Journal de la Société des Océanistes
130-131 | 2010Hommage à Bernard Juillerat
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/jso/5994DOI : 10.4000/jso.5994ISSN : 1760-7256
ÉditeurSociété des océanistes
Édition impriméeDate de publication : 15 décembre 2010ISBN : 978-2-85430-027-7ISSN : 0300-953x
Référence électroniqueJournal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010, « Hommage à Bernard Juillerat » [En ligne], mis enligne le 31 décembre 2010, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jso/5994 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.5994
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SOMMAIRE
Dossier Hommage à Bernard Juillerat
Bernard Juillerat. Une passion du sujetDenis Monnerie et Pierre Lemonnier
Bibliographie et filmographie de Bernard JuilleratIsabelle Leblic
Remembering Bernard Juillerat. Visiting the Bánaro after Richard ThurnwaldMarion Melk-Koch
Bernard Juillerat. Lettres à un jeune ethnologuePhilippe Peltier
C’est l’Afrique qui a fait de Bernard Juillerat, océaniste renommé, un anthropologue…Jeanne-Françoise Vincent
À propos de l’exposition A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar between symbols andartifactsNicolas Garnier
Hommage à Bernard JuilleratUn interlocuteur des psychanalystesAndré Green
Flying away like a bird: An instance of severance from the parental abode(Iwolaqamalycaane, Yagwoia, Papua New Guinea)Jadran Mimica
Kinship, Ritual, CosmosAndrew Strathern et Pamela J. Stewart
Enfanter, est-ce bien « naturel » ? Rite, représentation, fantasme de l’engendrement dans unculte polynésienFrançoise Douaire-Marsaudon
Les Kanak et les rêves ou comment redécouvrir ce que les ancêtres n’ont pas transmis(Nouvelle-Calédonie)Isabelle Leblic
An end and a beginning for the gift?Marilyn Strathern
L’altérité de l’altérité ou la question des sentiments en anthropologieMonique Jeudy-Ballini
À propos de deux ouvrages de Bernard JuilleratGilles Bounoure
Ignames, enfants des hommes. Horticulture et reconduction du social à Wallis (Polynésieoccidentale)Sophie Chave-Dartoen
Rejoua aurantiaca. Bernard Juillerat et la botaniqueChristian Coiffier
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The mother and her ancestral face. A commentary on Iatmul iconographyChristian Kaufmann
Symboles et figures, deux modes sociaux de signification. L’exemple de la Grande Maisond’Arama (Nouvelle-Calédonie)Denis Monnerie
Mythes et rites chez les AngaPierre Lemonnier
Miscellanées
Étude d’une grotte sépulcrale préservée de Nouvelle-CalédonieChristophe Sand et André-John Ouetcho
Écoutons les chants de TakuuGilles Bounoure
Mā’ohi Travellers before 1825 and new insights from shipping listsRhys Richards
Comptes rendus d'ouvrages
Pratique et théorie kanak de la souveraineté… 30 janvier 1936, Jean-Marie Tjibaou,4 mai 1989… de Hamid MokaddemIsabelle Leblic
Conversations calédoniennes. Rencontre avec Jacques Lafleur de Wallès KotraIsabelle Leblic
Calédonie, l’heure des choixdeJean-Loup VIVIERIsabelle Leblic
Vers une école multilingue dans les collectivités françaises d’Océanie et deGuyanecoordonnée par Jacques Vernaudon et Véronique FillolRaymond MAYER
Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes sous la direction deJean GuiartRaymond MAYER
Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie d'AlainBabadzanRaymond MAYER
Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation et résistance dans les mondescontemporainsdirigé par Natacha Gagné et Laurent JérômeIsabelle Leblic
La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissancedeNathalie MrgudovicRaymond MAYER
Die Société commerciale de l’Océanie (1876-1914). Aufstieg und Untergang derHamburger Godeffroys in Ost-Polynesien de Claus GOSSLERGilles Bounoure
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
2
James Cook and the Exploration of the Pacificdirigé par Adrienne L. KAEPPLERGilles Bounoure
Ethnographische Ergebnisse aus Melanesien, I. Reisebericht. Die polynesischenInseln an der Ostgrenze Melanesiens, II. Die westlichen Inseln des Bismarck-Archipels de THILENIUS GeorgGilles Bounoure
Trésors des îles Salomon. La collection Conru de Kevin Conru et Deborah WaiteGilles Bounoure
Reisen und Entdecken. Vom Sepik an den Main. Hintergründe einer AusstellungChristian Coiffier
Hunting the Collectors. Pacific Collections in Australian Museums, Art Galleries andArchives dirigé par Susan COCHRANE et Max QUANCHIGilles Bounoure
Tapa, étoffes cosmiques de l’Océanie dirigé par Laurent Guillaut et al.Raymond MAYER
Le bestiaire mélanésien. 100 représentationsde Didier ZanetteIsabelle Leblic
Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnesIsabelle Leblic
Géo 370 : dossier Nouvelle-CalédonieIsabelle Leblic
Canoes of the Grand Ocean coordonné par Anne Di Piazza et Erik PearthreeGilles Bounoure
Actes de la Société et Actualités
In memoriam Roger Curtis Green (1932-2009)Christophe Sand
Assemblée générale (exercice 2009)
Vient de paraître (septembre 2010)
Listes des ouvrages reçus
Catalogue des publications de la Sdo - 2010
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3
Denis Monnerie et Pierre Lemonnier (dir.)
Dossier Hommage à BernardJuillerat
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Bernard Juillerat. Une passion dusujetDenis Monnerie et Pierre Lemonnier
« Une interprétation ou une théorie ne supporte le vieillissement que lorsqu’elle
fournit simultanément les matériaux bruts qu’elle analyse. » (Juillerat, 1993 : 178)
Photo 1. – Bernard Juillerat sur le terrain
(©Michèle Juillerat, nd)
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1 De 1977 à 1982, Bernard Juillerat fut « secrétaire général adjoint responsable de la
revue » au sein du bureau de la Société des Océanistes. Dix-sept livraisons du présent
Journal témoignent des week-ends et des soirées que Michèle Juillerat et lui
consacrèrent à cette tâche aussi discrète qu’ingrate, qui va de la recherche d’articles à
la transformation de manuscrits moins parfaits que ne le pensent leurs auteurs en des
écrits « mis aux normes » d’une revue que l’on s’efforce de faire vivre. Manière de
rappeler d’entrée la dette de la Société des Océanistes à l’égard de Bernard – et de
présumer qu’à la différence de ces amis et collègues qui s’étonneront des quatre ans
écoulés entre sa disparition et l’hommage que nous lui rendons ici, il nous aurait sans
doute pardonné notre lenteur. Notre revue lui doit aussi un mémorable numéro spécial
sur le chamanisme (n° 56-57, 1977), pour lequel il sut réunir le concours de six éminents
collègues étrangers. C’est à la même époque qu’il eut la générosité de donner de son
temps et de sa patience pour animer au CNRS une « recherche coopérative sur
programme » (RCP 587 AMOC, Anthropologie du monde océanien contemporain,
1980-1987) puis proposer un « groupement de recherche » (GDR ITSO, Identité et
transformations des sociétés océaniennes, à partir de 1988) au sein desquels il réunit,
pour la première fois, et pour le bien commun, des chercheurs comptant parmi les plus
farouchement individualistes d’une profession qui n’en manque pas.
2 Parallèlement à cet engagement aussi désintéressé qu’efficace dans la vie de la
recherche océaniste à un moment crucial de son institutionnalisation en France,
Bernard Juillerat a produit une œuvre abondante, luxuriante même, forte de huit livres,
auxquels s’ajoutent trois ouvrages dirigés ou co-dirigés, cinquante-deux articles et
quarante-huit comptes-rendus qui, pour la plupart, constituent de brefs articles. Loin
de se contenter d’aborder avec originalité la majorité des domaines de la discipline
anthropologique, il a également renoué le dialogue avec la psychanalyse, tant de
manière théorique qu’à travers des études de cas minutieusement construites et
analysées. Partiellement écrite (1992) ou traduite en anglais (voir la bibliographie
établie par Isabelle Leblic pour ce volume), son œuvre a fait l’objet de multiples
commentaires, à la fois sous forme de recensions et lors des débats qu’il a initiés pour
exposer et défendre systématiquement les hypothèses ou points de vue qui étaient les
siens. C’est ce dialogue, d’autant plus dense et précis qu’il était proposé par un
chercheur que seule sa passion de la science faisait sortir de sa réserve naturelle, que
poursuivent la vingtaine de chercheurs qui lui rendent ici hommage.
Les multiples facettes d’un chercheur accompli
3 Initialement formé à Lausanne aux lettres et aux langues (anglais et espagnol), puis à
l’anthropologie, auprès de Roger Bastide, à la Sorbonne, Bernard Juillerat était d’abord
un homme de terrain et un praticien de l’enquête monographique sous toutes ses
formes. Ayant découvert l’Afrique alors qu’il était affecté à une école suisse de
Kinshasa, il réalise entre 1966 et 1968 une première enquête de seize mois chez les
montagnards Mouktélé du Nord Cameroun, avec l’aide du Fonds national de la
recherche scientifique suisse. Il soutient à Paris en 1969 une thèse de doctorat
d’ethnologie consacrée à l’organisation sociale des Mouktélé qui sera publiée en 1971
sous le titre Les bases de l’organisation sociale chez les Mouktélé (Nord-cameroun). Structures
lignagières et mariage. C’est comme africaniste qu’il a rejoint le CNRS au début des années
1970. Il s’est ensuite rendu chez les Yafar, un peuple de langue amanab du Haut Sépik
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de Nouvelle-Guinée, sur les conseils d’Alfred Gell qui menait alors ses propres travaux
chez les Umeda voisins, dans les Border Mountains, dans l’extrême ouest de ce qui
n’était pas encore l’État indépendant de Papouasie Nouvelle-Guinée (Juillerat, 1997
‘Yangis, Lacan…’ : 36). Il devait y effectuer cinq séjours entre 1970 et 1986. Il se rendit
ensuite chez les Bánaro du Bas Sépik (en 1989-1990), afin d’évaluer le travail pionnier
effectué par Richard Thurnwald en 1913 et 1915 à propos de cette société dans laquelle
le grand ethnologue allemand n’avait pourtant pas résidé ainsi que pour étudier une
société très différente des Yafar, mais sans doute parce que Thurnwald avait lui aussi
un intérêt pour les phénomènes psychologiques, comme le signale Marion Melk-Koch
dans ce volume. Dans les années 1990, il effectua plusieurs missions en Espagne, mais
sans retrouver la passion pour le terrain qu’il avait connue en Afrique et en Nouvelle-
Guinée.
4 La variété des thèmes abordés par Bernard Juillerat indique qu’il était de ces
anthropologues pour qui la démarche monographique s’impose comme premier
horizon d’enquête, dès lors qu’on ne sait a priori où se nichent les aspects les plus
spécifiques d’une société donnée. De la technologie de l’essartage (1983) aux transes
(1975), de l’étude des couleurs (1978) à l’analyse de la parenté (1977) et de l’histoire du
travail en plantation (1979) à l’ethnomusicologie (1993), en passant par l’ethnographie
et la théorisation des relations entre mythe et rite (1991) ou par l’étude des rapports de
production, aucune question anthropologique n’était étrangère à Bernard. Tout au long
de sa carrière, il a par ailleurs tiré parti de tout l’éventail des outils d’observation
disponibles : photographie, enregistrement sonore, cinéma. À ses écrits, ce passionné
de cinéma épris de photographie a ajouté trois films en 16 mm – un sur l’Afrique et
deux sur les Yafar –, plusieurs centaines de photographies1 et des collections d’objets
désormais conservés à la photothèque et dans les réserves du musée du quai Branly
ainsi qu’au National Museum and Art Galleryde Port Moresby – évoquées plus loin par
Nicolas Garnier. Et il y eut longtemps une vitrine « Groupe linguistique des Amanab »
au musée de l’Homme (voir photo dans Jeudy-Ballini et Juillerat, 2002 : 25).
5 Parallèlement à sa connaissance de l’histoire de la discipline et des dossiers
anthropologiques les plus récents, qui se lit constamment en filigrane de ses
propositions théoriques et qui s’explicite dans ses comptes rendus d’ouvrages, Bernard
Juillerat a réalisé une ethnographie qui, dans tous les domaines, fut minutieuse. Dans la
somme qu’il a consacrée aux Yafar – Les enfants du sang (1986) –, il a utilisé ses vastes
connaissances ethnographiques et théoriques pour montrer avec succès, comment
plusieurs points de vue (et divers domaines de la vie), imaginaires autant que matériels,
se renvoient les uns aux autres dans la vie quotidienne et rituelle d’un groupe humain.
La rigueur et la recherche de l’exhaustivité se lisent dans les domaines les plus variés :
plans de maisons et termes architecturaux (1986 :113, 116) ; exemples de toponymes
(1986 :151) ; inventaire des groupes domestiques (1986 : 118) ; horticulture, chasse et
élevage (1986 : 155-222) ; pérégrinations des Yafar (1986 : 38-45) ; plans de hameaux
(1986 : 49-53) ; échanges intertribaux (1986 : 226-234) ; analyse du mariage à partir
d’une étude de cas réels (1986 : 286-328) ; accusations de sorcellerie (1986 : 453-467),
etc.
6 Au-delà de cette très complète monographie, les écrits de Bernard recèlent nombre de
descriptions ethnographiques dont la finesse – la délicatesse même – charme le lecteur,
en même temps qu’elle comble sa curiosité ; au hasard : l’ethno-linguistique d’une
formule magique (1995 : 67-85) ou le récit de la mise à l’écart d’un malade (1997 : 78-79).
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Quiconque a pratiqué l’enquête de terrain peut s’identifier à lui, tout stupéfait de
rendre son salut militaire à un Yafar embringué dans une aventure millénariste, et
ressentir l’automatisme d’un geste dû à la fatigue, où se mêlent une pointe d’humour et
l’abandon d’un moment à l’absurde de la situation (1997 : 71). Et ceux qui ont redouté
une chute ou l’invisible présence d’un serpent tout en crapahutant dans un jardin
papou se voient, comme Bernard, chercher du pied la surface ferme et rassurante du
sol dissimulée sous le fouillis végétal du lieu (1999 : 196).
7 C’est sur cette ethnographie méticuleuse associée à une sensibilité vigilante que
Bernard Juillerat a fondé les développements théoriques qui ont construit sa renommée
internationale. Il a rappelé de la plus belle manière que la démarche – la découverte –
anthropologique est une quête de longue durée, faite d’allers-retours entre « terrain »
et « théorie ». Aux thèmes multiples de ses recherches, les articles ici rassemblés en son
hommage font écho, puisque chacune à sa façon, les dix-sept contributions du présent
volume abordent un ou plusieurs des domaines sur lesquels a porté la réflexion de
Bernard Juillerat.
8 Adepte du comparatisme, attentif à la théorisation, Bernard Juillerat fut un homme de
débat, tant pour proposer ses idées et interprétations aux commentaires de ses
collègues que pour s’élever contre des positions qui lui semblaient peu établies,
douteuses voire dangereuses. Nous rappellerons ici trois des discussions que Bernard a
marquées de ses interventions, en l’occurrence, trois thèmes par lesquels les
mélanésianistes ont alimenté la réflexion anthropologique générale de ces trente
dernières années : la question du rituel, du sens et de l’exégèse ; celle du sujet et de
l’anthropologie psychanalytique ; et celle des rapports avec l’histoire.
Une anthropologie du rituel
9 Outre Naven (Bateson, 1936), régulièrement commenté et ré-analysé (cf. Houseman et
Severi, 1994 ; Silverman, 2001 pour une bibliographie récente) – y compris, d’ailleurs,
par Juillerat (1999, 2001 chapitre 9, prenant en compte les découvertes récentes de
Silverman), ou encore ici même, par Christian Kaufmann, de nombreux rituels
mélanésiens ont plus ou moins récemment fait l’objet de descriptions et d’analyses qui
ont marqué la discipline. Pour la seule Nouvelle-Guinée, citons les rites mortuaires des
Daribi (Wagner, 1973), l’analyse des cérémonies funèbres des Kaluli (Schieffelin, 1976 ;
Feld, 1979), les représentations funéraires de la dé-conception chez les Mekeo (Mosko,
1983), l’étude comparatiste des funérailles dans le Massim (Damon et Wagner, 1989),
l’étude du culte Ida des Umeda voisins des Yafar (Gell, 1975), les recherches sur les
cultes millénaristes de Madang (Lawrence, 1964) ou des Baining (Whitehouse, 1995), les
analyses des cultes de fertilité des Mountain Ok (Barth, 1975, 1987), ou encore les
nombreux travaux consacrés aux cultes masculins : ceux des Arapesh (Tuzin, 1980,
1997), des Gnau (Lewis, 1980), des Sambia (Herdt, 1981, 1987, 2003) et des Baruya
(Godelier, 1982). Avec pas moins de trois livres (Œdipe chasseur, 1991 ; Shooting the Sun,
1992 ; L’avènement du père, 1995) et une série de débats dans la section Correspondence de
Man en 1980-1981 et 1990, les écrits de Bernard Juillerat tiennent une place de choix au
palmarès de ces travaux qui ont chacun apporté un regard particulier et des
développements théoriques nouveaux sur le rituel. D’une part, du fait de son
interprétation psychanalytique des rites Gungwan et Yangis – sur laquelle on reviendra
plus loin –, mais aussi par sa participation à la controverse plus générale sur le sens des
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« religions mélanésiennes » et leur exégèse déclenchée par les commentaires de Ron
Brunton (1980) sur l’interprétation par Gell du rite Ida des Umeda, très proche de
Yangis.
10 Dans un article de Man où il corrélait l’« ordre » (au sens de cohérence) relatif de divers
systèmes religieux mélanésiens avec leur place dans les stratégies politiques des
groupes et des individus, Ron Brunton a reproché aux anthropologues de surévaluer ce
degré d’homogénéité2, alors même qu’il varie selon les sociétés considérées. Bien que
considérant finalement le rite de fertilité Ida des Umeda comme « possédant un
considérable degré de cohérence », Ron Brunton en présenta l’analyse par Alfred Gell
(1975) comme un exemple de ces travers « des » anthropologues – sans autre précision
– dont les postmodernes devaient faire ensuite leur miel : ne tenir compte ni des
difficultés qu’ils ont à obtenir des informations sur les systèmes religieux ni du
désintérêt éventuel de leurs informateurs pour ces questions ; conjecturer l’existence
d’un noyau dur de croyances et supposer que les membres d’une société y voient eux-
mêmes un ordre ; ignorer les éléments incohérents d’un système de sens, les opinions
divergentes selon les informateurs et les contradictions chez un même informateur ;
n’expliquer ni l’abandon de certains épisodes rituels ni l’adoption d’éléments nouveaux
dénués de sens ; etc.
11 Selon Ron Brunton, l’étude d’Alfred Gell était de surcroît représentative de ces
« modèles extérieurs » d’inspiration structuraliste construits par l’anthropologue en
l’absence de toute exégèse susceptible de guider ses pas (Brunton, 1980 : 117). Fort de
son expérience du culte Yangis, qu’il avait observé en 1976, et des heures de
commentaires qu’il venait de recueillir et d’analyser chez les Yafar, Bernard Juillerat fit
valoir son point de vue, à la fois contre celui, sans nuance aucune, de Ron Brunton, et
contre celui d’Alfred Gell pour qui le même rituel ne suscitait aucun commentaire de la
part des Umeda, dans une société pourtant de langue voisine, située à quatre heures de
marche des Yafar. Pour Bernard, le « désintérêt » apparent des informateurs pour le
sens des rituels est à mettre en relation avec leur souci de préserver un secret tel que,
selon les Yafar, « tous les hommes mourraient » si les femmes venaient à le connaître.
La parcellisation de ce savoir n’illustre aucune incohérence, mais au contraire une
caractéristique de systèmes de sens dont les éléments sont pensés comme devant être
mis en relation par les acteurs eux-mêmes. Bernard Juillerat rappelait également que ce
savoir secret qui lui fut confié sur le terrain fait l’objet d’une transmission
institutionnalisée entre des hommes appartenant aux deux moitiés chargées de tâches
complémentaires dans Yangis. Au-delà de la controverse sur l’existence d’une exégèse à
propos de Ida/Yangis, il insistait sur les insuffisances des « propriétés miraculeuses de
l’analyse structurale » reconstruite « à la maison » par Gell. À quoi sert, par exemple,
demandait Bernard Juillerat, de souligner la couleur rouge du corps des danseurs ipele
si on ignore que le mythe signale que c’est la couleur du sang de l’hémorragie qui tua
leur mère à leur naissance (1980 : 733) ?
12 Irrité par l’absence de nuance des propos respectifs d’Alfred Gell et de Ron Brunton, il
parla des « erreurs d’interprétation » commises par le premier et attribua le continuum
d’homogénéité relative des systèmes religieux mélanésiens proposé par Ron Brunton
aux différents niveaux de savoir ethnographique des anthropologues ! (1980 : 734). Pour
sa part, Alfred Gell opposa sa propre approche « sociologique » – traitant de mariage,
du cycle de vie, du leadership villageois – et, partant, reliée àla théorie anthropologique
générale, à celle de Bernard Juillerat, supposée enfermée dans une explication du rituel
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par des aspects du mythe et « laissant de côté toute question analytique intéressante »
(Gell, 1980 : 736).
13 En dépit des échanges d’amabilités qui émaillent cette correspondence, Bernard Juillerat
convia par la suite Alfred Gell et huit autres collègues à commenter sa propre
interprétation de ce rituel pour en débattre dans un livre unique en son genre –
Shooting the Sun (1992). Dans sa lettre à Man, il n’avait fait qu’indiquer combien la prise
en compte de la glose, du secret et de l’empilement ou de la mise en relation des savoirs
changerait la vision anthropologique de Ida/Yangis. Dans l’ouvrage collectif dont il prit
l’initiative, il présentait pour la première fois son interprétation psychanalytique de
Yangis. Pour lui, ce rite est la mise en scène d’une histoire œdipienne mythique, secrète.
Il s’agit de la théâtralisation d’aspects fondamentaux de la constitution du cosmos où la
figure maternelle est présente à la fois comme terre-mère et dans le soleil qui est le
sein maternel. À la fin de Yangis, en une séquence cruciale bien que ne durant que
quelques minutes, les archers décochent leurs flèches vers le soleil après les avoir
d’abord pointées vers le sol, donnant à voir cet aspect important des significations du
rite. Yangis possède simultanément un plan totémique mettant en scène la naissance de
l’humanité et de la société à partir des deux espèces caractérisant les moitiés de la
société Yafar et qui sont les facettes totémiques masculine et féminine de l’Humain
dans ses processus de reproduction et de socialisation. Enfin, Bernard Juillerat insiste
sur le fait que « le processus émotionnel fondateur qui est à l’origine du rituel doit être
distingué de l’émotion induite en retour [par le rituel] sur l’individu » (1992 : 111).
14 Surtout, dans Shooting the Sun, la multiplicité des approches proposées par les différents
auteurs constituait en soi une réflexion théorique et méthodologique sur l’étude et
l’exégèse du rituel en général, y compris sous la forme d’une série d’interprétations
selon les approches favorites de chacun « plus complémentaires qu’exclusives les unes
des autres » (1992 : 285). Elle soulevait également la question des rapports entre des
faits universels de constitution et de structuration de la personne et des institutions. En
la matière, l’apport principal de Bernard Juillerat fut de mettre en avant la question du
sens du rituel pour les sujets membres d’une société donnée, au moment où elle
commençait d’être d’emblée évacuée des recherches sur le rituel. Pour une majorité de
spécialistes du rituel, le problème est d’expliquer en quoi il est un type d’action
particulier. Si celui-ci « dit » quelque chose, lit-on souvent désormais, il ne serait
qu’« un accessoire redondant de la règle sociale » (Houseman et Severi, 1994 : 164),
mais rien n’indique en quoi il est une façon spécifique et nécessaire d’exprimer,
interpréter, ou « moduler » (Gell, in Juillerat, 1992 : 142) celle-ci. Les recherches en
anthropologie cognitive, en particulier, considèrent comme démontrée, sans autre
forme de procès, l’inutilité de toute recherche de la signification d’un rituel, tant pour
les sujets qui le vivent que pour les anthropologues qui tentent de comprendre sa place
dans un système de sens (par exemple Humphrey et Laidlaw, 1994 : 192, 262). Sans
autre forme de procès, c’est-à-dire comme si ce débat relancé par Bernard Juillerat
n’avait pas existé. On comprend qu’il ait complété ses multiples travaux sur la prise en
compte du sujet et le rapprochement entre psychanalyse et anthropologie par une
critique exaspérée des prétentions et des raccourcis de l’anthropologie cognitive (2001 :
9-38).
15 Comme l’écrit ici André Green à propos de l’implication de Bernard Juillerat dans
l’approche psychanalytique, celui-ci ne faisait pas les choses à moitié : il « n’était pas de
ceux qui se contentent de quelques citations de Freud pour conclure rapidement à la
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pertinence d’une référence à la psychanalyse pour l’anthropologie ». C’est la genèse de
son approche d’anthropologie psychanalytique que nous voudrions retracer à grands
traits à partir de ses publications, dans les pages qui suivent.
De l’attention au psychique à l’anthropologiepsychanalytique
« Pionnier de l’anthropologie psychanalytique […] Géza Roheim […] s’est toujoursprésenté comme le seul ou le premier ethnologue qui ait adhéré totalement à lapsychanalyse. » (Dadoun, in Roheim, 1967 : 9)
16 Entre 1923 et 1931, Géza Roheim « fit du pays Somali, de l’Australie centrale
[Pitjentara], de l’île Normanby [en Nouvelle-Guinée] et des Indiens Yuma de l’Arizona
son champ de recherche » (ibid.). Autre pionnier de l’anthropologie psychanalytique,
Georges Devereux (1908-1985) travailla sur les Sedang Moï du Vietnam et les Indiens
Mohave du sud-ouest des États-Unis. L’influence de ce dernier se fit particulièrement
sentir en France dans les années 1960 et 1970 à travers son séminaire
d’ethnopsychiatrie de l’École pratique des hautes études, passage quasi obligé pour une
grande partie d’une génération d’anthropologues – dont beaucoup d’ailleurs ne
s’orienteront pas nécessairement vers l’anthropologie psychanalytique.
17 Le parcours initial de Bernard Juillerat ne semble pas se dérouler dans une continuité
directe à ces deux grands pionniers – qu’il citera ensuite dans nombre de ses textes.
Cependant, le lien avec Devereux se fait à travers Roger Bastide, qui fut son directeur
de thèse. En l’absence d’entretiens publiés donnant une vision argumentée par lui des
raisons de son orientation psychanalytique comme aboutissement théorique de ses
recherches en Océanie, l’étude d’un choix de publications dans les pages qui suivent,
considérées comme des jalons significatifs de ce développement de l’œuvre, servira de
guide pour une tentative de compréhension de ce parcours scientifique, de ce chemin
qui mena Bernard Juillerat vers l’anthropologie psychanalytique.
18 Intitulé Les bases de l’organisation sociale chez les Mouktélé (Nord-Cameroun). Structures
lignagères et mariage, l’ouvrage issu de sa thèse, publié en 1971, ne laisse guère présager
de l’évolution future de Juillerat. C’est un travail classique, bien délimité en son titre,
dont l’écriture claire et précise donne le ton de l’ensemble des textes à venir. Elle-
même spécialiste du Cameroun, Jeanne-Françoise Vincent nous présente dans ce
numéro les travaux de Juillerat dans ce pays. La conclusion est resserrée sur la
problématique de départ :
« [le] problème lignager [a été traité] sous deux plans distincts, bien que liés entreeux. Le premier, essentiellement diachronique, a permis de saisir le processushistorique par lequel […] les patrilignages se sont constitués et se sont scindés […] lesecond plan, plus synchronique, nous a conduit à un tableau général del’organisation segmentaire […] le groupement de plusieurs [segments] tshay en uneunité plus vaste se fait toujours par le truchement du territoire. » (Juillerat, 1971 :243-244)
19 Dans cette étude d’organisation sociale, les conclusions sur les relations d’affinité
entrouvrent un peu la porte à des considérations de relations inter-personnelles.
« Dans le cadre du régime matrimonial, les aspects les plus marquants sontl’importance occupée par la parenté cognatique dans le régime exogamique etl’instabilité du mariage […] [pour celui-ci on peut] distinguer la séparation due à desraisons externes et la séparation due à des causes internes, inhérentes au couple
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même (incompatibilité d’humeur) […] seul le second type de séparation [entraîne]une rupture définitive du mariage, tandis que le premier type [n’occasionne] le plussouvent qu’une séparation temporaire. » (Juillerat, 1971 : 244)
20 On trouve, dans le cours même de cette étude monographique, d’autres ouvertures sur
l’étude fine des relations inter-personnelles.
21 Dans le cadre de l’étude des processus qu’il nomme du plaisant néologisme de
courtisation – désignant « l’ensemble des comportements amoureux prémaritaux »
(1971 : 153) –, l’intérêt de Juillerat pour les langues et le langage, jamais démenti depuis
ses études à Lausanne jusqu’à ses dernières publications, se combine à une attention,
non aux « comportements psychologiques individuels, mais seulement [aux]
conventions que la société a créées pour résoudre la difficulté […] [car] la courtisation
suppose un problème de communication entre individus placés dans un contexte
psychologique particulier [...] Problème de communication, donc principalement de
langage » (ibid. : 156). Cette mise en perspective n’entame en rien la finesse de quelques
rares touches psychologiques disséminées dans les pages consacrées à la courtisation
(153-161).
« Cette grande réserve dans les comportements de langage [pour la courtisation enface à face] peut paraître contredire ce que nous avons dit […] concernant lesattitudes des groupes de jeunes sur les marchés et la facilité avec laquelle s’ynouent des intrigues. Nous pensons à ce propos qu’il faut distinguer les situationsindividuelles et les situations de groupe. Les conditions psychologiques et socialesdans lesquelles se trouve le jeune homme isolé à la recherche d’une [amie] môDasont tout autres que celles du même individu incorporé à un groupe. Dans cedernier cas, la bière de mil modifie en outre profondément le psychisme du groupe.Les intrigues qui en résultent ne sont souvent que passagères. Le mode decourtisation “en groupe” basé sur la compétition, le divertissement, la dépenseostentatoire et l’ivresse peut être considéré comme une forme d’affranchissementdes contraintes que suppose le mode de courtisation individuel. À la circonspectionet au tact dont est empreint le comportement de l’amant isolé s’opposent le franc-jeu et la quasi brutalité du comportement collectif. » (ibid. : 160)
22 Les plus belles lignes de cette étude de la courtisation sont sans doute celles où sont
décrites les rencontres chez la jeune fille, avec cet exemple de dialogue de libertinage
conventionnel :
[Lui :] « Lève-toi, sœur, et verse-moi de l’eau »[Elle : ] « Est-ce le diable qui me réveille ainsi ? »[Lui : ] « C’est moi, lève-toi et donne-moi de l’eau, te dis-je. Mon âme t’a suiviedepuis longtemps déjà ; c’est pourquoi je suis venu aujourd’hui. Vais-je la trouverchez toi ? Mes yeux te voient belle et mon esprit ne sait que faire, ma sœur […] »(ibid. : 157)
23 Ainsi, dans cette étude serrée des relations sociales, d’où n’émergent à propos de
relations inter-personnelles que quelques réflexions sur la psychologie des acteurs
sociaux, rien ou presque ne permet d’envisager la voie que va plus tard privilégier
Bernard Juillerat. Il faudra un nouveau terrain, océaniste, pour favoriser, très
progressivement nous allons le voir, son orientation vers l’anthropologie
psychanalytique. Après ces premiers travaux sur les Mouktélé viennent donc les
recherches en Papouasie Nouvelle-Guinée, dans le Sépik Occidental au nord des Border
Mountains.
24 L’étude par Bernard Juillerat de la possession chez les Yafar intitulée « Transe et
langage en Nouvelle-Guinée », fut publiée en deux parties dans le JSO (1975a et b). Il y
porte son attention sur des phénomènes de transe, aussi qualifiés de crise,
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comportement hystérique ou dissociation et décrits comme des symptômes, ou un
syndrome. Les deux articles présentent une étude de l’insertion dans l’institution et de
la récupération par la culture de phénomènes qu’il qualifie en leur état initial de
« sauvages », sans doute au sens de Claude Lévi-Strauss (1962a). Plus précisément il
étudie la « socialisation et [la] symbolisation de quelques symptômes. Mon propos est
de suivre plus particulièrement ici quelques-uns des symptômes de la dissociation dans
leur processus de récupération par la culture » (1975b : 388). Le premier article est
consacré à la « possession médiumnique » chez les Yafar. La passion du terrain, qui fut
– avec un goût pour les voyages – l’une des assises de la vocation anthropologique de
Juillerat (Michèle Juillerat, communication personnelle), y est illustrée par ses qualités
d’ethnographe, déjà manifestes dans ses travaux chez les Mouktélé et qui se trouvent
encore plus en évidence dans la description très fine et complète qu’il donne des
transes observées à Yafar. À nouveau, le langage est une composante centrale de son
étude et de sa réflexion.
« Outre un timbre et des intonations enfantines, le médium utilise un vocabulairespécial d’une cinquantaine de termes qui, se mêlant au lexique habituel,correspondent à des signifiés parmi les plus courants : aliments, animaux, positionsparentales […] cette langue des dieux (nabasa na mô)… n’est donc pas une languesecrète, [elle] n’a pas pour fonction de susciter un ésotérisme d’où les femmesseraient exclues, mais seulement de démarquer la présence divine par rapport aucontexte humain et d’authentifier la possession et la fonction médiumniques. Celexique spécial, connu de tous, est aussi bien utilisé par les interlocuteurs humainsque par les dieux eux-mêmes. » (1975a : 208)
25 Le second article a une portée comparatiste, resituant « le cas amanab [Yafar] dans le
cadre plus large des phénomènes de dissociation ou de transe rituelle observés en
Nouvelle-Guinée » (1975b : 379).
« [Les] échantillons [de la comparaison] ont été choisis dans la mesure où ilsillustrent chacun un stade différent dans le processus de contrôle progressif de ladépersonnalisation et où ils constituent une échelle […] postulant un changementqui ne se ferait pas au hasard, mais qui, partant du syndrome “sauvage”, tendraitdès le départ vers une récupération croissante de ce syndrome par la culture. Leprocessus de socialisation et de ritualisation est conçu comme contingent […]chaque société orientera le syndrome vers un domaine culturel différent (enfonction de ses préoccupations) ou l’intégrera peut-être dans un rituel religieuxpréexistant. » (1975b : 379-380)
26 La synthèse de Bernard Juillerat montre que la surdité, un sentiment de
refroidissement, l’agressivité et – largement développé dans sa présentation – un
rapport très particulier au langage, sont les symptômes principaux de ces dissociations.
« Selon ce qu’elle entend en faire, la société remodèle le syndrome en donnant plusou moins de place à chacun des symptômes et en les dotant d’un sens » (ibid. : 392)
27 Ce « sens » toutefois n’est pas, directement au moins, celui de la langue. Nous aimerions
en effet souligner ce qu’il considère comme « un phénomène constant » : l’association
de la crise avec une utilisation de la parole dans laquelle « le sujet évite de parler la
langue de son groupe » (ibid. : 391). Bernard pointe ici un phénomène largement
répandu en Océanie, des usages spécifiques de la parole étroitement associés à des
formes, spécifiques elles aussi, de sociabilité.
28 Pour les sources comparatistes de ces articles, les études ethnographiques sur la
Nouvelle-Guinée et l’Océanie sont privilégiées. Sur la quarantaine d’auteurs cités,
moins d’une dizaine le sont pour des ouvrages généralistes de psychiatrie ou de
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psychanalyse – trois d’entre eux écrits par des ethnologues, Roger Bastide, Georges
Devereux et Ioan Lewis. L’attention de Juillerat aux approches psychiatrique et
psychanalytique des phénomènes de dissociation se porte ici surtout sur des synergies
déjà établies entre l’ethnologie et ces deux disciplines. Ainsi, il reprend le dialogue
entre l’anthropologue Louis L. Langness et les psychiatres Steven Hirsch et Marc
Hollender à propos de la définition, puis du réajustement catégoriel, des crises negi negi
des Bena Bena. D’abord qualifiées par Langness de « psychose hystérique », elles
deviendront des « pseudo-psychoses », à l’incitation d’une publication ultérieure de
Hirsch et Hollender (Juillerat, 1975b : 383-385). Juillerat poursuit la réflexion de
Langness pour l’étendre au syndrome féminin genefafaili.
« Personnellement, et pour autant qu’on puisse en juger d’après la documentationsuccincte qui nous est donnée, il me semble très risqué de parler de folie pour unsyndrome totalement ritualisé et intégré au contexte funéraire. Le caractère auto-induit de l’attaque genefafaili, très proche semble-t-il de la transe des médiumsamanab [Yafar], paraît ici évident. » (ibid. : 385)
29 Il n’en reste pas moins que, dans ces deux articles, c’est surtout dans les notes de bas de
page que Juillerat développe ses idées en relation à la psychiatrie et la psychanalyse.
Ainsi la note 14 (ibid. : 386-387), où il réagit à une proposition par Mary Reay de
judiciarisation répressive du comportement de l’homme komugl des Kuma. La réaction
de Juillerat est au diapason des idées de contestation de la psychiatrie, assez répandues
au plan mondial dans les années 1960 et au début des années 1970 :
« pourquoi […] vouloir imposer à ces sociétés un système répressif propre àl’Occident (où il est d’ailleurs de plus en plus contesté), tandis qu’elles ontprécisément le moyen d’assimiler le syndrome sans le condamner et d’intégrer le“psychotique” sans l’isoler ? » (ibid.)
30 Alors même que l’attention au psychique y est centrale, l’approche de ces deux articles
diffère sensiblement de celle, plus proprement psychanalytique, qui deviendra sienne
un peu plus d’une décennie plus tard à partir des Enfants du sang. Pour comprendre les
différences, on se réfèrera à la synthèse que Juillerat propose des textes de 1975 dans
laquelle on peut percevoir l’influence des travaux de Bastide sur la façon dont Juillerat
traite des transes en Nouvelle-Guinée.
« Si l’on élargit le problème en ne plaçant plus le syndrome à l’origine du processusde réponses complémentaires, mais en l’incluant au centre d’un complexe plusvaste qui serait celui de la vie et de l’histoire sociale du groupe, il faut alorsconcevoir la crise initiale, “sauvage”, comme un accident, une “mauvaise réponse”ou une sorte de “corps étranger” que l’organisme social chercherait ensuite àidentifier et à neutraliser. Ce processus d’identification-assimilation peut êtreconsidéré comme le résultat d’un réflexe de défense du corps social contre ledanger que représente le syndrome en tant qu’élément allogène. La société chercheà vivre avec son syndrome en le mettant en circuit ou pour le moins en le plaçant“sur orbite” et en lui laissant ainsi sa marginalité sans le rejeter. » (1975b : 393)
31 Proposons de voir en ces lignes plus l’influence des travaux de certains psychiatres – et
anti-psychiatres – que celle, majeure, de la psychanalyse qui va ensuite marquer la
recherche sur les Yafar, et en particulier sur leurs mythes et le rituel Yangis.
L’incertitude des notions qui apparaît dans l’usage de guillemets va, dans la suite de
l’œuvre, laisser la place à l’usage de concepts établis par la psychanalyse. Surtout, à
cette première approche où la psychanalyse contribue à éclairer la transe, phénomène
décrit comme étant de l’ordre du syndrome et au fond marginal, va succéder une
démarche beaucoup plus ambitieuse où la psychanalyse occupe une place désormais
centrale puisqu’elle sera mobilisée pour interroger les tréfonds « infrasociaux » de
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l’organisation et de la formation de traits fondamentaux de la société et de la culture
yafar.
32 Après une longue série d’articles sur les Yafar aux sujets très divers (voir la
bibliographie), la parution en 1986 de Les enfants du sang : société, reproduction et
imaginaire (1986), monographie très complète et détaillée, fonde la problématisation de
l’ensemble de l’ethnographie constituée par Juillerat. Dans une conversation, il disait
s’être orienté vers la psychanalyse en raison du caractère œdipien des mythes yafar (en
2000 ; Agnès Clerc-Renaud, communication personnelle) ce que confirment les lettres à
Philippe Peltier publiées dans ce numéro. Dans Les enfants du sang, on le voit se tourner
vers la psychanalyse, posant de nombreux jalons ethnographiques et interrogations
ouvrant sur cette approche. À propos des mythes, mais aussi du non-dit yafar
entourant la reproduction et la figure maternelle en particulier et de nombreux autres
aspects de la société. Dès l’introduction, remarquant qu’il existe « d’excellentes et rares
recherches d’ethnopsychanalyse », il souligne aussi que :
« quelques psychanalystes anthropologues s’obstinent à négliger les facteurssociaux et historiques, alors que les spécialistes de la parenté ou du pouvoir nedisent mot des représentations psychiques ; d’autres encore entendent toutexpliquer à partir d’une nébuleuse postjungienne où l’homme, détaché de toutcontexte matériel, est réduit à son imaginaire. » (1986 : 10)
33 Au fil de l’ouvrage, Juillerat cite Gérard Mendel, Erich Fromm, André Green, Julia
Kristeva, Roger Bastide – mais aussi l’inclassable Gaston Bachelard. Ainsi, dans le cadre
de cette monographie classique, la réflexion à partir de la psychanalyse progresse par
touches discrètes mais fermement appliquées, de façon cumulative. La brève conclusion
met en place les lignes de force de son programme d’analyse du monde yafar.
L’influence de Bastide y est explicite.
« [Ce dernier] a montré qu’une psychanalyse de la culture n’équivalait nullement àune réduction du social au psychique, mais demandait de dégager les “lois detransformation” qui ont permis à la structure psychique de se reproduire dans lastructure socio-culturelle. En ce qui concerne les Yafar, on a vu à quel pointl’ensemble conceptuel construit à partir des structures infrasociales est récurrent àde multiples niveaux du système. […] Structures de groupes, systèmes d’alliance,formes de “l’initiation” des garçons, essaimage des clans, transmission des droitsfonciers, rituels de protection de la personne ou de reproduction des unitéstotémiques, etc. : tous ces dispositifs font référence à la filiation (agnatiqueinstitutionnelle ou utérine), à la relation à la mère, réelle ou mythique, à latransgression œdipienne et à sa régulation, à l’inversibilité temporelle de l’ordresocial, au rapport transcendant avec les ‘sangs’ masculins ou féminin. » (1986 : 514)
34 La perspective, comme l’ambition théorique, s’affirment ici bien plus larges et
fondamentales que dans les études sur la transe. Il ne s’agit plus seulement d’une
réflexion sur l’intégration, ou la « mise sur orbite » d’un syndrome personnel de
dissociation par les sociétés et les cultures. Ayant appréhendé que, de façon
généralisée, l’ensemble conceptuel yafar est élaboré à partir de structures psychiques
infrasociales, Juillerat entend mettre au jour des lois par lesquelles la structure
psychique se reproduirait dans la structure socioculturelle. Plus tard, il écrira que :
« l’anthropologie peut être qualifiée de psychanalytique quand l’utilisation deconcepts freudiens ouvre de nouvelles voies à l’interprétation des faits sociaux etdes contenus culturels. C’est le cas lorsque les fonctions et représentationspsychiques opérant chez la plupart des individus, tout particulièrement celles quisont inconscientes, se traduisent par des productions collectives. » (2004 : 158)
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35 Le programme psychanalytique de Juillerat annoncé dans Les enfants du sang est mis en
œuvre dès 1988, avec un article intitulé « “Une odeur d’homme” : évolutionnisme
mélanésien et mythologie anthropologique à propos du matriarcat » (repris dans Penser
l’imaginaire), qui sera suivi de bien d’autres, et de quatre livres où culminent cette
réflexion trop tôt interrompue. C’est d’abord, en 1991, Œdipe chasseur : une mythologie du
sujet en Nouvelle-Guinée, préfacé par le psychanalyste André Green. Puis Shooting the Sun.
Suit, en 1995, L’avènement du père. Rite, représentation, fantasme dans un culte mélanésien
qui présente une description détaillée du rite Yangis des Yafar et son analyse en termes
psychanalytiques. Puis, en 2001, Penser l’imaginaire, qui rassemble des Essais
d’anthropologie psychanalytique, dont certains d’humeur polémique, comme celui, inédit,
ouvrant l’ouvrage, qui traite de façon très incisive de « La dérive cognitiviste en
anthropologie ». Confronter son approche psychanalytique à d’autres terrains
(Juillerat, Bidou et Galinier, 2005) et à d’autres démarches anthropologiques qu’il
considère comme scientifiquement pertinentes et fondées sur une ethnographie fiable
et détaillée a été l’une des préoccupations de Juillerat. On trouvera dans ses nombreux
comptes-rendus de lecture de multiples suggestions dans ce sens.
36 Mais c’est avec la publication, en 1992, de Shooting the Sun. Ritual and meaning in West
Sepik que cette démarche prend forme de façon rigoureuse et surtout systématique. Ce
livre présente une première interprétation des significations du rituel Yangis des Yafar
– thème qui sera abondamment développé dans L’avènement du père – mais, surtout, il la
confronte avec l’interprétation qu’Alfred Gell donne de Ida, le rituel Umeda
correspondant à Yangis. Après le débat avec Ron Brunton et Alfred Gell dans les
colonnes de Man en 1980, ce livre reprend de façon beaucoup plus substantielle et
précise les écarts (i) entre Ida et Yangis, (ii) entre les approches anthropologiques
d’Alfred Gell et de Bernard Juillerat. La confrontation, apaisée, de deux des
anthropologues les plus créatifs de leur génération vaut à elle seule le détour. Mais le
livre comporte aussi une série de chapitres écrits par des psychanalystes – André
Green, François Manenti – et des anthropologues de premier plan – Marilyn Strathern,
Roy Wagner, Richard Werbner, Donald Tuzin, Andrew Strathern – ce qui lui donne une
place à part dans les publications océanistes des dernières décennies. À travers l’accent
mis sur les significations des rituels et sur la pertinence de l’approche psychanalytique,
on retrouve l’intérêt de Juillerat pour le langage, un langage dont il montre le dialogue
constant avec des formes d’expression non verbales. En effet, l’étude du rituel Yangis
amène Juillerat à développer un questionnement approfondi autour des significations
non verbales, dans les actes et les objets en particulier. Là, d’autres nœuds se resserrent
avec la psychanalyse :
« comme je l’ai suggéré, la motivation du rite est à la fois dans l’actuation et dans lesens, ou plus exactement dans l’actuation du sens. André Green se réfère souvent àWinnicott et j’ai aussi tenté de recourir à la notion d’espace potentiel à propos durite. En ethnologie, il convient cependant d’apporter une mise au point. L’espacerituel est un lieu transitionnel entre le dedans et le dehors (Winnicott, 1975 : 146),participant de l’idée de limite définie par André Green, mais il tient davantage dugame en ce que son déroulement est connu d’avance, fixé par la culture, tout enréservant une part de play , de créativité par l’expérience psychique renouvelée(individuelle et collective) vécue par les acteurs. À la fois dedans et dehors, le riteintroduit dans son espace-temps transitionnel des objets empruntés au mondeextérieur (plantes magiques, objets de culte) pour qu’il y signifient quelque chosedu domaine tant culturel qu’intra-psychique, puis il les en écarte à nouveau. Ces
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objets matériels à chaque fois (re)trouvés sont intégrés aux règles du jeu, mais leursmises en acte successives en font à chaque fois des objets (ré)inventés. » (2002 : 47)
37 Sous cet éclairage, le rite est conçu comme un contexte spécifique où les significations,
des objets en particulier, effectuent des va-et-vient entre personnes, culture et société.
Ici encore, on remarque la place centrale donnée aux formes d’inscription du sujet dans
la société et la culture.
38 Les ouvrages d’anthropologie psychanalytique de Juillerat sont d’une grande clarté. La
qualité de leur argumentation contribue largement à leur force de conviction. Leur
valeur ethnographique n’est pas moindre et c’est là le fil le plus constant de son œuvre.
Mais cette problématique dominante de la dernière partie de l’œuvre ne doit pas faire
oublier les autres thèmes abordés par Juillerat.
Un anthropologue historien, mais hors des modes etdes dogmatismes
39 Par son refus de céder aux modes, Bernard Juillerat tient également une place à part
dans le paysage des recherches sur la Mélanésie au cours des quarante dernières
années. Par exemple, il est resté discret sur le statut de l’observateur ou la New
Melanesian Ethnography, s’en tenant, si l’on ose dire, à une approche monographique
classique des Yafar, avec le talent et les résultats que l’on sait. Il est de même resté à
distance des oukases sur la subjectivité de l’anthropologue et n’a guère utilisé la notion
de partible person. Il a souvent égratigné le structuralisme et on a vu qu’il a condamné
l’anthropologie cognitive. Il est cependant essentiel de noter que, dans tous les cas, ce
ne fut ni par désintérêt ni du fait d’une condamnation a priori que Bernard Juillerat ne
s’est pas investi dans ces thèmes, pourtant bien présents dans l’anthropologie du
moment. Sa position a toujours été mûrement réfléchie et, à cet égard, la façon dont il a
traité l’histoire nous paraît exemplaire de la façon dont il a pu aborder un sujet sans se
conformer aux injonctions comminatoires de certains spécialistes des sciences sociales.
40 Bernard Juillerat a parlé de l’histoire dans au moins quatre registres : à propos de sa
part dans les transformations économiques et sociales des sociétés de Nouvelle-Guinée
avant le contact (in Godelier et Strathern,1991); dans sa réévaluation des travaux de
Richard Thurnwald chez les Bánaro ; dans son approche des bouleversements
intervenus chez les Yafar depuis leur découverte des Blancs ; et à propos des rapports
entre histoire et anthropologie en général, à l’occasion des débats ouverts par
l’« anthropologie historique de l’Océanie ».
41 Comme d’autres chercheurs, Bernard Juillerat a utilisé l’opposition entre « Big men » et
« Grands hommes » proposée par Maurice Godelier et Marylin Strathern dans Big Men
and Great Men: Personifications of power in Melanesia(1991) pour la contraster avec une
configuration politico-économique n’entrant dans aucune de ces deux catégories, ici
celle des Yafar. Dans « Complementarity and rivalry: two contradictory principles in
Yafar society » (1991), il décrit et analyse un cas intermédiaire entre les deux pôles
dans laquelle les experts rituels ne sont ni des Big men ni des Grands hommes –
notamment du fait de la coexistence chez les Yafar de charges rituelles héréditaires et
de statut acquis comme celui des médiums –, mais tiennent néanmoins de l’un de ces
statuts d’hommes « influents » que l’anthropologie de la région peine à cerner.
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42 Appliqué aux Yafar, le terme Big man est volontairement abusif et, si Bernard Juillerat
l’accole à des personnages ne manipulant aucune richesse matérielle, c’est pour
expliquer que des formes de rivalité, de pouvoir « achieved » peuvent se mettre en place
à propos de situations dans lesquelles la manipulation de ces richesses ne joue aucun
rôle. En l’occurrence, des formes de rivalité et de lutte pour le prestige entre des
hommes éminents (initiateur de fission de hameau, responsable de culte de type
millénariste) qui jouent sur des contradictions sociales pour se distinguer. On est loin
des « systèmes de Big men » ou des cycles d’initiations complexes, « socialement plus
élaborés » (1991 : 141), mais il y a néanmoins lieu de s’interroger sur les
transformations sociales conduisant, hors de toute manipulation de richesses, à la
détention d’une ébauche d’autorité susceptible de passer de la sphère rituelle à la
sphère politique par un effet cumulatif (1991 : 132-133). Chez les Yafar, il existe une
complémentarité entre les charges qui reviennent à quelques-uns – expert rituel,
leader politique, responsabilité dans le culte du cargo Wes apparu chez eux en 1981.
Mais, au sein de chacune de ces sortes de spécialités, les hommes rivalisent entre eux,
sans que l’on soit pour autant dans un système à « Big men » ni à « Grands hommes »
(1991 : 140).
43 C’est dans ce contexte, par rapport à l’histoire et à l’ethnographie des Yafar, que
Bernard Juillerat s’est refusé d’interpréter la mise en place d’une ébauche de pouvoir et
des stratégies qui l’entourent et, plus largement, de processus de complexification
sociale, comme le seul résultat de différences structurales – comme l’opposition
soulignée par Maurice Godelier autour de ces deux grands types d’institution sociale
pesant lourdement sur la vie collective que sont les initiations masculines et les grands
échanges cérémoniels de richesses. Pour lui, tant un système élaboré d’initiations
masculines qu’un ensemble d’échanges cérémoniels étaient peut-être les résultats de
processus où l’histoire joue son rôle. En l’occurrence, un rite comme Yangis (qu’il
qualifie de « pseudo-initiation ») aurait présenté peu de possibilités de transformation
en des initiations masculines (1991 : 141).
44 Bernard Juillerat fut également historien des disciplines et des recherches scientifiques.
Par ses écrits sur les rapports entre psychanalyse et anthropologie déjà évoqués,
d’abord, mais aussi sur l’histoire de l’anthropologie de la Mélanésie, avec la recherche
mêlant enquête de terrain et travail sur archives qu’il a mené à propos de Richard
Thurnwald. Rappelons simplement que Bernard Juillerat choisit d’aller chez les Bánaro
à la fois parce qu’il s’agissait a priori d’une société du Sépik fort différente des Yafar, et
parce que nul n’y était retourné enquêter depuis 1915, malgré la complexité décrite par
l’ethnologue allemand – notamment un système de parenté à moitiés, des rites
d’initiation (masculine et féminine) associés à des échanges institutionnalisés de
partenaires sexuels. L’enquête de terrain de Bernard Juillerat devait montrer que 75
ans de contacts coloniaux et missionnaires avaient suffi à détruire la société bánaro
ancienne jusqu’à en effacer le souvenir de la plupart des mémoires, mais, tirant le
maximum de la mémoire des informateurs et de sa confrontation du modèle de
Thurnwald avec sa propre enquête, c’est une ethnographie contemporaine des Bánaro
qu’il a esquissée dans La révocation des Tambaran (1993) faisant une large place à
l’ethnohistoire. C’est l’occasion d’une mise en cause de l’ethnographie pratiquée loin du
terrain, avec des informateurs peu fiables – et guère consentants dans le cas Bánaro –,
et de remarques sur l’impatience théorique de Richard Thurnwald. Il s’est également
attaché à replacer la recherche de Thurnwald, l’un des plus grands ethnologues de son
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temps, dans la tradition intellectuelle particulière au sein de laquelle il a fait œuvre
originale, y compris en adoptant une démarche fonctionnaliste qui faisait une large
place aux facteurs historiques.
45 L’irruption de la modernité chez les Yafar est un autre domaine où l’aisance de
Bernard Juillerat à travailler simultanément sur des sources historiques et à partir de
ses enquêtes de terrain fit merveille. Consacrées aux transformations rapides de la vie
des Yafar au fur et à mesure de ses cinq séjours, entre juin 1970 et fin 1986. Les pages de
« My poor border dwellers » (1997 ; également publiées en anglais dans Oceania [1993 :
59-88]), sont parmi les plus belles et les plus fines que compte la littérature
ethnologique. Tout y est : la description précise des diverses manifestations matérielles
de la modernité, la complexité d’une société qui se délite et même quelques lignes de ce
regard de l’ethnologue sur lui-même dont Bernard Juillerat a dénoncé les excès (2001 :
9-10). Il rend ainsi compte de la distante présence missionnaire, de la vie des hommes
yafar dans les plantations de coprah et de l’émerveillement de ceux restés au pays
devant ce qu’ils en rapportèrent : sandales, t-shirts, guitare et une nouvelle langue, le
Tok Pisin. Il parle de la construction de la route désenclavant le territoire yafar ou de la
découverte par les Yafar du ravitaillement des soldats australiens de passage. Il raconte
l’arrivée des lointains échos de la démocratie au moment de la préparation de
l’Indépendance, l’introduction d’un fusil de chasse, la visite d’anciens ennemis, l’école,
la fin du culte Yangis, le dépôt de secrets dans les carnets de l’enquêteur, les
balbutiements des cultures de rente. Dans cet article aussi bref que détaillé, il relate
aussi les épidémies, l’embrigadement des Yafar et les promesses de résurrection des
morts dans le culte millénariste Wes, la mort de May Promp – l’incomparable « ami,
informateur et contradicteur » (1986 : 15) –, et même les inquiétudes de
l’anthropologue et sa tristesse devant un monde bouleversé et menacé : au début des
années 1990, « Yafar ne répondait plus » (1997 : 81). En vérité, on ne saurait résumer la
richesse de cet article qui, à lui seul, condense les qualités d’ethnographe de Bernard
Juillerat, la finesse de ses analyses de phénomènes complexes et sa sensibilité d’homme
de terrain – avec ce mélange d’amitié, d’angoisse et de responsabilités que chacun
reconnaîtra.
46 Fait remarquable, on ne trouvera dans ces pages aucune référence à l’« invention de la
tradition » ou à la « manipulation des agents de la modernité » et tout juste une
allusion aux problématiques que les tenants de l’« anthropologie historique de
l’Océanie » exigèrent un temps de voir partout traiter par les anthropologues, comme
la vie urbaine, les migrations ou la politique électorale (par exemple Carrier 1992 : 7).
Sur ce point comme sur d’autres (l’anthropologie cognitive, par exemple), Bernard
Juillerat associa une prise en compte du problème en question, ici, la modernité, à une
critique très argumentée et virulente des positions extrémistes du moment.
47 Publiée sous la forme d’un « À propos » dans L’Homme, « L’histoire en morceaux »
(1999) fut l’une des rares réactions aux excès et au dogmatisme du livre de Nicholas
Thomas, Hors du temps (1998), au moins en français (sur ce point, voir Lemonnier, 1999).
Après avoir résumé les arguments du livre et souligné les difficultés de Nicholas
Thomas à définir des changements sans « temporaliser les variantes entre cultures »
(1999 : 168-167), Bernard Juillerat a successivement rappelé l’impossibilité de faire
« une histoire à long terme pour des sociétés qui ne connaissent pas l’écriture » (1999 :
168) ; l’erreur de prendre l’irruption des Européens comme un « changement comme
les autres » qu’il est possible d’« inscrire dans la continuité de l’histoire précoloniale »
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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alors qu’il s’agit « d’un raz-de-marée planétaire qui restera un fait unique dans
l’histoire de l’humanité » (1999 : 169) ; enfin et surtout, Bernard Juillerat reprochait à
Thomas ce « paradoxe » qui « consiste à se convaincre que les études synchroniques de
systèmes sociaux sont secondaires par rapport aux approches historiques, sans
comprendre que celles-ci se fondent sur des études synchroniques d’autrefois » (1999 :
170).
48 Répondant avec agacement et fermeté aux oukases de Thomas – qui rejoignent ici ceux
d’Alban Bensa (1996), Aletta Biersack (1991) ou James Carrier (1992) –, Bernard Juillerat,
homme de terrain s’il en fut, dénonce le « procès d’intention » (1999 : 170) de l’auteur
de Hors du temps envers l’ethnographie et l’analyse anthropologique. Il rappelle le
désarroi, « les frustrations » et les efforts de l’ethnographe pour remonter le passé, là
où n’existe aucune source historique permettant de le faire. Visant directement la
tentative de Nicholas Thomas de rendre compte de l’histoire de la Polynésie dans la
longue durée, Bernard Juillerat se demandait s’il ne « vaut pas mieux analyser (les)
réponses à l’influence occidentale saisies sur le vif que de se risquer à des
reconstitutions hasardeuses sur les grandes étapes évolutives des systèmes
sociaux … ? » (1999 : 170). Rejoignant Lévi-Strauss (sans le vouloir ?), il plaidait pour des
recherches parallèles « laissant chacun, anthropologue et historien, faire son travail »
(1999 : 170)3. Bernard Juillerat plaide pour une observation de la durée dans le présent
du terrain ethnographique :
« C’est le temps de l’observation par excellence, où l’histoire se fait sous nos yeux,dans le laps de temps d’une vie d’ethnologue. » (1999 : 171)
Présentation des articles
49 Ce numéro spécial du Journal de la Société des Océanistes en hommage à notre regretté
collègue Bernard Juillerat s’ouvre avec deux textes évoquant des collaborations
scientifiques de ce dernier. Dans « Remembering Bernard Juillerat. Visiting the Bánaro
after Richard Thurnwald », Marion Melk-Koch raconte ses échanges avec Juillerat à
propos des travaux de Richard Thurnwald et, en particulier, de ses notes de terrain qui,
en raison des nombreux voyages – parfois forcés – de l’anthropologue berlinois, sont
dispersées dans le monde entier. Juillerat a en effet revisité les Bánaro de Papouasie
Nouvelle-Guinée dans La révocation des Tambaran (1993). Il a préparé son terrain par des
recherches des sources anciennes à Berlin, ce qui fut l’origine d’échanges d'abord
épistolaires, puis de deux rencontres personnelles entre Marion et Bernard. Ce texte
évoque les péripéties de la recherche des archives anthropologiques et les surprises
réservées par une société, effleurée par Thurnwald en 1913 et revisitée par Juillerat en
1989 et 1990.
50 Dans « Lettres à un jeune ethnologue », Philippe Peltier publie quatre lettres tirées d’un
échange de correspondance avec Juillerat pendant son second terrain dans le Sépik.
Chercheur expérimenté, celui-ci réagit aux notes de terrain que lui a confiées Peltier.
Née d’un désir de donner à entendre à nouveau la voix de Bernard Juillerat, cette
publication d'un autre aspect de son activité épistolaire nous renseigne aussi bien sur
sa manière de mener les entretiens que sur son appréciation du milieu ethnologique
parisien ainsi que sur de multiples choses encore, petites ou grandes, qui font les
échanges entre collègues engagés sur un terrain proche.
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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51 Avant de devenir spécialiste de l'Océanie, Juillerat avait travaillé au Cameroun, chez les
Mouktélé, où il fut l’un des pionniers de l'ethnologie dans la région reculée des Monts
Mandara. Le contexte de ses travaux dans cette partie de l'Afrique nous est présenté
par sa collègue Jeanne-Françoise Vincent dans un article qui présente de façon détaillée
et souvent comparatiste les descriptions et analyses du jeune Juillerat dont les
recherches africanistes se caractérisaient déjà par leur minutie ethnographique et leur
honnêteté intellectuelle.
52 D’août à novembre 2008, le Musée de Port Moresby a présenté une exposition intitulée
A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar between symbols and artifacts. Une partie de la
collection rassemblée par Bernard Juillerat et donnée au musée en 1974 y était
présentée au public. Cette exposition, qui montre le rayonnement du travail de Juillerat
dans le pays où il effectua ses terrains océaniens, est présentée ici de façon détaillée par
Nicolas Garnier et sert de point de départ à une réflexion sur le rôle d'un musée comme
celui de Port Moresby. Il est au confluent de la culture que les habitants de Papouasie
Nouvelle-Guinée vivent au quotidien ou lors d’événements plus ritualisés et de celle
que leur renvoient les institutions émanant de l’influence occidentale, dont
l'anthropologie et la muséographie. Doit-il se concentrer sur une mission de
conservation des objets ou bien se consacrer aussi au montage d'expositions
thématiques temporaires telle que A tribute to Bernard Juillerat ? À la diversité des
interrogations répond celle du public, comme le montrent les réflexions de deux des
visiteurs de cet hommage muséographique.
53 Le texte d'André Green complète les précédents en montrant la diversité et la richesse
de l'homme Bernard Juillerat en son œuvre, tout en introduisant pour ce volume la
perspective psychanalytique qui marque profondément la dernière partie de celle-ci.
De leur dialogue et de leur collaboration, il évoque le déroulement, depuis la
participation du psychanalyste à la recherche collective de Shooting the sun (1992).
Green énumère les thématiques principales développées par Juillerat. Ainsi, la
démarche psychanalytique remet profondément en cause certains « dogmes »
structuralistes pour ouvrir sur des prises de position radicales, comme celle qui affirme
que « le sens détermine la structure ».
54 Jadran Mimica présente une étude de cas ethnographique traitée de façon
psychanalytique, celle d'un garçon yagwoia-anga de Papouasie Nouvelle-Guinée. La
dialectique de la paternité yagwoia met en œuvre une configuration dynamique
conditionnée par le désir de la mort du père, celle-ci étant la condition du transfert et
de la continuation dans les fils de la « puissance-osseuse » (bone-power). Les circulations,
d'origines paternelle et fraternelle, de puissance-osseuse, nourritures, biens affinaux et
autres étant détournées et refusées à ce garçon dont la position générationnelle bien
spécifique se caractérise par une incomplétude relationnelle, Mimica montre comment
il rompt avec le côté paternel de sa parenté. Le garçon se réfère alors prioritairement
au côté maternel et à de la poudre d'os humains achetée à un étranger. Ceci se
manifeste à travers des rêves qui associent d'une part son nourrissage et sa croissance à
un oncle défunt et sa force guerrière et d'autre part son éloignement de la société à
cette poudre d'os qu'il conserve sur lui.
55 Dans « Kinship, Ritual, Cosmos », Pamela Stewart et Andrew Strathern confrontent
deux usages des théories psychanalytiques en anthropologie, celle de Meyer Fortes et
celle de Bernard Juillerat. Tous deux font usage de la théorie de l'Œdipe, mais en
privilégiant certains aspects qui correspondent à leurs ethnographies respectives (voir
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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aussi Douaire-Marsaudon ci-dessous). Les Yafar mettent l'accent sur les relations mère-
fils et leur nécessaire disjonction pour que les garçons deviennent des hommes – un
thème assez répandu en Nouvelle-Guinée. En contraste, pour les Tallensi d'Afrique de
l'Ouest, Meyer Fortes privilégie les rapports du père et du fils aîné. Chaque auteur,
chaque peuple, privilégie un côté du triangle œdipien. Alors que ces configurations
œdipiennes sont à la marge de l'ethnographie, celles-ci occupent une place centrale
dans les interprétations des deux auteurs.
56 Françoise Douaire-Marsaudon présente une lecture de mythologies et de rites
polynésiens dans la perspective du « drame éclaté de l’Œdipe » (Bernard Juillerat), vu
ici dans une autre configuration de fusion originaire, de retour au stade intra-utérin. Des
questions tournant autour de l’inceste, de la césure nature/culture et de la place
éminente de l’engendrement et de la production des générations sont reprises ici à
travers le matériau polynésien. À considérer les oscillations entre le Po-nuit et le ’Aho-
jour, on peut dégager un élément-clé, véritable interface entre les deux domaines, la
notion polymorphe de fonua qui signifie à la fois « terre/pays », « tombe » et
« placenta ».
57 L’interprétation des rêves fut un des thèmes centraux du travail de Freud et nombre
d’ethnologues en ont montré l’importance dans d’autres civilisations. Chez les Kanak
de Nouvelle-Calédonie, les rêves sont souvent évoqués dans les conversations, leur
importance a été soulignée par certains observateurs, mais ils n’ont pas été objets
d’études fouillées. Isabelle Leblic les met en contexte pour dégager les lignes de force de
leur prégnance sociale et culturelle. Dans un monde où « créations » et « innovations »
sont souvent considérées comme inspirées par les ancêtres et/ou les esprits, le rêve est
une passerelle, moyen privilégié d’accéder à des savoirs qui doivent être authentifiés ou
n’ont pas été transmis. Ainsi, invention du masque, quête de médicaments,
représentations picturales, chants et danses mais aussi recherche universitaire
peuvent-ils être référés à l’activité onirique. Le rêve, enfin, permet la communication
avec des parents ou amis vivants qui se sont éloignés, il est parfois porteur, ou même
précurseur, de nouvelles les concernant, ou ayant trait à la marche du monde. Leur
décryptage met en œuvre une symbolique qui partage des traits significatifs avec la
littérature orale.
58 Marilyn Strathern interroge les notions de don et de réciprocité. Juillerat a en effet
proposé pour les Yafar de « détacher » l'idée de réciprocité de celle du don, se
positionnant clairement contre des positions centrales chez Mauss et Lévi-Strauss.
Déplaçant le regard anthropologique de la Mélanésie vers le monde occidental, Marilyn
Strathern, après avoir rappelé l'influence de l'Essai sur le don dans certaines théories
récentes concernant le don du sang montre, pour ce dernier et aussi pour le don
d'organes, l'existence de débats à propos de questions connexes à la réciprocité. Le don
du sang ou d'organes serait altruiste, volontaire, « don de vie », toutes qualifications
morales qui semblent s'opposer à la marchandisation alors même qu'un auteur
souligne que le don d'organe commence sa trajectoire de façon altruiste pour l'achever
dans le commerce. Il existe aussi des différences significatives selon le type d'organe
concerné. Toutefois il semble que la notion de don, elle, ne soit guère remise en cause.
59 L'anthropologie des sentiments et en particulier celle du bonheur restent peu
développées dans la recherche française contemporaine. Monique Jeudy-Ballini montre
que chez les Sulka de Papouasie Nouvelle-Guinée, tandis que l’expression des émotions
est relativement libre, il est inconvenant de spéculer sur les raisons de ces émotions
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chez autrui. Il y a donc une réelle difficulté à faire l'anthropologie des sentiments, ce
qui rend la tâche d'autant plus stimulante. En effet, comprendre une société, c’est
connaître les manières de sentir de ses membres, savoir comment elles informent ou
organisent leurs interactions sociales, et de quelle façon elles peuvent constituer des
modes d’action, ce qu'avait bien compris l'école « culturaliste » américaine. Un tour
d'horizon des approches récentes de la question des émotions et de l'affectivité, enrichi
par des allers-retours avec l'étude des Sulka, suggère comment la prise en compte des
émotions pourrait contribuer à fédérer anciens et nouveaux thèmes et terrains de
l'anthropologie.
60 Gilles Bounoure fait le compte rendu des deux derniers ouvrages de Bernard Juillerat,
Penser l'imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique (2001) et le collectif édité avec
Patrice Bidou et Jacques Galinier, Psychanalyse et anthropologie. Regards croisés (2005).
Bounoure met en valeur la position centrale de la psychanalyse dans l'œuvre de
Juillerat, les croisements qu'il propose avec l'ethnographie et la place des découvertes
de Freud dans des débats intellectuels qui, comme le montre l'actualité récente, n'ont
jamais cessé d'être passionnés et passionnants.
61 Sophie Chave Dartoen place l'ethnobotanique au cœur de sa réflexion pour mieux
éclairer les relations sociales. Elle reprend le problème des représentations et de leur
efficacité à partir de la « production des jardins » (Juillerat), mais pour le terrain
polynésien de Wallis. En effet, l’importance rituelle des plantes cultivées, des
techniques et des pratiques qui leur sont associées ne peut être pleinement saisie à
travers une opposition entre matériel et symbolique. Les ignames sont la prestation
masculine par excellence et leurs récoltes sont considérées comme une manifestation
de relations bénéfiques entre le pays – aux premiers rangs duquel les horticulteurs et
les anciens –, le roi et Dieu.
62 Christian Coiffier s'intéresse à l'utilisation, dans de nombreux rituels, de plantes
productrices de fruits dont la couleur change avec la maturation. Bernard Juillerat a
essayé de comprendre de façon rigoureuse la perception profonde de certains de ces
fruits pour ses informateurs Yafar. Élargissant la perspective à plusieurs sociétés du
Sépik, Coiffier remarque que, souvent, ces plantes renvoient à la mort ou au
vieillissement humains et que sont privilégiées celles d’entre elles considérées comme
étant en relation avec le monde chtonien.
63 Les trois dernières contributions, si elles font écho à la thématique du sujet et des
relations, s'intéressent plus particulièrement aux significations portées par les
cérémonies et les rituels. En écho avec l'interprétation de Juillerat selon laquelle
l'accomplissement du rituel met en relief des valeurs sous-jacentes aux relations
sociales, Christian Kaufmann se penche sur le rôle dévolu par les Iatmul de Papouasie
Nouvelle-Guinée à des objets marquant des relations de genre. Dans des rituels comme
le naven, des artefacts objectifient – rendent visible – ce type de relations. Même s'ils ne
circulent pas, ils peuvent être considérés comme des « dons » de savoir et de service,
car précisément ce qui circule dans ces circonstances est l'expression du savoir par la
monstration et non la circulation des objets.
64 À partir de cérémonies kanak de Nouvelle-Calédonie, Denis Monnerie propose de
distinguer entre « symboles » et « figures ». Ces dernières – comme la Maison ou
Grande Maison – renvoient toujours à un même thème qui, dans les cérémonies, est mis
en œuvre sous des formes qui visent à associer systématiquement compréhension et
expériences plurisensorielles et à le faire de façon collective. Les formes minimales de
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cette mise en œuvre cérémonielle collective du social pour les figures et leurs
significations sont des paires, ce qui renvoie aux « fantasmes originaires » privilégiés
par Juillerat, qui, tous, mettent en jeu des relations entre au moins deux acteurs.
65 C'est à une réflexion comparatiste sur les mythes et les rites des peuples anga de
Papouasie Nouvelle-Guinée que nous convie Pierre Lemonnier, pour mieux y
comprendre la place du sujet. S'il n'y a pas de « nécessité dans la logique d'un
imaginaire collectif », il y a des conventions. Comment celles-ci font-elles partie des
sujets ? La place des rituels est ici centrale. Les transformations que le sujet masculin
subit lors des rituels d'initiation ankave débordent le seul moment rituel car il y
ressent, de façon verbale et non verbale, des actions, des émotions et des savoirs
relatifs au monde où il est né et dans lequel il vit.
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NOTES
1. Voir la sélection de photographies présentée dans ce volume.
2. Rappelons que cet order dépend, selon Ron Brunton :1) du degré d’élaboration et de l’ampleur
d’un système religieux ; 2) de sa cohérence interne ; 3) de l’uniformité des croyances et des
pratiques d’un individu à un autre ; 4) de leur persistance dans le temps (Brunton, 1980 : 122).
3. «À l’un, donc, le changement, à l’autre les structures» (Lévi-Strauss, 1962b:
45).
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Bibliographie et filmographie deBernard JuilleratIsabelle Leblic
Pour plus de clarté, cette bibliographie est présentée en décomposant l’ensemble des
références de Bernard Juillerat, à savoir :
les huit ouvrages et les trois directions d’ouvrages – en présentant les références des
comptes rendus dont ils ont fait l’objet –,
les cinquante-deux articles dans les revues,
les quinze chapitres d’ouvrages
et les quarante-huit comptes rendus de lecture.
Nous avons cité également les références des trois films réalisés par Bernard.
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la thèse de 3e cycle de Lettres (Paris, 1966).
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publication de la thèse de 3e cycle d’Ethnologie (Paris, 1969).
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Nouvelle-Guinée (Amanab et Kwomtari) : notes techniques et ethnographiques, s.l., 501
leaves.
JUILLERAT Bernard, 1975. Objets du Haut-Sepik, Nouvelle-Guinée (Amanab et Kwontari),
Microfiches n° I 74099 117, Paris, Institut d’Ethnologie, Musée de l’Homme.
JUILLERAT Bernard, nd. Amanab-English lexions and test Amanab language of
PNG,Melanesian manuscript series n° 0142 [microfiches].
Traduction
MADAN Triloki Nath, 1990. À l'opposé du renoncement : perplexités de la vie quotidienne
hindoue, trad. de l'anglais par Denise Paulme-Schaeffner et Bernard Juillerat,
Paris, Éditions de la maison des sciences de l'homme, 214 p.
Vidéographie
JUILLERATBernard (réal. de), 1968. Matsam, Meudon, CNRS Audiovisuel, 1 cass.vidéo (VHS),
23 min., coul., SECAM, sonore, Français.
JUILLERATBernard (réal. de), 1973. Un Jardin à Iafar, Meudon, CNRS Audiovisuel, 1
vidéocassette (VHS), 1 h 28 mn, coul., 1/2po, sonore, Français.
JUILLERATBernard (réal. de), 1981. Le Sang du sagou, Meudon, CNRS Audiovisuel (éd.,
distrib.), 1 cassette vidéo (VHS), 55 min, coul., SECAM, sonore, collection Sciences de
l'homme et de la société, Français.
OWEN Chris (Bernard JUILLERAT & Alfred GELL, scientific advisors), 1983. The Red Bowman,
Goroka, National Film Institute.
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37
In memoriam Bernard Juillerat
ANONYME, 2006. Hommage à Bernard Juillerat, Journal de la Société des Océanistes 122-123,
p. 224.
COIFFIER Christian, 2006. Bernard Juillerat. In memoriam, Gradhiva 4, p. 124.
GALINIER Jacques, 2007. Bernard Juillerat (1937-2006), L'Homme 181, pp. 203-208.
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38
Remembering Bernard Juillerat.Visiting the Bánaro after RichardThurnwaldMarion Melk-Koch
1 Actually, I did not really know Bernard Juillerat. In addition, my French was and is not
good enough to comprehend fully his profound explanations of philosophical and
psychoanalytical questions. My memories of him are letters, Christmas cards and two
personal meetings – one in Berlin shortly after the fall of the Berlin Wall in the summer
of 1991 and another one in Paris where Marie-Claire Bataille-Benguigui had invited us
for dinner and where it turned out, during a conversation, that we knew each other.
Bernard Juillerat, who was living on the same housing estate, agreed spontaneously to
forsake a very interesting TV discussion about the situation in Afghanistan, which had
absorbed his attention, and to keep us company. It was a very agreeable evening.
2 Our point of contact was Richard Thurnwald (1869–1954) and his two monographs
about the Bánaro. (i) 1916 Bánaro Society. Social Organization and Kinship System of a Tribe
in the Interior of New Guinea, in Memoirs of the American Anthropological Association,
Vol. III, No. 4, Lancaster, Pennsylvania, and (ii) 1921 Die Gemeinde der Bánaro. Ehe,
Verwandtschaft und Gesellschaftsbau eines Stammes im Innern von Neu-Guinea. Aus den
Ergebnissen einer Forschungsreise 1913–15. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte von
Familie und Staat. Stuttgart1.
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Document 1. – Title page of the 1921 Bánaro monograph in German
3 In October 1988, I received a message from the Berlin Museum of Ethnology telling me
that a French colleague had made inquiries about unpublished materials on Richard
Thurnwald’s research during the latter’s stay with the Bánaro and would like to get in
contact with me. From the Berlin Museum he had learned about my work on a doctoral
thesis about the two big expeditions of Richard Thurnwald to the former German South
Seas Protectorate and he himself planned a «restudy» of this population group. In 1911,
the German Government – the «Reichs-Kolonialamt» – and the Royal Museum of
Ethnology in Berlin had organised an interdisciplinary expedition to explore the inner
part of Kaiser-Wilhelms-Land along the Sepik river. This primarily geographic
exploration included anthropological and ethnographical research as well. The group,
consisting mainly of Roesike, Behrmann and Thurnwald – who joined a year later –
found several tributaries of the Sepik. In 1913, Richard Thurnwald and the geographer
Walter Behrmann, were both participants on the «Kaiserin-Augusta-Fluss Expedition»,
as the Sepik was called during the German colonial period. They were the first to
contact the Bánaro, who lived on a tributary of this river.
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Document 2.– Map taken from Behrmann (1922)
4 Here it is necessary to somewhat develop my own research. This will help understand
the problems Bernard Juillerat had in finding documents relating to Thurnwald’s work
about the Bánaro. As they are kept in several places throughout the world, the search
for Thurnwald’s archives reads a little bit like detective work. By autumn 1988, I had
nearly completed my thesis. And when Bernard’s inquiry reached me, I was about to
map some important details concerning Thurnwald’s research in New Guinea. It was to
become an interesting and unexpected discovery for the field of historical ethnology.
And this discovery dealt precisely with Thurnwald’s monograph about the Bánaro,
which was first published in 1916 in a short version. In 1921, Thurnwald followed it up
with a considerably extended German version.
5 After the outbreak of World War I, Thurnwald spent a total of one year in New Guinea
before he could leave for the United States; he was allowed to take with him only a
small part of his collections, field-notes and photographs. Documentation dealing with
Richard Thurnwald’s collections in the National Archives of Australia in Canberra,
shows that none other than Winston Churchill himself decided on the fate of these
items, which today are located for the most part in Sydney. Thurnwald’s collections
comprised ethnographic and geological specimens, sound recordings, photographs,
drawings and sketches of maps and field-notes.
6 Due to the wartime situation it was impossible for Thurnwald to return home by a
direct route, so he took the chance to try the way back to Germany via the United
States. At the University of California in Berkeley, Thurnwald encountered great
hospitality and came into close contact with colleagues of German descent like Alfred L.
Kroeber and Robert Lowie, amongst others. There, at that time, the systematic analysis
of classificatory kinship systems was an important topic. Thus in 1916, when the first
publication about the Bánaro was released, it was a late-breaking publication of his
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research results. Thurnwald could not complete the proof-reading because he was
forced to leave the U.S. precipitately, after the country entered the war. Once again he
was not able to take his remaining records with him to Germany. Part of the documents
remained in Berkeley, another part was lost on the way to New York City when mailed
later. Some of Thurnwald’s documents are still kept in the University of California,
Berkeley, among them some handwritten copies of Thurnwald’s texts made by Kroeber.
For the German version of the Bánaro publication Thurnwald had even fewer
documents at his disposal. Moreover, he had to leave his ethnographic collection
behind – as before in Australia. He was not allowed to take pictures and documents
with him from the U.S. In San Francisco, he left behind 47 boxes, 3 boxes with
photographs and 7 boxes with notes, as well as valuable maps and collections. (For
details see Melk-Koch, 1989: 249, 2000: 53, 68; Graig, 1997: 387, 404.)
7 It was not easy to reconstruct these processes to this point. Additionally, I heard about
the documents in Berkeley and the other documents concerning the collection in
Sydney only when I had already completed my doctoral thesis. Yet I had found essential
indications, e.g. in the archives of Yale University where at least part of Thurnwald’s
scholarly archives from the thirties are kept. In fact, complete archives of Thurnwald’s
work do not exist. However, since in 1931 Thurnwald had obviously taken with him a
part of his left-over documents for his lectures to Yale and because these documents
contained passages relating to his research, it was possible to complete the puzzle with
the help of tiny indicators. Probably due to the politically and materially uncertain
situation in Germany at the time, Thurnwald left his documents – even important
private ones – in the house of a colleague in Yale. Thanks to this windfall, today we are
at least able to read up on his teaching activity and his contacts with American
research colleagues in the nineteen thirties and furthermore gain a view of his research
periods in the South Seas.
8 But let us go back to square one: The starting point for my thesis were two preserved
collections of letters of Thurnwald’s research in the years 1906–09 and 1913–15 and the
beginning of a travelogue from 1906 to 1907. But soon it turned out that for the
examination of the background – and thus for the understanding of his publications – it
was necessary to do more than limit myself to the period of pure field research.
Consequently, my thesis became more and more about the exploration of his early
years – and hence of the scientific background –, of a man who became later such an
influential social scientist. From reading the «Letter Diaries» (this is the working title)
for the first time as well as combing through the correspondence files that were
preserved in the Berlin Ethnological Museum, more questions than answers arose. First
and foremost, the numerous publications and results of Thurnwald’s first travel heavily
contradicted the letters between Thurnwald and his supervisor Felix von Luschan, head
of the department of Oceania in Berlin. Many of the connections remained completely
in the dark and could not be enlightened even by the articles distributed in
multitudinous journals and anthologies (many of them were fortunately available as
offprints in the Ethnological Institute of the Berlin Free University, which was founded
by Thurnwald after World War II). It was necessary to discover new sources! Where, for
instance, were Thurnwald’s field-notes from New Guinea and the manuscript of the
second volume of his Buin monograph which was never printed? Where were the
linguistic field-notes and the maps drawn by him? What was his life like before the
journeys and after his return in the middle of World War I? What happened to his
scholarly archives – if they existed at all? Where were the photographs and the
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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phonograph wax cylinders with his phonographic records? It was only after the fall of
the Berlin Wall that it was possible to answer the last question, what was that probably
the major part of his photographs was located in the basement of the Ethnological
Institute. Some of them could be incorporated in the publication of my thesis in 1989.
9 Of course, beyond the purely biographic and «material» questions, it was necessary to
take into account several scientific questions and approaches. How did his
contemporaries evaluate his work, what is its reception today (or rather how was it in
1989)? And, a topic for which there was unfortunately not enough space and time: what
is life like today in the regions, which he visited? What do the people there think about
the statements concerning their culture? Bernard Juillerat’s great merit is that he
attended in detail to the last question for the Bánaro. And without him, both of
Thurnwald’s publications about the Bánaro would possibly still be buried beneath the
dust of history. From October 1989 to the spring of 1990, he spent four months with the
group which Thurnwald had called the Bánaro.
10 What were the relations between Thurnwald and Bernard Juillerat? First and foremost,
it was probably their common interest in psychological research. Thurnwald’s objective
of his stay in the South Seas consisted not only in collecting items for the Ethnology
Museum in Berlin but also in gaining knowledge about the thoughts and feelings of the
indigenous population. Maybe this was even the main driving force for his journeys.
From early on, Richard Thurnwald occupied himself with this new discipline, as it then
was, studied the works of experimental psychologists and tried to combine sociology,
psychology, economics and «peoples’ science», which is how he described it himself.
Thus, psychological explorations were already one of his main topics during his first
field research in Oceania. In 1906, after long preparations, he travelled to the German
South Seas Protectorate, German New Guinea, with a comprehensive catalogue. This
had been put together in collaboration with different professional representatives,
extended by himself and entitled Ethnographische Fragesammlung zur Erforschung des
sozialen Lebens der Völker außerhalb des Europa-amerikanischen Kulturkreises (Collection of
Ethnographic Questions for the Exploration of the Social Life of the Peoples Outside the
European-American Cultural Area). Between 1908 and 1909, Thurnwald spent several
months in southern Bougainville, in Buin. More details about his journeys and his
background as well as about the research results, can be found in my 1989 thesis.
11 Back from his first journey, which lasted from 1906 to 1909, he managed to publish two
volumes on Buin, based on localised fieldwork which had taken at least a few months.
Lieder und Sagen aus Buin (Songs and Legends from Buin), the first volume of his
Forschungen auf den Salomon-Inseln[…] (Research on the Solomon Islands…), published in
1912, is a comprehensive example of his attempt to learn about the human mind and its
perception. In 538 pages, he published (in inter-linear transcription) and analysed 139
song texts. With his «rendering of Stone Age Literature», as he himself calls it,
Thurnwald became a poet himself and pursued his goal of keeping as the basis of his
work things he really had heard and seen and letting the indigenous people themselves
interpret their culture2.
12 So Bernard Juillerat and Richard Thurnwald similarly turned mental processes into a
focus of their research. Thurnwald’s correspondence from his first journey with
Professor Karl Stumpf, the founder of the Phonogram Archive in Berlin, and Erich
Moritz von Hornbostel demonstrates thathe had a keen interest in this topic. He knew
very well that he could not manage this when just passing through: «You cannot think
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of research trials while you are on the road. For this, you need a longer stay at a
particular location and some contact with the indigenous people» (22.3.1907, Files of
the Phonogram Archive, Staatliche Museen Berlin Preußischer Kulturbesitz).
Confronted with these letters, suddenly, some of the field-notes make unexpected
sense. There are also sound recordings of the Bánaro, which are preserved in the Sound
Archives of the Berlin Museum of Ethnology (Ziegler, 2006: 290-291).
13 To me, Thurnwald’s monograph on the Bánaro by the Keram River in New Guinea
seemed incredibly boring at first. Browsing through the two different versions in
search of some information, which I could use to reconstruct his two journeys into the
now long-gone world of German New Guinea, these books did not produce any useful
results at all – this is hardly surprising, but I understood this only later, after sifting
through all his publications and remaining parts of correspondence that had also
survived, trying to find more reliable data. Towards the end of my thesis, it became
clear why there was such a mystery around his monograph(s) on the Bánaro. To cut it
short: Aside from the fact that Richard Thurnwald spent nearly seven years «in the
field», his «monographs» on the Bánaro are the only ones he ever wrote on a
Melanesian society – but[…] he never really stayed with these people.
14 While in 1913 Thurnwald regretted that he did not have enough time for conducting
research on the Keram river, which they had named Töpferfluß, he was to get another
chance to learn more about the life of the people there. Right from his first stay, he was
interested in the social structure of the Bánaro. Then, two years later, he could get
detailed information about them. In 1915, unable to return home and waiting in
Marienberg, one of the British occupation officers provided him with two «boys»,
Jomba und Manape, who hailed from this region, and Thurnwald was able to work with
these two informants for five months. When returning the two boys to their home
village, however, he failed in his desire to get into direct contact with the indigenous
people. Unlike the other villages, he was not allowed to enter the village of the Bánaro,
the «50 Kilometers Village» because the inhabitants were hostile towards him. So he
had to rely on what these two, obviously not fully initiated, young men told him.
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Document 3. – Men in the «50 km village», Angisi, June 1, 1913
(photograph by Richard Thurnwald)
15 Thurnwald wrote his monograph(s) on conjugal relations at a time when he himself
had a lot of problems with the perception of the institution of marriage. Thus, being
aware of his personal situation, it is in retrospect not surprising that the volume,
dealing with the representation of processes which were described by his informants,
goes far beyond a philosophic reflection on these processes.
16 Thurnwald was among the first ethnographers to define the terms he used. Sometimes
he did this to such an extent that, in the first pages of the 1921 publication on the
Bánaro, there were only three lines of text but three and a half pages were filled with
footnotes. He quoted the most recent publications by Rivers, Vierkandt, Foulkes and
others to make sure that the reader could easily and precisely understand the concepts
he was talking about when using the terms «clan, kin, family, tribe, nation». This makes
it easier today to follow his arguments. Only a few years later, we owe the separation of
ethno-sociological terms from biological ones to Thurnwald (in «Zur Kritik der
Gesellschaftsbiologie», 1924 [Criticizing Social Biology]). Sifting and filtering literature,
always reconciling and processing the impressions of his own experience, Thurnwald
created a basis followed by generations of researchers. One thing seems worth
mentioning: he was always looking for examples in European history when it came to
specific structures, which seemed exotic to his contemporaries, like the reception of
the goblin child (Thurnwald, 1921: 263-264). He was among the first to emphasize the
principle of reciprocity in the field of ethnology. (For further discussion see Melk-Koch,
1989: 239-240 and Tuzin, 1994: 516-517.)
17 It is this monograph on the Bánaro – especially the more comprehensive German
version, which he worked on in parallel with his state doctoral thesis on the Psychologie
des Primitiven Menschen (1922, Psychology of the Primitive Mind). Thurnwald used the
word primitive not in a sense of being inferior, but in the sense of earlier or prior, but
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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sometimes it is very confusing. Both analyses were based on his search for the basic
structure from which modern human society emerged. His monograph on the Bánaro
where his own filtering process of extensive literature combined with his experiences
in the field made him leave behind every evolutionistic approach. Donald Tuzin in his
review of Bernard’s book La révocation des Tambaran calls him «a maverick in early
twentieth century social science…, whose breadth of vision was ill-fitted to the
prevailing intellectual schools. Surveying the ruins of classical evolutionism from the
perspective of comparative law, Thurnwald asked how the state did, indeed, evolve – as
it must have done – out of elemental exchange and authority arrangements; hence his
interest in contemporary primitive societies… Thurnwald’s broad synthesis was
rationalised by a functionalism quite advanced for its time.» (Tuzin, 1994: 517).
18 Today, in biographic volumes or texts on the history of German ethnology, Thurnwald
often is regarded as an evolutionist. But from the very first beginning, he was far away
from that. His analytical work on the Bánaro, the «sifting» of all related literature
which was accessible to him, taking into account his own experience, the discussions
with experts at first in Berkeley and later in Germany had an essential impact on his
future scientific œuvre. In Thurnwald’s work the Bánaro publications mark the
transition from a classification of human social systems related to the history of the
development of mankind to his almost systemic theoretical approach in the thirties.
The process of social «sifting», which Thurnwald increasingly pursued in the twenties,
was phrased by him («Siebungstheorie») and went down as an important theory in the
scientific history of ethnology and sociology. To this very day it has far-ranging effects
for the social sciences (Melk-Koch, 1996:71-81).
19 As already mentioned, I was seeing the Bánaro work as totally theoretical and «dry»,
not to say «fleshless», as the descriptions were so far removed from what I had
expected to learn about daily life in a special village. Thus I was quite surprised when
Bernard Juillerat’s letter arrived, asking about Thurnwald’s stay with the Bánaro.
Furthermore, he told me that he intended to go there to figure out the changes that
had taken place since 1915. This was the very beginning of my career in the field of
Oceania and I had no idea at all about who this person was – who had an interest in this
dusty and dry description of mainly «Heiratsregeln» (marriage rules), hardly ever
mentioning the real life of the people! But the Bánaro were amongst the earliest group
in today’s Papua New Guinea, whose social structure was described in a monograph.
And it took another 74 years until another ethnologist dealt with the local social
structure and its change.
20 My letter to Paris in autumn 1988, in which I indicated that actual scholarly archives of
Thurnwald did not exist, was followed by a deepening correspondence. Initially
Bernard Juillerat’s research was, as he wrote to me (on July 16th, 1989), relatively open:
«At first, I want to make clear that I am interested in Thurnwald because I wouldlike to understand the present culture and the social system of the Bánaro and thuslearn how both of them have been transformed in the last 75 years. The problem oftransformation is interesting to me, however, not so much from a descriptive(social and economic) but from a cultural point of view.»
21 Unlike many of his colleagues, he was also able to read German-language literature.
During his own research on the Sepik, he must have encountered Thurnwald’s «Die
Gemeinde der Bánaro», which he took as a basis for his «restudy» in 1989/90.
Unfortunately, a proposed meeting between us in Paris in early October 1989 did not
take place. My book about Richard Thurnwald was published only after his departure
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and he came across a copy of it by chance at the Institute of P.N.G. Studies and was able
to read it immediately. Afterwards, he wrote a review of it, which was published in
L’Homme in 1991.
22 Right after his return in January 1990, Bernard summarized the results of his field
research in a letter to me as follows:
«So I returned from the Bánaro Community. In this short letter I can only say thatmany (nearly all!) things, which Thurnwald described, are lost. Today’s Bánaro aredeeply christianized and have forgotten everything to do with the cult of ‘Haustambaran’. The changes started during World War II when a catholic missionarystole all the woodcarvings from the ‘Haus tambaran’. It was also difficult to get aconfirmation of the ‘mundu institution‘; it was only in Bagaram that I saw a manwho was a ‘goblin child’ himself. The ‘mundu’ system is also lost. What I read in‘Thurnwald’s Diary’[…] and in your book makes me understand that Thurnwald hadconducted field research for only five weeks next to Yar in 1913 and moreover hadworked with these two boys (whose names the Bánaro remember to this very day:they were kidnapped by the Germans two years before) in Madang and Marienberg.In fact, Thurnwald’s material about the people whom he called the ‘Bánaro’(Central Bánaro: Kivim, Angisi, etc.) is related to the Bánaro in the Bagaram and Yarvillages, which he did not regard as ‘Bánaro’[…].» [Revised translation from theGerman text, dots by Bernard, January 13th, 1990]
Document 4. – Field-note by Richard Thurnwald from 1915, describing the Haus tambaran
(Australian National University, Department of Linguistics)
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Document 5. ‑ Settlement area of the Bánaro according to Thurnwald’s and Behrmann’s research1913/1915
(Detail from Walter Behrmann 1924 map 3)
23 Bernard combined this letter with the request for other information and details, which
I was able to send him time and again over a period of two years. He always appreciated
this in his letters and thanked me several times for our good collaboration and my
assistance. Thus, the results of my research, copies of the photographs recovered by
me, copied articles, which were not available in the libraries in Paris (and not only
there), and even my original copies of Thurnwald’s correspondence from the archives
in Canberra and Yale went from Berlin to Paris.
24 To my surprise and during the actual revision of our correspondence when writing this
article, I noticed the following sentence by me at the end of a long section of
information: «I hope that I have informed you exhaustively. However, I would like to
ask, why are you so sure that the «Bánaro system» really corresponded to Thurnwald’s
description? Awaiting your research results with anticipation[…]» (January 31st, 1990).
Bernard gave me a detailed reply, starting with the different place names and the
changes that had occurred in the villages during the last decades but mainly after the
Japanese occupation of this area in WW II. His analyses were published, as already
mentioned, in the 1993 monograph La révocation des Tambaran. Les Bánaro et Richard
Thurnwald revisités, and in an article in Gradhiva that same year. In 2000, he published a
paper in Oceania, using the most crucial question as its title: «Do the Bánaro Really
Exist? Going Back After Richard Thurnwald». Indeed, I found this article coincidentally
and if he had sent me this text for a comment, it was probably lost in the mail due to
our moving to Leipzig in 1997. Our intensive correspondence in the early nineties was
followed by some Christmas cards. Afterwards, we lost sight of each other until that
evening at Marie-Claire Bataille-Benguigui's.
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25 Thus, two decades ago, Bernard Juillerat started a journey to a group of descendants
living on the Keram River for a «restudy» – well prepared thanks to his own field
experience and Thurnwald’s publications. With regards to content, I think that up to
now with the publication of Bernard’s article: «Do the Bánaro Really Exist? […]», Donald
Tuzin’s review in Man 1994, and Robert Parkin’s 1993 review of La révocation des
Tambaran: les Bánaro et Richard Thurnwald revisités in Sociologus, there is really not much
to be added to Bernard Juillerat’s information about the Bánaro, Richard Thurnwald
and all the various related questions for our discipline. Parkin also gets to the heart of
the matter that Thurnwald, who in Germany is not really regarded as being a
theoretician can now be seen just as such thanks to the work of Bernard Juillerat.
Concerning the numerous corrections of Thurnwald’s descriptions of the Bánaro social
life made by Bernard, he remarks:
«he consistently writes sympathetically about Thurnwald himself and about hisunique distillation of the ideas of his time and the more original insights that hedrew from them. Thurnwald’s status as one of the most significant figures of pre-and post-war non-Marxist, liberal German ethnology will not be diminished […].»(1993 : 96)
26 The more I immersed myself into the review of all my documents and the
correspondence between myself and Bernard Juillerat for this article, the more I
understood that with regard to content, I cannot add anything new because I had
provided all the details of my research for Bernard Juillerat’s study. This «restudy» of
the Bánaro is also a good example of scientific collaboration, which was always taken
for granted by Thurnwald. Is there a better compliment for an author than to see his/
her own work as a sensible basis for future research? Certainly, there are utterances of
Thurnwald which I interpret in a different way from Bernard Juillerat, but possibly in
ten years there will be another evaluation and classification of his theories and works.
Thus, the only (but very important) point for correction because I am quoted as a
witness in this matter is Bernard’s statement that Thurnwald took allegedly no stock in
stationary field research (2000: 34). The exact opposite is the case, I have demonstrated
this several times in my doctoral thesis. He already wrote as soon as 1912 in his Buin
publication, in which his particular concern was to let people speak for themselves:
«For an exact ethnology, we need to bring documents to life and thought; we do notneed the opinions of others about indigenous people but their own opinions.»(1912: 2)
27 Of course, this is only possible after a long stay on site and this is also implied in the
remark already quoted in which he deems a longer stay at a particular location
important for an authoritative study of a people. Concerning the Bánaro themselves, he
posed the question of how the «Bánaro system impacts upon the character of men and
women. In order to answer this question exhaustively, you need to stay for several
years and deal with the indigenous people in detail» (1921: 257). While restudying the
sources, I was shocked by Thurnwald’s incredibly hard personal living conditions at the
time when he was composing the second, extended Bánaro publication: hunger, cold,
transportation difficulties, lack of professional perspectives in spite of an enormous
personal commitment, lack of hope of one day marrying the woman he loved Hilde,
who was eventually to become his wife and companion – and an anthropologist (1934,
1937).
28 Finally, after twenty years I was once more made aware of the fact that Thurnwald’s
Bánaro writings, which at a first glance had been so boring for me, go far beyond a
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monograph on people in Melanesia. Whatever the real social structure of the Bánaro
was – even the question about the correctness of the information of Thurnwald’s
informants on initiation and sexual behaviour –, it is no longer possible to ascertain, in
spite of Bernard Juillerat’s «restudy». Whether these Bánaro existed as a «tribe» in this
form or not – it does not really affect the importance of this publication. What remains
is a work that marks a transition of our discipline out of the «biological» paradigm
towards a social science. Obviously, Bernard Juillerat discovered this as well.
Thurnwald’s Bánaro society is an epoch-making work, whose theoretical importance is
independent from the real life of the people he called the Bánaro. Thanks to Bernard,
this insight was brought out of retirement on dusty book shelves. His question: «Do the
Bánaro really exist?» hits the crucial point. However the answer is that after three
quarters of a century, Bernard Juillerat gave the people, described as the Bánaro, a
chance to comment on what was written about their ancestors.
BIBLIOGRAPHY
BEHRMANN Walter, 1922. Im Stromgebiet des Sepik, Berlin, August Scherl.
—, 1924. Das westliche Kaiser-Wilhelms-Land in Neu-Guinea, Zeitschrift der Gesellschaft für
Erdkunde zu Berlin, Berlin.
CRAIG Barry, 1997. The fate of Thurnwald’s Sepik ethnographic collections, Gestern und Heute –
Traditionen in der Südsee, Berlin, Dietrich Reimer, Festschrift zum 75. Geburtstag von Gerd Koch,
pp. 387-408.
JUILLERAT Bernard, 1993. La révocation des Tambaran. Les Bánaro et Richard Thurnwald revisités, Paris,
CNRS Éditions.
—, 1993. Richard Thurnwald et la Mélanésie : réciprocités, hiérarchies, évolution, Gradhiva 14,
pp. 15-40.
—, 1991. Compte rendu de M. Melk-Koch, Auf der Suche nach der menschlischen Gesellschaft: Richard
Thurnwald, L'Homme 31, 120, pp. 115-118.
—, 2000. Do the Banaro really exist? Going back after Richard Thurwald, Oceania 71, pp. 46-66.
MELK-KOCH Marion, 1989. Auf der Suche nach der menschlichen Gesellschaft: Richard Thurnwald, Berlin,
Dietrich Reimer Verlag, Veröffentlichungen des Museums für Völkerkunde Berlin. Neue Folge 46.
—, 1991. Thurnwald Richard (Christian), in Walther Killy (Ed.), Literaturlexikon 11, Munich,
Bertelsmann Lexicon Verlag, Autoren und Werke deutscher Sprache, pp. 356-365.
—, 1992. Don Laycock – Corrector Antiquorum, in Tom Dutton, Malcolm Ross and Darrell
Tryon(eds), The Language Game. Papers in Memory of Donald C. Laycock, Canberra, The Australian
National University, Pacific Linguistics Series C - 110, pp. 257-262.
—, 1996. Richard Thurnwald und die Siebungstheorie, in Anthropologischer Anzeiger Jg. 54, H 1, pp.
71-81.
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—, 2000. Melanesian Art or just Stones and Junk? Richard Thurnwald and the Question of Art in
Melanesia, Pacific Arts. The Journal of the Pacific Arts Association 21-22, pp. 53-68.
—, 2001. Richard Thurnwald: «Die menschliche Gesellschaft in ihren ethnosoziologischen
Grundlagen», fünf Bände 1931-1935, in Christian F. Feest und Karl-Heinz Kohl (Eds), Hauptwerke
der Ethnologie, Stuttgart, Kröner Verlag, pp. 480-484.
PARKIN Robert, 1993. Review of La révocation des Tambaran : les Bánaro et Richard Thurnwald revisités,
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THURNWALD Hilde, 1934. Woman’s status in Buin society, Oceania 5, pp. 142-170.
—,1937. Menschen der Südsee,Stuttgart, F. Enke.
THURNWALD Richard und S.R. STEINMETZ, 1906. Ethnographische Fragesammlung zur Erforschung des
sozialen Lebens der Völker außerhalb des europa-amerikanischen Kulturkreises, Berlin, Hg. von der
Internationalen Vereinigung für vergleichende Rechtswissenschaft und Volkswirtschaftslehre.
THURNWALD Richard,1912. Forschungen auf den Salomo-Inseln und dem Bismarck-Archipel, Bd. 1: Lieder
und Sagen aus Buin, Berlin, Reimer.
—, 1912. Über ethno-psychologische Untersuchungen bei Naturvölkern, Verhandlungen deutscher
Naturforscher und Ärzte 2, pp. 476-481.
—, 1912. Probleme der ethno-psychologischen Forschung; Zur Praxis der ethno-psychologischen
Ermittlungen besonders durch sprachliche Forschungen, in W. STERN and O. LIPMANN (eds.),
Beihefte zur Zeitschrift für angewandte Psychologie, Leipzig, Beiheft 5, pp. 1-27 ; pp. 117-124.
—, 1916. Bánaro Society. Social Organization and Kinship System of a Tribe in the Interior of New
Guinea, Memoirs of the American Anthropological Association III, 4, Lancaster, Pennsylvania.
—, 1921. Die Gemeinde der Bánaro. Ehe, Verwandtschaft und Gesellschaftsbau eines Stammes im Innern
von Neu-Guinea. Aus den Ergebnissen einer Forschungsreise 1913-15. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte
von Familie und Staat, Stuttgart, Sonderausgabe aus der Zeitschrift für vergleichende
Rechtswissenschaft, vol. 38 and vol. 49.
—, 1922. Psychologie des Primitiven Menschen, in G. Kafka (Ed.), Handbuch der vergleichenden
Psychologie, vol. 1, Munich,Verlag von Ernst Reinhardt, pp. 147-320.
—, 1924. Zur Kritik der Gesellschaftsbiologie, in Werner SOMBART und Max WEBER (eds), Archiv für
Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 52, pp. 462-499.
TUZIN Donald, 1994. Review of La révocation des Tambaran: les Bánaro et Richard Thurnwald revisités,
Man, pp. 516 - 517.
WHEELER Gerald Camden, 1926. Mono Alu Folklore (Bougainville Straits, W. Solomon Islands.), London,
Routledge and Sons.
ZIEGLER Susanne, 2002. DieWachszylinder des Berliner Phonogramm-Archivs, Berlin,
Veröffentlichungen des Ethnologischen Museums Berlin, N.F. 73, Abteilung Musikethnologie,
Medien-Technik und Berliner Phonogramm-Archiv XII,.
Other sources
- Phonogram archive of the Ethnological Museum Berlin: PhA SMB PK, Thurnwald.
- Correspondence Bernard Juillerat/Marion Melk-Koch.
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NOTES
1. Bánaro Society. Marriage, Social Organization and Kinship System of a Tribe in the Interior of
New Guinea. Findings from an Expedition 1913-15. A Contribution to the History of Origin of
Family and State.
2. Gerald Camden Wheeler’s 1926 Monu-Alu Folklore, dealing with song and narratives of the
Shortland Islanders as well as coastal Bougainville peoples is in many respect a counterpart to
Thurnwald’s Lieder und Sagen aus Buin. Thurnwald and Wheeler did fieldwork at roughly the same
time in Buin and Mono-Alu and met at least once.
ABSTRACTS
Bernard Juillerat followed in Richard Thurnwald’s footsteps as a result of their common interest
in the impact of specific social structures on the psyche of individuals. Both considered research
in New Guinea as particularly rewarding for answering such questions in an area unaffected by
European-American culture. This article will discuss Bernard's restudy of a group of people,
living by the Keram river, which had first been contacted by Thurnwald in 1913 and had been
described by him as “the Bánaro”. Their complex social structure, analysed by Thurnwald in two
different publications in 1916 and 1920, made them the subject of one of the earliest monographs
on a Melanesian society. In restudying and analysing Thurnwald's work Juillerat, like Thurnwald,
contributed significantly to the history of ethnology.
Bernard Juillerat, en s’intéressant aux effets des structures sociales sur la psyché individuelle, a
mis ses pas dans ceux de Richard Thurnwald (1869-1954). Tous deux sont allés en Nouvelle-
Guinée enquêter spécialement sur ce sujet et tâcher de l’élucider en s’affranchissant des
influences culturelles européennes ou américaines. Le présent article discute l’étude à nouveaux
frais qu’a donnée Bernard d’un groupe vivant sur les rives de la Keram, auparavant contacté en
1913 par Richard Thurnwald qui l’a décrit sous le nom de «Bánaro», et qui lui a consacré une
monographie dont il a livré deux versions. Ces deux savants ont apporté de la sorte une
contribution marquante à l’histoire de l’ethnologie.
INDEX
Keywords: Bánaro, intellectual history, kinship systems, Papua New Guinea, restudies, Sepik
Mots-clés: Bánaro, études critiques, histoire intellectuelle, Nouvelle-Guinée, Sépik, systèmes de
parenté
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Bernard Juillerat. Lettres à un jeuneethnologue1
Philippe Peltier
NOTE DE L'AUTEUR
En 1991, quelques semaines avant de partir dans la basse vallée du Sépik en Papouasie
Nouvelle-Guinée, pour un second séjour, je remis à Bernard Juillerat les « notes de
terrain » de ma première enquête ethnographique chez les Adjirab, un groupe voisin
des Banaro. Quelques mois plus tard, Bernard m’envoya plusieurs lettres de
commentaires soigneusement tapées à la machine.
Bernard aurait probablement considéré que la place de ces lettres, simple échange
entre deux chercheurs, l’un aguerri et ayant déjà publié des études ethnographiques
importantes, l’autre encore balbutiant vis-à-vis de la méthode et des objectifs de sa
recherche, était de rester sagement rangées au fond d’un tiroir. Il cultivait la discrétion
et était peu enclin aux anecdotes.
Cependant, la publication d’extraits de cette correspondance est née d’un désir de
donner à entendre à nouveau sa voix. Une voix amicale mais ferme qui, par-delà ses
conseils, ses suggestions et ses questions, parle de méthode d’enquête et d’objectifs de
recherche. Ces lettres témoignent combien Bernard s’est toujours gardé d’appliquer
une quelconque grille de lecture dans ses travaux. Pour lui, toute analyse
ethnographique devait s’adosser à une longue, précise et patiente collecte de données.
La théorie devait découler des faits. Il le répétait souvent : « Ce sont les Yafar qui m’ont
mené à Freud ».
Ces lettres relèvent, comme il le reconnaît lui-même, de la technique de l’électrochoc,
technique qu’il appliquait souvent, il faut l’avouer, avec virtuosité. Quelques années
plus tôt, j’en avais expérimenté toute l’efficacité.
Un jour, alors que nous prenions un café avant de nous rendre au séminaire de
recherche sur l’Océanie dont il était responsable, il m’avait dit tout de go : « Tu as trop
la trouille, tu ne partiras jamais sur le terrain ! » Quelques semaines plus tard, j’étais
dans l’avion.
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La première lettre fut une douche froide. Tout chercheur est particulièrement
vulnérable sur le terrain. Les lettres suivantes, réponses à mes explications ou mes
justifications probablement véhémentes, sont attentives et soucieuses de ne pas
blesser. Bernard avait pleinement conscience que la recherche est un exercice difficile
et sans fin.
Confessons cependant un fait. Il est un point sur lequel je n’ai pas suivi son conseil : je
n’ai jamais eu de radio sur le terrain. Il démontre que Bernard, par-delà sa passion pour
son métier, était curieux du monde et attentif aux autres.
Paris, avril 2010
Paris, 24/8/91
1 Cher Philippe,
2 J’ai bien reçu ta lettre et ton envoi d’Australie (Gewertz) ainsi que trois envois de PNG.
Un immense merci pour la peine que tu t’es donnée pour rechercher, trouver,
photocopier tout cela. Note ce que tu as dépensé pour que je te le rembourse à ton
retour. Les mythes s’accumulent (tu aurais pu les envoyer par bateau comme je te
l’avais dit…) mais je ne pourrai m’y plonger tout de suite. Un texte sur la guerre en
West Papua pour Ethnies2, puis l’article sur Thurnwald3 pour Gradhiva [Juillerat, 1993 :
15-40], j’ai rapporté de Berlin quelques photos pas trop mauvaises par Th[urnwald] sur
la Keram. Le texte de Bengo clarifie la généalogie Eichorn [Bengo, 1974 : 36-38] ; celui de
Laycock [1975] n’apporte en fait rien de nouveau par rapport à sa publication
principale sur le Sépik (j’avais cru comprendre que le texte traitait de la région Sépik-
Ramu).
3 Je viens de lire tes « notes de terrain 87 ». La carte linguistique de la région a l’air plus
complexe que celle que donne Laycock ; confusion sur le terme Aiom (qu’il orthographie
aion) et distingue de la langue adjora, les Banaro distinguent pour le Porapora deux
langues : awa et awo !
L’organisation spatiale dans les m[aisons] des h[ommes] semble différente que chez les
Banaro, par le fait notamment que tu as quatre semi-moitiés.
Sous ton entrée « Nduara », cette histoire de garamut4 pourrait se rattacher au garamut
conservé par les Bobten (vois-le si tu y passes)5 et relié au mythe banaro que je t’ai donné et
sur le mythe kambot (pardon : tin dama !) que Lupu a publié dans le JSO [Lupu, 1973 : 313-323].
Sur les trous d’eau qui cachaient les sculptures et où l’on sacrifiait les enfants, cela laisse
évidemment rêveur. Le sacrifice d’enfant (de quel âge ?) s’apparenterait-il à la fois à une
forme d’infanticide ? Je suppose que tu vas piocher sur le thème pour en savoir plus ! Quant
aux objets de bois conservés dans l’eau, cela me rappelle la convocation et le renvoi à un
étang des tambaran6 de Toko7. Je vois aussi dans ton chapitre « Colonisation », que les gens
jetaient dans des trous d’eau les objets qu’ils ne voulaient pas voir emporter par le
missionnaire ou le marchand (y aurait-il un rapport entre les deux choses : une manière de
garder « chez soi » les tambaran et leurs représentations. Détail technique : le bois devait
pourrir rapidement dans l’eau, non ?).
Ton bref commentaire sur les « charismatiques » paraît intrigant : j’ai l’impression qu’il doit
y avoir des mouvements semblables dans la région. On m’a signalé un culte dans le Grass
Country (rive gauche de la Keram) étudié par le fils ou le frère d’un missionnaire protestant
pour un MA à Melbourne. Je lui ai écrit mais n’ai reçu aucune réponse… Tu devrais mettre le
paquet sur ce sujet.
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4 J’avais bien sûr aussi reçu tes commentaires sur mon manuscrit, mais je crois qu’on en
avait un peu parlé au téléphone avant ton départ. Concernant la clarté de mon résumé
sur l’analyse de Thurnwald (chapitre 1), je crois que cela est clair, bien qu’évidemment
un peu compliqué. Je comprends bien que tu n’as pas disposé de temps nécessaire pour
digérer le tout !
5 Maintenant que te revoilà en prise directe avec la réalité ethnographique, tu vas
pouvoir renouer des liens plus étroits avec tes informateurs et reprendre ton Journal
ethnographique. Personnellement, je pense qu’il vaut mieux séparer le Journal (très
utile à différents titres) et les notes scientifiques ; sinon on risque de donner à ses
matériaux une allure anecdotique due à l’humeur de l’interlocuteur (et à la sienne
propre) ce jour-là ou à des mini-événements aléatoires divers. Cela permet aussi de
mieux conduire les entretiens, c’est-à-dire d’en faire de véritables séances de travail, et
non pas seulement des conversations (qui doivent rester parallèlement et ont bien
entendu leur charme et leur nécessité psychologique). Passé un certain niveau dans la
connaissance d’une société, je crois qu’il est bon que nous fassions comprendre à nos
interlocuteurs locaux que notre boulot est quelque chose d’important (au moins pour
nous), de sérieux et de difficile, quelque chose qui exige un minimum de concentration
et de réflexion. Il est d’ailleurs possible à ce niveau (quand on se connaît déjà bien) de
faire assimiler aux meilleurs informateurs les principes fondamentaux des
problématiques anthropologiques, les questions qu’on se pose (sur l’autorité, les
échanges, les règles de mariage, la structure dualiste, les cultes anciens, etc.) ; cela
permet que les interlocuteurs privilégiés s’intéressent davantage au travail et
fournissent des informations plus exactes et mieux ciblées. Cela suppose évidemment
de s’imposer aussi à soi-même quelques principes méthodologiques et de s’y tenir ; par
exemple, ne pas laisser passer un commentaire pas clair mais au contraire de le traiter
« à chaud » en ne s’autorisant à passer outre que lorsque la question a été explicitée au
mieux, de se ménager des moments (le soir pas exemple) de réflexion sur les matériaux
déjà en main et de préparer pour le lendemain des entretiens très « pointus » à base
sinon de questionnaires du moins de questions préparées à l’avance et fondées sur les
dernières séances de travail. Cela donne une continuité aux séances et permet d’éviter
l’impressionnisme, voire le pointillisme – ou mieux le surréalisme ! – ethnographique
que rappellent parfois les matériaux bruts (quand on relie nos notes par hasard). Le fait
d’obtenir des séances de travail avec le ou les mêmes hommes de façon régulière (ou
tous les jours pendant une ou deux semaines) renforce cette continuité. (C’est pourquoi
j’ai toujours rémunéré de telles séances de travail, avec en rab un bon repas à base de
tin mit8 à midi !). L’enregistrement sur bande est certainement bien pratique et je l’ai
beaucoup utilisé ; il y a cependant un petit danger dont il suffit d’être conscient pour
l’éviter : la paresse d’intervention à chaud précisément, en se disant que l’on verra plus
tard en réécoutant la bande. Ici, un clignotant doit s’allumer sinon sur le magnéto du
moins dans la tête de son manipulateur. Ce qui est le plus important, c’est ce que l’on
capte dans son cerveau sur le moment, non pas ce qui est enregistré. Cela permet de
comprendre que l’information n’est pas dans une phrase ou un topo de telle ou telle
personne, mais bien dans le sens qui se constitue entre l’interviewé et l’intervieweur au
cours de l’échange, ou plutôt des échanges successifs, et de façon cumulative. C’est à
force de remettre le même sujet « sur le tapis » des entretiens formels (quitte à ce que
l’informateur en soit irrité !) qu’on finit par le traiter de façon satisfaisante.
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6 Excuse ces propos quelque peu didactiques (je veux te faire profiter de ma « grande
expérience » !!) ; après tout, chacun ses méthodes, mais cela peut peut-être servir…
7 Je termine ce feuillet en t’imaginant à l’écoute de ta radio pour tenter de suivre les
événements de Moscou (et ce n’est peut-être pas terminé). Lorsque j’étais chez les
Banaro, j’ai suivi de cette façon les événements de Roumanie et la chute du mur ; en 86
je suivais les attentats à Paris, en 73 les bombardements américains au Cambodge et en
68, au Cameroun, les événements de mai ! La radio est un autre instrument
indispensable du terrain.
8 Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas bien sûr (livres, photocopies,
médicaments…). Je t’envoie cette lettre à l’ancienne adresse (que tu as mise sur
l’enveloppe)…
9 Amitiés
10 Bernard
11 PS manuscrit : Amitiés de Michèle. Nous avons fait une virée en Tchécoslovaquie/
Hongrie très agréable.
Paris, le 6/12/1991
12 Cher Philippe,
13 Je te croyais déjà noyé dans la Bien9, n’ayant pas de nouvelles. Et je lis que tu as pu
croire que ma lettre avait quelque intention malfaisante ! Comment est-ce possible de
penser qu’elle ait été autre chose qu’une communication franche et amicale ??? Je sais
que je peux être un peu direct parfois, malgré ma difficulté générale à communiquer,
mais aurais-tu oublié que je suis Vaudois ? Si je me permets de te faire part de quelques
commentaires qui me sont venus à la lecture de tes notes, c’est simplement qu’il m’a
semblé que tu te trouvais dans la situation où j’étais moi-même en 1971, c’est-à-dire
avec un tas d’informations partielles et fragmentées n’aboutissant pas à une
problématique précise. Je connais cela puisque je suis passé par là lors de mon premier
séjour chez les Yafar. Donc, rassure-toi, je ne faisais que réfléchir à tes inévitables
difficultés d’enquête et à ta solitude d’ethnographe de terrain. Des notes, ce sont des
notes et rien de plus, ce n’est pas n’est pas une œuvre littéraire ni un travail
scientifique achevé ! C’est quelque chose de provisoire qui demande par définition à
être repris et transformé. Il est vrai qu’en France (ou peut-être seulement chez les
Parisiens ?), on n’ose pas se parler franchement de son travail respectif : ça ne se fait
pas. On se fait des compliments ou bien l’on se tait. On a beau se connaître (je parle en
général) depuis quinze ou vingt ans, eh bien non, on continue à rester dans le vague de
peur de vexer l’autre. J’ai déjà remarqué cela souvent. Mais je trouve que c’est
dommage et que sous cette « diplomatie » se cache finalement un manque de confiance
et d’amitié. De mon côté, j’attends toujours de nos chers collègues qu’à l’occasion ils me
disent « amicalement » ce qu’ils ont pensé des Enfants du Sang ou d’Œdipe chasseur. Mais
je n’entends que le silence d’une politesse feutrée et typiquement parisienne.
14 Cela dit, tu ne donnes pas beaucoup de détails sur ton mode de vie. Pirogue
personnelle ? Moteur ? Maison des hommes ou maison de l’ethnographe tout seul ?
Cafard ou enthousiasme ? Je vois aussi que ton adresse est à Wewak, ce que me laisse
supposer que la poste d’Angoram10 est toujours fermée et qu’à Marienberg11 il n’y a pas
grand monde… Qu’en est-il du problème « raskol12» ? Le Monde a inséré dix lignes il y a
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un mois pour annoncer que le parlement de PNG avait rétabli la peine de mort… Par
ailleurs, je travaille à un article sur la « guerre » en Irian Jaya, que m’a demandé Ethnies
une fois de plus. On n’a pas beaucoup d’informations récentes. Un ancien chef de l’
OPM13, Salosa, qui avait été extradé par la PNG où il était depuis 79, a été condamné à
perpète en 90 et a été retrouvé mort dans la forêt après s’être « évadé » (selon les
versions officielles), à proximité de la prison de Waena près de Jayapura. Les gens ayant
participé au lever du drapeau indépendantiste en 88 ont été condamnés dès 89 à des
peines allant jusqu’à 20 ans pour l’organisateur principal, le Dr Wingti, intellectuel
pacifiste (sa femme a eu 13 ans pour avoir cousu le drapeau) ; plus de trente personnes
ont été condamnées au total pour cette même montée des couleurs. Selon Amnesty, il y
a actuellement cent trente Mélanésiens dans les prisons indonésiennes (dont près de la
moitié à Java, loin de leurs familles), dont 80 sont des prisonniers d’opinion. Si tu
tombes sur des articles intéressants dans le Post Courier ou le PNG Times, concernant ce
problème, rapporte-les s’il te plaît.
15 Iras-tu chez ces chers Banaro ? Demande-leur ce que j’ai totalement oublié de leur
demander, à savoir si leurs ancêtres chassaient les têtes14. J’ai l’impression que cela ne
concernait que les Banaro de l’aval : il me semble que les Toko m’en auraient dit
quelque chose à travers toutes leurs descriptions de haus tambaran15 et de guerres. Il
faut croire que le problème ne me préoccupait guère.
16 Deborah Gewertz a publié un troisième livre sur les Chambri. Intitulé Twisted histoires,
altered contexts16. Elle y traite du changement culturel, du tourisme et de la façon dont
un big man s’en sert pour accroître son prestige, des Chambri de Wewak, etc. Si tu veux,
je te l’envoie, dis-le moi (j’ai fait un c.r. pour l’Homme17).
17 Em tasol18. À propos, as-tu trouvé de nouvelles versions de mythes ? En lisant la
littérature à ce sujet, je me suis aperçu que le thème des deux frères dont le cadet à une
relation avec la femme de l’ainé (l’histoire du dessin) et échappe ensuite à la vengeance
de l’aîné (l’histoire du pieu planté dans le trou) a une très large diffusion, jusqu’au
Vanuatu !
18 Amitiés
19 Bernard.
Paris, 22/1/92
20 Cher Philippe
21 Tu auras reçu le Tuzin et l’article de Joséphides19.
22 Ne t’inquiète pas : tu ne m’as pas « blessé » du tout. J’ai seulement pensé après ta
première lettre que je n’avais pas été assez fin et que mon message n’était pas passé.
Mais ta seconde lettre m’a pleinement rassuré ! Maintenant je peux dévoiler mon jeu !
J’avais cru sentir en lisant tes notes mais aussi en parlant avec toi ici avant ton départ
un léger flottement dans tes problématiques anthropologiques. Et me souvenant des
miennes au début des années 70 – je me suis dit qu’il fallait un petit électro-choc pour
te remettre dans une voie plus claire, mieux balisée. Voilà. Enfin si cela t’a servi à
quelque chose, tant mieux. J’espère que tu te rendras compte à quel point l’enquête
ethnographique peut être difficile, non-seulement techniquement mais
psychologiquement. Chez les Banaro, j’avais plutôt le cafard, je peux te le dire !
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23 […]
24 Dis-moi un peu l’avance quand tu penses rentrer. J’aurai encore un ou deux titres à l’
IPNGS20 (mythes), à te demander.
25 Bon temps
26 Amitiés
27 Bernard.
15/5/92
28 Cher Philippe,
29 Bien reçu ta lettre du 23 avril. Lemonnier a reçu la sienne juste après. […]
30 C’est comment d’avoir des rhumatismes ? La saison des pluies et le fait de vivre les
pieds (ou davantage que les pieds) dans l’eau est sans doute pour quelque chose. Enfin
j’espère que ta bonne-sœur de Marienberg t’aura guéri et que tu es de nouveau à pied
d’œuvre. Ne t’inquiète pas pour les Banaro et n’y va surtout pas pour moi : mon
manuscrit a été lu par les nouvelles commissions du CNRS pour les publications
(responsable pour l’ethno : I. Chiva) qui fait lire les manuscrits à l’extérieur (de la
commission) : c’est à Lemonnier qu’est revenu cette tâche. Il a fait un bon rapport bien
sûr et j’attends des nouvelles du CNRS maintenant (des sous, un éditeur ?).
31 Tes versions « secrètes » des mythes ne sont peut-être qu’un premier stade d’ouverture
vers les versions ésotériques plus intéressantes (s’il y en a). Les versions secrètes yafar
de mythes par ailleurs publics (c’est-à-dire existant en version profane, ce qui n’est pas
le cas de tous les mythes secrets) n’étaient pas toujours très intéressantes au premier
abord, mais les symboles relevés entraient dans un système de significations et
cosmologique plus vaste (par exemple le cocotier totémique mère), ouvraient des
perspectives entre mythes ou entre mythe et rituel, etc. Je crois qu’un mythe doit être
d’abord interprété en soi (l’histoire de ses personnages, le « héros » comme sujet), puis
dans le contexte culturel plus large. Essaie de faire parler tes spécialistes sur certains
symboles ou personnages ; même poser des questions naïves du genre « Pourquoi cela,
pourquoi pas plutôt ceci ?, etc. ». Et surtout des questions sur les rapports de parenté
qui apparaissent dans les récits, entre frères, et entre parents et enfants (filiation). Si
les gens ont du mal à parler, il faudrait savoir ce qu’ils craignent : que d’autres
(individus, clans etc.) connaissent le mythe qu’ils ne doivent pas connaître, des
sanctions surnaturelles, révéler quelque chose à un étranger ? Tu peux les assurer de ta
discrétion par rapport aux Adjora.
32 Quant aux influences occidentales (notions, âmes, etc.) et notamment missionnaires, je
sais qu’il n’est pas toujours facile de les séparer de ce qui est « traditionnel », d’autant
que les gens eux-mêmes ne le savent pas toujours. Les Toko revendiquaient que
certains éléments de l’histoire biblique existaient déjà chez eux avant le contact, et que
la Bible n’a fait que confirmer qu’ils avaient « raison ».
33 J’ai été intrigué par ta relation se-emba (père-fils), voilà qui sonne nouveau à mes
oreilles. Cela est intrigant surtout dans une société matrilinéaire ! N’oublie pas de voir
comment se transmet la relation aux générations suivantes, comment elle se distribue
lorsqu’il y a plusieurs fils (s’il s’agit bien d’une relation véritable entre père et fils ??) et
quelle est la position de la mère dans tout cela (y a-t-il quelque chose de correspondant
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pour mère/fille, conformément à l’idée de « sex affiliation » (Williams) qui caractérise le
système de descendance Banaro ?). S’agit-il seulement de forme d’échanges ou y a-t-il
une dimension cosmologique ? Tu te souviens peut-être dans les Enfants du sang, de
l’axe est (fils) /ouest (père) et des premières maisons construites dans un nouveau
hameau, la « maison du fils » à l’est et la « maison du père » à l’ouest. Mais il ne s’agit là
pas de vrais pères et de fils, mais de clans et lignées incarnant ces positions parentales
symboliques. Le tout s’inscrivant sur le sol (terre-mère), soit sur le ventre maternel (la
place du village). Une façon d’inscrire la filiation masculine hors du corps féminin ou
pourtant le père se transforme en fils. Peut-être trouveras-tu ces lieux de la culture où
le système social (descendance, etc.) rejoint la cosmologie.
34 Je n’ai pas bien compris ce que tu appelles « procès ». Je suppose une discussion
purement locale à la recherche d’un consensus ou d’une condamnation morale interne
au groupe ? Historique de la pratique (postcoloniale ou plus ancienne ?).
35 Je vois que la corruption n’existe pas qu’en France (ou en Suisse !). Bien sûr que je
savais pour la PNG. Ce pauvre tiers-monde ! J’ignorais en outre que les archives de l’East
Sepik Province avaient brûlé. S’agit-il de cette petite maison avec un escalier extérieur
pour atteindre le premier étage ? (c’est là que j’avais consulté les archives
démographiques sur les Banaro).
36 […]
37 Andrew Strathern est à Paris pour quelques semaines, invité par Godelier.
38 Bon courage pour la fin du terrain, profites-en ! Je veux dire sur le plan travail. Envoie
encore un petit mot pour dire si tu es de nouveau sur pied.
39 Sincères amitiés
40 Bernard.
41 PS. Je suis en pleine lecture des épreuves de Shooting the Sun, le bouquin américain sur
Yangis.
42 PS2. Je ne me suis pas occupé de mon travail comparatif sur les mythologies depuis
plusieurs mois, aussi je ne sais plus où j’en suis pour ma documentation. Je n’ai donc
pas de nouveaux achats à te demander. Simplement si tu vois quelque chose de
nouveau et de qualité, surtout à l’IPNGS par exemple, prends-le. Je te rembourserai tout
cela.
BIBLIOGRAPHIE
BENGO P., 1974. Georg Eichorn amongst the Korogopa of the Keram River, Oral History (Port
Moresby) 2, 5, pp. 36-38.
GEWERTZ Deborah et Frederick K. ERRINGTON, 1991. Twisted histoires, altered contexts, Cambridge,
Cambrige University Press.
JUILLERAT Bernard, 1993. Thurnwald et la Mélanésie, Gradhiva 14, pp.15-40.
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59
—, 1993. La révocation des Tambaran. Les Banaro et Richard Thurnwald revisités, Paris, CNRS Éditions.
—, 1995. L’avènement du père, Paris, presses du CNRS.
LAYCOCK D. et J. Z’GRAGGEN, 1975. The Sepik-Ramu Phylum, Pacific Linguistics, séries C, 38.
LUPU François, 1973. Sur la circulation de trois objets dans la basse vallée du Sépik , Journal de la
Société des Océanistes 29, 40, pp. 313-323.
NOTES
1. Je remercie Michèle Juillerat pour son autorisation à publier ces quelques lettres. Entre
crochets et en notes de bas de page, j’ai rajouté quelques compléments nécessaires à la
compréhension.
2. Dans une lettre datée du 9 juillet, Bernard précisait que, suite à une mésentente, cette
publication était reportée fin 1993. Il semble que cet article n’ait jamais été publié. À cette
époque, il travaille à un autre article qui se transformera petit à petit en un livre sur la cérémonie
yangis (cf. L’avènement du père, publié en 1995 au presses du CNRS), précisant non sans humour
retenu « On n’en finit pas de réfléchir sur le symbolisme quand on a des matériaux suffisamment
sûrs… Saturé de symbolique “œdipienne” et d’autres, j’ai hâte de retourner rendre visite à
Thurnwald que j’ai dû laisser de côté depuis plusieurs mois ».
3. Richard Thurnwald, ethnologue né à Vienne en 1869 et mort en 1954. Il séjourna dans le Sépik
entre 1912 et 1915. Il publia deux études sur les Banaro, en 1916 et 1921. La lecture de ces études
a décidé Bernard à travailler dans ce groupe.
4. Garamut : tambours à fente (pidgin de Nouvelle-Guinée).
5. Le tambour existait bien encore mais les poignées en avaient été découpées pour être vendues
à un antiquaire de passage. Le corps du tambour ne portait pas de motifs, rendant toute étude sur
son origine impossible.
6. Tambaran : les esprits-ancêtres (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée).
7. Village de la région Banaro où Bernard Juillerat a mené son enquête. Voir à ce sujet La
révocation des Tambaran. À cette date, ce livre n’était pas encore publié. Bernard m’avait donné le
tapuscrit à lire quelques semaines avant mon départ.
8. Conserve de viande (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée). Cette nourriture est
particulièrement valorisée dans les villages. Il n’est pas rare d’en voir apparaître dans les
échanges cérémoniels.
9. Bien : rivière du bas Sépik que l’on doit emprunter pour se rendre dans les villages Adjirab.
10. Créé par les Allemands en 1913 comme poste de gendarmerie, Angoram est un centre
administratif desservant la basse vallée du Sépik. En 1991, la poste et le supermarché étaient
effectivement fermés suite à des actes de banditisme.
11. Marienberg : centre installé par la mission catholique allemande sur la rive gauche du bas
Sépik. En 1991, il n’y avait plus de prêtre mais une sœur, Sister Marianna, qui dirigeait un centre
de soins.
12. Raskol : bandit, criminel (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée. Le terme apparaît dans les
années 1970).
13. OPM : Organisasi Papua Merdeka (Organisation de libération de la Papouasie).
14. Lors de mon séjour, je ne suis pas retourné chez les Banaro. La question est restée sans
réponse.
15. Haus tambaran : maison des esprits (pidgin de Papouasie Nouvelle-Guinée). Le terme
s’applique plus particulièrement aux maisons des hommes lorsque des cérémonies sont en cours.
16. Livre publié avec Frederick K. Errington.
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17. Ce compte rendu est paru dans L'Homme 34, 131, pp. 191-193.
18. Expression de pidgin mélanésien qui peut se traduire par « c’est fini » ou « c’est assez ».
19. Je n’ai hélas jamais reçu cet envoi…
20. Institut of Papua New Guinea Studies. Fondé en 1974, l’Institut a pour mission de recueillir et
d’étudier les traditions orales et la musique.
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C’est l’Afrique qui a fait de BernardJuillerat, océaniste renommé, unanthropologue…Jeanne-Françoise Vincent
1 Aux alentours de 1965, les chercheurs en sciences humaines se sont avisés qu’il existait,
dans le nord du Cameroun – « L’Extrême-Nord » comme on le dénomme aujourd’hui –,
une chaîne de montagnes de plus de 150 km de long, les monts Mandara, qui n’avait fait
l’objet d’aucune étude approfondie, alors qu’elle était peuplée par près de vingt
groupes ethniques différents. Les chercheurs de l’ORSTOM (qui n’était pas encore l’IRD –
Institut de recherches pour le développement) se sont mis alors au travail, en
commençant par les géographes puis les sociologues (voir Hallaire et Barral, 1967 ;
Martin, 1968). De mon côté, ethnologue au CNRS, je faisais fin 1967 ma première mission
dans ces mêmes monts Mandara, chez les Mofou des montagnes dominant la plaine du
Diamaré.
2 C’est vers 1970 que j’ai fait la connaissance d’un chercheur, qui est devenu un ami,
Bernard Juillerat. Il avait 33 ans et, de nationalité suisse, il n’appartenait à aucune de
ces institutions françaises, mais il nous avait tous précédés dans l’étude minutieuse
d’un de ces groupes ethniques montagnards, les Mouktélé. Ainsi qu’il l’explique en
préambule à sa thèse (Juillerat, 1971), il avait pu bénéficier de l’aide financière de deux
institutions scientifiques suisses et s’immerger dès 1966 dans la société mouktélé, au
long de deux missions totalisant seize mois de séjour. Au cours de ses recherches, il
avait été suivi par un directeur scientifique prestigieux, Roger Bastide.
3 Ces deux missions ont été particulièrement fécondes puisqu’en quatre ans à peine,
Bernard Juillerat tirait de ses enquêtes trois notes scientifiques, en plus de sa thèse,
soutenue en 1968 et publiée à Paris en 1971 (voir bibliographie).
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Carte 1. – Le Cameroun
4 Je ne sais rien des raisons de son choix des Mouktélé. Peut-être était-il dû au fait que les
chercheurs de sciences humaines qui commençaient à se répartir les différentes
ethnies décidaient d’étudier les plus accessibles, situées en bordure de la chaîne.
Bernard Juillerat, lui, est allé dans un de ses replis, chez les Mouktélé, un petit groupe
de montagnards qui n’avaient encore jamais vu d’étranger s’installer chez eux et qui,
explique-t-il, se sont montrés dans les débuts de ses enquêtes particulièrement
méfiants et réticents. Toutefois, dès son deuxième séjour, il sut conquérir la confiance
de bons informateurs et aussi se faire accepter : on le voit bien à la qualité de ses belles
photos en noir et blanc, où l’on sent une complicité avec ses interlocuteurs,
particulièrement avec les gracieuses jeunes filles dont il étudia les rites de mariage.
5 L’ouvrage de Bernard Juillerat se compose de deux parties : d’abord, ce qu’il nomme
« introduction », une quarantaine de pages présentant synthétiquement l’histoire
mouktélé, replacée dans celle des grands empires et sultanats des pourtours du Lac
Tchad, ainsi que, et surtout, les aspects matériels de la culture du groupe. L’auteur a
choisi ensuite de traiter deux thèmes apparemment assez différents : les structures
lignagères et, de façon un peu plus développée, le déroulement et la signification du
mariage.
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Carte 2. – Les monts Mandara (groupes ethniques)
(Hallaire, 1991)
6 Je reçus un exemplaire de ce travail en 1972 des mains mêmes de son auteur et, dès ma
première lecture, je l’appréciai vivement. D’abord en raison de sa très grande précision,
on est tenté de dire « sa minutie », qui rend particulièrement clairs les raisonnements
du chercheur. Les résultats de l’enquête ne se limitent pas à une description ; ils sont
constamment doublés par cinquante tableaux, vingt-neuf figures et dix cartes, voire
des enquêtes chiffrées dépassant souvent la centaine d’interrogés. Par ailleurs, bien que
Bernard Juillerat déclare dès l’abord, avec un certain regret, ne pas avoir eu le temps
d’apprendre à fond la langue matal1, il est clair qu’il en possède de solides rudiments :
au lieu de donner des termes français, il utilise de préférence leurs équivalents
mouktélé, avec même un excès de zèle – voire de malice – puisqu’il emploie
constamment les termes mouktélé sans traduction française, obligeant très souvent son
lecteur à se reporter au lexique en fin d’ouvrage. Si minutieuses que soient ses
observations, il arrive que la raison de tel usage échappe à Bernard Juillerat, par
exemple la signification du mélange d’huile et d’ocre rouge, et il le dit, honnêteté
scientifique peu courante et notable.
7 Une autre raison explique mon grand intérêt pour l’étude de Bernard Juillerat. En
commençant en 1967-1968 des recherches chez les montagnards Mofu-Diamaré du
Cameroun, je poursuivais en fait des recherches commencées quelques années
auparavant chez d’autres montagnards africains, les Hadjeray du centre du Tchad2.
Elles portaient sur les liens entretenus par eux entre pouvoir politique ancien et
religion de la montagne qui apparaissaient comme indissociables. Après trois missions
prometteuses menées en 1960, 1964 et 1965, j’avais malheureusement dû les
interrompre totalement, la guerre civile ayant embrasé le Tchad. Vivement motivée par
le thème des relations entre pouvoir et sacré, je m’étais décidée à le reprendre chez des
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montagnards de sahel, appelés alors au Cameroun « Kirdi », vivant à la même latitude
que les Hadjeray, mais à 500 km plus à l’ouest et, dans cette quête, je fis le choix des
Mofu-Diamaré, qui n’avaient donné lieu qu’à de rapides notes d’administrateurs.
