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RDST | N° 4-2011 | pages 83-108 Favoriser la compréhension des concepts du mouvement rectiligne à vitesse constante à l’aide d’une investigation scientifique assistée par ordinateur Louis TRUDEL Université d’Ottawa Abdeljalil MéTIOUI Université du Québec à Montréal RÉSUMÉ • Parmi les phénomènes physiques étudiés au secondaire, la compréhension des concepts cinématiques est importante car ils constituent un préalable à l’apprentissage des concepts subséquents de la mécanique. Notre recherche vise à étudier l’effet d’une investigation scientifique assistée par ordinateur sur la compréhension de la vitesse constante chez les élèves du secondaire. Nos résultats indiquent que, suite à l’implantation de cette stratégie dans une classe de physique du secondaire, seule une fraction des élèves a modifié ses conceptions du mouvement à vitesse constante. En conclusion, nous traçons les avantages et les limites de l’étude et offrons des pistes de recherche futures concernant la conception d’une démarche de laboratoire assistée par ordinateur en physique. MOTS-CLÉS • Mouvement, vitesse, enseignement assisté par ordinateur, compréhension, conception. Introduction En réaction à ce que certains ont appelé l’enseignement traditionnel de la physique, constitué d’exposés magistraux suivis de séances d’exercices et de vérification des théories au laboratoire, Anderson (2002) recommande que l’élève joue un rôle plus actif en élaborant ses connaissances sous la supervision de l’enseignant. Dans cette approche, appelée « découverte guidée », l’apprentissage résulte d’activités de mise à l’épreuve, par des expériences, des idées que l’élève entretient sur les phénomènes du mouvement. Or, les expériences proposées aux élèves dans les cours de physique ne tiennent généralement pas compte de leurs conceptions alternatives relativement à la vitesse, de sorte que ceux-ci

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Favoriser la compréhension des concepts du mouvement rectiligne à vitesse constante à l’aide d’une investigation scientifique assistée par ordinateurLouis trUdeLUniversité d’Ottawa

Abdeljalil MétioUiUniversité du Québec à Montréal

RÉSUMÉ • Parmi les phénomènes physiques étudiés au secondaire, la compréhension des concepts cinématiques est importante car ils constituent un préalable à l’apprentissage des concepts subséquents de la mécanique. Notre recherche vise à étudier l’effet d’une investigation scientifique assistée par ordinateur sur la compréhension de la vitesse constante chez les élèves du secondaire. Nos résultats indiquent que, suite à l’implantation de cette stratégie dans une classe de physique du secondaire, seule une fraction des élèves a modifié ses conceptions du mouvement à vitesse constante. En conclusion, nous traçons les avantages et les limites de l’étude et offrons des pistes de recherche futures concernant la conception d’une démarche de laboratoire assistée par ordinateur en physique.

MOTS-CLÉS • Mouvement, vitesse, enseignement assisté par ordinateur, compréhension, conception.

introduction

En réaction à ce que certains ont appelé l’enseignement traditionnel de la physique, constitué d’exposés magistraux suivis de séances d’exercices et de vérification des théories au laboratoire, Anderson (2002) recommande que l’élève joue un rôle plus actif en élaborant ses connaissances sous la supervision de l’enseignant. Dans cette approche, appelée « découverte guidée », l’apprentissage résulte d’activités de mise à l’épreuve, par des expériences, des idées que l’élève entretient sur les phénomènes du mouvement. Or, les expériences proposées aux élèves dans les cours de physique ne tiennent généralement pas compte de leurs conceptions alternatives relativement à la vitesse, de sorte que ceux-ci

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peuvent éprouver de la difficulté à identifier les facteurs pertinents et à les exprimer quantitativement sous forme d’équations.

En conséquence, notre premier objectif de recherche vise à concevoir une démarche d’investigation scientifique qui tienne compte des conceptions alternatives des élèves et leur permette de vérifier leurs hypothèses au laboratoire. Notre second objectif de recherche consiste à évaluer l’effet d’une telle démarche sur la compréhension de la vitesse, chez des élèves du secondaire. Pour atteindre ces objectifs, notre recherche s’est déroulée en deux étapes. En premier lieu, nous avons effectué une revue de littérature concernant deux aspects principaux : les conceptions alternatives des élèves relatives à la vitesse et les stratégies d’enseignement de la cinématique au laboratoire de physique (voir sect. 1).

Suite à la revue de littérature, nous avons conçu une démarche d’investigation scientifique assistée par ordinateur pour favoriser, chez les élèves, la compréhension du mouvement rectiligne à vitesse constante (voir sect. 2). À la section 3, nous décrivons les principales méthodes de collecte et d’analyse des données recueillies, ainsi que les caractéristiques de notre échantillon et du milieu scolaire dans lequel la recherche a été effectuée. À la section 4, nos résultats permettent d’identifier les principales conceptions alternatives des élèves du mouvement rectiligne à vitesse constante. Les effets de la démarche d’investigation scientifique sur la compréhension des élèves sont évalués d’après le changement conceptuel qui se manifeste, ou non, dans les explications que donnent les élèves, une fois leurs expériences effectuées, des phénomènes du mouvement. Enfin, nous concluons en précisant les avantages et les limites de notre recherche, ainsi que des recommandations pour des recherches ultérieures.

1. revue de littérature

Parmi les phénomènes physiques étudiés dans l’enseignement secondaire, l’apprentissage des phénomènes du mouvement, ou cinématique, est important pour les élèves pour plusieurs raisons : d’une part la maîtrise des concepts de temps, de vitesse et d’accélération constitue un préalable à l’apprentissage des concepts de la mécanique ; d’autre part en cinématique, l’élève apprend de nouvelles méthodes, telles que la construction de graphiques cartésiens, la mesure et la cueillette systématique de données, la résolution de problèmes, etc., qui lui seront utiles dans les cours de physique plus avancés.

Or, s’il est un domaine qui est à l’origine de beaucoup de difficultés aux élèves, c’est la cinématique, définie comme l’étude du mouvement des objets sans se préoccuper de ses causes (Arons, 1990). Il existe deux raisons principales avancées par les chercheurs : les conceptions alternatives que les élèves possèdent déjà sur les propriétés du mouvement et l’emphase mise sur une mathématisation de ces propriétés dans l’enseignement de la cinématique. Nous traitons de ces deux aspects dans les sous-sections suivantes.

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1.1 Les conceptions alternatives des élèves sur le mouvement

Premièrement, les élèves disposent, avant d’arriver dans les cours de physique, d’une large expérience sur les propriétés du mouvement qu’ils ont acquise dans leurs interactions avec les événements de leur quotidien. Cette expérience leur a permis de se construire un ensemble de schémas qui les aide à interpréter les phénomènes du mouvement (Knight, 2004). En particulier, les schémas utilisés ressemblent à ceux développés par des figures historiques tels qu’Aristote (Espinoza, 2005). Ces schémas sont tout à fait adaptés aux tâches de la vie courante : conduire une bicyclette, attraper un objet, etc. Par contre, ces schémas diffèrent de façon marquée des concepts scientifiques. Dans certains cas, ces schémas peuvent même interférer avec l’apprentissage, surtout si l’enseignement n’en tient pas compte. Dans ce cas, le danger est grand que les élèves distinguent les savoirs scolaires, qui fonctionnent à l’école (par exemple, au laboratoire), des savoirs quotidiens, qui leur permettent de réagir avec efficacité aux événements de la vie courante (Legendre, 1994).

