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HEC Montréal Déterminants principaux de l’usage de l’intuition par des décideurs experts : le cas des entraîneurs de hockey Par Stéphane Ethier Le 3 juin 2014

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HEC Montréal

Déterminants principaux de l’usage de l’intuition par des décideurs

experts : le cas des entraîneurs de hockey

Par

Stéphane Ethier

Le 3 juin 2014

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Introduction

Ehsan Ghaem Maghami est un grand maître aux échecs. Les 8 et 9 février

2011, il a joué 604 parties simultanément à Téhéran: sur une période de 25

heures, il a défait 580 adversaires, livré 16 matchs nuls et perdu seulement

8 parties1.

La théorie classique de la décision tiendrait pour acquis que Ghaem

Maghami a pris des décisions parfaitement rationnelles dans ces 604

parties, qu’il a envisagé chaque option possible à chaque coup de

chaque match, et qu’il a toujours choisi de jouer le coup offrant l’utilité

espérée maximale.

Cet exploit de prise de décision pourrait-il s’expliquer autrement?

Les décisions prises rapidement dans des situations d’urgence, ambiguës

et dont l’enjeu est élevé posent un problème de taille aux tenants de la

théorie rationaliste. Comment ces décideurs – pompiers, chirurgiens,

pilotes d’avion, joueurs d’échecs, etc. –, bien qu’ils soient des experts

dans leur domaine, peuvent-ils, à toute vitesse et sous pression, prendre

en considération chaque bribe d’information disponible, dresser une liste

complète de critères d’évaluation pondérés, et évaluer chaque option

possible à la lumière de ces critères? De nombreux chercheurs avancent

que les experts recourent à l’intuition pour prendre ces décisions (Klein,

2008; Lipshitz, Klein, Orasanu, & Salas, 2001; Simon, 1987).

1 “World Record 604 Board Simultaneous Chess Exhibition by GM Ehsan Ghaem Maghami (IRI)”, FIDE (World Chess Federation), récupéré le 24 avril, 2014, à http://www.fide.com/component/content/article/4-tournaments/5055-world-record-604-board-simultaneous-chess-exhibition-by-gm-ehsan-ghaem-maghami-iri.html

2

La plupart des recherches sur l’intuition se consacrent à la caractériser et

à la définir, ou à étudier les facteurs contribuant à son efficacité dans la

prise de décision, plutôt que d’examiner les conditions qui font en sorte

que les individus l’utilisent en pratique. Dane et Pratt (2007) suggèrent

que, bien que quelques chercheurs aient identifié un certain nombre de

facteurs faisant en sorte que les individus sont plus susceptibles d’utiliser

leur intuition que leurs facultés d’analyse rationnelle, dont un état émotif

positif (voir, par exemple, Elsbach & Barr, 1999) ou une prédisposition

personnelle (Jung, 1933), ce domaine a été l'objet de peu de recherches.

Selon Dane et Pratt, certaines zones peu explorées sont liées au décideur

lui-même, comme ses émotions ou sa physiologie. D'autres facteurs sont

liés à l'environnement culturel du décideur, y compris des facteurs macro

tels que les distinctions culturelles définies par Hofstede, par exemple

l'aversion à l'incertitude ou la masculinité/féminité culturelle (Dane & Pratt,

2007, p. 48).

Dans le présent travail, nous nous concentrerons sur la première catégorie

de facteurs déterminant l'usage de l'intuition par les individus appelés à

prendre des décisions dans leur champ d'expertise en situation d'urgence

et d'ambiguïté. Notre objectif consiste à expliquer pourquoi ces facteurs

individuels influencent la prise de décision et à prédire de quelle façon ils

l'influencent dans des conditions différentes. Cela permettra de jeter de la

lumière sur les raisons derrière certaines décisions parfois difficiles à

expliquer. Certaines de ces décisions peuvent résulter en des

conséquences funestes, alors que d'autres peuvent entraîner un résultat

positif au-delà de ce qui était souhaitable ou envisageable au moment

de la décision: dans les deux cas, il est difficile de prétendre que ces

décisions sont survenues à la suite d'une analyse rationnelle et délibérée.

3

Plus spécifiquement, nous nous intéresserons au cas particulier des

entraîneurs d’équipes de hockey et à leurs décisions en cours de match. Il

s’agit là encore d’un champ encore peu exploré par les chercheurs, mais

chargé de situations riches et complexes qui méritent d’être étudiées à

partir du point de vue des décideurs importants que sont les entraîneurs.

Chaque match de hockey est le théâtre d’un très grand nombre de

décisions qui ont chacune un impact sur d’autres décisions et qui mettent

en scène de nombreuses parties prenantes – les membres de l’équipe

d’entraîneurs, les joueurs, l’équipe adverse et ses propres entraîneurs, les

officiels du match, la haute direction du club, les médias et les partisans

de l’équipe, entre autres. Toutes ces décisions se prennent à un rythme

extrêmement rapide, sur la base d’une information d’autant plus

imparfaite qu’elle change de seconde en seconde et qu’elle est

partiellement sous le contrôle d’un adversaire dont l’objectif est justement

d’empêcher l’équipe d’atteindre ses objectifs. Ces décisions prises en

situation de match ont par ailleurs des répercussions plus larges sur le

déroulement d’une saison et, en fin de compte, sur la carrière des

individus concernés. Enfin, si l’enjeu n’est pas la vie des individus en cause

– bien que leur santé physique et psychique puisse être menacée – il est

néanmoins significatif sur les plans sportif, économique et

symbolique/culturel.

Afin de comprendre ce qui amène un expert à utiliser son intuition, nous

verrons d'abord comment l'intuition a été définie dans la littérature, et

dériver de cette définition une caractérisation claire du phénomène que

nous souhaitons étudier, à savoir l'usage de l'intuition dans la prise de

décision par des experts. Nous proposerons ensuite un modèle théorique

illustrant les relations entre certaines variables indépendantes - les facteurs

4

individuels que nous venons d'évoquer - et la variable dépendante qu'est

l'usage de l'intuition dans la prise de décision par des experts. Ce modèle

est accompagné de propositions. Enfin, dans la dernière partie du texte,

nous examinerons en profondeur l’approche méthodologique que nous

privilégions ici: une approche ethnographique, ancrée dans la pratique,

visant à comprendre l'usage de l'intuition dans les véritables décisions

prises sur le terrain par les entraîneurs d'équipes de hockey.

Ancrage théorique

La recherche d’une définition théorique satisfaisante du concept

d’intuition connaît sa part de tâtonnements chez les chercheurs : à cet

égard, Dane et Pratt soulignent la confusion considérable entourant la

définition même de l’intuition (2007).