Migrations et autochtonie
8 En prenant connaissance des recherches de Bernard Juillerat sur la formation des
« massifs » mouktélé, je pensais que sa façon d’étudier la formation du pouvoir dans ces
« unités politico-religieuses », comme il les nommait, pourrait m’aider à mettre en
ordre les abondants matériaux de terrain que j’étais en train de collecter chez les Mofu-
Diamaré, lesquels me donnaient du fil à retordre. Je menais mes enquêtes en effet non
seulement dans trois grandes principautés-sœurs, représentant alors environ vingt
mille personnes, mais aussi dans des chefferies de taille plus modeste, et enfin dans de
minuscules unités que j’hésitais à considérer comme des entités politiques. Dans toutes
ces sociétés, le pouvoir m’apparaissait indissolublement lié à la religion ancienne, mais
je ne savais trop comment qualifier ces liens. J’étais donc heureuse de prendre
connaissance des travaux de Bernard Juillerat, espérant y trouver des points de
comparaison stimulants. La réflexion s’appuyant sur des comparaisons n’est-elle pas le
levier qui fait passer l’ethnographe au rang d’ethnologue ou d’anthropologue ?
9 Les dix mille Mouktélé se répartissaient en 1965 en six unités, parlant toutes la même
langue. Juillerat les désigne dès les premières pages de son étude par le mot français
« massif ». Il le fait tout naturellement car c’est le terme qui est employé couramment
depuis une ou deux décennies par les administrateurs français dans leurs rapports. Il
s’agit donc d’une notion locale, couramment employée également par les chercheurs
travaillant dans les monts Mandara. En fait, il voit bien l’ambiguïté du mot, qui désigne
à la fois un territoire montagneux et le groupe humain qui l’occupe, mais il
n’expliquera qu’au milieu de son étude comment il comprend et emploie ce terme.
10 Une des premières remarques de Bernard Juillerat traduit son admiration pour ces
agriculteurs avisés que sont les Mouktélé : ils ont entièrement « aménagé la montagne
en terrasses étroites soutenues par de fragiles murettes de pierres sèches », parfois
« des centaines de terrasses superposées depuis le fond du vallon jusqu’au sommet ».
Ces montagnards ont « su tirer le meilleur parti de leur milieu, au premier abord assez
pauvre ». La répartition des tâches entre les hommes et les femmes est équilibrée,
« chaque sexe ayant ses propres responsabilités au sein de la famille » mais, même s’il
n‘existe aucune exploitation de la femme par l’homme, Bernard Juillerat note
« l’absence quasi totale de tout droit de propriété féminine ».
11 Dans la grande ethnie mafa toute proche (que l’on nommait alors Matakam), les
forgerons et leurs femmes potières sont rigoureusement castés ; mais chez les
Mouktélé, rien de tel : leurs forgerons n’ont jamais su fondre le fer et « ils ne font
l’objet d’aucun interdit ». L’endogamie ne les concerne donc pas et « n’importe quelle
femme est potière ». Ainsi témoignent-ils d’une belle indépendance culturelle.
12 Un autre trait frappant chez eux est l’absence totale de circoncision, d’excision et
même de scarifications faciales chez les hommes. Seules les jeunes filles se parent en
incrustant dans leurs oreilles des rondelles de bois et dans leurs lèvres des labrets. De
même, nulle trace de rites de classes d’âge, observables chez certains groupes
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montagnards, un peu plus éloignés d’eux il est vrai, les Kapsiki ou les Mofu-Diamaré par
exemple.
13 Afin de mieux apprécier les structures lignagères à l’œuvre dans cette ethnie, Bernard
Juillerat commence par se livrer à une tâche ingrate, l’étude des migrations et de
l’origine de chacun des « lignages », tshay. En effet, pour lui, le terme tshay ne peut être
traduit par le mot français « clan ». La seule traduction possible en est « lignage », sans
qu’il justifie cet emploi constant. Il finira par définir de façon très succincte un
« lignage » comme un « groupe de descendance patrilinéaire ».
14 Il découvre ainsi qu’il existe à travers les six massifs cinq « populations » n’ayant aucun
souvenir de migrations, car elles affirment être issues du sol même qu’elles occupent.
Ces autochtones véritables expliquent le plus souvent que leur ancêtre est sorti de
l’eau, une mare généralement, et qu’il a été découvert ensuite par un lignage
immigrant. L’un de ces récits fait de l’un de ces clans autochtones un allié des
panthères, présentées comme ses « chiens ».
15 Ces récits convergent pour faire des autochtones des « sauvages » que vient
« apprivoiser puis civiliser » le nouveau venu. Bernard Juillerat estime que « ce modèle
de mythe […] se retrouve sans doute chez d’autres populations du Mandara » (Juillerat
1971 : 64). Et il a raison : les Ouldémé (Hallaire, 1971 : 13) tout comme les Mofu-Diamaré
présentent de la même façon une rencontre entre des « autochtones sauvages », issus
du rocher même, nus ou habillés de feuilles, vivant dans des grottes et ne se
nourrissant que de produits de cueillette, et des envahisseurs, cultivateurs de mil et
éleveurs de bovins, voire de poneys3. Toutefois, de façon assez surprenante, Bernard
Juillerat ne cherche pas à interpréter historiquement ces différences de niveau de vie
soulignées avec tant de force par d’autres montagnards.
16 La plupart des dix-huit autres lignages recensés par lui sont parvenus en pays mouktélé
à la suite de migrations dont les deux tiers ont pour origine le pays « matakam » tout
proche. Là, Juillerat s’oppose vigoureusement – et c’est une originalité de sa part – aux
thèses en vigueur alors, selon lesquelles les « Kirdi » habitants des monts Mandara
n’auraient peuplé leurs montagnes que sous la menace d’envahisseurs, les « Grands de
l’époque (Bornou, royaume du Mandara) » et aussi les Peuls.
17 Pour lui, ces constantes migrations de lignages s’expliquent de façon beaucoup plus
modeste par des raisons relevant de « l’histoire interne des Kirdi montagnards », en
particulier par des « luttes pour la chefferie » ou par le besoin de champs, si bien que
des lignages différents se retrouvent à l’intérieur d’un même massif ou peuvent au
contraire le quitter pour devenir composante d’autres massifs, voire d’autres groupes
ethniques.
Pouvoir religieux et/ou politique
18 Au gré de ces migrations de plus ou moins grande amplitude se sont formés six massifs,
divisés à date ancienne en quartiers, chacun avec son territoire aux limites précises.
Toutefois, si ces massifs témoignent d’une unité linguistique et culturelle qui constitue
l’essence mouktélé, ils n’ont aucune cohésion politique : « aucun chef n’est à la tête de
l’ethnie tout entière », on remarque seulement « dans chaque massif un lignage
dominant ».
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19 Ces grandes migrations d’origine n’ont pas fixé de façon définitive un lignage en un
seul lieu. Pour des raisons variées – le besoin de terres le plus souvent –, un segment de
lignage peut avoir quitté son lignage d’origine pour migrer vers des espaces vierges.
Par le jeu de ces micro-migrations, les quartiers sont tous pluri-lignagers,
contrairement à ce qui existe chez les Matakam voisins,. Bernard Juillerat l’a nettement
établi en « parcourant à pied tout le territoire tribal ». Ainsi, à Baldama, son massif de
référence comprenant douze quartiers, il a décompté – jolie prouesse résumée dans un
tableau (cf. tableau 15,1971: 79) – trois cent trente-et-un lignages ou segments de
lignage, le quartier le plus hétérogène comprenant sept lignages, cependant que les
onze autres quartiers en comportent entre deux et six.
20 4n aboutit ainsi à un brassage intégral : dans chaque quartier – et à plus forte raison
dans chaque massif –, on assiste à la coexistence de lignages qui se savent différents
tout en se définissant comme bizitsi Nuda « frères de territoire ».
21 Tous reconnaissent parmi eux l’importance d’un lignage, autochtone ou premier
migrant, à qui revient, souligne Bernard Juillerat, la tâche d’effectuer les rites agraires
« au bénéfice d’un massif tout entier » ou, à une échelle plus modeste, d’un quartier.
22 Sur le plan religieux, les Mouktélé sont unifiés par les mêmes croyances. Ils croient en
un « Dieu unique, créateur de toute chose […] qui tient les hommes dans sa main »
nommé par eux Zizagla (homme/ciel). Tout en notant que « cette notion de Dieu reste
[…] très imprécise », Juillerat remarque que « la plupart des sacrifices et des prières [de
demande] lui sont adressés », si bien que le culte aux ancêtres en est quasiment éclipsé.
Effectivement, on trouve tout au long de l’étude de très nombreuses mentions de
recours à Zizagla et de prières qui lui sont adressées, lors des premières semailles ou de
la réparation des toitures, lors de rites devant permettre à un célibataire prolongé de
trouver femme, pour remercier Zizagla à l’époque des moissons ou pour le prier de
garder en bonne santé la jeune fille qui va quitter sa famille pour celle de son futur
mari.
23 Cette croyance mouktélé est-elle due à une « évolution interne », se demande Juillerat,
ou est-elle « le résultat de deux siècles de contacts avec les Mandara islamisés ? ». Son
honnêteté habituelle l’empêche d’imposer une des deux hypothèses5, mais
l’observateur minutieux qu’il sait être ne décrit aucun de ces sacrifices à Zizagla, de
même qu’il ne donne aucun texte de ces prières dont il mentionne la fréquence. Sans
doute considère-t-il que ces croyances et leurs manifestations sont en dehors de ses
thèmes d’étude. À moins qu’elles ne constituent un domaine qui ne l’intéresse guère ?
On ne peut que regretter cette absence car il aurait sans doute apporté – si l’on se
réfère à la précision des « chants de courtisation » transcrits dans la deuxième partie de
son étude – des documents précis qui continuent à manquer aujourd’hui.
24 Il est cependant un aspect de la religion mouktélé qu’il évoque à de nombreuses
reprises, c’est ce qu’il appelle le« culte de la Terre » qui, dit-il, se traduit par un
« sacrifice annuel à la Terre ». Et on ne peut manquer d’être intrigué par l’emploi de ce
terme.
25 Bernard souligne que le premier occupant d’un terroir est chargé « des rites agraires et
des offrandes à la Terre ». En fait, reconnaît-il avec la franchise qui le caractérise, c’est
lui, Juillerat, qui traduit le mot mouktélé mazazay par « sacrifice annuel à la Terre »,
« bien que le mot “terre ” ou “culture” ne soit jamais prononcé ». Mais, explique-t-il,
« la Terre constitue un “pôle de croyance”, au même titre que “les ancêtres, les
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génies” ». C’est pourquoi il en parlera tout au long de son étude comme d’une force
particulière, honorée dans des autels liés à un territoire particulier, avec laquelle on
peut faire alliance et qu’on doit honorer par des sacrifices spécifiques.
26 Il faut noter que, dans les années qui suivront la publication des travaux de Juillerat,
divers articles et notes concernant d’autres groupes des monts Mandara décriront eux
aussi des sommets rocheux, parfois impressionnants, des chaos de pierres, des
éminences laissées volontairement sans cultures, présentés comme des lieux sacrés, des
autels dédiés à des forces invisibles, mais aucun de ces chercheurs ne proposera « la
Terre » comme puissance supranaturelle ainsi honorée. Ils y verront des autels, parfois
dédiés au Dieu suprême en personne, mais le plus souvent consacrés à des esprits de la
montagne, des forces de la nature, alliées des autochtones ou premiers arrivants.
27 Cette croyance en des esprits de lieu ou de terroir n’a en fait rien d’original. Non
seulement elle concerne la quasi totalité des groupes ethniques de l’Extrême-Nord du
Cameroun – de montagne et aussi de plaine –, mais, si l’on sort du Cameroun, les
allusions à des esprits semblables sont légion, balayant, dès les années 1960, l’Afrique
de sahel d’ouest en est6.
28 Quant à moi, il me semble que Juillerat, observateur pionnier d’une « religion de la
montagne » des monts Mandara, a seulement manqué d’interlocuteurs avec qui il
aurait pu affiner sa traduction du terme mazazay. En ce qui nous concerne l’un et
l’autre, nos missions et nos enquêtes de terrain ont été décalées dans le temps, si bien
que nous avons surtout échangé par envoi de publications ou par lettres et nous
n’avons pas pu discuter de vive voix de cette curieuse assimilation faite par lui de
mazazay à « la terre », une traduction que je considère comme inappropriée, ne fût-ce
que parce qu’il est impossible de découvrir un chercheur qui dans le même contexte
aurait opté pour elle.
29 Le terme mazazay désigne, nous dit-il aussi, à la fois la puissance honorée et son autel.
Pareille ambivalence est courante lorsque sont évoqués en diverses sociétés les esprits
des lieux. Il correspond également à ce que Juillerat appelle le « sacrifice annuel à la
Terre ». La description qu’il en donne montre que le mazazay mouktélé est quasi
superposable aux « Fêtes de Dieu » et « Bières de Dieu » célébrées chez presque tous les
voisins septentrionaux des Mouktélé, au cours desquelles on se réunit, là aussi tous
lignages confondus, pour remercier le grand Dieu, parfois au niveau d’un sous-quartier,
parfois au niveau d’un quartier, ou encore au niveau d’un « massif » tout entier7.
30 Pour ma part, en lisant la description donnée par Juillerat de la fête mazazay célébrée
dans le massif de Baldama, j’ai retrouvé la fête « Zom Erlam », « Bière de Dieu », dite
encore sudege, à laquelle j’ai assisté à plusieurs reprises chez les Mofu-Diamaré
(Vincent, 1991 : 345-347)8. Dans les deux sociétés il y a, juste avant les récoltes, achat à
frais communs d’un animal – d’une génisse, énorme offrande chez les Mouktélé –
préparation de la viande, partagée et consommée entre membres de lignages différents,
avec des prières au grand Dieu et chômage religieux (ce jour-là, les « frères de
territoire » manifestent leur unité en n’exécutant aucun travail des champs). La seule –
et importante – différence étant que chez les Mofu, cette fête Zom Erlam, « Bière de
Dieu »,célébrée par chaque principauté et chefferie mofu, le même jour, quartier par
quartier, ne peut avoir lieu qu’au signal de son prince, le « chef grand ».
31 Chez les Mouktélé par contre, on observe non pas un mazazay unique mais six mazazay
juxtaposés. Chaque massif a le sien. On peut rapprocher cette observation de la
remarque de Juillerat sur l’absence de chef « à la tête de l’ethnie [mouktélé] tout
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entière » malgré son unité culturelle et linguistique. L’absence de cohésion religieuse a
pour conséquence l’absence de cohésion politique et c’est seulement en termes
religieux que se traduit le domaine politique.
32 Outre la fête mazazay, il existe une autre grande fête annuelle mouktélé, madvdey, à
laquelle Juillerat ajoute le plus souvent le déterminatif matal, c’est-à-dire mouktélé. La
fête madvdey est, nous dit-il, « la manifestation la plus importante du pays ». Elle s’étale
sur six jours et constitue un « Nouvel An agraire et social » qui « permet à la
communauté de faire peau neuve » : expulsion de la maladie chez les voisins, offrandes
sur les tombes des morts récents dont les âmes – les « doubles », disent les Mouktélé –
sont chassées vers le pays des ancêtres, nettoyage et couverture neuve des habitations,
purification des hommes par le feu ; c’est une fête de joie où éclatent musique et danse
et qui donne lieu à la consommation d’énormes quantités de bière de mil. C’est au cours
de ce Nouvel An que les nouvelles mariées sont définitivement intégrées dans la famille
de leur mari.
33 À nouveau s’imposent des comparaisons avec d’autres « fêtes de Nouvel An » célébrées
par les sociétés montagnardes voisines, les Ouldeme par exemple (Fédry. J. et al., 2008 :
66), ou les Mofu-Diamaré chez qui j’ai assisté à plusieurs reprises à mogurlom, qualifiée
de mogurlom ma mevey, « la fête de l’année » qui, durant plusieurs jours également,
célèbre le renouvellement de l’année : là aussi, le mal est chassé chez les voisins de
l’ouest, les morts récents sont pleurés et des tiges de mil enflammées sont passées
autour de la tête des membres de chaque famille pour les purifier, cependant que dans
chaque maison des jarres de bière attendent des visiteurs. Toutefois, comme pour la
fête « Bière de Dieu », ce Nouvel An ne peut être célébré qu’au signal de son prince. S’il
décide de ne pas le « crier », ses sujets, consternés, ne peuvent accomplir les rites9.
34 On observe, à propos de la fête madvey matal, le même phénomène que pour la fête
mazazay. Juillerat nous décrit cette fête à laquelle il a assisté à Baldama, son massif de
référence, ce qui sous-entend qu’il n’existe pas de « Nouvel An mouktélé » au niveau de
l’ethnie : à nouveau, il y a coexistence de plusieurs fêtes, autant que de massifs.
35 C’est là une constatation aux importantes conséquences théoriques : sans doute, ainsi
que le remarque Juillerat, le massif constitue-t-il une « unité politico-religieuse ». Mais
celle-ci ne se manifeste que par la célébration de fêtes religieuses et ce sont donc elles
qui disent le politique au niveau de chaque massif. La juxtaposition de ces fêtes traduit
l’absence d’un pouvoir unique qui rassemblerait l’ethnie.
36 Ces faits trouvent leur équivalent exact chez les Mofu-Diamaré car, à côté des trois
grandes principautés de Duvangar, Durum et Wazang où le prince « crie » une seule
fête religieuse concernant, tous quartiers confondus, l’ensemble de son vaste territoire,
existent de toutes petites sociétés montagnardes, les Méri et Gemzek, identiques sur le
plan culturel et matériel aux principautés, mais possédant chacune sa propre langue.
On observe chez elles une absence de pouvoir central et en même temps l’existence de
plusieurs « fêtes de l’année », propres à une « montagne » reconnue ainsi comme
distincte, neuf pour les Méri, quatre pour les Gemzek (chez qui j’ai assisté par deux fois
à une de ces fêtes de « montagne »). Pour ces tout petits responsables, c’est parce qu’ils
font débuter une des fêtes religieuses communes qu’ils peuvent être dits « chefs »
(Vincent, 1991 : 690).
37 De même, chez les Mouktélé, le domaine religieux possède une signification politique.
Il n’existe pas chez tous ces montagnards de pouvoir proprement politique. Le politique
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est indissolublement lié au religieux et les décisions en matière de fêtes religieuses
constituent le niveau embryonnaire du pouvoir.
Parenté et mariage
38 La seconde partie de l’étude de Bernard Juillerat est consacrée au mariage et à
l’échange matrimonial chez les Mouktélé. Il a choisi de développer ce thème car,
explique-t-il, il lui permet d’illustrer un mode important de relations inter-lignagères
« la circulation des femmes […] qui à travers toute l’ethnie […] établit des relations sans
cesse renouvelées entre groupes de parenté » (Juillerat, 1971 : 169).
39 Je n’ai pas l’intention de reprendre ici le détail des descriptions minutieuses des rites
matrimoniaux et des analyses faites par Juillerat, mais seulement de souligner les
apports les plus significatifs auxquels il parvint grâce à ces méthodes d’enquête
minutieuses qui caractérisent bien sa personnalité originale.
40 Une première constatation s’impose. Les prohibitions de mariage sont extrêmement
larges puisqu’elles portent non seulement, bien sûr, sur le lignage d’Ego, mais en plus
sur les sept lignages auxquels il est apparenté : un homme ne peut prendre femme à
l’intérieur de son propre groupe exogamique, ni à l’intérieur du lignage de sa mère, de
ses deux grands-mères et de ses quatre arrière-grands-mères. Ainsi ce sont sept
groupes lignagers qui lui sont interdits.
41 Par ailleurs, un homme ne peut épouser aucune sœur ou cousine parallèle patrilatérale
du lignage de son épouse, même après le décès ou le remariage de celle-ci : toutes les
formes de sororat sont interdites chez les Mouktélé.
42 Ces prohibitions dessinent donc un champ très étendu, susceptible de désespérer un
jeune en âge de se marier. Toutefois, souligne Juillerat, en cas de lignages importants
sur le plan numérique, il y a généralement poly-segmentation lignagère et la
prohibition ne porte plus que sur un segment organique de petite taille.
43 Entre jeunes gens pour qui une union est possible, avant que celle-ci aboutisse à un
véritable mariage existe une période de fréquentation qui peut être longue. Ce qui est
frappant c’est que chez les Mouktélé, les jeunes jouissent d’une « liberté sexuelle
complète », alors que, remarque Juillerat, certaines ethnies voisines ont une attitude
exactement inverse (Juillerat, 1971 : 151). Chez les Mofu-Diamaré par exemple, une
jeune fille doit arriver vierge au mariage, obligation qui, il est vrai, est aujourd’hui de
moins en moins effective…
44 Les relations sexuelles débutent peu après la puberté et elles ne peuvent avoir lieu que
chez la jeune fille, dans sa case personnelle située dans l’enclos familial, donc au vu et
su de son père qui se montre tolérant mais… veille cependant à ce que sa fille n’ait pas
trop d’amants. Car une fille ne se limite pas à un seul prétendant : leur nombre varie en
fonction de sa beauté. Et, inversement, un jeune homme ne courtise pas qu’une seule
fille : il peut venir travailler en compagnie d’une bande de camarades – les prestations
en travail font partie de la dot – dans les champs de plusieurs pères de filles différentes.
45 Ce qui fait l’originalité des Mouktélé, bien soulignée par Juillerat, c’est que la période
où les jeunes gens se « fréquentent » (terme français campagnard, qui me semble
correspondre à la situation de ces montagnards…) n’est pas indifférente : elle est
calquée sur le cycle du mil, lui-même souligné par l’utilisation des flûtes, d’abord celles
réservées aux filles suivies des garçons qui prennent le relais avec les leurs. Les jeunes
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gens en jouent en période de croissance du mil, comme si leur musique lui était
bénéfique. Par contre, dès que le mil est coupé, on cesse de les entendre. Peut-être faut-
il comprendre par ce réseau d’obligations et d’interdits que pour les Mouktélé le mil
est une puissance susceptible de s’imposer aux hommes, et capable de caprices. Il ne
faut pas l’irriter.
Chants de « courtisation »
46 On ne peut qu’être reconnaissant à Juillerat d’avoir recueilli – démarche à ma
connaissance peu courante – avec la précision et le détail qui le caractérisent, de
nombreux chants qu’il appelle « chants de courtisation » (treize exactement, où il
dénombre trente-quatre thèmes différents). Ces chants librement improvisés par le
garçon comme par la jeune fille sont parfois des dialogues – où le jeune homme
demande « de l’eau » à sa bien-aimée - mais plus souvent des mélodies solitaires, que la
fille chante en écrasant le mil du repas dans le fond de sa case-cuisine ou au milieu du
brouhaha de la musique funéraire. Le garçon, lui, peut les faire entendre de nuit, en
cheminant. Ce qui caractérise ces monologues c’est un climat d’incertitude et de
mélancolie. La recherche d’une épouse est une quête difficile, aussi difficile que « de
tuer un taureau »… Mais elle finit par aboutir, souvent par une fugue de la fille qui
s’enfuit une nuit pour aller s’établir chez son fiancé.
47 De la minutieuse étude des six premiers jours de présence de la jeune fille dans la
concession de son beau-père – où son prétendant s’est construit une case personnelle –,
je retiens d’abord l’institution d’une « gardienne » de la nouvelle mariée, véritable
« demoiselle d’honneur » qui sert d’intermédiaire entre la famille et la nouvelle arrivée,
recluse dans la case de son mari. En effet, la jeune épouse est une « nouvelle venue »,
mlok, considérée comme une étrangère qui éprouve de la « honte » et doit observer un
véritable tabou devant son beau-père et les hommes de la famille. Celui-ci ne prendra
fin que lors de la célébration du Nouvel An suivant. Lors de cette fête du renouveau,
madvdey,, qui est un jalon dans le temps et permet de compter les années, la jeune
épouse sera considérée comme plus âgée d’un an et elle pourra mener une vie normale,
allant et venant à sa guise.
48 L’étude par Juillerat de la polygynie met en valeur plusieurs traits originaux de la
société mouktélé : d’abord il souligne qu’il existe parmi les femmes de farouches
opposantes à la présence d’une deuxième épouse ; près de 40% selon une enquête
personnelle du chercheur portant sur 201 femmes. Ces opposantes menacent de quitter
leur mari s’il s’avisait de faire entrer une nouvelle femme au foyer.
49 Or telle est bien la crainte des hommes mouktélé : voir une épouse difficilement acquise
repartir bientôt chez un autre mari. Crainte justifiée : une autre enquête de Juillerat
portant sur 268 hommes de tous âges a établi que 100 hommes avaient eu dans leur vie
295 épouses, chiffre très élevé que l’on peut compléter en décomptant inversement le
nombre total de maris pour 100 femmes d’âge variable, soit 268.
50 Ce chiffre paraît encore plus élevé si je le rapproche des résultats d’une enquête que
j’avais réalisée en 1970 chez les Mofu-Diamaré auprès de 334 femmes : ce nombre est de
128 maris pour 100 femmes – les 334 femmes ayant eu 428 maris (voir Vincent, 1972 :
316)10.
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51 Le divorce est fréquent chez les Mouktélé et l’initiative de la séparation est toujours
prise par la femme qui va habiter chez une amie, moins souvent chez son père où, fait
notable, elle possède un grenier personnel dans lequel elle entrepose une partie de ses
récoltes et où elle vient puiser régulièrement. Chez son mari, elle possède d’autres
greniers contenant le reste de ses denrées vivrières, mais elle n’a pas le droit de les
vider lorsqu’elle le quitte. Ses récoltes doivent rester chez le mari sans que celui-ci ait
le droit de les vendre ; d’ailleurs, il ne cherche pas à le faire, car sait-on jamais ! la
volage pourrait revenir chez lui par la suite…
52 En effet, Juillerat a mis en valeur un phénomène intéressant : le fréquent retour de
l’épouse chez son premier mari ou, tout au moins, chez celui auquel elle a donné le plus
d’enfants, alors qu’elle l’avait quitté depuis nombre d’années. Soucieux d’exactitude
comme à son habitude, le chercheur s’est appuyé pour établir cette originale
constatation sur une enquête menée par lui auprès de deux cent trois écoliers dont la
mère était toujours vivante : plus du tiers vivaient avec une mère partie pendant une
longue période, puis revenue.
53 Jeune ethnologue en début de terrain dans les années 1960, Juillerat a tenté tout
naturellement de découvrir un grand mythe structurant la société, comme l’avait fait
Marcel Griaule et son équipe chez les Dogon du Mali. Sa découverte de l’expression
« fille du renard » pour désigner « tout enfant né unique, masculin ou féminin » l’a fait
« pense(r) instantanément au Renard Pâle du mythe dogon » (Juillerat 1971 : 211),
perturbateur de la gémellité des origines, dont – assez laborieusement il est vrai – il
retrouve des traces dans les rites matrimoniaux. Il développe ce faisant une symbolique
très élaborée – et beaucoup plus convaincante – sur l’opposition entre « eau froide » et
« eau chaude », traduisant le passage de la fécondation de la jeune fille à la grossesse de
celle qui est devenue épouse véritable.
54 Par contre, sa quête de mythe construit n’a débouché que sur un « récit mythique […]
extrêmement fragmentaire », où il trouve seulement des allusions à des « démiurges »
(Juillerat 1971 : 34). De même, sa collecte de grands mythes d’origine, du mil ou de la
mort par exemple, s’est révélée infructueuse. En enquêtant sur l’origine de chaque
lignage, Juillerat a recueilli toutefois « un lot de mythes » (Juillerat 1971 : 63). Il utilise à
nouveau le terme « mythe » mais, cette fois, dans un tout autre sens, celui de « mythe
de peuplement », ainsi celui des « autochtones sauvages », soigneusement différencié
par lui des « récits » décrivant les origines et les itinéraires des lignages immigrants
qui, eux, sont pour lui historiques.
55 À la fin de son travail, Juillerat s’interroge sur la possibilité future d’un
approfondissement de son étude des rituels matrimoniaux. Pour sa part, conclut-il,
avec ce qui ressemble à des regrets, s’il a certes posé des hypothèses, il est obligé de
reconnaître qu’il n’a « fait que poser des jalons » […] et qu’il n’a « rien achevé »
(Juillerat 1971 : 218). Cette constatation ne l’empêche pas d’affirmer qu’il est possible de
passer à une autre étape : le symbolisme qu’il a rencontré chez les Mouktélé peut être
éclairé par « une étude extensive des différentes communautés du Mandara
septentrional » (Juillerat 1971 : 220) car, pour lui, « de toute évidence », elles sont
apparentées culturellement.
56 Tel est bien la conclusion à laquelle je parvenais moi aussi. Au fur et à mesure que je
progressais dans ma connaissance des Mofu du Diamaré, j’apercevais de mieux en
mieux les convergences – et divergences stimulantes – de cette société avec les
Mouktélé ; aussi je me réjouissais à la pensée que nous allions pouvoir échanger, non
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seulement sur les rites matrimoniaux si chers au cœur de Juillerat, mais sur la nature
du pouvoir traditionnel qui, pour ma part, m’importait tant.
57 Las, l’anthropologue africaniste a opté pour de nouvelles études menées à l’autre bout
du monde, à des milliers de kilomètres, en Papouasie Nouvelle-Guinée, où sa grande
rigueur et sa valeur scientifique reconnue lui ont permis de construire une œuvre
exemplaire. Mais sa place est demeurée en creux dans les monts Mandara…
BIBLIOGRAPHIE
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Wazan, Cameroun du Nord, Cahiers de l’ORSTOM Sciences humainesIX, 3, pp. 309-323.
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NOTES
1. Matal est l’appellation linguistique de cette langue ; toutefois, par commodité, je parlerai
quant à moi de « langue mouktélé ».
2. Les matériaux de terrain recueillis m’avaient permis cependant la rédaction en 1968 d’un
rapport détaillé, devenu quelques années plus tard Le Pouvoir et le Sacré chez les Hadjeray du Tchad,
paru aux éditions Anthropos en 1975.
3. J’ai recueilli entre 1968 et 1983 de très nombreuses versions de ces mythes de peuplement
chez les Mofu-Diamaré (cf. Vincent, 1991 : 149-161 et 172-181 ; 1998 : 65-108).
4.
5. Un colloque tenu à Maroua en 2007 a, lui, tranché : soixante-cinq participants, venus du nord
des monts Mandara et appartenant à seize groupes ethniques différents, ont mis en commun au
long de trois journées d’échanges les résultats d’enquêtes qu’ils avaient menées dans leurs
sociétés au cours des mois précédents. Elles étaient parties d’un même questionnaire-guide sur
les croyances, mythes, proverbes et offrandes concernant le « Dieu du Ciel ». Une remarquable
convergence se dégage de ces témoignages et elle atteste d’une croyance identique en un « Dieu
du Ciel » unique et créateur de l’homme, croyance antérieure, selon les participants, à l’arrivée
des musulmans et des chrétiens (Ferry et al., 2008).
6. Pour L’inventaire et l’analyse des esprits de la montagne mofu, voir Vincent (1991 : 523-556)
ainsi que la bibliographie les concernant (p. 554, notes 5 à 11).
7. Cf. Fedry J. et al. (2008, chapitre VII, « Offrandes, sacrifices et fêtes adressées à Dieu » : 63-72).
Idem.
8. Voir également une description donnée par des Mofu eux-mêmes dans Fedry J. et al. (2008 :
63).
9. Ainsi en fut-il dans la principauté de Douroum de 1964 à 1975 (Vincent, 1991 : 341).
10. Ce faible taux m’était apparu comme lié à la croyance en des esprits d’ancêtres, chargés
expressément de frapper de maladie, à la demande d’un mari inquiet, l’épouse cherchant à le
quitter (Vincent, 1972 : 318).
RÉSUMÉS
Avant de devenir océaniste, B. Juillerat réalisa des enquêtes de terrain et une thèse (1968) chez
les montagnards Mouktélé, dans une région reculée de l’extrême-nord du Cameroun, totalement
inconnue sur le plan ethnographique. Ayant elle-même travaillé chez les montagnards voisins,
les Mofu-Diamaré, Jeanne-Françoise Vincent expose ici les principaux thèmes de recherche
abordés par Juillerat – migrations et autochtonie, pouvoir religieux et/ou pouvoir politique,
structures lignagères et mariage – en replaçant sa minutieuse ethnographie dans un cadre
régional plus large.
Before being an Oceanist, B. Juillerat did fieldworks in North-Cameroon and wrote a thesis about
the Mouktélé, who live in a remote and then not studied area. Jeanne-Françoise Vincent has done
intensive anthropological studies in this area, among the mountaineers Mofu-Diamaré and she
introduces the main research topics of Juillerat – migrants and autochthonous people, religious
power and/or political power, linage organization and marriage – and replaces his minute
ethnography back in a broader regional setting.
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INDEX
Keywords : comparison, marriage, Mouktélé, North-Cameroon, politics, religion
Mots-clés : comparaison, mariage, Mouktélé, Nord-Cameroun, politique, religion
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À propos de l’exposition A tribute toBernard Juillerat: The Iafar betweensymbols and artifactsNicolas Garnier
1 Suite à la disparition de Bernard Juillerat et à l’hommage qui lui était rendu au musée
du quai Branly quelques mois plus tard, il avait semblé important de faire connaître son
travail dans le pays qui avait été celui dans lequel il avait accompli l’essentiel de ses
recherches. La présence d’une donation Juillerat au musée national a servi de point de
départ à un projet d’exposition. Sa préparation a nécessité dans un premier temps un
récolement des objets conservés et une recherche sur les informations les concernant.
En parallèle, nous nous sommes interrogés sur la nature d’une exposition sur ces objets.
Quelle pouvait être la valeur d’un hommage à un anthropologue en Papouasie Nouvelle-
Guinée ? Cette manifestation pouvait-elle servir à présenter, à travers l’exemple
exceptionnel de Bernard Juillerat, certains aspects d’une recherche anthropologique à
un public mélanésien et, si tel était le cas, quel pouvait être le rapport entre la
présentation d’une sélection d’objets et le travail discursif de l’anthropologue ? La
présentation des collections au musée national est essentiellement thématique et ne
rassemble qu’un nombre limité d’objets lorsqu’il s’agit d’évoquer une culture
particulière. Nous nous sommes donc interrogés sur la manière dont le public pouvait
percevoir la réunion d’un nombre important d’objets relatifs à une petite aire
géographique et en quoi cette muséographie pouvait être pertinente pour un habitant
de Papouasie Nouvelle-Guinée n’ayant pas de relation avec les populations des Border
Mountains.
2 L’Alliance française de Port Moresby a inauguré le 24 août 2008 cette exposition
consacrée au travail de Bernard Juillerat au National Museum and Art Gallery de Port
Moresby, suite au projet initié en 2007, peu après la disparition de l’anthropologue,
avec le directeur du Museum, Simon Poraituk et Patrick Boursin, ambassadeur de
France en Papouasie Nouvelle-Guinée. L’exposition s’est déroulée au musée national du
24 août au 3 octobre 2008 tandis que la bibliothèque Michael Somare de l’université de
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Papouasie Nouvelle-Guinée présentait une sélection de ses publications ainsi qu’un
petit nombre de tirages de photographies de terrain.
3 En 1974, Bernard Juillerat avait offert simultanément au musée de l’Homme à Paris et
au National Museum and Art Gallery une collection de plusieurs centaines d’objets2.
Alors que les objets cédés au musée de l’Homme avaient fait l’objet d’études et de
descriptions méthodiques, les objets du musée de Port Moresby nous sont parvenus
sans documentation. Les 241 objets conservés à Port Moresby ont été enregistrés dans
l’inventaire manuscrit effectué lors de la donation avec mention de la nature de l’objet
et de la provenance par groupe linguistique ou par village. Depuis la donation,
effectuée avant l’ouverture du musée actuel, la presque totalité de ces objets n’avait
jamais été montrée au public mis à part un grand masque Kwomtari, similaire à celui
offert au musée de l’Homme, toujours exposé à Port Moresby dans la salle des « chefs-
d’œuvre » (Masterpieces Gallery). Aussi l’exposition a-t-elle eu pour but de déployer pour
la première fois une partie des collections jusque-là conservées en réserve et de
dévoiler à cette occasion une partie de la culture des Iafar et des populations voisines.
Dans ce but, un récolement a été effectué dans l’un des deux départements du National
Museum and Art Gallery où la collection Juillerat est conservée. La majeure partie se
trouve conservée au département Anthropologie où 129 pièces ont pu être identifiées.
Une trentaine d’autres pièces fait partie de la collection d’archéologie. Bernard Juillerat
avait en effet donné au musée 35 lames d’herminettes en pierre et, comme le veut la
répartition des collections au National Museum and Art Gallery, les objets en pierre,
même récents et collectés dans un contexte ethnographique, sont conservés dans le
département archéologie. Certains objets ont disparu depuis la donation : c’est le cas
d’une partie des coiffes qui n’ont pu être retrouvées et il semble que la collection de
masques-coiffes Kwomtari utilisés pour les rituels de guérison ait pu disparaître avant
la création du musée actuel sans doute à cause de mauvaises conditions de conservation
(com. pers., Barry Craig). Sur l’inventaire du musée, on note que tous les objets ne
proviennent pas des hameaux iafar et que seuls 48 y sont répertoriés comme tels, soit
un peu plus de 20 % seulement de la collection. Parmi les autres, 62 viennent de
Kwofinam, 24 d’Einokneri, 22 de la plaine du Wamuru, 17 d’Ivieg, 11 d’Aurump, 11 de
Bapi River, 9 d’Akraminag, 7 de Wofner, 7 de Iambi, 7 de Bipan et un de Baiberi. La
répartition des objets correspond aux entrées notées sur le registre de l’inventaire
manuscrit et les entrées par toponymes chevauchent parfois les entrées par nom de
populations. Au musée du quai Branly, où les notices accompagnant les œuvres ont
subsisté, la part des objets iafar est beaucoup plus importante (83 objets sur les 257
numéros que compte le musée parisien).
4 Dès les premières semaines de recherche sur la collection Juillerat se sont posées des
questions qui ont servi de trame au projet d’exposition. Celle-ci avait pour but de
présenter le travail d’un anthropologue mais aussi un aspect d’une culture du pays à
travers ses productions matérielles. Or il est vite apparu que l’absence de
documentation directe relative aux objets conservés au musée national de Port
Moresby rendait la présentation de ces objets délicate. Alors que les objets conservés à
Paris ont fait l’objet de fiches détaillées auxquelles nous n’avons pas pu avoir accès lors
de la préparation de l’exposition (Juillerat : 1975b), les objets conservés à Port Moresby
avaient été enregistrés dans les collections sans aucune information ethnographique.
En effet, comment mettre en relation des objets issus de la culture iafar avec des textes
qui évoquent des aspects bien différents de leur culture ? La collection cédée au
National Museum and Art Gallery comprend une série d’éléments de masques peints
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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sur infrabase de palmier sagoutier, des lames de hache et d’herminette, des parures, de
l’outillage en os, quelques sacs en ficelle, trois tambours en forme de sablier, des étuis
péniens et une abondante série de flèches. Or, mis à part quelques lignes dans Les
enfants du sang sur l’outillage et la parure ainsi que la description des premiers étuis
péniens incisés offerts aux jeunes hommes après la puberté et les deux articles publiés
dans Voir et nommer les couleurs sur l’utilisation technique et symbolique de la couleur
sur les masques (Juillerat 1978a et 1978b), ainsi que les deux films édités par le CNRS et
la maison des sciences de l’homme (Juillerat, 1977, 1983), peu d’informations publiées
dans l’œuvre de Bernard permettent d’évoquer les objets offerts au musée de l’Homme
et au National Museum and Art Gallery.
Photos 1 et 2. – Vues de l’exposition
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
78
(clichés de l’auteur)
5 Par ailleurs, les textes écrits sur la culture matérielle, en particulier les nombreuses
pages portant sur la confection des masques de la cérémonie yangis ou sur les rituels de
chasse ou de guérison, ne sont illustrés d’aucun objet au musée de Port Moresby. Il n’y
existe aucun masque sur tissu intrafoliaire de cocotier et les seuls objets qui peuvent en
être rapprochés (encore qu’avec prudence) sont les éléments d’infrabase de sagoutier
qui, semble-t-il, comme en témoignent les perforations latérales, sont des éléments de
masque. Cependant, nous émettons des réserves sur l’éventuelle utilisation de ces
objets car, si ces derniers comportent bien des perforations, les traces d’usure et de
décollement de la surface picturale inhérentes à la fixation sur une structure végétale
sont absentes. S’agit-il d’exemples peints à la demande de l’anthropologue au moment
où il préparait ses deux articles sur l’utilisation de la couleur ? Un dernier texte sur les
dessins sur le sol chez les Iafar nous a permis pourtant d’évoquer un autre aspect des
recherches de Bernard Juillerat sur la culture matérielle (1975a). Certains des dessins
ainsi publiés dans cet article ont été reproduits à grande échelle sur les grandes
tentures qui rythmaient les différentes sections de l’exposition.
6 La deuxième question à laquelle nous avons tenté de répondre concernait le sujet de
l’exposition. Devait-elle être un hommage à Bernard Juillerat et l’occasion de présenter
une documentation sur l’anthropologue en évoquant à la fois ses méthodes de
recherche et les domaines qu’il a souhaité aborder ? Ou bien devait-on présenter une
exposition sur les Iafar et leurs voisins à travers les objets laissés par Bernard Juillerat ?
Nous ne pouvions répondre à ces questions qu’après avoir pris en compte le contexte
de l’exposition et ses implications en termes de muséographie et de discours sur les
œuvres. En d’autres termes, il nous fallait d’abord considérer le public auquel nous
nous adressions et la manière dont celui-ci appréhendait la nature du dispositif dont
émanait le discours, à savoir un musée en Papouasie Nouvelle-Guinée. Ici comme
ailleurs, la culture concerne ce que les gens vivent au quotidien ou lors d’événements
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
79
plus ritualisés. Mais la culture est aussi formulée par les institutions issues de
l’influence occidentale tels que les musées et les centres culturels, les institutions
culturelles de type occidental telles que les universités, les écoles, la National Cultural
commission et ses satellites (National Film Institute, Institute of PNG Studies, National
Art Theater) et les médias (la presse écrite, la radio et les deux chaînes de télévision
EmTV et Kundu 2, une chaîne publique créée en septembre 2008). Bien entendu, les
produits de l’anthropologie se situent dans cette seconde catégorie, qu’il s’agisse de
cours, de conférences, de publications, de films, d’enregistrements sonores etc. Le
projet d’exposition devait donc se situer dans la seconde catégorie tout en n’écartant
pas la possibilité de faire participer les Iafar et les autres populations concernées par le
projet. Cet aspect n’a malheureusement pas pu être développé faute de moyens et
malgré des messages envoyés dans la Province. L’équipe du musée et moi-même
souhaitions néanmoins que, si ce projet était amené à se développer, si par exemple
l’exposition pouvait être présentée en Australie et dans le Pacifique, un budget plus
important puisse permettre d’associer plus intimement les Iafar au choix des objets, à
leur présentation et aux textes qui leur seront associés. Il serait également souhaitable
qu’au cas où cette exposition pourrait être remontée, une partie des collections
conservées au musée du quai Branly puisse être exposée aux côtés des pièces provenant
du National Museum and Art Gallery.
7 L’exposition s’est déroulée dans la grande salle d’exposition du National Museum and
Art Gallery et comportait trois sections : les photographies de terrain, les objets des
collections et la présentation en continu du film de Chris Owen « The Red Bowman ».
Quoique tourné chez les Umeda, voisins des Iafar, il traite du rituel ida, un rituel proche
du rituel yangis des Iafar. L’approche cinématographique de Chris Owen s’appuie
essentiellement sur l’interprétation proposée par Alfred Gell (1975), mais doit
également beaucoup à Bernard Juillerat qui fut l’un des conseillers scientifiques lors de
la réalisation de ce film. Les deux premières sections se subdivisaient en grands
panneaux ou en vitrines. Les photographies étaient rassemblées en cinq groupes : le
premier rassemblait les portraits des informateurs principaux, le second traitait de
l’espace du village, le troisième traitait du monde des jardins, et le quatrième de la
chasse et de l’exploitation du sagou. Le cinquième panneau, le plus important,
rassemblait près de quarante photographies du rituel yangis et permettait d’évoquer
sous une forme panoramique les différentes étapes du rituel. Le dernier panneau était
consacré aux rituels de maladie. Le centre de la salle était occupé par les vitrines
réparties selon un « axe » masculin/féminin, faisant écho au plan du hameau Iafar
décrit par Juillerat. Deux grandes tables étaient placées en vis-à-vis et présentaient des
objets associés aux hommes (outils d’os et tambours) et des objets associés aux femmes
(des sacs en filet, des jupes ainsi que des contenants collectés par Barry Craig auprès de
populations voisines). La vitrine installée à l’entrée de l’exposition exposait une
sélection de publications de Bernard Juillerat. Elle faisait face au panneau présentant
les photographies des informateurs. Face aux trois panneaux consacrés à la vie du
village, aux jardins et à l’espace sauvage étaient dispersées trois longues vitrines
présentant successivement les parures constituées de coquillage, l’outillage en os et les
parures en plumes. Le mur principal de la galerie d’exposition présentait trente
panneaux peints, vestiges de masques employés lors de rituels de guérison. Une
dernière vitrine présentait l’outillage de pierre où étaient rangées en vis-à-vis des
lames d’herminette à tranchant droit (associées au masculin) et des lames à tranchant
circulaire employées pour débiter la moelle du sagoutier (ces dernières sont associées
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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au féminin). Une dernière table présentait une sélection de flèches et un arc (ce dernier
provenant d’une région voisine, l’arc collecté par Bernard Juillerat et cédé au musée
n’ayant pu être retrouvé).
8 Les vitrines comme les panneaux constitués de photographies étaient accompagnés de
textes de deux sortes. La pensée de Bernard et ses méthodes étaient illustrées au moyen
de citations empruntées à ses publications en anglais. Une vingtaine de citations
venaient ainsi rythmer le parcours de l’exposition. Par ailleurs de courtes synthèses
explicitaient les thèmes illustrés par les photographies. Enfin, de larges banderoles
venaient séparer les différentes sections. Elles étaient peintes de reproductions
monumentales de dessins sur le sol des Iafar empruntées à l’article de Juillerat publié
dans Objets et Mondes.
9 L’exposition a été inaugurée en présence d’un public important et a débuté par de
nombreux discours comme il est d’usage lors de toute manifestation publique à Port
Moresby. Durant l’exposition, un public scolaire nombreux est venu visiter l’exposition
qui leur a été présentée par le personnel chargé de l’accueil du musée. Ce dernier avait
été formé lors du montage de l’exposition. Nous avons souhaité évoquer les réactions
du public en terminant cet article par deux interviews de visiteurs.
Interview de Fa’afo Pat, ancienne directrice dudépartement Linguistique de l’University of PapuaNew Guinea (18/11/2008)
10 « Many people know about these things. In term of awareness, it can play an excellent
role. It was done earlier [these artifacts and publications] and a lot of Papua New
Guinean was not literate, so they couldn’t access such material. Papua New Guinean
anthropology exists in an oral form. This exhibition goes with Papua New Guinean
government attempts to record cultures. It enriches that heritage and supports
government attempts. It created a lot of awareness. These things are very rare in term
of exhibitions; we have very little number of exhibitions of this kind here. It is
uncommon. Most of these works are in libraries and these publications are much more
for academics than for ordinary Papua New Guineans.
11 In a way anthropology is very subjective. Exhibitions are an ideal method to create
awareness amongst non academics. When I speak of awareness, I mean ideas about
anthropology and about their culture, the cultures of Papua New Guineans. Some
people can say: “this is not true”, this is what was said about Malinowski or about
Mead. It gives an opportunity to young Papua New Guinean to be critical (subjectively
critical) about their own culture and about other people visions and understanding on
their culture.
12 There is now a global movement for preserving indigenous languages and cultures.
This is part of a global agenda. Holding an exhibition, it is opening awareness for
preservation. Preservation is important because it is a matter of history and then
because it is related to our identity and because it deals with aesthetic values. It gives
us an opportunity to study the concept of change and development. Cultures are
necessarily in changes. If we don’t understand who we are, then how could we
understand where we are going? Finally, it is part of knowledge. Culture is the
embodiment of knowledge.
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13 Museums are visual recordings of culture, but culture at a distant stage. They record an
earlier point in culture. For example, now Nigel Oram gave a description of my culture
[Motuan culture]. My children will never access my culture at the time he worked
amongst us. But thanks to his research, they will have access to their past culture
through museum displays and publications.
14 It also creates a possibility for discussions about culture since it implies a detachment.
It is a very rich from an academic perception. »
Interview de Muzeri Mugang, étudiant à l’University ofPapua New Guinea (19/11/ 2008)
15 « I like especially the tools they had and they used for various purposes. Their houses
were also interesting; the way they build their houses to be separated from animals.
There were also the weapons, the spears, the way they sharpen them…
16 Exhibitions can play a very big part, wake people, be aware and value their culture. The
use of culture for survival. To see that it is unique in PNG and in the world. I am from
Morobe Province, but I was raised in Hagen, in the Highlands. I came to realize that
there are some people who are similar but also different. It helps to find and appreciate
my own culture. Seeing that people appreciate Iafar culture helps me to value and
appreciate my own culture. I think anthropologists and linguists shall develop written
records, photographs and videos. These things can help a lot. To have people more
interested in their culture. Culture is important because it is our identity. If not, we will
loose our identity. It is something which is closely attached to us. For someone who
grows up in town and if he/she goes back to his/her village, he/she will feel that he/
she is not part of them. It is not said officially, but it is something we feel. I appreciate
the way you do or anthropologists display our culture to the world and mostly to us. To
make us appreciate who we are, and to make us see our uniqueness in the world.
17 As a PNG, I would like to do similar things like that but it involves money and money,
here is a problem. Our artifacts, some of them are still here, but many were sent
overseas. They were taken away from us. It is better if they can stay with us and the
people can come to visit us and see them. »
Commentaire
18 Les deux interviews évoquent l’expérience d’une visite au National Museum and Art
Gallery et les deux personnes interrogées y développent une réflexion sur leur propre
culture et les questions qui se posent à elle dans un contexte globalisé. Je ne sais pas si
ces manières d’envisager le rôle d’une exposition, à savoir l’exposition comme une
incitation à préserver sa culture et, à travers elle, l’identité des individus, sont le fait du
haut niveau d’éducation de Fa’afo Pat et de Muzeri Mugang. Le National Museum and
Art Gallery est un lieu culturel peu fréquenté par les habitants du pays. À ma
connaissance, il n’existe pas d’étude sur la fréquentation du musée et sur les attentes
des habitants de Port Moresby vis-à-vis du musée. Le département culturel du musée a
entrepris une politique d’accueil en direction des écoles et, depuis, les classes sont
reçues par un guide qui présente les collections du musée. Mais il n’existe pas de
politique culturelle en direction des adultes. On peut néanmoins mesurer la place du
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musée dans la société contemporaine en Papouasie Nouvelle-Guinée par le nombre
d’articles qui lui sont consacrés dans la presse quotidienne. Deux affaires récentes ont
provoqué des réactions argumentées de la part des journalistes et des lecteurs : la
découverte et l’exportation aux États-Unis d’une épave d’avion de la Deuxième Guerre
mondiale et l’ouverture au public de la donation John Friede, la Jolika Collection, au De
Young Museum à San Francisco. Dans les deux cas, les journalistes comme les lecteurs
se sont émus de la perte de ce qu’ils considéraient comme leur patrimoine. À la lecture
de ces articles et en prenant en compte les différentes réactions qu’ils ont suscitées,
tout en craignant d’être trop général, il semblerait que le musée national est d’abord
considéré comme un lieu de préservation avant d’être un lieu de présentation. La faible
fréquentation du musée ne serait pas le signe d’un désintérêt de la population quant à
son patrimoine culturel, les articles ayant trait à ces deux affaires démontrent le
contraire. Le musée aurait plutôt pour mission de veiller au maintien dans le pays
d’objets dont la conservation dans les communautés d’origine devient délicate soit que
ces objets sont convoités par des marchands peu scrupuleux soit que leurs détenteurs
voient dans leur présence une menace pour la communauté. Le musée est donc le
dépositaire, pour de multiples raisons, d’objets sur lesquels les communautés
conservent des droits. Cela explique peut-être pourquoi le musée de Port Moresby a
rarement organisé d’expositions temporaires sur ses collections. Mise à part
l’exposition consacrée aux Iafar et à Bernard Juillerat, les expositions des cinq
dernières années au musée national ont accueilli des œuvres qui n’appartenaient pas à
ses collections. Aucune d’entre elles n’avait d’ailleurs été organisée par le personnel
scientifique du musée mais par des commissaires d’exposition extérieurs.
19 En septembre 2007 a eu lieu à l’hôtel Holiday Inn une exposition organisée par le musée
national. Celle-ci se voulait programmatique et affirmait que le rôle du musée était en
priorité d’accueillir un public local dans le but de présenter la diversité des cultures du
pays et de jouer un rôle capital dans la construction du pays en tant que nation. Le
principe réaffirmé à cette occasion et qui avait été à l’origine de la construction du
musée était qu’une meilleure connaissance des différentes cultures du pays permet de
mieux faire dialoguer la multitude de communautés qui constituent la Papouasie
Nouvelle-Guinée d’aujourd’hui.
20 C’est ainsi qu’à travers cette exposition les visiteurs se sont trouvés confrontés à eux-
mêmes en tant que porteurs de mémoire. Ce qu’ils voyaient à travers l’exemple des
Iafar et des recherches anthropologiques portant sur eux, c’était leur propre image en
tant qu’individus porteurs d’une culture collective et la manière dont la modernité
transmet leurs valeurs et leurs manières d’appréhender le monde. Il est également vrai
que les habitants actuels de Papouasie Nouvelle-Guinée portent un intérêt assez
considérable aux cultures de leurs voisins comme en témoigne l’attrait de magazines
promotionnels tels que Paradise Magazine, une publication distribuée à bord des vols de
la compagnie aérienne du pays. Il est également vrai que les publications
anthropologiques sont peu accessibles, même à l’University of Papua New Guinea où ces
ouvrages ne peuvent être empruntés et ne disposent pas d’un catalogue facilement
accessible. Le musée, malgré sa fréquentation limitée, continue à vouloir jouer un rôle
dans la diffusion des connaissances sur les cultures du pays.
21 Il reste pourtant difficile d’évaluer à travers l’exemple de cette exposition, construite
en peu de temps et sans moyens, quelle est la lecture qui peut être faite de l’œuvre de
Juillerat en Papouasie Nouvelle-Guinée. Il apparaît que les écrits de Bernard Juillerat, et
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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sous une forme modeste l’exposition qui lui était consacrée, parce qu’ils mettent en
valeur une culture du pays, sont bien accueillis par les visiteurs mélanésiens. Tandis
que s’installent des stéréotypes négatifs sur le pays (corruption, violences, dérèglement
étatique), la valorisation des cultures mélanésiennes constitue une sorte d’échappatoire
et offre une possibilité aux habitants du pays de se construire une identité plus digne.
BIBLIOGRAPHIE
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National Film Institute.
NOTES
1. Nous avons repris l’orthographe utilisée par Bernard Juillerat jusqu’en 1983 car, lors de la
donation au National Museum and Art Gallery, les objets ont été enregistrés sous le vocable Iafar.
À partir de 1983, Bernard utilise l’orthographe Yafar.
2. Une autre collection d'objets de cette région a été donnée au musée de Bâle par Bernard
Juillerat.
RÉSUMÉS
D’août à novembre 2008, le National Museum and Art Gallery de Port Moresby a présenté une
exposition intitulée A tribute to Bernard Juillerat: The Iafar1 between symbols and artifacts . Cette
exposition a permis de présenter une partie de la collection rassemblée par Bernard Juillerat et
donnée au musée en 1974. Cette exposition a été le fruit d’une collaboration entre l’université de
Papouasie Nouvelle-Guinée et le National Museum and Art Gallery. Ce fut l’occasion de
s’interroger sur les collections ethnographiques en Papouasie Nouvelle-Guinée et sur les
différents moyens de les présenter à un public mélanésien. Les collections du National Museum
and Art Gallery abritent plus de 80 000 objets dont seule une infime partie est présentée dans les
salles d’exposition permanente. Cette exposition a donc été l’occasion de faire le point sur une
partie de cette collection et de présenter un choix d’objets de manière à refléter certains aspects
d’une culture de la Sundaun Province. Elle était aussi consacrée aux recherches que Bernard
Juillerat a menées durant plus de trente ans chez les Iafar. Parallèlement à la présentation des
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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objets, l’organisateur de l’exposition a proposé une réflexion sur la nature des recherches
anthropologiques et de ses liens avec la culture matérielle à travers l’exemple de Bernard
Juillerat.
From August to November 2008, The National Museum and Art Gallery of Port Moresby presented
an exhibition titled A tribute to Bernard Juillerat:The Iafar between symbols and artefacts. The
exhibition displayed a part of the collection gathered by Bernard Juillerat and given to the
museum in 1974. This exhibition was a joint project between the University of Papua New Guinea
and the National Museum and Art Gallery. It was the opportunity to raise questions about
ethnographic collections in Papua New Guinea and different means to display them to a
Melanesian audience. The collections of the National Museum and Art Gallery host more than
80 000 artefacts out of which a very small percentage are presented in the display galleries. This
exhibition was then an occasion to assess a part of the collection and to present a selection of
these artifacts in order to reflect certain aspects of a culture of Sundaun Province. The exhibition
was also intended to reflect the research Bernad Juillerat conducted for over 30 years among the
Iafar. Alonside artifacts, the organizer of the exhibition proposed a reflection on the nature of
anthropological research in relation to material culture through the example of writings and
photographs of Bernard Juillerat.
INDEX
Mots-clés : art, collections muséographiques, University of Papua New Guinea, Yafar
Keywords : art, collections, Museum, University of Papua New Guinea, Yafar
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Hommage à Bernard JuilleratUn interlocuteur des psychanalystes
André Green
1 Le XXe siècle a vu diverses tentatives d’échange entre anthropologues et psychanalystes.
Bernard Juillerat nous en a donné une recension complète1. Pour ma part, je m’en
tiendrai à l’essentiel. Une première approche a vu le jour aux États-Unis après les
travaux de Ruth Benedict, Margaret Mead et Abram Kardiner (qui fit une psychanalyse
avec Freud). Elle fut connue sous le nom d’anthropologie culturelle. Elle avait surtout
pour but de décrire comment les modes d’éducation différents selon les ethnies
façonnaient les mentalités des individus qui les composaient. Ce mouvement connut
une certaine vogue, mais ne prit guère en France où son influence fut superficielle et de
courte durée.
2 Un deuxième essai vit la visée d’annexion de Claude Lévi-Strauss par Jacques Lacan.
Lacan, qui était venu grossir les rangs du structuralisme, avait cru trouver un appui
chez Lévi-Strauss qui n’avait rien à faire d’une telle allégeance. Lévi-Strauss laissa dire
et attendit la mort de Lacan pour exprimer à la fois toutes ses réserves à l’égard de
Freud et avouer sa radicale incompréhension de Lacan dans La Potière jalouse. Enfin,
Bernard Juillerat réussit là où les autres avaient échoué. Je tiens son ouvrage Penser
l’imaginaire, sous-titré Essais d’anthropologie psychanalytique, pour la marque de son
succès. Il mérite de figurer parmi les œuvres majeures des anthropologues faisant état
d’une authentique connaissance de la psychanalyse.
3 Bernard Juillerat fut l’auteur d’une œuvre anthropologique aboutie avant de
s’intéresser à la psychanalyse… Les Enfants du sang en témoigne. Mais c’est avec Shooting
the sun (1992) que débuta notre collaboration, Juillerat m’ayant demandé de participer à
cet ouvrage collectif. Il avait travaillé sur un rituel yafar, population du West Sepik en
Papouasie Nouvelle-Guinée. Il avait repris les conclusions d’Alfred Gell et renouvelé
profondément la compréhension de ce rituel. Il publia son étude et y adjoignit les
commentaires de plusieurs collègues étrangers. Il eut l’idée de solliciter à cette
occasion les remarques de deux psychanalystes et me choisit à ce titre. Ce que j’écrivis
eut l’heur de l’intéresser. C’est alors que commença une relation qui se poursuivit
jusqu’à sa mort.
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4 Depuis cette date, nous n’avions cessé de dialoguer ensemble au fur et à mesure de la
progression de ses connaissances psychanalytiques. Bernard Juillerat n’était pas de
ceux qui se contentent de quelques citations de Freud pour conclure rapidement à la
pertinence d’une référence à la psychanalyse pour l’anthropologie. Sa bibliographie
permet de se rendre compte de ce qu’il était aussi lecteur de Jung, Klein, Lacan et de
bien d’autres psychanalystes contemporains dont D. Anzieu, B. Brusset, R. Cahn, S.
Isaacs, R. Kaes, J. Kristeva, O. Mannoni, J.-B. Pontalis, P.-C. Racamier, G. Rosolato, H.
Segal, D. W. Winnicott et moi-même.
5 Une formation psychanalytique est exceptionnelle chez un anthropologue. Lorsque je
pense à nos rencontres, je crois qu’elles ont aidé Juillerat à s’orienter dans le magma de
la littérature psychanalytique. Nos entretiens éclairaient telle ou telle prise de position
de Freud, son pourquoi, son comment. Plus encore, la diversité des points de vue
exprimés dans la littérature psychanalytique faisait l’objet d’explications de ma part
sur les orientations théoriques de tel ou tel auteur post-freudien, sur les raisons de ses
choix, de ses options. Pour finir, Juillerat était instruit, en profondeur, des options
singulières des psychanalystes, ce qui lui permettait de faire ses propres choix de
manière éclairée.
6 C’est donc sur une réflexion très documentée que l’auteur développe ses idées sur
l’anthropologie psychanalytique. Dans Shooting the sun, il n’hésite pas à prendre le
contre-pied de positions ayant valeur de dogme, en cette période d’hégémonie
structuraliste dont Lévi-Strauss est le porte-drapeau. Certaines affirmations
courageuses peuvent être lues comme des déclarations de guerre, telle : « Le sens
détermine la structure ». Le sens, que Juillerat tente de défendre, y opère à un niveau
infrasocial. Il défend le statut primordial de ce dont parle la psychanalyse. Pour
Juillerat, psychanalyse et anthropologie traitent d’un matériau particulier de type
psychologique universel. Ainsi, dans Shooting the sun, il écrit : « le sens est lié
principalement à la sexualité et à la reproduction ». On sait que si Lévi-Strauss s’est
beaucoup intéressé à la parenté, il a plutôt négligé la sexualité et la reproduction. Pour
Juillerat, sexualité et reproduction sont des productions génératrices du sens et non de
sens. Les paramètres qui y sont liés ne sont donc pas à inclure dans une liste de
catégories parmi d’autres. Ils méritent d’être individualisés et considérés à part.
Juillerat écrit :
« Je pense que présentement la psychanalyse comme composante del’anthropologie est la discipline qui peut le mieux éclairer les contenus culturelsdits “symboliques” et en préciser, le cas échéant, l’origine psychique sous-jacente. »(Juillerat, 2001 : 7)
7 Juillerat résiste encore à la mode en produisant une critique impitoyable de ce qu’il
appelle la dérive cognitiviste. Il écrit :
« Quand on se retourne sur l’histoire de la pensée anthropologique, on voit qu’elle aprogressé par une succession d’engouements successifs, toujours excessifs etexclusifs des approches antérieures ou concurrentes, par une guerreinterdisciplinaire larvée, où le progrès scientifique était encore trop facilementconfondu avec la recherche du nouveau à tout prix. Le temps est venu decomprendre qu’il s’agit au contraire d’abandonner les réductionnismes et des’orienter vers une complémentarité méthodologique non éclectique mais sélectivepar souci d’adéquation à l’objet, soit de vérité. » (ibid. : 53-54)
8 Avec Juillerat, les discussions sur l’universalité du complexe d’Œdipe prirent un tour
nouveau. Au lieu de vérités sempiternellement enfermées dans la répétition des mêmes
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arguments qui aboutissaient à se retrouver dans les mêmes impasses, avec lui, l’Œdipe
prenait un sens plus ouvert. Il ne s’agissait plus de se laisser enfermer par le manifeste
inlassablement répété, mais de comprendre qu’on avait affaire à une structure qui
pouvait varier selon les cas et présenter selon les circonstances un aspect mettant en
valeur un MutterKomplex comme dans Yangis ou des variations où la relation père-fils
pouvait se dissimuler derrière un conflit frère aîné/frère cadet. Ailleurs, la punition
infligée au fils incestueux pouvait prendre la forme d’une réingestion forcée à travers
le vagin de la mère, empêchant sa naissance ou le rendant à jamais prisonnier du
ventre maternel.
9 Petit à petit, la réserve naturelle de Juillerat, qui le poussait à refuser les invitations à
parler au public, céda, car il fut probablement convaincu que le public devant lequel il
se produisait avait à son égard une attitude bienveillante. Il était en effet connu des
membres de la Société psychanalytique de Paris (SPP), auxquels il s’adressa d’abord par
écrit, puis ensuite oralement. Il devint écouté et respecté.
10 Pourtant, Juillerat n’était pas un homme à céder sur des idées qu’il croyait importantes
pour fuir la controverse. À l’époque, les psychanalystes intéressés par l’anthropologie
étaient surtout des lacaniens en mal de soutiens recueillis dans les rangs de Lévi-
Strauss. Il fut donc un allié précieux pour défendre l’existence d’une anthropologie
psychanalytique indépendante. À sa suite et déjà de son vivant, d’autres
anthropologues qui lui étaient proches – J. Galinier, P. Bidou, G. Gillison – explorèrent
les voies qu’il avait ouvertes. Espérons qu’après sa disparition ils auront à cœur de
prolonger les pistes qu’il a proposées et dont il fut le premier à avoir le courage de
montrer la fécondité qu’on avait à les suivre. En ce qui me concerne, j’ai le sentiment de
n’avoir pas seulement perdu un interlocuteur mais aussi un ami.
BIBLIOGRAPHIE
JUILLERAT Bernard, 1992. Shooting the sun: Ritual and Meaning in West Sepik, Washington,
Smithsonian Institution Press.
—, 2001. Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, Lausanne, Payot-Lausanne.
NOTES
1. Voir le chapitre I de Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique.
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Flying away like a bird: An instanceof severance from the parentalabode (Iwolaqamalycaane, Yagwoia,Papua New Guinea)Jadran Mimica
1 In a longer personal communication with Professor Juillerat during August 2004 I
expressed my admiration for his outstanding corpus of ethnography of the Yafar life-
world1 in the Sandaun (West Sepik) Province. I also expressed my hope that his writings
will contribute to the revitalisation of psychoanalytic ethnography and psychoanalytic
thinking in anthropology well outside the Francophone milieu despite the fact that his
three major books (1991, 1995, 2001) have remained untranslated. I present this paper
in homage to his legacy in the psychoanalytic exploration of New Guinea life-worlds,
sociality and their cultural imaginary matrix. My scope will be ethnographic, a single
case-study from Iwolaqamalycaane, a Yagwoia-Angan territorial group in the montane
region of interior Papua New Guinea intersected by the borders of three provinces:
Morobe, Gulf, and the Eastern Highlands Province2. The general subject-matter is the
dynamics of the father-son relationship with the focus on the pivotal Yagwoia notion of
the «incorporation of the father’s bone» and, correlatively, the «bone-power» (see
Mimica, 2007: 5-6; 2007a: 77-105; 2008: 168-169)3.
2 «Bone» condenses the paternal phallic – i.e., semenal-spiritual – power contained not
just in the father’s genitals but in the entire skeleton which in the Yagwoia
understanding of the bodily edifice is an arboreal structure and as such, a phallic-
ouroboric totality that generates its own animation4. Reciprocally, this bodily
microcosmos is animated by the macrocosmic metabolism generated by the
movements, light and differential temperature of the sun and moon. This means that,
like any tree, the bone (metonymically meaning the entire body as a phallic gestalt) is a
generative organism whose trunk is rooted in the earth while the branches and leaves
extend skyward. In the most expanded terms, the bone, then, is the human
embodiment as the microcosmic equivalent of the macrocosmic edifice of the world
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delimited by the sky and earth (Mimica, 2006: 33). In terms of this global image (body =
tree) the notion of the «father’s bone» means that he is primarily a bigger branch (arm)
closer to the trunk (spine = central axis of the body), while his sons at first are the
smaller branches (hand-fingers) issuing from it. Later, when they replace him, they, in
Yagwoia understanding, extract his bone and, in turn, the sons themselves become
incorporated into the branch closer to the trunk from which, qua themselves, issue
their own branches (children).
3 Daughters too are the branch-issues, but their destiny is to be like the leaves (finger-
nails) that detach from the trunk because they marry outside of their own paternal
«trunk» (latice group) and enable other trunks and their branches to internally
reproduce themselves, i.e., that the fathers become replaced by their progeny of which
the sons continue the process of (endo-) generation of the trunk via the incorporation
into its branches which in turn are being incorporated into the trunk. The process is
one of self-reciprocal incorporation (Mimica, 1991, 2006). Moreover, every part of this
self-totalising totality is identical to the whole (i.e., is hologramic) concretely imagined
as a tree closed in on itself, i.e., its branches and roots intertwining. This is the
archetypal, cosmic tree-of-life whose structural determination is ouroboric because,
like the serpent that eats its own tail, this tree grows in-through-and-out-of-itself, ad
infinitum. Thus, the roots = trunk = branches = leaves = whole tree = trunk = roots =
branches =and-so-on-∞. Apart from their cosmology and its diverse forms of
actualisation, this scheme is fully objectified in the Yagwoia naming system (Mimica,
1988, 1991).
4 As a concrete reality, the dialectics of the incorporative process, which could readily be
typecast as «patrifiliation», can be adequately understood only through individual-
biographical life situations and trajectories. Psychoanalytically, in its determining
structural dynamics incorporation of the paternal bone is an original and irreducibly
pre-Oedipal constellation of desire in which the father fundamentally abdicates his
phallic power («bone») to his sons. What may appear as an Oedipal (ternary) relational
circuity, constitutive of the social field and its morphology, is an original morphism
driven by a primary, narcissistic automorphic dynamism. Following Neumann (1954,
1966), I characterize it as «ouroboric» (Mimica, 1991, 2003). One of its diacritical aspects
is the equipotentiality of the life-and-death instinctual drives (libido-mortido) whose
specific articulation is a function of the actualisation of every concrete person’s life,
i.e., his/her biographical vicissitudes in the field of kinship relatedness (Mimica, 2003,
2007a, 2008). Fundamentally, even in the most non-conflictual modalities of
relatedness, the ouroboric dialectics of Yagwoia fatherhood and sonship subsists on
immanent desire for the death of the father, it being the condition for the transference
and the continuation of his bone-power in the son. Such in brief is the cosmo-
ontological background of the following exploration into the un/conscious5 dynamics
of Yagwoia intra-familial core-circuity.
5 I came to know UlaqWapace6 over a period of three years in the mid-nineties (ca
1993-1996) while he was in his mid teens (13-16). Within his field of kinship relatedness
he was occupying a position whose limitations he grasped very early on in his young
life. UlaqWapace is the fourth-born (pacoqwa) and the youngest son by his father’s first
wife Waponaqa. Within his sibling group, UlaqWapace was in the most disadvantaged
position: the youngest in a double, cross-sex series of siblings and without his same
birth-order sister, i.e. the proper contra-sexual mirror-self (see Mimica, 1991). To the
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extent that he has three sisters, they are primarily so to his three older brothers with
whom they formed the same birth-order couplets while UlaqWapace himself is a
humayoqwa7, literally one who is «without» a complement. Therefore, for each of his
sisters there was another brother, older than UlaqWapace, who was her true cross-sex
complement and who as such had the undisputable primary claims in her fecundity,
bride-price, children and all their life-payments. UlaqWapace was entirely dependant
on his brothers’ good will to share their fraternal and sororal assets with him but he
had not that primary sororal-female domain which would allow him to claim her as
truly and exclusively his own procreative bodily estate and contra-sexual self.
6 I will make a brief reference to UlaqWapace’s patrilateral half-brother Ulaqayi, a trans-
gendered person, whose predicament I have explored in a separate study (Mimica,
2008). In Yagwoia imagery these two patrilateral half-brothers are of the same penis
(i.e., father) but different net-bags (wombs = mothers). Ulaqayi has only one older
brother and four sisters, two for each of them. But since he is primarily a woman rather
than a man, the elder brother claimed all their sisters for himself. One can say that
since Ulaqayi himself has always been his own female domain, and so in excess
(Mimica, 2008), he effectively undercut his access to the female fecundity of his sisters,
including the one who was of the same birth-order as himself. Although I will make no
further cross-references to Ulaqayi, an examination of UlaqWapace’s life-trajectory
against this tacit background will be particularly instructive since their penile
connection binds them to the same father, yet their respective «bone» (phallic)
dynamics vis-à-vis the father and their mothers, couldn’t have been articulated more
differently (ibid.). UlaqWapace eventually came to a conclusion that being the son of
his father and the brother of all his elder brothers (full and half) was untenable in the
given conditions and, as we shall see, he opted for a way out, realising in the process
that he had a bone-power, all his own, to give him strength and to protect him.
7 I got the first intimation of UlaqWapace’s appreciation of his intra-familial position
when I just casually remarked on the fact that Ulaqayi and his siblings were indeed his
close agnatic kin. To this UlaqWapace quite bitterly replied that they were, but all the
same, as far as their way of relating to him was concerned, they have become an
altogether different kind of people – the non-kin in no uncertain terms. Why? They
don’t care at all about him, meaning they don’t give him anything, be that food,
clothes, money, or anything whatsoever. It was a mood expressing the familiar outlook
on Yagwoia kinship relatedness generated by polygamous men where, indeed, the
siblings by different mothers are like separate satellite groups, each kept bound from
within itself by virtue of being the children of the same mother-planet, and orbiting
with other such mother-bound-units around their common solar centre, the father.
However, there are always individuals who not just feel and see themselves as being
excluded from the intersubjective flow of kinship giving and taking, but are actually
subject to such a deprivation. UlaqWapace was certainly in that position. This was
conditioned by the fact that he was the youngest of the lot and the fact that his father
didn’t seem to have taken him under his wing, which is what the youngest offspring
may expect. As the Yagwoia say, the last-born son (ulaqwa) is the father’s true vital
organ (qalye). UlaqWapace wasn’t8, and if there was a male person from whom he
expected a committed paternal concern that was his eldest first-born brother QW. In
the main UlaqWapace was ambivalent about him. Even his most luminous idealisations
of the big, grown-up brother and the father-surrogate couldn’t neutralise the
increasing frustrations produced by the latter’s failure to fulfil his little brother’s most
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basic wants and desire. A few times I saw that QW would give UlaqWapace a shirt, a pair
of trousers, maybe a tin of fish or a small gift of money, but not quite enough, which
would have meant a great deal in the little boy’s appetitive sphere. Perhaps, more
concern and tactful generosity from all three older brothers would have tempered his
resentment in regard to the more substantial issue, namely that they didn’t think it
necessary to share some of their sisters’ bride-price with their youngest one.
8 Whatever he might have felt about his father and the three older brothers in his early
life and teens, by the time I got to know him, UlaqWapace experienced all of them, and
for quite good reasons, as the differential refractions of one and the same ungiving and
uncaring negativity. He started his self-account with the characterisation of the father
as «not a good man (because) he doesn’t buy clothes (for his children) nor had he payed
for his sons’ women. Other people know us as this man’s progeny. But that is not so. We
ourselves do hard work and obtain women, clothes, and all other things. The brothers
go to town to work for money and buy all these things (women included). He is not a
good father; he only looks at us (i.e. depends on them). I am fed up with him». Here
UlaqWapace spoke of himself as one of the brothers and equivalent to them. Although
he was still young for getting a woman, in his own way he tried to fend for himself and
so from the earliest childhood, as we shall see. The strongest indicator of his fraternal
exclusion was that he had no share in the sisters’ bride-price:
« When I go roaming (to Yalqwaalye) on my own I bemoan this condition of mine.They (the brothers) are not willing to tell me – “take some money and go buysomething for yourself”, not truly! They’ve got sisters and they don’t say – “take abit of the money from the sister”; they don’t think of giving me some. »
9 This perception also applied to his two patrilateral half-brothers (Ulaqayi and his older
brother) about whom he said:
«they don’t know to help me with anything.»
10 And he wasn’t exaggerating.
11 UlaqWapace judged all of his closest agnatic brothers in terms of the most basic
Yagwoia premise of interpersonal evaluation which is whether one has been given
something by somebody or not. Thus:
« When my three brothers went to Rabaul (to work on plantations) they didn’t giveme anything. When they returned they brought three (transistor) radios. I askedthem to give me one but they didn’t hear me (i.e. disregarded his demand). »
12 And he is not another, alien person, but their youngest brother. Yet over and over
again, there was little of their supposed common substance coming his way from them.
UlaqWapace felt fundamentally as being left out on his own. He wasn’t seeing much of
his aging father because the latter wasn’t helping him. And as for all his brothers, he
said:
«I am fed up with them. They are not truly brothers.»
13 Throughout 1995 he felt that his life-space was a persecutory field with him caught in
the middle between his first-born and third-born brother who resided at two different
locations, and his father in the third, and each had nothing in store for him but an
unwelcome word and grudge. This was also due to the fact that his brothers felt that he
was giving them nothing more but his demands.
14 When asked from and on whose hand did he grow up9, UlaqWapace sketched out an
intricate picture of his earliest childhood symptomatic of his self-image and his
predicament in the family matrix.
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«When my mother bore me I stayed in a net-bag and she carried me around. Mymother carried me so and (after a while) I grew up a little bit. When I began to walkon all fours and became like Aa (a little girl we both knew well, aged 2-4 at thetime)10 my mother would go down to Ac (place) and leave me (alone). Now this timeI used to dig up cina (worm) from the ground, cook and eat it. I used to do so and Igrew up quickly by myself.»
15 Although little children, usually accompanied by an older child (sibling), do occupy
themselves with such food procurations, what is important is that he unreservedly says
that he was on his own and that he fed and made himself grew up by himself on the
lowliest of morsels, worms. However, this was in the context of a relative separation
from and absence of his mother. But he doesn’t claim that therefore he was his own
giving and growing hand. Rather, in exactly this context he had a dream in which the
spirit of his dead mother’s brother11 (WT; same birth-order as his mother) appeared
and told him:
« You will not stay thus (a little child) for a long time. You will grow up fast on myhand». Moreover, «he gave me a yellow some-thing and I put it into the mouth andthis thing dissolved in the mouth. I saw him thus in the dream and he told me “Youwill stay on my hand now” and I told him “Fine, I can stay so”. Then my mothercame but when you are still a child it is hard to talk to her (i.e. he didn’t tell herwhat happened in the dream). My mother killed a possum this time and gave it tome and I ate it. And this time I grew up fast. Then I knew that I didn’t dreamnothing. I grew up quickly and my brothers didn’t help me even a little bit. Thus Igrew up a bit more. »
16 Although he clearly sets himself in opposition to his unhelpful brothers, who also
subsume his father, which indicates that the dream experience and the self-account are
calibrated by his present perspective on his young life as a whole, I don’t doubt that his
dream is a genuine childhood experience which has a critical significance for his self-
consciousness and his un/conscious. The appearance of the dead «mother’s breast»
(MB) is symptomatic of the context of a relative separation from the mother, her
absence and, correlatively, his self-feeding. Yagwoia children learn very early on from
their mothers and other relations about the vital significance of their male «mother’s
breasts». The fact that UlaqWapace’s MB was dead at the time, suggests that he would
have been aware of him as a spirit for that is a factual aspect of Yagwoia existence of
which they are acutely mindful, especially in regard of deceased maternal relatives (see
Mimica, 2003, 2006). So, to the extent that in the Yagwoia life-world one’s «mother’s
breast» is said to be the true source of a person’s bodily growth, UlaqWapace had
received his maternal uncle’s feeding substance in a very literal sense: he ingested it.
What exactly that yellow substance was UlaqWapace didn’t say and from the way he
received it, he probably didn’t know what it was. But from the speedy growth that he
subsequently experienced he knew that it was something very powerful and efficient.
The dream was true.
17 From his MB’s oneiric annunciation follows that UlaqWapace grew up from and on the
hand of his male mother whose existence as a spirit also accentuates UlaqWapace’s
relative independence and separateness from the paternal and patrifilial bond that he
came to experience as frustrating and being without substance. Hence his final
statement that his brothers had no part in his growth also extends to his father. The
detail of his mother killing and giving him to eat a marsupial at the point after he had
incorporated his male mother’s breast’s spirit-food-substance (clearly related to yet
different from the carnal maternal milk) reinforces UlaqWapace’s stress on the
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maternal bond. In fact women do not hunt marsupials but receive them from their
husbands and classificatory sons especially in the context of childbirth prestations (see
Mimica, 1991). Indeed, there is an aspect of this maternal marsupial-giving which not
only neutralises the father’s significance in UlaqWapace’s growth but at the same time
relates it tacitly to marsupial consumption in the context of initiations through which a
boy is made into a man-made man. Although not explicitly stated, all this clearly
suggests that for UlaqWapace the transmission of his father’s bone, and therefore of
the articulation of his paternal mediation of the ouroboric phallic self-circuity, is
blotted out. In his self-experience as a one who kept on growing from the hand-bone
power of the spirit «mother’s breast», it is this maternal mode of mediation of the
phallus that has a high degree of saliency. He didn’t have to demand it or struggle for
its acquisition but it was put into his mouth. I can say then that his internal male
maternal self-object, which modified UlaqWapace’s purely maternal ouroboric
container, has been of pivotal importance from early childhood on. And this remained
unaltered since he, like so many (but not all) Yagwoia of his generation, hasn’t been
nose-pierced. On the other hand, the importance of the father and his fraternal
surrogate in his un/consciousness wasn’t abolished but has developed into a resentful
deprivation, which in that very mode only aggravates the desire for the negation and
destructive incorporation of the paternal bone-power. UlaqWapace’s unreserved
pronouncements that his father wasn’t good, on a par to all his brothers, is a
symptomatic indicator of this dynamics.
18 Throughout his young life the maternal sphere, centred on his M and MZ, remained
stable and supportive. It was in his mother’s garden that in 1995 he made his own taro
plot which she tended on the regular basis, while he was attending to it more
sporadically. As his MZ resided for a while in the Iqwaye territory he would stay with
her every time he would go into that area. Another man whom UlaqWapace readily
credits with showing care and concern for him is his first-born sister’s husband. He
worked for a few years in East New Britain at a plantation near Rabaul. When he sent
for his wife to join him he also explicitly asked for UlaqWapace to come with her.
Therefore UlaqWapace readily acknowledged that his ZH significantly contributed to
his bodily growth, as opposed to his father and brothers. After a few years UlaqWapace
returned to his home area together with his sister and ZH where he quickly fell back
into the position of a marginal young brother growing up ever more frustrated by his
predicament. Then QANg, related to UlaqWapace as a classificatory agnatic brother,
took him into his care knowing also that I would be able to hire him to cook for me
every time I was in the area doing my research. The money I gave him made him feel
less dependent on his brothers for cash and things it can buy.
19 Now in 1995, shortly after I finished my annual stint of field research, on the account of
his brothers’ persistent refusal to give him a thing or two they brought from Rabaul,
UlaqWapace went as far as Kainantu (Eastern Highlands Province) where he stayed
with a few men from his home-area. He intended to buy some clothes. However, he met
a local man who, UlaqWapace said, took pity on him and offered to sell him a substance
of great power that would make him strong, and in general protect him. This was a
human bone ground into fine powder by a masin (machine) and placed into a small
bottle. All one needs is to smear a mote of this powder on one’s chest and face, and/or
just open the bottle, then encircle oneself with it and it will impart its power to the
user; in other words, endow him with bone-power. That this was too tempting for
UlaqWapace is made clear by the sheer fact the he paid 50 Kina for this bone-power
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concentrate. Especially for him, that was a huge amount of money. The powder became
his most treasured possession about which he told me in the context of the explication
of a dream that he had in February 1996, just a few days before I left the field. By then
he had been using the secret bone-powder for almost a year. An explication of its
significance in the overall psychodynamics of UlaqWapace’s self will best be presented
in the perspective of that fateful dream. A veritable production of his oneiro-
mythopoeic un/conscious, the dream expresses with a heightened lucidity the decisive
existential threshold that UlaqWapace had reached in his life-trajectory. Although the
narrative form follows the vernacular version, I am giving it in a presentation whose
economy aims at the maximum and immediate clarity of all the details12.
20 (1) In the dream he is first inside a house, then he moves out and proceeds to walk. As
he does so he begins to fly and becomes fully airborne. (He later clarified that he just
put his two legs together and arms tightly close to his body which he stiffened and then
began to fly). He landed at a waterfall then he saw a man (whom he didn’t know)
coming towards him.
21 (2) Having looked at him coming, UlaqWapace wanted to fly off but at that very
moment this (unknown) man grabbed him. The man had a knife with which he
proceeded to cut UlaqWapace but the latter in turn blocked the knife and took hold of
it. UlaqWapace then turned on his attacker and began to cut him instead. The man
screamed in pain and while doing so many men began to come (to the place of
UlaqWapace’s mortal conjunction with the unknown attacker). They kept on coming
but UlaqWapace proceeded to deliver blows cutting them as he did so, and they in turn
were dying-falling and rolling all around the place. He vanquished them all.
22 (3) Then he sees another man coming towards the waterfall place where he killed all
those men. Him he recognised as his elder brother QW13. He asks him «Why did you
truly kill all those men?» and UlaqWapace replies to him «They fought me and wanted
to kill me, so I killed them». His big brother said «fair enough». Accompanied by his
brother-semblance, they two went to the same-as-Yakane place.
23 (4) Having arrived there14, the brother-semblance said: «Where do you want to go?»
UlaqWapace replied to him: «You go where your thought wills to go; you carry on as
you will. I will go where my thought wills to go». He then began to move and he flew
away; flying thus he came and sat on a tree.
24 (5) He then sees a man (he doesn’t know him) down yonder coming towards the tree on
which he is sitting. He comes to the tree, comes up and grabs UlaqWapace. He screams
and wakes up shaken up.
25 (6) As he was shouting (and coming out of the dream experience) he thought that it was
someone outside (the house) voicing rather than he himself. Then he realised that he
himself was screaming. Distraught he woke up trembling. That is what he saw in the
dream.
26 When I asked UlaqWapace what did he think might be the meaning of his dream, he
initially said that he didn’t know but then immediately continued to elaborate on the
fact that him killing so many men (in the dream) has to do with his secret possession
that he obtained in town, i.e. his bone-powder power. «Nobody can touch me» he said,
i.e. do harm to him because it protects him. This is how I learned about his secret
source of power. In the conversation I clarified with him various motifs and details
featuring in the dream without further asking him about this – for him – central
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significance of the dream. The next day he came to tell me that his dream was not for
nothing. Rather, he now realised that in the dream his soul (kune umpne) went to fight
men as a test of the power in his possession, for its purpose is to give him muscle-
strength to fight men. He was clearly content with this understanding which quite
straightforwardly followed from the dream itself since he indeed did vanquish all those
men who wanted in the first place to kill him. On this score he added a few details in
the Tok Pisin version of the dream narrative. Following the initial attack by the first
unknown man whom UlaqWapace managed to overcome, take his knife, and cut him
(2), the man screamed and then a multitude of men attacked UlaqWapace at the
waterfall place. Before he managed to vanquish them, he said that they first overcame
him so much so that he was half-dead. But then he got up again, grabbed a knife from
them and proceeded to cut and throw them all over the place. Finally, just one man
again came at him with a knife but he pushed him and he fell into the waterfall and as
he did so, the dream-scene alters since at that point (3) there comes his older brother
QW who showed no disapproval of his younger brother’s action and accepted his
reasons for killing all those men. In the dream his brother also said that they wanted to
shorten his (UlaqWapace’s) life, therefore they got back in kind.
27 UlaqWapace’s self-understanding pivots on the manifest mode of his self-affirmation
over and against other humans, all of whom, except for his elder brother - the overt
double, relate to him with extreme violence and desire to kill him. At the same time his
counter-actions are not only commensurate but more powerful and efficient. It will be
noticed that in both instances of the uninhibited attack on him he manages to extract
the deadly weapon (knife)from his attackers and then turns it against them with lethal
efficiency. UlaqWapace doesn’t reflect on who and what these others may be and why
are they attacking him; he just doesn’t know them. He relates to his dream experience
on the basis of the self-synthesis that he and his un/conscious self had already
accomplished through the dream action, whereby he triumphed over these hostile
humans from which he wanted to fly away (separate) but one of them kept on pulling
him back. Nevertheless, he is gratified by the outcome and retrospectively he fully
consummates his newly won self-regard. He now knows that the precious bone-power
in his possession is truly in him, and he can feel self-assured that he can take on any
foe. And more; although the dream ends with him getting grabbed and pulled back just
at the point when he wanted to fly away again, it is also clear from the preceding
episodes in the dream that, nevertheless, he can deal successfully with such
interceptions of his project. There is already behind him a trail of violent severances
due to the fact that these unknown others wanted to block his intent to effectively fly
away from his home area.
28 The dream, then, fully articulates UlaqWapace’s rupture with his familial and the wider
societal container. His fundamental intent, to go away and be elsewhere, starts in the
primary container (house) within which he is situated. The motive force is, in fact,
autosymbolised by the overt dream-image: he starts moving out of the house, and the
next he is ascending in the comportment of a bird. In terms of the cultural un/
conscious of the Yagwoia life-world, which is incarnated and generated by
intergenerational succession of living humans, this avian transfiguration is virtually
self-intelligible because the human soul, on a par to its quiddity as breath-heat, is a
highly aerial, detachable and dispersible substance, and it is commonly metaphorised
as a bird. By the same token, this aerial ascent clearly shows that the dominant passion
of his soul is to release himself from the impasse of his domestic life-situation. For this
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he has to face his self-otherness, i.e. all those to whom he is attached, indeed from
whom he expects and demands the affirmation of his self through giving him some of
the things they possess (i.e. their substance), but they don’t yield it. In that
determination, the desire of and for himself which is invested in them, is
simultaneously self-alien and is turning against him. That was exactly his experience of
his father and brothers: the more he demanded and expected from them the more they
were unforthcoming and rejecting of him, and reciprocally the more he resented them
and saw them as being against him.
29 In the dream this negative self-mirroring takes the form of an extremely hostile and
attacking double. What has to be grasped is that it is a male figure, i.e. self-same as the
dreamer yet simultaneously indexed as self-different by virtue of him being unknown.
In the dynamic and diverse structuration of the archetypal figure of the double (eg.
Rank, 1979; Roheim, 1945; Lacan, 1979, 2006) the feature «unknown» can be taken as
one of the most common determinations of self-difference. But to the extent that the
dreamer’s acting self doesn’t know the approaching man and wants to fly away, it is
this other who acts in the mirror-opposite fashion: he closes in on him and by that sheer
fact shows that he is more than interested in the dreamer. The two are literally in the
flight-fight mirror relation. The other’s very alienness (being unknown to the dreamer-
self) is the mirror inversion of their seeming non-relation. But the other proceeds to grab
the dreamer-self and thus establishes the most intense body-to-body relation. The
other claims him through a deadly conjunction; of the two it is the alien who seemingly
wants to annihilate and thus make the dreamer’s self the recipient of the other’s self-
drivenness and desire to destroy him. In this extreme negative mirror-conjunction
UlaqWapace reverses the circuit of the other’s desire: the other wants to knife him but
UlaqWapace in turn seizes the instrument of destruction and the flow of nihilating
desire is reversed (this much UlaqWapace himself later has told his brother in the
dream).
30 At the moment when his foe gets the taste of his own destructive desire (i.e. the
dynamism which drives it), he screams in pain and there ensues a whole phalanx of his,
I can say, replicants. Here one sees at work the totalising or «holographic» dynamism
that sustains this kind of imago of the mirror-double dominated by extreme
destructiveness which, in fact, is the non-differentiated libido-mortido (or destrudo).
This indeed is a regal characteristic of the primordial sphere of psychic energy and its
auto-constructive dynamics15. In the ensuing sonic rupture (screaming), the monadic
double has engendered a multitude of his replicants who with the same destructive
inertia attack the dreamer. From the one comes an indefinite multitude and they all
converge on the dreamer’s self who as such continues to be the magnetic mirror-
complement of the negative monad which they just replaced and multiplied.
31 After initially succumbing to their monomaniacal ire UlaqWapace reverses this
confluence of the many into one (i.e. himself) and destroys them all. Then there comes
the last nihilating attack as a terminal echo of the first conjunctive monad; as
UlaqWapace pushes him into the waterfall this dynamism gets extinguished at last.
This entire sequence of negative, disjunctive-conjunctions with the double has the
following mirror-hologramic articulation: self - other (one^one)16 > self - multitude of
self-same others (one^many ones) > self - other (one^one)17. The terminal extinction of
the monadic unknown other (double) is followed by the appearance of a new but
entirely familiar double in the semblance of QW, who is both UlaqWapace’s elder
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brother and the surrogate father. But before I elucidate this new mode of mirror-
coupling with a positive other, who incarnates UlaqWapace’s bone and flesh identity, it
will be important to say a few words about the probable significance of the waterfall
locality where the earlier carnage of a conjunction took place.
32 To be sure, this entire scenario of a bloody fight with a double, especially its multiples,
at an aquatic location, has a parallel not only in the dream scenarios of several other
Yagwoia individuals, but it also occurs in a ququne (word, talk, i.e. story, narrative)
widely known among old and young, especially in UlaqWapace’s home area. The focus
of this narrative, however, is not just on the bloody fight but on a water-whirlpool
which devours the vanquished men who fall into it. In other dreams these details vary
but as the variants of an overall constellation of details which belong to the still
recognisably self-same imaginal scenario and which, through further modifications and
alterations, may become transfigured into a considerably different one that
nevertheless echoes the original. This is exactly the relation between that imaginal
scenario widely known through the existing narrative and those occurring in
individual dreams of which UlaqWapace is one particular example. I didn’t ask
UlaqWapace if he new this particular story but it is safe enough to assume that he
probably did since some other locals of his age, male and female, do. Be that as it may,
the intersubjectively shared narrative variant of the imaginal scenario does not make
UlaqWapace’s oneiric creation any less original precisely because no perceptual or
cognitive experience of something is just a copying activity. Rather, experience is a
total psycho-organismic and as such assimilative-constructive process subject to the
specific cathexes18 of the egoic self 19 that is making an experience his/her own. If
anything, the intersubjectively shared scenario acquires a new dimension of
signification precisely by becoming assimilated into and reworked within the un/
conscious matrix of UlaqWapace’s self and his life-situation. Hence its irreducible
oneiro-mythopoeic originality. Having said this, I will not go into detailed exegeses of
the significance of the devouring water which in UlaqWapace’s dream is really a less
pronounced motif, occurring as an omissible detail. A comparison of the recorded
variants, dreamt and narrated, as well as their resonances with other related motifs,
would show that it is a manifest image predicated of the maternal phallic ouroboric
body-scheme focussed on its oral orifice, a totalising part-object in which the sucking
infant’s mouth and the nipple = eye = breast = face = mother = world generate a
ceaseless centripetal sense of the self-world relationship20. This is concordant with the
pre-oedipal structuration of the drive matrix and the fused libido-mortido which as
such determines the auto-constructive dynamics of the Yagwoia libidinal body-image
and the egoic self21.
33 However, what is more prominent in UlaqWapace’s dream scenario is that the bloody
self-other conjunctive-disjunction takes place by a waterfall into which, eventually, the
terminal negative double falls and with it the destructive dynamism ceases. I have no
UlaqWapace’s associations on this motif. For him, the entire dream is intelligible in a
synthetic unity of the dream action produced as such by his soul which made evident
that the bone-power he bought is now well and truly in him. I will draw on the implicit
ramifications of his self-regard and the following wider cultural cluster of significations
of waterfall:
as a place that can be chosen for the depositing of the neonate’s umbilical cord; 1.
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in the Yagwoia life-world (as in numerous others) water is a female substance and
specifically as a waterfall it expressly symbolises womb (whirlpool) and its vaginal opening
(which for the Yagwoia has oral determination);
it thus also relates to the images of the womb as a house and the house broken by swollen
water as the child-birth22;
relating to this waterfall/whirlpool figures as an entry into the intra-terrestrial realm of the
wild forest spirits and therefore of their powers23.
34 These few specifications form a sufficiently dense cluster of the waterfall image-bound
significations within which UlaqWapace’s dream-scenario, that includes a waterfall
location, has a sound associational and pre-predicative (Husserl, 1974) motivation. And
precisely as such it is in the context of the dream as a whole, its wholeness being the
function of the dreamer’s whole life and experience, that this dream and its scenarios
qua all their parts, is articulating irreducibly his own critical life-situation.
35 All this stated, one can now look again at the manifest imagery of the dream which, like
all the products of dream noesis is auto-symbolising, fundamentally of the dreamer’s
self-world – i.e. existential – situation. In his dream-scape UlaqWapace first exits from
his primal domestic container, a house. Then he flies away and lands at the waterfall
place, from where he intends to continue with his flight. Here, then, is the transitional
place of self-origination and self-transformation, which entails the severance of the tie
that binds. However, to the extent that UlaqWapace has to rupture his familial bond, it
is entirely determined by his patrifilial negative self-other demands and rejections. It is
this self-circuity that inexorably drives him to negate his negators and simultaneously
makes him want to go away. In his matrifilial self-circuity his life-providing hand that
put the spirit-food substance into his mouth is that of his «mother’s breast» (MB). That
is UlaqWapace’s power, acquired in early childhood, which gave him a sense of his life-
generating self-qua-other-centredness, not his father’s giving hand. This male-matri-
power was finally supplemented by the bone-powder power, his very own acquisition
bought in Kainantu, a distant place, for 50 Kina, a portion of what he earned by cooking
for me. It is maximally external to any kinship circuity of his egoic self, and therefore is
the foremost fulcrum for his self-repossession over and against his self-otherness, the
negating paternal fraternity. It is they, or more precisely, his own patrifilial self-circuity
(his patri-self-object relations) that is dealt with in the carnage by the waterfall. The
maternal ouroboric self-anchorage that structures the libido-mortido through the
mirroring dynamics, is the conduit for all other incorporative-identificatory self-
circuity through which the ego feeds, grows, and/or stagnates and atrophies. Thus, in
his dream scenario, to the extent that UlaqWapace wants to fly away from his very own
paternal bonds that both make him want to fly away and yet are pulling him back, he
has to make the cutting. His ‘unknown’ double does that for him, that is, his own
mirror-negative, destructive-libidinal identifications with his father and brothers, and
so, I may say, at the place of «the primal waterfall of creation», the umbilical
connection with the maternal fons et origio of his very self. The fight is perfectly
passively-active. The dreamer’s self is attacked and then he reverses the negation by
negating his negator, in each instance extracting from him/them the instrument of
his/their destructive phallic power, i.e. the non-differentiated libido-mortido
dominated by aggression. The ouroboric devouring (sucking) nature of the waterfall
(oral phallic womb) is manifest in the version of the fight where its termination is
2.
3.
4.
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100
effected through the pushing and disappearance of the attacking double into the
waterfall.
36 What has been effected in this is not just an auto-symbolisation of self-procreation
through the conjunctive disjunction with the double whose reality is only imaginal-
presentational; this deadly coniuctio has effected a real energic transformation in the
libidinal (inclusive of mortido) self-structuration. UlaqWapace has literally effected a
decathexis24 of his extreme negative libidinal investments in his patrifilial self-
circulation (his paternal self-objects) and thus repossessed it in a new key. He has
become more of his own self-possession. This is the psychodynamic significance of his
severance from the primal bonds which not just facilitate but also ensnare and stultify
the growth of the self. Indeed, to the extent that self-castration is the structural
moment in the phallic-ouroboric dynamism through which the self effects its growth
and transformation, UlaqWapace’s vanquishing of his self-otherness is a telling
example of the imaginal form this dynamic can assume in the un/conscious matrix of a
particular egoic self25. Such, I submit, is the meaning of the «carnage by the waterfall»
in UlaqWapace’s dream scenario.
37 The double, being a formative expression of the pre-oedipal structuring dynamics
through which the primitive, non-differentiated libido-mortido (life=death) undergoes
articulation and transformation, is indestructible and, in that determination, immortal.
Hence in UlaqWapace’s dream this imago re-appears as soon as it gets vanquished, but
in the guise of a new, familiar semblance, the big brother QW who, precisely as such,
sustains a more positive libidinal valency26. UlaqWapace enters in conjunction with him
through verbal exchange that the latter initiates. One can see in this a moment in the
overall activity of UlaqWapace’s egoic self in which there is a paternally toned super-
ego at work, and to be sure, supportive of the ego. QW asks his little brother to account
for his lethal action and condones it entirely in terms of the mirror-reciprocal sense of
equity (justice) – «tit for tat». There is not here any «Thou shall not kill!», or for that
matter a categorical «NO». Besides, the vanquished other(s) is unknown, as it were, a
not-oneself. And in another mode of his self circuity, in the wakeful self-conscious
reassessment of the dream experience, UlaqWapace clearly understood the significance
of his soul’s dream-carnage: it gave him the self-certitude that he has truly got the
mighty bone-power in his very body, with or without the paternal-fraternal assistance
and consent. It should be noticed that the maternal ouroboric core of his super-ego
remains consolidated in its archaic determination and supremacy. It is presenced by
the waterfall in which the constructive destruction of the negative double became
extinguished27. It is the stability of this maternal self-circuity that has afforded and
sustained UlaqWapace’s active self-severance and the modification of his paternal self-
circuity28.
38 What is astonishing in the dream is the resoluteness with which UlaqWapace splits up
with his brother who clearly no longer has a strong significance of an ego-ideal or a
guiding authority. The latter asks which way to go, UlaqWapace tells him to follow his
will and road while he in turn will follow his own. The brother consents29 and
UlaqWapace soars as a bird again, flies and lands on a tree. This is the boundary
threshold where the home-territory ends. He is only propelled by his one project – to
leave home and keep on flying. But as in the initial phase, the ascent (flight) followed
by descent (repose) effects the repetition of the same inner disjunctive^conjunctive
self-splitting dynamics – another unknown man follows him like a faithful shadow. I
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have no doubts that no matter how far UlaqWapace will go his other-one and his
myriad imaginal replicants will be there, if only as a momentary compulsive reminder
of his originary self-matrix, intending to drag him down and to force him anew to
struggle for his own self-affirmation and possession regardless of the lure of all the
familial self-others whom he claims just as much as they do him, as his = their blood,
flesh, bone, food, and thus, fundamentally, as their very libidinal self. On the other
hand, it is exactly through the active negation of his crypto paternal-fraternal self-
object (in the guise of the unknown double) that he finally came to effectively re-
capture and incorporate his phallic-bone and as such his share of the immanent
patrimonial power. In truth, long before UlaqWapace’s turn came to deal with his old
father’s phallic bone, it was well and truly syphoned into his older brothers. Everything
about the old man’s comportment towards his children made clear that he had
abandoned himself to his older sons (Mimica, 2008). Equally so, it is in relation to them
that UlaqWapace really struggled to at once have and be his own self despite its
patrimonial depletion and frustration.
39 UlaqWapace’s awakening was characteristically ambiguous and indicative of the
intensity of his dream experience. As he was surfacing into wakeful self-consciousness
he in the process heard the screaming thinking momentarily that it was someone
outside the house in which he was sleeping. Then he surfaced completely as he
recognised that it was himself who was screaming. Awake, infused with shivers, he was
in the same kind of house container from which his soul, at the inception of the dream
went on to fly and, as a boon, thus revealed to him the true efficiency of his secret
power possession. Even if it didn’t seem so he was no longer exactly the same boy he
was when he fell asleep. The day before I left his abode I took a photograph of
UlaqWapace as he was sitting perched on the inside of a window of my hut looking at
all the preparations I was doing before my departure but really brooding over his
situation. He looked exactly as I understood his predicament to be: he was depressed,
anxious, and yet there was a glimmer of self-satisfied resignation to his situation. The
deed that his soul accomplished only a few days earlier in his dream had made him and
his un/conscious self ready for his decisive take off. I wasn’t at all surprised when I
learned a year later that he left for West New Britain shortly after my departure. His
big brother QW followed him not much later. His two other brothers also went and
came back, and in subsequent years every time I was back for my annual field research
I learned that UlaqWapace had grown into a big man and that he was supposedly
coming back in a month or two. If at the time one of his brothers was also away in
Kimbe (West New Britain), this was supposedly for the purpose of bringing him back.
To and fro they went a few times but to the best of my knowledge, by 2003, a good
seven years after that fateful departure, UlaqWapace did not once come back for a visit.
Finally he briefly visited his home-area in 2006 with his non-Yagwoia wife and then left
again. His father was already dead for eight years30.
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1. And, by extension, of the Umeda-Punda-Sowanda people (Gell, 1975).
2. The Yagwoia’s immediate neighbours are Sambia (Herdt, 1981, 1987), Baruya (Godelier, 1986),
and NW Ankave (Bonnemère and Lemonnier, 2007).
3. This is an extract from a long monographic work on the Yagwoia kinship whose focus is on
the father-son relationship. Two other extracts (case-studies) have already been published
(Mimica, 2007a, 2008) of which the second directly relates to the present one.
4. Ouroboros (or uroboros) is the well-known archetypal image of the self-eating serpent
(Neumann, 1954) which among the Yagwoia has a unique mythopoeic manifestation as their self-
created androgynous Imacoqwa (The Great-one-he), the phallic womb container of everything
that there is. He is the cosmic bi-unity whose eyes are the sun and moon; he embodies,
continuously generates, and sustains the world. Among the Yagwoia, the structure of the human
embodiment is the microcosmic image of this macrocosmic totality (for details, see Mimica, 1981,
1988, 1991, 2006).
5. I explain my use on the slashed un/conscious in 2006: 31-32; 2007a: 78-79. Minimally, it
indicates that no a priori assumption is made as how and in what mode, if at all, something is
unconscious in a given field of experience.
6. All names are fictional constructions based on the combinations of Yagwoia syllables and
morphemes.
7. Huma-y-o-qwa = negative/privation-nominal marker-male gender clitic-male gender marker.
8. It was clear that as his father was getting older that he became entirely focussed on Ulaqayi
while demanding from his older sons to take on his paternal role and duties. In that regard he
fully relinquished his bone to his sons and they were to generate and transmit its power to their
younger brothers (for details, see Mimica, 2008).
9. This is a characteristic Yagwoia image of the giving and hence procreative hand. It condenses
their view of the human body as a phallic arboreal edifice (as sketched out in the opening
paragraphs) and equates the activity of giving with procreation where phallic-copulative action
is simultaneously feeding qua breast and handling of solid food. Still more, hand is at once
identical with a major branch as a maximally autonomous and instrumental extension of the
trunk which is the core of the body envisaged as the ouroboric phallus. The fingers in turn are
the multiplying part = whole equivalents of the hand and the body as a whole. In particular, they
bear the identities of the person’s progeny (see Mimica, 1981, 1988, 1991, 2006, 2008).
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10. One should not be too literal about the actual age accuracy indicated by the image of
«walking on all fours» (atla qa:ne).It primarily indicates the notion of being a very small child.
11. It will be noted that the kin-term for mother’s brother is 1S namne > namnoqwa, meaning
literally «mother’s breast» (2S namneqa; 3S kayemu)
12. Since UlaqWapace gave me both the vernacular and Tok Pisin versions a few details not
mentioned in the vernacular are incorporated in the interpretive discussion that follows the
dream-narrative.
13. It is of critical significance that in the vernacular UlaqWapace used the term namnye (rather
than ngaldenecoqwa or tate)which a person would primarily use for a classificatory matrilateral
brother. The term is pointedly ambivalent. It relates to a more intensified term for the same class
of relations, aamnelyi derived from the word aamne (breast). Because of the presupposition of the
same name between male (classificatory) siblings, namnye has a sense of one’s double, the-other-
of-myself, and at the same time it can be intended as being somewhat alien. By contrast, nga-lde-
nec-o-qwa (I-Poss-brother-male gender clitic-male gender), specifies intense emotional closeness
between the speaker (male or female) and his/her brother. Namnye has also a sense of «friend» as
captured in some Slavic languages, e.g. Croatio-Serbian «drug» or «drugar». It means the friend
who is the «other» or even a double, twin of myself. Because this is a dream experience, when
persons and things are identified as known (recognised) they are commonly qualified as «same-
as», «like» indicating that they are semblances of the known persons and places. Hence why
UlaWapace names and refers to his older brother consistently as «as-QW» or «same-as».
14. This is the last cluster of hamlets from where the road leads across the range into the Iqwaye
territory and altogether outside of the Yagwoia region. This indeed is the threshold between the
home area and the outside world.
15. For the equivalent dynamics articulated in another Yagwoia man, see Mimica (2007a).
16. For my usage of ^, see Mimica (2006: 31). Briefly, it signifies that any two terms thus
conjoined are totally interdependent.
17. I wish to emphasise that this simple totalising schematism of self-sameness and self-
difference is greatly enhanced by the syntactical-narrative articulation in the Yagwoia language
where the relations between clauses through the use of verb-based chain alteration-qua-
repetition, agent differentiation through the so-called «switch-reference» marking on the so-
called «medial-verbs», generate a more diffuse parallelistic diagrammatisation, being expressive
of the fundamental poetic dynamism in the language. I fully grasped this generative dynamism of
the Yagwoia when I analysed and translated their cosmogonic song (sang at the onset of the first
initiation ceremony) and numerous spells in which various diagrammatic shapes of the Yagwoia
parallestic inner form (or archetype) achieve most crystalline articulations. The Yagwoia
speakers’ use of Tok Pisin also reproduces these inner shapes and dynamism of the vernacular.
The constructive imagination operative in the Yagwoia language reaffirms the value and
acuteness of Jakobson’s seminal insights enunciated in the very title of his «The grammar of
poetry and the poetry of grammar» (1985).
18. The plural of «cathexis», a technical term created by Freud’s translator James Strachey; it
can best be rendered here as «investment».
19. For a discussion, see Mimica (2006: 32).
20. In a dream by another person this scheme is further transfigured since the overt image is a
huge eel inside a water-hole. The eel is intent on devouring humans and as it does so it retreats
into the watery container. Topologically, the eel can be seen as a self-eversion of its container,
the containing hole. It mirrors the homologous relation between the mouth and the tongue, the
mouth and the nipple, the penis shaft and its enveloping skin, and, of course, the oral (fellatio)
and vaginal sexual conjunction. All of them exemplify a concrete somatic image of ouroboric self-
closure that subsumes (orally incorporates) the other as a self-object (principally the mother).
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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21. This centripetal mother-child matrix can be further amplified in reference to the ouroboros
as an archetypal structuration of libidinal dynamics. Ouroboros crystallizes the oral-grasping-
ocular unity and nucleus of all drives. Here copulation is the mirror-inverse of sucking, biting,
eating, looking, grabbing, and evacuation (vomiting, urinating, defecating, ocular emissions).
Libido is indeed mortido.
22. This image is further explicitly enacted in the first initiation ceremony.
23. Compare the case of QC (Mimica, 2007a: 87) and his auto-curative visionary experiences at
the waterfall where the spirits of his two deceased wives dwell.
24. The opposite of «cathexis» and means «disinvestment».
25. Compare this with QP’s (Mimica, 2007a: 92-97) dream in which his severance from the «white
man complex» (self-circuity) is done by his father’s spirit QC.
26. It is here that I wish especially to emphasise Roheim’s formulations and observations on the
dual unity (M^Ch) as a singular contribution to the dynamic structure of the double in the un/
conscious. He stresses its more symbiotic and less conflictual formation expressed in the figure of
siblings and equivalent imagos such as the «dual heros» (1945). One can see in UlaqWapace’s
dream a perfect example of the transformative switch from the negative into the positive form of
the double correlative with the change of its «recognition» value – unknown > known.
27. In terms of the libidinal body image and drive structuration, including self-object
equilibration of narcissistic self-circuity, this and other oneiro-mythopoeic images are
predicated of an oral-ocular intra-psychic structure that generates and sustains the primary
formations of self-ideality, omni/m/potence, and the correlative effluence of libido-mortido. The
concept of omni/m/potence (Mimica, 2003a: 27) pertains to the economy of the archaic
narcissistic equilibrium in which, due to its extreme mirror-schizoid bivalency, symbiotic
omnipotence and impotence are equipollent and coterminous.
28. Yet it is exactly in the severance of this maternal oral-ocular core that a truly more radical
gradient of the transformation of the egoic self can occur. This sort of soul-surgery, of course,
was carried out through the nose-piercing and the practice of long-term insemination, neither of
which UlaqWapace was subjected to. I must emphasise that what these practices aimed at was a
modification of the phallo-umbilical connection between a boy and the ouroboric maternal matrix
of his un/conscious, not – per impossible – a radical disconnection, for in the very same process
of his masculinization through the totalising incorporation of and becoming incorporated into
the primal phallic self-circuity of the all-male creation, the novice also sustains the co-
articulation of his contra-sexual self that is lived in his position as being his sister’s children’s
mother’s brother, their «mother’s breast» or the male mother. In UlaqWapace’s case one deals
with a genuine spontaneous expression of this cultural imaginal complex in which the maternal
imago becomes masculinised and thus transfigured. Very early on in his childhood it was his
dead mother’s breast’s spirit which made him imbibe his (masculine) potent food that has
secured UlaqWapace’s growth.
29. In the Tok Pisin version of the dream narrative QW replied: «Fine, from here we-two go
separate ways».
30. But as a spirit of the dead he remained attached, same as he was while alive, to his other,
transgendered son Ulaqayi (see Mimica, 2008).
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ABSTRACTS
This is a psychoanalytic ethnographic account of a Yagwoia-Angan boy’s struggle to break away
from the sphere of his paternal and agnatic fraternal relatedness. It exemplifies a particular
biographical situation which is consonant with the general cultural-existential dynamics of the
Yagwoia father-son relationship.
Ce texte est une interprétation psychanalytique de l'ethnographie concernant la lutte d'un
garçon Yagwoia-Anga pour se détacher de la sphère de ses relations paternelles et de ses frères
agnatiques. C'est un exemple d'une situation biographique particulière qui correspond à la
dynamique générale, culturelle et existentielle, de la relation père-fils chez les Yagwoia.
INDEX
Mots-clés: Papouasie Nouvelle-Guinée, parenté, psychanalyse
Keywords: kinship, Papua New Guinea, psychoanalysis
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Kinship, Ritual, CosmosAndrew Strathern and Pamela J. Stewart
Œdipus: Fate and Misfortune
1 Throughout his deeply thoughtful corpus of writings, Bernard Juillerat constantly
showed two characteristic concerns: to remain faithful to in-depth ethnographic details
and to apply analytical schemes derived from psychoanalysis to elucidate further
aspects of these ethnographic materials. His work therefore carried both convincing
information and his own theoretical convictions about the information. It is an
attractive combination of qualities, even if one does not follow in detail all the
pathways of psychoanalytic theory which he explores1.
2 Arguments about the applicability of psychoanalytic schemes to anthropological
materials abound, especially in relation to discussions of initiation rituals and the
creation of gendered identities. Looming in the background of these debates there
tends to be the figure of the Œdipus complex, celebrated in Freud’s work and
tangentially derived from the Greek tragic poet Sophocles’ treatment of the narrative
in which the boy Œdipus is put away by his parents because of a prophecy by the god
Apollo’s oracle that he would be destined to kill his father and marry his mother.
3 We give some further details from Sophocles here, both to show how complex the
original narrative is and to bring out the way in which the unwitting error in it of
Œdipus is transformed by Freud into an unconscious wish.
4 The boy is delivered to a Shepherd with orders that he be abandoned on a hillside with
his feet pinioned together. However, the Shepherd delivers the boy to a Corinthian,
who takes him to his master, King Polybus of Corinth; he in turn, being childless, brings
him up as his own son and gives him the name of Œdipus (see below). Later, as a young
man, Œdipus hears about the oracle’s predictions, and fearing to kill his supposed
father Polybus, he flees from Corinth and wanders in Phocis between Delphi and Daulis.
In a narrow defile where three roads cross he meets a chariot and has a fatal conflict
with its driver and entourage who challenge his passage. Unknown to him the
passenger in the carriage is Laios, his actual progenitor. After killing Laios, who is a
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stranger to him, Œdipus (his name means «swollen foot» from the pins with which
Laios fastened his feet as an infant) proceeds on his way and later comes to Thebes. The
death of Laios at the hands of «brigands» is proclaimed, and Œdipus, still unwittingly,
later marries Jocasta, Laios’s widow. He has gained the support of the citizens of Thebes
by correctly answering a riddle posed by a monstrous creature, the Sphinx, which
destroyed anyone who answered it wrongly. (Laios himself had been on the way to
Delphi to ask Apollo’s oracle how to deal with the Sphinx.) A plague at length descends
on Thebes, sent by Apollo, and the prophet Teiresias reveals what has happened.
Œdipus in remorse dashes out his eyes, making himself literally blind, as he had
metaphorically been to his earlier actions. Two famous lines in Sophocles’ play have
Jocasta herself saying to Œdipus, «Before this, in dreams too, as well as oracles, many a
man has lain with his own mother» (lines 981-2, trans. Grene and Lattimore, 1960: 152).
5 Freud, of course, used this extraordinary narrative of unwitting error as the basis for
his hypothesis of a universal Œdipus «complex», in which sons unconsciously wish to
kill their fathers and marry their mothers (or possess their exclusive love). In what
follows we look at how aspects of this complex are found with different emphases in
two separate contexts where the ideas involved in it have been mooted. One is a
context in which Bernard Juillerat himself carried out his most detailed work: the
Yangis ritual of the Yafar people of West Sepik («Sandaun») Province in Papua New
Guinea. The other takes us to West Africa, where the anthropologist Meyer Fortes
carried out extensive work among the Tallensi people of the Trans-Volta region in West
Africa in what is now Ghana (previously the Northern Territories of the Gold Coast).
These two cases are not chosen for any direct empirical similarities. Rather, they are
chosen because the ethnographers’ work on them has stressed two different sides of
the supposed Œdipus complex. Juillerat has stressed the side of the mother and the
son’s relationship with the mother. Fortes stressed the relationship of father and son,
particularly the first born or eldest son and the tensions inherent in this relationship.
Both authors were superb ethnographers who sought also to deepen their
understandings by using Freudian theory.
The Yafar: Sons and Mothers
6 The Yafar are a tiny population (200 people at the time of Juillerat’s work in the 1970s),
speakers of the Amanab language. They borrowed or adopted the ritual of Yangis from
the Umeda people studied by Alfred Gell (Gell, 1975), and Umeda was seen as the
«mother» group, the «maternal totemic place» (Juillerat, 1992a: 21). This was
associated with an idea of the «original mother-coconut». A previous Yafar village was
«the male totemic place, where the penis of the first god emerged out of the earth and
changed into a sacred tree» (idem: 21). Much symbolic thought, according to Juillerat,
appears to have centered on the maternal coconut. For example, «daughter» groups
deriving from Umeda were «said to have come out of its fallen flowers» (ibid.). Juillerat
painstakingly gives the indigenous exegesis of meanings. He also wishes to build on this
exegesis with his own further reflections on «filiation, the tie to the mother and incest»
(idem: 23).
7 The Yafar people had a thought-world based on the experience of substances in the
environment. Hoofuk as a concept referred to many different but in Yafar ideas related
matters: «tuber flesh, sago, or banana pith, heart of all tree trunks» (idem: 26); vital
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forces of the body; white fluid in the uterus and coconuts; and reproductive substances
generally, including semen and menstrual blood, and clay in caves beneath the ground
(ibid.). Hoofuk was associated with the color white, and with knowledge of origins, and
contrasted with roofuk, external skin. In an important observation Juillerat noted that «
Yangis itself is seen as a complex enterprise to renew the hoofuk» of two mythical sago
trees imaged as like «erectpenes full of semen» (idem:25).
8 In a part of the Yangis ritual the two chief priests (representing the male and female
moieties) secretly fed to the performers of the cassowary (eri) rite in the dancing
cooked wild fowl eggs, saying a spell that evoked the fat parts of sago palm bodies. This
act of nourishing was described as follows with reference to a folk narrative which
involves sexual jealousy between two brothers. The elder brother has married two
wives who are sisters, and he finds out that the younger brother is having sexual
relations with the younger of the two sisters. He kills the younger brother in a wildfowl
nest and forces the younger sister to swallow his body. She sits on the nest and gives
birth to her lover’s bones, which turn into sago growth spirits. These go to a dance
festival and she joins the feast and feeds them wildfowl eggs (described as sago jelly –
these are all examples of hoofuk). Finally, she utters a wildfowl mother’s call and the
dawn comes (idem: 31). We may note here that there is no father figure in the story, but
the elder brother may stand in for the father as a jealous authority figure. The younger
sister (elder brother’s wife) is the lover of the younger brother («son») and she then
becomes his actual mother by eating his body and giving birth to his bones. These then
become sago spirits and she feeds them with eggs, just as the ritual experts feed the eri
dancers with eggs in the actual Yangis festival.
9 At the end of Yangis the two «red bowmen» or ifegê / ipele dancers represent, according
to Juillerat’s interpretation, «the totemic young sago (or sago and coconut) sprouts,
which are all red [i.e. new-born] when they come out of the freshly planted sucker»
(idem: 56). A myth-narrative of first origins which Juillerat here goes on to adduce
describes how an original «great mother» (possibly, Juillerat suggests, a cassowary)
experiences a miscarriage and from her blood the two ifegê (neophytes) emerged. Their
father, or mother’s brother, names them and gives them toy bows (idem: 58). This male
senior figure then cuts up the original mother’s body and plants the pieces, which grow
into plants and animal species. He climbs up to the sky and puts a single breast of the
mother figure into the sky and it becomes the sun. From the blood that falls from this
amputation of the breast the wildfowl egg originates (idem: 58).
10 Juillerat’s interpretation of these materials is that «Yangis [the festival] represents the
emancipation of man out of maternalized nature, the beginning of society and culture»
(idem: 59). At the conclusion of Yangis the two ifegê actually shoot in the direction of the
setting sun. The sun is thought to grasp the arrows (idem: 62). In practice, the arrows
are taken and planted at the bottom of sago palms. Women must hide at this point and
should not see the stripped penes of the neophytes (idem: 63). Juillerat argues that the
arrows shot at the sun are equivalent to the neophytes’ penes and that the act of
shooting the sun is a kind of incest of son with mother. The concern exhibited by the
neophytes that the village women should not see their penes is interpreted by Juillerat
as an «image of a female-induced castration» (idem: 63). At these points of
interpretation psychoanalysis begins to take over from, or to fill the apparent gaps in,
direct indigenous exegesis of the ritual actions involved.
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11 It is also notable that steps toward this analysis are achieved by weaving together
esoteric myth-narratives with expositions of the ritual sequences in Yangis. The
coconut (or cassowary) mother is described in myth as the origin of all game and
natural species. In a further myth (described p. 102) the father is a hunter who brings
game for his family. The older sons cannot find the source of game, which the father
conceals from them. The younger brother spies on the father and sees him catch a pig
«in an underground opening» (idem: 102). The older sons go to this place, kill game, and
carelessly leave the door to the opening unclosed, so that the remaining animals escape
into the forest. The father is angry and traps them in a hole, and shuts the door to the
game permanently. In a secret version of this story it is explained that the
underground opening is actually the womb of his monstrous wife, and the father sends
the guilty sons back into this same womb, where they are trapped also. (In an
interesting twist, there is a cargoistic extension of this story in which the original
father controlled all the European people’s wealth but loses it because of his mistaken
anger. The three elder sons become the ancestors of the white people. Presumably the
younger son is the ancestor of the Yafar. See also another discussion of this story in
Juillerat, 1991: 55sq).
12 Juillerat argues that ritual is a «defensive device», and only in myth is incest portrayed
(idem: 102). Ritual has to represent «man’s triumph over death» (idem: 103). In the
ritual, the mother’s brother is the guardian of the neophytes, while the threatening,
castrating figure of the father, portrayed in myth, is absent.
13 Throughout all this, we can perceive three features. First, there is an obvious concern
with fertility and regeneration as well as with conflict in immediate kin relations.
Second, this concern is set into an imagined cosmos that encompasses humans and all
other living things in the environment. Juillerat describes this in terms of a Lévi-
Straussian nature / culture divide and interprets the Yangis ritual as ultimately about
the emergence into cultural practices of the male neophytes out of nature, seen as
maternal in character. Nature into culture, the female world into the male, the son
separating from the mother, like a newly born child. Such forms of thinking by analogy
and incorporative correspondences within a conceptual cosmos are very common, if
not universal, precisely so where nature is not separated from culture but intimately
linked with it. Third, the patterns of symbolic behavior involved certainly are
suggestive of emotive patterns and attitudes that are apparently amenable to
psychological analysis. Sexual jealousy between brothers; a woman swallows her lover
and gives birth to him as her two sons; a father punishes his sons for exploring the
inner recesses of the mother who is the source of game animals (the cargoist version
appears to us to be a latter-day alteration of the meanings of this story). Onto these
overtly significant motifs Juillerat grafted a further range of psychoanalytic
interpretations. Alternatively, we may suggest that the exegeses, often secret and
specialized, themselves tell us their story about regeneration and intergenerational
ties. There is certainly an overall concern with the mother and an elaboration of
cosmological ideas centering on maternal origins and the significance of the breast
transposed into the sun by the actions of the senior male. Whether there is a fear of
castration or whether the father is to be seen as simply «bad» may perhaps appear less
clear. We might also want to know about the sources of possible antagonism between
the generations in social life outside of the ritual process of the Yangis. Juillerat himself
made an intriguing analysis of the play between complementarity and rivalry among
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111
Yafar leaders, and the coexistence of paternally and primogeniturally inherited powers
of the ritual masters of the two moieties on one hand, and the rivalrous activities of
«big-man» style leaders on the other. In this contrast, the ritual masters can be seen as
elder brother (standing in for father), and the rivalrous big-men as younger brothers,
seeking to overcome by political effort their junior position. Inter-generational
antagonism is thus shifted onto a sibling-like rivalry between elder and younger sons.
This kind of deflection is indeed common in New Guinea mythology (see Juillerat, 1991
passim where these themes appear, as well as in his other writings). Juillerat’s subtle
overall concern with social process shows clearly here, just as the same concern is
shown by Fortes in his work. In any case, one half of the supposed Œdipus complex, the
side of the son and the mother, appears most clearly in focus. In the case of the Tallensi
we will see that the reverse is the case.
The Tallensi: sons and fathers
14 The Tallensi, as studied by Meyer Fortes, had a complex polysegmentary lineage
system, with an overall population of circa 65,000 people and numerous lineage levels,
from the minimal to the maximal level, all defined in terms of patrilineal descent and
agnatic ties of kinship within lineages (Fortes, 1945: 3-4, 97). Shared relationships of
sacrifice were important and defined formal relationships of amity between groups.
Open hostility precluded such a sharing, because this would cause the spirits of
ancestors to be angry (Fortes, 1945: 98) and «the ancestors are the fons et origo of their
whole social order» (idem: 130). The dominance of the ancestors in the overall social
structure was reflected in an important ritual context, of the External Bogar cult
(modified spelling). This was a shrine shared very widely by clan groups. Youths were
initiated by «handing them over to their ancestors» at this shrine (idem: 131). A child
might also be dedicated to a Bogar spirit and become its ward (idem: 132). The same
spirit entity could thus be perceived as operating in a collective domain that of inter-
lineage ties, and a personal domain, of relationship to an individual. Throughout, the
Tallensi made a strong distinction between consanguineal kinship, which permitted
sharing in sacrifice, and affinal ties, which excluded such sharing. Matrilateral ties,
then, bridged this divide in the succeeding generation, entailing submerged claims of
sister’s sons on their mother’s brothers. The strength of agnatic ties, underpinned by a
cosmology that privileged the lineage ancestor figures and obligatory sacrifice to them,
meant that maternal ties did not reach the level of overall significance exhibited so
clearly in the case of the Yafar people as described by Juillerat. Fortes also makes it
clear throughout how cosmological concepts are linked to everyday life, i.e. «how the
Tallensi connect their ritual conceptions with their striving after personal prosperity
and social security» (Fortes 1945: 175).
15 These everyday concerns were described in Fortes’s second book on the Tallensi
(Fortes, 1949), in which he concentrates on familial relationships. The Tallensi lived in
homestead compounds occupied by joint inter-generational families, sometimes
polygynous, within which a distinction was made between the eldest children of a
couple, both eldest son and eldest daughter, and the other children. The eldest son is
expected to observe taboos in relation to his father and the eldest daughter in relation
to her mother (see, in general, Fortes 1987: 218-246 for an exposition). Tallensi also told
Fortes «that the bonds between parent and child can not be obliterated and may never
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112
be repudiated» (Fortes, 1949: 169). On the side of the child the counterpart of the
parents’ duty is «filial piety» (idem: 171).
16 The ethic of filial piety carried over into death. «To one’s dead parents one owes
reverence and submission in surpassing degree» (idem: 173). A living parent could
«bless or curse a child» (idem: 175). Through diviners the wishes of a dead parent could
be ascertained and had to be followed (idem: 176). At the same time there was a frank
recognition of tensions between parents and children, especially between father and
first-born son, as we have noted. The concept of Yin, which Fortes translates as
«personal Destiny», was used to explain these tensions:
«There is, they say, an inborn antagonism between the Yin of a father and the Yin ofhis eldest son. While the son is still young his Yin is weak, but as he grows older hisYin grows more powerful and wants to make him master of his own affairs. Theson’s Yin wants to destroy the father’s Yin; but the father’s Yin desires the father tolive, and be well and remain master of the house. It wishes to continue to receivesacrifices from the father. Therefore it will try to destroy the son’s Yin, and if it isthe stronger Yin it will cause misfortune and perhaps death to the son. That is thereason why father and son must avoid meeting in the gateway of the homesteadand why it is better for them to separate, after the son has reached a stage ofmaturity when his Yin begins to be as powerful as his father’s.» (idem: 227)
17 This famous passage from Fortes’s ethnography makes it clear that the idea of father-
son antagonism is explicitly conceptualized in the idea of the Yin. And it applies most
crucially to the eldest son, on whom certain taboos fall that are not shared by the
younger siblings. Among the Namoos, a section of the Tallensi (Fortes, 1945: 20), an
eldest son was forbidden to look into his father’s granary in the joint compound. After
the father’s death the eldest son was obligated to carry out the funeral obsequies and to
set up a shrine for the father as an ancestor figure. Also, «the first-born son is dressed
in his father’s cap and smock, turned inside out» (Fortes 1949: 233). The reversal of
generational relations is marked in this way. The first-born children, son and daughter,
were then taken inside the compound through the part of it known as the zong,
reserved for the head of the household and also known as the sanctuary of the head’s
«lineage ancestor spirits» (idem: 55). The first-born son then looks into the granary of
his father for the first time (idem: 233); again, marking this succession to a position of
seniority in the household. It is not until the father dies and proper funeral obsequies
are completed for him that the son attains this position. And the father’s spirit is
conceptualized as becoming an ancestor, who may still exercise punitive control over
the son and requires sacrifices to be appeased. Paternal authority thus remains literally
enshrined at every level of the social system, right up to the external Bogar shrine.
(Complexities relating to the ethnography of discrete sections of the Tallensi such as
differences between the Hill Talis and the Namoos cannot be entered into here.)
18 At numbers of points in his subtle and detailed exposition of the ethnography, Fortes
quietly advances psychological-style interpretations of aspects of the materials. He uses
the same approach in other publications, where he further reconsiders the Tallensi
case (e.g. Fortes, 1983 [1959] and 1987). In The Web of Kinship, for example, he compared
the ancestors to parent figures in life:
«It is no misrepresentation to describe them as a standardized and highlyelaborated picture of the parents as they might appear to a young child in real life –mystically omnipotent, capricious, vindictive, and yet beneficent and long-suffering; but the emphasis is far more on the persecuting than on the protectingattributes.» (1949: 235)
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113
19 Sacrifices and prayers are seen in a similar light:
«They contain the same elements of acquiescence, justice, and hidden coercion.They show another aspect, though, in the propitiation, reverence, and gratitudethey often express.» (idem: 235)
20 In a footnote he adds that a father’s or mother’s spirit may be thought to have caused
the death of their child; but patricide or matricide committed against living parents
was considered abhorrent (ibid.).
21 The basic hypothesis here seems to be that attitudes to ancestors are projections onto
the religious plane of ontological introjections experienced by the person as a young
child. Granting this possibility, we may add that the complex of attitudes also
incorporates aspects from every phase of the life history and is woven into a
cosmological scheme of things. The patterns involved are thus based on kinship,
expressed in ritual, and built into a wider legitimizing cosmos, as Fortes’s own
meticulous ethnography and analysis in practice make clear.
22 At the beginning of Chapter 8 of The Web of Kinship Fortes refers to the recognition of
latent antagonism between parents and children (symbolized most clearly in taboos
observed by the first-born). He adds:
«A psycho-analyst might say that the Œdipus complex is apparently openlyrecognized in Tale culture.» (idem: 222)
23 Again, if this is so, it would appear that what is openly recognized is not the whole
putative Œdipal triangle, but rather the tension between parent and eldest child,
especially father-eldest son: half an Œdipus complex, one might say; just as, in the
Yafar case, the emphasis seems to have been on the other side, the relationship
between mother and son, and, in Juillerat’s interpretation the combined nostalgia for
the breast of the mother and the ritual means whereby the ipele / ifegê bowmen express
their maturation away from it.
24 Fortes revisited the Œdipal issue in his 1959 lecture on «Œdipus and Job in West African
Religion». Here he recognizes that in ancient Greek mythology Œdipus ’s actions were
thrust upon him by Fate. He compares this idea with the Tallensi idea of Predestiny or
Prenatal Destiny. According to this idea, a child declares its own wishes to Heaven
(Naawun) before it is born, and thus declares its own Spoken Destiny (Nuor-Yin). This
would appear to mean that the destiny is fixed, but actually such a circumstance is
revealed only later if the person suffers misfortune and a diviner declares that this is
caused by the Nuor-Yin.Then, in the case of a woman who suffers miscarriages, a ritual
can be arranged by her own natal patrilineage to drive the destiny out (Fortes, 1983
[1959]: 16-17). Here we should notice the difference between the Tallensi and the Greek
idea: ritual can intervene in the former and remove the harmful destiny, thus making it
not-destiny. In addition there are Good-Destiny ancestors that look after people.
Ultimately, the ancestors are kin. They can be approached, pleaded with, and can show
benevolence. This could not happen with the Greek Fate.
25 Nevertheless, Fortes pursues a broadly construed parallel with what he calls Œdipal
concepts.
«The Tale notion of Prenatal Destiny designates, what, in more abstract language,could best be described as an innate disposition that can be realized either for goodor for ill.» (1983 [ 1959]: 34)
26 After considering this in various ways, however, he recognized that Tale (Tallensi)
«beliefs are quite unlike the story of Œdipus. For him there was no way of changing his
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evil fate into a beneficent destiny» (1983 [1959]: 36); whereas for the Tallensi ritual
solutions were available: just as, in the Biblical story, salvation came to Job when he
recognized God’s omnipotence, as the Tallensi recognized the omnipotence of the
ancestors (idem: 37).
27 In the 1987 collection of his papers, put together posthumously by his own successor
Jack Goody, Fortes’ deep interests in psychoanalytical issues are revealed from time to
time. Chapter 6, for example, is titled «Totem and Taboo», first published in 1966. Most
of his discussion is couched at the level of custom, in dialogue with thinkers such as
Radcliffe-Brown and Levi-Strauss. He comes to Freud by way of pointing out a simple
parallel and rejecting others:
«As regards Freud, the inspiration such studies as mine owe to his famous workgoes back not of course to his fantastic reconstruction of the supposed prehistory ofthe Œdipus complex. Nor are the direct (though guarded) parallels he drewbetween totemic taboos and obsessional neuroses now acceptable.» (1987: 142)
28 Instead, Fortes elaborated on Freud’s interest in taboo as «a command of conscience»
(ibid.). The underlying paradigm here is that custom in general is seen as a means of
control over behavior: «cultural pressures conflicting with organic or personal urges»
(idem: 142). The incest taboo, and its supposed Œdipal underpinnings, would then, be
seen in the light of this paradigm.
29 Fortes elaborated further on this viewpoint in Ch. 8 of the 1987 book (this chapter was
based on a lecture of 1973 and first published in 1977). Here he specifically took up «the
challenge of psychoanalysis» (idem: 179), and retraced the terms of a disagreement
between the psychoanalyst Ernest Jones and the anthropologist Bronislaw Malinowski
regarding the sources of tension in familial relationships among the Trobrianders of
Papua (see also Spiro, 1982). Malinowski saw tensions in these relationships as arising
out of the matrilineal structure of the society at large; while Jones, according to Fortes’
account (idem: 182) saw the supposed ignorance of physiological paternity on the part
of the Trobrianders as a defense mechanism, protecting father and son from hostility
(idem: 182). Fortes supports Jones here (idem: 182). Yet, a reading of his own Tallensi
ethnography, as discussed above, may be held to support Malinowski’s insistence on
the social form of the generation of tensions in the family. Fortes himself strongly
emphasized the patrilineal character of Tallensi inter-generational relations, as we
have seen, and father-elder son tensions were consonant with such a structure.
However, Fortes also goes on to note the methodological problem underlying all this:
how do we know how to relate custom to mental mechanisms? How do we explain
highly varying customs by appeal to a single set of universal predispositions? (idem:
183). We are left with the very intriguing idea which Fortes advances that custom is
supported by «conscience» and the question of what «conscience» itself is. At the end
of his Ch. 8 Fortes simply notes that there has been a general «cross-fertilization»
between psychoanalysis and anthropology (idem: 217). The methodological question
remains unresolved (although it is explored more in the notes to the chapter, including
reference to Melford Spiro’s work, p. 320, n.7 [see Spiro, 1971]; and, we may add, the
«cross-fertilization» continued in the later work of A.L. Epstein on the Tolai people of
Papua New Guinea, see Epstein, 1992).
30 Fortes refers here with approval to Spiro’s hypotheses and data concerning the reasons
why some Tibetan boys enter into a life as monks, interpreted as reconstituting the
structural position of a young child (Fortes, 1987: 320, n. 7). Fortes also refers with
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approbation to Spiro’s argument that «particular configurations of beliefs and ritual
practices serve the actors as customarily legitimate defensive actions to cope with the
experience of conflict or threats or socially maladapted impulse of unconscious origins)
(Fortes, 1987: 188). In his book Œdipus in the Trobriands, Spiro in particular contested
Malinowski’s denial that the Œdipus complex operated in Trobriand society (in Papua
New Guinea), arguing that the famous putative «ignorance» of physiological paternity
among the Trobrianders was actually just such a «defensive action», developed partly
as a denial of paternity on the part of sons, and partly as a cloak to cover the Œdipal
hostility of the son to the father. Spiro hypothesizes that, to a boy the idea that he was
conceived through the sexual intercourse of his parents is painful, and that «perhaps
that is the very motive for the Trobrianders’ “ignorance”» (Spiro, 1982: 67). Fortes
himself also discussed, as we have noted, Malinowski’s debate with the psychiatrist
Ernest Jones regarding the applicability of Freud’s ideas to the case of the Trobrianders
and Malinowski’s suggestion that we should identify a «matrilineal complex» centered
on the mother’s brother rather than on the father in the Trobriand case (Fortes, 1987:
179-183). While clearly sympathetic to psychoanalytical theorizing, Fortes still
wondered whether, given much social variation, we should appeal to «allegedly
universal intrapsychic dispositions» as the means of explaining all customary forms
(Fortes, 1987: 183). Yet he also felt that psychoanalytical theory in general was useful
for anthropologists in so far as it conduces to questioning the deeper explanation of
customary practices beyond their own overt rationales, particularly in the sphere of
nuclear family relations and intergenerational conflicts (idem: 187). The whole place of
the unconscious in social life, and the meanings that may be given to the term
«unconscious» itself, is mooted in these thoughtful reflections. Certainly, while the
phenomena of dreams, for example, testify clearly to the existence of the unconscious,
it is also clear that in cross-cultural analyses the place of the habitual conscious
cultural meanings with which biological processes are invested is of co-ordinate
importance. For example, Spiro assumes that there is a universal idea of «conception»,
and argues that realization of the place the parents’ intercourse had in the son’s
creation is painful to the boy, leading to its denial in the Trobriand case (Spiro, 1982:
66-67). But Trobriand ideas of how humans come into being in many ways bypass any
folk notion of «conception», as this is commonly understood. A spirit child of the
matrilineage entering a woman is an idea quite different from conception through
sexual intercourse as such. And the Trobriand husband-father was traditionally
supposed to contribute crucially to the substance and appearance of the child in its
mother’s womb through repeated acts of intercourse with the mother (Keesing and
Strathern, 1998: 180).
31 The overall conclusion here is that Fortes felt a strong affinity with psychoanalytic
approaches; yet he also was meticulous in exploring his ethnographic materials and in
raising methodological questions regarding verification. There is a similarity here with
the work of Bernard Juillerat, who also remained faithful to his primary role as an
ethnographer and explorer of the customary realm.
