée vivent au quotidien ou lors d’événements plus ritualisés et de celle

que leur renvoient les institutions émanant de l’influence occidentale, dont

l'anthropologie et la muséographie. Doit-il se concentrer sur une mission de

conservation des objets ou bien se consacrer aussi au montage d'expositions

thématiques temporaires telle que A tribute to Bernard Juillerat ? À la diversité des

interrogations répond celle du public, comme le montrent les réflexions de deux des

visiteurs de cet hommage muséographique.

53 Le texte d'André Green complète les précédents en montrant la diversité et la richesse

de l'homme Bernard Juillerat en son œuvre, tout en introduisant pour ce volume la

perspective psychanalytique qui marque profondément la dernière partie de celle-ci.

De leur dialogue et de leur collaboration, il évoque le déroulement, depuis la

participation du psychanalyste à la recherche collective de Shooting the sun (1992).

Green énumère les thématiques principales développées par Juillerat. Ainsi, la

démarche psychanalytique remet profondément en cause certains « dogmes »

structuralistes pour ouvrir sur des prises de position radicales, comme celle qui affirme

que « le sens détermine la structure ».

54 Jadran Mimica présente une étude de cas ethnographique traitée de façon

psychanalytique, celle d'un garçon yagwoia-anga de Papouasie Nouvelle-Guinée. La

dialectique de la paternité yagwoia met en œuvre une configuration dynamique

conditionnée par le désir de la mort du père, celle-ci étant la condition du transfert et

de la continuation dans les fils de la « puissance-osseuse » (bone-power). Les circulations,

d'origines paternelle et fraternelle, de puissance-osseuse, nourritures, biens affinaux et

autres étant détournées et refusées à ce garçon dont la position générationnelle bien

spécifique se caractérise par une incomplétude relationnelle, Mimica montre comment

il rompt avec le côté paternel de sa parenté. Le garçon se réfère alors prioritairement

au côté maternel et à de la poudre d'os humains achetée à un étranger. Ceci se

manifeste à travers des rêves qui associent d'une part son nourrissage et sa croissance à

un oncle défunt et sa force guerrière et d'autre part son éloignement de la société à

cette poudre d'os qu'il conserve sur lui.

55 Dans « Kinship, Ritual, Cosmos », Pamela Stewart et Andrew Strathern confrontent

deux usages des théories psychanalytiques en anthropologie, celle de Meyer Fortes et

celle de Bernard Juillerat. Tous deux font usage de la théorie de l'Œdipe, mais en

privilégiant certains aspects qui correspondent à leurs ethnographies respectives (voir

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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aussi Douaire-Marsaudon ci-dessous). Les Yafar mettent l'accent sur les relations mère-

fils et leur nécessaire disjonction pour que les garçons deviennent des hommes – un

thème assez répandu en Nouvelle-Guinée. En contraste, pour les Tallensi d'Afrique de

l'Ouest, Meyer Fortes privilégie les rapports du père et du fils aîné. Chaque auteur,

chaque peuple, privilégie un côté du triangle œdipien. Alors que ces configurations

œdipiennes sont à la marge de l'ethnographie, celles-ci occupent une place centrale

dans les interprétations des deux auteurs.

56 Françoise Douaire-Marsaudon présente une lecture de mythologies et de rites

polynésiens dans la perspective du « drame éclaté de l’Œdipe » (Bernard Juillerat), vu

ici dans une autre configuration de fusion originaire, de retour au stade intra-utérin. Des

questions tournant autour de l’inceste, de la césure nature/culture et de la place

éminente de l’engendrement et de la production des générations sont reprises ici à

travers le matériau polynésien. À considérer les oscillations entre le Po-nuit et le ’Aho-

jour, on peut dégager un élément-clé, véritable interface entre les deux domaines, la

notion polymorphe de fonua qui signifie à la fois « terre/pays », « tombe » et

« placenta ».

57 L’interprétation des rêves fut un des thèmes centraux du travail de Freud et nombre

d’ethnologues en ont montré l’importance dans d’autres civilisations. Chez les Kanak

de Nouvelle-Calédonie, les rêves sont souvent évoqués dans les conversations, leur

importance a été soulignée par certains observateurs, mais ils n’ont pas été objets

d’études fouillées. Isabelle Leblic les met en contexte pour dégager les lignes de force de

leur prégnance sociale et culturelle. Dans un monde où « créations » et « innovations »

sont souvent considérées comme inspirées par les ancêtres et/ou les esprits, le rêve est

une passerelle, moyen privilégié d’accéder à des savoirs qui doivent être authentifiés ou

n’ont pas été transmis. Ainsi, invention du masque, quête de médicaments,

représentations picturales, chants et danses mais aussi recherche universitaire

peuvent-ils être référés à l’activité onirique. Le rêve, enfin, permet la communication

avec des parents ou amis vivants qui se sont éloignés, il est parfois porteur, ou même

précurseur, de nouvelles les concernant, ou ayant trait à la marche du monde. Leur

décryptage met en œuvre une symbolique qui partage des traits significatifs avec la

littérature orale.

58 Marilyn Strathern interroge les notions de don et de réciprocité. Juillerat a en effet

proposé pour les Yafar de « détacher » l'idée de réciprocité de celle du don, se

positionnant clairement contre des positions centrales chez Mauss et Lévi-Strauss.

Déplaçant le regard anthropologique de la Mélanésie vers le monde occidental, Marilyn

Strathern, après avoir rappelé l'influence de l'Essai sur le don dans certaines théories

récentes concernant le don du sang montre, pour ce dernier et aussi pour le don

d'organes, l'existence de débats à propos de questions connexes à la réciprocité. Le don

du sang ou d'organes serait altruiste, volontaire, « don de vie », toutes qualifications

morales qui semblent s'opposer à la marchandisation alors même qu'un auteur

souligne que le don d'organe commence sa trajectoire de façon altruiste pour l'achever

dans le commerce. Il existe aussi des différences significatives selon le type d'organe

concerné. Toutefois il semble que la notion de don, elle, ne soit guère remise en cause.

59 L'anthropologie des sentiments et en particulier celle du bonheur restent peu

développées dans la recherche française contemporaine. Monique Jeudy-Ballini montre

que chez les Sulka de Papouasie Nouvelle-Guinée, tandis que l’expression des émotions

est relativement libre, il est inconvenant de spéculer sur les raisons de ces émotions

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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chez autrui. Il y a donc une réelle difficulté à faire l'anthropologie des sentiments, ce

qui rend la tâche d'autant plus stimulante. En effet, comprendre une société, c’est

connaître les manières de sentir de ses membres, savoir comment elles informent ou

organisent leurs interactions sociales, et de quelle façon elles peuvent constituer des

modes d’action, ce qu'avait bien compris l'école « culturaliste » américaine. Un tour

d'horizon des approches récentes de la question des émotions et de l'affectivité, enrichi

par des allers-retours avec l'étude des Sulka, suggère comment la prise en compte des

émotions pourrait contribuer à fédérer anciens et nouveaux thèmes et terrains de

l'anthropologie.

60 Gilles Bounoure fait le compte rendu des deux derniers ouvrages de Bernard Juillerat,

Penser l'imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique (2001) et le collectif édité avec

Patrice Bidou et Jacques Galinier, Psychanalyse et anthropologie. Regards croisés (2005).

Bounoure met en valeur la position centrale de la psychanalyse dans l'œuvre de

Juillerat, les croisements qu'il propose avec l'ethnographie et la place des découvertes

de Freud dans des débats intellectuels qui, comme le montre l'actualité récente, n'ont

jamais cessé d'être passionnés et passionnants.

61 Sophie Chave Dartoen place l'ethnobotanique au cœur de sa réflexion pour mieux

éclairer les relations sociales. Elle reprend le problème des représentations et de leur

efficacité à partir de la « production des jardins » (Juillerat), mais pour le terrain

polynésien de Wallis. En effet, l’importance rituelle des plantes cultivées, des

techniques et des pratiques qui leur sont associées ne peut être pleinement saisie à

travers une opposition entre matériel et symbolique. Les ignames sont la prestation

masculine par excellence et leurs récoltes sont considérées comme une manifestation

de relations bénéfiques entre le pays – aux premiers rangs duquel les horticulteurs et

les anciens –, le roi et Dieu.

62 Christian Coiffier s'intéresse à l'utilisation, dans de nombreux rituels, de plantes

productrices de fruits dont la couleur change avec la maturation. Bernard Juillerat a

essayé de comprendre de façon rigoureuse la perception profonde de certains de ces

fruits pour ses informateurs Yafar. Élargissant la perspective à plusieurs sociétés du

Sépik, Coiffier remarque que, souvent, ces plantes renvoient à la mort ou au

vieillissement humains et que sont privilégiées celles d’entre elles considérées comme

étant en relation avec le monde chtonien.

63 Les trois dernières contributions, si elles font écho à la thématique du sujet et des

relations, s'intéressent plus particulièrement aux significations portées par les

cérémonies et les rituels. En écho avec l'interprétation de Juillerat selon laquelle

l'accomplissement du rituel met en relief des valeurs sous-jacentes aux relations

sociales, Christian Kaufmann se penche sur le rôle dévolu par les Iatmul de Papouasie

Nouvelle-Guinée à des objets marquant des relations de genre. Dans des rituels comme

le naven, des artefacts objectifient – rendent visible – ce type de relations. Même s'ils ne

circulent pas, ils peuvent être considérés comme des « dons » de savoir et de service,

car précisément ce qui circule dans ces circonstances est l'expression du savoir par la

monstration et non la circulation des objets.

64 À partir de cérémonies kanak de Nouvelle-Calédonie, Denis Monnerie propose de

distinguer entre « symboles » et « figures ». Ces dernières – comme la Maison ou

Grande Maison – renvoient toujours à un même thème qui, dans les cérémonies, est mis

en œuvre sous des formes qui visent à associer systématiquement compréhension et

expériences plurisensorielles et à le faire de façon collective. Les formes minimales de

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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cette mise en œuvre cérémonielle collective du social pour les figures et leurs

significations sont des paires, ce qui renvoie aux « fantasmes originaires » privilégiés

par Juillerat, qui, tous, mettent en jeu des relations entre au moins deux acteurs.

65 C'est à une réflexion comparatiste sur les mythes et les rites des peuples anga de

Papouasie Nouvelle-Guinée que nous convie Pierre Lemonnier, pour mieux y

comprendre la place du sujet. S'il n'y a pas de « nécessité dans la logique d'un

imaginaire collectif », il y a des conventions. Comment celles-ci font-elles partie des

sujets ? La place des rituels est ici centrale. Les transformations que le sujet masculin

subit lors des rituels d'initiation ankave débordent le seul moment rituel car il y

ressent, de façon verbale et non verbale, des actions, des émotions et des savoirs

relatifs au monde où il est né et dans lequel il vit.

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NOTES

1. Voir la sélection de photographies présentée dans ce volume.

2. Rappelons que cet order dépend, selon Ron Brunton :1) du degré d’élaboration et de l’ampleur

d’un système religieux ; 2) de sa cohérence interne ; 3) de l’uniformité des croyances et des

pratiques d’un individu à un autre ; 4) de leur persistance dans le temps (Brunton, 1980 : 122).

3. «À l’un, donc, le changement, à l’autre les structures» (Lévi-Strauss, 1962b:

45).

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Bibliographie et filmographie deBernard JuilleratIsabelle Leblic

Pour plus de clarté, cette bibliographie est présentée en décomposant l’ensemble des

références de Bernard Juillerat, à savoir :

les huit ouvrages et les trois directions d’ouvrages – en présentant les références des

comptes rendus dont ils ont fait l’objet –,

les cinquante-deux articles dans les revues,

les quinze chapitres d’ouvrages

et les quarante-huit comptes rendus de lecture.

Nous avons cité également les références des trois films réalisés par Bernard.

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Microfiches n° I 74099 117, Paris, Institut d’Ethnologie, Musée de l’Homme.

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Traduction

MADAN Triloki Nath, 1990. À l'opposé du renoncement : perplexités de la vie quotidienne

hindoue, trad. de l'anglais par Denise Paulme-Schaeffner et Bernard Juillerat,

Paris, Éditions de la maison des sciences de l'homme, 214 p.

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23 min., coul., SECAM, sonore, Français.

JUILLERATBernard (réal. de), 1973. Un Jardin à Iafar, Meudon, CNRS Audiovisuel, 1

vidéocassette (VHS), 1 h 28 mn, coul., 1/2po, sonore, Français.

JUILLERATBernard (réal. de), 1981. Le Sang du sagou, Meudon, CNRS Audiovisuel (éd.,

distrib.), 1 cassette vidéo (VHS), 55 min, coul., SECAM, sonore, collection Sciences de

l'homme et de la société, Français.

OWEN Chris (Bernard JUILLERAT & Alfred GELL, scientific advisors), 1983. The Red Bowman,

Goroka, National Film Institute.

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37

In memoriam Bernard Juillerat

ANONYME, 2006. Hommage à Bernard Juillerat, Journal de la Société des Océanistes 122-123,

p. 224.

COIFFIER Christian, 2006. Bernard Juillerat. In memoriam, Gradhiva 4, p. 124.

GALINIER Jacques, 2007. Bernard Juillerat (1937-2006), L'Homme 181, pp. 203-208.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

38

Remembering Bernard Juillerat.Visiting the Bánaro after RichardThurnwaldMarion Melk-Koch

1 Actually, I did not really know Bernard Juillerat. In addition, my French was and is not

good enough to comprehend fully his profound explanations of philosophical and

psychoanalytical questions. My memories of him are letters, Christmas cards and two

personal meetings – one in Berlin shortly after the fall of the Berlin Wall in the summer

of 1991 and another one in Paris where Marie-Claire Bataille-Benguigui had invited us

for dinner and where it turned out, during a conversation, that we knew each other.

Bernard Juillerat, who was living on the same housing estate, agreed spontaneously to

forsake a very interesting TV discussion about the situation in Afghanistan, which had

absorbed his attention, and to keep us company. It was a very agreeable evening.

2 Our point of contact was Richard Thurnwald (1869–1954) and his two monographs

about the Bánaro. (i) 1916 Bánaro Society. Social Organization and Kinship System of a Tribe

in the Interior of New Guinea, in Memoirs of the American Anthropological Association,

Vol. III, No. 4, Lancaster, Pennsylvania, and (ii) 1921 Die Gemeinde der Bánaro. Ehe,

Verwandtschaft und Gesellschaftsbau eines Stammes im Innern von Neu-Guinea. Aus den

Ergebnissen einer Forschungsreise 1913–15. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte von

Familie und Staat. Stuttgart1.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

39

Document 1. – Title page of the 1921 Bánaro monograph in German

3 In October 1988, I received a message from the Berlin Museum of Ethnology telling me

that a French colleague had made inquiries about unpublished materials on Richard

Thurnwald’s research during the latter’s stay with the Bánaro and would like to get in

contact with me. From the Berlin Museum he had learned about my work on a doctoral

thesis about the two big expeditions of Richard Thurnwald to the former German South

Seas Protectorate and he himself planned a «restudy» of this population group. In 1911,

the German Government – the «Reichs-Kolonialamt» – and the Royal Museum of

Ethnology in Berlin had organised an interdisciplinary expedition to explore the inner

part of Kaiser-Wilhelms-Land along the Sepik river. This primarily geographic

exploration included anthropological and ethnographical research as well. The group,

consisting mainly of Roesike, Behrmann and Thurnwald – who joined a year later –

found several tributaries of the Sepik. In 1913, Richard Thurnwald and the geographer

Walter Behrmann, were both participants on the «Kaiserin-Augusta-Fluss Expedition»,

as the Sepik was called during the German colonial period. They were the first to

contact the Bánaro, who lived on a tributary of this river.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

40

Document 2.– Map taken from Behrmann (1922)

4 Here it is necessary to somewhat develop my own research. This will help understand

the problems Bernard Juillerat had in finding documents relating to Thurnwald’s work

about the Bánaro. As they are kept in several places throughout the world, the search

for Thurnwald’s archives reads a little bit like detective work. By autumn 1988, I had

nearly completed my thesis. And when Bernard’s inquiry reached me, I was about to

map some important details concerning Thurnwald’s research in New Guinea. It was to

become an interesting and unexpected discovery for the field of historical ethnology.

And this discovery dealt precisely with Thurnwald’s monograph about the Bánaro,

which was first published in 1916 in a short version. In 1921, Thurnwald followed it up

with a considerably extended German version.

5 After the outbreak of World War I, Thurnwald spent a total of one year in New Guinea

before he could leave for the United States; he was allowed to take with him only a

small part of his collections, field-notes and photographs. Documentation dealing with

Richard Thurnwald’s collections in the National Archives of Australia in Canberra,

shows that none other than Winston Churchill himself decided on the fate of these

items, which today are located for the most part in Sydney. Thurnwald’s collections

comprised ethnographic and geological specimens, sound recordings, photographs,

drawings and sketches of maps and field-notes.

6 Due to the wartime situation it was impossible for Thurnwald to return home by a

direct route, so he took the chance to try the way back to Germany via the United

States. At the University of California in Berkeley, Thurnwald encountered great

hospitality and came into close contact with colleagues of German descent like Alfred L.

Kroeber and Robert Lowie, amongst others. There, at that time, the systematic analysis

of classificatory kinship systems was an important topic. Thus in 1916, when the first

publication about the Bánaro was released, it was a late-breaking publication of his

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

41

research results. Thurnwald could not complete the proof-reading because he was

forced to leave the U.S. precipitately, after the country entered the war. Once again he

was not able to take his remaining records with him to Germany. Part of the documents

remained in Berkeley, another part was lost on the way to New York City when mailed

later. Some of Thurnwald’s documents are still kept in the University of California,

Berkeley, among them some handwritten copies of Thurnwald’s texts made by Kroeber.

For the German version of the Bánaro publication Thurnwald had even fewer

documents at his disposal. Moreover, he had to leave his ethnographic collection

behind – as before in Australia. He was not allowed to take pictures and documents

with him from the U.S. In San Francisco, he left behind 47 boxes, 3 boxes with

photographs and 7 boxes with notes, as well as valuable maps and collections. (For

details see Melk-Koch, 1989: 249, 2000: 53, 68; Graig, 1997: 387, 404.)

7 It was not easy to reconstruct these processes to this point. Additionally, I heard about

the documents in Berkeley and the other documents concerning the collection in

Sydney only when I had already completed my doctoral thesis. Yet I had found essential

indications, e.g. in the archives of Yale University where at least part of Thurnwald’s

scholarly archives from the thirties are kept. In fact, complete archives of Thurnwald’s

work do not exist. However, since in 1931 Thurnwald had obviously taken with him a

part of his left-over documents for his lectures to Yale and because these documents

contained passages relating to his research, it was possible to complete the puzzle with

the help of tiny indicators. Probably due to the politically and materially uncertain

situation in Germany at the time, Thurnwald left his documents – even important

private ones – in the house of a colleague in Yale. Thanks to this windfall, today we are

at least able to read up on his teaching activity and his contacts with American

research colleagues in the nineteen thirties and furthermore gain a view of his research

periods in the South Seas.

8 But let us go back to square one: The starting point for my thesis were two preserved

collections of letters of Thurnwald’s research in the years 1906–09 and 1913–15 and the

beginning of a travelogue from 1906 to 1907. But soon it turned out that for the

examination of the background – and thus for the understanding of his publications – it

was necessary to do more than limit myself to the period of pure field research.

Consequently, my thesis became more and more about the exploration of his early

years – and hence of the scientific background –, of a man who became later such an

influential social scientist. From reading the «Letter Diaries» (this is the working title)

for the first time as well as combing through the correspondence files that were

preserved in the Berlin Ethnological Museum, more questions than answers arose. First

and foremost, the numerous publications and results of Thurnwald’s first travel heavily

contradicted the letters between Thurnwald and his supervisor Felix von Luschan, head

of the department of Oceania in Berlin. Many of the connections remained completely

in the dark and could not be enlightened even by the articles distributed in

multitudinous journals and anthologies (many of them were fortunately available as

offprints in the Ethnological Institute of the Berlin Free University, which was founded

by Thurnwald after World War II). It was necessary to discover new sources! Where, for

instance, were Thurnwald’s field-notes from New Guinea and the manuscript of the

second volume of his Buin monograph which was never printed? Where were the

linguistic field-notes and the maps drawn by him? What was his life like before the

journeys and after his return in the middle of World War I? What happened to his

scholarly archives – if they existed at all? Where were the photographs and the

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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phonograph wax cylinders with his phonographic records? It was only after the fall of

the Berlin Wall that it was possible to answer the last question, what was that probably

the major part of his photographs was located in the basement of the Ethnological

Institute. Some of them could be incorporated in the publication of my thesis in 1989.

9 Of course, beyond the purely biographic and «material» questions, it was necessary to

take into account several scientific questions and approaches. How did his

contemporaries evaluate his work, what is its reception today (or rather how was it in

1989)? And, a topic for which there was unfortunately not enough space and time: what

is life like today in the regions, which he visited? What do the people there think about

the statements concerning their culture? Bernard Juillerat’s great merit is that he

attended in detail to the last question for the Bánaro. And without him, both of

Thurnwald’s publications about the Bánaro would possibly still be buried beneath the

dust of history. From October 1989 to the spring of 1990, he spent four months with the

group which Thurnwald had called the Bánaro.

10 What were the relations between Thurnwald and Bernard Juillerat? First and foremost,

it was probably their common interest in psychological research. Thurnwald’s objective

of his stay in the South Seas consisted not only in collecting items for the Ethnology

Museum in Berlin but also in gaining knowledge about the thoughts and feelings of the

indigenous population. Maybe this was even the main driving force for his journeys.

From early on, Richard Thurnwald occupied himself with this new discipline, as it then

was, studied the works of experimental psychologists and tried to combine sociology,

psychology, economics and «peoples’ science», which is how he described it himself.

Thus, psychological explorations were already one of his main topics during his first

field research in Oceania. In 1906, after long preparations, he travelled to the German

South Seas Protectorate, German New Guinea, with a comprehensive catalogue. This

had been put together in collaboration with different professional representatives,

extended by himself and entitled Ethnographische Fragesammlung zur Erforschung des

sozialen Lebens der Völker außerhalb des Europa-amerikanischen Kulturkreises (Collection of

Ethnographic Questions for the Exploration of the Social Life of the Peoples Outside the

European-American Cultural Area). Between 1908 and 1909, Thurnwald spent several

months in southern Bougainville, in Buin. More details about his journeys and his

background as well as about the research results, can be found in my 1989 thesis.

11 Back from his first journey, which lasted from 1906 to 1909, he managed to publish two

volumes on Buin, based on localised fieldwork which had taken at least a few months.

Lieder und Sagen aus Buin (Songs and Legends from Buin), the first volume of his

Forschungen auf den Salomon-Inseln[…] (Research on the Solomon Islands…), published in

1912, is a comprehensive example of his attempt to learn about the human mind and its

perception. In 538 pages, he published (in inter-linear transcription) and analysed 139

song texts. With his «rendering of Stone Age Literature», as he himself calls it,

Thurnwald became a poet himself and pursued his goal of keeping as the basis of his

work things he really had heard and seen and letting the indigenous people themselves

interpret their culture2.

12 So Bernard Juillerat and Richard Thurnwald similarly turned mental processes into a

focus of their research. Thurnwald’s correspondence from his first journey with

Professor Karl Stumpf, the founder of the Phonogram Archive in Berlin, and Erich

Moritz von Hornbostel demonstrates thathe had a keen interest in this topic. He knew

very well that he could not manage this when just passing through: «You cannot think

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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of research trials while you are on the road. For this, you need a longer stay at a

particular location and some contact with the indigenous people» (22.3.1907, Files of

the Phonogram Archive, Staatliche Museen Berlin Preußischer Kulturbesitz).

Confronted with these letters, suddenly, some of the field-notes make unexpected

sense. There are also sound recordings of the Bánaro, which are preserved in the Sound

Archives of the Berlin Museum of Ethnology (Ziegler, 2006: 290-291).

13 To me, Thurnwald’s monograph on the Bánaro by the Keram River in New Guinea

seemed incredibly boring at first. Browsing through the two different versions in

search of some information, which I could use to reconstruct his two journeys into the

now long-gone world of German New Guinea, these books did not produce any useful

results at all – this is hardly surprising, but I understood this only later, after sifting

through all his publications and remaining parts of correspondence that had also

survived, trying to find more reliable data. Towards the end of my thesis, it became

clear why there was such a mystery around his monograph(s) on the Bánaro. To cut it

short: Aside from the fact that Richard Thurnwald spent nearly seven years «in the

field», his «monographs» on the Bánaro are the only ones he ever wrote on a

Melanesian society – but[…] he never really stayed with these people.

14 While in 1913 Thurnwald regretted that he did not have enough time for conducting

research on the Keram river, which they had named Töpferfluß, he was to get another

chance to learn more about the life of the people there. Right from his first stay, he was

interested in the social structure of the Bánaro. Then, two years later, he could get

detailed information about them. In 1915, unable to return home and waiting in

Marienberg, one of the British occupation officers provided him with two «boys»,

Jomba und Manape, who hailed from this region, and Thurnwald was able to work with

these two informants for five months. When returning the two boys to their home

village, however, he failed in his desire to get into direct contact with the indigenous

people. Unlike the other villages, he was not allowed to enter the village of the Bánaro,

the «50 Kilometers Village» because the inhabitants were hostile towards him. So he

had to rely on what these two, obviously not fully initiated, young men told him.

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Document 3. – Men in the «50 km village», Angisi, June 1, 1913

(photograph by Richard Thurnwald)

15 Thurnwald wrote his monograph(s) on conjugal relations at a time when he himself

had a lot of problems with the perception of the institution of marriage. Thus, being

aware of his personal situation, it is in retrospect not surprising that the volume,

dealing with the representation of processes which were described by his informants,

goes far beyond a philosophic reflection on these processes.

16 Thurnwald was among the first ethnographers to define the terms he used. Sometimes

he did this to such an extent that, in the first pages of the 1921 publication on the

Bánaro, there were only three lines of text but three and a half pages were filled with

footnotes. He quoted the most recent publications by Rivers, Vierkandt, Foulkes and

others to make sure that the reader could easily and precisely understand the concepts

he was talking about when using the terms «clan, kin, family, tribe, nation». This makes

it easier today to follow his arguments. Only a few years later, we owe the separation of

ethno-sociological terms from biological ones to Thurnwald (in «Zur Kritik der

Gesellschaftsbiologie», 1924 [Criticizing Social Biology]). Sifting and filtering literature,

always reconciling and processing the impressions of his own experience, Thurnwald

created a basis followed by generations of researchers. One thing seems worth

mentioning: he was always looking for examples in European history when it came to

specific structures, which seemed exotic to his contemporaries, like the reception of

the goblin child (Thurnwald, 1921: 263-264). He was among the first to emphasize the

principle of reciprocity in the field of ethnology. (For further discussion see Melk-Koch,

1989: 239-240 and Tuzin, 1994: 516-517.)

17 It is this monograph on the Bánaro – especially the more comprehensive German

version, which he worked on in parallel with his state doctoral thesis on the Psychologie

des Primitiven Menschen (1922, Psychology of the Primitive Mind). Thurnwald used the

word primitive not in a sense of being inferior, but in the sense of earlier or prior, but

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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sometimes it is very confusing. Both analyses were based on his search for the basic

structure from which modern human society emerged. His monograph on the Bánaro

where his own filtering process of extensive literature combined with his experiences

in the field made him leave behind every evolutionistic approach. Donald Tuzin in his

review of Bernard’s book La révocation des Tambaran calls him «a maverick in early

twentieth century social science…, whose breadth of vision was ill-fitted to the

prevailing intellectual schools. Surveying the ruins of classical evolutionism from the

perspective of comparative law, Thurnwald asked how the state did, indeed, evolve – as

it must have done – out of elemental exchange and authority arrangements; hence his

interest in contemporary primitive societies… Thurnwald’s broad synthesis was

rationalised by a functionalism quite advanced for its time.» (Tuzin, 1994: 517).

18 Today, in biographic volumes or texts on the history of German ethnology, Thurnwald

often is regarded as an evolutionist. But from the very first beginning, he was far away

from that. His analytical work on the Bánaro, the «sifting» of all related literature

which was accessible to him, taking into account his own experience, the discussions

with experts at first in Berkeley and later in Germany had an essential impact on his

future scientific œuvre. In Thurnwald’s work the Bánaro publications mark the

transition from a classification of human social systems related to the history of the

development of mankind to his almost systemic theoretical approach in the thirties.

The process of social «sifting», which Thurnwald increasingly pursued in the twenties,

was phrased by him («Siebungstheorie») and went down as an important theory in the

scientific history of ethnology and sociology. To this very day it has far-ranging effects

for the social sciences (Melk-Koch, 1996:71-81).

19 As already mentioned, I was seeing the Bánaro work as totally theoretical and «dry»,

not to say «fleshless», as the descriptions were so far removed from what I had

expected to learn about daily life in a special village. Thus I was quite surprised when

Bernard Juillerat’s letter arrived, asking about Thurnwald’s stay with the Bánaro.

Furthermore, he told me that he intended to go there to figure out the changes that

had taken place since 1915. This was the very beginning of my career in the field of

Oceania and I had no idea at all about who this person was – who had an interest in this

dusty and dry description of mainly «Heiratsregeln» (marriage rules), hardly ever

mentioning the real life of the people! But the Bánaro were amongst the earliest group

in today’s Papua New Guinea, whose social structure was described in a monograph.

And it took another 74 years until another ethnologist dealt with the local social

structure and its change.

20 My letter to Paris in autumn 1988, in which I indicated that actual scholarly archives of

Thurnwald did not exist, was followed by a deepening correspondence. Initially

Bernard Juillerat’s research was, as he wrote to me (on July 16th, 1989), relatively open:

«At first, I want to make clear that I am interested in Thurnwald because I wouldlike to understand the present culture and the social system of the Bánaro and thuslearn how both of them have been transformed in the last 75 years. The problem oftransformation is interesting to me, however, not so much from a descriptive(social and economic) but from a cultural point of view.»

21 Unlike many of his colleagues, he was also able to read German-language literature.

During his own research on the Sepik, he must have encountered Thurnwald’s «Die

Gemeinde der Bánaro», which he took as a basis for his «restudy» in 1989/90.

Unfortunately, a proposed meeting between us in Paris in early October 1989 did not

take place. My book about Richard Thurnwald was published only after his departure

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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and he came across a copy of it by chance at the Institute of P.N.G. Studies and was able

to read it immediately. Afterwards, he wrote a review of it, which was published in

L’Homme in 1991.

22 Right after his return in January 1990, Bernard summarized the results of his field

research in a letter to me as follows:

«So I returned from the Bánaro Community. In this short letter I can only say thatmany (nearly all!) things, which Thurnwald described, are lost. Today’s Bánaro aredeeply christianized and have forgotten everything to do with the cult of ‘Haustambaran’. The changes started during World War II when a catholic missionarystole all the woodcarvings from the ‘Haus tambaran’. It was also difficult to get aconfirmation of the ‘mundu institution‘; it was only in Bagaram that I saw a manwho was a ‘goblin child’ himself. The ‘mundu’ system is also lost. What I read in‘Thurnwald’s Diary’[…] and in your book makes me understand that Thurnwald hadconducted field research for only five weeks next to Yar in 1913 and moreover hadworked with these two boys (whose names the Bánaro remember to this very day:they were kidnapped by the Germans two years before) in Madang and Marienberg.In fact, Thurnwald’s material about the people whom he called the ‘Bánaro’(Central Bánaro: Kivim, Angisi, etc.) is related to the Bánaro in the Bagaram and Yarvillages, which he did not regard as ‘Bánaro’[…].» [Revised translation from theGerman text, dots by Bernard, January 13th, 1990]

Document 4. – Field-note by Richard Thurnwald from 1915, describing the Haus tambaran

(Australian National University, Department of Linguistics)

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Document 5. ‑ Settlement area of the Bánaro according to Thurnwald’s and Behrmann’s research1913/1915

(Detail from Walter Behrmann 1924 map 3)

23 Bernard combined this letter with the request for other information and details, which

I was able to send him time and again over a period of two years. He always appreciated

this in his letters and thanked me several times for our good collaboration and my

assistance. Thus, the results of my research, copies of the photographs recovered by

me, copied articles, which were not available in the libraries in Paris (and not only

there), and even my original copies of Thurnwald’s correspondence from the archives

in Canberra and Yale went from Berlin to Paris.

24 To my surprise and during the actual revision of our correspondence when writing this

article, I noticed the following sentence by me at the end of a long section of

information: «I hope that I have informed you exhaustively. However, I would like to

ask, why are you so sure that the «Bánaro system» really corresponded to Thurnwald’s

description? Awaiting your research results with anticipation[…]» (January 31st, 1990).

Bernard gave me a detailed reply, starting with the different place names and the

changes that had occurred in the villages during the last decades but mainly after the

Japanese occupation of this area in WW II. His analyses were published, as already

mentioned, in the 1993 monograph La révocation des Tambaran. Les Bánaro et Richard

Thurnwald revisités, and in an article in Gradhiva that same year. In 2000, he published a

paper in Oceania, using the most crucial question as its title: «Do the Bánaro Really

Exist? Going Back After Richard Thurnwald». Indeed, I found this article coincidentally

and if he had sent me this text for a comment, it was probably lost in the mail due to

our moving to Leipzig in 1997. Our intensive correspondence in the early nineties was

followed by some Christmas cards. Afterwards, we lost sight of each other until that

evening at Marie-Claire Bataille-Benguigui's.

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25 Thus, two decades ago, Bernard Juillerat started a journey to a group of descendants

living on the Keram River for a «restudy» – well prepared thanks to his own field

experience and Thurnwald’s publications. With regards to content, I think that up to

now with the publication of Bernard’s article: «Do the Bánaro Really Exist? […]», Donald

Tuzin’s review in Man 1994, and Robert Parkin’s 1993 review of La révocation des

Tambaran: les Bánaro et Richard Thurnwald revisités in Sociologus, there is really not much

to be added to Bernard Juillerat’s information about the Bánaro, Richard Thurnwald

and all the various related questions for our discipline. Parkin also gets to the heart of

the matter that Thurnwald, who in Germany is not really regarded as being a

theoretician can now be seen just as such thanks to the work of Bernard Juillerat.

Concerning the numerous corrections of Thurnwald’s descriptions of the Bánaro social

life made by Bernard, he remarks:

«he consistently writes sympathetically about Thurnwald himself and about hisunique distillation of the ideas of his time and the more original insights that hedrew from them. Thurnwald’s status as one of the most significant figures of pre-and post-war non-Marxist, liberal German ethnology will not be diminished […].»(1993 : 96)

26 The more I immersed myself into the review of all my documents and the

correspondence between myself and Bernard Juillerat for this article, the more I

understood that with regard to content, I cannot add anything new because I had

provided all the details of my research for Bernard Juillerat’s study. This «restudy» of

the Bánaro is also a good example of scientific collaboration, which was always taken

for granted by Thurnwald. Is there a better compliment for an author than to see his/

her own work as a sensible basis for future research? Certainly, there are utterances of

Thurnwald which I interpret in a different way from Bernard Juillerat, but possibly in

ten years there will be another evaluation and classification of his theories and works.

Thus, the only (but very important) point for correction because I am quoted as a

witness in this matter is Bernard’s statement that Thurnwald took allegedly no stock in

stationary field research (2000: 34). The exact opposite is the case, I have demonstrated

this several times in my doctoral thesis. He already wrote as soon as 1912 in his Buin

publication, in which his particular concern was to let people speak for themselves:

«For an exact ethnology, we need to bring documents to life and thought; we do notneed the opinions of others about indigenous people but their own opinions.»(1912: 2)

27 Of course, this is only possible after a long stay on site and this is also implied in the

remark already quoted in which he deems a longer stay at a particular location

important for an authoritative study of a people. Concerning the Bánaro themselves, he

posed the question of how the «Bánaro system impacts upon the character of men and

women. In order to answer this question exhaustively, you need to stay for several

years and deal with the indigenous people in detail» (1921: 257). While restudying the

sources, I was shocked by Thurnwald’s incredibly hard personal living conditions at the

time when he was composing the second, extended Bánaro publication: hunger, cold,

transportation difficulties, lack of professional perspectives in spite of an enormous

personal commitment, lack of hope of one day marrying the woman he loved Hilde,

who was eventually to become his wife and companion – and an anthropologist (1934,

1937).

28 Finally, after twenty years I was once more made aware of the fact that Thurnwald’s

Bánaro writings, which at a first glance had been so boring for me, go far beyond a

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monograph on people in Melanesia. Whatever the real social structure of the Bánaro

was – even the question about the correctness of the information of Thurnwald’s

informants on initiation and sexual behaviour –, it is no longer possible to ascertain, in

spite of Bernard Juillerat’s «restudy». Whether these Bánaro existed as a «tribe» in this

form or not – it does not really affect the importance of this publication. What remains

is a work that marks a transition of our discipline out of the «biological» paradigm

towards a social science. Obviously, Bernard Juillerat discovered this as well.

Thurnwald’s Bánaro society is an epoch-making work, whose theoretical importance is

independent from the real life of the people he called the Bánaro. Thanks to Bernard,

this insight was brought out of retirement on dusty book shelves. His question: «Do the

Bánaro really exist?» hits the crucial point. However the answer is that after three

quarters of a century, Bernard Juillerat gave the people, described as the Bánaro, a

chance to comment on what was written about their ancestors.

BIBLIOGRAPHY

BEHRMANN Walter, 1922. Im Stromgebiet des Sepik, Berlin, August Scherl.

—, 1924. Das westliche Kaiser-Wilhelms-Land in Neu-Guinea, Zeitschrift der Gesellschaft für

Erdkunde zu Berlin, Berlin.

CRAIG Barry, 1997. The fate of Thurnwald’s Sepik ethnographic collections, Gestern und Heute –

Traditionen in der Südsee, Berlin, Dietrich Reimer, Festschrift zum 75. Geburtstag von Gerd Koch,

pp. 387-408.

JUILLERAT Bernard, 1993. La révocation des Tambaran. Les Bánaro et Richard Thurnwald revisités, Paris,

CNRS Éditions.

—, 1993. Richard Thurnwald et la Mélanésie : réciprocités, hiérarchies, évolution, Gradhiva 14,

pp. 15-40.

—, 1991. Compte rendu de M. Melk-Koch, Auf der Suche nach der menschlischen Gesellschaft: Richard

Thurnwald, L'Homme 31, 120, pp. 115-118.

—, 2000. Do the Banaro really exist? Going back after Richard Thurwald, Oceania 71, pp. 46-66.

MELK-KOCH Marion, 1989. Auf der Suche nach der menschlichen Gesellschaft: Richard Thurnwald, Berlin,

Dietrich Reimer Verlag, Veröffentlichungen des Museums für Völkerkunde Berlin. Neue Folge 46.

—, 1991. Thurnwald Richard (Christian), in Walther Killy (Ed.), Literaturlexikon 11, Munich,

Bertelsmann Lexicon Verlag, Autoren und Werke deutscher Sprache, pp. 356-365.

—, 1992. Don Laycock – Corrector Antiquorum, in Tom Dutton, Malcolm Ross and Darrell

Tryon(eds), The Language Game. Papers in Memory of Donald C. Laycock, Canberra, The Australian

National University, Pacific Linguistics Series C - 110, pp. 257-262.

—, 1996. Richard Thurnwald und die Siebungstheorie, in Anthropologischer Anzeiger Jg. 54, H 1, pp.

71-81.

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—, 2000. Melanesian Art or just Stones and Junk? Richard Thurnwald and the Question of Art in

Melanesia, Pacific Arts. The Journal of the Pacific Arts Association 21-22, pp. 53-68.

—, 2001. Richard Thurnwald: «Die menschliche Gesellschaft in ihren ethnosoziologischen

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der Ethnologie, Stuttgart, Kröner Verlag, pp. 480-484.

PARKIN Robert, 1993. Review of La révocation des Tambaran : les Bánaro et Richard Thurnwald revisités,

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THURNWALD Hilde, 1934. Woman’s status in Buin society, Oceania 5, pp. 142-170.

—,1937. Menschen der Südsee,Stuttgart, F. Enke.

THURNWALD Richard und S.R. STEINMETZ, 1906. Ethnographische Fragesammlung zur Erforschung des

sozialen Lebens der Völker außerhalb des europa-amerikanischen Kulturkreises, Berlin, Hg. von der

Internationalen Vereinigung für vergleichende Rechtswissenschaft und Volkswirtschaftslehre.

THURNWALD Richard,1912. Forschungen auf den Salomo-Inseln und dem Bismarck-Archipel, Bd. 1: Lieder

und Sagen aus Buin, Berlin, Reimer.

—, 1912. Über ethno-psychologische Untersuchungen bei Naturvölkern, Verhandlungen deutscher

Naturforscher und Ärzte 2, pp. 476-481.

—, 1912. Probleme der ethno-psychologischen Forschung; Zur Praxis der ethno-psychologischen

Ermittlungen besonders durch sprachliche Forschungen, in W. STERN and O. LIPMANN (eds.),

Beihefte zur Zeitschrift für angewandte Psychologie, Leipzig, Beiheft 5, pp. 1-27 ; pp. 117-124.

—, 1916. Bánaro Society. Social Organization and Kinship System of a Tribe in the Interior of New

Guinea, Memoirs of the American Anthropological Association III, 4, Lancaster, Pennsylvania.

—, 1921. Die Gemeinde der Bánaro. Ehe, Verwandtschaft und Gesellschaftsbau eines Stammes im Innern

von Neu-Guinea. Aus den Ergebnissen einer Forschungsreise 1913-15. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte

von Familie und Staat, Stuttgart, Sonderausgabe aus der Zeitschrift für vergleichende

Rechtswissenschaft, vol. 38 and vol. 49.

—, 1922. Psychologie des Primitiven Menschen, in G. Kafka (Ed.), Handbuch der vergleichenden

Psychologie, vol. 1, Munich,Verlag von Ernst Reinhardt, pp. 147-320.

—, 1924. Zur Kritik der Gesellschaftsbiologie, in Werner SOMBART und Max WEBER (eds), Archiv für

Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 52, pp. 462-499.

TUZIN Donald, 1994. Review of La révocation des Tambaran: les Bánaro et Richard Thurnwald revisités,

Man, pp. 516 - 517.

WHEELER Gerald Camden, 1926. Mono Alu Folklore (Bougainville Straits, W. Solomon Islands.), London,

Routledge and Sons.

ZIEGLER Susanne, 2002. DieWachszylinder des Berliner Phonogramm-Archivs, Berlin,

Veröffentlichungen des Ethnologischen Museums Berlin, N.F. 73, Abteilung Musikethnologie,

Medien-Technik und Berliner Phonogramm-Archiv XII,.

Other sources

- Phonogram archive of the Ethnological Museum Berlin: PhA SMB PK, Thurnwald.

- Correspondence Bernard Juillerat/Marion Melk-Koch.

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NOTES

1. Bánaro Society. Marriage, Social Organization and Kinship System of a Tribe in the Interior of

New Guinea. Findings from an Expedition 1913-15. A Contribution to the History of Origin of

Family and State.

2. Gerald Camden Wheeler’s 1926 Monu-Alu Folklore, dealing with song and narratives of the

Shortland Islanders as well as coastal Bougainville peoples is in many respect a counterpart to

Thurnwald’s Lieder und Sagen aus Buin. Thurnwald and Wheeler did fieldwork at roughly the same

time in Buin and Mono-Alu and met at least once.

ABSTRACTS

Bernard Juillerat followed in Richard Thurnwald’s footsteps as a result of their common interest

in the impact of specific social structures on the psyche of individuals. Both considered research

in New Guinea as particularly rewarding for answering such questions in an area unaffected by

European-American culture. This article will discuss Bernard's restudy of a group of people,

living by the Keram river, which had first been contacted by Thurnwald in 1913 and had been

described by him as “the Bánaro”. Their complex social structure, analysed by Thurnwald in two

different publications in 1916 and 1920, made them the subject of one of the earliest monographs

on a Melanesian society. In restudying and analysing Thurnwald's work Juillerat, like Thurnwald,

contributed significantly to the history of ethnology.

Bernard Juillerat, en s’intéressant aux effets des structures sociales sur la psyché individuelle, a

mis ses pas dans ceux de Richard Thurnwald (1869-1954). Tous deux sont allés en Nouvelle-

Guinée enquêter spécialement sur ce sujet et tâcher de l’élucider en s’affranchissant des

influences culturelles européennes ou américaines. Le présent article discute l’étude à nouveaux

frais qu’a donnée Bernard d’un groupe vivant sur les rives de la Keram, auparavant contacté en

1913 par Richard Thurnwald qui l’a décrit sous le nom de «Bánaro», et qui lui a consacré une

monographie dont il a livré deux versions. Ces deux savants ont apporté de la sorte une

contribution marquante à l’histoire de l’ethnologie.

INDEX

Keywords: Bánaro, intellectual history, kinship systems, Papua New Guinea, restudies, Sepik

Mots-clés: Bánaro, études critiques, histoire intellectuelle, Nouvelle-Guinée, Sépik, systèmes de

parenté

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Bernard Juillerat. Lettres à un jeuneethnologue1

Philippe Peltier

NOTE DE L'AUTEUR

En 1991, quelques semaines avant de partir dans la basse vallée du Sépik en Papouasie

Nouvelle-Guinée, pour un second séjour, je remis à Bernard Juillerat les « notes de

terrain » de ma première enquête ethnographique chez les Adjirab, un groupe voisin

des Banaro. Quelques mois plus tard, Bernard m’envoya plusieurs lettres de

commentaires soigneusement tapées à la machine.

Bernard aurait probablement considéré que la place de ces lettres, simple échange

entre deux chercheurs, l’un aguerri et ayant déjà publié des études ethnographiques

importantes, l’autre encore balbutiant vis-à-vis de la méthode et des objectifs de sa

recherche, était de rester sagement rangées au fond d’un tiroir. Il cultivait la discrétion

et était peu enclin aux anecdotes.

Cependant, la publication d’extraits de cette correspondance est née d’un désir de

donner à entendre à nouveau sa voix. Une voix amicale mais ferme qui, par-delà ses

conseils, ses suggestions et ses questions, parle de méthode d’enquête et d’objectifs de

recherche. Ces lettres témoignent combien Bernard s’est toujours gardé d’appliquer

une quelconque grille de lecture dans ses travaux. Pour lui, toute analyse

ethnographique devait s’adosser à une longue, précise et patiente collecte de données.

La théorie devait découler des faits. Il le répétait souvent : « Ce sont les Yafar qui m’ont

mené à Freud ».

Ces lettres relèvent, comme il le reconnaît lui-même, de la technique de l’électrochoc,

technique qu’il appliquait souvent, il faut l’avouer, avec virtuosité. Quelques années

plus tôt, j’en avais expérimenté toute l’efficacité.

Un jour, alors que nous prenions un café avant de nous rendre au séminaire de

recherche sur l’Océanie dont il était responsable, il m’avait dit tout de go : « Tu as trop

la trouille, tu ne partiras jamais sur le terrain ! » Quelques semaines plus tard, j’étais

dans l’avion.

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La première lettre fut une douche froide. Tout chercheur est particulièrement

vulnérable sur le terrain. Les lettres suivantes, réponses à mes explications ou mes

justifications probablement véhémentes, sont attentives et soucieuses de ne pas

blesser. Bernard avait pleinement conscience que la recherche est un exercice difficile

et sans fin.

Confessons cependant un fait. Il est un point sur lequel je n’ai pas suivi son conseil : je

n’ai jamais eu de radio sur le terrain. Il démontre que Bernard, par-delà sa passion pour

son métier, était curieux du monde et attentif aux autres.

Paris, avril 2010

Paris, 24/8/91

1 Cher Philippe,

2 J’ai bien reçu ta lettre et ton envoi d’Australie (Gewertz) ainsi que trois envois de PNG.

Un immense merci pour la peine que tu t’es donnée pour rechercher, trouver,

photocopier tout cela. Note ce que tu as dépensé pour que je te le rembourse à ton

retour. Les mythes s’accumulent (tu aurais pu les envoyer par bateau comme je te

l’avais dit…) mais je ne pourrai m’y plonger tout de suite. Un texte sur la guerre en

West Papua pour Ethnies2, puis l’article sur Thurnwald3 pour Gradhiva [Juillerat, 1993 :

15-40], j’ai rapporté de Berlin quelques photos pas trop mauvaises par Th[urnwald] sur

la Keram. Le texte de Bengo clarifie la généalogie Eichorn [Bengo, 1974 : 36-38] ; celui de

Laycock [1975] n’apporte en fait rien de nouveau par rapport à sa publication

principale sur le Sépik (j’avais cru comprendre que le texte traitait de la région Sépik-

Ramu).

3 Je viens de lire tes « notes de terrain 87 ». La carte linguistique de la région a l’air plus

complexe que celle que donne Laycock ; confusion sur le terme Aiom (qu’il orthographie

aion) et distingue de la langue adjora, les Banaro distinguent pour le Porapora deux

langues : awa et awo !

L’organisation spatiale dans les m[aisons] des h[ommes] semble différente que chez les

Banaro, par le fait notamment que tu as quatre semi-moitiés.

Sous ton entrée « Nduara », cette histoire de garamut4 pourrait se rattacher au garamut

conservé par les Bobten (vois-le si tu y passes)5 et relié au mythe banaro que je t’ai donné et

sur le mythe kambot (pardon : tin dama !) que Lupu a publié dans le JSO [Lupu, 1973 : 313-323].

Sur les trous d’eau qui cachaient les sculptures et où l’on sacrifiait les enfants, cela laisse

évidemment rêveur. Le sacrifice d’enfant (de quel âge ?) s’apparenterait-il à la fois à une

forme d’infanticide ? Je suppose que tu vas piocher sur le thème pour en savoir plus ! Quant

aux objets de bois conservés dans l’eau, cela me rappelle la convocation et le renvoi à un

étang des tambaran6 de Toko7. Je vois aussi dans ton chapitre « Colonisation », que les gens

jetaient dans des trous d’eau les objets qu’ils ne voulaient pas voir emporter par le

missionnaire ou le marchand (y aurait-il un rapport entre les deux choses : une manière de

garder « chez soi » les tambaran et leurs représentations. Détail technique : le bois devait

pourrir rapidement dans l’eau, non ?).

Ton bref commentaire sur les « charismatiques » paraît intrigant : j’ai l’impression qu’il doit

y avoir des mouvements semblables dans la région. On m’a signalé un culte dans le Grass

Country (rive gauche de la Keram) étudié par le fils ou le frère d’un missionnaire protestant

pour un MA à Melbourne. Je lui ai écrit mais n’ai reçu aucune réponse… Tu devrais mettre le

paquet sur ce sujet.

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4 J’avais bien sûr aussi reçu tes commentaires sur mon manuscrit, mais je crois qu’on en

avait un peu parlé au téléphone avant ton départ. Concernant la clarté de mon résumé

sur l’analyse de Thurnwald (chapitre 1), je crois que cela est clair, bien qu’évidemment

un peu compliqué. Je comprends bien que tu n’as pas disposé de temps nécessaire pour

digérer le tout !

5 Maintenant que te revoilà en prise directe avec la réalité ethnographique, tu vas

pouvoir renouer des liens plus étroits avec tes informateurs et reprendre ton Journal

ethnographique. Personnellement, je pense qu’il vaut mieux séparer le Journal (très

utile à différents titres) et les notes scientifiques ; sinon on risque de donner à ses

matériaux une allure anecdotique due à l’humeur de l’interlocuteur (et à la sienne

propre) ce jour-là ou à des mini-événements aléatoires divers. Cela permet aussi de

mieux conduire les entretiens, c’est-à-dire d’en faire de véritables séances de travail, et

non pas seulement des conversations (qui doivent rester parallèlement et ont bien

entendu leur charme et leur nécessité psychologique). Passé un certain niveau dans la

connaissance d’une société, je crois qu’il est bon que nous fassions comprendre à nos

interlocuteurs locaux que notre boulot est quelque chose d’important (au moins pour

nous), de sérieux et de difficile, quelque chose qui exige un minimum de concentration

et de réflexion. Il est d’ailleurs possible à ce niveau (quand on se connaît déjà bien) de

faire assimiler aux meilleurs informateurs les principes fondamentaux des

problématiques anthropologiques, les questions qu’on se pose (sur l’autorité, les

échanges, les règles de mariage, la structure dualiste, les cultes anciens, etc.) ; cela

permet que les interlocuteurs privilégiés s’intéressent davantage au travail et

fournissent des informations plus exactes et mieux ciblées. Cela suppose évidemment

de s’imposer aussi à soi-même quelques principes méthodologiques et de s’y tenir ; par

exemple, ne pas laisser passer un commentaire pas clair mais au contraire de le traiter

« à chaud » en ne s’autorisant à passer outre que lorsque la question a été explicitée au

mieux, de se ménager des moments (le soir pas exemple) de réflexion sur les matériaux

déjà en main et de préparer pour le lendemain des entretiens très « pointus » à base

sinon de questionnaires du moins de questions préparées à l’avance et fondées sur les

dernières séances de travail. Cela donne une continuité aux séances et permet d’éviter

l’impressionnisme, voire le pointillisme – ou mieux le surréalisme ! – ethnographique

que rappellent parfois les matériaux bruts (quand on relie nos notes par hasard). Le fait

d’obtenir des séances de travail avec le ou les mêmes hommes de façon régulière (ou

tous les jours pendant une ou deux semaines) renforce cette continuité. (C’est pourquoi

j’ai toujours rémunéré de telles séances de travail, avec en rab un bon repas à base de

tin mit8 à midi !). L’enregistrement sur bande est certainement bien pratique et je l’ai

beaucoup utilisé ; il y a cependant un petit danger dont il suffit d’être conscient pour

l’éviter : la paresse d’intervention à chaud précisément, en se disant que l’on verra plus

tard en réécoutant la bande. Ici, un clignotant doit s’allumer sinon sur le magnéto du

moins dans la tête de son manipulateur. Ce qui est le plus important, c’est ce que l’on

capte dans son cerveau sur le moment, non pas ce qui est enregistré. Cela permet de

comprendre que l’information n’est pas dans une phrase ou un topo de telle ou telle

personne, mais bien dans le sens qui se constitue entre l’interviewé et l’intervieweur au

cours de l’échange, ou plutôt des échanges successifs, et de façon cumulative. C’est à

force de remettre le même sujet « sur le tapis » des entretiens formels (quitte à ce que

l’informateur en soit irrité !) qu’on finit par le traiter de façon satisfaisante.

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55

6 Excuse ces propos quelque peu didactiques (je veux te faire profiter de ma « grande

expérience » !!) ; après tout, chacun ses méthodes, mais cela peut peut-être servir…

7 Je termine ce feuillet en t’imaginant à l’écoute de ta radio pour tenter de suivre les

événements de Moscou (et ce n’est peut-être pas terminé). Lorsque j’étais chez les

Banaro, j’ai suivi de cette façon les événements de Roumanie et la chute du mur ; en 86

je suivais les attentats à Paris, en 73 les bombardements américains au Cambodge et en

68, au Cameroun, les événements de mai ! La radio est un autre instrument

indispensable du terrain.

8 Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas bien sûr (livres, photocopies,

médicaments…). Je t’envoie cette lettre à l’ancienne adresse (que tu as mise sur

l’enveloppe)…

9 Amitiés

10 Bernard

11 PS manuscrit : Amitiés de Michèle. Nous avons fait une virée en Tchécoslovaquie/

Hongrie très agréable.

Paris, le 6/12/1991

12 Cher Philippe,

13 Je te croyais déjà noyé dans la Bien9, n’ayant pas de nouvelles. Et je lis que tu as pu

croire que ma lettre avait quelque intention malfaisante ! Comment est-ce possible de

penser qu’elle ait été autre chose qu’une communication franche et amicale ??? Je sais

que je peux être un peu direct parfois, malgré ma difficulté générale à communiquer,

mais aurais-tu oublié que je suis Vaudois ? Si je me permets de te faire part de quelques

commentaires qui me sont venus à la lecture de tes notes, c’est simplement qu’il m’a

semblé que tu te trouvais dans la situation où j’étais moi-même en 1971, c’est-à-dire

avec un tas d’informations partielles et fragmentées n’aboutissant pas à une

problématique précise. Je connais cela puisque je suis passé par là lors de mon premier

séjour chez les Yafar. Donc, rassure-toi, je ne faisais que réfléchir à tes inévitables

difficultés d’enquête et à ta solitude d’ethnographe de terrain. Des notes, ce sont des

notes et rien de plus, ce n’est pas n’est pas une œuvre littéraire ni un travail

scientifique achevé ! C’est quelque chose de provisoire qui demande par définition à

être repris et transformé. Il est vrai qu’en France (ou peut-être seulement chez les

Parisiens ?), on n’ose pas se parler franchement de son travail respectif : ça ne se fait

pas. On se fait des compliments ou bien l’on se tait. On a beau se connaître (je parle en

général) depuis quinze ou vingt ans, eh bien non, on continue à rester dans le vague de

peur de vexer l’autre. J’ai déjà remarqué cela souvent. Mais je trouve que c’est

dommage et que sous cette « diplomatie » se cache finalement un manque de confiance

et d’amitié. De mon côté, j’attends toujours de nos chers collègues qu’à l’occasion ils me

disent « amicalement » ce qu’ils ont pensé des Enfants du Sang ou d’Œdipe chasseur. Mais

je n’entends que le silence d’une politesse feutrée et typiquement parisienne.

14 Cela dit, tu ne donnes pas beaucoup de détails sur ton mode de vie. Pirogue

personnelle ? Moteur ? Maison des hommes ou maison de l’ethnographe tout seul ?

Cafard ou enthousiasme ? Je vois aussi que ton adresse est à Wewak, ce que me laisse

supposer que la poste d’Angoram10 est toujours fermée et qu’à Marienberg11 il n’y a pas

grand monde… Qu’en est-il du problème « raskol12» ? Le Monde a inséré dix lignes il y a

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un mois pour annoncer que le parlement de PNG avait rétabli la peine de mort… Par

ailleurs, je travaille à un article sur la « guerre » en Irian Jaya, que m’a demandé Ethnies

une fois de plus. On n’a pas beaucoup d’informations récentes. Un ancien chef de l’

OPM13, Salosa, qui avait été extradé par la PNG où il était depuis 79, a été condamné à

perpète en 90 et a été retrouvé mort dans la forêt après s’être « évadé » (selon les

versions officielles), à proximité de la prison de Waena près de Jayapura. Les gens ayant

participé au lever du drapeau indépendantiste en 88 ont été condamnés dès 89 à des

peines allant jusqu’à 20 ans pour l’organisateur principal, le Dr Wingti, intellectuel

pacifiste (sa femme a eu 13 ans pour avoir cousu le drapeau) ; plus de trente personnes

ont été condamnées au total pour cette même montée des couleurs. Selon Amnesty, il y

a actuellement cent trente Mélanésiens dans les prisons indonésiennes (dont près de la

moitié à Java, loin de leurs familles), dont 80 sont des prisonniers d’opinion. Si tu

tombes sur des articles intéressants dans le Post Courier ou le PNG Times, concernant ce

problème, rapporte-les s’il te plaît.

15 Iras-tu chez ces chers Banaro ? Demande-leur ce que j’ai totalement oublié de leur

demander, à savoir si leurs ancêtres chassaient les têtes14. J’ai l’impression que cela ne

concernait que les Banaro de l’aval : il me semble que les Toko m’en auraient dit

quelque chose à travers toutes leurs descriptions de haus tambaran15 et de guerres. Il

faut croire que le problème ne me préoccupait guère.

16 Deborah Gewertz a publié un troisième livre sur les Chambri. Intitulé Twisted histoires,

altered contexts16. Elle y traite du changement culturel, du tourisme et de la façon dont

un big man s’en sert pour accroître son prestige, des Chambri de Wewak, etc. Si tu veux,

je te l’envoie, dis-le moi (j’ai fait un c.r. pour l’Homme17).

17 Em tasol18. À propos, as-tu trouvé de nouvelles versions de mythes ? En lisant la

littérature à ce sujet, je me suis aperçu que le thème des deux frères dont le cadet à une

relation avec la femme de l’ainé (l’histoire du dessin) et échappe ensuite à la vengeance

de l’aîné (l’histoire du pieu planté dans le trou) a une très large diffusion, jusqu’au

Vanuatu !

18 Amitiés

19 Bernard.

Paris, 22/1/92

20 Cher Philippe

21 Tu auras reçu le Tuzin et l’article de Joséphides19.

22 Ne t’inquiète pas : tu ne m’as pas « blessé » du tout. J’ai seulement pensé après ta

première lettre que je n’avais pas été assez fin et que mon message n’était pas passé.

Mais ta seconde lettre m’a pleinement rassuré ! Maintenant je peux dévoiler mon jeu !

J’avais cru sentir en lisant tes notes mais aussi en parlant avec toi ici avant ton départ

un léger flottement dans tes problématiques anthropologiques. Et me souvenant des

miennes au début des années 70 – je me suis dit qu’il fallait un petit électro-choc pour

te remettre dans une voie plus claire, mieux balisée. Voilà. Enfin si cela t’a servi à

quelque chose, tant mieux. J’espère que tu te rendras compte à quel point l’enquête

ethnographique peut être difficile, non-seulement techniquement mais

psychologiquement. Chez les Banaro, j’avais plutôt le cafard, je peux te le dire !

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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23 […]

24 Dis-moi un peu l’avance quand tu penses rentrer. J’aurai encore un ou deux titres à l’

IPNGS20 (mythes), à te demander.

25 Bon temps

26 Amitiés

27 Bernard.

15/5/92

28 Cher Philippe,

29 Bien reçu ta lettre du 23 avril. Lemonnier a reçu la sienne juste après. […]

30 C’est comment d’avoir des rhumatismes ? La saison des pluies et le fait de vivre les

pieds (ou davantage que les pieds) dans l’eau est sans doute pour quelque chose. Enfin

j’espère que ta bonne-sœur de Marienberg t’aura guéri et que tu es de nouveau à pied

d’œuvre. Ne t’inquiète pas pour les Banaro et n’y va surtout pas pour moi : mon

manuscrit a été lu par les nouvelles commissions du CNRS pour les publications

(responsable pour l’ethno : I. Chiva) qui fait lire les manuscrits à l’extérieur (de la

commission) : c’est à Lemonnier qu’est revenu cette tâche. Il a fait un bon rapport bien

sûr et j’attends des nouvelles du CNRS maintenant (des sous, un éditeur ?).

31 Tes versions « secrètes » des mythes ne sont peut-être qu’un premier stade d’ouverture

vers les versions ésotériques plus intéressantes (s’il y en a). Les versions secrètes yafar

de mythes par ailleurs publics (c’est-à-dire existant en version profane, ce qui n’est pas

le cas de tous les mythes secrets) n’étaient pas toujours très intéressantes au premier

abord, mais les symboles relevés entraient dans un système de significations et

cosmologique plus vaste (par exemple le cocotier totémique mère), ouvraient des

perspectives entre mythes ou entre mythe et rituel, etc. Je crois qu’un mythe doit être

d’abord interprété en soi (l’histoire de ses personnages, le « héros » comme sujet), puis

dans le contexte culturel plus large. Essaie de faire parler tes spécialistes sur certains

symboles ou personnages ; même poser des questions naïves du genre « Pourquoi cela,

pourquoi pas plutôt ceci ?, etc. ». Et surtout des questions sur les rapports de parenté

qui apparaissent dans les récits, entre frères, et entre parents et enfants (filiation). Si

les gens ont du mal à parler, il faudrait savoir ce qu’ils craignent : que d’autres

(individus, clans etc.) connaissent le mythe qu’ils ne doivent pas connaître, des

sanctions surnaturelles, révéler quelque chose à un étranger ? Tu peux les assurer de ta

discrétion par rapport aux Adjora.

32 Quant aux influences occidentales (notions, âmes, etc.) et notamment missionnaires, je

sais qu’il n’est pas toujours facile de les séparer de ce qui est « traditionnel », d’autant

que les gens eux-mêmes ne le savent pas toujours. Les Toko revendiquaient que

certains éléments de l’histoire biblique existaient déjà chez eux avant le contact, et que

la Bible n’a fait que confirmer qu’ils avaient « raison ».

33 J’ai été intrigué par ta relation se-emba (père-fils), voilà qui sonne nouveau à mes

oreilles. Cela est intrigant surtout dans une société matrilinéaire ! N’oublie pas de voir

comment se transmet la relation aux générations suivantes, comment elle se distribue

lorsqu’il y a plusieurs fils (s’il s’agit bien d’une relation véritable entre père et fils ??) et

quelle est la position de la mère dans tout cela (y a-t-il quelque chose de correspondant

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pour mère/fille, conformément à l’idée de « sex affiliation » (Williams) qui caractérise le

système de descendance Banaro ?). S’agit-il seulement de forme d’échanges ou y a-t-il

une dimension cosmologique ? Tu te souviens peut-être dans les Enfants du sang, de

l’axe est (fils) /ouest (père) et des premières maisons construites dans un nouveau

hameau, la « maison du fils » à l’est et la « maison du père » à l’ouest. Mais il ne s’agit là

pas de vrais pères et de fils, mais de clans et lignées incarnant ces positions parentales

symboliques. Le tout s’inscrivant sur le sol (terre-mère), soit sur le ventre maternel (la

place du village). Une façon d’inscrire la filiation masculine hors du corps féminin ou

pourtant le père se transforme en fils. Peut-être trouveras-tu ces lieux de la culture où

le système social (descendance, etc.) rejoint la cosmologie.

34 Je n’ai pas bien compris ce que tu appelles « procès ». Je suppose une discussion

purement locale à la recherche d’un consensus ou d’une condamnation morale interne

au groupe ? Historique de la pratique (postcoloniale ou plus ancienne ?).

35 Je vois que la corruption n’existe pas qu’en France (ou en Suisse !). Bien sûr que je

savais pour la PNG. Ce pauvre tiers-monde ! J’ignorais en outre que les archives de l’East

Sepik Province avaient brûlé. S’agit-il de cette petite maison avec un escalier extérieur

pour atteindre le premier étage ? (c’est là que j’avais consulté les archives

démographiques sur les Banaro).

36 […]

37 Andrew Strathern est à Paris pour quelques semaines, invité par Godelier.

38 Bon courage pour la fin du terrain, profites-en ! Je veux dire sur le plan travail. Envoie

encore un petit mot pour dire si tu es de nouveau sur pied.

39 Sincères amitiés

40 Bernard.

41 PS. Je suis en pleine lecture des épreuves de Shooting the Sun, le bouquin américain sur

Yangis.

42 PS2. Je ne me suis pas occupé de mon travail comparatif sur les mythologies depuis

plusieurs mois, aussi je ne sais plus où j’en suis pour ma documentation. Je n’ai donc

pas de nouveaux achats à te demander. Simplement si tu vois quelque chose de

nouveau et de qualité, surtout à l’IPNGS par exemple, prends-le. Je te rembourserai tout

cela.

BIBLIOGRAPHIE

BENGO P., 1974. Georg Eichorn amongst the Korogopa of the Keram River, Oral History (Port

Moresby) 2, 5, pp. 36-38.

GEWERTZ Deborah et Frederick K. ERRINGTON, 1991. Twisted histoires, altered contexts, Cambridge,

Cambrige University Press.

JUILLERAT Bernard, 1993. Thurnwald et la Mélanésie, Gradhiva 14, pp.15-40.

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—, 1993. La révocation des Tambaran. Les Banaro et Richard Thurnwald revisités, Paris, CNRS Éditions.

—, 1995. L’avènement du père, Paris, presses du CNRS.

LAYCOCK D. et J. Z’GRAGGEN, 1975. The Sepik-Ramu Phylum, Pacific Linguistics, séries C, 38.

LUPU François, 1973. Sur la circulation de trois objets dans la basse vallée du Sépik , Journal de la

Société des Océanistes 29, 40, pp. 313-323.

NOTES

1. Je remercie Michèle Juillerat pour son autorisation à publier ces quelques lettres. Entre

crochets et en notes de bas de page, j’ai rajouté quelques compléments nécessaires à la

compréhension.

2. Dans une lettre datée du 9 juillet, Bernard précisait que, suite à une mésentente, cette

publication était reportée fin 1993. Il semble que cet article n’ait jamais été publié. À cette

époque, il travaille à un autre article qui se transformera petit à petit en un livre sur la cérémonie

yangis (cf. L’avènement du père, publié en 1995 au presses du CNRS), précisant non sans humour

retenu « On n’en finit pas de réfléchir sur le symbolisme quand on a des matériaux suffisamment

sûrs… Saturé de symbolique “œdipienne” et d’autres, j’ai hâte de retourner rendre visite à

Thurnwald que j’ai dû laisser de côté depuis plusieurs mois ».

3. Richard Thurnwald, ethnologue né à Vienne en 1869 et mort en 1954. Il séjourna dans le Sépik

entre 1912 et 1915. Il publia deux études sur les Banaro, en 1916 et 1921. La lecture de ces études

a décidé Bernard à travailler dans ce groupe.

4. Garamut : tambours à fente (pidgin de Nouvelle-Guinée).

5. Le tambour existait bien encore mais les poignées en avaient été découpées pour être vendues

à un antiquaire de passage. Le corps du tambour ne portait pas de motifs, rendant toute étude sur

son origine impossible.

6. Tambaran : les esprits-ancêtres (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée).

7. Village de la région Banaro où Bernard Juillerat a mené son enquête. Voir à ce sujet La

révocation des Tambaran. À cette date, ce livre n’était pas encore publié. Bernard m’avait donné le

tapuscrit à lire quelques semaines avant mon départ.

8. Conserve de viande (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée). Cette nourriture est

particulièrement valorisée dans les villages. Il n’est pas rare d’en voir apparaître dans les

échanges cérémoniels.

9. Bien : rivière du bas Sépik que l’on doit emprunter pour se rendre dans les villages Adjirab.

10. Créé par les Allemands en 1913 comme poste de gendarmerie, Angoram est un centre

administratif desservant la basse vallée du Sépik. En 1991, la poste et le supermarché étaient

effectivement fermés suite à des actes de banditisme.

11. Marienberg : centre installé par la mission catholique allemande sur la rive gauche du bas

Sépik. En 1991, il n’y avait plus de prêtre mais une sœur, Sister Marianna, qui dirigeait un centre

de soins.

12. Raskol : bandit, criminel (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée. Le terme apparaît dans les

années 1970).

13. OPM : Organisasi Papua Merdeka (Organisation de libération de la Papouasie).

14. Lors de mon séjour, je ne suis pas retourné chez les Banaro. La question est restée sans

réponse.

15. Haus tambaran : maison des esprits (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée). Le terme

s’applique plus particulièrement aux maisons des hommes lorsque des cérémonies sont en cours.

16. Livre publié avec Frederick K. Errington.

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17. Ce compte rendu est paru dans L'Homme 34, 131, pp. 191-193.

18. Expression de pidgin mélanésien qui peut se traduire par « c’est fini » ou « c’est assez ».

19. Je n’ai hélas jamais reçu cet envoi…

20. Institut of Papua New Guinea Studies. Fondé en 1974, l’Institut a pour mission de recueillir et

d’étudier les traditions orales et la musique.

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C’est l’Afrique qui a fait de BernardJuillerat, océaniste renommé, unanthropologue…Jeanne-Françoise Vincent

1 Aux alentours de 1965, les chercheurs en sciences humaines se sont avisés qu’il existait,

dans le nord du Cameroun – « L’Extrême-Nord » comme on le dénomme aujourd’hui –,

une chaîne de montagnes de plus de 150 km de long, les monts Mandara, qui n’avait fait

l’objet d’aucune étude approfondie, alors qu’elle était peuplée par près de vingt

groupes ethniques différents. Les chercheurs de l’ORSTOM (qui n’était pas encore l’IRD –

Institut de recherches pour le développement) se sont mis alors au travail, en

commençant par les géographes puis les sociologues (voir Hallaire et Barral, 1967 ;

Martin, 1968). De mon côté, ethnologue au CNRS, je faisais fin 1967 ma première mission

dans ces mêmes monts Mandara, chez les Mofou des montagnes dominant la plaine du

Diamaré.

2 C’est vers 1970 que j’ai fait la connaissance d’un chercheur, qui est devenu un ami,

Bernard Juillerat. Il avait 33 ans et, de nationalité suisse, il n’appartenait à aucune de

ces institutions françaises, mais il nous avait tous précédés dans l’étude minutieuse

d’un de ces groupes ethniques montagnards, les Mouktélé. Ainsi qu’il l’explique en

préambule à sa thèse (Juillerat, 1971), il avait pu bénéficier de l’aide financière de deux

institutions scientifiques suisses et s’immerger dès 1966 dans la société mouktélé, au

long de deux missions totalisant seize mois de séjour. Au cours de ses recherches, il

avait été suivi par un directeur scientifique prestigieux, Roger Bastide.

3 Ces deux missions ont été particulièrement fécondes puisqu’en quatre ans à peine,

Bernard Juillerat tirait de ses enquêtes trois notes scientifiques, en plus de sa thèse,

soutenue en 1968 et publiée à Paris en 1971 (voir bibliographie).

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Carte 1. – Le Cameroun

4 Je ne sais rien des raisons de son choix des Mouktélé. Peut-être était-il dû au fait que les

chercheurs de sciences humaines qui commençaient à se répartir les différentes

ethnies décidaient d’étudier les plus accessibles, situées en bordure de la chaîne.

Bernard Juillerat, lui, est allé dans un de ses replis, chez les Mouktélé, un petit groupe

de montagnards qui n’avaient encore jamais vu d’étranger s’installer chez eux et qui,

explique-t-il, se sont montrés dans les débuts de ses enquêtes particulièrement

méfiants et réticents. Toutefois, dès son deuxième séjour, il sut conquérir la confiance

de bons informateurs et aussi se faire accepter : on le voit bien à la qualité de ses belles

photos en noir et blanc, où l’on sent une complicité avec ses interlocuteurs,

particulièrement avec les gracieuses jeunes filles dont il étudia les rites de mariage.

5 L’ouvrage de Bernard Juillerat se compose de deux parties : d’abord, ce qu’il nomme

« introduction », une quarantaine de pages présentant synthétiquement l’histoire

mouktélé, replacée dans celle des grands empires et sultanats des pourtours du Lac

Tchad, ainsi que, et surtout, les aspects matériels de la culture du groupe. L’auteur a

choisi ensuite de traiter deux thèmes apparemment assez différents : les structures

lignagères et, de façon un peu plus développée, le déroulement et la signification du

mariage.

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Carte 2. – Les monts Mandara (groupes ethniques)

(Hallaire, 1991)

6 Je reçus un exemplaire de ce travail en 1972 des mains mêmes de son auteur et, dès ma

première lecture, je l’appréciai vivement. D’abord en raison de sa très grande précision,

on est tenté de dire « sa minutie », qui rend particulièrement clairs les raisonnements

du chercheur. Les résultats de l’enquête ne se limitent pas à une description ; ils sont

constamment doublés par cinquante tableaux, vingt-neuf figures et dix cartes, voire

des enquêtes chiffrées dépassant souvent la centaine d’interrogés. Par ailleurs, bien que

Bernard Juillerat déclare dès l’abord, avec un certain regret, ne pas avoir eu le temps

d’apprendre à fond la langue matal1, il est clair qu’il en possède de solides rudiments :

au lieu de donner des termes français, il utilise de préférence leurs équivalents

mouktélé, avec même un excès de zèle – voire de malice – puisqu’il emploie

constamment les termes mouktélé sans traduction française, obligeant très souvent son

lecteur à se reporter au lexique en fin d’ouvrage. Si minutieuses que soient ses

observations, il arrive que la raison de tel usage échappe à Bernard Juillerat, par

exemple la signification du mélange d’huile et d’ocre rouge, et il le dit, honnêteté

scientifique peu courante et notable.

7 Une autre raison explique mon grand intérêt pour l’étude de Bernard Juillerat. En

commençant en 1967-1968 des recherches chez les montagnards Mofu-Diamaré du

Cameroun, je poursuivais en fait des recherches commencées quelques années

auparavant chez d’autres montagnards africains, les Hadjeray du centre du Tchad2.

Elles portaient sur les liens entretenus par eux entre pouvoir politique ancien et

religion de la montagne qui apparaissaient comme indissociables. Après trois missions

prometteuses menées en 1960, 1964 et 1965, j’avais malheureusement dû les

interrompre totalement, la guerre civile ayant embrasé le Tchad. Vivement motivée par

le thème des relations entre pouvoir et sacré, je m’étais décidée à le reprendre chez des

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montagnards de sahel, appelés alors au Cameroun « Kirdi », vivant à la même latitude

que les Hadjeray, mais à 500 km plus à l’ouest et, dans cette quête, je fis le choix des

Mofu-Diamaré, qui n’avaient donné lieu qu’à de rapides notes d’administrateurs.

Migrations et autochtonie

8 En prenant connaissance des recherches de Bernard Juillerat sur la formation des

« massifs » mouktélé, je pensais que sa façon d’étudier la formation du pouvoir dans ces

« unités politico-religieuses », comme il les nommait, pourrait m’aider à mettre en

ordre les abondants matériaux de terrain que j’étais en train de collecter chez les Mofu-

Diamaré, lesquels me donnaient du fil à retordre. Je menais mes enquêtes en effet non

seulement dans trois grandes principautés-sœurs, représentant alors environ vingt

mille personnes, mais aussi dans des chefferies de taille plus modeste, et enfin dans de

minuscules unités que j’hésitais à considérer comme des entités politiques. Dans toutes

ces sociétés, le pouvoir m’apparaissait indissolublement lié à la religion ancienne, mais

je ne savais trop comment qualifier ces liens. J’étais donc heureuse de prendre

connaissance des travaux de Bernard Juillerat, espérant y trouver des points de

comparaison stimulants. La réflexion s’appuyant sur des comparaisons n’est-elle pas le

levier qui fait passer l’ethnographe au rang d’ethnologue ou d’anthropologue ?

9 Les dix mille Mouktélé se répartissaient en 1965 en six unités, parlant toutes la même

langue. Juillerat les désigne dès les premières pages de son étude par le mot français

« massif ». Il le fait tout naturellement car c’est le terme qui est employé couramment

depuis une ou deux décennies par les administrateurs français dans leurs rapports. Il

s’agit donc d’une notion locale, couramment employée également par les chercheurs

travaillant dans les monts Mandara. En fait, il voit bien l’ambiguïté du mot, qui désigne

à la fois un territoire montagneux et le groupe humain qui l’occupe, mais il

n’expliquera qu’au milieu de son étude comment il comprend et emploie ce terme.

10 Une des premières remarques de Bernard Juillerat traduit son admiration pour ces

agriculteurs avisés que sont les Mouktélé : ils ont entièrement « aménagé la montagne

en terrasses étroites soutenues par de fragiles murettes de pierres sèches », parfois

« des centaines de terrasses superposées depuis le fond du vallon jusqu’au sommet ».

Ces montagnards ont « su tirer le meilleur parti de leur milieu, au premier abord assez

pauvre ». La répartition des tâches entre les hommes et les femmes est équilibrée,

« chaque sexe ayant ses propres responsabilités au sein de la famille » mais, même s’il

n‘existe aucune exploitation de la femme par l’homme, Bernard Juillerat note

« l’absence quasi totale de tout droit de propriété féminine ».

11 Dans la grande ethnie mafa toute proche (que l’on nommait alors Matakam), les

forgerons et leurs femmes potières sont rigoureusement castés ; mais chez les

Mouktélé, rien de tel : leurs forgerons n’ont jamais su fondre le fer et « ils ne font

l’objet d’aucun interdit ». L’endogamie ne les concerne donc pas et « n’importe quelle

femme est potière ». Ainsi témoignent-ils d’une belle indépendance culturelle.

12 Un autre trait frappant chez eux est l’absence totale de circoncision, d’excision et

même de scarifications faciales chez les hommes. Seules les jeunes filles se parent en

incrustant dans leurs oreilles des rondelles de bois et dans leurs lèvres des labrets. De

même, nulle trace de rites de classes d’âge, observables chez certains groupes

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montagnards, un peu plus éloignés d’eux il est vrai, les Kapsiki ou les Mofu-Diamaré par

exemple.

13 Afin de mieux apprécier les structures lignagères à l’œuvre dans cette ethnie, Bernard

Juillerat commence par se livrer à une tâche ingrate, l’étude des migrations et de

l’origine de chacun des « lignages », tshay. En effet, pour lui, le terme tshay ne peut être

traduit par le mot français « clan ». La seule traduction possible en est « lignage », sans

qu’il justifie cet emploi constant. Il finira par définir de façon très succincte un

« lignage » comme un « groupe de descendance patrilinéaire ».

14 Il découvre ainsi qu’il existe à travers les six massifs cinq « populations » n’ayant aucun

souvenir de migrations, car elles affirment être issues du sol même qu’elles occupent.

Ces autochtones véritables expliquent le plus souvent que leur ancêtre est sorti de

l’eau, une mare généralement, et qu’il a été découvert ensuite par un lignage

immigrant. L’un de ces récits fait de l’un de ces clans autochtones un allié des

panthères, présentées comme ses « chiens ».

15 Ces récits convergent pour faire des autochtones des « sauvages » que vient

« apprivoiser puis civiliser » le nouveau venu. Bernard Juillerat estime que « ce modèle

de mythe […] se retrouve sans doute chez d’autres populations du Mandara » (Juillerat

1971 : 64). Et il a raison : les Ouldémé (Hallaire, 1971 : 13) tout comme les Mofu-Diamaré

présentent de la même façon une rencontre entre des « autochtones sauvages », issus

du rocher même, nus ou habillés de feuilles, vivant dans des grottes et ne se

nourrissant que de produits de cueillette, et des envahisseurs, cultivateurs de mil et

éleveurs de bovins, voire de poneys3. Toutefois, de façon assez surprenante, Bernard

Juillerat ne cherche pas à interpréter historiquement ces différences de niveau de vie

soulignées avec tant de force par d’autres montagnards.

16 La plupart des dix-huit autres lignages recensés par lui sont parvenus en pays mouktélé

à la suite de migrations dont les deux tiers ont pour origine le pays « matakam » tout

proche. Là, Juillerat s’oppose vigoureusement – et c’est une originalité de sa part – aux

thèses en vigueur alors, selon lesquelles les « Kirdi » habitants des monts Mandara

n’auraient peuplé leurs montagnes que sous la menace d’envahisseurs, les « Grands de

l’époque (Bornou, royaume du Mandara) » et aussi les Peuls.

17 Pour lui, ces constantes migrations de lignages s’expliquent de façon beaucoup plus

modeste par des raisons relevant de « l’histoire interne des Kirdi montagnards », en

particulier par des « luttes pour la chefferie » ou par le besoin de champs, si bien que

des lignages différents se retrouvent à l’intérieur d’un même massif ou peuvent au

contraire le quitter pour devenir composante d’autres massifs, voire d’autres groupes

ethniques.

Pouvoir religieux et/ou politique

18 Au gré de ces migrations de plus ou moins grande amplitude se sont formés six massifs,

divisés à date ancienne en quartiers, chacun avec son territoire aux limites précises.

Toutefois, si ces massifs témoignent d’une unité linguistique et culturelle qui constitue

l’essence mouktélé, ils n’ont aucune cohésion politique : « aucun chef n’est à la tête de

l’ethnie tout entière », on remarque seulement « dans chaque massif un lignage

dominant ».

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19 Ces grandes migrations d’origine n’ont pas fixé de façon définitive un lignage en un

seul lieu. Pour des raisons variées – le besoin de terres le plus souvent –, un segment de

lignage peut avoir quitté son lignage d’origine pour migrer vers des espaces vierges.

Par le jeu de ces micro-migrations, les quartiers sont tous pluri-lignagers,

contrairement à ce qui existe chez les Matakam voisins,. Bernard Juillerat l’a nettement

établi en « parcourant à pied tout le territoire tribal ». Ainsi, à Baldama, son massif de

référence comprenant douze quartiers, il a décompté – jolie prouesse résumée dans un

tableau (cf. tableau 15,1971: 79) – trois cent trente-et-un lignages ou segments de

lignage, le quartier le plus hétérogène comprenant sept lignages, cependant que les

onze autres quartiers en comportent entre deux et six.

20 4n aboutit ainsi à un brassage intégral : dans chaque quartier – et à plus forte raison

dans chaque massif –, on assiste à la coexistence de lignages qui se savent différents

tout en se définissant comme bizitsi Nuda « frères de territoire ».

21 Tous reconnaissent parmi eux l’importance d’un lignage, autochtone ou premier

migrant, à qui revient, souligne Bernard Juillerat, la tâche d’effectuer les rites agraires

« au bénéfice d’un massif tout entier » ou, à une échelle plus modeste, d’un quartier.

22 Sur le plan religieux, les Mouktélé sont unifiés par les mêmes croyances. Ils croient en

un « Dieu unique, créateur de toute chose […] qui tient les hommes dans sa main »

nommé par eux Zizagla (homme/ciel). Tout en notant que « cette notion de Dieu reste

[…] très imprécise », Juillerat remarque que « la plupart des sacrifices et des prières [de

demande] lui sont adressés », si bien que le culte aux ancêtres en est quasiment éclipsé.

Effectivement, on trouve tout au long de l’étude de très nombreuses mentions de

recours à Zizagla et de prières qui lui sont adressées, lors des premières semailles ou de

la réparation des toitures, lors de rites devant permettre à un célibataire prolongé de

trouver femme, pour remercier Zizagla à l’époque des moissons ou pour le prier de

garder en bonne santé la jeune fille qui va quitter sa famille pour celle de son futur

mari.

23 Cette croyance mouktélé est-elle due à une « évolution interne », se demande Juillerat,

ou est-elle « le résultat de deux siècles de contacts avec les Mandara islamisés ? ». Son

honnêteté habituelle l’empêche d’imposer une des deux hypothèses5, mais

l’observateur minutieux qu’il sait être ne décrit aucun de ces sacrifices à Zizagla, de

même qu’il ne donne aucun texte de ces prières dont il mentionne la fréquence. Sans

doute considère-t-il que ces croyances et leurs manifestations sont en dehors de ses

thèmes d’étude. À moins qu’elles ne constituent un domaine qui ne l’intéresse guère ?

On ne peut que regretter cette absence car il aurait sans doute apporté – si l’on se

réfère à la précision des « chants de courtisation » transcrits dans la deuxième partie de

son étude – des documents précis qui continuent à manquer aujourd’hui.

24 Il est cependant un aspect de la religion mouktélé qu’il évoque à de nombreuses

reprises, c’est ce qu’il appelle le« culte de la Terre » qui, dit-il, se traduit par un

« sacrifice annuel à la Terre ». Et on ne peut manquer d’être intrigué par l’emploi de ce

terme.

25 Bernard souligne que le premier occupant d’un terroir est chargé « des rites agraires et

des offrandes à la Terre ». En fait, reconnaît-il avec la franchise qui le caractérise, c’est

lui, Juillerat, qui traduit le mot mouktélé mazazay par « sacrifice annuel à la Terre »,

« bien que le mot “terre ” ou “culture” ne soit jamais prononcé ». Mais, explique-t-il,

« la Terre constitue un “pôle de croyance”, au même titre que “les ancêtres, les

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

67

génies” ». C’est pourquoi il en parlera tout au long de son étude comme d’une force

particulière, honorée dans des autels liés à un territoire particulier, avec laquelle on

peut faire alliance et qu’on doit honorer par des sacrifices spécifiques.

26 Il faut noter que, dans les années qui suivront la publication des travaux de Juillerat,

divers articles et notes concernant d’autres groupes des monts Mandara décriront eux

aussi des sommets rocheux, parfois impressionnants, des chaos de pierres, des

éminences laissées volontairement sans cultures, présentés comme des lieux sacrés, des

autels dédiés à des forces invisibles, mais aucun de ces chercheurs ne proposera « la

Terre » comme puissance supranaturelle ainsi honorée. Ils y verront des autels, parfois

dédiés au Dieu suprême en personne, mais le plus souvent consacrés à des esprits de la

montagne, des forces de la nature, alliées des autochtones ou premiers arrivants.

27 Cette croyance en des esprits de lieu ou de terroir n’a en fait rien d’original. Non

seulement elle concerne la quasi totalité des groupes ethniques de l’Extrême-Nord du

Cameroun – de montagne et aussi de plaine –, mais, si l’on sort du Cameroun, les

allusions à des esprits semblables sont légion, balayant, dès les années 1960, l’Afrique

de sahel d’ouest en est6.

28 Quant à moi, il me semble que Juillerat, observateur pionnier d’une « religion de la

montagne » des monts Mandara, a seulement manqué d’interlocuteurs avec qui il

aurait pu affiner sa traduction du terme mazazay. En ce qui nous concerne l’un et

l’autre, nos missions et nos enquêtes de terrain ont été décalées dans le temps, si bien

que nous avons surtout échangé par envoi de publications ou par lettres et nous

n’avons pas pu discuter de vive voix de cette curieuse assimilation faite par lui de

mazazay à « la terre », une traduction que je considère comme inappropriée, ne fût-ce

que parce qu’il est impossible de découvrir un chercheur qui dans le même contexte

aurait opté pour elle.

29 Le terme mazazay désigne, nous dit-il aussi, à la fois la puissance honorée et son autel.

Pareille ambivalence est courante lorsque sont évoqués en diverses sociétés les esprits

des lieux. Il correspond également à ce que Juillerat appelle le « sacrifice annuel à la

Terre ». La description qu’il en donne montre que le mazazay mouktélé est quasi

superposable aux « Fêtes de Dieu » et « Bières de Dieu » célébrées chez presque tous les

voisins septentrionaux des Mouktélé, au cours desquelles on se réunit, là aussi tous

lignages confondus, pour remercier le grand Dieu, parfois au niveau d’un sous-quartier,

parfois au niveau d’un quartier, ou encore au niveau d’un « massif » tout entier7.

30 Pour ma part, en lisant la description donnée par Juillerat de la fête mazazay célébrée

dans le massif de Baldama, j’ai retrouvé la fête « Zom Erlam », « Bière de Dieu », dite

encore sudege, à laquelle j’ai assisté à plusieurs reprises chez les Mofu-Diamaré

(Vincent, 1991 : 345-347)8. Dans les deux sociétés il y a, juste avant les récoltes, achat à

frais communs d’un animal – d’une génisse, énorme offrande chez les Mouktélé –

préparation de la viande, partagée et consommée entre membres de lignages différents,

avec des prières au grand Dieu et chômage religieux (ce jour-là, les « frères de

territoire » manifestent leur unité en n’exécutant aucun travail des champs). La seule –

et importante – différence étant que chez les Mofu, cette fête Zom Erlam, « Bière de

Dieu »,célébrée par chaque principauté et chefferie mofu, le même jour, quartier par

quartier, ne peut avoir lieu qu’au signal de son prince, le « chef grand ».

31 Chez les Mouktélé par contre, on observe non pas un mazazay unique mais six mazazay

juxtaposés. Chaque massif a le sien. On peut rapprocher cette observation de la

remarque de Juillerat sur l’absence de chef « à la tête de l’ethnie [mouktélé] tout

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entière » malgré son unité culturelle et linguistique. L’absence de cohésion religieuse a

pour conséquence l’absence de cohésion politique et c’est seulement en termes

religieux que se traduit le domaine politique.

32 Outre la fête mazazay, il existe une autre grande fête annuelle mouktélé, madvdey, à

laquelle Juillerat ajoute le plus souvent le déterminatif matal, c’est-à-dire mouktélé. La

fête madvdey est, nous dit-il, « la manifestation la plus importante du pays ». Elle s’étale

sur six jours et constitue un « Nouvel An agraire et social » qui « permet à la

communauté de faire peau neuve » : expulsion de la maladie chez les voisins, offrandes

sur les tombes des morts récents dont les âmes – les « doubles », disent les Mouktélé –

sont chassées vers le pays des ancêtres, nettoyage et couverture neuve des habitations,

purification des hommes par le feu ; c’est une fête de joie où éclatent musique et danse

et qui donne lieu à la consommation d’énormes quantités de bière de mil. C’est au cours

de ce Nouvel An que les nouvelles mariées sont définitivement intégrées dans la famille

de leur mari.

33 À nouveau s’imposent des comparaisons avec d’autres « fêtes de Nouvel An » célébrées

par les sociétés montagnardes voisines, les Ouldeme par exemple (Fédry. J. et al., 2008 :

66), ou les Mofu-Diamaré chez qui j’ai assisté à plusieurs reprises à mogurlom, qualifiée

de mogurlom ma mevey, « la fête de l’année » qui, durant plusieurs jours également,

célèbre le renouvellement de l’année : là aussi, le mal est chassé chez les voisins de

l’ouest, les morts récents sont pleurés et des tiges de mil enflammées sont passées

autour de la tête des membres de chaque famille pour les purifier, cependant que dans

chaque maison des jarres de bière attendent des visiteurs. Toutefois, comme pour la

fête « Bière de Dieu », ce Nouvel An ne peut être célébré qu’au signal de son prince. S’il

décide de ne pas le « crier », ses sujets, consternés, ne peuvent accomplir les rites9.

34 On observe, à propos de la fête madvey matal, le même phénomène que pour la fête

mazazay. Juillerat nous décrit cette fête à laquelle il a assisté à Baldama, son massif de

référence, ce qui sous-entend qu’il n’existe pas de « Nouvel An mouktélé » au niveau de

l’ethnie : à nouveau, il y a coexistence de plusieurs fêtes, autant que de massifs.

35 C’est là une constatation aux importantes conséquences théoriques : sans doute, ainsi

que le remarque Juillerat, le massif constitue-t-il une « unité politico-religieuse ». Mais

celle-ci ne se manifeste que par la célébration de fêtes religieuses et ce sont donc elles

qui disent le politique au niveau de chaque massif. La juxtaposition de ces fêtes traduit

l’absence d’un pouvoir unique qui rassemblerait l’ethnie.

36 Ces faits trouvent leur équivalent exact chez les Mofu-Diamaré car, à côté des trois

grandes principautés de Duvangar, Durum et Wazang où le prince « crie » une seule

fête religieuse concernant, tous quartiers confondus, l’ensemble de son vaste territoire,

existent de toutes petites sociétés montagnardes, les Méri et Gemzek, identiques sur le

plan culturel et matériel aux principautés, mais possédant chacune sa propre langue.

On observe chez elles une absence de pouvoir central et en même temps l’existence de

plusieurs « fêtes de l’année », propres à une « montagne » reconnue ainsi comme

distincte, neuf pour les Méri, quatre pour les Gemzek (chez qui j’ai assisté par deux fois

à une de ces fêtes de « montagne »). Pour ces tout petits responsables, c’est parce qu’ils

font débuter une des fêtes religieuses communes qu’ils peuvent être dits « chefs »

(Vincent, 1991 : 690).

37 De même, chez les Mouktélé, le domaine religieux possède une signification politique.

Il n’existe pas chez tous ces montagnards de pouvoir proprement politique. Le politique

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est indissolublement lié au religieux et les décisions en matière de fêtes religieuses

constituent le niveau embryonnaire du pouvoir.

Parenté et mariage

38 La seconde partie de l’étude de Bernard Juillerat est consacrée au mariage et à

l’échange matrimonial chez les Mouktélé. Il a choisi de développer ce thème car,

explique-t-il, il lui permet d’illustrer un mode important de relations inter-lignagères

« la circulation des femmes […] qui à travers toute l’ethnie […] établit des relations sans

cesse renouvelées entre groupes de parenté » (Juillerat, 1971 : 169).

39 Je n’ai pas l’intention de reprendre ici le détail des descriptions minutieuses des rites

matrimoniaux et des analyses faites par Juillerat, mais seulement de souligner les

apports les plus significatifs auxquels il parvint grâce à ces méthodes d’enquête

minutieuses qui caractérisent bien sa personnalité originale.

40 Une première constatation s’impose. Les prohibitions de mariage sont extrêmement

larges puisqu’elles portent non seulement, bien sûr, sur le lignage d’Ego, mais en plus

sur les sept lignages auxquels il est apparenté : un homme ne peut prendre femme à

l’intérieur de son propre groupe exogamique, ni à l’intérieur du lignage de sa mère, de

ses deux grands-mères et de ses quatre arrière-grands-mères. Ainsi ce sont sept

groupes lignagers qui lui sont interdits.

41 Par ailleurs, un homme ne peut épouser aucune sœur ou cousine parallèle patrilatérale

du lignage de son épouse, même après le décès ou le remariage de celle-ci : toutes les

formes de sororat sont interdites chez les Mouktélé.

42 Ces prohibitions dessinent donc un champ très étendu, susceptible de désespérer un

jeune en âge de se marier. Toutefois, souligne Juillerat, en cas de lignages importants

sur le plan numérique, il y a généralement poly-segmentation lignagère et la

prohibition ne porte plus que sur un segment organique de petite taille.

43 Entre jeunes gens pour qui une union est possible, avant que celle-ci aboutisse à un

véritable mariage existe une période de fréquentation qui peut être longue. Ce qui est

frappant c’est que chez les Mouktélé, les jeunes jouissent d’une « liberté sexuelle

complète », alors que, remarque Juillerat, certaines ethnies voisines ont une attitude

exactement inverse (Juillerat, 1971 : 151). Chez les Mofu-Diamaré par exemple, une

jeune fille doit arriver vierge au mariage, obligation qui, il est vrai, est aujourd’hui de

moins en moins effective…

44 Les relations sexuelles débutent peu après la puberté et elles ne peuvent avoir lieu que

chez la jeune fille, dans sa case personnelle située dans l’enclos familial, donc au vu et

su de son père qui se montre tolérant mais… veille cependant à ce que sa fille n’ait pas

trop d’amants. Car une fille ne se limite pas à un seul prétendant : leur nombre varie en

fonction de sa beauté. Et, inversement, un jeune homme ne courtise pas qu’une seule

fille : il peut venir travailler en compagnie d’une bande de camarades – les prestations

en travail font partie de la dot – dans les champs de plusieurs pères de filles différentes.

45 Ce qui fait l’originalité des Mouktélé, bien soulignée par Juillerat, c’est que la période

où les jeunes gens se « fréquentent » (terme français campagnard, qui me semble

correspondre à la situation de ces montagnards…) n’est pas indifférente : elle est

calquée sur le cycle du mil, lui-même souligné par l’utilisation des flûtes, d’abord celles

réservées aux filles suivies des garçons qui prennent le relais avec les leurs. Les jeunes

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gens en jouent en période de croissance du mil, comme si leur musique lui était

bénéfique. Par contre, dès que le mil est coupé, on cesse de les entendre. Peut-être faut-

il comprendre par ce réseau d’obligations et d’interdits que pour les Mouktélé le mil

est une puissance susceptible de s’imposer aux hommes, et capable de caprices. Il ne

faut pas l’irriter.

Chants de « courtisation »

46 On ne peut qu’être reconnaissant à Juillerat d’avoir recueilli – démarche à ma

connaissance peu courante – avec la précision et le détail qui le caractérisent, de

nombreux chants qu’il appelle « chants de courtisation » (treize exactement, où il

dénombre trente-quatre thèmes différents). Ces chants librement improvisés par le

garçon comme par la jeune fille sont parfois des dialogues – où le jeune homme

demande « de l’eau » à sa bien-aimée - mais plus souvent des mélodies solitaires, que la

fille chante en écrasant le mil du repas dans le fond de sa case-cuisine ou au milieu du

brouhaha de la musique funéraire. Le garçon, lui, peut les faire entendre de nuit, en

cheminant. Ce qui caractérise ces monologues c’est un climat d’incertitude et de

mélancolie. La recherche d’une épouse est une quête difficile, aussi difficile que « de

tuer un taureau »… Mais elle finit par aboutir, souvent par une fugue de la fille qui

s’enfuit une nuit pour aller s’établir chez son fiancé.

47 De la minutieuse étude des six premiers jours de présence de la jeune fille dans la

concession de son beau-père – où son prétendant s’est construit une case personnelle –,

je retiens d’abord l’institution d’une « gardienne » de la nouvelle mariée, véritable

« demoiselle d’honneur » qui sert d’intermédiaire entre la famille et la nouvelle arrivée,

recluse dans la case de son mari. En effet, la jeune épouse est une « nouvelle venue »,

mlok, considérée comme une étrangère qui éprouve de la « honte » et doit observer un

véritable tabou devant son beau-père et les hommes de la famille. Celui-ci ne prendra

fin que lors de la célébration du Nouvel An suivant. Lors de cette fête du renouveau,

madvdey,, qui est un jalon dans le temps et permet de compter les années, la jeune

épouse sera considérée comme plus âgée d’un an et elle pourra mener une vie normale,

allant et venant à sa guise.

48 L’étude par Juillerat de la polygynie met en valeur plusieurs traits originaux de la

société mouktélé : d’abord il souligne qu’il existe parmi les femmes de farouches

opposantes à la présence d’une deuxième épouse ; près de 40% selon une enquête

personnelle du chercheur portant sur 201 femmes. Ces opposantes menacent de quitter

leur mari s’il s’avisait de faire entrer une nouvelle femme au foyer.

49 Or telle est bien la crainte des hommes mouktélé : voir une épouse difficilement acquise

repartir bientôt chez un autre mari. Crainte justifiée : une autre enquête de Juillerat

portant sur 268 hommes de tous âges a établi que 100 hommes avaient eu dans leur vie

295 épouses, chiffre très élevé que l’on peut compléter en décomptant inversement le

nombre total de maris pour 100 femmes d’âge variable, soit 268.

50 Ce chiffre paraît encore plus élevé si je le rapproche des résultats d’une enquête que

j’avais réalisée en 1970 chez les Mofu-Diamaré auprès de 334 femmes : ce nombre est de

128 maris pour 100 femmes – les 334 femmes ayant eu 428 maris (voir Vincent, 1972 :

316)10.

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71

51 Le divorce est fréquent chez les Mouktélé et l’initiative de la séparation est toujours

prise par la femme qui va habiter chez une amie, moins souvent chez son père où, fait

notable, elle possède un grenier personnel dans lequel elle entrepose une partie de ses

récoltes et où elle vient puiser régulièrement. Chez son mari, elle possède d’autres

greniers contenant le reste de ses denrées vivrières, mais elle n’a pas le droit de les

vider lorsqu’elle le quitte. Ses récoltes doivent rester chez le mari sans que celui-ci ait

le droit de les vendre ; d’ailleurs, il ne cherche pas à le faire, car sait-on jamais ! la

volage pourrait revenir chez lui par la suite…

52 En effet, Juillerat a mis en valeur un phénomène intéressant : le fréquent retour de

l’épouse chez son premier mari ou, tout au moins, chez celui auquel elle a donné le plus

d’enfants, alors qu’elle l’avait quitté depuis nombre d’années. Soucieux d’exactitude

comme à son habitude, le chercheur s’est appuyé pour établir cette originale

constatation sur une enquête menée par lui auprès de deux cent trois écoliers dont la

mère était toujours vivante : plus du tiers vivaient avec une mère partie pendant une

longue période, puis revenue.

53 Jeune ethnologue en début de terrain dans les années 1960, Juillerat a tenté tout

naturellement de découvrir un grand mythe structurant la société, comme l’avait fait

Marcel Griaule et son équipe chez les Dogon du Mali. Sa découverte de l’expression

« fille du renard » pour désigner « tout enfant né unique, masculin ou féminin » l’a fait

« pense(r) instantanément au Renard Pâle du mythe dogon » (Juillerat 1971 : 211),

perturbateur de la gémellité des origines, dont – assez laborieusement il est vrai – il

retrouve des traces dans les rites matrimoniaux. Il développe ce faisant une symbolique

très élaborée – et beaucoup plus convaincante – sur l’opposition entre « eau froide » et

« eau chaude », traduisant le passage de la fécondation de la jeune fille à la grossesse de

celle qui est devenue épouse véritable.

54 Par contre, sa quête de mythe construit n’a débouché que sur un « récit mythique […]

extrêmement fragmentaire », où il trouve seulement des allusions à des « démiurges »

(Juillerat 1971 : 34). De même, sa collecte de grands mythes d’origine, du mil ou de la

mort par exemple, s’est révélée infructueuse. En enquêtant sur l’origine de chaque

lignage, Juillerat a recueilli toutefois « un lot de mythes » (Juillerat 1971 : 63). Il utilise à

nouveau le terme « mythe » mais, cette fois, dans un tout autre sens, celui de « mythe

de peuplement », ainsi celui des « autochtones sauvages », soigneusement différencié

par lui des « récits » décrivant les origines et les itinéraires des lignages immigrants

qui, eux, sont pour lui historiques.

55 À la fin de son travail, Juillerat s’interroge sur la possibilité future d’un

approfondissement de son étude des rituels matrimoniaux. Pour sa part, conclut-il,

avec ce qui ressemble à des regrets, s’il a certes posé des hypothèses, il est obligé de

reconnaître qu’il n’a « fait que poser des jalons » […] et qu’il n’a « rien achevé »

(Juillerat 1971 : 218). Cette constatation ne l’empêche pas d’affirmer qu’il est possible de

passer à une autre étape : le symbolisme qu’il a rencontré chez les Mouktélé peut être

éclairé par « une étude extensive des différentes communautés du Mandara

septentrional » (Juillerat 1971 : 220) car, pour lui, « de toute évidence », elles sont

apparentées culturellement.

56 Tel est bien la conclusion à laquelle je parvenais moi aussi. Au fur et à mesure que je

progressais dans ma connaissance des Mofu du Diamaré, j’apercevais de mieux en

mieux les convergences – et divergences stimulantes – de cette société avec les

Mouktélé ; aussi je me réjouissais à la pensée que nous allions pouvoir échanger, non

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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seulement sur les rites matrimoniaux si chers au cœur de Juillerat, mais sur la nature

du pouvoir traditionnel qui, pour ma part, m’importait tant.

57 Las, l’anthropologue africaniste a opté pour de nouvelles études menées à l’autre bout

du monde, à des milliers de kilomètres, en Papouasie Nouvelle-Guinée, où sa grande

rigueur et sa valeur scientifique reconnue lui ont permis de construire une œuvre

exemplaire. Mais sa place est demeurée en creux dans les monts Mandara…

BIBLIOGRAPHIE

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éd. ORSTOM, À travers champs, 26 fig., XXIV tabl., 253 p.

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—, 1975. Le pouvoir et le sacré chez les Hadjeray du Tchad, préface de G. Balandier, Paris,

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Wazan, Cameroun du Nord, Cahiers de l’ORSTOM Sciences humainesIX, 3, pp. 309-323.

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NOTES

1. Matal est l’appellation linguistique de cette langue ; toutefois, par commodité, je parlerai

quant à moi de « langue mouktélé ».

2. Les matériaux de terrain recueillis m’avaient permis cependant la rédaction en 1968 d’un

rapport détaillé, devenu quelques années plus tard Le Pouvoir et le Sacré chez les Hadjeray du Tchad,

paru aux éditions Anthropos en 1975.

3. J’ai recueilli entre 1968 et 1983 de très nombreuses versions de ces mythes de peuplement

chez les Mofu-Diamaré (cf. Vincent, 1991 : 149-161 et 172-181 ; 1998 : 65-108).

4.

5. Un colloque tenu à Maroua en 2007 a, lui, tranché : soixante-cinq participants, venus du nord

des monts Mandara et appartenant à seize groupes ethniques différents, ont mis en commun au

long de trois journées d’échanges les résultats d’enquêtes qu’ils avaient menées dans leurs

sociétés au cours des mois précédents. Elles étaient parties d’un même questionnaire-guide sur

les croyances, mythes, proverbes et offrandes concernant le « Dieu du Ciel ». Une remarquable

convergence se dégage de ces témoignages et elle atteste d’une croyance identique en un « Dieu

du Ciel » unique et créateur de l’homme, croyance antérieure, selon les participants, à l’arrivée

des musulmans et des chrétiens (Ferry et al., 2008).

6. Pour L’inventaire et l’analyse des esprits de la montagne mofu, voir Vincent (1991 : 523-556)

ainsi que la bibliographie les concernant (p. 554, notes 5 à 11).

7. Cf. Fedry J. et al. (2008, chapitre VII, « Offrandes, sacrifices et fêtes adressées à Dieu » : 63-72).

Idem.

8. Voir également une description donnée par des Mofu eux-mêmes dans Fedry J. et al. (2008 :

63).

9. Ainsi en fut-il dans la principauté de Douroum de 1964 à 1975 (Vincent, 1991 : 341).

10. Ce faible taux m’était apparu comme lié à la croyance en des esprits d’ancêtres, chargés

expressément de frapper de maladie, à la demande d’un mari inquiet, l’épouse cherchant à le

quitter (Vincent, 1972 : 318).

RÉSUMÉS

Avant de devenir océaniste, B. Juillerat réalisa des enquêtes de terrain et une thèse (1968) chez

les montagnards Mouktélé, dans une région reculée de l’extrême-nord du Cameroun, totalement

inconnue sur le plan ethnographique. Ayant elle-même travaillé chez les montagnards voisins,

les Mofu-Diamaré, Jeanne-Françoise Vincent expose ici les principaux thèmes de recherche

abordés par Juillerat – migrations et autochtonie, pouvoir religieux et/ou pouvoir politique,

structures lignagères et mariage – en replaçant sa minutieuse ethnographie dans un cadre

régional plus large.

Before being an Oceanist, B. Juillerat did fieldworks in North-Cameroon and wrote a thesis about

the Mouktélé, who live in a remote and then not studied area. Jeanne-Françoise Vincent has done

intensive anthropological studies in this area, among the mountaineers Mofu-Diamaré and she

introduces the main research topics of Juillerat – migrants and autochthonous people, religious

power and/or political power, linage organization and marriage – and replaces his minute

ethnography back in a broader regional setting.

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INDEX

Keywords : comparison, marriage, Mouktélé, North-Cameroon, politics, religion

Mots-clés : comparaison, mariage, Mouktélé, Nord-Cameroun, politique, religion

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À propos de l’exposition A tribute toBernard Juillerat: The Iafar betweensymbols and artifactsNicolas Garnier

1 Suite à la disparition de Bernard Juillerat et à l’hommage qui lui était rendu au musée

du quai Branly quelques mois plus tard, il avait semblé important de faire connaître son

travail dans le pays qui avait été celui dans lequel il avait accompli l’essentiel de ses

recherches. La présence d’une donation Juillerat au musée national a servi de point de

départ à un projet d’exposition. Sa préparation a nécessité dans un premier temps un

récolement des objets conservés et une recherche sur les informations les concernant.

En parallèle, nous nous sommes interrogés sur la nature d’une exposition sur ces objets.

Quelle pouvait être la valeur d’un hommage à un anthropologue en Papouasie Nouvelle-

Guinée ? Cette manifestation pouvait-elle servir à présenter, à travers l’exemple

exceptionnel de Bernard Juillerat, certains aspects d’une recherche anthropologique à

un public mélanésien et, si tel était le cas, quel pouvait être le rapport entre la

présentation d’une sélection d’objets et le travail discursif de l’anthropologue ? La

présentation des collections au musée national est essentiellement thématique et ne

rassemble qu’un nombre limité d’objets lorsqu’il s’agit d’évoquer une culture

particulière. Nous nous sommes donc interrogés sur la manière dont le public pouvait

percevoir la réunion d’un nombre important d’objets relatifs à une petite aire

géographique et en quoi cette muséographie pouvait être pertinente pour un habitant

de Papouasie Nouvelle-Guinée n’ayant pas de relation avec les populations des Border

Mountains.

2 L’Alliance française de Port Moresby a inauguré le 24 août 2008 cette exposition

consacrée au travail de Bernard Juillerat au National Museum and Art Gallery de Port

Moresby, suite au projet initié en 2007, peu après la disparition de l’anthropologue,

avec le directeur du Museum, Simon Poraituk et Patrick Boursin, ambassadeur de

France en Papouasie Nouvelle-Guinée. L’exposition s’est déroulée au musée national du

24 août au 3 octobre 2008 tandis que la bibliothèque Michael Somare de l’université de

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Papouasie Nouvelle-Guinée présentait une sélection de ses publications ainsi qu’un

petit nombre de tirages de photographies de terrain.

3 En 1974, Bernard Juillerat avait offert simultanément au musée de l’Homme à Paris et

au National Museum and Art Gallery une collection de plusieurs centaines d’objets2.

Alors que les objets cédés au musée de l’Homme avaient fait l’objet d’études et de

descriptions méthodiques, les objets du musée de Port Moresby nous sont parvenus

sans documentation. Les 241 objets conservés à Port Moresby ont été enregistrés dans

l’inventaire manuscrit effectué lors de la donation avec mention de la nature de l’objet

et de la provenance par groupe linguistique ou par village. Depuis la donation,

effectuée avant l’ouverture du musée actuel, la presque totalité de ces objets n’avait

jamais été montrée au public mis à part un grand masque Kwomtari, similaire à celui

offert au musée de l’Homme, toujours exposé à Port Moresby dans la salle des « chefs-

d’œuvre » (Masterpieces Gallery). Aussi l’exposition a-t-elle eu pour but de déployer pour

la première fois une partie des collections jusque-là conservées en réserve et de

dévoiler à cette occasion une partie de la culture des Iafar et des populations voisines.

Dans ce but, un récolement a été effectué dans l’un des deux départements du National

Museum and Art Gallery où la collection Juillerat est conservée. La majeure partie se

trouve conservée au département Anthropologie où 129 pièces ont pu être identifiées.

Une trentaine d’autres pièces fait partie de la collection d’archéologie. Bernard Juillerat

avait en effet donné au musée 35 lames d’herminettes en pierre et, comme le veut la

répartition des collections au National Museum and Art Gallery, les objets en pierre,

même récents et collectés dans un contexte ethnographique, sont conservés dans le

département archéologie. Certains objets ont disparu depuis la donation : c’est le cas

d’une partie des coiffes qui n’ont pu être retrouvées et il semble que la collection de

masques-coiffes Kwomtari utilisés pour les rituels de guérison ait pu disparaître avant

la création du musée actuel sans doute à cause de mauvaises conditions de conservation

(com. pers., Barry Craig). Sur l’inventaire du musée, on note que tous les objets ne

proviennent pas des hameaux iafar et que seuls 48 y sont répertoriés comme tels, soit

un peu plus de 20 % seulement de la collection. Parmi les autres, 62 viennent de

Kwofinam, 24 d’Einokneri, 22 de la plaine du Wamuru, 17 d’Ivieg, 11 d’Aurump, 11 de

Bapi River, 9 d’Akraminag, 7 de Wofner, 7 de Iambi, 7 de Bipan et un de Baiberi. La

répartition des objets correspond aux entrées notées sur le registre de l’inventaire

manuscrit et les entrées par toponymes chevauchent parfois les entrées par nom de

populations. Au musée du quai Branly, où les notices accompagnant les œuvres ont

subsisté, la part des objets iafar est beaucoup plus importante (83 objets sur les 257

numéros que compte le musée parisien).

4 Dès les premières semaines de recherche sur la collection Juillerat se sont posées des

questions qui ont servi de trame au projet d’exposition. Celle-ci avait pour but de

présenter le travail d’un anthropologue mais aussi un aspect d’une culture du pays à

travers ses productions matérielles. Or il est vite apparu que l’absence de

documentation directe relative aux objets conservés au musée national de Port

Moresby rendait la présentation de ces objets délicate. Alors que les objets conservés à

Paris ont fait l’objet de fiches détaillées auxquelles nous n’avons pas pu avoir accès lors

de la préparation de l’exposition (Juillerat : 1975b), les objets conservés à Port Moresby

avaient été enregistrés dans les collections sans aucune information ethnographique.

En effet, comment mettre en relation des objets issus de la culture iafar avec des textes

qui évoquent des aspects bien différents de leur culture ? La collection cédée au

National Museum and Art Gallery comprend une série d’éléments de masques peints

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

77

sur infrabase de palmier sagoutier, des lames de hache et d’herminette, des parures, de

l’outillage en os, quelques sacs en ficelle, trois tambours en forme de sablier, des étuis

péniens et une abondante série de flèches. Or, mis à part quelques lignes dans Les

enfants du sang sur l’outillage et la parure ainsi que la description des premiers étuis

péniens incisés offerts aux jeunes hommes après la puberté et les deux articles publiés

dans Voir et nommer les couleurs sur l’utilisation technique et symbolique de la couleur

sur les masques (Juillerat 1978a et 1978b), ainsi que les deux films édités par le CNRS et

la maison des sciences de l’homme (Juillerat, 1977, 1983), peu d’informations publiées

dans l’œuvre de Bernard permettent d’évoquer les objets offerts au musée de l’Homme

et au National Museum and Art Gallery.

Photos 1 et 2. – Vues de l’exposition

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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(clichés de l’auteur)

5 Par ailleurs, les textes écrits sur la culture matérielle, en particulier les nombreuses

pages portant sur la confection des masques de la cérémonie yangis ou sur les rituels de

chasse ou de guérison, ne sont illustrés d’aucun objet au musée de Port Moresby. Il n’y

existe aucun masque sur tissu intrafoliaire de cocotier et les seuls objets qui peuvent en

être rapprochés (encore qu’avec prudence) sont les éléments d’infrabase de sagoutier

qui, semble-t-il, comme en témoignent les perforations latérales, sont des éléments de

masque. Cependant, nous émettons des réserves sur l’éventuelle utilisation de ces

objets car, si ces derniers comportent bien des perforations, les traces d’usure et de

décollement de la surface picturale inhérentes à la fixation sur une structure végétale

sont absentes. S’agit-il d’exemples peints à la demande de l’anthropologue au moment

où il préparait ses deux articles sur l’utilisation de la couleur ? Un dernier texte sur les

dessins sur le sol chez les Iafar nous a permis pourtant d’évoquer un autre aspect des

recherches de Bernard Juillerat sur la culture matérielle (1975a). Certains des dessins

ainsi publiés dans cet article ont été reproduits à grande échelle sur les grandes

tentures qui rythmaient les différentes sections de l’exposition.

6 La deuxième question à laquelle nous avons tenté de répondre concernait le sujet de

l’exposition. Devait-elle être un hommage à Bernard Juillerat et l’occasion de présenter

une documentation sur l’anthropologue en évoquant à la fois ses méthodes de

recherche et les domaines qu’il a souhaité aborder ? Ou bien devait-on présenter une

exposition sur les Iafar et leurs voisins à travers les objets laissés par Bernard Juillerat ?

Nous ne pouvions répondre à ces questions qu’après avoir pris en compte le contexte

de l’exposition et ses implications en termes de muséographie et de discours sur les

œuvres. En d’autres termes, il nous fallait d’abord considérer le public auquel nous

nous adressions et la manière dont celui-ci appréhendait la nature du dispositif dont

émanait le discours, à savoir un musée en Papouasie Nouvelle-Guinée. Ici comme

ailleurs, la culture concerne ce que les gens vivent au quotidien ou lors d’événements

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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plus ritualisés. Mais la culture est aussi formulée par les institutions issues de

l’influence occidentale tels que les musées et les centres culturels, les institutions

culturelles de type occidental telles que les universités, les écoles, la National Cultural

commission et ses satellites (National Film Institute, Institute of PNG Studies, National

Art Theater) et les médias (la presse écrite, la radio et les deux chaînes de télévision

EmTV et Kundu 2, une chaîne publique créée en septembre 2008). Bien entendu, les

produits de l’anthropologie se situent dans cette seconde catégorie, qu’il s’agisse de

cours, de conférences, de publications, de films, d’enregistrements sonores etc. Le

projet d’exposition devait donc se situer dans la seconde catégorie tout en n’écartant

pas la possibilité de faire participer les Iafar et les autres populations concernées par le

projet. Cet aspect n’a malheureusement pas pu être développé faute de moyens et

malgré des messages envoyés dans la Province. L’équipe du musée et moi-même

souhaitions néanmoins que, si ce projet était amené à se développer, si par exemple

l’exposition pouvait être présentée en Australie et dans le Pacifique, un budget plus

important puisse permettre d’associer plus intimement les Iafar au choix des objets, à

leur présentation et aux textes qui leur seront associés. Il serait également souhaitable

qu’au cas où cette exposition pourrait être remontée, une partie des collections

conservées au musée du quai Branly puisse être exposée aux côtés des pièces provenant

du National Museum and Art Gallery.

7 L’exposition s’est déroulée dans la grande salle d’exposition du National Museum and

Art Gallery et comportait trois sections : les photographies de terrain, les objets des

collections et la présentation en continu du film de Chris Owen « The Red Bowman ».

Quoique tourné chez les Umeda, voisins des Iafar, il traite du rituel ida, un rituel proche

du rituel yangis des Iafar. L’approche cinématographique de Chris Owen s’appuie

essentiellement sur l’interprétation proposée par Alfred Gell (1975), mais doit

également beaucoup à Bernard Juillerat qui fut l’un des conseillers scientifiques lors de

la réalisation de ce film. Les deux premières sections se subdivisaient en grands

panneaux ou en vitrines. Les photographies étaient rassemblées en cinq groupes : le

premier rassemblait les portraits des informateurs principaux, le second traitait de

l’espace du village, le troisième traitait du monde des jardins, et le quatrième de la

chasse et de l’exploitation du sagou. Le cinquième panneau, le plus important,

rassemblait près de quarante photographies du rituel yangis et permettait d’évoquer

sous une forme panoramique les différentes étapes du rituel. Le dernier panneau était

consacré aux rituels de maladie. Le centre de la salle était occupé par les vitrines

réparties selon un « axe » masculin/féminin, faisant écho au plan du hameau Iafar

décrit par Juillerat. Deux grandes tables étaient placées en vis-à-vis et présentaient des

objets associés aux hommes (outils d’os et tambours) et des objets associés aux femmes

(des sacs en filet, des jupes ainsi que des contenants collectés par Barry Craig auprès de

populations voisines). La vitrine installée à l’entrée de l’exposition exposait une

sélection de publications de Bernard Juillerat. Elle faisait face au panneau présentant

les photographies des informateurs. Face aux trois panneaux consacrés à la vie du

village, aux jardins et à l’espace sauvage étaient dispersées trois longues vitrines

présentant successivement les parures constituées de coquillage, l’outillage en os et les

parures en plumes. Le mur principal de la galerie d’exposition présentait trente

panneaux peints, vestiges de masques employés lors de rituels de guérison. Une

dernière vitrine présentait l’outillage de pierre où étaient rangées en vis-à-vis des

lames d’herminette à tranchant droit (associées au masculin) et des lames à tranchant

circulaire employées pour débiter la moelle du sagoutier (ces dernières sont associées

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80

au féminin). Une dernière table présentait une sélection de flèches et un arc (ce dernier

provenant d’une région voisine, l’arc collecté par Bernard Juillerat et cédé au musée

n’ayant pu être retrouvé).

8 Les vitrines comme les panneaux constitués de photographies étaient accompagnés de

textes de deux sortes. La pensée de Bernard et ses méthodes étaient illustrées au moyen

de citations empruntées à ses publications en anglais. Une vingtaine de citations

venaient ainsi rythmer le parcours de l’exposition. Par ailleurs de courtes synthèses

explicitaient les thèmes illustrés par les photographies. Enfin, de larges banderoles

venaient séparer les différentes sections. Elles étaient peintes de reproductions

monumentales de dessins sur le sol des Iafar empruntées à l’article de Juillerat publié

dans Objets et Mondes.

9 L’exposition a été inaugurée en présence d’un public important et a débuté par de

nombreux discours comme il est d’usage lors de toute manifestation publique à Port

Moresby. Durant l’exposition, un public scolaire nombreux est venu visiter l’exposition

qui leur a été présentée par le personnel chargé de l’accueil du musée. Ce dernier avait

été formé lors du montage de l’exposition. Nous avons souhaité évoquer les réactions

du public en terminant cet article par deux interviews de visiteurs.

Interview de Fa’afo Pat, ancienne directrice dudépartement Linguistique de l’University of PapuaNew Guinea (18/11/2008)

10 « Many people know about these things. In term of awareness, it can play an excellent

role. It was done earlier [these artifacts and publications] and a lot of Papua New

Guinean was not literate, so they couldn’t access such material. Papua New Guinean

anthropology exists in an oral form. This exhibition goes with Papua New Guinean

government attempts to record cultures. It enriches that heritage and supports

government attempts. It created a lot of awareness. These things are very rare in term

of exhibitions; we have very little number of exhibitions of this kind here. It is

uncommon. Most of these works are in libraries and these publications are much more

for academics than for ordinary Papua New Guineans.

11 In a way anthropology is very subjective. Exhibitions are an ideal method to create

awareness amongst non academics. When I speak of awareness, I mean ideas about

anthropology and about their culture, the cultures of Papua New Guineans. Some

people can say: “this is not true”, this is what was said about Malinowski or about

Mead. It gives an opportunity to young Papua New Guinean to be critical (subjectively

critical) about their own culture and about other people visions and understanding on

their culture.

12 There is now a global movement for preserving indigenous languages and cultures.

This is part of a global agenda. Holding an exhibition, it is opening awareness for

preservation. Preservation is important because it is a matter of history and then

because it is related to our identity and because it deals with aesthetic values. It gives

us an opportunity to study the concept of change and development. Cultures are

necessarily in changes. If we don’t understand who we are, then how could we

understand where we are going? Finally, it is part of knowledge. Culture is the

embodiment of knowledge.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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13 Museums are visual recordings of culture, but culture at a distant stage. They record an

earlier point in culture. For example, now Nigel Oram gave a description of my culture

[Motuan culture]. My children will never access my culture at the time he worked

amongst us. But thanks to his research, they will have access to their past culture

through museum displays and publications.

14 It also creates a possibility for discussions about culture since it implies a detachment.

It is a very rich from an academic perception. »

Interview de Muzeri Mugang, étudiant à l’University ofPapua New Guinea (19/11/ 2008)

15 « I like especially the tools they had and they used for various purposes. Their houses

were also interesting; the way they build their houses to be separated from animals.

There were also the weapons, the spears, the way they sharpen them…

16 Exhibitions can play a very big part, wake people, be aware and value their culture. The

use of culture for survival. To see that it is unique in PNG and in the world. I am from

Morobe Province, but I was raised in Hagen, in the Highlands. I came to realize that

there are some people who are similar but also different. It helps to find and appreciate

my own culture. Seeing that people appreciate Iafar culture helps me to value and

appreciate my own culture. I think anthropologists and linguists shall develop written

records, photographs and videos. These things can help a lot. To have people more

interested in their culture. Culture is important because it is our identity. If not, we will

loose our identity. It is something which is closely attached to us. For someone who

grows up in town and if he/she goes back to his/her village, he/she will feel that he/

she is not part of them. It is not said officially, but it is something we feel. I appreciate

the way you do or anthropologists display our culture to the world and mostly to us. To

make us appreciate who we are, and to make us see our uniqueness in the world.

17 As a PNG, I would like to do similar things like that but it involves money and money,

here is a problem. Our artifacts, some of them are still here, but many were sent

overseas. They were taken away from us. It is better if they can stay with us and the

people can come to visit us and see them. »

Commentaire

18 Les deux interviews évoquent l’expérience d’une visite au National Museum and Art

Gallery et les deux personnes interrogées y développent une réflexion sur leur propre

culture et les questions qui se posent à elle dans un contexte globalisé. Je ne sais pas si

ces manières d’envisager le rôle d’une exposition, à savoir l’exposition comme une

incitation à préserver sa culture et, à travers elle, l’identité des individus, sont le fait du

haut niveau d’éducation de Fa’afo Pat et de Muzeri Mugang. Le National Museum and

Art Gallery est un lieu culturel peu fréquenté par les habitants du pays. À ma

connaissance, il n’existe pas d’étude sur la fréquentation du musée et sur les attentes

des habitants de Port Moresby vis-à-vis du musée. Le département culturel du musée a

entrepris une politique d’accueil en direction des écoles et, depuis, les classes sont

reçues par un guide qui présente les collections du musée. Mais il n’existe pas de

politique culturelle en direction des adultes. On peut néanmoins mesurer la place du

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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musée dans la société contemporaine en Papouasie Nouvelle-Guinée par le nombre

d’articles qui lui sont consacrés dans la presse quotidienne. Deux affaires récentes ont

provoqué des réactions argumentées de la part des journalistes et des lecteurs : la

découverte et l’exportation aux États-Unis d’une épave d’avion de la Deuxième Guerre

mondiale et l’ouverture au public de la donation John Friede, la Jolika Collection, au De

Young Museum à San Francisco. Dans les deux cas, les journalistes comme les lecteurs

se sont émus de la perte de ce qu’ils considéraient comme leur patrimoine. À la lecture

de ces articles et en prenant en compte les différentes réactions qu’ils ont suscitées,

tout en craignant d’être trop général, il semblerait que le musée national est d’abord

considéré comme un lieu de préservation avant d’être un lieu de présentation. La faible

fréquentation du musée ne serait pas le signe d’un désintérêt de la population quant à

son patrimoine culturel, les articles ayant trait à ces deux affaires démontrent le

contraire. Le musée aurait plutôt pour mission de veiller au maintien dans le pays

d’objets dont la conservation dans les communautés d’origine devient délicate soit que

ces objets sont convoités par des marchands peu scrupuleux soit que leurs détenteurs

voient dans leur présence une menace pour la communauté. Le musée est donc le

dépositaire, pour de multiples raisons, d’objets sur lesquels les communautés

conservent des droits. Cela explique peut-être pourquoi le musée de Port Moresby a

rarement organisé d’expositions temporaires sur ses collections. Mise à part

l’exposition consacrée aux Iafar et à Bernard Juillerat, les expositions des cinq

dernières années au musée national ont accueilli des œuvres qui n’appartenaient pas à

ses collections. Aucune d’entre elles n’avait d’ailleurs été organisée par le personnel

scientifique du musée mais par des commissaires d’exposition extérieurs.

19 En septembre 2007 a eu lieu à l’hôtel Holiday Inn une exposition organisée par le musée

national. Celle-ci se voulait programmatique et affirmait que le rôle du musée était en

priorité d’accueillir un public local dans le but de présenter la diversité des cultures du

pays et de jouer un rôle capital dans la construction du pays en tant que nation. Le

principe réaffirmé à cette occasion et qui avait été à l’origine de la construction du

musée était qu’une meilleure connaissance des différentes cultures du pays permet de

mieux faire dialoguer la multitude de communautés qui constituent la Papouasie

Nouvelle-Guinée d’aujourd’hui.

20 C’est ainsi qu’à travers cette exposition les visiteurs se sont trouvés confrontés à eux-

mêmes en tant que porteurs de mémoire. Ce qu’ils voyaient à travers l’exemple des

Iafar et des recherches anthropologiques portant sur eux, c’était leur propre image en

tant qu’individus porteurs d’une culture collective et la manière dont la modernité

transmet leurs valeurs et leurs manières d’appréhender le monde. Il est également vrai

que les habitants actuels de Papouasie Nouvelle-Guinée portent un intérêt assez

considérable aux cultures de leurs voisins comme en témoigne l’attrait de magazines

promotionnels tels que Paradise Magazine, une publication distribuée à bord des vols de

la compagnie aérienne du pays. Il est également vrai que les publications

anthropologiques sont peu accessibles, même à l’University of Papua New Guinea où ces

ouvrages ne peuvent être empruntés et ne disposent pas d’un catalogue facilement

accessible. Le musée, malgré sa fréquentation limitée, continue à vouloir jouer un rôle

dans la diffusion des connaissances sur les cultures du pays.

21 Il reste pourtant difficile d’évaluer à travers l’exemple de cette exposition, construite

en peu de temps et sans moyens, quelle est la lecture qui peut être faite de l’œuvre de

Juillerat en Papouasie Nouvelle-Guinée. Il apparaît que les écrits de Bernard Juillerat, et

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sous une forme modeste l’exposition qui lui était consacrée, parce qu’ils mettent en

valeur une culture du pays, sont bien accueillis par les visiteurs mélanésiens. Tandis

que s’installent des stéréotypes négatifs sur le pays (corruption, violences, dérèglement

étatique), la valorisation des cultures mélanésiennes constitue une sorte d’échappatoire

et offre une possibilité aux habitants du pays de se construire une identité plus digne.

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National Film Institute.

NOTES

1. Nous avons repris l’orthographe utilisée par Bernard Juillerat jusqu’en 1983 car, lors de la

donation au National Museum and Art Gallery, les objets ont été enregistrés sous le vocable Iafar.

À partir de 1983, Bernard utilise l’orthographe Yafar.

2. Une autre collection d'objets de cette région a été donnée au musée de Bâle par Bernard

Juillerat.