Comme on peut le constater à la lecture du tableau suivant mettant en

lumière certaines définitions proposées par des chercheurs au cours des

années 2000, les définitions apparaissant au cours de cette décennie

laissent entrevoir deux grandes caractérisations de ce phénomène:

l’intuition en tant que processus (Je me sers de mon intuition) et

l’intuition en tant que résultante (J’ai des intuitions). Par ailleurs, certaines

de ces définitions mettent l’accent uniquement sur la composante

cognitive de l’intuition, alors que d’autres tentent d’y intégrer une

composante affective.

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Caractérisation Aspect dominant

Définition Source

Processus Cognitif Capacity for direct knowledge, for immediate insight without observation or reason

(Myers, 2002, p. 1)

Cognitif Ability to make decisions using patterns to recognize what’s going on in a situation and to recognize the typical action scripts with which to react

(Klein, 2003, p. 13)

Cognitif A process of thinking. The input to this process is mostly provided by knowledge stored in long-term memory that has been primarily acquired via associative learning. The input is processed automatically and without conscious awareness. The output of the process is a feeling that can serve as a basis for judgments and decisions.

(Plessner, Betsch, & Betsch, 2008, p. 4)

Cognitif A sense of knowing without knowing how one knows. A sense of knowing based on unconscious information processing.

(Epstein, 2010, p. 296)

Cognitif et affectif

A non-sequential information processing mode, which comprises both

(Sinclair & Ashkanasy, 2005, p. 357)

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cognitive and affective elements and results in direct knowing without any use of conscious reasoning2

Résultante Cognitif Thoughts and

preferences that come to mind quickly and without much reflection

(Kahneman, 2003, p. 697)

Cognitif et affectif

An involuntary, difficult-to-articulate, affect-laden recognition or judgment, based upon prior learning and experiences, which is arrived at rapidly, through holistic associations and without deliberative or conscious rational thought

(Sadler-Smith, 2008, p. 31)

Cognitif et affectif

Affectively charged judgments that arise through rapid, nonconscious, and holistic associations

(Dane & Pratt, 2007, p. 40)

Quant aux définitions de l'intuition en tant que processus mental, certains

points communs émergent. Ce processus est inconscient – “without

observation or reason”; “tacit”; “without conscious awareness”; “without

knowing how one knows”. Il est rapide – “rapid”; “immediate” -, et se

produit sans aucune intervention de l'individu – “direct”; “automatically”.

2 La définition de Sinclair et Ashkanasy fait également place à la possibilité de l’existence d’autres mécanismes – toujours inconnus, mais relevant par exemple du mystique ou du spirituel – que le cognitif et l’affectif pour caractériser l’intuition.

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De même, on observe des similitudes à la lecture des définitions de

l'intuition en tant que résultante: c'est la conséquence d'un processus

inconscient, rapide et automatique. Cela dit, quelques chercheurs

mettent l'accent sur la dimension cognitive de cette résultante –

“thoughts”; “preferences”; “judgments”; “recognition” –, alors que

d'autres y ajoutent un aspect affectif – “feeling”; “affect-laden”;

“affectively-charged”.

Nous caractériserons donc l'intuition à la fois comme un processus mental

inconscient, rapide et automatique, et comme la résultante d'un

processus mental inconscient, rapide et automatique, à l'instar de Gore &

Sadler-Smith (2011), dont la définition conceptuelle de l'intuition intègre

(1) les processus intuitifs, qui s'appuient sur des mécanismes généraux, non

spécifiques à un domaine (notamment les schémas cognitifs, l'affect et

les marqueurs somatiques) et sur des mécanismes spécifiques à un

domaine (comme la reconnaissance de patterns et la simulation mentale

par les experts), ainsi que (2) les intuitions en tant que résultantes.

En nous appuyant sur cette double caractérisation de l'intuition, nous

pouvons également définir l'usage de l'intuition - qui est volontaire et

conscient par définition - de deux façons: (1) l'activation de processus

intuitifs, et (2) la mise en oeuvre, sous forme d'actions, de la résultante de

ces processus.

Comme l'activation des processus intuitifs est inconsciente, comme nous

l'avons expliqué plus haut, un individu placé face à une décision ne peut

décider d'activer ses processus intuitifs, mais seulement de mettre ou non

en oeuvre les résultantes de ces processus dans ses actions. Nous

définirons donc l'usage de l'intuition de la façon suivante: la mise en

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oeuvre consciente des résultantes de processus mentaux inconscients et

rapides.

Le modèle théorique présenté ici se concentre sur les facteurs qui

influencent cette mise en oeuvre consciente, c'est-à-dire à quel point les

décideurs se fient consciemment aux résultantes de leurs processus

intuitifs inconscients pour orienter leurs actions.

Modèle théorique

Le modèle proposé comporte une variable dépendante, l'usage de

l'intuition, qui se manifeste dans des comportements observables, et des

variables dépendantes qui sont internes au décideur: un facteur

physiologique (la fatigue physique) et trois facteurs affectifs (la présence

d'une émotion ressentie, la valence de cette émotion, et l'intensité de

cette émotion).

La limite contextuelle la plus importante de ce modèle consiste dans le

fait qu'il s'applique uniquement aux situations dans lesquelles la personne

a une expertise spécifique dans le domaine où il doit prendre une

décision. La majorité des recherches sur la prise de décision intuitive se

concentre déjà sur les décisions d'experts. Bien qu'il pourrait être

intéressant d'étudier l'usage de l'intuition par les non-experts, nous

estimons que la plupart des individus à qui l'on confie la responsabilité de

prendre une décision sont présumés détenir une certaine expertise qui

leur confère la légitimité nécessaire pour prendre cette décision et la

mettre en oeuvre. Il nous semble donc plus pertinent de nous attarder à

ces décideurs experts.

9

Le présent modèle comporte également une limite conceptuelle, qui

découle d'ailleurs de la limite contextuelle que nous venons d'établir. Pour

les besoins de ce travail, nous présumerons que la composante cognitive

de la prise de décision par des experts s'explique par le modèle de

décision amorcée par la reconnaissance (Recognition-Primed Decision -

RPD - model) développé par Klein (2008)3, et qui mérite d'être expliqué

brièvement ici.

Ce modèle est fondé sur la reconnaissance par l’individu de la situation

dans laquelle il se trouve. Ce mécanisme de reconnaissance de

patterns est rapide et inconscient, et il s’agit d’un mécanisme holistique,

en ce sens que l’individu reconnaît la globalité de la situation, plutôt

que ses éléments constitutifs. Les expériences menées par Simon et

Chase avec les joueurs d’échecs sont d’ailleurs éclairantes en ce sens:

un joueur possédant une vaste bibliothèque mentale de situations de

jeu pourra retenir beaucoup avec beaucoup plus de vitesse, de

précision et d’exactitude qu’un joueur novice l’ensemble des pièces

d’un échiquier4 (Simon & Chase, 1973).