Les difficultés des élèves dans la compréhension du mouvement rectiligne à vitesse constante ont été peu étudiées dans les recherches récentes en didactique des sciences, la plupart d’entre elles ayant été réalisées il y a près de deux décennies (Crépault, 1989 ; Trowbridge & McDermott, 1980). À cet égard, si certains auteurs avancent que la plupart des élèves du secondaire ont acquis cette notion (Siegler & Richards, 1979), d’autres affirment le contraire, notamment en ce qui concerne les vitesses relatives (Lovell, Kellet & Moorhouse, 1962). En effet, en tant que rapport de la distance parcourue et de l’intervalle de temps correspondant, le calcul de la vitesse ne semble pas présenter de difficulté particulière dans une situation idéalisée, dépouillée de son contexte, telle celle qui est souvent présentée dans les exercices scolaires (Goffard, 1992). Or, selon ce dernier auteur, les élèves trébuchent lorsque l’on présente des situations plus réalistes. Considérons, par exemple, le cas d’un automobiliste se déplaçant d’une ville à l’autre, à vitesse constante, sur une autoroute. Il est facile de répondre à des questions sur le temps nécessaire pour atteindre la prochaine ville distante de 150 km pour peu que la vitesse soit donnée (par exemple, 100 km/h). Malgré tout, se dit l’élève, avant d’atteindre une vitesse constante, l’automobile a dû accélérer. Arrivée à destination, elle devra ralentir. Ce qui se passe avant ou après le mouvement rectiligne uniforme ne devrait-il pas intervenir dans le calcul du temps requis ?

D’autres difficultés apparaissent, lorsqu’on s’éloigne des situations canoniques mentionnées précédemment, en présentant, par exemple, à un élève une démonstration d’un jouet en forme de train qui voyage en ligne droite en parcourant 45 cm en 1,5 secondes (Trowbridge & McDermott, 1980). Après que l’élève a observé le mouvement en question, on lui demande quelle distance parcourrait le train en 2,5 secondes, s’il voyageait à la même vitesse. Selon les auteurs, la réponse est typique des difficultés rencontrées par les élèves en cinématique (Trowbridge & McDermott, 1980, p. 1022) :

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“Well that takes 1 ½ seconds, and it’s 45 cm. Half of that would be 22 for ¾ ths, right? So that is ¾ ths of it, but I need a whole second. So that I quartered it again, and I got 11. And so I added the 22 plus 1 to the 45, and got 78.”

Selon Trowbridge et McDermott (1980), ce raisonnement incorrect ne peut s’expliquer par des difficultés de calcul, puisque la solution du problème posé est à la portée des compétences mathématiques de l’élève. L’erreur serait plutôt causée par une difficulté d’interpréter le quotient de l’expression de la vitesse comme un nombre unique (résultant de l’opération du quotient de la distance et de l’intervalle de temps). Tout au contraire, cet élève continue de penser à la vitesse comme une simple association entre la distance parcourue et l’intervalle de temps correspondant (Arons, 1990 ; Trowbridge & McDermott, 1980 ; Thompson, 1994).

La coordination des différentes dimensions de la vitesse révèle différents niveaux de compréhension. C’est ce qu’a mis en lumière Crépault (1989), en étudiant le raisonnement qualitatif des élèves concernant des mouvements à vitesse constante. Ses conclusions rejoignent celles de Siegler et Richards (1979) et de Trowbridge et McDermott (1980). Aux niveaux inférieurs de compréhension, les élèves jugent de la vitesse selon une seule dimension (que ce soit la distance parcourue, le temps d’arrivée ou la position finale). Dans une phase intermédiaire, les règles utilisées par les élèves tiennent compte des deux facteurs mais en gardant l’un d’entre eux constant. Dans le niveau le plus élevé, les élèves peuvent coordonner ces deux dimensions pour juger de la vitesse dans des conditions arbitraires. Crépault (1989) a démontré que les raisonnements des élèves, dans les divers niveaux de compréhension de la vitesse, possèdent une structure de groupe, c’est-à-dire que la combinaison de deux raisonnements, à propos de la vitesse d’un objet d’un niveau de compréhension spécifique, produit un raisonnement du même niveau (en dépit des contradictions que cela entraîne dans les explications formulées par les élèves). Ce modèle à niveaux discrets de la compréhension est toutefois contesté par des recherches récentes qui avancent que le développement cognitif est continu, les différentes conceptions de la vitesse pouvant coexister et mises à contribution selon les caractéristiques de la tâche, impliquant une séparation entre les performances et les compétences de l’élève (Siegler, 2006 ; Albert, Kirchmeier-Rust & Matsuda, 2008).

Or, les précédentes recherches font intervenir la notion de vitesse en tant que rapport entre la distance et l’intervalle de temps. D’autres critères pour juger de la vitesse sont possibles. Ainsi, Trowbridge et McDermott (1980) ont mis en évidence l’existence d’un critère de position, utilisé par les élèves pour juger de la vitesse. Ces auteurs donnent en exemple le cas de deux automobiles roulant à vitesse constante, dans la même direction à des vitesses différentes. On demande alors aux élèves s’il existe un temps où les deux automobiles circulent à la même vitesse. La plupart des élèves répondent que durant l’intervalle de temps où les deux automobiles voyagent côte à côte, leur vitesse est la même. Il semble donc que les confusions entre les dimensions de la vitesse (intervalle de temps et intervalle de

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position) et la vitesse elle-même n’impliquent pas seulement les conditions initiales ou finales du mouvement, mais aussi des temps et des positions intermédiaires entre celles-ci.

Cette observation peut aussi signifier que la notion de vitesse en tant que rapport des distances et des temps devrait être remplacée par une notion intuitive de la vitesse instantanée (Mori, Kojima & Deno, 1976). À ce propos, Invernizzi, Marioni et Sabadini (1989, p. 222) remarquent que « chez l’enfant, le concept intuitif de la vitesse est strictement lié à l’équivalent informel du concept physique de vitesse instantanée » et que « le concept de vitesse moyenne n’est introduit que bien plus tard dans le contexte scolaire et social. »

Plus loin, ces mêmes auteurs (1989, p. 222) ajoutent avoir constaté que : « les élèves de collège […] définissent comme “vitesse réelle” la vitesse instantanée [qu’ils relient à celle établie par un compteur de vitesse de voiture] et comme “vitesse théorique” la vitesse moyenne puisque cette grandeur résulte, pour eux, d’une opération mathématique entre espace parcouru et temps de parcours. »

Selon Mori, Kojima et Deno (1976), l’acquisition préalable du concept de vitesse instantanée favorise l’acquisition de la vitesse en tant que rapport. Cette position semble être en accord avec les résultats de l’étude de Siegler et Richards (1979), selon laquelle le concept de vitesse se développe avant le concept de durée et peut en constituer le préalable. Thomsom (1994) avance même qu’enseigner la vitesse au départ en tant que rapport peut être préjudiciable à certains élèves dont la conception de la vitesse n’implique pas des dimensions distinctes de distance et d’intervalle de temps.

En ce qui concerne l’évolution de la compréhension des concepts de vitesse avec l’âge, certaines incompréhensions d’interrelations entre la vitesse, la distance et le temps sont souvent entretenues par les étudiants dès leurs premières années d’apprentissage. Ainsi, Matsuda (2001) avance que les élèves comprennent en principe les relations correctes entre la distance, le temps et la vitesse, mais que les applications des relations directes et inverses pourraient être en conflit. Selon une perspective de développement cognitif, des auteurs tels qu’Albert, Kirchmeier-Rust et Matsuda (2008) soutiennent que, même si les relations directes entre la vitesse et la distance sont comprises par l’élève clairement avant les relations inverses, il est important de considérer sa capacité d’appliquer correctement ces relations, en séparant ses compétences latentes et ses performances observables (Düntsch & Gediga, 1995). En outre, concernant l’inertie des objets en mouvement, sujet qui est relié étroitement à la constance de la vitesse du mouvement rectiligne uniforme, il semble que les conceptions alternatives des élèves à propos du mouvement sont formées dès le plus jeune âge et qu’elles demeurent relativement inchangées jusqu’à l’âge adulte (Eckstein & Shemesh, 1989). À cet égard, ces derniers auteurs ont constaté la prévalence des notions intuitives ou incorrectes de l’inertie chez plus de la moitié d’étudiants universitaires en cours d’introduction à la physique.