RÉSUMÉS

D’août à novembre 2008, le National Museum and Art Gallery de Port Moresby a présenté une

exposition intitulée A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar1 between symbols and artifacts . Cette

exposition a permis de présenter une partie de la collection rassemblée par Bernard Juillerat et

donnée au musée en 1974. Cette exposition a été le fruit d’une collaboration entre l’université de

Papouasie Nouvelle-Guinée et le National Museum and Art Gallery. Ce fut l’occasion de

s’interroger sur les collections ethnographiques en Papouasie Nouvelle-Guinée et sur les

différents moyens de les présenter à un public mélanésien. Les collections du National Museum

and Art Gallery abritent plus de 80 000 objets dont seule une infime partie est présentée dans les

salles d’exposition permanente. Cette exposition a donc été l’occasion de faire le point sur une

partie de cette collection et de présenter un choix d’objets de manière à refléter certains aspects

d’une culture de la Sundaun Province. Elle était aussi consacrée aux recherches que Bernard

Juillerat a menées durant plus de trente ans chez les Iafar. Parallèlement à la présentation des

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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objets, l’organisateur de l’exposition a proposé une réflexion sur la nature des recherches

anthropologiques et de ses liens avec la culture matérielle à travers l’exemple de Bernard

Juillerat.

From August to November 2008, The National Museum and Art Gallery of Port Moresby presented

an exhibition titled A tribute to Bernard Juillerat:The Iafar between symbols and artefacts. The

exhibition displayed a part of the collection gathered by Bernard Juillerat and given to the

museum in 1974. This exhibition was a joint project between the University of Papua New Guinea

and the National Museum and Art Gallery. It was the opportunity to raise questions about

ethnographic collections in Papua New Guinea and different means to display them to a

Melanesian audience. The collections of the National Museum and Art Gallery host more than

80 000 artefacts out of which a very small percentage are presented in the display galleries. This

exhibition was then an occasion to assess a part of the collection and to present a selection of

these artifacts in order to reflect certain aspects of a culture of Sundaun Province. The exhibition

was also intended to reflect the research Bernad Juillerat conducted for over 30 years among the

Iafar. Alonside artifacts, the organizer of the exhibition proposed a reflection on the nature of

anthropological research in relation to material culture through the example of writings and

photographs of Bernard Juillerat.

INDEX

Mots-clés : art, collections muséographiques, University of Papua New Guinea, Yafar

Keywords : art, collections, Museum, University of Papua New Guinea, Yafar

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Hommage à Bernard JuilleratUn interlocuteur des psychanalystes

André Green

1 Le XXe siècle a vu diverses tentatives d’échange entre anthropologues et psychanalystes.

Bernard Juillerat nous en a donné une recension complète1. Pour ma part, je m’en

tiendrai à l’essentiel. Une première approche a vu le jour aux États-Unis après les

travaux de Ruth Benedict, Margaret Mead et Abram Kardiner (qui fit une psychanalyse

avec Freud). Elle fut connue sous le nom d’anthropologie culturelle. Elle avait surtout

pour but de décrire comment les modes d’éducation différents selon les ethnies

façonnaient les mentalités des individus qui les composaient. Ce mouvement connut

une certaine vogue, mais ne prit guère en France où son influence fut superficielle et de

courte durée.

2 Un deuxième essai vit la visée d’annexion de Claude Lévi-Strauss par Jacques Lacan.

Lacan, qui était venu grossir les rangs du structuralisme, avait cru trouver un appui

chez Lévi-Strauss qui n’avait rien à faire d’une telle allégeance. Lévi-Strauss laissa dire

et attendit la mort de Lacan pour exprimer à la fois toutes ses réserves à l’égard de

Freud et avouer sa radicale incompréhension de Lacan dans La Potière jalouse. Enfin,

Bernard Juillerat réussit là où les autres avaient échoué. Je tiens son ouvrage Penser

l’imaginaire, sous-titré Essais d’anthropologie psychanalytique, pour la marque de son

succès. Il mérite de figurer parmi les œuvres majeures des anthropologues faisant état

d’une authentique connaissance de la psychanalyse.

3 Bernard Juillerat fut l’auteur d’une œuvre anthropologique aboutie avant de

s’intéresser à la psychanalyse… Les Enfants du sang en témoigne. Mais c’est avec Shooting

the sun (1992) que débuta notre collaboration, Juillerat m’ayant demandé de participer à

cet ouvrage collectif. Il avait travaillé sur un rituel yafar, population du West Sepik en

Papouasie Nouvelle-Guinée. Il avait repris les conclusions d’Alfred Gell et renouvelé

profondément la compréhension de ce rituel. Il publia son étude et y adjoignit les

commentaires de plusieurs collègues étrangers. Il eut l’idée de solliciter à cette

occasion les remarques de deux psychanalystes et me choisit à ce titre. Ce que j’écrivis

eut l’heur de l’intéresser. C’est alors que commença une relation qui se poursuivit

jusqu’à sa mort.

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4 Depuis cette date, nous n’avions cessé de dialoguer ensemble au fur et à mesure de la

progression de ses connaissances psychanalytiques. Bernard Juillerat n’était pas de

ceux qui se contentent de quelques citations de Freud pour conclure rapidement à la

pertinence d’une référence à la psychanalyse pour l’anthropologie. Sa bibliographie

permet de se rendre compte de ce qu’il était aussi lecteur de Jung, Klein, Lacan et de

bien d’autres psychanalystes contemporains dont D. Anzieu, B. Brusset, R. Cahn, S.

Isaacs, R. Kaes, J. Kristeva, O. Mannoni, J.-B. Pontalis, P.-C. Racamier, G. Rosolato, H.

Segal, D. W. Winnicott et moi-même.

5 Une formation psychanalytique est exceptionnelle chez un anthropologue. Lorsque je

pense à nos rencontres, je crois qu’elles ont aidé Juillerat à s’orienter dans le magma de

la littérature psychanalytique. Nos entretiens éclairaient telle ou telle prise de position

de Freud, son pourquoi, son comment. Plus encore, la diversité des points de vue

exprimés dans la littérature psychanalytique faisait l’objet d’explications de ma part

sur les orientations théoriques de tel ou tel auteur post-freudien, sur les raisons de ses

choix, de ses options. Pour finir, Juillerat était instruit, en profondeur, des options

singulières des psychanalystes, ce qui lui permettait de faire ses propres choix de

manière éclairée.

6 C’est donc sur une réflexion très documentée que l’auteur développe ses idées sur

l’anthropologie psychanalytique. Dans Shooting the sun, il n’hésite pas à prendre le

contre-pied de positions ayant valeur de dogme, en cette période d’hégémonie

structuraliste dont Lévi-Strauss est le porte-drapeau. Certaines affirmations

courageuses peuvent être lues comme des déclarations de guerre, telle : « Le sens

détermine la structure ». Le sens, que Juillerat tente de défendre, y opère à un niveau

infrasocial. Il défend le statut primordial de ce dont parle la psychanalyse. Pour

Juillerat, psychanalyse et anthropologie traitent d’un matériau particulier de type

psychologique universel. Ainsi, dans Shooting the sun, il écrit : « le sens est lié

principalement à la sexualité et à la reproduction ». On sait que si Lévi-Strauss s’est

beaucoup intéressé à la parenté, il a plutôt négligé la sexualité et la reproduction. Pour

Juillerat, sexualité et reproduction sont des productions génératrices du sens et non de

sens. Les paramètres qui y sont liés ne sont donc pas à inclure dans une liste de

catégories parmi d’autres. Ils méritent d’être individualisés et considérés à part.

Juillerat écrit :

« Je pense que présentement la psychanalyse comme composante del’anthropologie est la discipline qui peut le mieux éclairer les contenus culturelsdits “symboliques” et en préciser, le cas échéant, l’origine psychique sous-jacente. »(Juillerat, 2001 : 7)

7 Juillerat résiste encore à la mode en produisant une critique impitoyable de ce qu’il

appelle la dérive cognitiviste. Il écrit :

« Quand on se retourne sur l’histoire de la pensée anthropologique, on voit qu’elle aprogressé par une succession d’engouements successifs, toujours excessifs etexclusifs des approches antérieures ou concurrentes, par une guerreinterdisciplinaire larvée, où le progrès scientifique était encore trop facilementconfondu avec la recherche du nouveau à tout prix. Le temps est venu decomprendre qu’il s’agit au contraire d’abandonner les réductionnismes et des’orienter vers une complémentarité méthodologique non éclectique mais sélectivepar souci d’adéquation à l’objet, soit de vérité. » (ibid. : 53-54)

8 Avec Juillerat, les discussions sur l’universalité du complexe d’Œdipe prirent un tour

nouveau. Au lieu de vérités sempiternellement enfermées dans la répétition des mêmes

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arguments qui aboutissaient à se retrouver dans les mêmes impasses, avec lui, l’Œdipe

prenait un sens plus ouvert. Il ne s’agissait plus de se laisser enfermer par le manifeste

inlassablement répété, mais de comprendre qu’on avait affaire à une structure qui

pouvait varier selon les cas et présenter selon les circonstances un aspect mettant en

valeur un MutterKomplex comme dans Yangis ou des variations où la relation père-fils

pouvait se dissimuler derrière un conflit frère aîné/frère cadet. Ailleurs, la punition

infligée au fils incestueux pouvait prendre la forme d’une réingestion forcée à travers

le vagin de la mère, empêchant sa naissance ou le rendant à jamais prisonnier du

ventre maternel.

9 Petit à petit, la réserve naturelle de Juillerat, qui le poussait à refuser les invitations à

parler au public, céda, car il fut probablement convaincu que le public devant lequel il

se produisait avait à son égard une attitude bienveillante. Il était en effet connu des

membres de la Société psychanalytique de Paris (SPP), auxquels il s’adressa d’abord par

écrit, puis ensuite oralement. Il devint écouté et respecté.

10 Pourtant, Juillerat n’était pas un homme à céder sur des idées qu’il croyait importantes

pour fuir la controverse. À l’époque, les psychanalystes intéressés par l’anthropologie

étaient surtout des lacaniens en mal de soutiens recueillis dans les rangs de Lévi-

Strauss. Il fut donc un allié précieux pour défendre l’existence d’une anthropologie

psychanalytique indépendante. À sa suite et déjà de son vivant, d’autres

anthropologues qui lui étaient proches – J. Galinier, P. Bidou, G. Gillison – explorèrent

les voies qu’il avait ouvertes. Espérons qu’après sa disparition ils auront à cœur de

prolonger les pistes qu’il a proposées et dont il fut le premier à avoir le courage de

montrer la fécondité qu’on avait à les suivre. En ce qui me concerne, j’ai le sentiment de

n’avoir pas seulement perdu un interlocuteur mais aussi un ami.

BIBLIOGRAPHIE

JUILLERAT Bernard, 1992. Shooting the sun: Ritual and Meaning in West Sepik, Washington,

Smithsonian Institution Press.

—, 2001. Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, Lausanne, Payot-Lausanne.

NOTES

1. Voir le chapitre I de Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique.

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Flying away like a bird: An instanceof severance from the parentalabode (Iwolaqamalycaane, Yagwoia,Papua New Guinea)Jadran Mimica

1 In a longer personal communication with Professor Juillerat during August 2004 I

expressed my admiration for his outstanding corpus of ethnography of the Yafar life-

world1 in the Sandaun (West Sepik) Province. I also expressed my hope that his writings

will contribute to the revitalisation of psychoanalytic ethnography and psychoanalytic

thinking in anthropology well outside the Francophone milieu despite the fact that his

three major books (1991, 1995, 2001) have remained untranslated. I present this paper

in homage to his legacy in the psychoanalytic exploration of New Guinea life-worlds,

sociality and their cultural imaginary matrix. My scope will be ethnographic, a single

case-study from Iwolaqamalycaane, a Yagwoia-Angan territorial group in the montane

region of interior Papua New Guinea intersected by the borders of three provinces:

Morobe, Gulf, and the Eastern Highlands Province2. The general subject-matter is the

dynamics of the father-son relationship with the focus on the pivotal Yagwoia notion of

the «incorporation of the father’s bone» and, correlatively, the «bone-power» (see

Mimica, 2007: 5-6; 2007a: 77-105; 2008: 168-169)3.

2 «Bone» condenses the paternal phallic – i.e., semenal-spiritual – power contained not

just in the father’s genitals but in the entire skeleton which in the Yagwoia

understanding of the bodily edifice is an arboreal structure and as such, a phallic-

ouroboric totality that generates its own animation4. Reciprocally, this bodily

microcosmos is animated by the macrocosmic metabolism generated by the

movements, light and differential temperature of the sun and moon. This means that,

like any tree, the bone (metonymically meaning the entire body as a phallic gestalt) is a

generative organism whose trunk is rooted in the earth while the branches and leaves

extend skyward. In the most expanded terms, the bone, then, is the human

embodiment as the microcosmic equivalent of the macrocosmic edifice of the world

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delimited by the sky and earth (Mimica, 2006: 33). In terms of this global image (body =

tree) the notion of the «father’s bone» means that he is primarily a bigger branch (arm)

closer to the trunk (spine = central axis of the body), while his sons at first are the

smaller branches (hand-fingers) issuing from it. Later, when they replace him, they, in

Yagwoia understanding, extract his bone and, in turn, the sons themselves become

incorporated into the branch closer to the trunk from which, qua themselves, issue

their own branches (children).

3 Daughters too are the branch-issues, but their destiny is to be like the leaves (finger-

nails) that detach from the trunk because they marry outside of their own paternal

«trunk» (latice group) and enable other trunks and their branches to internally

reproduce themselves, i.e., that the fathers become replaced by their progeny of which

the sons continue the process of (endo-) generation of the trunk via the incorporation

into its branches which in turn are being incorporated into the trunk. The process is

one of self-reciprocal incorporation (Mimica, 1991, 2006). Moreover, every part of this

self-totalising totality is identical to the whole (i.e., is hologramic) concretely imagined

as a tree closed in on itself, i.e., its branches and roots intertwining. This is the

archetypal, cosmic tree-of-life whose structural determination is ouroboric because,

like the serpent that eats its own tail, this tree grows in-through-and-out-of-itself, ad

infinitum. Thus, the roots = trunk = branches = leaves = whole tree = trunk = roots =

branches =and-so-on-∞. Apart from their cosmology and its diverse forms of

actualisation, this scheme is fully objectified in the Yagwoia naming system (Mimica,

1988, 1991).

4 As a concrete reality, the dialectics of the incorporative process, which could readily be

typecast as «patrifiliation», can be adequately understood only through individual-

biographical life situations and trajectories. Psychoanalytically, in its determining

structural dynamics incorporation of the paternal bone is an original and irreducibly

pre-Oedipal constellation of desire in which the father fundamentally abdicates his

phallic power («bone») to his sons. What may appear as an Oedipal (ternary) relational

circuity, constitutive of the social field and its morphology, is an original morphism

driven by a primary, narcissistic automorphic dynamism. Following Neumann (1954,

1966), I characterize it as «ouroboric» (Mimica, 1991, 2003). One of its diacritical aspects

is the equipotentiality of the life-and-death instinctual drives (libido-mortido) whose

specific articulation is a function of the actualisation of every concrete person’s life,

i.e., his/her biographical vicissitudes in the field of kinship relatedness (Mimica, 2003,

2007a, 2008). Fundamentally, even in the most non-conflictual modalities of

relatedness, the ouroboric dialectics of Yagwoia fatherhood and sonship subsists on

immanent desire for the death of the father, it being the condition for the transference

and the continuation of his bone-power in the son. Such in brief is the cosmo-

ontological background of the following exploration into the un/conscious5 dynamics

of Yagwoia intra-familial core-circuity.

5 I came to know UlaqWapace6 over a period of three years in the mid-nineties (ca

1993-1996) while he was in his mid teens (13-16). Within his field of kinship relatedness

he was occupying a position whose limitations he grasped very early on in his young

life. UlaqWapace is the fourth-born (pacoqwa) and the youngest son by his father’s first

wife Waponaqa. Within his sibling group, UlaqWapace was in the most disadvantaged

position: the youngest in a double, cross-sex series of siblings and without his same

birth-order sister, i.e. the proper contra-sexual mirror-self (see Mimica, 1991). To the

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extent that he has three sisters, they are primarily so to his three older brothers with

whom they formed the same birth-order couplets while UlaqWapace himself is a

humayoqwa7, literally one who is «without» a complement. Therefore, for each of his

sisters there was another brother, older than UlaqWapace, who was her true cross-sex

complement and who as such had the undisputable primary claims in her fecundity,

bride-price, children and all their life-payments. UlaqWapace was entirely dependant

on his brothers’ good will to share their fraternal and sororal assets with him but he

had not that primary sororal-female domain which would allow him to claim her as

truly and exclusively his own procreative bodily estate and contra-sexual self.

6 I will make a brief reference to UlaqWapace’s patrilateral half-brother Ulaqayi, a trans-

gendered person, whose predicament I have explored in a separate study (Mimica,

2008). In Yagwoia imagery these two patrilateral half-brothers are of the same penis

(i.e., father) but different net-bags (wombs = mothers). Ulaqayi has only one older

brother and four sisters, two for each of them. But since he is primarily a woman rather

than a man, the elder brother claimed all their sisters for himself. One can say that

since Ulaqayi himself has always been his own female domain, and so in excess

(Mimica, 2008), he effectively undercut his access to the female fecundity of his sisters,

including the one who was of the same birth-order as himself. Although I will make no

further cross-references to Ulaqayi, an examination of UlaqWapace’s life-trajectory

against this tacit background will be particularly instructive since their penile

connection binds them to the same father, yet their respective «bone» (phallic)

dynamics vis-à-vis the father and their mothers, couldn’t have been articulated more

differently (ibid.). UlaqWapace eventually came to a conclusion that being the son of

his father and the brother of all his elder brothers (full and half) was untenable in the

given conditions and, as we shall see, he opted for a way out, realising in the process

that he had a bone-power, all his own, to give him strength and to protect him.

7 I got the first intimation of UlaqWapace’s appreciation of his intra-familial position

when I just casually remarked on the fact that Ulaqayi and his siblings were indeed his

close agnatic kin. To this UlaqWapace quite bitterly replied that they were, but all the

same, as far as their way of relating to him was concerned, they have become an

altogether different kind of people – the non-kin in no uncertain terms. Why? They

don’t care at all about him, meaning they don’t give him anything, be that food,

clothes, money, or anything whatsoever. It was a mood expressing the familiar outlook

on Yagwoia kinship relatedness generated by polygamous men where, indeed, the

siblings by different mothers are like separate satellite groups, each kept bound from

within itself by virtue of being the children of the same mother-planet, and orbiting

with other such mother-bound-units around their common solar centre, the father.

However, there are always individuals who not just feel and see themselves as being

excluded from the intersubjective flow of kinship giving and taking, but are actually

subject to such a deprivation. UlaqWapace was certainly in that position. This was

conditioned by the fact that he was the youngest of the lot and the fact that his father

didn’t seem to have taken him under his wing, which is what the youngest offspring

may expect. As the Yagwoia say, the last-born son (ulaqwa) is the father’s true vital

organ (qalye). UlaqWapace wasn’t8, and if there was a male person from whom he

expected a committed paternal concern that was his eldest first-born brother QW. In

the main UlaqWapace was ambivalent about him. Even his most luminous idealisations

of the big, grown-up brother and the father-surrogate couldn’t neutralise the

increasing frustrations produced by the latter’s failure to fulfil his little brother’s most

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basic wants and desire. A few times I saw that QW would give UlaqWapace a shirt, a pair

of trousers, maybe a tin of fish or a small gift of money, but not quite enough, which

would have meant a great deal in the little boy’s appetitive sphere. Perhaps, more

concern and tactful generosity from all three older brothers would have tempered his

resentment in regard to the more substantial issue, namely that they didn’t think it

necessary to share some of their sisters’ bride-price with their youngest one.

8 Whatever he might have felt about his father and the three older brothers in his early

life and teens, by the time I got to know him, UlaqWapace experienced all of them, and

for quite good reasons, as the differential refractions of one and the same ungiving and

uncaring negativity. He started his self-account with the characterisation of the father

as «not a good man (because) he doesn’t buy clothes (for his children) nor had he payed

for his sons’ women. Other people know us as this man’s progeny. But that is not so. We

ourselves do hard work and obtain women, clothes, and all other things. The brothers

go to town to work for money and buy all these things (women included). He is not a

good father; he only looks at us (i.e. depends on them). I am fed up with him». Here

UlaqWapace spoke of himself as one of the brothers and equivalent to them. Although

he was still young for getting a woman, in his own way he tried to fend for himself and

so from the earliest childhood, as we shall see. The strongest indicator of his fraternal

exclusion was that he had no share in the sisters’ bride-price:

« When I go roaming (to Yalqwaalye) on my own I bemoan this condition of mine.They (the brothers) are not willing to tell me – “take some money and go buysomething for yourself”, not truly! They’ve got sisters and they don’t say – “take abit of the money from the sister”; they don’t think of giving me some. »

9 This perception also applied to his two patrilateral half-brothers (Ulaqayi and his older

brother) about whom he said:

«they don’t know to help me with anything.»

10 And he wasn’t exaggerating.

11 UlaqWapace judged all of his closest agnatic brothers in terms of the most basic

Yagwoia premise of interpersonal evaluation which is whether one has been given

something by somebody or not. Thus:

« When my three brothers went to Rabaul (to work on plantations) they didn’t giveme anything. When they returned they brought three (transistor) radios. I askedthem to give me one but they didn’t hear me (i.e. disregarded his demand). »

12 And he is not another, alien person, but their youngest brother. Yet over and over

again, there was little of their supposed common substance coming his way from them.

UlaqWapace felt fundamentally as being left out on his own. He wasn’t seeing much of

his aging father because the latter wasn’t helping him. And as for all his brothers, he

said:

«I am fed up with them. They are not truly brothers.»

13 Throughout 1995 he felt that his life-space was a persecutory field with him caught in

the middle between his first-born and third-born brother who resided at two different

locations, and his father in the third, and each had nothing in store for him but an

unwelcome word and grudge. This was also due to the fact that his brothers felt that he

was giving them nothing more but his demands.

14 When asked from and on whose hand did he grow up9, UlaqWapace sketched out an

intricate picture of his earliest childhood symptomatic of his self-image and his

predicament in the family matrix.

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«When my mother bore me I stayed in a net-bag and she carried me around. Mymother carried me so and (after a while) I grew up a little bit. When I began to walkon all fours and became like Aa (a little girl we both knew well, aged 2-4 at thetime)10 my mother would go down to Ac (place) and leave me (alone). Now this timeI used to dig up cina (worm) from the ground, cook and eat it. I used to do so and Igrew up quickly by myself.»

15 Although little children, usually accompanied by an older child (sibling), do occupy

themselves with such food procurations, what is important is that he unreservedly says

that he was on his own and that he fed and made himself grew up by himself on the

lowliest of morsels, worms. However, this was in the context of a relative separation

from and absence of his mother. But he doesn’t claim that therefore he was his own

giving and growing hand. Rather, in exactly this context he had a dream in which the

spirit of his dead mother’s brother11 (WT; same birth-order as his mother) appeared

and told him:

« You will not stay thus (a little child) for a long time. You will grow up fast on myhand». Moreover, «he gave me a yellow some-thing and I put it into the mouth andthis thing dissolved in the mouth. I saw him thus in the dream and he told me “Youwill stay on my hand now” and I told him “Fine, I can stay so”. Then my mothercame but when you are still a child it is hard to talk to her (i.e. he didn’t tell herwhat happened in the dream). My mother killed a possum this time and gave it tome and I ate it. And this time I grew up fast. Then I knew that I didn’t dreamnothing. I grew up quickly and my brothers didn’t help me even a little bit. Thus Igrew up a bit more. »

16 Although he clearly sets himself in opposition to his unhelpful brothers, who also

subsume his father, which indicates that the dream experience and the self-account are

calibrated by his present perspective on his young life as a whole, I don’t doubt that his

dream is a genuine childhood experience which has a critical significance for his self-

consciousness and his un/conscious. The appearance of the dead «mother’s breast»

(MB) is symptomatic of the context of a relative separation from the mother, her

absence and, correlatively, his self-feeding. Yagwoia children learn very early on from

their mothers and other relations about the vital significance of their male «mother’s

breasts». The fact that UlaqWapace’s MB was dead at the time, suggests that he would

have been aware of him as a spirit for that is a factual aspect of Yagwoia existence of

which they are acutely mindful, especially in regard of deceased maternal relatives (see

Mimica, 2003, 2006). So, to the extent that in the Yagwoia life-world one’s «mother’s

breast» is said to be the true source of a person’s bodily growth, UlaqWapace had

received his maternal uncle’s feeding substance in a very literal sense: he ingested it.

What exactly that yellow substance was UlaqWapace didn’t say and from the way he

received it, he probably didn’t know what it was. But from the speedy growth that he

subsequently experienced he knew that it was something very powerful and efficient.

The dream was true.

17 From his MB’s oneiric annunciation follows that UlaqWapace grew up from and on the

hand of his male mother whose existence as a spirit also accentuates UlaqWapace’s

relative independence and separateness from the paternal and patrifilial bond that he

came to experience as frustrating and being without substance. Hence his final

statement that his brothers had no part in his growth also extends to his father. The

detail of his mother killing and giving him to eat a marsupial at the point after he had

incorporated his male mother’s breast’s spirit-food-substance (clearly related to yet

different from the carnal maternal milk) reinforces UlaqWapace’s stress on the

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maternal bond. In fact women do not hunt marsupials but receive them from their

husbands and classificatory sons especially in the context of childbirth prestations (see

Mimica, 1991). Indeed, there is an aspect of this maternal marsupial-giving which not

only neutralises the father’s significance in UlaqWapace’s growth but at the same time

relates it tacitly to marsupial consumption in the context of initiations through which a

boy is made into a man-made man. Although not explicitly stated, all this clearly

suggests that for UlaqWapace the transmission of his father’s bone, and therefore of

the articulation of his paternal mediation of the ouroboric phallic self-circuity, is

blotted out. In his self-experience as a one who kept on growing from the hand-bone

power of the spirit «mother’s breast», it is this maternal mode of mediation of the

phallus that has a high degree of saliency. He didn’t have to demand it or struggle for

its acquisition but it was put into his mouth. I can say then that his internal male

maternal self-object, which modified UlaqWapace’s purely maternal ouroboric

container, has been of pivotal importance from early childhood on. And this remained

unaltered since he, like so many (but not all) Yagwoia of his generation, hasn’t been

nose-pierced. On the other hand, the importance of the father and his fraternal

surrogate in his un/consciousness wasn’t abolished but has developed into a resentful

deprivation, which in that very mode only aggravates the desire for the negation and

destructive incorporation of the paternal bone-power. UlaqWapace’s unreserved

pronouncements that his father wasn’t good, on a par to all his brothers, is a

symptomatic indicator of this dynamics.

18 Throughout his young life the maternal sphere, centred on his M and MZ, remained

stable and supportive. It was in his mother’s garden that in 1995 he made his own taro

plot which she tended on the regular basis, while he was attending to it more

sporadically. As his MZ resided for a while in the Iqwaye territory he would stay with

her every time he would go into that area. Another man whom UlaqWapace readily

credits with showing care and concern for him is his first-born sister’s husband. He

worked for a few years in East New Britain at a plantation near Rabaul. When he sent

for his wife to join him he also explicitly asked for UlaqWapace to come with her.

Therefore UlaqWapace readily acknowledged that his ZH significantly contributed to

his bodily growth, as opposed to his father and brothers. After a few years UlaqWapace

returned to his home area together with his sister and ZH where he quickly fell back

into the position of a marginal young brother growing up ever more frustrated by his

predicament. Then QANg, related to UlaqWapace as a classificatory agnatic brother,

took him into his care knowing also that I would be able to hire him to cook for me

every time I was in the area doing my research. The money I gave him made him feel

less dependent on his brothers for cash and things it can buy.

19 Now in 1995, shortly after I finished my annual stint of field research, on the account of

his brothers’ persistent refusal to give him a thing or two they brought from Rabaul,

UlaqWapace went as far as Kainantu (Eastern Highlands Province) where he stayed

with a few men from his home-area. He intended to buy some clothes. However, he met

a local man who, UlaqWapace said, took pity on him and offered to sell him a substance

of great power that would make him strong, and in general protect him. This was a

human bone ground into fine powder by a masin (machine) and placed into a small

bottle. All one needs is to smear a mote of this powder on one’s chest and face, and/or

just open the bottle, then encircle oneself with it and it will impart its power to the

user; in other words, endow him with bone-power. That this was too tempting for

UlaqWapace is made clear by the sheer fact the he paid 50 Kina for this bone-power

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concentrate. Especially for him, that was a huge amount of money. The powder became

his most treasured possession about which he told me in the context of the explication

of a dream that he had in February 1996, just a few days before I left the field. By then

he had been using the secret bone-powder for almost a year. An explication of its

significance in the overall psychodynamics of UlaqWapace’s self will best be presented

in the perspective of that fateful dream. A veritable production of his oneiro-

mythopoeic un/conscious, the dream expresses with a heightened lucidity the decisive

existential threshold that UlaqWapace had reached in his life-trajectory. Although the

narrative form follows the vernacular version, I am giving it in a presentation whose

economy aims at the maximum and immediate clarity of all the details12.

20 (1) In the dream he is first inside a house, then he moves out and proceeds to walk. As

he does so he begins to fly and becomes fully airborne. (He later clarified that he just

put his two legs together and arms tightly close to his body which he stiffened and then

began to fly). He landed at a waterfall then he saw a man (whom he didn’t know)

coming towards him.

21 (2) Having looked at him coming, UlaqWapace wanted to fly off but at that very

moment this (unknown) man grabbed him. The man had a knife with which he

proceeded to cut UlaqWapace but the latter in turn blocked the knife and took hold of

it. UlaqWapace then turned on his attacker and began to cut him instead. The man

screamed in pain and while doing so many men began to come (to the place of

UlaqWapace’s mortal conjunction with the unknown attacker). They kept on coming

but UlaqWapace proceeded to deliver blows cutting them as he did so, and they in turn

were dying-falling and rolling all around the place. He vanquished them all.

22 (3) Then he sees another man coming towards the waterfall place where he killed all

those men. Him he recognised as his elder brother QW13. He asks him «Why did you

truly kill all those men?» and UlaqWapace replies to him «They fought me and wanted

to kill me, so I killed them». His big brother said «fair enough». Accompanied by his

brother-semblance, they two went to the same-as-Yakane place.

23 (4) Having arrived there14, the brother-semblance said: «Where do you want to go?»

UlaqWapace replied to him: «You go where your thought wills to go; you carry on as

you will. I will go where my thought wills to go». He then began to move and he flew

away; flying thus he came and sat on a tree.

24 (5) He then sees a man (he doesn’t know him) down yonder coming towards the tree on

which he is sitting. He comes to the tree, comes up and grabs UlaqWapace. He screams

and wakes up shaken up.

25 (6) As he was shouting (and coming out of the dream experience) he thought that it was

someone outside (the house) voicing rather than he himself. Then he realised that he

himself was screaming. Distraught he woke up trembling. That is what he saw in the

dream.

26 When I asked UlaqWapace what did he think might be the meaning of his dream, he

initially said that he didn’t know but then immediately continued to elaborate on the

fact that him killing so many men (in the dream) has to do with his secret possession

that he obtained in town, i.e. his bone-powder power. «Nobody can touch me» he said,

i.e. do harm to him because it protects him. This is how I learned about his secret

source of power. In the conversation I clarified with him various motifs and details

featuring in the dream without further asking him about this – for him – central

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significance of the dream. The next day he came to tell me that his dream was not for

nothing. Rather, he now realised that in the dream his soul (kune umpne) went to fight

men as a test of the power in his possession, for its purpose is to give him muscle-

strength to fight men. He was clearly content with this understanding which quite

straightforwardly followed from the dream itself since he indeed did vanquish all those

men who wanted in the first place to kill him. On this score he added a few details in

the Tok Pisin version of the dream narrative. Following the initial attack by the first

unknown man whom UlaqWapace managed to overcome, take his knife, and cut him

(2), the man screamed and then a multitude of men attacked UlaqWapace at the

waterfall place. Before he managed to vanquish them, he said that they first overcame

him so much so that he was half-dead. But then he got up again, grabbed a knife from

them and proceeded to cut and throw them all over the place. Finally, just one man

again came at him with a knife but he pushed him and he fell into the waterfall and as

he did so, the dream-scene alters since at that point (3) there comes his older brother

QW who showed no disapproval of his younger brother’s action and accepted his

reasons for killing all those men. In the dream his brother also said that they wanted to

shorten his (UlaqWapace’s) life, therefore they got back in kind.

27 UlaqWapace’s self-understanding pivots on the manifest mode of his self-affirmation

over and against other humans, all of whom, except for his elder brother - the overt

double, relate to him with extreme violence and desire to kill him. At the same time his

counter-actions are not only commensurate but more powerful and efficient. It will be

noticed that in both instances of the uninhibited attack on him he manages to extract

the deadly weapon (knife)from his attackers and then turns it against them with lethal

efficiency. UlaqWapace doesn’t reflect on who and what these others may be and why

are they attacking him; he just doesn’t know them. He relates to his dream experience

on the basis of the self-synthesis that he and his un/conscious self had already

accomplished through the dream action, whereby he triumphed over these hostile

humans from which he wanted to fly away (separate) but one of them kept on pulling

him back. Nevertheless, he is gratified by the outcome and retrospectively he fully

consummates his newly won self-regard. He now knows that the precious bone-power

in his possession is truly in him, and he can feel self-assured that he can take on any

foe. And more; although the dream ends with him getting grabbed and pulled back just

at the point when he wanted to fly away again, it is also clear from the preceding

episodes in the dream that, nevertheless, he can deal successfully with such

interceptions of his project. There is already behind him a trail of violent severances

due to the fact that these unknown others wanted to block his intent to effectively fly

away from his home area.

28 The dream, then, fully articulates UlaqWapace’s rupture with his familial and the wider

societal container. His fundamental intent, to go away and be elsewhere, starts in the

primary container (house) within which he is situated. The motive force is, in fact,

autosymbolised by the overt dream-image: he starts moving out of the house, and the

next he is ascending in the comportment of a bird. In terms of the cultural un/

conscious of the Yagwoia life-world, which is incarnated and generated by

intergenerational succession of living humans, this avian transfiguration is virtually

self-intelligible because the human soul, on a par to its quiddity as breath-heat, is a

highly aerial, detachable and dispersible substance, and it is commonly metaphorised

as a bird. By the same token, this aerial ascent clearly shows that the dominant passion

of his soul is to release himself from the impasse of his domestic life-situation. For this

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he has to face his self-otherness, i.e. all those to whom he is attached, indeed from

whom he expects and demands the affirmation of his self through giving him some of

the things they possess (i.e. their substance), but they don’t yield it. In that

determination, the desire of and for himself which is invested in them, is

simultaneously self-alien and is turning against him. That was exactly his experience of

his father and brothers: the more he demanded and expected from them the more they

were unforthcoming and rejecting of him, and reciprocally the more he resented them

and saw them as being against him.

29 In the dream this negative self-mirroring takes the form of an extremely hostile and

attacking double. What has to be grasped is that it is a male figure, i.e. self-same as the

dreamer yet simultaneously indexed as self-different by virtue of him being unknown.

In the dynamic and diverse structuration of the archetypal figure of the double (eg.

Rank, 1979; Roheim, 1945; Lacan, 1979, 2006) the feature «unknown» can be taken as

one of the most common determinations of self-difference. But to the extent that the

dreamer’s acting self doesn’t know the approaching man and wants to fly away, it is

this other who acts in the mirror-opposite fashion: he closes in on him and by that sheer

fact shows that he is more than interested in the dreamer. The two are literally in the

flight-fight mirror relation. The other’s very alienness (being unknown to the dreamer-

self) is the mirror inversion of their seeming non-relation. But the other proceeds to grab

the dreamer-self and thus establishes the most intense body-to-body relation. The

other claims him through a deadly conjunction; of the two it is the alien who seemingly

wants to annihilate and thus make the dreamer’s self the recipient of the other’s self-

drivenness and desire to destroy him. In this extreme negative mirror-conjunction

UlaqWapace reverses the circuit of the other’s desire: the other wants to knife him but

UlaqWapace in turn seizes the instrument of destruction and the flow of nihilating

desire is reversed (this much UlaqWapace himself later has told his brother in the

dream).

30 At the moment when his foe gets the taste of his own destructive desire (i.e. the

dynamism which drives it), he screams in pain and there ensues a whole phalanx of his,

I can say, replicants. Here one sees at work the totalising or «holographic» dynamism

that sustains this kind of imago of the mirror-double dominated by extreme

destructiveness which, in fact, is the non-differentiated libido-mortido (or destrudo).

This indeed is a regal characteristic of the primordial sphere of psychic energy and its

auto-constructive dynamics15. In the ensuing sonic rupture (screaming), the monadic

double has engendered a multitude of his replicants who with the same destructive

inertia attack the dreamer. From the one comes an indefinite multitude and they all

converge on the dreamer’s self who as such continues to be the magnetic mirror-

complement of the negative monad which they just replaced and multiplied.

31 After initially succumbing to their monomaniacal ire UlaqWapace reverses this

confluence of the many into one (i.e. himself) and destroys them all. Then there comes

the last nihilating attack as a terminal echo of the first conjunctive monad; as

UlaqWapace pushes him into the waterfall this dynamism gets extinguished at last.

This entire sequence of negative, disjunctive-conjunctions with the double has the

following mirror-hologramic articulation: self - other (one^one)16 > self - multitude of

self-same others (one^many ones) > self - other (one^one)17. The terminal extinction of

the monadic unknown other (double) is followed by the appearance of a new but

entirely familiar double in the semblance of QW, who is both UlaqWapace’s elder

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brother and the surrogate father. But before I elucidate this new mode of mirror-

coupling with a positive other, who incarnates UlaqWapace’s bone and flesh identity, it

will be important to say a few words about the probable significance of the waterfall

locality where the earlier carnage of a conjunction took place.

32 To be sure, this entire scenario of a bloody fight with a double, especially its multiples,

at an aquatic location, has a parallel not only in the dream scenarios of several other

Yagwoia individuals, but it also occurs in a ququne (word, talk, i.e. story, narrative)

widely known among old and young, especially in UlaqWapace’s home area. The focus

of this narrative, however, is not just on the bloody fight but on a water-whirlpool

which devours the vanquished men who fall into it. In other dreams these details vary

but as the variants of an overall constellation of details which belong to the still

recognisably self-same imaginal scenario and which, through further modifications and

alterations, may become transfigured into a considerably different one that

nevertheless echoes the original. This is exactly the relation between that imaginal

scenario widely known through the existing narrative and those occurring in

individual dreams of which UlaqWapace is one particular example. I didn’t ask

UlaqWapace if he new this particular story but it is safe enough to assume that he

probably did since some other locals of his age, male and female, do. Be that as it may,

the intersubjectively shared narrative variant of the imaginal scenario does not make

UlaqWapace’s oneiric creation any less original precisely because no perceptual or

cognitive experience of something is just a copying activity. Rather, experience is a

total psycho-organismic and as such assimilative-constructive process subject to the

specific cathexes18 of the egoic self 19 that is making an experience his/her own. If

anything, the intersubjectively shared scenario acquires a new dimension of

signification precisely by becoming assimilated into and reworked within the un/

conscious matrix of UlaqWapace’s self and his life-situation. Hence its irreducible

oneiro-mythopoeic originality. Having said this, I will not go into detailed exegeses of

the significance of the devouring water which in UlaqWapace’s dream is really a less

pronounced motif, occurring as an omissible detail. A comparison of the recorded

variants, dreamt and narrated, as well as their resonances with other related motifs,

would show that it is a manifest image predicated of the maternal phallic ouroboric

body-scheme focussed on its oral orifice, a totalising part-object in which the sucking

infant’s mouth and the nipple = eye = breast = face = mother = world generate a

ceaseless centripetal sense of the self-world relationship20. This is concordant with the

pre-oedipal structuration of the drive matrix and the fused libido-mortido which as

such determines the auto-constructive dynamics of the Yagwoia libidinal body-image

and the egoic self21.

33 However, what is more prominent in UlaqWapace’s dream scenario is that the bloody

self-other conjunctive-disjunction takes place by a waterfall into which, eventually, the

terminal negative double falls and with it the destructive dynamism ceases. I have no

UlaqWapace’s associations on this motif. For him, the entire dream is intelligible in a

synthetic unity of the dream action produced as such by his soul which made evident

that the bone-power he bought is now well and truly in him. I will draw on the implicit

ramifications of his self-regard and the following wider cultural cluster of significations

of waterfall:

as a place that can be chosen for the depositing of the neonate’s umbilical cord; 1.

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in the Yagwoia life-world (as in numerous others) water is a female substance and

specifically as a waterfall it expressly symbolises womb (whirlpool) and its vaginal opening

(which for the Yagwoia has oral determination);

it thus also relates to the images of the womb as a house and the house broken by swollen

water as the child-birth22;

relating to this waterfall/whirlpool figures as an entry into the intra-terrestrial realm of the

wild forest spirits and therefore of their powers23.

34 These few specifications form a sufficiently dense cluster of the waterfall image-bound

significations within which UlaqWapace’s dream-scenario, that includes a waterfall

location, has a sound associational and pre-predicative (Husserl, 1974) motivation. And

precisely as such it is in the context of the dream as a whole, its wholeness being the

function of the dreamer’s whole life and experience, that this dream and its scenarios

qua all their parts, is articulating irreducibly his own critical life-situation.

35 All this stated, one can now look again at the manifest imagery of the dream which, like

all the products of dream noesis is auto-symbolising, fundamentally of the dreamer’s

self-world – i.e. existential – situation. In his dream-scape UlaqWapace first exits from

his primal domestic container, a house. Then he flies away and lands at the waterfall

place, from where he intends to continue with his flight. Here, then, is the transitional

place of self-origination and self-transformation, which entails the severance of the tie

that binds. However, to the extent that UlaqWapace has to rupture his familial bond, it

is entirely determined by his patrifilial negative self-other demands and rejections. It is

this self-circuity that inexorably drives him to negate his negators and simultaneously

makes him want to go away. In his matrifilial self-circuity his life-providing hand that

put the spirit-food substance into his mouth is that of his «mother’s breast» (MB). That

is UlaqWapace’s power, acquired in early childhood, which gave him a sense of his life-

generating self-qua-other-centredness, not his father’s giving hand. This male-matri-

power was finally supplemented by the bone-powder power, his very own acquisition

bought in Kainantu, a distant place, for 50 Kina, a portion of what he earned by cooking

for me. It is maximally external to any kinship circuity of his egoic self, and therefore is

the foremost fulcrum for his self-repossession over and against his self-otherness, the

negating paternal fraternity. It is they, or more precisely, his own patrifilial self-circuity

(his patri-self-object relations) that is dealt with in the carnage by the waterfall. The

maternal ouroboric self-anchorage that structures the libido-mortido through the

mirroring dynamics, is the conduit for all other incorporative-identificatory self-

circuity through which the ego feeds, grows, and/or stagnates and atrophies. Thus, in

his dream scenario, to the extent that UlaqWapace wants to fly away from his very own

paternal bonds that both make him want to fly away and yet are pulling him back, he

has to make the cutting. His ‘unknown’ double does that for him, that is, his own

mirror-negative, destructive-libidinal identifications with his father and brothers, and

so, I may say, at the place of «the primal waterfall of creation», the umbilical

connection with the maternal fons et origio of his very self. The fight is perfectly

passively-active. The dreamer’s self is attacked and then he reverses the negation by

negating his negator, in each instance extracting from him/them the instrument of

his/their destructive phallic power, i.e. the non-differentiated libido-mortido

dominated by aggression. The ouroboric devouring (sucking) nature of the waterfall

(oral phallic womb) is manifest in the version of the fight where its termination is

2.

3.

4.

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100

effected through the pushing and disappearance of the attacking double into the

waterfall.

36 What has been effected in this is not just an auto-symbolisation of self-procreation

through the conjunctive disjunction with the double whose reality is only imaginal-

presentational; this deadly coniuctio has effected a real energic transformation in the

libidinal (inclusive of mortido) self-structuration. UlaqWapace has literally effected a

decathexis24 of his extreme negative libidinal investments in his patrifilial self-

circulation (his paternal self-objects) and thus repossessed it in a new key. He has

become more of his own self-possession. This is the psychodynamic significance of his

severance from the primal bonds which not just facilitate but also ensnare and stultify

the growth of the self. Indeed, to the extent that self-castration is the structural

moment in the phallic-ouroboric dynamism through which the self effects its growth

and transformation, UlaqWapace’s vanquishing of his self-otherness is a telling

example of the imaginal form this dynamic can assume in the un/conscious matrix of a

particular egoic self25. Such, I submit, is the meaning of the «carnage by the waterfall»

in UlaqWapace’s dream scenario.

37 The double, being a formative expression of the pre-oedipal structuring dynamics

through which the primitive, non-differentiated libido-mortido (life=death) undergoes

articulation and transformation, is indestructible and, in that determination, immortal.

Hence in UlaqWapace’s dream this imago re-appears as soon as it gets vanquished, but

in the guise of a new, familiar semblance, the big brother QW who, precisely as such,

sustains a more positive libidinal valency26. UlaqWapace enters in conjunction with him

through verbal exchange that the latter initiates. One can see in this a moment in the

overall activity of UlaqWapace’s egoic self in which there is a paternally toned super-

ego at work, and to be sure, supportive of the ego. QW asks his little brother to account

for his lethal action and condones it entirely in terms of the mirror-reciprocal sense of

equity (justice) – «tit for tat». There is not here any «Thou shall not kill!», or for that

matter a categorical «NO». Besides, the vanquished other(s) is unknown, as it were, a

not-oneself. And in another mode of his self circuity, in the wakeful self-conscious

reassessment of the dream experience, UlaqWapace clearly understood the significance

of his soul’s dream-carnage: it gave him the self-certitude that he has truly got the

mighty bone-power in his very body, with or without the paternal-fraternal assistance

and consent. It should be noticed that the maternal ouroboric core of his super-ego

remains consolidated in its archaic determination and supremacy. It is presenced by

the waterfall in which the constructive destruction of the negative double became

extinguished27. It is the stability of this maternal self-circuity that has afforded and

sustained UlaqWapace’s active self-severance and the modification of his paternal self-

circuity28.

38 What is astonishing in the dream is the resoluteness with which UlaqWapace splits up

with his brother who clearly no longer has a strong significance of an ego-ideal or a

guiding authority. The latter asks which way to go, UlaqWapace tells him to follow his

will and road while he in turn will follow his own. The brother consents29 and

UlaqWapace soars as a bird again, flies and lands on a tree. This is the boundary

threshold where the home-territory ends. He is only propelled by his one project – to

leave home and keep on flying. But as in the initial phase, the ascent (flight) followed

by descent (repose) effects the repetition of the same inner disjunctive^conjunctive

self-splitting dynamics – another unknown man follows him like a faithful shadow. I

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have no doubts that no matter how far UlaqWapace will go his other-one and his

myriad imaginal replicants will be there, if only as a momentary compulsive reminder

of his originary self-matrix, intending to drag him down and to force him anew to

struggle for his own self-affirmation and possession regardless of the lure of all the

familial self-others whom he claims just as much as they do him, as his = their blood,

flesh, bone, food, and thus, fundamentally, as their very libidinal self. On the other

hand, it is exactly through the active negation of his crypto paternal-fraternal self-

object (in the guise of the unknown double) that he finally came to effectively re-

capture and incorporate his phallic-bone and as such his share of the immanent

patrimonial power. In truth, long before UlaqWapace’s turn came to deal with his old

father’s phallic bone, it was well and truly syphoned into his older brothers. Everything

about the old man’s comportment towards his children made clear that he had

abandoned himself to his older sons (Mimica, 2008). Equally so, it is in relation to them

that UlaqWapace really struggled to at once have and be his own self despite its

patrimonial depletion and frustration.

39 UlaqWapace’s awakening was characteristically ambiguous and indicative of the

intensity of his dream experience. As he was surfacing into wakeful self-consciousness

he in the process heard the screaming thinking momentarily that it was someone

outside the house in which he was sleeping. Then he surfaced completely as he

recognised that it was himself who was screaming. Awake, infused with shivers, he was

in the same kind of house container from which his soul, at the inception of the dream

went on to fly and, as a boon, thus revealed to him the true efficiency of his secret

power possession. Even if it didn’t seem so he was no longer exactly the same boy he

was when he fell asleep. The day before I left his abode I took a photograph of

UlaqWapace as he was sitting perched on the inside of a window of my hut looking at

all the preparations I was doing before my departure but really brooding over his

situation. He looked exactly as I understood his predicament to be: he was depressed,

anxious, and yet there was a glimmer of self-satisfied resignation to his situation. The

deed that his soul accomplished only a few days earlier in his dream had made him and

his un/conscious self ready for his decisive take off. I wasn’t at all surprised when I

learned a year later that he left for West New Britain shortly after my departure. His

big brother QW followed him not much later. His two other brothers also went and

came back, and in subsequent years every time I was back for my annual field research

I learned that UlaqWapace had grown into a big man and that he was supposedly

coming back in a month or two. If at the time one of his brothers was also away in

Kimbe (West New Britain), this was supposedly for the purpose of bringing him back.

To and fro they went a few times but to the best of my knowledge, by 2003, a good

seven years after that fateful departure, UlaqWapace did not once come back for a visit.

Finally he briefly visited his home-area in 2006 with his non-Yagwoia wife and then left

again. His father was already dead for eight years30.

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NOTES

1. And, by extension, of the Umeda-Punda-Sowanda people (Gell, 1975).

2. The Yagwoia’s immediate neighbours are Sambia (Herdt, 1981, 1987), Baruya (Godelier, 1986),

and NW Ankave (Bonnemère and Lemonnier, 2007).

3. This is an extract from a long monographic work on the Yagwoia kinship whose focus is on

the father-son relationship. Two other extracts (case-studies) have already been published

(Mimica, 2007a, 2008) of which the second directly relates to the present one.

4. Ouroboros (or uroboros) is the well-known archetypal image of the self-eating serpent

(Neumann, 1954) which among the Yagwoia has a unique mythopoeic manifestation as their self-

created androgynous Imacoqwa (The Great-one-he), the phallic womb container of everything

that there is. He is the cosmic bi-unity whose eyes are the sun and moon; he embodies,

continuously generates, and sustains the world. Among the Yagwoia, the structure of the human

embodiment is the microcosmic image of this macrocosmic totality (for details, see Mimica, 1981,

1988, 1991, 2006).

5. I explain my use on the slashed un/conscious in 2006: 31-32; 2007a: 78-79. Minimally, it

indicates that no a priori assumption is made as how and in what mode, if at all, something is

unconscious in a given field of experience.

6. All names are fictional constructions based on the combinations of Yagwoia syllables and

morphemes.

7. Huma-y-o-qwa = negative/privation-nominal marker-male gender clitic-male gender marker.

8. It was clear that as his father was getting older that he became entirely focussed on Ulaqayi

while demanding from his older sons to take on his paternal role and duties. In that regard he

fully relinquished his bone to his sons and they were to generate and transmit its power to their

younger brothers (for details, see Mimica, 2008).

9. This is a characteristic Yagwoia image of the giving and hence procreative hand. It condenses

their view of the human body as a phallic arboreal edifice (as sketched out in the opening

paragraphs) and equates the activity of giving with procreation where phallic-copulative action

is simultaneously feeding qua breast and handling of solid food. Still more, hand is at once

identical with a major branch as a maximally autonomous and instrumental extension of the

trunk which is the core of the body envisaged as the ouroboric phallus. The fingers in turn are

the multiplying part = whole equivalents of the hand and the body as a whole. In particular, they

bear the identities of the person’s progeny (see Mimica, 1981, 1988, 1991, 2006, 2008).

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10. One should not be too literal about the actual age accuracy indicated by the image of

«walking on all fours» (atla qa:ne).It primarily indicates the notion of being a very small child.

11. It will be noted that the kin-term for mother’s brother is 1S namne > namnoqwa, meaning

literally «mother’s breast» (2S namneqa; 3S kayemu)

12. Since UlaqWapace gave me both the vernacular and Tok Pisin versions a few details not

mentioned in the vernacular are incorporated in the interpretive discussion that follows the

dream-narrative.

13. It is of critical significance that in the vernacular UlaqWapace used the term namnye (rather

than ngaldenecoqwa or tate)which a person would primarily use for a classificatory matrilateral

brother. The term is pointedly ambivalent. It relates to a more intensified term for the same class

of relations, aamnelyi derived from the word aamne (breast). Because of the presupposition of the

same name between male (classificatory) siblings, namnye has a sense of one’s double, the-other-

of-myself, and at the same time it can be intended as being somewhat alien. By contrast, nga-lde-

nec-o-qwa (I-Poss-brother-male gender clitic-male gender), specifies intense emotional closeness

between the speaker (male or female) and his/her brother. Namnye has also a sense of «friend» as

captured in some Slavic languages, e.g. Croatio-Serbian «drug» or «drugar». It means the friend

who is the «other» or even a double, twin of myself. Because this is a dream experience, when

persons and things are identified as known (recognised) they are commonly qualified as «same-

as», «like» indicating that they are semblances of the known persons and places. Hence why

UlaWapace names and refers to his older brother consistently as «as-QW» or «same-as».

14. This is the last cluster of hamlets from where the road leads across the range into the Iqwaye

territory and altogether outside of the Yagwoia region. This indeed is the threshold between the

home area and the outside world.

15. For the equivalent dynamics articulated in another Yagwoia man, see Mimica (2007a).

16. For my usage of ^, see Mimica (2006: 31). Briefly, it signifies that any two terms thus

conjoined are totally interdependent.

17. I wish to emphasise that this simple totalising schematism of self-sameness and self-

difference is greatly enhanced by the syntactical-narrative articulation in the Yagwoia language

where the relations between clauses through the use of verb-based chain alteration-qua-

repetition, agent differentiation through the so-called «switch-reference» marking on the so-

called «medial-verbs», generate a more diffuse parallelistic diagrammatisation, being expressive

of the fundamental poetic dynamism in the language. I fully grasped this generative dynamism of

the Yagwoia when I analysed and translated their cosmogonic song (sang at the onset of the first

initiation ceremony) and numerous spells in which various diagrammatic shapes of the Yagwoia

parallestic inner form (or archetype) achieve most crystalline articulations. The Yagwoia

speakers’ use of Tok Pisin also reproduces these inner shapes and dynamism of the vernacular.

The constructive imagination operative in the Yagwoia language reaffirms the value and

acuteness of Jakobson’s seminal insights enunciated in the very title of his «The grammar of

poetry and the poetry of grammar» (1985).

18. The plural of «cathexis», a technical term created by Freud’s translator James Strachey; it

can best be rendered here as «investment».

19. For a discussion, see Mimica (2006: 32).

20. In a dream by another person this scheme is further transfigured since the overt image is a

huge eel inside a water-hole. The eel is intent on devouring humans and as it does so it retreats

into the watery container. Topologically, the eel can be seen as a self-eversion of its container,

the containing hole. It mirrors the homologous relation between the mouth and the tongue, the

mouth and the nipple, the penis shaft and its enveloping skin, and, of course, the oral (fellatio)

and vaginal sexual conjunction. All of them exemplify a concrete somatic image of ouroboric self-

closure that subsumes (orally incorporates) the other as a self-object (principally the mother).

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21. This centripetal mother-child matrix can be further amplified in reference to the ouroboros

as an archetypal structuration of libidinal dynamics. Ouroboros crystallizes the oral-grasping-

ocular unity and nucleus of all drives. Here copulation is the mirror-inverse of sucking, biting,

eating, looking, grabbing, and evacuation (vomiting, urinating, defecating, ocular emissions).

Libido is indeed mortido.

22. This image is further explicitly enacted in the first initiation ceremony.

23. Compare the case of QC (Mimica, 2007a: 87) and his auto-curative visionary experiences at

the waterfall where the spirits of his two deceased wives dwell.

24. The opposite of «cathexis» and means «disinvestment».

25. Compare this with QP’s (Mimica, 2007a: 92-97) dream in which his severance from the «white

man complex» (self-circuity) is done by his father’s spirit QC.

26. It is here that I wish especially to emphasise Roheim’s formulations and observations on the

dual unity (M^Ch) as a singular contribution to the dynamic structure of the double in the un/

conscious. He stresses its more symbiotic and less conflictual formation expressed in the figure of

siblings and equivalent imagos such as the «dual heros» (1945). One can see in UlaqWapace’s

dream a perfect example of the transformative switch from the negative into the positive form of

the double correlative with the change of its «recognition» value – unknown > known.

27. In terms of the libidinal body image and drive structuration, including self-object

equilibration of narcissistic self-circuity, this and other oneiro-mythopoeic images are

predicated of an oral-ocular intra-psychic structure that generates and sustains the primary

formations of self-ideality, omni/m/potence, and the correlative effluence of libido-mortido. The

concept of omni/m/potence (Mimica, 2003a: 27) pertains to the economy of the archaic

narcissistic equilibrium in which, due to its extreme mirror-schizoid bivalency, symbiotic

omnipotence and impotence are equipollent and coterminous.

28. Yet it is exactly in the severance of this maternal oral-ocular core that a truly more radical

gradient of the transformation of the egoic self can occur. This sort of soul-surgery, of course,

was carried out through the nose-piercing and the practice of long-term insemination, neither of

which UlaqWapace was subjected to. I must emphasise that what these practices aimed at was a

modification of the phallo-umbilical connection between a boy and the ouroboric maternal matrix

of his un/conscious, not – per impossible – a radical disconnection, for in the very same process

of his masculinization through the totalising incorporation of and becoming incorporated into

the primal phallic self-circuity of the all-male creation, the novice also sustains the co-

articulation of his contra-sexual self that is lived in his position as being his sister’s children’s

mother’s brother, their «mother’s breast» or the male mother. In UlaqWapace’s case one deals

with a genuine spontaneous expression of this cultural imaginal complex in which the maternal

imago becomes masculinised and thus transfigured. Very early on in his childhood it was his

dead mother’s breast’s spirit which made him imbibe his (masculine) potent food that has

secured UlaqWapace’s growth.

29. In the Tok Pisin version of the dream narrative QW replied: «Fine, from here we-two go

separate ways».

30. But as a spirit of the dead he remained attached, same as he was while alive, to his other,

transgendered son Ulaqayi (see Mimica, 2008).

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ABSTRACTS

This is a psychoanalytic ethnographic account of a Yagwoia-Angan boy’s struggle to break away

from the sphere of his paternal and agnatic fraternal relatedness. It exemplifies a particular

biographical situation which is consonant with the general cultural-existential dynamics of the

Yagwoia father-son relationship.

Ce texte est une interprétation psychanalytique de l'ethnographie concernant la lutte d'un

garçon Yagwoia-Anga pour se détacher de la sphère de ses relations paternelles et de ses frères

agnatiques. C'est un exemple d'une situation biographique particulière qui correspond à la

dynamique générale, culturelle et existentielle, de la relation père-fils chez les Yagwoia.

INDEX

Mots-clés: Papouasie Nouvelle-Guinée, parenté, psychanalyse

Keywords: kinship, Papua New Guinea, psychoanalysis

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Kinship, Ritual, CosmosAndrew Strathern and Pamela J. Stewart

Œdipus: Fate and Misfortune

1 Throughout his deeply thoughtful corpus of writings, Bernard Juillerat constantly

showed two characteristic concerns: to remain faithful to in-depth ethnographic details

and to apply analytical schemes derived from psychoanalysis to elucidate further

aspects of these ethnographic materials. His work therefore carried both convincing

information and his own theoretical convictions about the information. It is an

attractive combination of qualities, even if one does not follow in detail all the

pathways of psychoanalytic theory which he explores1.

2 Arguments about the applicability of psychoanalytic schemes to anthropological

materials abound, especially in relation to discussions of initiation rituals and the

creation of gendered identities. Looming in the background of these debates there

tends to be the figure of the Œdipus complex, celebrated in Freud’s work and

tangentially derived from the Greek tragic poet Sophocles’ treatment of the narrative

in which the boy Œdipus is put away by his parents because of a prophecy by the god

Apollo’s oracle that he would be destined to kill his father and marry his mother.

3 We give some further details from Sophocles here, both to show how complex the

original narrative is and to bring out the way in which the unwitting error in it of

Œdipus is transformed by Freud into an unconscious wish.

4 The boy is delivered to a Shepherd with orders that he be abandoned on a hillside with

his feet pinioned together. However, the Shepherd delivers the boy to a Corinthian,

who takes him to his master, King Polybus of Corinth; he in turn, being childless, brings

him up as his own son and gives him the name of Œdipus (see below). Later, as a young

man, Œdipus hears about the oracle’s predictions, and fearing to kill his supposed

father Polybus, he flees from Corinth and wanders in Phocis between Delphi and Daulis.

In a narrow defile where three roads cross he meets a chariot and has a fatal conflict

with its driver and entourage who challenge his passage. Unknown to him the

passenger in the carriage is Laios, his actual progenitor. After killing Laios, who is a

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stranger to him, Œdipus (his name means «swollen foot» from the pins with which

Laios fastened his feet as an infant) proceeds on his way and later comes to Thebes. The

death of Laios at the hands of «brigands» is proclaimed, and Œdipus, still unwittingly,

later marries Jocasta, Laios’s widow. He has gained the support of the citizens of Thebes

by correctly answering a riddle posed by a monstrous creature, the Sphinx, which

destroyed anyone who answered it wrongly. (Laios himself had been on the way to

Delphi to ask Apollo’s oracle how to deal with the Sphinx.) A plague at length descends

on Thebes, sent by Apollo, and the prophet Teiresias reveals what has happened.

Œdipus in remorse dashes out his eyes, making himself literally blind, as he had

metaphorically been to his earlier actions. Two famous lines in Sophocles’ play have

Jocasta herself saying to Œdipus, «Before this, in dreams too, as well as oracles, many a

man has lain with his own mother» (lines 981-2, trans. Grene and Lattimore, 1960: 152).

5 Freud, of course, used this extraordinary narrative of unwitting error as the basis for

his hypothesis of a universal Œdipus «complex», in which sons unconsciously wish to

kill their fathers and marry their mothers (or possess their exclusive love). In what

follows we look at how aspects of this complex are found with different emphases in

two separate contexts where the ideas involved in it have been mooted. One is a

context in which Bernard Juillerat himself carried out his most detailed work: the

Yangis ritual of the Yafar people of West Sepik («Sandaun») Province in Papua New

Guinea. The other takes us to West Africa, where the anthropologist Meyer Fortes

carried out extensive work among the Tallensi people of the Trans-Volta region in West

Africa in what is now Ghana (previously the Northern Territories of the Gold Coast).

These two cases are not chosen for any direct empirical similarities. Rather, they are

chosen because the ethnographers’ work on them has stressed two different sides of

the supposed Œdipus complex. Juillerat has stressed the side of the mother and the

son’s relationship with the mother. Fortes stressed the relationship of father and son,

particularly the first born or eldest son and the tensions inherent in this relationship.

Both authors were superb ethnographers who sought also to deepen their

understandings by using Freudian theory.

The Yafar: Sons and Mothers

6 The Yafar are a tiny population (200 people at the time of Juillerat’s work in the 1970s),

speakers of the Amanab language. They borrowed or adopted the ritual of Yangis from

the Umeda people studied by Alfred Gell (Gell, 1975), and Umeda was seen as the

«mother» group, the «maternal totemic place» (Juillerat, 1992a: 21). This was

associated with an idea of the «original mother-coconut». A previous Yafar village was

«the male totemic place, where the penis of the first god emerged out of the earth and

changed into a sacred tree» (idem: 21). Much symbolic thought, according to Juillerat,

appears to have centered on the maternal coconut. For example, «daughter» groups

deriving from Umeda were «said to have come out of its fallen flowers» (ibid.). Juillerat

painstakingly gives the indigenous exegesis of meanings. He also wishes to build on this

exegesis with his own further reflections on «filiation, the tie to the mother and incest»

(idem: 23).

7 The Yafar people had a thought-world based on the experience of substances in the

environment. Hoofuk as a concept referred to many different but in Yafar ideas related

matters: «tuber flesh, sago, or banana pith, heart of all tree trunks» (idem: 26); vital

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forces of the body; white fluid in the uterus and coconuts; and reproductive substances

generally, including semen and menstrual blood, and clay in caves beneath the ground

(ibid.). Hoofuk was associated with the color white, and with knowledge of origins, and

contrasted with roofuk, external skin. In an important observation Juillerat noted that «

Yangis itself is seen as a complex enterprise to renew the hoofuk» of two mythical sago

trees imaged as like «erectpenes full of semen» (idem:25).

8 In a part of the Yangis ritual the two chief priests (representing the male and female

moieties) secretly fed to the performers of the cassowary (eri) rite in the dancing

cooked wild fowl eggs, saying a spell that evoked the fat parts of sago palm bodies. This

act of nourishing was described as follows with reference to a folk narrative which

involves sexual jealousy between two brothers. The elder brother has married two

wives who are sisters, and he finds out that the younger brother is having sexual

relations with the younger of the two sisters. He kills the younger brother in a wildfowl

nest and forces the younger sister to swallow his body. She sits on the nest and gives

birth to her lover’s bones, which turn into sago growth spirits. These go to a dance

festival and she joins the feast and feeds them wildfowl eggs (described as sago jelly –

these are all examples of hoofuk). Finally, she utters a wildfowl mother’s call and the

dawn comes (idem: 31). We may note here that there is no father figure in the story, but

the elder brother may stand in for the father as a jealous authority figure. The younger

sister (elder brother’s wife) is the lover of the younger brother («son») and she then

becomes his actual mother by eating his body and giving birth to his bones. These then

become sago spirits and she feeds them with eggs, just as the ritual experts feed the eri

dancers with eggs in the actual Yangis festival.

9 At the end of Yangis the two «red bowmen» or ifegê / ipele dancers represent, according

to Juillerat’s interpretation, «the totemic young sago (or sago and coconut) sprouts,

which are all red [i.e. new-born] when they come out of the freshly planted sucker»

(idem: 56). A myth-narrative of first origins which Juillerat here goes on to adduce

describes how an original «great mother» (possibly, Juillerat suggests, a cassowary)

experiences a miscarriage and from her blood the two ifegê (neophytes) emerged. Their

father, or mother’s brother, names them and gives them toy bows (idem: 58). This male

senior figure then cuts up the original mother’s body and plants the pieces, which grow

into plants and animal species. He climbs up to the sky and puts a single breast of the

mother figure into the sky and it becomes the sun. From the blood that falls from this

amputation of the breast the wildfowl egg originates (idem: 58).

10 Juillerat’s interpretation of these materials is that «Yangis [the festival] represents the

emancipation of man out of maternalized nature, the beginning of society and culture»

(idem: 59). At the conclusion of Yangis the two ifegê actually shoot in the direction of the

setting sun. The sun is thought to grasp the arrows (idem: 62). In practice, the arrows

are taken and planted at the bottom of sago palms. Women must hide at this point and

should not see the stripped penes of the neophytes (idem: 63). Juillerat argues that the

arrows shot at the sun are equivalent to the neophytes’ penes and that the act of

shooting the sun is a kind of incest of son with mother. The concern exhibited by the

neophytes that the village women should not see their penes is interpreted by Juillerat

as an «image of a female-induced castration» (idem: 63). At these points of

interpretation psychoanalysis begins to take over from, or to fill the apparent gaps in,

direct indigenous exegesis of the ritual actions involved.

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11 It is also notable that steps toward this analysis are achieved by weaving together

esoteric myth-narratives with expositions of the ritual sequences in Yangis. The

coconut (or cassowary) mother is described in myth as the origin of all game and

natural species. In a further myth (described p. 102) the father is a hunter who brings

game for his family. The older sons cannot find the source of game, which the father

conceals from them. The younger brother spies on the father and sees him catch a pig

«in an underground opening» (idem: 102). The older sons go to this place, kill game, and

carelessly leave the door to the opening unclosed, so that the remaining animals escape

into the forest. The father is angry and traps them in a hole, and shuts the door to the

game permanently. In a secret version of this story it is explained that the

underground opening is actually the womb of his monstrous wife, and the father sends

the guilty sons back into this same womb, where they are trapped also. (In an

interesting twist, there is a cargoistic extension of this story in which the original

father controlled all the European people’s wealth but loses it because of his mistaken

anger. The three elder sons become the ancestors of the white people. Presumably the

younger son is the ancestor of the Yafar. See also another discussion of this story in

Juillerat, 1991: 55sq).

12 Juillerat argues that ritual is a «defensive device», and only in myth is incest portrayed

(idem: 102). Ritual has to represent «man’s triumph over death» (idem: 103). In the

ritual, the mother’s brother is the guardian of the neophytes, while the threatening,

castrating figure of the father, portrayed in myth, is absent.

13 Throughout all this, we can perceive three features. First, there is an obvious concern

with fertility and regeneration as well as with conflict in immediate kin relations.

Second, this concern is set into an imagined cosmos that encompasses humans and all

other living things in the environment. Juillerat describes this in terms of a Lévi-

Straussian nature / culture divide and interprets the Yangis ritual as ultimately about

the emergence into cultural practices of the male neophytes out of nature, seen as

maternal in character. Nature into culture, the female world into the male, the son

separating from the mother, like a newly born child. Such forms of thinking by analogy

and incorporative correspondences within a conceptual cosmos are very common, if

not universal, precisely so where nature is not separated from culture but intimately

linked with it. Third, the patterns of symbolic behavior involved certainly are

suggestive of emotive patterns and attitudes that are apparently amenable to

psychological analysis. Sexual jealousy between brothers; a woman swallows her lover

and gives birth to him as her two sons; a father punishes his sons for exploring the

inner recesses of the mother who is the source of game animals (the cargoist version

appears to us to be a latter-day alteration of the meanings of this story). Onto these

overtly significant motifs Juillerat grafted a further range of psychoanalytic

interpretations. Alternatively, we may suggest that the exegeses, often secret and

specialized, themselves tell us their story about regeneration and intergenerational

ties. There is certainly an overall concern with the mother and an elaboration of

cosmological ideas centering on maternal origins and the significance of the breast

transposed into the sun by the actions of the senior male. Whether there is a fear of

castration or whether the father is to be seen as simply «bad» may perhaps appear less

clear. We might also want to know about the sources of possible antagonism between

the generations in social life outside of the ritual process of the Yangis. Juillerat himself

made an intriguing analysis of the play between complementarity and rivalry among

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Yafar leaders, and the coexistence of paternally and primogeniturally inherited powers

of the ritual masters of the two moieties on one hand, and the rivalrous activities of

«big-man» style leaders on the other. In this contrast, the ritual masters can be seen as

elder brother (standing in for father), and the rivalrous big-men as younger brothers,

seeking to overcome by political effort their junior position. Inter-generational

antagonism is thus shifted onto a sibling-like rivalry between elder and younger sons.

This kind of deflection is indeed common in New Guinea mythology (see Juillerat, 1991

passim where these themes appear, as well as in his other writings). Juillerat’s subtle

overall concern with social process shows clearly here, just as the same concern is

shown by Fortes in his work. In any case, one half of the supposed Œdipus complex, the

side of the son and the mother, appears most clearly in focus. In the case of the Tallensi

we will see that the reverse is the case.

The Tallensi: sons and fathers

14 The Tallensi, as studied by Meyer Fortes, had a complex polysegmentary lineage

system, with an overall population of circa 65,000 people and numerous lineage levels,

from the minimal to the maximal level, all defined in terms of patrilineal descent and

agnatic ties of kinship within lineages (Fortes, 1945: 3-4, 97). Shared relationships of

sacrifice were important and defined formal relationships of amity between groups.

Open hostility precluded such a sharing, because this would cause the spirits of

ancestors to be angry (Fortes, 1945: 98) and «the ancestors are the fons et origo of their

whole social order» (idem: 130). The dominance of the ancestors in the overall social

structure was reflected in an important ritual context, of the External Bogar cult

(modified spelling). This was a shrine shared very widely by clan groups. Youths were

initiated by «handing them over to their ancestors» at this shrine (idem: 131). A child

might also be dedicated to a Bogar spirit and become its ward (idem: 132). The same

spirit entity could thus be perceived as operating in a collective domain that of inter-

lineage ties, and a personal domain, of relationship to an individual. Throughout, the

Tallensi made a strong distinction between consanguineal kinship, which permitted

sharing in sacrifice, and affinal ties, which excluded such sharing. Matrilateral ties,

then, bridged this divide in the succeeding generation, entailing submerged claims of

sister’s sons on their mother’s brothers. The strength of agnatic ties, underpinned by a

cosmology that privileged the lineage ancestor figures and obligatory sacrifice to them,

meant that maternal ties did not reach the level of overall significance exhibited so

clearly in the case of the Yafar people as described by Juillerat. Fortes also makes it

clear throughout how cosmological concepts are linked to everyday life, i.e. «how the

Tallensi connect their ritual conceptions with their striving after personal prosperity

and social security» (Fortes 1945: 175).

15 These everyday concerns were described in Fortes’s second book on the Tallensi

(Fortes, 1949), in which he concentrates on familial relationships. The Tallensi lived in

homestead compounds occupied by joint inter-generational families, sometimes

polygynous, within which a distinction was made between the eldest children of a

couple, both eldest son and eldest daughter, and the other children. The eldest son is

expected to observe taboos in relation to his father and the eldest daughter in relation

to her mother (see, in general, Fortes 1987: 218-246 for an exposition). Tallensi also told

Fortes «that the bonds between parent and child can not be obliterated and may never

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be repudiated» (Fortes, 1949: 169). On the side of the child the counterpart of the

parents’ duty is «filial piety» (idem: 171).

16 The ethic of filial piety carried over into death. «To one’s dead parents one owes

reverence and submission in surpassing degree» (idem: 173). A living parent could

«bless or curse a child» (idem: 175). Through diviners the wishes of a dead parent could

be ascertained and had to be followed (idem: 176). At the same time there was a frank

recognition of tensions between parents and children, especially between father and

first-born son, as we have noted. The concept of Yin, which Fortes translates as

«personal Destiny», was used to explain these tensions:

«There is, they say, an inborn antagonism between the Yin of a father and the Yin ofhis eldest son. While the son is still young his Yin is weak, but as he grows older hisYin grows more powerful and wants to make him master of his own affairs. Theson’s Yin wants to destroy the father’s Yin; but the father’s Yin desires the father tolive, and be well and remain master of the house. It wishes to continue to receivesacrifices from the father. Therefore it will try to destroy the son’s Yin, and if it isthe stronger Yin it will cause misfortune and perhaps death to the son. That is thereason why father and son must avoid meeting in the gateway of the homesteadand why it is better for them to separate, after the son has reached a stage ofmaturity when his Yin begins to be as powerful as his father’s.» (idem: 227)

17 This famous passage from Fortes’s ethnography makes it clear that the idea of father-

son antagonism is explicitly conceptualized in the idea of the Yin. And it applies most

crucially to the eldest son, on whom certain taboos fall that are not shared by the

younger siblings. Among the Namoos, a section of the Tallensi (Fortes, 1945: 20), an

eldest son was forbidden to look into his father’s granary in the joint compound. After

the father’s death the eldest son was obligated to carry out the funeral obsequies and to

set up a shrine for the father as an ancestor figure. Also, «the first-born son is dressed

in his father’s cap and smock, turned inside out» (Fortes 1949: 233). The reversal of

generational relations is marked in this way. The first-born children, son and daughter,

were then taken inside the compound through the part of it known as the zong,

reserved for the head of the household and also known as the sanctuary of the head’s

«lineage ancestor spirits» (idem: 55). The first-born son then looks into the granary of

his father for the first time (idem: 233); again, marking this succession to a position of

seniority in the household. It is not until the father dies and proper funeral obsequies

are completed for him that the son attains this position. And the father’s spirit is

conceptualized as becoming an ancestor, who may still exercise punitive control over

the son and requires sacrifices to be appeased. Paternal authority thus remains literally

enshrined at every level of the social system, right up to the external Bogar shrine.

(Complexities relating to the ethnography of discrete sections of the Tallensi such as

differences between the Hill Talis and the Namoos cannot be entered into here.)

18 At numbers of points in his subtle and detailed exposition of the ethnography, Fortes

quietly advances psychological-style interpretations of aspects of the materials. He uses

the same approach in other publications, where he further reconsiders the Tallensi

case (e.g. Fortes, 1983 [1959] and 1987). In The Web of Kinship, for example, he compared

the ancestors to parent figures in life:

«It is no misrepresentation to describe them as a standardized and highlyelaborated picture of the parents as they might appear to a young child in real life –mystically omnipotent, capricious, vindictive, and yet beneficent and long-suffering; but the emphasis is far more on the persecuting than on the protectingattributes.» (1949: 235)

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19 Sacrifices and prayers are seen in a similar light:

«They contain the same elements of acquiescence, justice, and hidden coercion.They show another aspect, though, in the propitiation, reverence, and gratitudethey often express.» (idem: 235)

20 In a footnote he adds that a father’s or mother’s spirit may be thought to have caused

the death of their child; but patricide or matricide committed against living parents

was considered abhorrent (ibid.).

21 The basic hypothesis here seems to be that attitudes to ancestors are projections onto

the religious plane of ontological introjections experienced by the person as a young

child. Granting this possibility, we may add that the complex of attitudes also

incorporates aspects from every phase of the life history and is woven into a

cosmological scheme of things. The patterns involved are thus based on kinship,

expressed in ritual, and built into a wider legitimizing cosmos, as Fortes’s own

meticulous ethnography and analysis in practice make clear.

22 At the beginning of Chapter 8 of The Web of Kinship Fortes refers to the recognition of

latent antagonism between parents and children (symbolized most clearly in taboos

observed by the first-born). He adds:

«A psycho-analyst might say that the Œdipus complex is apparently openlyrecognized in Tale culture.» (idem: 222)

23 Again, if this is so, it would appear that what is openly recognized is not the whole

putative Œdipal triangle, but rather the tension between parent and eldest child,

especially father-eldest son: half an Œdipus complex, one might say; just as, in the

Yafar case, the emphasis seems to have been on the other side, the relationship

between mother and son, and, in Juillerat’s interpretation the combined nostalgia for

the breast of the mother and the ritual means whereby the ipele / ifegê bowmen express

their maturation away from it.

24 Fortes revisited the Œdipal issue in his 1959 lecture on «Œdipus and Job in West African

Religion». Here he recognizes that in ancient Greek mythology Œdipus ’s actions were

thrust upon him by Fate. He compares this idea with the Tallensi idea of Predestiny or

Prenatal Destiny. According to this idea, a child declares its own wishes to Heaven

(Naawun) before it is born, and thus declares its own Spoken Destiny (Nuor-Yin). This

would appear to mean that the destiny is fixed, but actually such a circumstance is

revealed only later if the person suffers misfortune and a diviner declares that this is

caused by the Nuor-Yin.Then, in the case of a woman who suffers miscarriages, a ritual

can be arranged by her own natal patrilineage to drive the destiny out (Fortes, 1983

[1959]: 16-17). Here we should notice the difference between the Tallensi and the Greek

idea: ritual can intervene in the former and remove the harmful destiny, thus making it

not-destiny. In addition there are Good-Destiny ancestors that look after people.

Ultimately, the ancestors are kin. They can be approached, pleaded with, and can show

benevolence. This could not happen with the Greek Fate.

25 Nevertheless, Fortes pursues a broadly construed parallel with what he calls Œdipal

concepts.

«The Tale notion of Prenatal Destiny designates, what, in more abstract language,could best be described as an innate disposition that can be realized either for goodor for ill.» (1983 [ 1959]: 34)

26 After considering this in various ways, however, he recognized that Tale (Tallensi)

«beliefs are quite unlike the story of Œdipus. For him there was no way of changing his

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evil fate into a beneficent destiny» (1983 [1959]: 36); whereas for the Tallensi ritual

solutions were available: just as, in the Biblical story, salvation came to Job when he

recognized God’s omnipotence, as the Tallensi recognized the omnipotence of the

ancestors (idem: 37).

27 In the 1987 collection of his papers, put together posthumously by his own successor

Jack Goody, Fortes’ deep interests in psychoanalytical issues are revealed from time to

time. Chapter 6, for example, is titled «Totem and Taboo», first published in 1966. Most

of his discussion is couched at the level of custom, in dialogue with thinkers such as

Radcliffe-Brown and Levi-Strauss. He comes to Freud by way of pointing out a simple

parallel and rejecting others:

«As regards Freud, the inspiration such studies as mine owe to his famous workgoes back not of course to his fantastic reconstruction of the supposed prehistory ofthe Œdipus complex. Nor are the direct (though guarded) parallels he drewbetween totemic taboos and obsessional neuroses now acceptable.» (1987: 142)

28 Instead, Fortes elaborated on Freud’s interest in taboo as «a command of conscience»

(ibid.). The underlying paradigm here is that custom in general is seen as a means of

control over behavior: «cultural pressures conflicting with organic or personal urges»

(idem: 142). The incest taboo, and its supposed Œdipal underpinnings, would then, be

seen in the light of this paradigm.

29 Fortes elaborated further on this viewpoint in Ch. 8 of the 1987 book (this chapter was

based on a lecture of 1973 and first published in 1977). Here he specifically took up «the

challenge of psychoanalysis» (idem: 179), and retraced the terms of a disagreement

between the psychoanalyst Ernest Jones and the anthropologist Bronislaw Malinowski

regarding the sources of tension in familial relationships among the Trobrianders of

Papua (see also Spiro, 1982). Malinowski saw tensions in these relationships as arising

out of the matrilineal structure of the society at large; while Jones, according to Fortes’

account (idem: 182) saw the supposed ignorance of physiological paternity on the part

of the Trobrianders as a defense mechanism, protecting father and son from hostility

(idem: 182). Fortes supports Jones here (idem: 182). Yet, a reading of his own Tallensi

ethnography, as discussed above, may be held to support Malinowski’s insistence on

the social form of the generation of tensions in the family. Fortes himself strongly

emphasized the patrilineal character of Tallensi inter-generational relations, as we

have seen, and father-elder son tensions were consonant with such a structure.

However, Fortes also goes on to note the methodological problem underlying all this:

how do we know how to relate custom to mental mechanisms? How do we explain

highly varying customs by appeal to a single set of universal predispositions? (idem:

183). We are left with the very intriguing idea which Fortes advances that custom is

supported by «conscience» and the question of what «conscience» itself is. At the end

of his Ch. 8 Fortes simply notes that there has been a general «cross-fertilization»

between psychoanalysis and anthropology (idem: 217). The methodological question

remains unresolved (although it is explored more in the notes to the chapter, including

reference to Melford Spiro’s work, p. 320, n.7 [see Spiro, 1971]; and, we may add, the

«cross-fertilization» continued in the later work of A.L. Epstein on the Tolai people of

Papua New Guinea, see Epstein, 1992).

30 Fortes refers here with approval to Spiro’s hypotheses and data concerning the reasons

why some Tibetan boys enter into a life as monks, interpreted as reconstituting the

structural position of a young child (Fortes, 1987: 320, n. 7). Fortes also refers with

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approbation to Spiro’s argument that «particular configurations of beliefs and ritual

practices serve the actors as customarily legitimate defensive actions to cope with the

experience of conflict or threats or socially maladapted impulse of unconscious origins)

(Fortes, 1987: 188). In his book Œdipus in the Trobriands, Spiro in particular contested

Malinowski’s denial that the Œdipus complex operated in Trobriand society (in Papua

New Guinea), arguing that the famous putative «ignorance» of physiological paternity

among the Trobrianders was actually just such a «defensive action», developed partly

as a denial of paternity on the part of sons, and partly as a cloak to cover the Œdipal

hostility of the son to the father. Spiro hypothesizes that, to a boy the idea that he was

conceived through the sexual intercourse of his parents is painful, and that «perhaps

that is the very motive for the Trobrianders’ “ignorance”» (Spiro, 1982: 67). Fortes

himself also discussed, as we have noted, Malinowski’s debate with the psychiatrist

Ernest Jones regarding the applicability of Freud’s ideas to the case of the Trobrianders

and Malinowski’s suggestion that we should identify a «matrilineal complex» centered

on the mother’s brother rather than on the father in the Trobriand case (Fortes, 1987:

179-183). While clearly sympathetic to psychoanalytical theorizing, Fortes still

wondered whether, given much social variation, we should appeal to «allegedly

universal intrapsychic dispositions» as the means of explaining all customary forms

(Fortes, 1987: 183). Yet he also felt that psychoanalytical theory in general was useful

for anthropologists in so far as it conduces to questioning the deeper explanation of

customary practices beyond their own overt rationales, particularly in the sphere of

nuclear family relations and intergenerational conflicts (idem: 187). The whole place of

the unconscious in social life, and the meanings that may be given to the term

«unconscious» itself, is mooted in these thoughtful reflections. Certainly, while the

phenomena of dreams, for example, testify clearly to the existence of the unconscious,

it is also clear that in cross-cultural analyses the place of the habitual conscious

cultural meanings with which biological processes are invested is of co-ordinate

importance. For example, Spiro assumes that there is a universal idea of «conception»,

and argues that realization of the place the parents’ intercourse had in the son’s

creation is painful to the boy, leading to its denial in the Trobriand case (Spiro, 1982:

66-67). But Trobriand ideas of how humans come into being in many ways bypass any

folk notion of «conception», as this is commonly understood. A spirit child of the

matrilineage entering a woman is an idea quite different from conception through

sexual intercourse as such. And the Trobriand husband-father was traditionally

supposed to contribute crucially to the substance and appearance of the child in its

mother’s womb through repeated acts of intercourse with the mother (Keesing and

Strathern, 1998: 180).

31 The overall conclusion here is that Fortes felt a strong affinity with psychoanalytic

approaches; yet he also was meticulous in exploring his ethnographic materials and in

raising methodological questions regarding verification. There is a similarity here with

the work of Bernard Juillerat, who also remained faithful to his primary role as an

ethnographer and explorer of the customary realm.

Conclusion

32 Placing the work of these two anthropologists, Bernard Juillerat and Meyer Fortes,

together has been an unusual exercise, but one of a sort that we have in a way

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undertaken before, comparing African and New Guinea cases in the realms of

cosmology, culture and social structure (Strathern and Stewart, 1998). We recognize

the clear differences both between the two authors and between the ethnographic

cases of the Yafar and the Tallensi. In making our comparisons, we have sought to do

essential homage to both Juillerat and Fortes by examining the ways in which they have

handled ideas derived from Freud. Our particular interest here was to see how these

two anthropologists inserted into their work an abiding concern with psychoanalytic

propositions. What we have found is that they both inserted those propositions at the

edges of their descriptive accounts but implicitly made them central as explanatory

and interpretive devices. In our re-reading of the debates about the applicability of

psychoanalytic hypotheses cross-culturally, what we are struck by is that, regardless of

the psychoanalytic interpretations, we see in the ethnographies themselves the

significance of structures of social organization. It is not by chance that in the Tallensi

case the whole system of sacrifices to ancestors was ultimately linked to the External

Bogar patrilineal shrines; while among the Yafar inter-village external ties were

defined in terms of mother-daughter relations. In this regard, cosmology and social

structure are ultimately one, interdependent ways of constructing universes of

meaning that link many levels of experience together. Fortes’s treatment makes it very

clear that an important context in which cosmology and structure intersect is kinship

and that ritual is a prime means by which this intersection takes place. Juillerat’s

analysis is overtly couched at the level of indigenous exegesis and cosmology, and is

less focused on social structure or sociology, in a sense. He himself argues that there is

a low level of «practical sociological implications» of the Yangis festival (1992a: 93).

Juillerat’s own extended analysis shows, however, that analysis of the various levels of

maternal identification among the Yafar indicates, as in the Tallensi case, that

cosmology and structure are one, and both are pervaded by an elementary or

primordial apprehension of kinship relations. Indeed, it is significant that both Fortes

and Juillerat place «filiation» at the heart of their analyses of both kinship and ritual;

and filiation in turn belongs to a wider cosmological order of things. And for the Yafar

Juillerat notes that the reckoning of descent through individual agnatic lines prevails

as a form of structure through time (1996: 90). In very different ways, then, an

emphasis on patriliny is ultimately maintained both by the Yafar and by the Tallensi2.

33 It has been in a spirit of homage to both authors that we have here revisited Juillerat’s

and Fortes’s ethnographic works. We want to make it clear that the overall aim has

been to show deep respect and appreciation of the work of these two scholars, and by

linking their work together across time and space to show a solidarity with the

fundamental humanity and deeply imaginative interpretations which they have

bequeathed to us. Their meticulous faithfulness to their ethnographic work emerges

from every page of their writings. Fortes writes that the Tale idea of the struggle

between the Yin of the father and the Yin of the son, especially the first-born son, was

what led him to use the idea of Œdipus in his interpretations of the information he had

collected (Fortes, 1945: 227, cited above). And Juillerat remarks in his Introduction to Œ

dipe Chasseur that he did not go into the field with a preconceived idea of proving the

validity of Freudian theory:

« C’est au contraire l’examen des matériaux ethnographiques qui, peu à peu, nous aamené à nous interroger sur la légitimité d’une approche psychanalytique: ce sontles Yafar qui nous ont conduit à Freud, non le contraire. » (Juillerat, 1991: 40)

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We wish to record here our thanks to the four anonymous reviewers of this essay for their helpful

comments.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Andrew Strathern and Pamela J. Stewart have written extensively on their fieldwork materials

from Papua New Guinea. Their webpage, listing many of their publications over the last decade

or so is (http://www.pitt.edu/~strather/sandspublicat.htm). Their previous publications that

discuss the topic of the importance of the cassowary; fertility, regeneration and cosmologies; and

comparative points on hoofuk, include Stewart and Strathern (1999, 2001, 2002, 2008); Strathern

and Stewart (2000, 2004a, 2004b). We shared work on a number of projects relating to our

editorship of the Journal of Ritual Studies with Dr. Bernard Juillerat. In 2004 we sponsored a Book

Review Forum for his book Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique in the Journal of

Ritual Studies, and he also invited us to take part in this exchange, indicating that he would much

value our views. We thought it best not to enter into this arena at the time, because of our role as

Editors of the Journal; but in sponsoring the Forum, we wished clearly to signal our respect and

appreciation for Juillerat’s work, and the news of his death later came to us with a sincere sense

of loss.

2. Shooting the Sun contained a great many complex re-analyses of the Yangis / Ida festival

complexes. We do not engage with these analyses here because we are concerned to make a

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direct comparison between Juillerat’s and Fortes’s work in respect of the psychoanalytic context

of their interpretations. Similarly, Fortes’s work on kinship in general has been extensively

discussed and critiqued by other writers, but we do not engage with these critiques here either.

To do so would draw us into many further directions and might detract from our immediate

stated purposes. It should be noted, however, that in the second edition of Œdipus and Job a long

essay by Robin Horton both pointed out the ways in which the Tallensi materials actually diverge

from the ancient Greek story of Œdipus , and set Tallensi ideas in the context of the comparative

regional study of West African «social psychologies» –«psychologies» here being much the same

as «cosmologies» (Horton, 1983). AJS would like to take this opportunity of remarking on two

minor points from Shooting the Sun. First, his contribution (Ch. 9 of that volume, Strathern 1992)

did not imply that reliance on exegesis precluded the making of comparisons, but only reported

that Alfred Gell had made this claim (idem: 261). The body of the contribution makes it clear that

exegesis actually facilitates comparison by providing a clearer basis for it (Juillerat 1992: 270

seems to have misread the statements on p. 261). Second, Juillerat wrote (idem: 278) that «Gell

and Andrew Strathern condemn rather radically the application of the Freudian model to a

Melanesian culture». The actual text to which he appears to refer to here is found on p. 265.

There we simply find a question: «What kind of privilege can we give to Freud’s notions in the

face of New Guinea mythology?» There follows a recommendation of a simple kind: «look at each

case and argue about it» (loc. cit.).

ABSTRACTS

This essay revisits aspects of the work of Bernard Juillerat on the Yafar people of Papua New

Guinea and of Meyer Fortes on the Tallensi people of West Africa. The purpose of this

juxtaposition of cases is to show how each author has stressed an aspect of themes derived from

the Freudian theory of the Œdipus complex. Juillerat has stressed the relationship of the son with

the mother, Fortes the relationship between son (especially eldest son, the first-born) and father,

in the context of practices of ancestor worship. Our argument is that it is important to take note

that psychoanalytic motifs, if present, are set by the people themselves into a broader scheme,

linking kinship, ritual, and the cosmos together. The essay is intended as an act of appreciation

and respect for the work and thoughts of both of these authors as a part of a «long conversation»

in anthropology at large regarding psychological interpretations of ethnographic materials. Both

Juillerat and Fortes themselves, indeed, set their psychoanalytic interpretations into deeply

woven analyses of kinship, ritual practices, and ideas of the cosmos.

Cet essai revisite le travail de Bernard Juillerat sur les Yafar de Papouasie Nouvelle-Guinée et

ceux de Meyer Fortes sur les Tallensi d’Afrique de l’Ouest. Cette juxtaposition montre comment

chaque auteur souligne un aspect spécifique de thèmes dérivés de la théorie freudienne du

complexe d’Œdipe. Juillerat souligne la relation du fils à sa mère, Fortes la relation du fils (en

particulier l’aîné) au père, dans le contexte de pratiques du culte des ancêtres. Notre argument

est qu’il est important de remarquer que les motifs psychanalytiques, quand ils apparaissent,

sont insérés par les gens eux-mêmes dans un schème plus vaste reliant la parenté, le rituel et le

cosmos. Cet essai est un hommage montrant notre appréciation et notre respect pour le travail et

la pensée de ces deux auteurs dans le cadre de la « longue conversation » de l’anthropologie – au

sens le plus large – à propos des interprétations psychologiques des matériaux ethnographiques.

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Juillerat et Fortes eux-mêmes ont inséré leurs interprétations psychanalytiques dans des

analyses où la parenté, les pratiques rituelles, et les idées concernant le cosmos sont étroitement

imbriquées.

INDEX

Mots-clés: cosmologie, exégèse, mythe d’Œdipe, psychanalyse, sacrifice rituel

Keywords: cosmology, exegesis, myth of Œdipus, psychoanalysis, ritual sacrifice

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Enfanter, est-ce bien « naturel » ?Rite, représentation, fantasme del’engendrement dans un cultepolynésienFrançoise Douaire-Marsaudon

1 Pour Bernard Juillerat, penser l’imaginaire des sociétés, c’est se donner les moyens

d’appréhender « ce curieux mélange de fantasmes individuels et d’idéologie collective »

(2001 : 159) qui en fournit en partie le matériau et, pour ce faire, l’anthropologie

psychanalytique est non seulement souhaitable mais nécessaire. En plaçant au cœur de

ses problématiques la question des rapports entre le sujet (et sa formation) et les faits

de culture, elle est, en effet, à même de repérer et d’explorer la part du travail

psychique dans l’élaboration des cultures et donc susceptible de comprendre le rapport

entre les productions culturelles et la psyché des personnes.

2 Anthropologue, je n’ai pas fait le choix de l’approche psychanalytique, mais je

considère cependant qu’il est difficile de tenir les représentations culturelles et,

singulièrement, celles concernant la sexualité, la reproduction, la filiation et la mort,

pour « des signes arbitraires, contingents, dont la destinée sociale s’accomplirait

indépendamment de leur origine psychique » (Juillerat, 2001 : 66). En d’autres termes, à

un moment de l’histoire des sciences sociales où l’on cherche à déconstruire

l’opposition entre individu et société – ou à repenser leur relation en termes neufs – et

où l’on assiste à un retour en force du sujet, je vois mal comment l’anthropologie,

qu’elle soit ou non psychanalytique, pourrait se désintéresser de ce qui lie « la culture

aux problématiques du sujet et à ses investissements » (Juillerat, 2004 : 16).

3 Dans les sociétés de Polynésie où je travaille, il existe un puissant intérêt pour tout ce

qui concerne la reproduction et la filiation et, plus précisément, l’engendrement/

enfantement et la naissance. Ces préoccupations, telles du moins qu’elles s’expriment

dans les corpus mythologiques ou au sein de la vie rituelle, prennent assez

régulièrement la forme de récurrences de la symbolique œdipienne, sous des traits

propres à ces sociétés, comme on le verra. Mais au-delà de ce simple constat, je

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voudrais ici, en m’aidant du matériau polynésien, apporter une contribution à la

réflexion sur le caractère « naturel » généralement attribué, dans nos sociétés, aux

procès entourant l’enfantement – procréation, gestation, accouchement, allaitement –

et m’inscrire ainsi dans la perspective critique ouverte par Bernard Juillerat à ce propos

(2001 : 110-111).

La « tache blanche » de la relation mère-enfant

4 Dans le chapitre IV intitulé « L’atome de parenté est-il soluble dans la psychanalyse »

de son livre Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, Bernard Juillerat

revient sur la notion d’atome de parenté de Claude Lévi-Strauss et sur la « non-

qualification des relations entre la mère et l’enfant dans l’atome »1. Cette relation

mère-enfant avait fait l’objet d’un débat après un exposé d’André Green au séminaire

L’identité (Lévi-Strauss,1983 : 81-107). À André Green, Claude Lévi-Strauss explique que,

s’il a fait l’économie de la relation mère-enfant dans l’atome de parenté, c’est parce

que :

« les sociétés que nous connaissons normalisent le rapport entre le mari et lafemme, […] entre le frère et la sœur, […] entre le père et le fils mais ne normalisentpas – en tout cas pas au même degré – la relation entre la mère et ses enfants. »(Lévi-Strauss, 1983 : 100)

5 Au cours de la discussion, il précise que, s’il ne traite pas de cette relation au sein de

l’atome de parenté, c’est « qu’il n’en a pas besoin pour expliquer des conduites

collectives » (1983 : 101). Comme le lui fit remarquer André Green dans la discussion, le

lien entre la mère et l’enfant est, en revanche, essentiel aux yeux des psychanalystes et

pas seulement en raison de son caractère structurant normatif. Il l’est avant tout par sa

dimension dans la construction de l’identité :

« au-delà du sexe biologique, au-delà du sexe chromosomique même, dans les étatsintersexuels, l’identité sexuée se fait essentiellement sous la dépendance du rapportparental. » (Green, 1983 : 101)

6 Autrement dit, pour les psychanalystes, le lien mère-enfant est non seulement partie

prenante de la formation des comportements sociaux, il y joue un rôle capital. Aux

yeux de Bernard Juillerat – après André Green et Marie-Blanche Tahon (1995) –, la

« tache blanche » laissée par Claude Lévi-Strauss sur la relation mère-enfant, c’est celle

du biologique, « de la naturalité attribuée aux liens mère/enfant » (Juillerat, 2001 : 122).

Or, cette naturalité-là ne date pas d’aujourd’hui, elle est le résultat d’une histoire bien

particularisée sur laquelle nous allons brièvement revenir.

Quelle « nature » ?

7 L’opposition nature/culture, dans sa version la plus connue aujourd’hui, est sans doute

celle que Claude Lévi-Strauss a élaborée pour servir de fondement à sa théorie de la

prohibition de l’inceste et de l’alliance. Pour ce dernier, on le sait, la prohibition de

l’inceste représente la règle par excellence : ressortissant à la fois à la nature et à la

culture, son institution marque le passage de l’état de nature à l’état de société. Telle

que la conçoit Lévi-Strauss, la dichotomie nature/culture est davantage un outil

analytique qu’une composante du monde environnant. Quand il oppose la culture à la

nature, il n’entend pas, par ces termes, les définitions courantes qu’on en donne

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habituellement. Le terme de culture désigne, pour lui, l’état de société tel qu’il résulte

de l’imposition de la règle, autrement dit de l’interdit de l’inceste. Dans cette

perspective, la « nature » fait référence à un état du genre humain, celui qui existait

avant que ne soit instaurée la société, c’est-à-dire avant que ne soient élaborées la

prohibition de l’inceste et les règles d’exogamie. On se souvient de la célèbre formule :

« La prohibition de l’inceste est, à la fois, au seuil de la culture, dans la culture et, enun sens, […] la culture elle-même. » (Lévi-Strauss, 1967 : 14)

8 Cependant, Lévi-Strauss donne cette précision, importante pour notre propos :

« Envisagée du point de vue le plus général, la prohibition de l’inceste exprime lepassage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance » (1967 : 35).

9 Retenons pour l’instant que, pour Lévi-Strauss, la filiation relève de la nature

contrairement au phénomène de l’alliance, « le seul sur lequel la nature n’a pas déjà

tout dit » (1967 : 36). En réalité, la notion de nature a fait l’objet de spéculations et de

discussions bien avant l’élaboration de la théorie de l’alliance de Lévi-Strauss, au sein

du vaste mouvement d’idées neuves qu’on appelle Les Lumières, qui se met en place au

XVIIe siècle et s’épanouit au XVIIIe. Elle y tient alors un rôle vedette mais avec un sens

quelque peu différent de celui que lui attribue Lévi-Strauss aujourd’hui.

10 Dans un article paru dans l’ouvrage devenu classique de Carole MacCormack et de

Marilyn Strathern (1980), Maurice Bloch et Jean H. Bloch font une analyse très fine des

« dialectiques de la nature » dans la pensée des philosophes français du XVIIIe siècle

(1980 : 25-41). Il existait bien à l’époque une polémique à propos de la nature mais celle-

ci concernait l’opposition entre la nature et « quelque chose d’autre », opposition dans

laquelle la notion de nature a constitué le moyen de comprendre la société de l’époque

et simultanément de la critiquer, à un moment de profonds bouleversements, à la fois

matériels, symboliques et idéologiques2. Pensée et utilisée par les philosophes français

comme une catégorie critique, la « nature » se trouve en quelque sorte revalorisée.

Pour Rousseau, par exemple, le concept de « nature » prend sens dans l’opposition à la

société de droit divin, injuste et corrompue, et la nature devient la source même de la

régénération de la société. Pourtant, au sein de ce mouvement de revalorisation, il

demeure un champ de conceptualisation de la nature où ces mêmes philosophes se

montrent fort conservateurs : celui où se construit la relation entre la nature et le sexe

féminin. En effet, les femmes d’une manière générale étaient considérées par ces

derniers comme entretenant un lien puissant avec l’état de nature, en particulier dans

ce qui était pensé comme leur domaine, à savoir les procès de la parturition et de

l’enfantement. La femme se trouvait plus proche de la nature que l’homme en raison de

son rôle physiologique dans la sexualité et plus encore dans l’enfantement (Bloch et

Bloch, 1980 : 32).

11 Ces préoccupations nouvelles prennent appui sur les découvertes de la science, en

particulier la science médicale et ce qu’elle dit de la physiologie féminine. Rappelons

que, selon Thomas Laqueur, c’est précisément à la même période que fut «inventé le

sexe tel que nous le connaissons», autrement dit que « prit corps » l’affirmation de la

coexistence de deux sexes, non seulement différents mais incommensurables (Laqueur,

1992 : 170). Cette « différence incommensurable » des sexes prend pour fondement le

corps et tout particulièrement l’appareil reproductif féminin :

« La matrice, qui avait été une sorte de phallus en négatif, devint l’utérus, c’est-à-dire un organe dont les fibres, les nerfs et la vascularisation offraient uneexplication et une justification naturalistes du statut social des femmes. » (Laqueur,1992 : 173)

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12 C’est enfin au sein du même mouvement que se mit progressivement en place le

« dispositif de sexualité » décrit et analysé par Michel Foucault, dispositif qui se

généralisera au XIXe siècle (Foucault, 1976 : 16)3.

13 Au cœur de ces préoccupations concernant la nature, la sexualité, le corps et la

physiologie féminine, émergent, assez logiquement, les questionnements sur

l’enfantement. Dès le XVIIIe siècle, on assiste d’ailleurs à un glissement lexical qui n’est

pas le fruit du hasard : le terme de génération est remplacé par celui de reproduction

(Laqueur, 1992 : 177). On voit alors se généraliser cette conception naturalisante des

procès liés au corps et à la sexualité : c’est ainsi qu’on attribue un fondement naturel –

qui, pour beaucoup de contemporains, tenait lieu d’explication rationnelle – à la

hiérarchie des sexes/genres, comme on le fera d’ailleurs, un peu plus tard (XIXe), à celle

des « races ». Pour Maurice Bloch et Jean H. Bloch, comme pour Laqueur et Foucault, le

recours à la science et à ses découvertes ne rend pas plus « vraies » ces conceptions

nouvelles concernant le corps, les sexes et la sexualité. Comme celles dont elles ont pris

la place – l’idée du sexe unique, par exemple –, elles sont le fruit d’une construction

intellectuelle, idéologique ou morale (Bloch et Bloch, Foucault) ou encore politique

(Laqueur).

14 Aujourd’hui, l’attribution du caractère « naturel » à un certain nombre de phénomènes

et de comportements sociaux est restée une habitude bien ancrée dans nos sociétés, y

compris dans le domaine des sciences humaines et sociales, même si un certain nombre

de travaux ont montré depuis plusieurs décennies que notre manière de penser

l’opposition nature/culture est historiquement et culturellement marquée. Dans le

champ des études féministes de la décennie soixante-dix du XXe siècle, de nombreux

auteurs ont critiqué la fascination occidentale pour l’équation entre « nature » et

« femme » et tenté de dénaturaliser le sexe, par exemple en s’appropriant la notion de

genre4. Dans un article précurseur à l’époque, Marilyn Strathern a brillamment

déconstruit le raisonnement sur lequel est bâtie une semblable assertion et a montré

qu’il s’agit davantage d’une représentation/croyance que d’une véritable connaissance,

fondée scientifiquement (1980 : 183). En France, la réflexion sur l’assignation des

femmes à des rôles « naturels » et ses conséquences – aux plans épistémologique,

éthique, politique – se développe aussi avec les travaux de Françoise Héritier (1981) et

de Nicole-Claude Mathieu (1991)5.

15 Mais, si on accepte bien plus volontiers aujourd’hui de considérer que ce que nous

appelons ordinairement « nature » peut être représenté dans certaines sociétés comme

un élément constitutif de la culture, pour le dire dans les termes de Philippe Descola

(1986 : 401), il reste beaucoup plus difficile de se débarrasser de cette même habitude de

penser quand il s’agit de procès associés aux fonctions féminines et plus

particulièrement à ce qui demeure considéré comme la fonction féminine par

excellence, celle de l’enfantement (voir aussi Descola, 2005).

16 Selon le dictionnaire Larousse , le terme « engendrer » signifie « reproduire par

génération, procréer ». Cependant, Le Robert (1964) donne une précision

supplémentaire qui ne manque pas d’intérêt : « produire par voie de génération, plus

spécialement en parlant du mâle » (1964 : 1584). En parlant de la femme, en effet, on

dira plus volontiers « concevoir », ou « enfanter » (1964 : 1584). Ici, on utilisera le terme

« engendrement » pour parler de la production par voie de génération quand la

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distinction de sexe n’est pas pertinente, en réservant le mot « enfantement » à la mise

au monde d’un enfant par une femme.

17 Dans les sociétés de Polynésie, l’opposition nature/culture telle que nous la connaissons

n’a pas cours, comme on va le voir. Mais surtout, l’engendrement (quand on parle du

père), l’enfantement (quand on parle de la mère) et la naissance (quand on parle de

l’enfant) constituent pour les gens concernés un événement hautement « culturel », si

on donne à ce terme un sens proche de celui que Claude Lévi-Strauss a donné au mot

« culture » dans les Structures élémentaires de la parenté, à savoir un événement qui est

l’objet de règles et de normes, de représentations et de valeurs, bref un événement qui

« fait société ».On commencera par examiner la manière dont la société tongienne

concevait ces étapes du cycle de la vie – accouchement et naissance mais aussi

fécondation et gestation – au travers des récits et des mythes de la tradition orale ainsi

que des pratiques, rituelles ou non, qui leurs sont associées. Pour ma démonstration, je

vais prendre appui sur un ensemble mytho-rituel polynésien où il est abondamment

question d’engendrement/enfantement et de naissance, et revenir sur certaines des

analyses que j’en ai faites ailleurs. Il s’agit d’une part du mythe d’origine tongien qui

relate la création de l’univers et la naissance des grands dieux, d’autre part d’une

ablution rituelle prise par une aristocrate de haut rang, la propre sœur du Tu’i Tonga,

chef suprême de la société tongienne classique, au moment de l’intronisation de ce

dernier6. Pour terminer, j’aimerais évoquer un mythe d’origine issu d’une autre société

que Tonga mais qui est néanmoins polynésien puisqu’il est issu du corpus de

Mangareva (archipel des Gambier). Si je prends la liberté de citer ce mythe qui raconte

comment les femmes de cette société ont « appris » à accoucher, c’est dans l’intention

de montrer qu’à l’autre bout de la Polynésie, les mythes soulignent à leur tour la

dimension éminemment sociale de l’enfantement. Mais revenons d’abord à Tonga où,

pour contextualiser le mythe de création, nous allons indiquer brièvement ce que les

pratiques rituelles et/ou quotidiennes disent des procès associés à l’enfantement.

Fécondation, gestation, naissance

18 L’univers mythique de ces sociétés est saturé d’engendrements. D’une manière

générale, les héroïnes des récits de la tradition orale sont présentées comme devant

parvenir à cet accomplissement : la mise au monde d’un enfant (fanau). Dans le Tonga

d’avant la christianisation, l’enfant était conçu comme un don des esprit ancestraux à

la société des « vivants » (les humains)7. Dans la tradition orale, un certain nombre de

fécondations ne résultent pas d’un coït entre un homme et une femme mais d’un

phénomène d’absorption ou d’imprégnation du corps féminin par une substance

fécondante d’origine divine (Douaire-Marsaudon, 2002 : 519-520)8. D’autres récits

rapportent des parthénogenèses féminines, auxquelles les exemples précédents

peuvent être assimilés puisque les fécondations impliquées ne sont pas le résultat d’une

copulation avec un partenaire masculin. Quelques-uns mettent en scène la manière

dont certaines denrées du monde divin - l’igname réservée aux chefs, par exemple - ont

été volées aux divinités et mises à la portée des humains par une femme, plus

précisément par l’intermédiaire du corps féminin (dans le cas de l’igname, une femme

le cache dans son vagin et en accouche, une fois revenue sur terre (à Tonga). Tous ces

récits exaltent les surprenantes capacités génésiques du corps féminin, médiateur entre

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l’au-delà divin et le monde des «vivants» (Douaire-Marsaudon, 1998 : 185), mais ils sont

aussi chargés de signifier la prodigieuse puissance féconde des ancêtres et des divinités.

19 À Tonga, dans la société du début du XIXe siècle où ces récits avaient cours, tout ce qui

entoure la gestation et surtout la naissance était censé relever d’un secret dont les

femmes – les mères, les tantes maternelles et les grands-mères – avaient la charge

exclusive (Martin, 1981: 461) et dont elles se transmettaient les connaissances de

génération en génération. Le père participait à la croissance de son enfant in utero en

nourrissant le placenta – fonua ou « pays » du fœtus – c’est-à-dire en procurant à la

mère de la nourriture produite et cuite par lui. Cependant il existait au sein de la

famille un personnage-clé, à qui revenait le premier rôle au cours de la gestation et de

la naissance d’un enfant : la sœur du père ou mehekitanga. Cette dernière était censée

pouvoir jeter des sorts à sa belle-sœur enceinte, provoquer une fausse-couche ou un

accouchement avant terme ; un enfant mort-né ou une naissance prématurée

entraînant un handicap étaient mis d’abord au compte de la tante paternelle9. Si, au

moment précis de la naissance, la mehekitanga n’est pas admise dans l’entourage proche

de la nouvelle accouchée, elle occupe cependant la place d’honneur dans le rituel qui

consacre l’arrivée de l’enfant dans le groupe (kainga) paternel. En signe qu’elle accepte

le nouveau venu dans ce groupe qu’elle est chargée de représenter, elle donne à la mère

du bébé un présent, une sorte de « lit » (pae) constitué d’un morceau de tissu d’écorce

recouvert d’une natte fine (kie). Au cours de la cérémonie, elle occupe la place

d’honneur et elle reçoit ou prélève la plus belle part – natte et tissu d’écorce – de tous

les dons, ou « richesses » (koloa) apportées par les deux clans, paternel et maternel. Au

terme de la cérémonie, c’est elle qui lève les tabous mettant fin à la période très

critique que représente l’accouchement. Celui-ci, en effet, est considéré comme une

période très singulière – comme l’est aussi un décès – en raison de l’effacement

momentané des limites séparant l’au-delà des morts et des divinités du monde des

« vivants » (les humains), source de danger pour ces derniers. Le terme de référence

utilisé par la tante paternelle pour nommer ses neveux (les enfants de frère) est celui

de fakafotu : de faka, « à la manière de » et de fotu, « faire apparaître » ou « faire

fructifier ». Au nom des ancêtres, la tante paternelle est celle qui accepte les enfants de

ses frères dans le clan paternel, celle qui les fait apparaître et fructifier. C’est bien leur

mère qui les a mis au monde mais c’est leur tante paternelle qui leur accorde de vivre,

de s’intégrer dans la société et de donner naissance à leur tour à une lignée. Les plus

hautes marques de respect et de soumission sont dues à la tante paternelle et la

transgression de cette règle peut entraîner malaise, maladie ou même mort.

20 Cependant, au sein de la parenté étendue, une autre figure parentale apparaît comme le

pendant de la tante paternelle, son double inversé : l’oncle maternel. Ces positions

symétriques inversées découlent elles-mêmes des normes et valeurs imposées à la

relation frère/sœur, fondatrice de l’ordre parental. Tout homme étant d’un rang

inférieur à toutes ses sœurs (quel que soit l’âge de celles-ci), il est aussi considéré

comme d’un rang inférieur aux enfants de ses sœurs et ses propres enfants sont eux-

mêmes d’un rang inférieur à leur tante paternelle et aux enfants de cette dernière. Il en

résulte que l’oncle maternel est la personne de la parentèle avec laquelle l’on peut

entretenir la relation la plus libre, la plus dénuée de tabou. On peut parler et rire d’à

peu près tout avec son oncle maternel, on peut se montrer à lui dans une tenue

négligée, on peut le toucher ou terminer ses plats ou se saisir de ses habits, sans crainte

d’une sanction surnaturelle. L’oncle est censé prendre soin des ses neveux utérins, les

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conseiller et les guider tout au long de leur vie. Surtout, ses neveux lui étant supérieurs

en rang, ils accèdent librement non seulement à sa personne mais à ses biens. Les

voyageurs européens ou les missionnaires de l’époque du contact ont relaté avec

étonnement les exactions des ces neveux utérins, en particulier au sein de la chefferie

de haut rang (Douaire-Marsaudon, 1998 : 233sq). Aujourd’hui, dans un pays marqué par

la soif de terres, il est devenu courant que les neveux utérins demandent à leur oncle

maternel de pouvoir cultiver un morceau de terre pris sur son domaine. C’est ce que

l’on appelle les droits et privilèges du fahu, équivalent tongien de l’institution bien

connue du vasu à Fidji.

21 Au sein des rituels concernant ses neveux, l’oncle maternel occupe une place inversée

par rapport à celle de la tante paternelle : lors du décès d’un enfant de sœur, il demeure

près du four, où son bas statut l’autorise seulement à préparer les victuailles pour les

invités. Surtout, au moment de l’accouchement de sa sœur, il doit maintenir au chaud

les jeunes noix de coco (veifua), censées faire monter et accroître le lait (de sa sœur)

destiné au nouveau-né. Il est là typiquement dans son rôle de fa’e tangata, terme de

référence qui est le sien et qui signifie, littéralement, « mère masculine »10.

22 Ces rôles, symétriques et inverses, de la sœur du père et du frère de la mère montrent

le poids de la relation frère-sœur au sein de la parenté tongienne mais ils soulignent

aussi l’importance de la distinction filiative – pour emprunter ses termes à Bernard

Juillerat – dans la formation du sujet : ici, les figures parentales sont en quelque sorte

redoublées et recomposées par leurs germains de sexe opposé. Nous allons maintenant

présenter le mythe tongien de création du monde.

Un évolutionnisme polynésien

23 Comme souvent dans les cosmogonies polynésiennes, le mythe d’origine tongien inscrit

la genèse du monde, des dieux et de l’humanité dans une structure généalogique :

« Le Limu (plante marine) et la Kele (vase), attachés ensemble et ballotés par lesflots, abordent au Pulotu et y enfantent une pierre ferrugineuse qu’ils appellentTouiafutuna. La pierre ferrugineuse se met à trembler et à gronder, puis elle se fendà quatre reprises et donne naissance à quatre paires de jumeaux de sexe opposé. Lapremière paire de jumeaux s’unit et enfante à son tour deux jumeaux de sexeopposé11 : un garçon, Taufulifonua, et une fille, Havealolofonua. La deuxième et latroisième paire de jumeaux enfantent chacune une fille, Velelahi et Velesii. Une foisdevenue grande, Havealolofonua, fille des premiers jumeaux, s’en va trouver ses“sœurs” cadettes et leur dit que leur frère étant le seul être masculin, elles doiventtoutes s’unir à lui. De ces trois dernières unions naissent alors les grands dieux : dela sœur aînée, Hikuleo ; de la sœur cadette, les Tangaloa ; et, enfin, de la benjamine,les Maui. À Hikuleo, parce qu’il est né de la sœur aînée, revient la tâche de partagerle monde : aux Tangaloa et à leur mère, il attribue le ciel, le Langi ; aux Maui et àleur mère, il attribue le monde souterrain, le Lolofonua ; il régnera lui sur le Pulotu,le paradis tongien où s’en reviennent les âmes des chefs après leur mort. Afin depeupler son empire, Hikuleo cherche d’abord à faire périr tous les premiers-nés.Aussi, ses frères, les Tangaloa et les Maui, décident-ils de l’attacher avec une cordedont l’un des bouts est accroché par les Tangaloa au ciel et l’autre par les Maui à laterre. Désormais, Hikuleo promène son regard sur la terre et les mouvements qu’ilfait pour se détacher provoquent les tremblements de terre. » (d’après Reiter, 1907 :230-240)

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24 Ce mythe nous fait assister à une suite d’événements qui prennent place dans une

chronologie évolutive constituée d’épisodes successifs que l’on peut identifier comme

suit :

un accouplement primordial (première génération) au paradis, ce qui donne :

la naissance d’une pierre (deuxième génération) ;

la pierre enfante (fanau) quatre paires de jumeaux (troisième génération) dont trois

s’accouplent, ce qui donne :

trois naissances anthropoïdes dont l’une est gémellaire : un garçon et trois filles (quatrième

génération), lesquelles s’accouplent avec leur « frère » ce qui donne :

la naissance des grands dieux : les quatre Tangaloa, les trois Maui et Hikuleo (cinquième

génération).

25 La fin du mythe est centrée sur la figure d’Hikuleo et sur ses rapports avec ses frères :

Hikuleo fait le partage du monde : aux Tangaloa et à leur mère, le ciel ; aux Maui et à leur

mère, l’intérieur de la Terre ; à lui-même, le paradis tongien.

Hikuleo veut faire mourir l’espèce humaine mais ses frères l’attachent au centre du cosmos.

26 On a ici, typiquement, ce que Dixon a appelé un mythe « évolutionnaire » où l’on passe

d’un monde végétal et minéral (la vase, l’algue, la pierre) à un monde animal (tortues,

anguilles, pigeon) avant de parvenir à l’âge anthropomorphique, réalisé à la quatrième

génération, puis à l’organisation et à la mise en ordre du cosmos, accomplies par les

grands dieux, Hikuleo d’abord, ses « frères » ensuite. Il y a bien ici un schéma général

qui sous-tend une idée/représentation de l’histoire de l’humanité, laquelle évolue

lentement à partir d’un monde préexistant, englobant et antérieur, constitué par

l’océan et dont le point central est le Pulotu, le lieu des grands commencements, là où

se font les engendrements menant à la métamorphose du monde et à la création/

naissance des grands dieux. Celle-ci est précédée par la séquence de l’inceste

« généralisé » où l’unique frère s’unit à ses « sœurs », sa jumelle et ses deux cousines,

unions gémellaires incestueuses d’où sont issus Hikuleo, les Tangaloa et les Maui.

Naissance des grands dieux et mise en ordre ducosmos

27 Les Tangaloa et les Maui sont des divinités communes à l’ensemble du monde

polynésien. Tangaloa est associé le plus souvent à la mer, parfois au ciel, et couronne le

panthéon divin dans nombre de cosmogonies. Maui est plutôt un demi-dieu ou un héros

qu’une divinité à part entière. Puissance chtonienne associée au Lolofonua, autrement

dit à l’intérieur de la Terre, Maui est aussi le type même du trickster, héros civilisateur

qui vole aux grands dieux les biens nécessaires aux hommes12. À Tonga, les Tangaloa

sont au nombre de quatre, chacun d’eux correspondant à l’un des statuts majeurs de la

pyramide sociale. L’aîné des Tangaloa, Eitu’matupu’a (littéralement, l’esprit ancêtre),

associé au ciel, est le père de ’Aho’eitu (littéralement, l’esprit jour), le premier Tu’i

Tonga, chef suprême de la société tongienne13. Quant aux Maui, les Tongiens se les

représentent sous la forme d’une triade composée de trois frères ou, plus souvent, d’un

grand-père, d’un père et d’un fils/petit-fils. Autrement dit, les Maui apparaissent

comme la métaphore même de la filiation et de la succession des générations.

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28 En ce qui concerne Hikuleo, il est clairement identifié comme l’aîné des dieux ; cette

place lui est dévolue, dit le mythe, parce qu’il est le fils aîné de la fille aînée. Fort de

cette préséance, Hikuleo fait le partage du monde : aux Tangaloa et à leur mère, il

donne le ciel, aux Maui et à leur mère, la Terre ; il s’attribue le Pulotu, le lieu-origine de

la création, lequel est aussi le paradis tongien où sont accueillis les esprits des chefs

après leur mort et où coule le Vaiola, source qui redonne vie, jeunesse et beauté. Les

Maui deviennent les divinités du Lolofonua (l’intérieur de la terre) parce qu’ils y sont

envoyés « avec leur mère », comme les Tangaloa deviennent les divinités du ciel parce

qu’ils s’y installent avec la leur. Dans le mythe, c’est donc le lien de filiation utérine qui

fonde le rapport originaire des grands dieux à leurs domaines cosmiques respectifs – le

ciel, la terre – exactement comme, dans le monde humain, le lien à la mère, plus

exactement au groupe de la mère (kainga i’fa’e) fonde l’autochtonie. Lors d’une

naissance, dans la société classique comme encore aujourd’hui, le placenta, puis le

cordon ombilical du bébé, lorsqu’il tombe, sont enterrés sur les terres familiales du

groupe maternel, marquant ainsi l’attache de chacun à son groupe/lieu d’origine14.

29 Si Hikuleo possède la préséance qui lui permet de présider à la mise en ordre de

l’univers socio-cosmique, le mythe l’oppose pourtant à ses frères, et ceci à deux plans

différents15. D’une part, ces derniers sont obligés de l’attacher au centre de l’univers,

grâce à une corde dont ils retiennent les extrémités, de peur qu’il ne détruise les

premiers-nés des humains, les chefs, dans la conception polynésienne16. D’autre part,

alors que les autres divinités sont multiples – les Tangaloa sont quatre et les Maui trois

– Hikuleo, en revanche, paraît être unique ; par ailleurs, de tous les grands dieux, il est

le seul à ne pas avoir de descendance. Dans les récits de la tradition orale, le

personnage d’Hikuleo est toujours représenté comme un dieu terrifiant, une divinité de

la démesure, qui possède de nombreux aspects duels. On peut gager qu’il est une sorte

de « deux-en-un », ses attributs constituant autant de manifestations de sa nature

bisexuée (Douaire-Marsaudon, 1998 : 283).

30 Il paraît à peu près certain qu’à l’époque du contact en tout cas et probablement bien

avant, on ne rendait aucun culte ni aux Tangaloa, ni aux Maui. En revanche, c’est en

l’honneur d’Hikuleo qu’avait lieu, chaque année, le ’inasi, le plus grand et le plus

important des rites de la vie religieuse tongienne. Au cours de ce rite, qui durait une

dizaine de jours, c’est l’ensemble des Tongiens qui offraient à leurs souverains les

prémices des récoltes, maritimes ou terrestres17. À cette occasion, des quantités

considérables de nourritures (porcs, ignames, patates douces, poissons, noix de coco,

etc.) et de « richesses » (nattes et tissus d’écorce) étaient rassemblées selon l’ordre

hiérarchique et accumulées sur le mala’e royal avant d’être finalement redistribuées.

Cependant, avant que ne commence la redistribution, le Tu’i Tonga prélevait la plus

belle part des produits accumulés et les offrait à sa sœur, la Tu’i Tonga Fefine qui se

trouvait ainsi « on the receiving end of the tribute » (Bott, 1982 : 107). Selon mon

hypothèse, ce n’était pas uniquement le chef suprême, le Tu’i Tonga, qui était la

personnification de Hikuleo au moment du rituel du ’inasi, mais lui et sa sœur, la Tu’i

Tonga Fefine18. Dans et par le rituel, ils sont l’un et l’autre les représentants terrestres

de la divinité, sectionnée, divisée en ses deux pôles sexués sous la forme d’un frère et

d’une sœur, à qui l’inceste est interdit : ainsi pourra vivre et croître la société des

« vivants » (humains).

31 Hikuleo, condensé d’inceste frère/sœur dont la figure cosmique est attachée au centre

même de l’univers, est donc bien une allégorie à double détente symbolique. Né(e) de

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l’unique homme du temps des grands commencements et de sa seule « vraie » sœur,

maître du monde des origines, le Pulotu, où coule le fleuve qui redonne vie et beauté,

Hikuleo veut faire mourir les « vivants » afin de peupler son royaume mais il est aussi la

divinité pourvoyeuse de la fertilité, terrestre et maritime en l’honneur de laquelle avait

lieu le gigantesque rituel propitiatoire du ’inasi. Personnage paradoxal donc que cet

Hikuleo bifrons, divinité mortifère et stérile, contrôlant pourtant la source du retour à

la vie et présidant aux arcanes de la fertilité générale.

32 Le mythe d’origine tongien raconte comment l’univers socio-cosmique a pris forme au

travers d’une série d’accouplements et d’enfantements qui donne naissance aux grands

dieux. Dans la mesure où l’inceste est ici la règle, on pourrait dire, en appliquant

strictosensu le terme de « nature » tel qu’il est conçu par Lévi-Strauss, qu’on est là dans un

monde « naturel », infra social en quelque sorte. Reste à savoir si le mythe et plus

largement l’imaginaire tongien raisonnent de cette manière.

33 Nous allons quitter le mythe d’origine tongien et présenter un geste rituel singulier, celui

de l’ablution prise par la personne qui possède le rang le plus exalté de toute la société

tongienne, la sœur du Tu’i Tonga, la Tu’i Tonga Fefine (littéralement, Tu’i Tonga femme).

Le bain sacré de la Tu’i Tonga Fefine

34 La mention du bain de la princesse est contenue dans les relations de voyage de

Dumont d’Urville19. Le navigateur livre un détail fourni par ses informateurs à propos

de l’intronisation du chef suprême de la société tongienne, le Tu’i Tonga. Ce rituel, qui

se déroulait après un long deuil de six mois consécutif à la mort du précédent chef

suprême, avait un caractère d’une extrême solennité. Pendant que le futur Tu’i Tonga

accomplit « certaines cérémonies », nous dit Dumont d’Urville, la « toui-tonga Fafine »

(la Tu’i Tonga Fefine) va se purifier dans une fontaine voisine, entourée de ses femmes.

Nul homme, précise-t-il, ne peut se baigner dans cette fontaine sous peine de mort

(Dumont d’Urville, 1833, t. I : 109).

35 Précisons d’abord que, lors de l’intronisation d’un nouveau Tu’i Tonga, la Tu’i Tonga

Fefine en titre est la sœur du Tu’i Tonga décédé et par conséquent la tante paternelle de

celui que l’on s’apprête à revêtir des insignes de sa fonction (Douaire-Marsaudon, 1998 :

228). Ce qui intrigue, dans cette ablution royale, n’est pas tant son existence en soi, ni

même le fait qu’elle soit assujettie à des tabous sévères, mais son occurrence dans le

contexte tout à fait singulier de l’intronisation du chef suprême, rite d’une dimension,

politique et symbolique, considérable. Pourquoi cette ablution rituelle prise par une

personne qui, après tout, n’est qu’une parente du héros du jour, le nouveau Tu’i Tonga

? Et de quoi cette parente est-elle donc censée se purifier ?

36 Dans la société tongienne du XIXe siècle, les femmes avaient recours à une ablution

rituelle purificatrice dans une occasion bien particulière, quand elles venaient

d’accoucher20. Cette ablution visait à mettre fin à la période des tabous pesant sur la

parturiente et à la réintégrer, après ce moment de liminalité intense que constituait

l’accouchement, dans le monde ordinaire des « vivants ». Le bain de la Tu’i Tonga Fefine au

moment même de l'intronisation du Tu'i Tonga paraît donc suggérer une « mise au

monde » symbolique, qui ne peut être que celle du nouveau Tu'i Tonga par la Tu'i Tonga

Fefine.

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37 On sait que les rituels d’intronisation prennent souvent la forme d’une réplique des

rituels de naissance21. Le futur souverain est investi de sa fonction non pas en

« recevant son office » mais en « naissant au monde » qu’il doit gouverner, revêtu

ontologiquement, pourrait-on dire, de ses attributs. Mais si le bain rituel de la Tu’i

Tonga Fefine sert à signifier qu’elle vient d’accoucher symboliquement du nouveau Tu’i

Tonga, une telle naissance pose à son tour question. Pourquoi le nouveau souverain est-

il censé (re)naître de sa tante paternelle ? Que manque-t-il donc à la première naissance

du Tu’i Tonga pour que soit signifié, par une véritable mise en scène cérémonielle, qu’il

naît au monde à nouveau, de la Tu’i Tonga Fefine cette fois ? Par ailleurs, ce que le bain

sacré de la grande dame paraît aussi – et par voie de conséquence – suggérer, c’est

l’existence en amont de l’intronisation royale d’une union entre la Tu’i Tonga Fefine et

le père décédé du récent intronisé, autrement dit, entre l’éminente princesse et son

frère. On sait que certaines sociétés (Égypte pharaonique, Pérou incaïque, Hawai'i)

pratiquaient le mariage hiérogamique entre frère et sœur au plus haut niveau de

l’ordre socio-hiérarchique, autorisant ainsi ceux qui le couronnaient à agir à l’instar

des divinités, en transgressant certaines de ses lois fondatrices. Soit ! Mais à Tonga, le

Tu’i Tonga n’épousait pas la Tu’i Tonga Fefine. Même si la tradition orale tongienne

rapporte un inceste entre la première Tu’i Tonga Fefine et son frère le Tu’i Tonga,

l’étude des généalogies royales montre clairement que la Tu’i Tonga Fefine n’était pas

censée devenir l’épouse du Tu’i Tonga, ni a fortiori donner naissance à l’héritier au

titre22. D’une manière générale, dans la société tongienne – à l’âge classique comme

aujourd’hui –, la relation qui lie un frère et une sœur est marquée par un puissant

tabou qui marque de l’empreinte de l’interdit tout ce qui relève de la sexualité23.

Pourtant, l’ablution rituelle de l’éminente princesse paraît bien renvoyer à l’idée d’une

union hiérogamique frère/sœur, laquelle serait en quelque sorte fantasmée à la fois

dans le mythe (l’inceste entre la première Tu’i Tonga Fefine et son frère) et dans le rite.

38 Pour éclairer le mystère du bain de la Tu’i Tonga Fefine, j’avais proposé une analyse de

la souveraineté tongienne à partir de ses principes d’organisation et de l’histoire de ses

pratiques24. Puisque cette ablution rituelle évoque un accouchement et une naissance,

je reprends ici une partie de cette démonstration.

39 On sait que le XVIIe siècle tongien a correspondu à une période de changements

historiques importants, les souverains suprêmes de Tonga ayant repris en main les

rênes du pouvoir après avoir été chassés de l’archipel pendant près d’un siècle. L’un

d’entre eux, Tele’a, que la tradition orale présente comme l’un des plus puissants Tu’i

Tonga, entreprit un certain nombre de réformes et mit en œuvre une nouvelle

politique d’alliance entre les lignées royales en décidant de marier la Tu’i Tonga Fefine.

Cette nouvelle situation s’est accompagnée d’un renouveau rituel d’une ampleur

certaine, celui-ci étant l’occasion de réaffirmer la part éminemment sacrée de la

personne des chefs suprêmes25. Il n’est alors pas impossible de considérer que le rite

d’intronisation du souverain suprême et, par conséquent, le bain cérémoniel de la Tu’i

Tonga Fefine qui en est l’une des pièces maîtresses, auraient tous deux constitué l’un

des volets majeurs de cette réforme rituelle. En effet, le bain sacré de la grande dame au

cours du rituel d'intronisation du nouveau souverain suprême transformait ce dernier

en un être très sacré et parfaitement singulier comme on va le voir maintenant.