Dans le modèle RPD, la décision n’est pas déterminée entièrement par

la reconnaissance de patterns. Celle-ci amorce un second mécanisme

d’évaluation: la simulation mentale de l’action. L’action correspondant

à la situation reconnue engendrerait-elle un résultat satisfaisant dans la

situation présente? Si oui, l’individu la mettra en oeuvre; sinon, il

3 Une illustration détaillée du modèle RPD figure en annexe. 4 À condition que les pièces soient dans une situation plausible de jeu : experts et novices sont sur un pied d’égalité quand il faut se souvenir de la position de pièces disposées de façon aléatoire sur l’échiquier. Cela tend à vérifier l’hypothèse de la reconnaissance de situations emmagasinées dans leur globalité dans la mémoire de l’individu, au fil de son expérience.

10

modifiera l’action ou sélectionnera une autre option susceptible de

produire un résultat satisfaisant5. Ce seond mécanisme est plus lent que

le premier, et il est conscient.

Le modèle de Klein combine donc intuition (reconnaissance de

patterns) et analyse délibérée (simulation mentale), mais ne prend pas

en considération la dimension affective de l’intuition. En pratique, le

premier mécanisme engendre généralement une première option

satisfaisante lorsque l’individu est un expert dans le domaine où il doit

prendre une décision (Johnson & Raab, 2003; Klein, Wolf, Militello, &

Zsambok, 1995).

Définition des construits et propositions

Le présent modèle se concentre donc sur les facteurs non cognitifs reliés

à l'individu, soit des facteurs affectifs et physiologiques. Dans cette

section, nous examinerons plus en détail les relations entre les variables du

modèle et nous formulerons des propositions destinées à être testées

empiriquement.

Facteurs affectifs

On peut définir les émotions comme les « états affectifs qui incluent les

réactions physiologiques et les séquences d'actions déclenchées par des

stimuli signifiants pour des individus » (Coget, Haag, & Gibson, 2011, p.

5 On constate que ce modèle est compatible avec la théorie de la décision de Simon (March & Simon, 1993; Simon, 1997), fondée sur la rationalité limitée et la recherche d’une solution satisfaisante plutôt que de l’option permettant de maximiser l’utilité espérée.

11

478). Celles-ci sont généralement considérées comme ayant une durée

de vie relativement courte, contrairement aux états émotifs (moods), qui

sont « plus diffus, moins intenses et plus durables que les émotions » (id.).

Ensemble, ils constituent l'affect d'une personne.

Dans leur étude de terrain menée auprès de cinéastes, Coget et al.

(2009) ont identifié cinq processus menant à des décisions rationnelles,

intuitives ou déléguées:

• Prise de décision intuitive fondée sur l'expertise: dans des situations

familières, lorsqu'une expertise spécifique est présente et que des

émotions sont ressenties (et sont régulées par le décideur afin de

maintenir un état de bien-être);

• Prise de décision rationnelle fondée sur l'expertise: dans des

situations familières, lorsqu'une expertise spécifique est présente,

mais qu'aucune émotion n'est ressentie;

• Prise de décision intuitive fondée sur l'expérience émotionnelle:

dans des situations familières, lorsqu'une expertise spécifique n'est

pas présente, mais que des émotions non spécifiques sont

déclenchées par le souvenir d'événements passés (et sont régulées

par le décideur afin de maintenir un état de bien-être);

• Prise de décision intuitive fondée sur une émotion non familière:

dans des situations non familières, lorsque des émotions sont

ressenties (et sont régulées par le décideur afin de maintenir un état

de bien-être);

• Prise de décision déléguée, sans émotion: dans des situations non

familières, lorsqu'aucune émotion n'est ressentie.

Les émotions jouent donc un rôle double dans plusieurs de ces processus:

d'abord, celui de lien entre la situation actuelle et l'expertise ou les

12

émotions passées du décideur; mais aussi celui de régulateur – une sorte

de « gyroscope » (Coget, Haag, & Bonnefous, 2009, p. 128) –, où le

décideur est conforté dans sa décision par des émotions positives, ou

bien effectue des ajustements lorsque de nouveaux stimuli externes

déclenchent des émotions négatives, afin de retrouver un état de bien-

être perçu.

Dans le modèle de Coget et ses collègues, les émotions sont liées à la

prise de décision intuitive, contrairement à ce qu'affirme Simon (Simon,

1987), pour qui les émotions sont strictement irrationnelles, alors que

l'intuition (celle de l'expert, du moins) serait comparable à une variété

inconsciente de rationalité – se rapprochant ainsi de la position de

Barnard, qui voit l'intuition comme un processus non rationnel plutôt que

comme un processus irrationnel (Barnard, 1938). Coget et ses collègues

croient que la prise de décision intuitive des experts est en fait activée et

régulée par les émotions (2009), et que ce processus résulte en des

décisions satisfaisantes qui engendent un état de bien-être, tel que leurs

sujets de recherche le rapportent spontanément.

Incidemment, leur étude démontre aussi a contrario le rôle essentiel des

émotions dans la prise de décision, comme l'avance Damasio (1994).

Dans les situations qui ne déclenchent aucune émotion chez le décideur

– et en l'absence d'une expertise préalable –, les sujets rapportent qu'ils

délèguent leurs décisions à leurs collaborateurs experts, parce qu'ils sen

sentent incapables de prendre eux-mêmes ces décisions.

Proposition 1: La présence d'une émotion au moment de la décision rend

plus probable l'usage de l'intuition par le décideur.

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Coget et ses collègues se concentrent uniquement sur la présence ou

l'absence d'une émotion, mais le présent modèle prend aussi en

considération la valence - positive ou négative - de l'émotion. La

recherche suggère que la présence d'une émotion positive rend plus

probable l'usage de l'intuition par les décideurs (Elsbach & Barr, 1999;

Ruder & Bless, 2003).

En effet, Forgas (1995) affirme que les décideurs qui sont dans un état

émotionnel positif ont tendance à interpréter ce fait comme un signe

qu'ils devraient agir conformément à ce sentiment positif, alors qu'un état

émotionnel négatif pourrait être associé à un danger et donc inciter le

décideur à faire preuve de prudence et à utiliser sa pensée rationnelle et

délibérée avant d'agir.

L'argument de Cacioppo et Gardner va dans le même sens. Selon eux,

une émotion positive « agit comme un signal qu'il faut continuer dans la

même direction ou qu'on peut explorer l'environnement », ce qui appuie

la position de Forgas, et qu'une émotion négative « agit comme un signal

qu'il faut procéder à un ajustement mental ou comportemental », ce qui

est cohérent avec une approche délibérée de la prise de décision

(Cacioppo & Gardner, 1999, p. 206).

Proposition 2a: Une émotion positive ressentie au moment de la prise de

décision rend plus probable l'usage de l'intuition par le décideur.

Proposition 2b: Une émotion négative ressentie au moment de la prise de

décision rend moins probable l'usage de l'intuition par le décideur.