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Selon ce qui précède, il nous apparaît donc que le concept de vitesse constante ne semble pas maîtrisé par les élèves du secondaire et que les conceptions alternatives qu’ils entretiennent à ce propos perdurent, pour la majorité d’entre eux, jusqu’à l’âge adulte. Une telle situation peut ne pas être détectée par l’enseignant s’il propose des problèmes simples de mouvement où les conditions initiales ont été déterminées à l’avance. Les difficultés apparaissent lorsque les situations de mouvement sont présentées dans le cadre d’expériences où des objets réels sont mis en jeu, notamment lorsque, contrairement aux tâches de comparaison des précédentes recherches, l’attention des élèves est dirigée vers la trajectoire de l’objet en mouvement. À cet égard, une seconde raison de la difficulté de la cinématique concerne la façon dont on l’enseigne au laboratoire dans les cours d’introduction à la mécanique.

1.2 Les stratégies d’enseignement de la cinématique au laboratoire de physique

Au laboratoire, la cinématique est souvent abordée à l’aide d ’une mathématisation à laquelle les élèves ne sont pas habitués (Arons, 1990). Par exemple, un procédé pédagogique courant consiste à amener les élèves, au début de l’étude de la cinématique, au laboratoire où ils mesurent différentes propriétés du mouvement qu’ils portent ensuite sur des graphiques. De retour en classe, ils analysent les résultats obtenus et effectuent des calculs à l’aide des formules pour obtenir les valeurs de la vitesse et de l’accélération. Or, il apparaît que les élèves effectuent souvent ces diverses opérations sans une réelle compréhension de ce qu’ils font (Trempe, 1989 ; De Vecchi, 2006).

Lors de ces activités de laboratoire, il semble que les élèves aient peu l’occasion de proposer leurs hypothèses (Nonnon & Métioui, 2003 ; Trudel & Métioui, 2008 ; Trempe, 1989). En effet, une étude des protocoles proposés par les manuels de laboratoire de sciences au Québec montre que les élèves ne se voient offert que rarement l’opportunité de s’engager dans une démarche de recherche authentique, celles proposées par ces manuels mettant l’accent sur les procédures de cueillette et d’analyse des données (Métioui & Trudel, 2007). Ce haut degré de structure des tâches proposées au laboratoire peut s’expliquer de différentes façons. Tout d’abord une certaine conception « pragmatique » de la science amène les enseignants à préférer des travaux pratiques permettant, en utilisant des procédés éprouvés, de guider les élèves vers la réponse correcte et à ceux-ci de se satisfaire d’avoir obtenu la réponse désirée (Legendre, 1994 ; Toplis, 2007). Puis une recherche autonome nécessiterait la maîtrise de plusieurs habilités scientifiques, dont l’identification des variables, leur quantification, la coordination des faits et des hypothèses, etc. (De Jong & Van Jooligen, 1998). Par ailleurs les contraintes de temps et d’équipements ne permettent pas la répétition et la modification des expériences (Toplis, 2007). Enfin l’expérience est vue davantage comme un moyen de vérifier une hypothèse plutôt que de la découvrir (Koponen & Mäntylä, 2006).

Pour pallier ces difficultés, et faciliter ainsi une démarche d’investigation plus authentique des phénomènes cinématiques, l’utilisation de la technologie

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permettrait de faciliter et d’augmenter à la fois la quantité et la qualité des données recueillies sur les phénomènes, tout en soutenant l’élève dans sa démarche (Jonassen, Strobel & Gottdenker, 2005). Dans cette démarche, appelée « video-based laboratory », les mouvements des objets sont enregistrés sous forme de vidéos, traités par des logiciels permettant à la fois la mesure des positions des objets en fonction du temps et l’organisation de ces données sous forme de tableaux et de graphiques. Les élèves peuvent ainsi, rapidement et efficacement, tester leurs hypothèses et, par la suite, modifier les paramètres des situations physiques étudiées pour explorer les relations entre les variables cinématiques impliquées (Koleza & Pappas, 2008). Une telle démarche possède plusieurs avantages. Premièrement elle permet à l’élève de se concentrer sur l’élaboration d’hypothèses et l’interprétation des résultats, deux habiletés peu développées dans les laboratoires traditionnels (Gianino, 2008). Deuxièmement elle permet à l’élève de générer et de vérifier rapidement plusieurs hypothèses, en facilitant chez ce dernier les stratégies de variation des paramètres nécessaires à la formulation d’hypothèses à propos des propriétés des phénomènes (Riopel, 2005). Troisièmement dans les situations physiques où il est nécessaire de revenir sur les résultats d’une expérience pour en vérifier la qualité ou, éventuellement, pour modifier l’hypothèse originale, l’expérimentation assistée par ordinateur peut permettre à la démarche du laboratoire traditionnel de faciliter une démarche itérative malgré les contraintes du milieu scolaire. En effet, il est souvent nécessaire à l’élève de revenir sur les résultats d’une expérience pour étudier les causes de l’écart entre ses idées et les résultats obtenus, favorisant ainsi le changement conceptuel en sciences (Trudel, 2005 ; Lin, 2007).

Les recherches vérifiant l’effet d’une telle approche sur la compréhension des concepts cinématiques ont produit des résultats mitigés. Ainsi, Rodrigues, Pearce et Livett (2001) ont montré que l’utilisation de la vidéo au laboratoire a tendance à renforcer les modèles naïfs que les élèves entretiennent relativement aux phénomènes cinématiques, plutôt que de les inciter à construire de nouveaux modèles plus scientifiques. De leur côté, Escalada et Zollman (1997) n’ont pas trouvé de différence significative dans les résultats à un test d’acquisition des concepts cinématiques entre les élèves ayant suivi un laboratoire assisté par vidéo et ceux ayant suivi un laboratoire traditionnel. En outre, ni les élèves assignés au laboratoire traditionnel, ni ceux assignés au laboratoire assisté par vidéo, n’ont réussi les problèmes du test vérifiant la compréhension des concepts. À l’opposé, Koleza et Pappas (2008), en conduisant des entrevues avec des élèves où l’intervieweur posait des questions sur des situations d’objets en mouvement représentées par des graphiques, ont montré que la compréhension des élèves concernant les graphiques de position-temps et de vitesse-temps s’était améliorée.

Ces résultats mitigés des recherches sur l’utilisation de la vidéo au laboratoire permettent néanmoins d’avancer certains constats (Koleza & Pappas, 2008) : les caractéristiques particulières du laboratoire assisté par vidéo (facilité d’utilisation, rapidité dans la collecte des données et leur analyse) ne suffisent pas, à elles seules,

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à influencer la compréhension des concepts physiques ; il est important d’intégrer, aux activités proposées, la nouvelle technologie que constitue l’utilisation de la vidéo au laboratoire, conformément à une approche constructiviste visant à favoriser la construction des nouveaux savoirs par l’élève. Par conséquent, l’intégration de la vidéo interactive dans une activité pratique au laboratoire devrait être en accord avec les principes constructivistes suivants : favoriser l’expression et la comparaison des idées des élèves entre eux par un travail en petits groupes ; fournir aux élèves la possibilité de mettre rapidement et aisément leurs idées à l’essai lors d’un « video-based laboratory » (Koleza & Pappas, 2008) ; guider la démarche des élèves par l’enseignant (Trudel, Parent & Métioui, 2009).