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La (re-)sacralisation du chef suprême

40 Le bain rituel de la Tu’i Tonga Fefine fait du nouveau Tu’i Tonga un être né deux fois26.

Le nouveau chef suprême est certes né des amours de son père, le précédent Tu’i Tonga,

un homme-dieu, avec la moheofo, une aristocrate d’un rang tout à fait éminent. Mais il

ajoute quelque chose de fondamental à cette première naissance, prestigieuse certes,

mais néanmoins passablement « terrestre ». Par la vertu de cet élément symbolique

fondamental que représente l’ablution de la grande dame, l’intronisation du nouveau

Tu’i Tonga fait de lui, au moment précis où il « naît » à sa fonction, un être « issu » de la

Tu’i Tonga Fefine, autrement dit un être unique, engendré humainement certes mais

néanmoins revêtu ontologiquement, grâce à sa seconde naissance, de la sacralité

ancestrale. Simultanément, en raison du principe de la transmission du rang/sang, ce

deuxième engendrement par la Tu’i Tonga Fefine lui procure le rang suprême de sa

mère symbolique27.

41 Renaissance rituelle par laquelle le Tu’i Tonga réaffirme la part sacrée de sa nature et

surélève son rang, l’ablution de la Tu’i Tonga Fefine réactive aussi les principes

cruciaux de la reproduction du groupe de parenté et, par là, ceux de la société toute

entière. Rappelons que la Tu’i Tonga Fefine est, au moment de l’intronisation d’un

nouveau Tu’i Tonga, la tante paternelle de ce dernier, sa terrible et nécessaire

mehekitanga. Par le rite de l’ablution, elle est celle qui, conformément à sa vocation, le

fait « apparaître » et « fructifier », non pas comme simple être « vivant » – cela fut le

cas à sa naissance – mais comme souverain sacré, tout baigné de l’assentiment des

prestigieux ancêtres qu’elle représente. Triple légitimité donc pour le nouvel intronisé

par cette re-naissance rituelle qui lui garantit tout à la fois son lien avec l’ordre

surnaturel, son rang exalté d’enfant sacré et la bienveillance agissante des divinités

ancestrales.

L’inceste sacré des origines

42 Reste l’épineuse question de l’inceste royal que soulève, très logiquement, cette

deuxième naissance. Car si le nouveau souverain, fils et héritier du Tu’i Tonga

précédent, est, par l’ablution de la Tu’i Tonga Fefine, sa tante paternelle,

symboliquement né d’elle, alors on ne voit pas comment on pourrait ignorer ce qui,

dans cette intronisation sur le mode de la naissance, fait signe, à savoir l’inceste

hiérogamique fantasmé entre la Tu’i Tonga Fefine et le précédent Tu’i Tonga, son frère.

43 La tradition orale rapporte un inceste entre l’un des tout premiers Tu’i Tonga, le

proéminent Tu’itatu’i, et sa sœur, la Tu’i Tonga Fefine Latutama. Que cet inceste royal

mythique soit une manière de souligner l’ampleur de la stature de Tu’itatu’i est peu

douteux : cette transgression par excellence de l’ordre des humains, éminemment

dangereuse pour le commun des mortels, prouve par elle-même la nature

singulièrement divine du grand Tu’itatu’i. Cependant, cette union hiérogamique

comporte probablement d’autres implications, comme le laisse penser le fait qu’il soit

unique dans la généalogie royale et, d’autre part, que la Tu’i Tonga Fefine en cause soit,

comme par hasard, la première de toutes les Tu’i Tonga Fefine. Tout se passe comme si

l’union entre les deux souverains ne pouvait se faire, dans le mythe comme dans le rite,

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que sur le mode allusif, comme si la société fantasmait cette union, en évoquait l’idée

mais sans lui donner une réalité plus sensible ou plus explicite.

44 Il paraît possible d’éclairer le sens de cette union sexuelle latente entre les deux

souverains, le Tu’i Tonga et la Tu’i Tonga Fefine, en recourant à l’étude d’abord de ces

configurations symboliques que sont les incestes premiers du mythe de création

tongien puis à celle du grand rituel annuel de fertilité où la paire souveraine se trouvait

impliquée.

45 Tout comme la figure d’Hikuleo, les incestes des grands commencements renvoient aux

avatars de la bisexualité originaire du cosmos. L’inceste frère/sœur et tout

particulièrement l’inceste gémellaire qui en est la forme dense constituent un paradoxe

à partir duquel la pensée tongienne brode à l’envi. Dans le mythe, l’inceste frère/sœur

fondateur est celui qui survient à la quatrième génération, entre Taufulifonua et

Havealolofonua (géniteurs d’Hikuleo) : c’est, en effet, le premier inceste explicitement

anthropomorphe, dont il est dit qu’il a lieu entre un homme et une femme, lesquels

sont aussi des jumeaux de sexe opposé. Or, dans la mythologie tongienne, les jumeaux

Taufulifonua et Havealolofonua sont présentés comme les initiateurs du premier acte

sexuel (Gifford, 1924 : 18)28. Autrement dit, l’inceste frère/sœur du temps des grands

commencements renvoie à la division des sexes, certes, mais aussi à l’origine de la

sexualité comme source et moteur de l’engendrement. Au temps des grands

commencements, parait nous dire le mythe, dans un monde qu'on n'imagine que

comme le produit d'engendrements, il a bien fallu passer par le un puis le deux pour

arriver au multiple, arithmétique incontournable que l’on retrouve dans nombre de

mythes de fondation polynésiens et qui rend l’inceste mythique des origines si

productif. Mais l’inceste des grands commencements, générateur du monde et des

grands dieux, est aussi porteur de mort et de destruction, comme paraît nous inviter à

le penser le personnage crucial d’Hikuleo : au sein de la dynamique prolifique des

engendrements, il est une sorte d’impasse reproductive, de cul-de-sac où le processus

de filiation se gèle de lui-même.

46 L’un des mythes les plus connus du monde polynésien, un mythe d’origine maori,

raconte comment l’humanité naquit du geste de Tane (le premier homme) : en séparant

ses parents, Papa (la terre) et Rangi (le ciel), étroitement enlacés dans une copulation

sans fin, il mit fin à la nuit (Po) en ouvrant la matrice de sa mère Papa où lui et ses

frères étaient retenus prisonniers. Ainsi libérée de la fusion originaire, l’espèce

humaine pourra croître et se multiplier (Reed, 1974 : 5sq)29. Comme Papa et Rangi, mais

sous une autre forme, Hikuleo peut être considérée comme une figure involutive du

processus filiatif, une sorte de retour au stade primordial intra-utérin30. Quant à

l’inceste frère/sœur, à la fois condition de la (re)production de l’ordre socio-cosmique

et source de sa possible néantisation, d’un retour à la fusion matricielle originaire, il est

conçu comme simultanément fondateur et destructeur de l’ordre social

47 Au temps du mythe, l’inceste frère/sœur est nécessaire à la création du monde et à la

naissance des grands dieux mais, dans la vie sociale, il est interdit aux « vivants », aux

humains. Or le chef suprême et sa sœur occupent un état intermédiaire entre le divin et

l’humain, ou plutôt ils combinent en eux les deux états. Au temps du rite, durant la

grande fête annuelle du ’inasi qui glorifie la fécondité générale, le Tu’i Tonga et la Tu’i

Fefine constituent la version terrestre de la divinité mais une divinité clivée, sous la

forme d’un frère et d’une sœur, à qui l’inceste est désormais interdit. Dans cette

perspective, il n’est pas étonnant que durant le rite de l’intronisation royale qui célèbre

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conjointement l’avènement du chef suprême et le renouveau du cosmos, le bain rituel

de la Tu’i Tonga Fefine rejoue le paradoxe des grands commencements, l’idée de

l’inceste sacré des origines. Simultanément, le bain rituel substitue au lien mère/enfant

celui de tante paternelle/neveu. Tout dans la relation cruciale qui existe entre un

enfant et sa tante paternelle montre qu’elle est un père au féminin (comme l’oncle

maternel est une mère masculine). On peut alors voir aussi dans la seconde naissance

du Tu’i Tonga, telle qu’elle est mise en scène dans le rite du bain royal, la césure

imposée au groupe maternel par le groupe paternel et la captation, au nom de toute la

société, de celui qui naît à la fonction de chef suprême.

48 Nous allons maintenant quitter la société tongienne du XIXe et nous rendre à l’autre

extrémité du monde polynésien, aux îles Gambier, plus précisément à Mangareva où

existe, sous diverses versions, un mythe d’origine qui traite très directement de

l’accouchement.

Comment les femmes apprirent à accoucher

49 Voici comment la tradition orale de Mangareva raconte l’histoire de l’accouchement :

« Quand une femme devenait enceinte, on la reléguait dans une case particulière,située dans un lieu écarté. Elle devait y vivre, hors de tout contact avec leshabitants, si ce n’est quelques femmes qu’on laissait auprès d’elle pour la servir. Lesmois de gestation étaient comptés d’après les phases de la lune qui suivaient lecommencement de la grossesse. Mais le processus naturel de l’accouchement étaitinconnu et à la neuvième lune, lorsque la femme commençait à souffrir desdouleurs de l’enfantement, un vieux prêtre arrivait près d’elle, lui ouvrait le ventreet en retirait l’enfant tandis que la mère mourait. Cette opération se faisait avec unmorceau de nacre fendu en biseau.Elle ne cesse qu’à la suite du fait suivant. Un jour, une jeune femme de Mangarevase trouva enceinte, mais sans savoir elle-même au juste de quel homme. Elle allafaire part de sa situation à un sorcier, qui lui dit : “Ne te laisse pas ouvrir le ventre,je pars, et quand le moment de tes souffrances sera venu, tu me feras prévenir, etj’enverrai quelqu’un pour te soigner”. La jeune femme le lui promit.Quelques mois se passèrent, et quand l’accouchement fut venu, un prêtre vint,comme d’habitude pour ouvrir le corps de la mère et y prendre l’enfant. Mais lajeune femme lui dit : “Attends un peu et reviens dans une heure”. Le vieux prêtre yconsentit ; il s’en alla. Presque aussitôt après son départ, les douleurs del’enfantement arrivèrent, et se rappelant alors ce que lui avait dit un de ses amants,la jeune femme s’écria : “Tagaroa ma rei ui vau”. Immédiatement, deux autresfemmes se présentèrent, portant chacune une gerbe d’herbe appelée aretu et l’uned’elle plaça la gerbe derrière le dos, tandis que l’autre étalait la sienne par terre. Ilen résulta, dit la tradition, que les douleurs de la mère augmentèrent et qu’elle mitau monde son enfant tout naturellement.C’est depuis lors que toutes les femmes adoptèrent cette façon d’accoucher etrefusèrent de se laisser ouvrir le ventre par le sinistre prêtre. » (Caillot, 1914 :149-150)

50 Bien entendu, l’expression « tout naturellement » est celle d’Eugène Caillot. Ce que

nous dit le récit ci-dessus, c’est qu’il existait autrefois un état de société où les femmes

ne savaient pas accoucher et où il leur fallait donc mourir, puisqu’on devait leur ouvrir

le ventre pour permettre la naissance. Autrement dit, pour que l’enfant naisse, il fallait

d’abord que la mère meure : en quelque sorte, l’accouchement n’existait pas. La

tradition orale rapporte ici comment une femme apprend à enfanter, connaissance qui

représente pour le mythe – dans ses diverses variantes – un progrès pour l’humanité.

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51 Si j’ai choisi d’évoquer ce mythe mangarévien concernant l’invention de

l’accouchement, c’est parce qu’il répond comme en écho aux pratiques entourant

l’accouchement à Tonga : enfanter y est considéré, ici et là, comme un ensemble de

connaissances secrètes qui appartiennent aux femmes et qu’elles se transmettent, pour

le bien de tous.

Interprétations

52 Les mythes et les récits évoqués plus haut mettent en scène ce qu’on pourrait appeler,

en reprenant les mots de Bernard Juillerat, des morceaux épars du « drame éclaté de

l’œdipe » : non pas les figures, classiques dans nos sociétés, de l’inceste avec la mère ou

du meurtre du père, mais celles de la fusion originaire, du retour au stade intra-utérin.

C’est le coït éternel dans lequel se tiennent embrassés Rangi (le ciel) et Papa (la terre),

empêchant leurs enfants de naître, c’est Hikuleo, ce deux-en-un aussi clos sur lui-

même qu’un œuf stérile. On pourrait y ajouter le coquillage bivalve dans lequel se

tenait le dieu Ta’aroa avant que ce dernier ne l’ouvre pour créer le monde, selon le

mythe d’origine tahitien. Images, diverses et variées, de la dualité originelle du cosmos,

si caractéristiques des sociétés polynésiennes mais aussi représentations parallèles du

stade primordial de l’univers socio-cosmique et de l’état de fusion originaire de l’espèce

humaine.

53 Au-delà de ces configurations œdipiennes propres à ces sociétés, un premier constat

s’impose. Comme l’avait remarqué Juillerat à propos des mythes yafar, ceux de

Polynésie sont tournés bien davantage vers la « production de la génération », vers

l’engendrement et l’enfantement que vers la sexualité, affichant une attention

maniaque pour la mathématique reproductive des lignées :

« histoires créées par des adultes, les mythes montrent clairement qu’ils font grandcas de la reproduction alors que de la sexualité, ils s’amusent. » (Juillerat, 2001 :62-63)

54 Dans le mythe de création tongien, la sexualité n’est que brièvement évoquée à travers

la paire des premiers jumeaux anthropomorphes, la grande œuvre du mythe est les

travaux d’engendrement. On constatera ensuite que l’opposition nature/culture, telle

du moins qu’elle s’est constituée en Occident, n’a pas cours ici. Si dualisme il y a, c’est,

comme il a souvent été dit pour les sociétés de Polynésie, celui du jour, ’Aho, et de la

nuit, Po, à condition de considérer que ces notions ne s’opposent justement pas comme

le font le jour et la nuit dans nos sociétés31. L’univers socio-cosmique des Polynésiens

est marqué de part en part par la dimension du sacré et l’opposition du jour et de la

nuit y opère sur le registre de la métaphore. Si la « géographie du surnaturel »

(Vernant, 1965 : 116), telle qu’elle apparaît dans le mythe d’origine tongien, distingue

bien des domaines comme le monde souterrain, la mer, les cieux, le Pulotu, tout y est

soumis à l’ordre des dieux. Le monde du Po-nuit, c’est le monde enchanté des morts,

peuplé d’une multitude d’esprits, d’ancêtres et de divinités. Mais le Po, c’est aussi

l’origine des choses, c’est ce qui existait avant et qui existera après, c’est un monde

antérieur et englobant, supérieur hiérarchiquement. Le monde du ’Aho-jour, c’est le

monde visible, celui des « vivants » (mou’i), des hommes et de leurs actions, du temps

présent. Mais c’est aussi un monde d’apparence, englobé par la nuit et pénétré par elle,

puisque les esprits des morts, les ancêtres et les divinités peuvent y circuler sous des

formes familières, visibles… ou invisibles. Le Po-nuit, c’est tout ce que les hommes ne

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voient pas, ne savent pas voir, ne comprennent pas : tout ce qui leur est inintelligible.

C’est donc un monde éminemment dangereux pour les « vivants ». Les cycles

saisonniers comme celui des ignames, les mouvements des marées, ceux des astres, les

règles et le corps féminin, la sexualité relèvent du Po-nuit. Ce n’est pas un monde sans

loi où régnerait le chaos mais un univers régi par des lois qu’on ne connaît pas, qui ne

sont pas du ressort des humains. Heureusement, entre le monde très sacré des origines,

des morts et des dieux et celui des hommes, plus profane mais où le sacré s’insinue en

se déguisant, des médiations sont possibles. Elles sont affaires de personnes comme les

chefs – au premier rang desquels le Tu’i Tonga et la Tu’i Tonga Fefine – ou les prêtres,

ou même, au sein de la parentèle, ceux qui représentent les ancêtres décédés, comme la

tante paternelle.

55 On pourrait être tenté de lire l’opposition Po-nuit/’Aho-jour à la manière de la

dichotomie nature/culture telle qu’elle est construite dans nos sociétés, en postulant

l’équivalence du concept polynésien du Po-nuit et de la catégorie occidentale de

« nature », celle-ci étant comprise soit comme « le monde environnant » (sens le plus

commun) soit comme un état infra-social, au sens savant de Lévi-Strauss (puisque, dans

le Po comme dans la nature, l’inceste est pratiqué). En somme, le surnaturel là-bas

correspondrait au naturel dans nos sociétés. Cependant, cette manière de voir les

choses souffre d’un inconvénient majeur. Dans la pensée de nos sociétés, la nature,

qu’elle soit comprise comme « le monde environnant » et opposée à l’espèce humaine,

ou entendue comme un « état infra social » et opposée à la culture, est conçue, dans les

deux cas, au sein d’une relation sujet/objet où elle occupe la place d’objet. Comme

« monde environnant », la nature est destinée à être soumise au travail humain, comme

« état infra social », la nature se voit imposer des règles et des normes. Dans l’univers

polynésien, l’opposition Po-nuit/’Aho-jour, qui est à lire dans la perspective

dumontienne de la hiérarchie et donc de la relation, nous invite à penser l’idée du

passage, du va-et-vient, du mouvement qui va du plus au moins sacré. Ce ne sont pas

seulement les notions du Po-nuit et du ’Aho-jour qui sont pertinentes dans l’imaginaire

de ces sociétés, c’est aussi, c’est surtout, le passage de l’un à l’autre, du plus sacré au

moins sacré… et retour. Or, à côté de tout ce qui – certains êtres, certains animaux,

certains objets – est censé favoriser le passage entre le Po-nuit et le ’Aho-jour, il existe

un élément-clé, une notion polymorphe, véritable interface entre les deux domaines,

celle de fonua (fenua), qui signifie à la fois « terre/pays », « tombe » et « placenta ».

56 C’est dans ce cadre conceptuel qu’il faut comprendre comment les Polynésiens du

contact concevaient les procès associés à l’enfantement et à la naissance. Le cycle de

vie, qui n’a ni début ni fin, comporte deux passages obligés entre le monde du Po-nuit –

le lieu-origine de tout -– et le monde du ’Aho-jour, là où vivent les humains : le placenta

et la tombe, « pays » respectifs du fœtus et du décédé. On s’en souvient (cf. supra),

nombre de mythes polynésiens font du corps féminin et en particulier de la matrice

féminine, du placenta ou du vagin, des moyens de médiation entre le monde très sacré

des esprits/ancêtres/divinités et celui des humains. Encore aujourd’hui, les cheveux du

nouveau-né sont appelés d’un terme qui signifie « les cheveux de l’esprit », le tout petit

enfant étant censé issu du monde surnaturel. Quant au récit de l’apprentissage de

l’accouchement, dans la tradition mangarévienne, que raconte-il d’autre que ce que

disent de l’enfantement les pratiques tongiennes : accoucher est un savoir, un ensemble

de connaissances secrètes qui appartiennent aux femmes et qu’elles se transmettent

pour le plus grand bien de la société humaine. En tongien, comme dans la plupart des

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langues polynésiennes, « engendrer », « accoucher » et « naître » se dit d’un seul et

même terme, celui de fanau. Événement unique raconté par les mythes et les rites,

l’engendrement, l’enfantement et la naissance sont ici considérés comme un ensemble

de pratiques, de savoirs et de savoir-faire qui met à la portée des hommes ce qui vient

du monde des dieux : un travail qui est l’affaire de tous, hommes et femmes, chefs et

ancêtres, bref un événement cosmique qui « fait société ».

57 Dans les représentations de l’engendrement et de la filiation se jouent ce que Bernard

Juillerat appelle les questionnements ontologiques de l’homme vivant en société. Là, se

cristallise une part non négligeable des craintes, des angoisses, des fantasmes, associés

à la lente élaboration de la vie en société. Pour leur part, les productions culturelles de

Polynésie témoignent de ce que les procès associés à l’enfantement – et le lien mère-

enfant qui en découle – constituent des objets d’appropriation sociale puissamment

investis par l’imaginaire des sociétés concernées.

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NOTES

1. Problème qui avait particulièrement tracassé Lévi-Strauss, comme l’écrit Juillerat (2001 : 121).

2. Ces considérations sur la nature succèdent aux idées des philosophes de la loi naturelle (XVIIe

siècle) – Grotius, Pufendorf, Hobbes et Locke – bâtisseurs de la théorie selon laquelle l’état de

société succède à l’état de nature au travers de l’établissement du contrat social (Bloch et Bloch,

1980).

3. Pour l’auteur de l’histoire de la sexualité et contrairement à une idée toute faite fort

répandue, ce dispositif-là ne correspondait nullement à la répression sur le sexe des classes à

exploiter, il ne s’agissait ni d’un « renoncement au plaisir » ni d’une « disqualification de la

chair » mais bien plutôt de l’auto-affirmation d’une classe, au travers d’une manière neuve de

considérer et de traiter le corps et le sexe (Foucault, 1976).

4. Cf. Cette double analogie homme-culture/femme-nature avait fait l’objet d’un article

retentissant écrit par Sherry Ortner dans un volume fondateur de l’anthropologie féministe

dirigé par Michelle Zimbalist Rosaldo et Louise Lamphere (1974). À propos de la dénaturalisation

du sexe, de l’appropriation féministe de la notion de genre et de son ambiguïté fondatrice, voir

Éric Fassin (2008 : 75-392).

5. À la suite du travail critique précurseur de Simone de Beauvoir sur le sujet (1949).

6. Ce geste rituel singulier, propre à la société classique des îles Tonga (XIXe siècle), relevé par le

voyageur Dumont d’Urville, paraît avoir échappé à l’attention des exégètes, pourtant nombreux

et perspicaces, de l’histoire tongienne. Il s’agit d’une ablution rituelle, prise par une femme d’un

rang particulièrement exalté, la Tu’i Tonga Fefine, sœur du souverain de Tonga, le Tu’i Tonga,

dans un contexte rien moins qu’anodin, celui de l’intronisation d’un nouveau Tu’i Tonga

(Douaire-Marsaudon, 2002).

7. Seuls les esprits ancestraux étaient censés maîtriser les forces de vie (mana) et autoriser

l’arrivée d’un nouveau venu au sein du clan familial. Aujourd’hui, la naissance d’un enfant est

certes attribuée au dieu chrétien mais l’idée de la volonté des ancêtres dans la conception et la

gestation d’un enfant est toujours vivace.

8. Telle femme est fécondée par le rayonnement solaire, en présentant ses fesses au vent ou

encore en se baignant dans le bassin d’un dieu-serpent.

9. Ces représentations attachées au rôle de la tante paternelle n’ont pas disparu.

10. Lorsque la circoncision se pratiquait dans le cercle familial – et non à l’hôpital comme

aujourd’hui –, c’était l’oncle maternel qui se chargeait de l’opération sur ses neveux utérins. Lui

seul, en effet, pouvait faire couler le sang de ces derniers, puisque, selon la théorie de la

transmission du sang, un homme partage le même sang avec ses sœurs et avec les enfants de ces

dernières (mais il ne partage pas le même sang avec les enfants de ses frères ou avec ses propres

enfants).

11. Dans le mythe rapporté par le père Reiter (1907), Taufulifonua et Havealotofonua sont

présentés comme frère et sœur, sans que leur gémellité soit précisée. Cependant, dans d’autres

mythes où ils figurent, ils sont présentés comme des twin deities, des jumeaux divins (Gifford,

1924 : 14). Selon la tradition orale, ils sont les initiateurs des premiers rapports sexuels (ibidem).

12. Maui Kisikisi (le petit) est crédité de travaux prométhéens : à Tonga, la pêche des îles, le

soulèvement du couvercle du ciel, la régularisation des mouvements du soleil, le vol du feu

souterrain, la domestication de la poule et du chien, tous deux géants et mangeurs d’homme,

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ainsi que le mûrier à papier (Broussonetia papyrifera), lui aussi carnivore et qui sert à faire le

papier d’écorce si important dans la vie quotidienne et rituelle (Williamson, 1933 : 217sq).

13. Un long mythe raconte la « double » naissance de ’Aho’eitu : né des amours de Eitu’matupu’a

et d’une fille de chef, il monte au ciel pour rencontrer son père où il est assassiné et dévoré par

ses frères célestes, avant d’être ressuscité par son père et envoyé par ce dernier pour régner sur

terre (Tonga) (Douaire-Marsaudon, 2002 : 522).

14. Les femmes tongiennes avaient l’habitude de retourner dans leur groupe de naissance pour

accoucher. L’importance du symbolisme associé au traitement du placenta et du cordon ombilical

est attestée dans nombre de sociétés de Polynésie, au point que l’anthropologue Bruno Saura a pu

parler de « culture placentaire » (2008 : 162).

15. Le mythe fait d’Hikuleo la figure dominante des dieux, alors que dans la plupart des archipels

polynésiens – sauf à Samoa –, c’est à Tangaloa (Tagaloa, Ta’aroa, etc.) à qui est généralement

attribuée cette place. On peut penser que la figure d’Hikuleo, dont le Tu’i Tonga était considéré

comme le grand prêtre, a pris la place de Tangaloa dans ces deux sociétés au cours d’une histoire

qui a vu le renforcement progressif du pouvoir (pourtant souvent contesté) des Tu’i Tonga.

16. Comme on ne conçoit pas la société sans chef, ce que menace Hikuleo, c’est l’ensemble de la

société des « vivants », autrement dit des hommes.

17. La présentation des prémices était suivie de concours de danses et de matchs sportifs ; le

dernier jour se clôturait sur les fameuses danses de nuit célébrant la fécondité générale.

18. Les commentateurs du 'inasi (Gifford, 1929 ; Urbanowicz, 1972), en s’appuyant sur le

témoignage de Sarah Farmer (1855), mentionnent simplement que, lors du rituel, le Tu’i Tonga

est le représentant ou le grand prêtre de Hikuléo.

19. « Cet arbre gigantesque est particulièrement dédié au toui-tonga. Immédiatement après son

couronnement, ce dignitaire vient se placer sous l’ombrage de ce mea. Là, sur un siège préparé à

cet effet, et entouré de ses officiers, il accomplit certaines cérémonies, tandis que la toui-tonga

Fafine va se purifier dans une fontaine voisine assistée de quatre ou cinq femmes. Aucun homme

ne peut se baigner dans cette source sous peine de mort. » (Dumont d’Urville, 1833, t. I : 109).

20. C’est aussi le cas dans la société contemporaine.

21. C’était notamment le cas à Hawai’i pour l’intronisation de certains chefs de haut rang où on

rejouait symboliquement la cérémonie de la coupure du cordon ombilical ainsi que le rituel de

circoncision (Kamakau, 1991 : 54 ; voir aussi Sahlins, 1985 : 212).

22. La tradition orale rapporte que la Tu’i Tonga Fefine demeura longtemps interditedemariage,

en raison de son rang très sacré. À partir du XVIIe siècle, elle fut finalement autorisée à épouser un

prince « étranger », un descendant de la Fale Fisi ou maison royale fidjienne, mariage qui se

répéta régulièrement jusqu’après l’arrivée des Européens. Auparavant, l’éminente princesse, fille

et sœur de souverain, était donc parthénos, c’est-à-dire célibataire mais pouvait néanmoins être

mère. Ses rejetons, considérés comme issus d’engendrements divins, étaient eux-mêmes conçus

comme trop sacrés pour régner. À partir du mariage de la Tu’i Tonga Fefine, l’habitude fut prise

de marier le Tu’i Tonga avec la fille de la lignée royale cadette, mariage répété lui aussi sur

plusieurs générations jusqu’au XIXe siècle (Douaire-Marsaudon, 2002 : 147-162 et 519-528).

23. Entre frère et sœur, il est interdit de faire une quelconque allusion, en paroles ou en gestes, à

tout qui concerne la sexualité (ou tout ce qui touche à la sexualité) comme, par exemple,

l’accouchement (risque d’évoquer les organes génitaux).

24. J’avais eu recours en particulier à l’étude des stratégies matrimoniales qui se mettent en

place au XVIIe siècle – et qui perdurent jusqu’à l’époque historique du contact (fin XVIIIe-début

XIXe).

25. Ce n’est sûrement pas un hasard si c’est précisément au cours du règne du Tu’i Tonga Tele’a,

artisan de ces réformes et du mariage de la Tu’i Tonga Fefine, que fut bâti le plus grand et le plus

élaboré des mausolées royaux, le pa’epa’e’o Tele’a.

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26. Exactement comme son ancêtre ’Aho’eitu, le premier Tu’i Tonga, d’après le mythe d’origine du

premier Tu’i Tonga (Douaire-Marsaudon, 2002 : 522).

27. À Tonga, il existait deux théories de la transmission des substances. L’une, probablement

ancienne – on la trouve ailleurs en Polynésie –, selon laquelle le père et la mère transmettent

leurs substances conjointement à leur progéniture (la mère transmettant le sang et la chair, le

père, les os, les cheveux, les ongles, etc.). L’autre, sans doute issue des réformes politiques

imposées par la lignée des Tu’i Tonga pour maintenir leur pouvoir, postulant que la mère et elle

seule « fabrique » toute la substance de son enfant. L’une et l’autre postulent que le sang/rang est

transmis par la mère et en effet, à l’époque du contact, seule la mère transmettait son rang à son

enfant (les chefs étant polygames, comme l’était aussi le Tu’i Tonga, seuls les enfants nés d’une

mère de rang aristocratique étaient considérés comme aristocrates).

28. Dans Inalienable Possessions, The Paradox of Keeping-While-Giving, A. Weiner a montré que dans les

sociétés polynésiennes où les relations frère/sœur font pourtant l’objet d’un puissant évitement, il

existe tout un ensemble de productions sociales – récits, mythes, rites, généalogies, objets de valeur

comme les nattes fines – qui font constamment allusion à ce qu’elle appelle la “ sibling sexuality ”

(1992 : 80).

29. Mais elle sera désormais mortelle.

30. À propos des « équivalences » mythiques entre cosmogenèse, anthropogenèse et ontogenèse,

voir V. Valeri (1985 : 6).

31. Ces deux notions Po et ’Aho, en effet, ne constituent pas une opposition absolue dont les

termes s’excluent l’un l’autre. Ils sont à lire comme Louis Dumont l’a montré pour le pur et

l’impur en Inde, autrement dit au sein d’une hiérarchie, dans le sens qu’il donne à ce terme :

l’une suppose l’autre, elles sont interdépendantes même si elles n’occupent pas, selon les

perspectives, les mêmes niveaux de valeur. À l’âge classique (XVIIe-XIXe siècles), la société

polynésienne de Tonga peut être considérée comme relevant du type holiste et la distinction

établie par Dumont entre statut (hiérarchique) et pouvoir (politique) y joue un rôle essentiel.

RÉSUMÉS

Dans le corpus mythique des sociétés de Polynésie, il existe un puissant intérêt pour tout ce qui

concerne la reproduction et la filiation et, plus particulièrement, pour l’enfantement et la

naissance. Cet article propose une contribution à la discussion sur le caractère « naturel »

attribué, dans nos sociétés, aux procès associés à l’enfantement, dans la perspective critique

ouverte par Bernard Juillerat. L’analyse d’un ensemble mytho-rituel de Polynésie permet de

montrer que, dans ces sociétés où la dichotomie nature/culture ne fait pas sens, l’enfantement

est conçu comme un événement constitutif de la société, autrement dit « culturel ».

Oral traditions in Polynesian societies focus on reproduction and descent, particularly

concerning procreation and childbirth. This article discusses the so-called «natural» character

which in our own society is attributed to the process of childbirth, and is in line with the critical

perspective proposed by Bernard Juillerat. The analysis of a set of Polynesian myths and rites

demonstrates that, here, the nature/culture dichotomy does not make sense, and that childbirth

represents a specifically cultural event which can be considered to be constitutive for society.

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INDEX

Keywords : begetting, birth, childbirth, culture, descent, nature, sacred incest, socio-cosmic

order

Mots-clés : culture, enfantement, engendrement, filiation, inceste sacré, naissance, nature,

ordre socio-cosmique

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Les Kanak et les rêves ou commentredécouvrir ce que les ancêtresn’ont pas transmis (Nouvelle-Calédonie)Isabelle Leblic

1 Ma rencontre avec Bernard Juillerat date des années 1980. À cette époque, j’étais en

plein milieu de la rédaction de ma thèse de 3e cycle sur les pêcheurs bretons de l’île de

Molène et, étant à la quête d’un terrain plus lointain, je commençai à chercher du côté

de l’Océanie. Bernard Juillerat me proposa alors une possibilité d’études sur la

Papouasie Nouvelle-Guinée qui ne put être concrétisée. Je continuai donc ma quête

d’un nouveau lieu de recherche. Suite à une proposition de Jacques Barrau (Leblic,

2002 : 116), j’ai entrepris de travailler sur les sociétés de pêcheurs kanak de Nouvelle-

Calédonie. Cette recherche de terrain m’a permis d’intégrer officiellement1 en 1986 la

RCP CNRS 587 Anthropologie du monde océanien contemporain (AMOC) que Bernard Juillerat

dirigeait à l’époque. Cette structure qui réunissait une vingtaine de spécialistes des

sociétés d’Océanie et d’Australie fut renouvelée sous l’intitulé Identité et transformation

des sociétés océaniennes. Milieux, différenciations sociales, idéologies (ITSO) et devint quelques

années plus tardle GDR du même nom, sous la direction successive de Pierre Lemonnier

puis, à nouveau, de Bernard Juillerat (1997). Au fil des ans, j’ai ainsi régulièrement

côtoyé Bernard au sein de nos séminaires et réunions quasi-mensuelles entre

océanistes parisiens. À la fin des années 1990, alors que depuis quelque temps j’avais

réorienté mes travaux sur la parenté et l’adoption kanak, Bernard, devenu membre du

Laboratoire d’Anthropologie sociale, m’informa du numéro de L’Homme en préparation

sur la parenté et me mit en contact avec Laurent Barry qui le coordonnait pour me

permettre, au dernier moment, d’y proposer un article sur le dualisme matrimonial

paicî (Leblic, 2000a)2.

2 Ma gratitude est donc grande envers ce chercheur discret et d’une grande sollicitude

envers ses collègues plus jeunes dont j’étais. Il a su s’engager dans la gestion de la

recherche océanienne à plusieurs niveaux, non seulement en initiant un groupe de

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recherche sur l’Océanie mais aussi en prenant sa part dans la gestion de la Société des

Océanistes dans les années 1978-1982, en tant que secrétaire général adjoint chargé

notamment de la présente revue. Aussi étais-je désireuse d’adjoindre un article à ce

volume d’hommage, en traitant des rêves et de leurs rôles dans les sociétés kanak

actuelles, sujet me rapprochant de certaines des préoccupations de Bernard, tant il a

œuvré au dialogue entre anthropologie et psychanalyse.

Anthropologie onirique, psychanalyse et mythes

3 Le rêve peut être étudié par l’ethnologue comme un « fait social total3 » (Mauss,

1923-1924) car, comme le note Nicole Belmont :

« Le rêve, devenu récit, trouve alors son usage social. Il devient un objet qui effacela frontière qu’on suppose trop souvent étanche, entre individuel et collectif. »(2002 : 7)

4 Comme l’ont noté Jean-Pierre Darmon (1966), Nicole Belmont (2002) ou John Leavitt

(2005), le premier auteur à avoir réuni « les méthodes de la psychanalyse et de

l’ethnologie dans une enquête d’un ordre tout à fait nouveau » (Darmon, 1966, cité par

Leavitt, 2005 : §2) et démontré l’intérêt ethnographique des rêves est sans aucun doute

Lucien Sebag dans son article « Analyse des rêves d’une Indienne guayaki » (1964) :

« Le rêve, utilisant tous les éléments qui lui sont fournis par la culture, les modifieen fonction du message qu’il véhicule, ce message prenant toute sa valeur grâce àl’écart entre le code propre à la société en question et les transformations qu’ilsubit au niveau individuel. Ce décalage a valeur révélante. » (Sebag, 1964 : 2197, citéin Belmont, 2002 : 8)

Et John Leavitt de noter que :« L’article [de Sebag] sur les rêves est, à ma connaissance, unique en son genre. Ils’agit en effet de l’analyse d’une série de rêves recueillis auprès d’un seul sujetfaisant partie d’une société très différente des nôtres, analyse menée par unchercheur formé à la fois en psychanalyse et en ethnologie, et se servant desméthodes d’analyse structurale. […] la seule œuvre comparable serait peut-êtrel’analyse de rêves d’un Indien des Plaines entreprise par Georges Devereux (1969,1re éd. 1951). Mais les sources théoriques de Devereux, le freudisme orthodoxe et lathéorie “Culture and Personality”, sont loin du structuralisme patent de Sebag. »(Leavitt, 2005 : §2)

5 Je n’ai pas réalisé comme Lucien Sebag une étude anthropologique systématique d’un

corpus de rêve d’un seul individu. Mais j’ai travaillé sur une sélection de rêves kanak

qui me permet de poser ici quelques faits d’ethnographie mélanésienne. Comme l’a

remarqué Giordana Charuty :

« Depuis leur naissance quasi simultanée, à la fin du siècle dernier, l’anthropologieet la psychanalyse n’ont cessé de confronter leurs approches respectives du faitsocial. Freud et ses premiers disciples ne pratiquaient pas seulement une nouvellethérapie des névroses, ils avaient pour projet de construire une nouvelle théorie dela culture. Dès l’Interprétation des rêves (1900), la méthode freudienne conduisait àaffirmer que les œuvres collectives et les institutions sociales obéissent aux mêmeslois que les processus psychiques individuels. » (Charuty, 1998-1999 : 56)

6 Cet auteur poursuit son regard croisé sur l’anthropologie et la psychanalyse en notant

que l’anthropologie psychanalytique s’est attachée à résoudre le problème :

« [d’]identifier la marque des institutions sociales sur le psychisme individuel et, àl’inverse, [de] caractériser pour chaque société un modelage spécifique del’individu. Dès lors, l’enquête ethnographique s’est élargie à des aspects de la vie

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sociale jusque-là négligés : les rêves, les modes de socialisation des jeunes enfants,la sexualité infantile et adulte. […] » (ibid. : 57)

7 Ainsi, à propos des relations paradoxales entre anthropologie et psychanalyse, le rêve

tient une place symptomatique4 :

« Les premiers ethnologues des sociétés lointaines ont rassemblé de nombreusescollectes de récits de rêve. Mais ces enquêtes négligeaient la diversité desconceptions indigènes de l’expérience onirique, comme G. Devereux fut le premierà le dire. Celles-ci n’ont pu faire l’objet d’une ethnographie qu’en mettant àdistance les problématiques d’une approche psychanalytique. » (ibid. : 58)

8 Dans les « Arguments » de présentation du numéro de L’Homme « Une anthropologie

psychanalytique est-elle possible ? », Bidou, Galinier et Juillerat notaient, à propos des

liens entre mythe et rêve, que :

« C’est ainsi que le mythe, dont d’aucuns ont voulu forcer l’autonomie, retrouveraitd’une part des ajointements avec le rite, le rêve, la cosmologie, les théoriesindigènes de la conception, etc., tandis que, d’autre part, c’est à l’intérieur même dela mythologie qu’apparaîtraient des failles, mettant en cause la nature entrel’individuel et le collectif. Ce problème apparaît tellement crucial qu’on le retrouveen position centrale dans toutes les sociétés de par lemonde. » (Bidou, Galinier etJuillerat, 1999 : 12-13)5

9 Les rêves ont toujours eu partout et de tout temps de multiples fonctions sociales qui

vont de la communication entre les vivants et les morts à la prémonition, à

l’explication d’événements de la vie d’une personne ou à aider à traiter du malheur ou

de l’infortune. Souvent, c’est à des spécialistes que revient le rôle de rêver ou bien

d’interpréter les rêves, en tant que message venant du monde des morts et des

ancêtres, « ce qui inscrit le rêve dans l’ensemble des pratiques permettant aux vivants

d’agir sur le devenir des défunts dans l’au-delà » (Charuty, 1998-1999 : 58). Ainsi, pour

les Indiens Wayuu :

« Par le biais de ces relations et de ces dialogues oniriques entre vivants et morts,[ils] savent faire des défunts les garants indirects de l’ordre social et du respect dela coutume. » (Perrin, 2002 : 40)

10 Bernard Juillerat (2003), dans son article « Un mythe est-il un rêve collectif ? », en

revenant sur le rapprochement entre rêve et mythe, cite ainsi Freud pour lequel les

mythes « sont très probablement des vestiges déformés de fantasmes de désir communs

à des nations entières et qu’ils [les mythes] représentent des rêves séculaires de la jeune

humanité » (Freud, 1956 : 210-211 in Juillerat, 2003 : 34) et il poursuit en citant Otto

Rank et Hans Sachs qui précisent que « du point de vue phylogénétique, le mythe

représente donc un fragment de la vie psychique infantile disparue, comme le fait le

rêve du point de vue individuel » (Rank et Sachs, 1980 : 39, in Juillerat, 2003 : 35). Pour

Juillerat, « l’un des points essentiels de la différence entre rêve et mythe » réside dans

le fait que le système défensif est dominant dans le mythe « alors qu’il est secondaire,

voire inexistant » dans le rêve :

« La raison se trouve dans le fait que la censure, ou les mécanismes de défense duMoi, sont actifs en permanence dans la fabrication des mythes, qu’ils y sont mêmele moteur constitutif, alors qu’ils sont réduits dans l’activité onirique dominée parles processus primaires. Pour échapper à la censure, écrit encore Freud, “le travaildu rêve se sert du déplacement des intensités psychiques”. […] (1967a : 265-266). Cetécart est celui qui s’instaure, par le travail du rêve, entre les pensées du rêve et lecontenu manifeste. […] Contrairement à celui du rêve, le contenu latent du mytheou du rite est l’objet d’une élaboration culturelle progressive et historique où laconscience collective est partie prenante. La fonction sociale du mythe et du rite les

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dote d’un gain de rationalité dont le rêve ne bénéficie qu’une fois qu’il est assimilé àun produit culturel interprétable par la collectivité. » (Juillerat, 2003 : 38-39)

11 Si les deux, rêve et mythe, « sont des textes, et plus spécifiquement des récits déployés

sur un axe syntagmatique, une suite d’images et d’événements » (Leavitt, 2005 : §44),

qui nécessitent l’analyse et ont un contenu latent6, une différence essentielle entre eux

provient du fait que le premier est une production individuelle et le second une

production collective (Leavitt, 2005 : §43). Mais pour d’autres, comme Michel Perrin, les

rêves, en tant qu’activités créatrices, sont complémentaires des mythes :

« Le mythe est un récit qui abonde en images, le rêve les reprend, le rêveur lesraconte. Les songes peuvent ainsi proposer des solutions originales qui serontrapidement assimilées si les récits qu’on en fait sont compatibles avec lesreprésentations dominantes. » (2002 : 47)

12 Enfin, on peut noter la créativité onirique australienne à rapprocher de celle des

rituels, comme l’a souligné B. Glowczewski à la lecture de cet article :

« Cet aspect créatif des rituels est une forme de réponse aux spéculations (nondémontrées) de nos anciens sur le rapport entre mythe et rêve que tu évoques. »(com. pers.)

13 Son apport aux recherches australianistes est un des aspects les plus innovants. Ainsi,

pour les Warlpiri d’Australie dont elle nous parle avec Barbara Nakamarra7(2002) dans

le volume dirigé par Nicole Belmont, « mythe, rêve et réalité sont enchevêtrés en

permanence, d’où un risque de confusion pour l’observateur extérieur, mais la

connaissance du contexte social et du système de référence du narrateur permet d’en

démêler les divers niveaux » (Belmont, 2002 : 12). À propos des travaux de Géza

Roheim, B. Glowczewski signalait d’ailleurs « qu’il traduit par “rêve, histoire, jeu” (p.

95) sans leur donner le statut de mythe » « le terme aborigène – tukurpa chez les

groupes de l’ouest, équivalent d’altjira chez les Aranda » alors que, selon elle, « tukurpa

(“dreaming”) désigne les récits mythiques d’êtres ancestraux totémiques qui, en

voyageant, ont marqué de leurs traces des sites terrestres où ils vivent pour l’éternité :

par extension, tukurpa, qui se réfère à cet espace-temps mythique et éternel, désigne au

pluriel tous les être totémiques et leurs itinéraires respectifs » (1991 : 126).

14 Une fois ces quelques principes posés, voyons ce qu’il en est du rêve dans les sociétés

kanak de Nouvelle-Calédonie où l’importance de la tradition orale, des mythes et des

rites n’est plus à démontrer (voir, entre autres, Leenhardt, 1932 ; Bensa et Rivierre,

1982). Je présenterai divers types de rêves, leurs rôles et significations et la façon dont

on en parle et on les interprète. En effet, la littérature ethnologique sur les sociétés

kanak n’est guère prolixe en matière de rêve, mais cela n’est pas propre à l’ethnologie

calédonienne et, comme le soulignait Sylvie Poirier :

« Réalité quotidienne et universelle étroitement liée à la mémoire, à l’imaginationet à la conscience, et par là à la culture, le rêve occupe pourtant une placemarginale dans l’histoire de l’anthropologie. Non pas qu’il en soit exclu, mais ilsemble que les anthropologues aient longtemps éprouvé un certain malaise àaborder le rêve, domaine généralement perçu comme asocial et champ réservé auxsciences du “privé”. » (Poirier, 1994a : 5)

15 S’il est vrai qu’il en est ainsi dans nos sociétés occidentales, le rêve – tout comme la

notion de « privé » d’ailleurs – ne ressort pas que de cela dans de nombreuses sociétés

autres, car il fait partie intégrante du domaine social, ce qui autorise à plus d’un titre

qu’un ethnologue s’y intéresse comme à tout autre domaine de la vie sociale des

populations étudiées. Sylvie Poirier nuance elle aussi cette vision privée du rêve :

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« L’anthropologie du rêve ne se limite pas à l’expérience privée du rêve, elleinterroge aussi les différents moments de sa mise en œuvre sociale. Elle ouvre deshorizons intéressants dans la mesure où elle renseigne sur la façon dont différentescultures conçoivent le rapport au réel et le statut de l’imaginaire, les théories del’action, la notion de personne dans sa relation avec l’environnement socio-cosmique ainsi que la construction culturelle de l’expérience. Les systèmes culturelsdu rêve, au même titre que les systèmes d’échanges ou les systèmes rituels, peuventdès lors être abordés comme “fait social total” (Mauss). » (ibid. : 5-6)

16 Quiconque partage la vie quotidienne d’une famille kanak en Nouvelle-Calédonie ne

peut ignorer l’importance de la mise en œuvre sociale des rêves. Je n’ai pas la

prétention de présenter ici une étude complète du rêve dans le monde kanak et de son

système culturel, mais j’aimerai mettre en perspective la littérature ethnologique et les

récits et vécus au sein de familles kanak au cours des mes séjours sur le terrain depuis

1983, d’abord dans le Sud de la Nouvelle-Calédonie et, depuis 1989, dans les vallées de

Ponérihouen (en tout environ quatre ans). Ces données sont complétées par des récits

de rêve ou sur les rêves qui m’ont été donnés par des collègues ou doctorants (Suzie

Bearune, Umberto Cugola et Alexandre Djoupa). Lors d’un futur terrain en Nouvelle-

Calédonie, je reprendrai cette question de façon plus systématique afin de compléter

les premiers éléments apportés ici pour « voir comment le matériel onirique peut

étayer une ethnographie » et pour « comprendre comment les données

ethnographiques peuvent éclairer les rêves », comme l’a écrit John Leavitt (2005 : §49) à

propos du texte de Lucien Sebag pour qui « l’analyse de rêves menée de façon continue

dans certaines circonstances privilégiées8 révèle des pans entiers de l’édifice culturel

restés cachés à l’observation et à l’interrogation » (1964 : 2182, cité par Leavitt, 2005 :

§49).

Les Kanak et les rêves

17 Il est deux moments privilégiés pour parler de ses rêves au sein de l’unité familiale. Le

matin, au réveil, on raconte à la maisonnée les rêves faits durant la nuit et on essaie

d’en découvrir collectivement la signification ; ou bien, au moment de la sieste, pour

ceux qui comme moi ne sont guère habitués à dormir en ce début d’après-midi, l’une

des conversations favorites, que je pouvais avoir avec notamment « ma sœur kanak »

que j’empêchais souvent de dormir, était de disserter sur les rêves passés qu’elle avait

pu avoir entre deux de mes séjours et sur leurs sens.

18 Mais on peut aussi raconter ses rêves à un auditoire plus large, lors des multiples temps

d’attente de toute cérémonie coutumière. Les narrations oniriques sont alors à intégrer

dans les divers récits qui sont produits d’un groupe à l’autre dans tout rassemblement,

les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, ou les deux ensembles tout en préparant

le repas dans d’immenses marmites pour nourrir la foule ainsi réunie. Quelles que

soient les occasions, les rêves et leur partage font donc partie de la vie quotidienne ou

cérémonielle kanak.

19 Loin de moi l’idée de pouvoir dégager ici, à la suite de Sylvie Poirier pour l’Australie

(1994b), le système culturel du rêve, dans lequel elle distingue cinq moments, à savoir :

« les théories locales du rêve ; le récit onirique à la fois comme texte à décoder etcomme événement narratif ; les modes de partage et les processus d’apprentissagedu langage onirique ; le thématiques oniriques – ou encore les classificationsimplicites ou explicites des rêves – ainsi que les grilles locales d’interprétation

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onirique, et enfin, le potentiel révélateur/innovateur souvent associé au rêve. »(1994b : 105)

20 Je présenterai, à propos des rêves kanak, la façon dont on en parle ; puis je reviendrai

sur une notion importante, le rôle des rêves comme moyen privilégié de communiquer

avec les esprits et les ancêtres, pour soutenir les actions humaines, encourager la

création et redécouvrir ce que ceux-ci n’ont pas transmis, dans tous les domaines de la

vie ordinaire.

21 Si tout le monde rêve, certain(e)s, comme nous le verrons ci-dessous, font des rêves

particuliers.Et, en pays kanak, le rêve n’est pas qu’une affaire privée9 puisqu’il est

raconté, partagé et interprété par l’auditoire, qu’il soit « familial », lignager ou plus

vaste, selon le thème du rêve. Le fait de l’échanger, via le récit onirique, confère au rêve

une partie de sa dimension sociale.

Pourquoi rêve-t-on ?

22 Chez les Kanak (de Ponérihouen, mais pas seulement), comme dans bien d’autres

sociétés, on ne rêve pas tant pour soi que pour les autres, pour la communauté – la

famille, le clan… Les rêves sont alors tout à la fois récits et représentations, liens entre

le monde des êtres vivants et des défunts, ancêtres et esprits de toutes sortes (Leblic,

2000b), entre le monde sur terre dit görö-puu et l’au-delà, ité mûûrû (litt. « les choses

d’ailleurs »). Ils sont donc pour les vivants un moyen de communication inégalé avec le

monde invisible des morts et des esprits. Durant le sommeil, il est courant de dire que

l’esprit nyûââ10 quitte le corps de l’endormi pour aller « voyager » et c’est pour cela que

le sens commun kanak impose de ne jamais réveiller brutalement quelqu’un qui dort,

de peur que son esprit n’ait pas eu le temps de réintégrer le corps, ce qui aurait pour

conséquence une dissociation du corps et de l’esprit (ko en ajië, nyûââ en paicî). En cela,

le rêve est alors un voyage hors du corps pendant le sommeil. Variées sont les histoires

racontées de génération en génération à propos de ces « voyages nocturnes » de l’esprit

des uns et des autres, allant par exemple rendre visite aux engagés kanak dans les

tranchées durant la Guerre de 14-18 pour ramener aux familles restées au pays des

nouvelles de leurs soldats. Nombre d’entre eux ont en effet relaté à leur retour au pays

une fois la guerre finie qu’ils avaient reçu la visite de tel ou tel et, notamment pour les

Paicî, de Dwi Pwiridua, célèbre à plus d’un titre, en raison des tours qu’il aimait à jouer

aux colons blancs de la région de Ponérihouen et de Houaïlou. Ce voyage de l’esprit,

autre forme du rêve, est à rapprocher également des déambulations nocturnes de

certains. Fritz Sarasin (2009 : 254) notait déjà en son temps que :

« Le rêve est pour les indigènes une réalité ; c’est pourquoi il joue un rôle décisif(Leenhardt 1922c, p. 15). Il est l’expérience de la séparation de l’âme et du corps,comme chez d’autres peuples premiers (Gräbner 1924, p. 38). Dans le rêve, on peutaller vers le pays des morts, rencontrer des parents morts et apprendre d’euxnombre de choses normalement cachées. »

23 Et il poursuit le parallèle entre la « seconde vue » ou voyance et rêve en renvoyant à

Emma Hadfield (1920 : 161) ; on peut aussi rapprocher le rêve de « l’état de transe11 » –

autre forme possible de la dissociation du corps et de l’esprit – qui permet de « visiter le

pays des morts » (Sarasin, 2009 : 254). Aujourd’hui encore, cette association du rêve à la

séparation de l’esprit et du corps est toujours présente :

« Le noctambulisme est tabou également, c’est une forme d’expression des espritsavec nous les vivants. » (Alexandre Djoupa, com. pers., 19/11/2009)

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24 Comme le signalait déjà Sylvie Poirier (1994a : 8), les conceptions locales du rêve nous

renseignent en effet sur celles de la personne dans ses relations avec l’environnement

sociocosmique. Et le rêve kanak est, rappelons-le, l’un des moyens couramment utilisé

pour communiquer avec les esprits de toutes sortes, par exemple en rêvant qu’ils

viennent nous rendre visite :

« Ils [les esprits] viennent fréquemment rendre visite à leurs petits-enfants, neveux,père ou mère encore vivants. Les rêves racontés par les Mélanésiens sont multiples,qui montrent ces “esprits” bien présents venant conseiller, initier, apporter desremèdes, se promener dans l’allée centrale, prévenir d’une mort prochaine et, à lalimite, “psychanalyser” et même donner de l’argent. » (Métais, 1988 : 283)

25 On a ici un double déplacement dans le rêve : celui de l’esprit du dormeur qui

« voyage » et celui des esprits qui « rendent visite » au dormeur.

26 Le rêve kanak annonce des nouvelles, guide les actions, permet la création artistique12

(chants, danses, masques, sculptures…), instruit sur des savoirs ou des techniques

oubliés ou sur des êtres éloignés, ou encore permet de soigner… En ce sens, toute

création ou innovation peut être vue en fait comme une reprise ou une imitation de ce

que les ancêtres ont déjà fait auparavant13. Ainsi, dans Do kamo, Maurice Leenhardt nous

parle d’un rêve de révélation pour la « pierre qui danse dans le boria de l’homme

mort » :

« L’indigène actuel parle toujours de la danse de Pijeva, qu’elle soit sous terre ou surterre. Mais la pierre magique révélée à un homme en rêve par un parent défuntprovient elle aussi de la danse du mort ; et elle est désignée pierre boria. » (1971 :113)

27 Plus loin, il présente « un mari [qui] revenait ainsi trouver sa veuve en rêve : – Je suis

une igname ancienne, disait-il » car l’igname14 « est l’image du défunt » (1971 : 124). Il

insiste également sur le lien entre rêve et création artistique :

« C’est le vieux Méja qui a cherché et trouvé la fabrication du masque, il n’enexistait pas auparavant. Il en a pris la technique dans un rêve. Il vit, comme il étaitcouché, un dieu en plumes d’oiseau nommé Gomawwé, dieu totem des Nesou et desBoerheavo à Néavia Monéo. Voilà comment Mèja fit le masque de plumes d’oiseauque l’on revêt. » (Leenhardt, 1933 in 1970 : 21)

28 Cette communication entre les vivants et les morts à travers le rêve se manifeste

également dans le vocabulaire des langues kanak. Les locuteurs paicî disent näurunê

pour le rêve, en précisant näurunê cidöri, litt. « rêve/bénédiction, bonheur, élévation »

pour ceux qui prédisent une bonne nouvelle ; et rêver se dit pwa-näurunê, litt. « faire/

rêve », sur la côte Est et âcôwâ sur la côte Ouest. Selon Jean-Claude Rivierre (com. pers.,

juin 2010), on peut décomposer näurunê en quatre syllabes « qui se prêtent à toutes

sortes de découpages – näuru-nê, näu-ru-nê, nä-uru-nê et nä-u-ru-nê – avec les

incertitudes liées au ton de chaque unité »15, mais dont la plus probable, si on peut

admettre que ce terme contient /nê/ « nuit », est peut-être « “trace de la nuit” (nä-au-

ru-nê > näurunê > närunê), supposant une simplification syllabique et une

homogénéisation tonale pas impossible » (ibid.). On peut noter que côwâ signifie « en

sens inverse »16 et peut ainsi renvoyer à l’autre monde, celui des esprits où les choses

sont inversées car les morts et êtres surnaturels sont réputés avoir les articulations à

l’envers et consommer de la nourriture crue, des cailloux, soit tout ce qui est impropre

à l’alimentation humaine (voir Leblic, 2002, 2005)17.En langue kwênyii, Maurice

Leenhardt (1946 : 453) précise que le voyant se dit ngo ngērē, et le terme ngērē signifie

aussi penser, rêver en langue ajië, ce qui confirme s’il en était besoin le lien fait par les

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Kanak entre le rêve et la communication avec les non-humains. De même, à Maré, on

assimile l’action de rêver à celle de penser :

« Selon Dubois (dictionnaire maré-français), le rêve en nengone se dit tutuo qui peutse traduire par penser ou rêver de quelque chose. Dans le parler de certainslocuteurs, le rêve est dit itutuo. Ils ont rajouté le préfixe i- qui marque la réciprocité,alors i-tutuo peut être interprété par “penser mutuellement”. Le terme itutuo setraduit aussi par offrande ou cadeau. Alors, on peut dire que le moment du rêve estun moment privilégié. » (Suzie Bearune, com. pers., 18/12/09)

29 Cette communication onirique avec le monde des esprits a déjà été attestée dans de

nombreuses sociétés océaniennes. Ainsi en est-il aux îles Trobriand :

« Maintenant les baloma (esprits) dorment. Lorsqu’il fait jour ici, il fait nuit là-bas.Ils dorment et son esprit est également endormi. Il rêve à Tuma et il parle à traversses rêves, Je connaissais déjà la croyance à l’opposition entre le jour et la nuit dansles deux mondes. Je savais également ce que les indigènes croyaient au sujet de lanature de la transe que j’avais pour la première fois devant les yeux. Ils croient ainsique l’esprit du médium est parti et que son corps seul reste. Mais bien que sonesprit se trouve à plusieurs milles de là, tout ce qui lui arrive se manifeste d’unecertaine façon dans le corps. Et non seulement cela, mais tout ce qui arrive autourde l’esprit, surtout les voix des autres âmes et leurs mouvements, trouvent leurexpression par la bouche du médium et par les mouvements de son corps. Lamanifestation la plus frappante consiste dans la soudaine apparition d’objetsmatériels dans la maison du visionnaire. J’ai à peine besoin d’ajouter que toutes cesinconsistances ne s’expliquent ni par une “logique primitive”, différente de lanôtre, ni par la structure de l’“esprit primitif”. Les adeptes de l’occultisme et duspiritisme qui existent parmi nous professent des croyances exactement identiqueset se rendent coupables des mêmes inconsistances. » (Malinowski, 1933 : 112-113)

30 On peut dire aussi que les rêves sont des passerelles permettant le voyage au pays des

morts, comme l’illustre cet extrait d’une pièce de théâtre écrite par Dany Dalmayrac18,

dans laquelle il nous parle du rêve en liaison avec le monde des vivants et celui des

morts via notamment le masque :

« Le rêve, j’ai vu dans mon rêve, j’ai communiqué avec eux…J’ai demandé à mes proches de me traduire ce rêve comme lorsque d’antan nosancêtres allaient consulter le sorcier, qui assis sur la planche à divination19 ledécodait. Nos rêves font partie de cet ailleurs présent autour de nous. Le rêve, il estsemblable à une passerelle qui nous fait ouvrir les yeux au-delà des préceptessceptiques et fermés de ceux qui disent tout savoir, une passerelle sur laquelle lemasque passe…Le masque marche parmi les vivants, c’est un être qu’on ne peut approcher, à quion ne peut parler, il vient à nous pour nous rappeler qu’avec nous vivent encorenos ancêtres.Il avance droit d’un pas sûr et décidé, fier symbole, fière bannière du culte desancêtres qui dissuade les plus fougueux de ne pas le suivre. Apparaît-il pouraccompagner un défunt au pays des morts, pour rappeler l’ancêtre dans nos grandspilous et nos jours de fête, pour créer des allées et faire de grands travaux, pourappuyer les “ordres” du chefs et de ses conseillers, est ce encore pour effrayer unenfant qui ne veut pas écouter. Le masque : l’homme-oiseau. Tout comme l’oiseau c’est un voyageur. L’oiseau peutse poser sur la terre et voler dans le ciel, dans l’imaginaire. On peut le voir ici oùailleurs, dans cette Hadès mythique que certain appelle pays sous-marin. C’est lelien entre vivants et morts, entre kamo et bao, entre ancêtre et homme, acteur ducontemporain.Il va et il vient, il apparaît et disparaît. C’est ce qui nous rappelle que ces notions derationnel et d’irrationnel n’existent pas, et qu’ils ne peuvent coexister sans l’un et

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sans l’autre. Voici, pour un regard étranger toute la complexité de ce que la sociétéoccidentale pourrait appeler : “l’imaginaire kanak”. » (Dalmayrac, 2008 : 2)

31 Une des fonctions du rêve est de donner des nouvelles, de personnes disparues ou

éloignées, ou pour prévenir de l’arrivée de tel ou tel événement20, en rêve proprement

dit ou, comme nous l’avons noté plus haut, par le voyage nocturne de l’esprit dissocié

de son enveloppe corporelle. Ce fait a été par ailleurs attesté tant par Maurice

Leenhardt que par Jean Guiart (1985 : 60)21. L’an passé, un ami kanak – qui se positionne

pour mon fils comme un oncle maternel – m’a appelée de Nouvelle-Calédonie

préoccupé par un rêve qu’il avait fait la nuit précédente et dans lequel il avait vu mon

fils arriver seul chez lui en car. Ce rêve était pour lui, sans aucun doute possible, le

signe que quelque chose – passé ou à venir – n’allait pas pour « son neveu » et qu’il

fallait donc qu’il prenne des nouvelles au plus vite, pour m’en avertir comme pour se

rassurer sur l’état de « son neveu », Romain. Et c’était effectivement une période

difficile, particulièrement conflictuelle entre nous, en raison de l’adolescence qui

débutait.

32 Comme nous l’avons vu ci-dessus avec Meja et le masque, le rêve est souvent à

l’initiative du processus créatif. Nombreux sont les Kanak qui voient en rêve ce qu’ils

réaliseront ensuite au réveil, que ce soient des sculptures, des représentations

picturales ou des chants et danses :

« La majorité des danses et des chants, ainsi que des plantes médicinales sontd’origine onirique. Ce sont les êtres du monde invisible qui nous les inspirent. […]Tous les textes de danses waihaihai recueillis par Guiart sont des rêves. C’estpourquoi il y a beaucoup de mots dans les textes de danse que nous ne comprenonspas car on dit que c’est dans la langue des esprits. À chaque fois que l’on demanded’où est originaire telle danse ou tel chant, on nous dit : Na mitia e fafinematua. Unevieille dame en a rêvé ! À son réveil, elle l’aurait fait interpréter par des jeunesgens. » (Alexandre Djoupa, com. pers., 19/11/2009)

33 L’importance des rêves dans la société kanak est toujours actuelle. À tel point que

dernièrement, un doctorant kanak eut recours à l’analyse de ses rêves pour justifier son

parcours dans son avant-propos de thèse :

« Pour en finir avec les outils de la psychologie analytique, le rêve constitue uneautre forme d’expression de l’inconscient faisant sens dans mon parcours. […]Toujours est-il que, dans l’environnement culturel où j’ai vécu, le rêve estparfaitement intégré aux échanges ordinaires entre individus. Rapporter son rêvedans une conversation est une pratique courante pour quiconque ressent le besoinde le partager. Qu’un événement grave survienne et d’aucuns se mettent à raconterles rêves annonciateurs qu’ils avaient faits plus tôt. Sans tenir compte de cetteexagération universellement répandue, reste que le “rêve livre toujours uneparcelle de vérité”. Quand C.G. Jung analyse des séries de rêves, il les assimile à des“maillons visibles d’une chaîne d’événements inconscients” (Beaudoin, [1964] 2002: 109). Il existe selon lui une continuité dans la suite des processus inconscients, demême qu’il existe une continuité dans le conscient, abstraction faite des périodes desommeil. Nous allons voir comment le rêve fait sens dans mon parcours et dessinece continuum de l’inconscient par des mises en lien avec d’autres rêves,l’expérience archétypique et les phénomènes de synchronicité. » (Cugola, 2009 :26-27)

34 Ainsi, dans le point 3 de son avant-propos intitulé « l’expérience du rêve », il retrace

son parcours en rapportant un rêve personnel :

« Nous sommes au début de l’année universitaire 2002. Je décroche in extremis uneinscription en thèse grâce au soutien de mes encadrants et celui de l’historien AlainSaussol. Ce moment est difficile car je découvre la réalité du quasi sacerdoce du

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doctorant. À cela s’ajoute un autre événement dont l’approche me partageait entreappréhension et réjouissance. Réjouissance pour le mariage de ma sœur dans latribu de Tibarama sur la côte Est de l’île à Poindimié. Appréhension, car j’allaisretrouver les miens après deux ans d’absence, deux années durant lesquelles j’étaisavec eux en rupture implicite. À l’époque, ma réflexion critique sur ledéveloppement des tribus kanak, formalisée dans un travail académique de DEA,

n’avait pour ainsi dire, jamais fait l’épreuve du terrain. En d’autres termes,j’ignorais à peu près tout des transformations concrètes qu’il induisait, enparticulier sur le territoire et l’environnement de ma tribu. Environ deux moisavant mon retour prévu en décembre 2002, je fais un rêve étrange. Nous faisonstous ce genre de rêve qui nous marque au point où on y pense plusieurs jours desuite. En voici le récit : “Je cours dans la forêt de Tiati, poursuivi par deux porcs,l’un blanc et l’autre noir. À l’idée d’être dévoré par ces deux animaux affamés, jesuis dans un état profond de terreur. Au moment où je perds tout espoir de leuréchapper, une force invisible m’arrache du sol en même temps qu’aux crocs de mespoursuivants. Bientôt, je me retrouve à flotter à une cinquantaine de mètres au-dessus de la forêt de Tiati et là, on me demande de regarder en direction du littoral.L’entité qui s’adresse à moi est Scholastique Pidjot, mon arrière-grand-mèredécédée depuis 1984, quand j’avais 12 ans. Je ne l’entends pas et ne la vois pas, ellen’a pas de forme dans mon rêve. Sa présence se manifeste comme une sorted’énergie invisible dont je saisis l’identité et le message par une perception fuyante,combinant les cinq sens courants de l’état de conscience (l’ouïe, la vue, le toucher,l’odorat et le goût). En portant mon regard vers le littoral de la tribu, j’aperçois lescollines de Tina-sur-Mer. Je les savais lumineuses dans les robes verdoyantes etambrées dont elles se paraient au gré des saisons. Mais le paysage que je découvredans mon rêve n’a plus rien de commun avec mes souvenirs d’enfant. Les collinesde Tina-sur-Mer sont pelées et la terre mise à nu. Très vite, les images que je reçoiss’affolent et le spectacle de ce paysage vire à la désolation. De la terre éventrée, jevois sortir des barres de fer et des poutres de béton, un peu comme les fondationsd’un immeuble en construction. Cette figure du béton et du métal émergeant d’uneterre dépecée se propage de proche en proche gangrenant les espaces verts de latribu. Elle se dirige vers moi, flottant au-dessus de la vallée de Tiati.” À la questionde savoir si ce rêve nous mène à la recherche-action de Tiati, on serait d’embléetenté de répondre par l’affirmative. Sauf qu’au moment où il a lieu, son messagen’est pas aussi clair qu’il apparaît aujourd’hui. […] Durant deux jours, je suis amenéà sillonner le territoire de la tribu et constate avec amertume l’aménagement dulittoral en autoroute. Je remarque aussi l’aménagement des collines de Tina-sur-Mer où plusieurs lotissements ont pris place. Tout semblait correspondre au rêveque j’avais fait à peine deux mois plus tôt. […] Et son message commençait à fairesens à mesure que défilait sous mes yeux ce paysage qu’elle m’avait annoncé enrêve. » (Cugola, 2009 : 27-30)

35 Ce long passage illustre bien l’importance toujours actuelle des rêves dans le système

culturel kanak, en liaison avec d’autres signes des ancêtres qui se manifestent ici via les

yaacè22 mais, de façon générale, par tous les messages que les ancêtres adressent à

travers les éléments naturels et surnaturels, et par les récits de tradition orale.

36 La vision des yaacè qui a conduit Umberto Cugola à conduire sa recherche-action sur

Tiati est mise par l’auteur lui-même en relation avec le rêve initiatique :

« Elle apparaît comme une sorte d’initiation voulue par l’inconscient lui-mêmeselon un dessein que le conscient peut observer sans vraiment le maîtriser. Dansl’orbite de cette initiation gravite toute une série de phénomènes manifestant aussil’inconscient, mais de manière beaucoup moins spectaculaire. Ces phénomènes plussubtils sont en particulier ceux du rêve et de la synchronicité. Si on les associe entreeux en prenant l’expérience du yaacè pour centre de gravité, se dessine alors unlangage cohérent émanant de l’inconscient. » (Cugola, 2009 : 24)

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Il poursuit :« Dans les sociétés kanak, on ne peut pas vraiment dire qu’il existe une philosophiedu rêve au sens du dreaming aborigène. On retrouve chez Maurice Leenhardt (1947)la conception selon laquelle le monde du rêve n’était pas distinct du monde réelchez les Kanak. Il démontre cette affirmation en rapportant l’anecdote suivante :une personne est tuée et on se met à chercher le coupable en questionnant lesmembres de la tribu un à un. L’un d’entre eux répond qu’il ignore s’il a pu êtrel’auteur du forfait car, au moment où ce dernier a eu lieu, il dormait. On retrouvebien là l’erreur de Leenhardt considérant l’existence kanak comme un processus depure participation à la nature. Le Kanak serait agi non seulement par la nature,mais aussi par l’invisible, les esprits… et in fine l’inconscient. Comme s’il ne savaitpas faire la distinction entre l’état de sommeil et celui de conscience. À mon humbleavis, le rapport que les Kanak entretenaient avec leurs rêves devait être bien plussubtil. » (Cugola, 2009 : 27)

37 Mais qui veut trouver un instant calme de réflexion n’hésite pas à se réfugier dans le

sommeil sur les « planches à rêves » :

« Le bao est l’ancêtre recherché, aïeul ou aïeule. Il y a souvent sous le toit des hautescases coniques, une manière d’étagère, entourée d’une barrière, à laquelle sontsuspendues nombre de balassors23 poussiéreux. Le Kanak qui veut la solitude et laméditation va se coucher là-haut, dans ce qu’il appelle “le lit à barrière”. Et là, aumilieu des balassors et de leur action magique, il recherche les visions et attendsurtout les révélations. Alors le dieu vient le retrouver, l’instruit. Et le lendemain, leKanak assuré peut chanter ce qu’il a vu ou ce qu’il sait : J’étais couché / endormi àfond / J’ai vu un dieu – le dieu sagaie – le dieu long / Je l’ai vu faire un four / Il a assuré ladroite (Documents néo-calédoniens, p. 255, 257). Et cela signifie qu’un dieu a révélé àson fidèle la défaite de l’ennemi, il lui a donné la vision du four où celui-ci serarôti. » (Leenhardt, 1971 : 77-78)

Figures 1 à 3. – « Les planches à rêves »

Nous remercions le musée de Nouvelle-Calédonie de nous avoir permis de reproduire trois spécimensde ses collections, ainsi qu’un résumé des informations livrées par leurs fiches d’inventaire.

« Les planches à divination : elles formaient le plancher sur lequel les anciens étaient en relation avecles esprits, recevaient leurs rêves prémonitoires. Leur longueur dépend de leur mode de soutènement.Elles sont amarrées dans la charpente soit par mortaise soit par tenon. Ces planches sont sculptéessur leurs faces inférieures, particulièrement aux deux extrémités, les figures sont alors tournées versle sol. »

1. Waawilù, aire ajië

Collectée sans doute avant 1900 par le conservateur Barnier

MNC 86.5.70 (249 x 34 x 13 cm)

Sommet ovoïde ; yeux très saillants et pointus ; sous-arcade sourcillière bien marquée ; lèvreproéminente ; menton très proéminent sur lequel s’acccroche une barbe parfaitement rectangulaire.

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(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)

2. Waawilù, aire ajië

Collectée sans doute avant 1900 par le conservateur Barnier

MNC 86.5.69 (256,5 x 23,5 cm)

Sommet de la tête en olive, yeux en relief et rapprochés. Polychromie noire et rouge, visage noir etoreille rouge.

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(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)

3. Pothé, Ny, Bourail, aire ajië

Collectée en 1949 par Jean Guiart auprès du clan Buru

MNC 86.5.67 (175 x 18,5 x 11 cm)

Barbe décollée du torse, fixe, en forme de banane ; yeux ronds, petits et proéminents.

(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)

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38 Dans mon expérience de terrain à Ponérihouen, beaucoup de rêves qui m’ont été

racontés sont liés à la recherche de médicaments dont on a besoin quand l’un ou l’autre

est malade. Ma « sœur » me relate comment elle fait des rêves pour trouver les

médicaments nécessaires aux membres de la famille qui sont malades, « parce que papa

est mort sans transmettre ses médicaments », me précise-t-elle, pour m’indiquer par

ailleurs qu’elle faisait déjà de tels rêves du vivant de son père.

39 Voici le récit d’un de ses rêves, fait du vivant de son père, dont l’action se déroule sur

leur site d’habitat, site ancestral récupéré depuis, « vers le champ, en bas de la

maison ». Elle se cache de deux hommes qui lui veulent du mal et quelqu’un lui

demande ce qu’elle fait là, derrière un poteau. Elle lui répond qu’elle surveille les deux

hommes. Puis il lui dit que là, dans les buffalos (herbes, Stenotaphrum secundatum

[Walter] Kuntze), il y a le médicament qu’il faut pour soigner telle affection ; mais elle

ne voit que les buffalos ! Alors, elle en attrape une poignée et, là, elle trouve au milieu

de la touffe de buffalo la plante en question. À son réveil, elle raconte son rêve à son

père sous la véranda en regardant vers le champ. C’est là qu’elle s’aperçoit que l’endroit

dont elle a rêvé est juste devant elle et, tout en parlant, elle aperçoit la plante

médicinale ! Son père lui répond que c’est lui qui l’a plantée là et que c’est un

médicament de sa mère. Ce rêve lui a donc permis de « découvrir » un médicament

transmis à son père en ligne maternelle.

40 Une autre fois, son fils était malade et elle ne savait pas comment le soigner. Il s’était

blessé le pied à la mer en marchant sur un coquillage et il avait un bout de coquille qui

était resté dans le pied qui s’infectait. Dans ses rêves, elle voyait toujours un homme de

Cäba sans arriver à savoir qui il était. Il lui disait qu’il fallait amener son fils pour le

soigner à Cäba, chez son père. Ce qu’elle fit donc et celui-ci lui dit avoir eu d’ailleurs la

même blessure.

41 Il lui est arrivé également de soigner son frère aîné grâce aux songes qu’il faisait lui-

même. Il ne pouvait plus marcher et donc se déplacer. Il a rêvé de trois plantes qu’il lui

fallait pour se soigner en discutant avec des vieux et il a demandé à sa sœur d’aller les

chercher. Elle en a trouvé d’abord une d’un côté, plus l’autre de l’autre côté, mais pas

moyen de trouver la troisième. Alors elle est revenue avec les deux puis elle est repartie

fouiller vers chez le colon G. et c’est là qu’elle a déniché la troisième. Grâce à cela, il a

pu se remettre debout et marcher à nouveau. Cette maladie était due au non-respect

d’une coutume. En effet, lors du décès d’une grand-mère classificatoire (gèè) métisse, ils

n’avaient pas fait de présents coutumiers. Aussi, après cet avertissement des ancêtres,

sont-ils allés trouver leurs « tontons », parents paternels de cette grand-mère, pour

présenter leur geste. Suite à cela, il n’était plus malade.

42 Nombreuses sont les personnes qui rêvent pour soigner comme pour se garantir d’un

danger à venir :

« Dans mon entourage, on m’a souvent raconté des rêves qui peuvent être soit uneprévention d’un danger, soit des remèdes traditionnels. J’ai une grande sœur quirêve souvent des médicaments traditionnels : une fois, elle a rêvé d’une personnequi lui montre une plante pour soigner les personnes qui ont reçu un coup sur latête. Deux jours plus tard, quelqu’un de la famille arrive chez elle et au cours deleur discussion, cette personne lui raconte ce qui lui est arrivé. Cette personne étaiten train de faire sa sieste et elle a rêvé que quelqu’un entre dans la maison et luimet un coup de pied sur la tête. En se réveillant, il a senti que sa tête lui faisait mal.En l’écoutant, ma sœur comprend alors que le médicament qu’elle a rêvé, lui estdestiné. Elle soigne donc cette personne, qui par la suite n’a plus du tout ressenti

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son mal de tête. On m’a souvent rapporté des rêves de remèdes traditionnels et j’airemarqué que les personnes qui apparaissent dans le rêve peuvent être des gensfamiliers ou souvent des vieillards ayant une longue barbe blanche. Ces dernierssont nos “vieux”, nos ancêtres qui nous transmettent leur médicament. Or, ce n’estpas tout le monde qui peut rêver des remèdes traditionnels. Les personnes quidétiennent des remèdes traditionnels issus des rêves sont souvent considéréescomme des personnes ayant des dons particuliers. Parfois, ma sœur rêve des chosesqui vont arriver dans son entourage. Alors, elle essaie de chercher l’explication etde savoir quelles sont les personnes concernées. Pour ce faire, elle observe tout cequi se passe dans son quotidien et en cherchant à travers les gens qu’elles croisentet ceux qui viennent discuter avec elle. C’est souvent au cours des discussionsqu’elle va essayer de faire le lien entre tout ce qui se dit, tout ce qui se passe et sonrêve. Mais elle ne cherche pas forcément à savoir où aller à la rencontre des gens.C’est comme si les événements se présentent devant elle. Elle doit donc êtreattentive en observant et savoir interpréter ce qui se passe. Une autre fois, son rêveprédit un deuil dans sa famille proche. Dans son rêve, ma sœur voyait une autrepersonne de la famille qui lui annonce que sa petite sœur est décédée. À partir de cemoment, elle s’attendait à un deuil dans la famille, ce qui est réellement arrivé. Unede ses tantes était décédée. Le rêve peut être aussi annoncé quelque chose qui vanous arriver. Parfois, on nous prévient, alors il faut s’y préparer à l’avance ou fairequelque chose pour éviter les dangers. » (Suzie Bearune, com. pers., 18/12/09)

43 S’il est courant d’avoir des rêves annonciateurs, le fait de soigner grâce au récit

onirique paraît plus spécifique. Certains informateurs y voient un lien avec le don de

voyance, « pas celui qui est transmis de génération en génération, de voyant en voyant,

mais celui qui vient comme cela directement des esprits », des « diables » m’a-t-on

précisé en français local, soit des duéé (Leblic, 2000b). Selon Jean Guiart :

« Les rêves divinatoires sont envoyés par les morts et c’est à eux que l’on parle, àvoix basse ou haute, chaque fois que survient une crise émotionnelle, les femmesaussi bien et aussi souvent que les hommes, car la voyance est une vocationlargement partagée entre les sexes. » (1985 : 59)

44 Rêve comme voyance peuvent jouer un rôle fondamental dans la transmission

d’éléments culturels ou dans l’innovation. À propos des mythes du voyage au pays des

morts, Jean Guiart souligne que :

« La relation relève alors d’une forme de voyance pérennisée, dont la fonctionsemble être l’introduction de traits culturels nouveaux, les innovations proposéesau nom des morts étant assurées du meilleur accueil. » (1985 : 61)

45 Nous avons signalé ci-dessus leur importance dans la recherche de médicaments,

comme dans la transmission des savoirs médicinaux ou autres.

Symbolique kanak des rêves

46 S’il est sûr que les sociétés kanak, comme nombre de sociétés océaniennes, accordent

une grande importance au rêve, le manque d’informations approfondies sur cet

élément important de la culture kanak ne permet pas de dresser de façon systématique

une symbolique des rêves. Celle-ci par ailleurs devrait être sans aucun doute reliée à

celle que l’on trouve dans la tradition orale (Ogier-Guindo, 2005 et 2007). À propos de ce

parallélisme, je vais présenter rapidement ici les quelques éléments dont je dispose, et

qui demanderont à être complétés ultérieurement.

47 Ainsi, quand on rêve de viande, on dit que c’est signe de mort ; si c’est à l’igname que

l’on songe, c’est l’annonce d’une coutume ; par contre, la vision onirique d’une grande

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inondation prédit un événement qui va arriver sous peu… Ces quelques exemples de

métaphores sont à rapprocher de celles à l’œuvre dans les discours ritualisés de

tradition orale. Julia Ogier Guindo, dans sa thèse sur les discours vivaa (2005), a

présenté de nombreuses formules qui interviennent dans les discours formalisés ajië et

des métaphores à l’œuvre dans cette tradition orale, sans malheureusement faire une

présentation récapitulative de leurs significations, des images qui font vivre la parole,

etc. qui aurait pu servir à des études ultérieures sur d’autres aires linguistiques kanak

et permettre là encore un comparatisme des plus fructueux, en notant notamment les

métaphores figées ou lexicalisées (Ogier-Guindo, 2005 : 152), comme des formules

stéréotypées, des mots-clés, que l’on retrouve de façon générale d’un bout à l’autre de

la Nouvelle-Calédonie.

48 Par exemple, Julia Ogier-Guindo (2005 : 252sq) parle de la montagne pour le tas de

vivres, de la sagaie et du casse-tête pour la puissance guerrière, du poteau central pour

le chef, des lianes qui courent à l’autre bout du pays pour parler des alliés, de la mort

pour le dernier descendant d’une lignée, de la mère de la chefferie pour son lieu

d’origine, de la fourche et de la paille pour la vie et la mort, de la séparation de la vie et

de la mort par les présents apportés, du chemin pour l’échange, de la liane comme

symbole fort du lien, mais aussi de l’ensorcellement, de la liane spécifiée vivante pour

la pérennité d’un clan, etc. Ailleurs, dans d’autres régions de Nouvelle-Calédonie, on a

aussi le muret et la filoche pour la chefferie, le muret représentant la base, les gardiens

et la filoche24 (sous-entendu de poissons), les clans qui sont chargés de faire la pêche

pour nourrir le groupe et, donc, la nourriture mais aussi l’ensemble des alliances ; mais

aussi la viande pour désigner le clan dans lesquels on se marie, on entend dire souvent

« c’est notre viande » pour le désigner, ou encore le banyan pour parler du pays des

ancêtres… Notons à ce propos que la réalisation d’un répertoire de tous ces symboles en

diverses langues kanak serait des plus utiles.

Conclusion : rêve et transmission

49 À Ponérihouen et dans une grande partie du monde kanak, l’un des principaux rôles

des récits oniriques semble donc la transmission d’informations de toutes sortes, entre

le monde des ancêtres et des non-humains en général et celui des êtres vivants et des

humains. Ils sont le vecteur qui permet de redécouvrir ce que les ancêtres n’ont pas

transmis de leur vivant et évitent ainsi toute coupure définitive entre le monde des

vivants et celui des ancêtres. À ce titre, ils font partie intégrante des processus

d’éducation des jeunes et moins jeunes au même titre que tout un ensemble de signes

que l’on peut lire dans son environnement25, et cela est toujours d’actualité comme

nous l’ont montré les exemples cités plus haut.

50 Un dernier exemple que nous pouvons donner de cette importance via les rêves de la

communication et de la transmission de savoirs entre les vivants et les morts ou entre

les humains et non-humains se trouve dans la nomination des personnes26. Ainsi,

certains noms sont révélés par le rêve :

« On dit qu’on prend le nom dans un “champ de noms” […]. Le champ de nomsconcerne ceux des vivants et des morts ; quand le dernier porteur d’un nom estmort, soit il y a quelqu’un qui sait, soit on retrouve par le rêve ; il n’y a pas ruptureentre le monde des vivants et le monde des esprits. Il y a toujours communicationcar il y a toujours une naissance ou une mort, une visite, quelque chose qui fait qu’il

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y a une coutume aux esprits en permanence, car c’est cela le sens des gestes de lacoutume, c’est s’adresser aux esprits ! » (G. Mwâtéapöö, Baala, 10/12/2004)

51 Les rêves ont donc une fonction très importante pour les sociétés kanak de Nouvelle-

Calédonie : ils sont un moyen de communiquer avec les ancêtres et ils permettent de

transmettre des connaissances qui semblaient perdues car non transmises du vivant

des parents. Si tout le monde rêve, tous ne le font pas de la même façon et certaines

personnes ont une capacité particulière à voir en rêve des choses importantes ; elles

sont d’ailleurs assimilées aux voyants. Mais c’est là une autre histoire…

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NOTES

1. J’y participai de façon informelle auparavant.

2. Cela inaugura le début de ma collaboration avec l’équipe parenté du LAS qui est dirigée depuis

plusieurs années maintenant par Laurent Barry.

3. Nous verrons plus loin ce qu’en dit Sylvie Poirier (1994a : 6).

4. « Exprimer et cacher, ou bien exprimer en cachant, car il y a effectivement une part du sens

qui ne peut être dite que masquée. Cette part d’ombre est la partie refoulée du vécu psychique,

issue d’une censure semblable à celle qui, pour Freud, est opératoire dans la production

onirique. » (Bidou, Galinier et Juillerat, 1999 : 10).

5. En contraste, Malinowski quant à lui écrivait : « Enfin, nous devons citer les psychanalystes,

ces derniers venus, qui prétendent nous enseigner que le mythe ne représente pas autre chose

qu’un rêve diurne de la race et qu’il n’est possible de l’expliquer qu’en tournant le dos aussi bien

à la nature qu’à l’histoire et à la culture, pour descendre dans les marais du subconscient, au fond

duquel se trouvent relégués tous les accessoires et symboles de l’exégèse psychanalytique

courante. Il résulte de tout cela que lorsque le pauvre anthropologue et folkloriste se présente

enfin à la fête, il trouve à peine quelques miettes à glaner. » (1933 : 64).

6. « En second lieu, ce sont des récits qui semblent manquer de cohérence, qui suggèrent qu’il y a

plus en jeu que l’histoire apparente ou manifeste. » (Leavitt, 2005 : §44).

7. Barbara Nakamarra a été notée comme co-auteur du fait qu'elle était l'auteur/commentatrice

du long rêve analysé dans cet article qui rend compte de la créativité dans le processus de

« travail » du rêve, spécifique aux Warlpiri, de « révélation » de ce qui est pensé comme virtuel

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dans la mémoire depuis toujours vers les chants et ou peintures rituels nouveaux ; d’autres

exemples de telles productions ont été publiés dans diverses publications de cet auteur

(Glowczewski, com. pers.).

8. Sebag a noté une centaine de rêves de la même personne en quelques mois. Dans l’article en

question, il en a retenu une série de vingt-neuf qu’il présente avec leurs interprétations, après

une introduction ethnographique et méthodologique, et qu’il fait suivre d’une discussion plus

large sur la nature des rêves et sur leur rapport aux mythes (d’après Leavitt, 2005 : §23).

9. Bien entendu, il faudrait s’interroger sur les notions de « privé » et de « public » dans cette

société, ce qui sera fait dans une autre publication.

10. Le terme nyûââ désigne l’« esprit » en tant que « souffle » d’une personne vivante. C’est ainsi

que l’on dit aussi nyûââ-ê pwicîrî, litt. « esprit, fantôme/son/sacré, interdit » pour désigner

l’Esprit Saint et nyûââ-râ nêê pour l’esprit du nom, litt. « âme, fantôme/de/nom » (voir à ce

propos Leblic, à paraître).

11. Malinowski a lui aussi fait le rapprochement, pour les Trobriandais, entre rêve et transe

médiumnique : « La phase la plus importante fut celle du réveil progressif du médium, après une

transe qui dura plus d’une semaine. Pendant qu’il était plongé à fond dans cet état, il n’avait pas

transmis un seul message véritable du monde des esprits. Mais au cours de la sixième ou

septième nuit, après une séance de chant très intense, le visionnaire se leva de son lit et se mit à

parler. Il ne parla pas de sa propre voix et, d’après ce qu’on m’a assuré, ce n’était pas la voix d’un

homme décédé récemment qui parla par sa bouche, mais l’esprit d’un homme mort depuis

longtemps. C’étaient principalement des messages du chef récemment décédé, Narubuta’u. Ils

contenaient des instructions sur la manière de disposer d’une certaine propriété, le désir que le

canoë restât à Oburaku et l’espoir que la distribution festivale de nourriture en son honneur

serait magnifique. Les dispositions semblaient raisonnables et sages et je ne trouvai pas qu’elles

fussent à l’avantage personnel du visionnaire. » (1933 : 114-115)

12. Gilles Bounoure l’a également montré pour l’ensemble de la Mélanésie dans son article « l’art

et le rêve » (2007), dans lequel il a développé à la lumière des écrits anthropologiques sur la

Mélanésie ce qu’André Breton avait écrit dans l’art magique (1957) : « Il est de fait que le rêve

joue un rôle essentiel dans la procréation artistique des peuples où règne la magie » (Breton,

1957 : 136, in Bounoure, 2007 : 23).

13. Nous avons montré ailleurs l’origine mythique des techniques (Leblic, 1988 et 2008), les

techniques provenant des ancêtres par vol ou par don.

14. M. Leenhardt (1971 : 124) précise aussi que : « L’igname ancienne enfante la nouvelle, la

nouvelle fortifie la chair de l’homme, la virilité de l’homme robore le monde, la mort de l’homme

ramène celui-ci dans la terre, avec les ignames anciennes, ses ancêtres. Le cycle d’existence de

l’homme est enfermé dans le cycle de l’igname ».

15. Toujours selon J.-C. Rivierre, outre les diverses possibilités de découpage de ce mot, un autre

problème réside dans le fait, qu’« une fois installé dans la langue, utilisé, fossilisé, ce composé

peut se modifier, se simplifier un peu au point que les composants initiaux ne sont plus

identifiables avec certitude. Deux preuves de ce processus : - le schème tonal du mot (deux tons

moyens + deux tons bas) est un schème propre aux mots simples, que les gens ne sentent plus

comme des mots composés, qu’ils ne segmentent plus en composants plus petits. Ce qui

n’empêcherait pas, le cas échéant, un informateur de te proposer une analyse du mot ; - la

variante närunê, forme simplifiée de näurunê » (com. pers., juin 2010).

16. À propos de côwâ, J.-C. Rivierre (com. pers., juin 2010) me précise que : « d’accord pour

l’identification de côwâ “en sens inverse”, dans âcôwâ ; côwâ, c’est le symétrique et inverse de

Lévi-Strauss, utilisé surtout sur le plan spatial ; /â/ pourrait être l’abréviation de /ârâ/ ou /êrê/

“contenu de”, mais qui a un ton haut, alors que j’ai noté âcôwâ avec un ton moyen ».

17. Nous avons déjà noté (Leblic, 2002) l’existence de Dui Pwiridua, être intermédiaire, donné

pour mi-esprit, mi-homme (voir le mythe paicî de l’origine du monde et du peuplement kanak,

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que j’ai recueilli à Ponérihouen). Une des caractéristiques de cet être est d’être blanc– de peau

comme dans son habillement –, d’avoir les articulations qui se plient à l’envers et de laisser des

traces de pas en sens inverse de sa marche !« Tout être vivant introduit chez Piijèpaa indisposera

la société des morts en tant que jène-mulip (âme de vivant) ou de duéé wamin (fantôme cru) à

l’odeur insupportable de chair non putréfiée. Ces vivants et défunts se trouvent les uns vis-à-vis

des autres en position d’étrangers, ayant des habitudes opposées : les morts (putréfiés) mangent

des produits monstrueux, non comestibles et toujours crus, et font de l’ingestion de cette

nourriture un signe d’appartenance à leur société » (Bensa et Rivierre, 1982 : 462). « La vie aux

Enfers est souvent décrite dans les textes comme un pilou permanent, les morts n’interrompant

la danse que pour manger des nourritures impropres aux vivants » (Ozanne-Rivierre, 1979 : 146).

Ce « pilou permanent » implique aussi une inversion entre la vie quotidienne courte (qui n’existe

pas aux « enfers ») et vie cérémonielle… (Monnerie, com. pers.).

18. Loin de la parole que nous avions dite, il est allé à la mer, pièce de Dany Dalmayrac (ms, 11 p.)

présentée au centre culturel du Mont-Dore pour la commémoration des dix ans du centre

culturel Tjibaou en 2008 et jouée par la troupe Nyian de Richard Digoué.

19. Il existait des planches à rêves (photos 1 à 3) situées en haut des grandes maisons kanak où

certains – devins ou prêtres des clans – se rendaient pour entrer en communication avec les

ancêtres et cela est sans aucun doute de l’ordre du rêve.

20. Ce qui se retrouve aussi aux Trobriand : « Le voyage dure longtemps, car le serpent-mère va

de village en village, chantant partout la même chanson. Il entre enfin dans le village habité par

les deux femmes et, apercevant la coupable en train de faire cuire les œufs, il s’enroule autour

d’elle et entre dans son corps. La victime s’affaisse, impuissante et souffrante. Un homme

habitant un village voisin voit en rêve cette situation dramatique ; il accourt, retire le serpent, le

coupe en pièces et épouse les deux femmes, remportant ainsi une double récompense pour sa

prouesse. » (Malinowski, 1933 : 67).

21. De nombreuses sociétés océaniennes connaissent ces voyages extra corporels, tels par

exemple chez les Maori de Nouvelle-Zélande : « L’esprit-songe, te waira, abandonne le corps

pendant le sommeil et part à la recherche de renseignements utiles au bien-être de son écrin

corporel. Chez les Maoris, on évite toujours de réveiller quelqu’un brusquement afin de laisser le

temps à l’esprit de réincarner convenablement le corps. » (Dibie, 1996 : 128). Ou encore chez les

Papous de Papouasie Nouvelle-Guinée : « Des créatures surnaturelles se manifestent en rêve.

L’âme, en quittant le corps, se transforme en fantôme ; elle est aussi la résultante d’un ensemble

de petits démons jaloux de leurs prérogatives dont l’assemblée tumultueuse est parfois difficile à

supporter dans le sommeil, et chez qui il est nécessaire de remettre de l’ordre pour que la vie

reprenne son cours. » (Dibie, 1996 : 129).

22. Les yaacè du Sud (langue kwênyîî), entités non humaines, sont les « esprits » ou « génies » par

ailleurs nommés mwakèneen cèmuhî ou uen paicî.

23. En paicî, « balassor » se dit duru qui signifie en tout premier lieu « os » et « mûrier à papier,

Broussonetia papyrifera L., Moracée » ; duru est aussi le nom de la coutume de deuil dite « le

bouquet » faite par les paternels et les maternels. Par extension, le terme « balassor » représente

les étoffes de coutume (voir par exemple, juu : étoffe de balassor, paquet sacré des offrandes dans

juu mä puwâro ; ou mwééaa : « balassor », geste que les tontons vont faire quand ils vont arriver à

la cérémonie de deuil de leur neveu). L’usage d’étoffes ou tapa de balassor avait « en toutes

circonstances », selon Maurice Leenhardt, « le caractère d’un trésor offert et échangé » qui était

« utilisée encore pour confectionner les nœuds très solennels qui marquent les traités politiques.

C’est dans ses plis qu’on enveloppe le crâne du défunt pour l’emporter dans la forêt. Et, en

corrélation avec ces rites, c’est le balassor de banian encore qui donne le bagayou cérémoniel, le

long cornet qui suffit au Canaque pour voiler sa circoncision. » (in Bounoure, 2009 : 179).

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24. Selon Denis Monnerie (com. pers.), à Arama, l’ordre des poissons sur la filoche ( ju) est

comparé à l’ordre, d’une part, de préséance cérémoniel et, d’autre part, des naissances dans une

génération ou un « clan » (a-ju étant personne).

25. Voici quelques exemples indices donnés à travers les rêves et les éléments de la nature :

« Pour nous, il y a aussi les oiseaux qui nous donnent des signes : tel oiseau égal tel signe, chaque

oiseau nous dit quelque chose ; quand on les voit en rêve en plus, c’est on ne peut plus clair !

L’oiseau plume du deuilleur vient parce que je n’ai pas fait mon champ d’igname ; quand le

champ est fait, on ne le voit plus ! Quand on commence à faire les trous [pour les ignames], un

couple de tourterelles qui vient de la forêt suit le billon qu’on est en train de faire… Et le lève-

queue, il reste toujours ici à la maison ; s’il vient tout proche, sur la table par exemple, c’est que

quelqu’un va arriver, une nouvelle… Maman savait quand les dawas – Naso unicornis (Forsskål) –

allaient être gras avec la fleur de tel arbre, ou que les moules sont pleines avec une fleur d’un

arbre… car elle était du bord de mer. » (Extrait d’entretien). Pour d’autres exemples d’indices,

dans le domaine de l’exploitation maritime et de la pêche, voir Leblic (2008).

26. Sur le rôle de rêves dans la transmission des savoirs en général, voir Leblic (2010).

RÉSUMÉS

Le rêve en Nouvelle-Calédonie n’a que très peu retenu l’attention des ethnologues. Hormis

quelques allusions faites par Fritz Sarasin, Maurice Leenhardt ou Éliane Métais, pour les

principaux, on ne peut pas dire que les ouvrages connus comportent une foule d’informations en

la matière. À partir de souvenirs de terrain à Ponérihouen, je vais parler ici de l’importance des

rêves dans la société kanak actuelle, notamment dans l’apprentissage et la transmission de

nombre de savoirs et de savoir-faire.

Dreams in New Caledonia are not a subject well described by ethnologists. Apart from a few

comments by Fritz Sarasin, Maurice Leenhardt or Éliane Métais, for the main things, books about

Kanak societies don’t have a lot of datas about this subject. From my fieldwork memories in

Ponérihouen, I’ll introduce the importance of todays kanak dreams, notably in the training and

transmission of knowledge and know-how.

INDEX

Mots-clés : ancêtres, apprentissage, création, Kanak, magie, Nouvelle-Calédonie, Ponérihouen,

rêve, savoir, transmission

Keywords : ancestors, creation, dreams, Kanak, knowledge, magic, New Caledonia, Ponérihouen,

training, transmission

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

165

An end and a beginning for the gift?Marilyn Strathern

1 In a co-edited volume put together to promote mutual understanding between

Francophone and Anglophone anthropologists (Jeudy-Ballini and Juillerat, 2002),

Bernard Juillerat threw down a challenge to what had become orthodoxy in much (not

all) of the English-language literature on Melanesia. It is of course a nice point that the

orthodoxy had a lineage of French origin, in the work of Marcel Mauss. I refer to

Juillerat’s revisiting of the concept of the gift, or rather of the place the gift has held in

the anthropological paradigm of social exchange. Anticipated in the Introduction to the

volume, and followed through by other contributors, his own chapter (written initially

in 1996) has an unequivocal title:

«The other side of the gift: from desire to taboo. Representations of exchange andoedipal symbolism among the Yafar, Papua New Guinea.»

2 I take up the challenge in order neither to criticize nor concur with Juillerat’s model.

He offers us a coherent and persuasive account in his interpretation of Yafar, and I do

not propose to disturb it. Yet from today’s vantage point it strikes a chord of a kind

that he might not have foreseen. In acknowledgement of his contribution to

anthropology at large, my informal and speculative comments offer a brief footnote on

paradigms.

Two exhortations

3 Juillerat is not the first Melanesianist, and surely will not be the last, to have taken

issue with prevailing assumptions about the reciprocity being signalled in the gift. It is

the way he does it, and the forcefulness of his demonstration, that is striking. First he is

unequivocal about confronting Mauss, he and his co-editor declaring that their account

is «opposed to what Mauss wrote about the obligations that structure the logic of

exchange» (Jeudy-Ballini and Juillerat, 2002: 11). Second, he wishes to retain the

concept of «gift» while disentangling it from «reciprocity» and, to the extent that it is

entailed, «exchange». Indeed one could argue that the effect is to give the gift new life,

keeping the scope of Mauss’s general endeavour by showing how it may be newly

thought across a range of situations. It is specifically Mauss’s original emphasis on

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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«obligation» in the formulation of reciprocity as the motor for exchange that is the

problem.

4 «Melanesian ethnography shows that (the intention of) giving does not

necessarily entail the obligation of receiving or reciprocating.» (2002: 11,

original brackets)

5 In its place he puts desire and its psychic consequences. He nonetheless continues to

use the vocabulary of gift exchange, in effect dividing gifts into those that are

reciprocated and those that are not. To allow theoretical room for the latter, he

concludes the chapter saying,

«we should pursue the unshackling of gift-giving from exchange, to which Lévi-Strauss’ theory bound it.» (Juillerat, 2002: 183)

6 It is in effect an exhortation: Detach reciprocity from the gift!

7 There are all kinds of reasons for being interested in Juillerat’s proposition. I am not

just thinking of the very considerable and still lively debates in anthropology to which

it contributes, and which regrettably have to be ignored here, but how it might sit with

perspectives from elsewhere1. I am particularly struck by having recently come across a

counter-exhortation: Tie reciprocity to the gift!

8 This is a plea that comes from the other side of the world, nothing to do with the kinds

of materials on which Juillerat bases his account. But it does come from the same Euro-

American world (if I can subsume both French-speaking and English-speaking

orientations that way) that gives us the concept of the gift in the first place. There is a

more ideationally specific lineage here, for a powerful voice in two areas of that world

has been Titmuss’s The Gift Relationship (1997); in that book there the author prefaced a

typology of blood donors with a consideration of Mauss and Lévi-Strauss. Comparing

the UK and the US, Titmuss offered a sociological disquisition on policy for blood

donation programmes. Indeed, since it first appeared in 1970, his book has been a

major influence on the extent to which the gift has been embraced as model for such

donations; above all the work is evoked for tying the gift to what we could call a Euro-

American substitution of, if not negation of, reciprocity, « altruism ». Through the

words of one commentary on Titmuss’s argument, the gift of blood in the modern

welfare state is construed as:

«voluntary, not compulsory, and the recipient is under no personal pressure toreciprocate. It is given not because the giver expects a return, but as an act ofvoluntary altruism and social duty.» (Waldby and Mitchell, 2006: 15)

9 In the UK, the altruistic impetus has been explicitly upheld through policy measures

that detach commercial transactions in blood and blood products from the primary act

of voluntary donation2. Moreover, the altruistic gifting of blood has become the model

for other donation schemes that have been developed since – for organ and tissue

transplants of all kinds, and for gametes and embryos. In the US, where payments have

long been acceptable for blood products and gametes, organ and tissue donations by

contrast are required to be altruistic. «Altruism» emerges as the appropriate ethical

stance for donors of body parts, and in this arena an overarching moral entity,

«society»3 can be a beneficiary. However, this may be an era that has exhausted itself.

10 Two studies (Goodwin, 2006; Waldby and Mitchell, 2006) on tissue and organ circulation

(transplantation, procurement), drawing mainly from materials on the US but also

from the UK, explicitly question the future of Titmuss’s gift relationship. If until now

conventions about the donation of body parts as altruistic «gifts of life» have held the

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moral high ground in the advancement of transplantation practices and in the

protocols of procurement agencies, they argue that the model of a gift free of proper

compensation may have run its course. Too many counter-examples have built up, that

is, examples of practices where «the gift form» simply «cannot function as a rejoinder

or clear alternative to the incursion of market values into human tissue economies»

(Waldby and Mitchell, 2006: 182). The way that most body tissue circulates in, to use a

contrast first deployed in blood collection, «fractionated» rather than «whole» units;

the uncertainty of donating for unknown research use; underground markets and the

international traffic in organs, not to speak of the financial profit derived from

procurement schemes, all in this view demand some re-thinking of the act of donation.

It is in this context that Goodwin specifically advocates compensation for the families

of deceased organ donors; the aim is to increase the overall supply4 and check the

abuses of the black market. This is not in order to create a commodity market in body

parts. On the contrary, and the point is anticipated by Radin (1996), it is argued that

such payment need not detract from the idea of a gift in terms of benefit to others.

When the gift is tied to exchange like this, and benefit is regarded as returning to the

donor’s family, the anthropologist might say that the gift is reciprocated. Whether the

exchange is or is not market exchange is a separate issue.

11 Goodwin (2006) does not advocate direct compensation to living donors, and is

concerned to keep the notion of altruism alive. I later turn to a proposition from

Thompson (2007) about live donation, in which she recommends payment where it is

not currently made, who goes on to sidestep the question of altruism by putting in its

place the ethical principle of care (2010). The aim is a better procurement system, but

also justice to the donor, and – although this phrase is not used – a form of direct

reciprocity. I should briefly note that neither is an anthropologist (nor are Waldby and

Mitchell whom I also cite), and while Goodwin refers to the gift in her criticism of

Titmuss, and Thompson mentions gift theory, the terms reciprocity and gift exchange

do not form their working vocabulary5. (One finds instead giving, donation, altruism,

compensation.) The justification for my translating their arguments into

anthropological idiom will I hope become evident. In the meanwhile, I remain with a

general observation about the exhaustion of ideas.

12 It is not a model of donation as such that is exhausted. Rather, in these Euro-American

narratives the gift (e.g. altruistic donations in the vernacular) is invariably opposed to

the commodity, and what seems to have exhausted itself is the utility of that

distinction. The argument put forward in respect of organ and tissue donation proposes

that payment received for donation could be thought of as a «hybrid» combination of

incentives. The point is not to jettison the idea of gift giving but to tie such giving to

the kinds of transactions it was once thought to deny. Among other things, payment

would signal a compulsion to reflect something of the transactional and medical

complexity (of extraction) that defines the gift’s career in this field. It seems to me that

there is an interesting question here for present-day anthropology. Juillerat’s position

was that Mauss’s stress on reciprocity is analytically exhausted in the sense that too

many counter-examples have built up of areas of Melanesian life where gifts appear to

be given without reciprocity. Do the two exhortations to which these approaches lead come

from the same paradigm? If so, are we witnessing a paradigm made evident in its passing?

If not so, then are the models used by Juillerat (and other Euro-American

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Melanesianists) and by the Euro-American commentators with respect to certain of

their own practices (donations of body material) at all comparable?

13 The question about paradigms only makes sense as a question about whether, at the

moment the notion of gift-giving is detached from or tied to exchange and reciprocity,

we could argue that there is similar intellectual work going on. Let us look, then, at

specific moments of detachment and attachment.

Two mothers: Yafar

14 The figure of the mother plays a central part in Juillerat’s account, and two kinds

appear in his chapter. The primordial Mother, who gives no less than the world, has as

her shadow the (human) mothers of children with their nurturing gifts of milk – the

«mother’s selfless gift to her child», as the joint Introduction puts it (Jeudy-Ballini and

Juillerat, 2001: 11). The mother-child relation of everyday interaction is ritually

reactivated, we are told, when men beseech the maternal totem, the coconut palm in

flower, to shed its abundance upon them. The flowers that fall are (likened to) milk, in

turn an index of abundant game. The men of the two moieties reactivating the

primordial Mother’s fecundity render her as a counterpart to the paternal sago palm,

which in the course of the same rite is cut and consumed. The inflorescence from the

coconut, not normally eaten, is tasted and then given to hunting dogs who will

demonstrate what the Mother provides. At the end of the hunting period, the bestowal

complete, the flowering part is closed up.

15 The violence done to his account by my abstracting Juillerat’s analysis from its

psychoanalytic framing, and the psychic resonance that gift carries in this context,

must be acknowledged. His whole point is the inadequacy of the kinds of explanations

to which Mauss’s social and (in the emphasis on the obligations to receive and

reciprocate) juridical approach are addressed. I might add that is also a violence not to

do justice to the incomparable order of detail that he provides, here and across his

work. My interest is in the tenacity of the gift as a concept. What seems to conserve his

own vocabulary of gifting in relation to the primordial Mother is the assumption that

ordinary human mothers are «giving gifts» when they feed their children6. These

mothers later eat of the pork that their brothers will have received as explicit payment

for maternal milk; the meat comes from their sons’ / sister’s sons’ hunting (Juillerat,

2002: 175-6). We could regard the brother-sister pair as the actor here, mother’s

brother as Yafar say being «the breast»; but Juillerat sees this as a redirection from the

woman to her brother from whose hand she receives the pork, keeping the image of the

mother as one who does not receive directly7. The primordial Mother, on the other

hand, while having a male counterpart in the paternal totem or «divine Father» seems,

in this particular account, to have no such brother. However, her single breast,

originally severed from the rest of her when parts of her body formed the world, was

hung by the Father in the sky as the sun (Juillerat, 1992).

16 Juillerat (2002) focuses on the unreciprocated nature of the Yafar Mother’s gift. It is a

gift insofar as, following the vernacular pleading with an explicit reference to milk, the

cry is for the Mother to «give» game to be hunted. Animals are itemized – pigs,

cassowaries, possum – and she is asked to give them all. The gift is unreciprocated, in

Juillerat’s view, insofar as it is totalizing: giving everything to people, she is not able to

receive anything herself (2002: 165-6). There is, he asserts, no possibility of exchange.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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At the moment of detachment, when the coconut inflorescence is shaken over them,

the men are mute recipients, indeed their eyes are averted, neither seeing nor being

seen. The anxiety is that they will not receive anything, that they will not have

achieved (in Juillerat’s words) their desire for the mother’s desire. The contrast is with

their later being seen by the spirits, for whom they have left gifts, who make them gifts

of game and their own active seeing of the animals they are going to shoot («scopic

capture», 2002: 170-171). Game is ultimately the Mother’s gift, but return is made only

to the more immediate spirits who enable hunters to see their prey. Given the sheer

inappropriateness of the source of bounty desiring anything back, the Mother’s own

gift is detached from exchange. Yafar say that the whole world comes from the

Mother’s body.

17 What goes for the maternal gift of milk (game) from the totemic Mother goes too for

the paternal sago from the totemic Father.

«From the standpoint of the gift, both substances are received and consumed [inthe course of ritual] without compensation. Humans do not give the divine coupleanything.» (2002: 164)

18 But the Father has other roles to play. Juillerat particularly deploys the figure of the

Mother to make his general point about exchange; it is in the context of her bountiful

and uncompensated bestowal that reciprocity seems beside the point. Even when

reciprocity does appear so attached in (human) exchanges, Yafar prefer to get it over

with as soon as possible: to put off reciprocating is, Juillerat says, regarded as a bad

custom. Elsewhere in Papua New Guinea people may cultivate debts, and the

anthropologist turns reciprocity into a structuring feature of social life, but here people

hate to think of themselves as in debt. Juillerat seemingly detaches reciprocity from the

gift at the moment when he nonetheless wishes to conserve Yafar men’s desire for the

Mother’s abundance as at once an example of gift-giving and as an organizing feature

of ritual action.

Two mothers: North America

19 In almost every respect it would seem alien to suggest a comparison with those caught

up in the configurations of organ, blood – and other tissue – and gamete donations in

North America. Here men and women contribute to schemes that circulate body parts

between persons, and these days, when whole blood is normally broken down or

fractionated into separable products and whole organ transfer is only a part of a much

wider traffic in body tissue, it may be difficult to visualize a donor-recipient

relationship.

20 However, such an imagined relationship has been understood as lying at the core of the

impetus to donate. That does not mean that the parties should be identifiable, and the

protection of donor anonymity has often meant keeping donor and eventual

recipient(s) apart (strenuously defended in the case of organ transplant professionals,

sometimes against people’s own desires [Sharp, 2006]). Yet the person from whom the

body part comes, whether alive or dead, continues to be called a «donor». The same

term is used of course in Euro-American practices of giving to charity or otherwise in

support of good causes, a depersonalized giving that nonetheless requires envisaging

some kind of human recipient at the end of a chain of transactions. Imagining the

absent recipient, or donor for that matter, plays a special part in gamete and

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

170

specifically ova donation, as Konrad (2005) has described in the UK. In the US,

recipients of organs may try to imagine their donors, and it has been reported that

mothers of children who donated after an early death may seek out the person whose

body now contains a living part of their child (Sharp, 2006: 196).

21 Now Goodwin (2006: 18) is not the first commentator, and certainly will not be the last,

to observe that:

«human donations enter [the organ procurement and distribution system]altruistically and exit commercially.»

22 The engineering of tissues means that:

«any donated tissue may be put to multiple uses and adopt multiple trajectories[including as items for trade]. […] Tissue donation is thus transformed from an actof direct civic responsibility […] into a complex network of donor-recipientrelations heavily mediated by biotechnical processes and an institutional complexof tissue banks, pharmaceutical and research companies, and clinics» (Waldby andMitchell, 2006: 22)

all of which need to fund their services. If one adds to this the pressure of ever-present

shortage, and the international black markets that spring up to meet demand from

wealthy countries, there is a case for change to donation practices. Goodwin (2006: 21)

proposes introducing remuneration to the relatives of deceased organ donors, in order

to create a more open and equitable system; it would embrace «a transparent but

limited market approach». Commodification with respect to organs is outlawed in the

US. Yet there is a precedent of sorts, she notes, that shows «Americans’ willingness to

utilize markets to procure and allocate human resources» (2006: 21). She refers here to

reproductive altruism (producing children to assist ailing siblings), and elsewhere to

gamete (ova and sperm) donation as an example where «financial transactions in the

body are […] transparent» (2006: 160).

23 However, by contrast with sperm, eggs these days fall into one of two types. In the US

there is no legal bar to making payments for ova, arguments often focusing on the

appropriate scale of recompense (Thompson, 2007), insofar, that is, as the eggs are

intended for reproductive purposes. The situation changes radically when it comes to

those who donate eggs, and in some cases fertilized eggs (embryos), for research. There

are thus two kinds of ova donors: the one whose eggs will help another to have a child,

and the one whose eggs may be used for all kinds of research purposes, known and

unknown. In the distribution of egg and embryonic tissue the recipient is not a person

but a research project.

«The two kinds of donation should be kept separate even when some eggs are usedfor IVF [in vitro fertilization] and some for research as part of the very same act ofdonation.» (2007: 203)

24 Although women who become egg donors do not by that act become mothers

themselves, in the context of fertility treatment they enable others to be mothers. This

is obviously not so when eggs are destined for research; the gesture there is towards

the ultimately therapeutic intention of those engaged in research to improve medicine

at large. The donor is a first and foremost a «research subject», that is, one who

contributes part of their bodily self to research, much as participants in clinical trials

do.

25 Stem-cell research is currently a principal area in need of eggs, and embryos, which

may in turn be fractionated and multiplied. As Thompson (2010) observes, once cell

lines produced from reproductive material are in circulation, there is no way to control

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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their diffusion. This includes diffusion through commercial ventures. In any event, she

(2007, 2008) cannot see any reason why women who donate to research programs

should not receive recompense. On the contrary, much as Goodwin argues, openness

would help protect a system that could well find itself subject to some of the abuses of

organ procurement. Thompson herself puts forward positive reasons why payment

would assist not just the individual donor but the whole procurement and potential

treatment system, and how it could be done in such a way as to avoid direct

commercialization as such. She also deals, one by one, with reasons against payment.

The goals behind each objection, she argues, could be met by innovations in practice

(which she specifies in detail I do not give here), and none could not also be met under

a paying regime. To give an anthropological summary: there are many advantages to

reciprocity being tied to the gift.

26 Why does Thompson take such care in dealing with the reasons against payment?

These turn out to be reasons why payment would distort the nature of the action,

substantively why it would subvert the character of gift-giving. And what has to be

conserved about gift-giving? This turns out to be a deeply rooted assumption that

«altruism» is bound up with the gift, and is a principal motive in self / body giving.

27 Let me expand the point briefly. The ubiquitous vocabulary of donation makes of the

body tissue a «gift of life». It entails, in its canonical Euro-American form, a notion of

the autonomy of the voluntary act. This is partly what enables a gift to be a signifier of

altruism. The giver legally bestows possession on another without obligation, and in

that sense without self-interest, although all kinds of obligations and interests may

accompany gift-giving practices. This kind of gift is «free» by contrast, above all, with

commodities that circulate in market transactions, the type case of immediate

reciprocity8. Donation is often presented as the antonym to commerce; indeed, the

contrast is a plank in many donor programs (encouraging donors to give), and the

rhetoric of the altruistic gift has as deep and widespread an appeal as commerce is

regarded as inappropriate for transactions in human organs. We could almost say there

is a taboo on speaking of the donation of body parts as though they could be objects of

commerce. «Among the strongest ideological underpinnings of transplant medicine is

the adamant denial of body commodification» (Sharp, 2006: 12), and outside the US that

applies more widely than organ transplantation.

28 The ideology prescribes the type of person who, for certain purposes at least, is a

suitable donor. In this view, body parts should come from sources in those who give

voluntarily, not just out of fellow-feeling for others but in the sense that nothing has

been extracted from them through undue inducement or coercion. Such attributes

would be betrayed if donors sought recompense. Protocols of anonymity, where they

are in place, uphold the image of the free and altruistic donor; conversely, at the other

extreme, altruism is held in place by people acting intimately as kin do towards one

another – the sister who donates eggs to a sister or the relative whose bone marrow can

be matched with a patient’s – for kinship can also signal «self-less» intention. Such

ideas belong to a broader nexus of concerns about the role of money in people’s sense

of themselves. On the one hand is the assumption that as soon as commerce enters the

room altruism goes out of the window; on the other hand is the assumption that if

reciprocation is monetary then it has an inevitable commodification-effect9.

29 Those who now argue for attaching «exchange» or «reciprocity» to the gift do not

ascribe to these assumptions. The introduction of reciprocity may appeal to market

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arguments for exchange, but it may also visualize non-market ones. What is interesting

about the proposal for recompense, in the accounts both from Goodwin (posthumous

organ transplants) and Thompson (ova donation for research), is the way a notion of

the gift endures. Introduce exchange, but attach it to the gift – don’t get rid of gift as a

concept! In asking why not, we might glimpse something of the interest of Juillerat’s

chapter.

30 Why not get rid of (the concept of) the gift? The figure of the altruistic donor, male or

female in respect of organs, female in respect of eggs, carries with it an ethical aura.

Goodwin (2006: 21) is forthright about conserving altruism: her hybrid system for

organ procurement is one «that supports altruistic procurement», for it «would allow

for altruism and commoditization to mutually thrive». After all, in gamete donation, as

we have seen, «[m]arket systems […] coexist with altruism» (2006: 182). Thompson

argues that it is the fear of driving out the ethical impulse of altruism that has

prevented recompense in the past and clouded debate. Yet if we look at reproductive

egg donation, she also posits (2007: 208), we find that the two kinds of motivation, «far

from being incompatible, seem to bolster one another […] [So] [i]t is wrong then to

worry that being paid substitutes a financial for an altruistic motivation». The willing

research subject can still be thought of as making a donation to science or to society.

Ethical ends can still be met; donations can still be encouraged «for the right reasons»

(2007: 209). In fact Thompson (2010) has recently put forward a suggestion for

replacing the principle of altruism (as the donor’s ideal motivation) with that of care

(of the donor’s body and person); what is conserved is the ethical stance.

31 But ethics for whom? Is it not above all «the system», that is, the processes of

procurement and distribution, whose practices – for very good reason – must be kept

ethical? Thompson’s account of the traditional concept of ethics that required the egg

donor, in the context of research, to receive no return is illuminating here.

32 In effect, it is the act of taking that the gift in this tradition renders ethical: the

altruistic donor elicits ethical consideration from others.

«[P]rotection of potential egg donors has become the signature of ethical concernin the politics of stem cell research in California and elsewhere, and has emerged asthe women’s issue.» (Thompson, 2008: 117, original italics)

33 In other words, protection10 of the (unrecompensed) research subject becomes the sign

of ethical action on behalf of those engaged in the research, or indeed of those who

subsequently make use of the material. The source is impeccable; tissue has been

extracted appropriately. But for the appropriateness to be registered, the research

subject must be seen to be exercising voluntary will. I quoted the observation that

human donations, of organs and some tissues, enter the procurement system

altruistically and exit commercially. Precisely: the initial extraction is appropriately of

a gift. But obviously the gift has this character only at the identifiable point of

extraction from the donor; further down the chain all kinds of other transactions may

occur between actors in diverse roles. Perhaps we should not be surprised to find the

figure of the donor sometimes gets rather special treatment.

34 If there is a specific point at which the Yafar material enlarges one’s vision, it is here.

One would not wish to stretch vernacular usage too far: American egg donors are not

«mothers» in the way that Juillerat was able to envisage the promordial Yafar Mother.

Yet there is something suggestive about the figure of the deity who pours forth her

milk, «fractionated» into diverse species of game for the hunter. At least in some parts

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of United States, ethical tradition places at the heart of stem cell research an enchanted

female. This anonymous figure is shrouded in a kind of sanctity, purified of intentions

that may be sullied by thought of return11. She cannot, must not, receive anything back.

Personifying the donation of all kinds of body parts, then, is the self-less donor to

research who only has the long term need of others in mind. What is being ritualized

here, or in secular terms enchanted, is an ethical stance towards procurement. In other

words this figure sanctifies (ethicises) the transaction, just as the Yafar Mother bestows

bountiful game on men who are then free to take whatever puts itself in their path.

35 The North American advocates of recompense would seemingly attach reciprocity to

the gift at the moment when transactions in human tissue are also required to show

their ethical sourcing; in conserving the idea of gift-giving as an organizing feature in

procurement practices, they show that ethical action need not be compromised.

End

36 I do not know if there were any people from Yafar in Madang hospital, Papua New

Guinea, at the time when Street (2009) was making her study of visualisation practices,

but if there were they no doubt would have been aware of the extent to which the

hospital required blood to do its work. To obtain blood the hospital runs a scheme by

which patients request their relatives for donations, even if (because of blood type) it is

not their relatives’ blood that they themselves receive. The procedures draw, she says:

«on prevalent notions of gift exchange in Papua New Guinea that consider therecipient as an active agent in the extraction of gifts from others.» (2007: 195)

37 From Juillerat’s account, one might imagine that among the confusions that the

hospital setting presented a Yafar patient, this would be another12! But they would

perhaps recognize what Street also indicates, that blood transfusion does not seem to

entail an ongoing process of reciprocation:

«it might be thought of as a point of finishing or completion after which the patientwill be able to leave the hospital, and which contains all previous exchanges andtransactions within itself.» (2007: 209)

38 Like Juillerat, the North American commentators cited here, advocates of reform or

not, hold on to the concept of gifting. It was hoped that this excursus might reach a

point where it became evident whether or not these diverse appeals to gift-giving and

donation were doing similar intellectual work, that is, belonged to a common (Euro-

American) paradigm of interpretation and analysis. A partial answer might be that

common ground lies in the manner in which the assumptions that surround gifting

lend themselves to larger descriptions of social life than interactions between donors

and recipients might imply. The gift is held to have organizational effects.

39 And perhaps what teases anthropologists so about certain acts of gift-giving is

the way they also epitomise how people’s intentions resist organization. Insofar as the

act can indeed be an intention of a kind (as Jeudy-Ballini and Juillerat indicated by their

brackets [see above first page]), it is selective and discriminatory: the recipient is

rendered passive. This would resonate with the emphasis that Juillerat gives to choice

and the implied possibility of refusing to give or reciprocate (2007: 159)13. Caprice on

the part of the donor (whether or not to give) contrasts with the uncertain but at least

possible ability to measure people’s actions through their relations with others, which

is what reciprocated gift exchange or market exchange both afford. As it is, like male

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174

initiates in other Melanesian situations concerned as to whether they have

demonstrably grown, the Yafar men who stand under the coconut are in a state of

anxiety to whether or not flowers will fall into their upturned hands. Many, Juillerat

tells us, will fail to receive, will not experience the Mother’s gift14. Organ and tissue

procurement programmes, research bodies and fertility clinics, always chronically

short of raw material, have their hands outstretched too. What they so avidly desire

cannot, they believe, be taken by coercion.

Part of this material was aired in a Lecture for the Finnish Anthropological Society (December

2009), «Comparing concerns: some issues in organ and other donations». I am very grateful for

comments received on this occasion, to Almut Schneider for her observations on an early draft,

and to the editors of this special edition for their invitation to offer a contribution in honour of

Bernard Juillerat.

I should add that the UK Nuffield Council on Bioethics has asked me to chair a Working Party to

report on medical donations that involve the body. It is departing from its usual single-focus

Reports to investigate issues surrounding procurement, donation and reward in what are

presented as three areas: gamete donation, organ / blood donation and voluntary participation

in clinical trials. The present paper was written before I assumed that position and before the

Working Party was convened, and is based on entirely independent work. All opinions are mine

as a social anthropologist, and nothing I say represents the views of the Council or of the

Working Party, or of myself in the capacity of chair.

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NOTES

1. In the context of diverse contrasts that have been posited between Melanesia and Amazonia,

especially those that turn on the presence and absence of exchange relations, Juillerat’s material

on the hunting and gardening Yafar might be very germane. As Juillerat notes in his chapter, the

Yafar life-cycle is conspicuously devoid of the kinds of overt exchange relations one finds across

many parts of Melanesia, let alone ceremonial or agonistic exchange.

2. American openness to the morality of commerce is evident in the extent to which in the US

for-profit commercial plasma companies supplement blood collecting by not-for-profit hospitals.

3. As the welfare state (Titmuss), the nation (see the contributions to Copeman, 2009), or the

future of international research (Waldby and Mitchell, 2006). Strathern (1992) offers a

commentary from the late 1980s.

4. In dealing with the failure of the altruistic system in the US to ensure sufficient supply of

much needed organs, she (Goodwin, 2006: 10) points to the avoidably high death rate for patients

on waiting lists, especially among African Americans.

5. By contrast, the anthropologist Sharp (2006) has both «gift economy» and «reciprocity» in the

index of her book on organ transplants in the US.

6. One could as well analyse this from the perspective of unmediated relations, as can hold

between mother and child; it would give us the idea of an exchange (in the impact of persons

upon one another) without a gift. Apropos the emphasis on the mother, Juillerat describes how

the reactivation of the primordial paternal semen is similarly «unreciprocated» (e.g. 2002: 164).

7. Jeudy-Ballini, who refers to the self-less nurture that comes from «the mother», nonetheless

points to the «deferred, long-term reciprocity» to which human mothers look forward (Jeudi-

Ballini and Juillerat 2002: 11, n.4).

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8. For a thorough exploration of the (anthropological and related) mythology here, see Konrad

(2005).

9. Yet even if one concurs that donation is the antonym to commerce, one may note that

reciprocity in the form of the obligation to return a gift is itself different from market exchange

(commerce). Note that in English «payment» does not necessarily imply either a monetary or

market transaction (one «pays» compensation for instance).

10. The medical risks of egg extraction are widely known, and there are several areas of concern

that Thompson describes.

11. In relation to embryos, Thompson (2009) notes the severity of the ISSCR (International Society

for Stem Cell Research) sample consent form that specifies that a donor can have no further

interest in what has been given, and must understand there is no way in which any direct

financial benefit can come from future commercial developments.

12. She makes her own argument, following Waldby and Mitchell (2006), about the inadequacy of

the gift / commodity distinction.

13. It is the «risk of not receiving […] which creates the negative, hidden face of the Yafar

ideology of the gift» (Juillerat, 2002: 173). Of course the risk is not confined to unreciprocated

exchanges, and the performed passivity of recipients in all kinds of exchange situations is widely

reported in Papua New Guinea. But, and also of course, Juillerat’s account renders my question

about paradigms superfluous: for him the psychoanalytic gift is the now present, now absent

breast.

14. Directly, that is. All present taste the flowers.

ABSTRACTS

Bernard Juillerat’s argument about the way, in interpretations of Melanesian material, the gift

has often been tied to reciprocity embeds the gift in a psychoanalytically informed universe. The

power of his argument is acknowledged. Stepping outside such a universe, this article accords a

different kind of power to his observations. It shows how they prompt some anthropologically

interesting questions about practices of organ and tissue donation in North America. For where

Juillerat would detach the gift from reciprocity, some of those engaged in debates over the ethics

of donation would like to see reciprocity attached to the gift. What Euro-American paradigm

underlies these arguments?

Dans son argument sur la façon dont les interprétations des matériaux ethnographiques

mélanésiens lient souvent le don à la réciprocité, Bernard Juillerat intègre le don à un univers

marqué par la psychanalyse. La force de son argument a été reconnue. Se situant en dehors d’un

tel univers, l’article accorde aux observations de cet auteur une force d’un autre type. Il montre

comment ces observations soulèvent d’intéressantes questions anthropologiques pour aborder

les pratiques de don d’organes et de tissus en Amérique du nord. Car là où Juillerat dissocierait le

don de la réciprocité, certains des spécialistes engagés dans les débats sur l’éthique de ces dons

aimeraient y voir associée de la réciprocité. Par quel paradigme propre à l’Euro-Amérique ces

arguments sont-ils sous-tendus ?

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177

INDEX

Keywords: altruism, blood donation, gamete donation, Gift exchange, mothers, Yafar of Papua

New Guinea

Mots-clés: altruisme, don de gamètes, don de sang, échange de dons, mères, Yafar de Papouasie

Nouvelle-Guinée

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L’altérité de l’altérité ou la questiondes sentiments en anthropologieMonique Jeudy-Ballini

1 Dans les jours qui précédèrent la remise à l’éditeur du manuscrit de l’ouvrage collectif

People and Things que Bernard Juillerat et moi co-dirigions (2002), nos ultimes

interventions concernèrent l’achèvement d’un index général. Alors que ce dernier était

quasiment au point, je réalisai que nous n’avions pas prévu d’entrée pour la notion

d’émotions ou d’affects. Quand je suggérai d’en ajouter une, Bernard ne trouva pas

l’idée très pertinente au regard de la problématique générale du livre. Dans l’étude des

médiations sociales en Océanie, en effet, la question des émotions n’occupait à ses yeux

qu’une place périphérique et ses relectures attentives des contributions que nous

avions réunies sur la Mélanésie, la Polynésie et l’Australie ne l’avaient pas amené à se

faire une opinion différente. À l’évidence, mes arguments ne le convainquirent pas

davantage alors que, rétrospectivement du moins, j’ai le sentiment d’avoir été plutôt

insistante. Il réagit cependant comme il l’avait toujours fait avant, durant et bien après

les mois de notre collaboration, c’est-à-dire de manière bienveillante et presque avec

amusement, sans chercher à tout prix à imposer son point de vue. Il y eut donc bien

une entrée « émotions, affects » dans l’index de notre publication…

2 Si l’implication experte de Bernard dans l’approche psychanalytique des sociétés le

rendait, pour cette raison même, sensible à cet aspect des choses, il n’est pas sûr que la

question d’une ethnographie des affects se soit réellement posée ou justifiée à ses

yeux1. Les occasions d’en reparler ensemble furent malheureusement peu nombreuses

et je regrette, compte tenu de son goût profond et rare pour l’ethnographie, de n’avoir

pas fait de ce thème un sujet de plus ample discussion entre nous. Des années après son

décès, c’est donc naturellement à lui que je pense en abordant cet aspect, et c’est à lui

que je dédie ces brefs éléments d’une discussion que nous n’avons pas eue.

3 Comment approcher ethnographiquement les manières de sentir dans les groupes

qu’on étudie ? Comment rendre compte de la prééminence des affects dans les

interactions sociales ? Une équipe d’anthropologues travaillant sur « l’ethnologie des

gens heureux » (Berthon et al., 2009)2 m’amena à m’interroger sur le sens du bonheur

chez les Sulka de Nouvelle-Bretagne (Papouasie Nouvelle-Guinée). La tendance

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179

« corporatiste » – à laquelle je n’ai pas échappé – à exclure le bonheur du champ des

objets ethnographiables lors de mes terrains successifs fut pour beaucoup dans la

difficulté de cet exercice. Cela m’incita du coup à réfléchir à la façon dont les

ethnologues traitaient la question du bonheur en particulier et des sentiments en

général.