Nous croyons qu'il est également important d'examiner l'intensité de

l'émotion ressentie au moment de la décision. Une émotion intense

14

détournerait-elle l'attention du décideur de processus mentaux plus lents

et plus délibérés, rendant plus probable le recours à des processus

mentaux inconscients et rapides? Ou le rendrait-elle plus prudent et plus

délibéré dans sa façon de prendre sa décision?

Sinclair et ses collègues expriment l'argument que « l'effet des états

émotionnels peut varier de façon indépendante à des niveaux

d'activation élevés, plutôt que de toujours exercer des influences

opposées » (Sinclair, Ashkanasy, & Chattopadhyay, 2010, p. 385). Ainsi,

une émotion positive intense et une émotion négative intense pourraient

résulter en des niveaux d'activation semblables, mais devraient être testés

de façon séparée. Mais cela résulterait-il pour autant en un usage

semblable de l'intuition?

Dans leur étude de la prise de décision managériale en situation de crise,

Sayegh et ses collègues affirment que « la réponse émotionnelle

caractérisée par un ton hédonique positif et un haut niveau d'activation

renforcera l'usage efficace de la connaissance tacite », ce qui est

susceptible de faciliter la reconnaissance de patterns déclenchée dans la

prise de décision intuitive par des experts (Sayegh, Anthony, & Perrewé,

2004, p. 192). Cela tendrait à appuyer l'hypothèse qu'une émotion

positive intense, suscitant un haut niveau d'activation, rendrait d'autant

plus probable l'usage de l'intuition.

En revanche, on pourrait argumenter qu'une émotion négative intense

pourrait empêcher les décideurs d'utiliser leurs processus mentaux

rationnels et délibérés, les forçant à s'appuyer sur leurs processus mentaux

inconscients et non rationnels, afin de retrouver un état de bien-être

perçu, comme dans l'étude de Coget et ses collègues sur les cinéastes

15

(Coget et al., 2011). Bien que les décideurs puissent être des experts dans

leur domaine, cette émotion négative intense (la peur et la colère dans

l'étude de Coget et ses collègues) les amènerait à recourir à ce qu'ils

appellent « la prise de décision émotionnelle-intuitive », par opposition à

« la prise de décision experte-intuitive ». Avec cette qualification

importante, nous pouvons donc formuler une proposition générale quant

à la relation entre l'intensité de l'émotion ressentie et l'usage de l'intuition -

qu'elle soit fondée sur l'expertise ou sur l'émotion.

Proposition 3: Plus l'émotion ressentie au moment de la décision est

intense, plus probable est l'usage de l'intuition par le décideur.

Facteurs physiologiques

Selon la théorie de la rationalité limitée, les individus recherchent une

solution satisfaisante, plutôt que maximisant l'utilité espérée, lorsqu'ils

prennent des décisions de façon délibérée. Pour y arriver, ils recourent à

des stratégies leur permettant de minimiser l'effort cognitif qu'ils doivent

consentir: le programme de recherche de Kahneman et Tversky sur les

heuristiques et les biais (Kahneman & Tversky, 1979; Kahneman, 2003;

Tversky & Kahneman, 1973, 1981) recense de nombreuses stratégies de

prise de décision conçues pour dépenser le moins d'énergie cognitive

possible. Le modèle RPD de Klein (Klein, 1993) est cohérent avec cette

exigence d'économie d'énergie cognitive.

De la même façon, on pourrait s'attendre à ce que les individus tentent

d'économiser leur énergie physique lorsqu'ils prennent des décisions. Mais

qu'adviendrait-il s'ils étaient contraints de prendre des décisions quand ils

16

sont en déficit d'énergie physique? Nous examinerons à titre d'exemple le

cas des athlètes, qui sont tenus par la force des choses de prendre des

décisions en situation d'effort physique.

L'effet de la fatigue sur la performance est bien documenté dans la

littérature en sciences de l'activité physique. Bien que certaines études

aient démontré qu'un état d'effort physique intense est cohérent avec

une plus grande vitesse de prise de décision et une qualité de décision

inchangée (McMorris & Graydon, 1996, 1997), d'autres chercheurs ont

découvert qu'un effort très intense peut en fait être associé à une prise de

décision plus rapide et à de meilleures décisions (Royal et al., 2006).

Même si cela n'explique pas l'impact de l'effort physique sur l'usage de

l'intuition dans la prise de décision, par opposition à l'usage de la pensée

rationnelle et délibérée, cette étude nous porte à croire qu'il pourrait

exister un lien entre l'effort physique et le niveau d'activation, lequel peut

rendre plus probable l'usage de l'intuition, comme nous l'avons proposé

plus haut. Il est raisonnable de penser que l'engagement physique dans

une activité pourrait entraîner le haut niveau d'activation que l'on peut

associer avec l'usage de l'intuition.

L'étude de Royal et ses collègues (2006), menée auprès de joueurs de

water-polo, permet de réconcilier ces conclusions divergentes, en

identifiant deux types de fatigue: celle qui est induite par une activité

physique spécifique à la tâche, et celle qui est induite par une activité

physique quelconque. L'effort physique qui n'est pas relié au sport dans

lequel l'athlète est un expert – induit par une course sur tapis roulant, par

exemple – résulte en une prise de décision plus lente et de moins bonne

qualité qu'en l'absence d'effort. À l'inverse, la fatigue induite par l'activité

dans laquelle l'athlète détient une expertise résulte en une prise de

17

décision plus rapide et de meilleure qualité dans ce sport spécifique

qu'en l'absence d'effort.

Cette conclusion est cohérente avec l'existence d'un lien entre l'effort

physique et le niveau d'activation: l'activation mentale surviendrait

uniquement lorsque l'activité induisant la fatigue physique requiert que

l'expert utilise son expertise. Cette activation faciliterait l'usage de

l'intuition fondée sur l'expertise, un processus mental plus rapide que la

prise de décision rationnelle et délibérée. L'intuition fondée sur l'expertise

se manifeste chez les athlètes par l'usage d'heuristiques comme Take-The-

First: plus un athlète détient une expertise dans son sport, plus il est

susceptible de sélectionner et de mettre en oeuvre la première option

tactique qui lui vient à l'esprit dans une situation de match où il est

contraint de prendre une décision sous pression (Johnson & Raab, 2003;

Raab & Johnson, 2007).

À l'inverse, quel serait l'effet sur le niveau d'activation d'un individu, et

donc sur son usage de l'intuition, s'il était soumis à un effort physique non

relié à la tâche dans laquelle il a une expertise? Une étude faisant appel

à un effort non relié à la tâche cognitive testée (Davey, 1973) suggérait

que l'impact de l'effort physique sur la performance mentale suivait une

courbe en forme de U inversé: un effort léger entraînait un plus haut

niveau d'activation et une meilleure performance mentale, mais un effort

maximal entraînait une baisse de la performance mentale. Un effort

maximal et non spécifique n'entraînerait donc pas le haut niveau

d'activation requis pour que l'usage de l'intuition soit plus probable.