Conclusion
32 Placing the work of these two anthropologists, Bernard Juillerat and Meyer Fortes,
together has been an unusual exercise, but one of a sort that we have in a way
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undertaken before, comparing African and New Guinea cases in the realms of
cosmology, culture and social structure (Strathern and Stewart, 1998). We recognize
the clear differences both between the two authors and between the ethnographic
cases of the Yafar and the Tallensi. In making our comparisons, we have sought to do
essential homage to both Juillerat and Fortes by examining the ways in which they have
handled ideas derived from Freud. Our particular interest here was to see how these
two anthropologists inserted into their work an abiding concern with psychoanalytic
propositions. What we have found is that they both inserted those propositions at the
edges of their descriptive accounts but implicitly made them central as explanatory
and interpretive devices. In our re-reading of the debates about the applicability of
psychoanalytic hypotheses cross-culturally, what we are struck by is that, regardless of
the psychoanalytic interpretations, we see in the ethnographies themselves the
significance of structures of social organization. It is not by chance that in the Tallensi
case the whole system of sacrifices to ancestors was ultimately linked to the External
Bogar patrilineal shrines; while among the Yafar inter-village external ties were
defined in terms of mother-daughter relations. In this regard, cosmology and social
structure are ultimately one, interdependent ways of constructing universes of
meaning that link many levels of experience together. Fortes’s treatment makes it very
clear that an important context in which cosmology and structure intersect is kinship
and that ritual is a prime means by which this intersection takes place. Juillerat’s
analysis is overtly couched at the level of indigenous exegesis and cosmology, and is
less focused on social structure or sociology, in a sense. He himself argues that there is
a low level of «practical sociological implications» of the Yangis festival (1992a: 93).
Juillerat’s own extended analysis shows, however, that analysis of the various levels of
maternal identification among the Yafar indicates, as in the Tallensi case, that
cosmology and structure are one, and both are pervaded by an elementary or
primordial apprehension of kinship relations. Indeed, it is significant that both Fortes
and Juillerat place «filiation» at the heart of their analyses of both kinship and ritual;
and filiation in turn belongs to a wider cosmological order of things. And for the Yafar
Juillerat notes that the reckoning of descent through individual agnatic lines prevails
as a form of structure through time (1996: 90). In very different ways, then, an
emphasis on patriliny is ultimately maintained both by the Yafar and by the Tallensi2.
33 It has been in a spirit of homage to both authors that we have here revisited Juillerat’s
and Fortes’s ethnographic works. We want to make it clear that the overall aim has
been to show deep respect and appreciation of the work of these two scholars, and by
linking their work together across time and space to show a solidarity with the
fundamental humanity and deeply imaginative interpretations which they have
bequeathed to us. Their meticulous faithfulness to their ethnographic work emerges
from every page of their writings. Fortes writes that the Tale idea of the struggle
between the Yin of the father and the Yin of the son, especially the first-born son, was
what led him to use the idea of Œdipus in his interpretations of the information he had
collected (Fortes, 1945: 227, cited above). And Juillerat remarks in his Introduction to Œ
dipe Chasseur that he did not go into the field with a preconceived idea of proving the
validity of Freudian theory:
« C’est au contraire l’examen des matériaux ethnographiques qui, peu à peu, nous aamené à nous interroger sur la légitimité d’une approche psychanalytique: ce sontles Yafar qui nous ont conduit à Freud, non le contraire. » (Juillerat, 1991: 40)
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We wish to record here our thanks to the four anonymous reviewers of this essay for their helpful
comments.
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NOTES
1. Andrew Strathern and Pamela J. Stewart have written extensively on their fieldwork materials
from Papua New Guinea. Their webpage, listing many of their publications over the last decade
or so is (http://www.pitt.edu/~strather/sandspublicat.htm). Their previous publications that
discuss the topic of the importance of the cassowary; fertility, regeneration and cosmologies; and
comparative points on hoofuk, include Stewart and Strathern (1999, 2001, 2002, 2008); Strathern
and Stewart (2000, 2004a, 2004b). We shared work on a number of projects relating to our
editorship of the Journal of Ritual Studies with Dr. Bernard Juillerat. In 2004 we sponsored a Book
Review Forum for his book Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique in the Journal of
Ritual Studies, and he also invited us to take part in this exchange, indicating that he would much
value our views. We thought it best not to enter into this arena at the time, because of our role as
Editors of the Journal; but in sponsoring the Forum, we wished clearly to signal our respect and
appreciation for Juillerat’s work, and the news of his death later came to us with a sincere sense
of loss.
2. Shooting the Sun contained a great many complex re-analyses of the Yangis / Ida festival
complexes. We do not engage with these analyses here because we are concerned to make a
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direct comparison between Juillerat’s and Fortes’s work in respect of the psychoanalytic context
of their interpretations. Similarly, Fortes’s work on kinship in general has been extensively
discussed and critiqued by other writers, but we do not engage with these critiques here either.
To do so would draw us into many further directions and might detract from our immediate
stated purposes. It should be noted, however, that in the second edition of Œdipus and Job a long
essay by Robin Horton both pointed out the ways in which the Tallensi materials actually diverge
from the ancient Greek story of Œdipus , and set Tallensi ideas in the context of the comparative
regional study of West African «social psychologies» –«psychologies» here being much the same
as «cosmologies» (Horton, 1983). AJS would like to take this opportunity of remarking on two
minor points from Shooting the Sun. First, his contribution (Ch. 9 of that volume, Strathern 1992)
did not imply that reliance on exegesis precluded the making of comparisons, but only reported
that Alfred Gell had made this claim (idem: 261). The body of the contribution makes it clear that
exegesis actually facilitates comparison by providing a clearer basis for it (Juillerat 1992: 270
seems to have misread the statements on p. 261). Second, Juillerat wrote (idem: 278) that «Gell
and Andrew Strathern condemn rather radically the application of the Freudian model to a
Melanesian culture». The actual text to which he appears to refer to here is found on p. 265.
There we simply find a question: «What kind of privilege can we give to Freud’s notions in the
face of New Guinea mythology?» There follows a recommendation of a simple kind: «look at each
case and argue about it» (loc. cit.).
ABSTRACTS
This essay revisits aspects of the work of Bernard Juillerat on the Yafar people of Papua New
Guinea and of Meyer Fortes on the Tallensi people of West Africa. The purpose of this
juxtaposition of cases is to show how each author has stressed an aspect of themes derived from
the Freudian theory of the Œdipus complex. Juillerat has stressed the relationship of the son with
the mother, Fortes the relationship between son (especially eldest son, the first-born) and father,
in the context of practices of ancestor worship. Our argument is that it is important to take note
that psychoanalytic motifs, if present, are set by the people themselves into a broader scheme,
linking kinship, ritual, and the cosmos together. The essay is intended as an act of appreciation
and respect for the work and thoughts of both of these authors as a part of a «long conversation»
in anthropology at large regarding psychological interpretations of ethnographic materials. Both
Juillerat and Fortes themselves, indeed, set their psychoanalytic interpretations into deeply
woven analyses of kinship, ritual practices, and ideas of the cosmos.
Cet essai revisite le travail de Bernard Juillerat sur les Yafar de Papouasie Nouvelle-Guinée et
ceux de Meyer Fortes sur les Tallensi d’Afrique de l’Ouest. Cette juxtaposition montre comment
chaque auteur souligne un aspect spécifique de thèmes dérivés de la théorie freudienne du
complexe d’Œdipe. Juillerat souligne la relation du fils à sa mère, Fortes la relation du fils (en
particulier l’aîné) au père, dans le contexte de pratiques du culte des ancêtres. Notre argument
est qu’il est important de remarquer que les motifs psychanalytiques, quand ils apparaissent,
sont insérés par les gens eux-mêmes dans un schème plus vaste reliant la parenté, le rituel et le
cosmos. Cet essai est un hommage montrant notre appréciation et notre respect pour le travail et
la pensée de ces deux auteurs dans le cadre de la « longue conversation » de l’anthropologie – au
sens le plus large – à propos des interprétations psychologiques des matériaux ethnographiques.
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Juillerat et Fortes eux-mêmes ont inséré leurs interprétations psychanalytiques dans des
analyses où la parenté, les pratiques rituelles, et les idées concernant le cosmos sont étroitement
imbriquées.
INDEX
Mots-clés: cosmologie, exégèse, mythe d’Œdipe, psychanalyse, sacrifice rituel
Keywords: cosmology, exegesis, myth of Œdipus, psychoanalysis, ritual sacrifice
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Enfanter, est-ce bien « naturel » ?Rite, représentation, fantasme del’engendrement dans un cultepolynésienFrançoise Douaire-Marsaudon
1 Pour Bernard Juillerat, penser l’imaginaire des sociétés, c’est se donner les moyens
d’appréhender « ce curieux mélange de fantasmes individuels et d’idéologie collective »
(2001 : 159) qui en fournit en partie le matériau et, pour ce faire, l’anthropologie
psychanalytique est non seulement souhaitable mais nécessaire. En plaçant au cœur de
ses problématiques la question des rapports entre le sujet (et sa formation) et les faits
de culture, elle est, en effet, à même de repérer et d’explorer la part du travail
psychique dans l’élaboration des cultures et donc susceptible de comprendre le rapport
entre les productions culturelles et la psyché des personnes.
2 Anthropologue, je n’ai pas fait le choix de l’approche psychanalytique, mais je
considère cependant qu’il est difficile de tenir les représentations culturelles et,
singulièrement, celles concernant la sexualité, la reproduction, la filiation et la mort,
pour « des signes arbitraires, contingents, dont la destinée sociale s’accomplirait
indépendamment de leur origine psychique » (Juillerat, 2001 : 66). En d’autres termes, à
un moment de l’histoire des sciences sociales où l’on cherche à déconstruire
l’opposition entre individu et société – ou à repenser leur relation en termes neufs – et
où l’on assiste à un retour en force du sujet, je vois mal comment l’anthropologie,
qu’elle soit ou non psychanalytique, pourrait se désintéresser de ce qui lie « la culture
aux problématiques du sujet et à ses investissements » (Juillerat, 2004 : 16).
3 Dans les sociétés de Polynésie où je travaille, il existe un puissant intérêt pour tout ce
qui concerne la reproduction et la filiation et, plus précisément, l’engendrement/
enfantement et la naissance. Ces préoccupations, telles du moins qu’elles s’expriment
dans les corpus mythologiques ou au sein de la vie rituelle, prennent assez
régulièrement la forme de récurrences de la symbolique œdipienne, sous des traits
propres à ces sociétés, comme on le verra. Mais au-delà de ce simple constat, je
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voudrais ici, en m’aidant du matériau polynésien, apporter une contribution à la
réflexion sur le caractère « naturel » généralement attribué, dans nos sociétés, aux
procès entourant l’enfantement – procréation, gestation, accouchement, allaitement –
et m’inscrire ainsi dans la perspective critique ouverte par Bernard Juillerat à ce propos
(2001 : 110-111).
La « tache blanche » de la relation mère-enfant
4 Dans le chapitre IV intitulé « L’atome de parenté est-il soluble dans la psychanalyse »
de son livre Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, Bernard Juillerat
revient sur la notion d’atome de parenté de Claude Lévi-Strauss et sur la « non-
qualification des relations entre la mère et l’enfant dans l’atome »1. Cette relation
mère-enfant avait fait l’objet d’un débat après un exposé d’André Green au séminaire
L’identité (Lévi-Strauss,1983 : 81-107). À André Green, Claude Lévi-Strauss explique que,
s’il a fait l’économie de la relation mère-enfant dans l’atome de parenté, c’est parce
que :
« les sociétés que nous connaissons normalisent le rapport entre le mari et lafemme, […] entre le frère et la sœur, […] entre le père et le fils mais ne normalisentpas – en tout cas pas au même degré – la relation entre la mère et ses enfants. »(Lévi-Strauss, 1983 : 100)
5 Au cours de la discussion, il précise que, s’il ne traite pas de cette relation au sein de
l’atome de parenté, c’est « qu’il n’en a pas besoin pour expliquer des conduites
collectives » (1983 : 101). Comme le lui fit remarquer André Green dans la discussion, le
lien entre la mère et l’enfant est, en revanche, essentiel aux yeux des psychanalystes et
pas seulement en raison de son caractère structurant normatif. Il l’est avant tout par sa
dimension dans la construction de l’identité :
« au-delà du sexe biologique, au-delà du sexe chromosomique même, dans les étatsintersexuels, l’identité sexuée se fait essentiellement sous la dépendance du rapportparental. » (Green, 1983 : 101)
6 Autrement dit, pour les psychanalystes, le lien mère-enfant est non seulement partie
prenante de la formation des comportements sociaux, il y joue un rôle capital. Aux
yeux de Bernard Juillerat – après André Green et Marie-Blanche Tahon (1995) –, la
« tache blanche » laissée par Claude Lévi-Strauss sur la relation mère-enfant, c’est celle
du biologique, « de la naturalité attribuée aux liens mère/enfant » (Juillerat, 2001 : 122).
Or, cette naturalité-là ne date pas d’aujourd’hui, elle est le résultat d’une histoire bien
particularisée sur laquelle nous allons brièvement revenir.
Quelle « nature » ?
7 L’opposition nature/culture, dans sa version la plus connue aujourd’hui, est sans doute
celle que Claude Lévi-Strauss a élaborée pour servir de fondement à sa théorie de la
prohibition de l’inceste et de l’alliance. Pour ce dernier, on le sait, la prohibition de
l’inceste représente la règle par excellence : ressortissant à la fois à la nature et à la
culture, son institution marque le passage de l’état de nature à l’état de société. Telle
que la conçoit Lévi-Strauss, la dichotomie nature/culture est davantage un outil
analytique qu’une composante du monde environnant. Quand il oppose la culture à la
nature, il n’entend pas, par ces termes, les définitions courantes qu’on en donne
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habituellement. Le terme de culture désigne, pour lui, l’état de société tel qu’il résulte
de l’imposition de la règle, autrement dit de l’interdit de l’inceste. Dans cette
perspective, la « nature » fait référence à un état du genre humain, celui qui existait
avant que ne soit instaurée la société, c’est-à-dire avant que ne soient élaborées la
prohibition de l’inceste et les règles d’exogamie. On se souvient de la célèbre formule :
« La prohibition de l’inceste est, à la fois, au seuil de la culture, dans la culture et, enun sens, […] la culture elle-même. » (Lévi-Strauss, 1967 : 14)
8 Cependant, Lévi-Strauss donne cette précision, importante pour notre propos :
« Envisagée du point de vue le plus général, la prohibition de l’inceste exprime lepassage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance » (1967 : 35).
9 Retenons pour l’instant que, pour Lévi-Strauss, la filiation relève de la nature
contrairement au phénomène de l’alliance, « le seul sur lequel la nature n’a pas déjà
tout dit » (1967 : 36). En réalité, la notion de nature a fait l’objet de spéculations et de
discussions bien avant l’élaboration de la théorie de l’alliance de Lévi-Strauss, au sein
du vaste mouvement d’idées neuves qu’on appelle Les Lumières, qui se met en place au
XVIIe siècle et s’épanouit au XVIIIe. Elle y tient alors un rôle vedette mais avec un sens
quelque peu différent de celui que lui attribue Lévi-Strauss aujourd’hui.
10 Dans un article paru dans l’ouvrage devenu classique de Carole MacCormack et de
Marilyn Strathern (1980), Maurice Bloch et Jean H. Bloch font une analyse très fine des
« dialectiques de la nature » dans la pensée des philosophes français du XVIIIe siècle
(1980 : 25-41). Il existait bien à l’époque une polémique à propos de la nature mais celle-
ci concernait l’opposition entre la nature et « quelque chose d’autre », opposition dans
laquelle la notion de nature a constitué le moyen de comprendre la société de l’époque
et simultanément de la critiquer, à un moment de profonds bouleversements, à la fois
matériels, symboliques et idéologiques2. Pensée et utilisée par les philosophes français
comme une catégorie critique, la « nature » se trouve en quelque sorte revalorisée.
Pour Rousseau, par exemple, le concept de « nature » prend sens dans l’opposition à la
société de droit divin, injuste et corrompue, et la nature devient la source même de la
régénération de la société. Pourtant, au sein de ce mouvement de revalorisation, il
demeure un champ de conceptualisation de la nature où ces mêmes philosophes se
montrent fort conservateurs : celui où se construit la relation entre la nature et le sexe
féminin. En effet, les femmes d’une manière générale étaient considérées par ces
derniers comme entretenant un lien puissant avec l’état de nature, en particulier dans
ce qui était pensé comme leur domaine, à savoir les procès de la parturition et de
l’enfantement. La femme se trouvait plus proche de la nature que l’homme en raison de
son rôle physiologique dans la sexualité et plus encore dans l’enfantement (Bloch et
Bloch, 1980 : 32).
11 Ces préoccupations nouvelles prennent appui sur les découvertes de la science, en
particulier la science médicale et ce qu’elle dit de la physiologie féminine. Rappelons
que, selon Thomas Laqueur, c’est précisément à la même période que fut «inventé le
sexe tel que nous le connaissons», autrement dit que « prit corps » l’affirmation de la
coexistence de deux sexes, non seulement différents mais incommensurables (Laqueur,
1992 : 170). Cette « différence incommensurable » des sexes prend pour fondement le
corps et tout particulièrement l’appareil reproductif féminin :
« La matrice, qui avait été une sorte de phallus en négatif, devint l’utérus, c’est-à-dire un organe dont les fibres, les nerfs et la vascularisation offraient uneexplication et une justification naturalistes du statut social des femmes. » (Laqueur,1992 : 173)
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12 C’est enfin au sein du même mouvement que se mit progressivement en place le
« dispositif de sexualité » décrit et analysé par Michel Foucault, dispositif qui se
généralisera au XIXe siècle (Foucault, 1976 : 16)3.
13 Au cœur de ces préoccupations concernant la nature, la sexualité, le corps et la
physiologie féminine, émergent, assez logiquement, les questionnements sur
l’enfantement. Dès le XVIIIe siècle, on assiste d’ailleurs à un glissement lexical qui n’est
pas le fruit du hasard : le terme de génération est remplacé par celui de reproduction
(Laqueur, 1992 : 177). On voit alors se généraliser cette conception naturalisante des
procès liés au corps et à la sexualité : c’est ainsi qu’on attribue un fondement naturel –
qui, pour beaucoup de contemporains, tenait lieu d’explication rationnelle – à la
hiérarchie des sexes/genres, comme on le fera d’ailleurs, un peu plus tard (XIXe), à celle
des « races ». Pour Maurice Bloch et Jean H. Bloch, comme pour Laqueur et Foucault, le
recours à la science et à ses découvertes ne rend pas plus « vraies » ces conceptions
nouvelles concernant le corps, les sexes et la sexualité. Comme celles dont elles ont pris
la place – l’idée du sexe unique, par exemple –, elles sont le fruit d’une construction
intellectuelle, idéologique ou morale (Bloch et Bloch, Foucault) ou encore politique
(Laqueur).
14 Aujourd’hui, l’attribution du caractère « naturel » à un certain nombre de phénomènes
et de comportements sociaux est restée une habitude bien ancrée dans nos sociétés, y
compris dans le domaine des sciences humaines et sociales, même si un certain nombre
de travaux ont montré depuis plusieurs décennies que notre manière de penser
l’opposition nature/culture est historiquement et culturellement marquée. Dans le
champ des études féministes de la décennie soixante-dix du XXe siècle, de nombreux
auteurs ont critiqué la fascination occidentale pour l’équation entre « nature » et
« femme » et tenté de dénaturaliser le sexe, par exemple en s’appropriant la notion de
genre4. Dans un article précurseur à l’époque, Marilyn Strathern a brillamment
déconstruit le raisonnement sur lequel est bâtie une semblable assertion et a montré
qu’il s’agit davantage d’une représentation/croyance que d’une véritable connaissance,
fondée scientifiquement (1980 : 183). En France, la réflexion sur l’assignation des
femmes à des rôles « naturels » et ses conséquences – aux plans épistémologique,
éthique, politique – se développe aussi avec les travaux de Françoise Héritier (1981) et
de Nicole-Claude Mathieu (1991)5.
15 Mais, si on accepte bien plus volontiers aujourd’hui de considérer que ce que nous
appelons ordinairement « nature » peut être représenté dans certaines sociétés comme
un élément constitutif de la culture, pour le dire dans les termes de Philippe Descola
(1986 : 401), il reste beaucoup plus difficile de se débarrasser de cette même habitude de
penser quand il s’agit de procès associés aux fonctions féminines et plus
particulièrement à ce qui demeure considéré comme la fonction féminine par
excellence, celle de l’enfantement (voir aussi Descola, 2005).
16 Selon le dictionnaire Larousse , le terme « engendrer » signifie « reproduire par
génération, procréer ». Cependant, Le Robert (1964) donne une précision
supplémentaire qui ne manque pas d’intérêt : « produire par voie de génération, plus
spécialement en parlant du mâle » (1964 : 1584). En parlant de la femme, en effet, on
dira plus volontiers « concevoir », ou « enfanter » (1964 : 1584). Ici, on utilisera le terme
« engendrement » pour parler de la production par voie de génération quand la
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distinction de sexe n’est pas pertinente, en réservant le mot « enfantement » à la mise
au monde d’un enfant par une femme.
17 Dans les sociétés de Polynésie, l’opposition nature/culture telle que nous la connaissons
n’a pas cours, comme on va le voir. Mais surtout, l’engendrement (quand on parle du
père), l’enfantement (quand on parle de la mère) et la naissance (quand on parle de
l’enfant) constituent pour les gens concernés un événement hautement « culturel », si
on donne à ce terme un sens proche de celui que Claude Lévi-Strauss a donné au mot
« culture » dans les Structures élémentaires de la parenté, à savoir un événement qui est
l’objet de règles et de normes, de représentations et de valeurs, bref un événement qui
« fait société ».On commencera par examiner la manière dont la société tongienne
concevait ces étapes du cycle de la vie – accouchement et naissance mais aussi
fécondation et gestation – au travers des récits et des mythes de la tradition orale ainsi
que des pratiques, rituelles ou non, qui leurs sont associées. Pour ma démonstration, je
vais prendre appui sur un ensemble mytho-rituel polynésien où il est abondamment
question d’engendrement/enfantement et de naissance, et revenir sur certaines des
analyses que j’en ai faites ailleurs. Il s’agit d’une part du mythe d’origine tongien qui
relate la création de l’univers et la naissance des grands dieux, d’autre part d’une
ablution rituelle prise par une aristocrate de haut rang, la propre sœur du Tu’i Tonga,
chef suprême de la société tongienne classique, au moment de l’intronisation de ce
dernier6. Pour terminer, j’aimerais évoquer un mythe d’origine issu d’une autre société
que Tonga mais qui est néanmoins polynésien puisqu’il est issu du corpus de
Mangareva (archipel des Gambier). Si je prends la liberté de citer ce mythe qui raconte
comment les femmes de cette société ont « appris » à accoucher, c’est dans l’intention
de montrer qu’à l’autre bout de la Polynésie, les mythes soulignent à leur tour la
dimension éminemment sociale de l’enfantement. Mais revenons d’abord à Tonga où,
pour contextualiser le mythe de création, nous allons indiquer brièvement ce que les
pratiques rituelles et/ou quotidiennes disent des procès associés à l’enfantement.
Fécondation, gestation, naissance
18 L’univers mythique de ces sociétés est saturé d’engendrements. D’une manière
générale, les héroïnes des récits de la tradition orale sont présentées comme devant
parvenir à cet accomplissement : la mise au monde d’un enfant (fanau). Dans le Tonga
d’avant la christianisation, l’enfant était conçu comme un don des esprit ancestraux à
la société des « vivants » (les humains)7. Dans la tradition orale, un certain nombre de
fécondations ne résultent pas d’un coït entre un homme et une femme mais d’un
phénomène d’absorption ou d’imprégnation du corps féminin par une substance
fécondante d’origine divine (Douaire-Marsaudon, 2002 : 519-520)8. D’autres récits
rapportent des parthénogenèses féminines, auxquelles les exemples précédents
peuvent être assimilés puisque les fécondations impliquées ne sont pas le résultat d’une
copulation avec un partenaire masculin. Quelques-uns mettent en scène la manière
dont certaines denrées du monde divin - l’igname réservée aux chefs, par exemple - ont
été volées aux divinités et mises à la portée des humains par une femme, plus
précisément par l’intermédiaire du corps féminin (dans le cas de l’igname, une femme
le cache dans son vagin et en accouche, une fois revenue sur terre (à Tonga). Tous ces
récits exaltent les surprenantes capacités génésiques du corps féminin, médiateur entre
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l’au-delà divin et le monde des «vivants» (Douaire-Marsaudon, 1998 : 185), mais ils sont
aussi chargés de signifier la prodigieuse puissance féconde des ancêtres et des divinités.
19 À Tonga, dans la société du début du XIXe siècle où ces récits avaient cours, tout ce qui
entoure la gestation et surtout la naissance était censé relever d’un secret dont les
femmes – les mères, les tantes maternelles et les grands-mères – avaient la charge
exclusive (Martin, 1981: 461) et dont elles se transmettaient les connaissances de
génération en génération. Le père participait à la croissance de son enfant in utero en
nourrissant le placenta – fonua ou « pays » du fœtus – c’est-à-dire en procurant à la
mère de la nourriture produite et cuite par lui. Cependant il existait au sein de la
famille un personnage-clé, à qui revenait le premier rôle au cours de la gestation et de
la naissance d’un enfant : la sœur du père ou mehekitanga. Cette dernière était censée
pouvoir jeter des sorts à sa belle-sœur enceinte, provoquer une fausse-couche ou un
accouchement avant terme ; un enfant mort-né ou une naissance prématurée
entraînant un handicap étaient mis d’abord au compte de la tante paternelle9. Si, au
moment précis de la naissance, la mehekitanga n’est pas admise dans l’entourage proche
de la nouvelle accouchée, elle occupe cependant la place d’honneur dans le rituel qui
consacre l’arrivée de l’enfant dans le groupe (kainga) paternel. En signe qu’elle accepte
le nouveau venu dans ce groupe qu’elle est chargée de représenter, elle donne à la mère
du bébé un présent, une sorte de « lit » (pae) constitué d’un morceau de tissu d’écorce
recouvert d’une natte fine (kie). Au cours de la cérémonie, elle occupe la place
d’honneur et elle reçoit ou prélève la plus belle part – natte et tissu d’écorce – de tous
les dons, ou « richesses » (koloa) apportées par les deux clans, paternel et maternel. Au
terme de la cérémonie, c’est elle qui lève les tabous mettant fin à la période très
critique que représente l’accouchement. Celui-ci, en effet, est considéré comme une
période très singulière – comme l’est aussi un décès – en raison de l’effacement
momentané des limites séparant l’au-delà des morts et des divinités du monde des
« vivants » (les humains), source de danger pour ces derniers. Le terme de référence
utilisé par la tante paternelle pour nommer ses neveux (les enfants de frère) est celui
de fakafotu : de faka, « à la manière de » et de fotu, « faire apparaître » ou « faire
fructifier ». Au nom des ancêtres, la tante paternelle est celle qui accepte les enfants de
ses frères dans le clan paternel, celle qui les fait apparaître et fructifier. C’est bien leur
mère qui les a mis au monde mais c’est leur tante paternelle qui leur accorde de vivre,
de s’intégrer dans la société et de donner naissance à leur tour à une lignée. Les plus
hautes marques de respect et de soumission sont dues à la tante paternelle et la
transgression de cette règle peut entraîner malaise, maladie ou même mort.
20 Cependant, au sein de la parenté étendue, une autre figure parentale apparaît comme le
pendant de la tante paternelle, son double inversé : l’oncle maternel. Ces positions
symétriques inversées découlent elles-mêmes des normes et valeurs imposées à la
relation frère/sœur, fondatrice de l’ordre parental. Tout homme étant d’un rang
inférieur à toutes ses sœurs (quel que soit l’âge de celles-ci), il est aussi considéré
comme d’un rang inférieur aux enfants de ses sœurs et ses propres enfants sont eux-
mêmes d’un rang inférieur à leur tante paternelle et aux enfants de cette dernière. Il en
résulte que l’oncle maternel est la personne de la parentèle avec laquelle l’on peut
entretenir la relation la plus libre, la plus dénuée de tabou. On peut parler et rire d’à
peu près tout avec son oncle maternel, on peut se montrer à lui dans une tenue
négligée, on peut le toucher ou terminer ses plats ou se saisir de ses habits, sans crainte
d’une sanction surnaturelle. L’oncle est censé prendre soin des ses neveux utérins, les
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conseiller et les guider tout au long de leur vie. Surtout, ses neveux lui étant supérieurs
en rang, ils accèdent librement non seulement à sa personne mais à ses biens. Les
voyageurs européens ou les missionnaires de l’époque du contact ont relaté avec
étonnement les exactions des ces neveux utérins, en particulier au sein de la chefferie
de haut rang (Douaire-Marsaudon, 1998 : 233sq). Aujourd’hui, dans un pays marqué par
la soif de terres, il est devenu courant que les neveux utérins demandent à leur oncle
maternel de pouvoir cultiver un morceau de terre pris sur son domaine. C’est ce que
l’on appelle les droits et privilèges du fahu, équivalent tongien de l’institution bien
connue du vasu à Fidji.
21 Au sein des rituels concernant ses neveux, l’oncle maternel occupe une place inversée
par rapport à celle de la tante paternelle : lors du décès d’un enfant de sœur, il demeure
près du four, où son bas statut l’autorise seulement à préparer les victuailles pour les
invités. Surtout, au moment de l’accouchement de sa sœur, il doit maintenir au chaud
les jeunes noix de coco (veifua), censées faire monter et accroître le lait (de sa sœur)
destiné au nouveau-né. Il est là typiquement dans son rôle de fa’e tangata, terme de
référence qui est le sien et qui signifie, littéralement, « mère masculine »10.
22 Ces rôles, symétriques et inverses, de la sœur du père et du frère de la mère montrent
le poids de la relation frère-sœur au sein de la parenté tongienne mais ils soulignent
aussi l’importance de la distinction filiative – pour emprunter ses termes à Bernard
Juillerat – dans la formation du sujet : ici, les figures parentales sont en quelque sorte
redoublées et recomposées par leurs germains de sexe opposé. Nous allons maintenant
présenter le mythe tongien de création du monde.
Un évolutionnisme polynésien
23 Comme souvent dans les cosmogonies polynésiennes, le mythe d’origine tongien inscrit
la genèse du monde, des dieux et de l’humanité dans une structure généalogique :
« Le Limu (plante marine) et la Kele (vase), attachés ensemble et ballotés par lesflots, abordent au Pulotu et y enfantent une pierre ferrugineuse qu’ils appellentTouiafutuna. La pierre ferrugineuse se met à trembler et à gronder, puis elle se fendà quatre reprises et donne naissance à quatre paires de jumeaux de sexe opposé. Lapremière paire de jumeaux s’unit et enfante à son tour deux jumeaux de sexeopposé11 : un garçon, Taufulifonua, et une fille, Havealolofonua. La deuxième et latroisième paire de jumeaux enfantent chacune une fille, Velelahi et Velesii. Une foisdevenue grande, Havealolofonua, fille des premiers jumeaux, s’en va trouver ses“sœurs” cadettes et leur dit que leur frère étant le seul être masculin, elles doiventtoutes s’unir à lui. De ces trois dernières unions naissent alors les grands dieux : dela sœur aînée, Hikuleo ; de la sœur cadette, les Tangaloa ; et, enfin, de la benjamine,les Maui. À Hikuleo, parce qu’il est né de la sœur aînée, revient la tâche de partagerle monde : aux Tangaloa et à leur mère, il attribue le ciel, le Langi ; aux Maui et àleur mère, il attribue le monde souterrain, le Lolofonua ; il régnera lui sur le Pulotu,le paradis tongien où s’en reviennent les âmes des chefs après leur mort. Afin depeupler son empire, Hikuleo cherche d’abord à faire périr tous les premiers-nés.Aussi, ses frères, les Tangaloa et les Maui, décident-ils de l’attacher avec une cordedont l’un des bouts est accroché par les Tangaloa au ciel et l’autre par les Maui à laterre. Désormais, Hikuleo promène son regard sur la terre et les mouvements qu’ilfait pour se détacher provoquent les tremblements de terre. » (d’après Reiter, 1907 :230-240)
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24 Ce mythe nous fait assister à une suite d’événements qui prennent place dans une
chronologie évolutive constituée d’épisodes successifs que l’on peut identifier comme
suit :
un accouplement primordial (première génération) au paradis, ce qui donne :
la naissance d’une pierre (deuxième génération) ;
la pierre enfante (fanau) quatre paires de jumeaux (troisième génération) dont trois
s’accouplent, ce qui donne :
trois naissances anthropoïdes dont l’une est gémellaire : un garçon et trois filles (quatrième
génération), lesquelles s’accouplent avec leur « frère » ce qui donne :
la naissance des grands dieux : les quatre Tangaloa, les trois Maui et Hikuleo (cinquième
génération).
25 La fin du mythe est centrée sur la figure d’Hikuleo et sur ses rapports avec ses frères :
Hikuleo fait le partage du monde : aux Tangaloa et à leur mère, le ciel ; aux Maui et à leur
mère, l’intérieur de la Terre ; à lui-même, le paradis tongien.
Hikuleo veut faire mourir l’espèce humaine mais ses frères l’attachent au centre du cosmos.
26 On a ici, typiquement, ce que Dixon a appelé un mythe « évolutionnaire » où l’on passe
d’un monde végétal et minéral (la vase, l’algue, la pierre) à un monde animal (tortues,
anguilles, pigeon) avant de parvenir à l’âge anthropomorphique, réalisé à la quatrième
génération, puis à l’organisation et à la mise en ordre du cosmos, accomplies par les
grands dieux, Hikuleo d’abord, ses « frères » ensuite. Il y a bien ici un schéma général
qui sous-tend une idée/représentation de l’histoire de l’humanité, laquelle évolue
lentement à partir d’un monde préexistant, englobant et antérieur, constitué par
l’océan et dont le point central est le Pulotu, le lieu des grands commencements, là où
se font les engendrements menant à la métamorphose du monde et à la création/
naissance des grands dieux. Celle-ci est précédée par la séquence de l’inceste
« généralisé » où l’unique frère s’unit à ses « sœurs », sa jumelle et ses deux cousines,
unions gémellaires incestueuses d’où sont issus Hikuleo, les Tangaloa et les Maui.
Naissance des grands dieux et mise en ordre ducosmos
27 Les Tangaloa et les Maui sont des divinités communes à l’ensemble du monde
polynésien. Tangaloa est associé le plus souvent à la mer, parfois au ciel, et couronne le
panthéon divin dans nombre de cosmogonies. Maui est plutôt un demi-dieu ou un héros
qu’une divinité à part entière. Puissance chtonienne associée au Lolofonua, autrement
dit à l’intérieur de la Terre, Maui est aussi le type même du trickster, héros civilisateur
qui vole aux grands dieux les biens nécessaires aux hommes12. À Tonga, les Tangaloa
sont au nombre de quatre, chacun d’eux correspondant à l’un des statuts majeurs de la
pyramide sociale. L’aîné des Tangaloa, Eitu’matupu’a (littéralement, l’esprit ancêtre),
associé au ciel, est le père de ’Aho’eitu (littéralement, l’esprit jour), le premier Tu’i
Tonga, chef suprême de la société tongienne13. Quant aux Maui, les Tongiens se les
représentent sous la forme d’une triade composée de trois frères ou, plus souvent, d’un
grand-père, d’un père et d’un fils/petit-fils. Autrement dit, les Maui apparaissent
comme la métaphore même de la filiation et de la succession des générations.
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28 En ce qui concerne Hikuleo, il est clairement identifié comme l’aîné des dieux ; cette
place lui est dévolue, dit le mythe, parce qu’il est le fils aîné de la fille aînée. Fort de
cette préséance, Hikuleo fait le partage du monde : aux Tangaloa et à leur mère, il
donne le ciel, aux Maui et à leur mère, la Terre ; il s’attribue le Pulotu, le lieu-origine de
la création, lequel est aussi le paradis tongien où sont accueillis les esprits des chefs
après leur mort et où coule le Vaiola, source qui redonne vie, jeunesse et beauté. Les
Maui deviennent les divinités du Lolofonua (l’intérieur de la terre) parce qu’ils y sont
envoyés « avec leur mère », comme les Tangaloa deviennent les divinités du ciel parce
qu’ils s’y installent avec la leur. Dans le mythe, c’est donc le lien de filiation utérine qui
fonde le rapport originaire des grands dieux à leurs domaines cosmiques respectifs – le
ciel, la terre – exactement comme, dans le monde humain, le lien à la mère, plus
exactement au groupe de la mère (kainga i’fa’e) fonde l’autochtonie. Lors d’une
naissance, dans la société classique comme encore aujourd’hui, le placenta, puis le
cordon ombilical du bébé, lorsqu’il tombe, sont enterrés sur les terres familiales du
groupe maternel, marquant ainsi l’attache de chacun à son groupe/lieu d’origine14.
29 Si Hikuleo possède la préséance qui lui permet de présider à la mise en ordre de
l’univers socio-cosmique, le mythe l’oppose pourtant à ses frères, et ceci à deux plans
différents15. D’une part, ces derniers sont obligés de l’attacher au centre de l’univers,
grâce à une corde dont ils retiennent les extrémités, de peur qu’il ne détruise les
premiers-nés des humains, les chefs, dans la conception polynésienne16. D’autre part,
alors que les autres divinités sont multiples – les Tangaloa sont quatre et les Maui trois
– Hikuleo, en revanche, paraît être unique ; par ailleurs, de tous les grands dieux, il est
le seul à ne pas avoir de descendance. Dans les récits de la tradition orale, le
personnage d’Hikuleo est toujours représenté comme un dieu terrifiant, une divinité de
la démesure, qui possède de nombreux aspects duels. On peut gager qu’il est une sorte
de « deux-en-un », ses attributs constituant autant de manifestations de sa nature
bisexuée (Douaire-Marsaudon, 1998 : 283).
30 Il paraît à peu près certain qu’à l’époque du contact en tout cas et probablement bien
avant, on ne rendait aucun culte ni aux Tangaloa, ni aux Maui. En revanche, c’est en
l’honneur d’Hikuleo qu’avait lieu, chaque année, le ’inasi, le plus grand et le plus
important des rites de la vie religieuse tongienne. Au cours de ce rite, qui durait une
dizaine de jours, c’est l’ensemble des Tongiens qui offraient à leurs souverains les
prémices des récoltes, maritimes ou terrestres17. À cette occasion, des quantités
considérables de nourritures (porcs, ignames, patates douces, poissons, noix de coco,
etc.) et de « richesses » (nattes et tissus d’écorce) étaient rassemblées selon l’ordre
hiérarchique et accumulées sur le mala’e royal avant d’être finalement redistribuées.
Cependant, avant que ne commence la redistribution, le Tu’i Tonga prélevait la plus
belle part des produits accumulés et les offrait à sa sœur, la Tu’i Tonga Fefine qui se
trouvait ainsi « on the receiving end of the tribute » (Bott, 1982 : 107). Selon mon
hypothèse, ce n’était pas uniquement le chef suprême, le Tu’i Tonga, qui était la
personnification de Hikuleo au moment du rituel du ’inasi, mais lui et sa sœur, la Tu’i
Tonga Fefine18. Dans et par le rituel, ils sont l’un et l’autre les représentants terrestres
de la divinité, sectionnée, divisée en ses deux pôles sexués sous la forme d’un frère et
d’une sœur, à qui l’inceste est interdit : ainsi pourra vivre et croître la société des
« vivants » (humains).
31 Hikuleo, condensé d’inceste frère/sœur dont la figure cosmique est attachée au centre
même de l’univers, est donc bien une allégorie à double détente symbolique. Né(e) de
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l’unique homme du temps des grands commencements et de sa seule « vraie » sœur,
maître du monde des origines, le Pulotu, où coule le fleuve qui redonne vie et beauté,
Hikuleo veut faire mourir les « vivants » afin de peupler son royaume mais il est aussi la
divinité pourvoyeuse de la fertilité, terrestre et maritime en l’honneur de laquelle avait
lieu le gigantesque rituel propitiatoire du ’inasi. Personnage paradoxal donc que cet
Hikuleo bifrons, divinité mortifère et stérile, contrôlant pourtant la source du retour à
la vie et présidant aux arcanes de la fertilité générale.
32 Le mythe d’origine tongien raconte comment l’univers socio-cosmique a pris forme au
travers d’une série d’accouplements et d’enfantements qui donne naissance aux grands
dieux. Dans la mesure où l’inceste est ici la règle, on pourrait dire, en appliquant
strictosensu le terme de « nature » tel qu’il est conçu par Lévi-Strauss, qu’on est là dans un
monde « naturel », infra social en quelque sorte. Reste à savoir si le mythe et plus
largement l’imaginaire tongien raisonnent de cette manière.
33 Nous allons quitter le mythe d’origine tongien et présenter un geste rituel singulier, celui
de l’ablution prise par la personne qui possède le rang le plus exalté de toute la société
tongienne, la sœur du Tu’i Tonga, la Tu’i Tonga Fefine (littéralement, Tu’i Tonga femme).
Le bain sacré de la Tu’i Tonga Fefine
34 La mention du bain de la princesse est contenue dans les relations de voyage de
Dumont d’Urville19. Le navigateur livre un détail fourni par ses informateurs à propos
de l’intronisation du chef suprême de la société tongienne, le Tu’i Tonga. Ce rituel, qui
se déroulait après un long deuil de six mois consécutif à la mort du précédent chef
suprême, avait un caractère d’une extrême solennité. Pendant que le futur Tu’i Tonga
accomplit « certaines cérémonies », nous dit Dumont d’Urville, la « toui-tonga Fafine »
(la Tu’i Tonga Fefine) va se purifier dans une fontaine voisine, entourée de ses femmes.
Nul homme, précise-t-il, ne peut se baigner dans cette fontaine sous peine de mort
(Dumont d’Urville, 1833, t. I : 109).
35 Précisons d’abord que, lors de l’intronisation d’un nouveau Tu’i Tonga, la Tu’i Tonga
Fefine en titre est la sœur du Tu’i Tonga décédé et par conséquent la tante paternelle de
celui que l’on s’apprête à revêtir des insignes de sa fonction (Douaire-Marsaudon, 1998 :
228). Ce qui intrigue, dans cette ablution royale, n’est pas tant son existence en soi, ni
même le fait qu’elle soit assujettie à des tabous sévères, mais son occurrence dans le
contexte tout à fait singulier de l’intronisation du chef suprême, rite d’une dimension,
politique et symbolique, considérable. Pourquoi cette ablution rituelle prise par une
personne qui, après tout, n’est qu’une parente du héros du jour, le nouveau Tu’i Tonga
? Et de quoi cette parente est-elle donc censée se purifier ?
36 Dans la société tongienne du XIXe siècle, les femmes avaient recours à une ablution
rituelle purificatrice dans une occasion bien particulière, quand elles venaient
d’accoucher20. Cette ablution visait à mettre fin à la période des tabous pesant sur la
parturiente et à la réintégrer, après ce moment de liminalité intense que constituait
l’accouchement, dans le monde ordinaire des « vivants ». Le bain de la Tu’i Tonga Fefine au
moment même de l'intronisation du Tu'i Tonga paraît donc suggérer une « mise au
monde » symbolique, qui ne peut être que celle du nouveau Tu'i Tonga par la Tu'i Tonga
Fefine.
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37 On sait que les rituels d’intronisation prennent souvent la forme d’une réplique des
rituels de naissance21. Le futur souverain est investi de sa fonction non pas en
« recevant son office » mais en « naissant au monde » qu’il doit gouverner, revêtu
ontologiquement, pourrait-on dire, de ses attributs. Mais si le bain rituel de la Tu’i
Tonga Fefine sert à signifier qu’elle vient d’accoucher symboliquement du nouveau Tu’i
Tonga, une telle naissance pose à son tour question. Pourquoi le nouveau souverain est-
il censé (re)naître de sa tante paternelle ? Que manque-t-il donc à la première naissance
du Tu’i Tonga pour que soit signifié, par une véritable mise en scène cérémonielle, qu’il
naît au monde à nouveau, de la Tu’i Tonga Fefine cette fois ? Par ailleurs, ce que le bain
sacré de la grande dame paraît aussi – et par voie de conséquence – suggérer, c’est
l’existence en amont de l’intronisation royale d’une union entre la Tu’i Tonga Fefine et
le père décédé du récent intronisé, autrement dit, entre l’éminente princesse et son
frère. On sait que certaines sociétés (Égypte pharaonique, Pérou incaïque, Hawai'i)
pratiquaient le mariage hiérogamique entre frère et sœur au plus haut niveau de
l’ordre socio-hiérarchique, autorisant ainsi ceux qui le couronnaient à agir à l’instar
des divinités, en transgressant certaines de ses lois fondatrices. Soit ! Mais à Tonga, le
Tu’i Tonga n’épousait pas la Tu’i Tonga Fefine. Même si la tradition orale tongienne
rapporte un inceste entre la première Tu’i Tonga Fefine et son frère le Tu’i Tonga,
l’étude des généalogies royales montre clairement que la Tu’i Tonga Fefine n’était pas
censée devenir l’épouse du Tu’i Tonga, ni a fortiori donner naissance à l’héritier au
titre22. D’une manière générale, dans la société tongienne – à l’âge classique comme
aujourd’hui –, la relation qui lie un frère et une sœur est marquée par un puissant
tabou qui marque de l’empreinte de l’interdit tout ce qui relève de la sexualité23.
Pourtant, l’ablution rituelle de l’éminente princesse paraît bien renvoyer à l’idée d’une
union hiérogamique frère/sœur, laquelle serait en quelque sorte fantasmée à la fois
dans le mythe (l’inceste entre la première Tu’i Tonga Fefine et son frère) et dans le rite.
38 Pour éclairer le mystère du bain de la Tu’i Tonga Fefine, j’avais proposé une analyse de
la souveraineté tongienne à partir de ses principes d’organisation et de l’histoire de ses
pratiques24. Puisque cette ablution rituelle évoque un accouchement et une naissance,
je reprends ici une partie de cette démonstration.
39 On sait que le XVIIe siècle tongien a correspondu à une période de changements
historiques importants, les souverains suprêmes de Tonga ayant repris en main les
rênes du pouvoir après avoir été chassés de l’archipel pendant près d’un siècle. L’un
d’entre eux, Tele’a, que la tradition orale présente comme l’un des plus puissants Tu’i
Tonga, entreprit un certain nombre de réformes et mit en œuvre une nouvelle
politique d’alliance entre les lignées royales en décidant de marier la Tu’i Tonga Fefine.
Cette nouvelle situation s’est accompagnée d’un renouveau rituel d’une ampleur
certaine, celui-ci étant l’occasion de réaffirmer la part éminemment sacrée de la
personne des chefs suprêmes25. Il n’est alors pas impossible de considérer que le rite
d’intronisation du souverain suprême et, par conséquent, le bain cérémoniel de la Tu’i
Tonga Fefine qui en est l’une des pièces maîtresses, auraient tous deux constitué l’un
des volets majeurs de cette réforme rituelle. En effet, le bain sacré de la grande dame au
cours du rituel d'intronisation du nouveau souverain suprême transformait ce dernier
en un être très sacré et parfaitement singulier comme on va le voir maintenant.
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La (re-)sacralisation du chef suprême
40 Le bain rituel de la Tu’i Tonga Fefine fait du nouveau Tu’i Tonga un être né deux fois26.
Le nouveau chef suprême est certes né des amours de son père, le précédent Tu’i Tonga,
un homme-dieu, avec la moheofo, une aristocrate d’un rang tout à fait éminent. Mais il
ajoute quelque chose de fondamental à cette première naissance, prestigieuse certes,
mais néanmoins passablement « terrestre ». Par la vertu de cet élément symbolique
fondamental que représente l’ablution de la grande dame, l’intronisation du nouveau
Tu’i Tonga fait de lui, au moment précis où il « naît » à sa fonction, un être « issu » de la
Tu’i Tonga Fefine, autrement dit un être unique, engendré humainement certes mais
néanmoins revêtu ontologiquement, grâce à sa seconde naissance, de la sacralité
ancestrale. Simultanément, en raison du principe de la transmission du rang/sang, ce
deuxième engendrement par la Tu’i Tonga Fefine lui procure le rang suprême de sa
mère symbolique27.
41 Renaissance rituelle par laquelle le Tu’i Tonga réaffirme la part sacrée de sa nature et
surélève son rang, l’ablution de la Tu’i Tonga Fefine réactive aussi les principes
cruciaux de la reproduction du groupe de parenté et, par là, ceux de la société toute
entière. Rappelons que la Tu’i Tonga Fefine est, au moment de l’intronisation d’un
nouveau Tu’i Tonga, la tante paternelle de ce dernier, sa terrible et nécessaire
mehekitanga. Par le rite de l’ablution, elle est celle qui, conformément à sa vocation, le
fait « apparaître » et « fructifier », non pas comme simple être « vivant » – cela fut le
cas à sa naissance – mais comme souverain sacré, tout baigné de l’assentiment des
prestigieux ancêtres qu’elle représente. Triple légitimité donc pour le nouvel intronisé
par cette re-naissance rituelle qui lui garantit tout à la fois son lien avec l’ordre
surnaturel, son rang exalté d’enfant sacré et la bienveillance agissante des divinités
ancestrales.
L’inceste sacré des origines
42 Reste l’épineuse question de l’inceste royal que soulève, très logiquement, cette
deuxième naissance. Car si le nouveau souverain, fils et héritier du Tu’i Tonga
précédent, est, par l’ablution de la Tu’i Tonga Fefine, sa tante paternelle,
symboliquement né d’elle, alors on ne voit pas comment on pourrait ignorer ce qui,
dans cette intronisation sur le mode de la naissance, fait signe, à savoir l’inceste
hiérogamique fantasmé entre la Tu’i Tonga Fefine et le précédent Tu’i Tonga, son frère.
43 La tradition orale rapporte un inceste entre l’un des tout premiers Tu’i Tonga, le
proéminent Tu’itatu’i, et sa sœur, la Tu’i Tonga Fefine Latutama. Que cet inceste royal
mythique soit une manière de souligner l’ampleur de la stature de Tu’itatu’i est peu
douteux : cette transgression par excellence de l’ordre des humains, éminemment
dangereuse pour le commun des mortels, prouve par elle-même la nature
singulièrement divine du grand Tu’itatu’i. Cependant, cette union hiérogamique
comporte probablement d’autres implications, comme le laisse penser le fait qu’il soit
unique dans la généalogie royale et, d’autre part, que la Tu’i Tonga Fefine en cause soit,
comme par hasard, la première de toutes les Tu’i Tonga Fefine. Tout se passe comme si
l’union entre les deux souverains ne pouvait se faire, dans le mythe comme dans le rite,
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que sur le mode allusif, comme si la société fantasmait cette union, en évoquait l’idée
mais sans lui donner une réalité plus sensible ou plus explicite.
44 Il paraît possible d’éclairer le sens de cette union sexuelle latente entre les deux
souverains, le Tu’i Tonga et la Tu’i Tonga Fefine, en recourant à l’étude d’abord de ces
configurations symboliques que sont les incestes premiers du mythe de création
tongien puis à celle du grand rituel annuel de fertilité où la paire souveraine se trouvait
impliquée.
45 Tout comme la figure d’Hikuleo, les incestes des grands commencements renvoient aux
avatars de la bisexualité originaire du cosmos. L’inceste frère/sœur et tout
particulièrement l’inceste gémellaire qui en est la forme dense constituent un paradoxe
à partir duquel la pensée tongienne brode à l’envi. Dans le mythe, l’inceste frère/sœur
fondateur est celui qui survient à la quatrième génération, entre Taufulifonua et
Havealolofonua (géniteurs d’Hikuleo) : c’est, en effet, le premier inceste explicitement
anthropomorphe, dont il est dit qu’il a lieu entre un homme et une femme, lesquels
sont aussi des jumeaux de sexe opposé. Or, dans la mythologie tongienne, les jumeaux
Taufulifonua et Havealolofonua sont présentés comme les initiateurs du premier acte
sexuel (Gifford, 1924 : 18)28. Autrement dit, l’inceste frère/sœur du temps des grands
commencements renvoie à la division des sexes, certes, mais aussi à l’origine de la
sexualité comme source et moteur de l’engendrement. Au temps des grands
commencements, parait nous dire le mythe, dans un monde qu'on n'imagine que
comme le produit d'engendrements, il a bien fallu passer par le un puis le deux pour
arriver au multiple, arithmétique incontournable que l’on retrouve dans nombre de
mythes de fondation polynésiens et qui rend l’inceste mythique des origines si
productif. Mais l’inceste des grands commencements, générateur du monde et des
grands dieux, est aussi porteur de mort et de destruction, comme paraît nous inviter à
le penser le personnage crucial d’Hikuleo : au sein de la dynamique prolifique des
engendrements, il est une sorte d’impasse reproductive, de cul-de-sac où le processus
de filiation se gèle de lui-même.
46 L’un des mythes les plus connus du monde polynésien, un mythe d’origine maori,
raconte comment l’humanité naquit du geste de Tane (le premier homme) : en séparant
ses parents, Papa (la terre) et Rangi (le ciel), étroitement enlacés dans une copulation
sans fin, il mit fin à la nuit (Po) en ouvrant la matrice de sa mère Papa où lui et ses
frères étaient retenus prisonniers. Ainsi libérée de la fusion originaire, l’espèce
humaine pourra croître et se multiplier (Reed, 1974 : 5sq)29. Comme Papa et Rangi, mais
sous une autre forme, Hikuleo peut être considérée comme une figure involutive du
processus filiatif, une sorte de retour au stade primordial intra-utérin30. Quant à
l’inceste frère/sœur, à la fois condition de la (re)production de l’ordre socio-cosmique
et source de sa possible néantisation, d’un retour à la fusion matricielle originaire, il est
conçu comme simultanément fondateur et destructeur de l’ordre social
47 Au temps du mythe, l’inceste frère/sœur est nécessaire à la création du monde et à la
naissance des grands dieux mais, dans la vie sociale, il est interdit aux « vivants », aux
humains. Or le chef suprême et sa sœur occupent un état intermédiaire entre le divin et
l’humain, ou plutôt ils combinent en eux les deux états. Au temps du rite, durant la
grande fête annuelle du ’inasi qui glorifie la fécondité générale, le Tu’i Tonga et la Tu’i
Fefine constituent la version terrestre de la divinité mais une divinité clivée, sous la
forme d’un frère et d’une sœur, à qui l’inceste est désormais interdit. Dans cette
perspective, il n’est pas étonnant que durant le rite de l’intronisation royale qui célèbre
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conjointement l’avènement du chef suprême et le renouveau du cosmos, le bain rituel
de la Tu’i Tonga Fefine rejoue le paradoxe des grands commencements, l’idée de
l’inceste sacré des origines. Simultanément, le bain rituel substitue au lien mère/enfant
celui de tante paternelle/neveu. Tout dans la relation cruciale qui existe entre un
enfant et sa tante paternelle montre qu’elle est un père au féminin (comme l’oncle
maternel est une mère masculine). On peut alors voir aussi dans la seconde naissance
du Tu’i Tonga, telle qu’elle est mise en scène dans le rite du bain royal, la césure
imposée au groupe maternel par le groupe paternel et la captation, au nom de toute la
société, de celui qui naît à la fonction de chef suprême.
48 Nous allons maintenant quitter la société tongienne du XIXe et nous rendre à l’autre
extrémité du monde polynésien, aux îles Gambier, plus précisément à Mangareva où
existe, sous diverses versions, un mythe d’origine qui traite très directement de
l’accouchement.
Comment les femmes apprirent à accoucher
49 Voici comment la tradition orale de Mangareva raconte l’histoire de l’accouchement :
« Quand une femme devenait enceinte, on la reléguait dans une case particulière,située dans un lieu écarté. Elle devait y vivre, hors de tout contact avec leshabitants, si ce n’est quelques femmes qu’on laissait auprès d’elle pour la servir. Lesmois de gestation étaient comptés d’après les phases de la lune qui suivaient lecommencement de la grossesse. Mais le processus naturel de l’accouchement étaitinconnu et à la neuvième lune, lorsque la femme commençait à souffrir desdouleurs de l’enfantement, un vieux prêtre arrivait près d’elle, lui ouvrait le ventreet en retirait l’enfant tandis que la mère mourait. Cette opération se faisait avec unmorceau de nacre fendu en biseau.Elle ne cesse qu’à la suite du fait suivant. Un jour, une jeune femme de Mangarevase trouva enceinte, mais sans savoir elle-même au juste de quel homme. Elle allafaire part de sa situation à un sorcier, qui lui dit : “Ne te laisse pas ouvrir le ventre,je pars, et quand le moment de tes souffrances sera venu, tu me feras prévenir, etj’enverrai quelqu’un pour te soigner”. La jeune femme le lui promit.Quelques mois se passèrent, et quand l’accouchement fut venu, un prêtre vint,comme d’habitude pour ouvrir le corps de la mère et y prendre l’enfant. Mais lajeune femme lui dit : “Attends un peu et reviens dans une heure”. Le vieux prêtre yconsentit ; il s’en alla. Presque aussitôt après son départ, les douleurs del’enfantement arrivèrent, et se rappelant alors ce que lui avait dit un de ses amants,la jeune femme s’écria : “Tagaroa ma rei ui vau”. Immédiatement, deux autresfemmes se présentèrent, portant chacune une gerbe d’herbe appelée aretu et l’uned’elle plaça la gerbe derrière le dos, tandis que l’autre étalait la sienne par terre. Ilen résulta, dit la tradition, que les douleurs de la mère augmentèrent et qu’elle mitau monde son enfant tout naturellement.C’est depuis lors que toutes les femmes adoptèrent cette façon d’accoucher etrefusèrent de se laisser ouvrir le ventre par le sinistre prêtre. » (Caillot, 1914 :149-150)
50 Bien entendu, l’expression « tout naturellement » est celle d’Eugène Caillot. Ce que
nous dit le récit ci-dessus, c’est qu’il existait autrefois un état de société où les femmes
ne savaient pas accoucher et où il leur fallait donc mourir, puisqu’on devait leur ouvrir
le ventre pour permettre la naissance. Autrement dit, pour que l’enfant naisse, il fallait
d’abord que la mère meure : en quelque sorte, l’accouchement n’existait pas. La
tradition orale rapporte ici comment une femme apprend à enfanter, connaissance qui
représente pour le mythe – dans ses diverses variantes – un progrès pour l’humanité.
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51 Si j’ai choisi d’évoquer ce mythe mangarévien concernant l’invention de
l’accouchement, c’est parce qu’il répond comme en écho aux pratiques entourant
l’accouchement à Tonga : enfanter y est considéré, ici et là, comme un ensemble de
connaissances secrètes qui appartiennent aux femmes et qu’elles se transmettent, pour
le bien de tous.
Interprétations
52 Les mythes et les récits évoqués plus haut mettent en scène ce qu’on pourrait appeler,
en reprenant les mots de Bernard Juillerat, des morceaux épars du « drame éclaté de
l’œdipe » : non pas les figures, classiques dans nos sociétés, de l’inceste avec la mère ou
du meurtre du père, mais celles de la fusion originaire, du retour au stade intra-utérin.
C’est le coït éternel dans lequel se tiennent embrassés Rangi (le ciel) et Papa (la terre),
empêchant leurs enfants de naître, c’est Hikuleo, ce deux-en-un aussi clos sur lui-
même qu’un œuf stérile. On pourrait y ajouter le coquillage bivalve dans lequel se
tenait le dieu Ta’aroa avant que ce dernier ne l’ouvre pour créer le monde, selon le
mythe d’origine tahitien. Images, diverses et variées, de la dualité originelle du cosmos,
si caractéristiques des sociétés polynésiennes mais aussi représentations parallèles du
stade primordial de l’univers socio-cosmique et de l’état de fusion originaire de l’espèce
humaine.
53 Au-delà de ces configurations œdipiennes propres à ces sociétés, un premier constat
s’impose. Comme l’avait remarqué Juillerat à propos des mythes yafar, ceux de
Polynésie sont tournés bien davantage vers la « production de la génération », vers
l’engendrement et l’enfantement que vers la sexualité, affichant une attention
maniaque pour la mathématique reproductive des lignées :
« histoires créées par des adultes, les mythes montrent clairement qu’ils font grandcas de la reproduction alors que de la sexualité, ils s’amusent. » (Juillerat, 2001 :62-63)
54 Dans le mythe de création tongien, la sexualité n’est que brièvement évoquée à travers
la paire des premiers jumeaux anthropomorphes, la grande œuvre du mythe est les
travaux d’engendrement. On constatera ensuite que l’opposition nature/culture, telle
du moins qu’elle s’est constituée en Occident, n’a pas cours ici. Si dualisme il y a, c’est,
comme il a souvent été dit pour les sociétés de Polynésie, celui du jour, ’Aho, et de la
nuit, Po, à condition de considérer que ces notions ne s’opposent justement pas comme
le font le jour et la nuit dans nos sociétés31. L’univers socio-cosmique des Polynésiens
est marqué de part en part par la dimension du sacré et l’opposition du jour et de la
nuit y opère sur le registre de la métaphore. Si la « géographie du surnaturel »
(Vernant, 1965 : 116), telle qu’elle apparaît dans le mythe d’origine tongien, distingue
bien des domaines comme le monde souterrain, la mer, les cieux, le Pulotu, tout y est
soumis à l’ordre des dieux. Le monde du Po-nuit, c’est le monde enchanté des morts,
peuplé d’une multitude d’esprits, d’ancêtres et de divinités. Mais le Po, c’est aussi
l’origine des choses, c’est ce qui existait avant et qui existera après, c’est un monde
antérieur et englobant, supérieur hiérarchiquement. Le monde du ’Aho-jour, c’est le
monde visible, celui des « vivants » (mou’i), des hommes et de leurs actions, du temps
présent. Mais c’est aussi un monde d’apparence, englobé par la nuit et pénétré par elle,
puisque les esprits des morts, les ancêtres et les divinités peuvent y circuler sous des
formes familières, visibles… ou invisibles. Le Po-nuit, c’est tout ce que les hommes ne
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voient pas, ne savent pas voir, ne comprennent pas : tout ce qui leur est inintelligible.
C’est donc un monde éminemment dangereux pour les « vivants ». Les cycles
saisonniers comme celui des ignames, les mouvements des marées, ceux des astres, les
règles et le corps féminin, la sexualité relèvent du Po-nuit. Ce n’est pas un monde sans
loi où régnerait le chaos mais un univers régi par des lois qu’on ne connaît pas, qui ne
sont pas du ressort des humains. Heureusement, entre le monde très sacré des origines,
des morts et des dieux et celui des hommes, plus profane mais où le sacré s’insinue en
se déguisant, des médiations sont possibles. Elles sont affaires de personnes comme les
chefs – au premier rang desquels le Tu’i Tonga et la Tu’i Tonga Fefine – ou les prêtres,
ou même, au sein de la parentèle, ceux qui représentent les ancêtres décédés, comme la
tante paternelle.
55 On pourrait être tenté de lire l’opposition Po-nuit/’Aho-jour à la manière de la
dichotomie nature/culture telle qu’elle est construite dans nos sociétés, en postulant
l’équivalence du concept polynésien du Po-nuit et de la catégorie occidentale de
« nature », celle-ci étant comprise soit comme « le monde environnant » (sens le plus
commun) soit comme un état infra-social, au sens savant de Lévi-Strauss (puisque, dans
le Po comme dans la nature, l’inceste est pratiqué). En somme, le surnaturel là-bas
correspondrait au naturel dans nos sociétés. Cependant, cette manière de voir les
choses souffre d’un inconvénient majeur. Dans la pensée de nos sociétés, la nature,
qu’elle soit comprise comme « le monde environnant » et opposée à l’espèce humaine,
ou entendue comme un « état infra social » et opposée à la culture, est conçue, dans les
deux cas, au sein d’une relation sujet/objet où elle occupe la place d’objet. Comme
« monde environnant », la nature est destinée à être soumise au travail humain, comme
« état infra social », la nature se voit imposer des règles et des normes. Dans l’univers
polynésien, l’opposition Po-nuit/’Aho-jour, qui est à lire dans la perspective
dumontienne de la hiérarchie et donc de la relation, nous invite à penser l’idée du
passage, du va-et-vient, du mouvement qui va du plus au moins sacré. Ce ne sont pas
seulement les notions du Po-nuit et du ’Aho-jour qui sont pertinentes dans l’imaginaire
de ces sociétés, c’est aussi, c’est surtout, le passage de l’un à l’autre, du plus sacré au
moins sacré… et retour. Or, à côté de tout ce qui – certains êtres, certains animaux,
certains objets – est censé favoriser le passage entre le Po-nuit et le ’Aho-jour, il existe
un élément-clé, une notion polymorphe, véritable interface entre les deux domaines,
celle de fonua (fenua), qui signifie à la fois « terre/pays », « tombe » et « placenta ».
56 C’est dans ce cadre conceptuel qu’il faut comprendre comment les Polynésiens du
contact concevaient les procès associés à l’enfantement et à la naissance. Le cycle de
vie, qui n’a ni début ni fin, comporte deux passages obligés entre le monde du Po-nuit –
le lieu-origine de tout -– et le monde du ’Aho-jour, là où vivent les humains : le placenta
et la tombe, « pays » respectifs du fœtus et du décédé. On s’en souvient (cf. supra),
nombre de mythes polynésiens font du corps féminin et en particulier de la matrice
féminine, du placenta ou du vagin, des moyens de médiation entre le monde très sacré
des esprits/ancêtres/divinités et celui des humains. Encore aujourd’hui, les cheveux du
nouveau-né sont appelés d’un terme qui signifie « les cheveux de l’esprit », le tout petit
enfant étant censé issu du monde surnaturel. Quant au récit de l’apprentissage de
l’accouchement, dans la tradition mangarévienne, que raconte-il d’autre que ce que
disent de l’enfantement les pratiques tongiennes : accoucher est un savoir, un ensemble
de connaissances secrètes qui appartiennent aux femmes et qu’elles se transmettent
pour le plus grand bien de la société humaine. En tongien, comme dans la plupart des
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langues polynésiennes, « engendrer », « accoucher » et « naître » se dit d’un seul et
même terme, celui de fanau. Événement unique raconté par les mythes et les rites,
l’engendrement, l’enfantement et la naissance sont ici considérés comme un ensemble
de pratiques, de savoirs et de savoir-faire qui met à la portée des hommes ce qui vient
du monde des dieux : un travail qui est l’affaire de tous, hommes et femmes, chefs et
ancêtres, bref un événement cosmique qui « fait société ».
57 Dans les représentations de l’engendrement et de la filiation se jouent ce que Bernard
Juillerat appelle les questionnements ontologiques de l’homme vivant en société. Là, se
cristallise une part non négligeable des craintes, des angoisses, des fantasmes, associés
à la lente élaboration de la vie en société. Pour leur part, les productions culturelles de
Polynésie témoignent de ce que les procès associés à l’enfantement – et le lien mère-
enfant qui en découle – constituent des objets d’appropriation sociale puissamment
investis par l’imaginaire des sociétés concernées.
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VERNANT Jean-Pierre, 1965. Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, nouvelle
édition, revue et augmentée, Paris, La Découverte.
WEINER Annette, 1992. Inalienable Possessions, The Paradox of Keeping-While-Giving, Berkeley, Los
Angeles, Oxford, University of California Press.
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WILLIAMSON Robert W., 1933. Religious and Cosmic Beliefs of Central Polynesia, 2 vol., Cambridge,
Cambridge University Press.
NOTES
1. Problème qui avait particulièrement tracassé Lévi-Strauss, comme l’écrit Juillerat (2001 : 121).
2. Ces considérations sur la nature succèdent aux idées des philosophes de la loi naturelle (XVIIe
siècle) – Grotius, Pufendorf, Hobbes et Locke – bâtisseurs de la théorie selon laquelle l’état de
société succède à l’état de nature au travers de l’établissement du contrat social (Bloch et Bloch,
1980).
3. Pour l’auteur de l’histoire de la sexualité et contrairement à une idée toute faite fort
répandue, ce dispositif-là ne correspondait nullement à la répression sur le sexe des classes à
exploiter, il ne s’agissait ni d’un « renoncement au plaisir » ni d’une « disqualification de la
chair » mais bien plutôt de l’auto-affirmation d’une classe, au travers d’une manière neuve de
considérer et de traiter le corps et le sexe (Foucault, 1976).
4. Cf. Cette double analogie homme-culture/femme-nature avait fait l’objet d’un article
retentissant écrit par Sherry Ortner dans un volume fondateur de l’anthropologie féministe
dirigé par Michelle Zimbalist Rosaldo et Louise Lamphere (1974). À propos de la dénaturalisation
du sexe, de l’appropriation féministe de la notion de genre et de son ambiguïté fondatrice, voir
Éric Fassin (2008 : 75-392).
5. À la suite du travail critique précurseur de Simone de Beauvoir sur le sujet (1949).
6. Ce geste rituel singulier, propre à la société classique des îles Tonga (XIXe siècle), relevé par le
voyageur Dumont d’Urville, paraît avoir échappé à l’attention des exégètes, pourtant nombreux
et perspicaces, de l’histoire tongienne. Il s’agit d’une ablution rituelle, prise par une femme d’un
rang particulièrement exalté, la Tu’i Tonga Fefine, sœur du souverain de Tonga, le Tu’i Tonga,
dans un contexte rien moins qu’anodin, celui de l’intronisation d’un nouveau Tu’i Tonga
(Douaire-Marsaudon, 2002).
7. Seuls les esprits ancestraux étaient censés maîtriser les forces de vie (mana) et autoriser
l’arrivée d’un nouveau venu au sein du clan familial. Aujourd’hui, la naissance d’un enfant est
certes attribuée au dieu chrétien mais l’idée de la volonté des ancêtres dans la conception et la
gestation d’un enfant est toujours vivace.
8. Telle femme est fécondée par le rayonnement solaire, en présentant ses fesses au vent ou
encore en se baignant dans le bassin d’un dieu-serpent.
9. Ces représentations attachées au rôle de la tante paternelle n’ont pas disparu.
10. Lorsque la circoncision se pratiquait dans le cercle familial – et non à l’hôpital comme
aujourd’hui –, c’était l’oncle maternel qui se chargeait de l’opération sur ses neveux utérins. Lui
seul, en effet, pouvait faire couler le sang de ces derniers, puisque, selon la théorie de la
transmission du sang, un homme partage le même sang avec ses sœurs et avec les enfants de ces
dernières (mais il ne partage pas le même sang avec les enfants de ses frères ou avec ses propres
enfants).
11. Dans le mythe rapporté par le père Reiter (1907), Taufulifonua et Havealotofonua sont
présentés comme frère et sœur, sans que leur gémellité soit précisée. Cependant, dans d’autres
mythes où ils figurent, ils sont présentés comme des twin deities, des jumeaux divins (Gifford,
1924 : 14). Selon la tradition orale, ils sont les initiateurs des premiers rapports sexuels (ibidem).
12. Maui Kisikisi (le petit) est crédité de travaux prométhéens : à Tonga, la pêche des îles, le
soulèvement du couvercle du ciel, la régularisation des mouvements du soleil, le vol du feu
souterrain, la domestication de la poule et du chien, tous deux géants et mangeurs d’homme,
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ainsi que le mûrier à papier (Broussonetia papyrifera), lui aussi carnivore et qui sert à faire le
papier d’écorce si important dans la vie quotidienne et rituelle (Williamson, 1933 : 217sq).
13. Un long mythe raconte la « double » naissance de ’Aho’eitu : né des amours de Eitu’matupu’a
et d’une fille de chef, il monte au ciel pour rencontrer son père où il est assassiné et dévoré par
ses frères célestes, avant d’être ressuscité par son père et envoyé par ce dernier pour régner sur
terre (Tonga) (Douaire-Marsaudon, 2002 : 522).
14. Les femmes tongiennes avaient l’habitude de retourner dans leur groupe de naissance pour
accoucher. L’importance du symbolisme associé au traitement du placenta et du cordon ombilical
est attestée dans nombre de sociétés de Polynésie, au point que l’anthropologue Bruno Saura a pu
parler de « culture placentaire » (2008 : 162).
15. Le mythe fait d’Hikuleo la figure dominante des dieux, alors que dans la plupart des archipels
polynésiens – sauf à Samoa –, c’est à Tangaloa (Tagaloa, Ta’aroa, etc.) à qui est généralement
attribuée cette place. On peut penser que la figure d’Hikuleo, dont le Tu’i Tonga était considéré
comme le grand prêtre, a pris la place de Tangaloa dans ces deux sociétés au cours d’une histoire
qui a vu le renforcement progressif du pouvoir (pourtant souvent contesté) des Tu’i Tonga.
16. Comme on ne conçoit pas la société sans chef, ce que menace Hikuleo, c’est l’ensemble de la
société des « vivants », autrement dit des hommes.
17. La présentation des prémices était suivie de concours de danses et de matchs sportifs ; le
dernier jour se clôturait sur les fameuses danses de nuit célébrant la fécondité générale.
18. Les commentateurs du 'inasi (Gifford, 1929 ; Urbanowicz, 1972), en s’appuyant sur le
témoignage de Sarah Farmer (1855), mentionnent simplement que, lors du rituel, le Tu’i Tonga
est le représentant ou le grand prêtre de Hikuléo.
19. « Cet arbre gigantesque est particulièrement dédié au toui-tonga. Immédiatement après son
couronnement, ce dignitaire vient se placer sous l’ombrage de ce mea. Là, sur un siège préparé à
cet effet, et entouré de ses officiers, il accomplit certaines cérémonies, tandis que la toui-tonga
Fafine va se purifier dans une fontaine voisine assistée de quatre ou cinq femmes. Aucun homme
ne peut se baigner dans cette source sous peine de mort. » (Dumont d’Urville, 1833, t. I : 109).
20. C’est aussi le cas dans la société contemporaine.
21. C’était notamment le cas à Hawai’i pour l’intronisation de certains chefs de haut rang où on
rejouait symboliquement la cérémonie de la coupure du cordon ombilical ainsi que le rituel de
circoncision (Kamakau, 1991 : 54 ; voir aussi Sahlins, 1985 : 212).
22. La tradition orale rapporte que la Tu’i Tonga Fefine demeura longtemps interditedemariage,
en raison de son rang très sacré. À partir du XVIIe siècle, elle fut finalement autorisée à épouser un
prince « étranger », un descendant de la Fale Fisi ou maison royale fidjienne, mariage qui se
répéta régulièrement jusqu’après l’arrivée des Européens. Auparavant, l’éminente princesse, fille
et sœur de souverain, était donc parthénos, c’est-à-dire célibataire mais pouvait néanmoins être
mère. Ses rejetons, considérés comme issus d’engendrements divins, étaient eux-mêmes conçus
comme trop sacrés pour régner. À partir du mariage de la Tu’i Tonga Fefine, l’habitude fut prise
de marier le Tu’i Tonga avec la fille de la lignée royale cadette, mariage répété lui aussi sur
plusieurs générations jusqu’au XIXe siècle (Douaire-Marsaudon, 2002 : 147-162 et 519-528).
23. Entre frère et sœur, il est interdit de faire une quelconque allusion, en paroles ou en gestes, à
tout qui concerne la sexualité (ou tout ce qui touche à la sexualité) comme, par exemple,
l’accouchement (risque d’évoquer les organes génitaux).
24. J’avais eu recours en particulier à l’étude des stratégies matrimoniales qui se mettent en
place au XVIIe siècle – et qui perdurent jusqu’à l’époque historique du contact (fin XVIIIe-début
XIXe).
25. Ce n’est sûrement pas un hasard si c’est précisément au cours du règne du Tu’i Tonga Tele’a,
artisan de ces réformes et du mariage de la Tu’i Tonga Fefine, que fut bâti le plus grand et le plus
élaboré des mausolées royaux, le pa’epa’e’o Tele’a.
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26. Exactement comme son ancêtre ’Aho’eitu, le premier Tu’i Tonga, d’après le mythe d’origine du
premier Tu’i Tonga (Douaire-Marsaudon, 2002 : 522).
27. À Tonga, il existait deux théories de la transmission des substances. L’une, probablement
ancienne – on la trouve ailleurs en Polynésie –, selon laquelle le père et la mère transmettent
leurs substances conjointement à leur progéniture (la mère transmettant le sang et la chair, le
père, les os, les cheveux, les ongles, etc.). L’autre, sans doute issue des réformes politiques
imposées par la lignée des Tu’i Tonga pour maintenir leur pouvoir, postulant que la mère et elle
seule « fabrique » toute la substance de son enfant. L’une et l’autre postulent que le sang/rang est
transmis par la mère et en effet, à l’époque du contact, seule la mère transmettait son rang à son
enfant (les chefs étant polygames, comme l’était aussi le Tu’i Tonga, seuls les enfants nés d’une
mère de rang aristocratique étaient considérés comme aristocrates).
28. Dans Inalienable Possessions, The Paradox of Keeping-While-Giving, A. Weiner a montré que dans les
sociétés polynésiennes où les relations frère/sœur font pourtant l’objet d’un puissant évitement, il
existe tout un ensemble de productions sociales – récits, mythes, rites, généalogies, objets de valeur
comme les nattes fines – qui font constamment allusion à ce qu’elle appelle la “ sibling sexuality ”
(1992 : 80).
29. Mais elle sera désormais mortelle.
30. À propos des « équivalences » mythiques entre cosmogenèse, anthropogenèse et ontogenèse,
voir V. Valeri (1985 : 6).
31. Ces deux notions Po et ’Aho, en effet, ne constituent pas une opposition absolue dont les
termes s’excluent l’un l’autre. Ils sont à lire comme Louis Dumont l’a montré pour le pur et
l’impur en Inde, autrement dit au sein d’une hiérarchie, dans le sens qu’il donne à ce terme :
l’une suppose l’autre, elles sont interdépendantes même si elles n’occupent pas, selon les
perspectives, les mêmes niveaux de valeur. À l’âge classique (XVIIe-XIXe siècles), la société
polynésienne de Tonga peut être considérée comme relevant du type holiste et la distinction
établie par Dumont entre statut (hiérarchique) et pouvoir (politique) y joue un rôle essentiel.
RÉSUMÉS
Dans le corpus mythique des sociétés de Polynésie, il existe un puissant intérêt pour tout ce qui
concerne la reproduction et la filiation et, plus particulièrement, pour l’enfantement et la
naissance. Cet article propose une contribution à la discussion sur le caractère « naturel »
attribué, dans nos sociétés, aux procès associés à l’enfantement, dans la perspective critique
ouverte par Bernard Juillerat. L’analyse d’un ensemble mytho-rituel de Polynésie permet de
montrer que, dans ces sociétés où la dichotomie nature/culture ne fait pas sens, l’enfantement
est conçu comme un événement constitutif de la société, autrement dit « culturel ».
Oral traditions in Polynesian societies focus on reproduction and descent, particularly
concerning procreation and childbirth. This article discusses the so-called «natural» character
which in our own society is attributed to the process of childbirth, and is in line with the critical
perspective proposed by Bernard Juillerat. The analysis of a set of Polynesian myths and rites
demonstrates that, here, the nature/culture dichotomy does not make sense, and that childbirth
represents a specifically cultural event which can be considered to be constitutive for society.
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INDEX
Keywords : begetting, birth, childbirth, culture, descent, nature, sacred incest, socio-cosmic
order
Mots-clés : culture, enfantement, engendrement, filiation, inceste sacré, naissance, nature,
ordre socio-cosmique
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Les Kanak et les rêves ou commentredécouvrir ce que les ancêtresn’ont pas transmis (Nouvelle-Calédonie)Isabelle Leblic
1 Ma rencontre avec Bernard Juillerat date des années 1980. À cette époque, j’étais en
plein milieu de la rédaction de ma thèse de 3e cycle sur les pêcheurs bretons de l’île de
Molène et, étant à la quête d’un terrain plus lointain, je commençai à chercher du côté
de l’Océanie. Bernard Juillerat me proposa alors une possibilité d’études sur la
Papouasie Nouvelle-Guinée qui ne put être concrétisée. Je continuai donc ma quête
d’un nouveau lieu de recherche. Suite à une proposition de Jacques Barrau (Leblic,
2002 : 116), j’ai entrepris de travailler sur les sociétés de pêcheurs kanak de Nouvelle-
Calédonie. Cette recherche de terrain m’a permis d’intégrer officiellement1 en 1986 la
RCP CNRS 587 Anthropologie du monde océanien contemporain (AMOC) que Bernard Juillerat
dirigeait à l’époque. Cette structure qui réunissait une vingtaine de spécialistes des
sociétés d’Océanie et d’Australie fut renouvelée sous l’intitulé Identité et transformation
des sociétés océaniennes. Milieux, différenciations sociales, idéologies (ITSO) et devint quelques
années plus tardle GDR du même nom, sous la direction successive de Pierre Lemonnier
puis, à nouveau, de Bernard Juillerat (1997). Au fil des ans, j’ai ainsi régulièrement
côtoyé Bernard au sein de nos séminaires et réunions quasi-mensuelles entre
océanistes parisiens. À la fin des années 1990, alors que depuis quelque temps j’avais
réorienté mes travaux sur la parenté et l’adoption kanak, Bernard, devenu membre du
Laboratoire d’Anthropologie sociale, m’informa du numéro de L’Homme en préparation
sur la parenté et me mit en contact avec Laurent Barry qui le coordonnait pour me
permettre, au dernier moment, d’y proposer un article sur le dualisme matrimonial
paicî (Leblic, 2000a)2.
2 Ma gratitude est donc grande envers ce chercheur discret et d’une grande sollicitude
envers ses collègues plus jeunes dont j’étais. Il a su s’engager dans la gestion de la
recherche océanienne à plusieurs niveaux, non seulement en initiant un groupe de
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recherche sur l’Océanie mais aussi en prenant sa part dans la gestion de la Société des
Océanistes dans les années 1978-1982, en tant que secrétaire général adjoint chargé
notamment de la présente revue. Aussi étais-je désireuse d’adjoindre un article à ce
volume d’hommage, en traitant des rêves et de leurs rôles dans les sociétés kanak
actuelles, sujet me rapprochant de certaines des préoccupations de Bernard, tant il a
œuvré au dialogue entre anthropologie et psychanalyse.
Anthropologie onirique, psychanalyse et mythes
3 Le rêve peut être étudié par l’ethnologue comme un « fait social total3 » (Mauss,
1923-1924) car, comme le note Nicole Belmont :
« Le rêve, devenu récit, trouve alors son usage social. Il devient un objet qui effacela frontière qu’on suppose trop souvent étanche, entre individuel et collectif. »(2002 : 7)
4 Comme l’ont noté Jean-Pierre Darmon (1966), Nicole Belmont (2002) ou John Leavitt
(2005), le premier auteur à avoir réuni « les méthodes de la psychanalyse et de
l’ethnologie dans une enquête d’un ordre tout à fait nouveau » (Darmon, 1966, cité par
Leavitt, 2005 : §2) et démontré l’intérêt ethnographique des rêves est sans aucun doute
Lucien Sebag dans son article « Analyse des rêves d’une Indienne guayaki » (1964) :
« Le rêve, utilisant tous les éléments qui lui sont fournis par la culture, les modifieen fonction du message qu’il véhicule, ce message prenant toute sa valeur grâce àl’écart entre le code propre à la société en question et les transformations qu’ilsubit au niveau individuel. Ce décalage a valeur révélante. » (Sebag, 1964 : 2197, citéin Belmont, 2002 : 8)
Et John Leavitt de noter que :« L’article [de Sebag] sur les rêves est, à ma connaissance, unique en son genre. Ils’agit en effet de l’analyse d’une série de rêves recueillis auprès d’un seul sujetfaisant partie d’une société très différente des nôtres, analyse menée par unchercheur formé à la fois en psychanalyse et en ethnologie, et se servant desméthodes d’analyse structurale. […] la seule œuvre comparable serait peut-êtrel’analyse de rêves d’un Indien des Plaines entreprise par Georges Devereux (1969,1re éd. 1951). Mais les sources théoriques de Devereux, le freudisme orthodoxe et lathéorie “Culture and Personality”, sont loin du structuralisme patent de Sebag. »(Leavitt, 2005 : §2)
5 Je n’ai pas réalisé comme Lucien Sebag une étude anthropologique systématique d’un
corpus de rêve d’un seul individu. Mais j’ai travaillé sur une sélection de rêves kanak
qui me permet de poser ici quelques faits d’ethnographie mélanésienne. Comme l’a
remarqué Giordana Charuty :
« Depuis leur naissance quasi simultanée, à la fin du siècle dernier, l’anthropologieet la psychanalyse n’ont cessé de confronter leurs approches respectives du faitsocial. Freud et ses premiers disciples ne pratiquaient pas seulement une nouvellethérapie des névroses, ils avaient pour projet de construire une nouvelle théorie dela culture. Dès l’Interprétation des rêves (1900), la méthode freudienne conduisait àaffirmer que les œuvres collectives et les institutions sociales obéissent aux mêmeslois que les processus psychiques individuels. » (Charuty, 1998-1999 : 56)
6 Cet auteur poursuit son regard croisé sur l’anthropologie et la psychanalyse en notant
que l’anthropologie psychanalytique s’est attachée à résoudre le problème :
« [d’]identifier la marque des institutions sociales sur le psychisme individuel et, àl’inverse, [de] caractériser pour chaque société un modelage spécifique del’individu. Dès lors, l’enquête ethnographique s’est élargie à des aspects de la vie
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sociale jusque-là négligés : les rêves, les modes de socialisation des jeunes enfants,la sexualité infantile et adulte. […] » (ibid. : 57)
7 Ainsi, à propos des relations paradoxales entre anthropologie et psychanalyse, le rêve
tient une place symptomatique4 :
« Les premiers ethnologues des sociétés lointaines ont rassemblé de nombreusescollectes de récits de rêve. Mais ces enquêtes négligeaient la diversité desconceptions indigènes de l’expérience onirique, comme G. Devereux fut le premierà le dire. Celles-ci n’ont pu faire l’objet d’une ethnographie qu’en mettant àdistance les problématiques d’une approche psychanalytique. » (ibid. : 58)
8 Dans les « Arguments » de présentation du numéro de L’Homme « Une anthropologie
psychanalytique est-elle possible ? », Bidou, Galinier et Juillerat notaient, à propos des
liens entre mythe et rêve, que :
« C’est ainsi que le mythe, dont d’aucuns ont voulu forcer l’autonomie, retrouveraitd’une part des ajointements avec le rite, le rêve, la cosmologie, les théoriesindigènes de la conception, etc., tandis que, d’autre part, c’est à l’intérieur même dela mythologie qu’apparaîtraient des failles, mettant en cause la nature entrel’individuel et le collectif. Ce problème apparaît tellement crucial qu’on le retrouveen position centrale dans toutes les sociétés de par lemonde. » (Bidou, Galinier etJuillerat, 1999 : 12-13)5
9 Les rêves ont toujours eu partout et de tout temps de multiples fonctions sociales qui
vont de la communication entre les vivants et les morts à la prémonition, à
l’explication d’événements de la vie d’une personne ou à aider à traiter du malheur ou
de l’infortune. Souvent, c’est à des spécialistes que revient le rôle de rêver ou bien
d’interpréter les rêves, en tant que message venant du monde des morts et des
ancêtres, « ce qui inscrit le rêve dans l’ensemble des pratiques permettant aux vivants
d’agir sur le devenir des défunts dans l’au-delà » (Charuty, 1998-1999 : 58). Ainsi, pour
les Indiens Wayuu :
« Par le biais de ces relations et de ces dialogues oniriques entre vivants et morts,[ils] savent faire des défunts les garants indirects de l’ordre social et du respect dela coutume. » (Perrin, 2002 : 40)
10 Bernard Juillerat (2003), dans son article « Un mythe est-il un rêve collectif ? », en
revenant sur le rapprochement entre rêve et mythe, cite ainsi Freud pour lequel les
mythes « sont très probablement des vestiges déformés de fantasmes de désir communs
à des nations entières et qu’ils [les mythes] représentent des rêves séculaires de la jeune
humanité » (Freud, 1956 : 210-211 in Juillerat, 2003 : 34) et il poursuit en citant Otto
Rank et Hans Sachs qui précisent que « du point de vue phylogénétique, le mythe
représente donc un fragment de la vie psychique infantile disparue, comme le fait le
rêve du point de vue individuel » (Rank et Sachs, 1980 : 39, in Juillerat, 2003 : 35). Pour
Juillerat, « l’un des points essentiels de la différence entre rêve et mythe » réside dans
le fait que le système défensif est dominant dans le mythe « alors qu’il est secondaire,
voire inexistant » dans le rêve :
« La raison se trouve dans le fait que la censure, ou les mécanismes de défense duMoi, sont actifs en permanence dans la fabrication des mythes, qu’ils y sont mêmele moteur constitutif, alors qu’ils sont réduits dans l’activité onirique dominée parles processus primaires. Pour échapper à la censure, écrit encore Freud, “le travaildu rêve se sert du déplacement des intensités psychiques”. […] (1967a : 265-266). Cetécart est celui qui s’instaure, par le travail du rêve, entre les pensées du rêve et lecontenu manifeste. […] Contrairement à celui du rêve, le contenu latent du mytheou du rite est l’objet d’une élaboration culturelle progressive et historique où laconscience collective est partie prenante. La fonction sociale du mythe et du rite les
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dote d’un gain de rationalité dont le rêve ne bénéficie qu’une fois qu’il est assimilé àun produit culturel interprétable par la collectivité. » (Juillerat, 2003 : 38-39)
11 Si les deux, rêve et mythe, « sont des textes, et plus spécifiquement des récits déployés
sur un axe syntagmatique, une suite d’images et d’événements » (Leavitt, 2005 : §44),
qui nécessitent l’analyse et ont un contenu latent6, une différence essentielle entre eux
provient du fait que le premier est une production individuelle et le second une
production collective (Leavitt, 2005 : §43). Mais pour d’autres, comme Michel Perrin, les
rêves, en tant qu’activités créatrices, sont complémentaires des mythes :
« Le mythe est un récit qui abonde en images, le rêve les reprend, le rêveur lesraconte. Les songes peuvent ainsi proposer des solutions originales qui serontrapidement assimilées si les récits qu’on en fait sont compatibles avec lesreprésentations dominantes. » (2002 : 47)
12 Enfin, on peut noter la créativité onirique australienne à rapprocher de celle des
rituels, comme l’a souligné B. Glowczewski à la lecture de cet article :
« Cet aspect créatif des rituels est une forme de réponse aux spéculations (nondémontrées) de nos anciens sur le rapport entre mythe et rêve que tu évoques. »(com. pers.)
13 Son apport aux recherches australianistes est un des aspects les plus innovants. Ainsi,
pour les Warlpiri d’Australie dont elle nous parle avec Barbara Nakamarra7(2002) dans
le volume dirigé par Nicole Belmont, « mythe, rêve et réalité sont enchevêtrés en
permanence, d’où un risque de confusion pour l’observateur extérieur, mais la
connaissance du contexte social et du système de référence du narrateur permet d’en
démêler les divers niveaux » (Belmont, 2002 : 12). À propos des travaux de Géza
Roheim, B. Glowczewski signalait d’ailleurs « qu’il traduit par “rêve, histoire, jeu” (p.
95) sans leur donner le statut de mythe » « le terme aborigène – tukurpa chez les
groupes de l’ouest, équivalent d’altjira chez les Aranda » alors que, selon elle, « tukurpa
(“dreaming”) désigne les récits mythiques d’êtres ancestraux totémiques qui, en
voyageant, ont marqué de leurs traces des sites terrestres où ils vivent pour l’éternité :
par extension, tukurpa, qui se réfère à cet espace-temps mythique et éternel, désigne au
pluriel tous les être totémiques et leurs itinéraires respectifs » (1991 : 126).
14 Une fois ces quelques principes posés, voyons ce qu’il en est du rêve dans les sociétés
kanak de Nouvelle-Calédonie où l’importance de la tradition orale, des mythes et des
rites n’est plus à démontrer (voir, entre autres, Leenhardt, 1932 ; Bensa et Rivierre,
1982). Je présenterai divers types de rêves, leurs rôles et significations et la façon dont
on en parle et on les interprète. En effet, la littérature ethnologique sur les sociétés
kanak n’est guère prolixe en matière de rêve, mais cela n’est pas propre à l’ethnologie
calédonienne et, comme le soulignait Sylvie Poirier :
« Réalité quotidienne et universelle étroitement liée à la mémoire, à l’imaginationet à la conscience, et par là à la culture, le rêve occupe pourtant une placemarginale dans l’histoire de l’anthropologie. Non pas qu’il en soit exclu, mais ilsemble que les anthropologues aient longtemps éprouvé un certain malaise àaborder le rêve, domaine généralement perçu comme asocial et champ réservé auxsciences du “privé”. » (Poirier, 1994a : 5)
15 S’il est vrai qu’il en est ainsi dans nos sociétés occidentales, le rêve – tout comme la
notion de « privé » d’ailleurs – ne ressort pas que de cela dans de nombreuses sociétés
autres, car il fait partie intégrante du domaine social, ce qui autorise à plus d’un titre
qu’un ethnologue s’y intéresse comme à tout autre domaine de la vie sociale des
populations étudiées. Sylvie Poirier nuance elle aussi cette vision privée du rêve :
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« L’anthropologie du rêve ne se limite pas à l’expérience privée du rêve, elleinterroge aussi les différents moments de sa mise en œuvre sociale. Elle ouvre deshorizons intéressants dans la mesure où elle renseigne sur la façon dont différentescultures conçoivent le rapport au réel et le statut de l’imaginaire, les théories del’action, la notion de personne dans sa relation avec l’environnement socio-cosmique ainsi que la construction culturelle de l’expérience. Les systèmes culturelsdu rêve, au même titre que les systèmes d’échanges ou les systèmes rituels, peuventdès lors être abordés comme “fait social total” (Mauss). » (ibid. : 5-6)
16 Quiconque partage la vie quotidienne d’une famille kanak en Nouvelle-Calédonie ne
peut ignorer l’importance de la mise en œuvre sociale des rêves. Je n’ai pas la
prétention de présenter ici une étude complète du rêve dans le monde kanak et de son
système culturel, mais j’aimerai mettre en perspective la littérature ethnologique et les
récits et vécus au sein de familles kanak au cours des mes séjours sur le terrain depuis
1983, d’abord dans le Sud de la Nouvelle-Calédonie et, depuis 1989, dans les vallées de
Ponérihouen (en tout environ quatre ans). Ces données sont complétées par des récits
de rêve ou sur les rêves qui m’ont été donnés par des collègues ou doctorants (Suzie
Bearune, Umberto Cugola et Alexandre Djoupa). Lors d’un futur terrain en Nouvelle-
Calédonie, je reprendrai cette question de façon plus systématique afin de compléter
les premiers éléments apportés ici pour « voir comment le matériel onirique peut
étayer une ethnographie » et pour « comprendre comment les données
ethnographiques peuvent éclairer les rêves », comme l’a écrit John Leavitt (2005 : §49) à
propos du texte de Lucien Sebag pour qui « l’analyse de rêves menée de façon continue
dans certaines circonstances privilégiées8 révèle des pans entiers de l’édifice culturel
restés cachés à l’observation et à l’interrogation » (1964 : 2182, cité par Leavitt, 2005 :
§49).
Les Kanak et les rêves
17 Il est deux moments privilégiés pour parler de ses rêves au sein de l’unité familiale. Le
matin, au réveil, on raconte à la maisonnée les rêves faits durant la nuit et on essaie
d’en découvrir collectivement la signification ; ou bien, au moment de la sieste, pour
ceux qui comme moi ne sont guère habitués à dormir en ce début d’après-midi, l’une
des conversations favorites, que je pouvais avoir avec notamment « ma sœur kanak »
que j’empêchais souvent de dormir, était de disserter sur les rêves passés qu’elle avait
pu avoir entre deux de mes séjours et sur leurs sens.
18 Mais on peut aussi raconter ses rêves à un auditoire plus large, lors des multiples temps
d’attente de toute cérémonie coutumière. Les narrations oniriques sont alors à intégrer
dans les divers récits qui sont produits d’un groupe à l’autre dans tout rassemblement,
les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, ou les deux ensembles tout en préparant
le repas dans d’immenses marmites pour nourrir la foule ainsi réunie. Quelles que
soient les occasions, les rêves et leur partage font donc partie de la vie quotidienne ou
cérémonielle kanak.
19 Loin de moi l’idée de pouvoir dégager ici, à la suite de Sylvie Poirier pour l’Australie
(1994b), le système culturel du rêve, dans lequel elle distingue cinq moments, à savoir :
« les théories locales du rêve ; le récit onirique à la fois comme texte à décoder etcomme événement narratif ; les modes de partage et les processus d’apprentissagedu langage onirique ; le thématiques oniriques – ou encore les classificationsimplicites ou explicites des rêves – ainsi que les grilles locales d’interprétation
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onirique, et enfin, le potentiel révélateur/innovateur souvent associé au rêve. »(1994b : 105)
20 Je présenterai, à propos des rêves kanak, la façon dont on en parle ; puis je reviendrai
sur une notion importante, le rôle des rêves comme moyen privilégié de communiquer
avec les esprits et les ancêtres, pour soutenir les actions humaines, encourager la
création et redécouvrir ce que ceux-ci n’ont pas transmis, dans tous les domaines de la
vie ordinaire.
21 Si tout le monde rêve, certain(e)s, comme nous le verrons ci-dessous, font des rêves
particuliers.Et, en pays kanak, le rêve n’est pas qu’une affaire privée9 puisqu’il est
raconté, partagé et interprété par l’auditoire, qu’il soit « familial », lignager ou plus
vaste, selon le thème du rêve. Le fait de l’échanger, via le récit onirique, confère au rêve
une partie de sa dimension sociale.
Pourquoi rêve-t-on ?
22 Chez les Kanak (de Ponérihouen, mais pas seulement), comme dans bien d’autres
sociétés, on ne rêve pas tant pour soi que pour les autres, pour la communauté – la
famille, le clan… Les rêves sont alors tout à la fois récits et représentations, liens entre
le monde des êtres vivants et des défunts, ancêtres et esprits de toutes sortes (Leblic,
2000b), entre le monde sur terre dit görö-puu et l’au-delà, ité mûûrû (litt. « les choses
d’ailleurs »). Ils sont donc pour les vivants un moyen de communication inégalé avec le
monde invisible des morts et des esprits. Durant le sommeil, il est courant de dire que
l’esprit nyûââ10 quitte le corps de l’endormi pour aller « voyager » et c’est pour cela que
le sens commun kanak impose de ne jamais réveiller brutalement quelqu’un qui dort,
de peur que son esprit n’ait pas eu le temps de réintégrer le corps, ce qui aurait pour
conséquence une dissociation du corps et de l’esprit (ko en ajië, nyûââ en paicî). En cela,
le rêve est alors un voyage hors du corps pendant le sommeil. Variées sont les histoires
racontées de génération en génération à propos de ces « voyages nocturnes » de l’esprit
des uns et des autres, allant par exemple rendre visite aux engagés kanak dans les
tranchées durant la Guerre de 14-18 pour ramener aux familles restées au pays des
nouvelles de leurs soldats. Nombre d’entre eux ont en effet relaté à leur retour au pays
une fois la guerre finie qu’ils avaient reçu la visite de tel ou tel et, notamment pour les
Paicî, de Dwi Pwiridua, célèbre à plus d’un titre, en raison des tours qu’il aimait à jouer
aux colons blancs de la région de Ponérihouen et de Houaïlou. Ce voyage de l’esprit,
autre forme du rêve, est à rapprocher également des déambulations nocturnes de
certains. Fritz Sarasin (2009 : 254) notait déjà en son temps que :
« Le rêve est pour les indigènes une réalité ; c’est pourquoi il joue un rôle décisif(Leenhardt 1922c, p. 15). Il est l’expérience de la séparation de l’âme et du corps,comme chez d’autres peuples premiers (Gräbner 1924, p. 38). Dans le rêve, on peutaller vers le pays des morts, rencontrer des parents morts et apprendre d’euxnombre de choses normalement cachées. »
23 Et il poursuit le parallèle entre la « seconde vue » ou voyance et rêve en renvoyant à
Emma Hadfield (1920 : 161) ; on peut aussi rapprocher le rêve de « l’état de transe11 » –
autre forme possible de la dissociation du corps et de l’esprit – qui permet de « visiter le
pays des morts » (Sarasin, 2009 : 254). Aujourd’hui encore, cette association du rêve à la
séparation de l’esprit et du corps est toujours présente :
« Le noctambulisme est tabou également, c’est une forme d’expression des espritsavec nous les vivants. » (Alexandre Djoupa, com. pers., 19/11/2009)
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24 Comme le signalait déjà Sylvie Poirier (1994a : 8), les conceptions locales du rêve nous
renseignent en effet sur celles de la personne dans ses relations avec l’environnement
sociocosmique. Et le rêve kanak est, rappelons-le, l’un des moyens couramment utilisé
pour communiquer avec les esprits de toutes sortes, par exemple en rêvant qu’ils
viennent nous rendre visite :
« Ils [les esprits] viennent fréquemment rendre visite à leurs petits-enfants, neveux,père ou mère encore vivants. Les rêves racontés par les Mélanésiens sont multiples,qui montrent ces “esprits” bien présents venant conseiller, initier, apporter desremèdes, se promener dans l’allée centrale, prévenir d’une mort prochaine et, à lalimite, “psychanalyser” et même donner de l’argent. » (Métais, 1988 : 283)
25 On a ici un double déplacement dans le rêve : celui de l’esprit du dormeur qui
« voyage » et celui des esprits qui « rendent visite » au dormeur.
26 Le rêve kanak annonce des nouvelles, guide les actions, permet la création artistique12
(chants, danses, masques, sculptures…), instruit sur des savoirs ou des techniques
oubliés ou sur des êtres éloignés, ou encore permet de soigner… En ce sens, toute
création ou innovation peut être vue en fait comme une reprise ou une imitation de ce
que les ancêtres ont déjà fait auparavant13. Ainsi, dans Do kamo, Maurice Leenhardt nous
parle d’un rêve de révélation pour la « pierre qui danse dans le boria de l’homme
mort » :
« L’indigène actuel parle toujours de la danse de Pijeva, qu’elle soit sous terre ou surterre. Mais la pierre magique révélée à un homme en rêve par un parent défuntprovient elle aussi de la danse du mort ; et elle est désignée pierre boria. » (1971 :113)
27 Plus loin, il présente « un mari [qui] revenait ainsi trouver sa veuve en rêve : – Je suis
une igname ancienne, disait-il » car l’igname14 « est l’image du défunt » (1971 : 124). Il
insiste également sur le lien entre rêve et création artistique :
« C’est le vieux Méja qui a cherché et trouvé la fabrication du masque, il n’enexistait pas auparavant. Il en a pris la technique dans un rêve. Il vit, comme il étaitcouché, un dieu en plumes d’oiseau nommé Gomawwé, dieu totem des Nesou et desBoerheavo à Néavia Monéo. Voilà comment Mèja fit le masque de plumes d’oiseauque l’on revêt. » (Leenhardt, 1933 in 1970 : 21)
28 Cette communication entre les vivants et les morts à travers le rêve se manifeste
également dans le vocabulaire des langues kanak. Les locuteurs paicî disent näurunê
pour le rêve, en précisant näurunê cidöri, litt. « rêve/bénédiction, bonheur, élévation »
pour ceux qui prédisent une bonne nouvelle ; et rêver se dit pwa-näurunê, litt. « faire/
rêve », sur la côte Est et âcôwâ sur la côte Ouest. Selon Jean-Claude Rivierre (com. pers.,
juin 2010), on peut décomposer näurunê en quatre syllabes « qui se prêtent à toutes
sortes de découpages – näuru-nê, näu-ru-nê, nä-uru-nê et nä-u-ru-nê – avec les
incertitudes liées au ton de chaque unité »15, mais dont la plus probable, si on peut
admettre que ce terme contient /nê/ « nuit », est peut-être « “trace de la nuit” (nä-au-
ru-nê > näurunê > närunê), supposant une simplification syllabique et une
homogénéisation tonale pas impossible » (ibid.). On peut noter que côwâ signifie « en
sens inverse »16 et peut ainsi renvoyer à l’autre monde, celui des esprits où les choses
sont inversées car les morts et êtres surnaturels sont réputés avoir les articulations à
l’envers et consommer de la nourriture crue, des cailloux, soit tout ce qui est impropre
à l’alimentation humaine (voir Leblic, 2002, 2005)17.En langue kwênyii, Maurice
Leenhardt (1946 : 453) précise que le voyant se dit ngo ngērē, et le terme ngērē signifie
aussi penser, rêver en langue ajië, ce qui confirme s’il en était besoin le lien fait par les
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Kanak entre le rêve et la communication avec les non-humains. De même, à Maré, on
assimile l’action de rêver à celle de penser :
« Selon Dubois (dictionnaire maré-français), le rêve en nengone se dit tutuo qui peutse traduire par penser ou rêver de quelque chose. Dans le parler de certainslocuteurs, le rêve est dit itutuo. Ils ont rajouté le préfixe i- qui marque la réciprocité,alors i-tutuo peut être interprété par “penser mutuellement”. Le terme itutuo setraduit aussi par offrande ou cadeau. Alors, on peut dire que le moment du rêve estun moment privilégié. » (Suzie Bearune, com. pers., 18/12/09)
29 Cette communication onirique avec le monde des esprits a déjà été attestée dans de
nombreuses sociétés océaniennes. Ainsi en est-il aux îles Trobriand :
« Maintenant les baloma (esprits) dorment. Lorsqu’il fait jour ici, il fait nuit là-bas.Ils dorment et son esprit est également endormi. Il rêve à Tuma et il parle à traversses rêves, Je connaissais déjà la croyance à l’opposition entre le jour et la nuit dansles deux mondes. Je savais également ce que les indigènes croyaient au sujet de lanature de la transe que j’avais pour la première fois devant les yeux. Ils croient ainsique l’esprit du médium est parti et que son corps seul reste. Mais bien que sonesprit se trouve à plusieurs milles de là, tout ce qui lui arrive se manifeste d’unecertaine façon dans le corps. Et non seulement cela, mais tout ce qui arrive autourde l’esprit, surtout les voix des autres âmes et leurs mouvements, trouvent leurexpression par la bouche du médium et par les mouvements de son corps. Lamanifestation la plus frappante consiste dans la soudaine apparition d’objetsmatériels dans la maison du visionnaire. J’ai à peine besoin d’ajouter que toutes cesinconsistances ne s’expliquent ni par une “logique primitive”, différente de lanôtre, ni par la structure de l’“esprit primitif”. Les adeptes de l’occultisme et duspiritisme qui existent parmi nous professent des croyances exactement identiqueset se rendent coupables des mêmes inconsistances. » (Malinowski, 1933 : 112-113)
30 On peut dire aussi que les rêves sont des passerelles permettant le voyage au pays des
morts, comme l’illustre cet extrait d’une pièce de théâtre écrite par Dany Dalmayrac18,
dans laquelle il nous parle du rêve en liaison avec le monde des vivants et celui des
morts via notamment le masque :
« Le rêve, j’ai vu dans mon rêve, j’ai communiqué avec eux…J’ai demandé à mes proches de me traduire ce rêve comme lorsque d’antan nosancêtres allaient consulter le sorcier, qui assis sur la planche à divination19 ledécodait. Nos rêves font partie de cet ailleurs présent autour de nous. Le rêve, il estsemblable à une passerelle qui nous fait ouvrir les yeux au-delà des préceptessceptiques et fermés de ceux qui disent tout savoir, une passerelle sur laquelle lemasque passe…Le masque marche parmi les vivants, c’est un être qu’on ne peut approcher, à quion ne peut parler, il vient à nous pour nous rappeler qu’avec nous vivent encorenos ancêtres.Il avance droit d’un pas sûr et décidé, fier symbole, fière bannière du culte desancêtres qui dissuade les plus fougueux de ne pas le suivre. Apparaît-il pouraccompagner un défunt au pays des morts, pour rappeler l’ancêtre dans nos grandspilous et nos jours de fête, pour créer des allées et faire de grands travaux, pourappuyer les “ordres” du chefs et de ses conseillers, est ce encore pour effrayer unenfant qui ne veut pas écouter. Le masque : l’homme-oiseau. Tout comme l’oiseau c’est un voyageur. L’oiseau peutse poser sur la terre et voler dans le ciel, dans l’imaginaire. On peut le voir ici oùailleurs, dans cette Hadès mythique que certain appelle pays sous-marin. C’est lelien entre vivants et morts, entre kamo et bao, entre ancêtre et homme, acteur ducontemporain.Il va et il vient, il apparaît et disparaît. C’est ce qui nous rappelle que ces notions derationnel et d’irrationnel n’existent pas, et qu’ils ne peuvent coexister sans l’un et
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sans l’autre. Voici, pour un regard étranger toute la complexité de ce que la sociétéoccidentale pourrait appeler : “l’imaginaire kanak”. » (Dalmayrac, 2008 : 2)
31 Une des fonctions du rêve est de donner des nouvelles, de personnes disparues ou
éloignées, ou pour prévenir de l’arrivée de tel ou tel événement20, en rêve proprement
dit ou, comme nous l’avons noté plus haut, par le voyage nocturne de l’esprit dissocié
de son enveloppe corporelle. Ce fait a été par ailleurs attesté tant par Maurice
Leenhardt que par Jean Guiart (1985 : 60)21. L’an passé, un ami kanak – qui se positionne
pour mon fils comme un oncle maternel – m’a appelée de Nouvelle-Calédonie
préoccupé par un rêve qu’il avait fait la nuit précédente et dans lequel il avait vu mon
fils arriver seul chez lui en car. Ce rêve était pour lui, sans aucun doute possible, le
signe que quelque chose – passé ou à venir – n’allait pas pour « son neveu » et qu’il
fallait donc qu’il prenne des nouvelles au plus vite, pour m’en avertir comme pour se
rassurer sur l’état de « son neveu », Romain. Et c’était effectivement une période
difficile, particulièrement conflictuelle entre nous, en raison de l’adolescence qui
débutait.
32 Comme nous l’avons vu ci-dessus avec Meja et le masque, le rêve est souvent à
l’initiative du processus créatif. Nombreux sont les Kanak qui voient en rêve ce qu’ils
réaliseront ensuite au réveil, que ce soient des sculptures, des représentations
picturales ou des chants et danses :
« La majorité des danses et des chants, ainsi que des plantes médicinales sontd’origine onirique. Ce sont les êtres du monde invisible qui nous les inspirent. […]Tous les textes de danses waihaihai recueillis par Guiart sont des rêves. C’estpourquoi il y a beaucoup de mots dans les textes de danse que nous ne comprenonspas car on dit que c’est dans la langue des esprits. À chaque fois que l’on demanded’où est originaire telle danse ou tel chant, on nous dit : Na mitia e fafinematua. Unevieille dame en a rêvé ! À son réveil, elle l’aurait fait interpréter par des jeunesgens. » (Alexandre Djoupa, com. pers., 19/11/2009)
33 L’importance des rêves dans la société kanak est toujours actuelle. À tel point que
dernièrement, un doctorant kanak eut recours à l’analyse de ses rêves pour justifier son
parcours dans son avant-propos de thèse :
« Pour en finir avec les outils de la psychologie analytique, le rêve constitue uneautre forme d’expression de l’inconscient faisant sens dans mon parcours. […]Toujours est-il que, dans l’environnement culturel où j’ai vécu, le rêve estparfaitement intégré aux échanges ordinaires entre individus. Rapporter son rêvedans une conversation est une pratique courante pour quiconque ressent le besoinde le partager. Qu’un événement grave survienne et d’aucuns se mettent à raconterles rêves annonciateurs qu’ils avaient faits plus tôt. Sans tenir compte de cetteexagération universellement répandue, reste que le “rêve livre toujours uneparcelle de vérité”. Quand C.G. Jung analyse des séries de rêves, il les assimile à des“maillons visibles d’une chaîne d’événements inconscients” (Beaudoin, [1964] 2002: 109). Il existe selon lui une continuité dans la suite des processus inconscients, demême qu’il existe une continuité dans le conscient, abstraction faite des périodes desommeil. Nous allons voir comment le rêve fait sens dans mon parcours et dessinece continuum de l’inconscient par des mises en lien avec d’autres rêves,l’expérience archétypique et les phénomènes de synchronicité. » (Cugola, 2009 :26-27)
34 Ainsi, dans le point 3 de son avant-propos intitulé « l’expérience du rêve », il retrace
son parcours en rapportant un rêve personnel :
« Nous sommes au début de l’année universitaire 2002. Je décroche in extremis uneinscription en thèse grâce au soutien de mes encadrants et celui de l’historien AlainSaussol. Ce moment est difficile car je découvre la réalité du quasi sacerdoce du
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doctorant. À cela s’ajoute un autre événement dont l’approche me partageait entreappréhension et réjouissance. Réjouissance pour le mariage de ma sœur dans latribu de Tibarama sur la côte Est de l’île à Poindimié. Appréhension, car j’allaisretrouver les miens après deux ans d’absence, deux années durant lesquelles j’étaisavec eux en rupture implicite. À l’époque, ma réflexion critique sur ledéveloppement des tribus kanak, formalisée dans un travail académique de DEA,
n’avait pour ainsi dire, jamais fait l’épreuve du terrain. En d’autres termes,j’ignorais à peu près tout des transformations concrètes qu’il induisait, enparticulier sur le territoire et l’environnement de ma tribu. Environ deux moisavant mon retour prévu en décembre 2002, je fais un rêve étrange. Nous faisonstous ce genre de rêve qui nous marque au point où on y pense plusieurs jours desuite. En voici le récit : “Je cours dans la forêt de Tiati, poursuivi par deux porcs,l’un blanc et l’autre noir. À l’idée d’être dévoré par ces deux animaux affamés, jesuis dans un état profond de terreur. Au moment où je perds tout espoir de leuréchapper, une force invisible m’arrache du sol en même temps qu’aux crocs de mespoursuivants. Bientôt, je me retrouve à flotter à une cinquantaine de mètres au-dessus de la forêt de Tiati et là, on me demande de regarder en direction du littoral.L’entité qui s’adresse à moi est Scholastique Pidjot, mon arrière-grand-mèredécédée depuis 1984, quand j’avais 12 ans. Je ne l’entends pas et ne la vois pas, ellen’a pas de forme dans mon rêve. Sa présence se manifeste comme une sorted’énergie invisible dont je saisis l’identité et le message par une perception fuyante,combinant les cinq sens courants de l’état de conscience (l’ouïe, la vue, le toucher,l’odorat et le goût). En portant mon regard vers le littoral de la tribu, j’aperçois lescollines de Tina-sur-Mer. Je les savais lumineuses dans les robes verdoyantes etambrées dont elles se paraient au gré des saisons. Mais le paysage que je découvredans mon rêve n’a plus rien de commun avec mes souvenirs d’enfant. Les collinesde Tina-sur-Mer sont pelées et la terre mise à nu. Très vite, les images que je reçoiss’affolent et le spectacle de ce paysage vire à la désolation. De la terre éventrée, jevois sortir des barres de fer et des poutres de béton, un peu comme les fondationsd’un immeuble en construction. Cette figure du béton et du métal émergeant d’uneterre dépecée se propage de proche en proche gangrenant les espaces verts de latribu. Elle se dirige vers moi, flottant au-dessus de la vallée de Tiati.” À la questionde savoir si ce rêve nous mène à la recherche-action de Tiati, on serait d’embléetenté de répondre par l’affirmative. Sauf qu’au moment où il a lieu, son messagen’est pas aussi clair qu’il apparaît aujourd’hui. […] Durant deux jours, je suis amenéà sillonner le territoire de la tribu et constate avec amertume l’aménagement dulittoral en autoroute. Je remarque aussi l’aménagement des collines de Tina-sur-Mer où plusieurs lotissements ont pris place. Tout semblait correspondre au rêveque j’avais fait à peine deux mois plus tôt. […] Et son message commençait à fairesens à mesure que défilait sous mes yeux ce paysage qu’elle m’avait annoncé enrêve. » (Cugola, 2009 : 27-30)
35 Ce long passage illustre bien l’importance toujours actuelle des rêves dans le système
culturel kanak, en liaison avec d’autres signes des ancêtres qui se manifestent ici via les
yaacè22 mais, de façon générale, par tous les messages que les ancêtres adressent à
travers les éléments naturels et surnaturels, et par les récits de tradition orale.
36 La vision des yaacè qui a conduit Umberto Cugola à conduire sa recherche-action sur
Tiati est mise par l’auteur lui-même en relation avec le rêve initiatique :
« Elle apparaît comme une sorte d’initiation voulue par l’inconscient lui-mêmeselon un dessein que le conscient peut observer sans vraiment le maîtriser. Dansl’orbite de cette initiation gravite toute une série de phénomènes manifestant aussil’inconscient, mais de manière beaucoup moins spectaculaire. Ces phénomènes plussubtils sont en particulier ceux du rêve et de la synchronicité. Si on les associe entreeux en prenant l’expérience du yaacè pour centre de gravité, se dessine alors unlangage cohérent émanant de l’inconscient. » (Cugola, 2009 : 24)
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Il poursuit :« Dans les sociétés kanak, on ne peut pas vraiment dire qu’il existe une philosophiedu rêve au sens du dreaming aborigène. On retrouve chez Maurice Leenhardt (1947)la conception selon laquelle le monde du rêve n’était pas distinct du monde réelchez les Kanak. Il démontre cette affirmation en rapportant l’anecdote suivante :une personne est tuée et on se met à chercher le coupable en questionnant lesmembres de la tribu un à un. L’un d’entre eux répond qu’il ignore s’il a pu êtrel’auteur du forfait car, au moment où ce dernier a eu lieu, il dormait. On retrouvebien là l’erreur de Leenhardt considérant l’existence kanak comme un processus depure participation à la nature. Le Kanak serait agi non seulement par la nature,mais aussi par l’invisible, les esprits… et in fine l’inconscient. Comme s’il ne savaitpas faire la distinction entre l’état de sommeil et celui de conscience. À mon humbleavis, le rapport que les Kanak entretenaient avec leurs rêves devait être bien plussubtil. » (Cugola, 2009 : 27)
37 Mais qui veut trouver un instant calme de réflexion n’hésite pas à se réfugier dans le
sommeil sur les « planches à rêves » :
« Le bao est l’ancêtre recherché, aïeul ou aïeule. Il y a souvent sous le toit des hautescases coniques, une manière d’étagère, entourée d’une barrière, à laquelle sontsuspendues nombre de balassors23 poussiéreux. Le Kanak qui veut la solitude et laméditation va se coucher là-haut, dans ce qu’il appelle “le lit à barrière”. Et là, aumilieu des balassors et de leur action magique, il recherche les visions et attendsurtout les révélations. Alors le dieu vient le retrouver, l’instruit. Et le lendemain, leKanak assuré peut chanter ce qu’il a vu ou ce qu’il sait : J’étais couché / endormi àfond / J’ai vu un dieu – le dieu sagaie – le dieu long / Je l’ai vu faire un four / Il a assuré ladroite (Documents néo-calédoniens, p. 255, 257). Et cela signifie qu’un dieu a révélé àson fidèle la défaite de l’ennemi, il lui a donné la vision du four où celui-ci serarôti. » (Leenhardt, 1971 : 77-78)
Figures 1 à 3. – « Les planches à rêves »
Nous remercions le musée de Nouvelle-Calédonie de nous avoir permis de reproduire trois spécimensde ses collections, ainsi qu’un résumé des informations livrées par leurs fiches d’inventaire.
« Les planches à divination : elles formaient le plancher sur lequel les anciens étaient en relation avecles esprits, recevaient leurs rêves prémonitoires. Leur longueur dépend de leur mode de soutènement.Elles sont amarrées dans la charpente soit par mortaise soit par tenon. Ces planches sont sculptéessur leurs faces inférieures, particulièrement aux deux extrémités, les figures sont alors tournées versle sol. »
1. Waawilù, aire ajië
Collectée sans doute avant 1900 par le conservateur Barnier
MNC 86.5.70 (249 x 34 x 13 cm)
Sommet ovoïde ; yeux très saillants et pointus ; sous-arcade sourcillière bien marquée ; lèvreproéminente ; menton très proéminent sur lequel s’acccroche une barbe parfaitement rectangulaire.
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(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)
2. Waawilù, aire ajië
Collectée sans doute avant 1900 par le conservateur Barnier
MNC 86.5.69 (256,5 x 23,5 cm)
Sommet de la tête en olive, yeux en relief et rapprochés. Polychromie noire et rouge, visage noir etoreille rouge.
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(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)
3. Pothé, Ny, Bourail, aire ajië
Collectée en 1949 par Jean Guiart auprès du clan Buru
MNC 86.5.67 (175 x 18,5 x 11 cm)
Barbe décollée du torse, fixe, en forme de banane ; yeux ronds, petits et proéminents.
(© musée de Nouvelle-Calédonie, clichés E. Dell’Erba)
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38 Dans mon expérience de terrain à Ponérihouen, beaucoup de rêves qui m’ont été
racontés sont liés à la recherche de médicaments dont on a besoin quand l’un ou l’autre
est malade. Ma « sœur » me relate comment elle fait des rêves pour trouver les
médicaments nécessaires aux membres de la famille qui sont malades, « parce que papa
est mort sans transmettre ses médicaments », me précise-t-elle, pour m’indiquer par
ailleurs qu’elle faisait déjà de tels rêves du vivant de son père.
39 Voici le récit d’un de ses rêves, fait du vivant de son père, dont l’action se déroule sur
leur site d’habitat, site ancestral récupéré depuis, « vers le champ, en bas de la
maison ». Elle se cache de deux hommes qui lui veulent du mal et quelqu’un lui
demande ce qu’elle fait là, derrière un poteau. Elle lui répond qu’elle surveille les deux
hommes. Puis il lui dit que là, dans les buffalos (herbes, Stenotaphrum secundatum
[Walter] Kuntze), il y a le médicament qu’il faut pour soigner telle affection ; mais elle
ne voit que les buffalos ! Alors, elle en attrape une poignée et, là, elle trouve au milieu
de la touffe de buffalo la plante en question. À son réveil, elle raconte son rêve à son
père sous la véranda en regardant vers le champ. C’est là qu’elle s’aperçoit que l’endroit
dont elle a rêvé est juste devant elle et, tout en parlant, elle aperçoit la plante
médicinale ! Son père lui répond que c’est lui qui l’a plantée là et que c’est un
médicament de sa mère. Ce rêve lui a donc permis de « découvrir » un médicament
transmis à son père en ligne maternelle.
40 Une autre fois, son fils était malade et elle ne savait pas comment le soigner. Il s’était
blessé le pied à la mer en marchant sur un coquillage et il avait un bout de coquille qui
était resté dans le pied qui s’infectait. Dans ses rêves, elle voyait toujours un homme de
Cäba sans arriver à savoir qui il était. Il lui disait qu’il fallait amener son fils pour le
soigner à Cäba, chez son père. Ce qu’elle fit donc et celui-ci lui dit avoir eu d’ailleurs la
même blessure.
41 Il lui est arrivé également de soigner son frère aîné grâce aux songes qu’il faisait lui-
même. Il ne pouvait plus marcher et donc se déplacer. Il a rêvé de trois plantes qu’il lui
fallait pour se soigner en discutant avec des vieux et il a demandé à sa sœur d’aller les
chercher. Elle en a trouvé d’abord une d’un côté, plus l’autre de l’autre côté, mais pas
moyen de trouver la troisième. Alors elle est revenue avec les deux puis elle est repartie
fouiller vers chez le colon G. et c’est là qu’elle a déniché la troisième. Grâce à cela, il a
pu se remettre debout et marcher à nouveau. Cette maladie était due au non-respect
d’une coutume. En effet, lors du décès d’une grand-mère classificatoire (gèè) métisse, ils
n’avaient pas fait de présents coutumiers. Aussi, après cet avertissement des ancêtres,
sont-ils allés trouver leurs « tontons », parents paternels de cette grand-mère, pour
présenter leur geste. Suite à cela, il n’était plus malade.
42 Nombreuses sont les personnes qui rêvent pour soigner comme pour se garantir d’un
danger à venir :
« Dans mon entourage, on m’a souvent raconté des rêves qui peuvent être soit uneprévention d’un danger, soit des remèdes traditionnels. J’ai une grande sœur quirêve souvent des médicaments traditionnels : une fois, elle a rêvé d’une personnequi lui montre une plante pour soigner les personnes qui ont reçu un coup sur latête. Deux jours plus tard, quelqu’un de la famille arrive chez elle et au cours deleur discussion, cette personne lui raconte ce qui lui est arrivé. Cette personne étaiten train de faire sa sieste et elle a rêvé que quelqu’un entre dans la maison et luimet un coup de pied sur la tête. En se réveillant, il a senti que sa tête lui faisait mal.En l’écoutant, ma sœur comprend alors que le médicament qu’elle a rêvé, lui estdestiné. Elle soigne donc cette personne, qui par la suite n’a plus du tout ressenti
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son mal de tête. On m’a souvent rapporté des rêves de remèdes traditionnels et j’airemarqué que les personnes qui apparaissent dans le rêve peuvent être des gensfamiliers ou souvent des vieillards ayant une longue barbe blanche. Ces dernierssont nos “vieux”, nos ancêtres qui nous transmettent leur médicament. Or, ce n’estpas tout le monde qui peut rêver des remèdes traditionnels. Les personnes quidétiennent des remèdes traditionnels issus des rêves sont souvent considéréescomme des personnes ayant des dons particuliers. Parfois, ma sœur rêve des chosesqui vont arriver dans son entourage. Alors, elle essaie de chercher l’explication etde savoir quelles sont les personnes concernées. Pour ce faire, elle observe tout cequi se passe dans son quotidien et en cherchant à travers les gens qu’elles croisentet ceux qui viennent discuter avec elle. C’est souvent au cours des discussionsqu’elle va essayer de faire le lien entre tout ce qui se dit, tout ce qui se passe et sonrêve. Mais elle ne cherche pas forcément à savoir où aller à la rencontre des gens.C’est comme si les événements se présentent devant elle. Elle doit donc êtreattentive en observant et savoir interpréter ce qui se passe. Une autre fois, son rêveprédit un deuil dans sa famille proche. Dans son rêve, ma sœur voyait une autrepersonne de la famille qui lui annonce que sa petite sœur est décédée. À partir de cemoment, elle s’attendait à un deuil dans la famille, ce qui est réellement arrivé. Unede ses tantes était décédée. Le rêve peut être aussi annoncé quelque chose qui vanous arriver. Parfois, on nous prévient, alors il faut s’y préparer à l’avance ou fairequelque chose pour éviter les dangers. » (Suzie Bearune, com. pers., 18/12/09)
43 S’il est courant d’avoir des rêves annonciateurs, le fait de soigner grâce au récit
onirique paraît plus spécifique. Certains informateurs y voient un lien avec le don de
voyance, « pas celui qui est transmis de génération en génération, de voyant en voyant,
mais celui qui vient comme cela directement des esprits », des « diables » m’a-t-on
précisé en français local, soit des duéé (Leblic, 2000b). Selon Jean Guiart :
« Les rêves divinatoires sont envoyés par les morts et c’est à eux que l’on parle, àvoix basse ou haute, chaque fois que survient une crise émotionnelle, les femmesaussi bien et aussi souvent que les hommes, car la voyance est une vocationlargement partagée entre les sexes. » (1985 : 59)
44 Rêve comme voyance peuvent jouer un rôle fondamental dans la transmission
d’éléments culturels ou dans l’innovation. À propos des mythes du voyage au pays des
morts, Jean Guiart souligne que :
« La relation relève alors d’une forme de voyance pérennisée, dont la fonctionsemble être l’introduction de traits culturels nouveaux, les innovations proposéesau nom des morts étant assurées du meilleur accueil. » (1985 : 61)
45 Nous avons signalé ci-dessus leur importance dans la recherche de médicaments,
comme dans la transmission des savoirs médicinaux ou autres.
Symbolique kanak des rêves
46 S’il est sûr que les sociétés kanak, comme nombre de sociétés océaniennes, accordent
une grande importance au rêve, le manque d’informations approfondies sur cet
élément important de la culture kanak ne permet pas de dresser de façon systématique
une symbolique des rêves. Celle-ci par ailleurs devrait être sans aucun doute reliée à
celle que l’on trouve dans la tradition orale (Ogier-Guindo, 2005 et 2007). À propos de ce
parallélisme, je vais présenter rapidement ici les quelques éléments dont je dispose, et
qui demanderont à être complétés ultérieurement.
47 Ainsi, quand on rêve de viande, on dit que c’est signe de mort ; si c’est à l’igname que
l’on songe, c’est l’annonce d’une coutume ; par contre, la vision onirique d’une grande
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inondation prédit un événement qui va arriver sous peu… Ces quelques exemples de
métaphores sont à rapprocher de celles à l’œuvre dans les discours ritualisés de
tradition orale. Julia Ogier Guindo, dans sa thèse sur les discours vivaa (2005), a
présenté de nombreuses formules qui interviennent dans les discours formalisés ajië et
des métaphores à l’œuvre dans cette tradition orale, sans malheureusement faire une
présentation récapitulative de leurs significations, des images qui font vivre la parole,
etc. qui aurait pu servir à des études ultérieures sur d’autres aires linguistiques kanak
et permettre là encore un comparatisme des plus fructueux, en notant notamment les
métaphores figées ou lexicalisées (Ogier-Guindo, 2005 : 152), comme des formules
stéréotypées, des mots-clés, que l’on retrouve de façon générale d’un bout à l’autre de
la Nouvelle-Calédonie.
48 Par exemple, Julia Ogier-Guindo (2005 : 252sq) parle de la montagne pour le tas de
vivres, de la sagaie et du casse-tête pour la puissance guerrière, du poteau central pour
le chef, des lianes qui courent à l’autre bout du pays pour parler des alliés, de la mort
pour le dernier descendant d’une lignée, de la mère de la chefferie pour son lieu
d’origine, de la fourche et de la paille pour la vie et la mort, de la séparation de la vie et
de la mort par les présents apportés, du chemin pour l’échange, de la liane comme
symbole fort du lien, mais aussi de l’ensorcellement, de la liane spécifiée vivante pour
la pérennité d’un clan, etc. Ailleurs, dans d’autres régions de Nouvelle-Calédonie, on a
aussi le muret et la filoche pour la chefferie, le muret représentant la base, les gardiens
et la filoche24 (sous-entendu de poissons), les clans qui sont chargés de faire la pêche
pour nourrir le groupe et, donc, la nourriture mais aussi l’ensemble des alliances ; mais
aussi la viande pour désigner le clan dans lesquels on se marie, on entend dire souvent
« c’est notre viande » pour le désigner, ou encore le banyan pour parler du pays des
ancêtres… Notons à ce propos que la réalisation d’un répertoire de tous ces symboles en
diverses langues kanak serait des plus utiles.
Conclusion : rêve et transmission
49 À Ponérihouen et dans une grande partie du monde kanak, l’un des principaux rôles
des récits oniriques semble donc la transmission d’informations de toutes sortes, entre
le monde des ancêtres et des non-humains en général et celui des êtres vivants et des
humains. Ils sont le vecteur qui permet de redécouvrir ce que les ancêtres n’ont pas
transmis de leur vivant et évitent ainsi toute coupure définitive entre le monde des
vivants et celui des ancêtres. À ce titre, ils font partie intégrante des processus
d’éducation des jeunes et moins jeunes au même titre que tout un ensemble de signes
que l’on peut lire dans son environnement25, et cela est toujours d’actualité comme
nous l’ont montré les exemples cités plus haut.
50 Un dernier exemple que nous pouvons donner de cette importance via les rêves de la
communication et de la transmission de savoirs entre les vivants et les morts ou entre
les humains et non-humains se trouve dans la nomination des personnes26. Ainsi,
certains noms sont révélés par le rêve :
« On dit qu’on prend le nom dans un “champ de noms” […]. Le champ de nomsconcerne ceux des vivants et des morts ; quand le dernier porteur d’un nom estmort, soit il y a quelqu’un qui sait, soit on retrouve par le rêve ; il n’y a pas ruptureentre le monde des vivants et le monde des esprits. Il y a toujours communicationcar il y a toujours une naissance ou une mort, une visite, quelque chose qui fait qu’il
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y a une coutume aux esprits en permanence, car c’est cela le sens des gestes de lacoutume, c’est s’adresser aux esprits ! » (G. Mwâtéapöö, Baala, 10/12/2004)
51 Les rêves ont donc une fonction très importante pour les sociétés kanak de Nouvelle-
Calédonie : ils sont un moyen de communiquer avec les ancêtres et ils permettent de
transmettre des connaissances qui semblaient perdues car non transmises du vivant
des parents. Si tout le monde rêve, tous ne le font pas de la même façon et certaines
personnes ont une capacité particulière à voir en rêve des choses importantes ; elles
sont d’ailleurs assimilées aux voyants. Mais c’est là une autre histoire…
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NOTES
1. J’y participai de façon informelle auparavant.
2. Cela inaugura le début de ma collaboration avec l’équipe parenté du LAS qui est dirigée depuis
plusieurs années maintenant par Laurent Barry.
3. Nous verrons plus loin ce qu’en dit Sylvie Poirier (1994a : 6).
4. « Exprimer et cacher, ou bien exprimer en cachant, car il y a effectivement une part du sens
qui ne peut être dite que masquée. Cette part d’ombre est la partie refoulée du vécu psychique,
issue d’une censure semblable à celle qui, pour Freud, est opératoire dans la production
onirique. » (Bidou, Galinier et Juillerat, 1999 : 10).
5. En contraste, Malinowski quant à lui écrivait : « Enfin, nous devons citer les psychanalystes,
ces derniers venus, qui prétendent nous enseigner que le mythe ne représente pas autre chose
qu’un rêve diurne de la race et qu’il n’est possible de l’expliquer qu’en tournant le dos aussi bien
à la nature qu’à l’histoire et à la culture, pour descendre dans les marais du subconscient, au fond
duquel se trouvent relégués tous les accessoires et symboles de l’exégèse psychanalytique
courante. Il résulte de tout cela que lorsque le pauvre anthropologue et folkloriste se présente
enfin à la fête, il trouve à peine quelques miettes à glaner. » (1933 : 64).
6. « En second lieu, ce sont des récits qui semblent manquer de cohérence, qui suggèrent qu’il y a
plus en jeu que l’histoire apparente ou manifeste. » (Leavitt, 2005 : §44).
7. Barbara Nakamarra a été notée comme co-auteur du fait qu'elle était l'auteur/commentatrice
du long rêve analysé dans cet article qui rend compte de la créativité dans le processus de
« travail » du rêve, spécifique aux Warlpiri, de « révélation » de ce qui est pensé comme virtuel
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dans la mémoire depuis toujours vers les chants et ou peintures rituels nouveaux ; d’autres
exemples de telles productions ont été publiés dans diverses publications de cet auteur
(Glowczewski, com. pers.).
8. Sebag a noté une centaine de rêves de la même personne en quelques mois. Dans l’article en
question, il en a retenu une série de vingt-neuf qu’il présente avec leurs interprétations, après
une introduction ethnographique et méthodologique, et qu’il fait suivre d’une discussion plus
large sur la nature des rêves et sur leur rapport aux mythes (d’après Leavitt, 2005 : §23).
9. Bien entendu, il faudrait s’interroger sur les notions de « privé » et de « public » dans cette
société, ce qui sera fait dans une autre publication.
10. Le terme nyûââ désigne l’« esprit » en tant que « souffle » d’une personne vivante. C’est ainsi
que l’on dit aussi nyûââ-ê pwicîrî, litt. « esprit, fantôme/son/sacré, interdit » pour désigner
l’Esprit Saint et nyûââ-râ nêê pour l’esprit du nom, litt. « âme, fantôme/de/nom » (voir à ce
propos Leblic, à paraître).
11. Malinowski a lui aussi fait le rapprochement, pour les Trobriandais, entre rêve et transe
médiumnique : « La phase la plus importante fut celle du réveil progressif du médium, après une
transe qui dura plus d’une semaine. Pendant qu’il était plongé à fond dans cet état, il n’avait pas
transmis un seul message véritable du monde des esprits. Mais au cours de la sixième ou
septième nuit, après une séance de chant très intense, le visionnaire se leva de son lit et se mit à
parler. Il ne parla pas de sa propre voix et, d’après ce qu’on m’a assuré, ce n’était pas la voix d’un
homme décédé récemment qui parla par sa bouche, mais l’esprit d’un homme mort depuis
longtemps. C’étaient principalement des messages du chef récemment décédé, Narubuta’u. Ils
contenaient des instructions sur la manière de disposer d’une certaine propriété, le désir que le
canoë restât à Oburaku et l’espoir que la distribution festivale de nourriture en son honneur
serait magnifique. Les dispositions semblaient raisonnables et sages et je ne trouvai pas qu’elles
fussent à l’avantage personnel du visionnaire. » (1933 : 114-115)
12. Gilles Bounoure l’a également montré pour l’ensemble de la Mélanésie dans son article « l’art
et le rêve » (2007), dans lequel il a développé à la lumière des écrits anthropologiques sur la
Mélanésie ce qu’André Breton avait écrit dans l’art magique (1957) : « Il est de fait que le rêve
joue un rôle essentiel dans la procréation artistique des peuples où règne la magie » (Breton,
1957 : 136, in Bounoure, 2007 : 23).
13. Nous avons montré ailleurs l’origine mythique des techniques (Leblic, 1988 et 2008), les
techniques provenant des ancêtres par vol ou par don.
14. M. Leenhardt (1971 : 124) précise aussi que : « L’igname ancienne enfante la nouvelle, la
nouvelle fortifie la chair de l’homme, la virilité de l’homme robore le monde, la mort de l’homme
ramène celui-ci dans la terre, avec les ignames anciennes, ses ancêtres. Le cycle d’existence de
l’homme est enfermé dans le cycle de l’igname ».
15. Toujours selon J.-C. Rivierre, outre les diverses possibilités de découpage de ce mot, un autre
problème réside dans le fait, qu’« une fois installé dans la langue, utilisé, fossilisé, ce composé
peut se modifier, se simplifier un peu au point que les composants initiaux ne sont plus
identifiables avec certitude. Deux preuves de ce processus : - le schème tonal du mot (deux tons
moyens + deux tons bas) est un schème propre aux mots simples, que les gens ne sentent plus
comme des mots composés, qu’ils ne segmentent plus en composants plus petits. Ce qui
n’empêcherait pas, le cas échéant, un informateur de te proposer une analyse du mot ; - la
variante närunê, forme simplifiée de näurunê » (com. pers., juin 2010).
16. À propos de côwâ, J.-C. Rivierre (com. pers., juin 2010) me précise que : « d’accord pour
l’identification de côwâ “en sens inverse”, dans âcôwâ ; côwâ, c’est le symétrique et inverse de
Lévi-Strauss, utilisé surtout sur le plan spatial ; /â/ pourrait être l’abréviation de /ârâ/ ou /êrê/
“contenu de”, mais qui a un ton haut, alors que j’ai noté âcôwâ avec un ton moyen ».
17. Nous avons déjà noté (Leblic, 2002) l’existence de Dui Pwiridua, être intermédiaire, donné
pour mi-esprit, mi-homme (voir le mythe paicî de l’origine du monde et du peuplement kanak,
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que j’ai recueilli à Ponérihouen). Une des caractéristiques de cet être est d’être blanc– de peau
comme dans son habillement –, d’avoir les articulations qui se plient à l’envers et de laisser des
traces de pas en sens inverse de sa marche !« Tout être vivant introduit chez Piijèpaa indisposera
la société des morts en tant que jène-mulip (âme de vivant) ou de duéé wamin (fantôme cru) à
l’odeur insupportable de chair non putréfiée. Ces vivants et défunts se trouvent les uns vis-à-vis
des autres en position d’étrangers, ayant des habitudes opposées : les morts (putréfiés) mangent
des produits monstrueux, non comestibles et toujours crus, et font de l’ingestion de cette
nourriture un signe d’appartenance à leur société » (Bensa et Rivierre, 1982 : 462). « La vie aux
Enfers est souvent décrite dans les textes comme un pilou permanent, les morts n’interrompant
la danse que pour manger des nourritures impropres aux vivants » (Ozanne-Rivierre, 1979 : 146).
Ce « pilou permanent » implique aussi une inversion entre la vie quotidienne courte (qui n’existe
pas aux « enfers ») et vie cérémonielle… (Monnerie, com. pers.).
18. Loin de la parole que nous avions dite, il est allé à la mer, pièce de Dany Dalmayrac (ms, 11 p.)
présentée au centre culturel du Mont-Dore pour la commémoration des dix ans du centre
culturel Tjibaou en 2008 et jouée par la troupe Nyian de Richard Digoué.