Les dangers de l’émotion

4 Dans la culture sulka, le fonctionnement mental et affectif d’une personne est présumé

opaque, inconnaissable de celles qui l’entourent. Tandis que l’expression des émotions

est relativement libre, il apparaît inconvenant de spéculer sur les raisons de ces

émotions chez autrui quand elles ne se disent pas ou ne sont pas évidentes. On se refuse

donc ouvertement à faire des hypothèses sur ce que pense un individu, pourquoi il le

pense, ou ce qui le pousse à se conduire d’une façon plutôt que d’une autre. Les

questions de l’ethnologue à ce sujet reçoivent inévitablement le même genre de

réponse : « comment savoir ? », « ça le regarde », « ce sont ses affaires », « lui seul

sait… », etc. En s’abstenant ostensiblement d’interpréter un comportement, on se garde

d’un jugement implicite qui ferait courir le risque de se trouver partie prenante dans

un futur contentieux. Estimer, par exemple, que quelqu’un a agi d’une certaine façon

parce qu’il devait probablement avoir honte, ce serait donner à entendre que la honte

était plausible, légitime, voire attendue ou prescrite – tout autre sentiment passant

alors pour inadéquat ou fautif. De ce point de vue, l’interprétation ne serait pas loin de

tenir d’une injonction par défaut plaçant celui qui en fait l’objet en position d’accusé

potentiel.

5 Lorsqu’elle passe pour avoir été intentionnellement induite chez autrui, l’émotion est

justiciable d’une procédure de dédommagement matériel. La honte provoquée par une

humiliation ou la colère déclenchée par un comportement particulier appellent ainsi la

remise d’une réparation en nature ou en argent de la part de celui qui les a causées. Ce

rite, que son nom vernaculaire désigne explicitement comme un acte d’apaisement (pet

a lep « chasser la honte », rum angaesik « finir la colère » ou dakserai « rompre

l’affliction »), ne met pas forcément celui qui s’en acquitte à l’abri de représailles

ultérieures. Mais il consacre officiellement la reconnaissance de sa responsabilité

individuelle dans le malaise survenu. Il peut d’ailleurs s’agir d’une responsabilité

partagée et, dans ce cas, des transactions à l’identique ont lieu entre les parties

impliquées, consistant par exemple à échanger exactement la même somme d’argent.

Liée à la colère qui en est souvent l’expression, l’affliction, sous sa forme extrême,

pouvait autrefois amener le parent d’un défunt à tuer sur-le-champ celui qui lui avait

appris la nouvelle du décès. Induire le chagrin chez quelqu’un, c’était en quelque sorte

risquer de s’en rendre coupable par procuration. Aujourd’hui encore, quand elle

survient brutalement dans un village, la mort est immédiatement suivie d’une série

d’actes de saccage commentés comme la manifestation d’un désir de meurtre

difficilement réfréné : des petits cochons sont lapidés, des volailles tuées, des cultures

arrachées et des arbres ou des cocotiers abattus. La sensation éprouvée en de tels

moments, disent les Sulka, est celle d’une chaleur intense qui embrase soudainement

l’intérieur du ventre « comme un feu ». Tuer, pour reprendre l’observation d’Edward

Schieffelin (1977 : 177) à propos des Kaluli de Nouvelle-Guinée constitue le résultat

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approprié de la « transformation de la douleur en colère » – selon une observation

relevée ailleurs (Rosaldo, 1984).

6 Mais les affects que l’on peut qualifier de « négatifs », pour dire vite, n’apparaissent pas

seuls en cause. D’un point de vue rituel, les effets de l’admiration, par exemple, ne sont

pas traités différemment de ceux d’une offense et appellent eux aussi un

dédommagement. Ainsi, et à quelque sentiment qu’il renvoie – joie, ravissement,

nostalgie, manque –, l’impact émotionnel induit chez un spectateur par la beauté d’un

masque, d’un chant ou d’une danse est également passible d’une procédure de

réparation dès que celui qui l’éprouve en fait état (Jeudy-Ballini, 1999). Ce n’est pas là

un trait spécifique à l’ethnographie sulka (cf. Dark, 1983 ; Read, 1955 : 273 ; Strathern

and Strathern, 1971 : 126 ; Schieffelin, 1977 : 143-144 ; Weiner, 1976 : 134-135). Dans

cette région du monde, en effet, et comme l’observe Simon Harrison à propos des

Manambu de Nouvelle-Guinée, l’émotion esthétique est subjectivement perçue comme

une agression, une violence, au même titre que la frayeur ou la compassion (1993 :

122-125). Chez les Gahuku-Gama de Nouvelle-Guinée, l’impression produite sur un

spectateur par un danseur s’exprime conventionnellement comme le fait que celui-ci a

« tué » celui-là. Il s’agit, selon Kenneth Read :

« [du] compliment le plus élevé qu’un danseur puisse recevoir, car il y voit à la foisune reconnaissance de sa supériorité sur les autres danseurs et une reconnaissancede ce que ses accomplissements ont gravement déstabilisé ou émotionnellementperturbé son admirateur. » (Read, 1955 : 273)

7 Notons incidemment, d’ailleurs, qu’on serait tenté de faire le rapprochement avec ce

que Morgan Jouvenet écrit du rap et du hip hop en contexte occidental : la performance

musicale, souvent comparée à un sport de combat, y est utilisée comme une arme ; une

arme contre le marché du disque qu’elle cherche à « dynamiter de l’intérieur » (2006 :

87), mais également contre les pairs puisqu’elle n’est estimée efficace que si elle « “tue”

tout le monde, “atomise la concurrence”, la “déchire”, réalise un “carnage”, etc. ». C’est

dans le rap, indique l’auteur, qu’on a commencé à décrire une bonne chanson comme

une « tuerie » (2006 : 75). Dans les médias – américains notamment –, la rubrique des

faits divers avec sa longue liste de rappeurs assassinés par des rivaux montre qu’il ne

s’agit pas seulement de mots...

8 Puissamment intrusive, vécue sur le mode d’une aliénation et d’un préjudice mental,

l’emprise émotionnelle en Mélanésie ressortit à un rapport de forces plaçant celui qui

se trouve affecté sous le contrôle d’un pouvoir extérieur à lui-même ; en position de

vaincu, pour ainsi dire et, plus encore parfois : en situation périlleuse d’y laisser la vie.

Les émotions, spécialement quand elles sont fortes ou brutales, font en effet courir le

risque d’une dissociation entre l’enveloppe corporelle d’un individu et le double ou

principe vital qui l’habite et l’anime. En situation de guerre, c’est cette disjonction –

définitive quant à elle – qui s’opère à travers l’acte de tuer et permet au vainqueur de

prendre possession du double ou de s’en assurer le contrôle.

« Un homicide, affirme Harrison à propos des Manambu de Nouvelle-Guinée, nes’entend pas comme l’extermination proprement dite d’une personne mais plutôtcomme une forme violente de magie d’amour, une capture ou un transfert de saforce de vie. » (1993 : 122-123)

9 C’est dire si l’impact esthétique, conçu sur ce modèle d’interaction, constitue une

expérience peu anodine. En faisant en sorte de neutraliser cette atteinte à la personne

par une compensation matérielle, on évite qu’elle ne donne lieu ultérieurement à un

conflit et, en ce sens, on est fondé à penser avec Harrison que les émotions sont autant

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de « prises permettant à chacun de revendiquer des droits auprès des autres » (1993 :

101).

Le parti pris ethnologique

10 Les ethnologues ont en général un faible pour le malheur. Dans la plupart des sociétés

qu’ils étudient, les gens heureux n’ont pas d’histoire et le bonheur reste en quelque

sorte l’altérité de l’altérité. Si la question du bonheur fut abondamment traitée par la

psychologie et la sociologie, elle resta étonnamment négligée par l’anthropologie (au

moins française)3. Certains peuvent même douter que son étude soit pertinente dans

des sociétés supposées protégées de l’obsession hédoniste ou du péché de

l’individualisme. Vaguement suspecte d’ethnocentrisme, la notion de bonheur

s’assimile à une sorte de « trou noir » des monographies, comme si elle était dénuée de

réalité objective, de pertinence sociale, et par conséquent de légitimité scientifique en

tant qu’objet d’analyse.

11 Crédité d’une visibilité et d’un degré de sociabilité incomparablement plus forts, le

malheur (ou l’idée qu’on en a) inspire bien davantage. À l’instar du méchant des contes

ou des westerns qui fait exister l’histoire, c’est par lui, en somme, que s’actualise de

préférence le lien social. Et en Mélanésie, de fait, la mort imputée à une attaque de

sorcellerie apparaît à première vue autrement plus informative sur un plan

ethnographique que celle – combien exceptionnelle pourtant ! – attribuée au grand âge

ou au surmenage4. C’est d’ailleurs aussi l’avis des Sulka pour lesquels la notion de mort

naturelle est le plus souvent dénuée de pertinence ou considérée comme le degré zéro

de la culture5. On ne peut nier non plus cette réalité anthropologique que dans la

plupart des sociétés de cette région du monde, c’est le conflit et la violence, bien

davantage que la paix ou l’altruisme, qui organisent la vie sociale. Comme l’observe

Simon Harrison,

« Le problème posé par les sociétés mélanésiennes est précisément le degré auquelelles paraissent “socialiser” la violence et l’envisager en soi comme une interactionguère moins “sociale” à part entière que la coopération pacifique. » (1993 : 21)

12 La violence et la paix ne sont, de ce point de vue, que les aspects d’une même relation

(1993 : 18). Schieffelin écrivait déjà à propos des Kaluli que « ce sont moins les groupes

qui produisent des oppositions que les oppositions qui cristallisent les groupes » (1977 :

223), considération qu’Harrison généralise en affirmant qu’en Mélanésie « ce sont

moins les groupes qui font la guerre que la guerre qui fait les groupes » (1993 : 18).

13 Au-delà du bonheur, se pose plus largement la question de l’affectivité. Car comprendre

une société, c’est connaître les manières de sentir de ses membres, savoir comment

elles informent ou organisent leurs interactions sociales, et de quelle façon elles

peuvent constituer des modes d’action. Si ce sujet a retenu l’attention d’auteurs ayant

travaillé sur l’ethnographie océanienne dans le premier tiers du XXe siècle – à l’instar

notamment de Margaret Mead (1928, 1930, 1935), Gregory Bateson (1936) et Reo

Fortune (1932) dont on connaît les apports pour l’école culturaliste américaine

(Benedict, 1934) –, il s’en faut qu’il ait eu le développement qu’il méritait dans les

recherches océanistes des dernières décennies.

14 Sans doute le désintérêt ethnologique relatif aux affects a-t-il renvoyé en partie à l’idée

qu’il n’était pas utile de s’interroger sur des ressentis dont on s’imaginait déjà tout

savoir au regard de leur universalité postulée – c’est-à-dire de la réalité substantielle,

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voire du substrat biologique qu’on leur supposait commun à toutes les sociétés6. Ainsi,

est-il vraiment besoin d’explorer la notion indigène de douleur ou de peur quand on

évoque les épreuves corporelles associées aux rites d’initiation ? Rien n’est moins sûr à

en juger par le déficit d’études ethnologiques récentes consacrées à ce type de

questions7.

15 Pour schématiser et s’en tenir aux travaux des chercheurs français, il semblerait que

l’anthropologie du proche et celle du lointain diffèrent au moins par la place qu’elles

accordent à la question des sentiments8. En France, de fait, on ne saurait se livrer à une

ethnologie de la vieillesse sans évoquer le sentiment de solitude, d’abandon, de

dépression ou de détresse qui est souvent le quotidien des vieux. De la même façon,

entreprendre une ethnographie des banlieues « difficiles », n’impliquerait pas

seulement de porter attention au chômage ou à la précarité matérielle, mais aux

sentiments de frustration, d’injustice, d’humiliation ou de colère qui rendent le

quotidien problématique et font de l’action collective un moment d’exaltation. Dans ces

contextes, penser l’économique et le social c’est nécessairement mobiliser la dimension

affective qui les constitue.

16 En Océanie, à l’inverse, on peut étudier d’importants aspects de la vie sociale (les

mythes, les activités de subsistance, les rites d’initiation, etc.), sans que l’étude des

sentiments qui les fondent ou les nourrissent s’impose comme une nécessité. A. L.

Epstein, spécialiste des Tolai de Nouvelle-Bretagne – et qui interpréta certaines de ses

données ethnographiques à la lumière de la théorie psychanalytique9 –, observe ainsi

qu’en anthropologie le rapport au travail n’a le plus souvent été approché qu’en termes

économiques, ce qui, écrit-il, impose de sérieuses limites à notre compréhension de sa

nature et de son rôle dans les sociétés étudiées (1992 : 82). Selon la manière dont ils

s’équilibrent ou non, par exemple, l’esprit de compétition et la prégnance du sentiment

d’envie dans maintes sociétés mélanésiennes (voir Kahn, 1986) peuvent rendre compte

de l’émulation qui résulte du désir de se distinguer – comme chez les Tolai – ou au

contraire des retenues que s’imposent à eux-mêmes les hommes dans leurs ambitions.

Les Sulka, par exemple, attribuent à la réussite personnelle une manière dangereuse de

s’exposer. Des décès imputés à de la sorcellerie ont ainsi leur origine supposée dans la

jalousie suscitée par certains accomplissements, réels ou revendiqués, comme si la

popularité qu’ils valaient à leurs auteurs devait porter ombrage aux capacités des

autres membres de la communauté. Cette jalousie omniprésente est supposée inhiber

(ou dissuader de) tout esprit d’entreprise (Jeudy-Ballini, 2004 : 131-133). Un villageois

déclarait :

« Les gens ont peur et ne montrent pas trop de quoi ils sont capables. Parce que situ vas de l’avant, tu vas complètement [= tu meurs] ! Si tu travailles à quelquechose, que cela devient quelque chose de bien qui te vaut le respect de ton nom, unautre dira : “Ah, cet homme-là il aurait donc des bras et pas nous ! Qu’on s’endébarrasse, il nous rabaisse !” Et c’est comme ça qu’on meurt ! Tu tires ta mort avecton savoir. Si tu travailles et que tu montres de quoi tu es capable, la mort teprend. » (Extrait d’entretien, 1994)

17 On dit aussi qu’un des moyens les plus sûrs de nuire à une personne est d’en dire

constamment du bien : d’en louer les qualités, d’en exalter les mérites, d’en prononcer

souvent le nom, de la créditer de compétences supérieures, de la citer en exemple, de

faire référence à son autorité, de se réclamer de son savoir, de sa protection. Dans

l’ancien système de chefferie, une sorte de garde rapprochée (humevek) entourait en

permanence les « grands hommes » (taven) et les « grandes femmes » (kheng) pour

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assurer leur protection car ils étaient, plus que tous autres dit-on, une cible privilégiée

des attaques de sorcellerie.

18 À Avatip, où la guerre constitue un mode de socialité intense, les interactions entre les

combattants ne sont possibles, explique Harrison, qu’à condition qu’ils fassent en sorte

de suspendre tout affect, y compris l’animosité. « Les hommes nient ressentir de la

colère précisément parce qu’ils la tiennent pour un type de lien affectif », écrit-il (1993 :

101).

« Éprouver de la colère ou de l’hostilité envers leurs adversaires équivaudrait poureux à admettre un état de faiblesse et de dépendance antithétique des valeursmasculines avatip ; ce serait reconnaître tacitement qu’ils sont restés sous l’emprisedu pouvoir de l’ennemi. » (Harrison,1993 : 101)

19 Acquise au terme d’une magie d’insensibilisation, la capacité d’agression suppose donc

une impassibilité, un retrait de tout lien de réciprocité émotionnelle vis-à-vis des

autres. Cette forme d’immunisation quasiment autistique se veut la manifestation d’un

pouvoir transcendant les subjectivités individuelles (1993 : 111-112).

La compétence émotionnelle

20 Outre l’héritage probable de la pensée structuraliste – qui a laissé à distance les

émotions comme un hors-sujet anthropologique ou les a rabattues sur du

psychologisme, voire du biologisme (Lévi-Strauss, 1971 : 577)–, l’idée convenue de

sociétés non individualistes, attachées au respect de la tradition et au sein desquelles

les comportements supposeraient une forte dose de normalisation collective, tend sans

doute à expliquer la minoration relative de l’affectivité dans l’approche ethnologique

des ailleurs10. Pourtant, c’est une évidence de considérer que l’allégeance aux normes

n’implique pas l’éradication ou l’anesthésie des affects individuels. Chez les Sulka, dont

la vie s’organise autour d’échanges incessants et d’une idéologie de la réciprocité,

existe une réticence profonde à se séparer de ce qu’on a. Le fait que les échanges

ressortissent à des conventions sociales et que les biens n’acquièrent de valeur qu’en

tant qu’ils circulent, ne doit pas occulter pour autant la détestation que cela suscite sur

un plan personnel et les stratégies clandestines mises au point pour se soustraire aussi

souvent que possible à tout partage.

21 Marcel Granet (in Le Breton, 2006 : 334) récusait l’idée que la codification des

comportements rituels puisse altérer la sincérité et la spontanéité des émotions. À

propos des pleurs, lamentations et autres expressions spectaculaires de chagrin ayant

cours lors des rituels funéraires, Marcel Mauss observait de son côté :

« Ces cris, ce sont comme des phrases et des mots. Il faut les dire, mais s’il faut lesdire c’est parce que tout le groupe les comprend. On fait donc plus que demanifester ses sentiments, on les manifeste aux autres puisqu’il faut les leurmanifester. On se les manifeste à soi en les exprimant aux autres et pour le comptedes autres. » (Mauss, 1968-1969 : 88, in Le Breton, 2006 : 334)

22 Ainsi, et dans les termes de Le Breton :

« Pour qu’une émotion soit ressentie, perçue et exprimée par l’individu, elle doitappartenir sous une forme ou sous une autre au répertoire culturel de son groupe.[…] Une culture affective est socialement à l’œuvre. Chacun impose sa colorationpersonnelle au rôle qu’il joue avec sincérité ou distance, mais un canevas demeurequi rend les attitudes reconnaissables. » (2006 : 335)

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23 Reconnaissables, c’est-à-dire propres à satisfaire le désir d’adhésion sociale de celui qui

en fait montre11. L’acquisition de cette « compétence émotionnelle » (Lutz and White,

1986) est précisément l’une des composantes fondamentales de la socialisation, ainsi

que Radcliffe-Brown (1922) l’avait montré en son temps.

24 Les conditions matérielles de vie dans une communauté, les relations entre ses

membres et l’imaginaire local à la fois génèrent des théories particulières de l’émotion

et sont régis par elles. En ce sens, et comme le suggère l’étude transculturelle de Russell

(1991), une approche anthropologique devrait porter attention non seulement au

contenu de l’émotion en soi mais également à ce qui l’induit, au statut de ceux qui

peuvent ou non l’éprouver et peuvent ou non en être la cible12, à la façon dont elle

s’exprime – propre à définir un mode d’action –, ou encore à ses effets. On sait par

exemple que les Ifaluk de Micronésie, qui n’ont pas de terme générique pour désigner

la peur, divisent celle-ci en plusieurs catégories selon (entre autres critères) ce qui la

cause et le moment où elle est ressentie. Assimilée à un signe de maturité sociale, la

capacité à avoir peur joue un rôle dans le système organisant les rapports de pouvoir et

l’allégeance aux normes morales de la vie communautaire. C’est la peur (notamment

peur anticipée de la colère des autres et peur des esprits) qui commande le respect des

interdits.

« Les sociétés, en infère Lutz, diffèrent quant au degré auquel elles perçoivent ledanger et quant à la nature de ce qui constitue à leurs yeux un danger. » (1988 : 183)

25 Mais si une telle perception varie au cours du temps, elle varie également, à une époque

donnée, au sein d’une même société. Par exemple, tandis qu’une conception à peu près

consensuelle du danger prévaut dans les diverses localités sulka, le rapport différentiel

à la peur définit quant à lui des postures ou des positionnements sociaux spécifiques à

visée clairement démarcative (Jeudy-Ballini, 2002). Ainsi, les représentations courantes

qui font de la peur un facteur de risque ne dissocient pas l’occurrence d’un malheur de

l’émotion préalable de celui qu’il affecte. Pour les Sulka en effet, et indépendamment de

toute affiliation religieuse, il est de notoriété que les esprits, à l’instar des animaux

dangereux comme les crocodiles ou les requins, agressent de préférence ceux qui les

redoutent. À l’inverse, l’incroyance des hommes, ou plus exactement leur volonté de ne

pas céder à la peur, ôte prise aux esprits ou aux animaux menaçants et les réduit à

l’impuissance. En bref et pour l’exprimer dans les termes d’un homme se revendiquant

catholique :

« Tant qu’on ne sait pas qu’un endroit est dangereux, on y est en sûreté. » (Extraitd’entretien, 1994)

26 De nos jours, ce point de vue est systématisé par les nouveaux convertis à l’Église des

Adventistes du septième jour aux yeux desquels les esprits n’existent que dans la

mesure où on a la faiblesse de croire en eux.S’imposer de ne pas y croire, c’est refuser

de céder à la peur et les contraindre de ce fait à rester inoffensifs. Les Adventistes

nouvellement convertis assignent ainsi une valeur expérimentale et démonstrative aux

actes anti-conformistes à travers lesquels ils tentent – publiquement ou

clandestinement – de surmonter leurs propres peurs et d’éprouver le pouvoir de leur

incroyance : par exemple en traversant volontairement un endroit réputé peuplé

d’esprits malfaisants ou en transgressant intentionnellement des interdits coutumiers.

Bien évidemment, et malgré leur désir de se différencier des catholiques qu’ils

critiquent de manière virulente, les Adventistes sulka ne mettent jamais en cause la

réalité du pouvoir des esprits ou de la magie. À l’instar de l’Église fondamentaliste de la

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New Tribes Mission décrite par Andrew Lattas, le mouvement adventiste sulka tire en

effet sa force de « la réalité qu’il accorde au mal » (1998 : 313). Il faut en somme que le

mal existe pour que l’Église puisse démontrer qu’elle en protège, et il faut que le mal

continue à faire peur aux uns pour que les autres puissent se prévaloir de la supériorité

protectrice de leur nouvelle religion. Le contrôle des émotions est un enjeu stratégique

et, aux yeux de ceux qui y travaillent, un enjeu vital.

L’émotion, un objet anthropologique en soi ?

27 Les villageois sulka éprouvent-ils des formes d’angoisse existentielle, de mélancolie ou

d’ennui ? Comment vivent-ils la transparence imposée par la vie en communauté ? D’un

point de vue affectif, ont-ils intégré de façon commune à tous l’impossibilité de la fuir ?

Le désir de solitude a-t-il un sens ? Comment un homme parvient-il à supporter le

voisinage quotidien d’un individu dont il pense être la cible de la sorcellerie ? Y a-t-il

des sentiments dépourvus d’existence nominale (tout comme certaines couleurs)…?

Cette dernière question est spécialement complexe, comme le remarque Yannick

Jaffré :

« puisqu’en ce domaine “affectif”, le signe et le référent vont parfois jusqu’à seconfondre, au point que l’on puisse se demander si certains sentiments seraientéprouvés s’ils n’étaient préalablement nommés. » (2006 : 6)13

28 Quoi qu’il en soit, et s’agissant des Sulka que j’ai connus, ces questions et bien d’autres

restent toujours sans réponse pour moi.

29 De telles interrogations, qui renvoient aux manières individuelles ou communes de

sentir et par conséquent de vivre les relations sociales, ne sauraient se réduire à une

anthropologie des émotions dans la mesure où l’on ignore a priori ce qui se définit

comme « émotion » au sein des sociétés qu’on se propose d’étudier – cette notion

n’ayant parfois même pas d’équivalent dans la langue vernaculaire14. À l’instar de ce

que François Laplantine écrit des sensations, les émotions sont éminemment

fluctuantes :

« Elles n’ont pas, contrairement au politique, à proprement parler de consistance.Elles ne sont pas substantielles et donc pas substantialisables. Elles répugnent à lagénéralisation à la hauteur du concept et forment encore moins des essences. […]Mais c’est précisément cette inessentialité qui est la réalité. » (2005 : 153-154)

30 Le fait que la même société qui n’a pas de mot correspondant au concept d’« émotion »

dispose en revanche de quarante-six termes distincts pour désigner la colère (Russell,

1991 : 429) atteste la nécessité démontrée par Laplantine de penser le divers et la

nuance. De fait, comme ce dernier l’observe :

« […] il n’existe pas de couleur en soi mais toute une gamme de couleurs pouvantosciller entre différents tons. » (Laplantine, 2005 : 153-154)

31 En outre, pour rester dans la comparaison, comment décider d’un « ton » plutôt que

d’un autre ? Quand les Tolai usent ainsi d’un même mot pour signifier « déçu » et

« paresseux » (Epstein, 1992 : 68), en quoi serait-on plus fondé à mobiliser une

anthropologie des émotions qu’une anthropologie du travail ?

32 On sait par ailleurs que maintes cultures n’établissent pas d’opposition

sémantiquement pertinente entre sentiments et sensations physiques – parfois réunis

sous un vocable identique ainsi qu’il est d’usage à Samoa (Russell, 1991 : 429). En

Nouvelle-Bretagne, les Baining associent la faim au sentiment de solitude (Fajans, 1997 :

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119), à l’instar des Wamira de Nouvelle-Guinée pour lesquels la faim relève d’une

condition émotionnelle ou sociale plutôt qu’organique (Kahn, 1986 : 39). Chez les Sulka,

la douleur induite par un deuil ou la séparation d’avec un proche induit une sensation

d’épuisement et d’intense faiblesse qui se traduit, dans le comportement des gens

affectés, par le renoncement provisoire à la mobilité. Une telle corrélation est

également attestée dans la société tahitienne où n’existe pas de mot équivalent à celui

de « tristesse ». Selon Lévy (in Russell, 1991 : 429 et 431), les notions de fatigue, de

nostalgie, de solitude ou de dépression par lesquelles peut se dire la tristesse

s’assimilent moins à des affects qu’à une maladie organique.

33 L’absence d’opposition sémantique est aussi attestée dans bien des cas entre émotion et

cognition, sentir et connaître, intelligible et sensible (Lutz, 1983 : 251 ; 1985 : 46-47),

comme chez les Manambu où l’on désigne par un même terme, mawul, à la fois le siège

des émotions et celui de la connaissance (Harrison, 1993 : 97). Pareilles

indifférenciations se retrouvent d’ailleurs dans maintes cultures non océaniennes, par

exemple dans la plupart des sociétés amazoniennes (Laplantine, 2005 : 11). Ainsi, écrit

Alexandre Surrallés, les Candoshi du Pérou, qui perçoivent la maladie ou la mort

comme des affects, ne distinguent pas entre aimer et penser (2003 : 66). Et c’est aussi en

renonçant à dissocier ce qui n’a pas lieu de l’être, l’affect et la connaissance, que l’on est

le plus à même de comprendre la portée heuristique de l’usage des hallucinogènes chez

les Mazatèques du Mexique selon Magali Demanget (2009). Notons qu’il ne s’agit pas là

d’un trait exclusif aux sociétés « traditionnelles ». On peut en effet le retrouver au sein

de notre propre société, même si la « dichotomie tyrannique » dénoncée par Goodman

(1990 : 290) entre émotion et raison y reste généralement prégnante15. Ainsi qu’on le

montrait dans une étude ethnographique sur le rapport à l’objet parmi les

collectionneurs français d’art primitif (Derlon et Jeudy-Ballini, 2008), l’expérience

esthétique se joue du clivage entre le cognitif et l’émotif pour devenir en soi un mode

de connaissance, comme il ressort aussi d’autres formes d’investissement affectif

intense avec des objets.

34 Il est intéressant de noter que ce type d’observations rejoint celles mises en évidence

par les biologistes dans le système neurocérébral humain où la capacité à ressentir des

émotions fait partie intégrante des procédures de raisonnement et de prise de décision

(Damasio, 1995). Aussi doit-on admettre, selon la formulation de Jean-Didier Vincent,

spécialiste de la chimie du cerveau, qu’il n’existe « en aucun moment du sujet pur, mais

toujours un sujet ému, affecté par le monde et par le corps » (Le Monde, 9/7/2004)16.

Parce qu’« un homme qui pense est un homme affecté » (Le Breton, 2006 : 334) et que

les émotions n’ont pas de réalité en dehors de la pensée – ce sont des « pensées

incorporées », dans les termes de M. Rosaldo (1984 : 143) –, l’expression « anthropologie

des émotions » qui donnerait à penser que l’anthropologie puisse traiter de « sujets

purs » apparaît inadaptée.

« L’émotion est un aspect inhérent à toute activité, à toute interaction, à toutereprésentation, à toute production et reconnaissance du sens. Il s’ensuit que nepeut exister, à proprement parler, une anthropologie qui s’intéresse à l’affectivitécomme à un quelconque autre domaine. […] l’affectivité doit participer de l’explanatio – le moyen qu’on se donne pour comprendre – et pas du seul explanandum– ce qu’il faut expliquer. Dans les études du fait politique, de la parenté ou desrapports à l’environnement par exemple, elle est non seulement une instance dusocial, mais elle fait partie de son approche. » (Surrallés, 2004 : 62)

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35 L’intégrer dans toute approche anthropologique, précisément, devrait tenir lieu de

programme. Or la tâche est difficile, qui invite à reconsidérer, outre nos manières de

penser, nos propres attentes épistémologiques. De fait, comme l’écrit François

Laplantine à propos de notre discipline :

« Ce qui est privilégié, c’est l’ordre de la raison faisant apparaître une intelligibilitécachée derrière un désordre apparent de sensations et d’émotions. Tout se passecomme si, dans la polysémie du mot sens désignant à la fois le sensible et le sensé,la sensation et la signification, le rationalisme était amené à trancher et àsubordonner. Ce que Montaigne appelle l’univers “ondoyant et divers” de lasensibilité est non seulement organisé, mais risque d’être neutralisé, voiredisqualifié. Bref, il y a bien, dans l’une des traditions de la pensée européenne (etseulement dans cette tradition que l’on ne rencontre dans aucune autre société), unconflit – censé être résolu par une hiérarchisation – entre la multiplicité du sensibleet l’universalité de l’intelligible, entre le corps et la pensée, et notamment la penséesociale et politique. » (2005 : 100)

36 Il y a là une incitation même à repenser profondément les cadres et la visée de

l’anthropologie selon cette « épistémologie de la continuité » prônée par Laplantine,

qui devrait permettre de :

« penser ensemble des domaines le plus souvent considérés comme séparés :l’esthétique, le politique, l’éthique et l’histoire. Un tel mode de connaissance quiengage la totalité de l’affectivité et de l’intelligence, s’oppose aux césures en sériede la raison et de l’émotion, du sens et du son, du contenu et de la forme, del’Occident et de l’Orient […]. » (2005 : 155)

37 Où l’on voit que l’anthropologie, dont on a parfois prédit la fin avec la disparition

supposée de ses sujets d’étude, n’est pas au bout de sa tâche…

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NOTES

1. Convenons qu’il s’agit là d’une impression qui demanderait à être étayée car on sait, par

ailleurs, combien cette problématique inspira les approches psychanalytiques des tenants de

l’école Culture and personality, ou encore d’auteurs comme John Whiting chez les Kwoma de

Nouvelle-Guinée (1941), Erik Erikson ou plus tard Georges Devereux, par exemple.

2. Certaines réflexions présentées dans ce qui suit sont tirées de ma contribution dans ce

volume.

3. On renvoie ici à l’introduction de l’ouvrage collectif déjà cité (Berthon et al., 2009). A. L.

Epstein observe que, « dans le vocabulaire anglais comme dans d’autres langues occidentales, les

termes correspondant aux affects négatifs prédominent » (1992 : 80).

4. Epstein fait mention du cas d’un Tolai dont la mort fut imputée à l’excès de travail (1992 : 99).

5. C’est l’opinion des Sulka à propos de groupes voisins soupçonnés avec mépris d’ignorer la

sorcellerie.

6. Considération longtemps mise au compte de l’analogie « naturelle » que certaines expressions

faciales des émotions présentaient de manière transculturelle du fait de processus

neuromusculaires (Darwin, 1872). Sur cette question éminemment controversée de l’universalité

des émotions, on se contentera de renvoyer aux nombreux travaux de Paul Ekman reprenant

notamment le débat engagé entre les relativistes culturels comme Margaret Mead et les

darwiniens qui défendent l’idée d’expressions émotionnelles biologiquement déterminées et

communes à l’humanité.

7. On notera toutefois que la question des émotions fait partie du champ traditionnel des études

religieuses. Le fondement émotionnel des comportements rituels (Lutz, 1988 ; Lutz and White,

1986), ou le rôle des facteurs émotionnels dans les processus de mémorisation et de transmission

des pratiques religieuses (voir les travaux de Pascale Bonnemère [2008] ou de Harvey Whitehouse

[1995 et 2000]), par exemple, ont fait depuis longtemps l’objet d’approches anthropologiques.

Mais ce n’est pas, on l’aura compris, le sujet qui nous retient ici et qui a trait plutôt à la question

de savoir ce qui fait émotion ou ce qu’est une émotion dans une société donnée.

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8. Notons qu’on serait tenté de faire la même remarque à propos de la différence entre

l’anthropologie française et l’anthropologie britannique ou américaine. On le constate tout au

long de ce texte au nombre des citations d’origine anglo-saxonne : à l’exception d’auteurs anciens

(plus souvent sociologues) ou de quelques chercheurs contemporains (cf. infra F. Laplantine et A.

Surrallés), les ethnologues français travaillant sur la question des affects à partir de leur propre

ethnographie de terrain restent encore rares.

9. Il s’intéressa par exemple à l’analyse des rêves (Epstein, 1990) ou montra encore comment

l’ethos paranoïde des Tolai – manifeste dans la méfiance et la suspicion imprégnant tout rapport

interpersonnel au sein de cette population – se répercutait dans l’organisation locale et d’autres

faits sociaux (Epstein, 2000).

10. Notons qu’il existe quantité d’autres raisons qui ont fait l’objet d’analyses dans la plupart des

travaux traitant de la question des émotions, des affects ou du sensible (voir par exemple Epstein,

1992 ; Surrallés, 2003 et 2004 ; Beatty, 2005 ; Laplantine, 2005 ; Berthon et al., 2009).

11. À propos d’une étude sur les rites de deuil des Amérindiens du Brésil, Mossière observe que :

« À travers l’activité rituelle, l’individu signale en effet une forme de tristesse qui est émise selon

une forme jugée appropriée par les autres membres du groupe, il indique par là son adhésion aux

normes collectives, ce qui permet son acceptabilité sociale. L’expression de l’émotion représente

donc un moyen de contrôler l’identité signalée au groupe ; en ce sens, l’affect devient méta-affect

car la tristesse commente le désir d’acceptabilité sociale » (Mossière, 2004 : 53).

12. « La place assurée des chefs à la tête de la structure sociale ifaluk est à la fois démontrée et

confortée par l’incapacité de leurs sujets à invoquer une colère justifiée à leur égard », écrit Lutz

(1988 : 170). L’auteur observe plus loin : « La colère justifiée est une pratique idéologique liée à

l’exercice du pouvoir. Plus une faction est puissante dans la société ifaluk – celle des chefs, des

frères, des femmes âgées d’une maisonnée – plus elle fait un usage étendu de ce concept et plus

sa légitimité et son influence s’en trouvent renforcées » (Lutz, 1988 : 182).

13. On pense ici à la citation de La Rochefoucauld rapportée par Le Breton : « Il y a des gens qui

n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour » (2006 : 335).

14. Russell (1991 : 429) signale ainsi que ni les Tahitiens (Levy, 1973 : 271), ni les Bimin-

Kuskusmin de Papouasie Nouvelle-Guinée, ni les Gidjingali d’Australie, les Ifaluk de Micronésie

ou les Samoans par exemple, n’ont de mot générique pour « émotion » ou « sentiment » – ce qui

ne met évidemment pas en cause, faut-il le préciser, l’existence de la notion.

15. À cet égard, il est notable que pour se défendre des critiques l’accusant de méconnaître

l’importance de la vie affective dans l’ethnographie des sociétés, Claude Lévi-Strauss ne trouve

meilleur moyen que de hiérarchiser entre affects et intellect : « […] il est vrai que je m’attache à

discerner, derrière les manifestations de la vie affective, l’effet indirect d’altérations survenues

dans le cours normal des opérations de l’intellect […]. Car ce sont ces opérations seules que nous

pouvons prétendre expliquer, parce qu’elles participent de la même nature intellectuelle que

l’activité qui s’exerce à les comprendre. […] Toute manifestation de la vie affective qui ne

refléterait pas, sur le plan de la conscience, quelque incident notable bloquant ou accélérant le

travail de l’entendement ne relèverait plus des sciences humaines ; elle serait du ressort de la

biologie […] » (Lévi-Strauss, 1971 : 596-597).

16. « C’est pourquoi, poursuit J.-D. Vincent, l’affect pour moi possède un sens très large : c’est

tout ce que le cerveau sait du corps et, par l’intermédiaire du corps, tout ce qu’il sait du monde »

(Le Monde, 9/7/2004).

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RÉSUMÉS

Comment approcher ethnographiquement les manières spécifiques de sentir dans les sociétés

qu’on étudie ? La relégation relative dans laquelle l’anthropologie océaniste contemporaine tient

la question des sentiments peut renvoyer à l’opacité qui entoure l’accès aux affects d’autrui dans

certaines communautés. Mais elle renvoie surtout, semble-t-il, à la tendance à exclure l’analyse

des sentiments du champ des objets ethnographiables, ou à ne les aborder que de manière

anecdotique. Sans doute cela s’explique-t-il par l’idée qu’on se fait de communautés attachées au

respect de la tradition et au sein desquelles les comportements supposeraient une forte dose de

normalisation collective ; ou encore par l’idée qu’il n’est pas utile de s’attarder sur des ressentis

censés relever d’expériences universelles (l’affliction, la joie, la honte, la douleur, etc.). Dans la

mesure, toutefois, où l’on ignore a priori ce qui se définit comme émotion dans les sociétés qu’on

se propose d’étudier et dans la mesure aussi où maintes cultures ne font pas de différence entre

affect et cognition, on se gardera de parler ici d’anthropologie des émotions en insistant

simplement sur la nécessité de penser ensemble des dimensions indissociables dans toute

expérience sociale.

How might particular ways of feeling in different societies be approached ethnographically? The

relative lack of interest in feeling in contemporary Oceanic anthropology may simply be an

indication of the opacity hindering ethnographic attempts to access the realm of affects in

certain communities. Yet it appears primarily to reflect a tendency in contemporary

anthropology to exclude the analysis of feelings from the field of objects potentially subject to

ethnographic research, or to address such objects merely anecdotally. This can no doubt be

explained by received views of communities that value the respect of tradition and in which

behaviours presuppose a high degree of collective normalization. It could also be explained by

the view that there is little point in studying feelings deemed to reflect universal experiences

(such as affliction, joy, shame, pain, etc.). Yet since we do not know what counts as an emotion in

societies subject to ethnographic research, and since many cultures draw no rigid distinction

between affect and cognition, this paper will make no reference to the anthropology of emotions

and will insist simply on the need for a holistic consideration of factors deemed to be

indissociable in any social experience.

INDEX

Mots-clés : affects, bonheur, cognition, émotions, esthétique, guerre, incroyance, sensations,

sentiments, violence

Keywords : aesthetic, affects, cognition, emotions, feelings, happiness, sensations, unbelief,

violence, war

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À propos de deux ouvrages deBernard JuilleratGilles Bounoure

1 Derniers volumes de Bernard Juillerat parus de son vivant, Penser l’imaginaire (2001) et

Psychanalyse et anthropologie (2005, avec Patrice Bidou et Jacques Galinier pour co-

éditeurs) n’ont jamais été décrits dans le JSO. Comme ils sont relativement récents et

qu’ils semblent, séparément mais surtout ensemble, susceptibles de rendre sensibles

certaines des conceptions de l’anthropologie qu’avait élaborées cet éminent chercheur

au sommet de sa carrière et de ses réflexions, il a paru utile de relever ici quelques-unes

de leurs propositions essentielles, en complément de l’hommage qui lui est rendu dans

ce numéro.

2 L’un et l’autre de ces volumes sont des recueils d’articles, extraits pour la plupart de

travaux antérieurs dans les dix chapitres du premier, contributions inédites dues à neuf

auteurs pour le second. Cette similitude de forme doit certainement moins aux

contingences de l’édition scientifique qu’aux méthodes de travail et à la manière de

pratiquer l’anthropologie de B. Juillerat, par « rencontres et divergences » – c’est le

titre de la première partie de Penser l’imaginaire –, convergences et « confrontations »,

qu’attestent encore les nombreux ouvrages collectifs dont il fut le maître d’œuvre ou

l’un des principaux concepteurs. À côté de l’évidence que « l’anthropologie ne peut être

que pluridisciplinaire » (Penser l’imaginaire, p. 5), il n’est pas exclu non plus qu’une telle

forme soit nécessaire, au moins dans les circonstances actuelles, aux progrès de

« l’anthropologie psychanalytique », sujet commun de ces deux publications.

3 Penser l’imaginaire, dont André Green souligne dans le présent numéro le caractère

magistral et l’importance décisive du point de vue de l’ethnopsychanalyse, ne fait pas

que résumer les travaux antérieurs d’un « ethnologue revendiquant le recours à la

psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles » (p.

111), il en montre l’actualité pressante, à l’orée du XXIe siècle. Y relire (chap. 10, « À

propos de Yangis », pp. 247-271) des extraits de L’Avènement du père (1995, chap. 2, 4 et

6, avec modifications de détail et « repentirs » nombreux, comparer par exemple le

texte de 2001, pp. 247-248 et celui de 1995, pp. 67-69) conduit à reconsidérer la portée

de cette monographie parue d’abord dans une collection s’adressant en apparence

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surtout aux spécialistes (« chemins de l’ethnologie ») et dont l’écho pouvait

difficilement dépasser ce petit cercle. Il aura fallu lire toute la première partie de Penser

l’imaginaire pour que se révèlent pleinement les enjeux généraux (généreux aussi bien)

de cette « confrontation avec le terrain » (titre de la seconde partie du volume).

4 Mais la première partie de ce livre, constituant les quatre septièmes du corps du texte,

n’est-elle pas trop théorique, générale et exagérément éloignée des questions concrètes

qui se posent à beaucoup de scientifiques spécialistes de l’Océanie ? Pourquoi se

préoccuper de « la dérive cognitiviste en anthropologie » (introduction inédite), du

dialogue malaisé entre anthropologie et psychanalyse (chap. 1), de la question des

universaux (chap. 2), de « la dissidence jungienne » (chap. 3), de « l’atome de parenté »

(chap. 4) et de la mythologie matriarcale de Bachofen (chap. 5) ? Là encore, ces textes,

où il y a beaucoup à apprendre sur des débats importants dont B. Juillerat était

remarquablement informé, mais qui étaient parus à plusieurs années de distance (de

1988 à 2001), prennent un autre sens à se trouver réunis comme autant d’étapes d’une

réflexion toute tendue à rendre sa place à l’imaginaire dans l’analyse et la

compréhension des sociétés humaines, direction qu’assignait plus récemment Maurice

Godelier aux recherches anthropologiques (Au fondement des sociétés humaines, 2007, voir

JSO 126-127).

5 B. Juillerat n’aura certes pas été le premier à faire intervenir la psychanalyse dans des

travaux d’ethnologie, ou plutôt à vouloir la « mettre à l’épreuve de faits

ethnographiques », et il rapporte brièvement (p. 45 et suiv.) les efforts de ses

prédécesseurs, non sans raccourcis approximatifs quelquefois. Par exemple, Rivers et

Seligman, qui avaient leur carrière derrière eux quand ils ont découvert Freud grâce à

Jones, ont été empêchés d’en tirer parti dans le domaine de l’ethnologie mélanésienne

non par « l’héritage d’une psychologie expérimentale » qui aurait limité leur intérêt

pour la psychanalyse, mais par la Grande Guerre, et les soins qu’ils donnaient aux

combattants victimes du « shell shock », au moment même où ils faisaient cette

découverte. Rivers est mort peu après, mais dans la décennie suivante, après avoir

déclaré devant le Royal Anthropological Institute, en 1924, que les mécanismes

psychiques fondamentaux des non-Européens, même sauvages ou barbares s’avèrent

« les mêmes que les nôtres », Seligman a suscité des recherches pionnières sur le rêve,

en Amérique du Nord aussi bien qu’en Mélanésie (lire aussi p. 48 et 104, Gilbert et non

« Gérard Durand », auteur assez connu en son temps des Structures anthropologiques de

l’imaginaire, 1960, absent de la bibliographie, etc.). Ces inexactitudes n’ont

heureusement pas de caractère déterminant dans l’économie générale de l’ouvrage,

décisif quant à lui.

6 S’il doit susciter un tel qualificatif, c’est qu’il cherche - et réussit - à définir de façon

remarquablement précise ce que peut être, et ce que doit devenir « le recours à la

psychanalyse freudienne » en ethnologie, et plus largement dans les « sciences

humaines et sociales ». Même chez les psychanalystes freudiens, la validité d’un tel

recours ne fait pas l’unanimité, et Olivier Flournoy (1979 : 120-121) était fondé à écrire :

« Les ethnologues qui lient l’exogamie au complexe d’Œdipe devraient toujours sesouvenir que ce dernier est un modèle explicatif d’une expérience qui se dérouledans un temps particulier, et non d’un comportement humain. Le psychanalysten’est pas le détenteur, ni Freud le fondateur, d’une vérité universelle. L’expériencepsychanalytique est intersubjective. L’interprétation métapsychologique est la miseen commun de cette expérience par reconstitution d’une histoire originale del’analysé. Et la théorie psychanalytique va faire le pont entre les membres de la

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communauté analytique et ceux de la communauté universelle. De ce fait, l’analysene saurait échapper aux contradictions du monde, et la vérité intime del’expérience, celle à deux de la métapsychologie, risque par là de devenir véritésdogmatiques de la théorie analytique, si cette dernière s’adresse à tous en omettantde préciser ses origines. »

7 Sans citer cet auteur (qui a évoqué par ailleurs la nécessité pour tout analyste de

« théoriser »), B. Juillerat ne méconnaît pas les arguments des partisans d’une

psychanalyse avant tout « clinique » ni, à l’inverse, les risques d’une « ethnographie

clinique », psychanalyse de terrain peu cohérente parce que mal assumée (p. 50). Mais

les obstacles principaux ont cessé de venir des tendances dogmatiques ou

irresponsables qui caractérisaient naguère certaines « écoles » psychanalytiques,

aujourd’hui dépassées par un renouveau des investigations devant beaucoup à des

chercheurs d’esprit libre et rigoureux comme André Green. Ils ne viennent pas non plus

des anthropologues qui ont discuté sans concession les travaux de B. Juillerat, à l’instar

d’Alfred Gell écrivant dans Shooting the sun (1992 :141-2) :

« I am skeptikal of the idea that actual desire to commit incest with the mother is agenuine motive, even unconsciouly, as far as Umeda males are concerned. Therepresentation of the mother throughout Melanesia is monotonously geared to theprovision of food, not so much milk as vegetable staples. Why import a complex ofideas about incest with the mother, historically associated with the development ofour own system of family roles, childcare practices, sexual stereotypes, or ideasabout purity into such an alien context […] ? »

8 Car voilà non seulement des arguments anciens qui appellent des réponses qu’on

pourrait également dire « classiques », et qui semblent d’ailleurs avoir de moins en

moins de partisans même chez les tenants de l’existence de sociétés « non

œdipiennes », mais voilà surtout des idées toujours susceptibles d’être débattues entre

anthropologues et psychanalystes, dont « chacune [des disciplines] a aidé aux progrès

de l’autre », comme le remarquait déjà Sacha Nacht il y a plus de quarante ans (1968 :

1704). Tel n’est plus le cas avec le cognitivisme.

9 Comme l’indique B. Juillerat, le danger qu’il représente pour l’anthropologie tient à son

dogmatisme scientiste, incapable de prendre en compte l’imaginaire, et à ses

prétentions à l’hégémonie dans les sciences humaines et sociales, sans dialogue

possible :

« La plupart des anthropologues se réclamant du cognitivisme partent d’unethéorie mal assurée, puis l’illustrent a posteriori par des exemples ethnographiquesad hoc qui n’ont alors qu’une fonction pédagogique […]. La méthode scientifique neconsiste-t-elle pas plutôt à partir du particulier et de la comparaison pour en tirerdes règles générales ? » (p. 38)

10 À propos des cognitivistes, Marc Richelle (1993 : 25-27) avait montré auparavant

combien :

« les hypothèses de travail sur [les] rapports [de la conscience] à la machinenerveuse demeurent, pour l’essentiel, ce qu’elles ont été à travers les XIXe et XXe

siècles : pour les uns, monistes et matérialistes, plus on explorera les donnéesphysiques – cerveau, neurones, et aussi, pourquoi pas, comportements – plus onapprochera d’une émancipation définitive par rapport aux notions immatériellesd’esprit, d’âme, etc. ; pour les autres, le fait que l’accumulation des progrès en cedomaine – en cette matière – ne semble pas nous aider à résoudre le problèmecentral apparaît désarmant, et justifie la fidélité ou le retour au dualismespiritualiste. Chacun vient encore en neurosciences avec ses préférences, venuesd’ailleurs. »

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11 Pourtant, signalait-il aussi, cette « accumulation des progrès » encourageait déjà une

position « clairement réductionniste », affirmant « que les conduites se laissent décrire

en termes purement neuronaux. Il faut entendre, sans aucun doute, que les autres

descriptions sont ou bien inadéquates ou bien provisoires – l’idée que les descriptions

exclusivement neuronales sont impossibles n’est pas envisagée ». Aujourd’hui comme

hier, l’assurance empruntée des cognitivistes – elle n’est pas sans évoquer certains

procédés incriminés dans l’actuelle crise financière mondiale, tel le recours aveugle aux

modélisations mathématiques, et procède même d’une sorte de « foi » scientiste, selon

B. Juillerat (p. 15) – ne leur vient que des sciences « dures » auxquelles ils se réfèrent,

parfois hégémoniques elles aussi malgré l’étroitesse de leurs champs d’application.

Parmi elles, du fait des intérêts, économiques et politiques notamment, qui leur sont

associés, les « neurosciences » ainsi que les techniques et les molécules qu’elles

permettent d’expérimenter donnent lieu à de graves « dérives », recours aux

psychostimulants ou aux bétabloquants, expériences de « neuromarketing », etc. Hervé

Chneiweiss, éminent neurobiologiste lui-même, en a dressé il y a peu (2006) un

impressionnant catalogue, valant rappel aux règles scientifiques autant qu’aux valeurs

morales, civiques et humanistes en principe attachées à ce type de recherche.

12 Il est manifeste, d’après ce dernier ouvrage, que ces « dérives » (telle l’utilisation de la

Ritaline « hors de toute raison médicale », p. 68, récemment proposée en France)

menacent souvent « l’autonomie de la pensée, la vie privée, et l’exercice de la liberté »

individuelle ou collective (p. 61), et dessinent sans le dire des projets de sociétés peu

vivables, au-delà du « contrôle social des passions » (p. 57) auquel s’emploient déjà

maintes multinationales de la pharmacie, de la distribution et du divertissement ainsi

que nombre d’agences gouvernementales de sécurité. On pourrait en dire autant du

cognitivisme appliqué, des « sciences de l’information » intégrées aux « outils de

gestion des ressources humaines », ou des nouvelles formations universitaires en

« cognition naturelle et artificielle » visant par exemple à améliorer « les interactions

humain-machine » en « psycho-informatique » et ailleurs, ainsi que le suggéraient déjà

d’anciens travaux cognitivistes assimilant la mémoire humaine aux capacités de

stockage des ordinateurs (par exemple Lindsay et Norman, 1980 : 302-332). Si « comme

l’écrit André Green, “on a l’impression que les cognitivistes vivent dans un monde créé

par eux…” » (Penser l’imaginaire, p. 27), on peut également craindre à bon droit qu’ils ne

cherchent à imposer leur monde aux autres, notamment par le biais d’une

« anthropologie » cognitiviste, supposé qu’on puisse réunir ces termes tellement

antithétiques.

13 Ainsi, mieux que le behaviorisme qu’il prolonge sous la bannière plus neuve des

neurosciences, le cognitivisme reproduit et tend à imposer « une façon de penser

l’homme typiquement nord-américaine, inspirée de la cybernétique et de l’intelligence

artificielle, attisée par le développement de l’“information” » (p. 12, à rapprocher du

« syndrome très américain » décrit p. 67sq. par H. Chneiweiss comme sous-jacent aux

dérives qu’il énumère). Ces enjeux généraux ne peuvent être oubliés, ce que B. Juillerat

ne manque pas de rappeler brièvement mais fermement. Il se garde néanmoins, en

toute rigueur, de porter ses critiques de « la dérive cognitiviste » hors du champ de

l’anthropologie, où éclate déjà, sans la moindre ambiguïté, le caractère mutilant de

« cette vision mécaniste » qui ignore l’imaginaire :

« Cette vision est doublement réductrice : d’une part parce qu’elle ne prend pourobjet d’étude que les capacités cognitives de l’homme, d’autre part parce qu’elleréduit la cognition elle-même à la formation et à la transmission d’unités ou de

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systèmes catégoriels. Or la culture n’est pas seulement du cognitif (stricto sensu) etle cognitif pas seulement du catégoriel. » (Penser l’imaginaire, pp. 12 et 23)

14 Le même souci de porter le débat au plus haut anime le texte que consacre André

Green, dans le volume édité par Patrice Bidou, Jacques Galinier et B. Juillerat, au

« psychisme entre biologie et anthropologie » (pp. 27-34). Il n’y est plus question de

l’idéologie cognitiviste, mais des recherches mêmes dont elle se réclame et dont A.

Green est bon connaisseur, comme médecin formé à la psychiatrie. Il y a d’un côté

« l’universalité biologique forcément réductrice », de l’autre « la diversité phénoménale

de l’anthropologie », le passage de l’une à l’autre ne pouvant s’expliquer par une

causalité exclusivement « neuronale », la seule qu’envisagent jusqu’à présent les

neurobiologistes. B. Juillerat écrivait antérieurement :

« C’est toute la question de la causalité qui est mal comprise par le cognitivisme.André Green a proposé de prendre en compte une ‘causalité psychique’ qui s’inscritpour nous, de façon évidente, dans la recherche d’explication des phénomènesculturels. »

15 Et il formulait « l’idée », difficilement contestable :

« que l’élaboration de la culture relève d’un cumul, mais aussi d’un conflit des logiqueset des significations, donc d’une pluralité des causes. » (Penser l’imaginaire, pp. 37-38)

16 La « pluralité des causes » définit le principe scientifique (ou même analytique dans le

sens originel du terme) qui permet de préciser les ambitions et les limites du « recours

à la psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles ».

« L’anthropologie ne saurait faire à la psychanalyse qu’une place limitée, mais […]

essentielle » dictée non par « l’alternative pour ou contre Freud » mais par des

questions générales portant sur le rôle du « fonctionnement psychique, dans ses

contenus et ses mécanismes », inconscients comme conscients, dans « l’élaboration

culturelle » des sociétés. Si l’on peut attendre le meilleur des « possibilités de

coopération insuffisamment explorées » à ce jour entre ces disciplines, « cela ne

signifie aucunement qu’elles puissent prétendre à un discours unitaire confondant le

sujet individuel et sa culture, la diversité des cultures avec celle des subjectivités, ou

encore le psychogénétique avec le sociogénétique. » « Il s’agit au contraire de s’opposer

à tous les réductionnismes et de s’orienter vers une complémentarité méthodologique

non éclectique mais sélective par souci d’adéquation à l’objet, donc de vérité. » (ibid. : 7,

53-54).

17 Tout autant que Penser l’imaginaire, les « regards croisés » réunis dans Anthropologie

etpsychanalyse apportent des preuves consistantes de la validité et de la fertilité d’une

telle démarche, heureusement suivie par des spécialistes d’autres aires culturelles, les

américanistes Patrice Bidou et Jacques Galinier en premier lieu. La plupart des

contributions sont de grand intérêt, mais pour s’en tenir à l’Océanie, celle de Gillian

Gillison, « Totem et tabou dans les Hautes Terres de Papouasie Nouvelle-Guinée. La

révolte des filles » (pp. 99-124), mérite certainement d’être lue et méditée, pour tout ce

qu’elle révèle d’inédit des mœurs et conceptions des Gimi, mais aussi pour les

nombreux parallèles qu’elle suggère avec d’autres sociétés mélanésiennes, rôle des

plates-formes, rêveries autour du serpent et du pénis géant, etc. Il est également

significatif de la même démarche collective, pluridisciplinaire et non pas seulement

« complémentariste » mais « dialogique » (pp. 8-9), que la présentation analytique de

cette contribution et de celle de B. Juillerat ait été rédigée par P. Bidou, dans

l’introduction à trois voix successives ouvrant le volume, tandis que B. Juillerat y

commentait d’autres articles pour désigner en conclusion (p. 24) comme autant « de

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signaux alarmants […] l’avancée de la mondialisation, l’uniformisation des genres de

vie et de pensée, la diffusion épidémique du New Age », s’ajoutant aux tentatives de

mainmise « cognitiviste » sur l’ethnologie et les sciences sociales qu’il évoquait aussi.

Cela le conduisait à parler de « course contre la montre » pour les anthropologues, en

suggérant qu’elle concerne beaucoup d’autres que ces seuls spécialistes, évidence peut-

être un peu mieux admise aujourd’hui qu’en 2005.

18 La contribution principale de B. Juillerat à ce deuxième volume (« Plaisir et réalité. La

notion de “cargo” revisitée », pp. 81-97) répond implicitement au reproche fait de

longue date aux tenants de l’interprétation psychanalytique de ne pouvoir envisager

les sociétés dans leurs dimensions historiques (voir Penser l’imaginaire, par exemple pp.

52-53). Une telle critique ne pouvait atteindre l’auteur de la remarquable enquête sur

Thurnwald et les Banaro, s’appuyant précisément sur les transformations

diachroniques de cette société pour montrer comment Thurnwald l’avait « modélisée »,

ramenée à « une sorte de “modèle réduit” » (La révocation des Tambaran, p. 177), à

ranger parmi d’autres inventions malvenues du discours anthropologique. Ne pourrait-

on en dire autant des « données ethnologiques » aujourd’hui disponibles sur les

mouvements de type « cargo » au XXe siècle, forcément incomplètes et réductrices du

fait du contexte colonial et répressif dans lequel se développèrent ces mouvements et

furent menées les premières enquêtes à leur sujet ? Il est en tout cas hors de doute

qu’en Mélanésie ces réactions à la profusion subite de marchandises occidentales « à ne

toucher que des yeux » furent « tantôt mal comprises par les missionnaires et

considérées comme menaçant l’ordre public par les administrateurs, tantôt sous-

estimées dans leur dimension psychique par certains anthropologues au profit

d’explications plus matérialistes ou plus politiques, tantôt réduites à des troubles

mentaux par certains ethnopsychiatres. » (p. 82).

19 N’envisageant, faute de place, « qu’un exemple situé dans l’espace et dans le temps

historique », B. Juillerat revient sur « le culte du cargo » qu’il a « eu l’occasion

d’observer chez les Yafar de Papouasie Nouvelle-Guinée en 1981 », dans un climat

d’escarmouches, d’intrusions et parfois de massacres à la frontière de l’Irian Jaya,

également propice à des attentes de bouleversements de l’ordre quotidien. « Travail ou

fertilité » sans effort, l’actualité rappelait incessamment cette alternative. L’article

montre par une analyse très serrée ce qui, « de la pulsion de savoir » et de partager le

secret de cette fertilité, a conduit « aux représentations cultuelles de 1981 et à [leurs]

corrélats mythiques ». On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de l’élégante concision de

la démonstration ou de l’équilibre impeccable de la conclusion. Faute de pouvoir

résumer ici la première, il semble indispensable, pour finir, de citer la seconde, parfaite

définition du principe de « pluralité des causes » devant présider au « recours à la

psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles », selon

les termes mêmes de B. Juillerat :

« Les anthropologues ayant étudié la question des cultes millénaristes de Mélanésiese sont presque toujours distancés de Freud ; certains ont formulé ce rejetclairement sans tenter de mettre la notion de cargo ou de salut social à l’épreuve dela psychanalyse. Ce que nous avons essayé ici ne doit pas être vu comme unréductionnisme, mais seulement comme l’éclairage d’un aspect jusque-là négligé dufantasme d’appropriation du cargo. Il fallait pour cela prendre en compte lacausalité interne, inconsciente, et non seulement les circonstances historiques etles motivations rationnelles du culte. Ces deux ordres de facteurs se complètent ;alors que le second est déterminé par les événements factuels extérieurs et lesmotivations conscientes, le premier fournit le contenu fantasmatique et met en

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œuvre les mécanismes psychiques socialisés tout en puisant dans le corpussymbolique déjà existant de la culture. Expliquer un champ sans l’autreéquivaudrait à amputer la réalité globale. » (p. 97)

20 Ce dernier article ne fait pas seulement regretter que B. Juillerat ait été empêché de

donner des suites à cet « éclairage » exceptionnellement lumineux, il fait souhaiter de

le voir réuni avec d’autres, s’il est possible, dans un volume qui prolongerait Penser

l’imaginaire.

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Paris, Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade, pp. 1680-1705.

RICHELLE Marc, 1993. Du nouveau sur l’esprit, Paris, Presses universitaires de France.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

200

Ignames, enfants des hommes.Horticulture et reconduction dusocial à Wallis (Polynésieoccidentale)1

Sophie Chave-Dartoen

« La vision symbolique yafar du monde vivant

renvoie la production à la reproduction : produire

un jardin, c’est mettre en place un chaînon

unique d’une chaîne reproductive,

ininterrompue, qui assure la permanence de la

vie. Défrichements, brûlis, bouturages,

désherbages en forment le niveau matériel et

technique ; démarcations, attributions, héritages,

distributions en sont les formes de contrôle

social ; représentations cosmologiques et rituels

en fournissent le cadre imaginaire et en

garantissent l’efficacité. » (Juillerat, 1986 : 171-72)

1 Dans Les enfants du sang,la remarquable monographie que Bernard Juillerat a consacrée

à l’organisation et à l’imaginaire de la société yafar (Papouasie Nouvelle-Guinée), le

chapitre relatif à l’horticulture laisse peu explicite l’articulation entre la culture des

jardins et les représentations qui s’y rattachent. Ce travail présente, en effet, le vivant

comme le substrat matériel d’une élaboration imaginaire et symbolique qui informe le

social tout en s’en distinguant :

« Après s’être protégé – préalablement à l’acte de transgression que représentecette violence nécessaire sur la nature – de la culpabilité et des stigmates d’unretour trop abrupt au maternel, l’homme peut alors plus à son aise manipuler lesprincipes et les substances reproductives et se donner ainsi l’illusion et le pouvoirde contrôler la fertilité de la nature et la production des essarts. » (1986 :174)

2 La formulation est ambiguë, « l’illusion et le pouvoir » étant ici conjoints là où

« l’illusion du pouvoir » eut été une formule plus respectueuse de la dissociation de

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domaines – biologique, social et psychique – que l’auteur pose comme des réalités

différentes, mais dont les analyses ne définissent pas, dans ce contexte précis, la portée

et les limites. Afin d’éclairer ce point, il eût sans doute été intéressant qu’il précisât,

pour ce qui concerne l’horticulture, la nature exacte des représentations

cosmologiques et des rituels en mesure tout à la fois de fournir le « cadre imaginaire »

et de garantir l’« efficacité » de la reproduction biologique et sociale (cf. citation en

exergue). Ce chapitre laisse donc ouverte la question de l’articulation du symbolique et

du social, le premier étant tantôt dans, tantôt hors du second2.

3 En guise d’hommage, je reprendrai ici le problème des représentations et de leur

efficacité à partir de ce que Bernard Juillerat appelle la « production des jardins », mais

en partant d’un autre terrain. Mes recherches (Chave-Dartoen, 2000) sur l’organisation

sociale et le système rituel de la société de l’île Wallis – rites de passage et échanges

cérémoniels – montrent que l’importance rituelle des plantes cultivées, des techniques

et des pratiques qui leur sont associées ne peut être pleinement saisie à travers une

opposition entre matériel et symbolique. Les Wallisiens, par exemple, font une nette

distinction entre éléments humains et non humains du cosmos, mais les réalités

matérielles sur lesquelles ces catégories reposent échappent au cadre de notre propre

matérialité : la présence des morts est tangible à travers le danger effectif qu’ils

représentent pour les vivants (maladie, infortune, décès) et pour les jardins

(infestations, infertilité, sécheresse). De façon plus générale, une interprétation en

termes de dichotomie êtres/choses ou sujet/objet serait abusive : animaux, pierres et

plantes sont intégrés au même titre que les humains au monde socialisé, mais à

différents niveaux. Dans de tels cas, l’analyse ne peut se fonder que sur les catégories

vernaculaires et en creuser les principes internes sans préjuger de domaines

proprement biologiques, sociaux ou psychologiques.

4 Dans l’exemple polynésien que je développerai ici, horticulture et circulation des

récoltes ne sont pas dissociables. Je ne présenterai pas, faute de place dans cet article,

l’ensemble des représentations et des pratiques liées aux plantes cultivées. De même,

laissant de côté l’analyse de la circulation des porcs et des biens féminins, je

n’aborderai pas l’ensemble du système rituel où hommes et femmes partagent des

charges et des responsabilités différentes (Chave-Dartoen, 2000). Je montrerai en

revanche qu’à Wallis, la chair des plantes cultivées, leur matière constitutive, est

complétée, tout comme celle des humains, par d’autres principes relationnels et que

tous participent d’un même système de circulation. À travers cette approche, pratiques

et pensée wallisiennes apparaissent infiniment plus complexes que saisies au prisme de

nos propres catégories. Pour une telle société, se comprenant elle-même comme une

totalité cohérente, l’étude des pratiques horticoles doit nécessairement s’ouvrir aux

systèmes d’échange et aux cycles rituels.

Présentation de la société de l’île Wallis

5 Wallis (’Uvea en langue vernaculaire) est un archipel dont l’île principale (environ

95 km²) est encerclée d’un lagon bordé par une vingtaine d’îlots épisodiquement

habités. Elle est située par 13°20’ de latitude sud et 176°10’ de longitude ouest, au centre

de l’aire culturelle appelée Polynésie occidentale (Tonga et les Fidji de l’est, Futuna,

Tokelau et Samoa). Son climat subtropical est soumis à l’alizé austral de mai à octobre

et aux cyclones, parfois dévastateurs, de novembre à avril.

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6 Territoire d’outre-mer depuis 1961, Wallis et la proche Futuna forment une collectivité

d’outre-mer depuis 2003. Jusqu’à ces dates récentes, le rôle colonial de la France dans

ce lointain protectorat fut essentiellement indirect et largement fondé sur la présence

de la mission mariste qui, implantée sur place en 1837, évangélisa et convertit la

population en quelques années. Sous son influence, l’organisation sociale se modifia : le

mariage entre membres d’ordres sociaux autrefois endogames fut favorisé ; des

communautés villageoises rassemblèrent sur la côte la population qui vivait plus

dispersée ; la chefferie, qui regroupait autour d’un « chef suprême » hau les hommes

forts du moment, prit une forme fixe autour du hau, terme désormais traduit par

« roi ». Depuis lors, la chefferie se compose d’un conseil de six membres (’aliki fau) et de

l’ensemble des chefs de village (pule kolo). Le « roi » (hau) établit une relation privilégiée

avec Dieu dont il fait bénéficier en retour l’ensemble de ses dépendants. Clef de voûte

de l’organisation sociale, il dirige les rituels et préside l’ensemble des cérémonies qui

ont intégré, en se perpétuant, valeurs et représentations chrétiennes. La population

actuelle (environ 10 000 habitants) est répartie dans une vingtaine de villages3.

7 La végétation prend à Wallis trois aspects différents. Le premier est la forêt tropicale

dense (va’o matu’a), partiellement conservée au sud-ouest, dont on dit qu’elle préserve

l’humidité et la fertilité du pays (Guiot, 1998). Le roi, qui en est responsable, y autorise

occasionnellement des prélèvements de bois d’œuvre ou une mise partielle en cultures

si la nécessité est pressante. La deuxième sorte de végétation, au centre et au nord de

l’île, forme un maquis (toafa) résultant d’une exploitation trop intense de sols fragiles

partiellement latérisés. La troisième, qui ceinture l’île, est une couverture de jardins

vivriers et de friches dominés par les cocotiers dont de grandes plantations s’étendent

au sud de l’île.

La culture des jardins4

8 À Wallis, la culture des jardins, considérée comme pénible, ne convient pas aux femmes

qui ont « les bras faibles » (nima vaivai). Ces dernières s’aventurent d’ailleurs rarement

dans les jardins, lieux isolés communément associés aux relations intimes des couples

mariés ou clandestins. En marge de la zone d’habitation côtière, les jardins se trouvent

en outre sur les terres intérieures où rôdent les morts à l’action néfaste desquels les

femmes sont potentiellement plus sensibles. Jardins et horticulture relèvent ainsi de

l’entière responsabilité des hommes et d’un travail génésique qui associe récoltes

végétales et procréation humaine.

9 Les cultures vivrières demandent le défrichement et l’entretien régulier de grandes

surfaces de terrain. Cependant, les conditions de ce travail changent profondément

depuis quelques années sous l’effet combiné du manque de temps des salariés, de la

rareté des terres disponibles et des facilités qu’apportent sur l’île techniques et

technologie occidentales (véhicules motorisés, tronçonneuses, engrais chimiques...). À

cela s’ajoute la transformation des besoins cérémoniels et alimentaires : les vivres

importés obtenus dans le commerce intègrent de façon croissante échanges et repas.

Alors que dans chaque « maisonnée » (’api,au sens d’« unité familiale de base »), les

hommes défrichaient au moins un jardin chaque année il y a encore quelques

décennies, ils ne défrichent plus en moyenne qu’une parcelle tous les deux ou trois

ans5.

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10 Chaque parcelle est prise sur les « terres familiales » (kele fakafamili), c’est-à-dire sur les

terres dont les droits d’usage, hérités des ancêtres paternels et maternels, sont indivis

dans l’ensemble des descendances. Une fois le lopin choisi et le consentement des co-

ayants droit acquis, la végétation est coupée et brûlée. Les arbres, que l’on a fait mourir

en entretenant le feu à leur pied, sont laissés en place. Les semences sont

préférentiellement plantées à leur base, contre les troncs ou près des pierres affleurant

à la surface du sol dont on considère qu’elles fertilisent la terre en lui conservant son

humidité. Les arbres morts constituent un support pour les tiges des ignames plantées

autour d’eux. Le parti ainsi tiré des opportunités du terrain donne aux plantations une

apparence désordonnée caractéristique.

Photo 1. – Les jardins wallisiens ont généralement un aspect assez désordonné, des plantes dedifférentes espèces (ici ignames, taros, papayers, bananiers, cocotiers…) s’y trouvant à différentsstades de développement

(cliché de l’auteur, janvier 2008)

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Photo 2. – Des plants de manioc sont plantés après les premières récoltes d’ignames et de taros

(cliché de l’auteur, juillet 2005)

11 Les végétaux sont traditionnellement reproduits par division et reproduction des

clones (tubercules) ou par bouturage (maniocs et plantes ornementales). La chaleur

humide de la région convient aux plantes subtropicales qui poussent sans soin

particulier6 sinon le nettoyage régulier du terrain autour d’elles. Selon P. Tokotu’u,

ancien cultivateur résidant à Utufua, une « récolte » (ta’u, également « saison ») doit

être plantée durant les trois jours de pleine luneet les trois jours de nouvelle lune, ce

qui assure les meilleurs résultats. Ce calendrier lunaire n’est désormais plus respecté et,

dans l’ensemble, les plantations sont faites « n’importe quand » (ta’uvale), suivant la

disponibilité du cultivateur, ses ressources en semences et les besoins programmés de

la maisonnée. Des récoltes supplémentaires sont planifiées lorsque des cérémonies sont

prévues à long terme.

12 De nos jours donc, les techniques et le rythme de mise en terre varient selon les plantes

cultivées et les récoltes attendues. Les Aracées (principalement taros Colocasia esculenta7

et kape Alocasia macrorrhiza, Shott.), par exemple, sont replantées au fur et à mesure

qu’elles sont récoltées de telle sorte qu’un jardin comprend généralement des

tubercules à différents stades de croissance. Le manioc, très secondaire dans

l’alimentation humaine, assure une bonne part de celle des porcs, nombreux et voraces.

Les bananiers (fu’u fusi)8 ne font l’objet d’aucun soin particulier. Ils fructifient tout au

long de l’année (des variations existent selon les espèces) avec une période

d’abondance en juillet-août. Les arbres à pain (fu’u mei, Artocarpus altilis [Parkinson]

Fosberg)9 fructifient de décembre à février, puis de nouveau en juin-juillet. Les ignames

sont les seules plantations saisonnières organisées en trois récoltes annuelles.

Particulièrement exigeantes en travail, elles sont indispensables aux prestations

masculines lors des nombreuses cérémonies qui rythment la vie locale.

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Les ignames, prestations masculines par excellence

13 Bien qu’elles soient rarement présentées seules, les ignames crues constituent le volet

masculin des prestations cérémonielles par excellence. Individuelles ou collectives, ces

prestations sont présentées en de multiples occasions (rites de passage, célébrations

liturgiques, propitiations), généralement accompagnées de leur volet féminin

normalement constitué de nattes et de tissu d’écorce battue (Chave-Dartoen, 2000).

14 Les ignames suivent deux circuits d’échange différents. Le premier, cérémoniel,

correspond aux obligations que tout homme doit à ses « anciens » et à ceux de la

communauté : des prestations (’umu, « [contenu de] four ») sous forme de piles (ou de

paniers) d’ignames crues surmontées d’un porc cuit au four (ou passé au feu) sont

présentées pour les grandes cérémonies publiques (principalement les fêtes religieuses

et patronales, les investitures et l’accueil d’hôtes de marque). Les hommes en offrent

aussi lors des cérémonies du cycle de vie, des rites de propitiation et des déplacements

de leurs relations kaiga. Le premier cercle des relations kaiga est celui des proches

parents. L’étendue de ces relations est cependant beaucoup plus vaste puisque s’y

combinent, outre l’ascendance commune et le mariage, des critères de co-résidence ou

d’affinités personnelles. Théoriquement innombrables, ces relations sont socialement

validées par la solidarité dans les obligations cérémonielles. Seule cette dernière leur

confère existence et actualité.

15 Le second circuit est beaucoup moins formel. Il suit le même réseau de relations (kaiga),

mais cette fois, afin d’obtenir, tous les trois ans, de nouvelles semences de différentes

variétés pour les récoltes à venir. Cette circulation est capitale : à défaut, les récoltes de

la quatrième année sont infructueuses ; la semence germe, puis les ignames

dépérissent :

« Tu t’en occupes [tu plantes la semence] et elle disparaît10 ! » (Pelesese Tokotu’u,extrait d’entretien)

16 Je vais revenir sur ces deux circuits de circulation après une rapide présentation des

tubercules, des sortes de semences que l’on prépare et du travail horticole que cela

implique.

17 Dans le langage courant, toutes les ignames (Dioscorea)relèvent de la catégorie générale

des ’ufi11. Il en existe, à Wallis, de nombreux cultivars locaux (fa’ahiga ’ufi)12 qui

s’organisent en sous-ensembles de taille et de contenu variables, l’étendue et la

complexité des savoirs naturalistes dépendant largement des compétences des

informateurs. Sur pied, les ignames sont identifiées à l’aspect des feuilles et de la tige.

Une fois arrachées, l’identification porte sur la morphologie du tubercule : taille, forme

et qualité de la peau auxquelles s’ajoutent couleur, parfum et texture de la chair. Le jeu

de ces critères permet, selon les contextes, des comparaisons et des classifications

empiriques du type « petites ignames rouges », « ignames parfumées » ou « ignames à

développement horizontal »… Lors d’un entretien consacré à la question, P. Tokotu’u13

indiqua par exemple que les ignames vegi14, sikau et lausi étaient « mélangées

ensemble » (natu fakatahi) dès la récolte selon des critères croisant taille, valeur

gustative et valeur cérémonielle. Il revint ensuite sur la question précisant que si,

toutes les ignames de belle taille et de bel aspect peuvent convenir pour les prestations,

les ignames considérées comme originaires de Wallis sont toutefois préférables. Dans

cette série, s’accolent aux lausi les grandes ignames poa et laumahi. A contrario ne

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figurent pas dans les prestations le sous-ensemble ’ufilei 15 (Dioscorea esculenta [Lour]

Burk) et toutes les ignames sauvages que l’on déterre dans les friches16pour la

consommation immédiate ou pour être replantées dans le jardin : tu’a kuku, palai

(toutes deux Dioscorea nummularia Lamk.17), tuu pakata (originaires de Futuna), kaukau

si’i et lena (Dioscorea pentaphylla L.).

18 Les ignames idéales, et particulièrement celles nécessaires aux prestations

cérémonielles, doivent ainsi remplir deux critères : l’un, morphologique, conjugue

taille du tubercule et qualité de la peau ; l’autre, plus proprement sociologique, relègue

les cultivars considérés comme sauvages ou importés. Seules conviennent parfaitement

aux prestations les ignames du « pays » (’Uvea) combinant caractère local et la culture

en jardin. Ces considérations prennent tout leur relief si on les rapporte à d’autres

aspects de la culture et de la circulation des tubercules.

La culture des ignames, travail des hommes

19 Ce qui caractérise les ignames et leur confère une valeur particulière, c’est l’expertise

et la somme d’efforts que leur reproduction et leur culture requièrent. Leur technique

de reproduction est végétative et, dans toute la région, les cultivateurs, conscients du

fait que les plantes descendant d’une même souche présentent les mêmes

caractéristiques, en usent pour opérer une fine sélection des cultivars (Lebot, 2002).

Pour chaque variété, quelques tubercules de bonne taille et de bel aspect (finesse et

clarté de la peau) sont mis de côté de façon fournir les semences de la récolte

correspondante pour l’année à venir. Les tubercules sont alors jamais coupés mais

« divisés » (tofi), le tranchant du couteau, tout juste enfoncé dans la chair, faisant levier

pour la rompre.

20 Il existe deux sortes de « semences » (pulapula18) dont la distinction est capitale pour

comprendre le cycle agricole et l’organisation des circulations cérémonielles. Le

sommet des tubercules, appelé en français comme en wallisien « tête de l’igname » (

’ulu’i’ufi), est mis de côté dans des paniers de sable où il germe rapidement avant d’être

replanté. Du reste de chaque tubercule (« corps de l’igname », sino’i’ufi) on tire des

semences appelées « semenceaux » en français, fakafale en wallisien (faka « qui

ressortent de, de l’ordre de » ; fale « maison »). Plus nombreux, ces semenceaux sont

aussi plus lents à germer (ils étaient autrefois placés sur des nattes de cocotier, dans la

charpente de la maison) et sont plantés dans un second temps. Pour chaque récolte, les

fruits des semenceaux (fakafale) sont donc plus tardifs que ceux des têtes (’ulu’i’ufi).

Mentionnons que ces derniers connaissent une distinction secondaire avec les « vraies

têtes d’ignames » (’ulu’i’ufi totonu) sur laquelle je reviendrai en présentant les

différentes sortes de récoltes et de prestations.

21 La préparation d’une récolte consiste aussi à essarter les friches, ameublir la terre au

bâton à fouir pour y planter les semences soigneusement préparées sous une faible

épaisseur de terre ou, mieux encore, de sable fin. Cette séquence revient à un « travail

vers le bas » (gaue’ifo), locution par ailleurs employée pour désigner l’action de l’homme

lors d’un accouplement. Des tuteurs, dont les faisceaux supporteront les tiges

régulièrement ligaturées, sont préparés et installés. Les tiges se développent en

hauteur sur trois à cinq mètres et se couvrent de feuilles, formant de hautes silhouettes

végétales dressées vers le ciel. Durant ce temps, les jardins sont nettoyés et protégés

des porcs vagabonds. Après six ou sept mois de croissance, la plante dépérit. Vient alors

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le moment de la récolte. L’extraction est délicate car les tubercules ne doivent pas être

abîmés ou cassés. On s’aide pour cette opération d’un pieu de bois ou d’une barre à

mine et d’un sabre d’abattis. L’obtention de tubercules de grande taille dépend de

différents facteurs : le choix de variétés appropriées (vegi, lausi, laumahi ou poa) ; la

qualité et la préparation du sol, riche et profondément ameubli ; la taille des semences,

dont on ne conserve que le germe le plus vigoureux avant la plantation19 ; la dextérité

du cultivateur, lors de la récolte. La jachère de cinq à dix ans – souvent moins20 – et le

brûlis sont les seules techniques assurant la régénération du sol21.

22 L’étendue et le nombre des plantations d’ignames (gaue’ufi), qui autrefois couvraient

une grande partie des jardins, ont considérablement diminué depuis l’intensification du

travail salarié et le désintérêt des jeunes générations pour les travaux horticoles. S’il

est important qu’un homme fournisse des prestations appropriées en ignames et en

porcs, un adage récurrent stipule que l’on n’offre jamais que ce que l’on peut donner, y

compris pour le roi. La maîtrise de cette culture exigeante rehausse ainsi le statut des

horticulteurs « grands travailleurs » (fa’a gaue) qui entretiennent de riches jardins et

fournissent des prestations hors de la moyenne face à ceux qui, plantant au plus près

des besoins, se reposent sur l’assistance de leurs relations kaiga ou complètent

occasionnellement leurs prestations par des biens de substitution (sucre, riz, farine,

numéraire…). Ainsi la qualité des prestations et l’honneur qui en découle varient selon

les horticulteurs. Le fait que l’énumération cérémonielle des prestations use

généralement d’une tournure discursive dépréciative ne présage en rien de l’évaluation

réelle qui suit les discours sous forme de compliments ou de plaisanteries amusées. Il

existe cependant une norme pour la « prestation en ignames convenant au roi »

(fuahaumālie, plus littéralement « offrande vivrière digne du roi en ce qu’elle est non

pourrie » selon le père S-L. Ikauno) : elle se compose des premières ignames issues de la

« toute première récolte » (ta’u mu’amu’a). Donc, pour les offrandes au roi, toutes les

prestations et toutes les ignames ne se valent pas.

Les « récoltes » (ta’u) d’ignames

23 La culture des ignames était, pour les anciens du village, l’activité principale des

hommes. Durant leur jeunesse, chacun entretenait conjointement une plantation

personnelle et une vaste plantation communautaire placée sous la responsabilité du

chef de village et protégée par un « interdit » (tapu). Le nom spécifique de ces

plantations d’ignames (gaue’ufi, « travail de l’igname ») les distingue de tous les autres

jardins, appelés gaue’aga (« lieu de travail ») sans autre précision. Cette culture donnait

le rythme à toutes les activités agricoles de l’année :

« L’importance des ignames, c’est une chose qui dirige le travail ! Si tu n’as pasd’ignames, tu ne vas pas travailler. Parce que tu vas travailler tes ignames, tu lesapportes pour les garder à la maison, elles germent et tu vas préparer ton jardin ! Etsi tu n’as pas d’ignames [...] tu restes à ne rien faire et c’est une saison [ou unerécolte] pour rien22. » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien)

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24 La culture des ignames épuisant la terre, elle nécessite pour chaque récolte l’essartage

d’une jachère « boisée » (akau’i, au moins trois ans de repos). Or, il y avait autrefois

trois récoltes d’ignames annuelles préparées dans trois jardins différents :

la « toute première récolte » ou « récolte qui vient en avant », ta’u mu’amu’a (plantation en

avril-juillet, récolte en novembre-décembre), mu’amu’a signifiant à la fois « ce qui vient en

avant » et « ce qui est supérieur » ;

la « grande récolte » ta’u lahi (plantation de juin à août, récolte de février à avril) ;

et la « dernière récolte » ta’u muli (plantation en septembre-octobre, récolte en avril-mai).

25 Tous les hommes préparaient au moins une récolte, généralement deux, trois s’ils s’en

montraient capables, ce qui impliquait le défrichage d’une, deux ou trois parcelles

chaque année. De nos jours, la plantation des ignames initie toujours le travail. Une fois

les semences mises en place, la plantation est complétée par les plantations de kape,

taros, bananiers, cannes à sucre, papayers et autres plantes, telles la courge et l’ananas,

importées par les Occidentaux. Les kape et les taros, dont le développement est plus lent

que celui des ignames (environ un an), sont laissés dans le champ quelques mois après

la récolte des premières. Le jardin est ensuite abandonné. On intercale souvent entre la

récolte et le repos du sol une plantation de manioc qui épuise peu la terre.

26 Les ignames demandent entre six et huit mois de croissance. Elles peuvent être

conservées environ cinq mois une fois entreposées sous un « abri » (fa’ahi tahi ou

fale’ufi : claie surélevée couverte d’un toit) – autrefois sous la charpente de la maison.

Entre le quatrième et le sixième mois qui suivent la récolte, les semences sont

préparées, les fruits d’une récolte étant, rappelons-le, utilisés pour préparer la récolte

correspondante de l’année suivante. La préparation des semences distingue les têtes

d’igname (’ulu’i’ufi)premières germées, premières plantées et premières récoltées, des

semenceaux issus des « corps » et appelés fakafale. Ces deux sortes de semences ne

s’opposent pas seulement au sein de chaque récolte. Elles caractérisent aussi de façon

radicale les différentes récoltes de l’année et l’ensemble du cycle agricole et rituel

wallisien23.

27 L’organisation du travail est identique pour les trois récoltes : la plantation des têtes (

’ulu’i’ufi) précède normalement celle des semenceaux (fakafale). La « toute première

récolte » ta’u mu’amu’a ( mu’a « aîné, précédant, antérieur »), est pourtantconsidérée

comme une récolte de « têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi, à la différence des récoltes suivantes

(ta’u lahi et ta’u muli), globalement considérées comme celles de fakafale. Comme le

corps suit la tête, ces deux récoltes suivent la première récolte (ta’u mu’amu’a) qui initie

tout le cycle. L’antériorité de la première récolte opère donc à deux niveaux. Elle

combine antériorité chronologique (elle vient en premier) et prééminence spatiale, la

« tête » ’ulu conjuguant élévation, projection avec ancienneté. Ces caractéristiques lui

donnent, ainsi qu’à ses prémices, une importance toute spéciale.

28 P. Tokotu’u expliqua qu’autrefois, lorsque l’alimentation dépendait entièrement de la

culture des jardins vivriers, la « toute première récolte » (ta’u mu’amu’a) était

essentielle car, les têtes poussant plus vite que les autres semences, elle était la

première arrivée à maturité : « C’est ta petite plantation pour manger » (« Ko tau ki’i

gaue kai ») ajouta-t-il, expliquant que si l’on se montrait paresseux ou que l’on se

trompait en la préparant, on était voué à la famine entre les deux saisons de fruits à

pain (mei). Si un homme ne planifiait qu’une récolte dans l’année, il fallait donc que ce

soit celle-là, les deux autres récoltes étant secondaires si la première était suffisante. La

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première récolte apparaît ainsi comme celle qui règle toutes les autres activités

agricoles et qui peut, éventuellement, toutes les remplacer.

29 Les deux autres récoltes, organisées de façon comparable, suivent et complètent la

première de telle sorte qu’elles structurent le travail agricole sur le reste de l’année. La

« grande récolte » tau lahi est particulièrement importante en ce que, disponible d’avril

à octobre, elle fournit les ignames nécessaires aux prestations cérémonielles des

nombreuses fêtes patronales et familiales de cette époque. Elle est plantée à la saison

sèche, relativement fraîche et propice aux travaux difficiles. Cette récolte est celle « du

moment où un homme est fort » (« te temi malohi pe a te tagata »). La plantation de la

« dernière récolte » ta’u muli a lieu en septembre-octobre. C’est « la récolte de la

fatigue », de la lassitude (« te ta’u ga’ega’e »). De ce fait, c’est aussi « la récolte des

hommes grands travailleurs » (« te ta’u a te kau tagata fa’a gaue »), ceux qui se font

remarquer par leur travail et leurs compétences. Selon sa réalisation, se différencient

les hommes assurant le nécessaire et ceux que le courage au travail et l’orgueil

poussent à un accomplissement dans ce domaine24. Cette dernière récolte était aussi

autrefois la principale en quantité des trois récoltes communautaires. Bouclant la série

des trois récoltes, elle est aussi appelée « la fin de la démangeaison de la terre » (te

hiliga velikele). Avec elle commence le repos du dernier des trois jardins ouverts durant

l’année.

30 S’appuyant sur le journal du père Chanel (1838-1839) et la correspondance d’autres

missionnaires, Patrick V. Kirch (1994a) atteste l’ancienneté de ce type de calendrier sur

la proche île de Futuna. L’oblation, début octobre, des fruits de la « toute première

récolte » ta’u mu’a (plantation en avril-juin/premiers fruits en octobre25) constituait le

moment majeur d’un cycle prolongé par les récoltes secondaires ta’u lasi (plantation en

juillet-août/récolte en décembre)et ta’u muli (plantation en septembre-octobre/récolte

en février). Kirch montre également l’articulation de ce calendrier avec le cycle rituel

pré-chrétien. L’offrande des prémices d’ignames (ta’u mu’a) inaugurait, avec la saison

des pluies, une saison rituelle intense (oblations, d’octobre à janvier26) suivie d’un

relatif temps mort (fêtes de village de janvier à avril). Le retour des alizés (avril-mai)

annonçait les plantations et divers préparatifs (fabrication de la poudre de curcuma et

ramassage des œufs de tortue) avant la récolte.

31 Pour Wallis, nous ne disposons d’aucun témoignage permettant de reconstituer un tel

calendrier agricole et rituel. Apparaissent, toutefois, des correspondances frappantes

entre celui reconstitué par Kirch pour Futuna et celui documenté à Wallis en fin de XXe

siècle. L’une d’elles est la similitude des récoltes (nombre, noms et rythme), bien qu’un

décalage de deux mois existe entre la mise en terre de la récolte tau mu’a de Futuna et

celle, ta’u mu’amu’a de Wallis. Une autre correspondance est la présentation collective

des prémices de cette récolte (appelés « vraies têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi totonu, à

Wallis). Dans les deux cas, enfin, ces oblations marquent un changement de cycle : à

Futuna la présentation des prémices ouvrait autrefois la saison rituelle. À Wallis, elle

marque de nos jours, sous la forme de prestations fai’ofa, les festivités chrétiennes de

fin d’année et celles ouvrant la nouvelle année. Préparées et présentées à cette

occasion, les prémices manifestent alors auprès du roi, du clergé catholique et de la

chefferie la gratitude de la population pour les bienfaits prodigués et son attente d’une

prospérité renouvelée. On retrouve donc pour l’oblation comme pour la plantation les

deux mois de décalage entre le calendrier wallisien (décembre-janvier) et les anciennes

cérémonies de Futuna (octobre).

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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32 Considérant l’importance de cette récolte, il est frappant que les informateurs

wallisiens ne se soient pas accordés sur les dates de sa mise en terre : certains donnent

avril-mai, d’autres, parfois les mêmes à un autre moment, donnent juin-juillet. La mise

en parallèle des cycles wallisien et futunien permet une hypothèse : la « [toute]

première récolte » ta’u [mu’a]mu’a devait autrefois être plantée, à Wallis comme à

Futuna, en avril-mai (et récoltée entre octobre et décembre), conformément au cycle

végétatif dans la région. Le plus probable est que les missionnaires catholiques,

cherchant à substituer le calendrier chrétien à celui qui précédait, ont demandé à leurs

néophytes de faire en sorte que l’offrande des prémices de cette récolte, importante

parmi toutes, coïncide avec l’événement majeur de l’année chrétienne, la célébration

de la naissance du Christ fêtée en Occident au solstice d’hiver, à quelques jours du

changement d’année. Ainsi les dates données pour la plantation de la toute première

récolte divergent-elles selon que l’on considère le calendrier ancien fondé sur le cycle

végétatif (avril-mai) ou les pratiques actuelles adossées à la liturgie catholique (juin-

juillet). Apparaît bien ainsi le lien ancien établi, dans la région, entre culture des

ignames et temporalité cosmique et sociale. J’y reviendrai, après avoir développé les

aspects montrant à quel point la culture et la circulation des ignames participent au

travail rituel que la société met en œuvre pour constituer, renforcer et valider celles

des relations sociales qui, marquées par l’ancienneté, fondent le bon ordre de la société

et de son cosmos.

Rites de propitiation et présentation des prémices

33 La plantation des ignames initie le travail horticole de l’année. Ces tubercules –

particulièrement les têtes issues de la première récolte – précèdent toutes les autres

récoltes dans le temps et les dépassent en valeur :

« C’est elles [les ignames] qu’Uvea [les Wallisiens] met en avant de tous les“féculents” [magisi]. C’est le premier “féculent” celui qui est le premier, lesignames27. » (Aliki Liufau, extrait d’entretien)

34 La présentation des prémices d’ignames, qui initie toutes les récoltes de l’année, est

essentielle. Cette prestation s’appelle polopolo, terme qui désigne les premiers fruits

d’un jardin. On dit « e au polopolo’i te gaue’aga » ce qui signifie « je polopolo la plantation »

c’est-à-dire, « par cet usage spécifique des premiers fruits, j’ouvre la consommation de

la récolte de ce jardin ». De nos jours encore, l’offrande de ces prémices ouvre

rituellement la récolte car il s’agit du « premier travail pour déterrer sa “chair”

[kakano] pour manger28 ».

35 Toutes les prémices d’ignames (polopolo)sont des « têtes d’ignames » (’ulu’i’ufi).

Toutefois, ici encore, les prémices de la première récolte diffèrent des suivantes en ce

que, parmi les têtes d’ignames, elles sont les seules « vraies » (totonu) têtes d’ignames (

’ulu’i’ufi totonu). Ces premiers fruits, pour chaque récolte, ne sont jamais consommés

par les cultivateurs. Les prémices des deux dernières récoltes sont proposées aux

visiteurs ou offertes dans l’entourage sur un mode informel. Il n’en va pas de même

pour les prémices de la première récolte (’ulu’i’ufi totonu). Premiers entre tous, ces

« fruits du travail de la terre » (te’u fua o te gaue kele, selon Aliki Liufau [extrait

d’entretien]) constituaient avant la christianisation une prestation destinée aux déités

’atua en même temps qu’au « chef suprême » (hau)29. De nos jours encore, les fruits de la

terre sont présentés de façon formelle lors des hommages et des vœux (fai’ofa) de

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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nouvelle année adressés au roi, puis au clergé et aux « anciens » (chefs et représentants

territoriaux). À travers eux, c’est à l’ensemble que forment la société et son cosmos

dominé par Dieu que ces prestations s’adressent. Les modalités de celles-ci ont toutefois

subi ces dernières années des modifications significatives.

36 Il y a quelques décennies, les premiers fruits (« vraies têtes d’ignames ») étaient

prélevés sur la plantation communautaire avant d’être offerts au roi par chaque village

à l’occasion de la nouvelle année, lors de la cérémonie dite fai’ofa. À défaut de récolte

communautaire, seuls les chefsdu district (chefs de village, chefs de district, membres

du conseil du roi)se chargeaient de l’offrande au roi. De nos jours, il n’existe plus de

jardins collectifs d’ignames. À la veille de la cérémonie, chaque homme s’efforce de

fournir un panier de « vraies têtes d’ignames ». Celles-ci sont regroupées, triées et

réorganisées pour former des prestations convenables. Ce remplacement de l’offrande

de prémices obtenues en commun par l’offrande d’une collection de prémices cultivées

séparément et réunies pour l’occasion correspond aux transformations économiques et

sociales à l’œuvre sur le territoire depuis une trentaine d’années. Si la récolte est

suffisamment belle pour permettre une prestation correcte, chaque village la porte au

roi et à l’évêque qui reçoivent ainsi des dons de toute l’île. Les autres destinataires

(prêtres et religieuses, chefs de districts et membres du conseil royal) ne reçoivent

d’offrandes que des résidents de leur district. Chaque village présente aussi une

prestation à son chef et aux élus (conseillers territoriaux, député, sénateur…) résidant

là.

37 Tous ces destinataires sont classés comme des « anciens » (mātu’a) représentant les

niveaux imbriqués de la société : pays, districts/paroisses, villages. L’étude du cycle

rituel (Chave-Dartoen, 2000) montre que le « pays », la « société » fenua, est compris

comme une totalité dont Dieu règle le destin et dont le roi forme la clef de voûte.

L’ensemble des anciens, et particulièrement les membres de la chefferie, sont conçus

comme « travaillant » (gaue) à la prospérité et au bien de tous. Le terme gaue, qui

signifie « travail », désigne avant toute chose le travail agricole des hommes. Ce terme

toutefois n’est pas utilisé pour le roi. Tismas Heafala (1989 : 44) précise qu’il serait à la

fois irrespectueux et linguistiquement incorrect de lui appliquer le terme gaue. En effet,

seul le mot ta’ata’a peut désigner son activité. Or, ce mot désigne également le « sang »

dans le niveau de langue réservé à l’évocation du roi et du Christ – en référence à toute

autre personne, « sang » se dit toto. Il apparaît ainsi qu’en ce qui concerne les récoltes

annuelles, la responsabilité du roi diffère fondamentalement de celle des autres

anciens, non en nature, mais en degré.

38 Pour assurer la prospérité des jardins et de leurs dépendants, les anciens « travaillent »

(gaue), chacun à son niveau, en relation à Dieu. Ce travail, qui associe soin des jardins,

rigueur morale et élévation spirituelle, appelle en retour la bénédiction divine (manu’ia)

sur chaque ancien et ses dépendants. Les prémices offertes à un ancien soulignent, avec

sa position et ses responsabilités, les qualités personnelles qui attirent sur lui une

« faveur divine » (manui’a) dont il fait bénéficier tous ses dépendants. Ce faisant,

l’oblation des prémices exprime la reconnaissance et la gratitude (fakamalo)de la

population pour les bienfaits passés, consolidant la renommée et le statut personnel

qui, pour chaque ancien, viennent conforter son principe « âme » laumālie. Cependant,

ces prestations sollicitent surtout, avec la mansuétude (fakalelei) de chaque

destinataire, son « intercession » (hufaki mai) auprès de Dieu. Dieu reste donc, comme

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autrefois les déités, le destinataire ultime de prestations présentées dans un but

propitiatoire.

39 Le roi, en position d’ancien absolu, constitue au sommet de l’organisation sociale la

référence sur laquelle se règle, avec l’enchâssement des responsabilités, la gradation du

rang et des statuts. Il assure la fertilité selon le même principe, mais à un autre niveau

de responsabilités (ta’ata’a) : de la qualité de sa relation à Dieu dépendent son

gouvernement éclairé, la prévention des désordres et des conflits, l’absence

d’épidémies, de sécheresses et de cyclones. Cette médiation bénéfique porte le nom

spécifique de tapu’akina. C’est donc en premier lieu au roi, qui garantit les conditions

sociocosmiques de la prospérité générale, que sont destinées les vraies têtes d’ignames

de la toute première récolte.

40 Les récoltes d’ignames sont ainsi considérées comme une manifestation des relations

bénéfiques entre le pays – aux premiers rangs duquel les horticulteurs et les anciens –

le roi et Dieu. L’ordre donné à la présentation des prémices exprime, par cette

reconnaissance générale et graduée, les différents niveaux de responsabilité et

l’articulation des relations qui les organisent. Les prestations fournies pour le fai’ofa

soulignent la réciprocité, sans cesse affirmée et renouvelée, des relations qui font vivre

et prospérer la société, le « pays » fenua : réciprocité interne à la société suivant les

responsabilités respectives et emboîtés des anciens ; réciprocité entre la société que

forment tous ensemble population des fidèles, anciens, roi à leur tête30 et Dieu.

41 Initiant et clôturant les activités agricoles de l’année, la « toute première récolte » (ta’u

mu’amu’a) est essentielle dans l’organisation du cycle des cultures. Son importance

réside toutefois essentiellement dans le caractère particulier de ses semences, faites de

« têtes d’ignames ». En naîtront les ignames qui, destinées aux anciens de la

communauté et à Dieu, manifesteront l’achèvement et la puissance de ces derniers pour

en renouveler les bienfaits. La temporalité de cette première récolte fait coïncider

calendrier rituel, cycle de la végétation et cycle de la vie sociale. La présentation

formelle des ignames, en particulier lors des prestations de prémices, manifeste alors

les aspirations de la société qui, face à Dieu, régule, manifeste et conforte son ordre

interne et la gradation des statuts personnels, soulignant dans sa cyclicité annuelle,

générationnelle et dans son renouvellement permanent, l’importance de l’ancienneté

relative qui règle l’alternance de la vie et de la mort, du déclin et du renouveau tout en

assurant la pérennité de la société et de son organisation.

Hommes et ignames : un même système de relations

42 À la différence des Occidentaux, les Wallisiens ne se définissent pas comme des êtres

faits de substances, mais comme des êtres constitués de relations (Chave-Dartoen 2000).

Ces relations, de différentes sortes, établissent le statut, les diverses formes

d’attachement, l’apparence et le souffle même de la vie31. En partie transmises par les

ancêtres et les parents, elles sont sans cesse redéfinies dans les interactions avec le

monde social et les entités du cosmos qui président à la destinée, particulièrement lors

des cérémonies et des passages du cycle de vie. La constitution des hommes et des

femmes relève donc de considérations sociologiques, non pas biologiques : ils

s’insèrent, tout au long de leur vie et au-delà de la mort, dans un réseau dense de

relations qui, seul, les définit et leur donne une existence. J’ai pu mettre en évidence

que les rites de passage prennent en charge trois principes différents et

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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complémentaires : le « corps » sino, le « sang » toto et l’« âme » laumālie (Chave-

Dartoen, 2000). Les deux premiers correspondent à des composantes physiquement

manifestes, mais renvoient simultanément à des relations constitutives sans lesquelles

la personne ne saurait trouver de place dans la société. Le principe « corps »

correspond à la forme sensible que prennent les différentes entités du monde. Pour les

vivants, le corps est conformé de l’intérieur par l’alimentation paternelle, de l’extérieur

par le vêtement et les cosmétiques procurés par la mère32. Le principe « sang » s’élabore

et se perpétue en relation aux terres héritées des ancêtres, à la terre natale en

particulier. Ces relations passent par la mère et le côté maternel de la parenté. Le

principe « âme » (laumālie) existait avant que la foi catholique ne lui donne une

signification particulière. Il désigne une relation étendue (lau)et continue (mālie)à des

ancêtres dont les plus prestigieux étaient autrefois déifiés et auxquels se raccrochaient

les descendants, particulièrement les aînés masculins qui leur succédaient en position

d’ancien dans la tâche de diriger la communauté. Ce principe, en s’appuyant sur les

relations généalogiques les plus prestigieuses, renvoyait également à des relations

étendues dans l’espace. Dépendants et alliés dispersés dans l’île, reconnaissant la

position et le statut des anciens33, établissaient leur renommée. Or, statut social (hérité

des paternels) et principe « âme » étaient autrefois liés. Inexistante ou insignifiante

pour les « gens du commun » (tu’a), l’« âme » laumālie distinguait, par les relations

valorisées qui la constituaient, les membres de l’ordre social supérieur (’aliki) : ces

relations, constitutives du principe « âme », ordonnaient les hommes en une gradation

de statut et de rang suivant l’aptitude qu’ils montraient à succéder à leurs aînés dans la

direction et la représentation de leurs dépendants.

43 L’étude des prémices fai’ofa montre que les différences de statut et de rang, quoique

aujourd’hui atténuées, restent importantes et distinguent entre eux les hommes en

charge de responsabilités. Ces distinctions basées sur les critères d’ascendance

(principalement d’ascendance paternelle), de relation aux ancêtres, de capacité

personnelle s’appuient sur l’aînesse et l’ancienneté relative (j’y reviendrai). Elles

correspondent toujours à un principe « âme » laumālie, mais christianisé en ce que la

relation à Dieu prime désormais sur tout autre aspect. Si les références ancestrales

fondent toujours la gradation des statuts, l’âme trouve de nos jours, pour chaque fidèle

(homme et femme), son origine et sa référence ultime en Dieu. Je voudrais maintenant

montrer comment s’établit le lien étroit qui, associant la circulation des ignames à ce

principe « âme », distingue les hommes des femmes et différencie les hommes entre

eux.

La tête en avant : antériorité des ignames et deshommes

44 L’opposition entre les semences ’ulu’i ’ufi et fakafale forme un contraste qui rejoint, sous

certains aspects, l’opposition dans les principes constitutifs qui définissent hommes et

femmes, non pas comme des catégories biologiques exclusives et absolues, mais comme

les éléments complémentaires d’une unité sociologique, le couple. Le couple est

socialement défini dans sa relation à la maisonnée qu’il occupe, à sa descendance

commune, et aux obligations cérémonielles que, de ce fait, il partage34.

45 La tête est généralement conçue comme l’« avant » mu’a et le « haut » ’ake de la

personne. Elle est en relation avec l’« âme » laumālie. Constituée d’un contenant osseux

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et sec, elle s’oppose au reste du corps qui apparaît comme un contenu (« masse de chair

sanglante », toto kakano) soutenu par une charpente osseuse. Tandis que la « tête » ’ulu

s’ouvre sur l’extérieur et présente par ses orifices ce que l’être offre au monde, le corps

est fermé sur un « intérieur » (loto) comprenant les viscères, les organes de la

reproduction et surtout le « siège de la vie » (ma’uli’aga). C’est là, dans le ventre

féminin, que le fœtus prend vie et se développe à partir du sang mêlé du père et de la

mère. L’« intérieur » (loto) d’une femme, épouse et mère, reste dans une relation étroite

avec la « maison » (fale) et la terre natales qu’autrefois elle quittait fort peu35. Cette

relation passe par le sang (menstrues, défloration, couches, inhumation) qui va

rejoindre dans la terre celui des ancêtres. Ainsi, pour une femme, les relations « de

sang » établies dans la maison priment au regard de ce qui se passe pour son conjoint

qui, lui, est sans relation directe avec la terre de résidence.

46 La « maison » fale, conçue comme fraîche et humide, fait partie de la terre dans laquelle

on l’installe (on l’« enterre » tanu) et les semenceaux fakafale lui sont associés du fait de

leur lente germination sous la toiture. Les ignames qui en résultent (fakafale) et dont le

corps se développe dans la maison avant de rejoindre la terre, sont comparables au

fœtus, en relation (« de sang ») avec le double réceptacle de l’utérus et de la terre

maternelle. Ce parallèle entre le corps des ignames et les enfants nés des femmes de la

maison paraîtra mieux fondé encore si l’on ouvre maintenant la comparaison aux têtes

d’ignames. Pour ces dernières, en effet, les relations déterminantes diffèrent

nettement.

47 Si le corps, charnu, humide et sanglant36 correspond à des relations maternelles, la tête

et la tige lianescente de la plante correspondent à la conception locale des relations

masculines et paternelles. En contraste avec le corps du tubercule, s’enfonçant dans la

terre ameublie en quête d’humidité, la liane, issue d’une tête gardée au sec (les ’ulu’i’ufi

sont mises à germer dans du sable, et plantées sous un petit tas de sable qui draine

l’humidité) se développe vers le haut, la lumière et la chaleur. À ce développement vers

le haut, soutenu par des tuteurs et opéré par étapes successives font pendant, pour les

hommes, la nécessité de références généalogiques prestigieuses et la succession

d’ancêtres paternels vers lesquels on remonte pour déterminer le statut social. Ainsi, le

développement des ignames, et particulièrement de celles issues de têtes (’ulu’i’ufi

,paraît correspondre à celui, pour les hommes, des relations aux ancêtres prestigieux.

La correspondance entre les « têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi et le côté paternel de la

parenté ne s’arrête toutefois pas au déploiement aérien de la tige.

48 Chargé de relayer son père à la tête du groupe qu’il « dirige et représente » (pule), tout

homme est considéré, à un certain degré, comme un ancien. Or, à Wallis, les anciens

sont également des « têtes », comme le formulent explicitement les locutions ’ulu’i

mātu’a (« têtes des anciens » dirigeant la branche généalogique) et ’uluaki (« premier-

né », « celui qui est à la tête, qui dirige sa fratrie »). À l’exercice de l’autorité (pule),

correspond l’idée d’antériorité temporelle et spatiale rendue par le verbe taki,

« diriger », la locution taki mu’a signifiant à la fois « marcher en tête, aller en éclaireur »

et « excellent, supérieur, prédominant » (Rensch, 1984). Les ignames les plus valorisées,

celles qui, issues des têtes (’ulu’i’ufi), donnent la première récolte, vont précisément à

ceux des anciens qui vont en tête, aux supérieurs (taki mu’a), le roi et l’évêque en

premier lieu. Il faut souligner à nouveau que l’antériorité temporelle et spatiale définit

à la fois les anciens dotés de responsabilités et les prémices de la récolte.

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49 Un autre point significatif est le renouvellement nécessaire des semences d’ignames

tous les trois ans pour que les récoltes ne dépérissent pas. Cet intervalle de trois

générations rappelle celui qui, chez les humains, se ferme et se réinitialise lorsque l’on

transmet à l’aîné des petits-enfants le nom du grand-père ou de la grand-mère

paternel(le) (un « ancêtre » kui). Cette alternance des générations dans les noms

ancestraux perpétue l’existence sociale des ancêtres et leur influence auprès de leurs

descendants tout autant qu’elle confère aux descendants ainsi distingués,

particulièrement aux hommes, le statut et l’autorité des ancêtres les ayant précédés

dans le nom. Pour les ignames comme pour les hommes, la succession de trois

générations apparaît donc comme nécessaire à la relance d’un cycle qui se boucle

préférentiellement entre l’aîné d’une fratrie et l’ancêtre paternel valorisé dont il hérite

du nom et de l’autorité (Chave-Dartoen, à paraître).

50 L’analyse peut être poussée si, considérant les trois « récoltes » ta’u de l’année comme à

la fois comparables (car de « même génération ») et différentes (car issues de jardins

différents), on les rapporte à l’ordre des enfants dans une fratrie. Une alternance règle

l’attribution des noms aux enfants d’un couple : les paternels donnent un nom à l’aîné,

les maternels au puîné, l’alternance s’étendant aux cadets. L’antériorité (mu’a) est

soulignée pour l’« aîné de la fratrie » (te mu’a, te ’uluaki) comme pour la « toute

première récolte » (ta’u mu’amu’a). Ils sont, de ce fait, supérieurs en statut, car en

relation étroite avec les anciens de la société, les ancêtres et Dieu qui en règlent le

destin. Le « deuxième [enfant] » (te lua) et la deuxième récolte (ta’u lahi) sont de statut

inférieur bien qu’ils soient valorisés, l’un pour la relation qu’il manifeste entre les deux

côtés de la parenté dont il renforce les liens en affirmant la complémentarité et la

solidarité cérémonielle (autrefois militaire), l’autre pour sa profusion et la participation

significative qu’elle rend possible lors des échanges cérémoniels impliquant ces deux

mêmes côtés. Enfin, les « autres [enfants] » (ae muli) et la troisième récolte (ta’u muli),

bien qu’inférieurs aux précédents, assurent et manifestent la prospérité d’une

maisonnée par les mariages et les naissances qu’ils promettent. Dans les deux cas ils

sont, pour une maisonnée, la garantie de sa pérennité dans la relance des échanges

cérémoniels dont elle est l’origine et le centre.

51 L’organisation des générations est donc comparable pour les ignames et pour les

humains. L’aînesse en est le premier aspect. Il distingue, à chaque génération, les

premiers-nés des hommes et des ignames comme des anciens en relation aux ancêtres

qui, situés deux générations en amont, sont des anciens par excellence : « tête des

anciens » ’ulu’i mātu’a paternel pour les humains ; « vraie tête d’igname » ’ulu’i’ufi

totonu, pour les ignames. Au principe de l’aînesse vient s’ajouter la complémentarité de

cotés cérémoniels opposés. Elle fait correspondre position du puîné et deuxième

récolte : tandis que le puîné « revient » ma’u au côté maternel de sa parenté (il s’oppose

à son aîné en complétant les relations nécessaires à l’assise de son autorité), la « grande

récolte » (ta’u lahi)assure la mise en circulation de prestations où les deux côtés de la

parenté sont à la fois rivaux et solidaires. Enfin, le renouvellement et la prospérité de la

société sont assurés par « la suite » (te muli) des enfants comme des ignames qui,

circulant en grand nombre à partir des maisonnées prospères, renforcent le statut du

groupe social et les relations fondamentales de la société que l’aînesse et la

complémentarité cérémonielle mettent en place à différents niveaux.

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Les ignames, fils des hommes

52 Il convient enfin de préciser la relation, esquissée plus haut, entre les hommes et des

récoltes issues d’un travail génésique particulier afin d’en pousser l’analyse. Lorsque les

hommes usent de leur pieu pour planter les ignames, ils accomplissent un acte proche

de l’acte sexuel (gaue’ifo). Ouvrant la terre, ils déposent une semence faite de chair et

d’un petit germe comme, ouvrant un passage dans le ventre de leur partenaire (on dit

d’une vierge qu’elle « n’est pas encore ouverte » heki avahi), ils y déposent, avec le

sperme, une promesse de principe « âme » et du « sang » toto – il ne s’agit alors pas de

cellules sanguines, mais d’une relation de filiation du type appelé « sang » (toto). Le

tubercule se développe ensuite dans la terre comme le bébé se développe dans le ventre

de sa mère. Enterré peu profondément et recouvert d’un peu de sable, il est aussi

comparable aux vivants « enterrés » (tanu) dans leur « maisons » fale et aux « morts »

mate inhumés dans leurs sépultures.En vieillissant, la plante prend du « corps » sino

sous terre et s’élève en surface le long des tuteurs. Après une gestation de plusieurs

mois au cours desquels la terre prend en charge la croissance de la plante, tandis que

les hommes s’appliquent à dégager les tiges des mauvaises herbes et à les fixer sur les

tuteurs, la maturité est atteinte. La partie visible de la plante forme alors une colonne

de lianes intriquées vaguement anthropomorphe en ce que, dressée sur plusieurs

mètres, elle se termine par une masse suggérant une tête. L’offrande des prémices

assure la levée de l’interdit (puhi, « trouer, percer ») permettant la récolte. Cette

dernière est glosée comme une « ouverture » (avahi) qui renvoie à l’ouverture

permettant la naissance du bébé. Les prémices (des « têtes » ’ulu) sortent de terre

comme la tête du nourrisson en train de naître.

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Photo 3. – Les plants d’ignames forment, avant que leur végétation ne dégénère, de hautessilhouettes anthropomorphes dont la tête se dresse au dessus des autres cultures

(cliché de l’auteur, janvier 2008)

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Photo 4. – Plants d’ignames en cours de croissance. Les tuteurs sont disposés en faisceaux aupied desquels les tiges s’élèvent du sol soigneusement ameubli

(cliché de l’auteur, janvier 2008)

53 Rappelons que, pour la récolte, chaque tubercule est tiré de terre avec précautions. Le

sabre d’abattis, glissé le long de la racine, détache les radicelles comme on coupe le

cordon ombilical pour séparer définitivement le nourrisson de la parturiente. Le

tubercule est alors doté, comme le bébé, d’une peau fine et blanche (kili mulamula),d’un

corps et d’une tête. Les tiges qui s’en sont progressivement élevées pour s’épanouir

hors de terre ont séché et disparu. Si l’on pousse le parallèle entre le développement de

la personne humaine et celui des ignames, le tubercule sortant de terre pour entrer

dans la société des hommes paraît toutefois gagner une forme de complétude qui exclut

tout principe d’origine maternelle. Il ressort alors d’un niveau d’existence supérieur,

très masculin, conditionné par ses qualités propres (taille, peau, parfum…), son

ascendance (’ulu’i’ufi, fakafale, type de récolte) et sa circulation au sein de la société.

Désormais le critère de l’antériorité relative distingue les igames entre elles comme il

détermine les anciens à destination de qui elles sont réservées, définissant ce qui

s’apparente pour l’igname à un principe « âme » comparable à celui des hommes qui les

cultivent et les font circuler. Associant dans une même logique contraintes biologiques

et considérations sociologiques, on voit ici comment la valorisation de l’antériorité

ignore le déterminisme de la nature : ici, le cycle végétatif des ignames et le bon ordre

du monde sont des principes proprement sociaux, la société formant la totalité

englobante à partir de laquelle l’ordre du cosmos peut être lu.

54 À la différence des enfants humains, les ignames n’ont toutefois pas de relations de

type « sang », essentiellement conférées par la mère et les ancêtres maternels. Leur

font également défaut le souffle qui assure aux nourrissons la pulsation de la « vie »

ma’uli. Les ignames, et particulièrement les « têtes d’ignames », sont ainsi comme des

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enfants, mais des enfants sans mère et sans souffle. Le vocabulaire en témoigne : les

tubercules convenables pour une prestation (principalement les ignames) doivent être

« développés, gros, volumineux » foha. Or ce mot désigne également un descendant

masculin en G+1 pour Ego masculin. En cultivant les ignames, les hommes conforment

ainsi dans la terre les « biens de valeur » (koloa) qui, constitutifs de leurs prestations

cérémonielles, sont à certains égards pour eux comparables, par les relations ainsi

établies et transmises, à leurs propres enfants masculins foha. Parmi ces tubercules,

cependant, les têtes d’ignames se distinguent particulièrement par la supériorité de

leur principe « âme » face à la dominance du principe « corps » des ignames fakafale et

des autres tubercules (aracées). Proches des anciens, elles sont, sous cet aspect,

équivalentes à des fils aînés. Cette différence explique la dévalorisation relative et la

place secondaire des autres ignames, des taros et des kape dans le circuit des échanges

cérémoniels.

55 Cette analyse montre que les caractéristiques distinctives des ignames obéissent à des

principes qui intéressent essentiellement les hommes. Hommes et ignames sont

comparables par les relations étendues (relations multiples à des ancêtres valorisés et

au « pays » fenua) qui les définissent, les constituent et que leur circulation instaure.

Comme les hommes aussi, les ignames, ordonnées en statut selon l’ordre de naissance

et l’ascendance, circulent entre des unités sociales. Ainsi, passant d’une terre à l’autre,

les semences d’ignames circulent, comme les hommes partent s’installer sur les terres

de leurs compagnes pour y développer une double descendance : les garçons, d’une

part, se dispersent au gré des mariages, les ignames, de l’autre (tubercules et semences)

se disséminent au gré des échanges.

Conclusion

56 L’analyse entreprise ici ne distingue pas aspects imaginaires et ceux, proprement

matériels et techniques, de l’horticulture à Wallis. Bien plus, elle montre que dans ce

cas précis, matériel et technique ne peuvent être pleinement saisis et compris sans la

référence permanente aux représentations collectives et aux relations sociales qui leur

donnent sens et en organisent, partiellement au moins, l’agencement. Les hommes de

Wallis obtiennent en effet dans leurs jardins, non pas des produits de consommation

dont la valeur réside dans la qualité ou la quantité, mais des « biens de valeur » (koloa)

dont la circulation contribue au renouvellement de la société et qui sont, à ce titre,

pleinement intégrés au monde social37. Les principes constitutifs de ces biens de valeur

correspondent à ceux socialement essentiels pour des hommes qui les cultivent. Par les

relations ainsi établies, les tubercules destinés à se disperser – surtout les « têtes

d’ignames » – sont, pour les hommes, comparables à des « fils » (foha) sans mère.

Obtenus directement de la terre, ils circulent, vivants (jamais cuits), dans les

cérémonies propitiatoires au premier rang desquelles figurent les remerciements de fin

d’année fai’ofa. Cultivés dans les jardins lointains et constamment renouvelés, formant

des prestations collectives valorisées, ils relèvent moins de la terre du jardin que de la

totalité du « pays » fenua. Ils forment ainsi les prestations dont le pays, la société fenua,

fait l’offrande en remerciement des bienfaits que la chefferie et les représentant

territoriaux – à un niveau local –, le roi hau à un niveau supérieur et englobant,

procurent à la population avec la bénédiction de Dieu.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

220

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NOTES

1. Cet article reprend, de façon très remaniée, un développement de ma thèse de doctorat

(Chave-Dartoen, 2000). Il résulte d’une recherche de terrain à Wallis, seize mois entre 1992 à 1994

et trois mois en 2007. Je remercie les personnes et les institutions ayant permis ce terrain

(Fondation de la Maison des sciences de l’homme, GDR CNRS 748 et allocation « Jeune chercheur »

de l’École des hautes études en sciences sociales pour le premier séjour, Équipe d’accueil 2963 et

BQR de l’Université Bordeaux 2 pour le second). Je trouve ici l’occasion de remercier les villageois

de ’Utufua et de nourrir une pensée toute spéciale pour Pelesese Tokotu’u, Aliki Liufau et Setino

Siuli, tous trois décédés depuis cette enquête. Je leur dois les connaissances mobilisées ici. Merci

également à Paino Tau’ota pour son assistance sur place et à Claudine Friedberg pour sa lecture

attentive et ses judicieuses remarques.

2. « Partis du juridique et parvenus jusqu’au seuil des structures symboliques (et psychiques),

nous voilà hors du social » (Juillerat, 1986 : 174). Dans les articles qui suivront la monographie

(1986) et dans son dernier ouvrage (2001), les analyses de Bernard Juillerat soumettent

clairement certains phénomènes sociaux, tel le système rituel yafar, à des processus

psychologiques accessibles au moyen d’une lecture psychanalytique.

3. NDLR. – Pour plus d’informations sur Wallis-et-Futuna, voir le JSO 122-123 Spécial Wallis-et-Futuna

(H. Guiot et I. Leblic éds) paru en 2006 et intégralement en ligne sur jso.revues.org.

4. Les techniques agricoles et le calendrier agraire de Wallis ont été présentés par Patrick Vinton

Kirch (1978).

5. Les pratiques varient selon les ressources dont disposent les maisonnées et leur disponibilité

en force de travail. Dans certains cas, l’horticulture est un moyen de gagner un peu d’argent via

la commercialisation des fruits du travail, mais une telle activité est peu considérée et marginale

(Grijp, 2002).

6. Pour un inventaire plus détaillé des plantes cultivées, on peut se reporter à l’article de Jacques

Barrau (1963).

7. Les variétés recensées sont : magasiva ; talo fisi « taro de Fidji » ; talo’uli « taro noir » ; manu’a

« taro de Manu’a » ; talo vale « taro fou » ; talo sika « taro pointe de lancette », probablement tous

Colocasia esculenta ; maga’uli, qui a disparu (pour un inventaire plus complet voir Chave-Dartoen,

2000 : 110 note 70 et Barrau, 1963 : 164).

8. Il existe plusieurs variétés de Musacées caractérisées par la qualité de leurs fruits (selon

Barrau [1963 : 165], toutes sont des Eumusa).

9. Il existe plusieurs variétés de ces Moracées. Elles se distinguent par la forme des feuilles et la

qualité des fruits.

10. « E ke taupau ai pe, e alu o puli ! » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien).

11. Jacques Barrau (1963 : 165) ne parle pas de catégorie englobante (’ufi)et distingue : 1- ignames

sauvages : hoi (Dioscorea bulbifera) et lena (Dioscorea pentaphylla L.) ; 2- ignames cultivées : ’ufi,

(Dioscorea alata L. dont il recense vingt-deux variétés) et 3- ’ufi lei (Dioscorea esculenta Burk). Une

espèce (Dioscorea nummularia Lamk.) recoupe les deux premières catégories : sa variété cultivée

est appelée ’ufi fiti, ses deux variétés sauvages sont appelées palai et tu’akuku.

12. Dans son dictionnaire, Karl Rench (1984), répertorie à l’entrée « ’ufi » quarante-trois sortes

d’ignames dont vakasoa, voli, vegi, poa, niumea, heketala, tu, salomone, fisi, kula, la’usi, lena, palai,

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kahokaho, palepale, tu’akuku, laumahi, kaumaile... Les ignames de cet inventaire sont données

comme Dioscorea alata.

13. Nous passâmes trente-trois « sortes d’ignames » en revue avec Pelesese Tokotu’u lors d’un

long entretien mené avec P. Tau’ota. L’essentiel des informations de P.Tokotu’u citées ici me

furent données à cette occasion. ’Ufi Vegi peut être traduit par « igname de Vegi », ’ufi lausi

« ignames feuilles-de-cordyline », ’ufilei (« igname-dent-de-cachalot »), un travail de sémantique

reste à faire pour éclaircir les autres noms.

14. Les ’ufi vegi sont remarquables et qui très recherchées à Wallis. Elles ont été apportées au

début du XXe siècle par un Chinois nommé Vegi (information P. Tokotu’u). Elles sont présentées,

dans les prestations cérémonielles, avec les variétés considérées comme indigènes. Très

résistantes aux intempéries, elles « ne disparaissent jamais ». Le fait est notable car, selon P.

Tokotu’u, les ignames importées, pourtant très recherchées, s’adaptent mal et toutes finissent

par s’éteindre. Sont également d’importation récente, les hoi (Barrau donne les hoi pour une

espèce sauvage dont la cueillette est occasionnelle) appelées ’ufi mālie à Nouméa d’où elles sont

originaires, les ’ufi Niumea (« ignames de Nouméa »), les ’ufi manioka (igname-manioc ou ’ufi

kaletonia « ignames de Calédonie »). Les ’ufi kahokaho qui proviennent de Tonga (où des ignames

du même nom sont considérées comme supérieures à toutes les autres), et les ’ufi vakasoa (vakasoa

matapoko, vakasoa loloa)originaires de Futuna sont probablement d’importation plus ancienne.

15. L’espèce comprend les kautala, les lavilavi, les ’ufilei vai et les lavilavi kula. Jacques Barrau

(1963 : 165) mentionne aussi les Lotuma (« Rotuma »). De texture très tendre, les ’ufilei sont

gardées pour la consommation courante (on ne les présente que si elles atteignent une taille

exceptionnelle).

16. Autrefois, les ignames sauvages constituaient une ressource importante en temps de disette,

avec les tubercules appelées pulaka (Cyrtosperma chamissonis)et une plante appelée mahoa’a

(arrowroot, Tacca leontopetaloïdes [L.]). La riche végétation du district sud devait assurer des

ressources en noix de coco et en végétaux non cultivés dont ne bénéficiaient pas les

communautés installées au nord. Les variations pédologiques et botaniques de l’île peuvent

expliquer qu’au sud on ne préparait pas (ou très peu) de puits à mahi, fosses tapissées de feuilles

où étaient conservés, pour assurer les soudures, des fruits de l’arbre à pain ou certaines bananes

fermentés.

17. Si les ignames palai et tu’a kuku ne figurent pas crues dans les prestations, elles y figurent

sous forme de pâte d’igname cuite à l’étouffée avec du lait de coco (lū) que la population du

district de Mu’a prépare à l’occasion de la fête paroissiale de la Saint-Joseph, le 1er mai. Ce jour-là,

ces préparations, qui complètent des paniers de vivres cuits au four, sont distribuées aux

membres de la chefferie et du clergé ainsi que chez les parents et les amis dispersés dans l’île.

18. Le terme pula signifie en wallisien « bouillir, bouillonner, pétiller, éblouir » (Rensch, 1984), le

redoublement du lexème signifiant une atténuation. Si pulapula désigne une semence, une graine,

sa signification revient plus particulièrement à l’apparence de légère effervescence qu’implique

une germination.

19. Il existe une technique appelée tei’ulu. Elle vise à prélever un tubercule dans le jardin en

replantant immédiatement la tête (P. Tokotu’u, extrait d’entretien).

20. La durée de la jachère dépend des terres disponibles pour la rotation. Une jachère ancienne

couverte d’arbres est appelée « brousse boisée » vao ’akau’i, mais il existe des étapes

intermédiaires qui dépendent en partie de la nature du sol. Citons le mooku, une « brousse

blanche » (e kau hina), herbeuse et le saulagi qui est « rouge » (e kau kula).

21. Des engrais chimiques sont désormais employés par ceux des cultivateurs qui en ont les

moyens financiers. De telles pratiques, toutefois marginales, complètent la rotation des jachères,

mais ne s’y substituent pas.

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22. « Ko te ma’uhiga o te ’ufi, ko te me’a taki gaue ! E kapau mole iai hau ’ufi, mole ke alu gaue ! […] Hē e

ke gaue au ’ufi, aumai tuku i fale, homo pea e ke alu o gaohi hau gaue ! Pea kā mole hau ’ufi […] nofonofo

noa pe ko he ta’u noa. » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien).

23. Bien que calendrier et pratiques diffèrent sous différents aspects, un parallèle peut être fait

avec le cycle agricole et rituel kanak (Leblic, 2002 : 118-119). Mentionnons que les ignames

destinées aux cérémonies des prémices sont plantées avant toutes les autres en Nouvelle-

Calédonie et sont appelées « ignames vraies-ignames », dénomination proche de celle de leurs

homologues wallisiennes, « vraies têtes d’ignames » (cf. infra).

24. Sans m’en préciser la raison, P. Tokotu’u indiqua que les ignames vakasoa et lautolu sont

particulièrement cultivées pour cette récolte. Il ne m’a pas dit quelles espèces convenaient aux

autres récoltes bien que la première doive comprendre les ignames qui, considérées comme

originaires de Wallis, conviennent mieux que toutes autres aux prestations de début d’année

(fai’ofa) : ’ufi poa, ’ufi laumahi, ’ufi voli, et encore ’ufi lausi, et kaumaile. On peut les accompagner de

bananes hopa et d’ignames vegi.

25. Cette date correspond également à celle de l’oblation des prémices d’ignames ( inasi) qu’à

Tonga la population présentait autrefois au chef suprême (Douaire-Marsaudon, 1998).

26. Présentation de raies et de requins, puis les prémices des fruits de l’arbre à pain à

Fakavelikele, la déité tutélaire du roi Niuliki ; distributions générales de nourriture, de kava et de

porcs ; repas de féculents fermentés (masi) en l’honneur des déités responsables des cyclones ;

festivals de danse et subincision du pénis des garçons.

27. « Pea ko ia e fakamu’amu’a ai e ’Uvea nei te magisi... […] Ko te ’uluaki magisi aia e ’uluaki, te ’ufi. »

(Aliki Liufau, extrait d’entretien).

28. « […] ko tau uluaki gaue e utu mai ko tana kakano o kai […] » (Pelesese Tokotu’u, extrait

d’entretien).

29. Voir également Joseph Henquel (ms, circa 1910). Ces faits confortent la comparaison avec le

calendrier rituel futunien reconstitué par Kirch (cf. supra).

30. Mis à part quelques cas de conversions récentes ou de retour d’expatriés convertis outre-mer

(Témoins de Jéhovah, Viens et vois…), la plupart des insulaires sont catholiques romains

pratiquants.

31. Une comparaison intéressante peut être faite, à ce sujet, entre les conceptions occidentales,

wallisiennes et abelam (région de Maprik en Papouasie Nouvelle-Guinée) de la constitution des

personnes. Dans ce dernier cas (Coupaye, 2009), une composante de la personne, très directement

impliquée dans la croissance des grandes ignames cérémonielles, est clairement substantielle (le

jëwaai, alternativement sang, odeur et chair), tandis qu’une autre, telles le yakët, est une qualité

du corps reposant sur des principes plus proprement relationnels.

32. La sépulture constitue un corps pour les morts, le « reposoir » vakafaka’aga, un pour les

anciennes déités.

33. Faute de ces marques de reconnaissance, le statut des anciens déclinait au profit de ceux

capables de renforcer, avec leur propre renom, celui de leurs descendants. Les usurpations par

destitution ou assassinat sont fréquentes dans les traditions orales.

34. Les sociétés de Polynésie occidentale forment un cas d’école dans le domaine de l’étude du

genre (« sexe socialement défini »). L’opposition de sexe y prend en effet deux formes exclusives :

l’une, homme/femme correspond à notre opposition masculin/féminin sans toutefois reposer sur

les fonctions biologiques (la reproduction n’est pas comprise comme résultant nécessairement

d’une union sexuelle entre mâle et femelle) ; l’autre, entre collatéraux de sexe opposé, est pensée

de façon radicalement différente (Chave-Dartoen, 2000).

35. Le mode de vie change beaucoup depuis une trentaine d’années (démographie, règles de

résidence, salariat féminin…), les femmes devenant plus mobiles.

36. De nombreuses variétés d’igname ont une chair dite « rouge » kula, couleur du sang. Ce type

de parallélisme peut être poussé sur d’autres critères, tels le parfum et la peau.

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37. Pour une approche différente mais convergente de cette question, voir le remarquable

travail de Ludovic Coupaye (2009a et b) sur la culture des ignames chez les Abelam de Papouasie

Nouvelle-Guinée. Son approche associe analyse technique et étude des représentations,

notamment des logiques locales de l’action. Elle dégage, entre autres, le « potentiel sociogénique

» (sociogenic potential, 2009a : 96) que les investissements techniques, cognitifs et sociaux

(relationnels), confèrent aux artefacts en les amenant à l’existence sociale.