18

Proposition 4: Plus intense est l'effort physique effectué au moment de la

décision et relié à la tâche requérant l'expertise spécifique du décideur,

plus probable est l'usage de l'intuition par le décideur.

Méthodologie – Étude ethnographique

Les chercheurs associés au modèle RPD adoptent généralement une

perspective naturaliste de la prise de décision et recourent fréquemment

à des études in vivo sur le terrain pour comprendre comment les individus

et les équipes prennent des décisions en situation. Nous passerons en

revue quelques-unes des études s’inscrivant dans ce courant de pensée

qui nous apparaissent les plus intéressantes du point de vue de la

méthodologie et pertinentes au regard de notre question de recherche.

L’étude de Giordano et Musca (2012) de la prise de décision des guides

en haute montagne présente un survol intéressant des défis empiriques et

méthodologiques pour les chercheurs tentés par la perspective

naturaliste. Les auteures rapprochent les méthodes d’observation

immersive de la perspective de la pratique : citant Clancey (2006), elles

soulignent l’intérêt que présentent les études ethnographiques dans les

travaux liés à l’expertise, car « l’expertise comporte un aspect subjectif et

improvisé dont la forme change avec le contexte, qui lui-même est

constamment mouvant ».

Pour Giordano et Musca (2012), l’immersion comporte néanmoins certains

écueils à ne pas négliger. Notons en particulier la difficulté pour un

chercheur insuffisamment expérimenté de comprendre l’univers dans

lequel il est immergé – sans parler des risques qu’il court et qu’il peut faire

19

courir aux experts qu’il observe dans des situations potentiellement

dangereuses – et, concurremment, la difficulté qu’un chercheur trop

expérimenté pourrait éprouver à se distancier suffisamment d’une action

qui lui est familière pour y réflchir de façon critique. Par ailleurs, si

« l’immersion permet d’observer en gros plan les pratiques, elle les modifie

également, notamment à cause du phénomène de ‘management des

impressions’ » (Giordano & Musca, 2012), qui peut inciter les praticiens

observés à se livrer à des tactiques de contournement, surtout en

situations de tension – justement celles qui sont les plus susceptibles

d’intéresser le chercheur.

Pour contourner, en quelque sorte, ces tactiques de contournement, les

chercheurs ont avantage à « multiplier les angles de vue en utilisant

conjointement mais de façon subtile divers dispositifs simultanément »

(Giordano & Musca, 2012), tels que l’enregistrement audio-vidéo et

l’observation ethnographique classique. À cet égard, l’étude des

expéditions polaires de Rix-Lièvre et Lièvre est particulièrement pertinente:

observation participante et participation observante sont conjuguées à

des entretiens a posteriori, permettant ainsi de mettre en relation la

perspective de l’expert et celle du novice (Rix-Lièvre & Lièvre, 2010).

Rix-Lièvre et Lièvre se concentrent sur les « manières de faire », plutôt que

sur les « manières de dire », et cherchent à comprendre comment les

acteurs d’une situation construisent individuellement et collectivement le

sens de leur action. Pour eux, tant le discours que l’observation sont

insuffisants pour appréhender l’agir.

En effet, arguent-ils, l’acteur n’est plus qu’un simple objet d’étude : il est

désormais un sujet « intelligent, rationnel et, quelquefois, sensible, doté

20

d’une subjectivité méritant qu’on se penche sur elle » (Rix-Lièvre & Lièvre,

2010). L’observation de la situation, si elle est indispensable, ne suffit pas à

elle seule à documenter les pratiques. Les mots prononcés par les acteurs

constituent autant d’explications, de justifications, d’évaluations, de

descriptions de leur part, et qui peuvent varier selon le contexte et les

interlocuteurs. Ce sont des « manières de dire », utiles, certes, mais qui ne

donnent pas entièrement accès aux « manières de faire ». Plus encore,

ces mots présupposent que les événements qui se produisent ont une

logique quelconque : ils leur donnent un sens, une cohérence après les

faits qui n’existait peut-être pas au moment où l’action s’est déroulée. Le

chercheur doit donc tenter de documenter l’action, plutôt que le

discours sur l’action.

Pour ce faire, Rix-Lièvre et Lièvre proposent une méthode d’investigation

comportant deux outils principaux : un « journal de bord multimédia » et

un « dispositif d’objectivation des pratiques situées », employés par les

deux membres du binôme de chercheurs (Rix-Lièvre & Lièvre, 2010).

Le premier chercheur s’imbrique dans l’expédition comme n’importe quel

membre de l’équipe, avec les mêmes responsabilités et le même niveau

d’engagement. Il n’est pas un observateur passif et neutre, mais un

« participant observateur » duquel les autres membres de l’expédition

attendent qu’il intervienne pour infléchir sa progression : ce chercheur est

donc un acteur du projet, un décideur à part entière. À ce titre, il va de

soi que son niveau d’expertise doit être équivalent à celui de tout autre

membre de l’expédition : il ne peut en aucun cas représenter un boulet

pour l’équipe. Pour documenter l’action collective alors qu’elle se

déroule et alors même qu’il en est un acteur, le premier chercheur recourt

à un journal de bord multimédia comportant des courriels, des notes

21

manuscrites, des enregistrements audio et vidéo : ce journal de bord,

tenu au « je », « correspond ultimement au point de vue du chercheur au

fil de l’évolution du projet » (Rix-Lièvre & Lièvre, 2010). Le processus réflexif

qui suit obligatoirement l’expédition – durant lequel le chercheur prend

une distance critique face au terrain auquel il a participé, et qui lui donne

du même coup sa légitimité de chercheur – constitue à la fois une

entreprise de construction de sens et une source d’information pour les

praticiens, qui peuvent alors tirer des leçons pour leurs propres projets.

Cela rejoint pleinement, à notre avis, la vision réaliste pragmatique de

Watson, pour qui l’une des forces de l’ethnographie est de permettre au

lecteur d’« apprendre les ficelles du métier » : elle a le pouvoir d'informer

les projets et pratiques des acteurs dans leur contexte particulier (Watson,

2011).

Le rôle du second chercheur dans l’étude de Rix-Lièvre et Lièvre (2010) est

de s’attarder à la dimension individuelle de l’organisation, aux pratiques

de chacun des membres de l’équipe situées dans leur contexte.

Contrairement au premier chercheur, celui-ci est un novice : il observe et

enquête, mais n’influence pas, ne décide pas, n’assume aucune

responsabilité. Plutôt qu’un participant observateur, il est donc un

observateur participant, plus détaché du groupe que son collègue, ce

qui lui donne plus de temps pour prendre des notes sur place en temps

réel.