19. Il existait des planches à rêves (photos 1 à 3) situées en haut des grandes maisons kanak où
certains – devins ou prêtres des clans – se rendaient pour entrer en communication avec les
ancêtres et cela est sans aucun doute de l’ordre du rêve.
20. Ce qui se retrouve aussi aux Trobriand : « Le voyage dure longtemps, car le serpent-mère va
de village en village, chantant partout la même chanson. Il entre enfin dans le village habité par
les deux femmes et, apercevant la coupable en train de faire cuire les œufs, il s’enroule autour
d’elle et entre dans son corps. La victime s’affaisse, impuissante et souffrante. Un homme
habitant un village voisin voit en rêve cette situation dramatique ; il accourt, retire le serpent, le
coupe en pièces et épouse les deux femmes, remportant ainsi une double récompense pour sa
prouesse. » (Malinowski, 1933 : 67).
21. De nombreuses sociétés océaniennes connaissent ces voyages extra corporels, tels par
exemple chez les Maori de Nouvelle-Zélande : « L’esprit-songe, te waira, abandonne le corps
pendant le sommeil et part à la recherche de renseignements utiles au bien-être de son écrin
corporel. Chez les Maoris, on évite toujours de réveiller quelqu’un brusquement afin de laisser le
temps à l’esprit de réincarner convenablement le corps. » (Dibie, 1996 : 128). Ou encore chez les
Papous de Papouasie Nouvelle-Guinée : « Des créatures surnaturelles se manifestent en rêve.
L’âme, en quittant le corps, se transforme en fantôme ; elle est aussi la résultante d’un ensemble
de petits démons jaloux de leurs prérogatives dont l’assemblée tumultueuse est parfois difficile à
supporter dans le sommeil, et chez qui il est nécessaire de remettre de l’ordre pour que la vie
reprenne son cours. » (Dibie, 1996 : 129).
22. Les yaacè du Sud (langue kwênyîî), entités non humaines, sont les « esprits » ou « génies » par
ailleurs nommés mwakèneen cèmuhî ou uen paicî.
23. En paicî, « balassor » se dit duru qui signifie en tout premier lieu « os » et « mûrier à papier,
Broussonetia papyrifera L., Moracée » ; duru est aussi le nom de la coutume de deuil dite « le
bouquet » faite par les paternels et les maternels. Par extension, le terme « balassor » représente
les étoffes de coutume (voir par exemple, juu : étoffe de balassor, paquet sacré des offrandes dans
juu mä puwâro ; ou mwééaa : « balassor », geste que les tontons vont faire quand ils vont arriver à
la cérémonie de deuil de leur neveu). L’usage d’étoffes ou tapa de balassor avait « en toutes
circonstances », selon Maurice Leenhardt, « le caractère d’un trésor offert et échangé » qui était
« utilisée encore pour confectionner les nœuds très solennels qui marquent les traités politiques.
C’est dans ses plis qu’on enveloppe le crâne du défunt pour l’emporter dans la forêt. Et, en
corrélation avec ces rites, c’est le balassor de banian encore qui donne le bagayou cérémoniel, le
long cornet qui suffit au Canaque pour voiler sa circoncision. » (in Bounoure, 2009 : 179).
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24. Selon Denis Monnerie (com. pers.), à Arama, l’ordre des poissons sur la filoche ( ju) est
comparé à l’ordre, d’une part, de préséance cérémoniel et, d’autre part, des naissances dans une
génération ou un « clan » (a-ju étant personne).
25. Voici quelques exemples indices donnés à travers les rêves et les éléments de la nature :
« Pour nous, il y a aussi les oiseaux qui nous donnent des signes : tel oiseau égal tel signe, chaque
oiseau nous dit quelque chose ; quand on les voit en rêve en plus, c’est on ne peut plus clair !
L’oiseau plume du deuilleur vient parce que je n’ai pas fait mon champ d’igname ; quand le
champ est fait, on ne le voit plus ! Quand on commence à faire les trous [pour les ignames], un
couple de tourterelles qui vient de la forêt suit le billon qu’on est en train de faire… Et le lève-
queue, il reste toujours ici à la maison ; s’il vient tout proche, sur la table par exemple, c’est que
quelqu’un va arriver, une nouvelle… Maman savait quand les dawas – Naso unicornis (Forsskål) –
allaient être gras avec la fleur de tel arbre, ou que les moules sont pleines avec une fleur d’un
arbre… car elle était du bord de mer. » (Extrait d’entretien). Pour d’autres exemples d’indices,
dans le domaine de l’exploitation maritime et de la pêche, voir Leblic (2008).
26. Sur le rôle de rêves dans la transmission des savoirs en général, voir Leblic (2010).
RÉSUMÉS
Le rêve en Nouvelle-Calédonie n’a que très peu retenu l’attention des ethnologues. Hormis
quelques allusions faites par Fritz Sarasin, Maurice Leenhardt ou Éliane Métais, pour les
principaux, on ne peut pas dire que les ouvrages connus comportent une foule d’informations en
la matière. À partir de souvenirs de terrain à Ponérihouen, je vais parler ici de l’importance des
rêves dans la société kanak actuelle, notamment dans l’apprentissage et la transmission de
nombre de savoirs et de savoir-faire.
Dreams in New Caledonia are not a subject well described by ethnologists. Apart from a few
comments by Fritz Sarasin, Maurice Leenhardt or Éliane Métais, for the main things, books about
Kanak societies don’t have a lot of datas about this subject. From my fieldwork memories in
Ponérihouen, I’ll introduce the importance of todays kanak dreams, notably in the training and
transmission of knowledge and know-how.
INDEX
Mots-clés : ancêtres, apprentissage, création, Kanak, magie, Nouvelle-Calédonie, Ponérihouen,
rêve, savoir, transmission
Keywords : ancestors, creation, dreams, Kanak, knowledge, magic, New Caledonia, Ponérihouen,
training, transmission
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An end and a beginning for the gift?Marilyn Strathern
1 In a co-edited volume put together to promote mutual understanding between
Francophone and Anglophone anthropologists (Jeudy-Ballini and Juillerat, 2002),
Bernard Juillerat threw down a challenge to what had become orthodoxy in much (not
all) of the English-language literature on Melanesia. It is of course a nice point that the
orthodoxy had a lineage of French origin, in the work of Marcel Mauss. I refer to
Juillerat’s revisiting of the concept of the gift, or rather of the place the gift has held in
the anthropological paradigm of social exchange. Anticipated in the Introduction to the
volume, and followed through by other contributors, his own chapter (written initially
in 1996) has an unequivocal title:
«The other side of the gift: from desire to taboo. Representations of exchange andoedipal symbolism among the Yafar, Papua New Guinea.»
2 I take up the challenge in order neither to criticize nor concur with Juillerat’s model.
He offers us a coherent and persuasive account in his interpretation of Yafar, and I do
not propose to disturb it. Yet from today’s vantage point it strikes a chord of a kind
that he might not have foreseen. In acknowledgement of his contribution to
anthropology at large, my informal and speculative comments offer a brief footnote on
paradigms.
Two exhortations
3 Juillerat is not the first Melanesianist, and surely will not be the last, to have taken
issue with prevailing assumptions about the reciprocity being signalled in the gift. It is
the way he does it, and the forcefulness of his demonstration, that is striking. First he is
unequivocal about confronting Mauss, he and his co-editor declaring that their account
is «opposed to what Mauss wrote about the obligations that structure the logic of
exchange» (Jeudy-Ballini and Juillerat, 2002: 11). Second, he wishes to retain the
concept of «gift» while disentangling it from «reciprocity» and, to the extent that it is
entailed, «exchange». Indeed one could argue that the effect is to give the gift new life,
keeping the scope of Mauss’s general endeavour by showing how it may be newly
thought across a range of situations. It is specifically Mauss’s original emphasis on
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«obligation» in the formulation of reciprocity as the motor for exchange that is the
problem.
4 «Melanesian ethnography shows that (the intention of) giving does not
necessarily entail the obligation of receiving or reciprocating.» (2002: 11,
original brackets)
5 In its place he puts desire and its psychic consequences. He nonetheless continues to
use the vocabulary of gift exchange, in effect dividing gifts into those that are
reciprocated and those that are not. To allow theoretical room for the latter, he
concludes the chapter saying,
«we should pursue the unshackling of gift-giving from exchange, to which Lévi-Strauss’ theory bound it.» (Juillerat, 2002: 183)
6 It is in effect an exhortation: Detach reciprocity from the gift!
7 There are all kinds of reasons for being interested in Juillerat’s proposition. I am not
just thinking of the very considerable and still lively debates in anthropology to which
it contributes, and which regrettably have to be ignored here, but how it might sit with
perspectives from elsewhere1. I am particularly struck by having recently come across a
counter-exhortation: Tie reciprocity to the gift!
8 This is a plea that comes from the other side of the world, nothing to do with the kinds
of materials on which Juillerat bases his account. But it does come from the same Euro-
American world (if I can subsume both French-speaking and English-speaking
orientations that way) that gives us the concept of the gift in the first place. There is a
more ideationally specific lineage here, for a powerful voice in two areas of that world
has been Titmuss’s The Gift Relationship (1997); in that book there the author prefaced a
typology of blood donors with a consideration of Mauss and Lévi-Strauss. Comparing
the UK and the US, Titmuss offered a sociological disquisition on policy for blood
donation programmes. Indeed, since it first appeared in 1970, his book has been a
major influence on the extent to which the gift has been embraced as model for such
donations; above all the work is evoked for tying the gift to what we could call a Euro-
American substitution of, if not negation of, reciprocity, « altruism ». Through the
words of one commentary on Titmuss’s argument, the gift of blood in the modern
welfare state is construed as:
«voluntary, not compulsory, and the recipient is under no personal pressure toreciprocate. It is given not because the giver expects a return, but as an act ofvoluntary altruism and social duty.» (Waldby and Mitchell, 2006: 15)
9 In the UK, the altruistic impetus has been explicitly upheld through policy measures
that detach commercial transactions in blood and blood products from the primary act
of voluntary donation2. Moreover, the altruistic gifting of blood has become the model
for other donation schemes that have been developed since – for organ and tissue
transplants of all kinds, and for gametes and embryos. In the US, where payments have
long been acceptable for blood products and gametes, organ and tissue donations by
contrast are required to be altruistic. «Altruism» emerges as the appropriate ethical
stance for donors of body parts, and in this arena an overarching moral entity,
«society»3 can be a beneficiary. However, this may be an era that has exhausted itself.
10 Two studies (Goodwin, 2006; Waldby and Mitchell, 2006) on tissue and organ circulation
(transplantation, procurement), drawing mainly from materials on the US but also
from the UK, explicitly question the future of Titmuss’s gift relationship. If until now
conventions about the donation of body parts as altruistic «gifts of life» have held the
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moral high ground in the advancement of transplantation practices and in the
protocols of procurement agencies, they argue that the model of a gift free of proper
compensation may have run its course. Too many counter-examples have built up, that
is, examples of practices where «the gift form» simply «cannot function as a rejoinder
or clear alternative to the incursion of market values into human tissue economies»
(Waldby and Mitchell, 2006: 182). The way that most body tissue circulates in, to use a
contrast first deployed in blood collection, «fractionated» rather than «whole» units;
the uncertainty of donating for unknown research use; underground markets and the
international traffic in organs, not to speak of the financial profit derived from
procurement schemes, all in this view demand some re-thinking of the act of donation.
It is in this context that Goodwin specifically advocates compensation for the families
of deceased organ donors; the aim is to increase the overall supply4 and check the
abuses of the black market. This is not in order to create a commodity market in body
parts. On the contrary, and the point is anticipated by Radin (1996), it is argued that
such payment need not detract from the idea of a gift in terms of benefit to others.
When the gift is tied to exchange like this, and benefit is regarded as returning to the
donor’s family, the anthropologist might say that the gift is reciprocated. Whether the
exchange is or is not market exchange is a separate issue.
11 Goodwin (2006) does not advocate direct compensation to living donors, and is
concerned to keep the notion of altruism alive. I later turn to a proposition from
Thompson (2007) about live donation, in which she recommends payment where it is
not currently made, who goes on to sidestep the question of altruism by putting in its
place the ethical principle of care (2010). The aim is a better procurement system, but
also justice to the donor, and – although this phrase is not used – a form of direct
reciprocity. I should briefly note that neither is an anthropologist (nor are Waldby and
Mitchell whom I also cite), and while Goodwin refers to the gift in her criticism of
Titmuss, and Thompson mentions gift theory, the terms reciprocity and gift exchange
do not form their working vocabulary5. (One finds instead giving, donation, altruism,
compensation.) The justification for my translating their arguments into
anthropological idiom will I hope become evident. In the meanwhile, I remain with a
general observation about the exhaustion of ideas.
12 It is not a model of donation as such that is exhausted. Rather, in these Euro-American
narratives the gift (e.g. altruistic donations in the vernacular) is invariably opposed to
the commodity, and what seems to have exhausted itself is the utility of that
distinction. The argument put forward in respect of organ and tissue donation proposes
that payment received for donation could be thought of as a «hybrid» combination of
incentives. The point is not to jettison the idea of gift giving but to tie such giving to
the kinds of transactions it was once thought to deny. Among other things, payment
would signal a compulsion to reflect something of the transactional and medical
complexity (of extraction) that defines the gift’s career in this field. It seems to me that
there is an interesting question here for present-day anthropology. Juillerat’s position
was that Mauss’s stress on reciprocity is analytically exhausted in the sense that too
many counter-examples have built up of areas of Melanesian life where gifts appear to
be given without reciprocity. Do the two exhortations to which these approaches lead come
from the same paradigm? If so, are we witnessing a paradigm made evident in its passing?
If not so, then are the models used by Juillerat (and other Euro-American
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Melanesianists) and by the Euro-American commentators with respect to certain of
their own practices (donations of body material) at all comparable?
13 The question about paradigms only makes sense as a question about whether, at the
moment the notion of gift-giving is detached from or tied to exchange and reciprocity,
we could argue that there is similar intellectual work going on. Let us look, then, at
specific moments of detachment and attachment.
Two mothers: Yafar
14 The figure of the mother plays a central part in Juillerat’s account, and two kinds
appear in his chapter. The primordial Mother, who gives no less than the world, has as
her shadow the (human) mothers of children with their nurturing gifts of milk – the
«mother’s selfless gift to her child», as the joint Introduction puts it (Jeudy-Ballini and
Juillerat, 2001: 11). The mother-child relation of everyday interaction is ritually
reactivated, we are told, when men beseech the maternal totem, the coconut palm in
flower, to shed its abundance upon them. The flowers that fall are (likened to) milk, in
turn an index of abundant game. The men of the two moieties reactivating the
primordial Mother’s fecundity render her as a counterpart to the paternal sago palm,
which in the course of the same rite is cut and consumed. The inflorescence from the
coconut, not normally eaten, is tasted and then given to hunting dogs who will
demonstrate what the Mother provides. At the end of the hunting period, the bestowal
complete, the flowering part is closed up.
15 The violence done to his account by my abstracting Juillerat’s analysis from its
psychoanalytic framing, and the psychic resonance that gift carries in this context,
must be acknowledged. His whole point is the inadequacy of the kinds of explanations
to which Mauss’s social and (in the emphasis on the obligations to receive and
reciprocate) juridical approach are addressed. I might add that is also a violence not to
do justice to the incomparable order of detail that he provides, here and across his
work. My interest is in the tenacity of the gift as a concept. What seems to conserve his
own vocabulary of gifting in relation to the primordial Mother is the assumption that
ordinary human mothers are «giving gifts» when they feed their children6. These
mothers later eat of the pork that their brothers will have received as explicit payment
for maternal milk; the meat comes from their sons’ / sister’s sons’ hunting (Juillerat,
2002: 175-6). We could regard the brother-sister pair as the actor here, mother’s
brother as Yafar say being «the breast»; but Juillerat sees this as a redirection from the
woman to her brother from whose hand she receives the pork, keeping the image of the
mother as one who does not receive directly7. The primordial Mother, on the other
hand, while having a male counterpart in the paternal totem or «divine Father» seems,
in this particular account, to have no such brother. However, her single breast,
originally severed from the rest of her when parts of her body formed the world, was
hung by the Father in the sky as the sun (Juillerat, 1992).
16 Juillerat (2002) focuses on the unreciprocated nature of the Yafar Mother’s gift. It is a
gift insofar as, following the vernacular pleading with an explicit reference to milk, the
cry is for the Mother to «give» game to be hunted. Animals are itemized – pigs,
cassowaries, possum – and she is asked to give them all. The gift is unreciprocated, in
Juillerat’s view, insofar as it is totalizing: giving everything to people, she is not able to
receive anything herself (2002: 165-6). There is, he asserts, no possibility of exchange.
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At the moment of detachment, when the coconut inflorescence is shaken over them,
the men are mute recipients, indeed their eyes are averted, neither seeing nor being
seen. The anxiety is that they will not receive anything, that they will not have
achieved (in Juillerat’s words) their desire for the mother’s desire. The contrast is with
their later being seen by the spirits, for whom they have left gifts, who make them gifts
of game and their own active seeing of the animals they are going to shoot («scopic
capture», 2002: 170-171). Game is ultimately the Mother’s gift, but return is made only
to the more immediate spirits who enable hunters to see their prey. Given the sheer
inappropriateness of the source of bounty desiring anything back, the Mother’s own
gift is detached from exchange. Yafar say that the whole world comes from the
Mother’s body.
17 What goes for the maternal gift of milk (game) from the totemic Mother goes too for
the paternal sago from the totemic Father.
«From the standpoint of the gift, both substances are received and consumed [inthe course of ritual] without compensation. Humans do not give the divine coupleanything.» (2002: 164)
18 But the Father has other roles to play. Juillerat particularly deploys the figure of the
Mother to make his general point about exchange; it is in the context of her bountiful
and uncompensated bestowal that reciprocity seems beside the point. Even when
reciprocity does appear so attached in (human) exchanges, Yafar prefer to get it over
with as soon as possible: to put off reciprocating is, Juillerat says, regarded as a bad
custom. Elsewhere in Papua New Guinea people may cultivate debts, and the
anthropologist turns reciprocity into a structuring feature of social life, but here people
hate to think of themselves as in debt. Juillerat seemingly detaches reciprocity from the
gift at the moment when he nonetheless wishes to conserve Yafar men’s desire for the
Mother’s abundance as at once an example of gift-giving and as an organizing feature
of ritual action.
Two mothers: North America
19 In almost every respect it would seem alien to suggest a comparison with those caught
up in the configurations of organ, blood – and other tissue – and gamete donations in
North America. Here men and women contribute to schemes that circulate body parts
between persons, and these days, when whole blood is normally broken down or
fractionated into separable products and whole organ transfer is only a part of a much
wider traffic in body tissue, it may be difficult to visualize a donor-recipient
relationship.
20 However, such an imagined relationship has been understood as lying at the core of the
impetus to donate. That does not mean that the parties should be identifiable, and the
protection of donor anonymity has often meant keeping donor and eventual
recipient(s) apart (strenuously defended in the case of organ transplant professionals,
sometimes against people’s own desires [Sharp, 2006]). Yet the person from whom the
body part comes, whether alive or dead, continues to be called a «donor». The same
term is used of course in Euro-American practices of giving to charity or otherwise in
support of good causes, a depersonalized giving that nonetheless requires envisaging
some kind of human recipient at the end of a chain of transactions. Imagining the
absent recipient, or donor for that matter, plays a special part in gamete and
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specifically ova donation, as Konrad (2005) has described in the UK. In the US,
recipients of organs may try to imagine their donors, and it has been reported that
mothers of children who donated after an early death may seek out the person whose
body now contains a living part of their child (Sharp, 2006: 196).
21 Now Goodwin (2006: 18) is not the first commentator, and certainly will not be the last,
to observe that:
«human donations enter [the organ procurement and distribution system]altruistically and exit commercially.»
22 The engineering of tissues means that:
«any donated tissue may be put to multiple uses and adopt multiple trajectories[including as items for trade]. […] Tissue donation is thus transformed from an actof direct civic responsibility […] into a complex network of donor-recipientrelations heavily mediated by biotechnical processes and an institutional complexof tissue banks, pharmaceutical and research companies, and clinics» (Waldby andMitchell, 2006: 22)
all of which need to fund their services. If one adds to this the pressure of ever-present
shortage, and the international black markets that spring up to meet demand from
wealthy countries, there is a case for change to donation practices. Goodwin (2006: 21)
proposes introducing remuneration to the relatives of deceased organ donors, in order
to create a more open and equitable system; it would embrace «a transparent but
limited market approach». Commodification with respect to organs is outlawed in the
US. Yet there is a precedent of sorts, she notes, that shows «Americans’ willingness to
utilize markets to procure and allocate human resources» (2006: 21). She refers here to
reproductive altruism (producing children to assist ailing siblings), and elsewhere to
gamete (ova and sperm) donation as an example where «financial transactions in the
body are […] transparent» (2006: 160).
23 However, by contrast with sperm, eggs these days fall into one of two types. In the US
there is no legal bar to making payments for ova, arguments often focusing on the
appropriate scale of recompense (Thompson, 2007), insofar, that is, as the eggs are
intended for reproductive purposes. The situation changes radically when it comes to
those who donate eggs, and in some cases fertilized eggs (embryos), for research. There
are thus two kinds of ova donors: the one whose eggs will help another to have a child,
and the one whose eggs may be used for all kinds of research purposes, known and
unknown. In the distribution of egg and embryonic tissue the recipient is not a person
but a research project.
«The two kinds of donation should be kept separate even when some eggs are usedfor IVF [in vitro fertilization] and some for research as part of the very same act ofdonation.» (2007: 203)
24 Although women who become egg donors do not by that act become mothers
themselves, in the context of fertility treatment they enable others to be mothers. This
is obviously not so when eggs are destined for research; the gesture there is towards
the ultimately therapeutic intention of those engaged in research to improve medicine
at large. The donor is a first and foremost a «research subject», that is, one who
contributes part of their bodily self to research, much as participants in clinical trials
do.
25 Stem-cell research is currently a principal area in need of eggs, and embryos, which
may in turn be fractionated and multiplied. As Thompson (2010) observes, once cell
lines produced from reproductive material are in circulation, there is no way to control
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their diffusion. This includes diffusion through commercial ventures. In any event, she
(2007, 2008) cannot see any reason why women who donate to research programs
should not receive recompense. On the contrary, much as Goodwin argues, openness
would help protect a system that could well find itself subject to some of the abuses of
organ procurement. Thompson herself puts forward positive reasons why payment
would assist not just the individual donor but the whole procurement and potential
treatment system, and how it could be done in such a way as to avoid direct
commercialization as such. She also deals, one by one, with reasons against payment.
The goals behind each objection, she argues, could be met by innovations in practice
(which she specifies in detail I do not give here), and none could not also be met under
a paying regime. To give an anthropological summary: there are many advantages to
reciprocity being tied to the gift.
26 Why does Thompson take such care in dealing with the reasons against payment?
These turn out to be reasons why payment would distort the nature of the action,
substantively why it would subvert the character of gift-giving. And what has to be
conserved about gift-giving? This turns out to be a deeply rooted assumption that
«altruism» is bound up with the gift, and is a principal motive in self / body giving.
27 Let me expand the point briefly. The ubiquitous vocabulary of donation makes of the
body tissue a «gift of life». It entails, in its canonical Euro-American form, a notion of
the autonomy of the voluntary act. This is partly what enables a gift to be a signifier of
altruism. The giver legally bestows possession on another without obligation, and in
that sense without self-interest, although all kinds of obligations and interests may
accompany gift-giving practices. This kind of gift is «free» by contrast, above all, with
commodities that circulate in market transactions, the type case of immediate
reciprocity8. Donation is often presented as the antonym to commerce; indeed, the
contrast is a plank in many donor programs (encouraging donors to give), and the
rhetoric of the altruistic gift has as deep and widespread an appeal as commerce is
regarded as inappropriate for transactions in human organs. We could almost say there
is a taboo on speaking of the donation of body parts as though they could be objects of
commerce. «Among the strongest ideological underpinnings of transplant medicine is
the adamant denial of body commodification» (Sharp, 2006: 12), and outside the US that
applies more widely than organ transplantation.
28 The ideology prescribes the type of person who, for certain purposes at least, is a
suitable donor. In this view, body parts should come from sources in those who give
voluntarily, not just out of fellow-feeling for others but in the sense that nothing has
been extracted from them through undue inducement or coercion. Such attributes
would be betrayed if donors sought recompense. Protocols of anonymity, where they
are in place, uphold the image of the free and altruistic donor; conversely, at the other
extreme, altruism is held in place by people acting intimately as kin do towards one
another – the sister who donates eggs to a sister or the relative whose bone marrow can
be matched with a patient’s – for kinship can also signal «self-less» intention. Such
ideas belong to a broader nexus of concerns about the role of money in people’s sense
of themselves. On the one hand is the assumption that as soon as commerce enters the
room altruism goes out of the window; on the other hand is the assumption that if
reciprocation is monetary then it has an inevitable commodification-effect9.
29 Those who now argue for attaching «exchange» or «reciprocity» to the gift do not
ascribe to these assumptions. The introduction of reciprocity may appeal to market
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arguments for exchange, but it may also visualize non-market ones. What is interesting
about the proposal for recompense, in the accounts both from Goodwin (posthumous
organ transplants) and Thompson (ova donation for research), is the way a notion of
the gift endures. Introduce exchange, but attach it to the gift – don’t get rid of gift as a
concept! In asking why not, we might glimpse something of the interest of Juillerat’s
chapter.
30 Why not get rid of (the concept of) the gift? The figure of the altruistic donor, male or
female in respect of organs, female in respect of eggs, carries with it an ethical aura.
Goodwin (2006: 21) is forthright about conserving altruism: her hybrid system for
organ procurement is one «that supports altruistic procurement», for it «would allow
for altruism and commoditization to mutually thrive». After all, in gamete donation, as
we have seen, «[m]arket systems […] coexist with altruism» (2006: 182). Thompson
argues that it is the fear of driving out the ethical impulse of altruism that has
prevented recompense in the past and clouded debate. Yet if we look at reproductive
egg donation, she also posits (2007: 208), we find that the two kinds of motivation, «far
from being incompatible, seem to bolster one another […] [So] [i]t is wrong then to
worry that being paid substitutes a financial for an altruistic motivation». The willing
research subject can still be thought of as making a donation to science or to society.
Ethical ends can still be met; donations can still be encouraged «for the right reasons»
(2007: 209). In fact Thompson (2010) has recently put forward a suggestion for
replacing the principle of altruism (as the donor’s ideal motivation) with that of care
(of the donor’s body and person); what is conserved is the ethical stance.
31 But ethics for whom? Is it not above all «the system», that is, the processes of
procurement and distribution, whose practices – for very good reason – must be kept
ethical? Thompson’s account of the traditional concept of ethics that required the egg
donor, in the context of research, to receive no return is illuminating here.
32 In effect, it is the act of taking that the gift in this tradition renders ethical: the
altruistic donor elicits ethical consideration from others.
«[P]rotection of potential egg donors has become the signature of ethical concernin the politics of stem cell research in California and elsewhere, and has emerged asthe women’s issue.» (Thompson, 2008: 117, original italics)
33 In other words, protection10 of the (unrecompensed) research subject becomes the sign
of ethical action on behalf of those engaged in the research, or indeed of those who
subsequently make use of the material. The source is impeccable; tissue has been
extracted appropriately. But for the appropriateness to be registered, the research
subject must be seen to be exercising voluntary will. I quoted the observation that
human donations, of organs and some tissues, enter the procurement system
altruistically and exit commercially. Precisely: the initial extraction is appropriately of
a gift. But obviously the gift has this character only at the identifiable point of
extraction from the donor; further down the chain all kinds of other transactions may
occur between actors in diverse roles. Perhaps we should not be surprised to find the
figure of the donor sometimes gets rather special treatment.
34 If there is a specific point at which the Yafar material enlarges one’s vision, it is here.
One would not wish to stretch vernacular usage too far: American egg donors are not
«mothers» in the way that Juillerat was able to envisage the promordial Yafar Mother.
Yet there is something suggestive about the figure of the deity who pours forth her
milk, «fractionated» into diverse species of game for the hunter. At least in some parts
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of United States, ethical tradition places at the heart of stem cell research an enchanted
female. This anonymous figure is shrouded in a kind of sanctity, purified of intentions
that may be sullied by thought of return11. She cannot, must not, receive anything back.
Personifying the donation of all kinds of body parts, then, is the self-less donor to
research who only has the long term need of others in mind. What is being ritualized
here, or in secular terms enchanted, is an ethical stance towards procurement. In other
words this figure sanctifies (ethicises) the transaction, just as the Yafar Mother bestows
bountiful game on men who are then free to take whatever puts itself in their path.
35 The North American advocates of recompense would seemingly attach reciprocity to
the gift at the moment when transactions in human tissue are also required to show
their ethical sourcing; in conserving the idea of gift-giving as an organizing feature in
procurement practices, they show that ethical action need not be compromised.
End
36 I do not know if there were any people from Yafar in Madang hospital, Papua New
Guinea, at the time when Street (2009) was making her study of visualisation practices,
but if there were they no doubt would have been aware of the extent to which the
hospital required blood to do its work. To obtain blood the hospital runs a scheme by
which patients request their relatives for donations, even if (because of blood type) it is
not their relatives’ blood that they themselves receive. The procedures draw, she says:
«on prevalent notions of gift exchange in Papua New Guinea that consider therecipient as an active agent in the extraction of gifts from others.» (2007: 195)
37 From Juillerat’s account, one might imagine that among the confusions that the
hospital setting presented a Yafar patient, this would be another12! But they would
perhaps recognize what Street also indicates, that blood transfusion does not seem to
entail an ongoing process of reciprocation:
«it might be thought of as a point of finishing or completion after which the patientwill be able to leave the hospital, and which contains all previous exchanges andtransactions within itself.» (2007: 209)
38 Like Juillerat, the North American commentators cited here, advocates of reform or
not, hold on to the concept of gifting. It was hoped that this excursus might reach a
point where it became evident whether or not these diverse appeals to gift-giving and
donation were doing similar intellectual work, that is, belonged to a common (Euro-
American) paradigm of interpretation and analysis. A partial answer might be that
common ground lies in the manner in which the assumptions that surround gifting
lend themselves to larger descriptions of social life than interactions between donors
and recipients might imply. The gift is held to have organizational effects.
39 And perhaps what teases anthropologists so about certain acts of gift-giving is
the way they also epitomise how people’s intentions resist organization. Insofar as the
act can indeed be an intention of a kind (as Jeudy-Ballini and Juillerat indicated by their
brackets [see above first page]), it is selective and discriminatory: the recipient is
rendered passive. This would resonate with the emphasis that Juillerat gives to choice
and the implied possibility of refusing to give or reciprocate (2007: 159)13. Caprice on
the part of the donor (whether or not to give) contrasts with the uncertain but at least
possible ability to measure people’s actions through their relations with others, which
is what reciprocated gift exchange or market exchange both afford. As it is, like male
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initiates in other Melanesian situations concerned as to whether they have
demonstrably grown, the Yafar men who stand under the coconut are in a state of
anxiety to whether or not flowers will fall into their upturned hands. Many, Juillerat
tells us, will fail to receive, will not experience the Mother’s gift14. Organ and tissue
procurement programmes, research bodies and fertility clinics, always chronically
short of raw material, have their hands outstretched too. What they so avidly desire
cannot, they believe, be taken by coercion.
Part of this material was aired in a Lecture for the Finnish Anthropological Society (December
2009), «Comparing concerns: some issues in organ and other donations». I am very grateful for
comments received on this occasion, to Almut Schneider for her observations on an early draft,
and to the editors of this special edition for their invitation to offer a contribution in honour of
Bernard Juillerat.
I should add that the UK Nuffield Council on Bioethics has asked me to chair a Working Party to
report on medical donations that involve the body. It is departing from its usual single-focus
Reports to investigate issues surrounding procurement, donation and reward in what are
presented as three areas: gamete donation, organ / blood donation and voluntary participation
in clinical trials. The present paper was written before I assumed that position and before the
Working Party was convened, and is based on entirely independent work. All opinions are mine
as a social anthropologist, and nothing I say represents the views of the Council or of the
Working Party, or of myself in the capacity of chair.
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NOTES
1. In the context of diverse contrasts that have been posited between Melanesia and Amazonia,
especially those that turn on the presence and absence of exchange relations, Juillerat’s material
on the hunting and gardening Yafar might be very germane. As Juillerat notes in his chapter, the
Yafar life-cycle is conspicuously devoid of the kinds of overt exchange relations one finds across
many parts of Melanesia, let alone ceremonial or agonistic exchange.
2. American openness to the morality of commerce is evident in the extent to which in the US
for-profit commercial plasma companies supplement blood collecting by not-for-profit hospitals.
3. As the welfare state (Titmuss), the nation (see the contributions to Copeman, 2009), or the
future of international research (Waldby and Mitchell, 2006). Strathern (1992) offers a
commentary from the late 1980s.
4. In dealing with the failure of the altruistic system in the US to ensure sufficient supply of
much needed organs, she (Goodwin, 2006: 10) points to the avoidably high death rate for patients
on waiting lists, especially among African Americans.
5. By contrast, the anthropologist Sharp (2006) has both «gift economy» and «reciprocity» in the
index of her book on organ transplants in the US.
6. One could as well analyse this from the perspective of unmediated relations, as can hold
between mother and child; it would give us the idea of an exchange (in the impact of persons
upon one another) without a gift. Apropos the emphasis on the mother, Juillerat describes how
the reactivation of the primordial paternal semen is similarly «unreciprocated» (e.g. 2002: 164).
7. Jeudy-Ballini, who refers to the self-less nurture that comes from «the mother», nonetheless
points to the «deferred, long-term reciprocity» to which human mothers look forward (Jeudi-
Ballini and Juillerat 2002: 11, n.4).
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8. For a thorough exploration of the (anthropological and related) mythology here, see Konrad
(2005).
9. Yet even if one concurs that donation is the antonym to commerce, one may note that
reciprocity in the form of the obligation to return a gift is itself different from market exchange
(commerce). Note that in English «payment» does not necessarily imply either a monetary or
market transaction (one «pays» compensation for instance).
10. The medical risks of egg extraction are widely known, and there are several areas of concern
that Thompson describes.
11. In relation to embryos, Thompson (2009) notes the severity of the ISSCR (International Society
for Stem Cell Research) sample consent form that specifies that a donor can have no further
interest in what has been given, and must understand there is no way in which any direct
financial benefit can come from future commercial developments.
12. She makes her own argument, following Waldby and Mitchell (2006), about the inadequacy of
the gift / commodity distinction.
13. It is the «risk of not receiving […] which creates the negative, hidden face of the Yafar
ideology of the gift» (Juillerat, 2002: 173). Of course the risk is not confined to unreciprocated
exchanges, and the performed passivity of recipients in all kinds of exchange situations is widely
reported in Papua New Guinea. But, and also of course, Juillerat’s account renders my question
about paradigms superfluous: for him the psychoanalytic gift is the now present, now absent
breast.
14. Directly, that is. All present taste the flowers.
ABSTRACTS
Bernard Juillerat’s argument about the way, in interpretations of Melanesian material, the gift
has often been tied to reciprocity embeds the gift in a psychoanalytically informed universe. The
power of his argument is acknowledged. Stepping outside such a universe, this article accords a
different kind of power to his observations. It shows how they prompt some anthropologically
interesting questions about practices of organ and tissue donation in North America. For where
Juillerat would detach the gift from reciprocity, some of those engaged in debates over the ethics
of donation would like to see reciprocity attached to the gift. What Euro-American paradigm
underlies these arguments?
Dans son argument sur la façon dont les interprétations des matériaux ethnographiques
mélanésiens lient souvent le don à la réciprocité, Bernard Juillerat intègre le don à un univers
marqué par la psychanalyse. La force de son argument a été reconnue. Se situant en dehors d’un
tel univers, l’article accorde aux observations de cet auteur une force d’un autre type. Il montre
comment ces observations soulèvent d’intéressantes questions anthropologiques pour aborder
les pratiques de don d’organes et de tissus en Amérique du nord. Car là où Juillerat dissocierait le
don de la réciprocité, certains des spécialistes engagés dans les débats sur l’éthique de ces dons
aimeraient y voir associée de la réciprocité. Par quel paradigme propre à l’Euro-Amérique ces
arguments sont-ils sous-tendus ?
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INDEX
Keywords: altruism, blood donation, gamete donation, Gift exchange, mothers, Yafar of Papua
New Guinea
Mots-clés: altruisme, don de gamètes, don de sang, échange de dons, mères, Yafar de Papouasie
Nouvelle-Guinée
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L’altérité de l’altérité ou la questiondes sentiments en anthropologieMonique Jeudy-Ballini
1 Dans les jours qui précédèrent la remise à l’éditeur du manuscrit de l’ouvrage collectif
People and Things que Bernard Juillerat et moi co-dirigions (2002), nos ultimes
interventions concernèrent l’achèvement d’un index général. Alors que ce dernier était
quasiment au point, je réalisai que nous n’avions pas prévu d’entrée pour la notion
d’émotions ou d’affects. Quand je suggérai d’en ajouter une, Bernard ne trouva pas
l’idée très pertinente au regard de la problématique générale du livre. Dans l’étude des
médiations sociales en Océanie, en effet, la question des émotions n’occupait à ses yeux
qu’une place périphérique et ses relectures attentives des contributions que nous
avions réunies sur la Mélanésie, la Polynésie et l’Australie ne l’avaient pas amené à se
faire une opinion différente. À l’évidence, mes arguments ne le convainquirent pas
davantage alors que, rétrospectivement du moins, j’ai le sentiment d’avoir été plutôt
insistante. Il réagit cependant comme il l’avait toujours fait avant, durant et bien après
les mois de notre collaboration, c’est-à-dire de manière bienveillante et presque avec
amusement, sans chercher à tout prix à imposer son point de vue. Il y eut donc bien
une entrée « émotions, affects » dans l’index de notre publication…
2 Si l’implication experte de Bernard dans l’approche psychanalytique des sociétés le
rendait, pour cette raison même, sensible à cet aspect des choses, il n’est pas sûr que la
question d’une ethnographie des affects se soit réellement posée ou justifiée à ses
yeux1. Les occasions d’en reparler ensemble furent malheureusement peu nombreuses
et je regrette, compte tenu de son goût profond et rare pour l’ethnographie, de n’avoir
pas fait de ce thème un sujet de plus ample discussion entre nous. Des années après son
décès, c’est donc naturellement à lui que je pense en abordant cet aspect, et c’est à lui
que je dédie ces brefs éléments d’une discussion que nous n’avons pas eue.
3 Comment approcher ethnographiquement les manières de sentir dans les groupes
qu’on étudie ? Comment rendre compte de la prééminence des affects dans les
interactions sociales ? Une équipe d’anthropologues travaillant sur « l’ethnologie des
gens heureux » (Berthon et al., 2009)2 m’amena à m’interroger sur le sens du bonheur
chez les Sulka de Nouvelle-Bretagne (Papouasie Nouvelle-Guinée). La tendance
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« corporatiste » – à laquelle je n’ai pas échappé – à exclure le bonheur du champ des
objets ethnographiables lors de mes terrains successifs fut pour beaucoup dans la
difficulté de cet exercice. Cela m’incita du coup à réfléchir à la façon dont les
ethnologues traitaient la question du bonheur en particulier et des sentiments en
général.
Les dangers de l’émotion
4 Dans la culture sulka, le fonctionnement mental et affectif d’une personne est présumé
opaque, inconnaissable de celles qui l’entourent. Tandis que l’expression des émotions
est relativement libre, il apparaît inconvenant de spéculer sur les raisons de ces
émotions chez autrui quand elles ne se disent pas ou ne sont pas évidentes. On se refuse
donc ouvertement à faire des hypothèses sur ce que pense un individu, pourquoi il le
pense, ou ce qui le pousse à se conduire d’une façon plutôt que d’une autre. Les
questions de l’ethnologue à ce sujet reçoivent inévitablement le même genre de
réponse : « comment savoir ? », « ça le regarde », « ce sont ses affaires », « lui seul
sait… », etc. En s’abstenant ostensiblement d’interpréter un comportement, on se garde
d’un jugement implicite qui ferait courir le risque de se trouver partie prenante dans
un futur contentieux. Estimer, par exemple, que quelqu’un a agi d’une certaine façon
parce qu’il devait probablement avoir honte, ce serait donner à entendre que la honte
était plausible, légitime, voire attendue ou prescrite – tout autre sentiment passant
alors pour inadéquat ou fautif. De ce point de vue, l’interprétation ne serait pas loin de
tenir d’une injonction par défaut plaçant celui qui en fait l’objet en position d’accusé
potentiel.
5 Lorsqu’elle passe pour avoir été intentionnellement induite chez autrui, l’émotion est
justiciable d’une procédure de dédommagement matériel. La honte provoquée par une
humiliation ou la colère déclenchée par un comportement particulier appellent ainsi la
remise d’une réparation en nature ou en argent de la part de celui qui les a causées. Ce
rite, que son nom vernaculaire désigne explicitement comme un acte d’apaisement (pet
a lep « chasser la honte », rum angaesik « finir la colère » ou dakserai « rompre
l’affliction »), ne met pas forcément celui qui s’en acquitte à l’abri de représailles
ultérieures. Mais il consacre officiellement la reconnaissance de sa responsabilité
individuelle dans le malaise survenu. Il peut d’ailleurs s’agir d’une responsabilité
partagée et, dans ce cas, des transactions à l’identique ont lieu entre les parties
impliquées, consistant par exemple à échanger exactement la même somme d’argent.
Liée à la colère qui en est souvent l’expression, l’affliction, sous sa forme extrême,
pouvait autrefois amener le parent d’un défunt à tuer sur-le-champ celui qui lui avait
appris la nouvelle du décès. Induire le chagrin chez quelqu’un, c’était en quelque sorte
risquer de s’en rendre coupable par procuration. Aujourd’hui encore, quand elle
survient brutalement dans un village, la mort est immédiatement suivie d’une série
d’actes de saccage commentés comme la manifestation d’un désir de meurtre
difficilement réfréné : des petits cochons sont lapidés, des volailles tuées, des cultures
arrachées et des arbres ou des cocotiers abattus. La sensation éprouvée en de tels
moments, disent les Sulka, est celle d’une chaleur intense qui embrase soudainement
l’intérieur du ventre « comme un feu ». Tuer, pour reprendre l’observation d’Edward
Schieffelin (1977 : 177) à propos des Kaluli de Nouvelle-Guinée constitue le résultat
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approprié de la « transformation de la douleur en colère » – selon une observation
relevée ailleurs (Rosaldo, 1984).
6 Mais les affects que l’on peut qualifier de « négatifs », pour dire vite, n’apparaissent pas
seuls en cause. D’un point de vue rituel, les effets de l’admiration, par exemple, ne sont
pas traités différemment de ceux d’une offense et appellent eux aussi un
dédommagement. Ainsi, et à quelque sentiment qu’il renvoie – joie, ravissement,
nostalgie, manque –, l’impact émotionnel induit chez un spectateur par la beauté d’un
masque, d’un chant ou d’une danse est également passible d’une procédure de
réparation dès que celui qui l’éprouve en fait état (Jeudy-Ballini, 1999). Ce n’est pas là
un trait spécifique à l’ethnographie sulka (cf. Dark, 1983 ; Read, 1955 : 273 ; Strathern
and Strathern, 1971 : 126 ; Schieffelin, 1977 : 143-144 ; Weiner, 1976 : 134-135). Dans
cette région du monde, en effet, et comme l’observe Simon Harrison à propos des
Manambu de Nouvelle-Guinée, l’émotion esthétique est subjectivement perçue comme
une agression, une violence, au même titre que la frayeur ou la compassion (1993 :
122-125). Chez les Gahuku-Gama de Nouvelle-Guinée, l’impression produite sur un
spectateur par un danseur s’exprime conventionnellement comme le fait que celui-ci a
« tué » celui-là. Il s’agit, selon Kenneth Read :
« [du] compliment le plus élevé qu’un danseur puisse recevoir, car il y voit à la foisune reconnaissance de sa supériorité sur les autres danseurs et une reconnaissancede ce que ses accomplissements ont gravement déstabilisé ou émotionnellementperturbé son admirateur. » (Read, 1955 : 273)
7 Notons incidemment, d’ailleurs, qu’on serait tenté de faire le rapprochement avec ce
que Morgan Jouvenet écrit du rap et du hip hop en contexte occidental : la performance
musicale, souvent comparée à un sport de combat, y est utilisée comme une arme ; une
arme contre le marché du disque qu’elle cherche à « dynamiter de l’intérieur » (2006 :
87), mais également contre les pairs puisqu’elle n’est estimée efficace que si elle « “tue”
tout le monde, “atomise la concurrence”, la “déchire”, réalise un “carnage”, etc. ». C’est
dans le rap, indique l’auteur, qu’on a commencé à décrire une bonne chanson comme
une « tuerie » (2006 : 75). Dans les médias – américains notamment –, la rubrique des
faits divers avec sa longue liste de rappeurs assassinés par des rivaux montre qu’il ne
s’agit pas seulement de mots...
8 Puissamment intrusive, vécue sur le mode d’une aliénation et d’un préjudice mental,
l’emprise émotionnelle en Mélanésie ressortit à un rapport de forces plaçant celui qui
se trouve affecté sous le contrôle d’un pouvoir extérieur à lui-même ; en position de
vaincu, pour ainsi dire et, plus encore parfois : en situation périlleuse d’y laisser la vie.
Les émotions, spécialement quand elles sont fortes ou brutales, font en effet courir le
risque d’une dissociation entre l’enveloppe corporelle d’un individu et le double ou
principe vital qui l’habite et l’anime. En situation de guerre, c’est cette disjonction –
définitive quant à elle – qui s’opère à travers l’acte de tuer et permet au vainqueur de
prendre possession du double ou de s’en assurer le contrôle.
« Un homicide, affirme Harrison à propos des Manambu de Nouvelle-Guinée, nes’entend pas comme l’extermination proprement dite d’une personne mais plutôtcomme une forme violente de magie d’amour, une capture ou un transfert de saforce de vie. » (1993 : 122-123)
9 C’est dire si l’impact esthétique, conçu sur ce modèle d’interaction, constitue une
expérience peu anodine. En faisant en sorte de neutraliser cette atteinte à la personne
par une compensation matérielle, on évite qu’elle ne donne lieu ultérieurement à un
conflit et, en ce sens, on est fondé à penser avec Harrison que les émotions sont autant
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de « prises permettant à chacun de revendiquer des droits auprès des autres » (1993 :
101).
Le parti pris ethnologique
10 Les ethnologues ont en général un faible pour le malheur. Dans la plupart des sociétés
qu’ils étudient, les gens heureux n’ont pas d’histoire et le bonheur reste en quelque
sorte l’altérité de l’altérité. Si la question du bonheur fut abondamment traitée par la
psychologie et la sociologie, elle resta étonnamment négligée par l’anthropologie (au
moins française)3. Certains peuvent même douter que son étude soit pertinente dans
des sociétés supposées protégées de l’obsession hédoniste ou du péché de
l’individualisme. Vaguement suspecte d’ethnocentrisme, la notion de bonheur
s’assimile à une sorte de « trou noir » des monographies, comme si elle était dénuée de
réalité objective, de pertinence sociale, et par conséquent de légitimité scientifique en
tant qu’objet d’analyse.
11 Crédité d’une visibilité et d’un degré de sociabilité incomparablement plus forts, le
malheur (ou l’idée qu’on en a) inspire bien davantage. À l’instar du méchant des contes
ou des westerns qui fait exister l’histoire, c’est par lui, en somme, que s’actualise de
préférence le lien social. Et en Mélanésie, de fait, la mort imputée à une attaque de
sorcellerie apparaît à première vue autrement plus informative sur un plan
ethnographique que celle – combien exceptionnelle pourtant ! – attribuée au grand âge
ou au surmenage4. C’est d’ailleurs aussi l’avis des Sulka pour lesquels la notion de mort
naturelle est le plus souvent dénuée de pertinence ou considérée comme le degré zéro
de la culture5. On ne peut nier non plus cette réalité anthropologique que dans la
plupart des sociétés de cette région du monde, c’est le conflit et la violence, bien
davantage que la paix ou l’altruisme, qui organisent la vie sociale. Comme l’observe
Simon Harrison,
« Le problème posé par les sociétés mélanésiennes est précisément le degré auquelelles paraissent “socialiser” la violence et l’envisager en soi comme une interactionguère moins “sociale” à part entière que la coopération pacifique. » (1993 : 21)
12 La violence et la paix ne sont, de ce point de vue, que les aspects d’une même relation
(1993 : 18). Schieffelin écrivait déjà à propos des Kaluli que « ce sont moins les groupes
qui produisent des oppositions que les oppositions qui cristallisent les groupes » (1977 :
223), considération qu’Harrison généralise en affirmant qu’en Mélanésie « ce sont
moins les groupes qui font la guerre que la guerre qui fait les groupes » (1993 : 18).
13 Au-delà du bonheur, se pose plus largement la question de l’affectivité. Car comprendre
une société, c’est connaître les manières de sentir de ses membres, savoir comment
elles informent ou organisent leurs interactions sociales, et de quelle façon elles
peuvent constituer des modes d’action. Si ce sujet a retenu l’attention d’auteurs ayant
travaillé sur l’ethnographie océanienne dans le premier tiers du XXe siècle – à l’instar
notamment de Margaret Mead (1928, 1930, 1935), Gregory Bateson (1936) et Reo
Fortune (1932) dont on connaît les apports pour l’école culturaliste américaine
(Benedict, 1934) –, il s’en faut qu’il ait eu le développement qu’il méritait dans les
recherches océanistes des dernières décennies.
14 Sans doute le désintérêt ethnologique relatif aux affects a-t-il renvoyé en partie à l’idée
qu’il n’était pas utile de s’interroger sur des ressentis dont on s’imaginait déjà tout
savoir au regard de leur universalité postulée – c’est-à-dire de la réalité substantielle,
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voire du substrat biologique qu’on leur supposait commun à toutes les sociétés6. Ainsi,
est-il vraiment besoin d’explorer la notion indigène de douleur ou de peur quand on
évoque les épreuves corporelles associées aux rites d’initiation ? Rien n’est moins sûr à
en juger par le déficit d’études ethnologiques récentes consacrées à ce type de
questions7.
15 Pour schématiser et s’en tenir aux travaux des chercheurs français, il semblerait que
l’anthropologie du proche et celle du lointain diffèrent au moins par la place qu’elles
accordent à la question des sentiments8. En France, de fait, on ne saurait se livrer à une
ethnologie de la vieillesse sans évoquer le sentiment de solitude, d’abandon, de
dépression ou de détresse qui est souvent le quotidien des vieux. De la même façon,
entreprendre une ethnographie des banlieues « difficiles », n’impliquerait pas
seulement de porter attention au chômage ou à la précarité matérielle, mais aux
sentiments de frustration, d’injustice, d’humiliation ou de colère qui rendent le
quotidien problématique et font de l’action collective un moment d’exaltation. Dans ces
contextes, penser l’économique et le social c’est nécessairement mobiliser la dimension
affective qui les constitue.
16 En Océanie, à l’inverse, on peut étudier d’importants aspects de la vie sociale (les
mythes, les activités de subsistance, les rites d’initiation, etc.), sans que l’étude des
sentiments qui les fondent ou les nourrissent s’impose comme une nécessité. A. L.
Epstein, spécialiste des Tolai de Nouvelle-Bretagne – et qui interpréta certaines de ses
données ethnographiques à la lumière de la théorie psychanalytique9 –, observe ainsi
qu’en anthropologie le rapport au travail n’a le plus souvent été approché qu’en termes
économiques, ce qui, écrit-il, impose de sérieuses limites à notre compréhension de sa
nature et de son rôle dans les sociétés étudiées (1992 : 82). Selon la manière dont ils
s’équilibrent ou non, par exemple, l’esprit de compétition et la prégnance du sentiment
d’envie dans maintes sociétés mélanésiennes (voir Kahn, 1986) peuvent rendre compte
de l’émulation qui résulte du désir de se distinguer – comme chez les Tolai – ou au
contraire des retenues que s’imposent à eux-mêmes les hommes dans leurs ambitions.
Les Sulka, par exemple, attribuent à la réussite personnelle une manière dangereuse de
s’exposer. Des décès imputés à de la sorcellerie ont ainsi leur origine supposée dans la
jalousie suscitée par certains accomplissements, réels ou revendiqués, comme si la
popularité qu’ils valaient à leurs auteurs devait porter ombrage aux capacités des
autres membres de la communauté. Cette jalousie omniprésente est supposée inhiber
(ou dissuader de) tout esprit d’entreprise (Jeudy-Ballini, 2004 : 131-133). Un villageois
déclarait :
« Les gens ont peur et ne montrent pas trop de quoi ils sont capables. Parce que situ vas de l’avant, tu vas complètement [= tu meurs] ! Si tu travailles à quelquechose, que cela devient quelque chose de bien qui te vaut le respect de ton nom, unautre dira : “Ah, cet homme-là il aurait donc des bras et pas nous ! Qu’on s’endébarrasse, il nous rabaisse !” Et c’est comme ça qu’on meurt ! Tu tires ta mort avecton savoir. Si tu travailles et que tu montres de quoi tu es capable, la mort teprend. » (Extrait d’entretien, 1994)
17 On dit aussi qu’un des moyens les plus sûrs de nuire à une personne est d’en dire
constamment du bien : d’en louer les qualités, d’en exalter les mérites, d’en prononcer
souvent le nom, de la créditer de compétences supérieures, de la citer en exemple, de
faire référence à son autorité, de se réclamer de son savoir, de sa protection. Dans
l’ancien système de chefferie, une sorte de garde rapprochée (humevek) entourait en
permanence les « grands hommes » (taven) et les « grandes femmes » (kheng) pour
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assurer leur protection car ils étaient, plus que tous autres dit-on, une cible privilégiée
des attaques de sorcellerie.
18 À Avatip, où la guerre constitue un mode de socialité intense, les interactions entre les
combattants ne sont possibles, explique Harrison, qu’à condition qu’ils fassent en sorte
de suspendre tout affect, y compris l’animosité. « Les hommes nient ressentir de la
colère précisément parce qu’ils la tiennent pour un type de lien affectif », écrit-il (1993 :
101).
« Éprouver de la colère ou de l’hostilité envers leurs adversaires équivaudrait poureux à admettre un état de faiblesse et de dépendance antithétique des valeursmasculines avatip ; ce serait reconnaître tacitement qu’ils sont restés sous l’emprisedu pouvoir de l’ennemi. » (Harrison,1993 : 101)
19 Acquise au terme d’une magie d’insensibilisation, la capacité d’agression suppose donc
une impassibilité, un retrait de tout lien de réciprocité émotionnelle vis-à-vis des
autres. Cette forme d’immunisation quasiment autistique se veut la manifestation d’un
pouvoir transcendant les subjectivités individuelles (1993 : 111-112).
La compétence émotionnelle
20 Outre l’héritage probable de la pensée structuraliste – qui a laissé à distance les
émotions comme un hors-sujet anthropologique ou les a rabattues sur du
psychologisme, voire du biologisme (Lévi-Strauss, 1971 : 577)–, l’idée convenue de
sociétés non individualistes, attachées au respect de la tradition et au sein desquelles
les comportements supposeraient une forte dose de normalisation collective, tend sans
doute à expliquer la minoration relative de l’affectivité dans l’approche ethnologique
des ailleurs10. Pourtant, c’est une évidence de considérer que l’allégeance aux normes
n’implique pas l’éradication ou l’anesthésie des affects individuels. Chez les Sulka, dont
la vie s’organise autour d’échanges incessants et d’une idéologie de la réciprocité,
existe une réticence profonde à se séparer de ce qu’on a. Le fait que les échanges
ressortissent à des conventions sociales et que les biens n’acquièrent de valeur qu’en
tant qu’ils circulent, ne doit pas occulter pour autant la détestation que cela suscite sur
un plan personnel et les stratégies clandestines mises au point pour se soustraire aussi
souvent que possible à tout partage.
21 Marcel Granet (in Le Breton, 2006 : 334) récusait l’idée que la codification des
comportements rituels puisse altérer la sincérité et la spontanéité des émotions. À
propos des pleurs, lamentations et autres expressions spectaculaires de chagrin ayant
cours lors des rituels funéraires, Marcel Mauss observait de son côté :
« Ces cris, ce sont comme des phrases et des mots. Il faut les dire, mais s’il faut lesdire c’est parce que tout le groupe les comprend. On fait donc plus que demanifester ses sentiments, on les manifeste aux autres puisqu’il faut les leurmanifester. On se les manifeste à soi en les exprimant aux autres et pour le comptedes autres. » (Mauss, 1968-1969 : 88, in Le Breton, 2006 : 334)
22 Ainsi, et dans les termes de Le Breton :
« Pour qu’une émotion soit ressentie, perçue et exprimée par l’individu, elle doitappartenir sous une forme ou sous une autre au répertoire culturel de son groupe.[…] Une culture affective est socialement à l’œuvre. Chacun impose sa colorationpersonnelle au rôle qu’il joue avec sincérité ou distance, mais un canevas demeurequi rend les attitudes reconnaissables. » (2006 : 335)
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23 Reconnaissables, c’est-à-dire propres à satisfaire le désir d’adhésion sociale de celui qui
en fait montre11. L’acquisition de cette « compétence émotionnelle » (Lutz and White,
1986) est précisément l’une des composantes fondamentales de la socialisation, ainsi
que Radcliffe-Brown (1922) l’avait montré en son temps.
24 Les conditions matérielles de vie dans une communauté, les relations entre ses
membres et l’imaginaire local à la fois génèrent des théories particulières de l’émotion
et sont régis par elles. En ce sens, et comme le suggère l’étude transculturelle de Russell
(1991), une approche anthropologique devrait porter attention non seulement au
contenu de l’émotion en soi mais également à ce qui l’induit, au statut de ceux qui
peuvent ou non l’éprouver et peuvent ou non en être la cible12, à la façon dont elle
s’exprime – propre à définir un mode d’action –, ou encore à ses effets. On sait par
exemple que les Ifaluk de Micronésie, qui n’ont pas de terme générique pour désigner
la peur, divisent celle-ci en plusieurs catégories selon (entre autres critères) ce qui la
cause et le moment où elle est ressentie. Assimilée à un signe de maturité sociale, la
capacité à avoir peur joue un rôle dans le système organisant les rapports de pouvoir et
l’allégeance aux normes morales de la vie communautaire. C’est la peur (notamment
peur anticipée de la colère des autres et peur des esprits) qui commande le respect des
interdits.
« Les sociétés, en infère Lutz, diffèrent quant au degré auquel elles perçoivent ledanger et quant à la nature de ce qui constitue à leurs yeux un danger. » (1988 : 183)
25 Mais si une telle perception varie au cours du temps, elle varie également, à une époque
donnée, au sein d’une même société. Par exemple, tandis qu’une conception à peu près
consensuelle du danger prévaut dans les diverses localités sulka, le rapport différentiel
à la peur définit quant à lui des postures ou des positionnements sociaux spécifiques à
visée clairement démarcative (Jeudy-Ballini, 2002). Ainsi, les représentations courantes
qui font de la peur un facteur de risque ne dissocient pas l’occurrence d’un malheur de
l’émotion préalable de celui qu’il affecte. Pour les Sulka en effet, et indépendamment de
toute affiliation religieuse, il est de notoriété que les esprits, à l’instar des animaux
dangereux comme les crocodiles ou les requins, agressent de préférence ceux qui les
redoutent. À l’inverse, l’incroyance des hommes, ou plus exactement leur volonté de ne
pas céder à la peur, ôte prise aux esprits ou aux animaux menaçants et les réduit à
l’impuissance. En bref et pour l’exprimer dans les termes d’un homme se revendiquant
catholique :
« Tant qu’on ne sait pas qu’un endroit est dangereux, on y est en sûreté. » (Extraitd’entretien, 1994)
26 De nos jours, ce point de vue est systématisé par les nouveaux convertis à l’Église des
Adventistes du septième jour aux yeux desquels les esprits n’existent que dans la
mesure où on a la faiblesse de croire en eux.S’imposer de ne pas y croire, c’est refuser
de céder à la peur et les contraindre de ce fait à rester inoffensifs. Les Adventistes
nouvellement convertis assignent ainsi une valeur expérimentale et démonstrative aux
actes anti-conformistes à travers lesquels ils tentent – publiquement ou
clandestinement – de surmonter leurs propres peurs et d’éprouver le pouvoir de leur
incroyance : par exemple en traversant volontairement un endroit réputé peuplé
d’esprits malfaisants ou en transgressant intentionnellement des interdits coutumiers.
Bien évidemment, et malgré leur désir de se différencier des catholiques qu’ils
critiquent de manière virulente, les Adventistes sulka ne mettent jamais en cause la
réalité du pouvoir des esprits ou de la magie. À l’instar de l’Église fondamentaliste de la
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New Tribes Mission décrite par Andrew Lattas, le mouvement adventiste sulka tire en
effet sa force de « la réalité qu’il accorde au mal » (1998 : 313). Il faut en somme que le
mal existe pour que l’Église puisse démontrer qu’elle en protège, et il faut que le mal
continue à faire peur aux uns pour que les autres puissent se prévaloir de la supériorité
protectrice de leur nouvelle religion. Le contrôle des émotions est un enjeu stratégique
et, aux yeux de ceux qui y travaillent, un enjeu vital.
L’émotion, un objet anthropologique en soi ?
27 Les villageois sulka éprouvent-ils des formes d’angoisse existentielle, de mélancolie ou
d’ennui ? Comment vivent-ils la transparence imposée par la vie en communauté ? D’un
point de vue affectif, ont-ils intégré de façon commune à tous l’impossibilité de la fuir ?
Le désir de solitude a-t-il un sens ? Comment un homme parvient-il à supporter le
voisinage quotidien d’un individu dont il pense être la cible de la sorcellerie ? Y a-t-il
des sentiments dépourvus d’existence nominale (tout comme certaines couleurs)…?
Cette dernière question est spécialement complexe, comme le remarque Yannick
Jaffré :
« puisqu’en ce domaine “affectif”, le signe et le référent vont parfois jusqu’à seconfondre, au point que l’on puisse se demander si certains sentiments seraientéprouvés s’ils n’étaient préalablement nommés. » (2006 : 6)13
28 Quoi qu’il en soit, et s’agissant des Sulka que j’ai connus, ces questions et bien d’autres
restent toujours sans réponse pour moi.
29 De telles interrogations, qui renvoient aux manières individuelles ou communes de
sentir et par conséquent de vivre les relations sociales, ne sauraient se réduire à une
anthropologie des émotions dans la mesure où l’on ignore a priori ce qui se définit
comme « émotion » au sein des sociétés qu’on se propose d’étudier – cette notion
n’ayant parfois même pas d’équivalent dans la langue vernaculaire14. À l’instar de ce
que François Laplantine écrit des sensations, les émotions sont éminemment
fluctuantes :
« Elles n’ont pas, contrairement au politique, à proprement parler de consistance.Elles ne sont pas substantielles et donc pas substantialisables. Elles répugnent à lagénéralisation à la hauteur du concept et forment encore moins des essences. […]Mais c’est précisément cette inessentialité qui est la réalité. » (2005 : 153-154)
30 Le fait que la même société qui n’a pas de mot correspondant au concept d’« émotion »
dispose en revanche de quarante-six termes distincts pour désigner la colère (Russell,
1991 : 429) atteste la nécessité démontrée par Laplantine de penser le divers et la
nuance. De fait, comme ce dernier l’observe :
« […] il n’existe pas de couleur en soi mais toute une gamme de couleurs pouvantosciller entre différents tons. » (Laplantine, 2005 : 153-154)
31 En outre, pour rester dans la comparaison, comment décider d’un « ton » plutôt que
d’un autre ? Quand les Tolai usent ainsi d’un même mot pour signifier « déçu » et
« paresseux » (Epstein, 1992 : 68), en quoi serait-on plus fondé à mobiliser une
anthropologie des émotions qu’une anthropologie du travail ?
32 On sait par ailleurs que maintes cultures n’établissent pas d’opposition
sémantiquement pertinente entre sentiments et sensations physiques – parfois réunis
sous un vocable identique ainsi qu’il est d’usage à Samoa (Russell, 1991 : 429). En
Nouvelle-Bretagne, les Baining associent la faim au sentiment de solitude (Fajans, 1997 :
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119), à l’instar des Wamira de Nouvelle-Guinée pour lesquels la faim relève d’une
condition émotionnelle ou sociale plutôt qu’organique (Kahn, 1986 : 39). Chez les Sulka,
la douleur induite par un deuil ou la séparation d’avec un proche induit une sensation
d’épuisement et d’intense faiblesse qui se traduit, dans le comportement des gens
affectés, par le renoncement provisoire à la mobilité. Une telle corrélation est
également attestée dans la société tahitienne où n’existe pas de mot équivalent à celui
de « tristesse ». Selon Lévy (in Russell, 1991 : 429 et 431), les notions de fatigue, de
nostalgie, de solitude ou de dépression par lesquelles peut se dire la tristesse
s’assimilent moins à des affects qu’à une maladie organique.
33 L’absence d’opposition sémantique est aussi attestée dans bien des cas entre émotion et
cognition, sentir et connaître, intelligible et sensible (Lutz, 1983 : 251 ; 1985 : 46-47),
comme chez les Manambu où l’on désigne par un même terme, mawul, à la fois le siège
des émotions et celui de la connaissance (Harrison, 1993 : 97). Pareilles
indifférenciations se retrouvent d’ailleurs dans maintes cultures non océaniennes, par
exemple dans la plupart des sociétés amazoniennes (Laplantine, 2005 : 11). Ainsi, écrit
Alexandre Surrallés, les Candoshi du Pérou, qui perçoivent la maladie ou la mort
comme des affects, ne distinguent pas entre aimer et penser (2003 : 66). Et c’est aussi en
renonçant à dissocier ce qui n’a pas lieu de l’être, l’affect et la connaissance, que l’on est
le plus à même de comprendre la portée heuristique de l’usage des hallucinogènes chez
les Mazatèques du Mexique selon Magali Demanget (2009). Notons qu’il ne s’agit pas là
d’un trait exclusif aux sociétés « traditionnelles ». On peut en effet le retrouver au sein
de notre propre société, même si la « dichotomie tyrannique » dénoncée par Goodman
(1990 : 290) entre émotion et raison y reste généralement prégnante15. Ainsi qu’on le
montrait dans une étude ethnographique sur le rapport à l’objet parmi les
collectionneurs français d’art primitif (Derlon et Jeudy-Ballini, 2008), l’expérience
esthétique se joue du clivage entre le cognitif et l’émotif pour devenir en soi un mode
de connaissance, comme il ressort aussi d’autres formes d’investissement affectif
intense avec des objets.
34 Il est intéressant de noter que ce type d’observations rejoint celles mises en évidence
par les biologistes dans le système neurocérébral humain où la capacité à ressentir des
émotions fait partie intégrante des procédures de raisonnement et de prise de décision
(Damasio, 1995). Aussi doit-on admettre, selon la formulation de Jean-Didier Vincent,
spécialiste de la chimie du cerveau, qu’il n’existe « en aucun moment du sujet pur, mais
toujours un sujet ému, affecté par le monde et par le corps » (Le Monde, 9/7/2004)16.
Parce qu’« un homme qui pense est un homme affecté » (Le Breton, 2006 : 334) et que
les émotions n’ont pas de réalité en dehors de la pensée – ce sont des « pensées
incorporées », dans les termes de M. Rosaldo (1984 : 143) –, l’expression « anthropologie
des émotions » qui donnerait à penser que l’anthropologie puisse traiter de « sujets
purs » apparaît inadaptée.
« L’émotion est un aspect inhérent à toute activité, à toute interaction, à toutereprésentation, à toute production et reconnaissance du sens. Il s’ensuit que nepeut exister, à proprement parler, une anthropologie qui s’intéresse à l’affectivitécomme à un quelconque autre domaine. […] l’affectivité doit participer de l’explanatio – le moyen qu’on se donne pour comprendre – et pas du seul explanandum– ce qu’il faut expliquer. Dans les études du fait politique, de la parenté ou desrapports à l’environnement par exemple, elle est non seulement une instance dusocial, mais elle fait partie de son approche. » (Surrallés, 2004 : 62)
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35 L’intégrer dans toute approche anthropologique, précisément, devrait tenir lieu de
programme. Or la tâche est difficile, qui invite à reconsidérer, outre nos manières de
penser, nos propres attentes épistémologiques. De fait, comme l’écrit François
Laplantine à propos de notre discipline :
« Ce qui est privilégié, c’est l’ordre de la raison faisant apparaître une intelligibilitécachée derrière un désordre apparent de sensations et d’émotions. Tout se passecomme si, dans la polysémie du mot sens désignant à la fois le sensible et le sensé,la sensation et la signification, le rationalisme était amené à trancher et àsubordonner. Ce que Montaigne appelle l’univers “ondoyant et divers” de lasensibilité est non seulement organisé, mais risque d’être neutralisé, voiredisqualifié. Bref, il y a bien, dans l’une des traditions de la pensée européenne (etseulement dans cette tradition que l’on ne rencontre dans aucune autre société), unconflit – censé être résolu par une hiérarchisation – entre la multiplicité du sensibleet l’universalité de l’intelligible, entre le corps et la pensée, et notamment la penséesociale et politique. » (2005 : 100)
36 Il y a là une incitation même à repenser profondément les cadres et la visée de
l’anthropologie selon cette « épistémologie de la continuité » prônée par Laplantine,
qui devrait permettre de :
« penser ensemble des domaines le plus souvent considérés comme séparés :l’esthétique, le politique, l’éthique et l’histoire. Un tel mode de connaissance quiengage la totalité de l’affectivité et de l’intelligence, s’oppose aux césures en sériede la raison et de l’émotion, du sens et du son, du contenu et de la forme, del’Occident et de l’Orient […]. » (2005 : 155)
37 Où l’on voit que l’anthropologie, dont on a parfois prédit la fin avec la disparition
supposée de ses sujets d’étude, n’est pas au bout de sa tâche…
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NOTES
1. Convenons qu’il s’agit là d’une impression qui demanderait à être étayée car on sait, par
ailleurs, combien cette problématique inspira les approches psychanalytiques des tenants de
l’école Culture and personality, ou encore d’auteurs comme John Whiting chez les Kwoma de
Nouvelle-Guinée (1941), Erik Erikson ou plus tard Georges Devereux, par exemple.
2. Certaines réflexions présentées dans ce qui suit sont tirées de ma contribution dans ce
volume.
3. On renvoie ici à l’introduction de l’ouvrage collectif déjà cité (Berthon et al., 2009). A. L.
Epstein observe que, « dans le vocabulaire anglais comme dans d’autres langues occidentales, les
termes correspondant aux affects négatifs prédominent » (1992 : 80).
4. Epstein fait mention du cas d’un Tolai dont la mort fut imputée à l’excès de travail (1992 : 99).
5. C’est l’opinion des Sulka à propos de groupes voisins soupçonnés avec mépris d’ignorer la
sorcellerie.
6. Considération longtemps mise au compte de l’analogie « naturelle » que certaines expressions
faciales des émotions présentaient de manière transculturelle du fait de processus
neuromusculaires (Darwin, 1872). Sur cette question éminemment controversée de l’universalité
des émotions, on se contentera de renvoyer aux nombreux travaux de Paul Ekman reprenant
notamment le débat engagé entre les relativistes culturels comme Margaret Mead et les
darwiniens qui défendent l’idée d’expressions émotionnelles biologiquement déterminées et
communes à l’humanité.
7. On notera toutefois que la question des émotions fait partie du champ traditionnel des études
religieuses. Le fondement émotionnel des comportements rituels (Lutz, 1988 ; Lutz and White,
1986), ou le rôle des facteurs émotionnels dans les processus de mémorisation et de transmission
des pratiques religieuses (voir les travaux de Pascale Bonnemère [2008] ou de Harvey Whitehouse
[1995 et 2000]), par exemple, ont fait depuis longtemps l’objet d’approches anthropologiques.
Mais ce n’est pas, on l’aura compris, le sujet qui nous retient ici et qui a trait plutôt à la question
de savoir ce qui fait émotion ou ce qu’est une émotion dans une société donnée.
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8. Notons qu’on serait tenté de faire la même remarque à propos de la différence entre
l’anthropologie française et l’anthropologie britannique ou américaine. On le constate tout au
long de ce texte au nombre des citations d’origine anglo-saxonne : à l’exception d’auteurs anciens
(plus souvent sociologues) ou de quelques chercheurs contemporains (cf. infra F. Laplantine et A.
Surrallés), les ethnologues français travaillant sur la question des affects à partir de leur propre
ethnographie de terrain restent encore rares.
9. Il s’intéressa par exemple à l’analyse des rêves (Epstein, 1990) ou montra encore comment
l’ethos paranoïde des Tolai – manifeste dans la méfiance et la suspicion imprégnant tout rapport
interpersonnel au sein de cette population – se répercutait dans l’organisation locale et d’autres
faits sociaux (Epstein, 2000).
10. Notons qu’il existe quantité d’autres raisons qui ont fait l’objet d’analyses dans la plupart des
travaux traitant de la question des émotions, des affects ou du sensible (voir par exemple Epstein,
1992 ; Surrallés, 2003 et 2004 ; Beatty, 2005 ; Laplantine, 2005 ; Berthon et al., 2009).
11. À propos d’une étude sur les rites de deuil des Amérindiens du Brésil, Mossière observe que :
« À travers l’activité rituelle, l’individu signale en effet une forme de tristesse qui est émise selon
une forme jugée appropriée par les autres membres du groupe, il indique par là son adhésion aux
normes collectives, ce qui permet son acceptabilité sociale. L’expression de l’émotion représente
donc un moyen de contrôler l’identité signalée au groupe ; en ce sens, l’affect devient méta-affect
car la tristesse commente le désir d’acceptabilité sociale » (Mossière, 2004 : 53).
12. « La place assurée des chefs à la tête de la structure sociale ifaluk est à la fois démontrée et
confortée par l’incapacité de leurs sujets à invoquer une colère justifiée à leur égard », écrit Lutz
(1988 : 170). L’auteur observe plus loin : « La colère justifiée est une pratique idéologique liée à
l’exercice du pouvoir. Plus une faction est puissante dans la société ifaluk – celle des chefs, des
frères, des femmes âgées d’une maisonnée – plus elle fait un usage étendu de ce concept et plus
sa légitimité et son influence s’en trouvent renforcées » (Lutz, 1988 : 182).
13. On pense ici à la citation de La Rochefoucauld rapportée par Le Breton : « Il y a des gens qui
n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour » (2006 : 335).
14. Russell (1991 : 429) signale ainsi que ni les Tahitiens (Levy, 1973 : 271), ni les Bimin-
Kuskusmin de Papouasie Nouvelle-Guinée, ni les Gidjingali d’Australie, les Ifaluk de Micronésie
ou les Samoans par exemple, n’ont de mot générique pour « émotion » ou « sentiment » – ce qui
ne met évidemment pas en cause, faut-il le préciser, l’existence de la notion.
15. À cet égard, il est notable que pour se défendre des critiques l’accusant de méconnaître
l’importance de la vie affective dans l’ethnographie des sociétés, Claude Lévi-Strauss ne trouve
meilleur moyen que de hiérarchiser entre affects et intellect : « […] il est vrai que je m’attache à
discerner, derrière les manifestations de la vie affective, l’effet indirect d’altérations survenues
dans le cours normal des opérations de l’intellect […]. Car ce sont ces opérations seules que nous
pouvons prétendre expliquer, parce qu’elles participent de la même nature intellectuelle que
l’activité qui s’exerce à les comprendre. […] Toute manifestation de la vie affective qui ne
refléterait pas, sur le plan de la conscience, quelque incident notable bloquant ou accélérant le
travail de l’entendement ne relèverait plus des sciences humaines ; elle serait du ressort de la
biologie […] » (Lévi-Strauss, 1971 : 596-597).
16. « C’est pourquoi, poursuit J.-D. Vincent, l’affect pour moi possède un sens très large : c’est
tout ce que le cerveau sait du corps et, par l’intermédiaire du corps, tout ce qu’il sait du monde »
(Le Monde, 9/7/2004).
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RÉSUMÉS
Comment approcher ethnographiquement les manières spécifiques de sentir dans les sociétés
qu’on étudie ? La relégation relative dans laquelle l’anthropologie océaniste contemporaine tient
la question des sentiments peut renvoyer à l’opacité qui entoure l’accès aux affects d’autrui dans
certaines communautés. Mais elle renvoie surtout, semble-t-il, à la tendance à exclure l’analyse
des sentiments du champ des objets ethnographiables, ou à ne les aborder que de manière
anecdotique. Sans doute cela s’explique-t-il par l’idée qu’on se fait de communautés attachées au
respect de la tradition et au sein desquelles les comportements supposeraient une forte dose de
normalisation collective ; ou encore par l’idée qu’il n’est pas utile de s’attarder sur des ressentis
censés relever d’expériences universelles (l’affliction, la joie, la honte, la douleur, etc.). Dans la
mesure, toutefois, où l’on ignore a priori ce qui se définit comme émotion dans les sociétés qu’on
se propose d’étudier et dans la mesure aussi où maintes cultures ne font pas de différence entre
affect et cognition, on se gardera de parler ici d’anthropologie des émotions en insistant
simplement sur la nécessité de penser ensemble des dimensions indissociables dans toute
expérience sociale.
How might particular ways of feeling in different societies be approached ethnographically? The
relative lack of interest in feeling in contemporary Oceanic anthropology may simply be an
indication of the opacity hindering ethnographic attempts to access the realm of affects in
certain communities. Yet it appears primarily to reflect a tendency in contemporary
anthropology to exclude the analysis of feelings from the field of objects potentially subject to
ethnographic research, or to address such objects merely anecdotally. This can no doubt be
explained by received views of communities that value the respect of tradition and in which
behaviours presuppose a high degree of collective normalization. It could also be explained by
the view that there is little point in studying feelings deemed to reflect universal experiences
(such as affliction, joy, shame, pain, etc.). Yet since we do not know what counts as an emotion in
societies subject to ethnographic research, and since many cultures draw no rigid distinction
between affect and cognition, this paper will make no reference to the anthropology of emotions
and will insist simply on the need for a holistic consideration of factors deemed to be
indissociable in any social experience.
INDEX
Mots-clés : affects, bonheur, cognition, émotions, esthétique, guerre, incroyance, sensations,
sentiments, violence
Keywords : aesthetic, affects, cognition, emotions, feelings, happiness, sensations, unbelief,
violence, war
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À propos de deux ouvrages deBernard JuilleratGilles Bounoure
1 Derniers volumes de Bernard Juillerat parus de son vivant, Penser l’imaginaire (2001) et
Psychanalyse et anthropologie (2005, avec Patrice Bidou et Jacques Galinier pour co-
éditeurs) n’ont jamais été décrits dans le JSO. Comme ils sont relativement récents et
qu’ils semblent, séparément mais surtout ensemble, susceptibles de rendre sensibles
certaines des conceptions de l’anthropologie qu’avait élaborées cet éminent chercheur
au sommet de sa carrière et de ses réflexions, il a paru utile de relever ici quelques-unes
de leurs propositions essentielles, en complément de l’hommage qui lui est rendu dans
ce numéro.
2 L’un et l’autre de ces volumes sont des recueils d’articles, extraits pour la plupart de
travaux antérieurs dans les dix chapitres du premier, contributions inédites dues à neuf
auteurs pour le second. Cette similitude de forme doit certainement moins aux
contingences de l’édition scientifique qu’aux méthodes de travail et à la manière de
pratiquer l’anthropologie de B. Juillerat, par « rencontres et divergences » – c’est le
titre de la première partie de Penser l’imaginaire –, convergences et « confrontations »,
qu’attestent encore les nombreux ouvrages collectifs dont il fut le maître d’œuvre ou
l’un des principaux concepteurs. À côté de l’évidence que « l’anthropologie ne peut être
que pluridisciplinaire » (Penser l’imaginaire, p. 5), il n’est pas exclu non plus qu’une telle
forme soit nécessaire, au moins dans les circonstances actuelles, aux progrès de
« l’anthropologie psychanalytique », sujet commun de ces deux publications.
3 Penser l’imaginaire, dont André Green souligne dans le présent numéro le caractère
magistral et l’importance décisive du point de vue de l’ethnopsychanalyse, ne fait pas
que résumer les travaux antérieurs d’un « ethnologue revendiquant le recours à la
psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles » (p.
111), il en montre l’actualité pressante, à l’orée du XXIe siècle. Y relire (chap. 10, « À
propos de Yangis », pp. 247-271) des extraits de L’Avènement du père (1995, chap. 2, 4 et
6, avec modifications de détail et « repentirs » nombreux, comparer par exemple le
texte de 2001, pp. 247-248 et celui de 1995, pp. 67-69) conduit à reconsidérer la portée
de cette monographie parue d’abord dans une collection s’adressant en apparence
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surtout aux spécialistes (« chemins de l’ethnologie ») et dont l’écho pouvait
difficilement dépasser ce petit cercle. Il aura fallu lire toute la première partie de Penser
l’imaginaire pour que se révèlent pleinement les enjeux généraux (généreux aussi bien)
de cette « confrontation avec le terrain » (titre de la seconde partie du volume).
4 Mais la première partie de ce livre, constituant les quatre septièmes du corps du texte,
n’est-elle pas trop théorique, générale et exagérément éloignée des questions concrètes
qui se posent à beaucoup de scientifiques spécialistes de l’Océanie ? Pourquoi se
préoccuper de « la dérive cognitiviste en anthropologie » (introduction inédite), du
dialogue malaisé entre anthropologie et psychanalyse (chap. 1), de la question des
universaux (chap. 2), de « la dissidence jungienne » (chap. 3), de « l’atome de parenté »
(chap. 4) et de la mythologie matriarcale de Bachofen (chap. 5) ? Là encore, ces textes,
où il y a beaucoup à apprendre sur des débats importants dont B. Juillerat était
remarquablement informé, mais qui étaient parus à plusieurs années de distance (de
1988 à 2001), prennent un autre sens à se trouver réunis comme autant d’étapes d’une
réflexion toute tendue à rendre sa place à l’imaginaire dans l’analyse et la
compréhension des sociétés humaines, direction qu’assignait plus récemment Maurice
Godelier aux recherches anthropologiques (Au fondement des sociétés humaines, 2007, voir
JSO 126-127).
5 B. Juillerat n’aura certes pas été le premier à faire intervenir la psychanalyse dans des
travaux d’ethnologie, ou plutôt à vouloir la « mettre à l’épreuve de faits
ethnographiques », et il rapporte brièvement (p. 45 et suiv.) les efforts de ses
prédécesseurs, non sans raccourcis approximatifs quelquefois. Par exemple, Rivers et
Seligman, qui avaient leur carrière derrière eux quand ils ont découvert Freud grâce à
Jones, ont été empêchés d’en tirer parti dans le domaine de l’ethnologie mélanésienne
non par « l’héritage d’une psychologie expérimentale » qui aurait limité leur intérêt
pour la psychanalyse, mais par la Grande Guerre, et les soins qu’ils donnaient aux
combattants victimes du « shell shock », au moment même où ils faisaient cette
découverte. Rivers est mort peu après, mais dans la décennie suivante, après avoir
déclaré devant le Royal Anthropological Institute, en 1924, que les mécanismes
psychiques fondamentaux des non-Européens, même sauvages ou barbares s’avèrent
« les mêmes que les nôtres », Seligman a suscité des recherches pionnières sur le rêve,
en Amérique du Nord aussi bien qu’en Mélanésie (lire aussi p. 48 et 104, Gilbert et non
« Gérard Durand », auteur assez connu en son temps des Structures anthropologiques de
l’imaginaire, 1960, absent de la bibliographie, etc.). Ces inexactitudes n’ont
heureusement pas de caractère déterminant dans l’économie générale de l’ouvrage,
décisif quant à lui.
6 S’il doit susciter un tel qualificatif, c’est qu’il cherche - et réussit - à définir de façon
remarquablement précise ce que peut être, et ce que doit devenir « le recours à la
psychanalyse freudienne » en ethnologie, et plus largement dans les « sciences
humaines et sociales ». Même chez les psychanalystes freudiens, la validité d’un tel
recours ne fait pas l’unanimité, et Olivier Flournoy (1979 : 120-121) était fondé à écrire :
« Les ethnologues qui lient l’exogamie au complexe d’Œdipe devraient toujours sesouvenir que ce dernier est un modèle explicatif d’une expérience qui se dérouledans un temps particulier, et non d’un comportement humain. Le psychanalysten’est pas le détenteur, ni Freud le fondateur, d’une vérité universelle. L’expériencepsychanalytique est intersubjective. L’interprétation métapsychologique est la miseen commun de cette expérience par reconstitution d’une histoire originale del’analysé. Et la théorie psychanalytique va faire le pont entre les membres de la
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communauté analytique et ceux de la communauté universelle. De ce fait, l’analysene saurait échapper aux contradictions du monde, et la vérité intime del’expérience, celle à deux de la métapsychologie, risque par là de devenir véritésdogmatiques de la théorie analytique, si cette dernière s’adresse à tous en omettantde préciser ses origines. »
7 Sans citer cet auteur (qui a évoqué par ailleurs la nécessité pour tout analyste de
« théoriser »), B. Juillerat ne méconnaît pas les arguments des partisans d’une
psychanalyse avant tout « clinique » ni, à l’inverse, les risques d’une « ethnographie
clinique », psychanalyse de terrain peu cohérente parce que mal assumée (p. 50). Mais
les obstacles principaux ont cessé de venir des tendances dogmatiques ou
irresponsables qui caractérisaient naguère certaines « écoles » psychanalytiques,
aujourd’hui dépassées par un renouveau des investigations devant beaucoup à des
chercheurs d’esprit libre et rigoureux comme André Green. Ils ne viennent pas non plus
des anthropologues qui ont discuté sans concession les travaux de B. Juillerat, à l’instar
d’Alfred Gell écrivant dans Shooting the sun (1992 :141-2) :
« I am skeptikal of the idea that actual desire to commit incest with the mother is agenuine motive, even unconsciouly, as far as Umeda males are concerned. Therepresentation of the mother throughout Melanesia is monotonously geared to theprovision of food, not so much milk as vegetable staples. Why import a complex ofideas about incest with the mother, historically associated with the development ofour own system of family roles, childcare practices, sexual stereotypes, or ideasabout purity into such an alien context […] ? »
8 Car voilà non seulement des arguments anciens qui appellent des réponses qu’on
pourrait également dire « classiques », et qui semblent d’ailleurs avoir de moins en
moins de partisans même chez les tenants de l’existence de sociétés « non
œdipiennes », mais voilà surtout des idées toujours susceptibles d’être débattues entre
anthropologues et psychanalystes, dont « chacune [des disciplines] a aidé aux progrès
de l’autre », comme le remarquait déjà Sacha Nacht il y a plus de quarante ans (1968 :
1704). Tel n’est plus le cas avec le cognitivisme.
9 Comme l’indique B. Juillerat, le danger qu’il représente pour l’anthropologie tient à son
dogmatisme scientiste, incapable de prendre en compte l’imaginaire, et à ses
prétentions à l’hégémonie dans les sciences humaines et sociales, sans dialogue
possible :
« La plupart des anthropologues se réclamant du cognitivisme partent d’unethéorie mal assurée, puis l’illustrent a posteriori par des exemples ethnographiquesad hoc qui n’ont alors qu’une fonction pédagogique […]. La méthode scientifique neconsiste-t-elle pas plutôt à partir du particulier et de la comparaison pour en tirerdes règles générales ? » (p. 38)
10 À propos des cognitivistes, Marc Richelle (1993 : 25-27) avait montré auparavant
combien :
« les hypothèses de travail sur [les] rapports [de la conscience] à la machinenerveuse demeurent, pour l’essentiel, ce qu’elles ont été à travers les XIXe et XXe
siècles : pour les uns, monistes et matérialistes, plus on explorera les donnéesphysiques – cerveau, neurones, et aussi, pourquoi pas, comportements – plus onapprochera d’une émancipation définitive par rapport aux notions immatériellesd’esprit, d’âme, etc. ; pour les autres, le fait que l’accumulation des progrès en cedomaine – en cette matière – ne semble pas nous aider à résoudre le problèmecentral apparaît désarmant, et justifie la fidélité ou le retour au dualismespiritualiste. Chacun vient encore en neurosciences avec ses préférences, venuesd’ailleurs. »
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11 Pourtant, signalait-il aussi, cette « accumulation des progrès » encourageait déjà une
position « clairement réductionniste », affirmant « que les conduites se laissent décrire
en termes purement neuronaux. Il faut entendre, sans aucun doute, que les autres
descriptions sont ou bien inadéquates ou bien provisoires – l’idée que les descriptions
exclusivement neuronales sont impossibles n’est pas envisagée ». Aujourd’hui comme
hier, l’assurance empruntée des cognitivistes – elle n’est pas sans évoquer certains
procédés incriminés dans l’actuelle crise financière mondiale, tel le recours aveugle aux
modélisations mathématiques, et procède même d’une sorte de « foi » scientiste, selon
B. Juillerat (p. 15) – ne leur vient que des sciences « dures » auxquelles ils se réfèrent,
parfois hégémoniques elles aussi malgré l’étroitesse de leurs champs d’application.
Parmi elles, du fait des intérêts, économiques et politiques notamment, qui leur sont
associés, les « neurosciences » ainsi que les techniques et les molécules qu’elles
permettent d’expérimenter donnent lieu à de graves « dérives », recours aux
psychostimulants ou aux bétabloquants, expériences de « neuromarketing », etc. Hervé
Chneiweiss, éminent neurobiologiste lui-même, en a dressé il y a peu (2006) un
impressionnant catalogue, valant rappel aux règles scientifiques autant qu’aux valeurs
morales, civiques et humanistes en principe attachées à ce type de recherche.
12 Il est manifeste, d’après ce dernier ouvrage, que ces « dérives » (telle l’utilisation de la
Ritaline « hors de toute raison médicale », p. 68, récemment proposée en France)
menacent souvent « l’autonomie de la pensée, la vie privée, et l’exercice de la liberté »
individuelle ou collective (p. 61), et dessinent sans le dire des projets de sociétés peu
vivables, au-delà du « contrôle social des passions » (p. 57) auquel s’emploient déjà
maintes multinationales de la pharmacie, de la distribution et du divertissement ainsi
que nombre d’agences gouvernementales de sécurité. On pourrait en dire autant du
cognitivisme appliqué, des « sciences de l’information » intégrées aux « outils de
gestion des ressources humaines », ou des nouvelles formations universitaires en
« cognition naturelle et artificielle » visant par exemple à améliorer « les interactions
humain-machine » en « psycho-informatique » et ailleurs, ainsi que le suggéraient déjà
d’anciens travaux cognitivistes assimilant la mémoire humaine aux capacités de
stockage des ordinateurs (par exemple Lindsay et Norman, 1980 : 302-332). Si « comme
l’écrit André Green, “on a l’impression que les cognitivistes vivent dans un monde créé
par eux…” » (Penser l’imaginaire, p. 27), on peut également craindre à bon droit qu’ils ne
cherchent à imposer leur monde aux autres, notamment par le biais d’une
« anthropologie » cognitiviste, supposé qu’on puisse réunir ces termes tellement
antithétiques.
13 Ainsi, mieux que le behaviorisme qu’il prolonge sous la bannière plus neuve des
neurosciences, le cognitivisme reproduit et tend à imposer « une façon de penser
l’homme typiquement nord-américaine, inspirée de la cybernétique et de l’intelligence
artificielle, attisée par le développement de l’“information” » (p. 12, à rapprocher du
« syndrome très américain » décrit p. 67sq. par H. Chneiweiss comme sous-jacent aux
dérives qu’il énumère). Ces enjeux généraux ne peuvent être oubliés, ce que B. Juillerat
ne manque pas de rappeler brièvement mais fermement. Il se garde néanmoins, en
toute rigueur, de porter ses critiques de « la dérive cognitiviste » hors du champ de
l’anthropologie, où éclate déjà, sans la moindre ambiguïté, le caractère mutilant de
« cette vision mécaniste » qui ignore l’imaginaire :
« Cette vision est doublement réductrice : d’une part parce qu’elle ne prend pourobjet d’étude que les capacités cognitives de l’homme, d’autre part parce qu’elleréduit la cognition elle-même à la formation et à la transmission d’unités ou de
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systèmes catégoriels. Or la culture n’est pas seulement du cognitif (stricto sensu) etle cognitif pas seulement du catégoriel. » (Penser l’imaginaire, pp. 12 et 23)
14 Le même souci de porter le débat au plus haut anime le texte que consacre André
Green, dans le volume édité par Patrice Bidou, Jacques Galinier et B. Juillerat, au
« psychisme entre biologie et anthropologie » (pp. 27-34). Il n’y est plus question de
l’idéologie cognitiviste, mais des recherches mêmes dont elle se réclame et dont A.
Green est bon connaisseur, comme médecin formé à la psychiatrie. Il y a d’un côté
« l’universalité biologique forcément réductrice », de l’autre « la diversité phénoménale
de l’anthropologie », le passage de l’une à l’autre ne pouvant s’expliquer par une
causalité exclusivement « neuronale », la seule qu’envisagent jusqu’à présent les
neurobiologistes. B. Juillerat écrivait antérieurement :
« C’est toute la question de la causalité qui est mal comprise par le cognitivisme.André Green a proposé de prendre en compte une ‘causalité psychique’ qui s’inscritpour nous, de façon évidente, dans la recherche d’explication des phénomènesculturels. »
15 Et il formulait « l’idée », difficilement contestable :
« que l’élaboration de la culture relève d’un cumul, mais aussi d’un conflit des logiqueset des significations, donc d’une pluralité des causes. » (Penser l’imaginaire, pp. 37-38)
16 La « pluralité des causes » définit le principe scientifique (ou même analytique dans le
sens originel du terme) qui permet de préciser les ambitions et les limites du « recours
à la psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles ».
« L’anthropologie ne saurait faire à la psychanalyse qu’une place limitée, mais […]
essentielle » dictée non par « l’alternative pour ou contre Freud » mais par des
questions générales portant sur le rôle du « fonctionnement psychique, dans ses
contenus et ses mécanismes », inconscients comme conscients, dans « l’élaboration
culturelle » des sociétés. Si l’on peut attendre le meilleur des « possibilités de
coopération insuffisamment explorées » à ce jour entre ces disciplines, « cela ne
signifie aucunement qu’elles puissent prétendre à un discours unitaire confondant le
sujet individuel et sa culture, la diversité des cultures avec celle des subjectivités, ou
encore le psychogénétique avec le sociogénétique. » « Il s’agit au contraire de s’opposer
à tous les réductionnismes et de s’orienter vers une complémentarité méthodologique
non éclectique mais sélective par souci d’adéquation à l’objet, donc de vérité. » (ibid. : 7,
53-54).
17 Tout autant que Penser l’imaginaire, les « regards croisés » réunis dans Anthropologie
etpsychanalyse apportent des preuves consistantes de la validité et de la fertilité d’une
telle démarche, heureusement suivie par des spécialistes d’autres aires culturelles, les
américanistes Patrice Bidou et Jacques Galinier en premier lieu. La plupart des
contributions sont de grand intérêt, mais pour s’en tenir à l’Océanie, celle de Gillian
Gillison, « Totem et tabou dans les Hautes Terres de Papouasie Nouvelle-Guinée. La
révolte des filles » (pp. 99-124), mérite certainement d’être lue et méditée, pour tout ce
qu’elle révèle d’inédit des mœurs et conceptions des Gimi, mais aussi pour les
nombreux parallèles qu’elle suggère avec d’autres sociétés mélanésiennes, rôle des
plates-formes, rêveries autour du serpent et du pénis géant, etc. Il est également
significatif de la même démarche collective, pluridisciplinaire et non pas seulement
« complémentariste » mais « dialogique » (pp. 8-9), que la présentation analytique de
cette contribution et de celle de B. Juillerat ait été rédigée par P. Bidou, dans
l’introduction à trois voix successives ouvrant le volume, tandis que B. Juillerat y
commentait d’autres articles pour désigner en conclusion (p. 24) comme autant « de
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signaux alarmants […] l’avancée de la mondialisation, l’uniformisation des genres de
vie et de pensée, la diffusion épidémique du New Age », s’ajoutant aux tentatives de
mainmise « cognitiviste » sur l’ethnologie et les sciences sociales qu’il évoquait aussi.
Cela le conduisait à parler de « course contre la montre » pour les anthropologues, en
suggérant qu’elle concerne beaucoup d’autres que ces seuls spécialistes, évidence peut-
être un peu mieux admise aujourd’hui qu’en 2005.
18 La contribution principale de B. Juillerat à ce deuxième volume (« Plaisir et réalité. La
notion de “cargo” revisitée », pp. 81-97) répond implicitement au reproche fait de
longue date aux tenants de l’interprétation psychanalytique de ne pouvoir envisager
les sociétés dans leurs dimensions historiques (voir Penser l’imaginaire, par exemple pp.
52-53). Une telle critique ne pouvait atteindre l’auteur de la remarquable enquête sur
Thurnwald et les Banaro, s’appuyant précisément sur les transformations
diachroniques de cette société pour montrer comment Thurnwald l’avait « modélisée »,
ramenée à « une sorte de “modèle réduit” » (La révocation des Tambaran, p. 177), à
ranger parmi d’autres inventions malvenues du discours anthropologique. Ne pourrait-
on en dire autant des « données ethnologiques » aujourd’hui disponibles sur les
mouvements de type « cargo » au XXe siècle, forcément incomplètes et réductrices du
fait du contexte colonial et répressif dans lequel se développèrent ces mouvements et
furent menées les premières enquêtes à leur sujet ? Il est en tout cas hors de doute
qu’en Mélanésie ces réactions à la profusion subite de marchandises occidentales « à ne
toucher que des yeux » furent « tantôt mal comprises par les missionnaires et
considérées comme menaçant l’ordre public par les administrateurs, tantôt sous-
estimées dans leur dimension psychique par certains anthropologues au profit
d’explications plus matérialistes ou plus politiques, tantôt réduites à des troubles
mentaux par certains ethnopsychiatres. » (p. 82).
19 N’envisageant, faute de place, « qu’un exemple situé dans l’espace et dans le temps
historique », B. Juillerat revient sur « le culte du cargo » qu’il a « eu l’occasion
d’observer chez les Yafar de Papouasie Nouvelle-Guinée en 1981 », dans un climat
d’escarmouches, d’intrusions et parfois de massacres à la frontière de l’Irian Jaya,
également propice à des attentes de bouleversements de l’ordre quotidien. « Travail ou
fertilité » sans effort, l’actualité rappelait incessamment cette alternative. L’article
montre par une analyse très serrée ce qui, « de la pulsion de savoir » et de partager le
secret de cette fertilité, a conduit « aux représentations cultuelles de 1981 et à [leurs]
corrélats mythiques ». On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de l’élégante concision de
la démonstration ou de l’équilibre impeccable de la conclusion. Faute de pouvoir
résumer ici la première, il semble indispensable, pour finir, de citer la seconde, parfaite
définition du principe de « pluralité des causes » devant présider au « recours à la
psychanalyse freudienne pour l’interprétation des représentations culturelles », selon
les termes mêmes de B. Juillerat :
« Les anthropologues ayant étudié la question des cultes millénaristes de Mélanésiese sont presque toujours distancés de Freud ; certains ont formulé ce rejetclairement sans tenter de mettre la notion de cargo ou de salut social à l’épreuve dela psychanalyse. Ce que nous avons essayé ici ne doit pas être vu comme unréductionnisme, mais seulement comme l’éclairage d’un aspect jusque-là négligé dufantasme d’appropriation du cargo. Il fallait pour cela prendre en compte lacausalité interne, inconsciente, et non seulement les circonstances historiques etles motivations rationnelles du culte. Ces deux ordres de facteurs se complètent ;alors que le second est déterminé par les événements factuels extérieurs et lesmotivations conscientes, le premier fournit le contenu fantasmatique et met en
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œuvre les mécanismes psychiques socialisés tout en puisant dans le corpussymbolique déjà existant de la culture. Expliquer un champ sans l’autreéquivaudrait à amputer la réalité globale. » (p. 97)
20 Ce dernier article ne fait pas seulement regretter que B. Juillerat ait été empêché de
donner des suites à cet « éclairage » exceptionnellement lumineux, il fait souhaiter de
le voir réuni avec d’autres, s’il est possible, dans un volume qui prolongerait Penser
l’imaginaire.
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RICHELLE Marc, 1993. Du nouveau sur l’esprit, Paris, Presses universitaires de France.
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Ignames, enfants des hommes.Horticulture et reconduction dusocial à Wallis (Polynésieoccidentale)1
Sophie Chave-Dartoen
« La vision symbolique yafar du monde vivant
renvoie la production à la reproduction : produire
un jardin, c’est mettre en place un chaînon
unique d’une chaîne reproductive,
ininterrompue, qui assure la permanence de la
vie. Défrichements, brûlis, bouturages,
désherbages en forment le niveau matériel et
technique ; démarcations, attributions, héritages,
distributions en sont les formes de contrôle
social ; représentations cosmologiques et rituels
en fournissent le cadre imaginaire et en
garantissent l’efficacité. » (Juillerat, 1986 : 171-72)
1 Dans Les enfants du sang,la remarquable monographie que Bernard Juillerat a consacrée
à l’organisation et à l’imaginaire de la société yafar (Papouasie Nouvelle-Guinée), le
chapitre relatif à l’horticulture laisse peu explicite l’articulation entre la culture des
jardins et les représentations qui s’y rattachent. Ce travail présente, en effet, le vivant
comme le substrat matériel d’une élaboration imaginaire et symbolique qui informe le
social tout en s’en distinguant :
« Après s’être protégé – préalablement à l’acte de transgression que représentecette violence nécessaire sur la nature – de la culpabilité et des stigmates d’unretour trop abrupt au maternel, l’homme peut alors plus à son aise manipuler lesprincipes et les substances reproductives et se donner ainsi l’illusion et le pouvoirde contrôler la fertilité de la nature et la production des essarts. » (1986 :174)
2 La formulation est ambiguë, « l’illusion et le pouvoir » étant ici conjoints là où
« l’illusion du pouvoir » eut été une formule plus respectueuse de la dissociation de
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domaines – biologique, social et psychique – que l’auteur pose comme des réalités
différentes, mais dont les analyses ne définissent pas, dans ce contexte précis, la portée
et les limites. Afin d’éclairer ce point, il eût sans doute été intéressant qu’il précisât,
pour ce qui concerne l’horticulture, la nature exacte des représentations
cosmologiques et des rituels en mesure tout à la fois de fournir le « cadre imaginaire »
et de garantir l’« efficacité » de la reproduction biologique et sociale (cf. citation en
exergue). Ce chapitre laisse donc ouverte la question de l’articulation du symbolique et
du social, le premier étant tantôt dans, tantôt hors du second2.
3 En guise d’hommage, je reprendrai ici le problème des représentations et de leur
efficacité à partir de ce que Bernard Juillerat appelle la « production des jardins », mais
en partant d’un autre terrain. Mes recherches (Chave-Dartoen, 2000) sur l’organisation
sociale et le système rituel de la société de l’île Wallis – rites de passage et échanges
cérémoniels – montrent que l’importance rituelle des plantes cultivées, des techniques
et des pratiques qui leur sont associées ne peut être pleinement saisie à travers une
opposition entre matériel et symbolique. Les Wallisiens, par exemple, font une nette
distinction entre éléments humains et non humains du cosmos, mais les réalités
matérielles sur lesquelles ces catégories reposent échappent au cadre de notre propre
matérialité : la présence des morts est tangible à travers le danger effectif qu’ils
représentent pour les vivants (maladie, infortune, décès) et pour les jardins
(infestations, infertilité, sécheresse). De façon plus générale, une interprétation en
termes de dichotomie êtres/choses ou sujet/objet serait abusive : animaux, pierres et
plantes sont intégrés au même titre que les humains au monde socialisé, mais à
différents niveaux. Dans de tels cas, l’analyse ne peut se fonder que sur les catégories
vernaculaires et en creuser les principes internes sans préjuger de domaines
proprement biologiques, sociaux ou psychologiques.
4 Dans l’exemple polynésien que je développerai ici, horticulture et circulation des
récoltes ne sont pas dissociables. Je ne présenterai pas, faute de place dans cet article,
l’ensemble des représentations et des pratiques liées aux plantes cultivées. De même,
laissant de côté l’analyse de la circulation des porcs et des biens féminins, je
n’aborderai pas l’ensemble du système rituel où hommes et femmes partagent des
charges et des responsabilités différentes (Chave-Dartoen, 2000). Je montrerai en
revanche qu’à Wallis, la chair des plantes cultivées, leur matière constitutive, est
complétée, tout comme celle des humains, par d’autres principes relationnels et que
tous participent d’un même système de circulation. À travers cette approche, pratiques
et pensée wallisiennes apparaissent infiniment plus complexes que saisies au prisme de
nos propres catégories. Pour une telle société, se comprenant elle-même comme une
totalité cohérente, l’étude des pratiques horticoles doit nécessairement s’ouvrir aux
systèmes d’échange et aux cycles rituels.
Présentation de la société de l’île Wallis
5 Wallis (’Uvea en langue vernaculaire) est un archipel dont l’île principale (environ
95 km²) est encerclée d’un lagon bordé par une vingtaine d’îlots épisodiquement
habités. Elle est située par 13°20’ de latitude sud et 176°10’ de longitude ouest, au centre
de l’aire culturelle appelée Polynésie occidentale (Tonga et les Fidji de l’est, Futuna,
Tokelau et Samoa). Son climat subtropical est soumis à l’alizé austral de mai à octobre
et aux cyclones, parfois dévastateurs, de novembre à avril.
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6 Territoire d’outre-mer depuis 1961, Wallis et la proche Futuna forment une collectivité
d’outre-mer depuis 2003. Jusqu’à ces dates récentes, le rôle colonial de la France dans
ce lointain protectorat fut essentiellement indirect et largement fondé sur la présence
de la mission mariste qui, implantée sur place en 1837, évangélisa et convertit la
population en quelques années. Sous son influence, l’organisation sociale se modifia : le
mariage entre membres d’ordres sociaux autrefois endogames fut favorisé ; des
communautés villageoises rassemblèrent sur la côte la population qui vivait plus
dispersée ; la chefferie, qui regroupait autour d’un « chef suprême » hau les hommes
forts du moment, prit une forme fixe autour du hau, terme désormais traduit par
« roi ». Depuis lors, la chefferie se compose d’un conseil de six membres (’aliki fau) et de
l’ensemble des chefs de village (pule kolo). Le « roi » (hau) établit une relation privilégiée
avec Dieu dont il fait bénéficier en retour l’ensemble de ses dépendants. Clef de voûte
de l’organisation sociale, il dirige les rituels et préside l’ensemble des cérémonies qui
ont intégré, en se perpétuant, valeurs et représentations chrétiennes. La population
actuelle (environ 10 000 habitants) est répartie dans une vingtaine de villages3.
7 La végétation prend à Wallis trois aspects différents. Le premier est la forêt tropicale
dense (va’o matu’a), partiellement conservée au sud-ouest, dont on dit qu’elle préserve
l’humidité et la fertilité du pays (Guiot, 1998). Le roi, qui en est responsable, y autorise
occasionnellement des prélèvements de bois d’œuvre ou une mise partielle en cultures
si la nécessité est pressante. La deuxième sorte de végétation, au centre et au nord de
l’île, forme un maquis (toafa) résultant d’une exploitation trop intense de sols fragiles
partiellement latérisés. La troisième, qui ceinture l’île, est une couverture de jardins
vivriers et de friches dominés par les cocotiers dont de grandes plantations s’étendent
au sud de l’île.
La culture des jardins4
8 À Wallis, la culture des jardins, considérée comme pénible, ne convient pas aux femmes
qui ont « les bras faibles » (nima vaivai). Ces dernières s’aventurent d’ailleurs rarement
dans les jardins, lieux isolés communément associés aux relations intimes des couples
mariés ou clandestins. En marge de la zone d’habitation côtière, les jardins se trouvent
en outre sur les terres intérieures où rôdent les morts à l’action néfaste desquels les
femmes sont potentiellement plus sensibles. Jardins et horticulture relèvent ainsi de
l’entière responsabilité des hommes et d’un travail génésique qui associe récoltes
végétales et procréation humaine.
9 Les cultures vivrières demandent le défrichement et l’entretien régulier de grandes
surfaces de terrain. Cependant, les conditions de ce travail changent profondément
depuis quelques années sous l’effet combiné du manque de temps des salariés, de la
rareté des terres disponibles et des facilités qu’apportent sur l’île techniques et
technologie occidentales (véhicules motorisés, tronçonneuses, engrais chimiques...). À
cela s’ajoute la transformation des besoins cérémoniels et alimentaires : les vivres
importés obtenus dans le commerce intègrent de façon croissante échanges et repas.
Alors que dans chaque « maisonnée » (’api,au sens d’« unité familiale de base »), les
hommes défrichaient au moins un jardin chaque année il y a encore quelques
décennies, ils ne défrichent plus en moyenne qu’une parcelle tous les deux ou trois
ans5.
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10 Chaque parcelle est prise sur les « terres familiales » (kele fakafamili), c’est-à-dire sur les
terres dont les droits d’usage, hérités des ancêtres paternels et maternels, sont indivis
dans l’ensemble des descendances. Une fois le lopin choisi et le consentement des co-
ayants droit acquis, la végétation est coupée et brûlée. Les arbres, que l’on a fait mourir
en entretenant le feu à leur pied, sont laissés en place. Les semences sont
préférentiellement plantées à leur base, contre les troncs ou près des pierres affleurant
à la surface du sol dont on considère qu’elles fertilisent la terre en lui conservant son
humidité. Les arbres morts constituent un support pour les tiges des ignames plantées
autour d’eux. Le parti ainsi tiré des opportunités du terrain donne aux plantations une
apparence désordonnée caractéristique.
Photo 1. – Les jardins wallisiens ont généralement un aspect assez désordonné, des plantes dedifférentes espèces (ici ignames, taros, papayers, bananiers, cocotiers…) s’y trouvant à différentsstades de développement
(cliché de l’auteur, janvier 2008)
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Photo 2. – Des plants de manioc sont plantés après les premières récoltes d’ignames et de taros
(cliché de l’auteur, juillet 2005)
11 Les végétaux sont traditionnellement reproduits par division et reproduction des
clones (tubercules) ou par bouturage (maniocs et plantes ornementales). La chaleur
humide de la région convient aux plantes subtropicales qui poussent sans soin
particulier6 sinon le nettoyage régulier du terrain autour d’elles. Selon P. Tokotu’u,
ancien cultivateur résidant à Utufua, une « récolte » (ta’u, également « saison ») doit
être plantée durant les trois jours de pleine luneet les trois jours de nouvelle lune, ce
qui assure les meilleurs résultats. Ce calendrier lunaire n’est désormais plus respecté et,
dans l’ensemble, les plantations sont faites « n’importe quand » (ta’uvale), suivant la
disponibilité du cultivateur, ses ressources en semences et les besoins programmés de
la maisonnée. Des récoltes supplémentaires sont planifiées lorsque des cérémonies sont
prévues à long terme.
12 De nos jours donc, les techniques et le rythme de mise en terre varient selon les plantes
cultivées et les récoltes attendues. Les Aracées (principalement taros Colocasia esculenta7
et kape Alocasia macrorrhiza, Shott.), par exemple, sont replantées au fur et à mesure
qu’elles sont récoltées de telle sorte qu’un jardin comprend généralement des
tubercules à différents stades de croissance. Le manioc, très secondaire dans
l’alimentation humaine, assure une bonne part de celle des porcs, nombreux et voraces.
Les bananiers (fu’u fusi)8 ne font l’objet d’aucun soin particulier. Ils fructifient tout au
long de l’année (des variations existent selon les espèces) avec une période
d’abondance en juillet-août. Les arbres à pain (fu’u mei, Artocarpus altilis [Parkinson]
Fosberg)9 fructifient de décembre à février, puis de nouveau en juin-juillet. Les ignames
sont les seules plantations saisonnières organisées en trois récoltes annuelles.
Particulièrement exigeantes en travail, elles sont indispensables aux prestations
masculines lors des nombreuses cérémonies qui rythment la vie locale.
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Les ignames, prestations masculines par excellence
13 Bien qu’elles soient rarement présentées seules, les ignames crues constituent le volet
masculin des prestations cérémonielles par excellence. Individuelles ou collectives, ces
prestations sont présentées en de multiples occasions (rites de passage, célébrations
liturgiques, propitiations), généralement accompagnées de leur volet féminin
normalement constitué de nattes et de tissu d’écorce battue (Chave-Dartoen, 2000).
14 Les ignames suivent deux circuits d’échange différents. Le premier, cérémoniel,
correspond aux obligations que tout homme doit à ses « anciens » et à ceux de la
communauté : des prestations (’umu, « [contenu de] four ») sous forme de piles (ou de
paniers) d’ignames crues surmontées d’un porc cuit au four (ou passé au feu) sont
présentées pour les grandes cérémonies publiques (principalement les fêtes religieuses
et patronales, les investitures et l’accueil d’hôtes de marque). Les hommes en offrent
aussi lors des cérémonies du cycle de vie, des rites de propitiation et des déplacements
de leurs relations kaiga. Le premier cercle des relations kaiga est celui des proches
parents. L’étendue de ces relations est cependant beaucoup plus vaste puisque s’y
combinent, outre l’ascendance commune et le mariage, des critères de co-résidence ou
d’affinités personnelles. Théoriquement innombrables, ces relations sont socialement
validées par la solidarité dans les obligations cérémonielles. Seule cette dernière leur
confère existence et actualité.
15 Le second circuit est beaucoup moins formel. Il suit le même réseau de relations (kaiga),
mais cette fois, afin d’obtenir, tous les trois ans, de nouvelles semences de différentes
variétés pour les récoltes à venir. Cette circulation est capitale : à défaut, les récoltes de
la quatrième année sont infructueuses ; la semence germe, puis les ignames
dépérissent :
« Tu t’en occupes [tu plantes la semence] et elle disparaît10 ! » (Pelesese Tokotu’u,extrait d’entretien)
16 Je vais revenir sur ces deux circuits de circulation après une rapide présentation des
tubercules, des sortes de semences que l’on prépare et du travail horticole que cela
implique.
17 Dans le langage courant, toutes les ignames (Dioscorea)relèvent de la catégorie générale
des ’ufi11. Il en existe, à Wallis, de nombreux cultivars locaux (fa’ahiga ’ufi)12 qui
s’organisent en sous-ensembles de taille et de contenu variables, l’étendue et la
complexité des savoirs naturalistes dépendant largement des compétences des
informateurs. Sur pied, les ignames sont identifiées à l’aspect des feuilles et de la tige.
Une fois arrachées, l’identification porte sur la morphologie du tubercule : taille, forme
et qualité de la peau auxquelles s’ajoutent couleur, parfum et texture de la chair. Le jeu
de ces critères permet, selon les contextes, des comparaisons et des classifications
empiriques du type « petites ignames rouges », « ignames parfumées » ou « ignames à
développement horizontal »… Lors d’un entretien consacré à la question, P. Tokotu’u13
indiqua par exemple que les ignames vegi14, sikau et lausi étaient « mélangées
ensemble » (natu fakatahi) dès la récolte selon des critères croisant taille, valeur
gustative et valeur cérémonielle. Il revint ensuite sur la question précisant que si,
toutes les ignames de belle taille et de bel aspect peuvent convenir pour les prestations,
les ignames considérées comme originaires de Wallis sont toutefois préférables. Dans
cette série, s’accolent aux lausi les grandes ignames poa et laumahi. A contrario ne
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figurent pas dans les prestations le sous-ensemble ’ufilei 15 (Dioscorea esculenta [Lour]
Burk) et toutes les ignames sauvages que l’on déterre dans les friches16pour la
consommation immédiate ou pour être replantées dans le jardin : tu’a kuku, palai
(toutes deux Dioscorea nummularia Lamk.17), tuu pakata (originaires de Futuna), kaukau
si’i et lena (Dioscorea pentaphylla L.).
18 Les ignames idéales, et particulièrement celles nécessaires aux prestations
cérémonielles, doivent ainsi remplir deux critères : l’un, morphologique, conjugue
taille du tubercule et qualité de la peau ; l’autre, plus proprement sociologique, relègue
les cultivars considérés comme sauvages ou importés. Seules conviennent parfaitement
aux prestations les ignames du « pays » (’Uvea) combinant caractère local et la culture
en jardin. Ces considérations prennent tout leur relief si on les rapporte à d’autres
aspects de la culture et de la circulation des tubercules.
La culture des ignames, travail des hommes
19 Ce qui caractérise les ignames et leur confère une valeur particulière, c’est l’expertise
et la somme d’efforts que leur reproduction et leur culture requièrent. Leur technique
de reproduction est végétative et, dans toute la région, les cultivateurs, conscients du
fait que les plantes descendant d’une même souche présentent les mêmes
caractéristiques, en usent pour opérer une fine sélection des cultivars (Lebot, 2002).
Pour chaque variété, quelques tubercules de bonne taille et de bel aspect (finesse et
clarté de la peau) sont mis de côté de façon fournir les semences de la récolte
correspondante pour l’année à venir. Les tubercules sont alors jamais coupés mais
« divisés » (tofi), le tranchant du couteau, tout juste enfoncé dans la chair, faisant levier
pour la rompre.
20 Il existe deux sortes de « semences » (pulapula18) dont la distinction est capitale pour
comprendre le cycle agricole et l’organisation des circulations cérémonielles. Le
sommet des tubercules, appelé en français comme en wallisien « tête de l’igname » (
’ulu’i’ufi), est mis de côté dans des paniers de sable où il germe rapidement avant d’être
replanté. Du reste de chaque tubercule (« corps de l’igname », sino’i’ufi) on tire des
semences appelées « semenceaux » en français, fakafale en wallisien (faka « qui
ressortent de, de l’ordre de » ; fale « maison »). Plus nombreux, ces semenceaux sont
aussi plus lents à germer (ils étaient autrefois placés sur des nattes de cocotier, dans la
charpente de la maison) et sont plantés dans un second temps. Pour chaque récolte, les
fruits des semenceaux (fakafale) sont donc plus tardifs que ceux des têtes (’ulu’i’ufi).
Mentionnons que ces derniers connaissent une distinction secondaire avec les « vraies
têtes d’ignames » (’ulu’i’ufi totonu) sur laquelle je reviendrai en présentant les
différentes sortes de récoltes et de prestations.
21 La préparation d’une récolte consiste aussi à essarter les friches, ameublir la terre au
bâton à fouir pour y planter les semences soigneusement préparées sous une faible
épaisseur de terre ou, mieux encore, de sable fin. Cette séquence revient à un « travail
vers le bas » (gaue’ifo), locution par ailleurs employée pour désigner l’action de l’homme
lors d’un accouplement. Des tuteurs, dont les faisceaux supporteront les tiges
régulièrement ligaturées, sont préparés et installés. Les tiges se développent en
hauteur sur trois à cinq mètres et se couvrent de feuilles, formant de hautes silhouettes
végétales dressées vers le ciel. Durant ce temps, les jardins sont nettoyés et protégés
des porcs vagabonds. Après six ou sept mois de croissance, la plante dépérit. Vient alors
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le moment de la récolte. L’extraction est délicate car les tubercules ne doivent pas être
abîmés ou cassés. On s’aide pour cette opération d’un pieu de bois ou d’une barre à
mine et d’un sabre d’abattis. L’obtention de tubercules de grande taille dépend de
différents facteurs : le choix de variétés appropriées (vegi, lausi, laumahi ou poa) ; la
qualité et la préparation du sol, riche et profondément ameubli ; la taille des semences,
dont on ne conserve que le germe le plus vigoureux avant la plantation19 ; la dextérité
du cultivateur, lors de la récolte. La jachère de cinq à dix ans – souvent moins20 – et le
brûlis sont les seules techniques assurant la régénération du sol21.
22 L’étendue et le nombre des plantations d’ignames (gaue’ufi), qui autrefois couvraient
une grande partie des jardins, ont considérablement diminué depuis l’intensification du
travail salarié et le désintérêt des jeunes générations pour les travaux horticoles. S’il
est important qu’un homme fournisse des prestations appropriées en ignames et en
porcs, un adage récurrent stipule que l’on n’offre jamais que ce que l’on peut donner, y
compris pour le roi. La maîtrise de cette culture exigeante rehausse ainsi le statut des
horticulteurs « grands travailleurs » (fa’a gaue) qui entretiennent de riches jardins et
fournissent des prestations hors de la moyenne face à ceux qui, plantant au plus près
des besoins, se reposent sur l’assistance de leurs relations kaiga ou complètent
occasionnellement leurs prestations par des biens de substitution (sucre, riz, farine,
numéraire…). Ainsi la qualité des prestations et l’honneur qui en découle varient selon
les horticulteurs. Le fait que l’énumération cérémonielle des prestations use
généralement d’une tournure discursive dépréciative ne présage en rien de l’évaluation
réelle qui suit les discours sous forme de compliments ou de plaisanteries amusées. Il
existe cependant une norme pour la « prestation en ignames convenant au roi »
(fuahaumālie, plus littéralement « offrande vivrière digne du roi en ce qu’elle est non
pourrie » selon le père S-L. Ikauno) : elle se compose des premières ignames issues de la
« toute première récolte » (ta’u mu’amu’a). Donc, pour les offrandes au roi, toutes les
prestations et toutes les ignames ne se valent pas.
Les « récoltes » (ta’u) d’ignames
23 La culture des ignames était, pour les anciens du village, l’activité principale des
hommes. Durant leur jeunesse, chacun entretenait conjointement une plantation
personnelle et une vaste plantation communautaire placée sous la responsabilité du
chef de village et protégée par un « interdit » (tapu). Le nom spécifique de ces
plantations d’ignames (gaue’ufi, « travail de l’igname ») les distingue de tous les autres
jardins, appelés gaue’aga (« lieu de travail ») sans autre précision. Cette culture donnait
le rythme à toutes les activités agricoles de l’année :
« L’importance des ignames, c’est une chose qui dirige le travail ! Si tu n’as pasd’ignames, tu ne vas pas travailler. Parce que tu vas travailler tes ignames, tu lesapportes pour les garder à la maison, elles germent et tu vas préparer ton jardin ! Etsi tu n’as pas d’ignames [...] tu restes à ne rien faire et c’est une saison [ou unerécolte] pour rien22. » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien)
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24 La culture des ignames épuisant la terre, elle nécessite pour chaque récolte l’essartage
d’une jachère « boisée » (akau’i, au moins trois ans de repos). Or, il y avait autrefois
trois récoltes d’ignames annuelles préparées dans trois jardins différents :
la « toute première récolte » ou « récolte qui vient en avant », ta’u mu’amu’a (plantation en
avril-juillet, récolte en novembre-décembre), mu’amu’a signifiant à la fois « ce qui vient en
avant » et « ce qui est supérieur » ;
la « grande récolte » ta’u lahi (plantation de juin à août, récolte de février à avril) ;
et la « dernière récolte » ta’u muli (plantation en septembre-octobre, récolte en avril-mai).
25 Tous les hommes préparaient au moins une récolte, généralement deux, trois s’ils s’en
montraient capables, ce qui impliquait le défrichage d’une, deux ou trois parcelles
chaque année. De nos jours, la plantation des ignames initie toujours le travail. Une fois
les semences mises en place, la plantation est complétée par les plantations de kape,
taros, bananiers, cannes à sucre, papayers et autres plantes, telles la courge et l’ananas,
importées par les Occidentaux. Les kape et les taros, dont le développement est plus lent
que celui des ignames (environ un an), sont laissés dans le champ quelques mois après
la récolte des premières. Le jardin est ensuite abandonné. On intercale souvent entre la
récolte et le repos du sol une plantation de manioc qui épuise peu la terre.
26 Les ignames demandent entre six et huit mois de croissance. Elles peuvent être
conservées environ cinq mois une fois entreposées sous un « abri » (fa’ahi tahi ou
fale’ufi : claie surélevée couverte d’un toit) – autrefois sous la charpente de la maison.
Entre le quatrième et le sixième mois qui suivent la récolte, les semences sont
préparées, les fruits d’une récolte étant, rappelons-le, utilisés pour préparer la récolte
correspondante de l’année suivante. La préparation des semences distingue les têtes
d’igname (’ulu’i’ufi)premières germées, premières plantées et premières récoltées, des
semenceaux issus des « corps » et appelés fakafale. Ces deux sortes de semences ne
s’opposent pas seulement au sein de chaque récolte. Elles caractérisent aussi de façon
radicale les différentes récoltes de l’année et l’ensemble du cycle agricole et rituel
wallisien23.
27 L’organisation du travail est identique pour les trois récoltes : la plantation des têtes (
’ulu’i’ufi) précède normalement celle des semenceaux (fakafale). La « toute première
récolte » ta’u mu’amu’a ( mu’a « aîné, précédant, antérieur »), est pourtantconsidérée
comme une récolte de « têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi, à la différence des récoltes suivantes
(ta’u lahi et ta’u muli), globalement considérées comme celles de fakafale. Comme le
corps suit la tête, ces deux récoltes suivent la première récolte (ta’u mu’amu’a) qui initie
tout le cycle. L’antériorité de la première récolte opère donc à deux niveaux. Elle
combine antériorité chronologique (elle vient en premier) et prééminence spatiale, la
« tête » ’ulu conjuguant élévation, projection avec ancienneté. Ces caractéristiques lui
donnent, ainsi qu’à ses prémices, une importance toute spéciale.
28 P. Tokotu’u expliqua qu’autrefois, lorsque l’alimentation dépendait entièrement de la
culture des jardins vivriers, la « toute première récolte » (ta’u mu’amu’a) était
essentielle car, les têtes poussant plus vite que les autres semences, elle était la
première arrivée à maturité : « C’est ta petite plantation pour manger » (« Ko tau ki’i
gaue kai ») ajouta-t-il, expliquant que si l’on se montrait paresseux ou que l’on se
trompait en la préparant, on était voué à la famine entre les deux saisons de fruits à
pain (mei). Si un homme ne planifiait qu’une récolte dans l’année, il fallait donc que ce
soit celle-là, les deux autres récoltes étant secondaires si la première était suffisante. La
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première récolte apparaît ainsi comme celle qui règle toutes les autres activités
agricoles et qui peut, éventuellement, toutes les remplacer.
29 Les deux autres récoltes, organisées de façon comparable, suivent et complètent la
première de telle sorte qu’elles structurent le travail agricole sur le reste de l’année. La
« grande récolte » tau lahi est particulièrement importante en ce que, disponible d’avril
à octobre, elle fournit les ignames nécessaires aux prestations cérémonielles des
nombreuses fêtes patronales et familiales de cette époque. Elle est plantée à la saison
sèche, relativement fraîche et propice aux travaux difficiles. Cette récolte est celle « du
moment où un homme est fort » (« te temi malohi pe a te tagata »). La plantation de la
« dernière récolte » ta’u muli a lieu en septembre-octobre. C’est « la récolte de la
fatigue », de la lassitude (« te ta’u ga’ega’e »). De ce fait, c’est aussi « la récolte des
hommes grands travailleurs » (« te ta’u a te kau tagata fa’a gaue »), ceux qui se font
remarquer par leur travail et leurs compétences. Selon sa réalisation, se différencient
les hommes assurant le nécessaire et ceux que le courage au travail et l’orgueil
poussent à un accomplissement dans ce domaine24. Cette dernière récolte était aussi
autrefois la principale en quantité des trois récoltes communautaires. Bouclant la série
des trois récoltes, elle est aussi appelée « la fin de la démangeaison de la terre » (te
hiliga velikele). Avec elle commence le repos du dernier des trois jardins ouverts durant
l’année.
30 S’appuyant sur le journal du père Chanel (1838-1839) et la correspondance d’autres
missionnaires, Patrick V. Kirch (1994a) atteste l’ancienneté de ce type de calendrier sur
la proche île de Futuna. L’oblation, début octobre, des fruits de la « toute première
récolte » ta’u mu’a (plantation en avril-juin/premiers fruits en octobre25) constituait le
moment majeur d’un cycle prolongé par les récoltes secondaires ta’u lasi (plantation en
juillet-août/récolte en décembre)et ta’u muli (plantation en septembre-octobre/récolte
en février). Kirch montre également l’articulation de ce calendrier avec le cycle rituel
pré-chrétien. L’offrande des prémices d’ignames (ta’u mu’a) inaugurait, avec la saison
des pluies, une saison rituelle intense (oblations, d’octobre à janvier26) suivie d’un
relatif temps mort (fêtes de village de janvier à avril). Le retour des alizés (avril-mai)
annonçait les plantations et divers préparatifs (fabrication de la poudre de curcuma et
ramassage des œufs de tortue) avant la récolte.
31 Pour Wallis, nous ne disposons d’aucun témoignage permettant de reconstituer un tel
calendrier agricole et rituel. Apparaissent, toutefois, des correspondances frappantes
entre celui reconstitué par Kirch pour Futuna et celui documenté à Wallis en fin de XXe
siècle. L’une d’elles est la similitude des récoltes (nombre, noms et rythme), bien qu’un
décalage de deux mois existe entre la mise en terre de la récolte tau mu’a de Futuna et
celle, ta’u mu’amu’a de Wallis. Une autre correspondance est la présentation collective
des prémices de cette récolte (appelés « vraies têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi totonu, à
Wallis). Dans les deux cas, enfin, ces oblations marquent un changement de cycle : à
Futuna la présentation des prémices ouvrait autrefois la saison rituelle. À Wallis, elle
marque de nos jours, sous la forme de prestations fai’ofa, les festivités chrétiennes de
fin d’année et celles ouvrant la nouvelle année. Préparées et présentées à cette
occasion, les prémices manifestent alors auprès du roi, du clergé catholique et de la
chefferie la gratitude de la population pour les bienfaits prodigués et son attente d’une
prospérité renouvelée. On retrouve donc pour l’oblation comme pour la plantation les
deux mois de décalage entre le calendrier wallisien (décembre-janvier) et les anciennes
cérémonies de Futuna (octobre).
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32 Considérant l’importance de cette récolte, il est frappant que les informateurs
wallisiens ne se soient pas accordés sur les dates de sa mise en terre : certains donnent
avril-mai, d’autres, parfois les mêmes à un autre moment, donnent juin-juillet. La mise
en parallèle des cycles wallisien et futunien permet une hypothèse : la « [toute]
première récolte » ta’u [mu’a]mu’a devait autrefois être plantée, à Wallis comme à
Futuna, en avril-mai (et récoltée entre octobre et décembre), conformément au cycle
végétatif dans la région. Le plus probable est que les missionnaires catholiques,
cherchant à substituer le calendrier chrétien à celui qui précédait, ont demandé à leurs
néophytes de faire en sorte que l’offrande des prémices de cette récolte, importante
parmi toutes, coïncide avec l’événement majeur de l’année chrétienne, la célébration
de la naissance du Christ fêtée en Occident au solstice d’hiver, à quelques jours du
changement d’année. Ainsi les dates données pour la plantation de la toute première
récolte divergent-elles selon que l’on considère le calendrier ancien fondé sur le cycle
végétatif (avril-mai) ou les pratiques actuelles adossées à la liturgie catholique (juin-
juillet). Apparaît bien ainsi le lien ancien établi, dans la région, entre culture des
ignames et temporalité cosmique et sociale. J’y reviendrai, après avoir développé les
aspects montrant à quel point la culture et la circulation des ignames participent au
travail rituel que la société met en œuvre pour constituer, renforcer et valider celles
des relations sociales qui, marquées par l’ancienneté, fondent le bon ordre de la société
et de son cosmos.
Rites de propitiation et présentation des prémices
33 La plantation des ignames initie le travail horticole de l’année. Ces tubercules –
particulièrement les têtes issues de la première récolte – précèdent toutes les autres
récoltes dans le temps et les dépassent en valeur :
« C’est elles [les ignames] qu’Uvea [les Wallisiens] met en avant de tous les“féculents” [magisi]. C’est le premier “féculent” celui qui est le premier, lesignames27. » (Aliki Liufau, extrait d’entretien)
34 La présentation des prémices d’ignames, qui initie toutes les récoltes de l’année, est
essentielle. Cette prestation s’appelle polopolo, terme qui désigne les premiers fruits
d’un jardin. On dit « e au polopolo’i te gaue’aga » ce qui signifie « je polopolo la plantation »
c’est-à-dire, « par cet usage spécifique des premiers fruits, j’ouvre la consommation de
la récolte de ce jardin ». De nos jours encore, l’offrande de ces prémices ouvre
rituellement la récolte car il s’agit du « premier travail pour déterrer sa “chair”
[kakano] pour manger28 ».
35 Toutes les prémices d’ignames (polopolo)sont des « têtes d’ignames » (’ulu’i’ufi).
Toutefois, ici encore, les prémices de la première récolte diffèrent des suivantes en ce
que, parmi les têtes d’ignames, elles sont les seules « vraies » (totonu) têtes d’ignames (
’ulu’i’ufi totonu). Ces premiers fruits, pour chaque récolte, ne sont jamais consommés
par les cultivateurs. Les prémices des deux dernières récoltes sont proposées aux
visiteurs ou offertes dans l’entourage sur un mode informel. Il n’en va pas de même
pour les prémices de la première récolte (’ulu’i’ufi totonu). Premiers entre tous, ces
« fruits du travail de la terre » (te’u fua o te gaue kele, selon Aliki Liufau [extrait
d’entretien]) constituaient avant la christianisation une prestation destinée aux déités
’atua en même temps qu’au « chef suprême » (hau)29. De nos jours encore, les fruits de la
terre sont présentés de façon formelle lors des hommages et des vœux (fai’ofa) de
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nouvelle année adressés au roi, puis au clergé et aux « anciens » (chefs et représentants
territoriaux). À travers eux, c’est à l’ensemble que forment la société et son cosmos
dominé par Dieu que ces prestations s’adressent. Les modalités de celles-ci ont toutefois
subi ces dernières années des modifications significatives.
36 Il y a quelques décennies, les premiers fruits (« vraies têtes d’ignames ») étaient
prélevés sur la plantation communautaire avant d’être offerts au roi par chaque village
à l’occasion de la nouvelle année, lors de la cérémonie dite fai’ofa. À défaut de récolte
communautaire, seuls les chefsdu district (chefs de village, chefs de district, membres
du conseil du roi)se chargeaient de l’offrande au roi. De nos jours, il n’existe plus de
jardins collectifs d’ignames. À la veille de la cérémonie, chaque homme s’efforce de
fournir un panier de « vraies têtes d’ignames ». Celles-ci sont regroupées, triées et
réorganisées pour former des prestations convenables. Ce remplacement de l’offrande
de prémices obtenues en commun par l’offrande d’une collection de prémices cultivées
séparément et réunies pour l’occasion correspond aux transformations économiques et
sociales à l’œuvre sur le territoire depuis une trentaine d’années. Si la récolte est
suffisamment belle pour permettre une prestation correcte, chaque village la porte au
roi et à l’évêque qui reçoivent ainsi des dons de toute l’île. Les autres destinataires
(prêtres et religieuses, chefs de districts et membres du conseil royal) ne reçoivent
d’offrandes que des résidents de leur district. Chaque village présente aussi une
prestation à son chef et aux élus (conseillers territoriaux, député, sénateur…) résidant
là.
37 Tous ces destinataires sont classés comme des « anciens » (mātu’a) représentant les
niveaux imbriqués de la société : pays, districts/paroisses, villages. L’étude du cycle
rituel (Chave-Dartoen, 2000) montre que le « pays », la « société » fenua, est compris
comme une totalité dont Dieu règle le destin et dont le roi forme la clef de voûte.
L’ensemble des anciens, et particulièrement les membres de la chefferie, sont conçus
comme « travaillant » (gaue) à la prospérité et au bien de tous. Le terme gaue, qui
signifie « travail », désigne avant toute chose le travail agricole des hommes. Ce terme
toutefois n’est pas utilisé pour le roi. Tismas Heafala (1989 : 44) précise qu’il serait à la
fois irrespectueux et linguistiquement incorrect de lui appliquer le terme gaue. En effet,
seul le mot ta’ata’a peut désigner son activité. Or, ce mot désigne également le « sang »
dans le niveau de langue réservé à l’évocation du roi et du Christ – en référence à toute
autre personne, « sang » se dit toto. Il apparaît ainsi qu’en ce qui concerne les récoltes
annuelles, la responsabilité du roi diffère fondamentalement de celle des autres
anciens, non en nature, mais en degré.
38 Pour assurer la prospérité des jardins et de leurs dépendants, les anciens « travaillent »
(gaue), chacun à son niveau, en relation à Dieu. Ce travail, qui associe soin des jardins,
rigueur morale et élévation spirituelle, appelle en retour la bénédiction divine (manu’ia)
sur chaque ancien et ses dépendants. Les prémices offertes à un ancien soulignent, avec
sa position et ses responsabilités, les qualités personnelles qui attirent sur lui une
« faveur divine » (manui’a) dont il fait bénéficier tous ses dépendants. Ce faisant,
l’oblation des prémices exprime la reconnaissance et la gratitude (fakamalo)de la
population pour les bienfaits passés, consolidant la renommée et le statut personnel
qui, pour chaque ancien, viennent conforter son principe « âme » laumālie. Cependant,
ces prestations sollicitent surtout, avec la mansuétude (fakalelei) de chaque
destinataire, son « intercession » (hufaki mai) auprès de Dieu. Dieu reste donc, comme
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autrefois les déités, le destinataire ultime de prestations présentées dans un but
propitiatoire.
39 Le roi, en position d’ancien absolu, constitue au sommet de l’organisation sociale la
référence sur laquelle se règle, avec l’enchâssement des responsabilités, la gradation du
rang et des statuts. Il assure la fertilité selon le même principe, mais à un autre niveau
de responsabilités (ta’ata’a) : de la qualité de sa relation à Dieu dépendent son
gouvernement éclairé, la prévention des désordres et des conflits, l’absence
d’épidémies, de sécheresses et de cyclones. Cette médiation bénéfique porte le nom
spécifique de tapu’akina. C’est donc en premier lieu au roi, qui garantit les conditions
sociocosmiques de la prospérité générale, que sont destinées les vraies têtes d’ignames
de la toute première récolte.
40 Les récoltes d’ignames sont ainsi considérées comme une manifestation des relations
bénéfiques entre le pays – aux premiers rangs duquel les horticulteurs et les anciens –
le roi et Dieu. L’ordre donné à la présentation des prémices exprime, par cette
reconnaissance générale et graduée, les différents niveaux de responsabilité et
l’articulation des relations qui les organisent. Les prestations fournies pour le fai’ofa
soulignent la réciprocité, sans cesse affirmée et renouvelée, des relations qui font vivre
et prospérer la société, le « pays » fenua : réciprocité interne à la société suivant les
responsabilités respectives et emboîtés des anciens ; réciprocité entre la société que
forment tous ensemble population des fidèles, anciens, roi à leur tête30 et Dieu.
41 Initiant et clôturant les activités agricoles de l’année, la « toute première récolte » (ta’u
mu’amu’a) est essentielle dans l’organisation du cycle des cultures. Son importance
réside toutefois essentiellement dans le caractère particulier de ses semences, faites de
« têtes d’ignames ». En naîtront les ignames qui, destinées aux anciens de la
communauté et à Dieu, manifesteront l’achèvement et la puissance de ces derniers pour
en renouveler les bienfaits. La temporalité de cette première récolte fait coïncider
calendrier rituel, cycle de la végétation et cycle de la vie sociale. La présentation
formelle des ignames, en particulier lors des prestations de prémices, manifeste alors
les aspirations de la société qui, face à Dieu, régule, manifeste et conforte son ordre
interne et la gradation des statuts personnels, soulignant dans sa cyclicité annuelle,
générationnelle et dans son renouvellement permanent, l’importance de l’ancienneté
relative qui règle l’alternance de la vie et de la mort, du déclin et du renouveau tout en
assurant la pérennité de la société et de son organisation.
Hommes et ignames : un même système de relations
42 À la différence des Occidentaux, les Wallisiens ne se définissent pas comme des êtres
faits de substances, mais comme des êtres constitués de relations (Chave-Dartoen 2000).