RÉSUMÉS

Cet article, qui présente le travail horticole et une partie des responsabilités rituelles des

hommes à Wallis (Polynésie occidentale), porte sur les ignames (mise en culture, classifications

indigènes, système rituel et circuits d’échange) et montre que ces tubercules participent d’un

vaste système de relations qui définissent tout être en référence à la société wallisienne dont le

« roi » scelle l’ensemble de l’organisation. Comparables à des enfants masculins que les hommes

obtiennent de leurs jardins, les ignames concourent, en circulant dans les échanges, à la

constitution différenciée des vivants, au renouvellement du monde et à la pérennisation de la

société.

This paper describes a part of the men’s responsibilities, both agricultural and ritual, in Wallis

Island, Western Polynesia. Yams are the main focus of this study including agricultural

techniques, indigenous classifications, ritual system and exchange pathways. It shows that yams

are involved in a large system of relationships that defines everything in relation with the society

itself. Comparable to sons that men would get from their gardens, these tuber partake, by

circulating in exchanges, in the differentiated constitution of living people, the world’s renewing

and the society’s everlastingness.

INDEX

Keywords : agricultural techniques, constitution of the person, ritual system, social

anthropology, Wallis (’Uvea), Western Polynesia, yams

Mots-clés : anthropologie sociale, composantes de la personne, igname, Polynésie occidentale,

système rituel, techniques horticoles, Wallis (’Uvea)

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Rejoua aurantiaca. Bernard Juilleratet la botaniqueChristian Coiffier

1 Tout chercheur en sciences sociales qui étudie une société rurale se doit d'avoir des

connaissances sur le monde végétal. On peut regretter que nombre d'ethnologues

n'aient pas jugé utile de réaliser des identifications scientifiques des végétaux (ou des

animaux) qu'ils évoquent dans leurs écrits. Ce qui ne permet pas d'utiliser leurs

travaux pour des recherches comparatives, l'essentiel étant de s'appuyer sur des

connaissances botaniques fiables pour comparer les mêmes espèces végétales. Le

rapprochement des usages de certaines plantes dans un ensemble de sociétés voisines,

situées dans des zones écologiques similaires, permet en effet de décrypter les

différences existant dans les diverses façons qu'ont ces sociétés d’organiser leur vision

du monde.

2 Bernard Juillerat avait bien compris cela et il trouva auprès de Jacques Barrau, du

Muséum national d'histoire naturelle, l'aide nécessaire pour acquérir les connaissances

botaniques qui lui manquaient. Sa bibliographie (cf. Leblic dans ce volume) montre

l'intérêt qu'il porta aux végétaux de Papouasie Nouvelle-Guinée à une certaine époque

de sa carrière lorsqu'il publia successivement, de 1982 à 1984, quatre articles dans le

Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée avant de réaliser, en 1986, son

fameux ouvrage Les enfants du sang : société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée.

J'eus l'occasion de lire cet ouvrage peu avant de partir « faire mon terrain » en

1987-1988, chez les Iatmul et les Sawos du Sépik-Est en Papouasie Nouvelle-Guinée,

deux sociétés qui vivent dans une région relativement proche de celle des Yafar. Le

présent article me donne l'occasion de m'acquitter d'une dette envers Bernard Juillerat

qui m'a ainsi encouragé à focaliser mes recherches sur certains végétaux qu'il avait lui-

même étudiés dans un contexte différent. Je fus donc à même de poser à mes

informateurs des questions plus pertinentes au sujet de diverses plantes productrices

de fruits orange (Rejoua aurantiaca) utilisés dans de nombreux rituels. C’est ainsi que j’ai

compris que leur valeur « symbolique » dépassait de beaucoup l'aspect esthétique que

de nombreux observateurs s'accordaient à leur reconnaître. La littérature

ethnographique sur le Sépik abonde d'histoires relatives à ces fruits ;

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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malheureusement, peu d'auteurs ont fourni des précisions sur leurs représentations

locales. À ma connaissance, Bernard Juillerat est le seul à avoir essayé de comprendre

de façon rigoureuse la perception profonde de ces fruits orange dans la mentalité de ses

informateurs yafar.

3 Malgré tout, il faut être prudent dans les comparaisons car l'observation d'un usage

similaire dans deux sociétés voisines n'implique pas forcément une même perception

de l'objet, ici les fruits de l'arbuste Rejoua aurantiaca. Après avoir présenté les divers

genres de fruits orange utilisés par les populations du Sépik, je m'attacherai à

rassembler, dans l'œuvre de Bernard Juillerat, les données éparses relatives à la

perception de ces fruits par ses informateurs. J'essaierai ensuite d’exposer leurs

représentations chez les Iatmul et les Sawos du Sépik oriental avant d'élargir mon

enquête aux sociétés voisines. Je conclurai cet hommage à Bernard Juillerat en

rassemblant diverses représentations de ces plantes communes à l'ensemble des

populations des deux provinces du Sépik.

Photo 1. – Rameau de Rejoua aurantiaca

(cliché de l’auteur)

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Photo 2. – Rameau de Ervatamiaorientalis

(cliché de l’auteur)

Photo 3. – Détails des fruits jumeaux de Rejoua aurantiaca : a) fruits vert ; b) fruits orange matures ;c) section longitudinale

(cliché de l’auteur)

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Description botanique des plantes rituelles à fruitsorange (région du Sépik)

4 Le Rejoua aurantiaca Gaud., famille des Apocynaceae, a été décrit pour la première fois

par Freycinet, en 1826. Le genre Rejoua est nommé Tabernaemontana par certains

botanistes. Selon ces derniers, il en existerait d’une à trois espèces décrites en

Papouasie Nouvelle-Guinée (van Royen, 1969 : 43-45). L'aire d'expansion de ce genre

s'étend de l'île de Ceram (à l'ouest) jusqu'au nord du Vanuatu (à l'est), en englobant

une partie de l'île de Nouvelle-Guinée. Il est également présent aux îles Salomon. Les

arbustes de Rejoua aurantiaca sont de taille moyenne. Ils donnent des fleurs blanches et

produisent en abondance, en janvier et septembre, des fruits indéhiscents qui se

détachent de leurs branches à maturité pour tomber sur le sol. Ils sont constitués, une

fois mûrs, d'une enveloppe à paroi externe rigide et lisse de couleur orangée vive avec

une paroi interne molle et duveteuse blanche. Les fruits de Rejoua ont la particularité de

passer par plusieurs couleurs au cours de leur développement : ils sont d’abord blanc-

vert, puis virent au jaune pour devenir orange vif (voire rouge) ; une fois tombés au sol,

ils deviennent noirs en pourrissant. Ces fruits contiennent en moyenne de dix à vingt

petites graines noires ou brunes, mais peu de pulpe. Se présentant toujours par paires à

l'extrémité des branches, ils ne sont pas comestibles (Cooper, 2004 : 54-55). Je

montrerai ultérieurement que cette particularité de regroupement par paires est

cruciale pour des peuples qui accordent une grande importance à la dualité. Les

chimistes ont trouvé dans l'écorce du Rejoua aurantiaca plusieurs alcaloïdes : iboluteïne,

vobtusine, voaluteïne et voacangine. On sait que la voacangine extraite d'une

Apocynaceae africaine a permis par hémisynthèse1 d'être utilisée positivement dans le

traitement de certains types de leucémie (Guise et al., 1965 : 927-31). Le Rejoua aurantiaca

a des propriétés antibactériennes et particulièrement antivirales contre l'Herpes

simplex. Dans la région du Sépik, sa sève était appliquée sur les ulcères tropicaux ou les

mauvaises blessures pour en extraire le « mauvais sang ».

5 Un autre petit arbuste de sous-bois de moins de deux mètres de hauteur et croissant

sur les terrains calcaires, l'Ervatamia, appartient également à la famille des

Apocynaceae et produit des fruits orange utilisés pour certains rituels. L'aire de

diffusion de ce végétal est beaucoup plus vaste que celle du Rejoua. Elle s'étend de l'Asie

du Sud-Est jusqu'à la Polynésie. Les Ervatamia sont particulièrement abondants aux

Philippines, en Indonésie de l'Est, en Nouvelle-Guinée et sur la côte nord-est de

l'Australie. Il en existe quatre-vingt-dix espèces dans le monde dont au moins trois en

Papouasie Nouvelle-Guinée : Ervatamia eriophora, Ervatamia pubescens , Ervatamia

orientalis. Il faut ajouter l'espèce Ervatamia coronaria qui est cultivée pour ses qualités

ornementales. Le fruit de l'Ervatamia sp. n'est pas comestible et présente deux

méricarpes de couleur orangée ou jaune ressemblant à deux petites cornes opposées

(photos 2 et 3) (van Royen, 1969 : 24-27 ; Allorge, 1985). Les fruits déhiscents s'ouvrent

sur la zone de suture des carpelles et laissent apparaître six à huit graines brunes

entourées d'une pulpe rouge. Alors que les graines de Rejoua tombent sur le sol, celles

de l'Ervatamia sont disséminées soit par les fourmis, soit par les oiseaux. Les tiges

brisées de tous ces arbustes laissent suinter un latex blanchâtre. Ces végétaux donnent

des fleurs blanches en janvier et septembre, puis fructifient en mars et novembre. Dans

le contexte du présent article, un autre arbuste présente un intérêt pour la forme et la

couleur de ses fruits, le Voacanda papuana. Il en existe deux espèces en Nouvelle-Guinée

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(Cooper, 2004 : 56) dont les fruits n'acquièrent jamais l'intensité de la couleur orange

des fruits de Rejoua aurantiaca (van Royen, 1969 : 28-30, 47-48).

6 Il est étonnant de ne pas trouver trace de ces végétaux éminemment rituels dans le

chapitre « Ethnobotany », écrit par J. M. Powell, dans l'ouvrage New Guinea Vegetation

(Paijmans, 1976). L'explication vraisemblable est le manque relatif, dans cet ouvrage, de

documentation sur les régions des Basses Terres par rapport à la masse des références

concernant les Hautes Terres. Dans le monde asiatique bouddhiste confucianiste, les

fleurs blanches d'Ervatamia sont utilisées en association avec les fleurs de frangipanier

(Plumaria sp.) comme offrandes sur les autels. Le frangipanier appartient également à la

famille des Apocynaceae. Ces fleurs représentent un symbole de pureté qui accompagne

les offrandes alimentaires aux ancêtres.

Le fruit de Rejoua aurantiaca chez les Yafar du Sépikoccidental

7 Dans les représentations de nombreux peuples de Mélanésie, le processus de

mûrissement de ces fruits se trouve perçu en relation analogique avec les diverses

phases de la vie humaine : de la naissance à l'adolescence et de la maturité à la mort.

Tous les peuples du Sépik admirent ces fruits et les utilisent dans leurs rituels. Les

références à l'arbre Rejoua aurantiaca apparaissent dans plusieurs ouvrages de Bernard

Juillerat. Celui-ci a très bien su trouver la place occupée par les fruits de ce végétal dans

l'univers mental des Yafar du Sépik-Ouest. Selon lui, les différentes couleurs associées

aux diverses phases du mûrissement des fruits de Rejoua sont perçues comme une

permanente « métaphorisation » de l'homme par le végétal. Celle-ci représenterait les

transformations de la personnification du « moi » (sungwaag) au cours d'une vie

humaine. Les Yafar avaient une notion très importante, le hoofuk, qu'ils définissaient

d'une part comme l'intérieur de la matière molle et putrescible comme la moelle des

palmiers ou la chair des ignames et, d'autre part, comme un principe de fécondité

(Juillerat, 1986 : 241, 547). L'idée de mûrissement ou de maturation, qui est associée à

celle de caducité, est exprimée par le terme abuk qui a deux sens : la couleur rouge et le

fait d'être mûr. Être mûr, c'est être proche de la chute et du pourrissement donc de la

mort (Juillerat, 1986 : 241, 364, 547). Il devient vulnérable et suscite des agressions

diverses. Aussi les Yafar disent que le sungwaag d'une personne est boof abuk c'est-à-dire

« mûr » comme un fruit boof. Les Yafar opposent à l'arbre boof (Rejoua aurantiaca)

l'arbuste gungwan (Antiaropsis sp.) dont les fruits ne tombent pas et finissent par pourrir

sur pied (Juillerat, 1991 : 215).

« L'état intermédiaire entre la fermeté du fruit vert ou du moi “noir” et leurmaturité complète est désigné par le terme heweheg “à demi-mûr”. » (Juillerat,1986 : 364)

8 De même, on dira que le sungwaag d'une personne contaminée par une maladie est

heweheg. Si aucun rite ne peut arriver à améliorer sa situation, elle se dégradera peu à

peu vers un état de boof abuk et évoluera vers la mort.

« Il en va de même pour le gibier que l'on rend magiquement abuk afin qu'il tombesous les traits du chasseur. » (Juillerat, 1986 : 364)

9 Pour les Yafar, la vision de la mort est duelle :

« Le monde se scinde en deux types d'entités : la première est le fantôme (ifaaf) quin'est que le double ou le moi (sungwaag) de la personne transformée par la mort, la

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seconde est l'esprit du mort proprement dit (nabasa), qui se présente sous deuxmodes, l'esprit du sang ou l'esprit des os du défunt. » (Juillerat, 1991 : 200)« L'autre mode d'identification mortifère est d'ordre spatial : le sungwaag nonseulement va “voir les nabasa”, mais tend parfois à descendre dans le monde plusprofond des morts qui est aussi celui, maternel, de la fertilité première, du hoofukou du “sang” primordiaux. L'association cosmologique de la mort et du pourri (ifaaf)avec le hoofuk originel prend un sens supplémentaire dans la médiation du sungwaagqui, contaminé, rapporte à son propriétaire une double promesse de mort et derenaissance. » (Juillerat, 1986 : 363-364)

10 Les fruits boof représentent donc pour les Yafar une image de la régénération des êtres

et des végétaux.

11 Lors des rites funéraires, le crâne et certains ossements du défunt étaient placés dans la

fourche d'un arbre, habituellement un Gnetum gnemon ( tulip en pidgin, masiy en

amanab) qui, en croissant, élevait ces reliques dans l'épaisseur de la végétation

forestière (Juillerat, 1986 : 401). Cet arbuste se trouve en général associé en Papouasie

Nouvelle-Guinée à la dualité à cause de la disposition opposée de ses feuilles. Lorsque le

défunt descend dans le monde souterrain par une longue route, il arrive devant une

bifurcation à peine visible avec un chemin qui remonte et l'autre qui descend à

l'intérieur de la terre. S'il choisit le second, il rencontrera à l'entrée du monde des

morts un arbre boof (Rejoua aurantiaca) dont les fruits représentent la maturité et la

caducité, préalables au pourrissement, mais prélude à la régénération. Auprès de cet

arbre se trouve le père terrible du monde souterrain, l'esprit de la mort, qui d'un coup

de bâton brisera son nez en le transformant ainsi en spectre (Juillerat, 1991 : 201 ; 1992 :

115).

« Le mûrissement du moi est ici l'effet immédiat recherché dans la sorcellerie nonlétale ; le principe identificatoire avec l'arbre aux fruits caduques entraîne la chutevers le monde souterrain, c'est-à-dire le retour incestueux à la mère génitrice. »(Juillerat, 1991 : 210)« La Mère mauvaise et fertile est d'ailleurs gardée par le “mauvais père” Wangohraqui a pour signe l'arbre boof aux fruits caducs. » (Juillerat, 1986 : 404)

12 Un mythe yafar indique que l'arbre boof aux fruits rouges aurait pour origine le sang

menstruel de la Grand-mère originelle (Juillerat, 1992: 115). Dans les cas de meurtre de

contre-sorcellerie, un rite avait lieu auprès de l'abri funéraire qui était décoré pour la

circonstance de pieux peints en rouge, de fruits boof associés à des feuilles rouges de

croton et à du jus de bétel (Juillerat, 1986: 401).

13 Les Yafar utilisent les fruits orange boof comme parures lors des cérémonies yangis qui

annoncent l'imminente naissance des « enfants du sang » (Juillerat, 1986 : 77, 364). Ils

en placent des guirlandes autour des masques ageli surmontés de feuilles de sagoutier

ou s'en servent de décoration corporelle (Juillerat, 1986 : 393; 1992: 28-29, 35).

« Les Yafar disent que les ornements rendaient la chasse plus fructueuse […] bienque la beauté, les peaux propres et frottées de graisse de porc […] soient déjà lacondition préalable de l'accès à l'abondance. » (Juillerat, 1986 : 393)

14 Les masques amof ou termites, avec la tête emballée dans une écorce jaunie au Curcuma,

portent des parures de feuillages et de fruits boof qui évoquent par leurs teintes le

mûrissement et la caducité. Cette interprétation est confirmée par un mythe décrivant

le héros culturel Wefroog faisant tomber les fruits boof de leur arbre et s'en servant

pour confectionner le personnage amof auquel il ordonne d'aller danser pour la

cérémonie yangis (Juillerat, 1995 : 61 ; 1992 : 51). Contrairement aux autres personnages

masqués, les masques termites dansent avec les femmes et les enfants. Selon l'exégèse

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des experts yafar, ils viennent annoncer l'imminente naissance des fils totémiques,

« mûrs » comme des fruits prêts à se détacher. La grosse tête ronde des hommes

masqués évoque le termite, mais aussi la tête d'un foetus (Juillerat, 1995 : 61). Les fruits

orange de Rejoua semblent donc perçus comme des marqueurs de l'évolution biologique

des hommes. La relation avec le fœtus est à rapprocher de celle du masque mbamba des

Abelam qui est associé au placenta et qui se présente toujours avec un collier de fruits

orange de Rejoua. De même chez les Iatmul, durant un rituel naven pour un homme

adopté par un clan différent du sien, un membre de sa famille biologique travesti en

femme danse avec un collier de fruits orange (Coiffier, 1994 : 246-247). Ce collier est la

marque de son attachement à ses ancêtres biologiques.

15 Les recherches d'Alfred Gell, qui a travaillé dans la société des Umeda voisine des Yafar,

viennent préciser le sens des représentations de ce fruit orange dans la région. Gell fait

remarquer (Gell, 1975: 314-315) l'homonymie entre subove, désignant le fruit de Rejoua

en langue umeda, avec l'adjectif subove utilisé dans la formation des termes de couleur :

vert, rouge, jaune, pourpre. De plus, le champ sémantique de la racine sub- est

révélateur du sens de la représentation de ce fruit dans cette société : sub désigne le

palmier limbum ; subul, un ver de terre ; subudagwa, un esprit souterrain de la croissance

et subof, le pigeon Goura (Goura victoria). L'étude botanique de différents végétaux

utilisés pour les masques des rites de fertilité permet de comprendre ces associations

sémantiques. Le palmier limbum est un élément central lié à l'esprit souterrain,

subudagwa, responsable de la croissance des plantes associé aussi par analogie au ver de

terre subul qui ne cesse de remuer le sol. La position des guirlandes de fruits orange sur

divers types de masques correspond à la place habituelle des fruits de palmier

(cocotier, aréquier, limbum) au sommet du stipe et sous les palmes (Gell, 1975 : 241).

Quant à la relation avec le pigeon Goura, il semble d'après Gell qu'il faille la trouver

dans une analogie avec la couleur pourpre des yeux de cet oiseau.

16 Les informations collectées par Gell chez les Umeda confirment donc la relation de ces

fruits orange avec l'esprit souterrain responsable de la croissance et de la régénération

évoquée par Juillerat chez les Yafar (Juillerat, 1986 : 404 ; 1991 : 201 ; 1992 : 115).

Les fruits orange chez les Iatmul et les Sawos duSépik oriental

17 Les Iatmul et les Sawos classent dans la catégorie des mbwandi différents genres et

espèces de végétaux à fruits orange qui présentent des formes très diverses dont

plusieurs sortes de Rejoua des Sawos. Littéralement, le mot mbwandi serait constitué du

mot mbwan qui désigne un esprit ancestral représenté sous la forme d'une pierre

dressée et de ndi, excréments. Ces pierres sont dressées sur des monticules (waak) situés

devant les pignons des grandes maisons cérémonielles. C'était sous ces monticules

qu'étaient enterrés jadis les restes des ennemis tués (Coiffier, 1994 : 1443-1467). La

prospérité d'un village était censée dépendre de ces mbwan. Selon Bateson, le mot

mbwan désignerait également, dans certains cas, l'esprit de l'ennemi tué qui était

parfois considéré comme un ancêtre parce qu’il contribuait à la prolifération de la

communauté. Dans le langage des chamans, l'expression pour la copulation est mbwan-

tou « dresser une pierre » (Bateson, 1971 : 151, 291).

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18 Les diverses variétés de fruits mbwandi sont distinguées par un terme spécifique selon

leur ressemblance analogique avec les noix de coco, des animaux aquatiques : canard,

anguille, serpent, poisson-chat, ou des éléments d'animaux : défense de porc, œuf de

tortue. Les fruits non mûrs de couleur verte sont appelés djepma mbwandi, ceux de

couleur orange aak mbwandi (ou kuu mbwandi)chez les Sawos et ceux de couleur noire

nguel mbwandi.

Tableau 1. – Les diverses variétés de mbwandi chez les Iatmul et les Sawos

tepma mbwandi de tepma, cocotier, Rejoua aurantiaca ; gros fruit rond de six centimètres de

diamètre

mboïkala mbwandi de mboï, porc et kala, défense, Ervatamia orientalis ;fruit allongé et recourbé

comme une défense de porc

ngusembande

mbwandi

de nguse, tortue et mbande, œuf, Rejoua aurantiaca ; petit fruit rond comme un

œuf de tortue de trois centimètres de diamètre

dewatupmui

mbwandi

de dewa, canard et tupmui, bec, Rejoua sp. ; fruit recourbé comme un bec de

canard

ango mbwandi de ango, petite anguille, Rejoua novoguineensis ; fruit en tortillon

kambaï mbwandi de kambaï, serpent, Rejoua novoguineensis ; fruit allongé comme un serpent

kami mbwandi de kami, poisson-chat, Rejoua longipedunculata ; tout petit fruit

wué mbwandi Voacanga papuana ; avec des gros fruits en forme de figue

kulagwa mbwandi* Capsicum frutescens ; petit piment rouge classé dans la catégorie des mbwandi par

les Iatmul et les Sawos

* Excepté le Capsicum frutescens, tous ces végétaux appartiennent à la famille des Apocynaceae.

19 Une espèce de palmier (Orania sp.) considérée par les Iatmul comme un cocotier sauvage

est appelée mbwandirepma tepma car ses fruits ressemblent à ceux du mbwandi (Rejoua

aurantiaca). Les arbustes tepma mbwandi et mboïkala mbwandi ont environ cinq mètres de

hauteur ; il en existe des formes sauvages et d'autres cultivées (Ervatamia coronaria). Les

arbustes mbwandi sont plantés généralement sur les tertres qui entourent la place d’un

village et parfois sur les waak devant les pignons des maisons cérémonielles.

20 Chacun des clans, chez les Iatmul comme chez les Sawos, peut utiliser certaines variétés

de ces fruits qui sont considérés comme des substituts des ennemis assassinés et parfois

d'ancêtres. Ces fruits sont choisis en fonction de leur forme pour de multiples usages.

Jadis, à l’époque des guerres intercommunautaires, la tête coupée d’un ennemi était

empalée sur un bambou et plantée sur le monticule waak à côté des mbwan et entourée

d’une petite clôture agrémentée de fruits mbwandi. La tête était alors censée danser.

Cette pratique se retrouvait dans la région de Maprik où des fruits de ban (Rejoua sp.)

orange étaient empalés avec un crâne sur un bambou placé auprès des pierres rituelles

de la maison des hommes (Aufenanger, 1972 : 283). Il existe manifestement une relation

analogique entre la caducité de ces fruits et la décapitation. Ces fruits, de toutes

variétés, étaient utilisés en grand nombre durant les cérémonies des secondes

funérailles appelées mindjangu. Les côtés de la plate-forme supportant le mannequin

avec le crâne surmodelé du défunt étaient « décorés » de guirlandes festonnées

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réalisées avec des fruits ovoïdes mbwandi verts, jaunes et rouges enfilés sur une éclisse

de rotin. Des fruits mbwandi étaient également enfilés sur de longues baguettes alors

que d'autres en forme de tortillons ango mbwandi et kambaï mbwandi étaient placés aux

extrémités d’un faisceau de bâtonnets au-dessus du crâne surmodelé. Le plastron placé

sur la poitrine du mannequin était aussi décoré de la sorte avec des fruits d’Ervatamia et

de Rejoua suivant une artistique composition. Le visage reconstitué du défunt était

agrémenté de fruits ronds de Rejoua aux deux extrémités de sa parure nasale en dents

de porc sauvage recourbées. Durant les autres rituels ces fruits se trouvent

fréquemment empalés à l’extrémité de la pointe d’une lance ou d'un flambeau tuaï. Les

Sawos s’en servent également pour « décorer » les panneaux mbowi sakué peints sur des

palmes de sagoutier. Chacun de ces fruits orange représente un ennemi tué pour la

prospérité de la communauté par un membre du clan propriétaire de l’objet ou de la

cérémonie. Certains prétendent que ces fruits seraient des représentations des crânes

de ces ennemis car la partie interne de leur enveloppe ressemble selon eux à la partie

interne d’une boîte crânienne. Cette vision des choses est associée dans la pensée

iatmul à l'idée de beauté. Il est indéniable que les couleurs lisses et brillantes de ces

fruits présentent une connotation esthétique qui participe à donner une impression

festive destinée à plaire tant aux esprits des eaux wagan qu'aux esprits sylvestres

wundjumbu équivalents des esprits nabasa des Yafar.

21 Jadis, lors des grandes cérémonies wagan mbangu, deux grands mannequins recouverts

de végétaux divers, dont de nombreux fruits orange mbwandi, personnifiaient les

esprits des eaux wagan (Bateson, 1971 : planche 17). Les cérémonies d’inauguration des

maisons familiales ou cérémonielles sont encore de nos jours l’occasion d’utiliser ces

fruits orange. Ils sont alors enfilés par paires symétriques sur les nervures d'une feuille

de sagoutier dont le rachis est placé dans la bouche du masque de pignon. Cette

« décoration » est appelée samambwandi chez les Sawosde Torembi et de Marap et ngeko

mbwandi chez les Iatmul de Kandingaï. Elle demeure en place après la fête jusqu’au

moment où les fruits perdent progressivement leur belle couleur pour devenir noirs et

desséchés. De nombreux poteaux de maison présentent des couronnes de mbwandi

sculptés dans le bois à différents niveaux. Ces fruits sont présents lors de toutes les

cérémonies importantes. On les retrouve ainsi associés aux sculptures de pignons

représentant des ancêtres et sur divers types de masques dont les mwaï. Les tabourets

d’orateur des maisons cérémonielles sont également agrémentés avec ces fruits pour

les jours de fête. En fait, chaque clan les utilise de façon différente. Lors de naven

importants, un oncle maternel wau travesti en femme peut se présenter avec une

guirlande (mogul mbwandi) de fruits orange ovoïdes (Rejoua aurantiaca) associée à une

houppe de plumes accrochée dans l'entre-jambes. Lorsque ce dernier danse, il met

celle-ci bien en évidence (Coiffier, 1994 : 793, 1369). Cette pratique est cependant

réservée aux membres de certains clans. Gregory Bateson (1971 : 27) décrit une scène

similaire durant laquelle un wau se placerait dans l’anus un fruit de mbwandi

représentant, dans ce cas, un « clitoris anal ». Aucun de mes informateurs ne m’a

confirmé cette histoire, mais il est possible que Bateson, qui n’avait pas vu cette scène,

l’ait interprétée à sa manière.

22 Les fruits de Rejoua sont fréquemment utilisés pour la divination. Dans un mythe

recueilli à Tambanum, un homme plonge pour aller se rendre compte de l'état du

crocodile qu'il vient de transpercer. Il dit à ses compagnons de pirogue qu'il laissera

remonter à la surface de l'eau un fruit orange si l'animal est mort ou un fruit vert si ce

dernier n'est que blessé2. Aufenanger (1972 : 357) relate une histoire similaire recueillie

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dans la région de Kaugia. Le clan Suaru possède une magie pour la pêche. Des feuilles de

gingembre et de curcuma sont enveloppées dans une spathe de palmier avec des fruits

de Rejoua enfilés sur les ligatures pour constituer un paquet magique qui est jeté dans

l'eau d'une rivière pour attirer les poissons et les chevrettes dans les chenaux et les

étangs (Coiffier, 1994 : 794-795). La variété ango mbwandi (litt. anguille-Rejoua) est

utilisée pour pêcher les petites anguilles. Comme pour les autres espèces, les fruits de

Rejoua novoguineensis sont groupés par paires à l’extrémité des rameaux, un fait qui est à

mettre en relation avec un mythe du clan Suaru qui évoque un couple d’anguilles

constitué de deux frères nommés Malikaman et Suatkaman qui seraient à l’origine du

fleuve Sépik. Ces fruits flottent très facilement, d’où l'utilisation actuelle du mot

mbwandi pour nommer les flotteurs en plastiques ou en liège des nouveaux filets de

pêche introduits dans la région durant les années 1960.

23 Le latex, très abondant, produit par les tiges de Rejoua aurantiaca est utilisé comme colle

et à des fins médicales. Le clan Suaru possède une technique particulière pour fabriquer

un poison à partir de ce latex. Les gens de langue Sanio en amont du fleuve utilisent

également ce latex pour empoisonner les poissons. Autrefois la sève de mbwandi était

utilisée pour réaliser les tatouages des femmes et elle était considérée comme

excellente pour soigner les ampoules des pieds. Elle pouvait également être diluée dans

de l'eau chaude pour être bue comme remède à certains maux de ventre. La dose de

sève diluée dépendait alors de l'âge du malade. Ces divers exemples montrent que

chaque genre ou espèce de fruits orange utilisés correspond à un usage particulier qui,

parfois, demeure la propriété de certains clans.

Perception des fruits orange, ailleurs, dans la régiondu Sépik

24 Les Abelam, qui vivent sur des collines situées entre la mer et le fleuve Sépik, font un

grand usage rituel des fruits orange mban ( Rejoua aurantiaca) qui ont diverses

représentations. Selon Forge (1971 : 305), ils sont les symboles des ennemis morts et

sont associés lors de certaines danses à des « décorations » faites de morceaux

d'efflorescences de palmier blanc et de feuilles rouges symbolisant les conquêtes

sexuelles de femmes étrangères par la communauté. Dans d'autres cas, ils servent à

compter les victimes revendiquées par un village (Forge, 1971 : 304). Ils peuvent

également représenter le nombre de porcs sacrifiés durant une cérémonie (Hauser-

Schäublin, communication personnelle). Lors des danses des masques mbamba, les

fruits mban en guirlandes autour de leur cou, sont associés à d'autres végétaux selon les

clans : feuilles de taro, feuilles de cordyline pliées en accordéon, frondes de fougère,

gaine blanche de feuilles de Crinum asiaticum ou hibiscus (Gardi, 1958 : 141, 143 ; Kirk,

1973 : 370-371). Dans les coiffures, les frondes de sélaginelles qui leur sont associées

sont signes d’homicide (Hauser-Schäublin, 1980 : 17.2 ; Losche, 1982). Avant la pose des

panneaux peints des grandes façades des maisons de culte, ils étaient associés à toutes

sortes de feuillages colorés : croton, cordyline, crinum posés sur le sol devant l'édifice

(Losche, 1982 : 59). Dans la région centre-nord Abelam, des fruits orange mban sont

placés dans un panier sur la poutre faîtière d'une nouvelle maison de culte ; ils

représentent les noix d'arec de l'esprit nggwalndu (Hauser-Schäublin, 1986 : 2). Ces

fruits verts et orange servent également lors des initiations et pour constituer de

grandes figures, nggumaïra, réalisées directement sur le sol (Hauser-Schäublin, 1989a :

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215, pl.VI ; 1989b : 146). Les fruits mban se retrouvent dans le rituel puti. Ils sont alors

posés sur le sol au milieu d'anneaux de coquillages-monnaies ou fichés à la pointe de

lances dont l'une est tenue par un mannequin anthropomorphe situé au centre de la

maison de culte. Les Abelam, comme leurs voisins de l'ouest, les Yangoru, décorent

leurs longues ignames masquées pour les présenter lors de grandioses cérémonies.

Deux rangées de fruits mban, associés à de petites plumes blanches de poulet, sont

fixées parallèlement à la longueur des tubercules.

25 Chez les Kwanga voisins, selon Schindlbeck (1985 : 384), lorsque la charpente d’une

maison de culte est terminée, un homme grimpe à une échelle de l'échafaudage avant

qu’elle soit recouverte de feuilles de palmier pour aller accrocher au sommet du faîtage

un filet de fruits orange d'Ervatamia3. Lorsque la première moitié de la toiture est

couverte, des hommes apportent un long bambou sur lequel sont accrochées des

plumes de casoar, des fleurs d'hibiscus, des feuilles « décoratives » diverses et des

feuilles de taro. D'autres hommes apportent une très longue javeline en bambou. Celle-

ci est destinée à tuer les cochons qui seront sacrifiés ultérieurement. Ensuite, d'autres

décorations sont encore apportées et accrochées sur le pignon de l'édifice, une longue

guirlande de fruits orange et des feuillages d'ornement. Un paquet décoré de plumes

blanches dans lequel se trouvent des substances magiques pour tuer les cochons est

également suspendu à côté du filet. Après une danse circulaire, les hommes se placent

en demi-cercle devant la nouvelle maison et le filet est vidé de ses fruits qui tombent

alors que les hommes essayent de les repousser vers l'intérieur de l'édifice. Dans ce cas,

les fruits représentent les cochons sauvages qui doivent être attrapés par les chasseurs.

Ils sont donc utilisés à des fins propitiatoires. De même, dans la région de Kaugia, les

fruits ban entrent dans les rites magiques pour la chasse au porc sauvage car ils sont en

relation avec les esprits wale (Aufenanger, 1972 : 343-344). Dans la région de Kunjingini,

les fruits ban de diverses couleurs sont considérés comme des objets de divination pour

prévoir le nombre d'enfants que peut espérer une femme (Aufenanger, 1972 : 414).

26 Les peuples vivant près du fleuve Sépik ont des représentations très similaires. Les

Manambu utilisent lors des rituels Nimbi les fruits mbandj (Rejoua aurantiaca), empalés

sur de courts bâtons pour représenter chacun un membre d’une généalogie (Harrison,

1982). Douglas Newton (1971 : 82) confirme que les Nukuma perçoivent ces fruits

analogiquement à des têtes humaines. Pour Ross Bowden (1983 : 159), les fruits bodii

sont perçus de la même façon par les Kwoma qui les utilisent pour l’agencement des

figures yena (Bowden 1983 : pl. 18) et les accrochent aux piliers centraux des nouvelles

maisons (Bowden, 1984 : 14). Ces fruits sont souvent représentés dans les peintures sur

infrabases de palmier sagoutier ou gravés sur les poteries de certains groupes

totémiques (Bowden, 2006 : 16-17, 21 et 76). Les Bahinemo les plaçaient sur les têtes

sculptées de leurs grands tambours à fente lors des cérémonies d'initiation (Newton,

1971 : 20). Les Ngaala accrochaient ces fruits sous le porche de leurs maisons

cérémonielles pour représenter les têtes humaines capturées durant les combats contre

d’autres villages (Newton, 1971 : 34).

27 Nicolas Garnier évoque les fruits orange de Voaconga papuana dénommés bossikanunk

(2007 : 300) qui sont utilisés chez les Chambri pour divers rituels. Ce fruit serait

également appelé parfois yangenpandi, un mot formé avec le nom de la plante yangen

(Ervatamia sp.) associé au suffixe pandi qui est employé pour désigner le rituel

d'initiation. L’auteur regrette de ne pas avoir obtenu plus d'informations lui

permettant de relier le terme pandi à la relation d'amitié pandi-pandi (Garnier, 2007 :

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177) plus ou moins équivalente à la relation tambinien-tambinien des Iatmul voisins. Je

pense que s'il avait observé plus attentivement un rameau de bossikanung, avec les

fruits orange groupés par paires, il aurait compris immédiatement cette relation. En

1986, j’ai eu l’occasion d’observer l’utilisation de ces bossikanung lors d’une cérémonie

destinée à accueillir l'évêque de Wewak à la mission de Chambri. Un des masques de

proue de la pirogue double amenant le religieux était entouré d’une guirlande de fruits

orange et le portique du débarcadère était surmonté d'une tête humaine en bois peint

décorée de longues guirlandes de bossikanung orange, jaunes et verts.

Conclusion

28 Les représentations de ce concept de maturation et de murissement associé à la couleur

d’un fruit ont vraisemblablement dépassé les frontières de la Papouasie Nouvelle-

Guinée puisqu’elles semblent avoir existé jusqu’au Vanuatu et en Nouvelle-Calédonie.

Dans sa description de la « décoration » du chemin menant à l'édifice du salagoro, lors

des rites très importants et secrets des tamate aux îles Banks, Codrington (1972 : 77)

évoque des fruits orange. Ces derniers, associés à des branches fleuries et à des frondes

de cycas, étaient considérés comme la nourriture des morts (Vienne, 1984 : 93). En

Nouvelle-Calédonie, un fruit similaire était connu pour sa faculté à exprimer le

processus vital d'assèchement inexorable de la naissance jusqu'à la mort. Le père

Lambert évoque ce fruit comme une orange :

« Tous sont occupés à jouer avec des oranges : on ne connaît la différence des âgesqu'à la couleur des fruits que l'on roule dans les doigts. Les premiers venus jouentavec des oranges sèches, ceux qui les ont suivis avec des oranges mûres et lesderniers venus avec des oranges vertes. » (Lambert, 1976 : 14)

29 Dans le mythe de Pijeva, il est question d'un fruit similaire :

« Ces dieux se lancent sans cesse une orange, d'espèce non comestible. Et celle-ciest verte, mûre ou desséchée, suivant qu'elle est lancée entre deux jeunes, adultesou vieillards. » (Leenhardt, 1976 : 114)

30 Pourquoi les peuples du Sépik ont-ils focalisé leur attention sur ces genres de végétaux

alors qu’ils disposaient dans leurs forêts de nombreuses autres espèces de plantes qui

produisent des fruits dont la couleur vire du vert à l’orangé-rouge ? Peut-être avons-

nous la réponse dans le fait que ces végétaux de la famille des Apocynacées ont en

commun d’avoir un exsudat laiteux, des fleurs blanches et des fruits orangés, lisses et

brillants, groupés par paires qui se détachent de leur support dès qu’ils ont atteint leur

maturité, ensemble de caractéristiques que ne possèdent pas d’autres végétaux à fruits

orange. Si les ethnologues Bateson, Schindlbeck, Garnier et Juillerat évoquent des fruits

de différents genres, il apparaît cependant que leurs données correspondent à un

même champ de représentations. Il est probable qu’il existait, avant la christianisation

des peuples du Sépik, une représentation plus ou moins générale de ces fruits orange

proche de celle décrite par Bernard Juillerat chez les Yafar.

31 L'arbre Rejoua aurantiaca serait donc en relation avec le monde chthonien. Dans leur

mythologie, les Yafar situent l'arbre Rejoua, issu du sang menstruel de la grand-mère

originelle, comme planté à la bifurcation de deux chemins : l'un remonte vers la forêt

au pays des esprits nabasa et l'autre conduit à l'entrée du monde des morts où les

fantômes iffaf se trouvent être les gardiens des plantes cultivées durant la période de

friche. C'est d'ailleurs grâce aux iffaf que les nouvelles pousses émergent de la bouture

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

237

pourrissante (Juillerat, 1991 : 200) et les données umeda recueillies par Gell s’accordent

tout à fait avec cette vision yafar. De leur côté, les Iatmul et les Sawos enterraient sous

les tertres et les monticules waak les corps de leurs ennemis tués. Leur pourrissement

était censé apporter la prospérité à la communauté tout entière. Ces fruits de Rejoua

étant associés aux pierres de fertilité chez les Abelam, il n'est pas étonnant qu'ils

servaient à la divination pour prévoir les naissances des enfants dans la région de

Kunjigini. Des mythes évoquent la pourriture de cadavres humains ou animaux comme

terreau d'origine de nombreux végétaux (Coiffier, 1994 : 1488-1490). Notons également

que les Yafar comme les Iatmul accordent une grande importance à la dualité, donc au

fait que tous ces fruits se présentent par paires sur leurs branches. Il n'est pas

surprenant qu'ils associent l'arbre Rejoua à deux voies distinctes dans la

déstructuration de la personne humaine lors de la mort. Il semble exister dans

l'ensemble des peuples du Sépik une relation analogique entre les fruits orange caducs,

le gibier et les ennemis tués.

32 Ces fruits ont une fonction proche de celle des « vanités », images du XVIIe siècle

européen représentant parfois des crânes. Leur maturation rappelle aux humains qu’ils

sont mortels et que leur corps est destiné à pourrir. Il est donc logique que ces fruits

soient maintenant couramment utilisés dans les décorations de cérémonies religieuses

chrétiennes. Mais, parfois, ces représentations se laïcisent puisque dans les écoles de

brousse, lors des cours de travaux manuels, les instituteurs font maintenant réaliser à

leurs élèves des objets divers à l’aide de fruits ronds de Rejoua assemblés avec des

baguettes. Bernard Juillerat eut l’opportunité d’étudier la société yafar avant sa

christianisation. Nous avons la chance qu'il ait pu nous transmettre les conceptions

eschatologiques d’un peuple dont la pensée n’avait pas encore été influencée par

l’idéologie chrétienne.

Je remercie tout particulièrement Lucille Allorge, attachée au Muséum national d'histoire

naturelle, pour les informations qu'elle m'a aimablement transmises au sujet de la famille des

Apocynaceae à laquelle appartiennent la majorité des végétaux cités dans ce texte.

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ANNEXES

Noms d’arbres à fruits orange de la famille des Apocynaceae dans quelques langues de

la région du Sépik

Nom d’ethnie ou de village Nom local du Rejoua sp. Groupe linguistique

Arapesh su'witip Arapesh

Abelam mban ou ban Ndu

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Biwat mawut Yuat

Dimiri opabu Mongol-langam

Chambri bossikanung Pondo

Iatmul mbwandi Ndu

Kapriman bolmeur Sepik-hill

Kwoma bodi Nukuma

Manambu mbandj Ndu

Ngaala mbaal Ndu

Umeda subove Waris

Wogamush mbigli Wogamusin

Yafar boof Amanab

Yangoru ban Ndu

Le phonème « b » est présent dans la majorité des noms désignant le Rejoua aurantiaca

(Coiffier, 1996 : 118, 120).

NOTES

1. NDLR. – En chimie, une hémisynthèse est la synthèse d'une molécule réalisée à partir de

composés naturels possédant déjà une partie de la molécule visée.

2. Lors de leurs expéditions guerrières, les Asmat de Papouasie occidentale plaçaient à l'avant

d’une pirogue un fruit orange non comestible. L'expédition se poursuivait tant que le fruit se

maintenait. Si le fruit tombait à l'eau c’était un mauvais présage.

3. Il paraît plus probable qu'il s'agisse de fruits de Rejoua aurantiaca.

RÉSUMÉS

Les sociétés du Sépik en Papouasie Nouvelle-Guinée utilisent pour leurs rituels des fruits qui ont

la particularité de changer de couleur durant leur maturation. Ils ont été souvent perçus comme

de simples décorations. Bernard Juillerat a essayé de comprendre ce qu'ils représentaient

vraiment pour la société yafar du Sépik occidental. Nous comparerons ses données aux nôtres

que nous avons recueillies chez les Iatmul et les Sawos du Sépik oriental.

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241

For their rituals Sepik societies in New-Guinea use fruits which characteristically change color

during their maturation. These fruits were often conceived as mere decorations. Bernard

Juillerat tried to unterstand what they really represented for the Yafar society of Western Sepik.

We will compare his data with ours which we collected with the Iatmul and Sawos Societies of

East Sepik.

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The mother and her ancestral face.A commentary on IatmuliconographyChristian Kaufmann

«In my preliminary account of the culture I

stated that while “the morphology of the social

system” is patrilineal, the “sentiment” of the

people is preponderantly matrilineal.» (Bateson,

1958[1936]: 234)

1 This paper is about objects and visual knowledge revealed by things in several

instances of Iatmul ceremonial context. Its aim is to reconstruct from the

ethnographical record knowledge partly lost – this in itself might be a problematic

approach, which, however, seems to me at least worth trying. In concentrating on non-

secret knowledge, this approach aims at respecting the intention of present-day

communities (or «collections») of initiated Iatmul men, to preserve these fragile

distinctions (Moutu, 2007: 102-105).

2 I shall start from an approach that Bernard Juillerat developed in the mid 1990s and

published in 1999. In a close reading of Gregory Bateson’s groundbreaking book on

naven ceremonies, he was able to develop a comprehensive view of his own findings

from the analysis of orientation to life in Yafar society (West Sepik, Papua New Guinea)

with more recent views of how Iatmul (East Sepik, Papua New Guinea) live their

orientation of life. Juillerat built on the study produced by Carlo Severi and Michael

Houseman (1994), who had systematically elaborated on naven from a conference held

in 1989 and had included further documentary evidence established by Milan Stanek

and Florence Weiss. Juillerat restudied notably further details contributed by F. Weiss

in conjunction with Fritz Morgenthaler, Marco Morgenthaler and Stanek as well as by

others. Bernard was also able to include references to Eric Silverman’s description and

analysis of relevant events and views form the easternmost Iatmul village of

Tambunum, unpublished yet at that time (Bateson, 1958 [1936]; Juillerat 1999,

Morgenthaler et al., 1984, 1987; Houseman and Severi, 1994, 1998; Moutu, n.d. [2006];

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Herle and Moutu, 2004; Silverman, 2001). Today, while Andrew Moutu has already

published elements of his groundbreaking new attempt at a close reading, based on

recent fieldwork, it seems fair to renew Bernard’s thrust and to follow up also, like

Moutu, on Marilyn Strathern’s lead idea on exchange relationships (Herle and Moutu,

2004; Moutu n.d. [2006]; Strathern, 1988, 2004;Weiss and Stanek, 2006). It is easy to see

why Moutu is critical both of Eric Silverman’s and of Bernard Juillerat’s interpretations

in as far as they seem to him as a Papua New Guinean anthropologist to rely too heavily

on a psychoanalytical perspective, rooted in European classificatory categories.

However, it seems to me, that Andrew Moutu is dismissing Juillerat’s approach too

quickly as should become evident in the following. I would like to focus in retrospect on

the extraordinary role which Iatmul people of the pre-2000 period conferred upon

material objects for marking gendered statements in some of their social relationships,

often in order to visually enhance an important aspect in the exchange of knowledge or

services emanating from very specific relationships between individuals.

Environmental context of gendered roles

3 The Sepik River area in general, and more specifically the parts along its middle and

lower course, offered environmental facilities that would allow women to develop

agency on a level unknown in New Guinea highland societies where subsistence is

based on reproductive horticulture cum pig raising. It were these latter societies that

became the stars in the Great man/Big man debate; as a consequence large bits of Sepik

ethnography, including Bernard Juillerat’s classical texts on the Yafar people, Les

enfants du sang and Œdipe chasseur, hardly penetrated into classroom anthropology; the

Yafar are living way off from the upper courses of the main river in yet a different

environment (Juillerat, 1986-19961).

4 On the Sepik River ox-bow lakes, earlier formed by the river but then detached from its

main course, provide an ideal set-up for varied and numerous populations of fish to be

developed, and further away from the river freshwater swamps are home to extended

stands of sago palms, a major source of starch that would be continually available. Both

fields developed into the domain of basic female activities like fishing and gathering

shrimps as well as scraping sago pith and then obtaining sago starch from the pith

through a washing process, providing thus the real base of living to the villages living

next to the river. Local specialization of those villages living closer to sago stands (and

claiming ownership on them) and those living closer to fishing grounds (and claiming

ownership over the latter) may even have lead, as in the area of the middle course of

the Sepik, to a firmly installed system of regular markets where fish from the river

were and still are being exchanged against cakes of sago flour. Women from the river

villages travel regularly and on their own initiative to the market spots. However, even

in those river villages most dependent on women playing their economical roles very

actively, men are very much in control of the ritual power of each village, and, as a

consequence, of representing its physical strength. Underlying this we find the notion

that there is nevertheless a maternal source to this power, and in fact rituals play at

rendering this relationship between men and mothers visible.

5 Two observations might help to frame the problem: First, for a considerable time span

before Europeans arrived, societies in the Sepik area at large produced a variety of

items of material culture well beyond the needs of subsistence production in a

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technical sense. The degree of variations seems to have been highest in the village

societies oriented on the river, feeding basically on fish and sago. This considerable

output was, if not coming from the hands of men, at least controlled by men through

the mechanics of a basically patrilineal social organization (with the exception of Lower

Sepik societies from Biwat to Murik, see Lipset 1997). Second, none of the Sepik

societies, as far as we are aware of, did „indulge“ in competitive exchange of

commodities on a notable level (as in the scenario of Enga tee, Melpa moka etc.), though,

in neighbouring societies producing yams the exchange of these products of intensive

gardening, vital for keeping the tuberous plants and their crops safe and sane, reached

quite spectacular levels. Even there, the product was considered more in terms of its

bodily quality, i.e. as a manifestation of ancestral presence, made possibly through a

close cooperation of ritually specialized men and their female partners, rather than as

a material good the giving of which would create asymmetrical dependencies. Yet, the

display and inter-village exchange of some of the Abelam long yams certainly was

competitive – the salient point here being that each long yam tuber of Dioscorea alata

produced by a specialized Abelam planter with his wife’s hidden support is as much a

representational work of art as its equivalent carved in wood, the ngwalndu carving,

produced by men alone (Forge, 1966; Hauser-Schäublin, 1986; Coupaye, 2009a and b;

Roscoe, 1995).

6 Could one motivation to produce a vast array of visual representations across the Sepik

area then be found in a cultural drive to strike a balance between gendered roles in

society? On the male side these could be described, on the base of ethnographical

knowledge, e.g. as ritual management, ideological dominance or displaying physical

strength, and on the female side, as the management of subsistence oriented activities

and of nurture or the display of physical fertility2. While in the past, creating and

controlling visual representations assured for the male part a high visibility, the female

part was kept less conspicuous. The impact of ceremonial houses (Hauser-Schäublin,

1989), with their extensive outfit of figurative and non-figurative representational

elements, of ritual gear, including a broad variety of mask costumes and their heads or

faces, or of canoes, and also of household equipment such as carved suspension hooks,

all made by men, was certainly overwhelming.

7 On the other hand, the most visible products created by women were, for the area we

are most concerned with and children apart, pottery vessels for every-day use,

decorated net bags or plaited bags as well as capes protecting against sun and rain.

Perhaps, one could ask, do hidden links between the male and female creative activities

indeed form the core of the secrecy enshrined in ritual performances? In order to

understand these questions we need to learn to see how, especially in middle Sepik,

views about matters of life and of gendered roles are subjected to steadily ongoing

transformational processes, overriding even the barriers of biological sex3.

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Photo 1. – Women on their way to or from a pottery market near Aibom village, with their plaitedcapes protecting against sun and rain, ceramic ware and mats

(©Felix Speiser, 1930, Archive Museum der Kulturen Basel – inv.nr. (F)Vb 759)

8 It was Bernard Juillerat who was able to show just how such relationships among the

Yafar in the West Sepik Province are being objectified, i.e. made visible (and partly also

audible) in ritual performance, using mainly temporarily decorated human bodies, a

few solid objects like arrows and hand held drums together with paraphernalia just

made for temporary use(Juillerat, 1986, 1992, 2002a). Juillerat’s point being that the

ritual performance enhanced values that were also recognized by Yafar individuals as

underlying their inter-personal relationships. We should not expect otherwise for the

middle Sepik area. We shall thus move about on a triangular field of analysis

determined by ritual relationships, emotional relationships as well as relationships to

objects, all subjected to transformation.

Which Iatmul relationships are we looking for?

9 Focusing on middle Sepik art and the ethos of those societies I am well aware of the

danger of again pronouncing «categorial fallacies» (Moutu, n.d.: 19) in trying to link

specific types of objects to exchange gifts in the sense of knowledge and services

rendered in the context of naven-bound relationships. These will be the focus of the

following explorations

10 In general, naven ceremonies of all kinds mark the return of a successful junior member

of the family to his or her mother, after having for the first time achieved performing a

relevant task. This could apply to a girl having done a first fishing tour on her own, or a

visit to the sago market, or to a boy or a girl having obtained a school or university

degree. A boy’s proper achievement could range from having carved his first canoe or

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having won a soccer match to having passed initiation or having performed

successfully in a specific ritual. While it can be said that naven ceremonies should be

considered as being mainly lineage or clan oriented, the relationship between a son, his

mother and his mother’s brother apparently is not restricted to either one of the

mother’s or father’s clan public domains.

11 It is worth pointing out that Juillerat’s point of departure which rests in a text by

Florence Weiss (now also available in English, Weiss and Stanek, 2006) and to which we

will turn shortly, was not only that the baby child looked back to his mother, but that

the mother in the private naven performed gives to her relationship with the child a

new twist, thus solidifying an ambivalent relationship. Juillerat also draws attention to

the permanence of the role of the absent, the father, which is only partly expressed by

the presence of the father’s sister, the yau, and starts to explore the contrasts in roles

of elder/younger siblingship (Juillerat, 1999: 155-156, 163, 166, 168-170). His main

concern is with how individuals interrelate with each other in really complex ways,

thus showing how multifaceted their grown-up personalities are. To focus thus on

interactions between individuals seems to me to be fundamentally different from an

approach at classifying personalities according to simplified role models.

12 Hence, the prominence given to the return to the mother as observed and explained by

an experienced Iatmul woman of Palimbei village. This return became the key motive

to Florence Weiss’ 1979 interpretation of naven. Andrew Moutu reports that his Iatmul

tutor(s) of Kanganamun village saw in 2001 the key in the elder brother/younger

brother relationship that is not only at play between siblings, both sexes confounded,

but also by extension between members of age classes and generational classes to

which this model is also being applied as of today. In fact, he says this view also applies

to any Iatmul individual keeping together life and death, the ultimate pair of siblings,

evidently as long as the individual is still alive. With the return of the younger the elder

sibling becomes invisible (Moutu, n.d. [2006], Herle and Moutu, 2004). Moutu makes a

very convincing case for his radically new approach. In the details of the argument, the

difference may reflect a shift from the vision argued by female Iatmul partners in field

work (Weiss, 1987, 2006) to one argued by men. Another shift may have taken place

over time in the mind sets of both, the anthropologists (in regard to the study of

gendered roles, quite new in the 1970s) as well as of populations in the Iatmul villages

(with fundamental changes between 1975 and 2001).

13 One has also to remember that even the modern Kanganamun vision of naven as related

by Andrew Moutu (Moutu n.d. [2006]) is due to classifications that are established by

the grouping of initiatory classes into two ritual moieties (Bateson, 1958: 245; Herle and

Moutu, 2004: 10, 24-31). Initiation in this view is a procedure where members of an

elder brother line initiate the incoming members of a younger brother line in a way

that physical fathers and sons belong always to the same initiatory line A or B. Each

line constitutes a moiety, though in terms of filiation physical fathers and sons belong

to opposed generational classes, aligning Ego, his grandfather and his grandson in one

class, and Ego’s father and Ego’s son into the other, The initiatory lines interlock

according to a principle of relative age: age stages, paired 1-2, 3-4 etc. to 7-8 or 9-10, are

divided into those of the «elder brother line» (A) sub-group and those of the «younger

brother line» (B) sub-group, forming classes 1A and 2B, 3A and 4B etc.4. Thus, members

of 1A, as sub-group of the fathers, act by applying scarifications onto the bodies of 4B,

while 2B members act on 3A, etc. In each of these individual relationships a senior and

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a junior partner are linked, addressing each other as elder brother, nyamun, and

younger brother, suambu, respectively5.

14 However, it is important to note that there was formerly a swinging over of the system

which was referred to already by Bateson as a logic functional requirement (Bateson,

1932: 433, Bateson, 1958: 245), making the younger brother line B becoming in toto the

elder brother line A. In other words, this ritual was about acknowledging that, the

kamblal, i.e. all the men of the son’s generation of groups 3A and 4B (and possible

annual sub-sub groups), who had passed through initiation together and who still

occupied the tegal men’s house, had eventually wretched power from their initiators

and thus were now prevailing as the masters of all high level ceremonial houses (ngeko).

Only by this main generational rite would the individual transformations of younger

brother initiates, suambu alambandi into elder brother initiates, nyamun-alambandi

become fully endorsed. Thus the initiation classes 2B, 4B, 6B, and 8B of the younger

brother moiety would be officially transformed into classes -0A, 1A, 3A, 5A of the elder

brother moiety, while new 7A and 8B would receive the younger children, originally

grouped into the mbore youth house (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 25). This, in the

past, led to a complete renewal of the system, getting it back into tune with the

physical age of its members in each age group. However, this practice stopped taking

place around 1929 in the Central Iatmul group of villages, an omission which led to a

blockage, weakening the system as a functional entity. It also means that objects

specifically used in these rituals became dysfunctional.

15 The resulting distortion of the old system forced Iatmul experts to find other solutions

(Schmid and Kocher-Schmid, 1992; Kocher-Schmid, n.d.). For the Nyaura-Iatmul,

Wassmann reported that the reversal somehow was still being achieved in the 1970s

(Wassmann, 1991: 32). According to Moutu there is now a complete split between the

cosmological moieties on one side, and the ritual moieties active in initiation on the

other. While the former provide the structure for grouping lineages and totemic clans

into operational units within the village at large, thus establishing generational

groupings identifying fathers with their grandsons, and sons with their grandfathers,

the latter most effectively create bonds between individuals sharing experiences and

restricted knowledge. Opinions diverge on whether this split might have applied in the

past to all three Iatmul regional groups. In 1984 Cherubim Dambui of Timbunke village

(Woliagwi or Eastern Iatmul) maintained that the overall balance of the system,

unifying initiation moieties and totemic moieties in an unspecified way, was indeed in

need to be re-implemented then and there6. Dambui identified at that time in European

museums two types of carvings, necessary to performing the rite, one a pair of snake

carvings, about 4 m in length, in the Bühler collection, and the second, a very special

type of water drum in the Roesicke collection7. Both types show an evident homology to

elder brother/younger brother pairs; the object types are mentioned or alluded to in

the survey of rituals for Yentshan and Palimbei villages, explained by the Iatmul

experts of that time to J. Schmid in 1972-1973 (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 56-58,

66-70 referring to wakin mbangu).

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Photos 2a-b. – Carved finial of a ceremonial house, ngeko; carved finial at opposite end ofceremonial house; both carvings represent ngauwi, a pair of eagles shown in association with theirmother; probably in Kanganamun village

(©René Gardi, 1956, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 13074) et inv.nr. (F) Vb 13073)

16 Where there are brothers there must be a mother, too. Indeed, the most prominent pair

of brothers in Iatmul mythology are the two eagles8. Their mother is the primeval

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ancestress, sister to the primeval ancestor. Although their names vary from clan to

clan, Kabiragwa for her, Mangisaun for him may be used here as type reference, the

individual versions being referred to in many documented versions.

17 Of course the elder brother – younger brother relationship plays a very critical role in

many other mythical explanations of world views, too. It could well be that splitting the

ritual view, focusing on initiation as a ritual of unification, from the level of village

segmentation based on cosmological and historical references in clan-owned traditions,

is the answer given by active Iatmul (Kanganamun) ritual experts to the underlying

problem (Herle and Moutu, 2004: 10; Moutu, n.d.).

18 Up to this point we have encountered several types of objects which have played or

may have played a role in a naven context; the latter was male gendered in Bateson’s

approach. Does widening this approach improve our visions?

19 Displaying knowledge, that unites – a way of gifting

20 The totemic system, by itself, tends to cut up not only the layout of the village but the

whole landscape into clan lots. Even the tracing of knowledge in the system of opposing

a sun (and father) moiety to a mother (and earth) moiety, though ultimately

complementing each other, seems rather divisive. These divisions, reenacted even in

daily life again and again – hence Bateson’s focus on relationships expressing opposing

sets of values and on schismogenesis –, call indeed for a band of unifying actions. While

initiation procedures recreate a sort of male-biased primeval unity across the socially

divisive principles such as totemic descent (Herle and Moutu, 2004: 15, 24), or the

father-son dichotomy, the exchange of gifts in the largest possible sense (including the

giving of knowledge or service) as discussed by Marilyn Strathern (Strathern, 1988) and

Maurice Godelier (1986-1996) would offer, it seems to me, an efficient way of rendering

relationships visible. I suggest that looking more intensely at what objects «do» in the

context of naven could be helpful to clarify our vision of Iatmul practice.

21 According to the view of Carlo Severi and Michael Houseman (1998) this unifying role,

is indeed played by the interrelated segments of the naven ritual. By being reinvented

within limits each time its performance seems desirable, it serves as a tool to handle

the relationships between mother and her child, between notably a son and his real as

well as his classificatory mother’s brother. More importantly the ritual helps defining

relationships between an individual and his classificatory father’s sister, and, by

extension, between at least two exogamous patri-lineages (or clans). In practicing naven

as ritual, the Iatmul according to Severi and Houseman are constantly re-implementing

crucial relationships, including those that help to identify potential marriage partners.

It is the underlying procedural logic of transformation rather than separation that

makes naven qualify as ritual, according to the two authors quoted. Houseman and

Severi, based on evidence from F. Weiss and M. Stanek, do indeed refer to the use of

objects and especially of masks in conjunction with naven rituals, though both are seen

rather as essential tools than as containers for gifts of knowledge. Andrew Moutu in

turn, based on new evidence from his fieldwork, is arguing for a more simplified view

of naven ceremonies, which in his perspective all implement, in one or the other way,

the return of the younger, more aggressive, more exalted brother after a period of split.

22 Returning thus from the larger stage set to the narrower one, positioned at the

opposite end, where individual relationships are at stake, we have to accept that, until

proof to the contrary, Magindaua’s view of 1979 and Andrew Moutu’s view of 2001 are

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not mutually exclusive. For all we know from Palimbei village, the naven relationship

links a mother, nyame (and by extension her brother, who together represent the

nucleus of the maternal clan) to her child (and by extension to the child’s father and

father’s sister, i.e. the nucleus of the paternal clan). Because of the transformational

rules at play in Iatmul society, this same relationship can be expressed as one linking

the mother’s brother (wau) to the sister’s son (laua) or daughter, and again as a link

between a father’s sister (yau) and her brother’s child (kanggut). The model is applied

beyond the links established through direct male in-laws (tawontu, WB).

23 At marriage substantial gifts of bride-wealth (to set the bride free to move from her

own paternal clan to her husband’s paternal clan) and of dowry (enabling the bride as

an individual to set up her own existence as a productive, yet co-opted member of her

husband’s clan using her own fishing and household gear) were set in motion (Hauser-

Schäublin, 1977: 79-97, 1985:522, 526 cf. and Bateson photograph in Herle and Moutu,

2004: 16 below). The bride-wealth traditionally consisted of shell valuables as well as of

net-bags charged with symbolical meaning (vagina); after 1950 modern currency

replaced the shell-valuables, though partly only in the dowry. Shell valuables are

associated with the male gender. Those on the side of the bride’s clan, who did not

receive parts of the bride-wealth, would later qualify to become the classificatory

mother’s brothers, wau, so important for the future children of the bride, their laua.

The special personal name with the mother’s clan ending and a coconut are given to

the child by his wau. These classificatory wau-laua relationships may even be knit in a

way to link certain clans closer together, making them more efficient in mustering the

work force needed to do joint construction work on the ceremonial house (Bateson,

1958:95-96, cf. Severi and Houseman, 1998:80-88). Laua in due course shall become as

adults as indispensable to the wau as he is in earlier life to them: laua are supposed to

carve ancestral figures and masks for them.

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Photo 3. – Bridewealth presented to the bride’s clan in Kanganaman

(Photograph Gregory Bateson, Archive University Museum of Archaeology and Anthropology,Cambridge UK. This image is copyright. Reproduced by permission of University of CambridgeMuseum of Archaeology and Anthropology, acc.no. P.16747 BAT)

24 That said, exchange matters became even more complicated from that point onwards.

On the one hand there was and still is a constant flow of food being exchanged as

described by A. Moutu who explains some of the underlying complex rules which

pertain to a number of differentiated ways of tracing relationships. On the other hand,

services provided were and still are of a very complex nature, too. As Marilyn

Strathern, discussing the mode of unmediated gift exchange (without physical objects

being handed over) observes, gifts of knowledge or services, such as «the mother

making her baby grow in her womb» (Strathern, 1988: 179), may replace, wholly or

partially, objects or goods9.

25 Now, this raises the question, already discussed by Florence Weiss (Morgenthaler et al.,

1984: 218-228), to what extent does the unmediated gift exchange, including the

transfer of knowledge, play a role in naven relationships? Such a transfer could consist

in passing on secret names not to be revealed, or it could consist in revealing the visual

knowledge of and about physical objects and what they were standing for (as in the

case of masks). Of course, visual knowledge might be directed at partially revealing,

and, quite at the same time, partially hiding some secrets, which it is useful to know.

Whether such an explicit visual reference to objects, in the past, implied that at least

some of the physical objects were wandering from one constituent in the relationship

to the other, we do not know. Or, whether indeed in referring to objects it was only the

knowledge about their visual impact that mattered, knowledge rendered accessible and

transferable by visualizing certain aspects, while the object stayed put.

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Photo 4. – A mother dancing naven for her child

(©Florence Weiss, 1974; reproduced by author’s permission)

Face to face with your ancestor

26 In the behavioral sequence taking place between a mother and her child which served

as our starting point, the very earliest naven a mother may practice for her child had

been described by F. Weiss (in Weiss and Stanek, 2006) based on her immediate

presence at the scene between Magindaua and her baby son in the following words:

«[…] I [Florence] sit here not having a clue [about a story just told to her].Magindaua calls out to her baby. As he has done a few times before, he has crawledto the edge of the platform from where he could fall down. Suddenly, she rolls hereyes, sticks out her tongue, and wildly moves her torso and legs to and fro.Florence: ‘Are you doing a naven?’ - Magindaua: ‘Yes, I am doing a naven.’ – Florence:‘Because the baby crawled away?’ – Magindaua: ‘Oh no. Because he looked backwhen I called out to him.’ – Florence: ‘You do a naven because he looks back?’ –Magindaua: ‘Yes, he did look back.’ – Florence: ‘But you do a naven when a girlcatches her first fish or after completion of the initiation ritual or when somebodyfrom far away returns to the village.’ – Magindaua: ‘Yes, that’s when we do a naven.’– Florence: ‘Does the girl who comes home with a fish or the young men after theirinitiation also look back?’ – Magindaua: ‘That is so.’ – [Silence]» (Weiss, 2006: 61, see Photo 4 showing a mother doing the same facial gesture while dancing a naven)

27 In reconsidering the above reported interaction and dialogue with Magindaua, Weiss

writes:

«She responded to this seemingly insignificant event with a few body gesturesreminiscent of dance choreographies that I had seen in all elaborated navenperformances. I found especially noteworthy that her facial expressions also camefrom the naven repertory. They represent the mythical mother who, in the

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imagination of Iatmul mythological culture, is always split into two aspects: thenurturing good mother and the devouring, powerful, dangerous mother. In thesystem of totemic names, these two aspects are for the Iatmul differentiated as theancestral figures Ndanganagwi versus Ndumanagwi.» (Weiss, 2006: 62)

28 In fact, Magindaua, in a separate conversation demonstrates and confirms that the

facial gesture from the naven repertory referred to the carved head on the upper part

of the central house post inside the ceremonial house supporting the roof beam (not

the much lower floor)10. Therefore this was, at least for Palimbei-Iatmul of the 1970s,

visual knowledge accessible to a married woman. Magindaua claimed convincingly it

was women’s knowledge related to scenes from naven, and that the men, when carving

this type of distorted face were unaware of the specific implication it carried in a naven

context. Women had naven, men had initiation (Weiss, 2006: 68). Should we conclude

from this, that both are about transformation?

Photo 5. – a. Central post of a ceremonial house, ngeko, awaiting reconstruction in Palimbei village1973

(©Florence Weiss 1973, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 26236)

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Photo 5. – b. Corner post for platform of Wolimbit ceremonial house, Kanganamun village

(©Alfred Bühler, 1956, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 6964)

29 In showing her child this ancestral face through a gesture involving her own motherly

face being deliberately distorted, to make it look like that of a principal ancestor – in

fact by transforming herself temporarily into that bi-faceted ancestor (Weiss, 2006: 64)

– she would render a service to her child. She meant to prepare the child for further

revelations of knowledge by her brother (real or classificatory), the child’s wau, as well

as by other initiated men, including the child’s father.

The wakin11 mode of representation

30 Magindaua claimed that the specific type of face originated from naven knowledge

controlled by women. What does this imply? She visually and at least temporarily

identifies with a maternal ancestral face according to her vision of naven. Gregory

Bateson was told that the apparently similar face type on a smaller side post referred to

a winsumbu, following Bateson’s caption a wood spirit (Bateson, 1958: pl.VIIIA). For

Magindaua’s interpretation the wood spirit seems not to be a match. The central post is

indeed embodying the main village ancestor as much as the cohort of peer posts

embody his peers across the main clans (Wassmann, 1991: 29-32).

31 However, there is the well-known ambiguity that the house as a whole is the original

ancestress, supporting, on the peaks of the gable her sons, the pair of aggressive,

cannibalistic eagles. Among the Nyaura (western Iatmul) the ancestress is the sister of a

primeval ancestor, Mangisaun (Wassmann, 1991: 176). Moreover, in a version of oral

tradition collected at Soatmeli, the village from which all villages of the Nyaura and the

Palimbei groups descended, this type of face on the main house post of the ceremonial

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house is linked to one of the first wakin spirits that could enter humans, Ndimbitmeli.

As a child [!], Ndimbitmeli climbed up to the top of the main post in the ceremonial

house, in fact breaking through the roof. The wakin Ndimbitmeli had first possessed a

dog and spoken through this animal. He now called out from his position on top of the

post to his maternal relatives, asking them that they should call him by his rightful

name – which they did, setting him free to jump down from the post and to go into the

ground. He immediately entered a human being, speaking through him, and continuing

to do so to this very day (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 19).

32 Ndimbitmeli was among the first wakin spirits that had reached the world of the

humans by devouring all the skin, flesh and entrails of a man, leaving only his bones –

these beings were aggressive snakes living in a hollow tree near Soatmeli and forming a

bundle, ndimangwaran (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 66). The human beings were

shown how to call the useful wakin by cutting a suspension hook from the tree, hanging

up 10 mother of pearl shells for each wakin, and also having areca nuts ready for them12.

33 In conclusion, the carved face on the top of the house post could indeed be a primeval

wakin’s face, remembered for his links to his maternal ancestors. Immediately, an

intriguing question arises: Are mothers doing through naven, what wakin do for and

through men, including initiation?

34 It is impossible to try to answer this question in the space available here. At least two

lines of interpretation would need exploring; according to the first, representing

ancestral beings in their wakin manifestation stresses both their aggressiveness and

their readiness to support the humans, if called in to do so. Following Bateson wakin

spirits can be grouped hierarchically and functionally. The main difficulty seems to be

that the term wakin was often used in a very general sense on one hand – subsuming all

sub-groups into one entity, that of rendering ancestral spirits –, and in a more

restrictive approach on the other. Within the narrow sense functional sub-groups of

certain kinds of wakin spirits were defined, some of them very secret and powerful.

There is also the record of a most prestigious public ceremony where a pair of wakin

figures installed on the ceremonial ground and their human companions make their

appearance (Bateson, 1932, 1958: 233, 236-237 and plates XVIIIB and XXVIIIA). One of

Bateson’s informants said, wakin are behind everything (Bateson, 1958: 237). On the

base of further evidence assembled by Schmid from Yentshan, Kanganamun and

Palimbei villages (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 17-19, 66-67), wakin can be seen as

a way of being, more specifically they can be seen as the communicative aspect of

ancestral beings (as the story of Ndimbitmeli has made clear). They emanate from the

ancestral. They can be both, helpful (they can be invoked with shell valuables), and

dangerous (they strike an individual with death, fright or disease). If a wakin spirit gets

into a human, normally a man, the individual will be speaking out this wakin’s message

in a distinct voice and with wild movements, first of the limbs, in the context of a

shamanistic set-up. The human medium thus becomes bodily part of the ancestral

being in question.

35 This communicative aspect on images representing ancestral beings, either carved or

painted, is marked by wide-open eyes protruding from the centre of oval-shaped

concentric planes, a small long nose, a protruding tongue, and, quite often, a row of

superimposed semi-lunar shaped segments hanging below the face. A main distinction

of the spirit beings underlying this face type would be between the protective elder

brother-wandsimot and the pushy, aggressive, warring younger brother- wandsimot-

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wakin (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 16); to my present knowledge it seems

possible that the distorted face refers rather to the aggressive younger brother variant

of siblings.

36 A second approach however would follow another line of argument by accepting that

Bateson’s Iatmul male informants in the 1930s may have played down these signals of

liminality by identifying the same face type as representing a wood spirit. Perhaps,

they didn’t, Bateson might just not have connected what he was told under different

perspectives. He noted the identification of the face as winsumbu in Palimbei, where he

also observed an elaborate death ritual, not in Kanganamun (see Bateson 1958, caption

to pl.VIIIA).

37 From what has been documented so far, winsumbu refer to that aspect of human soul,

kait, in the living man, probably of paternal origin, that is set free at death and

continues to stay around, taking to the woods (Bateson, 1932: 417); they are like a puff

of wind. Winsumbu can choose to appear in an outward human-like form, causing all

sorts of harm13. The other part-soul, kip, is the essence of a human body, sort of glued to

the bones and linked to the ground; it seems of maternal origin, carrying the name

given by the wau. It has to be released after death to travel to the realm of the spirits of

the dead, down river and eastwards, linked to underground and water (Schmid and

Kocher-Schmid, 1992: 20, 88; Bateson, 1958: 232-233)14. Looking at faces identified as

belonging to/associated with a wider potential winsumbu class, the motif of the small

eye balls set against wide superimposed concentric planes seems most conspicuous15.

The link to the wakin is possibly established through the winsumbu heads mounted on

supporting structures to be shown to the non-initiated public above a screen, which are

implicitly associated with the wakin (Bateson, 1958: caption to pl. XXVII). These heads

consist basically of over-modeled ancestral skulls, and their supports refer to the

mbwatnggowi structures used in mortuary rituals (Bateson, 1958: pl. XXIB, XXV; Schmid

and Kocher-Schmid, 1992: 70-71; Schindlbeck, 1981; Wassmann, 1991: 74-76). They

indeed seem to echo, with the row of pearl shells hanging below them, somehow the

image of a hook figure supporting the head, with the gift of mother of pearl shells,

calling the wakin spirits in to support the humans, as in the explicit version from

Soatmeli (cf. above p. 104). According to Bateson’s knowledge the mbwatnggowi

ceremonial dolls function indeed as wakin (Bateson, 1958: 233). With the help of wakin,

the men keep the village alive and mighty. Hence the Iatmul’s reference to the effect of

the appearance of the winsumbu on fertility (Bateson, 1958: caption pl. XXVII).

Objects that embody

38 Establishing a first visual relationship between your child and these mighty beings of

the origins seems no little task. The mother in her private naven to her baby boy

identified herself with her ancestral appearance, interrelating naven gestures with

carvings of the wakin cum winsumbu type. We might like to ask whether further

examples of objects which show up in the context of naven-bound relationships could

be identified and described. In naven performances for children on their way to

adulthood, it is boys who receive more explicit attention, especially after initiation is

completed. Individuals of both genders when enacting the ceremony either enhance

their roles by using objects normally used by persons of the opposite gender, or they

are alternatively overplaying their own gender by performing (almost) naked.

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39 While naven ceremonies refer to a realm, which links the public to the private – in as

far as they normally seem to mark the return of a person from a first time achievement

of a specific type in her or his life –, another aspect should not be overlooked. They also

serve in rounding up rituals of different kinds held at the ceremonial house as the

village’s spiritual center. Again, it is the return to the mother, which triggers the naven.

40 Of course, the most important occasion is the young initiate’s return to his mother,

once the complex scarification and teaching rituals are completed. Initiation has

separated him forever from his mother, nyame, making his mother’s brother, wau, to

become more important as a source of knowledge and of comfort during the most

painful phase of initiation. Through cutting patterns of scars into his skin the initiating

moiety made him then to loose a lot of blood.

41 By interfering with the healing process the scars were intended to heal only slowly;

thus eventually the pattern could be enhanced, remaining visible all along the initiate’s

life. So, returning from this and many other probes he would have become a new

person in many ways, yet he is made to return in a highly formalized way, imposing a

last probe of extreme endurance in public onto him. He has to stand up for hours,

without moving, in front of (or leaning on?) a carved stick which showed a small

ancestral face, his gaze directed to the ground, and fully exposed to sunshine and heat.

Close to him, on the ceremonial ground outside the initiation enclosure his mother and

other women are performing their dances of joy. Only once his ordeal is finished, and

the newly initiated man has returned home, the wau (real and classificatory MB) and

later the yau (father’s sisters, real and classificatory FZ) will start their parts in a naven

role play. Here the mimicking of gendered roles serves as much as entertainment as it

explains what is happening in an emotion-laden event on the individual level. It is the

yau’s performance that will come to a peak, when the women (yau, FZ) acting as men

will challenge the wau, the mother’s brothers acting as women, about their sexual

identity: they pretend it was them, the father’s sisters (as paternal clan) who had given

the wau, the mother’s brother acting as mother, the vagina. In return, the latter claim

to have given the father the penis. It adds up to enhancing the instrumental part given

to the mother in bodily producing the child that now has just returned with glory. The

play evidently also helps to reduce potentially disruptive effects between the

exogamous lineages. The short concluding act of the wau honoring and shaming in one

gesture – rubbing his buttocks down the laua’s shine-bone – is a side act, not the focus

of public attention.

42 First of all, one might recall that a wau is disguised in worn, shabby female garments: a

skirt and a rain cap. He is also equipped with such female gear as a short pointed

paddle, a carrying bag for fried sago cake, a basket or fish-trap for collecting prawns, a

fishing net, a spear thrower (for spearing eel, a job for women going fishing) and an

adze or a digging stick. These objects make look the male individual performer (or the

group of classificatory identical individuals acting this role in public) as seasoned

mother(s). The number and quality of gendered objects used in the performance points

to their role of enhancing rather than disguising.

43 The father’s sisters, yau, in turn would wear male attire such as a minimal string girdle

or a warrior’s apron, more recently a European type hat, and carry a lime container

with a long spatula and a spear to actively pose as male participants. The performers of

male roles would paddle in standing in the canoe, those of female roles in sitting (cf.

Bateson, 1958: pl. VIA). Even such male gendered objects as masks could become part of

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the outfit for a woman (a yau?) performing naven: Magindaua reported about her

earlier naven activities, which included participating together with another woman as

yau (FZ) «in men’s clothes. We played guitar, danced and sang. An old woman put a pig

mask on her head…» – probably of a type used by boys and young men (Weiss, 2006: 58;

cf. Kelm, 1966, I, n° 85, 87). All of these objects are borrowed for the duration of the

performance, and remain the property of their original owners, mostly the opposite sex

siblings. Acting out the naven scenes without the gendered objects would make the task

of the actors impossible, because without the markers for transvestite behavior acting

could nor be explicit, nor dramatically efficient. It is meant to entertain, and to be

touching, e.g. when the male performer identifies so completely with the opposite

gender, that the audience is seized by the temporary transformation (see Houseman

and Severi, 1998: 52 for a description by Stanek).

44 The use of everyday objects is in line with the fact, that basically naven ceremonies are

always public ceremonies, not part of the male ritual sphere. However, in former times,

the most prestigious naven ceremonies were played out after large men’s house rituals,

and, in their most spectacular form, at the moment, a successful warrior and head

hunter returned home. Even a wounded warrior, unable to walk, would have to be

carried over the lying rows of his naked classificatory mothers, nyame (i.e. the mother’s

clan sisters or matrilineal cousins), and tshaishi (elder BW) or yau (FZ), and thus be

honored (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 78; Hauser, 1977: 96, 155 )16. And a trophy

head would indeed be treated as a powerful object to be physically brought into contact

with the most sacred, i.e. directly ancestral parts of the ceremonial house, as there are:

the ground, the mound in front of the house, the house posts and the wakin slit gongs

(Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 77-78). Following the report by Bateson’s

informants on practices of the then pre-1929 past, the head was taken over from the

warrior by the wife of the classificatory wau, mbora, dressed as an old woman and

carried suspended from her neck; she too would receive a Turbo shell tied to a spear in

exchange (Bateson, 1958: 19-20). In a photograph of a wau performing for a group of

young laua, a wau disguised as a mother dancing is carrying an over-modeled head said

to represent a trophy head taken by one of his laua (Bateson, 1958, pl.VA). Following

Juillerat and Houseman we may identify in the preceding act of the successful warrior,

i.e. to present upon returning to the village the severed head first to his mother, as the

ultimate reason – the only objectified return gift a son was able to produce - for

triggering a naven ceremony (Juillerat, 1999: 159; Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 79).

Again, the ceremony makes sense only if and as long as the head as an object is

available; it is irreplaceable. A dead enemy’s head is the ultimate manipulable

objectification of ancestral life force.

Embodiment as a service rendered

45 A male child in his role as laua is to obtain general ritual or initiatory knowledge partly

from his maternal uncle, wau, albeit mainly from one of the classificatory wau. As far as

we know, the laua (ZS) owes his wau (MB) compensatory gifts each time he is being

shown or imparted some knowledge (shell valuables, formerly tied to a spear). The laua

owes his wau also some services, especially as a dancer, i.e. as an animator of mask

costumes carrying mask faces owned by the wau and his paternal clan lineage.

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46 In a ceremony arranged on the central dance ground (wompuno), recently initiated men

are activating the mai (or mwai) masks that make their appearance in minimal groups

of three, two brothers and one sister. The «mother of all the mai», with a flatter face

(?), named Tambioli in Palimbei, appeared a few days earlier, quite alone. In fact, if a

wooden mai head is not available, it is, as with other clan specific ancestral figures, the

laua’s obligation to carve one, and to present it to his wau; only then would it be

mounted on a costume (Bateson, 1958: 45; Herle and Moutu, 2004: 33). The masked

dancers arrive and perform in sight of a crowd by leaving a specially fenced space

(ndimba). Without the fence there would be no hiding of who puts on which mask. In

any case, it should be men in a laua (ZS) role to the owners of the mask that dance with

the mai costumes. Performing the masks announces the social fact that the former

initiates have now reached the stage of being mature. It also reveals that the founding

ancestors are still in command of their minor forms of life appearance or embodiment.

Indeed, according to a traditional Iatmul view, the mai masks are the junior version of

the large wakin figures appearing over night for a public ceremony in front of the

ceremonial house (Bateson, 1958: pl. XVIIIB and XXVIIIA).

47 Thus, on the other hand, the laua, according to the information Bateson received, is the

live embodiment of his maternal clan’s ancestors: he has ingested on repeated

occasions the food, which was offered as a sacrifice to the ancestors of this clan by

hanging it up on the dedicated suspension hook (Bateson, n.d. on hook Cambridge

35.62); he will even «eat his maternal ancestors», e.g. when he is given doubled eggs of

crocodile to eat (Bateson, 1958: 45-47). By playing the flutes of his maternal clan he also

relates the voice of the maternal ancestors. The wau addresses his laua (and so does vice

versa the laua his wau ) indeed as «Nyai’ nggwail», Ancestor, literally «father and

father’s father».

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260

Photo 6. – A suspension hook of exceptional shape, said to come from a ceremonial house in thecentral Iatmul area; the suspending spikes end in snake (or bird) heads

This iconography is highly suggestive of a link to the myth of the original wakin snakes coming out ofa tree

(©Museum der Kulturen Basel, collection Paul Wirz 1952, inv.nr. Vb 2896)

48 Certainly, one of the most spectacular services a laua (ZS) could have rendered to his

wau (MB), was performing with the latter’s clan abwan mask, the so-called Small abwan

(if we follow Weiss’s analysis, [Weiss, n.d.]), consisting of a visually very attractive

costume, showing two superimposed and often divergent personality renderings. This

mask costume would normally have been produced by men of one of the neighbouring

Sawos villages in a plaiting technique using a passive coil and active plaiting strands.

This would give the costume stability while keeping it light. The final step consisting of

over-modeling the principal face(s) with the yimba paste as well as painting them,

would have to be achieved by the hands of a Iatmul male. The two superimposed

personalities can be either a face mask face plus a second head, integrated into the

basketry costume (alternatively an over-modeled skull), or it could consist of a lower

face and a separate being, usually a totemic bird standing or sitting on the top of the

costume (Bateson, 1932: pl. VII right, Mevambül-awan of Mwailambu clan in

Mindimbit). Normally, clan specific abwan masks were kept in private houses. They

were definitely more fragile than the Big abwan costumes17, the latter intimately linked

to the ceremonial house (ngeko) and to rites which were part of the initiation.

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Photo 7. – A fully Iatmul decorated man with his lime container, showing a winsumbu type face

(Photo G.Bateson, This image is copyright. Reproduced by permission of University of CambridgeMuseum of Archaeology & Anthropology, acc.no. P.16630 BAT)

49 As to the name of these masks there is some confusion ever since Bateson. Abwan

(Bateson wrote awan) denotes the two types of mask, which have, to all appearance,

only little in common, and abwan is also the suffix used in ancestral names to denote

that the name in question belongs to a maternal ancestor (or has its origin in the name

pool of a maternal line). That mask costumes, which have to be activated by the

classificatory sisters’ sons or laua and on which the upper figure evidently links up to a

clan’s specific ancestry, are generically called abwan as is the laua by his secret

maternal name. It remains to be seen whether for the much more mobile Big abwan

masks a similar, though metaphorical ancestral link could be established.

50 To think of these public performances of a laua in disguise in a mask costume as being

the equivalent of his wau’s public performances, seems a valid observation, especially

considering the latter’s moving gesture of rubbing in public his buttocks against the

shine-bone of his laua, thus shaming the laua by evoking the female other in him

(Juillerat, 1999: 174-176). Performing, the laua, a fully initiated man, embodies the

ancestors of the clan of his mother and of his wau, so he is coming back in a very

spectacular way to his origins: the look of the mask-person’s calm, individualized and

humanized expression certainly gave the display overwhelming visual power. For all

involved a moment of fulfillment. It is the junior who, with all his life force, is bringing

the dead skin or costume (shaba) into life on village stage, a stage which is open to

public visual perception. It is also a stage upon which ancestral forces might directly

enter the performing skin or costume, making their presence known by some

significant, yet barely visible sign, a puff of air, a movement of one of the head

ornaments.

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262

Photo 8. – Costume of Mevambül-awan, Mwailambu clan in Mindimbit, as identified by G. Batesonin 1929

(©Museum der Kulturen Basel, coll. Dadi Wirz 1955, inv.nr. Vb 22114)

51 In former times it would also have been the laua who would have performed with the

winsumbu heads mentioned earlier in a special ceremony, called kwangumeli mbangu in

front of the men’s house. Its function would have been to concentrate spiritual forces

in e.g. important new parts of a ceremonial house or in a new communal canoe by

«heating up» the object (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 72). For this occasion again,

like for the initiation rituals, a fence, ndimba, would have to be built around the

ceremonial house. At the concluding step again a rather large naven was to be held for

all the performers (Bateson, 1958, pl. XVIIIB and XXVIIIA, Schmid and Kocher-Schmid,

1992: 72-73)18.

52 We can now see that in naven relationships much weight is given to displaying

knowledge through objects as well as through bodily gestures. Under both aspects it is

the gendered meaning of the objects as well as of the activating gestures that defines

the focus of the display. After all, we should perhaps note, that according to Weiss

(2006: 62) the literal translation of na-ven would be «Look at this!» or more directly

«hey, this, here!» (na-) [you are] «looking at» (ve-).

Balance of services and the establishment of bonds

53 Seen from the outside it seems that the gifts of knowledge made visually available and

the equally non-material gifts of services rendered by performing for the good of either

the laua or the wau are in balance. There seems however to be a second level to the

relationship where services rendered by the wau, and more especially hidden verbal

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263

knowledge imparted had, at least according to custom in some villages, to be countered

by material gifts in the form of shell valuables (Bateson, 1932, 1958; cf. Severi and

Houseman, 1998). These valuables would have to be passed from the laua (or his

paternal clan relatives) to the wau, in exchange for the latter’s gifts – knowledge and/

or services, which would include the classificatory wau’s important role in nurturing

and protecting his laua during scarification, teaching and recovery. As we have

remarked upon, the payments of shell money at marriage to the lineage of the bride

would not go to individuals potentially fit to serve as classificatory wau; therefore

additional gifts (in the general sense of gifts in exchange) would become necessary. It is

in line with this logic that according to the only description available of a wau’s naven

for a girl, it were the wau (classificatory MBs) bringing pigs, thus marking their

obligation to their classificatory sister’s husband (tawontu), but in view of obtaining

shell valuables as a counter-gift (Bateson, 1958: 17).

54 As it is Iatmul women who still provide in daily life the traditional food – fish and sago

– for all to eat, male Iatmul individuals as e.g. laua receive and eat, or received and ate

according to Bateson, ceremonial food that is given to them by the maternal clan

through their wau. They owe in a way their live bodily appearance to their maternal

ancestors, yet their personality (and their bones) to their father and grandfather.

55 In fact, all the gifts of services, food and goods taken together tighten markedly the link

between the individual as a member of a specific paternal line and his or her maternal

line. If naven ceremonies performed by mothers (and further females) mark first of all

the successful return of their children to their mother in her capacity as a member

married into the father’s clan, the naven ceremony performed by the wau once

initiation has been achieved serves an equivalent purpose. The wau’s performance

marks the return of the reified, now solely male body of the laua, or indeed of the

younger brother to the age group of the elder brother, thus ending the special

enactment of the social relationship between wau and laua during the period of

seclusion.

56 In the village environment of the Iatmul past, the underlying bond would have later

been reinforced publicly each time the laua helped to revitalize the empty, motionless

mask structures of his mother’s and the wau’s paternal clan, as we have just seen. In as

much as the laua can also be classified as the younger brother of the wau, each such

clan abwan mask performance also marks, quite in line with A. Moutu’s argument, a

return of the younger brother to the elder brother.

57 An in-depth restudy of evidence for the large communal events involving numerous

individual and parallel naven ceremonies following the completion of major ceremonial

cycles at the men’s house might show that naven rites are indeed more than clan

related ceremonies. It was already mentioned that links between classificatory wau’s

descending from the same pair of sisters marrying into different clans would establish

more formal links for potential cooperation in communal tasks between the clans

involved. The entire laua work force of these wau would be activated for carving and

building work at the building site of a senior ceremonial house, ngeko (Bateson 1958:96).

And in fact the completion of such a structure would trigger an especially important

naven. One wonders whether there were once indeed deeper links between a Iatmul

vision of the role of the many individuals involved in any singular naven relationship,

including the exchanges of knowledge involved in practicing it, and the Iatmul vision of

the cosmological order. We may leave it at that.

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Conclusions

58 Physical objects, mainly every day gear of a gendered character, do carry additional,

yet transformed meaning when handled in a ceremonial context. Reference to or

performing with objects in relationships that are part of or lead up to naven ceremonies

can be seen as producing unmediated gifts, gifts of knowledge or services. With these

gifts it is the visually expressed knowledge transmitted through the display of objects

that circulates, not the object. In the very first naven celebrated for a small child not yet

able to walk, who for the first time returns to his or her mother, it is the mother who

produces the gift by visually revealing that she is one with a dominant ancestor of the

place. This gift of visual knowledge would open the way for the child later receiving

further knowledge about crucial transformations. In later rites, the main gifts of

hidden knowledge reach the child, especially the male child from the mother’s brother

(wau, mainly the classificatory mother’s brother).

59 The exchange of objects as material things given (or gifts) between the persons directly

involved and their groups, including the groom and the bride’s real brother, form an

important part of marriage ceremonies. On top of this, unmediated gifts of knowledge

or services, especially those rendered by a classificatory mother’s brother, wau during

the sister’s son initiation, need to be compensated partly by giving valuables. It seems

more important, however, that these services, culminating in dramatic performances

by the wau (MB) honoring the laua (ZS), would be balanced out by the laua activating

and performing with the mask costumes (mai, abwan) and dance figures (winsumbu)

belonging to the wau’s clan. Looking at this as a complex of interrelated acts, we may

find on the one hand that knowledge made visible through the explicit use of objects in

ceremonies stresses the importance of the original maternal transformational role for

initiating an efficient individual link to village ancestors. On the other hand, the

individual laua (ZS), by repeating his returning to the maternal ancestors in a

transformational act of performance or embodiment, maintains the fundamental link,

thus triggering in turn a performative response – i.e. a naven performance. In naven

ceremonies especially the distinctions between the human body and an object as its

gendered extension, between life and performance, between the hidden face and the

visible mask, between son and mother or between younger brother and elder brother

are intentionally becoming blurred. Yet this blurring is patterned by certain rules. It

should occur to the reader that, most probably, there never was a strictly normative

Iatmul iconology, yet knowledge, its revelation and its concealment, all are governed

by canons, authoritative ideals which call for being interpreted each time a form

evoking a transformation is to be recreated.

60 I am afraid, that in my contribution I have raised more questions than I have been able

to answer. I deeply regret not having clarified and raised my questions in discussing

with Bernard Juillerat – a joint project on Melanesian art having been abandoned

before we really got a chance to enter into the matter.

Acknowledgement

61 I wish to thank the Sainsbury Research Unit, University of East Anglia, Norwich and

especially Steven Hooper, Director, Pat Hewitt, Librarian, Jeremy Bartholomew and

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265

Matthew Sillence, Assistant Librarians as well as Lynne Crossland Humphreys and the

Faculty staff at the School for World Art Studies and Museology for their hospitality

and inspiring support during the spring term 2009. I would also like to acknowledge the

support of Antje Denner, Christin Kocher-Schmid, Sylvia Puschnig-Ohnemus, Brigit

Obrist van Eeuwijk, Florence Weiss, Milan Stanek, Juerg Wassmann and Markus

Schindlbeck, who all have contributed to the project of documenting and studying

Iatmul and Central Sepik material culture over the last 30 years, a project originally

located at the Museum der Kulturen Basel, supported by the Institute of Ethnology

(now Social Anthropology) at the University of Basel, and financed by the Swiss

National Research Foundation, a project yet to be completed (see also Kaufmann 1990,

Kocher-Schmid, n.d.). Anita Herle and Jocelyne Dudding have greatly facilitated access

to the photographs of G. Bateson held at the University Museum of Archaeology and

Anthropology, Cambridge, UK. And last but not least, my thanks go also to the

anonymous peer reviewers as well as to the participants of the Melanesian Research

Seminar at the British Museum in London (March 5, 2010) for their suggestions. All

errors are mine.

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NOTES

1. See for the Yangis rituals also Juillerat (ed.), 1992, including the follow up discussion with,

among others, A. Gell, R. Wagner, A. Strathern and R. Werbner, the later two on regional

comparisons, as well as Juillerat 1991.

2. Meeker, Barlow and Lipset (1986) started from a similar idea, but followed a different agenda.

3. The wider issue of gendered artefacts in New Guinea is not discussed here, see, among others,

Strathern (1988).

4. I follow in the numbering the basic scheme of Bateson (1958: 245), without his doubling-up,

while Herle and Moutu (2004: 10), Houseman and Severi (1998), and Schmid and Kocher-Schmid

(1992) have followed a different logic each.

5. Moutu writes shuambu (Moutu, n.d.), Bateson tshuambo.

6. Father Cherubim Dambui in two oral communications in the then Museum für Völkerkunde

Basel and in the Museum für Völkerkunde Berlin in August 1984 during the Sepik Heritage

conference and the excursion to visit museums in Germany (see also Kaufmann, 1990: 593).

7. Basel Inv.nos. Vb 14718 and Vb 14719 from Kararau village, cf. Kelm 1966, I, nos. 36,37, and

Berlin Kelm 1966, I, no. 153.

8. For a version of their story see the text quoted by Juillerat (1999: 158-159) as told by Mbara to

M. Stanek.

9. Gift here simply meaning «a thing given», therefore in return for a virtual thing given, such as

a service or a bit of hidden knowledge, an object representing a symbol of value might be

received, a transaction that only in a colonial, money driven view would be judged as buying. It is

worth noting, though, that this sort of transaction is in Tok pisin, the Melanesian Pidgin, also

referred to by the terms for pay (pe) and buying (peim).

10. Magindaua’s statement in context: «Florence: ‘[…] When you explained the naven to me, we

came upon a secret the men don’t know anything about.’ – Magindaua lies down stretching out

on her back, sticks out her tongue as far as she can, opens her eyes widely and pulls down her

lower lids with her fingers, shifts her hands behind her ears so that they stand out, lifts her arms

and pulls up her legs. She demonstrates faces and gestures of the naven. – Magindaua: ‘The

carvings you are talking about [on the posts of the derelict men’s house, with one of the figures

sticking his tongue out] are scenes from naven.’ – Florence: ‘Your men don’t know the ‘look back’

of the child, but you women do.’ – Silence.» (Weiss, 2006: 66-67).

11. Bateson (1958) writes wagan, Schmid and Kocher-Schmid (1992) write wakin, where «i»

represents the schwa-sound (ə) – I use therefore wakin.

12. Possibly the carved suspension hook, showing a seated female figure with legs stretched out

horizontally and also ending in another 3 spikes emanating radially from the central stem, is

related to this mythical image. Each of the spikes or hooks ends in an animal head. The carving

was collected by Paul Wirz in 1952 (?), perhaps in Kanganamun village, now in the Museum der

Kulturen Basel (inv.nr. Vb 2896).

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269

13. For the Nyaura – or western Iatmul –, Wassmann distinguishes between winjumbu, well-

disposed and helpful spirits of the woods, and wundumbu, ghosts or spirits of the dead, who

remain near the grave before they float to the land of the dead, to become ngambia; the kait is the

soul which wakin try to lure out of an individual’s body to kill the victim (Wassmann, 1991: 18,

39-40). For the Central Iatmul the realm of death (undumbu) is undumbu ngei, the «apparitions of

recently dead people» are kaiyik, ghost. Life (yuphut) and death are brothers for the Iatmul, life

the elder, death the younger (Moutu n.d.: 5).

14. Bateson here mentions that the third «aspect of his [a male individual’s] personality which is

represented by his secret name…becomes a potsherd spirit [angk-au], a guardian of his clan.»

(Bateson, 1958: 233, 307).

15. Cf. the engraved face on a lime container from gourd, annotated by Bateson n.d. on his

photograph reproduced here as Photo 7.

16. Bateson refers to this row of lying naked women as «all the women» of the village, who,

however, exclude explicitly ego’s sister and his wife (Bateson, 1932: 278, 1958: 20). The successful

warrior after performing the same stepping over the naked women then was enticed to spear the

large pear-shaped prawn-trap, implicitly associated with a vulva (Bateson, 1958: 21).

17. Kelm (1966: I, n° 78-79) would come close to descriptions.

18. In the neighbouring Sawos village of Gaikorobi Markus Schindlbeck and Hermann Schlenker

were able to record such a winsumbu performance on film (Schindlbeck, 1981).

ABSTRACTS

Visually effective symbolization in Iatmul society is reviewed, starting from observations by

Bernard Juillerat on the role of the mother in real as well as in symbolic relationships.

Ceremonial acts of women and men in the context of naven rituals, and iconological

representation anchored in initiatory knowledge are shown to be linked. Performing renders

knowledge, services, material objects such as valuables or masks, i.e. cultural entities with a

symbolic value, openly accessible for all parties concerned. They become the issue of exchange at

specific occasions, enhancing the gendered roles of mother or elder sibling and their

complementing actors, child or younger sibling.

L’expression visuelle des valeurs symboliques dans la société iatmul est reconsidérée en partant

d’observations de Bernard Juillerat sur le rôle de la mère. Sont mis en évidence les liens entre la

façon d’agir, les rôles réels et symboliques de mère, oncle maternel et neveu, aîné et cadet, à

travers les rituels naven et les représentations ancestrales matérialisées par des œuvres fondées

dans le savoir initiatique des hommes. Les rites publics rendent accessibles à tous les savoir-faire,

les prestations ainsi que des objets spécifiques y compris des masques, c’est-à-dire des entités

culturelles à valeur symbolique. Leur présentation généralise l’importance des acteurs et de leurs

partenaires complémentaires.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

270

INDEX

Mots-clés: Art du moyen Sepik, cérémonies du naven, parcours d'objets usuels visualisant des

savoirs cachés, participation de femmes, représentation ancestrale et rôles sexués

Keywords: agency of women, Middle Sepik art, naven rite, performing as ancestors and gender,

physical objects as visual transmitters of implicit knowledge

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Symboles et figures, deux modessociaux de signification. L’exemplede la Grande Maison d’Arama(Nouvelle-Calédonie)Denis Monnerie

« To understand a people’s thought one has to

think in their symbols [... ] [as] every experienced

fieldworker knows, the most difficult task in

anthropological fieldwork is to determine the

meaning of a few key words, upon an

understanding of which the success of the whole

investigation depends. »(Evans-Pritchard, 1982 :

79-80)

« Le sens qu’on s’efforce de restituer est sens

vécu plus complètement et fondamentalement

que sens représenté ou conscient. Pour certaines

sociétés, appréhender et traduire ce sens vécu

dans le langage de nos représentations

conscientes peut sembler d’une difficulté

insurmontable. Mais nous progressons dans ce

sens. » (Dumont, 1987 : VI)

1 Évoquer la diversité des sociétés de Mélanésie est aujourd’hui un lieu commun. Pour

rapprocher l’étude de deux peuples aussi différents que les Yafar de Papouasie

Nouvelle-Guinée, étudiés par Bernard Juillerat (1986, 1995, 2001) et les gens d’Arama en

Nouvelle-Calédonie chez qui je travaille, j’aurai recours à l’étude de modes sociaux de

signification. Mon point de départ sera une remarque de Juillerat à propos de son

travail ethnographique chez les Yafar où il évoque :

« la révélation d’un non-dit culturel faisant l’objet d’un contrôle social rigoureux. »(1986 : 12)

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

272

2 Les non-dits – en particulier ce qui est non verbalisé dans la vie courante – sont d’un

ordre et d’une intensité différents chez les Yafar et à Arama, mais les difficultés qu’ils

occasionnent pour la compréhension et l’analyse ethnologiques n’en sont pas moins

réelles. Le non-dit Yafar est une « sorte de stratégie du silence sur tout ce qui touche à

la fertilité » (1986 : 12). Derrière ce silence les dernières analyses de Bernard Juillerat

nous révèlent « une imago maternelle chez l’individu et sa projection dans la culture »

d’une société qui, dans les mythes, décrit sa formation en faisant « appel à des stades

qui rappellent le développement ontogénétique » (2001 : 144).

3 À Arama, le non-dit ne se situe pas sur un plan comparable, il concerne exclusivement

la vie courante dans laquelle, aujourd’hui, rien ne permet de rendre compte de

l’emprise d’une organisation sociale au-delà des groupes – clans (phwâmeevu), sous-

clans (yameevu), etc. – et des ensembles de résidences constituant des hameaux

(Monnerie, 2008). Ce non-dit est levé dans les cérémonies dont l’observation et

l’analyse se révèlent cruciaux pour la compréhension de l’ensemble de l’organisation

sociale comme une Grande Maison1 ( mweemwâ) elle-même constituée de quatre

hameaux nommés Maisons (mwâ), le croisement avec les mythes et le système de

nomination permettant d’en mieux comprendre les principes. Pour déjouer le non-dit

yafar, Bernard Juillerat, lui aussi, mobilise les mythes, les cérémonies et leurs

entrecroisements. J’aimerais souligner que malgré les différences quant aux sociétés

considérées, aux perspectives envisagées et aux résultats des recherches, les démarches

d’analyse anthropologique adoptées pour répondre à ces interrogations présentent des

similitudes incontestables.

4 Dans ce texte, j’aborderai un plan des sociétés où, avec des orientations théoriques

distinctes, mon travail fait écho à celui de Juillerat. Celui-ci en effet propose une

anthropologie du psychique sous une forme psychanalytique, vis-à-vis de laquelle je

suis attentif, admiratif, mais doté de peu de compétences. En revanche et à l’instar de

nombreux chercheurs en sciences sociales, y compris ceux qui se réclament du

cognitivisme, nous partageons une interrogation : celle des imbrications des plans

personnel, social et culturel. J’analyserai prioritairement, parmi ces concepts sociaux

kanak que je nomme « figures », la Grande Maison et la Maison dans leurs

actualisations au cours des cérémonies. Je décrirai les synchronisations du verbal et du

non verbal effectuées par la rhétorique cérémonielle et l’imbrication particulièrement

intense des expériences personnelles avec l’expression et la perception de la société et

de la culture. Je montrerai que ces expériences ne sont pas individuelles au sens strict

car toujours vécues en étroite articulation avec des ensembles de personnes. Dans une

visée critique vis-à-vis du concept massivement répandu, mais assez flou, de

« symbole », je montrerai en quoi celui-ci ne peut s’appliquer à la Grande Maison (ou à

la Maison) et pourquoi l’ethnographie m’amène à utiliser la notion de figure. Ces

analyses soutiennent une proposition générale selon laquelle symboles et figures sont

deux modes sociaux de signification différents2.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Les figures de la Maison, de la Grande Maison, de laPorte et du Chemin à Arama et dans le réseau régionalHoot ma Whaap

5 Arama est un village de bord de mer de l’extrême nord-est de la Grande Terre de

Nouvelle-Calédonie – ou Kanaky comme la plupart de mes interlocuteurs kanak

désignent leur pays. Aujourd’hui, environ cinq cents habitants y vivent dans des

résidences s’égrenant sur plus de dix kilomètres le long d’une route côtière3. La langue

parlée par les habitants d’Arama est le nyêlâyu. Le français kanak est leur langue

seconde, surtout utilisée dans les relations avec les non Kanak ou les Kanak locuteurs

d’autres langues. Au nord de la Grande Terre, incluant l’archipel Belep, la région Hoot

ma Whaap se caractérise par un réseau de relations régionales aujourd’hui actualisées

lors de grandes cérémonies et qui autrefois combinait relations cérémonielles et

guerrières. Les Chemins, les Portes et les Grandes Maisons, respectivement désignées

en nyêlayu par les termes daanphwâ et mweemwâ (et leurs composés ou composantes)4

sont des concepts centraux dans la conceptualisation de ce réseau régional comme dans

celle des sociétés locales. Ils désignent des réalités socio-cosmiques5 de premier ordre,

très valorisées : des entités sociales de taille et d’emprise diverses, dont des sociétés

locales, des cérémonies locales et régionales, des paysages, des terroirs et leurs

relations. Ce sont aussi des outils de réflexion sur les sociétés en général, y compris non

kanak. Bien souvent, l’expression Grande Maison désigne dans cette région l’une des

douze sociétés locales, réparties entre Hoot et Whaap. Le mot Maison (mwâ), lui,

désigne diverses formes d’entités ou de groupes sociaux. Ainsi, à Arama, la société

locale est la Grande Maison (mweemwâ) Teâ Aâôvaac, constituée de quatre Maisons

(mwâ) qui sont des hameaux. Un Chemin, dans ce contexte, est un itinéraire de

relations régionales. Une Porte constitue une interface entre Grande Maison et Chemin,

ou entre Grandes Maisons. Je qualifie de figures ces concepts (ou notions) de socio-

cosmologie kanak.

Pourquoi des « figures » ?

6 Ce texte souligne les spécificités des figures dans l’expression, la compréhension,

l’expérience et la transmission de significations. Ces dernières étant entendues comme

idée ou ensemble d’idées intelligibles et transmissibles associés à un signe ou ensemble

de signes et mobilisés par un contexte social. Faisant l’hypothèse qu’il existe divers

modes sociaux de significations, que les figures en font partie, en dialogue avec

certaines propositions de Juillerat, j’aborderai deux questions principales que je

considère comme étroitement liées. D’une part, celle des articulations entre

expériences personnelles et représentations sociales, d’autre part, les différences avec

ces autres modes sociaux de signification que sont les symboles.

7 Les figures de la Maison, de la Grande Maison, du Chemin et de la Porte sont des

institutions6 de la société et de la culture d’Arama et, largement, de la région Hoot ma

Whaap. Leurs actualisations dans les cérémonies peuvent être spectaculaires, ce qui

m’a amené, pour en rendre compte à : (i) choisir les cérémonies comme champ d’étude,

(ii) m’interroger sur la prééminence donnée aux cérémonies dans l’expression de ces

concepts centraux de la société, (iii) introduire la notion de rhétorique cérémonielle

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

274

qui est une façon spécifique d’articuler expressions verbales et non verbales7 dans les

cérémonies, en particulier autour des figures. Utiliser le terme de figure me permet de

souligner leur forte composante iconique – il serait cependant erroné de s’en tenir à

cette seule dimension. Dans les cérémonies, chacune de ces figures est susceptible, en

fonction des contextes, de s’actualiser selon diverses facettes. Celles-ci ne sont pas

exclusivement iconiques, mais plus largement, non verbales. De surcroît et de façon

caractéristique, ces actualisations sont toujours articulées avec des expressions

verbales. L’étude de ces phénomènes montre comment les figures expriment et

communiquent de façon spécifique des significations socialement valorisées dans le

cadre de la rhétorique cérémonielle caractéristique de cette société.

8 Alors que, sur de nombreux points, ces figures sont proches de ce que les

anthropologues, et en particulier Victor Turner, ont nommé symboles, elles s’en

distinguent sur un plan que je considère comme crucial. Le symbole à proprement

parler est symbole d’autre chose. Le Petit Robert en donne la définition suivante : « ce

qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique », un sens

courant renvoyant, lui à un « objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa

forme ou sa nature, une association d’idées spontanée (dans un groupe social donné)

avec quelque chose d’abstrait ou d’absent [...] la colombe, symbole de paix ». Ainsi, au

Moyen Âge, on s’efforçait « d’atteindre la réalité cachée par la représentation d’êtres et

de gestes symboliques » (Le Goff, 1984 : 474). Retenons deux dimensions des symboles :

d’une part l’idée de représenter et simultanément de représenter autre chose qui est

absent, caché ou abstrait (voir aussi Benveniste, 1969, vol 1 : 341-342). C’est cette

seconde dimension qui constitue la différence principale avec les figures8.

9 Je suis conscient que cette définition restrictive du symbole n’est pas celle de tous les

anthropologues, cependant, et c’est une des visées de la présente réflexion, il me

semble qu’il importe de sortir d’un certain flou de l’anthropologie dite symbolique, ou

de l’utilisation du concept de symbole dans des acceptions vraiment très larges, voire

contradictoires comme le note finement Marshall Sahlins (1976 : 59). Pour ce faire, une

exigence de distinction et de mise en perspective à propos de modes de significations

trop souvent rassemblés sous le terme unique de symbole apparaît nécessaire. En

d’autres termes ce qu’on désigne généralement, et de façon imprécise, comme symbole

inclut parfois ce que je nomme des figures – et d’autres dispositifs de signification

encore9.

10 La distinction que je propose entre figure et symbole vise donc à mettre en place une

compréhension plus fine de modes sociaux de signification dont la conception claire a

une importance cruciale pour la démarche des sciences sociales. À la différence des

symboles, les figures se caractérisent par la démultiplication du même – ou plus

précisément de significations de même ordre. Comment définir ce « même », et

comment il s’exprime dans la rhétorique cérémonielle aux plans verbal et non verbal,

sont deux des questions que j’aborderai.

Arama : Maisons et Grande Maison10

11 Dans la Grande Maison Teâ Aâôvaac d’Arama11, les quatre hameaux/Maisons sont

distingués en statuts aux valorisations différentes. Montrées et explicitées dans les

cérémonies internes et régionales, ces distinctions sont indexées sur les systèmes

spécifiques de nomination et d’aînesse de la famille du teâmâ12 – personnage

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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représentant la société. Elles renvoient aussi à des arrivées et accueils décrits dans des

mythes qui définissent les relations de la famille du teâmâ avec un clan préexistant –

le clan accueillant – qui en a accueilli et intronisé l’ancêtre et lui a donné une épouse.

Les valorisations différentielles ainsi mises en place rendent compte de la préséance

des hameaux/Maisons dans ces cérémonies. Dans ce cadre comme dans l’ordre

statutaire des entités sociales de premier plan (hameaux/Maisons, dignitaires, groupes

importants), un principe de valorisation est à l’œuvre : l’antériorité relative.

12 L’expression de ces phénomènes sociaux est simultanément culturelle : elle implique

l’étroite imbrication du verbal – noms ancestraux13, mythes, discours cérémoniels,

gloses – et du non verbal – architecture, sculptures, chorégraphies, biens cérémoniels,

échanges et déroulement des cérémonies. Les figures de la Grande Maison et de la

Maison et ces dispositifs de valorisation sont des institutions héritées des ancêtres,

privilégiées dans l’expression et l’actualisation contemporaines des relations sociales.

Cette organisation de la société, qui n’apparaît pratiquement pas dans la vie courante

aujourd’hui, est rendue manifeste dans les cérémonies. Alors, l’organisation sociale est

montrée, donnée à percevoir, à ressentir, à comprendre, par la rhétorique

cérémonielle, à travers l’organisation spatio-temporelle de la cérémonie, en particulier

le positionnement et l’arrivée des groupes, diverses gestuelles collectives ou

chorégraphies et la circulation d’échanges de biens synchronisés avec les discours.

Photo 1. – Chorégraphie de réception nommée « former la Maison » : des accueillants formentcollectivement un cercle pour la réception des arrivants (Thiam, Bondé, septembre 1993)

(cliché de l’auteur)

L’actualisation architecturale de la Grande Maison

13 Une construction architecturale, nommée elle aussi grande maison (mweemwâ), figure

cette société locale. De façon classique en Nouvelle-Calédonie, il s’agit d’un bâtiment

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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rond à toit conique, construit autour d’un poteau central, prolongé par une flèche

faîtière émergeant du toit. Flanquant l’unique porte, deux sculptures anthropomorphes

nommées chambranles en français sont désignées en nyêlâyu comme « gardiens de la

Porte » (dagac). Ces éléments des grandes maisons kanak sont familiers aux visiteurs de

musées ethnographiques car il s’agit de sculptures emblématiques, parfois de chefs-

d’œuvre, de l’art océanien. Idéalement14, l’ordre de construction des éléments

constitutifs de la grande maison met en œuvre l’ordre de préséance cérémoniel. Une

des premières phases de la chaîne opératoire de son édification, qui implique aussi une

cérémonie, est la mise en terre du poteau central, élément architectural étroitement

associé au teâmâ, comme l’est aussi la flèche faîtière. Cet acte porte le même nom que

l’intronisation du teâmâ15. Dans les deux cas, un homme du clan accueillant préside à la

tâche. Ce sont là des facettes – technique, architecturale et cérémonielle – d’un acte de

fondation exprimant l’antériorité du clan accueillant en rapport à la famille du teâmâ.

Les poteaux du tour de la maison sont ensuite apportés et plantés par des hommes de

chaque hameau/Maison, en suivant l’ordre de préséance. J’aborderai d’abord

l’actualisation des figures de la Maison et de la Grande Maison dans les cérémonies

locales de cette société, puis dans les cérémonies régionales.

Photo 2. – Les « gardiens de la Porte » de la Grande Maison (Thiam, Bondé, septembre 1993)

(cliché de l’auteur)

Maisons et Grande Maison dans les cérémonieslocales

14 L’organisation de la Grande Maison se manifeste dans des cérémonies dont les

principales sont la cérémonie annuelle des nouvelles ignames, la construction de la

grande maison, l’intronisation du teâmâ, les funérailles et mariages des personnages de

statut important, les cérémonies de paix ou de réconciliation entre groupes, la

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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circulation des messages régionaux concernant la Grande Maison. Dans ces cérémonies,

les représentants de chaque hameau/Maison arrivent tour à tour en portant leurs

prestations, puis les échangent avec un discours. Au plan non verbal, l’expérience des

participants est organisée par la mise en place spatiale de la cérémonie et le

déroulement chronologique des arrivées et prestations. Au plan verbal, les orateurs

explicitent, ou font allusion, aux contexte et relations de la cérémonie. La rhétorique

cérémonielle organise soigneusement les interactions du verbal et du non verbal, avec

des prestations synchronisées de biens et de discours qui se complètent et se valident

réciproquement. La cérémonie est le plus souvent suivie d’un grand repas, la

commensalité validant en quelque sorte l’ensemble cérémoniel par ingestion, ce que les

convives marquent par des appréciations de satiété, de bien-être personnel, souvent

associées à celles concernant la réussite de la cérémonie. Ici, il importe de mentionner

qu’à l’occasion de la cérémonie pour les nouvelles ignames, une partie des tubercules

est offerte à des ancêtres collectifs qui participent ainsi explicitement de l’ordre de

préséance et de la commensalité. Dans les cérémonies de relations régionales, les

figures de la Grande Maison et de la Maison se projettent ou se déploient d’une façon

caractéristique.

Photo 3. – Vue extérieure de la grande maison privée de son mur circulaire suite à un incendie.Dans son toit massif, une porte a été ménagée devant laquelle on prépare une cérémonie ; lesprestations cérémonielles sont déjà disposées sur le sol (Balade, septembre 1998)

(cliché de l’auteur)

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Photo 4. – Vue intérieure de la même grande maison avec des dignitaires du Conseil coutumierHoot ma Whaap (Balade, septembre 1998)

(cliché de l’auteur)

La Grande Maison et la Maison dans les grandescérémonies régionales d’arrivée et d’accueil

15 Préparées plusieurs mois à l’avance, les rencontres régionales de Hoot ma Whaap sont

des événements complexes impliquant pour leur préparation des dizaines de personnes

des sociétés concernées. Pendant leur phase centrale – qui nous concerne ici – elles

attirent des centaines de personnes, parfois des milliers. Le contexte relationnel des

rencontres ainsi que leurs visées peuvent entraîner des transformations plus ou moins

importantes de leur forme. Cependant, la phase centrale s’ouvre toujours par des

cérémonies d’arrivée et d’accueil nommées thiam et s’achève par des cérémonies de

séparation. Les délégations des Grandes Maisons invitées se déplacent et se projettent

dans le réseau régional Hoot ma Whaap en suivant leur Chemin de relations régionales

avec la société invitante, qui accueille toutes les délégations. Dans les années 1990, le

conseil Hoot ma Whaap décidait de ces rencontres et de la société invitante.

16 Lors d’une rencontre régionale, les sociétés ayant répondu à l’invitation convergent

vers la société invitante. Dans une pareille occasion, la composition du cortège qui

représente la Grande Maison Teâ Aâôvaac d’Arama implique la présence du teâma ou

d’un représentant de sa famille, accompagné d’un orateur appartenant au clan

accueillant, d’un ou plusieurs hommes possédant les Chemins de relations régionales.

Sont aussi présents (ou représentés) pour chacun des hameaux/Maisons des dignitaires

et d’autres hommes, femmes et enfants appartenant à divers groupes. À l’arrivée, des

guerriers répartis deux par deux, armés de lances ou de frondes, protègent les flancs de

ce cortège qui se déplace d’une façon caractéristique, où sont synchronisés gestes,

respirations et expressions verbales : cris, appels, répons, discours. Les arrivées de

délégations de plusieurs sociétés, Hoot ou Whaap, se succèdent parfois des jours

durant.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

279

17 Chacune des cérémonies organisées pour l’arrivée et l’accueil de celles-ci est structurée

en deux côtés qui se font face. Le côté des arrivants est constitué par le cortège qui

s’immobilise à quelques mètres des accueillants. Le côté des accueillants est statique,

formé de représentants des gens du lieu. Pour l’occasion, ceux-ci peuvent avoir

construit une grande maison. S’ils l’ont fait, ils se tiennent devant et de part et d’autre

de sa porte et les discussions concernant la cérémonie ainsi que le comptage des

prestations se déroulent à l’intérieur. La séquence d’arrivée et d’accueil, qui peut être

très impressionnante, met en place une véritable chorégraphie, avec des exhibitions de

force guerrière, des discours cérémoniels (hoor puis puunyat) synchronisés avec des

échanges solennels de divers biens et nourritures. Un festin clôt chaque accueil ; ceux-

ci se succèdent et constituent, pour quelques jours, une Maison (mwâ) – que je nomme

« Maison cérémonielle ». À la fin de la rencontre, elle est déconstituée par des

cérémonies de séparation plus brèves, moins spectaculaires que les accueils, mais

comportant des séquences comparables. Puis, les délégations des diverses Grandes

Maisons représentées lors de cette rencontre prennent le chemin du retour.

18 Ainsi, la figure de la Grande Maison s’actualise lors de ces rencontres sous la forme de

délégations de sociétés locales, dont des dignitaires échangent des biens cérémoniels,

des nourritures et des discours. Chaque accueil donne à voir ces Grandes Maisons sous

deux formes contrastées : celle, mobile, des arrivants et celle, plus statique, des

accueillants. La Grande Maison des premiers se projette dans un Chemin de relations

régionales. En arrivant, après s’être défini comme Hoot ou Whaap, leur orateur retrace

leur Chemin menant chez les accueillants, puis décrit l’organisation interne de leur

Grande Maison. Face à ce cortège, les accueillants sont parfois disposés devant leur

propre grande maison. Si ce bâtiment n’existe pas, la Grande Maison peut être figurée

de deux façons :

19 1) Celle d’une chorégraphie de réception nommée « former la Maison » : les accueillants

formant collectivement un cercle pour recevoir les arrivants (voir photo 1).

20 2) À travers l’évocation chorégraphique de la Porte par deux guerriers brandissant des

armes évoluant entre le cortège et les accueillants : ce sont les gardiens de la Porte de la

Grande Maison (voir photo 2) – qui peuvent aussi être figurés par des sculptures. Ainsi,

des formes circulaires, enveloppantes, ouvertes sur une Porte et des projections et

procédures dynamiques d’accueil procédant d’un Chemin régional caractérisent des

actualisations cérémonielles de la Maison et de la Grande Maison. Rassembler les

facettes d’une même figure permet de mettre au jour les relations communes d’inter-

iconicité qui viennent soutenir les diverses significations attachées à la figure de la

Grande Maison ; je développerai ce trait plus loin en étudiant le thème des figures. Mais

d’abord, toujours dans le cadre des relations régionales, un exemple montrera

comment, par son incomplétude, la figure de la Grande Maison peut exprimer des

conflits.

Incomplétude architecturale de la grande maison etconflits

21 Pour la date anniversaire du 24 septembre 1998 commémorant le « deuil kanak16 », et à

l’occasion de la fin de la période transitoire des accords de Matignon (1988-1998) et du

début de celle de l’accord de Nouméa (1998), le Conseil Hoot ma Whaap avait décidé

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

280

l’organisation d’une grande rencontre régionale marquant la fin d’une période

d’obscurité et de deuil (1853-1998) et visant à la transformer en une période d’espoir (à

partir de 1998). Le conseil voulait exprimer sa position envers les instances et formes

d’action des pouvoirs coloniaux, politiques et économiques. Il s’agissait, à travers des

actes et des paroles considérés comme ancestraux17, de réaffirmer un point de vue

kanak associant une conscience de spécificités héritées, des solidarités contemporaines

et des potentialités dynamiques pour l’avenir. Cette prise de position se présentait

explicitement comme dépassant et englobant les sphères politique et économique, en

particulier par son emprise large, socio-cosmique, et par son efficacité impliquant le

long terme.

22 Cette rencontre, organisée à Balade – Grande Maison Teâ Puma – fut précédée de la

construction pour l’occasion d’une imposante grande maison. Des revendications et

conflits concernant l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, principalement axés sur les

ressources minières mais aussi sur la politique de divers groupes et partis

« indépendantistes » et « loyalistes »18, trouvèrent lors de cette rencontre un écho qui

me retient ici car il concerne précisément la grande maison construite à cette occasion

et qui devait être le point focal de cette rencontre. Une tentative d’incendier cette

construction échoua partiellement, la privant de son mur circulaire, mais laissant

intact son toit massif dans lequel une porte fut ménagée (voir photo 3). Brûler une

maison est, dans le monde kanak, une manifestation classique, et forte, de conflit. Ici

encore est rendu manifeste le potentiel significatif de la Grande Maison comme figure

d’intégration sociale ; la brûler, ou tenter de le faire, c’est montrer – en acte et par le

résultat perceptible que l’on en espère – que le consensus n’est pas réalisé, ou s’est

défait. De nombreuses rumeurs circulèrent à propos de cet incident. J’ignore, et mes

interlocuteurs kanak de l’époque aussi, la nature précise du désaccord ayant entraîné

l’incendie et l’identité de ceux qui l’ont allumé. Il s’agissait, considérait-on alors

généralement au Conseil, d’un acte visant à mettre en cause la tenue même de la

cérémonie parce qu’elle était perçue comme importante et potentiellement efficace.

Malgré cela, la rencontre se déroula comme prévu dans et à proximité de cette grande

maison triplement incomplète. En effet, dépourvue de murs, elle ne fut parée ni de sa

flèche faîtière ni de ses chambranles/gardiens de la porte. Ces sculptures, déjà

achevées, de belle facture, restèrent entreposées dans un bâtiment un peu à l’écart.

Lors de longs séjours dans cette grande maison, les dignitaires assemblés faisaient le

compte des prestations reçues lors des accueils, mettaient au point les modalités de la

prochaine séquence cérémonielle, discutaient ou dormaient. C’est ainsi que la

rencontre et la cérémonie projetées se déroulèrent sans autre anicroche. L’apparence

de la grande maison – celle d’un toit majestueux, dépourvu de murs, où, cependant, de

nombreux représentants de Hoot ma Whaap pouvaient se rassembler (voir photo 4) ou

dormir – était toutefois un rappel iconique insistant, perçu par tous, du fait que le

consensus qui, idéalement, doit présider à ce genre de rencontre, n’était pas de mise en

cette période liminale, politiquement et économiquement troublée, qui marqua la

transition entre la période des accords de Matignon et celle de l’accord de Nouméa.

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281

La figure de la (Grande) Maison : formes,significations, dynamiques sociales et personnelles

23 Le moment est venu ici de rassembler les traits les plus importants des figures de la

Maison et de la Grande Maison et les façons dont elles s’actualisent dans les cérémonies

et informent l’expérience personnelle des participants19.

24 La figure de la (Grande) Maison a des facettes multiples.

des facettes socio-cosmiques, renvoyant à l’inscription d’une organisation sociale localisée

dans un terroir, avec ses ancêtres, ses non-humains : ce sont les Grandes Maisons de Hoot

ma Whaap. À Arama, ses unités constitutives sont les hameaux/Maisons ;

des facettes architecturales avec les grandes maisons rondes qui représentent la société

locale ;

facettes d’organisation des cérémonies locales ;

une facette cérémonielle encore, mais régionale, avec le face-à-face des Grandes Maisons

lors des grands accueils constituant, le temps d’une rencontre, une Maison cérémonielle

formée de représentants de plusieurs sociétés – Maison cérémonielle éphémère,

déconstituée par les cérémonies de séparation ;

des facettes chorégraphiques de ces cérémonies d’accueil, avec le cortège des arrivants, les

évolutions des gardiens de la Porte ou la constitution d’une figure chorégraphique circulaire

par les accueillants autour des arrivants ;

et une facette oratoire, avec la description de l’organisation sociale dans la seconde partie

du discours hoor, puis dans les discours puunyat, enfin dans les discussions qui commentent

tel ou tel aspect des Grandes Maisons, de leurs relations – critiquant parfois sans

ménagement les dignitaires.

25 La figure de la (Grande) Maison se caractérise donc par une diversité d’expressions

qu’on peut appréhender dans un premier temps comme une polysémie. Une étude de la

rhétorique cérémonielle met en évidence le croisement des expressions verbales et non

verbales de cette figure et amène à dépasser cette idée de polysémie pour la préciser,

en montrant que cette figure, à travers ses diverses facettes, décline en fait toujours le

même thème fondamental. Celui-ci opère une association spécifique de significations

convergentes, circonscrites, cohérentes, articulées à des formes et des dynamiques

d’action. Pour définir ce thème, je reprendrai les exemples d’actualisation de cette

figure. Ses expressions iconiques matérialisées ou incorporées – architecturales,

cérémonielles et chorégraphiques – donnent à percevoir un thème constitué de formes

circulaires, enveloppantes et ouvertes, associées à des capacités et expressions

dynamiques d’inclusion et de séparation20. Dans leur déroulement, les cérémonies

donnent à percevoir tout particulièrement ces capacités dynamiques de la Grande

Maison : arrivées, accueils, préséance, séparation. Combiné à ces aspects expressifs et

perceptuels non verbaux, le pan intellectuel de la figure de la (Grande) Maison est mis

en œuvre à travers des formes verbales très sophistiquées et valorisées. Ce sont le

système des noms, de l’aînesse, les mythes, qui sous-tendent l’ordre de préséance, et ce

sont aussi les dispositifs oratoires cérémoniels, qui vont des cris aux discours. De

nombreuses réflexions informelles des acteurs sociaux concernent les Maisons, Grandes

Maisons et les teâmâ ou leur famille. Les déploiements verbaux et non verbaux du

thème de la (Grande) Maison sont étroitement associés, parfois minutieusement

synchronisés. Par-delà l’apparente multiplicité des significations ainsi portées, la

cohérence de cette figure renvoie à son thème enveloppant et ouvert. Il faut souligner

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

282

sa plasticité, qui est aussi présente dans le cas des figures de la Porte et du Chemin. La

Porte est de façon générale une figure liminale, de seuil, associée à des franchissements

réversibles. Quand elle est une partie du bâtiment « grande maison », la Porte est

associée aux figures complémentaires duelles des gardiens, actualisées par deux

sculptures symétriques flanquant l’entrée. En l’absence de ce bâtiment, ils peuvent être

représentés par une chorégraphie guerrière impliquant deux hommes en armes. Ainsi,

la porte de la maison est-elle un espace de liminalité, une interface entre la Maison et le

Chemin, dans laquelle la circulation est surveillée, contrôlée et orientée par ses

gardiens. Les thèmes des figures, enveloppant et ouvert pour la (Grande) Maison,

liminal pour la Porte, ou linéaire pour le Chemin, se caractérisent par la cohérence, la

souplesse et la résilience.

26 Cette plasticité du thème des figures permet aussi bien des condensations que des

expansions ou des déplacements de significations, souvent associés à des changements

de perspective ou d’échelle liés à des transformations de contexte. D’une part, l’aspect

dynamique de ces thèmes relie ces trois figures entre elles, d’autre part, il thématise la

vie sociale sous l’angle du mouvement, mettant en exergue préséances, déplacements,

accueils, séparations, expulsions. Ces thèmes instituent des domaines d’expérience

personnelle et collective inséparables de leur conceptualisation sociale et, en

particulier, de l’actualisation cérémonielle des figures. L’ensemble de ces phénomènes

est associé à la pluralité d’expression des figures en diverses facettes qui renvoie à un

concept social et linguistique nyêlâyu, pae-t21, exprimant une complétude signifiante –

on parle de mots ou de récits « riches » – valorisée par les Kanak connaisseurs de leur

société, de leur culture et de leur langue.

27 Le terme « figure » souligne l’importance de la composante iconique des concepts de

(Grande) Maison, de Porte et de Chemin. Pour Charles Peirce, le concept de « signe

iconique » (icon) dégage avec ce qu’il représente des relations formelles de

ressemblance ou de distinction – d’inter-iconicité si on préfère. Qui plus est, « une des

grandes propriétés distinctives de l’icône est que par son observation directe peuvent

être découvertes concernant son objet d’autres vérités que celles qui suffisent à

déterminer sa construction » (Peirce, 1978 : 150). Ceci nous renvoie à la plasticité des

figures et tout particulièrement à l’exemple de la grande maison partiellement brûlée

évoquée ci-dessus, dont l’incomplétude architecturale évoque les désaccords et conflits

du moment – et simultanément, l’accomplissement d’une rencontre régionale dont la

réussite n’est pas complète.

28 Une dimension importante des figures est leur aspect incorporé qui ressort nettement

de la performance des cérémonies, tout particulièrement des trois chorégraphies du

cortège des arrivants, des gardiens de la Porte et des accueillants qui « forment la

Maison ». Leur étude aide à comprendre précisément comment s’articulent ici les plans

social et personnel. Sur le plan social, les figures sont des institutions, des expressions

de significations collectives, sociales et culturelles. Pour chaque participant, elles

informent de façon spécifique des expériences personnelles dans les cérémonies qui les

impliquent. Ces deux plans sont très fondamentalement articulés par un troisième : les

actes effectués par des ensembles de participants aux cérémonies. La construction

d’une grande maison participe de ce processus en lui donnant une forme architecturale

et sculpturale. Le bâtiment constitue une prolongation et une stabilisation sensibles de

l’expérience cérémonielle qui donne aux perceptions et aux connaissances un aspect

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

283

tangible et durable. C’est ce point des expériences collectives et personnelles que je

développerai maintenant.