Un défi additionnel demeure de rendre explicites les pratiques des acteurs

d’une situation donnée de façon aussi contemporaine que possible. Rix-

Lièvre et Lièvre (2010) ont donc élaboré une méthode d’entrevue pour y

arriver : l’entretien en re situ subjectif, qui s’ajoute aux enregistrements

vidéo en situation pour constituer le « dispositif d’objectivation des

22

pratiques situées ». L’enregistrement vidéo est réalisé à partir d’une

caméra embarquée avec l’acteur, afin de capter la situation de son

point de vue. Par la suite, l’entretien en re situ subjectif consiste à remettre

l’acteur en situation à partir de la captation vidéo embarquée et à

l’amener à expliciter sa manière d’être à mesure que la situation se

déroule sous ses yeux.

Rix-Lièvre et Lièvre reconnaissent que ce dispositif bicéphale

d’observation participante et de participation observante est lourd. Il

permet cependant de ne pas « réduire l’étude de l’activité à une étude

du discours sur l’activité, tout en prenant en compte la façon dont les

acteurs vivent et décrivent leurs situations » (Rix-Lièvre & Lièvre, 2010). Rix-

Lièvre et Lièvre anticipent en quelque sorte la mise en garde de Van

Maanen : « Ce que les ethnographes appellent ‘données’ sont des

constructions de constructions d’autres personnes, bâties à partir de ce

que ces personnes et leurs vis-à-vis font et disent. Ce n’est pas ce que

l’ethnographe voit certaines personnes faire, mais plutôt ce que ces

personnes se voient faire. » (Van Maanen, 2011).

Bien sûr, la plupart des situations organisationnelles de gestion ne

comportent pas les mêmes obstacles logistiques ni les mêmes risques

qu’une expédition polaire. Cela dit, le dispositif proposé par Rix-Lièvre et

Lièvre peut certainement s’adapter à ce type de contexte, à certaines

conditions : « [A]ccepter une telle intrusion dans la vie quotidienne de

l’organisation présuppose un travail préparatoire considérable et une

relation de confiance entre les chercheurs et les acteurs de l’organisation,

ce qui ne va pas du tout de soi et doit se bâtir au fil du temps. » (Rix-Lièvre

& Lièvre, 2010). Par ailleurs, comme le précisent Giordano et Musca

(2012), « [l]a coopération des acteurs n’est pas nécessairement aisée sur

23

la durée d’autant que la légitimité de la recherche n’est jamais acquise

dès lors que les situations prennent des tournures complexes ou

dangereuses ».

Dans leur étude de la présentification de l’autorité organisationnelle,

réalisée dans le nord-est de la République démocratique du Congo en

2005 aux côtés de l’équipe de Médecins sans frontières (MSF), Benoit-

Barné et Cooren (2009) témoignent des défis que présente le travail de

terrain effectué dans des circonstances éprouvantes. Les chercheurs ont

suivi pendant dix jours le coordonnateur régional de MSF, qui était appelé

à se déplacer dans plusieurs sites de la région, et ont capté sur vidéo la

plupart des activités du coordonnateur et de certains de ses employés et

partenaires. Selon Benoit-Barné et Cooren (2009), cette technique, bien

qu’elle comporte des limites – elle est intrusive et elle impose par la force

des choses un cadre aux événements captés – permet de recueillir des

données très riches et, mieux encore, falsifiables, puisqu’elles sont

accessibles à quiconque voudrait les analyser à son tour.

Le caractère falsifiable des données de recherche résultant de

captations vidéo répond en partie à l’une des principales critiques

formulées à l’endroit de la recherche naturaliste sur la décision – et plus

généralement des recherches sur l’organisation réalisées en recourant à

la méthode ethnographique. Ces dispositifs méthodologiques sont-ils

rigoureux ? Pour Lipshitz et ses collègues (Lipshitz et al., 2001), la question

centrale est de savoir « si les méthodes de collecte et d’analyse de

données soutiennent les conclusions qui sont tirées ». Selon eux, il est

préférable de recourir à plusieurs méthodes afin de contrebalancer les

limites inhérentes à chacune d’elles. Le dispositif double proposé par Rix-

Lièvre et Lièvre semble s’inscrire dans le sens de cette recommandation,

24

en intégrant au surplus deux points de vue distincts – celui de l’expert et

celui du novice – à leur processus de collecte de données (Rix-Lièvre &

Lièvre, 2010).

Cela dit, affirment Lipshitz et ses collègues (Lipshitz et al., 2001), les critères

traditionnels de validité scientifique ne s’appliquent pas à l’étude

naturaliste de la décision, parce que celle-ci « se concentre sur les

interprétations et les définitions que les décideurs experts donnent aux

situations et sur l’impact de ces interprétations sur la réalisation des

tâches ». Il serait donc impossible selon eux de s’attendre au même genre

de fiabilité et d’objectivité auxquelles on s’attendrait d’une recherche

menée dans un cadre expérimental. Ils proposent donc les deux critères

d’évaluation suivants : la crédibilité et la transférabilité. La crédibilité

s’évalue à partir des informations fournies par le chercheur au sujet de

« (a) le caractère significatif des questions de recherche, (b) les méthodes

de collecte et d’analyse de données sur lesquelles les réponses se

fondent, (c) le caractère approprié des méthodes au regard des

questions et de l’environnement de recherche, (d) la plausibilité des

réponses, et (e) le caractère raisonnable des hypothèses sous-tendant le

choix des méthodes et l’interprétation des données » (Lipshitz et al., 2001).

La transférabilité, quant à elle, fait référence au degré auquel les résultats

et conclusions d’une étude demeurent valables dans un autre contexte.

Plusieurs critiques adressées à la méthode ethnographique sont de cet

ordre et se résument ainsi : « n = 1 ». Yanow (2009) répond adroitement à

ces critiques en soulignant que le nombre d’observations dans une seule

ethnographie peut être très élevé : tous les événements observés, toutes

les conversations entendues, toutes les interactions dont le chercheur est

25

témoin – autant de n contribuant à la rigueur de la recherche

ethnographique.

Par ailleurs, le critère de transférabilité peut aussi s’interpréter de sorte qu’il

soit respecté si le lecteur se voit transporté dans l’environnement étudié.

On retrouve cette interprétation chez Geertz (1993), qui affirme la validité

de ses recherches notamment en soulignant que la description dense des

cultures qu’il étudie permet de susciter un engagement réel de la part du

lecteur.

Yanow poursuit en rappelant le caractère systématique et réfléchi de la

démarche ethnographique. Si Van Maanen (2011) célèbre le fait que

l’ethnographie s’inscrit dans « une logique de découverte et de hasard

plutot qu'une logique de vérification et de planification », conforme à la

tradition voulant que le terrain détermine la question de recherche plutôt

que l’inverse, Yanow (2009) insiste sur le fait que l’ethnographe prépare et

planifie soigneusement le calendrier de son étude, dresse un compte

rendu fidèle de son exposition au terrain et doit systématiquement faire

preuve de réflexivité quant à sa propre position face aux situations qu’il

observe et auxquelles il participe sur le terrain. Pour autant, indique-t-elle,

ce caractère systématique ne doit pas constituer un frein aux interactions

sur le terrain : l’ethnographe doit s’efforcer de « reconnaître ces

ouvertures pour ce qu’elles sont et pour ce qu’elles peuvent lui apporter,

plutôt que de suivre à la lettre un horaire prédéterminé » (Yanow, 2009).