Compte tenu des remarques précédentes, une démarche d’apprentissage visant à favoriser la transition entre les conceptions alternatives des élèves et les concepts scientifiques devrait inclure des dispositions pour favoriser l’expression et la comparaison des conceptions alternatives entre elles (par exemple le travail en petits groupes) et fournir aux élèves la possibilité de mettre rapidement et aisément leurs conceptions à l’essai à l’aide d’expériences soutenues par un logiciel de collecte et d’analyse des données (Riopel, 2005 ; Trudel, Parent & Métioui, 2009). La nature itérative de cette démarche, mobilisant les raisonnements tant qualitatifs que quantitatifs, devrait permettre aux élèves de construire progressivement le concept de vitesse. Notre étude pilote vise à concevoir et à évaluer l’effet d’une telle démarche sur la compréhension de la vitesse chez des élèves du secondaire.

2. conception d’une investigation scientifique assistée par ordinateur

Afin d’étudier la transition entre les conceptions alternatives des élèves et les concepts scientifiques, il nous faut concevoir une démarche d’apprentissage susceptible de produire les changements visés (Siegler, 2006). À cette fin, nous avons conçu un scénario des activités selon les dispositions décrites à la section précédente. Ce scénario précise les différents cheminements que les élèves peuvent prendre pour développer une meilleure compréhension, en tenant compte des difficultés particulières qu’ils peuvent rencontrer dans leur apprentissage. Ce scénario inclut les buts des activités, la structure du contenu du domaine étudié, les cheminements suivis par les élèves pour atteindre leurs buts, en tenant compte des conceptions alternatives qu’ils entretiennent et les activités proposées. Le but des activités est d’aider les élèves à développer une meilleure compréhension des concepts du temps, de la distance et de la vitesse, par une démarche combinant les raisonnements qualitatifs et quantitatifs à propos des propriétés des phénomènes qui nécessitent l’assimilation des concepts précités. La démarche suggérée vise à aider les élèves à modifier leurs conceptions pour qu’ils adoptent le concept scientifique de la vitesse.

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2.1 Cheminement de la compréhension de l’élève en cinématique

Nous avons choisi d’étudier principalement le mouvement rectiligne à vitesse constante pour les raisons suivantes. Premièrement, l’étude du mouvement rectiligne à vitesse constante a conduit Galilée à découvrir une des lois fondamentales de la mécanique classique : la loi de l’inertie. Or, son apprentissage, par des élèves du secondaire, pose deux types d’obstacles. Le premier est relié à leur expérience première avec le mouvement d’objets en présence de frottement. Le deuxième est associé au langage commun où on emploie indistinctement les notions de temps, de distance et de vitesse (Canal, 1986 ; Invernizzi, Marioni & Sabadini, 1989 ; Métioui & Baulu-MacWillie, 2003). Pour pallier ces difficultés, nous avons développé des activités pour aider les élèves à comprendre les différents aspects du mouvement rectiligne à vitesse constante. Pour faciliter le changement de leurs conceptions alternatives au concept scientifique de la vitesse, nous devons déterminer tout d’abord les différentes façons de comprendre le mouvement et, par conséquent, les différents itinéraires qu’ils peuvent prendre dans leur apprentissage. À cette fin, nous avons conçu un réseau de la compréhension du concept de la vitesse (voir fig. 1). Ce réseau de la compréhension contient deux types d’information : les principaux concepts de la vitesse, tels que le déplacement et l’intervalle de temps correspondant et des indications sur les incompréhensions des élèves à propos de ces concepts, tels qu’identifiés dans notre revue de la littérature de la section précédente (Trudel, Parent & Métioui, 2009).

Dans ce réseau, la vitesse est le concept situé au sommet de la hiérarchie (voir fig. 1 à droite). La compréhension de la vitesse dépend de deux facteurs : la « formulation de la règle de la vitesse » et l’« identification des facteurs de la vitesse ». Ces deux facteurs sont nécessaires à la compréhension de la vitesse et sont donc reliés par un « et ». Nous allons maintenant décrire ces deux facteurs.

La « formulation de la règle de la vitesse » se traduit par la formulation de règles plus ou moins adéquates selon le niveau de compréhension de l’élève. Au niveau le plus bas, la règle de l’élève est centrée sur un seul facteur : le temps d’arrivée (Crépault, 1989) ou le dépassement (Trowbridge & McDermott, 1980). Les niveaux de compréhension subséquents amènent l’élève à formuler la vitesse comme une relation entre la distance parcourue et le temps écoulé, sous forme d’une correspondance (distance parcourue pendant un certain temps), d’une proportion (distance parcourue en proportion du temps écoulé) ou d’un quotient (quotient de la distance parcourue et du temps écoulé) (Trowbridge & McDermott, 1980). Ces différentes règles peuvent être utilisées par l’élève à la place de la règle correcte et sont donc traitées comme des facteurs suffisants. Par conséquent, ces différentes règles sont reliées par des « ou ».

L’«  identification des facteurs de la vitesse  » se compose des facteurs « compréhension de l’intervalle de temps » et « compréhension de l’intervalle de position ». Ces deux facteurs sont nécessaires à l’« identification des facteurs de

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la vitesse » et sont donc reliés par des « et ». Par la suite, la « compréhension de l’intervalle de temps » dépend de l’« identification des facteurs de l’intervalle de temps » et de la « formulation de la règle de l’intervalle de temps ». De même, la « compréhension de l’intervalle de positions » dépend de l’« identification des facteurs de l’intervalle de positions » et de la « formulation de l’intervalle de positions ». L’élaboration du réseau se poursuit jusqu’à l’identification des facteurs premiers : position initiale, position finale, temps initial, temps final. Les facteurs situés à l’extrémité opposée du facteur « acquisition de la vitesse » sont considérés comme les facteurs fondamentaux : temps initial, temps final, position initiale, position finale.

Fig. 1. réseau de la compréhension de la vitesse.

2.2 Élaboration des situations physiques des différent cas

Une fois la structure conceptuelle du domaine reconnu et les incompréhensions identifiées, nous avons organisé les activités d’apprentissage destinées à supporter les différents itinéraires que les élèves peuvent prendre en développant une meilleure compréhension des propriétés du mouvement à vitesse constante (Trudel, Parent & Métioui, 2009). Les concepts cinématiques associés au mouvement rectiligne à vitesse constante sont ceux prescrits dans le programme révisé des

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sciences de 11e année de la province de l’Ontario (MEO, 2008) : déplacement (en tant que différence entre les positions initiales et finales), intervalle de temps, vitesse constante, vitesse moyenne, système de référence. En outre, les élèves peuvent s’initier aux procédures de mesure et de calcul suivantes : utilisation des technologies de l’information au laboratoire, unités de mesure, système cartésien, graphique de la position en fonction du temps, calcul de la pente d’une droite, équations du mouvement rectiligne à vitesse constante, calcul de la surface en dessous du graphique vitesse-temps.

En ce qui concerne les activités de changement conceptuel des phénomènes cinématiques, nous les avons conçues de façon à répondre aux caractéristiques du mouvement rectiligne à vitesse constante. Pour favoriser le travail des élèves en petits groupes de quatre ou cinq personnes, nous avons conçu un guide d’activités pour encadrer leurs démarches. Le guide présente le cas du mouvement rectiligne à vitesse constante permettant d’étudier différents aspects de ce type de mouvement. Ce cas comprend des activités (questions, graphiques à compléter, etc.) qui guident le processus de modélisation des élèves. Le processus de changement conceptuel est structuré selon une tâche POE (prédiction>observation>explication) (Russell, Lucas & McRobbie, 2004). Chaque tâche POE se déroule de la façon suivante. Une situation physique, représentée sous forme concrète par un montage physique, est expliquée aux élèves dans le guide. Des questions associées à ce cas demandent à l’élève de prédire ce qui va arriver si l’expérience est effectuée. Ils notent alors leurs prédictions dans leur cahier. Les élèves, organisés en groupes de quatre ou cinq, réalisent alors le montage associé à ce cas selon les instructions du guide. Ils observent les propriétés du phénomène de mouvement visé et inscrivent leurs observations dans leur cahier. Ils tentent alors d’expliquer l’écart, s’il y a lieu, entre leurs prédictions et leurs observations. Ce faisant, ils peuvent modifier le montage pour étudier d’autres aspects du mouvement ou vérifier des hypothèses alternatives émises lors des échanges entre eux. La vérification de ces hypothèses se fait en petits groupes au laboratoire assisté par ordinateur.