Ces relations, de différentes sortes, établissent le statut, les diverses formes
d’attachement, l’apparence et le souffle même de la vie31. En partie transmises par les
ancêtres et les parents, elles sont sans cesse redéfinies dans les interactions avec le
monde social et les entités du cosmos qui président à la destinée, particulièrement lors
des cérémonies et des passages du cycle de vie. La constitution des hommes et des
femmes relève donc de considérations sociologiques, non pas biologiques : ils
s’insèrent, tout au long de leur vie et au-delà de la mort, dans un réseau dense de
relations qui, seul, les définit et leur donne une existence. J’ai pu mettre en évidence
que les rites de passage prennent en charge trois principes différents et
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complémentaires : le « corps » sino, le « sang » toto et l’« âme » laumālie (Chave-
Dartoen, 2000). Les deux premiers correspondent à des composantes physiquement
manifestes, mais renvoient simultanément à des relations constitutives sans lesquelles
la personne ne saurait trouver de place dans la société. Le principe « corps »
correspond à la forme sensible que prennent les différentes entités du monde. Pour les
vivants, le corps est conformé de l’intérieur par l’alimentation paternelle, de l’extérieur
par le vêtement et les cosmétiques procurés par la mère32. Le principe « sang » s’élabore
et se perpétue en relation aux terres héritées des ancêtres, à la terre natale en
particulier. Ces relations passent par la mère et le côté maternel de la parenté. Le
principe « âme » (laumālie) existait avant que la foi catholique ne lui donne une
signification particulière. Il désigne une relation étendue (lau)et continue (mālie)à des
ancêtres dont les plus prestigieux étaient autrefois déifiés et auxquels se raccrochaient
les descendants, particulièrement les aînés masculins qui leur succédaient en position
d’ancien dans la tâche de diriger la communauté. Ce principe, en s’appuyant sur les
relations généalogiques les plus prestigieuses, renvoyait également à des relations
étendues dans l’espace. Dépendants et alliés dispersés dans l’île, reconnaissant la
position et le statut des anciens33, établissaient leur renommée. Or, statut social (hérité
des paternels) et principe « âme » étaient autrefois liés. Inexistante ou insignifiante
pour les « gens du commun » (tu’a), l’« âme » laumālie distinguait, par les relations
valorisées qui la constituaient, les membres de l’ordre social supérieur (’aliki) : ces
relations, constitutives du principe « âme », ordonnaient les hommes en une gradation
de statut et de rang suivant l’aptitude qu’ils montraient à succéder à leurs aînés dans la
direction et la représentation de leurs dépendants.
43 L’étude des prémices fai’ofa montre que les différences de statut et de rang, quoique
aujourd’hui atténuées, restent importantes et distinguent entre eux les hommes en
charge de responsabilités. Ces distinctions basées sur les critères d’ascendance
(principalement d’ascendance paternelle), de relation aux ancêtres, de capacité
personnelle s’appuient sur l’aînesse et l’ancienneté relative (j’y reviendrai). Elles
correspondent toujours à un principe « âme » laumālie, mais christianisé en ce que la
relation à Dieu prime désormais sur tout autre aspect. Si les références ancestrales
fondent toujours la gradation des statuts, l’âme trouve de nos jours, pour chaque fidèle
(homme et femme), son origine et sa référence ultime en Dieu. Je voudrais maintenant
montrer comment s’établit le lien étroit qui, associant la circulation des ignames à ce
principe « âme », distingue les hommes des femmes et différencie les hommes entre
eux.
La tête en avant : antériorité des ignames et deshommes
44 L’opposition entre les semences ’ulu’i ’ufi et fakafale forme un contraste qui rejoint, sous
certains aspects, l’opposition dans les principes constitutifs qui définissent hommes et
femmes, non pas comme des catégories biologiques exclusives et absolues, mais comme
les éléments complémentaires d’une unité sociologique, le couple. Le couple est
socialement défini dans sa relation à la maisonnée qu’il occupe, à sa descendance
commune, et aux obligations cérémonielles que, de ce fait, il partage34.
45 La tête est généralement conçue comme l’« avant » mu’a et le « haut » ’ake de la
personne. Elle est en relation avec l’« âme » laumālie. Constituée d’un contenant osseux
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et sec, elle s’oppose au reste du corps qui apparaît comme un contenu (« masse de chair
sanglante », toto kakano) soutenu par une charpente osseuse. Tandis que la « tête » ’ulu
s’ouvre sur l’extérieur et présente par ses orifices ce que l’être offre au monde, le corps
est fermé sur un « intérieur » (loto) comprenant les viscères, les organes de la
reproduction et surtout le « siège de la vie » (ma’uli’aga). C’est là, dans le ventre
féminin, que le fœtus prend vie et se développe à partir du sang mêlé du père et de la
mère. L’« intérieur » (loto) d’une femme, épouse et mère, reste dans une relation étroite
avec la « maison » (fale) et la terre natales qu’autrefois elle quittait fort peu35. Cette
relation passe par le sang (menstrues, défloration, couches, inhumation) qui va
rejoindre dans la terre celui des ancêtres. Ainsi, pour une femme, les relations « de
sang » établies dans la maison priment au regard de ce qui se passe pour son conjoint
qui, lui, est sans relation directe avec la terre de résidence.
46 La « maison » fale, conçue comme fraîche et humide, fait partie de la terre dans laquelle
on l’installe (on l’« enterre » tanu) et les semenceaux fakafale lui sont associés du fait de
leur lente germination sous la toiture. Les ignames qui en résultent (fakafale) et dont le
corps se développe dans la maison avant de rejoindre la terre, sont comparables au
fœtus, en relation (« de sang ») avec le double réceptacle de l’utérus et de la terre
maternelle. Ce parallèle entre le corps des ignames et les enfants nés des femmes de la
maison paraîtra mieux fondé encore si l’on ouvre maintenant la comparaison aux têtes
d’ignames. Pour ces dernières, en effet, les relations déterminantes diffèrent
nettement.
47 Si le corps, charnu, humide et sanglant36 correspond à des relations maternelles, la tête
et la tige lianescente de la plante correspondent à la conception locale des relations
masculines et paternelles. En contraste avec le corps du tubercule, s’enfonçant dans la
terre ameublie en quête d’humidité, la liane, issue d’une tête gardée au sec (les ’ulu’i’ufi
sont mises à germer dans du sable, et plantées sous un petit tas de sable qui draine
l’humidité) se développe vers le haut, la lumière et la chaleur. À ce développement vers
le haut, soutenu par des tuteurs et opéré par étapes successives font pendant, pour les
hommes, la nécessité de références généalogiques prestigieuses et la succession
d’ancêtres paternels vers lesquels on remonte pour déterminer le statut social. Ainsi, le
développement des ignames, et particulièrement de celles issues de têtes (’ulu’i’ufi
,paraît correspondre à celui, pour les hommes, des relations aux ancêtres prestigieux.
La correspondance entre les « têtes d’ignames » ’ulu’i’ufi et le côté paternel de la
parenté ne s’arrête toutefois pas au déploiement aérien de la tige.
48 Chargé de relayer son père à la tête du groupe qu’il « dirige et représente » (pule), tout
homme est considéré, à un certain degré, comme un ancien. Or, à Wallis, les anciens
sont également des « têtes », comme le formulent explicitement les locutions ’ulu’i
mātu’a (« têtes des anciens » dirigeant la branche généalogique) et ’uluaki (« premier-
né », « celui qui est à la tête, qui dirige sa fratrie »). À l’exercice de l’autorité (pule),
correspond l’idée d’antériorité temporelle et spatiale rendue par le verbe taki,
« diriger », la locution taki mu’a signifiant à la fois « marcher en tête, aller en éclaireur »
et « excellent, supérieur, prédominant » (Rensch, 1984). Les ignames les plus valorisées,
celles qui, issues des têtes (’ulu’i’ufi), donnent la première récolte, vont précisément à
ceux des anciens qui vont en tête, aux supérieurs (taki mu’a), le roi et l’évêque en
premier lieu. Il faut souligner à nouveau que l’antériorité temporelle et spatiale définit
à la fois les anciens dotés de responsabilités et les prémices de la récolte.
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49 Un autre point significatif est le renouvellement nécessaire des semences d’ignames
tous les trois ans pour que les récoltes ne dépérissent pas. Cet intervalle de trois
générations rappelle celui qui, chez les humains, se ferme et se réinitialise lorsque l’on
transmet à l’aîné des petits-enfants le nom du grand-père ou de la grand-mère
paternel(le) (un « ancêtre » kui). Cette alternance des générations dans les noms
ancestraux perpétue l’existence sociale des ancêtres et leur influence auprès de leurs
descendants tout autant qu’elle confère aux descendants ainsi distingués,
particulièrement aux hommes, le statut et l’autorité des ancêtres les ayant précédés
dans le nom. Pour les ignames comme pour les hommes, la succession de trois
générations apparaît donc comme nécessaire à la relance d’un cycle qui se boucle
préférentiellement entre l’aîné d’une fratrie et l’ancêtre paternel valorisé dont il hérite
du nom et de l’autorité (Chave-Dartoen, à paraître).
50 L’analyse peut être poussée si, considérant les trois « récoltes » ta’u de l’année comme à
la fois comparables (car de « même génération ») et différentes (car issues de jardins
différents), on les rapporte à l’ordre des enfants dans une fratrie. Une alternance règle
l’attribution des noms aux enfants d’un couple : les paternels donnent un nom à l’aîné,
les maternels au puîné, l’alternance s’étendant aux cadets. L’antériorité (mu’a) est
soulignée pour l’« aîné de la fratrie » (te mu’a, te ’uluaki) comme pour la « toute
première récolte » (ta’u mu’amu’a). Ils sont, de ce fait, supérieurs en statut, car en
relation étroite avec les anciens de la société, les ancêtres et Dieu qui en règlent le
destin. Le « deuxième [enfant] » (te lua) et la deuxième récolte (ta’u lahi) sont de statut
inférieur bien qu’ils soient valorisés, l’un pour la relation qu’il manifeste entre les deux
côtés de la parenté dont il renforce les liens en affirmant la complémentarité et la
solidarité cérémonielle (autrefois militaire), l’autre pour sa profusion et la participation
significative qu’elle rend possible lors des échanges cérémoniels impliquant ces deux
mêmes côtés. Enfin, les « autres [enfants] » (ae muli) et la troisième récolte (ta’u muli),
bien qu’inférieurs aux précédents, assurent et manifestent la prospérité d’une
maisonnée par les mariages et les naissances qu’ils promettent. Dans les deux cas ils
sont, pour une maisonnée, la garantie de sa pérennité dans la relance des échanges
cérémoniels dont elle est l’origine et le centre.
51 L’organisation des générations est donc comparable pour les ignames et pour les
humains. L’aînesse en est le premier aspect. Il distingue, à chaque génération, les
premiers-nés des hommes et des ignames comme des anciens en relation aux ancêtres
qui, situés deux générations en amont, sont des anciens par excellence : « tête des
anciens » ’ulu’i mātu’a paternel pour les humains ; « vraie tête d’igname » ’ulu’i’ufi
totonu, pour les ignames. Au principe de l’aînesse vient s’ajouter la complémentarité de
cotés cérémoniels opposés. Elle fait correspondre position du puîné et deuxième
récolte : tandis que le puîné « revient » ma’u au côté maternel de sa parenté (il s’oppose
à son aîné en complétant les relations nécessaires à l’assise de son autorité), la « grande
récolte » (ta’u lahi)assure la mise en circulation de prestations où les deux côtés de la
parenté sont à la fois rivaux et solidaires. Enfin, le renouvellement et la prospérité de la
société sont assurés par « la suite » (te muli) des enfants comme des ignames qui,
circulant en grand nombre à partir des maisonnées prospères, renforcent le statut du
groupe social et les relations fondamentales de la société que l’aînesse et la
complémentarité cérémonielle mettent en place à différents niveaux.
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Les ignames, fils des hommes
52 Il convient enfin de préciser la relation, esquissée plus haut, entre les hommes et des
récoltes issues d’un travail génésique particulier afin d’en pousser l’analyse. Lorsque les
hommes usent de leur pieu pour planter les ignames, ils accomplissent un acte proche
de l’acte sexuel (gaue’ifo). Ouvrant la terre, ils déposent une semence faite de chair et
d’un petit germe comme, ouvrant un passage dans le ventre de leur partenaire (on dit
d’une vierge qu’elle « n’est pas encore ouverte » heki avahi), ils y déposent, avec le
sperme, une promesse de principe « âme » et du « sang » toto – il ne s’agit alors pas de
cellules sanguines, mais d’une relation de filiation du type appelé « sang » (toto). Le
tubercule se développe ensuite dans la terre comme le bébé se développe dans le ventre
de sa mère. Enterré peu profondément et recouvert d’un peu de sable, il est aussi
comparable aux vivants « enterrés » (tanu) dans leur « maisons » fale et aux « morts »
mate inhumés dans leurs sépultures.En vieillissant, la plante prend du « corps » sino
sous terre et s’élève en surface le long des tuteurs. Après une gestation de plusieurs
mois au cours desquels la terre prend en charge la croissance de la plante, tandis que
les hommes s’appliquent à dégager les tiges des mauvaises herbes et à les fixer sur les
tuteurs, la maturité est atteinte. La partie visible de la plante forme alors une colonne
de lianes intriquées vaguement anthropomorphe en ce que, dressée sur plusieurs
mètres, elle se termine par une masse suggérant une tête. L’offrande des prémices
assure la levée de l’interdit (puhi, « trouer, percer ») permettant la récolte. Cette
dernière est glosée comme une « ouverture » (avahi) qui renvoie à l’ouverture
permettant la naissance du bébé. Les prémices (des « têtes » ’ulu) sortent de terre
comme la tête du nourrisson en train de naître.
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Photo 3. – Les plants d’ignames forment, avant que leur végétation ne dégénère, de hautessilhouettes anthropomorphes dont la tête se dresse au dessus des autres cultures
(cliché de l’auteur, janvier 2008)
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Photo 4. – Plants d’ignames en cours de croissance. Les tuteurs sont disposés en faisceaux aupied desquels les tiges s’élèvent du sol soigneusement ameubli
(cliché de l’auteur, janvier 2008)
53 Rappelons que, pour la récolte, chaque tubercule est tiré de terre avec précautions. Le
sabre d’abattis, glissé le long de la racine, détache les radicelles comme on coupe le
cordon ombilical pour séparer définitivement le nourrisson de la parturiente. Le
tubercule est alors doté, comme le bébé, d’une peau fine et blanche (kili mulamula),d’un
corps et d’une tête. Les tiges qui s’en sont progressivement élevées pour s’épanouir
hors de terre ont séché et disparu. Si l’on pousse le parallèle entre le développement de
la personne humaine et celui des ignames, le tubercule sortant de terre pour entrer
dans la société des hommes paraît toutefois gagner une forme de complétude qui exclut
tout principe d’origine maternelle. Il ressort alors d’un niveau d’existence supérieur,
très masculin, conditionné par ses qualités propres (taille, peau, parfum…), son
ascendance (’ulu’i’ufi, fakafale, type de récolte) et sa circulation au sein de la société.
Désormais le critère de l’antériorité relative distingue les igames entre elles comme il
détermine les anciens à destination de qui elles sont réservées, définissant ce qui
s’apparente pour l’igname à un principe « âme » comparable à celui des hommes qui les
cultivent et les font circuler. Associant dans une même logique contraintes biologiques
et considérations sociologiques, on voit ici comment la valorisation de l’antériorité
ignore le déterminisme de la nature : ici, le cycle végétatif des ignames et le bon ordre
du monde sont des principes proprement sociaux, la société formant la totalité
englobante à partir de laquelle l’ordre du cosmos peut être lu.
54 À la différence des enfants humains, les ignames n’ont toutefois pas de relations de
type « sang », essentiellement conférées par la mère et les ancêtres maternels. Leur
font également défaut le souffle qui assure aux nourrissons la pulsation de la « vie »
ma’uli. Les ignames, et particulièrement les « têtes d’ignames », sont ainsi comme des
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enfants, mais des enfants sans mère et sans souffle. Le vocabulaire en témoigne : les
tubercules convenables pour une prestation (principalement les ignames) doivent être
« développés, gros, volumineux » foha. Or ce mot désigne également un descendant
masculin en G+1 pour Ego masculin. En cultivant les ignames, les hommes conforment
ainsi dans la terre les « biens de valeur » (koloa) qui, constitutifs de leurs prestations
cérémonielles, sont à certains égards pour eux comparables, par les relations ainsi
établies et transmises, à leurs propres enfants masculins foha. Parmi ces tubercules,
cependant, les têtes d’ignames se distinguent particulièrement par la supériorité de
leur principe « âme » face à la dominance du principe « corps » des ignames fakafale et
des autres tubercules (aracées). Proches des anciens, elles sont, sous cet aspect,
équivalentes à des fils aînés. Cette différence explique la dévalorisation relative et la
place secondaire des autres ignames, des taros et des kape dans le circuit des échanges
cérémoniels.
55 Cette analyse montre que les caractéristiques distinctives des ignames obéissent à des
principes qui intéressent essentiellement les hommes. Hommes et ignames sont
comparables par les relations étendues (relations multiples à des ancêtres valorisés et
au « pays » fenua) qui les définissent, les constituent et que leur circulation instaure.
Comme les hommes aussi, les ignames, ordonnées en statut selon l’ordre de naissance
et l’ascendance, circulent entre des unités sociales. Ainsi, passant d’une terre à l’autre,
les semences d’ignames circulent, comme les hommes partent s’installer sur les terres
de leurs compagnes pour y développer une double descendance : les garçons, d’une
part, se dispersent au gré des mariages, les ignames, de l’autre (tubercules et semences)
se disséminent au gré des échanges.
Conclusion
56 L’analyse entreprise ici ne distingue pas aspects imaginaires et ceux, proprement
matériels et techniques, de l’horticulture à Wallis. Bien plus, elle montre que dans ce
cas précis, matériel et technique ne peuvent être pleinement saisis et compris sans la
référence permanente aux représentations collectives et aux relations sociales qui leur
donnent sens et en organisent, partiellement au moins, l’agencement. Les hommes de
Wallis obtiennent en effet dans leurs jardins, non pas des produits de consommation
dont la valeur réside dans la qualité ou la quantité, mais des « biens de valeur » (koloa)
dont la circulation contribue au renouvellement de la société et qui sont, à ce titre,
pleinement intégrés au monde social37. Les principes constitutifs de ces biens de valeur
correspondent à ceux socialement essentiels pour des hommes qui les cultivent. Par les
relations ainsi établies, les tubercules destinés à se disperser – surtout les « têtes
d’ignames » – sont, pour les hommes, comparables à des « fils » (foha) sans mère.
Obtenus directement de la terre, ils circulent, vivants (jamais cuits), dans les
cérémonies propitiatoires au premier rang desquelles figurent les remerciements de fin
d’année fai’ofa. Cultivés dans les jardins lointains et constamment renouvelés, formant
des prestations collectives valorisées, ils relèvent moins de la terre du jardin que de la
totalité du « pays » fenua. Ils forment ainsi les prestations dont le pays, la société fenua,
fait l’offrande en remerciement des bienfaits que la chefferie et les représentant
territoriaux – à un niveau local –, le roi hau à un niveau supérieur et englobant,
procurent à la population avec la bénédiction de Dieu.
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NOTES
1. Cet article reprend, de façon très remaniée, un développement de ma thèse de doctorat
(Chave-Dartoen, 2000). Il résulte d’une recherche de terrain à Wallis, seize mois entre 1992 à 1994
et trois mois en 2007. Je remercie les personnes et les institutions ayant permis ce terrain
(Fondation de la Maison des sciences de l’homme, GDR CNRS 748 et allocation « Jeune chercheur »
de l’École des hautes études en sciences sociales pour le premier séjour, Équipe d’accueil 2963 et
BQR de l’Université Bordeaux 2 pour le second). Je trouve ici l’occasion de remercier les villageois
de ’Utufua et de nourrir une pensée toute spéciale pour Pelesese Tokotu’u, Aliki Liufau et Setino
Siuli, tous trois décédés depuis cette enquête. Je leur dois les connaissances mobilisées ici. Merci
également à Paino Tau’ota pour son assistance sur place et à Claudine Friedberg pour sa lecture
attentive et ses judicieuses remarques.
2. « Partis du juridique et parvenus jusqu’au seuil des structures symboliques (et psychiques),
nous voilà hors du social » (Juillerat, 1986 : 174). Dans les articles qui suivront la monographie
(1986) et dans son dernier ouvrage (2001), les analyses de Bernard Juillerat soumettent
clairement certains phénomènes sociaux, tel le système rituel yafar, à des processus
psychologiques accessibles au moyen d’une lecture psychanalytique.
3. NDLR. – Pour plus d’informations sur Wallis-et-Futuna, voir le JSO 122-123 Spécial Wallis-et-Futuna
(H. Guiot et I. Leblic éds) paru en 2006 et intégralement en ligne sur jso.revues.org.
4. Les techniques agricoles et le calendrier agraire de Wallis ont été présentés par Patrick Vinton
Kirch (1978).
5. Les pratiques varient selon les ressources dont disposent les maisonnées et leur disponibilité
en force de travail. Dans certains cas, l’horticulture est un moyen de gagner un peu d’argent via
la commercialisation des fruits du travail, mais une telle activité est peu considérée et marginale
(Grijp, 2002).
6. Pour un inventaire plus détaillé des plantes cultivées, on peut se reporter à l’article de Jacques
Barrau (1963).
7. Les variétés recensées sont : magasiva ; talo fisi « taro de Fidji » ; talo’uli « taro noir » ; manu’a
« taro de Manu’a » ; talo vale « taro fou » ; talo sika « taro pointe de lancette », probablement tous
Colocasia esculenta ; maga’uli, qui a disparu (pour un inventaire plus complet voir Chave-Dartoen,
2000 : 110 note 70 et Barrau, 1963 : 164).
8. Il existe plusieurs variétés de Musacées caractérisées par la qualité de leurs fruits (selon
Barrau [1963 : 165], toutes sont des Eumusa).
9. Il existe plusieurs variétés de ces Moracées. Elles se distinguent par la forme des feuilles et la
qualité des fruits.
10. « E ke taupau ai pe, e alu o puli ! » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien).
11. Jacques Barrau (1963 : 165) ne parle pas de catégorie englobante (’ufi)et distingue : 1- ignames
sauvages : hoi (Dioscorea bulbifera) et lena (Dioscorea pentaphylla L.) ; 2- ignames cultivées : ’ufi,
(Dioscorea alata L. dont il recense vingt-deux variétés) et 3- ’ufi lei (Dioscorea esculenta Burk). Une
espèce (Dioscorea nummularia Lamk.) recoupe les deux premières catégories : sa variété cultivée
est appelée ’ufi fiti, ses deux variétés sauvages sont appelées palai et tu’akuku.
12. Dans son dictionnaire, Karl Rench (1984), répertorie à l’entrée « ’ufi » quarante-trois sortes
d’ignames dont vakasoa, voli, vegi, poa, niumea, heketala, tu, salomone, fisi, kula, la’usi, lena, palai,
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kahokaho, palepale, tu’akuku, laumahi, kaumaile... Les ignames de cet inventaire sont données
comme Dioscorea alata.
13. Nous passâmes trente-trois « sortes d’ignames » en revue avec Pelesese Tokotu’u lors d’un
long entretien mené avec P. Tau’ota. L’essentiel des informations de P.Tokotu’u citées ici me
furent données à cette occasion. ’Ufi Vegi peut être traduit par « igname de Vegi », ’ufi lausi
« ignames feuilles-de-cordyline », ’ufilei (« igname-dent-de-cachalot »), un travail de sémantique
reste à faire pour éclaircir les autres noms.
14. Les ’ufi vegi sont remarquables et qui très recherchées à Wallis. Elles ont été apportées au
début du XXe siècle par un Chinois nommé Vegi (information P. Tokotu’u). Elles sont présentées,
dans les prestations cérémonielles, avec les variétés considérées comme indigènes. Très
résistantes aux intempéries, elles « ne disparaissent jamais ». Le fait est notable car, selon P.
Tokotu’u, les ignames importées, pourtant très recherchées, s’adaptent mal et toutes finissent
par s’éteindre. Sont également d’importation récente, les hoi (Barrau donne les hoi pour une
espèce sauvage dont la cueillette est occasionnelle) appelées ’ufi mālie à Nouméa d’où elles sont
originaires, les ’ufi Niumea (« ignames de Nouméa »), les ’ufi manioka (igname-manioc ou ’ufi
kaletonia « ignames de Calédonie »). Les ’ufi kahokaho qui proviennent de Tonga (où des ignames
du même nom sont considérées comme supérieures à toutes les autres), et les ’ufi vakasoa (vakasoa
matapoko, vakasoa loloa)originaires de Futuna sont probablement d’importation plus ancienne.
15. L’espèce comprend les kautala, les lavilavi, les ’ufilei vai et les lavilavi kula. Jacques Barrau
(1963 : 165) mentionne aussi les Lotuma (« Rotuma »). De texture très tendre, les ’ufilei sont
gardées pour la consommation courante (on ne les présente que si elles atteignent une taille
exceptionnelle).
16. Autrefois, les ignames sauvages constituaient une ressource importante en temps de disette,
avec les tubercules appelées pulaka (Cyrtosperma chamissonis)et une plante appelée mahoa’a
(arrowroot, Tacca leontopetaloïdes [L.]). La riche végétation du district sud devait assurer des
ressources en noix de coco et en végétaux non cultivés dont ne bénéficiaient pas les
communautés installées au nord. Les variations pédologiques et botaniques de l’île peuvent
expliquer qu’au sud on ne préparait pas (ou très peu) de puits à mahi, fosses tapissées de feuilles
où étaient conservés, pour assurer les soudures, des fruits de l’arbre à pain ou certaines bananes
fermentés.
17. Si les ignames palai et tu’a kuku ne figurent pas crues dans les prestations, elles y figurent
sous forme de pâte d’igname cuite à l’étouffée avec du lait de coco (lū) que la population du
district de Mu’a prépare à l’occasion de la fête paroissiale de la Saint-Joseph, le 1er mai. Ce jour-là,
ces préparations, qui complètent des paniers de vivres cuits au four, sont distribuées aux
membres de la chefferie et du clergé ainsi que chez les parents et les amis dispersés dans l’île.
18. Le terme pula signifie en wallisien « bouillir, bouillonner, pétiller, éblouir » (Rensch, 1984), le
redoublement du lexème signifiant une atténuation. Si pulapula désigne une semence, une graine,
sa signification revient plus particulièrement à l’apparence de légère effervescence qu’implique
une germination.
19. Il existe une technique appelée tei’ulu. Elle vise à prélever un tubercule dans le jardin en
replantant immédiatement la tête (P. Tokotu’u, extrait d’entretien).
20. La durée de la jachère dépend des terres disponibles pour la rotation. Une jachère ancienne
couverte d’arbres est appelée « brousse boisée » vao ’akau’i, mais il existe des étapes
intermédiaires qui dépendent en partie de la nature du sol. Citons le mooku, une « brousse
blanche » (e kau hina), herbeuse et le saulagi qui est « rouge » (e kau kula).
21. Des engrais chimiques sont désormais employés par ceux des cultivateurs qui en ont les
moyens financiers. De telles pratiques, toutefois marginales, complètent la rotation des jachères,
mais ne s’y substituent pas.
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22. « Ko te ma’uhiga o te ’ufi, ko te me’a taki gaue ! E kapau mole iai hau ’ufi, mole ke alu gaue ! […] Hē e
ke gaue au ’ufi, aumai tuku i fale, homo pea e ke alu o gaohi hau gaue ! Pea kā mole hau ’ufi […] nofonofo
noa pe ko he ta’u noa. » (Pelesese Tokotu’u, extrait d’entretien).
23. Bien que calendrier et pratiques diffèrent sous différents aspects, un parallèle peut être fait
avec le cycle agricole et rituel kanak (Leblic, 2002 : 118-119). Mentionnons que les ignames
destinées aux cérémonies des prémices sont plantées avant toutes les autres en Nouvelle-
Calédonie et sont appelées « ignames vraies-ignames », dénomination proche de celle de leurs
homologues wallisiennes, « vraies têtes d’ignames » (cf. infra).
24. Sans m’en préciser la raison, P. Tokotu’u indiqua que les ignames vakasoa et lautolu sont
particulièrement cultivées pour cette récolte. Il ne m’a pas dit quelles espèces convenaient aux
autres récoltes bien que la première doive comprendre les ignames qui, considérées comme
originaires de Wallis, conviennent mieux que toutes autres aux prestations de début d’année
(fai’ofa) : ’ufi poa, ’ufi laumahi, ’ufi voli, et encore ’ufi lausi, et kaumaile. On peut les accompagner de
bananes hopa et d’ignames vegi.
25. Cette date correspond également à celle de l’oblation des prémices d’ignames ( inasi) qu’à
Tonga la population présentait autrefois au chef suprême (Douaire-Marsaudon, 1998).
26. Présentation de raies et de requins, puis les prémices des fruits de l’arbre à pain à
Fakavelikele, la déité tutélaire du roi Niuliki ; distributions générales de nourriture, de kava et de
porcs ; repas de féculents fermentés (masi) en l’honneur des déités responsables des cyclones ;
festivals de danse et subincision du pénis des garçons.
27. « Pea ko ia e fakamu’amu’a ai e ’Uvea nei te magisi... […] Ko te ’uluaki magisi aia e ’uluaki, te ’ufi. »
(Aliki Liufau, extrait d’entretien).
28. « […] ko tau uluaki gaue e utu mai ko tana kakano o kai […] » (Pelesese Tokotu’u, extrait
d’entretien).
29. Voir également Joseph Henquel (ms, circa 1910). Ces faits confortent la comparaison avec le
calendrier rituel futunien reconstitué par Kirch (cf. supra).
30. Mis à part quelques cas de conversions récentes ou de retour d’expatriés convertis outre-mer
(Témoins de Jéhovah, Viens et vois…), la plupart des insulaires sont catholiques romains
pratiquants.
31. Une comparaison intéressante peut être faite, à ce sujet, entre les conceptions occidentales,
wallisiennes et abelam (région de Maprik en Papouasie Nouvelle-Guinée) de la constitution des
personnes. Dans ce dernier cas (Coupaye, 2009), une composante de la personne, très directement
impliquée dans la croissance des grandes ignames cérémonielles, est clairement substantielle (le
jëwaai, alternativement sang, odeur et chair), tandis qu’une autre, telles le yakët, est une qualité
du corps reposant sur des principes plus proprement relationnels.
32. La sépulture constitue un corps pour les morts, le « reposoir » vakafaka’aga, un pour les
anciennes déités.
33. Faute de ces marques de reconnaissance, le statut des anciens déclinait au profit de ceux
capables de renforcer, avec leur propre renom, celui de leurs descendants. Les usurpations par
destitution ou assassinat sont fréquentes dans les traditions orales.
34. Les sociétés de Polynésie occidentale forment un cas d’école dans le domaine de l’étude du
genre (« sexe socialement défini »). L’opposition de sexe y prend en effet deux formes exclusives :
l’une, homme/femme correspond à notre opposition masculin/féminin sans toutefois reposer sur
les fonctions biologiques (la reproduction n’est pas comprise comme résultant nécessairement
d’une union sexuelle entre mâle et femelle) ; l’autre, entre collatéraux de sexe opposé, est pensée
de façon radicalement différente (Chave-Dartoen, 2000).
35. Le mode de vie change beaucoup depuis une trentaine d’années (démographie, règles de
résidence, salariat féminin…), les femmes devenant plus mobiles.
36. De nombreuses variétés d’igname ont une chair dite « rouge » kula, couleur du sang. Ce type
de parallélisme peut être poussé sur d’autres critères, tels le parfum et la peau.
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37. Pour une approche différente mais convergente de cette question, voir le remarquable
travail de Ludovic Coupaye (2009a et b) sur la culture des ignames chez les Abelam de Papouasie
Nouvelle-Guinée. Son approche associe analyse technique et étude des représentations,
notamment des logiques locales de l’action. Elle dégage, entre autres, le « potentiel sociogénique
» (sociogenic potential, 2009a : 96) que les investissements techniques, cognitifs et sociaux
(relationnels), confèrent aux artefacts en les amenant à l’existence sociale.
RÉSUMÉS
Cet article, qui présente le travail horticole et une partie des responsabilités rituelles des
hommes à Wallis (Polynésie occidentale), porte sur les ignames (mise en culture, classifications
indigènes, système rituel et circuits d’échange) et montre que ces tubercules participent d’un
vaste système de relations qui définissent tout être en référence à la société wallisienne dont le
« roi » scelle l’ensemble de l’organisation. Comparables à des enfants masculins que les hommes
obtiennent de leurs jardins, les ignames concourent, en circulant dans les échanges, à la
constitution différenciée des vivants, au renouvellement du monde et à la pérennisation de la
société.
This paper describes a part of the men’s responsibilities, both agricultural and ritual, in Wallis
Island, Western Polynesia. Yams are the main focus of this study including agricultural
techniques, indigenous classifications, ritual system and exchange pathways. It shows that yams
are involved in a large system of relationships that defines everything in relation with the society
itself. Comparable to sons that men would get from their gardens, these tuber partake, by
circulating in exchanges, in the differentiated constitution of living people, the world’s renewing
and the society’s everlastingness.
INDEX
Keywords : agricultural techniques, constitution of the person, ritual system, social
anthropology, Wallis (’Uvea), Western Polynesia, yams
Mots-clés : anthropologie sociale, composantes de la personne, igname, Polynésie occidentale,
système rituel, techniques horticoles, Wallis (’Uvea)
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Rejoua aurantiaca. Bernard Juilleratet la botaniqueChristian Coiffier
1 Tout chercheur en sciences sociales qui étudie une société rurale se doit d'avoir des
connaissances sur le monde végétal. On peut regretter que nombre d'ethnologues
n'aient pas jugé utile de réaliser des identifications scientifiques des végétaux (ou des
animaux) qu'ils évoquent dans leurs écrits. Ce qui ne permet pas d'utiliser leurs
travaux pour des recherches comparatives, l'essentiel étant de s'appuyer sur des
connaissances botaniques fiables pour comparer les mêmes espèces végétales. Le
rapprochement des usages de certaines plantes dans un ensemble de sociétés voisines,
situées dans des zones écologiques similaires, permet en effet de décrypter les
différences existant dans les diverses façons qu'ont ces sociétés d’organiser leur vision
du monde.
2 Bernard Juillerat avait bien compris cela et il trouva auprès de Jacques Barrau, du
Muséum national d'histoire naturelle, l'aide nécessaire pour acquérir les connaissances
botaniques qui lui manquaient. Sa bibliographie (cf. Leblic dans ce volume) montre
l'intérêt qu'il porta aux végétaux de Papouasie Nouvelle-Guinée à une certaine époque
de sa carrière lorsqu'il publia successivement, de 1982 à 1984, quatre articles dans le
Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée avant de réaliser, en 1986, son
fameux ouvrage Les enfants du sang : société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée.
J'eus l'occasion de lire cet ouvrage peu avant de partir « faire mon terrain » en
1987-1988, chez les Iatmul et les Sawos du Sépik-Est en Papouasie Nouvelle-Guinée,
deux sociétés qui vivent dans une région relativement proche de celle des Yafar. Le
présent article me donne l'occasion de m'acquitter d'une dette envers Bernard Juillerat
qui m'a ainsi encouragé à focaliser mes recherches sur certains végétaux qu'il avait lui-
même étudiés dans un contexte différent. Je fus donc à même de poser à mes
informateurs des questions plus pertinentes au sujet de diverses plantes productrices
de fruits orange (Rejoua aurantiaca) utilisés dans de nombreux rituels. C’est ainsi que j’ai
compris que leur valeur « symbolique » dépassait de beaucoup l'aspect esthétique que
de nombreux observateurs s'accordaient à leur reconnaître. La littérature
ethnographique sur le Sépik abonde d'histoires relatives à ces fruits ;
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malheureusement, peu d'auteurs ont fourni des précisions sur leurs représentations
locales. À ma connaissance, Bernard Juillerat est le seul à avoir essayé de comprendre
de façon rigoureuse la perception profonde de ces fruits orange dans la mentalité de ses
informateurs yafar.
3 Malgré tout, il faut être prudent dans les comparaisons car l'observation d'un usage
similaire dans deux sociétés voisines n'implique pas forcément une même perception
de l'objet, ici les fruits de l'arbuste Rejoua aurantiaca. Après avoir présenté les divers
genres de fruits orange utilisés par les populations du Sépik, je m'attacherai à
rassembler, dans l'œuvre de Bernard Juillerat, les données éparses relatives à la
perception de ces fruits par ses informateurs. J'essaierai ensuite d’exposer leurs
représentations chez les Iatmul et les Sawos du Sépik oriental avant d'élargir mon
enquête aux sociétés voisines. Je conclurai cet hommage à Bernard Juillerat en
rassemblant diverses représentations de ces plantes communes à l'ensemble des
populations des deux provinces du Sépik.
Photo 1. – Rameau de Rejoua aurantiaca
(cliché de l’auteur)
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Photo 2. – Rameau de Ervatamiaorientalis
(cliché de l’auteur)
Photo 3. – Détails des fruits jumeaux de Rejoua aurantiaca : a) fruits vert ; b) fruits orange matures ;c) section longitudinale
(cliché de l’auteur)
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Description botanique des plantes rituelles à fruitsorange (région du Sépik)
4 Le Rejoua aurantiaca Gaud., famille des Apocynaceae, a été décrit pour la première fois
par Freycinet, en 1826. Le genre Rejoua est nommé Tabernaemontana par certains
botanistes. Selon ces derniers, il en existerait d’une à trois espèces décrites en
Papouasie Nouvelle-Guinée (van Royen, 1969 : 43-45). L'aire d'expansion de ce genre
s'étend de l'île de Ceram (à l'ouest) jusqu'au nord du Vanuatu (à l'est), en englobant
une partie de l'île de Nouvelle-Guinée. Il est également présent aux îles Salomon. Les
arbustes de Rejoua aurantiaca sont de taille moyenne. Ils donnent des fleurs blanches et
produisent en abondance, en janvier et septembre, des fruits indéhiscents qui se
détachent de leurs branches à maturité pour tomber sur le sol. Ils sont constitués, une
fois mûrs, d'une enveloppe à paroi externe rigide et lisse de couleur orangée vive avec
une paroi interne molle et duveteuse blanche. Les fruits de Rejoua ont la particularité de
passer par plusieurs couleurs au cours de leur développement : ils sont d’abord blanc-
vert, puis virent au jaune pour devenir orange vif (voire rouge) ; une fois tombés au sol,
ils deviennent noirs en pourrissant. Ces fruits contiennent en moyenne de dix à vingt
petites graines noires ou brunes, mais peu de pulpe. Se présentant toujours par paires à
l'extrémité des branches, ils ne sont pas comestibles (Cooper, 2004 : 54-55). Je
montrerai ultérieurement que cette particularité de regroupement par paires est
cruciale pour des peuples qui accordent une grande importance à la dualité. Les
chimistes ont trouvé dans l'écorce du Rejoua aurantiaca plusieurs alcaloïdes : iboluteïne,
vobtusine, voaluteïne et voacangine. On sait que la voacangine extraite d'une
Apocynaceae africaine a permis par hémisynthèse1 d'être utilisée positivement dans le
traitement de certains types de leucémie (Guise et al., 1965 : 927-31). Le Rejoua aurantiaca
a des propriétés antibactériennes et particulièrement antivirales contre l'Herpes
simplex. Dans la région du Sépik, sa sève était appliquée sur les ulcères tropicaux ou les
mauvaises blessures pour en extraire le « mauvais sang ».
5 Un autre petit arbuste de sous-bois de moins de deux mètres de hauteur et croissant
sur les terrains calcaires, l'Ervatamia, appartient également à la famille des
Apocynaceae et produit des fruits orange utilisés pour certains rituels. L'aire de
diffusion de ce végétal est beaucoup plus vaste que celle du Rejoua. Elle s'étend de l'Asie
du Sud-Est jusqu'à la Polynésie. Les Ervatamia sont particulièrement abondants aux
Philippines, en Indonésie de l'Est, en Nouvelle-Guinée et sur la côte nord-est de
l'Australie. Il en existe quatre-vingt-dix espèces dans le monde dont au moins trois en
Papouasie Nouvelle-Guinée : Ervatamia eriophora, Ervatamia pubescens , Ervatamia
orientalis. Il faut ajouter l'espèce Ervatamia coronaria qui est cultivée pour ses qualités
ornementales. Le fruit de l'Ervatamia sp. n'est pas comestible et présente deux
méricarpes de couleur orangée ou jaune ressemblant à deux petites cornes opposées
(photos 2 et 3) (van Royen, 1969 : 24-27 ; Allorge, 1985). Les fruits déhiscents s'ouvrent
sur la zone de suture des carpelles et laissent apparaître six à huit graines brunes
entourées d'une pulpe rouge. Alors que les graines de Rejoua tombent sur le sol, celles
de l'Ervatamia sont disséminées soit par les fourmis, soit par les oiseaux. Les tiges
brisées de tous ces arbustes laissent suinter un latex blanchâtre. Ces végétaux donnent
des fleurs blanches en janvier et septembre, puis fructifient en mars et novembre. Dans
le contexte du présent article, un autre arbuste présente un intérêt pour la forme et la
couleur de ses fruits, le Voacanda papuana. Il en existe deux espèces en Nouvelle-Guinée
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(Cooper, 2004 : 56) dont les fruits n'acquièrent jamais l'intensité de la couleur orange
des fruits de Rejoua aurantiaca (van Royen, 1969 : 28-30, 47-48).
6 Il est étonnant de ne pas trouver trace de ces végétaux éminemment rituels dans le
chapitre « Ethnobotany », écrit par J. M. Powell, dans l'ouvrage New Guinea Vegetation
(Paijmans, 1976). L'explication vraisemblable est le manque relatif, dans cet ouvrage, de
documentation sur les régions des Basses Terres par rapport à la masse des références
concernant les Hautes Terres. Dans le monde asiatique bouddhiste confucianiste, les
fleurs blanches d'Ervatamia sont utilisées en association avec les fleurs de frangipanier
(Plumaria sp.) comme offrandes sur les autels. Le frangipanier appartient également à la
famille des Apocynaceae. Ces fleurs représentent un symbole de pureté qui accompagne
les offrandes alimentaires aux ancêtres.
Le fruit de Rejoua aurantiaca chez les Yafar du Sépikoccidental
7 Dans les représentations de nombreux peuples de Mélanésie, le processus de
mûrissement de ces fruits se trouve perçu en relation analogique avec les diverses
phases de la vie humaine : de la naissance à l'adolescence et de la maturité à la mort.
Tous les peuples du Sépik admirent ces fruits et les utilisent dans leurs rituels. Les
références à l'arbre Rejoua aurantiaca apparaissent dans plusieurs ouvrages de Bernard
Juillerat. Celui-ci a très bien su trouver la place occupée par les fruits de ce végétal dans
l'univers mental des Yafar du Sépik-Ouest. Selon lui, les différentes couleurs associées
aux diverses phases du mûrissement des fruits de Rejoua sont perçues comme une
permanente « métaphorisation » de l'homme par le végétal. Celle-ci représenterait les
transformations de la personnification du « moi » (sungwaag) au cours d'une vie
humaine. Les Yafar avaient une notion très importante, le hoofuk, qu'ils définissaient
d'une part comme l'intérieur de la matière molle et putrescible comme la moelle des
palmiers ou la chair des ignames et, d'autre part, comme un principe de fécondité
(Juillerat, 1986 : 241, 547). L'idée de mûrissement ou de maturation, qui est associée à
celle de caducité, est exprimée par le terme abuk qui a deux sens : la couleur rouge et le
fait d'être mûr. Être mûr, c'est être proche de la chute et du pourrissement donc de la
mort (Juillerat, 1986 : 241, 364, 547). Il devient vulnérable et suscite des agressions
diverses. Aussi les Yafar disent que le sungwaag d'une personne est boof abuk c'est-à-dire
« mûr » comme un fruit boof. Les Yafar opposent à l'arbre boof (Rejoua aurantiaca)
l'arbuste gungwan (Antiaropsis sp.) dont les fruits ne tombent pas et finissent par pourrir
sur pied (Juillerat, 1991 : 215).
« L'état intermédiaire entre la fermeté du fruit vert ou du moi “noir” et leurmaturité complète est désigné par le terme heweheg “à demi-mûr”. » (Juillerat,1986 : 364)
8 De même, on dira que le sungwaag d'une personne contaminée par une maladie est
heweheg. Si aucun rite ne peut arriver à améliorer sa situation, elle se dégradera peu à
peu vers un état de boof abuk et évoluera vers la mort.
« Il en va de même pour le gibier que l'on rend magiquement abuk afin qu'il tombesous les traits du chasseur. » (Juillerat, 1986 : 364)
9 Pour les Yafar, la vision de la mort est duelle :
« Le monde se scinde en deux types d'entités : la première est le fantôme (ifaaf) quin'est que le double ou le moi (sungwaag) de la personne transformée par la mort, la
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seconde est l'esprit du mort proprement dit (nabasa), qui se présente sous deuxmodes, l'esprit du sang ou l'esprit des os du défunt. » (Juillerat, 1991 : 200)« L'autre mode d'identification mortifère est d'ordre spatial : le sungwaag nonseulement va “voir les nabasa”, mais tend parfois à descendre dans le monde plusprofond des morts qui est aussi celui, maternel, de la fertilité première, du hoofukou du “sang” primordiaux. L'association cosmologique de la mort et du pourri (ifaaf)avec le hoofuk originel prend un sens supplémentaire dans la médiation du sungwaagqui, contaminé, rapporte à son propriétaire une double promesse de mort et derenaissance. » (Juillerat, 1986 : 363-364)
10 Les fruits boof représentent donc pour les Yafar une image de la régénération des êtres
et des végétaux.
11 Lors des rites funéraires, le crâne et certains ossements du défunt étaient placés dans la
fourche d'un arbre, habituellement un Gnetum gnemon ( tulip en pidgin, masiy en
amanab) qui, en croissant, élevait ces reliques dans l'épaisseur de la végétation
forestière (Juillerat, 1986 : 401). Cet arbuste se trouve en général associé en Papouasie
Nouvelle-Guinée à la dualité à cause de la disposition opposée de ses feuilles. Lorsque le
défunt descend dans le monde souterrain par une longue route, il arrive devant une
bifurcation à peine visible avec un chemin qui remonte et l'autre qui descend à
l'intérieur de la terre. S'il choisit le second, il rencontrera à l'entrée du monde des
morts un arbre boof (Rejoua aurantiaca) dont les fruits représentent la maturité et la
caducité, préalables au pourrissement, mais prélude à la régénération. Auprès de cet
arbre se trouve le père terrible du monde souterrain, l'esprit de la mort, qui d'un coup
de bâton brisera son nez en le transformant ainsi en spectre (Juillerat, 1991 : 201 ; 1992 :
115).
« Le mûrissement du moi est ici l'effet immédiat recherché dans la sorcellerie nonlétale ; le principe identificatoire avec l'arbre aux fruits caduques entraîne la chutevers le monde souterrain, c'est-à-dire le retour incestueux à la mère génitrice. »(Juillerat, 1991 : 210)« La Mère mauvaise et fertile est d'ailleurs gardée par le “mauvais père” Wangohraqui a pour signe l'arbre boof aux fruits caducs. » (Juillerat, 1986 : 404)
12 Un mythe yafar indique que l'arbre boof aux fruits rouges aurait pour origine le sang
menstruel de la Grand-mère originelle (Juillerat, 1992: 115). Dans les cas de meurtre de
contre-sorcellerie, un rite avait lieu auprès de l'abri funéraire qui était décoré pour la
circonstance de pieux peints en rouge, de fruits boof associés à des feuilles rouges de
croton et à du jus de bétel (Juillerat, 1986: 401).
13 Les Yafar utilisent les fruits orange boof comme parures lors des cérémonies yangis qui
annoncent l'imminente naissance des « enfants du sang » (Juillerat, 1986 : 77, 364). Ils
en placent des guirlandes autour des masques ageli surmontés de feuilles de sagoutier
ou s'en servent de décoration corporelle (Juillerat, 1986 : 393; 1992: 28-29, 35).
« Les Yafar disent que les ornements rendaient la chasse plus fructueuse […] bienque la beauté, les peaux propres et frottées de graisse de porc […] soient déjà lacondition préalable de l'accès à l'abondance. » (Juillerat, 1986 : 393)
14 Les masques amof ou termites, avec la tête emballée dans une écorce jaunie au Curcuma,
portent des parures de feuillages et de fruits boof qui évoquent par leurs teintes le
mûrissement et la caducité. Cette interprétation est confirmée par un mythe décrivant
le héros culturel Wefroog faisant tomber les fruits boof de leur arbre et s'en servant
pour confectionner le personnage amof auquel il ordonne d'aller danser pour la
cérémonie yangis (Juillerat, 1995 : 61 ; 1992 : 51). Contrairement aux autres personnages
masqués, les masques termites dansent avec les femmes et les enfants. Selon l'exégèse
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des experts yafar, ils viennent annoncer l'imminente naissance des fils totémiques,
« mûrs » comme des fruits prêts à se détacher. La grosse tête ronde des hommes
masqués évoque le termite, mais aussi la tête d'un foetus (Juillerat, 1995 : 61). Les fruits
orange de Rejoua semblent donc perçus comme des marqueurs de l'évolution biologique
des hommes. La relation avec le fœtus est à rapprocher de celle du masque mbamba des
Abelam qui est associé au placenta et qui se présente toujours avec un collier de fruits
orange de Rejoua. De même chez les Iatmul, durant un rituel naven pour un homme
adopté par un clan différent du sien, un membre de sa famille biologique travesti en
femme danse avec un collier de fruits orange (Coiffier, 1994 : 246-247). Ce collier est la
marque de son attachement à ses ancêtres biologiques.
15 Les recherches d'Alfred Gell, qui a travaillé dans la société des Umeda voisine des Yafar,
viennent préciser le sens des représentations de ce fruit orange dans la région. Gell fait
remarquer (Gell, 1975: 314-315) l'homonymie entre subove, désignant le fruit de Rejoua
en langue umeda, avec l'adjectif subove utilisé dans la formation des termes de couleur :
vert, rouge, jaune, pourpre. De plus, le champ sémantique de la racine sub- est
révélateur du sens de la représentation de ce fruit dans cette société : sub désigne le
palmier limbum ; subul, un ver de terre ; subudagwa, un esprit souterrain de la croissance
et subof, le pigeon Goura (Goura victoria). L'étude botanique de différents végétaux
utilisés pour les masques des rites de fertilité permet de comprendre ces associations
sémantiques. Le palmier limbum est un élément central lié à l'esprit souterrain,
subudagwa, responsable de la croissance des plantes associé aussi par analogie au ver de
terre subul qui ne cesse de remuer le sol. La position des guirlandes de fruits orange sur
divers types de masques correspond à la place habituelle des fruits de palmier
(cocotier, aréquier, limbum) au sommet du stipe et sous les palmes (Gell, 1975 : 241).
Quant à la relation avec le pigeon Goura, il semble d'après Gell qu'il faille la trouver
dans une analogie avec la couleur pourpre des yeux de cet oiseau.
16 Les informations collectées par Gell chez les Umeda confirment donc la relation de ces
fruits orange avec l'esprit souterrain responsable de la croissance et de la régénération
évoquée par Juillerat chez les Yafar (Juillerat, 1986 : 404 ; 1991 : 201 ; 1992 : 115).
Les fruits orange chez les Iatmul et les Sawos duSépik oriental
17 Les Iatmul et les Sawos classent dans la catégorie des mbwandi différents genres et
espèces de végétaux à fruits orange qui présentent des formes très diverses dont
plusieurs sortes de Rejoua des Sawos. Littéralement, le mot mbwandi serait constitué du
mot mbwan qui désigne un esprit ancestral représenté sous la forme d'une pierre
dressée et de ndi, excréments. Ces pierres sont dressées sur des monticules (waak) situés
devant les pignons des grandes maisons cérémonielles. C'était sous ces monticules
qu'étaient enterrés jadis les restes des ennemis tués (Coiffier, 1994 : 1443-1467). La
prospérité d'un village était censée dépendre de ces mbwan. Selon Bateson, le mot
mbwan désignerait également, dans certains cas, l'esprit de l'ennemi tué qui était
parfois considéré comme un ancêtre parce qu’il contribuait à la prolifération de la
communauté. Dans le langage des chamans, l'expression pour la copulation est mbwan-
tou « dresser une pierre » (Bateson, 1971 : 151, 291).
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18 Les diverses variétés de fruits mbwandi sont distinguées par un terme spécifique selon
leur ressemblance analogique avec les noix de coco, des animaux aquatiques : canard,
anguille, serpent, poisson-chat, ou des éléments d'animaux : défense de porc, œuf de
tortue. Les fruits non mûrs de couleur verte sont appelés djepma mbwandi, ceux de
couleur orange aak mbwandi (ou kuu mbwandi)chez les Sawos et ceux de couleur noire
nguel mbwandi.
Tableau 1. – Les diverses variétés de mbwandi chez les Iatmul et les Sawos
tepma mbwandi de tepma, cocotier, Rejoua aurantiaca ; gros fruit rond de six centimètres de
diamètre
mboïkala mbwandi de mboï, porc et kala, défense, Ervatamia orientalis ;fruit allongé et recourbé
comme une défense de porc
ngusembande
mbwandi
de nguse, tortue et mbande, œuf, Rejoua aurantiaca ; petit fruit rond comme un
œuf de tortue de trois centimètres de diamètre
dewatupmui
mbwandi
de dewa, canard et tupmui, bec, Rejoua sp. ; fruit recourbé comme un bec de
canard
ango mbwandi de ango, petite anguille, Rejoua novoguineensis ; fruit en tortillon
kambaï mbwandi de kambaï, serpent, Rejoua novoguineensis ; fruit allongé comme un serpent
kami mbwandi de kami, poisson-chat, Rejoua longipedunculata ; tout petit fruit
wué mbwandi Voacanga papuana ; avec des gros fruits en forme de figue
kulagwa mbwandi* Capsicum frutescens ; petit piment rouge classé dans la catégorie des mbwandi par
les Iatmul et les Sawos
* Excepté le Capsicum frutescens, tous ces végétaux appartiennent à la famille des Apocynaceae.
19 Une espèce de palmier (Orania sp.) considérée par les Iatmul comme un cocotier sauvage
est appelée mbwandirepma tepma car ses fruits ressemblent à ceux du mbwandi (Rejoua
aurantiaca). Les arbustes tepma mbwandi et mboïkala mbwandi ont environ cinq mètres de
hauteur ; il en existe des formes sauvages et d'autres cultivées (Ervatamia coronaria). Les
arbustes mbwandi sont plantés généralement sur les tertres qui entourent la place d’un
village et parfois sur les waak devant les pignons des maisons cérémonielles.
20 Chacun des clans, chez les Iatmul comme chez les Sawos, peut utiliser certaines variétés
de ces fruits qui sont considérés comme des substituts des ennemis assassinés et parfois
d'ancêtres. Ces fruits sont choisis en fonction de leur forme pour de multiples usages.
Jadis, à l’époque des guerres intercommunautaires, la tête coupée d’un ennemi était
empalée sur un bambou et plantée sur le monticule waak à côté des mbwan et entourée
d’une petite clôture agrémentée de fruits mbwandi. La tête était alors censée danser.
Cette pratique se retrouvait dans la région de Maprik où des fruits de ban (Rejoua sp.)
orange étaient empalés avec un crâne sur un bambou placé auprès des pierres rituelles
de la maison des hommes (Aufenanger, 1972 : 283). Il existe manifestement une relation
analogique entre la caducité de ces fruits et la décapitation. Ces fruits, de toutes
variétés, étaient utilisés en grand nombre durant les cérémonies des secondes
funérailles appelées mindjangu. Les côtés de la plate-forme supportant le mannequin
avec le crâne surmodelé du défunt étaient « décorés » de guirlandes festonnées
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réalisées avec des fruits ovoïdes mbwandi verts, jaunes et rouges enfilés sur une éclisse
de rotin. Des fruits mbwandi étaient également enfilés sur de longues baguettes alors
que d'autres en forme de tortillons ango mbwandi et kambaï mbwandi étaient placés aux
extrémités d’un faisceau de bâtonnets au-dessus du crâne surmodelé. Le plastron placé
sur la poitrine du mannequin était aussi décoré de la sorte avec des fruits d’Ervatamia et
de Rejoua suivant une artistique composition. Le visage reconstitué du défunt était
agrémenté de fruits ronds de Rejoua aux deux extrémités de sa parure nasale en dents
de porc sauvage recourbées. Durant les autres rituels ces fruits se trouvent
fréquemment empalés à l’extrémité de la pointe d’une lance ou d'un flambeau tuaï. Les
Sawos s’en servent également pour « décorer » les panneaux mbowi sakué peints sur des
palmes de sagoutier. Chacun de ces fruits orange représente un ennemi tué pour la
prospérité de la communauté par un membre du clan propriétaire de l’objet ou de la
cérémonie. Certains prétendent que ces fruits seraient des représentations des crânes
de ces ennemis car la partie interne de leur enveloppe ressemble selon eux à la partie
interne d’une boîte crânienne. Cette vision des choses est associée dans la pensée
iatmul à l'idée de beauté. Il est indéniable que les couleurs lisses et brillantes de ces
fruits présentent une connotation esthétique qui participe à donner une impression
festive destinée à plaire tant aux esprits des eaux wagan qu'aux esprits sylvestres
wundjumbu équivalents des esprits nabasa des Yafar.
21 Jadis, lors des grandes cérémonies wagan mbangu, deux grands mannequins recouverts
de végétaux divers, dont de nombreux fruits orange mbwandi, personnifiaient les
esprits des eaux wagan (Bateson, 1971 : planche 17). Les cérémonies d’inauguration des
maisons familiales ou cérémonielles sont encore de nos jours l’occasion d’utiliser ces
fruits orange. Ils sont alors enfilés par paires symétriques sur les nervures d'une feuille
de sagoutier dont le rachis est placé dans la bouche du masque de pignon. Cette
« décoration » est appelée samambwandi chez les Sawosde Torembi et de Marap et ngeko
mbwandi chez les Iatmul de Kandingaï. Elle demeure en place après la fête jusqu’au
moment où les fruits perdent progressivement leur belle couleur pour devenir noirs et
desséchés. De nombreux poteaux de maison présentent des couronnes de mbwandi
sculptés dans le bois à différents niveaux. Ces fruits sont présents lors de toutes les
cérémonies importantes. On les retrouve ainsi associés aux sculptures de pignons
représentant des ancêtres et sur divers types de masques dont les mwaï. Les tabourets
d’orateur des maisons cérémonielles sont également agrémentés avec ces fruits pour
les jours de fête. En fait, chaque clan les utilise de façon différente. Lors de naven
importants, un oncle maternel wau travesti en femme peut se présenter avec une
guirlande (mogul mbwandi) de fruits orange ovoïdes (Rejoua aurantiaca) associée à une
houppe de plumes accrochée dans l'entre-jambes. Lorsque ce dernier danse, il met
celle-ci bien en évidence (Coiffier, 1994 : 793, 1369). Cette pratique est cependant
réservée aux membres de certains clans. Gregory Bateson (1971 : 27) décrit une scène
similaire durant laquelle un wau se placerait dans l’anus un fruit de mbwandi
représentant, dans ce cas, un « clitoris anal ». Aucun de mes informateurs ne m’a
confirmé cette histoire, mais il est possible que Bateson, qui n’avait pas vu cette scène,
l’ait interprétée à sa manière.
22 Les fruits de Rejoua sont fréquemment utilisés pour la divination. Dans un mythe
recueilli à Tambanum, un homme plonge pour aller se rendre compte de l'état du
crocodile qu'il vient de transpercer. Il dit à ses compagnons de pirogue qu'il laissera
remonter à la surface de l'eau un fruit orange si l'animal est mort ou un fruit vert si ce
dernier n'est que blessé2. Aufenanger (1972 : 357) relate une histoire similaire recueillie
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dans la région de Kaugia. Le clan Suaru possède une magie pour la pêche. Des feuilles de
gingembre et de curcuma sont enveloppées dans une spathe de palmier avec des fruits
de Rejoua enfilés sur les ligatures pour constituer un paquet magique qui est jeté dans
l'eau d'une rivière pour attirer les poissons et les chevrettes dans les chenaux et les
étangs (Coiffier, 1994 : 794-795). La variété ango mbwandi (litt. anguille-Rejoua) est
utilisée pour pêcher les petites anguilles. Comme pour les autres espèces, les fruits de
Rejoua novoguineensis sont groupés par paires à l’extrémité des rameaux, un fait qui est à
mettre en relation avec un mythe du clan Suaru qui évoque un couple d’anguilles
constitué de deux frères nommés Malikaman et Suatkaman qui seraient à l’origine du
fleuve Sépik. Ces fruits flottent très facilement, d’où l'utilisation actuelle du mot
mbwandi pour nommer les flotteurs en plastiques ou en liège des nouveaux filets de
pêche introduits dans la région durant les années 1960.
23 Le latex, très abondant, produit par les tiges de Rejoua aurantiaca est utilisé comme colle
et à des fins médicales. Le clan Suaru possède une technique particulière pour fabriquer
un poison à partir de ce latex. Les gens de langue Sanio en amont du fleuve utilisent
également ce latex pour empoisonner les poissons. Autrefois la sève de mbwandi était
utilisée pour réaliser les tatouages des femmes et elle était considérée comme
excellente pour soigner les ampoules des pieds. Elle pouvait également être diluée dans
de l'eau chaude pour être bue comme remède à certains maux de ventre. La dose de
sève diluée dépendait alors de l'âge du malade. Ces divers exemples montrent que
chaque genre ou espèce de fruits orange utilisés correspond à un usage particulier qui,
parfois, demeure la propriété de certains clans.
Perception des fruits orange, ailleurs, dans la régiondu Sépik
24 Les Abelam, qui vivent sur des collines situées entre la mer et le fleuve Sépik, font un
grand usage rituel des fruits orange mban ( Rejoua aurantiaca) qui ont diverses
représentations. Selon Forge (1971 : 305), ils sont les symboles des ennemis morts et
sont associés lors de certaines danses à des « décorations » faites de morceaux
d'efflorescences de palmier blanc et de feuilles rouges symbolisant les conquêtes
sexuelles de femmes étrangères par la communauté. Dans d'autres cas, ils servent à
compter les victimes revendiquées par un village (Forge, 1971 : 304). Ils peuvent
également représenter le nombre de porcs sacrifiés durant une cérémonie (Hauser-
Schäublin, communication personnelle). Lors des danses des masques mbamba, les
fruits mban en guirlandes autour de leur cou, sont associés à d'autres végétaux selon les
clans : feuilles de taro, feuilles de cordyline pliées en accordéon, frondes de fougère,
gaine blanche de feuilles de Crinum asiaticum ou hibiscus (Gardi, 1958 : 141, 143 ; Kirk,
1973 : 370-371). Dans les coiffures, les frondes de sélaginelles qui leur sont associées
sont signes d’homicide (Hauser-Schäublin, 1980 : 17.2 ; Losche, 1982). Avant la pose des
panneaux peints des grandes façades des maisons de culte, ils étaient associés à toutes
sortes de feuillages colorés : croton, cordyline, crinum posés sur le sol devant l'édifice
(Losche, 1982 : 59). Dans la région centre-nord Abelam, des fruits orange mban sont
placés dans un panier sur la poutre faîtière d'une nouvelle maison de culte ; ils
représentent les noix d'arec de l'esprit nggwalndu (Hauser-Schäublin, 1986 : 2). Ces
fruits verts et orange servent également lors des initiations et pour constituer de
grandes figures, nggumaïra, réalisées directement sur le sol (Hauser-Schäublin, 1989a :
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215, pl.VI ; 1989b : 146). Les fruits mban se retrouvent dans le rituel puti. Ils sont alors
posés sur le sol au milieu d'anneaux de coquillages-monnaies ou fichés à la pointe de
lances dont l'une est tenue par un mannequin anthropomorphe situé au centre de la
maison de culte. Les Abelam, comme leurs voisins de l'ouest, les Yangoru, décorent
leurs longues ignames masquées pour les présenter lors de grandioses cérémonies.
Deux rangées de fruits mban, associés à de petites plumes blanches de poulet, sont
fixées parallèlement à la longueur des tubercules.
25 Chez les Kwanga voisins, selon Schindlbeck (1985 : 384), lorsque la charpente d’une
maison de culte est terminée, un homme grimpe à une échelle de l'échafaudage avant
qu’elle soit recouverte de feuilles de palmier pour aller accrocher au sommet du faîtage
un filet de fruits orange d'Ervatamia3. Lorsque la première moitié de la toiture est
couverte, des hommes apportent un long bambou sur lequel sont accrochées des
plumes de casoar, des fleurs d'hibiscus, des feuilles « décoratives » diverses et des
feuilles de taro. D'autres hommes apportent une très longue javeline en bambou. Celle-
ci est destinée à tuer les cochons qui seront sacrifiés ultérieurement. Ensuite, d'autres
décorations sont encore apportées et accrochées sur le pignon de l'édifice, une longue
guirlande de fruits orange et des feuillages d'ornement. Un paquet décoré de plumes
blanches dans lequel se trouvent des substances magiques pour tuer les cochons est
également suspendu à côté du filet. Après une danse circulaire, les hommes se placent
en demi-cercle devant la nouvelle maison et le filet est vidé de ses fruits qui tombent
alors que les hommes essayent de les repousser vers l'intérieur de l'édifice. Dans ce cas,
les fruits représentent les cochons sauvages qui doivent être attrapés par les chasseurs.
Ils sont donc utilisés à des fins propitiatoires. De même, dans la région de Kaugia, les
fruits ban entrent dans les rites magiques pour la chasse au porc sauvage car ils sont en
relation avec les esprits wale (Aufenanger, 1972 : 343-344). Dans la région de Kunjingini,
les fruits ban de diverses couleurs sont considérés comme des objets de divination pour
prévoir le nombre d'enfants que peut espérer une femme (Aufenanger, 1972 : 414).
26 Les peuples vivant près du fleuve Sépik ont des représentations très similaires. Les
Manambu utilisent lors des rituels Nimbi les fruits mbandj (Rejoua aurantiaca), empalés
sur de courts bâtons pour représenter chacun un membre d’une généalogie (Harrison,
1982). Douglas Newton (1971 : 82) confirme que les Nukuma perçoivent ces fruits
analogiquement à des têtes humaines. Pour Ross Bowden (1983 : 159), les fruits bodii
sont perçus de la même façon par les Kwoma qui les utilisent pour l’agencement des
figures yena (Bowden 1983 : pl. 18) et les accrochent aux piliers centraux des nouvelles
maisons (Bowden, 1984 : 14). Ces fruits sont souvent représentés dans les peintures sur
infrabases de palmier sagoutier ou gravés sur les poteries de certains groupes
totémiques (Bowden, 2006 : 16-17, 21 et 76). Les Bahinemo les plaçaient sur les têtes
sculptées de leurs grands tambours à fente lors des cérémonies d'initiation (Newton,
1971 : 20). Les Ngaala accrochaient ces fruits sous le porche de leurs maisons
cérémonielles pour représenter les têtes humaines capturées durant les combats contre
d’autres villages (Newton, 1971 : 34).
27 Nicolas Garnier évoque les fruits orange de Voaconga papuana dénommés bossikanunk
(2007 : 300) qui sont utilisés chez les Chambri pour divers rituels. Ce fruit serait
également appelé parfois yangenpandi, un mot formé avec le nom de la plante yangen
(Ervatamia sp.) associé au suffixe pandi qui est employé pour désigner le rituel
d'initiation. L’auteur regrette de ne pas avoir obtenu plus d'informations lui
permettant de relier le terme pandi à la relation d'amitié pandi-pandi (Garnier, 2007 :
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177) plus ou moins équivalente à la relation tambinien-tambinien des Iatmul voisins. Je
pense que s'il avait observé plus attentivement un rameau de bossikanung, avec les
fruits orange groupés par paires, il aurait compris immédiatement cette relation. En
1986, j’ai eu l’occasion d’observer l’utilisation de ces bossikanung lors d’une cérémonie
destinée à accueillir l'évêque de Wewak à la mission de Chambri. Un des masques de
proue de la pirogue double amenant le religieux était entouré d’une guirlande de fruits
orange et le portique du débarcadère était surmonté d'une tête humaine en bois peint
décorée de longues guirlandes de bossikanung orange, jaunes et verts.
Conclusion
28 Les représentations de ce concept de maturation et de murissement associé à la couleur
d’un fruit ont vraisemblablement dépassé les frontières de la Papouasie Nouvelle-
Guinée puisqu’elles semblent avoir existé jusqu’au Vanuatu et en Nouvelle-Calédonie.
Dans sa description de la « décoration » du chemin menant à l'édifice du salagoro, lors
des rites très importants et secrets des tamate aux îles Banks, Codrington (1972 : 77)
évoque des fruits orange. Ces derniers, associés à des branches fleuries et à des frondes
de cycas, étaient considérés comme la nourriture des morts (Vienne, 1984 : 93). En
Nouvelle-Calédonie, un fruit similaire était connu pour sa faculté à exprimer le
processus vital d'assèchement inexorable de la naissance jusqu'à la mort. Le père
Lambert évoque ce fruit comme une orange :
« Tous sont occupés à jouer avec des oranges : on ne connaît la différence des âgesqu'à la couleur des fruits que l'on roule dans les doigts. Les premiers venus jouentavec des oranges sèches, ceux qui les ont suivis avec des oranges mûres et lesderniers venus avec des oranges vertes. » (Lambert, 1976 : 14)
29 Dans le mythe de Pijeva, il est question d'un fruit similaire :
« Ces dieux se lancent sans cesse une orange, d'espèce non comestible. Et celle-ciest verte, mûre ou desséchée, suivant qu'elle est lancée entre deux jeunes, adultesou vieillards. » (Leenhardt, 1976 : 114)
30 Pourquoi les peuples du Sépik ont-ils focalisé leur attention sur ces genres de végétaux
alors qu’ils disposaient dans leurs forêts de nombreuses autres espèces de plantes qui
produisent des fruits dont la couleur vire du vert à l’orangé-rouge ? Peut-être avons-
nous la réponse dans le fait que ces végétaux de la famille des Apocynacées ont en
commun d’avoir un exsudat laiteux, des fleurs blanches et des fruits orangés, lisses et
brillants, groupés par paires qui se détachent de leur support dès qu’ils ont atteint leur
maturité, ensemble de caractéristiques que ne possèdent pas d’autres végétaux à fruits
orange. Si les ethnologues Bateson, Schindlbeck, Garnier et Juillerat évoquent des fruits
de différents genres, il apparaît cependant que leurs données correspondent à un
même champ de représentations. Il est probable qu’il existait, avant la christianisation
des peuples du Sépik, une représentation plus ou moins générale de ces fruits orange
proche de celle décrite par Bernard Juillerat chez les Yafar.
31 L'arbre Rejoua aurantiaca serait donc en relation avec le monde chthonien. Dans leur
mythologie, les Yafar situent l'arbre Rejoua, issu du sang menstruel de la grand-mère
originelle, comme planté à la bifurcation de deux chemins : l'un remonte vers la forêt
au pays des esprits nabasa et l'autre conduit à l'entrée du monde des morts où les
fantômes iffaf se trouvent être les gardiens des plantes cultivées durant la période de
friche. C'est d'ailleurs grâce aux iffaf que les nouvelles pousses émergent de la bouture
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pourrissante (Juillerat, 1991 : 200) et les données umeda recueillies par Gell s’accordent
tout à fait avec cette vision yafar. De leur côté, les Iatmul et les Sawos enterraient sous
les tertres et les monticules waak les corps de leurs ennemis tués. Leur pourrissement
était censé apporter la prospérité à la communauté tout entière. Ces fruits de Rejoua
étant associés aux pierres de fertilité chez les Abelam, il n'est pas étonnant qu'ils
servaient à la divination pour prévoir les naissances des enfants dans la région de
Kunjigini. Des mythes évoquent la pourriture de cadavres humains ou animaux comme
terreau d'origine de nombreux végétaux (Coiffier, 1994 : 1488-1490). Notons également
que les Yafar comme les Iatmul accordent une grande importance à la dualité, donc au
fait que tous ces fruits se présentent par paires sur leurs branches. Il n'est pas
surprenant qu'ils associent l'arbre Rejoua à deux voies distinctes dans la
déstructuration de la personne humaine lors de la mort. Il semble exister dans
l'ensemble des peuples du Sépik une relation analogique entre les fruits orange caducs,
le gibier et les ennemis tués.
32 Ces fruits ont une fonction proche de celle des « vanités », images du XVIIe siècle
européen représentant parfois des crânes. Leur maturation rappelle aux humains qu’ils
sont mortels et que leur corps est destiné à pourrir. Il est donc logique que ces fruits
soient maintenant couramment utilisés dans les décorations de cérémonies religieuses
chrétiennes. Mais, parfois, ces représentations se laïcisent puisque dans les écoles de
brousse, lors des cours de travaux manuels, les instituteurs font maintenant réaliser à
leurs élèves des objets divers à l’aide de fruits ronds de Rejoua assemblés avec des
baguettes. Bernard Juillerat eut l’opportunité d’étudier la société yafar avant sa
christianisation. Nous avons la chance qu'il ait pu nous transmettre les conceptions
eschatologiques d’un peuple dont la pensée n’avait pas encore été influencée par
l’idéologie chrétienne.
Je remercie tout particulièrement Lucille Allorge, attachée au Muséum national d'histoire
naturelle, pour les informations qu'elle m'a aimablement transmises au sujet de la famille des
Apocynaceae à laquelle appartiennent la majorité des végétaux cités dans ce texte.
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ANNEXES
Noms d’arbres à fruits orange de la famille des Apocynaceae dans quelques langues de
la région du Sépik
Nom d’ethnie ou de village Nom local du Rejoua sp. Groupe linguistique
Arapesh su'witip Arapesh
Abelam mban ou ban Ndu
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Biwat mawut Yuat
Dimiri opabu Mongol-langam
Chambri bossikanung Pondo
Iatmul mbwandi Ndu
Kapriman bolmeur Sepik-hill
Kwoma bodi Nukuma
Manambu mbandj Ndu
Ngaala mbaal Ndu
Umeda subove Waris
Wogamush mbigli Wogamusin
Yafar boof Amanab
Yangoru ban Ndu
Le phonème « b » est présent dans la majorité des noms désignant le Rejoua aurantiaca
(Coiffier, 1996 : 118, 120).
NOTES
1. NDLR. – En chimie, une hémisynthèse est la synthèse d'une molécule réalisée à partir de
composés naturels possédant déjà une partie de la molécule visée.
2. Lors de leurs expéditions guerrières, les Asmat de Papouasie occidentale plaçaient à l'avant
d’une pirogue un fruit orange non comestible. L'expédition se poursuivait tant que le fruit se
maintenait. Si le fruit tombait à l'eau c’était un mauvais présage.
3. Il paraît plus probable qu'il s'agisse de fruits de Rejoua aurantiaca.
RÉSUMÉS
Les sociétés du Sépik en Papouasie Nouvelle-Guinée utilisent pour leurs rituels des fruits qui ont
la particularité de changer de couleur durant leur maturation. Ils ont été souvent perçus comme
de simples décorations. Bernard Juillerat a essayé de comprendre ce qu'ils représentaient
vraiment pour la société yafar du Sépik occidental. Nous comparerons ses données aux nôtres
que nous avons recueillies chez les Iatmul et les Sawos du Sépik oriental.
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For their rituals Sepik societies in New-Guinea use fruits which characteristically change color
during their maturation. These fruits were often conceived as mere decorations. Bernard
Juillerat tried to unterstand what they really represented for the Yafar society of Western Sepik.
We will compare his data with ours which we collected with the Iatmul and Sawos Societies of
East Sepik.
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The mother and her ancestral face.A commentary on IatmuliconographyChristian Kaufmann
«In my preliminary account of the culture I
stated that while “the morphology of the social
system” is patrilineal, the “sentiment” of the
people is preponderantly matrilineal.» (Bateson,
1958[1936]: 234)
1 This paper is about objects and visual knowledge revealed by things in several
instances of Iatmul ceremonial context. Its aim is to reconstruct from the
ethnographical record knowledge partly lost – this in itself might be a problematic
approach, which, however, seems to me at least worth trying. In concentrating on non-
secret knowledge, this approach aims at respecting the intention of present-day
communities (or «collections») of initiated Iatmul men, to preserve these fragile
distinctions (Moutu, 2007: 102-105).
2 I shall start from an approach that Bernard Juillerat developed in the mid 1990s and
published in 1999. In a close reading of Gregory Bateson’s groundbreaking book on
naven ceremonies, he was able to develop a comprehensive view of his own findings
from the analysis of orientation to life in Yafar society (West Sepik, Papua New Guinea)
with more recent views of how Iatmul (East Sepik, Papua New Guinea) live their
orientation of life. Juillerat built on the study produced by Carlo Severi and Michael
Houseman (1994), who had systematically elaborated on naven from a conference held
in 1989 and had included further documentary evidence established by Milan Stanek
and Florence Weiss. Juillerat restudied notably further details contributed by F. Weiss
in conjunction with Fritz Morgenthaler, Marco Morgenthaler and Stanek as well as by
others. Bernard was also able to include references to Eric Silverman’s description and
analysis of relevant events and views form the easternmost Iatmul village of
Tambunum, unpublished yet at that time (Bateson, 1958 [1936]; Juillerat 1999,
Morgenthaler et al., 1984, 1987; Houseman and Severi, 1994, 1998; Moutu, n.d. [2006];
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Herle and Moutu, 2004; Silverman, 2001). Today, while Andrew Moutu has already
published elements of his groundbreaking new attempt at a close reading, based on
recent fieldwork, it seems fair to renew Bernard’s thrust and to follow up also, like
Moutu, on Marilyn Strathern’s lead idea on exchange relationships (Herle and Moutu,
2004; Moutu n.d. [2006]; Strathern, 1988, 2004;Weiss and Stanek, 2006). It is easy to see
why Moutu is critical both of Eric Silverman’s and of Bernard Juillerat’s interpretations
in as far as they seem to him as a Papua New Guinean anthropologist to rely too heavily
on a psychoanalytical perspective, rooted in European classificatory categories.
However, it seems to me, that Andrew Moutu is dismissing Juillerat’s approach too
quickly as should become evident in the following. I would like to focus in retrospect on
the extraordinary role which Iatmul people of the pre-2000 period conferred upon
material objects for marking gendered statements in some of their social relationships,
often in order to visually enhance an important aspect in the exchange of knowledge or
services emanating from very specific relationships between individuals.
Environmental context of gendered roles
3 The Sepik River area in general, and more specifically the parts along its middle and
lower course, offered environmental facilities that would allow women to develop
agency on a level unknown in New Guinea highland societies where subsistence is
based on reproductive horticulture cum pig raising. It were these latter societies that
became the stars in the Great man/Big man debate; as a consequence large bits of Sepik
ethnography, including Bernard Juillerat’s classical texts on the Yafar people, Les
enfants du sang and Œdipe chasseur, hardly penetrated into classroom anthropology; the
Yafar are living way off from the upper courses of the main river in yet a different
environment (Juillerat, 1986-19961).
4 On the Sepik River ox-bow lakes, earlier formed by the river but then detached from its
main course, provide an ideal set-up for varied and numerous populations of fish to be
developed, and further away from the river freshwater swamps are home to extended
stands of sago palms, a major source of starch that would be continually available. Both
fields developed into the domain of basic female activities like fishing and gathering
shrimps as well as scraping sago pith and then obtaining sago starch from the pith
through a washing process, providing thus the real base of living to the villages living
next to the river. Local specialization of those villages living closer to sago stands (and
claiming ownership on them) and those living closer to fishing grounds (and claiming
ownership over the latter) may even have lead, as in the area of the middle course of
the Sepik, to a firmly installed system of regular markets where fish from the river
were and still are being exchanged against cakes of sago flour. Women from the river
villages travel regularly and on their own initiative to the market spots. However, even
in those river villages most dependent on women playing their economical roles very
actively, men are very much in control of the ritual power of each village, and, as a
consequence, of representing its physical strength. Underlying this we find the notion
that there is nevertheless a maternal source to this power, and in fact rituals play at
rendering this relationship between men and mothers visible.
5 Two observations might help to frame the problem: First, for a considerable time span
before Europeans arrived, societies in the Sepik area at large produced a variety of
items of material culture well beyond the needs of subsistence production in a
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technical sense. The degree of variations seems to have been highest in the village
societies oriented on the river, feeding basically on fish and sago. This considerable
output was, if not coming from the hands of men, at least controlled by men through
the mechanics of a basically patrilineal social organization (with the exception of Lower
Sepik societies from Biwat to Murik, see Lipset 1997). Second, none of the Sepik
societies, as far as we are aware of, did „indulge“ in competitive exchange of
commodities on a notable level (as in the scenario of Enga tee, Melpa moka etc.), though,
in neighbouring societies producing yams the exchange of these products of intensive
gardening, vital for keeping the tuberous plants and their crops safe and sane, reached
quite spectacular levels. Even there, the product was considered more in terms of its
bodily quality, i.e. as a manifestation of ancestral presence, made possibly through a
close cooperation of ritually specialized men and their female partners, rather than as
a material good the giving of which would create asymmetrical dependencies. Yet, the
display and inter-village exchange of some of the Abelam long yams certainly was
competitive – the salient point here being that each long yam tuber of Dioscorea alata
produced by a specialized Abelam planter with his wife’s hidden support is as much a
representational work of art as its equivalent carved in wood, the ngwalndu carving,
produced by men alone (Forge, 1966; Hauser-Schäublin, 1986; Coupaye, 2009a and b;
Roscoe, 1995).
6 Could one motivation to produce a vast array of visual representations across the Sepik
area then be found in a cultural drive to strike a balance between gendered roles in
society? On the male side these could be described, on the base of ethnographical
knowledge, e.g. as ritual management, ideological dominance or displaying physical
strength, and on the female side, as the management of subsistence oriented activities
and of nurture or the display of physical fertility2. While in the past, creating and
controlling visual representations assured for the male part a high visibility, the female
part was kept less conspicuous. The impact of ceremonial houses (Hauser-Schäublin,
1989), with their extensive outfit of figurative and non-figurative representational
elements, of ritual gear, including a broad variety of mask costumes and their heads or
faces, or of canoes, and also of household equipment such as carved suspension hooks,
all made by men, was certainly overwhelming.
7 On the other hand, the most visible products created by women were, for the area we
are most concerned with and children apart, pottery vessels for every-day use,
decorated net bags or plaited bags as well as capes protecting against sun and rain.
Perhaps, one could ask, do hidden links between the male and female creative activities
indeed form the core of the secrecy enshrined in ritual performances? In order to
understand these questions we need to learn to see how, especially in middle Sepik,
views about matters of life and of gendered roles are subjected to steadily ongoing
transformational processes, overriding even the barriers of biological sex3.
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Photo 1. – Women on their way to or from a pottery market near Aibom village, with their plaitedcapes protecting against sun and rain, ceramic ware and mats
(©Felix Speiser, 1930, Archive Museum der Kulturen Basel – inv.nr. (F)Vb 759)
8 It was Bernard Juillerat who was able to show just how such relationships among the
Yafar in the West Sepik Province are being objectified, i.e. made visible (and partly also
audible) in ritual performance, using mainly temporarily decorated human bodies, a
few solid objects like arrows and hand held drums together with paraphernalia just
made for temporary use(Juillerat, 1986, 1992, 2002a). Juillerat’s point being that the
ritual performance enhanced values that were also recognized by Yafar individuals as
underlying their inter-personal relationships. We should not expect otherwise for the
middle Sepik area. We shall thus move about on a triangular field of analysis
determined by ritual relationships, emotional relationships as well as relationships to
objects, all subjected to transformation.
Which Iatmul relationships are we looking for?
9 Focusing on middle Sepik art and the ethos of those societies I am well aware of the
danger of again pronouncing «categorial fallacies» (Moutu, n.d.: 19) in trying to link
specific types of objects to exchange gifts in the sense of knowledge and services
rendered in the context of naven-bound relationships. These will be the focus of the
following explorations
10 In general, naven ceremonies of all kinds mark the return of a successful junior member
of the family to his or her mother, after having for the first time achieved performing a
relevant task. This could apply to a girl having done a first fishing tour on her own, or a
visit to the sago market, or to a boy or a girl having obtained a school or university
degree. A boy’s proper achievement could range from having carved his first canoe or
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having won a soccer match to having passed initiation or having performed
successfully in a specific ritual. While it can be said that naven ceremonies should be
considered as being mainly lineage or clan oriented, the relationship between a son, his
mother and his mother’s brother apparently is not restricted to either one of the
mother’s or father’s clan public domains.
11 It is worth pointing out that Juillerat’s point of departure which rests in a text by
Florence Weiss (now also available in English, Weiss and Stanek, 2006) and to which we
will turn shortly, was not only that the baby child looked back to his mother, but that
the mother in the private naven performed gives to her relationship with the child a
new twist, thus solidifying an ambivalent relationship. Juillerat also draws attention to
the permanence of the role of the absent, the father, which is only partly expressed by
the presence of the father’s sister, the yau, and starts to explore the contrasts in roles
of elder/younger siblingship (Juillerat, 1999: 155-156, 163, 166, 168-170). His main
concern is with how individuals interrelate with each other in really complex ways,
thus showing how multifaceted their grown-up personalities are. To focus thus on
interactions between individuals seems to me to be fundamentally different from an
approach at classifying personalities according to simplified role models.
12 Hence, the prominence given to the return to the mother as observed and explained by
an experienced Iatmul woman of Palimbei village. This return became the key motive
to Florence Weiss’ 1979 interpretation of naven. Andrew Moutu reports that his Iatmul
tutor(s) of Kanganamun village saw in 2001 the key in the elder brother/younger
brother relationship that is not only at play between siblings, both sexes confounded,
but also by extension between members of age classes and generational classes to
which this model is also being applied as of today. In fact, he says this view also applies
to any Iatmul individual keeping together life and death, the ultimate pair of siblings,
evidently as long as the individual is still alive. With the return of the younger the elder
sibling becomes invisible (Moutu, n.d. [2006], Herle and Moutu, 2004). Moutu makes a
very convincing case for his radically new approach. In the details of the argument, the
difference may reflect a shift from the vision argued by female Iatmul partners in field
work (Weiss, 1987, 2006) to one argued by men. Another shift may have taken place
over time in the mind sets of both, the anthropologists (in regard to the study of
gendered roles, quite new in the 1970s) as well as of populations in the Iatmul villages
(with fundamental changes between 1975 and 2001).
13 One has also to remember that even the modern Kanganamun vision of naven as related
by Andrew Moutu (Moutu n.d. [2006]) is due to classifications that are established by
the grouping of initiatory classes into two ritual moieties (Bateson, 1958: 245; Herle and
Moutu, 2004: 10, 24-31). Initiation in this view is a procedure where members of an
elder brother line initiate the incoming members of a younger brother line in a way
that physical fathers and sons belong always to the same initiatory line A or B. Each
line constitutes a moiety, though in terms of filiation physical fathers and sons belong
to opposed generational classes, aligning Ego, his grandfather and his grandson in one
class, and Ego’s father and Ego’s son into the other, The initiatory lines interlock
according to a principle of relative age: age stages, paired 1-2, 3-4 etc. to 7-8 or 9-10, are
divided into those of the «elder brother line» (A) sub-group and those of the «younger
brother line» (B) sub-group, forming classes 1A and 2B, 3A and 4B etc.4. Thus, members
of 1A, as sub-group of the fathers, act by applying scarifications onto the bodies of 4B,
while 2B members act on 3A, etc. In each of these individual relationships a senior and
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a junior partner are linked, addressing each other as elder brother, nyamun, and
younger brother, suambu, respectively5.
14 However, it is important to note that there was formerly a swinging over of the system
which was referred to already by Bateson as a logic functional requirement (Bateson,
1932: 433, Bateson, 1958: 245), making the younger brother line B becoming in toto the
elder brother line A. In other words, this ritual was about acknowledging that, the
kamblal, i.e. all the men of the son’s generation of groups 3A and 4B (and possible
annual sub-sub groups), who had passed through initiation together and who still
occupied the tegal men’s house, had eventually wretched power from their initiators
and thus were now prevailing as the masters of all high level ceremonial houses (ngeko).
Only by this main generational rite would the individual transformations of younger
brother initiates, suambu alambandi into elder brother initiates, nyamun-alambandi
become fully endorsed. Thus the initiation classes 2B, 4B, 6B, and 8B of the younger
brother moiety would be officially transformed into classes -0A, 1A, 3A, 5A of the elder
brother moiety, while new 7A and 8B would receive the younger children, originally
grouped into the mbore youth house (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 25). This, in the
past, led to a complete renewal of the system, getting it back into tune with the
physical age of its members in each age group. However, this practice stopped taking
place around 1929 in the Central Iatmul group of villages, an omission which led to a
blockage, weakening the system as a functional entity. It also means that objects
specifically used in these rituals became dysfunctional.
15 The resulting distortion of the old system forced Iatmul experts to find other solutions
(Schmid and Kocher-Schmid, 1992; Kocher-Schmid, n.d.). For the Nyaura-Iatmul,
Wassmann reported that the reversal somehow was still being achieved in the 1970s
(Wassmann, 1991: 32). According to Moutu there is now a complete split between the
cosmological moieties on one side, and the ritual moieties active in initiation on the
other. While the former provide the structure for grouping lineages and totemic clans
into operational units within the village at large, thus establishing generational
groupings identifying fathers with their grandsons, and sons with their grandfathers,
the latter most effectively create bonds between individuals sharing experiences and
restricted knowledge. Opinions diverge on whether this split might have applied in the
past to all three Iatmul regional groups. In 1984 Cherubim Dambui of Timbunke village
(Woliagwi or Eastern Iatmul) maintained that the overall balance of the system,
unifying initiation moieties and totemic moieties in an unspecified way, was indeed in
need to be re-implemented then and there6. Dambui identified at that time in European
museums two types of carvings, necessary to performing the rite, one a pair of snake
carvings, about 4 m in length, in the Bühler collection, and the second, a very special
type of water drum in the Roesicke collection7. Both types show an evident homology to
elder brother/younger brother pairs; the object types are mentioned or alluded to in
the survey of rituals for Yentshan and Palimbei villages, explained by the Iatmul
experts of that time to J. Schmid in 1972-1973 (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 56-58,
66-70 referring to wakin mbangu).
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Photos 2a-b. – Carved finial of a ceremonial house, ngeko; carved finial at opposite end ofceremonial house; both carvings represent ngauwi, a pair of eagles shown in association with theirmother; probably in Kanganamun village
(©René Gardi, 1956, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 13074) et inv.nr. (F) Vb 13073)
16 Where there are brothers there must be a mother, too. Indeed, the most prominent pair
of brothers in Iatmul mythology are the two eagles8. Their mother is the primeval
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ancestress, sister to the primeval ancestor. Although their names vary from clan to
clan, Kabiragwa for her, Mangisaun for him may be used here as type reference, the
individual versions being referred to in many documented versions.
17 Of course the elder brother – younger brother relationship plays a very critical role in
many other mythical explanations of world views, too. It could well be that splitting the
ritual view, focusing on initiation as a ritual of unification, from the level of village
segmentation based on cosmological and historical references in clan-owned traditions,
is the answer given by active Iatmul (Kanganamun) ritual experts to the underlying
problem (Herle and Moutu, 2004: 10; Moutu, n.d.).
18 Up to this point we have encountered several types of objects which have played or
may have played a role in a naven context; the latter was male gendered in Bateson’s
approach. Does widening this approach improve our visions?
19 Displaying knowledge, that unites – a way of gifting
20 The totemic system, by itself, tends to cut up not only the layout of the village but the
whole landscape into clan lots. Even the tracing of knowledge in the system of opposing
a sun (and father) moiety to a mother (and earth) moiety, though ultimately
complementing each other, seems rather divisive. These divisions, reenacted even in
daily life again and again – hence Bateson’s focus on relationships expressing opposing
sets of values and on schismogenesis –, call indeed for a band of unifying actions. While
initiation procedures recreate a sort of male-biased primeval unity across the socially
divisive principles such as totemic descent (Herle and Moutu, 2004: 15, 24), or the
father-son dichotomy, the exchange of gifts in the largest possible sense (including the
giving of knowledge or service) as discussed by Marilyn Strathern (Strathern, 1988) and
Maurice Godelier (1986-1996) would offer, it seems to me, an efficient way of rendering
relationships visible. I suggest that looking more intensely at what objects «do» in the
context of naven could be helpful to clarify our vision of Iatmul practice.
21 According to the view of Carlo Severi and Michael Houseman (1998) this unifying role,
is indeed played by the interrelated segments of the naven ritual. By being reinvented
within limits each time its performance seems desirable, it serves as a tool to handle
the relationships between mother and her child, between notably a son and his real as
well as his classificatory mother’s brother. More importantly the ritual helps defining
relationships between an individual and his classificatory father’s sister, and, by
extension, between at least two exogamous patri-lineages (or clans). In practicing naven
as ritual, the Iatmul according to Severi and Houseman are constantly re-implementing
crucial relationships, including those that help to identify potential marriage partners.
It is the underlying procedural logic of transformation rather than separation that
makes naven qualify as ritual, according to the two authors quoted. Houseman and
Severi, based on evidence from F. Weiss and M. Stanek, do indeed refer to the use of
objects and especially of masks in conjunction with naven rituals, though both are seen
rather as essential tools than as containers for gifts of knowledge. Andrew Moutu in
turn, based on new evidence from his fieldwork, is arguing for a more simplified view
of naven ceremonies, which in his perspective all implement, in one or the other way,
the return of the younger, more aggressive, more exalted brother after a period of split.
22 Returning thus from the larger stage set to the narrower one, positioned at the
opposite end, where individual relationships are at stake, we have to accept that, until
proof to the contrary, Magindaua’s view of 1979 and Andrew Moutu’s view of 2001 are
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not mutually exclusive. For all we know from Palimbei village, the naven relationship
links a mother, nyame (and by extension her brother, who together represent the
nucleus of the maternal clan) to her child (and by extension to the child’s father and
father’s sister, i.e. the nucleus of the paternal clan). Because of the transformational
rules at play in Iatmul society, this same relationship can be expressed as one linking
the mother’s brother (wau) to the sister’s son (laua) or daughter, and again as a link
between a father’s sister (yau) and her brother’s child (kanggut). The model is applied
beyond the links established through direct male in-laws (tawontu, WB).
23 At marriage substantial gifts of bride-wealth (to set the bride free to move from her
own paternal clan to her husband’s paternal clan) and of dowry (enabling the bride as
an individual to set up her own existence as a productive, yet co-opted member of her
husband’s clan using her own fishing and household gear) were set in motion (Hauser-
Schäublin, 1977: 79-97, 1985:522, 526 cf. and Bateson photograph in Herle and Moutu,
2004: 16 below). The bride-wealth traditionally consisted of shell valuables as well as of
net-bags charged with symbolical meaning (vagina); after 1950 modern currency
replaced the shell-valuables, though partly only in the dowry. Shell valuables are
associated with the male gender. Those on the side of the bride’s clan, who did not
receive parts of the bride-wealth, would later qualify to become the classificatory
mother’s brothers, wau, so important for the future children of the bride, their laua.
The special personal name with the mother’s clan ending and a coconut are given to
the child by his wau. These classificatory wau-laua relationships may even be knit in a
way to link certain clans closer together, making them more efficient in mustering the
work force needed to do joint construction work on the ceremonial house (Bateson,
1958:95-96, cf. Severi and Houseman, 1998:80-88). Laua in due course shall become as
adults as indispensable to the wau as he is in earlier life to them: laua are supposed to
carve ancestral figures and masks for them.
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Photo 3. – Bridewealth presented to the bride’s clan in Kanganaman
(Photograph Gregory Bateson, Archive University Museum of Archaeology and Anthropology,Cambridge UK. This image is copyright. Reproduced by permission of University of CambridgeMuseum of Archaeology and Anthropology, acc.no. P.16747 BAT)
24 That said, exchange matters became even more complicated from that point onwards.
On the one hand there was and still is a constant flow of food being exchanged as
described by A. Moutu who explains some of the underlying complex rules which
pertain to a number of differentiated ways of tracing relationships. On the other hand,
services provided were and still are of a very complex nature, too. As Marilyn
Strathern, discussing the mode of unmediated gift exchange (without physical objects
being handed over) observes, gifts of knowledge or services, such as «the mother
making her baby grow in her womb» (Strathern, 1988: 179), may replace, wholly or
partially, objects or goods9.
25 Now, this raises the question, already discussed by Florence Weiss (Morgenthaler et al.,
1984: 218-228), to what extent does the unmediated gift exchange, including the
transfer of knowledge, play a role in naven relationships? Such a transfer could consist
in passing on secret names not to be revealed, or it could consist in revealing the visual
knowledge of and about physical objects and what they were standing for (as in the
case of masks). Of course, visual knowledge might be directed at partially revealing,
and, quite at the same time, partially hiding some secrets, which it is useful to know.
Whether such an explicit visual reference to objects, in the past, implied that at least
some of the physical objects were wandering from one constituent in the relationship
to the other, we do not know. Or, whether indeed in referring to objects it was only the
knowledge about their visual impact that mattered, knowledge rendered accessible and
transferable by visualizing certain aspects, while the object stayed put.
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Photo 4. – A mother dancing naven for her child
(©Florence Weiss, 1974; reproduced by author’s permission)
Face to face with your ancestor
26 In the behavioral sequence taking place between a mother and her child which served
as our starting point, the very earliest naven a mother may practice for her child had
been described by F. Weiss (in Weiss and Stanek, 2006) based on her immediate
presence at the scene between Magindaua and her baby son in the following words:
«[…] I [Florence] sit here not having a clue [about a story just told to her].Magindaua calls out to her baby. As he has done a few times before, he has crawledto the edge of the platform from where he could fall down. Suddenly, she rolls hereyes, sticks out her tongue, and wildly moves her torso and legs to and fro.Florence: ‘Are you doing a naven?’ - Magindaua: ‘Yes, I am doing a naven.’ – Florence:‘Because the baby crawled away?’ – Magindaua: ‘Oh no. Because he looked backwhen I called out to him.’ – Florence: ‘You do a naven because he looks back?’ –Magindaua: ‘Yes, he did look back.’ – Florence: ‘But you do a naven when a girlcatches her first fish or after completion of the initiation ritual or when somebodyfrom far away returns to the village.’ – Magindaua: ‘Yes, that’s when we do a naven.’– Florence: ‘Does the girl who comes home with a fish or the young men after theirinitiation also look back?’ – Magindaua: ‘That is so.’ – [Silence]» (Weiss, 2006: 61, see Photo 4 showing a mother doing the same facial gesture while dancing a naven)
27 In reconsidering the above reported interaction and dialogue with Magindaua, Weiss
writes:
«She responded to this seemingly insignificant event with a few body gesturesreminiscent of dance choreographies that I had seen in all elaborated navenperformances. I found especially noteworthy that her facial expressions also camefrom the naven repertory. They represent the mythical mother who, in the
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imagination of Iatmul mythological culture, is always split into two aspects: thenurturing good mother and the devouring, powerful, dangerous mother. In thesystem of totemic names, these two aspects are for the Iatmul differentiated as theancestral figures Ndanganagwi versus Ndumanagwi.» (Weiss, 2006: 62)
28 In fact, Magindaua, in a separate conversation demonstrates and confirms that the
facial gesture from the naven repertory referred to the carved head on the upper part
of the central house post inside the ceremonial house supporting the roof beam (not
the much lower floor)10. Therefore this was, at least for Palimbei-Iatmul of the 1970s,
visual knowledge accessible to a married woman. Magindaua claimed convincingly it
was women’s knowledge related to scenes from naven, and that the men, when carving
this type of distorted face were unaware of the specific implication it carried in a naven
context. Women had naven, men had initiation (Weiss, 2006: 68). Should we conclude
from this, that both are about transformation?
Photo 5. – a. Central post of a ceremonial house, ngeko, awaiting reconstruction in Palimbei village1973
(©Florence Weiss 1973, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 26236)
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Photo 5. – b. Corner post for platform of Wolimbit ceremonial house, Kanganamun village
(©Alfred Bühler, 1956, Archive Museum der Kulturen Basel, inv.nr. (F)Vb 6964)
29 In showing her child this ancestral face through a gesture involving her own motherly
face being deliberately distorted, to make it look like that of a principal ancestor – in
fact by transforming herself temporarily into that bi-faceted ancestor (Weiss, 2006: 64)
– she would render a service to her child. She meant to prepare the child for further
revelations of knowledge by her brother (real or classificatory), the child’s wau, as well
as by other initiated men, including the child’s father.
The wakin11 mode of representation
30 Magindaua claimed that the specific type of face originated from naven knowledge
controlled by women. What does this imply? She visually and at least temporarily
identifies with a maternal ancestral face according to her vision of naven. Gregory
Bateson was told that the apparently similar face type on a smaller side post referred to
a winsumbu, following Bateson’s caption a wood spirit (Bateson, 1958: pl.VIIIA). For
Magindaua’s interpretation the wood spirit seems not to be a match. The central post is
indeed embodying the main village ancestor as much as the cohort of peer posts
embody his peers across the main clans (Wassmann, 1991: 29-32).
31 However, there is the well-known ambiguity that the house as a whole is the original
ancestress, supporting, on the peaks of the gable her sons, the pair of aggressive,
cannibalistic eagles. Among the Nyaura (western Iatmul) the ancestress is the sister of a
primeval ancestor, Mangisaun (Wassmann, 1991: 176). Moreover, in a version of oral
tradition collected at Soatmeli, the village from which all villages of the Nyaura and the
Palimbei groups descended, this type of face on the main house post of the ceremonial
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house is linked to one of the first wakin spirits that could enter humans, Ndimbitmeli.
As a child [!], Ndimbitmeli climbed up to the top of the main post in the ceremonial
house, in fact breaking through the roof. The wakin Ndimbitmeli had first possessed a
dog and spoken through this animal. He now called out from his position on top of the
post to his maternal relatives, asking them that they should call him by his rightful
name – which they did, setting him free to jump down from the post and to go into the
ground. He immediately entered a human being, speaking through him, and continuing
to do so to this very day (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 19).
32 Ndimbitmeli was among the first wakin spirits that had reached the world of the
humans by devouring all the skin, flesh and entrails of a man, leaving only his bones –
these beings were aggressive snakes living in a hollow tree near Soatmeli and forming a
bundle, ndimangwaran (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 66). The human beings were
shown how to call the useful wakin by cutting a suspension hook from the tree, hanging
up 10 mother of pearl shells for each wakin, and also having areca nuts ready for them12.
33 In conclusion, the carved face on the top of the house post could indeed be a primeval
wakin’s face, remembered for his links to his maternal ancestors. Immediately, an
intriguing question arises: Are mothers doing through naven, what wakin do for and
through men, including initiation?
34 It is impossible to try to answer this question in the space available here. At least two
lines of interpretation would need exploring; according to the first, representing
ancestral beings in their wakin manifestation stresses both their aggressiveness and
their readiness to support the humans, if called in to do so. Following Bateson wakin
spirits can be grouped hierarchically and functionally. The main difficulty seems to be
that the term wakin was often used in a very general sense on one hand – subsuming all
sub-groups into one entity, that of rendering ancestral spirits –, and in a more
restrictive approach on the other. Within the narrow sense functional sub-groups of
certain kinds of wakin spirits were defined, some of them very secret and powerful.
There is also the record of a most prestigious public ceremony where a pair of wakin
figures installed on the ceremonial ground and their human companions make their
appearance (Bateson, 1932, 1958: 233, 236-237 and plates XVIIIB and XXVIIIA). One of
Bateson’s informants said, wakin are behind everything (Bateson, 1958: 237). On the
base of further evidence assembled by Schmid from Yentshan, Kanganamun and
Palimbei villages (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 17-19, 66-67), wakin can be seen as
a way of being, more specifically they can be seen as the communicative aspect of
ancestral beings (as the story of Ndimbitmeli has made clear). They emanate from the
ancestral. They can be both, helpful (they can be invoked with shell valuables), and
dangerous (they strike an individual with death, fright or disease). If a wakin spirit gets
into a human, normally a man, the individual will be speaking out this wakin’s message
in a distinct voice and with wild movements, first of the limbs, in the context of a
shamanistic set-up. The human medium thus becomes bodily part of the ancestral
being in question.
35 This communicative aspect on images representing ancestral beings, either carved or
painted, is marked by wide-open eyes protruding from the centre of oval-shaped
concentric planes, a small long nose, a protruding tongue, and, quite often, a row of
superimposed semi-lunar shaped segments hanging below the face. A main distinction
of the spirit beings underlying this face type would be between the protective elder
brother-wandsimot and the pushy, aggressive, warring younger brother- wandsimot-
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wakin (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 16); to my present knowledge it seems
possible that the distorted face refers rather to the aggressive younger brother variant
of siblings.
36 A second approach however would follow another line of argument by accepting that
Bateson’s Iatmul male informants in the 1930s may have played down these signals of
liminality by identifying the same face type as representing a wood spirit. Perhaps,
they didn’t, Bateson might just not have connected what he was told under different
perspectives. He noted the identification of the face as winsumbu in Palimbei, where he
also observed an elaborate death ritual, not in Kanganamun (see Bateson 1958, caption
to pl.VIIIA).
37 From what has been documented so far, winsumbu refer to that aspect of human soul,
kait, in the living man, probably of paternal origin, that is set free at death and
continues to stay around, taking to the woods (Bateson, 1932: 417); they are like a puff
of wind. Winsumbu can choose to appear in an outward human-like form, causing all
sorts of harm13. The other part-soul, kip, is the essence of a human body, sort of glued to
the bones and linked to the ground; it seems of maternal origin, carrying the name
given by the wau. It has to be released after death to travel to the realm of the spirits of
the dead, down river and eastwards, linked to underground and water (Schmid and
Kocher-Schmid, 1992: 20, 88; Bateson, 1958: 232-233)14. Looking at faces identified as
belonging to/associated with a wider potential winsumbu class, the motif of the small
eye balls set against wide superimposed concentric planes seems most conspicuous15.
The link to the wakin is possibly established through the winsumbu heads mounted on
supporting structures to be shown to the non-initiated public above a screen, which are
implicitly associated with the wakin (Bateson, 1958: caption to pl. XXVII). These heads
consist basically of over-modeled ancestral skulls, and their supports refer to the
mbwatnggowi structures used in mortuary rituals (Bateson, 1958: pl. XXIB, XXV; Schmid
and Kocher-Schmid, 1992: 70-71; Schindlbeck, 1981; Wassmann, 1991: 74-76). They
indeed seem to echo, with the row of pearl shells hanging below them, somehow the
image of a hook figure supporting the head, with the gift of mother of pearl shells,
calling the wakin spirits in to support the humans, as in the explicit version from
Soatmeli (cf. above p. 104). According to Bateson’s knowledge the mbwatnggowi
ceremonial dolls function indeed as wakin (Bateson, 1958: 233). With the help of wakin,
the men keep the village alive and mighty. Hence the Iatmul’s reference to the effect of
the appearance of the winsumbu on fertility (Bateson, 1958: caption pl. XXVII).
Objects that embody
38 Establishing a first visual relationship between your child and these mighty beings of
the origins seems no little task. The mother in her private naven to her baby boy
identified herself with her ancestral appearance, interrelating naven gestures with
carvings of the wakin cum winsumbu type. We might like to ask whether further
examples of objects which show up in the context of naven-bound relationships could
be identified and described. In naven performances for children on their way to
adulthood, it is boys who receive more explicit attention, especially after initiation is
completed. Individuals of both genders when enacting the ceremony either enhance
their roles by using objects normally used by persons of the opposite gender, or they
are alternatively overplaying their own gender by performing (almost) naked.
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39 While naven ceremonies refer to a realm, which links the public to the private – in as
far as they normally seem to mark the return of a person from a first time achievement
of a specific type in her or his life –, another aspect should not be overlooked. They also
serve in rounding up rituals of different kinds held at the ceremonial house as the
village’s spiritual center. Again, it is the return to the mother, which triggers the naven.
40 Of course, the most important occasion is the young initiate’s return to his mother,
once the complex scarification and teaching rituals are completed. Initiation has
separated him forever from his mother, nyame, making his mother’s brother, wau, to
become more important as a source of knowledge and of comfort during the most
painful phase of initiation. Through cutting patterns of scars into his skin the initiating
moiety made him then to loose a lot of blood.
41 By interfering with the healing process the scars were intended to heal only slowly;
thus eventually the pattern could be enhanced, remaining visible all along the initiate’s
life. So, returning from this and many other probes he would have become a new
person in many ways, yet he is made to return in a highly formalized way, imposing a
last probe of extreme endurance in public onto him. He has to stand up for hours,
without moving, in front of (or leaning on?) a carved stick which showed a small
ancestral face, his gaze directed to the ground, and fully exposed to sunshine and heat.
Close to him, on the ceremonial ground outside the initiation enclosure his mother and
other women are performing their dances of joy. Only once his ordeal is finished, and
the newly initiated man has returned home, the wau (real and classificatory MB) and
later the yau (father’s sisters, real and classificatory FZ) will start their parts in a naven
role play. Here the mimicking of gendered roles serves as much as entertainment as it
explains what is happening in an emotion-laden event on the individual level. It is the
yau’s performance that will come to a peak, when the women (yau, FZ) acting as men
will challenge the wau, the mother’s brothers acting as women, about their sexual
identity: they pretend it was them, the father’s sisters (as paternal clan) who had given
the wau, the mother’s brother acting as mother, the vagina. In return, the latter claim
to have given the father the penis. It adds up to enhancing the instrumental part given
to the mother in bodily producing the child that now has just returned with glory. The
play evidently also helps to reduce potentially disruptive effects between the
exogamous lineages. The short concluding act of the wau honoring and shaming in one
gesture – rubbing his buttocks down the laua’s shine-bone – is a side act, not the focus
of public attention.
42 First of all, one might recall that a wau is disguised in worn, shabby female garments: a
skirt and a rain cap. He is also equipped with such female gear as a short pointed
paddle, a carrying bag for fried sago cake, a basket or fish-trap for collecting prawns, a
fishing net, a spear thrower (for spearing eel, a job for women going fishing) and an
adze or a digging stick. These objects make look the male individual performer (or the
group of classificatory identical individuals acting this role in public) as seasoned
mother(s). The number and quality of gendered objects used in the performance points
to their role of enhancing rather than disguising.
43 The father’s sisters, yau, in turn would wear male attire such as a minimal string girdle
or a warrior’s apron, more recently a European type hat, and carry a lime container
with a long spatula and a spear to actively pose as male participants. The performers of
male roles would paddle in standing in the canoe, those of female roles in sitting (cf.
Bateson, 1958: pl. VIA). Even such male gendered objects as masks could become part of
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the outfit for a woman (a yau?) performing naven: Magindaua reported about her
earlier naven activities, which included participating together with another woman as
yau (FZ) «in men’s clothes. We played guitar, danced and sang. An old woman put a pig
mask on her head…» – probably of a type used by boys and young men (Weiss, 2006: 58;
cf. Kelm, 1966, I, n° 85, 87). All of these objects are borrowed for the duration of the
performance, and remain the property of their original owners, mostly the opposite sex
siblings. Acting out the naven scenes without the gendered objects would make the task
of the actors impossible, because without the markers for transvestite behavior acting
could nor be explicit, nor dramatically efficient. It is meant to entertain, and to be
touching, e.g. when the male performer identifies so completely with the opposite
gender, that the audience is seized by the temporary transformation (see Houseman
and Severi, 1998: 52 for a description by Stanek).
44 The use of everyday objects is in line with the fact, that basically naven ceremonies are
always public ceremonies, not part of the male ritual sphere. However, in former times,
the most prestigious naven ceremonies were played out after large men’s house rituals,
and, in their most spectacular form, at the moment, a successful warrior and head
hunter returned home. Even a wounded warrior, unable to walk, would have to be
carried over the lying rows of his naked classificatory mothers, nyame (i.e. the mother’s
clan sisters or matrilineal cousins), and tshaishi (elder BW) or yau (FZ), and thus be
honored (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 78; Hauser, 1977: 96, 155 )16. And a trophy
head would indeed be treated as a powerful object to be physically brought into contact
with the most sacred, i.e. directly ancestral parts of the ceremonial house, as there are:
the ground, the mound in front of the house, the house posts and the wakin slit gongs
(Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 77-78). Following the report by Bateson’s
informants on practices of the then pre-1929 past, the head was taken over from the
warrior by the wife of the classificatory wau, mbora, dressed as an old woman and
carried suspended from her neck; she too would receive a Turbo shell tied to a spear in
exchange (Bateson, 1958: 19-20). In a photograph of a wau performing for a group of
young laua, a wau disguised as a mother dancing is carrying an over-modeled head said
to represent a trophy head taken by one of his laua (Bateson, 1958, pl.VA). Following
Juillerat and Houseman we may identify in the preceding act of the successful warrior,
i.e. to present upon returning to the village the severed head first to his mother, as the
ultimate reason – the only objectified return gift a son was able to produce - for
triggering a naven ceremony (Juillerat, 1999: 159; Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 79).
Again, the ceremony makes sense only if and as long as the head as an object is
available; it is irreplaceable. A dead enemy’s head is the ultimate manipulable
objectification of ancestral life force.
Embodiment as a service rendered
45 A male child in his role as laua is to obtain general ritual or initiatory knowledge partly
from his maternal uncle, wau, albeit mainly from one of the classificatory wau. As far as
we know, the laua (ZS) owes his wau (MB) compensatory gifts each time he is being
shown or imparted some knowledge (shell valuables, formerly tied to a spear). The laua
owes his wau also some services, especially as a dancer, i.e. as an animator of mask
costumes carrying mask faces owned by the wau and his paternal clan lineage.
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46 In a ceremony arranged on the central dance ground (wompuno), recently initiated men
are activating the mai (or mwai) masks that make their appearance in minimal groups
of three, two brothers and one sister. The «mother of all the mai», with a flatter face
(?), named Tambioli in Palimbei, appeared a few days earlier, quite alone. In fact, if a
wooden mai head is not available, it is, as with other clan specific ancestral figures, the
laua’s obligation to carve one, and to present it to his wau; only then would it be
mounted on a costume (Bateson, 1958: 45; Herle and Moutu, 2004: 33). The masked
dancers arrive and perform in sight of a crowd by leaving a specially fenced space
(ndimba). Without the fence there would be no hiding of who puts on which mask. In
any case, it should be men in a laua (ZS) role to the owners of the mask that dance with
the mai costumes. Performing the masks announces the social fact that the former
initiates have now reached the stage of being mature. It also reveals that the founding
ancestors are still in command of their minor forms of life appearance or embodiment.
Indeed, according to a traditional Iatmul view, the mai masks are the junior version of
the large wakin figures appearing over night for a public ceremony in front of the
ceremonial house (Bateson, 1958: pl. XVIIIB and XXVIIIA).
47 Thus, on the other hand, the laua, according to the information Bateson received, is the
live embodiment of his maternal clan’s ancestors: he has ingested on repeated
occasions the food, which was offered as a sacrifice to the ancestors of this clan by
hanging it up on the dedicated suspension hook (Bateson, n.d. on hook Cambridge
35.62); he will even «eat his maternal ancestors», e.g. when he is given doubled eggs of
crocodile to eat (Bateson, 1958: 45-47). By playing the flutes of his maternal clan he also
relates the voice of the maternal ancestors. The wau addresses his laua (and so does vice
versa the laua his wau ) indeed as «Nyai’ nggwail», Ancestor, literally «father and
father’s father».
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Photo 6. – A suspension hook of exceptional shape, said to come from a ceremonial house in thecentral Iatmul area; the suspending spikes end in snake (or bird) heads
This iconography is highly suggestive of a link to the myth of the original wakin snakes coming out ofa tree
(©Museum der Kulturen Basel, collection Paul Wirz 1952, inv.nr. Vb 2896)
48 Certainly, one of the most spectacular services a laua (ZS) could have rendered to his
wau (MB), was performing with the latter’s clan abwan mask, the so-called Small abwan
(if we follow Weiss’s analysis, [Weiss, n.d.]), consisting of a visually very attractive
costume, showing two superimposed and often divergent personality renderings. This
mask costume would normally have been produced by men of one of the neighbouring
Sawos villages in a plaiting technique using a passive coil and active plaiting strands.
This would give the costume stability while keeping it light. The final step consisting of
over-modeling the principal face(s) with the yimba paste as well as painting them,
would have to be achieved by the hands of a Iatmul male. The two superimposed
personalities can be either a face mask face plus a second head, integrated into the
basketry costume (alternatively an over-modeled skull), or it could consist of a lower
face and a separate being, usually a totemic bird standing or sitting on the top of the
costume (Bateson, 1932: pl. VII right, Mevambül-awan of Mwailambu clan in
Mindimbit). Normally, clan specific abwan masks were kept in private houses. They
were definitely more fragile than the Big abwan costumes17, the latter intimately linked
to the ceremonial house (ngeko) and to rites which were part of the initiation.
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Photo 7. – A fully Iatmul decorated man with his lime container, showing a winsumbu type face
(Photo G.Bateson, This image is copyright. Reproduced by permission of University of CambridgeMuseum of Archaeology & Anthropology, acc.no. P.16630 BAT)
49 As to the name of these masks there is some confusion ever since Bateson. Abwan
(Bateson wrote awan) denotes the two types of mask, which have, to all appearance,
only little in common, and abwan is also the suffix used in ancestral names to denote
that the name in question belongs to a maternal ancestor (or has its origin in the name
pool of a maternal line). That mask costumes, which have to be activated by the
classificatory sisters’ sons or laua and on which the upper figure evidently links up to a
clan’s specific ancestry, are generically called abwan as is the laua by his secret
maternal name. It remains to be seen whether for the much more mobile Big abwan
masks a similar, though metaphorical ancestral link could be established.
50 To think of these public performances of a laua in disguise in a mask costume as being
the equivalent of his wau’s public performances, seems a valid observation, especially
considering the latter’s moving gesture of rubbing in public his buttocks against the
shine-bone of his laua, thus shaming the laua by evoking the female other in him
(Juillerat, 1999: 174-176). Performing, the laua, a fully initiated man, embodies the
ancestors of the clan of his mother and of his wau, so he is coming back in a very
spectacular way to his origins: the look of the mask-person’s calm, individualized and
humanized expression certainly gave the display overwhelming visual power. For all
involved a moment of fulfillment. It is the junior who, with all his life force, is bringing
the dead skin or costume (shaba) into life on village stage, a stage which is open to
public visual perception. It is also a stage upon which ancestral forces might directly
enter the performing skin or costume, making their presence known by some
significant, yet barely visible sign, a puff of air, a movement of one of the head
ornaments.
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Photo 8. – Costume of Mevambül-awan, Mwailambu clan in Mindimbit, as identified by G. Batesonin 1929
(©Museum der Kulturen Basel, coll. Dadi Wirz 1955, inv.nr. Vb 22114)
51 In former times it would also have been the laua who would have performed with the
winsumbu heads mentioned earlier in a special ceremony, called kwangumeli mbangu in
front of the men’s house. Its function would have been to concentrate spiritual forces
in e.g. important new parts of a ceremonial house or in a new communal canoe by
«heating up» the object (Schmid and Kocher-Schmid, 1992: 72). For this occasion again,
like for the initiation rituals, a fence, ndimba, would have to be built around the
ceremonial house. At the concluding step again a rather large naven was to be held for
all the performers (Bateson, 1958, pl. XVIIIB and XXVIIIA, Schmid and Kocher-Schmid,
1992: 72-73)18.
52 We can now see that in naven relationships much weight is given to displaying
knowledge through objects as well as through bodily gestures. Under both aspects it is
the gendered meaning of the objects as well as of the activating gestures that defines
the focus of the display. After all, we should perhaps note, that according to Weiss
(2006: 62) the literal translation of na-ven would be «Look at this!» or more directly
«hey, this, here!» (na-) [you are] «looking at» (ve-).
Balance of services and the establishment of bonds
53 Seen from the outside it seems that the gifts of knowledge made visually available and
the equally non-material gifts of services rendered by performing for the good of either
the laua or the wau are in balance. There seems however to be a second level to the
relationship where services rendered by the wau, and more especially hidden verbal
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263
knowledge imparted had, at least according to custom in some villages, to be countered
by material gifts in the form of shell valuables (Bateson, 1932, 1958; cf. Severi and
Houseman, 1998). These valuables would have to be passed from the laua (or his
paternal clan relatives) to the wau, in exchange for the latter’s gifts – knowledge and/
or services, which would include the classificatory wau’s important role in nurturing
and protecting his laua during scarification, teaching and recovery. As we have
remarked upon, the payments of shell money at marriage to the lineage of the bride
would not go to individuals potentially fit to serve as classificatory wau; therefore
additional gifts (in the general sense of gifts in exchange) would become necessary. It is
in line with this logic that according to the only description available of a wau’s naven
for a girl, it were the wau (classificatory MBs) bringing pigs, thus marking their
obligation to their classificatory sister’s husband (tawontu), but in view of obtaining
shell valuables as a counter-gift (Bateson, 1958: 17).
54 As it is Iatmul women who still provide in daily life the traditional food – fish and sago
– for all to eat, male Iatmul individuals as e.g. laua receive and eat, or received and ate
according to Bateson, ceremonial food that is given to them by the maternal clan
through their wau. They owe in a way their live bodily appearance to their maternal
ancestors, yet their personality (and their bones) to their father and grandfather.
55 In fact, all the gifts of services, food and goods taken together tighten markedly the link
between the individual as a member of a specific paternal line and his or her maternal
line. If naven ceremonies performed by mothers (and further females) mark first of all
the successful return of their children to their mother in her capacity as a member
married into the father’s clan, the naven ceremony performed by the wau once
initiation has been achieved serves an equivalent purpose. The wau’s performance
marks the return of the reified, now solely male body of the laua, or indeed of the
younger brother to the age group of the elder brother, thus ending the special
enactment of the social relationship between wau and laua during the period of
seclusion.
56 In the village environment of the Iatmul past, the underlying bond would have later
been reinforced publicly each time the laua helped to revitalize the empty, motionless
mask structures of his mother’s and the wau’s paternal clan, as we have just seen. In as
much as the laua can also be classified as the younger brother of the wau, each such
clan abwan mask performance also marks, quite in line with A. Moutu’s argument, a
return of the younger brother to the elder brother.
57 An in-depth restudy of evidence for the large communal events involving numerous
individual and parallel naven ceremonies following the completion of major ceremonial
cycles at the men’s house might show that naven rites are indeed more than clan
related ceremonies. It was already mentioned that links between classificatory wau’s
descending from the same pair of sisters marrying into different clans would establish
more formal links for potential cooperation in communal tasks between the clans
involved. The entire laua work force of these wau would be activated for carving and
building work at the building site of a senior ceremonial house, ngeko (Bateson 1958:96).
And in fact the completion of such a structure would trigger an especially important
naven. One wonders whether there were once indeed deeper links between a Iatmul
vision of the role of the many individuals involved in any singular naven relationship,
including the exchanges of knowledge involved in practicing it, and the Iatmul vision of
the cosmological order. We may leave it at that.
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Conclusions
58 Physical objects, mainly every day gear of a gendered character, do carry additional,
yet transformed meaning when handled in a ceremonial context. Reference to or
performing with objects in relationships that are part of or lead up to naven ceremonies
can be seen as producing unmediated gifts, gifts of knowledge or services. With these
gifts it is the visually expressed knowledge transmitted through the display of objects
that circulates, not the object. In the very first naven celebrated for a small child not yet
able to walk, who for the first time returns to his or her mother, it is the mother who
produces the gift by visually revealing that she is one with a dominant ancestor of the
place. This gift of visual knowledge would open the way for the child later receiving
further knowledge about crucial transformations. In later rites, the main gifts of
hidden knowledge reach the child, especially the male child from the mother’s brother
(wau, mainly the classificatory mother’s brother).
59 The exchange of objects as material things given (or gifts) between the persons directly
involved and their groups, including the groom and the bride’s real brother, form an
important part of marriage ceremonies. On top of this, unmediated gifts of knowledge
or services, especially those rendered by a classificatory mother’s brother, wau during
the sister’s son initiation, need to be compensated partly by giving valuables. It seems
more important, however, that these services, culminating in dramatic performances
by the wau (MB) honoring the laua (ZS), would be balanced out by the laua activating
and performing with the mask costumes (mai, abwan) and dance figures (winsumbu)
belonging to the wau’s clan. Looking at this as a complex of interrelated acts, we may
find on the one hand that knowledge made visible through the explicit use of objects in
ceremonies stresses the importance of the original maternal transformational role for
initiating an efficient individual link to village ancestors. On the other hand, the
individual laua (ZS), by repeating his returning to the maternal ancestors in a
transformational act of performance or embodiment, maintains the fundamental link,
thus triggering in turn a performative response – i.e. a naven performance. In naven
ceremonies especially the distinctions between the human body and an object as its
gendered extension, between life and performance, between the hidden face and the
visible mask, between son and mother or between younger brother and elder brother
are intentionally becoming blurred. Yet this blurring is patterned by certain rules. It
should occur to the reader that, most probably, there never was a strictly normative
Iatmul iconology, yet knowledge, its revelation and its concealment, all are governed
by canons, authoritative ideals which call for being interpreted each time a form
evoking a transformation is to be recreated.
60 I am afraid, that in my contribution I have raised more questions than I have been able
to answer. I deeply regret not having clarified and raised my questions in discussing
with Bernard Juillerat – a joint project on Melanesian art having been abandoned
before we really got a chance to enter into the matter.
Acknowledgement
61 I wish to thank the Sainsbury Research Unit, University of East Anglia, Norwich and
especially Steven Hooper, Director, Pat Hewitt, Librarian, Jeremy Bartholomew and
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Matthew Sillence, Assistant Librarians as well as Lynne Crossland Humphreys and the
Faculty staff at the School for World Art Studies and Museology for their hospitality
and inspiring support during the spring term 2009. I would also like to acknowledge the
support of Antje Denner, Christin Kocher-Schmid, Sylvia Puschnig-Ohnemus, Brigit
Obrist van Eeuwijk, Florence Weiss, Milan Stanek, Juerg Wassmann and Markus
Schindlbeck, who all have contributed to the project of documenting and studying
Iatmul and Central Sepik material culture over the last 30 years, a project originally
located at the Museum der Kulturen Basel, supported by the Institute of Ethnology
(now Social Anthropology) at the University of Basel, and financed by the Swiss
National Research Foundation, a project yet to be completed (see also Kaufmann 1990,
Kocher-Schmid, n.d.). Anita Herle and Jocelyne Dudding have greatly facilitated access
to the photographs of G. Bateson held at the University Museum of Archaeology and
Anthropology, Cambridge, UK. And last but not least, my thanks go also to the
anonymous peer reviewers as well as to the participants of the Melanesian Research
Seminar at the British Museum in London (March 5, 2010) for their suggestions. All
errors are mine.
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NOTES
1. See for the Yangis rituals also Juillerat (ed.), 1992, including the follow up discussion with,
among others, A. Gell, R. Wagner, A. Strathern and R. Werbner, the later two on regional
comparisons, as well as Juillerat 1991.
2. Meeker, Barlow and Lipset (1986) started from a similar idea, but followed a different agenda.
3. The wider issue of gendered artefacts in New Guinea is not discussed here, see, among others,
Strathern (1988).
4. I follow in the numbering the basic scheme of Bateson (1958: 245), without his doubling-up,
while Herle and Moutu (2004: 10), Houseman and Severi (1998), and Schmid and Kocher-Schmid
(1992) have followed a different logic each.
5. Moutu writes shuambu (Moutu, n.d.), Bateson tshuambo.
6. Father Cherubim Dambui in two oral communications in the then Museum für Völkerkunde
Basel and in the Museum für Völkerkunde Berlin in August 1984 during the Sepik Heritage
conference and the excursion to visit museums in Germany (see also Kaufmann, 1990: 593).
7. Basel Inv.nos. Vb 14718 and Vb 14719 from Kararau village, cf. Kelm 1966, I, nos. 36,37, and
Berlin Kelm 1966, I, no. 153.
8. For a version of their story see the text quoted by Juillerat (1999: 158-159) as told by Mbara to
M. Stanek.
9. Gift here simply meaning «a thing given», therefore in return for a virtual thing given, such as
a service or a bit of hidden knowledge, an object representing a symbol of value might be
received, a transaction that only in a colonial, money driven view would be judged as buying. It is
worth noting, though, that this sort of transaction is in Tok pisin, the Melanesian Pidgin, also
referred to by the terms for pay (pe) and buying (peim).
10. Magindaua’s statement in context: «Florence: ‘[…] When you explained the naven to me, we
came upon a secret the men don’t know anything about.’ – Magindaua lies down stretching out
on her back, sticks out her tongue as far as she can, opens her eyes widely and pulls down her
lower lids with her fingers, shifts her hands behind her ears so that they stand out, lifts her arms
and pulls up her legs. She demonstrates faces and gestures of the naven. – Magindaua: ‘The
carvings you are talking about [on the posts of the derelict men’s house, with one of the figures
sticking his tongue out] are scenes from naven.’ – Florence: ‘Your men don’t know the ‘look back’
of the child, but you women do.’ – Silence.» (Weiss, 2006: 66-67).
11. Bateson (1958) writes wagan, Schmid and Kocher-Schmid (1992) write wakin, where «i»
represents the schwa-sound (ə) – I use therefore wakin.
12. Possibly the carved suspension hook, showing a seated female figure with legs stretched out
horizontally and also ending in another 3 spikes emanating radially from the central stem, is
related to this mythical image. Each of the spikes or hooks ends in an animal head. The carving
was collected by Paul Wirz in 1952 (?), perhaps in Kanganamun village, now in the Museum der
Kulturen Basel (inv.nr. Vb 2896).
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269
13. For the Nyaura – or western Iatmul –, Wassmann distinguishes between winjumbu, well-
disposed and helpful spirits of the woods, and wundumbu, ghosts or spirits of the dead, who
remain near the grave before they float to the land of the dead, to become ngambia; the kait is the
soul which wakin try to lure out of an individual’s body to kill the victim (Wassmann, 1991: 18,
39-40). For the Central Iatmul the realm of death (undumbu) is undumbu ngei, the «apparitions of
recently dead people» are kaiyik, ghost. Life (yuphut) and death are brothers for the Iatmul, life
the elder, death the younger (Moutu n.d.: 5).
14. Bateson here mentions that the third «aspect of his [a male individual’s] personality which is
represented by his secret name…becomes a potsherd spirit [angk-au], a guardian of his clan.»
(Bateson, 1958: 233, 307).
15. Cf. the engraved face on a lime container from gourd, annotated by Bateson n.d. on his
photograph reproduced here as Photo 7.
16. Bateson refers to this row of lying naked women as «all the women» of the village, who,
however, exclude explicitly ego’s sister and his wife (Bateson, 1932: 278, 1958: 20). The successful
warrior after performing the same stepping over the naked women then was enticed to spear the
large pear-shaped prawn-trap, implicitly associated with a vulva (Bateson, 1958: 21).
17. Kelm (1966: I, n° 78-79) would come close to descriptions.
18. In the neighbouring Sawos village of Gaikorobi Markus Schindlbeck and Hermann Schlenker
were able to record such a winsumbu performance on film (Schindlbeck, 1981).
ABSTRACTS
Visually effective symbolization in Iatmul society is reviewed, starting from observations by
Bernard Juillerat on the role of the mother in real as well as in symbolic relationships.
Ceremonial acts of women and men in the context of naven rituals, and iconological
representation anchored in initiatory knowledge are shown to be linked. Performing renders
knowledge, services, material objects such as valuables or masks, i.e. cultural entities with a
symbolic value, openly accessible for all parties concerned. They become the issue of exchange at
specific occasions, enhancing the gendered roles of mother or elder sibling and their
complementing actors, child or younger sibling.
L’expression visuelle des valeurs symboliques dans la société iatmul est reconsidérée en partant
d’observations de Bernard Juillerat sur le rôle de la mère. Sont mis en évidence les liens entre la
façon d’agir, les rôles réels et symboliques de mère, oncle maternel et neveu, aîné et cadet, à
travers les rituels naven et les représentations ancestrales matérialisées par des œuvres fondées
dans le savoir initiatique des hommes. Les rites publics rendent accessibles à tous les savoir-faire,
les prestations ainsi que des objets spécifiques y compris des masques, c’est-à-dire des entités
culturelles à valeur symbolique. Leur présentation généralise l’importance des acteurs et de leurs
partenaires complémentaires.
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270
INDEX
Mots-clés: Art du moyen Sepik, cérémonies du naven, parcours d'objets usuels visualisant des
savoirs cachés, participation de femmes, représentation ancestrale et rôles sexués
Keywords: agency of women, Middle Sepik art, naven rite, performing as ancestors and gender,
physical objects as visual transmitters of implicit knowledge
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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Symboles et figures, deux modessociaux de signification. L’exemplede la Grande Maison d’Arama(Nouvelle-Calédonie)Denis Monnerie
« To understand a people’s thought one has to
think in their symbols [... ] [as] every experienced
fieldworker knows, the most difficult task in
anthropological fieldwork is to determine the
meaning of a few key words, upon an
understanding of which the success of the whole
investigation depends. »(Evans-Pritchard, 1982 :
79-80)
« Le sens qu’on s’efforce de restituer est sens
vécu plus complètement et fondamentalement
que sens représenté ou conscient. Pour certaines
sociétés, appréhender et traduire ce sens vécu
dans le langage de nos représentations
conscientes peut sembler d’une difficulté
insurmontable. Mais nous progressons dans ce
sens. » (Dumont, 1987 : VI)
1 Évoquer la diversité des sociétés de Mélanésie est aujourd’hui un lieu commun. Pour
rapprocher l’étude de deux peuples aussi différents que les Yafar de Papouasie
Nouvelle-Guinée, étudiés par Bernard Juillerat (1986, 1995, 2001) et les gens d’Arama en
Nouvelle-Calédonie chez qui je travaille, j’aurai recours à l’étude de modes sociaux de
signification. Mon point de départ sera une remarque de Juillerat à propos de son
travail ethnographique chez les Yafar où il évoque :
« la révélation d’un non-dit culturel faisant l’objet d’un contrôle social rigoureux. »(1986 : 12)
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
272
2 Les non-dits – en particulier ce qui est non verbalisé dans la vie courante – sont d’un
ordre et d’une intensité différents chez les Yafar et à Arama, mais les difficultés qu’ils
occasionnent pour la compréhension et l’analyse ethnologiques n’en sont pas moins
réelles. Le non-dit Yafar est une « sorte de stratégie du silence sur tout ce qui touche à
la fertilité » (1986 : 12). Derrière ce silence les dernières analyses de Bernard Juillerat
nous révèlent « une imago maternelle chez l’individu et sa projection dans la culture »
d’une société qui, dans les mythes, décrit sa formation en faisant « appel à des stades
qui rappellent le développement ontogénétique » (2001 : 144).
3 À Arama, le non-dit ne se situe pas sur un plan comparable, il concerne exclusivement
la vie courante dans laquelle, aujourd’hui, rien ne permet de rendre compte de
l’emprise d’une organisation sociale au-delà des groupes – clans (phwâmeevu), sous-
clans (yameevu), etc. – et des ensembles de résidences constituant des hameaux
(Monnerie, 2008). Ce non-dit est levé dans les cérémonies dont l’observation et
l’analyse se révèlent cruciaux pour la compréhension de l’ensemble de l’organisation
sociale comme une Grande Maison1 ( mweemwâ) elle-même constituée de quatre
hameaux nommés Maisons (mwâ), le croisement avec les mythes et le système de
nomination permettant d’en mieux comprendre les principes. Pour déjouer le non-dit
yafar, Bernard Juillerat, lui aussi, mobilise les mythes, les cérémonies et leurs
entrecroisements. J’aimerais souligner que malgré les différences quant aux sociétés
considérées, aux perspectives envisagées et aux résultats des recherches, les démarches
d’analyse anthropologique adoptées pour répondre à ces interrogations présentent des
similitudes incontestables.
4 Dans ce texte, j’aborderai un plan des sociétés où, avec des orientations théoriques
distinctes, mon travail fait écho à celui de Juillerat. Celui-ci en effet propose une
anthropologie du psychique sous une forme psychanalytique, vis-à-vis de laquelle je
suis attentif, admiratif, mais doté de peu de compétences. En revanche et à l’instar de
nombreux chercheurs en sciences sociales, y compris ceux qui se réclament du
cognitivisme, nous partageons une interrogation : celle des imbrications des plans
personnel, social et culturel. J’analyserai prioritairement, parmi ces concepts sociaux
kanak que je nomme « figures », la Grande Maison et la Maison dans leurs
actualisations au cours des cérémonies. Je décrirai les synchronisations du verbal et du
non verbal effectuées par la rhétorique cérémonielle et l’imbrication particulièrement
intense des expériences personnelles avec l’expression et la perception de la société et
de la culture. Je montrerai que ces expériences ne sont pas individuelles au sens strict
car toujours vécues en étroite articulation avec des ensembles de personnes. Dans une
visée critique vis-à-vis du concept massivement répandu, mais assez flou, de
« symbole », je montrerai en quoi celui-ci ne peut s’appliquer à la Grande Maison (ou à
la Maison) et pourquoi l’ethnographie m’amène à utiliser la notion de figure. Ces
analyses soutiennent une proposition générale selon laquelle symboles et figures sont
deux modes sociaux de signification différents2.
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Les figures de la Maison, de la Grande Maison, de laPorte et du Chemin à Arama et dans le réseau régionalHoot ma Whaap
5 Arama est un village de bord de mer de l’extrême nord-est de la Grande Terre de
Nouvelle-Calédonie – ou Kanaky comme la plupart de mes interlocuteurs kanak
désignent leur pays. Aujourd’hui, environ cinq cents habitants y vivent dans des
résidences s’égrenant sur plus de dix kilomètres le long d’une route côtière3. La langue
parlée par les habitants d’Arama est le nyêlâyu. Le français kanak est leur langue
seconde, surtout utilisée dans les relations avec les non Kanak ou les Kanak locuteurs
d’autres langues. Au nord de la Grande Terre, incluant l’archipel Belep, la région Hoot
ma Whaap se caractérise par un réseau de relations régionales aujourd’hui actualisées
lors de grandes cérémonies et qui autrefois combinait relations cérémonielles et
guerrières. Les Chemins, les Portes et les Grandes Maisons, respectivement désignées
en nyêlayu par les termes daanphwâ et mweemwâ (et leurs composés ou composantes)4
sont des concepts centraux dans la conceptualisation de ce réseau régional comme dans
celle des sociétés locales. Ils désignent des réalités socio-cosmiques5 de premier ordre,
très valorisées : des entités sociales de taille et d’emprise diverses, dont des sociétés
locales, des cérémonies locales et régionales, des paysages, des terroirs et leurs
relations. Ce sont aussi des outils de réflexion sur les sociétés en général, y compris non
kanak. Bien souvent, l’expression Grande Maison désigne dans cette région l’une des
douze sociétés locales, réparties entre Hoot et Whaap. Le mot Maison (mwâ), lui,
désigne diverses formes d’entités ou de groupes sociaux. Ainsi, à Arama, la société
locale est la Grande Maison (mweemwâ) Teâ Aâôvaac, constituée de quatre Maisons
(mwâ) qui sont des hameaux. Un Chemin, dans ce contexte, est un itinéraire de
relations régionales. Une Porte constitue une interface entre Grande Maison et Chemin,
ou entre Grandes Maisons. Je qualifie de figures ces concepts (ou notions) de socio-
cosmologie kanak.
Pourquoi des « figures » ?
6 Ce texte souligne les spécificités des figures dans l’expression, la compréhension,
l’expérience et la transmission de significations. Ces dernières étant entendues comme
idée ou ensemble d’idées intelligibles et transmissibles associés à un signe ou ensemble
de signes et mobilisés par un contexte social. Faisant l’hypothèse qu’il existe divers
modes sociaux de significations, que les figures en font partie, en dialogue avec
certaines propositions de Juillerat, j’aborderai deux questions principales que je
considère comme étroitement liées. D’une part, celle des articulations entre
expériences personnelles et représentations sociales, d’autre part, les différences avec
ces autres modes sociaux de signification que sont les symboles.
7 Les figures de la Maison, de la Grande Maison, du Chemin et de la Porte sont des
institutions6 de la société et de la culture d’Arama et, largement, de la région Hoot ma
Whaap. Leurs actualisations dans les cérémonies peuvent être spectaculaires, ce qui
m’a amené, pour en rendre compte à : (i) choisir les cérémonies comme champ d’étude,
(ii) m’interroger sur la prééminence donnée aux cérémonies dans l’expression de ces
concepts centraux de la société, (iii) introduire la notion de rhétorique cérémonielle
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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qui est une façon spécifique d’articuler expressions verbales et non verbales7 dans les
cérémonies, en particulier autour des figures. Utiliser le terme de figure me permet de
souligner leur forte composante iconique – il serait cependant erroné de s’en tenir à
cette seule dimension. Dans les cérémonies, chacune de ces figures est susceptible, en
fonction des contextes, de s’actualiser selon diverses facettes. Celles-ci ne sont pas
exclusivement iconiques, mais plus largement, non verbales. De surcroît et de façon
caractéristique, ces actualisations sont toujours articulées avec des expressions
verbales. L’étude de ces phénomènes montre comment les figures expriment et
communiquent de façon spécifique des significations socialement valorisées dans le
cadre de la rhétorique cérémonielle caractéristique de cette société.