Au final, Lipshitz et ses collègues (Lipshitz et al., 2001) posent une question

essentielle : « Les méthodes expérimentales traditionnelles pourraient-elles

permettre de répondre plus adéquatement aux questions posées par les

chercheurs de la perspective naturaliste de la prise de décision que celles

26

que ceux-ci utilisent actuellement ? » Comme nous le verrons dans la

section suivante, nous sommes d’avis que l’ethnographie est

particulièrement appropriée pour nous aider à répondre à notre question

de recherche, particulièrement dans le contexte spécifique que nous

souhaitons étudier.

Implications pratiques du recours à l’ethnographie pour la question de

recherche

Malgré l’intérêt que suscitent les sports chez le public et malgré une

littérature abondante en matière de psychologie du sport et

d’anthropologie du sport, on recense peu d’ethnographies d’équipes

sportives professionnelles. Une thèse récente soutenue en sociologie du

sport (Baker, 2012) s’appuie sur une démarche ethnographique réalisée

auprès d’une équipe professionnelle de rugby en Grande-Bretagne. Les

défis méthodologiques soulevés par la chercheure nous semblent

pertinents au vu de notre propre projet de recherche.

Baker a recueilli ses données sur une période d’une année complète

passée avec deux équipes professionnelles de rugby. Il s’agissait donc

d’une ethnographie multisites, puisque les deux équipes évoluaient dans

deux villes différentes : cela dit, Baker s’intéresse à la culture des équipes

de rugby, qui englobe des éléments identitaires et des comportements

communs, indépendamment de la géographie, tout en tenant compte

du contexte social dans lequel ces équipes oeuvrent. Elle rappelle

cependant qu’il ne faut pas présumer d’interactions totalement fluides

entre la sous-culture d’intérêt et la société prise au sens large.

27

La perspective dans laquelle nous entendons mener notre recherche

permettrait de la considérer également comme une ethnographie

multisites, même si elle ne se concentrait que sur l’étude d’une seule

équipe. En effet, le personnel d’entraîneurs d’une équipe sportive

professionnelle prend des décisions affectant le cours d’un match non

seulement pendant son déroulement, mais aussi avant le match, au

centre d’entraînement, au gymnase, dans la salle de visionnement ou

dans les bureaux des entraîneurs. Chacun de ces sites a son

environnement physique et matériel, ses artefacts, son rythme, ses parties

prenantes et sa place dans l’horaire de l’équipe. Ils méritent donc tous

une attention particulière de la part du chercheur dans son

ethnographie.

Cela dit, pour faciliter la généralisation des résultats de notre étude, nous

avons l’intention de réaliser trois ethnographies au sein de trois équipes de

hockey de niveau élite (junior majeur, universitaire, professionnel mineur

ou majeur – selon les possibilités d’accès). Il s’agit là d’un échantillonnage

théorique, non d’un échantillonnage statistique : il doit donc permettre

d’observer un éventail suffisamment large de conditions distinctes.

À notre avis, trois grands défis méthodologiques se posent au chercheur

souhaitant réaliser une ethnographie d’une équipe sportive

professionnelle en vue de mieux comprendre les pratiques décisionnelles

des entraîneurs en situation de match : l’accès dans la durée à une

culture fermée ; le rôle de participant observateur / observateur

participant assumé par le chercheur ; et ce que nous appellerons le

« travail de corps ».

Accès dans la durée à une culture fermée

28

L’entourage d’une équipe sportive professionnelle est habituellement un

milieu hermétique, où n’entre pas qui veut. Plusieurs raisons motivent cette

fermeture : on peut penser notamment à la volonté de susciter la

cohésion du groupe en renforçant le sentiment « nous contre le monde

entier » ; au statut de vedette des athlètes et des entraîneurs, que

l’équipe souhaite protéger contre des distractions ou, pire, des influences

néfastes de l’extérieur ; et à la forte médiatisation des activités de

l’équipe, qui fait en sorte que tous les propos et gestes de ses membres

sont scrutés à la loupe et disséqués.

Se pose donc avec acuité pour l’ethnographe la question de l’accès à

cet entourage et, qui plus est, à son intimité dans les situations les plus

délicates, les plus chargées d’émotions et où les enjeux sont les plus

immédiats et les plus importants. Cet accès doit par ailleurs durer assez

longtemps pour permettre au chercheur « d’apprécier l’éventail de

normes, pratiques et valeurs – officielles et officieuses – qui caractérisent

ce terrain de recherche » (Watson, 2011). Plus concrètement, les variables

que nous souhaitons étudier – la présence, la valence et l’intensité de

l’émotion au moment de la prise de décision, ainsi que le niveau de

fatigue physique au moment de la prise de décision – doivent s’observer

sur un nombre suffisant de décisions, dans une variété suffisante de

contextes, afin de constater l’usage que l’entraîneur fait de son intuition.

Même en présumant que le chercheur possède les contacts nécessaires

pour présenter aux personnes concernées son projet de recherche, il va

de soi que la confiance de ces dernières ne sera pas gagnée d’avance.

L’ethnographe devra évidemment promettre et respecter la

confidentialité absolue des propos tenus, des événements observés, voire

29

de l’identité des parties prenantes – ce qui pourrait s’avérer difficile dans

les faits, dans le cas où le chercheur étudierait par exemple « une équipe

professionnelle de hockey au Québec ». Comme l’évoque Baker (2012),

l’équipe s’attendra de la part de l’ethnographe à une certaine loyauté,

ce qui pose alors la question de la neutralité et de la distance critique du

chercheur. Celui-ci pourrait même s’attendre à être soumis à certains rites

initiatiques, afin de confirmer son adhésion au groupe, le temps de sa

recherche.

Dans tous les cas, sur le terrain, l’ethnographe devra se poser la question :

suis-je en face de la personne ou du rôle ? Dans un contexte aussi

fortement médiatisé, on doit s’attendre à ce que les individus soient

constamment en représentation : ils sont d’ailleurs entraînés à le faire, au

point qu’il s’agit pratiquement d’une seconde nature chez eux. 6

L’entrevue traditionnelle, avec ses effets de porte-parole de rôle, permet

rarement, comme le signale Watson (2011), d'accéder au véridique : on

pourrait cependant, comme nous l’évoquerons plus loin, envisager le

recours à l’entrevue en re situ subjectif, à l’instar de Rix-Lièvre et Lièvre

(2010).