En premier lieu, les séquences d’images des billes roulant sur des rails à différentes inclinaisons sont captées à l’aide d’une caméra digitale en position d’enregistrement vidéo. Les séquences filmées par la caméra sont transférées sur l’ordinateur et transformées sous forme de fichier vidéo. Une fois sous cette forme, les séquences d’images peuvent être visionnées comme dans un film. Ayant inséré ces séquences d’images dans le logiciel REGAVI 1, l’élève peut, à l’aide d’un curseur, prendre des mesures des positions successives de la bille en fonction du temps. Ces mesures sont immédiatement mises sous forme de tableaux par le logiciel REGAVI.

1 Le logiciel REGAVI permet la collecte de données à partir d’une vidéo d’un objet en mouvement sous forme de fichier AVI. Ce logiciel contient des fonctions permettant la mesure des positions successives de cet objet qu’il organise sous forme de tableaux. Il est possible par la suite de transférer ces données dans le fichier REGRESSI à des fins d’analyse (voir le site <www.micrelec.fr/equipelabo/pics_art/pdf/M0314G26.pdf · PDF file)>).

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Par la suite, les tableaux de données fournies par le logiciel peuvent être transférés au logiciel d’analyse REGRESSI 2. Ce dernier logiciel présente des fonctionnalités permettant à l’usager de réaliser différents graphiques de position et de vitesse en fonction du temps. En outre, le logiciel REGRESSI facilite la découverte de relations entre les variables, en fournissant des moyens de comparer l’ajustement de différentes courbes (linéaire, quadratique, exponentielle, etc.) aux données obtenues.

En ce qui concerne le mouvement rectiligne uniforme, le cas soumis aux élèves est décrit dans le guide de l’élève de la façon suivante (Trudel, 2005, p. 427) : « Une bille est lancée sur un rail horizontal. Le cercle en gris indique sa position initiale au moment du lancement. Le cercle avec le symbole 1 à l’intérieur indique la position de la bille après 1 seconde (voir fig. 2) ».

Fig. 2. Mouvement d’une bille roulant sur un rail horizontal.

La tâche POE consiste à prédire quelles seront les positions successives de la bille à toutes les secondes, connaissant la distance parcourue à la première seconde. À partir de ces prédictions, le guide demande aux élèves de tracer un graphique de ce que serait la courbe de la position en fonction du temps. En effet, il est important d’inciter les élèves à préciser leur prédiction, afin de pouvoir la comparer plus facilement aux résultats expérimentaux (White & Gunstone, 1992). Par la suite, le guide leur demande de faire le montage et de procéder à la réalisation de l’expérience. Lors de l’expérimentation, la démarche proposée suit la procédure décrite au paragraphe précédent : les séquences du mouvement de la bille par la caméra digitale sont transformées sous forme de film vidéo ; puis les élèves mesurent les positions successives de la bille sur l’enregistrement vidéo et les organisent sous forme de tableaux de données à l’aide du logiciel de traitement des images REGAVI ; ces tableaux de données sont alors exportés vers le logiciel d’analyse REGRESSI qui permet aux élèves de réaliser des graphiques de la position en fonction du temps et de la vitesse en fonction du temps ; enfin l’analyse de ces graphiques permet aux élèves de comparer leurs prédictions aux résultats obtenus et de modifier, s’il y a lieu, leurs hypothèses. Le rôle de l’enseignant, dans la démarche proposée, est de présenter les activités aux élèves, de leur attribuer des rôles lors

2 Le logiciel REGRESSI réalise des graphiques cartésiens des données transférées d’un logiciel de collecte tel que REGAVI. Le logiciel REGRESSI contient également des fonctions permettant de calculer de nouvelles variables (vitesse, accélération) à partir des mesures de position et de temps, de trouver la meilleure courbe d’un ensemble de points expérimentaux, etc. (Durliat & Millet, 1991).

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des discussions en petits groupes, et d’effectuer, sous forme de réunion plénière, l’analyse et la synthèse de leurs résultats à la fin de chaque période d’activités. À cet égard, nous avions prévu une période de formation de deux heures, animée par le chercheur, où l’enseignant pouvait s’approprier les éléments de la démarche et pratiquer les habiletés de discussion requises pour conduire efficacement les réunions plénières (Trudel & Métioui, 2008).

Déroulement des activités

La recherche s’est effectuée au début du deuxième semestre 3. Il est à noter que l’école où se déroulait la recherche avait adopté un calendrier où les cours qui, normalement, s’étendent sur toute l’année scolaire, étaient condensés en un semestre. En conséquence, les cours du premier semestre étaient différents des cours du deuxième semestre. Les activités se sont déroulées dans un laboratoire de physique distinct de la salle de classe. Ce local convenait à notre recherche, car il disposait de plusieurs tables fixées au plancher et il était suffisamment vaste pour que les élèves puissent effectuer les expériences et filmer les mouvements des billes sans se gêner mutuellement. La démarche décrite au paragraphe précédent avait été prévue pour quatre périodes consécutives d’une heure et quart, au tout début de l’apprentissage, du cours de physique de onzième secondaire. Or, un conflit d’horaire a provoqué l’indisponibilité des ordinateurs portables lors de la troisième période. Cette période a été alors reportée à la journée suivante. Lors de cette période supplémentaire, les élèves ont répondu, sous la supervision de leur enseignant aux questions qu’ils n’avaient pas eu le temps de compléter lors des deux premières périodes. À l’exception de cette période supplémentaire, les trois premières périodes ont été consacrées à la collecte et à l’analyse des résultats et se sont déroulées au laboratoire. La dernière période, qui s’est déroulée dans la salle de classe, a été consacrée à la présentation des résultats de chaque équipe devant tout le groupe d’élèves.

Adaptation de la démarche

Tout au long de la recherche, le chercheur et l’enseignant se sont rencontrés pour procéder aux ajustements requis en fonction de l’évolution des élèves. De plus, deux rencontres au préalable ont permis à l’enseignant de se familiariser avec la démarche proposée et au chercheur d’apporter les modifications requises, pour adapter les activités au contexte de l’école et aux particularités des élèves impliqués.

3. Méthodologie

3.1 Collecte des données et méthode d’analyse

Notre étude pilote comprenait une classe de 23 élèves francophones, soit 16 filles et 7 garçons en fin de secondaire 4, qui suivaient un cours de physique

3 Notons qu’au Canada, l’année scolaire se divise en deux semestres chacun d’une durée de quatre mois.

4 11e année. Ce cours se donne sans l’appui du calcul différentiel et intégral.

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dans une école de la province de l’Ontario au Canada. Les élèves de cette classe avaient choisi l’orientation de sciences proposée par l’école, de sorte qu’il est permis d’avancer qu’ils étaient intéressés par les sciences en général et la physique en particulier. L’enseignant impliqué dans cette recherche disposait de 19 années d’expérience dans l’enseignement des sciences. À ses dires, il n’était pas familier avec le maniement des ordinateurs portables et c’était son premier contact avec l’utilisation des logiciels utilisés dans la présente recherche.