8 Alors que, sur de nombreux points, ces figures sont proches de ce que les
anthropologues, et en particulier Victor Turner, ont nommé symboles, elles s’en
distinguent sur un plan que je considère comme crucial. Le symbole à proprement
parler est symbole d’autre chose. Le Petit Robert en donne la définition suivante : « ce
qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique », un sens
courant renvoyant, lui à un « objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa
forme ou sa nature, une association d’idées spontanée (dans un groupe social donné)
avec quelque chose d’abstrait ou d’absent [...] la colombe, symbole de paix ». Ainsi, au
Moyen Âge, on s’efforçait « d’atteindre la réalité cachée par la représentation d’êtres et
de gestes symboliques » (Le Goff, 1984 : 474). Retenons deux dimensions des symboles :
d’une part l’idée de représenter et simultanément de représenter autre chose qui est
absent, caché ou abstrait (voir aussi Benveniste, 1969, vol 1 : 341-342). C’est cette
seconde dimension qui constitue la différence principale avec les figures8.
9 Je suis conscient que cette définition restrictive du symbole n’est pas celle de tous les
anthropologues, cependant, et c’est une des visées de la présente réflexion, il me
semble qu’il importe de sortir d’un certain flou de l’anthropologie dite symbolique, ou
de l’utilisation du concept de symbole dans des acceptions vraiment très larges, voire
contradictoires comme le note finement Marshall Sahlins (1976 : 59). Pour ce faire, une
exigence de distinction et de mise en perspective à propos de modes de significations
trop souvent rassemblés sous le terme unique de symbole apparaît nécessaire. En
d’autres termes ce qu’on désigne généralement, et de façon imprécise, comme symbole
inclut parfois ce que je nomme des figures – et d’autres dispositifs de signification
encore9.
10 La distinction que je propose entre figure et symbole vise donc à mettre en place une
compréhension plus fine de modes sociaux de signification dont la conception claire a
une importance cruciale pour la démarche des sciences sociales. À la différence des
symboles, les figures se caractérisent par la démultiplication du même – ou plus
précisément de significations de même ordre. Comment définir ce « même », et
comment il s’exprime dans la rhétorique cérémonielle aux plans verbal et non verbal,
sont deux des questions que j’aborderai.
Arama : Maisons et Grande Maison10
11 Dans la Grande Maison Teâ Aâôvaac d’Arama11, les quatre hameaux/Maisons sont
distingués en statuts aux valorisations différentes. Montrées et explicitées dans les
cérémonies internes et régionales, ces distinctions sont indexées sur les systèmes
spécifiques de nomination et d’aînesse de la famille du teâmâ12 – personnage
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représentant la société. Elles renvoient aussi à des arrivées et accueils décrits dans des
mythes qui définissent les relations de la famille du teâmâ avec un clan préexistant –
le clan accueillant – qui en a accueilli et intronisé l’ancêtre et lui a donné une épouse.
Les valorisations différentielles ainsi mises en place rendent compte de la préséance
des hameaux/Maisons dans ces cérémonies. Dans ce cadre comme dans l’ordre
statutaire des entités sociales de premier plan (hameaux/Maisons, dignitaires, groupes
importants), un principe de valorisation est à l’œuvre : l’antériorité relative.
12 L’expression de ces phénomènes sociaux est simultanément culturelle : elle implique
l’étroite imbrication du verbal – noms ancestraux13, mythes, discours cérémoniels,
gloses – et du non verbal – architecture, sculptures, chorégraphies, biens cérémoniels,
échanges et déroulement des cérémonies. Les figures de la Grande Maison et de la
Maison et ces dispositifs de valorisation sont des institutions héritées des ancêtres,
privilégiées dans l’expression et l’actualisation contemporaines des relations sociales.
Cette organisation de la société, qui n’apparaît pratiquement pas dans la vie courante
aujourd’hui, est rendue manifeste dans les cérémonies. Alors, l’organisation sociale est
montrée, donnée à percevoir, à ressentir, à comprendre, par la rhétorique
cérémonielle, à travers l’organisation spatio-temporelle de la cérémonie, en particulier
le positionnement et l’arrivée des groupes, diverses gestuelles collectives ou
chorégraphies et la circulation d’échanges de biens synchronisés avec les discours.
Photo 1. – Chorégraphie de réception nommée « former la Maison » : des accueillants formentcollectivement un cercle pour la réception des arrivants (Thiam, Bondé, septembre 1993)
(cliché de l’auteur)
L’actualisation architecturale de la Grande Maison
13 Une construction architecturale, nommée elle aussi grande maison (mweemwâ), figure
cette société locale. De façon classique en Nouvelle-Calédonie, il s’agit d’un bâtiment
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rond à toit conique, construit autour d’un poteau central, prolongé par une flèche
faîtière émergeant du toit. Flanquant l’unique porte, deux sculptures anthropomorphes
nommées chambranles en français sont désignées en nyêlâyu comme « gardiens de la
Porte » (dagac). Ces éléments des grandes maisons kanak sont familiers aux visiteurs de
musées ethnographiques car il s’agit de sculptures emblématiques, parfois de chefs-
d’œuvre, de l’art océanien. Idéalement14, l’ordre de construction des éléments
constitutifs de la grande maison met en œuvre l’ordre de préséance cérémoniel. Une
des premières phases de la chaîne opératoire de son édification, qui implique aussi une
cérémonie, est la mise en terre du poteau central, élément architectural étroitement
associé au teâmâ, comme l’est aussi la flèche faîtière. Cet acte porte le même nom que
l’intronisation du teâmâ15. Dans les deux cas, un homme du clan accueillant préside à la
tâche. Ce sont là des facettes – technique, architecturale et cérémonielle – d’un acte de
fondation exprimant l’antériorité du clan accueillant en rapport à la famille du teâmâ.
Les poteaux du tour de la maison sont ensuite apportés et plantés par des hommes de
chaque hameau/Maison, en suivant l’ordre de préséance. J’aborderai d’abord
l’actualisation des figures de la Maison et de la Grande Maison dans les cérémonies
locales de cette société, puis dans les cérémonies régionales.
Photo 2. – Les « gardiens de la Porte » de la Grande Maison (Thiam, Bondé, septembre 1993)
(cliché de l’auteur)
Maisons et Grande Maison dans les cérémonieslocales
14 L’organisation de la Grande Maison se manifeste dans des cérémonies dont les
principales sont la cérémonie annuelle des nouvelles ignames, la construction de la
grande maison, l’intronisation du teâmâ, les funérailles et mariages des personnages de
statut important, les cérémonies de paix ou de réconciliation entre groupes, la
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circulation des messages régionaux concernant la Grande Maison. Dans ces cérémonies,
les représentants de chaque hameau/Maison arrivent tour à tour en portant leurs
prestations, puis les échangent avec un discours. Au plan non verbal, l’expérience des
participants est organisée par la mise en place spatiale de la cérémonie et le
déroulement chronologique des arrivées et prestations. Au plan verbal, les orateurs
explicitent, ou font allusion, aux contexte et relations de la cérémonie. La rhétorique
cérémonielle organise soigneusement les interactions du verbal et du non verbal, avec
des prestations synchronisées de biens et de discours qui se complètent et se valident
réciproquement. La cérémonie est le plus souvent suivie d’un grand repas, la
commensalité validant en quelque sorte l’ensemble cérémoniel par ingestion, ce que les
convives marquent par des appréciations de satiété, de bien-être personnel, souvent
associées à celles concernant la réussite de la cérémonie. Ici, il importe de mentionner
qu’à l’occasion de la cérémonie pour les nouvelles ignames, une partie des tubercules
est offerte à des ancêtres collectifs qui participent ainsi explicitement de l’ordre de
préséance et de la commensalité. Dans les cérémonies de relations régionales, les
figures de la Grande Maison et de la Maison se projettent ou se déploient d’une façon
caractéristique.
Photo 3. – Vue extérieure de la grande maison privée de son mur circulaire suite à un incendie.Dans son toit massif, une porte a été ménagée devant laquelle on prépare une cérémonie ; lesprestations cérémonielles sont déjà disposées sur le sol (Balade, septembre 1998)
(cliché de l’auteur)
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Photo 4. – Vue intérieure de la même grande maison avec des dignitaires du Conseil coutumierHoot ma Whaap (Balade, septembre 1998)
(cliché de l’auteur)
La Grande Maison et la Maison dans les grandescérémonies régionales d’arrivée et d’accueil
15 Préparées plusieurs mois à l’avance, les rencontres régionales de Hoot ma Whaap sont
des événements complexes impliquant pour leur préparation des dizaines de personnes
des sociétés concernées. Pendant leur phase centrale – qui nous concerne ici – elles
attirent des centaines de personnes, parfois des milliers. Le contexte relationnel des
rencontres ainsi que leurs visées peuvent entraîner des transformations plus ou moins
importantes de leur forme. Cependant, la phase centrale s’ouvre toujours par des
cérémonies d’arrivée et d’accueil nommées thiam et s’achève par des cérémonies de
séparation. Les délégations des Grandes Maisons invitées se déplacent et se projettent
dans le réseau régional Hoot ma Whaap en suivant leur Chemin de relations régionales
avec la société invitante, qui accueille toutes les délégations. Dans les années 1990, le
conseil Hoot ma Whaap décidait de ces rencontres et de la société invitante.
16 Lors d’une rencontre régionale, les sociétés ayant répondu à l’invitation convergent
vers la société invitante. Dans une pareille occasion, la composition du cortège qui
représente la Grande Maison Teâ Aâôvaac d’Arama implique la présence du teâma ou
d’un représentant de sa famille, accompagné d’un orateur appartenant au clan
accueillant, d’un ou plusieurs hommes possédant les Chemins de relations régionales.
Sont aussi présents (ou représentés) pour chacun des hameaux/Maisons des dignitaires
et d’autres hommes, femmes et enfants appartenant à divers groupes. À l’arrivée, des
guerriers répartis deux par deux, armés de lances ou de frondes, protègent les flancs de
ce cortège qui se déplace d’une façon caractéristique, où sont synchronisés gestes,
respirations et expressions verbales : cris, appels, répons, discours. Les arrivées de
délégations de plusieurs sociétés, Hoot ou Whaap, se succèdent parfois des jours
durant.
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17 Chacune des cérémonies organisées pour l’arrivée et l’accueil de celles-ci est structurée
en deux côtés qui se font face. Le côté des arrivants est constitué par le cortège qui
s’immobilise à quelques mètres des accueillants. Le côté des accueillants est statique,
formé de représentants des gens du lieu. Pour l’occasion, ceux-ci peuvent avoir
construit une grande maison. S’ils l’ont fait, ils se tiennent devant et de part et d’autre
de sa porte et les discussions concernant la cérémonie ainsi que le comptage des
prestations se déroulent à l’intérieur. La séquence d’arrivée et d’accueil, qui peut être
très impressionnante, met en place une véritable chorégraphie, avec des exhibitions de
force guerrière, des discours cérémoniels (hoor puis puunyat) synchronisés avec des
échanges solennels de divers biens et nourritures. Un festin clôt chaque accueil ; ceux-
ci se succèdent et constituent, pour quelques jours, une Maison (mwâ) – que je nomme
« Maison cérémonielle ». À la fin de la rencontre, elle est déconstituée par des
cérémonies de séparation plus brèves, moins spectaculaires que les accueils, mais
comportant des séquences comparables. Puis, les délégations des diverses Grandes
Maisons représentées lors de cette rencontre prennent le chemin du retour.
18 Ainsi, la figure de la Grande Maison s’actualise lors de ces rencontres sous la forme de
délégations de sociétés locales, dont des dignitaires échangent des biens cérémoniels,
des nourritures et des discours. Chaque accueil donne à voir ces Grandes Maisons sous
deux formes contrastées : celle, mobile, des arrivants et celle, plus statique, des
accueillants. La Grande Maison des premiers se projette dans un Chemin de relations
régionales. En arrivant, après s’être défini comme Hoot ou Whaap, leur orateur retrace
leur Chemin menant chez les accueillants, puis décrit l’organisation interne de leur
Grande Maison. Face à ce cortège, les accueillants sont parfois disposés devant leur
propre grande maison. Si ce bâtiment n’existe pas, la Grande Maison peut être figurée
de deux façons :
19 1) Celle d’une chorégraphie de réception nommée « former la Maison » : les accueillants
formant collectivement un cercle pour recevoir les arrivants (voir photo 1).
20 2) À travers l’évocation chorégraphique de la Porte par deux guerriers brandissant des
armes évoluant entre le cortège et les accueillants : ce sont les gardiens de la Porte de la
Grande Maison (voir photo 2) – qui peuvent aussi être figurés par des sculptures. Ainsi,
des formes circulaires, enveloppantes, ouvertes sur une Porte et des projections et
procédures dynamiques d’accueil procédant d’un Chemin régional caractérisent des
actualisations cérémonielles de la Maison et de la Grande Maison. Rassembler les
facettes d’une même figure permet de mettre au jour les relations communes d’inter-
iconicité qui viennent soutenir les diverses significations attachées à la figure de la
Grande Maison ; je développerai ce trait plus loin en étudiant le thème des figures. Mais
d’abord, toujours dans le cadre des relations régionales, un exemple montrera
comment, par son incomplétude, la figure de la Grande Maison peut exprimer des
conflits.
Incomplétude architecturale de la grande maison etconflits
21 Pour la date anniversaire du 24 septembre 1998 commémorant le « deuil kanak16 », et à
l’occasion de la fin de la période transitoire des accords de Matignon (1988-1998) et du
début de celle de l’accord de Nouméa (1998), le Conseil Hoot ma Whaap avait décidé
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l’organisation d’une grande rencontre régionale marquant la fin d’une période
d’obscurité et de deuil (1853-1998) et visant à la transformer en une période d’espoir (à
partir de 1998). Le conseil voulait exprimer sa position envers les instances et formes
d’action des pouvoirs coloniaux, politiques et économiques. Il s’agissait, à travers des
actes et des paroles considérés comme ancestraux17, de réaffirmer un point de vue
kanak associant une conscience de spécificités héritées, des solidarités contemporaines
et des potentialités dynamiques pour l’avenir. Cette prise de position se présentait
explicitement comme dépassant et englobant les sphères politique et économique, en
particulier par son emprise large, socio-cosmique, et par son efficacité impliquant le
long terme.
22 Cette rencontre, organisée à Balade – Grande Maison Teâ Puma – fut précédée de la
construction pour l’occasion d’une imposante grande maison. Des revendications et
conflits concernant l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, principalement axés sur les
ressources minières mais aussi sur la politique de divers groupes et partis
« indépendantistes » et « loyalistes »18, trouvèrent lors de cette rencontre un écho qui
me retient ici car il concerne précisément la grande maison construite à cette occasion
et qui devait être le point focal de cette rencontre. Une tentative d’incendier cette
construction échoua partiellement, la privant de son mur circulaire, mais laissant
intact son toit massif dans lequel une porte fut ménagée (voir photo 3). Brûler une
maison est, dans le monde kanak, une manifestation classique, et forte, de conflit. Ici
encore est rendu manifeste le potentiel significatif de la Grande Maison comme figure
d’intégration sociale ; la brûler, ou tenter de le faire, c’est montrer – en acte et par le
résultat perceptible que l’on en espère – que le consensus n’est pas réalisé, ou s’est
défait. De nombreuses rumeurs circulèrent à propos de cet incident. J’ignore, et mes
interlocuteurs kanak de l’époque aussi, la nature précise du désaccord ayant entraîné
l’incendie et l’identité de ceux qui l’ont allumé. Il s’agissait, considérait-on alors
généralement au Conseil, d’un acte visant à mettre en cause la tenue même de la
cérémonie parce qu’elle était perçue comme importante et potentiellement efficace.
Malgré cela, la rencontre se déroula comme prévu dans et à proximité de cette grande
maison triplement incomplète. En effet, dépourvue de murs, elle ne fut parée ni de sa
flèche faîtière ni de ses chambranles/gardiens de la porte. Ces sculptures, déjà
achevées, de belle facture, restèrent entreposées dans un bâtiment un peu à l’écart.
Lors de longs séjours dans cette grande maison, les dignitaires assemblés faisaient le
compte des prestations reçues lors des accueils, mettaient au point les modalités de la
prochaine séquence cérémonielle, discutaient ou dormaient. C’est ainsi que la
rencontre et la cérémonie projetées se déroulèrent sans autre anicroche. L’apparence
de la grande maison – celle d’un toit majestueux, dépourvu de murs, où, cependant, de
nombreux représentants de Hoot ma Whaap pouvaient se rassembler (voir photo 4) ou
dormir – était toutefois un rappel iconique insistant, perçu par tous, du fait que le
consensus qui, idéalement, doit présider à ce genre de rencontre, n’était pas de mise en
cette période liminale, politiquement et économiquement troublée, qui marqua la
transition entre la période des accords de Matignon et celle de l’accord de Nouméa.
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La figure de la (Grande) Maison : formes,significations, dynamiques sociales et personnelles
23 Le moment est venu ici de rassembler les traits les plus importants des figures de la
Maison et de la Grande Maison et les façons dont elles s’actualisent dans les cérémonies
et informent l’expérience personnelle des participants19.
24 La figure de la (Grande) Maison a des facettes multiples.
des facettes socio-cosmiques, renvoyant à l’inscription d’une organisation sociale localisée
dans un terroir, avec ses ancêtres, ses non-humains : ce sont les Grandes Maisons de Hoot
ma Whaap. À Arama, ses unités constitutives sont les hameaux/Maisons ;
des facettes architecturales avec les grandes maisons rondes qui représentent la société
locale ;
facettes d’organisation des cérémonies locales ;
une facette cérémonielle encore, mais régionale, avec le face-à-face des Grandes Maisons
lors des grands accueils constituant, le temps d’une rencontre, une Maison cérémonielle
formée de représentants de plusieurs sociétés – Maison cérémonielle éphémère,
déconstituée par les cérémonies de séparation ;
des facettes chorégraphiques de ces cérémonies d’accueil, avec le cortège des arrivants, les
évolutions des gardiens de la Porte ou la constitution d’une figure chorégraphique circulaire
par les accueillants autour des arrivants ;
et une facette oratoire, avec la description de l’organisation sociale dans la seconde partie
du discours hoor, puis dans les discours puunyat, enfin dans les discussions qui commentent
tel ou tel aspect des Grandes Maisons, de leurs relations – critiquant parfois sans
ménagement les dignitaires.
25 La figure de la (Grande) Maison se caractérise donc par une diversité d’expressions
qu’on peut appréhender dans un premier temps comme une polysémie. Une étude de la
rhétorique cérémonielle met en évidence le croisement des expressions verbales et non
verbales de cette figure et amène à dépasser cette idée de polysémie pour la préciser,
en montrant que cette figure, à travers ses diverses facettes, décline en fait toujours le
même thème fondamental. Celui-ci opère une association spécifique de significations
convergentes, circonscrites, cohérentes, articulées à des formes et des dynamiques
d’action. Pour définir ce thème, je reprendrai les exemples d’actualisation de cette
figure. Ses expressions iconiques matérialisées ou incorporées – architecturales,
cérémonielles et chorégraphiques – donnent à percevoir un thème constitué de formes
circulaires, enveloppantes et ouvertes, associées à des capacités et expressions
dynamiques d’inclusion et de séparation20. Dans leur déroulement, les cérémonies
donnent à percevoir tout particulièrement ces capacités dynamiques de la Grande
Maison : arrivées, accueils, préséance, séparation. Combiné à ces aspects expressifs et
perceptuels non verbaux, le pan intellectuel de la figure de la (Grande) Maison est mis
en œuvre à travers des formes verbales très sophistiquées et valorisées. Ce sont le
système des noms, de l’aînesse, les mythes, qui sous-tendent l’ordre de préséance, et ce
sont aussi les dispositifs oratoires cérémoniels, qui vont des cris aux discours. De
nombreuses réflexions informelles des acteurs sociaux concernent les Maisons, Grandes
Maisons et les teâmâ ou leur famille. Les déploiements verbaux et non verbaux du
thème de la (Grande) Maison sont étroitement associés, parfois minutieusement
synchronisés. Par-delà l’apparente multiplicité des significations ainsi portées, la
cohérence de cette figure renvoie à son thème enveloppant et ouvert. Il faut souligner
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sa plasticité, qui est aussi présente dans le cas des figures de la Porte et du Chemin. La
Porte est de façon générale une figure liminale, de seuil, associée à des franchissements
réversibles. Quand elle est une partie du bâtiment « grande maison », la Porte est
associée aux figures complémentaires duelles des gardiens, actualisées par deux
sculptures symétriques flanquant l’entrée. En l’absence de ce bâtiment, ils peuvent être
représentés par une chorégraphie guerrière impliquant deux hommes en armes. Ainsi,
la porte de la maison est-elle un espace de liminalité, une interface entre la Maison et le
Chemin, dans laquelle la circulation est surveillée, contrôlée et orientée par ses
gardiens. Les thèmes des figures, enveloppant et ouvert pour la (Grande) Maison,
liminal pour la Porte, ou linéaire pour le Chemin, se caractérisent par la cohérence, la
souplesse et la résilience.
26 Cette plasticité du thème des figures permet aussi bien des condensations que des
expansions ou des déplacements de significations, souvent associés à des changements
de perspective ou d’échelle liés à des transformations de contexte. D’une part, l’aspect
dynamique de ces thèmes relie ces trois figures entre elles, d’autre part, il thématise la
vie sociale sous l’angle du mouvement, mettant en exergue préséances, déplacements,
accueils, séparations, expulsions. Ces thèmes instituent des domaines d’expérience
personnelle et collective inséparables de leur conceptualisation sociale et, en
particulier, de l’actualisation cérémonielle des figures. L’ensemble de ces phénomènes
est associé à la pluralité d’expression des figures en diverses facettes qui renvoie à un
concept social et linguistique nyêlâyu, pae-t21, exprimant une complétude signifiante –
on parle de mots ou de récits « riches » – valorisée par les Kanak connaisseurs de leur
société, de leur culture et de leur langue.
27 Le terme « figure » souligne l’importance de la composante iconique des concepts de
(Grande) Maison, de Porte et de Chemin. Pour Charles Peirce, le concept de « signe
iconique » (icon) dégage avec ce qu’il représente des relations formelles de
ressemblance ou de distinction – d’inter-iconicité si on préfère. Qui plus est, « une des
grandes propriétés distinctives de l’icône est que par son observation directe peuvent
être découvertes concernant son objet d’autres vérités que celles qui suffisent à
déterminer sa construction » (Peirce, 1978 : 150). Ceci nous renvoie à la plasticité des
figures et tout particulièrement à l’exemple de la grande maison partiellement brûlée
évoquée ci-dessus, dont l’incomplétude architecturale évoque les désaccords et conflits
du moment – et simultanément, l’accomplissement d’une rencontre régionale dont la
réussite n’est pas complète.
28 Une dimension importante des figures est leur aspect incorporé qui ressort nettement
de la performance des cérémonies, tout particulièrement des trois chorégraphies du
cortège des arrivants, des gardiens de la Porte et des accueillants qui « forment la
Maison ». Leur étude aide à comprendre précisément comment s’articulent ici les plans
social et personnel. Sur le plan social, les figures sont des institutions, des expressions
de significations collectives, sociales et culturelles. Pour chaque participant, elles
informent de façon spécifique des expériences personnelles dans les cérémonies qui les
impliquent. Ces deux plans sont très fondamentalement articulés par un troisième : les
actes effectués par des ensembles de participants aux cérémonies. La construction
d’une grande maison participe de ce processus en lui donnant une forme architecturale
et sculpturale. Le bâtiment constitue une prolongation et une stabilisation sensibles de
l’expérience cérémonielle qui donne aux perceptions et aux connaissances un aspect
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tangible et durable. C’est ce point des expériences collectives et personnelles que je
développerai maintenant.
Cérémonies, figures et expériences collectives etpersonnelles des participants
29 Comme institutions sociales, les figures de la (Grande) Maison, de la Porte et du Chemin
se caractérisent par leur thème – enveloppant, liminal ou linéaire – avec, dans les
cérémonies et l’architecture, une capacité de déploiement en multiples facettes aux
significations apparentées informant l’expérience des participants. Sont mis en œuvre,
pour des ensembles de participants, des agencements spatio-temporels, des
déplacements, des gestuelles formalisées, rythmées, des chorégraphies, des gestes
d’échange, des cris et des discours, et des chaînes opératoires dans le cas de la
construction d’une grande maison22. Actés et incorporés personnellement par
chacun(e), ils sont toujours effectués par des ensembles de deux à plusieurs dizaines de
personnes. Les groupements par paires d’acteurs cérémoniels concernent l’orateur et le
teâmâ, les guerriers du cortège et les gardiens de la porte. Ils font écho au groupement
par paires de nombre de biens cérémoniels, éléments de discours et autres
composantes de la société et du monde. La quasi totalité des actes sont accomplis par
des ensembles de personnes de taille variable, certains étant ad hoc à la cérémonie,
d’autres des groupes permanents. Les comportements moteurs synchronisés, voire
chorégraphiés – ou les actes des chaînes opératoires de construction de la grande
maison – jouent un rôle important dans le processus d’incorporation des figures.
L’expérience cérémonielle est associée au renforcement de sentiments collectifs et
personnels d’affirmation, de fierté, de confiance renouvelée (à des fins comparatistes,
Spencer, 1996)23. Cette construction cérémonielle collective de l’expérience personnelle
des participants donne à percevoir, à ressentir, à agir, à comprendre des institutions et
concepts centraux de la société et de la culture. Elle détermine largement les capacités
à réfléchir et agir sur eux, à partir d’eux. L’expérience cérémonielle est toujours
déterminée par l’appartenance à un ensemble de personnes ou un groupe,
conceptualisés, agis et vécus à travers diverses formes des figures. Elle construit un
« domaine d’expérience » au sens de Georges Lakoff (1987). Par exemple, dans les
cérémonies locales, les représentants des hameaux/Maison sont rassemblés pour
exprimer la Grande Maison Teâ Aâôvaac dans sa totalité à travers son ordre de
préséance. Dans les cérémonies régionales, les représentants des hameaux/Maison sont
aussi représentants de leur Grande Maison – accueillante ou accueillie, exécutant les
chorégraphies et actes d’échanges correspondants.
30 Au plan architectural, la construction de la grande maison engage une suite de chaînes
opératoires, associant des actes que nous dirions techniques – choix des arbres et
autres éléments végétaux, débitage et transport, mise en place – mais impliquant
d’autres considérations que nous dirions magiques (Boulay, 1990), ou de rhétorique
cérémonielle. Le processus technique est en effet ordonné par les différenciations de
préséance concernant les groupes et dignitaires de la société – et réalisé avec eux.
L’implantation du poteau central constitue une réactualisation de cette clé de voûte de
l’ordre de préséance de la Grande Maison qu’est la relation d’antériorité du clan
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accueillant vis-à-vis de la famille du teâmâ. La construction est une représentation
architecturale de la société locale :
dans la dynamique des séquences de sa chaîne opératoire de construction ;
dans les expériences personnelles des constructeurs ;
dans le bâtiment achevé, statique, dont les éléments renvoient aux composantes de la
société locale conceptualisée comme Grande Maison.
31 L’expérience cérémonielle personnelle est ainsi toujours conduite et vécue au sein
d’ensembles de personnes de taille variable et procède de phénomènes en boucle car
elle est largement constituée par l’expression des composantes, formes, dynamiques et
significations sociales et culturelles, verbales et non verbales, mises en place autour
d’une figure comme celle de la (Grande) Maison. Sa mise en œuvre est ainsi au cœur
d’un dispositif qui, dans la performance cérémonielle comme dans la construction
architecturale, réalise par des actes collectifs l’actualisation personnelle, intense, d’un
domaine d’expérience spécifique : celui de son thème. La constitution de ce domaine
d’expérience est largement pluri-sensorielle, mobilisant des comportements moteurs,
ainsi que la plupart des sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’olfaction et le
mouvement (Berthoz, 1997). Elle ne peut être dissociée de l’intellection, elle-même
mobilisée dans la connaissance de la langue, la société, la culture, dans la préparation
de la cérémonie et dans l’énonciation, l’écoute attentive, la méditation et la discussion
sur les discours. Cette expérience personnelle, toujours médiatisée par du collectif,
couvre donc un spectre qui s’étend du perceptuel pluri-sensoriel à des formes de
compréhension hautement intellectuelles. La signification d’une figure et sa
perpétuation dans la culture et la société sont largement constituées dans un tel
domaine d’expérience réitéré à travers les récurrences des cérémonies qui l’actualisent.
32 Deux excursions comparatistes me semblent utiles ici. Pour une autre société de
Mélanésie – bien différente du monde kanak –, les Ankave, peuple anga de Papouasie
Nouvelle-Guinée, Pierre Lemonnier a montré que :
« [les] systèmes de pensée, les pratiques ou les relations entre les vivants conjointeslors des rituels font bien davantage que partager des prémisses identiques comme“les ombo” [monstres cannibales] sont partout. Les affaires de monstres cannibales,le chamanisme, la gestion du deuil, l’imputation du malheur, les représentationsdes principes de vie, la façon de se comporter avec les parents maternels, etc., s’yrenvoient sans cesse les uns les autres en une redondance – une périssologie envérité – qui n’a rien d’accessoire. » (Lemonnier, 2005 : 7)
33 Certes, rituels ankave et cérémonies kanak diffèrent de façon significative, mais les
grandes lignes de force de l’actualisation rituelle, ou cérémonielle, des préoccupations
sociales partagées en sont proches – caractérisées par Lemonnier de redondance et de
périssologie. Citant Anne-Christine Taylor, Lemonnier souligne que :
« [ce] procès circulaire de référence mutuelle […] n’est pas l’accessoire d’un systèmede sens qui lui serait extérieur : il en construit la réalisation. » (ibid.)
Dans les deux cas : « les objets et les façons de s’en servir dans le rituel seraient […] un moyen demontrer sans mots cette confluence de pratiques et de pensée. » (ibid.)
En définitive :« [à] la variété des domaines de la réalité sociale qui entrent en résonance dans lerituel, se surimpose – terme aussi flou que notre connaissance des phénomènes enjeu – l’éventail des registres dans lesquels s’expriment, se donnent à voir,interviennent ces redondances et leurs effets. » (ibid.)
1.
2.
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34 À partir de son ethnographie de Java (Indonésie), Jean-Marc de Grave a montré, en
s’appuyant sur les travaux d’Alain Berthoz (1997), que l’on peut faire l’hypothèse, pour
les dispositifs cérémoniels qu’il étudie, d’une unité de la perception, de
« l’interdépendance des différents potentiels cognitifs, [visant] à remettre à leur place
les éléments au sein du tout » (2007 : 85). De Grave met en avant une « perception
globale » (id. : 86) dont la mise en œuvre, dans les cas étudiés ici, me semble être une
des visées cérémonielles et une dimension majeure de son efficace.
35 Dans les cérémonies kanak, l’association systématique des figures avec des dispositifs
mobilisant diverses formes de perception et des expressions verbales complexes vise à
enrichir systématiquement la complétude du « tout » évoqué par de Grave.Il ne peut
être question ici d’opposer une forme linéaire qui caractériserait l’expression verbale à
une forme simultanée d’expression et de connaissance qui serait non verbale. Dans la
rhétorique cérémonielle, c’est bien plutôt le verbal qui, à travers, par exemple, la mise
en œuvre de rythmes et dans une étroite synchronisation avec le non verbal –
vêtements, gestuelles, chorégraphies, usage des armes, préparation, présentation et
échanges de prestations – participe des dimensions de synchronisation. Ces rythmes
sont de plusieurs ordres : aspect séquentiel de l’intervention du verbal dans la
cérémonie mobilisant divers types d’expression allant des cris aux discours complexes,
avec des scansions internes différenciées et des rythmes d’énonciation différents, les
techniques propres à chaque orateur pouvant introduire des variantes. La
synchronisation avec les actes cérémoniels assure que ces rythmes correspondent, ou
répondent, à ceux de l’ensemble cérémoniel (Monnerie, 2005). La rhétorique
cérémonielle vise à constituer une forte densité de significations, explicites et
implicites : c’est la « périssologie » invoquée par Lemonnier. Cette association étroite
du perçu et ressenti à l’intellect se donne à percevoir et à comprendre d’une façon
concentrée – que je crois proche de la perception globale de Jean-Marc de Grave. Elle le
fait pendant des cérémonies dont l’une des visées est précisément la construction d’un
événement social intense et significatif – au sens premier – combinant le verbal et le
non verbal, l’intellect au pluri-sensoriel. Un événement tendant vers un degré élevé de
complétude significative, qui est une forme auto-intensifiée du social. Et qui est
simultanément un événement de l’expérience, voire de la construction personnelle.
Les figures : déploiement d’un thème et procéduresd’apprentissage
36 Je voudrais maintenant revenir à l’argument général de cet article qui vise à mettre en
relief les différences considérables existant entre symboles et figures. Les premiers
représentent autre chose ou quelque chose de caché. En contraste, ce qui caractérise la
figure est une étroite association et adéquation à son thème dans ses diverses
expressions verbales et non verbales. C’est pourquoi j’ai tant insisté sur les dimensions
dynamiques – d’interaction, d’imbrication, de simultanéité, de synchronisation – qui,
dans la rhétorique cérémonielle, tressent ensemble ces expressions du social et de son
expérience. À travers ces synchronisations et simultanéités, la rhétorique des
cérémonies élabore autour des figures des procédures d’expression, d’incorporation,
d’imprégnation, de compréhension, d’intellection et d’enseignement. Il y a ici
association intentionnelle, soigneusement mise en place par les organisateurs des
cérémonies, entre le perçu pluri-sensoriel, le ressenti, et l’intellect – entre le non verbal
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et le verbal. Comprendre une cérémonie, mais aussi ce que signifie l’architecture d’une
grande maison ou une paire de chambranles/gardiens de la porte implique – aussi bien
pour les participants kanak que pour l’ethnologue – des va-et-vient entre ces deux
types d’expression que nous distinguons.
37 Les figures sont perçues et comprises par les participants avec des modulations compte
tenu des différences d’âge, d’expérience, d’implication, de capacités personnelles entre
eux. Je prendrai des exemples contrastés. L’orateur d’Arama, André Teâ Yhuen – qui est
aussi organisateur expérimenté de cérémonies – tient une part de son savoir de son
père, Basile Teâ Yhuen, qui l’a adopté et éduqué pour perpétuer le clan accueillant Teâ
Yhuen, pratiquer et transmettre ses traditions, celles de la Grande Maison Teâ Aâôvaac
et de la région Hoot ma Whaap24. Pour lui, l’enseignement paternel souligne que
connaissances et perceptions sont étroitement liées à des significations riches et font
écho à nombre d’autres aspects du monde tel qu’il est conceptualisé dans sa langue et
par le milieu social auquel il appartient. Il exprime ces savoirs et perceptions dans ses
discours, contribue aussi à leur évolution car ce ne sont pas des savoirs figés. Il insiste
sur l’importance de leur transmission (voir note 29). En contraste, le cas le plus
fréquent est celui de la plupart des hommes impliqués dans l’organisation de
cérémonies qui m’ont affirmé avoir tout appris de la seule observation de celles-ci, au
cours des années25. Un contraste encore plus grand ressort de l’exemple des enfants et
jeunes gens. Quand ils assistent ou participent pour la première fois à une cérémonie,
leurs perceptions sont partielles, leur compréhension des discours, avec leur
vocabulaire et leur rhétorique sophistiqués, est lacunaire. C’est la répétition de cette
expérience de participation aux cérémonies, de perceptions, d’écoute, qui,
progressivement, au fil des ans, contribuera à leur enseigner la (Grande) Maison, leur
montrera le sens et les cohérences d’une telle figure et, éventuellement, à la longue,
leur permettra de jouer un rôle dans les cérémonies26. De telles différences entre
personnes et générations doivent être mises en regard des facettes plurielles et
simultanées de l’expression, de la perception de l’incorporation et de la compréhension
des figures. Ce sont des dispositifs propices à des apprentissages différenciés, à une
maîtrise de plus en plus complète au fil des existences.
38 Après avoir insisté sur les boucles entre le personnel et le social qu’établit la
participation cérémonielle, j’aimerais souligner le fait que les savoirs ainsi mis en
œuvre ne sont pas figés. Dans la première moitié du XXe siècle, Basile Teâ Yhuen avait
écourté les rituels funéraires d’Arama pour les faire tenir en l’espace d’une journée,
afin d’adapter les traditions kanak aux exigences de la modernité… de son époque.
Toujours pratiquée aujourd’hui, cette forme autrefois modernisée de funérailles est
considérée comme authentiquement kanak et distinctive d’Arama. Des sociétés voisines
continuent, en effet, de pratiquer des cérémonies pouvant durer plusieurs jours27.
Quelques implications épistémologiques
« Encore aujourd’hui, j’ai l’impression que les cognitivistes en sont restés au“penser c’est calculer”, se refusant à comprendre que penser c’est d’abordsymboliser. »(Juillerat, 2001 : 21)
39 L’anthropologie psychanalytique de Bernard Juillerat propose :
« de reconstruire […] les processus inconscients partagés par les individus d’unemême société et la façon dont ils sont traduits en symboles culturels partagés partous. » (2001 : 11)
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40 Dans les propositions de Juillerat, et (sous réserve de débat) pour l’ensemble de la
psychanalyse appliquée à l’anthropologie, l’étude des processus de médiation entre les
plans individuel, social et culturel me semble impliquer une question fondamentale. La
caractérisation comme individuels des fantasmes originaires pose problème à
l’anthropologue. Que ce soit « l’observation du commerce sexuel des parents [ou scène
primitive], […] la séduction, […] la castration […] [le] retour intra-utérin » (Juillerat,
2001 : 56, d’après Freud, 1972), toutes ces « structures infrasociales » (Juillerat, 1986 :
514) mettent en œuvre des relations engageant plusieurs personnes antérieures, ou
contemporaines, au sujet28. La désignation de ces fantasmes comme individuels relève
d’un choix, celui de privilégier l’expérience qu’en a le sujet, et a pour conséquence de
faire passer au second plan leur aspect initialement relationnel. Il s’agit pour Bernard
Juillerat d’une dimension infrasociale. Toutefois, dans chaque cas, l’expérience du sujet
est issue de relations à autrui : les fantasmes originaires sont construits autour de
certaines relations de base, impliquant deux ou trois personnes – dont le sujet. Plus
largement, cette observation devrait aider à clarifier l’étude des phénomènes en boucle
entre individus, d’une part, société et culture, d’autre part. Mon interprétation est que
les fantasmes originaires ne sont pas inhérents à l’individu en tant que tel – ou si l’on
préfère exclusivement localisés dans le sujet – mais opèrent des formes de médiation
déjà sociales entre le sujet, sa société et sa culture. En bref, ce qui caractérise les
fantasmes originaires, c’est qu’ils réalisent une médiation à minima entre le sujet
individuel, le social et le culturel, et cela malgré le nombre limité des personnes
considérées. Ma perspective se situe, comme celle de Bernard Juillerat, au plan de
concepts sociaux partagés par tous – ici les figures de la (Grande) Maison de la Porte et
du Chemin. Toutefois, ce sont les expériences personnelles, largement conscientes, des
acteurs sociaux participant aux cérémonies que je tente d’articuler avec ceux-ci. J’ai
voulu montrer que dans l’expérience cérémonielle consciente – comme je l’ai suggéré
pour les fantasmes inconscients –, le sujet s’embraye sur le social à travers des
ensembles de personnes dont la plus petite configuration est une paire incluant le sujet.
41 J’ai aussi montré que le concept de symbole n’est qu’un cas particulier dans les modes
sociaux de signification. L’utilisation du concept de symbole est pertinente quand celui-
ci renvoie à un signe représentant autre chose que lui-même, ou une réalité cachée.
Dans les figures kanak étudiées ici, nulle chose autre n’est évoquée, nulle réalité cachée
n’est en cause. Ainsi les discours cérémoniels kanak font grand usage de symboles (voir,
par exemple, Monnerie, 2005 : 157-158). En contraste avec les symboles, les figures
démultiplient les expressions d’un même concept social – sous-tendu par leur thème –
sans toutefois recourir à une inflexion si grande qu’on puisse jamais parler « d’autre
chose », c’est-à-dire, précisément, de symbole. En ce sens, ce que je nomme « modes
sociaux de signification » est proche de ce qui, pour Bernard Juillerat est « la
symbolisation [qui] fait partie intégrante du processus de pensée en général et de
l’élaboration culturelle », dont l’étude est généralement nommée approche symbolique.
Plus largement, l’expression d’anthropologie symbolique me semble trompeuse29. Car
elle tend à masquer la pluralité des modes sociaux de signification sous un terme
unique très marqué. Ma critique n’entend pas nier que, pour une large part, ces études,
quand elles sont solidement appuyées sur des matériaux ethnographiques, à l’exemple
des travaux de Bernard Juillerat, Gerard Reichel-Dolmatoff, Victor Turner, Nancy
Munn, Alfred Gell, Annette Weiner et bien d’autres, ont puissamment contribué à
renouveler, rendre plus précises, plus profondes et aussi plus attractives les recherches
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anthropologiques – ma dette envers ces auteurs est immense. Mon propos vise à mettre
en perspective la notion d’anthropologie symbolique. En toute hypothèse, la distinction
que je fais entre symboles et figures peut être pensée comme indiquant deux pôles
opposés sur un continuum. Pour les premiers, l’écart entre la signification et le signe
retient, alors que pour les secondes ce sont les démultiplications du même thème de
signification qui importent. Ceci est corrélé avec un rapport contrasté à l’ambivalence :
dont le large degré potentiel pour les symboles stricto sensu, s’oppose à la faible marge
d’ambivalence pour les figures. Des analyses ultérieures permettront, j’en suis
convaincu, de dégager d’autres polarités sémantiques et sémiotiques. Dans cette
perspective, il me semble donc souhaitable de préciser le vocabulaire qui nous permet
de parler du domaine aujourd’hui désigné comme symbolique, en suggérant que ce
champ d’étude se caractérise par des contours et une structuration complexes qui
restent largement à baliser.
42 Mon propos vise aussi à préciser l’importance de la prise en compte des rôles des sens,
des perceptions, du ressenti, des affects, dans les cérémonies étudiées ici. Je ne vise pas
à en faire les seules assises du culturel car ce serait un réductionnisme insupportable,
au moins pour quiconque s’intéresse sérieusement aux sociétés, aux cultures et à leurs
complexités à partir de l’ethnographie et/ou de l’expérience de terrain. Toute
anthropologie qui voudrait se fonder uniquement sur les affects, les hypothèses et
théories cognitivistes30, ou ne viser que le corps, ne sera jamais qu’une anthropologie
partielle, partiale et le plus souvent superficielle, si elle prétend rendre compte d’autre
chose que de la cognition ou des pratiques et expériences corporelles et affectives. J’ai
voulu souligner le fait que, dans les cérémonies kanak comme dans tant d’autres,
perceptions, ressenti et affects sont indissociables de démarches intellectuelles très
élaborées. Au premier plan de l’organisation cérémonielle et, pour le monde kanak,
avec la valorisation de l’art oratoire – et son aboutissement dans de véritables chefs-
d’œuvre – l’intellect est une dimension centrale de l’expérience et de l’expression
cérémonielles – alors même qu’il est solidement articulé aux perceptions et aux affects.
43 Il s’agit aussi de restituer le mieux possible à l’analyse ethnologique mes propres
expériences et réflexions d’observateur participant aux cérémonies. Leur ambiance à la
fois allègre et solennelle, les interactions très étroites ménagées entre conduites
motrices, perceptions, ressenti et affects, font qu’il est devenu de plus en plus clair que
pour mieux comprendre un thiam, par exemple, il fallait le ressentir, en participant au
cortège des arrivants ou en s’inscrivant dans le groupe des accueillants. Cette
expérience m’a aussi amené – après un premier moment d’irréflexion à ce sujet – à
accorder toute l’attention requise aux déclarations de mes interlocuteurs qui
insistaient sur le sentiment de plénitude procuré par des cérémonies réussies. Pas plus
qu’il n’est possible de prétendre partager complètement, à l’identique, les expériences
et méditations de ceux que j’accompagnais dans ces cérémonies, il n’est envisageable de
penser qu’elles étaient absolument autres. Ce dont j’essaie de rendre compte en tant
qu’anthropologue est de l’ordre de l’effort d’inter-compréhension entre l’expérience de
mes interlocuteurs kanak et la mienne. Une des limites de cette démarche est inhérente
à ce que je nomme le comparatisme implicite (Monnerie, à paraître b). Louis Dumont
donne une bonne définition de ces limites : quand l’anthropologue travaille sur le
monde non moderne, il est une différence qui domine toutes les autres :
« celle qui sépare l’observateur en tant que porteur des idées et valeurs de la sociétémoderne, de ceux qu’il observe, [cet] observateur est ici partie obligée de
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l’observation. Le tableau qu’il livre […] est le tableau de quelque chose vu parquelqu’un. »
44 Il ne s’agit donc pas d’un tableau objectif au sens où le sujet en serait absent. La force de
cette perspective, ajoute Dumont, c’est « qu’en fin de compte tout ce que
l’anthropologie sociale ou culturelle a jamais fait d’essentiel » (1983 : 12-13) se rattache
à cette approche où l’on ne peut faire abstraction de l’observateur. L’idéal d’objectivité
de certains doit ainsi céder la place à une exigence de rigueur qui n’en est pas moins
estimable scientifiquement. L’intervention de la personne de l’ethnographe, avec sa
langue, sa culture, sa société, son expérience et les techniques qu’il utilise pour écrire
et, éventuellement, enregistrer ou mettre en images l’ethnographie sont aussi des
filtres qui peuvent avoir leurs revers. Mais ne l’oublions pas, ils ont aussi une immense
valeur qui est au cœur de la démarche de l’ethnographie et de l’anthropologie : celle
d’une entreprise d’inter-compréhension des sociétés et des cultures.
Conclusion
45 Au-delà des propositions importantes – mais en définitive insatisfaisantes dans une
perspective anthropologique générale – concernant le « spectacle » de la société
capitaliste marchande (Debord, 1967) ou « l’État théâtre » à Bali (Geertz 1980), les
cérémonies kanak, comme les rituels ndembu étudiés par Turner, concrétisent, à
travers des dispositifs d’auto-intensification, des formes de présence au monde des
sociétés et des cultures qui n’ont pas fini d’intriguer ethnographes et anthropologues.
Les figures kanak de la Maison et de la Grande Maison, de la Porte et du Chemin sont
des institutions sociales et culturelles d’Arama et au moins pour partie de la région
Hoot ma Whaap. Ce sont aussi, plus largement, des concepts de socio-cosmologie
kanak : composantes valorisées du social, de sa conceptualisation du monde, de
cérémonies qui sont des formes auto-intensifiées du social. Leur étude permet
d’envisager un phénomène que l’on présente souvent comme universel, la
communication, abordée ici loin des schématisations à prétention universalisante, sous
un angle socialement et culturellement spécifique. Ceci a pour vertu de mettre en
perspective nos distinctions entre verbal et non verbal, entre objets et personnes, entre
vivants et ancêtres, entre symboles et figures.
46 Les figures se distinguent des symboles sur un point central, précis, qui a trait à
l’expression même de la signification dans le rapport du signe au référent. Le symbole
stricto sensu renvoie à autre chose, ou à une réalité cachée. Certains symboles se
caractérisent par leur ambivalence. En contraste, une figure renvoie à un même thème
qui, déployé en facettes multiples, exprime des significations, formes et dynamiques
étroitement associées à un même domaine socialement et culturellement déterminé –
constituant sa cohérence, avec un remarquable degré de plasticité. Cependant, leur
degré d’ambivalence est restreint. Figures et symboles sont deux modes sociaux de
signification ; il est vraisemblable que les travaux à venir permettront d’en dégager
d’autres, avec les nouveaux questionnements qui s’y rattachent. Que les symboles
soient des concepts majeurs de la tradition occidentale et le soient aussi devenus dans
les dernières décennies pour l’anthropologie contribue à occulter l’existence d’autres
modes sociaux de signification et à rendre leur mise en évidence plus difficile. C’est
pourquoi j’ai insisté sur les spécificités des figures, m’intéressant surtout au contexte
cérémoniel et me concentrant d’abord sur la figure de la (Grande) Maison, et ne faisant
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qu’évoquer au besoin celles de la Porte et du Chemin qui lui sont associées. J’ai montré
comment ces figures participent simultanément des significations sociales et de
l’expérience et activité personnelles de chacun des participants aux cérémonies.
47 Dans les cérémonies, le thème d’une figure est déplié, démultiplié en de multiples
facettes dans des actualisations diverses. Les expressions de significations verbales et
non verbales sont soigneusement et intentionnellement associées et synchronisées par
la rhétorique cérémonielle. Je n’ai guère évoqué ici la qualité et la richesse des
expressions verbales lors des discours cérémoniels (Monnerie, 2005) afin de privilégier
les imbrications du verbal et de différentes formes du non verbal, dont l’inter-iconicité,
et des activités significatives pratiquées par des ensembles de personnes. Une part de la
mise en œuvre de cette institution centrale de la société qu’est la (Grande) Maison et de
ses significations s’effectue à travers des expressions collectives et des perceptions
pluri-sensorielles des diverses facettes et de son thème. Ici se joue simultanément son
incorporation et sa compréhension. Du point de vue de chaque participant – au fur et à
mesure des âges de la vie et du développement d’une expérience de la société et du
monde scandée par les cérémonies –, ceci permet de construire des perceptions et
connaissances qui se complètent, se complexifient, prêtent à réflexions, gloses et, pour
quelques-uns, à l’activité respectée et valorisée d’orateur et organisateur dans les
cérémonies. Au-delà de celles-ci, un tel domaine d’expérience et de compréhension est
mis en jeu dans les débats impliquant Maison(s) et Grande(s) Maison(s) qui ont cours à
Arama, dans Hoot ma Whaap et dans une large part du monde kanak. Pour les
personnes ayant acquis au fil des ans une expérience et une compréhension
approfondie de ce qu’est la figure de la (Grande) Maison, ce processus d’apprentissage
au long cours peut impliquer la possibilité de réinterpréter et de transformer certaines
de ses actualisations. Toutefois, ceci ne peut être envisagé que dans le cadre de longues
réflexions et discussions collectives impliquant des acteurs sociaux vivants –
traditionnellement des hommes âgés (hulac)31 – et leurs rapports à leurs ancêtres (eux
aussi nommés hulac). Dans ce cadre où se déploie l’activité d’agent des acteurs sociaux,
mais aussi celle des ancêtres, la perpétuation du monde kanak ne s’oppose en rien à des
réinterprétations, réorientations ou transformations.
48 Des auteurs de différentes spécialités et traditions de sciences humaines et sociales se
sont penchés sur la question de la compréhension de l’articulation du personnel et du
social (par exemple Bourdieu, 1972 ; Castoriadis, 1975 ; Wagner, 1975, 1986 ; Giddens,
1979 ; M. Strathern, 1988, Descombes, 1996 ; Juillerat, 2001). Alors qu’aucun d’entre eux
ne me semble pouvoir, par ses théories, rendre compte des phénomènes que je viens de
décrire, tous y contribuent peu ou prou. Pour reprendre une expression de Juillerat, j’ai
tenté ici de rassembler et d’articuler « trois niveaux d’interprétation : l’intégration
sociale, la signification culturelle et l’expérience individuelle » (1992 : 141). À partir de
cette étude des cérémonies kanak, il me semble important pour contribuer à ce débat
de souligner deux points :
il ne faut pas limiter aux humains vivants l’espace de réflexion sur le social, qui inclut et fait
agir des non-humains : ici des objets et des ancêtres ;
il importe de souligner la nécessaire prise en compte d’activités d’ensembles de personnes
comme médiation cruciale dans l’effectuation des imbrications et interactions en boucle du
personnel et du social.
49 En découle une exigence de méthode impliquant pour l’anthropologie – y compris pour
les études de type « anthropologie cognitive, neuronale et psychanalytique » – qu’une
1.
2.
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dimension aussi fondamentale que l’activité conjointe d’ensembles de personnes ne
puisse être négligée dans l’étude des articulations du personnel – certains préfèrent
parler de l’individuel – et du social. En d’autres termes, toute étude procédant
directement de l’individuel vers le social et le culturel sans s’intéresser à la médiation
cruciale qu’est l’implication de la personne dans des ensembles de personnes –
éventuellement restreints, comme dans le cas des groupements par paires kanak ou des
fantasmes originaires privilégiés par Juillerat – présente une importante lacune
méthodologique qui l’empêche d’atteindre sa visée.
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NOTES
1. Des majuscules réfèrent aux figures (voir infra), des minuscules désignent leurs
actualisations « matérielles », par exemple architecturales.2. Ce texte constitue un volet d’une recherche plus générale sur les modes sociaux de
signification dans laquelle je tente de mieux comprendre les expressions sociales du sens.
Nombre de propositions seront discutées ailleurs, faute de place ici : celles de Victor Turner sur
les symboles multivocaux (1962), les hypothèses de Roy Wagner (voir infra) ou la distinction entre
métaphore et métonymie interprétée par Claude Lévi-Strauss (1962).
3. Merci à mes hôtes et interlocuteurs d’Arama et de la région Hoot ma Whaap pour
leur hospitalité et leur disponibilité. Les données ethnographiques analysées ont été
rassemblées entre 1992 et 2007 lors de huit séjours sur le terrain (pour un total d’un
peu plus de trois années), dont une partie a été financée par le programme ESK, la
mission de la Recherche du ministère de l'Éducation nationale, la CORDET, et le CNRS :
d’abord, à travers l'équipe ERASME (UPR 262 CNRS) et, depuis 2005, par le Laboratoire
Cultures et Sociétés en Europe (UMR 7043 CNRS, université Marc Bloch, Strasbourg).
Ces recherches se poursuivent dans le cadre du programme ANR LocNatPol (coordonné
par L. Dousset). Certains éléments de ces analyses ont été présentés à Lifou (Nouvelle-
Calédonie) lors de la conférence Pacific Art Association/Centre Culturel Tjibaou de
juillet 2001,au séminaire de l’axe « Croyances, Connaissances, Reconnaissances » du
LCSE en novembre 2009 et au séminaire international ‘Culture matérielle’, Paris, musée
du quai Branly en février 2010. La réflexion présentée ici doit aussi à mon
enseignement sur les « Modes sociaux de significations » à l’université Marc Bloch,
récemment devenue Université de Strasbourg. Je remercie mes auditeurs de Lifou,
Strasbourg et Paris pour leurs questions et observations. Merci aussi à Isabelle Berdah,
Agnès Clerc-Renaud, Dominique Fasquel, Estelle Ferrarese, Jean-Marc de Grave, Cécile
Leguy, aux relecteurs du JSO et, tout particulièrement, à Sophie Chave-Dartoen, pour
leurs critiques et suggestions.4. Dans ce texte, tous les mots locaux sont en nyêlâyu, langue d’Arama et de Balade (avec des
variantes dialectales). En raison de la mise en place récente (2007) d’un enseignement à l’écriture
de cette langue à Arama et pour me conformer aux procédures adoptées localement à cette
occasion, je transcris désormais toutes les voyelles nasalisées avec un accent circonflexe (par
exemple : mwâ , nyêlâyu, phwâ). Ceci implique que, pour les nasalisations, indiquées par des
accents circonflexes, la graphie de certains mots diffère de mes transcriptions précédentes qui
suivaient le système phonologique mis au point par la regrettée Françoise Ozanne-Rivierre
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(Ozanne-Rivierre et al., 1998), système qui est désormais, à cette simplification phonologique
près, adopté à Arama.
5. J’emploie le terme cosmos pour référer aux conceptualisation et représentation spécifiques du
monde par une société et une culture particulière, le terme socio-cosmique visant à souligner la
conceptualisation étroitement associée de la société et du monde.
6. J’utilise le terme institution aux sens de Fauconnet et Mauss (1901), Castoriadis (1975)
et Descombes (1996).7. Une perspective anthropologique informée par l’ethnographie amène à questionner la césure
entre verbal et non verbal, expressions que j’utilise cependant comme outils heuristiques.
8. Ce qui vaut pour les symboles vaut aussi pour les métaphores et autres tropes. Pour Roy
Wagner, ceux-ci « établissent une équivalence (equate) entre un point de référence conventionnel
et un autre, ou substituent l’un à l’autre, obligeant celui qui les interprète à tirer ses conclusions
pour ce qui concerne les conséquences induites » (1986 : 6).
9. Par exemple, Ludovic Coupaye souligne à propos des objets de valeur yëwa des Abelam de la
région Maprik de Papouasie Nouvelle-Guinée, qu’ils ne sont « pas seulement des symboles », mais
« agissent sur deux niveaux en même temps : en tant que transmetteur de puissance et comme
“marque” […] ou manifestation matérialisée de certains types de relations » (2004 : 200). Ces
remarques concernant des objets où la « puissance » est étroitement associée à l’actualisation de
relations ouvrent sur d’autres dimensions de significations encore que celles des symboles ou des
figures.
10. Cette section et la suivante résument, parfois en précisant certains points, des analyses
publiées ailleurs (Monnerie, 2001, 2003, 2005, à paraître a).
11. Arama est la dénomination la plus couramment utilisée, Teâ Aâôvaac est une désignation
valorisée, cérémonielle.
12. Littéralement : « aîné » ( teâ), « suprême, collectif » (-mâ). Trop souvent, en français, les
termes grand chef, chefferie (ou tribu) et clan propriétaire de terre sont utilisés pour désigner
l’aîné suprême, la Grande Maison et le clan accueillant. Ces termes datant des premiers temps de
la colonisation sont inadaptés pour Arama, introduisant des distorsions considérables dans la
compréhension de cette société. C’est la raison pour laquelle j’utilise les termes« aîné suprême »,
« Grande Maison » et « clan accueillant », au plus près des conceptions sociales kanak.
13. Ceux-ci transmis par alternance de deux ou trois générations sont considérés comme
établissant des relations étroites avec les ancêtres ayant porté ces mêmes noms (Monnerie, à
paraître a).
14. Pour Arama, sa construction m’a été décrite, les autres cérémonies analysées ici ont
été étudiées en observation participante.
15. Cabeen niju, littéralement « dresser le poteau central ».16. Il s’agit de l’anniversaire de la prise de possession à Balade en 1853 de la Nouvelle-Calédonie
par la France. C’est un jour férié avec de nombreuses manifestations officielles dont des défilés
militaires. Sa signification a été détournée par le mouvement indépendantiste dans les années
1980 pour devenir jour de « deuil kanak », occasion d’importants rassemblements anti-
colonialistes.
17. Dont une séquence des cérémonies d’intronisation d’un teâmâ.
18. Les conflits précédant la signature de l’accord de Nouméa sont aujourd’hui passés
sous silence par la plupart des observateurs de la Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci
soulignent à l’envi la continuité dans la transition entre les accords de 1988 et ceux de
1998. Ils oublient, par exemple, les importantes manifestations de cette période visant à
un meilleur contrôle par les Kanak des ressources minières du pays, pourtant relayées
par les médias du monde entier.19. Par souci de concision je parlerai désormais de la « figure de la (Grande) Maison ».
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20. La dynamique de l’accueil ne peut être pensée sans ses corollaires : la séparation (cas évoqué
ici des rencontres régionales) ou l’expulsion (cas, souvent dramatique, de groupes rejetés d’une
localité et qui, dans ce système, vont chercher ailleurs d’autres accueils). Sous des configurations
diverses, une procédure dynamique fondamentale dans la définition des relations sociales
d’Arama – et, à titre d’hypothèse, de nombreuses sociétés kanak dont celles de Hoot ma Whaap –
est celle de l’accueil/séparation, expulsion. Ceci se manifeste aussi bien dans la durée éphémère
d’une rencontre cérémonielle régionale que dans le temps long de l'accueil de groupes ou
personnes venus d’ailleurs.
21. Pour Balade, Ozanne-Rivierre (1998) indique comme sens de paet : « nudité de quelque chose,
intégralité, sens d’une parole, thème d’un chant, (marée) complète, parenté ».
22. Dans ce cas, la rhétorique cérémonielle et les schèmes de construction se rejoignent en de
nombreux points (voir infra).
23. Les recherches cognitivistes et en neurosciences sur les neurones miroirs
pourraient éventuellement nous donner des précisions intéressantes sur certains
aspects des relations entre participants effectuant les mêmes gestuelles et sur les
sentiments associés à ces actes.
24. André Teâ Yhuen (Théain Hiouen) est décédé en juin 2008.
25. Ceci s’applique aussi aux cérémonies du cycle de vie, plus fréquentes que celles de la
Grande Maison. Mes interlocuteurs sur ce point étaient d’Arama, Paimboa (Teâ
Maalum), Poum et Tiabet (Teâ Nelemwâ). 26. Des femmes et des hommes, généralement plus âgés, contribuent à cet apprentissage, parfois
de façon systématique auprès des jeunes de leur groupe, mais ce n’est pas le cas le plus répandu.
27. Pour un phénomène comparable à Wallis, en Polynésie, autour de l’idée de tradition, voir
Chave-Dartoen, 2002.
28. Même si, dans l’élaboration ultérieure, pathologique ou sociale, les personnes tendent à se
transformer ou disparaître pour prendre d’autres formes ; ainsi pour ces métamorphoses des
personnes, et pour la castration, Juillerat (1986 : 401-403) s’appuie sur les travaux de Julia
Kristeva.
29. Et ce quels que soient les mérites philosophiques des propositions de Ernst Cassirer qui
suscitent une large part du mouvement dit de l’anthropologie symbolique.
30. Démarche critiquée in Affergan (2007).
31. Si la tendance reste à privilégier dans ce cadre les hommes âgés, la tendance générale est à
l’ouverture aux jeunes gens et jeunes filles et aux femmes, ce qui fut explicitement demandé par
le président du conseil Hoot ma Whaap en 1994 (Monnerie, 2005 : 181-182).
RÉSUMÉS
Les concepts de Maison et Grande Maison sont utilisés par les gens d’Arama (Nouvelle-Calédonie)
pour conceptualiser leur organisation sociale. Ils sont aussi très présents dans l’ensemble de la
région Hoot ma Whaap, à l’extrême nord de la Grande Terre. Dans des cérémonies locales et
régionales, l’actualisation de la Maison et de la Grande Maison met en œuvre des expériences
pluri-sensorielles et intellectuelles intenses, en particulier autour de l’articulation
soigneusement organisée de formes d’expression verbales et non verbales. En me fondant sur
l’analyse des significations, des formes et des dynamiques d’action associées à ces expressions
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cérémonielles, je montre aussi en quoi Maison et Grande Maison ne sont pas des symboles et
pourquoi je les nomme figures. Les symboles, en effet, sont un concept majeur de la tradition
occidentale et de l’anthropologie, deux dimensions qui tendent à occulter l’existence d’autres
modes sociaux de signification et rendent leur mise en évidence plus difficile. Les analyses
présentées ici soutiennent la proposition anthropologique selon laquelle symboles et figures sont
deux modes sociaux de signification, parmi d’autres. Elles permettent aussi de mieux
comprendre l’imbrication du personnel, du collectif et du social dans cette société et ses relations
régionales et de poser cette question de façon plus large en dialogue avec les recherches de
Bernard Juillerat.
The concepts of the House and Great House are used by the people of Arama (New Caledonia) to
conceptualize their social organization. They are also prominent in the whole of the Hoot ma
Whaap area, at the northern end of Grande-Terre. There, in local and regional ceremonies, the
House and the Great House are the focus of intense plurisensory and intellectual experiences
which are made alive through the combination of verbal and non verbal forms of expression.
Relying on the analysis of the meanings, forms and dynamics of these ceremonial expressions, I
show why the House and Great House are not symbols and why I call them figures. Symbols are a
major concept of western traditions and contemporary anthropology, which tends to obfuscate
other social ways of conveying meanings and makes their study more difficult. On a general
anthropological level these analyses suggest that symbols on the one hand and figures on the
other hand are but two social ways of conveying social meanings, among others. In a dialogue
with Bernard Juillerat’s research, this text also aims at a better understanding of the articulation
of the personal, society and culture.
INDEX
Keywords : meaning, New-Caledonia, Oceania, ritual, symbol
Mots-clés : Nouvelle-Calédonie, Océanie, rituel, signification, symbole
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Mythes et rites chez les AngaPierre Lemonnier
1 Comprendre la part des comportements et pensées individuels dans les phénomènes
collectifs constitue l'une de ces quadratures du cercle sur lesquelles buttent les sciences
humaines : mettre en rapport les niveaux « micro » et « macro » d'une analyse
économique ou historique est aussi délicat que de replacer l'individu dans la société en
sociologie. Un degré de complexité supplémentaire est franchi dans cette mise en
rapport de phénomènes individuels inconscients avec des phénomènes collectifs
largement « non intentionnels1 » qu’illustre l’anthropologie psychanalytique proposée
par Bernard Juillerat dans ses études de « la mort yafar » ou du rite totémique yangis
(Juillerat, 1991, 1999). Il s’agissait pour lui, d’une part, de comprendre comment
s’effectue « la métamorphose d’images individuelles inconscientes en motifs élaborés
par l’imaginaire collectif » ; d’autre part de saisir comment une diversité culturelle
« illimité(e) » est produite à partir de ces universaux que sont les « fantasmes
originaires » (2001 : 40).
2 En ce domaine, les obstacles sont immenses, qui vont des difficultés pratiques de cette
coordination ou « complémentarité » de points de vue que Georges Devereux (1972)
avait déjà tentée à la redoutable question des conditions de généralisation des résultats
obtenus : pourquoi des institutions sociales pour partie engendrées par des
phénomènes psychiques incontestablement universels ne se retrouvent-elles pas
partout ? « S’il était possible de suggérer une explication satisfaisante […], d’autres
l’auraient fait avant moi », écrivait Juillerat (2004 : 160) à propos d’une remarque facile
que je m’étais permise à propos de ce mystère agaçant.
3 Dans le cas d’institutions ayant à voir avec des processus de transformation de la
personne, la difficulté de la tâche est d’autant plus irritante que la pertinence d’un
rapprochement entre psychanalyse et anthropologie paraît pourtant évidente. Il ne fait
aucun doute, par exemple, que les pensées collectivement élaborées et partagées
autour de la mort ont un rapport avec le deuil individuel (Lemonnier, 2006 : 171-177). Et
une semblable perméabilité est plus que plausible entre l’histoire du sujet participant
et les représentations collectives qui, de diverses manières (mythes d’origine,
commentaires, injonctions…) accompagnent des cérémonies d’initiation masculine, ne
serait-ce que parce que celles-ci impliquent une mort symbolique des garçons et
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constituent une sortie de l’enfance, une séparation d’avec la mère et, plus largement,
un bouleversement relationnel au moment où l’accès à la vie sexuelle est socialement
ouvert – sans parler des épreuves psychiques infligées aux novices.
4 Grande reste notre difficulté à formuler des problématiques situées à l’intersection des
approches psychanalytiques et anthropologiques. Par exemple, dans le domaine du
rituel, afin de « procéder aux ajustements nécessaires » pour rendre compte de son
éventuelle « origine pulsionnelle », ou bien pour saisir en quoi et comment « un rite est
un acte symbolique supposé satisfaire le désir que le ou les acteurs y investissent sans
le savoir » (Juillerat, 2002 : 48). En nourrissant par l’ethnographie la plus fine l’exercice
théorique et méthodologique qu’il proposait, Bernard Juillerat n’en a pas moins montré
qu’il est possible de faire référence au sujet, voire aux affects et aux conflits du
psychisme dans l’étude des rituels. C’était pour lui une façon d’introduire dans l’analyse
de ceux-ci le sens des actions en jeu, tant pour celui qui les subit que pour ceux qui les
organisent, les regardent, ou les commentent.
5 C’est en écho à cette exploration par Juillerat de relations plausibles entre divers
domaines de la vie sociale et de la vie des individus quej’aborde ici conjointement des
variantes des rites d’initiation et des mythes s’y rapportant chez deux groupes anga de
Papouasie Nouvelle-Guinée pour y repérer des variantes de type structural. Pareille
démarche ne va pas de soi. D’abord, semblable analyse simultanée des rites et des
mythes est illusoire selon Lévi-Strauss, qui parlait alors de la construction d’un« […]
objet hybride dont on peut dire n’importe quoi » (1971 : 598). Quant à l’approche
structuraliste, on sait que Bernard Juillerat (par exemple, 2001 : 46) lui reprochait
d’impliquer l’effacement du sujet notamment lorsque Lévi-Strauss (1971 : 598-601) pose
comme préalable de l’analyse du rituel « pur » de séparer celle-ci de l’étude des mythes
et des paroles – propos qui rejoint celui du directeur de thèse de Bernard, Roger Bastide
(1972 : 207), qui, déjà, regrettait la « disparition progressive de l’affectivité » dans le
structuralisme de Lévi-Strauss, tout comme le firent d’ailleurs Beidelman (1966 : 402),
Fortes (1969 : 8-9), Leach (1970 : 8) et Turner (1969 : 42-43), auxquels Lévi-Strauss
répond dans L’Homme nu (Lévi-Strauss, 1971 : 597).
6 Mais le terrain est têtu, ce terrain que Bernard a privilégié tout au long de sa pratique
de l’anthropologie. En l’occurrence, l’observation de rites masculins ankave et baruya
incite à regarder comment ceux-ci et les mythes qui les accompagnent varient de
concert. Simplement parce que, derrière d’évidentes ressemblances – car, vus de loin,
ces rituels paraissent identiques – se profilent des différences qui, à chaque instant,
rappellent que l’on se trouve dans des univers à la fois proches et contrastés, condition
idéale pour repérer ces « seuils » à partir desquels s’effectue la différenciation
culturelle (Juillerat, 2001 : 69sq). Nous verrons que l’analyse comparée des mythes et
des rites dit également quelque chose de ces zones d’ombres dont il déplorait qu’elles
sont perdues pour l’histoire et relèvent de « facteurs multiples que les sciences sociales
sont incapables de maîtriser » (2001 : 72-73).
7 L’histoire et le structuralisme font mauvais ménage mais il n’empêche que les rites que
nous observons aujourd’hui chez les Anga et les mythes que nous y recueillons se sont
historiquement modifiés. Certes à la suite d’événements qui nous échappent à jamais et
qui furent en leur temps éprouvés et interprétés par des individus au gré de cette
« créativité, par l’expérience psychique renouvelée (individuelle et collective) vécue
par les acteurs » (Juillerat, 2001 : 47). Mais ces inventions et cette diffusion des mythes
et des rites se sont effectuées selon des lignes de fractures et des oppositions que leur
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analyse comparée révèle, en même temps qu’elle signale ceux de leurs éléments sur
lesquels des co-variations ont porté, et même les conséquences de ces mutations pour
le contexte culturel dans lequel les individus naissent et se développent. Bref, il est
peut-être possible de s’approcher de ces « processus historiques de transmission
culturelle [qui] travaillent, avec le temps, à ordonner [les] représentations, à les
organiser en récits mythiques, en scénarios rituels, en structure sociale, bref en une
ontologie et une cosmogonie qui définiront telle société particulière de façon
différentielle » (2001 : 155).
Des comparaisons contrôlées : décrire et commenterdes variantes locales
8 Les Anga des provinces du Gulf, du Morobe et des Eastern Highlands de Papouasie
Nouvelle-Guinée offrent des conditions particulièrement favorables à des études
comparatives fines, car il y a toutes les raisons de penser que les groupes linguistiques
(et culturels) que l’on rassemble sous ce nom descendent tous d’une protoculture
commune qui s’est différenciée sous divers rapports :langues ; types d'économie
développés (forme d'horticulture, place du porc semi-domestique et des activités de
chasse et de pêche) ; nature et dimension des établissements humains ; formes du
mariage (échanges de sœurs au nord, compensation matrimoniale ailleurs) ;
importance relative de la guerre ; rapports hommes/femmes ; coopération entre
familles (systématique au nord, évitée à tout prix au sud) (Lemonnier, 1997). Plusieurs
des variantes observées dans ces domaines n’ont rien de secondaires, notamment les
principes et formes du cycle initiatique.
9 Celui-ci tient une place centrale2 chez les Anga car ces sociétés acéphales organisées en
clans patrilinéaires (exogames ou non) se distinguent globalement de celles des autres
montagnards de l'intérieur de la Papouasie Nouvelle-Guinée par l'absence d'échanges
cérémoniels intergroupes et, donc, de leur organisateur, le Big man (Godelier, 1982 :
253-290 ; Lemonnier, 1990). Dans le monde de « Grands hommes » qui est le leur, les
affaires qui mobilisent l'attention collective sont la guerre et les initiations masculines
(Godelier, 1982).
10 Une façon relativement simple d’étudier les variantes des organisations sociales et des
systèmes de pensées au sein de l’ensemble culturel anga consiste à comparer deux
groupes présentant de forts contrastes socio-culturels. Il importe cependant de
souligner à nouveau que ce que les anthropologues observent depuis le milieu des
années 1930 chez les Anga sous la forme de cultures et d’organisations sociales
distinctes et bien localisées ne représente pas tout l’éventail de ces configurations
historiques, mais seulement quelques-uns des résultats de longs processus de
transformation historique. Ceux-ci nous échappent car nous ne savons rien des
configurations culturelles du passé de cette région de Nouvelle-Guinée qui furent celles
de groupes qui ont disparu ou ont été absorbés par d’autres. C’est l’une des raisons pour
lesquelles il n’est pas d’actualité de comprendre pourquoi une partie de ces groupes ont,
par exemple, produit une variante comme celle qui consiste à « passer » de l’échange
des sœurs à un mariage par compensation matrimoniale, ni d’expliquer l’éventuelle
ambiguïté du statut des oncles maternels ou le choix de principes vitaux masculins
plutôt que féminins pour effectuer la « renaissance » des initiés.
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11 En revanche, à défaut d’expliquer les contrastes, c’est-à-dire les variantes que rapporte
l’ethnographie des Anga, il est possible de découvrir sur quoi certaines transformations
ont porté dans plusieurs domaines se prêtant à cet exercice, comme les rapports entre
chamanisme, maladie et guerre (Lemonnier, 1998), le statut de la horde cannibale de
morts anciens (Lemonnier, 2006) ou certains aspects des initiations masculines, comme
je vais le faire ici.
12 Les deux sociétés – les Ankave et les Baruya – dont je vais comparer les rites masculins
et les mythes associés à ces cérémonies occupent des vallées séparées par cinq jours de
marche et ne présentent entre elles aucun lien historique connu autre qu’une
commune présence, aussi ancienne qu’indatable, dans la haute vallée de Menyamya
(province du Morobe), avant leur migration respective vers leur territoire actuel. Il
s’agit dans les deux cas d’« horticulteurs » forestiers éleveurs de porcs, mais, situées
plus au sud de la cordillère centrale et ouvertes vers les basse terres de Papouasie, les
vallées des Ankave sont entièrement couvertes de forêt, alors que celles des Baruya se
sont partiellement transformées en savane anthropique à force d’y ouvrir des jardins
(patate douce, taro, canne à sucre, etc.). Il existe environ dix mille locuteurs baruya,
répartis en cinq groupes locaux, dont la « tribu » des Baruya, forte de 3 500 personnes
(Godelier, 1982). La langue ankave n’est parlée que par 1 200 personnes formant une
entité politique et territoriale unique. Les territoires des deux groupes sont de
superficies équivalentes, de l’ordre de 1 000 km2, mais la densité de population des
Ankave est quatre fois moindre (1,2 hab/km2). L'habitat ankave est dispersé et
fluctuant, ce qui tranche, là encore, avec la situation des Baruya, dont les hameaux
permanents sont toujours remplis de monde alors que ceux des Ankave sont
généralement déserts (Bonnemère et Lemonnier, 2007 : 57-88).
13 Au-delà de ces différences patentes observables dans le paysage, la résidence ou
l’organisation des jardins (collectifs chez les Baruya, strictement individuels chez les
Ankave), les Ankave se distinguent aussi des Baruya en ne pratiquant qu'incidemment
l'échange des sœurs (dont l’idée évoque pour les Ankave un mariage « de chiens et de
porcs », mais certainement pas d’êtres humains !), par leur refus quasi explicite de la
coopération, mais également par la place qu’ils font aux rites de mort, par la douceur
relative de la domination masculine, leur souci des monstres cannibales et leur
ignorance totale de l'homosexualité ritualisée qui, par le passé, caractérisait les
initiations des Anga du Nord, Baruya, Sambia, Iqwaye (Godelier, 1982 ; Herdt, 1981,
1987 ; Mimica, 1981, 1991).
Femmes, guerriers et initiés
14 Avec leurs langues et leurs cultures matérielles, le complexe de relations que les Anga
ont développé entre la guerre, les rapports hommes/femmes et les initiations
masculines sont l’une des originalités qui distinguent cet ensemble culturel parmi les
populations de Mélanésie. Au cœur de ce système d'institutions et de relations sociales
se trouve présente, chez tous les Anga – bien qu'à des degrés variables –, l'idée que la
physiologie sexuelle des femmes exerce un effet néfaste sur les hommes, qu'elle
fragilise leur ardeur guerrière et, partant, menace la survie du groupe. Les initiations
procurent aux hommes leur force physique et morale, mais c'est aussi dans ce cadre
que leur sont transmises les connaissances pratiques qui leur permettent de pallier ce
dangereux état de choses.
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15 Ces rites masculins ont pour but explicite de transformer les garçons en hommes
adultes, forts et sans peur. Simultanément, ces rituels fondent et réaffirment
régulièrement la domination masculine. Les personnages directement impliqués
comme responsables dans les initiations ou la guerre sont ceux qui, par leur naissance
au sein d'un lignage particulier (maîtres des initiations) ou par leurs talents personnels
(grands guerriers et chamanes), s'élèvent au-dessus des autres hommes. D'un groupe
linguistique anga à un autre, ce schéma prend des formes différentes constituant
autant de variantes, mais les relations entre ordre politique, rapports hommes/
femmes, guerre et initiations sont partout celles décrites à l'instant.
16 Pour les Anga, ces rites masculins trouvent leur origine dans un passé primordial dont
parlent les mythes. Ceux-ci rapportent que le premier homme apparu dans notre
monde, vers Menyamya, octroya à ceux qui émergeaient derrière lui, ancêtres
respectifs des différents groupes linguistiques, leur langue et leurs parures corporelles,
avant que chacun entame la pérégrination qui le conduisit sur son territoire actuel.
Certains racontent également que les os de l'un de ces hommes des premiers temps
furent partagés entre tous les groupes et qu'ils ont servi à fabriquer les poinçons avec
lesquels on perfore le septum des garçons initiés. Cette « histoire » de « personne
distribuée » (Strathern 1988) est donc à la fois ce qui rapproche un membre d’une
entité locale quelconque des autres Anga, et ce qui, par l'utilisation ou le partage
d'objets ou de substances qui remontent au temps du mythe, établit un lien entre les
hommes, à la fois diachroniquement (depuis que les Anga sont apparus sur la terre et
ont appris comment transformer des garçons en hommes adultes) et
synchroniquement (entre tous les initiés, dans un groupe donné).
17 Tant l’homogénéité relative des mythes et des rites d’initiation que leur variabilité ne
sont donc pas que des hypothèses d’anthropologues : elles se situent au cœur même du
dispositif imaginaire et matériel par lequel les Anga pensent tout à la fois leur
humanité propre et une partie de leurs différences et, en tout premier lieu, leurs
manières d’initier les garçons, qui constituent un ensemble de pratiques dont chaque
groupe anga garde secrètement les particularités, même si la structure générale des
rituels masculins est partout semblable.
18 Pour l’ethnologue, ces rituels, obligatoires pour tous les garçons (9-11 ans) prennent,
dans tous les cas et classiquement, la forme d’une mort symbolique puis d’une
renaissance dont la mise en scène rituelle rappelle un accouchement, mais en essayant
de se passer des femmes3. Cette seconde étape prend fort logiquement en compte les
représentations locales de la vie et de la fabrication d’un enfant (Bonnemère, 2001). En
particulier, selon l’humeur corporelle à laquelle on attribue localement la vie des êtres
humains, c’est par des pratiques ou à l’aide de produits faisant tantôt référence au sang,
tantôt au sperme, que les hommes organisent entre eux la gestation ou la renaissance
rituelles de ces nouveaux-nés que sont les initiés.
Deux imaginaires des rites masculins
19 Les Baruya considèrent que le soleil est numwe, le père. Le bandeau rouge ypmoulié dont
les hommes se ceignent le front est la « route de feu qui unit les ancêtres des Baruya
[…] au Soleil » (Godelier, 1982 : 109-127 ; 1996 : 158, 169), et chaque stade des initiations
est l’occasion de prières sifflées au Soleil. Mais surtout, celui-ci et son frère cadet la
Lune ont donné aux hommes les objets sacrés (kwaimatñe) détenus par les maîtres des
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rituels masculins – y compris les os d’aigle pointus utilisés comme poinçons –, ceux au
contact desquels les novices reçoivent dans leur corps un peu des « puissances
surhumaines qui gouvernent l’univers », et notamment de la force du Soleil (Godelier
1996 : 169, 173-174). En même temps qu’il offrait ces objets aux hommes, le Soleil a
institué les initiations elles-mêmes, expliquant les tâches à faire, y compris les
opérations de divination qui permettent aux spécialistes des rituels de repérer les
futurs grands hommes.
20 Les hommes doivent leur sperme au soleil qui, lui-même, intervient dans la conception
d’un enfant en donnant la forme finale de l’embryon (Godelier, 1982 : 109). Selon les
conceptions locales de la vie, chez les Baruya, la mère n’est que le réceptacle porteur du
fœtus. C’est le sperme du père qui construit et fait croître le fœtus, ce qui implique des
rapports sexuels pendant la grossesse ; le lait de la mère est du sperme du père
transformé, celui qu’elle a ingéré par fellation (Godelier, 1982 : 91, 116) ; la canne à
sucre produit du sperme chez les hommes et du lait chez les femmes. Cette
omniprésence du sperme se retrouve dans les initiations car les novices boivent
(buvaient) pendant plusieurs années la semence de leur aînés, ce qui les faisait grandir,
tout en remplissant leur propre sac du sperme qu’eux-mêmes feront circuler plus tard
entre les sexes et les générations.
21 La situation est radicalement différente pour les Ankave, qui considèrent que seule la
mère fabrique le bébé, à partir d’un mélange de sperme et de sang dont sort l’ébauche
du fœtus ; l’enfant croît in utero uniquement en partageant le sang de sa mère, dont il se
nourrit. Le père n’a rien à voir dans cette fabrication d’un être humain et les rapports
sexuels cessent aussitôt la grossesse repérée. Il est alors peu surprenant que, pour ceux
qui partagent cette vision de la transmission de la vie, ce processus de renaissance des
jeunes garçons qu’est l’initiation masculine mette en jeu le sang, une substance
localement considérée comme exclusivement féminine. Les Ankave font donc très
logiquement renaître et grandir les novices à travers l’ingestion de jus de pandanus, un
substitut du sang du premier homme (que l’on peut qualifier de déféminisé puisque,
par définition, celui-ci n’avait pas de mère !) et en les enduisant de cette sauce
vermillon (Bonnemère, 1994). Du soleil, il n’est pas question.
22 Cependant, divers appareils du rituel des Ankave, et notamment des éléments du
théâtre végétal qui leur sert de décor à plusieurs reprises, pourraient conduire à des
interprétations donnant au soleil un rôle important dans les initiations de ce groupe,
alors même qu’il ne fait pas grand-chose dans ces histoires. C’est de cette ambiguïté
qu’il importe d’exposer et de commenter les termes. Observer en train de se faire des
rites d’apparence semblable et pourtant si différents permet de saisir en quoi, sinon
comment, ont parallèlement évolué des imaginaires, des objets, des gestes, et des
théâtres rituels qui font plutôt privilégier le sang féminin au sperme dans des
représentations de la vie qui retentissent profondément dans la vie des gens.
Quand le soleil s’éclipse : objets sacrés et rites ankavevus en clef baruya
23 À l’instar des Baruya, les Ankave font de l’origine de l’humanité actuelle et de celle des
objets sacrés et des initiations deux événements contemporains et liés entre eux qu’ils
situent dans la vallée de Menyamya, en un lieu où les mythes ankave rapportent que le
premier homme distribua et les langues et les décorations corporelles de tous les
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groupes linguistico-culturels anga. Incapable de dire son propre nom, l’homme fut mis
à mort et, là où se répandit son sang poussèrent le pandanus rouge et les cordylines
oremere’. Son esprit expliqua en rêve aux ancêtres des Ankave avec quoi et comment
initier les garçons. Il ordonna de fabriquer un poinçon avec l’un de ses os et de l’utiliser
pour perforer le septum des novices, puis de les frotter de jus de pandanus rouge.
24 Pour l’anthropologue, un objet sacré oremere’ (du même nom que les cordylines rouges)
appartient clairement à la même classe d’objets que les kwaimatñe des Baruya, avec une
immense différence, cependant : l’absence de toute référence au Soleil dans les mythes
d’origine des objets sacrés et des initiations elles-mêmes. La place qu’occupe le Soleil
chez les Baruya (et d’autres Anga du nord) comme origine des pouvoirs masculins est
tenue chez les Ankave par l’homme primordial apparu près de Menyamya. Pour eux,
aucune force émanant du Soleil n’est transmise aux initiés, mais seulement celle de ce
premier homme, doublée par celle d’un héros légendaire « récent », Natemewo. L’objet
oremere’ est un être animé et doué de perception puisqu’il sait que des initiations vont
avoir lieu dès que le maître des rituels le sort de sa cachette (« sonwëwuñe ! »,
« regarde ! »). Et c’est à lui qu’il parle lorsqu’il referme et range le paquet magique :
« Tu as tué des hommes / enfants ; retourne dormir dans ta maison ! ». La masculinité
ingérée par les futurs guerriers ankave provient du sang du premier homme et non du
Soleil dont les Baruya transmettent la force aux novices, tant via le sperme des aînés
que par leur contact physique avec le kwaimatñe. Bref, ce n’est pas le Soleil, mais un
homme – un représentant de l’humanité actuelle –, sorte de premier ancêtre sans
descendance de tous les Anga susceptible d’être partagé et distribué entre eux tous sous
forme de reliques humaines, qui est l’acteur principal des cérémonies4.
25 Il suffit pourtant de regarder quelques instants les rites ankave avec les yeux d’un
anthropologue spécialiste de leurs lointains cousins baruya pour être, sinon ébloui, au
moins interloqué par toute une série d’éléments du décor, par des gestes, et même des
paroles, qui prouvent que le Soleil n’est pas loin. Mais pas loin pour qui ? Seulement
pour les ethnologues comparatistes à l’affût de variantes, ou également pour les
Ankave ? Et avec quelles conséquences pour notre connaissance des mécanismes de
l’invention et de la transformation des codes culturels ? C’est toute la question.
Un mythe pour éclairer la variante sans Soleil
26 Il est deux moments du cycle initiatique ankave où l’impression de « déjà vu » est si
forte pour un observateur imprégné de culture baruya qu’il serait très facile de voir le
soleil s’y infiltrer. À la fin de la période de réclusion du premier stade, d’abord, les
novices sont brutalement propulsés à près d’un mètre en l’air le long d’un immense
tronc d’arbre (un Syzygium) que raclent leur ventre et leurs bras. Un spécialiste des
Baruya ou des Sambia serait tenté de voir là une transfusion vers le bas-ventre des
garçons d’une force descendant du ciel (et du soleil) via le tronc rouge orangé d’un
géant de la forêt. Il ne manquerait pas de remarquer que l’on construit parfois5,
appuyée à l’arbre, une grande plateforme semblable à celle sur laquelle les Baruya
hissent un à un les novices muka du premier stade des rituels (Dunlop, 1992 : 35).
Pourtant, des heures et des semaines d’enquêtes réparties sur plus de vingt ans auprès
d’une quinzaine d’hommes ne m’ont rapporté sur ce point qu’une seule information,
toujours la même : « Nous faisons ça aux gamins pour qu’ils n’aient pas peur de grimper
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aux arbres lorsqu’ils cueillent des noix d’arec ou chassent les marsupiaux ». Puisqu’on
me le dit !
27 Ensuite, lors des rites du troisième stade, appelé tsuwangain, du nom de la décoration
d’incisives de cochon remise ce jour-là à un ou deux jeunes hommes dont la femme
vient de mettre au monde leur premier enfant, c’est tout le décor végétal du rituel qui
impose dans l’esprit de l’observateur l’idée d’une présence du soleil. Les rhombes
hurlent tandis que les participants, tous déjà pères et initiés tsuwangain, arrivent sur les
lieux, au moment où le maître des rituels achève de transfigurer un anodin coin de
forêt en site sacré. Elle aussi adossée à un énorme arbre à l’écorce rouge (un saoxe’,
Elaeocarpus sp.), une nappe d’écorce teintée en orange par du jus de pandanus (ogidze)
sert de présentoir à toutes sortes de décorations corporelles. Quinze ou vingt de ces
arbres, de petit diamètre, sont décorés de feuilles des mêmes saoxe’ ramassées sur le sol
et qui forment comme des couronnes rouges vif « comme le sang », me dit-on, à deux
mètres du sol (Lemonnier, 2005).
28 La base de ce petit autel repose sur le sol au centre d’un demi-cercle de cordylines
rouge pourpre. De type oremere’ (le même nom que l’objet sacré), elles sont supposées
avoir initialement poussé dans une terre gorgée du sang du héros primordial et l’expert
rituel les a coupées dans son propre enclos domestique, puis apportées là en grand
secret et disposées sur plusieurs rangs. Des parures de plumes, des colliers de dents de
cochons, des barettes nasales, des baudriers et bandeaux de cauris sont posés sur la
nappe d’écorce, à peu près à la place qu’ils occuperaient sur un homme. N’était le grand
nombre de parures exposées, on devinerait un personnage à demi allongé les pieds
dans des cordylines. D’autant que, secoué par un comparse dissimulé sous la nappe ou
par l’intermédiaire d’une liane tirée à distance, le grand rectangle orangé tremble
régulièrement au rythme d’un homme qui respire (ou expire ?). Le dos appuyé aux
petits saoxe’ les hommes menacent le novice auquel deux parrains viennent de faire
dévaler la pente menant à l’autel. Terrorisé par les haches et les gourdins, le jeune père
est enjoint de se placer au milieu des cordylines et de regarder le petit autel sous une
grêle de paroles telles que : « Si on dit que les ennemis arrivent, tu vas les regarder et te
sauver ? ».
29 Après de longues minutes de sermon, de cris violents et de menaces, le novice est
amené sous la nappe d’écorce où se cache le maître des initiations, accroupi à côté d’un
petit feu qui ne dégage aucune fumée. Lentement, on lui passe les mains et les
articulations des bras dans les flammes, si bien que j’ai longtemps eu du mal à ne pas
imaginer quelque plomberie cosmique mettant les hommes, les végétaux et les objets
présents au pied du saoxe’ en connexion avec la puissance du soleil. Mais les Ankave ne
sont pas les Baruya. Pour l’expert rituel ankave, ce n’est pas des pouvoirs du soleil qu’il
est question, mais de terre suwayé dont la version d’un récit semi-mythique dit qu’elle
contient du sang de Natemowo, ce super guerrier dont la mort dramatique fait un
doublon récent de l’ancêtre primordial. Pour l’anthropologue, il ne fait pas de doute
que l’être « distribué » allongé devant les novices n’est autre que Natemowo, évoqué
sous la forme d’une nappe de ogidze décorée comme celles sur lesquelles on exposait
naguère la dépouille des grands combattants. Les cordylines qui l’entourent sont celles
qui furent jadis plantées autour du cadavre de ce demi-dieu et qu’on se partagea
comme on le fit jadis, selon le mythe, de celles qui poussèrent dans un terre imbibée du
sang de l’ancêtre primordial, vers Menyamya.
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30 Le maître des rites tsuwangain me parle aussi des cordylines qu’il déterre et rassemble
en évoquant l’arc-en-ciel qui apparaît et se dissipe aussi vite que la transformation des
novices est intervenue ; et du soleil qui monte, rouge, lorsque l’arc-en-ciel disparaît.
Dans cette affaire, le soleil n’est donc pas absent, mais il est comme repoussé à la marge
du système imaginaire qui accompagne et rend plausibles les actions magiques (pour
nous) qui parachèvent les hommes. À la réflexion, la mise en scène du rituel tsuwangain
fait en effet immanquablement penser au mythe ankave d’origine du soleil, car, selon
ce récit, c’est le long d’un arbre saoxe’ que s’enfuit le marsupial aux yeux « comme le
soleil » qu’un chasseur avait blessé en plein foie d’une flèche multipointes. Le sang du
marsupial et l’animal lui-même se transformèrent en soleil, et ce sont les pointes de la
flèche que l’on voit chaque jour, lorsque les rayons de l’astre passent au-dessus des
montagnes, à l’aube. Le sang du marsupial monté au ciel est devenu le soleil rouge du
matin. Celui qui s’est répandu au sol a imbibé la terre suwayé – comme le fit bien plus
tard celui de Natemowo. Quant aux rayons orangés qui filtrent à travers les nuages, ce
sont les gouttes qui s’écoulaient du corps de l’animal pendant son ascension au ciel.
Structure, variantes, scories
31 Il est bien question de soleil en filigrane des rites tsuwangain des Ankave, mais c’est d’un
marsupial qui monte au ciel que parle leur mythe et, jamais, d’une descente des pouvoirs
du soleil. Et c’est parce qu’un humain, un chasseur, a fléché le marsupial-soleil que
celui-ci est à sa place dans le ciel. Le soleil qui vient aider les Baruya lors des initiations
et de chaque conception n’existe pas dans l’univers ankave. Ici, les héros fondateurs
sont des hommes du passé dont les pouvoirs sont toujours présents dans ces pandanus
qui teintent les ogidze6 et dans ces éternelles cordylines oremere’ que l’on coupe et
replante génération après génération, chaque fois qu’une cérémonie nécessite une
enceinte sacrée. C’est d’ailleurs des actes des humains que parlent les Ankave. À mes
insinuations sur le rôle de ce soleil bien rouge dont il évoquait la montée au ciel, le
maître des tsuwangain a répondu de la manière la plus claire : « C’est moi seul qui fais
ça ! ». Le soleil, et puis quoi encore ! Le soleil n’est pourtant pas loin de l’autel forestier,
mais pour qui ? De même, c’est à un homme, le premier, tué par des hommes, de
surcroît, que les Ankave attribuent l’origine ambiguë de leurs objets sacrés oremere7,
alors que c’est le soleil qui a envoyé les kwaimatñe aux Baruya.
32 Pour les anthropologues, le soleil qui se trouve à la marge des rites ankave est un
élément du système rituel masculin dont la signification diffère radicalement de ce
qu’elle est chez d’autres groupes anga, dont les Baruya. Et de cette transformation, de
cet engendrement de variante, un commentaire du mythe d’origine du soleil signale
clairement le nœud puisque « le sang du marsupial est devenu le soleil rouge du
matin ».
Ce que dit la variante ankave : du sang et du sens
33 Appliquée à des matériaux comparables – ici, un même ensemble mythico-rituel de
Nouvelle-Guinée – l’analyse structurale permet de retracer un cheminement logique
ou, au moins, de signaler les carrefours de sens, les points de différenciation, les
tensions autour desquels un thème mythique et un scénario rituel se réorganisent et
prennent une saveur culturelle locale. Dans le cas de sociétés « voisines » au moins,
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comme c’est le cas des Ankave et des Baruya, ces lignes de clivage à partir desquelles
ont été élaborées des variantes mythiques et rituelles à la fois proches et radicalement
dissemblables, prennent la forme d’oppositions simples du type de celles mises au jour
par le structuralisme lévi-straussien.
34 En comparant des rituels comparables en même temps que les mythes apparentés
qu’on leur associe localement, on voit s’affiner les déformations d’un schème culturel
plus ou moins général – l’initiation comme séparation d’avec la mère, renaissance entre
les mains des hommes et transformation de relations (Bonnemère 2008) – lorsqu’il
passe à travers le double filtre d’un ensemble culturel particulier et d’une histoire
locale. Cette comparaison au plus près fait ressortir l’accent que les Ankave mettent sur
le sang : sang du héros primordial, d’un guerrier formidable, d’un marsupial qui donna
naissance au soleil. Contenu dans des argiles, des cordylines ou dans le jus du pandanus
rouge, le sang de ces êtres surnaturels est présent lors de ces événements récurrents
que sont les rituels. Il ne s’agit pas de manifestations métaphoriques du liquide auquel
les Ankave attribuent la vie, mais bien de sa présence réelle. Ne me dit-on pas qu’il
suffit de secouer tel entrenœud de bambou pour que l’argile des premiers temps le
remplisse à nouveau, aussi humide de sang que lorsqu’un ancêtre l’avait recueillie ? On
me fait également remarquer (!) que, sitôt déterrées, les cordylines plantées au pied de
l’arbre qui fut le chemin du marsupial-soleil cessent de briller, preuve indirecte de la
vie dont elles resplendissent au moment où elles entourent l’autel secret. Quant à
l’autel, il vit autant du sang du marsupial grimpé au ciel que de celui de Natemowo –
héros qui respire encore, si l’on en juge par les tressaillements de la nappe d’écorce qui
le représente.
35 L’histoire, c’est-à-dire les mythes ou les commentaires des rites que j’observe, ne dit
pas toujours si les cordylines rouges utilisées dans les rites masculins ankave sont
plutôt emplies du sang de l’homme primordial, de celui de Natemewo ou de celui du
marsupial, mais c’est chaque fois de sang qu’il s’agit. Même chose pour l’argile suwayé,
que l’on me présente comme tantôt gorgée du sang du premier homme, tantôt de celui
du marsupial-soleil. Et c’est encore autour du sang que se joue le tour de passe-passe
qui permet aux hommes d’imaginer leur rôle premier – et non celui d’un être du
cosmos comme le soleil des Baruya – dans la machinerie des initiations de deux
premiers stades. Les pouvoirs qui y sont mis en jeu sont ceux du sang. Celui-ci est
réputé être féminin et maternel par nature, mais c’est bien de sang d’homme que sont
gorgés le pandanus, les cordylines et diverses argiles liés à la mort de l’homme
primordial car, par définition, ce héros n’a pas de mère.
Et le sujet ?
36 L’étude des variantes des mythes et des rites masculins anga révèle des éléments de
systèmes de pensée et d’action qui, d’un groupe à l’autre, sont tantôt centraux, tantôt
neutres, non marqués, presque transparents. Le fait que les mythes ankave décrivent
des arbres rouges semblables à la route à sens unique empruntée par un marsupial
blessé pour grimper au ciel et devenir le soleil conduit à se souvenir que les Anga du
Nord (Baruya et Sambia en l’occurrence) mettent à l’inverse l’accent sur les descentes
régulières des pouvoirs de l’astre et leurs interventions dans le monde des hommes.
Mais de cette possibilité, les Ankave, eux, ne savent rien et n’ont rien à faire. Tout ou
partie des fonctions qui sont celles du soleil chez les Baruya et les Sambia sont tenues
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307
par le sang dans le système de pensée ankave et, par rapport à la constellation
mythique des deux premiers groupes, le lien entre les héros (l’homme primordial et
Natomewo) et le soleil est comme rompu. Chez les Ankave, la grille d’analyse en clef de
soleil ne montre pas autre chose que la trace d’une configuration précédente ou le
germe d’une signification autre. Le soleil ressemble fort à un agent secondaire, non
marqué, non commenté et non mis en objets. Dans l’hypothèse où les initiations ankave
relèvent d’un système de pensée qui fut également commun aux Anga du Nord, le soleil
et les bribes de décors rituels qui l’évoquent chez les Ankave se présentent comme des
scories en perte de signification d’un système mythique et rituel précédent ou comme
des éléments de sens en attente de signification.
37 Les variantes qui résultent de la transformation conjointe des mythes et des rites que
j’ai explorée n’ont guère d’explication ; mais elles ont des effets ou des échos quotidiens
dans la vie des hommes et des femmes qui les vivent et les mettent en œuvre. On
pourrait avancer l’idée que la coopération entre une femme et son époux a peut-être
quelque chose de nécessaire dans un groupe comme les Ankave, constitué de familles
réfugiées – ou fuyant les monstres cannibales ombo’ –, qui exploitent seules, et toujours
à quelque distance les unes des autres (Bonnemère et Lemonnier, 2007 : 21-36 ;
Lemonnier, 2006 : 39-48), des recoins supposés tranquilles de la forêt. Et qu’il est peut-
être alors plus délicat de rendre les femmes totalement responsables des misères des
hommes et qu’il devient pensable de leur reconnaître explicitement un rôle dans la
fabrication des guerriers comme c’est le cas chez les Ankave ?
38 Au-delà de ces hypothèses presque hasardeuses, mieux vaut considérer qu’il n'y a guère
de nécessité dans la logique d'un imaginaire collectif, mais seulement des conventions :
pourquoi le sperme et le soleil plutôt que le sang et un héros humanoïde ; pourquoi
mettre en histoire une création baruya des objets sacrés par le soleil plutôt qu’une
origine ankave du soleil due à un acte humain (tuer un marsupial) ? En revanche, les
éléments de ce système de pensée pan-anga sont localement cohérents les uns avec les
autres. Ainsi, dans des rituels concernant une renaissance, comme c’est le cas des
initiations masculines, il est « cohérent » de donner au sperme ou au sang la place
qu'ils occupent dans les représentations locales de la conception des êtres humains :
l’élément auquel on accorde le rôle le plus important (voire unique) dans la fabrication
d’un être humain est celui qui est mis en avant lors de la production des guerriers. Et, là
où, pour quelque raison, le sang féminin se voit conférer la part belle dans la croissance
d'un embryon, la présence active des mères lors des initiations masculines n'est pas
pour surprendre (Bonnemère, 2008).
39 L’analyse comparée n’éclaire pas la présence d’un ensemble mythe-rite particulier en
un lieu et temps donnés, mais, pris tous ensemble, les gestes, les paroles, et les objets
du rituel sont autant d’éléments qui se renvoient les uns aux autres et construisent,
pour le sujet, l’ambiance culturelle dans laquelle il vit. L’analyse conjointe des mythes
et des rites montre sur quoi portent ces transformations, mais aussi, et c’est essentiel,
de quelles caractéristiques des organisations sociales ou des représentations ces
variations sont concomitantes. Dans le cas des Ankave, tant les mythes que les rites
disent, avec et sans mots, l’importance du sang maternel. Mais ce n’est pas tout.
40 Aux différences que l’anthropologue met au jour, à la fois dans l’imaginaire des
initiations, dans les actions rituelles, dans les objets sacrés et dans d’autres éléments
matériels du système rituel correspondent des manières de vivre dissemblables, dont
les conséquences sociales et individuelles sont lourdes pour les hommes et femmes qui
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308
sont membres des groupes en question. Comme le rappelait Juillerat, des rites
d’initiation « mettent en scène des sujets réels, individuels (les initiés) et collectifs (des
classes d’âge, la communauté masculine), inscrits dans l’histoire du groupe » (Juillerat,
2001 : 264-265). Pour celui qui y participe d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire
comme novice, parrain initiatique, organisateur, spectateur, parent d’un initié etc., ce
qui se joue dans le cadre rituel est en résonance avec ce qu’il ou elle sait déjà des
relations entre les hommes et les femmes, de leurs substances respectives, des
substituts de celles-ci et de leurs pouvoirs.
41 Au-delà des initiations proprement dites, les relations que ces rituels imposent ou non
entre un novice (puis un initié puis un jeune homme) et ses parents varient d’une
manière qui ne peut que retentir profondément sur la vie intime des sujets, en
particulier les modalités de la séparation des garçons d’avec leur mère.
Formidablement violente et longue de plusieurs années chez les Baruya (Godelier,
1982 : 63) et les Sambia (Herdt, 1981 : 135, 216, 289-290), celle-ci n’est que temporaire
pour les initiés ankave, qui, dès le second stade, peuvent revenir chez leurs parents
après deux mois passés dans une maison de célibataires. Tout aussi sidérantes pour un
spécialiste des Anga du Nord sont les actions des femmes durant les rites ankave,
actions que les hommes eux-mêmes jugent nécessaires à la réussite de ceux-ci, alors
que cette simple idée serait quasi blasphématoire pour un Baruya. De même, on
imagine l’importance, là où elles existent, de pratiques susceptibles de retentir sur la
structuration psychique des individus : l’homosexualité ritualisée, centrale chez les
Baruya et Sambia et inexistante dans les cérémonies masculines des Ankave.
42 Une co-variation n’est pas la démonstration d’une causalité, mais force est de constater
que la reconnaissance par les hommes ankave, sinon de l’origine féminine de la
substance à laquelle ils donnent le premier rôle dans les initiations8, le sang, au moins
du rôle des femmes dans toute naissance, va de pair avec leur part cruciale dans les
rites masculins et avec le statut de celles-ci, plutôt enviable si on le compare à celui
d’autres femmes Anga, et, d’abord, avec la moindre violence des hommes envers elles
(Bonnemère, 1996 : 381-382). Car, pour les Ankave, les femmes sont seulement
responsables, mais pas coupables des faiblesses des hommes, alors que toutes les
misères des hommes sont de leur faute, pour les Baruya ou les Sambia (Godelier,
1982 : 84-90 ; 1996 : 46-51; Herdt, 1981 : 225-226).
43 Conséquence directe de cette vision des choses, il n’existe pas d’initiations féminines
chez les Ankave (Bonnemère, 1996 : 381), alors que, chez les Baruya, où l’on observe une
« dénégation de l’importance des femmes dans le procès de reproduction de la vie »
(Godelier, 1982 : 229), les femmes elles aussi sont initiées, lors de cérémonies où
d’autres femmes imposent « à des jeunes filles prêtes parfois à se rebeller contre les
règles d’un jeu qui les donnent à un homme dont elles ne veulent pas, l’ordre de leur
société qui est l’ordre de la domination masculine » (Godelier, 1982 : 87-89). Rien de tel,
donc, n’existe chez les Ankave où la reconnaissance du rôle du sang et des femmes,
dans la reproduction de la vie et dans les initiations, est autant lisible et ressentie par le
sujet lors des initiations qu’à travers les interactions quotidiennes entre les hommes et
les femmes qu’il observe et auxquelles il participe.
44 À défaut d’explication rendant compte de la production d’un ensemble mythe-rite
particulier, la façon dont les mythes et les initiations se transforment et confèrent au
sang les pouvoirs qui sont les siens chez les Ankave retentit donc bien au-delà des seuls
rituels, puisque, à la cohérence des rapports entre mythe et rite, correspond autant la
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part du sang et des femmes dans l’action rituelle que le respect relatif dont elles
jouissent dans la vie de chaque jour. Lors des initiations, le sujet masculin apprend
progressivement des mythes et des significations qui, de diverses manières, débordent
de beaucoup le moment rituel proprement dit. Il ressent notamment, dans son corps et
dans son esprit, de façon verbale et non verbale, des actions, des émotions et des
savoirs relatifs au monde où il est né et où il vit, et qui président aux transformations
que sa personne subit lors des cérémonies. Manière de répondre partiellement à la
question que se posait Juillerat à propos de l’élaboration et de l’acquisition de
« représentations déjà instituées dans la culture (qui) font partie de l’héritage que tout
nouveau sujet reçoit au cours de sa socialisation » (2001 : 165).
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NOTES
1. Voir sur ce point précis la réponse de Juillerat à Bensa sur les dimensions non conscientes de
la culture (Juillerat, 2004 : 161).
2. Une place centrale, et non la place centrale, car plusieurs sociétés anga, dont les Ankave,
organisent également d’importantes cérémonies funéraires (Lemonnier, 2006).
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311
3. La mort des novices n’en est évidemment pas une, mais seulement un processus de
transformation du corps si dangereux – perforation du septum nasal avec de réels risques de
septicémie – qu’il implique un voisinage réel avec la mort.
4. « Reliques » est sans doute ici un mot-clef car, dans le cours même des rituels, alors que les
Baruya ou les Sambia font passer entre les générations d’initiés du sperme venu d’un père
suprême qui est le soleil, c’est à un humain en chair, en sang et en os que les Ankave doivent ce
qu’ils sont et ce qui leur permet de se reproduire comme ils sont, c’est-à-dire semblables aux
autres Anga et en même temps formidablement différents d’eux. Les pouvoirs que les Ankave
transmettent aux initiés sont rendus visibles et efficaces par des objets (os, cordylines gorgées de
sang) qui sont, pour eux, d’une même nature – humaine – que les héros dont ils proviennent.
J’essaie ailleurs, mais encore sans succès, de démêler toutes les implications de cette mise en
reliques (Lemonnier, sd).
5. En 1994, lors des rites du premier stade, une telle plateforme fut construite au pied d’un saoxe’,
puis immédiatement détruite. On avait sans doute jugé inutile de l’utiliser car les racines
aériennes (contreforts) de l’arbre étaient de petite taille, si bien qu’il était possible d’atteindre la
partie régulière du tronc depuis le sol.
6. . Par contraste, les ypmoulié baruya, dont on vu qu’il sont la « route de feu » venant du soleil,
sont découpés dans une nappe d’écorce battue préalablement trempée dans du jus de bétel (pour
acquérir sa teinte rouge).
7. Ambiguë car, si ce sont des hommes qui tuèrent le premier d’entre eux apparu sur la terre,
c’est cet homme primordial qui confia en rêve aux Ankave comment initier les garçons avec ses
os (poinçon et rhombe) et son sang (présent dans les cordylines et le pandanus rouge).
8. Comme me le fait remarquer Maurice Godelier, le sang du premier homme, présent dans le jus
de pandanus rouge qui fait croître les novices avant leur renaissance à la fin du deuxième stade
des rituels ne présente aucune ambiguïté car ce héros n’a pas de mère. Celui de Natomowo, en
revanche, héros humain « récent », est d’origine indubitablement maternelle. Ce sont alors les
cordylines, imbibées du sang des deux héros, qui sont d’origine ambiguë.
RÉSUMÉS
Organisés par les hommes sous l’autorité de maîtres des initiations, les rites masculins des Anga
de Papouasie Nouvelle-Guinée mettent classiquement en scène une mise à mort symbolique, puis
une renaissance des initiés. Malgré des théâtres végétaux et des gestes globalement semblables,
les significations et le détail des actions rituelles varient parallèlement aux mythes d’origine des
rituels selon une transformation structurale qu’il est possible de préciser. La comparaison des
rites Ankave et Baruya montre des modifications conjointes de leur déroulement, de leur décor et
de leur exégèse qui renvoient aux êtres et entités surnaturels auxquels les mythes d’origine de
ces rituels attribuent les substances, les pouvoirs et les mises en relations avec des êtres
primordiaux qui transforment les jeunes garçons. Pour le sujet qui y participe, ces rituels sont
l’occasion de percevoir de façon non verbale quelques-unes des valeurs centrales de la société où
il grandit.
Organized by men under the supervision of initiations masters, the male rituals of the Anga of
Papua New Guinea classically stage a symbolic death followed by a rebirth of the initiates. The
vegetal theatres at hand and the gestures observed look roughly similar, but the detail and
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meanings attributed to ritual actions vary according to a structural transformation that may be
delineated. The comparison of Ankave and Baruya rituals shows concomitant modifications of
their procedure, setting, and exegesis which relates to the supernatural beings and entities to
which the origin myth of the rituals grant the powers, substances, and relations with primordial
beings which transform the young boys. For the individual submitted to them, these rituals are
an opportunity for a non verbal perception of some of the key values of the society in which he
grows up.
INDEX
Mots-clés : Anga, mythe, rituel, transformation structurale
Keywords : Anga, myth, ritual, structural transformation
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Étude d’une grotte sépulcralepréservée de Nouvelle-CalédonieChristophe Sand et André-John Ouetcho
1 Si les traditions orales kanak et les descriptions des premiers explorateurs occidentaux
qui ont sillonné l’archipel calédonien décrivent parfois de façon détaillée l’existence de
grottes sépulcrales renfermant de nombreux objets (voir par exemple Lambert, 1900),
les multiples pillages et ramassages occasionnés par les visiteurs de passage ont, depuis
le XIXe siècle, progressivement vidé ces sites anciens de leur contenu mobilier, quand ce
n’est pas également de leurs restes osseux. Dans ce contexte, la découverte et l’étude
préliminaire d’une grotte sépulcrale apparemment intacte ouvre une fenêtre sur ce que
devaient être, avant le processus colonial, les dépôts funéraires intacts. Ce texte
présente les données obtenues sur un site de la Grande Terre calédonienne (province
Nord), à la suite du signalement en 2001 par un spéléologue amateur d’une grotte
isolée, renfermant des vestiges archéologiques1. Une première visite avait alors permis
de confirmer que ce site était particulièrement riche en vestiges anciens et comportait
des indications claires d’utilisation comme lieu de sépulture, incitant à réaliser en avril
2003 une étude préventive du site, avant d’en fermer l’entrée afin d’éviter des pillages.
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Figure 1. – Plan général de la grotte sépulcrale fermée et coupe de la partie centrale de la grottesépulcrale (à partir du point 0 du plan)
La grotte
2 La grotte sépulcrale est localisée dans un environnement karstique. Elle mesure, à
partir de son unique entrée, 19 m dans un axe sud/sud-ouest~nord/nord-est et 29 m
dans un axe est-ouest (partie centrale) (figure 1). Le dénivelé entre le sol de l’entrée et
le sol du fond de la grotte centrale est de 2,8 m (axe sud-nord), la hauteur de plafond
variant entre 0,5 et 2 m, avec une moyenne de 1,5 m. Les stalactites ont toutes été
cassées à une date ancienne puisque des fistuleuses, pouvant atteindre plusieurs
centimètres, ont eu le temps de se reformer. Une chambre centrale d’environ 80 m2 est
flanquée à l’ouest d’une petite pièce d’environ 30 m2 et à l’est d’un boyau se
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poursuivant sur près de 15 m. Ces deux ensembles latéraux sont en partie en forte
déclivité et présentent une faible hauteur de moins de 1,2 m. Différents décrochements,
avec dalles et conduits, subdivisent chaque zone. Le sol est formé d’un remplissage
rougeâtre, composé de sédiments issus de la décomposition du corail, de terres
infiltrées de la surface et du guano produit par les oiseaux.
Figure 2. – Vue de la partie centrale de la grotte funéraire, avec la colonne et les deux cairnsprincipaux
Les structures
3 La pièce centrale concentre la grande majorité des vestiges archéologiques, en
particulier dans la partie centrale nord (figure 2). Le point focal est formé par une
stalagmite d’environ 150 cm de hauteur et 70 cm de diamètre moyen, en forme d’obus,
dont le sommet est entièrement piqueté et comporte des traces de raclage. Il n’est pas
évident que cette stalagmite soit à sa place naturelle de formation. Il est plus probable
qu’elle ait été placée là par l’action humaine, mais seule une fouille à sa base
permettrait de confirmer cette hypothèse. Au nord-ouest de cette colonne se trouve un
cairn composé d’une accumulation de blocs de corail fossile et de stalactites brisées
(cairn 1), de forme grossièrement rectangulaire et mesurant 70 cm de côté sur 40 de
hauteur. Un crâne humain est visible au centre de cette structure (figure 3).
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Figure 3. – Vue du cairn 1, renfermant au moins un crâne humain, avec les bracelets en cône posésen sommet et des nautiles à la base
4 Au sud-est, un autre cairn de plus grande dimension (130 cm sur 120 dans sa plus
grande largeur) a une hauteur maximale de 60 cm (cairn 2). Aucun ossement humain
n’est visible entre les pierres, mais on note la présence de blocs de roches minérales
(fer et chrome) dans l’appareillage du cairn. Un de ces blocs ferreux est très compact et
lourd. D’autres blocs rocheux d’origine péridotique sont présents autours du cairn. Ces
roches ne sont pas naturellement présentes dans l’environnement karstique où se
trouve le site. Ils ont donc été apportés par l’homme dans la grotte après avoir été
transportés sur une distance de plusieurs kilomètres minimum. Une petite stalagmite,
cassée, est située à l’est de la colonne centrale et mesure 80 cm de hauteur : un
coquillage (porte-montre) percé a été placé sur son sommet.
5 Un autre ensemble d’aménagements se trouve à la limite de la pièce centrale, au début
du boyau est. Sous une grosse dalle effondrée ont été localisées deux niches basses
renfermant des squelettes humains bordés par un petit entourage de blocs de corail
fossile. Le choix de dépôt funéraire laisse à penser qu’ils ne sont pas nécessairement de
même époque que les os du cairn ou que ces défunts avaient un statut social différent.
Le sommet d’un autre alignement de blocs de corail fossile se distingue à l’entrée du
boyau, en partie recouvert naturellement par du sédiment. Quelques ossements
humains ont également été observés dans le boyau ouest : certains de ceux-ci
pourraient être issus d’un glissement de sol provenant de la surface. D’autres petits
cairns sont présents dans les parties profondes de la grotte.
Objets archéologiques
6 Cinquante-cinq objets ont été observés dans la zone immédiatement autours de la
colonne centrale et une trentaine d’autres dans les différents compartiments latéraux
(hors ossements humains et tesson). Une visite relativement récente, qui n’apparaît pas
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avoir donné lieu à un pillage, est prouvée par la découverte d’une bougie au pied de la
colonne. Il doit être noté que différents objets étaient, lors de l’étude, partiellement ou
presque complètement enfouis dans le sol, indiquant que d’autres vestiges se trouvent
probablement aujourd’hui en stratigraphie, sous la surface du sol.
Tableau 1. – Famille de coquillage et répartition
Catégorie Autour de la colonne Compartiments latéraux Total
Percé Non percé Percé Non percé
1. Turbo sp. 0 0 0 3 3
2. Strombus sp. 0 1 0 2 3
3. Nautilus macrophalus 0 15 0 6 21
4. Trochus niloticus 0 3 1 1 5
5. Porte-montre 1 3 2 1 7
6. Charonia tritonis (triton) 1 1 0 2 4
7. Lambis sp. 1 2 0 1 4
8. Ovula ovum (porcelaine blanche) 1 1 0 0 2
9. Tonna sp. 5 5 2 3 15
10. Bursidae ( ?) 1 2 0 0 3
11. Bracelet en Conus sp. 0 7 0 1* 8
12. Placostylussp. 0 1 0 3 4
13. Tridacnidae 0 2 0 1 3
14. Pectensp.(coquille St-Jacques) 1 1 0 0 2
Total 84
(* = Bracelet non terminé)
7 L’étude a permis de relever quatorze catégories différentes d’objets présents à plus
d’un exemplaire (tableau 1). Parmi les coquillages comportant des indications claires de
transformation anthropique, se trouvent des bracelets en trocas et en cône, ainsi que
des tritons, des porcelaines blanches, des porte-montres et des Bursidae
volontairement percés. Il faut ajouter à ces objets une râpe dentée en nacre, un couteau
en nacre et un os de seiche, ainsi que plusieurs coquilles d’Anadara scapha. Un seul
tesson, fin, de type tradition de Balabio (1er millénaire après J.-C.) a été découvert au
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pied du cairn 1. La figure 4 positionne les objets découverts dans la grotte, avec une
concentration autour de la colonne centrale. L’étude de répartition permet de noter
qu’il n’y a pas réellement de concentrations des différentes catégories d’objets suivant
l’emplacement dans le site, mais plutôt une diversité entre les trois aires de
répartition que sont la colonne et les deux cairns.
Figure 4. – Répartition des vestiges archéologiques dans le reste de la salle principale
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avec le détail des vestiges autour de la colonne centrale (se référer aux numéros du tableau 1)
8 Les coquillages (à l’exception possible des Placostylus, dont au moins deux variétés
semblent présentes) ont tous été apportés volontairement dans la grotte. La majorité
comporte des traces de transformation pour en faire des objets utiles : trous de
ligature, percement pour être enfilés ou servir de conque, polissage d’un bord pour une
créer un tranchant, etc. Certaines pièces sont clairement des parures, comme les
bracelets en cône et les « coquilles de chef » (Bursidae) percées. D’autres ont
probablement servi de conques d’appel ou étaient à un moment donné enfilées sur une
perche. La présence de nombreuses coquilles de nautile, coquillage par nature fragile,
est peut-être liée à une utilisation spécifique (« symbolique » ?) de ce céphalopode. La
figure 5 présente quelques exemples d’objets inventoriés.
Figure 5. – Différents types d’objets présents dans la grotte sépulcrale
Image5
Premières datations
9 Afin d’avoir une indication générale de la période de mise en place d’au moins une
partie de ce site, des datations ont été réalisées, l’une sur du charbon prélevé en surface
dans le début du boyau est et l’autre sur une coquille d’Anadara prélevée en surface à la
base de la colonne centrale. Après traitement, le charbon a été daté à deux sigmas de
520 (400) 380 avant J.-C. (Beta-179507) et la coquille de 350 (440) 540 après J.-C.
(Beta-179508). Ces datations viennent compléter le corpus d’informations disponibles à
ce stade pour le site, bien qu’il faille souligner que l’interprétation de ces résultats reste
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difficile car aucun des deux échantillons ne provient de contextes stratigraphiques
contrôlés.
Discussion
10 L’étude réalisée sur l’abri funéraire découvert en 2001 a permis de se faire une idée
relativement précise du contexte existant jusqu’à la colonisation sur la Grande Terre
dans ce type de site, avant que la grande majorité d’entre eux ne soit pillée, afin en
particulier de récupérer les parures en coquillage. Au vu du nombre de vestiges
présents en surface, dans une grotte finalement de petite taille et sans même la
réalisation de fouilles, on comprend mieux l’immense quantité de parures en coquillage
issues de l’archipel, présentes dans les collections muséographiques et privées.
11 La diversité et le manque apparent d’ordre dans le positionnement des objets autour de
la colonne rendent difficile toute interprétation directe de ce site. Le caractère
funéraire de la grotte est démontré par la présence de sépultures à entourage de blocs
de corail et par l’observation d’au moins un crâne dans le cairn 1. Mais la présence sur
la colonne centrale – qui forme de toute évidence le point focal de l’organisation
spatiale de la grotte – de nombreuses traces de coups et de quelques traces de
polissage/raclage pourrait indiquer que cet aménagement avait une fonction
« rituelle », démontre une utilisation de la cavité ne se limitant pas à l’aspect funéraire.
On sait en effet que certains rituels océaniens impliquent l’écrasement de fibres
végétales (Leenhardt, 1937).
12 L’absence de vestiges osseux apparents entre les blocs du grand cairn 2, contrairement
au cairn 1, ainsi que l’utilisation de blocs rocheux nécessairement apportés
volontairement de loin pour l’aménagement de la structure laissent à penser que, s’il
ne s’agit pas d’une sépulture sans os visibles, cette structure plus étendue aurait pu être
une sorte de reposoir ou d’autel plutôt qu’une tombe. Faute de fouilles, il n’est
également pas possible de définir l’utilisation des petits cairns présents dans la grotte,
bien que leur taille réduite rende une utilisation comme sépulture d’adulte
difficilement imaginable, laissant à penser que ces structures devaient avoir une autre
finalité. La présence de plusieurs « coquilles de chef » (Bursidae) ainsi que d’un couteau
en nacre et d’une lame en Lambis est peut-être une indication d’une utilisation
spécifique de cet aménagement formant le cairn 2. D’autres objets ont peut-être été
bougés, en particulier lors des visites plus récentes faites dans la grotte. Ainsi, le porte-
montre placé sur la petite stalagmite cassée a peut-être été mis à sa place actuelle bien
après la période d’utilisation du site pour des rituels. De même, il n’est pas évident que
les trois bracelets placés sur le cairn 1 soient dans leur position initiale. Il doit être noté
que d’autres cairns de même forme et ayant probablement eu des utilisations diverses
(sépultures, espaces à rituels) ont été identifiés dans d’autres grottes proches du site
décrit ici. Il ne s’agit donc pas d’un type d’aménagement exceptionnel pour la région,
cette tradition étant par ailleurs bien connue des sociétés océaniennes, en particulier
sur la Grande Terre (Leenhardt, 1937).
13 L’absence de fouilles dans la grotte et l’impossibilité de dater directement les objets et
les ossements dans le cadre de l’étude de 2003, puisqu’aucune pièce n’a été emportée
pour étude détaillée, rendent toute définition de la période de mise en place de cet
ensemble funéraire, difficile. Au vu des deux datations réalisées sur des échantillons
de surface, il apparaît néanmoins que les structures présentes dans l’abri remontent au
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minimum entre la fin du premier millénaire avant J.-C et le premier millénaire après J.-
C., une chronologie renforcée par la présence d’un tesson apparenté à la tradition de
Balabio découvert en surface. Une datation indirecte par les fistuleuses formées sur les
stalactites brisées volontairement, apparaît confirmer cette hypothèse d’une utilisation
relativement ancienne de la grotte.
Conclusion
14 La présentation synthétique d’une étude de grotte funéraire de la Grande Terre
calédonienne non pillée a permis de montrer la complexité probable d’utilisation de ce
type de site dans le passé. Outre l’aspect simplement funéraire, peut-être lui-même
divisé en au moins deux époques distinctes (sous cairn et en niche), la grotte a été de
toute évidence utilisée pour des rituels de nature indéfinie, identifiables en particulier
par la présence de surfaces écrasées et raclées en sommet de la colonne centrale, placée
volontairement entre les deux cairns principaux. Les objets découverts en surface des
structures se rattachent quant à eux à une typologie déjà connue pour la Grande Terre.
Dans ce contexte, il doit être souligné que les deux datations obtenues pour le moment
indiquent une chronologie précédant l’émergence de l’ensemble culturel traditionnel
kanak et l’apparition de certains de ses objets (Sand, 2001), venant encore renforcer
l’hypothèse d’une utilisation du site à plusieurs périodes de la chronologie
calédonienne.
15 À l’issue de la cartographie et de l’étude des vestiges de surface, la grotte funéraire a
été fermée, en prenant soin de permettre la poursuite de la circulation de l’air à
l’intérieur de la cavité. Cette découverte exceptionnelle a été l’occasion pour l’ancien
département Archéologie de Nouvelle-Calédonie de mener une information auprès du
public calédonien à travers les médias, afin de sensibiliser la population de l’archipel
sur la nécessité de protéger ce type de patrimoine fragile. Un relevé photographique
détaillé et une série de dessins ont été faits pour archive, afin de servir de base à une
étude complète de ce site unique dans l’inventaire archéologique calédonien.
Cette étude a été menée à bien dans le cadre des activités de l’ancien département Archéologie de
Nouvelle-Calédonie pour le compte de la province Nord. Les autorisations préalables ont été
obtenues auprès des autorités coutumières de la zone du site. Nous souhaitons remercier le
découvreur Laurent Lemaire, pour nous avoir contactés et avoir accepté de nous montrer la
grotte, et Stéphanie Domergue pour la PAO des plans.
BIBLIOGRAPHIE
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Imprimerie nouméenne.
LEENHARDT Maurice, 1937. Gens de la Grande Terre, Paris, éditions Gallimard (republié en version
augmentée en 1953).
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in G. Clark, T. Sorovi-Vunidilo and A. Anderson (eds), The archaeology of Lapita dispersal in Oceania
(Papers from the Fourth Lapita Conference, June 2000, Canberra, Australia), Canberra, Australian
National University, RSPAS, Occasional Papers in Prehistory, pp. 75-92.
NOTES
1. Pour des raisons évidentes de protection, l’emplacement exact du site n’est pas indiqué dans
cette note. En plus de l’enregistrement dans les archives de l’Institut d’archéologie de la
Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP), la position du site a été déposée auprès de la direction
de la culture de la province Nord et remise aux autorités coutumières concernées, afin de garder
une trace au cas où, dans le futur, des recherches plus approfondies apparaîtraient nécessaires.
* Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP),
[email protected] et [email protected]
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Écoutons les chants de TakuuGilles Bounoure
RÉFÉRENCE
Richard MOYLE, 2007. Songs from the Second Float. A Musical Ethnography of Takú Atoll, Papua
New Guinea, Honolulu, University of Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph Series 21,
XXIV-310 p., glossaire, bibliogr., index, cartes, schémas, nombreuses ill. dans le
texteRichard MOYLE, 2005. Songs from the Second Float. Music from the Island of Takú.
World Premiere recording, CD Manu 2042, Auckland, ODE Record Company.
1 Peu de citoyens de Papouasie Nouvelle-Guinée connaissent l’existence de l’atoll de Takú
(jadis dénommé Marqueen ou Mortlock, nom que porte aussi un groupe d’îles de
Micronésie), enclave polynésienne isolée au nord-est des trois millions de km2 de zone
maritime que compte leur État. Cinq à six cents habitants y vivent aujourd’hui, mais
sans certitude de pouvoir s’y maintenir. Leur histoire récente est ponctuée de drames.
Avant le passage des Blancs, ils devaient être quelque deux à trois cents, si l’on se fie au
nombre et à la taille des grands canots de pêche aux proues ouvragées grâce auxquels
ils allaient pêcher au-delà du lagon les poissons les plus prestigieux, thons, requins et
Ruvettus pretiosus1. Ils n’étaient plus que cinquante en 1885 (Parkinson, 1887-1888 : 209),
et une décennie plus tard, dix-sept sur une photographie les réunissant tous (et peut-
être due aussi à Parkinson, qui parle d’environ « 20 Seelen » en 1896, dans son livre de
1907, p. 517 ; photo reproduite par R. Moyle p. 19). En 1913, ils n’étaient plus que neuf,
selon un témoignage peu connu sur lequel on reviendra (Jacques, 1922 : 160). Dès 1884,
les grands canots ne servaient plus (Churchill, 1909 : 88).
2 Avant les baleiniers (dont les insulaires de Takú auraient réussi à tuer un équipage et à
faire disparaître le navire selon Parkinson [ibid. : 534], voir R. Moyle, 2007 : 30-32 et 276
note 21), il y eut les pêcheurs d’holothuries à destination du marché chinois, pour qui la
qualité insurpassable des « bêches-de-mer » de ces eaux-là justifiait toutes les ruses et
toutes les violences. Autre « enclave polynésienne » de cette même province des
Salomon du Nord, les îles Carteret (Kilinailau) portèrent longtemps dans la littérature
occidentale le nom d’îles « du Massacre » après le passage du capitaine Benjamin
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Morrell en 1830 et ses coups de force pour établir sur un des points de cet atoll son
hangar de préparation et de séchage du « trépang » – épisode que Dumont d’Urville lui-
même relate avec un certain dégoût (1835 : 163-168). Pour Takú, le récit apologétique
qu’a laissé Andrew Cheyne de sa campagne de pêche (Shineberg, 1971 : 295-302) de la
fin décembre 1843 à la fin janvier 1844 en dit long non pas sur les insulaires, mais sur
les précautions prises contre eux, sauf à les massacrer, pour pouvoir piller le lagon et
couper des arbres sans leur accord : palissades, tranchées, sentinelles… Comment ces
visites qui n’étaient pas de courtoisie diffusèrent les maladies occidentales à Takú, on
ne peut que le supposer, faute de sources écrites là comme ailleurs, mais personne ne
saurait attribuer aujourd’hui avec Churchill (1909 : 92) cette dépopulation dramatique à
la « nature sans pitié » et à une « lutte pour la vie » trop inégale pour les insulaires.
3 Les avanies ne s’arrêtèrent pas là. Il semble peu douteux que Parkinson, même s’il ne
s’en est pas vanté, aura parlé à sa belle-sœur la « reine Emma » de la dépopulation de
l’atoll qu’il venait de constater et qu’il lui aura suggéré d’installer un « comptoir » dans
son île principale, quitte à en déplacer les quelques habitants sur un îlot voisin,
Kapeiatu. Moyennant quatre haches et dix livres de tabac, elle procédait à « l’achat » de
l’ensemble de l’atoll dès 1886, mais la mise en exploitation réclama quelques années de
plus, nouvelles plantations, déportation des insulaires, installation de travailleurs
venus de Buka, de Nouvelle-Bretagne et même de l’Amirauté. La crise du coprah et la
prise de contrôle en 1914 par les autorités australiennes de cet atoll sous
administration allemande depuis trente ans ne compromirent pas le fonctionnement de
la plantation principale, passée par expropriation aux mains d’un Écossais en 1926.
Deux visites faites à l’atoll par Chinnery, récemment nommé anthropologue
gouvernemental pour la Nouvelle-Guinée sous mandat, lui révélèrent le sort inique des
insulaires, devenus plus nombreux du fait de la présence des travailleurs immigrés. En
1930, il obtenait de la Cour centrale de Rabaul un jugement restituant l’atoll aux
insulaires, tandis qu’avec leur accord le planteur écossais commençait à leur bâtir des
habitations individuelles (au lieu de leurs « maisons longues ») sur un autre îlot,
Nukutoa (environ 4 ha), plus vaste que leur précédent refuge Kapeiatu, qu’ils avaient
surnommé le « flotteur » de leur ancien « canot », l’île principale Takú (60 ha). Nukutoa
est ainsi le « second flotteur » sur lequel ils vivent depuis lors et où R. Moyle est allé
recueillir et étudier leurs chants et leurs danses, désormais connus par son CD et par
son livre.
4 Or voilà que depuis le début de ce millénaire au moins l’atoll est menacé
d’engloutissement par l’élévation du niveau de l’océan, voire par la subsidence du cône
volcanique qui le porte, point sur lequel les géophysiciens débattent encore. R. Moyle
n’est pas le dernier à avoir donné l’alerte (voir par exemple Wane, 2005) et il semble
même avoir inspiré directement l’entreprise de Briar March, jeune cinéaste néo-
zélandaise qui, séjournant à Takú entre 2007 et 2009, en a rapporté un documentaire
saisissant, Te Henua e Noho. There once was an island, récemment projeté avec succès dans
plusieurs grandes villes du Pacifique. On y voit les effets de la tempête de l’hiver 2008,
les jardins envahis par l’eau de mer et le dépérissement des taros géants, les efforts
constants des insulaires pour édifier des digues de fortune, le désarroi parfois violent
des jeunes gens sans perspective d’avenir, « si perdus qu’il n’y a pas à les blâmer », et le
désespoir de leurs aînés décidés à mourir sur leur île même si le gouvernement leur
offrait de les reloger à Bougainville, comme il est prévu pour les habitants de Carteret,
eux aussi menacés de submersion.
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5 Tel est le dernier drame dont pourrait ne pas se relever la petite société de Takú, après
deux siècles d’une résistance exceptionnelle que R. Moyle souligne à merveille dans
l’introduction et le premier chapitre remarquablement documenté de son livre
(Geography and History, pp. 9-46). Il est admirable que les insulaires aient réussi à
sauvegarder et à enrichir leur patrimoine musical, poétique et festif, alors qu’ils
s’étaient fait écarter des lieux sacrés de leur île principale et dérober trois effigies
d’esprits ancestraux, aujourd’hui conservées au musée de Leipzig (Moyle, 2000 ; voir
aussi Treide, 1997 : 57 et n° 177 à 179). Contrairement à ce qu’écrit R. Moyle (2007 : 276
n. 23, d’après Buschmann, 2000), il n’y a pas de doute que ces sculptures furent
emportées par Karl Nauer, capitaine du vapeur Sumatra de la Norddeutscher Lloyd, lors
de l’une de ses tournées régulières pour charger du coprah (voir notamment Burger,
1923 : chap. X). Lors de ce qui fut probablement la dernière, en 1913, il avait à son bord
Norbert Jacques (1922 : 155-160 et planche faisant face à la p. 145), voyageur, écrivain et
photographe luxembourgeois qui a consigné quelques observations désolées (Sterbende
Völker, « peuples à l’agonie », écrit-il) et pris deux photographies qu’on a jugé utile de
reproduire ci-dessous puisque ce témoignage semble ignoré des spécialistes de Takú et
que ces deux documents pourraient également ne pas être connus des insulaires
actuels.
Fig. 1. – « Dernières huttes et derniers indigènes des îles Mortlock »
vues prises par Norbert Jacques en 1913 à Takú (D.R.)
6 À côté de ces trois sculptures dont les insulaires de Takú pourraient exiger la
restitution comme l’envisageait R. Moyle (2000 : 107), un autre objet sacré qu’il ne
mentionne pas fut « acquis » par Parkinson (1907 : 527 et Abb. 86, même page), une
« lance sculptée » de motifs « géométriques » en ronde-bosse, représentant d’après lui
« l’ancêtre Loatu » vénéré dans la « maison des esprits » (hare aiku) de Takú. Aucune
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trace ne semble subsister dans les collections publiques de cette « vieille pièce » qui
rappelle les staff gods, godsticks ou « bâtons généalogiques » de Polynésie, de Santa Cruz
et d’autres cultures apparentées. En 2001, un spécimen assez comparable apparaissait
sur le marché de l’art (vente Sotheby’s New York du 19 mai 2001, lance sculptée, « A
rare Loatu staff god », lot 66 adjugé 12 000 dollars, et, précise Philippe Peltier, « acheté
par le musée du quai Branly sur les conseils de Douglas Newton », n° d’inventaire
70.2001.21.1) ; la publication du catalogue des collections polynésiennes et
micronésiennes du Rautenstrauch-Joest Museum de Cologne révélait quelques autres
menus objets acquis auprès de Phoebe Altmann, la nièce de « la reine Emma » devenue
propriétaire de la plantation de Takú (Thode-Arora, 2001 : 372-375, 14-15). De telles
publications laissent espérer, avec les efforts de R. Moyle, d’autres spécialistes, de
passionnés comme Briar March et son équipe, et de groupes animés par des expatriés
(notamment la Takú Islands association), un début de recension des vestiges matériels de
cette civilisation méconnue mais exemplaire par sa vitalité, jusqu’à ce que l’actuelle
menace de submersion y porte le désarroi.
Fig. 2 a et b. – a) « Loatu », d’après Parkinson (1907 : 527) (D. R.) ; b) « Loatu staff god », venteSotheby’s
(Photo © Sotheby’s)
7 Aucun chant ne témoigne des quatre décennies de résidence et de travail forcés sur le
« premier flotteur », Kapeiatu, au cours desquelles se disloqua l’ancienne organisation
de la société en deux côtés ou groupes (hata) et cinq clans ou « maisons » (hare). Le
tempérament plus libéral du planteur écossais, les mesures de protection prises par
Chinnery et l’isolement de l’atoll, à 250 km au nord-est de Kieta et 15 à 18 heures de
navigation, permirent aux insulaires de se doter d’un rythme propre et de retrouver
leur goût du chant, sans interférence des marchands ni surtout des missionnaires, à la
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différence de Nukumanu, de Nuguria (Moyle, 2007 : 4), de Tikopia (Firth, 1990 : 11-12),
des Ellice ou Tuvalu (Koch, 2000 : 19-20) et de maintes autres communautés venues à
substituer le gospel à leurs vieux chants. Les deux églises de Nukutoa ne furent bâties
qu’en 1999 et si les huit séjours de R. Moyle à Takú entre 1994 et la parution de son livre
se firent à la demande des insulaires, il lui fallut aussi l’accord des autorités sanitaires
et politiques alors occupées par la rébellion partie de la mine de Panguna, à quelques
kilomètres de Kieta. Comme il l’a relaté à une journaliste (Wane, 2005),
l’ethnomusicologue dut s’improviser chirurgien sur cet atoll sans autre ressource
médicale que la visite annuelle d’un dentiste, et recoudre au fil dentaire la main d’un
pêcheur victime d’un requin.
« À Takú, le chant n’est pas une activité relevant du spectacle ou du théâtre pour leplaisir de l’auditoire, mais une expression introspective des valeurs et descroyances permettant aux habitants de fonctionner en tant que communauté sur leplan domestique aussi bien que rituel. »
8 Ainsi s’ouvre le passionnant chapitre 2 : Takú Society as the Locus for Musicking (pp.
47-110) où R. Moyle démontre, en dépit de toutes les transformations subies en un
siècle et demi, le rôle collectif essentiel constamment dévolu au chant dans cette
société combinant « coopérations à long terme et compétitions de courte durée »,
comme les régates dans le lagon (il y en aurait eu une vingtaine en 1998) ou les
concours de pêche dont les prises sont partagées par l’ensemble de la collectivité. Un
tel « égalitarisme » (p. 83 sq.), que font également régner les femmes lorsqu’elles se
déguisent en policiers et en magistrats à perruque pour contrôler les compétiteurs
masculins ou quand elles se chargent de distribuer équitablement prises et récoltes,
résulte-t-il de l’histoire récente des habitants de Takú ? Faut-il en croire Parkinson
(1907 : 528) les faisant se répartir jadis en trois « classes », comme partout ailleurs dans
les « îles orientales » qu’il décrit ? L’analyse que fait R. Moyle du rôle de l’Ariki, des
chefs de clan et des autres « leaders » (pp. 50-64) vient confirmer au contraire que
l’égalitarisme est « une caractéristique importante des communautés des atolls
polynésiens », peut-être de nature à expliquer l’importance qu’on y accordait au chant
collectif, pour faire face à des conditions de vie particulièrement difficiles (Koch, 2000 :
21).