Cérémonies, figures et expériences collectives etpersonnelles des participants

29 Comme institutions sociales, les figures de la (Grande) Maison, de la Porte et du Chemin

se caractérisent par leur thème – enveloppant, liminal ou linéaire – avec, dans les

cérémonies et l’architecture, une capacité de déploiement en multiples facettes aux

significations apparentées informant l’expérience des participants. Sont mis en œuvre,

pour des ensembles de participants, des agencements spatio-temporels, des

déplacements, des gestuelles formalisées, rythmées, des chorégraphies, des gestes

d’échange, des cris et des discours, et des chaînes opératoires dans le cas de la

construction d’une grande maison22. Actés et incorporés personnellement par

chacun(e), ils sont toujours effectués par des ensembles de deux à plusieurs dizaines de

personnes. Les groupements par paires d’acteurs cérémoniels concernent l’orateur et le

teâmâ, les guerriers du cortège et les gardiens de la porte. Ils font écho au groupement

par paires de nombre de biens cérémoniels, éléments de discours et autres

composantes de la société et du monde. La quasi totalité des actes sont accomplis par

des ensembles de personnes de taille variable, certains étant ad hoc à la cérémonie,

d’autres des groupes permanents. Les comportements moteurs synchronisés, voire

chorégraphiés – ou les actes des chaînes opératoires de construction de la grande

maison – jouent un rôle important dans le processus d’incorporation des figures.

L’expérience cérémonielle est associée au renforcement de sentiments collectifs et

personnels d’affirmation, de fierté, de confiance renouvelée (à des fins comparatistes,

Spencer, 1996)23. Cette construction cérémonielle collective de l’expérience personnelle

des participants donne à percevoir, à ressentir, à agir, à comprendre des institutions et

concepts centraux de la société et de la culture. Elle détermine largement les capacités

à réfléchir et agir sur eux, à partir d’eux. L’expérience cérémonielle est toujours

déterminée par l’appartenance à un ensemble de personnes ou un groupe,

conceptualisés, agis et vécus à travers diverses formes des figures. Elle construit un

« domaine d’expérience » au sens de Georges Lakoff (1987). Par exemple, dans les

cérémonies locales, les représentants des hameaux/Maison sont rassemblés pour

exprimer la Grande Maison Teâ Aâôvaac dans sa totalité à travers son ordre de

préséance. Dans les cérémonies régionales, les représentants des hameaux/Maison sont

aussi représentants de leur Grande Maison – accueillante ou accueillie, exécutant les

chorégraphies et actes d’échanges correspondants.

30 Au plan architectural, la construction de la grande maison engage une suite de chaînes

opératoires, associant des actes que nous dirions techniques – choix des arbres et

autres éléments végétaux, débitage et transport, mise en place – mais impliquant

d’autres considérations que nous dirions magiques (Boulay, 1990), ou de rhétorique

cérémonielle. Le processus technique est en effet ordonné par les différenciations de

préséance concernant les groupes et dignitaires de la société – et réalisé avec eux.

L’implantation du poteau central constitue une réactualisation de cette clé de voûte de

l’ordre de préséance de la Grande Maison qu’est la relation d’antériorité du clan

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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accueillant vis-à-vis de la famille du teâmâ. La construction est une représentation

architecturale de la société locale :

dans la dynamique des séquences de sa chaîne opératoire de construction ;

dans les expériences personnelles des constructeurs ;

dans le bâtiment achevé, statique, dont les éléments renvoient aux composantes de la

société locale conceptualisée comme Grande Maison.

31 L’expérience cérémonielle personnelle est ainsi toujours conduite et vécue au sein

d’ensembles de personnes de taille variable et procède de phénomènes en boucle car

elle est largement constituée par l’expression des composantes, formes, dynamiques et

significations sociales et culturelles, verbales et non verbales, mises en place autour

d’une figure comme celle de la (Grande) Maison. Sa mise en œuvre est ainsi au cœur

d’un dispositif qui, dans la performance cérémonielle comme dans la construction

architecturale, réalise par des actes collectifs l’actualisation personnelle, intense, d’un

domaine d’expérience spécifique : celui de son thème. La constitution de ce domaine

d’expérience est largement pluri-sensorielle, mobilisant des comportements moteurs,

ainsi que la plupart des sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’olfaction et le

mouvement (Berthoz, 1997). Elle ne peut être dissociée de l’intellection, elle-même

mobilisée dans la connaissance de la langue, la société, la culture, dans la préparation

de la cérémonie et dans l’énonciation, l’écoute attentive, la méditation et la discussion

sur les discours. Cette expérience personnelle, toujours médiatisée par du collectif,

couvre donc un spectre qui s’étend du perceptuel pluri-sensoriel à des formes de

compréhension hautement intellectuelles. La signification d’une figure et sa

perpétuation dans la culture et la société sont largement constituées dans un tel

domaine d’expérience réitéré à travers les récurrences des cérémonies qui l’actualisent.

32 Deux excursions comparatistes me semblent utiles ici. Pour une autre société de

Mélanésie – bien différente du monde kanak –, les Ankave, peuple anga de Papouasie

Nouvelle-Guinée, Pierre Lemonnier a montré que :

« [les] systèmes de pensée, les pratiques ou les relations entre les vivants conjointeslors des rituels font bien davantage que partager des prémisses identiques comme“les ombo” [monstres cannibales] sont partout. Les affaires de monstres cannibales,le chamanisme, la gestion du deuil, l’imputation du malheur, les représentationsdes principes de vie, la façon de se comporter avec les parents maternels, etc., s’yrenvoient sans cesse les uns les autres en une redondance – une périssologie envérité – qui n’a rien d’accessoire. » (Lemonnier, 2005 : 7)

33 Certes, rituels ankave et cérémonies kanak diffèrent de façon significative, mais les

grandes lignes de force de l’actualisation rituelle, ou cérémonielle, des préoccupations

sociales partagées en sont proches – caractérisées par Lemonnier de redondance et de

périssologie. Citant Anne-Christine Taylor, Lemonnier souligne que :

« [ce] procès circulaire de référence mutuelle […] n’est pas l’accessoire d’un systèmede sens qui lui serait extérieur : il en construit la réalisation. » (ibid.)

Dans les deux cas : « les objets et les façons de s’en servir dans le rituel seraient […] un moyen demontrer sans mots cette confluence de pratiques et de pensée. » (ibid.)

En définitive :« [à] la variété des domaines de la réalité sociale qui entrent en résonance dans lerituel, se surimpose – terme aussi flou que notre connaissance des phénomènes enjeu – l’éventail des registres dans lesquels s’expriment, se donnent à voir,interviennent ces redondances et leurs effets. » (ibid.)

1.

2.

3.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

285

34 À partir de son ethnographie de Java (Indonésie), Jean-Marc de Grave a montré, en

s’appuyant sur les travaux d’Alain Berthoz (1997), que l’on peut faire l’hypothèse, pour

les dispositifs cérémoniels qu’il étudie, d’une unité de la perception, de

« l’interdépendance des différents potentiels cognitifs, [visant] à remettre à leur place

les éléments au sein du tout » (2007 : 85). De Grave met en avant une « perception

globale » (id. : 86) dont la mise en œuvre, dans les cas étudiés ici, me semble être une

des visées cérémonielles et une dimension majeure de son efficace.

35 Dans les cérémonies kanak, l’association systématique des figures avec des dispositifs

mobilisant diverses formes de perception et des expressions verbales complexes vise à

enrichir systématiquement la complétude du « tout » évoqué par de Grave.Il ne peut

être question ici d’opposer une forme linéaire qui caractériserait l’expression verbale à

une forme simultanée d’expression et de connaissance qui serait non verbale. Dans la

rhétorique cérémonielle, c’est bien plutôt le verbal qui, à travers, par exemple, la mise

en œuvre de rythmes et dans une étroite synchronisation avec le non verbal –

vêtements, gestuelles, chorégraphies, usage des armes, préparation, présentation et

échanges de prestations – participe des dimensions de synchronisation. Ces rythmes

sont de plusieurs ordres : aspect séquentiel de l’intervention du verbal dans la

cérémonie mobilisant divers types d’expression allant des cris aux discours complexes,

avec des scansions internes différenciées et des rythmes d’énonciation différents, les

techniques propres à chaque orateur pouvant introduire des variantes. La

synchronisation avec les actes cérémoniels assure que ces rythmes correspondent, ou

répondent, à ceux de l’ensemble cérémoniel (Monnerie, 2005). La rhétorique

cérémonielle vise à constituer une forte densité de significations, explicites et

implicites : c’est la « périssologie » invoquée par Lemonnier. Cette association étroite

du perçu et ressenti à l’intellect se donne à percevoir et à comprendre d’une façon

concentrée – que je crois proche de la perception globale de Jean-Marc de Grave. Elle le

fait pendant des cérémonies dont l’une des visées est précisément la construction d’un

événement social intense et significatif – au sens premier – combinant le verbal et le

non verbal, l’intellect au pluri-sensoriel. Un événement tendant vers un degré élevé de

complétude significative, qui est une forme auto-intensifiée du social. Et qui est

simultanément un événement de l’expérience, voire de la construction personnelle.

Les figures : déploiement d’un thème et procéduresd’apprentissage

36 Je voudrais maintenant revenir à l’argument général de cet article qui vise à mettre en

relief les différences considérables existant entre symboles et figures. Les premiers

représentent autre chose ou quelque chose de caché. En contraste, ce qui caractérise la

figure est une étroite association et adéquation à son thème dans ses diverses

expressions verbales et non verbales. C’est pourquoi j’ai tant insisté sur les dimensions

dynamiques – d’interaction, d’imbrication, de simultanéité, de synchronisation – qui,

dans la rhétorique cérémonielle, tressent ensemble ces expressions du social et de son

expérience. À travers ces synchronisations et simultanéités, la rhétorique des

cérémonies élabore autour des figures des procédures d’expression, d’incorporation,

d’imprégnation, de compréhension, d’intellection et d’enseignement. Il y a ici

association intentionnelle, soigneusement mise en place par les organisateurs des

cérémonies, entre le perçu pluri-sensoriel, le ressenti, et l’intellect – entre le non verbal

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et le verbal. Comprendre une cérémonie, mais aussi ce que signifie l’architecture d’une

grande maison ou une paire de chambranles/gardiens de la porte implique – aussi bien

pour les participants kanak que pour l’ethnologue – des va-et-vient entre ces deux

types d’expression que nous distinguons.

37 Les figures sont perçues et comprises par les participants avec des modulations compte

tenu des différences d’âge, d’expérience, d’implication, de capacités personnelles entre

eux. Je prendrai des exemples contrastés. L’orateur d’Arama, André Teâ Yhuen – qui est

aussi organisateur expérimenté de cérémonies – tient une part de son savoir de son

père, Basile Teâ Yhuen, qui l’a adopté et éduqué pour perpétuer le clan accueillant Teâ

Yhuen, pratiquer et transmettre ses traditions, celles de la Grande Maison Teâ Aâôvaac

et de la région Hoot ma Whaap24. Pour lui, l’enseignement paternel souligne que

connaissances et perceptions sont étroitement liées à des significations riches et font

écho à nombre d’autres aspects du monde tel qu’il est conceptualisé dans sa langue et

par le milieu social auquel il appartient. Il exprime ces savoirs et perceptions dans ses

discours, contribue aussi à leur évolution car ce ne sont pas des savoirs figés. Il insiste

sur l’importance de leur transmission (voir note 29). En contraste, le cas le plus

fréquent est celui de la plupart des hommes impliqués dans l’organisation de

cérémonies qui m’ont affirmé avoir tout appris de la seule observation de celles-ci, au

cours des années25. Un contraste encore plus grand ressort de l’exemple des enfants et

jeunes gens. Quand ils assistent ou participent pour la première fois à une cérémonie,

leurs perceptions sont partielles, leur compréhension des discours, avec leur

vocabulaire et leur rhétorique sophistiqués, est lacunaire. C’est la répétition de cette

expérience de participation aux cérémonies, de perceptions, d’écoute, qui,

progressivement, au fil des ans, contribuera à leur enseigner la (Grande) Maison, leur

montrera le sens et les cohérences d’une telle figure et, éventuellement, à la longue,

leur permettra de jouer un rôle dans les cérémonies26. De telles différences entre

personnes et générations doivent être mises en regard des facettes plurielles et

simultanées de l’expression, de la perception de l’incorporation et de la compréhension

des figures. Ce sont des dispositifs propices à des apprentissages différenciés, à une

maîtrise de plus en plus complète au fil des existences.

38 Après avoir insisté sur les boucles entre le personnel et le social qu’établit la

participation cérémonielle, j’aimerais souligner le fait que les savoirs ainsi mis en

œuvre ne sont pas figés. Dans la première moitié du XXe siècle, Basile Teâ Yhuen avait

écourté les rituels funéraires d’Arama pour les faire tenir en l’espace d’une journée,

afin d’adapter les traditions kanak aux exigences de la modernité… de son époque.

Toujours pratiquée aujourd’hui, cette forme autrefois modernisée de funérailles est

considérée comme authentiquement kanak et distinctive d’Arama. Des sociétés voisines

continuent, en effet, de pratiquer des cérémonies pouvant durer plusieurs jours27.

Quelques implications épistémologiques

« Encore aujourd’hui, j’ai l’impression que les cognitivistes en sont restés au“penser c’est calculer”, se refusant à comprendre que penser c’est d’abordsymboliser. »(Juillerat, 2001 : 21)

39 L’anthropologie psychanalytique de Bernard Juillerat propose :

« de reconstruire […] les processus inconscients partagés par les individus d’unemême société et la façon dont ils sont traduits en symboles culturels partagés partous. » (2001 : 11)

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40 Dans les propositions de Juillerat, et (sous réserve de débat) pour l’ensemble de la

psychanalyse appliquée à l’anthropologie, l’étude des processus de médiation entre les

plans individuel, social et culturel me semble impliquer une question fondamentale. La

caractérisation comme individuels des fantasmes originaires pose problème à

l’anthropologue. Que ce soit « l’observation du commerce sexuel des parents [ou scène

primitive], […] la séduction, […] la castration […] [le] retour intra-utérin » (Juillerat,

2001 : 56, d’après Freud, 1972), toutes ces « structures infrasociales » (Juillerat, 1986 :

514) mettent en œuvre des relations engageant plusieurs personnes antérieures, ou

contemporaines, au sujet28. La désignation de ces fantasmes comme individuels relève

d’un choix, celui de privilégier l’expérience qu’en a le sujet, et a pour conséquence de

faire passer au second plan leur aspect initialement relationnel. Il s’agit pour Bernard

Juillerat d’une dimension infrasociale. Toutefois, dans chaque cas, l’expérience du sujet

est issue de relations à autrui : les fantasmes originaires sont construits autour de

certaines relations de base, impliquant deux ou trois personnes – dont le sujet. Plus

largement, cette observation devrait aider à clarifier l’étude des phénomènes en boucle

entre individus, d’une part, société et culture, d’autre part. Mon interprétation est que

les fantasmes originaires ne sont pas inhérents à l’individu en tant que tel – ou si l’on

préfère exclusivement localisés dans le sujet – mais opèrent des formes de médiation

déjà sociales entre le sujet, sa société et sa culture. En bref, ce qui caractérise les

fantasmes originaires, c’est qu’ils réalisent une médiation à minima entre le sujet

individuel, le social et le culturel, et cela malgré le nombre limité des personnes

considérées. Ma perspective se situe, comme celle de Bernard Juillerat, au plan de

concepts sociaux partagés par tous – ici les figures de la (Grande) Maison de la Porte et

du Chemin. Toutefois, ce sont les expériences personnelles, largement conscientes, des

acteurs sociaux participant aux cérémonies que je tente d’articuler avec ceux-ci. J’ai

voulu montrer que dans l’expérience cérémonielle consciente – comme je l’ai suggéré

pour les fantasmes inconscients –, le sujet s’embraye sur le social à travers des

ensembles de personnes dont la plus petite configuration est une paire incluant le sujet.

41 J’ai aussi montré que le concept de symbole n’est qu’un cas particulier dans les modes

sociaux de signification. L’utilisation du concept de symbole est pertinente quand celui-

ci renvoie à un signe représentant autre chose que lui-même, ou une réalité cachée.

Dans les figures kanak étudiées ici, nulle chose autre n’est évoquée, nulle réalité cachée

n’est en cause. Ainsi les discours cérémoniels kanak font grand usage de symboles (voir,

par exemple, Monnerie, 2005 : 157-158). En contraste avec les symboles, les figures

démultiplient les expressions d’un même concept social – sous-tendu par leur thème –

sans toutefois recourir à une inflexion si grande qu’on puisse jamais parler « d’autre

chose », c’est-à-dire, précisément, de symbole. En ce sens, ce que je nomme « modes

sociaux de signification » est proche de ce qui, pour Bernard Juillerat est « la

symbolisation [qui] fait partie intégrante du processus de pensée en général et de

l’élaboration culturelle », dont l’étude est généralement nommée approche symbolique.

Plus largement, l’expression d’anthropologie symbolique me semble trompeuse29. Car

elle tend à masquer la pluralité des modes sociaux de signification sous un terme

unique très marqué. Ma critique n’entend pas nier que, pour une large part, ces études,

quand elles sont solidement appuyées sur des matériaux ethnographiques, à l’exemple

des travaux de Bernard Juillerat, Gerard Reichel-Dolmatoff, Victor Turner, Nancy

Munn, Alfred Gell, Annette Weiner et bien d’autres, ont puissamment contribué à

renouveler, rendre plus précises, plus profondes et aussi plus attractives les recherches

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

288

anthropologiques – ma dette envers ces auteurs est immense. Mon propos vise à mettre

en perspective la notion d’anthropologie symbolique. En toute hypothèse, la distinction

que je fais entre symboles et figures peut être pensée comme indiquant deux pôles

opposés sur un continuum. Pour les premiers, l’écart entre la signification et le signe

retient, alors que pour les secondes ce sont les démultiplications du même thème de

signification qui importent. Ceci est corrélé avec un rapport contrasté à l’ambivalence :

dont le large degré potentiel pour les symboles stricto sensu, s’oppose à la faible marge

d’ambivalence pour les figures. Des analyses ultérieures permettront, j’en suis

convaincu, de dégager d’autres polarités sémantiques et sémiotiques. Dans cette

perspective, il me semble donc souhaitable de préciser le vocabulaire qui nous permet

de parler du domaine aujourd’hui désigné comme symbolique, en suggérant que ce

champ d’étude se caractérise par des contours et une structuration complexes qui

restent largement à baliser.

42 Mon propos vise aussi à préciser l’importance de la prise en compte des rôles des sens,

des perceptions, du ressenti, des affects, dans les cérémonies étudiées ici. Je ne vise pas

à en faire les seules assises du culturel car ce serait un réductionnisme insupportable,

au moins pour quiconque s’intéresse sérieusement aux sociétés, aux cultures et à leurs

complexités à partir de l’ethnographie et/ou de l’expérience de terrain. Toute

anthropologie qui voudrait se fonder uniquement sur les affects, les hypothèses et

théories cognitivistes30, ou ne viser que le corps, ne sera jamais qu’une anthropologie

partielle, partiale et le plus souvent superficielle, si elle prétend rendre compte d’autre

chose que de la cognition ou des pratiques et expériences corporelles et affectives. J’ai

voulu souligner le fait que, dans les cérémonies kanak comme dans tant d’autres,

perceptions, ressenti et affects sont indissociables de démarches intellectuelles très

élaborées. Au premier plan de l’organisation cérémonielle et, pour le monde kanak,

avec la valorisation de l’art oratoire – et son aboutissement dans de véritables chefs-

d’œuvre – l’intellect est une dimension centrale de l’expérience et de l’expression

cérémonielles – alors même qu’il est solidement articulé aux perceptions et aux affects.

43 Il s’agit aussi de restituer le mieux possible à l’analyse ethnologique mes propres

expériences et réflexions d’observateur participant aux cérémonies. Leur ambiance à la

fois allègre et solennelle, les interactions très étroites ménagées entre conduites

motrices, perceptions, ressenti et affects, font qu’il est devenu de plus en plus clair que

pour mieux comprendre un thiam, par exemple, il fallait le ressentir, en participant au

cortège des arrivants ou en s’inscrivant dans le groupe des accueillants. Cette

expérience m’a aussi amené – après un premier moment d’irréflexion à ce sujet – à

accorder toute l’attention requise aux déclarations de mes interlocuteurs qui

insistaient sur le sentiment de plénitude procuré par des cérémonies réussies. Pas plus

qu’il n’est possible de prétendre partager complètement, à l’identique, les expériences

et méditations de ceux que j’accompagnais dans ces cérémonies, il n’est envisageable de

penser qu’elles étaient absolument autres. Ce dont j’essaie de rendre compte en tant

qu’anthropologue est de l’ordre de l’effort d’inter-compréhension entre l’expérience de

mes interlocuteurs kanak et la mienne. Une des limites de cette démarche est inhérente

à ce que je nomme le comparatisme implicite (Monnerie, à paraître b). Louis Dumont

donne une bonne définition de ces limites : quand l’anthropologue travaille sur le

monde non moderne, il est une différence qui domine toutes les autres :

« celle qui sépare l’observateur en tant que porteur des idées et valeurs de la sociétémoderne, de ceux qu’il observe, [cet] observateur est ici partie obligée de

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

289

l’observation. Le tableau qu’il livre […] est le tableau de quelque chose vu parquelqu’un. »

44 Il ne s’agit donc pas d’un tableau objectif au sens où le sujet en serait absent. La force de

cette perspective, ajoute Dumont, c’est « qu’en fin de compte tout ce que

l’anthropologie sociale ou culturelle a jamais fait d’essentiel » (1983 : 12-13) se rattache

à cette approche où l’on ne peut faire abstraction de l’observateur. L’idéal d’objectivité

de certains doit ainsi céder la place à une exigence de rigueur qui n’en est pas moins

estimable scientifiquement. L’intervention de la personne de l’ethnographe, avec sa

langue, sa culture, sa société, son expérience et les techniques qu’il utilise pour écrire

et, éventuellement, enregistrer ou mettre en images l’ethnographie sont aussi des

filtres qui peuvent avoir leurs revers. Mais ne l’oublions pas, ils ont aussi une immense

valeur qui est au cœur de la démarche de l’ethnographie et de l’anthropologie : celle

d’une entreprise d’inter-compréhension des sociétés et des cultures.

Conclusion

45 Au-delà des propositions importantes – mais en définitive insatisfaisantes dans une

perspective anthropologique générale – concernant le « spectacle » de la société

capitaliste marchande (Debord, 1967) ou « l’État théâtre » à Bali (Geertz 1980), les

cérémonies kanak, comme les rituels ndembu étudiés par Turner, concrétisent, à

travers des dispositifs d’auto-intensification, des formes de présence au monde des

sociétés et des cultures qui n’ont pas fini d’intriguer ethnographes et anthropologues.

Les figures kanak de la Maison et de la Grande Maison, de la Porte et du Chemin sont

des institutions sociales et culturelles d’Arama et au moins pour partie de la région

Hoot ma Whaap. Ce sont aussi, plus largement, des concepts de socio-cosmologie

kanak : composantes valorisées du social, de sa conceptualisation du monde, de

cérémonies qui sont des formes auto-intensifiées du social. Leur étude permet

d’envisager un phénomène que l’on présente souvent comme universel, la

communication, abordée ici loin des schématisations à prétention universalisante, sous

un angle socialement et culturellement spécifique. Ceci a pour vertu de mettre en

perspective nos distinctions entre verbal et non verbal, entre objets et personnes, entre

vivants et ancêtres, entre symboles et figures.

46 Les figures se distinguent des symboles sur un point central, précis, qui a trait à

l’expression même de la signification dans le rapport du signe au référent. Le symbole

stricto sensu renvoie à autre chose, ou à une réalité cachée. Certains symboles se

caractérisent par leur ambivalence. En contraste, une figure renvoie à un même thème

qui, déployé en facettes multiples, exprime des significations, formes et dynamiques

étroitement associées à un même domaine socialement et culturellement déterminé –

constituant sa cohérence, avec un remarquable degré de plasticité. Cependant, leur

degré d’ambivalence est restreint. Figures et symboles sont deux modes sociaux de

signification ; il est vraisemblable que les travaux à venir permettront d’en dégager

d’autres, avec les nouveaux questionnements qui s’y rattachent. Que les symboles

soient des concepts majeurs de la tradition occidentale et le soient aussi devenus dans

les dernières décennies pour l’anthropologie contribue à occulter l’existence d’autres

modes sociaux de signification et à rendre leur mise en évidence plus difficile. C’est

pourquoi j’ai insisté sur les spécificités des figures, m’intéressant surtout au contexte

cérémoniel et me concentrant d’abord sur la figure de la (Grande) Maison, et ne faisant

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

290

qu’évoquer au besoin celles de la Porte et du Chemin qui lui sont associées. J’ai montré

comment ces figures participent simultanément des significations sociales et de

l’expérience et activité personnelles de chacun des participants aux cérémonies.

47 Dans les cérémonies, le thème d’une figure est déplié, démultiplié en de multiples

facettes dans des actualisations diverses. Les expressions de significations verbales et

non verbales sont soigneusement et intentionnellement associées et synchronisées par

la rhétorique cérémonielle. Je n’ai guère évoqué ici la qualité et la richesse des

expressions verbales lors des discours cérémoniels (Monnerie, 2005) afin de privilégier

les imbrications du verbal et de différentes formes du non verbal, dont l’inter-iconicité,

et des activités significatives pratiquées par des ensembles de personnes. Une part de la

mise en œuvre de cette institution centrale de la société qu’est la (Grande) Maison et de

ses significations s’effectue à travers des expressions collectives et des perceptions

pluri-sensorielles des diverses facettes et de son thème. Ici se joue simultanément son

incorporation et sa compréhension. Du point de vue de chaque participant – au fur et à

mesure des âges de la vie et du développement d’une expérience de la société et du

monde scandée par les cérémonies –, ceci permet de construire des perceptions et

connaissances qui se complètent, se complexifient, prêtent à réflexions, gloses et, pour

quelques-uns, à l’activité respectée et valorisée d’orateur et organisateur dans les

cérémonies. Au-delà de celles-ci, un tel domaine d’expérience et de compréhension est

mis en jeu dans les débats impliquant Maison(s) et Grande(s) Maison(s) qui ont cours à

Arama, dans Hoot ma Whaap et dans une large part du monde kanak. Pour les

personnes ayant acquis au fil des ans une expérience et une compréhension

approfondie de ce qu’est la figure de la (Grande) Maison, ce processus d’apprentissage

au long cours peut impliquer la possibilité de réinterpréter et de transformer certaines

de ses actualisations. Toutefois, ceci ne peut être envisagé que dans le cadre de longues

réflexions et discussions collectives impliquant des acteurs sociaux vivants –

traditionnellement des hommes âgés (hulac)31 – et leurs rapports à leurs ancêtres (eux

aussi nommés hulac). Dans ce cadre où se déploie l’activité d’agent des acteurs sociaux,

mais aussi celle des ancêtres, la perpétuation du monde kanak ne s’oppose en rien à des

réinterprétations, réorientations ou transformations.

48 Des auteurs de différentes spécialités et traditions de sciences humaines et sociales se

sont penchés sur la question de la compréhension de l’articulation du personnel et du

social (par exemple Bourdieu, 1972 ; Castoriadis, 1975 ; Wagner, 1975, 1986 ; Giddens,

1979 ; M. Strathern, 1988, Descombes, 1996 ; Juillerat, 2001). Alors qu’aucun d’entre eux

ne me semble pouvoir, par ses théories, rendre compte des phénomènes que je viens de

décrire, tous y contribuent peu ou prou. Pour reprendre une expression de Juillerat, j’ai

tenté ici de rassembler et d’articuler « trois niveaux d’interprétation : l’intégration

sociale, la signification culturelle et l’expérience individuelle » (1992 : 141). À partir de

cette étude des cérémonies kanak, il me semble important pour contribuer à ce débat

de souligner deux points :

il ne faut pas limiter aux humains vivants l’espace de réflexion sur le social, qui inclut et fait

agir des non-humains : ici des objets et des ancêtres ;

il importe de souligner la nécessaire prise en compte d’activités d’ensembles de personnes

comme médiation cruciale dans l’effectuation des imbrications et interactions en boucle du

personnel et du social.

49 En découle une exigence de méthode impliquant pour l’anthropologie – y compris pour

les études de type « anthropologie cognitive, neuronale et psychanalytique » – qu’une

1.

2.

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291

dimension aussi fondamentale que l’activité conjointe d’ensembles de personnes ne

puisse être négligée dans l’étude des articulations du personnel – certains préfèrent

parler de l’individuel – et du social. En d’autres termes, toute étude procédant

directement de l’individuel vers le social et le culturel sans s’intéresser à la médiation

cruciale qu’est l’implication de la personne dans des ensembles de personnes –

éventuellement restreints, comme dans le cas des groupements par paires kanak ou des

fantasmes originaires privilégiés par Juillerat – présente une importante lacune

méthodologique qui l’empêche d’atteindre sa visée.

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NOTES

1. Des majuscules réfèrent aux figures (voir infra), des minuscules désignent leurs

actualisations « matérielles », par exemple architecturales.2. Ce texte constitue un volet d’une recherche plus générale sur les modes sociaux de

signification dans laquelle je tente de mieux comprendre les expressions sociales du sens.

Nombre de propositions seront discutées ailleurs, faute de place ici : celles de Victor Turner sur

les symboles multivocaux (1962), les hypothèses de Roy Wagner (voir infra) ou la distinction entre

métaphore et métonymie interprétée par Claude Lévi-Strauss (1962).

3. Merci à mes hôtes et interlocuteurs d’Arama et de la région Hoot ma Whaap pour

leur hospitalité et leur disponibilité. Les données ethnographiques analysées ont été

rassemblées entre 1992 et 2007 lors de huit séjours sur le terrain (pour un total d’un

peu plus de trois années), dont une partie a été financée par le programme ESK, la

mission de la Recherche du ministère de l'Éducation nationale, la CORDET, et le CNRS :

d’abord, à travers l'équipe ERASME (UPR 262 CNRS) et, depuis 2005, par le Laboratoire

Cultures et Sociétés en Europe (UMR 7043 CNRS, université Marc Bloch, Strasbourg).

Ces recherches se poursuivent dans le cadre du programme ANR LocNatPol (coordonné

par L. Dousset). Certains éléments de ces analyses ont été présentés à Lifou (Nouvelle-

Calédonie) lors de la conférence Pacific Art Association/Centre Culturel Tjibaou de

juillet 2001,au séminaire de l’axe « Croyances, Connaissances, Reconnaissances » du

LCSE en novembre 2009 et au séminaire international ‘Culture matérielle’, Paris, musée

du quai Branly en février 2010. La réflexion présentée ici doit aussi à mon

enseignement sur les « Modes sociaux de significations » à l’université Marc Bloch,

récemment devenue Université de Strasbourg. Je remercie mes auditeurs de Lifou,

Strasbourg et Paris pour leurs questions et observations. Merci aussi à Isabelle Berdah,

Agnès Clerc-Renaud, Dominique Fasquel, Estelle Ferrarese, Jean-Marc de Grave, Cécile

Leguy, aux relecteurs du JSO et, tout particulièrement, à Sophie Chave-Dartoen, pour

leurs critiques et suggestions.4. Dans ce texte, tous les mots locaux sont en nyêlâyu, langue d’Arama et de Balade (avec des

variantes dialectales). En raison de la mise en place récente (2007) d’un enseignement à l’écriture

de cette langue à Arama et pour me conformer aux procédures adoptées localement à cette

occasion, je transcris désormais toutes les voyelles nasalisées avec un accent circonflexe (par

exemple : mwâ , nyêlâyu, phwâ). Ceci implique que, pour les nasalisations, indiquées par des

accents circonflexes, la graphie de certains mots diffère de mes transcriptions précédentes qui

suivaient le système phonologique mis au point par la regrettée Françoise Ozanne-Rivierre

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294

(Ozanne-Rivierre et al., 1998), système qui est désormais, à cette simplification phonologique

près, adopté à Arama.

5. J’emploie le terme cosmos pour référer aux conceptualisation et représentation spécifiques du

monde par une société et une culture particulière, le terme socio-cosmique visant à souligner la

conceptualisation étroitement associée de la société et du monde.

6. J’utilise le terme institution aux sens de Fauconnet et Mauss (1901), Castoriadis (1975)

et Descombes (1996).7. Une perspective anthropologique informée par l’ethnographie amène à questionner la césure

entre verbal et non verbal, expressions que j’utilise cependant comme outils heuristiques.

8. Ce qui vaut pour les symboles vaut aussi pour les métaphores et autres tropes. Pour Roy

Wagner, ceux-ci « établissent une équivalence (equate) entre un point de référence conventionnel

et un autre, ou substituent l’un à l’autre, obligeant celui qui les interprète à tirer ses conclusions

pour ce qui concerne les conséquences induites » (1986 : 6).

9. Par exemple, Ludovic Coupaye souligne à propos des objets de valeur yëwa des Abelam de la

région Maprik de Papouasie Nouvelle-Guinée, qu’ils ne sont « pas seulement des symboles », mais

« agissent sur deux niveaux en même temps : en tant que transmetteur de puissance et comme

“marque” […] ou manifestation matérialisée de certains types de relations » (2004 : 200). Ces

remarques concernant des objets où la « puissance » est étroitement associée à l’actualisation de

relations ouvrent sur d’autres dimensions de significations encore que celles des symboles ou des

figures.

10. Cette section et la suivante résument, parfois en précisant certains points, des analyses

publiées ailleurs (Monnerie, 2001, 2003, 2005, à paraître a).

11. Arama est la dénomination la plus couramment utilisée, Teâ Aâôvaac est une désignation

valorisée, cérémonielle.

12. Littéralement : « aîné » ( teâ), « suprême, collectif » (-mâ). Trop souvent, en français, les

termes grand chef, chefferie (ou tribu) et clan propriétaire de terre sont utilisés pour désigner

l’aîné suprême, la Grande Maison et le clan accueillant. Ces termes datant des premiers temps de

la colonisation sont inadaptés pour Arama, introduisant des distorsions considérables dans la

compréhension de cette société. C’est la raison pour laquelle j’utilise les termes« aîné suprême »,

« Grande Maison » et « clan accueillant », au plus près des conceptions sociales kanak.

13. Ceux-ci transmis par alternance de deux ou trois générations sont considérés comme

établissant des relations étroites avec les ancêtres ayant porté ces mêmes noms (Monnerie, à

paraître a).

14. Pour Arama, sa construction m’a été décrite, les autres cérémonies analysées ici ont

été étudiées en observation participante.

15. Cabeen niju, littéralement « dresser le poteau central ».16. Il s’agit de l’anniversaire de la prise de possession à Balade en 1853 de la Nouvelle-Calédonie

par la France. C’est un jour férié avec de nombreuses manifestations officielles dont des défilés

militaires. Sa signification a été détournée par le mouvement indépendantiste dans les années

1980 pour devenir jour de « deuil kanak », occasion d’importants rassemblements anti-

colonialistes.

17. Dont une séquence des cérémonies d’intronisation d’un teâmâ.

18. Les conflits précédant la signature de l’accord de Nouméa sont aujourd’hui passés

sous silence par la plupart des observateurs de la Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci

soulignent à l’envi la continuité dans la transition entre les accords de 1988 et ceux de

1998. Ils oublient, par exemple, les importantes manifestations de cette période visant à

un meilleur contrôle par les Kanak des ressources minières du pays, pourtant relayées

par les médias du monde entier.19. Par souci de concision je parlerai désormais de la « figure de la (Grande) Maison ».

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20. La dynamique de l’accueil ne peut être pensée sans ses corollaires : la séparation (cas évoqué

ici des rencontres régionales) ou l’expulsion (cas, souvent dramatique, de groupes rejetés d’une

localité et qui, dans ce système, vont chercher ailleurs d’autres accueils). Sous des configurations

diverses, une procédure dynamique fondamentale dans la définition des relations sociales

d’Arama – et, à titre d’hypothèse, de nombreuses sociétés kanak dont celles de Hoot ma Whaap –

est celle de l’accueil/séparation, expulsion. Ceci se manifeste aussi bien dans la durée éphémère

d’une rencontre cérémonielle régionale que dans le temps long de l'accueil de groupes ou

personnes venus d’ailleurs.

21. Pour Balade, Ozanne-Rivierre (1998) indique comme sens de paet : « nudité de quelque chose,

intégralité, sens d’une parole, thème d’un chant, (marée) complète, parenté ».

22. Dans ce cas, la rhétorique cérémonielle et les schèmes de construction se rejoignent en de

nombreux points (voir infra).

23. Les recherches cognitivistes et en neurosciences sur les neurones miroirs

pourraient éventuellement nous donner des précisions intéressantes sur certains

aspects des relations entre participants effectuant les mêmes gestuelles et sur les

sentiments associés à ces actes.

24. André Teâ Yhuen (Théain Hiouen) est décédé en juin 2008.

25. Ceci s’applique aussi aux cérémonies du cycle de vie, plus fréquentes que celles de la

Grande Maison. Mes interlocuteurs sur ce point étaient d’Arama, Paimboa (Teâ

Maalum), Poum et Tiabet (Teâ Nelemwâ). 26. Des femmes et des hommes, généralement plus âgés, contribuent à cet apprentissage, parfois

de façon systématique auprès des jeunes de leur groupe, mais ce n’est pas le cas le plus répandu.

27. Pour un phénomène comparable à Wallis, en Polynésie, autour de l’idée de tradition, voir

Chave-Dartoen, 2002.

28. Même si, dans l’élaboration ultérieure, pathologique ou sociale, les personnes tendent à se

transformer ou disparaître pour prendre d’autres formes ; ainsi pour ces métamorphoses des

personnes, et pour la castration, Juillerat (1986 : 401-403) s’appuie sur les travaux de Julia

Kristeva.

29. Et ce quels que soient les mérites philosophiques des propositions de Ernst Cassirer qui

suscitent une large part du mouvement dit de l’anthropologie symbolique.

30. Démarche critiquée in Affergan (2007).

31. Si la tendance reste à privilégier dans ce cadre les hommes âgés, la tendance générale est à

l’ouverture aux jeunes gens et jeunes filles et aux femmes, ce qui fut explicitement demandé par

le président du conseil Hoot ma Whaap en 1994 (Monnerie, 2005 : 181-182).

RÉSUMÉS

Les concepts de Maison et Grande Maison sont utilisés par les gens d’Arama (Nouvelle-Calédonie)

pour conceptualiser leur organisation sociale. Ils sont aussi très présents dans l’ensemble de la

région Hoot ma Whaap, à l’extrême nord de la Grande Terre. Dans des cérémonies locales et

régionales, l’actualisation de la Maison et de la Grande Maison met en œuvre des expériences

pluri-sensorielles et intellectuelles intenses, en particulier autour de l’articulation

soigneusement organisée de formes d’expression verbales et non verbales. En me fondant sur

l’analyse des significations, des formes et des dynamiques d’action associées à ces expressions

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cérémonielles, je montre aussi en quoi Maison et Grande Maison ne sont pas des symboles et

pourquoi je les nomme figures. Les symboles, en effet, sont un concept majeur de la tradition

occidentale et de l’anthropologie, deux dimensions qui tendent à occulter l’existence d’autres

modes sociaux de signification et rendent leur mise en évidence plus difficile. Les analyses

présentées ici soutiennent la proposition anthropologique selon laquelle symboles et figures sont

deux modes sociaux de signification, parmi d’autres. Elles permettent aussi de mieux

comprendre l’imbrication du personnel, du collectif et du social dans cette société et ses relations

régionales et de poser cette question de façon plus large en dialogue avec les recherches de

Bernard Juillerat.

The concepts of the House and Great House are used by the people of Arama (New Caledonia) to

conceptualize their social organization. They are also prominent in the whole of the Hoot ma

Whaap area, at the northern end of Grande-Terre. There, in local and regional ceremonies, the

House and the Great House are the focus of intense plurisensory and intellectual experiences

which are made alive through the combination of verbal and non verbal forms of expression.

Relying on the analysis of the meanings, forms and dynamics of these ceremonial expressions, I

show why the House and Great House are not symbols and why I call them figures. Symbols are a

major concept of western traditions and contemporary anthropology, which tends to obfuscate

other social ways of conveying meanings and makes their study more difficult. On a general

anthropological level these analyses suggest that symbols on the one hand and figures on the

other hand are but two social ways of conveying social meanings, among others. In a dialogue

with Bernard Juillerat’s research, this text also aims at a better understanding of the articulation

of the personal, society and culture.

INDEX

Keywords : meaning, New-Caledonia, Oceania, ritual, symbol

Mots-clés : Nouvelle-Calédonie, Océanie, rituel, signification, symbole

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297

Mythes et rites chez les AngaPierre Lemonnier

1 Comprendre la part des comportements et pensées individuels dans les phénomènes

collectifs constitue l'une de ces quadratures du cercle sur lesquelles buttent les sciences

humaines : mettre en rapport les niveaux « micro » et « macro » d'une analyse

économique ou historique est aussi délicat que de replacer l'individu dans la société en

sociologie. Un degré de complexité supplémentaire est franchi dans cette mise en

rapport de phénomènes individuels inconscients avec des phénomènes collectifs

largement « non intentionnels1 » qu’illustre l’anthropologie psychanalytique proposée

par Bernard Juillerat dans ses études de « la mort yafar » ou du rite totémique yangis

(Juillerat, 1991, 1999). Il s’agissait pour lui, d’une part, de comprendre comment

s’effectue « la métamorphose d’images individuelles inconscientes en motifs élaborés

par l’imaginaire collectif » ; d’autre part de saisir comment une diversité culturelle

« illimité(e) » est produite à partir de ces universaux que sont les « fantasmes

originaires » (2001 : 40).

2 En ce domaine, les obstacles sont immenses, qui vont des difficultés pratiques de cette

coordination ou « complémentarité » de points de vue que Georges Devereux (1972)

avait déjà tentée à la redoutable question des conditions de généralisation des résultats

obtenus : pourquoi des institutions sociales pour partie engendrées par des

phénomènes psychiques incontestablement universels ne se retrouvent-elles pas

partout ? « S’il était possible de suggérer une explication satisfaisante […], d’autres

l’auraient fait avant moi », écrivait Juillerat (2004 : 160) à propos d’une remarque facile

que je m’étais permise à propos de ce mystère agaçant.

3 Dans le cas d’institutions ayant à voir avec des processus de transformation de la

personne, la difficulté de la tâche est d’autant plus irritante que la pertinence d’un

rapprochement entre psychanalyse et anthropologie paraît pourtant évidente. Il ne fait

aucun doute, par exemple, que les pensées collectivement élaborées et partagées

autour de la mort ont un rapport avec le deuil individuel (Lemonnier, 2006 : 171-177). Et

une semblable perméabilité est plus que plausible entre l’histoire du sujet participant

et les représentations collectives qui, de diverses manières (mythes d’origine,

commentaires, injonctions…) accompagnent des cérémonies d’initiation masculine, ne

serait-ce que parce que celles-ci impliquent une mort symbolique des garçons et

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constituent une sortie de l’enfance, une séparation d’avec la mère et, plus largement,

un bouleversement relationnel au moment où l’accès à la vie sexuelle est socialement

ouvert – sans parler des épreuves psychiques infligées aux novices.

4 Grande reste notre difficulté à formuler des problématiques situées à l’intersection des

approches psychanalytiques et anthropologiques. Par exemple, dans le domaine du

rituel, afin de « procéder aux ajustements nécessaires » pour rendre compte de son

éventuelle « origine pulsionnelle », ou bien pour saisir en quoi et comment « un rite est

un acte symbolique supposé satisfaire le désir que le ou les acteurs y investissent sans

le savoir » (Juillerat, 2002 : 48). En nourrissant par l’ethnographie la plus fine l’exercice

théorique et méthodologique qu’il proposait, Bernard Juillerat n’en a pas moins montré

qu’il est possible de faire référence au sujet, voire aux affects et aux conflits du

psychisme dans l’étude des rituels. C’était pour lui une façon d’introduire dans l’analyse

de ceux-ci le sens des actions en jeu, tant pour celui qui les subit que pour ceux qui les

organisent, les regardent, ou les commentent.

5 C’est en écho à cette exploration par Juillerat de relations plausibles entre divers

domaines de la vie sociale et de la vie des individus quej’aborde ici conjointement des

variantes des rites d’initiation et des mythes s’y rapportant chez deux groupes anga de

Papouasie Nouvelle-Guinée pour y repérer des variantes de type structural. Pareille

démarche ne va pas de soi. D’abord, semblable analyse simultanée des rites et des

mythes est illusoire selon Lévi-Strauss, qui parlait alors de la construction d’un« […]

objet hybride dont on peut dire n’importe quoi » (1971 : 598). Quant à l’approche

structuraliste, on sait que Bernard Juillerat (par exemple, 2001 : 46) lui reprochait

d’impliquer l’effacement du sujet notamment lorsque Lévi-Strauss (1971 : 598-601) pose

comme préalable de l’analyse du rituel « pur » de séparer celle-ci de l’étude des mythes

et des paroles – propos qui rejoint celui du directeur de thèse de Bernard, Roger Bastide

(1972 : 207), qui, déjà, regrettait la « disparition progressive de l’affectivité » dans le

structuralisme de Lévi-Strauss, tout comme le firent d’ailleurs Beidelman (1966 : 402),

Fortes (1969 : 8-9), Leach (1970 : 8) et Turner (1969 : 42-43), auxquels Lévi-Strauss

répond dans L’Homme nu (Lévi-Strauss, 1971 : 597).

6 Mais le terrain est têtu, ce terrain que Bernard a privilégié tout au long de sa pratique

de l’anthropologie. En l’occurrence, l’observation de rites masculins ankave et baruya

incite à regarder comment ceux-ci et les mythes qui les accompagnent varient de

concert. Simplement parce que, derrière d’évidentes ressemblances – car, vus de loin,

ces rituels paraissent identiques – se profilent des différences qui, à chaque instant,

rappellent que l’on se trouve dans des univers à la fois proches et contrastés, condition

idéale pour repérer ces « seuils » à partir desquels s’effectue la différenciation

culturelle (Juillerat, 2001 : 69sq). Nous verrons que l’analyse comparée des mythes et

des rites dit également quelque chose de ces zones d’ombres dont il déplorait qu’elles

sont perdues pour l’histoire et relèvent de « facteurs multiples que les sciences sociales

sont incapables de maîtriser » (2001 : 72-73).

7 L’histoire et le structuralisme font mauvais ménage mais il n’empêche que les rites que

nous observons aujourd’hui chez les Anga et les mythes que nous y recueillons se sont

historiquement modifiés. Certes à la suite d’événements qui nous échappent à jamais et

qui furent en leur temps éprouvés et interprétés par des individus au gré de cette

« créativité, par l’expérience psychique renouvelée (individuelle et collective) vécue

par les acteurs » (Juillerat, 2001 : 47). Mais ces inventions et cette diffusion des mythes

et des rites se sont effectuées selon des lignes de fractures et des oppositions que leur

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

299

analyse comparée révèle, en même temps qu’elle signale ceux de leurs éléments sur

lesquels des co-variations ont porté, et même les conséquences de ces mutations pour

le contexte culturel dans lequel les individus naissent et se développent. Bref, il est

peut-être possible de s’approcher de ces « processus historiques de transmission

culturelle [qui] travaillent, avec le temps, à ordonner [les] représentations, à les

organiser en récits mythiques, en scénarios rituels, en structure sociale, bref en une

ontologie et une cosmogonie qui définiront telle société particulière de façon

différentielle » (2001 : 155).

Des comparaisons contrôlées : décrire et commenterdes variantes locales

8 Les Anga des provinces du Gulf, du Morobe et des Eastern Highlands de Papouasie

Nouvelle-Guinée offrent des conditions particulièrement favorables à des études

comparatives fines, car il y a toutes les raisons de penser que les groupes linguistiques

(et culturels) que l’on rassemble sous ce nom descendent tous d’une protoculture

commune qui s’est différenciée sous divers rapports :langues ; types d'économie

développés (forme d'horticulture, place du porc semi-domestique et des activités de

chasse et de pêche) ; nature et dimension des établissements humains ; formes du

mariage (échanges de sœurs au nord, compensation matrimoniale ailleurs) ;

importance relative de la guerre ; rapports hommes/femmes ; coopération entre

familles (systématique au nord, évitée à tout prix au sud) (Lemonnier, 1997). Plusieurs

des variantes observées dans ces domaines n’ont rien de secondaires, notamment les

principes et formes du cycle initiatique.

9 Celui-ci tient une place centrale2 chez les Anga car ces sociétés acéphales organisées en

clans patrilinéaires (exogames ou non) se distinguent globalement de celles des autres

montagnards de l'intérieur de la Papouasie Nouvelle-Guinée par l'absence d'échanges

cérémoniels intergroupes et, donc, de leur organisateur, le Big man (Godelier, 1982 :

253-290 ; Lemonnier, 1990). Dans le monde de « Grands hommes » qui est le leur, les

affaires qui mobilisent l'attention collective sont la guerre et les initiations masculines

(Godelier, 1982).

10 Une façon relativement simple d’étudier les variantes des organisations sociales et des

systèmes de pensées au sein de l’ensemble culturel anga consiste à comparer deux

groupes présentant de forts contrastes socio-culturels. Il importe cependant de

souligner à nouveau que ce que les anthropologues observent depuis le milieu des

années 1930 chez les Anga sous la forme de cultures et d’organisations sociales

distinctes et bien localisées ne représente pas tout l’éventail de ces configurations

historiques, mais seulement quelques-uns des résultats de longs processus de

transformation historique. Ceux-ci nous échappent car nous ne savons rien des

configurations culturelles du passé de cette région de Nouvelle-Guinée qui furent celles

de groupes qui ont disparu ou ont été absorbés par d’autres. C’est l’une des raisons pour

lesquelles il n’est pas d’actualité de comprendre pourquoi une partie de ces groupes ont,

par exemple, produit une variante comme celle qui consiste à « passer » de l’échange

des sœurs à un mariage par compensation matrimoniale, ni d’expliquer l’éventuelle

ambiguïté du statut des oncles maternels ou le choix de principes vitaux masculins

plutôt que féminins pour effectuer la « renaissance » des initiés.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

300

11 En revanche, à défaut d’expliquer les contrastes, c’est-à-dire les variantes que rapporte

l’ethnographie des Anga, il est possible de découvrir sur quoi certaines transformations

ont porté dans plusieurs domaines se prêtant à cet exercice, comme les rapports entre

chamanisme, maladie et guerre (Lemonnier, 1998), le statut de la horde cannibale de

morts anciens (Lemonnier, 2006) ou certains aspects des initiations masculines, comme

je vais le faire ici.

12 Les deux sociétés – les Ankave et les Baruya – dont je vais comparer les rites masculins

et les mythes associés à ces cérémonies occupent des vallées séparées par cinq jours de

marche et ne présentent entre elles aucun lien historique connu autre qu’une

commune présence, aussi ancienne qu’indatable, dans la haute vallée de Menyamya

(province du Morobe), avant leur migration respective vers leur territoire actuel. Il

s’agit dans les deux cas d’« horticulteurs » forestiers éleveurs de porcs, mais, situées

plus au sud de la cordillère centrale et ouvertes vers les basse terres de Papouasie, les

vallées des Ankave sont entièrement couvertes de forêt, alors que celles des Baruya se

sont partiellement transformées en savane anthropique à force d’y ouvrir des jardins

(patate douce, taro, canne à sucre, etc.). Il existe environ dix mille locuteurs baruya,

répartis en cinq groupes locaux, dont la « tribu » des Baruya, forte de 3 500 personnes

(Godelier, 1982). La langue ankave n’est parlée que par 1 200 personnes formant une

entité politique et territoriale unique. Les territoires des deux groupes sont de

superficies équivalentes, de l’ordre de 1 000 km2, mais la densité de population des

Ankave est quatre fois moindre (1,2 hab/km2). L'habitat ankave est dispersé et

fluctuant, ce qui tranche, là encore, avec la situation des Baruya, dont les hameaux

permanents sont toujours remplis de monde alors que ceux des Ankave sont

généralement déserts (Bonnemère et Lemonnier, 2007 : 57-88).

13 Au-delà de ces différences patentes observables dans le paysage, la résidence ou

l’organisation des jardins (collectifs chez les Baruya, strictement individuels chez les

Ankave), les Ankave se distinguent aussi des Baruya en ne pratiquant qu'incidemment

l'échange des sœurs (dont l’idée évoque pour les Ankave un mariage « de chiens et de

porcs », mais certainement pas d’êtres humains !), par leur refus quasi explicite de la

coopération, mais également par la place qu’ils font aux rites de mort, par la douceur

relative de la domination masculine, leur souci des monstres cannibales et leur

ignorance totale de l'homosexualité ritualisée qui, par le passé, caractérisait les

initiations des Anga du Nord, Baruya, Sambia, Iqwaye (Godelier, 1982 ; Herdt, 1981,

1987 ; Mimica, 1981, 1991).

Femmes, guerriers et initiés

14 Avec leurs langues et leurs cultures matérielles, le complexe de relations que les Anga

ont développé entre la guerre, les rapports hommes/femmes et les initiations

masculines sont l’une des originalités qui distinguent cet ensemble culturel parmi les

populations de Mélanésie. Au cœur de ce système d'institutions et de relations sociales

se trouve présente, chez tous les Anga – bien qu'à des degrés variables –, l'idée que la

physiologie sexuelle des femmes exerce un effet néfaste sur les hommes, qu'elle

fragilise leur ardeur guerrière et, partant, menace la survie du groupe. Les initiations

procurent aux hommes leur force physique et morale, mais c'est aussi dans ce cadre

que leur sont transmises les connaissances pratiques qui leur permettent de pallier ce

dangereux état de choses.

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301

15 Ces rites masculins ont pour but explicite de transformer les garçons en hommes

adultes, forts et sans peur. Simultanément, ces rituels fondent et réaffirment

régulièrement la domination masculine. Les personnages directement impliqués

comme responsables dans les initiations ou la guerre sont ceux qui, par leur naissance

au sein d'un lignage particulier (maîtres des initiations) ou par leurs talents personnels

(grands guerriers et chamanes), s'élèvent au-dessus des autres hommes. D'un groupe

linguistique anga à un autre, ce schéma prend des formes différentes constituant

autant de variantes, mais les relations entre ordre politique, rapports hommes/

femmes, guerre et initiations sont partout celles décrites à l'instant.

16 Pour les Anga, ces rites masculins trouvent leur origine dans un passé primordial dont

parlent les mythes. Ceux-ci rapportent que le premier homme apparu dans notre

monde, vers Menyamya, octroya à ceux qui émergeaient derrière lui, ancêtres

respectifs des différents groupes linguistiques, leur langue et leurs parures corporelles,

avant que chacun entame la pérégrination qui le conduisit sur son territoire actuel.

Certains racontent également que les os de l'un de ces hommes des premiers temps

furent partagés entre tous les groupes et qu'ils ont servi à fabriquer les poinçons avec

lesquels on perfore le septum des garçons initiés. Cette « histoire » de « personne

distribuée » (Strathern 1988) est donc à la fois ce qui rapproche un membre d’une

entité locale quelconque des autres Anga, et ce qui, par l'utilisation ou le partage

d'objets ou de substances qui remontent au temps du mythe, établit un lien entre les

hommes, à la fois diachroniquement (depuis que les Anga sont apparus sur la terre et

ont appris comment transformer des garçons en hommes adultes) et

synchroniquement (entre tous les initiés, dans un groupe donné).

17 Tant l’homogénéité relative des mythes et des rites d’initiation que leur variabilité ne

sont donc pas que des hypothèses d’anthropologues : elles se situent au cœur même du

dispositif imaginaire et matériel par lequel les Anga pensent tout à la fois leur

humanité propre et une partie de leurs différences et, en tout premier lieu, leurs

manières d’initier les garçons, qui constituent un ensemble de pratiques dont chaque

groupe anga garde secrètement les particularités, même si la structure générale des

rituels masculins est partout semblable.

18 Pour l’ethnologue, ces rituels, obligatoires pour tous les garçons (9-11 ans) prennent,

dans tous les cas et classiquement, la forme d’une mort symbolique puis d’une

renaissance dont la mise en scène rituelle rappelle un accouchement, mais en essayant

de se passer des femmes3. Cette seconde étape prend fort logiquement en compte les

représentations locales de la vie et de la fabrication d’un enfant (Bonnemère, 2001). En

particulier, selon l’humeur corporelle à laquelle on attribue localement la vie des êtres

humains, c’est par des pratiques ou à l’aide de produits faisant tantôt référence au sang,

tantôt au sperme, que les hommes organisent entre eux la gestation ou la renaissance

rituelles de ces nouveaux-nés que sont les initiés.

Deux imaginaires des rites masculins

19 Les Baruya considèrent que le soleil est numwe, le père. Le bandeau rouge ypmoulié dont

les hommes se ceignent le front est la « route de feu qui unit les ancêtres des Baruya

[…] au Soleil » (Godelier, 1982 : 109-127 ; 1996 : 158, 169), et chaque stade des initiations

est l’occasion de prières sifflées au Soleil. Mais surtout, celui-ci et son frère cadet la

Lune ont donné aux hommes les objets sacrés (kwaimatñe) détenus par les maîtres des

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rituels masculins – y compris les os d’aigle pointus utilisés comme poinçons –, ceux au

contact desquels les novices reçoivent dans leur corps un peu des « puissances

surhumaines qui gouvernent l’univers », et notamment de la force du Soleil (Godelier

1996 : 169, 173-174). En même temps qu’il offrait ces objets aux hommes, le Soleil a

institué les initiations elles-mêmes, expliquant les tâches à faire, y compris les

opérations de divination qui permettent aux spécialistes des rituels de repérer les

futurs grands hommes.

20 Les hommes doivent leur sperme au soleil qui, lui-même, intervient dans la conception

d’un enfant en donnant la forme finale de l’embryon (Godelier, 1982 : 109). Selon les

conceptions locales de la vie, chez les Baruya, la mère n’est que le réceptacle porteur du

fœtus. C’est le sperme du père qui construit et fait croître le fœtus, ce qui implique des

rapports sexuels pendant la grossesse ; le lait de la mère est du sperme du père

transformé, celui qu’elle a ingéré par fellation (Godelier, 1982 : 91, 116) ; la canne à

sucre produit du sperme chez les hommes et du lait chez les femmes. Cette

omniprésence du sperme se retrouve dans les initiations car les novices boivent

(buvaient) pendant plusieurs années la semence de leur aînés, ce qui les faisait grandir,

tout en remplissant leur propre sac du sperme qu’eux-mêmes feront circuler plus tard

entre les sexes et les générations.

21 La situation est radicalement différente pour les Ankave, qui considèrent que seule la

mère fabrique le bébé, à partir d’un mélange de sperme et de sang dont sort l’ébauche

du fœtus ; l’enfant croît in utero uniquement en partageant le sang de sa mère, dont il se

nourrit. Le père n’a rien à voir dans cette fabrication d’un être humain et les rapports

sexuels cessent aussitôt la grossesse repérée. Il est alors peu surprenant que, pour ceux

qui partagent cette vision de la transmission de la vie, ce processus de renaissance des

jeunes garçons qu’est l’initiation masculine mette en jeu le sang, une substance

localement considérée comme exclusivement féminine. Les Ankave font donc très

logiquement renaître et grandir les novices à travers l’ingestion de jus de pandanus, un

substitut du sang du premier homme (que l’on peut qualifier de déféminisé puisque,

par définition, celui-ci n’avait pas de mère !) et en les enduisant de cette sauce

vermillon (Bonnemère, 1994). Du soleil, il n’est pas question.

22 Cependant, divers appareils du rituel des Ankave, et notamment des éléments du

théâtre végétal qui leur sert de décor à plusieurs reprises, pourraient conduire à des

interprétations donnant au soleil un rôle important dans les initiations de ce groupe,

alors même qu’il ne fait pas grand-chose dans ces histoires. C’est de cette ambiguïté

qu’il importe d’exposer et de commenter les termes. Observer en train de se faire des

rites d’apparence semblable et pourtant si différents permet de saisir en quoi, sinon

comment, ont parallèlement évolué des imaginaires, des objets, des gestes, et des

théâtres rituels qui font plutôt privilégier le sang féminin au sperme dans des

représentations de la vie qui retentissent profondément dans la vie des gens.

Quand le soleil s’éclipse : objets sacrés et rites ankavevus en clef baruya

23 À l’instar des Baruya, les Ankave font de l’origine de l’humanité actuelle et de celle des

objets sacrés et des initiations deux événements contemporains et liés entre eux qu’ils

situent dans la vallée de Menyamya, en un lieu où les mythes ankave rapportent que le

premier homme distribua et les langues et les décorations corporelles de tous les

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groupes linguistico-culturels anga. Incapable de dire son propre nom, l’homme fut mis

à mort et, là où se répandit son sang poussèrent le pandanus rouge et les cordylines

oremere’. Son esprit expliqua en rêve aux ancêtres des Ankave avec quoi et comment

initier les garçons. Il ordonna de fabriquer un poinçon avec l’un de ses os et de l’utiliser

pour perforer le septum des novices, puis de les frotter de jus de pandanus rouge.

24 Pour l’anthropologue, un objet sacré oremere’ (du même nom que les cordylines rouges)

appartient clairement à la même classe d’objets que les kwaimatñe des Baruya, avec une

immense différence, cependant : l’absence de toute référence au Soleil dans les mythes

d’origine des objets sacrés et des initiations elles-mêmes. La place qu’occupe le Soleil

chez les Baruya (et d’autres Anga du nord) comme origine des pouvoirs masculins est

tenue chez les Ankave par l’homme primordial apparu près de Menyamya. Pour eux,

aucune force émanant du Soleil n’est transmise aux initiés, mais seulement celle de ce

premier homme, doublée par celle d’un héros légendaire « récent », Natemewo. L’objet

oremere’ est un être animé et doué de perception puisqu’il sait que des initiations vont

avoir lieu dès que le maître des rituels le sort de sa cachette (« sonwëwuñe ! »,

« regarde ! »). Et c’est à lui qu’il parle lorsqu’il referme et range le paquet magique :

« Tu as tué des hommes / enfants ; retourne dormir dans ta maison ! ». La masculinité

ingérée par les futurs guerriers ankave provient du sang du premier homme et non du

Soleil dont les Baruya transmettent la force aux novices, tant via le sperme des aînés

que par leur contact physique avec le kwaimatñe. Bref, ce n’est pas le Soleil, mais un

homme – un représentant de l’humanité actuelle –, sorte de premier ancêtre sans

descendance de tous les Anga susceptible d’être partagé et distribué entre eux tous sous

forme de reliques humaines, qui est l’acteur principal des cérémonies4.

25 Il suffit pourtant de regarder quelques instants les rites ankave avec les yeux d’un

anthropologue spécialiste de leurs lointains cousins baruya pour être, sinon ébloui, au

moins interloqué par toute une série d’éléments du décor, par des gestes, et même des

paroles, qui prouvent que le Soleil n’est pas loin. Mais pas loin pour qui ? Seulement

pour les ethnologues comparatistes à l’affût de variantes, ou également pour les

Ankave ? Et avec quelles conséquences pour notre connaissance des mécanismes de

l’invention et de la transformation des codes culturels ? C’est toute la question.

Un mythe pour éclairer la variante sans Soleil

26 Il est deux moments du cycle initiatique ankave où l’impression de « déjà vu » est si

forte pour un observateur imprégné de culture baruya qu’il serait très facile de voir le

soleil s’y infiltrer. À la fin de la période de réclusion du premier stade, d’abord, les

novices sont brutalement propulsés à près d’un mètre en l’air le long d’un immense

tronc d’arbre (un Syzygium) que raclent leur ventre et leurs bras. Un spécialiste des

Baruya ou des Sambia serait tenté de voir là une transfusion vers le bas-ventre des

garçons d’une force descendant du ciel (et du soleil) via le tronc rouge orangé d’un

géant de la forêt. Il ne manquerait pas de remarquer que l’on construit parfois5,

appuyée à l’arbre, une grande plateforme semblable à celle sur laquelle les Baruya

hissent un à un les novices muka du premier stade des rituels (Dunlop, 1992 : 35).

Pourtant, des heures et des semaines d’enquêtes réparties sur plus de vingt ans auprès

d’une quinzaine d’hommes ne m’ont rapporté sur ce point qu’une seule information,

toujours la même : « Nous faisons ça aux gamins pour qu’ils n’aient pas peur de grimper

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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aux arbres lorsqu’ils cueillent des noix d’arec ou chassent les marsupiaux ». Puisqu’on

me le dit !

27 Ensuite, lors des rites du troisième stade, appelé tsuwangain, du nom de la décoration

d’incisives de cochon remise ce jour-là à un ou deux jeunes hommes dont la femme

vient de mettre au monde leur premier enfant, c’est tout le décor végétal du rituel qui

impose dans l’esprit de l’observateur l’idée d’une présence du soleil. Les rhombes

hurlent tandis que les participants, tous déjà pères et initiés tsuwangain, arrivent sur les

lieux, au moment où le maître des rituels achève de transfigurer un anodin coin de

forêt en site sacré. Elle aussi adossée à un énorme arbre à l’écorce rouge (un saoxe’,

Elaeocarpus sp.), une nappe d’écorce teintée en orange par du jus de pandanus (ogidze)

sert de présentoir à toutes sortes de décorations corporelles. Quinze ou vingt de ces

arbres, de petit diamètre, sont décorés de feuilles des mêmes saoxe’ ramassées sur le sol

et qui forment comme des couronnes rouges vif « comme le sang », me dit-on, à deux

mètres du sol (Lemonnier, 2005).

28 La base de ce petit autel repose sur le sol au centre d’un demi-cercle de cordylines

rouge pourpre. De type oremere’ (le même nom que l’objet sacré), elles sont supposées

avoir initialement poussé dans une terre gorgée du sang du héros primordial et l’expert

rituel les a coupées dans son propre enclos domestique, puis apportées là en grand

secret et disposées sur plusieurs rangs. Des parures de plumes, des colliers de dents de

cochons, des barettes nasales, des baudriers et bandeaux de cauris sont posés sur la

nappe d’écorce, à peu près à la place qu’ils occuperaient sur un homme. N’était le grand

nombre de parures exposées, on devinerait un personnage à demi allongé les pieds

dans des cordylines. D’autant que, secoué par un comparse dissimulé sous la nappe ou

par l’intermédiaire d’une liane tirée à distance, le grand rectangle orangé tremble

régulièrement au rythme d’un homme qui respire (ou expire ?). Le dos appuyé aux

petits saoxe’ les hommes menacent le novice auquel deux parrains viennent de faire

dévaler la pente menant à l’autel. Terrorisé par les haches et les gourdins, le jeune père

est enjoint de se placer au milieu des cordylines et de regarder le petit autel sous une

grêle de paroles telles que : « Si on dit que les ennemis arrivent, tu vas les regarder et te

sauver ? ».

29 Après de longues minutes de sermon, de cris violents et de menaces, le novice est

amené sous la nappe d’écorce où se cache le maître des initiations, accroupi à côté d’un

petit feu qui ne dégage aucune fumée. Lentement, on lui passe les mains et les

articulations des bras dans les flammes, si bien que j’ai longtemps eu du mal à ne pas

imaginer quelque plomberie cosmique mettant les hommes, les végétaux et les objets

présents au pied du saoxe’ en connexion avec la puissance du soleil. Mais les Ankave ne

sont pas les Baruya. Pour l’expert rituel ankave, ce n’est pas des pouvoirs du soleil qu’il

est question, mais de terre suwayé dont la version d’un récit semi-mythique dit qu’elle

contient du sang de Natemowo, ce super guerrier dont la mort dramatique fait un

doublon récent de l’ancêtre primordial. Pour l’anthropologue, il ne fait pas de doute

que l’être « distribué » allongé devant les novices n’est autre que Natemowo, évoqué

sous la forme d’une nappe de ogidze décorée comme celles sur lesquelles on exposait

naguère la dépouille des grands combattants. Les cordylines qui l’entourent sont celles

qui furent jadis plantées autour du cadavre de ce demi-dieu et qu’on se partagea

comme on le fit jadis, selon le mythe, de celles qui poussèrent dans un terre imbibée du

sang de l’ancêtre primordial, vers Menyamya.

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305

30 Le maître des rites tsuwangain me parle aussi des cordylines qu’il déterre et rassemble

en évoquant l’arc-en-ciel qui apparaît et se dissipe aussi vite que la transformation des

novices est intervenue ; et du soleil qui monte, rouge, lorsque l’arc-en-ciel disparaît.

Dans cette affaire, le soleil n’est donc pas absent, mais il est comme repoussé à la marge

du système imaginaire qui accompagne et rend plausibles les actions magiques (pour

nous) qui parachèvent les hommes. À la réflexion, la mise en scène du rituel tsuwangain

fait en effet immanquablement penser au mythe ankave d’origine du soleil, car, selon

ce récit, c’est le long d’un arbre saoxe’ que s’enfuit le marsupial aux yeux « comme le

soleil » qu’un chasseur avait blessé en plein foie d’une flèche multipointes. Le sang du

marsupial et l’animal lui-même se transformèrent en soleil, et ce sont les pointes de la

flèche que l’on voit chaque jour, lorsque les rayons de l’astre passent au-dessus des

montagnes, à l’aube. Le sang du marsupial monté au ciel est devenu le soleil rouge du

matin. Celui qui s’est répandu au sol a imbibé la terre suwayé – comme le fit bien plus

tard celui de Natemowo. Quant aux rayons orangés qui filtrent à travers les nuages, ce

sont les gouttes qui s’écoulaient du corps de l’animal pendant son ascension au ciel.

Structure, variantes, scories

31 Il est bien question de soleil en filigrane des rites tsuwangain des Ankave, mais c’est d’un

marsupial qui monte au ciel que parle leur mythe et, jamais, d’une descente des pouvoirs

du soleil. Et c’est parce qu’un humain, un chasseur, a fléché le marsupial-soleil que

celui-ci est à sa place dans le ciel. Le soleil qui vient aider les Baruya lors des initiations

et de chaque conception n’existe pas dans l’univers ankave. Ici, les héros fondateurs

sont des hommes du passé dont les pouvoirs sont toujours présents dans ces pandanus

qui teintent les ogidze6 et dans ces éternelles cordylines oremere’ que l’on coupe et

replante génération après génération, chaque fois qu’une cérémonie nécessite une

enceinte sacrée. C’est d’ailleurs des actes des humains que parlent les Ankave. À mes

insinuations sur le rôle de ce soleil bien rouge dont il évoquait la montée au ciel, le

maître des tsuwangain a répondu de la manière la plus claire : « C’est moi seul qui fais

ça ! ». Le soleil, et puis quoi encore ! Le soleil n’est pourtant pas loin de l’autel forestier,

mais pour qui ? De même, c’est à un homme, le premier, tué par des hommes, de

surcroît, que les Ankave attribuent l’origine ambiguë de leurs objets sacrés oremere7,

alors que c’est le soleil qui a envoyé les kwaimatñe aux Baruya.

32 Pour les anthropologues, le soleil qui se trouve à la marge des rites ankave est un

élément du système rituel masculin dont la signification diffère radicalement de ce

qu’elle est chez d’autres groupes anga, dont les Baruya. Et de cette transformation, de

cet engendrement de variante, un commentaire du mythe d’origine du soleil signale

clairement le nœud puisque « le sang du marsupial est devenu le soleil rouge du

matin ».

Ce que dit la variante ankave : du sang et du sens

33 Appliquée à des matériaux comparables – ici, un même ensemble mythico-rituel de

Nouvelle-Guinée – l’analyse structurale permet de retracer un cheminement logique

ou, au moins, de signaler les carrefours de sens, les points de différenciation, les

tensions autour desquels un thème mythique et un scénario rituel se réorganisent et

prennent une saveur culturelle locale. Dans le cas de sociétés « voisines » au moins,

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comme c’est le cas des Ankave et des Baruya, ces lignes de clivage à partir desquelles

ont été élaborées des variantes mythiques et rituelles à la fois proches et radicalement

dissemblables, prennent la forme d’oppositions simples du type de celles mises au jour

par le structuralisme lévi-straussien.

34 En comparant des rituels comparables en même temps que les mythes apparentés

qu’on leur associe localement, on voit s’affiner les déformations d’un schème culturel

plus ou moins général – l’initiation comme séparation d’avec la mère, renaissance entre

les mains des hommes et transformation de relations (Bonnemère 2008) – lorsqu’il

passe à travers le double filtre d’un ensemble culturel particulier et d’une histoire

locale. Cette comparaison au plus près fait ressortir l’accent que les Ankave mettent sur

le sang : sang du héros primordial, d’un guerrier formidable, d’un marsupial qui donna

naissance au soleil. Contenu dans des argiles, des cordylines ou dans le jus du pandanus

rouge, le sang de ces êtres surnaturels est présent lors de ces événements récurrents

que sont les rituels. Il ne s’agit pas de manifestations métaphoriques du liquide auquel

les Ankave attribuent la vie, mais bien de sa présence réelle. Ne me dit-on pas qu’il

suffit de secouer tel entrenœud de bambou pour que l’argile des premiers temps le

remplisse à nouveau, aussi humide de sang que lorsqu’un ancêtre l’avait recueillie ? On

me fait également remarquer (!) que, sitôt déterrées, les cordylines plantées au pied de

l’arbre qui fut le chemin du marsupial-soleil cessent de briller, preuve indirecte de la

vie dont elles resplendissent au moment où elles entourent l’autel secret. Quant à

l’autel, il vit autant du sang du marsupial grimpé au ciel que de celui de Natemowo –

héros qui respire encore, si l’on en juge par les tressaillements de la nappe d’écorce qui

le représente.

35 L’histoire, c’est-à-dire les mythes ou les commentaires des rites que j’observe, ne dit

pas toujours si les cordylines rouges utilisées dans les rites masculins ankave sont

plutôt emplies du sang de l’homme primordial, de celui de Natemewo ou de celui du

marsupial, mais c’est chaque fois de sang qu’il s’agit. Même chose pour l’argile suwayé,

que l’on me présente comme tantôt gorgée du sang du premier homme, tantôt de celui

du marsupial-soleil. Et c’est encore autour du sang que se joue le tour de passe-passe

qui permet aux hommes d’imaginer leur rôle premier – et non celui d’un être du

cosmos comme le soleil des Baruya – dans la machinerie des initiations de deux

premiers stades. Les pouvoirs qui y sont mis en jeu sont ceux du sang. Celui-ci est

réputé être féminin et maternel par nature, mais c’est bien de sang d’homme que sont

gorgés le pandanus, les cordylines et diverses argiles liés à la mort de l’homme

primordial car, par définition, ce héros n’a pas de mère.

Et le sujet ?

36 L’étude des variantes des mythes et des rites masculins anga révèle des éléments de

systèmes de pensée et d’action qui, d’un groupe à l’autre, sont tantôt centraux, tantôt

neutres, non marqués, presque transparents. Le fait que les mythes ankave décrivent

des arbres rouges semblables à la route à sens unique empruntée par un marsupial

blessé pour grimper au ciel et devenir le soleil conduit à se souvenir que les Anga du

Nord (Baruya et Sambia en l’occurrence) mettent à l’inverse l’accent sur les descentes

régulières des pouvoirs de l’astre et leurs interventions dans le monde des hommes.

Mais de cette possibilité, les Ankave, eux, ne savent rien et n’ont rien à faire. Tout ou

partie des fonctions qui sont celles du soleil chez les Baruya et les Sambia sont tenues

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

307

par le sang dans le système de pensée ankave et, par rapport à la constellation

mythique des deux premiers groupes, le lien entre les héros (l’homme primordial et

Natomewo) et le soleil est comme rompu. Chez les Ankave, la grille d’analyse en clef de

soleil ne montre pas autre chose que la trace d’une configuration précédente ou le

germe d’une signification autre. Le soleil ressemble fort à un agent secondaire, non

marqué, non commenté et non mis en objets. Dans l’hypothèse où les initiations ankave

relèvent d’un système de pensée qui fut également commun aux Anga du Nord, le soleil

et les bribes de décors rituels qui l’évoquent chez les Ankave se présentent comme des

scories en perte de signification d’un système mythique et rituel précédent ou comme

des éléments de sens en attente de signification.

37 Les variantes qui résultent de la transformation conjointe des mythes et des rites que

j’ai explorée n’ont guère d’explication ; mais elles ont des effets ou des échos quotidiens

dans la vie des hommes et des femmes qui les vivent et les mettent en œuvre. On

pourrait avancer l’idée que la coopération entre une femme et son époux a peut-être

quelque chose de nécessaire dans un groupe comme les Ankave, constitué de familles

réfugiées – ou fuyant les monstres cannibales ombo’ –, qui exploitent seules, et toujours

à quelque distance les unes des autres (Bonnemère et Lemonnier, 2007 : 21-36 ;

Lemonnier, 2006 : 39-48), des recoins supposés tranquilles de la forêt. Et qu’il est peut-

être alors plus délicat de rendre les femmes totalement responsables des misères des

hommes et qu’il devient pensable de leur reconnaître explicitement un rôle dans la

fabrication des guerriers comme c’est le cas chez les Ankave ?

38 Au-delà de ces hypothèses presque hasardeuses, mieux vaut considérer qu’il n'y a guère

de nécessité dans la logique d'un imaginaire collectif, mais seulement des conventions :

pourquoi le sperme et le soleil plutôt que le sang et un héros humanoïde ; pourquoi

mettre en histoire une création baruya des objets sacrés par le soleil plutôt qu’une

origine ankave du soleil due à un acte humain (tuer un marsupial) ? En revanche, les

éléments de ce système de pensée pan-anga sont localement cohérents les uns avec les

autres. Ainsi, dans des rituels concernant une renaissance, comme c’est le cas des

initiations masculines, il est « cohérent » de donner au sperme ou au sang la place

qu'ils occupent dans les représentations locales de la conception des êtres humains :

l’élément auquel on accorde le rôle le plus important (voire unique) dans la fabrication

d’un être humain est celui qui est mis en avant lors de la production des guerriers. Et, là

où, pour quelque raison, le sang féminin se voit conférer la part belle dans la croissance

d'un embryon, la présence active des mères lors des initiations masculines n'est pas

pour surprendre (Bonnemère, 2008).

39 L’analyse comparée n’éclaire pas la présence d’un ensemble mythe-rite particulier en

un lieu et temps donnés, mais, pris tous ensemble, les gestes, les paroles, et les objets

du rituel sont autant d’éléments qui se renvoient les uns aux autres et construisent,

pour le sujet, l’ambiance culturelle dans laquelle il vit. L’analyse conjointe des mythes

et des rites montre sur quoi portent ces transformations, mais aussi, et c’est essentiel,

de quelles caractéristiques des organisations sociales ou des représentations ces

variations sont concomitantes. Dans le cas des Ankave, tant les mythes que les rites

disent, avec et sans mots, l’importance du sang maternel. Mais ce n’est pas tout.

40 Aux différences que l’anthropologue met au jour, à la fois dans l’imaginaire des

initiations, dans les actions rituelles, dans les objets sacrés et dans d’autres éléments

matériels du système rituel correspondent des manières de vivre dissemblables, dont

les conséquences sociales et individuelles sont lourdes pour les hommes et femmes qui

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308

sont membres des groupes en question. Comme le rappelait Juillerat, des rites

d’initiation « mettent en scène des sujets réels, individuels (les initiés) et collectifs (des

classes d’âge, la communauté masculine), inscrits dans l’histoire du groupe » (Juillerat,

2001 : 264-265). Pour celui qui y participe d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire

comme novice, parrain initiatique, organisateur, spectateur, parent d’un initié etc., ce

qui se joue dans le cadre rituel est en résonance avec ce qu’il ou elle sait déjà des

relations entre les hommes et les femmes, de leurs substances respectives, des

substituts de celles-ci et de leurs pouvoirs.

41 Au-delà des initiations proprement dites, les relations que ces rituels imposent ou non

entre un novice (puis un initié puis un jeune homme) et ses parents varient d’une

manière qui ne peut que retentir profondément sur la vie intime des sujets, en

particulier les modalités de la séparation des garçons d’avec leur mère.

Formidablement violente et longue de plusieurs années chez les Baruya (Godelier,

1982 : 63) et les Sambia (Herdt, 1981 : 135, 216, 289-290), celle-ci n’est que temporaire

pour les initiés ankave, qui, dès le second stade, peuvent revenir chez leurs parents

après deux mois passés dans une maison de célibataires. Tout aussi sidérantes pour un

spécialiste des Anga du Nord sont les actions des femmes durant les rites ankave,

actions que les hommes eux-mêmes jugent nécessaires à la réussite de ceux-ci, alors

que cette simple idée serait quasi blasphématoire pour un Baruya. De même, on

imagine l’importance, là où elles existent, de pratiques susceptibles de retentir sur la

structuration psychique des individus : l’homosexualité ritualisée, centrale chez les

Baruya et Sambia et inexistante dans les cérémonies masculines des Ankave.

42 Une co-variation n’est pas la démonstration d’une causalité, mais force est de constater

que la reconnaissance par les hommes ankave, sinon de l’origine féminine de la

substance à laquelle ils donnent le premier rôle dans les initiations8, le sang, au moins

du rôle des femmes dans toute naissance, va de pair avec leur part cruciale dans les

rites masculins et avec le statut de celles-ci, plutôt enviable si on le compare à celui

d’autres femmes Anga, et, d’abord, avec la moindre violence des hommes envers elles

(Bonnemère, 1996 : 381-382). Car, pour les Ankave, les femmes sont seulement

responsables, mais pas coupables des faiblesses des hommes, alors que toutes les

misères des hommes sont de leur faute, pour les Baruya ou les Sambia (Godelier,

1982 : 84-90 ; 1996 : 46-51; Herdt, 1981 : 225-226).

43 Conséquence directe de cette vision des choses, il n’existe pas d’initiations féminines

chez les Ankave (Bonnemère, 1996 : 381), alors que, chez les Baruya, où l’on observe une

« dénégation de l’importance des femmes dans le procès de reproduction de la vie »

(Godelier, 1982 : 229), les femmes elles aussi sont initiées, lors de cérémonies où

d’autres femmes imposent « à des jeunes filles prêtes parfois à se rebeller contre les

règles d’un jeu qui les donnent à un homme dont elles ne veulent pas, l’ordre de leur

société qui est l’ordre de la domination masculine » (Godelier, 1982 : 87-89). Rien de tel,

donc, n’existe chez les Ankave où la reconnaissance du rôle du sang et des femmes,

dans la reproduction de la vie et dans les initiations, est autant lisible et ressentie par le

sujet lors des initiations qu’à travers les interactions quotidiennes entre les hommes et

les femmes qu’il observe et auxquelles il participe.

44 À défaut d’explication rendant compte de la production d’un ensemble mythe-rite

particulier, la façon dont les mythes et les initiations se transforment et confèrent au

sang les pouvoirs qui sont les siens chez les Ankave retentit donc bien au-delà des seuls

rituels, puisque, à la cohérence des rapports entre mythe et rite, correspond autant la

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309

part du sang et des femmes dans l’action rituelle que le respect relatif dont elles

jouissent dans la vie de chaque jour. Lors des initiations, le sujet masculin apprend

progressivement des mythes et des significations qui, de diverses manières, débordent

de beaucoup le moment rituel proprement dit. Il ressent notamment, dans son corps et

dans son esprit, de façon verbale et non verbale, des actions, des émotions et des

savoirs relatifs au monde où il est né et où il vit, et qui président aux transformations

que sa personne subit lors des cérémonies. Manière de répondre partiellement à la

question que se posait Juillerat à propos de l’élaboration et de l’acquisition de

« représentations déjà instituées dans la culture (qui) font partie de l’héritage que tout

nouveau sujet reçoit au cours de sa socialisation » (2001 : 165).

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NOTES

1. Voir sur ce point précis la réponse de Juillerat à Bensa sur les dimensions non conscientes de

la culture (Juillerat, 2004 : 161).

2. Une place centrale, et non la place centrale, car plusieurs sociétés anga, dont les Ankave,

organisent également d’importantes cérémonies funéraires (Lemonnier, 2006).

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311

3. La mort des novices n’en est évidemment pas une, mais seulement un processus de

transformation du corps si dangereux – perforation du septum nasal avec de réels risques de

septicémie – qu’il implique un voisinage réel avec la mort.

4. « Reliques » est sans doute ici un mot-clef car, dans le cours même des rituels, alors que les

Baruya ou les Sambia font passer entre les générations d’initiés du sperme venu d’un père

suprême qui est le soleil, c’est à un humain en chair, en sang et en os que les Ankave doivent ce

qu’ils sont et ce qui leur permet de se reproduire comme ils sont, c’est-à-dire semblables aux

autres Anga et en même temps formidablement différents d’eux. Les pouvoirs que les Ankave

transmettent aux initiés sont rendus visibles et efficaces par des objets (os, cordylines gorgées de

sang) qui sont, pour eux, d’une même nature – humaine – que les héros dont ils proviennent.

J’essaie ailleurs, mais encore sans succès, de démêler toutes les implications de cette mise en

reliques (Lemonnier, sd).

5. En 1994, lors des rites du premier stade, une telle plateforme fut construite au pied d’un saoxe’,

puis immédiatement détruite. On avait sans doute jugé inutile de l’utiliser car les racines

aériennes (contreforts) de l’arbre étaient de petite taille, si bien qu’il était possible d’atteindre la

partie régulière du tronc depuis le sol.

6. . Par contraste, les ypmoulié baruya, dont on vu qu’il sont la « route de feu » venant du soleil,

sont découpés dans une nappe d’écorce battue préalablement trempée dans du jus de bétel (pour

acquérir sa teinte rouge).

7. Ambiguë car, si ce sont des hommes qui tuèrent le premier d’entre eux apparu sur la terre,

c’est cet homme primordial qui confia en rêve aux Ankave comment initier les garçons avec ses

os (poinçon et rhombe) et son sang (présent dans les cordylines et le pandanus rouge).

8. Comme me le fait remarquer Maurice Godelier, le sang du premier homme, présent dans le jus

de pandanus rouge qui fait croître les novices avant leur renaissance à la fin du deuxième stade

des rituels ne présente aucune ambiguïté car ce héros n’a pas de mère. Celui de Natomowo, en

revanche, héros humain « récent », est d’origine indubitablement maternelle. Ce sont alors les

cordylines, imbibées du sang des deux héros, qui sont d’origine ambiguë.

RÉSUMÉS

Organisés par les hommes sous l’autorité de maîtres des initiations, les rites masculins des Anga

de Papouasie Nouvelle-Guinée mettent classiquement en scène une mise à mort symbolique, puis

une renaissance des initiés. Malgré des théâtres végétaux et des gestes globalement semblables,

les significations et le détail des actions rituelles varient parallèlement aux mythes d’origine des

rituels selon une transformation structurale qu’il est possible de préciser. La comparaison des

rites Ankave et Baruya montre des modifications conjointes de leur déroulement, de leur décor et

de leur exégèse qui renvoient aux êtres et entités surnaturels auxquels les mythes d’origine de

ces rituels attribuent les substances, les pouvoirs et les mises en relations avec des êtres

primordiaux qui transforment les jeunes garçons. Pour le sujet qui y participe, ces rituels sont

l’occasion de percevoir de façon non verbale quelques-unes des valeurs centrales de la société où

il grandit.

Organized by men under the supervision of initiations masters, the male rituals of the Anga of

Papua New Guinea classically stage a symbolic death followed by a rebirth of the initiates. The

vegetal theatres at hand and the gestures observed look roughly similar, but the detail and

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312

meanings attributed to ritual actions vary according to a structural transformation that may be

delineated. The comparison of Ankave and Baruya rituals shows concomitant modifications of

their procedure, setting, and exegesis which relates to the supernatural beings and entities to

which the origin myth of the rituals grant the powers, substances, and relations with primordial

beings which transform the young boys. For the individual submitted to them, these rituals are

an opportunity for a non verbal perception of some of the key values of the society in which he

grows up.

INDEX

Mots-clés : Anga, mythe, rituel, transformation structurale

Keywords : Anga, myth, ritual, structural transformation

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Miscellanées

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Étude d’une grotte sépulcralepréservée de Nouvelle-CalédonieChristophe Sand et André-John Ouetcho

1 Si les traditions orales kanak et les descriptions des premiers explorateurs occidentaux

qui ont sillonné l’archipel calédonien décrivent parfois de façon détaillée l’existence de

grottes sépulcrales renfermant de nombreux objets (voir par exemple Lambert, 1900),

les multiples pillages et ramassages occasionnés par les visiteurs de passage ont, depuis

le XIXe siècle, progressivement vidé ces sites anciens de leur contenu mobilier, quand ce

n’est pas également de leurs restes osseux. Dans ce contexte, la découverte et l’étude

préliminaire d’une grotte sépulcrale apparemment intacte ouvre une fenêtre sur ce que

devaient être, avant le processus colonial, les dépôts funéraires intacts. Ce texte

présente les données obtenues sur un site de la Grande Terre calédonienne (province

Nord), à la suite du signalement en 2001 par un spéléologue amateur d’une grotte

isolée, renfermant des vestiges archéologiques1. Une première visite avait alors permis

de confirmer que ce site était particulièrement riche en vestiges anciens et comportait

des indications claires d’utilisation comme lieu de sépulture, incitant à réaliser en avril

2003 une étude préventive du site, avant d’en fermer l’entrée afin d’éviter des pillages.

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315

Figure 1. – Plan général de la grotte sépulcrale fermée et coupe de la partie centrale de la grottesépulcrale (à partir du point 0 du plan)

La grotte

2 La grotte sépulcrale est localisée dans un environnement karstique. Elle mesure, à

partir de son unique entrée, 19 m dans un axe sud/sud-ouest~nord/nord-est et 29 m

dans un axe est-ouest (partie centrale) (figure 1). Le dénivelé entre le sol de l’entrée et

le sol du fond de la grotte centrale est de 2,8 m (axe sud-nord), la hauteur de plafond

variant entre 0,5 et 2 m, avec une moyenne de 1,5 m. Les stalactites ont toutes été

cassées à une date ancienne puisque des fistuleuses, pouvant atteindre plusieurs

centimètres, ont eu le temps de se reformer. Une chambre centrale d’environ 80 m2 est

flanquée à l’ouest d’une petite pièce d’environ 30 m2 et à l’est d’un boyau se

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poursuivant sur près de 15 m. Ces deux ensembles latéraux sont en partie en forte

déclivité et présentent une faible hauteur de moins de 1,2 m. Différents décrochements,

avec dalles et conduits, subdivisent chaque zone. Le sol est formé d’un remplissage

rougeâtre, composé de sédiments issus de la décomposition du corail, de terres

infiltrées de la surface et du guano produit par les oiseaux.

Figure 2. – Vue de la partie centrale de la grotte funéraire, avec la colonne et les deux cairnsprincipaux

Les structures

3 La pièce centrale concentre la grande majorité des vestiges archéologiques, en

particulier dans la partie centrale nord (figure 2). Le point focal est formé par une

stalagmite d’environ 150 cm de hauteur et 70 cm de diamètre moyen, en forme d’obus,

dont le sommet est entièrement piqueté et comporte des traces de raclage. Il n’est pas

évident que cette stalagmite soit à sa place naturelle de formation. Il est plus probable

qu’elle ait été placée là par l’action humaine, mais seule une fouille à sa base

permettrait de confirmer cette hypothèse. Au nord-ouest de cette colonne se trouve un

cairn composé d’une accumulation de blocs de corail fossile et de stalactites brisées

(cairn 1), de forme grossièrement rectangulaire et mesurant 70 cm de côté sur 40 de

hauteur. Un crâne humain est visible au centre de cette structure (figure 3).

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317

Figure 3. – Vue du cairn 1, renfermant au moins un crâne humain, avec les bracelets en cône posésen sommet et des nautiles à la base

4 Au sud-est, un autre cairn de plus grande dimension (130 cm sur 120 dans sa plus

grande largeur) a une hauteur maximale de 60 cm (cairn 2). Aucun ossement humain

n’est visible entre les pierres, mais on note la présence de blocs de roches minérales

(fer et chrome) dans l’appareillage du cairn. Un de ces blocs ferreux est très compact et

lourd. D’autres blocs rocheux d’origine péridotique sont présents autours du cairn. Ces

roches ne sont pas naturellement présentes dans l’environnement karstique où se

trouve le site. Ils ont donc été apportés par l’homme dans la grotte après avoir été

transportés sur une distance de plusieurs kilomètres minimum. Une petite stalagmite,

cassée, est située à l’est de la colonne centrale et mesure 80 cm de hauteur : un

coquillage (porte-montre) percé a été placé sur son sommet.

5 Un autre ensemble d’aménagements se trouve à la limite de la pièce centrale, au début

du boyau est. Sous une grosse dalle effondrée ont été localisées deux niches basses

renfermant des squelettes humains bordés par un petit entourage de blocs de corail

fossile. Le choix de dépôt funéraire laisse à penser qu’ils ne sont pas nécessairement de

même époque que les os du cairn ou que ces défunts avaient un statut social différent.

Le sommet d’un autre alignement de blocs de corail fossile se distingue à l’entrée du

boyau, en partie recouvert naturellement par du sédiment. Quelques ossements

humains ont également été observés dans le boyau ouest : certains de ceux-ci

pourraient être issus d’un glissement de sol provenant de la surface. D’autres petits

cairns sont présents dans les parties profondes de la grotte.

Objets archéologiques

6 Cinquante-cinq objets ont été observés dans la zone immédiatement autours de la

colonne centrale et une trentaine d’autres dans les différents compartiments latéraux

(hors ossements humains et tesson). Une visite relativement récente, qui n’apparaît pas

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avoir donné lieu à un pillage, est prouvée par la découverte d’une bougie au pied de la

colonne. Il doit être noté que différents objets étaient, lors de l’étude, partiellement ou

presque complètement enfouis dans le sol, indiquant que d’autres vestiges se trouvent

probablement aujourd’hui en stratigraphie, sous la surface du sol.

Tableau 1. – Famille de coquillage et répartition

Catégorie Autour de la colonne Compartiments latéraux Total

Percé Non percé Percé Non percé

1. Turbo sp. 0 0 0 3 3

2. Strombus sp. 0 1 0 2 3

3. Nautilus macrophalus 0 15 0 6 21

4. Trochus niloticus 0 3 1 1 5

5. Porte-montre 1 3 2 1 7

6. Charonia tritonis (triton) 1 1 0 2 4

7. Lambis sp. 1 2 0 1 4

8. Ovula ovum (porcelaine blanche) 1 1 0 0 2

9. Tonna sp. 5 5 2 3 15

10. Bursidae ( ?) 1 2 0 0 3

11. Bracelet en Conus sp. 0 7 0 1* 8

12. Placostylussp. 0 1 0 3 4

13. Tridacnidae 0 2 0 1 3

14. Pectensp.(coquille St-Jacques) 1 1 0 0 2

Total 84

(* = Bracelet non terminé)

7 L’étude a permis de relever quatorze catégories différentes d’objets présents à plus

d’un exemplaire (tableau 1). Parmi les coquillages comportant des indications claires de

transformation anthropique, se trouvent des bracelets en trocas et en cône, ainsi que

des tritons, des porcelaines blanches, des porte-montres et des Bursidae

volontairement percés. Il faut ajouter à ces objets une râpe dentée en nacre, un couteau

en nacre et un os de seiche, ainsi que plusieurs coquilles d’Anadara scapha. Un seul

tesson, fin, de type tradition de Balabio (1er millénaire après J.-C.) a été découvert au

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319

pied du cairn 1. La figure 4 positionne les objets découverts dans la grotte, avec une

concentration autour de la colonne centrale. L’étude de répartition permet de noter

qu’il n’y a pas réellement de concentrations des différentes catégories d’objets suivant

l’emplacement dans le site, mais plutôt une diversité entre les trois aires de

répartition que sont la colonne et les deux cairns.

Figure 4. – Répartition des vestiges archéologiques dans le reste de la salle principale

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320

avec le détail des vestiges autour de la colonne centrale (se référer aux numéros du tableau 1)

8 Les coquillages (à l’exception possible des Placostylus, dont au moins deux variétés

semblent présentes) ont tous été apportés volontairement dans la grotte. La majorité

comporte des traces de transformation pour en faire des objets utiles : trous de

ligature, percement pour être enfilés ou servir de conque, polissage d’un bord pour une

créer un tranchant, etc. Certaines pièces sont clairement des parures, comme les

bracelets en cône et les « coquilles de chef » (Bursidae) percées. D’autres ont

probablement servi de conques d’appel ou étaient à un moment donné enfilées sur une

perche. La présence de nombreuses coquilles de nautile, coquillage par nature fragile,

est peut-être liée à une utilisation spécifique (« symbolique » ?) de ce céphalopode. La

figure 5 présente quelques exemples d’objets inventoriés.

Figure 5. – Différents types d’objets présents dans la grotte sépulcrale

Image5

Premières datations

9 Afin d’avoir une indication générale de la période de mise en place d’au moins une

partie de ce site, des datations ont été réalisées, l’une sur du charbon prélevé en surface

dans le début du boyau est et l’autre sur une coquille d’Anadara prélevée en surface à la

base de la colonne centrale. Après traitement, le charbon a été daté à deux sigmas de

520 (400) 380 avant J.-C. (Beta-179507) et la coquille de 350 (440) 540 après J.-C.

(Beta-179508). Ces datations viennent compléter le corpus d’informations disponibles à

ce stade pour le site, bien qu’il faille souligner que l’interprétation de ces résultats reste

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difficile car aucun des deux échantillons ne provient de contextes stratigraphiques

contrôlés.

Discussion

10 L’étude réalisée sur l’abri funéraire découvert en 2001 a permis de se faire une idée

relativement précise du contexte existant jusqu’à la colonisation sur la Grande Terre

dans ce type de site, avant que la grande majorité d’entre eux ne soit pillée, afin en

particulier de récupérer les parures en coquillage. Au vu du nombre de vestiges

présents en surface, dans une grotte finalement de petite taille et sans même la

réalisation de fouilles, on comprend mieux l’immense quantité de parures en coquillage

issues de l’archipel, présentes dans les collections muséographiques et privées.

11 La diversité et le manque apparent d’ordre dans le positionnement des objets autour de

la colonne rendent difficile toute interprétation directe de ce site. Le caractère

funéraire de la grotte est démontré par la présence de sépultures à entourage de blocs

de corail et par l’observation d’au moins un crâne dans le cairn 1. Mais la présence sur

la colonne centrale – qui forme de toute évidence le point focal de l’organisation

spatiale de la grotte – de nombreuses traces de coups et de quelques traces de

polissage/raclage pourrait indiquer que cet aménagement avait une fonction

« rituelle », démontre une utilisation de la cavité ne se limitant pas à l’aspect funéraire.

On sait en effet que certains rituels océaniens impliquent l’écrasement de fibres

végétales (Leenhardt, 1937).

12 L’absence de vestiges osseux apparents entre les blocs du grand cairn 2, contrairement

au cairn 1, ainsi que l’utilisation de blocs rocheux nécessairement apportés

volontairement de loin pour l’aménagement de la structure laissent à penser que, s’il

ne s’agit pas d’une sépulture sans os visibles, cette structure plus étendue aurait pu être

une sorte de reposoir ou d’autel plutôt qu’une tombe. Faute de fouilles, il n’est

également pas possible de définir l’utilisation des petits cairns présents dans la grotte,

bien que leur taille réduite rende une utilisation comme sépulture d’adulte

difficilement imaginable, laissant à penser que ces structures devaient avoir une autre

finalité. La présence de plusieurs « coquilles de chef » (Bursidae) ainsi que d’un couteau

en nacre et d’une lame en Lambis est peut-être une indication d’une utilisation

spécifique de cet aménagement formant le cairn 2. D’autres objets ont peut-être été

bougés, en particulier lors des visites plus récentes faites dans la grotte. Ainsi, le porte-

montre placé sur la petite stalagmite cassée a peut-être été mis à sa place actuelle bien

après la période d’utilisation du site pour des rituels. De même, il n’est pas évident que

les trois bracelets placés sur le cairn 1 soient dans leur position initiale. Il doit être noté

que d’autres cairns de même forme et ayant probablement eu des utilisations diverses

(sépultures, espaces à rituels) ont été identifiés dans d’autres grottes proches du site

décrit ici. Il ne s’agit donc pas d’un type d’aménagement exceptionnel pour la région,

cette tradition étant par ailleurs bien connue des sociétés océaniennes, en particulier

sur la Grande Terre (Leenhardt, 1937).

13 L’absence de fouilles dans la grotte et l’impossibilité de dater directement les objets et

les ossements dans le cadre de l’étude de 2003, puisqu’aucune pièce n’a été emportée

pour étude détaillée, rendent toute définition de la période de mise en place de cet

ensemble funéraire, difficile. Au vu des deux datations réalisées sur des échantillons

de surface, il apparaît néanmoins que les structures présentes dans l’abri remontent au

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minimum entre la fin du premier millénaire avant J.-C et le premier millénaire après J.-

C., une chronologie renforcée par la présence d’un tesson apparenté à la tradition de

Balabio découvert en surface. Une datation indirecte par les fistuleuses formées sur les

stalactites brisées volontairement, apparaît confirmer cette hypothèse d’une utilisation

relativement ancienne de la grotte.

Conclusion

14 La présentation synthétique d’une étude de grotte funéraire de la Grande Terre

calédonienne non pillée a permis de montrer la complexité probable d’utilisation de ce

type de site dans le passé. Outre l’aspect simplement funéraire, peut-être lui-même

divisé en au moins deux époques distinctes (sous cairn et en niche), la grotte a été de

toute évidence utilisée pour des rituels de nature indéfinie, identifiables en particulier

par la présence de surfaces écrasées et raclées en sommet de la colonne centrale, placée

volontairement entre les deux cairns principaux. Les objets découverts en surface des

structures se rattachent quant à eux à une typologie déjà connue pour la Grande Terre.

Dans ce contexte, il doit être souligné que les deux datations obtenues pour le moment

indiquent une chronologie précédant l’émergence de l’ensemble culturel traditionnel

kanak et l’apparition de certains de ses objets (Sand, 2001), venant encore renforcer

l’hypothèse d’une utilisation du site à plusieurs périodes de la chronologie

calédonienne.

15 À l’issue de la cartographie et de l’étude des vestiges de surface, la grotte funéraire a

été fermée, en prenant soin de permettre la poursuite de la circulation de l’air à

l’intérieur de la cavité. Cette découverte exceptionnelle a été l’occasion pour l’ancien

département Archéologie de Nouvelle-Calédonie de mener une information auprès du

public calédonien à travers les médias, afin de sensibiliser la population de l’archipel

sur la nécessité de protéger ce type de patrimoine fragile. Un relevé photographique

détaillé et une série de dessins ont été faits pour archive, afin de servir de base à une

étude complète de ce site unique dans l’inventaire archéologique calédonien.

Cette étude a été menée à bien dans le cadre des activités de l’ancien département Archéologie de

Nouvelle-Calédonie pour le compte de la province Nord. Les autorisations préalables ont été

obtenues auprès des autorités coutumières de la zone du site. Nous souhaitons remercier le

découvreur Laurent Lemaire, pour nous avoir contactés et avoir accepté de nous montrer la

grotte, et Stéphanie Domergue pour la PAO des plans.

BIBLIOGRAPHIE

LAMBERT révérend père, 1900. Mœurs et superstitions des Néo-calédoniens, Nouméa, Nouvelle

Imprimerie nouméenne.

LEENHARDT Maurice, 1937. Gens de la Grande Terre, Paris, éditions Gallimard (republié en version

augmentée en 1953).

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SAND Christophe, 2001. Changes in non-ceramic artefacts during the prehistory of New Caledonia,

in G. Clark, T. Sorovi-Vunidilo and A. Anderson (eds), The archaeology of Lapita dispersal in Oceania

(Papers from the Fourth Lapita Conference, June 2000, Canberra, Australia), Canberra, Australian

National University, RSPAS, Occasional Papers in Prehistory, pp. 75-92.

NOTES

1. Pour des raisons évidentes de protection, l’emplacement exact du site n’est pas indiqué dans

cette note. En plus de l’enregistrement dans les archives de l’Institut d’archéologie de la

Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP), la position du site a été déposée auprès de la direction

de la culture de la province Nord et remise aux autorités coutumières concernées, afin de garder

une trace au cas où, dans le futur, des recherches plus approfondies apparaîtraient nécessaires.

* Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP),

[email protected] et [email protected]

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Écoutons les chants de TakuuGilles Bounoure

RÉFÉRENCE

Richard MOYLE, 2007. Songs from the Second Float. A Musical Ethnography of Takú Atoll, Papua

New Guinea, Honolulu, University of Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph Series 21,

XXIV-310 p., glossaire, bibliogr., index, cartes, schémas, nombreuses ill. dans le

texteRichard MOYLE, 2005. Songs from the Second Float. Music from the Island of Takú.

World Premiere recording, CD Manu 2042, Auckland, ODE Record Company.

1 Peu de citoyens de Papouasie Nouvelle-Guinée connaissent l’existence de l’atoll de Takú

(jadis dénommé Marqueen ou Mortlock, nom que porte aussi un groupe d’îles de

Micronésie), enclave polynésienne isolée au nord-est des trois millions de km2 de zone

maritime que compte leur État. Cinq à six cents habitants y vivent aujourd’hui, mais

sans certitude de pouvoir s’y maintenir. Leur histoire récente est ponctuée de drames.

Avant le passage des Blancs, ils devaient être quelque deux à trois cents, si l’on se fie au

nombre et à la taille des grands canots de pêche aux proues ouvragées grâce auxquels

ils allaient pêcher au-delà du lagon les poissons les plus prestigieux, thons, requins et

Ruvettus pretiosus1. Ils n’étaient plus que cinquante en 1885 (Parkinson, 1887-1888 : 209),

et une décennie plus tard, dix-sept sur une photographie les réunissant tous (et peut-

être due aussi à Parkinson, qui parle d’environ « 20 Seelen » en 1896, dans son livre de

1907, p. 517 ; photo reproduite par R. Moyle p. 19). En 1913, ils n’étaient plus que neuf,

selon un témoignage peu connu sur lequel on reviendra (Jacques, 1922 : 160). Dès 1884,

les grands canots ne servaient plus (Churchill, 1909 : 88).

2 Avant les baleiniers (dont les insulaires de Takú auraient réussi à tuer un équipage et à

faire disparaître le navire selon Parkinson [ibid. : 534], voir R. Moyle, 2007 : 30-32 et 276

note 21), il y eut les pêcheurs d’holothuries à destination du marché chinois, pour qui la

qualité insurpassable des « bêches-de-mer » de ces eaux-là justifiait toutes les ruses et

toutes les violences. Autre « enclave polynésienne » de cette même province des

Salomon du Nord, les îles Carteret (Kilinailau) portèrent longtemps dans la littérature

occidentale le nom d’îles « du Massacre » après le passage du capitaine Benjamin

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Morrell en 1830 et ses coups de force pour établir sur un des points de cet atoll son

hangar de préparation et de séchage du « trépang » – épisode que Dumont d’Urville lui-

même relate avec un certain dégoût (1835 : 163-168). Pour Takú, le récit apologétique

qu’a laissé Andrew Cheyne de sa campagne de pêche (Shineberg, 1971 : 295-302) de la

fin décembre 1843 à la fin janvier 1844 en dit long non pas sur les insulaires, mais sur

les précautions prises contre eux, sauf à les massacrer, pour pouvoir piller le lagon et

couper des arbres sans leur accord : palissades, tranchées, sentinelles… Comment ces

visites qui n’étaient pas de courtoisie diffusèrent les maladies occidentales à Takú, on

ne peut que le supposer, faute de sources écrites là comme ailleurs, mais personne ne

saurait attribuer aujourd’hui avec Churchill (1909 : 92) cette dépopulation dramatique à

la « nature sans pitié » et à une « lutte pour la vie » trop inégale pour les insulaires.

3 Les avanies ne s’arrêtèrent pas là. Il semble peu douteux que Parkinson, même s’il ne

s’en est pas vanté, aura parlé à sa belle-sœur la « reine Emma » de la dépopulation de

l’atoll qu’il venait de constater et qu’il lui aura suggéré d’installer un « comptoir » dans

son île principale, quitte à en déplacer les quelques habitants sur un îlot voisin,

Kapeiatu. Moyennant quatre haches et dix livres de tabac, elle procédait à « l’achat » de

l’ensemble de l’atoll dès 1886, mais la mise en exploitation réclama quelques années de

plus, nouvelles plantations, déportation des insulaires, installation de travailleurs

venus de Buka, de Nouvelle-Bretagne et même de l’Amirauté. La crise du coprah et la

prise de contrôle en 1914 par les autorités australiennes de cet atoll sous

administration allemande depuis trente ans ne compromirent pas le fonctionnement de

la plantation principale, passée par expropriation aux mains d’un Écossais en 1926.

Deux visites faites à l’atoll par Chinnery, récemment nommé anthropologue

gouvernemental pour la Nouvelle-Guinée sous mandat, lui révélèrent le sort inique des

insulaires, devenus plus nombreux du fait de la présence des travailleurs immigrés. En

1930, il obtenait de la Cour centrale de Rabaul un jugement restituant l’atoll aux

insulaires, tandis qu’avec leur accord le planteur écossais commençait à leur bâtir des

habitations individuelles (au lieu de leurs « maisons longues ») sur un autre îlot,

Nukutoa (environ 4 ha), plus vaste que leur précédent refuge Kapeiatu, qu’ils avaient

surnommé le « flotteur » de leur ancien « canot », l’île principale Takú (60 ha). Nukutoa

est ainsi le « second flotteur » sur lequel ils vivent depuis lors et où R. Moyle est allé

recueillir et étudier leurs chants et leurs danses, désormais connus par son CD et par

son livre.

4 Or voilà que depuis le début de ce millénaire au moins l’atoll est menacé

d’engloutissement par l’élévation du niveau de l’océan, voire par la subsidence du cône

volcanique qui le porte, point sur lequel les géophysiciens débattent encore. R. Moyle

n’est pas le dernier à avoir donné l’alerte (voir par exemple Wane, 2005) et il semble

même avoir inspiré directement l’entreprise de Briar March, jeune cinéaste néo-

zélandaise qui, séjournant à Takú entre 2007 et 2009, en a rapporté un documentaire

saisissant, Te Henua e Noho. There once was an island, récemment projeté avec succès dans

plusieurs grandes villes du Pacifique. On y voit les effets de la tempête de l’hiver 2008,

les jardins envahis par l’eau de mer et le dépérissement des taros géants, les efforts

constants des insulaires pour édifier des digues de fortune, le désarroi parfois violent

des jeunes gens sans perspective d’avenir, « si perdus qu’il n’y a pas à les blâmer », et le

désespoir de leurs aînés décidés à mourir sur leur île même si le gouvernement leur

offrait de les reloger à Bougainville, comme il est prévu pour les habitants de Carteret,

eux aussi menacés de submersion.

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5 Tel est le dernier drame dont pourrait ne pas se relever la petite société de Takú, après

deux siècles d’une résistance exceptionnelle que R. Moyle souligne à merveille dans

l’introduction et le premier chapitre remarquablement documenté de son livre

(Geography and History, pp. 9-46). Il est admirable que les insulaires aient réussi à

sauvegarder et à enrichir leur patrimoine musical, poétique et festif, alors qu’ils

s’étaient fait écarter des lieux sacrés de leur île principale et dérober trois effigies

d’esprits ancestraux, aujourd’hui conservées au musée de Leipzig (Moyle, 2000 ; voir

aussi Treide, 1997 : 57 et n° 177 à 179). Contrairement à ce qu’écrit R. Moyle (2007 : 276

n. 23, d’après Buschmann, 2000), il n’y a pas de doute que ces sculptures furent

emportées par Karl Nauer, capitaine du vapeur Sumatra de la Norddeutscher Lloyd, lors

de l’une de ses tournées régulières pour charger du coprah (voir notamment Burger,

1923 : chap. X). Lors de ce qui fut probablement la dernière, en 1913, il avait à son bord

Norbert Jacques (1922 : 155-160 et planche faisant face à la p. 145), voyageur, écrivain et

photographe luxembourgeois qui a consigné quelques observations désolées (Sterbende

Völker, « peuples à l’agonie », écrit-il) et pris deux photographies qu’on a jugé utile de

reproduire ci-dessous puisque ce témoignage semble ignoré des spécialistes de Takú et

que ces deux documents pourraient également ne pas être connus des insulaires

actuels.

Fig. 1. – « Dernières huttes et derniers indigènes des îles Mortlock »

vues prises par Norbert Jacques en 1913 à Takú (D.R.)

6 À côté de ces trois sculptures dont les insulaires de Takú pourraient exiger la

restitution comme l’envisageait R. Moyle (2000 : 107), un autre objet sacré qu’il ne

mentionne pas fut « acquis » par Parkinson (1907 : 527 et Abb. 86, même page), une

« lance sculptée » de motifs « géométriques » en ronde-bosse, représentant d’après lui

« l’ancêtre Loatu » vénéré dans la « maison des esprits » (hare aiku) de Takú. Aucune

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327

trace ne semble subsister dans les collections publiques de cette « vieille pièce » qui

rappelle les staff gods, godsticks ou « bâtons généalogiques » de Polynésie, de Santa Cruz

et d’autres cultures apparentées. En 2001, un spécimen assez comparable apparaissait

sur le marché de l’art (vente Sotheby’s New York du 19 mai 2001, lance sculptée, « A

rare Loatu staff god », lot 66 adjugé 12 000 dollars, et, précise Philippe Peltier, « acheté

par le musée du quai Branly sur les conseils de Douglas Newton », n° d’inventaire

70.2001.21.1) ; la publication du catalogue des collections polynésiennes et

micronésiennes du Rautenstrauch-Joest Museum de Cologne révélait quelques autres

menus objets acquis auprès de Phoebe Altmann, la nièce de « la reine Emma » devenue

propriétaire de la plantation de Takú (Thode-Arora, 2001 : 372-375, 14-15). De telles

publications laissent espérer, avec les efforts de R. Moyle, d’autres spécialistes, de

passionnés comme Briar March et son équipe, et de groupes animés par des expatriés

(notamment la Takú Islands association), un début de recension des vestiges matériels de

cette civilisation méconnue mais exemplaire par sa vitalité, jusqu’à ce que l’actuelle

menace de submersion y porte le désarroi.

Fig. 2 a et b. – a) « Loatu », d’après Parkinson (1907 : 527) (D. R.) ; b) « Loatu staff god », venteSotheby’s

(Photo © Sotheby’s)

7 Aucun chant ne témoigne des quatre décennies de résidence et de travail forcés sur le

« premier flotteur », Kapeiatu, au cours desquelles se disloqua l’ancienne organisation

de la société en deux côtés ou groupes (hata) et cinq clans ou « maisons » (hare). Le

tempérament plus libéral du planteur écossais, les mesures de protection prises par

Chinnery et l’isolement de l’atoll, à 250 km au nord-est de Kieta et 15 à 18 heures de

navigation, permirent aux insulaires de se doter d’un rythme propre et de retrouver

leur goût du chant, sans interférence des marchands ni surtout des missionnaires, à la

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différence de Nukumanu, de Nuguria (Moyle, 2007 : 4), de Tikopia (Firth, 1990 : 11-12),

des Ellice ou Tuvalu (Koch, 2000 : 19-20) et de maintes autres communautés venues à

substituer le gospel à leurs vieux chants. Les deux églises de Nukutoa ne furent bâties

qu’en 1999 et si les huit séjours de R. Moyle à Takú entre 1994 et la parution de son livre

se firent à la demande des insulaires, il lui fallut aussi l’accord des autorités sanitaires

et politiques alors occupées par la rébellion partie de la mine de Panguna, à quelques

kilomètres de Kieta. Comme il l’a relaté à une journaliste (Wane, 2005),

l’ethnomusicologue dut s’improviser chirurgien sur cet atoll sans autre ressource

médicale que la visite annuelle d’un dentiste, et recoudre au fil dentaire la main d’un

pêcheur victime d’un requin.

« À Takú, le chant n’est pas une activité relevant du spectacle ou du théâtre pour leplaisir de l’auditoire, mais une expression introspective des valeurs et descroyances permettant aux habitants de fonctionner en tant que communauté sur leplan domestique aussi bien que rituel. »

8 Ainsi s’ouvre le passionnant chapitre 2 : Takú Society as the Locus for Musicking (pp.

47-110) où R. Moyle démontre, en dépit de toutes les transformations subies en un

siècle et demi, le rôle collectif essentiel constamment dévolu au chant dans cette

société combinant « coopérations à long terme et compétitions de courte durée »,

comme les régates dans le lagon (il y en aurait eu une vingtaine en 1998) ou les

concours de pêche dont les prises sont partagées par l’ensemble de la collectivité. Un

tel « égalitarisme » (p. 83 sq.), que font également régner les femmes lorsqu’elles se

déguisent en policiers et en magistrats à perruque pour contrôler les compétiteurs

masculins ou quand elles se chargent de distribuer équitablement prises et récoltes,

résulte-t-il de l’histoire récente des habitants de Takú ? Faut-il en croire Parkinson

(1907 : 528) les faisant se répartir jadis en trois « classes », comme partout ailleurs dans

les « îles orientales » qu’il décrit ? L’analyse que fait R. Moyle du rôle de l’Ariki, des

chefs de clan et des autres « leaders » (pp. 50-64) vient confirmer au contraire que

l’égalitarisme est « une caractéristique importante des communautés des atolls

polynésiens », peut-être de nature à expliquer l’importance qu’on y accordait au chant

collectif, pour faire face à des conditions de vie particulièrement difficiles (Koch, 2000 :

21).

9 Les quatre chapitres suivants, spécifiquement consacrés à la musique et à la danse,

offrent également des développements de premier intérêt sur les transformations et les

permanences observables dans le domaine religieux (3 : Religious Contexts of Music) et

dans celui de la composition musicale et poétique (4 : Processes of Taku Music). Elle

peut être d’origine surnaturelle ou humaine, et dans ce dernier cas elle est sujette à des

renouvellements plus fréquents, mais aussi à des critiques nettement argumentées. Les

pages (150-156) où R. Moyle a recueilli de telles remarques sur les tuki (terme désignant

les chants mais aussi le tambour les accompagnant), apparemment sans équivalent

dans les recherches publiées, suggèrent l’importance et le raffinement des critères

esthétiques en vigueur à Takú. En décrivant les divers types de chants et de danses (5 :

The Nature of Takú Song ; 6 : The Nature of Takú Dance), R. Moyle ne fait que très

exceptionnellement appel à des parallèles polynésiens ou micronésiens, sauf lorsqu’il

s’agit d’emprunts évidents. Il évite de même d’entrer dans l’épineux débat des origines

de la population de Takú, ou de sa langue dont il avait cru d’abord qu’elle s’apparentait

au samoan, pour découvrir « cinq minutes après avoir débarqué » sur l’atoll qu’elle s’en

écartait grandement (Wane, 2005).

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10 L’écoute du CD préalablement édité par R. Moyle doit compléter la lecture de son beau

livre, ces enregistrements faisant évidemment ressentir de façon plus directe

« l’expression introspective » des chanteurs et des danseurs dont parle son ouvrage.

Mais à la différence des disques, cassettes ou CD accompagnant des publications

comparables (par exemple Christensen, 1964 ; Firth, 1990 ; Koch, 2000) sans autre ajout

documentaire, celui-ci propose des chants non recueillis dans le volume imprimé. Tel le

cas du rue de la plage 1, du tuki venu d’Ontong Java de la plage 2, ou encore du fragment

de lu monodique de la plage 6, forme de chant « préhistorique » qui ne se trouve qu’à

Takú selon R. Moyle. La variété des chants et des danses encore en usage est bien

suggérée par ces douze plages, depuis le tuki évoquant vraisemblablement le séjour de

Cheyne sur l’atoll en 1843 (n° 4, voir p. 34 du livre) et la danse féminine manakoho

inspirée par un esprit (n° 3, p. 230 du livre), jusqu’au tuki final, créé en 1997 en

hommage à un pêcheur décédé depuis peu (n° 12). C’est la structure particulière des

chants et des danses de Takú, limitant les efforts de mémorisation, qui a permis le

développement d’un si vaste répertoire (p. 271). « Il y a plus d’une centaine de rue

(chants et danses d’hommes) dans le répertoire actuel », écrit R. Moyle dans le livret

édité avec ce CD. S’il a été contraint, là comme dans son livre, de se borner à un petit

nombre d’exemples pour chaque type de chant et de danse, ils sont suffisamment

parlants et émouvants pour faire souhaiter l’édition de tout ce qu’il a pu recueillir de ce

patrimoine encore vivant mais menacé de toutes parts, et dont l’oubli ajouterait un

drame de plus à l’histoire de Takú.

11 En quoi peuvent-ils émouvoir l’Européen qui les écoutera ? Poignante et exemplaire, la

situation actuelle des insulaires de Takú luttant contre l’avancée de la mer se retrouve

cependant sur maintes autres « îles basses » du Pacifique en passe de devenir elles aussi

invivables, et nombre d’entre elles ont également connu des déplacements forcés de

population à l’époque coloniale (voir par exemple Maude, 1968). Dans le dernier

paragraphe de son livre consacré aux chants de Tikopia (1990 : 296-297), R. Firth

évoquait la « puissante expérience esthétique » que lui avaient procurée l’écoute et la

récitation de leurs paroles, « stimulant [son] imagination jusqu’à l’émotion » peut-être

au risque, ajoutait-il, de céder au « piège de l’exotisme ». Indépendamment des

observateurs occidentaux et de leurs « expériences esthétiques », il se pourrait

cependant que la capacité d’émotion des chants de la Polynésie occidentale et des

enclaves polynésiennes soit due en partie au caractère généralement retenu de leur

expression verbale, même à propos des événements les plus dramatiques, dont la

mention explicite est fréquemment évitée (Koch, 2000 : 17), comme si les poèmes

servaient de condensateurs à l’énergie des chants et des danses. R. Firth a lui-même

relevé cette propension à l’allusion, à l’understatement, aux expressions à double

entente saisissables seulement par les membres de la communauté, voire par une petite

partie d’entre eux. On en trouvera de nombreuses confirmations à Takú, par exemple

avec l’existence de certaines chansons destinées à un auditoire limité ou réservées aux

chanteurs d’un clan déterminé (Moyle, 2007 : 192). De ce point de vue, chants et danses

ont apparemment constitué pour ces sociétés un moyen de préservation et de

résistance, et les insulaires de Takú s’en seront admirablement servis avant la

submersion annoncée de leur atoll.

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330

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Sur ces canots et cette dernière espèce de poisson d’eau profonde généralement pêchée la

nuit, voir Parkinson (1907 : 536-539) et Churchill (1909 : 88) ; sur les chants associés à cette pêche,

voir Moyle (2007 : 63, 130, 187, 245).

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Mā’ohi Travellers before 1825 andnew insights from shipping listsRhys Richards

1 A recent list of all the ships that arrived at Tahiti and the Society Islands up to 1862

might well seem an unlikely place to look for drama and romance. Yet its preparation

has shown that hundreds of Mā’ohi (Tahitian) people chose to travel far from home

before 1825 (Richards and Langdon, 2008.). Unfortunately this list of foreign vessels

reads rather like a telephone book: all names but no plot! Another limitation is that

such a list tends to perpetuate non-indigenous, colonial, perspectives of Pacific

maritime histories. However if we can draw out of these rather tedious ship lists and

their quantitative statistics, something that opens our eyes to new perspectives, and to

new ways of looking at the earliest periods of contacts between Polynesian people and

Europeans, then certainly these shipping arrivals and departures lists will have been

worth the considerable efforts made to make them, and to make them readily available

(e.g. Cumpston, 1964; Langdon, 1978, 1979, 1984; Nicholson, 1977-1988; Richards, 2000).

2 Making this latest list has revealed a lot of information about Mā’ohi travellers. Only

those Mā’ohi who were involved in special acts, such as bravery, misfortune or death,

generated some historical record, and unfortunately these references are brief. Not

very much can be said about them individually, but fortunately rather more can be said

about them collectively. The scattered records show 230 Mā’ohi went away on foreign

vessels before 1825. There were certainly many more – perhaps twice as many, in total

some three or four or five hundred. With so many of their young men gone away with

the foreigners, the social impact must have been considerable. Then consider the

effects when a few of these travelling Mā’ohi returned home ablaze with new facts, new

technologies and new ideas ! So this short review will provide first a few notes on some

of the Mā’ohi on the new list, and then comment briefly on new perspectives that have

emerged.

3 As is well known, the first ‘Otahitian’ to visit Europe, was Ahutoru, who went with

Bougainville in 1768. Next in 1769 Captain Cook took away with him the priest and

navigator, Tupuia of Rai’atea, along with his servant boy Tayeto. Alas, both died soon

after that in Indonesia. Similarly Cook and Forster took Mahine on the Resolution to

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several island groups, including Easter Island, but Mahine declined to go on to England.

The most famous Tahitian traveller was a commoner, Omaiof Rai’atea, who travelled

with Captain Cook to England and back in 1774 to 1777.

4 Less well known is Hitihiti of Borabora, who spent seven months with Captain Cook on

his second voyage, visiting Tahiti, Ra’iatea and Huahine. By then Hitihiti spoke better

English than Omai who had been to London. HoweverHitihiti chose to travel no further

with Cook, and returned to Tahiti. There he met Bligh in 1788, went to Rarotonga and

Tubuai with the Bounty mutineers in 1789 and was back living at Tahiti when Bligh

returned in 1792. David Chappell in his excellent book about early Pacific travellers on

foreign vessels, suggests that Hitihiti remained at Tahiti until 1824 when he was the

dignified man of about 70 whom Kotzebue met and mentioned but did not name

(Chappell, 1996: 143).

5 Consider carefully the impact such an experienced survivor as Hitihiti could have had

at Tahiti not only on among the visitors, but far more importantly among his Mā’ohi

supporters. In 1774 two captive Mā’ohi, a man named Pautu and a young boy Tetua-

nui,returned home from Lima and Valparaiso. They wore Spanish clothes, spoke

Spanish and helped interpret for two padres. In 1775 the Spanish took eight Tahitians

to Lima, but despite good treatment, seven died soon after their arrival at Lima,

including one named Tipitipia (Corney, 1919, vol. I: 9-15, vol. II: 1-4). In 1797 the

mission ship Duff took away several ‘Otahitians,’ including Tano Manu, Tom and Harra-

we-ia (Wilson, 1799). What became of them is, alas, unknown. In 1792 Captain Bligh

took away Mahiti, but he died in London, and his servant Pappo, who was also known as

‘Jacket,’ died at Jamaica (The Times, London, 5 September 1793; Bligh, 1792). Thirty years

later Moe, then known as ‘Jack Bligh,’ was described as a cunning old fellow who spoke

some English and was then an advisor to Queen Ka’ahu-manu in Hawai’i. Moe claimed

that he had been aboard the Bounty during the mutiny in 1789 (Sydney Gazette 1 January

1824; Maccrea, 1922: 22).

6 In 1801 while returning from obtaining pork at Tahiti, Turnbull called at Norfolk Island.

A Mā’ohi on his ship who landed there, proudly dressed in fine Tahitian tapa cloth, was

astonished to meet on shore a compatriot called Oreo, who was smartly dressed as an

English sailor. Oreo had apparently arrived first in Sydney in 1796, and then worked his

way to England and back on the Albion (Turnbull, 1805; Cumpston, 1964 : 36-38). As

early as 1804 he was classed as a free settler. By 1812 ‘Richetto Orio’ held 3 ½ acres

under wheat and maize (Wright, 1986: 28).

7 From 1805 to 1813 the official ‘beachmaster’ on Norfolk Island was John Drummond

who had a Tahitian servant whom he rather quaintly named John Drummond. When

they both left Norfolk Island to resettle at the Derwent, John Drummond and Richetto

Orio were the first Tahitians to live in Tasmania (Wright, 1986: 28).

8 Meanwhile Tapeooi (also known as Tapuoe) had left Tahiti in 1797 on the Betsey, a

South Sea whaleship under Captain Glasse who was carrying a letter of marque to prey

on undefended Spanish coastal shipping off South America. In the Betsey, Tapeooi

visited South America and Tonga, and then Port Jackson in February 1800. On the

return journey, however, Tapeooi left her to live at Tonga for two years, where he met

another Mā’ohi traveller. Late in 1801, Tapeooi joined an ex prize ship, Plumier, going to

Fiji, Guam, Manila, Amboyna and Penang. He lived in England from 1807 to 1810 when

he set out for Port Jackson as a passenger on the Canada. He found that another Mā’ohi

was on the Canada, a seaman named Tomma, who had arrived in London in July 1809 on

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the Santa Anna, and was now working his passage home. Alas poor Tapeooi died in

Sydney in 1812 (Tapeooi ms, ML. ms. A.83 and A.1992: Richards, 1990: l-14).

9 Similarly a young Mā’ohi namedMouieleft Tahiti in about 1799 and arrived in England

early in 1800 where he remained for nearly three years. He returned to Sydney but died

there so he too never arrived home (Sydney Gazette 14 August 1803). During 1802 five

‘Otahitian youths’ aged about 15 were taken to London by the missionary Thomas

Haweis . (Haweis papers. ML. ms. 4190, vol. I, 6 September 1802). After a privateering

cruise against enemy shipping on the coasts of Peru and Chile, and refitting at Tahiti,

the Harrington reached Sydney in March 1805 with a good number of ‘Otahitians,’ plus

some Sandwich Islanders, as members of her crew, while at least five more Mā’ohi were

crew on the prize ships taken by the Harrington. Alas none of their Mā’ohi names are

recorded (Sydney Gazette,10 March 1805).

10 At Sydney Governor King was very concerned for the safety of such travelling

Otahitians, and the impact any mistreatment of them might have on subsequent visits

to their home islands. On 26 May 1805 he issued the following proclaimation:

«it is hereby strictly forbid [to be] sending any Otaheitan, Sandwich Islander or NewZealander from this settlement to any island or other part of this coast on anysealing or other voyage, or to any place eastwards of Cape Horn. ‘It is to be clearlyunderstood that all such Otaheitans etc are protected in their properties, claims forwages, and [have] the same redress as any of His Majesty’s subjects.» (HRA, vol. V:

642; HRNZ 1914, vol. I: 257-258.)

11 Governor King followed up this humanitarian concern about the condition of the

Pacific Islanders in Sydney by inviting all of them, including the Mā’ohi, to assemble at

Government House to tell him about their treatment and to assure them of his concern

for them (McNab, 1914: 102).

12 Jorgen Jorgenson, a Danish adventurer, spent seven weeks at Tahiti in mid 1805 where,

incidentally, he met a Peruvian Spaniard fluent in the Mā’ohi language. Before he left,

Jorgenson, collected, more or less as ethnological specimens for Joseph Banks, a

youngMā’ohi chief and his younger retainer. Much later the missionaries on Tahiti

recorded that two other Mā’ohiwho had left had on the Alexander, had returned home

via Sydney on the Parramatta in July 1807, and that in January 1808 an un-named

‘Tahitian returned in the Venus who had gone to England in the Alexander’ (Richards,

1996: 135-138; Davies, 1961: 79, 100, 109).

13 In late July 1806 an unnamed Mā’ohi boatman drowned at Sydney in Hen and Chicken

Bay (Sydney Gazette, 27 July 1806.). In April 1807 “two Tahitian youths,” or boys,

returned to Sydney from England in the Brothers, and were then “sent to their native

country,” probably in the Parramatta in June 1807 (HRA, vol. VI: 25, 199, 394-395).

14 A ten year old Mā’ohi boy was brought to London by a missionary and his wife

before August 1810 (Chappell, 1996: 127). He had probably been on the Hiberniawhen the missionaries retreated. They arrived at Sydney, via Fiji, in February1810. It may well be that other Ma’ohi travelled with them.

15 Another young Mā’ohi boy called Jem came to Sydney in about 1802. He was

befriended by John MacArthur who sent him to school at Parramatta whereJem learnt to read and write well in English. He was well known to Rev. SamuelMarsden. But after about seven years there, Jem worked his passage to NewZealand in December 1809. No doubt Jem was the unnamed Mā’ohi warriorpresent during the massacre on the Boyd at Whangaroa in 1810 (Sydney Gazette,

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1 September 1810). In 1814 Rev. Marsden, in a ship with ‘Dicka-hee, anOtaheitan, and Punnee, a Bolobolan,’ met Jem near Whangaroa (Nicholas, 1971vol. I: 37,92-96; 240-241; vol. II: 209-220). Another Mā’ohi, was there too :‘Otaheitian Jack,’ who had also become a Maori warrior and chief by 1814(Richards, 2008: xix).