Pour étudier l’implantation de la démarche proposée, le chercheur a tenu un journal de bord où il consignait ses observations sur le déroulement des événements, les détails critiques à propos de l’introduction de la démarche par l’enseignant, les remarques de l’enseignant dans des entrevues, et les liens que le chercheur a pu établir entre ses observations et le cadre théorique de la présente recherche (Altrichter & Holly, 2005). Le chercheur était présent à chacune des périodes pour observer le déroulement des activités. Il a aussi joué le rôle de moniteur de laboratoire, pour résoudre les difficultés qui surgissaient dans les montages ou avec les logiciels de collecte ou d’analyse des données obtenues par les élèves. Nous avons également discuté avec les élèves à la fin des activités pour recueillir leurs commentaires à propos de la démarche proposée, ce que celle-ci leur a apporté relativement à la compréhension, les difficultés rencontrées, et leurs suggestions pour l’améliorer (Rodrigues, Pearce & Livett, 2001).

Pour étudier la démarche d’apprentissage des élèves, nous avons analysé le contenu des guides d’activités que les élèves devaient remplir. Les traces écrites par les élèves dans ces guides s’exprimaient sous différentes modalités : verbales lorsqu’ils répondaient à des questions, iconiques lorsqu’ils effectuaient des dessins de l’objet en mouvement, graphiques lorsqu’ils prédisaient certains aspects du mouvement en réalisant des graphiques cartésiens de la position ou de la vitesse en fonction du temps. Selon la perspective de la sémiotique sociale, les informations provenant de ces différentes sources peuvent être regroupées sous forme de métaphores permettant d’en dégager le sens (Kress & Mavers, 2005). La modalité verbale, étant la plus importante, a bénéficié d’une analyse par catégorisation.

Pour plus de clarté, nous avons classé les réponses obtenues selon les deux phases de la tâche POE où ils avaient à répondre à des questions, à savoir la prédiction et l’explication. Pour regrouper les réponses des élèves dans chacune de ces phases en catégories, nous avons suivi la méthode développée par Miles et Huberman (1984). Ces derniers recommandent de procéder avec des feuilles assez grandes pour contenir toutes les données sur les réponses fournies par les élèves. Les colonnes du tableau formé lors de l’analyse des données représentent les catégories générales, dans lesquelles sont classées les réponses des élèves. Commençons par le premier énoncé, c’est-à-dire la première réponse émise par le premier élève. Exprime-t-il une seule idée ou plusieurs ? S’il y a plusieurs idées, scindez l’énoncé et formez autant de colonnes qu’il y a d’idées. Pour le second énoncé, analysez-le pour déterminer s’il contient une seule idée ou plusieurs. S’il exprime plusieurs idées,

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scindez-le. Il vous faut maintenant vérifier si la ou les idées exprimées peuvent être classées dans les colonnes déjà formées, c’est-à-dire qu’il vous faut déterminer si une des idées du second énoncé ressemble suffisamment à une des idées du premier énoncé. Sinon, il vous faut construire une colonne supplémentaire pour chaque idée nouvelle. Continuez de même jusqu’à ce que vous ayez considéré tous les énoncés de tous les élèves. Puis cherchez les caractéristiques communes aux énoncés de la même colonne. Ces caractéristiques définissent les principales dimensions de la démarche d’apprentissage des élèves.

4. résultats

Nous nous sommes inspirés des informations du journal de bord et des résultats de l’analyse des réponses des élèves, inscrites dans le guide, afin de préciser, en fonction des caractéristiques des échantillons, le déroulement de la démarche proposée dans la salle de classe (Altrichter & Holly, 2005). Nous décrivons dans les sections suivantes la démarche suivie par les élèves dans leur apprentissage des concepts cinématique à partir des traces qu’ils ont produites : vidéos des objets en mouvement produits par les différentes équipes, données obtenues sur les mouvements, réponses aux questions du guide de l’élève. Notre description est divisée selon les deux phases du cycle POE : prédiction et explication. À des fins de référence, nous incluons, dans la figure 3, les résultats obtenus à l’aide du logiciel REGRESSI.

Temps Temps

Fig. 3. Graphiques de la position en fonction du temps et de la vitesse en fonction du temps.

4.1 Prédictions

Les prédictions des élèves ont été formulées de trois façons : sous forme de texte, sous forme de dessin et sous forme de graphique.

Sous forme de texte, ils ont répondu à l’énoncé : « Décrivez en vos termes le mouvement de cette bille ».

Réponse d’un élève : « Le mouvement de la bille sera linéaire et la vitesse va graduellement se réduire ».

Sous forme de dessin, ils ont tracé un cercle des positions qu’ils ont prédit de la bille à chaque seconde. Le déplacement de la bille à la première seconde était fourni dans le guide, à titre d’étalon de référence (voir fig. 4).

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Fig. 4. exemple de réponse d’un élève à la prédiction sous forme de dessin.

Enfin, les élèves ont tracé les graphiques de la position de la bille, en fonction du temps, et de la vitesse en fonction du temps. Pour faciliter la prédiction, dans le graphique de position en fonction du temps, la position à la première seconde était indiquée par un point. De même, dans le graphique à compléter de la vitesse en fonction du temps, la vitesse à la première seconde était indiquée par un point (voir fig. 5). Comme dans la question précédente, ce point agissait en tant qu’étalon de référence permettant de comparer les réponses des élèves (voir fig. 5).

Fig. 5. exemples de prédiction sous forme de graphique du même élève.

4.2 Explications

En ce qui concerne les explications, les élèves devaient répondre aux questions suivantes :

1. La bille se déplace-t-elle selon un mouvement uniforme ? Expliquer.

2. Comment décririez-vous le mouvement de la bille ?

3. Est-ce que les positions prédites sont en accord avec les positions observées ? Expliquer.

4. Est-ce que la vitesse prédite de la bille est en accord avec la vitesse calculée à l’aide de vos données ? Expliquer.

4.3 Catégorisation des prédictions des élèves à propos du mouvement rectiligne à vitesse constante

Comme nous nous intéressons principalement aux conceptions alternatives des élèves à propos du mouvement à vitesse constante, nous avons tenté de chercher les

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correspondances entre les réponses de ces derniers, sous forme de texte, de dessin et de graphique (Kress & Mavers, 2005). Notre analyse nous a permis d’identifier les catégories suivantes, dans lesquelles on peut classer les conceptions des élèves :– La vitesse de la bille augmente en première partie du trajet, reste constante

dans la partie médiane, puis ralentit par la suite. Il est à noter ici que, parmi les élèves qui attribuent une accélération à la bille au départ, certains ont tendance à confondre le temps initial avec celui où la bille est mise en mouvement par l’expérimentateur ;

– La vitesse de la bille reste constante jusqu’à la fin, sans ralentissement notable. Certains expliquent que la longueur du rail est trop courte ou que le ralentissement est trop faible pour être décelé ;

– La vitesse de la bille diminue graduellement jusqu’à ce qu’elle s’arrête. Les élèves qui sont de cet avis invoquent souvent la friction comme cause du ralentissement ;

– La vitesse de la bille reste constante pendant la majeure partie du trajet et diminue seulement à la fin du parcours. Les élèves justifient leur choix sur la base d’évidences visuelles, telles que la bille semble ou ne semble pas ralentir. En effet, le ralentissement de la bille ne devient évident qu’à la fin de son parcours.