9 Les quatre chapitres suivants, spécifiquement consacrés à la musique et à la danse,
offrent également des développements de premier intérêt sur les transformations et les
permanences observables dans le domaine religieux (3 : Religious Contexts of Music) et
dans celui de la composition musicale et poétique (4 : Processes of Taku Music). Elle
peut être d’origine surnaturelle ou humaine, et dans ce dernier cas elle est sujette à des
renouvellements plus fréquents, mais aussi à des critiques nettement argumentées. Les
pages (150-156) où R. Moyle a recueilli de telles remarques sur les tuki (terme désignant
les chants mais aussi le tambour les accompagnant), apparemment sans équivalent
dans les recherches publiées, suggèrent l’importance et le raffinement des critères
esthétiques en vigueur à Takú. En décrivant les divers types de chants et de danses (5 :
The Nature of Takú Song ; 6 : The Nature of Takú Dance), R. Moyle ne fait que très
exceptionnellement appel à des parallèles polynésiens ou micronésiens, sauf lorsqu’il
s’agit d’emprunts évidents. Il évite de même d’entrer dans l’épineux débat des origines
de la population de Takú, ou de sa langue dont il avait cru d’abord qu’elle s’apparentait
au samoan, pour découvrir « cinq minutes après avoir débarqué » sur l’atoll qu’elle s’en
écartait grandement (Wane, 2005).
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10 L’écoute du CD préalablement édité par R. Moyle doit compléter la lecture de son beau
livre, ces enregistrements faisant évidemment ressentir de façon plus directe
« l’expression introspective » des chanteurs et des danseurs dont parle son ouvrage.
Mais à la différence des disques, cassettes ou CD accompagnant des publications
comparables (par exemple Christensen, 1964 ; Firth, 1990 ; Koch, 2000) sans autre ajout
documentaire, celui-ci propose des chants non recueillis dans le volume imprimé. Tel le
cas du rue de la plage 1, du tuki venu d’Ontong Java de la plage 2, ou encore du fragment
de lu monodique de la plage 6, forme de chant « préhistorique » qui ne se trouve qu’à
Takú selon R. Moyle. La variété des chants et des danses encore en usage est bien
suggérée par ces douze plages, depuis le tuki évoquant vraisemblablement le séjour de
Cheyne sur l’atoll en 1843 (n° 4, voir p. 34 du livre) et la danse féminine manakoho
inspirée par un esprit (n° 3, p. 230 du livre), jusqu’au tuki final, créé en 1997 en
hommage à un pêcheur décédé depuis peu (n° 12). C’est la structure particulière des
chants et des danses de Takú, limitant les efforts de mémorisation, qui a permis le
développement d’un si vaste répertoire (p. 271). « Il y a plus d’une centaine de rue
(chants et danses d’hommes) dans le répertoire actuel », écrit R. Moyle dans le livret
édité avec ce CD. S’il a été contraint, là comme dans son livre, de se borner à un petit
nombre d’exemples pour chaque type de chant et de danse, ils sont suffisamment
parlants et émouvants pour faire souhaiter l’édition de tout ce qu’il a pu recueillir de ce
patrimoine encore vivant mais menacé de toutes parts, et dont l’oubli ajouterait un
drame de plus à l’histoire de Takú.
11 En quoi peuvent-ils émouvoir l’Européen qui les écoutera ? Poignante et exemplaire, la
situation actuelle des insulaires de Takú luttant contre l’avancée de la mer se retrouve
cependant sur maintes autres « îles basses » du Pacifique en passe de devenir elles aussi
invivables, et nombre d’entre elles ont également connu des déplacements forcés de
population à l’époque coloniale (voir par exemple Maude, 1968). Dans le dernier
paragraphe de son livre consacré aux chants de Tikopia (1990 : 296-297), R. Firth
évoquait la « puissante expérience esthétique » que lui avaient procurée l’écoute et la
récitation de leurs paroles, « stimulant [son] imagination jusqu’à l’émotion » peut-être
au risque, ajoutait-il, de céder au « piège de l’exotisme ». Indépendamment des
observateurs occidentaux et de leurs « expériences esthétiques », il se pourrait
cependant que la capacité d’émotion des chants de la Polynésie occidentale et des
enclaves polynésiennes soit due en partie au caractère généralement retenu de leur
expression verbale, même à propos des événements les plus dramatiques, dont la
mention explicite est fréquemment évitée (Koch, 2000 : 17), comme si les poèmes
servaient de condensateurs à l’énergie des chants et des danses. R. Firth a lui-même
relevé cette propension à l’allusion, à l’understatement, aux expressions à double
entente saisissables seulement par les membres de la communauté, voire par une petite
partie d’entre eux. On en trouvera de nombreuses confirmations à Takú, par exemple
avec l’existence de certaines chansons destinées à un auditoire limité ou réservées aux
chanteurs d’un clan déterminé (Moyle, 2007 : 192). De ce point de vue, chants et danses
ont apparemment constitué pour ces sociétés un moyen de préservation et de
résistance, et les insulaires de Takú s’en seront admirablement servis avant la
submersion annoncée de leur atoll.
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330
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NOTES
1. Sur ces canots et cette dernière espèce de poisson d’eau profonde généralement pêchée la
nuit, voir Parkinson (1907 : 536-539) et Churchill (1909 : 88) ; sur les chants associés à cette pêche,
voir Moyle (2007 : 63, 130, 187, 245).
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Mā’ohi Travellers before 1825 andnew insights from shipping listsRhys Richards
1 A recent list of all the ships that arrived at Tahiti and the Society Islands up to 1862
might well seem an unlikely place to look for drama and romance. Yet its preparation
has shown that hundreds of Mā’ohi (Tahitian) people chose to travel far from home
before 1825 (Richards and Langdon, 2008.). Unfortunately this list of foreign vessels
reads rather like a telephone book: all names but no plot! Another limitation is that
such a list tends to perpetuate non-indigenous, colonial, perspectives of Pacific
maritime histories. However if we can draw out of these rather tedious ship lists and
their quantitative statistics, something that opens our eyes to new perspectives, and to
new ways of looking at the earliest periods of contacts between Polynesian people and
Europeans, then certainly these shipping arrivals and departures lists will have been
worth the considerable efforts made to make them, and to make them readily available
(e.g. Cumpston, 1964; Langdon, 1978, 1979, 1984; Nicholson, 1977-1988; Richards, 2000).
2 Making this latest list has revealed a lot of information about Mā’ohi travellers. Only
those Mā’ohi who were involved in special acts, such as bravery, misfortune or death,
generated some historical record, and unfortunately these references are brief. Not
very much can be said about them individually, but fortunately rather more can be said
about them collectively. The scattered records show 230 Mā’ohi went away on foreign
vessels before 1825. There were certainly many more – perhaps twice as many, in total
some three or four or five hundred. With so many of their young men gone away with
the foreigners, the social impact must have been considerable. Then consider the
effects when a few of these travelling Mā’ohi returned home ablaze with new facts, new
technologies and new ideas ! So this short review will provide first a few notes on some
of the Mā’ohi on the new list, and then comment briefly on new perspectives that have
emerged.
3 As is well known, the first ‘Otahitian’ to visit Europe, was Ahutoru, who went with
Bougainville in 1768. Next in 1769 Captain Cook took away with him the priest and
navigator, Tupuia of Rai’atea, along with his servant boy Tayeto. Alas, both died soon
after that in Indonesia. Similarly Cook and Forster took Mahine on the Resolution to
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several island groups, including Easter Island, but Mahine declined to go on to England.
The most famous Tahitian traveller was a commoner, Omaiof Rai’atea, who travelled
with Captain Cook to England and back in 1774 to 1777.
4 Less well known is Hitihiti of Borabora, who spent seven months with Captain Cook on
his second voyage, visiting Tahiti, Ra’iatea and Huahine. By then Hitihiti spoke better
English than Omai who had been to London. HoweverHitihiti chose to travel no further
with Cook, and returned to Tahiti. There he met Bligh in 1788, went to Rarotonga and
Tubuai with the Bounty mutineers in 1789 and was back living at Tahiti when Bligh
returned in 1792. David Chappell in his excellent book about early Pacific travellers on
foreign vessels, suggests that Hitihiti remained at Tahiti until 1824 when he was the
dignified man of about 70 whom Kotzebue met and mentioned but did not name
(Chappell, 1996: 143).
5 Consider carefully the impact such an experienced survivor as Hitihiti could have had
at Tahiti not only on among the visitors, but far more importantly among his Mā’ohi
supporters. In 1774 two captive Mā’ohi, a man named Pautu and a young boy Tetua-
nui,returned home from Lima and Valparaiso. They wore Spanish clothes, spoke
Spanish and helped interpret for two padres. In 1775 the Spanish took eight Tahitians
to Lima, but despite good treatment, seven died soon after their arrival at Lima,
including one named Tipitipia (Corney, 1919, vol. I: 9-15, vol. II: 1-4). In 1797 the
mission ship Duff took away several ‘Otahitians,’ including Tano Manu, Tom and Harra-
we-ia (Wilson, 1799). What became of them is, alas, unknown. In 1792 Captain Bligh
took away Mahiti, but he died in London, and his servant Pappo, who was also known as
‘Jacket,’ died at Jamaica (The Times, London, 5 September 1793; Bligh, 1792). Thirty years
later Moe, then known as ‘Jack Bligh,’ was described as a cunning old fellow who spoke
some English and was then an advisor to Queen Ka’ahu-manu in Hawai’i. Moe claimed
that he had been aboard the Bounty during the mutiny in 1789 (Sydney Gazette 1 January
1824; Maccrea, 1922: 22).
6 In 1801 while returning from obtaining pork at Tahiti, Turnbull called at Norfolk Island.
A Mā’ohi on his ship who landed there, proudly dressed in fine Tahitian tapa cloth, was
astonished to meet on shore a compatriot called Oreo, who was smartly dressed as an
English sailor. Oreo had apparently arrived first in Sydney in 1796, and then worked his
way to England and back on the Albion (Turnbull, 1805; Cumpston, 1964 : 36-38). As
early as 1804 he was classed as a free settler. By 1812 ‘Richetto Orio’ held 3 ½ acres
under wheat and maize (Wright, 1986: 28).
7 From 1805 to 1813 the official ‘beachmaster’ on Norfolk Island was John Drummond
who had a Tahitian servant whom he rather quaintly named John Drummond. When
they both left Norfolk Island to resettle at the Derwent, John Drummond and Richetto
Orio were the first Tahitians to live in Tasmania (Wright, 1986: 28).
8 Meanwhile Tapeooi (also known as Tapuoe) had left Tahiti in 1797 on the Betsey, a
South Sea whaleship under Captain Glasse who was carrying a letter of marque to prey
on undefended Spanish coastal shipping off South America. In the Betsey, Tapeooi
visited South America and Tonga, and then Port Jackson in February 1800. On the
return journey, however, Tapeooi left her to live at Tonga for two years, where he met
another Mā’ohi traveller. Late in 1801, Tapeooi joined an ex prize ship, Plumier, going to
Fiji, Guam, Manila, Amboyna and Penang. He lived in England from 1807 to 1810 when
he set out for Port Jackson as a passenger on the Canada. He found that another Mā’ohi
was on the Canada, a seaman named Tomma, who had arrived in London in July 1809 on
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the Santa Anna, and was now working his passage home. Alas poor Tapeooi died in
Sydney in 1812 (Tapeooi ms, ML. ms. A.83 and A.1992: Richards, 1990: l-14).
9 Similarly a young Mā’ohi namedMouieleft Tahiti in about 1799 and arrived in England
early in 1800 where he remained for nearly three years. He returned to Sydney but died
there so he too never arrived home (Sydney Gazette 14 August 1803). During 1802 five
‘Otahitian youths’ aged about 15 were taken to London by the missionary Thomas
Haweis . (Haweis papers. ML. ms. 4190, vol. I, 6 September 1802). After a privateering
cruise against enemy shipping on the coasts of Peru and Chile, and refitting at Tahiti,
the Harrington reached Sydney in March 1805 with a good number of ‘Otahitians,’ plus
some Sandwich Islanders, as members of her crew, while at least five more Mā’ohi were
crew on the prize ships taken by the Harrington. Alas none of their Mā’ohi names are
recorded (Sydney Gazette,10 March 1805).
10 At Sydney Governor King was very concerned for the safety of such travelling
Otahitians, and the impact any mistreatment of them might have on subsequent visits
to their home islands. On 26 May 1805 he issued the following proclaimation:
«it is hereby strictly forbid [to be] sending any Otaheitan, Sandwich Islander or NewZealander from this settlement to any island or other part of this coast on anysealing or other voyage, or to any place eastwards of Cape Horn. ‘It is to be clearlyunderstood that all such Otaheitans etc are protected in their properties, claims forwages, and [have] the same redress as any of His Majesty’s subjects.» (HRA, vol. V:
642; HRNZ 1914, vol. I: 257-258.)
11 Governor King followed up this humanitarian concern about the condition of the
Pacific Islanders in Sydney by inviting all of them, including the Mā’ohi, to assemble at
Government House to tell him about their treatment and to assure them of his concern
for them (McNab, 1914: 102).
12 Jorgen Jorgenson, a Danish adventurer, spent seven weeks at Tahiti in mid 1805 where,
incidentally, he met a Peruvian Spaniard fluent in the Mā’ohi language. Before he left,
Jorgenson, collected, more or less as ethnological specimens for Joseph Banks, a
youngMā’ohi chief and his younger retainer. Much later the missionaries on Tahiti
recorded that two other Mā’ohiwho had left had on the Alexander, had returned home
via Sydney on the Parramatta in July 1807, and that in January 1808 an un-named
‘Tahitian returned in the Venus who had gone to England in the Alexander’ (Richards,
1996: 135-138; Davies, 1961: 79, 100, 109).
13 In late July 1806 an unnamed Mā’ohi boatman drowned at Sydney in Hen and Chicken
Bay (Sydney Gazette, 27 July 1806.). In April 1807 “two Tahitian youths,” or boys,
returned to Sydney from England in the Brothers, and were then “sent to their native
country,” probably in the Parramatta in June 1807 (HRA, vol. VI: 25, 199, 394-395).
14 A ten year old Mā’ohi boy was brought to London by a missionary and his wife
before August 1810 (Chappell, 1996: 127). He had probably been on the Hiberniawhen the missionaries retreated. They arrived at Sydney, via Fiji, in February1810. It may well be that other Ma’ohi travelled with them.
15 Another young Mā’ohi boy called Jem came to Sydney in about 1802. He was
befriended by John MacArthur who sent him to school at Parramatta whereJem learnt to read and write well in English. He was well known to Rev. SamuelMarsden. But after about seven years there, Jem worked his passage to NewZealand in December 1809. No doubt Jem was the unnamed Mā’ohi warriorpresent during the massacre on the Boyd at Whangaroa in 1810 (Sydney Gazette,
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1 September 1810). In 1814 Rev. Marsden, in a ship with ‘Dicka-hee, anOtaheitan, and Punnee, a Bolobolan,’ met Jem near Whangaroa (Nicholas, 1971vol. I: 37,92-96; 240-241; vol. II: 209-220). Another Mā’ohi, was there too :‘Otaheitian Jack,’ who had also become a Maori warrior and chief by 1814(Richards, 2008: xix).
16 Several Mā’ohi who reached Sydney were employed in the sealing trade in Bass
Strait and south of New Zealand. The first may have been John on the Fly in1808 (Sydney Gazette, 18 December 1808). In mid winter in 1810 the Santa Annalanded at the inhospitable Bounty Islands a sealing gang including Ruatara, analready experienced Maori seaman, another Maori, two un-named Ma’ohiandten Europeans. Despite very inadequate supplies, during the next five monthsthe gang took about 8,000 seal skins, but conditions had been so harsh that twomen, including one ‘Otaheitian,’ died there (McNab, 1907: 96; HRNZ, 1914: 338).The other Mā’ohi presumably went on to England in the Santa Anna. Later manyother Tahitians went sealing or on trading voyages. The death rate was veryhigh. But quite a few did return home. Other sources not used here indicatethat some returnees had a huge impact once they got home.
17 By 1813 the number of South Sea Islanders engaged in trans-Pacific trade on
foreign ships had reached such a volume that the Governor of New South Walesfelt obliged to issue further orders cautioning captains not to mistreat localislanders, or to join in their wars. He decreed that no captain was to take awayany native unless he chose to go and both his chiefs and his parents approved.The Governor insisted that whenever any islanders were employed, they mustbe paid fair wages. He also warned that in future any acts of rapine, plunder,piracy, murder and other outrages committed against native people and theirproperty would be punished severely (HRNZ, 1914 vol. I: 429).
18 In 1817 the British Parliament finally adopted the ‘Murders Abroad Act’ whichincluded clause that ‘all murders or manslaughter committed in the islands ofNew Zealand and Otaheite… or places not within His Majesty’s dominions…shall be tried and punished at any of His Majesty’s dominions’ (Richards, 2008:8).
19 In September 1818 Mary Hassell at Parramatta wrote home to her mother that
on 21 May she had had visitors: ‘Mr Lawry preacher came with John HenryMaster, a religious Tahitian who had lost his right arm in the Battle ofWaterloo. He is now to proceed to his home country by the first conveyancewith a pension of twenty pounds per year’ (ML. ms. A.1677-1673, vol. 3: 514).John Henry Master had probably left Tahiti during 1813, or earlier.
20 In November 1814 the Surry, Captain Thomas Raine, left Sydney ‘for China’ and
London, ‘taking three Otaheitian men and a boy who had once lived with the[mission] brethren’ (Marsden papers, ML. ms. A.1995, vol. 4 : 48).
21 In January 1816, Captain Peter Heywood, who had been on HMS Bounty in 1789 ,
was astonished to meet at Gibraltar ‘two Otaheitian youths who had beenkidnapped and ill-treated on an [English] merchant ship about 13 or 14 monthsearlier. They had been taken to Lima and Cadiz, where they had escaped into
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HMS Calypso” (Tagart ML. ms. F. 1597). These two unfortunate men hadprobably left Tahiti in November or December 1814.
22 Many other Mā’ohi joined whaleships (Dodge, 1971; Du Pasquier, 1990; Jones,
1986; Lund, 2001). One encountered at Hawaii in 1825 said that he had ‘leftTahiti as a boy to serve on a whaleship’. Afterwards he was in the British Navy,till he was wounded in the Battle of Algiers, [August 1816] when he wasdischarged as unfit for service, with a pension of twenty five pound per year’(Macrae, 1922: 44).
23 After 1818 many American whaleships began calling at Tahiti and the Society
Islands. Many Mā’ohi joined American crews, some even remaining on board asthe whaleships went home. In mid-1825 the “Nantucket Inquirer stated “thatabout fifty of the natives of Otaheite are employed in whaleships belonging toNantucket, some of whom are now there. They are a tractable and ingenious”[that is, teachable and clever] (Niles Register, 1 October 1825). Soon after it wasreported that some twenty Otaheitians were then at Nantucket (New BedfordMercury, 7 July 1826; Ward, 1967 vol.7: 13).
24 Other Mā’ohi soon visited New Bedford and the other New England whaling
ports, so that by the 1830s and 1840s the number involved as crewmen and asvisitors could have been considerable, perhaps between 500 and 1,000 Mā’ohimen. If Tahiti’s population was 50,000, then 1,000 absentees would be 2% of thetotal. It seems that by 1840 between 5% and 10% of the eligible adult males wereabsent on foreign ships. Many, probably most, never returned home.
25 In conclusion, as noted earlier, an unfortunate limitation of shipping arrivals
and departures lists is that they tend to perpetuate non-indigenous, colonial,perspectives of Pacific maritime history. Yet seen from the shore with islandperspectives, the arrival of foreign trading and whaling vessels in the Pacificislands before 1825 usually involved an erratic succession of brief, unrelated,visits. Some of these visits introduced the islanders to foreign goods andcommerce, but many were of little more than momentary or curiosity value tothe people on shore. The prime task that faced the generation of indigenousPacific Islanders who were alive from 1800 to 1840, was how to make sense ofsuch a disparate parade of foreign visitors, and how to adapt to their new ideas,new technologies, new religions and their new diseases.
26 Certainly some big changes followed on shore after only a few ship visits, but
the main engines of change were not foreign, but over-whelmingly local.Indeed looking even closer, it can be seen that What Matters is not the timingand length of each early visit, most of which were very short, or the volume ofgoods and ideas it deposited, but ratherthe spacesin between visits.What mattersis what the local islanders deliberated upon, and decided, and did, in between visits,and in preparation for the next visitors.
27 In the early culture contact period, what mattered most was the opening of
local minds. Astonishment and fear was there too, but more to the point theforeigners prompted among the Mā’ohi massive social changes with newIntellectual Ferment, New Ideas, New Objectives and New Potentials. Theimmediate and continuing ‘shocks’ that hit island systems certainly sparked off
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massive cataclysmic social and political changes. But I think that looking morewidely at these shipping lists brings us to see the Islanders much more as participantsdriving the process from inside. Certainly the Islanders were not just pawnsin thismassive invasion and time of massive social change. It was the islandersthemselves who led the changes, not the transient, erratic, foreign visitors.
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Pratique et théorie kanak de lasouveraineté… 30 janvier 1936, Jean-Marie Tjibaou, 4 mai 1989… de HamidMokaddemIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
MOKADDEM Hamid, nd1. Pratique et théorie kanak de la souveraineté… 30 janvier 1936, Jean-
Marie Tjibaou, 4 mai 1989…, Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 144 p., 2 documents en
annexes et 22 ill. noir et blanc et couleur.
1 Ce petit livre, publié par la province Nord de Nouvelle-Calédonie, veut rendre hommage
à l’homme que fut Jean-Marie Tjibaou, comme à sa pensée et à son action politique,
inventeur selon Hamid Mokaddem d’une nouvelle voie : « la voie kanak de la
décolonisation » qu’il résume à une « pratique et théorie kanak de la souveraineté ».
Nous voilà ainsi face à un énième livre – et le second de l’auteur (Mokaddem, 2005) –
sur Jean-Marie Tjibaou trop tôt disparu, « le plus politique des hommes politiques
d’Océanie », nous dit-il (p. 13). Si ce dernier ouvrage a le mérite de la simplicité et de la
clarté, peut-être est-il parfois trop simple2 ! Quoi qu’il en soit, très peu de livres de ce
style, c’est-à-dire grand public, existent et il vient là combler un manque certain dont
nous ne pouvons que nous féliciter, malgré les critiques que nous allons formuler par la
suite.
2 Construit en deux chapitres (« Vie et mort de Tjibaou », pp. 21-46, qui retrace la
trajectoire de cet homme devenu homme politique; « La gouvernance de Tjibaou »,
pp. 47-84, qui insiste sur le dire et le faire comme manière de gouverner, soit tout
bonnement, pourrait-on dire, sur la façon kanak de faire de la politique !), précédés
d’une « Ouverture » (pp. 11-20) et suivis par une conclusion (pp. 85-105), par « Onze
concepts clés » (pp. 107-115) et des documents (deux textes de Jean-Marie Tjibaou et 16
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photographies, pp. 117-144), cet hommage débute sur les paroles d’Aimé Césaire écrites
en 1990, après le décès de Tjibaou.
3 Je ne reviendrai ici que sur quelques-unes des idées développées par Hamid Mokaddem,
qu’il présente comme originales, même si elles ne le sont pas toujours ! Et, sans vouloir
dénier à cet ouvrage son intérêt et le recommander à toute personne qui s’intéresse à
l’histoire et au destin de ce pays, je mentionnerai essentiellement ce qui constitue à
mon avis ses faiblesses.
4 Point de bibliographie3 dans cet ouvrage et cela est fort dommage, surtout pour un
fascicule qui se veut pédagogique et dont le but annoncé par l’auteur en avertissement
est d’« expliquer et [de] faire comprendre la complexité dialectique » de l’oscillation du
mouvement nationaliste kanak « entre souveraineté politique et indépendance
économique » (p. 8). C’était donc là l’occasion d’établir une bibliographie raisonnée qui
aurait permis au lecteur novice – notamment kanak – de compléter sa culture sur
l’histoire récente de son pays. Les jeunes générations calédoniennes, kanak entre
autres, surtout celles nées après 1988, ne connaissent somme toute pas grand chose de
l’histoire des « Événements » que l’auteur appelle ici, à juste titre ou non,
« révolution » :
« On doit effectivement employer le concept de révolution. En effet, ces séquencessuccessives ont révolutionné de fond en comble la structure et l’ordre politiques. »(p. 66)
5 Je me suis toujours étonnée de la méconnaissance de l’histoire récente du pays de la
part de nombre de jeunes étudiants kanak pourtant politisés et se situant dans la
mouvance du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), avec lesquels j’ai
eu l’occasion de discuter durant leurs études métropolitaines en sciences humaines et
sociales : ils n’ont souvent pas lu l’importante bibliographie qui a été produite au
moment ou juste après ces fameux événements, terme qui était et est toujours utilisé
par les militants kanak eux-mêmes. Ainsi, par exemple, l’un d’entre eux faisait
remonter la naissance des EPK (écoles populaires kanak) aux Foulards rouges,
mouvement créé entre autres par Nidoïsh Naisseline en 1969, alors que c’est une
décision du congrès de Nakéty de février 1985, en plein cœur des événements de
1984-1985, qui impulsa ces écoles parallèles. Au pays, certains jeunes qui sont restés
« garçons (ou filles) de tribu », comme on entend dire souvent, c’est-à-dire qui n’ont
pas eu la chance de poursuivre leurs études par manque de moyens financiers et non
parce qu’ils n’auraient pas eu la capacité de le faire, qui sont donc sans emploi car sans
qualification et ont grandi auprès de militants acteurs de ce moment de lutte, en
connaissent souvent bien plus, grâce à la tradition orale!
6 À propos de la distinction qu’il fait entre « événements » et « révolution », Hamid
Mokaddem poursuit :
« […] La prose du monde (journalistes, historiens, conversations quotidiennes,littérateurs, cinéastes) banalise ces séquences politiques. Elle parle des “événements”, insérant tous les faits dans une quelconque série chronologique linéaire. Souscouvert d’objectivité, ces procédés neutralisent l’irruption et la singularité del’événement. La plupart des historiens occultent et neutralisent les séquencesrévolutionnaires par une accumulation massive de faits. Que font ces historiens ? Ilsproduisent des contresens pour induire en erreur les lecteurs parce que l’histoireofficielle estime dangereux le discours politique kanak. » (p. 66)
7 Cet extrait appelle plusieurs remarques. L’auteur fait ici aux historiens et autres
journalistes un procès qui paraît démesuré et hors de propos quand on sait que
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nombreux sont ceux qui ont écrit justement depuis novembre 1984 pour faire connaître
les revendications kanak, les expliquer au plus grand nombre et faire en sorte d’en
accroître la popularité dans l’opinion publique métropolitaine. Le soutien au
mouvement kanak, même s’il est resté minoritaire, a su se faire entendre en son temps
et Jean-Marie Tjibaou était de ceux qui l’ont toujours cultivé et utilisé pour populariser
et expliquer leurs revendications et leurs actions sur le terrain (voir par exemple
l’extrait de l’« Appel aux Français » de Jean-Marie Tjibaou publié dans Témoignage
chrétien que l’auteur reproduit p. 29). Sans compter que l’accumulation des faits est
indispensable à la connaissance, à la compréhension des processus et à l’histoire. Il faut
en effet connaître l’histoire de son pays pour se l’approprier et l’utiliser à bon escient.
C’est d’ailleurs ainsi que procèdent la plupart des groupes dits révolutionnaires, en
formant leurs militants. Les groupes de pression kanak n’ont d’ailleurs pas été en reste
en la matière, avant et pendant les événements, mais il n’est pas sûr que cela continue
aujourd’hui.
8 Certaines affirmations de l’auteur laissent parfois perplexe, surtout en l’absence de
sources. Ainsi, on aurait aimé en savoir plus quand il écrit, à propos du partage de la
souveraineté entre le peuple kanak et les autres communautés, que :
« Ce point politique, difficile, compliqué, encore actuel, divisait le Front delibération nationale kanak et socialiste (FLNKS, créé le 24 septembre 1984) lors des
accords de Matignon-Oudinot » (p. 17)
9 D’où vient une telle interprétation quand on sait qu’en juillet 1983 déjà, à Nainville-les-
Roches, la table ronde qui avait réuni, dans un but de réconciliation des communautés
calédoniennes, des membres du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la
République, émanation locale de la droite métropolitaine RPR et UDF), du FI (Front
indépendantiste, précurseur du FLNKS) et de la FNSC (Fédération pour une nouvelle
société calédonienne4) s’était achevé sur « la déclaration finale du 12 juillet »5 qui :
« reconnaît pour la première fois, d’une part, l’abolition du fait colonial et, d’autrepart, “la légitimité du peuple kanak, premier occupant du territoire” qui, “en tantque tel”, a “un droit inné et actif à l’indépendance dont l’exercice doit se faire dansle cadre de l’autodétermination prévue et définie par la Constitution de laRépublique française, autodétermination ouverte également pour des raisonshistoriques aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représentantsdu peuple kanak”. » (Leblic, 1993 : 58-59)
10 Dès lors, il a été d’usage, notamment dans le FI et plus tard dans le FLNKS, de parler des
« victimes de l’histoire » entendues comme les personnes nées sur le territoire dont
l’un des parents au moins y est né également (idem : 58).
11 Revenons sur quelques aspects simplificateurs du livre. L’ouvrage insiste beaucoup sur
les trois accusations de trahison dont Jean-Marie Tjibaou aurait fait l’objet. La première
serait lorsque, « malgré ou grâce à la mort d’Éloi Machoro » (p. 27), il accepte l’accord
proposé par Edgard Pisani en janvier 1985, préfigurant ce que deviendront les régions
Fabius-Pisani. L’auteur reprend ainsi bien facilement l’opposition souvent faite de façon
erronée entre Jean-Marie le pacifique et Éloi le guerrier, « le plus révolutionnaire des
militants politiques kanak (p. 17) ! « Les deux [trahisons] suivantes interviennent lors
de l’assaut de la grotte d’Ouvéa (5 mai 1988) et de la signature de l’accord de Matignon
(26 juin 1988). » (p. 27). Déjà, p. 18, quand l’auteur affirmait que « les divergences de
points de vue sur l’accord de Matignon, puis d’Oudinot, valurent à Jean-Marie Tjibaou
de terribles accusations de traîtrise, et eurent comme conséquence son assassinat, le 4
mai 1989, à Ouvéa »6 en se référant sur ce point uniquement à l’article du journal Le
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Monde de Léopold Jorédié du 1er juillet 1988, célèbre pour avoir commenté la célèbre
poignée de main sur le perron de Matignon entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur
par un « avoir réussi à convaincre l’esclave d’accepter de serrer la main de son
maître ». Ce n’est pas si simple et nul ne sait si c’est vraiment cela qui a conduit au
geste désespéré de Djubelli Wea le 4 mai 1989 à Wadrilla lors de la cérémonie de levée
de deuil des dix-neuf Kanak tués le 5 mai 1988 lors de l’assaut de la grotte. L’auteur
aurait pu parler aussi du sang versé à l’époque pour lequel aucun geste coutumier
n’aurait été fait jusqu’à cette cérémonie fatidique de levée de deuil ! Il en connaît le rôle
et il en parle ailleurs pour 1917 et l’assassinat de la grand-mère paternelle de Tjibaou
par les militaires lors de la répression :
« On conclura de cet épisode précis que la trajectoire se nourrit du “sang” desancêtres, engrais et force des vivants. » (p. 29)
12 Or, pp. 81sq., il revient en une demi-page seulement sur l’année entre l’assaut de la
grotte (5 mai 1988) et la levée de deuil (4 mai 1989) se terminant tragiquement par
l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné avec en retour la mort de
Djubelli Wéa, empêchant pour toujours de comprendre les véritables raisons de son
acte, sans parler du rôle fondamental de la mission du dialogue de juin 1988 ayant
permis la signature de l’accord de Matignon précisé ensuite à Oudinot. Mais il note
(certes bien tardivement) l’importance du concept kanak de « sang » dans le drame
d’Ouvéa 1989, qui occupera, rappelle-t-il, les derniers mots de Tjibaou à Wadrilla :
« “Et nous accourons parce que ce sang des morts est vivant, il nous interpelle, c’estnotre sang, c’est le sang qui revendique la liberté pour notre peuple”. Ce sangappellera celui de Djubelli Wéa, de Yéiwéné Yéiwéné, et de Jean-Marie Tjibaou. »(p. 83)
13 On peut se demander alors si la trahison d’Ouvéa, si tant est qu’elle existe, ne serait pas
plutôt de n’avoir pas pu empêcher l’attaque de la grotte (mais était-ce possible ?) ou de
ne pas être venu plus tôt au nom de touspour s’excuser du sang versé et le racheter !
14 De même, nous aurions aimé lire que le texte du Père Apollinaire Anova Ataba fut
publié en partie au moins deux fois avant l’édition faite par Hamid Mokaddem lui-
même en 2005 : dans le Journal de la Société des Océanistes en 1969 puis, par le mouvement
indépendantiste kanak en 19847.
15 Autre simplification réductrice ou imprécision nuisant à la compréhension :
« En avril 1988, Jean-Marie Tjibaou, à bout de souffle, écrit une lettre désespérée auprésident de la République française, quelques jours avant les actions des militantsdu FLNKS prenant les gendarmes en otage. » (p. 53)
16 L’auteur oublie en effet de préciser que cette lettre était en fait adressée au candidat à
sa réélection qu’était François Mitterrand en avril 1988 en référence aux promesses
non tenues du candidat Mitterrand en 1981! Il ne dit pas non plus que les événements
d’Ouvéa prenaient place dans une série d’actions prévues au moment des élections
présidentielles sur le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie proposé par le docteur
Pons (un vote qui eut lieu pour les Calédoniens en même temps que le premier tour des
présidentielles de 1988). Dans le même ordre d’idées :
« La France gouvernée par Chirac-Pasqua-Giraud-Pons décide de faire la guerre à lapopulation civile kanak “indépendantiste”. Au nom de la France, le gouvernementde cohabitation Mitterrand/Chirac mobilise l’élite des forces armées pourexterminer, dans le grotte d’Ohnyât (Ognat, Ouvéa), une poignée de jeunes militantsinexpérimentés au métier de la guerre et prêts à négocier. » (p. 75)
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17 Hamid Mokaddem fait comme s’il ne s’était rien passé entre l’attaque du gouvernement
Chirac mettant fin aux régions Fabius-Pisani et l’attaque de la grotte à Ouvéa, ou
seulement quelques détails, dont une prise d’otages à la gendarmerie d’Ouvéa ayant fait
deux morts et la fuite des militants kanak vers la grotte avec les otages (voir aussi p. 45
et 53). Il faut arriver pp. 76-77 pour lire :
« Ce non-respect de l’État vis-à-vis du FLNKS oblige celui-ci à mener des actions plus
spectaculaires au moment de l’élection présidentielle de 1988. Chaque région doitoccuper les gendarmeries. L’objectif est d’empêcher les élections du statut Pons. »
18 Ce qui sera complété et précisé plus loin (pp. 78-79), lorsque l’auteur revient sur le
déroulement des actions d’Ouvéa « qui devaient être coordonnées avec celles des deux
autres îles Loyauté, Maré et Lifou » et qui amène à ce que, « entre les deux tours de
l’élection présidentielle, la Nouvelle-Calédonie soit [est] prise en otage » (p. 78).
19 Ici encore point de chronologie. Même si l’on a déjà relevé que, selon l’auteur, toute
« série chronologique linéaire » vise à neutraliser et à occulter « les séquences
révolutionnaires par une accumulation massive de faits » (p. 66), la concision ne doit
pas effacer les faits ni nuire à l’analyse et à une bonne compréhension.
« Les catégories de “culture” et de “patrimoine”, aux yeux de Tjibaou, n’avaientrien à voir avec le sens conféré par les conservateurs des musées ou desbibliothèques. » (p. 40)
20 La vision de l’auteur peut nous paraître ici très ethnocentrée. Ne peut-on pas
simplement dire que Jean-Marie Tjibaou ne fait d’une certaine façon que « kanakiser »
les notions, c’est-à-dire adopter un point de vue endogène sur des notions trop souvent
présentées uniquement d’un point de vue exogène et européo-centré ? Et que ce point
de vue est partagé par tous les Kanak pourrait-on dire ! Bref, il agit et pense là en Kanak
et l’explique à ceux qui ne le sont pas.
21 On peut aussi regretter que l’auteur revienne sans cesse sur les mêmes faits historiques,
souvent de façon partielle, si bien que ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que l’on peut
mettre bout à bout tous les éléments de l’histoire. Ainsi en est-il pour les événements
d’Ouvéa de 1988 et 1989 qu’il évoque plusieurs fois (p. 18 – voir ci-dessus ; p. 20 « les
nuisances et rumeurs responsables de la mort de Jean-Marie Tjibaou » ; p. 24 « la tribu
de Djubelli Wéa – tribu située non loin de la grotte d’Ognat, grotte où se déroulèrent les
événements qui se sont soldés le 5 mai 1988 par les morts de dix-neuf militants
nationalistes et de deux militaires » ; p. 27 ; p. 45, cf. ici note 6 ; p. 53 : prise en otage des
gendarmes et gendarmes tués), sans jamais donner l’entièreté des faits, ne prenant à
chaque fois que ce qui l’intéresse pour sa démonstration et laissant le reste de côté. Le
lecteur non spécialiste aura bien du mal à s’y retrouver. Et, en la matière, l’absence
d’index – et de bibliographie – est des plus regrettables ! Et comme on fait fi de toute
chronologie, on passe allègrement, et sans voir de lien logique, de l’assassinat de Jean-
Marie et de Yeiwéné à « Tjibaou président du FI, puis du gouvernement provisoire de la
république de Kanaky, et du FLNKS […] » (p. 45).
22 Enfin, Hamid Mokaddem semble penser que Tjibaou est ce qu’il est parce qu’il avait
reçu une formation anthropologique !
« Tjibaou ethnologue cite toujours comme référence les échanges entre deuxgroupes : les maternels et les paternels. » (p. 94)
23 Or, je n’ai encore jamais rencontré de Kanak qui ne se situe pas ainsi car cette dualité
fait partie de l’identité même des Kanak. Et il s’agit plutôt là du Tjibaou pédagogue
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kanak qui s’adresse aux non-Kanak pour essayer de leur faire comprendre ce qu’est la
société kanak. De même, quand il dit que :
« Tjibaou pratique une anthropologie en acte parce qu’il met en mouvement lessystèmes relationnels kanak » (p. 90)
je ne pense pas qu’un Kanak doive être ethnologue pour agir ainsi ! Est-ce sa formation
philosophique ou une certaine connaissance de la société kanak qui fait que l’auteur
n’arrive pas à voir ce qui en fait intrinsèquement partie ?
24 Pour conclure, on dira que cet ouvrage constitue une approche rapide du mouvement
indépendantiste et nationaliste et du Kanak et homme politique que fut Jean-Marie
Tjibaou. À ce titre, il comporte beaucoup de raccourcis et ne satisfera pas ceux qui sont
au fait de cette histoire. Mais il constitue une bonne introduction pour les novices, en
espérant qu’il les incitera à d’autres lectures pour aller plus avant dans la découverte
de l’histoire du mouvement indépendantiste.
BIBLIOGRAPHIE
ATABA Apollinaire, 1965. Histoire et psychologie du Mélanésien, Mémoire de la Faculté catholique
de Paris.
—, 1969. I. L’insurrection des Néo-Calédoniens en 1878 et la personnalité du grand chef Atai ; II.
Pour une économie humaine, Journal de la Société des Océanistes 25, pp. 201-219 & pp. 220-237, dans
le dossier (pp. 189-237) sur « Le Père Apollinaire, prêtre calédonien » présenté par Patrick
O’Reilly, comportant deux extraits de son mémoire de 1965.
—, 1984. D'Ataï à l'indépendance, Nouméa, EDIPOP (1ère publication de son mémoire de 1965, édition
réalisée par Marc Coulon, Ismet Kurtovitch et François Burck).
GUIART René, 2001, Nouméa, Le Rocher-à-la-Voile, coll. « Documents pour servir à l’intelligence du
temps présent » 5, 368 p. (voir le compte rendu par I. Leblic in JSO 116 (2003-1), pp. 118-119.
MOKADDEM Hamid, 2005. Ce souffle venu des ancêtres… : l'œuvre politique de Jean-Marie Tjibaou
(1936-1989), Nouméa, Expressions-Province Nord.
MOKADDEM Hamid et Bernard Gasser (eds), 2005. Calédoniens d’hier, Calédoniens d’aujourd’hui,
Calédoniens de demain (édition de Ataba 1965), Moindou, Expressions.
WITTERSHEIM Éric, 2006, Des sociétés dans l'État: anthropologie et situations postcoloniales en Mélanésie,
Montreuil, Éditions Aux lieux d’être, 198 p.
NOTES
1. Aucune date de publication… ! Il faut se référer à la dernière page de la conclusion pour lire
« Nouméa, Haut Magenta, mars 2009 » (p. 105) et dater ainsi cet ouvrage, pour ce qui est de
l’écriture. Aucune information générale sur l’édition proprement dite (ni date, ni numéro d’ISBN)
n’est en fait présente.
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2. Notamment à propos des accusations de traîtrise faites à Jean-Marie Tjibaou que l’auteur cite.
3. J’ai comptabilisé au fil des pages quarante-huit références bibliographiques ou de discours
faits par Jean-Marie Tjibaou ou autres responsables kanak, certaines malheureusement sans
références complètes. Si la plupart sont bien connues des spécialistes de la Nouvelle-Calédonie,
certaines sont inédites et du plus grand intérêt. Dommage qu’elles ne soient pas récapitulées en
fin d’ouvrage dans la classique rubrique « bibliographie » complétées de bien d’autres qui
auraient eu toute leur place ici.
4. Fédération d’obédience centriste qui avait permis à Jean-Marie Tjibaou de devenir vice-
président du conseil de gouvernement en 1982.
5. Mokaddem nous en parle rapidement pp. 67-68, mais malheureusement sans nous donner de
date.
6. Il y revient encore p. 45 : « Perçue comme un acte de trahison, la signature des Accords
conduisit à l’assassinat politique de Tjibaou et Yeiwéné Yéiwéné [sic !], le 4 mai 1989 ».
7. « Son mémoire […] fut rédigé à la faculté catholique de Paris en 1965 et l’on sait que Tjibaou
eut connaissance de ce document. Ce n’est cependant qu’en 1984 que le mouvement
indépendantiste réussit à faire sortir ce texte de l’oubli en le publiant sur ses propres presses
avec un titre de circonstance : D’Ataï à l’indépendance (EDIPOP, Nouméa, 1984, 188 p.) » (Wittersheim,
2006 : 108).
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Conversations calédoniennes. Rencontreavec Jacques Lafleur de Wallès KotraIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
KOTRA Walles, 2009. Conversations calédoniennes. Rencontre avec Jacques Lafleur, Pirae,
Au vent des îles, 126 p.
1 Ce petit ouvrage, qui s’inscrit profondément dans l’histoire du pays, est la rencontre,
vingt après les accords de Matignon, de deux Calédoniens, l’un Kanak et
indépendantiste, journaliste en poste à Paris depuis de nombreuses années, l’autre,
Caldoche et politicien, farouche anti-indépendantiste durant les « événements » (« La
colonisation nous sépare et nous oppose. Comment la décolonisation peut-elle nous
projeter dans un destin commun ? La question est essentielle » (Walles Kotra1, p. 6) –, et
partenaire de Jean-Marie Tjibaou pour la signature des accords de Matignon avec la
célèbre poignée de main du 27 juin 1988. Comme le dit Walles Kotra en post-scriptum :
« J’ai l’impression de reprendre à l’envers un sentier coutumier. Dans la traditionkanake2, ce sentier est un cheminement rituel qui vous prépare, vous imbibe etvous conduit à la cérémonie coutumière. Avec ses conversations, nous rebroussonschemin et revenons sur les pas de Jacques Lafleur. Nous ré-interrogeons samémoire, revisitons ses lieux de passage. Nous essayons de remettre en perspectivehommes et événements pour réentendre les paroles et les mots et essayer decomprendre le geste. Ce geste symbolique, cette coutume, c’est cette poignée demain avec Jean-Marie Tjibaou3 un soir de juin 1988 à l’hôtel Matignon à Paris. »(p. 121)
2 Walles Kotra nous raconte, en introduction, les conditions de cette rencontre en juin
2008 qui débouchera sur ce livre rapportant ses conversations, échanges de paroles et
de silences entre deux hommes différents à bien des égards. Jacques Lafleur, ancien
chef de fil du RPCR et de la droite locale, vient de subir un échec électoral aux législatives
de 20074. En effet, ce livre ne le précise pas bien, mais après avoir été député de
Nouvelle-Calédonie durant près de trente ans (1978-2007) et président de la province
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Sud de 1989 à 2004, il n’est pas réélu et se retrouve donc pour la première fois sans
mandat électif5. Il est déçu et il en veut aux Calédoniens :
« En fait, j’étais un peu préparé parce que j’avais fait faire un sondage. Mais j’ai étéétonné que quelqu’un [Gaël Yanno] que j’avais fabriqué soit élu. J’ai été étonné quele maire de Nouméa [Jean Lèques6], que j’avais mis en place avec Roger Laroque[ancien maire de Nouméa], ne me soutienne pas. J’ai été étonné qu’une structureque j’avais créée, une radio [RRB, Radio rythme bleu], me quitte. Mais, quand j’ai eu
ces résultats avec ce que l’on dit par ailleurs de mon action qui est plutôt bien vue jecrois, oui j’ai été amer. Et je le suis toujours. C’est pour cela que je suis parti deNouméa si longtemps [deux ans]. » (p. 24)
Ce qui ne l’empêche pas de dire plus loin :« Aujourd’hui, ce que je n’ai pas compris, c’est qu’il y ait si peu de gens qui votentpour moi aux législatives. » (p. 84)
3 À Paris où il aime à venir, il rencontre alors à plusieurs reprises Walles Kotra et, au fil
des discussions entre deux Calédoniens loin de chez eux, il revient sur son passé. Ces
conversations parisiennes, qui n’auraient pas pu se tenir à Nouméa, se sont au final
transformées en livre, construit autour de neuf chapitres thématiques (« Saint-
Germain-des-Prés », pp. 13-26 ; « L’univers de la mine », pp. 27-36 ; « Le royaume de
Ouaco », pp. 37-42 ; « Le stade Georges Brunelet7 », pp. 43-64 ; « Les événements », pp.
65-74 ; « Au fond du jardin de Matignon », pp. 75-86 ; « La Province Sud », pp. 87-96 ;
« Le Pacifique », pp. 97-100 ; « Tourner la page de la colonisation », pp. 101-120) qui
retracent l’itinéraire personnel et politique de Jacques Lafleur, encadrés par une
introduction et un post-scriptum de Walles Kotra.
4 On apprend ainsi au fil de la lecture que Jacques Lafleur a passé son « adolescence
d’enfant riche » (p. 15) à Saint-Germain-des-Prés où ses « dieux étaient Sidney Bechet
et Claude Luther » (p. 14) et qu’il fut influencé dans sa jeunesse parisienne par Jean-
Paul Sartre et Albert Camus et « attiré par l’existentialisme » (p. 14) :
« Je me reconnaissais à cette époque-là dans les théories de Jean-Paul Sartre, ce quine fut plus le cas par la suite. J’ai également aimé et j’aime toujours Albert Camus.[…] Il a beaucoup influencé à la fois ma réflexion et ma philosophie de l’actionpolitique. » (p. 14)
5 Lafleur se présente même comme « anarchisant et rebelle » (p. 15) à cette époque !
Chose qu’on a du mal à se représenter lorsqu’on ne connaît de lui que sa carrière
politique calédonienne fortement teintée par son attitude très anti-indépendantiste et
anti-kanak durant les événements, même s’il parle pour sa jeunesse de sa « double
personnalité, celle de la Nouvelle-Calédonie et celle de Paris » qui « ne se ressemblaient
pas » et, quand il rentrait au pays, il oubliait « un peu » qu’il « professai[t] des idées
progressistes à Saint-Germain-des-Prés » (p. 15).
« Pour le grand public, il est l’archétype même du colon. Grand propriétaire foncier,homme d’affaires très riche ayant fait fortune dans l’exploitation du nickel, chef defile de la droite calédonienne, il semble cumuler toutes les caricatures de lacolonisation. Il en était devenu le symbole calédonien. Son combat vigoureuxcontre l’indépendance kanake et ses prises de position fermes pendant lesévénements qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie, ont parachevé l’image d’unhomme politique peu modéré. » (Walles Kotra, p. 7)
6 On apprend ainsi, qu’au départ de sa vie d’homme politique, c’est Georges Chatenay qui
l’éclaira « le plus sur le monde mélanésien » et, nous dit-il, « ensuite il y eut des gens
que je considérais comme ma famille : Auguste Reybas, Néa Gallet, Wetta Doui Mataio,
le père de Marie-Claude Tjibaou » (p. 20). Il insiste également sur son côté protestant
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(Walles qui l’interviewe l’est aussi) qui lui vient de son grand-père maternel qui, avec
« le sectarisme de protestants », lui a « également transmis les principes sacrés de la
conduite qu’on doit avoir » et l’a « converti au gaullisme » (p. 21). Bien qu’il n’ait pas
d’engagement religieux, il se reconnaît dans la culture protestante, mise de côté par la
majorité catholique, culture qu’il partage aussi avec d’autres hommes politiques tels
que Joxe et Rocard… D’ailleurs, comme l’a souligné Walles Kotra, l’aventure des accords
de Matignon est aussi celle d’une culture protestante8 et maçonnique, nous disait-il lors
de la présentation orale de ce livre à la Maison de Nouvelle-Calédonie (MNC) à Paris (22
octobre 2009) de sorte que, « sans qu’il en parle réellement, on en sent au fil des pages
des allusions » ! Et, poursuit-il, « il se décrit tel qu’il est, très frappé par la mort qui le
hante toute sa vie » (MNC, 22/10/2009), « depuis la disparition tragique de [s]a mère »
(p. 23).
7 L’homme que nous présente Walles Kotra, au travers des réponses aux questions qu’il
lui a posées, est bien loin de celui qu’on s’est toujours représenté et on ne peut éviter de
se demander si cette image n’a pas été reconstruite par lui-même depuis les accords de
Matignon. Kotra nous dit que « Jacques Lafleur, malgré son milieu un peu fermé des
Caldoches, a toujours eu l’impression que l’avenir était à bâtir entre Noirs et Blancs »
(MNC, 22/10/2009). Il confiait à Kotra dans leurs conversations :
« Je ressentais que toute une partie de la société calédonienne était séparée del’autre et que mon rôle, c’était d’essayer de faire bouger les choses. Et de cespopulations, faire une population calédonienne9. » (p. 13)« Qu’on ne pouvait pas ne pas un jour vivre ensemble. Et vivre ensemble, celavoulait dire partager. Cela m’est toujours resté parce qu’on me crédite d’uneformule que j’ai dite pendant la signature des accords de Matignon : “Il faut savoirdonner, il faut savoir pardonner.” Eh bien cela c’est quelque chose qui avait étéévoqué quand j’étais jeune […] que j’avais à peine une vingtaine d’années. » (p. 52)
8 Que ne l’a-t-il appliqué plus tôt, dans les années 1970-1980 avant que les camps
indépendantistes et loyalistes10 ne deviennent si tranchés ? Quand on a vécu la période
des événements de 1984-1985, on ne peut que paraître très surpris devant une telle
affirmation, tant les propos de l’époque contre les Kanak indépendantistes étaient des
plus tranchés ! D’ailleurs, il mentionne aussi, en réponse à une question de Walles Kotra
sur la création du RPCR en réponse à la dynamique du Front indépendantiste :
« […] j’ai toujours été conscient que, s’il y avait deux directions opposées, celarisquait de tourner mal. » (p. 46)
et plus loin :« Pendant les événements, ma grande responsabilité était d’éviter à tout prix cesmorts. » (p. 102)
9 Pour les non-spécialistes de cette période, il est bon de mettre en parallèle les propos
de ces conversations calédoniennes avec certains propos de cette époque troublée.
Ainsi, le 27 décembre 1984, Jacques Lafleur déclarait que la Nouvelle-Calédonie était en
état de « légitime défense » et il demanda au gouvernement français de faire dissoudre
et interdire le FLNKS. Au congrès du RPCR d’avril 1987, il déclare :
« Nous aussi, nous avons des troupes qui piaffent, nous aussi, nous avons une basequi s’impatiente. La violence, si elle se poursuit, appellera certainement la violenceen retour. » (Libération, 29 avril 1985, in Gabriel et Kermel, 1988 : 44)
10 Dans une brochure intitulée Notre résistance, 1981-1986 : le combat pour la Nouvelle-
Calédonie et pour la France dans le Pacifique, éditée à Nouméa par l’association des comités
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de soutien à Jacques Lafleur (non datée), il appelait ses troupes à la résistance active en
demandant aux membres du RPCR (p. 61) :
« [de] ne plus jamais laisser se dérouler tranquillement une manifestation du FLNKS
à Nouméa. » (in Gabriel et Kermel, 1988 : 44)
Ainsi :« Le 8 mai 1985, la ville blanche, soudain, se déchaîna dans une chasse effrénée auxNoirs. L’épisode se déroule à la fin d’une manifestation kanake à laquelle le RPCR
avait décidé de s’opposer. Jacques Lafleur en personne appela à la mobilisation de lapopulation contre les Kanaks sur les ondes de la radio. Et la population accourue sejeta sauvagement sur le rassemblement kanak, sans que la police intervienne. »(Besset, 1988 : 87-88)
Bilan, un mort, Célestin Zongo, tué par un tir venant des contre-manifestants, sous les
yeux de la police qui n’intervint pas et n’arrêta jamais le coupable ! Enfin, c’est lui
également qui, début 1986, en résumant le projet du RPCR dans Les Nouvelles
calédoniennes (17/02/1986), proposait « de relancer l’immigration européenne » et
demandait aux Mélanésiens de « s’intégrer dans une société à laquelle personne ne
peut échapper » (Gabriel et Kermel, 1988 : 45). On est bien loin de ce qui nous est dit
aujourd’hui dans ces Conversations calédoniennes !
11 Comme nous l’expliquait Walles Kotra lors de la présentation de son livre à la MNC
(22/10/2009) :
« Il y a des moments où il a dû gérer l’affrontement… Lafleur fait élire pour son parti
un député et un sénateur kanaks et nomme Dick Ukeiwé11 comme président dugouvernement ! »
12 S’il est vrai qu’il est le premier responsable politique caldoche de droite à avoir placé
des Kanak à ces hautes responsabilités, cela peut aussi s’interpréter comme la
démonstration que, face au FLNKS, tous les Kanak ne sont pas indépendantistes ! C’est
d’ailleurs souvent comme « Kanak de service » qu’ils avaient été perçus par les
indépendantistes.
« Je me souviens avoir écrit, et je le pense toujours, que quand on tue on prend lerisque d’être tué. C’est le far west. Des gens ont tué et ont été tués. Cela se faisait unpeu n’importe comment. Ou ça se faisait par des esprits qui venaient d’ailleurs etqui nous manipulaient beaucoup. » (p. 73).
13 C’est à l’occasion des accords de Matignon que Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se
découvrent vraiment12 ; avant ils ne se connaissent pas finalement, ils s’étaient juste
croisés dans des réunions politiques. Comme le rappelle Walles Kotra, « C’est le propre
des îles. On est à côté mais on ne se connaît pas ! » Mais c’est aussi et surtout le propre
des sociétés coloniales ! À propos de ces accords, Jacques Lafleur précise :
« D’abord, je crois que nous avons fait ce que nous avions à faire. Je ne me considèrepas comme un homme politique mais comme un Calédonien qui refuse d’être unevictime de l’Histoire13, mais qui participe à l’apaisement de son pays. » (p. 80)
14 À propos de la provincialisation issue des accords de Matignon et la province Sud à la
tête de laquelle il est resté quinze ans (p. 91), Jacques Lafleur précise que :
« Pour la première fois, avec la provincialisation, les Calédoniens se trouvaient à latête de responsabilités qu’ils n’avaient jamais eues. C’étaient des compétencesénormes. Cela va vous surprendre, mais ne n’étais pas inquiet pour le Nord et lesÎles. Je l’étais pour la province Sud. Au Nord, je pensais que ce serait ou Tjibaou ouNéaoutyine, mais probablement Tjibaou qui avait une expérience. Aux îles, ce nepouvait être que Yeiwene, et aux Loyautés, il n’y a pas d’interférences autres quemélanésienne. Yeiwene savait gérer cela. En revanche, au Sud qui regroupe 65 à 70
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% de la population, il fallait diriger cela avec une poigne de fer. C’était un peuprésomptueux, mais je ne voyais personne d’autre que moi pour imposer cela. Etaussi parce que j’avais la légitimité d’avoir mis fin à la guerre civile. » (pp. 88-89)
15 Kotra insiste aussi sur le fait que Lafleur a comme Jean-Marie Tjibaou « la notion de la
parole donnée » et qu’il « a essayé de la respecter jusqu’au bout » (MNC, 22/10/2009). Selon
cet ouvrage, après la signature des accords de Matignon et pendant l’année
d’administration directe, Jean-Marie Tjibaou aurait dit à Lafleur qu’il fallait que les
Kanak aient accès à la mine et au sous-sol, d’où la session de la SMSP… et le changement
de positionnement de Lafleur. Et du RPCR.
« [C’est] pendant l’année d’administration directe [que la décision de céder la SMSP a
été prise]. On se voyait plusieurs fois par jour, Jean-Marie Tjibaou et moi. On était
logés comme conseillers de gouvernement dans le même immeuble. […] On a eu desdiscussions extrêmement longues sur l’intégration économique. […] Mes enfantspartageaient l’idée que l’on devait faire tout ce que l’on pouvait, chacun avec nosmoyens, pour que les Kanaks deviennent des citoyens à part entière. Ça n’a pas étéun choix facile. S’amputer de ce qu’on avait de plus important, ce n’était pasfacile. » (pp. 94-96)
16 Mais on peut se demander si on le doit réellement à Jacques Lafleur ou s’il ne donne pas
le beau rôle, étant le seul survivant. Il indique d’ailleurs que tout le monde [a]
pratiqu[é] comme une religion les résultats des accords de Matignon » (p. 74), ce qui
d’ailleurs a continué par la suite avec l’accord de Nouméa :
« La poignée de main est un acte fondateur. JMT et JL sont depuis des fondateurs. Ilsont inventé quelque chose. En France, il y a toujours la pesanteur de la guerred’Algérie pour la décolonisation. Cette histoire-là est restée (la valise ou le cercueil).Un concept nouveau se met en place. La Nouvelle-Calédonie essaie de construirequelque chose localement hors la France ! » (Kotra, MNC, 22/10/2009)
17 Pour finir, Walles Kotra et Jacques Lafleur reviennent sur la fin de la période couverte
par l’accord de Nouméa. Lafleur pense que la Nouvelle-Calédonie et l’État devraient
signer un nouvel accord, un pacte de 50 ans, pendant lequel « les gens s’engageront à
fonctionner d’une façon parfaitement consensuelle, ce qui n’exclut pas qu’il puisse y
avoir des désaccords ponctuels » (p. 104) pour mieux préparer l’élite de Nouvelle-
Calédonie :
« Ainsi, les idées pourront progresser afin que dans cinquante ans la Nouvelle-Calédonie ait acquis une totale émancipation dans la République française. »(p. 108)
18 Cela permettra d’éviter aussi une nouvelle « propagande électorale démagogique aux
idéaux diamétralement opposés » (p. 101) pour un référendum qui « aura un résultat
certain et irrémédiable : la division et le retour en arrière » (p. 104) car « les bases sont
encore vulnérables, alors un petit tremblement peut provoquer de gros dégâts »
(p. 108) :
« Personnellement, je n’ai pas changé d’avis. Je suis convaincu que nous valonsmieux, tous ensemble, qu’un référendum. » (p. 101)
19 Alain Christnacht, quant à lui, trouve la référence à 2018 prématurée : « chaque chose
en son temps ! On est dans l’application de l’accord de Nouméa » et nombreux sont
ceux qui, comme cet artisan de l’accord, pensent qu’il « n’est pas tout à fait appliqué ! »
alors que ce qui est important, c’est justement « la façon dont on l’applique ! » (MNC,
22/10/2009).
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20 Ce livre, captivant à plus d’un titre, peut laisser sceptiques certains des observateurs
des évolutions récentes de la Kanaky Nouvelle-Calédonie devant les dernières
déclarations de Lafleur, si éloignées de ses prises de position lors des « événements ».
L’homme qu’il nous est présenté ne correspond pas du tout à l’image qu’on pouvait en
avoir à cette époque. Aussi ne puis-je qu’en conseiller la lecture à toute personne qui
s’intéresse de près ou de loin à l’histoire politique récente de ce pays et à son devenir.
BIBLIOGRAPHIE
BESSET Jean-Paul, 1998. Le dossier calédonien. Les enjeux de l’après-référendum, Paris, Éditions La
Découverte, Cahiers libres, 174 p.
GABRIEL Claude et Vincent KERMEL, 1988. Nouvelle-Calédonie, les sentiers de l’espoir, Montreuil, La
Brèche-PEC, 222 p.
NOTES
1. Sauf indications précises comme ici, toutes les citations sont de Jacques Lafleur.
2. Dommage que cet ouvrage ne respecte pas l’écriture désormais classique du terme kanak
(invariable en genre et en nombre), avec une majuscule quand il s’agit du nom (cf. accord de
Nouméa) !
3. « En ce sens, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sont les pères fondateurs de la Calédonie
moderne. Il faut l’assumer et le revendiquer. […] Il est important pour la Nouvelle-Calédonie que
Jacques Lafleur soit à sa place ; à l’image de Jean-Marie Tjibaou » (Kotra, pp. 128-129). Et que ce
soit justement un Kanak indépendantiste qui y contribue n’est pas sans ironie.
4. Il faut préciser qu’il s’agit ici des élections législatives de 2007 où, en dissidence, il perd son
siège de député de la première circonscription au premier tour (avec 11,74 % des suffrages) au
profit du candidat officiel de l’UMP, Gaël Yanno, son ancien suppléant. Et c’est là peut-être un des
défauts de cet ouvrage, de ne s’adresser, par manque de précision et d’explication et en raison de
beaucoup de sous-entendus, qu’à des connaisseurs du pays. Les précisions entre crochets dans les
citations qui suivent sont de moi pour que ceux qui ne sont pas très au fait de l’histoire récente
de la Nouvelle-Calédonie puissent s’y retrouver.
5. Si l’on récapitule les mandats de cet homme politique calédonien, il commença sa carrière
politique en 1972 en tant que membre de l’assemblée territoriale ; il le fut à nouveau en 1977 et
du 28 novembre 1984 au 29 septembre 1985. Il fut membre du conseil de gouvernement de la
Nouvelle-Calédonie de 1972 à 1977. Il fut élu député pour la première fois le 3 avril 1978 et le
restera jusqu’au 18 juin 2007. Du 7 mars 1983 au 3 juin 1997, il fut également conseiller municipal
de Nouméa. Enfin, il fut successivement président du conseil de la région Sud et membre du
comité exécutif et du congrès du territoire du 24 avril 1988 au 11 juin 1989, puis président de la
province Sud et membre du conseil consultatif du haut-commissaire et membre du congrès du
territoire du 16 juin 1989 au 9 mai 1999, et finalement président de l'Assemblée de la Province
Sud et membre du Congrès du14 mai 1999 au 9 mai 2004. Aux avant-dernières élections
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provinciales, il fut élu dans la province Sud et fut donc membre du congrès du 10 mai 2009 au 7
avril 2010.
6. Il a été réélu à la veille des élections de 2008, sa liste ayant remporté 53,39 % des voix au
premier tour, ce qui lui a donné 39 sièges de conseillers municipaux sur 49.
7. Au vélodrome Georges Brunelet, en 1975, une première réunion rassembla sept mille
personnes, à l’initiative de Jacques Lafleur qui avait fait venir pour l’occasion un chapiteau
d’Australie pour mettre fin à l’émiettement des partis politiques de droite – dix-neuf pour trente
élus à l’assemblée territoriale – qui fut « la naissance d’une action qui se transformerait ensuite
en Rassemblement », sous-entendu le RPC le 17 avril 1977 (pp. 44-45).
8. « Je vais choquer les autres religions, mais il [Rocard] était protestant, comme Pierre Joxe et
moi-même. Cela nous liait tous les trois » (p. 77).
9. Un écho aux propos de Jean-Marie Tjibaou ? « “Apprendre à vivre ensemble en travaillant
ensemble” comme le voulait Jean-Marie Tjibaou » au moment du plan Pisani et de son pari sur
l’intelligence (Besset, 1988 : 110).
10. Les non-indépendantistes s’appelaient eux-mêmes ainsi, en raison de leur opposition à toute
idée d’indépendance, voire même d’autonomie, et de leur « loyauté » envers la mère patrie, la
France, même si, foncièrement, pour beaucoup, ils n’avaient que très peu d’attachement réel à la
métropole et souvent faisaient preuve de racisme envers les métropolitains tout comme envers
les Kanak… Comme le signale Jean-Paul Besset (1988 : 38), « les Caldoches tiennent à la France
comme à une assurance-vie. Ni plus, ni moins ». Lafleur lui-même dit : « la population dans sa
grande majorité est un peu agacée par la tutelle trop pesante de la France […] En effet, je choque
peut-être certaines personnes par cette affirmation, pourtant chacun sait que je ne suis pas
indépendantiste et que je ne le serai jamais » (p. 104).
11. « Dans mon discours, il y avait le partage, mais c’est moi qui ai fait élire un sénateur et un
député mélanésiens. Avant, il n’y en avait jamais eu », dit-il même page 88 dans le chapitre sur la
province Sud, oubliant que le premier député kanak était le regretté Rock Pidjot qui passa plus de
vingt-deux ans à cette charge (de 1964 à 1986, date du premier boycott des législatives par les
indépendantistes). Il ajoute plus loin : « […] ce qui est plus important encore pour moi dans
l’aventure provinciale, c’est l’éducation au partage. Savoir partager et accepter de partager. »
(p. 91).
12. Ce qui fait dire à Jacques Lafleur : « À certains égards, j’étais aussi intransigeant que Jean-
Marie Tjibaou » (p. 75). Vu de l’extérieur, connaissant bien Jean-Marie mais pas du tout Lafleur, la
vision qui nous en a été donnée par les médias de l’époque m’incite à penser qu’il l’était beaucoup
plus que Tjibaou qui, au contraire, en bien des circonstances, a su faire preuve d’une grande
magnanimité (par exemple, la consigne de la levée des barrages début décembre 1984 suite à
l’embuscade de Tiendanite qui fit dix morts dont deux de ses frères).
13. Référence à la déclaration finale de la table ronde de Nainville-les-Roches du 8 au 12 juillet
1983 qui reconnaît par ailleurs aux Kanak un « droit inné et actif à l’indépendance » et que
Jacques Lafleur et le RPCR n’ont pas voulu signer. Lafleur précise par ailleurs : « Je refuse d’être
une victime de l’histoire. Je suis un citoyen de Nouvelle-Calédonie. Mes ancêtres sont arrivés là
comme ceux qui sont partis et arrivés au Canada, et aujourd’hui, on dit qu’ils sont citoyens
canadiens et pas des victimes de l’histoire. » (p. 66).
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Calédonie, l’heure des choixdeJean-Loup VIVIER
Isabelle Leblic
RÉFÉRENCE
VIVIER Jean-Loup, 2009. Calédonie, l’heure des choix, Paris, L’Harmattan, 188 p.
1 Deuxième ouvrage de l’auteur sur la Nouvelle-Calédonie, ce livre retrace en douze
chapitres les grandes lignes de l’histoire politique récente de ce pays, depuis la fin de la
Deuxième Guerre mondiale jusqu’à maintenant, et nous expose sa vision de l’évolution
profonde des vingt dernières années comme de l’avenir de ce territoire. Après deux
pages d’introduction, le premier chapitre (pp. 9-16) retrace « Les origines historiques
de la question calédonienne », de façon extrêmement rapide, en présentant des
éléments connus de tous sans guère d’apports nouveaux. Quelques renvois en notes de
bas de page à quelques rares d’auteurs1, trop peu à mon sens au regard du sujet et de
l’importante bibliographie existante et de trop nombreuses citations – près de deux
pages entières sur sept. Le deuxième chapitre, « L’occasion manquée d’une fusion
fraternelle (1945-1984) » (pp. 17-34), n’apporte rien de neuf non plus pour tous ceux,
nombreux, qui se sont intéressés à l’évolution récente de ce territoire français des
antipodes. Il passe un peu trop vite sur certaines questions : rien sur la loi-cadre de
Gaston Deferre du 23 juin 1956, ni sur le référendum constitutionnel de 1958 et le choix
de l’assemblée territoriale d’opter pour le statut de TOM, une autonomie associant les
deux communautés de la Nouvelle-Calédonie, au moment où, grâce à cette loi-cadre,
toutes les anciennes colonies françaises d’Afrique choisissent l’autonomie puis
l’indépendance. Il finit par parler de la directive Messmer du 18 juillet 1972 qui
recommandait de « faire du blanc2 » pour noyer toute idée d’indépendance. Le chapitre
III revient sur ce que l’auteur appelle « La crise calédonienne (1984-1988) » (pp. 35-51),
ce que l’on a coutume de nommer les « Événements », avec beaucoup de raccourcis et
d’imprécisions, dommage ! Par exemple, il nous parle de Pisani et de la visite éclair du
Président Mitterrand le 19 janvier 1985 à Nouméa sans préciser que cela faisait suite à
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l’annonce à Nouméa du plan Pisani (7 janvier 1985) et de à la proposition qu’il avait
faite d’indépendance association, laquelle ne fut pas reprise dans le statut Fabius-Pisani
du printemps 1985 ! Les chapitres IV et V évoquent les accords de Matignon-Oudinot de
juin-août 1988, leur part de « secret », de « corruption » et d’« astuces
institutionnelles » (pp. 53-58) et le chemin jusqu’à l’accord de Nouméa de mai 1998 (pp.
59-75). À propos des référendums sur les statuts de la Nouvelle-Calédonie, il parle de
36,66 % d’électeurs inscrits ayant voté oui en 1988 face à 51,92 % en 1998. Mais il ne
précise pas que ces résultats ne concernent que les électeurs de Nouvelle-Calédonie et
non le résultat national. Il ne parle pas plus des forts taux d’abstention de l’électorat
calédonien (respectivement 36,7 % et 25,77 %). Toutes ces imprécisions comme
l’absence de renvois aux auteurs de référence font qu’il est difficile pour un lecteur non
averti de resituer les propos de l’auteur dans la totalité des faits de l’époque. En effet,
comme nombre d’ouvrages récents, aucune bibliographie n’est présentée dans ce livre
comme si rien n’avait été écrit sur le sujet ; seules quelques notes de bas de page nous
renvoient à quelques ouvrages ou articles de journaux ! Cela semble être une nouvelle
mode et c’est bien dommage !
2 Les trois chapitres suivants parlent de l’apaisement : « incontestable » (chap. VI, pp.
77-84), « dû à une attention budgétaire privilégiée » ( chap. VII, pp. 85-98) avec le
« risque » d’« une perte progressive d’identité » (chap. VIII, pp. 99-110), mais tout cela
n’empêche pas J.L. Vivier d’écrire que la Nouvelle-Calédonie vit toujours une situation
coloniale (p. 82), ce que peu d’auteurs écrivent encore, bien que cela soit à mon avis
bien le cas ! Son chapitre IX pose des questions que certains ont en effet en tête, celle
de l’« indépendance dépassée ? » (pp. 111-141) et le suivant celle des nouvelles
revendications (pp. 143-164), soit le passage des revendications foncières à celles sur la
gestion du sous-sol et la participation à l’exploitation minière du nickel, les
interrogations que cela suscite notamment dans le Sud où les autochtones ont constitué
un comité de défense Rhéébù nùù visant à se protéger des effets négatifs de l’usine
métallurgique du Sud. Cette partie de chapitre retraçant l’histoire de Goro Nickel et de
Rhéébù nùù est sans doute l’une des plus intéressantes et des plus informatives de
l’ouvrage. Comme Vivier le dit :
« La mine fait rêver, en Nouvelle-Calédonie, elle a toujours fait rêver. Et le réveil estsouvent dramatique. » (p. 163)
3 Les deux derniers chapitres nous présentent « l’émergence des énergies nouvelles »
(pp. 143-164) et « l’avenir institutionnel » (pp. 175-185). Le chapitre XI traite des
nouvelles personnalités et forces en présence : d’une part, Louis-Kotra Uregei, l’USTKE et
le tout nouveau Parti travailliste et, d’autre part Rhéébù nùù. La force du premier est
entre autres de jouer sur « la nouvelle grande peur des Kanak, et de bien des
Calédoniens nés dans l’archipel qui ne sont pas d’ethnie mélanésienne », à savoir
« l’immigration qui menace les emplois que pourraient occuper des chômeurs locaux »
(p. 172). Ainsi, depuis longtemps, l’USTKE prône la défense de l’emploi local ! « L’autre
force nouvelle du paysage politique kanak, c’est Rhéébù nùù » avec « un leader
charismatique » comme le créateur de l’USTKE. La principale différence qu’il voit entre
ces deux forces est que si la première n’est pas uniquement kanak, la seconde l’est
beaucoup plus mais pas seulement et que si cette dernière « reste localisée dans
l’extrême Sud », son « mouvement peut faire école ». En effet :
« Rhéébù nùù a de son côté su raccorder un mouvement indigéniste, despréoccupations écologiques, le souci du développement, de l’avenir des jeunes, tout
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en restant respectueux de la coutume et même en intégrant à son action lesautorités coutumières. » (p. 173)
4 Enfin, le dernier chapitre propose son analyse de l’évolution à venir :
« L’hypothèse la plus probable est que le maintien, pendant des décennies, du statuquo, conduira la société calédonienne vers une situation à la réunionnaise. Chacunse sentira avant tout calédonien, sans pour autant oublier ses origines, toujoursplus lointaines. La paix publique y gagnera sans doute. Le destin commun sera alorsune réalité. Les deux couleurs de ce peuple tendront à se fondre dans une teinteunique. Mais qu’il soit permis à l’auteur de ces lignes de déplorer par avancel’effacement d’une civilisation profondément authentique, originale, d’une extrêmerichesse, et qui aurait mérité de faire entendre sa différence et sa présence au seindes nations qui peuplent notre planète. » (pp. 184-185)
5 Pour conclure, je dirais que ce livre est informatif malgré les défauts signalés et ses
omissions ou raccourcis. Il nous faut noter néanmoins parfois des jugements qui
détonnent comme l’auteur nous y a habitués (voir Mon chemin aux côtés du FLNKS), bien
que globalement il soit ici plus objectif et plus intéressant pour le lecteur.
BIBLIOGRAPHIE
DAUPHINÉ Joël, 1989. Les spoliations foncières en Nouvelle-Calédonie (1853-1913), Paris,
L’Harmattan, 347 p.
LEBLIC Isabelle, 2003. Chronologie de la Nouvelle-Calédonie, in I. Leblic (éd.), 150e anniversaire de
la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie, Journal de la Société des Océanistes 117, pp.
299-312.
SAUSSOL Alain, 1979. L’héritage. Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie,
Paris, Société des Océanistes, Publications de la Société des Océanistes 40, 498 p.
NOTES
1. Seuls Guiart et Gascher et beaucoup d’absents ! Par exemple, aucune mention n’est faite
d’Alain Saussol (qu’il finit pas citer sur un très court article et qu’il appelle Jean p. 22 et à
nouveau p. 23 !) et son incontournable ouvrage L’héritage de 1979 ou de Joël Dauphiné pour les
dépossessions foncières p. 15.
2. « La présence française en Calédonie ne peut être menacée sauf guerre mondiale, que par une
revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels
dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et à moyen terme,
l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements
d’Outre-mer (Réunion), devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le
rapport numérique des communautés. » (Extrait de la lettre du Premier ministre, Pierre
Messmer, au secrétaire d’État aux DOM-TOM sur les vertus de l’immigration massive pour
empêcher les revendications indépendantistes, cité in Leblic, 2003 : 302).
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Vers une école multilingue dans lescollectivités françaises d’Océanie et deGuyanecoordonnée par JacquesVernaudon et Véronique FillolRaymond MAYER
RÉFÉRENCE
VERNAUDON Jacques et Véronique FILLOL (éds), 2009. Vers une école multilingue dans les
collectivités françaises d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, coll. Cahiers du
Pacifique sud contemporain, 320 p., bibliogr., cartes, ill., fig., présentation des auteurs.
1 En attendant que le trilinguisme devienne le modèle reconnu de tous les systèmes
scolaires du monde, il sera sans doute nécessaire d’organiser encore plus d’un
colloque ! Celui-ci, qui s’est tenu à Nouméa en juillet 2007, a eu le mérite d’examiner de
près, comme l’indique le titre du livre qui en a été tiré, la situation faite aux langues
enseignées dans les « collectivités françaises d’Océanie et de Guyane ». Le titre de
l’ouvrage fait l’économie du point d’interrogation sur un sujet qui habituellement
fâche, du moins dans une république française constitutionnellement fondée sur le
monolinguisme (Fréchet, 2009). C’est dire que l’Outre-mer multilingue avance
courageusement dans des directions qui semblent déjà identifiées, à défaut de pouvoir
prétendre avoir surmonté tous les obstacles politiques, administratifs, pédagogiques et
logistiques qui se dressent au fur et à mesure des avancées effectuées au niveau
institutionnel et sur le terrain. Jacques Vernaudon et Véronique Fillol, tous deux en
poste à l’Université de Nouvelle-Calédonie (UNC), ont pris la peine de réunir des textes
qui stimulent le débat local et national, et balisent les solutions appelées à durer.
2 La structure de l’ouvrage donne une claire indication des niveaux de compétence
sollicités pour traiter du problème. La première partie, consacrée au « contexte
sociolinguistique et cadre institutionnel », commence justement par situer la question
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au niveau politique qui convient. Marie Salaün (Paris 5 - IRIS) rappelle opportunément
qu’il faut non seulement un « premier passage obligé » par l’histoire coloniale (p. 21)
pour comprendre la situation scolaire actuelle, mais aussi un « détour » par le paradoxe
du monopole linguistique dans la situation de révision des statuts de l’Outre-mer
diversifié, et enfin une explicitation des enjeux de la récente légitimation des langues
locales stipulée par la réforme constitutionnelle de 2008. Sous un intitulé
particulièrement incisif « Pourquoi la résistance glottocentrique a-t-elle perduré
jusqu’aux années 1980 ? », elle s’interroge précisément sur les « rendez-vous manqués
de la 4e république » avant de faire observer qu’aujourd’hui encore la politique
française s’inspire de la matrice du « patchwork » faisant pièce de toute situation et
jouant sur plusieurs registres au plan juridique (p. 29), eu égard aux différences faites
entre les diverses entités territoriales de l’Outre-mer : DOM et collectivités territoriales
à statut variable.
3 Avançant dans la revue des terrains respectifs, Jacques Vernaudon et Léonard Sam (UNC
- CNEP) présentent alors « la réforme plurilingue de l’école en Nouvelle-Calédonie, en
Polynésie française et à Wallis-et-Futuna » (pp. 35-47) avant de laisser Bettina Migge,
senior lecturer à Dublin, et Odile Renault-Lescure, chargée de recherche à l’IRD, dresser
un état des lieux équivalent pour la Guyane française (pp. 49-66). Une carte sur les
langues de Guyane (p. 66) achève de nous introduire à la dimension à la fois technique
et politique du multilinguisme souhaitable. La carte symétrique sur les langues locales
dans les collectivités françaises d’Océanie fait défaut dans le livre ; elle aurait pourtant
mérité sa place à ce stade de l’ouverture, ne serait-ce que par parallélisme de forme.
Quoi qu’il en soit, le lecteur est suffisamment informé de la situation préalable pour
accéder à une autre série de questions.
4 La deuxième partie de l’ouvrage s’engage sur les « enjeux scientifiques, éducatifs et
méthodologiques » du plurilinguisme à l’école (pp. 67-154). La contribution de Paul
Launey (CELIA - IRD) s’attache à découper avec une précision chirurgicale les arcanes
quotidiennes du fonctionnement administratif lié à l’admission des langues locales à
l’école. Sa note en bas de page 69 (« un recteur et une personnalité politique ont mis
l’auteur […] en garde sur les risques d’excitation des passions identitaires que pouvait
entraîner la publication d’une grammaire du palikur, langue amérindienne de
Guyane ») en dit long sur le climat suspicieux qui entoure jusqu’aux missions
linguistiques basiques, dès que celles-ci s’approchent tant soit peu de l’institution
scolaire. Une autre remarque frappée au coin du bon sens – « On entend encore avancer
l’idée de la nocivité cognitive du bilinguisme » (p. 81) – rappelle que le syndrome
colonial n’est jamais très loin. Danièle Moore (USF Vancouver/Diltec) élargit le débat à
d’autres expériences de plurilinguisme « pacifié », en particulier à celles qu’elle a
étudiées au Canada. Isabelle Nocus, Philippe Guimard et Agnès Florin, tous trois de
l’université de Nantes, rendent compte des dispositifs d’évaluation des bilinguismes
testés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française (pp. 119-135). Véronique Fillol
procède à l’analyse des programmes scolaires adoptés en matière d’enseignement du
langage et des langues sur le sol calédonien depuis la rentrée 2006 et insiste, pour
éviter les situations d’échecs socioculturels, sur le nécessaire renouvellement
didactique que le plurilinguisme implique.
5 Sous le titre générique « Les langues d’enseignement et de culture », la troisième partie
(pp. 155-222) est précisément consacrée aux applications pédagogiques et aux
expérimentations didactiques. Le livre s’anime en images, car cette partie est
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abondamment illustrée. La contribution de Gérard Lavigne (CNEP) s’intéresse à
l’enseignement des mathématiques en langues kanak (pp. 157-173) pour promouvoir le
succès des filières scientifiques. Viviane Lanier-Auburtin (CASNAV Guyane) (pp. 175-189)
fait part du dispositif mis en œuvre en Guyane pour officialiser un système
d’intervenants en langues maternelles (ILM), tandis que Jacques Vernaudon applique les
vertus du comparatisme aux langues océaniennes et française réunies à l’école
calédonienne (pp. 191-206). Stéphanie Geneix-Rabault étrenne son doctorat
d’ethnomusicologie en osant le seul titre en langue austronésienne de l’ouvrage : Nyima
me elo thatraqai ha nekönatr ngöne la qene drehu, titre dédié au « devenir pédagogique »
des expressions musicales enfantines en langue drehu des Loyauté (pp. 207-222).
6 La quatrième et dernière partie du livre traite de deux problèmes : celui de la formation
des maîtres, par des cadres d’IUFM, et celui de la méthode par évaluation pour faire
progresser la question du multilinguisme à l’école. Le contexte guyanais de la
formation des enseignants est traité avec force schémas et tableaux par Sophie Alby
(pp. 225-249), de l’IUFM de la Guyane ; tandis que le contexte alsacien de l’ IUFM de
Strasbourg est appelé par Christine Hélot à la rescousse des questions générales de
gestion du plurilinguisme ; enfin l’université de Nantes, par Philippe Guimard, Isabelle
Nocus et Agnès Florin, est invitée à mettre la technique des évaluations à l’école
maternelle au service du multilinguisme. On ne saurait être plus pragmatique. D’un
bout à l’autre de ces actes de colloque actualisés, comme il se doit, dans leur écriture
finale, se lit la détermination des éditeurs de couvrir toutes les facettes du problème et
d’offrir ainsi une sorte de double prototype (calédonien et guyanais) pour faire mûrir la
question du multilinguisme scolaire appliqué aux langues locales.
7 La conclusion (pp. 297-307) peut s’honorer à juste titre de faire bouger les lignes jusqu’à
revendiquer, sous la plume de Bernard Rigo (UNC/CNEP), que la question linguistique soit
traitée comme une « question éthique ». Sur la voie d’une utopie qui gagne du terrain,
le livre ouvre effectivement à toutes les perspectives documentées dont le combat
multilingue a besoin. Le livre édité par Jacques Vernaudon et Véronique Fillol est à cet
égard un véritable analyseur de situation linguistique en rapport avec des contextes
diversifiés qui attendaient des expertises compétentes. Tous les auteurs mobilisés sont
profondément engagés dans une vie professionnelle dédiée à la défense et à la
promotion du plurilinguisme à l’école. Malgré une pléthore de sigles fort heureusement
déclinés dans la présentation détaillée finale des auteurs, l’ouvrage atteint son objectif
qui est de gagner un maximum de lecteurs à sa cause, tout en faisant valoir l’expérience
des expertises déjà réalisées.
8 Qu’un colloque essaie de sortir des impasses du système scolaire en place en élargissant
le propos à l’ensemble de l’outre-mer français est une belle prouesse, et la question
linguistique de l’Outre-mer français aura trouvé ici un rapport d’étape tout à fait
convaincant. Peut-être même que le prochain colloque pourra faire le lien avec des
situations de plurilinguisme en dehors du contexte strictement francophone. Rien de
tel en effet que de confronter les expériences d’un pays centralisé avec celles de pays
qui présentent une configuration plus fédérale voire confédérale pour faire progresser
la portée théorique des conclusions que l’on a déjà tirées sur le terrain.
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BIBLIOGRAPHIE
FRÉCHET Claudine (dir.), 2009. Langues et cultures de France et d’ailleurs, Lyon, Presses universitaires
de Lyon, 495 p.
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Étudier sa propre culture. Expériencesde terrain et méthodes sous ladirection de Jean GuiartRaymond MAYER
RÉFÉRENCE
GUIART Jean (sous la dir.), 2009. Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes,
Paris, L’Harmattan, 183 p., préface, introd., bibliogr.
1 Sous un titre performatif d’une extrême simplicité, ce livre dirigé par Jean Guiart
apporte, à mon sens, une contribution majeure à la compréhension de l’évolution de
l’anthropologie mondiale. À travers treize chapitres d’anthropologues des cinq
continents, dont il ouvre la thématique et la méthodologie globales tout en
introduisant à chacune d’elles en particulier, l’ancien directeur du Laboratoire
d’ethnologie du musée de l’Homme de Paris met à profit ses années de retraite active
pour mettre en lumière la nouveauté radicale induite en anthropologie par les
indépendances nationales. Il ne s’agit plus, cette fois-ci, de l’énumération récurrente
des obstacles relevés par les anciennes administrations coloniales dans le libre accès au
terrain par exemple, ou dans le traitement symétrique des fonds d’archives, mais de
l’évaluation, par les anthropologues nationaux devenus (avec les réserves qui
s’imposent çà et là) maîtres de leurs programmes, du bilan de leurs recherches, et
surtout des perspectives nationales et internationales qui s’offrent à eux après trente
ans de développement autonome. Un symposium (dont les dates ne sont pas explicitées
dans l’ouvrage) avait été convoqué au musée de l’Homme sur ce thème, bien avant l’an
2000, l’actuelle République démocratique du Congo y apparaissant encore sous son
ancienne dénomination de Zaïre, et plusieurs participants étant décédés dans
l’intervalle. C’est dire la vertu anticipatrice de ce modeste volume qui a tout pour faire
date.
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2 Jusque-là, l’anthropologie contemporaine ne distinguait qu’entre anthropologie
exotique et anthropologie domestique, ou – en des termes presque similaires – entre
exo-anthropologie et endo-anthropologie. Le livre de Jean Guiart et de ses invités va
plus loin : il laisse émerger une multitude d’anthropologies « nationales » dont peu
d’anthropologues ont jusqu’ici analysé la dynamique et l’impact sur l’avenir de
l’anthropologie mondiale. Que l’on ne s’y trompe pas : la vague montante des
anthropologies nationales va faire l’effet d’un tsunami, et il faudra s’attendre, en moins
de vingt ans, à une véritable recomposition du paysage anthropologique international,
dont peu de métropoles intellectuelles actuelles ont pressenti l’ampleur et les
conséquences. J’ai trouvé sous la plume de l’historienne Florence Bernault, en poste à
l’université du Wisconsin à Madison, l’un des rares constats à aller dans le sens de
l’histoire, a-t-on envie de dire (Bernault, 2001) :
« [les pays du Sud] ont, dépassant la vieille Europe, commencé à produire unebibliothèque savante dont les apports ne peuvent être ignorés qu’au risque d’unappauvrissement sérieux des capitales intellectuelles aujourd’hui dominantes. »
3 Si la préface de Jean Guiart observe une « sorte de passage à vide de la réflexion
anthropologique » (p. 7), l’introduction du même affiche deux tendances qui appellent
au renouvellement de méthode et d’épistémologie induit par les indépendances. La
première consiste à « considérer avec faveur l’émergence d’une classe d’universitaires
et de chercheurs nationaux avec qui puisse être établie une collaboration entre égaux »
(p. 14) ; la seconde doit permettre de contester, à rebours, le règne de la pensée
« extrême-occidentale » (sic) enracinée dans l’idéologie mal avouée de « l’évolution
linéaire des sociétés humaines et d’une hiérarchie des degrés atteints par les unes ou
par les autres » (p. 15). A cet égard, le livre offre un concentré d’expériences nationales
qui sont toutes plus intéressantes les unes que les autres, bien qu’aboutissant parfois à
des résultats pour le moins contrastés.
4 Viennent alors les diverses communications qui fournissent un état des lieux de la
pratique et de la théorie dominantes sur les terrains nationaux. Jean Guiart chapeaute
chacune d’elles par une brève notice introductive. Le premier à entrer en lice est le
chercheur et écrivain algérien Mouloud Mammeri (pp. 25-36), qui dresse l’état de
l’anthropologie dans son pays à travers l’histoire particulière du Centre de recherche
en anthropologie et en préhistoire (CRAP) d’Alger. Laissé sans moyens et sans archives
pour solde de tout compte par l’administration française partante, le CRAP a dû
renoncer, pour l’essentiel, à toute enquête de terrain, et se soumettre aux priorités
définies par le nouveau pouvoir politique en place. Ce qui s’est traduit, notamment, par
l’insistance portée aux questions de progrès social et d’unité nationale, au détriment
des appartenances tribales qui ont été reconverties aux normes de l’intérêt national.
5 Préoccupations similaires en Tunisie, dont la liste établie par Samira Gargouri-Sethom,
conservatrice au Centre des arts et traditions populaires de Tunis (pp. 37-45), offre un
tableau saisissant de la situation qui a prévalu quand une archéologie qui était
officiellement privilégiée a laissé les chercheurs en sciences sociales sans expérience et
sans métier. A nouveau, le traumatisme du manque de relève immédiate a creusé un
fossé durable entre les prédécesseurs expatriés partis et les successeurs nationaux sans
formation supérieure de niveau équivalent. Mais le fait le plus notable a été la
destruction des musées d’objets de la vie quotidienne, pourtant légués par les
administrations scientifiques du protectorat français, en raison de l’idéologie politique
faisant le choix du « modernisme » et du « progrès », forçant notamment à l’abandon
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du vêtement traditionnel au bénéfice du costume européen. Il a fallu une quinzaine
d’années après l’indépendance pour reconscientiser les autorités politiques dans le sens
de la nécessaire prise en compte des avantages de l’héritage national par rapport à
celui de la colonisation.
6 La troisième situation, celle du Mali, est faite par Claude Daniel Ardouin, ancien
directeur du Musée national du Mali à Bamako. Celui-ci montre, au terme d’une analyse
très lucide que l’analyse du « dedans » est le complément indispensable de celle du
« dehors » (p. 49). Partant de l’adage « Beaucoup de gens font partie du mègè, mais peu
d’entre eux entrent dans son tan » (p. 49), il démonte les mécanismes d’interprétation
qui se rattachent à la fluctuation des courants théoriques « reflet de l’idéologie, avouée
ou non, de la recherche » et déterminante pour « la compréhension de la culture
étudiée » (p. 51), notant en particulier que « l’appareil conceptuel, en plus de son
imprécision, est beaucoup plus pauvre que la réalité observée » (p. 52).
7 La quatrième communication est donnée par le chercheur Khing Hoc Dy (pp. 57-66) qui,
bien qu’installé en France, en réfère à son pays natal, le Cambodge, dont il rappelle que
la tradition lettrée est antérieure au VIIe siècle. Nommé enseignant-chercheur à la
Faculté des Lettres de Phnom-Penh en 1967, l’auteur a consacré ses recherches à la
littérature du divertissement du XVIIIe au XXe siècle, sur laquelle il a publié dix-neuf
ouvrages et il signale l’important travail effectué par le Centre de documentation et de
recherche sur la civilisation khmère fondé par lui en 1978, et qui après sa fermeture
vingt-cinq ans plus tard, a transféré son fonds en 2006 à l’Académie royale du
Cambodge. Exemple rare d’une initiative pluridisciplinaire et de résultats mis au
service d’une recherche dont on privilégie à présent la production nationale.
8 La situation européenne n’est pas en reste. Intervenant sur le contexte espagnol,
Antonio J. Sanchez Lopez, ancien professeur de l’université de Cordoue, souligne que la
recherche sociale est « tout à la fois une science, une production idéologique et un
travail » ce qui « oblige à distinguer les questions de la théorie et des méthodes
employées de celles des circonstances professionnelles, économiques, et aussi
institutionnelles » (p. 68). De manière réaliste, il déconstruit le métier d’ethnologue
dans des pays où des limitations budgétaires entraînent des contextes de rivalités, de
replis disciplinaires et de faible planification à long terme.
9 Les cinq premières communications étant placées sous le signe de la méthode, les
suivantes s’inscrivent sous une rubrique intitulée « témoignages ». On peut discuter de
la pertinence de la répartition des contributions entre ces deux catégories, chacune
d’elles relevant en fait de l’une et de l’autre. Les témoignages ne sont répartis ni par
continents, ni par pays, mais poursuivent une investigation des méthodes par les
résultats atteints sur le terrain.
10 Premier témoignage sollicité, celui de l’Algérienne Tassidit Yacine qui propose une
contre-analyse de la situation des femmes dans son pays, marquée par la double
prégnance des droits berbère et musulman censés favoriser exclusivement le genre
masculin (pp. 79-91). L’auteur démontre que contrairement aux idées reçues, y compris
par les scientifiques eux-mêmes, les femmes peuvent y acquérir du pouvoir. Traitant la
situation d’une localité située aux confins des Aurès et de la Kabylie à partir d’un
corpus spécifique, elle en arrive à étendre le résultat de ses recherches à de nombreux
cas où l’inversion du contrôle social par les femmes est avérée, introduisant ainsi des
figures d’exception dans un contexte que l’on croirait d’un seul bloc. On pourrait
rapprocher ses conclusions de celles atteintes par Frédérique Fogel (2006 : 390) dans
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son déchiffrement logique du « mariage dit arabe » où la reproduction de la prévalence
de la relation de germanité frère-frère passe obligatoirement et concomitamment par
la relation de germanité frère-sœur.
11 Témoignage inversant également l’idéologie dominante à leur égard que celui de M. Ag
Baille (pp. 93-106) qui « plaide » pour une meilleure compréhension des Kel Tamachaq
ou Touareg « nomades monogames » en butte à l’incompréhension populaire et
scientifique des perspectives « sédentaires » qui leur sont habituellement appliquées.
L’argumentaire spécifique du témoignage porte sur les contraintes du nomadisme face
à la volonté de parquage des gouvernements nigériens successifs. On croirait se trouver
au cœur de la campagne anti-Roms suscitée en France pendant l’été 2010 !
12 M. Yangasa Eyi Engusa, de l’Institut Pédagogique de Kinshasa, montre l’intérêt
« culturellement significatif » (p. 121) des rites de la mort dans son groupe d’origine, les
Ambuun, connus sous le nom de Bambunda. Partant du « message de la mort » et de ses
aspects multidimensionnels, il explique que le « système des prestations à l’occasion
d’un deuil » positionne clairement parents et alliés au sein d’un réseau inter-
générationnel, lequel est également régulé par un système d’interdits et de
prescriptions qui amène les rites funéraires à incarner une sorte de matrice de la
société globale.
13 Le chercheur universitaire indonésien Alex John Ulaen (pp. 125-132) dit qu’il a tiré
grand profit d’une expérience ethnographique acquise dans son propre pays, dans une
région différente de sa région natale, ce qui l’a sensibilisé au repérage de faits sociaux
qu’il n’avait pas perçus auparavant. Après avoir relevé des fautes de compréhension
dans l’analyse du monde religieux par des chercheurs étrangers qui maîtrisaient
insuffisamment la langue, il prône en définitive la collaboration entre chercheurs
nationaux et chercheurs étrangers sur un pied d’égalité. Il relève en passant la création
de plusieurs départements d’anthropologie dans diverses universités de son pays.
14 L’ancienne conservatrice du musée d’Israël de Jérusalem, Aviva Muller-Lancet, part du
principe d’une « société composite » dans son pays fondée sur au moins quatre
mouvances inaliénables (pp. 133-143) : arabes-et-non-juives, juives ultra-orthodoxes,
juives modernes et juives pionnières. Même si c’est la diversité des cultures juives de la
diaspora qui a surtout retenu l’attention de son travail muséographique et
ethnographique, sa contribution permet de voir un peu plus clair dans l’écheveau des
tendances qui traversent quotidiennement la vie politique et sociale de son pays.
15 Edit Fèl, ancienne professeur à l’université de Budapest, fait constater qu’en Europe
centrale, se sont développées des ethnologies nationales en marge des courants
universalistes incarnés par les grandes écoles britanniques, américaines, allemandes et
françaises (pp. 145-156). Le résultat de cet intérêt manifesté pour les objets et des
mentalités qui leur donnent vie (on appréciera les exemples qualitatifs du traitement
de la houe, diversifiée suivant les âges et les personnes, ainsi que de la grange à réunion
des hommes en marge des villages) est certes celui d’un outil intellectuel au service
d’une cause nationaliste, mais aussi la richesse d’une recherche autonome qui ne
s’embarrasse pas des querelles d’école étrangères pour constituer un fonds
documentaire inégalé et inégalable.
16 Comment une ancienne archéologue se reconvertit aux vertus de l’ethnographie du
contemporain dans un milieu dont elle parle la langue (« celle qui implique un rapport
d’égal à égal », p. 167), mais dont les tensions internes ne peuvent manquer de rejaillir
sur le travail de l’anthropologue, telle est la belle et tonique réflexion d’Yvonne de Sike
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sur une île de la mer Egée. Dans le cas particulier des îles grecques (mais le cas est-il si
particulier ?), les insulaires se méfient des « sociologues » (p. 165) et de tous ceux qui
s’intéressent de trop près aux dessous des problèmes quotidiens. Le charisme personnel
de l’anthropologue le (ou la) rend seul(e) capable de travailler dans un climat de
confiance/méfiance permanent.
17 Encore plus solennel et plus cérémonieux : c’est un véritable tribunal qui accueillit
l’anthropologue Joaquin Galarza (pp. 169-181), déchiffreur de codex du XVIIe siècle, dans
un village au sud du Mexique qui en détenait des exemplaires inédits. La condition
d’admission dans ce cercle masculin ultra-fermé était de démontrer sa compétence au
service des intérêts locaux, et d’apporter, en une sorte de contre-don préalable, des
éléments matériels d’égale valeur (ici des photographies de documents anciens) : la
preuve par une mise à l’épreuve initiale ! C’est un cas très précis – qui devrait faire
école – d’un examen de passage préalable à l’accès au terrain.
18 Jean Guiart a donc fait appel à des auteurs confirmés, dont une riche bibliographie
accompagne généralement le témoignage, ce qui donne un panorama diversifié de la
situation mondiale, présenté autrement qu’à partir des métropoles dominantes. On
retiendra surtout que, contrairement aux effets attendus de la mondialisation
claironnés sur tous les tons, l’échelle nationale est déterminante pour saisir
l’environnement scientifique postcolonial des recherches menées sur le terrain. Les
conditions d’accès au terrain ne sont donc qu’un indicateur parmi d’autres de la
nouvelle donne de l’anthropologie mondiale. Le filtre universitaire de chaque État
souverain définit à présent les objectifs prioritaires de toute recherche,
indépendamment des tendances d’école autrefois régentées par les seules
anthropologies « hégémoniques ». Le renversement des priorités, un peu du jour au
lendemain, au sortir d’âpres luttes anticoloniales, est un des signes les plus manifestes
de la différence réelle entre exo- et endo-anthropologies, le nouveau système de
légitimation mettant à nu le précédent qui opérait jusque-là à son insu.
19 Au terme de cette revue de tour de monde anthropologique, on retire l’impression de
capacités nationales qui ne demandent qu’à éclore et à fructifier. On sent surtout une
complémentarité forte entre les divers témoignages rassemblés. Mais forcer à la
reconnaissance et au respect de cette diversité d’expression qui indéniablement
commence à semer à tous vents sur le plan mondial, est justement l’objectif de cette
publication indispensable. L’essentiel a été montré : le vin est tiré, il faut le boire.
BIBLIOGRAPHIE
BERNAULT Florence, 2001. L’Afrique et la modernité des sciences sociales, Le vingtième siècle. Revue
d’histoire 70, pp. 127-138.
FOGEL Frédérique, 2006. Le mariage dit arabe, L’Homme 177-178, pp. 373-394.
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Le spectacle de la culture. Globalisationet traditionalismes en Océanie d'AlainBabadzanRaymond MAYER
RÉFÉRENCE
BABADZAN Alain, 2009. Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie,
Paris, L’Harmattan, coll. Connaissance des hommes, bibliogr., 286 p.
1 Alain Babadzan a eu raison de colliger en un volume récapitulatif les fines analyses
réalisées à chaud, pendant trente ans, sur la singulière idéologie politique océanienne
mise en scène dans les anciens, nouveaux et futurs États de cette région du monde en
devenir. La manière inédite de placer les indépendances sous le signe de la culture (et
de ses alternymes « coutume » et « tradition ») aurait pu réjouir les anthropologues des
cinq continents. Pour la première fois, ils tenaient là un modèle vivant qui hypostasiait
un de leurs concepts de base, aussi sûrement qu’on avait placé la déesse Raison sur les
autels de la Révolution française ! Mais, et c’est évidement tout l’intérêt du livre, Alain
Babadzan a beau jeu de montrer et démontrer que la réalité est bien plus complexe et
plus ambiguë, et que le résultat est promis à des révisions certaines. Sur ce point, le
livre réalise non seulement, comme on peut s’y attendre, une synthèse des courants de
pensée politique qui régissent le postcolonialisme en Océanie, mais il en restitue les
aspects processuels, ce qui double largement son utilité permanente.
2 Dans son offre de lecture et d’analyse, Alain Babadzan place son ouvrage sous le signe
de l’évolution du couple « globalisation et traditionalismes » dans le contexte
spécifique de l’Océanie. À moins de considérer la période de « l’authenticité zaïroise »
du régime Mobutu comme une variante africaine de l’État-culture, et à moins de
falsifier « la révolution culturelle » du régime maoïste en variante asiatique d’un
travestissement culturel de la répression, on a tout lieu de croire que la culture comme
religion d’État représente en effet un isolat idéologique océanien et que l’on a affaire à
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un phénomène insolite qui serait circonscrit (pour une fois ?) dans l’espace et dans le
temps. Sur l’échiquier mondial, le fait d’ériger la culture en doctrine d’État apparaît
comme un hapax de l’Océanie du Sud (tant il est vrai que l’État de Hawaii y échappe,
mais non pas les « American Samoa » par exemple). On pourrait remarquer d’ailleurs
que ce « concept » transcende le phénomène des indépendances, puisqu’on peut
considérer que la « coutume » de Nouvelle-Calédonie (Monnerie, 2004) et les « rois » de
Wallis-et-Futuna (Favole, 1998), sans doute moins les « juillet » de la Polynésie
française, relèvent de la même mouvance idéologique. En tout cas, grâce à Alain
Babadzan et aux nombreux auteurs cités en cours d’analyse, on n’aura pas attendu les
calendes grecques pour en saisir le surgissement, et le livre nous offre une première
synthèse que l’on prendra plaisir à vérifier dans le demi-siècle que nous entamons. Car
c’est en même temps un livre à thèse, qui annonce la fin des Trente Glorieuses de la
culture dans le Pacifique et qui stipule que c’en est fini de la « coutume » comme
référent constitutionnel, puisque l’auteur y prédit la dépolitisation de la culture,
remplacée à terme par les lois du marché international, y compris du marché politique.
3 Dans sa démonstration, ce livre-recueil est articulé en sept chapitres qui nous installent
de plain-pied dans la problématique, en variant les sites et les thèmes, mais en
conservant l’unité d’intérêt. Le premier chapitre (pp. 15-73) nous plonge dans l’État de
coutume, sous son appellation-pidgin de kastom (de l’anglais standard custom, lui-même
probablement de l’ancien français : coutume). Il retrace l’émergence d’un autre concept
en honneur depuis les années 1970, celui de « Pacific Way ». Celui-ci servait à la fois de
concept englobant et de slogan idéologique commun à tous les micro-États naissants. La
création des festivals du Pacifique est interprétée comme le passage du rite au
spectacle, ce qui corrobore l’idée dominante du livre, lui donne son idée roborative et
justifie son titre. L’exemple emblématique des Gogodala du golfe de Papouasie ayant
brûlé tous leurs objets rituels après le passage des évangélistes et qui finirent par
danser devant Elizabeth II à l’occasion de son jubilé, récapitule en quelques traits et
autant de tableaux, l’aventure et les péripéties des peuples et cultures jetés en pâture à
la fois aux traditionnalismes et à la globalisation, passant « du rite au spectacle, et du
folklore à la marchandisation de la culture » (p. 67). Mais l’analyse d’Alain Babadzan, si
elle met du miel aux cendres, sait justement lire les lames de fond qui parcourent un
océan de dynamiques complexes qui ne sauraient à aucun moment être réduites à une
seule. Le livre se lit comme une success story, à l’image des « renaissances » culturelles
dont il fait précisément état. Il n’y a que la fin qui soit résolument pessimiste, puisque
l’auteur se résout à n’en voir d’autre que celle de la disparition de cette heureuse (?)
période pan-culturelle.
4 Le chapitre 2 (pp. 75-124) nous fait participer à un atelier sur la déconstruction du
concept de « tradition », soumis à « l’offensive postmoderniste » selon l’expression de
l’auteur. Par rapport au chapitre précédent, l’idée qu’il soutient est en effet que le
désenchantement a également gagné le cœur du Pacifique, que les « grands récits » ont
perdu de leur unanimisme, et que par conséquent, il convient de nuancer les aspects du
concept au fur et à mesure de sa critique à la fois populaire et scientifique.
5 Le chapitre 3 (pp. 125-168) part des théories couramment diffusées par ou à propos de
Hobsbawm et Gellner sur « l’invention de la tradition » pour situer le rapport à la
culture dans un contexte de nationalisme et de modernisation politique.
Indépendamment de la bonne compréhension des théories qui servent de référent
commun – « A-t-on lu Hobsbawm ? » –, l’auteur examine les ruptures et continuités
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dans le sens de la constitution de nouvelles élites et de « nouveaux clercs » des jeunes
États en voie d’émancipation.
6 Le chapitre 4 (pp. 169-192) revient sur le concept de « permanence culturelle » chez
Marshall Sahlins pour montrer les limites de l’ « indigénisation de la modernité » dans
les États nouvellement constitués. Il prend comme terrain d’application le « culture
movement » qui a marqué la période des indépendances.
7 Le chapitre 5 (pp. 193-210) s’attache à un autre concept rayonnant de l’anthropologie
du XXe siècle, celui de « syncrétisme ». Loin d’en faire un concept clé de l’adaptation
sociale et religieuse, Alain Babadzan y dénote une « double négation » : une négation
des racines et une négation de la modernité. Il montre qu’il s’agit d’une sorte de
concept aveugle, et non du concept rayonnant que les sciences sociales ont cru pouvoir
détenir pour définir la période des grandes mutations dans les pays tiers.
8 Le chapitre 6 (pp. 211-250) traite de l’exemple particulier, mais évidemment largement
suggestif d’une tendance générale, celui de la « renaissance maorie » qui aboutit de fait
à la réalisation d’un « capitalisme néotribal », selon les termes de l’auteur. Le passage
du niveau culturel au niveau économique et financier atteste de l’emprise progressive
de ce dernier, et en même inaugure du déclin de la « culture » au profit d’autres valeurs
qui lui échappent, et qui confinent en définitive à sa négation. L’histoire récente mise
en lien avec l’histoire ancienne traduit un mouvement de « retribalisation » illustrée
par les actions menées autour du tribunal de Waitangi, entendons par là la remise en
honneur de l’appropriation des droits fonciers coutumiers.
9 Enfin, dernier mais non moins des moindres, le chapitre 7 (pp. 251-266) se livre à une
prospective sans ambages s’appuyant sur l’évolution des rapports entre les États
« protecteurs » des indépendances océaniennes et leur cours précédent. L’auteur
soutient la thèse du « crépuscule de la coutume », en le rapportant au « tournant
néolibéral » qui marque les politiques des puissances mondiales dans la première
décennie du XXIe siècle. Moment de l’histoire, mais surtout moment de l’histoire des
idées, et, pour rester dans la métaphore de l’auteur, nouveau scénario politique fondé
sur une « guerre contre la coutume ? » Il est intéressant de voir comment les luttes
anti-terrorisme procèdent par amalgame pour accréditer l’idée que ce qui était bon la
veille est devenu mauvais le lendemain.
10 Au fil des articles qui ont constitué autant de chapitres du livre, Alain Babadzan nous a
ainsi fait passer de la naissance à l’affaissement d’un grand concept englobant qui aura
donné aux États océaniens leur première figure symbolique majeure. Il nous fait vivre,
le temps d’un livre, les raisons qui ont poussé à l’émergence symbolique d’un concept
global, et les mêmes raisons qui ont entraîné son déclin. Sur la question politique de
l’Océanie et, par comparaison (Amselle, 2010), de nombreuses autres entités
géopolitiques, on tient là assurément un ouvrage de base.
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BIBLIOGRAPHIE
AMSELLE Jean-Loup, 2010. Le retour de l'indigène, L'Homme 194, pp. 131-138.
BARÉ Jean-François, 2010. L'identité au miroir de Tahiti, L'Homme 194, pp. 139-155.
FAVOLE Adriano, 2000. La palma del potere, Torino, il Segnalibro, 348 p.
MONNERIE Denis, 2005. La parole de notre maison. Discours et cérémonies kanak aujourd'hui (Nouvelle-
Calédonie), Paris, CNRS Éditions - Éditions de la maison des sciences de l'homme, 287 p.
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Jeunesses autochtones. Affirmation,innovation et résistance dans lesmondes contemporainsdirigé parNatacha Gagné et Laurent JérômeIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
GAGNÉ Natacha et Laurent JÉRÔME (éds), 2009. Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation
et résistance dans les mondes contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes
(PUR), 195 p., bibliogr. après chaque contribution.
1 Cet ouvrage collectif1 rassemble sept contributions (dont trois sur l’Océanie) précédées
d’une préface de Mona Belleau, jeune Inuk d’Iqaluit au Nunavut (pp. 9-12), d’une
présentation des deux éditeurs scientifiques (pp. 13-20) et d’une introduction de Sylvie
Poirier, spécialiste des Aborigènes d’Australie, sur « Les dynamiques relationnelles des
jeunes autochtones » (pp. 21-36). Quelques mots sur les auteurs terminent l’ouvrage
(pp. 191-193).
2 Comme le présentent Natacha Gagné et Laurent Jérôme, ce recueil, « en ouvrant la
question de la jeunesse autochtone à de nouvelles perspectives analytiques et à de
nouveaux terrains ethnographiques », veut explorer « les différentes stratégies
déployées par les jeunes autochtones pour donner sens aux mondes auxquels ils
participent activement » (p. 14).
3 En s’interrogeant sur ce qu’est d’être jeune et autochtone dans un monde globalisé, les
contributions passent en revue diverses situations. Comme le signale d’emblée Sylvie
Poirier, il faut d’abord savoir ce que représente la « catégorie sociale » de la
« jeunesse », située « entre l’enfance et l’âge adulte », qui « est apparue assez
récemment dans les sociétés occidentales modernes (au XIXe siècle) et avec elle, ce que
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l’on appelle depuis le début du XXe siècle, le fossé des générations » (p. 21). Ensuite, on
peut donc se demander ce qu’est la catégorie sociale de « jeunes autochtones », en
insistant sur le fait que « dans la majorité des sociétés autochtones, […] la “jeunesse”
est […] devenue une catégorie sociale à partir du moment où ont cessé les rites
initiatiques, ceux-là même qui consacraient le passage de l’enfance à l’âge adulte » (p.
22), tout en rappelant qu’il faut « user de prudence dans l’usage de la catégorie sociales
des “jeunes” et de son application aux contextes autochtones » (p. 23). C’est notamment
au travers des relations intergénérationnelles dans chaque société autochtone
concernée que l’on peut la définir, en précisant « le sens de la communauté, le sens
d’appartenance, de solidarité et de responsabilité face à la famille élargie » (p. 23) sans
oublier l’importance de la parenté :
« On ne doit pas négliger le fait que dans les communautés autochtones, en règlegénérale, les relations et réseaux de parenté, et ce qu’ils impliquent, représententencore les principaux vecteurs identitaires. » (p. 24)
4 Ainsi, dans de nombreuses sociétés, notamment celles ayant subi les « souffrance et […]
ruptures de la période coloniale, et face aux processus actuels d’affirmation, de
réappropriation et de revendication, la catégorie des aînés est devenue une icône de la
culture et de la tradition » (p. 25). Dans ce cadre, il ne faut pas négliger l’attitude ces
jeunes face à l’école (souvent coloniale) et à la langue (la leur et celle des colonisateurs)
et de toute la cohorte de préjugés qui l’accompagnent. Je citerai à titre d’exemple :
« On peut très certainement s’inquiéter des conséquences à moyen terme d’undiscours hégémonique et normalisant qui présente indubitablement l’envers obligéde l’école et de la scolarisation comme étant l’ignorance, la pauvreté et le sous-développement. » (p. 29)
5 C’est ce que nous avions montré largement pour l’attitude des Kanak de Nouvelle-
Calédonie face au développement et les jugements et a priori européens en la matière
(Leblic, 1993), ouvrage dans lequel nous insistions déjà, comme Laurent Jérôme dans le
présent ouvrage, sur le fait que la tradition est un concept largement occidental et,
comme le rappelle ici Sylvie Poirier avec Laurent Jérôme, sur le fait qu’il ne faut pas
« confondre “traditionnel” et “traditionaliste” ni reprendre le faux débat sur
l’authenticité (p. 30). Nous ne pouvons qu’être en total accord avec les propos de
Sahlins (1993) tels que présentés par Sylvie Poirier, insistant sur le fait que « d’un point
de vue anthropologique, l’authenticité et la spécificité […] doivent être recherchées
dans la façon dont les sociétés changent, qu’elles s’approprient les éléments empruntés
et relisent les éléments existants » (p. 31). Ce que nous avions présenté à l’époque
comme le fait que « la tradition est l’ensemble du système social kanak qui non
seulement n’est pas figé, mais est en perpétuelle évolution, adaptation,
transformation », qu’elle peut être « aussi réinterprétée et utilisée » et que c’est cela
qui fait qu’une société est vivante et dynamique (1993 : 19).
6 Dans le cadre de ce compte rendu dans le Journal de la Société des Océanistes, nous ne
parlerons que des articles parlant des autochtones océaniens. Notons juste que ce
recueil comporte aussi quatre autres contributions très intéressantes, celle de Marie-
Pierre Girard sur « La négociation de l’enfance dans les rues de Quito : les jeunes
quechua face à l’idéal de l’UNICEF » (pp. 37-60), celle de Laurent Jérôme, « Les voix du
tambour : traditions et innovations musicales chez les jeunes Atikamekw
Nehirowisiwok, Québec » (pp. 123-144), celle de Marie-France Labrecque, « La
construction sociale de la jeunesse chez les Mayas du Yucatán, Mexique » (pp. 145-164)
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et celle de Sabrina Melenotte, « Jeunesse européenne et zapatiste : une rencontre
solidaire et alter-native » (pp. 165-190).
7 Ainsi, deux articles parlent des Kanak de Nouvelle-Calédonie : Sophie Barnèche
présente les « stratégies et processus de construction identitaires des jeunes
Mélanésiens à Nouméa » dans ce qu’elle nomme les « quartiers-tribus », lieux d’une
revitalisation identitaire : pp. 61-78) et Marie Salaün pose dans son texte la question de
savoir si la parentalité kanak est aujourd’hui disqualifiée ou comment « être jeunes
parents kanak en Nouvelle-Calédonie » (pp. 79-96) ; dans un troisième papier, Natacha
Gagné revient sur le cas des étudiants maaori à l’université qu’elle voit comme « un site
d’affirmation et de négociation de la coexistence pour les jeunes maaori de Nouvelle-
Zélande » (pp. 97-122). Toutes trois parlent de l’imposition de la vie citadine à ces
jeunes autochtones, à Nouméa comme à Auckland, de leurs problèmes d’apprentissage
et de langues dans l’école coloniale et de leur insertion dans une société dominante
issue de la colonisation.
8 Sophie Barnèche montre ainsi comment les jeunes kanak des quartiers urbains
continuent, malgré leur insécurité linguistique – la langue est un des critères de
différenciation entre les jeunes et les aînés –, de se définir et de s’identifier par rapport
à leurs parents qui habitent toujours le territoire tribal de leur origine dans ce qui
constitue à leur yeux un refuge face à un certain sentiment de rejet de la société
dominante (p. 68). Mais le quartier leur permet aussi de renverser l’image négative
qu’ils ont comme « mec de Nouméa » vis-à-vis de ceux des tribus et de se reconstruire
une identité valorisante en s’appropriant cette urbanité (p. 70). Marie Salaün quant à
elle revient sur la distinction des Kanak d’aujourd’hui en trois générations : les
« vieux » qui ont vécu l’Indigénat qui s’est terminé en 1946, les adultes qui ont connu
les événements de 1984-1988 et qui ont milité parfois depuis les années 1970, et les
jeunes qui sont tous nés actuellement après les événements. Les jeunes parents kanak
qui ont grandi à Nouméa ne maîtrisent pas forcément leur langue maternelle et se
sentent ainsi disqualifiés pour tout ce qui concerne la culture kanak (discours
coutumiers, transmission du savoir à leurs enfants…). Enfin, Natacha Gagné affirme que
l’apparition de la catégorie sociale des jeunes s’est faite en même temps que celle des
aînés, en comparaison aux groupes d’âge préexistants dans la société Maaori, ce qui est
souvent le cas dans les sociétés traditionnelles. Après avoir présenté qui sont les
étudiants maaori de l’université d’Auckland et les filières suivies par eux, elle montre
comment l’université devient pour eux un lieu d’affirmation identitaire et de
résistance, à travers un groupe de danse kapa haka qu’ils considèrent comme leur
« famille étendue » whaanau (p. 111) et leurs pratiques au marae de l’université ; ce qui
n’empêche pas l’université d’être un lieu d’interrelation aux autres, non maaori
compris.
9 Cet ouvrage, intéressant à plus d’un titre, est à rapprocher du volume d’Anthropologie et
société sur les « citoyennetés » coordonné en partie également par Natacha Gagné. On y
retrouve une partie des mêmes auteurs, Marie Salaün (avec Jacques Vernaudon) et
Sylvie Poirier. Et, à mon sens, il aurait été profitable de rassembler les deux thèmes en
un seul. Car parler de citoyenneté dans ces sociétés océaniennes ayant vécu la
colonisation occidentale ne peut à mon sens se faire sans parler d’autochtonie et, en la
matière, les jeunes ont un rôle important à jouer dans ces constructions pour les
années à venir. C’est ce que nous pensons pour la Nouvelle-Calédonie (voir entre autres
Leblic, 2007).
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BIBLIOGRAPHIE
GAGNÉ Natacha et Catherine NEVEU (éds), 2009. Citoyennetés, Anthropologie et sociétés33-2, pp. 1-221.
LEBLIC Isabelle, 1993. Les Kanak face au développement. La voie étroite, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble, 412 p.
—, 2007. Kanak identity, new citizenship building and reconciliation in New Caledonia, Journal de
la Société des Océanistes 125, pp. 271-282.
SAHLINS Marshall, 1993. Goodbye to Tristes Tropiques. Ethnography in the Modern World History,
Journal of Modern History 65, pp. 1-25.
NOTES
1. Il est paru quelques mois après le volume 33-2 d’ Anthropologie et sociétésconsacré au
thèmeCitoyennetéset coordonné parNatacha Gagné et Catherine Neveu.
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La France dans le Pacifique Sud. Lesenjeux de la puissancedeNathalieMrgudovicRaymond MAYER
RÉFÉRENCE
MRGUDOVIC Nathalie, 2009, La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, Paris,
L’Harmattan, 437 p., préface de Michel Rocard, bibliogr., index.
1 Il ne suffit sans doute pas d’une préface d’un ancien Premier ministre de la République
française pour avaliser le contenu d’une thèse de doctorat de science politique. Mais la
signature de Michel Rocard apporte indéniablement à ce travail universitaire un label
qui souligne l’intérêt qu’un chef de gouvernement des années 1988-1993 y a pris et le
rôle qu’il a personnellement joué sur le terrain géopolitique océanien pendant cette
période. La thèse du livre se rapporte précisément au renversement de positionnement
de la France dans le Pacifique Sud examiné sur une période de quarante ans, de 1966 à
2006. Nathalie Mrgudovic s’est proposé, dans le cadre de cette thèse soutenue à l’IEP de
Bordeaux, de refaire l’histoire des relations diplomatiques de la France en Océanie
pendant une période cruciale d’essais atomiques, en étudiant de manière systématique,
tout en suivant un ordre grosso modo chronologique, les différentes phases de
l’inversion de tendance en faveur de la France. Au-delà du signalement des péripéties
qui l’ont marquée, l’auteur y exerce, comme il se doit, ses talents d’analyste politique.
2 Le plan de la thèse obéit au principe diachronique et à celui d’un découpage standardisé
(mais toujours efficace) en trois étapes. Et, suivant un autre principe bien établi dans la
science historique, chaque étape se voit assigner un intitulé thématique qui est censé
en définir l’essentiel du vécu historique de l’époque, le tout dans une posture a
posteriori qui fait les délices des sciences humaines ! Passons !
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3 La première partie est ainsi thématiquement lue comme celle des « Fondements de la
présence française dans le Pacifique Sud », la deuxième comme celle des « Enjeux de la
contestation régionale », et la troisième comme celle d’ « Une puissance acceptée ».
Bref le renversement en trois actes, le tout orchestré sous la baguette démiurgique d’un
Premier ministre de République française.
4 Chaque partie est « travaillée » en deux chapitres, ce qui donne une ossature
d’argumentaire un peu carrée, mais destinée à susciter l’adhésion unanime d’un jury de
thèse normalement constitué. Évidemment, et c’est le propre de toute thèse qui souffre
d’engendrer une antithèse, on pourrait contester le concept de « fondement » comme
légitimation de la présence annexionniste d’un État tiers dans un jeu de quilles
océanien. L’histoire ne saurait « fonder » aucune légitimité, quelle qu’elle soit. Cela dit,
on se rappellera avec l’auteur de la thèse que le Pacifique fut, comme d’autres
continents, l’enjeu de puissances coloniales rivales, mais la « rivalité contrainte »
(p. 68) n’excuse pas l’absence de « grand dessein » (p. 69). Le deuxième chapitre de la
première partie est entièrement consacré à l’intérêt nucléaire qui s’est historiquement
dessiné dans le Pacifique, à la suite de la « perte » de l’Algérie par le pavillon tricolore.
La doctrine de la « dissuasion » est bien récapitulée dans ses arguments dirimants à
l’époque, mais susceptibles d’être mis en doute à une époque ultérieure, en fonction de
l’évolution de la situation politique mondiale et des blocs stratégiques en présence.
5 La deuxième partie nous replonge à l’époque où l’on pouvait lire sous les ponts de
chemins de fer néo-zélandais « French go home », faisant alors écho aux « US go
home » qui fleurissaient dans les espaces publics de l’Hexagone vivant à l’heure de la
guerre du Vietnam. Dans un classement des faits chapitré en deux catégories, celle de
l’homogénéité et celle de l’hétérogénéité, l’auteur détaille dans sa deuxième partie de
thèse les diverses phases de la contestation généralisée qui a marqué les années 1970 à
1990 contre la France, en notant le paroxysme qui semble avoir été atteint autour de la
dernière « campagne » d’essais nucléaires français sous le premier mandat présidentiel
de Jacques Chirac. Indépendamment de l’artifice de la forme, on pourra, là aussi,
ergoter sur des expressions un peu dilettantes du traitement du Pacifique Sud comme
d’un « lac nucléaire » sur l’air de « mare nostrum », ou de la Polynésie comme dernier
« désert » français. Mais on prendra un intérêt certain à lire l’analyse de Nathalie
Mrgudovic sur la montée en puissance du droit international de la mer et sur les
conséquences connues de ce nouvel état de fait dans le Pacifique.
6 Sur ce thème précis du droit de la mer (pp. 86-99), l’auteur développe le rôle
prééminent exercé par le gouvernement des Fidji (p. 88-90) pour faire aboutir cette idée
qui étend d’un coup les espaces maritimes d’une terre de 19 103 km2 (la Nouvelle-
Calédonie) à 1 740 000 km2, de 3 521 km2 (la Polynésie française) à 5 030 000 km 2, ou
encore de 255 km2 (Wallis-et-Futuna) à 271 050 km 2, soit la moitié du territoire
métropolitain ! Un tableau récapitule toutes les données utiles en cette matière. Il est
signalé aussi que des États importants (USA par exemple) n’ont pas encore ratifié le
traité, et que d’autres ont émis des restrictions juridiques à son application. Un traité
vaut ce que valent les intentions réelles de ses signataires, indépendamment des textes
strictement signés !
7 La troisième partie passe au peigne fin l’heureuse transformation des rapports franco-
océaniens à partir de la décennie 1990. À ce moment, l’action personnelle du Premier
ministre Rocard a indubitablement fait retomber les effets du dramatique dérapage
institutionnel engendré par les « événements » de Nouvelle-Calédonie, mais c’est
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surtout la fin déclarée et réalisée des essais nucléaires qui amène un nouveau deal dans
les relations franco-océaniennes. Derrière le constat primaire, il est effectivement
intéressant de faire l’analyse historique détaillée des processus qui ont généré une
nouvelle répartition des accords entre puissances riveraines et puissances extérieures.
De ce point de vue, la thèse de Nathalie Mrgudovic a tout le mérite d’exister, ne serait-
ce que comme capacité critique vis-à-vis de décisions politiques, qui ne souvent
appréhendées dans leur contexte historique que longtemps après les faits.
8 Je voudrais aussi souligner l’intérêt tout particulier des douze annexes qui procurent
une documentation riche et abondante concernant non seulement les essais atomiques
français, mais également sur l’évolution statutaire des territoires du Pacifique accédant
progressivement à leur souveraineté internationale, pendant la période incriminée. Sur
le premier thème, on a droit au schéma type d’un forage souterrain pour y tester les
effets d’une explosion nucléaire, on a le tableau récapitulatif de tous les essais conduits
sur les sites de Mururoa et Tangafua, et la carte des zones censément dénucléarisées de
la planète après les traités successifs de l’Antarctique, de Tlatelolco, de Rarotonga, de
Bangkok et de Pelindaba. Sur le second thème, on découvrira la composition et l’année
d’adhésion des territoires (indépendants ou non) à la Commission du Pacifique Sud, de
même au Forum des Iles, et une mise à jour des statuts souvent complexes (e.g. the
United States Unincorporated Territory of Guam) de ces mêmes territoires. Bref, l’intérêt du
livre est non seulement au cœur de son développement, mais aussi en marge du débat
principal.
9 Entre l’ouvrage d’Alain Babadzan qui est recensé ici et celui de Nathalie Mrgudovic, on
ne peut manquer de saisir la différence entre le traitement anthropologique d’un
ensemble géopolitique et son traitement correspondant en science politique. On a d’un
côté une multilatéralité de perspectives qui se trouve développée sur le thème en
présence, et de l’autre un regard scientifiquement focalisé sur une unilatéralité de
perspective. Les deux approches sont également respectables et il n’est pas question
pour moi de renier la fécondité de l’une et l’autre démarches, mais il est clair que l’on
peut se sentir à l’étroit dans une perspective par trop « nationale ».
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Die Société commerciale de l’Océanie(1876-1914). Aufstieg und Untergang derHamburger Godeffroys in Ost-Polynesien de Claus GOSSLER
Gilles Bounoure
RÉFÉRENCE
GOSSLER Claus, 2006. Die Société commerciale de l’Océanie (1876-1914). Aufstieg und
Untergang der Hamburger Godeffroys in Ost-Polynesien, Bremen, MontAurum Verlag,
592 p., bibliogr., annexes, 28 ill. noir et blanc, 6 cartes.
1 Pour ceux des océanistes qui le connaissent, le nom de Godeffroy évoque avant tout la
firme hambourgeoise qui fut la première à investir durablement et massivement le
Pacifique, entre l’installation d’un comptoir à Apia (Samoa) en 1857 et la faillite de
Godeffroy & Sohn en 1879, peu avant les négociations diplomatiques d’où allait émerger
l’empire colonial allemand dans le Pacifique, dont cette firme avait fondé les premiers
postes avancés. Ce nom peut aussi leur rappeler le musée privé fondé à Hambourg par
Johann Cesar VI Godeffroy, fourni en « curiosités » de tous ordres, « artificielles »
autant que « naturelles », par les capitaines de ses bateaux, afin de présenter au public
« une image complète » des mers du Sud, et qui rassembla, selon l’appréciation d’Adolf
Bastian, directeur du musée ethnographique de Berlin, « une des plus magnifiques
collections en ce domaine ». Après la faillite de 1879, cette collection fut vendue par
lots à des musées allemands, selon leurs moyens respectifs ou l’intérêt qu’ils y portaient
(voir le travail d’H. Glenn Penny, absent de la bibliographie de Cl. Gossler), le musée de
Leipzig finissant d’acquérir tout ce qui en subsistait après la mort en 1885 de Johann
Cesar VI.
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2 Or le neveu de celui-ci, Gustav Godeffroy Jr, avait trouvé à s’établir à Tahiti, à s’y marier
avec une des filles Brander et à développer en association avec d’autres une firme qui
se maintint pendant près de quarante ans, la Société Commerciale de l’Océanie (SCO).
C’est l’histoire de ce « joint-venture » paradoxal que Claus Gossler étudie ici, avec
maints autres sujets, sous un titre franco-allemand propre à susciter l’étonnement et la
curiosité. L’ouvrage (dont la rédaction du JSO n’a appris l’existence que tardivement) est
lui-même d’aspect austère, imprimé en petits corps avec des marges réduites au
minimum et plus de 2 500 notes infrapaginales. Cette mise en pages ponctuée
d’illustrations souvent illisibles souligne peut-être (mais dessert surtout) la minutie
d’analyse et l’ampleur exceptionnelle de la documentation de cette dissertation
doctorale récompensée par l’université de Hambourg en 2005. Le volume est dépourvu
d’index, mais sa table des matières très détaillée permet de repérer sans peine les
principaux thèmes et protagonistes de cette somme, qui excède largement le seul
domaine des « sciences économiques et sociales » (ou de « l’histoire des entreprises »
ainsi qu’écrit l’auteur p. 15) pour déboucher sur un impressionnant tableau d’histoire
« totale ».
3 Issu lui-même d’une vieille famille de négociants hambourgeois, Claus Gossler a eu la
fortune, au terme d’une longue carrière dans le commerce international, de se voir
ouvrir les archives familiales d’un ami (arrière petit-fils de Gustav Jr) et d’y découvrir
les activités de la SCO, que mentionnaient certes les ouvrages consacrés à l’histoire de
Tahiti qu’il consulta ensuite, mais sans en suggérer l’importance. Il s’est alors lancé
dans l’exploration et l’exploitation des archives de la firme, conservées principalement
au Staatsarchiv der Freien und Hansestadt Hamburg, complétées de multiples lectures
pour en restituer le contexte et la portée. D’autres chercheurs dépourvus de
l’expérience professionnelle, de l’« intelligence des affaires » et du sens des « réalités
économiques » acquis par l’auteur auraient-ils su aussi bien mettre en œuvre ces
matériaux ? Il était non seulement le mieux à même d’en tirer un parti utile à tous,
mais il est allé très au-delà de cet objectif, et il est significatif que les recensions parues
jusqu’à présent n’aient trouvé à reprocher à ce livre, du point de vue de l’histoire
générale du Pacifique, qu’un minime anachronisme (« Samoa occidentales » pp. 23 et
43, au lieu de « Samoa indépendantes »). On pourrait y ajouter quelques inadvertances,
très peu nombreuses et presque inévitables dans un travail de cette ampleur (ainsi de la
ligne « Neukaledonien » inutilement répétée dans le tableau de la p. 228). D’autres
critiques trouveront peut-être à se préciser quand les lecteurs en sauront autant ou
plus que l’auteur, mais ce n’est pas pour demain.
4 Après une introduction et des considérations de méthode (ch. 1), l’ouvrage étudie la
création de la SCO à partir de l’Allemagne et des Samoa (ch. 2), la zone d’intérêt
économique qu’elle s’arroge (ch. 3, extraordinaire et passionnante enquête de
géographie humaine sur la Polynésie orientale, voir par exemple la section « Die
Chinesen und das Opium » ou celles qui concernent le gouverneur des Établissements
français de l’Océanie), l’histoire des dirigeants et associés de la firme (où le « clan
Salmon-Brander » joua un rôle décisif, ch. 4), l’activité principale que représentaient les
comptoirs (ch. 5), le commerce des produits d’importation (ch. 6), les principaux
produits exportés (ch. 7), le déclin des plantations (ch. 8), la concurrence (ch. 9), la
circulation des marchandises (ch. 10), les activités accessoires et biens immobiliers de
la SCO (ch. 11), les relations entre Français et Allemands à Tahiti (ch. 12), la biographie
et la personnalité des collaborateurs de la SCO (ch. 13), ses clients et fournisseurs (ch.
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14), son réseau de relations avec Hambourg (ch. 15), la Première Guerre mondiale et ses
conséquences (ch. 16). Suivent des conclusions sur l’histoire de la SCO, son ascension et
son déclin (ch. 17), un commentaire final sur les principales phases de cette histoire
(18) et d’abondants appendices (19).
5 Ce sommaire donnera peut-être un aperçu de l’intérêt d’un livre dont l’apport
documentaire et l’acuité d’analyse sont impossibles à détailler ici. Il réunit une somme
tout à fait étonnante de données factuelles ou statistiques, locales aussi bien
qu’internationales, restées jusqu’à présent inédites ou confidentielles, et qui devraient
au moins servir de repères ou d’éléments de comparaison à tous les spécialistes amenés
à s’intéresser au Pacifique dans sa dimension « historique », c’est-à-dire quand les
Blancs y eurent importé non seulement leur Histoire, mais leur économie non moins
envahissante, ce que montre si bien ici Cl. Gossler (voir par exemple pp. 283-295 la
douzaine de pages indispensables qu’il consacre aux îles Marquises, où la SCO dégageait
des marges de 20 à 30 %). Ce volume devrait ainsi constituer rapidement un ouvrage de
référence, où les historiens stricto sensu trouveront nombre de sujets de réflexion et
d’hypothèses inédites, notamment en matière de « périodisation » de l’aventure de la
SCO, et plus largement de l’entrée de l’Océanie dans l’économie des grands Empires
coloniaux. Le sous-titre du livre (« essor et déclin ») n’est pas sans évoquer Gibbon,
Montesquieu ou Balzac, et il invite aussi à tenir compte de sa leçon d’histoire
économique, et particulièrement de ses dimensions politiques et morales, dans les
débats sur le développement qui s’imposent aujourd’hui à l’Océanie comme au reste du
monde.
BIBLIOGRAPHIE
PENNY H. Glenn, 2000. Science and the Marketplace: The Creation and Contentious Sale of the
Museum Godeffroy, Pacific Arts 21-22: Oceanic Art and Wilhelmine Germany, pp. 7-22.
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James Cook and the Exploration of thePacificdirigé par Adrienne L. KAEPPLER
Gilles Bounoure
RÉFÉRENCE
KAEPPLER Adrienne L. (ed.), 2009. James Cook and the Exploration of the Pacific, Londres,
Thames & Hudson, 276 p., bibliogr., 530 illustrations en couleur.
1 Ce très important catalogue, qu’un service de presse remarquable d’attention et de
courtoisie a permis à la rédaction du JSO de consulter aussi (sous forme électronique)
dans sa version allemande (James Cook und die Entdeckung der Südsee, éditée à Munich par
Hirmer Verlag pour le compte des musées organisateurs), accompagne la grande
exposition présentée sous le même titre à la Kunst- und Ausstellungshalle fédérale de
Bonn (Allemagne) en collaboration avec l’Institut für Ethnologie de l’université de
Göttingen et avec le concours du Kunsthistoriches Museum et du Museum für
Völkerkunde und Österreichisches Theatermuseum de Vienne (Autriche) et de
l’Historisches Museum de Berne (Suisse). De Bonn, où le public a pu la visiter du 28 août
2009 au 28 février 2010, elle devait gagner Vienne (du 10 mai au 13 septembre) puis
Berne (du 7 octobre 2010 au 13 février 2011), de sorte qu’elle sera encore visible pour
nos lecteurs qui en auraient la possibilité.
2 Annoncés de longue date, cette exposition et son catalogue avaient fait l’objet
d’attentes excessives, qui ont suscité des critiques parfois exagérées sinon injustifiées.
Cette manifestation ne devait-elle pas réunir tous les objets aujourd’hui recensés
comme rapportés par Cook et ses compagnons, ainsi que des rumeurs l’avaient fait
escompter ? Tel pouvait être sans doute le vœu d’Adrienne L. Kaeppler et de tous ceux
qui, à la suite de ses inestimables travaux d’inventaire (1978a et 1978b), ont contribué à
élargir ce nouveau domaine de connaissance, l’histoire des premières collections
occidentales d’objets du Pacifique. Mais si les progrès enregistrés en plus de trois
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380
décennies de recherches permettent certainement d’envisager aujourd’hui un projet de
cette ampleur, les moyens alloués aux musées susceptibles de participer à une
entreprise aussi coûteuse sont loin d’avoir augmenté à proportion… ainsi qu’on peut
dire par euphémisme.
3 À mettre en regard la liste des prêteurs de cette exposition (p. 11) et celle de
l’exposition de 1978 (Kaeppler, 1978a : XV), la persistance ou l’aggravation en 2009 de
telles difficultés « matérielles » semble expliquer l’absence à Bonn d’objets issus des
collections publiques suédoises, russes, irlandaises, néo-zélandaises, et de plusieurs
musées des États-Unis d’Amérique, pourtant présentés jadis à Honolulu. La liste des
institutions britanniques mises à contribution est un peu plus longue pour l’exposition
de Bonn que pour la précédente (et légèrement différente, le musée de Liverpool et le
Saffron Walden Museum n’y figurant plus). Mais c’est surtout l’accroissement
considérable de la participation des collections publiques d’Allemagne, d’Autriche et de
Suisse (une vingtaine contre deux en 1978) qui donne sa marque à l’exposition de 2009,
sinon même sa raison d’être. Le catalogue s’ouvre sur un avant-propos assurant (p. 9)
qu’environ « la moitié de l’ensemble des objets ethnographiques collectés lors des
voyages [de Cook] se trouvent aujourd’hui » dans ces trois pays germanophones, au
public desquels s’adresse évidemment d’abord l’exposition.
4 L’illustration du catalogue a fait l’objet de réserves malheureusement mieux fondées.
Parfois répétitive, à l’instar du portrait de Cook par Nathaniel Dance (p. 79 et p. 120,
mais aussi p. 17 et en couverture) ou de celui de Banks par Benjamin West (p. 61 et p.
168), elle est insuffisamment précise pour de nombreux objets de premier intérêt.