Rôle du chercheur

Dans le contexte d’une équipe sportive professionnelle, l’ethnographe

devrait-il assumer un rôle d’observateur participant ou de participant

observateur, bref de novice ou d’expert ?

6 On peut voir une illustration révélatrice – et fort amusante – de ce phénomène dans le film Bull Durham, portant sur une équipe de baseball des ligues mineures, dans lequel le vétéran Crash Davis (interprété par Kevin Costner) enseigne à la recrue Nuke LaLoosh (interprété par Tim Robbins) comment répondre aux questions des journalistes par des clichés appris par cœur et répétés inlassablement.

30

Durant son travail de terrain, Baker (2012) s’est vu attribuer par les équipes

qu’elle a observées un rôle fonctionnel de spécialiste en sciences du sport

ou de thérapeute sportive. Cela lui a permis d’asseoir sa crédibilité sur un

rôle formel au sein de l’organisation, qui lui conférait ainsi une certaine

légitimité. En revanche, ce rôle comportait un risque : celui de « trahir »

cette appartenance en dévoilant les paroles et les actions de ses

« confrères » – fût-ce dans un contexte de recherche universitaire et dans

le respect intégral de ses engagement de confidentialité, comme ce fut

le cas pour Ho (2009), dans son ethnographie des banquiers de Wall

Street.

Nous croyons qu’il serait malaisé pour un chercheur de s’intégrer

pleinement, sur une longue période de temps, à une équipe sportive

professionnelle sans avoir un rôle précis à y jouer – celui de consultant au

personnel d’entraîneurs, par exemple. Cela implique donc que la posture

du novice serait difficilement soutenable, sinon justifiable. Comme

l’indique Watson (2011), lorsqu’on souhaite étudier « les riches et les

puissants » de façon ethnographique, il est préférable d’avoir des

compétences à offrir en échange d’un accès de qualité.

Cela ne signifie pas pour autant, à notre avis, qu’il serait impossible de

recourir au dispositif méthodologique double de Rix-Lièvre et Lièvre (2010),

comportant à la fois un journal de bord multimédia (participant

observateur) et une captation vidéo embarquée doublée d’entrevues en

re situ subjectif (observateur participant). En effet, le premier volet du

dispositif s’impose de lui-même au chercheur jouant le rôle de l’expert

entièrement intégré. Pour recourir au second volet, en revanche,

l’ethnographe doit se distancier des personnes qu’il observe et les

remettre en situation en adoptant la posture du consultant qui remet en

31

question les décisions de ces personnes. Il s’agit là toutefois d’un

mécanisme bien connu dans le contexte des équipes sportives

professionnelles, où les entraîneurs revoient souvent des séquences de

match en compagnie des athlètes impliqués, parfois même au cours d’un

match, lors des entractes. Nous croyons donc que les entraîneurs

pourraient être à l’aise avec ce dispositif de recherche.

Tout cela implique que le chercheur doit accomplir un travail de

préparation très substantiel avant de s’aventurer sur le terrain, afin

d’acquérir la crédibilité nécessaire auprès des entraîneurs qu’il souhaite

observer et questionner.

« Travail de corps »7

Dans un contexte de prise de décisions non seulement abstraites, mais

fortement incarnées dans une performance physique, il nous semble que

le « travail de corps » doit faire partie des activités de l’ethnographe.

Baker (2012) évoque elle-même l’importance d’une « présentation de

soi » qui soit prise au sérieux et qui soit donc perçue comme crédible pour

les acteurs sur le terrain. Elle s’est donc livrée, avant même d’aller à la

rencontre des deux équipes, à un astreignant programme de nutrition et

d’entraînement physique, qu’elle a poursuivi tout au long de son travail

de terrain. L’enjeu pour elle en était un d’« acceptation sociale par le

terrain et [de] synchronicité expérientielle », par laquelle elle devait faire

l’expérience de la douleur et de la gestion du soi corporel pour

« comprendre et construire pleinement une logique sociale du champ »

(Baker, 2012).

7 Cette expression renvoie au « travail de terrain » (fieldwork), au « travail de tête » (headwork) et au « travail de texte » (textwork) auxquels fait référence Van Maanen (2011).

32

Nous croyons que ce travail de corps est tout aussi pertinent dans le

cadre de notre propre projet de recherche, tant pour des questions

perceptuelles de crédibilité que pour des motifs d’imbrication du

chercheur dans le terrain. Cela implique donc, ici encore, un travail

substantiel d’autodiscipline de la part de l’ethnographe, au même titre

que l’apprentissage d’une langue et de codes culturels, un travail qui

rejoint la prescription de Van Maanen (2011) : « To get at this world, one

has to need it. » Ce besoin, croyons-nous, ne doit pas être que cérébral : il

doit être incarné.

Ce travail de corps comporte des risques significatifs. Ainsi, Baker (2012)

souligne que l’« impact de mener cette vie – rédiger une thèse, recueillir

des données, jouer un rôle fonctionnel sur le terrain (dans les faits,

occuper un poste à plein temps), tout en s’entraînant chaque jour au

gymnase, en suivant un régime et en négligeant toute forme de vie

sociale – est néfaste pour la santé et le bien-être ». Cette multiplication

des rôles sur plusieurs sites différents peut également mettre en péril

l’identité même du chercheur, affirme Baker (2012).

Le défi ultime pour l’ethnographe, en définitive, consiste à accomplir ce

travail essentiel et exigeant d’imbrication complète, tout en cultivant « la

marginalité, le détachement, l’indépendance, et la rupture qui donnent

la distance permettant l’émergence de manières fraîches de voir et de

comprendre ce qui se passe au moment et au lieu de l’étude » (Van

Maanen, 2011).

33

Conclusion

Nous avons évoqué la difficulté pour les chercheurs de faire valoir la

validité de la méthode ethnographique dans l’analyse des organisations.

Cela peut se répercuter, comme le signale Van Maanen (2011), sur la

carrière de ces chercheurs, lorsqu’ils « présentent leur travail à des

collègues ou soumettent leurs écrits pour publication à des directeurs de

rédaction dont l’appréciation et la connaissance des méthodes et des

produits de l’ethnographie sont souvent très limitées ».

Nous sommes donc conscient des défis que comporte notre projet

ethnographique, non seulement pour sa réalisation mais aussi pour sa

réception par la communauté universitaire. Nous estimons néanmoins

qu’il présente un intérêt substantiel, tant pour les spécialistes de l’analyse

des organisations, en raison de l’éclairage qu’il jette sur la décision en

tant que pratique dans un cadre naturaliste, que pour les praticiens

confrontés à ce type de situations – les entraîneurs d’équipes sportives au

premier chef, mais en fait tous les gestionnaires contraints de prendre

rapidement des décisions sans disposer d’une information certaine et

complète.

34

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ANNEXE – MODÈLE DE DÉCISION AMORCÉE PAR LA RECONNAISSANCE (RECOGNITION-PRIMED DECISION MODEL)