Malgré tout, certains élèves entretiennent plusieurs conceptions à la fois, par exemple, l’élève dont les prédictions, sous les trois formes, sont indiquées sur les figures précédentes (voir fig. 4 et 5). Sous forme de texte, sa prédiction nous montre qu’il est partisan d’une réduction graduelle de la vitesse. Sous forme de dessin, la distance entre les cercles dessinés semble davantage appartenir à la catégorie 4, soit une vitesse constante pendant la majeure partie du parcours, suivi d’un ralentissement de la bille à la fin. L’étude des graphiques position-temps et vitesse-temps contiennent des contradictions si l’on se fie uniquement à l’information contenue dans ces graphiques. En effet, la courbe du graphique position-temps a l’allure d’une parabole dont la concavité est vers le bas, indice d’une réduction progressive de la vitesse. Par contre, le graphique de la vitesse en fonction du temps indique une augmentation de la vitesse en première partie du trajet, suivi d’une partie médiane où la vitesse atteint une certaine valeur maximale et enfin un ralentissement progressif de la vitesse dans la dernière partie du trajet. Il est à noter que ces contradictions entre les formes de représentation peuvent également indiquer que cet élève éprouve de la difficulté à faire les transferts entre ces différentes formes.

4.4 Catégorisation des explications apportées par les élèves

L’analyse des explications des élèves nous révèle différents types d’explications lorsqu’ils ont comparé leurs prédictions avec leurs résultats :

1) Explication fournie par 4 élèves : Leurs résultats confirment leurs prédictions, quoiqu’ils ne correspondent pas à ces dernières. Par exemple, un élève explique que ses prédictions ont été confirmées car la bille ralentit vers la fin. Or, la comparaison avec les résultats obtenus ne justifie pas un tel énoncé (voir fig. 3).

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2) Explication fournie par 2 élèves : Leurs résultats confirment partiellement leurs prédictions, en ce que la bille ralentit plus rapidement que prévu.

3) Pas d’explication fournie par 6 élèves : lorsque les prédictions sont clairement en contradiction avec les résultats (selon les inscriptions du guide), les élèves n’écrivent rien dans la partie « explication ».

4) Explication fournie par 1 élève : les prédictions sont imprécises de sorte qu’il n’y a pas de contradiction entre les prédictions et les résultats obtenus. Ainsi, l’élève a prédit que la bille se dirigerait vers la droite avec une certaine vitesse.

5) Explication fournie par 2 élèves : l’élève reconnait la contradiction dans l’exemple donné au début de la section et il explique, en réponse à la question 4 : « Non, la vitesse prédite avait un ralentissement alors que la vitesse observée reste constante » (voir fig. 3 et 4).

Enfin, 8 élèves ont avancé que leurs résultats confirment leurs prédictions, qui sont essentiellement correctes, c’est-à-dire que la bille se déplace à vitesse constante. Cependant plusieurs de ces élèves n’avaient pas, dans ce cas, complété leurs prédictions avant de faire l’expérience (ce qui pourrait en partie expliquer leurs prédictions correctes), nous les avons donc retirés du décompte. En conséquence, notre analyse indique que seuls 2 élèves sur 23 ont reconnu la contradiction entre leurs prédictions et leurs résultats. Les autres ont utilisé différentes stratégies d’évitement qui leur ont permis de conserver leurs conceptions initiales.

5. discussion

Les conceptions des élèves à propos du mouvement rectiligne uniforme, tel que représenté dans le dispositif expérimental que nous avons utilisé, semblent faire intervenir une notion intuitive de la vitesse instantanée et rejoignent en cela les résultats obtenus par Invernizzi Marioni et Sabadini (1989) ainsi que par Mori, Kojima et Deno (1976). En outre, l’étude des coordinations entre les différents registres sémiotiques (verbal, graphique, iconique) nous a permis d’affiner le diagnostic des conceptions identifiées, en faisant ressortir les cohérences ou les contradictions entre ces différents registres (Kress & Mavers, 2005). À notre connaissance, la première conception n’a pas été mise en évidence dans d’autres recherches sur le mouvement rectiligne à vitesse constante. Par contre, elle présente certaines caractéristiques qui l’apparentent à la théorie de l’impetus que les élèves utilisent pour expliquer le mouvement des projectiles (Eckstein & Kozhevnikov, 1997 ; Maloney, 1988). Ainsi, selon la première conception, dans la première partie du mouvement, un certain élan poursuivrait son action après que la bille ait été lancée, lui communiquant une accélération. Le mouvement médian pourrait s’expliquer par une sorte de compensation entre l’élan initial et un ralentissement. Enfin, dans la dernière partie, l’élan épuisé, la bille ralentirait progressivement.

La deuxième conception est essentiellement correcte (des espaces égaux parcourus en des temps égaux). La troisième conception révèle une prégnance de

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la friction, en tant qu’obstacle au mouvement plutôt que comme une force qui peut être rendue négligeable (Stead & Osborne, 1981). Enfin, comme dans le cas des projectiles, la quatrième conception semble révéler la prégnance des impressions sensorielles où le mouvement apparaît constant dans la première partie. Ce n’est que vers la fin de la trajectoire que le ralentissement de la bille devient apparent.

En  somme, les différentes conceptions repérées chez les élèves avant l’introduction de la démarche proposée semblent indiquer qu’ils ne distinguent pas clairement entre la cinématique et la dynamique, en ce que leurs prédictions font intervenir des facteurs associés aux causes du mouvement et à son maintien (influence de l’élan initial communiquée au mouvement), ainsi qu’aux raisons de son éventuel ralentissement (friction). Par ailleurs, ces conceptions s’apparentent à celles invoquées par les élèves lorsqu’ils étudient le mouvement des projectiles (Eckstein & Kozhevnikov, 1997 ; Maloney, 1988). Le choix d’une activité centrée sur l’étude de la trajectoire d’un objet unique, plutôt qu’une comparaison des vitesses de deux objets, est en partie responsable, à notre avis, de l’émergence de ces conceptions.

Par ailleurs, l’analyse des explications fournies par les élèves indique que seule une fraction de ceux-ci a modifié ses conceptions sur le mouvement rectiligne à vitesse constante, à la suite à la démarche d’investigation assistée par ordinateur proposée dans cette recherche. Ce résultat peut s’expliquer de différentes façons. Premièrement, les élèves étaient peu familiers avec les graphiques cartésiens, de sorte que ceux-ci ont constitué des obstacles plutôt que des outils afin de comprendre les propriétés du mouvement (Canal, 1986). Cette situation est peut-être une conséquence de la répartition des cours en deux semestres. En effet, les graphiques cartésiens avaient été vus par les élèves depuis au moins une année, de sorte que ces notions n’étaient pas fraîches à leur mémoire, ce que nous avons pu constater par des observations consignées dans le journal de bord. En outre, la compréhension des graphiques dans un contexte d’expérimentation exige des élèves qu’ils puissent coordonner les différents registres sémiotiques (algébriques, graphiques, expérimentaux) et qu’ils puissent également les interpréter en fonction des propriétés des phénomènes du mouvement observés (Touma, 2008).

Deuxièmement, la maîtrise des logiciels de collecte et d’analyse des données, ainsi que le fonctionnement de la caméra digitale, requièrent du temps que les élèves n’ont pu consacrer à l’étude du mouvement rectiligne à vitesse constante. À cet égard, d’après les propos de l’enseignant et de certains élèves lors de la discussion initiée à la fin de la recherche, il semble que l’introduction de l’ordinateur n’apporte pas les économies de temps escomptés, compte tenu de l’investissement demandé aux élèves dans la maîtrise des procédés qui lui sont associés. Rétrospectivement, il nous apparaît que cette maîtrise de la caméra digitale, et des logiciels de collecte et d’analyse des données, aurait dû être assurée au préalable par des activités spécialement conçues à cette fin, plutôt que d’incorporer des instructions à cet effet dans le guide de l’élève (Beaufils, 2005).