Parmi les cas les plus flagrants, une boîte à trésor maori (wakahuia) du British Museum
(Oc. NZ 113) se trouve reproduite au 1/6e (n° 208 p. 175), sans permettre de saisir ce que
l’ornementation de son couvercle révèle de l’interpénétration des styles régionaux à la
fin du XVIIIe siècle, comme l’affirme la notice à la suite de ce qu’en avait écrit Roger
Neich (mais sans signaler cet emprunt). L’objet était mentionné mais non photographié
dans le catalogue d’Honolulu (Kaeppler, 1978a : 181), reproduit au 1/4e mais peu
lisiblement dans Starzecka (1996 : 97, n° 61, avec le commentaire précité de R. Neich) et
il n’est visible en détail et de façon intelligible que grâce aux treize vues qu’en offre
depuis peu la base électronique du British Museum.
5 Entre maints autres cas de ce genre relevés par les connaisseurs, le catalogue (n° 338 p.
206) prétend reproduire une massue de Tonga (’akau tau ou apa’apai) ayant
probablement appartenu à Paulaho, le Tu’i Tonga qui accueillit Cook et auprès duquel
ce dernier l’a sans doute acquise. A. L. Kaeppler avait jadis souligné l’intérêt
exceptionnel de cet objet, non seulement comme relique historique, mais pour les cent
douze gravures figuratives qui l’ornent et offrent - répète-t-elle dans la notice qu’elle
lui consacre ici (voir aussi ce qu’elle en écrit p. 60) - une « histoire visuelle relative au
Tu’i Tonga, contée du point de vue des insulaires ». Aujourd’hui propriété d’un
important collectionneur et marchand, qui en a publié deux photographies plus
précises (Blackburn, 1999 : 196-197), cette massue longue de 111 cm se trouve ici
réduite à 6,8 cm (soit à moins du 1/16e ). Elle ne paraît être là que pour faire nombre
avec cinq autres massues tongiennes de longueurs voisines, méritant probablement
elles aussi un regard plus attentif, et figurées également pour mémoire, à la même
échelle, à peine mieux que de grands timbres-poste.
6 À côté des trop nombreux objets que ce catalogue ne reproduit pas à hauteur de leur
intérêt, maintes pages, souvent splendides, évoquent de façon inédite les aspects
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multiformes des explorations du Pacifique successivement emmenées par Cook. Tout
comme les sextants, chronomètres et autres instruments de navigation, les pièces ou
les planches d’histoire naturelle y font l’objet d’une attention remarquable (par
exemple les pp. 162-163, mettant en regard, pour deux taxons essentiels, Piper
methysticum et Casuarina equisetifolia, et à échelle très lisible, les dessins de Sydney
Parkinson et les gravures aquarellées qui en furent tirées). D’autres vestiges historiques
déjà connus se trouvent mieux mis en valeur, à l’instar du pourpoint en tapa de Tahiti
cousu et brodé par l’épouse de Cook en attendant le retour de son troisième voyage (pp.
124-5, n° 13, à comparer avec Kaeppler 1978a : 281-282). Sans surpasser celle du
catalogue de 1978 dans le domaine ethnographique, l’illustration du catalogue de 2009
montre largement mieux les autres dimensions de ces voyages, dont la collecte d’objets
n’était certainement pas un des objectifs principaux.
7 C’est à un jugement également nuancé qu’invite la lecture des textes et notices dus à
plus d’une quarantaine de collaborateurs (Stephan Augustin, Jonathan Betts, Hans
Erich Bödeker, Gloria Clifton, Jeremy Coote, Richard Dunn, Christian Feest, Robert
Fleck, Anita Gamauf, Rachel Giles, John Graves, Sabine Haag, Volker Harms, Brigitta
Hauser-Schäublin, Dieter Heintze, Michelle Hetherington, Rebekah Higgitt, Gillian
Hutchinson, Rocky K. Jensen et Lucia Tarallo Jensen, Maia K. Jessop, Peter Jezler,
Margaret Jolly, Rudiger Joppien, Adrienne L. Kaeppler, Gundolf Krüger, H. Walter Lack,
Maryanne Larkin, David Luders, Judith Magee, Ulrich Menter, Jeremy Mitchell, Ernst
Mikschi, Henriette Pleiger, Thomas Psota, Roger Quarm, Uwe Quilitzch, Nigel Rigby,
Margot Riley, Anne Salmon, Oliver R. Scholz, Verena Stagl, Simon Stephens, Paul
Tapsell, Martin Terry, Barbara Tomlinson, Salote Pilolevu Tuita, Rainer Willmann). Des
notices, généralement très bien informées, on a déjà relevé qu’elles omettent de
mentionner les recherches antérieures, à l’inverse, notamment, de l’excellent travail
accompli autour de la collection Forster de Göttingen (Hauser-Schäublin/Krüger 1998).
Sans doute dicté par des mesures d’économie, ce parti pris n’aidera guère les lecteurs
spécialisés, ainsi contraints à de fastidieuses vérifications.
8 On ne saurait évoquer ici chacun des vingt-six articles qui précèdent le catalogue
proprement dit, organisés en quatre sections, la première dévolue à Cook, la deuxième
au climat psychosocial et au programme scientifique des Lumières, la troisième à l’
Endeavour et aux conditions de navigation, la quatrième aux rencontres entre
Européens et habitants du Pacifique (sujet déjà traité par au moins trois articles de la
première section…). Excédant rarement plus de six pages mais souvent pourvus
d’annotations, ils vont généralement au-delà des attentes du grand public en matière
de vulgarisation scientifique. À côté des trois articles de synthèse d’A. L. Kaeppler qui
font apprécier à nouveau son autorité et sa clarté d’exposition, plusieurs contributions
abordent des sujets neufs ou dont les chercheurs ne se sont saisis que récemment, à
l’instar des réflexions de M. Jolly à propos d’un probable tabou blanc concernant
l’homosexualité occidentale comme polynésienne (« Revisioning Gender and Sexuality
on Cook’s Voyages in the Pacific », pp. 98-102).
9 Parmi d’autres articles particulièrement frappants, ceux de Th. Psota (« John Webber -
Painter and Collector », pp. 66-68) et R. Joppien (« The Artists on James Cook’s
Expeditions », pp. 112-118) offrent des observations pénétrantes et souvent neuves sur
les images rapportées de ces circumnavigations et l’écho phénoménal qu’elles
rencontrèrent en Europe. Son titre ne le signale pas (« A New Zealand Maori
Perspective: Cook’s Three Voyages to Aotearoa Between 1768 and 1779 », pp. 26-28), P.
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Tapsell excelle à dégager le rôle décisif de truchement joué par le Tahitien Tupaia lors
du premier contact de Cook avec les Maori, et ce très bref article ouvre des perspectives
étonnamment larges et nombreuses. Il faudrait encore citer tous les auteurs, parmi
lesquels A. L. Kaeppler la première, qui mettent en évidence l’implication des élites de
l’Europe continentale dans ces campagnes d’exploration d’initiative britannique : d’où
leur retentissement exceptionnel dans les pays germanophones, que cette exposition a
cherché à souligner on ne peut plus légitimement, et efficacement semble-t-il aussi,
d’après ce qu’en ont rapporté les médias.
10 Il en restera ce catalogue dont l’usage n’est pas clairement défini. Comme ouvrage de
vulgarisation, il souffre de beaucoup d’omissions. Certaines institutions actuellement
dépositaires d’objets ethnographiques collectés par Cook et ses compagnons ne sont
pas mentionnées ou correctement signalées : ainsi du musée de Florence, dont
l’exposition présente pourtant quelques objets. Pour ceux de Saint-Pétersbourg et de
Cambridge, rapidement cités par A. L. Kaeppler dans l’article qu’elle consacre aux
collections historiques (« Enlightened Ethnographic Collections », pp. 55-60), on ne voit
pas quelle contrainte économique empêchait de renvoyer les lecteurs aux travaux (ou
publications électroniques) de L. G. Rozina (voir déjà Kaeppler, 1978b : 3-17) et de ses
successeurs pour le premier, et au bon catalogue récemment publié par le second
(Tanner 1999). La bibliographie, réduite aux ouvrages cités par les contributeurs, omet
le travail pionnier de Moschner (1966 [1955]) sur les objets conservés à Vienne et
abondamment présentés dans l’exposition, alors qu’elle mentionne celui de Söderström
(1939) sur les objets de Stockholm absents de cette manifestation… Autant
d’incohérences et d’oublis dont les spécialistes sauront peut-être s’accommoder mieux
que le grand public ici privé des repères indispensables.
11 Comme y insistent souvent les gens de métier, la réalisation d’une exposition, surtout
de taille internationale comme celle-ci, ne va jamais sans une succession d’arbitrages et
de compromis toujours matières à grief ou à insatisfaction. Les visiteurs qu’il a été
possible d’interroger à leur retour de Bonn se disaient éblouis par l’abondance et la
qualité des objets exposés, et comblés d’avoir pu les contempler ainsi réunis peut-être
pour la seule fois de leur vie. Du catalogue, en laissant de côté les menues imperfections
difficilement évitables dans un ouvrage de cette ampleur (ainsi p. 58 d’un objet du Pitt
Rivers Museum d’Oxford attribué aux collections de Göttingen…), il faut certainement
retenir qu’il constitue un peu moins un travail de vulgarisation à destination du grand
public qu’une entreprise de synthèse à l’usage de lecteurs plus spécialisés, avec des
coups de sonde du côté de certaines questions qui s’imposent aujourd’hui, après plus de
trente ans de recherche - incursions qui en rendent souvent la lecture passionnante. On
retiendra sans doute aussi le tour de force qu’aura exigé sa réalisation par une équipe
aussi nombreuse, et qui aura réussi à livrer, avec ce volume, un des plus beaux et des
plus consistants livres d’histoire qu’aient suscités les voyages de Cook.
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BIBLIOGRAPHIE
BLACKBURN Mark, 1999. Tattoos from Paradise. Traditional Polynesian Patterns, Atglen, Schiffer
Publishing Co.
HAUSER-SCHÄUBLIN Brigitta and Gundolf KRÜGER (s. d.), 1998. James Cook. Gifts ans Treasures from the
South Seas-Gaben und Schätze aus der Südsee, Munich-New York, Prestel.
KAEPPLER Adrienne L., 1978a. « Artificial Curiosities ». An Exposition of Nativc Manufactures Collected on
the Three Pacific Voyages of Captain James Cook, R. N., Honolulu, Bishop Museum Press.
KAEPPLER Adrienne L. (ed.), 1978b. Cook Voyage Artifacts in Leningrad, Berne and Florence Museums,
Honolulu, Bishop Museum Press.
MOSCHNER Irmgard, 1966. Die Wiener Cook-Sammlung. Südsee-Teil. Stuttgart, Wilhelm Braumüller
(première édition en 1955 dans Archiv für Volkerkunde, Band X, pp. 136-253).
SÖDERSTRÖM Jan, 1939. A. Sparrman’s Ethnographical Collection from James Cook 2nd Expedition (1772-1775),
Stockholm, Statens Etnografiska Museum.
STARZECKA D. C. (ed.), 1996. Maori Art and Culture, London, British Museum Press.
TANNER Julia, 1999. From Pacific Shores. Eighteenth-century Ethnographic Collections at
Cambridge. The Voyages of Cook, Vancouver and the First Fleet. Cambridge, University of
Cambridge Museum of Archaeology and Anthropology.
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Ethnographische Ergebnisse ausMelanesien, I. Reisebericht. Diepolynesischen Inseln an der OstgrenzeMelanesiens, II. Die westlichen Inselndes Bismarck-Archipels de THILENIUS
GeorgGilles Bounoure
RÉFÉRENCE
THILENIUS Georg, 2008. Ethnographische Ergebnisse aus Melanesien, I. Reisebericht. Die
polynesischen Inseln an der Ostgrenze Melanesiens, II. Die westlichen Inseln des
Bismarck-Archipels, Abhandlungen des Kaiserlichen Leopoldinisch-Carolinischen
Deutschen Akademie der Naturforscher 80, Band, Halle (fac-similé de l’édition de 1903,
Saarbrück, Fines Mundi Verlag), deux parties réunies sous un même volume in-quarto
relié, 366 p., 25 pl., carte, nombreuses illustrations dans le texte.
1 Les spécialistes de l’Océanie connaissent l’utilité des rééditions d’ouvrages anciens,
dont les volumes originaux, souvent tirés à petit nombre, ne se trouvent parfois que
dans de rares bibliothèques, peu commodes ou trop éloignées. Depuis les années 1970,
les chercheurs mentionnent de plus en plus fréquemment dans leurs bibliographies les
fac-similés de grands récits de voyage de chez Israel et Da Capo (Bibliotheca
Australiana) ou ceux de Kraus pour les bulletins et mémoires du Bishop Museum et
divers autres livres savants. Plus récemment, les techniques de reproduction numérisée
(dites « Computer To Plate ») ont conduit de nouveaux éditeurs à proposer des fac-
similés tirés à petit nombre, voire à la demande, avec plus ou moins de soin dans la
réalisation (ainsi de la réédition en 2009 de A Naturalist among the Head-Hunters… de
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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Charles Morris Woodford [1890], avec une carte illisible faute d’avoir été reproduite
dépliée). En France même, L’Harmattan a inauguré une collection de « fac-similés
océaniens » dirigée par Frédéric Angleviel, dont l’intérêt et la qualité ont été soulignés
chaque fois que possible dans ces colonnes.
2 Les éditions Fines Mundi, fondées il y a un peu plus d’un lustre par le Dr Rolf Kittler et
spécialisées dans l’ethnographie et les récits de voyages, ont diverses particularités
méritant qu’on les signale aux océanistes. Elles ont pour origine un atelier de reliure,
dirigé par la même famille depuis trois générations, et dont les activités se poursuivent
notamment grâce aux rééditions de Fines Mundi. Ainsi s’explique que ces fac-similés
soient tous proposés sous une, deux, trois ou quatre reliures différentes, plus ou moins
luxueuses d’aspect et sans grand surcoût de l’une à l’autre, mais avec des qualités de
finition et de robustesse passablement rares aujourd’hui. Les ouvrages proposés par le
catalogue, qui compte déjà plus de 1 600 titres, figurent eux aussi le plus souvent au
nombre des raretés ou des classiques fort coûteux parce que convoités par beaucoup de
bibliothèques et de chercheurs. Plusieurs dizaines d’entre ceux qui concernent
l’Océanie peuvent être qualifiés d’« introuvables » auprès des libraires et de
nombreuses bibliothèques, du fait soit de leur langue (l’allemand le plus souvent, mais
il y a aussi des volumes en anglais, en français, etc.), soit de leur ancienneté, soit du
faible tirage de leur première édition.
3 Du livre de Georg Thilenius ainsi réédité, et ici complet de ses deux parties souvent
disjointes, on se bornera à rappeler quelle source documentaire unique il constitue
pour les « enclaves polynésiennes » situées au nord et à l’est de la Nouvelle-Guinée
(Ninigo, Kaniet, Nuguria, Sikaiana notamment), ainsi que pour l’archipel de l’Amirauté,
également visité par le médecin-ethnographe délégué par l’Académie des sciences de
Berlin, au cours de son périple de 1898-1899. Évidemment intéressé au premier chef par
tous les indices possibles d’influences culturelles ou de migrations de nature à
conforter les théories diffusionnistes alors en vogue chez les savants allemands, et très
préoccupé aussi d’anthropologie physique pour des raisons similaires, il ne s’en est pas
moins livré à des investigations attentives dans des domaines très variés, navigation,
horticulture, magie, mythes, linguistique etc., au moment même où ces îles entraient
dans un processus de « dépopulation » (et de déculturation) dont s’alarmerait le
gouvernement australien au cours des années 1920.
4 Plus remarquablement encore, le nom de Thilenius figure également au catalogue de
Fines Mundi avec la réédition quasi intégrale des Ergebnisse der Südsee-Expedition
1908-1910, herausgegeben von Dr. G. Thilenius, etc., soit tous les titres publiés entre 1908 et
1938 à Hambourg chez Friederichsen & De Gruyter, souvent en plusieurs tomes. Il y
manque encore le volume Nova Britannia publié en 1954 à Berlin par Otto Reche, mais à
ce travail d’anthropologie physique qui se ressent beaucoup des vues « raciologiques »
de cet auteur (et que ne possède pas la BNF !), on doit évidemment préférer son
premier grand travail, Der Kaiserin-Augusta-Fluss, publié en 1913, et dont la reproduction
par Fines Mundi est impeccable, exception faite des vues photographiques, nettement
plus précises sur la publication originale.
5 De Unter den Papuas de Bruno Hagen (1899, qui manque à la BNF) aux Südsee-arbeiten
d’Otto Finsch (1914) en passant par Eine Forschungsreise im Bismarck-Archipel de Hans
Vogel (1911) ou le rarissime album de Gunnar Landtman Ethnographical Collection from
the Kiwai District of British New Guinea in the National Museum of Finland (1933, qui manque
à la BNF), ce sont plusieurs dizaines de livres d’intérêt exceptionnel et souvent réédités
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pour la première fois que propose désormais Fines Mundi, avec une qualité de
réalisation remarquable à des tarifs aussi modérés. De l’exhumation de ces trésors
documentaires ainsi mis à la portée d’un plus grand nombre de bibliothèques et
d’océanistes, il n’est pas absurde d’attendre un certain renouveau des recherches, dont
on devra alors tenir quelque gré à Rolf Kittler et à Fines Mundi.
BIBLIOGRAPHIE
WOODFORD Charles Morris, 1890. A Naturalist among the Head-Hunters: Being an Account of three Visits
to the Solomon Islands in the years 1886, 1887, 1888, Kessinger Publishing.
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Trésors des îles Salomon. La collectionConru de Kevin Conru et DeborahWaiteGilles Bounoure
RÉFÉRENCE
CONRU Kevin et Deborah WAITE, 2008. Trésors des îles Salomon. La collection Conru,
photographies de Hugues Dubois, Milan, Éditions 5 Continents, 200 p., bibliogr., cartes,
130 illustrations.
1 Les publications illustrées dévolues aux arts traditionnels des îles Salomon restant fort
peu nombreuses, on ne trouvera pas mauvais qu’un collectionneur et marchand ait
donné l’occasion à l’une des meilleures spécialistes actuelles de ces arts de décrire la
centaine de pièces qu’il avait rassemblées au moment de la préparation de ce livre. Elles
offrent un échantillon assez éloquent de la diversité des styles, eux-mêmes soumis à
variations au cours de l’histoire, qui ont fleuri du nord-ouest au sud-est de cet archipel
étalé sur plus de mille milles. Comme peut aussi le rappeler ce livre, le public occidental
doit une très large part de sa connaissance des arts océaniens à des publications
d’initiative privée, généreuses pour certaines, clairement intéressées pour beaucoup
d’autres, tandis que les institutions publiques étaient et restent insuffisamment
pourvues pour publier dignement les objets qu’elles conservent, même à l’heure des
catalogues en ligne, non moins coûteux en temps de travail et d’étude que ceux de l’ère
Gutenberg. Il serait absurde de se priver par attitude hypercritique de la
documentation composite ainsi procurée, quoiqu’elle exige certainement un surcroît de
vigilance si l’on souhaite en tirer parti.
2 Le terme de collection dont le titre de ce volume se prévaut est également à apprécier
de façon nuancée. À titre commercial, Kevin Conru a fait paraître dans le dernier
numéro de la revue du musée Barbier-Mueller une photographie de détail d’un objet
des îles Salomon non décrit dans ce volume édité en 2008, et peut-être acquis
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ultérieurement (Conru, 2010 : 4). Cette pièce exceptionnelle, apparemment de première
importance pour la connaissance des arts du centre de l’archipel où l’on peine à
reconstituer la tradition des masques (au-delà par exemple du spécimen collecté en
1929 à Savo par Eugen Paravicini pour le musée de Bâle, Vb 6803), rejoindra-t-elle la
collection Conru, ou telle autre collection continuant aujourd’hui à se nourrir sur le
marché de l’art pour être publiée et vendue ensuite, à l’instar de ce qui s’est récemment
présenté comme la meilleure collection privée au monde d’objets de Nouvelle-Guinée ?
Pourtant ces collections en valent souvent bien d’autres ainsi dénommées dans les
musées. C’est au hasard des escales de l’HMS Curaçoa que fut rassemblée la « Julius L.
Brenchley Collection » du British Museum si utilement décrite en 1987 par Deborah
Waite pour ce qui concerne les arts des Salomon, et c’est la plupart du temps selon les
occasions du marché de l’art que se constituent ou s’augmentent la plupart des
collections d’aujourd’hui, publiques comme privées.
3 Comparé aux deux ouvrages précédents de D. Waite (1983, 1987) et aux rares
publications ayant pour sujet l’ensemble des arts des îles Salomon (dont un bon
catalogue d’un marchand d’art parisien [Carlier, 2001], oublié dans la bibliographie, p.
195sq.), ce volume présente un progrès manifeste, par le nombre et la qualité des
illustrations dues à Hughes Dubois, l’un des meilleurs spécialistes actuels de la
photographie d’objets, et par l’ampleur du texte continu qui les accompagne, tandis
que les légendes ne livrent que des indications minimales. Du fait de ce probable parti
pris de l’éditeur, D. Waite n’a pu consacrer aux pièces de cette collection le type de
notice détaillée qui faisait le prix de sa première publication (1983), au moins aux yeux
des spécialistes. Des descriptions approfondies n’auraient pas forcément découragé le
grand public, elles auraient même pu l’éclairer sur nombre d’objets réunis dans ce
volume, dont quelques-uns semblent inédits et dont d’autres sont au contraire connus
de longue date sur le marché de l’art. Par exemple, une sculpture anthropomorphe
accompagnée d’une figuration de chien, probablement destinée à la poupe d’un canot
de San Cristobal (n° 25 p. 57, le texte p. 62 parle de « proue ») avait été très
correctement photographiée et décrite dans un catalogue de vente (Christie’s Londres,
1er décembre 1982, lot 54, « small sections missing ») et il est dommage, dans une
publication de cette ambition, que les informations données voilà un quart de siècle et
les restaurations apportées à l’objet dans l’intervalle n’aient pas été signalées, même en
bas de page.
4 D’autres objets peu fréquents dans les collections publiques ou privées auraient eux
aussi mérité des précisions, tel le n° 75, bâton de danse Kwaio (ethnonyme que ne cite
pas D. Waite p. 131) de Malaita dont Pierre Maranda a collecté des spécimens plus
récents (dispersés à Paris dans la vente Sotheby’s du 15 juin 2004, lots 85 et suivants ;
voir aussi Kaeppler, Kaufmann et Newton, 1993 : 455, fig. 500). Les spécialistes seront
également déroutés par la numérotation obscure attribuée aux objets, ne reflétant
apparemment ni la chronologie de leur acquisition ni un essai de classement
typologique ou thématique, comme s’y efforce au contraire le texte de D. Waite, dont
c’est l’un des réels apports à la recherche. Tout en suivant un fil géographique
désormais classique menant de Nissan au nord-ouest à Santa Cruz au sud-est (avec des
excursions jusqu’à Rennel et Ontong Java), elle s’est attachée à distinguer trois
catégories d’objets, les sculptures anthropomorphes et zoomorphes, les « assemblages,
récipients et véhicules », et enfin « tous les objets qui représentent le statut social »,
boucliers, armes, outils, parures et moyens d’échanges.
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5 Elle ne dissimule pas les difficultés d’un tel classement, à commencer par les risques de
chevauchements et de redites. Elle marque également son embarras, ou plutôt les
lacunes des connaissances actuelles, à propos de sculptures anthropomorphes que
beaucoup de connaisseurs tiennent pour des créations coloniales. « L’authenticité d’une
œuvre n’est pas nécessairement dépendante d’une utilisation rituelle réelle », écrit-elle
prudemment à propos d’une figure masculine de Buka (p. 22 et n° 9 p. 24), que suivent
deux figurations féminines de Roviana (n°10 et 11, pp. 27-29) dont elle ne manque pas
d’interroger le « réalisme ». S’il semble à première vue folklorique et tardif, en rejeter
en bloc le témoignage ne serait qu’une facilité hypercritique, explique-t-elle en
substance. Voilà où cet ouvrage, plutôt destiné à faire connaître ces arts au grand
public, intéressera réellement les spécialistes, qui devraient également avoir plaisir à
découvrir ou à retrouver des objets excellemment photographiés, et judicieusement
choisis par un collectionneur et marchand d’art qui avait déjà manifesté son
attachement pour les îles Salomon, en republiant avec soin les photos un peu oubliées
de Bernatzik (Conru et Coleman, 2002) chez le même éditeur.
BIBLIOGRAPHIE
CARLIER Jean-Édouard, 2001. Regard sur les îles Salomon, Paris, Galerie Voyageurs et Curieux.
CONRU Kevin et Alan D. COLEMAN, 2002. Bernatzik : « Mers du Sud », Milan, 5 Continents.
CONRU Kevin, 2010. New Georgia, Roviana Lagoon Wood Mask, Rokoroko, Arts et Cultures 11, p. 4
KAEPPLER Adrienne L, Christian KAUFMANN et Douglas NEWTON, 1993. L’Art océanien, Paris, Citadelles
& Mazenod.
WAITE Deborah B., 1983. Art des îles Salomon dans les collections du musée Barbier-Mueller, Genève,
musée Barbier-Mueller.
—, 1987. Artefacts from the Solomon Islands in the Julius Brenchley Collection, Londres, British Museum
Publications.
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Reisen und Entdecken. Vom Sepik anden Main. Hintergründe einerAusstellungChristian Coiffier
RÉFÉRENCE
RAABE Eva Ch. [Herausgegeben von], 2008. Reisen und Entdecken. Vom Sepik an den Main.
Hintergründe einer Ausstellung, Frankfurt am Main, Museum der Weltkulturen, 78 pages,
bibliogr.., cartes, nombreuses photos couleurs et noir et blanc.
1 L'exposition qui s'est tenue du 27 octobre 2007 au 30 août 2009 au Museum der
Weltkulturen à Francfort avait pour ambition de présenter deux expéditions de collectes
d'objets ethnographiques qui furent parmi les dernières à être organisées par un musée
allemand dans la région du fleuve Sépik en Papouasie Nouvelle-Guinée.Cette exposition
pose le problème de la collecte des artefacts à grande échelle dans les pays du Sud. Les
expéditions de Francfort eurent lieu, en effet, plus de dix ans avant l'accession à
l'indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’au
traité de Versailles de 1919, la partie nord de ce pays fut une colonie de l'Empire
germanique connue sous le nom de Kaiser Wilhelms-Land. De nombreuses expéditions
scientifiques y furent organisées, elles rapportèrent des milliers d’objets qui vinrent
remplir les réserves des musées de folklore et d’ethnographie de nombreuses villes
allemandes.
2 Le fleuve Sépik demeure une région mythique pour de nombreux collectionneurs
d'objets océaniens par la profusion des styles et l'énorme production des artistes locaux
en ce qui concerne architecture, sculpture, poterie, gravure, peinture et artisanats
divers. Pourtant, il n'y a guère plus d'un siècle que les Européens découvrirent cette
région. L'existence de ce fleuve fut signalée par divers navigateurs qui, depuis le XVIIe
siècle, longèrent la côte Nord de la grande île de Nouvelle-Guinée. Schouten et Lemaire
évoquèrent dans leurs journaux l'embouchure d'un grand fleuve. Le Français Dumont
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d'Urville fit la même constatation au mois d'août 1827 en observant des changements
de la coloration de l'eau de la mer. Mais aucun d'entre eux n'osa s'aventurer vers
l'intérieur. Ce fut le Prussien Otto Finsch qui, le premier, en 1885, fit une
reconnaissance sur vingt milles dans le delta de ce fleuve qu'il dénomma Kaiserin
Augusta Fluss, du nom de l'épouse du Kaiser Wilhelm (l’empereur Guillaume). De
nombreuses expéditions suivirent, organisées par les Allemands, les Américains, les
Suisses, les Néerlandais, les Britanniques et même les Français. En effet, cinq jeunes
Français avec un équipage de neuf marins naviguèrent en 1935 durant près d'un mois
sur le fleuve à bord de leur yacht La Korrigane. Ils y collectèrent dans les villages plus de
six cents objets divers dont un tiers se trouve actuellement conservé au musée du quai
Branly (Coiffier, 2001). Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers d’objets divers dont
de nombreuses œuvres majeures qui furent exportés de cette région de Nouvelle-
Guinée durant soixante années avant que la législation du nouvel État papou ne vienne
essayer de mettre un frein à cette hémorragie dramatique pour les cultures locales. Le
fleuve de l'impératrice Augusta, appelé Ambusat par les populations de la partie
centrale, conserva son nom allemand jusqu'au début de la Première Guerre mondiale
lorsque l'administration australienne prit dès 1914 la responsabilité d’administrer ce
territoire. Elle préféra utiliser le terme local de Sipik ou Sépik qui est un des noms
vernaculaires usuels pour désigner le fleuve dans sa partie inférieure.
3 Ce sont les deux expéditions du Suisse Alfred Bühler qui motivèrent celles du musée de
Francfort. En effet, quelques années avant celles-ci, Alfred Bühler, directeur du Museum
für Völkerkunde et professeur d’ethnologie à l’université de Bâle, organisa en 1955-1956
une grande expédition sur le Sépik en compagnie du photographe René Gardi. Lors de
sa seconde expédition, plus ciblée sur l’étude des styles artistiques locaux, il était
accompagné cette fois de l’historien d’art Anthony Forge. Le Dr Adolf Ellegard Jensen,
titulaire de la chaire d’ethnologie à l’université de Francfort, assurait à cette époque la
direction conjointe de l'Institut Frobenius et du Museum für Völkerkunde de la ville de
Francfort car ce musée avait perdu ses locaux d’exposition du fait des destructions de la
guerre. Le Dr Jensen se montra très impressionné par les résultats obtenus par Bühler et
proposa à la municipalité de Francfort de cofinancer une expédition en Nouvelle-
Guinée. Il obtint un budget conséquent de cent mille marks et demanda à deux
assistants de l'Institut Frobenius, Eike Haberland et Meinhard Schuster, de l'organiser.
L’expédition fut organisée en deux parties : la première, organisée par Meinhard
Schuster, en 1961, se concentra sur tous les villages depuis les monts Washkuk en
amont jusqu'au village d'Angoram en aval ainsi que sur la région du Korewori au sud, la
seconde, en1963, dirigée par Eike Haberland, assisté de Siegfried Seyfarth, concentra
ses efforts sur le haut Korewori. Schuster et Haberland rapportèrent de leurs séjours,
qui durèrent plusieurs mois, plus de cinq mille objets dont certains de dimensions
imposantes comme des tambours à fente et des piliers sculptés de maisons
cérémonielles. Plusieurs d'entre eux furent exposés à l'extérieur du musée où ils furent
endommagés par les intempéries et les gaz des automobiles. C'est donc une réplique
d'un de ces poteaux, nommé Meriameï, qui fut dressée à l'occasion de l'exposition
devant la façade du Museum der Weltkulturen comme élément d'appel pour les visiteurs.
Avec trois autres piliers, il provient de la maisonMundjimbit du village de Kanganaman
(pp. 26-27). Cet édifice cérémoniel ne fut jamais reconstruit par les villageois après le
passage de l'expédition. Fort heureusement, sa voisine, la maison Wolimbi, se dresse
toujours majestueusement au centre d'une large place d'herbe rase à une centaine de
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mètres du seul pilier de la maison Mundjimbit resté en place. La maison Wolimbi a été
classée monument historique national par le gouvernement papou.
4 Pour le professeur Schuster, ce fut le début d'une longue recherche sur les sociétés
locales. Il abandonna l'Institut Frobenius en 1965 pour devenir conservateur au musée
de Bâle et il entreprit immédiatement l’organisation d’une nouvelle expédition
(1965-1967) dans la région du Sépik. Il fut nommé professeur, titulaire de la chaire
d'ethnologie de l’université de Bâle et directeur du séminaire d’ethnologie. En 1970, il
commença à organiser une nouvelle expédition avec de jeunes collaborateurs dans la
région du Moyen-Sépik. Les différentes études réalisées aboutirent à la réalisation de
nombreuses thèses de doctorat concernant diverses sociétés qui avaient été visitées par
les expéditions précédentes.
5 Le catalogue de l'exposition de Francfort ne se veut pas un livre d'art, c'est plutôt un
ouvrage scolaire à l'usage des étudiants en muséologie. Son titre peut se traduire ainsi
en français : Voyages et découvertes. Du Sépik au Main. Arrière-plans d'une exposition. Il a été
réalisé sous la direction du Dr Eva Ch. Raabe, conservatrice de la section Océanie de
l'actuel Museum der Weltkulturen de Francfort avec des articles d'Anette Rein, Katja
Reuter, Heike Schäfer-Kolberg et du professeur Meinhard Schuster. Comme le sous-
titre de ce catalogue l'indique, son objectif était double ; d'un côté faire découvrir au
public des cultures lointaines et peu connues (pp. 4-25), d'autre part, montrer comment
certains objets se trouvent transformés en œuvres d’art par la recherche
anthropologique (pp. 26-75). C'est donc un parcours très didactique qui est proposé
dans les pages illustrant les treize espaces répartis sur les deux niveaux du bâtiment
abritant le musée. Les textes explicatifs sont illustrés de cartes, de photos de terrain, de
photos d'objets en situation dans leur espace d'exposition, de plans et de petits croquis
présentant la scénographie de chacun de ces espaces. Un élément graphique,
représentant une partie du cours du fleuve Sépik, est ainsi utilisé comme fond de page
et constitue en soi un fil conducteur du début à la fin de l'ouvrage.
6 L’objectif de ce catalogue n’est pas de présenter des œuvres artistiques (pp. 12-13,
19-21) mais d’expliquer en quoi la situation du musée, avec ces deux expéditions,
diffère de celle d’autres musées comme celui de Berlin par exemple. Le commissaire de
l’exposition pense que les objets collectés ont été documentés de façon trop
rudimentaire lors de ces deux expéditions. Elle pose alors la question de savoir si leur
« recontextualisation » par des recherches anthropologiques n’a pas trop tendance à les
transformer simplement en œuvres d’art (pp. 18-21). Commenter le catalogue consiste
à décrire l'exposition. Après une présentation du contexte de cette expédition et sa
mise en relation avec la vie quotidienne et rituelle des habitants des rives du fleuve
Sépik, la répartition des salles et des espaces muséographiques est présentée au moyen
de deux plans, un pour chacun des niveaux (pp. 28-29). Chacune des doubles pages
suivantes présente un des thèmes de l’exposition et son espace, à commencer par la
région du fleuve Sépik (pp. 30-31). La collecte de la fécule de palmier sagoutier (pp.
32-33) et la cuisine dans une maison familiale (pp. 34-35) évoquent toutes deux les
activités féminines. La fabrication des objets de culte dans la maison cérémonielle
illustre le monde des hommes (pp. 36-39). La présentation d'une proue de pirogue en
forme de tête de crocodile avec son bouclier magique permet de faire découvrir le
monde des esprits (pp. 40-43). Le transport des collections du Sépik à Francfort est
évoqué à l'aide de photographies, de caisses avec leurs étiquettes et de deux séries
d'objets (pp. 42-53). Après avoir retracé l’histoire du musée dans l’après-guerre, le
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professeur Meinhard Schuster décrit les difficultés matérielles encourues pour le
transport de tous ces objets dont certains, comme les pirogues, les tambours à fente et
les piliers de maison, étaient extrêmement lourds et fort encombrants (pp. 44-51). Deux
photographies (p. 51) présentent l'ampleur de la collecte et donnent à réfléchir sur
l'intérêt scientifique de rapporter plusieurs dizaines d'objets d'un même type. Si la
collecte de séries peut permettre l’étude de différents styles, elle supprime d’emblée la
possibilité pour de nombreux objets de servir localement d’exemples pour les jeunes
générations. La double page suivante est une mise en situation du visiteur par une
reconstitution de l’espace de travail de l’ethnologue, selon un style scénographique
maintes fois utilisé dans les musées suisses et néerlandais. Les espaces suivants sont
destinés à expliquer le processus de transformation de la fonction des objets à partir de
leur installation dans un musée. Les ethnologues et les muséographes se muent alors en
magiciens ayant le pouvoir de transformer les objets rituels en objets culturels destinés
à transmettre un message aux visiteurs européens. Un laboratoire de travail est
reconstitué avec un ordinateur posé sur une table, il évoque la recherche d'archives et
de documentation (pp. 56-65). Dans les derniers espaces, les objets sont présentés
comme dans des galeries d’art, ils sont devenus des objets esthétiques (pp. 66-75). Le
catalogue se termine par trois pages de bibliographie centrée principalement sur la
littérature ethnographique.
7 Ce catalogue d’exposition est plus destiné aux muséographes et aux scénographes
qu’aux admirateurs de l’art du Sépik. Il donne à réfléchir sur ces grandes expéditions de
collecte qui ont participé en moins d'un siècle à vider de leur patrimoine culturel, au
profit des musées d'Occident, les villages d'une région qui fut jadis extrêmement riche
et diversifiée sur le plan artistique. La photographie de la page 55 extraite du film
d’Hermann Schlenker Tanzfest mit der Flöte me touche particulièrement de manière
purement personnelle car elle représente un homme de Palimbeï soufflant dans la flûte
Yawanganamak de la maison Payembit. Il s'agit de Kengenwan Kungrin du clan Iatmul
qui fut mon wau (oncle maternel) et un de mes meilleurs informateurs. Je lui dois
l’attribution de mon nom au village de Palimbeï.
BIBLIOGRAPHIE
COIFFIER Christian (éd.), 2001. Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud, Paris, Hazan/Muséum
national d'histoire naturelle.
BUSCHMANN Rainer, 2000. Exploring Tensions in Material culture: Commercialising Ethnography in
German New Guinea, 1870-1904, in Michael O’Hanlon and Robert L.Welsch (eds), Hunting the
Gatherers. Ethnographic Collectors, Agents and Agency in Melanesia, 1870s-1930s, New York, Oxford,
Berghahn Books.
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Hunting the Collectors. PacificCollections in Australian Museums, ArtGalleries and Archives dirigé parSusan COCHRANE et Max QUANCHI
Gilles Bounoure
RÉFÉRENCE
COCHRANE Susan and Max QUANCHI (eds), 2007. Hunting the Collectors. Pacific Collections in
Australian Museums, Art Galleries and Archives, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing,
XXVI-414 p., bibliogr., index, illustrations noir et blanc dans le texte.
1 Par son titre et le champ d’investigation qu’il définit, ce recueil de dix-neuf
contributions1 s’inscrit dans le prolongement de l’ouvrage collectif édité sept ans
auparavant par Michael O’Hanlon et Robert L. Welsch, Hunting the Gatherers, dont
certains articles préfiguraient d’importantes publications intéressant l’histoire des
collectes et des collections, comme le livre de Chris Gosden et Chantal Knowles,
Collecting colonialism (2001), et celui plus récent d’Helen Gardner, Gathering for God (2006,
évoqué dans le JSO 126-127). La parution du présent ouvrage laisse espérer des
développements similaires, mais elle manifeste à elle seule la vitalité de la recherche
dans ce domaine des études océaniennes.
2 Il faut en prévenir d’emblée, ce volume se signale par un nombre étonnant de coquilles
et d’erreurs factuelles, qu’entend corriger une liste d’errata, selon un vieil usage de
l’édition très recommandable en soi. Malheureusement cette liste vaut à peine mieux,
indiquant par exemple de déplacer la note 9 de la p. 71 sans donner le texte de la note
10 introuvable, et loin d’être complète, elle est de surcroît fautive (« misspelet » pour
« misspelt ») ! Le risque est qu’on ne lise plus l’ouvrage avec l’attention et l’intérêt qu’il
mérite, mais seulement pour y faire la chasse aux bourdons, souvent de belle taille,
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comme celui qui fait d’Adelbert von Chamisso (1781-1838) un contemporain de
Malinowski, étudiant « botany and medicine in Berlin in 1912 » (p. 105). On pourra
invoquer comme « circonstance atténuante » le fait que ce recueil procède d’un
colloque organisé un an seulement avant sa publication (conférence inaugurale de
l’Australian Association for the Advancement of Pacific Studies, Brisbane, janvier 2006),
mais tel était aussi le cas de Hunting the Gatherers, issu d’un colloque à Oxford tenu un
an avant sa parution, et quant à lui parfaitement respectueux de sa matière et de ses
lecteurs.
3 Les contributions sont réparties en trois sections de taille inégale, une introduction due
aux deux éditeurs du recueil, treize articles consacrés aux collecteurs et
collectionneurs, et cinq articles dévolus aux collections, à leur conservation et à leur
mise en valeur. Il est malheureusement impossible de les évoquer tous ici. Entre autres
sujets, la section centrale accorde une attention particulière aux collectes
ethnographiques australiennes dans ce qui deviendrait la Nouvelle-Guinée britannique,
à celles qui eurent pour cadre la Nouvelle-Guinée allemande et l’archipel Bismarck, et
aux collectes photographiques de l’époque, surtout en Mélanésie. Sur ce dernier thème,
l’article que M. Quanchi consacre à Thomas McMahon (pp. 151-171) révèle un
photographe professionnel aussi prolifique que méconnu et dont les travaux semblent
avoir été reproduits sans vergogne. En dépit de son titre provocateur (« Missionary
positions : George Brown’s bodies », pp. 131-149), la contribution de P. Ahrens n’étudie
que très partiellement l’activité de ce missionnaire photographe, trader, conférencier,
écrivain, qui organisait des danses folkloriques fidjiennes en Nouvelle-Bretagne, et
tâchait de rallier à sa cause les Australiens influents en leur distribuant ses
photographies les plus abouties.
4 De même, l’étude que consacre V. Barnecutt aux collectes du capitaine Farrell, l’un des
époux successifs de « la reine Emma » (« Thomas Farrell: trading in New Ireland », pp.
120-129) est insuffisamment approfondie et documentée, négligeant notamment
l’intérêt qui poussait ce commerçant brutal et matois à recueillir des objets
ethnographiques pour l’Australian Museum de Sydney, voire à faire des dons à cette
institution. Ne s’était-il pas associé dès 1881 avec la puissante société Mason Brothers
de Sydney, comme l’indique P. Biskup dans son édition des Mémoires d’Octave Mouton
(p. 23 et passim) ? V. Barnecutt mentionne certes cet ouvrage (sans citer le fait), mais
néglige la plupart des témoignages directs concernant cette figure des mers du Sud
(tels ceux de George Brown déjà cité, d’Otto Finsch, 1888 : 21-22, très disert sur les
affaires de Farrell ou encore de Richard Parkinson, beau-frère de Farrell et très
probable pourvoyeur d’objets récoltés à Buka où il avait établi une plantation, ce
qu’omet de préciser la p. 123). Quant aux collections ethnographiques de l’Australian
Museum, n’étaient-elles pas à reconstituer comme les autres après les ravages de
l’incendie du 22 septembre 1882 survenu au Garden Palace qui l’abritait depuis
l’Exposition internationale de 1879 ? L’oubli va bien au-delà de cet article puisque
l’événement n’est pas signalé (hormis une allusion p. 190 n. 4) dans cet ouvrage, qui
livre peu d’informations sur l’histoire générale des musées australiens et le cadre social
et politique de leur développement.
5 Ces réserves ne sauraient atteindre l’excellente étude de B. Craig (« Edgar Waite’s
north-west Pacific expedition - the hidden collections », pp. 173-195) sur la campagne
menée par le directeur du South Australian Museum d’Adelaide entre mai et septembre
1918 dans les anciennes possessions allemandes (Nouvelle-Guinée et archipel Bismarck)
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restées sous administration militaire australienne jusqu’à la fin de la Première Guerre
mondiale et les traités qui s’ensuivirent. Les objets que Waite acquit auprès de Blancs
vivant dans leurs plantations (comme celles de Pettersson à Tabar) ou installés dans les
villes (tel le commerçant Whiteman de Rabaul) relèvent évidemment de la « collecte
coloniale » au sens de Chr. Gosden et Ch. Knowles, mais leur ancienneté et leur facture,
autant que la laissent apercevoir les reproductions, semblent justifier qu’ils soient
mieux étudiés et mis en valeur. Il faut sans doute en dire autant des objets collectés par
Williams, qu’évoque moins en détail S. Schaffarczyk (« A Rara Avis : FE Williams, the
Government Anthropologist of Papua, and the Official Papuan Collection », pp.
198-220), et plus récemment par Moriarty (N. Wilson, « (Works) of paradise ant yet :
Stanley Gordon Moriarty, Tony Tuckson and the collection of Oceanic Art at the Art
Gallery of New South Wales », pp. 222-241), ou par les collecteurs travaillant pour les
autorités culturelles australiennes (S. Cochrane, « Mr Pretty’Predicament : Ethnic Art
Field Collectors in Melanesia for the Commonwealth Arts Advisory Board, 1968-1973 »,
pp. 244-274).
6 On mentionnera encore, à propos des collecteurs et collectionneurs, les souvenirs d’H.
Beran (« Recollections of a Massim Art Collector », pp. 290-304), et la description
sommaire que fait Chr. Dixon d’objets océaniens ayant appartenu à Max Ernst avant
d’être achetés en 1985 par la National Gallery of Australia (« Max Ernst, artist and
collector », pp. 276-288). Mais à côté de ces contributions qui feront consulter cet
ouvrage pour son intérêt historique (avec un index utile, présentant néanmoins un
décalage d’une à dix pages par rapport au texte à partir de la p. 222, et non
constamment « deux » comme assure la liste d’errata), il faut signaler l’importance
spéciale que peuvent avoir non seulement pour les Océanistes, mais pour les habitants
du Pacifique, les cinq articles de la dernière section, « The Collections » : « Who is
collecting Pacific Island Archives in Australia now ? », d’E. Maidment (pp. 308-325),
« The Pacific collections of the National Library of Australia ; a reflection of national
awareness and perception of the Pacific region » de S. Woodburn (pp. 328-344), « The
Banaba-Ocean Island Chronicles : Private collections, indigenous record keeping, fact
and fiction » de K. Raobeia-Sigrah et St. King (pp. 346-363), « Pacific collections in the
National Museum of Australia » de D. Kaus (pp. 366-383) et « Pacific focus ; bringing
knoledge about photographic collections in Australia to Pacific communities » de T.
Antsoupova et E. Maidment (pp. 386-401). S. Woodburn montre en particulier que si
l’Australie a pu connaître des périodes de repli et négliger parfois ses collections de
documents et d’objets du Pacifique, se développait dans le même temps sa « conscience
nationale » de grande puissance régionale, menant ultérieurement à l’étude à nouveaux
frais et à la mise en valeur de ce patrimoine considérable, la plaçant aujourd’hui au
rang des « grandes puissances » sur le plan culturel, du moins en Océanie.
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397
BIBLIOGRAPHIE
BISKUP Peter (ed.), 1974. The New Guinea Memoirs of Jean Baptiste Octave Mouton, Honolulu, The
University Press of Hawaii, Pacific History Series 7.
FINSCH Otto, 1888. SamoaFahrten, Reisen in Kaiser Wilhelms-Land und Englisch-Neu-Guinea… an Bord des
deutschen Dampfers « Samoa », Leipzig, Hirt & Sohn.
GOSDEN Chris and Chantal KWNOLES, 2001. Collecting Colonialism. Material Culture and Colonial Change,
Oxford-New York, Berg.
O’HANLON Michael and Robert L. WELSCH (eds), 2000. Hunting the Gatherers. Ethnographic Collectors,
Agents and Agency in Melanesia, 1870s-1930s, New York-Oxford, Berghahn Books.
NOTES
1. Contributions des éditeurs et de Prue Ahrens, Tatiana Antsoupova, Vicky Barnecutt, Harry
Beran, Barry Craig, Susan Davies, Christine Dixon, Roderick Ewins, Regina Ganter, David Kaus,
Stacey King, Ewan Maidment, Jude Philp, Ken Sigrah Raobeia, Natalie Wilson, Susan Woodburn.
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Tapa, étoffes cosmiques de l’Océaniedirigé par Laurent Guillaut et al.Raymond MAYER
RÉFÉRENCE
GUILLAUT Laurent, Fanny Wonu VEYS, Hélène GUIOT et al. 2009. Tapa, étoffes cosmiques de
l’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, 128 p., préface, articles et catalogue
d’exposition, bibliogr., ill. couleur.
1 Ce catalogue d’exposition réalisé à Cahors, comme ceux de Chartres en 2000 et 2004, est
un exemple parfait d’édition d’envergure mondiale réalisée à partir d’une initiative
locale. Foin des hégémonies des rédactions scientifiques fixées dans les seules capitales,
je ne connais pas d’ouvrage en langue française aussi bien documenté sur les tapas
océaniens que celui-ci, réalisé à l’occasion de l’exposition homonyme organisée au
musée de Cahors Henri-Martin en 2009. En le lisant, on n’ignore plus rien ni de la
matière première, ni des techniques de fabrication, ni des fonctions assignées, ni des
variantes culturelles, d’une extrémité à l’autre du domaine géographique qui lui est
attaché. La clé du succès est probablement l’intelligence du commissaire de
l’exposition, Laurent Guillaut, à avoir su recourir aux spécialistes du domaine exposé,
quand bien même l’idée d’organiser une telle exposition dérivait d’une décision
provinciale. Tout y est traité à la perfection, à la fois les textes et leurs illustrations,
toutes en couleur, ce qui montre qu’en matière de reproductions artistiques, il est
impossible d’échapper à cette exigence minimale. Mieux vaut ne rien éditer qu’éditer
en noir et blanc un objet en couleur.
2 Les spécialistes du domaine sont en l’occurrence Hélène Guiot et Fanny Wonu Veys,
auxquelles ont été jointes les contributions tout aussi excellentes de Marie-Claire
Bataille-Benguigui et Claude Stéfani. Hélène Guiot, en collaboration avec une
association chargée de sa sauvegarde, réalise un inventaire de la plus importante
collection de tapas polynésiens existant en Europe (plus de deux cents au musée
océanien de La Neylière, près de Saint-Symphorien sur Coise). L’autre spécialiste, Wonu
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Veys, actuellement conservatrice des collections océaniennes au Museum voor
Volkenkunde de Leiden aux Pays-Bas, a produit une remarquable thèse sur le tapa
tongien et fidjien. On échappe du coup à l’écueil principal qui guette un tel type de
production, à savoir une consommation esthétisante de l’œuvre privée de son contexte.
Certes les critiques d’art peuvent offrir des clés de lecture intéressante de telles œuvres
« d’art premier », mais des expert(e)s ayant séjourné durablement dans les îles
productrices des œuvres ont forcément un point de vue mieux documenté que ceux qui
n’y ont effectué que des séjours de courte durée, voire aucun séjour du tout.
3 Les chapitres de ce livre sont à la fois illustrés comme un catalogue, et documentés
comme un véritable ouvrage d’analyse. On a donc en un seul ouvrage les avantages de
deux genres habituellement distincts. L’effet est on ne peut plus bénéfique, joignant
l’utile à l’agréable. L’agréable, c’est en l’occurrence la qualité des reproductions en
couleur qui console le lecteur de n’avoir pu voir l’exposition et lui en restitue
l’essentiel. L’utile ce sont les textes d’analyse qui accompagnent l’illustration, mais qui
ne tombent pas dans le pédantisme, ou le discours abscons. Qu’on le veuille ou non, le
meilleur commentaire possible sur des œuvres enracinées dans des terroirs qui les
continuent à les produire à l’heure actuelle, viendra toujours de gens ayant fréquenté
les producteurs vivants de ces œuvres, et le commentaire sera encore meilleur si ces
personnes sont des professionnelles du terrain et de la matière en débat.
4 Les six articles thématiques qui précèdent la présentation des objets du catalogue sont
signés de Marie-Claire Bataille-Benguigui, Hélène Guiot, Fanny Wonu Veys et Claude
Stéfani. « Le « sens » des fibres en Océanie, écorce battue et autres végétaux »
(pp. 7-16) de Marie-Claire Bataille-Benguigui est une entrée en matière à la fois dans la
pratique et dans les représentations liées à la production du tapa en Océanie. Rappelant
que le textile à base d’écorce battue est attesté dans toutes les zones tropicales du
globe, l’auteur s’attache à démontrer sa spécificité océanienne. Elle commence par
évoquer les mythes fondateurs associés à sa pratique, avant d’en recenser les usages les
plus prestigieux.
5 La question de la matière première est aussi explicitée dans un bref article d’Hélène
Guiot sur le cas concret de l’île Wallis (’Uvea). L’auteur nous détaille l’ensemble des
matériaux utilisés dans la confection du tapa. Ceux-ci vont de l’écorce, plus exactement
du liber qui en constitue la seconde couche, jusqu’à la colle, aux teintures et vernis
employés, sans oublier les instruments mis à contribution dans cet art consommé de la
transformation d’une ressource végétale.
6 Hélène Guiot revient dans un autre article consacré cette fois aux motifs wallisiens, et
en particulier, à la forme « terre-mer » inaugurée au milieu de la décennie 1950 dans le
contexte d’un développement de la production diligentée par les religieuses de la
Congrégation des Sœurs Missionnaires de la Société de Marie. Elle nous fait découvrir
les multiples aspects de ce décor du vingtième siècle qui n’a pas remplacé les autres
formes de production, mais s’y est accolé. L’accumulation des formes semble en effet
aller dans le sens de la « thésaurisation » justement relevée dans l’article de Marie-
Claire Bataille-Benguigui.
7 La double contribution de Fanny Wonu Veys, qui met à profit son expérience du musée
de Leiden, reprend quelques-uns des thèmes développés dans sa remarquable thèse de
doctorat. Dans la première « Le tapa : un emballage ordinaire sacré » (pp. 20-33), elle
nous sensibilise au fait que la technique d’emballage se décline en de multiples
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fonctions, parfois antithétiques, qui vont de la protection à l’accueil du divin et de
l’étranger, en passant par le voile et le dévoilement.
8 Dans la deuxième intitulée « Techniques de fabrication et de décoration » (pp. 34-41),
elle prolonge sur le plan des pratiques ce que Hélène Guiot avait présenté sur le plan
des matériaux. Elle nous fait saisir dans le détail les distinctions à établir entre les
techniques d’immersion, d’enfumage, d’impression, de pochoir, de décoration à main
levée, de matrices et de décor en filigrane. Son contexte de référence est emprunté aux
Tonga et aux Fidji.
9 Le dernier article préparatoire au catalogue est de Claude Stéfani (pp. 50-54) qui
s’intéresse à un tiputa, « manteau du roi de Bora-Bora » appartenant à la collection de
l’ancienne École de médecine navale de Rochefort, pour en établir la véritable
identification, et en affiner l’expertise à la lumière d’autres pièces provenant des îles de
la Société.
10 Le catalogue proprement dit affiche 63 objets et il est signé de Laurent Guillaut,
conservateur en chef du patrimoine au musée de Cahors Henri-Martin et commissaire
de l’exposition, et de Fanny Wonu Veys qui a apporté son expertise à la documentation
et à la présentation des objets exposés. Les objets sont bien entendu représentatifs de la
diversité des lieux, des cultures, des matériaux et des décors produits. Ils proviennent
des collections des musées du Quai Branly de Paris et de La Neylière. Ils proviennent de
l’ensemble des archipels océaniens s’étalant d’ouest en est du Pacifique (le sens de
circulation étant censé représenter le sens de la création historique et du flux des
populations, échelle à la fois spatiale et temporelle) : Nouvelle-Guinée, Nouvelle-
Bretagne, Santa Cruz, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, Fidji, Tonga, Samoa, Wallis, Futuna,
îles Marquises, îles de la Société, Hawaii et Nouvelle-Zélande, bref un panorama on ne
peut plus représentatif du domaine.
11 L’ensemble de l’ouvrage est servi par une iconographie impeccable, mais on retiendra
autant la qualité des textes que celle des reproductions en couleur. Toutes ces raisons
plaident au large recours à ce titre pour toutes les personnes désireuses d’en connaître
sérieusement sur les tapas océaniens. S’il y avait une réserve à formuler, ce serait celle,
somme toute mineure, du titre : « étoffes cosmiques » qui tendrait à donner un sens
exagérément astronomique à cette production, alors qu’il suffit de les considérer
comme des « biens de prestige » dont l’usage se manifeste au cours des moments les
plus solennels de la vie sociale. Il ne nous viendrait pas à l’idée de traiter les tissus de la
vie monarchique ou impériale française comme des « textiles cosmiques », quels que
soient les éléments de décoration qui y apparaissent. L’emphase du titre mise à part, le
livre doit désormais être classé dans la catégorie des ouvrages de référence sur la
question du tapa en Océanie.
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Le bestiaire mélanésien. 100représentationsde Didier ZanetteIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
ZANETTE Didier, 2010. Le bestiaire mélanésien. 100 représentations, Nouméa, DZ Productions,
« Et si nous parlions l’Océanien ? », 160 p., bibliogr. indicative, une carte, table des 100
objets reproduits, lexique, nombreuses ill. couleur.
1 Sujet intéressant s’il en est mais mal illustré dans cet ouvrage où les photographies, ne
sont pas toujours de qualité et montrent mal les objets, et dont le texte qui les
accompagnent manquent de références à la bibliographie existante sur le sujet. La
bibliographie, qui ne comporte que quinze références, est quasiment entièrement
consacrée à « l’art » (huit des ouvrages mentionnés contiennent le mot art dans leur
titre) ou aux collections muséales. Peu de références ethnographiques alors que le sujet
ne peut être appréhendé à mon sens en faisant l’économie des apports de l’ethnologie,
de l’ethnolinguistique et de l’importance des traditions orales en la matière. Puis, au fil
de la lecture, on découvre en notes de bas de page quelques autres références qui
seraient venues utilement compléter la bibliographie.
2 L’ouvrage est construit en sept chapitres faisant suite à l’introduction pp. 7-11) :
chapitre I « Aux débuts, les mythes… » (pp. 13-19) ; chapitre II « Dans l’océan »
(pp. 21-45) ; chapitre III « Entre eaux saumâtres et terre » (pp. 47-65) ; chapitre IV « Sur
terre, le roi cochon et les autres » (pp. 67-93) ; chapitre V « Au pays des insectes »
(pp. 95-101) ; chapitre VI « Le monde de la gent à plume » (pp. 103-131) ; chapitre VII
« Et aujourd’hui ? » (pp. 133-139), un index d’images (pp. 141-151) qui n’est en réalité
qu’une table faite à l’aide de photos miniatures renvoyant à la page où l’objet est
reproduit dans l’ouvrage et un glossaire (pp. 153-155). Pour finir, une page de
références bibliographiques et un sommaire très peu indicatif qui est là en fait pour
signaler les crédits photos, les artistes contemporains et les diverses mentions légales
de l’ouvrage (un vrai fourre-tout).
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3 Chaque chapitre commence par la reproduction d’une œuvre d’art contemporaine dont
on trouve l’auteur dans le sommaire mais sans aucune précision ni de titre, ni de la
nature de l’œuvre et encore moins sur l’artiste lui-même ! Dommage !
4 La page de préface pour introduire « l’importance de l’animal dans le bestiaire
océanien » (p. 7) signée par Dominique Franchot (dont on ne nous dit pas qui il/elle
est1) est bien limitée et nous place face à des lieux communs quand ce n’est pas des
imprécisions pouvant conduire à de fausses interprétations, comme nous le verrons ci-
dessous. L’introduction qui suit (pp. 7-11) ne nous satisfait guère plus. Ainsi, une telle
phrase dans le premier paragraphe n’a guère de signification :
« En Nouvelle-Calédonie, on ne trouve plus, par exemple, qu’une espèce demammifère la roussette et plus aucun reptile terrestre à l’exception toutefois dulézard. » (p. 7)
5 Ainsi, on ne sait pas à quelle période l’auteur fait référence avec ce « plus ». Si l’on se
reporte au magnifique site internet endemia.nc, on trouve le serpent des Loyauté
(Candoia bibroni) dit aussi boa du Pacifique et qui est un reptile terrestre (http://
www.endemia.nc/faune/fiche1097.html - consulté le 3 avril 2010) ; côté lézard, leur
variété endémique est immense. En 20032, une recherche sur le site http://
www.endemia.nc/ tel qu’il existait à cette date m’avait permis de recenser 67 espèces
de lézards dont 59 endémiques, qui se répartissent en 42 espèces de Scincidae (dont 39
endémiques) et 25 espèces de Geckos (dont 20 endémiques appartenant à la famille
Diplodactylidae qui comprend le genre Rhacodactylus cité par Leenhardt ; seules les
cinq espèces de la famille Gekkonidae ne sont pas endémiques). Une telle phrase ne
peut donc pas en rendre compte et laisser penser au lecteur non connaisseur que la
faune calédonienne est d’une grande pauvreté, alors que quiconque s’intéresse à la
Nouvelle-Calédonie en connaît la richesse endémique exceptionnelle.
6 En fait, chaque chapitre, après un paragraphe d’une banale généralité, ne fait que
commenter les objets reproduits, sans forcément de liens entre les uns et les autres.
7 Beaucoup d’imprécisions, aucune information sur les objets collectés par l’auteur pour
lesquels il aurait été utile de savoir où précisément il avait été trouvé, à quelle date et
comment s’est faite l’acquisition et sur son usage particulier. Par exemple, l’objet 11,
nommé « amulette » et dit « charme particulier » pour la pêche au dugong, nous est
présenté sans autre précision sur les techniques de pêche de la région !
« Le lézard n’est pas toujours un ancêtre. Il est également l’objet de multipleslégendes et de nombreux contes » (p. 65)
8 Cette opposition rapide faite par l’auteur n’a pas toujours lieu d’être car, chez les Kanak
par exemple, c’est aussi parce que le lézard représente l’autochtonie et les ancêtres des
clans terriens qu’il est présent dans de nombreux contes et légendes. D’ailleurs, en
commentant un bambou gravé du musée de Nouvelle-Calédonie, il écrit :
« Sans doute est-ce l’une de ces histoires qu’un artiste kanak a gravée sur unbambou, un lézard encerclé d’hommes qui cherchent à le capturer, à moins qu’ilsne dansent autour de lui » (p. 65)
9 Que voit-on sur ce morceau de bambou gravé ? Sans aucun doute une scène de la
colonisation : au centre, à la verticale dans ce que l’on pourrait croire être une allée
centrale, un lézard ; des guerriers kanak d’un côté, qui semblent l’affronter ; de l’autre
un personnage en costume représentant sûrement un Européen ; en bas une frise de
fusils et en haut une case rectangulaire abritant deux hommes en face à face assis sur
une chaise et entre eux, trois hommes habillés. De part et d’autre de la case, deux
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soldats armés montent la garde. Au-dessus, un médaillon avec un profil d’homme que
Roger Boulay (sous presse) attribue à Napoléon III3. Ainsi pourrait-on analyser ce
bambou gravé comme l’irruption de la colonisation s’opposant aux autochtones, en
s’appuyant parfois sur les rivalités entre Kanak eux-mêmes. Ce passage sur le lézard est
significatif de la méconnaissance de la société qui produit ces objets ! Il aurait pu citer
le superbe catalogue de l’exposition Bambous kanak au MEG – et actuellement au musée
de Nouvelle-Calédonie à Nouméa –,dont nous avons rendu compte dans le JSO 126-127 en
Miscellanées Bambous kanak.
10 Pour finir, arrêtons-nous sur le dernier chapitre : « la rencontre avec la civilisation
occidentale… » (p. 133) alors que 78 des objets présentés dans les pages précédentes
sont du XXe siècle et 3 du XXIe siècle4 ! Il en reste 19 pour le XIXe siècle5 ! Cette rencontre
se passa à des moments variables à partir en gros du milieu du XIXe siècle et peu des
objets présentés ici sont donc vierges de tout contact, sans pour autant que leur
présentation ne soit dénuée d’intérêt car les musées sont plein de ces objets produits au
moment du contact. D’ailleurs l’auteur ne parle-t-il pas de « l’inculturation [sic !] des
techniques et des procédés venus d’ailleurs » (p. 133), sans doute veut-il parler
d’acculturation !
11 Une grosse déception donc à la lecture de ce beau livre (on regarde de belles images,
c’est sûr !) qui manque de commentaires et de référence sur les objets.
BIBLIOGRAPHIE
BOULAY Roger, sous presse. Le profil de « Napoléon III » & Vue de profil, catalogue de l’exposition
Bambous kanak au musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, musée de Nouvelle-Calédonie, pp. 12-13 et
p. 27.
COLOMBO DOUGOUD Roberta (éd.), 2008. Bambous kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-Dellenbach,
Genève, MEG, INFOLIO, Sources et témoignages 9, 184 p., bibliogr., glossaire, nombreuses
illustrations (photographies en couleur ou noir et blanc, dessins au trait).
LEBLIC Isabelle, 2008. À propos de Bambous kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-Dellenbach, in
Jean Trichet et Isabelle Leblic (éds), Journal de la Société des Océanistes 126-127 : Spécial
environnement dans le Pacifique, pp. 311-317.
NOTES
1. « Dominique Franchot était le directeur des Ressources humaines du Groupe ERAMET jusqu'en
décembre 2009, c'est un passionné de voyages et d'art premier. Ses fonctions l'amenaient à venir
régulièrement en Nouvelle-Calédonie pour la Société Le Nickel » (Isabelle Zanette, com. pers.,
30/09/2010).
2. Voir la communication « Animaux, représentations totémiques et esprits des ancêtres dans
quelques sociétés kanak de Nouvelle-Calédonie » que j’ai faite au colloque international le
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symbolisme des animaux – l'animal « clé de voûte » dans la tradition orale et les interactions homme-
nature, organisé par le LACITO CNRS etl'IRD, à Villejuif (12-14/11/2003).
3. « Sur cette pièce [MNC 98.5.1], les images sont strictement organisées autour de la figure de
Napoléon III gravée à son sommet. Le dessin s’inspire sans nul doute du profil de l’Empereur
lisible sur les monnaies de l’époque. » (Boulay, sous presse : 12).
4. À ce titre, d’aucuns notent que ces objets les plus modernes et pouvant nous paraître hideux
restent instructifs dans leur genre.
5. La petite dizaine d’objets anciens qui est présentée ici mériteraient une enquête.
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Musique du monde. Nouvelle-Calédonie.Voix des rivages et des montagnesIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnes, CD enregistré en
Nouvelle-Calédonie et brochure de présentation français-anglais, 31 p., coll. Dominique
Buscail, Buda musique.
1 Ce coffret musical est issu d’une collecte effectuée en février 2009 en Nouvelle-
Calédonie par la productrice et le réalisateur de l’émission « Couleurs du monde » de
France-Musique, Françoise Degeorges et Charles Le Gargasson, guidés par Emmanuel
Tjibaou et Hervé Lecren, « en quête de l’esprit ancestral qui irrigue la société kanak
contemporaine » (p. 3) avec l’aide du Centre Jean-Marie Tjibaou, du Conservatoire de
musique de Nouvelle-Calédonie, du Pôle d’exports des musique et des arts de Nouvelle-
Calédonie et de la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris. Enregistrés in vivo (avec les
chants d’oiseaux en arrière-plan avant les voix), du nord au sud de la Grande Terre, les
vingt-deux morceaux rassemblés ici présentent un éventail de chants en langues kanak.
À l’écoute, on se trouve transporté à 20 000 km de Pars, en terre kanak, au milieu de ces
femmes et hommes qui chantent les aé-aé célébrant l’emblème totémique lézard, des
événements tels qu’une inondation dans la tribu de Bwara à Canala ou que les vols de
terres par les colons, des chants polyphoniques dans lesquels les Kanak excellent, des
comptines chantées pour les enfants ou encore des tempérances rendant hommage aux
militants tombés pour la lutte indépendantiste. Moi qui ai participé à maintes festivités
des écoles populaires kanak de la région de Canala, j’ai écouté à l’époque de nombreux
chants consacrés à garder en mémoire les événements dramatiques de l’époque. Un tel
disque ne pouvait se faire sans le traditionnel discours sur le bois nommé de façon
impropre « généalogie » en français. Il s’agit plutôt d’une récitation de nom de clans et
de lignages et de leurs alliances et parcours.
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2 Ces chants de toutes sortes sont un autre moyen de la tradition orale kanak pour
conserver et transmettre ce qui marque la vie quotidienne. Tristes ou joyeux, ils sont
l’empreinte de l’histoire et de la vie, mais aussi parfois l’expression de l’espoir d’un
monde meilleur.
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Géo 370 : dossier Nouvelle-CalédonieIsabelle Leblic
RÉFÉRENCE
Géo 370 : dossier Nouvelle-Calédonie, décembre 2009, pp. 46-107.
1 Le magazine Géo a publié en décembre dernier un dossier spécial de 60 pages sur la
Nouvelle-Calédonie. Une interview de Christian Karembeu, célèbre footballeur français
originaire des îles Loyauté, introduit une série d’articles abordant d’importants sujets
d’actualité de la Nouvelle-Calédonie : la protection du lagon d’Ouvéa inscrit en 2008 au
patrimoine mondial de l’UNESCO (pp. 54-59) avec un très court texte commentant de
belles photos de cette île réputée « la plus proche du paradis », une carte présentant les
six zones de l’archipel inscrites à ce même patrimoine avec leurs espèces remarquables
(pp. 60-61), « les avancées chaotiques du destin commun » (pp. 70-79), « des squats dans
la ville » (pp. 80-82), « Nickel, le bon filon enfin partagé » (pp. 84-88), « ainsi parlent les
ancêtres » (p. 90), un encart dépliant sur une collection privée d’art kanak
accompagnant un article sur le collectionneur William Costes (p. 97), « des artistes qui
assurent la relève » (pp. 98-100), pour terminer par la présentation d’un sentier de
randonnée entre eau et forêt dans le sud de la Grande Terre (pp. 102-104) et quelques
conseils avant de partir (p. 106).
2 Très grand public, ce dossier peut constituer une introduction à la Nouvelle-Calédonie
d’aujourd’hui mais laisse sur sa faim tout connaisseur du pays. De même, les
orientations bibliographiques données sont des plus limitées. À lire pour le plaisir des
belles photos plus que pour le contenu des textes.
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Canoes of the Grand Ocean coordonnépar Anne Di Piazza et Erik PearthreeGilles Bounoure
RÉFÉRENCE
DI PIAZZA Anne and Erik PEARTHREE (eds), 2008. Canoes of the Grand Ocean, Oxford,
Archaeopress, BAR International Series 1802, VI-154 p., bibliogr., cartes, nombreuses ill.
dans le texte.
1 En présentant cette réunion de huit contributions d’archéologie maritime, A. Di Piazza
souligne d’emblée ce qu’a de plaisant et de fascinant le vieux terme français de « Grand
Océan » choisi pour intituler ce volume. Dans toute fascination entre forcément une
part d’appréhension, qu’on songe à celle des anciens navigateurs défiant les vastitudes
et les colères du Pacifique ou à celle des scientifiques d’aujourd’hui qui tentent de
reconstituer leur histoire, sujet immense et d’une importance essentielle pour la
compréhension du peuplement de l’Océanie. Sur ce thème réellement fascinant et avec
l’aspect plaisant que lui donnent ses nombreuses illustrations, cet ouvrage ajoute à
cette part nécessaire d’appréhension une autre des plus évitables et superflues, avec sa
fragile couverture à « dos collé » qui laisse vite échapper son contenu en feuilles
volantes et finit par rendre sa lecture hasardeuse. Les bibliothèques devront le faire
relier avant de le mettre à la disposition du public, sous les alizés comme sous d’autres
vents.
2 Les contributions sont réparties en trois sections (un peu abusivement dénommées
« sessions » comme s’il s’agissait d’un colloque) à dominante respectivement
historique, technique et spéculative, non sans incursions nécessaires des auteurs d’un
domaine à l’autre, l’architecture navale venant ainsi fournir des arguments aux
historiens, comme on va le voir. L’ambition de la première partie, « Navigators as the
principal actors in cross-cultural encounters », est d’éclairer par leur contexte
historique les témoignages des premiers Européens à avoir décrit les navigateurs
traditionnels du « Grand Océan ». Anne Salmond (« Voyaging exchanges: Tahitian Pilots
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and European Navigators », pp. 23-46) revient notamment sur la « carte de Tupa’ia »
dressée par Cook sur les indications du pilote tahitien, mais elle en compare aussi les
données avec ce que retirèrent des connaissances des insulaires les deux vaisseaux de
guerre espagnols de passage en 1774, pour dresser en conclusion une liste d’îles
remarquable de précision. Spécialiste chevronné de l’auteur de l’Essai sur la construction
navale des peuples extra-européens… (1843), Eric Rieth (« Traditional Oceanic Canoes as
seen by Admiral Paris », pp. 47-68) montre sur quel travail d’observation directe, mais
aussi de documentation historique repose cette œuvre classique. Par contraste avec les
représentations européennes, Richard Feinberg poursuit son analyse des conceptions
traditionnelles des insulaires d’Anuta, et les examine ici dans leurs implications
maritimes (« Polynesian Representations of Geographical and Cosmological Space:
Anuta, Solomon Islands », pp. 69-84).
3 Due à Carlos Mondragón et Miquel Luque Talaván, la contribution ouvrant cette
première partie (« Early European Descriptions of Oceanic Watercraft. Iberian Sources
and Contexts », pp. 9-22) est peut-être la plus ambitieuse et la plus sujette à discussion.
Elle revient sur deux escales des navigateurs espagnols commandés successivement par
Mendaña et Quirós, la première au sud-ouest de Santa Isabel en février 1568, la
deuxième à Taumako en avril 1606. Dans le premier cas, les insulaires de Furona étant
venus proposer un porc aux Espagnols en échange d’un canot que ces derniers leur
avaient pris, les auteurs de l’article n’ont pas de mal à en inférer que les insulaires ne
prenaient pas les Blancs pour des fantômes ou des esprits. Dans le deuxième cas que les
auteurs examinent plus longuement (pp. 13-20), les Espagnols restèrent à terre une
dizaine de jours et rapportèrent des descriptions admiratives des embarcations des
insulaires. Or ces témoignages ne correspondraient pas au célèbre te puke propre à
Taumako, où cherche à le remettre en usage l’association « Vaka Taumako Project »
initiée en 1993 par David Lewis et Marianne George, mais plutôt à des kalia ou à des
tongiaki venus de Tonga, et semblables à ceux que dépeignirent peu après Schouten et
Le Maire en 1616, puis Gilsemans et Tasman en 1643.
4 La thèse semble à première vue séduisante et de nature à corroborer tout ce qu’on a pu
écrire sur « l’empire maritime tongien » de la première moitié du deuxième millénaire
de notre ère. On pourrait ajouter qu’il y eut certainement jadis des relations maritimes
réciproques entre Tonga et Taumako puisque Gerd Koch, enquêtant en 1966 sur place,
s’y était fait montrer « la direction de Tonga » par son grand ami Basil Tevake de
Nifiloli, qu’il présentait comme « le dernier ‘capitaine’ » traditionnel de haute mer en
Polynésie (Koch, 1971 : 153-154). Tevake fut deux ans plus tard l’informateur privilégié
de David Lewis (1994, p. 87 et passim) et après sa mort, la référence principale du « Vaka
Taumako Project » dont C. Mondragón et M. L. Talaván ont repris une large part de la
bibliographie (note 17 p. 14), incomplète notamment des travaux de G. Koch.
5 On doit pourtant à ce savant une description très détaillée (ibid. : 144-153) du petit te
puke (7,07 mètres) qu’il a rapporté au musée de Berlin, et il n’aurait pas été inutile de la
mettre en regard des indications plus vagues des journaux de navigation de Quirós et
de ses compagnons. Les plus précises concernent les dimensions de ces embarcations
qui auraient été longues de 16,70 mètres environ, « quite different from those of a
Taumako te puke », concluent les deux auteurs (p. 19). Mais à propos des te puke, J.
Neyret (1976a : 82-83) était fondé à avancer (d’après Hornell) que « ces pirogues étaient
beaucoup plus grandes autrefois ». Walter Coote (1886 : 107, texte ici conforme à
l’édition anglaise de 1883) a vu à Nufili des te puke qui « avaient environ 40 pieds de
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410
long ». Selon Koch (1971 : 149), leur longueur traditionnelle était de « 14 mètres en
moyenne » et Marianne George elle-même, dans une adresse aux « supporteurs du
‘Vaka Taumako Project’ » datée du 6 juillet 1997, écrivait que « la longueur minimale
d’un vrai tepuke est de 12 mètres, même si certains anciens se souviennent de tepuke
pouvant atteindre 20 mètres ». Quant aux tongiaki, ce type d’embarcation tongienne
pouvait dépasser 30 mètres (Koch, 1985 : 19) et devait « atteindre couramment de 20 à
25 m de long » (Neyret, 1976b : p. 115). C’était aussi la dimension moyenne des lakatoi
des Mailu parcourant les côtes sud-est de la Nouvelle-Guinée (voir par exemple
Helfrich, 2005 : 41).
6 Même savamment vérifiée par les auteurs d’après les étalons en usage dans l’Espagne
de l’époque (pp. 17-19), la longueur prêtée à l’embarcation ne saurait permettre à elle
seule de distinguer entre voiliers hauturiers de Tonga et de Taumako. Il aurait
certainement fallu scruter certains autres détails d’architecture navale relevés par les
Espagnols à Taumako, notamment le recours au bambou (caña) pour les lisses et le
« mât » (mast, mastil, selon le texte en version anglaise et espagnole reproduit p. 17). Or,
rappelait G. Koch (1985 : 25), si les éléments de « mâture » sont généralement en bois de
fer (Casuarina) en Polynésie, le recours au bambou est typique de la Micronésie (et
certainement aussi des écarts polynésiens à influences micronésiennes comme
Taumako). Du reste, le témoin cité par C. Mondragón et M. L. Talaván, Diego de Prado y
Tovar, qui suivrait quelques mois plus tard avec Luis Váez de Torres une route
différente de celle de Quirós, a-t-il eu réellement l’occasion d’examiner de près une de
ces embarcations gréées et en état de manœuvrer ?
7 Selon Quirós (ou son secrétaire Belmonte qu’il remanie), c’est dans les hangars à
bateaux de Taumako (« des maisons plus grandes, qui abritent des embarcations… »,
Quirós, 2001 : 242, voir aussi Baert, 1999 : 305) que les Espagnols purent observer en
détail ces voiliers, probablement « désarmés » comme il était habituel en ces lieux.
Rejeter l’idée qu’il s’agissait là d’un type ancien du te puke local (pour autant que les
descriptions espagnoles soient exactes), hypothèse la plus vraisemblable, reviendrait à
admettre que les Tongiens ou d’autres avaient installé à Taumako une base navale
complète de son arsenal édifié à terre, un Diego Suarez ou un Okinawa avant la lettre,
ce dont les visiteurs espagnols ne se seraient pas aperçus durant les dix jours qu’ils y
passèrent en avril 1606. Telles sont pourtant, explicites ou non, les suppositions
conduisant les auteurs à « l’importante conclusion » que Taumako aurait été l’un des
carrefours historiques (« crossroads », p. 13) des navigateurs du sud-ouest du « Grand
Océan », nouvelle conjecture qu’ils n’étayent d’aucune prise en compte des intérêts
respectifs qui auraient fait éventuellement des uns, à Taumako, les hôtes plus ou moins
complaisants des autres, venus d’ailleurs.
8 Les quatre articles formant les deux dernières « sessions » du volume sont largement
plus techniques et s’adressent avant tout aux spécialistes de la construction navale (A.
Horridge, « Origins and relationships of Pacific canoes and rigs », pp. 85-105 ; R.
Veccella, « Dugout and sewn plank canoe construction on Raivavae, Austral Islands »,
pp. 107-120) et à ceux de la navigation, de la météorologie marine et de leur
modélisation informatique (C. Avis, A. Montenegro, A. Weaver, « Simulating island
discovery during the Lapita expansion », pp. 121-142 ; B. M. Evans, « Simulating
Polynesian double-hulled canoe voyaging, combining digital and experimental data to
prepare for a voyage to Rapa Nui [Easter Island] », pp. 143-154). Puisque les
embarcations de Raivavae furent longtemps « très semblables à celles de Rurutu », on
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complétera les descriptions de R. Veccella par les témoignages anciens soigneusement
rassemblés par P. Vérin (1969 : 206-211) sur les pirogues « cousues » de Rurutu. A.
Horrige s’excuse (p. 85 n. 1) de ne pouvoir livrer qu’un exposé « bref et touffu » de
l’évolution des embarcations océaniennes, et de ce qu’elle doit aux apports techniques
extérieurs, indonésiens d’abord puis européens à partir du XVIe siècle (p. 98), mais son
article est déjà de grand intérêt, notamment du fait de son ancienne et profonde
connaissance des marines du Sud-Est asiatique. Illustrant les progrès accomplis
récemment à la fois dans la modélisation informatique et dans la compréhension de la
navigation traditionnelle dans le Pacifique, avec l’introduction de paramètres
aujourd’hui mieux pris en compte et étudiés, les variations climatiques en premier lieu,
les deux dernières contributions viennent aussi rappeler que le « Grand Océan » fait
appel à presque toutes les ressources du savoir humain, autre élément qui le rend
fascinant, aujourd’hui comme jadis.
BIBLIOGRAPHIE
BAERT Annie, 1999. Le Paradis Terrestre, un mythe espagnol en Océanie. Les voyages de Mendaña
et de Quirós, 1567-1606, Paris, L’Harmattan.
COOTE Walter, 1886. L’océan Pacifique occidental, description des groupes d’îles au nord et à l’est
du continent australien, Paris, Librairie Charles Delagrave.
HELFRICH Klaus, 1985. Boote aus Melanesien und Australien, in Gerd Koch (herausg.), Boote aus
aller Welt, Berlin, Museum für Völkerkunde, pp. 33-54.
KOCH Gerd, 1971. Materielle Kultur der Santa Cruz-Inseln, unter besonderer Berücksichtigung der
Riff-Inseln, Berlin, Museum für Völkerkunde.
—, 1985. Boote aus Polynesien und Mikronesien, in Gerd Koch (herausg.), Boote aus aller Welt,
Berlin, Museum für Völkerkunde, pp. 11-32.
LEWIS David, 1994. We, the navigators, The Ancient Art of Landfinding in the Pacific, 2d edition,
Honolulu, University of Hawai’i Press.
NEYRET Jean, 1976a et b. Pirogues océaniennes, tome I et tome II, deuxième édition, Paris,
Association des Amis des musées de la Marine.
QUIRÓS Pedro Fernández (de), 2001. Histoire de la découverte des régions australes, traduction et
notes d’Annie Baert, Paris, L’Harmattan.
VÉRIN Pierre, 1969. L’ancienne civilisation de Rurutu (îles Australes, Polynésie française). La
période classique, Paris, ORSTOM.
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In memoriam Roger Curtis Green1
(1932-2009)Christophe Sand
Le professeur émérite Roger Curtis Green est décédé dans sa maison de Titirangi, dans
la banlieue d’Auckland en Nouvelle-Zélande, le samedi 4 octobre 2009, soutenu jusqu’à
la fin par l’amour de sa femme Valérie. Avec son départ, c’est un pan entier de la
mémoire de l’histoire archéologique océanienne qui disparaît, celle qui a vu passer
l’archéologie du Pacifique d’une science pionnière à une recherche de pointe. Une part
non négligeable de cette avancée est sans nul doute due à Roger C. Green, qui fut
durant trente ans le grand Matua de l’archéologie de notre région.
Issu d’une famille du New Jersey aux États-Unis, un pays dont il ne perdra jamais
l’accent malgré cinquante ans de vie dans le Pacifique, sa carrière aurait dû se
concentrer uniquement sur le passé indien du sud-ouest américain, pour lequel il
s’était passionné dès l’âge de 9 ans. Mais lors d’une rencontre en 1956-1957 avec le
professeur Douglas Oliver de Harvard, celui-ci l’incita à aller explorer les origines des
peuples du grand Océan. En lui déclarant que « tout jeune homme devrait aller à
Tahiti », D. Oliver dévia le cours de son destin. R. Green partit en 1958 pour la première
fois dans le Pacifique et réalisa ses premiers terrains en Nouvelle-Zélande ainsi qu’à
Mangaréva en 1959-1960, en s’inspirant de l’approche globalisante proposée par Jack
Golson sur l’archéologie polynésienne. Green ne savait probablement pas que les
techniques qu’il introduisait en Océanie, en particulier la démarche de « l’archéologie
spatiale » (settlement pattern approach), allaient avoir une influence immense sur la
recherche archéologique dans l’ensemble de la région. Ayant fait ses premières armes
et identifié les grands questionnements qu’il souhaitait explorer en matière
d’archéologie polynésienne, il se lança dans les années 1960 dans deux énormes projets
d’équipe. Épaulé par son étudiante Janet Davidson, il réalisa la première étude de la
vallée d’Opunohu, à Mooréa aux îles de la Société, où il put expérimenter tout le
potentiel de l’archéologie spatiale dans l’espace polynésien, en cartographiant en
particulier plus de trois cents structures archéologiques (Green et al.,1967). Ce potentiel
fut démultiplié lors du programme mené entre 1963 et 1965 avec une grosse équipe sur
les îles de Savaii et de Upolu aux Samoa occidentales. Ces travaux donnèrent lieu à la
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publication de deux volumes restés jusqu’à aujourd’hui sans parallèle pour
l’archéologie de la Polynésie occidentale (Green and Davidson, 1969, 1974).
C’est au moment où son intérêt se déplaçait vers l’ouest du Pacifique que Roger Green
accepta en 1967 un poste au Bishop Museum de Hawaii, au sommet du triangle
polynésien. Arrivé dans un archipel sous administration américaine au moment où se
mettaient en place les lois sur l’archéologie préventive, qui allaient aboutir à
l’émergence de l’archéologie privée, il perçut immédiatement tout l’intérêt que la
recherche archéologique pouvait tirer d’une législation permettant d’obtenir des
financements privés pour réaliser des fouilles. Il dirigea les premiers programmes de
grande envergure sur la vallée de Makaha sur l’île de O’ahu, en combinant son
approche spatiale avec l’utilisation d’autres sciences, en particulier l’ethnobotanique,
sous l’impulsion de Douglas Yen. Les différents ouvrages publiés à l’issue des
programmes lancés par R. Green dans différentes vallées de O’ahu ont défini un
nouveau standard de rendu pour l’archéologie hawaiienne (voir par exemple Green,
1980).
Bien que s’étant déjà frotté à la question de la céramique dans la zone Fidji-Polynésie
occidentale ainsi qu’aux données de la linguistique historique au début des années
1960, c’est réellement avec le terrain de Samoa que Roger Green commença à
s’intéresser à ce qui allait être le sujet dont il resta durant le reste de sa vie le « Pape » :
le Lapita. De par sa formation en anthropologie polynésienne, cet intérêt se manifesta
dans un premier temps dans le cadre de la question de « l’origine des Polynésiens ».
Mais c’est en Mélanésie qu’il alla chercher des réponses au « mystère Lapita », lors d’un
autre gros programme de terrain, centré sur les îles Reef/Santa Cruz, au sud-est des
Salomon. Ayant obtenu en 1970 un fellowship de la Société royale de Nouvelle-Zélande,
qui lui permit durant trois ans d’être dégagé de ses obligations d’enseignement, R.
Green monta, en collaboration avec Doug Yen, un gros projet sur les îles Reef/Santa-
Cruz, combinant une approche archéologique, linguistique et ethnobotanique. Parmi de
nombreux autres travaux, R. Green réalisa, sur différents sites-clés Lapita qu’il
découvrit lors de prospections, les fouilles spatiales extensives qui manquaient si
cruellement jusque-là aux sites de premier peuplement austronésien. La découverte
d’un matériel archéologique riche et divers lui permit de définir enfin les contours d’un
« ensemble culturel Lapita » pour le Pacifique Sud-Ouest, en identifiant des
changements chronologiques et géographiques dans les motifs pointillés, l’existence
d’échanges à longue distance, ainsi que le lien entre certains graphismes Lapita
produits il y trois mille ans et des motifs décoratifs océaniens traditionnels. Convaincu
depuis les années 1960 de l’intérêt des reconstitutions linguistiques, ce qui avait incité
le linguiste d’Auckland Bruce Biggs à lancer le projet POLLEX sur le lexique proto-
polynésien, il put tester, en s’appuyant sur la complexité de la situation linguistique des
Reef/Santa Cruz, les passerelles possibles entre langues et histoire. Sa tentative de
synthèse sur cette période Lapita, publiée en 1979, s’appuyant sur une approche
multiple des champs de recherche (archéologie, linguistique, ethnobotanique,
anthropologie), reste encore aujourd’hui l’un des articles les plus cités dans la
littérature archéologique du Pacifique, plus de trente ans après sa rédaction (Green,
1979).
Alors que tout destinait Roger Green à terminer sa carrière à Hawaii, il choisit au
contraire, au milieu des années 1970 de revenir en Nouvelle-Zélande, pour prendre le
poste de professeur de préhistoire spécialement créé pour lui par l’Université
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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d’Auckland. Cette étape de sa vie fut marquée au début des années 1980 par sa
rencontre avec sa seconde épouse, Valérie, anthropologue spécialisée de Tokelau, mais
aussi ses premiers soucis de santé. En dehors de terrains autour d’Auckland, sa dernière
implication directe dans un programme de fouilles eut lieu en 1984 lors du Lapita
Homeland Project dans l’archipel Bismarck où il réalisa avec Dimitri Anson une nouvelle
série de fouilles sur un site Lapita célèbre, celui de Watom décrit au début du XXe siècle
par le père Otto Meyer. Cette décennie aura été marquée dans la bibliographie de Green
par la publication d’un certain nombre d’articles de synthèse majeurs, aussi bien sur le
Lapita que sur la Polynésie (voir par exemple, Green, 1991, 1996, 2003), avec en
particulier l’utilisation d’un modèle phylogénique de diversification culturelle
développé avec Patrick Kirch (Kirch and Green, 2001).
À ce jour, Watom est la seule fouille de toute l’épopée du Lapita Homeland Project à avoir
été publiée de façon complète (Green and Anson, 2000), dans le cadre d’un plan de
rendu de ses données de terrain et de diffusion de ses idées qui fut consciemment défini
par Roger Green à partir des années 1980. Un plan qu’il a poursuivi jusqu’à la veille de
sa mort, de façon systématique, conscient qu’il était que l’archéologie océanienne avait
besoin d’un certain nombre de grands axes d’analyse pour pouvoir progresser et
certain qu’il était l’un des mieux placés pour proposer certains de ces axes. C’est avec
cette idée en tête qu’il décida dès que l’occasion lui en fut présentée, de partir en
retraite au début des années 1990. Une retraite qui n’en fut jamais vraiment une, car
Roger Green passa chaque jour à son bureau à écrire, lire, passer des coups de
téléphone de parfois plusieurs heures aux quatre coins de la terre.
Un des aspects les plus attachants du personnage fut certainement son attention
sincère aux autres. Avec une foi profonde dans la nécessité de donner leur chance aux
jeunes et sa connaissance de l’ensemble du Pacifique, il aura soutenu, aidé, porté,
dirigé, repêché une bonne partie des quinquagénaires et des quadragénaires qui sont
aujourd’hui dans les positions de responsabilité de l’archéologie océanienne, qu’ils
soient pakeha ou océaniens. Au cours des dernières années, marquées en particulier en
2006 par une grave alerte médicale, il a ainsi organisé la dispersion d’une partie de ses
données scientifiques et de ses archives, les remettant à des collègues plus jeunes, avec
mission explicite d’achever ce qu’il avait commencé.
Mon premier contact avec Roger Green eut lieu un jour de 1986 où il m’avait dit de
venir le voir à l’Université d’Auckland en apprenant que j’étais en ville. Je me souviens
de ce monsieur à la grosse voix et une longue barbe, très impressionnant, qui avait
accueilli ce tout jeune étudiant calédonien sans autre forme de protocole, curieux
simplement de ce que j’avais à lui raconter sur mes premières expériences en
archéologie polynésienne à Wallis-et-Futuna avec Daniel Frimigacci. Durant tout mon
cursus universitaire, il m’encouragea comme il le fit pour bien d’autres étudiants, à une
époque où les essais nucléaires français et l’affaire du Rainbow Warrior, doublés de la
crise politique calédonienne, avaient jeté l’ostracisme sur les francophones du
Pacifique. Étant un des seuls archéologues anglophones de la région à faire l’effort de
lire toutes les publications de la discipline en français, il était convaincu, avec José
Garanger et contre l’avis de beaucoup d’autres, qu’il fallait maintenir un lien entre les
chercheurs des deux langues. Il accepta de lire ma grosse thèse de doctorat rédigée en
français, afin en particulier de pouvoir contribuer, m’avoua-t-il plus tard, à la décision
finale du jury. Ses multiples marques d’amitié envers ma famille et mes collègues
calédoniens au cours de la décennie suivante, son accueil toujours chaleureux à
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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Auckland, ses attentions aux archéologues kanak lors des congrès internationaux, ses
déplacements en Nouvelle-Calédonie simplement pour venir visiter les sites et discuter
avec l’équipe du département Archéologie, ses coups de téléphone interminables au
bureau, qui imposaient de laisser tout en plan pour s’engager dans des discussions de
fond qu’il dirigeait sous forme professorale, ont ponctué ces années. Elles m’ont permis
de pouvoir un jour fièrement l’amener sur le site éponyme de Lapita à Koné, pour
participer à une coutume souhaitant légitimer le lien historique entre cette tradition
vieille de trois mille ans et le peuple autochtone kanak.
Son dernier coup de téléphone au bureau quelques semaines avant de nous quitter était
un au-revoir d’une simplicité déchirante, un dernier geste d’un vieux maître digne dans
la maladie, donnant ses dernières instructions à l’un de ses disciples avant de se retirer.
Mais ces quelques courtes lignes de souvenirs personnels ne doivent pas faire oublier
l’extraordinaire héritage scientifique laissé par Roger Green : une dizaine de livres, près
d’une centaine d’articles scientifiques, dont un grand nombre sont devenus
immédiatement des classiques. Dans la dernière partie de sa vie, il a co-signé une bonne
part de ses publications avec des chercheurs plus jeunes, voulant être avant tout un
passeur de flambeau. S’il a eu, comme tout universitaire, des inimitiés profondes avec
certains de ses collègues, si certaines de ses conclusions sont aujourd’hui remises en
question par l’avancée des recherches, s’il est parti sans avoir réussi à conclure tous les
dossiers scientifiques sur lesquels il travaillait, il ne fait néanmoins aucun doute qu’il a
rejoint le panthéon très fermé des quelques grands du Pacifique, avec Peter Buck,
Kenneth Emory, José Garanger et une poignée d’autres.
Oleti Roger pour la flamme transmise aux plus jeunes.
BIBLIOGRAPHIE
GREEN Roger C., 1979. Lapita, in J. D. Jennings (ed.), The Prehistory of Polynesia, Cambridge, Harvard
University Press, pp. 27-60.
—, 1980. Makaha before 1880 A.D, Makaha Valley Historical Project Summary Report No. 5,Honolulu,
Bishop Museum Press, Pacific Anthropological Records 31.
—, 1991. Near and Remote Oceania: Disestablishing “Melanesia” in culture history, in A. Pawley
(ed.), Man and a Half: Essays in Pacific Anthropology and Ethnobiology in Honour of Ralph Bulmer,
Auckland, Polynesian Society, pp. 491-502.
—, 1996. Settlement patterns and complex society in the Windward Society Islands: Retrospective
commentary on the research in ’Opunohu Valley, Mo’orea, in M. Julien, M. Orliac et C. Orliac
(éds), Mémoire de pierre, mémoire d'homme, tradition et archéologie en Océanie, ouvrage collectif en
hommage à J. Garanger, Paris, Publications de la Sorbonne, pp. 209-227.
—, 2003. The Lapita horizon and traditions – Signature for one set of oceanic migrations, in C.
Sand (ed.), Pacific Archaeology assessments and prospects. Proceedings of the International Conference for
the 50th anniversary of the first Lapita excavation. Koné-Nouméa 2002, Nouméa, Les Cahiers de
l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 15, pp. 95-120.
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417
GREEN Roger C. et D. ANSON, 2000. Excavations at Kainapirina (SAC), Watom Island, Papua New
Guinea, New Zealand Journal of Archaeology 20 (1998), pp. 29-94.
GREEN Roger C., K. GREEN, R. A. RAPPAPORT and J. M. DAVIDSON, 1967. Archaeology on the island of
Mo'orea, French Polynesia, Anthropological Papers of the American Museum of Natural History 51, 2,
pp. 111-230.
GREEN Roger C. and J.M. DAVIDSON, 1969. Archaeology in Western Samoa,vol. I, Aukland, Aukland
University, Bulletin of the Auckland Institute and Museum 6.
—, 1974. Archaeology in Western Samoa, vol. II, Aukland, Aukland University, Bulletin of the
Auckland Institute and Museum 7.
KIRCH Patrick V. and Roger C. GREEN, 2001. Hawaiiki, Ancestral Polynesia: An Essay in Historical
Anthropology,Cambridge, Cambridge University Press.
NOTES
1. NDLR. – Roger C. Green était membre de la Société des Océanistes.
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Assemblée générale (exercice 2009)
Rapport moral de l'exercice 2009 par Christian Coiffier,secrétaire général
Bureau et vie de la société
L'année passée a vu disparaître trois membres de notre société : le professeur Ron
Crocombe, le professeur Roger C. Green et Monsieur Giovanni Podda. Depuis la dernière
assemblée générale du 2 avril 2009 jusqu'à la fin de la même année, il n'y a pas eu de
séance du CA. Une réunion a cependant eu lieu le mardi 16 février 2010 pour fixer les
modalités de l'organisation des élections du nouveau CA et de la prochaine assemblée
générale. Devant la désaffection des membres du CA aux diverses réunions proposées
ces deux dernières années, un certain nombre d'entre eux ont proposé de régler les
problèmes courants de la Société par courriels. Cette formule ne semble pas avoir posé
de problèmes particuliers, cependant il semblerait préférable qu'au moins deux
réunions du CA soient organisées chaque année.
Le nombre des cotisations individuelles de l’année 2009 est de 116.
L'année a été marquée par la démission, au sein du bureau, de notre trésorier Gilles
Bounoure qui a été remplacé par Sarah Mohamed-Gaillard, et par celle de Lorenzo
Brutti. Celui-ci a souhaité démissionner du CA pour des raisons personnelles. La
validation des signatures à la Poste s’est révélée laborieuse, mais finalement trois
membres du bureau (le président, le trésorier et le secrétaire général) peuvent chacun
signer pour le compte de la Société, ce qui facilite les opérations bancaires. Le bilan des
comptes (voir ci-dessous) fait apparaître une nette augmentation des ventes de nos
publications en général. La librairie du musée du quai Branly continue de nous passer
des commandes régulières, ce qui nous permet d’écouler petit à petit certains ouvrages
anciens comme celui sur les peintures aborigènes d’Australie de Karel Kupka.
Les ouvrages et les JSO en stocks, ainsi que les archives de la Société ont été emballés
dans 180 cartons par le secrétaire général, aidé de Lorenzo Brutti et de Jean-Michel
Chazine. Ils ont été finalement déménagés des réserves du musée de l'Homme vers les
sous-sols de la BNF. C'est la société Biguet, sélectionnée par le CA, qui a réalisé le mardi 3
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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février ce déménagement (soit 30m3 de cartons et huit armoires métalliques) de façon
très professionnelle et pour un devis de 740 €. Nous tenons à remercier tout
particulièrement monsieur Denis Bruckmann, directeur des collections à la
Bibliothèque nationale de France, pour avoir autorisé cet hébergement provisoire de
nos stocks. Un inventaire de toutes nos publications et numéros du JSO a été dressé par
Christian Coiffier ; ce qui facilitera la gestion de nos stocks pour notre secrétaire Hélène
Guiot.
Communication
Nous avions espéré que le salon du livre d'outre-mer, qui avait été annulé en 2008,
puisse se tenir dans le cadre du salon du livre de Paris, mais finalement l'espace dévolu
à l'Outremer fut réservé exclusivement aux éditeurs d'outre-mer. La Société des
Océanistes a pu cependant, comme l'année passée, être représentée par la Société
Bookin, diffuseur de livres de Nouvelle-Calédonie. Cette société accepte, en effet, de
vendre nos ouvrages sur son stand et nous la remercions grandement.
Jérôme Louvet a poursuivi son travail de webmaster pour la mise au point de notre site.
Comptes 2009 et budget prévisionnel 2010 par SarahMohammed-Gaillard, trésorière
Suite à la démission de Gilles Bounoure, peu avant l’assemblée générale de l’exercice
2008, Sarah Mohamed-Gaillard s’est proposée pour reprendre le poste de trésorier lors
de cette AG. Le CA l’a donc nommée comme membre afin de pouvoir prendre cette
fonction. Elle a alors récupéré les éléments comptables auprès de Gilles Bounoure que
nous remercions pour le travail effectué, et s’est familiarisée avec la fonction, durant
les premiers mois d’exercice, grâce à l’aide de Gilles Bounoure, d’Hélène Guiot et
d’Isabelle Leblic. Nous devons remercier ici le travail incessant et essentiel, d’Hélène
Guiot et d’Isabelle Leblic, sur lesquelles repose principalement le fonctionnement
financier de la société. Grâce à leur soutien le nouvelle trésorière a pu réalisé, compte
par compte, une re-évaluation de nos positions. L'exercice 2009 porte donc les traces
d'un nombre de rectifications dans l'attribution de biens et dettes à des positions
appropriées. Au moment de la clôture des comptes de l'exercice 2008 il s'est avéré
nécessaire tout au début de l'an 2009 d'échanger en liquide 15 000 € de nos réserves
dans le portefeuille de la Banque postale. Cette vente a permis d’assurer la soudure des
deux exercices (2008 et 2009) en raison du retard pris dans la rentrée des cotisations et
de la subvention Persée.
Il a semblé utile de rapporter les chiffres de 2009 à ceux de 2008, avant de proposer les
orientations financières pour 2010.
Tableau 1. – Exercice 2008, pour mémoire
Recettes Dépenses
Cotisations membres 4 905,00 JSO 126-127 (n° double) 13 588,83
Abonnements JSO 10 159,00 Publications 29 642,94
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Ventes JSOau numéro 2 712,40 Frais de bureau 20,64
Ventes publications 15 077,16 Frais d'expédition 2 833,34
Remb. frais d'expéd. 552,30 Frais financiers 134,51
Subventions aux publications 17 011,00 Salaire secrétaire 9 760,62
Subventions CNL JSO 4 000,00 Charges 6 930,52
Subventions CNRS JSO 3 063,00 Divers 801,43 €
Subvention Coll ICAL 1 000,00
Subvention Persée 3 000,00
Total 61 479,86 Total 63 712,83
Exercice 2009, approuvé par l’AG du 3 juin 2010
Recettes Dépenses
Cotisations membres 7 288,00 JSO 128+129 (2 n°) 13 964,59
Abonnements JSO 9 490,00 Publications (rééd. Henry) 13 256,72
Ventes JSOau numéro 1 337,00 Frais de bureau 403,06
Ventes publications* 28 767,58 Frais d'expédition 3 871,26
Remb. frais d'expéd. 850,12 Frais financiers 74,50
Subventions CNL JSO 4 000,00 Salaire secrétaire 11 606,82
Subventions CNRS JSO 3 063,00 Charges 7 744,26
Pré-achat Pub. Sand 8 000,00
Dons 86,28
Divers 17,42
Divers (dont droits d’auteurs et
reversement subv. Coll. ICAL)
3 648,07
€
Total 1 62 945,47 Total 54 569,28
Pré-achat Musée NC compté an passé
et ici dans ventes publi.
-17 011,00
Total 2 45 934,47 Total 54 569,28
Position du compte courant au 31 décembre 2009 : 7 171,16 €
Position du compte « livret A » au 31 décembre 2009 : 10 133,50 €
Relevé de portefeuille au 31 décembre 2009 : 38 562,15 € (52 276,11 € fin 2008 car vente
de 15 000 €)
Les chiffres de 2009 appellent quelques remarques :
Le bénéfice qui apparaît dans le Total 1 se doit au fait, que la somme de17 011,00 €, versée par Musée de Nouvelle-Calédonie pour le pré-achatdu livre d’I. Leblic n'est arrivée qu'en juin 2009, mais a été à tort pré-
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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escomptée dans l'exercice 2008. Nous ne pouvons pas reprendre lescomptes validés l’an passé, nous déduisons donc ici pour le Total 2 cettesomme du montant des ventes faites pour ne pas les compter deux fois.
En raison de plusieurs ajustements transitoires des côtés dessubventions et des dépenses le déficit réel de l'exercice 2009 se réduitcomme suit à 2 800,58 € :
ICAL et Persée +4 000,00 CNASEA et prime 2008 -1 834,23
Total 2 49 934,47 Total 2 52 735,05
En somme, nous avons avant tout pu rattraper la baisse observée l’an passé de près de
29 % des cotisations versées : nous sommes revenu à un niveau supérieur à 2007
(6 905 €) Cette tendance à la baisse a été enrayée surtout grâce à une campagne de
relance et de nouvelles adhésions par mail, très efficacement soutenue par notre
rédactrice Isabelle Leblic, ce qui a permis de voir revenir d’anciens membres et d’en
connaître de nouveaux. Nous ne pouvons qu’engager les autres membres de la société à
en faire de même pour contribuer activement à son rayonnement comme à son bon
fonctionnement.
Grâce aux préachats déjà effectués pour des impressions en cours la production de nos
publications s'est stabilisée. Nous remercions M. Paillart de sa patience dans les années
préalables.
(Le rapport financier détaillé est consultable au Secrétariat général de Société des
Océanistes.)
Sur cette base consolidée la trésorière a établi pour l’exercice 2010 un budget
prévisionnel, globalement équilibré, qui fût approuvé lors de l’Assemblée générale du 3
juin 2010.
Tableau 3. – Budget prévisionnel 2010
Recettes Dépenses
Cotisations membres 7 500,00€ JSO 130-131 13 000,00€
Abonnements JSO 10 000,00€ Publications**** 17 000 00€
Ventes JSOau numéro* 2 500,00€ Frais d'expédition 2 900,00€
Ventes Publications** 15 000,00€ Frais financiers 150,00€
Remboursement frais d'expédition 950,00€ Salaire secrétaire 9 200,00€
Pré-achat ***
- Pub. Dousset (3 000 €)
- Petites hist. 1 (4 500 €)
7 500,00 € Charges sociales 7 000,00€
Subventions CNL JSO 4 500,00€ Frais de bureau 700,00€
Subventions CNRS JSO 3 000,00€
Subvention cahier photos JSO Juillerat 1 000,00€ Divers, dont droits d’auteur 2 000,00€
Total 51 950,00€ Total 51 900,00€
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Rapport d’activités 2009 présenté par Isabelle Leblic,secrétaire générale adjointe chargée du JSO et despublications
Depuis le renouvellement du conseil d’administration en 2007, I. Leblic est chargée au
sein de la Société des Océanistes des diverses publications et du Journal de la Société des
Océanistes.
Publications de la SDO
En tant que responsable scientifique des diverses collections de publications de la Sdo,
un peu comme une directrice de collection dans d'autres éditions, I. Leblic reçoit les
propositions de manuscrits et les met en lecture pour avis scientifique, sur le fond et
sur la forme. Les lecteurs ont deux mois pour donner leur avis. Elle fait alors état des
rapports en conseil d’administration, comme le faisaient avant elle ceux qui se sont
succédé à cette fonction. Parallèlement, elle fait établir un devis de réalisation de
l'ouvrage qui est présenté en CA pour prise de décision.
En 2009, la SDO a reçu deux propositions de manuscrit, dont un a été retenu pour
publication :
Mythes, missiles et cannibales. Le récit d’un premier contact en Australie de Laurent Dousset
mis en lecture auprès de Sylvie Poirier et de Barbara Barbara Glowczewski qui toutes
deux ont rendu un avis très positif. Le devis provisoire établi par Paillart s’élève à
3 610 € TTC pour un tirage à 500 exemplaires. Le dernier CA de la SDO de février 2010 a
validé la publication par la société de cet ouvrage dans la collection Publications de la
SDO dont ce sera le volume 50. L’auteur préférant un tirage à 1000 exemplaires, la
question sera soumise à un prochain CA.
Par ailleurs, courant 2009, I. Leblic a procédé à la relecture complète pour corrections
de l’ouvrage de Christophe Sand Lapita calédonien. Archéologie d’un premier peuplement
insulaire océanien à paraître courant 2010 dans la collection Travaux et documents sous
le numéro 2. Elle signale que la dernière version vient de lui être remise (en mars 2010)
et après ultime relecture (par Gilles Bounoure et elle-même) et report des corrections
par elle-même, il sera mis sous presse dans les mois qui viennent.
En décembre 2009, un accord a été passé avec Jean-Marc Pambrun qui a repris les
éditions Le Motu à Papeete pour un pré-achat de 500 exemplaires des livres de la
collection Petites histoires d’Océanie que nous allons enfin pouvoir mettre sous presse.
Journal de la Société des Océanistes (JSO)
En tant que rédactrice en chef du JSO, elle reçoit les manuscrits et les met en lecture
pour avis. Elle gère les relations avec les auteurs depuis l'envoi de leur première
version de leur texte jusqu'à la mise sous presse finale.
I. Leblic transmet à Pascal Bonnemère et Gilles Bounoure (qui font partie du comité de
rédaction que nous avons institué en l’absence de secrétaire de rédaction), avant envoi
pour mise en page à l’imprimerie Paillart, tous les articles acceptés afin qu'ils fassent
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
423
avec elle la dernière lecture « correction » sur la forme et la typographie. Les
corrections proposées sont soumises aux auteurs. Une fois cette dernière phase de
corrections terminée, nous n’acceptons plus aucune correction de la part des auteurs.
Les épreuves sont donc envoyées pour relecture aux auteurs, épreuves qu’elle relit
également pour corrections finales typographiques, aidée dans cette tâche par le
comité de rédaction. Puis, elle transmet à Paillart les dernières corrections avant mise
sous presse.
Enfin, une fois la publication terminée, elle envoie aux auteurs leurs tirés à part en pdf
et prévient les éditeurs et/ou auteurs de la parution d’un compte rendu les concernant.
Depuis notre publication sur internet, I. Leblic gère également la mise en ligne sur
revues.org (mise en forme des textes pour lodel via le modèle qui leur est propre et
publication des textes ainsi préparés, ajout des tirés à part en pdf à chaque mise en
ligne ; enfin, basculement au bout des trois ans de tout nouveau numéro en texte
intégral).
I. Leblic propose, suscite, recherche ou demande à des collègues des thèmes pour les
dossiers des numéros qui sont désormais tous thématiques afin de les soumettre au CA
qui décide de ceux à retenir et elle prépare les calendriers nécessaires au suivi des
dossiers. Elle cherche au besoin des collègues pour coordonner les dossiers sur les
thèmes retenus pour travailler en étroite collaboration avec la rédaction du JSO ou elle
le fait en tant que rédactrice en l'absence de bonnes volontés pour s’en charger.
Chaque année, I. Leblic gère les demandes de subvention auprès du CNL ou du CNRS (tous
les deux ans), etc. en remplissant aux dates convenues les dossiers de demandes.
Par ailleurs, même si cela n'est pas dans ses tâches, elle fait mon maximum pour faire
de la publicité à notre journal. Récemment, une collection quasi complète a ainsi pu être
vendue à la Maison de Nouvelle-Calédonie ; nous leur avons proposé également la vente
nos ouvrages sur la Nouvelle-Calédonie.
Elle cherche à faire reconnaître la bonne qualité de notre revue auprès des instances
d'évaluation (CNRS, CNL ou ERIH). Suite à l'initiative de la mise en ligne, tant sur
revues.org que sur Persée, I. Leblic a sollicité des collègues pour la validation des mises
en ligne sur Persée et elle remercie ici Pascale Bonnemère et Sarah Mohammed-
Gaillard qui ont passé avec elle beaucoup de temps pour faire ces validations et
permettre que notre collection depuis 1945 jusqu’en 2000 soit désormais en ligne quasi
intégrale (2018 contributions pour 120 numéros sur les 111 parus – certains étant
totalement épuisés). Elle remercie également l’équipe de persée pour le travail fait et
leur disponibilité, notamment notre interlocuteur Thomas Mansier.
Avec cette mise en ligne, nous avons concrétisé deux dossiers de mise en ligne qu’elle
avait initiés pour une meilleure diffusion de notre Journal.
L’année 2009 a vu la mise en place concrète du comité scientifique international auquel
I. Leblic communique systématiquement par mail les dossiers JSO. Nombreux sont ceux
qui me répondent régulièrement, qu’ils en soient ici remerciés.
Tout ce travail a permis un nouvel essor au JSO (nombreux sont ceux qui le disent à
l’extérieur de la SDO).
Durant cette année 2009, deux numéros ont été publiés :
• JSO128 : Hommage à José Garanger (dossier coordonné par Éric Conte et Christophe Sand).
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
424
• JSO129 : numéro varia autour de cinq articles sur l’Australie (le JSOd’Hommage à Bernard
Juillerat, coordonné par Pierre Lemonnier et Denis Monnerie, qui devait être le 129 a été
décalé à 2010 pour en faire un numéro double 130-131).
Côté statistiques de consultation fournies par revues.org, nous pouvons établir que nos
pages sont régulièrement consultées. Ainsi, depuis l’ouverture courant septembre, nous
avons « reçus » 25 482 visiteurs (soit en moyenne plus de 2 000 visiteurs différents par
mois), soit vingt fois plus que nos membres actuels !
Mois Visiteurs différents Visites Pages Hits Bande passante
Jan. 2009 829 1 519 3 268 35 591 489.89 Mo
Fév. 2009 742 1 260 3 404 33 434 503.17 Mo
Mars 2009 746 1 295 4 474 17 016 699.17 Mo
Avril 2009 804 1 308 3 398 15 080 639.94 Mo
Mai 2009 852 1 459 4 301 15 794 546.96 Mo
Juin 2009 1 974 2 662 5 648 37 196 948.69 Mo
Juillet 2009 3 285 4 120 10 776 69 181 1.75 Go
Août 2009 2 721 3 519 7 466 52 261 1.25 Go
Sept. 2009 3 318 4 583 9 343 65 377 1.53 Go
Oct. 2009 3 503 5 093 10 298 68 549 1.90 Go
Nov. 2009 3 460 4 930 10 111 72 828 1.30 Go
Déc. 2009 3 248 4 613 10 513 76 571 1.13 Go
Total 2009 25 482 36 361 83 000 558 878 12.59 Go
Il nous faut rappeler la nécessité de donner l’autorisation de mise en ligne. Pour tous
les auteurs ou ayant droit d’auteurs décédés ayant publié un jour ou l’autre dans le JSO,
et qui ne l'ont pas encore fait, il vous est demandé de bien veiller à renvoyer à la SDO
l'autorisation de mise en ligne que vous pouvez trouver sur http://jso.revues.org/
index4162.html.
• Subventions CNRS et CNL et classement ERIH
Comme chaque année, j’ai déposé en janvier 2009 notre demande de subvention au CNL
qui nous a accordé pour 2009, soit pour la cinquième année, la somme de 4 000 € (elle
était les deux premières années de 3 500 €).
En 2009, comme l’année précédente, nous avons reçu 3 063 € du CNRS. Notre revue a été
classée par l’académie des sciences européenne (European Science Fondation) dans la liste
ERIH en SHS en B.
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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Campagne d’email auprès d’anciens membres et recherche de
nouveaux membres
Début janvier 2009, I. Leblic a envoyé plusieurs dizaines de mails auprès d’anciens
membres ne cotisant plus depuis plusieurs années pour les inciter à revenir (plusieurs
ont répondu favorablement) et, dans le même ordre d’idée, elle a lancé des mails à tout
son carnet d’adresse sur le Pacifique (avec beaucoup d’adresses en Nouvelle-Calédonie),
ce qui a permis de récupérer d’anciens membres et d’en acquérir de nouveaux. Nous ne
pouvons qu’encourager tous nos membres à en faire de même auprès de leurs collègues
et connaissances intéressés par l’Océanie.
Ventes publications
Fin décembre 2009, 765 exemplaires de notre dernière publication (Leblic, octobre
2008) avaient été vendus, ce qui est encourageant. Le préachat du musée de Nouvelle-
Calédonie a été concrétisé et la somme allouée a été versée en juin 2009 (plus de 17 000
€). Au total, pour l’année 2009, nous avons vendu pour 28 767,58 € de publications, soit
plus d’un tiers de nos recettes annuelles.
Cinéma des Océanistes
Les séances tous les deux mois se déroulent avec à chaque fois un public diversifié et
intéressé par les débats qui suivent les projections. Cette activité suit désormais un
cours régulier et j’escompte bien trouver sous peu lors du renouvellement du CA de la
SDO quelqu’un qui voudra bien se charger de cette nouvelle activité. En 2009, nous
avons eu trois séances, Sevrapek city de Fabienne Tzerikiantz et Emmanuel Broto (2/04),
Reviens demain d’André Itéanu et d’Eytan Kapon (1/10) et Le salaire du poète d’Éric
Wittersheim (3/12).
Compte rendu de l’AG 2010 (par Christian Coiffier,secrétaire général sortant)
L’assemblée générale annuelle de la Société des Océanistes s’est déroulée le jeudi 3 juin
2010 de 15h à 17h30 dans la salle de cinéma du musée du quai Branly. Seize adhérents
dont huit membres du conseil d’administration sortant étaient présents à cette
assemblée générale : Gilles Bounoure, Benoît Carteron, Christian Coiffier, Françoise
Douaire-Marsaudon, Jessica De Largy Healy, Jean-François Faba, Maurice Godelier,
Barbara Glowczewski, Christian Kaufmann, Isabelle Leblic, Jack Maloigne, Magali
Mélandri, Sarah Mohamed-Gaillard, Philippe Peltier, Jean-Paul Raillat et Jean Trichet.
La séance fut ouverte à 15h30 et, en l’attente de notre président (arrivé à 16h), nous
avons procédé au pointage des votants sur la liste des adhérents.
L’ordre du jour arrêté en CA a été traité dans l’ordre suivant. Les rapports ont été
présentés ci-dessus.
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
426
1. Présentation du rapport moral par Christian Coiffier
2. Présentation du rapport financier (comptes de l’exercice passé et
budget prévisionnel) par Sarah Mohamed-Gaillard
3. Présentation du rapport sur les publications, le JSO et le Cinéma
des Océanistes par Isabelle Leblic.
La rédactrice en chef annonce un prochain numéro spécial du JSO sur le thème « Lévi-
Strauss et l’Océanie » ; Maurice Godelier fait remarquer que Lévi-Strauss a fait très peu
de publications concernant l’Océanie. I. Leblic précise qu’il s’agit d’un dossier
coordonné par Pierre Maranda et Raymond Mayer qui donnera la parole à des
océanistes ayant travaillé dans la lignée de Claude Lévi-Strauss.
Trois votes de validation du rapport moral, du rapport financier et du rapport sur les
publications, le JSO et le Cinéma des Océanistes qui ont recueilli chacun 16 voix pour,
aucun vote contre, aucune abstention.
4. Élection du nouveau CA
À 16h45, Christian Coiffier, Isabelle Leblic et Sarah Mohamed-Gaillard ont commencé le
dépouillement des bulletins de vote. Le CA de la SDO avait validé22 candidatures pour 17
postes à pourvoir. Nous avons reçu 42 votes par correspondance. Cinq bulletins ont été
remis sur place, ce qui nous fait un total de 47 votants. Un vote par correspondance n’a
pas pu être identifié et n’a donc pas été pris en compte. Sur ces 46 suffrages exprimés,
trois bulletins ont été considérés nuls car non conformes. Ce sont donc 43 bulletins qui
ont été validés.
Après un recomptage sur place, les candidats élus sont annoncés (par ordre
alphabétique et sous réserve d’un nouveau décompte qui sera fait le lundi suivant dans
les bureaux de la SDO) : Pascale Bonnemère, Gilles Bounoure, Sophie Chave-Dartoen,
Christian Coiffier, Éric Conte, Barbara Glowczewski, Maurice Godelier, Christian
Kaufmann, Jessica De Largy Healy, Isabelle Leblic, Magali Mélandri, Sarah Mohamed-
Gaillard, Denis Monnerie, Philippe Peltier, Bernard Rigo, Christophe Sand et Jacques
Vernaudon.
Cinq candidats ne semblent donc pas élus : Jean-Michel Chazine, Jack Maloigne, Marie-
Françoise Peteuil, Marc Tabani, Jean Trichet. La liste des élus est validée par l’AG sous
réserve du recomptage ultérieur.
Il est rappelé que l’élection du bureau se fera lors du prochain CA qui se tiendra le
mercredi 16 juin 2010 à 17h à l’EHESS. Les nouveaux élus pourront présenter leur
candidature pour les différents postes du bureau dès que les résultats définitifs auront
été connus.
5. Questions diverses
Barbara Glowczewski demande quelle est la procédure pour proposer une exposition au
musée du quai Branly par l’intermédiaire de la Société des Océanistes. Il lui est répondu
que son projet devra être approuvé au préalable par le CA de la SDO.
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
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La séance est levée à 17h30 et est suivi de la projection du film Ouvéa : le développement
pour l’indépendance de Mathias Faurie.
Résultat final des élections du nouveau conseild’administration de la SDO du jeudi 3 juin 2010 aprèsvérification du lundi 7 juin 2010
Membres élus :
- Mélandri Magali 41
- Godelier Maurice 39
- Mohamed-Gaillard Sarah 39
- Bonnemère Pascale 38
- Sand Christophe 38
- Chave-Dartoen Sophie 37
- Peltier Philippe 37
- Vernaudon Jacques 37
- Leblic Isabelle 36
- Monnerie Denis 36
- Bounoure Gilles 35
- Coiffier Christian 33
- Conte Éric 33
- Kaufmann Christian 32
- Glowczewski Barbara 30
- De Largy Healy Jessica 30
Non élus :
- Chazine Jean-Michel 29
- Rigo Bernard 29
- Trichet Jean 24
- Tabani Marc 21
- Maloigne Jack 18
- Péteuil Marie-Françoise 15
Les candidats élus sont donc (par ordre alphabétique) : Bonnemère Pascale, Bounoure
Gilles, Chave-Dartoen Sophie, Coiffier Christian, Conte Éric, Glowczewski Barbara,
Godelier Maurice, Kaufmann Christian, De Largy Healy Jessica, Leblic Isabelle, Mélandri
Magali, Mohamed-Gaillard Sarah, Monnerie Denis, Peltier Philippe, Sand Christophe et
Vernaudon Jacques.
Les candidats Jean-Michel Chazine et Bernard Rigo ont obtenus le même nombre de
voix. Deux solutions étaient possibles : faire un tirage au sort ou rejeter les deux
candidatures. La question sera tranchée lors du premier CA qui doit se tenir courant
juin.
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Compte-rendu de la séance du CA : élection du 17e
membre du CA et constitution du bureau de la Sociétédes Océanistes (par Christian Kaufmann)
Le Conseil d’administration (CA) s’est réuni mercredi 16 juin 2010 à l’EHESS, 54 bd Raspail
pour l’élection de son bureau. Avant d’y procéder, il décidait de départager les deux
candidats au 17e siège par tirage au sort. Le sort désigna Jean-Michel Chazine comme
17e membre du conseil d’administration.
Le bureau pour la période 2010-2012 fût élu par vote à bulletin secret. Ont été élus
comme :
Président : Maurice Godelier ;
Vice-présidente : Pascale Bonnemère ;
Secrétaire général : Philippe Peltier
Trésorière : Sarah Mohamed-Gaillard
Secrétaire générale adjointe pour le JSO et les Publications : Isabelle Leblic
Secrétaire générale adjointe pour les conférences et le cinéma de la SDO : Magali Mélandri
Secrétaire générale adjointe pour le site Internet : Jessica De Largy Healy.
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Vient de paraître (septembre 2010)
À l’occasion de l’exposition Lapita - Ancêtres océaniens qui se tient au musée du quai
Branly du 09/11/2010 au 09/01/2011
La Société des Océanistes a le plaisir de vous annoncer la parution de sa dernière
publication qui est le deuxième d’une nouvelle collection intitulée « Travaux et
documents océanistes » :
Lapita calédonien. Archéologie d’un premier peuplement insulaire océanien
De Christophe Sand (2010)
Paris, Société des Océanistes, Travaux et documents océanistes 2, 296 p., bibliographie,
index, 300 illustrations en noir et blanc ou en couleur.
ISBN : 978-2-85430-025-3
Prix public : 38 €
(ouvrage publié avec le concours du gouvernement et des trois provinces de Nouvelle-
Calédonie)
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
430
Bon de commande
Nombre d’exemplaires Prix unitaire TTC1 Prix total Frais de port total2 Total commande
… exemplaires 38 € ………….. €
À renvoyer avec le paiement par chèque bancaire ou postal en euros à la Société des
Océanistes3, Musée du Quai Branly, 222, rue de l’Université 75343 – Paris cedex 07
NOTES
1. 30 % de réduction accordée aux librairies, soit 26,6 €/ex.
2. Poids d’un exemplaire : 1100 grammes. Frais de port en économique : pour la France, 5,35 €/
ex. ; pour l’Europe, 8,75 €/ex., pour l’Outremer et hors Europe, 12,90 €/ex.
3. Nos bureaux sont ouverts tous les lundi et mardi de 10h à 17h F026
F02001 56 61 71 16 F029 F0
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Listes des ouvrages reçus
(La liste précédente est incluse dans le numéro 129)
2010
GOVOR Elena, Twelve days at Nuku Hiva, Russians Encounters and mutiny in the South Pacific,
Honolulu, University of Hawai’i Press, bibliogr., index, illustrations noir et blanc, 301 p.
NEWELL Jenny, Trading Nature: Tahitians, Europeans and Ecological Exchange, Honolulu,
University of Hawai'i Press, bibliogr., index, illustrations noir et blanc, 296 p.
LAFARGUE Régis, La coutume face à son destin. Réflexions sur la coutume judiciaire en Nouvelle-
Calédonie et la resilience des ordres juridiques infra-étatiques, Paris, L.G.D.J. lextenso
éditions, Droits et société recherches et travaux 22, 418 p., bibliogr., annexes, préface
d’alain Christnacht.
TREMEWAN Peter, French Akaroa, New Zealand, Canterbury University Press, bibliogr.,
index, cartes, photos couleurs et noir et blanc, 383 p.
ZANETTE Didier, Le bestiaire mélanésien. 100 représentations, Nouméa, DZ Éditions, 160 p.,
photos couleurs, lexique, carte, bibliographie indicative (compte rendu dans ce
numéro).
2009
BABADZAN Alain, Le spectacle de la culture. Globalisation et traditionalismes en Océanie, Paris,
L’Harmattan, Connaissances des hommes, 286 p., bibliogr., 2 cartes. (compte rendu
dans ce numéro).
BEER Bettina, Sabine KLOCKE-DAFFA und Christiana LÜTKES ( Hg.). Berufsorientierung für
Kulturwissenschafter, Erfahrungsberichte und Zukunftsperspectiven , Berlin, Reimer,
Kulturwissenschaften, 305 p., bibliogr. après chaque contribution, présentation des 21
auteurs, 15 photographies en noir et blanc.
COLLECTIF, Atoga No Mangareva, histoire mangarévienne. Regards croisés sur le Rongo de
Cahors, université Toulouse-Le Mirail, master Patrimoine 2008-2009, musée de Cahors
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
432
Henri-Martin, 111 p., bibliographie, cartes, illus. Couleur (compte rendu dans le
numéro 129).
COLLECTIF, Tapa, Étoffes cosmiques d’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin,
127 p., bibliogr., nombreuses illustrations couleurs (compte rendu dans ce numéro).
CRUCHET Louis, Ethnoastronomie et traditions astrologiques, Paris, Éditions Publibook,
373 p.,bibliogr. sélective,photos noir et blanc, carte.
DALY Martin, Tonga. A new Bibliography, Honolulu, University of Hawai’i Press, 306 p.,
rééd. 1996, 3 index (compte rendu dans le numéro 129).
DINTRICH Michel, Un musicien chez les coupeurs de têtes, Paris, Mille et une nuits, 272 p.,
cahier de 16 p. d’illustrations couleur, nombreuses ill. noir et blanc dans le texte
(compte rendu dans le numéro 129).
DUNIS Serge, Pacific mythology, the name is woman, Papeete, Haere Po, 256 p., bibliogr.., illl.
noir et blanc.
FAGE Luc-Henri et Jean-Michel CHAZINE, Bornéo. La mémoire des grottes, Lyon, Fage
éditions, 176 p., préface de Jean Clottes, bibliogr., nombreuses ill. couleur.
GAGNÉ Natacha et Laurent JÉRÔME (éds), Jeunesses autochtones. Affirmation, innovation et
résistance dans les mondes contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll.
Essais, 195 p. (compte rendu dans ce numéro).
Géo 370 : dossier Nouvelle-Calédonie, pp. 46-107 (compte rendu dans ce numéro).
GNECCHI Ruscone et Anna PAINI (dir.), Anthropologia dell’Oceania, Milan, Raffaello Cortina
Editore, Culture e società, 340 p., bibliogr. après chaque article.
GROUSSET Paschal, Francis JOURDE et Henri BRISSAC, Le bagne en Nouvelle-Calédonie l’enfer au
Paradis. 1872-1880. Les récits de trois communards, préface et annotations d’Alain
Brianchon, Nouméa, Éditions Footprint Pacifique, 179 p., bibliogr., nombreuses
illustrations noir et blanc et couleur.
GUIART Jean (éd.), Étudier sa propre culture. Expériences de terrain et méthodes, Paris,
L’Harmattan, 184 p., bibliogr. (compte rendu dans ce numéro).
GUILLAUT Laurent, Fanny Wonu V EYS, Hélène GUIOT et al., Tapa, étoffes cosmiques de
l’Océanie, Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, préface, articles et catalogue
d’exposition, 128 p., bibliogr., nombreuses ill. couleur (compte rendu dans ce numéro).
JOLLY Margaret, Serge TCHERCKÉZOFF and Darell TRYON (eds), Oceanic encounters, exchange,
desire, violence, ANU Epress.
KRUPNIK Igor, Michael A. L ANG and Scott E. M ILLER (eds), Smithsonian at the Poles,
Contributions to International Polar Year Science, Washington D. C., Smithsonian Institution
Scholarly Press, 405 p., index, illustrations noir et blanc.
LIEP John, A Papuan Plutocracy. Ranked Exchange on Rossel Island, Aarhus, Aarhus
University Press, 360 p., bibliogr., index, glossaire, illustrations n.b. et couleur (compte
rendu dans ce numéro).
MARTIN Stéphane (éd.), Mangareva, Panthéon de Polynésie, Paris, Somogy-Musée du quai
Branly, 80 p., bibliogr., cartes, 46 ill. couleur (compte rendu dans le numéro 128).
MOKADDEM Hamid, nd. Pratique et théorie kanak de la souveraineté. …30 janvier 1936, Jean-
Marie Tjibaou, 4 mai 1989…, Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 144 p., 2 documents en
annexes et 22 ill. noir et blanc et couleur (compte rendu dans ce numéro).
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
433
Musique du monde. Nouvelle-Calédonie. Voix des rivages et des montagnes, CD enregistré en
Nouvelle-Calédonie et brochure de présentation français-anglais, 31 p. (compte rendu
dans ce numéro).
SARASIN Fritz, Ethnographie des Kanak de Nouvelle-Calédonie et des îles Loyauté (1911-1912),
Pars, Ibis Press, préface de Déwé Görödé, introduction de Christian Kaufmann,
traduction et notes de Raymond Ammann et Bernard Gasser, bibliogr., 4 index, 72
planches noir et blanc et couleur.
SEGAL Jean-Pierre, Le monde du travail au cœur du destin commun. Employeurs, syndicats,
salariés : dialogues en construction (Nouvelle-Calédonie), Nouméa, Direction du travail et de
l’emploi, 146 p.
VAN DER GRIJP Paul, Art and Exoticism. An anthropology of the yearning for authenticity,Berlin,
Lit Verlag, 358 p., bibliogr., index (compte rendu dans le numéro 129).
VERNAUDON Jacques et Véronique FILLOL (éds), Vers une école plurilingue dans les collectivités
françaises d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, Cahiers du Pacifique Sud
contemporain, hors série 1, 320 p., bibliogr., ill. noir et blanc, liste des auteurs (compte
rendu dans ce numéro).
VIVIER Jean-Loup, Calédonie, l’heure des choix, Paris, L’Harmattan, 185 p. (compte rendu
dans ce numéro).
VOLKENANDT Claus and Christian KAUFMANN (eds), Between Indigenous Australia and Europe.
John Mawurndjul. Art Histories in Context, Canberra, Reimer - Aboriginal Studies Press,
240 p., index, 3 cartes, 45 ill. en noir et blanc, 26 planches en couleur hors textes.
ZANETTE Didier, 100 objets de navigation de Mélanésie, Nouméa, DZ Éditions, 160 p., photos
couleurs, orientations bibliographiques.
2008
AL WARDI Sémir, Tahiti Nui ou les dérives de l’autonomie, Paris, L’Harmattan, 263 p.,
bibliogr. (compte rendu dans le numéro 128)
ANGLEVIEL Frédéric et Stephen LEVINE (eds), New Zealand – New Caledonia. Neighbours,
Friends, Partners. La Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie. Voisins, amis et partenaires,
Wellington, Victoria University Press, 347 p., bibliogr. après chaque article.
Bulletin de la Société des Études océaniennes 314 : Makatea, 119 p.
CARTERON Benoît, Identités culturelles et sentiment d’appartenance en Nouvelle-Calédonie. Sur
le seuil de la maison commune, Paris, L’Harmattan, coll. Portes océanes, 281 p., bibliogr.,
annexes, une carte.
COLLECTIF, Va’a. La pirogue polynésienne, Pirae, Au vent des îles – musée de Tahiti et des
îles, coll. Culture pacifique, 197 p., bibliogr., 1 carte, nombreuses illustrations en noir et
blanc et en couleur (compte rendu dans le numéro 126-127).
COLOMBO DOUGOUD Roberta (éd.), Bambou kanak. Une passion de Marguerite Lobsiger-
Dellenbach, Genève, MEG, Infolio, 184 p., bibliogr., très nombreuses ill. couleur et noir et
blanc (compte rendu dans la rubrique Miscellanées du numéro 126-127).
Coordination autochtone francophone, Des peules autochtones francophones en mouvement,
GIPTA-IGWIA France/UNESCO, DVD-ROM.
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
434
DE CASTRO Inès, Katja LEMBKE, Ulrich MENTER (Hg), Paradiese der Südsee. Mythos und
Wirklichkeit. Begleitbuch zur Sonderausstellung im Roemer- und Pelizaeus-Museum Hildesheim,
Mainz, Verlag Philipp von Zabern. 248 p., bibliographies, carte, 353 illustrations
(compte rendu dans le numéro 129).
DE DECKKER Paul et Jean-Yves FABERON (éds), La Nouvelle-Calédonie pour l’intégration
mélanésienne, Paris-Nouméa, L’Harmattan - Nouvelle revue du Pacifique 4, 285 p., 1
carte.
DERLON Brigitte et Monique JEUDY-BALLINI, La passion de l’art primitif. Enquête sur les
collectionneurs, Paris, Gallimard, 324 p., bibliogr., index thématique (compte rendu dans
le numéro 128).
DOUGLAS Bronwen and Chris BALLARD (eds), Foreign Bodies. Oceania and the Science of Race
1750-1940, Canberra, ANU, 352 p., bibliogr. après chaque article, index, 21 ill. en noir et
blanc.
DUNIS Serge (éd.), Sexual snakes, winged maidens and sky gods, Papeete, Haere Po, 286 p.,
bibliogr.., une illl. noir et blanc.
GIRARD Charles (éd.), Lettres des missionnaires maristes en Océanie, 1836-1854. Anthologie de la
correspondance reçue par Jean-Claude Colin fondateur de la Société de Marie pendant son
généralat, avant-propos de l’éditeur, préface de Claude Prudhomme, introduction
historique de Claire Laux, Paris, Karthala, collection Mémoire d’Églises, 760 p., annexe,
index biographique et onomastique, bibliogr., environ 50 illustrations couleur hors-
texte (compte rendu dans le numéro 129).
HAUDRICOURT André-Georges, Essai sur l’origine des différences de mentalité entre Occident et
Extrême-Orient, suivi de Un certain sens du concret de Jean-François Bert, Strasbourg, Les
Carnets 6, 85 p. (compte rendu dans le numéro 128).
HAUN Beverley, Inventing Easter Island, Toronto-London, University of Toronto Press-
Buffalo, 332 p., bibliogr., index, ill. noir et blanc.
HERREMAN Frank (éd.), Océanie. Signes de rites, symboles d’autorité, contributions de Pauline
van der Zee, Ingrid Heermann, Karen Jacobs, Bart Suys, Bruxelles, ING-Fonds Mercator,
192 p., bibliographie, cartes, 17 figures dans le texte, 198 objets photographiés et
décrits (compte rendu dans le numéro 128).
JOANNOT Pascale, Nouvelle-Calédonie. Terre de corail, Paris, Éditions Maison de la Nouvelle-
Calédonie /Solaris, 123 p., bibliogr., ill. couleur (compte rendu dans le numéro 129).
JOSEPHIDES Lisette, Melanesian Odysseys. Negotiating the Self, Narrative and Modernity ,
Oxford, Berghan Books Ltd, 246 p., bibliogr., index, photos noir et blanc.
KUNZ R. et Vibha J OSHI (eds), Naga, a Forgotten Moutain Region Rediscovered, Basel,
Christophe Merian Verlag and Museum des Kulturen Basel, 200 p., glossaire, bibliogr.,
cartes et photos noir et blanc et couleur.
MARANDA Pierre, Voyage au pays des Lau (îles Salomon, début du XXe siècle). Le déclin d’une
gynécocratie, Paris, éditions Cartouche, 189 p., bibliogr., 1 carte, dessins noir et blanc
(compte rendu dans le numéro 128).
Mathématiques et sciences humaines 183 : Hommage en l’honneur de G.-Th. Guilbaud, 116 p.
MRGUDOVIC Nathalie, La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, Paris,
L’Harmattan, coll. Lettres du Pacifique 10, 438 p., bibiogr., index, annexes, préface de
Michel Rocard, 2 cartes, 1 schéma (compte rendu dans ce numéro).
Journal de la Société des Océanistes, 130-131 | 2010
435
PITOISET Anne et Claudine WÉRY, Mystère Dang, Paris, Le Rayon vert, 191 p., bibliogr.,
cahier photos hors texte de 31 p., annexes : 6 biographies, 2 cartes, chronologie.
POATYIÉ Anna Pwicèmwâ et David DIJOU, Le chasseur de la vallée. I pwi-a i-pwâ mûrû géé nâ
mötö. Conte kanak paicî-français, Nouméa, ADCK-centre culturel Tjibaou et grain de sable
jeunesse, 28 p., ill. couleur, lexique paicî, CD audio bilingue (compte rendu dans le
numéro 128).
SAND Christophe, Jacques BOLÉ, André (John) OUÉTCHO et David BARET, Parcours
archéologique. Deux décennies de recherches du département archéologie de Nouvelle-Calédonie
(1991-2007), Nouméa, Les Cahiers de l’Archéologie en Nouvelle-Calédonie 17, 278 p.,
bibliogr., 1 carte, nombreuses photographies en couleur (compte rendu dans le
numéro 129).
TAYLOR John P., The other side. Ways of being and place in Vanuatu, Honolulu, University of
Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 22, Center for Pacific Island Studies, 238 p.,
glossaire, bibiogr., index, 36 ill. en noir et blanc.
WADDELL Eric, Jean-Marie Tjibaou. Kanak witness to the world. An intellectual biography,
Honolulu, University of Hawai’i Press, Pacific Islands Monograph 23, Center for Pacitific
Islands Studies, 232 p., bibliogr., index, 23 ill. noir et blanc.
WAHEO Taï, Oûguk, Le petit coco vert. Oûguk, ame metu ke caa ûen. Récit autobiographique en
français et en iaai, Nouméa, ADCK-centre culturel Tjibaou, coll. Mwâ dö tèpe 2, 195 p., une
photo noir et blanc (compte rendu dans le numéro 126-127).
WATTERS Ray, Journeys Towards Progress. Essays of a Geographer on Development and Change
in Oceania, 384 p., biblio, index, notes, abrev., glossaire, 14 fig. en noir et blanc, 14
photos couleur hors texte (compte rendu dans le numéro 129).
ZANETTE Didier, 100 kundu papous, Nouméa, DZ Éditions, 148 p., photos couleurs.
2007
ANONYME, Eteroa. Mythes, légendes et traditions d’une île polynésienne, traduit du tahitien,
présenté et annoté par Michel Brun, préface d’Edgar Tetahiotupa, Paris, Gallimard,
collection L’aube des peuples, 294 p. (compte rendu dans le numéro 128).
BENKIRANE Réda et Érika DEUBER ZIEGLER (dir.), Culture et Cultures, Les chantiers de l’ethno,
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