16 Several Mā’ohi who reached Sydney were employed in the sealing trade in Bass

Strait and south of New Zealand. The first may have been John on the Fly in1808 (Sydney Gazette, 18 December 1808). In mid winter in 1810 the Santa Annalanded at the inhospitable Bounty Islands a sealing gang including Ruatara, analready experienced Maori seaman, another Maori, two un-named Ma’ohiandten Europeans. Despite very inadequate supplies, during the next five monthsthe gang took about 8,000 seal skins, but conditions had been so harsh that twomen, including one ‘Otaheitian,’ died there (McNab, 1907: 96; HRNZ, 1914: 338).The other Mā’ohi presumably went on to England in the Santa Anna. Later manyother Tahitians went sealing or on trading voyages. The death rate was veryhigh. But quite a few did return home. Other sources not used here indicatethat some returnees had a huge impact once they got home.

17 By 1813 the number of South Sea Islanders engaged in trans-Pacific trade on

foreign ships had reached such a volume that the Governor of New South Walesfelt obliged to issue further orders cautioning captains not to mistreat localislanders, or to join in their wars. He decreed that no captain was to take awayany native unless he chose to go and both his chiefs and his parents approved.The Governor insisted that whenever any islanders were employed, they mustbe paid fair wages. He also warned that in future any acts of rapine, plunder,piracy, murder and other outrages committed against native people and theirproperty would be punished severely (HRNZ, 1914 vol. I: 429).

18 In 1817 the British Parliament finally adopted the ‘Murders Abroad Act’ whichincluded clause that ‘all murders or manslaughter committed in the islands ofNew Zealand and Otaheite… or places not within His Majesty’s dominions…shall be tried and punished at any of His Majesty’s dominions’ (Richards, 2008:8).

19 In September 1818 Mary Hassell at Parramatta wrote home to her mother that

on 21 May she had had visitors: ‘Mr Lawry preacher came with John HenryMaster, a religious Tahitian who had lost his right arm in the Battle ofWaterloo. He is now to proceed to his home country by the first conveyancewith a pension of twenty pounds per year’ (ML. ms. A.1677-1673, vol. 3: 514).John Henry Master had probably left Tahiti during 1813, or earlier.

20 In November 1814 the Surry, Captain Thomas Raine, left Sydney ‘for China’ and

London, ‘taking three Otaheitian men and a boy who had once lived with the[mission] brethren’ (Marsden papers, ML. ms. A.1995, vol. 4 : 48).

21 In January 1816, Captain Peter Heywood, who had been on HMS Bounty in 1789 ,

was astonished to meet at Gibraltar ‘two Otaheitian youths who had beenkidnapped and ill-treated on an [English] merchant ship about 13 or 14 monthsearlier. They had been taken to Lima and Cadiz, where they had escaped into

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HMS Calypso” (Tagart ML. ms. F. 1597). These two unfortunate men hadprobably left Tahiti in November or December 1814.

22 Many other Mā’ohi joined whaleships (Dodge, 1971; Du Pasquier, 1990; Jones,

1986; Lund, 2001). One encountered at Hawaii in 1825 said that he had ‘leftTahiti as a boy to serve on a whaleship’. Afterwards he was in the British Navy,till he was wounded in the Battle of Algiers, [August 1816] when he wasdischarged as unfit for service, with a pension of twenty five pound per year’(Macrae, 1922: 44).

23 After 1818 many American whaleships began calling at Tahiti and the Society

Islands. Many Mā’ohi joined American crews, some even remaining on board asthe whaleships went home. In mid-1825 the “Nantucket Inquirer stated “thatabout fifty of the natives of Otaheite are employed in whaleships belonging toNantucket, some of whom are now there. They are a tractable and ingenious”[that is, teachable and clever] (Niles Register, 1 October 1825). Soon after it wasreported that some twenty Otaheitians were then at Nantucket (New BedfordMercury, 7 July 1826; Ward, 1967 vol.7: 13).

24 Other Mā’ohi soon visited New Bedford and the other New England whaling

ports, so that by the 1830s and 1840s the number involved as crewmen and asvisitors could have been considerable, perhaps between 500 and 1,000 Mā’ohimen. If Tahiti’s population was 50,000, then 1,000 absentees would be 2% of thetotal. It seems that by 1840 between 5% and 10% of the eligible adult males wereabsent on foreign ships. Many, probably most, never returned home.

25 In conclusion, as noted earlier, an unfortunate limitation of shipping arrivals

and departures lists is that they tend to perpetuate non-indigenous, colonial,perspectives of Pacific maritime history. Yet seen from the shore with islandperspectives, the arrival of foreign trading and whaling vessels in the Pacificislands before 1825 usually involved an erratic succession of brief, unrelated,visits. Some of these visits introduced the islanders to foreign goods andcommerce, but many were of little more than momentary or curiosity value tothe people on shore. The prime task that faced the generation of indigenousPacific Islanders who were alive from 1800 to 1840, was how to make sense ofsuch a disparate parade of foreign visitors, and how to adapt to their new ideas,new technologies, new religions and their new diseases.

26 Certainly some big changes followed on shore after only a few ship visits, but

the main engines of change were not foreign, but over-whelmingly local.Indeed looking even closer, it can be seen that What Matters is not the timingand length of each early visit, most of which were very short, or the volume ofgoods and ideas it deposited, but ratherthe spacesin between visits.What mattersis what the local islanders deliberated upon, and decided, and did, in between visits,and in preparation for the next visitors.

27 In the early culture contact period, what mattered most was the opening of

local minds. Astonishment and fear was there too, but more to the point theforeigners prompted among the Mā’ohi massive social changes with newIntellectual Ferment, New Ideas, New Objectives and New Potentials. Theimmediate and continuing ‘shocks’ that hit island systems certainly sparked off

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massive cataclysmic social and political changes. But I think that looking morewidely at these shipping lists brings us to see the Islanders much more as participantsdriving the process from inside. Certainly the Islanders were not just pawnsin thismassive invasion and time of massive social change. It was the islandersthemselves who led the changes, not the transient, erratic, foreign visitors.

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Comptes rendus d'ouvrages

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Pratique et théorie kanak de lasouveraineté… 30 janvier 1936, Jean-Marie Tjibaou, 4 mai 1989… de HamidMokaddemIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

MOKADDEM Hamid, nd1. Pratique et théorie kanak de la souveraineté… 30 janvier 1936, Jean-

Marie Tjibaou, 4 mai 1989…, Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 144 p., 2 documents en

annexes et 22 ill. noir et blanc et couleur.

1 Ce petit livre, publié par la province Nord de Nouvelle-Calédonie, veut rendre hommage

à l’homme que fut Jean-Marie Tjibaou, comme à sa pensée et à son action politique,

inventeur selon Hamid Mokaddem d’une nouvelle voie : « la voie kanak de la

décolonisation » qu’il résume à une « pratique et théorie kanak de la souveraineté ».

Nous voilà ainsi face à un énième livre – et le second de l’auteur (Mokaddem, 2005) –

sur Jean-Marie Tjibaou trop tôt disparu, « le plus politique des hommes politiques

d’Océanie », nous dit-il (p. 13). Si ce dernier ouvrage a le mérite de la simplicité et de la

clarté, peut-être est-il parfois trop simple2 ! Quoi qu’il en soit, très peu de livres de ce

style, c’est-à-dire grand public, existent et il vient là combler un manque certain dont

nous ne pouvons que nous féliciter, malgré les critiques que nous allons formuler par la

suite.

2 Construit en deux chapitres (« Vie et mort de Tjibaou », pp. 21-46, qui retrace la

trajectoire de cet homme devenu homme politique; « La gouvernance de Tjibaou »,

pp. 47-84, qui insiste sur le dire et le faire comme manière de gouverner, soit tout

bonnement, pourrait-on dire, sur la façon kanak de faire de la politique !), précédés

d’une « Ouverture » (pp. 11-20) et suivis par une conclusion (pp. 85-105), par « Onze

concepts clés » (pp. 107-115) et des documents (deux textes de Jean-Marie Tjibaou et 16

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photographies, pp. 117-144), cet hommage débute sur les paroles d’Aimé Césaire écrites

en 1990, après le décès de Tjibaou.

3 Je ne reviendrai ici que sur quelques-unes des idées développées par Hamid Mokaddem,

qu’il présente comme originales, même si elles ne le sont pas toujours ! Et, sans vouloir

dénier à cet ouvrage son intérêt et le recommander à toute personne qui s’intéresse à

l’histoire et au destin de ce pays, je mentionnerai essentiellement ce qui constitue à

mon avis ses faiblesses.

4 Point de bibliographie3 dans cet ouvrage et cela est fort dommage, surtout pour un

fascicule qui se veut pédagogique et dont le but annoncé par l’auteur en avertissement

est d’« expliquer et [de] faire comprendre la complexité dialectique » de l’oscillation du

mouvement nationaliste kanak « entre souveraineté politique et indépendance

économique » (p. 8). C’était donc là l’occasion d’établir une bibliographie raisonnée qui

aurait permis au lecteur novice – notamment kanak – de compléter sa culture sur

l’histoire récente de son pays. Les jeunes générations calédoniennes, kanak entre

autres, surtout celles nées après 1988, ne connaissent somme toute pas grand chose de

l’histoire des « Événements » que l’auteur appelle ici, à juste titre ou non,

« révolution » :

« On doit effectivement employer le concept de révolution. En effet, ces séquencessuccessives ont révolutionné de fond en comble la structure et l’ordre politiques. »(p. 66)

5 Je me suis toujours étonnée de la méconnaissance de l’histoire récente du pays de la

part de nombre de jeunes étudiants kanak pourtant politisés et se situant dans la

mouvance du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), avec lesquels j’ai

eu l’occasion de discuter durant leurs études métropolitaines en sciences humaines et

sociales : ils n’ont souvent pas lu l’importante bibliographie qui a été produite au

moment ou juste après ces fameux événements, terme qui était et est toujours utilisé

par les militants kanak eux-mêmes. Ainsi, par exemple, l’un d’entre eux faisait

remonter la naissance des EPK (écoles populaires kanak) aux Foulards rouges,

mouvement créé entre autres par Nidoïsh Naisseline en 1969, alors que c’est une

décision du congrès de Nakéty de février 1985, en plein cœur des événements de

1984-1985, qui impulsa ces écoles parallèles. Au pays, certains jeunes qui sont restés

« garçons (ou filles) de tribu », comme on entend dire souvent, c’est-à-dire qui n’ont

pas eu la chance de poursuivre leurs études par manque de moyens financiers et non

parce qu’ils n’auraient pas eu la capacité de le faire, qui sont donc sans emploi car sans

qualification et ont grandi auprès de militants acteurs de ce moment de lutte, en

connaissent souvent bien plus, grâce à la tradition orale!

6 À propos de la distinction qu’il fait entre « événements » et « révolution », Hamid

Mokaddem poursuit :

« […] La prose du monde (journalistes, historiens, conversations quotidiennes,littérateurs, cinéastes) banalise ces séquences politiques. Elle parle des “événements”, insérant tous les faits dans une quelconque série chronologique linéaire. Souscouvert d’objectivité, ces procédés neutralisent l’irruption et la singularité del’événement. La plupart des historiens occultent et neutralisent les séquencesrévolutionnaires par une accumulation massive de faits. Que font ces historiens ? Ilsproduisent des contresens pour induire en erreur les lecteurs parce que l’histoireofficielle estime dangereux le discours politique kanak. » (p. 66)

7 Cet extrait appelle plusieurs remarques. L’auteur fait ici aux historiens et autres

journalistes un procès qui paraît démesuré et hors de propos quand on sait que

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nombreux sont ceux qui ont écrit justement depuis novembre 1984 pour faire connaître

les revendications kanak, les expliquer au plus grand nombre et faire en sorte d’en

accroître la popularité dans l’opinion publique métropolitaine. Le soutien au

mouvement kanak, même s’il est resté minoritaire, a su se faire entendre en son temps

et Jean-Marie Tjibaou était de ceux qui l’ont toujours cultivé et utilisé pour populariser

et expliquer leurs revendications et leurs actions sur le terrain (voir par exemple

l’extrait de l’« Appel aux Français » de Jean-Marie Tjibaou publié dans Témoignage

chrétien que l’auteur reproduit p. 29). Sans compter que l’accumulation des faits est

indispensable à la connaissance, à la compréhension des processus et à l’histoire. Il faut

en effet connaître l’histoire de son pays pour se l’approprier et l’utiliser à bon escient.

C’est d’ailleurs ainsi que procèdent la plupart des groupes dits révolutionnaires, en

formant leurs militants. Les groupes de pression kanak n’ont d’ailleurs pas été en reste

en la matière, avant et pendant les événements, mais il n’est pas sûr que cela continue

aujourd’hui.

8 Certaines affirmations de l’auteur laissent parfois perplexe, surtout en l’absence de

sources. Ainsi, on aurait aimé en savoir plus quand il écrit, à propos du partage de la

souveraineté entre le peuple kanak et les autres communautés, que :

« Ce point politique, difficile, compliqué, encore actuel, divisait le Front delibération nationale kanak et socialiste (FLNKS, créé le 24 septembre 1984) lors des

accords de Matignon-Oudinot » (p. 17)

9 D’où vient une telle interprétation quand on sait qu’en juillet 1983 déjà, à Nainville-les-

Roches, la table ronde qui avait réuni, dans un but de réconciliation des communautés

calédoniennes, des membres du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la

République, émanation locale de la droite métropolitaine RPR et UDF), du FI (Front

indépendantiste, précurseur du FLNKS) et de la FNSC (Fédération pour une nouvelle

société calédonienne4) s’était achevé sur « la déclaration finale du 12 juillet »5 qui :

« reconnaît pour la première fois, d’une part, l’abolition du fait colonial et, d’autrepart, “la légitimité du peuple kanak, premier occupant du territoire” qui, “en tantque tel”, a “un droit inné et actif à l’indépendance dont l’exercice doit se faire dansle cadre de l’autodétermination prévue et définie par la Constitution de laRépublique française, autodétermination ouverte également pour des raisonshistoriques aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représentantsdu peuple kanak”. » (Leblic, 1993 : 58-59)

10 Dès lors, il a été d’usage, notamment dans le FI et plus tard dans le FLNKS, de parler des

« victimes de l’histoire » entendues comme les personnes nées sur le territoire dont

l’un des parents au moins y est né également (idem : 58).

11 Revenons sur quelques aspects simplificateurs du livre. L’ouvrage insiste beaucoup sur

les trois accusations de trahison dont Jean-Marie Tjibaou aurait fait l’objet. La première

serait lorsque, « malgré ou grâce à la mort d’Éloi Machoro » (p. 27), il accepte l’accord

proposé par Edgard Pisani en janvier 1985, préfigurant ce que deviendront les régions

Fabius-Pisani. L’auteur reprend ainsi bien facilement l’opposition souvent faite de façon

erronée entre Jean-Marie le pacifique et Éloi le guerrier, « le plus révolutionnaire des

militants politiques kanak (p. 17) ! « Les deux [trahisons] suivantes interviennent lors

de l’assaut de la grotte d’Ouvéa (5 mai 1988) et de la signature de l’accord de Matignon

(26 juin 1988). » (p. 27). Déjà, p. 18, quand l’auteur affirmait que « les divergences de

points de vue sur l’accord de Matignon, puis d’Oudinot, valurent à Jean-Marie Tjibaou

de terribles accusations de traîtrise, et eurent comme conséquence son assassinat, le 4

mai 1989, à Ouvéa »6 en se référant sur ce point uniquement à l’article du journal Le

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Monde de Léopold Jorédié du 1er juillet 1988, célèbre pour avoir commenté la célèbre

poignée de main sur le perron de Matignon entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur

par un « avoir réussi à convaincre l’esclave d’accepter de serrer la main de son

maître ». Ce n’est pas si simple et nul ne sait si c’est vraiment cela qui a conduit au

geste désespéré de Djubelli Wea le 4 mai 1989 à Wadrilla lors de la cérémonie de levée

de deuil des dix-neuf Kanak tués le 5 mai 1988 lors de l’assaut de la grotte. L’auteur

aurait pu parler aussi du sang versé à l’époque pour lequel aucun geste coutumier

n’aurait été fait jusqu’à cette cérémonie fatidique de levée de deuil ! Il en connaît le rôle

et il en parle ailleurs pour 1917 et l’assassinat de la grand-mère paternelle de Tjibaou

par les militaires lors de la répression :

« On conclura de cet épisode précis que la trajectoire se nourrit du “sang” desancêtres, engrais et force des vivants. » (p. 29)

12 Or, pp. 81sq., il revient en une demi-page seulement sur l’année entre l’assaut de la

grotte (5 mai 1988) et la levée de deuil (4 mai 1989) se terminant tragiquement par

l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné avec en retour la mort de

Djubelli Wéa, empêchant pour toujours de comprendre les véritables raisons de son

acte, sans parler du rôle fondamental de la mission du dialogue de juin 1988 ayant

permis la signature de l’accord de Matignon précisé ensuite à Oudinot. Mais il note

(certes bien tardivement) l’importance du concept kanak de « sang » dans le drame

d’Ouvéa 1989, qui occupera, rappelle-t-il, les derniers mots de Tjibaou à Wadrilla :

« “Et nous accourons parce que ce sang des morts est vivant, il nous interpelle, c’estnotre sang, c’est le sang qui revendique la liberté pour notre peuple”. Ce sangappellera celui de Djubelli Wéa, de Yéiwéné Yéiwéné, et de Jean-Marie Tjibaou. »(p. 83)

13 On peut se demander alors si la trahison d’Ouvéa, si tant est qu’elle existe, ne serait pas

plutôt de n’avoir pas pu empêcher l’attaque de la grotte (mais était-ce possible ?) ou de

ne pas être venu plus tôt au nom de touspour s’excuser du sang versé et le racheter !

14 De même, nous aurions aimé lire que le texte du Père Apollinaire Anova Ataba fut

publié en partie au moins deux fois avant l’édition faite par Hamid Mokaddem lui-

même en 2005 : dans le Journal de la Société des Océanistes en 1969 puis, par le mouvement

indépendantiste kanak en 19847.

15 Autre simplification réductrice ou imprécision nuisant à la compréhension :

« En avril 1988, Jean-Marie Tjibaou, à bout de souffle, écrit une lettre désespérée auprésident de la République française, quelques jours avant les actions des militantsdu FLNKS prenant les gendarmes en otage. » (p. 53)

16 L’auteur oublie en effet de préciser que cette lettre était en fait adressée au candidat à

sa réélection qu’était François Mitterrand en avril 1988 en référence aux promesses

non tenues du candidat Mitterrand en 1981! Il ne dit pas non plus que les événements

d’Ouvéa prenaient place dans une série d’actions prévues au moment des élections

présidentielles sur le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie proposé par le docteur

Pons (un vote qui eut lieu pour les Calédoniens en même temps que le premier tour des

présidentielles de 1988). Dans le même ordre d’idées :

« La France gouvernée par Chirac-Pasqua-Giraud-Pons décide de faire la guerre à lapopulation civile kanak “indépendantiste”. Au nom de la France, le gouvernementde cohabitation Mitterrand/Chirac mobilise l’élite des forces armées pourexterminer, dans le grotte d’Ohnyât (Ognat, Ouvéa), une poignée de jeunes militantsinexpérimentés au métier de la guerre et prêts à négocier. » (p. 75)

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17 Hamid Mokaddem fait comme s’il ne s’était rien passé entre l’attaque du gouvernement

Chirac mettant fin aux régions Fabius-Pisani et l’attaque de la grotte à Ouvéa, ou

seulement quelques détails, dont une prise d’otages à la gendarmerie d’Ouvéa ayant fait

deux morts et la fuite des militants kanak vers la grotte avec les otages (voir aussi p. 45

et 53). Il faut arriver pp. 76-77 pour lire :

« Ce non-respect de l’État vis-à-vis du FLNKS oblige celui-ci à mener des actions plus

spectaculaires au moment de l’élection présidentielle de 1988. Chaque région doitoccuper les gendarmeries. L’objectif est d’empêcher les élections du statut Pons. »

18 Ce qui sera complété et précisé plus loin (pp. 78-79), lorsque l’auteur revient sur le

déroulement des actions d’Ouvéa « qui devaient être coordonnées avec celles des deux

autres îles Loyauté, Maré et Lifou » et qui amène à ce que, « entre les deux tours de

l’élection présidentielle, la Nouvelle-Calédonie soit [est] prise en otage » (p. 78).

19 Ici encore point de chronologie. Même si l’on a déjà relevé que, selon l’auteur, toute

« série chronologique linéaire » vise à neutraliser et à occulter « les séquences

révolutionnaires par une accumulation massive de faits » (p. 66), la concision ne doit

pas effacer les faits ni nuire à l’analyse et à une bonne compréhension.

« Les catégories de “culture” et de “patrimoine”, aux yeux de Tjibaou, n’avaientrien à voir avec le sens conféré par les conservateurs des musées ou desbibliothèques. » (p. 40)

20 La vision de l’auteur peut nous paraître ici très ethnocentrée. Ne peut-on pas

simplement dire que Jean-Marie Tjibaou ne fait d’une certaine façon que « kanakiser »

les notions, c’est-à-dire adopter un point de vue endogène sur des notions trop souvent

présentées uniquement d’un point de vue exogène et européo-centré ? Et que ce point

de vue est partagé par tous les Kanak pourrait-on dire ! Bref, il agit et pense là en Kanak

et l’explique à ceux qui ne le sont pas.

21 On peut aussi regretter que l’auteur revienne sans cesse sur les mêmes faits historiques,

souvent de façon partielle, si bien que ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que l’on peut

mettre bout à bout tous les éléments de l’histoire. Ainsi en est-il pour les événements

d’Ouvéa de 1988 et 1989 qu’il évoque plusieurs fois (p. 18 – voir ci-dessus ; p. 20 « les

nuisances et rumeurs responsables de la mort de Jean-Marie Tjibaou » ; p. 24 « la tribu

de Djubelli Wéa – tribu située non loin de la grotte d’Ognat, grotte où se déroulèrent les

événements qui se sont soldés le 5 mai 1988 par les morts de dix-neuf militants

nationalistes et de deux militaires » ; p. 27 ; p. 45, cf. ici note 6 ; p. 53 : prise en otage des

gendarmes et gendarmes tués), sans jamais donner l’entièreté des faits, ne prenant à

chaque fois que ce qui l’intéresse pour sa démonstration et laissant le reste de côté. Le

lecteur non spécialiste aura bien du mal à s’y retrouver. Et, en la matière, l’absence

d’index – et de bibliographie – est des plus regrettables ! Et comme on fait fi de toute

chronologie, on passe allègrement, et sans voir de lien logique, de l’assassinat de Jean-

Marie et de Yeiwéné à « Tjibaou président du FI, puis du gouvernement provisoire de la

république de Kanaky, et du FLNKS […] » (p. 45).

22 Enfin, Hamid Mokaddem semble penser que Tjibaou est ce qu’il est parce qu’il avait

reçu une formation anthropologique !

« Tjibaou ethnologue cite toujours comme référence les échanges entre deuxgroupes : les maternels et les paternels. » (p. 94)

23 Or, je n’ai encore jamais rencontré de Kanak qui ne se situe pas ainsi car cette dualité

fait partie de l’identité même des Kanak. Et il s’agit plutôt là du Tjibaou pédagogue

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kanak qui s’adresse aux non-Kanak pour essayer de leur faire comprendre ce qu’est la

société kanak. De même, quand il dit que :

« Tjibaou pratique une anthropologie en acte parce qu’il met en mouvement lessystèmes relationnels kanak » (p. 90)

je ne pense pas qu’un Kanak doive être ethnologue pour agir ainsi ! Est-ce sa formation

philosophique ou une certaine connaissance de la société kanak qui fait que l’auteur

n’arrive pas à voir ce qui en fait intrinsèquement partie ?

24 Pour conclure, on dira que cet ouvrage constitue une approche rapide du mouvement

indépendantiste et nationaliste et du Kanak et homme politique que fut Jean-Marie

Tjibaou. À ce titre, il comporte beaucoup de raccourcis et ne satisfera pas ceux qui sont

au fait de cette histoire. Mais il constitue une bonne introduction pour les novices, en

espérant qu’il les incitera à d’autres lectures pour aller plus avant dans la découverte

de l’histoire du mouvement indépendantiste.

BIBLIOGRAPHIE

ATABA Apollinaire, 1965. Histoire et psychologie du Mélanésien, Mémoire de la Faculté catholique

de Paris.

—, 1969. I. L’insurrection des Néo-Calédoniens en 1878 et la personnalité du grand chef Atai ; II.

Pour une économie humaine, Journal de la Société des Océanistes 25, pp. 201-219 & pp. 220-237, dans

le dossier (pp. 189-237) sur « Le Père Apollinaire, prêtre calédonien » présenté par Patrick

O’Reilly, comportant deux extraits de son mémoire de 1965.

—, 1984. D'Ataï à l'indépendance, Nouméa, EDIPOP (1ère publication de son mémoire de 1965, édition

réalisée par Marc Coulon, Ismet Kurtovitch et François Burck).

GUIART René, 2001, Nouméa, Le Rocher-à-la-Voile, coll. « Documents pour servir à l’intelligence du

temps présent » 5, 368 p. (voir le compte rendu par I. Leblic in JSO 116 (2003-1), pp. 118-119.

MOKADDEM Hamid, 2005. Ce souffle venu des ancêtres… : l'œuvre politique de Jean-Marie Tjibaou

(1936-1989), Nouméa, Expressions-Province Nord.

MOKADDEM Hamid et Bernard Gasser (eds), 2005. Calédoniens d’hier, Calédoniens d’aujourd’hui,

Calédoniens de demain (édition de Ataba 1965), Moindou, Expressions.

WITTERSHEIM Éric, 2006, Des sociétés dans l'État: anthropologie et situations postcoloniales en Mélanésie,

Montreuil, Éditions Aux lieux d’être, 198 p.

NOTES

1. Aucune date de publication… ! Il faut se référer à la dernière page de la conclusion pour lire

« Nouméa, Haut Magenta, mars 2009 » (p. 105) et dater ainsi cet ouvrage, pour ce qui est de

l’écriture. Aucune information générale sur l’édition proprement dite (ni date, ni numéro d’ISBN)

n’est en fait présente.

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2. Notamment à propos des accusations de traîtrise faites à Jean-Marie Tjibaou que l’auteur cite.

3. J’ai comptabilisé au fil des pages quarante-huit références bibliographiques ou de discours

faits par Jean-Marie Tjibaou ou autres responsables kanak, certaines malheureusement sans

références complètes. Si la plupart sont bien connues des spécialistes de la Nouvelle-Calédonie,

certaines sont inédites et du plus grand intérêt. Dommage qu’elles ne soient pas récapitulées en

fin d’ouvrage dans la classique rubrique « bibliographie » complétées de bien d’autres qui

auraient eu toute leur place ici.

4. Fédération d’obédience centriste qui avait permis à Jean-Marie Tjibaou de devenir vice-

président du conseil de gouvernement en 1982.

5. Mokaddem nous en parle rapidement pp. 67-68, mais malheureusement sans nous donner de

date.

6. Il y revient encore p. 45 : « Perçue comme un acte de trahison, la signature des Accords

conduisit à l’assassinat politique de Tjibaou et Yeiwéné Yéiwéné [sic !], le 4 mai 1989 ».

7. « Son mémoire […] fut rédigé à la faculté catholique de Paris en 1965 et l’on sait que Tjibaou

eut connaissance de ce document. Ce n’est cependant qu’en 1984 que le mouvement

indépendantiste réussit à faire sortir ce texte de l’oubli en le publiant sur ses propres presses

avec un titre de circonstance : D’Ataï à l’indépendance (EDIPOP, Nouméa, 1984, 188 p.) » (Wittersheim,

2006 : 108).

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Conversations calédoniennes. Rencontreavec Jacques Lafleur de Wallès KotraIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

KOTRA Walles, 2009. Conversations calédoniennes. Rencontre avec Jacques Lafleur, Pirae,

Au vent des îles, 126 p.

1 Ce petit ouvrage, qui s’inscrit profondément dans l’histoire du pays, est la rencontre,

vingt après les accords de Matignon, de deux Calédoniens, l’un Kanak et

indépendantiste, journaliste en poste à Paris depuis de nombreuses années, l’autre,

Caldoche et politicien, farouche anti-indépendantiste durant les « événements » (« La

colonisation nous sépare et nous oppose. Comment la décolonisation peut-elle nous

projeter dans un destin commun ? La question est essentielle » (Walles Kotra1, p. 6) –, et

partenaire de Jean-Marie Tjibaou pour la signature des accords de Matignon avec la

célèbre poignée de main du 27 juin 1988. Comme le dit Walles Kotra en post-scriptum :

« J’ai l’impression de reprendre à l’envers un sentier coutumier. Dans la traditionkanake2, ce sentier est un cheminement rituel qui vous prépare, vous imbibe etvous conduit à la cérémonie coutumière. Avec ses conversations, nous rebroussonschemin et revenons sur les pas de Jacques Lafleur. Nous ré-interrogeons samémoire, revisitons ses lieux de passage. Nous essayons de remettre en perspectivehommes et événements pour réentendre les paroles et les mots et essayer decomprendre le geste. Ce geste symbolique, cette coutume, c’est cette poignée demain avec Jean-Marie Tjibaou3 un soir de juin 1988 à l’hôtel Matignon à Paris. »(p. 121)

2 Walles Kotra nous raconte, en introduction, les conditions de cette rencontre en juin

2008 qui débouchera sur ce livre rapportant ses conversations, échanges de paroles et

de silences entre deux hommes différents à bien des égards. Jacques Lafleur, ancien

chef de fil du RPCR et de la droite locale, vient de subir un échec électoral aux législatives

de 20074. En effet, ce livre ne le précise pas bien, mais après avoir été député de

Nouvelle-Calédonie durant près de trente ans (1978-2007) et président de la province

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Sud de 1989 à 2004, il n’est pas réélu et se retrouve donc pour la première fois sans

mandat électif5. Il est déçu et il en veut aux Calédoniens :

« En fait, j’étais un peu préparé parce que j’avais fait faire un sondage. Mais j’ai étéétonné que quelqu’un [Gaël Yanno] que j’avais fabriqué soit élu. J’ai été étonné quele maire de Nouméa [Jean Lèques6], que j’avais mis en place avec Roger Laroque[ancien maire de Nouméa], ne me soutienne pas. J’ai été étonné qu’une structureque j’avais créée, une radio [RRB, Radio rythme bleu], me quitte. Mais, quand j’ai eu

ces résultats avec ce que l’on dit par ailleurs de mon action qui est plutôt bien vue jecrois, oui j’ai été amer. Et je le suis toujours. C’est pour cela que je suis parti deNouméa si longtemps [deux ans]. » (p. 24)

Ce qui ne l’empêche pas de dire plus loin :« Aujourd’hui, ce que je n’ai pas compris, c’est qu’il y ait si peu de gens qui votentpour moi aux législatives. » (p. 84)

3 À Paris où il aime à venir, il rencontre alors à plusieurs reprises Walles Kotra et, au fil

des discussions entre deux Calédoniens loin de chez eux, il revient sur son passé. Ces

conversations parisiennes, qui n’auraient pas pu se tenir à Nouméa, se sont au final

transformées en livre, construit autour de neuf chapitres thématiques (« Saint-

Germain-des-Prés », pp. 13-26 ; « L’univers de la mine », pp. 27-36 ; « Le royaume de

Ouaco », pp. 37-42 ; « Le stade Georges Brunelet7 », pp. 43-64 ; « Les événements », pp.

65-74 ; « Au fond du jardin de Matignon », pp. 75-86 ; « La Province Sud », pp. 87-96 ;

« Le Pacifique », pp. 97-100 ; « Tourner la page de la colonisation », pp. 101-120) qui

retracent l’itinéraire personnel et politique de Jacques Lafleur, encadrés par une

introduction et un post-scriptum de Walles Kotra.

4 On apprend ainsi au fil de la lecture que Jacques Lafleur a passé son « adolescence

d’enfant riche » (p. 15) à Saint-Germain-des-Prés où ses « dieux étaient Sidney Bechet

et Claude Luther » (p. 14) et qu’il fut influencé dans sa jeunesse parisienne par Jean-

Paul Sartre et Albert Camus et « attiré par l’existentialisme » (p. 14) :

« Je me reconnaissais à cette époque-là dans les théories de Jean-Paul Sartre, ce quine fut plus le cas par la suite. J’ai également aimé et j’aime toujours Albert Camus.[…] Il a beaucoup influencé à la fois ma réflexion et ma philosophie de l’actionpolitique. » (p. 14)

5 Lafleur se présente même comme « anarchisant et rebelle » (p. 15) à cette époque !

Chose qu’on a du mal à se représenter lorsqu’on ne connaît de lui que sa carrière

politique calédonienne fortement teintée par son attitude très anti-indépendantiste et

anti-kanak durant les événements, même s’il parle pour sa jeunesse de sa « double

personnalité, celle de la Nouvelle-Calédonie et celle de Paris » qui « ne se ressemblaient

pas » et, quand il rentrait au pays, il oubliait « un peu » qu’il « professai[t] des idées

progressistes à Saint-Germain-des-Prés » (p. 15).

« Pour le grand public, il est l’archétype même du colon. Grand propriétaire foncier,homme d’affaires très riche ayant fait fortune dans l’exploitation du nickel, chef defile de la droite calédonienne, il semble cumuler toutes les caricatures de lacolonisation. Il en était devenu le symbole calédonien. Son combat vigoureuxcontre l’indépendance kanake et ses prises de position fermes pendant lesévénements qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie, ont parachevé l’image d’unhomme politique peu modéré. » (Walles Kotra, p. 7)

6 On apprend ainsi, qu’au départ de sa vie d’homme politique, c’est Georges Chatenay qui

l’éclaira « le plus sur le monde mélanésien » et, nous dit-il, « ensuite il y eut des gens

que je considérais comme ma famille : Auguste Reybas, Néa Gallet, Wetta Doui Mataio,

le père de Marie-Claude Tjibaou » (p. 20). Il insiste également sur son côté protestant

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(Walles qui l’interviewe l’est aussi) qui lui vient de son grand-père maternel qui, avec

« le sectarisme de protestants », lui a « également transmis les principes sacrés de la

conduite qu’on doit avoir » et l’a « converti au gaullisme » (p. 21). Bien qu’il n’ait pas

d’engagement religieux, il se reconnaît dans la culture protestante, mise de côté par la

majorité catholique, culture qu’il partage aussi avec d’autres hommes politiques tels

que Joxe et Rocard… D’ailleurs, comme l’a souligné Walles Kotra, l’aventure des accords

de Matignon est aussi celle d’une culture protestante8 et maçonnique, nous disait-il lors

de la présentation orale de ce livre à la Maison de Nouvelle-Calédonie (MNC) à Paris (22

octobre 2009) de sorte que, « sans qu’il en parle réellement, on en sent au fil des pages

des allusions » ! Et, poursuit-il, « il se décrit tel qu’il est, très frappé par la mort qui le

hante toute sa vie » (MNC, 22/10/2009), « depuis la disparition tragique de [s]a mère »

(p. 23).

7 L’homme que nous présente Walles Kotra, au travers des réponses aux questions qu’il

lui a posées, est bien loin de celui qu’on s’est toujours représenté et on ne peut éviter de

se demander si cette image n’a pas été reconstruite par lui-même depuis les accords de

Matignon. Kotra nous dit que « Jacques Lafleur, malgré son milieu un peu fermé des

Caldoches, a toujours eu l’impression que l’avenir était à bâtir entre Noirs et Blancs »

(MNC, 22/10/2009). Il confiait à Kotra dans leurs conversations :

« Je ressentais que toute une partie de la société calédonienne était séparée del’autre et que mon rôle, c’était d’essayer de faire bouger les choses. Et de cespopulations, faire une population calédonienne9. » (p. 13)« Qu’on ne pouvait pas ne pas un jour vivre ensemble. Et vivre ensemble, celavoulait dire partager. Cela m’est toujours resté parce qu’on me crédite d’uneformule que j’ai dite pendant la signature des accords de Matignon : “Il faut savoirdonner, il faut savoir pardonner.” Eh bien cela c’est quelque chose qui avait étéévoqué quand j’étais jeune […] que j’avais à peine une vingtaine d’années. » (p. 52)

8 Que ne l’a-t-il appliqué plus tôt, dans les années 1970-1980 avant que les camps

indépendantistes et loyalistes10 ne deviennent si tranchés ? Quand on a vécu la période

des événements de 1984-1985, on ne peut que paraître très surpris devant une telle

affirmation, tant les propos de l’époque contre les Kanak indépendantistes étaient des

plus tranchés ! D’ailleurs, il mentionne aussi, en réponse à une question de Walles Kotra

sur la création du RPCR en réponse à la dynamique du Front indépendantiste :

« […] j’ai toujours été conscient que, s’il y avait deux directions opposées, celarisquait de tourner mal. » (p. 46)

et plus loin :« Pendant les événements, ma grande responsabilité était d’éviter à tout prix cesmorts. » (p. 102)

9 Pour les non-spécialistes de cette période, il est bon de mettre en parallèle les propos

de ces conversations calédoniennes avec certains propos de cette époque troublée.

Ainsi, le 27 décembre 1984, Jacques Lafleur déclarait que la Nouvelle-Calédonie était en

état de « légitime défense » et il demanda au gouvernement français de faire dissoudre

et interdire le FLNKS. Au congrès du RPCR d’avril 1987, il déclare :

« Nous aussi, nous avons des troupes qui piaffent, nous aussi, nous avons une basequi s’impatiente. La violence, si elle se poursuit, appellera certainement la violenceen retour. » (Libération, 29 avril 1985, in Gabriel et Kermel, 1988 : 44)

10 Dans une brochure intitulée Notre résistance, 1981-1986 : le combat pour la Nouvelle-

Calédonie et pour la France dans le Pacifique, éditée à Nouméa par l’association des comités

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de soutien à Jacques Lafleur (non datée), il appelait ses troupes à la résistance active en

demandant aux membres du RPCR (p. 61) :

« [de] ne plus jamais laisser se dérouler tranquillement une manifestation du FLNKS

à Nouméa. » (in Gabriel et Kermel, 1988 : 44)

Ainsi :« Le 8 mai 1985, la ville blanche, soudain, se déchaîna dans une chasse effrénée auxNoirs. L’épisode se déroule à la fin d’une manifestation kanake à laquelle le RPCR

avait décidé de s’opposer. Jacques Lafleur en personne appela à la mobilisation de lapopulation contre les Kanaks sur les ondes de la radio. Et la population accourue sejeta sauvagement sur le rassemblement kanak, sans que la police intervienne. »(Besset, 1988 : 87-88)

Bilan, un mort, Célestin Zongo, tué par un tir venant des contre-manifestants, sous les

yeux de la police qui n’intervint pas et n’arrêta jamais le coupable ! Enfin, c’est lui

également qui, début 1986, en résumant le projet du RPCR dans Les Nouvelles

calédoniennes (17/02/1986), proposait « de relancer l’immigration européenne » et

demandait aux Mélanésiens de « s’intégrer dans une société à laquelle personne ne

peut échapper » (Gabriel et Kermel, 1988 : 45). On est bien loin de ce qui nous est dit

aujourd’hui dans ces Conversations calédoniennes !

11 Comme nous l’expliquait Walles Kotra lors de la présentation de son livre à la MNC

(22/10/2009) :

« Il y a des moments où il a dû gérer l’affrontement… Lafleur fait élire pour son parti

un député et un sénateur kanaks et nomme Dick Ukeiwé11 comme président dugouvernement ! »

12 S’il est vrai qu’il est le premier responsable politique caldoche de droite à avoir placé

des Kanak à ces hautes responsabilités, cela peut aussi s’interpréter comme la

démonstration que, face au FLNKS, tous les Kanak ne sont pas indépendantistes ! C’est

d’ailleurs souvent comme « Kanak de service » qu’ils avaient été perçus par les

indépendantistes.

« Je me souviens avoir écrit, et je le pense toujours, que quand on tue on prend lerisque d’être tué. C’est le far west. Des gens ont tué et ont été tués. Cela se faisait unpeu n’importe comment. Ou ça se faisait par des esprits qui venaient d’ailleurs etqui nous manipulaient beaucoup. » (p. 73).

13 C’est à l’occasion des accords de Matignon que Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se

découvrent vraiment12 ; avant ils ne se connaissent pas finalement, ils s’étaient juste

croisés dans des réunions politiques. Comme le rappelle Walles Kotra, « C’est le propre

des îles. On est à côté mais on ne se connaît pas ! » Mais c’est aussi et surtout le propre

des sociétés coloniales ! À propos de ces accords, Jacques Lafleur précise :

« D’abord, je crois que nous avons fait ce que nous avions à faire. Je ne me considèrepas comme un homme politique mais comme un Calédonien qui refuse d’être unevictime de l’Histoire13, mais qui participe à l’apaisement de son pays. » (p. 80)

14 À propos de la provincialisation issue des accords de Matignon et la province Sud à la

tête de laquelle il est resté quinze ans (p. 91), Jacques Lafleur précise que :

« Pour la première fois, avec la provincialisation, les Calédoniens se trouvaient à latête de responsabilités qu’ils n’avaient jamais eues. C’étaient des compétencesénormes. Cela va vous surprendre, mais ne n’étais pas inquiet pour le Nord et lesÎles. Je l’étais pour la province Sud. Au Nord, je pensais que ce serait ou Tjibaou ouNéaoutyine, mais probablement Tjibaou qui avait une expérience. Aux îles, ce nepouvait être que Yeiwene, et aux Loyautés, il n’y a pas d’interférences autres quemélanésienne. Yeiwene savait gérer cela. En revanche, au Sud qui regroupe 65 à 70

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% de la population, il fallait diriger cela avec une poigne de fer. C’était un peuprésomptueux, mais je ne voyais personne d’autre que moi pour imposer cela. Etaussi parce que j’avais la légitimité d’avoir mis fin à la guerre civile. » (pp. 88-89)

15 Kotra insiste aussi sur le fait que Lafleur a comme Jean-Marie Tjibaou « la notion de la

parole donnée » et qu’il « a essayé de la respecter jusqu’au bout » (MNC, 22/10/2009). Selon

cet ouvrage, après la signature des accords de Matignon et pendant l’année

d’administration directe, Jean-Marie Tjibaou aurait dit à Lafleur qu’il fallait que les

Kanak aient accès à la mine et au sous-sol, d’où la session de la SMSP… et le changement

de positionnement de Lafleur. Et du RPCR.

« [C’est] pendant l’année d’administration directe [que la décision de céder la SMSP a

été prise]. On se voyait plusieurs fois par jour, Jean-Marie Tjibaou et moi. On était

logés comme conseillers de gouvernement dans le même immeuble. […] On a eu desdiscussions extrêmement longues sur l’intégration économique. […] Mes enfantspartageaient l’idée que l’on devait faire tout ce que l’on pouvait, chacun avec nosmoyens, pour que les Kanaks deviennent des citoyens à part entière. Ça n’a pas étéun choix facile. S’amputer de ce qu’on avait de plus important, ce n’était pasfacile. » (pp. 94-96)

16 Mais on peut se demander si on le doit réellement à Jacques Lafleur ou s’il ne donne pas

le beau rôle, étant le seul survivant. Il indique d’ailleurs que tout le monde [a]

pratiqu[é] comme une religion les résultats des accords de Matignon » (p. 74), ce qui

d’ailleurs a continué par la suite avec l’accord de Nouméa :

« La poignée de main est un acte fondateur. JMT et JL sont depuis des fondateurs. Ilsont inventé quelque chose. En France, il y a toujours la pesanteur de la guerred’Algérie pour la décolonisation. Cette histoire-là est restée (la valise ou le cercueil).Un concept nouveau se met en place. La Nouvelle-Calédonie essaie de construirequelque chose localement hors la France ! » (Kotra, MNC, 22/10/2009)

17 Pour finir, Walles Kotra et Jacques Lafleur reviennent sur la fin de la période couverte

par l’accord de Nouméa. Lafleur pense que la Nouvelle-Calédonie et l’État devraient

signer un nouvel accord, un pacte de 50 ans, pendant lequel « les gens s’engageront à

fonctionner d’une façon parfaitement consensuelle, ce qui n’exclut pas qu’il puisse y

avoir des désaccords ponctuels » (p. 104) pour mieux préparer l’élite de Nouvelle-

Calédonie :

« Ainsi, les idées pourront progresser afin que dans cinquante ans la Nouvelle-Calédonie ait acquis une totale émancipation dans la République française. »(p. 108)

18 Cela permettra d’éviter aussi une nouvelle « propagande électorale démagogique aux

idéaux diamétralement opposés » (p. 101) pour un référendum qui « aura un résultat

certain et irrémédiable : la division et le retour en arrière » (p. 104) car « les bases sont

encore vulnérables, alors un petit tremblement peut provoquer de gros dégâts »

(p. 108) :

« Personnellement, je n’ai pas changé d’avis. Je suis convaincu que nous valonsmieux, tous ensemble, qu’un référendum. » (p. 101)

19 Alain Christnacht, quant à lui, trouve la référence à 2018 prématurée : « chaque chose

en son temps ! On est dans l’application de l’accord de Nouméa » et nombreux sont

ceux qui, comme cet artisan de l’accord, pensent qu’il « n’est pas tout à fait appliqué ! »

alors que ce qui est important, c’est justement « la façon dont on l’applique ! » (MNC,

22/10/2009).

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351

20 Ce livre, captivant à plus d’un titre, peut laisser sceptiques certains des observateurs

des évolutions récentes de la Kanaky Nouvelle-Calédonie devant les dernières

déclarations de Lafleur, si éloignées de ses prises de position lors des « événements ».

L’homme qu’il nous est présenté ne correspond pas du tout à l’image qu’on pouvait en

avoir à cette époque. Aussi ne puis-je qu’en conseiller la lecture à toute personne qui

s’intéresse de près ou de loin à l’histoire politique récente de ce pays et à son devenir.

BIBLIOGRAPHIE

BESSET Jean-Paul, 1998. Le dossier calédonien. Les enjeux de l’après-référendum, Paris, Éditions La

Découverte, Cahiers libres, 174 p.

GABRIEL Claude et Vincent KERMEL, 1988. Nouvelle-Calédonie, les sentiers de l’espoir, Montreuil, La

Brèche-PEC, 222 p.

NOTES

1. Sauf indications précises comme ici, toutes les citations sont de Jacques Lafleur.

2. Dommage que cet ouvrage ne respecte pas l’écriture désormais classique du terme kanak

(invariable en genre et en nombre), avec une majuscule quand il s’agit du nom (cf. accord de

Nouméa) !

3. « En ce sens, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sont les pères fondateurs de la Calédonie

moderne. Il faut l’assumer et le revendiquer. […] Il est important pour la Nouvelle-Calédonie que

Jacques Lafleur soit à sa place ; à l’image de Jean-Marie Tjibaou » (Kotra, pp. 128-129). Et que ce

soit justement un Kanak indépendantiste qui y contribue n’est pas sans ironie.

4. Il faut préciser qu’il s’agit ici des élections législatives de 2007 où, en dissidence, il perd son

siège de député de la première circonscription au premier tour (avec 11,74 % des suffrages) au

profit du candidat officiel de l’UMP, Gaël Yanno, son ancien suppléant. Et c’est là peut-être un des

défauts de cet ouvrage, de ne s’adresser, par manque de précision et d’explication et en raison de

beaucoup de sous-entendus, qu’à des connaisseurs du pays. Les précisions entre crochets dans les

citations qui suivent sont de moi pour que ceux qui ne sont pas très au fait de l’histoire récente

de la Nouvelle-Calédonie puissent s’y retrouver.

5. Si l’on récapitule les mandats de cet homme politique calédonien, il commença sa carrière

politique en 1972 en tant que membre de l’assemblée territoriale ; il le fut à nouveau en 1977 et

du 28 novembre 1984 au 29 septembre 1985. Il fut membre du conseil de gouvernement de la

Nouvelle-Calédonie de 1972 à 1977. Il fut élu député pour la première fois le 3 avril 1978 et le

restera jusqu’au 18 juin 2007. Du 7 mars 1983 au 3 juin 1997, il fut également conseiller municipal

de Nouméa. Enfin, il fut successivement président du conseil de la région Sud et membre du

comité exécutif et du congrès du territoire du 24 avril 1988 au 11 juin 1989, puis président de la

province Sud et membre du conseil consultatif du haut-commissaire et membre du congrès du

territoire du 16 juin 1989 au 9 mai 1999, et finalement président de l'Assemblée de la Province

Sud et membre du Congrès du14 mai 1999 au 9 mai 2004. Aux avant-dernières élections

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provinciales, il fut élu dans la province Sud et fut donc membre du congrès du 10 mai 2009 au 7

avril 2010.

6. Il a été réélu à la veille des élections de 2008, sa liste ayant remporté 53,39 % des voix au

premier tour, ce qui lui a donné 39 sièges de conseillers municipaux sur 49.

7. Au vélodrome Georges Brunelet, en 1975, une première réunion rassembla sept mille

personnes, à l’initiative de Jacques Lafleur qui avait fait venir pour l’occasion un chapiteau

d’Australie pour mettre fin à l’émiettement des partis politiques de droite – dix-neuf pour trente

élus à l’assemblée territoriale – qui fut « la naissance d’une action qui se transformerait ensuite

en Rassemblement », sous-entendu le RPC le 17 avril 1977 (pp. 44-45).

8. « Je vais choquer les autres religions, mais il [Rocard] était protestant, comme Pierre Joxe et

moi-même. Cela nous liait tous les trois » (p. 77).

9. Un écho aux propos de Jean-Marie Tjibaou ? « “Apprendre à vivre ensemble en travaillant

ensemble” comme le voulait Jean-Marie Tjibaou » au moment du plan Pisani et de son pari sur

l’intelligence (Besset, 1988 : 110).

10. Les non-indépendantistes s’appelaient eux-mêmes ainsi, en raison de leur opposition à toute

idée d’indépendance, voire même d’autonomie, et de leur « loyauté » envers la mère patrie, la

France, même si, foncièrement, pour beaucoup, ils n’avaient que très peu d’attachement réel à la

métropole et souvent faisaient preuve de racisme envers les métropolitains tout comme envers

les Kanak… Comme le signale Jean-Paul Besset (1988 : 38), « les Caldoches tiennent à la France

comme à une assurance-vie. Ni plus, ni moins ». Lafleur lui-même dit : « la population dans sa

grande majorité est un peu agacée par la tutelle trop pesante de la France […] En effet, je choque

peut-être certaines personnes par cette affirmation, pourtant chacun sait que je ne suis pas

indépendantiste et que je ne le serai jamais » (p. 104).

11. « Dans mon discours, il y avait le partage, mais c’est moi qui ai fait élire un sénateur et un

député mélanésiens. Avant, il n’y en avait jamais eu », dit-il même page 88 dans le chapitre sur la

province Sud, oubliant que le premier député kanak était le regretté Rock Pidjot qui passa plus de

vingt-deux ans à cette charge (de 1964 à 1986, date du premier boycott des législatives par les

indépendantistes). Il ajoute plus loin : « […] ce qui est plus important encore pour moi dans

l’aventure provinciale, c’est l’éducation au partage. Savoir partager et accepter de partager. »

(p. 91).

12. Ce qui fait dire à Jacques Lafleur : « À certains égards, j’étais aussi intransigeant que Jean-

Marie Tjibaou » (p. 75). Vu de l’extérieur, connaissant bien Jean-Marie mais pas du tout Lafleur, la

vision qui nous en a été donnée par les médias de l’époque m’incite à penser qu’il l’était beaucoup

plus que Tjibaou qui, au contraire, en bien des circonstances, a su faire preuve d’une grande

magnanimité (par exemple, la consigne de la levée des barrages début décembre 1984 suite à

l’embuscade de Tiendanite qui fit dix morts dont deux de ses frères).

13. Référence à la déclaration finale de la table ronde de Nainville-les-Roches du 8 au 12 juillet

1983 qui reconnaît par ailleurs aux Kanak un « droit inné et actif à l’indépendance » et que

Jacques Lafleur et le RPCR n’ont pas voulu signer. Lafleur précise par ailleurs : « Je refuse d’être

une victime de l’histoire. Je suis un citoyen de Nouvelle-Calédonie. Mes ancêtres sont arrivés là

comme ceux qui sont partis et arrivés au Canada, et aujourd’hui, on dit qu’ils sont citoyens

canadiens et pas des victimes de l’histoire. » (p. 66).

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Calédonie, l’heure des choixdeJean-Loup VIVIER

Isabelle Leblic

RÉFÉRENCE

VIVIER Jean-Loup, 2009. Calédonie, l’heure des choix, Paris, L’Harmattan, 188 p.

1 Deuxième ouvrage de l’auteur sur la Nouvelle-Calédonie, ce livre retrace en douze

chapitres les grandes lignes de l’histoire politique récente de ce pays, depuis la fin de la

Deuxième Guerre mondiale jusqu’à maintenant, et nous expose sa vision de l’évolution

profonde des vingt dernières années comme de l’avenir de ce territoire. Après deux

pages d’introduction, le premier chapitre (pp. 9-16) retrace « Les origines historiques

de la question calédonienne », de façon extrêmement rapide, en présentant des

éléments connus de tous sans guère d’apports nouveaux. Quelques renvois en notes de

bas de page à quelques rares d’auteurs1, trop peu à mon sens au regard du sujet et de

l’importante bibliographie existante et de trop nombreuses citations – près de deux

pages entières sur sept. Le deuxième chapitre, « L’occasion manquée d’une fusion

fraternelle (1945-1984) » (pp. 17-34), n’apporte rien de neuf non plus pour tous ceux,

nombreux, qui se sont intéressés à l’évolution récente de ce territoire français des

antipodes. Il passe un peu trop vite sur certaines questions : rien sur la loi-cadre de

Gaston Deferre du 23 juin 1956, ni sur le référendum constitutionnel de 1958 et le choix

de l’assemblée territoriale d’opter pour le statut de TOM, une autonomie associant les

deux communautés de la Nouvelle-Calédonie, au moment où, grâce à cette loi-cadre,

toutes les anciennes colonies françaises d’Afrique choisissent l’autonomie puis

l’indépendance. Il finit par parler de la directive Messmer du 18 juillet 1972 qui

recommandait de « faire du blanc2 » pour noyer toute idée d’indépendance. Le chapitre

III revient sur ce que l’auteur appelle « La crise calédonienne (1984-1988) » (pp. 35-51),

ce que l’on a coutume de nommer les « Événements », avec beaucoup de raccourcis et

d’imprécisions, dommage ! Par exemple, il nous parle de Pisani et de la visite éclair du

Président Mitterrand le 19 janvier 1985 à Nouméa sans préciser que cela faisait suite à

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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l’annonce à Nouméa du plan Pisani (7 janvier 1985) et de à la proposition qu’il avait

faite d’indépendance association, laquelle ne fut pas reprise dans le statut Fabius-Pisani

du printemps 1985 ! Les chapitres IV et V évoquent les accords de Matignon-Oudinot de

juin-août 1988, leur part de « secret », de « corruption » et d’« astuces

institutionnelles » (pp. 53-58) et le chemin jusqu’à l’accord de Nouméa de mai 1998 (pp.

59-75). À propos des référendums sur les statuts de la Nouvelle-Calédonie, il parle de

36,66 % d’électeurs inscrits ayant voté oui en 1988 face à 51,92 % en 1998. Mais il ne

précise pas que ces résultats ne concernent que les électeurs de Nouvelle-Calédonie et

non le résultat national. Il ne parle pas plus des forts taux d’abstention de l’électorat

calédonien (respectivement 36,7 % et 25,77 %). Toutes ces imprécisions comme

l’absence de renvois aux auteurs de référence font qu’il est difficile pour un lecteur non

averti de resituer les propos de l’auteur dans la totalité des faits de l’époque. En effet,

comme nombre d’ouvrages récents, aucune bibliographie n’est présentée dans ce livre

comme si rien n’avait été écrit sur le sujet ; seules quelques notes de bas de page nous

renvoient à quelques ouvrages ou articles de journaux ! Cela semble être une nouvelle

mode et c’est bien dommage !

2 Les trois chapitres suivants parlent de l’apaisement : « incontestable » (chap. VI, pp.

77-84), « dû à une attention budgétaire privilégiée » ( chap. VII, pp. 85-98) avec le

« risque » d’« une perte progressive d’identité » (chap. VIII, pp. 99-110), mais tout cela

n’empêche pas J.L. Vivier d’écrire que la Nouvelle-Calédonie vit toujours une situation

coloniale (p. 82), ce que peu d’auteurs écrivent encore, bien que cela soit à mon avis

bien le cas ! Son chapitre IX pose des questions que certains ont en effet en tête, celle

de l’« indépendance dépassée ? » (pp. 111-141) et le suivant celle des nouvelles

revendications (pp. 143-164), soit le passage des revendications foncières à celles sur la

gestion du sous-sol et la participation à l’exploitation minière du nickel, les

interrogations que cela suscite notamment dans le Sud où les autochtones ont constitué

un comité de défense Rhéébù nùù visant à se protéger des effets négatifs de l’usine

métallurgique du Sud. Cette partie de chapitre retraçant l’histoire de Goro Nickel et de

Rhéébù nùù est sans doute l’une des plus intéressantes et des plus informatives de

l’ouvrage. Comme Vivier le dit :

« La mine fait rêver, en Nouvelle-Calédonie, elle a toujours fait rêver. Et le réveil estsouvent dramatique. » (p. 163)

3 Les deux derniers chapitres nous présentent « l’émergence des énergies nouvelles »

(pp. 143-164) et « l’avenir institutionnel » (pp. 175-185). Le chapitre XI traite des

nouvelles personnalités et forces en présence : d’une part, Louis-Kotra Uregei, l’USTKE et

le tout nouveau Parti travailliste et, d’autre part Rhéébù nùù. La force du premier est

entre autres de jouer sur « la nouvelle grande peur des Kanak, et de bien des

Calédoniens nés dans l’archipel qui ne sont pas d’ethnie mélanésienne », à savoir

« l’immigration qui menace les emplois que pourraient occuper des chômeurs locaux »

(p. 172). Ainsi, depuis longtemps, l’USTKE prône la défense de l’emploi local ! « L’autre

force nouvelle du paysage politique kanak, c’est Rhéébù nùù » avec « un leader

charismatique » comme le créateur de l’USTKE. La principale différence qu’il voit entre

ces deux forces est que si la première n’est pas uniquement kanak, la seconde l’est

beaucoup plus mais pas seulement et que si cette dernière « reste localisée dans

l’extrême Sud », son « mouvement peut faire école ». En effet :

« Rhéébù nùù a de son côté su raccorder un mouvement indigéniste, despréoccupations écologiques, le souci du développement, de l’avenir des jeunes, tout

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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en restant respectueux de la coutume et même en intégrant à son action lesautorités coutumières. » (p. 173)

4 Enfin, le dernier chapitre propose son analyse de l’évolution à venir :

« L’hypothèse la plus probable est que le maintien, pendant des décennies, du statuquo, conduira la société calédonienne vers une situation à la réunionnaise. Chacunse sentira avant tout calédonien, sans pour autant oublier ses origines, toujoursplus lointaines. La paix publique y gagnera sans doute. Le destin commun sera alorsune réalité. Les deux couleurs de ce peuple tendront à se fondre dans une teinteunique. Mais qu’il soit permis à l’auteur de ces lignes de déplorer par avancel’effacement d’une civilisation profondément authentique, originale, d’une extrêmerichesse, et qui aurait mérité de faire entendre sa différence et sa présence au seindes nations qui peuplent notre planète. » (pp. 184-185)

5 Pour conclure, je dirais que ce livre est informatif malgré les défauts signalés et ses

omissions ou raccourcis. Il nous faut noter néanmoins parfois des jugements qui

détonnent comme l’auteur nous y a habitués (voir Mon chemin aux côtés du FLNKS), bien

que globalement il soit ici plus objectif et plus intéressant pour le lecteur.

BIBLIOGRAPHIE

DAUPHINÉ Joël, 1989. Les spoliations foncières en Nouvelle-Calédonie (1853-1913), Paris,

L’Harmattan, 347 p.

LEBLIC Isabelle, 2003. Chronologie de la Nouvelle-Calédonie, in I. Leblic (éd.), 150e anniversaire de

la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie, Journal de la Société des Océanistes 117, pp.

299-312.

SAUSSOL Alain, 1979. L’héritage. Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie,

Paris, Société des Océanistes, Publications de la Société des Océanistes 40, 498 p.

NOTES

1. Seuls Guiart et Gascher et beaucoup d’absents ! Par exemple, aucune mention n’est faite

d’Alain Saussol (qu’il finit pas citer sur un très court article et qu’il appelle Jean p. 22 et à

nouveau p. 23 !) et son incontournable ouvrage L’héritage de 1979 ou de Joël Dauphiné pour les

dépossessions foncières p. 15.

2. « La présence française en Calédonie ne peut être menacée sauf guerre mondiale, que par une

revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels

dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et à moyen terme,

l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements

d’Outre-mer (Réunion), devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le

rapport numérique des communautés. » (Extrait de la lettre du Premier ministre, Pierre

Messmer, au secrétaire d’État aux DOM-TOM sur les vertus de l’immigration massive pour

empêcher les revendications indépendantistes, cité in Leblic, 2003 : 302).

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Vers une école multilingue dans lescollectivités françaises d’Océanie et deGuyanecoordonnée par JacquesVernaudon et Véronique FillolRaymond MAYER

RÉFÉRENCE

VERNAUDON Jacques et Véronique FILLOL (éds), 2009. Vers une école multilingue dans les

collectivités françaises d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, coll. Cahiers du

Pacifique sud contemporain, 320 p., bibliogr., cartes, ill., fig., présentation des auteurs.

1 En attendant que le trilinguisme devienne le modèle reconnu de tous les systèmes

scolaires du monde, il sera sans doute nécessaire d’organiser encore plus d’un

colloque ! Celui-ci, qui s’est tenu à Nouméa en juillet 2007, a eu le mérite d’examiner de

près, comme l’indique le titre du livre qui en a été tiré, la situation faite aux langues

enseignées dans les « collectivités françaises d’Océanie et de Guyane ». Le titre de

l’ouvrage fait l’économie du point d’interrogation sur un sujet qui habituellement

fâche, du moins dans une république française constitutionnellement fondée sur le

monolinguisme (Fréchet, 2009). C’est dire que l’Outre-mer multilingue avance

courageusement dans des directions qui semblent déjà identifiées, à défaut de pouvoir

prétendre avoir surmonté tous les obstacles politiques, administratifs, pédagogiques et

logistiques qui se dressent au fur et à mesure des avancées effectuées au niveau

institutionnel et sur le terrain. Jacques Vernaudon et Véronique Fillol, tous deux en

poste à l’Université de Nouvelle-Calédonie (UNC), ont pris la peine de réunir des textes

qui stimulent le débat local et national, et balisent les solutions appelées à durer.

2 La structure de l’ouvrage donne une claire indication des niveaux de compétence

sollicités pour traiter du problème. La première partie, consacrée au « contexte

sociolinguistique et cadre institutionnel », commence justement par situer la question

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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au niveau politique qui convient. Marie Salaün (Paris 5 - IRIS) rappelle opportunément

qu’il faut non seulement un « premier passage obligé » par l’histoire coloniale (p. 21)

pour comprendre la situation scolaire actuelle, mais aussi un « détour » par le paradoxe

du monopole linguistique dans la situation de révision des statuts de l’Outre-mer

diversifié, et enfin une explicitation des enjeux de la récente légitimation des langues

locales stipulée par la réforme constitutionnelle de 2008. Sous un intitulé

particulièrement incisif « Pourquoi la résistance glottocentrique a-t-elle perduré

jusqu’aux années 1980 ? », elle s’interroge précisément sur les « rendez-vous manqués

de la 4e république » avant de faire observer qu’aujourd’hui encore la politique

française s’inspire de la matrice du « patchwork » faisant pièce de toute situation et

jouant sur plusieurs registres au plan juridique (p. 29), eu égard aux différences faites

entre les diverses entités territoriales de l’Outre-mer : DOM et collectivités territoriales

à statut variable.

3 Avançant dans la revue des terrains respectifs, Jacques Vernaudon et Léonard Sam (UNC

- CNEP) présentent alors « la réforme plurilingue de l’école en Nouvelle-Calédonie, en

Polynésie française et à Wallis-et-Futuna » (pp. 35-47) avant de laisser Bettina Migge,

senior lecturer à Dublin, et Odile Renault-Lescure, chargée de recherche à l’IRD, dresser

un état des lieux équivalent pour la Guyane française (pp. 49-66). Une carte sur les

langues de Guyane (p. 66) achève de nous introduire à la dimension à la fois technique

et politique du multilinguisme souhaitable. La carte symétrique sur les langues locales

dans les collectivités françaises d’Océanie fait défaut dans le livre ; elle aurait pourtant

mérité sa place à ce stade de l’ouverture, ne serait-ce que par parallélisme de forme.

Quoi qu’il en soit, le lecteur est suffisamment informé de la situation préalable pour

accéder à une autre série de questions.

4 La deuxième partie de l’ouvrage s’engage sur les « enjeux scientifiques, éducatifs et

méthodologiques » du plurilinguisme à l’école (pp. 67-154). La contribution de Paul

Launey (CELIA - IRD) s’attache à découper avec une précision chirurgicale les arcanes

quotidiennes du fonctionnement administratif lié à l’admission des langues locales à

l’école. Sa note en bas de page 69 (« un recteur et une personnalité politique ont mis

l’auteur […] en garde sur les risques d’excitation des passions identitaires que pouvait

entraîner la publication d’une grammaire du palikur, langue amérindienne de

Guyane ») en dit long sur le climat suspicieux qui entoure jusqu’aux missions

linguistiques basiques, dès que celles-ci s’approchent tant soit peu de l’institution

scolaire. Une autre remarque frappée au coin du bon sens – « On entend encore avancer

l’idée de la nocivité cognitive du bilinguisme » (p. 81) – rappelle que le syndrome

colonial n’est jamais très loin. Danièle Moore (USF Vancouver/Diltec) élargit le débat à

d’autres expériences de plurilinguisme « pacifié », en particulier à celles qu’elle a

étudiées au Canada. Isabelle Nocus, Philippe Guimard et Agnès Florin, tous trois de

l’université de Nantes, rendent compte des dispositifs d’évaluation des bilinguismes

testés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française (pp. 119-135). Véronique Fillol

procède à l’analyse des programmes scolaires adoptés en matière d’enseignement du

langage et des langues sur le sol calédonien depuis la rentrée 2006 et insiste, pour

éviter les situations d’échecs socioculturels, sur le nécessaire renouvellement

didactique que le plurilinguisme implique.

5 Sous le titre générique « Les langues d’enseignement et de culture », la troisième partie

(pp. 155-222) est précisément consacrée aux applications pédagogiques et aux

expérimentations didactiques. Le livre s’anime en images, car cette partie est

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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abondamment illustrée. La contribution de Gérard Lavigne (CNEP) s’intéresse à

l’enseignement des mathématiques en langues kanak (pp. 157-173) pour promouvoir le

succès des filières scientifiques. Viviane Lanier-Auburtin (CASNAV Guyane) (pp. 175-189)

fait part du dispositif mis en œuvre en Guyane pour officialiser un système

d’intervenants en langues maternelles (ILM), tandis que Jacques Vernaudon applique les

vertus du comparatisme aux langues océaniennes et française réunies à l’école

calédonienne (pp. 191-206). Stéphanie Geneix-Rabault étrenne son doctorat

d’ethnomusicologie en osant le seul titre en langue austronésienne de l’ouvrage : Nyima

me elo thatraqai ha nekönatr ngöne la qene drehu, titre dédié au « devenir pédagogique »

des expressions musicales enfantines en langue drehu des Loyauté (pp. 207-222).

6 La quatrième et dernière partie du livre traite de deux problèmes : celui de la formation

des maîtres, par des cadres d’IUFM, et celui de la méthode par évaluation pour faire

progresser la question du multilinguisme à l’école. Le contexte guyanais de la

formation des enseignants est traité avec force schémas et tableaux par Sophie Alby

(pp. 225-249), de l’IUFM de la Guyane ; tandis que le contexte alsacien de l’ IUFM de

Strasbourg est appelé par Christine Hélot à la rescousse des questions générales de

gestion du plurilinguisme ; enfin l’université de Nantes, par Philippe Guimard, Isabelle

Nocus et Agnès Florin, est invitée à mettre la technique des évaluations à l’école

maternelle au service du multilinguisme. On ne saurait être plus pragmatique. D’un

bout à l’autre de ces actes de colloque actualisés, comme il se doit, dans leur écriture

finale, se lit la détermination des éditeurs de couvrir toutes les facettes du problème et

d’offrir ainsi une sorte de double prototype (calédonien et guyanais) pour faire mûrir la

question du multilinguisme scolaire appliqué aux langues locales.

7 La conclusion (pp. 297-307) peut s’honorer à juste titre de faire bouger les lignes jusqu’à

revendiquer, sous la plume de Bernard Rigo (UNC/CNEP), que la question linguistique soit

traitée comme une « question éthique ». Sur la voie d’une utopie qui gagne du terrain,

le livre ouvre effectivement à toutes les perspectives documentées dont le combat

multilingue a besoin. Le livre édité par Jacques Vernaudon et Véronique Fillol est à cet

égard un véritable analyseur de situation linguistique en rapport avec des contextes

diversifiés qui attendaient des expertises compétentes. Tous les auteurs mobilisés sont

profondément engagés dans une vie professionnelle dédiée à la défense et à la

promotion du plurilinguisme à l’école. Malgré une pléthore de sigles fort heureusement

déclinés dans la présentation détaillée finale des auteurs, l’ouvrage atteint son objectif

qui est de gagner un maximum de lecteurs à sa cause, tout en faisant valoir l’expérience

des expertises déjà réalisées.

8 Qu’un colloque essaie de sortir des impasses du système scolaire en place en élargissant

le propos à l’ensemble de l’outre-mer français est une belle prouesse, et la question

linguistique de l’Outre-mer français aura trouvé ici un rapport d’étape tout à fait

convaincant. Peut-être même que le prochain colloque pourra faire le lien avec des

situations de plurilinguisme en dehors du contexte strictement francophone. Rien de

tel en effet que de confronter les expériences d’un pays centralisé avec celles de pays

qui présentent une configuration plus fédérale voire confédérale pour faire progresser

la portée théorique des conclusions que l’on a déjà tirées sur le terrain.

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BIBLIOGRAPHIE

FRÉCHET Claudine (dir.), 2009. Langues et cultures de France et d’ailleurs, Lyon, Presses universitaires

de Lyon, 495 p.

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Étudier sa propre culture. Expériencesde terrain et méthodes sous ladirection de Jean GuiartRaymond MAYER

RÉFÉRENCE

GUIART Jean (sous la dir.), 2009. Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes,

Paris, L’Harmattan, 183 p., préface, introd., bibliogr.

1 Sous un titre performatif d’une extrême simplicité, ce livre dirigé par Jean Guiart

apporte, à mon sens, une contribution majeure à la compréhension de l’évolution de

l’anthropologie mondiale. À travers treize chapitres d’anthropologues des cinq

continents, dont il ouvre la thématique et la méthodologie globales tout en

introduisant à chacune d’elles en particulier, l’ancien directeur du Laboratoire

d’ethnologie du musée de l’Homme de Paris met à profit ses années de retraite active

pour mettre en lumière la nouveauté radicale induite en anthropologie par les

indépendances nationales. Il ne s’agit plus, cette fois-ci, de l’énumération récurrente

des obstacles relevés par les anciennes administrations coloniales dans le libre accès au

terrain par exemple, ou dans le traitement symétrique des fonds d’archives, mais de

l’évaluation, par les anthropologues nationaux devenus (avec les réserves qui

s’imposent çà et là) maîtres de leurs programmes, du bilan de leurs recherches, et

surtout des perspectives nationales et internationales qui s’offrent à eux après trente

ans de développement autonome. Un symposium (dont les dates ne sont pas explicitées

dans l’ouvrage) avait été convoqué au musée de l’Homme sur ce thème, bien avant l’an

2000, l’actuelle République démocratique du Congo y apparaissant encore sous son

ancienne dénomination de Zaïre, et plusieurs participants étant décédés dans

l’intervalle. C’est dire la vertu anticipatrice de ce modeste volume qui a tout pour faire

date.

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2 Jusque-là, l’anthropologie contemporaine ne distinguait qu’entre anthropologie

exotique et anthropologie domestique, ou – en des termes presque similaires – entre

exo-anthropologie et endo-anthropologie. Le livre de Jean Guiart et de ses invités va

plus loin : il laisse émerger une multitude d’anthropologies « nationales » dont peu

d’anthropologues ont jusqu’ici analysé la dynamique et l’impact sur l’avenir de

l’anthropologie mondiale. Que l’on ne s’y trompe pas : la vague montante des

anthropologies nationales va faire l’effet d’un tsunami, et il faudra s’attendre, en moins

de vingt ans, à une véritable recomposition du paysage anthropologique international,

dont peu de métropoles intellectuelles actuelles ont pressenti l’ampleur et les

conséquences. J’ai trouvé sous la plume de l’historienne Florence Bernault, en poste à

l’université du Wisconsin à Madison, l’un des rares constats à aller dans le sens de

l’histoire, a-t-on envie de dire (Bernault, 2001) :

« [les pays du Sud] ont, dépassant la vieille Europe, commencé à produire unebibliothèque savante dont les apports ne peuvent être ignorés qu’au risque d’unappauvrissement sérieux des capitales intellectuelles aujourd’hui dominantes. »

3 Si la préface de Jean Guiart observe une « sorte de passage à vide de la réflexion

anthropologique » (p. 7), l’introduction du même affiche deux tendances qui appellent

au renouvellement de méthode et d’épistémologie induit par les indépendances. La

première consiste à « considérer avec faveur l’émergence d’une classe d’universitaires

et de chercheurs nationaux avec qui puisse être établie une collaboration entre égaux »

(p. 14) ; la seconde doit permettre de contester, à rebours, le règne de la pensée

« extrême-occidentale » (sic) enracinée dans l’idéologie mal avouée de « l’évolution

linéaire des sociétés humaines et d’une hiérarchie des degrés atteints par les unes ou

par les autres » (p. 15). A cet égard, le livre offre un concentré d’expériences nationales

qui sont toutes plus intéressantes les unes que les autres, bien qu’aboutissant parfois à

des résultats pour le moins contrastés.

4 Viennent alors les diverses communications qui fournissent un état des lieux de la

pratique et de la théorie dominantes sur les terrains nationaux. Jean Guiart chapeaute

chacune d’elles par une brève notice introductive. Le premier à entrer en lice est le

chercheur et écrivain algérien Mouloud Mammeri (pp. 25-36), qui dresse l’état de

l’anthropologie dans son pays à travers l’histoire particulière du Centre de recherche

en anthropologie et en préhistoire (CRAP) d’Alger. Laissé sans moyens et sans archives

pour solde de tout compte par l’administration française partante, le CRAP a dû

renoncer, pour l’essentiel, à toute enquête de terrain, et se soumettre aux priorités

définies par le nouveau pouvoir politique en place. Ce qui s’est traduit, notamment, par

l’insistance portée aux questions de progrès social et d’unité nationale, au détriment

des appartenances tribales qui ont été reconverties aux normes de l’intérêt national.

5 Préoccupations similaires en Tunisie, dont la liste établie par Samira Gargouri-Sethom,

conservatrice au Centre des arts et traditions populaires de Tunis (pp. 37-45), offre un

tableau saisissant de la situation qui a prévalu quand une archéologie qui était

officiellement privilégiée a laissé les chercheurs en sciences sociales sans expérience et

sans métier. A nouveau, le traumatisme du manque de relève immédiate a creusé un

fossé durable entre les prédécesseurs expatriés partis et les successeurs nationaux sans

formation supérieure de niveau équivalent. Mais le fait le plus notable a été la

destruction des musées d’objets de la vie quotidienne, pourtant légués par les

administrations scientifiques du protectorat français, en raison de l’idéologie politique

faisant le choix du « modernisme » et du « progrès », forçant notamment à l’abandon

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du vêtement traditionnel au bénéfice du costume européen. Il a fallu une quinzaine

d’années après l’indépendance pour reconscientiser les autorités politiques dans le sens

de la nécessaire prise en compte des avantages de l’héritage national par rapport à

celui de la colonisation.

6 La troisième situation, celle du Mali, est faite par Claude Daniel Ardouin, ancien

directeur du Musée national du Mali à Bamako. Celui-ci montre, au terme d’une analyse

très lucide que l’analyse du « dedans » est le complément indispensable de celle du

« dehors » (p. 49). Partant de l’adage « Beaucoup de gens font partie du mègè, mais peu

d’entre eux entrent dans son tan » (p. 49), il démonte les mécanismes d’interprétation

qui se rattachent à la fluctuation des courants théoriques « reflet de l’idéologie, avouée

ou non, de la recherche » et déterminante pour « la compréhension de la culture

étudiée » (p. 51), notant en particulier que « l’appareil conceptuel, en plus de son

imprécision, est beaucoup plus pauvre que la réalité observée » (p. 52).

7 La quatrième communication est donnée par le chercheur Khing Hoc Dy (pp. 57-66) qui,

bien qu’installé en France, en réfère à son pays natal, le Cambodge, dont il rappelle que

la tradition lettrée est antérieure au VIIe siècle. Nommé enseignant-chercheur à la

Faculté des Lettres de Phnom-Penh en 1967, l’auteur a consacré ses recherches à la

littérature du divertissement du XVIIIe au XXe siècle, sur laquelle il a publié dix-neuf

ouvrages et il signale l’important travail effectué par le Centre de documentation et de

recherche sur la civilisation khmère fondé par lui en 1978, et qui après sa fermeture

vingt-cinq ans plus tard, a transféré son fonds en 2006 à l’Académie royale du

Cambodge. Exemple rare d’une initiative pluridisciplinaire et de résultats mis au

service d’une recherche dont on privilégie à présent la production nationale.

8 La situation européenne n’est pas en reste. Intervenant sur le contexte espagnol,

Antonio J. Sanchez Lopez, ancien professeur de l’université de Cordoue, souligne que la

recherche sociale est « tout à la fois une science, une production idéologique et un

travail » ce qui « oblige à distinguer les questions de la théorie et des méthodes

employées de celles des circonstances professionnelles, économiques, et aussi

institutionnelles » (p. 68). De manière réaliste, il déconstruit le métier d’ethnologue

dans des pays où des limitations budgétaires entraînent des contextes de rivalités, de

replis disciplinaires et de faible planification à long terme.

9 Les cinq premières communications étant placées sous le signe de la méthode, les

suivantes s’inscrivent sous une rubrique intitulée « témoignages ». On peut discuter de

la pertinence de la répartition des contributions entre ces deux catégories, chacune

d’elles relevant en fait de l’une et de l’autre. Les témoignages ne sont répartis ni par

continents, ni par pays, mais poursuivent une investigation des méthodes par les

résultats atteints sur le terrain.

10 Premier témoignage sollicité, celui de l’Algérienne Tassidit Yacine qui propose une

contre-analyse de la situation des femmes dans son pays, marquée par la double

prégnance des droits berbère et musulman censés favoriser exclusivement le genre

masculin (pp. 79-91). L’auteur démontre que contrairement aux idées reçues, y compris

par les scientifiques eux-mêmes, les femmes peuvent y acquérir du pouvoir. Traitant la

situation d’une localité située aux confins des Aurès et de la Kabylie à partir d’un

corpus spécifique, elle en arrive à étendre le résultat de ses recherches à de nombreux

cas où l’inversion du contrôle social par les femmes est avérée, introduisant ainsi des

figures d’exception dans un contexte que l’on croirait d’un seul bloc. On pourrait

rapprocher ses conclusions de celles atteintes par Frédérique Fogel (2006 : 390) dans

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son déchiffrement logique du « mariage dit arabe » où la reproduction de la prévalence

de la relation de germanité frère-frère passe obligatoirement et concomitamment par

la relation de germanité frère-sœur.

11 Témoignage inversant également l’idéologie dominante à leur égard que celui de M. Ag

Baille (pp. 93-106) qui « plaide » pour une meilleure compréhension des Kel Tamachaq

ou Touareg « nomades monogames » en butte à l’incompréhension populaire et

scientifique des perspectives « sédentaires » qui leur sont habituellement appliquées.

L’argumentaire spécifique du témoignage porte sur les contraintes du nomadisme face

à la volonté de parquage des gouvernements nigériens successifs. On croirait se trouver

au cœur de la campagne anti-Roms suscitée en France pendant l’été 2010 !

12 M. Yangasa Eyi Engusa, de l’Institut Pédagogique de Kinshasa, montre l’intérêt

« culturellement significatif » (p. 121) des rites de la mort dans son groupe d’origine, les

Ambuun, connus sous le nom de Bambunda. Partant du « message de la mort » et de ses

aspects multidimensionnels, il explique que le « système des prestations à l’occasion

d’un deuil » positionne clairement parents et alliés au sein d’un réseau inter-

générationnel, lequel est également régulé par un système d’interdits et de

prescriptions qui amène les rites funéraires à incarner une sorte de matrice de la

société globale.

13 Le chercheur universitaire indonésien Alex John Ulaen (pp. 125-132) dit qu’il a tiré

grand profit d’une expérience ethnographique acquise dans son propre pays, dans une

région différente de sa région natale, ce qui l’a sensibilisé au repérage de faits sociaux

qu’il n’avait pas perçus auparavant. Après avoir relevé des fautes de compréhension

dans l’analyse du monde religieux par des chercheurs étrangers qui maîtrisaient

insuffisamment la langue, il prône en définitive la collaboration entre chercheurs

nationaux et chercheurs étrangers sur un pied d’égalité. Il relève en passant la création

de plusieurs départements d’anthropologie dans diverses universités de son pays.

14 L’ancienne conservatrice du musée d’Israël de Jérusalem, Aviva Muller-Lancet, part du

principe d’une « société composite » dans son pays fondée sur au moins quatre

mouvances inaliénables (pp. 133-143) : arabes-et-non-juives, juives ultra-orthodoxes,

juives modernes et juives pionnières. Même si c’est la diversité des cultures juives de la

diaspora qui a surtout retenu l’attention de son travail muséographique et

ethnographique, sa contribution permet de voir un peu plus clair dans l’écheveau des

tendances qui traversent quotidiennement la vie politique et sociale de son pays.

15 Edit Fèl, ancienne professeur à l’université de Budapest, fait constater qu’en Europe

centrale, se sont développées des ethnologies nationales en marge des courants

universalistes incarnés par les grandes écoles britanniques, américaines, allemandes et

françaises (pp. 145-156). Le résultat de cet intérêt manifesté pour les objets et des

mentalités qui leur donnent vie (on appréciera les exemples qualitatifs du traitement

de la houe, diversifiée suivant les âges et les personnes, ainsi que de la grange à réunion

des hommes en marge des villages) est certes celui d’un outil intellectuel au service

d’une cause nationaliste, mais aussi la richesse d’une recherche autonome qui ne

s’embarrasse pas des querelles d’école étrangères pour constituer un fonds

documentaire inégalé et inégalable.

16 Comment une ancienne archéologue se reconvertit aux vertus de l’ethnographie du

contemporain dans un milieu dont elle parle la langue (« celle qui implique un rapport

d’égal à égal », p. 167), mais dont les tensions internes ne peuvent manquer de rejaillir

sur le travail de l’anthropologue, telle est la belle et tonique réflexion d’Yvonne de Sike

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sur une île de la mer Egée. Dans le cas particulier des îles grecques (mais le cas est-il si

particulier ?), les insulaires se méfient des « sociologues » (p. 165) et de tous ceux qui

s’intéressent de trop près aux dessous des problèmes quotidiens. Le charisme personnel

de l’anthropologue le (ou la) rend seul(e) capable de travailler dans un climat de

confiance/méfiance permanent.

17 Encore plus solennel et plus cérémonieux : c’est un véritable tribunal qui accueillit

l’anthropologue Joaquin Galarza (pp. 169-181), déchiffreur de codex du XVIIe siècle, dans

un village au sud du Mexique qui en détenait des exemplaires inédits. La condition

d’admission dans ce cercle masculin ultra-fermé était de démontrer sa compétence au

service des intérêts locaux, et d’apporter, en une sorte de contre-don préalable, des

éléments matériels d’égale valeur (ici des photographies de documents anciens) : la

preuve par une mise à l’épreuve initiale ! C’est un cas très précis – qui devrait faire

école – d’un examen de passage préalable à l’accès au terrain.

18 Jean Guiart a donc fait appel à des auteurs confirmés, dont une riche bibliographie

accompagne généralement le témoignage, ce qui donne un panorama diversifié de la

situation mondiale, présenté autrement qu’à partir des métropoles dominantes. On

retiendra surtout que, contrairement aux effets attendus de la mondialisation

claironnés sur tous les tons, l’échelle nationale est déterminante pour saisir

l’environnement scientifique postcolonial des recherches menées sur le terrain. Les

conditions d’accès au terrain ne sont donc qu’un indicateur parmi d’autres de la

nouvelle donne de l’anthropologie mondiale. Le filtre universitaire de chaque État

souverain définit à présent les objectifs prioritaires de toute recherche,

indépendamment des tendances d’école autrefois régentées par les seules

anthropologies « hégémoniques ». Le renversement des priorités, un peu du jour au

lendemain, au sortir d’âpres luttes anticoloniales, est un des signes les plus manifestes

de la différence réelle entre exo- et endo-anthropologies, le nouveau système de

légitimation mettant à nu le précédent qui opérait jusque-là à son insu.

19 Au terme de cette revue de tour de monde anthropologique, on retire l’impression de

capacités nationales qui ne demandent qu’à éclore et à fructifier. On sent surtout une

complémentarité forte entre les divers témoignages rassemblés. Mais forcer à la

reconnaissance et au respect de cette diversité d’expression qui indéniablement

commence à semer à tous vents sur le plan mondial, est justement l’objectif de cette

publication indispensable. L’essentiel a été montré : le vin est tiré, il faut le boire.

BIBLIOGRAPHIE

BERNAULT Florence, 2001. L’Afrique et la modernité des sciences sociales, Le vingtième siècle. Revue

d’histoire 70, pp. 127-138.

FOGEL Frédérique, 2006. Le mariage dit arabe, L’Homme 177-178, pp. 373-394.

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Le spectacle de la culture. Globalisationet traditionalismes en Océanie d'AlainBabadzanRaymond MAYER

RÉFÉRENCE

BABADZAN Alain, 2009. Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie,

Paris, L’Harmattan, coll. Connaissance des hommes, bibliogr., 286 p.

1 Alain Babadzan a eu raison de colliger en un volume récapitulatif les fines analyses

réalisées à chaud, pendant trente ans, sur la singulière idéologie politique océanienne

mise en scène dans les anciens, nouveaux et futurs États de cette région du monde en

devenir. La manière inédite de placer les indépendances sous le signe de la culture (et

de ses alternymes « coutume » et « tradition ») aurait pu réjouir les anthropologues des

cinq continents. Pour la première fois, ils tenaient là un modèle vivant qui hypostasiait

un de leurs concepts de base, aussi sûrement qu’on avait placé la déesse Raison sur les

autels de la Révolution française ! Mais, et c’est évidement tout l’intérêt du livre, Alain

Babadzan a beau jeu de montrer et démontrer que la réalité est bien plus complexe et

plus ambiguë, et que le résultat est promis à des révisions certaines. Sur ce point, le

livre réalise non seulement, comme on peut s’y attendre, une synthèse des courants de

pensée politique qui régissent le postcolonialisme en Océanie, mais il en restitue les

aspects processuels, ce qui double largement son utilité permanente.

2 Dans son offre de lecture et d’analyse, Alain Babadzan place son ouvrage sous le signe

de l’évolution du couple « globalisation et traditionalismes » dans le contexte

spécifique de l’Océanie. À moins de considérer la période de « l’authenticité zaïroise »

du régime Mobutu comme une variante africaine de l’État-culture, et à moins de

falsifier « la révolution culturelle » du régime maoïste en variante asiatique d’un

travestissement culturel de la répression, on a tout lieu de croire que la culture comme

religion d’État représente en effet un isolat idéologique océanien et que l’on a affaire à

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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un phénomène insolite qui serait circonscrit (pour une fois ?) dans l’espace et dans le

temps. Sur l’échiquier mondial, le fait d’ériger la culture en doctrine d’État apparaît

comme un hapax de l’Océanie du Sud (tant il est vrai que l’État de Hawaii y échappe,

mais non pas les « American Samoa » par exemple). On pourrait remarquer d’ailleurs

que ce « concept » transcende le phénomène des indépendances, puisqu’on peut

considérer que la « coutume » de Nouvelle-Calédonie (Monnerie, 2004) et les « rois » de

Wallis-et-Futuna (Favole, 1998), sans doute moins les « juillet » de la Polynésie

française, relèvent de la même mouvance idéologique. En tout cas, grâce à Alain

Babadzan et aux nombreux auteurs cités en cours d’analyse, on n’aura pas attendu les

calendes grecques pour en saisir le surgissement, et le livre nous offre une première

synthèse que l’on prendra plaisir à vérifier dans le demi-siècle que nous entamons. Car

c’est en même temps un livre à thèse, qui annonce la fin des Trente Glorieuses de la

culture dans le Pacifique et qui stipule que c’en est fini de la « coutume » comme

référent constitutionnel, puisque l’auteur y prédit la dépolitisation de la culture,

remplacée à terme par les lois du marché international, y compris du marché politique.

3 Dans sa démonstration, ce livre-recueil est articulé en sept chapitres qui nous installent

de plain-pied dans la problématique, en variant les sites et les thèmes, mais en

conservant l’unité d’intérêt. Le premier chapitre (pp. 15-73) nous plonge dans l’État de

coutume, sous son appellation-pidgin de kastom (de l’anglais standard custom, lui-même

probablement de l’ancien français : coutume). Il retrace l’émergence d’un autre concept

en honneur depuis les années 1970, celui de « Pacific Way ». Celui-ci servait à la fois de

concept englobant et de slogan idéologique commun à tous les micro-États naissants. La

création des festivals du Pacifique est interprétée comme le passage du rite au

spectacle, ce qui corrobore l’idée dominante du livre, lui donne son idée roborative et

justifie son titre. L’exemple emblématique des Gogodala du golfe de Papouasie ayant

brûlé tous leurs objets rituels après le passage des évangélistes et qui finirent par

danser devant Elizabeth II à l’occasion de son jubilé, récapitule en quelques traits et

autant de tableaux, l’aventure et les péripéties des peuples et cultures jetés en pâture à

la fois aux traditionnalismes et à la globalisation, passant « du rite au spectacle, et du

folklore à la marchandisation de la culture » (p. 67). Mais l’analyse d’Alain Babadzan, si

elle met du miel aux cendres, sait justement lire les lames de fond qui parcourent un

océan de dynamiques complexes qui ne sauraient à aucun moment être réduites à une

seule. Le livre se lit comme une success story, à l’image des « renaissances » culturelles

dont il fait précisément état. Il n’y a que la fin qui soit résolument pessimiste, puisque

l’auteur se résout à n’en voir d’autre que celle de la disparition de cette heureuse (?)

période pan-culturelle.

4 Le chapitre 2 (pp. 75-124) nous fait participer à un atelier sur la déconstruction du

concept de « tradition », soumis à « l’offensive postmoderniste » selon l’expression de

l’auteur. Par rapport au chapitre précédent, l’idée qu’il soutient est en effet que le

désenchantement a également gagné le cœur du Pacifique, que les « grands récits » ont

perdu de leur unanimisme, et que par conséquent, il convient de nuancer les aspects du

concept au fur et à mesure de sa critique à la fois populaire et scientifique.

5 Le chapitre 3 (pp. 125-168) part des théories couramment diffusées par ou à propos de

Hobsbawm et Gellner sur « l’invention de la tradition » pour situer le rapport à la

culture dans un contexte de nationalisme et de modernisation politique.

Indépendamment de la bonne compréhension des théories qui servent de référent

commun – « A-t-on lu Hobsbawm ? » –, l’auteur examine les ruptures et continuités

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dans le sens de la constitution de nouvelles élites et de « nouveaux clercs » des jeunes

États en voie d’émancipation.

6 Le chapitre 4 (pp. 169-192) revient sur le concept de « permanence culturelle » chez

Marshall Sahlins pour montrer les limites de l’ « indigénisation de la modernité » dans

les États nouvellement constitués. Il prend comme terrain d’application le « culture

movement » qui a marqué la période des indépendances.

7 Le chapitre 5 (pp. 193-210) s’attache à un autre concept rayonnant de l’anthropologie

du XXe siècle, celui de « syncrétisme ». Loin d’en faire un concept clé de l’adaptation

sociale et religieuse, Alain Babadzan y dénote une « double négation » : une négation

des racines et une négation de la modernité. Il montre qu’il s’agit d’une sorte de

concept aveugle, et non du concept rayonnant que les sciences sociales ont cru pouvoir

détenir pour définir la période des grandes mutations dans les pays tiers.

8 Le chapitre 6 (pp. 211-250) traite de l’exemple particulier, mais évidemment largement

suggestif d’une tendance générale, celui de la « renaissance maorie » qui aboutit de fait

à la réalisation d’un « capitalisme néotribal », selon les termes de l’auteur. Le passage

du niveau culturel au niveau économique et financier atteste de l’emprise progressive

de ce dernier, et en même inaugure du déclin de la « culture » au profit d’autres valeurs

qui lui échappent, et qui confinent en définitive à sa négation. L’histoire récente mise

en lien avec l’histoire ancienne traduit un mouvement de « retribalisation » illustrée

par les actions menées autour du tribunal de Waitangi, entendons par là la remise en

honneur de l’appropriation des droits fonciers coutumiers.

9 Enfin, dernier mais non moins des moindres, le chapitre 7 (pp. 251-266) se livre à une

prospective sans ambages s’appuyant sur l’évolution des rapports entre les États

« protecteurs » des indépendances océaniennes et leur cours précédent. L’auteur

soutient la thèse du « crépuscule de la coutume », en le rapportant au « tournant

néolibéral » qui marque les politiques des puissances mondiales dans la première

décennie du XXIe siècle. Moment de l’histoire, mais surtout moment de l’histoire des

idées, et, pour rester dans la métaphore de l’auteur, nouveau scénario politique fondé

sur une « guerre contre la coutume ? » Il est intéressant de voir comment les luttes

anti-terrorisme procèdent par amalgame pour accréditer l’idée que ce qui était bon la

veille est devenu mauvais le lendemain.

10 Au fil des articles qui ont constitué autant de chapitres du livre, Alain Babadzan nous a

ainsi fait passer de la naissance à l’affaissement d’un grand concept englobant qui aura

donné aux États océaniens leur première figure symbolique majeure. Il nous fait vivre,

le temps d’un livre, les raisons qui ont poussé à l’émergence symbolique d’un concept

global, et les mêmes raisons qui ont entraîné son déclin. Sur la question politique de

l’Océanie et, par comparaison (Amselle, 2010), de nombreuses autres entités

géopolitiques, on tient là assurément un ouvrage de base.

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BIBLIOGRAPHIE

AMSELLE Jean-Loup, 2010. Le retour de l'indigène, L'Homme 194, pp. 131-138.

BARÉ Jean-François, 2010. L'identité au miroir de Tahiti, L'Homme 194, pp. 139-155.

FAVOLE Adriano, 2000. La palma del potere, Torino, il Segnalibro, 348 p.

MONNERIE Denis, 2005. La parole de notre maison. Discours et cérémonies kanak aujourd'hui (Nouvelle-

Calédonie), Paris, CNRS Éditions - Éditions de la maison des sciences de l'homme, 287 p.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Jeunesses autochtones. Affirmation,innovation et résistance dans lesmondes contemporainsdirigé parNatacha Gagné et Laurent JérômeIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

GAGNÉ Natacha et Laurent JÉRÔME (éds), 2009. Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation

et résistance dans les mondes contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes

(PUR), 195 p., bibliogr. après chaque contribution.

1 Cet ouvrage collectif1 rassemble sept contributions (dont trois sur l’Océanie) précédées

d’une préface de Mona Belleau, jeune Inuk d’Iqaluit au Nunavut (pp. 9-12), d’une

présentation des deux éditeurs scientifiques (pp. 13-20) et d’une introduction de Sylvie

Poirier, spécialiste des Aborigènes d’Australie, sur « Les dynamiques relationnelles des

jeunes autochtones » (pp. 21-36). Quelques mots sur les auteurs terminent l’ouvrage

(pp. 191-193).

2 Comme le présentent Natacha Gagné et Laurent Jérôme, ce recueil, « en ouvrant la

question de la jeunesse autochtone à de nouvelles perspectives analytiques et à de

nouveaux terrains ethnographiques », veut explorer « les différentes stratégies

déployées par les jeunes autochtones pour donner sens aux mondes auxquels ils

participent activement » (p. 14).

3 En s’interrogeant sur ce qu’est d’être jeune et autochtone dans un monde globalisé, les

contributions passent en revue diverses situations. Comme le signale d’emblée Sylvie

Poirier, il faut d’abord savoir ce que représente la « catégorie sociale » de la

« jeunesse », située « entre l’enfance et l’âge adulte », qui « est apparue assez

récemment dans les sociétés occidentales modernes (au XIXe siècle) et avec elle, ce que

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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l’on appelle depuis le début du XXe siècle, le fossé des générations » (p. 21). Ensuite, on

peut donc se demander ce qu’est la catégorie sociale de « jeunes autochtones », en

insistant sur le fait que « dans la majorité des sociétés autochtones, […] la “jeunesse”

est […] devenue une catégorie sociale à partir du moment où ont cessé les rites

initiatiques, ceux-là même qui consacraient le passage de l’enfance à l’âge adulte » (p.

22), tout en rappelant qu’il faut « user de prudence dans l’usage de la catégorie sociales

des “jeunes” et de son application aux contextes autochtones » (p. 23). C’est notamment

au travers des relations intergénérationnelles dans chaque société autochtone

concernée que l’on peut la définir, en précisant « le sens de la communauté, le sens

d’appartenance, de solidarité et de responsabilité face à la famille élargie » (p. 23) sans

oublier l’importance de la parenté :

« On ne doit pas négliger le fait que dans les communautés autochtones, en règlegénérale, les relations et réseaux de parenté, et ce qu’ils impliquent, représententencore les principaux vecteurs identitaires. » (p. 24)

4 Ainsi, dans de nombreuses sociétés, notamment celles ayant subi les « souffrance et […]

ruptures de la période coloniale, et face aux processus actuels d’affirmation, de

réappropriation et de revendication, la catégorie des aînés est devenue une icône de la

culture et de la tradition » (p. 25). Dans ce cadre, il ne faut pas négliger l’attitude ces

jeunes face à l’école (souvent coloniale) et à la langue (la leur et celle des colonisateurs)

et de toute la cohorte de préjugés qui l’accompagnent. Je citerai à titre d’exemple :

« On peut très certainement s’inquiéter des conséquences à moyen terme d’undiscours hégémonique et normalisant qui présente indubitablement l’envers obligéde l’école et de la scolarisation comme étant l’ignorance, la pauvreté et le sous-développement. » (p. 29)

5 C’est ce que nous avions montré largement pour l’attitude des Kanak de Nouvelle-

Calédonie face au développement et les jugements et a priori européens en la matière

(Leblic, 1993), ouvrage dans lequel nous insistions déjà, comme Laurent Jérôme dans le

présent ouvrage, sur le fait que la tradition est un concept largement occidental et,

comme le rappelle ici Sylvie Poirier avec Laurent Jérôme, sur le fait qu’il ne faut pas

« confondre “traditionnel” et “traditionaliste” ni reprendre le faux débat sur

l’authenticité (p. 30). Nous ne pouvons qu’être en total accord avec les propos de

Sahlins (1993) tels que présentés par Sylvie Poirier, insistant sur le fait que « d’un point

de vue anthropologique, l’authenticité et la spécificité […] doivent être recherchées

dans la façon dont les sociétés changent, qu’elles s’approprient les éléments empruntés

et relisent les éléments existants » (p. 31). Ce que nous avions présenté à l’époque

comme le fait que « la tradition est l’ensemble du système social kanak qui non

seulement n’est pas figé, mais est en perpétuelle évolution, adaptation,

transformation », qu’elle peut être « aussi réinterprétée et utilisée » et que c’est cela

qui fait qu’une société est vivante et dynamique (1993 : 19).

6 Dans le cadre de ce compte rendu dans le Journal de la Société des Océanistes, nous ne

parlerons que des articles parlant des autochtones océaniens. Notons juste que ce

recueil comporte aussi quatre autres contributions très intéressantes, celle de Marie-

Pierre Girard sur « La négociation de l’enfance dans les rues de Quito : les jeunes

quechua face à l’idéal de l’UNICEF » (pp. 37-60), celle de Laurent Jérôme, « Les voix du

tambour : traditions et innovations musicales chez les jeunes Atikamekw

Nehirowisiwok, Québec » (pp. 123-144), celle de Marie-France Labrecque, « La

construction sociale de la jeunesse chez les Mayas du Yucatán, Mexique » (pp. 145-164)

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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et celle de Sabrina Melenotte, « Jeunesse européenne et zapatiste : une rencontre

solidaire et alter-native » (pp. 165-190).

7 Ainsi, deux articles parlent des Kanak de Nouvelle-Calédonie : Sophie Barnèche

présente les « stratégies et processus de construction identitaires des jeunes

Mélanésiens à Nouméa » dans ce qu’elle nomme les « quartiers-tribus », lieux d’une

revitalisation identitaire : pp. 61-78) et Marie Salaün pose dans son texte la question de

savoir si la parentalité kanak est aujourd’hui disqualifiée ou comment « être jeunes

parents kanak en Nouvelle-Calédonie » (pp. 79-96) ; dans un troisième papier, Natacha

Gagné revient sur le cas des étudiants maaori à l’université qu’elle voit comme « un site

d’affirmation et de négociation de la coexistence pour les jeunes maaori de Nouvelle-

Zélande » (pp. 97-122). Toutes trois parlent de l’imposition de la vie citadine à ces

jeunes autochtones, à Nouméa comme à Auckland, de leurs problèmes d’apprentissage

et de langues dans l’école coloniale et de leur insertion dans une société dominante

issue de la colonisation.

8 Sophie Barnèche montre ainsi comment les jeunes kanak des quartiers urbains

continuent, malgré leur insécurité linguistique – la langue est un des critères de

différenciation entre les jeunes et les aînés –, de se définir et de s’identifier par rapport

à leurs parents qui habitent toujours le territoire tribal de leur origine dans ce qui

constitue à leur yeux un refuge face à un certain sentiment de rejet de la société

dominante (p. 68). Mais le quartier leur permet aussi de renverser l’image négative

qu’ils ont comme « mec de Nouméa » vis-à-vis de ceux des tribus et de se reconstruire

une identité valorisante en s’appropriant cette urbanité (p. 70). Marie Salaün quant à

elle revient sur la distinction des Kanak d’aujourd’hui en trois générations : les

« vieux » qui ont vécu l’Indigénat qui s’est terminé en 1946, les adultes qui ont connu

les événements de 1984-1988 et qui ont milité parfois depuis les années 1970, et les

jeunes qui sont tous nés actuellement après les événements. Les jeunes parents kanak

qui ont grandi à Nouméa ne maîtrisent pas forcément leur langue maternelle et se

sentent ainsi disqualifiés pour tout ce qui concerne la culture kanak (discours

coutumiers, transmission du savoir à leurs enfants…). Enfin, Natacha Gagné affirme que

l’apparition de la catégorie sociale des jeunes s’est faite en même temps que celle des

aînés, en comparaison aux groupes d’âge préexistants dans la société Maaori, ce qui est

souvent le cas dans les sociétés traditionnelles. Après avoir présenté qui sont les

étudiants maaori de l’université d’Auckland et les filières suivies par eux, elle montre

comment l’université devient pour eux un lieu d’affirmation identitaire et de

résistance, à travers un groupe de danse kapa haka qu’ils considèrent comme leur

« famille étendue » whaanau (p. 111) et leurs pratiques au marae de l’université ; ce qui

n’empêche pas l’université d’être un lieu d’interrelation aux autres, non maaori

compris.

9 Cet ouvrage, intéressant à plus d’un titre, est à rapprocher du volume d’Anthropologie et

société sur les « citoyennetés » coordonné en partie également par Natacha Gagné. On y

retrouve une partie des mêmes auteurs, Marie Salaün (avec Jacques Vernaudon) et

Sylvie Poirier. Et, à mon sens, il aurait été profitable de rassembler les deux thèmes en

un seul. Car parler de citoyenneté dans ces sociétés océaniennes ayant vécu la

colonisation occidentale ne peut à mon sens se faire sans parler d’autochtonie et, en la

matière, les jeunes ont un rôle important à jouer dans ces constructions pour les

années à venir. C’est ce que nous pensons pour la Nouvelle-Calédonie (voir entre autres

Leblic, 2007).

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BIBLIOGRAPHIE

GAGNÉ Natacha et Catherine NEVEU (éds), 2009. Citoyennetés, Anthropologie et sociétés33-2, pp. 1-221.

LEBLIC Isabelle, 1993. Les Kanak face au développement. La voie étroite, Grenoble, Presses

universitaires de Grenoble, 412 p.

—, 2007. Kanak identity, new citizenship building and reconciliation in New Caledonia, Journal de

la Société des Océanistes 125, pp. 271-282.

SAHLINS Marshall, 1993. Goodbye to Tristes Tropiques. Ethnography in the Modern World History,

Journal of Modern History 65, pp. 1-25.

NOTES

1. Il est paru quelques mois après le volume 33-2 d’ Anthropologie et sociétésconsacré au

thèmeCitoyennetéset coordonné parNatacha Gagné et Catherine Neveu.

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La France dans le Pacifique Sud. Lesenjeux de la puissancedeNathalieMrgudovicRaymond MAYER

RÉFÉRENCE

MRGUDOVIC Nathalie, 2009, La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, Paris,

L’Harmattan, 437 p., préface de Michel Rocard, bibliogr., index.

1 Il ne suffit sans doute pas d’une préface d’un ancien Premier ministre de la République

française pour avaliser le contenu d’une thèse de doctorat de science politique. Mais la

signature de Michel Rocard apporte indéniablement à ce travail universitaire un label

qui souligne l’intérêt qu’un chef de gouvernement des années 1988-1993 y a pris et le

rôle qu’il a personnellement joué sur le terrain géopolitique océanien pendant cette

période. La thèse du livre se rapporte précisément au renversement de positionnement

de la France dans le Pacifique Sud examiné sur une période de quarante ans, de 1966 à

2006. Nathalie Mrgudovic s’est proposé, dans le cadre de cette thèse soutenue à l’IEP de

Bordeaux, de refaire l’histoire des relations diplomatiques de la France en Océanie

pendant une période cruciale d’essais atomiques, en étudiant de manière systématique,

tout en suivant un ordre grosso modo chronologique, les différentes phases de

l’inversion de tendance en faveur de la France. Au-delà du signalement des péripéties

qui l’ont marquée, l’auteur y exerce, comme il se doit, ses talents d’analyste politique.

2 Le plan de la thèse obéit au principe diachronique et à celui d’un découpage standardisé

(mais toujours efficace) en trois étapes. Et, suivant un autre principe bien établi dans la

science historique, chaque étape se voit assigner un intitulé thématique qui est censé

en définir l’essentiel du vécu historique de l’époque, le tout dans une posture a

posteriori qui fait les délices des sciences humaines ! Passons !

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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3 La première partie est ainsi thématiquement lue comme celle des « Fondements de la

présence française dans le Pacifique Sud », la deuxième comme celle des « Enjeux de la

contestation régionale », et la troisième comme celle d’ « Une puissance acceptée ».

Bref le renversement en trois actes, le tout orchestré sous la baguette démiurgique d’un

Premier ministre de République française.

4 Chaque partie est « travaillée » en deux chapitres, ce qui donne une ossature

d’argumentaire un peu carrée, mais destinée à susciter l’adhésion unanime d’un jury de

thèse normalement constitué. Évidemment, et c’est le propre de toute thèse qui souffre

d’engendrer une antithèse, on pourrait contester le concept de « fondement » comme

légitimation de la présence annexionniste d’un État tiers dans un jeu de quilles

océanien. L’histoire ne saurait « fonder » aucune légitimité, quelle qu’elle soit. Cela dit,

on se rappellera avec l’auteur de la thèse que le Pacifique fut, comme d’autres

continents, l’enjeu de puissances coloniales rivales, mais la « rivalité contrainte »

(p. 68) n’excuse pas l’absence de « grand dessein » (p. 69). Le deuxième chapitre de la

première partie est entièrement consacré à l’intérêt nucléaire qui s’est historiquement

dessiné dans le Pacifique, à la suite de la « perte » de l’Algérie par le pavillon tricolore.

La doctrine de la « dissuasion » est bien récapitulée dans ses arguments dirimants à

l’époque, mais susceptibles d’être mis en doute à une époque ultérieure, en fonction de

l’évolution de la situation politique mondiale et des blocs stratégiques en présence.

5 La deuxième partie nous replonge à l’époque où l’on pouvait lire sous les ponts de

chemins de fer néo-zélandais « French go home », faisant alors écho aux « US go

home » qui fleurissaient dans les espaces publics de l’Hexagone vivant à l’heure de la

guerre du Vietnam. Dans un classement des faits chapitré en deux catégories, celle de

l’homogénéité et celle de l’hétérogénéité, l’auteur détaille dans sa deuxième partie de

thèse les diverses phases de la contestation généralisée qui a marqué les années 1970 à

1990 contre la France, en notant le paroxysme qui semble avoir été atteint autour de la

dernière « campagne » d’essais nucléaires français sous le premier mandat présidentiel

de Jacques Chirac. Indépendamment de l’artifice de la forme, on pourra, là aussi,

ergoter sur des expressions un peu dilettantes du traitement du Pacifique Sud comme

d’un « lac nucléaire » sur l’air de « mare nostrum », ou de la Polynésie comme dernier

« désert » français. Mais on prendra un intérêt certain à lire l’analyse de Nathalie

Mrgudovic sur la montée en puissance du droit international de la mer et sur les

conséquences connues de ce nouvel état de fait dans le Pacifique.

6 Sur ce thème précis du droit de la mer (pp. 86-99), l’auteur développe le rôle

prééminent exercé par le gouvernement des Fidji (p. 88-90) pour faire aboutir cette idée

qui étend d’un coup les espaces maritimes d’une terre de 19 103 km2 (la Nouvelle-

Calédonie) à 1 740 000 km2, de 3 521 km2 (la Polynésie française) à 5 030 000 km 2, ou

encore de 255 km2 (Wallis-et-Futuna) à 271 050 km 2, soit la moitié du territoire

métropolitain ! Un tableau récapitule toutes les données utiles en cette matière. Il est

signalé aussi que des États importants (USA par exemple) n’ont pas encore ratifié le

traité, et que d’autres ont émis des restrictions juridiques à son application. Un traité

vaut ce que valent les intentions réelles de ses signataires, indépendamment des textes

strictement signés !

7 La troisième partie passe au peigne fin l’heureuse transformation des rapports franco-

océaniens à partir de la décennie 1990. À ce moment, l’action personnelle du Premier

ministre Rocard a indubitablement fait retomber les effets du dramatique dérapage

institutionnel engendré par les « événements » de Nouvelle-Calédonie, mais c’est

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surtout la fin déclarée et réalisée des essais nucléaires qui amène un nouveau deal dans

les relations franco-océaniennes. Derrière le constat primaire, il est effectivement

intéressant de faire l’analyse historique détaillée des processus qui ont généré une

nouvelle répartition des accords entre puissances riveraines et puissances extérieures.

De ce point de vue, la thèse de Nathalie Mrgudovic a tout le mérite d’exister, ne serait-

ce que comme capacité critique vis-à-vis de décisions politiques, qui ne souvent

appréhendées dans leur contexte historique que longtemps après les faits.

8 Je voudrais aussi souligner l’intérêt tout particulier des douze annexes qui procurent

une documentation riche et abondante concernant non seulement les essais atomiques

français, mais également sur l’évolution statutaire des territoires du Pacifique accédant

progressivement à leur souveraineté internationale, pendant la période incriminée. Sur

le premier thème, on a droit au schéma type d’un forage souterrain pour y tester les

effets d’une explosion nucléaire, on a le tableau récapitulatif de tous les essais conduits

sur les sites de Mururoa et Tangafua, et la carte des zones censément dénucléarisées de

la planète après les traités successifs de l’Antarctique, de Tlatelolco, de Rarotonga, de

Bangkok et de Pelindaba. Sur le second thème, on découvrira la composition et l’année

d’adhésion des territoires (indépendants ou non) à la Commission du Pacifique Sud, de

même au Forum des Iles, et une mise à jour des statuts souvent complexes (e.g. the

United States Unincorporated Territory of Guam) de ces mêmes territoires. Bref, l’intérêt du

livre est non seulement au cœur de son développement, mais aussi en marge du débat

principal.

9 Entre l’ouvrage d’Alain Babadzan qui est recensé ici et celui de Nathalie Mrgudovic, on

ne peut manquer de saisir la différence entre le traitement anthropologique d’un

ensemble géopolitique et son traitement correspondant en science politique. On a d’un

côté une multilatéralité de perspectives qui se trouve développée sur le thème en

présence, et de l’autre un regard scientifiquement focalisé sur une unilatéralité de

perspective. Les deux approches sont également respectables et il n’est pas question

pour moi de renier la fécondité de l’une et l’autre démarches, mais il est clair que l’on

peut se sentir à l’étroit dans une perspective par trop « nationale ».

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Die Société commerciale de l’Océanie(1876-1914). Aufstieg und Untergang derHamburger Godeffroys in Ost-Polynesien de Claus GOSSLER

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

GOSSLER Claus, 2006. Die Société commerciale de l’Océanie (1876-1914). Aufstieg und

Untergang der Hamburger Godeffroys in Ost-Polynesien, Bremen, MontAurum Verlag,

592 p., bibliogr., annexes, 28 ill. noir et blanc, 6 cartes.

1 Pour ceux des océanistes qui le connaissent, le nom de Godeffroy évoque avant tout la

firme hambourgeoise qui fut la première à investir durablement et massivement le

Pacifique, entre l’installation d’un comptoir à Apia (Samoa) en 1857 et la faillite de

Godeffroy & Sohn en 1879, peu avant les négociations diplomatiques d’où allait émerger

l’empire colonial allemand dans le Pacifique, dont cette firme avait fondé les premiers

postes avancés. Ce nom peut aussi leur rappeler le musée privé fondé à Hambourg par

Johann Cesar VI Godeffroy, fourni en « curiosités » de tous ordres, « artificielles »

autant que « naturelles », par les capitaines de ses bateaux, afin de présenter au public

« une image complète » des mers du Sud, et qui rassembla, selon l’appréciation d’Adolf

Bastian, directeur du musée ethnographique de Berlin, « une des plus magnifiques

collections en ce domaine ». Après la faillite de 1879, cette collection fut vendue par

lots à des musées allemands, selon leurs moyens respectifs ou l’intérêt qu’ils y portaient

(voir le travail d’H. Glenn Penny, absent de la bibliographie de Cl. Gossler), le musée de

Leipzig finissant d’acquérir tout ce qui en subsistait après la mort en 1885 de Johann

Cesar VI.

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2 Or le neveu de celui-ci, Gustav Godeffroy Jr, avait trouvé à s’établir à Tahiti, à s’y marier

avec une des filles Brander et à développer en association avec d’autres une firme qui

se maintint pendant près de quarante ans, la Société Commerciale de l’Océanie (SCO).

C’est l’histoire de ce « joint-venture » paradoxal que Claus Gossler étudie ici, avec

maints autres sujets, sous un titre franco-allemand propre à susciter l’étonnement et la

curiosité. L’ouvrage (dont la rédaction du JSO n’a appris l’existence que tardivement) est

lui-même d’aspect austère, imprimé en petits corps avec des marges réduites au

minimum et plus de 2 500 notes infrapaginales. Cette mise en pages ponctuée

d’illustrations souvent illisibles souligne peut-être (mais dessert surtout) la minutie

d’analyse et l’ampleur exceptionnelle de la documentation de cette dissertation

doctorale récompensée par l’université de Hambourg en 2005. Le volume est dépourvu

d’index, mais sa table des matières très détaillée permet de repérer sans peine les

principaux thèmes et protagonistes de cette somme, qui excède largement le seul

domaine des « sciences économiques et sociales » (ou de « l’histoire des entreprises »

ainsi qu’écrit l’auteur p. 15) pour déboucher sur un impressionnant tableau d’histoire

« totale ».

3 Issu lui-même d’une vieille famille de négociants hambourgeois, Claus Gossler a eu la

fortune, au terme d’une longue carrière dans le commerce international, de se voir

ouvrir les archives familiales d’un ami (arrière petit-fils de Gustav Jr) et d’y découvrir

les activités de la SCO, que mentionnaient certes les ouvrages consacrés à l’histoire de

Tahiti qu’il consulta ensuite, mais sans en suggérer l’importance. Il s’est alors lancé

dans l’exploration et l’exploitation des archives de la firme, conservées principalement

au Staatsarchiv der Freien und Hansestadt Hamburg, complétées de multiples lectures

pour en restituer le contexte et la portée. D’autres chercheurs dépourvus de

l’expérience professionnelle, de l’« intelligence des affaires » et du sens des « réalités

économiques » acquis par l’auteur auraient-ils su aussi bien mettre en œuvre ces

matériaux ? Il était non seulement le mieux à même d’en tirer un parti utile à tous,

mais il est allé très au-delà de cet objectif, et il est significatif que les recensions parues

jusqu’à présent n’aient trouvé à reprocher à ce livre, du point de vue de l’histoire

générale du Pacifique, qu’un minime anachronisme (« Samoa occidentales » pp. 23 et

43, au lieu de « Samoa indépendantes »). On pourrait y ajouter quelques inadvertances,

très peu nombreuses et presque inévitables dans un travail de cette ampleur (ainsi de la

ligne « Neukaledonien » inutilement répétée dans le tableau de la p. 228). D’autres

critiques trouveront peut-être à se préciser quand les lecteurs en sauront autant ou

plus que l’auteur, mais ce n’est pas pour demain.

4 Après une introduction et des considérations de méthode (ch. 1), l’ouvrage étudie la

création de la SCO à partir de l’Allemagne et des Samoa (ch. 2), la zone d’intérêt

économique qu’elle s’arroge (ch. 3, extraordinaire et passionnante enquête de

géographie humaine sur la Polynésie orientale, voir par exemple la section « Die

Chinesen und das Opium » ou celles qui concernent le gouverneur des Établissements

français de l’Océanie), l’histoire des dirigeants et associés de la firme (où le « clan

Salmon-Brander » joua un rôle décisif, ch. 4), l’activité principale que représentaient les

comptoirs (ch. 5), le commerce des produits d’importation (ch. 6), les principaux

produits exportés (ch. 7), le déclin des plantations (ch. 8), la concurrence (ch. 9), la

circulation des marchandises (ch. 10), les activités accessoires et biens immobiliers de

la SCO (ch. 11), les relations entre Français et Allemands à Tahiti (ch. 12), la biographie

et la personnalité des collaborateurs de la SCO (ch. 13), ses clients et fournisseurs (ch.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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14), son réseau de relations avec Hambourg (ch. 15), la Première Guerre mondiale et ses

conséquences (ch. 16). Suivent des conclusions sur l’histoire de la SCO, son ascension et

son déclin (ch. 17), un commentaire final sur les principales phases de cette histoire

(18) et d’abondants appendices (19).

5 Ce sommaire donnera peut-être un aperçu de l’intérêt d’un livre dont l’apport

documentaire et l’acuité d’analyse sont impossibles à détailler ici. Il réunit une somme

tout à fait étonnante de données factuelles ou statistiques, locales aussi bien

qu’internationales, restées jusqu’à présent inédites ou confidentielles, et qui devraient

au moins servir de repères ou d’éléments de comparaison à tous les spécialistes amenés

à s’intéresser au Pacifique dans sa dimension « historique », c’est-à-dire quand les

Blancs y eurent importé non seulement leur Histoire, mais leur économie non moins

envahissante, ce que montre si bien ici Cl. Gossler (voir par exemple pp. 283-295 la

douzaine de pages indispensables qu’il consacre aux îles Marquises, où la SCO dégageait

des marges de 20 à 30 %). Ce volume devrait ainsi constituer rapidement un ouvrage de

référence, où les historiens stricto sensu trouveront nombre de sujets de réflexion et

d’hypothèses inédites, notamment en matière de « périodisation » de l’aventure de la

SCO, et plus largement de l’entrée de l’Océanie dans l’économie des grands Empires

coloniaux. Le sous-titre du livre (« essor et déclin ») n’est pas sans évoquer Gibbon,

Montesquieu ou Balzac, et il invite aussi à tenir compte de sa leçon d’histoire

économique, et particulièrement de ses dimensions politiques et morales, dans les

débats sur le développement qui s’imposent aujourd’hui à l’Océanie comme au reste du

monde.

BIBLIOGRAPHIE

PENNY H. Glenn, 2000. Science and the Marketplace: The Creation and Contentious Sale of the

Museum Godeffroy, Pacific Arts 21-22: Oceanic Art and Wilhelmine Germany, pp. 7-22.

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James Cook and the Exploration of thePacificdirigé par Adrienne L. KAEPPLER

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

KAEPPLER Adrienne L. (ed.), 2009. James Cook and the Exploration of the Pacific, Londres,

Thames & Hudson, 276 p., bibliogr., 530 illustrations en couleur.

1 Ce très important catalogue, qu’un service de presse remarquable d’attention et de

courtoisie a permis à la rédaction du JSO de consulter aussi (sous forme électronique)

dans sa version allemande (James Cook und die Entdeckung der Südsee, éditée à Munich par

Hirmer Verlag pour le compte des musées organisateurs), accompagne la grande

exposition présentée sous le même titre à la Kunst- und Ausstellungshalle fédérale de

Bonn (Allemagne) en collaboration avec l’Institut für Ethnologie de l’université de

Göttingen et avec le concours du Kunsthistoriches Museum et du Museum für

Völkerkunde und Österreichisches Theatermuseum de Vienne (Autriche) et de

l’Historisches Museum de Berne (Suisse). De Bonn, où le public a pu la visiter du 28 août

2009 au 28 février 2010, elle devait gagner Vienne (du 10 mai au 13 septembre) puis

Berne (du 7 octobre 2010 au 13 février 2011), de sorte qu’elle sera encore visible pour

nos lecteurs qui en auraient la possibilité.

2 Annoncés de longue date, cette exposition et son catalogue avaient fait l’objet

d’attentes excessives, qui ont suscité des critiques parfois exagérées sinon injustifiées.

Cette manifestation ne devait-elle pas réunir tous les objets aujourd’hui recensés

comme rapportés par Cook et ses compagnons, ainsi que des rumeurs l’avaient fait

escompter ? Tel pouvait être sans doute le vœu d’Adrienne L. Kaeppler et de tous ceux

qui, à la suite de ses inestimables travaux d’inventaire (1978a et 1978b), ont contribué à

élargir ce nouveau domaine de connaissance, l’histoire des premières collections

occidentales d’objets du Pacifique. Mais si les progrès enregistrés en plus de trois

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380

décennies de recherches permettent certainement d’envisager aujourd’hui un projet de

cette ampleur, les moyens alloués aux musées susceptibles de participer à une

entreprise aussi coûteuse sont loin d’avoir augmenté à proportion… ainsi qu’on peut

dire par euphémisme.

3 À mettre en regard la liste des prêteurs de cette exposition (p. 11) et celle de

l’exposition de 1978 (Kaeppler, 1978a : XV), la persistance ou l’aggravation en 2009 de

telles difficultés « matérielles » semble expliquer l’absence à Bonn d’objets issus des

collections publiques suédoises, russes, irlandaises, néo-zélandaises, et de plusieurs

musées des États-Unis d’Amérique, pourtant présentés jadis à Honolulu. La liste des

institutions britanniques mises à contribution est un peu plus longue pour l’exposition

de Bonn que pour la précédente (et légèrement différente, le musée de Liverpool et le

Saffron Walden Museum n’y figurant plus). Mais c’est surtout l’accroissement

considérable de la participation des collections publiques d’Allemagne, d’Autriche et de

Suisse (une vingtaine contre deux en 1978) qui donne sa marque à l’exposition de 2009,

sinon même sa raison d’être. Le catalogue s’ouvre sur un avant-propos assurant (p. 9)

qu’environ « la moitié de l’ensemble des objets ethnographiques collectés lors des

voyages [de Cook] se trouvent aujourd’hui » dans ces trois pays germanophones, au

public desquels s’adresse évidemment d’abord l’exposition.

4 L’illustration du catalogue a fait l’objet de réserves malheureusement mieux fondées.

Parfois répétitive, à l’instar du portrait de Cook par Nathaniel Dance (p. 79 et p. 120,

mais aussi p. 17 et en couverture) ou de celui de Banks par Benjamin West (p. 61 et p.

168), elle est insuffisamment précise pour de nombreux objets de premier intérêt.

Parmi les cas les plus flagrants, une boîte à trésor maori (wakahuia) du British Museum

(Oc. NZ 113) se trouve reproduite au 1/6e (n° 208 p. 175), sans permettre de saisir ce que

l’ornementation de son couvercle révèle de l’interpénétration des styles régionaux à la

fin du XVIIIe siècle, comme l’affirme la notice à la suite de ce qu’en avait écrit Roger

Neich (mais sans signaler cet emprunt). L’objet était mentionné mais non photographié

dans le catalogue d’Honolulu (Kaeppler, 1978a : 181), reproduit au 1/4e mais peu

lisiblement dans Starzecka (1996 : 97, n° 61, avec le commentaire précité de R. Neich) et

il n’est visible en détail et de façon intelligible que grâce aux treize vues qu’en offre

depuis peu la base électronique du British Museum.

5 Entre maints autres cas de ce genre relevés par les connaisseurs, le catalogue (n° 338 p.

206) prétend reproduire une massue de Tonga (’akau tau ou apa’apai) ayant

probablement appartenu à Paulaho, le Tu’i Tonga qui accueillit Cook et auprès duquel

ce dernier l’a sans doute acquise. A. L. Kaeppler avait jadis souligné l’intérêt

exceptionnel de cet objet, non seulement comme relique historique, mais pour les cent

douze gravures figuratives qui l’ornent et offrent - répète-t-elle dans la notice qu’elle

lui consacre ici (voir aussi ce qu’elle en écrit p. 60) - une « histoire visuelle relative au

Tu’i Tonga, contée du point de vue des insulaires ». Aujourd’hui propriété d’un

important collectionneur et marchand, qui en a publié deux photographies plus

précises (Blackburn, 1999 : 196-197), cette massue longue de 111 cm se trouve ici

réduite à 6,8 cm (soit à moins du 1/16e ). Elle ne paraît être là que pour faire nombre

avec cinq autres massues tongiennes de longueurs voisines, méritant probablement

elles aussi un regard plus attentif, et figurées également pour mémoire, à la même

échelle, à peine mieux que de grands timbres-poste.

6 À côté des trop nombreux objets que ce catalogue ne reproduit pas à hauteur de leur

intérêt, maintes pages, souvent splendides, évoquent de façon inédite les aspects

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

381

multiformes des explorations du Pacifique successivement emmenées par Cook. Tout

comme les sextants, chronomètres et autres instruments de navigation, les pièces ou

les planches d’histoire naturelle y font l’objet d’une attention remarquable (par

exemple les pp. 162-163, mettant en regard, pour deux taxons essentiels, Piper

methysticum et Casuarina equisetifolia, et à échelle très lisible, les dessins de Sydney

Parkinson et les gravures aquarellées qui en furent tirées). D’autres vestiges historiques

déjà connus se trouvent mieux mis en valeur, à l’instar du pourpoint en tapa de Tahiti

cousu et brodé par l’épouse de Cook en attendant le retour de son troisième voyage (pp.

124-5, n° 13, à comparer avec Kaeppler 1978a : 281-282). Sans surpasser celle du

catalogue de 1978 dans le domaine ethnographique, l’illustration du catalogue de 2009

montre largement mieux les autres dimensions de ces voyages, dont la collecte d’objets

n’était certainement pas un des objectifs principaux.

7 C’est à un jugement également nuancé qu’invite la lecture des textes et notices dus à

plus d’une quarantaine de collaborateurs (Stephan Augustin, Jonathan Betts, Hans

Erich Bödeker, Gloria Clifton, Jeremy Coote, Richard Dunn, Christian Feest, Robert

Fleck, Anita Gamauf, Rachel Giles, John Graves, Sabine Haag, Volker Harms, Brigitta

Hauser-Schäublin, Dieter Heintze, Michelle Hetherington, Rebekah Higgitt, Gillian

Hutchinson, Rocky K. Jensen et Lucia Tarallo Jensen, Maia K. Jessop, Peter Jezler,

Margaret Jolly, Rudiger Joppien, Adrienne L. Kaeppler, Gundolf Krüger, H. Walter Lack,

Maryanne Larkin, David Luders, Judith Magee, Ulrich Menter, Jeremy Mitchell, Ernst

Mikschi, Henriette Pleiger, Thomas Psota, Roger Quarm, Uwe Quilitzch, Nigel Rigby,

Margot Riley, Anne Salmon, Oliver R. Scholz, Verena Stagl, Simon Stephens, Paul

Tapsell, Martin Terry, Barbara Tomlinson, Salote Pilolevu Tuita, Rainer Willmann). Des

notices, généralement très bien informées, on a déjà relevé qu’elles omettent de

mentionner les recherches antérieures, à l’inverse, notamment, de l’excellent travail

accompli autour de la collection Forster de Göttingen (Hauser-Schäublin/Krüger 1998).

Sans doute dicté par des mesures d’économie, ce parti pris n’aidera guère les lecteurs

spécialisés, ainsi contraints à de fastidieuses vérifications.

8 On ne saurait évoquer ici chacun des vingt-six articles qui précèdent le catalogue

proprement dit, organisés en quatre sections, la première dévolue à Cook, la deuxième

au climat psychosocial et au programme scientifique des Lumières, la troisième à l’

Endeavour et aux conditions de navigation, la quatrième aux rencontres entre

Européens et habitants du Pacifique (sujet déjà traité par au moins trois articles de la

première section…). Excédant rarement plus de six pages mais souvent pourvus

d’annotations, ils vont généralement au-delà des attentes du grand public en matière

de vulgarisation scientifique. À côté des trois articles de synthèse d’A. L. Kaeppler qui

font apprécier à nouveau son autorité et sa clarté d’exposition, plusieurs contributions

abordent des sujets neufs ou dont les chercheurs ne se sont saisis que récemment, à

l’instar des réflexions de M. Jolly à propos d’un probable tabou blanc concernant

l’homosexualité occidentale comme polynésienne (« Revisioning Gender and Sexuality

on Cook’s Voyages in the Pacific », pp. 98-102).

9 Parmi d’autres articles particulièrement frappants, ceux de Th. Psota (« John Webber -

Painter and Collector », pp. 66-68) et R. Joppien (« The Artists on James Cook’s

Expeditions », pp. 112-118) offrent des observations pénétrantes et souvent neuves sur

les images rapportées de ces circumnavigations et l’écho phénoménal qu’elles

rencontrèrent en Europe. Son titre ne le signale pas (« A New Zealand Maori

Perspective: Cook’s Three Voyages to Aotearoa Between 1768 and 1779 », pp. 26-28), P.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

382

Tapsell excelle à dégager le rôle décisif de truchement joué par le Tahitien Tupaia lors

du premier contact de Cook avec les Maori, et ce très bref article ouvre des perspectives

étonnamment larges et nombreuses. Il faudrait encore citer tous les auteurs, parmi

lesquels A. L. Kaeppler la première, qui mettent en évidence l’implication des élites de

l’Europe continentale dans ces campagnes d’exploration d’initiative britannique : d’où

leur retentissement exceptionnel dans les pays germanophones, que cette exposition a

cherché à souligner on ne peut plus légitimement, et efficacement semble-t-il aussi,

d’après ce qu’en ont rapporté les médias.