Troisièmement, ces faibles résultats peuvent aussi s’expliquer par les stratégies d’évitement utilisées par des élèves pour protéger leurs conceptions alternatives de la contradiction. En effet, les explications apportées par les élèves, identifiées dans cette recherche, s’apparentent à celles mises en évidence par Chinn et Brewer (1993). Ces constats rejoignent les résultats d’autres recherches sur la persistance des conceptions alternatives sur le mouvement (Bliss, Ogborn & Whitelock, 1989 ; Eckstein & Shemesh, 1989 ; Canal, 1986). Pour faciliter le changement de conception, les activités devraient inclure certaines dispositions, afin de rendre plus apparent le conflit conceptuel entre les idées exprimées par les élèves et le concept de vitesse du physicien. À cette fin, il serait judicieux d’inclure, dans la présentation du cas du mouvement rectiligne uniforme, des considérations de nature historique sur les thèses sur le mouvement proposées par les scientifiques à différentes époques.

Quatrièmement, les commentaires des élèves recueillis après l’activité semblent indiquer qu’ils ont besoin de davantage de support et de guidage dans leur apprentissage. Ainsi, le format de la tâche utilisée pour présenter le mouvement dans cette recherche devrait être modifié pour ajouter davantage de suivi et de rétroactions de la part de l’enseignant, afin que l’élève puisse mieux s’orienter et ainsi économiser du temps qui pourrait être investi dans la réalisation d’activités diversifiées. De plus, davantage de temps devrait être consacré à la discussion en petits groupes en classe plutôt qu’au laboratoire où nous avons constaté que les élèves se consacraient principalement à la collecte et à l’analyse des données. À cet égard, il serait possible de modifier le déroulement des activités pour que la phase de collecte et d’analyse des données soit écourtée, en tirant meilleur parti de l’utilisation des logiciels de collecte et d’analyse des données.

conclusion

Cette recherche s’inscrit dans la perspective que l’usage de l’informatique au laboratoire de physique est en train de révolutionner l’enseignement de cette discipline. Néanmoins, l’expérimentation assistée par ordinateur est trop souvent consacrée au côté technique de la prise automatisée de données et de son organisation, sous forme de tableaux et de graphiques. Cette emphase sur la précision technique des mesures, malgré sa rigueur, risque de faire oublier qu’il est souvent nécessaire aux élèves de développer leur raisonnement, tant qualitatif que quantitatif. En effet, c’est une des caractéristiques essentielles du sens commun que de pouvoir comprendre les phénomènes physiques qui nous entourent sans devoir passer par une mathématisation poussée, peu efficace pour résoudre les problèmes quotidiens. Néanmoins, il ne s’agit pas d’abandonner la mathématisation des propriétés des phénomènes mais bien de l’aborder lorsque les éléments essentiels du problème ont été compris par les élèves.

L’approche présentée ici se proposait d’utiliser les capacités de l’ordinateur pour que l’élève puisse, à partir d’une représentation de sens commun, de

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nature qualitative, des propriétés des phénomènes, passer à une représentation mathématique sous forme de graphiques position-temps et vitesse-temps. Notre approche, que nous pourrions qualifier de semi-quantitative, permet à des élèves du secondaire d’étudier les propriétés du mouvement rectiligne à vitesse constante à l’aide du raisonnement, et de l’utilisation de divers modes de représentations, et des échanges entre élèves. À cet égard, l’étude de la trajectoire d’un objet unique, plutôt que les tâches de comparaison de vitesses habituelles, a permis d’identifier des conceptions chez les élèves du secondaire qui s’apparentent à celles invoquées pour expliquer le mouvement de projectiles. En accord avec certaines recherches précédentes, les élèves invoquent les notions de vitesse instantanée davantage que celles impliquant des rapports de distance et de temps. C’est dire l’importance du choix du dispositif dans la mise en évidence de telles conceptions.

Néanmoins, puisque ces conceptions ont été diagnostiquées à l’aide des traces écrites par les élèves dans leur guide d’activités (réponses aux questions, graphiques cartésiens réalisés, etc.), il n’a pas été possible d’obtenir des précisions sur les origines de ces conceptions. Par conséquent, en comparant nos résultats à ceux des recherches précédentes, nos conclusions revêtent un caractère spéculatif. En outre, cette étude entreprise avec un seul groupe d’élèves ne peut prétendre à formuler des conclusions pouvant être généralisées à l’ensemble des élèves de niveau secondaire.

Enfin, des études impliquant des groupes d’élèves dans des conditions contrôlées, difficiles à reproduire dans le feu de l’action quotidienne de l’enseignant, permettraient de suivre la progression des élèves lorsqu’ils effectuent la transition entre leurs représentations de sens commun et les représentations scientifiques. À ce jour, la recherche en didactique des sciences a étudié la compréhension des élèves à l’égard de phénomènes du mouvement rectiligne à vitesse constante, surtout en comparant les vitesses de deux objets attirant l’attention sur les dimensions constitutives de la vitesse, en favorisant une séquence développementale qui va peut-être à l’encontre des intuitions des élèves, concernant notamment l’utilisation de la notion intuitive de vitesse instantanée. Or, l’étude des conceptions des élèves, lorsqu’ils expérimentent les propriétés de phénomènes du mouvement rectiligne uniforme lors d’activités mettant en œuvre des trajectoires d’objets, nous permettrait de mieux comprendre le passage de la notion intuitive de vitesse instantanée à la notion de vitesse moyenne, dont l’histoire nous dit qu’elle fut le prélude à la découverte par Galilée de ses lois sur le mouvement accéléré (Drake, 1989).

Louis [email protected]

Abdeljalil Mé[email protected]

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Abstracts • Zusammenfassungen • Resúmenes

promoting a better understanding of linear motion at constant speed thanks to a computer-aided scientific investigation

The secondary physics curriculum includes the understanding of kinetic concepts because they are a prerequisite to learning subsequent mechanical engineering concepts. Our research is intended to study the impact of a computer-aided scientific investigation on the understanding of constant speed among secondary students. Our findings reveal that only a fraction of students changed their conceptions of linear motion at constant speed after this teaching strategy was put into practice. The advantages and limits of the study are presented. New lines for future research in the design of a computer-aided laboratory strategy are finally provided.

KeYWords •Motion,speed,computer-assistedinstruction,understanding,conception.

die Verständigung der Begriffe der geradlinigen gleichförmigen Bewegung durch eine computergesteuerte wissenschaftliche Untersuchung fördern

Unter den physischen Phänomenen, die im Sekundarbereich analysiert werden, ist die Verständigung der kinematischen Begriffe wichtig, denn sie bilden eine Vorstufe für das Erlernen der nachfolgenden Mechanik-Begriffe. Unsere Forschung untersucht die Auswirkung einer wissenschaftlichen computergesteuerten Untersuchung auf die Verständigung der konstanten Geschwindigkeit bei Schülern der Sekundarstufe. Unsere Ergebnisse zeigen, dass nach der Annahme dieser Strategie in einer Physikklasse der Sekundarstufe nur ein kleiner Anteil der Schüler seine Vorstellung der geradlinigen gleichförmigen Bewegung verändert hat. Als Schlusswort definieren wir die Vorteile und die Mängel der Studie und bieten Ansätze für zukünftige Forschungen über die Konzeption einer computergesteuerten Vorgehensweise im Physiklabor.

Favorecer la comprensión de los conceptos de movimiento rectilíneo a velocidad constante con la ayuda de una investigación científica asistida por computadora.

Entre los fenómenos físicos estudiados en la secundaria, la comprensión de los conceptos cinemáticos es importante ya que constituyen una condición previa al aprendizaje de los conceptos subsecuentes de la mecánica. Nuestra investigación científica apunta a estudiar el efecto de una investigación asistida por ordenador sobre la comprensión de la velocidad constante por los alumnos de secundaria. Nuestros resultados indican que, tras la implatación de esta estrategia en una clase de secundaria, sólo una parte de los alumnos modificó sus concepciones del movimiento a velocidad constante. En conclusión, esbozamos las ventajas y los límites del estudio y ofrecemos algunas pistas de investigación futuras relativas a la concepción de procesos de laboratorio asistida por ordenador en físicas.