10 Il en restera ce catalogue dont l’usage n’est pas clairement défini. Comme ouvrage de

vulgarisation, il souffre de beaucoup d’omissions. Certaines institutions actuellement

dépositaires d’objets ethnographiques collectés par Cook et ses compagnons ne sont

pas mentionnées ou correctement signalées : ainsi du musée de Florence, dont

l’exposition présente pourtant quelques objets. Pour ceux de Saint-Pétersbourg et de

Cambridge, rapidement cités par A. L. Kaeppler dans l’article qu’elle consacre aux

collections historiques (« Enlightened Ethnographic Collections », pp. 55-60), on ne voit

pas quelle contrainte économique empêchait de renvoyer les lecteurs aux travaux (ou

publications électroniques) de L. G. Rozina (voir déjà Kaeppler, 1978b : 3-17) et de ses

successeurs pour le premier, et au bon catalogue récemment publié par le second

(Tanner 1999). La bibliographie, réduite aux ouvrages cités par les contributeurs, omet

le travail pionnier de Moschner (1966 [1955]) sur les objets conservés à Vienne et

abondamment présentés dans l’exposition, alors qu’elle mentionne celui de Söderström

(1939) sur les objets de Stockholm absents de cette manifestation… Autant

d’incohérences et d’oublis dont les spécialistes sauront peut-être s’accommoder mieux

que le grand public ici privé des repères indispensables.

11 Comme y insistent souvent les gens de métier, la réalisation d’une exposition, surtout

de taille internationale comme celle-ci, ne va jamais sans une succession d’arbitrages et

de compromis toujours matières à grief ou à insatisfaction. Les visiteurs qu’il a été

possible d’interroger à leur retour de Bonn se disaient éblouis par l’abondance et la

qualité des objets exposés, et comblés d’avoir pu les contempler ainsi réunis peut-être

pour la seule fois de leur vie. Du catalogue, en laissant de côté les menues imperfections

difficilement évitables dans un ouvrage de cette ampleur (ainsi p. 58 d’un objet du Pitt

Rivers Museum d’Oxford attribué aux collections de Göttingen…), il faut certainement

retenir qu’il constitue un peu moins un travail de vulgarisation à destination du grand

public qu’une entreprise de synthèse à l’usage de lecteurs plus spécialisés, avec des

coups de sonde du côté de certaines questions qui s’imposent aujourd’hui, après plus de

trente ans de recherche - incursions qui en rendent souvent la lecture passionnante. On

retiendra sans doute aussi le tour de force qu’aura exigé sa réalisation par une équipe

aussi nombreuse, et qui aura réussi à livrer, avec ce volume, un des plus beaux et des

plus consistants livres d’histoire qu’aient suscités les voyages de Cook.

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383

BIBLIOGRAPHIE

BLACKBURN Mark, 1999. Tattoos from Paradise. Traditional Polynesian Patterns, Atglen, Schiffer

Publishing Co.

HAUSER-SCHÄUBLIN Brigitta and Gundolf KRÜGER (s. d.), 1998. James Cook. Gifts ans Treasures from the

South Seas-Gaben und Schätze aus der Südsee, Munich-New York, Prestel.

KAEPPLER Adrienne L., 1978a. « Artificial Curiosities ». An Exposition of Nativc Manufactures Collected on

the Three Pacific Voyages of Captain James Cook, R. N., Honolulu, Bishop Museum Press.

KAEPPLER Adrienne L. (ed.), 1978b. Cook Voyage Artifacts in Leningrad, Berne and Florence Museums,

Honolulu, Bishop Museum Press.

MOSCHNER Irmgard, 1966. Die Wiener Cook-Sammlung. Südsee-Teil. Stuttgart, Wilhelm Braumüller

(première édition en 1955 dans Archiv für Volkerkunde, Band X, pp. 136-253).

SÖDERSTRÖM Jan, 1939. A. Sparrman’s Ethnographical Collection from James Cook 2nd Expedition (1772-1775),

Stockholm, Statens Etnografiska Museum.

STARZECKA D. C. (ed.), 1996. Maori Art and Culture, London, British Museum Press.

TANNER Julia, 1999. From Pacific Shores. Eighteenth-century Ethnographic Collections at

Cambridge. The Voyages of Cook, Vancouver and the First Fleet. Cambridge, University of

Cambridge Museum of Archaeology and Anthropology.

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Ethnographische Ergebnisse ausMelanesien, I. Reisebericht. Diepolynesischen Inseln an der OstgrenzeMelanesiens, II. Die westlichen Inselndes Bismarck-Archipels de THILENIUS

GeorgGilles Bounoure

RÉFÉRENCE

THILENIUS Georg, 2008. Ethnographische Ergebnisse aus Melanesien, I. Reisebericht. Die

polynesischen Inseln an der Ostgrenze Melanesiens, II. Die westlichen Inseln des

Bismarck-Archipels, Abhandlungen des Kaiserlichen Leopoldinisch-Carolinischen

Deutschen Akademie der Naturforscher 80, Band, Halle (fac-similé de l’édition de 1903,

Saarbrück, Fines Mundi Verlag), deux parties réunies sous un même volume in-quarto

relié, 366 p., 25 pl., carte, nombreuses illustrations dans le texte.

1 Les spécialistes de l’Océanie connaissent l’utilité des rééditions d’ouvrages anciens,

dont les volumes originaux, souvent tirés à petit nombre, ne se trouvent parfois que

dans de rares bibliothèques, peu commodes ou trop éloignées. Depuis les années 1970,

les chercheurs mentionnent de plus en plus fréquemment dans leurs bibliographies les

fac-similés de grands récits de voyage de chez Israel et Da Capo (Bibliotheca

Australiana) ou ceux de Kraus pour les bulletins et mémoires du Bishop Museum et

divers autres livres savants. Plus récemment, les techniques de reproduction numérisée

(dites « Computer To Plate ») ont conduit de nouveaux éditeurs à proposer des fac-

similés tirés à petit nombre, voire à la demande, avec plus ou moins de soin dans la

réalisation (ainsi de la réédition en 2009 de A Naturalist among the Head-Hunters… de

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

385

Charles Morris Woodford [1890], avec une carte illisible faute d’avoir été reproduite

dépliée). En France même, L’Harmattan a inauguré une collection de « fac-similés

océaniens » dirigée par Frédéric Angleviel, dont l’intérêt et la qualité ont été soulignés

chaque fois que possible dans ces colonnes.

2 Les éditions Fines Mundi, fondées il y a un peu plus d’un lustre par le Dr Rolf Kittler et

spécialisées dans l’ethnographie et les récits de voyages, ont diverses particularités

méritant qu’on les signale aux océanistes. Elles ont pour origine un atelier de reliure,

dirigé par la même famille depuis trois générations, et dont les activités se poursuivent

notamment grâce aux rééditions de Fines Mundi. Ainsi s’explique que ces fac-similés

soient tous proposés sous une, deux, trois ou quatre reliures différentes, plus ou moins

luxueuses d’aspect et sans grand surcoût de l’une à l’autre, mais avec des qualités de

finition et de robustesse passablement rares aujourd’hui. Les ouvrages proposés par le

catalogue, qui compte déjà plus de 1 600 titres, figurent eux aussi le plus souvent au

nombre des raretés ou des classiques fort coûteux parce que convoités par beaucoup de

bibliothèques et de chercheurs. Plusieurs dizaines d’entre ceux qui concernent

l’Océanie peuvent être qualifiés d’« introuvables » auprès des libraires et de

nombreuses bibliothèques, du fait soit de leur langue (l’allemand le plus souvent, mais

il y a aussi des volumes en anglais, en français, etc.), soit de leur ancienneté, soit du

faible tirage de leur première édition.

3 Du livre de Georg Thilenius ainsi réédité, et ici complet de ses deux parties souvent

disjointes, on se bornera à rappeler quelle source documentaire unique il constitue

pour les « enclaves polynésiennes » situées au nord et à l’est de la Nouvelle-Guinée

(Ninigo, Kaniet, Nuguria, Sikaiana notamment), ainsi que pour l’archipel de l’Amirauté,

également visité par le médecin-ethnographe délégué par l’Académie des sciences de

Berlin, au cours de son périple de 1898-1899. Évidemment intéressé au premier chef par

tous les indices possibles d’influences culturelles ou de migrations de nature à

conforter les théories diffusionnistes alors en vogue chez les savants allemands, et très

préoccupé aussi d’anthropologie physique pour des raisons similaires, il ne s’en est pas

moins livré à des investigations attentives dans des domaines très variés, navigation,

horticulture, magie, mythes, linguistique etc., au moment même où ces îles entraient

dans un processus de « dépopulation » (et de déculturation) dont s’alarmerait le

gouvernement australien au cours des années 1920.

4 Plus remarquablement encore, le nom de Thilenius figure également au catalogue de

Fines Mundi avec la réédition quasi intégrale des Ergebnisse der Südsee-Expedition

1908-1910, herausgegeben von Dr. G. Thilenius, etc., soit tous les titres publiés entre 1908 et

1938 à Hambourg chez Friederichsen & De Gruyter, souvent en plusieurs tomes. Il y

manque encore le volume Nova Britannia publié en 1954 à Berlin par Otto Reche, mais à

ce travail d’anthropologie physique qui se ressent beaucoup des vues « raciologiques »

de cet auteur (et que ne possède pas la BNF !), on doit évidemment préférer son

premier grand travail, Der Kaiserin-Augusta-Fluss, publié en 1913, et dont la reproduction

par Fines Mundi est impeccable, exception faite des vues photographiques, nettement

plus précises sur la publication originale.

5 De Unter den Papuas de Bruno Hagen (1899, qui manque à la BNF) aux Südsee-arbeiten

d’Otto Finsch (1914) en passant par Eine Forschungsreise im Bismarck-Archipel de Hans

Vogel (1911) ou le rarissime album de Gunnar Landtman Ethnographical Collection from

the Kiwai District of British New Guinea in the National Museum of Finland (1933, qui manque

à la BNF), ce sont plusieurs dizaines de livres d’intérêt exceptionnel et souvent réédités

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pour la première fois que propose désormais Fines Mundi, avec une qualité de

réalisation remarquable à des tarifs aussi modérés. De l’exhumation de ces trésors

documentaires ainsi mis à la portée d’un plus grand nombre de bibliothèques et

d’océanistes, il n’est pas absurde d’attendre un certain renouveau des recherches, dont

on devra alors tenir quelque gré à Rolf Kittler et à Fines Mundi.

BIBLIOGRAPHIE

WOODFORD Charles Morris, 1890. A Naturalist among the Head-Hunters: Being an Account of three Visits

to the Solomon Islands in the years 1886, 1887, 1888, Kessinger Publishing.

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Trésors des îles Salomon. La collectionConru de Kevin Conru et DeborahWaiteGilles Bounoure

RÉFÉRENCE

CONRU Kevin et Deborah WAITE, 2008. Trésors des îles Salomon. La collection Conru,

photographies de Hugues Dubois, Milan, Éditions 5 Continents, 200 p., bibliogr., cartes,

130 illustrations.

1 Les publications illustrées dévolues aux arts traditionnels des îles Salomon restant fort

peu nombreuses, on ne trouvera pas mauvais qu’un collectionneur et marchand ait

donné l’occasion à l’une des meilleures spécialistes actuelles de ces arts de décrire la

centaine de pièces qu’il avait rassemblées au moment de la préparation de ce livre. Elles

offrent un échantillon assez éloquent de la diversité des styles, eux-mêmes soumis à

variations au cours de l’histoire, qui ont fleuri du nord-ouest au sud-est de cet archipel

étalé sur plus de mille milles. Comme peut aussi le rappeler ce livre, le public occidental

doit une très large part de sa connaissance des arts océaniens à des publications

d’initiative privée, généreuses pour certaines, clairement intéressées pour beaucoup

d’autres, tandis que les institutions publiques étaient et restent insuffisamment

pourvues pour publier dignement les objets qu’elles conservent, même à l’heure des

catalogues en ligne, non moins coûteux en temps de travail et d’étude que ceux de l’ère

Gutenberg. Il serait absurde de se priver par attitude hypercritique de la

documentation composite ainsi procurée, quoiqu’elle exige certainement un surcroît de

vigilance si l’on souhaite en tirer parti.

2 Le terme de collection dont le titre de ce volume se prévaut est également à apprécier

de façon nuancée. À titre commercial, Kevin Conru a fait paraître dans le dernier

numéro de la revue du musée Barbier-Mueller une photographie de détail d’un objet

des îles Salomon non décrit dans ce volume édité en 2008, et peut-être acquis

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ultérieurement (Conru, 2010 : 4). Cette pièce exceptionnelle, apparemment de première

importance pour la connaissance des arts du centre de l’archipel où l’on peine à

reconstituer la tradition des masques (au-delà par exemple du spécimen collecté en

1929 à Savo par Eugen Paravicini pour le musée de Bâle, Vb 6803), rejoindra-t-elle la

collection Conru, ou telle autre collection continuant aujourd’hui à se nourrir sur le

marché de l’art pour être publiée et vendue ensuite, à l’instar de ce qui s’est récemment

présenté comme la meilleure collection privée au monde d’objets de Nouvelle-Guinée ?

Pourtant ces collections en valent souvent bien d’autres ainsi dénommées dans les

musées. C’est au hasard des escales de l’HMS Curaçoa que fut rassemblée la « Julius L.

Brenchley Collection » du British Museum si utilement décrite en 1987 par Deborah

Waite pour ce qui concerne les arts des Salomon, et c’est la plupart du temps selon les

occasions du marché de l’art que se constituent ou s’augmentent la plupart des

collections d’aujourd’hui, publiques comme privées.

3 Comparé aux deux ouvrages précédents de D. Waite (1983, 1987) et aux rares

publications ayant pour sujet l’ensemble des arts des îles Salomon (dont un bon

catalogue d’un marchand d’art parisien [Carlier, 2001], oublié dans la bibliographie, p.

195sq.), ce volume présente un progrès manifeste, par le nombre et la qualité des

illustrations dues à Hughes Dubois, l’un des meilleurs spécialistes actuels de la

photographie d’objets, et par l’ampleur du texte continu qui les accompagne, tandis

que les légendes ne livrent que des indications minimales. Du fait de ce probable parti

pris de l’éditeur, D. Waite n’a pu consacrer aux pièces de cette collection le type de

notice détaillée qui faisait le prix de sa première publication (1983), au moins aux yeux

des spécialistes. Des descriptions approfondies n’auraient pas forcément découragé le

grand public, elles auraient même pu l’éclairer sur nombre d’objets réunis dans ce

volume, dont quelques-uns semblent inédits et dont d’autres sont au contraire connus

de longue date sur le marché de l’art. Par exemple, une sculpture anthropomorphe

accompagnée d’une figuration de chien, probablement destinée à la poupe d’un canot

de San Cristobal (n° 25 p. 57, le texte p. 62 parle de « proue ») avait été très

correctement photographiée et décrite dans un catalogue de vente (Christie’s Londres,

1er décembre 1982, lot 54, « small sections missing ») et il est dommage, dans une

publication de cette ambition, que les informations données voilà un quart de siècle et

les restaurations apportées à l’objet dans l’intervalle n’aient pas été signalées, même en

bas de page.

4 D’autres objets peu fréquents dans les collections publiques ou privées auraient eux

aussi mérité des précisions, tel le n° 75, bâton de danse Kwaio (ethnonyme que ne cite

pas D. Waite p. 131) de Malaita dont Pierre Maranda a collecté des spécimens plus

récents (dispersés à Paris dans la vente Sotheby’s du 15 juin 2004, lots 85 et suivants ;

voir aussi Kaeppler, Kaufmann et Newton, 1993 : 455, fig. 500). Les spécialistes seront

également déroutés par la numérotation obscure attribuée aux objets, ne reflétant

apparemment ni la chronologie de leur acquisition ni un essai de classement

typologique ou thématique, comme s’y efforce au contraire le texte de D. Waite, dont

c’est l’un des réels apports à la recherche. Tout en suivant un fil géographique

désormais classique menant de Nissan au nord-ouest à Santa Cruz au sud-est (avec des

excursions jusqu’à Rennel et Ontong Java), elle s’est attachée à distinguer trois

catégories d’objets, les sculptures anthropomorphes et zoomorphes, les « assemblages,

récipients et véhicules », et enfin « tous les objets qui représentent le statut social »,

boucliers, armes, outils, parures et moyens d’échanges.

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5 Elle ne dissimule pas les difficultés d’un tel classement, à commencer par les risques de

chevauchements et de redites. Elle marque également son embarras, ou plutôt les

lacunes des connaissances actuelles, à propos de sculptures anthropomorphes que

beaucoup de connaisseurs tiennent pour des créations coloniales. « L’authenticité d’une

œuvre n’est pas nécessairement dépendante d’une utilisation rituelle réelle », écrit-elle

prudemment à propos d’une figure masculine de Buka (p. 22 et n° 9 p. 24), que suivent

deux figurations féminines de Roviana (n°10 et 11, pp. 27-29) dont elle ne manque pas

d’interroger le « réalisme ». S’il semble à première vue folklorique et tardif, en rejeter

en bloc le témoignage ne serait qu’une facilité hypercritique, explique-t-elle en

substance. Voilà où cet ouvrage, plutôt destiné à faire connaître ces arts au grand

public, intéressera réellement les spécialistes, qui devraient également avoir plaisir à

découvrir ou à retrouver des objets excellemment photographiés, et judicieusement

choisis par un collectionneur et marchand d’art qui avait déjà manifesté son

attachement pour les îles Salomon, en republiant avec soin les photos un peu oubliées

de Bernatzik (Conru et Coleman, 2002) chez le même éditeur.

BIBLIOGRAPHIE

CARLIER Jean-Édouard, 2001. Regard sur les îles Salomon, Paris, Galerie Voyageurs et Curieux.

CONRU Kevin et Alan D. COLEMAN, 2002. Bernatzik : « Mers du Sud », Milan, 5 Continents.

CONRU Kevin, 2010. New Georgia, Roviana Lagoon Wood Mask, Rokoroko, Arts et Cultures 11, p. 4

KAEPPLER Adrienne L, Christian KAUFMANN et Douglas NEWTON, 1993. L’Art océanien, Paris, Citadelles

& Mazenod.

WAITE Deborah B., 1983. Art des îles Salomon dans les collections du musée Barbier-Mueller, Genève,

musée Barbier-Mueller.

—, 1987. Artefacts from the Solomon Islands in the Julius Brenchley Collection, Londres, British Museum

Publications.

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Reisen und Entdecken. Vom Sepik anden Main. Hintergründe einerAusstellungChristian Coiffier

RÉFÉRENCE

RAABE Eva Ch. [Herausgegeben von], 2008. Reisen und Entdecken. Vom Sepik an den Main.

Hintergründe einer Ausstellung, Frankfurt am Main, Museum der Weltkulturen, 78 pages,

bibliogr.., cartes, nombreuses photos couleurs et noir et blanc.

1 L'exposition qui s'est tenue du 27 octobre 2007 au 30 août 2009 au Museum der

Weltkulturen à Francfort avait pour ambition de présenter deux expéditions de collectes

d'objets ethnographiques qui furent parmi les dernières à être organisées par un musée

allemand dans la région du fleuve Sépik en Papouasie Nouvelle-Guinée.Cette exposition

pose le problème de la collecte des artefacts à grande échelle dans les pays du Sud. Les

expéditions de Francfort eurent lieu, en effet, plus de dix ans avant l'accession à

l'indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’au

traité de Versailles de 1919, la partie nord de ce pays fut une colonie de l'Empire

germanique connue sous le nom de Kaiser Wilhelms-Land. De nombreuses expéditions

scientifiques y furent organisées, elles rapportèrent des milliers d’objets qui vinrent

remplir les réserves des musées de folklore et d’ethnographie de nombreuses villes

allemandes.

2 Le fleuve Sépik demeure une région mythique pour de nombreux collectionneurs

d'objets océaniens par la profusion des styles et l'énorme production des artistes locaux

en ce qui concerne architecture, sculpture, poterie, gravure, peinture et artisanats

divers. Pourtant, il n'y a guère plus d'un siècle que les Européens découvrirent cette

région. L'existence de ce fleuve fut signalée par divers navigateurs qui, depuis le XVIIe

siècle, longèrent la côte Nord de la grande île de Nouvelle-Guinée. Schouten et Lemaire

évoquèrent dans leurs journaux l'embouchure d'un grand fleuve. Le Français Dumont

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d'Urville fit la même constatation au mois d'août 1827 en observant des changements

de la coloration de l'eau de la mer. Mais aucun d'entre eux n'osa s'aventurer vers

l'intérieur. Ce fut le Prussien Otto Finsch qui, le premier, en 1885, fit une

reconnaissance sur vingt milles dans le delta de ce fleuve qu'il dénomma Kaiserin

Augusta Fluss, du nom de l'épouse du Kaiser Wilhelm (l’empereur Guillaume). De

nombreuses expéditions suivirent, organisées par les Allemands, les Américains, les

Suisses, les Néerlandais, les Britanniques et même les Français. En effet, cinq jeunes

Français avec un équipage de neuf marins naviguèrent en 1935 durant près d'un mois

sur le fleuve à bord de leur yacht La Korrigane. Ils y collectèrent dans les villages plus de

six cents objets divers dont un tiers se trouve actuellement conservé au musée du quai

Branly (Coiffier, 2001). Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers d’objets divers dont

de nombreuses œuvres majeures qui furent exportés de cette région de Nouvelle-

Guinée durant soixante années avant que la législation du nouvel État papou ne vienne

essayer de mettre un frein à cette hémorragie dramatique pour les cultures locales. Le

fleuve de l'impératrice Augusta, appelé Ambusat par les populations de la partie

centrale, conserva son nom allemand jusqu'au début de la Première Guerre mondiale

lorsque l'administration australienne prit dès 1914 la responsabilité d’administrer ce

territoire. Elle préféra utiliser le terme local de Sipik ou Sépik qui est un des noms

vernaculaires usuels pour désigner le fleuve dans sa partie inférieure.

3 Ce sont les deux expéditions du Suisse Alfred Bühler qui motivèrent celles du musée de

Francfort. En effet, quelques années avant celles-ci, Alfred Bühler, directeur du Museum

für Völkerkunde et professeur d’ethnologie à l’université de Bâle, organisa en 1955-1956

une grande expédition sur le Sépik en compagnie du photographe René Gardi. Lors de

sa seconde expédition, plus ciblée sur l’étude des styles artistiques locaux, il était

accompagné cette fois de l’historien d’art Anthony Forge. Le Dr Adolf Ellegard Jensen,

titulaire de la chaire d’ethnologie à l’université de Francfort, assurait à cette époque la

direction conjointe de l'Institut Frobenius et du Museum für Völkerkunde de la ville de

Francfort car ce musée avait perdu ses locaux d’exposition du fait des destructions de la

guerre. Le Dr Jensen se montra très impressionné par les résultats obtenus par Bühler et

proposa à la municipalité de Francfort de cofinancer une expédition en Nouvelle-

Guinée. Il obtint un budget conséquent de cent mille marks et demanda à deux

assistants de l'Institut Frobenius, Eike Haberland et Meinhard Schuster, de l'organiser.

L’expédition fut organisée en deux parties : la première, organisée par Meinhard

Schuster, en 1961, se concentra sur tous les villages depuis les monts Washkuk en

amont jusqu'au village d'Angoram en aval ainsi que sur la région du Korewori au sud, la

seconde, en1963, dirigée par Eike Haberland, assisté de Siegfried Seyfarth, concentra

ses efforts sur le haut Korewori. Schuster et Haberland rapportèrent de leurs séjours,

qui durèrent plusieurs mois, plus de cinq mille objets dont certains de dimensions

imposantes comme des tambours à fente et des piliers sculptés de maisons

cérémonielles. Plusieurs d'entre eux furent exposés à l'extérieur du musée où ils furent

endommagés par les intempéries et les gaz des automobiles. C'est donc une réplique

d'un de ces poteaux, nommé Meriameï, qui fut dressée à l'occasion de l'exposition

devant la façade du Museum der Weltkulturen comme élément d'appel pour les visiteurs.

Avec trois autres piliers, il provient de la maisonMundjimbit du village de Kanganaman

(pp. 26-27). Cet édifice cérémoniel ne fut jamais reconstruit par les villageois après le

passage de l'expédition. Fort heureusement, sa voisine, la maison Wolimbi, se dresse

toujours majestueusement au centre d'une large place d'herbe rase à une centaine de

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mètres du seul pilier de la maison Mundjimbit resté en place. La maison Wolimbi a été

classée monument historique national par le gouvernement papou.

4 Pour le professeur Schuster, ce fut le début d'une longue recherche sur les sociétés

locales. Il abandonna l'Institut Frobenius en 1965 pour devenir conservateur au musée

de Bâle et il entreprit immédiatement l’organisation d’une nouvelle expédition

(1965-1967) dans la région du Sépik. Il fut nommé professeur, titulaire de la chaire

d'ethnologie de l’université de Bâle et directeur du séminaire d’ethnologie. En 1970, il

commença à organiser une nouvelle expédition avec de jeunes collaborateurs dans la

région du Moyen-Sépik. Les différentes études réalisées aboutirent à la réalisation de

nombreuses thèses de doctorat concernant diverses sociétés qui avaient été visitées par

les expéditions précédentes.

5 Le catalogue de l'exposition de Francfort ne se veut pas un livre d'art, c'est plutôt un

ouvrage scolaire à l'usage des étudiants en muséologie. Son titre peut se traduire ainsi

en français : Voyages et découvertes. Du Sépik au Main. Arrière-plans d'une exposition. Il a été

réalisé sous la direction du Dr Eva Ch. Raabe, conservatrice de la section Océanie de

l'actuel Museum der Weltkulturen de Francfort avec des articles d'Anette Rein, Katja

Reuter, Heike Schäfer-Kolberg et du professeur Meinhard Schuster. Comme le sous-

titre de ce catalogue l'indique, son objectif était double ; d'un côté faire découvrir au

public des cultures lointaines et peu connues (pp. 4-25), d'autre part, montrer comment

certains objets se trouvent transformés en œuvres d’art par la recherche

anthropologique (pp. 26-75). C'est donc un parcours très didactique qui est proposé

dans les pages illustrant les treize espaces répartis sur les deux niveaux du bâtiment

abritant le musée. Les textes explicatifs sont illustrés de cartes, de photos de terrain, de

photos d'objets en situation dans leur espace d'exposition, de plans et de petits croquis

présentant la scénographie de chacun de ces espaces. Un élément graphique,

représentant une partie du cours du fleuve Sépik, est ainsi utilisé comme fond de page

et constitue en soi un fil conducteur du début à la fin de l'ouvrage.

6 L’objectif de ce catalogue n’est pas de présenter des œuvres artistiques (pp. 12-13,

19-21) mais d’expliquer en quoi la situation du musée, avec ces deux expéditions,

diffère de celle d’autres musées comme celui de Berlin par exemple. Le commissaire de

l’exposition pense que les objets collectés ont été documentés de façon trop

rudimentaire lors de ces deux expéditions. Elle pose alors la question de savoir si leur

« recontextualisation » par des recherches anthropologiques n’a pas trop tendance à les

transformer simplement en œuvres d’art (pp. 18-21). Commenter le catalogue consiste

à décrire l'exposition. Après une présentation du contexte de cette expédition et sa

mise en relation avec la vie quotidienne et rituelle des habitants des rives du fleuve

Sépik, la répartition des salles et des espaces muséographiques est présentée au moyen

de deux plans, un pour chacun des niveaux (pp. 28-29). Chacune des doubles pages

suivantes présente un des thèmes de l’exposition et son espace, à commencer par la

région du fleuve Sépik (pp. 30-31). La collecte de la fécule de palmier sagoutier (pp.

32-33) et la cuisine dans une maison familiale (pp. 34-35) évoquent toutes deux les

activités féminines. La fabrication des objets de culte dans la maison cérémonielle

illustre le monde des hommes (pp. 36-39). La présentation d'une proue de pirogue en

forme de tête de crocodile avec son bouclier magique permet de faire découvrir le

monde des esprits (pp. 40-43). Le transport des collections du Sépik à Francfort est

évoqué à l'aide de photographies, de caisses avec leurs étiquettes et de deux séries

d'objets (pp. 42-53). Après avoir retracé l’histoire du musée dans l’après-guerre, le

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professeur Meinhard Schuster décrit les difficultés matérielles encourues pour le

transport de tous ces objets dont certains, comme les pirogues, les tambours à fente et

les piliers de maison, étaient extrêmement lourds et fort encombrants (pp. 44-51). Deux

photographies (p. 51) présentent l'ampleur de la collecte et donnent à réfléchir sur

l'intérêt scientifique de rapporter plusieurs dizaines d'objets d'un même type. Si la

collecte de séries peut permettre l’étude de différents styles, elle supprime d’emblée la

possibilité pour de nombreux objets de servir localement d’exemples pour les jeunes

générations. La double page suivante est une mise en situation du visiteur par une

reconstitution de l’espace de travail de l’ethnologue, selon un style scénographique

maintes fois utilisé dans les musées suisses et néerlandais. Les espaces suivants sont

destinés à expliquer le processus de transformation de la fonction des objets à partir de

leur installation dans un musée. Les ethnologues et les muséographes se muent alors en

magiciens ayant le pouvoir de transformer les objets rituels en objets culturels destinés

à transmettre un message aux visiteurs européens. Un laboratoire de travail est

reconstitué avec un ordinateur posé sur une table, il évoque la recherche d'archives et

de documentation (pp. 56-65). Dans les derniers espaces, les objets sont présentés

comme dans des galeries d’art, ils sont devenus des objets esthétiques (pp. 66-75). Le

catalogue se termine par trois pages de bibliographie centrée principalement sur la

littérature ethnographique.

7 Ce catalogue d’exposition est plus destiné aux muséographes et aux scénographes

qu’aux admirateurs de l’art du Sépik. Il donne à réfléchir sur ces grandes expéditions de

collecte qui ont participé en moins d'un siècle à vider de leur patrimoine culturel, au

profit des musées d'Occident, les villages d'une région qui fut jadis extrêmement riche

et diversifiée sur le plan artistique. La photographie de la page 55 extraite du film

d’Hermann Schlenker Tanzfest mit der Flöte me touche particulièrement de manière

purement personnelle car elle représente un homme de Palimbeï soufflant dans la flûte

Yawanganamak de la maison Payembit. Il s'agit de Kengenwan Kungrin du clan Iatmul

qui fut mon wau (oncle maternel) et un de mes meilleurs informateurs. Je lui dois

l’attribution de mon nom au village de Palimbeï.

BIBLIOGRAPHIE

COIFFIER Christian (éd.), 2001. Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud, Paris, Hazan/Muséum

national d'histoire naturelle.

BUSCHMANN Rainer, 2000. Exploring Tensions in Material culture: Commercialising Ethnography in

German New Guinea, 1870-1904, in Michael O’Hanlon and Robert L.Welsch (eds), Hunting the

Gatherers. Ethnographic Collectors, Agents and Agency in Melanesia, 1870s-1930s, New York, Oxford,

Berghahn Books.

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Hunting the Collectors. PacificCollections in Australian Museums, ArtGalleries and Archives dirigé parSusan COCHRANE et Max QUANCHI

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

COCHRANE Susan and Max QUANCHI (eds), 2007. Hunting the Collectors. Pacific Collections in

Australian Museums, Art Galleries and Archives, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing,

XXVI-414 p., bibliogr., index, illustrations noir et blanc dans le texte.

1 Par son titre et le champ d’investigation qu’il définit, ce recueil de dix-neuf

contributions1 s’inscrit dans le prolongement de l’ouvrage collectif édité sept ans

auparavant par Michael O’Hanlon et Robert L. Welsch, Hunting the Gatherers, dont

certains articles préfiguraient d’importantes publications intéressant l’histoire des

collectes et des collections, comme le livre de Chris Gosden et Chantal Knowles,

Collecting colonialism (2001), et celui plus récent d’Helen Gardner, Gathering for God (2006,

évoqué dans le JSO 126-127). La parution du présent ouvrage laisse espérer des

développements similaires, mais elle manifeste à elle seule la vitalité de la recherche

dans ce domaine des études océaniennes.

2 Il faut en prévenir d’emblée, ce volume se signale par un nombre étonnant de coquilles

et d’erreurs factuelles, qu’entend corriger une liste d’errata, selon un vieil usage de

l’édition très recommandable en soi. Malheureusement cette liste vaut à peine mieux,

indiquant par exemple de déplacer la note 9 de la p. 71 sans donner le texte de la note

10 introuvable, et loin d’être complète, elle est de surcroît fautive (« misspelet » pour

« misspelt ») ! Le risque est qu’on ne lise plus l’ouvrage avec l’attention et l’intérêt qu’il

mérite, mais seulement pour y faire la chasse aux bourdons, souvent de belle taille,

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comme celui qui fait d’Adelbert von Chamisso (1781-1838) un contemporain de

Malinowski, étudiant « botany and medicine in Berlin in 1912 » (p. 105). On pourra

invoquer comme « circonstance atténuante » le fait que ce recueil procède d’un

colloque organisé un an seulement avant sa publication (conférence inaugurale de

l’Australian Association for the Advancement of Pacific Studies, Brisbane, janvier 2006),

mais tel était aussi le cas de Hunting the Gatherers, issu d’un colloque à Oxford tenu un

an avant sa parution, et quant à lui parfaitement respectueux de sa matière et de ses

lecteurs.

3 Les contributions sont réparties en trois sections de taille inégale, une introduction due

aux deux éditeurs du recueil, treize articles consacrés aux collecteurs et

collectionneurs, et cinq articles dévolus aux collections, à leur conservation et à leur

mise en valeur. Il est malheureusement impossible de les évoquer tous ici. Entre autres

sujets, la section centrale accorde une attention particulière aux collectes

ethnographiques australiennes dans ce qui deviendrait la Nouvelle-Guinée britannique,

à celles qui eurent pour cadre la Nouvelle-Guinée allemande et l’archipel Bismarck, et

aux collectes photographiques de l’époque, surtout en Mélanésie. Sur ce dernier thème,

l’article que M. Quanchi consacre à Thomas McMahon (pp. 151-171) révèle un

photographe professionnel aussi prolifique que méconnu et dont les travaux semblent

avoir été reproduits sans vergogne. En dépit de son titre provocateur (« Missionary

positions : George Brown’s bodies », pp. 131-149), la contribution de P. Ahrens n’étudie

que très partiellement l’activité de ce missionnaire photographe, trader, conférencier,

écrivain, qui organisait des danses folkloriques fidjiennes en Nouvelle-Bretagne, et

tâchait de rallier à sa cause les Australiens influents en leur distribuant ses

photographies les plus abouties.

4 De même, l’étude que consacre V. Barnecutt aux collectes du capitaine Farrell, l’un des

époux successifs de « la reine Emma » (« Thomas Farrell: trading in New Ireland », pp.

120-129) est insuffisamment approfondie et documentée, négligeant notamment

l’intérêt qui poussait ce commerçant brutal et matois à recueillir des objets

ethnographiques pour l’Australian Museum de Sydney, voire à faire des dons à cette

institution. Ne s’était-il pas associé dès 1881 avec la puissante société Mason Brothers

de Sydney, comme l’indique P. Biskup dans son édition des Mémoires d’Octave Mouton

(p. 23 et passim) ? V. Barnecutt mentionne certes cet ouvrage (sans citer le fait), mais

néglige la plupart des témoignages directs concernant cette figure des mers du Sud

(tels ceux de George Brown déjà cité, d’Otto Finsch, 1888 : 21-22, très disert sur les

affaires de Farrell ou encore de Richard Parkinson, beau-frère de Farrell et très

probable pourvoyeur d’objets récoltés à Buka où il avait établi une plantation, ce

qu’omet de préciser la p. 123). Quant aux collections ethnographiques de l’Australian

Museum, n’étaient-elles pas à reconstituer comme les autres après les ravages de

l’incendie du 22 septembre 1882 survenu au Garden Palace qui l’abritait depuis

l’Exposition internationale de 1879 ? L’oubli va bien au-delà de cet article puisque

l’événement n’est pas signalé (hormis une allusion p. 190 n. 4) dans cet ouvrage, qui

livre peu d’informations sur l’histoire générale des musées australiens et le cadre social

et politique de leur développement.

5 Ces réserves ne sauraient atteindre l’excellente étude de B. Craig (« Edgar Waite’s

north-west Pacific expedition - the hidden collections », pp. 173-195) sur la campagne

menée par le directeur du South Australian Museum d’Adelaide entre mai et septembre

1918 dans les anciennes possessions allemandes (Nouvelle-Guinée et archipel Bismarck)

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restées sous administration militaire australienne jusqu’à la fin de la Première Guerre

mondiale et les traités qui s’ensuivirent. Les objets que Waite acquit auprès de Blancs

vivant dans leurs plantations (comme celles de Pettersson à Tabar) ou installés dans les

villes (tel le commerçant Whiteman de Rabaul) relèvent évidemment de la « collecte

coloniale » au sens de Chr. Gosden et Ch. Knowles, mais leur ancienneté et leur facture,

autant que la laissent apercevoir les reproductions, semblent justifier qu’ils soient

mieux étudiés et mis en valeur. Il faut sans doute en dire autant des objets collectés par

Williams, qu’évoque moins en détail S. Schaffarczyk (« A Rara Avis : FE Williams, the

Government Anthropologist of Papua, and the Official Papuan Collection », pp.

198-220), et plus récemment par Moriarty (N. Wilson, « (Works) of paradise ant yet :

Stanley Gordon Moriarty, Tony Tuckson and the collection of Oceanic Art at the Art

Gallery of New South Wales », pp. 222-241), ou par les collecteurs travaillant pour les

autorités culturelles australiennes (S. Cochrane, « Mr Pretty’Predicament : Ethnic Art

Field Collectors in Melanesia for the Commonwealth Arts Advisory Board, 1968-1973 »,

pp. 244-274).

6 On mentionnera encore, à propos des collecteurs et collectionneurs, les souvenirs d’H.

Beran (« Recollections of a Massim Art Collector », pp. 290-304), et la description

sommaire que fait Chr. Dixon d’objets océaniens ayant appartenu à Max Ernst avant

d’être achetés en 1985 par la National Gallery of Australia (« Max Ernst, artist and

collector », pp. 276-288). Mais à côté de ces contributions qui feront consulter cet

ouvrage pour son intérêt historique (avec un index utile, présentant néanmoins un

décalage d’une à dix pages par rapport au texte à partir de la p. 222, et non

constamment « deux » comme assure la liste d’errata), il faut signaler l’importance

spéciale que peuvent avoir non seulement pour les Océanistes, mais pour les habitants

du Pacifique, les cinq articles de la dernière section, « The Collections » : « Who is

collecting Pacific Island Archives in Australia now ? », d’E. Maidment (pp. 308-325),

« The Pacific collections of the National Library of Australia ; a reflection of national

awareness and perception of the Pacific region » de S. Woodburn (pp. 328-344), « The

Banaba-Ocean Island Chronicles : Private collections, indigenous record keeping, fact

and fiction » de K. Raobeia-Sigrah et St. King (pp. 346-363), « Pacific collections in the

National Museum of Australia » de D. Kaus (pp. 366-383) et « Pacific focus ; bringing

knoledge about photographic collections in Australia to Pacific communities » de T.

Antsoupova et E. Maidment (pp. 386-401). S. Woodburn montre en particulier que si

l’Australie a pu connaître des périodes de repli et négliger parfois ses collections de

documents et d’objets du Pacifique, se développait dans le même temps sa « conscience

nationale » de grande puissance régionale, menant ultérieurement à l’étude à nouveaux

frais et à la mise en valeur de ce patrimoine considérable, la plaçant aujourd’hui au

rang des « grandes puissances » sur le plan culturel, du moins en Océanie.

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BIBLIOGRAPHIE

BISKUP Peter (ed.), 1974. The New Guinea Memoirs of Jean Baptiste Octave Mouton, Honolulu, The

University Press of Hawaii, Pacific History Series 7.

FINSCH Otto, 1888. SamoaFahrten, Reisen in Kaiser Wilhelms-Land und Englisch-Neu-Guinea… an Bord des

deutschen Dampfers « Samoa », Leipzig, Hirt & Sohn.

GOSDEN Chris and Chantal KWNOLES, 2001. Collecting Colonialism. Material Culture and Colonial Change,

Oxford-New York, Berg.

O’HANLON Michael and Robert L. WELSCH (eds), 2000. Hunting the Gatherers. Ethnographic Collectors,

Agents and Agency in Melanesia, 1870s-1930s, New York-Oxford, Berghahn Books.

NOTES

1. Contributions des éditeurs et de Prue Ahrens, Tatiana Antsoupova, Vicky Barnecutt, Harry

Beran, Barry Craig, Susan Davies, Christine Dixon, Roderick Ewins, Regina Ganter, David Kaus,

Stacey King, Ewan Maidment, Jude Philp, Ken Sigrah Raobeia, Natalie Wilson, Susan Woodburn.

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Tapa, étoffes cosmiques de l’Océaniedirigé par Laurent Guillaut et al.Raymond MAYER

RÉFÉRENCE

GUILLAUT Laurent, Fanny Wonu VEYS, Hélène GUIOT et al. 2009. Tapa, étoffes cosmiques de

l’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, 128 p., préface, articles et catalogue

d’exposition, bibliogr., ill. couleur.

1 Ce catalogue d’exposition réalisé à Cahors, comme ceux de Chartres en 2000 et 2004, est

un exemple parfait d’édition d’envergure mondiale réalisée à partir d’une initiative

locale. Foin des hégémonies des rédactions scientifiques fixées dans les seules capitales,

je ne connais pas d’ouvrage en langue française aussi bien documenté sur les tapas

océaniens que celui-ci, réalisé à l’occasion de l’exposition homonyme organisée au

musée de Cahors Henri-Martin en 2009. En le lisant, on n’ignore plus rien ni de la

matière première, ni des techniques de fabrication, ni des fonctions assignées, ni des

variantes culturelles, d’une extrémité à l’autre du domaine géographique qui lui est

attaché. La clé du succès est probablement l’intelligence du commissaire de

l’exposition, Laurent Guillaut, à avoir su recourir aux spécialistes du domaine exposé,

quand bien même l’idée d’organiser une telle exposition dérivait d’une décision

provinciale. Tout y est traité à la perfection, à la fois les textes et leurs illustrations,

toutes en couleur, ce qui montre qu’en matière de reproductions artistiques, il est

impossible d’échapper à cette exigence minimale. Mieux vaut ne rien éditer qu’éditer

en noir et blanc un objet en couleur.

2 Les spécialistes du domaine sont en l’occurrence Hélène Guiot et Fanny Wonu Veys,

auxquelles ont été jointes les contributions tout aussi excellentes de Marie-Claire

Bataille-Benguigui et Claude Stéfani. Hélène Guiot, en collaboration avec une

association chargée de sa sauvegarde, réalise un inventaire de la plus importante

collection de tapas polynésiens existant en Europe (plus de deux cents au musée

océanien de La Neylière, près de Saint-Symphorien sur Coise). L’autre spécialiste, Wonu

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Veys, actuellement conservatrice des collections océaniennes au Museum voor

Volkenkunde de Leiden aux Pays-Bas, a produit une remarquable thèse sur le tapa

tongien et fidjien. On échappe du coup à l’écueil principal qui guette un tel type de

production, à savoir une consommation esthétisante de l’œuvre privée de son contexte.

Certes les critiques d’art peuvent offrir des clés de lecture intéressante de telles œuvres

« d’art premier », mais des expert(e)s ayant séjourné durablement dans les îles

productrices des œuvres ont forcément un point de vue mieux documenté que ceux qui

n’y ont effectué que des séjours de courte durée, voire aucun séjour du tout.

3 Les chapitres de ce livre sont à la fois illustrés comme un catalogue, et documentés

comme un véritable ouvrage d’analyse. On a donc en un seul ouvrage les avantages de

deux genres habituellement distincts. L’effet est on ne peut plus bénéfique, joignant

l’utile à l’agréable. L’agréable, c’est en l’occurrence la qualité des reproductions en

couleur qui console le lecteur de n’avoir pu voir l’exposition et lui en restitue

l’essentiel. L’utile ce sont les textes d’analyse qui accompagnent l’illustration, mais qui

ne tombent pas dans le pédantisme, ou le discours abscons. Qu’on le veuille ou non, le

meilleur commentaire possible sur des œuvres enracinées dans des terroirs qui les

continuent à les produire à l’heure actuelle, viendra toujours de gens ayant fréquenté

les producteurs vivants de ces œuvres, et le commentaire sera encore meilleur si ces

personnes sont des professionnelles du terrain et de la matière en débat.

4 Les six articles thématiques qui précèdent la présentation des objets du catalogue sont

signés de Marie-Claire Bataille-Benguigui, Hélène Guiot, Fanny Wonu Veys et Claude

Stéfani. « Le « sens » des fibres en Océanie, écorce battue et autres végétaux »

(pp. 7-16) de Marie-Claire Bataille-Benguigui est une entrée en matière à la fois dans la

pratique et dans les représentations liées à la production du tapa en Océanie. Rappelant

que le textile à base d’écorce battue est attesté dans toutes les zones tropicales du

globe, l’auteur s’attache à démontrer sa spécificité océanienne. Elle commence par

évoquer les mythes fondateurs associés à sa pratique, avant d’en recenser les usages les

plus prestigieux.

5 La question de la matière première est aussi explicitée dans un bref article d’Hélène

Guiot sur le cas concret de l’île Wallis (’Uvea). L’auteur nous détaille l’ensemble des

matériaux utilisés dans la confection du tapa. Ceux-ci vont de l’écorce, plus exactement

du liber qui en constitue la seconde couche, jusqu’à la colle, aux teintures et vernis

employés, sans oublier les instruments mis à contribution dans cet art consommé de la

transformation d’une ressource végétale.

6 Hélène Guiot revient dans un autre article consacré cette fois aux motifs wallisiens, et

en particulier, à la forme « terre-mer » inaugurée au milieu de la décennie 1950 dans le

contexte d’un développement de la production diligentée par les religieuses de la

Congrégation des Sœurs Missionnaires de la Société de Marie. Elle nous fait découvrir

les multiples aspects de ce décor du vingtième siècle qui n’a pas remplacé les autres

formes de production, mais s’y est accolé. L’accumulation des formes semble en effet

aller dans le sens de la « thésaurisation » justement relevée dans l’article de Marie-

Claire Bataille-Benguigui.

7 La double contribution de Fanny Wonu Veys, qui met à profit son expérience du musée

de Leiden, reprend quelques-uns des thèmes développés dans sa remarquable thèse de

doctorat. Dans la première « Le tapa : un emballage ordinaire sacré » (pp. 20-33), elle

nous sensibilise au fait que la technique d’emballage se décline en de multiples

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fonctions, parfois antithétiques, qui vont de la protection à l’accueil du divin et de

l’étranger, en passant par le voile et le dévoilement.

8 Dans la deuxième intitulée « Techniques de fabrication et de décoration » (pp. 34-41),

elle prolonge sur le plan des pratiques ce que Hélène Guiot avait présenté sur le plan

des matériaux. Elle nous fait saisir dans le détail les distinctions à établir entre les

techniques d’immersion, d’enfumage, d’impression, de pochoir, de décoration à main

levée, de matrices et de décor en filigrane. Son contexte de référence est emprunté aux

Tonga et aux Fidji.

9 Le dernier article préparatoire au catalogue est de Claude Stéfani (pp. 50-54) qui

s’intéresse à un tiputa, « manteau du roi de Bora-Bora » appartenant à la collection de

l’ancienne École de médecine navale de Rochefort, pour en établir la véritable

identification, et en affiner l’expertise à la lumière d’autres pièces provenant des îles de

la Société.

10 Le catalogue proprement dit affiche 63 objets et il est signé de Laurent Guillaut,

conservateur en chef du patrimoine au musée de Cahors Henri-Martin et commissaire

de l’exposition, et de Fanny Wonu Veys qui a apporté son expertise à la documentation

et à la présentation des objets exposés. Les objets sont bien entendu représentatifs de la

diversité des lieux, des cultures, des matériaux et des décors produits. Ils proviennent

des collections des musées du Quai Branly de Paris et de La Neylière. Ils proviennent de

l’ensemble des archipels océaniens s’étalant d’ouest en est du Pacifique (le sens de

circulation étant censé représenter le sens de la création historique et du flux des

populations, échelle à la fois spatiale et temporelle) : Nouvelle-Guinée, Nouvelle-

Bretagne, Santa Cruz, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, Fidji, Tonga, Samoa, Wallis, Futuna,

îles Marquises, îles de la Société, Hawaii et Nouvelle-Zélande, bref un panorama on ne

peut plus représentatif du domaine.

11 L’ensemble de l’ouvrage est servi par une iconographie impeccable, mais on retiendra

autant la qualité des textes que celle des reproductions en couleur. Toutes ces raisons

plaident au large recours à ce titre pour toutes les personnes désireuses d’en connaître

sérieusement sur les tapas océaniens. S’il y avait une réserve à formuler, ce serait celle,

somme toute mineure, du titre : « étoffes cosmiques » qui tendrait à donner un sens

exagérément astronomique à cette production, alors qu’il suffit de les considérer

comme des « biens de prestige » dont l’usage se manifeste au cours des moments les

plus solennels de la vie sociale. Il ne nous viendrait pas à l’idée de traiter les tissus de la

vie monarchique ou impériale française comme des « textiles cosmiques », quels que

soient les éléments de décoration qui y apparaissent. L’emphase du titre mise à part, le

livre doit désormais être classé dans la catégorie des ouvrages de référence sur la

question du tapa en Océanie.

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Le bestiaire mélanésien. 100représentationsde Didier ZanetteIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

ZANETTE Didier, 2010. Le bestiaire mélanésien. 100 représentations, Nouméa, DZ Productions,

« Et si nous parlions l’Océanien ? », 160 p., bibliogr. indicative, une carte, table des 100

objets reproduits, lexique, nombreuses ill. couleur.

1 Sujet intéressant s’il en est mais mal illustré dans cet ouvrage où les photographies, ne

sont pas toujours de qualité et montrent mal les objets, et dont le texte qui les

accompagnent manquent de références à la bibliographie existante sur le sujet. La

bibliographie, qui ne comporte que quinze références, est quasiment entièrement

consacrée à « l’art » (huit des ouvrages mentionnés contiennent le mot art dans leur

titre) ou aux collections muséales. Peu de références ethnographiques alors que le sujet

ne peut être appréhendé à mon sens en faisant l’économie des apports de l’ethnologie,

de l’ethnolinguistique et de l’importance des traditions orales en la matière. Puis, au fil

de la lecture, on découvre en notes de bas de page quelques autres références qui

seraient venues utilement compléter la bibliographie.

2 L’ouvrage est construit en sept chapitres faisant suite à l’introduction pp. 7-11) :

chapitre I « Aux débuts, les mythes… » (pp. 13-19) ; chapitre II « Dans l’océan »

(pp. 21-45) ; chapitre III « Entre eaux saumâtres et terre » (pp. 47-65) ; chapitre IV « Sur

terre, le roi cochon et les autres » (pp. 67-93) ; chapitre V « Au pays des insectes »

(pp. 95-101) ; chapitre VI « Le monde de la gent à plume » (pp. 103-131) ; chapitre VII

« Et aujourd’hui ? » (pp. 133-139), un index d’images (pp. 141-151) qui n’est en réalité

qu’une table faite à l’aide de photos miniatures renvoyant à la page où l’objet est

reproduit dans l’ouvrage et un glossaire (pp. 153-155). Pour finir, une page de

références bibliographiques et un sommaire très peu indicatif qui est là en fait pour

signaler les crédits photos, les artistes contemporains et les diverses mentions légales

de l’ouvrage (un vrai fourre-tout).

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

402

3 Chaque chapitre commence par la reproduction d’une œuvre d’art contemporaine dont

on trouve l’auteur dans le sommaire mais sans aucune précision ni de titre, ni de la

nature de l’œuvre et encore moins sur l’artiste lui-même ! Dommage !

4 La page de préface pour introduire « l’importance de l’animal dans le bestiaire

océanien » (p. 7) signée par Dominique Franchot (dont on ne nous dit pas qui il/elle

est1) est bien limitée et nous place face à des lieux communs quand ce n’est pas des

imprécisions pouvant conduire à de fausses interprétations, comme nous le verrons ci-

dessous. L’introduction qui suit (pp. 7-11) ne nous satisfait guère plus. Ainsi, une telle

phrase dans le premier paragraphe n’a guère de signification :

« En Nouvelle-Calédonie, on ne trouve plus, par exemple, qu’une espèce demammifère la roussette et plus aucun reptile terrestre à l’exception toutefois dulézard. » (p. 7)

5 Ainsi, on ne sait pas à quelle période l’auteur fait référence avec ce « plus ». Si l’on se

reporte au magnifique site internet endemia.nc, on trouve le serpent des Loyauté

(Candoia bibroni) dit aussi boa du Pacifique et qui est un reptile terrestre (http://

www.endemia.nc/faune/fiche1097.html - consulté le 3 avril 2010) ; côté lézard, leur

variété endémique est immense. En 20032, une recherche sur le site http://

www.endemia.nc/ tel qu’il existait à cette date m’avait permis de recenser 67 espèces

de lézards dont 59 endémiques, qui se répartissent en 42 espèces de Scincidae (dont 39

endémiques) et 25 espèces de Geckos (dont 20 endémiques appartenant à la famille

Diplodactylidae qui comprend le genre Rhacodactylus cité par Leenhardt ; seules les

cinq espèces de la famille Gekkonidae ne sont pas endémiques). Une telle phrase ne

peut donc pas en rendre compte et laisser penser au lecteur non connaisseur que la

faune calédonienne est d’une grande pauvreté, alors que quiconque s’intéresse à la

Nouvelle-Calédonie en connaît la richesse endémique exceptionnelle.

6 En fait, chaque chapitre, après un paragraphe d’une banale généralité, ne fait que

commenter les objets reproduits, sans forcément de liens entre les uns et les autres.

7 Beaucoup d’imprécisions, aucune information sur les objets collectés par l’auteur pour

lesquels il aurait été utile de savoir où précisément il avait été trouvé, à quelle date et

comment s’est faite l’acquisition et sur son usage particulier. Par exemple, l’objet 11,

nommé « amulette » et dit « charme particulier » pour la pêche au dugong, nous est

présenté sans autre précision sur les techniques de pêche de la région !

« Le lézard n’est pas toujours un ancêtre. Il est également l’objet de multipleslégendes et de nombreux contes » (p. 65)

8 Cette opposition rapide faite par l’auteur n’a pas toujours lieu d’être car, chez les Kanak

par exemple, c’est aussi parce que le lézard représente l’autochtonie et les ancêtres des

clans terriens qu’il est présent dans de nombreux contes et légendes. D’ailleurs, en

commentant un bambou gravé du musée de Nouvelle-Calédonie, il écrit :

« Sans doute est-ce l’une de ces histoires qu’un artiste kanak a gravée sur unbambou, un lézard encerclé d’hommes qui cherchent à le capturer, à moins qu’ilsne dansent autour de lui » (p. 65)

9 Que voit-on sur ce morceau de bambou gravé ? Sans aucun doute une scène de la

colonisation : au centre, à la verticale dans ce que l’on pourrait croire être une allée

centrale, un lézard ; des guerriers kanak d’un côté, qui semblent l’affronter ; de l’autre

un personnage en costume représentant sûrement un Européen ; en bas une frise de

fusils et en haut une case rectangulaire abritant deux hommes en face à face assis sur

une chaise et entre eux, trois hommes habillés. De part et d’autre de la case, deux

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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soldats armés montent la garde. Au-dessus, un médaillon avec un profil d’homme que

Roger Boulay (sous presse) attribue à Napoléon III3. Ainsi pourrait-on analyser ce

bambou gravé comme l’irruption de la colonisation s’opposant aux autochtones, en

s’appuyant parfois sur les rivalités entre Kanak eux-mêmes. Ce passage sur le lézard est

significatif de la méconnaissance de la société qui produit ces objets ! Il aurait pu citer

le superbe catalogue de l’exposition Bambous kanak au MEG – et actuellement au musée

de Nouvelle-Calédonie à Nouméa –,dont nous avons rendu compte dans le JSO 126-127 en

Miscellanées Bambous kanak.

10 Pour finir, arrêtons-nous sur le dernier chapitre : « la rencontre avec la civilisation

occidentale… » (p. 133) alors que 78 des objets présentés dans les pages précédentes

sont du XXe siècle et 3 du XXIe siècle4 ! Il en reste 19 pour le XIXe siècle5 ! Cette rencontre

se passa à des moments variables à partir en gros du milieu du XIXe siècle et peu des

objets présentés ici sont donc vierges de tout contact, sans pour autant que leur

présentation ne soit dénuée d’intérêt car les musées sont plein de ces objets produits au

moment du contact. D’ailleurs l’auteur ne parle-t-il pas de « l’inculturation [sic !] des

techniques et des procédés venus d’ailleurs » (p. 133), sans doute veut-il parler

d’acculturation !

11 Une grosse déception donc à la lecture de ce beau livre (on regarde de belles images,

c’est sûr !) qui manque de commentaires et de référence sur les objets.

BIBLIOGRAPHIE

BOULAY Roger, sous presse. Le profil de « Napoléon III » & Vue de profil, catalogue de l’exposition

Bambous kanak au musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, musée de Nouvelle-Calédonie, pp. 12-13 et

p. 27.

COLOMBO DOUGOUD Roberta (éd.), 2008. Bambous kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-Dellenbach,

Genève, MEG, INFOLIO, Sources et témoignages 9, 184 p., bibliogr., glossaire, nombreuses

illustrations (photographies en couleur ou noir et blanc, dessins au trait).

LEBLIC Isabelle, 2008. À propos de Bambous kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-Dellenbach, in

Jean Trichet et Isabelle Leblic (éds), Journal de la Société des Océanistes 126-127 : Spécial

environnement dans le Pacifique, pp. 311-317.

NOTES

1. « Dominique Franchot était le directeur des Ressources humaines du Groupe ERAMET jusqu'en

décembre 2009, c'est un passionné de voyages et d'art premier. Ses fonctions l'amenaient à venir

régulièrement en Nouvelle-Calédonie pour la Société Le Nickel » (Isabelle Zanette, com. pers.,

30/09/2010).

2. Voir la communication « Animaux, représentations totémiques et esprits des ancêtres dans

quelques sociétés kanak de Nouvelle-Calédonie » que j’ai faite au colloque international le

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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symbolisme des animaux – l'animal « clé de voûte » dans la tradition orale et les interactions homme-

nature, organisé par le LACITO CNRS etl'IRD, à Villejuif (12-14/11/2003).

3. « Sur cette pièce [MNC 98.5.1], les images sont strictement organisées autour de la figure de

Napoléon III gravée à son sommet. Le dessin s’inspire sans nul doute du profil de l’Empereur

lisible sur les monnaies de l’époque. » (Boulay, sous presse : 12).

4. À ce titre, d’aucuns notent que ces objets les plus modernes et pouvant nous paraître hideux

restent instructifs dans leur genre.

5. La petite dizaine d’objets anciens qui est présentée ici mériteraient une enquête.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

405

Musique du monde. Nouvelle-Calédonie.Voix des rivages et des montagnesIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnes, CD enregistré en

Nouvelle-Calédonie et brochure de présentation français-anglais, 31 p., coll. Dominique

Buscail, Buda musique.

1 Ce coffret musical est issu d’une collecte effectuée en février 2009 en Nouvelle-

Calédonie par la productrice et le réalisateur de l’émission « Couleurs du monde » de

France-Musique, Françoise Degeorges et Charles Le Gargasson, guidés par Emmanuel

Tjibaou et Hervé Lecren, « en quête de l’esprit ancestral qui irrigue la société kanak

contemporaine » (p. 3) avec l’aide du Centre Jean-Marie Tjibaou, du Conservatoire de

musique de Nouvelle-Calédonie, du Pôle d’exports des musique et des arts de Nouvelle-

Calédonie et de la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris. Enregistrés in vivo (avec les

chants d’oiseaux en arrière-plan avant les voix), du nord au sud de la Grande Terre, les

vingt-deux morceaux rassemblés ici présentent un éventail de chants en langues kanak.

À l’écoute, on se trouve transporté à 20 000 km de Pars, en terre kanak, au milieu de ces

femmes et hommes qui chantent les aé-aé célébrant l’emblème totémique lézard, des

événements tels qu’une inondation dans la tribu de Bwara à Canala ou que les vols de

terres par les colons, des chants polyphoniques dans lesquels les Kanak excellent, des

comptines chantées pour les enfants ou encore des tempérances rendant hommage aux

militants tombés pour la lutte indépendantiste. Moi qui ai participé à maintes festivités

des écoles populaires kanak de la région de Canala, j’ai écouté à l’époque de nombreux

chants consacrés à garder en mémoire les événements dramatiques de l’époque. Un tel

disque ne pouvait se faire sans le traditionnel discours sur le bois nommé de façon

impropre « généalogie » en français. Il s’agit plutôt d’une récitation de nom de clans et

de lignages et de leurs alliances et parcours.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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2 Ces chants de toutes sortes sont un autre moyen de la tradition orale kanak pour

conserver et transmettre ce qui marque la vie quotidienne. Tristes ou joyeux, ils sont

l’empreinte de l’histoire et de la vie, mais aussi parfois l’expression de l’espoir d’un

monde meilleur.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

407

Géo 370 : dossier Nouvelle-CalédonieIsabelle Leblic

RÉFÉRENCE

Géo 370 : dossier Nouvelle-Calédonie, décembre 2009, pp. 46-107.

1 Le magazine Géo a publié en décembre dernier un dossier spécial de 60 pages sur la

Nouvelle-Calédonie. Une interview de Christian Karembeu, célèbre footballeur français

originaire des îles Loyauté, introduit une série d’articles abordant d’importants sujets

d’actualité de la Nouvelle-Calédonie : la protection du lagon d’Ouvéa inscrit en 2008 au

patrimoine mondial de l’UNESCO (pp. 54-59) avec un très court texte commentant de

belles photos de cette île réputée « la plus proche du paradis », une carte présentant les

six zones de l’archipel inscrites à ce même patrimoine avec leurs espèces remarquables

(pp. 60-61), « les avancées chaotiques du destin commun » (pp. 70-79), « des squats dans

la ville » (pp. 80-82), « Nickel, le bon filon enfin partagé » (pp. 84-88), « ainsi parlent les

ancêtres » (p. 90), un encart dépliant sur une collection privée d’art kanak

accompagnant un article sur le collectionneur William Costes (p. 97), « des artistes qui

assurent la relève » (pp. 98-100), pour terminer par la présentation d’un sentier de

randonnée entre eau et forêt dans le sud de la Grande Terre (pp. 102-104) et quelques

conseils avant de partir (p. 106).

2 Très grand public, ce dossier peut constituer une introduction à la Nouvelle-Calédonie

d’aujourd’hui mais laisse sur sa faim tout connaisseur du pays. De même, les

orientations bibliographiques données sont des plus limitées. À lire pour le plaisir des

belles photos plus que pour le contenu des textes.

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Canoes of the Grand Ocean coordonnépar Anne Di Piazza et Erik PearthreeGilles Bounoure

RÉFÉRENCE

DI PIAZZA Anne and Erik PEARTHREE (eds), 2008. Canoes of the Grand Ocean, Oxford,

Archaeopress, BAR International Series 1802, VI-154 p., bibliogr., cartes, nombreuses ill.

dans le texte.

1 En présentant cette réunion de huit contributions d’archéologie maritime, A. Di Piazza

souligne d’emblée ce qu’a de plaisant et de fascinant le vieux terme français de « Grand

Océan » choisi pour intituler ce volume. Dans toute fascination entre forcément une

part d’appréhension, qu’on songe à celle des anciens navigateurs défiant les vastitudes

et les colères du Pacifique ou à celle des scientifiques d’aujourd’hui qui tentent de

reconstituer leur histoire, sujet immense et d’une importance essentielle pour la

compréhension du peuplement de l’Océanie. Sur ce thème réellement fascinant et avec

l’aspect plaisant que lui donnent ses nombreuses illustrations, cet ouvrage ajoute à

cette part nécessaire d’appréhension une autre des plus évitables et superflues, avec sa

fragile couverture à « dos collé » qui laisse vite échapper son contenu en feuilles

volantes et finit par rendre sa lecture hasardeuse. Les bibliothèques devront le faire

relier avant de le mettre à la disposition du public, sous les alizés comme sous d’autres

vents.

2 Les contributions sont réparties en trois sections (un peu abusivement dénommées

« sessions » comme s’il s’agissait d’un colloque) à dominante respectivement

historique, technique et spéculative, non sans incursions nécessaires des auteurs d’un

domaine à l’autre, l’architecture navale venant ainsi fournir des arguments aux

historiens, comme on va le voir. L’ambition de la première partie, « Navigators as the

principal actors in cross-cultural encounters », est d’éclairer par leur contexte

historique les témoignages des premiers Européens à avoir décrit les navigateurs

traditionnels du « Grand Océan ». Anne Salmond (« Voyaging exchanges: Tahitian Pilots

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

409

and European Navigators », pp. 23-46) revient notamment sur la « carte de Tupa’ia »

dressée par Cook sur les indications du pilote tahitien, mais elle en compare aussi les

données avec ce que retirèrent des connaissances des insulaires les deux vaisseaux de

guerre espagnols de passage en 1774, pour dresser en conclusion une liste d’îles

remarquable de précision. Spécialiste chevronné de l’auteur de l’Essai sur la construction

navale des peuples extra-européens… (1843), Eric Rieth (« Traditional Oceanic Canoes as

seen by Admiral Paris », pp. 47-68) montre sur quel travail d’observation directe, mais

aussi de documentation historique repose cette œuvre classique. Par contraste avec les

représentations européennes, Richard Feinberg poursuit son analyse des conceptions

traditionnelles des insulaires d’Anuta, et les examine ici dans leurs implications

maritimes (« Polynesian Representations of Geographical and Cosmological Space:

Anuta, Solomon Islands », pp. 69-84).

3 Due à Carlos Mondragón et Miquel Luque Talaván, la contribution ouvrant cette

première partie (« Early European Descriptions of Oceanic Watercraft. Iberian Sources

and Contexts », pp. 9-22) est peut-être la plus ambitieuse et la plus sujette à discussion.

Elle revient sur deux escales des navigateurs espagnols commandés successivement par

Mendaña et Quirós, la première au sud-ouest de Santa Isabel en février 1568, la

deuxième à Taumako en avril 1606. Dans le premier cas, les insulaires de Furona étant

venus proposer un porc aux Espagnols en échange d’un canot que ces derniers leur

avaient pris, les auteurs de l’article n’ont pas de mal à en inférer que les insulaires ne

prenaient pas les Blancs pour des fantômes ou des esprits. Dans le deuxième cas que les

auteurs examinent plus longuement (pp. 13-20), les Espagnols restèrent à terre une

dizaine de jours et rapportèrent des descriptions admiratives des embarcations des

insulaires. Or ces témoignages ne correspondraient pas au célèbre te puke propre à

Taumako, où cherche à le remettre en usage l’association « Vaka Taumako Project »

initiée en 1993 par David Lewis et Marianne George, mais plutôt à des kalia ou à des

tongiaki venus de Tonga, et semblables à ceux que dépeignirent peu après Schouten et

Le Maire en 1616, puis Gilsemans et Tasman en 1643.

4 La thèse semble à première vue séduisante et de nature à corroborer tout ce qu’on a pu

écrire sur « l’empire maritime tongien » de la première moitié du deuxième millénaire

de notre ère. On pourrait ajouter qu’il y eut certainement jadis des relations maritimes

réciproques entre Tonga et Taumako puisque Gerd Koch, enquêtant en 1966 sur place,

s’y était fait montrer « la direction de Tonga » par son grand ami Basil Tevake de

Nifiloli, qu’il présentait comme « le dernier ‘capitaine’ » traditionnel de haute mer en

Polynésie (Koch, 1971 : 153-154). Tevake fut deux ans plus tard l’informateur privilégié

de David Lewis (1994, p. 87 et passim) et après sa mort, la référence principale du « Vaka

Taumako Project » dont C. Mondragón et M. L. Talaván ont repris une large part de la

bibliographie (note 17 p. 14), incomplète notamment des travaux de G. Koch.

5 On doit pourtant à ce savant une description très détaillée (ibid. : 144-153) du petit te

puke (7,07 mètres) qu’il a rapporté au musée de Berlin, et il n’aurait pas été inutile de la

mettre en regard des indications plus vagues des journaux de navigation de Quirós et

de ses compagnons. Les plus précises concernent les dimensions de ces embarcations

qui auraient été longues de 16,70 mètres environ, « quite different from those of a

Taumako te puke », concluent les deux auteurs (p. 19). Mais à propos des te puke, J.

Neyret (1976a : 82-83) était fondé à avancer (d’après Hornell) que « ces pirogues étaient

beaucoup plus grandes autrefois ». Walter Coote (1886 : 107, texte ici conforme à

l’édition anglaise de 1883) a vu à Nufili des te puke qui « avaient environ 40 pieds de

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410

long ». Selon Koch (1971 : 149), leur longueur traditionnelle était de « 14 mètres en

moyenne » et Marianne George elle-même, dans une adresse aux « supporteurs du

‘Vaka Taumako Project’ » datée du 6 juillet 1997, écrivait que « la longueur minimale

d’un vrai tepuke est de 12 mètres, même si certains anciens se souviennent de tepuke

pouvant atteindre 20 mètres ». Quant aux tongiaki, ce type d’embarcation tongienne

pouvait dépasser 30 mètres (Koch, 1985 : 19) et devait « atteindre couramment de 20 à

25 m de long » (Neyret, 1976b : p. 115). C’était aussi la dimension moyenne des lakatoi

des Mailu parcourant les côtes sud-est de la Nouvelle-Guinée (voir par exemple

Helfrich, 2005 : 41).

6 Même savamment vérifiée par les auteurs d’après les étalons en usage dans l’Espagne

de l’époque (pp. 17-19), la longueur prêtée à l’embarcation ne saurait permettre à elle

seule de distinguer entre voiliers hauturiers de Tonga et de Taumako. Il aurait

certainement fallu scruter certains autres détails d’architecture navale relevés par les

Espagnols à Taumako, notamment le recours au bambou (caña) pour les lisses et le

« mât » (mast, mastil, selon le texte en version anglaise et espagnole reproduit p. 17). Or,

rappelait G. Koch (1985 : 25), si les éléments de « mâture » sont généralement en bois de

fer (Casuarina) en Polynésie, le recours au bambou est typique de la Micronésie (et

certainement aussi des écarts polynésiens à influences micronésiennes comme

Taumako). Du reste, le témoin cité par C. Mondragón et M. L. Talaván, Diego de Prado y

Tovar, qui suivrait quelques mois plus tard avec Luis Váez de Torres une route

différente de celle de Quirós, a-t-il eu réellement l’occasion d’examiner de près une de

ces embarcations gréées et en état de manœuvrer ?

7 Selon Quirós (ou son secrétaire Belmonte qu’il remanie), c’est dans les hangars à

bateaux de Taumako (« des maisons plus grandes, qui abritent des embarcations… »,

Quirós, 2001 : 242, voir aussi Baert, 1999 : 305) que les Espagnols purent observer en

détail ces voiliers, probablement « désarmés » comme il était habituel en ces lieux.

Rejeter l’idée qu’il s’agissait là d’un type ancien du te puke local (pour autant que les

descriptions espagnoles soient exactes), hypothèse la plus vraisemblable, reviendrait à

admettre que les Tongiens ou d’autres avaient installé à Taumako une base navale

complète de son arsenal édifié à terre, un Diego Suarez ou un Okinawa avant la lettre,

ce dont les visiteurs espagnols ne se seraient pas aperçus durant les dix jours qu’ils y

passèrent en avril 1606. Telles sont pourtant, explicites ou non, les suppositions

conduisant les auteurs à « l’importante conclusion » que Taumako aurait été l’un des

carrefours historiques (« crossroads », p. 13) des navigateurs du sud-ouest du « Grand

Océan », nouvelle conjecture qu’ils n’étayent d’aucune prise en compte des intérêts

respectifs qui auraient fait éventuellement des uns, à Taumako, les hôtes plus ou moins

complaisants des autres, venus d’ailleurs.

8 Les quatre articles formant les deux dernières « sessions » du volume sont largement

plus techniques et s’adressent avant tout aux spécialistes de la construction navale (A.

Horridge, « Origins and relationships of Pacific canoes and rigs », pp. 85-105 ; R.

Veccella, « Dugout and sewn plank canoe construction on Raivavae, Austral Islands »,

pp. 107-120) et à ceux de la navigation, de la météorologie marine et de leur

modélisation informatique (C. Avis, A. Montenegro, A. Weaver, « Simulating island

discovery during the Lapita expansion », pp. 121-142 ; B. M. Evans, « Simulating

Polynesian double-hulled canoe voyaging, combining digital and experimental data to

prepare for a voyage to Rapa Nui [Easter Island] », pp. 143-154). Puisque les

embarcations de Raivavae furent longtemps « très semblables à celles de Rurutu », on

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complétera les descriptions de R. Veccella par les témoignages anciens soigneusement

rassemblés par P. Vérin (1969 : 206-211) sur les pirogues « cousues » de Rurutu. A.

Horrige s’excuse (p. 85 n. 1) de ne pouvoir livrer qu’un exposé « bref et touffu » de

l’évolution des embarcations océaniennes, et de ce qu’elle doit aux apports techniques

extérieurs, indonésiens d’abord puis européens à partir du XVIe siècle (p. 98), mais son

article est déjà de grand intérêt, notamment du fait de son ancienne et profonde

connaissance des marines du Sud-Est asiatique. Illustrant les progrès accomplis

récemment à la fois dans la modélisation informatique et dans la compréhension de la

navigation traditionnelle dans le Pacifique, avec l’introduction de paramètres

aujourd’hui mieux pris en compte et étudiés, les variations climatiques en premier lieu,

les deux dernières contributions viennent aussi rappeler que le « Grand Océan » fait

appel à presque toutes les ressources du savoir humain, autre élément qui le rend

fascinant, aujourd’hui comme jadis.

BIBLIOGRAPHIE

BAERT Annie, 1999. Le Paradis Terrestre, un mythe espagnol en Océanie. Les voyages de Mendaña

et de Quirós, 1567-1606, Paris, L’Harmattan.

COOTE Walter, 1886. L’océan Pacifique occidental, description des groupes d’îles au nord et à l’est

du continent australien, Paris, Librairie Charles Delagrave.

HELFRICH Klaus, 1985. Boote aus Melanesien und Australien, in Gerd Koch (herausg.), Boote aus

aller Welt, Berlin, Museum für Völkerkunde, pp. 33-54.

KOCH Gerd, 1971. Materielle Kultur der Santa Cruz-Inseln, unter besonderer Berücksichtigung der

Riff-Inseln, Berlin, Museum für Völkerkunde.

—, 1985. Boote aus Polynesien und Mikronesien, in Gerd Koch (herausg.), Boote aus aller Welt,

Berlin, Museum für Völkerkunde, pp. 11-32.

LEWIS David, 1994. We, the navigators, The Ancient Art of Landfinding in the Pacific, 2d edition,

Honolulu, University of Hawai’i Press.

NEYRET Jean, 1976a et b. Pirogues océaniennes, tome I et tome II, deuxième édition, Paris,

Association des Amis des musées de la Marine.

QUIRÓS Pedro Fernández (de), 2001. Histoire de la découverte des régions australes, traduction et

notes d’Annie Baert, Paris, L’Harmattan.

VÉRIN Pierre, 1969. L’ancienne civilisation de Rurutu (îles Australes, Polynésie française). La

période classique, Paris, ORSTOM.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

412

Actes de la Société et Actualités

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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In memoriam Roger Curtis Green1

(1932-2009)Christophe Sand

Le professeur émérite Roger Curtis Green est décédé dans sa maison de Titirangi, dans

la banlieue d’Auckland en Nouvelle-Zélande, le samedi 4 octobre 2009, soutenu jusqu’à

la fin par l’amour de sa femme Valérie. Avec son départ, c’est un pan entier de la

mémoire de l’histoire archéologique océanienne qui disparaît, celle qui a vu passer

l’archéologie du Pacifique d’une science pionnière à une recherche de pointe. Une part

non négligeable de cette avancée est sans nul doute due à Roger C. Green, qui fut

durant trente ans le grand Matua de l’archéologie de notre région.

Issu d’une famille du New Jersey aux États-Unis, un pays dont il ne perdra jamais

l’accent malgré cinquante ans de vie dans le Pacifique, sa carrière aurait dû se

concentrer uniquement sur le passé indien du sud-ouest américain, pour lequel il

s’était passionné dès l’âge de 9 ans. Mais lors d’une rencontre en 1956-1957 avec le

professeur Douglas Oliver de Harvard, celui-ci l’incita à aller explorer les origines des

peuples du grand Océan. En lui déclarant que « tout jeune homme devrait aller à

Tahiti », D. Oliver dévia le cours de son destin. R. Green partit en 1958 pour la première

fois dans le Pacifique et réalisa ses premiers terrains en Nouvelle-Zélande ainsi qu’à

Mangaréva en 1959-1960, en s’inspirant de l’approche globalisante proposée par Jack

Golson sur l’archéologie polynésienne. Green ne savait probablement pas que les

techniques qu’il introduisait en Océanie, en particulier la démarche de « l’archéologie

spatiale » (settlement pattern approach), allaient avoir une influence immense sur la

recherche archéologique dans l’ensemble de la région. Ayant fait ses premières armes

et identifié les grands questionnements qu’il souhaitait explorer en matière

d’archéologie polynésienne, il se lança dans les années 1960 dans deux énormes projets

d’équipe. Épaulé par son étudiante Janet Davidson, il réalisa la première étude de la

vallée d’Opunohu, à Mooréa aux îles de la Société, où il put expérimenter tout le

potentiel de l’archéologie spatiale dans l’espace polynésien, en cartographiant en

particulier plus de trois cents structures archéologiques (Green et al.,1967). Ce potentiel

fut démultiplié lors du programme mené entre 1963 et 1965 avec une grosse équipe sur

les îles de Savaii et de Upolu aux Samoa occidentales. Ces travaux donnèrent lieu à la

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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publication de deux volumes restés jusqu’à aujourd’hui sans parallèle pour

l’archéologie de la Polynésie occidentale (Green and Davidson, 1969, 1974).

C’est au moment où son intérêt se déplaçait vers l’ouest du Pacifique que Roger Green

accepta en 1967 un poste au Bishop Museum de Hawaii, au sommet du triangle

polynésien. Arrivé dans un archipel sous administration américaine au moment où se

mettaient en place les lois sur l’archéologie préventive, qui allaient aboutir à

l’émergence de l’archéologie privée, il perçut immédiatement tout l’intérêt que la

recherche archéologique pouvait tirer d’une législation permettant d’obtenir des

financements privés pour réaliser des fouilles. Il dirigea les premiers programmes de

grande envergure sur la vallée de Makaha sur l’île de O’ahu, en combinant son

approche spatiale avec l’utilisation d’autres sciences, en particulier l’ethnobotanique,

sous l’impulsion de Douglas Yen. Les différents ouvrages publiés à l’issue des

programmes lancés par R. Green dans différentes vallées de O’ahu ont défini un

nouveau standard de rendu pour l’archéologie hawaiienne (voir par exemple Green,

1980).

Bien que s’étant déjà frotté à la question de la céramique dans la zone Fidji-Polynésie

occidentale ainsi qu’aux données de la linguistique historique au début des années

1960, c’est réellement avec le terrain de Samoa que Roger Green commença à

s’intéresser à ce qui allait être le sujet dont il resta durant le reste de sa vie le « Pape » :

le Lapita. De par sa formation en anthropologie polynésienne, cet intérêt se manifesta

dans un premier temps dans le cadre de la question de « l’origine des Polynésiens ».

Mais c’est en Mélanésie qu’il alla chercher des réponses au « mystère Lapita », lors d’un

autre gros programme de terrain, centré sur les îles Reef/Santa Cruz, au sud-est des

Salomon. Ayant obtenu en 1970 un fellowship de la Société royale de Nouvelle-Zélande,

qui lui permit durant trois ans d’être dégagé de ses obligations d’enseignement, R.

Green monta, en collaboration avec Doug Yen, un gros projet sur les îles Reef/Santa-

Cruz, combinant une approche archéologique, linguistique et ethnobotanique. Parmi de

nombreux autres travaux, R. Green réalisa, sur différents sites-clés Lapita qu’il

découvrit lors de prospections, les fouilles spatiales extensives qui manquaient si

cruellement jusque-là aux sites de premier peuplement austronésien. La découverte

d’un matériel archéologique riche et divers lui permit de définir enfin les contours d’un

« ensemble culturel Lapita » pour le Pacifique Sud-Ouest, en identifiant des

changements chronologiques et géographiques dans les motifs pointillés, l’existence

d’échanges à longue distance, ainsi que le lien entre certains graphismes Lapita

produits il y trois mille ans et des motifs décoratifs océaniens traditionnels. Convaincu

depuis les années 1960 de l’intérêt des reconstitutions linguistiques, ce qui avait incité

le linguiste d’Auckland Bruce Biggs à lancer le projet POLLEX sur le lexique proto-

polynésien, il put tester, en s’appuyant sur la complexité de la situation linguistique des

Reef/Santa Cruz, les passerelles possibles entre langues et histoire. Sa tentative de

synthèse sur cette période Lapita, publiée en 1979, s’appuyant sur une approche

multiple des champs de recherche (archéologie, linguistique, ethnobotanique,

anthropologie), reste encore aujourd’hui l’un des articles les plus cités dans la

littérature archéologique du Pacifique, plus de trente ans après sa rédaction (Green,

1979).

Alors que tout destinait Roger Green à terminer sa carrière à Hawaii, il choisit au

contraire, au milieu des années 1970 de revenir en Nouvelle-Zélande, pour prendre le

poste de professeur de préhistoire spécialement créé pour lui par l’Université

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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d’Auckland. Cette étape de sa vie fut marquée au début des années 1980 par sa

rencontre avec sa seconde épouse, Valérie, anthropologue spécialisée de Tokelau, mais

aussi ses premiers soucis de santé. En dehors de terrains autour d’Auckland, sa dernière

implication directe dans un programme de fouilles eut lieu en 1984 lors du Lapita

Homeland Project dans l’archipel Bismarck où il réalisa avec Dimitri Anson une nouvelle

série de fouilles sur un site Lapita célèbre, celui de Watom décrit au début du XXe siècle

par le père Otto Meyer. Cette décennie aura été marquée dans la bibliographie de Green

par la publication d’un certain nombre d’articles de synthèse majeurs, aussi bien sur le

Lapita que sur la Polynésie (voir par exemple, Green, 1991, 1996, 2003), avec en

particulier l’utilisation d’un modèle phylogénique de diversification culturelle

développé avec Patrick Kirch (Kirch and Green, 2001).

À ce jour, Watom est la seule fouille de toute l’épopée du Lapita Homeland Project à avoir

été publiée de façon complète (Green and Anson, 2000), dans le cadre d’un plan de

rendu de ses données de terrain et de diffusion de ses idées qui fut consciemment défini

par Roger Green à partir des années 1980. Un plan qu’il a poursuivi jusqu’à la veille de

sa mort, de façon systématique, conscient qu’il était que l’archéologie océanienne avait

besoin d’un certain nombre de grands axes d’analyse pour pouvoir progresser et

certain qu’il était l’un des mieux placés pour proposer certains de ces axes. C’est avec

cette idée en tête qu’il décida dès que l’occasion lui en fut présentée, de partir en

retraite au début des années 1990. Une retraite qui n’en fut jamais vraiment une, car

Roger Green passa chaque jour à son bureau à écrire, lire, passer des coups de

téléphone de parfois plusieurs heures aux quatre coins de la terre.

Un des aspects les plus attachants du personnage fut certainement son attention

sincère aux autres. Avec une foi profonde dans la nécessité de donner leur chance aux

jeunes et sa connaissance de l’ensemble du Pacifique, il aura soutenu, aidé, porté,

dirigé, repêché une bonne partie des quinquagénaires et des quadragénaires qui sont

aujourd’hui dans les positions de responsabilité de l’archéologie océanienne, qu’ils

soient pakeha ou océaniens. Au cours des dernières années, marquées en particulier en

2006 par une grave alerte médicale, il a ainsi organisé la dispersion d’une partie de ses

données scientifiques et de ses archives, les remettant à des collègues plus jeunes, avec

mission explicite d’achever ce qu’il avait commencé.

Mon premier contact avec Roger Green eut lieu un jour de 1986 où il m’avait dit de

venir le voir à l’Université d’Auckland en apprenant que j’étais en ville. Je me souviens

de ce monsieur à la grosse voix et une longue barbe, très impressionnant, qui avait

accueilli ce tout jeune étudiant calédonien sans autre forme de protocole, curieux

simplement de ce que j’avais à lui raconter sur mes premières expériences en

archéologie polynésienne à Wallis-et-Futuna avec Daniel Frimigacci. Durant tout mon

cursus universitaire, il m’encouragea comme il le fit pour bien d’autres étudiants, à une

époque où les essais nucléaires français et l’affaire du Rainbow Warrior, doublés de la

crise politique calédonienne, avaient jeté l’ostracisme sur les francophones du

Pacifique. Étant un des seuls archéologues anglophones de la région à faire l’effort de

lire toutes les publications de la discipline en français, il était convaincu, avec José

Garanger et contre l’avis de beaucoup d’autres, qu’il fallait maintenir un lien entre les

chercheurs des deux langues. Il accepta de lire ma grosse thèse de doctorat rédigée en

français, afin en particulier de pouvoir contribuer, m’avoua-t-il plus tard, à la décision

finale du jury. Ses multiples marques d’amitié envers ma famille et mes collègues

calédoniens au cours de la décennie suivante, son accueil toujours chaleureux à

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Auckland, ses attentions aux archéologues kanak lors des congrès internationaux, ses

déplacements en Nouvelle-Calédonie simplement pour venir visiter les sites et discuter

avec l’équipe du département Archéologie, ses coups de téléphone interminables au

bureau, qui imposaient de laisser tout en plan pour s’engager dans des discussions de

fond qu’il dirigeait sous forme professorale, ont ponctué ces années. Elles m’ont permis

de pouvoir un jour fièrement l’amener sur le site éponyme de Lapita à Koné, pour

participer à une coutume souhaitant légitimer le lien historique entre cette tradition

vieille de trois mille ans et le peuple autochtone kanak.

Son dernier coup de téléphone au bureau quelques semaines avant de nous quitter était

un au-revoir d’une simplicité déchirante, un dernier geste d’un vieux maître digne dans

la maladie, donnant ses dernières instructions à l’un de ses disciples avant de se retirer.

Mais ces quelques courtes lignes de souvenirs personnels ne doivent pas faire oublier

l’extraordinaire héritage scientifique laissé par Roger Green : une dizaine de livres, près

d’une centaine d’articles scientifiques, dont un grand nombre sont devenus

immédiatement des classiques. Dans la dernière partie de sa vie, il a co-signé une bonne

part de ses publications avec des chercheurs plus jeunes, voulant être avant tout un

passeur de flambeau. S’il a eu, comme tout universitaire, des inimitiés profondes avec

certains de ses collègues, si certaines de ses conclusions sont aujourd’hui remises en

question par l’avancée des recherches, s’il est parti sans avoir réussi à conclure tous les

dossiers scientifiques sur lesquels il travaillait, il ne fait néanmoins aucun doute qu’il a

rejoint le panthéon très fermé des quelques grands du Pacifique, avec Peter Buck,

Kenneth Emory, José Garanger et une poignée d’autres.

Oleti Roger pour la flamme transmise aux plus jeunes.

BIBLIOGRAPHIE

GREEN Roger C., 1979. Lapita, in J. D. Jennings (ed.), The Prehistory of Polynesia, Cambridge, Harvard

University Press, pp. 27-60.

—, 1980. Makaha before 1880 A.D, Makaha Valley Historical Project Summary Report No. 5,Honolulu,

Bishop Museum Press, Pacific Anthropological Records 31.

—, 1991. Near and Remote Oceania: Disestablishing “Melanesia” in culture history, in A. Pawley

(ed.), Man and a Half: Essays in Pacific Anthropology and Ethnobiology in Honour of Ralph Bulmer,

Auckland, Polynesian Society, pp. 491-502.

—, 1996. Settlement patterns and complex society in the Windward Society Islands: Retrospective

commentary on the research in ’Opunohu Valley, Mo’orea, in M. Julien, M. Orliac et C. Orliac

(éds), Mémoire de pierre, mémoire d'homme, tradition et archéologie en Océanie, ouvrage collectif en

hommage à J. Garanger, Paris, Publications de la Sorbonne, pp. 209-227.

—, 2003. The Lapita horizon and traditions – Signature for one set of oceanic migrations, in C.

Sand (ed.), Pacific Archaeology assessments and prospects. Proceedings of the International Conference for

the 50th anniversary of the first Lapita excavation. Koné-Nouméa 2002, Nouméa, Les Cahiers de

l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 15, pp. 95-120.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

417

GREEN Roger C. et D. ANSON, 2000. Excavations at Kainapirina (SAC), Watom Island, Papua New

Guinea, New Zealand Journal of Archaeology 20 (1998), pp. 29-94.

GREEN Roger C., K. GREEN, R. A. RAPPAPORT and J. M. DAVIDSON, 1967. Archaeology on the island of

Mo'orea, French Polynesia, Anthropological Papers of the American Museum of Natural History 51, 2,

pp. 111-230.

GREEN Roger C. and J.M. DAVIDSON, 1969. Archaeology in Western Samoa,vol. I, Aukland, Aukland

University, Bulletin of the Auckland Institute and Museum 6.

—, 1974. Archaeology in Western Samoa, vol. II, Aukland, Aukland University, Bulletin of the

Auckland Institute and Museum 7.

KIRCH Patrick V. and Roger C. GREEN, 2001. Hawaiiki, Ancestral Polynesia: An Essay in Historical

Anthropology,Cambridge, Cambridge University Press.

NOTES

1. NDLR. – Roger C. Green était membre de la Société des Océanistes.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

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Assemblée générale (exercice 2009)

Rapport moral de l'exercice 2009 par Christian Coiffier,secrétaire général

Bureau et vie de la société

L'année passée a vu disparaître trois membres de notre société : le professeur Ron

Crocombe, le professeur Roger C. Green et Monsieur Giovanni Podda. Depuis la dernière

assemblée générale du 2 avril 2009 jusqu'à la fin de la même année, il n'y a pas eu de

séance du CA. Une réunion a cependant eu lieu le mardi 16 février 2010 pour fixer les

modalités de l'organisation des élections du nouveau CA et de la prochaine assemblée

générale. Devant la désaffection des membres du CA aux diverses réunions proposées

ces deux dernières années, un certain nombre d'entre eux ont proposé de régler les

problèmes courants de la Société par courriels. Cette formule ne semble pas avoir posé

de problèmes particuliers, cependant il semblerait préférable qu'au moins deux

réunions du CA soient organisées chaque année.

Le nombre des cotisations individuelles de l’année 2009 est de 116.

L'année a été marquée par la démission, au sein du bureau, de notre trésorier Gilles

Bounoure qui a été remplacé par Sarah Mohamed-Gaillard, et par celle de Lorenzo

Brutti. Celui-ci a souhaité démissionner du CA pour des raisons personnelles. La

validation des signatures à la Poste s’est révélée laborieuse, mais finalement trois

membres du bureau (le président, le trésorier et le secrétaire général) peuvent chacun

signer pour le compte de la Société, ce qui facilite les opérations bancaires. Le bilan des

comptes (voir ci-dessous) fait apparaître une nette augmentation des ventes de nos

publications en général. La librairie du musée du quai Branly continue de nous passer

des commandes régulières, ce qui nous permet d’écouler petit à petit certains ouvrages

anciens comme celui sur les peintures aborigènes d’Australie de Karel Kupka.

Les ouvrages et les JSO en stocks, ainsi que les archives de la Société ont été emballés

dans 180 cartons par le secrétaire général, aidé de Lorenzo Brutti et de Jean-Michel

Chazine. Ils ont été finalement déménagés des réserves du musée de l'Homme vers les

sous-sols de la BNF. C'est la société Biguet, sélectionnée par le CA, qui a réalisé le mardi 3

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

419

février ce déménagement (soit 30m3 de cartons et huit armoires métalliques) de façon

très professionnelle et pour un devis de 740 €. Nous tenons à remercier tout

particulièrement monsieur Denis Bruckmann, directeur des collections à la

Bibliothèque nationale de France, pour avoir autorisé cet hébergement provisoire de

nos stocks. Un inventaire de toutes nos publications et numéros du JSO a été dressé par

Christian Coiffier ; ce qui facilitera la gestion de nos stocks pour notre secrétaire Hélène

Guiot.

Communication

Nous avions espéré que le salon du livre d'outre-mer, qui avait été annulé en 2008,

puisse se tenir dans le cadre du salon du livre de Paris, mais finalement l'espace dévolu

à l'Outremer fut réservé exclusivement aux éditeurs d'outre-mer. La Société des

Océanistes a pu cependant, comme l'année passée, être représentée par la Société

Bookin, diffuseur de livres de Nouvelle-Calédonie. Cette société accepte, en effet, de

vendre nos ouvrages sur son stand et nous la remercions grandement.

Jérôme Louvet a poursuivi son travail de webmaster pour la mise au point de notre site.

Comptes 2009 et budget prévisionnel 2010 par SarahMohammed-Gaillard, trésorière

Suite à la démission de Gilles Bounoure, peu avant l’assemblée générale de l’exercice

2008, Sarah Mohamed-Gaillard s’est proposée pour reprendre le poste de trésorier lors

de cette AG. Le CA l’a donc nommée comme membre afin de pouvoir prendre cette

fonction. Elle a alors récupéré les éléments comptables auprès de Gilles Bounoure que

nous remercions pour le travail effectué, et s’est familiarisée avec la fonction, durant

les premiers mois d’exercice, grâce à l’aide de Gilles Bounoure, d’Hélène Guiot et

d’Isabelle Leblic. Nous devons remercier ici le travail incessant et essentiel, d’Hélène

Guiot et d’Isabelle Leblic, sur lesquelles repose principalement le fonctionnement

financier de la société. Grâce à leur soutien le nouvelle trésorière a pu réalisé, compte

par compte, une re-évaluation de nos positions. L'exercice 2009 porte donc les traces

d'un nombre de rectifications dans l'attribution de biens et dettes à des positions

appropriées. Au moment de la clôture des comptes de l'exercice 2008 il s'est avéré

nécessaire tout au début de l'an 2009 d'échanger en liquide 15 000 € de nos réserves

dans le portefeuille de la Banque postale. Cette vente a permis d’assurer la soudure des

deux exercices (2008 et 2009) en raison du retard pris dans la rentrée des cotisations et

de la subvention Persée.

Il a semblé utile de rapporter les chiffres de 2009 à ceux de 2008, avant de proposer les

orientations financières pour 2010.

Tableau 1. – Exercice 2008, pour mémoire

Recettes Dépenses

Cotisations membres 4 905,00 JSO 126-127 (n° double) 13 588,83

Abonnements JSO 10 159,00 Publications 29 642,94

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

420

Ventes JSOau numéro 2 712,40 Frais de bureau 20,64

Ventes publications 15 077,16 Frais d'expédition 2 833,34

Remb. frais d'expéd. 552,30 Frais financiers 134,51

Subventions aux publications 17 011,00 Salaire secrétaire 9 760,62

Subventions CNL JSO 4 000,00 Charges 6 930,52

Subventions CNRS JSO 3 063,00 Divers 801,43 €

Subvention Coll ICAL 1 000,00

Subvention Persée 3 000,00

Total 61 479,86 Total 63 712,83

Exercice 2009, approuvé par l’AG du 3 juin 2010

Recettes Dépenses

Cotisations membres 7 288,00 JSO 128+129 (2 n°) 13 964,59

Abonnements JSO 9 490,00 Publications (rééd. Henry) 13 256,72

Ventes JSOau numéro 1 337,00 Frais de bureau 403,06

Ventes publications* 28 767,58 Frais d'expédition 3 871,26

Remb. frais d'expéd. 850,12 Frais financiers 74,50

Subventions CNL JSO 4 000,00 Salaire secrétaire 11 606,82

Subventions CNRS JSO 3 063,00 Charges 7 744,26

Pré-achat Pub. Sand 8 000,00

Dons 86,28

Divers 17,42

Divers (dont droits d’auteurs et

reversement subv. Coll. ICAL)

3 648,07

Total 1 62 945,47 Total 54 569,28

Pré-achat Musée NC compté an passé

et ici dans ventes publi.

-17 011,00

Total 2 45 934,47 Total 54 569,28

Position du compte courant au 31 décembre 2009 : 7 171,16 €

Position du compte « livret A » au 31 décembre 2009 : 10 133,50 €

Relevé de portefeuille au 31 décembre 2009 : 38 562,15 € (52 276,11 € fin 2008 car vente

de 15 000 €)

Les chiffres de 2009 appellent quelques remarques :

Le bénéfice qui apparaît dans le Total 1 se doit au fait, que la somme de17 011,00 €, versée par Musée de Nouvelle-Calédonie pour le pré-achatdu livre d’I. Leblic n'est arrivée qu'en juin 2009, mais a été à tort pré-

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

421

escomptée dans l'exercice 2008. Nous ne pouvons pas reprendre lescomptes validés l’an passé, nous déduisons donc ici pour le Total 2 cettesomme du montant des ventes faites pour ne pas les compter deux fois.

En raison de plusieurs ajustements transitoires des côtés dessubventions et des dépenses le déficit réel de l'exercice 2009 se réduitcomme suit à 2 800,58 € :

ICAL et Persée +4 000,00 CNASEA et prime 2008 -1 834,23

Total 2 49 934,47 Total 2 52 735,05

En somme, nous avons avant tout pu rattraper la baisse observée l’an passé de près de

29 % des cotisations versées : nous sommes revenu à un niveau supérieur à 2007

(6 905 €) Cette tendance à la baisse a été enrayée surtout grâce à une campagne de

relance et de nouvelles adhésions par mail, très efficacement soutenue par notre

rédactrice Isabelle Leblic, ce qui a permis de voir revenir d’anciens membres et d’en

connaître de nouveaux. Nous ne pouvons qu’engager les autres membres de la société à

en faire de même pour contribuer activement à son rayonnement comme à son bon

fonctionnement.

Grâce aux préachats déjà effectués pour des impressions en cours la production de nos

publications s'est stabilisée. Nous remercions M. Paillart de sa patience dans les années

préalables.

(Le rapport financier détaillé est consultable au Secrétariat général de Société des

Océanistes.)

Sur cette base consolidée la trésorière a établi pour l’exercice 2010 un budget

prévisionnel, globalement équilibré, qui fût approuvé lors de l’Assemblée générale du 3

juin 2010.

Tableau 3. – Budget prévisionnel 2010

Recettes Dépenses

Cotisations membres 7 500,00€ JSO 130-131 13 000,00€

Abonnements JSO 10 000,00€ Publications**** 17 000 00€

Ventes JSOau numéro* 2 500,00€ Frais d'expédition 2 900,00€

Ventes Publications** 15 000,00€ Frais financiers 150,00€

Remboursement frais d'expédition 950,00€ Salaire secrétaire 9 200,00€

Pré-achat ***

- Pub. Dousset (3 000 €)

- Petites hist. 1 (4 500 €)

7 500,00 € Charges sociales 7 000,00€

Subventions CNL JSO 4 500,00€ Frais de bureau 700,00€

Subventions CNRS JSO 3 000,00€

Subvention cahier photos JSO Juillerat 1 000,00€ Divers, dont droits d’auteur 2 000,00€

Total 51 950,00€ Total 51 900,00€

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Rapport d’activités 2009 présenté par Isabelle Leblic,secrétaire générale adjointe chargée du JSO et despublications

Depuis le renouvellement du conseil d’administration en 2007, I. Leblic est chargée au

sein de la Société des Océanistes des diverses publications et du Journal de la Société des

Océanistes.

Publications de la SDO

En tant que responsable scientifique des diverses collections de publications de la Sdo,

un peu comme une directrice de collection dans d'autres éditions, I. Leblic reçoit les

propositions de manuscrits et les met en lecture pour avis scientifique, sur le fond et

sur la forme. Les lecteurs ont deux mois pour donner leur avis. Elle fait alors état des

rapports en conseil d’administration, comme le faisaient avant elle ceux qui se sont

succédé à cette fonction. Parallèlement, elle fait établir un devis de réalisation de

l'ouvrage qui est présenté en CA pour prise de décision.

En 2009, la SDO a reçu deux propositions de manuscrit, dont un a été retenu pour

publication :

Mythes, missiles et cannibales. Le récit d’un premier contact en Australie de Laurent Dousset

mis en lecture auprès de Sylvie Poirier et de Barbara Barbara Glowczewski qui toutes

deux ont rendu un avis très positif. Le devis provisoire établi par Paillart s’élève à

3 610 € TTC pour un tirage à 500 exemplaires. Le dernier CA de la SDO de février 2010 a

validé la publication par la société de cet ouvrage dans la collection Publications de la

SDO dont ce sera le volume 50. L’auteur préférant un tirage à 1000 exemplaires, la

question sera soumise à un prochain CA.

Par ailleurs, courant 2009, I. Leblic a procédé à la relecture complète pour corrections

de l’ouvrage de Christophe Sand Lapita calédonien. Archéologie d’un premier peuplement

insulaire océanien à paraître courant 2010 dans la collection Travaux et documents sous

le numéro 2. Elle signale que la dernière version vient de lui être remise (en mars 2010)

et après ultime relecture (par Gilles Bounoure et elle-même) et report des corrections

par elle-même, il sera mis sous presse dans les mois qui viennent.

En décembre 2009, un accord a été passé avec Jean-Marc Pambrun qui a repris les

éditions Le Motu à Papeete pour un pré-achat de 500 exemplaires des livres de la

collection Petites histoires d’Océanie que nous allons enfin pouvoir mettre sous presse.

Journal de la Société des Océanistes (JSO)

En tant que rédactrice en chef du JSO, elle reçoit les manuscrits et les met en lecture

pour avis. Elle gère les relations avec les auteurs depuis l'envoi de leur première

version de leur texte jusqu'à la mise sous presse finale.

I. Leblic transmet à Pascal Bonnemère et Gilles Bounoure (qui font partie du comité de

rédaction que nous avons institué en l’absence de secrétaire de rédaction), avant envoi

pour mise en page à l’imprimerie Paillart, tous les articles acceptés afin qu'ils fassent

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

423

avec elle la dernière lecture « correction » sur la forme et la typographie. Les

corrections proposées sont soumises aux auteurs. Une fois cette dernière phase de

corrections terminée, nous n’acceptons plus aucune correction de la part des auteurs.

Les épreuves sont donc envoyées pour relecture aux auteurs, épreuves qu’elle relit

également pour corrections finales typographiques, aidée dans cette tâche par le

comité de rédaction. Puis, elle transmet à Paillart les dernières corrections avant mise

sous presse.

Enfin, une fois la publication terminée, elle envoie aux auteurs leurs tirés à part en pdf

et prévient les éditeurs et/ou auteurs de la parution d’un compte rendu les concernant.

Depuis notre publication sur internet, I. Leblic gère également la mise en ligne sur

revues.org (mise en forme des textes pour lodel via le modèle qui leur est propre et

publication des textes ainsi préparés, ajout des tirés à part en pdf à chaque mise en

ligne ; enfin, basculement au bout des trois ans de tout nouveau numéro en texte

intégral).

I. Leblic propose, suscite, recherche ou demande à des collègues des thèmes pour les

dossiers des numéros qui sont désormais tous thématiques afin de les soumettre au CA

qui décide de ceux à retenir et elle prépare les calendriers nécessaires au suivi des

dossiers. Elle cherche au besoin des collègues pour coordonner les dossiers sur les

thèmes retenus pour travailler en étroite collaboration avec la rédaction du JSO ou elle

le fait en tant que rédactrice en l'absence de bonnes volontés pour s’en charger.

Chaque année, I. Leblic gère les demandes de subvention auprès du CNL ou du CNRS (tous

les deux ans), etc. en remplissant aux dates convenues les dossiers de demandes.

Par ailleurs, même si cela n'est pas dans ses tâches, elle fait mon maximum pour faire

de la publicité à notre journal. Récemment, une collection quasi complète a ainsi pu être

vendue à la Maison de Nouvelle-Calédonie ; nous leur avons proposé également la vente

nos ouvrages sur la Nouvelle-Calédonie.

Elle cherche à faire reconnaître la bonne qualité de notre revue auprès des instances

d'évaluation (CNRS, CNL ou ERIH). Suite à l'initiative de la mise en ligne, tant sur

revues.org que sur Persée, I. Leblic a sollicité des collègues pour la validation des mises

en ligne sur Persée et elle remercie ici Pascale Bonnemère et Sarah Mohammed-

Gaillard qui ont passé avec elle beaucoup de temps pour faire ces validations et

permettre que notre collection depuis 1945 jusqu’en 2000 soit désormais en ligne quasi

intégrale (2018 contributions pour 120 numéros sur les 111 parus – certains étant

totalement épuisés). Elle remercie également l’équipe de persée pour le travail fait et

leur disponibilité, notamment notre interlocuteur Thomas Mansier.

Avec cette mise en ligne, nous avons concrétisé deux dossiers de mise en ligne qu’elle

avait initiés pour une meilleure diffusion de notre Journal.

L’année 2009 a vu la mise en place concrète du comité scientifique international auquel

I. Leblic communique systématiquement par mail les dossiers JSO. Nombreux sont ceux

qui me répondent régulièrement, qu’ils en soient ici remerciés.

Tout ce travail a permis un nouvel essor au JSO (nombreux sont ceux qui le disent à

l’extérieur de la SDO).

Durant cette année 2009, deux numéros ont été publiés :

• JSO128 : Hommage à José Garanger (dossier coordonné par Éric Conte et Christophe Sand).

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

424

• JSO129 : numéro varia autour de cinq articles sur l’Australie (le JSOd’Hommage à Bernard

Juillerat, coordonné par Pierre Lemonnier et Denis Monnerie, qui devait être le 129 a été

décalé à 2010 pour en faire un numéro double 130-131).

Côté statistiques de consultation fournies par revues.org, nous pouvons établir que nos

pages sont régulièrement consultées. Ainsi, depuis l’ouverture courant septembre, nous

avons « reçus » 25 482 visiteurs (soit en moyenne plus de 2 000 visiteurs différents par

mois), soit vingt fois plus que nos membres actuels !

Mois Visiteurs différents Visites Pages Hits Bande passante

Jan. 2009 829 1 519 3 268 35 591 489.89 Mo

Fév. 2009 742 1 260 3 404 33 434 503.17 Mo

Mars 2009 746 1 295 4 474 17 016 699.17 Mo

Avril 2009 804 1 308 3 398 15 080 639.94 Mo

Mai 2009 852 1 459 4 301 15 794 546.96 Mo

Juin 2009 1 974 2 662 5 648 37 196 948.69 Mo

Juillet 2009 3 285 4 120 10 776 69 181 1.75 Go

Août 2009 2 721 3 519 7 466 52 261 1.25 Go

Sept. 2009 3 318 4 583 9 343 65 377 1.53 Go

Oct. 2009 3 503 5 093 10 298 68 549 1.90 Go

Nov. 2009 3 460 4 930 10 111 72 828 1.30 Go

Déc. 2009 3 248 4 613 10 513 76 571 1.13 Go

Total 2009 25 482 36 361 83 000 558 878 12.59 Go

Il nous faut rappeler la nécessité de donner l’autorisation de mise en ligne. Pour tous

les auteurs ou ayant droit d’auteurs décédés ayant publié un jour ou l’autre dans le JSO,

et qui ne l'ont pas encore fait, il vous est demandé de bien veiller à renvoyer à la SDO

l'autorisation de mise en ligne que vous pouvez trouver sur http://jso.revues.org/

index4162.html.

• Subventions CNRS et CNL et classement ERIH

Comme chaque année, j’ai déposé en janvier 2009 notre demande de subvention au CNL

qui nous a accordé pour 2009, soit pour la cinquième année, la somme de 4 000 € (elle

était les deux premières années de 3 500 €).

En 2009, comme l’année précédente, nous avons reçu 3 063 € du CNRS. Notre revue a été

classée par l’académie des sciences européenne (European Science Fondation) dans la liste

ERIH en SHS en B.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

425

Campagne d’email auprès d’anciens membres et recherche de

nouveaux membres

Début janvier 2009, I. Leblic a envoyé plusieurs dizaines de mails auprès d’anciens

membres ne cotisant plus depuis plusieurs années pour les inciter à revenir (plusieurs

ont répondu favorablement) et, dans le même ordre d’idée, elle a lancé des mails à tout

son carnet d’adresse sur le Pacifique (avec beaucoup d’adresses en Nouvelle-Calédonie),

ce qui a permis de récupérer d’anciens membres et d’en acquérir de nouveaux. Nous ne

pouvons qu’encourager tous nos membres à en faire de même auprès de leurs collègues

et connaissances intéressés par l’Océanie.

Ventes publications

Fin décembre 2009, 765 exemplaires de notre dernière publication (Leblic, octobre

2008) avaient été vendus, ce qui est encourageant. Le préachat du musée de Nouvelle-

Calédonie a été concrétisé et la somme allouée a été versée en juin 2009 (plus de 17 000

€). Au total, pour l’année 2009, nous avons vendu pour 28 767,58 € de publications, soit

plus d’un tiers de nos recettes annuelles.

Cinéma des Océanistes

Les séances tous les deux mois se déroulent avec à chaque fois un public diversifié et

intéressé par les débats qui suivent les projections. Cette activité suit désormais un

cours régulier et j’escompte bien trouver sous peu lors du renouvellement du CA de la

SDO quelqu’un qui voudra bien se charger de cette nouvelle activité. En 2009, nous

avons eu trois séances, Sevrapek city de Fabienne Tzerikiantz et Emmanuel Broto (2/04),

Reviens demain d’André Itéanu et d’Eytan Kapon (1/10) et Le salaire du poète d’Éric

Wittersheim (3/12).

Compte rendu de l’AG 2010 (par Christian Coiffier,secrétaire général sortant)

L’assemblée générale annuelle de la Société des Océanistes s’est déroulée le jeudi 3 juin

2010 de 15h à 17h30 dans la salle de cinéma du musée du quai Branly. Seize adhérents

dont huit membres du conseil d’administration sortant étaient présents à cette

assemblée générale : Gilles Bounoure, Benoît Carteron, Christian Coiffier, Françoise

Douaire-Marsaudon, Jessica De Largy Healy, Jean-François Faba, Maurice Godelier,

Barbara Glowczewski, Christian Kaufmann, Isabelle Leblic, Jack Maloigne, Magali

Mélandri, Sarah Mohamed-Gaillard, Philippe Peltier, Jean-Paul Raillat et Jean Trichet.

La séance fut ouverte à 15h30 et, en l’attente de notre président (arrivé à 16h), nous

avons procédé au pointage des votants sur la liste des adhérents.

L’ordre du jour arrêté en CA a été traité dans l’ordre suivant. Les rapports ont été

présentés ci-dessus.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

426

1. Présentation du rapport moral par Christian Coiffier

2. Présentation du rapport financier (comptes de l’exercice passé et

budget prévisionnel) par Sarah Mohamed-Gaillard

3. Présentation du rapport sur les publications, le JSO et le Cinéma

des Océanistes par Isabelle Leblic.

La rédactrice en chef annonce un prochain numéro spécial du JSO sur le thème « Lévi-

Strauss et l’Océanie » ; Maurice Godelier fait remarquer que Lévi-Strauss a fait très peu

de publications concernant l’Océanie. I. Leblic précise qu’il s’agit d’un dossier

coordonné par Pierre Maranda et Raymond Mayer qui donnera la parole à des

océanistes ayant travaillé dans la lignée de Claude Lévi-Strauss.

Trois votes de validation du rapport moral, du rapport financier et du rapport sur les

publications, le JSO et le Cinéma des Océanistes qui ont recueilli chacun 16 voix pour,

aucun vote contre, aucune abstention.

4. Élection du nouveau CA

À 16h45, Christian Coiffier, Isabelle Leblic et Sarah Mohamed-Gaillard ont commencé le

dépouillement des bulletins de vote. Le CA de la SDO avait validé22 candidatures pour 17

postes à pourvoir. Nous avons reçu 42 votes par correspondance. Cinq bulletins ont été

remis sur place, ce qui nous fait un total de 47 votants. Un vote par correspondance n’a

pas pu être identifié et n’a donc pas été pris en compte. Sur ces 46 suffrages exprimés,

trois bulletins ont été considérés nuls car non conformes. Ce sont donc 43 bulletins qui

ont été validés.

Après un recomptage sur place, les candidats élus sont annoncés (par ordre

alphabétique et sous réserve d’un nouveau décompte qui sera fait le lundi suivant dans

les bureaux de la SDO) : Pascale Bonnemère, Gilles Bounoure, Sophie Chave-Dartoen,

Christian Coiffier, Éric Conte, Barbara Glowczewski, Maurice Godelier, Christian

Kaufmann, Jessica De Largy Healy, Isabelle Leblic, Magali Mélandri, Sarah Mohamed-

Gaillard, Denis Monnerie, Philippe Peltier, Bernard Rigo, Christophe Sand et Jacques

Vernaudon.

Cinq candidats ne semblent donc pas élus : Jean-Michel Chazine, Jack Maloigne, Marie-

Françoise Peteuil, Marc Tabani, Jean Trichet. La liste des élus est validée par l’AG sous

réserve du recomptage ultérieur.

Il est rappelé que l’élection du bureau se fera lors du prochain CA qui se tiendra le

mercredi 16 juin 2010 à 17h à l’EHESS. Les nouveaux élus pourront présenter leur

candidature pour les différents postes du bureau dès que les résultats définitifs auront

été connus.

5. Questions diverses

Barbara Glowczewski demande quelle est la procédure pour proposer une exposition au

musée du quai Branly par l’intermédiaire de la Société des Océanistes. Il lui est répondu

que son projet devra être approuvé au préalable par le CA de la SDO.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

427

La séance est levée à 17h30 et est suivi de la projection du film Ouvéa : le développement

pour l’indépendance de Mathias Faurie.

Résultat final des élections du nouveau conseild’administration de la SDO du jeudi 3 juin 2010 aprèsvérification du lundi 7 juin 2010

Membres élus :

- Mélandri Magali 41

- Godelier Maurice 39

- Mohamed-Gaillard Sarah 39

- Bonnemère Pascale 38

- Sand Christophe 38

- Chave-Dartoen Sophie 37

- Peltier Philippe 37

- Vernaudon Jacques 37

- Leblic Isabelle 36

- Monnerie Denis 36

- Bounoure Gilles 35

- Coiffier Christian 33

- Conte Éric 33

- Kaufmann Christian 32

- Glowczewski Barbara 30

- De Largy Healy Jessica 30

Non élus :

- Chazine Jean-Michel 29

- Rigo Bernard 29

- Trichet Jean 24

- Tabani Marc 21

- Maloigne Jack 18

- Péteuil Marie-Françoise 15

Les candidats élus sont donc (par ordre alphabétique) : Bonnemère Pascale, Bounoure

Gilles, Chave-Dartoen Sophie, Coiffier Christian, Conte Éric, Glowczewski Barbara,

Godelier Maurice, Kaufmann Christian, De Largy Healy Jessica, Leblic Isabelle, Mélandri

Magali, Mohamed-Gaillard Sarah, Monnerie Denis, Peltier Philippe, Sand Christophe et

Vernaudon Jacques.

Les candidats Jean-Michel Chazine et Bernard Rigo ont obtenus le même nombre de

voix. Deux solutions étaient possibles : faire un tirage au sort ou rejeter les deux

candidatures. La question sera tranchée lors du premier CA qui doit se tenir courant

juin.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

428

Compte-rendu de la séance du CA : élection du 17e

membre du CA et constitution du bureau de la Sociétédes Océanistes (par Christian Kaufmann)

Le Conseil d’administration (CA) s’est réuni mercredi 16 juin 2010 à l’EHESS, 54 bd Raspail

pour l’élection de son bureau. Avant d’y procéder, il décidait de départager les deux

candidats au 17e siège par tirage au sort. Le sort désigna Jean-Michel Chazine comme

17e membre du conseil d’administration.

Le bureau pour la période 2010-2012 fût élu par vote à bulletin secret. Ont été élus

comme :

Président : Maurice Godelier ;

Vice-présidente : Pascale Bonnemère ;

Secrétaire général : Philippe Peltier

Trésorière : Sarah Mohamed-Gaillard

Secrétaire générale adjointe pour le JSO et les Publications : Isabelle Leblic

Secrétaire générale adjointe pour les conférences et le cinéma de la SDO : Magali Mélandri

Secrétaire générale adjointe pour le site Internet : Jessica De Largy Healy.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

429

Vient de paraître (septembre 2010)

À l’occasion de l’exposition Lapita - Ancêtres océaniens qui se tient au musée du quai

Branly du 09/11/2010 au 09/01/2011

La Société des Océanistes a le plaisir de vous annoncer la parution de sa dernière

publication qui est le deuxième d’une nouvelle collection intitulée « Travaux et

documents océanistes » :

Lapita calédonien. Archéologie d’un premier peuplement insulaire océanien

De Christophe Sand (2010)

Paris, Société des Océanistes, Travaux et documents océanistes 2, 296 p., bibliographie,

index, 300 illustrations en noir et blanc ou en couleur.

ISBN : 978-2-85430-025-3

Prix public : 38 €

(ouvrage publié avec le concours du gouvernement et des trois provinces de Nouvelle-

Calédonie)

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

430

Bon de commande

Nombre d’exemplaires Prix unitaire TTC1 Prix total Frais de port total2 Total commande

… exemplaires 38 € ………….. €

À renvoyer avec le paiement par chèque bancaire ou postal en euros à la Société des

Océanistes3, Musée du Quai Branly, 222, rue de l’Université 75343 – Paris cedex 07

NOTES

1. 30 % de réduction accordée aux librairies, soit 26,6 €/ex.

2. Poids d’un exemplaire : 1100 grammes. Frais de port en économique : pour la France, 5,35 €/

ex. ; pour l’Europe, 8,75 €/ex., pour l’Outremer et hors Europe, 12,90 €/ex.

3. Nos bureaux sont ouverts tous les lundi et mardi de 10h à 17h F026

F02001 56 61 71 16 F029 F0

20

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Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

431

Listes des ouvrages reçus

(La liste précédente est incluse dans le numéro 129)

2010

GOVOR Elena, Twelve days at Nuku Hiva, Russians Encounters and mutiny in the South Pacific,

Honolulu, University of Hawai’i Press, bibliogr., index, illustrations noir et blanc, 301 p.

NEWELL Jenny, Trading Nature: Tahitians, Europeans and Ecological Exchange, Honolulu,

University of Hawai'i Press, bibliogr., index, illustrations noir et blanc, 296 p.

LAFARGUE Régis, La coutume face à son destin. Réflexions sur la coutume judiciaire en Nouvelle-

Calédonie et la resilience des ordres juridiques infra-étatiques, Paris, L.G.D.J. lextenso

éditions, Droits et société recherches et travaux 22, 418 p., bibliogr., annexes, préface

d’alain Christnacht.

TREMEWAN Peter, French Akaroa, New Zealand, Canterbury University Press, bibliogr.,

index, cartes, photos couleurs et noir et blanc, 383 p.

ZANETTE Didier, Le bestiaire mélanésien. 100 représentations, Nouméa, DZ Éditions, 160 p.,

photos couleurs, lexique, carte, bibliographie indicative (compte rendu dans ce

numéro).

2009

BABADZAN Alain, Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie, Paris,

L’Harmattan, Connaissances des hommes, 286 p., bibliogr., 2 cartes. (compte rendu

dans ce numéro).

BEER Bettina, Sabine KLOCKE-DAFFA und Christiana LÜTKES ( Hg.). Berufsorientierung für

Kulturwissenschafter, Erfahrungsberichte und Zukunftsperspectiven , Berlin, Reimer,

Kulturwissenschaften, 305 p., bibliogr. après chaque contribution, présentation des 21

auteurs, 15 photographies en noir et blanc.

COLLECTIF, Atoga No Mangareva, histoire mangarévienne. Regards croisés sur le Rongo de

Cahors, université Toulouse-Le Mirail, master Patrimoine 2008-2009, musée de Cahors

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

432

Henri-Martin, 111 p., bibliographie, cartes, illus. Couleur (compte rendu dans le

numéro 129).

COLLECTIF, Tapa, Étoffes cosmiques d’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin,

127 p., bibliogr., nombreuses illustrations couleurs (compte rendu dans ce numéro).

CRUCHET Louis, Ethnoastronomie et traditions astrologiques, Paris, Éditions Publibook,

373 p.,bibliogr. sélective,photos noir et blanc, carte.

DALY Martin, Tonga. A new Bibliography, Honolulu, University of Hawai’i Press, 306 p.,

rééd. 1996, 3 index (compte rendu dans le numéro 129).

DINTRICH Michel, Un musicien chez les coupeurs de têtes, Paris, Mille et une nuits, 272 p.,

cahier de 16 p. d’illustrations couleur, nombreuses ill. noir et blanc dans le texte

(compte rendu dans le numéro 129).

DUNIS Serge, Pacific mythology, the name is woman, Papeete, Haere Po, 256 p., bibliogr.., illl.

noir et blanc.

FAGE Luc-Henri et Jean-Michel CHAZINE, Bornéo. La mémoire des grottes, Lyon, Fage

éditions, 176 p., préface de Jean Clottes, bibliogr., nombreuses ill. couleur.

GAGNÉ Natacha et Laurent JÉRÔME (éds), Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation et

résistance dans les mondes contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll.

Essais, 195 p. (compte rendu dans ce numéro).

Géo 370 : dossier Nouvelle-Calédonie, pp. 46-107 (compte rendu dans ce numéro).

GNECCHI Ruscone et Anna PAINI (dir.), Anthropologia dell’Oceania, Milan, Raffaello Cortina

Editore, Culture e società, 340 p., bibliogr. après chaque article.

GROUSSET Paschal, Francis JOURDE et Henri BRISSAC, Le bagne en Nouvelle-Calédonie l’enfer au

Paradis. 1872-1880. Les récits de trois communards, préface et annotations d’Alain

Brianchon, Nouméa, Éditions Footprint Pacifique, 179 p., bibliogr., nombreuses

illustrations noir et blanc et couleur.

GUIART Jean (éd.), Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes, Paris,

L’Harmattan, 184 p., bibliogr. (compte rendu dans ce numéro).

GUILLAUT Laurent, Fanny Wonu V EYS, Hélène GUIOT et al., Tapa, étoffes cosmiques de

l’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, préface, articles et catalogue

d’exposition, 128 p., bibliogr., nombreuses ill. couleur (compte rendu dans ce numéro).

JOLLY Margaret, Serge TCHERCKÉZOFF and Darell TRYON (eds), Oceanic encounters, exchange,

desire, violence, ANU Epress.

KRUPNIK Igor, Michael A. L ANG and Scott E. M ILLER (eds), Smithsonian at the Poles,

Contributions to International Polar Year Science, Washington D. C., Smithsonian Institution

Scholarly Press, 405 p., index, illustrations noir et blanc.

LIEP John, A Papuan Plutocracy. Ranked Exchange on Rossel Island, Aarhus, Aarhus

University Press, 360 p., bibliogr., index, glossaire, illustrations n.b. et couleur (compte

rendu dans ce numéro).

MARTIN Stéphane (éd.), Mangareva, Panthéon de Polynésie, Paris, Somogy-Musée du quai

Branly, 80 p., bibliogr., cartes, 46 ill. couleur (compte rendu dans le numéro 128).

MOKADDEM Hamid, nd. Pratique et théorie kanak de la souveraineté. …30 janvier 1936, Jean-

Marie Tjibaou, 4 mai 1989…, Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 144 p., 2 documents en

annexes et 22 ill. noir et blanc et couleur (compte rendu dans ce numéro).

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

433

Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnes, CD enregistré en

Nouvelle-Calédonie et brochure de présentation français-anglais, 31 p. (compte rendu

dans ce numéro).

SARASIN Fritz, Ethnographie des Kanak de Nouvelle-Calédonie et des îles Loyauté (1911-1912),

Pars, Ibis Press, préface de Déwé Görödé, introduction de Christian Kaufmann,

traduction et notes de Raymond Ammann et Bernard Gasser, bibliogr., 4 index, 72

planches noir et blanc et couleur.

SEGAL Jean-Pierre, Le monde du travail au cœur du destin commun. Employeurs, syndicats,

salariés : dialogues en construction (Nouvelle-Calédonie), Nouméa, Direction du travail et de

l’emploi, 146 p.

VAN DER GRIJP Paul, Art and Exoticism. An anthropology of the yearning for authenticity,Berlin,

Lit Verlag, 358 p., bibliogr., index (compte rendu dans le numéro 129).

VERNAUDON Jacques et Véronique FILLOL (éds), Vers une école plurilingue dans les collectivités

françaises d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, Cahiers du Pacifique Sud

contemporain, hors série 1, 320 p., bibliogr., ill. noir et blanc, liste des auteurs (compte

rendu dans ce numéro).

VIVIER Jean-Loup, Calédonie, l’heure des choix, Paris, L’Harmattan, 185 p. (compte rendu

dans ce numéro).

VOLKENANDT Claus and Christian KAUFMANN (eds), Between Indigenous Australia and Europe.

John Mawurndjul. Art Histories in Context, Canberra, Reimer - Aboriginal Studies Press,

240 p., index, 3 cartes, 45 ill. en noir et blanc, 26 planches en couleur hors textes.

ZANETTE Didier, 100 objets de navigation de Mélanésie, Nouméa, DZ Éditions, 160 p., photos

couleurs, orientations bibliographiques.

2008

AL WARDI Sémir, Tahiti Nui ou les dérives de l’autonomie, Paris, L’Harmattan, 263 p.,

bibliogr. (compte rendu dans le numéro 128)

ANGLEVIEL Frédéric et Stephen LEVINE (eds), New Zealand – New Caledonia. Neighbours,

Friends, Partners. La Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie. Voisins, amis et partenaires,

Wellington, Victoria University Press, 347 p., bibliogr. après chaque article.

Bulletin de la Société des Études océaniennes 314 : Makatea, 119 p.

CARTERON Benoît, Identités culturelles et sentiment d’appartenance en Nouvelle-Calédonie. Sur

le seuil de la maison commune, Paris, L’Harmattan, coll. Portes océanes, 281 p., bibliogr.,

annexes, une carte.

COLLECTIF, Va’a. La pirogue polynésienne, Pirae, Au vent des îles – musée de Tahiti et des

îles, coll. Culture pacifique, 197 p., bibliogr., 1 carte, nombreuses illustrations en noir et

blanc et en couleur (compte rendu dans le numéro 126-127).

COLOMBO DOUGOUD Roberta (éd.), Bambou kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-

Dellenbach, Genève, MEG, Infolio, 184 p., bibliogr., très nombreuses ill. couleur et noir et

blanc (compte rendu dans la rubrique Miscellanées du numéro 126-127).

Coordination autochtone francophone, Des peules autochtones francophones en mouvement,

GIPTA-IGWIA France/UNESCO, DVD-ROM.

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

434

DE CASTRO Inès, Katja LEMBKE, Ulrich MENTER (Hg), Paradiese der Südsee. Mythos und

Wirklichkeit. Begleitbuch zur Sonderausstellung im Roemer- und Pelizaeus-Museum Hildesheim,

Mainz, Verlag Philipp von Zabern. 248 p., bibliographies, carte, 353 illustrations

(compte rendu dans le numéro 129).

DE DECKKER Paul et Jean-Yves FABERON (éds), La Nouvelle-Calédonie pour l’intégration

mélanésienne, Paris-Nouméa, L’Harmattan - Nouvelle revue du Pacifique 4, 285 p., 1

carte.

DERLON Brigitte et Monique JEUDY-BALLINI, La passion de l’art primitif. Enquête sur les

collectionneurs, Paris, Gallimard, 324 p., bibliogr., index thématique (compte rendu dans

le numéro 128).

DOUGLAS Bronwen and Chris BALLARD (eds), Foreign Bodies. Oceania and the Science of Race

1750-1940, Canberra, ANU, 352 p., bibliogr. après chaque article, index, 21 ill. en noir et

blanc.

DUNIS Serge (éd.), Sexual snakes, winged maidens and sky gods, Papeete, Haere Po, 286 p.,

bibliogr.., une illl. noir et blanc.

GIRARD Charles (éd.), Lettres des missionnaires maristes en Océanie, 1836-1854. Anthologie de la

correspondance reçue par Jean-Claude Colin fondateur de la Société de Marie pendant son

généralat, avant-propos de l’éditeur, préface de Claude Prudhomme, introduction

historique de Claire Laux, Paris, Karthala, collection Mémoire d’Églises, 760 p., annexe,

index biographique et onomastique, bibliogr., environ 50 illustrations couleur hors-

texte (compte rendu dans le numéro 129).

HAUDRICOURT André-Georges, Essai sur l’origine des différences de mentalité entre Occident et

Extrême-Orient, suivi de Un certain sens du concret de Jean-François Bert, Strasbourg, Les

Carnets 6, 85 p. (compte rendu dans le numéro 128).

HAUN Beverley, Inventing Easter Island, Toronto-London, University of Toronto Press-

Buffalo, 332 p., bibliogr., index, ill. noir et blanc.

HERREMAN Frank (éd.), Océanie. Signes de rites, symboles d’autorité, contributions de Pauline

van der Zee, Ingrid Heermann, Karen Jacobs, Bart Suys, Bruxelles, ING-Fonds Mercator,

192 p., bibliographie, cartes, 17 figures dans le texte, 198 objets photographiés et

décrits (compte rendu dans le numéro 128).

JOANNOT Pascale, Nouvelle-Calédonie. Terre de corail, Paris, Éditions Maison de la Nouvelle-

Calédonie /Solaris, 123 p., bibliogr., ill. couleur (compte rendu dans le numéro 129).

JOSEPHIDES Lisette, Melanesian Odysseys. Negotiating the Self, Narrative and Modernity ,

Oxford, Berghan Books Ltd, 246 p., bibliogr., index, photos noir et blanc.

KUNZ R. et Vibha J OSHI (eds), Naga, a Forgotten Moutain Region Rediscovered, Basel,

Christophe Merian Verlag and Museum des Kulturen Basel, 200 p., glossaire, bibliogr.,

cartes et photos noir et blanc et couleur.

MARANDA Pierre, Voyage au pays des Lau (îles Salomon, début du XXe siècle). Le déclin d’une

gynécocratie, Paris, éditions Cartouche, 189 p., bibliogr., 1 carte, dessins noir et blanc

(compte rendu dans le numéro 128).

Mathématiques et sciences humaines 183 : Hommage en l’honneur de G.-Th. Guilbaud, 116 p.

MRGUDOVIC Nathalie, La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, Paris,

L’Harmattan, coll. Lettres du Pacifique 10, 438 p., bibiogr., index, annexes, préface de

Michel Rocard, 2 cartes, 1 schéma (compte rendu dans ce numéro).

Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010

435

PITOISET Anne et Claudine WÉRY, Mystère Dang, Paris, Le Rayon vert, 191 p., bibliogr.,

cahier photos hors texte de 31 p., annexes : 6 biographies, 2 cartes, chronologie.

POATYIÉ Anna Pwicèmwâ et David DIJOU, Le chasseur de la vallée. I pwi-a i-pwâ mûrû géé nâ

mötö. Conte kanak paicî-français, Nouméa, ADCK-centre culturel Tjibaou et grain de sable

jeunesse, 28 p., ill. couleur, lexique paicî, CD audio bilingue (compte rendu dans le

numéro 128).

SAND Christophe, Jacques BOLÉ, André (John) OUÉTCHO et David BARET, Parcours

archéologique. Deux décennies de recherches du département archéologie de Nouvelle-Calédonie

(1991-2007), Nouméa, Les Cahiers de l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 17, 278 p.,

bibliogr., 1 carte, nombreuses photographies en couleur (compte rendu dans le

numéro 129).

TAYLOR John P., The other side. Ways of being and place in Vanuatu, Honolulu, University of

Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 22, Center for Pacific Island Studies, 238 p.,

glossaire, bibiogr., index, 36 ill. en noir et blanc.

WADDELL Eric, Jean-Marie Tjibaou. Kanak witness to the world. An intellectual biography,

Honolulu, University of Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 23, Center for Pacitific

Islands Studies, 232 p., bibliogr., index, 23 ill. noir et blanc.

WAHEO Taï, Oûguk, Le petit coco vert. Oûguk, ame metu ke caa ûen. Récit autobiographique en

français et en iaai, Nouméa, ADCK-centre culturel Tjibaou, coll. Mwâ dö tèpe 2, 195 p., une

photo noir et blanc (compte rendu dans le numéro 126-127).

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